paragraph
stringlengths
1
3.47k
En 1830, les Français se lancent à la conquête de l'Algérie. Au début, l'expédition est dirigée contre Alger. Mais très tôt, les envahisseurs cherchent à occuper l'ensemble du pays, notamment la Kabylie contre laquelle sont dirigées plusieurs expéditions. Les tribus kabyles combattent sur tous les fronts, d'Alger jusqu'à Constantine.
Mis à part les renforts envoyés à la bataille de Staoueli, leur premier contact avec les troupes françaises a lieu en 1831, près de Médéa, où Ben Zamoun mène au combat les hommes des Iflissen.
Béjaïa, passée sous le contrôle de la tribu des Mezaïa après la chute du dey d'Alger, connaît plusieurs incidents avec des navires français et anglais. En 1831, deux expéditions visant à lui imposer comme caïd un dénommé Mourad, puis un certain Bou Setta, sont mises en échec. Une nouvelle expédition aboutit en 1833 à la prise de la ville, après une résistance intense de ses habitants. Cependant les Français ne parviennent pas à en conquérir les alentours.
En 1844, la vallée du Sebaou est conquise, puis la partie de la Petite Kabylie comprise entre Collo et Jijel, soumise en mai et juin 1851 par Saint-Arnaud. En Haute Kabylie, Lalla Fatma N'Soumer, issue d'une famille maraboutique, prend la tête de la résistance à la conquête. Le cherif Boubaghla en est une autre figure. Originaire de Miliana, arrivé en Kabylie vers 1850 pour prôner la guerre sainte contre les Français, il mobilise principalement les tribus du versant sud du Djurdjura, une partie des Aït Abbas (pourtant en traité de paix avec la France) et les Aït Melikech. Après une campagne infructueuse dans la vallée de la Soummam et un échec à reprendre Béjaïa, il franchit le Djurdjura pour se joindre aux forces de Lalla Fatma N'Soumer, notamment pour la bataille du Haut Sebaou. De retour dans la région des Aït Melikech, sa troupe de partisans fortement diminuée, il finit par mourir au combat, le 26 décembre 1854, contre une troupe française dirigée par le général Camou. La domination française ne prend durablement le dessus en Kabylie qu'après la chute d'Icheriden, forteresse située à 1 065 mètres d'altitude, en juin 1857.
La région suscite encore des soulèvements périodiques, qui vont culminer avec la « révolte des Mokrani ». Les années qui précèdent celle-ci sont marquées par un mécontentement général : religieux pour une part, l'activité des missionnaires chrétiens rencontrant l'hostilité des chefs tribaux et des confréries qui prônent ouvertement le djihad ; mais aussi social et politique, avec la grande famine de 1867 et la perte de prérogatives des chefs traditionnels alliés de la France comme le cheikh El Mokrani (seigneur des Aït Abbas nommé bachagha par la France), face à une administration qui se veut de plus en plus présente. Ainsi, dans la région de Bordj Bou Arreridj, où les Mokrani possèdent de nombreuses terres, les wakil qui leur étaient fidèles sont remplacés par des caïds aux ordres directs de l'administration coloniale, tandis que la ville elle-même est mise sous « administration civile ».
En mars 1871, El Mokrani se soulève et parvient à entraîner avec lui la confrérie religieuse de la Rahmaniya, dans une révolte appelée en kabyle nnfaq urumi, « la guerre du Français ». En dépit de la mort du cheikh le 5 mai, puis de la soumission de la confrérie le 30 juin, la rébellion n'est entièrement vaincue qu'en janvier 1872 ; la répression se solde par une énorme amende de guerre, la confiscation de 446 000 hectares, de nombreuses arrestations et des déportations en Nouvelle-Calédonie (c'est l'origine des « Kabyles du Pacifique »). La fin de la révolte est aussi considérée comme celle du royaume des Aït Abbas, fondé au XVIe siècle.
L'administration française, à travers ses « bureaux arabes », procède à l'arabisation des noms de famille et de lieu. C'est ainsi que, par exemple, Iwadiyen devient les Ouadhias, Aït Zmenzer est transformé en Beni Zmenzer ou encore Aït Yahia en Ould Yahia. Après la révolte des Mokrani, ces actions, d'après l'analyse d'Alain Mahé, prennent le caractère d'une politique de destruction de l'identité kabyle : pour casser la cohésion de la société villageoise, la généralisation de l'état civil donne lieu à l'attribution de noms arbitraires et différents aux membres d'une même famille.
En réaction à ces transformations, les oppositions à l'autorité coloniale se poursuive notamment sous la forme du banditisme. Arezki El Bachir ou Ahmed Saïd ou Abdoun sont parmi les bandits les plus célèbres de la région dans les années 1890 et il est possible d'interpréter leurs actions comme une opposition à l'administration coloniale.
Chez les militaires et fonctionnaires français se développe le « mythe kabyle » : beaucoup voient la région comme la plus à même de se « franciser », sur la base notamment de similitudes entre l'assemblée villageoise traditionnelle, tajmâat, et la cité démocratique de la Grèce antique, rapprochement où ils trouvent les indices d'un excellent « potentiel républicain ». La Kabylie est aussi considérée comme imparfaitement islamisée, donc plus facilement « rechristianisable ». Des missionnaires chrétiens y mènent des campagnes d'évangélisation jusque dans les villages les plus reculés.
Le droit coutumier berbère y est globalement maintenu, alors qu'il est aboli en pays chaoui au profit du droit musulman. Enfin, l'enseignement en français y est relativement courant jusqu'au certificat d'études, alors que partout ailleurs, c'est la scolastique coranique, en arabe classique, qui est favorisée. La Kabylie voit ainsi l’émergence d'une élite laïcisée et modelée par l'école française. Ces intellectuels laïques vont se confronter notamment au courant « réformiste » conduit par les oulémas algériens à partir de 1931, appuyés sur le réseau d'enseignement des zaouïas qu'ils dirigent dans la région.
La colonisation entraîne aussi, dès le début du XXe siècle, un développement de l'émigration vers la France : en 1913, on évalue la présence kabyle dans ce pays à 13 000 immigrés. C'est alors une immigration qui ne se disperse pas dans la société française, mais semble au contraire se regrouper en reproduisant la structure des villages traditionnels.
En dépit du « mythe kabyle », la contribution de la région est massive dans les différentes formes de résistance qui s'organisent face à la colonisation. Nombreux sont les Kabyles à participer à la création, en 1913, de l'Amicale des instituteurs indigènes, tout comme plus tard à celle, en 1931, de l'Association des oulémas algériens, dont les médersas serviront de support à la diffusion des idées nationalistes. En 1926, parmi les émigrés qui fondent l'Étoile nord-africaine, 5 sur 8 des premiers dirigeants sont originaires de Kabylie. La région est touchée de plein fouet par les événements du 8 mai 1945 : l'insurrection, partie de Sétif, s'étend à Kherrata et Guelma ; la répression fait des milliers de morts parmi la population civile, les abords de Kherrata sont bombardés par la marine française. En 1949, au sein du principal mouvement nationaliste algérien d'alors, le PPA-MTLD, éclate la « crise berbériste » : elle oppose à la direction du parti des militants en désaccord avec sa ligne dite « arabo-islamique ». Certains sont éliminés, d'autres, sous la menace de l'exclusion, se rallient à l'orientation alors dominante.
Pendant la guerre d'indépendance algérienne, l'organisation du FLN et de l'ALN crée pour la première fois un territoire administratif kabyle, la wilaya III. C'est que la région se trouve au cœur de la résistance au colonialisme français. C'est aussi, avec les Aurès, l'une des plus touchées par la répression, du fait de l'importance des maquis et de l'implication de ses habitants. Le FLN y recrute plusieurs de ses dirigeants historiques, parmi lesquels Abane Ramdane, Krim Belkacem et Hocine Aït Ahmed, ainsi que des chefs militaires comme le colonel Amirouche Aït Hamouda. C'est également en Kabylie que se tient en 1956 le congrès de la Soummam, le premier du FLN. Au plus fort des combats, les effectifs de l'ALN rassemblent en Kabylie 12 000 hommes qui disposent d'un fonds de 500 millions de francs algériens.
Bastion de l'ALN, la région est aussi le lieu de certaines des plus marquantes de ses victoires, comme la bataille de Bouzegza. Les tentatives d'infiltration menées par l'armée française sont souvent tenues en échec, voire parfois retournées contre elle comme dans le cas de la « Force K » de 1956, officiellement commando armé par l'armée française pour combattre le FLN et en réalité cellule de collecte d'armes et d'espionnage pour le compte de la wilaya III. Deux années plus tard, les services spéciaux français ripostent en lançant dans le maquis kabyle la « bleuite », vaste opération d'intoxication qui provoque des purges dévastatrices dans les rangs de la wilaya III, sous les ordres du colonel Amirouche.
Cependant la mobilisation de la région résiste à la répression des populations civiles (destruction des ressources agricoles, pillage, fouille et destruction de villages, déplacement de populations, création de zones interdites, etc.) comme à l'ampleur des moyens militaires déployés, notamment en 1959 lors de l'opération « Jumelles », dans le cadre du plan Challe. Après la mort d'Amirouche le 29 mars 1959 et sous l'impulsion de ses successeurs Abderrahmane Mira puis Mohand Oulhadj, la wilaya III se réorganise en éclatant ses grosses unités en formations plus petites et en rapatriant les moussblines (agents de liaison avec la population) dans les maquis. Après le plan Challe, les femmes prennent petit à petit un rôle accru : non soupçonnées par l'armée française, ce sont elles qui de plus en plus souvent assurent le renseignement et le rôle de police dans les villages. En 1961, l'ALN parvient à occuper plusieurs postes militaires français.
Lors de l'indépendance de l'Algérie, les wilayas III (Kabylie) et IV (Algérois) s’opposent au Bureau politique du FLN rassemblé autour d'Ahmed Ben Bella, qui s'appuie sur les forces de l'armée des frontières commandée par Houari Boumédiène. Fin août 1962, des affrontements éclatent dans l'Algérois et aux frontières de la Kabylie, faisant officiellement 1 000 morts. Ben Bella prend le pouvoir mais ses relations avec la wilaya III restent tendues. En octobre 1962, il obtient de Mohand Oulhadj un accord autorisant le déploiement de l'ANP (Armée nationale populaire) sur le territoire de la wilaya et entraînant la dissolution de la plupart de ses unités. En 1964, Mohand Oulhadj remet à l’État algérien, contre récépissé, un trésor comprenant notamment 46 lingots d'or et plusieurs pièces d'or et d'argent, pour un montant avoisinant 4 millions de francs.
Sur le plan politique, la Kabylie est régulièrement le cadre de mouvements de contestation du régime d'Alger. Dès 1963, le FFS (Front des forces socialistes) emmené par Hocine Aït Ahmed et Yaha Abdelhafid met en cause l'autorité du parti unique. Jusqu'en 1965, l'ANP mène dans la région une répression qui fait plus de quatre cents morts.
En avril 1980, à la suite de l'interdiction d'une conférence de l'écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, émeutes et grèves éclatent à Tizi-Ouzou ; la Kabylie et les universités algéroises connaissent plusieurs mois de manifestations réclamant l'officialisation de la langue berbère : c'est le « Printemps berbère ». D'autres affrontements ont lieu à Tizi-Ouzou et Alger en 1984 et 1985. Accompagné en 1989 de la création d'un nouveau parti, le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) de Saïd Sadi, le réveil culturel s'intensifie en réaction au durcissement de l'arabisation que connaît l'Algérie dans les années 1990. En 1994-1995, l'année scolaire fait l'objet d'un boycott appelé « grève du cartable ». En juin et juillet 1998, la région s'embrase à nouveau après l'assassinat du chanteur Lounès Matoub et à l'occasion de l'entrée en vigueur d'une loi généralisant l'usage de la langue arabe dans tous les domaines,.
En avril 2001, un jeune lycéen est tué dans une gendarmerie ; il s'ensuit de graves émeutes qui accentuent la rupture avec les autorités : c'est le « Printemps noir », au cours duquel l'intervention des services de l'État fait 123 morts et deux milliers de blessés, dont certains mutilés à vie,. La révolte touche les régions kabylophones des wilayas de Bouira, Bordj Bou Arreridj, Sétif et Jijel, parties intégrantes de la wilaya III historique, mais restées jusque-là relativement à l'écart du mouvement identitaire. Le gouvernement est conduit à négocier avec le Mouvement citoyen des Aarchs, mobilisé autour de la plateforme d'El Kseur : les revendications de celle-ci, qui se veulent un remède au « mal algérien » dans sa globalité (justice sociale, économie...), sont jugées par le gouvernement régionalistes et menaçantes pour l'unité et la cohésion nationales. Toutefois, en 2002, le tamazight est reconnu en tant que langue nationale.
En juin 2001, Ferhat Mehenni et d'autres militants fondent le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), qui prônera de 2001 à 2013 l'autonomie territoriale de la Kabylie dans un cadre algérien. Le 4 octobre 2013, suite à la réunion de son conseil national en session ordinaire au village d'Ath Hamdoune, le mouvement deviendra Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie, et lutte depuis pour l’organisation d'un référendum d'autodétermination en Kabylie, aboutissant à son indépendance.
Les sept wilayas où s'inscrit le périmètre Thenia - Sétif - Jijel totalisent une population d'environ six millions de personnes, dont, suivant les estimations, de trois à trois millions et demi de kabylophones. Selon le recensement de 2008, la wilaya de Tizi Ouzou compte plus d'1,1 million d'habitants, répartis en 67 communes, alors que les 52 communes de la wilaya de Béjaïa rassemblent près d'un million d'habitants. Le reste des populations kabylophones de la région se répartit sur la moitié est de la wilaya de Boumerdès, la moitié nord de la wilaya de Bouira, le nord de la wilaya de Bordj Bou Arreridj, l'ouest de la wilaya de Jijel, et le nord-ouest de la wilaya de Sétif.
La densité démographique reste élevée, atteignant jusqu'à 375 hab./km2 dans la wilaya de Tizi Ouzou. Toutefois l'accroissement de la population est relativement faible par rapport à l'ensemble du pays, son taux n'étant que de 0,2 % dans la wilaya de Tizi Ouzou et de 0,6 % dans celle de Béjaïa.
Les Kabyles contemporains font partie du vaste ensemble des héritiers des premiers Berbères, dont les origines ont donné lieu à une multitude d'hypothèses. Les spécialistes restent partagés entre tenants d'un foyer initial moyen-oriental ou africain ; les estimations de l'époque d'apparition du berbère en Afrique du Nord varient de 8 000 à 2 500 ans avant notre ère. Les données archéologiques et linguistiques disponibles ne permettent pas de trancher mais elles établissent suffisamment l'ancienneté et la continuité de la présence des Berbères dans leur espace actuel pour qu'on puisse les qualifier d'autochtones.
La question de l'origine des hautes densités montagnardes kabyles divise encore les historiens. Aux extrêmes s'opposent la thèse d'un peuplement dense très ancien, antérieur à la présence romaine, et celle d'un afflux tardif, consécutif à l'arrivée des Arabes. Toutefois, un relatif consensus se dégage sur plusieurs points. Pour commencer, une distinction semble s'imposer, pour l'ensemble de l'Afrique du Nord, entre un premier peuplement berbère, « paléo-montagnard », caractérisé par la pratique des cultures en terrasses, s'étendant progressivement depuis les Aurès et l'Atlas saharien jusqu'aux Hautes Plaines ; et un second, « néo-montagnard », ignorant la technique des terrasses et propre aux massifs du Tell : c'est à cette seconde vague, plus tardive, que l'on rattache les premières populations de Kabylie.
La présence de populations dans l'ensemble de la région, dès l'époque romaine au moins, paraît également attestée, le seul point encore en débat portant sur le peuplement du territoire relativement restreint, mais aussi le plus densément peuplé, que constitue le massif Agawa. Enfin, il est généralement admis que ce peuplement initial s'est trouvé accru, à partir du Xe siècle, de l'apport de populations d'agriculteurs menacés par le processus de pastoralisation des plaines puis, à partir du XIVe siècle surtout, par les prélèvements fiscaux du makhzen. Les traditions locales paraissent corroborer l'hypothèse d'une dualité historique du peuplement kabyle.
Jusque vers 1900, la base de l'économie régionale reste une arboriculture de montagne dont l'olivier et le figuier constituent les deux piliers. Les productions céréalières sont l'apanage des quelques propriétaires de terres de fond de vallées mais, après la révolte de 1871, celles-ci sont confisquées au profit des colons. Quant à l'élevage, principalement caprin, quelquefois ovin ou bovin, il est limité par l'exiguïté des sols disponibles pour les pâturages.
Avant la conquête française, l'une des principales sources de revenus extra-agricoles est constituée par l'artisanat et en particulier la fabrication des armes, le travail du bois et le tissage. La perte de l'indépendance entraîne la fermeture des fabriques d'armes et la confiscation des forêts. Le tissage se maintient jusqu'à nos jours grâce à la demande persistante de burnous et de couvertures de laine mais a largement perdu de son importance économique. Beaucoup d'activités artisanales ont disparu et celles qui subsistent, comme la bijouterie, apparaissent très menacées.
L'émigration est l'autre grande source de revenus complémentaires de la Kabylie précoloniale. Elle s'étend alors à toute l'Algérie et à une partie de la Tunisie, tout en conservant très généralement un caractère temporaire. À la suite de la colonisation, qui en élargit le champ à la métropole française, elle devient un phénomène massif. En 1948, pour une famille kabyle moyenne qui tire de ses terres un revenu annuel de 50 000 francs, l'émigré, qui rapporte en moyenne 100 000 francs par an, représente un complément de revenu souvent indispensable.
Les équipements de base des villages comme les routes secondaires, les écoles, les bibliothèques, la rénovation des puits, l'entretien des moyens d'irrigation et les mosquées ont souvent été financés avec les revenus de l'émigration. Dans les pays d'accueil, les immigrés reconstituaient les assemblées de village (tajmaat) pour décider des projets pouvant bénéficier à la population. Cette dynamique explique que les villages kabyles aient su résister dans une certaine mesure à l'émigration massive de leurs habitants. L'aide de la diaspora constitue toujours un facteur de dynamisme. En même temps, les fonds ainsi apportés, collectés et gérés par les assemblées villageoises accentuent l'autonomie des villages kabyles.
Après l'indépendance, la région connait divers plans de développement économique. Dans un premier temps (1967-1973) l’État procède à la création de petites entreprises publiques axées sur l'artisanat traditionnel, pour favoriser la création d'emplois dans les zones rurales et les dynamiser. De manière complémentaire, il développe jusqu'en 1980 des complexes industriels spécialisés, comme ceux des sociétés ENIEM (électroménager) à Tizi Ouzou ou ENPC (plasturgie) à Sétif. Le secteur privé, qui est alors délaissé par les politiques publiques, correspond le plus souvent à de petites unités de production, dans l'agroalimentaire ou les produits de construction, destinées au marché local ou régional.
Dans les décennies suivantes, en raison de divers facteurs (dévaluation de la monnaie, fragilité des structures financières, prix administrés, etc.), les conditions d'activité de beaucoup d'entreprises publiques locales se dégradent, y compris dans le secteur de l'artisanat traditionnel. De la même façon, les grandes entreprises publiques, dépendantes des mesures de soutien de la demande, souffrent de la contraction de celle-ci à la suite de la dévaluation du dinar et de l'augmentation des charges d'exploitation. Ainsi, une entreprise comme ENIEM voit sa production chuter dans les années 1990. Les années 2000 voient émerger un secteur privé dynamique. La création d'entreprises augmente, l'activité se diversifie vers des domaines technologiquement complexes et, fait nouveau, de grandes entreprises privées de dimension internationale se constituent.
Sur le plan sectoriel, l'agroalimentaire connait dans la région un certain développement, avec la constitution d'une multitude d'unités de production de produits laitiers et de glaces, mais aussi l'implantation d'usines de grands groupes comme Cevital ou la société d'eaux minérales Ifri. Traditionnellement prédominante, l'agriculture de montagne perd de la place au profit de l'industrie manufacturière locale, plutôt située vers les Hauts Plateaux, et de l'industrie agro-alimentaire. Par ailleurs, la Kabylie fournit une grande partie de l'eau potable aux régions fortement urbanisées qui la bordent à l'est et à l'ouest.
Le tourisme est une autre activité pour laquelle la région, qui au XIXe siècle était qualifiée de « Suisse sauvage », bénéficie d'atouts. Dans la wilaya de Béjaïa, le groupe Cevital obtient en 2008 une assiette foncière de 26 hectares à l'intérieur de la zone d’expansion touristique (ZET) d’Agrioun, à Souk El Ténine (une station balnéaire située à une trentaine de kilomètres à l’est du chef-lieu de wilaya), pour l’implantation d’un complexe touristique moderne.
Pourtant les limites du développement régional se traduisent par un chômage endémique important, qui frappe en particulier la jeunesse. En 2006, le nombre de chômeurs s'élève officiellement à 25,6 % de la population active dans la wilaya de Tizi Ouzou.
L'organisation sociale kabyle a connu des évolutions au cours de son histoire, tout en préservant certains de ses traits. La société pré-coloniale reposait sur un ordre lignager et sur l'imbrication les unes dans les autres de plusieurs structures sociales : les lignages constituent des clans (axerrub, adrum), qui forment des villages (taddart) eux-mêmes regroupés en tribus (âarch) ; les tribus peuvent à leur tour être associées dans des ensembles plus vastes, les taqbilt ou confédérations.
Cette organisation hiérarchisée comporte des exceptions : ainsi certains villages ne font partie d'aucune tribu. La confédération est une structure souple, les notables des tribus confédérées se réunissant pour gérer les événements exceptionnels, comme les conflits armés. Du XVIe siècle jusqu'à la conquête française existent en outre deux grandes ligues (seff) qui sont des agglomérats de confédérations tribales, seff n wadda (la « ligue du bas ») et seff n ufella (la « ligue du haut »).
Le rôle politique des confédérations prend fin avec la colonisation et le maillage administratif de la région. Les quelques confédérations qui subsistent, comme celle des Aït Iraten, n'ont plus de rôle d'identification sociale.
Le XIXe siècle connaît aussi l’existence de « grands commandements » qui dépassent les limites tribales, exercés par une aristocratie guerrière comme celle des Aït Mokrane (dont le patronyme est souvent arabisé en « Mokrani »), ou religieuse comme celle des Ben Ali Chérif. Les premiers, qui détiennent un rôle politique de premier plan, le voient totalement anéanti après la révolte de 1871. L'influence religieuse des seconds, quant à elle, perdure mais se trouve amoindrie par la présence française.
Les unités sociales les plus restreintes survivent mieux aux bouleversements historiques. Ainsi, au XIXe siècle, le village kabyle apparaît comme la « pierre angulaire de la société ». L'institution qui l'administre, la tajmaât (assemblée villageoise) dispose à la fois des pouvoirs politique, administratif et judiciaire. La tribu aussi présente des éléments de cohésion sociale forts (territoire, sanctuaires, marché, solidarité en cas de guerre, etc.). Dans un premier temps, les autorités coloniales garantissent le respect du fonctionnement du village, de son assemblée et de la tribu. Cependant, au fur et à mesure des remaniements administratifs, la tajmaât perd de ses prérogatives officielles, tout en continuant parfois de les exercer officieusement.
La fin de la période coloniale voit se superposer un niveau d'organisation officiel, la commune administrative, et un niveau « occulte », la tajmaât, avec ses qanun, ses ressources propres, ses amendes et ses agents d'exécution. L'assemblée villageoise gère avec grande liberté les affaires locales, exerce les pouvoirs de police et jouit auprès de la population de plus d'autorité que les agents assermentés par l'administration française. Les qanun font même l'objet d'un renouvellement, signe d'une activité réelle de l'institution.
Après l'indépendance du pays, toujours en marge des structures officielles que sont les assemblées populaires communales, les tajmaât se maintiennent, avec des prérogatives érodées. Elles mettent à contribution tous les citoyens, émigrés compris. Mais ne gérant plus que les travaux d'utilité publique (voirie, eau potable...), souvent pour pallier les insuffisances des institutions officielles, ou bien des manifestations culturelles comme le sacrifice d'automne (timechret), elles souffrent alors d'un certain anonymat.
Le réveil identitaire berbère va leur donner un nouveau souffle et inverser la tendance historique.
Le Printemps berbère de 1980 s'accompagne d'un réinvestissement de l'espace du village, par les jeunes notamment, qui évite sa transformation en « musée ». La loi sur le pluralisme (1988) permet la création de « comités de village » à statut associatif et d'associations diverses, véritable version moderne de la tajmaât. Les villages kabyles possèdent tous au moins une des trois structures : tajmaât, comité de village ou association, la première se maintenant dans certains villages à côté des comités et associations, comme une sorte de « conseil des sages » (lâaqel n taddart).
Au cours des années 1980 et 1990, le renouveau identitaire va parfois jusqu'à la restauration des tribus et de leurs conseils. C'est le cas des Aït Djennad (1987), Aït Bouaddou (1990), Illoulen Ousammer (1995), qui réglementent les cérémonies et les dépenses effectuées lors des célébrations (mariages, circoncisions et retours de pèlerinage), avec des sanctions prévues.
Lors du Printemps noir de 2001, les tajmaât et les comités de village servent d'ossature à la revendication identitaire et de cadre politique à la mobilisation, se substituant aux partis politiques. C'est dans leur cadre que s'organisent les marches, la réquisition des moyens de transport et la solidarité avec les victimes de la répression.
En 2001, le mouvement désigné comme le Mouvement citoyen des Aarchs marque aussi le retour dans la société de la tribu.
Ce renouveau des formes d'organisation traditionnelles dans la société kabyle est lié à la « sacralité » de l'espace villageois. Comme la langue, la société traditionnelle kabyle cherche à négocier son rapport au changement pour assurer sa pérennité.
Les Kabyles font partie des Berbères (Imazighen). Leur langue, le kabyle (taqbaylit), parlée par la grande majorité de la population, est une variété du berbère (tamazight).
En Grande Kabylie et dans la partie de la Petite Kabylie où le kabyle prévaut, il est la langue maternelle et quotidienne de la presque totalité de la population. Là où populations kabylophones et arabophones sont en contact, un bilinguisme kabyle-arabe algérien est pratiqué de part et d'autre. À Béjaïa et à Tizi Ouzou, où la population urbaine traditionnelle était majoritairement arabophone, l'exode rural qui a suivi l'indépendance a généralisé la diffusion du kabyle. Quant à l'arabe littéral, son emploi est cantonné au système d'enseignement et aux administrations de l'État central. En pratique, c'est plutôt le français qui est employé pour les usages écrits ou savants et, de façon presque exclusive, dans le commerce et la publicité.
Si le territoire de Grande Kabylie compte peu d'habitants de langue maternelle arabe, Basse et Petite Kabylies ont été davantage arabisées. En Basse Kabylie, l'arabisation remonte à la période ottomane. À cette époque, des terrains de la région ont été concédés à quelques familles d'origine turque ou arabe ainsi qu'à la tribu des Iamriwen, constituée d'aventuriers et de proscrits des autres tribus kabyles. En même temps que la garde et l'usage des terres de plaines, ils recevaient de leurs commanditaires un cheval avec la charge de tenir en respect les populations avoisinantes. Leur contrôle s'est étendu jusqu'en Haute Kabylie, sur toute la moyenne vallée du Sebaou ; là, comme dans les basses plaines, le Makhzen s'est montré un puissant facteur d'arabisation. Toutefois, on a assisté depuis à une rekabylisation partielle de ces territoires.
En Petite Kabylie, le kabyle était encore majoritairement parlé au XIXe siècle jusqu'au-delà de l'oued El Kebir. Si Jijel et ses environs étaient déjà arabisés, vers l'intérieur il n'y avait pas encore de rupture territoriale entre les parlers kabyle et chaoui. Aujourd'hui le Guergour est à moitié arabophone et le Ferdjioua, en totalité. À l'est, l'expression de Kabyles el hadra a été créée au XVIIIe siècle pour désigner les montagnards arabophones du Nord-Constantinois ayant acquis la culture urbaine et abandonné la vie de montagne.
La religion majoritaire est l'islam sunnite. La région lui a fourni jusqu'à nos jours des représentants éminents, comme Abderrahmane Chibane, qui a été président des oulémas algériens. Comme dans la plus grande partie de l'Algérie, les musulmans suivent en Kabylie la doctrine malékite. Leur pratique religieuse présente toutefois plusieurs particularités. Ainsi la fête de l'achoura (appelée localement Taâchourt) se voit donner une importance spéciale, qui renvoie peut-être au chiisme des Fatimides. Le mouvement des marabouts et celui des zaouïas ont aussi imprimé leur marque. Comme l'a écrit Mouloud Mammeri :
« Aux Almoravides, le maraboutisme doit son nom et en partie la vocation [...] La baraka du marabout est un pouvoir surnaturel, il a opéré des miracles et pour cela, il est le lieu à la fois de tous les espoirs et de toutes les craintes. »
Historiquement, l'islam maraboutique s'enracine dans la tribu, structure fédérative qui a en permanence besoin de forces capables de modérer les rapports en son sein. Le maraboutisme, surtout à partir du XVe siècle et de son essor dans tout le Maghreb, traduit la prise en charge de ce rôle par la religion. À l'époque, la déliquescence des États centraux et les intrusions chrétiennes (espagnoles) en Afrique du Nord amènent à un état de confusion général parmi les musulmans. Le mouvement maraboutique, essentiellement spirituel et mystique à l'origine, se donne alors un rôle temporel et politique, en réponse aux attentes des populations.
La prise de Jijel par les Ottomans, en 1513, en fait un port de débarquement pour les imams mystiques et missionnaires qui ont fui l'Espagne et qui trouvent dans la région une terre d’accueil. Cependant, contrairement à d'autres endroits du Maghreb, ce processus n'aboutit pas, en Kabylie, à la prise du contrôle politique de principautés par les marabouts. Ainsi les royaumes de Koukou et des Beni Abbès ne sont pas dirigés par des lignées maraboutiques et les tribus maraboutiques n'ont pas non plus de rôle prépondérant, sur le plan politique, dans la région.
C'est dans le domaine du fiqh, la jurisprudence, que les marabouts développent leurs compétences. Leur action modératrice complète le rôle de la tajmaât, vrai centre du pouvoir politique et lieu d'élaboration des qanuns, les lois et règlements qui s'appliquent à tous. Les zaouïas apparaissent ainsi comme une sorte de contre-pouvoir, tempérant les conflits et maintenant les équilibres sociaux.
L'importance de la zaouïa dépendait de la renommée du marabout fondateur. Les familles maraboutiques disposaient en Kabylie d'un droit de protection appelé laânaya, privilège souvent utilisé comme droit de passage à travers la région. Durant la période ottomane, les marabouts ont servi d'intermédiaire entre la société kabyle et les caïdats, structures administratives mises en place par la régence d'Alger dans les villes littorales (Béjaïa, Jijel...) et en périphérie (Boghni, Bouira...) de la Kabylie, qui restait globalement hors de son contrôle. Les caïds leur demandaient de faire passer sous laânaya (protection) des troupes de Béjaïa, possession de la Régence isolée par les montagnes, jusqu'à Alger. En échange, la Régence rémunérait les marabouts et leurs zaouïas, et prenait parfois en charge le financement des travaux de leurs mausolées.
Les Français, au contraire, ont considéré comme gênante l'implantation des marabouts en Kabylie : vus comme des « agents provocateurs » capables de dresser contre eux la population, ils constituaient à leurs yeux une « caste parasitique », aux tendances manipulatrices, qui rendait impératif l'affaiblissement du rôle de l'islam dans la société kabyle. De nos jours, la « caste maraboutique », avec son influence politico-religieuse, n'existe plus en tant que telle, mais elle a laissé en héritage à la région un ensemble de pratiques religieuses qui rythment la vie sociale et un réseau de zaouïas et de mausolées toujours fréquentés, qui continuent d'exercer leur attraction à la fois comme lieux de visite, de mémoire populaire et de pèlerinage. Celui de Cheikh Amokrane à Ait Zellal draine ainsi les foules pendant les fêtes de taâchourt et du mouloud. Les zaouïas, qui ont historiquement joué le rôle de « Mecque des Kabyles », enseignaient, en plus d'un savoir religieux, les règles sociales du pays à des élèves venus de toute l'Algérie, y compris des grandes villes et du Sahara. Elles ont connu au cours du XXe siècle un net déclin de leur influence.
À côté des musulmans existent des minorités chrétiennes, catholiques ou protestantes de diverses confessions : anglicans, baptistes et plus récemment évangéliques. Les juifs, qui ont presque tous quitté le pays à l'issue de la guerre d'Algérie, avaient auparavant une présence significative dans les régions de Sétif et de Béjaïa. Dans cette dernière ville, le quartier de Karamane en abritait une importante communauté : on y trouve encore le bâtiment de l'ancienne synagogue.
Venant après les traductions de la Société biblique britannique, une édition d'émanation catholique des quatre évangiles en kabyle a été publiée de 1987 à 1991. Des travaux entrepris pour la traduction du Coran et la rédaction d'un lexique religieux en kabyle ont abouti à une parution en 1998.
Le RCD et le FFS sont les plus vieux partis politiques en Kabylie, des mouvements autonomistes puis indépendantistes à l’instar du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK-ANAVAD) et de l’Union pour la République Kabyle (URK) s’ajoutent à la scène politique en Kabylie.
Parmi les équipes de football de la région, la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK) se distingue nettement par la richesse de son palmarès. C'est aujourd'hui la première équipe d'Algérie par le nombre de coupes gagnées. Le club, qui n'a jamais connu la relégation depuis son accession en première division en 1969, remporte son premier championnat d'Algérie quatre ans seulement après celle-ci, en 1973. Il conserve son titre la saison suivante ; 12 autres suivent, le dernier en 2008. La JSK a également remporté cinq coupes et une supercoupe d'Algérie. Lors de la première, en 1977, les « jaune-et-vert » gagnent également le championnat d'Algérie : le club réalise ainsi son premier doublé coupe-championnat, exploit qu'il réédite en 1986.
Les « vert-et-jaune » s'imposent aussi sur le plan continental en remportant deux coupes des clubs champions, en 1981 et 1990, ainsi que la coupe des coupes en 1995. La JSK a également gagné trois coupes de la CAF d'affilée, en 2000, 2001 et 2002. Depuis 2010, le club a le statut de professionnel à la suite d'une réforme du championnat.
L'autre grand club de football de la région est la JSM Béjaïa. Son ascension en première division a fait naître le derby kabyle.
La Kabylie est aussi un fief du volley-ball algérien, notamment à Béjaïa, considérée comme le pôle national de la discipline. Les joueuses de l'équipe d'Algérie de volley-ball féminin, qui ont remporté la coupe d'Afrique des nations, sont majoritairement issues des clubs de Béjaïa, qui dominent dans les compétitions nationales et africaines.
Il est généralement placé sur une crête (tawrirt) ou un plateau élevé (agwni), emplacement souvent indiqué dans le nom même du village (par exemple Tawrirt Mimoun, Tawrirt Aden).
Il est composé d’un ensemble de ruelles et de maisons, d'une fontaine, d'une mosquée et d'un lieu d'assemblée (tajmaat). Les maisons sont étroitement regroupées si bien que leur ensemble, vu de l'extérieur, forme un bloc unique. En élévation, elles paraissent se chevaucher, chaque pignon dépassant le pignon voisin en montant vers le sommet. Pressées les unes à la suite des autres au long des lignes du relief, elles forment de véritables agglomérations descendant rarement en dessous de cinq cents habitants. Cette répartition dense est sensiblement identique à celle des Kasbahs.
Selon Émile Masqueray, il existait deux types de développement des villages :
À partir du XXe siècle et surtout de la guerre d'Algérie, le déclin de l'agriculture et l'exode rural le mettent progressivement en concurrence avec les villes qui offrent toutes les commodités. Simultanément son architecture se trouve sérieusement menacée par l'introduction du béton. Des maisons à l'européenne et des immeubles à plusieurs étages remplacent les anciennes maisons villageoises.
L'ancienne maison paysanne kabyle, l’axxam, était un bâtiment à pièce unique, de plan rectangulaire, sans étage, à cohabitation de l'homme et du bétail. La toiture consistait en deux versants couverts soit de tuiles et bien marqués, soit de terre et formant un bombement.
Les fondations étaient des tranchées comblées avec de grosses pierres (adrar) et du mortier d'argile.
Pour les murs porteurs, deux techniques étaient employées, le mur de pierres liées par du mortier de terre (taghaladt) et le mur de pisé avec un coffrage en bois tabbadit).
La charpente était faite de pannes (isulas), la panne faîtière (asulas alemmas) et les pannes de versant (de deux à trois selon la largeur de la pièce). Les pannes reposaient sur les murs-pignons et sur des poteaux de bois fourchus (tikjda) fichés au niveau de la cloison basse (tadekkant) entre pièce commune et étable.
La couverture était faite de roseaux (ighunam) ou de branches d'olivier (tachita n tazemmurt) et de tuiles d'argile (karmoud) creuses ou (plus tardivement) mécaniques.
Le sol de la partie habitée (taqaat ou tigergert selon la région) était constitué d'un mortier à base d'argile et de gravier auquel on ajoutait de la paille hachée ou de la bouse de vache et parfois de la chaux ou de la tuile broyée. Dans ce sol, se creusait le foyer (kanun) et se tenait le moulin à bras (tassirt).
Souvent, plusieurs maisons à pièce unique, logeant des familles issues du même père, étaient regroupées autour d'une cour centrale appelée oufrag, laquelle s'ouvrait sur la rue par un porche, l’asquif. Aucune maison ne donnait directement sur la rue.
Lors de la construction, le travail intérieur concernant le sol et les murs revenait aux femmes. Les murs étaient crépis à l’aide d’un enduit composé d’argile schisteuse passée au tamis, à laquelle on ajoutait de la bouse de vache et de la paille fine pour éviter les fissures de rétraction.
Les fonctions économiques de la maison étaient réparties en trois espaces distincts : l’étable (addaynin) pour le bétail, ménagée sous la soupente (takanna) pour les jarres (akoufi, pluriel d'ikoufan) à provisions, et la pièce commune (takaat), où était disposé le métier à tisser (azetta).
La maison était plus ou moins décorée et ornée selon l'importance sociale et la richesse du propriétaire, de sa famille ou de sa tribu. À l'intérieur, les fresques murales avaient recours à des symboles variés, aux significations multiples. La décoration extérieure concernait les portes, sur les battants desquels le menuisier incisait, au moyen d’une pointe de fer, des motifs faits de lignes droites, de points, de petits cercles, de rosaces et de croix formant des compositions d’ensemble.
La région possède un patrimoine civil encore vivant. C'est le cas par exemple des salines traditionnelles (tamellaht), comme celles que l'on peut rencontrer dans les Bibans : elles sont constituées de bassins d'argile de couleur ocre dans lesquels l'eau, issue d'une source naturellement salée, s'évapore lentement.
Le patrimoine religieux de Kabylie est riche d'une multitude de mausolées (taqubet, littéralement « le tombeau »). D'architecture généralement assez simple, ce sont des lieux de mystique et de mémoire. Parmi les plus célèbres figurent ceux de Yemma Gouraya et de Mohand Ou Lhocine. Certains reçoivent toujours un grand nombre de visites. Un des plus connus et des plus ornés est celui de Cheikh Amokrane, à Aït Zelal, auquel Cheikh El Hasnaoui a consacré une chanson. Cheikh Aheddad, un des chefs de la révolte des Mokrani, possède aussi le sien dans son village de Seddouk Oufella.
Une caractéristique de la région est la densité du réseau de ses zaouïas. Parmi les plus connues figurent celles de Sidi Saïd à Akbou, de Sidi Mansour El Djennadi, fondée en 1635 à Fréha, de Sidi Mhand Oumalek, de Tassaft, etc. Pour la seule wilaya de Tizi Ouzou on compte encore 21 zaouïas en activité, où étudient 500 talebs. Elles possèdent toujours un important patrimoine mobilier, architectural et agricole.
Les mosquées de Kabylie connaissent une grande variété de styles. Entourée de vestiges puniques et romains, la jamaa El Kevir du vieil Azeffoun a pour minaret une antique tour de garde construite sous l'empereur Auguste ; deux colonnes romaines supportent le toit de sa salle de prière. Ses pierres massives contrastent avec les mosaïques mauresques de la jamaa Sidi Soufi de Béjaïa. Dans cette même ville, les murs de la mosquée de la casbah, en attente d'un programme de restauration, conservent la mémoire des cours qu'y a donnés Ibn Khaldoun. Béjaïa possède aussi une ancienne synagogue, trace d'une présence juive citadine, dont le dôme multicolore se dresse dans le vieux quartier de Karamane. La présence romaine puis byzantine a laissé des vestiges de basiliques comme celle de Tigzirt et de Djemila.
La forme de structure défensive la plus ancienne et la plus répandue est l'organisation des villages kabyles et leur situation sur des points stratégiques, tirant parti du relief de la région. Cependant au cours de l'histoire, les dynasties musulmanes locales, soucieuses de protéger le siège de leur pouvoir, ont doté leurs capitales respectives de citadelles et de murailles : en témoignent celles élevées successivement par les Hammadides à la Kalâa des Béni Hammad et à Béjaïa.
La casbah de Béjaïa, bâtie en 1067 et située au cœur de la cité historique, s'étend sur 160 mètres du nord au sud et occupe une surface de 20 000 m2, enceinte d'un mur de 13 mètres de hauteur. La ville conserve également une partie de ses murailles d'époque hammadide, notamment Bab el Bahr, la « porte de la Mer », qui servait d'arc de triomphe pour le passage des navires,. Les Espagnols, qui l'ont occupée entre 1510 et 1555, y ont laissé des édifices comme le Borj Moussa, construit en pleine ville à partir d'un palais hammadide, devenu musée d'antiquités tout en ayant gardé son aspect massif et ses meurtrières ; ou le Borj Yemma Gouraya, bâti à 670 mètres d'altitude autour d'un ancien poste d'observation, qui surplombe Béjaïa et son golfe. L'architecture actuelle du fort est due aux militaires français qui à leur arrivée dans la région en ont remanié les structures en fonction de leurs besoins, comme ils l'ont fait pour d'autres ouvrages militaires. Ayant d'abord été le lieu du tombeau de la sainte patronne de la ville, Yemma Gouraya, il reste un but de pèlerinage pour les populations locales qui font l'ascension de la montagne pour visiter les lieux.
La Kalâa des Aït Abbas, bâtie en 1510 au cœur de la chaine des Bibans, est l'ancienne capitale fortifiée du royaume des Aït Abbas. Elle reprend l'architecture des villages kabyles, très agrandie et complétée de fortifications, de postes d'artillerie et de guet, de casernes, d'armureries et d'écuries pour les unités de cavalerie. Une grande partie de ces structures, bombardée durant la guerre d'Algérie, est aujourd'hui dans un état délabré. Mais le site garde des joyaux comme sa mosquée d'architecture berbèro-andalouse.
La Grande Kabylie également est parsemée de nombreux forts, comme le Borj Boghni et le Borj Tizi Ouzou, qui ont été édifiés à partir du XVIe siècle par la régence d'Alger pour encercler et contrôler la région et faire rentrer l'impôt. D'architecture simple, ils ont souvent été enlevés par les tribus locales soucieuses de garder leur autonomie. À Bordj Bou Arreridj, le Borj Mokrani, bâti sous Hassan Pacha, a été pris par les Mokranis à plusieurs reprises au cours du XVIIIe siècle, ce qui lui vaut son nom actuel.
Les Kabyles ont perpétué un artisanat ancestral, source d'un revenu complémentaire longtemps important et aussi moyen d'expression d’un « peuple artiste ». Cette production entrait dans un système d'échange économique et culturel où chaque région ou tribu de Kabylie avait sa spécialité. Les villages avaient chacun leur jour de marché, qui donnait l'occasion aux artisans locaux d'exposer leurs créations. De nos jours ces marchés traditionnels ont fait place aux foires organisées dans les principaux centres de production artisanale : « fête de la poterie » de Maâtkas, « fête du bijou » des Aït Yenni, « festival du tapis » des Aït Hichem, etc. Cependant, comme dans le reste de l'Afrique du Nord et à la suite du déclin de la société traditionnelle dont il était l'expression, l'artisanat est aujourd'hui menacé.
La broderie, pratiquée exclusivement par les femmes, est principalement utilisée dans la confection des habits traditionnels portés à l'occasion des fêtes, en particulier des mariages. Elle fait vivre encore de nos jours un nombre important de familles.
Le tissage utilise comme matière première la laine du mouton, ou plus rarement celle du dromadaire. Il sert à réaliser de nombreux objets qui ont une grande importance sociale, comme les burnous (ibidhiyen), les tapis, les couvertures, les takchabit ou les takendourt, pour la production desquels l'activité se maintient bien qu'elle soit menacée jusque dans la transmission du savoir-faire.
Les tapis de Kabylie sont faits de laine et confectionnés par les femmes. Ils sont destinés à un usage domestique, sur le sol ou les murs, ou religieux, pour la prière. Bien que menacé, l'art du tapis se conserve dans quelques villages de Grande Kabylie.
À l'image de l'ensemble de l'artisanat kabyle, le tissage emploie une variété importante de couleurs et des motifs géométriques qui remontent à un passé très ancien. Il existe par ailleurs une très forte ressemblance entre les productions de Kabylie et de la vallée du Mzab, autre région berbérophone. D'une manière générale, le tapis amazigh est très coloré et constitue un objet de décoration très demandé.
La poterie kabyle (ideqqi) révèle un ancrage africain en même temps que des relations très anciennes avec l'art méditerranéen dont elle s'est enrichie (formes arrondies et moulées, décors peints).
Faits d'argile de différentes couleurs selon les gisements, les objets créés s'illustrent par la pureté de leurs formes et la simplicité de leur décor mais aussi par la complexité des motifs et des techniques employés. Les signes et les symboles utilisés pour la décoration remonteraient au Néolithique. Le répertoire des coloris issus notamment de l'oxyde ferro-manganique, du kaolin et de la résine de pin est également très ancien.
Au contraire de la fabrication des tuiles, effectuée par les hommes, l'essentiel de la poterie à usage domestique est un travail réservé aux femmes.
Son utilité est aussi religieuse : les familles s'en servent pour orner mosquées et mausolées des saints soufis et des marabouts. C'est en particulier la fonction du mesbah, un chandelier utilisé aussi lors des festivités (mariages notamment).
La poterie tient un rôle important dans les fêtes, par exemple pour la cérémonie du henné, mais également dans la vie quotidienne, avec les jouets pour enfants qui sont des figurines représentant des animaux.
Un des grands potiers kabyles, Boujemâa Lamali, exporta le savoir-faire de la région au Maroc où il anima à Safi une école de la céramique.
Le travail du bois (takhdimt n'wasghar) intervient dans la fabrication d'objets tels que les coffres (sendouk), les portes (tigourra), les tables et, de façon aujourd'hui marginale, les armes. Les essences utilisées vont du pin d'Alep au chêne-liège en passant par le cèdre. Les ouvrages sont souvent ornés de motifs géométriques (pointes, rosaces...). Historiquement le sendouk est le meuble caractéristique de la région située à l'est de la Soummam, chez les Aït Abbas, les Aït Ourtilane et dans le Guergour.
Actuellement les productions traditionnelles disparaissent au profit de la réalisation de coffrets, d'objets-souvenirs et de petits articles comme les ustensiles de cuisine, par exemple les cuillères et les tabaqit (une sorte de djefna).