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AVERTISSEMENT. CEs Mémoires sont tirés d'un Manuscrit fort ancien, puisqu'il est du quatorzième siècle. On a même été obligé d'y faire plusieurs changements pour le rendre intelligible. L'Histoire de Pierre le Long sera cause qu'on fera souvent de pareilles recherches; mais il sera difficile d'en trouver d'un style aussi agréable. Du moins, on aura le mérite de servir de lustre à cet ingénieux Ouvrage. A MADEMOISELLE*** VOus m'avez fait lire Pierre le Long; vous avez voulu que j'écrive dans ce genre, j'ai essayé de vous satisfaire: daignez donc accepter une plaisanterie que vous avez fait naître, et ne doutez plus du pouvoir que vous avez sur moi. En rendant ceci public, je ne sens que l'avantage de publier aussi les sentiments d'estime et d'amitié que je vous ai voués, et avec lesquels je serai toujours, MADEMOISELLE, Votre très-humble et très-obéissante servante, ***. PREFACE. D'Aucuns s'émerveilleront sans doute que je sois assez osé pour écrire une Histoire, puisqu'en suis moi-même tout ébahi; car, à dire vrai suis plus adroit à tirer arquebusade, qu'à toucher une lire; icelle ne rend sous mes doigts que des sons discordants. Mais pour parler d'un sien ami, faut-il donc être en acointance avec les Muses? Nul besoin ne le requerre. Pource, je crois, le cœur seul suffit. “ O mon féal! toujours le “mien est à toi! bien que tu sois trépassé! et puisque n'ai plus l'heur de „te voir, je vais me remémorer les “gentils instants qu'ai passé près de toi, “qui sont les plus doux de ma vie. HISTOIRE DE JACQUES FERU, ET DE VALEUREUSE DAMOISELLE AGATHE MIGNARD. CHAPITRE PREMIER. Comment Ambroise Incour s'avisa de la gentillesse de Jacques Féru. OR c'était sous le Régne du bon Roi des Francs, Charles huit, dit le Courtois, que moi Ambroise Incour, m'acointai de Jacques Féru; lui, et puis moi, servions sous les ordres de Sire de la Trémoille, qui, par sa rare vaillantise, fut surnommé le Chevalier SansReproche, surnom qu'en son armée un chacun mêmement tâchait de mériter. Après que ledit Sire eut gagné la bataille du Cormier en Bretagne, nous eûmes un peu de répit. Lors m'avisai de la courtoisie de Jacques Féru, m'advenoit mille fois plus que pas un de nos Gendarmes. Ses propos étaient gentils, sa figure mignarde, ses actions allegres; bref, me pris d'affection pour icelui: ce qui servit à l'agrandir encore, c'est qu'il arriva qu'un sien ami prit querelle avec un des miensDonc ils se gourmandent; ne voilà-t-il pas qu'iceux veulent que Féru, et puis moi, soyons témoins. En outre, ils nous exhortent mêmement de nous battre pour passer le temps; mais nous, sans faire ce que requéraient ces forcenés, nous devisons, tenons propos joyeux; ce qui grandement courrouça nos duelistes, leur prenait fantaisie de jeter leur ire sur nous, quand leur dis: “Braves Compagnons, trêve à fâcheries quelconques, votre courage „on connaît. N'en avons-nous pas “donné moult preuves ensemblement? “Donc, faut le réserver contre les “ennemis de notre Prince. Vous allez “vous entretuer pour une égrillarde qui “peut-être se gausse de vos débats, “avec un Jouvencel plus à sa guise “que vous. En tout faut imiter les Héros; savez que la constance n'est le “partage d'iceux. Après ce colloque, on quitta sa pertuisane, puis un chacun s'achemina vers son manoir. CHAPITRE II. Jacques Féru se dolente; son féal s'enquête pourquoi. UN jour il advint que vis l'ami Féru dans une très-grande détresse: lors lui dis: „qu'avez donc, l'ami? vous, que “de coutumance, on voit joyeux et “dispos, vous voilà tout en déconfort. “Ce peut-il qu'auriez des angoises et “que m'en feriez secret, à moi qui suis “vôtre? A ce dire, faisant sortir profond soupir de sa potrine: lisez ce qu'écrit la mère à moi, dit mon féal: “puis donnant missive, je lus ce qu'allez voir. LETTRE De Dame Féru, à Messire son fils Jacques Féru ON a su vos ébats avec la grande Jeanne. Du depuis un chacun dit, que ne méritez plus d'avoir pour Femme Damoiselle Agathe: icelle de vous ne se plaint aucunement; mais Messire son père se courrouce, et dit, que ja n'aurez sa Jouvencelle: à celle fin de prouver ce, voilà qu'il l'accorde aux Suppliques d'un riche Citadin, qui la pourchasse depuis qu'êtes à guerroyer. Comme ne vous enquétez plus de ladite Damoiselle, crois bien que déloyale seulement pour elle n'avez souvenance aucune de sa courtoisie. Quoique soit, vous avertis toujours pour que vous avisiez ce que ferez. N'en suis ne plus ne moins votre mère, comme êtes mon cher fils. “Vous avez donc une mie, dis-je “à Jacques? Las! oui, me répond-il, “et la perle des mies, tandis que suis “déloyal en son endroit, le plus déloyal qui fut onc. Ah! si vous saviez tous les méfaits de votre ami, “plus ne serais votre féal.“ Puis se détournant de moi, vis bien que c'était pour me cacher qu'il larmoyoit; ce qui étrangement me mut de pitié. Lors le pressai d'épancher son cœur dans celui d'un ami. Aussi fit-il, comme verrez si lisez. CHAPITRE III. Où l'on apprendra la cause de la détresse de Jacques Féru. MON ami print la parole, et dit: Suis né à Paris, comme savez. Mon père, qu'est défunt, me laissa quelques biens, que sur mer il gagna. Ma mère, qui grandement me chérit, onc ne voulut me laisser courre même risque; ne put m'empêcher pourtant de suivre les étendards de Sire de la Trémoille. Or touchais ja à ma dixneuvieme année, sans que Dame, ni Damoiselle quelconque, eussent troublé ma fantaisie. Toutefois courtois j'étais avec toutes, et me plaisais grandement à leur entour. Les hantois de préférence à mes plus chers camarades; sur-tout une mienne cousine, d'humeur plaisante au possible. Plusieurs Cavaliers la pourchassoient (en tout honneur s'entend): icelle, d'humeur folichonne, appréhendait les entraves d'hymen. Jurer à un homme d'être sienne, sans restriction, lui semblait jurement hasardeux. D'aucuns crurent que c'était moi qui l'induisois dans de tels pensées. Deux de ses amoureux m'encontrent un jour me disent paroles messéantes. Je réponds comme il est requis en cas pareil. Un d'iceux m'attaque. Je me desfends, comme pensez. L'autre est assez felon pour se mettre de la partie; de sorte qu'avais plus de besogne que n'en pouvais faire. Beaucoup me regardent, mais aucuns ne me secourent; si ce n'est belle Damoiselle, que mon bon Ange, faut le croire, conduisit à mon entour. Mue de compassion de me voir ja tout empourpré de mon sang, elle fend la presse, disant: Quoi! vous “laissez occire ainsi ce blond jouvenceau? Puis se mettant tout justement derrière un de ces laches, voilà qu'elle empoigne de ses deux mains la garde de son épée, et lui arrache, comme il m'en allait pourfendre l'estomac; puis serrant ladite épée, de ses doigts mignons, elle la rompt, la jette au loin, disant: Allez, méchant, ne devez plus “porter des armes; trop indigne vous “en êtes „. Tous deux tournent le dos, et s'en vont honnis d'un chacun, tandis qu'Agathe Mignard (se nomme ainsi cette loyale Damoiselle) s'attire l'admiration de tous, d'autant que pas un n'avait eu le courage d'agir mêmement. Pour moi, plus ne m'apercevais du sang qu'avais perdu; celui qui me restait prenait nouvelle vigueur près de la belle Agathe. Tombant à deux genoux aux pieds d'icelle qu'embrassai fortement:“O Dame incomparable! m'écriai-je, ces jours dont suis redevable “votre courtoisie, souffrez que vous consacre, et que sois votre serf “jusqu'au dernier sopir „. Puis m'aperçus que son beau bras était ensanglanté, pource que le fer dont icelle s'était saisie était tranchant; ce qui me causa grande douleur. M'aperçus aussi que son teint blémissoit: bref, on nous fait entrer dans une salle basse, où il survint un panseur. Agathe envoya quérir Messire son père, qui ravi d'aise fut des proûesses de sa jouvencelle, estimant le courage plus que chose quelconque. Aussi jadis son métier était d'en voir. Moi me dépitois contre ma grane débilité, qui me força de quitter une famille à laquelle désirais déjà d'être adjoint. Fallut au plutôt m'éconduire chez Madame ma mère, puis me coucher. CHAPITRE IV. Comment Jacques Féru est enamouré, et par quel bonne encontre icelui recoit visite de sa Dame. ARrivé que je fus chez ma mère, grandement je m'étendis sur la générosité d'Agathe, ne pouvais parler que d'icelle; et quand n'en disais rien, c'est qu'on ne voulait me laisser parler à cause de mon mal. Malgré ce, sa douce image ne me quittait ne plus ne moins que ma chemise; toujours mon penser me portait vers elle. Si son merveilleux courage me touchait, certes n'oubliais pas non plus son gentil corsage, sa peau blanche, et qui paraissait bien doucette, son pied mignon, son bras rondelet, ses blondes tresses; bref, sa voix argentine...... Si bien que me voulais mal d'être gisant dans un lit, tandis que m'aurait fallu être aux pieds d'icelle, qui si gaillardement exposa tant de charmes pour moi chétif: mais j'eus pourtant un grand reconfort, comme allez voir. N'eus besoin de prier beaucoup me mère d'aller chez père Mignard s'enquêter de sa jouvencelle; de son chef y fut souventes fois Madame ma mère. Pere Mignard, non moins civil, à son tour me fait visite. Moi tout aussitôt lui parlai de la Dame de mes pensées, lui témoignai le désir qu'avais de savoir nouvelles de sa santé. Elle est guarie, “dit père Mignard. Moi n'en veux rien croire.“ Oh bien, ajoute icelui, “incrédule que vous êtes, quand la “verrez le croirez-vous? car vois bien “que faudra vous la mener „. Que cette tant douce parole me causa d'allégresse! Mes forces presque aux abois reprinrent leur vigueur coutumière: mais quel baume restaurant se glissa dans mes veines, quand l'autre demain vint cette douce amie!... Malgré ma redevance envers icelle, voilà que d'un air bénin, elle approche de ma couche et s'enquête de mon état; moi n'ai plus que la faculté de sentir, la joie me suffoque; Pere Mignard lassé de mon idioterie, se met à deviser avec Madame ma Mere, puis me voilà comme seul avec ma mie. Ses douces œillades me réconforterent; j'osai lui dire le secret de mon cœur. Mais point ne voulait me croire, et de cette voix qui distiloit miel et sucre dans tous mes sens, elles prononça paroles, non consolantes; “Crois bien qu'honnête garçon vous êtes, Messire Jacques, disait icelle: mais tout adolescent est enclin à la vanité; ce pouvait-il pas que me “croyez férue de votre mérite, pour ce que j'ai eu l'heur de vous secourir? “Dieu sait pourtant que lorsque “vous vis entouré de ces vauriens, c'était bien la première fois que voyais “votre face: ce qu'ai fait pour vous, “las! l'aurais fait pour tout autre: suffit d'être chrétienne pour ce... Eh! n'appréhendez pas, dis-je en l'interrompant, que Jacques Féru soit vani“teux; ne voit que trop qu'il n'a l'encontre de vous plaire; quoique ce, ne “pouvez empêcher que ne sois vôtre; “et veuillez ne veuillez pas, toujours “le serai. „Ma belle amie ne dit rien plus, mais ses yeux craignaient l'encontre des miens: ses joues rondelettes se coloroient; ce que je prins pour bon signal. Quoique jeunet encore, ja me connaissais en amoureuses feintises. CHAPITRE V. Jacques Féru, induit à mal par ses Compagnons, a de l'oubliance envers sa Mie. GUari je fus bientôt, parce que le cœur me disait, que point ne déplaisois à ma mie; mais le cœur nous trompe par fois. Cette douce mie, si courtoise, si pitoyable, ne donnait nul allegement à mes peines, pour ce que n'avait de fiance aucune aux maux qu'amour cause. Quoiqu'âgée de 17 ans, icelle croyait que c'était par us et coutume qu'on aimait, et non par redevance envers Dame nature. Dans mon dépit je maudissais son innocence, bien qu'un chacun la désire dans sa Dame. Oh quel métier que celui d'aimer! à mon dire c'est bien le plus rude de tous. Voyant que fortement je me dolentois, Damoiselle Agathe m'éconduit vers son Pere; comme si les amants onc se soucient d'iceux; disait ma mie, que Fille honnête ne pouvait engager son cœur, sle vouloir de ses parents, comme si le avait le temps d'attendre. Oh! que cette honnêteté me causa d'angoises! Fus trouver un jour Pere Mignard, pour lui donner assurance que n'aurais d'autre femme que sa gentille Damoiselle, si toutefois il l'adhéroit; sinon que restrois jeune homme tant qu'aurais souffle de vie: ce qu'ayant oui Pere Mignard, en eut quelqu'émouvance: plus enclin il était à la tendreté que sa jouvencelle: donc me dit, que voulait bien me la bailler, me croyant bon compagnon, et preux Chevalier en point; mais que fallait attendre encore parce qu'icelle était par trop jeunette. Sans m'aviser de disgracier mon futur beau-Pere, tout de suite je cours vers ma belle amie, lui faire part du tant doux espoir dont on leurroit mon amour: authorisée qu'elle était par Messire son Pere, fut plus accorte envers moi, mais pas tant qu'auroi voulu; toujours son honnêteté gourmandoit mon vouloir; bien que voyais souvent ma Dame, n'avais pas encore tout ce que désirais: me semble qu'aurais été content, si seulement j'avais su quand serait tout-à-fait mienne; donc le demandai à Pere Mignard: le bon-homme gauchissant dans sa réponse, dit que serait temps assez quand madite Dame aurait vingt-cinq ans. A ce dur propos, j'eus peine à cacher mon ire: comme icelui faisait le diseteux, ce peut qu'appréhendait les frais d'un acoutrement nouvel. Las! nul besoin n'en avait ma mie, nature l'avait trop bien acoutrée: croyait peut-être aussi que prenais femme pour avait dot; se trompait grandement: qu'est-ce qu'or et argent, auprès d'une mie? Lors fus conter mes doléances à Madame ma Mere. Ne voilàtil pas qu'aussi elle dit qu'étais par trop adolescent pour me marier, moi savais bien le contraire. Sur ces entrefaites on parle de batailler. Sire de la Tremoille nous ordonne de cheminer vers la Bretagne, comme savez, mon féal. On ne peut que je crois me taxer de couardise; mais fus contristé au possible, quand fallut quitter mon amie, n'ayant d'icelle aucune assurance si je lui advenois, et ne sachant quand serait mienne; épandis donc moult pleurs, tant amour nous rend piteux; le voyage voire même ne me donnait nulle oubliance de mon mal. Mes camarades surpris de ma dolence, s'inquietent qu'est que c'est qui la cause: quand sçurent que c'était les rigueurs de ma Dame, iceux firent des risées de mes angoises; incrédules qu'ils étaient, ne croyaient ni aux esprits, ni à la vertu des Damoiselles: ne disaient-ils pas ces gauseux, que si ma chère Agathe n'avait émouvance aucune de mes peines, c'est qu'était plus accorte pour autre ami, que n'était jouvencelle tant jeunette, qui n'eût le sien. Croyez bien que n'avais foi quelconque à ces blasphèmes, pourtant par fois cela troublait mon penser. Arrivés en Bretagne, voilà que nous séjournons à S. Brieu, Gentille Ville, où se trouvent plus gentilles Damoiselles encore: mes camarades, possédés que je crois du malin esprit, me firent comparaître devant ces gentilles Bretonnes, qui douces au possible, eurent politesse bien grande pour moi; et moi qui ne voulais paraître incivil, répondis courtoisement à la courtoisie d'icelles: puis lesdits camarades les previnrent que jovial j'étais; et comme sais qu'en tout faut complaire aux Dames, de mon mieux je fis pour les éjouir: mais las! bientôt ce fut sans feintise, car il advint qu'elles m'éjouirent aussi; ce peut-il autrement? comment ne s'amuser près de ce sexe tant bénin? s'il est secret pour ce, voudrais bien l'apprendre: vous dirai donc que ne lui trouve défaut aucun; tout me plaît dans icelui, ses devis, ses propos, ses clameurs, ses dépitemens, son babil, son silence, sa simplesse, sa joie, voire même ses détresses que ressent mêmement; de-rechef, le dis, mon ami, tout me paraît plaisant dans le gentil sexe féminin, si ce n'est toutefois les cruautés de ma mie: oh! qu'il est donc difficile avec de tels pensées, de n'être enamouré que d'une en tout! Or sus, pour continuer ma déloyale histoire, faut que sachiez, l'ami, que de toutes les Damoiselles de S. Brieu, une entre'autres, nommée Jeanne, dite Bon-Port, eut plus de gracieuseté pour moi que pas une, et pour cetuite raison en eus plus aussi pour icelle. CHAPITRE VI. Où l'on trouvera la finition du récit de Jacques Féru, et comment icelui s'avise d'envoyer son ami vers sa Dame. VOus dirai donc, pour l'acquit de ma conscience, mon bon ami, que ladite Jeanne était bien advenante, sa taille était haute, son poil noir; malgré ce, n'avait rudesse quelconque aucun ne s'en plaignait, tant grande était sa complaisance; toutefois ses mignardises n'ôtèrent pas entièrement de mon penser ma chère Agathe; me remémorois par fois, que devais la vie à cette honnête Damoiselle: las! quand près d'icelle j'étais, onc ne songeais à d'autres: seulement aurais voulu que plus accorte elle fût pour mon amour; quoique soit ne lui aurais manqué que je crois, sans ce mal-encontreux voyage de Bretagne; l'heur seulement fut pour notre preux Général, qui gagna la Bataille. En cheminant, maintes fois écrivis à ma mie, mais du depuis qu'ai failli, ne suis plus assez osé pour le faire: de vrai lui dirai-je que mon âme s'est conservée pour icelle, non pollue; tandis que Madame ma Mere toujours m'a commandé de ne ja mentir, me flattais que le bruit de mes méfaits n'irait jusqu'à ma mie, que revenu de mon enivrement rien ne m'empêcherait d'être sien. Me trompais lourdement, comme voyez, l'ami, puisque du tout elle est instruite, et que Messire son Pere va la bailler pour femme à autre ami; ce que ne souffrirai pas dû, (continue Féru, tout enrougi par son dépit,) non ne le souffrirai onc, quand saurais m'attirer l'ire d'un chacun, voire même celle d'Agathe. Oh! que sens bien maintenant qu'elle seule est ma mie! ne puis tant seulement supporter le penser, qu'autre que Jacques dira qu'elle est sienne.... Las! veuillez donc me conseiller, mon très cher, que faire en ce mal encontre? Trouvai l'ami Féru grandement fautif envers la généreuse Agathe, mais ne le blâmai aucunement; se blamoit assez le pauvret, son cœur tant était navré, qu'aurais bien voulu lui porter allégement. Lui conseillai d'aller plein de sa repentance aux pieds de sa Dame; mais n'osait pas, trop honteux il était: fut résolu qu'il écrirait au Pere, et puis à la fille, et que me chargerais des missives; à celle fin que puisse le défendre. Donc demandai un congé, et pris mon élan devers Paris. CHAPITRE VII. Où l'on verra le contenu desdites missives, et comment Ambroise Incour sut émerveillé des appâts de Damoiselle Agathe. FUs voir mère Féru, dès que je fus arrivé, je sus par icelle le désaroi de mon pauvre ami: sus aussi que Pere Mignard ne voulait onc en ouïr parler. Ce donc je m'ébahissois grandement à mon dire, on doit pardonner toute faute que mêmement on a pu commettre. Nonobstant ce, fus chez ledit Pere Mignard, et trouvai sa gentille jouvencelle seulette: malgré les vanteries que Féru m'avait faites de sa mie, en la voyant vis bien qu'il n'avait tout dit: mon cœur plus que mes yeux encore, surprins de tant de gentils appâts, me disait que c'était grande félonie d'en perdre souvenance: loin d'oublier telle mie pour toute autre, aurais oublié toute autre pour icelle, voire même, qu'étais près d'oublier mon ami; las! aurais bien mieux aimé parler pour moi que pour icelui, le blâmais trop pour trouver bonnes raisons pour l'innocenter; tout ceci fut donc cause que restai ne plus ne moins qu'une statue: toutefois je reprins courage: l'honneur qui fait mouvoir tout les cœurs François, au mien causa quelqu'agitement; et sans oser regarder en face cette toute belle, lui dis donc: “Oh! Dame incomparable! souffrez “que vous présente l'humble supplique “d'un mien ami, qu'est dans la détresse “du depuis qu'il s'est attiré votre ire, “par la tant rare courtoisie dont vous “lui donnâtes moult preuves. Le pauvret vous conjure d'être mu de sa “repentance; et de ne ja seconder le „grand courroux de Messire votre Pere. Ah! si saviez combien de passions nous pourchassent, seriez moins “surprinse du manquement de Jacques. “Quoique soit, celui qui gît là-haut, “pardonne; par ainsi pardonnez donc, “belle Dame, vous qu'êtes un de ses “plus beaux ouvrages. Puis la priai de fixer ses doux regards, sur ce que lui présentais: ne voulait pas, mais fis si bel et si bien, qu'icelle lut ce qu'allez lire. COMPLAINTE DE JACQUES Féru, Le plus contrit des serviteurs de belle et honnête Damoiselle Agathe Mignard. 1. COUPLET. O douce amie! ô ma tant belle! Toi qu'il est vrai j'ai pu trahir; Croirois-je qu'une amour nouvelle De mes méfaits va me punir? Onc n'attendrai dans ma détresse Que tu rejettes ce lien; Mais pourras-tu, gente Maitresse, Molester un cœur qui fut tien? 2. Las! si voyais ma repentance, Et d'ardeur mon cœur se mouvoir; Ja le tien par accoutumance Prendroit pitié de mon douloir: Ah! si d'une autre jouvencelle, Ton ami fût énamouré; Récomparant Agathe à elle, Son amour plus est assuré. 3. Pardonne donc, tant douce mie A qui ne vit plus que pour toi; N'aurais-tu veillé sur ma vie Que pour la mettre en desaroi? S'il faut qu'autre ami te possède Et que leurré soit mon désir; Point ne prendrai d'autre remède Voyant son heur, que de m'occir. Tandis que lisait la jouvencelle, ne pouvais m'empêcher de la regarder: ses yeux étant baissés, me croyais bien en sûreté. Donc, je vis que quelques larmes coulaient dans iceux, que son estomac se mouvait.... Bref, ne plaignais plus tant l'ami Féru, puisqu'il causait de l'émoi à si gente personne: le tançois même tout bas, de l'avoir accusée de rudesse. Larmes plus précieuses qu'or et diamant; si par aventure, vous vous étiez épandues pour Ambroise Incour, onc les plus riches Potentats ne pourraient se dire plus chanseux qu'icelui! Quand la Damoiselle eut fini de lire:“Se peut, dit icelle, que Jacques “ait de la repentance, mais du “depuis son manquement, mon honoré Pere mêmement se trouve en “droit de manquer; que votre ami “l'apaise, après je verrai ce que ferai: savez, Messire, que fille honnête “en tout doit complaire à celui qui l'a “engendré: n'irai pas faire choir son courroux sur mon chef, en faveur “dudit Jacques, qui a demérité mon affection. Il est coupable, disais-je. Puis ne disais plus rien, pour ce que ne pouvais plus rien dire: faussant ma promesse, ne cessais de regarder cette dangereuse Damoiselle; disant à part moi, est elle donc si belle? Las! bien mieux aurait valu m'enfuir; quoique ne soit le fait d'un brave Gendarme. Voilà que Pere Mignard arrive, et que la jouvencelle s'en va, disant: parlez à Messire mon Pere. Moi tout contristé m'annonce comme ami de Féru; ce qui rechigna la face du bonhomme, et tout en rechignant lut ce que lui présentai, et que voici. LETTRE De Jacques Féru, naguère dit le Jovial, et qui s'est acquis le surnom de larmoyant, du depuis qu'il a encouru l'ire de son honoré Père, Messire Mignard. Bien que m'ayez retiré ce doux nom, et qu'ayez dit à d'aucuns qui me l'ont redit, que ne serais point votre fils, souffrez qu'en mon penser je croie encore l'être; et songez qu'ayant perdu Pere en bas-âge, il m'était bien consolant d'en retreuver un dans votre courtoisie. Donc, mon honoré Pere, gromelez contre votre fils, châtiez-le, mais appelez le mon fils; ayez souvenance que jeunesse est fautive. Vous qui fûtes jadis du tant noble métier des armes, ayez souvenance aussi combien de licence il entraîne: que de méfaits vous sont conseillés! que de félons exemples vous sont donnés. Voire même par de preux Chevaliers, fidèles à leur Prince, mais deloyaux pour leur mie. Las! si par inadvertance, ai failli envers la mienne, par la grande repentance qu'en ai; sens bien que ne faillirai plus. Veuillez donc me rendre votre benignité coutumière; et dire à votre jouvencelle, que toute de même elle fasse. Ah! si lui ordonnez de prendre autre ami, si obéissante elle est, que le fera? Donc faudrait lui dire aussi que pour dernière grâce, demande qu'icelle assiste à mes funérailles; Jacques ne peut vivre sans sa mie, puisque c'est son âme. De ce, Pere Mignard n'eut émouvance aucune; ébloui qu'il était par les richesses du Citadin.“ Voilà de “mes Amans du jour, ce dit-il, qui „toujours veulent s'occir, et toujours “sont pleins de vie. N'en sera ne plus “ne moins; ne donne point ma jouvencelle à de tels étournaux; sera en “plus sûres mains avec le Mari que lui “baillerai, s'il n'a blonde crinière, “sens rassis il a; toujours sera le tourtereau de ma fille. Il n'y a Jean ni “Jeanne qui tienne, ne suivra les conseils des pervers, pour fausser sa foi. Quidam de discourtoise mine vint nous interrompre, à qui Pere Mignard dit: venez çà, mon Gendre. Moi confus de ce qu'on préfère ce visage à mon ami, je tire ma révérence puis je m'en vais. CHAPITRE VIII. Ambroise Incour instruit l'ami Féru de son malencontre. Ledit Ambroise est traité déloyal par Agathe. Sçaurez pourquoi quand aurez lu. LOrs, fis savoir à l'ami Féru ce qu'était arrivé, mais ne lui dis pas tout, trop honteux j'étais de ma faiblesse envers Damoiselle Agathe. Ledit ami me recrit longue jeremiade; en sus, icelui disait qu'allait partir pour Paris, que quartier d'hiver il y ferait. Moi crus bien faire, que de montrer ceci à sa Dame; donc, je prends l'entour de son logis, et la trouve encore seulette. Toujours belle, toujours advenante me complaisois tant à la voir, que cherchais ses beaux yeux, loin de les fuir: aussi tout comme deux flambeaux rayonans, ils consumaient ma potrineLui dis donc, qu'avais reçu nouvelle de l'ami, dont lui ferais part si tel était son vouloir; que verrait bien, qu'il l'aimait sans feintise.... Mais m'interrompant la jouvencelle, dit que n'en doutait aucunement; mais que fallait bien obéir à son honoré Pere qui lui destinait autre ami. Voulus encore intercéder pour le mien, pour ce que me sentais étrangement animé. Parlai donc beaucoup, sans savoir trop ce que disais. Aveugle que j'étais, croyais toujours parler pour l'ami..Mais aux paroles se joignent les gestes expressifs, faut le croire; car Agathe effrayée appelle du secours. A dire vrai, elle s'effrayait trop-tôt; puis me dit que suis déloyal envers icelle, déloyal envers mon ami, et mille fois plus déloyal qu'icelui, qui onc ne fut si osé. Las! lui aurait pardonné plutôt qu'à moi; en cas pareil, faut-être amant aimé pour être absout. Qui fut bien confus? c'est Ambroise. Les yeux fichés en terre, n'osais me mouver. Ne trouvais rien à dire pour ma défense, tant les méfaits nous coupent la parole: la jouvencelle avait raison, me trouvais bien coupable envers Féru. Ah! si l'avais vu dans le moment, la foudre, ou bien des revenants, m'auraient causé moins de frayeur! toutefois, je reprins mes forces, mais ce fut pour m'éloigner de ce qui me les faisait perdre, et promis bien à cette dangereuse Dame de ne la voir onc de ma vie. CHAPITRE IX. Où l'on verra les complaintes d'Ambroise sur son forfait, et ce à quoi il se résout, puis les détresses d'Agathe; bref, une grande entreprise qu'icelle met à fin. QUand fus seul avec moi-même, ne pouvais me consoler d'avoir été désireux de la Dame de mon ami: pour m'en châtier fortement, fis vœux en mon penser de ne plus voir femme aucune; puis donnant l'essor à mes angoises, je m'écriais: Quel danger as-tu donc encouru, Ambroise? Siéges et “Batailles sont moins périlleux pour “toi que les beaux yeux d'Agathe! O “mon féal! peu s'en est fallu que je „n'aie oublié ma redevance envers “toi. Mais vengé tu seras, onc n'entendras parler d'un déloyal: ne l'accable pas de ton ire, est assez puni d'être privé des doux regards d'Agathe. O amour, illusoire fantaisie! faut-il que bannissiez la sainte amitié de nos cœurs?... Non, amitié sera plus forte. Mais las!... fuirai les gentils appâts d'Agathe. Quand père Mignard rentra en son logis, fut bientôt imbu de ce qui s'était passé, ce qui fort le courrouça contre Féru et puis contre moi, fit serment de rompre avec l'ami, puis fit tout préparer pour les noces de sa Jouvencelle. Lors quand sus le malencontre qu'avais porté aux amours de mon féal j'eus redoublement de repentance: de suite quittai Paris; mais n'osais retourner à l'armée, craignais trop de rencontrer celui, que naguere je recherchois, tout en me contristant; tournai mes pas vers la Touraine, et dans une épaisse forêt qui s'y trouve, j'avisai ce que deviendrais. Las! ne pouvais rien résoudre tant déconforté j'étais. Trouvai dans ladite forêt petite cahute, qui me parut propre à gîter la nuit: bref, fus m'approvisionner à la ville voisine, et me voilà Hermite. Pendant ce temps, Damoiselle Agathe voit à son dam, que tout se prépare pour son hymen, acoutremens, festins, ménétriers, tout est en branle, chacun s'éjouit, sinon icelle. Las! ne se soucie de mariage, et bien moins encore du marié, en le recomparant à Jacques, le trouvait bien déplaisant. Cetui-ci était volage, c'est vrai; mais repentant, son humeur était accorte, et sa face bénigne, si bien que tout ceci agite le penser de la Jouvencelle, ne peut se résoudre icelle d'en parler à Messire son père. Trop de timidité nuit par fois: Agathe ne parle, mais agit. Tout justement la veille de ses noces, elle fuit de la maison, accoutrée en Jouvenceau, pour tromper ceux qui pourraient pourchasser ses attraits. Qui fut bien ébahi? c'est Messire son Pere, lorsqu'icelui treuva ce qui suit dans la chambrette de la JouvencelleMessire mon père, Vous écris le penser de mon cœur, pource que n'oserais vous le dire, crains trop votre courroux, et sens bien que ne le mérite; mais las! veuillez m'entendre, faut, dites-vous, jurer au mari que vous me baillez, que l'aimerai toujours; ne peux dire ce mentir, c'est trop grand péché; me retire en lieu saint, prier Dieu, ou le grand Saint Georges, de changer mon penser, ou bien le vôtre; quand saurai votre ire adoucie, vous ferai savoir où git votre Jouvencelle, qui toujours vous obéira, si ce n'est quand lui commenderez de prendre ami, qu'icelle ne peut aimer. CHAPITRE X. Comment Jacques Féru se trouve en piteux état, leurre qu'il est par père Mignard, mais la joyeuse encontre que ledit Jacques fait de sa mie. PEre Mignard se courrouça grandement à l'encontre d'Agathe, et puis à l'encontre de Jacques Féru, tant il croyait qu'icelui avait occasionné la fuite de sa Jouvencelle, vit bien pourtant son innocence, quand le vit arriver ce même jour-là, tout essoufflé, demandant sa mie; mais ledit Pere voulant qu'un chacun eût le cœur navré comme icelui, eut bien la rudesse de dire à ce pauvre garçon, que sa Dame était mariée, et que plus ne s'en enquête. Oh! c'est à présent que ne puis peindre l'extrême angoisse de mon féal. M'a dit du depuis, qu'il se poignit l'estomac, et dit mainte fois sa coulpe; puis, suivant conseil de son dépit, voulait s'occir, lors disait: 1. Faut mourir, j'ai perdu ma mie, Plus de plaisirs jamais n'aurai; Tous ils gisoient au cœur de mon amie; Elle me l'ôte, ailleurs n'en chercherai; Faut mourir, j'ai perdu ma mie. 2. Adieu, joie et mélancolie, Faut tout quitter, bons et méchants; Adieu sur-tout, amis de tromperie Qui m'induisiez à trahir mes serments; Faut mourir, etc. 3. O! ma Dame, vous sacrifie Ces jours pour qui prites souci; Las! ne pourriez me rendre encore la vie Puisque je sais qu'avez un autre ami, Faut mourir, j'ai perdu ma mie. Après ce, il songe s'il déchargera sa carabine, ou bien s'il tirera sa pertuisanne.... Mais tout-à coup il s'avise qu'il est Chrétien.“ O malheureux, “se dit-il! perds-tu souvenance que t'e“baptisé, ta vie est à celui qui t'en “laisse jouissance tant que son vouloir “le requérera. Ne peux en disposer, “c'est bien assez voirment de s'être attiré l'ire de sa Dame, sans encourir encor celle de son Dieu! Vivons “pour souffrir.... Mais si mes camarades me voient plorer ma mie, se „gausseront encore de moi: eh bien, „laissons ces pervers. Enrôlons nous “dans la Milice Chrétienne. Cela dit, „s'achemine le désolé Jouvencel devers Amboise, résolu de s'enfermer “dans un Couvent de Minimes qu'était dans ladite Ville. Or pendant qu'il fait alte dans un bois au loin, il entend gentille voix féminine qui se dolente; aussi-tôt il hausse le col pour mieux ouïr, retient ses soupirs, s'approche en tapinois sur le bout du pied, à celle fin que la Pélerine toujours croie être seulette. Ne pouvait la voir; mais entendit bien ceci. ROMANCE. 1. DAns tes amours, pourquoi, pauvrette, Choisir Jouvencel si courtois? Par-là tu vois chaque fillette Vouloir faire brèche à ton choix; Jacques peut en voir de plus belles, Mais n'en verra de plus fidèles. 2. J'écarte au loin de ma pensée Son image souventes fois; Mais quand l'en crois bien effacée Dedans mon cœur je la revois. Jacques, etc. 3. Maints serviteurs, contre ma guise, Voudroient remplacer mon ami; Mais, las! s'il a de la feintise, Que seront donc autres que lui? Jacques, etc. 4. N'ai plus désir qu'être Moinesse Depuis que sais qu'il m'a quitté; Mieux vaut rougir de ma simplesse, Qu'imiter sa déloyauté. Jacques, etc. 5. Veuille le Ciel dans ma retraite, Ne m'être propice à demi, Si toutefois il ne rejette Un cœur rempli de son ami: Jacques peut en voir de plus belles, Mais n'en verra de plus fidèles. N'aguere, ne pouvais exprimer la détresse de l'ami Féru, et à cette heure, ne puis rendre sa joyeuseté, puis seulement la penser; fortuné qui la sent: en effet, croyez-vous, Messires les Jouvencels, qu'il soit symphonie quelconque, récomparable à la voix de sa mie? Car il est temps de vous dire que cette tant douce voix est celle de Damoiselle Agathe, qui, tout en cherchant Couvent de Nones, s'arrête par cas fortuit dans le même bois où était son serviteur. Or depuis ce, crois bien qu'il y a sympathie entre les Amans. Donc, pour revenir à cette joyeuse encontre, Jacques a peine à contenir son allégresse; il retreuve sa mie, elle est sienne, il a oui de ses propres oreilles, qu'icelle ne veut choisir autre ami. Un buisson les sépare; Jacques le franchit comme pensez; mais quelle est sa surprise de voir un Jouvenceau! Toutefois Féru ne se laisse pas leurer par l'accoutrement; croit plutôt son cœur, qu'est toujours l'oracle des amoureux; se laisse choir aux genoux de sa Dame, et ne s'en veut relever, qu'icelle ne l'ait absout. Quand cela fut fait, les voilà qui s'assoient. CONCLUSION de ladite Histoire. QUoi! c'est vous, Jacques, dit Agathe? Oui, Madame. Où donc allez? J'allais me faire Moine, Madame, pour ce que Messire votre père m'a dit qu'aviez choisi autre ami en face d'Eglise. Las! non, ne l'ai voulu; et quand même, ne suis seule au monde; connaissez bien d'autres Damoiselles, plus accortes sans doute; quand ne serait que Jeanne Bon Port. Ce peut que connaisse Damoiselles aimables, ajoute Jacques, tout honteux, mais sais bien que onc n'en connaîtrai de plus aimée que vous. Or puisque m'avez pardonné, belle Dame, veuillez donc, je vous prie, perdre souvenance du passé: dites-moi tant seulement où se portent vos pas mignons? Dans couvent de Filles, pour ce que vais me faire Moinesse. Quoi! n'en perdez le vouloir? J'appréhende l'ire de mon Pere: si me défend de vous prendre pour ami, crois bien que ne m'empêchera de prendre celui qu'est là-haut. Que feriez à ma place? dites, Messire Jacques, ajoute la Jouvencelle d'un ton doucet. Le sais bien, mais n'oserais le dire, Madame. Tout en devisant le jour baissait. Moi, affublé de mon habit d'ermite, j'étais allé aux entours de la forêt, et j'arrive tout justement quand nos deux amants s'y treuverent. Fut bien ébahi de pareille vision, malgré la confusion que devais en avoir; je m'en éjouis grandement pour ce que pensais bien, que point ne leur déplaisait cet encontre. Toutefois, me détournai d'iceux; mais inutilement: inquiets de savoir où passeraient la nuitée, les voilà qui m'entourent pour s'en enquêter. Moi, comme un incivil, continuais de cheminer; point ne s'en soucissent; l'habit ne faisait le Moine, ils me connurent. Jacques me saute au col; Agathe rougit. J'avoue humblement mes méfaits à mon féal, et en demande pardon à ce couple gentil. L'ami fut si touché de mon douloir, qu'il treuvoit moult raison pour me blanchir. Las! savait combien notre faiblesse est grande, prenait pitié de ses semblables, voulut que sa Dame me pardonnât; mêmement, icelle le fit; mais cette honnête Dame devenait soucieuse au sujet de tout ceci. Craignant le dire d'un chacun, et sur-tout celui de Messire son père: “On “croira, se disait elle, qu'ai donné le „mot à Jacques. Ah! ne puis trop “tôt le quitter; lui plore comme un „enfant; allez donc chez des Nones, „puisque le voulez, Madame, lui disait-il; mais promettez-moi de ne “vous faire Moinesse.“ Fut résolu que moi seul la conduirais audit Couvent à cause de mon habit, qui chez les Nonains est en révérence; tant d'honneur me touchait peu; craignais trop de m'en rendre indigne: pour Agathe, ne me chérissait assez pour me craindre, aimait mieux la Jouvencelle être seule avec moi, qu'avec son ami. Nous cheminâmes un peu tous trois; puis certain clocher contraignit Jacques de s'éloigner; il dit adieu à sa mie comme si ne devait onc la revoir. Celle-ci lui promit de se conserver sienne, et d'essayer d'amollir Messire son père. Bref me voilà seul avec cette gentille fuyarde, tout vaniteux de pareil dépôt et de la fiance qu'on me marquait, ma vertu s'en affermissait, ne me remémorois le passé, qu'à celle fin qu'un chacun en perde souvenance: quand Damoiselle Agathe fut en sûres mains: m'en retournai dans ma Cellule, où m'attendait l'ami Féru; ladite Damoiselle fit savoir à Messire son père là où elle était: y courut bien vite le bon-homme tout joyeux qu'il était de retreuver son enfant, voire même qu'il ne songeait à la tancer, tant la nature imprime je ne sais quoi de doux, que ne peux trop dire, pour ce que ne suis lettré; mais le sens bien. Toutefois, après les épanchements, père Mignard sermona sa Jouvencelle; car les pères ne sont chiches de pareille monnaie, et les enfants, à qui mieux mieux, s'évertuent pour en mériter: après ce, voulut emmener la Damoiselle; mais cette ci s'en défendait, disant que se ferait Moinesse; ce qui fâcha bien père Mignard, n'aimait en tout les cloîtrés; et puis en outre, était bien aise que sa Jouvencelle eût lignée, la laissa encore quelque temps: puis un jour lui dit:“tu peux revenir, Agathe; ne te forcerai point de “prendre ami contre ton gré; et si “Jacques t'advient, mieux vaut encore “te le bailler que te voir Moinesse, “bien que ce Jouvencel fasse l'amour plus en chasseur qu'en loyal amant. Mais seras assez punie d'être sienne, sans que davantage t'en fasse “reproche quelconque. Serois bien mal “avisée, mon honoré père, répond “Damoiselle Agathe, si lorsque je “refuse le mari que m'offrez, j'allais “en prendre un qui n'a l'heur de “vous plaire: nenni dea, ne le ferai “point; suis assez chanseuse d'être en “grâce près de vous, sans désirer d'autre encontre si ce n'est la durée de “votre loyauté. Toutefois par les soins de mère Féru, les méfaits de son sien fils furent oubliés, et d'une voix unanime celui eut sa mie: qui fut bien aise? Le laisse à penser à l'ami Lecteur. Dans les transports de sa joyeuseté, l'ami Féru disait et puis sa mie aussi, car ne pouvais chanter tout seul: DUO. O amour! de tant d'allégresse Ne puis que te ringracier; Si nous causas quelque detresse, Sçais bien comment nous en payer: Envers toi ne peut être ingrate Une âme où tu viens te loger: Defie au sort de m'afliger Tant qu'aurai mon Agathe, Si t'aime ton Agathe. Lors quittai mon ermitage; ne le voulus plutôt, tant me méfiois de moi-même: c'est le sur moyen, dit on, de ne point faillir: sûr j'étais d'avoir révérence pour la femme de mon ami; mais pour sa mie n'était si révencieux: pris donc la coutumance de voir sans crainte cette gentille femme: dans la suite m'acointai avec Dames et Damoiselles qui m'advinrent, et à qui j'advins, ce peut qu'icelles n'étaient si belles qu'Agathe; mais suffit que me semblaient telles. C'est dans l'opinion Que tout git, ce dit-on. Et puis, ressemblais un peu à l'ami Feru; Dame cruelle cessait bien-tôt de me plaire. Mais pour revenir à celui-ci, changea étrangement, se corrigea de son humeur volage par autre défaut; il devint jaloux: c'est ainsi qu'une passion en gourmande une autre. Sa douce amie s'en éjoussoit, elle prenait ce mal-encontre comme une assurance du cœur de son ami; fit si bien par ses rares prévenances, que le mal n'empira, et vécurent ainsi dans une grande allegreté; fus toujours l'ami d'iceux, jusqu'au dernier sopir de mon pauvre Feru, qui fut occis, moi à ses côtés, à la conquête du Milan, sous LOUIS XII. Mais aime mille fois mieux finir son histoire, que de parler de cet tant piteux trépassement. |