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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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INTRODUCTION
# INTRODUCTION ## LAQUELLE ? Le titre de cet ouvrage est emprunté à la formule des monarchies héréditaires, dont l'objectif était de fêter le nouvel arrivant en faisant oublier le défunt, le plus vite possible, afin de ne pas gêner son successeur. Les images récentes du chef politique de La France insoumise, se laissant aller, dans sa colère, à hurler *« La République, c'est moi »* au nez d'un policier, m'a ramené quatre-vingt-cinq ans en arrière, quand ma tante me disait *« La République, ce sera toi »*. Elle paraissait convaincue de cette affirmation mais je ne comprenais pas ce qu'elle voulait dire et, compte tenu des régimes républicains qui se sont succédés au cours des deux derniers siècles, je me pose surtout la question placée en tête de cette introduction : *« Laquelle ? ».* Pourquoi le citoyen que je suis, et qui a été élevé dans le respect de la République, ne parvient-il pas à voir durer ces Républiques réputées lui appartenir ? La Première République, arrachée à plusieurs siècles de monarchie, est morte en 1799, à dix ans, abandonnée par le peuple. Celui-ci lui préféra l'Empereur et ses conquêtes militaires qui le faisaient rêver à une domination de l'Europe. La Deuxième, instituée à la suite de coups d'État ratés contre le monarque qui avait retrouvé son trône, est morte en 1851, en bas âge, assassinée par le nouvel empereur qui rêvait de dynastie. La Troisième est morte en 1940, à soixante-dix ans, après six ans d'agonie, jetée dans la fosse commune des victimes des *Panzer* nazis, par l'État dit français auquel la Nation l'avait confiée. La Quatrième est morte en 1958, à Alger, à douze ans, abattue par les militaires qui refusaient d'obéir à l'État que la Nation s'était donné. La Cinquième République, qui a succédé aux précédentes, semble elle-même être en soins intensifs, en attente de réanimation, depuis le printemps 2017. Le pouvoir d'État, minoritaire dans les suffrages, lui administre les médicaments utiles à sa survie sous le nom de réformes, plus ou moins bien supportées. Il devra rapidement, soit remettre le malade sur pied, soit établir son certificat de décès. Sera-t-elle, à son tour, frappée par la même malédiction que les précédentes ? Les débats restent ouverts pour 2020 et 2021, en attendant la suite. Quelle serait désormais la République pour laquelle les Français seraient prêts à crier à nouveau *« Vive la République ? »* Les facultés d'analyse et de jugement que je dois à de longues décennies de vie citoyenne, d'expérience et de culture politique, m'autorisent à transmettre et à partager quelques réflexions, analyses et jugements à ce sujet. Il ne s'agit en rien d'un travail d'historien. J'ai quitté l'école à quatorze ans. Ce n'est pas ce que souhaitait ma tante, ni ma mère, mais ce que la situation dramatique de 1944 m'a imposé. Je n'en conserve pas moins le droit de parler et d'écrire, pour transmettre aux autres le fruit de mes réflexions, charge à eux d'en tirer profit à leur gré. Avant de laisser à mes concitoyens le soin d'établir ou de rétablir la République qui mériterait leurs vivats, je vais décrire ce que j'ai ressenti en assistant aux obsèques des précédentes et répondre à une question fondamentale : l'esprit républicain qui m'a été inculqué est-il encore compatible avec la société actuelle et ses modes vie très différents de ceux que j'ai connus ? Pour mener ces réflexions, je me suis engagé dans un travail de documentation sur les périodes que je n'ai pas vécues (1789-1934) et dans un travail de mémoire sur celles que j'ai connues (1934- 2019), au travers de mes multiples expériences, lieux de résidence, activités professionnelles et responsabilités. Le mode d'expression que j'ai choisi combine le récit de faits vécus et observés à l'expression des opinions et des appréciations. Chaque lectrice, chaque lecteur, pourra en faire sa propre lecture en évitant la confusion des faits et des opinions qui caractérise les démocratures.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE I : LE DÉBAT RÉPUBLICAIN
# **CHAPITRE I :** LE DÉBAT **RÉPUBLICAIN** ## LE DÉBAT RÉPUBLICAIN *« Ce n'est qu'un début, continuons le combat ! »* Ce slogan historique, formulé en mode révolutionnaire qui préfère le combat au débat, hurlé à l'Odéon en 1968, vient d'être repris, en 2018, par les mêmes, devenus grands-parents, rejoints sur le « Rond-point des vaches » par leurs petits-enfants, rebelles à leur tour. Ce qui donne : *« Ce n'est qu'un débat, imposons le combat ! »* Ceux et celles qui nous gouvernent, récemment obligés de quitter la vie en rose pour la vivre en jaune, ont leur propre conception de la chose publique, et celle-ci les a conduits à organiser le Grand Débat de 2019. Ils et elles bénéficient de la reconnaissance de leur élitisme, personnel et collectif, duquel sont naturellement exclus ceux qui ont quitté l'école à quatorze ans. Sans regrets, ni remords. Ils ou elles font partie des membres éminents des élites politiques, dont tout système républicain a besoin pour vivre et survivre, même lorsqu'elles attirent la foudre des orages et des dépressions populaires. Nous les vivons « Tous ensemble. » Après l'acte I du débat ouvert en 2019, nous entrons dans l'acte II de 2020, avant l'acte III de 2022, voire l'acte IV de cette recherche d'une République renaissante, encore introuvable. Quels sont les futurs grands débats qui nous attendent ? Avant d'imaginer leur contenu et leur forme, il est prudent de considérer qu'une fois clos le débat de 2019 par les élections européennes, celui de 2020 le sera par les municipales, et qu'il faudra attendre 2022 pour aborder la question lancinante et toujours pendante. « Quelle République voulons-nous vivre ensemble ? », qui remonte au siècle dernier. Sauf explosion d'impatience provoquée par la dégradation profonde de la citoyenneté, pièce maîtresse de la République, l'engagement de ce débat devrait attendre 2022. J'avais déjà analysé cette situation, plus que dangereuse, en 1999, sans effet. Le couvercle a été maintenu sur la marmite depuis vingt ans, en produisant les malheurs dont les Français espèrent guérir en changeant de République. Gardons notre calme et prenons le temps d'analyser les enseignements de ces vingt années, avant de revenir sur les deux cents ans qui les ont précédées. En octobre 1999, j'ai inauguré quinze années de chroniques dans *L'Écho des Arènes de Saintes*, mensuel papier devenu site de web TV en 2017. À l'époque, je travaillais à Bruxelles mais j'avais expliqué pourquoi je voulais néanmoins rester français avec notre République, ma carte d'électeur et mes feuilles d'impôts. Depuis la ville des palais européens et du Manneken-Pis, je voyais mon cher pays s'engager dans un déchirement inquiétant entre trois types de territoires, trois niveaux de richesses et trois populations opposées. J'en tirais des réflexions sur les deux thèmes de l'appartenance et de l'identité, ce carburant mondial de multiples révoltes et des débats convulsifs français. Comme je l'écrivais à l'époque, *« La fracture sociale, thème de la campagne présidentielle de 1995, a été aggravée faute d'avoir été soignée.* *Du côté riche, les 'délocalisés', ceux qui conservent le passeport et la carte d'électeur, mais échappent à la feuille d'impôts et à la loi commune.* *Du côté pauvre, des communautés identitaires qui ne reconnaissent pas appartenir à la Nation et qui s'enferment dans un millier de zones dites 'de non droit', sans passeport, ni carte d'électeur, ni feuille d'impôts.* *Au milieu, la communauté des classes moyennes, qui se déchirent entre ceux qui croient à la Nation et à la République et ceux qui croient à l'Europe et à la démocratie.* *Tout ceci n'est pas encourageant et reste bien loin des envolées lyriques de la fête bleu blanc rouge, blacks blancs beurs, du Mondial de 1998, hier ».* J'avais forgé un néologisme, l'*Euro-Parisien*, pour désigner la forme locale de l'Euro-métropolitain, contre lequel le « Rondpoint des vaches » est en révolte, et qui réactualise le vieil antagonisme Province-Paris : *« Quand je dis 'Euro-Parisiens', je désigne tous ceux qui ont trouvé leur place dans un ensemble professionnel ou régional à vocation européenne ou mondiale, qu'ils soient euro-toulousains, euro-lyonnais, etc.* *Ce monde de demain, ouvert à la mondialisation heureuse de 1997, sera mis en place par les 'créateurs de valeurs' qui conduisent l'euro-convoi auquel le wagon France est attelé. Jeunes, déterminés, ambitieux, ils vivent leur appartenance à un système au point d'en oublier leur identité d'origine.* *Anglais lu, écrit, parlé au travail ; américano-italo-sino-français au resto ; germano-nippo-italo-français au volant ! Tout le monde travaille sans état d'âme pour les retraités de SantaBarbara, de la City ou d'Amsterdam, qui ont acheté les actions de nos sociétés au retraité de Port-d'Envaux remarié avec la veuve de Carpentras. À coups de bonus et de stock-options, chacun prend ses chances et ses risques.* *L'attachement à la collectivité nationale est réduit au rapport qualité/prix du mode de vie à un instant et à un endroit donné. Nouveaux Français, ils vivent une euro-France qui n'existe pas encore au milieu d'une communauté qui parle encore de la Nation comme on a parlé longtemps en anciens francs.* *Sincèrement europhiles, ils sont moins sceptiques que l'EuroLondonien, moins technocrates que l'Euro-Bruxellois et aussi conquérants que le futur Euro-Berlinois, ce qui promet pour l'avenir.* *En Euro-parisien, les mots de Liberté, d'Égalité, de Fraternité sont tout aussi respectés qu'en patois saintongeais, mais ils n'ont plus le même sens car la démocratie à l'anglo-saxonne se veut plus adaptée à la réalité euro-mondiale que la République à la française ».* J'écrivais ces mots il y a vingt ans. À vous de juger de leur pertinence pour les futurs débats. En 2017, une nouvelle équipe a pris le pouvoir. En 2019, elle a ouvert le débat, mais peut-être trop tard, car depuis 1999, le pacte républicain s'est fortement dégradé. ## LE PACTE RÉPUBLICAIN EN 2017 Le débat a été ouvert par l'Institut PRESAJE dès qu'a été observé le *coup de balai* politique de 2017, afin d'éviter qu'il vire au *coup de torchon.* *« Depuis vingt-cinq ans, les membres de l'Institut PRESAJE étudient et expliquent les mouvements sociétaux, lesquels, au fil du temps, transforment les sociétés humaines. À commencer par la nôtre.* *Ils ont commencé de 1994 à 2012 en traitant chaque année, dans le colloque de Saintes, les liens entre la justice et la société. Puis, depuis 2002, à Paris, ceux entre l'Économie, le Droit et la Justice, bousculés par la mondialisation et ses crises.* *Aujourd'hui, les temps changent, brutalement. Il va falloir adapter ces recherches, ces réflexions. Ce sont les bases mêmes du vivre-ensemble de nos sociétés qui sont ébranlées. On l'observe dans les trois évolutions récentes qui conjuguent leurs effets :* - *Les pouvoirs institutionnels se personnalisent partout au profit des dirigeants, élus plus ou moins démocratiquement ;* - *L'utilisation, mondialisée, des sciences de la génétique et de la biologie transforme les capacités naturelles des êtres humains, et enserrent leurs organisations dans de multiples toiles ;* - *Les communautés de droits et de devoirs instituées entre États souverains se heurtent aux nouveaux modes de relations conflictuelles et bilatérales.* *Notre vivre-ensemble entre dans une crise dont il ne sortira qu'en faisant renaître le droit naturel de tout être humain, à savoir sa liberté qui s'arrête où commence celle de l'autre. Il y a déjà beaucoup de dégâts causés par le mépris de ce principe dans nos sociétés.* *Ouvrons le débat sur les menaces qui pèsent sur ce droit naturel. »* ### La crise des Pouvoirs institutionnels Quatre déséquilibres institutionnels provoquent une situation d'instabilité et de doute à laquelle les réformes entreprises doivent remédier, avec le temps. Le déséquilibre né d'un taux élevé d'abstentions lors des dernières consultations, qui s'est ajouté à la forte présence des partis extrémistes dans les deux élections déterminantes de 2017. Celui, nouveau, du glissement du pouvoir présidentiel vers une autorité personnelle, conforme au modèle international dominant. La fracture entre ce pouvoir centralisé et les structures de la France décentralisée, au sein des territoires devenus autonomes. Face à cette crise, les réformes corrigeront-elles les déséquilibres, ou sera-ce l'inverse ? ### La crise des valeurs humanistes La crise des valeurs humanistes est un fait mondial dont on débat depuis peu des conséquences à long terme. Elle découle des projets d'hyper-entreprises américaines qui dissimulent leurs objectifs aussi bien que leurs bénéfices. L'un de ces projets consiste à implanter dans le cerveau humain des compléments d'intelligence artificielle destinés à développer et à démultiplier les capacités naturelles d'analyse, de jugement et de décision, ainsi « augmentées ». Un autre est la création et le développement d'une société d'humanoïdes installés avec leur intelligence propre à côté de la société des êtres humains, en complément de leurs cerveaux et de leurs capacités créatrices, en attendant de pouvoir les concurrencer. Autre exemple, l'utilisation monopolistique des bases de données, stockées et décryptées comme les gènes humains, pour manipuler et orienter les activités humaines en analysant leurs motivations. Ces réalisations évoquent déjà le post-humanisme, et les théories de la fin de la mort humaine tendent à créer différentes catégories de citoyens, aux capacités adaptées aux orientations de ceux qui les fabriquent. Ces projets de sociétés se caractérisant par de fortes inégalités seraient-elles compatibles avec l'obsession égalitaire de la communauté française ? ### La crise des institutions européennes À la fin du désastre matériel et moral de la deuxième guerre mondiale, les trois peuples qui avaient subi la domination du nazisme, l'Allemagne, la France et l'Italie, se sont engagés dans la construction d'un modèle original, inédit, de vivre-ensemble. Cette construction intellectuelle a reposé matériellement sur un apport américain déterminant, le financement de la reconstruction de l'Europe par le plan Marshall. Aujourd'hui, l'unilatéralisme américain, qui régente l'Occident, domine une économie globale de marché qui a conduit une Europe de type rhénan à s'élargir à l'Est de l'Oder et au sud du Danube, pour commercer ensemble, loin du projet initial. L'hostilité du pouvoir américain à toute Europe autonome dans ses rapports avec l'Occident est à l'œuvre. Elle impose la révision du projet initial de vivre-ensemble. ### Les Européens pourront ils sauver le soldat Europe ? Voilà où en est la société française, plus rebelle que jamais. Les débats ouverts par l'État, au nom de la République, seront-ils de nature à répondre aux attentes sociétales complexes et très diverses, ou se contenteront-ils de répondre aux manifestations de revanche et de révolte afin d'obtenir de bons suffrages ?^1^ 1 Voir sur www.michelrouger.fr une chronique de 2003 sur *La France rebelle* actualisée. ## LE RÉCIT RÉPUBLICAIN La méthode que j'ai adoptée pour construire une documentation qui puisse être utile à tous les débatteurs consiste à recourir au récit d'expériences vécues et à les mettre en perspective par les commentaires qui les complètent, ce qui a également le mérite de rendre la lecture plus vivante. Il est facile de critiquer le comportement à court terme qui domine les actions collectives des citoyens. Il est encore plus facile de critiquer la méthode de réflexion employée par les gouvernements. Certes, l'image est devenue le principal mode d'expression au sein des médias qui orientent le comportement du citoyen et façonnent celui du gouvernant. Mais ce n'est pas l'image en elle-même qui est critiquable. Le lecteur-spectateur a besoin du poids des mots et du choc des photos. La perte du goût de la lecture, qui se manifeste par la faiblesse des tirages d'ouvrages, en même temps de plus en plus nombreux, découle de la recherche dominante de l'émotion futile, et encore plus de la pratique généralisée du spectacle de la compétition et de l'élimination, bien au-delà des activités sportives. Seule la réflexion issue d'expériences vécues au cours d'une longue période du passé peut garantir la pertinence dans le choix des options pour l'avenir, à condition que celui ou celle qui s'engage dans cette voie respecte la discipline d'analyse et d'expression à laquelle le système de politique-spectacle refuse de se soumettre. La dégradation de la citoyenneté dans les démocraties et la tentation d'avoir recours aux positions extrêmes, résultent de l'importance prise par la futilité et le spectacle dans l'exercice des responsabilités institutionnelles où elles ne devraient pas avoir leur place. Les débats à venir sur la renaissance de la République seront l'occasion, pour les citoyens, de retrouver le goût de l'écriture, qui a fait ses preuves aux XVIII^ème^ et XIX^ème^ siècles et qui est à nouveau présente dans les cahiers collectés en 2019. Dans ce livre, j'ai souhaité faire en sorte que le langage, le sens des mots et la forme des expressions combinent, sans les confondre, le récit et les observations destinés à contribuer à l'élaboration des projets futurs, surtout ceux qui concernent les institutions républicaines. Chapitre après chapitre, les lecteurs et lectrices liront, imprimés en italique, la narration de ce qui est personnel à l'auteur et se rapporte aux récits de ses expériences vécues et à ses anticipations. Les observations et réflexions utiles aux débats qui vont s'ouvrir dans les années qui viennent seront rédigées en caractères romains, plus impersonnels. Exemple de récit personnel : ***2012 :** Invité à Budapest pour y produire une conférence décrivant les conséquences de la crise financière de 2009 sur les professions judiciaires et juridiques, je dresse une fresque globale.* *Mes réflexions sont étendues à la géopolitique mondiale, européenne, dans la perspective de l'accélération du déclassement de la France.* *Ce texte, long et documenté, écrit fin 2011, dans la perspective des présidentielles françaises du printemps, est impubliable parce qu'il ne sert à rien de montrer qu'on a eu raison.* *Sauf si survenait une violente crise mondiale qui obligerait à en utiliser les leçons géopolitiques* *Il figure dans la base documentaire des réflexions de cet essai.* ***Voilà ce que j\'avais écrit à l\'automne 2011, bien avant que survienne la catastrophe mondiale de la pandémie, causée par le coronavirus, qui s\'est développé en Chine au cours de l\'hiver 2019-2020.*** ***Les conséquences sanitaires qui affectent une société française déjà agitée de convulsions, l'incohérence politique d'un État qui se rêve universel alors qu'il a été invité, il y a quarante ans à ne jamais quitter son clocher des yeux, les brutales réactions géopolitiques des grandes puissances blessées par cette pandémie, vont se conjuguer négativement.*** ***La vie de la société française va rester troublée pendant plusieurs années. Il est trop tôt pour tirer les conclusions.*** ***J\'ai relu tout ce que j\'avais écrit dans cet essai avant que survienne cette maladie du Covid 19. Je ne change rien à ce qui suit dans les différents chapitres*** **Voici présentée la méthode proposée pour nourrir les futurs et longs débats sur la renaissance de notre République, de l'action politique qui la fait vivre, et du goût à stimuler pour une lecture vivante, qui elle-même aidera à la vivacité des futurs débats.**
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE II : LE CITOYEN RÉPUBLICAIN
# CHAPITRE II : LE CITOYEN RÉPUBLICAIN ## LE CITOYEN ROUGER Dans quel contexte l'individu que je suis a-t-il quitté l'enfance pour entrer, trop tôt, dans la vie citoyenne, qui exige de solides capacités de jugement ? Il en a été décidé ainsi par ma famille, spécialement par cette hussarde noire de la République qu'était à l'époque ma tante institutrice, née en 1891. *Après l'école normale d'institutrices, elle a pris son premier poste à Saint-Martin-de-Ré, en Charente-Maritime, à l'école primaire. Sa formation l'a convaincue de la nécessité de créer une nation citoyenne comme support principal et essentiel de la nation politique et républicaine.* *Prosélyte de la religion laïque, elle a connu les querelles scolaires dans un département qui reste très partagé entre ses deux grandes communautés, la protestante en Aunis et la catholique en Saintonge. Ses parents, mes grands-parents, n'ont jamais exprimé le moindre sentiment religieux dont je puisse me souvenir.* *En 1933, à quarante-deux ans, sans enfant, elle a été mise à la retraite d'office pour surdité précoce.* *En conséquence, elle a choisi de s'occuper de son neveu, alors qu'il n'avait pas encore cinq ans, pour lui apprendre à lire et à écrire, le faire entrer à l'école primaire avec un an d'avance, et en faire un futur citoyen modèle.* *Rien de tout cela ne va réussir, sauf que le goût et la curiosité dont je faisais preuve pour la lecture et l'écriture ont accéléré mon apprentissage au-delà des espoirs de cette institutrice dédiée à la République et, dorénavant, à un seul élève citoyen.* *Il est vrai que la période était suffisamment agitée pour que ce nouveau futur citoyen s'intéresse à la vie de la société, pour laquelle il allait faire l'objet d'un véritable formatage afin d'y trouver sa place.* *En octobre 1933, l'Éducation nationale se montre inflexible : pas d'entrée à l'école avant l'âge de six ans, et il faudra donc attendre octobre 1934.* *Cette perspective est évidemment très mal vécue par celui qui se voyait déjà rejoindre les grands. Cela lui a fait perdre le goût de l'école maternelle, où il a dorénavant refusé de se rendre.* *L'irruption du microbe de la scarlatine a tout réglé et imposé, à partir de décembre 1933, une véritable quarantaine, au lit d'abord, dans la chambre ensuite.* *C'est ainsi que le grand-père, qui venait de prendre sa retraite et qui passait une partie de sa matinée dans la cabane au fond du jardin, chantée par Francis Cabrel, pour y lire ses journaux, a décidé de les apporter à son petit-fils, alité en quarantaine.* *Ce grand-père lisait deux journaux,* Le Matin de Paris *et* La France de Bordeaux et du sud-ouest. *La tante institutrice était hostile à cette intrusion de la presse, avec tous ses défauts, dans le formatage du futur citoyen. Mais elle n'avait aucun moyen de l'empêcher de lire, d'autant qu'il fallait bien qu'il occupe son temps.* *De surcroît, la scarlatine a conduit à retarder la fête familiale du Nouvel An et la distribution des étrennes qui, dans la famille, remplaçaient les cadeaux de Noël.* *Tout a été renvoyé à un déjeuner qui s'est tenu le 10 février 1934 et fut certainement un évènement fondateur pour le citoyen Rouger, qui venait d'avoir cinq ans. Il tirera de cette réunion familiale des enseignements déterminants pour son avenir.* *Libéré de sa quarantaine, le jeune citoyen vient de se régaler de la fameuse affaire Stavisky, qui a été largement médiatisée, même si ce mot était inconnu à l'époque.* *Quand il ose demander à sa tante institutrice s'il est vrai que Stavisky s'est tiré deux coups de revolver dans la tête, il se fait répondre : « De quoi te mêles-tu ? Tu ferais mieux de lire* Mickey*, né comme toi en 1928, plutôt que les torchons de ton grandpère ».* *Il n'y a pas que dans les rapports familiaux que la période était chaude. Le 6 février 1934 a laissé une trace profonde dans la mémoire de la Troisième République.* *Tous ces évènements ont été absorbés par l'éponge que constitue le jeune cerveau qui s'est révélé capable d'intégrer un grand nombre d'informations dans un minimum de temps.* *Cette partie du formatage a réussi.* *En Saintonge, les repas sont copieux et ont tendance à durer longtemps, à tout le moins pour un gamin qui se trouve dans la configuration familiale décrite.* *La première perception a été la bonne. Les divisions, les déchirements qui affectent les sentiments politiques des citoyens de la famille ne font que refléter ceux du pays en général, ce que confirme la lecture des journaux.* *Un de mes oncles, mon parrain, âgé de trente-deux ans, artisan électricien, Basque pur sucre, est un peu énervé.* *Il va tout de suite se jeter dans l'arène avec ses banderilles, lorsque, à l'initiative de la tante institutrice, va s'ouvrir le débat sur la lecture des journaux par un gamin de cinq ans.* *Le tonton trouve que c'est une bonne idée. Il préférerait me faire lire* L'Humanité, *que je ne connais pas, et développe une vision assez révolutionnaire lorsque le débat dérive, très vite, sur ce qui s'est passé le 6 février.* *Le grand-père, républicain classique, non révolutionnaire, non religieux, qui, à cause de sa petite taille, n'a jamais connu le service militaire, ne reconnaît ni le sabre, ni le goupillon, au moins en public. Sa vision des médias d'information est très anticipatrice, moderne.* *Pour lui, les journaux doivent être accessibles à tous les citoyens, y compris à un gamin qui satisfait sa curiosité et qu'on doit préserver de l'idéologie des adultes : « Informé, oui, endoctriné, non. On s'est débarrassé des curés, ce n'est pas pour s'embarrasser avec les communistes. »* *La tante institutrice, lectrice fidèle du* Populaire*, très fortement déçue par l'attitude du ministère à son égard, commence à prendre quelque distance avec la pensée socialiste qu'elle a fréquentée assez tôt et qu'elle partagera avec son mari, blessé de guerre, secrétaire de mairie, très typé fonctionnaire SFIO.* *À l'opposé des lecteurs de* L'Humanité *et du* Populaire*, un autre oncle, commerçant, manifeste les mêmes sentiments que les différentes ligues qui ont pris possession de la rue à partir de 1934. Il aura le bonheur de voir sa fille aînée épouser un polytechnicien, ce qui, à l'époque, représente une promotion sociale.* *La suite des événements de la guerre permettra de remettre chacun à sa place.* *Le tonton électricien, courageux et même téméraire, résistant puis emprisonné, a réussi à s'évader du train qui l'emmenait de Compiègne à Auschwitz, le 15 août 1944.* *Au retour, il est devenu cadre chez EDF. Marqué, il est mort jeune, après m'avoir appris les joies des fêtes de Bayonne, chez mon grand-père basque.* *Le tonton grossiste en charcuterie a vécu un drame. Son jeune gendre polytechnicien est allé mourir en Syrie dans la mini guerre qui a opposé les troupes pétainistes et les troupes gaullistes en 1941. Très anglophobe et antigaulliste, mais commerçant intelligent, il a su trouver le bon moment, lorsqu'il a fallu virer de bord entre le soutien au Maréchal (avril 1944), le Salut au Général, et la chasse aux femmes tondues (sept 1944).* *La tante institutrice a vu la vie commander son évolution.* *Mon grand-père est mort en décembre 1940. Elle a dû prendre en charge sa mère, prématurément vieillie. La famille s'est désunie, les maisons ont été séparées et réparties. La dernière année de bonheur partagé -- 1937 - a été vite oubliée.* *Je ne sais pas si je dois le déplorer. Mes parents se sont éloignés de ce débat qui me concernait. Mon père, grièvement gazé au Chemin des Dames, n'était plus en état de tenir son rôle de chef de famille. Il fallait se préparer au pire dans cette famille déchirée et ce pays en lambeaux.* *Je n'ai pas eu besoin qu'on me l'explique pour le comprendre, comme on le verra dans les récits ultérieurs.* Le jeune citoyen Rouger a été, très tôt, convaincu que, dans la réalité, la nation française était profondément divisée et qu'il s'agissait d'une malédiction. En effet, cette nation qui avait pris, en 1799, l'engagement de conquérir l'Europe, n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas s'offrir le luxe d'afficher ses divisions face à toutes les convoitises qu'elle suscitait, à l'intérieur, chez ceux qui maniaient le sabre ou le goupillon et, à l'extérieur, chez ceux qui convoitaient son territoire depuis plusieurs siècles et, tout récemment, ses conquêtes coloniales. Enfermées dans la contradiction entre ces divisions et une nécessité absolue d'union, ni la Troisième République, ni la Cinquième, n'ont su résoudre le problème. Ce sera le chantier des dix années suivantes. La reconstruction du vivre-ensemble exigera des citoyens d'expérience. Quelle est celle de ce citoyen enfant, laissé au bord de son trottoir, lors de l'exode de 1940 ? ## EXPERIENCE ET CITOYENNETÉ En s'engageant à faire partager aux lectrices et aux lecteurs des réflexions fondées sur une expérience de vie traduite en récits, l'auteur s'obligé à faire en sorte que ces récits présentent un intérêt. Où trouver cet intérêt ailleurs que dans la multiplication des expériences, menées sur une longue période, dans leur variété et dans la prise de risques qu'elles ont entraînée, sans laquelle elles n'auraient pas de valeur ? Avant d'aller plus loin dans ce travail de rédaction, il faut indiquer les trois grands domaines dans lesquels ces aventures ont été menées et ces risques ont été pris. Le premier tient à l'expérience de diverses **résidences**, c'est-àdire des lieux de vie au sein desquels les citoyens, avec leur identité, leur culture, leur comportement, évoluent et sont façonnés par les influences sociétales et politiques dominantes. Le deuxième domaine est celui des **activités professionnelles**, lesquelles vont également influencer et façonner celle ou celui qui s'y livre, que ce soit par vocation, par besoin, par héritage familial ou encore grâce à ses études plus ou moins longues. Le troisième domaine est celui des **engagements sociétaux** qui vont conduire le citoyen ou l'individu à rechercher, bénévolement, la satisfaction de ses choix personnels, passions, vocations, amitiés ou désirs d'engagements. ### **Les lieux de résidence et de vie personnelle** *Une fois sorti de la petite enfance, j'ai résidé dans trois lieux extrêmement différents, pour des durées respectives de vingttrois, vingt-quatre et trente-huit ans. Chacun de ces lieux de vie peut symboliser la France éclatée d'aujourd'hui.* 1. *La Saintonge* *Cette petite province constitue, avec l'Angoumois, la région viticole de Cognac, où les eaux de vie prennent le temps de vieillir et où les citoyens savent gérer le long terme.* *Ces derniers, ruraux et républicains, même modestes, y vivaient cultivés et se gardaient, au pays du petit Père Combes, de se laisser prendre par les influences de la religion, de la francmaçonnerie ou du culte de la Révolution. En revanche, les migrants de la ruralité, ceux des anciennes colonies et les rapatriés d'Afrique du Nord, y étaient mal admis.* *Ces vingt-trois années ont été pour moi un double champ d'expériences et de risques.* *Les dix premières ont été marquées par la guerre, d'abord sa phase préparatoire puis l'occupation allemande.* *Les treize suivantes ne comportèrent pas les mêmes prises de risques, puisqu'il s'agissait d'aider à la reconstruction du pays, de la vie familiale et des activités professionnelles afin de ne pas rater les nouvelles compétitions qui s'engageaient.* 2. *Épinay-sur-Seine et la banlieue parisienne* *La Saintonge quittée, Il a fallu changer de peau, au propre (trente kilos de moins) et au figuré, en repartant à zéro.* *Installé au cœur de la banlieue ouvrière du futur 9-3, dans le grand ensemble d'Épinay-sur-Seine, en cours de construction, il a fallu tout découvrir et inventer. Pour la famille, pour soi et pour l'avenir.* *Ma nouvelle vie professionnelle m'a imposé le choix du mode conquête, de la prise de risques.* *On ne peut pas être monté à Paris pour rien, en jouant petit bras, en se contentant de préparer sa retraite.* *Sur le plan de la vie citoyenne, deux communautés s'opposent, celle constituée par le nouvel ensemble immobilier et celle des résidents déjà installés.* *La nouvelle population a raté les municipales de 1959 et se trouve sans représentation pendant six ans, alors qu'elle est majoritaire. Après négociation avec l'État, constructeur du grand ensemble, les « Nouveaux » obtiennent la création d'un Conseil de résidents, ersatz du Conseil municipal.* *Cela provoque un « clash » dans ce département très politisé, bastion idéologique au cœur de la guerre froide. J'en serai un président de combat.* *Le fait d'habiter dans ce grand ensemble m'a imposé de gérer, en même temps, les prises de risques professionnelles et l'aventure passionnante d'une forme de démocratie participative au voisinage d'une « démocratie populaire ».* *Les vingt années passées à Épinay-sur-Seine ont été, comme les précédentes, articulées en deux parties.* *Les années 1960 ont été marquées par les bouleversements de la société française et par l'élargissement de ma famille, qui est passée de deux à quatre enfants.* *Les années 1970 ont vu tout changer après l'explosion de 1968, que ce soit dans les identités, les cultures, les comportements ou la politique.* *Tout ceci a généré de nouveaux risques, qui imposaient de savoir prendre le vent et comprendre de quel côté il soufflerait au début des années 1980.* 3. *La vie parisienne* *Pour continuer à profiter de l'ascenseur social pendant qu'il était encore en marche, j'ai dû, dans cette troisième période, changer une fois de plus d'image professionnelle, de culture, de comportement et d'idées politiques.* *Cette période, qui dure trente-huit ans, se compose, elle aussi, de plusieurs tranches.* *Outre mon appartement dans les beaux quartiers de l'ouest parisien, j'ai acquis une résidence en grande banlieue dans le confort d'un village de type américain, qui préfigurait la transformation des comportements urbains.* *Cette longue période a inspiré les réflexions du début de ce chapitre.* *J'ai compris, très tôt, que la France était en train d'éclater entre sa métropole, où je vivais, la banlieue, où j'avais vécu, et la Saintonge, que j'avais quittée.* *J'ai tenté l'engagement politique, à la fin des années 1990, pour essayer de faire comprendre à quel point il était urgent d'aborder ces problèmes.* *C'était pour moi à la fois trop tôt et trop tard.* ### **La vie professionnelle** *En ne retenant que les professions exercées pendant au moins dix ans, j'ai pratiqué huit métiers différents dans le secteur privé : le transport, le crédit, la banque, le tour operating, la location automobile, la formation professionnelle, la gestion de patrimoines immobiliers et le conseil.* *À ces activités rémunérées se sont ajoutées trois activités non rémunérées, au service de structures étatiques ou internationales : la justice pendant seize ans, la santé pendant dix ans, l'édition pendant douze ans.* *Je me suis vu confier le lancement et la conduite, pendant trois ans, des opérations de liquidations des « mauvais actifs » du Crédit lyonnais. Ce fut une cerise sur le gâteau des « gros risques ».* *Depuis vingt ans, je fais l'expérience de quelques opérations d'arbitrage de grands litiges nationaux ou internationaux.* *Que conclure de ces soixante-quinze années d'activités professionnelles, auxquelles je n'ai toujours pas mis un terme ?* *J'ai toujours aimé ce que je faisais en cherchant à rester le patron de ma personne.* *Raison pour laquelle j'ai refusé, pendant vingt ans, d'ajouter à tous les risques que je prenais ceux de la lessiveuse médiatique - sans toutefois jamais mépriser les journalistes ni leur travail.* *Artisan sans vocation ni tour de main particulier, j'ai toujours préféré la mission à la fonction, la direction à l'exécution, le bénévolat à la cupidité.* ### **Le bénévolat** *Le bénévolat peut naître d'une passion, comme le goût de la pêche à la ligne ou des vieilles voitures.* *Ce ne fut pas mon cas. J'ai toujours admis de pouvoir travailler sans être payé dans le cadre des missions que j'acceptais, jamais dans le cadre des fonctions que l'on me proposait.* *Comme pour ma vie professionnelle, je ne prends en compte, dans mon bilan, que les activités bénévoles qui ont duré plus de dix ans d'affilée. Je laisse de côté, par exemple, les quelques années d'investigations que j'ai récemment consacrées aux évolutions de la santé.* *Dans les années 1960, j'ai consacré beaucoup d'énergie à tenter de mettre un peu d'âme dans le béton des grands ensembles.* *Puis, à Paris et à Saintes, au cours des années 1980 et 1990, j'ai créé et animé plusieurs instituts de recherche en matière de justice, d'économie et de droit, qui ont généré plusieurs dizaines de colloques et d'ouvrages sur de multiples sujets sociétaux.* *Après quoi, à soixante-dix ans, j'ai opté pour vingt ans de mutisme médiatique. Il n'était pas certain que je respecte ce délai jusqu'à son terme. J'y suis parvenu.* *Vive la liberté dans le récit ! C'est ainsi que vous découvrirez les réflexions d'un citoyen composite qui pense et qui parle en fonction de ce que ses multiples vies lui ont appris. Son langage est naturel, avec un goût parfois un peu piquant, comme celui d'un produit bio !*
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE III : LA RÉPUBLIQUE PASSION 1789-1799
# CHAPITRE III : LA RÉPUBLIQUE PASSION 1789-1799 Je peux maintenant passer à l'étude - ou plus exactement à l'autopsie -- des Républiques qui ont jalonné les trois derniers siècles de l'Histoire de France. Mon propos est de soumettre au lecteur un parallèle entre les faits et opinions liés à chaque époque et les faits et opinions qui dominent les débats actuels sur les institutions. La Première République a fait naître, au cours de sa courte vie, une irrépressible passion pour ce qu'on appelle, depuis la Pax Romana, la *Res Publica*. Elle a enfanté, et fait vivre, pour deux siècles, dans la joie et la fête, le sang et les pleurs, les trois Républiques dont les Français ont hérité, puis fait vivre et revivre lorsqu'elles furent abattues. La Première République a introduit le concept républicain qui l'a conduite, en quelques brèves années, de l'abolition des privilèges, au cours de la nuit du 4 août 1789, à la création du consulat, préfiguration de l'Empire, en 1799. Ce concept, conçu et diffusé par les inspirateurs des courants idéologiques de l'époque, a été détruit par les guerres internes qui ont décimés ces derniers à Paris et exterminé les rebelles en province. De plus, en offrant ses sans-culottes, entraînés vers le Rhin par le flamboyant Rouget de L'Isle, à l'armée des grognards de l'Empire, la République a joint son destin à celui de l'Empereur déchu, en imposant à son peuple quatre-vingt-dix années de régimes autoritaires et personnels. ## La République Passion a tout inventé La Première République, que j'appelle la République Passion, a tout inventé : La République absolue qui eut droit de vie et de mort sur ceux qui la servaient. La République révolutionnaire qui a fait vivre, au cœur de l'histoire de France, la flamme qui allait dévorer ceux qui s'en approcheraient. La Nation conquérante emportée dans une guerre contre l'ensemble de l'Europe, provoquée par ses peurs et exigée par son instinct de conservation. L'État totalitaire qui fera naître la terreur, la loi des suspects et les massacres vendéens. L'institution démocratique qui trouvera à s'exprimer malgré le cumul des passions, des guerres, du nationalisme et du totalitarisme. L'expression de telles passions par les populations qui les ont développées s'est construite sur la conjugaison de quatre phénomènes, deux mentaux, deux physiques : - L'esprit de révolte collective, - Le goût de la violence individuelle, - La création d'un vocabulaire révolutionnaire, - Les marches collectives, génératrices de désordres. Ces quatre phénomènes conjugués ont entraîné les « marcheurs », avec ou sans culotte, stimulé les violences et excité les révoltes. On ne peut pas nier les violentes turbulences de la Première République. On ne peut oublier qu'elle a su faire émerger, en son sein, les créateurs d'œuvres institutionnelles majeures (le *Code civil* en 1802, le *Code pénal* en 1804 et le *Code de commerce* en 1809), qui sont les bases de notre droit. Certes, entre-temps, la République s'était fait tordre le cou parce que, à force de violences, elle s'était révélée incapable d'accomplir son œuvre. Ceux qui s'en sont chargés ont compris ce qu'ils devaient entreprendre pendant que celui qui avait estourbi cette Première République, dans le but de la sauver, marchait vers la Bérézina. Certains, dans la société politique et citoyenne de 2020, tendent à considérer qu'un phénomène révolutionnaire identique à celui rencontré au cours des années 1780 pourrait se reproduire. Il ferait chuter un monarque républicain, héréditaire par sa classe sociale, qui peine à rassembler plus de 30 % des suffrages des citoyens. Les réflexions que je tire de mon expérience m'amènent à ne pas conclure aussi rapidement qu'il existerait un esprit de révolution insensible aux effets, même déclinants, de l'État-providence. Il n'est pas niable que le goût des violences s'est installé depuis une cinquantaine d'années au sein des relations civiles, citoyennes et politiques. Mais son origine tient plus à la civilisation des images et aux armes qu'elle met en scène. ## L'esprit de révolte et le goût de la violence J'ai choisi d'analyser les enseignements que peut apporter l'histoire de la Première République aux citoyens de la Cinquième République, que je considère comme en fin de vie. Ce choix exige de bien décrire l'esprit de révolte qui enflammait le peuple à la fin du XVIII^ème^ siècle, bousculé par les idées nouvelles des Lumières. Le souffle de cette révolte avait pénétré au cœur des États Généraux convoqués par le Roi le 1^er^ mai 1789. La Première République, institution reconnue par le Roi dans la cadre de la monarchie, est née entre le 16 et le 20 juin 1789, au Château de Versailles. Les députés du peuple, rassemblés au sein du tiers état, se sont institués Assemblée nationale, puis Constituante, rejoints par quelques transfuges de la noblesse et du clergé. La révolte devenait Révolution. Quelle était donc la puissance de cet esprit de révolte, qui pourrait renaître deux cent trente-et-un ans plus tard, après avoir inspiré dix années de violences, de guerres et de massacres jusqu'à l'abolition, par le complot, de ces institutions ? Cette dualité entre la Révolution et la République est-elle transposable au XXI^ème^ siècle, dans nos sociétés démocratiques apaisées ? Faut-il se préparer à revivre l'enchaînement des drames de ce passé ? Pour réfléchir à ces questions, je me suis plongé dans *L'Histoire de la République,* un ouvrage de huit cents pages en grand format, rédigé sous la forme d'un récit méticuleusement détaillé, commenté et illustré, qui a été publié en 1875, au début de la Troisième République, alors occupée à se débarrasser de ses généraux. Ce texte a plusieurs mérites. Il a été rédigé dans un style de grande qualité, plus littéraire que technique. Il a été édité trois ans avant le Littré. Il relate tous les événements, même les plus minces, ce qui donne une vision très étendue et très détaillée de ce qui s'est passé, le tout complété par quelques planches représentant des événements marquants ainsi que des portraits en pied de personnages révolutionnaires, avant qu'ils aient été raccourcis par la machine du bon docteur Guillotin. L'exemplaire que j'ai utilisé avait été acquis, lors de sa parution, par un citoyen Teinturier de Crécy en Brie, sachant que celui que j'ai retrouvé dans le grenier familial était en lambeaux. Après l'avoir lu, j'ai le sentiment que c'est l'esprit de révolte des années 1780 qui explique les longues et extrêmes violences de la Révolution, alors que l'esprit de violence des années 2000 est inspiré par les images de la politique-spectacle, qu'il est lui-même créateur du spectacle de la violence mais semble incapable d'assumer les efforts d'une Révolution. D'où venait l'esprit de révolte des révolutionnaires, qui allait tout reconstruire après avoir tout emporté ? Laissons parler les « sachants » de l'époque. Leurs propos et commentaires montrent à quel point la Révolution était inscrite dans l'esprit des Français. Le duc d'Orléans, Philippe-Égalité, guillotiné en 1799 : *« À soixante ans, je chasse dans la forêt de Sénart. J'interroge un brave ouvrier qui portait un cercueil pour savoir de quoi cet homme était mort. Sa réponse est glaçante : 'Il est mort de faim, Sire'. »* Alexis de Tocqueville : *« Un village est une communauté dont tous les membres sont pauvres, ignorants et grossiers ; ses magistrats sont aussi incultes et méprisés qu'elle ; son syndic ne sait pas lire ; son collecteur ne peut dresser de sa main les comptes dont dépendent la fortune de ses voisins et la sienne propre.* *Il n'y a plus que le pouvoir central qui s'occupe de lever la milice et de régler les corvées parce qu'il est le plus fort et n'a encore rien à craindre. »* Voltaire : *« Tout ce que je vois jette les semences d'une révolution qui arrivera immanquablement et dont je n'aurai pas le plaisir d'être témoin. (...) Les jeunes gens sont bienheureux ; ils verront de belles choses. »* Fénelon lui-même, homme doux, évêque de Cambrai au début du XVIII^ème^ siècle, est considéré comme le prophète de l'inévitable catastrophe : *« La France ne vit plus que par miracles, c'est une vieille machine délabrée qui achèvera de se briser au premier choc. Il viendra une révolution violente qui, au lieu de modérer simplement l'autorité excessive du souverain, l'abattra sans ressources ».* D'Argenson, Ministre de Louis XV, insiste : *« La révolution est certaine en cet État, Sire. Il croule par ses fondements. »* Rousseau : *« Nous approchons de l'état de crise et du siècle des révolutions. Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l'Europe aient encore longtemps à durer ».* Louis XV avait vu juste en employant sa formule *« Après moi, le déluge ».* En 1789, l'esprit de révolte qui a envahi l'esprit public avec les États Généraux a été confondu avec le goût de la violence, brutale, expéditive, animale, qui a prévalu au sein de toutes les guerres civiles. Cette situation accablait un roi qui s'est déjà inquiété, à la mort de Louis XV, de se voir « régner trop tôt » pour avoir acquis les qualités d'un monarque éclairé. La fuite à Varennes, provoquée par cette angoisse, a précipité la fin. En 1990, le goût de la violence qui s'est installé, contemporain de la télévision et reproducteur des images fabriquées en séries pour permettre au bon peuple de se défouler par procuration, joue un rôle thérapeutique dans les sociétés nord-américaines multiraciales. Dans l'Europe en paix, l'esprit qui admet le spectacle de la violence et s'en réjouit est médiatique par nature, velléitaire par destination, politique par contagion. Seule la guerre peut le faire revivre et partager comme ce fut le cas entre 1940 et 1945. En temps de paix et de révolutionspectacle, il trouvera les belligérants parmi celles et ceux qui sont toujours portés soit vers la soumission soit vers l'insoumission. Ce sera le temps du verbe enflammé. ## Les mots de la République et de la Révolution Tant d'aventures et d'évolutions, en si peu de temps, ont glorifié le mot de Révolution, mot icône qui ne quittera plus la politique française, une fois le dernier Empire abattu et la dernière royauté déchue, bien au-delà de la révolte de 1871. La révélation de l'histoire de ces passions du passé, de leurs mots et de leurs chansons, s'est manifestée, non pas au fond d'une grotte par des dessins rupestres, mais au fond du grenier familial, l'été qui a suivi l'effondrement du pays, sans attendre l'anniversaire de ce flamboyant 14 juillet 1939, avec photo scolaire du défilé du cent cinquantenaire. Passons au récit. *Le 16 juin 1940, les troupes allemandes qui occupent la ville défoncent la porte de la maison que mon père, ancien de 14-18, ne voulait pas leur ouvrir. L'homme est mort d'humiliation d'avoir dû céder aux « Boches », mais il a attendu leur départ en septembre 1944 pour mourir, apaisé.* *La pièce que la Wehrmacht (zehr korrekt) avait réquisitionnée pour loger ses sous-officiers devait être vidée. Il fallait tout monter au grenier.* *C'est là que, par une chaude journée de juin, Je me suis attardé dans un réduit ou étaient entassés des livres hérités de la famille. J'ai mis la main sur un ouvrage dont la couverture avait été détruite et qui ne comportait plus que ses principaux feuillets, sous un titre de 1875 :* Histoire de la République Française*.* *Il manquait trop de textes, j'ai renoncé à sa lecture.* *J'ai trouvé, au même endroit, le sinistre* Mein Kampf *d'Adolf Hitler, dont j'ai dévoré les pages, ne serait-ce que pour comprendre ce qui se passait.* Soixante-dix-neuf ans plus tard, la rédaction du présent ouvrage a exigé qu'à force de patience et d'obstination, je trouve un exemplaire de ce vieux livre, lisible et correctement relié. À défaut d'avoir vécu l'époque, en voici la restitution synthétique. Il est évident que cette lecture faite en 2019 pour la préparation de cet essai comporte un complément de réflexions personnelles, d'ordre général, qui ne nécessitent pas le mode récit. Tout citoyen qui vient de voter plus de soixante ans durant dans le cadre des institutions de la Cinquième République, et qui a décidé de faire revivre les trois précédentes, vit sous le règne des triptyques. Les grands mots de la République marchent par trois, comme les soldats de Vigipirate, à commencer par les trois mots qui ornent les mairies des trente-cinq-mille communes du pays et de nombreux bâtiments : *Liberté, Égalité, Fraternité.* Le citoyen Rouger, pur produit de l'école des hussards noirs de la République, qui réfléchit sur ces trois mots en fonction de ses penchants, de ses humeurs et de ses convictions, en a produit une grande variété d'interprétations nuancées, qu'il a publiée en 1999. Lorsque cette construction citoyenne s'est effondrée sous les coups de boutoirs des *Panzerdivisionen*, trois autres mots sont apparus : *Travail, Famille, Patrie.* Dire que cette nouvelle langue politique a convaincu le citoyen procèderait de la figure rhétorique de la litote. Tant que cet État a donné le sentiment de protéger, a minima, il l'a emporté. Après quoi vint le temps du sang et des larmes. Une fois la joie et la fête revenues, en 1944, parmi les citoyens épurateurs des impurs et tondeurs des fautives, le peuple a goûté aux trois nouveaux mots du tripartisme de la Quatrième République : *Catholique, Communiste, Socialiste.* Ce fut bref. Il a suffi que le citoyen compare ces trois mots à ceux du fronton de nos bâtiments officiels pout trouver où était la différence. Trois nouveaux mots sont alors apparus dans l'écriture constitutionnelle de la Cinquième République, nés de la fertilité du vocabulaire des Républiques qui dévorent les mots comme les Révolutions dévorent leurs enfants, ils se sont imposés : *Unité, Laïcité et Indivisibilité.* Ces trois concepts inspirent de profondes réflexions à la lumière des évolutions démographiques, religieuses et politiques de notre pays. Ce sujet, propre à la République remise en chantier en 2017, sera abordé dans un prochain chapitre. ## La marche, tout naturellement en chansons Après avoir évoqué les mots républicains, il paraît indispensable de traiter du geste qui fait vivre l'ardeur républicaine, voire la Révolution. À l'occasion des obsèques de l'idole des jeunes et des moins jeunes, dont je fais partie, les Champs-Élysées ont eu l'occasion de se recueillir dans leur plus grande largeur. L'année suivante, la foule, plus révoltée que recueillie, a eu recours à ce monument révolutionnaire qu'est la barricade, qui canalise la marche et fait flamber les décors du spectacle, étant précisé que la place de la République, en accueillant ceux qui s'incrustaient, montrait que la Révolution « n'est jamais couchée » ! Les marches sont le mode d'action dont les êtres humains font usage, depuis la nuit des temps, lorsque leurs opinions, leurs prières, voire leurs intérêts, divergent**.** Les peuplades helvètes du temps de César s'y sont livrées avant leur défaite sur la Saône. La marche s'est toujours conçue comme un mouvement bénéfique s'opposant à l'immobilisme maléfique. Ce geste connaît, depuis 2017, un regain d'affection tout nouveau en politique. Parlons-en. Les Républiques ont su accompagner tous les mouvements qu'elles ont entrepris par ces appels à pratiquer le *pedibus cum jambis*. On voit toutes sortes de déambulations dans les rues : les défilés encolérés et encolorés, selon la teinte du moment, les processions implorantes ou festives, les marches, courtes pour les simples quêtes, très longues pour les conquêtes, les marches subies des exodes, les marches attristées de couleur blanche\... Si ce sujet apparaît au sein de ce chapitre, c'est qu'il permet de rapprocher l'après-Valmy de 1792, de l'après-Paris de 2017, deux dates où la République s'est « mise en marche ». Ces mises en marches ont pris de multiples formes, qu'il s'agisse pour les Marseillais de rejoindre l'armée du Rhin et de permettre à Rouget de L'Isle de chanter *La Marseillaise* dans les beaux salons de la bourgeoisie strasbourgeoise, des courtes marches vers la place de Grève pour y voir tomber les têtes coupées des aristocrates, ou de celle, en octobre 1790, des harengères parisiennes parties à Versailles se plaindre au Roi de la vie chère, déjà. La marche est l'essence même de l'adhésion du peuple à la République comme à la Révolution et à la guerre. Plus tard, les défilés du Front populaire ont marqué la remise à l'ordre du jour des marches et des luttes, plus ou moins révolutionnaires. 2020 : c'est le moment de marcher (et pas seulement de débattre) à la recherche de la future République. Ceci mérite un petit récit. *Nous sommes en 1936, à Saint-Jean-d'Angély, sur l'avenue du Port Mahon, une longue voie rectiligne qui part du petit canal construit par les moines à la fin du Moyen Âge et se termine à la voie de chemin de fer inaugurée par le député-maire de la ville en 1878.* *Le « Port Mahon » passe devant le monument aux morts de 14- 18, l'ancien foirail aux chevaux remplacés par les autobus de la gare routière, la caserne déserte et la zone pavillonnaire, née de la loi du célèbre député Loucheur.* *Nous nous trouvons tous les deux, avec mon grand-père, dans la salle à manger en bordure de la rue, et nous jouons aux dames. Voilà qu'arrive le défilé au sein duquel l'un de mes oncles tend son poing fermé.* *Je demande à mon grand-père d'où viennent tous ces gens et où ils vont. J'ai conservé sa réponse comme une relique familiale :* *« Ils ne savent ni d'où ils viennent, ni où ils vont. »* *Interrogé sur d'autres marcheurs, grand-père m'a répété sa réponse, d'outre-tombe, en 2017 et en 2018.* *Ce qui touche au fond de mes réflexions.* *Début juin 1940, toujours au même endroit, c'est l'exode qui fait défiler devant nos fenêtres des pauvres gens qui, selon l'expression du grand-père, ne savent plus d'où ils viennent, ni où ils vont.* *Dans la cohorte des véhicules de toutes sortes qui ont échappé aux Stukas et à la mitraille, figure le super modèle de chez Renault, la Vivastella six cylindres. Du jamais vu. Sa remorque est surchargée et un de ses essieux se brise devant notre maison. Le temps de trouver des bras pour riper la remorque dans le hangar du voisin, et la riche famille peut repartir avec la gamine qui avait joué avec moi en attendant le départ.* *La suite est instructive. Le voisin, sans nouvelles des propriétaires, a détruit la remorque trois ans plus tard. Elle était pleine d'huile, de sucre et de foies gras, et s'était mise à fuir. Aubaine, Il a tout mangé.* *J'avais gardé une image de cette famille et imaginé ce qu'elle était. J'ai revu la gamine de 1940 cinquante-quatre ans plus tard, dans les bureaux des palais parisiens. C'était une grande dame, ses grands-parents à la belle voiture étaient revenus en France et y étaient décédés. Je n'ai rien dit.* *Je me suis tu par respect pour une autre petite fille qui, elle aussi, avait participé à cet exode, avec une légère différence.* *Ses parents habitaient Stenay, là où les allemands ont percé en mai 1940. Le père était immigré polonais. Un balluchon, un vélo et une poussette. Et la fuite éperdue ! Cette deuxième petite fille de l'exode est ma femme.* *Elle a fréquenté les mêmes personnes et les mêmes palais, sans rien dire de son passé.* J'ai compris, depuis ce mois de juin 1940, ce qui séparait la richesse et la pauvreté, et pourquoi, comme disait ma grand-mère, il ne fallait jamais *« mélanger les serviettes et les torchons ».* Même s'ils font bon ménage dans le même placard. Des exodes, il y a en a eu de nombreux, en Europe, comme celui de ma belle-famille, chez les migrants de toutes origines, par nécessité de survie, économique, religieuse et politique. Les humains n'en ont pas fini avec les migrations. Revenons au mouvement des Marcheurs créé en 2017. On ne sait pas bien d'où ils viennent et on a besoin de comprendre où ils vont, lourdement chargés par le fardeau de cette République. D'autant plus que le plus marcheur n'est pas celui qu'on pense. Une autre foule s'est mise en route. Elle semble plus révolutionnaire que républicaine, mais elle marche beaucoup, attirée par ces grandes métropoles, refuges des grands égoïsmes, et créatrices de grandes réussites. Mieux que les Marcheurs de 2017, ils ont su trouver la réponse au propos de mon grand-père : ils tournent en rond sur leurs rondspoints, comme les derviches tourneurs ottomans du passé. Ceci me permet d'expliciter la comparaison que je proposais au début de ce chapitre. L'esprit de 1789 acceptait les efforts et les violences pour atteindre l'objectif de changement des institutions. L'esprit de 2019 n'accepte les violences que pour atteindre l'objectif du spectacle de contestation du pouvoir d'État. Les marcheurs de 1789 fonçaient droit devant. Les marcheurs de 2019 tournent en rond.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE IV : LA RÉPUBLIQUE NATION 1870-1940
# CHAPITRE IV : LA RÉPUBLIQUE NATION 1870-1940 ## LA RÉPUBLIQUE CITOYENNE Entre 1870, date de la proclamation de la Troisième République, et 1878, date la prise de contrôle des institutions par le mouvement des Républicains, la Troisième République va entreprendre la construction d'une nation citoyenne sur la base d'une démocratie parlementaire. Elle réussira grâce au soutien citoyen qu'elle a su mettre en place, là où la Première République, trop agitée par toutes ses passions, avait échoué. Les dirigeants des mouvements républicains ont su maîtriser le moyen terme, éviter de vouloir tout faire en même temps, et assuré leur emprise. Quelle leçon pour leurs successeurs de 2019 ! En 1878, la majorité parlementaire conservatrice cède la place. Son président élu, le Maréchal de Mac Mahon, s'en va avec les honneurs, bien qu'il se soit livré, comme ministre, en 1871, à l'écrasement, dans le sang, de la Commune de Paris. Cet épisode devrait intéresser nos contemporains. La République construite sur la citoyenneté en 1870 était plus rurale que parisienne. Elle voulait réussir et ne pouvait pas accepter d'échouer pour satisfaire les agitations violentes de la capitale. Il a fallu attendre cent ans, en 1976, pour que Paris retrouve son statut politique. Ainsi établie, la Troisième République a pu se transformer en Nation, sur les bases issues des travaux d'un des grands intellectuels de l'époque, Ernest Renan, que l'on qualifierait aujourd'hui de catholique de gauche. Il fut l'un des grands esprits qui restent présents dans nos institutions. Il repose au cimetière de la Commune libre de Montmartre, chère à Georges Clemenceau. Le fait que la Nation française, telle qu'elle s'est constituée, comme on le verra plus loin, reste écartelée entre ses différentes composantes, explique pourquoi cette Troisième République, qui a fait vivre la Belle époque, n'a pas surmonté la guerre qu'elle a affrontée la fleur au fusil. Revenir ainsi sur une période qui n'a pas été vécue par l'auteur lui imposait de trouver une documentation suffisamment vivante, dépouillée des dérives idéologiques du XX^ème^ siècle, et des pensées formatées dites correctes. La base documentaire utilisée cette fois ne se trouvait pas dans le grenier mais dans la bibliothèque familiale. Il s'agit de la collection intégrale de *L'Illustration,* publiée par les éditions Hachette entre 1843 et 1944. Les récits, les photographies, les cartes qui y foisonnent, semaine après semaine, apportent une véritable rétrovision de ce que furent les débuts de cette République. Cette base documentaire a été complétée par l'*Histoire des rues de Paris* et toutes les encyclopédies disponibles. Après 1934, on entrera dans le vécu de l'auteur. L'ouvrage ainsi ouvert n'est pas une œuvre d'historien. Il cherche à répondre à deux des questions du débat actuel : comment adapter un régime de démocratie aux besoins des futures institutions ? Comment la Troisième République a-t-elle abandonné son modèle Nation-État, construit sur la citoyenneté, pour choisir un régime État-Nation, construit sur l'Administration et l'Armée ? Analyser les causes exigera un peu de temps. Les conséquences, le peuple les a subies. Le traitement des souffrances dont elles sont responsables a été repoussé depuis la fin de la guerre de 1914 -- 1918. En attendant, regardons ce que fut la Nation citoyenne qui a construit une vénérable institution, telle qu'en témoigne l'histoire contemporaine illustrée par la presse de l'époque. *L'Illustration,* média anticipateur des news magazines de la presse moderne, assurera, par sa collection de 1843 à 1944, la jonction entre la narration de la vie rapportée et illustrée, et le récit de la vie vécue par l'auteur. Les constructions parisiennes de l'Empire, celles du Baron Haussmann, qui ont poussé à la révolte des maquis installés sur la butte Montmartre, pour accueillir les déplacés du centre de Paris, ont joué un rôle dans le fait que la Troisième République ait vécu ses premières années au Château de Versailles. Ce symbole de la monarchie qui avait abrité la création du deuxième Reich par la Prusse victorieuse de 1870, a ainsi vu naître les deux régimes qui s'affronteront dans deux guerres mondiales au siècle suivant. La démarche française vers la création d'une nation citoyenne a eu pour seul objectif d'aider la Nation-État à réussir ses projets. Elle les mènera à bien jusqu'à ce que l'État prenne le pas sur la Nation pour gagner la guerre qui a massacré la citoyenneté en divisant le peuple. Le lien entre 1917 et 2017 se dessine entre la mutinerie de 1917 qui périme l'enthousiasme populaire de la Belle époque, en divisant la Nation, et la révolte de 2017, qui installe au pouvoir une génération qui périme brutalement un système dominé par l'État qui divise la Nation. Au tout début, le caractère provincial, voire anti-Parisien, s'est imposé lors de l'installation de cette citoyenneté dans les territoires. L'institution de l'assemblée issue du suffrage universel, exclura, par la suite, toute autre forme de pouvoir qui n'en serait pas issu. Les objectifs fondateurs, tels qu'ils apparaissent cent cinquante ans plus tard, reposent sur quatre personnages, quatre piliers. Le Soldat, l'Instituteur, le Citoyen, le Parisien. ### Le Soldat C'est un personnage inséparable de la société française, qu'il soit à l'époque proscrit, par germanophobie, puis réhabilité comme le capitaine Dreyfus, ou glorifié par anglophobie. Comme le commandant Marchand, le vaincu de Fachoda, ou le Maréchal de Mac-Mahon, élu Président avant d'être démissionné par cette République qui entendait le faire obéir aux élus du peuple. La glorification de sa mémoire, sur l'avenue qui porte son nom jusqu'à l'Arc de triomphe de l'Étoile, révèle cet attrait pour le soldat guerrier, voire conquérant des terres coloniales. ### L'Instituteur L'extension progressive du nombre des écoles normales d'instituteurs et d'institutrices à ces nouveaux hussards noirs de la République qui formeront toutes les générations jusqu'en 1939, permet de remettre le curé et ses écoles religieuses à leur place dans la loi laïque. Appartenant à la génération qui a bénéficié des efforts de ces hussards noirs pour fabriquer le nouveau citoyen républicain, l'auteur donnera les observations qu'il en a tirées à partir de 1934. ### Le citoyen La nation se trouve confrontée à un ennemi récent, l'Allemand. La Troisième République ne veut plus de la guerre avec le Royaume-Uni, quelle que soit l'histoire vécue entre les deux peuples au cours des siècles. C'est pourquoi le citoyen, particule élémentaire de la citoyenneté qui va se mettre en place, deviendra progressivement et de plus en plus anglophile. Les turbulences politiques des années 1940, l'émergence des deux France, la républicaine soutenue et abritée par les Anglais à Londres, la dictatoriale plus provinciale que jamais à Vichy, dominée et occupée par le pouvoir nazi, n'inverseront pas cette tendance jusqu'en 1957. ### Le Parisien La ville de Paris, capitale politique, va faire l'objet, dès le tout début de la Troisième République, d'une mise à l'écart brutale qui lui interdira, par un statut citoyen spécifique, tout rôle politique dans cette Nation qui se veut provinciale, parlementaire pour cent ans. Il faut noter, pour l'histoire, que les grands hommes politiques qui ont animé les trente premières années de cette République ont été constamment présents et influents. Clémenceau le guerrier, Ferry le colonial, Bert l'éducateur. Ils entretiendront la flamme, avant celle du soldat inconnu. Le premier pour la primauté du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Le second pour le partage des valeurs civilisatrices de la Nation. Le troisième pour installer l'école. Cent ans plus tard, l'Anglais et l'Allemand recommencent à nous mettre des bâtons dans les roues. Les valeurs coloniales civilisatrices ont nom d'opérations de répression guerrières. Quant au mot laïcité, il entraîne, dès que prononcé, vers des antagonismes convulsifs, tant on s'interroge sur son sens. *La Nation provinciale contre le peuple parisien* *Cette réalité impose un retour aux récits du citoyen Rouger dont le lecteur découvrira dans quelles conditions il a atteint son premier grade, celui de citoyen de la République de Montmartre.* *J'ai vécu profondément ce qu'était le peuple de Paris en 1956, lorsqu'en pleine révolte de l'Abbé Pierre, j'ai installé ma famille sur la butte Montmartre, dans un appartement insalubre de 20 mètres carrés, loué vingt-cinq mille francs, soit 40 % de mon salaire, avec une quittance de mille cinq cents francs.* *Cette situation ne pouvait être que provisoire et le fut grâce à la découverte des HLM de banlieue du grand ensemble d'Épinaysur-Seine.* *La contrepartie heureuse de cette situation pénible se trouvait autour de la place du Tertre, sur la butte Montmartre. Je n'avais qu'un escalier à monter pour me retrouver sur le parvis du SacréCœur.* *J'ai passé, sur la butte, la plupart de mes soirées.* *C'est là que j'ai compris ce qui s'était passé lorsque Georges Clémenceau fut élu maire de la Commune libre de Montmartre en 1870. Je vous fais grâce de cette histoire, que j'ai entretenue bien après, lorsque j'ai fêté mes quatre-vingts ans au Moulin de la Galette et écrit, pour mes enfants, mon histoire de la butte.* *Mes retrouvailles avec Paris se situent quarante ans plus tard, au cours de la dernière décennie du XX^ème^ siècle.* Revenons à 1870. Il est patent, comme disent les juges, que la butte Montmartre, après avoir récupéré les canons dont elle voulait faire usage pour poursuivre la guerre contre les Prussiens, a rapidement dérapé en liquidant les deux généraux qui obéissaient à ce qu'avait décidé l'Assemblée nationale, à savoir conserver les canons en bas. Cette assemblée avait autorisé les Prussiens à défiler dans Paris, ce qui était insupportable aux révoltés des deux buttes, celle de Montmartre et celle de Saint-Fargeau. Il ne faut pas oublier que le Sacré-Cœur a été construit pour rappeler aux Parisiens, qui sont bien obligés de le voir, que les valeurs morales de 1870 n'étaient pas celle des révoltés de la butte, qui sont allés jusqu'à l'extrême en sacrifiant un évêque. On comprend mieux pourquoi le ministre des armées, le responsable militaire en charge de la sécurité de la nation, le Maréchal de Mac-Mahon, a été chargé de réprimer cette révolte dans laquelle Clémenceau, maire de la commune libre, a bien failli être emporté. La Semaine sanglante de 1871 a vu des milliers de Fédérés exécutés par les troupes versaillaises de celui qui, deux ans plus tard, se retrouverait président de la République, remplaçant le président Adolphe Thiers, encore plus détesté que lui. Avant de fermer ce chapitre, il faut dire de quoi la Troisième République est morte. Elle a tenu bon jusqu'en 1917. Après quoi, tout s'est effondré dans des opérations militaires injustifiables, trop coûteuses en jeunes hommes. La victoire, obtenue avec l'aide américaine, elle en a fait payer le coût aux Allemands, en 1919, avant de le payer très cher, en retour, en 1940. La France, divisée mais rassemblée, avait obtenu de son peuple, en 1914, une réelle adhésion soutenue par un véritable esprit de sacrifice. Les Rouger Apercé, anciens ouvriers agricoles devenus petits artisans, ont versé, par exemple, chaque année de guerre, quatre cents ou cinq cents francs or. Ce fut le prix consenti de l'adhésion à cet effort. Le fils sur lequel ils avaient fondé beaucoup d'espoir a été massacré au Chemin des Dames, théâtre de la vanité et de l'incompétence militaires, où est mort l'esprit de sacrifice. Donner son argent et donner ses enfants à la Patrie étaient des devoirs. L'esprit de sacrifice qui animait le peuple porte les noms de la paysannerie massacrée, sur les monuments aux morts et les rues des villes et des villages, par fratries de trois ou quatre sacrifiés avant l'âge de vingt-cinq ans. Tout a été perdu dans le naufrage de la Troisième République entre 1934 et 1940. Retournons au récit du vécu. *J'ai honte des années au cours desquelles on m'a fait découvrir le monde des grands et la défaillance qui a été la leur.* *Quatre-vingt-cinq ans plus tard, aucun des sentiments que j'ai ressentis à l'époque ne sont atténués.* *J'ai vécu ces défaillances aux conséquences dramatiques pour le pays, ma famille et moi-même, non comme une incurie individuelle, conjuguée au sein d'une bande inorganisée, mais comme le désir collectif de faire vivre à la France les rêves redoutés par Chateaubriand.* *Tout cela pour quoi ? Pour éviter de blesser par les mots pour mieux laisser les faits commettre leurs ravages. La Cinquième République corrézienne n'a pas fait autrement.* *L'exode suffit à lui-même pour avoir mis la France en marche. Quant aux chansons, je ressens encore le même sentiment nauséeux quand j'entends « Amusons-nous, faisons les fous » ou* *« Tout va très bien, Madame la Marquise ». Allez, une fois, oublions.* *Mais n'oublions pas* La Chanson de Craonne *de 1917, qui aurait pu changer la face du monde au temps des réseaux sociaux. Pas cent ans plus tôt.* *Avec ce récit se termine ce chapitre sur la Troisième République, morte après avoir plus que maltraité trois millions de jeunes soldats dont la moitié sont morts, et fait le malheur, des deux côtés du Rhin, de millions de familles poussées à la revanche de la revanche.* *C'est pourquoi j'ai eu honte.* Cette Nation citoyenne sera populaire par la simple conjugaison de son origine territoriale, de son mode d'expression et de son respect, au moins théorique, de la volonté du peuple. Enfin, la Nation n'oubliera pas l'État dont elle a tant besoin en organisant la représentation, en son sein, des Corps Constitués reçus par le nouveau Président au Château de Versailles. La gravure représentant cette réception grandiose ramène l'auteur vers la même réception à laquelle il fut convié, comme membre du corps judiciaire, en 1993, à l'Élysée, sous le règne finissant de François Mitterrand. ## LA RÉPUBLIQUE NATION En ouvrant cette première série des observations sur la République-Nation, le lecteur entre dans le contemporain en partie vécu par l'auteur. Il s'en expliquera dans la troisième partie issue de son vécu. Ce faisant, il ne faut pas oublier l'objectif qui consiste à documenter le futur débat sur les éventuelles institutions de la future République qui remplacerait l'actuelle. C'est une documentation fournie par un simple citoyen au milieu de tant d'autres : ce n'est pas une thèse de doctorat d'histoire politique. Il s'agit d'une démarche difficile à conduire, quand on sait que la Belle Époque, c'est-à-dire la période de paix qui a couvert une trentaine d'années après l'effondrement du Second Empire et l'occupation de Paris par les troupes coalisées contre lui, a fait l'objet de dizaines de livres d'innombrables commentateurs. La formule « Belle époque », comme toutes celles du genre, oublie de préciser pour qui l'Époque fut si belle. Elle se contente de rapporter une banalité déjà exprimée ci-dessus. Il est agréable pour un peuple de vivre en paix dans une République, surtout quand on connaît la précarité de ces bonheurs paisibles. Cette formule de Belle Époque, qui évoque la période 1880-1914, trouvera son équivalent pour la période 1944-1973 sous le vocable des Trente Glorieuses, considérées comme heureuses, malgré la guerre froide qui avait succédé à la brûlante, en oubliant que ce fut grâce au Plan Marshall, destiné à reconstruire les nations européennes qui s'étaient auto-détruites dans la plus sanglante des guerres civiles. Cette ruée des commentateurs sur la Belle Époque ne peut rien apporter dans un travail d'autopsie des Républiques successives destiné à documenter le débat sur la création de nouvelles institutions républicaines. Quelles sont les fondations politiques, patiemment construites par les pensées de nature républicaine et d'origine provinciale, qui ont servi à donner à ce nouveau régime son caractère de RépubliqueNation, différent de la République-Passion évoquée au chapitre III ? ### Les fondations politiques de la République-Nation Bien sûr, une de ces fondations repose sur le concept lui-même, tel qu'il fut versé aux débats de l'époque par son créateur, Ernest Renan. Il s'agit d'un concept qui mérite d'être restitué dans le contexte de cette République-Nation, née après quatre-vingt-dix années d'éclipse, au cours desquelles trois monarques et deux empereurs ont dirigé la France, pour le meilleur et pour le pire. Ces circonstances ont été portées par une réelle adhésion populaire à la démarche républicaine. L'esprit de révolte, sur lequel s'était construite l'éphémère République-Passion, s'est trouvé remplacé, un siècle plus tard, par un esprit d'adhésion, renforcé par les sentiments de bonheur inspirés par la Belle Époque. En même temps, le goût de la violence, manifeste au début de la République-Passion, s'est vu remplacé par une acceptation du sacrifice. Ce comportement collectif trouvera à s'exprimer, en 1914, lorsque le peuple s'engagera, « la fleur au fusil », dans cette nouvelle guerre de trente ans au terme de laquelle il sortira ruiné en 1944. Après avoir évidemment perdu l'esprit d'adhésion et le goût du sacrifice qui avaient marqué son engagement. ### Le cadre politique de la République-Nation Il faut bien comprendre quels furent les quatre grands problèmes nationaux que tous ces dirigeants à haut-de-forme, bedaine et chaîne de montre ont eu à résoudre. La première difficulté, héritée du Second Empire, concerne l'autre côté de la fameuse ligne bleue des Vosges, dont le regard républicain ne peut se détourner. Au-delà, l'Allemagne, qui a humilié la France en installant son deuxième Reich dans les splendeurs du Château de Versailles, règne en maîtresse sur l'Alsace-Moselle depuis 1870. Ceux qui ont fréquenté, enfants, les écoles primaires de la Troisième République, se souviennent de la prose enflammée d'Erckmann-Chatrian. C'est manifestement ce besoin de revanche qui conduira vers la principale décision prise dans le domaine européen par la Troisième République : arrêter de faire la guerre aux RoyaumeUni, l'ennemi ancestral, effacer des siècles de conflits, oublier Fachoda, et s'engager, en 1904, dans la nouvelle Entente cordiale. On s'occupera des « boches » plus tard, à la première occasion. Georges Clémenceau, tiens-toi prêt ! Le choix de cette hostilité de voisinage est connu, il reste à peiner dix années avant la confrontation avec l'Allemagne. Georges Clemenceau, frustré depuis sa mairie de la Commune libre de Montmartre en 1870, va enfin pouvoir faite sa guerre. Le second problème tient au retour de la religion au cours des quatre-vingt-dix années de monarchie et d'Empire, en particulier dans le domaine éducatif qui a vu les années 1880 à nouveau agitées par les querelles scolaires. Le bouillonnement laïc a réchauffé beaucoup de consciences républicaines, en particulier dans les communautés locales qui avaient été, quelques siècles plus tôt, saisies par les agitations de la Réforme. Le département républicain de la Charente inférieure, devenue depuis maritime, très présent dans ces combats pour la laïcité, a inspiré à l'auteur autant d'observations que de réflexions. La première loi de 1902, visant la séparation de l'Église et de l'État, retoquée à l'initiative du petit Père Combes, a été portée par le maire de Saint-Jean-d'Angély. La suivante, celle de 1905, a donné à cette laïcité qui n'a plus quitté la République, son visage d'institution fondatrice. Ce fut, après l'entente cordiale avec les Anglais, la manifestation religieuse de la mésentente cordiale avec une partie des autorités ecclésiastiques. Troisième élément, celui du sabre après celui du goupillon, mots chéris des discours enflammés de nos républicains, encore plus nerveux que barbus. Les autorités françaises civiles avaient besoin des autorités militaires, ne serait-ce que pour satisfaire l'esprit de vengeance à l'égard de l'Allemagne, contre laquelle il faudrait bien tôt ou tard tenter de récupérer notre chère Alsace-Lorraine. Et le peuple aime le Soldat ! En outre, le goût des parades militaires qui symbolisent les marches victorieuses dont il sera question plus loin, était resté tel qu'un célèbre maréchal s'est retrouvé Président de la République, avant de guerroyer avec le Parlement sur le thème de sa soumission ou de sa démission. Son départ à la fois démocratique et glorieux a laissé à quelques galonnés, qui étaient loin d'avoir sa trempe et qui, évidemment, n'ont pas eu droit à son Avenue qui mène à l'Arc de Triomphe, des démangeaisons qui ont été rapidement calmées lorsque le pouvoir civil a inventé ces mots célèbres de « la Grande Muette ». On peut quand même observer que, malgré cette évolution des rapports entre les pouvoirs civil et militaire, rien n'a pu empêcher qu'au milieu de la guerre, des généraux peu soucieux de respecter l'adhésion populaire et son esprit de sacrifice, entreprennent des batailles transformées en boucheries. Ces épisodes qui se déroulent au cours de l'année 1917, qui voit les États-Unis d'Amérique et leur République venir sauver les armées françaises et anglaises au cri de *« La Fayette, nous voilà ! »* n'ont pas reçu l'audience méritée. C'est à ce moment-là que l'esprit d'adhésion et le goût du sacrifice ont basculé et ont conduit à la grande séparation entre le peuple et la Nation, devenue manifeste dans la dégringolade de 1934 à 1940. Enfin, quatrième sujet de grande politique, une sourde bataille s'est engagée au sein du pouvoir civil à la suite de la résurgence, à Paris, de l'esprit de révolte caractérisé par les excès de la Commune de Paris et le retour du goût de la violence du siècle précédent. Cette ville, glorifiée pour ce qu'elle apportait au pays dans tout ce qui a été écrit au temps de la Belle Époque, a fait l'objet d'un combat insidieux pour réduire sa capacité d'influence politique sur l'ensemble de la nation. On peut avoir une vision affective de ce que furent les événements de cette Commune parisienne qui s'est installée sur la butte de Montmartre et qui appartient à une vision de Paris différente de celle de la France. Certes, Paris a vocation d'exprimer ce qu'est la France, laquelle n'a jamais digéré cette primauté parisienne, quels qu'aient été les bouleversements du siècle qui nous sépare des débuts de la Troisième République. Le problème entre Paris et la province n'est pas réglé. On vient de le constater avec le retour plus spectaculaire que profond de l'esprit de révolte et du goût de la violence qui avaient dominé la brève République-Passion. Ainsi, les débuts politiques de la Troisième République, l'Angleterre contre l'Allemagne, l'École laïque contre la religion, le pouvoir civil contre le pouvoir militaire, l'affirmation du pouvoir provincial contre Paris ont déterminé ses orientations, remises en cause, par à-coups, depuis cent cinquante ans. Une lourde omission vise à ne pas troubler la réconciliation avec les Anglais, celle des conquêtes coloniales qui se poursuivent. Jules Ferry, dit Ferry Tonkin, devra, comme Clémenceau, réfréner ses ardeurs civilisatrices. Étant à nouveau rappelé qu'il s'agit de rechercher dans l'autopsie de ces Républiques successives des éléments qui permettront de comprendre ce qu'il convient de recommander pour ne pas reproduire les errements qui ont conduit à la mort de cinq républiques successives.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE V : L'ÉTAT SOUMISSION
# CHAPITRE V : L'ÉTAT SOUMISSION ## LE RÉGIME DE VICHY La création de cet État, de ce régime, n'a pas été spontanée, et destinée seulement à faire face, comme son fondateur l'a prétendu, aux horreurs de la guerre imposée par les Allemands, dont il fallait éviter au peuple français de subir les conséquences en recherchant l'armistice. Cet État est né d'une volonté de revanche propre à un mouvement politique antirépublicain, ancré dans la société Française, qui n'a d'autre objectif que d'abattre cette République honnie, fût-ce au prix de la soumission au nazisme envahisseur et de la servitude imposée aux citoyens. Ce mouvement, ses penseurs et ses acteurs ont été très présents au moment où fut écrasée la commune de Montmartre et la révolte des fédérés sur la butte de Saint-Fargeau. L'esprit qui a animé les acteurs de la Semaine sanglante de mai 1871 était resté vivace. Il s'est naturellement réveillé lorsque la Troisième République, qui avait su s'imposer après avoir quitté Versailles pour Paris, avait survécu à la première guerre mondiale. Elle n'a pas réussi à repousser les revanchards de 1940. Il ne faut pas oublier cette leçon politique qui montre que l'esprit de revanche constitue l'un des fondements de la vie en République. La Troisième République n'est pas morte à l'instant où son Président Albert Lebrun a nommé Philippe Pétain Président du Conseil et lui a ainsi permis de demander l'armistice aux autorités allemandes. Elle s'est transportée à Londres, le même jour, avec la poignée de Français qui avaient rejoint Charles de Gaulle et qui avaient plus ou moins entendu son appel du 18 juin. Ce qui est resté du régime républicain à Paris a attendu l'armistice du 22 juin, puis transféré tous les pouvoirs d'État à Vichy et, enfin, dissous la Troisième République le 11 juillet, date institutionnelle de son décès. Cette dissolution a simplement signifié que la République était remplacée, dans l'Hexagone, voire dans l'empire colonial, tant qu'elle ne serait pas revenue de Londres. Elle était moribonde depuis que son peuple fut prêt à la sacrifier pour ne pas refaire une guerre qu'il refusait. C'est ainsi que la République s'est installée à Londres, sans État, de façon provisoire, le temps de la guerre. L'État français, sans République est devenu une véritable dictature, s'est installé temporairement, le temps que la République liquide sa défaite de 1940. C'est ce qui s'est produit le 19 août 1944, date de décès du Régime de Vichy. Les multiples convulsions qui ont accompagné cet été 1940, telles que je les ai vécues, si utiles pour l'historien, me sont apparues comme les produits d'une monstrueuse crise de nerfs collective. Qu'en est-il resté, concrètement ? La dictature, sous contrôle et occupation étrangère, a été soutenue, pour un temps, par une forte adhésion populaire, mais celle-ci a disparu à force de maltraitances. Ce pouvoir fictif qui avait débuté à Vichy a fini à Sigmaringen. Certes, le régime de Vichy, organisateur de la Révolution nationale pour faire oublier, un temps seulement, sa volonté de collaboration, assurait la continuité de l'esprit anti-Parisien que la province n'avait pas oublié depuis l'écrasement de la commune de 1871. Pendant cette période durant laquelle la République s'est assez largement absentée, je m'attacherai plutôt à décrire ce que les gens ont vécu, avec les caractéristiques très particulières à ce régime de Vichy : la collaboration, la relation avec l'Allemand, le marché noir, le retour à la terre, puis la fin du régime. Ce récit s'ouvrira sur la collaboration, qui correspond aux années 1940-1941, puis décrira le marché noir en 1942, puis le retour à la terre en 1943, avant d'aborder l'*annus horribilis* des Français en 1944. Après quoi, pour introduire un peu de distraction, j'évoquerai le vocabulaire, les chansons, les Marches et les Défilés, comme dans les récits précédents. ### La Collaboration Il ne faut pas confondre la Révolution nationale, qui est la marque du régime de Vichy, avec ce qui a été mis dans le paquet, selon un *packaging* intelligent qui a permis de dissimuler, par des couleurs chatoyantes, des produits de la collaboration qui étaient repoussants. Pour la réalité de la collaboration, il est plus désagréable de prendre en considération le comportement des deux générations autorisées à manifester leurs sentiments, observé par un gamin de douze ans. La génération qui a fait la guerre de 14-18, la fameuse *« der des ders »*, qui a suscité le mouvement de révolte contre la nouvelle guerre de 1939, a préféré, le cœur déchiré, l'exode et l'occupation plutôt que le combat. Quels que soient les appels inaudibles émis par quelques hommes politiques français et anglais au moment de l'effondrement de la République, il n'y a pas eu chez ces adultes de manifestations hostiles à la collaboration, du moins à cette époque. Dans les générations qui n'ont pas fait la guerre de 14-18, il y a beaucoup de femmes qui ont vécu l'absence de leurs maris, otages, prisonniers en Allemagne, comme une trahison de la République. On en compte 1,5 million. C'est un véritable mouvement politique dans lequel François Mitterrand, installé à Vichy, fera ses débuts en politique, à travers son organisme de défense des prisonniers. Ces femmes étaient naturellement réservées à l'égard des Allemands, qui gardaient leurs maris prisonniers, même s'il y a eu quelques faiblesses que l'on peut comprendre de la part d'une génération de femmes qui ont tenu la France à bout de bras pendant quatre ans. *C'est au cours de ces deux années que j'ai vu prospérer les comportements de dénonciation et de délation qui ont à la fois produit et entretenu la haine entre les Français.* *C'est la partie la plus honteuse, le plus difficile à vivre de cette culture de la haine que les Nazis et leurs sbires ont installée en France, pays déchiré, soumis à la propagande.* *Les enfants que nous étions, dans cette classe du lycée, étaient unanimes à considérer que la collaboration, comme la Révolution nationale, étaient à prendre avec des pincettes, bien utiles pour supporter les trois années supplémentaires 1942 ,1943, 1944, le temps de nos études secondaires, qui nous réservaient des spectacles bien pires en matière de collaboration, de haine et de guerre.* Un mot sur l'adhésion populaire. Elle n'est pas le fait des lycéens, mais de multiples populations réparties dans toutes les générations, même si le désir de ne pas confondre les méfaits du régime de Vichy avec les bienfaits de la République de Londres, une fois rétablie, ont limité les accusations publiques à celles de l'épuration. Il est vrai que c'est à partir de 1942, année marquée par les rafles de Juifs et le travail obligatoire des jeunes en Allemagne, que les choses ont totalement changé et que cette situation ne pouvait plus s'inverser, puisque la France a même perdu, à la fin de l'année 1942, son territoire dit de « zone libre ». *J'entends encore passer les chars qui sont descendus du nord de la France en direction du sud-ouest de l'Auvergne et du Languedoc.* Il reste que Philippe Pétain a été l'objet d'une adhésion populaire jusqu'en avril 1944, comme en témoigne la manifestation qui s'est tenue alors à Paris, juste avant l'arrivée de Charles de Gaulle, en août. ### L'occupant *korrekt* 1940-1941 *En septembre 1940, ma rentrée s'est faite dans un lycée occupé par la Wehrmacht. Il s'agissait de troupes d'infanteries motorisées qui n'étaient plus au combat depuis que la France avait obtenu l'armistice.* *La guerre est confiée à la Luftwaffe, occupée à tenter de faire plier le Royaume-Uni, lequel, heureusement, tiendra bon jusqu'à ce que les Allemands arrêtent leur Blitzkrieg. Vus du Lycée des Tours, qui abrite l'enseignement secondaire de la ville, dans l'ancienne abbaye royale, les temps sont plutôt paisibles.* *L'occupant est korrekt. Il a dessiné de grandes cibles de chaque côté de la porte de notre classe pour permettre à ses mitrailleurs de s'entraîner avec leur Maschinengewehr.* *Notre professeur principal, enseignant de français et d'histoire, est un petit homme maigrichon et souffreteux qui reproduit, à mes yeux, le comportement de la tante qui m'a appris à lire et à écrire, avec beaucoup plus d'autorité.* *Il s'ensuit que ce professeur est une véritable tête de turc pour ses élèves, ce qui, au quotidien, ajouté aux rafales de mitrailleuses dans la cour, donne à cette classe de cinquième une ambiance originale.* *La vie communale a retrouvé son fonctionnement habituel, à ceci près qu'une fois chacun rentré chez soi, il reste encore de multiples réfugiés hérités de tous les exodes.* *En 1941, l'ambiance du lycée se transforme avec la fin du traité germano-russe et la course des Allemands de la Wehrmacht vers Moscou et la Caspienne, sans oublier le Moyen-Orient et la côte sud de la Méditerranée.* *Ces chevauchées victorieuses, qui ne se reproduiront plus à partir de 1942, vont entraîner la multiplication des messages de propagande victorieuse du nazisme. Ils ont leur impact dans le corps professoral, qui vire discrètement vers un comportement politique hostile et affiché.* *Venons-en à notre chronique sur le vocabulaire et les marches et défilés.* *Les mots ont complètement changé. On parle dorénavant de tickets d'alimentation, de prisonniers, de couvre-feu, de guerre, d'exilés, de zone libre.* *De nombreux autres termes reflètent la situation de contrainte que nous vivons alors. L'égalité est oubliée, la liberté aussi, la fraternité va être noyée dans la haine naissante.* *Les grandes marches au cours de ces années 1940 et 1941 sont des opérations militaires à grand spectacle utilisées dans un but de communication.* *La notion de marche n'a pas beaucoup de sens pour les Français dans une France emprisonnée.* *Sauf pour ceux du régiment de marche du Tchad, avec la grande épopée du futur maréchal Leclerc qui a traversé une bonne partie de l'Afrique après avoir rallié la République de Londres.* *S'il m'arrive d'entendre parler, assez rarement, des exploits de ces marcheurs lointains, je subis en revanche régulièrement les chansons de l'époque : le célèbre* « Heili Heilo » *des troupes allemandes qui défilent dans les rues et le tonitruant* « Maréchal nous voilà ! » *qui fut la chanson repoussoir de ces années 1940, 1941.* *À leur âge, les lycéens ne partageaient pas le goût des chansons sirupeuses ou larmoyantes qui ont accompagné cette période.* ### La relation avec les Allemands *C'est pour moi un point très important car il m'a permis d'apprendre à gérer ce type de relation avec des étrangers.* *Tout commence au cours d'une mini soirée d'anniversaire lors de laquelle l'officier de la Luftwaffe qui occupait la chambre réquisitionnée dans notre maison est venu m'apporter un cadeau pour mes treize ans, le 10 décembre 1941.* *Ce jeune officier, du nom d'Ebeling, a vingt ans. Il est originaire de la région de Constance. Cultivé, il parle plusieurs langues, dont le français, et il est très intéressant. Il me fait ce cadeau avec une déclaration personnelle, presque solennelle :* *« Écoute-moi, Michel. Les Américains sont entrés dans la guerre hier, après avoir été attaqués par les Japonais dans le Pacifique. Je vais partir sur le front russe. La guerre a mal tourné. Je suis convaincu que nous l'avons perdue.* *Ce qui ne veut pas dire que le peuple allemand abdiquera comme vous l'avez fait il y a dix-huit mois. Nous avons engagé la guerre mondiale, nous allons l'assumer, quels que soient les sacrifices qu'elle exigera de nous.* *Je te dis cela parce que les générations qui étaient au pouvoir dans les années 1930 en France n'ont pas été capables d'assumer les conséquences de leur vengeance exercée contre le peuple allemand.* *La victoire de 1918 a été le fait des Américains. Nos morts, les vôtres et les nôtres, sont tout aussi respectables, mais ils ne justifiaient pas l'humiliation du peuple allemand.* *Nous savons que le peuple français ne se battra plus, qu'il ne le veut plus.* *Je te le dis parce que tu es jeune et qu'il faudra que tu fasses ton chemin dans un pays qui a perdu le goût de se battre, ce qui n'est pas le cas de l'Allemagne, quoi qui il en résulte. »* *Inutile de vous dire qu'après ce coup de semonce, qui ne m'était pas directement adressé mais dont je comprenais à la fois les origines et les conséquences, j'ai considéré qu'il fallait que dorénavant, je me débrouille tout seul. Cela dure sous différentes formes depuis bientôt quatre-vingt ans.* ### Le Marché noir en 1942 Le marché noir a été une des composantes de la vie en ville, les contraintes et les souffrances étant inégales entre communautés urbaines et communautés rurales. *C'est ainsi que l'année 1942 est devenue, pour moi, l'année du marché noir.* *Avec un copain d'origine polonaise, dont le père était bedeau à l'église pour mieux camoufler une activité d'aide à l'évasion d'aviateurs et de prisonniers vers l'Espagne, nous avons conçu un projet de démarchage, à vélo, des communes rurales autour de Saint-Jean-d'Angély.* *Notre objectif était d'inciter les femmes dont les maris étaient prisonniers à acheter des cartes de tabac, afin d'obtenir des cigarettes et de nous les revendre pour que nous puissions les écouler sur le marché noir, plus spécialement à Paris où nous avions un contact.* *Ce système a fonctionné au-delà de nos espérances.* *Par ailleurs, avec un autre copain dont le père était boyaudier et qui avait des talents de bricoleur, nous allions récupérer du petit matériel électrique en allant dévaliser les maisons occupées par les troupes allemandes et laissées vides pendant deux ou trois semaines entre les contingents successifs.* *Quand on a treize ou quatorze ans, même en pleine occupation, on sait passer inaperçu. Nous avons pu, avec mes copains, le* *« Polak » et « l'Asticot », faire prospérer nos petits commerces.* *Avec le retour à la terre, l'année 1943 devait nous apporter d'autres ressources en nourriture tout en nous permettant de poursuivre, plus discrètement, la conquête du marché du tabac.* ### Le retour à la terre en 1943 Le retour à la terre a fait partie de l'obsession rurale du régime de Vichy. Ce retour, voulu par le pouvoir, a pris la forme d'un *Service Civique Rural* auquel pouvaient participer les étudiants afin de leur permettre d'aider l'agriculture en manque de bras, du fait du million et demi de prisonniers retenus en Allemagne. *Pour ma part, il avait pris la forme, dès 1942, de l'aide apportée à un couple de gitans sédentarisés qui ne pouvaient plus installer leurs étalages de vêtements paysans dans les marchés environnants.* *Ils s'étaient repliés sur une petite propriété de quelques hectares dans laquelle ils étaient bien heureux de trouver de l'aide lorsqu'il s'agissait de faire les récoltes.* *Cette opération ayant été en même temps pour moi la découverte de la réalité rurale après avoir connu la vie citadine fut une réussite.* *L'année suivante, en 1943, j'ai profité de relations créées avec le réseau des femmes de la campagne qui revendaient leur tabac et, avec mon copain, je faisais suivre la marchandise à deux bistrotiers parisiens. Deux fois par mois, ils venaient avec leurs valises chercher la cargaison à redistribuer à leurs clients du café de la place Cambronne.* *La ferme dite « des trois femmes », à une dizaine de kilomètres de Saint-Jean-d'Angély, s'étendait sur soixante hectares, où étaient exploitées des céréales (blé, orge, avoine), mais aussi du tabac, produit agricole très contemporain.* *Elle comprenait aussi une vingtaine d'hectares de vignes, le tout complété par un petit élevage de moutons pour la consommation locale. La patronne était une maîtresse femme, née dans les années 1890, qui avait perdu son mari des suites de la guerre de 14-18, après avoir eu deux filles.* *Elle avait conservé la pratique du monde agricole pendant l'entre-deux-guerres tout en ayant une relation citadine avec un commerçant de la ville qui exploitait un magasin de tabac et de journaux.* *C'est ainsi qu'elle avait intégré notre petit réseau de marché noir de 1942.* *Ses deux filles, nées au tout début des années 1920, s'étaient mariées juste avant la guerre de 1939. Elles n'avaient pas d'enfants et leurs maris n'étaient pas revenus d'Allemagne, où ils étaient prisonniers.* *Une jeune servante espagnole complétait la « quadrette ». Sa famille avait fui les derniers combats violents de la guerre d'Espagne menés par le général Franco pour conquérir la côte des Asturies. Elle avait à peine vingt ans.* *À cette quadrette féminine s'est ajoutée, pour la période des moissons, de la récolte du tabac et des vendanges de 1943, une équipe de quatre hommes dans laquelle je me suis trouvé.* *Le Père Gabet avait quitté les colonies juste avant le début des hostilités et avait exercé différents petits boulots avant d'acheter une épicerie qu'il n'occuperait qu'au premier janvier 1944.* *Ce qui lui permettait, malgré ses quarante-cinq ans, de participer au service civique rural.* *Les deux autres étaient des Parisiens, nés en 1924, donc ayant échappé à la fois à la guerre et au STO.* *L'un, introverti, au langage châtié, habitait dans le 17e arrondissement.* *L'autre, grande gueule, était originaire de Pantin.* *Tout ce petit monde a cohabité, sans faire attention à moi ni à mes quatorze ans.* *J'ai observé l'opulence de cette paysannerie largement enrichie par les restrictions et le marché noir.* *J'ai goûté la succulence, pour un citadin, des pratiques culinaires d'une paysannerie qui disposait entre ses moutons, ses poulets, ses canards et ses lapins, de tout ce qu'il fallait pour assurer une nourriture de grande qualité.* *Je m'en suis inspiré pour les soixante-quinze années qui ont suivi.* *Lorsque le garçon de Pantin, qui avait vu le film* Goupi Mains Rouges *à sa sortie, à Paris, au printemps 1943, s'est amusé à distribuer des sobriquets à son environnement, comme Pierre Véry dans son livre de 1937 sur la paysannerie charentaise, l'ambiance à la ferme est devenue truculente.* *C'est ainsi qu'à tout seigneur, tout honneur, l'ex colonial fut baptisé Goupi Tonkin, sobriquet qu'il ne méritait pas, n'ayant jamais mis les pieds à Haïphong.* *La Patronne, Goupi Belles Fesses, voyait ainsi reconnue une anatomie conservée avec éclat, malgré l'approche de la cinquantaine, voire grâce à l'usage qu'elle avait su faire de l'objet, qu'à l'inverse des piles Wonder, elle aurait usé à ne s'en pas servir.* *Les deux Parisiens se sont retrouvés Goupi Grande-Gueule et Goupi Cul-de-Poule, selon leurs expressions respectives.* *Les deux filles ont été dénommées, l'une en fonction de sa coiffure, Goupi Chignon, l'autre Goupi Main Verte, par allusion à sa passion pour son petit potager, qui abritait une production enrichie par les visites nocturnes de Goupi Tonkin, victime de ses exigences prostatiques.* *Restait la servante espagnole, vive et délurée, qui avait eu le tort de laisser dire qu'elle ne mettait jamais de culotte, le samedi soir, pour aller au bal clandestin dans le village voisin. Elle attendait que la lessive du samedi soit sèche et remettait sa culotte le lendemain dimanche pour aller à la messe.* *Elle a hérité de deux surnoms, au choix, Goupi Culotte ou Goupi Cul Nu.* Voilà résumé en trois mots, succulence, opulence et truculence, le souvenir d'une année 1943 qui fut, en plein milieu de la guerre, moins pire que la suivante. *Ne parlons pas des chansons, sauf que c'est au cours de cette année que j'ai pu acheter, toujours au marché noir, les premiers disques de Charles Trenet ainsi que ceux du Hot Club de France, qui, avec Django Reinhardt, annonçaient l'évolution radicale des rythmes de la danse.* Quant au vocabulaire, il s'est surtout enrichi du nom de villes inconnues qui jalonnaient le parcours des victoires et des défaites des nations en guerre, au rang desquelles la France de Vichy avait choisi de ne pas figurer, laissant à la République de Londres l'organisation de la résistance qui se mettait dorénavant en place. ### La fin du régime de Vichy L'année 1944 a été une *annus horribilis,* avec des bouleversements qui ont marqué l'Histoire mais également la vie de la famille, avec le décès du Père. Que dire ? *Ce que j'ai dit de la guerre à un célèbre Tycoon, il y a vingt ans, prêt à engager sa guerre financière : « On sait comment on y entre, jamais comment on en sort ».* *Ce fut vérifié pour la guerre de 39-44.* *Au moment du débarquement, deux de mes meilleurs copains du lycée, dont le Polak, ont pris leurs vélos et sont allés rejoindre les alliés.* *Le premier a été attrapé par les troupes allemandes et enfermé dans une prison normande d'où il a été libéré dans le cadre de l'opération Jéricho, menée par l'aviation anglo-américaine, alors qu'il s'apprêtait à être fusillé.* *Le second, le Polonais, a été blessé dès le premier jour de sa participation aux combats. Il a eu le bonheur de tomber sur une infirmière bénévole appartenant à une célèbre famille dont il a épousé la fortune avant de la croquer.* *Mon petit frère a pris une balle dans la poitrine pour avoir ouvert un volet afin de regarder les Panzer qui remontaient du sud-ouest vers la Normandie.* *La maison est devenue invivable. Elle abritait déjà deux prostituées qui avaient été installées dans la chambre réquisitionnée par les Allemands par des proxénètes de Bordeaux. Par ailleurs, un chef de chantier du mur de l'Atlantique s'y était installé avec sa famille et nous avait confié, pour les cacher, deux jeunes réfractaires au STO.* *Lors de la Libération, début septembre, les prostituées ont été emmenées à la sortie de la ville et exécutées.* *C'est ainsi que parfois les résistants traitaient les femmes fautives, mais souvent ils préféraient le rasoir des tondeurs à la mitraillette des exécuteurs.* *Les poches de Royan et de la Rochelle, occupées par les dernières troupes allemandes, ayant résisté jusqu'au printemps 1945, les maquisards du centre Ouest et d'Auvergne ont afflué pour les contenir, et il a fallu attendre les derniers combats pour voir arriver la deuxième DB.* *Au marasme guerrier qui durait, se sont ajoutées les hostilités entre les mouvements de la Résistance et les idéologies que les uns et les autres portaient.* *Mon père, qui ne pouvait plus rien faire, est mort à la fin du mois de septembre, ce qui m'a fait basculer dans le monde adulte et m'a permis, à moins de seize ans, de prendre les choses en main avec l'aide de ma mère qui était, à quarante et un ans, moralement sinistrée.* *Cette année 1944 n'a pas produit que des désagréments car il régnait alors une telle atmosphère de désordre généralisé qu'il suffisait de se montrer déterminé, et si possible armé, pour se faire respecter, sans pour autant aller grossir les bataillons des soldats de la vingt-cinquième heure, dont la multiplication, à défaut de l'efficacité, fut spectaculaire.* *Chacun comprendra, à la lecture de ces expériences vécues, le regard qui peut être le mien lorsque j'entends les bonnes âmes s'indigner sur les « cités de non droit » qu'ils ou elles n'ont jamais vu qu'à la télé.* *Il n'y a pas eu de collabos dans la famille. Merci à mes oncles et tantes. Les fêtes de Noël 1944 ont été assombries par le passé récent, auquel l'actualité ajouta l'ultime sursaut de la Wehrmacht dans les Ardennes, conformément à ce que m'avait annoncé le jeune officier aviateur de décembre 1941.* *À cette date, je viens d'avoir seize ans : oublions ces horreurs et en avant !*
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE VI : LA RÉPUBLIQUE MISSION 1944-1958
# CHAPITRE VI : LA RÉPUBLIQUE MISSION 1944-1958 ## LA QUATRIÈME RÉPUBLIQUE La Quatrième République, dotée d'une Constitution rénovée, a mis en œuvre une gouvernance limitée à trois missions : la reconstruction de la démocratie parlementaire, avec les mouvements engagés dans la Résistance, celle du pays avec l'aide des États-Unis, la sauvegarde de l'empire colonial remis en cause par la défaite de 1940. Ces trois objectifs étaient nobles mais ils imposaient, de la part des dirigeants, un modèle de conscience politique interne et une vision géopolitique à long terme qui leur permettraient d'assumer l'échec de deux défaites et de le transformer : celle du régime parlementaire de la Troisième République en 1940, celle du régime vichyste, dit de l'État français, qui est allé la partager dans le camp des vaincus en rejoignant l'Allemagne. Ces défaites ont entraîné pour la Quatrième République une « malformation de naissance », à laquelle s'ajoutait l'absence de celui qui avait gardé le flambeau de la République dans l'exil londonien, et permis à la France de bénéficier d'une place ambiguë, dans le camp des vainqueurs, lors de capitulation du nazisme avec lequel Vichy avait collaboré. L'absence du général de Gaulle a retardé de douze ans la reconstruction indispensable de l'État. Ce contexte géopolitique, à forte résonance interne dans les jeux politiciens de la Quatrième République, va entraîner l'échec des guerres coloniales, que le régime était incapable de supporter et qui provoquera à son tour sa disparition. J'ai distingué sept étapes dans ce chemin de croix que fut la vie des institutions que la France s'était données après s'être débarrassée du régime de Vichy. À chacune de ces étapes politiques correspondra une période de deux années au sein de laquelle le récit des faits marquants de ma vie personnelle permettra de mieux comprendre l'ambiance de cette époque de reconstruction du pays et de la vie familiale, baptisée « les Trente Glorieuses ». ### 1944-1945 1. La vie politique En 1944, le général de Gaulle et son gouvernement, installés à Paris, vont parer au plus pressé et mener l'action politique qui permettra de reconstruire la gouvernance du Pays. Ils cherchent à faire admettre la vérité importée de Londres selon laquelle la République Française appartient au camp des vainqueurs. Ce n'est pas évident. Les Allemands pensent le contraire, comme l'a dit le Maréchal Keitel, lors de la capitulation, en voyant la France à la table des vainqueurs. Les Américains pensent eux-mêmes que la France appartient au camp des vaincus tout en respectant ce compagnon très incommode qu'a été le général de Gaulle pendant toute la guerre, du côté des vainqueurs, avec sa France libre. À l'intérieur, les Français sont plus divisés que jamais, autant à la suite des conditions de la Libération et de l'épuration, qu'avec les manifestations idéologiques développées par des maquis de multiples tendances, les plus dures provoquant des difficultés pour la remise de leur armement. Cette agitation a été entretenue par quelques dossiers judiciaires à grand spectacle hérités de la période la plus trouble et la plus violente de la collaboration. Enfin, la vie politique, au sens purement politicien, a vu les partis qui s'étaient reconstitués engager une opération de restauration du cartel des gauches de 1925, voire du Front Populaire de 1936, avec participation des mouvements catholiques dits de gauche qui avaient choisi le camp de la Résistance. Ce fut le Tripartisme. À tout cela s'est ajouté le programme de la Résistance, auquel les trois partis semblaient adhérer, ne serait-ce que pour éviter d'en faire le programme de la République, concept qui avait un sens différent selon leur trois projets politiques. Tout cela était plus que compliqué. D'autant que la pression des Américains, qui visaient à imposer leur jugement sur la France, prenait une tournure impérative, comme le fut le remplacement des billets de banque français par des billets américains, dont de Gaulle a exigé le retrait peu de temps avant de rentrer à Colombey. En outre, le territoire n'était pas complètement libéré. Des poches de résistance allemande subsistaient à Royan et à La Rochelle, à soixante kilomètres de Saint-Jean-d'Angély. Le retour de troupes allemandes n'était pas définitivement exclu, comme on l'a vu dans l'ultime bataille des Ardennes de fin 1944, concomitante à l'arrivée des nouvelles fusées V2 de l'Allemagne sur l'Angleterre. Tout cela montre à quel point le pouvoir républicain parisien avait un caractère artificiel, dont il a cherché à se dégager en créant la Constitution qui a conduit au départ du général de Gaulle. Les politiciens en place ont consacré l'exercice de leur pouvoir au rétablissement de la République, tout en s'étant séparés de celui qui l'avait remise en place. La Quatrième République va occuper le terrain en attendant le retour de son fondateur, l'exilé de Colombey-les-Deux-Églises. L'évocation des deux poches allemandes de la Charente-Maritime m'amène à aborder ma vie personnelle, dont la transformation est concomitante à l'installation de la Quatrième République à Paris. 2. La vie personnelle *À la suite de la mort de mon père, le chef de famille, j'ai dû me mettre au travail, dès le 25 septembre 1944, pour ne plus le quitter jusqu'au moment où ces lignes sont écrites.* *La vie est très dure à cette époque.* *La journée commence à six heures du matin, pour panser le cheval avec lequel il faudra travailler toute la journée, aller chercher le bois en forêt, le blé chez les paysans et distribuer, chez ceux que les Parisiens appellent bougnats, le charbon qui permettra de chauffer les gens pendant l'hiver.* *Je ne travaille pas seul. Un compagnon auquel mon père avait déjà fait appel est venu me rejoindre.* *L'homme est un communiste convaincu. Il a réussi à passer la guerre sans être inquiété, alors que son neveu a été déporté et en reviendra en piteux état.* *Je retrouve, au quotidien, la tentative de formatage dont j'avais fait l'objet de la part de ma tante institutrice, dix ans plus tôt, selon le modèle Léon Blum. Cette fois, l'ami Roger pratique plutôt le modèle Maurice Thorez.* *Peu importe. Ces tentatives sans effet constitueront pour la suite une solide documentation personnelle.* *L'année suivante nous permet de fêter la victoire en effaçant tout ce que l'année 1944 avait eu de mauvais. Ce sera le remplacement du cheval par une camionnette. Ce passage au cheval vapeur va me permettre de reprendre mes pratiques de marché noir.* *Les deux bistrotiers parisiens qui venait chercher leurs livraisons de tabac au cours des années 1942 et 1943 se sont décentralisés en achetant le Café de Paris de Saint-Jean-d'Angély.* *Habitués à mes services, ils m'ont demandé de les approvisionner deux fois par mois, non pas en cigarettes, mais en pineau des Charentes. J'achète les barriques chez un viticulteur local et je les transporte une par une, le dimanche matin, hors taxes, sous un tas de foin, dans la camionnette que je conduis sans permis.* *À l'époque, je devais travailler six jours sur sept, me doucher le samedi aux bains-douches municipaux afin d'enfiler ma chemise du samedi soir, comme la servante de la ferme de 1943 enfilait sa culotte du dimanche pour aller à la messe.* ### 1946-1947 1. La vie politique La vie politique de l'époque se réduit à une seule question : où trouver l'argent pour payer tout ce que la France doit entreprendre pour se reconstruire et pour tenir les promesses du programme de la Résistance qu'elle a adopté ? Sans parler des nouveaux foyers de guerre qui se sont allumés en particulier en Indochine ainsi qu'en Algérie, après les révoltes de Sétif. Les gouvernements se succèdent au rythme qui fut propre à cette République, dont l'effectivité reposait sur l'impression qu'elle donnait d'exercer le pouvoir par la rotation accélérée de ses fonctions ministérielles. Les Américains veillent au grain et préparent le plan Marshall, destiné à la reconstruction des pays vaincus, dont la France. L'influence de Jean Monnet, dit le père de l'Europe, y joua son rôle. L'homme est originaire lui-même de la ville de Cognac au sein de laquelle ses parents possédaient une marque et un négoce. Il y fera parler de son action. 2. La vie personnelle *Elle me ramène à l'approfondissement de mes rapports avec les Allemands et des sentiments qu'ils m'inspirent.* *À l'automne 1945, j'ai réussi à obtenir de l'administration militaire, qui s'est installée à La Rochelle après la libération de la ville, l'autorisation de prélever, sur le camp de prisonniers de Saint-Jean-d'Angély, une vingtaine d'Allemands volontaires pour venir travailler chez les commerçants et artisans de la ville.* *Cette démarche est une anomalie. J'ai à peine dix-sept ans. Je me revois encore en train de discuter avec l'officier, dans son bureau de La Rochelle.* *Ce travail de négociation aurait dû être assuré par la municipalité de Saint-Jean-d'Angély, en charge de l'intérêt de ses commerçants et artisans. Pas du tout.* *Il est vrai que l'expédition est compliquée. Aucun train, un bus le matin, retour à pied (65 kilomètres) l'après-midi.* *Les édiles de l'époque, nommés provisoirement avant les premières élections, ne s'intéressaient pas à la vie quotidienne des citoyens, engagés qu'ils étaient dans les querelles partisanes de leurs mouvements idéologiques.* *En voici un exemple. J'ai commencé à rechercher un deuxième camion neuf, pour lequel il fallait un bon-matière à obtenir du ministère des Transports et de celui de l'Industrie. Le ticket d'entrée imposé était de l'ordre de cinq cents francs. Pour avoir le coup de tampon, il fallait choisir le bon parti, sinon pas de bonmatière ni de camion.* *Je reviens à mes prisonniers, obtenus en direct et en solo. Faute de structures organisées, il restait l'audace et la détermination.* *Ma vie avec ces prisonniers a duré deux ans. Elle fut passionnante.* *La première mesure que j'ai adoptée consistait à ne plus les faire circuler, le matin et le soir, entre la ville et leur camp. C'était devenu beaucoup trop dangereux, en raison de l'ambiance provoquée par les suites de l'épuration et les retours des déportés.* *J'ai vécu la marche biquotidienne de la germanophobie haineuse.* *Ce souvenir provoque aujourd'hui chez moi un sourire amusé au spectacle de la gravité affichée par les marcheurs de toutes les phobies lors des informations télévisées.* *C'est ainsi que je me suis retrouvé, pour quelques mois, à diriger ce commando installé en centre-ville, suffisamment près du commissariat et de la gendarmerie pour éviter les risques.* *Les choses se sont progressivement apaisées. Mais j'ai poursuivi une relation directe avec celui qui me servait de Kapo.* *Âgé de trente-huit ans, entrepreneur de travaux publics à Stuttgart, l'homme était intéressant par son expérience professionnelle et humaine. Au cours de nos discussions, il m'a confirmé son engagement nazi, convaincu qu'il était que lorsque l'Allemagne aurait besoin de retrouver cette voie, elle la prendrait sans hésiter.* *Il comprenait les accusations portées contre l'Allemagne concernant l'holocauste et les nombreux autres crimes. Mais il attribuait ces derniers à la dérive du nazisme tel que mis en œuvre par la SS.* *Il n'opposait pas Himmler à Hitler, car il n'avait pas suffisamment d'éléments de jugement sur les deux hommes, mais il faisait une différence radicale entre l'organisation de son parti, le NSDAP « Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei » et la SS.* *Il y voyait l'origine de tous les crimes perpétrés par des fanatiques qui, selon lui, n'étaient plus des Allemands.* *Le temps a passé. Je l'ai revu, chez lui, en 1983, à soixante-quinze ans, retraité aisé. Son jugement était le même : « Je persiste et signe ! »* *Entre-temps, l'Allemagne avait pris goût à la démocratie, sans garantie qu'elle ne retrouverait pas un jour ses démons. Que dire à mes petits-enfants, quarante ans plus tard ?* « Ouvrez les yeux ! » ### 1948-1949 1. La vie politique La politique revient aux réalités guerrières avec le blocus de Berlin par les Russes et l'entrée dans la guerre froide qui va durer un quart de siècle. Après avoir repris la maîtrise des finances de l'Europe avec le plan Marshall, les États-Unis vont assurer leur maîtrise militaire avec la création de l'OTAN en 1949. La vie politique française est une seconde fois réduite à la gestion de l'Hexagone et celle, difficile, de son empire colonial. L'année 1949 va être marquée par de grands bouleversements politiques destinés à reconstruire le monde et à effacer les traces de celui qui avait précédé la guerre engagée dix ans plus tôt. Certes, l'Europe a retrouvé une part de ses convulsions avec la création des deux blocs, celui de l'Ouest, sous la domination des Américains, celui dit de L'Est sous la domination des Russes, mais déjà s'installent la Chine de Mao, Israël, la Yougoslavie de Tito, l'Égypte de Nasser, l'Inde de Gandhi, et tous ces pays qui vont rapidement constituer le tiers monde et faire émerger le tiersmondialisme. 2. La vie personnelle *J'avais alors dix-neuf ans et j'ai décidé de me débarrasser de mes obligations militaires sans attendre d'avoir vingt ans.* *Cette décision se révélera pertinente quelques années plus tard, lorsque j'échapperai ainsi à l'obligation de rejoindre les troupes qui combattront en Algérie.* *Mon statut de soutien de famille va me permettre d'effectuer un service militaire ultra court de neuf mois, dont dix semaines de classes à Thionville, dix semaines d'école de sous-officiers à Saint-Maixent, six semaines dans un régiment qui occupait les mines d'Alès pendant les grandes grèves des mineurs, et pour terminer dix semaines à l'école d'officiers d'artillerie à IdarOberstein, en Allemagne.* *La vie d'élève officier dans cette ancienne caserne de la Wehrmacht est passionnante.* *Elle me permet de croiser de jeunes polytechniciens de la même génération que moi, dont mon copain du lycée de Saint-Jeand'Angély, mon concurrent en notes avant que je décroche.* *Ce qu'on appelle les « écoles à feu » se font dans un camp où les Américains ont déjà rassemblé une impressionnante puissance de feu, comme ils sont en train de le faire dans toute l'Europe. Cette impression guerrière inquiète les Français, et les plus excités des anti-Américains hurlent « À bas l'Amérique » dans leurs défilés parisiens.* *Ma très brève expérience de la vie militaire s'est terminée sur le refus de contracter un engagement en Indochine, inenvisageable dans la mesure où ma mère et mon petit frère, en attendant mon retour, vivaient du travail du prisonnier allemand qui n'avait pas encore le droit de rentrer chez lui.* *À cette même époque, les aventures d'une enfance et d'une adolescence hyperactives ont pris fin avec la formation d'un couple qui dure encore, soixante-dix ans plus tard.* ### 1950-1951 1. La vie politique Ces deux années sont marquées par la guerre froide et par la domination financière et militaire des États-Unis sur l'Europe de l'Ouest, auxquelles s'ajoutent les convulsions de la guerre d'Indochine, qui a enfin pris son vrai nom. La valse des gouvernants se poursuit sous la pression des résultats des élections municipales de 1951, qui voit l'émergence du parti gaulliste. Le centrisme, convaincu du retour d'une République énergique, imagine pour les élections législatives la loi dite « des apparentements », modèle de trucage électoraliste. 2. La vie personnelle *Ma vie personnelle connaît un nouveau développement avec la création d'une véritable petite entreprise de transport.* *Début 1950, j'ai pu passer un contrat avec ce qu'on appelle encore les Chemins de fer, qui cherchent à se débarrasser de petites lignes départementales devenues sans intérêt. L'opération envisagée, qui suppose de réduire les effectifs, est plus que risquée, et personne n'a encore voulu relever le défi.* *La France admire les cheminots et la « Bataille du rail » a été mise en valeur par le cinéma. Les licenciements envisagés par la SNCF ne semble pas admissible.* *L'opération se fera et tout le monde sera recasé : place aux camions.* *L'opération, réussie sans drame, m'a permis de comprendre la psychologie des cheminots. Ce sont des hommes que je fréquentais à la gare de Saint-Jean-d'Angély depuis 1944.* *Nous vivions en bonne intelligence, même si, parfois, les contacts étaient rugueux, surtout les jours où ce qu'on appelle le wagon de l'économat venait mettre à leur disposition les fameux vins algériens de Mascara.* *Leur sujet principal de préoccupation avait été exprimé par le délégué syndical au directeur régional de la SNCF, lorsque celuici lui avait annoncé, en ma présence, le remplacement des trains par des camions : « Directeur, n'oublie jamais que tu es là pour mettre du pognon dans le budget du Chemin de fer, comme moi je suis là pour mettre du charbon dans ma locomotive. Le Chemin de fer appartient aux Français. Tu n'as pas le droit d'y toucher. »* *Trois ans plus tard, au moment des grandes grèves de l'automne 1953, provoquées, déjà, par la question des retraites, il fut évident qu'il ne serait plus possible de continuer à payer les chauffeurs des camions et les traites, sachant que la SNCF était incapable de faire circuler les marchandises, destinées à alimenter les trois lignes de camions qui partaient de la gare principale.* *C'est alors que j'ai décidé de ne plus faire confiance à un organisme qui ne respectait pas sa signature, même si mes interlocuteurs avaient beau jeu de souligner que la grève était indépendante de leur volonté, ce qui était juridiquement vrai.* ### 1952-1953 1. La vie politique La vie politique poursuit son chemin, même si tout le monde commence à se rendre compte de la fictivité du pouvoir, sentiment entretenu par les élections de 1953. La révolte fiscale commence à gronder. Les perspectives d'une défaite en Indochine ont un nom, Diên Biên Phu, cuvette célèbre dans laquelle se prépare la bataille finale. 2. La vie personnelle *Elle se construit sur l'harmonie du couple qui savoure l'aisance procurée par l'entreprise, l'agrément des relations amicales qui retrouvent le chemin des bons restos débarrassés des tickets d'alimentation, la truculence naturelle de la vie à la campagne et la découverte des plaisirs balnéaires à nouveau accessibles.* *Ce fut bref ! Tout cela va disparaître avec la fermeture de l'entreprise qui se sépare de la SNCF et la préparation du changement de vie imposé par la naissance de deux enfants.* ### 1954-1955 1. La vie politique Elle retrouve des couleurs avec l'arrivée d'un nouveau président du Conseil, Pierre Mendès-France, qui saura bénéficier de l'enthousiasme des jeunes, occupés, manches retroussées, à la reconstruction du pays. Il va se saisir du problème indochinois et y apporter une solution, mais il n'arrivera pas à recoudre les différents pans déchirés de la société française. Les convulsions nées des antagonismes de la guerre froide entre le monde marxiste et le monde libéral sont trop présentes. La vie publique va, une fois encore, se réfugier dans des pouvoirs fictifs issus d'élections elles-mêmes fictives, la loi électorale permettant de conserver le pouvoir même quand il est perdu. De telles pratiques sont très mal vécues par une population qui commence à sentir le poids des impôts, qui sont en train de remplacer les contributions. C'est la grande période dite des « polyvalents » qui vont déclencher le mouvement poujadiste. 2. La vie personnelle *1954 est l'année que j'ai choisie pour quitter ma mère et mon frère, vis-à-vis desquels je m'étais engagé pour dix ans. Ainsi dit, ainsi fait. Je suis allé tenter ma chance ailleurs.* *Elle a fini par emmener ma famille à Paris en 1957.* *Auparavant, redevenu modeste artisan, j'ai choisi d'affronter ce mouvement poujadiste dont je pensais qu'il portait en lui une forme de restauration des mouvements politiques d'extrême droite incarnée par les ligues qui s'étaient élevées contre la République au milieu des années 1930.* *C'est ce qui se vérifia en 1956.* ### 1955-1956 1. La vie politique La vie politique s'engage, en 1955, sur le chemin de la liquidation de cette Quatrième République fictive. Le président Edgar Faure, personnage aux multiples facettes, à la grande intelligence politique aussi bien que politicienne, pape du radicalisme, décide de dissoudre l'Assemblée nationale. L'objectif est de reconstituer un grand parti de gouvernement. Un front républicain se constitue pour ouvrir la voie à ce type de projet. On y voit déjà non seulement la configuration de la période de transition qui doit ramener le général de Gaulle, mais en même temps la première partie de son premier septennat. Émergent alors des personnalités comme Michel Rocard, François Mitterrand, Jacques Chaban-Delmas, Félix Gaillard, à côté de quelques caciques de la République finissante. L'opération va conduire à confier le pouvoir au président Guy Mollet, qui ira se faire peindre en rouge à grands coups de jets de tomates au cours de la fameuse journée de février à Alger. La vie politique est de plus en plus agitée car le scrutin qui a renouvelé l'Assemblée nationale début 1956 y a envoyé une cinquantaine de députés du mouvement poujadiste sur le thème, répété soixante et un ans plus tard, de « Sortez les sortants ». Après la fictivité, la Quatrième République est entrée dans la brièveté. Elle n'en sortira pas jusqu'à ce que les événements de mai 1958 viennent à la mettre par terre. Début novembre 1956, tout se complique avec l'expédition des troupes franco-anglaises sur le canal de Suez afin de punir le régime de Nasser de la nationalisation du canal, construit par Ferdinand de Lesseps et sur lequel les deux puissances coloniales entendaient faire valoir leurs droits. Cette expédition provoque un tollé général, aussi bien aux ÉtatsUnis que dans le bloc de l'Est, et plus encore dans le tiers monde, auquel appartient le pays ainsi agressé. Les deux grandes puissances qui dominent le monde, États-Unis et Russie, menacent Londres et Paris de représailles nucléaires si l'opération n'est pas immédiatement stoppée. Bien évidemment, les deux capitales européennes diront à l'unisson « Ainsi soit-il », Ce qui marquera pour la France la fin de ce pouvoir fictif qui n'était plus soutenu que par les Français. Cette décision imposée par les grandes puissances qui dominent le monde entraînera des conséquences considérables sur la position internationale de la France. La raréfaction du pétrole qui s'en est suivie a marqué la fin de cette période et préparé la disparition de l'empire colonial français après un changement complet de dirigeants. 2. La vie personnelle *Les choix principaux avaient été effectués à la fin de 1954, avec la fin de l'entreprise et le retour à l'artisanat. J'ai dû me décider à terminer la construction d'une belle maison qui avait été entreprise sur un terrain familial en 1953.* *Nous avons compris que le bonheur familial ne serait probablement plus à Saint-Jean-d'Angély et qu'il ne fallait pas nous attacher à une maison qui, même terminée, ne serait jamais habitée par ceux qui l'avaient imaginée et fait construire. C'est ainsi.* *Une ouverture inattendue se dessine à l'occasion d'un travail ponctuel pour une société de crédit bordelaise. Cette société est victime, en 1955, d'un escroc qui a été démasqué grâce à la dénonciation d'opérations de crédit fictives, et emprisonné.* *Les conséquences de cet épisode inattendu ont été plus que bénéfiques, car elles se sont traduites par un échange de bons services. J'ai géré toutes les opérations qui ont permis à la société bordelaise de récupérer le maximum d'argent et, en retour, son président m'a promis qu'il me trouverait un travail à Paris.* *Ce qui fut fait au cours du printemps 1956.* *Je débarque le 1^er^ août 1956 à Paris, seul. L'ami chez lequel je vais loger pendant neuf mois, le temps de trouver un toit pour ma famille, est musicien. C'est lui qui a créé l'indicatif musical du journal télévisé.* *Pendant ces quelques mois, je l'accompagne tous les soirs à Cognacq-Jay, le mythique studio de la télévision à ses débuts. Il y a ses entrées et ses amis sont les « monstres » de la Télévision d'État, aujourd'hui tous morts, lui avec. J'ai fréquenté au quotidien une équipe qui a disparu, sauf dans la mémoire des gens, grâce à la qualité de son très important travail journalistique.* *J'y vivrai, avec ses membres, les évènements du Canal de Suez.* *Cette expérience m'a initié aux métiers de l'image, ce qui m'a été bien utile lorsque j'ai hérité, dans les années 1990, de la charge de la Cinquième chaîne de télévision, en France, et de celle de la MGM, aux États-Unis. Ces vedettes fondatrices, dont j'honore la mémoire, n'ont pas quitté l'esprit des téléspectateurs.* *Elles m'ont appris ce que serait la démocratie d'opinion par l'image, comme j'avais appris, très tôt, en 1934, quel était le poids de la presse écrite.* *C'est en pensant à elles que j'ai choisi de m'engager dans l'activité de média d'opinion, d'édition et de web TV, alors que j'entrais dans la nonantaine, comme disent mes amis belges.* ### 1957-1958 1. La vie politique Dans la succession toujours aussi rapide des Présidents du Conseil, on voit arriver le Charentais Félix Gaillard, jeune et brillant membre du parti radical qui va tenter de faire vivre la République jusqu'à ce que son successeur en signe l'acte de décès, après les événements algériens de 1958. La situation est de plus en plus tendue car l'Algérie est considérée comme un territoire en guerre. Le ministre François Mitterrand l'a d'ailleurs fermement déclaré, paraphrasant Georges Clémenceau en 1918. Des généraux énergiques tiennent les villes algériennes et la population, surveillée par un résident énergique, ne bouge pas. Le contingent des soldats rappelés sous les drapeaux non plus, mais la pratique inacceptable de la torture échauffe les esprits. Les manifestions tournent à la ratonnade. L'opinion publique hexagonale aussi bien qu'étrangère s'en empare. On sent que l'affaire est en train de se gâter. Un ami, questeur à l'Assemblée nationale, m'invite à assister à la séance au cours de laquelle Félix Gaillard sera mis en minorité, ce qui signifiera la fin de l'autorité parlementaire, celle-ci ayant chassé le dernier Président du Conseil qu'elle avait choisi. Ensuite, c'est la révolte qui commandera. Pour la petite histoire, je garderai assez longtemps une boîte de cigares, datée de cette séance qui n'est même pas devenue historique, tant le moment était venu de voir le général revenir de Colombey, comme il était revenu de Londres en août 1944. 2. La vie personnelle *Les tickets d'essence instaurés en novembre 1956 ont mis fin à mon projet commercial.* *Les établissements de crédit automobile étaient sinistrés car les assurances ne couvraient plus les impayés. Il fallait aller les chercher. J'avais appris les rudiments du job en 1955. Je devais en faire un vrai métier, dans l'urgence.* *Pour cela, il fallait posséder les bases du droit et des procédures, de la finance et de la justice, et me familiariser avec le langage de tous ces mondes auxquels j'appartiendrai dorénavant.* *Ma décision est prise en quelques semaines : je reste vivre à Paris.* *Le 1^er^ novembre 1957, ma famille va enfin être logée à Montmartre, à quatre dans un studio de 20 m², contre paiement d'un loyer mensuel de vingt-cinq mille francs en espèces, en contrepartie d'une quittance de mille cinq cents francs.* *C'était au temps de la révolte de l'abbé Pierre.* *Grand bonheur : je peux me distraire, le soir, en montant les escaliers jusqu'à la place du Tertre.* *C'est là que je me suis pris de passion pour l'histoire de Montmartre.* *Cette passion ne m'a plus quitté.* *J'ai écrit cette histoire pour les enfants et j'ai fêté mes quatrevingts ans au Moulin de la Galette.* *J'ai été membre de la République de Montmartre, qui m'associait à l'esprit parisien représenté, à la fin du Second Empire, par Georges Clémenceau, à la tête de la Commune de Montmartre.* *Je ne vais pas rappeler ce qui s'est passé, pour moi inacceptable, en mai 1871. Cela reste une tache dans les débuts de la vie politique de la Troisième République, sans entraîner de ma part le rejet de l'esprit républicain qui m'a conduit à rester français en 1999.* *Pour la petite histoire, le bistro voisin de notre appartement a connu une période de grande célébrité. Il était dirigé par l'équipe qui organisa les fameux « ballets roses » du pavillon du Butard, au profit du président socialiste de l'Assemblée nationale.* *Ce dernier, haut dignitaire, de la Quatrième République, sera le repoussoir et le réprouvé des activistes de la Cinquième République qui se met en place.* C'est l'ordre normal : les nouveaux dirigeants de la Cinquième République veulent s'imposer en se débarrassant de l'esprit de la Quatrième. Cette intrusion de la petite politique dans la grande, au moment du référendum de 1958, a fait partie de notre vie quotidienne, jusqu'à ce que nous parvenions à trouver, à Épinay-sur-Seine, le logement tant espéré. Ces douze années de la Quatrième qui s'efface ont complètement bouleversé le vocabulaire, qui s'est alors américanisé, de même que les chansons, qui ont importé des rythmes afro-américains aussi bien que sud-américains. Les débuts de la domination américaine sur la culture européenne et au-delà remontent à cette époque. Lors d'un voyage en Chine, en 1979, nous avons pu ouvrir la danse dans un bal dit public, quoique réservé aux minorités populaires chinoises, auquel nous avions été invités avec deux couples italiens. Le grand orchestre qui a animé la soirée a débuté par les musiques auxquelles nous étions habitués et qui avaient été abandonnées par la Chine de Mao en 1949 : *In the Mood, Moon light serenade, C'est si bon,* en passant par *La vie en rose, Stormy weather* et *Sentimental journey*. Les Chinois de 1979, à peine sortis de l'ère Mao, celui-ci étant décédé en 1976, se révélaient les meilleurs connaisseurs de cette grande période d'américanisation musicale. Chez nous, Édith Piaf, Charles Trenet et Georges Brassens n'étaient pas absents mais furent très fortement concurrencés par les crooners et les danseuses américaines.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE VII : LA RÉPUBLIQUE MONARCHIQUE 1958-1970
# CHAPITRE VII : LA RÉPUBLIQUE MONARCHIQUE 1958-1970 Dans le chapitre précédent, j'ai fait référence à la personnalité du fondateur de la Cinquième République. Cela me paraissait indispensable car la majorité des citoyens français qui voteront aux élections de 2027 (si elles ont encore lieu), ces trois générations nées depuis 1958, ont été privées, pour de multiples raisons, de la transmission familiale du passé, des expériences et des réflexions qu'elles apportent. Ni l'enseignement de l'Histoire dans les écoles, soumis aux choix pédagogiques des différents enseignants, ni le déferlement de l'actualité et des émotions qu'elle suscite, ne peuvent remplacer ce que l'adolescent a besoin de connaître pour faire son chemin dans la vie. C'est l'objet complémentaire de ces récits : tenter de le leur apporter. La référence à l'action du Général et à sa personnalité permettra d'apprécier pourquoi et comment le pays s'est efforcé de sortir du pétrin dans lequel l'avaient mis les mauvais usages des institutions par les élites politiques qui sont aujourd'hui rejetées, au mieux par l'abstention démocratique, au pire par la révolte populaire. ## La conquête Gaullienne, 1958-1962 Le général de Gaulle appartenait à une génération profondément marquée par la Belle Époque républicaine et romantique, telle qu'évoquée dans un chapitre précédent. Il pensait que les Français, qui s'étaient abandonnés au régime de Vichy, présentaient des tendances au laisser-aller, à la soumission, qu'il méprisait, au point de les traiter de « veaux ». Moi qui suis né cinquante ans après le Général, j'ai exposé dans mes propos, le mépris que je ressentais pour ces comportements, que je considérais comme de la veulerie collective, lorsque j'avais commencé à devenir citoyen en lisant la presse, début 1934. Certes, en approfondissant ma réflexion, je me suis rendu compte que les efforts qui avaient été exigés des Français, dont la trace était visible sur les monuments aux morts de chaque village, avaient été tels, qu'ils pouvaient les conduire à refuser de retourner au feu dans la guerre qui se préparait. En arrivant au pouvoir institutionnel en 1958, après s'être installé en 1940 dans le camp des futurs vainqueurs, le Général ne pouvait que faire le choix d'une forme de monarchie républicaine pour diriger la Nation, grâce aux suffrages directs de son peuple. Il l'a construite malgré de nombreux obstacles, tout au long des quatre années 1958-1962. Cette durée fut nécessaire à l'accomplissement de son projet monarchique, consistant à ce que son élection dépende dorénavant des suffrages directs des Français. Le principal obstacle résidait dans sa propre culture citoyenne. L'homme, combattant militaire, se voulait le héros d'une patrie qu'il idéalisait, ce qu'il a clairement expliqué en exprimant la « certaine idée » qu'il se faisait de la France. Il était candidat monarque, pétri d'éducation militaire, de vocation patriotique, attaché au képi qu'il affichait dans les grandes circonstances, mais aussi un citoyen qui ne pouvait oublier sa nature républicaine. Il ne pouvait être question pour lui de bafouer le suffrage qui lui avait permis d'accéder au pouvoir, ni de s'affranchir de ses obligations de respecter leur vote, si les Français venaient à lui retirer leur soutien. C'est ce qui l'a conduit à quitter le pouvoir, certainement trop tôt, car lui seul aurait pu corriger « ses » institutions, là où elles risquaient d'être mal utilisées. Il est des principes qui ne sont pas négociables, même s'il devait apparaître plus tard qu'il eût été préférable de passer outre. À cette époque, c'eût été une erreur pour lui, et cela lui aurait attiré la vindicte d'une revanche politique, toujours en embuscade, sur le thème du général félon. Il n'est même pas évident qu'il aurait compris pourquoi rester ni pourquoi adapter les institutions à une société qui les a conservées pendant cinquante-cinq ans. Les mouvements de la revanche électorale et de la révolte politiques sont encore aujourd'hui en embuscade. Ce sera traité dans le dernier chapitre. Auparavant, l'auteur invite le lecteur à lire l'article publié dans son blog (michelrouger.fr) en janvier 2020, sur ces phénomènes de revanche, de révolte et de rébellion qui sont endémiques au sein de nos institutions. Ceci permettra de ne pas alourdir ce texte, qui doit être consacré aux conditions très conflictuelles dans lesquelles la monarchie a pu s'installer au sein de la république. Dans cette démarche, le Général s'est heurté à trois obstacles politiques majeurs, dont les effets perturbateurs perdurent en 2020. La décolonisation, maître mot caricaturé par les chansonniers de l'époque à travers celui de *dépigeonnisation*, a exacerbé la violence de la revanche politique que la Quatrième République n'avait pas fait taire quand elle affrontait la guerre d'Algérie. Un mouvement de rébellion politique, qui prenait sa source à Vichy et s'opposait à la personne du Général, donc à tout ce qu'il faisait, a rejoint le mouvement de révolte des militaires rebelles qui se faisaient une certaine idée de l'Algérie française. La convergence de ces deux mouvements de revanche et de révolte, similaire à la convergence des colères recherchée depuis 2018, a conduit à des violences, insurrections et assassinats violemment réprimés. Cette victoire militaire acquise, il restait à obtenir du peuple son accord pour qu'il consolide la République qui avait frôlé la mort, en lui donnant les institutions par lesquelles le président disposerait d'un vrai trône. Ce fut fait en 1962. Selon la règle « Vae Victis », la société civile s'est organisée pour accueillir les Pieds-noirs et les Harkis arrachés à leur pays. *L'installation de ma famille à Épinay-sur-Seine, dans un grand ensemble de logements HLM, construit à la va-vite sur des champs et d'anciens vergers, m'a permis de comprendre ce que seraient les problèmes sociétaux qui s'annonçaient.* *Ces problèmes vont faire naître le besoin d'une démocratie sociétale qui devrait, dorénavant, cohabiter avec la démocratie politique qui, elle-même, en ce début 1960, cherchait sa place dans la République monarchique.* *Ce fut ma première expérience de la démocratie.* *Ma famille, comme toutes celles des migrants de la déruralisation ou de la décolonisation, et celles des métropolitains chassés de la grande ville par les mauvaises conditions de logement, va s'appliquer à reconstruire, entre elles, une vie citoyenne, en « mettant de l'Âme dans le béton ».* *La création d'une démocratie participative sous la forme d'un conseil de résidents, utopique à cette époque de construction monarchique, reposait sur une idée insupportable pour les politiques. Les élections municipales de 1959, bases de la démocratie représentative dont on mesure l'importance en 2019, avaient précédé l'ouverture du Grand ensemble.* *Ceux qui étaient dorénavant devenus majoritaires dans la commune n'avaient donc pas eu l'occasion de s'y faire représenter ni de bénéficier des structures politiques préexistantes, d'autant que ces structures et les mouvements partisans qui les portaient étaient désormais profondément antagonistes.* *Le conseil municipal de la ville, dominé par les réformateurs de la droite, faisait figure d'anomalie dans un territoire qui allait bientôt rejoindre le futur département de la Seine-Saint-Denis, le 9.3.* *Déjà, en 1960, ce bastion national du monde ouvrier, victime des négligences de l'État à l'égard de ses habitants, était délaissé comme appartenant au mouvement communiste et à ses dirigeants.* *Cet antagonisme a connu son paroxysme après le fameux congrès d'Épinay-sur-Seine de 1971, qui a permis au mouvement socialiste, reconstitué et rajeuni, de se débarrasser de la vieille SFIO, puis de rassembler les deux mouvements, séparés depuis 1920, dans l'union électorale des années 1970, remake du cartel des gauches de 1925, visant la prise du pouvoir de 1980, favorable au mouvement socialiste et mortifère pour son compagnon de route.* *Ces réflexions sont celles d'un spectateur attentif, dans un territoire qui a été témoin des convulsions politiques nationales des deux décennies 1960-1970, à la fin desquelles la République monarchique droitière changera de main, après vingt-trois années de pouvoir, en devenant gauchère.* *Porteur de cette utopie participative, ce Conseil de résidents faisant figure de conseil municipal bis. Il a fallu obtenir d'un des plus grands commis de l'État de l'époque, le patron de la Caisse des Dépôts, célèbre pour son ouvrage sur la réforme de l'entreprise, l'autorisation de doter ce grand ensemble d'Épinaysur-Seine d'un conseil de résidents.* *Deux autres grands ensembles ont fait la même démarche, dont celui, emblématique, de Sarcelles, qui a été le leader d'une opération réussie. La présidence du conseil d'Épinay m'a été confiée jusqu'aux élections municipales de 1965, auxquelles je n'ai pas souhaité participer, malgré mon avantage électoral. La démocratie représentative a repris sa place.* *J'ai fréquenté amicalement ses élus en leur communiquant les expériences de la vie sociétale que j'avais connues et qui intégraient les phénomènes sociaux, culturels, religieux, économiques, propres aux cités remplies de jeunes familles créatives d'enfants et d'idées.* *J'observe, soixante ans plus tard, que ces phénomènes, dont la reconnaissance a été négligée par le politique, affectent et mobilisent, non plus les grands ensembles, rongés par d'autres affections, mais les grands ronds-points, dont les fleurs jaunes font penser à la moutarde qui monte au nez.* *C'est ce qui motive ce long récit sur la situation que j'ai connue et qui se rattache au conflit actuel, celui qui oppose la démocratie politique représentative à la démocratie sociétale participative.* *J'ai le souvenir des débats de l'époque, tout petits par rapport aux grands débats de 2018.* *Nous partagions la même vision de la future démocratie sociétale.* *C'était trop tôt. Nous avons choisi de nous consacrer à nos vies personnelles.* *Mais j'ai compris que la Cinquième République, quel que soit le délai qu'elle mettrait pour bien vouloir s'y intéresser, n'échapperait pas à cette confrontation, lorsque le politique apparaîtrait technocratique au sociétal.* *En 2020, nous y sommes.* ## Guerre froide et géopolitique, 1962-1968 Confortée par sa victoire politique hexagonale, le général a laissé libre cours à sa passion pour la géopolitique, en cherchant l'alliance, pacifique et reconstructrice, entre l'Allemand et l'Italien vaincus, et le Français vainqueur, celui dont la présence inattendue avait interloqué le Generalfeldmarschall qui a signé la capitulation de l'Allemagne. Farouche adversaire de la première tentative d'organisation militaire européenne, souhaitée par les Américains, sous forme de *Communauté européenne de défense*, en 1954, le Général a repris le chemin qui avait été ouvert par les négociateurs de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, en 1957. Ce choix, conscient et déterminé, a permis la construction d'une relation franco-allemande, distante des États-Unis, contrariée par le besoin évident qu'avait la population ouest-allemande de maintenir la protection américaine qu'exigeait le développement de la guerre froide, dont le paroxysme a marqué la première moitié des années soixante. Certes, le Général avait été fidèle à l'allié américain de la France, lors de la crise des missiles que l'Union soviétique voulait installer à Cuba. Pareillement lors de la construction du mur de Berlin. Mais, dès 1964, il a manifesté son hostilité à la présence des dirigeants de l'OTAN et de leurs organisations sur le sol français. Cette tentative visait à rééquilibrer le pouvoir de la France au sein de cette Europe occidentale européenne qui correspondait à sa vision géopolitique. Ces séparations géopolitiques, récurrentes sur le long terme, agitent les débats renouvelés avec vigueur pour préparer le Brexit. Pendant ce temps, la démocratie sociétale a poursuivi son développement sans que le mouvement gaulliste dominant, qui soutenait la monarchie Républicaine, se soit rendu compte de son importance future. Inévitablement, les partis de la revanche politique, profitant des débats idéologiques liés à ces situations géopolitiques, ont reconstitué leurs forces, dans la préparation du scrutin présidentiel de 1965. Le résultat inattendu de la mise en ballottage d'un président qui régnait suffisamment pour être réélu au premier tour, a cassé la dynamique de la monarchie. Peut-être le chef n'avait-il pas suffisamment comploté pour éviter l'arrivée de cet adversaire qu'il ne pouvait que rejeter. Le Général, obligé de se prêter à la cuisine électorale, ne pouvait que mépriser son adversaire en raison de sa brève présence à Vichy et du complot de l'Observatoire, piteusement raté en 1959. Il en a tiré la leçon. Seul le peuple pourrait élire son Président, ce dont a profité celui auquel il avait fourni le tremplin de ses futurs succès. En 1963, les grandes grèves des mineurs vont ranimer la flamme sociale qui avait vacillé pendant toute la période consacrée à écraser les violences provoquées par la décolonisation. Elle ne quittera plus le pays et connaîtra des manifestations de plus en plus larges. Le mouvement communiste, qui s'était associé à la révolte des opprimés de la décolonisation, a retrouvé sa puissance. Il la conservera, avec discrétion, dans son expression syndicale, après l'avoir perdue dans son expression politique, pour avoir goûté au pouvoir. La démocratie politique prenant ses distances, on pouvait penser que la revendication sociale trouverait sa place dans une démocratie sociétale enfin reconnue. Ce n'était pas compris, et cela ne l'est pas davantage aujourd'hui. La raison paraît évidente. La démocratie sociétale, naissante dans les années 1960, s'est construite sur le rééquilibrage des droits et des devoirs entre les hommes, le monde masculin de la politique, et les femmes, le monde féminin de la société. Ce monde féminin en création n'avait pas sa place dans l'esprit du Général, monarque occupé à parcourir le tiers monde, où il ne risquait pas de le croiser. Pas plus que dans le couple qu'il formait avec « tante Yvonne », dont la culture conjugale était issue du siècle de la « marine à voile et de la lampe à huile » célébrées dans un de ses grands discours, avec képi. Cette démocratie sociétale, ce monde féminin ont été construits sur trois conquêtes nées de la paix en Europe, des migrations rurales et coloniales, de la révolution des mœurs entre les femmes et les hommes. La première est le développement de la société de consommation, que j'ai vécue au quotidien dans une cité populaire, comme je l'illustrerai par un nouveau récit. La deuxième est la création, en même temps, d'un grand secteur de la santé et du bien-être rendu indispensable pour répondre aux besoins des jeunes enfants, des vieux parents, ignorants de la providence d'État, et celle du Mamy-boom qui s'annonçait. Sans oublier ce bien-être des femmes dont on constate qu'elles ont su en user pour conserver, malgré l'âge, la séduction jadis réservée à Aliénor d'Aquitaine ou à Diane de Poitiers. La troisième conquête est la transformation de l'information, devenue télévision, et de la culture populaire, devenue divertissement grâce aux multiples séries hollywoodiennes. Tous ces métiers, toutes ces professions ont bénéficié de l'arrivée de nouveaux talents féminins commerciaux, médicaux, médiatiques, publicitaires issus des migrations européennes des années 1960, et des réfugiés d'Afrique du Nord, très spécialement d'Algérie, qui se sont massivement installés en France. L'image, le choc qui s'ajoute au poids des mots, a donné une force nouvelle aux messages transmis. C'est à cette époque que se sont manifestées les prémisses de la politique spectacle qui a envahi la démocratie politique du XXI^ème^ siècle, à son grand détriment. Le Général de Gaulle, qui était trop grand pour abaisser son nez vers la corbeille de la ménagère, après avoir refusé de le faire vers celle des boursicoteurs, a largement ignoré ce phénomène. *En ouvrant ce nouveau récit, je rappelle qu'au cours des premiers mois de ma présence à Paris, j'ai assisté à l'essor de la télévision en son temple, les studios de la rue Cognacq-Jay, où étaient réalisées les émissions de la télévision publique, l'unique TF, qui s'essayait au divertissement populaire.* *J'ajoute que quarante ans plus tard, j'ai opéré, professionnellement, pendant deux ans dans le temple mondial de l'Entertainment, Hollywood.* *Entre 1962 et 1965, mes objectifs personnels ont changé après avoir cherché à mettre un peu d'« Âme dans le béton » des grands ensembles.* *Je me suis adonné au développement de la consommation des ménages, qui sera à la fois le principal moteur et le principal carburant de la société française des baby-boomers des Trente Glorieuses.* *Les ménagères convoitées par le futur audimat de la télé, beaucoup plus chargées de famille que ne le seront leurs filles, sont devenues la clientèle quotidienne de la démocratie sociétale dans les associations, les centres sociaux et culturels, les manifestations commerciales, auxquels je me suis consacré.* *Aider les associations féminines en apprenant aux jeunes ménagères à gérer leur budget, à s'intéresser aux nouveaux logements et à leur ameublement, à faire vivre le fameux électroménager qui a « robotisé », déjà, les travaux domestiques, apprendre à acheter, à se soigner, à gérer le bien-être du couple et de la famille, à se cultiver et à se distraire avec la télévision.* *Tout cela s'est ajouté à mon travail grâce à la présence des assistances sociales locales, ces bonnes sœurs laïques des Trente Glorieuses.* *Cette chaîne d'opérations sociétales intéressait de plus en plus le monde de la distribution, lui-même de plus en plus structuré.* *On peut en mesurer l'évolution quand on voit à quel point les pratiques marchandes ont évolué avec les monstres commerciaux qui ont été installés près des ronds-points destinés à en faciliter l'accès.* *Ayant eu conscience de cette évolution, je me suis consacré à en accélérer les effets, au point d'assurer, en même temps, la formation des consommatrices partout où je pouvais les aider, y compris au Salon des arts ménagers.* *En même temps, il a fallu imaginer la formation des distributeurs qui voulaient passer de leur magasin à un centre commercial, et celle de leurs vendeurs, pour les faire bénéficier des dernières techniques de vente, nées aux États-Unis, chez NCR, le fabriquant des machines confiées à des armées de caissières dans le monde.* ## Le divorce avec les Français 1968-1969 Pendant que la société Française se transformait au pas de course, le général, de son pas majestueux, grimpait sur les estrades de Phnom Penh à Québec, en passant par Cancun et de nombreuses autres villes du tiers monde. Il a fait aimer la France en s'intéressant aux mouvements politiques locaux. Les Français n'ont pas compris. Les partenaires occidentaux non plus. Ni les États qu'il a critiqués dans les envolées de ses discours. Cette chevauchée à vocation géopolitique l'éloignait de la France qui continuait à se développer par le dynamisme d'une jeunesse qui voulait qu'on ajoute à la démocratie sociétale, la prise en compte des mœurs et de la culture dont elle exigeait la transformation. La révolte de 1968, à la fois solidement ancrée dans l'esprit des jeunes et spectaculaire, en bien ou en mal, dans celui des plus anciens, a fait descendre le monarque de son trône. Elle l'a obligé, par instinct de survie, à aller chercher la fidélité de son armée auprès de celui qui avait su se rendre à la raison au moment des événements les plus graves d'Alger. Cette sécurité obtenue, il a retourné la situation à son profit. Ce fut une réussite éphémère parce que le fond du problème était toujours celui de la participation de cette démocratie sociétale, portée par le monde féminin, dans le fonctionnement de la démocratie politique à laquelle il avait donné la forme d'une monarchie républicaine. La dégradation rapide de son pouvoir, qui a conduit au référendum de 1969, ne pouvait que le conduire à son départ sans qu'il puisse transmettre la notice de fonctionnement des institutions à ses successeurs. ## La République gaulliste de Georges Pompidou Avant de clôturer ce chapitre, j'indiquerai simplement qu'à partir de 1966, je me suis consacré à l'activité de régulation financière imposée par l'État dans le crédit à la consommation. Pour toutes les raisons que tout complot politique cherche à multiplier, il a été impossible de déterminer ce qui avait conduit l'entourage du Général à fabriquer le complot qui visait à déconsidérer la femme de Georges Pompidou. Exilé de la république monarchique après avoir réussi à calmer la révolte estudiantine et syndicale de 1968, l'homme qui était le successeur naturel du Général s'est fait élire facilement. Les revanchards de la politique avaient été satisfaits par la mise en ballottage de 1965 et par la démission de 1969. La révolte avait été réduite à quelques enragés. Rien ne s'opposait à l'élection qui a pris, dans le choix de l'électorat, la forme blanc-bonnet bonnetblanc. Le président Pompidou a bien rempli la mission qui correspondait à sa vision de la société. Il a été séduit par les projets du premier ministre avec lequel il est entré en discorde au milieu de son règne. Tout cela ne mérite pas de commentaire, sauf à relever un point positif pour les événements que la France a vécus par la suite. Georges Pompidou a fait connaître autour de lui un héritier gaulliste, Jacques Chirac, qui a porté la croix de Lorraine jusqu'aux premières années du XXI^ème^ siècle. Mon commentaire sur les effets découlant de l'usage des institutions par les différents successeurs du Général s'attardera sur Jacques Chirac. Le moment est venu du récit suivant. *En août 1974, alors que le règne de Georges Pompidou a été abrégé par la maladie, je me suis retrouvé invité à Bort-lesOrgues, dans la patrie de Jacques Chirac, au congrès annuel des Négociants voyageurs.* *C'est le nouveau nom qu'ont pris les anciens marchands de toile, profession auvergnate par excellence. Au XIX^ème^ siècle, des agriculteurs privés d'activité par l'hiver, assez rigoureux dans le Cantal et la Corrèze, achetaient des toiles fabriquées dans les usines régionales voisines pour aller les vendre, dans les villes minières du Nord et de l'Est de la France, aux populations immigrées qui fournissaient la main-d'œuvre dont la France a un besoin chronique.* *Au moment où le vocabulaire a changé pour permettre aux aveugles de devenir des « non-voyants », les marchands de toile sont devenus « négociants voyageurs ». Leur président a souhaité étendre le commerce aux produits bruns de la télévision et aux produit blanc de l'électroménager.* *Il fallait pour cela proposer du crédit.* *C'est la raison pour laquelle j'étais en relation avec lui.* *Invité à ce congrès, au sein duquel je ne connaissais personne, j'y ai trouvé un convive passionnant qui m'a donné sa vision des trois parrains qui présidaient habituellement la cérémonie, Pompidou, Giscard, Chirac, et qui étaient pour lors absents.* *Journaliste local retraité, il en connaissait parfaitement les particularismes.* *J'étais là pour écouter et j'ai été servi, sans oublier la qualité des plats d'un congrès tenu dans un milieu et dans une région qui ne chipote pas sur les calories.* *Je vais résumer les propos de table de ce journaliste expérimenté :* *« Charles de Gaulle a été un très grand homme qui a réhabilité l'honneur de la France, qu'il aimait au point de tolérer les défauts des Français. Georges Pompidou a été bon président qui a réhabilité la vie politique des Français en se mettant à leur service. Valéry Giscard d'Estaing sera un président qui fera tout pour mettre les Français à sa disposition.* *Il ne s'entendra jamais avec Jacques Chirac qu'il méprise. Jacques Chirac est un brave garçon au sens paysan du terme. Il ne pourra pas s'empêcher d'aimer les Français, quoi que ça lui coûte. Il utilisera toutes les ressources de son ambition jusqu'à devenir président de la République après avoir viré Giscard. »* Je me suis bien gardé de faire la moindre réflexion. Quarante-six ans plus tard, j'ajoute un commentaire. Le Général De Gaule avait une stature d'homme d'État internationalement reconnu. Il suffit de voir l'assistance réunie non pas autour de son cercueil à Notre-Dame mais autour de sa mémoire et de son œuvre, pour pouvoir l'affirmer. Il ne méritait pas, après ce qu'il avait apporté au pays, de finir « dégagé » comme un politicien médiocre. Il avait parcouru les sentiers de la gloire qu'il a repris vers Colombey. Il n'a jamais appartenu aux charlatans de la politique qui pérorent au bord des sentiers que la République a toujours offerts à ses enfants turbulents.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CHAPITRE VIII : LA RÉPUBLIQUE DYARCHIQUE 1975-2012
# CHAPITRE VIII : LA RÉPUBLIQUE DYARCHIQUE 1975-2012 D'après le Larousse, la dyarchie se définit comme *« un régime politique dans lequel le pouvoir est exercé conjointement par deux personnes ou deux groupes ».* Ce que j'appelle la République dyarchique est née de l'introduction de la *cohabitation* dans nos institutions dans le but d'atténuer les effets d'un pouvoir monarchique. Elle a affecté cinq présidences successives. Elle découle d'une volonté de sauvegarde du pouvoir conquis alternativement par chacun des deux mouvements politiques qui ont dominé la période. Une sorte de contrat tacite s'est établi entre eux pour leur garantir d'échanger des manettes en cas de maltraitance du pouvoir en place par les électeurs. La dyarchie n'est pas néfaste en son principe, mais elle l'est devenue, et gravement, dans la mesure où elle a permis à une politique désavouée d'être poursuivie sans que la sanction soit exécutée. Trop de décisions des électeurs sont restées sans suite ou ont été contournées, ce qui a conduit au rejet de la démocratie par une large part de l'électorat. C'est ce qui a fini par provoquer le coup de balai de 2017, au profit de jeunes parlementaires qui cherchent, depuis, à s'appuyer sur les institutions pour sortir le pays des conséquences des *belle combinazioni* qui s'étaient multipliées. Les couples Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur, ChiracJospin, Chirac-Sarkozy, Sarkozy-Fillon ont été conçus pour permettre au premier membre de la paire de conserver le pouvoir et au second de tenter sa chance d'y accéder lors de la consultation suivante. Ces présidences à deux têtes, différentes entre elles, que ce soit dans leur organisation, dans la manière de régner, dans celle de gouverner, sont et restent des monstres marins, voire sous-marins dans la manière de comploter. Ces Républiques dyarchiques successives portent la responsabilité de la dégradation constante de la vie citoyenne. Le nombre d'abstentions, toujours regrettable lorsqu'il s'agit d'élire un Président doté de pouvoirs importants, s'est aggravé, dans ses conséquences, par le développement de la pratique du vote blanc. Il convient donc d'analyser chacune de ces présidences à deux têtes afin d'identifier les dysfonctionnements à éviter à l'avenir. Cette analyse, brève et limitée, portant sur les conséquences, à terme, de la gouvernance à deux têtes, sera complétée par le récit des activités personnelles que j'ai menées pendant cette période, et qui étaient en phase avec l'évolution de la société française. ## La Présidence énarchique, 1975-1981 En s'installant au pouvoir, Valéry Giscard d'Estaing a choisi de mettre les rouages de l'État républicain qui lui était confié entre les mains de ses amis énarques. Il les a progressivement installés à la direction des partis politiques de gouvernement, dans son administration, dans les entreprises publiques, et jusque dans son entourage. L'auteur, qui a eu la chance de visiter les lieux de vie du couple Pompidou à l'Élysée, s'est rendu compte à quel point la rénovation entreprise dans les pièces d'habitation, leur décoration et leur ameublement, annonçait le retour du classicisme bourgeois de la Fonction publique. Il ne manquait plus que l'installation du classicisme étatique, bureaucratique, pesant, pratiquant la Tyrannie du Guichet, découlant de l'enseignement marxiste reçu à l'ENA, dénoncé dans un échange privé, en 2000, à Pékin, par Giscard lui-même. L'élève brillant de l'École nationale d'administration était dorénavant chef d'État, après avoir été chef de mouvement politique. Il lui restait à installer au pouvoir ses collègues formés à l'administration de l'État. La monarchie républicaine, prenant cette tournure énarchique, allait fabriquer une technocratie tentaculaire dont les effets néfastes ont durement affecté la société française. Pour atteindre son objectif et attirer vers lui les des deux tiers d'entre eux, le Président a régné sur les mœurs des Françaises et des Français, sans toutefois réussir à les séduire ni à se faire réélire en 1981. Dans ce contexte, j'ai eu envie d'aller prendre l'air à l'extérieur. *Pour cela, je me suis engagé dans une activité de tour-opérateur.* *J'ai repris la gérance, non rémunérée, d'une agence de tourisme, dont je pressentais qu'elle pourrait connaître un bon développement grâce à la fin progressive des hostilités liées à la guerre froide.* *J'ai consacré mes loisirs à ces activités de tourisme, en y ajoutant un objectif géopolitique qui a contribué à leur succès : faire découvrir et apprécier la vie des populations locales.* *Quarante pays ont été visités en quarante ans, dont, le Japon, la Chine et le Moyen-Orient, au cours du règne de Giscard. Un livre racontant ces voyages a été publié en 2019, et il est épuisé.* ## La Présidence étatiste, 1981-1988 François Mitterrand a attendu le 10 mai 1981, en ruminant son désir de revanche pendant vingt-trois ans. En passant « de l'ombre à lumière » il a utilisé son premier septennat pour faire revivre l'utopie marxiste, que les Polonais étaient en train d'abattre. Certes, il n'avait pas d'autre choix pour accéder au pouvoir suprême que celui d'associer le mouvement communiste à sa démarche. Il a réussi à éviter à la « volaille socialiste » de se faire plumer, selon la promesse de ses nouveaux compagnons de route. Trois ans ont passé, après quoi il a pu savourer la solitude d'un pouvoir accusé de machiavélisme, quand il a rejoint discrètement le camp des démolisseurs de la muraille de Berlin. Ce retour vers les lubies développées pendant la guerre froide, suivi d'un virage à cent quatre-vingts degrés a interloqué les commentateurs et stimulé l'ambition d'un autre impatient, qui piaffait en pensant à l'Élysée du haut du balcon de sa Mairie de Paris. Ce septennat a laissé des traces dont les Français ne prendront conscience qu'après quelques années, au cours du septennat suivant. *Les dirigeants de la Banque Sofinco, spécialement l'équipe de ses fondateurs, sont directement concernés par les convulsions de 1982. Ma nomination au conseil d'administration de la banque, nationalisée, m'a procuré protection et répit pour agir.* *Mais je savais qu'il faudrait m'en aller à la première occasion, en faisant une croix sur les indemnités liées à mes vingt-cinq ans d'ancienneté. Les querelles politiciennes au sein de la Direction générale étaient insupportables.* *Nous sommes partis au plus tôt avec plusieurs collègues.* *Auparavant, je vais revisiter la démocratie sociétale et féminine, abandonnée dans le grand ensemble d'Épinay-sur-Seine que j'ai quitté en 1981 pour rejoindre Évry et les résidences, construites à l'américaine, qui l'entourent.* *La Présidente, issue du monde consumériste, que j'ai fréquentée à mes débuts à Épinay, puis sous le règne de Giscard, avec la loi Scrivener, se révèle amicale et coopérative. Nous adaptons les pratiques publicitaires, les messages, la formation, très loin des poncifs de la doxa politicienne.* *Cerise sur le Kouglof de son alsace natale, elle m'invite à un déjeuner qu'elle organise le jour de la Fête des femmes, en mars 1983. J'y retrouve sept dirigeantes de banques ou ministres, et groupies appréciées de François Mitterrand. Passionnant !* *J'ai gardé pour moi mes sentiments et mes commentaires.* ## Le second septennat de François Mitterrand, 1988-1995 *Ces années feront l'objet d'un ouvrage spécial, porteur de réflexions plus approfondies : j'ai déjà expliqué pourquoi.* *Chacun a compris que le citoyen Rouger, formaté dans les années 1930 par une tante socialiste qui a vénéré François Mitterrand après la guerre, a toujours éprouvé, sans jamais voter pour lui, une sympathie personnelle pour l'homme, ses idées, sa personne, sa foi dans les forces de l'esprit.* *Une longue relation, initiée en septembre 1981 avec un de ses plus fidèles amis personnels et politiques, a permis d'affiner les réflexions qui serviront de base à ce second ouvrage.* *La recherche d'une nouvelle activité s'imposait après ma rupture avec Sofinco.* *À cette époque, on m'a proposé une candidature municipale, avec le Sénat en ligne de mire, mais mes réflexions sur l'état de l'État m'incitaient à chercher plutôt un poste stratégique pour y vivre la crise qui ne manquerait pas de survenir.* *Je me suis donc orienté vers la présidence du tribunal de commerce de Paris, démarche tenant du pari présomptueux s'agissant d'un individu qui n'avait même pas son certificat d'études.* *Conscient que l'absence de diplômes ne signifie pas absence de compétences, pas plus que la présence de diplômes ne constitue une garantie de compétences, j'ai dû démontrer, sans cacher mes lacunes, la correspondance entre la situation qui s'annonçait et le projet que je proposais au suffrage de mes collègues.* ## Le premier septennat de Jacques Chirac, 1995-2002 Le grand jeune homme dynamique, ambitieux, connaisseur des arcanes du pouvoir d'État depuis sa participation au traitement, par Georges Pompidou, de la révolte de mai 1968. Il a atteint son but, contre toute attente. Second roi dyarchique de Valéry Giscard d'Estaing, puis de François Mitterrand, il arrive enfin au pouvoir, avec le profil que m'avait tracé de lui, en 1974, un journaliste rencontré dans les salons corréziens. Les sentiments qu'il portait aux Français, à la fois sincères et profonds, n'ont pu s'exprimer, paralysé qu'il était par la camisole de la technocratie et de la bureaucratie que le monarque de 1975 avait mises en place. Ce fut le drame de l'automne-hiver 1995. Ayant vécu, au quotidien, la triple crise de l'État, disparition du patrimoine bancaire de la Nation, rejet de la politique qui avait été adoptée par les électeurs six mois plus tôt, et mise sous tutelle du budget par Bruxelles, j'étais dans l'attente de savoir si l'acceptation, par la sévère DG4, des conditions du sauvetage du Crédit Lyonnais, permettrait à la France de respecter les exigeants critères de Maastricht et de rejoindre l'Euro. L'aventure arrivait à son terme. En mars 1996, après avoir traité et vendu la moitié du patrimoine dont on m'avait confié la gestion, qui se trouvait dans un tel état qu'il continuait à aggraver les pertes finales, j'ai proposé de partir. Cette « vente de salubrité publique » a été mal vécue par les responsables du désastre, qui ont redressé la tête lorsque le pouvoir d'État a changé de mains après les élections législatives de mars 1997. Passons au récit pour éclairer ces temps obscurs. *Dès juin 1991, j'avais annoncé la catastrophe du système bancaire français, et je l'avais expliquée, dans le détail, aux collègues qui m'avaient choisi pour Président.* *Le Crédit Lyonnais, première banque européenne, aux multiples filiales, allait « sauter », comme un bistrotier qui aurait consommé son fonds.* *Personne ne m'a cru, pas même Jean-Luc Lagardère, car le salut de son groupe, ruiné par la faillite de sa chaîne de télé, la Cinq, dépendait de la bonne santé du « Lyonnais ».* *Certains dirigeants de la banque, alertés, n'ont pas davantage réagi.* *Passons !* *En 1993 et 1995, à Prague et à Venise, j'ai participé à des rencontres économico-politiques suscitées autant par le séisme des législatives de mars 1993 que par l'arrivée annoncée d'Édouard Balladur à l'Élysée.* *J'y ai discuté avec de nombreux leaders de cette période, dont le très original Emmanuel Todd, inventeur de cette « fracture sociale » toujours en attente de réduction.* *Le 25 juillet 1995, j'ai été nommé pour diriger le CDR (Consortium de réalisation), un organisme d'État en charge du plan de sauvetage du Crédit Lyonnais.* *Ce fut une journée « Rock'n Roll », au cours de laquelle les petits commis du ministère très socialiste de 1981, bombardés plus tard grands banquiers, ont cherché à désigner eux-mêmes le président du CDR, un très haut fonctionnaire.* *Ils l'ont fait nommer dans le quotidien qui était, à l'époque, baptisé journal officiel du soir.* *Sans effet.* *L'affaire était extrêmement politique. Elle a exacerbé les tensions, suite à l'exploitation d'un rapport parlementaire utilisé par les uns pour diaboliser les autres.* *En outre, les dégâts collatéraux provoqués au sein de la Bastille de Bercy, ont généré une pléthore d'organismes et de procédures de contrôle accessibles aux lobbies attirés par le capharnaüm de la caverne d'Ali Baba.* *Je ne disposais d'aucun appui au sein de l'État, sauf celui de l'éphémère ministre qui a quitté Bercy, puis de son successeur, homme politique positif, conscient des nécessités conjuguées du Droit et de l'économie.* *J'ajoute que l'accueil et la coopération des hauts fonctionnaires de la Direction du Trésor, comme de ceux de la Banque de France, ont été à la fois rigoureux et bienveillants.* *Celui d'entre eux que j'avais choisi comme Directeur général a montré un très haut niveau d'engagement et de conscience.* *Nous avons accompli ensemble une tâche rendue complexe par les multiples interventions politiques dont le juge financier, la Cour des comptes, a dénoncé les excès, tout en jugeant que notre action, celle gentiment caricaturée par* Le Canard enchaîné *qui me qualifiait de* « Seigneur des poubelles », *avait été conforme à l'intérêt général, dont on nous avait confié de prendre soin, après la maltraitance qu'il avait connue.* *À l'inverse, elle a été méchamment critiquée dans quelques canards déchaînés par le dépit agressif de certains acheteurs, rejetés parce qu'ils ne voulaient pas payer un juste prix.* *Malgré le caractère harassant de ces responsabilités, j'ai réussi à poursuivre mes activités de tour-operating, spécialement en Russie, au Liban, aux USA et au Royaume-Uni, tous empêtrés dans leurs affaires financières.* *J'ai pu, avec quelques amis, organiser des rencontres baptisées* *« Les Entretiens de Saintes », pour étudier les rapports entre Justice, économie, politique et presse.* *Cette activité à but sociétal, très soutenue pendant quinze ans, m'a laissé une documentation de grande valeur qui a très bien vieilli et que je compte exploiter.* ## La seconde présidence de Jacques Chirac, 2002-2007 L'élection présidentielle de 2002, unique en son genre, a vu le roi élu avec 80 % des suffrages. Elle a conduit à une dyarchie encore plus originale que les précédentes. Le retour au pouvoir dyarchique d'un socialisme pragmatique (sauf la RTT, punition pour le patron, à l'instar de l'impôt sur les fenêtres, punition pour le propriétaire), marquera la cohabitation avec Lionel Jospin. Elle fut plutôt paisible. Ce que n'avait pas été la cohabitation Chirac/Mitterrand, lequel avait utilisé la détestation qu'inspirait Chirac à Le Pen pour tenter de l'empêcher, en vain, de revenir au pouvoir. L'élection de Lionel Jospin, Premier ministre dyarchique en 1997, provoquée, au début de son mandat, par Jacques Chirac, ne fut ni entravée ni manipulée. L'arrivée du Front National en finale de la présidentielle a été voulue par les électeurs. Ils ont manifesté en 2002 leur mauvaise humeur à l'égard d'un régime qui méritait bien qu'on lui *« mette Le Pen dans les pattes »* ! Le troisième larron en a été victime. Le retour de Nicolas Sarkozy au sein des affaires de l'État, grâce au mouvement politique de l'UMP, né de cette présidentielle, a entraîné une dyarchie politique inattendue au cours de ce quinquennat. Malheureusement pour Jacques Chirac, les affaires que la Ville de Paris avait réussi à garder discrètes entre 1988 et 1995 ont été dévoilées entre 1995 et 2002. Elles ont contribué à dégrader l'image d'un Président dont la véritable gentillesse à l'égard des Français n'a été reconnue, comme souvent, qu'au moment de ses obsèques, en 2019. *Pour ma part, le temps continuant de passer, j'ai choisi de privilégier la recherche sociétale, en préparant ma sortie de toutes mes autres activités.* *Je suis revenu vers le monde féminin.* *Toujours attentif aux manifestations de l'Association des amis de Rabelais, j'ai été invité à participer, à la Cour de cassation, à un colloque qui opposait trois visions concernant l'existence d'une âme féminine remise en cause par le Concile de Trente : celle d'André Tiraqueau, conforme au Concile négatif ; celle de Rabelais, hésitant sur la décision du Concile ; celle, féministe, de Christine de Pisan, femme de lettres française du XIV^ème^ siècle, admirée par Bouchard, sénéchal de Saint-Jean-d'Angély, que je représentais.* *Ce débat préfigurant les plaintes justifiées des femmes qui trouvent, enfin, un écho, m'a rappelé deux souvenirs.* *Quelque temps auparavant, assistant à la cérémonie des Oscars à Hollywood, je m'étais retrouvé au dîner avec plusieurs acteurs et actrices, dont celle qui fut la « Maudite Aphrodite » du célèbre film de Woody Allen.* *Le comportement de certains producteurs qui réinventaient le droit de cuissage, made in France, fut abordé incidemment, sans insister.* *Les brefs propos échangés alors m'ont fait souvenir de ceux d'un copain des années 1950, qui claironnait en partant à la chasse :* *« J'ai le fusil. Mon chien et ma femme ont intérêt à se tenir à carreaux, s'ils ne veulent pas de plomb dans les fesses. »* *En 2002, la mondialisation s'étant installée, le moment était venu de valoriser les compétences acquises en matière de droit et de justice pour aller tenter ma chance dans les milieux de l'arbitrage international.* ## Le quinquennat de Nicolas Sarkozy, 2007-2012 La présidence Sarkozy a été consacrée au traitement de la maladie virulente causée par les produits toxiques fabriqués aux ÉtatsUnis sous la marque incompréhensible des *subprimes*. Faire face et trouver une porte de sortie progressive en évitant que les conséquences sur le budget de l'État, directes ou indirectes, viennent aggraver la situation des citoyens éloignés de toutes les formes de pouvoir, a demandé toute son énergie. En 2012, il a perdu, devant l'opinion qu'il avait malmenée avec ses comportements abrupts, le match de revanche du match aller que l'épouse de son adversaire avait perdu en 2007. L'élection de Nicolas Sarkozy a permis de connaître l'opinion des Français sur la démocratie sociétale, voire participative, portée par son adversaire. Que l'on en soit satisfait ou qu'on le déplore, la réponse des Français fut claire. Ils n'étaient pas prêts à franchir le cap d'une présidence féminine. Est alors intervenue la présidence de François Hollande, dominée par la volonté de régner sur l'opinion des Français plutôt que sur les Français eux-mêmes. Personne n'a compris, même dans son entourage, ce qui l'a mis en situation de renoncer à poursuivre. Ce fut un Président médiatique d'une période hyper médiatisée dont les images, et les réseaux sociaux construits par les Américains, ont dominé la vie publique. Il faut terminer par un bref récit. *Souhaitant tirer de cette hyper médiatisation quelque chose d'utile pour l'avenir de ma famille, j'ai mobilisé ceux auxquels cet avenir appartient, mes enfants et petits-enfants, pour m'aider à construire un modèle de média intégrant l'écrit sur papier, l'écrit sur écran, la TV sur le Web, les vidéos et forums d'échanges et de débats éducatifs.* *Cet ouvrage en fait partie, comme en feront partie les travaux de recherches et les manifestations de l'Institut Présaje, partenaire scientifique de ce média intégré au cœur de la vie sociétale et politique qui naîtra des débats des années 2020.* Ce chapitre se termine. Il sera suivi par celui des conclusions à verser aux débats de demain.
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CHAPITRE IX : HÉRITAGE DE LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE
# CHAPITRE IX : HÉRITAGE DE LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE ## L'HÉRITAGE DU GÉNÉRAL, 1958-2017 Ce chapitre est consacré à l'usage qui a été fait de nos institutions par les dirigeants que nous avons élus, et auxquels nous les avons confiées. Cet usage a conduit le pays dans les impasses actuelles du fait de deux erreurs. ### Le retard dans l'appréciation de la réalité du pays En septembre 1958, la France a adopté un régime républicain rénové. En affirmant l'unité, l'indivisibilité et la laïcité de la Nation, celuici a marqué l'Histoire contemporaine de notre pays. La Cinquième République a fêté discrètement ses soixante ans d'existence à l'automne 2018. Cette durée de vie est beaucoup trop longue, si l'on tient compte que le fondateur en a conçu les principes au début des années 1930. Elle est injustifiable si l'on considère la rapidité des mutations de la société auxquelles les institutions doivent s'adapter, dans le court terme, tout en prenant soin de conserver une Constitution qui soit la base et le ciment des fondations de la Nation, sur le long terme. Ce régime monarchique, plaqué sur l'esprit républicain du pays, le temps de faire oublier les déchirements de la guerre de 1939- 1945, de réussir la décolonisation et de mener à bien l'essor des Trente Glorieuses au sein de l'Europe rétablie, aurait dû être rénové, au plus tard, après 1980. Il était évident qu'il avait accompli sa mission. Une fois la France remise sur ses rails, industrialisée et décolonisée, il fallait penser aux Français. La priorité donnée à la géopolitique, spécialité du fondateur, l'a empêché. Son ancien Premier ministre, son successeur immédiat, s'y est employé, mais la maladie a interrompu son projet de se rapprocher des Français. ### La captation de l'héritage politique du fondateur Les six successeurs du Général se sont efforcés de conserver son héritage pour exploiter les moyens qu'il leur offrait d'exercer leur pouvoir, chacun à sa manière. Le temps est venu du rejet des conséquences de cette captation, détournée de l'objet initial, et forcément éphémère, de même que celui des élites qui s'y sont prêtées. Le Président élu en 1981, qui aurait dû transformer les institutions pour assurer le destin du pays, a préféré assurer le sien par l'usage monarchique de la Constitution auquel il s'est rallié, bien qu'il l'eût rejetée, comme inacceptable, dans de multiples écrits et publications en exposant la détestation que cet usage lui inspirait. Le caractère inapproprié de son action eu égard à sa mission de Chef d'état a échappé à la plupart des analystes, parce que la pensée correcte dominante considérait qu'il lui fallait se servir des mêmes moyens que ceux dont la droite avait usé pour tenir l'opposition de gauche qu'il représentait, et qui avait été tenue à l'écart du pouvoir durant vingt-trois ans. Cette démarche, construite sur les alliances idéologiques nécessaires pour accéder au pouvoir, a marqué les quatorze années de son propre règne, par les désordres qu'elle a provoqués et a imposé la pérennité d'institutions devenues obsolètes au regard de l'évolution de la société. La référence au modèle idéologique, que le pouvoir monarchique permettait d'imposer, a perdu son sens lorsque le modèle s'est effondré lui-même. Le virage politique qui aurait été nécessaire a été compliqué par la survenance de la grave maladie qui a modifié la conduite du Président. Le déclassement de la Nation au sein de la communauté internationale, engagée dans les transformations de la mondialisation économique et le multilatéralisme politique, a découlé de cette conservation des structures internes datant d'une Guerre froide que tout le monde oubliait. Il fut rendu inévitable par la prolongation d'un régime toujours aussi inapproprié à sa mission et il est hélas difficilement réversible aujourd'hui. La république monarchique perdure depuis 1958 en subissant, de plus en plus violemment, la contestation des citoyens sur lesquels, paradoxalement, opèrent toujours la séduction de son modèle autoritaire et la croyance en son utilité. Les électeurs ont le sentiment, erroné, qu'ils influeront, en votant pour celui qui règnera, sur les décisions prises à leur égard ou à leur encontre, par celui qui gouvernera, espoir qui a toujours été trompé. Celui qui recherche sa victoire électorale en usant de la martingale, dite « loi de Mitterrand », consistant à tirer parti de deux adversaires qui se détestent, et dont l'un des deux fera battre l'autre, permettant au troisième de continuer à régner pour cinq nouvelles années. Force est de constater que cela fonctionne. La Constitution subsistera peut-être, mais pas les institutions périmées. ### Les victimes de ce déclassement Les citoyens des supermarchés « discount » qui vivent des produits low-cost, exclus de ce système monarchique, pâtissent de cette situation qui entraîne leur propre déclassement. Ils représentent une partie importante de la société, spécialement les générations qui ont lié leur destin à la providence d'État. Ils viennent gonfler le mouvement de la revanche politique, rejoints par ceux qui ont été victimes du coup de balai de 2017, auxquels s'ajoutent ceux de la révolte, amplifiée par le goût de la violence moderne qui s'est installée dans les médias. Tout cela fait beaucoup de monde. Jusqu'à ce que le pays passe du déclassement au déclin s'il ne corrige pas ses institutions, bloquées par la poursuite de la pratique monarchique. Il ne reste plus grande place pour les mouvements de réforme, ceux qui ont compris qu'il fallait transformer les institutions. Ils sont devenus démocratiquement minoritaires et ils craignent le pire, lequel, heureusement n'est jamais sûr. Réponse demain. Cette perspective a été évoquée et documentée par l'auteur dans une conférence faite à l'étranger début 2012, dans le vain espoir de faire passer le message dans les débats des élections présidentielles de l'année. C'est manifestement ce que la génération des trentenaires de l'époque a compris en préparant le coup de balai politique qui a dégagé les partis de gouvernement qui se sont échangé les règnes des présidents et la gouvernance des administrations depuis plus de trente ans. ### La mutation des mouvements politiques Les règles qui définissent le fonctionnement des divers régimes politiques (monarchies, démocraties dictatures à forme républicaine, voire théocratique...) ont affecté le comportement des électeurs, de plus en plus sollicités dans le monde entier. Cette transformation se révèle dans de multiples « printemps ». La *revanche* des vaincus, la *révolte* des soumis, prennent, grâce aux nouveaux médias, un caractère permanent, émotionnel, dénonciateur, qui empêche les tentatives de réformes, quelle que soit leur utilité, menées par ceux qui gouvernent. Une forme d'insurrection modérée s'est installée qui consiste à « faire reculer le gouvernement », proclamation devenue hebdomadaire, en France, au point que le pouvoir en place ne sait plus s'il doit répondre par le NON politique, coûteux en suffrages, ou par le OUI monétaire, onéreux en impôts. C'est à cette indécision que l'on a assisté au printemps 2019. Souvenons-nous des paroles de Sully à Henri IV : *« Sire, faitesmoi de la bonne politique, je vous ferai de bonnes finances ».* Et de la réponse : *« Faites-moi de bonnes finances, je vous ferai une bonne politique ».* Que faire, que dire dans le débat risqué actuel ? Il ne suffira pas, hélas, de faire référence à Sully pour sortir le pays de la situation dans laquelle il se trouve, au moment où le camp de la révolte multiplie les manifestations brutales à Paris. Ce marasme, mélange détonnant de rébellion et de révolution spectacle, demande à être traité au fond. L'administration lui applique des remèdes de cheval afin de tenter de le dissimuler à défaut de l'éradiquer, en jouant de sa déconsidération. Certains considèrent que le modèle républicain actuel, porté par le pouvoir présidentiel et législatif né en 2017, conduira à la mort de la Cinquième République. D'autres la considèrent comme déjà moribonde, chacun prenant plus ou moins ses désirs ou ses inquiétudes pour des réalités. La plupart se dispensent d'une analyse plus sérieuse du fonctionnement des institutions, qui procèderait à la manière d'un scanner s'attachant à définir l'état réel du patient. Pour appliquer cette méthode à la Cinquième République, allongée sur un brancard aux urgences de l'Hôpital Pompidou, en attente de soins, il faut pratiquer deux examens qui révèlent l'origine des dégradations progressives constatées : le régime monarchique de 1958 à 1974 et le régime dyarchique de 1975 à 2017. La période de 1988 à 1995, quoique républicaine et respectueuse des institutions, a été tellement irrespectueuse des intérêts de la Nation, par l'accumulation de ses défaillances, qu'elle méritera une analyse spécifique, dans un livre documenté par celui qui a vécu cette crise au cœur de l'État. ### Le diagnostic global Il se vérifie de plus en plus que c'est le mésusage de la Constitution et des institutions de ce régime qui a ouvert, en grand, la porte conduisant vers le déclassement du pays. La génération qui se glorifia, à ses débuts, du nom de son monarque réélu, François Mitterrand, et devenue, trente ans plus tard, celles des « Milléniaux » nés depuis 1988, en subit, aujourd'hui, les conséquences dramatiques. Elle les partage avec la génération de ses parents soixantehuitards, qui ont rêvé d'une retraite en train de se transformer en cauchemar et en révolte, à Paris et sur les ronds-points des provinces devenues territoires desquels l'État s'est éloigné. ### Régner, gouverner, comploter Les règnes successifs des Présidents de cette République monarchique, férus des pratiques du règne et du complot, seront abordés à travers les mutations des mouvements d'opinion, l'émergence de la démocratie sociétale, puis l'apparition de la démocratie participative inspirée par les nouveaux modes de communication. Sous les effets conjugués de ce changement profond de mode de vie, imposé par l'économie de marché et par la société de consommation, amplifiés par la mondialisation de la fin du siècle, la société est dorénavant animée par plusieurs concepts qui, bien que véhiculés par les médias de la société digitalisée, sont maintenus en dehors des politiques étatiques et souvent incompris par excès de bureaucratie. La démocratie sociétale, très présente dans les débats de la présidentielle de 2007, exige des échanges et des concertations que l'État-administration, de plus en plus confondu avec des mouvements politiques certains de garder le pouvoir au moins cinq ans, a géré avec trop de légèreté, voire d'incompétence. Il est vrai que cet État technocratique est prisonnier de la Bastille financière de Bercy, reconstruite par le premier Président énarque, maître des plus efficients des gardiens du temple. La démocratie économique, qui vit par la masse des entreprises privées, petites et grandes, des professions libérales et des artisans, est accablée par les contraintes que lui imposent l'État et son administration. Les entreprises publiques, qui sont la source de la contestation sociale et des désordres que vit le pays, partagent avec les administrations les mêmes dirigeants d'une économie managériale conçue dans les mêmes écoles. L'économie culturelle connaît les mutations brutales liées à des modes de communication tels que les réseaux sociaux, qui ont réussi à affranchir les jeunes générations des servitudes imposées aux anciennes, dont la pensée démocratique était formatée par les mouvements d'opinion et les partis politiques. Je reviens à mon récit. *Lors de ma première rencontre avec les trois commissaires aux comptes des treize banques, filiales du Crédit Lyonnais, réunis, en décembre 1995, pour qu'ils expliquent la facture de trente milliards d'euros payée par les finances publiques, le silence fut pesant.* *Le plus courageux a choisi la métaphore et donné une explication courte, la seule pertinente : « On nous avait demandé de mesurer la profondeur du trou. Pour l'apprécier, on est descendus sans jamais trouver le fond. On a demandé qu'on nous renvoie de la corde. On nous a répondu. Il n'y a plus de corde, remontez ! »* *C'est à mes yeux la situation dans laquelle se trouve la société française. Si on demande au pouvoir de renvoyer de la corde, il n'en a plus.* *Il va donc falloir remonter puis se décider à combler le trou béant des dettes accumulées depuis trente ans.* *Il faut espérer que la corde qui reste ne serve pas à pendre celui qui en tient le mauvais bout.* ### La Cinquième République et son fondateur en son temps La Cinquième République est née dans l'esprit d'un homme qui a eu le mérite d'inspirer ses successeurs, avec leurs caractères et leurs tempéraments, sans qu'on puisse considérer que ceux qui avaient eu le courage de se représenter et qui n'ont pas été réélus, aient échoué. Le fondateur, Charles de Gaulle, était né en pleine Belle Époque républicaine et romantique, celle de la Troisième République. Construite avec le militaire, l'éducateur, et le colonial, telle que décrite dans le chapitre précédent, elle fut profitable à la Nation. Le Parisien, dont l'esprit et l'action politiques avaient été écrasés en 1871, a fait vivre la Belle Époque culturelle, grâce à ce qui avait été enrichi, dans sa ville, par les reconstructions du Second Empire. Ce fondateur, visionnaire, avait su exiler sa République à Londres pour que la flamme ne s'en éteigne pas à Vichy. Il l'a ramenée en France où il s'est trouvé pris dans la résurgence de l'esprit politique des années 1930 et a été poussé vers la retraite. Homme d'un autre siècle, autoritaire et républicain, il a développé l'action politique que je vais commenter ci-dessous. En revanche, il n'a pas vu venir la mutation de la société française qui a fait succéder un appétit de jouissance au devoir du sacrifice. Il pensait pouvoir résoudre le problème par la seule action politique et par l'État qu'il avait aidé à reconstruire. Sa pensée politique reste vivace. La fonction sociétale, le social, les mœurs, le débat, ont rapidement pris en compte et exprimé les aspirations qui trouvaient auparavant leurs débouchés dans l'action politique. L'émergence de la *démocratie sociale*, encouragée par le développement de l'État providentiel mis en place pour la reconstruction du pays et de sa démographie, de la *démocratie économique* issue du dynamisme industriel, de la *démocratie culturelle* entraînée par l'évolution des médias, ont toutes contribué à cette mutation irréversible. Hélas, ces réalités sont restées incomprises autant par le pouvoir politique que par son État administratif qui se partagent aujourd'hui l'hostilité de la majorité des citoyens. La déstabilisation de 1965, la revanche de cette mise en ballottage électoral obtenue par un homme qui avait porté la Francisque de Vichy pendant que lui portait la Croix de Lorraine, la révolte de 1968 qui l'a conduit à s'interroger sur la fidélité de son armée à Baden-Baden, la réforme des institutions qui a provoqué la perte du référendum et sa démission, ont mis fin à sa relation avec la France et les Français. En conclusion de ce chapitre consacré à l'œuvre du Général de Gaulle, j'invite chacun, dans un pays déchiré et tourmenté, obsédé par les jeux de pouvoir, à rechercher la vérité où elle se trouve. Les droits naturels, ceux qui limitent la liberté de chacun à celle de son concitoyen, ont été détruits, pas seulement dans les cités de non droit. Les bureaucraties triomphantes et l'irresponsabilité institutionnalisée ont dénaturé l'œuvre de justice. La fracture de 2017 est là. Personne n'a encore trouvé le moyen de la réduire. Il faut observer comment vont s'organiser les mouvements de la revanche, ceux de la révolte et ceux de la réforme qui font vivre la société démocratique. Dans l'urgence, il faut ajouter aux transformations exigées, celles imposées par les évolutions démographiques, religieuses et climatiques, dont les peurs qu'elles provoquent peuvent conduire au sentiment de révolte et à la volonté de révolution. Il est grand temps de prendre la mesure de la gravité de la situation d'une République dont les obsèques auront lieu dans les prochaines années, et dont il reste à choisir le type de mort. Ce sera le très grand débat. Souhaitons qu'il s'ouvre autrement que le gouffre financier que j'ai évoqué. À ce sujet, il faut apporter une précision sur l'utilisation des récits dans cet ouvrage. J'ai eu l'occasion de rencontrer les six présidents que j'ai cités, pas le septième. Le déroulement des soixante années de vie que j'ai partagées avec la Cinquième République m'a permis de côtoyer toutes les formes de pouvoirs rattachées à ces présidents et de coopérer avec elles, ce qui me permet de commenter leurs actions politiques et sociétales. J'ai voulu m'en tenir à ces courts récits plutôt que d'adopter le modèle autobiographique. Ma vie personnelle, son originalité, sa grande variété sociétale, ont intéressé deux sociologues. Je leur en ai confié l'analyse. Leurs travaux, en cours, me sont complètement étrangers, mais me dispensent de venir « raconter ma vie » dans cet essai. J'aurais continué à me taire si le choix que j'ai fait de rester français n'exigeait que j'apporte mon témoignage.
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CONCLUSION
# CONCLUSION ## LA RÉPUBLIQUE DEMAIN Dans ce dernier chapitre, je vais résumer mon analyse de la vie et de la mort de nos régimes républicains à partir des trois principaux sujets des futurs débats : le peuple et l'opinion publique, la Nation et la Communauté européenne, la République et la démocratie. ### Le peuple et l'opinion publique Il ne fait aucun doute que l'évolution des relations entre les citoyens, la République, la Nation, et l'État seront conditionnés par la substitution progressive de l'opinion publique à l'expression de celle du peuple dans les urnes et dans la rue. Les médias de la Troisième République qui, en diffusant l'information et l'opinion sur papier, reliaient le passé à l'avenir, ont laissé la place, sous la Cinquième, à des journaux construits sur l'image, l'écran, le spectacle, l'émotion, le temps présent. L'arrivée du XXI^ème^ siècle et de la révolution technologique liée aux capacités d'intelligences de l'homme « augmenté » ont changé la nature et l'expression de la citoyenneté, donc de l'opinion publique. Elle connaît tout du présent, dont le volume d'informations la submerge en l'empêchant de s'intéresser au passé lourd d'expérience, ou à l'avenir qui n'est plus que source d'inquiétudes, voire d'angoisses. Il est évident que les jeunes générations de tous les pays se libèreront de cet enfermement dans un présent anxiogène en reconstruisant une démocratie d'opinion sur des médias d'opinion porteurs d'expériences du passé et de visions sur l'avenir. Ces néo citoyens préfèreront apprendre par eux-mêmes que tout savoir en consultant les banques de données. C'est ce que la Première République a su valoriser dans la pratique des « Salons » nés dans la fermentation de la révolution. Ce que le conventionnel, médecin et journaliste Jean-Paul Marat avait bien compris. Mao Tsé-Toung aussi, dont on lisait encore, dans les rues de Pékin, en 1979, les *dazibaos* fabriqués dans les cellules du parti révoltées contre sa veuve. En 2020, le salon aura la forme multifonction de la communication digitalisée. Cet ouvrage en est une des expressions, au milieu des images créées, rassemblées et diffusées par le média familial qui l'édite. Ces médias digitalisés et numérisés, au sein desquels s'exprimeront les intelligences humaines et les artificielles, parmi quelques bêtises encore plus naturelles, transformeront l'influence exercée par l'opinion du peuple. Il reste simplement à rappeler ce qu'est le peuple aujourd'hui, ou plus exactement ce qu'il n'est pas. L'État-administration a décidé, depuis qu'il s'est approprié la République et la Nation, au profit d'une dynastie de grands administrateurs, de faire du peuple français, un peuple rebelle, donc ingouvernable. C'était certainement le meilleur moyen d'expliquer pourquoi la France était mal gouvernée, mais c'est la plus gigantesque des *fake news* fabriquées par l'étatisme à la française. Il n'est pas niable que, depuis des siècles, les citoyens, et avant eux les sujets, ont tendance à « rouspéter », mais leurs multiples révoltes ont toujours été provoquées par les privilèges entretenus par les diverses formes d'État qui leur ont été imposées. Si le peuple français était indocile, il n'aurait jamais institué comme principe essentiel celui du droit du sol. Il lui aurait opposé le droit du sang, qui autorise tous les nationalismes et toutes les exclusions. ### La Nation et la Communauté européenne Le concept de Nation, présenté en Sorbonne par Ernest Renan, a vu le jour pendant la plus belle période républicaine, la seule véritable, celle des années 1880, après lesquelles les pères fondateurs de la Troisième République ont été remplacés par les jeunes radicaux. La Nation, c'est l'esprit français du XX^ème^ siècle. La Nation, comme la pièce du Franc Or, a deux côtés, pile et face. Le peuple qui est accoutumé au droit du sol, a besoin de la frontière géographique qui permet de délimiter le lieu d'exercice de sa liberté de citoyen, qui s'arrête où commence celle de l'autre. La frontière, c'est le bon côté de la Nation. Le mauvais côté de la pièce lui donne la couleur du nationalisme, vers lequel penchera toujours le citoyen angoissé, à la recherche du « Tous ensemble » pour s'en sortir. On connaît les conséquences du nationalisme. Associé à une forme dégénérée du socialisme, il a causé des dizaines de millions de morts et ravagé l'Europe. Hélas, l'État français a aidé cette tentative d'installer le totalitarisme nazi face à celui du soviétisme. La Quatrième République a choisi la future Communauté européenne, sur les bases d'une Union marchande sans défense communautaire, afin de respecter la Nation. La Cinquième République a confirmé ce choix, après avoir réduit l'empire colonial à une Union de communautés de culture, de langue et d'intérêts. L'Europe s'est construite avec la Nation française sous le règne des Républiques dyarchiques. Elle a pris sa place et construit ses superstructures sur les fondations initiales, dans un cadre géopolitique bouleversé par la défaite de l'Union soviétique, l'ennemi contre lequel elle avait soudé son unité. En 2020, le contexte géopolitique est trop incertain pour y voir clair. La Communauté européenne existe, elle reste soudée autour de son nouveau pouvoir exécutif. Un débat sur l'ennemi historique est ouvert par la France qui le voit, dorénavant, dans l'expansion du terrorisme religieux conquérant en Afrique, alors que la Communauté européenne le voit encore dans la volonté de la Russie de reconstituer le « Bloc de l'Est ». ### La République et la démocratie La République est une jolie femme née dans l'esprit des gens intelligents et courageux qui, hélas, ont utilisé la force de leurs passions à s'entre-tuer. Cette République-passion a tout inventé, tout fabriqué, tout établi dans la vie du peuple d'aujourd'hui. D'abord pendant les trente années glorieuses de la Troisième République, puis après les ravages de l'État soumission, les Trente Glorieuses de la Quatrième et de la Cinquième. Les turbulences politiques qui ont accompagné la fin de cette République-mission ont permis à la monarchie républicaine d'assurer la reconstruction d'un État qui avait souffert au plus profond de son existence et qui a su générer ce corps de grands commis retraités dans les années 1980. C'est alors qu'est née la République étatique pendant laquelle l'État a pris la Nation et la République en main pour ne plus les lâcher, allant jusqu'à installer, dans la durée, ce modèle de monarchie dyarchique construit sur les deux mouvements politiques qui ont été balayés par le peuple en 2017. Cette construction partisane, visant à préserver la conservation de fiefs de types féodaux, a constitué un détournement de la règle démocratique qui prévalait sans interruption depuis la fin de l'État-soumission. Ce détournement a été aggravé par la règle du quinquennat, qui a précipité les dysfonctionnements des institutions et poussé le peuple à mépriser l'État politicien. Ce sont ces dérives, cette dégénérescence de la Cinquième République qui sont au cœur des débats incertains des années prochaines. Le modèle républicain français doit faire revivre la démocratie. J'ai vécu l'État-soumission nationaliste dans les mirages et servitudes de la révolution nationale maréchaliste. Je ne peux pas accepter que mes petits-enfants le connaissent à leur tour. Une fois libéré, je suis redevenu citoyen, de plus en plus assujetti aux pouvoirs d'un État dont, cinquante ans plus tard, j'ai vidé les poubelles, dixit *Le Canard* en déplorant son incurie. Pourvu que les débats engagés conduisent vers la démocratie ! ### La démocratie républicaine et l'État-administration La démocratie, c'est le gouvernement du peuple par le peuple. La République, c'est le gouvernement du peuple par l'administration. Comme ces deux évidences seront toujours contestées par ceux et celles qui ont intérêt à les mettre en doute, je ne ferai que deux réflexions. Pour des raisons occultes, l'actuel pouvoir laisse à penser qu'il pourrait supprimer l'École nationale d'administration, dont il est issu. Je n'en vois pas l'intérêt. La question posée n'est pas de supprimer une école, surtout quand elle est de grande qualité et que ses élèves respectent leur mission. Il suffit que les brillants élèves qui ont choisi cette voie abandonnent l'idée de tout diriger, en considérant que leur diplôme vaut une élection politique à vie, voire héréditaire, d'un futur monarque régnant sur ses sujets. Un de mes bons amis, issu de l'école en question, m'a dit qu'il avait, avec son diplôme, acquis la conviction qu'il serait un jour Président de la République, et qu'il était resté amer suite à un avatar politique qui l'avait transformé en marchand d'oreillers dans une grande organisation de loisirs. L'institution a été créée pour son utilité avant de réfléchir à son utilisation. Il suffit de lire les quarante rapports annuels de la Cour des comptes pour vérifier que le plus grand de nos lanceurs d'alertes a tout vérifié de cette assertion très modestement citoyenne. En vain ! Son créateur, qui prévoyait le chaos après lui a, paradoxalement, rétabli l'héritage de la Troisième République, en affichant un comportement monarchique, proche de celui de Louis XV, qui a dilapidé l'héritage du Grand siècle et accepté le déluge dont son successeur a ouvert les vannes qui ont fait naître la République. Revenant dans les débats actuels, qui sont nés d'un divorce confirmé, aux allures de plus en plus conflictuelles, entre deux peuples de la même Nation, je propose quelques réflexions nées de toutes mes recherches. ### La République, la démocratie et le droit du sol La Nation française a opté pour le droit du sol, celui qui m'a permis de choisir comme épouse la fille d'un émigrant polonais, mort trop jeune, des suites de son retour forcé dans l'Allemagne nazie. Ce droit du sol est parfaitement compatible tant avec la République qu'avec la démocratie. Il faut simplement noter que si la Nation le conserve, ce que je souhaite, la République, une, laïque et indivisible évoluera vers un communautarisme lié à notre situation postcoloniale et à toutes nos aventures migratoires européennes accumulées. On ne peut nier que cette pratique d'hospitalité ait fait l'objet, par la responsabilité de l'État, dans les temps récents, de pratiques généreuses irréfléchies et irresponsables. Elles imposeront des corrections sans pour autant remettre en question l'hospitalité liée au droit du sol. Est-ce à dire qu'il faut passer au droit du sang ? Ce n'est pas mon choix, même si le droit du sang resterait parfaitement compatible avec la vie démocratique, comme le montre la République fédérale d'Allemagne, même s'il faut craindre quelques hésitations, du fait de l'extrême violence du passé qui reste dans la mémoire du peuple allemand. Est-il alors possible de maintenir un régime de type présidentiel à vocation monarchique comme celui de la Cinquième République, qui exploite l'héritage politique de la France des années 1880 ? Je pense que non, et c'est la raison pour laquelle je considère que la Cinquième République est à bout de souffle. Il faut donc lui trouver une remplaçante, en évitant d'agiter l'épouvantail du communautarisme face à une opinion qui est affolée par les messages des théoriciens du « grand remplacement » des populations françaises. Cette remplaçante pourra-t-elle conserver un président élu, un parlement représentatif, une vie démocratique ? Oui, car ce ne sont pas ces institutions qui sont en cause. C'est le rôle que l'État leur a fait jouer après les avoir prises en mains pour les mettre à son service. ### Les institutions de la démocratie politique À ce stade de mes propositions, j'invoque la clause de l'arrièregrand-père pour sauvegarder les idées que je défends. Je le peux, car, en comptant les conjoints, j'ai neuf enfants, quinze petits-enfants et deux arrière-petites-filles. La plus jeune, Juliane, née en 2018, votera en 2036. Nos sages politiciens ont le temps de débattre de mes réflexions. Ma descendance les portera. ### Ma République Ce dernier propos, qui fera hausser les épaules des doctes et savants administrateurs, est destiné à pallier le fait que je risque d'être absent, le moment venu. J'y décris, avec la délectation d'imaginer la tête des doctes administrateurs face à tant d'outrecuidance, pour quelles institutions je voterais, en espérant qu'il y aura bien un de mes descendants, actuels et futurs, pour s'en inspirer. La présidence, avec alternance obligatoire entre homme et femme, et non renouvelable, durera sept ans. Il ou elle régnera, sans gouverner, représentera la Nation et sera élu(e) au suffrage universel. La démocratie parlementaire aura deux chambres, une Assemblée nationale de trois-cent-soixante-cinq membres, élus pour moitié au scrutin majoritaire, et pour l'autre moitié, plus un représentant, à la proportionnelle. L'assemblée votera les lois et contrôlera l'administration, qui ne disposera plus de sa propre justice. Le Sénat, inchangé, aura deux cents membres élus pour moitié au suffrage indirect des électeurs régionaux, pour moitié au suffrage direct des départements. Le gouvernement sera composé d'un Premier ministre et de cinq ministres en charge de la Démocratie politique ; des Relations extérieures ; de la Sécurité intérieure, des armées et de l'OPEX ; de la Justice et des institutions ; des Territoires et des migrations. Le Premier Secrétaire d'État sera chargé de la démocratie sociétale, et six secrétaires d'État se consacreront à l'économie et aux finances ; à la santé et au sport ; à l'éducation et à la laïcité ; au patrimoine et à la culture ; à l'égalité et à la dépendance ; au syndical et à l'associatif. La Ville de Paris, ouverte vers l'Île-de-France selon le projet politique esquissé en 1989, sera resserrée sur dix arrondissements : quatre arrondissements réservés à la fonction capitale, la présidence, le parlement, la mémoire nationale, le musée de l'urbanisme du XIX^ème^ siècle ; six arrondissements réservés à la fonction gouvernementale, au premier Ministre et à ses cinq ministères. Les autres fonctions de la démocratie sociétale seront réparties dans les régions du territoire. Je suis convaincu que d'ici vingt ans, la plupart de ces élucubrations seront entrées dans la vie démocratique et institutionnelle. Comme celles formulées en 1995, aux *Entretiens de Saintes*, le sont en 2020. Au revoir. fin
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la république est morte, vive la république
2020-07-01
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[ "pierre-alexandre petit" ]
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RÉPONSE
# Réponse J'ai lu le bouquin le week-end dernier et il y a beaucoup de choses dans lesquelles je me suis reconnu. Au point où je me suis plusieurs fois fait la réflexion que j'aurais pu, voire que j'avais pu, avoir dit ou écrit certains mots moi-même : sur l'impact des nouveaux modes d'information/communication, sur l'importance de la diversité notamment entre hommes et femmes pour l'équilibre de la société, sur la volonté d'apprendre par soi-même plutôt que de consommer de l'information pré-digérée. A propos de ce dernier point: je crois que tu cites Descartes dans le bouquin, et c'est intéressant car l'élément central de toute sa philosophie est ce qu'il manque le plus a notre société aujourd'hui a mon sens : le doute, la remise en question. Tout le monde connaît la maxime "je pense donc je suis" mais ce que dit Descartes en réalité est "je doute donc je pense et je pense donc je suis". Et donc, par syllogisme "je doute donc je suis". Il oppose cette approche du Doute Méthodique pour atteindre la connaissance a l'existence d'un Malin Génie, une force obscure qui le trompe, en lui faisant passer pour vraies des représentations fausses\... A remettre dans le contexte contemporain des réseaux sociaux et l'information absolue dont le caractère "vrai" ou "faux" n'est déterminé que par le nombre de clics de personnes partageant les mêmes points de vue sur d'autres sujets (ceux qui ont un compte Google peuvent se prêter à cette expérience : faire une recherche sur Google Chrome en étant connecté a son compte google, puis refaire la même recherche sans être connecté et en navigation privée: la vérité est différente) Pour revenir au bouquin, il y a deux aspects sur lesquels je me disais que la réflexion pourrait se poursuivre: - P178 : la contestation grandissante des citoyens sur lesquels, paradoxalement, opère toujours la séduction du modèle autoritaire d'une république monarchique. Ce qui est très intéressant est que ce type de contestation "de rond points" est expliqué partiellement par les dérives du modèle monarchique instauré en 1958. Cependant, ces mêmes mouvements contestataires se retrouvent dans d'autres régimes (Espagne, Royaume Uni, USA, Hong Kong\...) qui ont connu des dérives similaires alors que les modèles politiques d'origine étaient extrêmement variés et souvent profondément différents de celui imaginé par De Gaulle (qui répondait à un impératif spécifique de reconstruction). Je reste convaincu que le point commun entre toutes les contestations est l'évolution des technologies et des techniques d'information qui provoque une dichotomie de plus en plus importante entre la nécessité de faire de la politique au niveau local (micro politique car tout problème peu devenir un scandale mis sur le devant de la scène médiatique) et l'administration centrale. - Sur la révisions des institutions pour être plus en phase avec l'approche des nouvelles générations, notamment avec une plus grande dimension participative. Je partage profondément la vision mais je ne vois pas vraiment qui pourra porter un tel projet : les anciennes générations n'ont aucun intérêt à le faire et les jeunes n'en ont aucune envie. Une des conséquences des réseaux sociaux, de la rapidité de transmission de l'information (vraie ou fausse), et de l'approche sensationnaliste des médias est que l'anonymat sera le luxe de demain. L'accumulation, la propriété n'étant plus une fin pour les milleniaux, la célébrité/renommée n'est plus un moyen. Il y aura toujours des personnalités attirées par le pouvoir et qui auront besoin de flatter leur ego par une grande exposition \[médiatique\], mais je ne vois pas comment ce type de personne faciliterait l'évolution vers une démocratie plus participative - ces gens-là étant naturellement attirés vers la politique spectacle et le pouvoir individuel. Pour le reste de la population qui n'a pas de penchant narcissique, il est fort probable que ceux qui en ont les moyens / la clairvoyance évitera a tous prix de devenir des personnages publics et donc se tiennent à l'écart de la Res Publica pour en revenir au sens latin du terme. De mon point de vue, avoir de "bons" profils pour la République de demain, nécessite une certaine éducation civique des aujourd'hui (le renouveau des hussard noirs?) afin de convaincre les nouvelles générations de s'impliquer malgré l'attrait et le confort de l'anonymat. J'avais aussi une question sur une des anecdotes personnelles : a fermeture de l'entreprise de transport en 1953 était-elle simplement liée a la décision d'arrêter de travailler avec la SCNF?
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institut présaje
2013-03-01
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[ "michel rouger" ]
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RÉFORMES ET MÉFORMES
# Réformes et Méformes Pourquoi la France bute-t-elle depuis deux décennies sur le mur des réformes ? Pourquoi un peuple traditionnellement joyeux et bon vivant cède-t-il aujourd'hui à une inexplicable déprime ? Sans doute faut-il remonter le fil de l'Histoire. Reprendre une à une les étapes d'un malentendu entre la France et le monde extérieur. Admettre que le rebond ne viendra qu'au terme d'un déblocage mental et institutionnel et d'un renoncement à ses illusions messianiques. On découvrira alors que le pays conserve intactes ses forces vives. Jamais, depuis 1945 et la Libération, l'Etat n'a autant été l'objet de débats sur les changements qu'il conviendrait de lui imposer. Nos amis européens ne comprennent pas pourquoi la France s'oppose à la mise en œuvre des réformes que sa situation impose. Faute de réponses convaincantes quant aux causes de ce blocage, les auteurs en commentent les conséquences, sans beaucoup d'effets, alors qu'il suffit, pour comprendre, de faire référence à l'Histoire. L'esprit français, imaginatif, ingénieux et conquérant s'est révélé, au fil des siècles, exportateur de concepts, de dogmes politiques et de modèles d'institutions. L'enchaînement Révolution - Premier Empire a montré cette propension, confirmée par la colonisation qui a conduit les petits Africains à réciter « nos ancêtres les Gaulois ». Sceptique et méfiant, à force d'invasions subies et répétées, l'esprit français rejette les modèles venus d'ailleurs, qu'ils soient religieux ou politiques, en se laissant aller au dogmatisme et à l'absolutisme. Louis XIV en fut le précurseur, au milieu de son règne, pour mieux débarrasser son royaume de la Religion réformée. Les protestants exilés, les Vendéens massacrés, les Communards de 1871 fusillés et déportés comme les Juifs et les résistants de 1942, les collabos de 1945 et les Algériens de 1961, ont tous été victimes de ce penchant dogmatique et totalitaire incompatible avec l'esprit de réforme. En 2013, ce comportement perdure, sur d'autres bases. L'esprit français s'est attaché à un modèle d'organisation sociale construit sur les bons sentiments de l'égalité, qui repose sur l'Etat providence, le surpoids de ses administrations et de l'endettement qu'elles provoquent. Ce modèle heurte de front celui des institutions européennes auxquelles la France adhère, construites sur les bons sentiments de la coopération paisible entre des peuples portés à se déchirer. Il repose sur le dogme de la liberté individuelle, de la concurrence, et l'absolutisme d'une administration tatillonne. La France n'a d'autre choix qu'entre la pénible soumission et la ruineuse démission. Ce qui provoque la « méforme » des Français qui angoissent. Mais comme le temps est révolu du Monarque divin et de la révocation de l'Edit de Nantes, elle finira, tout en grognant, par accepter les édits de Bruxelles, et les indispensables réformes. Depuis peu, elle semble disposée à le faire lentement. En attendant, aux Français de gérer leur « méforme » en en recherchant les causes pour pouvoir se soigner. Tous les sondeurs et autres analystes qui regardent la France au fond des yeux, comme le fit en son temps Valéry Giscard d\'Estaing, y voient un fond d\'œil qui révèle une profonde déprime. Leurs commentaires sur les conséquences sont aussi abondants que péremptoires. Les causes ne pouvant être que profondes, on les trouve dans les échecs graves et successifs des choix politiques des années 70/80/90. A cette époque, la France vivait sur les acquis politiques du début de la Vème République. Son fondateur, féru d'Histoire, convaincu à juste titre de l'affaiblissement de la Grande Bretagne retirée de son Empire colonial, et de l'effacement de l'Allemagne, a su installer un pouvoir quasi monarchique, grâce aux convulsions de la guerre d'Algérie, et remettre la France au cœur de l'Europe pour en dominer les institutions. Il y fut aidé par la prospérité économique de la dernière décennie des Trente Glorieuses. Les années 70 ont détruit ce projet politique. Les chocs pétroliers provoqués par la volonté américaine de réduire la puissance de l'Europe franco-germanique, l'entrée de la Grande Bretagne dans le Marché Commun, la fin de la guerre froide, ont sonné le glas des projets français d'exercer une domination politique sur une Europe au sein de laquelle Anglais et Allemands ont pu développer chacun la leur. Les années 80, débutées par un retour archaïque vers l'économie collectiviste, ont vu s'installer le grand projet de l'Etat-providence, gravé dans le marbre des institutions. Il déniait la réalité de la fin des Trente Glorieuses, en ignorant la chute de l'Empire soviétique, en laissant faire la réunification de l'Allemagne sans en voir les conséquences. Ces erreurs fatales ont provoqué des échecs politiques majeurs, bien camouflés par la mise en service de la ruineuse machine à surendettement. Les années 90, celles de la globalisation des marchés mondiaux, du ralliement des principaux pays à ce modèle d'économie, ont vu les farouches défenseurs de l'Etatprovidence et de l'économie administrée lutter contre les réalités du monde. Isolés, ignorés après leur rejet, en 2005, des atteintes portées à leur modèle par les marchés et l'Europe, les Français ont cédé à la déprime. Un tel parcours, en 30 ans, usant pour le moral, explique pourquoi un peuple joyeux et bon vivant, s'est mis à consommer tant de psychotropes et d'anxiolytiques. Pourtant, une France dynamique survit dans ses multinationales reconnues et présentes dans le monde entier, dans les grandes organisations internationales. Comme chez les créateurs et les ingénieurs qui conservent à son économie une place enviable hélas réduite, au sein d'un pays qui gagnerait à plus exporter ses produits que ses dogmes, et à plus importer les bonnes idées des autres que leurs produits. Bientôt, les nouvelles technologies offriront aux Français les moyens de mieux gérer leurs affaires, en faisant pression sur le système politique qui a perdu leur confiance. Tout n'est pas perdu. Courage !
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institut présaje
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[ "olivier babeau" ]
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LA FRANCE FACE AUX RÉFORMES : LE DRAME DE L'IMPUISSANCE PUBLIQUE
# La France face aux réformes : le drame de l'impuissance publique Réflexion sur le « déni français » après la publication du livre de Sophie Pedder sur **« Les derniers enfants gâtés de l'Europe »** Le diagnostic est connu. Il alimente les colloques, les rapports officiels, les tribunes d'experts et les joutes électorales. Mais les arguments glissent sur une opinion publique entretenue dans le « déni » de l'urgence des réformes. La clé de cette situation de blocage ? Olivier Babeau la voit dans le constat de « l'impuissance publique ».En France, l'Etat s'avoue incapable d'agir sur le réel. Il explique pourquoi à partir de son analyse du livre de la journaliste de « The Economist » sur « Les derniers enfants gâtés de l'Europe ». Dans son livre *Le Déni Français, les derniers enfants gâtés de l'Europe(1)*, Sophie Pedder, chef du bureau de *The Economist* à Paris depuis dix ans, dresse un constat sévère à l'encontre de notre pays. Ce dernier n'arrive toujours pas à rompre avec la facilité de la dette publique. Elle cite Michel Péberau : *« Chaque fois qu'un problème nouveau s'est présenté à lui depuis 25 ans, notre pays y a répondu par une dépense supplémentaire »*. La dette publique est ainsi passée de 20% du PIB en 1980 à 89% en 2012. L'équivalent de l'ensemble des recettes de l'impôt sur le revenu est englouti chaque année dans les charges de remboursement de la dette (50 milliards d'euros). Les Français sont de plus en plus conscients de la situation (91% de l'opinion publique serait « inquiète » du déficit et de la dette publics). Mais leurs dirigeants n'ont pas pris la mesure des enjeux et parlent de réduction de la dette sans aborder la réduction massive des dépenses publiques pour y parvenir. Le plan de réduction du déficit budgétaire a deux lacunes principales : d'une part un taux d'endettement qui restera à 88% du PIB (selon le FMI) même si l'objectif d'un déficit à 3% d'ici 2016 est respecté ; d'autre part des prévisions de croissance (1,7% en 2013) beaucoup plus optimistes que celles de l'OCDE et de la Commission Européenne. Avec une révision de la croissance à la baisse, la dette pourrait atteindre 100% du PIB. En Europe, tous les autres pays ont accompli des efforts substantiellement plus importants. Entre 2011 et 2012, l'Italie prévoit de réduire son déficit de 40%, l'Espagne de 29%, l'Allemagne de 23% et la France de 15%. Au Royaume-Uni, les mesures sont encore plus drastiques : baisse de 19% des dépenses des Ministères, gel de 2 ans des salaires de la fonction publique, suppression de 700 000 postes de fonctionnaires. En Allemagne, avec la loi HARTZ IV, la période maximale d'indemnisation pour le chômage est descendue à 12 mois (deux fois moins qu'en France). Les indemnités sont fixées à 67% du salaire (75% en France), avec un plafond fixé à 5600 euros brut. La recherche active d'emploi est obligatoire. La préférence pour la dépense publique est un choix constant de la France depuis une trentaine d'années. Les dépenses publiques de la France sont supérieures de dix points de PIB à celles de l'Allemagne (46%). L'emploi public est l'avatar le plus frappant de cette dépense publique à la française. Il représente 22% de l'emploi total en France, contre 10% en Allemagne. Depuis les années 90, les emplois publics en France ont doublé. Ces dépenses financent un système de protection hors du commun : - Dès la naissance : prime à la naissance (912,12 euros pour les couples avec un seul revenu ne dépassant pas 34 103 euros), la quasi-gratuité des crèches municipales (183 euros par mois à temps plein après déductions des allocations). - De la maternelle jusqu'à l'université : 100% d'inscrits à la maternelle (77% en moyenne pour l'OCDE), prestations familiales (50 Md d'euros par an), école et université presque gratuite si l'on ne compte pas les frais de licence coûtant moins chers qu'un iPhone. - Le chômage : indemnisations très généreuses (6000 euros par mois max). Au RoyaumeUni, elles sont de 380 euros par mois, postier comme banquier. - La retraite : les Français sont les Européens qui vivent le plus longtemps à la retraite (28 et 25 ans pour femmes et hommes, 20 ans en Allemagne). Les transferts publics vont jusqu'à 85% du revenu (73% pour l'Allemagne, 69% pour la Suède, 49% pour le Royaume-Uni). Seulement 18% des Français travaillent, passé 60 ans (61% en Suède). Notre système a été maintenu jusqu'à présent grâce au recours massif à l'endettement. Ce recours est en train de devenir impossible. Notre système doit par conséquent être refondé, mais peu de signes laissent pour l'instant penser qu'une telle réforme en profondeur se prépare réellement. ## Un rapport complexe à l'argent, à l'économie et à l'entreprise Le second aspect frappant du « modèle français », après son incapacité à se réformer, est son rapport complexe à la richesse, à l'économie et à l'entreprise. L'idée obsédante de « faire payer les plus riches » occupe en permanence l'agenda politique alors même que l'efficacité économique des mesures associées est, de l'aveux unanime, nulle. Le rendement de l'impôt sur le revenu est relativement faible, contribuant à 6% aux recettes fiscales (les cotisations sociales représentent 67%). Seuls 53% des foyers en France payent l'impôt sur le revenu. L'assiette est trop étroite et les niches trop nombreuses (3000 niches pour les « riches », par exemple la déduction des dépenses de grosses réparations ou d'amélioration énergétique). D'ailleurs, les plus riches contribuent déjà majoritairement à l'effort fiscal puisque les 1,6% les plus aisés contribuent à hauteur de 44%. L'ISF existe encore même s'il a été supprimé en Suède et en Allemagne. Les mesures de taxation supplémentaire auront au contraire un effet négatif sur le produit de l'impôt : la perte annuelle qui découle de la fuite des entrepreneurs vers l'étranger est estimée à 400 millions d'euros, soit plus que le produit de la tranche de l'IR à 75%. Dans le même temps, la réglementation de notre marché du travail produit un marché à deux vitesses : la France a choisi de protéger les *insiders* plutôt que les *outsiders*. Le système français se préoccupe d'abord des salariés avant les producteurs et les entrepreneurs. La complexité de notre droit du travail est un défi à tout entrepreneur : le code du travail comptait 3 391 pages en 2011, soit 50% de plus fourni qu'en 2000. Le licenciement économique empêche de licencier dans le cadre d'une stratégie d'amélioration de la compétitivité et de la rentabilité d'une entreprise. Tout projet d'allégement de la réglementation du travail est perçue comme un cadeau aux entreprises et « aux riches ». De façon générale, les Français ont une mauvaise image du système capitaliste : 41% des Français jugent le système capitaliste totalement défaillant contre seulement 9% des Allemands. Le paradoxe d'un marché aussi rigide est la forte précarisation du travail : Entre 1995 et 2010, d'après la Commission européenne, la probabilité de passer d'un CDD à un CDI a chuté de 45% à 12,8% (la moyenne de l'U.E. se situant à 25,8%). Le livre de Sophie Pedder dresse avec méthode un constat général que tout Français averti connaît en réalité depuis longtemps. A la lecture de ce livre, le lecteur sentira que les problèmes comme les solutions sont déjà connus, ont déjà fait l'objet de maints ouvrages identiques, de rapports détaillés et incontestables. ## Pourquoi la France ne parvient-elle pas à se réformer ? Une explication **Le point qui reste à identifier est le blocage lui-même, la raison qui fait que les solutions ne sont jamais appliquées, les réformes jamais menées à bien, les problèmes infiniment repoussés.** C'est sur cette question que doivent à notre sens se concentrer aujourd'hui les hommes de bonne volonté qui souhaitent, à leur modeste mesure, aider leur pays. La notion d'**impuissance publique** nous semble constituer un point de départ fécond de la réflexion. Cette idée évoque tout d'abord l'échec répété de la puissance publique à régler les problèmes que les discours érigent en priorité (le chômage, la croissance), autrement dit le doute grandissant que l'Etat soit capable d'action sur le réel. Le contexte mondialisé étant invoqué comme raison à la crise, l'Etat reconnaît d'ailleurs que les choses ne dépendent pas de lui. Ce qui est en jeu autrement dit dans ce premier aspect de l'impuissance publique, c'est la mise en cause de la prétention constante de l'Etat à intervenir dans tous les domaines et à tout pouvoir. C'est ce fantasme d'omnipotence et cette présence, à proprement parler, totalitaire, aucun aspect de notre vie n'étant réellement en-dehors du champ de la puissance publique (l'extension dramatique du champ de la loi, à travers les lois mémoriels, étant une manifestation de ce fantasme). On peut sans doute supposer que l'absence de succès de l'Etat dans le domaine économique soit précisément compensée par la volonté croissante de manifester son utilité par l'extension de son domaine d'intervention à d'autres domaines. L'impuissance publique est ici un cercle vicieux où la seule façon de conjurer l'évidente absurdité des prétentions est d'accroître ces dernières. La seconde dimension de la notion d'impuissance publique que nous proposons est la rupture grandissante des dirigeants politiques avec l'ensemble de la société. L'incapacité à comprendre et à dialoguer avec le monde économique, à comprendre leurs contraintes propres, en est un aspect. Pour la France, la mission de l'Etat est de poser des barrières, des contraintes à l'entreprise plutôt qu'à l'encourager. L'Etat est clairement dans la posture du guide (les banques publiques d'investissement, l'idée rampante du plan quinquennal, de l'économie administrée) et du censeur de l'activité économique, là où le contexte de la mondialisation appelle un Etat accompagnateur, un Etat-soutien. La France autrement dit n'arrive toujours pas à penser la place de l'entreprise et de la richesse dans notre société. La rupture incarnée par la notion d'impuissance publique est aussi lisible dans la crise de la représentation qui s'aggrave à chaque instant. Crise de la représentation politique évidemment, avec l'affirmation d'un abstentionnisme et d'une indifférence au discours politique qui est la conséquence logique de ses échecs ininterrompus ; crise de la représentation syndicale et patronale aussi ; crise de la crédibilité de la parole experte aussi, renforcée par une ère numérique qui donne à chacune la parole et brise le système traditionnel de sélection des discours autorisés. La crise de la représentation est évidemment aussi une crise du politique : ce dernier repose sur l'idée de légitimité d'instances représentatives. A partir du moment où cette légitimité est niée, le pouvoir est fragilisé. \(1\) Editions J.C. Lattès, 2012
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QUEL TAUX D'IMPOSITION MAXIMAL ? EFFICACITÉ ET ÉQUITÉ EN MATIÈRE DE TAXATION DES HAUTS REVENUS
# Quel taux d'imposition maximal ? Efficacité et équité en matière de taxation des hauts revenus Le bouclier fiscal, et sa suppression, la taxation à 75 % des hauts revenus, et sa mise en cause, sont des occasions d'ouvrir le débat sur le niveau souhaitable du plafond des taux d'imposition. Pour Didier Maillard, le débat, pour être productif, devrait être organisé autour des dimensions de l'efficacité économique d'une part, de l'équité et du droit d'autre part. Pour être productif, le débat sur le niveau souhaitable du plafond des taux d'imposition doit s'articuler autour de deux thèmes : celui de l'efficacité économique et celui de l'équité et du droit. Commençons donc par mettre de côté un aspect, celui de la punition. Certains considèrent que les hauts revenus sont en tout état de cause injustes et immérités, notamment lorsqu'il s'agit de chefs et de dirigeants d'entreprise (cet aspect est moins souvent mis en avant dans le cas des footballeurs et jusqu'à il y a peu des artistes\...). Aucune forme de talent ou d'effort n'interviendrait dans leur génération, et il n'y aurait donc aucun obstacle à ce que les taux d'imposition atteignent et même dépassent, à titre de sanction, les cent pour cent. Pour clore sur cet aspect, il faut noter qu'il peut rejoindre l'économie : si le caractère punitif est perçu comme important par les intéressés, il ne peut que les inciter à valoriser leur talent et leurs efforts ailleurs que dans la zone où s'applique la taxation. ## De l'efficacité économique Venons-en à l'efficacité économique. Le débat s'organise autour de ce qu'il est communément admis d'appeler la courbe de Laffer (mise en évidence en réalité par l'économiste français Jules Dupuit en 1844 (1)...). Le mécanisme est le suivant : l'assiette de l'impôt décroît quand le taux s'élève, jusqu'à disparaître quand le taux atteint 100 %. La recette de l'imposition commence donc à monter avec le taux d'imposition, atteint un plafond et décroît ensuite. Tous ou presque s'accordent sur l'existence d'un mécanisme à la Laffer, la discussion porte sur la position du taux d'imposition conduisant à la recette maximale. Ce taux est d'autant plus faible qu'il existe de bons substituts à l'assiette taxée. S'il s'agit du travail, les substituts possibles sont le loisir, le travail au noir, ou le travail dans une juridiction moins taxée. Pour chaque catégorie de travail, à chacun de juger de l'intensité des substitutions possibles... Ce taux d'imposition conduisant à la recette maximale est ensuite trop rapidement considéré comme le taux d'imposition optimal. C'est méconnaître le fait que la taxation est distordante, et inflige un coût économique supérieur à la recette qu'elle procure (Dupuit, Harberger, Ramsey, et toute la littérature sur les modèles d'équilibre général\...). La recette tirée de l'imposition croît moins que proportionnellement avec le taux d'imposition, les coûts en bien-être tendent à croître avec le carré des taux d'imposition. La vraie question est celle du compromis entre bien-être privé et utilité de la dépense publique que les impôts financent. Ce compromis nécessaire aboutit à situer le taux maximal souhaitable largement en-deçà du taux maximisant la recette. ## A la justice En droit, toute taxation est une atteinte au droit de propriété, y compris lorsqu'elle concerne les fruits du travail (en termes économiques, c'est une taxation du capital humain). La question est de savoir dans quelle limite cette atteinte est tolérable, et si elle est appliquée de manière équitable. La norme a minima est que ceux qui ont plus ne paient pas moins : au-delà, il y a beaucoup d'arbitraire dans le design des systèmes fiscaux, que les lois fondamentales s'essaient, avec parfois beaucoup de difficultés, à encadrer. La Cour constitutionnelle allemande a ainsi plus ou moins abouti (ce point est sujet à discussions) à fixer une limite de 50 % à l'imposition du revenu. Le bouclier fiscal français, de nature hélas non constitutionnelle, a visé cet objectif, sans l'atteindre du fait de la nonexhaustivité de la prise en compte des prélèvements frappant les revenus d'activité et de la surestimation des revenus du capital (2). Une lecture stricte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen conduirait à rejeter tout prélèvement qui ne soit pas proportionnel, i.e. ne soit pas une flat tax : les prélèvements doivent être répartis à raison des facultés des contribuables, et le terme de raison ne peut que renvoyer à ratio, ou proportion... Terminons sur l'invraisemblable niveau atteint par la taxation de l'épargne et du capital en France (3). Désormais assujettis à un taux facial pouvant dépasser 60 % et même 70 % en cas de double taxation avec l'impôt sur les sociétés pour les plus-values sur actions, les revenus du capital et les plus-values incorporent en réalité plus de la moitié en moyenne de compensation de l'inflation, qui ne correspond pas à un enrichissement réel du détenteur. Les taux réels d'imposition dépassent ainsi largement 100 %, et ce avant même que l'impôt sur la fortune s'applique éventuellement. Nul doute que le droit de propriété soit bafoué, et que l'équité et l'efficacité économique n'aient à en souffrir. (1) In « De la mesure de l'utilité des travaux publics » (2) « Préserver et améliorer le bouclier fiscal », Didier Maillard, Commentaire n°127, Automne 2009 (3) « La surtaxation du capital en France », Didier Maillard, Sociétal, Janvier 2011, article prédatant la nouvelle et épaisse couche introduite pour 2013
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[ "françois lainée" ]
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LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE : LE CITOYEN A-T-IL ENCORE LE DROIT À LA PAROLE ?
# Légitimité démocratique : le citoyen a-t-il encore le droit à la parole ? **En démocratie, c'est l'élection qui confère la légitimité à l'élu. Le principe est simple. La réalité est plus complexe. Entre le citoyen et l'élu, il y a l'architecture illisible de l'Etat et des collectivités territoriales. Il y a les subtilités du droit administratif. Il y a surtout des modes de fonctionnement qui stérilisent la relation entre l'élu local et ses administrés. Le témoignage - ouvertement polémique - de François Lainée, villageois mécontent des pratiques de sa communauté de communes...** Pour les décideurs publics, les temps sont durs. Fini le temps où on pouvait gommer les laisser-aller de gestion publique par les dévaluations ou l'inflation ; l'Europe est passée par là. Pendant un certain temps, la dette a remplacé ces remèdes anciens. Mais cette nouvelle médecine, elle aussi, vient à épuisement. Le futur est moins simple, il va falloir changer, pour de bon, ou couler. Et on l'a vu, souvent, l'ampleur des changements à mettre en œuvre amène à reculer. C'est ainsi, par exemple, que des réformes des retraites surviennent tous les cinq ans, pour régler chaque fois le problème - dit-on sans rire - une bonne fois pour toutes. Heureusement pour nos élus, dans cette tourmente, il reste une certitude, qui donne une puissance inébranlable : celle de posséder la légitimité. Car, quelles qu'elles soient, les décisions des élus sont... légitimes. Apparemment, aucun doute, en démocratie, c'est l'élection qui donne la légitimité. Pourtant, ce n'est pas si simple... Voyons le à l'aide d'un exemple ; juste une illustration, parmi des milliers d'autres. Il y a quelques années, mon village, contraint et forcé, rejoint la communauté d'agglomérations voisine, dont la principale compétence est le traitement des ordures ménagères. Et, sur cette politique, en un an, le coût dans le village augmente de 40%, alors même que les citoyens sont invités à faire plus de travail qu'avant, en apportant leurs déchets à des points de collecte centralisés. Je m'étonne auprès du maire, qui m'invite à considérer les multiples avantages que l'agglomération nous apporte par ailleurs. C'est le premier signal ; le maire a démissionné, en choisissant de servir la collectivité des élus plutôt que les citoyens dont il tient son pouvoir. Il me faudra un an, et une condamnation de la communauté par la CADA, pour obtenir les chiffres, en principe publics, des comptes des déchets. Et là, en comparant les coûts à la tonne avec des communes de référence, le diagnostic est rapidement fait : 30% de surcoût, 3 millions d'euros par an, et 3 leviers d'amélioration faciles à identifier. J'écris donc à la communauté, en procurant une copie aux maires des 12 communes, pour proposer de mettre en place un groupe de travail m'impliquant pour discuter cette analyse et travailler aux améliorations. Ce courrier, certainement, revêt une forme inhabituelle. Pas de plainte râleuse, pas d'invective gratuite. Il contient des chiffres, des faits vérifiables, et des propositions. Personne, jamais, n'y répondra. Le citoyen et les faits sont abandonnés en rase campagne. Le gâchis dure toujours aujourd'hui. Ce silence sur le fond m'amène alors à regarder plus attentivement les questions de légalité du dispositif de transfert des compétences en espérant enfin ouvrir le dialogue. Et là, effectivement, des anomalies sont découvertes par un avocat spécialisé que je mandate mais, étant seulement citoyen de mon village, je ne peux attaquer le dispositif au tribunal administratif que pour défaut local. Moins de mille habitants sur presque deux cent mille dans le territoire... Aucun sens. La loi et la pratique excluent les faits et les citoyens du débat. Et les élus, auto-protégés, légitimes et sûrs d'eux-mêmes, décident entre eux, bien loin des citoyens qui devraient être leur vraie raison d'être. Bien sûr, je suis un doux rêveur. Un simple citoyen, tout seul, même pas un spécialiste de la question posée, qui veut changer le cours des politiques publiques... Absurde ! Les élus ne peuvent pas prendre le temps de répondre à tous les illuminés qui leur écrivent sur tout et rien. Il aurait fallu monter une association, rassembler des soutiens, plonger nu dans la fosse où Veolia stocke les tonnes de déchets, ou entrer dans le jeu et devenir élu, ou rejoindre un parti pour avoir accès à l'oreille des décideurs du camp rejoint. C'est sûr. Tous ces conseils sont bons. C'est ainsi qu'à Paris deux amis étrangers issus d'un même pays, appelons-le Balastan, ont créé une association d'une poignée de membres baptisée « association des Balastanais de Paris », et ont été reçus par des élus, alors qu'ils n'avaient pas, en réalité, plus de représentativité que deux amis simplement motivés ! C'est ainsi qu'à Nantes un père divorcé s'empare d'une grue pour avoir une audience auprès d'un ministre qui ne changera rien. Tout cela ne serait rien, si la réalité n'était pas... si réelle. Car il y a des faits, plus forts que la pensée ou la volonté politique. Des entrepreneurs qui partent vivre ailleurs, des gaspillages publics face à des caisses vides, des générosités qui font trappe à chômage, des pays qui grandissent quand nous ne bougeons plus, et donc rapetissons. Hélas, les faits sont têtus, et le réel borné. Et les lois de l'économie et des comportements humains plus forts, in fine, que les lois juridiques. Au fur et à mesure que la qualité de vie et l'espoir du futur perçu par les citoyens va diminuer, les barrières à la remise en cause des lois « seulement légales » va croître symétriquement. Nous devons faire un choix : nous laisser conduire légitimement au désastre d'un pouvoir, de fait, confisqué ou revoir rapidement les modes de légitimité pour redonner une place effective aux citoyens et à la réalité. Le sursaut, c'est maintenant ?
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institut présaje
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[ "émile favard" ]
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L'ACCORD SUR LA SÉCURISATION DE L'EMPLOI : UN PARI AMBITIEUX SUR L'AVENIR
# L'accord sur la sécurisation de l'emploi : un pari ambitieux sur l'avenir **Comment lire et interpréter l'accord patronat-syndicat du 11 janvier 2013** **La présidente du Medef, Laurence Parisot, a trouvé la bonne formule, au lendemain de l'accord - national et interprofessionnel - sur « la sécurisation de l'emploi » : *« c'est là un accord potentiellement historique ».* Tout est ainsi exprimé : à la fois un constat positif et un espoir... à concrétiser. Pres@jeCom a demandé à Émile Favard, journaliste, spécialiste des problèmes sociaux, qui a une longue expérience des rapports syndicats-patronat en France, de remettre en perspective l'accord signé en début d'année.** Cet accord, passé le 11 janvier 2013, entre les organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et trois syndicats de salariés (la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC) ne fait pas l'unanimité. Sans grande surprise, la CGT et FO se sont montrées irréductibles, réfractaires à tout compromis. Mais *« il fera date »* quand même ; ce fut d'ailleurs le commentaire spontané du président de la République lui même. ## Transposer n'est pas transformer Pour autant, la réforme n'est pas bouclée : il reste à transcrire le contenu de l'accord dans le Code du travail. Via un projet de loi, programmé au Conseil des ministres du 6 mars, puis un débat et un vote du Parlement, prévus en avril-mai. Les signataires espèrent que leur texte sera transposé, non pas transformé ; qu'une majorité politique en respectera la lettre et l'esprit. Le gouvernement en a fait promesse ; mais les députés socialistes, tentés d'amender des dispositions inégalement appréciées, se rangeront-ils aux arguments dits de la raison ? Les jeux politiques ont parfois leur part d'imprévu ! En tout cas, déjà, le ministre du Travail, Michel Sapin, n'a pas hésité à affirmer que cet accord allait contribuer à changer l'image de la France à l'étranger, comme le crédit d'impôt mis en œuvre au nom de la compétitivité. L'événement ne se prête guère au sensationnel prisé par les médias ; car, très technique, l'accord est d'une lecture compliquée ; en outre, ses effets ne seront ni instantanés ni chiffrables. Ses détracteurs se servent d'ailleurs de cet argument susceptible d'impressionner l'opinion : dans la bataille pour l'emploi qui se joue en 2013, ces innovations compteront pour peu. ## Des avantages partagés Certes, on ne saurait déjà parler d'une « flexisécurité » calquée sur le modèle scandinave. Notre Histoire sociale reste imprégnée par une culture révolutionnaire, génératrice d'affrontements davantage que de coopération, telle qu'elle se pratique dans les pays d'Europe du Nord. Il n'empêche que les partenaires sociaux ont exploré et trouvé (les signataires du moins) un langage commun innovant, avec davantage de paroles croisées dans l'entreprise, plus de droits et moins de juges. En effet, l'accord, une fois validé, la parole gagnerait du terrain à propos des réalités économiques et stratégiques, notamment pour anticiper les crises ; de nouveaux droits seraient mis en place et, en cas de licenciement collectif, le recours au juge serait moins systématique. Les salariés et les entreprises peuvent se prévaloir d'avantages (potentiellement) acquis assez équilibrés. Pour les premiers : une généralisation de la complémentaire santé ; un encadrement des temps partiels ; des droits rechargeables à l'assurance chômage ; une présence dans les conseils d'administration (des entreprises de plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 dans le monde). Pour les secondes : de plus grandes facilités pour leurs opérations de mobilité ou pour conclure des accords de maintien dans l'emploi, en contrepartie de réductions transitoires de la durée du travail et des salaires ; une plus grande souplesse et sécurité juridique dans les procédures collectives de licenciements. ## Des évolutions prises en compte Les partenaires sociaux n'ont pas réussi à convenir d'un contrat de travail unique, qui aurait fusionné le CDD et le CDI. Cela dit, avec la surtaxation des CDD et la création d'un CDI intérimaire, ils reconnaissent concrètement que le CDI doit devenir la règle. Les gens de bon sens rappelleront que Rome - comme Paris - ne s'est pas faite en un jour ! Le réalisme a aussi prévalu dans les termes de l'accord, quand celui-ci prend en compte l'évolution constatée des rapports entre salariés et entreprises. Beaucoup moins qu'avant, les salariés font carrière dans une même entreprise. Soit de leur initiative personnelle, soit qu'ils subissent des licenciements économiques, les salariés passent aujourd'hui plus fréquemment d'une société à une autre ; en traversant quelquefois des périodes de chômage. Dans l'accord du 11 janvier, cela se traduit non par un recul du droit collectif, mais par une valorisation du droit individuel. Si le législateur suit les négociateurs, des droits (supplémentaires) seront rattachés à chaque personne. Ainsi des droits dits « rechargeables » permettront aux chômeurs de revenir à l'emploi sans crainte de perdre l'ancienneté de leurs droits. Ainsi tout salarié disposera jusqu'à sa retraite de vingt heures de formation par an, transférables d'une entreprise à l'autre. On peut en conclure - en faisant délibérément le choix d'une lecture positive de l'événement - que les partenaires sociaux, guidés par un sens aigu des responsabilités au nom de l'intérêt général, ont ensemble admis que le dialogue peut devenir un élément central de la régulation sociale. *« Les partenaires sociaux se sont montrés en capacité de mener à bien des réformes structurelles d'importance »,* estime le négociateur de la CFDT, Patrick Pierron. ## Trois raisons d'apprécier Il sera reproché à cet accord d'être paraphé par trois organisations de salariés, qui, ensemble, ont recueilli seulement 39% des voix aux dernières élections nationales prud'homales ; quand les deux organisations contestataires en ralliaient 49%. Sans doute, cet accord contient-il en lui même toutes les imperfections d'un compromis ! Mais on peut avancer trois raisons de le célébrer. 1. D'abord, l'actualité économico-sociale nous apporte des faits illustrant que l'intransigeance ne garantit pas le succès des revendications. Le syndicalisme radical a des racines profondes en France, mais les temps changent et le statu quo peut se révéler mortifère. A regarder l'issue des combats menés par les syndicats non signataires de l'accord du 11 janvier dernier, tant à PSA Aulnay qu'à Goodyear Amiens (entre autres exemples), on peut s'interroger sur l'efficacité du jusqu'auboutisme inconditionnel. Le slogan final d'une émission de radio (sur « France Inter ») *« et surtout ne lâchez rien »* a, de fait, des relents conservateurs. 2. Ensuite et a contrario, cet accord rompt avec la tradition française selon laquelle on réforme par le conflit et non par la voie de la négociation. En quelque sorte, il jette les bases d'un nouvel art de faire et de vivre dans l'entreprise. C'est un pari ambitieux sur l'avenir. La CFDT, à la quelle la CFTC et la CGE-CGC ont emboité le pas, y voit sa stratégie réformiste validée. Ses secrétaires généraux d'hier et d'aujourd'hui, François Chérèque et Laurent Berger, préfèrent les progrès à petits pas à une stratégie de rupture. L'accumulation des concessions obtenues, fort lentement certes, ne change-t-elle pas le paysage social ! En manifestant ensemble, le 5 mars, - ce qui constitue une démarche tout à fait inhabituelle - la CGT et FO s'emploieront à dissuader le gouvernement de *« retranscrire dans la loi un mauvais accord pour les droits sociaux »*. Bernard Thibault, le leader de la CGT depuis quatorze ans, a bien essayé - un peu - de faire bouger les lignes au sein de son organisation ; mais ce n'est pas à la veille d'un congrès (à la mi mars) et de passer la main, qu'il peut accentuer la manœuvre ; les discours de tribune radicaliseront plutôt les orientations proclamées. Il a d'ailleurs déjà commencé en affirmant qu'avec une loi conforme à l'accord, *« les salariés passeraient d'un rapport de subordination à un rapport de soumission ».* 3. Enfin, précisant que l'accord majoritaire d'entreprise deviendra le socle de référence, on peut espérer que la négociation sur le terrain éloignera les partenaires sociaux des idéologies et les rapprochera des réalités. On trouverait nombre d'exemples où les syndicats - tous - se montrent plus pragmatiques en entreprise que sur le plan national ; plus ouverts à la réalité, à la négociation, à l'innovation et même à l'accord. On ne sait si l'accord du 11 janvier est de bon augure sur l'issue des négociations annoncées pour cette année ; relatives aux retraites complémentaires et à l'assurance chômage ? On peut seulement avancer, avec satisfaction, qu'un acte contractuel d'importance a été posé ; il favorise l'anticipation et l'imagination dans l'entreprise ; il conjugue la protection sociale et l'efficacité économique.
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2013-03-01
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[ "albert merlin" ]
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L'AMOUR ET L'ARGENT : PLATON, MAX WEBER ET LES FRANÇAIS FACE À L'ARGENT
# L'amour et l'argent : Platon, Max Weber et les Français face à l'argent Pour beaucoup de Français, l'amour c'est le bien, et l'argent c'est le mal. Mais nous ne sommes pas de purs esprits. L'amour et l'argent sont donc voués à cohabiter. Et surtout, depuis les philosophes grecs, on sait que tout est dans la façon d'agir. Les bons sentiments peuvent produire des malheurs. L'argent peut contribuer à faire un monde meilleur. Les réflexions d'Albert Merlin à l'heure de la crise. Il y a beaucoup de chansons d'amour. Il n'y pas de « chansons d'argent ». Mais on peut gagner beaucoup d'argent en vendant des chansons d'amour. Pour beaucoup de nos concitoyens, l'amour - lato sensu - c'est le bien ; l'argent, c'est le mal. Surtout dans les pays de culture catholique. On en trouve évidemment la traduction au plan politique, spécialement en France, où l'on a fini par se rallier à l'économie de marché mais sans y adhérer vraiment. On loue plus volontiers les vertus du non-marchand, de préférence régulé par l'Etat. En réalité, force est d'admettre qu'amour et argent cohabitent nécessairement, dès lors que nous ne sommes pas de purs esprits, mais bel et bien porteurs d'un corps et d'une âme. L'amour (ou ce qui nous est présenté comme tel) n'est pas toujours vertu ; et l'argent n'est pas forcément vicieux. Pas toujours !\... Ce sont les dérapages, d'un côté comme de l'autre, qui sont condamnables. ## Amour n'est pas toujours beauté Les Anciens ont longuement développé ce thème. Il est spécialement explicité dans le « Banquet » de Platon, dans le discours de Pausanias : *« En fait, en amour comme en de multiples autres actions, c'est la façon d'accomplir cette action qui est belle, honteuse ou méprisable ».* Tout le discours porte sur la distinction entre l'amour vulgaire (purement physique, ou, pire encore, pratiqué à des fins économiques) et l'amour-beauté. Mais il n'y a pas que *l'Eros* à considérer. Il y a aussi le champ immense des bons sentiments. Ceux-ci conduisent souvent, de nos jours, à mille et une erreurs politiques majeures, lorsqu'on abuse des mesures sociales, naturellement présentées comme des manifestations de fraternité. Elles consistent à imposer aux contribuables des contraintes inspirées des meilleurs sentiments, mais qui finissent par peser sur l'efficacité économique, donc sur le bien-être social. Cela repose sur une conviction largement répandue : c'est l'Etat qui sait où est le Bien, pas les échanges libres. Le manichéisme a la vie dure. ## L'argent fou : à qui la faute ? Si l'amour fait rêver, l'argent, à première vue, n'est pas considéré comme une valeur morale. Il n'en est pas moins présent quotidiennement dans la vie de tout un chacun. Il faut d'abord lui attribuer un mérite : quand l'addiction à l'argent prend la forme de l'avarice, celle-ci fait rire. Volpone, Harpagon et nombre de personnages de Balzac provoquent l'hilarité. C'est sans doute moins fréquent de nos jours, dès lors que la simple avarice individuelle a cédé la place aux déferlements de l'argent fou. Là, on ne rit plus. A partir du moment où l'on s'est aperçu que la sophistication des outils parvenait à déconnecter les flux de liquidités de ceux de l'économie réelle, la tentation fut grande, pour tous les « savetiers », de condamner sans appel tous les « financiers ». On revient, Dieu merci, à plus de discernement. D'abord parce que le nombre de « fous » a diminué. Ensuite parce que la crise aura eu le mérite d'imposer le renforcement des règles prudentielles, nécessaires à l'exercice normal du métier de banquier : le financement de l'économie. Affaire à suivre. Mais à peine avait-on commencé ce travail de remise en ordre qu'une autre forme d'argent fou - ou à tout le moins déraisonnable - émergeait des comptes publics. Naturellement, chez les Français, l'argent « public » ne suscite pas les mêmes appréhensions que le privé. Cet argent-là est considéré comme utile. Et comme moral ! Sans se rendre compte que la notion même d'argent public est très contestable puisqu'il résulte tout simplement d'un prélèvement sur les particuliers. ## Limiter les souffrances Il nous faut évidemment revenir à une vision plus raisonnable du rôle de l'argent, et veiller à ce qu'il soit le plus « productif » possible. Comment ne pas voir, en ce domaine, l'influence des traditions éthiques ? *L'argent,* disait Benjamin Franklin, *est par nature générateur et prolifique. Cinq shillings qui travaillent en font six ...* Toute la base de ce que Max Weber appelle l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme est là. On peut gagner de l'argent s'il contribue à construire un monde meilleur. Ce qui compte, c'est le « beruf » (cf. encadré) : l'exercice du métier, patient, appliqué, innovateur, jour par jour. Franklin enregistrait ses progrès vers la vertu à l'aide de tableaux statistiques ! ## L'éthique protestante « Le genre de vie valorisé par le protestantisme est le travail dans le siècle. Le travail est béni. Celui qui travaille et qui réussit dans son travail est aimé de Dieu.... Tocqueville rend mal justice de cette dimension spirituelle du « dynamisme américain », qu'il croit dirigé vers le seul bien-être matériel. Il ne voit également dans le « travail » que la dimension négative (être obligé de travailler pour vivre), non les dimensions positives (créer, œuvrer, répandre le bien autour de soi) ». *Extrait de « Histoire des idées politiques », de Philippe Nemo, Puf, collection Quadrige.* On objectera que nous sommes loin, de nos jours, de cette conception éthique de l'économie. Oui et non. Ce qui est vrai, c'est que notre monde n'est pas lisse : les usages que nous faisons de notre imagination, de nos outils de travail, y compris celui de l'argent, peuvent être bénéfiques ou maléfiques. L'outil numérique est-il ange ou démon ? Nous apprenons, dans le *« Journal des faux monnayeurs »* (!), que Gide, certains jours, sentait la présence du mauvais prince. Sur les marchés financiers, les traders - et leurs patrons - sont toujours là, mais le démon semble avoir pris quelque distance : les risque-tout sont moins nombreux. Reste à trouver les bons « mix » d'audace et de prudence qui font les bons cocktails. L'ordinateur peut y aider, à condition de se souvenir que les calculs et les modèles sophistiqués ne sont pas la clé du succès mais bien plutôt le choix des ingrédients. C'est ainsi que l'on peut contribuer à réduire les souffrances. Ce qui, dans un monde aussi dur que le nôtre, peut être une forme d'amour
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2013-03-01
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[ "patrick légeron" ]
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L'AUTRE COÛT DE LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL
# L'autre coût de la souffrance au travail Dans l'Europe du Nord, c'est sous l'angle du bien-être au travail et de la performance économique que les questions de stress sont abordées. La France est le seul pays où le concept de souffrance au travail est abordé de manière aussi émotionnelle qu'irrationnelle. A l'occasion de son rapport sur les risques psychosociaux, le docteur Légeron a pu mesurer l'effort qui reste à consentir dans notre pays pour prendre l'exacte mesure d'un phénomène qui a aussi un coût économique. Le stress au travail a fait irruption il y a une douzaine d'années dans la société française de la pire façon qu'il soit. Ce fut dans un premier temps sous la forme du harcèlement moral à la fin des années 90 avec la publication du livre de la psychiatre Marie-France Hirigoyen, suivie peu de temps après de la loi de modernisation sociale de 2002 réprimant sévèrement ces agissements. Ce fut ensuite la vague de suicides au travail d'abord dans l'industrie automobile puis à France Telecom et leur forte médiatisation, conduisant à la mise en place en 2009 d'un plan d'urgence de lutte contre les risques psychosociaux par le Ministre du travail Xavier Darcos. Dans les pays d'Europe du Nord, c'est positivement sous l'angle du bien-être au travail, et surtout de la performance économique, que les questions du stress au travail ont été abordées, et il y a fort longtemps déjà. Les premiers accords entre partenaires sociaux ont été signés sur ces sujets en 1977 au Danemark, alors que dans notre pays il aura fallu attendre 2008 pour voir le jour d'un Accord national interprofessionnel sur la question du stress au travail. Cette marque originelle nous poursuit encore. Nous sommes ainsi le seul pays où le concept de souffrance au travail connait un tel succès et où la couverture médiatique en est si puissante. Je me souviens encore des propos tenus, il y a une quinzaine d'années, par l'un des responsables de Nokia lors d'une conférence internationale à Amsterdam, réunissant une trentaine de grands groupes européens impliqués dans la prévention du stress de leurs salariés et où la France était remarquablement absente. « Notre retour sur investissement est de 1 sur 3 » concluait-il à l'issue de la présentation de toutes les actions que Nokia avait mis en place dans ses sites de Finlande. « Chaque mark que nous dépensons pour promouvoir le bien-être de nos salariés nous est extrêmement rentable ». Avec une certaine dose de cynisme, il se gardait bien d'évoquer le monde des bisounours et des salariés heureux, mais celui de la finance : « Nos actionnaires sont très satisfaits ». Toutes les études conduites dans ce domaine vont dans ce sens : le stress au travail coûte cher, et même très cher. Aux Etats-Unis, on estime que son coût avoisine les 300 milliards de dollars par an. Dans les quelques pays européens où des études sérieuses ont été conduites, il approche les 3% du PNB. L'Agence européenne de sécurité et de santé au travail explique ce coût par des causes directes et indirectes : absentéisme (et peut être encore plus onéreux, le présentéisme de salariés en détresse psychologique et donc inefficaces), perte de productivité, mauvaise qualité du travail, relations sociales conflictuelles, etc. Il n'est guère étonnant que le rapport « Prima » publié il y a deux ans sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé, et définissant un cadre européen pour la prise en charge des risques psychosociaux, insiste tant sur cette dimension économique. Prévenir ces risques, « that's good business » peut-on lire dans les toutes premières pages de ce long document. Or en France, nous n'avons aucune idée, même approximative de ce coût. Il est sans doute comparable à celui des autres pays proche de nous, même si l'on sait bien, par d'autres études, que les salariés français seraient plutôt à des niveaux de stress plus élevés que ceux de leurs homologues européens. Plus difficile encore à identifier, la manière dont se répartissent les coûts. Dans ce domaine, le principe du « pollueur-payeur » ne s'applique pas. La part du coût supportée par les entreprises est vraisemblablement très réduite. Tant par la prise en charge des maladies induites par le stress que par les arrêts de travail, le gros des dépenses étant assuré par la collectivité nationale. Un seul exemple, celui des dépressions. Moins de vingt dépressions sont reconnues chaque année comme maladie professionnelle et donc à ce titre prises en charge entièrement par la branche de l'Assurance maladie financée par les employeurs. Une goutte d'eau quand on sait qu'il y a environ 3 millions de déprimés dans notre pays, dont le coût élevé de la prise en charge est supporté par le régime général de la sécurité sociale. Peut-on raisonnablement penser que les environnements de travail ne sont la cause que d'une fraction si infinitésimale des dépressions ? En fait, personne ne s'en préoccupe réellement et notre sécurité sociale la première, creusant ainsi un peu plus son déficit. Nos faibles préoccupations économiques se révèlent aussi dans les thèmes de recherches menées en France sur le stress au travail. Notre pays publie régulièrement et inlassablement des études et des rapports officiels sur la souffrance, par ailleurs bien réelle d'un nombre croissant d'individus au travail, se cantonnant dans une approche doloriste du problème. Nous n'avons que peu d'idées de l'ampleur des maladies liées au stress professionnel et encore moins de leur coût pour le pays. Pour le seul exemple des suicides au travail, dont on a tant parlé, nous ne connaissons toujours pas leur nombre exact alors que, dans le rapport que nous remettions au Ministre du travail en 2008, nous indiquions la nécessité d'avoir ces données. Au delà des drames humains qu'il représente, le chômage est étudié financièrement et nous savons ainsi l'impact qu'il a sur l'économie d'un pays. Rien de tel pour les environnements et conditions de travail délétères et source de stress pour les salariés qui possèdent un emploi. Ce thème de la qualité de vie et du bien-être au travail n'est pas vraiment à l'ordre du jour de l'agenda social. Seule la question de l'emploi occupe le terrain, comme on a pu le constater dans les travaux de la grande conférence sociale. Alors qu'un vrai débat s'instaure heureusement dans notre pays sur la compétitivité de nos entreprises, et plus spécifiquement sur celle hors coût du travail, il serait regrettable d'ignorer le coût du stress non seulement en termes du mal-être mais aussi de la faible performance professionnelle des salariés. Avec les conséquences directes sur la performance économique des entreprises qui les emploient.
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2013-03-01
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[ "bernard lecherbonnier" ]
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OÙ SONT LES LOUIS HACHETTE DE L'ÈRE NUMÉRIQUE ?
# Où sont les Louis Hachette de l'ère numérique ? ## La crise dans la distribution des biens culturels Ce fut un coup de tonnerre. La déconfiture des Virgin Stores, la liquidation probable du Megastore des Champs Elysées ont été vécues comme une rupture brutale dans la vie culturelle du pays. Ministres, éditeurs et auteurs en ont fait aussitôt porter la responsabilité à Amazon. Et si la chute du modèle Virgin et les difficultés de la FNAC avaient une toute autre explication ? Bernard Lecherbonnier remet l'événement en perspective. L'annonce fatidique de la probable liquidation du Megastore des Champs Elysées a été un choc pour la plupart des lecteurs et des amateurs de musique qui aimaient flâner de niveau en niveau dans ce grand magasin de la culture, une sorte de Bon Marché moderne voué au culte du divertissement culturel. Triste événement ? Dramatique épisode risquant d'entraîner dans la débâcle financière nombre d'éditeurs de livres, de producteurs de disques qui vont tout aussitôt plonger dans le rouge ? Sans nul doute. D'ores et déjà les trésoreries des uns et des autres crient famine. Evénement salutaire ? On oserait l'espérer. Un électrochoc restaure parfois la santé du patient. Avant d'approfondir la question, faisons un bout de promenade dans l'Histoire. Ce n'est pas la première fois que notre pays voit ses libraires fermer boutique. La fin du XIXème siècle subit une crise sans précédent. Mais on avait alors des entrepreneurs entreprenants. En 1852 Louis Hachette, de retour de Londres où le phénomène s'installait déjà, avait eu l'idée d'installer des librairies dans les gares alors en pleine expansion avec la croissance accélérée des réseaux de chemins de fer. Il avait compris que le commerce culturel doit, pour évoluer et prospérer, s'adapter aux modes de déplacement des personnes, aux progrès conjoints de la vitesse et de la circulation. Le génial éditeur comprit dans le même mouvement qu'il lui fallait créer des collections dont la maniabilité, l'accès, les thématiques fussent adaptés au voyage ferroviaire. Au grand dam des auteurs, de Maupassant à Barrès, qui multiplièrent contre lui des pétitions, Hachette conçut des collections populaires à un prix populaire, qui firent sa fortune et imposèrent jusqu'à aujourd'hui la présence de « relais » dans toutes les gares tant ferroviaires qu'aéronautiques. Où sont les Louis Hachette de l'ère numérique ? Pourquoi n'ont-ils pas vu tourner la page de l'Histoire sous le souffle de l'Internet ? Et voici qu'on reproche - d'une voix commune, ministres, éditeurs, auteurs - à Amazon d'avoir fait le job comme disent les Américains ! Mais pourquoi n'ont-ils pas fait le job, nos « cultureux », alors que c'était fondamentalement leur responsabilité ? Revenons-en à Virgin. L'autopsie d'un cadavre ne l'a jamais ressuscité. En revanche on en comprend la raison du décès. Virgin, cela a été une formidable idée. Une idée plébiscitée par le public, le seul juge, en dernier recours, à décider de la valeur d'un projet. Qu'on se souvienne : lorsque Patrick Zelnik lance son concept, en 1988, avec le magasin des Champs Elysées, il s'inspire d'un modèle anglais en prenant soin de l'adapter aux mentalités françaises. Résultat : un magasin dont le chiffre d'affaires équivaut à 8 Virgin anglais ! Plus qu'un magasin, le Virgin des Champs Elysées devient alors un phénomène de société, le temple de la musique. On y flâne, on s'y rencontre, on s'y recueille presque. Des chiffres ? Dans les années 90, 10% des 200.000 personnes qui passaient devant le Megastore en semaine y pénétraient pour une duré moyenne de 45 minutes. Deux fois plus de monde le samedi et le dimanche ! Un point de comparaison : la fréquentation du Virgin des Champs était égale, à cette époque, à celle du Centre Pompidou. Quant au panier moyen de l'acheteur, il s'élevait à 230 francs (35 euros actuels). Le Virgin Megastore réalisait un chiffre d'affaires de 400 millions de francs, soit 5% du marché de la musique. Pourquoi la descente aux enfers ? On a mis en avant une moindre implication des vendeurs. Soit. Peut-être. Mais la cause est surtout à chercher du côté de la gestion à flux tendu. On chasse des rayons les références à faible taux de rotation, ce qui a transformé le « grand souk culturel » cher à Patrick Zelnik en grande surface ordinaire. Enfin on est passé à côté d'Internet ! Incroyable alors que Decitre, Gibert, la FNAC ont sauté dans le train quand il est passé et ont créé leur système de vente numérique. Le défi aujourd'hui : rendre son âme à un temple fui par les fidèles. Comment ? En acaptant le lieu à l'idée que le public actuel se fait de la culture. Il est évident par exemple que le hardware doit voisiner avec le software. Les jeunes ne font plus de distinction entre leurs oreilles, leur smartphone et leur musique. Dans l'esprit de tous, désormais, le design, les arts, la gastronomie appartiennent à la culture. Ne nous substituons pas aux entrepreneurs qui réfléchissent à la question. Il est toutefois clair qu'un repreneur ne peut plus aujourd'hui n'être qu'un commerçant. Il sera nécessairement un acteur de la chaîne amont. D'où la concurrence que se font Naïve et BMG autour du dossier de reprise. Le respect d'une condition fera la différence : le repreneur, même si c'est une major, devra garantir les intérêts des indépendants. Cette dernière clause est essentielle : pour en revenir à Louis Hachette, si son exclusivité de distributeur s'est pérennisée, c'est parce qu'il a su à temps intégrer dans ses points de vente la production de ses concurrents qui, pourtant, comme Flammarion, ont mené des combats homériques contre sa position dominante. La flexibilité des concepts commerciaux, l'adaptation aux mentalités changeantes et aux nouveautés techno-industrielles décident clairement de l'échec ou du succès des entreprises de distribution culturelle. On en a eu la démonstration avec deux exemples majeurs, Hachette et Virgin. J'en tirerai une loi générale. La culture est, de nature, expansive. La peau de chagrin est pour elle maladie mortelle. On n'a pas cessé depuis des décennies de vouloir limiter les points de vente, de concentrer la distribution. Un exemple : en Basse Normandie, 40% des produits culturels se vendent à Caen et 10% à Cherbourg. Les autres Normands, c'est quoi ? Des Touaregs ? Quand subsiste un point de vente, on y réduit les références au minimum. A quoi sert-il de visiter les rayons d'un libraire ou d'un disquaire si l'on n'y trouve qu'un choix limité de propositions ? Si on ne peut pas rêver en sautant de découverte en découverte ? Si on repart toujours avec la seule œuvre qu'on était venue y acheter ? Autant rester chez soi et se faire livrer, comme les pizzas, des livres et des disques à domicile. A force de construire des barrages, des digues et des canaux, le fleuve déborde et emporte tout, c'est bien connu. Et le fleuve porte un nom de fleuve : Amazon...
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2012-11-01
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[ "albert merlin" ]
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QUEL ÉTAT, POUR QUELLE SOCIÉTÉ ?
# Quel état, pour quelle société ? ## Adam Smith définit de manière simple et claire ce que doit être le périmètre de l'Etat : assurer la sécurité extérieure, protéger chaque membre de la société contre l'injustice et l'oppression, et « quand il le faut », ériger les ouvrages ou institutions que l'intérêt privé ne pourrait prendre à sa charge. Hélas, constate Albert Merlin, dans une France dont la sphère publique capte et retraite 56% de la richesse produite, le « quand il le faut » a perdu toute signification... Commençons par consulter une personnalité ayant toujours entretenu une incontestable familiarité avec la culture administrative ; « Dans notre bestiaire politique, ce n'est pas le mammouth de Claude Allègre qui, dans l'imagerie politique, symboliserait le mieux la lourde machine étatique. Ce serait plutôt la baleine, un énorme animal lui aussi, mais tout rond, réputé pacifique, vaguement protecteur et finalement fragile.... » (1) Comment ne pas être d'accord avec le réquisitoire acéré de Roger Fauroux, rédigé il y a plus d'une décennie ? Sauf qu'il faudrait ajouter à ce bestiaire deux cétacés certes moins volumineux, mais néanmoins de plus en plus pesants (à savoir la Sécurité Sociale et les collectivités territoriales) pour parler de la puissance publique dans sa totalité. Lourdeur, fragilité, on pourrait ajouter iniquité... Qu'est-ce qui a changé depuis la publication de ces quelques lignes datant de 2001 ? Beaucoup de mesurettes, aucune réforme d'ensemble. Notre seule « performance », entre temps, est d'avoir hissé les dépenses publiques à plus de 56% du PIB (sans parvenir toutefois à détrôner le petit Danemark). Pourquoi cette impuissance ? N'y a-t-il pas eu des commissions, des missions et des réformes depuis dix ans ? Sans doute, mais a-t-on jamais attaqué le vrai problème ? Ni technique ni comptable, la question est sociétale, au sens large ! Quelle société voulons-nous ? Et au sein de cette société, quel rôle pour l'Etat et quelles doivent être ses limites ? Autant de questions qui ne relèvent pas de Bercy, ni de Matignon. Ce devrait être, à l'évidence, la tâche des élus, le jour où ils associeraient les réflexions du citoyen de base aux travaux des philosophes politiques. Nous en sommes loin. On dit que les Français « aiment » l'Etat .Mais pourquoi ? Est-ce dans nos gènes ? Un grand chercheur autrichien, après de nombreuses études sur les vrais et faux jumeaux, a fini par admettre que l'on ne pouvait pas conclure à une quelconque influence des gènes sur les choix politiques gauche / droite .A fortiori pouvons-nous penser que notre amour de l'Etat ne s'explique pas par notre ADN social (si ce terme a un sens). ## Deux conceptions du « bien » Plus crédible est l'influence de la tradition culturelle. Depuis la nuit des temps nous privilégions ce que nous estimons rationnel : en France, la rationalité est statufiée. Il est évident, pour les « Etatolâtres », que sa majesté l'Etat, réputé impartial, perché au-dessus des intérêts privés, est le mieux placé pour prendre des décisions rationnelles, surtout pour décréter le « Bien » et le diffuser dans la société. Position de principe héritée en partie d'un catholicisme pyramidal, et jamais vraiment justifiée. Force est de remarquer que la conception du « Bien » chez les Protestants est très différente : cela passe par les oeuvres paroissiales, les fondations et l'ardeur à bâtir avant de distribuer. En langage managérial, on pourrait dire que c'est là une démarche « bottom up », et pas du tout « top down ». Ainsi fonctionne, chez les Protestants, la sphère non-marchande. Chez nous, c'est le plus souvent l'Etat. Faut-il encore s'abstenir de mettre tout sur le dos de la religion : en témoignent le pouvoir des préfets ou l'organisation « paramilitaire » des lycées napoléoniens, totalement laïques ! Venons-en maintenant aux convictions plus directement politiques. Par où commencer ? Sans doute par l'option fondamentale entre liberté et égalité, dont Tocqueville nous disait qu'elle donne à l'esprit public une certaine direction ,un certain tour aux lois : « aux gouvernants des maximes nouvelles, et des habitudes particulières aux gouvernés. » (2) La préférence en faveur de l'égalité est évidemment fort défendable, à condition qu'elle ne vire pas à l'égalitarisme et ne méprise pas le désir de liberté, notamment de la liberté d'entreprendre Qui , parmi nos élus , aura le courage de s'expliquer sur sa conception du partage entre les deux ingrédients du cocktail liberté/ égalité , et plus généralement sur sa « philosophie politique ? » (s'il en a une) ? ## Une responsabilité très virtuelle Passons au concept de responsabilité, tout aussi important. Les serviteurs de l'Etat agissent tous ( pas seulement les magistrats) « au nom du peuple français » , ce qui limite considérablement leur responsabilité individuelle . Quand on voit le nombre d'erreurs, voire de fautes couvertes par ce principe, ne faudrait-il pas lui assigner un butoir ? Quand un ingénieur commet une erreur dans une entreprise privée, le couperet tombe sans délai. Dans la sphère publique, la responsabilité est trop souvent diluée. Pensons aux travaux d'infrastructure mal étudiés ou pas étudiés du tout, aux constructions de lignes de tramways (l'actuelle marotte) avec super-factures à la clé. Ces dérapages ne datent pas d'hier. Rappelons-nous Rousseau : L'Etat, disait-il, enrichit les fainéants de la dépouille des hommes utiles (3). Laissons à l'auteur sa provocation jubilatoire\... Mais n'est-il pas vrai qu'aujourd'hui encore, beaucoup de dépenses publiques, malgré les vifs rappels à l'ordre de la Cour des Comptes, sont autant de « prises » sur les investissements productifs ? (voir les articles de Michel Brulé er d'Hervé Dumez) Voilà pour les chiffres .Mais ce qui compte en définitive, ce sont les idées, les convictions, les arrière-pensées qui finissent par dessiner la place de l'Etat dans la société. Paradoxalement, c'est chez le père du libéralisme, Adam Smith, que l'on peut trouver la définition la plus claire du périmètre étatique. Selon lui, le « souverain », contrairement aux caricatures véhiculées par les dirigistes, a le devoir d'assurer la sécurité extérieure et de protéger chaque membre de la société contre l'injustice ou l'oppression. Mais voici le troisième devoir : ériger les ouvrages ou institutions que l'intérêt privé ne pourrait prendre à sa charge « parce que jamais le profit n'en rembourserait la dépense ». On est loin, là, d'un Etat réduit aux fonctions régaliennes : il peut les déborder quand il le faut. Seulement de nos jours on ne sait plus définir le « quand il le faut » ! Deuxième problème, outre celui du périmètre : l'efficacité et la qualité du service rendu. On entend dire fréquemment : il vaudrait mieux que l'Etat en fasse moins, mais qu'il le fasse mieux .Qui donc mettra cela en musique ? Liberté, efficacité, responsabilité : la démocratie n'en demande pas plus. Mais pas moins. (1) « Notre Etat », par B. Spitz et R. Fauroux, (R. Laffont, 2001) (2) Rapporté par Pierre Manent, in «Cours familier de philosophie politique » Fayard (3) Cité par Jean-Marc Daniel, in « Sociétal »no 77,sept 2012
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institut présaje
2012-11-01
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[ "françois ecalle" ]
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PANORAMA DE LA DÉPENSE PUBLIQUE : UNE PUISSANCE PUBLIQUE BOULIMIQUE ET DE MOINS EN MOINS EFFICACE
# Panorama de la dépense publique : **Une puissance publique boulimique et de moins en moins efficace** La France redistribue 56% de son PIB (Etat et collectivités). Une proportion sans équivalent dans les grands pays développés. Depuis 15 ans, l'Allemagne et la Scandinavie n'ont cessé d'assainir leurs comptes publics, isolant un peu plus notre pays dans une Union Européenne désormais dominée par les économies du nord. Le plus grave : le poids excessif de la dépense publique en France s'accompagne de résultats de plus en plus médiocres dans les statistiques internationales de mesure de l'efficacité. ## Le poids très élevé des dépenses publiques en France ### L'Etat-patron en 2012, trop faible, trop décalé Le poids des dépenses publiques de la France, rapportées à son PIB, la place au deuxième rang de l'OCDE et de l'Union européenne. En 2011, elles représentaient 55,9 % du PIB en France, contre 49,2 % dans l'Union européenne et 49,4 % dans la zone euro. De 1996 à 2011, leur poids est resté en tendance à peu près au même niveau, en France comme dans l'Union européenne. Les fluctuations annuelles du ratio dépenses / PIB reflètent surtout celles du dénominateur. Les dépenses publiques sont en effet plus inertes que le PIB et ce ratio diminue assez mécaniquement lorsque la croissance de l'activité est forte (comme en 1998-2000) pour augmenter symétriquement quand elle est faible (comme en 2008-2009). Les pays, comme ceux de Scandinavie, où le poids des dépenses publiques était plus élevé qu'en France il y a 15 ans l'ont fortement diminué depuis. Désormais, seul le Danemark dépasse la France. La tendance a aussi été à la baisse en Allemagne et l'écart par rapport à la France s'est creusé. Ces dépenses sont celles des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale, à savoir l'Etat et ses établissements publics administratifs, les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales. En France, l'Etat et ses établissements publics réalisent 34 % des dépenses publiques, contre 46 % pour les régimes sociaux et 20 % pour les administrations locales. La répartition est souvent très différente dans les autres pays pour des raisons institutionnelles : poids des dépenses locales dans les Etats fédéraux comme l'Allemagne ou une large prise en charge des dépenses sociales par l'Etat dans des pays comme le Royaume-Uni. Les dépenses publiques peuvent être décomposées selon leur fonction et le tableau suivant compare cette décomposition en France, en Allemagne et dans l'Union européenne en 2010. Les dépenses publiques sont nettement plus élevées en France dans tous les domaines, à l'exception notable des aides au développement économique, pour lesquelles elles sont plus faibles, ainsi que de l'ordre public et du service de la dette, pour lesquels elles sont à peu près égales à celles de l'Allemagne et de l'Union européenne. Elles sont notamment plus importantes en France dans les domaines de l'enseignement, du logement et des équipements collectifs ainsi que de la protection sociale. Ce dernier poste n'est pas décomposé dans tous les pays et donc ne l'est pas pour l'Union européenne. La comparaison avec l'Allemagne et d'autres grands pays européens montre néanmoins que l'écart par rapport à la France tient surtout aux retraites et, plus secondairement, à la santé (respectivement 3,3 et 0,9 points de PIB de plus en France qu'en Allemagne). Les écarts avec la moyenne de l'OCDE sont probablement encore plus forts, dans la mesure où les dépenses publiques sont globalement plus faibles dans les pays non européens. La France se caractérise donc par une propension assez générale à dépenser plus que dans les autres pays, ce qui ne poserait pas de problème si l'utilité de ces dépenses pour la société était supérieure au coût des prélèvements obligatoires nécessaires pour les financer. ## Une utilité trop souvent douteuse Il n'existe pas d'indicateur synthétique de l'utilité des dépenses publiques et celle-ci ne peut faire l'objet que de mesures partielles et bien souvent assez frustes. Elles suggèrent toutefois assez fortement que des résultats équivalents pourraient être obtenus pour un coût sensiblement inférieur. Trois grands objectifs sont traditionnellement assignés aux dépenses publiques : la régulation macroéconomique, la fourniture de services publics et la redistribution des revenus. Le poids des dépenses publiques de la France n'a pas permis de réaliser des performances macroéconomiques remarquables, que ce soit en termes de croissance de la production ou du pouvoir d'achat, de chômage, ou encore de compétitivité internationale. Si le « bien-être » a évidemment bien d'autres déterminants que la qualité des services publics et l'ampleur de la redistribution, il peut en résulter pour partie. L'indicateur « vivre mieux » construit par l'OCDE vise à mesurer synthétiquement la satisfaction des citoyens dans 11 domaines pondérés identiquement : logement, revenus du travail, vie en communauté, éducation, environnement, gouvernance, santé, sécurité, équilibre entre vies professionnelle et familiale et bien-être global. Cet indicateur situe la France à la 18ème place de l'OCDE. Pour ce qui concerne l'efficacité des services publics, l'éducation est sans doute le domaine où les comparaisons internationales, les « enquêtes PISA », reposent sur les méthodologies les plus solides. Les scores de ses élèves placent seulement la France dans la moyenne des pays de l'OCDE, avec en outre une influence particulièrement forte des inégalités sociales dans leurs résultats. Le poids des dépenses d'assurance maladie est particulièrement important en France, mais les indicateurs de résultat du système de santé n'y sont pas les meilleurs : elle est au 8ème rang de l'OCDE pour l'espérance de vie (les deux genres confondus), au 17ème rang pour la mortalité infantile et au 21ème rang pour le taux de suicide (en mettant au premier rang le pays où le taux est le plus bas pour ces deux derniers indicateurs). La situation du logement n'est pas sensiblement meilleure en France que dans les autres pays européens : elle est, par exemple, au 12ème rang de l'Union européenne pour le nombre de pièces par personne (en commençant par le pays où il est le plus élevé). En matière d'environnement, si la part de l'énergie nucléaire dans la production d'électricité lui permet d'émettre relativement peu de gaz à effets de serre, la France est, par exemple, au 17ème rang de l'Union européenne pour le poids de ses déchets par habitant (en commençant par le pays où il est le plus faible). Beaucoup de dépenses sociales ont pour objectif de réduire les inégalités en opérant une redistribution des revenus. Il existe de multiples manières de mesurer les inégalités de revenus. En particulier, on peut classer les ménages par quartiles, déciles, centiles... et comparer les revenus des quantiles extrêmes, moyens ou médians, au revenu, moyen ou médian, de l'ensemble de la population ou comparer les revenus des quantiles extrêmes eux-mêmes (le premier et le dixième décile par exemple). Selon l'indicateur retenu, les conclusions peuvent être totalement différentes. Il existe heureusement un indicateur synthétique de mesure de ces inégalités, le plus fréquemment utilisé dans les comparaisons internationales : le coefficient de Gini. Celui-ci est construit à partir d'un graphique représentant la distribution des revenus dit « courbe de Lorenz » et en mesurant la distance qui sépare la courbe de Lorenz du pays considéré de celle qui correspond à une distribution parfaitement égalitaire (tous les ménages ont le même revenu). Le coefficient de Gini va de 0 (distribution égalitaire) à 1 (inégalité totale : un seul ménage accapare le revenu total). L'ampleur de la redistribution opérée dans chaque pays par l'Etat et les régimes de sécurité sociale peut être mesurée en faisant la différence des coefficients de Gini avant et après impôts et transferts sociaux. Le tableau suivant donne le résultat de ce calcul. La France figure, avec l'Allemagne et l'Italie, parmi les pays où la redistribution est la plus importante. Elle est généralement plus limitée dans les autres pays européens, y compris en Suède. La redistribution est encore plus faible dans les pays non européens de l'OCDE, d'où un grand écart entre la France et la moyenne de l'OCDE. Ces comparaisons ne prennent cependant en compte qu'une partie des dispositifs qui contribuent à la redistribution des revenus, à savoir, pour l'essentiel, les prestations familiales, les aides personnelles au logement, les minima sociaux, l'impôt sur le revenu, la CSG et la taxe d'habitation. Or, selon l'INSEE, les services de santé et d'éducation, non pris en compte dans ces comparaisons internationales, contribuent aussi fortement à la réduction des inégalités en France. En outre, il n'existe aucune mesure fiable de la redistribution opérée à travers les tarifs des services publics locaux (crèches, cantines scolaires, transports...) et des services publics nationaux, autres que l'éducation et la santé, notamment de ceux qui sont gérés par des entreprises comme EDF. La redistribution réelle est probablement, en France, plus importante que sa mesure statistique et que celle des autres pays. Malgré l'ampleur de ces transferts, le coefficient de Gini de la France, après impôts et transferts sociaux, est seulement un peu inférieur à ceux de l'OCDE et de la zone euro. La distribution des revenus n'y est pas aussi égalitaire que dans les pays du nord de l'Europe, alors que les dépenses publiques y sont désormais plus importantes. L'examen des taux de pauvreté conduit au même diagnostic : la France est au 10ème rang de l'Union européenne. Elle figure donc parmi les pays où ce taux est plus bas que la médiane, mais elle est loin derrière certains pays d'Europe du Nord (Pays-Bas, Suède..) ou de l'Est (république tchèque, Slovaquie...). Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la France n'est pas pour autant un pays inégalitaire. Elle est, grosso modo, dans la moyenne. Au total, si la France est presque au premier rang pour le montant de ses dépenses publiques, elle est en est loin pour la qualité de ses services publics et la réduction des inégalités. Pourquoi cet appétit des Français pour des dépenses publiques à l'utilité douteuse ? Je laisse aux autres auteurs de cette lettre le soin d'y répondre.
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institut présaje
2012-11-01
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[ "gérard thoris" ]
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QUE FAIRE DES FONCTIONNAIRES ? LA RGPP A ÉTÉ JUGÉE TROP BRUTALE. IL FAUT TROUVER D'URGENCE UNE AUTRE MÉTHODE
# Que faire des fonctionnaires ? **La RGPP a été jugée trop brutale. Il faut trouver d'urgence une autre méthode** Sur quel personnel l\'Etat doit-il s\'appuyer pour assurer ses missions ? Dans quelle mesure ce personnel doit-il relever d\'un statut public ? Comment les agents du public doivent-ils être recrutés ? Comment leur carrière doit-elle être organisée ? Le gouvernement Ayrault a décidé d\'arrêter le programme de RGPP - la Révision générale des politiques publiques - jugé trop brutal dans la méthode. Mais le débat autour du monopole de la fonction publique reste plus que jamais d\'actualité. En décrétant le remplacement à 50 % des départs en retraite des fonctionnaires, Nicolas Sarkozy laissait entendre qu'il existait des marges de productivité dans la fonction publique. Ce faisant, il se démarquait de l'opinion publique. Dans un sondage TNS Sofres des 13 et 14 avril 2011, 71 % des personnes interrogées estimaient que cette politique était « une mauvaise chose ». On pourrait croire que le récent rapport de l'Inspection générale des finances sur la RGPP, la « Révision générale des politiques publiques » (1) aille dans le sens de l'opinion publique mais tel n'est pas le cas. Cette révision est considérée comme « novatrice » mais défaillante quant à la méthode. Novatrice, elle l'est « par sa volonté de s'interroger sur la pertinence des politiques publiques ». En d'autres termes, la légitimité de l'intervention de l'Etat n'est assurément pas remise en cause, mais, reprenons les termes du rapport, sa « finalité », son « efficacité », son « financement » doivent être questionnés. Parmi tous ces thèmes, retenons celui de l'efficacité et, au sein de l'efficacité, considérons la question fondamentale : « sur quel personnel l'Etat doit-il s'appuyer pour assurer ses missions ? » Cette question peut-être décomposée de la manière suivante : 1/ Dans quelle mesure le personnel qui assure des missions commandées par l'Etat doit-il relever d'un statut public ? 2/ Comment ce personnel doit-il être recruté ? 3/ Comment sa carrière doitelle être organisée ? ## La question du statut de la fonction publique Personne, en France, ne devrait contester que le statut de la fonction publique doive être réservé aux personnes qui exercent une fonction régalienne. Cela concerne donc la haute administration, la justice et la police. La plupart du temps, ce qui dépasse ce périmètre est le fruit d'une histoire politique. L'idéal communiste fut longtemps le vecteur d'un élargissement sans fin de la salarisation publique. En même temps, force est de reconnaître que, a contrario des nationalisations de 1945, celles de 1982 n'ont pas conféré de statut spécial aux salariés des nouvelles entreprises publiques. Cela dit, ne pas avoir de statut public ne veut pas dire absence de convention collective évidemment ! Sans jugement de valeur particulier, le rapport de l'Inspection des finances déjà cité présente quelques cas de figure où le statut de la fonction publique a été réservé à un cœur restreint de fonctionnaires(2) . Parmi les pays étudiés, citons l'inévitable Suède où la réforme a été la plus complète, avec suppression de l'emploi à vie, externalisation de nombreuses activités exercées dans le périmètre de l'action publique et diminution de l'emploi public de 8,5 % à 5 % de la population active entre 1990 à 1997. Cependant, dans toute réforme, on peut s'interroger sur la plasticité du corps social. Inutile de forcer les changements de structure au risque de briser l'esprit de service et de dégrader la situation existante. C'est le jugement de l'OCDE dans son rapport sur la France : « ce sont les pratiques de la gestion des ressources humaines qui entravent l'agilité plutôt que le statut luimême »(3) . On aura remarqué au passage que l'accent est mis sur l'agilité plutôt que sur l'efficacité. On peut y voir l'idée que l'efficience ne concerne pas seulement le fonctionnement interne du service (efficacité), mais aussi son adaptation à la mission mouvante de l'Etat pour lequel le service a été constitué (agilité). ## Comment ce personnel doit être recruté ? S'il y a une chose assez incroyable en France, c'est l'existence même d'un concours de la fonction publique. L'Etat, en effet, a le monopole de la délivrance des diplômes. Il est le garant de l'exactitude des connaissances acquises dans le système scolaire et universitaire. Mais quand il s'agit de ses propres missions, il ne fait plus confiance à ses propres professeurs ! Cela signifie normalement que, pour l'embauche d'un fonctionnaire ou, plus largement, d'un agent chargé de l'exécution d'une mission de service public, la procédure de recrutement devrait se rapprocher de celle des entreprises privées. Dans ce contexte, un certain niveau de diplôme est bien entendu requis ; au-delà de cette base, l'expérience personnelle peut apporter un plus dont bénéficiera nécessairement le service ; enfin, la personnalité peut être sondée pour assurer une adéquation entre le besoin public en ressource humaine et le candidat à la fonction. Tout cela permettrait de mettre fin, au moins au niveau du recrutement, à cette multitude de corps qui compromet la mobilité interne de la fonction publique. Qu'on en juge, le nombre de corps est passé de 1500 (1990) à 700 (2008) et 380 aujourd'hui(4) . Là encore, nous voyons bien qu'une logique de corps est une sorte de logique militaire appliquée à la société civile. Lorsqu'on cherche une ressource pour traiter un problème, on sait qu'on la trouvera dans tel corps justement spécialisé pour traiter ce type de problème. La réalité du fonctionnement actuel des institutions est toute autre : dans les compétences disponibles au sein d'un service, quelle est celle qui sera le mieux à même de mobiliser les bonnes ressources pour traiter d'un problème particulier. ## Comment sa carrière doit-elle être organisée ? La logique de carrière est devenue bien étrange aujourd'hui. Qui aimerait être confiné au même travail d'une année à l'autre, inlassablement, pendant plus de quarante ans ? Hier, l'avancement à l'ancienneté servait à nourrir la patience. Il a sans doute aussi exacerbé le désir d'une retraite précoce ! La réalisation au travail exige un degré raisonnable de permanence, des opportunités régulières de mobilité. Or, là encore, l'OCDE rejoint l'expérience courante des fonctionnaires : « La Bourse interministérielle des emplois (...) ne sera pas suffisante tant qu'une procédure obligatoire de mise en concurrence des candidats (...) et de transparence dans la sélection (...) n'est pas formellement systématisée »(5) . De plus, le statut rend extrêmement difficile de quitter ou d'entrer dans la fonction publique en milieu de carrière. Or, le désir existe chez de nombreux salariés et l'administration trouverait certainement à repositionner ses forces dans cette ouverture à une autre culture d'entreprise. ## Conclusion Une évolution dans ce sens est-elle possible en France, après l'arrêt de la RGPP décidé par JeanMarc Ayrault ? Oui, si l'on en croit le rapport de l'IGF déjà cité. Il préconise effectivement trois orientations pour y faire suite. Elles portent globalement sur l'idée qu'il faut « donner la parole aux agents »(6) . Nous aurions envie de dire « chiche » si nous étions sûrs que, derrière le monopole de la fonction publique, ne se cachait jamais aucune recherche de l'intérêt individuel ! 1) Bilan de la RGPP et conditions de réussite d'une nouvelle politique de réforme de l'Etat », Rapport de l'Inspection Générale de l'Administration, de l'Inspection Générale des Finances, de l'Inspection Générale des Affaires sociales, Paris, septembre 2012,Internet Média. <http://www.igf.finances.gouv.fr/webdav/site/igf/shared/Nos_Rapports/documents/2012/2012-M-058-> 01%20Bilan%20RGPP.pdf 2) Cf. annexe 5, comparaisons internationales 3) OCDE (2012), *France : Une perspective internationale sur la Révision générale des politiques publiques, Examens de l'OCDE sur la gouvernance publique, Editions OCDE, p. 210* 4) *OCDE (2012), ibidem* 5) *ibidem, p. 215* 6) *op. cit., synthèse*
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institut présaje
2012-11-01
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[ "michel brulé" ]
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DÉCENTRALISATION ET IRRESPONSABILITÉ : DE LA DÉMOCRATIE LOCALE AU PAYS DE TOCQUEVILLE
# Décentralisation et irresponsabilité : **De la démocratie locale au pays de Tocqueville** Un système féodal propice à l'arbitraire et au favoritisme. Tel est le jugement sévère porté par Michel Brulé à propos du détournement de la notion d'investissement dans les budgets des collectivités territoriales. L'Etat a décentralisé des fonctions sans réduire pour autant les dépenses qu'elles occasionnaient. Reprises par les collectivités territoriales, elles deviennent des leviers de pouvoir pour des « barons » locaux qui décident de tout. La décentralisation sera la grande affaire du septennat, avait promis Pierre Mauroy en arrivant à Matignon en 1981. Rappelons les ambitions des réformateurs : mettre en œuvre le principe de subsidiarité rapprochant les décisionnaires de la population ; faire passer la responsabilité de la gestion locale de l'administration aux élus, en dégageant ceux-ci de la pesante tutelle étatique. Autant de motifs d'espérer de ce nouvel espace de liberté une gestion plus efficace, mieux adaptée aux réalités locales, plus réceptive aux attentes des citoyens. En même temps qu'un apprentissage de la responsabilité par l'exercice de l'autonomie. On est dans le droit fil de la pensée de Tocqueville, pour qui « les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ». Trente ans plus tard, et après que Jean-Pierre Raffarin ait complété les réformes lancées par Gaston Defferre, où en sommes-nous ? ## Le détournement de la notion d'investissement Au plan des finances publiques, les collectivités territoriales constituent désormais le secteur où les dépenses connaissent la plus forte progression. Sans pour autant que la délégation d'un certain nombre des compétences exercées jusqu'alors par l'Etat n'ait causé d'amincissement de ce dernier. Ce même phénomène d'empilement, notre fameux mille-feuilles, nous le retrouvons entre les communes et les communautés qui les regroupent : des compétences sont déléguées et de nouvelles structures crées sans qu'aucun allègement des structures antérieures ne soit observé. Et comme ces structures communautaires sont gérées par des conseillers désignés et non élus, l'absence de rendez-vous avec l'électeur crée une propension accrue à la dépense. On ne s'étonnera pas alors que ce soit au niveau de ces différentes communautés que le dérapage budgétaire des collectivités territoriales soit le plus prononcé. Quand on observe de près le fonctionnement de ces collectivités, on est frappé de voir à quel point l'idée même de crise leur est étrangère ; jamais on n'entend dire : dans la situation actuelle des finances publiques, nous renonçons - ou nous différons - tel projet que nous avions conçu dans des temps meilleurs. Pas plus qu'on ne s'interroge, en votant une hausse de la fiscalité locale, sur l'opportunité d'accroître le fardeau du contribuable au moment où le pouvoir central le met déjà fortement à contribution. Il s'agit d'un monde fermé sur lui-même, qui poursuit sa propre route -- celle de l'augmentation régulière de la dépense - sans se préoccuper du contexte. L'absence de vrai débat avant de lancer de nouvelles dépenses est frappant : on ne motive pas plus une dépense à venir qu'on ne vérifie après coup le bien fondé des dépenses passées. Le cumul des mandats locaux joue puissamment dans ce sens. Le maire d'une commune se sert de son mandat de président ou vice président de la communauté pour faire bénéficier sa commune de la manne de l'échelon supérieur ; pour peu qu'il exerce aussi des responsabilités au conseil général, il en usera de même. C'est ainsi que dans une commune de la Manche, le maire, qui est aussi vice-président de la communauté de communes, accumule de coûteux équipements aux frais de la communauté. C'est le jeu : pile je gagne, face tu perds. Si l'équipement est un succès, ses électeurs vantent son savoir-faire ; si c'est un échec, ce sont les autres qui payent, ses électeurs ne lui en voudront pas. Dernière en date de ses folies : une salle de futsal, sport encore marginal, dans sa commune de 2000 habitants qui possède déjà deux terrains de foot et alors qu'il en existe une, loin d'être saturée, dans une commune toute proche Coût : 1 350 000 € Au lieu que chacun de ces mandats locaux soit exercé dans le seul intérêt de la collectivité concernée, il devient le moyen de faire payer à d'autres des équipements qui viendront consolider la position personnelle de l'élu aux casquettes multiples. ## Le signe extérieur de la puissance d'un élu On voit se créer des baronnies où la dépense devient le signe extérieur de la puissance de ces féodaux et du respect qu'ils inspirent. Le jeu des subventions, avec le clientélisme qui les motive souvent-- notamment dans les subventions aux associations - accroît cette propension au gaspillage, en donnant à l'électeur local le sentiment que ses représentants sont des malins qui savent faire payer aux autres les avantages dont ils les gratifient. Dans une autre communauté de communes de la Manche, un équipement sportif superflu a bénéficié de cinq subventions ( département, région, fonds de développement du sport, Europe et réserve parlementaire !) sans qu'aucune de ces instances n'ait analysé le projet auquel elle va donner l'argent du contribuable pour en vérifier le bien-fondé. L'entregent du président - ancien secrétaire général de l'Assemblée Nationale - tient lieu d'étude des besoins réels. Quand des critiques se sont élevées sur ce gaspillage, l'argument massue du président était : vous ne voulez pas qu'on laisse perdre 500 000€ de subventions..... On cherche en vain les forces qui feraient contrepoids à cette propension à la dépense. Ne comptons pas sur la presse locale qui n'a pas pour habitude de mettre en cause le bien fondé des décisions des notables ou même l'exactitude de leurs déclarations pour justifier leurs hausses d'impôts ou les projets les plus contestables. Et on observe une réelle passivité du côté de l'administration, quand il ne s'agit pas de complaisance envers des décisions enfreignant parfois les règles qu'elle a elle-même édictées. L'usage abusif du vocable d'investissement vient à l'appui de ces gaspillages. Un investissement, c'est une dépense consentie aujourd'hui dans l'espoir qu'elle rapportera demain. Or sont souvent classés sous cette noble appellation, des équipements superflus, sans utilité économique aucune, qui ne rapporteront demain que des frais de fonctionnement qui viendront alourdir durablement les budgets de fonctionnement. Quand on vante la relève de l'Etat prise par les collectivités territoriales en matière d'investissement, il convient donc d'y regarder de plus près sur ce que cela recouvre. Dérapage régulier des frais de fonctionnement et gaspillages au sein des budgets d'investissement sont les deux plaies financières dont souffre notre mille-feuille territorial. Voilà comment une réforme destinée à améliorer la gestion des affaires locales tout en éduquant élus et citoyen est devenue synonyme d'irresponsabilité, de clientélisme et de gaspillage. On peut s'en désoler. On peut aussi y voir un potentiel d'économies considérable, le jour où on aura remédié aux vices de conception de ces réformes, à commencer par l'enchevêtrement inextricable des financements, dont l'opacité favorise tous les abus. Mais ceci est une autre histoire.
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institut présaje
2012-11-01
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[ "michel rouger" ]
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L'ÉTAT DE L'ETAT
# L'état de l'Etat A la veille d'aborder le XXIe siècle et « d'entrer dans le tunnel des 35 heures », Michel Rouger avait analysé la situation de l'Etat en France à travers les administrations de l'Education, des Finances, de la Justice et de l'Armée. Treize ans plus tard, rien n'a changé. **« L'état de l'Etat est stationnaire, pronostic vital engagé... » constate-t-il en se désolant du manque de courage de la classe politique face à la dégradation de l'Etat dans ses fonctions régaliennes.** Jamais, depuis 1945 et la Libération, l'Etat n'a autant été l'objet de débats sur les changements qu'il conviendrait de lui imposer. Lecteur assidu de la presse depuis quelques lustres, j'y ai vu 62 présidents du conseil ou Premiers ministres se débattre dans les torrents, parfois boueux, de la politique. En croisant les doigts pour qu'un Etat solide assure le destin d'une France bousculée par un tel tournis. En 1999, dernière station avant l'entrée dans le tunnel de la RTT, j'ai produit quelques réflexions sur le sujet, au moment où se prenaient les grandes décisions européennes du nouveau siècle qui frappait à la porte pour y faire entrer ses crises. Mon analyse fut purement qualitative pour ouvrir une petite brèche dans le mur des ratios et du benchmark. L'Etat y a été circonscrit dans le carré magique des quatre piliers sur lesquels il repose : ceux constitués par les super administrations centrales de l'Education nationale, des Finances, de la Justice et de l'Armée. Chaque commentaire a pris le ton du citoyen Roi qui parle à son ministre, comme Henri IV parlait à Sully de la bonne politique et des bons résultats. 13 ans plus tard, sur les mêmes critères, les choses ont bien peu changé. Comme les équipes du parti revenu au pouvoir qu'elles occupaient à l'époque. Les mécanismes de négociation et de concertation qui convenaient si bien par temps calme deviennent des simulacres. Dans la tempête, c'est de mécanismes de transformation que nous avons maintenant besoin. C'est la prise en charge résolue du changement du monde qui nous permettrait de retrouver ce que beaucoup réclament : du sens à leur vie. - **L'Education nationale.** La rue de Grenelle n'a pas bougé d'un millimètre du champ de vision qu'elle offrait en 1999. On attend toujours les bons programmes qui feront de tous les enseignés de bons élèves. Il est vrai qu'il n'est pas commode de diriger un corps enseignant qui partage ses effectifs entre ceux qui font la classe à l'école et ceux qui font la lutte des classes dans la rue. Heureusement pour les collègues des hauts postes des administrations centrales, l'enseignement supérieur, les écoles d'en haut, apportent en qualité, à leurs enfants, tout ce dont les 100.000 éjectés annuels de l'école d'en bas sont privés. - **L'Economie et les Finances.** La rue de Bercy a rajouté 14 budgets déficitaires aux 12 précédents, sans oublier les déficits de la balance des paiements. Le tout pour accumuler un stock de dettes historiques. Le résultat est là. Il ne changera pas tant que le choix des budgets sociaux - 50 % des dépenses - sera la règle d'or de la réélection de ceux qui les décident. A Bercy de coincer la bulle fiscale la où l'exigent les créanciers pour modérer leurs propres taux, en gérant le seuil de tolérance des contribuables comme on règle une cocotte minute. La différence avec 1999 tient aux risques de rupture de cet équilibre. Toute jacquerie fiscale effraierait les créanciers qui perdraient la garantie des impôts collectés et feraient tout sauter. - **La Justice.** La place Vendôme reste accablée par l'inflation des textes que les juges doivent appliquer, au gré des humeurs du pouvoir exécutif qui domine le Parlement. Elle continue de vivre au temps de l'émotion médiatique mère de la sinistre affaire d'Outreau. Elle cherche toujours l'équilibre entre la sanction exigée par cette émotivité de l'opinion, et la vertu raisonnable de la Justice qui ne reconnait que ce qui est juste. Ce qui n'a pas non plus changé, c'est la position du corps des juges, aussi mal considérés que les patrons par une société politique qui se méfie des deux et fait tout pour les diviser afin de mieux régner. - **L'Armée.** Enfin le boulevard Saint Germain, qui commence à faire ses sacs pour aller les poser à Balard, confirme les tendances observées en 1999. La sécurité intérieure des Français repose de plus en plus sur les CRS et la gendarmerie, mobilisables et déplaçables à merci sur le théâtre des événements les plus lourds. La police classique se partage entre le traitement de l'émotion médiatique, de la proximité, et celui de l'assistance aux juges surchargés par les enquêtes pénales. Quant à l'armée, si on sait ce qu'elle coûte on ne saura vraiment ce qu'elle vaut que lorsqu'elle défendra la Nation agressée chez elle. Ses missions récurrentes dans les zones de non droit à l'étranger ressemblent de plus en plus à celle des CRS dans les zones de non droit de l'Hexagone. En conclusion, l'état de l'Etat est stationnaire, pronostic vital engagé. L'Etat a de mauvais résultats, persistants, au point que la majorité des citoyens le critiquent dans des formes et sur un ton que les étrangers ne comprennent pas tant ils nous voient attachés et dépendants de son Administration. A force de frustrations, la cible finit par devenir le fonctionnaire inconnu alors que ce devrait être le politicien connu qui joue de cette esquive pour éviter sa mise en cause. L'Etat administratif est obéissant, c'est l'Etat politique qui est défaillant. L'Administration ne peut rien contre sa mauvaise politique. « L'autorité que les serviteurs de l'Etat tirent de leurs fonctions est une prérogative d'emprunt dont ils sont redevables à l'Etat et qu'ils n'ont pas le droit de retourner contre lui » a dit Raymond Poincaré, en 1927. S'il revenait, il observerait avec inquiétude le corps des grands administrateurs de l'Etat mener leurs carrières, la tête et le cœur au pouvoir suprême, un pied dans la politique, un pied dans l'Administration, aidés par leurs condisciples qui ont les deux mains dans les affaires. Dans une chronique voisine, Hervé Dumez expose comment l'Etat a changé il y a 30 ans. Ceux qui l'ont laissé muter auraient dû lire Montaigne qui, quatre siècles auparavant, a dit : « Le changement dans l'Etat donne seul forme à l'injustice et à la tyrannie »
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institut présaje
2012-11-01
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[ "jacques barraux" ]
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L'ENTREPRISE FACE AUX IMPUISSANCES DE L'ETAT STRATÈGE : LA FRANCE N'EST PAS EN DÉCLIN, ELLE EST EN DÉSORDRE
# L'entreprise face aux impuissances de l'Etat stratège : **La France n'est pas en déclin, elle est en désordre** Un Etat omniprésent mais frappé d'impuissance budgétaire. Des ressources scientifiques et techniques débordantes mais dégradées dans les marais de la bureaucratie. Des entreprises aux normes mondiales mais une opinion entretenue dans le dédain de l'entrepreneur. Un arrimage vital à un bloc régional - l'Union Européenne - mais une manie du dénigrement pour mieux dissimuler les paresses nationales. L'image dévaluée de la France économique annonce-t-elle le déclassement inexorable de sa puissance industrielle ? Il n'y a pas de fatalité. Pour les acteurs du business - par définition pragmatiques et tournés vers l'avenir - la France de 2013 n'est pas en déclin, elle est en désordre. C'était il y a quelques mois à la « Une » de « The Economist ». On y voyait Lénine sur une couverture à fond rouge, fumant un gros cigare sous un titre provocateur : « The rise of state capitalism ». Dans un dossier de 14 pages, le magazine britannique prenait acte du démarrage officiel d'une nouvelle séquence de la mondialisation industrielle. Il notait la coïncidence entre la crise du capitalisme libéral occidental - norme universelle de la mondialisation depuis les années Reagan-Thatcher jusqu'à la faillite de Lehman Brothers - et la montée en puissance d'un néocapitalisme d'Etat dans les grandes économies émergentes, Chine, Brésil, Inde, Russie et pétromonarchies en tête. Désormais, deux familles d'entreprises de poids comparables se partagent le contrôle des marchés et dessinent la géographie industrielle de la planète. D'un côté des entreprises privées, grandes ou petites, cotées ou non, libres de leurs mouvements et fonctionnant à l'occidentale. De l'autre, des entreprises contrôlées plus ou moins directement par des Etats décideurs ou co-décideurs de leurs stratégies de conquête. Ainsi, deux cultures théoriquement irréconciliables - celle du libre marché et celle du dirigisme - se confrontent ou s'influencent au quotidien dans la totalité de l'espace mondialisé. Le partage des territoires dans les secteurs d'avenir du numérique, des bio-industries ou de l'énergie, l'organisation des circuits de soustraitance dans l'automobile ou l'informatique, l'animation du marché international des fusionsacquisitions, la chasse aux aides publiques là où elles prolifèrent : partout l'hybridation idéologique des opérateurs est la règle. Le monde des affaires est devenu un forum baroque où se mêlent des capitalistes à l'ancienne, des sélectionneurs de fonds souverains, des anarchoentrepreneurs à la mode californienne, des sous-marins de gouvernements autoritaires\... ## L'Etat-patron en 2012, trop faible, trop décalé. L'économie mixte, le dirigisme industriel, l'économie française en est imprégnée depuis un siècle. L'élection de François Hollande et l'arrivée de la gauche au pouvoir au moment précis où les investisseurs publics des économies émergentes partent à l'assaut des marchés allait-elle être l'occasion d'un élan de type néo-Programme Commun de 1981 ? Non bien sûr. Personne n'y a cru pendant la campagne présidentielle et personne n'y voit aujourd'hui la solution à la sortie de crise qui traumatise le pays. Les imprécations inoffensives car trop caricaturales d'un Jean-Luc Mélenchon et la trop vague lettre de mission du nouveau « ministère du Redressement Productif » sont les révélateurs d'un modèle public français qui se reconnait trop faible et trop décalé par rapport aux nouvelles réalités du marché mondial. Le capitalisme d'Etat, la France en a une amère expérience car il a produit beaucoup moins d'Airbus, de TGV et de centrales Areva que de Plans machines-outils, de programmes Concorde et de Plans Calcul. Du pire (souvent) et du meilleur (parfois). Les finances publiques exsangues balaient aujourd'hui l'espoir d'un recours massif aux solutions d'autrefois. La mystique des grands projets a cessé d'inspirer la technocratie d'Etat. ## Le capitalisme d'Etat né de la guerre. Mondialisée comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne à la veille de la guerre 1914, l'industrie française a plongé dans l'étatisme et le dirigisme aux moments les plus sombres de l'histoire du pays et dans ses périodes de ruptures politiques majeures. Pendant la guerre de 1914-1918, sous le Front Populaire, sous le gouvernement de Vichy, à la Libération et au lendemain de la victoire de la gauche en 1981. Dirigisme de droite autoritaire pendant les guerres. Dirigisme de gauche d'inspiration révolutionnaire en 1936 ou en 1981. Des situations d'exception suivies d'éclaircies médiocrement libérales puisque chacune des séquences d'interventionnisme de droite ou de gauche laissait en héritage sa couche sédimentaire d'organismes publics ou para-publics, de lois, de règlements et de participations en capital oubliées dans les recoins des budgets publics. Bilan : une construction polymorphe et budgétivore, un échafaudage byzantin, un entrelacs de territoires publics ou semi-publics aux mains de coalitions jalouses, les unes techniciennes - les grands corps de l'Etat - les autres politiques ou liées à des lobbies. Le tout sous la coupe d'une Inspection des Finances arrogante et hors champ de la République. ## Une industrie, trois familles d'entreprises. Les nationalisations de 1936, 1945 et 1982 ont fracturé à jamais le corps productif français en deux grands ensembles. La science politique devrait ainsi élargir au monde de l'entreprise la traditionnelle distinction opérée entre « les deux France » de la politique, des mœurs et des idées. Il y a d'un côté la France des entreprises issues de l'économie administrée et de l'autre, celle des entreprises indépendantes (dominée par les sagas familiales). Avec entre les deux, un épais maquis d'entreprises plus ou moins « mixtes » selon le pourcentage d'actionnariat public ou selon le degré de dépendance à l'égard de l'Etat. Retour en 2012. Une telle géographie du capital peut-elle devenir un atout à l'heure du rééquilibrage mondial entre capitalisme libéral et capitalisme d'Etat ? Le modèle EDF, le modèle L'Oréal et le modèle mixte EADS ne sont-ils pas aujourd'hui d'une égale légitimité sur le marché mondial ? La révolution annoncée du « manufacturing » et le double choc fondateur de l'économie numérique et des sciences de la vie n'impliquent-ils pas la mise en place de platesformes collaboratives entre les mondes du public et du privé (entreprises, laboratoires, universités, services publics) ? Hélas, deux obstacles de taille compromettent les chances d'une combinaison réussie entre les deux univers, condition de la renaissance industrielle de notre pays. 1. **-- Le rendez-vous manqué avec l'Histoire.** L'année 2012 s'achève sur le courageux plaidoyer du rapport Gallois sur le lien compétitivité-croissance. Les élus de droite ont beau jeu d'ironiser sur les velléités d'une gauche dite archaïque et mal préparée à la conduite du pays. Ils oublient l'essentiel. Le rendez-vous avec l'Histoire, c'est elle, la droite, qui l'a manqué en 2007, dans les six mois qui ont séparé l'élection du président Sarkozy du déclenchement de la crise des « subprimes » aux Etats-Unis. La France disposait alors d'une fenêtre de tir pour traduire en actes le discours libéral du candidat victorieux et solder un quart de siècle de dérive criminelle des comptes publics. Sa large victoire lui donnait l'occasion de passer en force pour remettre la France productive à l'unisson de celle de l'Allemagne. Le mandat implicite était clair : priorité à la compétitivité des entreprises, suppression des 35 heures, transfert sur l'impôt d'une partie des charges sociales des entreprises et tant pis pour les basses intrigues d'un Laurent Fabius sur la TVA sociale. Il est paradoxal qu'en 2012, la pédagogie du sujet soit assurée par une majorité de gauche peu sûre d'elle-même et dans une France de 2012 plus fragile que celle de 2007. 2. **-- Le préalable d'une remise en ordre des outils de la politique industrielle.** Quels que soient les moyens mobilisés pour la nouvelle Banque Publique d'Investissement, la recherche publique, les filières d'innovation et autres dispositifs, la France n'a pas les moyens d'aligner des acteurs publics disposant d'un pouvoir d'influence comparable à celui des mastodontes de la science ou de l'industrie, les MIT, les Harvard, les Gazprom, les Aramco ou les China Mobile. Mais elle dispose de deux atouts essentiels pour l'avenir. D'une part son rang de puissance majeure au sein d'une Union européenne qui, depuis les précédents de la CECA et des consortiums aéronautiques laisse en jachère divers gisements d'alliances industrielles ou scientifiques. D'autre part, la variété extrême de ses compétences et de ses savoir-faire technologiques, injustement sous-estimés par les exégètes de la désindustrialisation du pays. Les usines ferment mais le point de non retour dans la conservation des compétences - par perte totale de la mémoire des métiers utiles aux technologies du futur - est loin d'être atteint. C'est pourquoi il y a urgence de mettre de l'ordre dans le capharnaüm des centres techniques, des procédures d'aides publiques ou des filières de recherche. L'Etat désargenté n'a plus les moyens de réinventer les grands programmes de l'ère gaulliste mais il règne sur un empire technologique en pièces détachées, un puzzle encombré de doublons et de branches mortes. La bonne stratégie de moment est celle du travail de tri et du « reengineering ». Pour la grande politique industrielle, on verra plus tard\...
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institut présaje
2012-11-01
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[ "hervé dumez" ]
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EN QUOI L'ÉTAT EST-IL RESPONSABLE ?
# En quoi l'État est-il responsable ? Le fonctionnaire est censé incarner l'intérêt général. Une idée abstraite qui faisait sourire la génération des fonctionnaires qui avaient pris le relais des aînés de l'après-guerre. Diverses expériences furent alors tentées en matière de responsabilité et d'évaluation de la performance. On en est toujours là explique Hervé Dumez. La France cherche toujours à revenir à un Etat garant de l'intérêt général et soucieux de performance. Mais surtout pas à la manière de la LOLF avec ses indicateurs chiffrés qui ont abouti à des catastrophes. Rien ne devrait être plus évident à comprendre et expliquer que la responsabilité de l'État et de ses agents. Rien pourtant de plus complexe. Longtemps, cette responsabilité a en effet reposé sur une fiction agissante, celle de l'intérêt général. On peut parler de fiction puisque l'intérêt général n'est pas la composante des intérêts particuliers, qui eux sont ô combien réels, qu'il s'oppose même à eux, bien qu'il doive leur faire une place. Le fonctionnaire était censé, pour paraphraser Hannah Arendt, non pas se soucier de soi et de sa carrière, non pas se soucier des autres, mais être habité par le respect de soi-même en rapport avec ce sentiment d'incarner, à son niveau, l'intérêt général. La fiction était agissante au sens où elle inspirait l'action de l'État et de ses agents. Dans les années 80, nous avons mené une recherche sur le contrôle des prix(1) . A l'époque, les hausses de prix de tous les secteurs industriels étaient négociées, puis leur respect ou non contrôlé par une administration qui s'était appelée historiquement du nom étrange de « Direction des prix » (comme si l'État pouvait diriger le système des prix). Située quai Branly, à la place actuellement occupée par le musée des Arts premiers, ces bâtiments tristes des années 50 constituaient une citadelle assiégée par tous les lobbys que compte l'économie française, à qui l'on avait confié la tâche d'y résister au nom de l'intérêt général, l'objectif étant de contenir l'inflation. L'industrie automobile était alors sous la responsabilité de deux fonctionnaires, l'un proche de la retraite, l'autre une jeune administrateur civil. En les moquant, mais avec un certain respect, les dirigeants de l'automobile racontaient qu'ils les invitaient régulièrement aux cocktails de la chambre des constructeurs. Ces deux fonctionnaires s'y rendaient avec ponctualité, considérant que cela faisait partie de leur rôle puisqu'ils n'étaient pas censés être hostiles à ce secteur important de l'économie, visiblement pourtant la mort dans l'âme, jamais l'un sans l'autre, buvaient une coupe de champagne et repartaient le plus vite possible. Ils avaient le sentiment de représenter l'intérêt général, c'est-à-dire d'avoir à résister aux intérêts particuliers tout en les comprenant et en ne manifestant aucune hostilité à leur égard. ## Le tournant des années 1980-2000 Cette fiction de l'intérêt général donnait ce genre de comportement qui suscitait à la fois un certain respect, voire de l'admiration, et la moquerie. L'État, représenté par ses fonctionnaires, était à la fois respecté et raillé. Les années 80/90 ont marqué un tournant, avec le départ à la retraite des fonctionnaires de l'après-guerre, et l'apparition de jeunes fonctionnaires aux yeux desquels l'intérêt général apparaissait pour ce qu'il est, une fiction, et assez ridicule. Dans l'administration des Prix, à cette époque, l'opposition des deux styles était palpable. On voit bien l'aporie à laquelle conduisait la fiction de l'intérêt général. En disant incarner ce dernier, l'État et ses fonctionnaires n'avaient pas de comptes à rendre(2) : leur légitimité venait d'un principe impossible à définir concrètement. La responsabilité de l'État ne renvoyait alors qu'à l'État lui-même qui la définissait de manière souveraine. Dans les années 1990/2000, est apparue l'obligation de définir autrement cette responsabilité, en relation avec les administrés. Sont apparues d'une part l'évaluation des politiques publiques (en réalité plutôt retour d'un serpent de mer) et l'idée d'une performance mesurée de l'État (venant d'Outre-Manche avec le New Public Management) qui s'est traduite par l'adoption de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finances). Toute unité administrative doit désormais définir ses projets annuels de performance qui sont évalués un an après par des rapports annuels de performance. Les objectifs sont chiffrés. L'adoption a été présentée comme une rupture avec la conception traditionnelle du fonctionnement de l'État : ses départements sont désormais responsabilisés quant à leur performance. Nils Brunsson a suivi l'application de l'équivalent de la LOLF en Norvège en prenant notamment le cas des archives d'un ministère norvégien(3) . L'objet de cette unité est de garantir un bon accès des archives à ceux qui veulent les consulter et à maintenir un haut niveau de protection (contre l'incendie, les inondations, les dégradations éventuelles). Tout cela était assuré. Mais il a fallu se fixer des objectifs de performance et on a donc fait intervenir un cabinet de consultants dont la tâche a été de trouver des objectifs chiffrés, atteignables en un an, et pouvant donner suite à d'autres objectifs chiffrés de performance pour l'année suivante (le jeu consiste en effet, pour toute administration, à se fixer des objectifs atteignables en une année, en se laissant de la marge pour les années suivantes...). On attendra l'évaluation de ce type d'effets pervers, que tout le monde connaît, mais il est à peu près certain que l'application rigide d'objectifs chiffrés « de performance » dans la police a été inefficace, et sans doute profondément démoralisante pour les personnels qui n'avaient plus l'impression de traiter les questions de délinquance mais d'être réduits à remplir des tableaux d'objectifs chiffrés. Le même phénomène se rencontre à peu près partout, dans l'évaluation de la recherche par exemple. ## Eloge du fonctionnaire « exemplaire » Faut-il alors désespérer de toute responsabilité de l'État? Peut-être pas, ou pas complètement. Il faudra bien, d'une façon ou d'une autre, revenir à un État garant de l'intérêt général, même si celui-ci est une fiction, et soucieux de performance (mais pas comme la LOLF le prévoit, à coups d'indicateurs chiffrés conduisant aux catastrophes que l'on sait). Revenir à une conception traditionnelle, sans doute un peu « ringarde », celle d'un État et de fonctionnaires « exemplaires », pas au sens que les politiques ont donné à ce terme en le galvaudant, mais recherchant à la fois l'intérêt général et la performance : « La responsabilité consiste pour l'essentiel à savoir qu'on donne un exemple, que d'autres vous "suivront" ».(4) Reste un problème symétrique : que l'État soit respecté (même s'il est raillé) par les administrés, et non défié et méprisé... 1) Dumez H. & Jeunemaître A. (1989) *Diriger l\'économie: l\'État et les prix en France 1936- 1986,* Paris, l\'Harmattan. 2) Dumez H. \[ed.\] (2008) *Rendre des comptes. Nouvelle exigence sociétale*, Paris, Dalloz. 3) Brunsson N. (2006) *Mechanisms of Hope. Maintaining the Dream of the Rational Organization,* Copenhague, Copenhagen Business School Press. Voir Dumez H. (2007) « La mécanique de l'espoir selon Nils Brunsson : réformons pour être (enfin) rationnels. » *Le Libellio d'Aegis,* vol. 3, n°2, pp. 4-9. 4) Arendt H. (2005) Journal de pensée, Paris, Seuil. Tome II, p. 839
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institut présaje
2012-06-01
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[ "michel rouger" ]
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EDITORIAL : CROISSANCE ÉCONOMIQUE, DROIT ET JUSTICE
# Editorial : Croissance économique, Droit et Justice ## L'Institut Presaje est né il y a dix ans pour rassembler les professionnels des trois grandes fonctions essentielles au bon fonctionnement de la démocratie : le Droit, l'Economie et la Justice. Il les mobilise à nouveau pour qu'ils travaillent ensemble sur les moyens d'aider au retour de la croissance. Et qu'ils en appellent au sens de la responsabilité que la société doit retrouver afin d'assurer le redressement du pays. Quel bel objectif que celui d'assurer la croissance par le dynamisme de l'économie, dans le respect du droit et la régulation par la justice ! A condition de s'en donner les moyens, dans un monde grand ouvert, de les analyser en partant des réalités, d'expliquer les faits prévisibles avec constance et pédagogie, et de retenir la vision longue. En associant les professionnels des trois grandes fonctions, droit-économie-justice, sans lesquelles la croissance tant attendue ne sera pas au rendez vous. L'absolue nécessité d'associer ces professionnels découle d'une évidence. Jusqu'à la fin du XXème siècle, chaque nation maîtrisait, par elle-même, son système juridique, l'élaboration de ses lois, le système judiciaire qui les faisait appliquer, donc la régulation de la croissance d'activités économiques enrichissantes. Cette maitrise permettait la mise en cause des responsabilités des opérateurs défaillants. Elle a été perdue sous le triple effet d'une globalisation financière échappant à toute loi régulatrice, d'une arrivée massive sur le marché mondialisé de producteurs échappant à toute régulation sociale, d'une libération totale des individus dans leurs échanges, par le web, avec le monde entier en tous domaines. Il s'en est suivi une perte, elle aussi globalisée, des devoirs de responsabilités de chacun face aux conséquences de ce que le législateur édicte : la loi, de ce que l'entreprise produit : l'économie, et de ce que la justice décide : la régulation. Le redressement et la croissance, maîtres-mots des espoirs inspirés par l'observation pertinente de la situation de la société française, sont incompatibles avec le maintien de ces pratiques. La prise en compte partagée des conséquences de ce qui est produit en matière de droit, d'économie et de justice est impérative. La séquence 2007-2012 que la planète vient de vivre a révélé à quel point tout est imbriqué, tout est partagé, au sein d'une société ouverte, entre celui qui fait la loi, celui qui crée l'activité économique, celui qui la régule. L'Institut PRESAJE, qui a été créé il y a dix ans pour rassembler les professionnels de ces trois grandes fonctions essentielles dans toute vie démocratique, le Droit, l'Economie et la Justice, va renforcer son appel auprès d'eux pour qu'ils travaillent ensemble sur les moyens d'aider au retour de la croissance. Et du sens de la responsabilité que la société doit retrouver pour redresser sa situation.
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institut présaje
2012-06-01
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[ "armand braun" ]
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PROSPECTIVE : LES \" INDIGNÉS \" ET LE CHANGEMENT DU MONDE
# Prospective : les \" indignés \" et le changement du monde La crise impose le mouvement. A la racine des mouvements protestataires des deux côtés de l'Atlantique, il y a hélas l'intuition que les gouvernements occidentaux sont incapables de faire face à des enjeux qui les dépassent. Nous continuons à vivre sur ce qui devient une fiction : le maintien du statu quo. Il est grand temps de nous dégager de schémas conventionnels et de rechercher en tout domaine la référence de l'avenir. C'est parce qu'ils subissent le chômage, la pauvreté et l'absence de perspectives que des centaines de milliers de jeunes manifestent dans les pays que l'on qualifie encore de riches. Ces jeunes, souvent porteurs de réelles qualifications professionnelles, savent que le « nyaka » et les promesses ne valent rien. Leur souci de l'avenir n'en est que plus grand. Si cette protestation leur attire de nombreuses sympathies, elle ne s'accompagne pas, audelà des slogans, de véritables propositions. Nous subissons les effets de la conjonction entre au moins trois phénomènes différents : l'impact des courants profonds entraînant les sociétés modernes, des problèmes structurels, des ruptures. Tous ceux qui s'inquiètent - et ils sont des millions - devraient comprendre que notre époque bénéficie d'une très grande chance : tout est à faire. Nous savons que la nature même du travail change et derrière le travail, l'emploi, que nous devons inventer les nouvelles formes de la rétribution et de l'activité professionnelle. Que le péril environnemental est biface, qu'il peut devenir une formidable source de création de richesses. Que d'innombrables contraintes lilliputiennes interdisent l'initiative dans des domaines essentiels. Que l'éducation, source de l'avenir, peut être profondément réinventée... Ce ne sont là que quelques-uns parmi les grands chantiers d'organisation sociale qui devraient être ouverts. Par contre, ceux qui s'inquiètent ont raison quand ils ont l'intuition que rien ne se fera. Le conservatisme se survit sous de nouveaux habillages : le thème de la régulation sert à relégitimer le corset bureaucratique ; la solidarité et l'égalité sont détournées pour préserver des intérêts corporatistes ; nous avons recours à des mots -- croissance, innovation... - dont nous nous réservons de définir ultérieurement le contenu. L'Etat est écartelé entre les besoins et les pressions du présent et les impératifs de la préparation de l'avenir, entre les contraintes internes et les contraintes externes. La dette publique n'est pas sans rappeler les tributs que nous avons dû payer dans le passé, par exemple pour obtenir la libération d'un roi prisonnier ou encore dans le cadre du Traité de Francfort, après la guerre de 1870. Sauf que cette fois, nous n'en voyons pas la fin. Nous continuons de vivre sur ce qui devient une fiction, la poursuite des statu quo. La peur des uns et l'inconscience des autres expliquent que c'est tous freins serrés que nous abordons les grandes épreuves qui pourraient advenir. Et s'il est une critique à adresser à ceux qui s'inquiètent, c'est de participer de ce statisme : qui donc, en matière d'éducation par exemple, exige autre chose que davantage de moyens ? Les mécanismes de négociation et de concertation qui convenaient si bien par temps calme deviennent des simulacres. Dans la tempête, c'est de mécanismes de transformation que nous avons maintenant besoin. C'est la prise en charge résolue du changement du monde qui nous permettrait de retrouver ce que beaucoup réclament : du sens à leur vie. Quoiqu'affirment tant d'esprits distingués, la problématique d'aujourd\'hui n'a rien à voir avec celle des années 1930. Elle ne peut être réduite à une querelle entre austérité et relance qui n'appréhende que l'écume des choses et contourne les questions difficiles. Le phénomène des « indignés » (de même que l'émergence du parti « pirate » en Allemagne) porte en définitive sur la volonté de la jeune génération d'assumer son destin. Les artifices immobilistes qui l'en empêchent peuvent être écartés et nous avons grand intérêt à le faire. Et vite : plus difficiles les épreuves, plus difficiles les réformes de fond, comme on l'observe en Grèce. Aux récentes élections présidentielles, près d'un Français sur trois a voté pour des partis populistes. Heureusement, ceux-ci sont antagonistes. Mais, dans quelques années, si nous continuons à ne rien faire, nous risquons de connaître à notre tour et par notre faute les situations qui, au début du XXème siècle, ont amené des peuples à se livrer à d'éloquents et criminels idéologues. La crise impose le mouvement. C'est de la difficulté que peut renaître l'optimisme. Il est grand temps de nous dégager des schémas conventionnels et de rechercher en tout domaine la référence de l'avenir ! ^(1)^ : Le texte d'Armand Braun a été publié dans la « Lettre Prospective » des Conseillers de synthèse de juin 2012. Presaje.Com le remercie d'avoir donné son accord pour la reprise du texte dans nos colonnes.
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institut présaje
2012-06-01
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[ "françois lainée" ]
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LES NOUVEAUX SENTIERS DE LA DÉMOCRATIE : GRÈCE, BELGIQUE, ISLANDE OU ROYAUME-UNI ? CITOYENS EN VOYAGE OÙ VOULEZ-VOUS ALLER ? (1)
# Les nouveaux sentiers de la démocratie : **Grèce, Belgique, Islande ou Royaume-Uni ? Citoyens en voyage où voulez-vous aller ? (1)** Etonnant : la Belgique n'a pas souffert de son absence prolongée de gouvernement. Mieux, la dépense publique a diminué pendant l'entracte gouvernemental. En Islande, le peuple a vécu une expérience de démocratie directe inédite au lendemain de sa débâcle financière. Et la Grande-Bretagne conservatrice, malgré l'indifférence de l'opinion, explore des voies nouvelles de conduite des affaires publiques. Et la Grèce elle-même, au plus profond de son effondrement, reste intéressante à regarder **pour imaginer la suite...** Too big to fail ? Comme pour les institutions financières, l'illusion que la taille et la solidité vont forcément de pair touche aussi les États, ou les groupes d'États. Ainsi la zone euro, qui remet régulièrement sur l'ouvrage le traitement de problèmes qu'elle avait résolus, promesses de dirigeants, quelques semaines plus tôt. Nous vivons une époque où hélas l'impossible qui survient malgré tout impose l'évidence que la parole seule ne peut tout conjurer. En France aussi le balancier est suspendu. Le monde ouvert, plus grand, rapide, compétitif, questionne sans relâche nos certitudes d'hier, nos souvenirs de grandeur, notre droit à rêver que notre modèle sociétal puisse perdurer, voire s'imposer aux autres. De nouvelles équipes s'installent, pleines d'envie d'exercer un pouvoir bien réel mais si contraint en fait. Vont-elles raisonner dans la continuité, par des ajustements au modèle vieillissant de notre société, ou préparer aussi des changements véritables de notre vie collective ? Si tu désires la paix, sois prêt pour la guerre. Le dicton prend une nouvelle vigueur quand on voit certaines forces à l'œuvre en Europe, dans des géographies qui souffrent, comme nous, des défis turbulents que posent, conjuguées, l'angoisse climatique, le mur énergétique de l'ère du tout fossile, et l'étirement sans fin de l'échelle des richesses, qui amène lentement une croissance du nombre de (futurs) pauvres. Sans prétendre en rien à un voyage exhaustif dans l'Europe des remous, voici quelques étapes qui donnent à réfléchir où nous voulons aller, en cas de dérapage, de notre fait ou non : Tout en haut de l'affiche, par le choix des medias : la Grèce. Ce coup-ci les carottes semblent être bientôt cuites. La confiance n'est plus là. Son absence, envers ceux qui étaient jusqu'ici les interlocuteurs sur lesquels comptait l'eurocratie, est telle qu'il a fallu recommencer les élections pour parvenir à former un gouvernement. On relance donc les dés. Il faut au moins le temps d'essayer autre chose, quitte à être déçus. Et ces temps, on le sait, ont souvent coûté cher en violences diverses et en souffrance humaine. Certains avancent l'idée que les premiers salaires publics qui ne seront pas versés par carence du pouvoir pourraient bien ramener la raison dans les têtes. Mais la résignation n'est pas un bon terrain pour construire à long terme. Disons donc bonne chance à la Grèce, pour trouver un leader franc-tireur raisonnable, et à l'eurocratie pour raisonner humain et pas seulement finance. La France comme la Grèce d'ici quelques années ? Impossible, dira-ton, comme il était absolument impossible il y a moins d'un an qu'un pays sorte un jour de l'euro. ## Surprise en Belgique : moins de gouvernement, moins de déficit Pays bien plus discret mais plus proche : la Belgique. Les mauvaises nouvelles font vendre plus que les bonnes et c'est pourquoi, sans doute, les médias ne nous ont guère parlé du bonheur d'être Belge, même en pleine anarchie. Car ce pays complexe a passé dix huit mois sans gouvernement central, et il n'a connu finalement ni désagrégation, ni violence de rue, ni effondrement socio-économique. Des habitants à qui je posais la question m'ont récemment confié leur vision des problèmes, et de la chance aussi, qu'a été cette vacance. Le problème principal, qu'ils voyaient comme mineur, était l'incapacité de procéder à certaines nominations de responsables publics dont les mandats venaient à terme. Très pragmatiquement les titulaires ont été prolongés, et le monde a continué de tourner. Le plus grand bénéfice a été, selon mes interlocuteurs, l'absence de nouvelles dépenses, par manque de donneurs d'ordre. Dans un pays composé de trois régions (Bruxelles, Flandre, Wallonie), où plusieurs partis importants sont présents dans chacune, les décisions fédérales sont souvent le résultat de négociations où, par le jeu du donnantdonnant, le risque d'inflation des dépenses est très élevé. Le moyen radical pour réduire ce risque, le seul moyen peut-être, est d'éteindre l'énergie qui peut le matérialiser. Ce syndrome se retrouve également chez nous : prolifération de modifications du droit du travail, surabondance d'acteurs co-agissants sur l'appui au développement économique des entreprises. Au-delà d'un certain seuil, le nombre d'intervenants, tous intelligents et conduits à agir pour juste exister, génère de la surcomplexité et des antagonismes. L'enjeu n'est alors plus de coordonner ou arbitrer, mais juste de supprimer. Une voie possible en France ? Pourquoi pas. Mais chez nous il ne peut pas être question de réformes à la marge. Il faudrait carrément opter pour des solutions radicales comme l'expérimentation de la co administration avec les usagers ou le lancement de pilotes collaboratifs de politiques territoriales. ## L'Islande teste la démocratie directe Autre étape oubliée de nos médias classiques, sans doute à cause des brumes qui l'entourent souvent : l'Islande. Cette petite République a touché le fond en 2008, passant par la case ruine, entraînée par un système bancaire qui avait trop risqué, et un pouvoir qui avait laissé faire. Le peuple ayant refusé par deux fois, lors de référendums, de reprendre à son compte la dette des banques, le pouvoir s'est remis en cause et a appelé à l'écriture d'une nouvelle constitution. Et c'est alors à nouveau au peuple, sans intermédiaire, qu'on a demandé de tracer son futur, en organisant le choix de 25 citoyens, élus parmi ceux qui voulaient se porter candidats. Et les textes proposés ont ensuite été mis en ligne pour recueillir les retours de la population avant leur finalisation. Un exercice unique, inconcevable en France, même au niveau local, où des lois hypocrites avec des seuils très hauts permettent en principe des référendums d'initiative populaire vidés de tout enjeu (on ne peut que demander à l'assemblée locale de débattre de la question posée). L'exercice islandais était complexe. Il a eu des problèmes de jeunesse (une élection des représentants remise en cause pour des incertitudes sur la confidentialité), et les résultats chiffrés de la participation sont faibles (36% de participation à l'élection des constituants, 1% de retours sur les articles en ligne). Est-il bien raisonnable, demandent certains, de faire tant d'effort pour si peu de retour ? À cela trois éléments amènent à dire oui : tout d'abord cette approche a été décidée par ceux qui gouvernaient sous la pression du peuple et face à leurs erreurs - c'est donc un choix venu des pouvoirs en place -, ensuite le résultat est un pays qui marche dans la crise tout en restant uni, et enfin (et surtout) il faut avoir en tête que tous les processus participatifs, même les plus aboutis (comme le budget participatif de Belo Horizonte, au Brésil, en place depuis vingt ans) conduisent in fine à des participations de cet ordre aux étapes institutionnalisées. C'est une sorte de loi de la physique humaine ; face aux enjeux majeurs de gouvernance collective, moins d'1% des citoyens sont capables d'avoir à la fois des idées de réponse et l'envie de se mobiliser pour s'en faire le porteur actif, et quelques dizaines de % seront prêts à donner du temps pour se rendre à l'invitation à débattre et choisir. La mesure du succès ne devrait donc pas être le 100%, mais bien les références aux observations factuelles dans des cas similaires (et c'est à nouveau là l'indice de la subtile volonté de faire semblant chez nous,). In fine, malgré toutes les limites rappelées plus haut, cette conduite de la crise est une vraie leçon de courage et la preuve d'un possible inconcevable en France chez ceux qui nous dirigent : redonner les pleins pouvoirs à la population, sans le lui confisquer aussitôt par intermédiation. ## David Cameron et son projet de Big Society Enfin, à portée d'Eurostar, le Royaume-Uni et son projet de « Big Society ». Une vision portée par David Cameron, le premier ministre conservateur, qui vise à libérer les initiatives populaires dans tous les domaines de la vie collective, et à permettre aux citoyens de prendre leur part à la conduite des services publics. L'idée dérange et bouscule : les barons en place qui se demandent ce qu'ils ont à gagner à soutenir cette vision pas très claire, les syndicats qui voient là un moyen non avoué de couper le financement des services publics tout en demandant au peuple de les assurer gratuitement, des citoyens inquiets de perdre leur emploi face à des vagues nouvelles de bénévolat. Malgré le scepticisme de l'opinion britannique, David Cameron persiste, et il a mis en place un ministre en charge de la société civile. Sans doute le projet serait-il un nouveau pétard mouillé si l'argent public n'était pas mobilisé pour en laisser une partie à la main de la « Big Society ». Pour l'instant des schémas d'apport d'argent public en abondement de l'argent privé tentent de remplir cette fonction. Demain... est à construire ! Et c'est là l'essentiel : le courage d'ouvrir des voies qui font appel aux énergies de tous plutôt que de les laisser attendre l'impossible de dirigeants que le monde contemporain dépasse, tout naturellement. Des expériences observées en Belgique, au Royaume-Uni ou encore moins en Islande, il n'est pas question dans le débat public français. Dommage. C'est donc aux citoyens, plus libres d'être visionnaires que ceux qui les dirigent, de prospecter les routes nouvelles où avancer demain. ^(1)^ : Cet article a été publié dans Le Cercle Les Echos du 17 mai 2012, et est reproduit avec leur aimable autorisation.
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2012-06-01
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[ "michel rouger" ]
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LE TRAITEMENT DES DÉCHETS DE L'INDUSTRIE FINANCIÈRE. TRAGÉDIE EN 4 ACTES.
# Le traitement des déchets de l'industrie financière. Tragédie en 4 actes. D'Athènes à Madrid, la crise financière entraîne les Etats, les banques et les peuples de l'Union européenne dans une tragédie en quatre actes. Cruel dilemme pour une France endettée, en panne de croissance et à la recherche d'argent pour ses entreprises. Avec en prime une querelle idéologique sur les mérites comparés de la banque universelle et de la banque de dépôts tenue à l'écart des « turpitudes » des marchés. Marchés qu'il faut ensuite solliciter pour financer la relance de l'économie... Les trois premiers actes de cette tragédie ont été présentés pour la première fois à Athènes. Le spectacle a fait pleurer l'Europe, avant d'être repris à Madrid, qui a rajouté un quatrième acte. La France, spectatrice très engagée, ressent les angoisses créées par le cruel dilemme posé depuis l'acte 1. Faut-il payer à la place des Grecs qui, au-delà des grandes tirades, ne pourront ni ne voudront le faire ? Faut-il exclure la Grèce de la famille européenne dont elle a inspiré la culture et le rayonnement ? Comment expliquer au peuple français qu'il devra jeter 20 milliards d'euros, dont il aurait tant besoin pour lui-même, dans le port du Pirée ? Au cours de l'acte 2, les créanciers, banques et Etats, déjà surendettés, qui paniquent devant cette nouvelle hémorragie, exigent de leurs dirigeants politiques qu'ils les sauvent sous la menace d'un chaos effrayant. Les grandes idées sur l'Europe, l'argent, les marchés et la duplicité des Grecs, servent de coupole du confinement aux conséquences du désastre, comme le dôme de béton de Tchernobyl 4. Les « experts » recherchent une solution inspirée par l'usine de la Hague qui retraite les déchets de l'industrie nucléaire produits par le fonctionnement normal du nucléaire civil. Alors que les déchets des emprunts toxiques ont été produits par le fonctionnement anormal de la finance européenne. A la fin de cet acte 2, l'opération est différée car elle ouvrirait la boite de Pandore en livrant, à tous les investigateurs, les petits secrets et les grandes responsabilités, à ce jour inavoués et bien cachés, des conditions de l'entrée de la Grèce dans l'Euro. L'acte 3 voit, sur fond d'éclairs et de tonnerre, la confrontation entre la Walkyrie et Cyrano de Bergerac. La première chante sur tous les tons son répertoire favori Travailler, Produire et Epargner. Le second lui répond Distribuer, Acheter et Dépenser. C'est le temps passager des tirades qui permettent d'affirmer les talents et les postures. Rien d'autre. Les spectateurs conscients que la tragédie est inachevée, attendent qu'elle se joue ailleurs et différemment. Les choses n'ont pas tardé. Alors même que les tréteaux d'Athènes n'étaient pas encore pliés, la tragédie se déplaçait, plein ouest suivant le 40ème parallèle nord, vers Madrid. En changeant de lieu, elle a changé de nature. Il ne s'agit plus de choisir ce que le peuple grec devra payer, ou non, pour ses créanciers étrangers, mais d'endetter le peuple espagnol pour sauver ses banques. Un seul acte suffit pour exposer le dilemme, qui oppose deux troupes, menées par deux super divas, comme dans West Side Story. La première, la Banque universelle, d'origine anglaise, chante sur tous les tons que les banques espagnoles peuvent jouer dans la cour des grandes réservée à leurs cousines anglosaxonnes, reines des marchés de la finance. A condition, bien évidemment, que les risques des nouveaux prêteurs soient garantis, non par les dépôts de leurs clients, mais par les impôts des contribuables que prélève l'Etat. Ce qu'il n'arrive pas à faire en Grèce. Auquel cas, l'Espagne trouvera l'argent, et les taux d'intérêt dont elle a besoin auprès des marchés. La seconde, d'origine française, chante sur le ton de la véhémence sa détestation des pratiques inhumaines de la finance mondiale (anglaise), de ses marchés honnis, et sa volonté de revenir à la banque de dépôts du bon vieux temps, qu'elle veut tenir séparée des turpitudes des marchés pour gérer ses moyens par elle-même, surtout les subventions institutionnelles qui permettent aux filières de s'enrichir, comme la démonstration en a été faite pour l'industrie agroalimentaire, et quelques autres, dans le passé. A la fin, le trublion, seul sur la scène, vient alors chanter aux politiques assis au premier rang ce qu'est le dilemme auquel ils sont confrontés. Soit vous choisissez la rutilante banque universelle, pour croître et prospérer dans le monde et dans l'Union européenne du XXIème siècle, et vous devrez, modestes citoyens et contribuables (les gros partiront toujours à temps), assumer de votre poche ce dont elle a besoin pour tenir son rang, voire gérer les déchets de son industrie. Comme à Athènes, à Dublin, à Lisbonne, en attendant la suite. Soit vous choisissez la banque de simples dépôts, verrouillée par le comité de Bâle, qui vous mettra à l'abri des exigences et des dérives de l'autre, et vous devrez vous plier aux ukases des marchés de la finance (honnie), seuls capables de vous prêter ce dont vous aurez besoin pour réussir la croissance promise qui fait rêver vos peuples. Comme à Londres. Auquel cas il vous faudra dire ce que vous voulez faire de votre industrie financière nationale, au-delà de chanter le grand air de la détestation qu'elle peut inspirer. Comme à Paris. Mais n'oubliez pas que le couple prêts et subventions nationales, qui met, un temps, leurs bénéficiaires à l'abri des contraintes des marchés financiers, ne leur évite ni la sortie de leur propre marché par la chute de leur compétitivité, ni la faillite qu'elle provoque, dont la nation assume le coût social et financier. Autant dire que les spectateurs de cette tragédie, dont l'humoriste dirait qu'elle se joue à guichets fermés, sont sortis de la salle en se demandant si tout cela était bien vrai, et si on ne pourrait pas tout oublier pour éviter de se donner la migraine. Comme en vacances. Prochaine séance à l'automne.
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2012-06-01
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[ "thomas paris" ]
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LES ÉNORMES DÉFIS DE LA POLITIQUE CULTURELLE : LA POUSSIÈRE SOUS LE TAPIS D\'UN MAGASIN DE PORCELAINE...
# Les énormes défis de la politique culturelle : **La poussière sous le tapis d\'un magasin de porcelaine...** L'avènement d'une économie numérique des biens culturels est tout à la fois un enjeu de politique industrielle et un test de la capacité d'innovation et de création d'un pays. Statut culturel et statut économique se confortent l'un l'autre. Historiquement, trois modèles d'économie de la culture ont existé : le mécénat, la subvention d'Etat, le libre marché. L'irrésistible ascendant du modèle marchand implique une réactivation du rôle incitatif de l'Etat. Un Etat plus ou moins désargenté qui doit imaginer des formes nouvelles d'action sur l'offre et la demande de biens culturels. Depuis la campagne présidentielle, la question culturelle semble s\'être réduite à celle de l\'Hadopi, sa suppression, son sauvetage, son aménagement... Comment l\'État peut-il accompagner la transition vers une économie numérique des biens culturels ? Le défi est certes fondamental, même si l\'on peut douter de la capacité des pouvoirs publics à faire plus qu\'infléchir à la marge des mouvements structurels, portés par une révolution des usages. Les autres questions relatives aux politiques culturelles ont été emportées par le tourbillon de la crise et de la rigueur : comment en effet, pour un candidat à la présidence de la République, se positionner sur le soutien de l\'Etat à la culture, lorsqu\'il axe l\'essentiel de son discours sur l\'obligation de contenir les dépenses publiques ? Si convaincu soit-on des enjeux sous-jacents à la défense de la culture, on ne peut que constater que toute politique en la matière est inflationniste - le soutien appelle le soutien - et que ses effets ne sont pas réductibles à des chiffres que l\'on pourrait mettre en face de dépenses. En ces temps de rigueur, la politique la moins périlleuse pour un candidat à la fonction suprême est celle\... de la poussière sous le tapis. Escamotons\... Or, ce que nous disent les difficultés à trouver une solution à la révolution numérique est que les plus libéraux des secteurs de la culture, comme la musique, ont basculé ou vont basculer vers une économie nécessitant une intervention publique. Il va donc bien falloir soulever le tapis, et se confronter à la question délicate du rôle et des moyens d\'action des pouvoirs publics vis-à-vis de la culture. Il a existé, historiquement, plusieurs grands modèles d\'économie de la culture : le financement par de grands mécènes, princes, dans le passé, ou grandes entreprises aujourd\'hui ; le fonctionnariat ou la subvention d\'État ; les modèles marchands. La musique, l\'édition, l\'audiovisuel ont longtemps fonctionné selon un modèle marchand, parfois aménagé. Cela signifie que, globalement, l\'audience et les recettes d\'un certain nombre de projets parvenaient à financer l\'ensemble de l\'offre, structurellement surabondante, qui fait le dynamisme de ces secteurs. Le paradigme marchand de la création, celui qui semble aujourd\'hui majoritairement admis, repose sur une dynamique schumpétérienne, par laquelle jeunes créateurs et jeunes entreprises remettent en cause l\'ordre établi, sur les plans esthétique, institutionnel et économique. Un renouvellement permanent, garant de créativité. Dans cette dynamique émergente, fondée sur la prise de risque individuelle - celle des créateurs et des producteurs -, la position de l\'État est celle de l\'éléphant dans un magasin de porcelaine. Comment favoriser le dynamisme créatif, c\'est-à-dire intervenir tout en faisant en sorte que cette logique soit préservée ? Notons que nous nous focalisons ici sur le volet de la création, et laissons de côté, autres questions importantes, celui de la consommation ainsi que la dimension sociale inhérente à l\'acceptation de ce paradigme. Injecter ou réinjecter des financements dans les secteurs culturels, notamment les industries culturelles, soulève trois questions. Dans quelle mesure cela ne se traduira-t-il pas par un besoin accru en financement ? Dans quelle mesure cela ne modifiera-t-il pas les conditions d\'entrée de nouveaux acteurs, dans le sens d\'un accroissement des barrières à l\'entrée, synonyme de limitation de la créativité ? Dans quelle mesure le processus d\'affectation des financements ne s\'oppose-t-il pas à la dynamique vertueuse du fonctionnement canonique de la création - celle de la prise de risque individuelle dans une démarche de remise en cause de l\'ordre établi ? Les économies de la création reposent sur une équation incertaine : le financement d\'une surabondance de projets par rapport à la solvabilité de l\'audience. Selon les paramètres de cette équation, une intervention publique peut être une nécessité. Tout l\'enjeu consiste alors à faire en sorte que cette intervention ne freine pas une dynamique schumpétérienne vertueuse. Un cadre conceptuel, à partir de catégories simples, permet d\'aborder cet enjeu. Il s\'agit de considérer que la création est la rencontre d\'un désir, celui d\'un individu qui a un besoin d\'expression, avec un outil de création, composé de moyens, de compétences, de possibilités de présenter son travail, dans un marché, ce qui sous-entend d\'accepter la logique de compétition propre à la création. Le rôle de l\'Etat est alors de mettre en place les conditions pour que la création puisse exister, c\'est-à-dire faire en sorte que des désirs naissent, qu\'ils puissent trouver facilement les moyens pour s\'accomplir et que les aspirants-créateurs puissent envisager, à un moment donné, de peut-être vivre de leur travail. C\'est-à-dire que cette économie permette une progressivité entre le monde amateur et celui des professionnels reconnus ou des stars. Cela suppose d\'admettre l\'idée que tout le monde ne deviendra pas star, et que tout aspirant ne vivra pas forcément de sa passion. Dans cette conception, l\'Etat se contente d\'être le garant d\'une fluidité d\'un marché dans lequel des professionnels - éditeurs, producteurs... - soutiennent des projets et des artistes, en espérant en dégager une rentabilité. Le désir, l\'outil, le marché : des catégories simples pour sortir d\'approches poussiéreuses ou démesurées du soutien public à la création.
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2012-06-01
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[ "jean-luc girot" ]
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VOUS AVEZ DIT : FACEBOOK ? LA GÉNÉRATION Y À LA RECHERCHE DE SON MODÈLE ÉCONOMIQUE
# Vous avez dit : Facebook ? La génération Y à la recherche de son modèle économique Les jeunes de la génération « Y » se plaisent à vivre en tribu. En tribu numérique notamment, par le biais de l'échange 24 heures sur 24 avec des réseaux d'amis sur les sujets les plus graves ou les plus anodins. Rien à voir avec la messagerie électronique **« bi-latérale », simple transposition du courrier papier d'autrefois. L'introduction cafouilleuse du titre Facebook à la Bourse montre qu'il reste à ajuster le modèle économique des réseaux sociaux. Mais la normalisation du marché s'opère beaucoup plus vite qu'au temps de la première bulle internet.** De nombreux lecteurs de cet article ne possèdent sans doute pas de compte sur Facebook. En revanche, personne n'aura échappé à l'entrée en bourse fracassante de son titre il y a quelques semaines. Présentée à un cours mal calculé, l'action a raté son entrée, sous les feux d'une médiatisation plus tonitruante que jamais. Chacun est en droit de se demander : à quoi peut bien servir un réseau social ? Pourquoi un tel engouement pour Facebook ? Est-ce un effet de mode ? Y a-t-il un avenir pour ce type d'acteur des réseaux sociaux ? D'un point de vue purement économique, c'est loin d'être une évidence. Le titre Facebook a été proposé à 38 dollars, propulsant la capitalisation boursière de la société à plus de 100 milliards de dollars, soit un peu plus de 25 fois son chiffre d'affaires sur les 12 derniers mois ! Tout le monde se remémore la tristement célèbre bulle internet des années 2000, qui avait généré tant de confusion et de déroute dans les marchés financiers de la planète entière. Les marchés auraient-ils retenu la leçon ? Mais que penser des fondamentaux de ce type d'entreprise ? Tout d'abord, plusieurs constats : l'avènement d'internet a massivement dématérialisé nos vecteurs de communication épistolaires. Le courrier, utilisé pour l'interaction entre deux personnes, est devenu « mèl » en se dématérialisant, tandis que le tabloïd, utilisé pour la communication de « un vers plusieurs », est devenu « blog ». Ces deux nouveaux médias portés par internet ne faisant que se substituer à leurs aînés, sans vraiment les enrichir ; en apportant toutefois une notion de gratuité qui n'existait pas auparavant. Conséquence de cette gratuité : le « spam » qui sclérose totalement les boîtes aux lettres électroniques, en générant un volume d'échange toujours plus important, ainsi qu'une dilution de la pertinence de l'information reçue dans un embrouillamini inexploitable. Ces nouveaux médias de la toile étaient devenus indispensables, mais ils étaient voués à une mort certaine due à une prolifération quasi cancérigène. Il y a quelque temps encore, de très sérieux ingénieurs en informatique recherchaient des solutions pour sauver ces nouveaux médias pleins d'avenir. C'était peine perdue ! N'oublions jamais que ce n'est pas la fonction qui prime mais l'usage. Demain, il y a fort à parier que le volume de courriels échangé égalera le nombre de lettres physiques encore adressées par la poste. En effet, la génération Y n'a pas « accroché » au concept du « mèl ». Ce qui pouvait passer pour une évolution majeure aux yeux de la génération précédente a été totalement ringardisé par les adolescents et ne leur sert quasiment qu'à interagir avec leurs parents. Qu'apporte le réseau social que ni le blog, ni le courriel ne sauraient offrir ? On l'a dit, « mèls » et blogs correspondent à des fonctions existantes qui ont été portées sur internet. Ces fonctions répondent à des usages qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui. La notion dominante dans le monde actuel est la tribu ou la vie en bande. Internet permet de dématérialiser cette notion également. La génération Y consomme de l'interaction. Elle a besoin d'échanger en permanence. Chaque « ado » veut dire à sa tribu à tout instant ce qu'il fait, il souhaite recueillir l'avis de ses proches sur toutes les actions de sa vie courante : choisir un vêtement, partager sa musique, dire où il se trouve, montrer ce qu'il voit, jouer à un jeu seul dans son coin mais à plusieurs, etc. Facebook - et Twitter, son cousin simplifié pour mobile - ont rendu possible cette proximité. Mais attention, le concept n'est pas né dans le cerveau génial d'un seul homme. Mark Zuckerberg n'est pas Steve Jobs. Facebook est né de l'idée d'élire la plus belle fille de Harvard en portant sur internet l'annuaire de la prestigieuse université. L'idée a immédiatement fait mouche, mais elle est née sans réel modèle économique. C'est l'usage qui l'a façonné, en presque dix ans d'existence, au gré des évolutions du réseau social. Mais son chiffre d'affaires reste bien faible au regard du trafic généré au quotidien. La raison à cela est que son modèle économique n'est toujours pas trouvé ! Facebook se cherche et apprend en marchant. C'est peut-être ce que le marché a tenté de montrer en l'accueillant de manière plus que réservée à l'occasion de sa cotation à la bourse de New York... Pour autant, son existence ne sera pas remise en cause de sitôt, car Facebook en particulier et les réseaux sociaux en général répondent à un réel besoin générationnel. En revanche, le plus populaire des réseaux sociaux devra probablement mûrir encore pour devenir un acteur solide de notre économie numérique mondiale et pouvoir se mesurer à ses grands frères déjà présents. Son entrée dans la cour des grands, aussi douloureuse fût-elle, lui permettra peut-être de gagner ses lettres de noblesse.
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2012-06-01
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[ "michel rouger" ]
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LE BILLET : SIFFLER EN TRAVAILLANT
# LE BILLET : **Siffler en travaillant** Comment améliorer le climat dans les entreprises. L'arrivée d'une génération « Y » peu soucieuse de soumission aux hiérarchies autoritaires. La tentation d'échappée mentale pendant les heures de travail qu'autorise internet. L'aspiration au bien-être **individuel sans cesse exprimée. Autant de raisons pour rassembler les salariés autour de projets mobilisateurs. Le sport n'est pas le moindre des leviers de motivation.** Il y a 75 ans, Walt Disney présentait au tout Hollywood son célébrissime film d'animation Blanche-Neige et les Sept Nains, inspiré par le conte des frères Grimm de 1812. La fameuse scène chantée qui a traversé les temps exprimait le bien être au travail. L'accueil mondial fut triomphal. L'année précédente, 1936, celle du Front populaire en France, Charlie Chaplin avait présenté son film, tout aussi célèbre, Les Temps modernes, qui exprimait le mal être au travail, socle de la lutte des classes qui perdure, trame de nombreux ouvrages. Après quelques décennies et tant d'événements, la référence un peu décalée à BlancheNeige et ses Sept Nains, au temps de Dark Vador et de sa guerre des étoiles, permet d'introduire une réflexion sur une mutation comportementale venant d'outre Atlantique. Il s'agirait ni plus ni moins de faire figurer le sentiment de bien être des dirigeants, des cadres et des personnels des entreprises, au rang des actifs immatériels, créateurs des goodwills qui valorisent les bilans soumis aux analystes, voire aux acquéreurs dans les data rooms. Il est vrai que le poids de ces actifs immatériels, déjà connus dans la rubrique des incorporels qui excitent l'attention des comités d'audit dans les conseils des sociétés cotées, ne peut être négligé. Un article voisin au sein de ce numéro de Pres@jeCom (cf ciavant) traite de la pratique de la langue anglaise par les non anglophones dans les entreprises mondialisées. Peut-on considérer que la fluidité de cette pratique constitue un élément de bien-être qui favorise la productivité des opérateurs, donc un élément d'actif qui pourrait figurer au bilan ? Sans doute, par opposition à l'élément manifeste de passif créé par le mésusage de la langue du business. C'est l'effet Joyeux opposé à l'effet Grincheux. On reste chez Blanche-Neige. La notion de bien-être au « boulot » est un sujet délicat à traiter en France, pays de signe zodiacal grincheux, avec, heureusement, un fort ascendant joyeux qui permet de tout y terminer par des chansons. Le mouvement ETHIC l'a fait avec « J'aime ma boîte ». Il est vrai que cet engagement est plus spontané chez celui qui est son propre patron, ou qui le côtoie de suffisamment près pour n'être pas sensible à la distance qui décourage les adhésions. C'est plus ardu dans les hiérarchies longues, hyper centralisées à la française, fonctionnant par filières étanches. Surtout lorsque le bien être ne découle plus ni de l'accroissement régulier des rémunérations, ni des promotions que l'absence de croissance interdit, ni des ouvertures d'un marché du travail atrophié. Pas facile d'éviter que Grincheux ne mène la danse dans l'entreprise. C'est là que les Américains ont découvert l'Europe en allant chercher dans la pratique du sport en entreprise, connu de longue date chez nous, absorbé par les universités chez eux. En attendant que quelque chercheur français s'intéresse à la question, voyons où est l'intérêt du monde du business, ce qui le pousse à engager cette conversion. - Les jeunes générations (Y) sont sensibles à la proximité des relations qu'elles pratiquent dans les réseaux sociaux. Elles se détournent des hiérarchies d'entreprise longues et distantes. L'introduction de pratiques d'équipes à vocation conviviales, ludiques et compétitives comme celles du sport répondent à cet appel générateur de motivations et d'adhésions. - Les conditions économiques en Occident, la concurrence des économies aux acquis sociaux rudimentaires, la panne de croissance découlant de la ponction opérée par les aventures financières, tout concourt à empêcher les envolées de revenus des Trente glorieuses. Il faut, pour entretenir le moral des travailleurs des classes moyennes affectées par ces frustrations, leur offrir le bien être d'un esprit sain dans un corps sain, base de l'activité sportive. - Le bénéfice attendu permettrait, sur le long terme, d'éviter que la société des grincheux « unlimited » qui commence à prospérer sur le Vieux Continent ne traverse l'Atlantique en venant y mettre le désordre revendicatif, voire y importe la lutte des classes, qui sont au business ce que le phylloxéra, qui avait traversé l'océan dans l'autre sens, fut à la vigne française. - enfin il ne faut pas oublier la réalité qui fait que chaque opérateur s'est fait greffer un ordinateur au bout des doigts pour exécuter son « boulot », et que l'usage qu'il peut en faire lui ouvre des terrains de jeux personnels illimités qui ont sur le temps de travail productif un effet à côté duquel la RTT de notre chère Martine est un jeu d'école maternelle. L'ajout d'une séquence de vie sportive et ludique dans le contrat de travail permettrait de reprendre la main sur les distractions solitaires au travail qui compensent les frustrations évoquées. Au-delà de ces quelques réflexions préliminaires sur ce qui pousse ce sujet sur nos tables, il mérite qu'on lui porte intérêt, en France, pays où le quart des travailleurs sont employés par l'Etat, directement ou indirectement. D'autant plus que ces fidèles serviteurs de l'Etat, s'ils chantent et tambourinent beaucoup dans leurs processions, préfèrent hurler en défilant, que siffler en travaillant. Comme Grincheux. Peut être, un jour, la recette américaine sera-t-elle mise en œuvre par un original secrétaire à la Fonction publique, féru de sport et de chansons. Rêvons un instant, comme Walt Disney, en imaginant, au Stade de France, la finale de la coupe de foot féminin entre les Fiscalettes de la direction des impôts de la Corrèze et les Chtis de la sécurité sociale de Lille...
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institut présaje
2012-06-01
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[ "jérôme saulière" ]
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LES ENTREPRISES FRANÇAISES EN MAL D'ANGLAIS
# Les entreprises françaises en mal d'anglais L'anglais est la langue de la science et du business. Les Français la pratiquent médiocrement. Est-ce un vrai handicap pour les entreprises françaises ? Le sujet ne mérite plus les polémiques partisanes qui opposaient naguère les adversaires et les prosélytes de la mondialisation. Le verrou de la pratique des langues a sauté dans les entreprises mais gare aux formations médiocres, aux règlements internes trop rigides et aux abus naïfs du tout-anglais. Il paraît que les Français sont mauvais en langues étrangères. Il paraît que c'est à cause de l'enseignement des langues qui serait trop scolaire, pas assez axé vers la communication. L'anglais envahit l'économie globalisée et la France resterait à l'image du petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur. Pourtant nous n'avons guère d'excuses : le français est l'une des langues les plus proches de l'anglais, en raison d'une origine indo-européenne commune et de plusieurs vagues d'emprunts lexicaux au cours de l'histoire. A un Chinois ou à un Japonais, nos réticences à parler l'anglais apparaissent incompréhensibles tant notre langue en est proche. On est tenté de chercher dans l'histoire les causes de cette prétendue aversion française aux langues étrangères. Du XVIIe au XIXe siècle le français fut la lingua franca de l'Europe cultivée : langue des sciences, des arts, de la diplomatie, langue des Lumières, langue des traités. Il reste de cette époque le statut de langue officielle du français dans nombre d'organisations internationales, aux côtés de l'anglais et parfois d'autres langues. Le français fut aussi, au XXe siècle, langue de colonisation. Aujourd'hui, un grand nombre de pays d'Afrique ont hérité du français comme langue officielle et s'expriment de préférence dans notre langue devant l'assemblée des Nations Unies. Est-ce donc de s'être vu voler la vedette par l'anglais ce dernier siècle, qui rend les Français si réticents à l'anglicisation du monde ? Y a-t-il une part d'orgueil blessé dans notre refus de parler l'anglais ? Du point de vue du non-francophone il y entre assurément beaucoup d'orgueil. Dans une entreprise internationale, la volonté des Français de continuer à travailler dans leur langue ou de conserver à celle-ci un statut particulier est vue par leurs collègues étrangers au mieux comme un archaïsme, au pire comme la nostalgie du colonialisme... Il faut dire que nos compatriotes peuvent d'abriter derrière la législation. La loi Toubon impose aux entreprises françaises de rédiger un certain nombre de documents, y compris strictement internes, en français. Sont notamment visés les documents « comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail, à l'exception des documents reçus de l'étranger ou destinés à l'étranger. » Cette loi patrimoniale qui affiche l'ambition de mettre au pas le monde économique suscite l'incompréhension à l'étranger et dans les entreprises mêmes. De quel droit le ministère de la Culture régenterait-il la langue du travail et des affaires ? Car la langue est également un facteur de performance pour les entreprises. Un facteur si évident qu'il est souvent oublié. D'un côté, disposer de compétences en langues étrangères permet de s'attaquer aux marchés étrangers. C'est pour être en mesure de vendre à un client, d'acheter dans de bonnes conditions à un fournisseur ou de s'allier à un partenaire non-francophone qu'une entreprise est amenée à angliciser tout ou partie de ses activités. Mais à l'inverse, dans « My entreprise speaks English - le cas Globum »^1^ (article commenté dans la lettre Presaje N°16 d'avril 2012) j'ai tenté de montrer les conséquences que l'imposition mal pensée et mal préparée de l'anglais pouvait avoir sur les individus et les processus. Il est généralement admis qu'une personne n'est au maximum de son efficacité que dans sa langue maternelle. Lui imposer une langue de travail qu'elle maîtrise mal l'empêche de mettre pleinement à profit ses compétences. Conséquences : sousperformance, stress, frustration... Ainsi se retrouve-t-on, dans certains cas extrêmes, avec une population de laissés-pour-compte : ils ont raté le train de l'anglicisation et attendent la retraite sans espoir de promotion. L'internationalisation des affaires pose la question des langues, et cette question ne trouve pas de réponse simple ou évidente. Refusez de parler la langue du business, vous vous fermez les portes des marchés internationaux de biens et de capitaux. Parlez-la à tort et à travers, vous vous tirez une balle dans le pied en vous privant de certaines compétences. En ignorant la réalité de l'entreprise - ou l'une de ses réalités - qui est la recherche de la performance et par là du profit, la loi Toubon conduit les policiers de la langue française à une impasse. Se battre contre l'anglais en tant que tel n'a pas de sens : cela équivaudrait à se battre contre la mondialisation et contre le reste du monde. On peut en revanche lutter contre les abus du tout-anglais dans une perspective d'optimisation de la performance économique et sociale de l'entreprise. Cela commence par mieux former les jeunes et les moins jeunes aux langues étrangères, y compris (mais pas seulement) à l'anglais. ^1^A consulter sur www.oglef.fr
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institut présaje
2012-04-01
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[ "michel rouger" ]
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EDITORIAL : VENDRE PLUS, CONSOMMER MIEUX, ADMINISTRER MOINS.
# Editorial : Vendre plus, consommer mieux, administrer moins. **Les Allemands et les Anglais l'ont compris en premier. Les Italiens et les Espagnols s'y résolvent aujourd'hui. Demain les Français n'auront d'autre choix que celui d'affronter les réalités de l'après-crise dans une Europe placée sous le regard critique du reste du monde.** D'ici au 6 mai, beaucoup de Français vont tenter de résoudre la quadrature du cercle de la prospérité, avec les quatre côtés d'un carré magique : consommer plus, produire plus, vendre plus, administrer plus. Ils n'y arriveront pas ! La prospérité s'inscrit en fait dans un triangle : vendre plus, consommer mieux, administrer moins. Nos amis européens l'ont appris, compris et admis. Les Allemands et les Anglais d'abord, puis les Italiens et les Espagnols, les Grecs en avant dernier. Ils ont tous entrepris, dans la douleur au mieux, dans le drame au pire, les mutations comportementales que nous ne pourrons ignorer longtemps malgré notre déni des réalités. *Consommer mieux*, ce n'est pas seulement faire écolo, équilibré, comme la mode Bobo nous le suggère. C'est penser, lors de nos achats, aux revenus de nos proches qui vivent de leur seul travail de producteurs, sans garantie d'emploi. Et comprendre que ce qui n'est pas payé dans le petit prix des produits exotiques qui fabriquent nos chômeurs l'est dans la feuille d'impôts, et dans la diminution des aides de l'Etat finalement surendetté par la charge qu'il supporte. C'est aussi ne pas laisser cohabiter les comportements de surconsommation futile qui aggravent la détresse de ceux qui sont privés de la consommation utile. La consommation, mode de vie importé des Etas Unis, comme l'argent qui va avec, ne fait pas le bonheur, mais elle fait le malheur de l'existence quand elle est réduite aux nécessités de la survie. *Vendre plus* est le seul moyen de produire plus. Il ne sert à rien de fabriquer des produits techniquement admirables, si personne ne les achète. Sans bons vendeurs, le client impose toujours ses choix à ceux du fabriquant. Les Allemands ont de bons vendeurs qui ne se contentent pas de faire acheter le petit prix des produits bas de gamme. Ils vendent du haut de gamme à prix élevé. Nous le faisons avec eux dans l'aérospatiale. Si on veut garder ces vendeurs qui rapportent les bons gros contrats, il faut les payer. Hélas ! Par tradition culturelle et religieuse, nous méprisons leurs réussites, leurs résultats comme leurs revenus. Quitte à perdre la croissance qu'ils vont créer chez les autres, en se détournant de nos entreprises. *Administrer moins*. Si mode que soient les deux mots, ils n'ont de sens que si on exprime bien ce qu'ils disent. La complexité des sociétés modernes exige qu'elles soient administrées avec fermeté, et que les « administrés » comprennent et admettent les loi votées en leurs noms, comme les décisions que la justice rend, toujours au nom du peuple. Le moins d'administration ne peut résulter que d'un moins d'étatisme centralisateur, d'omniprésence et d'omnipotence des services centraux du pouvoir exécutif, dont les cabinets, tutelles et autorités administratives ont absorbé les structures de la démocratie chère à Montesquieu. Il faudra donner du temps aux Français, et encore plus de pédagogie, pour qu'ils se défassent de leurs néfastes habitudes en apprenant à consommer mieux, à vendre plus et à administrer moins. Observations utiles versées aux débats tendus provoqués par la crise.
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institut présaje
2012-04-01
1
[ "michel rouger", "élisabeth bourguinat" ]
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LES FINS ET LES MOYENS : L'ESPRIT DE L'ESCALIER
# Les FINS et les MOYENS : L'ESPRIT de l'ESCALIER **Du Docteur Folamour à la crise financière de 2008, le débat sur les « fins » et les « moyens » dans la gestion des grandes organisations a inspiré une fine chronique à Élisabeth Bourguinat dans le numéro de mars-avril 2012 du Journal de l'Ecole de Paris. Michel Rouger réagit en contrepoint à l'analyse de l'auteur.** **Élisabeth Bourguinat, brillant esprit, fine lettrée, écrivain, assure la difficile mission de transcrire des rapports, des communications, des débats, soit pour l'Ecole de Paris, soit pour l'Institut Presaje. Elle dispose ainsi d'une compétence rarissime, celle d'être capable de comprendre la pensée et l'expression des ingénieurs, comme celles des juristes. Dans le dernier numéro du Journal de L'Ecole de Paris, sous le titre** **« L'Esprit de l'Escalier », elle évoque un sujet majeur de la vie dans les sociétés modernes, des Etats de Droit, celui des FINS et des MOYENS. Surtout quand les moyens dont dispose l'individu constituent des dangers évidents si la conscience des fins lui fait défaut. Son propos, pertinent, inspiré par sa culture, méritait le rapprochement avec celui, inspiré par l'expérience, d'un décideur confronté à des situations de crises.** - Élisabeth Bourguinat Le débat sur l'application des procédures de la haute fiabilité à la gestion d'entreprise est un débat sur les fins et les moyens. Une fois qu'un objectif a été défini (lancer une navette spatiale, amputer une jambe), il doit être possible de mettre au point des moyens fiables pour atteindre cet objectif. En évitant que l'absurdité des résultats se révèle dans les fins. Revisitons brièvement le film Docteur Folamour. Un général américain, frappé de folie paranoïaque, a décidé d'envoyer ses B-52 frapper l'URSS, ce qui aura pour effet de mettre en route la machine infernale russe qui détruira toute vie à la surface de la terre. De pannes en avaries, le pilote de l'un des avions arrive à ses fins en lâchant la bombe sur laquelle il reste assis. Il a maîtrisé le moyen jusqu'à l'absurdité de sa fin. - Michel Rouger L'expérience des faillites financières qui se sont répétées durant les « Années fric » dans le monde (1984-2008) a vu proliférer les docteurs Folargent qui n'avaient rien à envier au Major Kong, assis sur sa bombe. Tous convaincus qu'ils maîtrisaient leurs moyens, jusqu'à l'absurdité de leur fin, et de celle dans laquelle ils entrainaient les Stakeholders de leurs entreprises, ils ont rugi jusqu'au dernier jour, face à l'économie pétrifiée par l'explosion. - Élisabeth Bourguinat L'ennui, dans le pilotage d'une entreprise, comme de toute organisation un peu complexe, c'est que la réflexion sur la pertinence des fins est continuellement perturbée par la réflexion sur la fiabilité des moyens. Comme le second type de problème est plus facile à résoudre que le premier, la tentation est de régler prioritairement la question des moyens plutôt que celle des fins. C'est une source inépuisable d'inspiration pour des scènes tragicomiques comme celle qui ouvre le chapitre trois de Candide, sur la guerre entre les Abares et les Bulgares : « Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes ». Cette « boucherie héroïque » est célébrée par un Te Deum dans chacun des deux camps. À défaut de savoir dans quel but la guerre a été déclarée, voire même quel camp a gagné, chacun peut se glorifier d'avoir infligé des pertes considérables à l'adversaire. - Michel Rouger Après l'évocation de cette tragédie voltairienne sur le thème de l'imbécillité, reproduite au centuple dans la réalité de la guerre de 14/18, retrouvons un peu de légèreté en revenant vers l'esprit de l'escalier, source inégalable de réflexions, pour autant qu'on tienne bon la rampe. L'escalier est en effet une image très appropriée pour cette querelle sur les fins et les moyens entre savants gestionnaires plus aptes à gérer les moyens, et penseurs et décideurs responsables également préoccupés par les fins. En effet si les moyens que l'escalier fournit aux hommes (et aux femmes) sont très identifiables, avec ou sans rampe, les objectifs qui sous-tendent la décision d'en user le sont beaucoup moins. Outre la décision élémentaire de choisir, comme dans la vie, entre la montée et la descente, s'y ajoute souvent le choix compliqué sur la préséance à la montée ou à la descente lorsque le voyage se fait en couple, peu important qu'il soit hétéro ou homo, décision éminemment subjective par sentiment ou objective par éducation. Ce qui est encore plus compliqué en groupe ! - Élisabeth Bourguinat Ce qui nous manque, la plupart du temps, n'est pas tant de savoir comment faire les choses que de savoir pourquoi les faire. « Donnez-moi un point d'appui et un levier, je soulèverai le monde », disait Archimède. Le levier fait moins souvent défaut que le point d'appui. Dans l'une des scènes cultes de Monty Python : Sacré Graal !, la petite troupe qui entoure le roi Arthur doit franchir le pont de la Mort et pour cela répondre à trois questions posées par le gardien du pont. Le premier réussit sur une question facile. Le second périt sur une question trop savante. Le troisième le rejoint dans le gouffre pour avoir hésité sur sa couleur préférée. Le roi Arthur, lui, ne perd pas de vue l'enjeu de l'épreuve (traverser le pont) et se tire sans peine d'une question beaucoup pourtant ardue : « À quelle vitesse vole une hirondelle non chargée ? ». Le roi réplique : « Que veux-tu dire : une hirondelle africaine ou une hirondelle européenne ? ». Comme le gardien se trouble et hésite, c'est lui qui est précipité dans le gouffre, et le roi peut passer son chemin... - Michel Rouger L'escalier est un lieu de décisions aussi simples en apparence que compliquées en réalité, à raison des conséquences, donc des fins, atteindre l'autre rive ou périr dans le gouffre. Soyons lucides à défaut d'être Candide. Imaginez que vous devez monter ou descendre un piano, à bras d'homme, à l'image de la Troïka qui porte sur son dos l'énorme boulet de la dette grecque. Le problème est celui de l'équilibre à respecter pendant le trajet, sans basculer sur l'une des rampes, côté croissance ou côté rigueur, car la pesanteur ferait alors dégringoler piano et porteurs, et le boulet s'écraserait au beau milieu du marché, sans égard pour le levier ni le point d'appui. Autre exemple pratique, celui du ménage. Que faire lorsqu'il s'agit de balayer les marches pour les débarrasser de la poussière que le Maître ne veut plus voir ? La norme des technicien(ne)s de surface recommande de commencer par le haut de l'escalier. Celle des techniciens de l'alternance politique, itou, quand il s'agit de faire passer ceux du haut en bas et vice et versa. Avec un risque : que la poussière remuée par le balai, au manche plus ou moins énergique, vienne arroser finement le bas où les cuisines sont installées, là où s'affairent les cuisiniers du Maître qui n'appréciera pas que trop de poussières saupoudrées sur son dessert le rendent immangeable. Comment gérer quand deux normes s'opposent ? Quand le Ministère des Finances était au Louvre, les vitres intérieures étaient nettoyées par les Finances, les extérieures par la Culture. Elles restaient sales tout le temps faute de vouloir réconcilier les deux normes et obtenir un lavage concomitant. Où trouver le fameux levier qui lèvera, une fois le point d'appui trouvé, les hésitations des individus incapables de se décider par eux-mêmes, au risque de finir comme le chevalier hésitant, et le gardien troublé par la question du Roi Arthur ? Cet échange entre la culture et l'expérience, suggère une réponse : décisions et culture générale sont inséparables, seule leur association générant le sens des responsabilités qui permet au décideur des fins de s'élever au dessus des moyens pour lesquels existent les très utiles « techno ». Décidément on ne quitte pas l'escalier.
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institut présaje
2012-04-01
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[ "michel rouger", "pierre-alexandre petit" ]
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« MY ENTREPRISE SPEAKS ENGLISH »
# « MY ENTREPRISE SPEAKS ENGLISH » **Michel BERRY, ami et partenaire de l'Institut Presaje avec l'Ecole de Paris du management, nous a fait connaitre le projet d'une thèse, baptisé OGLEF, par un jeune ingénieur du corps des Mines, Jérôme Saulière (X 2005). Ce projet mérite d'être connu et aidé. Optimiser la Gestion des Langues dans les Entreprises françaises . Contact [js@oglef.fr.](mailto:js@oglef.fr)** **A cet effet, Presaje a interrogé deux autres proches, directement concernés par la fiction imaginée par le jeune thésard, celui d'une société qu'il a baptisée « Globum » et qui s'applique à l'usage que le monde de l'entreprise fait de l'anglais. En rapprochant leurs réflexions sur le sujet, le résultat obtenu est original. D'autant plus que l'un est le petit-fils de l'autre. Le premier sorti en 2010 de l'Ecole de Management de Lyon est, « English speaking » oblige, Junior Financial Controller dans le premier groupe mondial d'assurances. Le second, entré à l'Ecole de la vie en 1945, conseille des groupes multinationaux et arbitre leurs conflits, après avoir été banquier et juge.** ## Le témoignage du junior et les profits à tirer de la langue anglaise Intéressant, isn't it, but very, very strange. J'ai eu beau chercher partout dans le cas « Globum », je n'ai trouvé aucune femme, nulle part. Ceci pourrait bien expliquer cela. J'ai pensé à mon oncle me disant : tu as raté le Conseil de révision, moment le plus drôle de la vie à l'armée, la trouille des mâles devant la nudité. Le rapport des mêmes avec l'anglais, tel qu'on le décrit chez Globum, repose sur le même complexe. Les femmes on ne dit pas ? Dans mon job, les mails sont en anglais, les Power Point aussi, jusqu'à la réunion hebdomadaire qui ne se passe en français que si les autres bureaux du monde ne sont pas connectés en visioconférence. C'est évident, la langue anglaise, norme de communication internationale, à la fois réductrice dans le temps de l'expression et hyper extensive dans l'espace, permet d'utiliser des pools d'opérateurs interchangeables et globaux. Ces deux critiques sont probablement fondées mais elles ne m'inspirent aucun sentiment de révolte. Elles présentent même beaucoup d'avantages, pour ceux qui envisagent de s'expatrier. « Globum » s'applique à l'usage que le monde de l'entreprise fait de l'anglais. J'ai connu les mauvaises expériences de téléphone au Pays-Bas, dans au moins 3 langues. J'ai souffert du même inconfort à présenter en anglais devant un auditoire exclusivement français pour les cours à l'école (la moitié en anglais). Une fois ces obstacles surmontés, après avoir revu à la baisse son estime personnelle, il est plutôt agréable de pouvoir s'adresser et d\'être accessible à tous dans n'importe quel pays du monde. Mes meilleurs souvenirs à l'étranger sont les rencontres avec les gens -- le plus souvent non anglophones - grâce à l'anglais. Le problème n'est pas que le Chinois parle mal l'anglais, c'est que l'Anglais ne soit pas obligé de parler chinois. En lisant ce texte, je suis un peu choqué de voir que le Chinois déjeune encore seul, au bout d'un an, car ses collègues français ont eu peur qu'il les juge sur leur anglais. S'ils avaient pris la peine de parler avec lui, il aurait appris le français en 3 mois (les Chinois sont ni plus forts ni moins forts que les Français pour les langues). Aux Pays-Bas, mes collègues me parlaient tous dans leur langue maternelle. Je leur demandais de répéter en anglais si je ne comprenais pas. C'était la règle. Au bout de 4 mois, je pouvais lire et écrire de manière basique l'espagnol, l'italien et le néerlandais en plus de l'anglais et l'allemand. Il était très dur de parler ces langues mais, au moins, je pouvais participer à des conversations, même si je répondais en anglais. Il y avait une réelle volonté d'interagir, de leur côté comme du mien. Personnellement, je n'ai pas vraiment l'impression de "subir" l'influence anglo-saxonne. Je comprends la vision « Globum », je ne la partage pas. ## Le témoignage du senior et les limites de l'usage du « Speaking english » Il y a une quinzaine d'années, le très sérieux « Center for Europe Reform » de Londres a publié une prospective à 10 ans dont les hypothèses sont proches des critiques exprimées dans le projet « Globum ». Sous la plume de son directeur, Charles Grant, bilingue accompli, il était dit qu'en 2008, la France de Martine Aubry se retirerait des Institutions européennes pour ne pas avoir à subir le monolinguisme anglais, adopté par tous ses partenaires. Autrement dit, si l'Europe « speaks english », je m'en vais ! Que fera mon entreprise alors ? Pour répondre, par l'expérience, il faut sortir de chez « Globum » et ouvrir le débat sur le cas de ceux qui ne parlent que leur langue, initiatrice, dite maternelle. Les Français sont caractéristiques de cette propension qui fit dire à un humoriste qu'il leur était plus facile d'être monolingues et polygames que polyglottes et monogames. Au-delà du trait amusant, il reste que, dans la langue anglaise, médiatrice du tourisme et du grand business, on peut très bien opérer, efficacement et fructueusement, pour + plus de 80 % des décisions, avec les quelques centaines de mots utiles à l'interaction évoquée par le junior. Ce fut vrai, avec l'Allemand, pendant l'Occupation dans les années 40, avec l'Américain lors de son aller et retour en Europe dans les années 40/50, avec le boom du tourisme européen exotique et nord-américain dans les années 60/80, comme avec la mondialisation des années 90. La rupture majeure, technologique et comportementale, s'est produite avec la diffusion massive, mondiale, des instruments de la communication numérique totalement anglicisés. Ils ont accru la propagation de la culture et de la langue des marchands, donc du business. Est-ce irréversible, généralisable, au point que tout le monde devra « speaquer anglish » comme le traduit le savoureux accent du midi français. Evidemment non ! Le droit et la justice qui scellent les pactes sociaux des communautés nationales résisteront à la langue du commerce. Elle trouvera ses limites aux portes des parlements et des prétoires, pour longtemps encore. La langue anglaise, expression d'une vraie culture, mérite mieux que l'usage qui en est fait, voire qui la défait, par son affectation au « Trading ». Il n'est pas étonnant que la langue française, qui fut vouée au XIXème siècle à la noblesse des échanges de la diplomatie et du droit, réagisse, chez Globum, avec le style du persiflage de cette époque. Aussi étonnant qu'encourageant, est que cette réaction vienne d'un « Techno ». Bravo !
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institut présaje
2012-04-01
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[ "xavier lagarde", "jacques barraux" ]
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CE QUI A CHANGÉ DANS L'ENTREPRISE APRÈS DIX ANNÉES DE RUPTURES DANS L'ÉCONOMIE
# Ce qui a changé dans l'entreprise après dix années de ruptures dans l'économie **Il y a dix ans, l'Institut Presaje publiait chez Dalloz un ouvrage intitulé « Le travail, autrement » sous la direction de Xavier Lagarde, professeur de droit à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense et avocat. En ce printemps 2012, les auteurs - cadres** **d'entreprise, consultants, universitaires - relisent leurs contributions et ils les comparent avec leurs observations d'aujourd'hui sur les relations sociales dans notre pays. Perception de la « valeur travail » dans une économie gangrénée par le chômage, niveau du dialogue social, interrogations sur l'avenir de la condition de salarié, partage de la vision d'un projet d'entreprise, motivation et démotivation des cadres : Xavier Lagarde s'interroge sur le nouvel arbitrage entre l'individuel et le collectif au sein de l'économie française.** L'état des lieux ## Le XXème siècle est déjà bien loin. Le XXIème s\'annonce comme fondateur d\'un monde transformé. Diriez-vous que la notion de \"valeur travail\" est elle aussi en train de changer ? **Xavier Lagarde**. La notion, je ne sais pas. En revanche, elle me paraît plus que jamais au cœur de multiples contradictions. J'en vois au moins deux : Elle s'est assurément individualisée alors que, dans le même temps, le management des individus semble marquer le pas. L'entreprise est un collectif et doit susciter l'adhésion de ses collaborateurs à un projet commun. Dans « le Nouvel esprit du capitalisme », L. Boltanski et E. Chiapello avaient brillamment mis en évidence l'adaptation des stratégies managériales à la progression continuelle de l'individualisme. Cette adaptation atteint probablement sa limite et il est probable que la valeur travail, fortement individualisée, subisse un retour du collectif. Elle fait l'objet d'un surinvestissement symbolique en ce sens qu'à titre personnel, les salariés attendent beaucoup de leur travail. Dans le même temps, elle est économiquement maltraitée. Les revenus du travail sont assez modestes et ils sont de surcroît fortement chargés et taxés. De ce point de vue, ce qui a été fait dans la loi TEPA à propos des heures supplémentaires, essentiellement au profit des salariés les plus modestes, rappelons-le, va certainement dans le bon sens. Mais cela reste assez marginal. Il faudra probablement faire plus si l'on veut éviter que la valeur travail ne s'épuise au contact des dures réalités qui se profilent. Car s'il est une chose qui demeure, c'est bien que le travail est le principal moteur de la croissance. ## Pas d\'entreprise sans jeu collectif dites-vous. Or vous constatez que le \"social\", que l\'on décrit habituellement comme le socle de l\'intérêt collectif, est devenu au fil du temps le levier des comportements individualistes. Comment expliquez-vous cette contradiction ? **XL.** C'est assez simple. Passé les pires soubresauts de la Révolution française, les nouvelles élites ont imposé un modèle de société bourgeoise au sein de laquelle les individus trouvent les moyens de leur liberté à raison de leur qualité de propriétaire. Compte tenu du petit nombre de propriétaires, le modèle rencontre des résistances et c'est ainsi que s'ouvre, selon le mot de Tocqueville, le « champ de bataille de la propriété ». C'est le social qui apporte la paix ; la « paix sociale » justement. Comment ? En s'appuyant sur le collectif, certes, par l'effet de la mutualisation, mais en offrant au plus grand nombre des garanties susceptibles de leur offrir un certain confort individuel. Tous ne sont pas propriétaires, mais tous peuvent bénéficier d'une sécurité proche de celle qu'offre la (petite) propriété. Le social donne ainsi à chacun les moyens de développer ses aspirations individuelles. Un esprit libéral ne peut que s'en réjouir. Mais il faut en mesurer les conséquences, parmi lesquelles une perte en ligne pour le sens du collectif. ## - Les manuels de management et les PDG définissent l\'entreprise comme le support d\'un projet collectif. Ils lient sa réussite à la motivation des salariés et aux valeurs partagées. Mais à l\'inverse, sur le terrain, les salariés se plaignent d\'une dégradation du climat et des relations de travail. Comment expliquez-vous l\'écart du discours et des actes ? **XL.** Je préfère éviter les généralisations. La dégradation du climat et des relations de travail ne se constate pas partout. Par ailleurs, là où elle se constate, il n'y a pas d'uniformité des causes. Dans cette perspective, il faut à mon avis considérer à part toutes les hypothèses de souffrance au travail relevées dans les entreprises issues du secteur public. Dans ces entreprises, c'est le changement de statut qui est probablement la principale source des problèmes. Il y a là un particularisme à ne pas sous-estimer. Sinon, c'est effectivement le sentiment qu'il existe un écart entre le discours et les actes qui entraîne une dégradation des relations sociales. Le désinvestissement ou le désengagement des salariés, plus spécifiquement des cadres, dont rend encore compte la grande enquête « Quel travail voulons-nous ? » (J. Krauze, D. Méda, P. Légeron, Y. Schwartz) se nourrit de l'opacité sur les ambitions collectives. Ces dernières sont souvent évoquées, mais les discours s'apparentent à une langue de bois. On vante le projet commun, mais nombreux sont ceux qui considèrent, à tort ou à raison, là n'est pas la question, que l'indétermination de ce projet masque de fait une exigence accrue de rentabilité au profit de quelques uns. L'opacité de l'objet s'accompagne paradoxalement d'une transparence des sujets. L'individualisme accroît en effet la subjectivité des relations de travail. Certes, le droit érige de sérieuses barrières entre vie privée et vie professionnelle. Mais au quotidien, la muraille de Chine n'est souvent plus qu'un écran de verre. On se dévoile bien plus qu'auparavant et la hiérarchie se déclare aussi sensible au savoir-faire qu'au « savoirêtre ». C'est une pente dangereuse, assez largement puérile et source de profondes déceptions. ## - Vous vous déclarez en faveur d\'un \"management de l\'objectivité\". Qu'entendezvous par là ? Pouvez-vous nous décrire ses buts et ses moyens ? **XL.** Un management de l'objectivité prend à rebours cette évolution. Il prend acte de l'individualisme mais il compte sur la raison plus que sur l'affectif. Respectueux des personnes, il fait peser l'exigence de transparence sur les méthodes et non sur les individus Plus précisément, la réponse adéquate aux attentes individualistes des salariés consiste dans l'explicitation franche des rapports qu'elles entretiennent avec le collectif. La direction de l'entreprise doit dire où elle va et définir le projet commun, désigner sur tels ou tels sujets, qui délibère et qui ne délibère pas, affirmer qu'après le temps des délibérations vient celui de l'action. Il lui revient encore de donner les raisons de ses changements de cap, des contraintes qu'elle impose, d'indiquer aux salariés selon quels critères ils sont évalués, de promouvoir les uns, au besoin, de sanctionner les autres... Les sociétés cotées doivent aux marchés de communiquer tous les trois mois sur leurs résultats. Elles ne perdraient pas leur temps à s'imposer pareille échéance à l'égard de leurs salariés. ## - La législation du travail est un héritage du siècle précédent. Comment l\'adapter aux nouvelles contraintes - et aux nouvelles opportunités - de l\'entreprise ? Ne comptez pas sur moi pour balayer un sujet aussi lourd en quelques lignes. Deux observations cependant : - Tout d'abord, il est de fait que la législation du travail se signale par un formalisme excessif. Or, la forme est souvent la politique du faible. Si l'on veut que le fond occupe plus de places dans le dialogue entre directions et salariés, un « décrassage » paraît nécessaire. - Ensuite, sur le fond, il me paraîtrait souhaitable de rééquilibrer contraintes collectives et droits individuels. Les travaux de P. Cahuc et F. Kramartz sont en ce sens. Soyons concrets. Un salarié licencié part avec des indemnités de licenciement, qui peuvent être conséquentes, et, s'il justifie d'une ancienneté, bénéficie de l'assurance chômage pendant 2 ans, voire 3 s'il est âgé de plus de 50 ans. Cette dernière est à l'origine une œuvre paritaire et nul n'en conteste sérieusement la légitimité. En revanche, il peut être sérieusement soutenu que les entreprises qui licencient avec légèreté et accroissent ainsi le coût de la couverture du risque chômage contribuent plus que les autres. Les indemnités de licenciement seraient alors réaffectées à Pole Emploi, sous forme de taxe. Ce surcroît de recettes permettrait dans le court terme de résorber les dettes, dans le moyen terme, soit de diminuer les charges des entreprises, soit d'améliorer la qualité du service rendu. Structurellement, cette modification aurait pour mérite de mettre en évidence le fait que les droits sociaux, s'ils procurent des bénéfices individuels, ne doivent existence qu'au respect de contraintes collectives.
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institut présaje
2012-04-01
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[ "gérard boymond" ]
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RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET TEMPS DE TRAVAIL : LE REGARD D'UN « MICHELIN » BASÉ EN ASIE
# Révolution numérique et temps de travail : le regard d'un « Michelin » basé en Asie Un cadre international dont les équipes opèrent dans plusieurs fuseaux horaires et qui répond de chez lui à un mail envoyé par un collaborateur travaille-t-il ? Oui et non. Vue d'Asie, la France du droit du travail semble aveugle devant une réalité vécue par tous, y compris les salariés français : la révolution numérique désacralise la vie privée et rend dérisoire l'obsession de « productivité horaire ». Gérard Boymond témoigne depuis son poste d'observation en Thaïlande. d\'apporter des commentaires techniques sur l\'évolution des règles collectives ou individuelles. C'est pourquoi je me limite ici à quelques remarques d'ordre général. Reprenons l'ouvrage « Le travail autrement ». Ma contribution s\'intitulait \"Pour une approche contractuelle du temps de travail\" et se situait à l'époque dans le contexte de l\'application de la loi sur la réduction du temps de travail. L\'article portait la proposition d\'une conception nouvelle du temps de repos. Il incitait le législateur à donner aux partenaires sociaux la possibilité de négocier des formules nouvelles de répartition du temps de travail, parfois pluriannuelles, qui permettraient aux salariés de satisfaire une plus grande variété de besoins de répartition de leur temps libre / travail. L\'article soutenait que cette approche pouvait satisfaire tant les besoins de flexibilité des entreprises que ceux des salariés et donc les besoins d\'amélioration de la compétitivité des entreprises. Les dix années qui ont suivi n\'ont pas révolutionné la définition du temps de repos, qui reste vu comme une dérogation au temps de travail. De nouveaux congés ont certainement été ouverts au profit de telle ou telle catégorie de salariés, dans certaines circonstances particulières. Un débat a été esquissé sur la possibilité de \"donner son temps de travail\" (le lundi de Pentecôte) au profit des personnes âgées\... et les conventions collectives continuent l\'énumération des droits à congé comme autant de dérogations à la fiction selon laquelle le salarié devrait tout son temps au travail et qu\'il ne pourrait faire ce qu\'il veut que dans certaines plages strictement organisées sur la journée, la semaine ou l\'année ! A ma connaissance, la notion de pluri-annualité reste toujours quasiment ignorée par le Code du Travail. L\'évolution des moyens de communication a rendu la distinction entre le temps de travail et le temps de repos de plus en plus difficile à opérer, au point qu\'on peut dorénavant se demander si elle a encore un sens. Un cadre international, qui appartient à des équipes installées sur plusieurs fuseaux horaires, qui reçoit des mails sur l\'un des outils qui lui permettent d\'interagir en permanence entre ses sphères privées, sociales ou professionnelles, qui les lit, les transmet ou y répond travaille-t-il ? Un technicien qui dépanne à distance, durant ses vacances, un système qu\'il a programmé pour entrer en action à l\'autre bout du monde travaille-t-il ? Un salarié qui voyage à travers le monde, rencontre des partenaires ou des clients à l\'occasion de repas et de visites guidées est-il en permanence au travail? Chacun ne devra-t-il pas, un jour, travailler et se reposer en permanence? Bien que contraignants, les outils de communication instantanée apportent également d\'innombrables possibilités de vivre harmonieusement sa vie privée tout en restant \"branché\". Dans le monde entier, les individus vivent la possibilité d\'interagir librement entre leurs différentes sphères comme un immense progrès qui les rend à la fois plus flexibles et plus productifs. La \"sacralisation\" d\'une sphère privée reste la marque du Code du Travail français et parait encore plus désuète aujourd'hui qu'il y a dix ans. Le besoin de compétitivité reste tout aussi important aujourd\'hui qu\'il y a 10 ans. La France s\'autoproclame championne du monde de la productivité horaire alors qu\'une grande partie de l\'humanité, aux heures de travail moins productives, consacre bien plus de temps au travail que les Français. Dans le monde entier, la distinction entre une heure travaillée et une heure non travaillée n\'est pas une véritable préoccupation. On travaillera d\'autant mieux que l\'on aura, pendant le travail, la possibilité de rester connecté, \"branché\" avec sa famille, son réseau professionnel ou ses réseaux sociaux. Une heure passée dans une entreprise asiatique est probablement moins intense qu\'une heure passée dans une entreprise française. Mais ce n\'est pas une heure de plongée en apnée. C\'est au contraire une heure où le salarié respire, communique avec ses proches, interagit\... et c\'est ainsi qu\'il est le plus efficace. La France peut accroitre sa compétitivité, en travaillant plus à certaines périodes et en accompagnant les hommes et les femmes dans leurs multiples besoins de flexibilité.
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institut présaje
2012-04-01
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[ "philippe michaud" ]
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COMMENT LE GROUPE LAFARGE ADAPTE SA CULTURE D'ENTREPRISE AUX CONTRAINTES DE LA MONDIALISATION
# Comment le groupe Lafarge adapte sa culture d'entreprise aux contraintes de la mondialisation Les entreprises les plus traditionnellement attachées aux bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines n'échappent pas aux contrechocs sociaux de la mondialisation. Philippe Michaud explique comment le groupe s'efforce malgré tout de rester fidèle à ses valeurs. En septembre 2011, la presse s'est faite l'écho de la réaction spectaculaire de quelques salariés de la cimenterie Lafarge de Frangey (Yonne), emmenés par le maire du village, face à l'annonce de la future fermeture du site. Cette forme de manifestation, avec un début de grève de la faim, a choqué de nombreux collaborateurs qui ne « pensaient pas cela possible chez Lafarge !» tant le temps, le dialogue et les moyens d'accompagnement sociaux et humains avaient été mis sur la table pour traiter au mieux les conséquences de cette réorganisation. Malgré un développement international poursuivi, Lafarge n'échappe pas, dans un contexte de crise révélateur, aux interrogations sur sa cohésion interne. ## Une accélération des tendances et des tensions... En 2003, lors de la publication de l'ouvrage sur le « Travail autrement », nous avions identifié certains points qui pouvaient affecter le lien des collaborateurs à cette entreprise dotée d'une culture forte. Regardons où nous en sommes. ### Un management de la performance de plus en plus exigeant Vu sous l'angle de la rémunération et de « l'incentive », le système de bonus distribué annuellement à tous les managers s'est densifié au point de devenir complexe et parfois illisible : quantification de l'atteinte d'objectifs, critère de « performance collective » qui se confondent avec des indicateurs financiers, pourcentage obligatoire d'attribution d'objectifs personnels ayant trait à la Sécurité ou à l'Innovation, quelle que soit la fonction... Ce processus laisserait peu de place à la récompense d'une performance d'équipe qualitative et à la motivation sur des réalisations individuelles distinctives. Au final, et même si le sommes versées sont parfois significatives, beaucoup ressentent que leur contribution individuelle n'est pas reconnue à sa juste valeur par cette part variable, pourtant initialement conçue comme facteur de rétention et de motivation. Un niveau d'exigence est-elle une menace pour le lien à l'entreprise ? ### Une gestion de la mobilité des cadres de plus en plus difficile Cela se confirme. Lafarge a besoin de la mobilité géographique de ses salariés pour accompagner les évolutions d'un business opérant de petites entités industrielles ancrées localement. La plupart des managers recrutés par Lafarge savent que « leur prochain job sera... ailleurs...», ce qui n'est pas toujours compatible avec leurs choix personnels et familiaux. Les fréquentes réorganisations, fusions, regroupement régionaux opérés chez Lafarge depuis 10 ans ont accéléré cette pression à la mobilité géographique qui représente, en fait, une condition du maintien de l'emploi. L'attachement au territoire serait-il plus fort que le lien à l'entreprise ? ### L'exigence de transparence et la confiance envers la DG en question Les salariés de Lafarge ont accès à une information abondante sur la marche de l'entreprise. La Direction Générale du Groupe s'efforce de publier rapidement les résultats et les communiqués à la presse et au personnel sont souvent concomitants. Toutefois, l'actionnariat salarié, symbole de la confiance dans son entreprise, dont Lafarge fut un des précurseurs dans les années 90, s'essouffle dans les pays mûrs. Lors de la dernière opération de 2011, ce sont surtout les salariés des pays émergeants qui ont souscrit souvent à plus de 80% alors qu'en France, Canada, UK, Allemagne, la souscription n'a pas dépassé 60%. Le salarié actionnaire serait--il un actionnaire comme les autres ? ## ... mais un niveau d'engagement et des possibilités d'évolution qui restent élevés En 2010, le projet « Marque Employeur » a permis de recenser les attributs caractéristiques de Lafarge comme entreprise attractive de talents. Près de 5000 salariés ont répondu à un questionnaire et participé à des groupes de travail qui ont montré un niveau d'engagement et d'attachement à l'entreprise supérieur à la moyenne internationale. Les points que les collaborateurs Lafarge mettent en avant : - La fierté de travailler pour un leader mondial. - L'affirmation de valeurs éthiques de Lafarge à travers notamment une mobilisation sur la Santé & Sécurité au travail. - La qualité des relations interpersonnelles dans le travail et la constance du dialogue et du respect des « stakeholders» y compris dans les situations difficiles. - La place reconnue pour l'initiative décentralisée et les opportunités de développement de carrière. Par ailleurs, Lafarge a décidé en 2009 un effort de formation des jeunes par alternance exceptionnel. En France, ils représentent à présent environ 4% de l'effectif. Cette politique met en valeur un point fort de Lafarge qui a toujours su accueillir et intégrer sur le terrain des nouveaux collaborateurs. Cependant, avons-nous atteint l'ambition mentionnée en 2003 de piloter de vraies démarches de **transfert de savoir-faire** des anciens appelés à quitter l'entreprise au profit des jeunes ? Pas assez, et d'une manière générale, on peut dire que les structures de partage de savoir-faire et des bonnes pratiques mises en place sont moins visibles dans l'organisation actuelle. ## **L'augmentation des opportunités de formation** dans l'entreprise reste un élément fort de fidélisation. Si l'ambition de « people development » fait clairement partie des priorités opérationnelles du Groupe depuis 2007, elle repose avant tout sur des réussites et initiatives individuelles en matière de gestion de carrière, de formation « on the job », de coaching/mentoring, voire e-learning
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institut présaje
2012-04-01
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[ "philippe broda" ]
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ENTRE LE MARTEAU ET L'ENCLUME : L\'INSPECTION DU TRAVAIL
# Entre le marteau et l'enclume : l\'Inspection du Travail L'Inspection du Travail est le témoin d'un phénomène que les directions d'entreprises ont trop tendance à sous-estimer : le sentiment de frustration des salariés devant l'évidente dégradation du dialogue social dans notre pays. En 1999, Luc Boltanski et Eve Chiapello expliquaient que la force du système capitaliste avait été d\'intégrer les critiques qui lui avaient été adressées afin d\'améliorer son mode de fonctionnement. Ces critiques étaient de deux ordres : la critique sociale, insistant sur la pauvreté qu\'il générait, et la critique artiste, fondée sur les freins à la créativité inhérents au fordisme. Durant les Trente Glorieuses, les entreprises ont répondu à la première critique en reversant aux salariés une bonne part de leurs gains de productivité. Le partage de la valeur ajoutée a même été favorable aux travailleurs jusqu\'au début des années 80. La critique artiste a également été entendue : grâce au développement des TIC, les salariés ont reçu des responsabilités, des missions à accomplir. Trop, apparemment, puisque les études montrent qu\'une majorité préférerait aujourd\'hui un moindre salaire pour des conditions de travail plus tranquilles. C\'est le fameux syndrome du burnout. Les entreprises ne comprennent plus. L\'Inspection du Travail est le premier témoin de ces tensions. Ses agents se plaignent d\'effectifs insuffisants : 2190 agents pour 1,8 millions d\'entreprises et 18,2 millions de salariés. Autrement dit, chaque agent doit « gérer » 840 entreprises et plus de 8 300 salariés. La transposition des directives européennes, les accords dérogatoires à la législation, les nouveaux dangers comme les troubles psychosociaux rendent la tâche de ces agents plus complexe. De son côté, l\'Etat affirme avoir opéré un rattrapage en matière d\'effectifs après la baisse qui s\'est déroulée entre les années 1985 et 2002. Cette querelle de chiffres révèle un mal bien plus profond. Les entreprises perçoivent les agents de contrôle comme de véritables entraves au développement de leurs activités économiques. Les salariés les jugent parfois lents et inefficaces. En fait, quand les uns parlent de concurrence accrue et de flexibilité, les autres y voient de l\'insécurité économique et des menaces. L\'absence de dialogue social est patente. C'est pourquoi, tant que toutes les parties prenantes ne se réuniront pas pour trouver ensemble des solutions à ces questions, le corps chargé de veiller à l'application du droit du travail souffrira. D'ailleurs, ces modèles qui périodiquement sont pris en exemple (danois, allemand) ne sont-ils pas caractérisés par la qualité de leur dialogue social ? \* Dernier ouvrage paru, *Les coulisses de la triche économique*, préface Michel Desplan, Eyrolles, 2012.
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institut présaje
2012-04-01
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[ "patrick légeron" ]
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QUEL TRAVAIL VOULONS-NOUS ?
# Quel travail voulons-nous ? Les Français attendent beaucoup de leur travail. Une attente si forte qu'elle s'accompagne souvent de fortes déceptions sur les réalités quotidiennes de la vie professionnelle. Patrick Légeron, auteur du rapport sur les risques psychosociaux remis au Ministre du travail, a participé à la réalisation d'une grande enquête de Radio France sur le sujet. Un révélateur des souhaits et des anticipations des Français à l'heure de la remise en cause des modèles économiques et sociaux. A l'initiative de Radio France a été réalisée durant l'année 2011 une vaste enquête sur le travail, ou plus précisément sur le vécu et les attentes des français vis-à-vis du travail, dont les résultats ont été récemment publiés . Il existe de nombreuses études sur le travail et ses environnements, mais l'enquête « Quel travail voulons-nous ? » a une particularité importante : au delà d'un questionnaire très fouillé elle a permis à la majorité des 6000 répondants, auditeurs de l'ensemble des chaines de Radio France, d'exprimer de manière libre leurs commentaires souvent longs et personnels. Cette enquête n'a donc pas été réalisée, comme c'est la norme, à partir d'un échantillon supposé représentatif de la société française, mais auprès des auditeurs de Radio France. Avec un inconvénient certes, celui d'avoir un échantillon en partie biaisé, certaines catégories de la population française étant sur-représentées (les CSP+), d'autres sousreprésentées (les ouvriers par exemple). Mais avec un avantage rarement retrouvé dans une enquête de cette ampleur, laisser la possibilité aux gens de s'exprimer sans détour sur leur travail. Autrement dit ne pas se contenter d'une analyse « quantitative » et statistique mais recueillir aussi du « qualitatif » et du ressenti. ## Des attentes très fortes, mais beaucoup de déceptions La France serait-elle un pays où l'on part au travail le cœur léger plein d'entrain, ou celui où le plaisir de travailler a disparu, tué par l'obsession de la rentabilité dans un environnement devenu inhumain ? L'un et l'autre. Ainsi 55% des personnes se disent contentes d'aller travailler le matin contre 30% qui ne le sont pas. Mais 30% seulement qualifient leur travail de bien ou de formidable, alors que 64% le jugent dur ou fatiguant. Ce paradoxe s'explique largement par de très fortes attentes vis-à-vis du travail, attentes largement déçues. Par exemple 48% des personnes indiquent que le travail idéal est celui qui permet de continuer à apprendre, alors que seulement 10% affirment que c'est celui qui fait gagner beaucoup d'argent. De même, concernant le métier de leur enfant, 76% attentent qu'il soit épanouissant et à peine 4% qu'il rapporte beaucoup d'argent. Mais la réalité du travail est perçue négativement par une majorité des répondants qui jugent prioritaire d'arrêter la course à la productivité, de prendre le temps de faire du travail de qualité, de rendre le travail plus humain et de permettre aux salariés de participer aux décisions stratégiques. Les nombreux commentaires faits sur ces sujets témoignent d'un fort sentiment de souffrance et de mal être. Et au total, le constat est clair : c'est moins le travail en lui-même qui est mis en question, celui-ci restant une valeur forte, que ses conditions d'exercice. ## Une vision pessimiste de l'évolution du travail Une majorité de personnes considère que leur situation de travail s'est améliorée au cours des dernières années (54% contre 21% qu'elle s'est détériorée). Mais 50% des répondants indique que leur situation n'est pas meilleure que celle de leurs parents (36% qu'elle est meilleure). Concernant la situation de leurs enfants, 61% des personnes indiquent qu'elle ne sera pas meilleure que la leur (seulement 8% pensent qu'elle sera meilleure). C\'est-àdire que le progrès dont eux-mêmes (en tout cas une partie d'entre eux) ont profité s'arrêtera. L'ascenseur social est bien en panne, comme le confirme aussi le fait que les plus jeunes à la recherche de leur premier emploi sont dans leur majorité convaincus que ce qui les attend sera moins bien que ce qu'ont connu leurs parents. Quant aux moyens de s'en sortir, la désillusion est grande et inquiétante. 74% des personnes indiquent que c'est sur eux-mêmes qu'ils comptent le plus pour améliorer leur bien être au travail. La perte du collectif et les tendances à l'individualisme sont ainsi renforcées. 12% seulement font confiance dans ce domaine aux syndicats, 4% à leur employeur et moins de 2% aux politiques. Pour terminer sur une note plus légère, signalons que près d'une quart des répondants reconnaissent avoir ou avoir eu des relations amoureuses au travail. L'étude ne permet pas de dire si c'est parmi eux que se retrouvent ceux qui indiquent être contents d'aller travailler le matin !
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institut présaje
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[ "julien damon" ]
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CONCILIER TRAVAIL, FAMILLE ET VIE PERSONNELLE
# Concilier travail, famille et vie personnelle Le thème de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle n'est pas seulement une question de prestations, de congés parentaux ou de crèches. C'est aussi un sujet pour les responsables et les stratégies des ressources humaines, au sein des entreprises. Déjà très présent il y a dix ans au moment de la parution de l'ouvrage **« Le travail, autrement », le thème est plus que jamais d'actualité aujourd'hui ainsi que l'explique Julien Damon.** Comment concilier vie personnelle, vie familiale et vie professionnelle ? Il y a dix ans, dans « Le travail, autrement », quelques observations et idées avaient été tirées de travaux américains. Une décennie plus tard, on peut synthétiser ce qui demeure tout à fait vrai de ces constats, et les actualiser avec de nouvelles analyses et propositions. ## Un sujet et une ambition toujours d'actualité : dépasser le jeu à somme nulle Les entreprises sont de plus en plus attendues sur un point précis de management : les arbitrages entre vie privée et investissements professionnels. La collection de papiers publiés dans la Harvard Business Review (HBR pour les initiés) en 2000 et commentée dans Le travail, autrement montre qu'il en va de leur productivité comme de la santé de leurs salariés. Les auteurs sont des praticiens et des enseignants exerçant dans les plus prestigieuses institutions (INSEAD, Harvard, Wharton), les grands cabinets de conseil ou encore les cabinets ministériels et présidentiels américains. Dans la plupart des entreprises, assurent nos auteurs, travail et vie personnelle sont habituellement envisagés comme une compétition de priorités. Un investissement dans l'un des deux domaines implique une perte dans l'autre. Dans cette perspective, les soucis d'équilibre des temps ne concernent pas les entreprises. Une nouvelle génération de responsables fait le pari qu'une conciliation des dimensions professionnelles et personnelles des activités peut être bénéfique à tous. Le dessein est de ne plus mettre en compétition temps professionnels et personnels mais d'en assurer la complémentarité. Mettant fin au jeu à somme nulle, ces innovateurs cherchent à entretenir une dynamique vertueuse de motivation, qui permet un attachement renforcé à l'organisation. Les auteurs de la HBR insistent sur les cadres interrogés. La majorité adhère au cliché selon lequel le succès professionnel a un prix. Or cette réalité est très inégalement distribuée. Des cadres professionnellement très performants ont des vies privées qu'ils estiment passionnantes. D'autres paient un prix très élevé pour leur carrière. Les individus qui gèrent avec succès la tension entre travail et vie privée s'adaptent mieux au changement dans leur travail. Ensuite, ils trouvent le travail qui leur convient. Le troisième trait distinctif de ces cadres, qu'on peut dire « heureux », est qu'ils arrivent à prendre plus facilement sur eux les éventuelles déceptions professionnelles. Il en ressort, pour les managers, décrits ici avec les plus beaux accents de la novlangue managériale (et reprenant sans le vouloir des accents de la planification à la française), comme des « réducteurs d'incertitude », que gérer les hommes c'est gérer les ambitions mais aussi les émotions et les déceptions. De nouvelles observations et propositions : pour plus de choix Les organisations ne peuvent plus considérer que l'employé idéal est un homme à temps plein, dégagé de toute responsabilité en dehors des ses activités professionnelles. Avec la progression de l'activité féminine et de la proportion des couples bi-actifs, la demande de flexibilité (ou de souplesse) s'accroît. Les attentes à l'égard du travail et des carrières ne sont plus les mêmes. L'argent et la réussite ne sont plus que des dimensions parmi d'autres d'une vie « complète ». C'est ce que rapporte une équipe internationale de chercheurs et de praticiens (en psychologie et en management) emmenée par Steven Poelmans et Paula Caligiuri. Cet ouvrage collectif s'intéresse aux politiques et pratiques de conciliation dans les entreprises. En s'appuyant sur un grand nombre de cas, avec des échecs et des succès, il se veut guide pratique, alliant théorie, recherches empiriques et évaluation des mesures un peu partout dans le monde. Des enquêtes réalisées sur trois continents, on note partout beaucoup d'attentes des employés et de grandes déclarations des dirigeants. L'essentiel des efforts, selon nos observateurs, devrait porter sur le management intermédiaire qui doit adhérer aux objectifs et disposer d'instruments pour mettre en œuvre les objectifs. Gérer les conflits de responsabilités entre la famille, la vie personnelle, l'entreprise. Tout le monde est d'accord, mais il faut savoir comment. Et cet outil, ce sont les ressources humaines qui ne doivent plus envisager travail, famille et vie personnelle comme des temps et des institutions en conflit. L'idée force est d' « harmoniser » nos vies en intégrant demandes et aspirations dans les deux domaines personnel et professionnel. Toutes les entreprises doivent, sans recette générale magique, devenir « responsables familialement ». C'est un enjeu essentiel pour s'adapter à la diversité et à la flexibilité croissante du monde, tout en en tirant profit. Les auteurs veulent donc avant tout changer les états d'esprit, a priori dans les grandes structures comme dans les PME. Ils s'intéressent toutefois explicitement surtout aux employés à haute productivité, en faveur desquels ils appellent au développement de services, d'activités récréatives, de prestations complémentaires au salaire. Mettant ainsi l'accent sur les hauts potentiels et sur les expatriés, le livre ne se veut pas à destination des parents ou des sociologues\... C'est un guide, relativement fourni, pour les DRH de multinationales. Combiner le travail et la famille, dans un contexte de déclin de la fécondité et de la maternité, est un problème à la fois de mode de vie privé et de politique publique. Neil Gilbert, professeur à Berkeley, reprend dans un vif essai l'ensemble des thèmes et problématiques. Il revient aux fondamentaux avec des interrogations précises : avoir des enfants est-il économiquement fondé ? La division sexuelle du marché du travail est-elle rationnelle ? Qui bénéficie réellement des services extra-familiaux de prise en charge de la petite enfance ? Avec un petit brin de soupçon, il veut mettre au jour les intérêts qui sont vraiment servis. Que les changements majeurs (contraception, droits civiques, marché du travail) qui ont affecté les relations sexuelles, sociales et familiales depuis les années 1950 soient positifs ou négatifs relève de l'opinion. Ce qui est certain, c'est que la famille était beaucoup plus stable. Ce qui est également certain, c'est que les femmes aujourd'hui contrôlent les phases de leur existence bien davantage que jamais auparavant. Elles peuvent, en théorie, arbitrer entre maternité et emploi rémunéré. Gilbert soutient que les normes qui prévalent sont dictées par une élite relativement déconnectée des réalités et des contraintes du quotidien. Il formule trois assertions : 1/ la « culture capitaliste » dévalue le travail domestique ; 2/ les principes féministes surévaluent généralement l'intérêt psychologique et social du travail ; 3/ les politiques de conciliation renforcent en réalité les normes et les valeurs capitalistes et féministes. Gilbert observe que ce sont les femmes les plus aisées et les plus diplômées qui suivent des carrières et des profils de vie correspondant aux canons de la conciliation (des enfants, du travail, mais avec des services pour les aider). Les autres femmes, moins favorisés, cherchent dès qu'elles le peuvent à sortir du marché du travail (comme les hommes d'ailleurs). Mais elles y demeurent en raison des prestations qu'elles trouvent pour « concilier ». La thèse est claire : les politiques de conciliation en place sont plus favorables au marché qu'à la famille ! Ecrivant que, depuis les années 1960, les choix en faveur de la maternité sont discrédités, Gilbert pourrait passer pour passablement conservateur. Toutes les mesures « modernes » (congés parentaux, crèches, horaires flexibles, incitations à l'implication des pères) sont néanmoins à ses yeux valables. Cependant, elles n'ont que peu d'impact pour les mères qui souhaitent une approche plus séquentielle de leur existence... Les nouvelles politiques devraient donc permettre à la fois plus de flexibilité et plus de choix dans l'un ou l'autre sens de l'arbitrage entre activité rémunérée et maternité. ## La conciliation travail/famille une priorité de la politique familiale Invariablement (ou presque) sur la décennie 2000 les Français considèrent, pour un tiers d'entre eux, que la conciliation entre la vie familiale et la vie personnelle devrait être la priorité de la politique familiale. Concurrencée par un objectif de soutien au logement des familles, cette visée campe bien au premier ou au deuxième rang des préoccupations, loin devant les objectifs traditionnels de redistribution et de soutien à la natalité. Il y a donc encore bien de la marge de manœuvre pour faire évoluer la politique familiale...
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institut présaje
2012-04-01
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[ "pierre dedenys" ]
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LE LIEN AVEC L'ENTREPRISE : LE GRAND RATAGE DE VIVENDI UNIVERSAL
# Le lien avec l'entreprise : le grand ratage de Vivendi Universal Un témoignage choc. L'auteur, Pierre Dedenys, aujourd'hui co-gérant de la société de biotechnologie Isthmus, a vécu de l'intérieur la chute, suivie du démembrement, de l'ex-colosse Vivendi-Universal. Il décrit la radicale transformation des rapports entre un état-major de holding et les responsables d'unités opérationnelles. Il s'inquiète de la fracture entre les « jeunes » et les « anciens » et constate l'appauvrissement du lien entre le salarié et sa hiérarchie. Au terme d'une surexposition médiatique fatale, Jean-Marie Messier perd son fauteuil de patron de l'empire Vivendi-Universal. Un nouveau chapitre de l'histoire de l'entreprise commence. Au-delà du départ de son dirigeant et d'une partie de son entourage immédiat, le périmètre du groupe va être très vite profondément remanié. Les activités historiques de l'environnement, porteuses initiales du projet du développement dans les réseaux et les médias, prennent leur indépendance, et Vivendi Universal, étranglé par une dette colossale, se sépare d'une grande partie de ses activités dans le domaine des contenus, qu'il s'agisse de l'édition ou de la production audiovisuelle. Le groupe abandonnera l' « Universal », et de fait, avec les filiales restantes, son modèle économique se trouve définitivement confirmé en B to C. +----------------------+---------------+---------------+--------------+ | | > 1997 | > 2002 | > 2011 | +======================+===============+===============+==============+ | Chiffre d'affaires | > 25,5 Mds € | > 57,3 Mds € | > 28,8 Mds € | +----------------------+---------------+---------------+--------------+ | Effectifs monde | > 193.000 | > 320.000 | > 55.000 | +----------------------+---------------+---------------+--------------+ Ces premières années auront été dominées par la gestion de l'urgence, avec en priorité le sauvetage d'un groupe exsangue et dont le cours de bourse s'était effondré. La structure de tête Vivendi s'est trouvée dans une démarche de pure holding financière, avec un poids logiquement accru de cette fonction. Il est important de noter que lors du « détourage » des activités entre Vivendi Universal et Vivendi Environnement, qui deviendra rapidement Veolia, un grand nombre d'anciens feront le choix de rejoindre les métiers historiques, et de passer « avenue Kleber », siège de Veolia ... (ce qui explique peut-être aujourd'hui certaines des difficultés de l'entreprise). La culture en a été profondément changée. La relation entre Vivendi, l' « avenue de Friedland » et les filiales opérationnelles est devenue celle d'une holding vis-à-vis de ses participations, avec une logique de retour sur investissement optimisé, et sans la perméabilité des métiers ni la vision qu'il pouvait y avoir lors des deux décennies précédentes. Cette évolution a été rendue inéluctable par la situation de crise extrême traversée. Les changements de métiers au siège ont fait apparaitre aux côtés des derniers anciens du groupe, avec une culture des métiers de service, concepteurs, exploitants, des populations plus jeunes, spécialisées dans la finance, le contrôle de gestion, voire le marketing ou encore la stratégie. Ces populations plus jeunes, souvent expertes, connaissant leur valeur sur le marché, ont de fait marginalisé les « anciens » pour la plupart inadaptés à ce nouvel environnement. Leurs contributions possibles dans le domaine de la gestion, de la technique étaient en décalage complet avec les nouveaux métiers de Vivendi, tournés vers les médias et les contenus. Ils n'avaient aucun espoir de pouvoir rebondir dans une filiale, à la différence de ce qui se pratiquait auparavant. L'évolution du cours de l'action a également rendu illusoire tout espoir de percevoir, pour les cadres confirmés concernés, les bénéfices de stock-options attribuées dans des périodes plus fastes. Ils se sont donc marginalisés, à la fois par perte de rôle et par perte d'importance démographique, pour se voir substituer des populations plus jeunes, plus « expertes ». Le cas dominant du lien à l'entreprise est alors devenu celui décrit par Agnès Valentin , dans le cas des jeunes, avec un comportement « individualiste et intransigeant ». Mais ce qui est valable pour une structure de siège comme Vivendi, l'est déjà moins pour une filiale telle que SFR par exemple, passée au cours de la même période du stade de fleuron du secteur des télécoms à entreprise du secteur des commodités, avec développement d'une forte concurrence, baisse des prix, des marges, et dans un secteur qui n'est plus créateur d'emplois. Dans ce cas, le vieillissement relatif - âge et ancienneté - de la population salariée va se renforcer avec la politique de non recrutement liée à l'arrivée de Free. Une pression sur les populations « coûteuses », donc en général celles ayant le plus d'ancienneté, ou les plus âgées risque de recréer ce phénomène de démotivation et de distanciation face à l'entreprise et à son management. Elles vivront dans l'insécurité, la menace. Pour peu qu'un saut technologique se produise, cette logique de marginalisation s'appliquera plus fortement encore sur les plus anciens, jusqu'à ce que la pression face sauter le verrou de l'interdiction de recrutement conjoncturelle, avec l'arrivée de jeunes, diplômés, la modification de la pyramide des âges, etc. Et le cycle de se reproduire, mais avec une logique d'amortissement, de lissage lié au temps qui passe, au strict contrôle des effectifs et au vieillissement de chaque cohorte. En conclusion, à la lumière de cet exemple, on peut confirmer qu'aujourd'hui le lien à l'entreprise et son évolution dépendent profondément de l'âge et de l'ancienneté du salarié. Il est également fonction de son adéquation au besoin de l'entreprise telle qu'il la perçoit. Mais alors qu'il y a quelques dix-vingt ans, avant le phénomène de la mondialisation pour faire simple, ce lien allait souvent se renforçant avec le temps dans les grandes entreprises qui y sont exposées, c'est une sorte de phénomène inverse que l'on constate aujourd'hui. L'évolution - dans certains cas rapide - des marchés, les attentes des actionnaires, peuvent rendre ces besoins de compétences fluctuants, volatils. Les situations de crise grave et le durcissement de la compétition ne renforcent pas les solidarités entre les entreprises et leurs salariés. La nécessité de s'adapter en permanence crée et entretient un cycle régulier d'adhésion forte au début, sincère ou opportuniste, pour le nouvel entrant, qui peut se teinter ensuite d'une vision plus critique ou plus prudente. L'opportuniste sera alors dans une phase de recherche de mobilité, le salarié au profil plus traditionnel essaiera de s'adapter, de se former. Le salarié plus désabusé sera lui dans une logique passive, voire d'opposition. Il appartient aux entreprises, dans leur gestion du quotidien, de pouvoir, via les managers et leurs pratiques, s'adapter, prévenir et traiter ce type de divergences pour éviter le développement de tels phénomènes.
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institut présaje
2012-04-01
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[ "claude vimont" ]
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LA FRANCE CONTINUE À CROIRE QUE « LES SENIORS SONT DE TROP » DANS LA POPULATION ACTIVE
# La France continue à croire que « les seniors sont de trop » dans la population active « Les seniors ne seront pas de trop », telle était la prévision sur l'activité professionnelle des seniors dans « Le travail, autrement », il y a dix ans. Dans la réalité, il n'en a pas été ainsi. Dans son ensemble, la société française, malgré quelques manifestations de principe en faveur de l'emploi des seniors, a continué à considérer que les « seniors étaient de trop » et n'avaient pas leur place dans la population active. Tel est le constat dressé par Claude Vimont. Il explique pourquoi. Pourquoi les seniors sont-ils considérés comme étant « de trop » dans la population active de la France ? Trois causes peuvent être invoquées. Le « choc démographique » prévu pour 2006 s'est révélé moins violent qu'attendu. Les prévisions d'évolution de la population par groupe d'âges ont été revues et la brutalité du renversement de tendance atténuée, confirmée ensuite par l'observation de la réalité. La crise, d'ordre financier à l'origine, s'étendant ensuite à l'activité économique a entrainé une inversion de tendances dans ce domaine. Il ne s'agissait plus d'envisager une croissance moyenne à 3% l'an, mais d'affronter la récession et de prévoir, au mieux pour l'avenir proche, un taux de croissance aux environs de 1,5% par an, en moyenne. Le besoin de seniors dans l'emploi ne paraissait plus s'imposer, alors que le chômage augmentait de nouveau. La cause la plus profonde est due à l'immobilisme, dont fait preuve la société française face au phénomène du vieillissement, qui atteint le monde occidental. Les seules réformes importantes ont été celles des régimes de retraite et de préretraite, prises pour des raisons financières. Leurs effets commencent à se faire sentir au travers d'une augmentation du taux d'emploi dans le groupe 55-64 ans, qui a progressé de 3,5% de 2007 à 2011 d'après le service statistique du Ministère chargé de l'emploi. Mais cette évolution tient aussi à la poursuite de l'activité professionnelle des femmes entrées tardivement dans l'emploi ou ayant eu des interruptions d'activité en cours de carrière. A l'intérieur du groupe d'âges, le taux des 60-64 ans restait en 2010 à 17,9% contre 30,5% dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Le « CDD senior » créé en 2006 a été un échec total. Les mesures de facilitation du cumul « emploi-retraite » n'ont eu que peu d'impact. L'obligation imposée en 2009 aux entreprises de négocier sur leurs effectifs de seniors n'a eu, lui, aucun effet réel. Il n'y a, dans les toutes dernières années, que le développement rapide des situations d'auto-entrepreneur qui pourrait jouer un rôle. ## Avec quel effet ? L'emploi des jeunes n'a pas été favorisé pour autant, les difficultés à l'entrée dans la vie professionnelle s'étant accrues, notamment pour les moins qualifiés d'entre eux. Le chômage des seniors est actuellement en hausse. Le retard à la prise de la retraite, qui résulte de la dernière réforme applicable au secteur privé, n'est pas « accepté » par des entreprises, qui ne peuvent plus recourir à des préretraites. Pour diminuer leurs effectifs de personnel vieillissants, celles-ci les mettent au chômage. Le taux d'activité des seniors a été accru, mais pas leur taux d'emploi, d'autant plus qu'une fois remis sur le marché du travail, pratiquement, ces seniors ne se voient proposer aucune offre d'emploi. La population active employée se concentre sur les âges adultes, sur lesquels il devient de plus en plus difficile d'augmenter les prélèvements sociaux et fiscaux. Le financement de la « dépendance », dont les effectifs concernés par cette situation vont fortement augmenter dans les années à venir, devient quasi-impossible à financer par ce moyen. D'où son abandon par la politique du gouvernement dans les derniers mois et sa disparition dans les débats de la campagne électorale. Cette absence de prise en compte du vieillissement dans notre société mène à de telles fins extrêmes : on ne reconnait pas, en fait, le droit des seniors à une activité professionnelle prolongée et, en même temps on refuse de fait l'aide nécessaire à ceux qui sont en situation de dépendance. Et, cependant (ou en effet), comme le montre l'étude de la chaire de l'Université Dauphine, « Transitions démographiques et économiques » (J.-H. Lorenzi, J. Pelletan, A. Villemeur, Rajeunissement et vieillissement de la France, Descartes et Cie, 2012), la France consacre déjà chaque année 3 points de PIB (soit environ 60 Mds. de plus pour les retraités que la Suède) et 1,7 de plus que l'Allemagne (soit 34 Mds.). Notre société devient incohérente dans son comportement. ## Que faire ? Les solutions à apporter à la crise actuelle, que la France connait, supposent que soit d'abord défini le modèle nouveau, selon lequel notre société fonctionne dans chacun de ses grands groupes d'âges : jeunes, adultes et personnes vieillissantes. En ce qui concerne les seniors, en dehors des mesures sur la retraite, commandées par une obligation de financement, qui ont prouvé leur efficacité, rien ne sert de monter des réglementations sophistiquées et des incitations financières plus ou moins coûteuses pour augmenter l'emploi des seniors. Au préalable, il faut modifier l'état d'esprit de l'ensemble des éléments composant la société française, des pouvoirs publics à l'opinion publique ellemême, en passant par les collectivités locales, le monde des entreprises, les syndicats de salariés, le milieu associatif, et même celui de l'éducation nationale. **Un nouveau troisième âge est né** (V. son esquisse dans « Le nouveau troisième âge, une société active en devenir » par C. Vimont, Economica, 2001). Sa caractéristique première est que ce n'est pas un âge homogène. Il comprend, à la fois, des personnes en pleine possession de leurs moyens physiques et intellectuels jusqu'à un âge avancé et des personnes dans un état physique et mental dégradé. Alors qu'il s'agissait, dans le passé, d'un nombre restreint de personnes dans ces états dans ce groupe d'âges, dès maintenant et encore plus dans les années à venir, les effectifs concernés vont augmenter. Il y aura de plus en plus de diplômés et de personnes très qualifiées parmi les seniors , mais aussi, à cause de la prolongation de la durée de la vie, de plus en plus de personnes atteintes d'un handicap grave. **Or, le potentiel productif de croissance de notre pays** va être moins important que par le passé. Cela va freiner la redistribution des richesses créées au profit des seniors en situation de grande dépendance. C'est notamment par un apport productif des seniors « en forme » que cette contrainte peut être desserrée. Encore faut-il que l'importance et la qualité de cet apport soient reconnues par l'ensemble de la société, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Cette reconnaissance passe par une phase d'évaluation des capacités et des aspirations de chacun, quand ils se présentent sur le marché du travail ayant perdu leur emploi, et même, lorsqu'ils sont proches de leur fin de carrière en entreprise. Former les travailleurs vieillissants, c'est faire l'inverse de ce que notre société a fait dans le passé : les rendre inutilisables, en leur retirant tout espoir d'avoir une activité professionnelle, uniquement du fait de la barrière de l'âge. Il faut aussi adapter les emplois tenus ou offerts à leurs nouvelles contraintes et à leurs désirs de vivre une autre vie de travail que celle, qu'ils ont connue au cours de leur carrière. Cet emploi salarié, ainsi créé ou maintenu, ne sera pas le seul mode de participation de ces seniors à un renforcement du potentiel de croissance de notre pays. Leur apport peut aussi se développer dans le secteur associatif sous forme d'emplois bénévoles. Des analyses en cours sur ce sujet en Suisse considèrent ce type d'activité comme « productif » et, de ce fait, le prennent en compte dans les calculs du PIB de ce pays. Mais il y a encore d'autres aspects de l'activité des seniors à prendre en considération. Une meilleure intégration aux nouveaux modes de vie en société est l'un d'entre eux. Nombre de ces seniors ne savent pas se servir correctement d'un ordinateur, d'un téléphone portable et de tout autre moyen contemporain de communication, ce qui va jusqu'aux bornes des gares ou des salles de cinéma. Une formation à ces techniques leur éviterait de surcharger de leurs demandes des personnels, auxquels ils font perdre du temps. Cette formation éviterait aussi des accidents à la maison, en permettant des appels rapides. Consommateurs de services à la personne pour eux-mêmes et leurs proches, fort coûteux, ils sont aussi, à la fois, capables de comprendre les difficultés des personnes qui les rendent et de trouver des solutions mieux adaptées, si on leur donne le moyen de s'exprimer. **Les seniors aident les seniors.** L'ensemble de la société voit sa charge d'entretien de cette population allégée. C'est ce type d'action que certaines associations, telles qu'Old Up herchent à implanter (V. ww.old-up.eu) Ces seniors, considérés comme étant de trop dans les dix dernières années, deviendront donc indispensables dans les dix prochaines.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "xavier lagarde" ]
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LE TRAVAIL, UNE VALEUR MAL EN POINT
# Le travail, une valeur mal en point Une bulle symbolique d\'un côté. Une réalité humiliante de l\'autre. Dans une société où le désir de réalisation de soi est très fort, le travail a pris une valeur symbolique disproportionnée au regard de la récompense matérielle à laquelle il donne droit. L\'argent du travail ne permet pas de capitaliser en vue d\'une échéance importante de la vie d\'un salarié. Pour y faire face, il faut l\'opportunité d\'un héritage, d\'une plusvalue immobilière ou, pour les cadres, un licenciement accompagné d'indemnités bien négociées. L\'argent du travail est réduit au rôle d\'argent de poche. Sur le papier, la valeur travail ne souffre aucune critique. Au pays de l'égalité, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme retient en effet que l'admissibilité des citoyens aux dignités et aux places se fait *« selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents »*. Avec plus de bonhomie et de légèreté, Georges Brassens ajoutait que *« sans travail, le talent n'est rien qu'une sale manie »*. Le travail est ainsi le meilleur moyen de féconder nos talents et nos vertus, de développer nos capacités. Il conditionne en conséquence l'accès aux « positions », comme disent aujourd'hui les sociologues, les unes et les autres plus ou moins bien considérées. Au sein d'une société tiraillée entre aspirations égalitaires et hiérarchies implicites, le travail est assurément le juge de paix. A tout le moins, et mieux qu'aucune autre valeur, il concentre les qualités pour occuper ce poste. Pourtant, cette valeur est bien mal en point. A courte vue, d'aucuns y verront un effet des « 35 heures ». Ils n'ont pas complètement tort, à ceci près que cette réforme, que nous payons encore au prix fort, n'est jamais que le maillon d'une chaîne que nous portons péniblement et de longue date. En deux mots, et ceci n'est pas d'hier, la valeur travail souffre d'un surinvestissement symbolique et d'un sous investissement matériel. On devine la conclusion. Qui veut rehausser la valeur travail doit se hâter de faire l'inverse. Développons. Au moins en France, la vulgarisation de la pensée marxiste, qui a servi d'assise idéologique aux premières luttes sociales, s'est construite sur la conviction que le capitalisme a perverti la valeur travail. Il fallait y voir une source d'émancipation et de liberté. Les premiers capitaines d'industrie l'ont réduit à l'état de facteur de production. Le travail des ouvriers est ainsi devenu le vecteur de leur aliénation. Même si les luttes se sont adoucies, l'idée que le travail doit être le lieu d'un épanouissement personnel n'a cessé de se renforcer au fil du temps. La refonte des politiques managériales à la fin des années 1980, magistralement décortiquées par Luc Boltanski et Eve Chiappello dans *le Nouvel esprit du capitalisme*, s'est déroulée en forme de réplique au slogan des seventies qu'on ne peut « perdre sa vie à la gagner ». Les grandes firmes se sont ainsi mises au défi d'offrir le meilleur à ceux qui de salariés devenaient collaborateurs. Certains y croient encore et sur l'air des lampions, fêtent chaque année leur entreprise en chantant « j'aime ma boite ». Les débats sur les risques psycho-sociaux et la souffrance au travail s'inscrivent sans conteste dans ce mouvement d'exagération des attentes qu'inspire le travail. En observateur averti, Patrick Légeron, auteur notamment du *Stress au travail*, relève que la souffrance se nourrit du surinvestissement. Celui qui craque, c'est d'abord celui qui en fait trop. Il n'obtient pas la reconnaissance attendue alors qu'il juge avoir beaucoup donné. Il souffre en silence jusque parfois, au point de rupture. D'où à nouveau, réflexions et débats sur le bien-être en entreprise, la nécessaire construction d'un nouvel humanisme et plus généralement sur l'identité professionnelle et la fonction symbolique du travail. Ce qu'on attend du travail est à mettre en parallèle avec ce qu'on en reçoit, au sens le plus matériel des choses. Une rémunération, sans aucun doute, mais assez faible en réalité. Pour peu qu'elle soit honorable, elle autorise essentiellement le recours au crédit et permet accessoirement de payer des impôts. En elle-même et sauf quelques rares professions, probablement en voie de disparition d'ailleurs, dont l'exercice est assorti de bonus mirobolants, les revenus du travail ne permettent guère de capitaliser. Pourtant, seul un minimum de capitalisation offre aux individus le sentiment de sécurité propice à la mise en œuvre de projets d'avenir, la sérénité nécessaire à une prise de risque raisonnée. Quels sont donc les dispositifs qui permettent de capitaliser, c'est-à-dire ceux qui permettent d'accumuler une ou deux années de rémunération et ainsi de se constituer un patrimoine ? Dans la société bourgeoise, petite, moyenne ou grande, ils sont au nombre de trois : l'héritage, les plus-values immobilières et, pour ceux qui sont en mesure de les négocier, les indemnités de licenciement. Il n'est pas rare de voir un couple de cadres amorcer la pompe de l'accès à la propriété grâce à une fraction d'héritage, solder les emprunts complémentaires lors d'un licenciement et loger les enfants grandissant après revente d'un logement devenu trop grand et affectation des plus-values à leur bénéfice. Ce cycle a sans doute des vertus, mais chacun conviendra que la valeur travail s'y épanouit timidement. D'autant que ces trois sources de capitalisation sont peu ou pas taxées, en tout cas bien moins que ne le sont les revenus du travail. D'ailleurs, par une curieuse habitude de langage, ceux qui perçoivent un haut revenu sont généralement désignés comme des « privilégiés ». Une taxation élevée de leur rémunération passe ainsi pour une évidente mesure de justice sociale. A y réfléchir un peu plus, l'évidence dissimule mal une curieuse inversion de valeur. Quiconque voudrait remettre les choses à l'endroit pourrait suggérer que, sous un angle symbolique et matériel, le travail retrouve sa juste place. Il serait tout d'abord rappelé que le travail est en premier lieu le moyen le plus commun, accessoirement pas le plus malhonnête, de gagner de l'argent et d'assurer par ce biais, sa subsistance et, souhaitons-le, son bien-être matériel. Il est souvent plus que cela, en ce qu'il est l'occasion de rencontres, d'échanges et de reconnaissance. Faut-il pour autant que l'obtention des bienfaits qui l'accompagnent constitue un impératif catégorique ? Il est permis d'en douter, sauf à provoquer déceptions et parfois drames. Au reste, quiconque s'est construit une existence personnelle équilibrée sait qu'il travaille d'autant mieux que sa vie n'est pas réduite à sa seule sphère professionnelle. Il est temps de dégonfler la bulle symbolique créée autour du travail. Cette première tâche accomplie, il faudrait ensuite que matériellement, les revenus du travail soient un peu plus que de l'argent de poche. Certes, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel et ceux qui veulent faire fortune n'ont qu'à se faire entrepreneur. Il serait bon cependant, à l'heure où les uns et les autres appellent à la révolution fiscale, sans cependant la définir clairement, qu'un rééquilibrage s'opère entre la bien légère taxation des capitalisations toutes faites et la lourde imposition des revenus du travail.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "michel rouger" ]
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EDITORIAL : L'ARGENT ET LE TEMPS PERDUS
# Editorial : **L'ARGENT et le TEMPS PERDUS** Depuis trente ans, la France pratique le demi-tour en politique. Le débat public se nourrit des illusions court-termistes de la société du spectacle. Est-ce la peur d'avoir à affronter les conséquences politiques et sociétales de la révolution des sciences et des techniques ? L'absence de prise en compte de mutations pourtant prévisibles a entraîné la France sur la voie du déclin. Les matériaux qui aident à construire l'avenir sont pourtant accessibles dès aujourd'hui. Depuis 30 ans, la France a perdu beaucoup d\'argent, et encore plus de temps pour arrêter l'hémorragie. Rien ne la prédisposait à ce type d'accident. Elle avait su construire les Trente Glorieuses d'un exceptionnel progrès économique et social, grâce à ses scientifiques, ses entrepreneurs et ses techniciens. Pourquoi a-t-elle accumulé les échecs qui la conduisent vers le déclin économique et social sanctionné par la perte de confiance dont elle fait l'objet ? Parce qu'elle a succombé aux illusions de la société du spectacle qui a envahi les sphères politiques et économiques avec ses rêves. Les cauchemars qui en résultent tiennent à un choix, incompatible avec la complexité moderne. Les décideurs qui ne veulent pas plus « désespérer Billancourt » que J.P.Sartre, jadis, imposent leur souhaitable - le virtuel de l'instant --, au réel du lendemain - le probable. En 1981, 1996, 2008, les pouvoirs récents ont fait demi-tour, face à des mutations prévisibles, comportementales et/ou technologiques qu'ils n'ont pas pu, su, ou voulu prendre en compte. Puis ils ont repris le mauvais cap. Cette situation tient à la disparition de la culture générale qui doit inspirer l'action du politique et la négation de son utilité par la culture techno qui domine l'Etat. Cette double faiblesse ne permet plus d'établir l\'équilibre entre le probable et l'improbable, le risque et la responsabilité, dans la gestion de l'intérêt général. Elle conduit à faire des lois pour bloquer l'avenir des jeunes, pour les empêcher de remplacer le passé des vieux. Elle pousse les décideurs à fabriquer de fausses forces majeures qui les exonéreront de leurs échecs. Ils retiennent pour improbable ce qui est la partie du probable qu'ils rejettent pour ne pas contrarier le souhaitable qu'ils savent irréalisable. La fameuse promesse qui n'engage que celui qui l'écoute. Cette stratégie du mensonge par omission annihile le sens des risques à prendre, des responsabilités à assumer. Ces fausses protections, associées à la sacrosainte précaution, désagrègent la société qui en est victime. Exemples : - 2002, l'euro est mis en place, pour l\'éternité, sans voir les risques qu'il a de subir, à bref délai de 10 ans, la contagion d'un virus déjà connu frappant les finances anglo-saxonnes et qui en a fait le malade de 2012, sur lequel le monde entier est penché. - 2007, la France choisit une politique de croissance par la dette, sans voir le risque du surendettement qui frappe à la porte de Bercy, et qui, une fois réalisé, cinq ans plus tard, aggrave la situation française et européenne. - 2011, La France pré-choisit son président 2012, sans voir le risque, connu, de son élimination immédiate, transformée par les médias spectacles en fausse compassion. Ces avatars sont le produit de l'absence systématique de prise en compte des mutations technologiques et comportementales, des sociétés, absentes des calculs des décideurs et des conseillers qui gèrent notre argent et notre temps, parce qu'elles perturbent le spectacle. Entre Richelieu, « l'art du politique est de rendre possible ce qui est souhaitable », Louis XV, « après moi le déluge », et H. Queuille, « le rôle d'un politique n'est pas de résoudre les problèmes, il est de faire taire ceux qui les posent », la France a plusieurs choix pour gérer son temps et son argent. Pour trouver le bon, elle devra s'intéresser aux mutations réelles qu'elle subira plutôt qu'aux projets virtuels qu'elle oubliera.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "patrick sansoy" ]
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LUTTE CONTRE LA DROGUE : UNE REMISE À PLAT DES POLITIQUES EST INÉVITABLE
# Lutte contre la drogue : une remise à plat des politiques est inévitable Quels sont les produits dont la nocivité est avérée ? La commission des stupéfiants de l'ONU en reste à une liste établie il y a un demi-siècle. Ni l'alcool, ni le tabac n'y figurent. Quelle politique appliquer pour contenir la demande ? La France vit sous le régime de la loi de 1970 qui condamne l'usage de drogue et impose l'injonction thérapeutique. Mais les pratiques des toxicomanes ont profondément évolué. Une remise à plat de la politique des drogues est devenue nécessaire. Depuis un certain nombre d'années, les débats autour de la dépénalisation ou de la légalisation des drogues sont relancés à l'approche de chaque élection importante. Les arguments développés, tant par les partisans d'une modification des législations actuelles que par ceux souhaitant le statu-quo, ne permettent pas d'évoluer vers une politique plus satisfaisante de la gestion des drogues. Depuis plus de cinquante ans, une commission des stupéfiants a été instituée au sein de l'ONU à Vienne. Celle-ci a pour fonction de classer les produits dont la nocivité est avérée. La majorité des Etats sont liés au sein de l'ONU par des conventions internationales qui les engagent à mettre leur législation en accord avec ces conventions. Depuis cinquante ans, les produits consommés généralement par les pays non occidentaux ont été classés par cette commission, mais les produits psycho-actifs d'usage courant au sein du monde occidental n'ont pas été soumis à cette classification. Si aujourd'hui le tabac apparaissait comme nouveau produit au niveau mondial, l'OMS examinerait la dangerosité, la potentialité de dépendance de ce produit, et elle rendrait un avis très négatif aux instances onusiennes qui classeraient le tabac sur la liste des stupéfiants et en rendraient l'accès interdit... Nous voyons clairement par ce simple exemple que la constitution de la liste des stupéfiants est très marquée historiquement. Le poids de l'industrie du tabac, comme cela serait d'ailleurs le cas avec l'alcool, est tel qu'un scénario de cette nature est à ce jour improbable. La régulation de l'offre de produits psycho-actifs est déterminée par la mise en place de cette législation internationale. L'interdiction quasi totale des cultures des produits classés (opium, cannabis, coca...) a entrainé de fait un développement de cultures prohibées qui a pour conséquence de constituer un marché illicite au niveau mondial dont on connaît les répercussions désastreuses en termes de criminalité. La gestion de l'offre de produits psycho-actifs a montré depuis cinquante ans ses limites. Mais qu'en est-il au niveau de la demande ? Au nom de la santé publique en France, fut votée le 31 décembre 1970 la loi qui reste le pivot de notre politique. Cette loi est centrée essentiellement sur la condamnation de l'usage, l'injonction thérapeutique qui permet d'orienter les toxicomanes vers le secteur sanitaire, et la gratuité et l'anonymat des soins. Cette loi a aussi pour objectif de contenir les comportements « toxicomaniaques » ou de les prévenir. Elle devait, au moment où elle fut votée, contenir l'augmentation du nombre de consommateurs dont la couverture sociale devenait de plus en plus importante, faisant croître les dépenses de santé. Tout produit figurant sur la liste des stupéfiants tombe sous le coup de la loi. Le classement, produit après produit, des nouvelles substances apparaissant sur le marché, les rend illicites. Nous pouvons constater que les produits les plus nocifs en terme de santé, mais parfois aussi de criminalité, échappent historiquement à cette classification, notamment alcool et tabac. Les pratiques de consommation échappent au fondement de la loi classificatrice qui procède produit par produit, alors que les utilisateurs mélangent allégrement les substances pour en potentialiser les effets. C'est le cas du mélange alcool-cannabis. La limite entre l'usage et la dépendance est fragile, inégale entre les consommateurs, rendant toute catégorisation inadéquate pour agir. Les malades, mais également les personnes ayant des consommations à risque, ne peuvent relever que d'une approche clinique dans une relation duelle. A un moment où les pouvoirs publics se préoccupent de plus en plus des conséquences des comportements alimentaires, imagine-t-on une réflexion sur cette question qui ne prendrait pas en compte l'extrême complexité de ces comportements ? L'idée ne viendrait pas de vouloir réguler le comportement boulimique par une loi, ceci n'empêchant pas l'Etat de contrôler la qualité des produits alimentaires mis sur le marché. Deux approches complémentaires peuvent être proposées : d'une part, l'éducation qui devrait permettre au citoyen d'échapper aux comportements nocifs ; d'autre part, une offre de soins adaptée répondant à ceux qui sont dans l'excès. Ceci ne pourra se mettre en place qu'après une évaluation des politiques actuelles. Sans doute cela sera possible en remettant en cause l'équilibre budgétaire qui existe entre les sommes consacrées à la prévention, aux soins, à la répression, et à l'activité internationale.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "jean-luc girot" ]
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PIRATAGE SUR INTERNET : LA GUERRE EST DÉCLARÉE
# Piratage sur internet : la guerre est déclarée La planète internet s'est empressée d'adresser un pied de nez au FBI après la sanction qui a frappé le site MegaUpload de téléchargement illégal. La guerre est-elle pour autant perdue d'avance contre les voleurs du travail artistique ? La faiblesse des réponses du type Hadopi pourrait le faire penser. En réalité, le combat ne fait que commencer. Nous n'en sommes qu'à la préhistoire du numérique. L'un des sujets brûlants de l'actualité numérique est la fermeture du site MegaUpLoad par le FBI aux Etats-Unis. Ce site permettait le téléchargement illégal de copies de films et rapportait énormément d'argent à son hébergeur ainsi qu'à ses sponsors. L'affaire a fait grand bruit et a déchaîné l'autorité américaine, vu l'ampleur que ces activités avaient prise. Mais ne perdons pas de vue qu'il existe des centaines - probablement des milliers - de sites de ce type à travers le monde. Lorsqu'on en ferme un, il s'en ouvre dix le lendemain. On estime à 15 millions par mois le nombre des visiteurs français sur le seul site en question. Le dispositif imaginé par la France pour contrecarrer ce phénomène de téléchargement illégal s'appelle Hadopi. Cette haute autorité charge les fournisseurs d'accès internet de traquer les utilisateurs contrevenants. En effet, devant la difficulté de s'attaquer à la source du problème, les hébergeurs pouvant potentiellement se trouver dans n'importe quel pays du globe, la France a choisi de s'en prendre aux utilisateurs de ces sites illicites. Hadopi a mis en place un dispositif répressif relativement léger. Depuis 14 mois, il a été envoyé 650 000 avertissements, identifié 44 000 récidivistes, pour finalement n'instruire que 159 dossiers, pour lesquels une suite pénale va éventuellement être donnée, les contrevenants ne risquant qu'un mois de coupure de leur accès internet et 1 500€ d'amende ! L'arsenal législatif paraît bien dérisoire devant l'ampleur du phénomène à éradiquer. En outre, le téléchargement n'est qu'un moyen de consommer illégalement de la vidéo sur internet. Une autre méthode, appelée « streaming », permet de regarder directement le film depuis le serveur, sans devoir télécharger quoi que ce soit. Dans ce cas, les contrôles demandés par Hadopi aux fournisseurs d'accès ne fonctionnent plus. Fragile mesure ! Un autre dispositif législatif, encore secret, est à l'étude par les grands pays de ce monde. Il s'agit d'un traité international nommé Acta (Anti Counterfeiting Trade Agreement). Ce traité, quand il existera, visera à protéger les copyrights. Plus personne ne pourra légalement détenir sur son site un document dont il ne détiendra pas les droits. Mais son application semble vouloir passer une nouvelle fois par un contrôle des intermédiaires, c'est-à-dire les fournisseurs d'accès. Encore une fois, les vrais délinquants seront ignorés et les utilisateurs de bonne foi fortement pénalisés. Le problème est complexe. La technologie est omnipotente et internet est impossible à contraindre techniquement par principe. Les dispositifs légaux ne s'appliquant qu'aux pays qui ratifient les décrets, les hébergeurs illégaux trouveront toujours un endroit où s'installer, rendant les lois éternellement impuissantes. Le seul moyen de protéger les intérêts des ayants droit semble passer par le contrôle des consommateurs, lequel ne peut exister sans l'appui des fournisseurs d'accès. Aujourd'hui, Hadopi propose un embryon de réponse qui devra être très largement révisé pour devenir efficace... Si le législateur échoue, il ne restera plus qu'à laisser faire et à taxer aveuglément l'usage d'internet, afin de pouvoir indemniser les ayants droit lésés.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "françois lainée" ]
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LA PERTE DU AAA, UN ÉLECTROCHOC UTILE POUR LA FRANCE LE CAS DES FINANCES COMMUNALES
# La perte du AAA, un électrochoc utile pour la France Le cas des finances communales Une gifle pour la France. Mais peut-être fallait-il cette humiliation publique pour ouvrir les yeux de l'ensemble de la classe politique. La perte du AAA marque le terme de trente années de dérive financière dans un pays qui est pourtant le recordman de la pression fiscale. Les données chiffrées sur les dépenses de l'Etat et des collectivités locales sont accessibles à tous. Un exemple particulièrement éclairant : l'étude du mouvement « Politic Angels » (MPA) sur les finances des communes. Eh oui, le AAA est parti\... sans doute pour longtemps. Voilà 30 ans que l'Etat a commencé à jouer à la patate chaude. Gouvernement après gouvernement, la France a dépensé plus qu'elle ne gagnait, le déficit primaire provenant d'ailleurs plus du solde des administrations que de celui des dépenses sociales. Et la dette a ainsi augmenté de manière monstrueuse, atteignant désormais 1600 milliards d'euros, soit deux fois les recettes de l'Etat, (une mesure bien plus pertinente que le % du PIB, celle que tout ménage s'applique à luimême). Et l'Etat, mal en point, est suivi dans un mouvement similaire par les collectivités. Le mouvement des Politic Angels a réalisé récemment une étude sur les finances des communes. Une exploration facile en apparence : le site du ministère des finances fournit en libre accès les comptes de toutes les communes depuis 2000, avec force détails, au moins 20 indicateurs par commune. Mais pour le citoyen qui n'est pas un expert, cette forêt de chiffres ne parle pas du tout. Et pourtant, il y a quatre ratios très simples, définis par... le ministère des finances luimême pour dire si une collectivité est en bonne santé ou non. Quatre alertes qui sont : - **Le ratio d'autofinancement** : c'est le rapport entre les charges de fonctionnement plus le remboursement de la dette et les revenus de la commune. À plus de 100%, la collectivité est en alerte, car elle ne peut plus payer ses investissements (des crèches, les écoles primaires, la voirie...). Alors pour investir, elle doit contracter de nouvelles dettes. - **Le ratio d'endettement** : c'est le rapport entre l'encours des dettes et le revenu de la commune. À plus de 120%, c'est l'alerte, et le risque que le remboursement de la dette devienne insupportable pour la collectivité. - **Le ratio de rigidité structurelle**. Il mesure la part de coûts fixes (salaires et remboursement de la dette) dans l'ensemble des coûts. À plus de 65%, c'est l'alerte, car la collectivité n'a plus de marge de manœuvre si les revenus baissent. - **Et le ratio de pression fiscale** qui, s'il dépasse 100% (niveau d'alerte), indique que les contribuables de la collectivité sont plus imposés que la moyenne nationale. À partir des données brutes de Bercy, nous avons constitué une base de données des comptes de 2007 à 2010 des 36 109 communes de la métropole. Puis nous avons calculé les ratios et les indices d'alerte, et nous avons réalisé une synthèse de ces indicateurs, au niveau national (avant une mise en ligne prochaine de cette base locale). Voici les résultats pour 2010, plutôt troublants : - L'autofinancement est un problème très répandu. 22% des communes (37% de la population) sont en alerte. Donc près de 4 Français sur 10 vivent dans des communes qui n'ont plus les moyens d'investir sans nouvelles dettes ! Près de la moitié des communes de plus de 20.000 habitants sont en alerte sur cet indicateur. Et 12% des communes (30% de la population) sont en alerte en continu depuis 2008. C'est notamment le cas à Tulle, ville de M. Hollande, depuis 2007. En 2010, cela a été le cas à Meaux, ville de M Coppé. Mais aussi, depuis 2008, le cas à Troyes, la ville de M. Baroin, actuel ministre des finances ! - La dette, elle, a atteint un niveau d'alerte dans 15% des communes (15% de la population). 10% le sont déjà de façon durable, depuis 2008. Et, avec la tendance sur l'autofinancement, cette population en alerte d'endettement devrait augmenter à terme. - La rigidité structurelle est l'alerte la moins répandue des trois alertes non fiscales. 4% des communes (10% de la population) « seulement » en sont victimes. Mais ce sont surtout des grosses communes, comme Marseille, Clichy, Meaux ou Limoges. Pour elles, c'est surtout le coût du personnel qui cause la rigidité, avec plus de 55% du revenu de la commune consacré aux salaires, contre 25% à 35% pour les petites communes (une absence d'effet d'échelle très étonnante). Comme on le voit, la maison France tremble à tous les étages. C'est ce qui donne à la perte du AAA, avec son côté symbolique, son potentiel positif. Il faudrait pour cela qu'elle réalise enfin le choc psychologique qui amènera certains à passer du rafistolage permanent à de vrais changements de fond. Et sinon, c'est à nous, citoyens, d'y contribuer avant que le mouvement enterre nos enfants.
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[ "olivier babeau" ]
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FAIRE PAYER LES RICHES ? OUI, MAIS D'ABORD RÉCONCILIER LA FRANCE AVEC LA RICHESSE
# Faire payer les riches ? Oui, mais d'abord réconcilier la France avec la richesse C'est leur faute si tout va mal. Les Français n'aiment pas les riches. Ils les méprisent, les jalousent, les soupçonnent de fraude et les rendent en partie responsables de la crise. Mais, étonnante contradiction, ils attendent d'eux qu'ils aident le pays à... sortir de la crise en réveillant l'économie. L'Amérique protestante recycle volontiers les fortunes accumulées par le biais des fondations philanthropiques. Et si la France s'inspirait de la pratique de l'évergétisme au temps de la Grèce ancienne ? Il y a quelques mois, à la suite de Bill Gates, de nombreux milliardaires ont annoncé leur volonté de donner une partie significative de leur fortune à des œuvres d'intérêt public. Appel surprenant, mais sans doute bienvenu, dans la mesure où il jette les bases d'une conception nouvelle --- pour mieux dire, retrouvée --- du rôle et de la place des plus riches dans la société. Alors que les déficits publics se creusent, les déséquilibres structurels dont souffrent l'Etat et l'ensemble de notre protection sociale apparaissent clairement. La crise grecque a montré que le délai dont nous disposons pour y remédier est beaucoup plus court que nous ne l'espérions. Parmi les solutions évoquées, la moins ressassée par nos démagogues n'est certes pas celle consistant à « faire payer les riches ». Aussi économiquement absurde qu'elle soit dans son application brutale, cette idée n'est peut-être après tout pas dénuée de bon sens. C'est bel et bien la place des citoyens les plus aisés qui nous semble en jeu à la faveur de la crise actuelle de l'Etat-providence, comme en témoigne le récent débat suscité par les déclarations d'Alain Minc sur la prise en charge de la fin de vie. Dans notre pays épris d'égalité, les plus riches occupent aujourd'hui une place paradoxale : méprisés, volontiers désignés à la vindicte populaire comme fraudeurs en puissance ou patrons forcément voyous, ils sont en même temps ceux dont on veut tout attendre. Il suffit pour cela qu'on veuille simplement piocher un peu plus dans leurs profondes poches. C'est en ponctionnant leurs avoirs, dit-on, que l'on paiera les retraites, que l'on comblera les déficits, que l'on réduira le chômage ! Responsables, par construction, de tout ce qui ne va pas, les riches tiendraient pourtant les clés de la prospérité. En France, où la méfiance de certaines religions vis-à-vis des biens de ce monde s'est muée en monomanie égalitariste, le riche est tenu d'expier son péché de possession par toutes sortes de contributions plus ou moins vexatoires qui n'ont plus grand chose à voir avec « l'égale répartition des contributions communes des citoyens en raison de leurs facultés » dont parle la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Et si la grave situation que nous traversons était l'occasion de sortir de cette attitude contradictoire consistant à exiger toujours plus de citoyens que nous faisons tout pour faire fuir et appauvrir ? L'antiquité nous offre un exemple d'une attitude plus cohérente et économiquement efficace à l'égard de ceux des citoyens qui possèdent le plus. Comme l'a montré Paul Veyne ^1^ , la Grèce et Rome connaissaient dans l'antiquité une institution nommée évergétisme en vertu de laquelle les citoyens riches participaient largement à diverses dépenses publiques : armement de galères, entretien de monuments, organisation de représentations théâtrales, de jeux, etc. Les évergésies étaient rarement contraintes : la plupart du temps, les citoyens donnaient volontairement ou parce qu'ils en sentaient l'obligation morale. Pour un riche Grec, explique notamment Xénophon dans son *Economique*, la richesse a avant tout pour fonction d'être dépensée au service des dieux, de ses amis et de la cité. Autrement dit, le riche de l'antiquité se reconnaît et se voit attribué un véritable rôle social qui lui donne certes des avantages, mais surtout plus de devoirs que les autres citoyens ; devoirs auquel il ne saurait déroger sans perdre la face. Quelle forme pourrait prendre l'évergétisme au XXIe siècle ? Les mentalités d'aujourd'hui ne sont plus celles du Ve siècle avant J.C., cependant les sociologues ont montré que la reconnaissance sociale continue d'être un puissant moteur de nos actions. Pour prendre notre place dans la société, nous sommes capables d'énormément de dons (quelles que soient les formes prises par ce don). Repenser la place du riche dans notre société n'est pas lui attribuer de quelconques privilèges, mais seulement reconnaître qu'il joue, qu'on le veuille ou non, un important rôle social impliquant l'obligation morale de donner plus que les autres. Concrètement, nous pourrions, comme les Etats-Unis le font par tradition, accorder une plus grande place à la générosité privée, encourageant par tous les moyens les dons et les fondations (en simplifiant réellement leur création notamment ; souvenons-nous de l'échec cuisant pour la France de la fondation Pinault, abandonnant le projet de l'île Seguin pour cause de tracas administratifs !). En contrepartie, c'est tout un climat de reproches implicites et de présomption de malhonnêteté qui doit changer. On ne peut pas continuer à mordre la main de celui dont on exige une partie des biens. Oui, les citoyens les plus aisés doivent contribuer plus que quiconque aux dépenses de l'Etat. Ce n'est pas le principe mais les modalités de cette contribution qui doivent changer. Les impôts spéciaux, dont nombre d'économistes ont prouvé le caractère contre-productif (l'exil fiscal coûte selon Jacques Marseille 7 milliards d'euros par an à la France), doivent muter en contributions plus intelligentes qui seront d'autant plus rentables pour l'Etat qu'elles seront encouragées plus que contraintes, affichées plus que menaçantes. Si nous parvenons à créer une réelle émulation à la participation active des plus riches d'entre nous, si plus aucun homme politique ne peut affirmer qu'il « n'aime pas les riches » sans être ridicule, alors c'est finalement la trop fameuse fracture sociale qui pourrait bien trouver enfin un début de thérapie. *^1^ Le pain et le cirque, Seuil, 1976.*
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2012-02-01
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[ "olivier de lagarde" ]
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DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL : L'HEURE DE VÉRITÉ POUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR FRANÇAIS
# Développement international : l'heure de vérité pour l'enseignement supérieur français Les étudiants étrangers ayant obtenu leurs diplômes dans notre pays et désireux de commencer leur carrière en France viennent d'être les victimes collatérales de la politique d'immigration. Fâcheuse péripétie, à l'heure où le marché mondial de l'enseignement supérieur est à la veille d'une véritable explosion. Un marché qui sera dominé par les pays en mesure de former des coalitions de grands établissements et de petites structures performantes. Les forces du public et celles du privé. L\'enseignement supérieur français se porte bien et s\'exporte encore mieux. Selon le Rapport 2010 de « Campus France », l'agence de promotion de l\'enseignement supérieur français à l\'étranger, la France reste le troisième pays d\'accueil des étudiants internationaux. Quelles sont les raisons du succès des formations à la française ? Comment développer et capitaliser sur cette réussite dans les cinq années prochaines ? Et pourquoi, dans ces conditions, se lamenter sans cesse sur la faiblesse du système éducatif supérieur français ? ## **Le French paradox éducatif** Méconnu, illisible, sous-performant et pourtant attractif, l\'enseignement supérieur français demeure un secteur d\'activité paradoxal, qui se développe, y compris pendant la crise et en dépit de handicaps structurels. La France est obnubilée par ses contre-performances dans les évaluations académiques internationales. Ses institutions éducatives d\'excellence n\'occupent pas, loin s'en faut, les premiers rangs de l\'Academic Ranking of World Universities établi par l\'université Jiao Tong de Shanghai. En 2011, le premier établissement français, l\'Université de Paris Sud, n\'apparaissait qu\'à la quarantième place. Au-delà du ranking éducatif, les établissements d\'enseignement supérieur souffrent d\'un déficit de notoriété. Faites le test : demandez à un Américain de citer une école ou université française. Il n\'évoquera aucune des gloires de la République : ni Polytechnique, ni Normale Sup, encore moins l\'Ena, mais citera volontiers la Sorbonne. Le « collège pour les pauvres étudiants », créé en 1253 par Robert de Sorbon et dont la marque est aujourd\'hui dispersée entre plusieurs universités, demeure la seule enseigne académique dotée d\'une notoriété internationale spontanée. En dépit de ses faiblesses, l\'enseignement supérieur français est l'un des leaders du marché mondial de l'enseignement supérieur. Marché en plein développement : selon l\'OCDE et l\'Unesco, il y aura en 2025 265 millions d\'étudiants dans le monde, près de trois fois plus qu\'en 2000. Parmi eux, au moins 8 millions étudieront en dehors de leur pays d\'origine. ## **Soutenir l\'enseignement supérieur privé** Comment aider les PME éducatives à bénéficier de la dynamique des mobilités étudiantes ? Comment le secteur privé de l\'Education, qui se développe à l\'ombre des mastodontes de l\'enseignement supérieur public ou consulaire, peut-il devenir un moteur de la croissance de l\'économie française de la connaissance ? Sans doute, les écoles doivent-elles concentrer leur offre éducative sur des domaines d\'excellence française, connus ou méconnus, et avoir le courage de porter une offre de formation dans la langue nationale. Ouvrir ses cursus à l\'international ne signifie pas nécessairement enseigner en anglais : les établissements d'enseignement supérieur peuvent rester des lieux d\'enseignement « du et en français » pour reprendre la formule de l\'Agence universitaire de la Francophonie. Les pouvoirs publics pour leur part peuvent soutenir davantage, à budget constant, l\'enseignement supérieur privé. Cela suppose, en priorité, une politique ouverte de délivrance de visas à destination des candidats internationaux. L\'accueil d\'étudiants étrangers, source de devises et de rayonnement, ne doit pas être la victime collatérale des politiques d\'immigration. Si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle doit en revanche recevoir la meilleure part, en qualité et en quantité, de la mobilité des intelligences en formation. Cela demande aussi de considérer l\'enseignement comme un secteur d\'activité à part entière et d\'encourager son développement. A ce titre, les aides publiques existantes, notamment en matière d\'exportation, pourraient être mobilisées pour soutenir les PME de l'éducation qui veulent déployer leur offre à l\'international. Toutes les facilités doivent être proposées aux étudiants étrangers. L\'accompagnement des candidats internationaux (aide à la recherche de logement, soutien aux démarches administratives, enseignement de la langue) pourraient ainsi être confiées à des agences éducatives privées dotée d\'un statut particulier. Cela requiert enfin d\'en finir avec la suspicion qui a pu entourer l\'enseignement supérieur privé par le passé. Les écoles libres devraient pouvoir, en rupture avec l'archaïque « monopole de collation des grades », délivrer leurs propres diplômes et les faire valoir, avec le soutien de l\'Etat, dans la compétition internationale. Les synergies entre l\'Université, les entreprises porteuses de l\'excellence à la française et les PME de l\'éducation restent, en fait, à inventer.
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institut présaje
2012-02-01
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[ "étienne beaugrand" ]
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CRISE, INTERNET ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : LES TROIS LEVIERS DE LA CONSOMMATION COLLABORATIVE
# Crise, internet et développement durable : les trois leviers de la consommation collaborative L'époque est propice à la remise en cause des modèles. A commencer par les modèles de croissance et de consommation qui ont prospéré depuis la Deuxième Guerre Mondiale. L'apparition de la « démocratie internet », la montée en puissance du courant écologiste et les effets de la crise sur le niveau de vie des classes moyennes sont à l'origine de multiples expériences éco-responsables. Créateur d'une monnaie numérique (le watt), Étienne Beaugrand explique ainsi en quoi consiste le concept de « consommation collaborative ». « La consommation collaborative désigne un modèle économique où l\'usage prédomine sur la propriété : l\'usage d\'un produit peut être augmenté par le partage, l\'échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci. Cette optimisation de l\'usage, en réaction à la sousutilisation classique supposée des produits, est principalement permise par l\'échange d\'information via Internet. L\'essor de cette tendance depuis les années 2000 est donc fortement lié à l\'essor de la toile... la consommation collaborative bouscule les anciens modèles économiques en changeant, non pas ce que les gens consomment mais la manière dont ils le consomment. » Voici donc ce qu'en dit Wikipédia, encyclopédie « populaire » elle-même issue du partage sur le web des connaissances de ses lecteurs et par là même, premier exemple illustrant collaboration et partage. Ainsi la consommation collaborative, c'est consommer sans posséder. C'est le remplacement de la vente du bien par la vente de l'usage du bien. C'est, selon Antonin Leonard, «un nouveau système de redistribution des biens matériels et immatériels, où les échanges se font de façon horizontale et décentralisée entre particuliers. C'est une économie de la fonction, l'usage prévaut sur la possession et l'échange entre particuliers est préféré à l'économie centralisée. » On se regroupe cependant pour acheter ensemble à la façon des centrales d'achat, mais à sa convenance personnelle, à son besoin propre et non à l'initiative de grands groupes déshumanisés qui vous appâtent pour des «achats sous influence». On organise également la redistribution de biens d'une personne les possédant à une personne les recherchant. On partage même des ressources immatérielles entre particuliers : espace, temps, compétences. On consomme enfin des services au lieu de produits : on n'achète plus l'objet mais le besoin qu'on en a. C'est la naissance de l'auto-partage, des vélos en libre-service, des plateformes comme eBay ... et des groupements de consommateurs sur les circuits courts. Internet et les différentes plateformes qui apparaissent actuellement proposent des solutions avec lesquelles le consommateur peut continuer de consommer autant qu'auparavant mais sans toutefois devenir propriétaire définitif des biens : l'échange et le partage lui sont facilités par la machine que l'homme a crée. La consommation collaborative peut être liée au tissu économique. Il y a ceux pour qui le collaboratif n'a jamais été un choix mais un mode de vie, et ceux pour qui ce nouveau modèle est devenu une nécessité du fait des conjonctures économiques. Ces derniers ont changé de regard sur le fait même de consommer. Les particuliers, aux Etats-Unis par exemple, sont entrés dans l\'ère de la débrouille. Ils ont aussi pris conscience que les biens qu\'ils possédaient pouvaient générer un revenu : logement, voiture, électroménager, compétences. Aux Etats-Unis et chez plusieurs de nos voisins Européens, cette notion d' « utilisation des biens », prenant le pas sur la notion de «possession des biens», et qui définit le modèle de la consommation collaborative, y est beaucoup mieux intégrée. En effet, les petites entreprises qui innovent ont un pouvoir que les PME françaises n'ont pas : elles sont mises en avant car elles produisent un service. Elles transforment un produit en service et font ainsi évoluer ce que l'on pourrait appeler l'économie de consommation pure en économie de fonctionnalité. En France, la consommation collaborative est un mode de consommation encore nouveau. Face à la baisse du pouvoir d'achat, le collaboratif s'installe petit à petit et le consommateur s'adapte via les outils mis à sa disposition à des pratiques auxquelles il n'est pas habitué. Contrairement à d'autres pays du globe, et à cause d'un état d'esprit propre aux organisations françaises, le collaboratif ne peut s'installer dans notre pays sans que le consommateur ne soit auparavant informé voire formé. Car nous en sommes en réalité à un point où le besoin collaboratif n'est pas encore suffisamment entré dans les mœurs. Les Français ne sont pas si différents de leurs voisins européens et outre-Atlantique. Eux aussi souhaitent disposer de systèmes «éthiquement» logiques en opposition à la folie consommatrice actuelle. Il suffit de constater l'engouement grandissant des Français pour les plateformes de covoiturage, le rejet de la consommation ubuesque de produits alimentaires achetés à l'autre bout du monde alors que le voisin en cultive dans son potager, le succès des sites d'échanges, de troc, de revente. Et pourtant, le Français moyen est-il prêt à ne plus être propriétaire de son véhicule? Sommes-nous prêts à louer notre tondeuse à gazon pour un jour ? On entend souvent dans les émissions télévisées et radiophoniques de brèves interventions sur la consommation éthique, sur les «consom'acteurs» comme on les appelle. Mais qui sont les Français qui consomment collaborativement ? Aujourd'hui, alors que l'on compte plus de 200 000 utilisateurs de service d'auto-partage en Allemagne, nous sommes à peine 20 000 à partager nos véhicules en France. On peut se demander s'il ne peut y avoir un lien de cause à effet avec le fait que la France ait adopté depuis plusieurs années un modèle basé sur la consommation plutôt que sur la production : nos habitudes d'«hyper consommants» ont été sciemment, et de longue date, programmées par les grands distributeurs . Les outils qui ont été développés pour ce modèle de consommation ont eu un impact direct sur nos comportements. Nous consommons et souhaitons être des « possédants » alors que, par exemple, certains outillages (de jardinage, de bricolage...), meubles d'appoint, équipements sportifs..., même le vélo, la voiture, ne sont utilisés, pour certains, que très occasionnellement. Or ils sont aujourd'hui notre propriété à l'année. Nous ne sommes donc que des «possédés» d'un modèle de consommation à outrance : les outils marketing et la puissance des institutions qui ont mis en place ces outils de consommation ont le contrôle sur le comportement du consommateur. Actuellement, la mise à disposition des outils de partage n'est pas la même chez nous et chez nos voisins. Aussi l'intégration se veut, de ce fait, beaucoup plus difficile. En effet, puisque nous avons donné le pouvoir à la consommation et à la possession, il est difficile, maintenant, de proposer et/ou d'imposer un modèle économique différent. Il nous faut passer de l'avoir (j'ai une voiture par exemple) à l'être (je suis mobile). Il nous faut aller vers moins de choses (moins d'avoir) mais plus d'expériences (plus d'être). Une nouvelle économie de l'expérience (je loue, je partage, j'échange...). Finalement, le consommateur n'aura le choix, en France, du collaboratif qu'une fois que les grandes enseignes de la consommation auront décidé d'informer et de former les consommateurs à ce nouveau modèle Ou alors, d'un point de vue plus optimiste, le consommateur fera sa «révolution de printemps de la consommation», les investissements seront alors faits dans les sociétés nouvelles et innovantes qui promeuvent ce genre de consommation, et nous redonnerons aux individus le pouvoir de production. Je crois, comme beaucoup d'autres, que nous ne sommes qu'aux prémices d'un changement majeur de perspective et de relation aux biens : la « crise » va avoir raison du déraisonnable ; c'est «le sens de l'histoire», qui se fera de gré (éco-responsabilité) ou de force (perte du pouvoir d'achat). Après le temps de l'hyper consommation est venu le temps de l'économie du partage. Aussi, en opposition aux comportements individualistes, dont souffrent aujourd'hui les sociétés occidentales, le collaboratif apporte une alternative éthique voire sociale aux populations. Les produits et services collaboratifs qui se situent aujourd'hui sur des niches économiques en France sont les futurs standards du comportement responsable et/ou raisonnable de la consommation de demain. Cette nouvelle éthique, ce nouveau mode de consommation, est une facette de ce qu'on appelle le développement durable ou encore l'éco-responsabilité. Non seulement on veut acheter selon son besoin mais on veut savoir ce que l'on achète et à qui on l'achète. Cette consommation collaborative entraîne une optimisation des ressources. Enfin, les outils pour inciter la population à cette consommation sont déjà à disposition, la transition se fera efficace et rapide, lorsque les investisseurs seront enfin prêts eux aussi, sous la poussée des exigences croissantes des peuples, et lorsque les techniques de valorisation des entreprises auront évolué vers des modèles plus humains.
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institut présaje
2011-12-01
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[ "michel rouger" ]
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SPORTSMAN ET BUSINESSMAN
# Sportsman et Businessman Où va le sport ? Entre l'approche désintéressée du sportif amateur et les intérêts gigantesques impliqués dans le sport business, vers quel modèle de compromis peuton espérer s'acheminer dans le futur ? La tenue prochaine des JO de Londres est l'occasion pour Michel Rouger de tirer les leçons d'un siècle et demi d'évolution parallèle entre deux « créations » de l'ère victorienne : le sportsman et le businessman. Depuis lors, le sport a connu trois âges. Le quatrième commencera après l'éclatement de la bulle du roi-football. Ces deux personnages qui ont façonné notre mode de vie sont nés Anglais. Ces iliens, de signe zodiacal marin avec un fort ascendant terrien, ont toujours aimé et pratiqué le business, que notre Larousse qualifiait jadis de trafic, sur toutes les mers du globe. Ils en ont fait un instrument de conquêtes. Comme ils l'ont fait, plus récemment, avec le sport moderne, qu'ils pratiquaient auparavant par amour de la nature, par goût du jeu et de la compétition, et qu'ils ont exporté tout autour du globe. Leurs modèles sportifs originels ont muté sous le double effet de la révolution industrielle et de l'apogée de l'Empire britannique, l'ère victorienne, au cours de laquelle l'United Kingdom a dominé le monde par sa puissance. Le consensus des historiens date ces grandes mutations, géoéconomiques et géopolitiques, du milieu de ce long règne -- 64 ans -- , plus précisément au cours des années 1870. Les sports modernes, populaires, ont servi à la conquête britannique par la langue. Comme l'a fait le business qui a anglicisé l'économie. Depuis 140 ans, ces deux compères ont suivi des voies, tantôt distantes, tantôt sécantes, jusqu'à se regrouper de nos jours. Jusqu'à quand ? That is the question ? Ils offrent ainsi, par une rétrospective documentaire de leurs relations, par l'analyse des mutations que l'un et l'autre ont subies pendant ces 140 ans, la base d'une des recherches sociétales que PRESAJE conduit sur la société de demain, en étudiant l'effet des mutations technologiques et comportementales qui transforment la vie des gens. Cette chronique les répartit au cours de trois âges différents. ## **L'Age premier de la conquête et de la compétition dans la nature : 1870 - 1914** Le sportsman apparait dans l'édition publique du Littré en 1878. Il y est défini, après référence à son origine anglaise, comme un homme qui se livre à des activités physiques dans la nature. Effectivement, pendant ces longues années, le sportsman a communié avec la nature, partout où elle pouvait l'accueillir sur des terrains de jeux souvent rudimentaires. Ces compétitions sportives ont essaimé dans des disciplines, des manières de jouer, qui ont été réinventées, en langue anglaise, le match, le club, le coach, le team, le fair-play, le goal average, etc., comme le révèle l'exemple de la britannisation du vieux jeu français de la soule, rebaptisé folk football, puis football. Ainsi s'est affirmée cette volonté des Anglais de conquérir les grands sports populaires, au sein de la famille européenne de Victoria, la « grand-mère de l'Europe ». Le businessman attendra un siècle pour se marier avec le sportsman. Il lui laisse occuper le sol de la terre dont il exploite le sous-sol. Mais, comme dans la production industrielle, les pratiques sportives sont codifiées, arbitrées, internationalisées. Le retour des Jeux olympiques à Athènes, en 1896, réinventés par le Français Pierre de COUBERTIN, donne une dimension mondiale aux ambitions britanniques. A ce sujet, il sera intéressant de voir comment les Anglais, en 2012, fêteront le retour chez eux des JO qu'ils organisèrent pour la première fois en 1908, et quelle place ils lui donneront. A la fin de la période, le sportsman s'est rapproché de l'industriel avec la découverte et le développement des sports mécaniques, vélo, auto, glisse, voile, etc. La mutation du « sport nature » vers le « sport compétition » multiforme est alors accomplie, à la fois par la mutation technologique des pratiques et par celle des comportements des parties prenantes, qui, attirées par les affrontements de la compétition, vont générer un nouveau type de sportsman, le spectateur, le fan, le supporter, so british. Au cours de cette même période, le businessman et sa pratique conquérante des marchés ont absorbé l'industriel et exporté la révolution industrielle productiviste en Europe et aux Etats-Unis. Le trading, le commerce, le négoce, spécialités britanniques, qui reposent sur la liberté d'entreprendre et la concurrence, ont pris le pas sur le manufacturing, transformé par les bouleversements technologiques du début du XXème siècle. L'Allemagne impériale, unifiée en 1871, y trouvera le modèle économico-industriel sur lequel elle a construit sa puissance, retrouvée après le retour au bercail de la partie d'elle-même perdue en 1945. Au tournant du XXème siècle, les mutations comportementales des peuples soumis aux contraintes de l'exploitation des ressources de la nature, destinées à nourrir la machine productive, les ont conduits à résister au modèle dominant du businessman. Déjà, à Londres, dans les années 1870, Marx et Engels, deux immigrés, avaient jeté les bases d'une autre révolution, idéologique et géopolitique. Elle a généré des conflits que ne maitrisaient plus les systèmes monarchiques hérités du XIXème. Ce fut la Grande Guerre, qui a sacrifié des millions de sportsmen, tués ou blessés. Elle a tué le sportsman modèle 1er âge, engagé dans une mutation, qui fera de lui une partie prenante des luttes idéologiques. ## **L'Age du stade, des performances et des confrontations géopolitiques : 1920 - 1970** A peine le clairon du 11 novembre 1918 avait-il sonné la fin de la boucherie guerrière fatale au sportsman que les compétitions se sont vite transformées en confrontations entre deux blocs issus de la vieille Europe et rassemblés, l'un autour de la démocratie américaine, l'autre autour des deux totalitarismes qui ont ravagé le XXème siècle : le russe et le germanique. Le sportsman y a perdu sa liberté et son nom. Il est devenu sportif engagé selon qu'il vivait en France républicaine, en Allemagne nazie ou en URSS communiste. Au cours de l'entracte 1920-1940, qui a permis aux peuples européens de se refaire une petite santé pour affronter la seconde saignée, les choses ont mal tourné. L'éducation des masses populaires, pierre angulaire du toutes les constructions totalitaires, a imposé un triple rôle au sportif. Aux accents de la lutte finale, il a été invité à reproduire les performances qui valoriseraient le combat mené par les ouvriers et les militants engagés contre l'empire industriel et capitaliste américain, montrer la vigueur de sa race, éduquer le peuple. La pratique du sport a changé d'objectif. La confrontation idéologique a remplacé la compétition ludique. La France, nation modérée, n'a pas échappé à cette dérive, avant même d'être occupée par les nazis et de connaitre les chantiers de jeunesse, creusets de la collaboration avec eux. Il suffit de lire l'édition 1948 du Larousse, une fois la paix retrouvée, pour comprendre la mission d'éducation des masses populaires assignée au sport. Il faut se souvenir du secrétaire d'Etat aux sports et aux loisirs du Front populaire, Léo Lagrange, disparu dans les combats de juin 1940, pour comprendre cette mutation du sportsman vers le sportif. Mutation de l'esprit même du sport qui a conduit à créer à Paris et à Barcelone, en 1936, les jeux olympiques populaires, face à ceux de Coubertin à Berlin. C'est aussi au cours de ce 2ème âge que la plupart des stades ont été construits, souvent baptisés de noms évocateurs des confrontations populaires qui constituaient le quotidien des luttes sociales. Les nazis aux J.O. de 1936 à Berlin ont défini l'usage et la tonalité de ces confrontations violentes partout où le sportif spectateur pouvait partager la victoire du plus fort à défaut du meilleur. Le stade est devenu un lieu de domination de l'idéologique sur l'individu. Jusqu'à l'horreur du plus populaire d'entre eux, le Vel d'Hiv à Paris en 1942, puis 30 ans plus tard, des JO de Munich ensanglantés par le terrorisme né du conflit israélo-arabe. D'autres dérives ont été poussées encore plus loin, en matière de performances, par les Allemands de la RDA, convertis au communisme totalitaire, qui ont fait du super dopage de leurs athlètes l'alpha et l'oméga de la réussite de leur modèle. Cette mutation comportementale du sportif, soumis au choix personnel entre la propreté de l'échec et la saleté du dopage, a été associée aux mutations des technologies médicales. Elles ont changé la nature du sport, du haut vers le bas, en diffusant le poison de la triche, partout, tout le temps, ce que vient de dénoncer, en ouvrant la boite de Pandore, le plus célèbre des sportifs français de haut niveau, par un réquisitoire racoleur de bas niveau. A la fin de cette triste époque, les amoureux du sport naturel et de la compétition pacifique sont ressortis groggys. Sans voir que le 3ème âge qui se préparait pourrait conjuguer les malfaçons et les dérives des deux précédents, le fan spectateur, la pression politique, la tricherie et le dopage. ## **Le troisième âge de l'écran, du marché et de la consommation : 1970 - 2014** Un peu plus d\'un siècle après leur révolution industrielle et sportive, les Anglais, devenus entre-temps anglo-américains, ont compris qu\'ils avaient gagné. La guerre froide n\'était plus qu'un souvenir de dures confrontations. La chute de l'Empire soviétique était imminente. Les prémices de la mondialisation, dite heureuse, annonçaient l'adoption généralisée du modèle d'économie de marché à l'occidentale. Il fallait donc, pour le businessman, affirmer la primauté de la consommation de masse sur l'éducation des masses, en se mariant avec le sportsman. La chalandise était considérable avec les milliards de fan-spectateurs potentiels accessibles grâce à la révolution technologique de la télévision. Les enjeux financiers d'un tel business mondial furent à la mesure de la chalandise et des budgets publicitaires qu'elle générait. Pendant que le sportsman-canapé ou bistrot, consommateur des performances et des spots des marques, a les yeux rivés sur son écran, le businessman-producteur de spectacles avait les siens rivés sur les écrans des nouvelles technologies de gestion et de commerce appliquées au marché du sport spectacle globalisé. Le sportsman joueur s'est dédoublé, performer il fut sportif, vedette il fut businessman, les deux images étant fondues dans l'usine à fabriquer des icônes, voire des légendes. Au fur et à mesure que l'écran du spectateur devint de plus en plus plat, le portefeuille des producteurs devint de plus en plus épais. Puis lorsque la mondialisation s'est faite financière, que Wall Street a fabriqué à tout-va des produits de toutes sortes, dopés et toxiques, le sportsman joueur, dont l'achat se négociait à la saison des mercatos par des traders, agents, coachs et courtiers, a revécu les pratiques ancestrales de tous les marchés où s'exposent des hommes pour leurs performances. Après quoi il fallut gérer les investissements, matériels et immatériels, valoriser ou dévaloriser les actifs possédés, au besoin les titriser pour mieux les rendre « liquides », enfin chercher les compléments d'exploitation de leurs images pour accroitre le retour sur investissements. Tout cela est banal, sauf que ce business model produit des bulles de valorisations artificielles des actifs possédés - les joueurs --, et qu'au moment où ce gonflement se conjugue avec l'excès des dettes souscrites pour financer les investissements, la bulle éclate. Le sport roi, de l'âge de l'écran et de la consommation, le football, financiarisé jusqu'au bord de l'éclatement de la bulle, va constituer un cas d'école, sans doute à bref délai. Les conséquences de l'explosion de cette bulle, alors même que les mutations comportementales et technologiques qui l'auront provoquée ne sont pas étudiées sont imprévisibles. Comme celles qui ont provoqué la méga crise financière mondiale à partir du surendettement de plusieurs millions de foyers américains ruinés par les crédits subprimes. Peut-on croire que le sport, qui constitue l\'activité essentielle des loisirs des sociétés développées, ne va pas être affecté à son tour de façon profonde par les excès de productivisme des performances et d'optimisme des endettements, caractéristiques des années récentes ? Bien sûr que non. Y sommes-nous préparés ? Bien sûr que non. ## **Le quatrième âge en perspective : 2014...** Quelles que soient les conditions d'entrée du couple sportsman/businessman dans ce 4ème âge du sport, obscurcies par le brouillard, sous la menace d'orages, il ne faut jamais oublier que l'engagement sportif est un acte de confiance et d'optimisme. Conservons les dans l'évocation des perspectives. Les peuples occidentaux subissent des mutations géoéconomiques et géopolitiques qui leur promettent moins de pain, voire moins de jeux. Vivant sous la protection de la Pax Americana. Ils peuvent douter qu'elle résisterait à l'affaiblissement du couple Panem et Circenses, sur lequel la Pax Romana a vécu plusieurs siècles. Pour répondre, il faut s'inspirer des stress tests appliqués aux systèmes bancaires occidentaux victimes de l'éclatement de la bulle monétaire, qui a entrainé la réduction des revenus, comme celle des profits du trading. Pour que les analyses soient concrètes et les conclusions pertinentes, il faut revenir vers les multiples figures du sport telles qu'elles sont apparues dans la rétrospective de 140 ans qui sert de base d'étude à ces réflexions. Puis il faut apprécier la capacité de résistance de chaque grand modèle de sport et de sportif aux mutations qui redessineront leur avenir. L'amateur du 1er âge, son goût de la compétition pacifique, sa communion avec la nature constitue un modèle basique, inoxydable, partout et tout le temps, attaché à la relation de l'homme avec le jeu. Il produit du sport bio comme le paysan qui nourrit son environnement. C'est un sportif convivial, écologique, durable. Il n'a pas sa place dans un processus de spectacle industriel qui lui est étranger. Il reste une valeur sûre, non financiarisable. C'est le sportif des « territoires » dont on connait l'importance en France. Grâce à eux, il survivra. Le sport militant du 2ème âge, arme de conquêtes, voire de piratage par la tricherie et le dopage, ne peut vivre que s'il est armé par le conquérant au service duquel il opère. Or ces Etats conquérants ne disposent plus, à tout le moins en Occident, des moyens d'entretenir ces troupes, ni même de financer les Corsaires, ces bateaux que les stades modernes ont remplacés. Certes, quelques grands opérateurs argentés ont commencé à prendre le relais, mais leur présence est plus motivée par l'argent que par l'idéologie. Au surplus, les sportifs performants, disponibles pour de telles aventures, ont été façonnés par le sport spectacle business, son individualisme, sa personnalisation extrême, incompatibles avec l'altruisme militant. La réanimation de ce modèle ne mènerait qu'au pire. Paix à ses cendres ! Le sport spectacle consommation du 3ème âge présente les plus grandes capacités de résistance au stress à venir. Il constitue un élément de régulation et de promotion sociale indispensables à l'équilibre de sociétés déstabilisées. Personne ne voudra le faire disparaitre. Ni les Etats auxquels il apporte la satisfaction ludique des consommateurs électeurs. Ni les producteurs de spectacles qui y perdraient leur job. Ni les entreprises qui pâtiraient de la disparition de la soupape ludique dans l'exercice de leurs contraintes productivistes. Ni les sportifs prêts aux efforts de performances rémunératrices. On retrouve, après un long détour, le clivage classique entre l'amateur et le professionnel. Sauf que, au cours du trajet aller, de vilaines habitudes de cupidité, d'impostures et d'irresponsabilité ont été prises, qu'il faudra abandonner dans le trajet retour, dès que la conscience des conséquences de l'éclatement de la bulle du sport Roi, le football, se fera. Ces questions trouveront des réponses, positives. Elles exigeront simplement le temps de l'étude sociétale, transversale, qui éclairera l'avenir que ni le pur amateur qui joue dans la nature, ni les Etats ou les businessmen qui remplissent les stades et les écrans du sport consommation, ni les vedettes qui ramassent les trophées, ni les pirates qui écument les mers lointaines pour y trouver leurs esclaves, sont capables d'éclairer. Tout dépendra de la capacité de ces parties prenantes au Sport, avec un grand S, de travailler ensemble au chantier de rénovation. Les chercheurs de PRESAJE et de ses partenaires apporteront leur contribution à leurs réflexions, avant *the super event* britannique des JO de juin 2012.
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institut présaje
2011-12-01
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[ "jean petit" ]
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LA MÉDECINE FRANÇAISE EN 2012 À L'ÈRE DU TRIPLE ? A...
# La médecine française en 2012 à l'ère du triple ? A... La France a longtemps figuré au 1er rang du classement de l'OMS en matière de performance globale du système de santé. Pourra-t-elle conserver son rang dans un contexte de raréfaction des ressources ? En fait, la performance s'apprécie bien audelà des considérations d'ordre budgétaire. Elle s'évalue à travers les compétences collectives et individuelles des professionnels de santé. Des compétences qui demandent à être constamment actualisées, comme l'explique Jean Petit, du CHU de Toulouse. Dans son évaluation globale de la performance des systèmes de santé, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a de longue date situé la France au 1er rang. Gardera-t-elle longtemps sa place ? Le déplacement de la production des richesses à l'échelon mondial et l'impossibilité de solder rapidement notre endettement menacent inexorablement la part importante de notre PIB (11,7 %) consacré à la santé. Les données économiques sont incontournables, et pourtant... L'Italie et l'Espagne, 2ème et 7ème pour l'OMS, consacrent beaucoup moins à leurs dépenses de santé (9,5 % et 9,7 % de leur PIB, respectivement) ; l'Allemagne dépense autant que la France (11,4 %), mais n'est que 25ème. Et les États-Unis, champions du monde des dépenses (16,2 % du PIB) ne sont que... 37ème ! Ce classement est discutable, autant que peut l'être le rating des agences de notation financières. Mais il doit nous inciter à l'action. Car parallèlement, tout concourt à la croissance des dépenses : le développement des biothérapies, de la génomique et des biotechnologies, des techniques d'imagerie descriptive et interventionnelle, le vieillissement de la population, l'accroissement de la précarité sociale... Professionnels de santé et citoyens sont fiers de cette médecine généreuse, dont la priorité et l'honneur sont pourtant de devenir plus sobre et responsable. Tout acte médical doit être décidé et conduit avec un souci de pertinence. Or il existe des disparités parfois incroyables entre territoires géographiquement ou socialement proches, sur les prescriptions d'examens biologiques, de médicaments ou de transports sanitaires, voire les interventions. Depuis 2009, l'évaluation de la pertinence des soins s'est imposée comme une priorité pour l'Assurance Maladie, la Haute Autorité de Santé (HAS) et des Fédérations d'établissements de santé. De quoi s'agit-il ? Simultanément, assurer une plus juste prescription des soins, prévenir tous les actes inutiles et garantir la mise en œuvre appropriée des actes recommandés et/ou nécessaires. Cette démarche, qui s'appuie sur les « faits prouvés », relève de l'éthique individuelle, qui impose d'offrir à chaque patient une prise en charge en rapport avec son état de santé. Elle répond aussi, dans un environnement économique contraint, à une exigence éthique collective et conditionne ainsi la pérennité de l'égalité d'accès aux soins. Le caractère approprié des décisions des professionnels de santé est conditionné par le niveau initial et l'actualisation de leurs compétences. S'agissant des compétences collectives en établissement de santé, la HAS et d'autres agences étrangères ont rendu exigibles de nombreuses méthodes d'évaluation et d'amélioration tels que référentiels, audits, outils d'optimisation du parcours des patients et de prise de décision collective (réunions de concertation pluridisciplinaire). Les évaluations externes réalisées ont en effet prouvé l'efficacité. Mais la résistance d'une chaîne est aussi celle de son maillon le plus faible... Contrairement à de nombreux pays, la France n'a pas encore développé de dispositif d'évaluation et d'actualisation des compétences individuelles des professionnels de santé. Un « Développement Professionnel Continu » devrait prochainement voir le jour. Souhaitons qu'il soit conçu pour ne pas faire long feu. L'évaluation des compétences des médecins devrait permettre de garantir leur qualification, autoriser leur exercice, et assurer la population que la compétence est entretenue et maintenue. Tôt ou tard, un dispositif régulé de « re-certification » sera confié aux différents collèges de spécialités médicales, sur la base de référentiels actualisés régulièrement. Les usagers l'exigeront, au nom de la pertinence et de l'accessibilité. Quant à la justice, elle finira bien par s'étonner plus systématiquement de pratiques médicales aussi peu pertinentes que la prescription d'un coupe faim en dehors de toute autorisation, ou la pose d'implants esthétiques étonnamment peu coûteux, mais... remplis de produits improbables. ## Dr. Claude MEISEL -1- nov. 2011 : Réflexion en profondeur sur la médecine et la santé pour supprimer «le trou de la sécu »** *Soustraire l'information médicale à la marchandisation des savoirs Donner aux omnipraticiens une fonction de stratèges* *Développer la « médecine numérique » et l'éducation des citoyens* Depuis l'instauration de l'Assurance maladie en octobre 1945, le corpus des connaissances médicales s'est enrichi à travers trente-cinq spécialités d'organes soutenues en amont par le développement des biotechnologies. Ce développement des spécialités d'organes a induit une multiplication des actes techniques et leur corollaire : une multitude de codifications. Cette évolution s'est faite aux dépens de la valorisation des actes d'analyse et de synthèse de l'omnipraticien dans les spécialités transverses^1^. Parallèlement le déficit de l'Assurance maladie n'a fait que croître car dans chaque discipline, les bio et bientôt les nano bio technologies associées au recul de la mortalité ont ouvert la voie à un marché dont « l'homme synthétique » risque d'être le modèle ultime. Cette hausse inéluctable des coûts de santé est survenue malgré les réformes administratives successives et malgré les mesures qui ont porté sur les patients depuis cinq ans. Un espoir vers la qualité est apparu depuis la mise en place par l'Assurance maladie du contrat d'amélioration des pratiques individuelles (CAPI) et de la nouvelle politique conventionnelle pour une médecine performante. Une « refondation » de la politique de santé s'impose, il faudrait qu'elle touche les Ministères de la Santé, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, de l'Education Nationale, des Finances et de l'Industrie et qu'elle se réfère à plusieurs centres de décision, publics et privés, et aux ordres professionnels. Elle sous entend, pour une coordination effective, la création d'un **Conseil Supérieur de la Santé** sur le modèle du CSA dont le Président serait nommé par la Présidence de la République sur proposition des deux Assemblées. Cette refondation en profondeur aurait une triple dimension de santé publique : - donner aux chercheurs liés aux biotechnologies la possibilité de promouvoir leurs publications de façon indépendante et faciliter la création des savoirs issus des pratiques qui sont, de par leur nature, plus éloignées des technologies médicales et du marché - valoriser la pratique des spécialités transverses et en particulier celle de la médecine générale. Ces spécialités devraient représenter près de 80% des soins courants avec, dès que possible, des délégations de soins. Parallèlement, il faudrait assurer la mise en place d'une recherche sur l'interconnexion entre les savoirs cliniques et l'économie de santé - promouvoir la « médecine numérique » en passant par une refonte de la communication en santé/social, incluant le dossier médical partagé (DMP) et le dossier pharmaceutique dont l'usage doit être rendu obligatoire, ainsi que l'obligation de tenir un dossier médical professionnel (DM Pro), accompagné par l'ordonnance et la signature électronique. Il faudra également soutenir et contrôler la création d'aides à la décision et à la consultation médicale (SADM) et l'éducation thérapeutique pour chaque usager dès l'âge scolaire ### **ETAT DES SAVOIRS - MODELES INTERNATIONAUX - SOUTIENS A L'EDITION MEDICALE** Dans chacune des 35 spécialités d'organes, la recherche et les publications ont suivi trois axes de développement: axes physiologiques et physiopathologiques conduisant à de nouvelles molécules ou à de nouveaux kits diagnostiques, axes iconographiques vers la visualisation de l'infiniment petit. Et un troisième axe, en cours d'émergence, est celui des bio nano technologies. Parallèlement, de nouvelles disciplines sont apparues comme l'immunologie, aujourd'hui au stade de maturité, alors que nous entrons déjà dans l'ère de la « génomique ». Les déploiements de ces recherches, tant pour leurs publications scientifiques internationales que pour leurs usages, sont le plus souvent tributaires du secteur marchand. Dans le même temps, les « disciplines médicales transverses » sont devenues de plus en plus complexes à exercer car le clinicien transverse a besoin d'assimiler ce que chacune des 35 spécialités d'organes peut apporter à l'exploration de son patient. Les savoirs transverses, issus de la pratique interdisciplinaire (omni-pratique) et de l'expérience en situation ont un potentiel de développement d'au moins 20% de nouveaux savoirs par an; leur masse et leur renouvellement imposent un support informatique intelligent pour les mettre à disposition des cliniciens. Ces savoirs dont la diffusion a été très largement assurée par la presse médicale et scientifique, plus ou moins soutenue jusqu'alors par la publicité pharmaceutique, doivent trouver aujourd'hui un nouvel équilibre économique pour être diffusés. Des modèles internationaux de transfert de connaissances existent déjà : la National Library de Washington, dès la seconde moitié du 20^e^ siècle, donne accès dans le monde entier aux articles scientifiques répertoriés dans MEDLINE. Au Canada puis en Grande Bretagne, la Fondation COCHRANE et le British Médical Journal, nés vers 1978, sont les porte-paroles privilégiés de l'Evidence Base Medecine, premier niveau de sciences médicales pratiques. GOOGLE donne accès à des banques de données médicales, mais les connaissances qui y sont disponibles sont brutes, non synthétisées et ne permettent pas la lecture pendant l'acte médical. Elles ne sont ni validées, ni certifiées. En France, les pouvoirs publics ont soutenu des modèles innovants de banques de données des pratiques médicales sur Internet certaines ont été modélisées et leur faisabilité a été prouvée le site ADMP.fr donne ainsi accès à une connaissance dans les maladies d'enfant en liaison avec le Collège National des Pédiatres Enseignants et la Haute Autorité de Santé. Ces projets consistent à extraire les savoirs issus des pratiques du terrain, à les valider et à les certifier, tant dans la qualité des savoirs que dans leur indépendance. Pour franchir le stade de la recherche et passer dans le monde de l'édition électronique commerciale, des aides de l'Etat et le soutien de la CNAMTS doivent leur permettre d'atteindre le niveau d'équilibre leur permettant de vivre de leurs propres ressources. Cette aide de l'Etat est d'autant plus justifiée que la France a perdu son fleuron de l'édition médicale par la vente des éditions MASSON en 2004 à ELSEVIER, leader international d'origine anglo-néerlandaise. ### **FORMATIONS DU FUTUR - VALORISER LES MEDECINES TRANSVERSES - DELEGATION DE SOINS** Les grandes réformes universitaires qui conduisent encore aujourd'hui notre politique d'enseignement datent de 1958. Elles reposent sur la triple responsabilité des médecins hospitalo-universitaires : « soins, enseignement, recherche ». Les recherches orientées vers les biotechnologies et l'épidémiologie se sont souvent développées au détriment de la recherche clinique dans les disciplines médicales transverses. Même à l'hôpital, les spécialités transverses sont moins attractives, car les budgets de service n'incluent pas d'actes techniques rémunérateurs. Aussi, les étudiants ont-ils tendance à choisir les spécialités telles que l'ophtalmologie, la radiologie, l'anesthésie, la cardiologie. Pour développer les spécialités transverses\*, il faut promouvoir des recherches complémentaires, par exemple celles orientées vers la pédagogie sur support numérique et en épistémologie des sciences médicales. Trois axes de recherches sont à promouvoir pour **préparer les formations du futur** : - comment le médecin doit-il apprendre à se poser les bonnes questions sur son exercice, ce questionnement venant compléter les consensus et les guides de bonne conduite des agences de l'Etat, - comment apprendre à prescrire les examens les mieux adaptés à la situation clinique, tout en ayant une analyse critique de la démarche sur le plan des coûts directs et des coûts sociaux, - comment développer la prévention en santé. A cet effet, il faut favoriser la création d'**une chaire universitaire de prévention** et permettre une recherche dans ce domaine. Pour valoriser la fonction de la médecine générale, nous proposons d'approfondir, à budget constant, le rapprochement des cursus universitaires « médecine interne/médecine générale » en établissant trois catégories d'exercice : la médecine interne de recherche clinique plutôt en CHU, la médecine interne hospitalière (publique ou privée) et la médecine interne générale en pratique ambulatoire. Des passerelles entre ces trois orientations seront facilitées en fonction des besoins et des désirs individuels ; on évitera ainsi des enseignements redondants. Enfin, le travail de l'omnipraticien étant comparable à celui de l'ingénieur chantier sur un pont ou à celui d'un entraîneur ou manager sportif, il est impératif que le législateur prenne en compte et respecte le temps dont le professionnel de santé a besoin pour un exercice intelligent de sa fonction. **Cette dimension humaine de la consultation sera source de progrès économique.** Parallèlement, des transferts de compétences (délégation de soins) doivent être organisés avec les professions d'infirmiers, de pharmaciens, etc. Ces professionnels devront être autorisés à prendre en charge certains actes répétitifs et certains actes techniques. Les enseignements portés par les technologies interactives de communication (TIC) faciliteront ces transferts. ### **PROMOTION DE LA MEDECINE NUMERIQUE** De nombreux outils sont déjà disponibles, leurs usages doivent être rendus obligatoires. C'est cet usage courant qui permettra alors un réel mouvement pour la qualité en santé, mais c'est lui aussi qui permettra de tendre vers l'équilibre budgétaire de l'Assurance maladie. Le législateur a mis en place le dossier médical partagé (DMP) pour le suivi du parcours de soins. Les résultats des tests terrain sont attendus dans quatre régions pilotes. Le DMP permettra d'avoir accès au parcours de soins et à une information socio-économique sur chaque patient. Le DMP lié aux banques de connaissances médicales facilitera le rapprochement entre les codifications des actes (autour des soins) et les indexations de connaissances (dans les banques données) ; ce rapprochement sera un facteur qualité pour les codifications des actes. Il faudra rendre fortement incitatif sinon obligatoire, l'usage du dossier pharmaceutique (DP), de l'ordonnance et de la signature électronique, du dossier médical professionnel (DM Pro) et des systèmes d'aide à la consultation médicale (SADM). De plus, la carte du professionnel de santé (CPS**)** doit donner accès à toutes les données facilitant l'exercice d'une médecine optimisée et doit permettre à chaque praticien de connaître l'analyse des dépenses induites pour chaque patient. Pour l'usager, la carte VITALE doit pouvoir donner accès aux informations sur sa profession, son statut social et aux aspects comptables le concernant quant à ses dépenses de santé. Enfin, il faut encourager la création de sites pour l'éducation thérapeutique. Ces sites devront être facilement accessibles, leur réalisation devra être soutenue financièrement et contrôlée, leur accès devra être « recommandé » par les médecins. Une première étape est en cours avec l'Assurance maladie au travers du programme SOPHIA, son extension après la période test se fera grâce à l'appui du corps de santé. Cet ensemble de mesures nous conduira vers le nouvel aspect fonctionnel de la consultation médicale, la consultation à trois : patient, médecin et Internet. ### **Conclusion** **Aujourd'hui, les réformes administratives, comptables et conventionnelles ont montré leurs limites. Nous souhaitons, que les nouveaux savoirs, une modification des enseignements et les délégations de soins, l'approfondissement de la communication numérique en santé/social et l'éducation à la santé de tous les Français, permettent à l'Assurance maladie de retrouver son équilibre budgétaire.** **Ainsi sera conservé cet extraordinaire acquis social, pour des soins égalitaires et solidaires.** ### **Bibliographie** RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES (septembre 2001) « la Sécurité SocialeSynthèse - Les éditions des Journaux officiels DEVELOPPER LA CONNAISSANCE MEDICALE SUR LE LIEU DE TRAVAIL Rapport SANTE et Prospectives OCDE (2002) DEVELOPPEMENT DES SOINS PRIMAIRES et besoins des populations Rapport OMS Nov. 2002 L'IMPASSE DES SAVOIRS Dr. Philippe ABASTADO - Editions EDK 2007- PRATIQUE ET THEORIE DU RETOUR D'EXPERIENCE EN MANAGEMENT thèse de Doctorat à l'Ecole Polytechnique de Robert PICARD --sept.2006 -- PRINCIPIA RHETORICA « une théorie générale de l'argumentation Michel MEYER Edition Fayard ETUDES DES SYSTEMES INFORMATIQUES d'AIDE à la DECISION MEDICALE (SADM) Dr. P-Henri COMBLE Juillet 2010 CEGEDIM ACTIV / HAS CONSEIL d'ANALYSE ECONOMIQUE Bureau du Premier Ministre MEDECINE DE VILLE : quelles nouvelles pratiques pour quels gains d'efficience ? . Note d'analyse N° 2 04 décembre 2010 La NORMALISATION DU SOIN : la théorie contre la pratique ou l'objet contre le sujet. Mémoire de l'espace éthique de l'APHP Anesthésie et Gynécologie - Master « Ethique » 2008- MEDECINE FONDEE SUR LES FAITS (Evidence Base Médecine) Geneviève CHENE & Rachid SALMI ISPED/ELSEVIER Janvier 2007 PRATIQUES & JURISPRUDENCES MEDICALES : aider le médecin, rassurer le malade, prévenir le risque juridique Thomas CASSUTO Lettre PRESAJE Nov. 2010 N° 11 AMBROISE PARE, LA MAIN SAVANTE de Jean Michel de la COMPTEE GALLIMARD 2007 CONSEIL d'ANALYSE ECONOMIQUE Bureau du Premier Ministre « l'Economie de santé et le Développement Numérique » Rapport 47 Janvier 2011 ^1^ Omni-pratique dans les spécialités transverses : pédiatrie, médecine générale, médecine interne, gériatrie, médecine d'urgence, médecine environnementale et du travail, médecine scolaire, cancérologie, etc.
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institut présaje
2011-12-01
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[ "armand braun" ]
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PENDANT LA CRISE, LA BUREAUCRATIE PROSPÈRE...
# Pendant la crise, la bureaucratie prospère... Crise ou pas crise, rien n'empêchera la prochaine édition 2012 des Codes administratifs publiés par Dalloz de comporter un peu plus de pages que l'édition 2011. Laquelle était elle-même plus chargée que l'édition 2010... En dépit des multiples promesses de réformes et des engagements électoraux, la bureaucratie conserve tout son pouvoir de nuisance dans l'économie française. Et elle n'épargne pas certaines grandes entreprises du secteur privé ou semi-public. Alors que de tous côtés nous sommes à la recherche des moyens de nous réinventer pour surmonter la crise, serait-il envisageable de creuser le thème de la bureaucratie ? Le poids de la bureaucratie, son arrogance et ses surcoûts sont aussi actuels qu'historiques en France. La promesse d'alléger toutes ces pesanteurs revient de façon récurrente dans tous les programmes électoraux des politiques et les intentions des dirigeants d'entreprises. Pourtant, mue par une sorte de dynamique propre, la bureaucratie continue de s'épanouir. Ses serviteurs plaident son utilité, mais se réservent d'en apprécier seuls les effets. Elle a pris le contrôle de l'informatisation, qui devait la combattre. Elle sait récupérer le politiquement correct de chaque époque (en ce moment, c'est la régulation). Elle éprouve vis-à-vis de la crise l'impavidité des vieilles troupes qui « en ont vu d'autres ». Les comités Théodule destinés à contrôler son expansion ont pour principale utilité d'inspirer les chansonniers. Elle taille sa route à la manière de la fatalité dans la tragédie grecque antique. Il y aurait peut-être quelque chose à faire en s'y prenant autrement. Faisons un test là où le mal est le plus enraciné : les univers publics. Chaque année, paraissent de nombreux Codes administratifs (près d'une cinquantaine aux seules éditions Dalloz). C'est heureux : les Codes témoignent du fait que nous vivons dans une société de droit. Mais chaque édition est plus lourde que la précédente... Il y aura vraiment quelque chose de changé le jour où les Codes s'allégeront de tout ce qu'ils comportent de procédures surannées et de concepts caducs, où tous ceux qui élaborent lois, règlements et autres procédures auront autant et plus le souci d'en enlever que d'en remettre ! Rêvons par ailleurs que les grands acteurs du secteur privé, qui clament leur souci d'agilité, décident eux aussi de soulever le couvercle des boîtes noires administratives. On pense à l'assurance, à la banque, à bien d'autres secteurs. Et il est étonnant de voir à quel point des entreprises récentes, technologiquement très avancées (accès internet, téléphonie sans fil, etc.) se bureaucratisent très vite, rejoignant les douteuses performances des anciennes. Il y aura vraiment quelque chose de changé le jour où, dans le monde des entreprises, la débureaucratisation deviendra autre chose qu'une invocation pieuse ! Peut-être, à partir de là, commencerons-nous enfin à devenir sérieux.
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[ "xavier fontanet" ]
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DETTE DE LA FRANCE : L'IMPITOYABLE ARITHMÉTIQUE
# Dette de la France : l'impitoyable arithmétique Chef d'entreprise et associé aux travaux de la Commission Attali « pour la libération de la croissance française », Xavier Fontanet a eu l'occasion d'analyser le compte d'exploitation de la « Maison France ». Auteur du livre « Et si on faisait confiance aux entrepreneurs », dont la carrière continue en anglais et en chinois, il plaide pour une totale remise à plat des objectifs et des méthodes de la sphère publique. Angela Merkel considère qu'il faudra au moins une décennie à l'Europe pour assainir ses comptes et digérer la crise de la dette. Comment pourrait-il en être autrement ? En s'en tenant au seul cas de la France, analysons les comptes de la puissance publique de notre pays comme on le ferait du budget d'une famille, c'est à dire d'une manière simple et synthétique. La dette de la France est la conséquence de trente années de déficit budgétaire. Les signaux d'alerte ont été déclenchés dès la controverse européenne autour de la règle des 3% de déficit à ne pas dépasser. Une contrainte alors balayée conjointement par la droite et par la gauche. En chiffres ronds, la sphère publique fonctionne en France avec environ 950 milliards d'euros de « recettes » chaque année (Etat, sécurité sociale, collectivités locales) pour un PIB de 1900 milliards d'euros en 2010. En faisant l'addition de toutes les pertes - un travail difficile compte tenu de l'opacité de la comptabilité publique --, on tourne autour d'un manque à gagner de 140 milliards d'euros. Ce chiffre comprend les pertes du budget de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales, auxquelles s'ajoutent diverses factures ponctuelles comme par exemple la contribution au sauvetage de la Grèce. La dette, elle, est de l'ordre de 1600 milliards. Elle représente 1,7 fois les « recettes » du public. Notez bien que pour minimiser la dette, celle-ci est affichée rapportée au PIB, ce qui est une présentation tout à fait anormale. Pour être clair, en France, la dette, c'est presque deux années de recettes de l'Etat et des collectivités. Ainsi, la sphère publique est, en France, une entité économique qui a une activité de 950 milliards d'euros, qui enregistre 140 milliards de pertes sur ses ventes (15 %) et qui est endettée à hauteur de presque deux fois son chiffre d'affaires. Si l'on voulait ramener la dette à une année de recettes publiques, soit 950 milliards d'euros, il faudrait dégager un excédent à hauteur de 50 milliards d'euros pendant 13 ans (650/50), ce qui veut dire économiser 200 milliards sur les 1100 milliards de dépenses puisque le déficit est de l'ordre de 150 milliards. Comment y parvenir ? Pas plus que la fuite en avant dans la dépense publique, la hausse des impôts ne serait une solution. Elle serait même une erreur économique majeure dans le contexte économique actuel. Il faut savoir que nous sommes le pays qui a désormais la plus haute fiscalité au monde. Il suffit pour en prendre la mesure d'aller sur Google ou Yahoo et de taper « misery tax index ». On y voit un calcul tenu à jour tous les deux ans. Les impôts en France ont même largement dépassé ceux que l'on paye en Chine. Si le pouvoir continuait d'alourdir la fiscalité, on pourrait oublier tous les investissements étrangers en France et l'exil fiscal des créateurs de richesse reprendrait de plus belle. Mais alors, gagner presque 20% sur les coûts de la sphère publique en France est-il totalement utopique ? Ce n'est en fait pas si difficile à concevoir quand on prend la mesure des innombrables branches mortes -- mais budgétivores - de l'appareil public et quand on sait que le reengineering de l'Etat n'a jamais été vraiment entrepris. D'autres pays ont fait cet effort. A partir du début des années 90, le Canada a, en six ans, économisé 19% du coût de sa sphère publique. A supposer que la France ait un programme de 3% de gains additionnels chaque année pendant six années de suite, elle économiserait au bout du compte à peu près ce qui est nécessaire. Cela demanderait de s'attaquer aux doublons créés dans les régions, à supprimer peut être certaines directions de ministères, ou à remettre en cause des programmes dispendieux à l'image de l'indigestion de ronds points qui sévit partout en France (à peu près 3 milliards par an). On imagine le concert de protestations de ceux qui affirmeraient que l'on tue l'économie. Ce sont les mêmes voix qui depuis trente ans poussent à l'augmentation de la dépense publique. A ces voix il faudrait répondre que 3% de la sphère publique, cela fait 1.5% au niveau du PIB. L'exemple du Canada montre qu'une cure d'assainissement n'est pas l'ennemie de la croissance. Revenons à la remarque de Madame Merkel. Il faut savoir que la sphère publique allemande coûte environ 20 % de moins que la sphère publique française à périmètre comparable. Cela fait quasiment 200 milliards d'euros d'économie. Si notre sphère publique était aussi efficace que la sphère publique allemande, aujourd'hui, la France n'aurait pas à déplorer de déficits. Le discours officiel consiste à reprocher aux entreprises françaises de n'être pas aussi compétitives que les allemandes. On n'a pas compris que les grandes entreprises françaises ont été performantes depuis trente ans : elles ont créé, en pleine concurrence mondiale, une valeur boursière à peu près égale à la dette qu'a créée la sphère publique. On n'a pas non plus compris que si les entreprises de taille intermédiaire françaises (ETI) étaient moins nombreuses, c'était qu'elles étaient par nature plus directement opérationnelles sur le sol national et qu'elles subissaient plus que les grandes la dérive des prélèvements obligatoires.
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institut présaje
2011-12-01
4
[ "albert merlin" ]
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L'ETAT JE-SAIS-TOUT
# L'Etat je-sais-tout Quel est le rapport coût-bénéfice d'une décision de l'Etat en matière d'investissement? Le lancement improvisé, la recherche d'un effet de communication ou la convenance politique immédiate sont trop souvent à l'origine d'engagements coûteux pour la nation. L'Etat dispose pourtant de méthodes de calcul du risque. Que fait la mère de famille en période de vaches maigres ? Elle fait la liste de ses besoins, les classe, les hiérarchise, fait des comparaisons de prix et tente de trouver à tâtons l'optimum du moment. Cela porte un nom, sur la place du marché comme dans les manuels d'économie : l'allocation des ressources. Curieusement, les pouvoirs publics ne font pas le même effort. Où sont les calculs comparatifs sur les choix d'investissement, qu'il s'agisse d'infrastructures, de bâtiments publics ou d'investissements immatériels ? On ne voit rien, sinon des affirmations péremptoires, comme l'impératif écologique. Pourtant, qui est en mesure de nous prouver que les efforts préconisés pour lutter contre le réchauffement de la planète sont plus urgents que ceux que réclame la médecine, l'éducation ou la justice ? Il faut sans doute faire tout cela, mais quel est le bon dosage ? Laissez-moi faire, je sais ce qui est bon pour vous, sous-entend l'Etat je-sais-tout. Difficile à croire quand on voit l'influence assourdissante des slogans à la mode ou simplement de « l'air du temps ». Nous sommes dans un monde où il faut être social, écolo, largement accueillant, protecteur de la nature. Le tout animé de bons sentiments mais la plupart du temps étranger à toute forme de calcul. Pourquoi ? Parce que le calcul fait vite apparaître que l'on ne peut pas tout faire, qu'il faut arbitrer, et que c'est de plus en plus difficile à mesure qu'on allonge le tir . Le résultat, c'est que dans les choix explicites ou implicites qui sont faits, c'est le parti de la croissance qui est généralement perdant, car venant en dernier ! Dans les programmes politiques actuels, le concept dominant est celui de protection. L'allocation des ressources n'étant pas à l'ordre du jour, faut-il s'en étonner ? Ainsi va la démocratie de nos jours. La raison invoquée est ultra simple, voire simpliste : l'idée d'arbitrer , de sérier les besoins , de les hiérarchiser serait , dit-on, impossible à « vendre » à l'électeur moyen . Ce que l'on ne dit pas, c'est que cette sélection se fait de toute manière , mais de façon largement irrationnelle : au gré des préférences du moment et des pressions de toutes sortes . Cela est d'autant plus regrettable que l'on dispose maintenant d'outils de calcul de plus en plus performants. Le Centre d'analyse stratégique, rattaché au Premier Ministre, a publié en juillet dernier une étude remarquable dirigée par le professeur Gollier sur « Le calcul du risque dans les investissements publics » où sont explicités tous les calculs de coûtsbénéfices. Ce qui tombe à point nommé. Qui oserait prétendre, aujourd'hui, dans une économie risquée comme jamais, que les décisions d'investissement pourraient pour longtemps encore reposer sur l'improvisation ? Le calcul de risque est de plus en plus difficile ? Raison de plus pour y consacrer une dose croissante d'intelligence. Tout comme la ménagère qui parcourt le marché avant d'ouvrir son porte-monnaie !\... C'est pour quand ?
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institut présaje
2011-12-01
5
[ "pierre-alexandre petit" ]
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LES « COLONS » DU NUMÉRIQUE
# Les « colons » du numérique Voici venu l'âge des « digital natives », une génération née avec internet. Sa représentation du monde, sa perception du temps et de l'espace, du réel et du virtuel est « génétiquement » différente de celle des aînés qui en sont à la prise de conscience des vertus et des limites de l'effet Google. Le point de vue stimulant de Pierre-Alexandre Petit, jeune contrôleur financier, « geek » et utilisateur au quotidien des **nouveaux outils de l'ère du numérique.** Chaque révolution technologique s'effectue en deux temps, sur deux générations qui se suivent : la première développe et apprend à maitriser un nouvel outil, la seconde apprend à vivre avec. Si les innovations majeures sont le plus souvent développées dans un but précis, on ne les qualifie de révolutions que si, outre leur apport technique, elles modifient la façon pour l'Homme de se penser lui-même, de penser l'Autre ou de penser le monde. Aussi la société doit-elle s'adapter dès lors que l'outil est mis à la disposition de tous. La naissance de l'aviation peut illustrer ce processus. Le 25 juillet 1909, Louis Blériot traversa la Manche à bord d'un avion fait de bois et de papier parcheminé. Les futurs grands aviateurs comme Guillaumet, Mermoz ou Saint-Exupéry avaient alors respectivement sept, huit et neuf ans. Saint-Exupéry témoigna de la longue assimilation par la société de cette technologie nouvelle sur une période d'une vingtaine d'années. L'adaptation de la société était rendue nécessaire car les réalités contenues dans certains mots tels que « distance » ou « retour » avaient changé par la simple existence de l'avion. Les mêmes mots ayant des significations différentes, le langage véhiculait alors l'image d'un monde tout autre. Il qualifia la génération précédant la sienne de génération de « soldats », pour qui l'avion n'était qu'un moyen de bâtir une réalité nouvelle, et l'opposa à sa génération de « colons », cherchant à habiter cette réalité faite d'avions. La génération à laquelle j'appartiens doit être celle des « colons » du numérique. Ses membres, qui n'avaient pas encore dix ans lorsque le premier navigateur Internet a vu le jour, ont pleinement appréhendé les nouveaux outils. La plupart peine aujourd'hui à envisager la réalité d'un monde sans ordinateurs (avant leur naissance), d'ordinateurs sans Internet (avant 1993), d'Internet sans Google (avant 1998), de Google sans cartographie du monde (avant 2004) et de cartographie du monde sans localisation en temps réel sur un smartphone (avant 2007). A l'instar de l'aviation du premier tiers du XXe siècle, les innovations technologiques des vingt dernières années ont profondément modifié les notions d'espace et de temps. Mais la télévision et le téléphone, les découvertes et l'éducation dans les domaines de l'infiniment grand comme de l'infiniment petit, avaient préparé la société aux variations de ces deux concepts. C'est pourquoi je suis convaincu que le plus grand défi, dans l'assimilation par la société des innovations modernes, n'est pas de surmonter la perte de repères dans l'espace et dans le temps. La révolution sémantique est celle des mots « connaissance » et « vérité». En effet, pour la société toute entière, l'enjeu se situe certainement dans l'assimilation des générations qui vont grandir avec la possibilité de tout savoir sans rien apprendre - voire sans rien comprendre. Nous devons à Descartes l'adage « Dubito, ergo cogito, ergo sum » : je doute, donc je pense, donc je suis. Aujourd'hui, il n'y a plus place pour le doute car la vérité est à portée de main pour qui sait chercher. L'acte de rechercher faisant appel à notre intellect, l'inquiétude n'est pas de savoir si un jour l'humanité y perdra sa conscience. L'inquiétude porte plutôt sur la nature de cette nouvelle intelligence. Elle est beaucoup plus performante pour ce qui est que pour ce qui sera : cette génération n'apprend pas l'Histoire, elle la lit, sans pouvoir en tirer de leçons pour son avenir. Et la vérité qu'elle croit obtenir n'est qu'un mirage. La vérité de Google est statistique. Avec la perspective des revenus de la publicité, les différents acteurs du web dupliquent rapidement, sur leurs propres pages, les informations existantes ailleurs, si bien que la version dominante prend de plus en plus de place. Elle devient si dominante qu'elle repousse les versions alternatives au-delà des troisième ou quatrième pages de tous les moteurs de recherche. Les plus familiers de l'Internet s'accorderont pour dire que toute alternative est alors invisible, faisant de la version dominante une vérité. Internet n'est pas l'outil de la démocratie, seulement celui de la majorité. Selon la théorie des probabilités, lorsqu'une expérience est reproduite à de nombreuses reprises, le résultat qui apparait le plus souvent est aussi celui qui a la plus forte probabilité. Et « l'effet Google » supprime les résultats à faibles probabilités - ceux qu'il est à la mode d'appeler cygnes noirs en référence à la théorie développée par Taleb en 2007. Ma conviction est que les erreurs des dernières années sont à rapprocher de réseaux hiérarchisés qui ont multiplié des informations probables au point de dissimuler l'improbable aux yeux de ceux qui se contentaient de prendre l'information. Si, comme l'écrivait Oscar Wilde, « pour être vraie, toute chose doit devenir une religion », la génération qui est la mienne achèvera cette révolution technologique avec succès en ne sacrifiant pas la prospective sur l'autel de Wikipédia.
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institut présaje
2011-09-01
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[ "michel rouger", "jacques barraux" ]
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PLUS LOIN, PLUS HAUT
# PLUS LOIN, PLUS HAUT - Jacques Barraux Dix ans après la création de l'institut PRESAJE, en 2002, pourquoi vouloir « transformer l'essai » avec les Amis de PRESAJE et les publications PREMICES**?* - Michel Rouger Pour continuer ce que nous avons entrepris il y a dix ans et le réussir en l'adaptant aux dix ans à venir. Plus que jamais, il faut comprendre et faire comprendre l'intérêt pour la société de faire vivre l'Economie, le Droit et la Justice en bonne harmonie. La fonction de PRESAJE reste ce qu'elle fut à sa naissance, par analogie imagée avec celle du Pont au change qui relie le Paris législatif et universitaire de la rive gauche au Paris économique de la rive droite, en traversant l'ile de la cité judiciaire. Fonction très différente de celle des réservoirs de Montmartre - tanks - qui irriguent les hauteurs de la capitale, voire, par une autre analogie, la France « d'en haut ». Au cours des années 90, la société française a choisi de quitter son modèle économique et social national pour rejoindre celui de l'économie occidentale et concurrentielle globalisée. Elle y a installé ses multinationales privatisées et ouvert son territoire aux productions de leurs concurrentes. Elle s'est mondialisée en acceptant les règles de gouvernance de ce modèle global, en même temps qu'elle s'européanisait en abandonnant sa monnaie, en incluant les directives communautaires dans son droit et en soumettant ses institutions judiciaires au contrôle de celles de l'Union européenne. - Jacques Barraux Partant du constat des changements qui attendent la France, quelles missions de recherches sociétales souhaitez-vous confier au réseau des Amis de PRESAJE et aux futurs auteurs des Cahiers PREMICES ?* - Michel Rouger Une fois accomplies, ces révolutions ont conduit la France à adopter et rejoindre ces deux modèles, le global et le communautaire, et à subir leurs propres mutations qui l'ont fait entrer dans une crise cyclique. A ces effets s'ajouteront ceux de deux autres mutations majeures, qui se développeront dans les années 2010, par les technologies de la communication qui transformeront la diffusion des savoirs, et par les comportements des nouvelles générations qui transformeront l'organisation des pouvoirs. Ces réalités nous imposent d'adapter la production de nos recherches sociétales. Pour réussir cette adaptation, notre projet 2012 comporte quatre objectifs. Développer nos équipes de chercheurs, en qualité et en quantité, étendre notre compétence technique et internationale en s'alliant avec des partenaires universitaires français et étrangers : ce sera la mission de l'association et du réseau social des Amis de PRESAJE qui les rassemblera. Assurer la présence de nos travaux dans les débats de société : ce sera le rôle de notre nouveau site web ouvert au grand public. Ajouter des publications de recherches, sous forme numérique, les cahiers PREMICES, qui complèteront celles de nos ouvrages collectifs papier avec les éditions DALLOZ. - Jacques Barraux Avez-vous déjà établi un premier programme des travaux lancés dès ce automne ?* - Michel Rouger Nous avons retenu quinze programmes de recherches appliquées aux secteurs de la micro économie qui rassemblent l'essentiel des activités des Français. Tous n'appartiennent pas à ce « grand méchant marché », qui pourtant les fait vivre. Mais tous sont régis par les lois de l'offre et de la demande lorsqu'ils créent ou détruisent les emplois qui feront vivre la jeunesse de demain. Qu'on le veuille ou non ! L'interdépendance de ces secteurs est telle qu'elle impose de les traiter dans une vision globale (pas seulement hexagonale) et transversale, pour compenser la verticalité de nos pratiques administratives issues du métissage entre celles de l'Empire et de celles de la République. Six programmes s'appliqueront à la vie courante : Santé & médecine -- Sport & santé - Alimentation & nutrition - Habillement -- Environnement & logement - Transports. Six à la vie en société : Droit & Justice - Production & distribution - Finance & prévoyance -- Organisations politiques - Sécurité & défense - Economie criminelle. Trois aux œuvres de l'esprit humain : Formation & éducation - Médias & communication - Culture & loisirs. Ces recherches étudieront les effets conjugués des mutations sur le niveau d'activité des secteurs microéconomiques étudiés, les normes du droit hexagonal, devenu local, le fonctionnement de l'institution judiciaire nationale. - Jacques Barraux Comment allez-vous lancer les premiers chantiers ? Avez-vous prévu des partenariats* *?* - Michel Rouger D'abord avec nos propres moyens, ceux qui ont fait vivre l'institut PRESAJE, qui lui ont permis de se développer avec succès. L'équipe de seniors expérimentés, maîtres d'ouvrage de ce chantier, a su former des successeurs plus jeunes (45 ans d'âge moyen) tout aussi compétents, qui en seront les maîtres d'œuvre. Ce sont eux qui rassembleront le réseau social des chercheurs et organiseront les travaux, en attendant d'assurer la relève. Ils ne seront pas seuls. Nous associons des partenaires scientifiques qui ont, avec leurs propres chercheurs, le niveau et les moyens de partager nos ambitions : l'Ecole de Paris du management/Ecole des mines, l'Université de Paris Ouest/Fides, l'Université de Chicago à Paris, l'Institut européen des systèmes biologiques et de la médecine, l'Ecole de management de Grenoble, l'Association européenne Sport et citoyenneté, le groupe belge d'éditions scolaires et universitaires De Boeck-Larcier-Bruylant. Ce panel de grands organismes de recherches, extensible plus tard, nous aidera à produire les travaux de qualité, à la fois globaux et diversifiés, exigés par le projet. Le Fonds de dotation PROMESSE sera la pièce institutionnelle du dispositif. Son objet social déclaré est double. Financer la recherche sociétale, au travers des travaux des chercheurs associés, auteurs des études. Opérer au sein de la société de la connaissance en offrant gratuitement au grand public les travaux qu'il finance. Ce Fonds est dirigé par des personnalités dont la compétence et l'expérience sont reconnues, tant en matière économique, sociale, financière, juridique que technique. - Jacques Barraux Le public traditionnel de PRESAJE se recrute dans les mondes du droit et de* *l'économie. Souhaitez-vous élargir votre audience ?* - Michel Rouger Nous voulons toucher tous les Français qui s'intéressent aux problèmes de leur vie quotidienne. Souvenez vous, en novembre 2007, PRESAJE a organisé, avant tout le monde, le premier grand colloque sur les agences de notation. Dix mois avant la succession des crises financières ouvertes par la faillite de la banque Lehman Brothers. Le choix de ce thème de débat a révélé la justesse de notre vision sur un sujet qui pèse sur le présent comme il pèsera sur l'avenir. A partir de cette opération, nous avons analysé les conséquences qui affecteraient la société française, du fait des bouleversements géostratégiques, géoéconomiques qui étaient prévisibles et seraient durables. Soyons clairs, PRESAJE n'a pas la prétention de refaire le monde de la finance. Il y a tant de candidats pour y prétendre ! Nous n'irons pas piétiner leurs jardins, même ceux qu'ils ont laissé envahir par les mauvaises herbes, sans les voir pousser. Nos recherches sociétales seront au service de l'individu, nos lecteurs, vous et moi. Ceux qui sont toujours les « prêteurs en dernier ressort » qui soldent l'addition des opérateurs défaillants. On doit les aider, par la pédagogie, à participer aux décisions prises en dernier ressort. Avec le temps, nous viserons le grand public. Grâce au web. C'est pourquoi les cahiers PREMICES, dédiés à la publication gratuite des recherches entreprises, sous forme numérique, s'ajouteront dès octobre prochain aux lettres périodiques, comme le feront les vidéos reportages début 2012. - Jacques Barraux En quoi la recherche sociétale que vous voulez promouvoir se distingue-t-elle des travaux de nature plus politique des « Think Tanks » classiques ?* - Michel Rouger La recherche sociétale intègre tous les éléments qui organisent la vie EN société - le système politique parmi les autres -- dont, en priorité, le Droit, l'Economie, la Justice qui déterminent les modes de vie. La recherche politique, dominante en France, limite son champ d'études à deux éléments, mis en opposition, le social et l'économique, par les pouvoirs d'Etat qui organisent la vie DE la société. A la place des Français qui voient leurs choix réduits à cet antagonisme. C'est l'exception française. L'accumulation des phénomènes d'ouverture vers l'Europe et vers le monde a tout changé, en profondeur, comme on l'observe dans les transformations qui affectent les sociétés archaïques. Ces mutations, de nature historique, ont des conséquences sur la démographie, les territoires, les institutions et la vie quotidienne des gens. Depuis des siècles, la France en a connu de multiples, liées à ses conquêtes, à ses défaites militaires, à ses guerres internes, religieuses, coloniales, idéologiques. La guerre actuelle qui oppose l'économique et le social fait rêver certains au grand retour vers le passé, en réinventant la France zone libre de l'Europe comme en 1940/1942. Il ne resterait alors à la jeunesse que le travail obligatoire à l'étranger. Une bonne pédagogie sociétale évitera ce cauchemar. Récemment, la France s'est préservée des conséquences des guerres économiques et financières, qui préparent les conflits militaires, en rejoignant l'Europe. En démocratie, ces choix de préservation, face aux risques des mutations historiques violentes, appartiennent au système politique qui prépare l'action des gouvernants de la Nation. Les choix d'adaptation aux mutations technologiques et comportementales appartiennent à la société elle-même. Sinon la vie EN société, comme la vie DE la société se bloquent. Ce que tout le monde déplore aujourd'hui. - Jacques Barraux Aux mutations que vous décrivez s'ajoute l'évolution -- voire la cohabitation plus ou moins forcée - des grands systèmes de droit. L'institut PRESAJE retrouve là son terrain de veille...* - Michel Rouger Il l'explore depuis 15 ans ! Dès 1996, nous avons ouvert les débats, à SAINTES, poursuivis par PRESAJE à Royan, avec des juges, des responsables politiques, des représentants du monde du Droit et de l'Economie, sur un thème général : Justice et Société. 500 hauts responsables ont fait vivre ces 15 colloques interactifs, générateurs de richesses documentaires et d'échanges formateurs, de grande qualité. Les conclusions tirées et publiées éclairent les évolutions qui découperont l'Economie, le Droit et la Justice selon trois régimes : le local - maîtrisé, l'européen - négocié, et le global - imposé. Les activités économiques, financières et industrielles mondiales suivront les règles imposées de la SOFT LAW d'origine anglo-saxonne. A vocation globale, ces règles sont basées sur la primauté du contrat dans les échanges économiques et sur les standards de la gouvernance à laquelle toutes les économies occidentales se sont ralliées. Les mêmes activités exercées dans le champ européen suivront les règles du système communautaire, issues de négociations, appliquées par directives. Les activités qui resteront locales, hexagonales en France, suivront les règles du droit national. A chaque niveau correspond déjà une administration : mondiale (OMC), européenne (les DG), locale (ministère). Les activités juridiques suivront ce démembrement irréversible du domaine du Droit, tout en évoluant vers une convergence dans ses modalités d'application. Les standards imposés de la SOFT LAW, les règles de gouvernance, les pratiques induites par les différences culturelles et les objectifs géo politiques des opérateurs conduiront à mettre en œuvre des modalités de régulation qui feront converger les systèmes juridiques. Ce qui est déjà le cas des directives européennes, sous forme d'une MIXED LAW, négociées au sein de la Communauté. Quant au droit national, il subira, par cohabitation avec deux systèmes, un métissage de son droit processuel civil et pénal. Les institutions judiciaires connaitront des évolutions symétriques. La SOFT LAW mondiale les familiarisera, en matière économique, avec la force des contrats privés face à la loi, les vertus de la médiation, de l'arrangement, de l'arbitrage, de la compensation financière préférée à la sanction pénale. La MIXED LAW européenne s'installera en étendant au modèle français les critères d'indépendance des fonctionnaires à statut spécial que sont les magistrats de l'ordre judiciaire. La gestion des procédures internes devra se transformer pour ne pas encourir les griefs des institutions européennes sur la durée des procès et la protection des droits des justiciables. Tout cela est connu des spécialistes. Il est temps de l'expliquer aux Français qui sont tous concernés. - Jacques Barraux Quelle est votre feuille de route ?* - Michel Rouger Apporter une vision et une approche sociétale de la vie EN société, par le Droit, l'Economie et la Justice. En complément de l'approche politique et de la vision institutionnelle de la vie DE la société. Agir au plus près des micro-éléments de la vie pratique pour compléter les macrorecherches de la vie théorique. Il faut partir du bas, de l'application, et aller vers le haut, lieu de la décision théorique.
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institut présaje
2011-09-01
1
[ "andré babeau" ]
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CRISE GLOBALE, ACTE II : LE DUEL DES ÉCONOMISTES : LIBÉRAUX ET KEYNÉSIENS RADICALISENT LEURS POSITIONS
# Crise globale, acte II : le duel des économistes : Libéraux et keynésiens radicalisent leurs positions Au cours de l'été 2011, l'Europe et l'Amérique ont vécu le deuxième soubresaut de la crise globale ouverte lors de la faillite de Lehman Brothers. Circonstance aggravante, le discours des économistes s'est à la fois simplifié et radicalisé. Il n'est guère de nature à guider des gouvernements tiraillés entre deux stratégies opposées, présentées de manière chaque jour un peu plus caricaturale : tailler dans la dépense publique ou augmenter les impôts. Le repli idéologique des libéraux et des keynésiens est-il un aveu d'impuissance et de manque d'imagination ? Nous avons, si l'on peut dire, fêté le 7 août dernier le quatrième anniversaire de l'entrée dans la « grande récession » due, en ce début de XXIe siècle, à un surendettement pathologique du secteur privé dans plusieurs pays avancés de la planète. Ce mois d'août 2011 a été marqué par une profonde chute de l'ensemble des marchés boursiers due aux craintes suscitées à la fois par le niveau déraisonnable de l'endettement souverain dans une majorité de ces pays avancés et par la crainte d'un « deuxième plongeon » » ou, peut-être pire encore, d'une longue période de croissance atone. En ce qui concerne l'origine de la première phase de la crise, j'avais fait observer qu'il était facile d'ordonner le microcosme international des économistes selon qu'ils étaient laudateurs des marchés et contempteurs des pouvoirs publics^1^ (Etats, banques centrales, dispositifs réglementaires) - les « libéraux » de toutes nuances - ou l'inverse, keynésiens et néo-keynésiens. Plus facile en tout cas que de classer les réactions à la crise des hommes politiques qui empruntaient, quant à elles, tantôt à l'une, tantôt à l'autre de ces attitudes. Il est vrai qu'une majorité des économistes eux-mêmes estimaient alors que cette crise résultait à la fois du mauvais fonctionnement des marchés et de la myopie des pouvoirs publics. Au moment où se déroule un second soubresaut de cette crise globale, peut-être plus inquiétant que celui qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, il n'est pas inintéressant de suivre l'évolution des réactions des groupes d'économistes précédemment identifiés. La question qui se pose est donc : compte tenu de la méfiance à l'égard de nombreuses dettes souveraines, comment retrouver la confiance des marchés et éviter la rechute des économies grâce à un maintien honorable de la consommation et à la très nécessaire reprise des investissements des entreprises ? De façon générale, on peut observer que les positions en deux ans se sont plutôt radicalisées. Laissons de côté la suppression des agences de notation demandée par certains qui est une mauvaise solution au problème bien réel que constituent, pour le présent et encore plus pour l'avenir, la circulation et l'utilisation d'informations toujours plus nombreuses. Mais, globalement, les libéraux contempteurs des pouvoirs publics nationaux et internationaux ont durci leur position et, à l'inverse, les keynésiens critiques du marché sont devenus encore plus interventionnistes. Le poids relatif de chacune de ces deux attitudes polaires a d'ailleurs crû, laissant donc moins de place aux positions intermédiaires. Le débat de fond entre les deux « Ecoles » se noue maintenant autour du retour à l'équilibre des finances publiques dans les différents pays concernés, cela à deux égards : le calendrier à tenir et les modalités concrètes du rééquilibrage. Beaucoup d'économistes libéraux, souvent associés on le sait à l'Ecole néo-classique, sont, devant la montée de l'endettement public, devenus plus exigeants : le laxisme n'a que trop duré, le retour à la confiance - dans un environnement qui, un jour ou l'autre, pourrait bien être marqué par une hausse brutale des taux d'intérêt - passe avant tout par la mise sous contrôle de cet endettement. Les néo-keynésiens de toutes obédiences soulignent au contraire que la confiance repose pour beaucoup sur les anticipations en matière de croissance et qu'un retour trop rapide à un équilibre strict risquerait de décourager toutes les velléités de reprise. En ce qui a trait aux modalités du retour à l'équilibre, les attitudes sont encore, s'il est possible, plus tranchées : le premier groupe d'économistes exige qu'il se fasse par réduction importante des dépenses et non par augmentation des recettes, le second, au contraire, est favorable à une hausse des impôts, surtout si celle-ci porte sur les contribuables les plus aisés. Le débat récent qui s'est développé aux Etats-Unis à propos de l'augmentation du plafond d'endettement de l'Etat fédéral a clairement illustré cet antagonisme. Il est surtout un domaine dans lequel le durcissement des positions est bien palpable : il s'agit, des deux côtés de l'Atlantique, des attitudes des économistes à l'égard de l'avenir de la Zone euro. Dans les deux camps en présence, la proportion d'économistes persuadés qu'une restructuration de la dette de plusieurs pays de la Zone est devenue inévitable s'est certes accrue, mais la forme à donner à cette « restructuration » est bien différente d'un camp à l'autre. Pour les keynésiens et certains libéraux, une restructuration « douce » est possible avec le soutien d'autorités européennes qui auront mis en place des dispositifs capables d'interventions suffisamment rapides et peut-être même lancé ces fameux « eurobonds » que nos amis allemands ne sont sans doute plus très loin d'accepter. La taxe Tobin - en réalité, autre mauvaise réponse à une vraie question - serait susceptible de mettre de l'huile dans les rouages en procurant des recettes que ses zélateurs estiment plus importantes qu'elles ne seront. Pour les autres, partisans purs et durs du marché, il n'y a pas d'autres solutions que l'éclatement de la Zone euro, chaque pays retrouvant sa liberté de dévaluer autant que de besoin pour effacer sa dette par l'inflation et assurer ainsi une vigoureuse reprise de la croissance : c'est le prix à payer pour que les investisseurs retrouvent enfin confiance dans les signaux que leur envoient les marchés. Mais aucun des ces économistes ne va jusqu'à fournir les voies et moyens d'une reconstruction sur ce champ de ruines. Du point de vue international, il convient tout de même de signaler qu'Américains et Chinois sont violemment opposés à cette deuxième solution dont les conséquences économiques et financières secoueraient profondément la planète. Le choix de l'euro a été, on la sait, avant tout politique, les conditions d'une zone monétaire optimale n'étant pas réunies à l'origine et ne l'étant toujours pas maintenant. C'est dire l'importance, dans les semaines qui viennent, des décisions que prendront les dirigeants nationaux et internationaux. Pour que soit tiré le meilleur parti du débat entre économistes où la psychologie des différents protagonistes de la scène mondiale joue évidemment un rôle central, on se permettra d'inciter les responsables à la modestie et au courage - qualités que conditionne la lucidité - en faisant appel à deux réminiscences, la première, littéraire, et la seconde, historique. Trop de nos élus donnent encore l'impression d'être le Chantecler de Rostand qui, chaque matin, croyait faire se lever le soleil. Il n'est bon ni de surestimer les pouvoirs de la politique, ni de sous-estimer la lucidité des citoyens qui savent le plus souvent distinguer une vessie d'une lanterne. Trop de réunions annoncées comme décisives se concluent par... l'annonce d'une nouvelle décision au sommet. Trop de décisions qui, au mieux, n'auront d'influence qu'à long terme sont présentées comme des solutions à effet immédiat. Trop d'accords soi-disant acquis nécessiteront encore de longues tractations. La vérité exige souvent plus de modestie et de réalisme. Sous peine que se perde la crédibilité de ceux qui gèrent notre destin, circonstance gravissime dans la situation que nous connaissons. La seconde réminiscence est historique : il y a quatre-vingts ans, à l'occasion de la Grande Dépression, les dramatiques désajustements apparus entre le temps de la démocratie et celui de l'économie et des marchés ont été à l'origine des totalitarismes que l'on sait. Les événements récents, d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, ont à nouveau clairement manifesté le rythme différent de ces deux temps. Soyons donc vigilants. La montée actuelle assez générale des populismes devrait nous inquiéter plus qu'elle ne le fait et la démagogie n'est sans doute pas le meilleur moyen de les combattre. S'il faut certes, par divers moyens, ralentir le temps des marchés, il faut parallèlement accélérer de façon raisonnable celui des démocraties, une tâche particulièrement difficile il est vrai quand il s'agit de prendre des décisions courageuses, non seulement au niveau des Etats, mais, pour l'Union européenne, à celui d'institutions encore en gestation. Si nous n'y parvenons pas, les conséquences, là encore, pourraient être d'une exceptionnelle gravité en ouvrant la voie à tous les repliements. *^1^ : Voir « Les trois lectures de la crise mondiale par les économistes » Lettre [Pres@je.Com,](mailto:Pres@je.Com) novembre 2010 (numéro 11)*
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institut présaje
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[ "claude riveline" ]
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DU TITANIC À FUKUSHIMA : LA RAISON CONTRE LE RITE, LE MYTHE ET LA TRIBU
# Du Titanic à Fukushima : la raison contre le rite, le mythe et la tribu ***Propos recueillis par Jacques Barraux*** La catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon ébranle le monde de la technoscience. Elle détériore un peu plus les relations entre les scientifiques et une opinion publique qui doute des élites et redoute qu'elles n'entraînent les peuples dans des aventures aux conséquences incontrôlables. Pour Claude Riveline, à la fois scientifique et responsable religieux - il est rabbin honoraire - le moment est venu de s'affranchir d'une fausse science et d'un vrai scandale : la religion du progrès. Après le temps de l'émotion, le temps de la réflexion. La catastrophe nucléaire du Japon a ébranlé le monde de la science et de la technique. Elle lui a infligé une cruelle leçon de modestie et elle a fragilisé le lien de confiance déjà ténu qui l'unit à la société. Comment reprendre le dialogue ? La rationalité technicienne a-t-elle fini par trop empiéter sur le territoire de ce qui ressort de l'humain et du sociétal ? C'est la conviction de Claude Riveline, l'un des grands noms de la techno-science en France mais qui est en même temps un adversaire déclaré de la « religion de la Raison ». En tant que responsable de la formation des ingénieurs au Corps des Mines, Claude Riveline est un peu le tuteur de la génération des polytechniciens aux commandes de la grande industrie française, d'Anne Lauvergeon à Patrick Kron en passant par Carlos Ghosn. Or ce pur scientifique proche de Maurice Allais - qui était lui aussi de la grande famille des X-Mines - a une double vie. Il est en effet administrateur de l'Ecole Rabbinique et rabbin honoraire. Ouvert au dialogue avec les autres religions il a fait une intervention au Collège des Bernardins. Parmi ses écrits, on trouve pêle-mêle son cours de gestion de l'Ecole des Mines de Paris sur « L'évaluation des coûts », ses articles du journal de « l'Ecole de Paris » ou des « Annales des Mines » et divers essais sur des thèmes comme « La conception juive de Dieu » ou « L'amour dans la tradition juive ». *[Pres@je.Com.](mailto:Pres@je.Com) Avec le recul de quelques semaines, quelle leçon tirez-vous de l'enchaînement des catastrophes qui ont frappé le Japon ?* Nous venons de vivre un événement pour ainsi dire impensable : Tchernobyl au Japon! Jamais on n'aurait pu imaginer avoir à rapprocher l'accumulation de négligences et d'erreurs commises dans une centrale soviétique d'un pays à bout de souffle avec ce qui est arrivé à l'un des pays les plus en ordre, les mieux gérés et doté de la plus prestigieuse des vitrines technologiques. Bien sûr, la comparaison est mauvaise puisque Tchernobyl n'a pas été victime d'un cataclysme naturel sans précédent. Cela n'enlève rien à la dimension symbolique de l'événement. On a dit en son temps que Tchernobyl avait été l'une des causes de la chute de l'URSS en raison de la colère du citoyen de base face à un régime incapable de le protéger. Dans le cas de Fukushima, la tragédie prend une dimension plus universelle. Elle suscite une sorte de terreur sacrée devant les défis lancés par l'Homme à la nature. Une fois de plus, on constate que le progrès scientifique et technique n'efface pas l'angoisse des peuples. Les « Lumières » et les scientistes du XIXème siècle nous avaient pourtant promis le contraire. *On peut comprendre l'émotion des opinions publiques au moment de la catastrophe japonaise mais, sauf nouvel épisode tragique, ne pensez-vous pas qu'elles reviendront à une vision moins noire du progrès dont il est facile a contrario d'énumérer les bienfaits ?* Bien sûr, mais au-delà des crises ouvertes il y a le quotidien des inquiétudes latentes et c'est cela qui m'intéresse. Je constate qu'il existe un phénomène d'angoisse diffuse et permanente au sein des pays développés. Cela tient au fait que plus personne ne croit au souverain protecteur, au chef d'Etat paternel et rassurant, au père de la patrie qui protège contre les agressions de toutes sortes, qu'elles soient le fait des hommes ou de la nature. Là-haut - sous-entendu dans les sphères du pouvoir politique et scientifique - on promet mais « on ne sait pas » et en tout cas, « on ne peut pas ». La tragédie du Japon, c'est un peu la dernière Plaie d'Egypte du Livre de l'Exode, le moment où le Pharaon, maître de la science, découvre qu'il y a autre chose que la Science. Ce quelque chose, vous pouvez lui donner le nom que vous voulez : la morale, l'affect, la famille, la culture, bref tout ce qui échappe à la pure rationalité. *Curieuse remarque de la part d'un polytechnicien ayant accompli sa carrière dans l'enseignement scientifique...* Ce n'est pas un problème de hiérarchie de valeurs. Je dis simplement qu'il existe une séparation par nature entre deux ordres qui ne procèdent pas de la même logique. D'un côté il y a le monde rationnel de la science et de la technique. De l'autre, il y a le monde des rites, des mythes et des tribus. *En somme, vous reprochez aux « Lumières » d'avoir voulu relier les deux sous l'égide de la Raison.* C'est l'une des causes du « mal-être » dans notre siècle. Les hommes des « Lumières » et leurs descendants scientistes se sont laissé entraîner dans une vision messianique de la science et de la technique. Ils n'ont d'ailleurs fait que prolonger le culte quasiment religieux de la Raison venu de l'Egypte et de la Grèce et entretenu par des générations de philosophes de Descartes à Hegel. Jusqu'à la Révolution industrielle, cela n'avait pas posé de problème. Les dégâts ont commencé à apparaître à la fin du XIXème siècle quand les rationalistes ont voulu appliquer aux sciences humaines les méthodes utilisées dans les sciences dures. La psychologie allait supprimer l'angoisse individuelle. La sociologie allait arrêter les conflits. La science économique allait éliminer la misère. On connait la suite. *Pendant ce temps, la déclinaison des sciences dures produisait des miracles et changeait le monde qui nous environne\...* Ce fut un éblouissement. Un marqueur incontestable : l'espérance de vie a bondi de 35 à près de 100 ans en deux siècles. Le monde du mesurable, du modélisable, du répétitif se porte à merveille. Regardez la précision horlogère du ballet des containers dans la marine marchande, le maillage des réseaux de mobiles et d'internet tout autour de la terre, l'interconnexion des réseaux électriques en Europe, que sais-je encore ! En face, là où l'on pénètre dans le territoire du fugitif et du subjectif, la clé de la réussite, sinon du bonheur, se trouve là où on ne l'attend pas\... *On a compris que vous ne la trouviez pas dans les modèles et dans les équations... mais où alors ?* En France, on la trouve chez le boulanger du dimanche matin. En Angleterre, dans un pub en fin d'après-midi, partout où s'accomplissent les rites d'appartenance à une communauté de quartier. Regardez l'histoire de la Pologne. Voilà un pays qui a disparu de la carte en tant qu'Etat souverain au XIXème siècle. Quand il est réapparu quelque 130 ans plus tard, on s'est aperçu qu'il n'avait jamais cessé d'exister, qu'il était intact. La Pologne avait continué de vivre à la maison, dans la cuisine, dans la salle à manger, à l'église. Le pays survivait à travers les recettes traditionnelles de gâteaux que confectionnaient les femmes polonaises, indépendamment des lois et de la police de l'occupant. La langue, les croyances communes, les rites sociaux, les codes de l'art de vivre, et en un mot, la culture locale, voilà les déterminants de l'équilibre et de la confiance dans une société exposée aux risques de la nature, de l'économie ou de l'insécurité. *Ce qui marche en somme, c'est d'un côté l'hyper-rationalité de l'i-phone et du portecontainer et de l'autre, le rituel hyper-local de la famille, du travail ou des loisirs ?* Oui. Ce sont les deux repères du monde moderne que l'on peut considérer comme vraiment sûrs. D'un côté l'universel anonyme du « système-monde » de la technologie. De l'autre, l'authenticité du « système local » qui rassure et donne des couleurs à la vie. L'angoisse nait dans l'espace hybride de la bureaucratie et du dirigisme. Regardez la Suisse paisible et bien gouvernée. Malgré ses quatre langues, ses quatre religions et sa géographie complexe elle est en même temps à la pointe de la modernité technicienne tout en maintenant l'essentiel du pouvoir dans le village ou le canton. *Entre l'universel anonyme et le local, il faut bien quelque chose, des institutions, un gouvernement. Comment venir à bout de cette angoisse diffuse des peuples que vous déplorez ?* L'un des grands problèmes du peuple français réside dans ses attentes exagérées à l'égard des grandes organisations, qu'elles soient publiques ou privées. Or les bureaucraties géantes sont fragilisées aujourd'hui par des tempêtes en tous genres. Les Français n'ont pas un recours suffisant aux activités privées de clubs, d'associations ou de paroisses, si actives et si efficaces par exemple dans un pays comme les Etats-Unis. *Tout le monde ne peut pas rester toute sa vie dans son village ou dans son quartier... Le déracinement est même devenu pour beaucoup la condition de la survie ou de la réussite dans la société moderne.* De tous temps et dans toutes les sociétés humaines, qu'elles soient primitives ou développées, l'équilibre communautaire a dépendu de la bonne entente entre « nomades » et « sédentaires ». Pas de société viable sans les deux. De même que dans une entreprise il faut des sédentaires - gestionnaires, gens de R&D ou de production - et des nomades - vendeurs, négociateurs, prospecteurs - aucune société humaine ne peut prospérer sans voyageurs et sans producteurs. Le sédentaire est un homme d'ordre. Le nomade vit des situations singulières. Le premier s'enrichit des aventures du second. On peut être dans un rôle de nomade sans quitter le lieu où l'on vit. Dans une commune, le maire en tant qu'élu est un nomade au regard du secrétaire de mairie, gestionnaire permanent. Par vocation, le nomade est plutôt un libéral, et le sédentaire, plutôt un conservateur, leur complémentarité profitant au bien commun. Malheureusement, le nomade est parfois perçu comme celui qui dérange et qui inquiète, l'étranger, le commerçant, l'artiste, celui qui n'a pas la même religion, celui que l'on a du mal à supporter, ce qui nous ramène au drame de Caïn et Abel. *Quelle était l'origine de leur différend ?* Caïn est le sédentaire, l'homme d'ordre, l'agriculteur, l'homme des murailles. Abel est le nomade. Il a appris beaucoup de choses dans ses voyages. Le crime de Caïn est monstrueux mais Abel a des torts. Il dédaigne son frère. Il ne lui parle pas. De là à parler de torts partagés... Retenons que le monde n'est vivable qu'au prix de l'échange, de la discussion et de la conciliation des contraires.
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LA DANSE DU POUVOIR ET DU SAVOIR
# La danse du Pouvoir et du Savoir La « Valse à quatre temps » de Jacques Brel a donné à Michel Rouger la clé du commentaire que lui inspire l'entretien de <Pres@je.Com> avec Claude Riveline. Les rapports entre le Savoir et le Pouvoir ont selon lui connu quatre phases. Après le temps de la valse monarchique, de la valse démocratique, de la valse scientifique vient le temps de la valse numérique. Une nouvelle séquence de confrontation entre la Raison et les subjectivités humaines... Le pouvoir et le savoir dansent ensemble depuis que les sociétés humaines existent. Sans que l'on sache vraiment qui conduit l'autre, une fois qu'ils se sont engagés sur la grande piste de l'Histoire. Il arrive même qu'ils se marchent sur les pieds, lorsque le pouvoir, fidèle aux rites et aux mythes de sa danse tribale, piétine le savoir guidé par son sens de la raison et inspiré par les grands mouvements du progrès. La brillante démonstration que fait Claude Riveline dans cette Lettre <Pres@je.Com> retient, très justement, la même introduction dans les rapports entre la science et les pouvoirs temporels ou intellectuels, en charge des intérêts matériels et moraux de ceux qui leur font confiance. Revenant vers la danse, que l'humanité a pratiquée bien longtemps avant de s'adonner aux heurs et aux malheurs du progrès technique, on peut, un instant, se laisser emporter par la valse. Au figuré bien sûr, pour éviter le tournis que l'Histoire suffit, à elle seule à provoquer par les temps qui courent. La valse à quatre temps comme l'a si bien chanté Jacques Brel. Le temps de la valse monarchique, quelle qu'elle ait été, ou qu'elle soit encore, dictatoriale, royale ou impériale, voire républicaine, qui reste immuable par ses rites et ses mythes. Le pouvoir personnel se nourrit du savoir de ceux qu'il attire à sa Cour. Tantôt valorisant pour le couple - comme l'a si bien décrit Alain Minc dans sa saga des intellectuels entrant en politique par la porte de derrière - tantôt distrayant - par la fréquentation affichée des saltimbanques et des bouffons - tantôt sécurisant par la surveillance étroite que Versailles offrit à Louis XIV. Avant que la technologie permette de la faire à distance. Le temps de la valse démocratique, plus populaire, comme le bal du 14 juillet qui voyait les représentants du peuple entretenir, dans leur terroir, ce que l'école de la vie leur avait appris, avant d'aller porter leurs valeurs dans les lois qu'ils votaient, vers les lieux du pouvoir. Palais républicains où se croisaient les représentants de la Nation, eux mêmes, et ceux de l'Etat, forts des grands savoirs de serviteurs élevés et promus dans l'ordre méritocratique. Ce fut le temps d'une brève parenthèse entre les ors et les grandes pompes des valses viennoises, et les tressautements solitaires de la techno, inaudible à force de décibels. Parenthèse devenue nostalgique qui se termina par un changement de valse. Vint alors le temps de la valse scientifique, réglée dans ses mouvements et ses figures par l'orchestre pléthorique des experts, les sonos débridées qui hurlent leurs savoirs assourdissants pour les petites oreilles du pouvoir. Les instruments harmonieux de la raison, la petite musique mélodieuse de la conscience, ont disparu sous le tintamarre amplifié par l'omniprésence des médias dans les allées du pouvoir, désertées par les représentants des terroirs. Egaré, le pouvoir s'est mis à la recherche de multiples conseillers discrets et visiteurs nocturnes, afin de reconstituer un contre-savoir qui partage dorénavant le pouvoir dans une ombre propice aux confidences, voir plus si affinités. Arrive alors le temps de la valse numérique, qui est aux trois autres ce que les figures libres des compétitions sont aux figures imposées notées, chiffrées, évaluées par les arbitres des conformités et des rites tribaux. Ce changement de style et de ton devrait être le grand moment du retour des harmonies de la raison qui ne contrarieraient pas la liberté des mouvements. Liberté qui s'arrête où commence celle du partenaire. Avec le retour des délicates mélodies de la conscience, qui coordonnent les gestes, en écoutant l'autre, en le respectant, pour éviter les dérapages et les chutes spectaculaires. Les temps sont venus d'ouvrir le grand bal de la responsabilité à côté du grand café de la liberté.
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RÉVOLUTION ARABE, CATASTROPHE DE FUKUSHIMA : L'OPINION PUBLIQUE ET L'EMBALLEMENT DES MÉDIAS
# Révolution arabe, catastrophe de Fukushima : l'opinion publique et l'emballement des médias Les révolutions arabes et la double catastrophe japonaise du tsunami et de Fukushima ont provoqué une onde de choc dans l'opinion publique occidentale. Il y a bientôt cinq ans, «Presaje» avait publié un ouvrage collectif sous la direction d'Agathe Lepage sous le titre « L'opinion numérique ». Jean-Pierre Chamoux en était l'un des auteurs et il y mettait en relief la relativité scientifique de l'opinion publique. L'actualité de 2011 lui donne l'occasion de reprendre et confirmer sa démonstration. Dans l'ouvrage collectif sur « L'opinion numérique » publié il y a quelques années par Presaje, j'insistais sur la relativité scientifique de l'opinion publique. Je soulignais que certains mythes que de grands anciens comme Alfred Sauvy stigmatisaient avant nous, démontés par l'observation attentive du comportement des hommes, tardaient à disparaître car: « à partir d'un certain degré d'extension, une opinion admise ne rencontre plus de résistance ouverte, n'ayant contre elle que des individus isolés »^1^ Il en est ainsi des contrevérités persistantes à propos de l'opinion : bien qu'il ait été démontré, depuis les années 1940, que le vote en démocratie résulte d'un processus complexe, interactif et raisonné, trop de commentateurs vivent encore sous l'influence de gourous de la propagande politique, sans souci de preuve empirique ^2^ . Pourquoi de telles œuvres d'imagination laissent-elles tant de traces dans les manuels de science politique ? Sans doute par l'effet du talent oratoire de leurs auteurs et de leur aptitude à répandre leurs croyances, entretenues ensuite par leurs continuateurs ! Tout comme les médiologues ont des fantasmes balzaciens, les concepteurs publicitaires semblent croire, dur comme fer, aux prétentions psychanalytiques de leurs auteurs favoris dont ils s'imprègnent comme le croyant d'un évangile révélé. Les affirmations de Vance Packard reposaient moins sur ses connaissances que sur un dogme, ce que Marcel Bleustein-Blanchet, préfacier de l'ouvrage traduit en 1958 avait noté : « lucide (il) s'efforce de l'être, mais ses réactions, ses craintes sont celles d'un théoricien » ^3^ . On sait pourtant que la démarche du consommateur, comme celle de l'électeur, est moins instinctive que ne le laisse penser le penchant des publicitaires à jouer avec l'inconscient de leurs cibles : la fameuse ménagère sait, en fait, aussi bien exploiter son cerveau droit que son hémisphère gauche ; elle sait lire, s'informer et comparer, ce que démontre le succès des comparateurs publiés dans les journaux et par les sites spécialisés^4^ ! Pour comprendre et interpréter l'opinion qui se révèle soudainement en Afrique du nord après un longue période obscurantiste, cette « rue arabe » que dévoilent les journalistes d'El Jezira^5^ , les théoriciens sont effectivement moins utiles que des observateurs parlant la langue des populations qui s'expriment enfin, après le lourd silence que leur imposa leur leader. Bien qu'il faille des années d'apprentissage avant que cette « rue arabe » devienne comparable à nos sondages d'opinion publique, le césarisme a cédé devant la rue du Caire et de Tunis, preuve qu'une expression contradictoire est possible et que le despote a, pour le moment, cédé devant l'opposition que la contrainte avait rendue muette. Toute proportion gardée, nous avons vécu pareille expérience en Europe soviétique il y a vingt et un ans. Malgré des réticences, parfois des drames comme ceux que connaît sporadiquement la Russie, la mesure de l'opinion y prend aujourd'hui une forme semblable à celle que nous connaissons à l'ouest. En sera-t-il de même dans les zones où s'exprime la « rue arabe » ? Nous pouvons l'espérer, sans avoir cependant aucune certitude. La machine libérale, si l'histoire ne se grippe pas, peut nous réserver cette surprise, sauf si un nouveau tyran s'installe à la place de l'ancien ce dont l'histoire des peuples a souvent témoigné. L'actualité impose de revenir enfin sur un autre mythe des temps modernes : celui de la menace nucléaire que réveille l'accident provoqué à Fukushima par le tsunami du 11 mars dernier. Sujet grave, certes, propice à emballer l'imagination : la fébrilité de nos commentateurs, même réputés pour leur modération, surprend. Le retour aux faits s'impose: combien de sites sont-ils aussi menacés que celui du Japon dont les centrales nucléaires sont mises hors d'usage ? Très peu en Europe où la terre n'a jamais subi de contrainte tellurique analogue à celles que le Japon connaît de mémoire historique ; et pratiquement aucune qui soit menacée d'un raz de marée à la japonaise : alors pourquoi provoquer une pareille angoisse chez nos concitoyens ? Par passion du sensationnel, par goût morbide ou par suivisme ? L'emballement de nos médias sur le risque nucléaire confirme qu'ils sont plus tentés d'imiter leurs confrères que de travailler leurs dossiers; un penchant suicidaire, soulignait Alain Joannes il y a deux ans à propos de l'enthousiasme pour le web (on parlerait aujourd'hui de Twitter), corollaire de la désuétude du journalisme d'investigation qui demande du travail, du recul, des correspondants permanents, c\'est-à-dire des moyens que les quotidiens français n'ont plus depuis des lustres : à presse de pauvre, chronique de pauvre et opinion suiviste^6^ ! Un triste rappel des règles d'or de celui qui espère contribuer à former l'opinion publique : ni indépendance ni sérieux sans entreprise prospère ; un tirage important, une régie conquérante, un prix accessible sont nécessaires à la prospérité. La pauvreté entraîne la dépendance, la déchéance et la médiocrité. Des vérités que l'on tait...comme se tût la « rue arabe », si longtemps : dommage ! [Jean-pierre.chamoux@parisdescartes.fr](mailto:Jean-pierre.chamoux@parisdescartes.fr) *^1^ In : Mythologie de notre temps, Payot, Paris 1965 p. 55.* *^2^ Comme Serge Tchakotine : Le viol des foules par la propagande politique, Paris 1939.* *^3^ In : La persuasion clandestine, Calmann-Lévy, Paris 1958 p. VIII.* *^4^ Katz & Lazarsfeld : Personal influence, The part played by People in the flow of Mass communications, Free Press, New York 1964.* *^5^ Cf. commentaires de la lettre d'Yves Montenay : Echos du monde musulman (nov. 2010)* *^6^ Blob titré : Un journalismùe suicidaire, premier janvier 2009.*
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[ "yvon martinet" ]
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L'AVENIR DE LA FILIÈRE PHOTOVOLTAÏQUE DANS L'OMBRE : LES PROMESSES NON TENUES DU GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT
# L'avenir de la filière photovoltaïque dans l'ombre : les promesses non tenues du Grenelle de l'Environnement La lutte contre les effets d'aubaine peut avoir des effets secondaires négatifs pour l'économie. Les pouvoirs publics viennent ainsi de remettre en cause le cadre réglementaire du développement de la filière photovoltaïque au nom du souci légitime de faire barrage aux comportements spéculatifs. Mais le revirement est si brutal qu'il compromet la promesse du Grenelle de l'Environnement explique l'avocat Yvon Martinet. Alors que les engagements du Grenelle concernant l'énergie solaire laissaient augurer un développement continu de la filière photovoltaïque française, depuis le début de l'année 2010, une évolution défavorable du cadre règlementaire remet gravement en cause le développement du solaire. Le but affiché de ce revirement des pouvoirs publics est la lutte contre les effets d\'aubaine spéculatifs. La filière ayant atteint une certaine maturité, les pouvoirs publics ont souhaité réduire l'impulsion donnée aux projets, via l'obligation d'achat d'électricité à des tarifs attractifs, qui avait accompagné le démarrage de la filière solaire. ## La fragilisation des investissements dans le photovoltaïque L'année 2010 a été marquée par deux baisses successives des tarifs d'achat de l'électricité produite, aboutissant à une baisse générale des tarifs de 12 %, à l'exception des installations domestiques de puissance inférieure à 3 kWc. Plus grave, la visibilité du système a été remise en cause. Ainsi, des régimes transitoires dérogatoires ont été instaurés, permettant le maintien, pour certains opérateurs, du droit à l'achat de l'électricité produite aux tarifs antérieurs. Cependant, les conditions pour en bénéficier sont très restrictives, voire d'application rétroactive, et ont entraîné de graves difficultés pour de nombreux acteurs du marché. Cette insécurité juridique a été renforcée par le changement soudain de nature des contrats d'achat. Ceux-ci sont devenus, par la seule grâce du législateur du « Grenelle 2 », des contrats administratifs. A cet égard, le Tribunal des Conflits a eu l'occasion de juger qu'il s'agissait pourtant bien, jusqu'alors, de contrats privés, car passés entre personnes privées, et pouvant être soumis à bon droit au juge judiciaire (TC, 13 décembre 2010, n°3800, Green Yellow c/ EDF). En outre, le législateur a indiqué que les contrats d'achat ne sont pas formés à compter de la réception par EDF de la demande de contrat, mais seulement au moment de sa signature. En conséquence, la date à laquelle le tarif d\'achat est définitivement sécurisé est retardée dans le temps. En réaction à cette situation, certains acteurs du photovoltaïque ont adressé une lettre ouverte au Président de la République, publiée dans deux quotidiens nationaux, le 8 octobre 2010. Ceux-ci ont souligné le fait que l'industrie française du photovoltaïque disposait de sérieux atouts, à la condition de disposer d\'un « cadre de développement lisible et pérenne ». ## Une nouvelle demande à formuler pour le raccordement au réseau Mais, last but nos least, l'année 2010 s'est achevée par l'adoption d'un moratoire - d'une durée de trois mois - de l'obligation d'achat pour les projets les plus importants ! Pour les installations concernées, aucune nouvelle demande de rachat de l'électricité produite ne peut être déposée jusqu'au 11 mars 2011. A compter de cette date, les opérateurs souhaitant bénéficier de l'obligation d'achat auront obligation de déposer une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. L'objectif des pouvoirs publics est de geler une file d\'attente encombrée par des projets représentant au total quelques 5 000 MW. Cependant, cette décision génère une situation financière difficile pour de nombreux producteurs d'énergie photovoltaïque, dont l'ire ne pouvait qu'être amplifiée par l'information selon laquelle un quart de l'ensemble des projets en file d'attente étaient ceux d'EDF Energies Nouvelles ! Un référé suspension avait été introduit devant le Conseil d'Etat à l'encontre du décret instaurant le moratoire. Las, ce référé a été rejeté, le 28 janvier dernier, pour défaut d'urgence. Que réserve l'année 2011 à une filière éprouvée tout au long de l'année 2010 ? Sur initiative interministérielle, une concertation a été engagée avec les parties prenantes, avec pour objectif principal d'aboutir en février 2011 à une proposition de nouveau cadre de régulation de la filière. Lors de la réunion du 12 janvier 2011, la DGEC (Direction Générale Energie Climat) a présenté ses propositions pour l'après-moratoire, dont il ressort deux orientations principales : - d'une part, la fixation d'un quota annuel de 500 MW de projets par an ; - d'autre part, la suppression du tarif d'achat pour les centrales au sol et les « grandes toitures » qui feraient à l\'avenir l\'objet d\'appels d\'offres, et la dégressivité des tarifs d\'achat pour certaines installations de moindre importance. Le solaire finira bien par sortir de l'ombre...
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[ "yves montenay" ]
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DÉMOGRAPHIE : POURQUOI TANT DE NAISSANCES EN FRANCE ?
# Démographie : pourquoi tant de naissances en France ? Les démographes des pays européens viennent enquêter en France auprès de l'INED pour essayer de comprendre pourquoi la natalité reste aussi forte dans notre pays depuis l'an 2000. Un aspect est méconnu : le ralentissement du recul continu de l'âge moyen à la naissance, ce qui n'empêche pas les femmes de souhaiter avoir au moins deux enfants. Yves Montenay, démographe, président d'ICEG (Institut Culture Economie Géopolitique) relativise par ailleurs l'influence de l'immigration sur le taux de natalité et souligne à l'inverse l'importance cruciale de la politique familiale. La presse s\'est répandue en articles positifs, mais un peu étonnés, sur le « bon » chiffre des naissances en 2010. Cela sans en donner d'explication bien convaincante. D\'ailleurs, plus que celui de 2010, c\'est le niveau des naissances depuis l\'an 2000 qui est le fait important, ce niveau étant nettement plus élevé que celui des 20 ans précédents. L\'explication principale en est simple et classique : c\'est le ralentissement, puis la fin peutêtre provisoire, du recul continu de l\'âge moyen à la naissance. Illustrons d\'abord que ce recul est un phénomène important. Raisonnons par l'absurde. Supposons qu'en 1995, toutes les femmes avaient tous leurs enfants (donc deux jumeaux) à 25 ans, et que les suivantes décident de les avoir à 30 ans. Il n\'y aurait aucune naissance de 1995 à 2000 et on retrouverait le nombre normal ensuite. Il y aurait ainsi un trou dans la pyramide des âges, ce qui causerait de fortes perturbations (scolarisation, puis emploi, puis retraite). Pour que ce phénomène important joue à plein et durablement, il faut deux conditions : - l\'une, évidente, est que l\'âge moyen à la naissance ne recommence pas à augmenter. Évidemment, on ne le sait pas à l\'avance. On sait par compte qu\'il ne peut reculer indéfiniment, les médecins mettant en garde les mères sur les risques des grossesses tardives (disons après 35 et surtout 40 ans). Et comme en pratique les phénomènes démographiques ne sont pas aussi brutaux que dans mes exemples, plus il y a de naissances après 30 ans et moins les maternités ont tendance à se retarder encore davantage. - l\'autre condition est que la descendance finale (le nombre d\'enfants qu\'une femme a à la fin de sa vie féconde) reste inchangée. Elle est actuellement de 2 enfants par femme depuis plusieurs décennies, et ne paraît pas en train de se modifier. En résumé, si l\'on ne change pas cet objectif final de deux enfants, il faut bien un jour rattraper le retard que l\'on a pris auparavant. Ce n\'est pas la première fois que joue cet effet calendrier : la première partie du baby-boom, autour de 1950 a vu une réelle augmentation de la fécondité, mais qui a été accentuée par le rajeunissement de l\'âge à la première naissance, peut-être simple rattrapage du mouvement inverse de 1935 et 1945 dû à la crise de 1929, puis à la guerre. Cela mène à une deuxième question : pourquoi cette descendance finale reste-t-elle stable à long terme en France, alors qu\'elle diminue dans pratiquement tous les pays du monde, et est à nettement moins de deux de l\'Allemagne au Japon en passant par tout le sud, le centre et l\'est de l\'Europe, puis par la Chine ? C\'est un mystère pour nos amis européens, dont les démographes débarquent en rangs serrés à l\'INED pour demander quel est le secret des Françaises. La réponse est simple : une politique familiale continue depuis 1939, et donc appliquée par des hommes politiques aussi différents que Paul Reynaud, Philippe Pétain, le général De Gaulle et tous les autres, avec un bémol pour les premières années Mitterrand, dont les velléités malthusiennes ont vite été bloquées. On pense à juste titre aux allocations familiales, mais d\'autres actions ont probablement été plus importantes : les crèches et plus encore l'école maternelle précoce et la scolarisation l'après-midi, et surtout la continuité qui a fini par persuader les mères françaises que la société était avec elles. Dans les autres pays par contre, cette question était considérée comme strictement privée et on vient tout juste de prendre conscience, probablement trop tard, que la chute de la fécondité avait des conséquences catastrophiques pour l\'ensemble du pays. Il y a un phénomène accessoire, dû à l\'immigration, qui est délicat à expliquer car, on ne sait pas comment le mesurer : il n\'y a pas de statistiques ethniques et il y a de plus en plus de couples « vraiment » mixtes (regardez dans la rue), et puis la deuxième ou troisième ou quatrième génération est-elle encore « immigrée » ? Rappelons d'abord que, pour les immigrations anciennes (italienne, ibérique..) et pour une bonne part de l\'immigration maghrébine, il n\'y a pas de différence observable de fécondité par rapport au reste de la population. D'ailleurs le grand public commence à savoir que l\'influence du pays de départ n\'est pas ce qu\'on imaginait, car il y a maintenant assez longtemps que la fécondité en Turquie ou au Maghreb n\'est pas très différente de la fécondité française, tandis que les fécondités italiennes ou ibériques sont nettement plus basses. À titre anecdotique, je rajoute que les fécondités tunisienne et martiniquaise sont plus faibles que celle de la France métropolitaine. En gros, les seuls immigrants vraiment prolifiques sont les Sub-sahariens, ce qui est (pour l\'instant ?) accessoire et, encore plus accessoirement, les Mahorais dont la fécondité est gonflée par les pirogues de femmes enceintes venant de l\'île voisine d\'Anjouan. Il y a là une frontière toute aussi impossible à surveiller que celle de la Guyane dans la forêt vierge. Mais ce niveau de la descendance finale des immigrés peu différent en général de celui du reste de la population a lui aussi son « effet de calendrier », car la fécondité des migrantes récentes est gonflée par le fait qu\'elles ont souvent un enfant à l\'arrivée en France pour des raisons de sécurité juridique ou tout simplement d\'amélioration de leurs perspectives de vie, sans que cela change a priori leur descendance finale. De toute façon, la proportion d\'immigrés non européens en France (5 % ? 8 % ?) ne peut pas changer beaucoup les chiffres globaux et l\'augmentation des naissances vient de l\'ensemble de la population. En résumé, le phénomène principal est celui de la fin de l\'augmentation de l\'âge à la naissance, et surtout, ce que l\'on ne voit pas, le fait que les couples gardent un objectif de descendance finale de deux enfants (en fait un peu plus, ce qui compense la stérilité, volontaire ou non, de peut-être 10 % de la population). Dans l\'avenir, le nombre des naissances pourrait diminuer, même à fécondité constante, car il y aura moins de femmes de 30-35 ans, du moins jusqu\'en 2030. La fécondité elle-même pourrait ne pas rester constante si de « mauvais signaux » étaient envoyés, par exemple la réduction actuellement examinée des suppléments de retraite aux mères de famille, ce qui serait de plus une injustice profonde, car elles sacrifient souvent leur carrière, et donc leur propre retraite, pour élever des enfants qui paieront celles des autres !
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institut présaje
2011-04-01
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[ "pierre-antoine merlin" ]
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FRÉNÉSIE HIGH-TECH DANS TOUTE L'EUROPE : RETOUR SUR LE DERNIER SALON DE HANOVRE
# Frénésie high-tech dans toute l'Europe : Retour sur le dernier Salon de Hanovre Les Français ont acheté plus de 100 millions de produits high-tech en 2010 ! Un record. Le marché français est inondé de téléphones, smartphones, tablettes, PC, TV écrans plats et autres appareils photo, soit une dépense de 171 euros en moyenne par habitant. Même activisme du côté de l'offre. Au tout récent salon de l'électronique de Hanovre - le plus grand salon européen - les « start up » françaises occupaient quatre pavillons. Le journaliste spécialisé Pierre-Antoine Merlin a parcouru les allées du salon où s'affichent les tendances d'un marché en pleine expansion dans toute l'Europe. Après plusieurs années d'atonie, le premier salon informatique européen, le Cebit, reprend des couleurs. « Nous avons fait moins de relations publiques que de business. On a beaucoup parlé de produits, de tablettes et de contrats. Pour les revendeurs, le potentiel de développement des affaires est immense. ». En quelques phrases, Jörg Brünig, l'un des patrons de Fujitsu, a tout dit. L'impression, déjà ressentie lors des derniers salons high tech, s'est confirmée et amplifiée, en ce mois de mars 2011, dans les plaines glacées d'Allemagne du nord. L'informatique, première industrie du monde loin devant l'automobile, repart à fond ! Le tout nouveau patron du Cebit, Frank Pörschmann, a même souligné qu'avec près de 10% de visiteurs en plus, la performance était historique. De fait, dans les trois dernières années, près de soixante salons spécialisés ont disparu... En petit comité, et sans préjuger du décompte final, il a estimé que, cette année, tous les chiffres seraient revus à la hausse. Sans doute la présence de nouveaux industriels peu habitués de ces manifestations, comme Ford et Land Rover, y est-elle pour quelque chose. On peut y ajouter une surprise de taille : l'arrivée massive des entreprises françaises. Pas moins de quatre pavillons. Ubifrance, l'agence chargée de promouvoir les entreprises innovantes, avait réuni pour l'occasion une trentaine de startups du secteur IT. « C'est une très bonne initiative pour tous ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un stand. On est, en quelque sorte, hébergé sous pavillon français, et on partage les informations avec nos collègues », s'est réjoui Philippe Pinault, fondateur et directeur associé de blogSpirit, une jeune pousse spécialisée dans la monétisation des médias sociaux, de type Twitter ou Facebook ( l'entreprise a démarré en 2004 comme plate-forme de blogs). Pourquoi un tel engouement des innovateurs venant de France ? Du côté de l'organisateur, on avance une explication : en ce moment, l'Hexagone connaît le plus fort taux de croissance d'Europe en informatique, réseaux et télécoms. Selon l'European Information Technology Observatory, le marché français a ainsi progressé de 4% en 2010 (6% dans le domaine des produits grand public). Et il devrait continuer sur un rythme à peine moins élevé cette année. Toujours sur le plan de l'organisation, le Cebit a été scindé en quatre sections bien distinctes : « Pro » pour les professionnels, « Life » pour le grand public, «Gov » pour l'administration, et « Lab » pour la recherche. Mais cette scission n'a pas cassé la dynamique du salon, bien au contraire. Il est probable que l'ouverture délibérément large au grand public, le rajeunissement et la fraîcheur qu'elle induit, tout cela compte pour beaucoup dans l'atmosphère optimiste de cette année. Les bonnes nouvelles se cumulent dans l'économie d'Outre-Rhin : le plus grand salon informatique d'Europe se tient en Allemagne, l'économie la plus dynamique du continent, le tout se déroulant sur fond de reprise économique tirée par la convergence annoncée entre électronique, réseaux et télécoms. A Hanovre, malgré les frimas d'un hiver tenace, l'ambiance était à la fête. Espérons que cela prélude à un printemps souriant pour toute la high tech européenne.
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institut présaje
2011-04-01
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[ "catherine vergès" ]
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LA BOÎTE À OUTILS DU SECRET DES AFFAIRES
# La boîte à outils du secret des affaires Le feuilleton tragi-comique du faux scandale d'espionnage industriel qui vient d'égratigner l'image de Renault a au moins apporté une preuve : celle de l'extrême nervosité des états-majors de grandes firmes en matière de propriété intellectuelle, de propriété industrielle ou d'intelligence économique. Comment se protéger et se défendre ? Presaje.Com a demandé à l'avocate Catherine Vergès de décrire de manière volontairement didactique le cadre juridique de l'une des grandes arènes de la guerre industrielle. L'espionnage industriel est un sujet d'actualité. Ces dernières années, les affaires Boeing, Coca Cola pour les USA, Valeo, Michelin, Renault pour la France, relayées par les médias ont révélé au grand jour des problématiques « d'espionnage industriel ». Certes, la stratégie volontaire ou contrainte retenue par les entreprises a été de communiquer sur l'évènement. De nombreux vocables comme « espionnage industriel, « secret défense », secret des affaires, intelligence économique, Cohen Act à la française,» sont apparus. Quel est en réalité le comportement répréhensible reproché ? Comment le qualifier ? Le réprimer ? Mais surtout, est il possible de le prévenir ? De nombreux et intéressants articles traitent de ces sujets et notamment posent la question de savoir si notre droit français est adapté ? S'il est susceptible de réprimer ce type de comportements ou si une loi doit être créée ? Dans une tentative volontairement pragmatique, nous essaierons d'identifier les notions précédemment citées et le périmètre juridique associé **(I)**, ainsi que suggérer la mise en place d'outils pragmatiques **(II)**. La qualification de l'acte reproché permettra de déterminer la responsabilité engagée. Elle sera alors d'ordre pénal ou bien civil. La difficulté réside dans son appréciation et la recherche de l'efficacité entre « condamner, réprimer et indemniser ». Ce qui suppose que l'acte dommageable se soit déjà bel et bien produit ou que l'on puisse le prouver. Une question de Droit International Privé se posera nécessairement du fait de la territorialité du lieu d'exécution de l'acte contesté. ## L'identification des notions : Les différentes notions précitées recouvrent des circonstances diverses qui induisent une qualification juridique différente. 1. **L'espionnage industriel ou commercial** N'oublions pas que lorsqu'une entreprise tente de tirer partie de la longueur d'avance dont dispose un de ses concurrents et s'accapare frauduleusement ce qui ne lui appartient pas, il s'agit de vol^1^ . D'autres notions comme l'abus de confiance^2^ ou la corruption^3^ peuvent trouver entre autres à s'appliquer, toutes pénalement répréhensibles. 2. **Répondent au qualificatif de « secret défense »^4^** , «\.../.. les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l\'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès../.. ». La peine encourue selon le code pénal est alors une peine d'emprisonnement et une amende d'un montant proportionné, selon que la personne dépositaire ou non du secret défense ^5^ a agi par imprudence ou sciemment. 3. **Le « secret des affaires»^6^** se trouve quant à lui défini entre autre par **l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle** (OMPI) comme, « tout renseignement commercial confidentiel qui donne à une entreprise un avantage concurrentiel. Les secrets d\'affaires comprennent les secrets de fabrication ou les secrets industriels, ainsi que les secrets commerciaux. L\'utilisation non autorisée de tels renseignements par des personnes autres que le détenteur est considérée comme une pratique déloyale et une violation du secret d\'affaires ». Le secret d\'affaires est généralement défini au sens large et inclut les méthodes de vente, distribution, les profils des consommateurs, les stratégies publicitaires, les listes de fournisseurs et de clients et les procédés de fabrication. Si, en fin de compte, la détermination des renseignements qui relèvent du secret d\'affaires dépend des circonstances propres à chaque cas, il est évident que les pratiques déloyales en ce qui concerne les renseignements confidentiels comprennent l\'espionnage industriel ou commercial, la rupture de contrat et l\'abus de confiance ». Cette notion de secret des affaires se retrouve également **en droit communautaire^7^** . Le Traité CE et le règlement N°1/2003 précisent que "Les membres des institutions de la Communauté, .../... sont tenus, même après avoir cessé leurs fonctions, de ne pas divulguer les informations qui sont couvertes par le secret professionnel, \.../... concernant les entreprises, leurs relations d\'affaires ou des éléments de coût". Le Tribunal Pénal International a précisé pour sa part que la nature de secret d'affaires s'applique, si trois critères sont retenus : - Une connaissance par un nombre restreint de personnes, - Une divulgation susceptible de créer un préjudice sérieux à des tiers, - Des intérêts susceptibles d\'être lésés par la divulgation de l\'information soient objectivement dignes de protection. Le secret des affaires se retrouve également protégé **en droit français^8^** par les autorités du Conseil de la concurrence. La protection du secret des affaires peut être obtenue par l'entreprise notamment dans le cadre de procédures devant les autorités du Conseil de la concurrence. Cela permet une classification à l'égard des éléments qu'elle communique. **En propriété industrielle**^9^, le secret des affaires peut également recouvrer le champ des connaissances techniques, know how, savoir faire couvert par le code de la propriété intellectuelle. Les peines^10^ sont mentionnées au Code du Travail, « Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d\'un emprisonnement de deux ans et d\'une amende de 30.000 €. La juridiction peut également prononcer, à titre de peine complémentaire , pour une durée de cinq ans au plus, l\'interdiction des droits civiques, civils et de famille». Cet article a cependant une portée circonscrite exclusivement au secret de fabrique et les peines mentionnées au code du travail ciblent uniquement le directeur ou le salarié. La contrefaçon, quelle soit de droit d'auteur^12^, de brevet^13^, de marque^14^ peut aussi être visée. En France, une 1ère proposition de Loi N°1754, relative à la protection des informations économiques, a été déposée le 17 juin 2009 par le député M. Bernard Carrayon. Le 13 janvier 2011, une seconde proposition portant le N° 3103^15^ fortement inspirée de la précédente, étendait le « secret des affaires » afin de poursuivre pénalement quiconque aurait été appréhendé « à piller ou divulguer frauduleusement des informations qualifiées de sensibles », selon l'exposé des motifs et définies dans un article 1er comme « à caractère économique protégé ». Cette proposition de Loi a été inspirée par le **« Cohen Act** **»** américain de 1996 et le Traité ADPIC, annexé à la Convention de Marrakech du 14 avril 1994. Quant à l'intelligence économique^16^, elle peut être définie, selon Henri Martre «comme l\'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l\'information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l\'entreprise, dans les meilleures conditions de délais et de coûts. **L'information utile est celle dont ont besoin les différents niveaux de décision de** **l'entreprise ou de la collectivité, pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l'atteinte des objectifs définis par l'entreprise dans le but d\'améliorer sa position dans son environnement concurrentiel.** Ces actions, au sein de l\'entreprise, s'ordonnent autour d'un cycle ininterrompu, générateur d'une vision partagée des objectifs de l\'entreprise». C'est à cette vision pragmatique, qu'il est important que les entreprises souscrivent par des applications pratiques sous forme d'outils stratégiques. ## Des applications pratiques à suggérer à travers un code de déontologie du secret des affaires ou une boite à outils stratégique. Il s'agit pour l'entreprise de retrouver ses fondamentaux. Envisager de manière pratique sa situation afin d'éviter qu'une situation préjudiciable n'arrive ou tout au moins prendre toutes les mesures requises pour l'éviter. Une réelle stratégie d'identification et de protection des biens et valeurs qui créent son actif matériel et immatériel et sa plus value économique doit alors être mise en place. 1. **L'identification des sources :** Ceci passe d'abord par le fait de se doter d'outils pratiques pour **détruire les documents confidentiels**, ce qui signifie également identifier dans un 1er temps **les informations à classer comme confidentielles.** Lors d'enquêtes d'investigation privées, il est connu des services concernés qu'il est aisé de retracer le contenu des corbeilles à papier et de retrouver traces des commanditaires, achats, expéditions des services concernés, ainsi que des données immatérielles. Ensuite, il s'agit d'identifier tous les acteurs économiques de la chaîne commerciale ou industrielle : Parle-t-on d'un **employé**, titulaire d'un contrat de travail placé dans une relation de commettant à préposé, pour laquelle il a alors une obligation de loyauté, vis-à-vis de son employeur ? Parle t'on seulement et exclusivement de cadres de haut niveau ou de celui ou celle côtoyé(e) tous les jours et qui n'ignore rien du moindre parcours, trajets, habitudes et vie privée de ses dirigeants. L'obligation de loyauté peut d'ailleurs être renforcée selon ses fonctions par des clauses de confidentialité, de non divulgation, de discrétion, de non concurrence limitées ou non dans le temps, sur des périmètres spécifiques et susceptibles de survivre à l'expiration de son contrat. Ce qui implique identifier tous les acteurs économiques avec qui l'entreprise travaille que ce soit un **personnel** (salarié ou non) **externalisé**, susceptible de la représenter et de négocier pour elle ou tous les partenaires économiques avec qui elle travaille. Ces partenaires peuvent être des **sous traitants** directs ou indirects, réguliers ou occasionnels. Lorsqu'il y a des accords de licence de fabrication et/ou de distribution, il lui faut, entre autres s'assurer si sous-traitance il y a, si elle est autorisée en totalité ou pour partie et pouvoir visiter les lieux de production à tout moment. Ce qui sous entend une grande curiosité et ne jamais tenir pour acquis de certitudes. 2. **Localisation :** Localiser **les lieux et les outils de production** ainsi que **les matières premières et substances** fournies permet de s'assurer et de contrôler s'il s'agit de travail à façon ou de sous-traitance pure et ainsi limiter par exemple les risques de contrefaçon, de vente d'excédents de production, de marchés gris ou parallèles. Lorsque de nouveaux projets voient le jour, il est nécessaire de créer des **accords de confidentialité** ou d'insérer **des clauses de confidentialité** dans des accords existants limités dans le temps ou pouvant perdurer après la fin des échanges, ainsi que reprendre dans le contrat les précédents échanges ayant donné lieu à des prémisses de négociation et d'échanges de données, images, dessins, prototypes, informations matérialisées sur des supports. Leur non respect doit donner lieu à des sanctions, de même que les objets prêtés doivent être repris ou détruits, et surtout pas oubliés. Lorsque des sous-traitants sont communs à des milieux créatifs, industriels, il est impératif d'encadrer leur relation. Il est également nécessaire d'identifier les montants autorisés aux négociations, ainsi que les acteurs de la négociation par la mise en place de délégation de signature et donc de **responsabiliser tous les intervenants tout au long de la chaine.** En effet dans la notion d'entreprise s'inscrit une action et une aventure commune. Des mentions de « copyright » par exemple sur les documents peuvent être insérées et constituer un bon avertissement des tiers afin d'attirer leur attention sur le fait que des droits d'auteur sont détenus par l'entreprise. Certes, ce sont des réponses contractuelles apportées, mais elles permettent, en cas de rupture, d'intenter des actions en responsabilité contractuelle ou délictuelle^18^ , car« Tout fait quelconque de l\'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Certes, pour obtenir réparation il faut alors prouver l'existence d'une faute, un dommage causant un préjudice et un lien de causalité entre faute et dommage. Avant tout l'entreprise doit bien évidemment décider de mettre en place **une réelle stratégie de protection** de ses acquis par des dépôts par exemple en propriété industrielle et de la formation interne. Pour ce faire, il lui est alors nécessaire de se doter **d'une vraie force par la mise en place d'une politique interne de stratégie industrielle et économique**, qui inclurait pourquoi pas un code de déontologie personnel. N'oublions pas que nous sommes dans une économie de marché, légiférer est effectivement toujours possible, mais impliquons nous avant tout à responsabiliser chacun des intervenants, mais aussi à y associer vigilance. ^1^ Vol, articles 311-1 et 311-3 du code pénal passibles d'une peine d'emprisonnement de 3 ans et de 45 000 € d'amende. ^2^ L'abus de confiance, article 314-1 du Code pénal passible d'une peine de 3 ans et de 375 000 € d'amende. ^3^ La corruption articles 432-11 et 433-1 du Code pénal. ^4^ Le « secret défense », article 413-9 du Code Pénal. ^5^ Les personnes dépositaires du « secret défense », articles 413-10, et 413-11 du code pénal, une peine d'emprisonnement de 3 à 7 ans et une amende de 45 000 à 100 000 € si la personne a agi par imprudence ou sciemment, et une peine de 5 ans et une amende de 75 000€ si la personne n'est pas visée par l'article 413-10 du code pénal. ^6^ Le secret des affaires en propriété intellectuelle,http://www.wipo.int/portal/index.html.en ^7^ Le secret des affaires en droit communautaire l\'article 287 du Traité CE et le règlement N°1/2003. ^8^ Le secret des affaires en droit français, articles L. 463-4 et R463-13 du Code de commerce. ^9^ Le secret des affaires en propriété industrielle, article L 621 - 1 du code de la propriété intellectuelle). ^10^ Les peines, article L.1227-1 du Code du Travail. ^11^ Une peine complémentaire, prévue à l\'article 131-26 du code pénal, une durée de cinq ans au plus, l\'interdiction des droits civiques, civils et de famille. ^12^ La contrefaçon de droit d'auteur, articles L 335-2 et suivants du Code pénal. ^13^ La contrefaçon de brevet, articles L 615-1 et s. L615-14 du Code de la propriété intellectuelle. ^14^ La contrefaçon de marque, articles L 716-1, L 716-9 et s. du Code de la propriété intellectuelle. ^15^ Seconde proposition de Loi N°3103, (http://ww)w.assemblee-nationale.fr/13/pdf/propositions)) ^16^ L'intelligence économique, (htt)p://www.portail-ie.fr/fondamentaux)) ^17^ La responsabilité contractuelle, article 1134 du code civil. ^18^ La responsabilité délictuelle par application de l'article 1382
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institut présaje
2011-04-01
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[ "éric balate" ]
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LE JUGE, LE DROIT ET L'ÉCONOMIE
# Le juge, le droit et l'économie Un juge de la Cour Suprême des Etats-Unis à Paris. Il y a quelques semaines, Stephen Breyer était en France à l'occasion de la publication en français de son livre sur « La Cour Suprême de l'Amérique et son histoire » préfacé par Robert Badinter. Il a animé un séminaire sur le thème des « Rapports entre le droit et l'économie ». L'un des intervenants, Éric Balate, de l'Association Internationale de Droit économique à Louvain, revient sur deux décisions de justice évoquées au cours du débat. Le 7 mars 2011 était organisé, sous l'égide de Mireille Delmas-Marty, un séminaire animé par Stephen Breyer, juge à la Cour suprême des Etats-Unis, sur le thème : « Les rapports entre le droit et l'économie ». Comment le juge arbitre-t-il ces rapports ? A cette occasion, nous avons présenté succinctement les observations à propos de deux décisions importantes : - l'un est l'arrêt prononcé par la Grande chambre de la Cour de Justice de l'Union européenne, le 1er mars 2011, en cause «Association Belge des Consommateurs - Test-Achats ASBL, Yann van Vugt, Charles Basselier »c/Conseil des Ministres; - l'autre consacré à l'arrêt prononcé le 13 mars 2008 par la Cour constitutionnelle belge Dans le premier cas - une affaire de tarifs d'assurance différents entre les hommes et les femmes - la question qui était posée était de savoir si la préférence est donnée aux principes d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes ou si, les facteurs actuariels permettent de consacrer des distinctions. L'arrêt prononcé par la Cour s'interroge sur le sens de la Directive 2004/113 CE du Conseil du 13 décembre 2004, mettant en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans l'accès à des biens et services et à la fourniture de biens et services. Cette directive organise un régime dérogatoire qui permet aux Etats membres de décider avant une certaine date, des différences proportionnelles en matière de primes et de prestations pour les assurés lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l'évaluation des risques. La Directive permet ainsi dans certains cas, le maintien des dispositions transitoires. En Belgique, la loi du 21 décembre 2007 transpose cette Directive et, à l'article 10, permet la distinction directe proportionnelle, notamment dans le domaine de certains contrats d'assurance sur la vie. Un recours en annulation a été introduit contre cette loi et la Cour constitutionnelle a interrogé la Cour de Justice de l'Union européenne le 18 juin 2009. La Cour rend un arrêt où elle analyse d'une part, le droit à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le Traité de fonctionnement de l'Union européenne et la mise en œuvre de ce principe dans la Directive précitée. Pour elle, le but poursuivi par la Directive est manifestement l'application de la règle des primes et des prestations unisexes. La Cour considère que la dérogation à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes prévue à l'article 5 indéfiniment permise par le droit de l'Union, permettant ainsi aux Etats membres de maintenir sans limitation dans le temps une dérogation et une règle, est considérée comme contraire à la réalisation de l'objectif de l'égalité de traitement. La disposition est ainsi considérée comme invalide à l'expiration d'une période de transition adéquate qu'elle fixe au 21 décembre 2012. En d'autres termes, le droit l'emporte ici sur l'économie. Mais n'est-ce pas plutôt un dialogue entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif qui est amorcé par la Cour, celle-ci invitant peut-être le pouvoir législatif, à savoir le Conseil et le Parlement, à sans doute penser à nouveau le libellé de la Directive du 13 décembre 2004 et en affinant le principe de la dérogation. En effet, la Cour ne conteste pas qu'un traitement différencié puisse être objectivement justifié en la circonstance. En d'autres termes, c'est ici la circonstance qu'il n'y ait pas de limite dans le temps qui serait à l'origine de la prévalence accordée aux principes de droit. Dans un deuxième temps, c'est l'arrêt du 13 mars 2008 qui a été examiné puisqu'il se prononçait sur une contribution unique de 100.000.000 € qui avait été mise à charge de certaines entreprises qui détenaient 30 % du marché en vente de gaz naturel en TWH. Cette contribution unique était destinée à couvrir les dépenses causées par l'allocation gaz naturel que le Gouvernement fédéral avait octroyée en 2006 aux consommateurs. La question qui est posée dans le cadre du séminaire en réponse aux développements du Juge Stephen Breyer est de voir si oui ou non, les Cours Suprêmes quelles qu'elles soient ont nécessairement les outils pour analyser la pertinence économique du choix opéré par le législateur. Dans le cas d'espèce, la Cour doit observer quelle est la motivation retenue par le législateur et dans son attendu, considère qu'il n'est manifestement pas déraisonnable que le législateur, compte tenu de la situation spécifique concernant les besoins en produits gaziers impose une cotisation générale de solidarité à ce secteur, pour autant que le montant de cette cotisation ne soit pas arbitraire. Mais qu'est-ce qu'une cotisation arbitraire ? Le débat au cours de ce séminaire a permis de montrer les limites du droit et combien finalement, le droit s'inscrivait dès lors dans un prolongement de l'œuvre législative.
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institut présaje
2010-11-01
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[ "michel rouger" ]
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MANAGEMENT DU SPORT ET MANAGEMENT DE L'ENTREPRISE
# Management du sport et management de l'entreprise Le sport est devenu l'un des grands secteurs de l'économie. Un secteur multiforme, où cohabitent les excès du sport « d'en haut » et les frustrations du sport « d'en bas ». Il est logique de le soumettre peu à peu aux règles universelles du management. Mais sans jamais oublier que sa vocation ultime est radicalement différente de celle de l'entreprise. Le sport est une aventure humaine, où la réussite est le fruit d'un dépassement. L'entreprise, elle, veut faire des bénéfices et gagner des parts de marchés, explique Michel Rouger. Il y a cinq ans, PRESAJE entrait dans l'arène sportive en publiant un ouvrage intitulé « Où va le sportif d'élite ? ». La préface, prémonitoire, évoquait la financiarisation excessive du sport spectacle. Avec pertinence, quand on sait ce qu'il en est advenu dans le football. Il y a donc un problème de management au sein du secteur économique du sport qui frôle les 30 milliards d'euros annuels en Europe. A ce niveau, l'affaire n'est pas simple. Pour la traiter, il fallait le lieu et les gens compétents. Ce fut à Lausanne les 15 et 16 octobre derniers. La ville est « sport », avec le siège du CIO et le musée de l'olympisme. Elle est aussi « management » avec l'IMD, l'une des cinq meilleures business school mondiales, qui accueillait cette première réunion européenne. Le casting des intervenants avait été choisi par deux amis de PRESAJE^1^ . De haut niveau, il a permis de traiter les deux sujets essentiels pour comprendre et maîtriser les enjeux moraux et matériels du développement éducatif et économique du sport. ## Principale conclusion Le développement des moyens du secteur économique du sport imposera de multiples échanges, participations, coopérations avec les autres secteurs de l'économie, selon les critères de management et de gouvernance des entreprises. Le développement des objectifs éducatifs du sport exigera un modèle compétition/ performance/ résultats, différent du modèle entreprise, concurrence/marché/profits. Il y aura donc mariage de raison. Les études sur le management des besoins et des objectifs auront pour mission d'élaborer le contrat de cette union. ## Les moyens Les besoins du sport sont considérables. Les sociétés humaines y voient un développement de leurs modèles, de leur puissance, de leur image. Aucune politique, qu'elle soit autoritaire ou démocratique, ne peut négliger cette réalité. La compétition sportive ouverte et planétaire répond aux aspirations de liberté qui ont toujours motivé les hommes. L'exemple de la Chine est révélateur. Ces besoins, cette demande, trouvent en face une offre de coopération des entreprises, pour le partage des images positives véhiculées par les meilleurs performers, les écoles de formation, les clubs. L'extrême diversité de la messagerie publicitaire, à tous niveaux, structurera ces échanges entre les images et les moyens. Les pouvoirs publics, les Etats, qui administraient l'économie du sport passent la main, faute d'argent. L'économie globale prendra le relais. Notre ami Nicolas Baverez vient de le théoriser en évoquant la substitution problématique de l'entreprise-providence à l'Etatprovidence. Se pose alors le fait majeur de la régulation, de l'utilisation de ces moyens, demandés et offerts. La ruée actuelle vers la transposition dans le management du sport des règles de celui des entreprises et de leur gouvernance, mérite une réflexion approfondie sur leurs objectifs respectifs. ## Les objectifs A ce stade de l'analyse, il faut affirmer la différence de fond entre l'activité sportive, futelle devenue un secteur économique, et l'économie globale. Le sport assure une fonction éducative indispensable à l'équilibre des sociétés humaines. L'entreprise assure une fonction lucrative indispensable à leur niveau de vie. Il faut tirer le meilleur de l'un et de l'autre, pas les mélanger. Les objectifs du sport sont différents, radicalement, car ils doivent respecter la nature, l'engagement physique, la psychologie - le mental - liés à tout acte sportif. L'acte sportif appartient à des hommes, à des femmes, qui acceptent le dépassement d'euxmêmes pour réussir. L'acte économique appartient à des agents qui pratiquent le dépassement des autres pour gagner. La confusion introduite, par l'argent, dans les années 80, entre les deux sens du mot gagner, au sein du mouvement sportif en a changé la nature. La nuance est de taille, quand on sait que la « gagne » est à la base de la fabrication des « bulles » qui ont fait exploser les revenus des buteurs du foot-spectacle comme ceux des traders de la finance. Au-delà de ce changement de nature, la domination de la pensée court terme, tout, tout de suite, a négligé le caractère physique de tout acte sportif qui exige que le temps de la maturation physiologique des acteurs soit respecté. Le sport a le devoir éducatif, sociétal, de prise en mains de millions de jeunes pré-ados et ados auquel il faut apprendre à réussir sa vie, son rapport aux autres, son engagement collectif, son propre développement physiologique par la sauvegarde de sa santé. L'activité sportive se nourrit depuis toujours d'un corps sain que l'attraction des bienfaits séduisants de la rémunération express de la performance ne doivent pas altérer. Cette altération existe dans l'économie globale. Elle conduit ses acteurs à rechercher dans la réussite sportive l'équilibre que la gagne financière ne leur permet pas d'atteindre. L'entreprise a pris conscience des bienfaits qu'elle peut recevoir dans son mariage de raison avec le mouvement sportif. Il reste alors à traiter la psychologie, l'esprit, le mental, auquel on fait allusion à la fin de toutes les compétitions. Ce mental se nourrit des exemples qui sont donnés par les acteurs de la discipline sportive à laquelle, dès son plus jeune âge, le futur sportif consentira le dépassement de lui-même. Il faut « croire » pour « y aller », en regardant l'icône, en se signant à l'entrée sur la pelouse ou dans l'arène. Les dérives comportementales, les caprices, les arrogances observées, ont accumulé les mauvais exemples qui poussent les plus jeunes vers la gagne plutôt que vers la réussite. On ne peut plus laisser le sport apparemment géré par des hyper individualistes aux oreilles bouchées par des casques, aux yeux rivés sur leur image, fabriquée comme celle portée par les hommes sandwich du temps de la réclame. Heureusement, l'engagement bénévole de tous ceux, altruistes et effacés, qui font vivre le « sport d'en bas » corrige les dérives de certains acteurs du « sport d'en haut ». Ce sont ces acteurs qu'il faut aider en leur donnant du temps, de la réflexion... et des moyens. ^1^ François LECCIA, directeur de l'Institut du management du sport de Grenoble, dont PRESAJE est membre du comité scientifique, et Vincent CHAUDEL, vice-président de l'association européenne Sport et citoyenneté, contributeur à l'ouvrage « Où va le sportif d'élite » de la collection PRESAJE.
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[ "andré babeau" ]
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LES TROIS LECTURES DE LA CRISE MONDIALE PAR LES ÉCONOMISTES
# Les trois lectures de la crise mondiale par les économistes Une crise mondiale et trois façons de l'interpréter en 2010. La controverse des économistes ne s'est pas calmée depuis qu'au milieu de l'année 2007, l'affaire des « subprimes » a été le déclencheur de la crise financière - puis économique - dont nous vivons aujourd'hui encore les prolongements. Pour André Babeau, les économistes se partagent entre trois écoles qui préconisent trois types de médecine : les libéraux, les **« atterrés » et les hybrides.** 1920 : « Quand je réunis cinq économistes, j'ai cinq opinions différentes, sauf si Keynes est l'un d'entre eux, auquel cas j'en ai six ! ». Les analyses de la crise de 2008 par les économistes au cours des trois dernières années n'infirment pas totalement cette boutade. Un éventail d'explications largement ouvert a en effet été proposé par les économistes, qu'ils soient français ou étrangers, pour tenter de rendre compte des soubresauts que nous avons connus depuis l'été 2007. Cependant, au risque de simplifier, on peut opérer des regroupements. En s'en tenant aux causes génériques qui ont été évoquées et sans descendre dans le détail des causes particulières, les opinions quant aux responsabilités dans la survenance des différents déséquilibres se répartissent sur deux axes orthogonaux : dans un cas, on attribue une responsabilité plus ou moins grande aux pouvoirs publics, aux politiques suivies, aux décisions des banques centrales et aux organismes de régulation ; dans l'autre, cette responsabilité repose sur la faillite des marchés, de la dérégulation et, disons pour faire bref, du paradigme de la finance moderne qui s'était imposé au cours des deux dernières décennies du XXe siècle. Dans cet espace à deux dimensions, trois groupes principaux d'économistes se dégagent ; ce qui n'exclut évidemment pas les situations intermédiaires que nous négligerons. Nous ne mentionnerons d'ailleurs pas de noms, pour éviter non seulement les protestations des collègues qui se jugeraient affectés à mauvais escient à tel ou tel groupe, mais aussi, et peut-être surtout, celles des collègues qui s'estimeraient avoir été oubliés, alors qu'ils eussent, selon eux, dû être nommés. Naturellement, les initiés n'auront aucun mal à replacer dans ces groupes les principaux protagonistes intervenant dans ce domaine sur la scène nationale ou internationale. Le premier groupe à décrire rassemble les économistes libéraux - certains disent même ultra-libéraux, voire libertaires. Ces économistes se rattachent à l'école autrichienne et aux analyses menées par Friedrich von Hayek dans les années 1930. Pour eux, la responsabilité principale de la crise repose, non sur le fonctionnement des marchés, mais sur les interventions intempestives des pouvoirs publics et des banques centrales : en l'occurrence, le maintien de taux d'intérêt trop faibles par la Federal Reserve depuis la fin des années 1990. Ce maintien a contribué à la faiblesse du taux d'épargne des Américains et au développement très excessif du crédit aux Etats-Unis et dans plusieurs autres pays comme le Royaume-Uni, l'Irlande et l'Espagne ; développement qui est bien sûr à l'origine de la crise. Dans la sortie de crise, le rôle de l'Etat, assureur en dernier ressort, doit donc être aussi temporaire que possible. Le second groupe se situe, du point de vue de la responsabilité des marchés dans la crise, à l'opposé du précédent : les marchés financiers, selon lui, sont plus souvent autodéséquilibrants qu'auto-équilibrants ; c'est la concurrence financière qui est à l'origine de cette instabilité ; la notion d'efficience des marchés relève du mythe. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas non plus être exonérés de toute responsabilité, car, comme l'a avoué Alan Greenspan lui-même, ils ont reconnu trop tard cette absence d'autorégulation des marchés et des institutions. Deux sous-catégories d'économistes peuvent ici être mentionnées. D'une part, les « régulationnistes » - école largement française apparue à la fin du siècle dernier - d'autre part les « radicaux » qui sont favorables à un changement de système - voire de société ! - dans lequel le rôle des pouvoirs publics, au moins dans le secteur financier, devrait être durablement accru. Les « économistes atterrés », qui ont beaucoup fait parler d'eux ces dernières semaines, se rattachent clairement à ce second groupe. Enfin, le troisième groupe comprend un grand nombre d'économistes qui se situent autour de l'origine des deux axes orthogonaux mentionnés ci-dessus. Pour eux, les responsabilités sont partagées. Les marchés comportent certes d'importantes déficiences, mais les pouvoirs publics et les organismes de contrôle n'ont pas, non plus, été à la hauteur. Les missions des banques centrales doivent, en particulier, être redéfinies et il faudra bien en venir progressivement à une régulation de l'économie mondiale. Du point de vue des interventions des Etats, le problème n'est pas alors de savoir si elles doivent être plus ou moins importantes qu'avant la crise, mais plutôt de modifier leur nature, notamment afin que soit tenu compte de la dimension internationale des décisions à prendre. Le poids relatif de ces diverses interprétations dans le débat scientifique et politique des deux dernières années ne peut évidemment être estimé que de façon très approximative. Mais donner un poids d'un cinquième à chacun des deux premiers groupes mentionnés et de trois cinquièmes au dernier n'est sans doute pas déraisonnable. Et naturellement, on l'a dit, le clivage des diagnostics se retrouve dans les thérapies de sortie de crise, en particulier dans l'appréciation du rôle joué par les mesures dites « non conventionnelles » prises par les Banques centrales. Le risque, si, comme on peut le penser, la troisième interprétation l'emporte, est qu'à force d'hésitations, de nuances et de compromis on retombe rapidement dans un « business as usual » rapidement générateur de nouvelles crises. Comme cette voie médiane est éloignée de tout esprit de système, elle demande davantage de perspicacité que les deux autres. Et aussi sans doute davantage de temps pour que nous puissions juger des premiers résultats. Nous y sommes et on ne peut pas dire à ce jour, dans les pays avancés, que la perplexité nous ait abandonnés.
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L'IRRÉSISTIBLE AVANCÉE DE LA MÉDIATION DANS LE RÈGLEMENT DES CONFLITS
# L'irrésistible avancée de la médiation dans le règlement des conflits Une enquête récente du cabinet Fidal vient de mettre en lumière la préférence de plus en plus marquée des entreprises françaises pour le recours à la médiation et à l'arbitrage dans le règlement des litiges. Les lenteurs de la machine judiciaire et les dégâts collatéraux que provoquent les procès dans la vie commerciale des entreprises expliquent cette évolution, la France rejoignant avec retard des pratiques très développées hors de ses frontières. Isabelle Vaugon présente les grandes lignes de l'enquête Fidal. *Ses résultats ont ensuite été comparés avec ceux d'une enquête de même type menée par l'AAA aux Etats-Unis en 2003. Elle utilise l'expression « Dispute Wise » dans le sens de « gestion optimisée des litiges ». Et les initiales MARC qui reviennent souvent dans le texte signifient : « modes alternatifs de règlement des conflits ». Rappel. Dans l'arbitrage, le tiers désigné par les parties en litige dit le droit ; sa décision a un caractère juridictionnel. Dans la médiation, le tiers s'efforce simplement d'obtenir la réconciliation amiable des parties en conflit.* Les résultats de l'étude FIDAL établissent assez clairement que les entreprises ayant les pratiques les plus « Dispute-Wise », c'est-à-dire qui ont le plus recours aux modes alternatifs de règlement des conflits (MARC) bénéficient d'un meilleur environnement commercial et économique, sont plus satisfaites de la gestion de leur litige et ont un département juridique mieux sollicité. L'étude montre que les sociétés les plus « Dispute-Wise » disposant d'un « Management Optimisé des Litiges » : - utilisent leurs ressources plus efficacement dans l'ensemble, les départements juridiques ont souvent le sentiment d'être sollicités à l'extrême, ceux des entreprises les plus « Dispute-Wise » sont moins sujets à ce sentiment, - bénéficient des avantages économiques reconnus à la pratique de la médiation et de l'arbitrage, qui se traduisent en : 1. économie de coûts, internes et externes, afférents à la gestion des conflits, 2. économie du temps consacré à la résolution des litiges, permettant une meilleure gestion des ressources de l'entreprise et de privilégier la productivité, 3. préservation des relations avec les partenaires, notamment clients ou fournisseurs (objectif privilégié de l'entreprise), 4. ouverture sur de nouveaux accords, créateurs de valeur pour l'entreprise. ## Avantages de l'utilisation de la médiation et de l'arbitrage - La raison principale commune invoquée par les répondants à l'enquête pour expliquer leur recours à la médiation et à l'arbitrage est l'économie de temps. - Les entreprises invoquent également l'économie de coûts et la préservation des bonnes relations entre les parties. - Pour expliquer leur recours à l'arbitrage, les entreprises avancent également la confidentialité de la procédure et l'expertise des arbitres. ## Effets sur le temps passé pour résoudre le litige par rapport aux procédures judiciaires La médiation est considérée comme une méthode de résolution des litiges plus rapide que la voie judiciaire par 85% des entreprises utilisatrices. L'arbitrage est considéré comme une méthode de résolution des litiges plus rapide que la voie judiciaire par 54% des répondants français, et 67% des répondants américains. ## Effets sur la relation entre les parties par rapport aux procédures judiciaires Pour plus de 80% des répondants, lors de la survenance d'un litige avec un client ou un fournisseur, il est important de préserver la relation commerciale. A cet effet, plus des deux tiers des entreprises françaises ont déclaré être portées à recourir aux modes alternatifs de règlement des conflits. Aux Etats-Unis, les entreprises américaines les plus « Dispute-Wise » sont celles qui entretiennent les meilleures relations d'affaires avec leurs clients et fournisseurs. La majorité des entreprises interrogées a indiqué qu'un processus de médiation réussi évite la rupture des relations contractuelles, soit par la mise en place de nouveaux accords, soit par l'interprétation ou la modification du contrat objet du litige, soit même par son exécution pure et simple. 81 % des entreprises interrogées estiment que la relation avec l'autre partie est meilleure à la suite d'une médiation réussie. ## Approche comparée de l'utilisation des MARC { #approche-comparée-de-lutilisation-des-marc .unnumbered} Les résultats de l'étude établissent clairement et en toute cohérence que les entreprises interrogées qui ont eu recours aux MARC sont satisfaites de l'usage de ceux-ci comme de la qualité des arbitres et des médiateurs. La comparaison des résultats obtenus en France et aux Etats-Unis démontre toutefois que, malgré les 5 années écoulées entre les deux enquêtes, un écart subsiste entre les entreprises françaises et américaines, tant en terme d'importance que de fréquence de recours aux MARC. Les MARC utilisés outre-Atlantique sont également plus variés qu'en France, où sont encore majoritairement utilisés l'arbitrage et la médiation. Cependant, l'étude démontre que les entreprises françaises optimisent déjà leur recours aux MARC : - par l'utilisation de la médiation en amont, lors de la formation du contrat, - par la promotion de l'utilisation de la médiation dans la majorité des conflits, - par l'utilisation de la médiation dès la naissance du conflit, - par l'utilisation de la médiation et de l'arbitrage pour tous types de conflits. ## Une large utilisation des MARC par les entreprises françaises les plus « Dispute-Wise**»** L'étude démontre que les entreprises françaises qui recourent aux MARC en font une utilisation large : - par le recours à la médiation lors de la formation du contrat, - par la promotion de l'utilisation de la médiation dans la majorité des conflits, - par l'utilisation de la médiation et de l'arbitrage pour tous les types de conflits : AD HOC - l'arbitrage et la médiation sont utilisés pour tous les litiges commerciaux et contractuels dans tous les domaines du droit, - une priorité est donnée à l'arbitrage en matière internationale, - l'arbitrage institutionnel est préféré à l'arbitrage ad hoc autant en matière internationale que nationale. ## Comparaison des pratiques françaises et américaines dans l'utilisation des MARC En France, les MARC ne sont pas encore utilisés de manière systématique comme aux Etats-Unis. Les MARC les plus utilisés en France comme aux Etats-Unis sont la médiation et l'arbitrage, mais dans les deux pays, les entreprises les plus « Dispute-Wise » utilisent aussi d'autres MARC. - Les trois types de MARC les plus utilisés par les entreprises françaises répondantes ces trois dernières années sont : l'arbitrage, la médiation et l'expertise amiable. Les plus « Dispute-Wise » pratiquent également la décision d'urgence contractuelle ou - « Dispute-Boards ». - Le taux d'utilisation global des MARC est encore plus important aux Etats-Unis : 95% contre 62% en France. - Toutefois 83% des entreprises les plus « Dispute-Wise » françaises ont utilisé au moins un MARC sur les trois dernières années. - La médiation est deux fois plus utilisée aux Etats-Unis qu'en France. Presque toutes les entreprises (86%) ont eu recours à la médiation aux Etats-Unis, contre seulement 39% en France. - L'arbitrage est aussi plus utilisé aux Etats-Unis (72% des entreprises) qu'en France (48% des entreprises). - En revanche, parmi les entreprises qui utilisent l'arbitrage, les entreprises françaises (27%) y recourent deux fois plus souvent que les entreprises américaines (15%). ## Les meilleures pratiques des politiques de gestion des conflits des entreprises « Dispute-Wise » Parmi les données les plus importantes recueillies par cette enquête, figurent, sans conteste, celles qui ont permis d'analyser les comportements-types des entreprises les plus « Dispute-Wise » face à leurs litiges. L'intérêt de cette analyse était de déterminer s'il existait au sein des entreprises les plus « Dispute-Wise » des tendances communes pouvant servir de modèle. L'étude a précisément permis de dégager 5 comportements types communs ou « meilleures pratiques » développées par les entreprises les plus « Dispute-Wise » aux fins d'optimiser la gestion de leurs litiges. Cette recherche était particulièrement intéressante dès lors qu'il avait déjà été établi par l'enquête américaine, et confirmé par l'étude comparée, que les entreprises les plus « Dispute-Wise » disposent d'une gestion optimisée de leurs litiges, bénéficient d'une meilleure organisation que celle des entreprises les moins « Dispute Wise », et atteignent des résultats qui prennent mieux en compte les enjeux économiques et non économiques de l'entreprise. Ces « meilleures pratiques » sont : - organisationnelles : 1. formalisation d'une politique de gestions des conflits, 2. formation des équipes aux MARC ; - opérationnelles : 1. implantation d'un système de suivi des contrats, 2. recours aux MARC ordonné de manière stratégique, 3. anticipation volontaire au recours aux MARC (notamment par l'introduction de clauses). ## L'établissement d'une politique de gestion des litiges - La majorité des entreprises les plus « Dispute-Wise » en France (62,5%) comme aux Etats-Unis (65,5%) a mis en place une politique de gestion des litiges. - En France, seulement un tiers de l'ensemble des entreprises interrogées a mis en place une politique de gestion des litiges (37%). Aux Etats-Unis, la situation est inversée : seul un tiers des entreprises interrogées ne dispose pas d'une politique de gestion des conflits. - Les entreprises les plus « Dispute-Wise » sont donc trois fois plus nombreuses que les autres à avoir mis en place une politique de gestion des litiges en France. - La moitié des entreprises françaises qui ont adopté une politique de gestion des litiges, l'a formalisé par un acte interne. - 8% des répondants français considèrent que leur politique de gestion des litiges résulte de leur signature de la Charte de la Médiation Inter-Entreprises élaborée sous l'égide conjointe de la Chambre de Commerce de Paris et du Ministère de l'Economie et des Finances. ## La formation des équipes aux MARC - La majorité des entreprises les plus « Dispute-Wise » (58%) déclarent former leurs équipes à la médiation et à l'arbitrage. - 86% des personnes formées appartiennent au service juridique, 4% au service technique et/ou commercial, et 4% au service administratif. - Plus de la moitié de l'ensemble des entreprises interrogées n'ont pas formé leurs équipes aux MARC. ## Un système de suivi interne des relations et des contrats - Près des deux tiers des entreprises les plus « Dispute-Wise » déclarent avoir mis en place un système de suivi des contrats. - Celles-ci ont précisé que ce système leur permet de : 1. anticiper les risques, 2. mieux maîtriser le budget, 3. mieux organiser les équipes, 4. disposer d'un tableau de bord pour gérer les litiges, 5. déterminer les responsabilités (rubrique « autre » selon verbatim). ## Un recours stratégique aux MARC - Les entreprises les plus « Dispute-Wise » privilégient le recours à la médiation dès l'échec des négociations et avant le recours au contentieux. - Un tiers des entreprises les plus « Dispute-Wise » recourent à la médiation avant d'engager une procédure d'arbitrage ; toutefois la majorité des entreprises interrogées n'engagent jamais de médiation en cas d'arbitrage. - 88% des répondants indiquent que leur attitude face aux MARC est identique qu'ils soient demandeurs ou défendeurs. - Des processus hybrides et articulés entre médiation et arbitrage existent et peuvent être utiles pour la gestion de certains conflits. L'usage de formules mixtes Médiation-Arbitrage en France reste tout à fait marginal (3%), alors qu'aux EtatsUnis, ce MARC est l'un des quatre MARC les plus utilisés (20%) . ## L'anticipation du recours aux MARC - L'étude confirme le caractère « volontariste » des MARC et notamment de la médiation, puisque la volonté des parties (48%) et l'introduction d'une clause dans leur contrat commun (33%) sont les deux raisons principales motivant leur recours à la médiation (soit au total 81%). - On observe par ailleurs que les conseils ont, pour 15% des répondants, joué un rôle moteur dans le déclenchement du processus de médiation. Le rôle des juridictions reste mineur, puisque seuls 4% des répondants ont mentionné que la juridiction saisie du litige les a incités à engager un processus de médiation. - L'étude démontre par ailleurs que plus d'un tiers des entreprises qui ont recours à la médiation insèrent des clauses dans leur contrat. Il est intéressant de souligner que cette pratique est déjà répandue y compris auprès des sociétés ne disposant pas d'un « Management Optimisé des Litiges ». ## Futur & Perspectives L'étude réalisée auprès des entreprises françaises, après celle réalisée auprès des entreprises américaines, confirme, sur la base des retours d'expériences des entreprises elles-mêmes, l'intérêt pour toute entreprise de recourir aux MARC, et notamment à la médiation, dans le cadre d'une politique de gestion des litiges. La promotion de la médiation par les entreprises elles-mêmes et par les pouvoirs publics devrait rapidement diminuer l'écart qui existe encore dans l'usage de celle-ci entre la France et les Etats-Unis, comme cela est déjà le cas notamment au Canada, en Australie et dans certains pays d'Amérique Latine. En effet, un mouvement sans précédent de développement des MARC s'amorce en Europe depuis l'adoption de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 « sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale ». Cette directive rappelle que « la médiation peut apporter une solution extrajudiciaire économique et rapide au litige au moyen de processus adaptés aux besoins des parties » et que « les accords issus de la médiation sont susceptibles d'être respectés volontairement et de préserver une relation amiable et durable entre les parties ». Etablie en vue de promouvoir les investissements transfrontaliers, cette directive incite notamment les Etats membres à encourager le recours à la médiation dans un cadre juridique prévisible, à informer le public, à encadrer et développer la profession de médiateur.
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RÉDUIRE LA PAUVRETÉ AVEC DES OBJECTIFS QUANTIFIÉS
# Réduire la pauvreté avec des objectifs quantifiés Comment définir la pauvreté ? Dans sa dimension absolue, elle caractérise une situation de dénuement total. Mais à un moment donné, elle n'a pas le même contenu réel en fonction d'éléments multiples : comportement individuel, époque, niveau de développement du pays, environnement, etc. D'où l'utilité de la fixation d'objectifs simples avec des rendez-vous pour mesurer les progrès ou les retards d'une politique de lutte contre la pauvreté. Julien Damon est l'auteur du livre « Éliminer la pauvreté**» publié cette année aux PUF.** Le gouvernement français a annoncé en octobre 2007 un objectif de réduction de la pauvreté d'un tiers en cinq ans. L'expression d'une telle finalité, avec toutes ses ambiguïtés, suscite, selon les interlocuteurs, de l'enthousiasme, du scepticisme, voire de l'ironie. Si elle est une innovation dans le contexte des politiques françaises, elle n'est pas totalement neuve dans le contexte international. Qu'il s'agisse de l'Union européenne ou des Nations Unies, l'objectif de réduction, voire d'éradication, de la pauvreté a été exprimé depuis le début du millénaire. En 2000, l'ONU a établi des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), visant, notamment, à « réduire de moitié l'extrême pauvreté » d'ici 2015. En 2000, l'Union européenne a lancé sa stratégie dite de Lisbonne, contenant une invitation à « donner un élan décisif à l'élimination de la pauvreté » à l'horizon 2010. Aux trois échelles, mondiale, européenne, française, le sujet est d'abord technique. Il s'agit d'indicateurs et de qualité des données. On peut tenter de résumer la substance des échanges et controverses par une formule. La pauvreté a des dimensions relativement absolues (le dénuement total dans les pays pauvres, comme dans les pays riches). Elle est, dans une large mesure, absolument relative car elle dépend des gens, de la période et de l'environnement. L'affirmation des objectifs quantifiés permet de fixer les définitions et de véritablement pouvoir apprécier les avancées et les reculs. Si discussions il y a sur les résultats pour l'ensemble des objectifs de l'ONU, les experts s'accordent sur l'atteinte attendue du premier des Objectifs du millénaire pour le développement, grâce à la croissance en Chine et en Inde. Dans l'Union européenne, les perspectives sont davantage mitigées, mais l'ambition a été de nouveaux affirmée, avec l'inscription parmi les principales orientations de la stratégie « UE 2020 » d'un objectif très précis consistant à réduire de 20 millions le nombre de pauvres d'ici 10 ans. Tous ces objectifs de résultat, qui sont sans obligation juridique, placent les politiques sous contrainte. D'où l'importance des rendez-vous clairement fixés par les horizons temporels annoncés. L'incontestable échec européen quant à l'élimination de la pauvreté en 2010 a, par la méthode suivie, permis un rebond intelligent et plus précis, avec l'adoption d'une visée moins grande mais plus aisément mesurable. Pour les OMD, le rendez-vous, au deux tiers du parcours, a eu lieu fin septembre 2010 à New York, avec rassemblement de la communauté internationale autour de réussites et de défaillances (certaines liées à la crise, d'autres pleinement structurelles) dans l'atteinte des objectifs fixés. Pour l'objectif français, le rendez-vous est cet automne, quand le gouvernement, tenu en cela par la loi, rendra un rapport au Parlement sur les avancées. Il en sortira, comme toujours, polémiques et controverses techniques, mais aussi débat politique et mobilisation +---------------------------------------------------+------------------+ | Taux de pauvreté en France, dans l'Union | | | européenne, dans le monde (en 2005)selon trois | | | définitions | | +===================================================+==================+ | France | > 13 % ^1^ | +---------------------------------------------------+------------------+ | Union européenne | > 16 % ^2^ | +---------------------------------------------------+------------------+ | Monde | > 22 % ^3^ | +---------------------------------------------------+------------------+ ^1^ INSEE pour le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps en 2005 (qui est le taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 % de la médiane, en 2005). ^2^ EU-SILC - Eurostat pour le taux de risque de pauvreté au seuil de 60 % de la médiane, en 2005. ^3^ Banque mondiale et ONU, seuil de 1 dollar par jour.
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[ "jean petit" ]
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LA MÉDECINE DU XXIE SIÈCLE : UN COLLOQUE BIEN PEU SINGULIER...
# **La médecine du XXIe siècle : un colloque bien peu singulier...** La santé est au cœur des évolutions de la société. En moins d'un siècle, la médecine est passée d'un modèle patriarcal - le médecin est celui qui sait ; le patient est celui qui écoute - à un modèle de pouvoir partagé entre le professionnel de santé et un patient de plus en plus informé et tenté de se comporter en co-décideur. A cela s'ajoutent désormais de graves questions scientifiques et techniques (le développement de la télémédecine) et éthiques (droits du patient en fin de vie). Sous le regard de la justice, de nouvelles déontologies vont devoir s'imposer. Au XXe siècle, les progrès sociaux et scientifiques ont offert l'espoir de la « santé pour tous en l'an 2000 » (OMS, Alma Ata, 1978). L'objectif de guérison du malade a laissé la place à celui de la santé de la personne soignée. Face à ces évolutions, les médecins ont longtemps conservé à l'égard de « leurs » patients une approche paternaliste et fondée sur leur expérience personnelle. Puis, devant l'explosion des publications, s'est imposée dès 1980 une nouvelle médecine, fondée sur des recommandations professionnelles validées (« evidence-based medicine »). Nous voici au XXIe siècle. Ainsi, en moins d'un siècle, la médecine a évolué d'un modèle patriarcal (le médecin détient la connaissance et le patient consent au traitement) vers un modèle professionnel (le médecin décide mais prend en compte les préférences du patient), puis un modèle partagé (le médecin et le patient décident ensemble). Les patients se veulent informés et s'imposent en partenaires (« patient empowerment »). Doit-on, peut-on éviter d'aller plus loin ? Aux États-Unis, certains patients revendiquent déjà le droit de décider seuls de leur traitement. Force est d'admettre que la relation médecin -- patient s'est profondément et irréversiblement modifiée, dans un environnement de consumérisme croissant, de médiatisation des erreurs et de protection accrue des droits, d'amélioration de l'éducation sanitaire et médicale, d'essor des nouvelles technologies de la communication et de l'information, de développement de l'automédication et de rejet des toutes les attitudes paternalistes. Les patients connaissent de plus en plus les derniers traitement et demandent à en bénéficier. Ils ont accès à des palmarès voire des « indicateurs » pour orienter leurs choix. Ce partenariat « patient-soignant » est en outre « gagnant-gagnant » : lorsque les patients sont associés à leur prise en charge, les résultats sont meilleurs, les coûts moindres et la satisfaction accrue. Reste à gérer les inégalités d'accès à ce savoir\... Enjeux de communication, la maladie et la médecine ont inspiré Molière comme elles font aujourd'hui le succès du site Doctissimo. Cette communication est réciproque. Il y a la journée du souffle, celle du cœur, et même une journée mondiale pour la santé. Il y a la semaine pour la santé mentale, et « Octobre rose » pour le cancer du sein. Et en France, il y aura désormais « L'année des patients et de leurs droits », ce sera... en 2011. Cet événement est important : le partenariat entre les patients et les professionnels de santé est plus que jamais indispensable. Notamment parce que la médecine du XXIe siècle va soulever des questions éthiques difficiles. Questions d'éthique collective et politique autour du financement et de l'égalité d'accès : la prise en charge des aînés, de plus en plus âgés, et le développement des différentes formes de biothérapies, particulièrement et durablement coûteuses, vont remettre en cause les objectifs et le financement de la branche santé de l'assurance maladie, maître pilier du système social à la française. Autre sujet, d'éthique individuelle celui-là, la fin de la vie. A l'instigation de Jean Leonetti, la France a légiféré dès 2005 sur les droits du patient en fin de vie. Bien qu'adoptée à l'unanimité des représentations parlementaires, cette Loi reste encore d'application perfectible. Probablement parce qu'elle contraint chaque acteur de la société à se projeter aux limites de sa vie\... Le patient au cœur du système sanitaire et médico-social, ce sont aussi d'autres enjeux plus techniques. La généralisation du dossier médical partagé se profile enfin ; les exemples étrangers en démontrent les bénéfices cliniques et économiques. Reste qu'il traite de sujets éminemment intimes et suscite légitimement des craintes. Autre évolution, la télémédecine. Autorisée et réglementée depuis peu, elle procède de l'hyperspécialisation médicale et de l'évolution de sa démographie, ainsi que de la régulation des autorisations visant à concentrer l'expertise sur un petit nombre de centres à forte activité. Mais elle bouscule évidemment la relation médecin - malade traditionnelle. Ainsi et bien au delà de ces quelques exemples, la santé reste au cœur des évolutions de la société. Sous le regard de la justice, de nouvelles déontologies vont s'imposer. Des métiers nouveaux sont à créer. Chacun d'entre nous, patient et médecin malgré lui, est concerné.
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institut présaje
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[ "jacqueline simon" ]
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LES CLÉS D'UNE RÉFORME SANS TABOU DE L'ASSURANCE-MALADIE
# Les clés d'une réforme sans tabou de l'assurance-maladie Réformer en France le système de l'assurance-maladie, c'est techniquement possible. Et cela, sans trahir l'esprit des origines. Des solutions existent pour assurer le retour à l'équilibre d'un système que les Français imaginent, à tort, voué au déficit. Mais cela passe par le dépassement de quelques idées reçues et la remise à plat de mécanismes de fonctionnement alourdis par des décennies d'améliorations ou de réparations ponctuelles. Jacqueline Simon identifie six thèmes d'action prioritaires. Il n'y aura probablement pas de réforme de l'assurance maladie, du moins au sens plein du terme, parce que la remise en cause de l'existant se heurte à trop de tabous. C'est dommage parce que c'est possible. Le problème ne défie pas l'entendement. Tout le monde a bien compris un certain nombre de choses. Mais chaque fois qu'on arrive au bord d'une vérité, le pas n'est pas franchi, même par les clercs qui, à la différence des hommes politiques, ne jouent pourtant pas leur carrière. Voici quelques vérités qui sont, pour le moment encore, jugées iconoclastes. ## - Oui, il faut mobiliser massivement le financement privé Le financement privé, ce sont les sommes que le système public laisse à la charge des assurés. Il a très mauvaise réputation. On lui reproche d'être inéquitable et de peser plus lourd sur les pauvres que sur les riches. Or, depuis les travaux menés sur le bouclier sanitaire, on sait que ce n'est pas vrai et qu'il est possible de faire varier le « reste à charge» (c'est l'expression consacrée) en fonction des revenus des ménages. On pourrait mettre place ce dispositif en France à brève échéance (dès 2012 ?). On sait aussi qu'il est impossible d'espérer une augmentation du financement public. Ni l'état des finances publiques, ni le poids des charges sociales ne le permettent. Pas plus sous la forme de la TVA sociale qu'autrement car on ne peut pas non plus augmenter indéfiniment la TVA. La solution du recours au financement privé se déduit presque directement de la lecture des très officiels rapports de l'INSEE et du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, le HCAAM. Tous décrivent la très faible part que les soins occupent dans le budget des ménages ; c'est une des plus petites consommations, 4% des budgets, loin derrière le logement, la nourriture, la voiture et son carburant, les services à la personne, les loisirs, les communications... C'est à peine plus que le tabac et les alcools (3,6%) ! D'autre part, les budgets des ménages sont très élastiques. Il n'a fallu que quelques années pour qu'une part considérable de la dépense soit consacrée aux réseaux modernes de communication. Pour prendre l'exemple du téléphone portable, qui n'est que l'un de ces instruments, il représente aujourd'hui une dépense de 27 euros par mois et par utilisateur (or il y a presque toujours plusieurs utilisateurs, y compris dans les familles modestes). A titre de comparaison, le déficit actuel de l'assurance maladie, que l'on hésite toujours à faire prendre en charge par ces budgets, est de 8 euros par personne et par mois. S'il faut vraiment réguler la dépense - et bien sûr il le faut - qui est le mieux placé pour le faire si ce n'est les intéressés euxmêmes ? Refuser par principe d'utiliser cette solvabilité des ménages est, dans les circonstances actuelles, un jeu dangereux. ## - Oui, il faut accepter de revoir l'architecture du système d'assurance Tout le monde sait que l'architecture du système est mauvaise. Ce fut, dès 2004, le thème du premier rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie nouvellement créé. Mais le même HCAAM, s'il n'a pas hésité à critiquer les résultats, n'a pas cherché à remonter jusqu'aux causes. Cette architecture a été mise en place en 1945 en même temps qu'étaient définis les principes du modèle social. Ces principes, il n'est pas inutile de le rappeler sont au nombre de trois : l'assurance maladie doit être publique, son financement doit être solidaire, les assurés doivent conserver à leur charge une partie de leurs dépenses. Ils peuvent supporter des modalités d'application différentes. En même temps, le législateur avait défini les méthodes qui permettaient de les mettre en œuvre dans la société de son époque. La simultanéité a fait que principes et méthodes sont couverts par la même approbation générale, la même sacralisation. Aujourd'hui, on est face à un tabou : les méthodes de l'origine font partie des droits acquis Pourtant, on l'a dit et rabâché, notre société n'est plus celle de 1945. Quand le recours aux soins était rare, on pouvait les prendre en charge « au premier franc », c'est-à-dire dès la première dépense et enchaîner toutes les dépenses suivantes sans la moindre variation. Aujourd'hui, consulter est devenu un acte de la vie courante très répétitif. La prise en charge au premier franc conduit à multiplier de petites prestations qui, accumulées, représentent une très lourde charge pour le régime - au moins un tiers de ses dépenses - alors qu'elles trouveraient naturellement leur place dans le budget des particuliers. En 1945, la médecine, peu efficace, n'était pas non plus très coûteuse et il n'était pas déraisonnable de demander aux assurés de garder à leur charge un certain pourcentage de leurs dépenses. Aujourd'hui, le coût de ce que l'on appelle le « grand risque » a atteint des sommets. On continue à le partager entre l'assureur et l'assuré, au titre du ticket modérateur, sur un mode proportionnel. Un pourcentage d'une dépense extrêmement élevée débouche par définition sur une somme... extrêmement élevée. On a rencontré ce problème il y a longtemps déjà et on lui a donné avec le système des affections de longue durée (ALD), la plus mauvaise solution possible. Qu'on en juge par les résultats : un tiers des personnes qui relèvent incontestablement du grand risque ne peuvent pas, pour des raisons diverses, bénéficier du régime des ALD et le système public les laisserait cruellement démunies s'il n'y avait pas l'assurance complémentaire. Et ce n'est pas la seule anomalie. Un quart seulement des personnes qui bénéficient desdites ALD relèvent du grand risque, les trois autres quarts se répartissant au petit bonheur la chance dans toutes les tranches de dépenses, même les plus basses. Il y a visiblement là quelque chose qui ne va pas du tout. Le projet de bouclier sanitaire aurait pu être l'occasion d'une remise à plat des méthodes historiques. Il n'en est rien. Elles sont au contraire pieusement conservées. On se contente de rajouter au dispositif actuel une nouvelle mesure en vertu de laquelle chaque fois que les tickets modérateurs payés en amont par un ménage atteindront un certain montant, ce dernier sera exonéré de toute charge supplémentaire. En clair, on conserve la prise en charge très généreuse du petit risque et on lui ajoute une prise en charge améliorée du grand. Les chances pour que cela facilite l'équilibre des comptes sont extrêmement minces. Les auteurs du projet ne l'ont d'ailleurs pas suggéré. Ils se sont bornés à décrire ce qu'il fallait faire pour que le déficit ne soit pas aggravé. ## - Oui, on peut structurer le système autour des notions de « grand risque » et de « petit risque » L'idée de laisser le petit risque à la charge des ménages n'est ni neuve ni originale. Longtemps on l'a écartée en soutenant qu'on ne pouvait pas donner une définition raisonnable du petit risque et du grand risque. On s'appuyait alors sur des définitions médicales qui, en effet, sont totalement inopérantes (la grippe est-elle un grand ou un petit risque ?). Reconnaissons cette vertu au projet de bouclier sanitaire de donner les définitions appropriées en se référant non pas à une pathologie, mais à un montant de dépenses. Il y a grand risque quand les dépenses (celles qui sont éligibles à l'assurance) dépassent un certain seuil, et petit risque tant que ce seuil n'est pas atteint. Le projet a aussi étudié dans le détail comment on pouvait faire varier ce seuil en fonction des revenus des intéressés. La voie est ainsi ouverte. Le système actuel est le fruit d'une création continue et, naturellement, au cours des années, on a beaucoup ajouté et très peu retranché. Aujourd'hui on hésite à dire que le petit risque restera à la charge des malades car c'est une décision qui va toucher pratiquement toute la population... qui ne va pas forcément la mettre en balance avec l'amélioration de la prise en charge du grand risque. Les clercs n'osent donc pas même prononcer le mot. Mais s'ils ne le font pas, qui le fera ? Qui osera rappeler qu'il n'y a pas une différence de substance entre le contenu d'un système et son équilibre financier, que ce sont l'avers et le revers d'un seul et même problème ? Quant à la façon de le faire, elle est simple et bien connue. En langage courant, cela s'appelle une franchise Cette franchise devrait avoir un niveau de base, un niveau plus faible pour les gens qui ont peu de revenus et un niveau zéro pour ceux qui ont zéro revenu. ## - Oui, il faut revoir le champ de la gratuité Voilà une cause de l'explosion des déficits qui n'est jamais évoquée. Il est tout à fait remarquable que chaque fois qu'on a rencontré un problème, on l'ait résolu par une extension du champ de la gratuité. On l'a fait d'abord pour les soins les plus coûteux, ceux dont la « cotation » dépasse un certain montant, puis pour les plus pauvres, bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle (CMU) puis pour les personnes atteintes d'une ALD. Nous reconnaissons donc deux sources de gratuité : celle qui est dictée par le coût des soins et celle qui est une réponse à l'insuffisance des ressources. Cette dernière a été introduite très tard et elle ne nous coûte pas très cher. Elle est légitime et devra être accrue et diversifiée. Rien en revanche ne légitime une gratuité totale quand le coût des soins est élevé. Ces dispositions sont extrêmement onéreuses et leur coût ne cesse d'augmenter alors même qu'elles ne sont pas particulièrement équitables. Elles n'ont été introduites dans notre législation que parce que le régime de base n'est pas organisé pour limiter le coût du grand risque, comme pourrait le faire une franchise. Il faut donc que notre organisation évacue le champ de cette gratuité et ne retienne que celle qui est liée à l'insuffisance des ressources. Ce sera source d'économies considérables ## - Non, il ne faut pas compter sur la maîtrise de la dépense C'est une idée qui a exercé un pouvoir de séduction considérable parce qu'elle était moralisatrice, ce qui plaît toujours. Tout système de protection induit un « risque moral ». Les assurés et surtout leurs fournisseurs sont tentés d'exagérer leurs demandes de remboursement. Il faut donc lutter contre ce risque moral et les méthodes employées sont toujours les mêmes. L'assureur passe des conventions avec les fournisseurs pour être sûr de ne payer que le juste prix, il limite sa couverture à ce qui est réellement nécessaire, il développe autant qu'il le peut la prévention. Tout cela est légitime en soi mais ne garantit pas le retour facile à l'équilibre des comptes. Si les droits ouverts sont inflationnistes, une pression trop forte sur les fournisseurs est source de dysfonctionnements. On l'a vu concrètement. Dès qu'un effort excessif a été demandé, cela a produit des effets pervers. Cette politique est responsable de l'insuffisance du nombre des médecins, de leur mauvaise répartition et de l'existence des déserts médicaux Elle a nui à la compétitivité de l'industrie pharmaceutique, etc. Il est donc impératif d'apporter par le biais d'un financement plus abondant la souplesse qui manque au système. ## - Oui, il faut éviter les nationalisations rampantes L'histoire a conduit à confier de plus en plus de responsabilités aux assureurs complémentaires, ce qui ne leur a pas déplu puisque leur métier est d'assurer et qu'ils le font bien. Longtemps, les purs et durs du régime public ont tordu le nez puis, constatant qu'on ne peut plus se passer de cette solution, ils acceptent l'idée que ces assureurs complémentaires collaborent au service public. Mais ils en tirent la conclusion qu'ils doivent être soumis aux mêmes servitudes. On étudie donc, dès à présent, quelles sont les règles à imposer à des acteurs qui jusqu'ici opéraient librement en secteur concurrentiel. On a aussi découvert que tout honnête citoyen avait, après tout, droit comme tout un chacun à sa couverture complémentaire. On a donc subventionné ceux qui ne pouvaient pas en acheter et par ricochet, les assureurs complémentaires eux-mêmes. Aux dernières nouvelles, on réfléchirait à l'idée de rendre l'assurance complémentaire, qui est aujourd'hui purement facultative, obligatoire. Et la boucle d'une socialisation totale des soins sera ainsi bouclée. Nous n'avons nul besoin de ces nationalisations rampantes. Il vaudrait bien mieux que le régime public assume entièrement ses obligations et que les assureurs concurrentiels conservent leur liberté. Ces propos n'ont rien de révolutionnaires. Ils tendent à revenir à un exercice plus sain, plus proche de l'inspiration des origines. A corriger les dérives du système. A lui donner l'efficacité que l'on est en droit d'exiger de la part d'un système public d'assurance maladie. Encore faut-il accepter de mettre sur la table les sujets qui fâchent. Les clercs n'hésitent jamais à souligner le manque de courage des hommes politiques. Ils ne se rendent pas compte qu'en refusant de s'affranchir des idées reçues et de briser quelques tabous, ce sont eux qui se dérobent devant leurs propres responsabilités. Ce qui pose alors le problème du rôle et de l'organisation de l'expertise publique. Mais ceci est une autre question\...
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institut présaje
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[ "thomas cassuto" ]
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PRATIQUES ET JURISPRUDENCES MÉDICALES : AIDER LE MÉDECIN, RASSURER LE MALADE, PRÉVENIR LE RISQUE JURIDIQUE
# Pratiques et jurisprudences médicales : aider le médecin, rassurer le malade, prévenir le risque juridique La réforme du parcours de soins coordonnés vise à sauvegarder l'équilibre d'un système d'assurance maladie chahuté par les progrès fulgurants de la science et l'alourdissement continu des budgets de la santé. Placé en première ligne, le médecin généraliste se voit investi de responsabilités nouvelles. Les risques juridiques qui pèsent sur les activités médicales prennent des formes variées et complexes. La réforme ne réussira pas sans de meilleurs outils d'aide à la décision. Au cours des soixante dernières années, l\'offre et la qualité des soins se sont considérablement diversifiées et améliorées grâce à la conjugaison du système d\'assurance maladie et du progrès scientifique. La sécurité sociale a maintenu le principe de l\'égalité devant les soins et la connaissance repousse les inégalités devant la maladie. Mais la combinaison de cette institution majeure de la République et d'un progrès que l\'on ne peut ralentir font peser une menace sérieuse sur l\'avenir du système en mettant en péril les équilibres économiques qui les garantissent dans une société soucieuse de préserver l\'équité des charges collectives et responsable vis à vis des générations à venir. Pour faire face à ces défis, la réforme du parcours de soins coordonnés introduit par la loi du 13 août 2004 peut apparaître comme un carcan administratif supplémentaire destiné à restreindre l\'offre de soins et le principe de la liberté du choix du praticien. En l\'absence d\'évolution dans les pratiques, il ne semble pas que cette réforme puisse donner sa pleine mesure. Au mieux, dans l\'esprit des usagers, le parcours de soins permet de rationaliser les coûts dans l\'offre de soins ; au pire, il constitue une immixtion de la puissance publique dans la relation particulière, et essentielle à la réussite des soins, entre le patient et son médecin, le dialogue singulier. Or cette réforme présente des perspectives bénéfiques sur l\'ensemble du spectre de la santé publique en énonçant des missions nouvelles à la charge du médecin coordonnateur. Mais pour que cette réforme aboutisse, il est nécessaire d\'offrir des moyens supplémentaires à ce médecin, le plus souvent généraliste, pour lui permettre de remplir les missions nouvelles qui lui sont confiées dans le cadre du parcours de soins coordonnés. Ainsi, les exigences légitimes croissantes de patients-usagers du service public de la santé devront être satisfaites en canalisant les risques de mise en cause de la responsabilité civile ou pénale du patricien, en mettant à sa disposition une information pertinente immédiate sur son poste de travail mobile ou lors de la consultation en cabinet et ce, en limitant le nombre d\'actes et les événements indésirables. 1. La somme des connaissances acquises dans le domaine de la santé est colossale et ne cesse de se développer. Grâce aux outils de communication électronique, cette connaissance est en libre accès au niveau mondial et à un coût dérisoire. Mais cette connaissance n\'a de valeur que lorsqu\'elle est administrée correctement. Cette connaissance mise à disposition d\'un professionnel devient le savoir. Ainsi, la compétence d\'un praticien résulte de la combinaison de sa formation, de la mise à jour de ses connaissances et de l\'expérience acquise dans sa pratique. L\'administration de ce savoir par le praticien reflète l\'éthique de la connaissance, c\'est-à-dire la capacité à mettre en oeuvre ce savoir dans le geste et la prescription ainsi que dans l\'association pédagogique du patient à sa propre prise en charge. L\'instauration du parcours de soins coordonnés consacre entre les mains du médecin coordonnateur des missions essentielles pour la santé individuelle et la santé publique. Ce praticien est investi d\'une mission de prévention, de centralisation de l\'information utile à l\'élaboration du diagnostic, d\'orientation et d\'accompagnement du patient dans ce parcours de soin qui peut être long, lourd et parfois obscur pour l\'entendement du patient naïf. Pour ce faire, il doit disposer pendant le temps de la consultation d\'un outil d\'aide à la décision qui l\'assiste au cours de l\'examen et de l\'élaboration d'un diagnostic pertinent en limitant les allers-retours des consultations chez des spécialistes et l\'amorce de traitements lourds, onéreux et inutiles, voire inappropriés. L\'utilisation des technologies de la communication doit permettre au praticien d\'administrer son savoir. Le fait de disposer d\'outils de méta-analyse simplifiera et sécurisera sa pratique quotidienne. Les technologies doivent également favoriser la diffusion et la mise en œuvre de la médecine translationnelle, résolument tournée vers la pratique. Les grandes avancées de la science médicale, lorsqu\'elles ne sont pas le fruit du hasard ou d\'investissements lourds et incertains, résultent de la résolution de problèmes pratiques comme du renforcement de la prévention, toutes activités dont la portée économique est toujours délicate à évaluer. 2. Il est frappant de constater que l\'activité médicale est trop souvent source d\'événements indésirables au travers des infections nosocomiales et iatrogènes. Ces événements indésirables, que la loi Hôpital Patients Santé et Territoires du 21 juillet 2009 tente de réduire, engendrent un surcoût exorbitant sur le plan individuel et collectif. Cette situation est source de tensions, d\'une méfiance réciproque et d\'un contentieux certes encore maîtrisé mais qui pourrait déraper à tout moment. Plus généralement, depuis 1936, la jurisprudence et la loi ont fait évoluer les contours de la responsabilité médicale. Cette évolution a accompagné les progrès de la médecine, mettant en regard des exigences légitimes accrues avec des capacités et une efficacité sans cesse renforcées. Aujourd\'hui, une notion telle que celle « d\'obligation de sécurité-résultat » met à la charge des praticiens des exigences sur la pratique, bénéfiques pour tout un chacun. Mais la preuve de la faute ou de la négligence à l\'origine du dommage demeure une charge difficile pour les victimes. Du côté des praticiens, ces obligations et le risque juridique qui les accompagne ont de plus en plus favorisé le formalisme froid de l\'information du patient au détriment de la dimension humaine de la relation. Soucieux de préserver sa responsabilité juridique, le médecin est invité à se soucier avant tout de la preuve de l\'information qu\'il a délivrée au détriment de son intelligibilité et de sa valeur pour le patient pour l\'accompagner dans la décision et le cheminement thérapeutique. La notion de responsabilité est duale. Active, elle signifie le diagnostic, l\'acte et l\'accompagnement du patient dans la prise de décision. Passive, elle signifie rendre des comptes, particulièrement lorsque le résultat de son action est remis en cause et critiqué. Un certain nombre de garde-fous existent pour encadrer la mise en jeu de cette responsabilité. Mais ces garanties interviennent plus a posteriori qu\'a priori par manque de validation de la décision et de certification des mécanismes de son élaboration, singulièrement en médecine de ville. De même, l\'évaluation de la qualité des soins peine encore à s\'imposer. La complexité des structures publiques et privées qui participent au grand service public de la santé nécessite également de stabiliser le périmètre des responsabilités individuelles et collectives ainsi que l\'enseigne l\'arrêt du 28 janvier 2010 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (N°08-20.571). La délivrance d\'une information, formalisée et comprise, et le respect des bonnes pratiques sont sanctionnés a posteriori et n\'offrent plus toutes les garanties que le patient sera de plus en plus en droit d\'escompter, voire d\'exiger. ## Conclusion La mise à disposition d\'un outil d\'aide à la décision encore inédit, validé par les autorités scientifiques, certifié sur le plan processuel et agréé par les autorités publiques au titre de l\'amélioration de la santé publique, doit voir le jour pour sécuriser la décision, rassurer l\'usager, et prévenir les risques juridiques croissants pesant sur les activités médicales. D\'importantes économies d\'échelle peuvent être réalisées non pas en limitant autoritairement l\'accès aux soins mais en améliorant l\'offre de soins. Les médecins généralistes sont en première ligne par leur nombre et le nombre d\'actes qu\'ils réalisent chaque année. De leur pratique doit pouvoir émerger une médecine optimisée, soucieuse de la prévention en santé publique et répandant les meilleurs savoirs et pratiques médicaux. Une telle évolution, si elle venait à se diffuser à l\'ensemble des praticiens de santé, constituerait à n\'en pas douter un des plus grands progrès de la médecine. ^1^ Dernier ouvrage publié : « La santé publique en procès », PUF 2008\. L'auteur a dirigé la rédaction de l'ouvrage « Les défis du vivant », éd. Presaje 2004.
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A PROPOS DU LIVRE « LE BAZAR BIOÉTHIQUE - QUAND LES HISTOIRES DE VIE BOULEVERSENT LA MORALE PUBLIQUE ». RENCONTRE AVEC SON AUTEUR VÉRONIQUE FOURNIER
# **A propos du livre « Le bazar bioéthique - Quand les histoires de vie bouleversent la morale publique ». Rencontre avec son auteur Véronique Fournier** Depuis 2002, à l'hôpital Cochin à Paris, un Centre d'éthique clinique reçoit des personnes confrontées à des situations tragiques. Chaque année, environ 200 cas sont étudiés par une équipe rassemblée par Véronique Fournier, cardiologue et médecin de santé publique. Elle a publié un livre témoignage que présente Hélène Braun à la suite d'une réunion de la Société internationale des conseillers de synthèse. Vu de loin, le don d'organes entre vifs est une belle idée. Au cas par cas, son application n'est pas évidente. Une jeune mère de famille doit-elle donner la moitié de son foie à son vieux père usé pour qui le bénéfice n'est pas certain ? Elle est sûre d'elle, mais le chirurgien s'interroge... Par ailleurs, le don d'organes vivants est à l'origine d'un épouvantable trafic dans les pays du tiers monde. Les techniques d'assistance médicale à la procréation sont en plein boom. Il se pratique aujourd\'hui 200 000 FIV par an en Europe, dont 40 000 en France. Jusqu'où peut-on pousser les limites ? En matière de procréation assistée, la loi française encadre et régule beaucoup plus que celle des autres pays. C'est à notre honneur. Mais de quel droit entre-ton dans l'intimité d'un couple ? Pourquoi le juger apte à procréer sur le critère d'un âge biologique (la quarantaine pour la femme, la soixantaine pour l'homme) qui a de moins en moins de rapport avec l'âge réel, social ou intellectuel ? Au nom de quoi avance-t-on l'intérêt de l'enfant ? Faut-il opérer les transsexuels ? Les chirurgiens ont du mal à pratiquer un acte aussi violent qui n'a pas pour objet direct la préservation de la vie. Interrogé par une équipe médicale sur cette question du transsexualisme, le Centre a décidé de suivre une vingtaine de cas pendant deux ans avant de donner un avis global. Et le vieillissement ? En France, on ne prend pas l'âge en considération pour les soins. Mais jusqu'où doit-on aller ? Jusqu'où va l'acharnement thérapeutique ? Où commence le suicide assisté ? Alors même qu'on regarde la mort en face, on peut être porteur de vie et de valeurs enthousiasmantes. Une personne âgée usée physiquement, intelligente, sensible, créative, a encore beaucoup à nous enseigner. Sur tous ces sujets - et bien d'autres -, il peut sembler facile de trancher en général. Mais dans la vie, chaque histoire est unique. C'est pour aider les personnes confrontées à ces dilemmes tragiques que Véronique Fournier, cardiologue et médecin de santé publique, a fondé en 2002 le Centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin à Paris, où sont discutés chaque année environ 200 cas, dont 50 particulièrement difficiles. Des médecins, philosophes, juristes, sociologues... représentant la société civile dans sa diversité, y accompagnent les patients et les médecins. L'équipe reçoit longuement et individuellement chacun des protagonistes (le patient, la famille, les médecins, éventuellement les infirmiers, les aides-soignants, le psychologue, etc.) puis en débat. Ce qui en résulte n'est jamais un avis tranché mais un éclairage sur les enjeux et un dialogue qui se poursuit jusqu'à ce que soit prise la moins mauvaise des décisions. Du fait de son exercice, le Centre d'éthique est en situation de pouvoir sentir le pouls de la société. Ceux qui viennent le consulter sont toujours confrontés à quelque chose de dramatique et de violent. Il est faux de penser que cela les anéantit. Très souvent, cela les fortifie au contraire et ils n'aiment pas que la société les pense alors vulnérables, incapables de décider pour eux-mêmes. Par ailleurs, l'observation du terrain permet de constater que personne ne supporte plus l'injonction, ni l'abus de pouvoir : les médecins ne supportent plus l'injonction des patients, qui eux-mêmes ne supportent plus l'abus de pouvoir médical. Enfin, quand on écoute les gens, on se rend compte que nos concitoyens ne plaident pas pour une société égoïste, mais pour un nouveau socle de valeurs où primeraient la solidarité et l'autonomie de la personne. S'il faut assurément des lois pour éviter les dérives, il est regrettable que celles-ci ne soient inspirées que par les « normatifs » par opposition aux « réfléchissants » : les premiers se targuent d'éthique, s'érigent en gardiens du temple et font tout pour que la loi soit au service de leurs certitudes. Ils se méfient des seconds qui, faisant remonter l'information du terrain, risquent de remettre en cause ce qui fait norme aujourd'hui. ^1^Publié chez Robert Laffont, 2010
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institut présaje
2010-05-01
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[ "olivier poupart-lafarge" ]
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CRISE DE L\'EURO ET DES MARCHES : QUELLE RÉGULATION FINANCIÈRE ? LES ENJEUX, LES DONNÉES, LES ACTEURS, LE RÔLE DE LA FRANCE
# **CRISE DE L\'EURO ET DES MARCHES :** Quelle régulation financière ? Les enjeux, les données, les acteurs, le rôle de la France De quoi parle-t-on ? Qui est concerné ? Qu'entend-on exactement par l'idée de « régulation financière » ? Près de trois ans après son déclenchement, la crise financière n'en finit pas de produire ses effets dominos. Après les banques, après les entreprises, voici que les Etats se trouvent à leur tour entraînés dans la spirale de la dette et des déficits massifs. Le débat sur la régulation financière mobilise les médias et les partis politiques sans que l'opinion publique surmonte son désarroi face à la complexité, voire l'opacité, du monde de la finance. <Pres@je.Com> a demandé à Olivier PoupartLafarge de décrire de manière aussi didactique que possible les enjeux et les acteurs des réformes en discussion. Quelle régulation financière ? La question-titre peut se comprendre de deux manières. De quelle régulation financière parlons-nous ? Quelle régulation financière voulons-nous ? Pour rester dans l'esprit pragmatique de Presaje, nous essaierons de déterminer dans quels domaines et dans quelle mesure nous pouvons espérer une amélioration de la régulation financière. Depuis que la crise financière a entraîné une crise économique majeure dans le monde, l'opinion publique réclame plus de régulation du monde de la finance. Mais ce monde de la finance est multiple, et le grand public découvre qu'il faut réguler de très nombreuses activités et que cette régulation ne peut pas être française, ni même européenne, mais au minimum transatlantique et si possible, mondiale. ## **1/ La gouvernance des finances publiques** Le FMI rappelle inlassablement, mais le plus souvent inutilement, les règles de bonne gouvernance des finances publiques. Le traité de Maastricht a fixé pour les États de l'Union européenne les limites à ne pas franchir. La crise a justifié de dépasser les limites fixées, les endettements s'envolent et les déficits se creusent. La situation de la Grèce illustre la nécessité d'un gouvernement économique européen. Des règles du jeu trop laxistes et, surtout, une trop grande indépendance dans ce domaine de chacun des membres de l'Union européenne ne sont pas compatibles avec une solidarité de fait inévitable. ## **2/ Les normes prudentielles des banques** Pour l'essentiel, il s'agit des nouvelles contraintes imposées par le Comité de Bâle, dites « Bâle 3 ». Ces contraintes se traduisent par la nécessité de respecter des ratios de liquidité à court et à moyen terme, des ratios d'endettement par rapport aux fonds propres, des définitions plus contraignantes des fonds propres, de mesurer et de couvrir les risques de contrepartie. Ces nouvelles contraintes font l'objet de débats difficiles entre les régulateurs prudentiels, les banques centrales, les banques européennes, les banques américaines, les agences de notation. Les enjeux sont considérables pour toutes les parties concernées et chacune prend en otage la croissance économique qu'il ne faut pas bridée excessivement par une régulation trop contraignante du système bancaire. Il s'agit également de constituer un fonds de garantie des risques systémiques qui sont pris en charge de facto par les États. Pour constituer ce fonds, des prélèvements seraient payés par les banques et versés soit au budget de l'Etat garant en dernier recours soit à un fonds spécifique qui interviendrait en cas de nécessité. Selon le cas, ces prélèvements seraient ainsi assimilés à des primes d'assurances ou à des taxes nouvelles. Est-il utile de dire que les Fédérations bancaires y sont farouchement hostiles alors que le FMI et les États y sont favorables. Le débat est ouvert. A Bercy, Christine Lagarde a demandé un rapport à Jean-François Lepetit sur le risque systémique. Dans son rapport remis en avril 2010, M. Lepetit propose d'instaurer une taxe ayant pour objet de dissuader les comportements à risque. Cette taxe, loin d'être assimilée à une prime d'assurance qui conduirait au contraire du but recherché, vise à être un instrument de dissuasion. Elle doit avoir un champ large, s'appliquerait aux instruments de marché potentiellement illiquides, et serait affectée au budget général de l'État. Afin de ne pas créer de distorsions de concurrence, l'objectif, le champ, l'assiette et le taux de cette taxe doivent être définis et approuvés au niveau international. Les raisons données sont excellentes, mais ces conditions, rappelées opportunément par Baudouin Prot, président de la Fédération bancaire française et directeur général de BNP Paribas, sont infranchissables et rendent ce projet de taxe, pourtant très utile, sans réelle probabilité. ## **3/ Les normes prudentielles des assurances** De même que les banques doivent faire face à l'arrivée de « Bâle 3 », les compagnies d'assurances voient venir « Solvency II ». Ce n'est pas le Comité de Bâle organisme international de régulation bancaire, mais la Commission européenne qui prépare une Directive européenne qui définira les fonds propres exigés des assureurs face à la mesure économique des risques qu'ils assurent. Le projet de Directive est en cours d'analyse d'impact. Il a fait l'objet de nombreuses critiques par les compagnies d'assurances pour ses conséquences directes et indirectes. Deux critiques majeures peuvent être mentionnées. Le projet vise à garantir la survie des compagnies à court terme, alors que l'objet de nombreuses activités d'assurance (vie, retraite, santé) doivent au contraire être gérées à long terme. Il pénalise la détention d'actions par les compagnies alors que ce sont des investissements bien adaptés à leur activité et très utile à la recherche de fonds propres stables par les entreprises industrielles et commerciales. Consciente de ces difficultés, il semblerait que la Commission européenne soit prête à concéder quelques assouplissements. ## **4/ Les agences de notation** Les grandes agences de notation Standard & Poor's, Moody's et Fitch Ratings ont largement contribué à la crise en attribuant d'excellentes notes à des produits toxiques ou à des établissements de crédit qui garantissaient des dettes qui se sont révélées irrécouvrables. Lorsque leur rémunération est directement liée au volume de titres placés sur le marché, il n'est pas surprenant qu'elles attribuent d'excellentes notes après avoir conseillé à leur client la présentation la plus astucieuse pour obtenir ces bonnes notes. Les gouvernements veulent obliger les agences de notation à s'enregistrer et à plus de transparence dans leur procédure de notation. Un règlement européen a été adopté à la mi-septembre 2009. Les agences doivent être enregistrées avant septembre 2010, et seront supervisées par la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers, l'ESMA (European Securities Markets Authority) qui devrait être mise en place en janvier 2011. Aux Etats-Unis, la SEC exige que les agences de notation lui communiquent leur méthodologie de cotation. L'influence des notes attribuées par les agences est probablement excessive en raison de leur utilisation dans les règlements publics ou statutaires qui régissent les organismes d'investissements au détriment d'un jugement indépendant par les investisseurs euxmêmes des risques courus. ## **5/ Les marchés des actions** La Directive européenne de 2007 a totalement bouleversé le marché des actions en Europe en permettant la création de plates-formes de transactions alternatives aux marchés traditionnels type Euronext. A l'occasion de la révision par la Commission européenne de cette directive, les acteurs concernés réclament plus de transparence, pré et post négociation, et une harmonisation des conditions de concurrence entre ces nouvelles plates-formes et les marchés réglementés classiques. L'évolution technologique, de son côté, a bouleversé les conditions de travail des intermédiaires. Afin de capturer une partie de l'écart de prix entre le prix offert et le prix demandé, de nouveaux acteurs, les « Traders à haute fréquence », envoient en quelques millièmes de secondes de nombreux ordres dispersés sur de nombreux lieux d'exécution. La SEC aux Etats-Unis, l'AMF en France, cherchent à déterminer les impacts de ce type d'activités, comment les superviser, et comment éviter que ces ordinateurs qui agissent sans intervention humaine ne puissent engendrer des risques systémiques incontrôlables. Les infrastructures de règlement-livraison de titres sont essentielles pour assurer la sécurité des transactions. Ces infrastructures garantissent à l'acheteur que les titres ont été livrés et au vendeur que le prix a été payé. Certaines de ces infrastructures bénéficient du statut d'établissements de crédit, elles sont donc supervisées comme telles et peuvent en cas de défaillance de liquidité avoir recours à la Banque centrale. Certaines de ces infrastructures en revanche ne sont pas traitées comme des établissements de crédit, et en conséquence présentent des risques de défaillance qui pourraient avoir des conséquences systémiques. Une tentative d'intégration européenne pilotée par la BCE est en cours de mise en oeuvre, mais se heurte à l'opposition d'une partie des membres de l'Union. ## **6/ Le marché des produits dérivés** Contrairement au produit « action » qui est relativement standardisé et donc assez facile à intégrer dans un marché organisé et transparent, les produits dérivés sont très divers et souvent créés sur mesure à la demande de l'acheteur. C'est dans ce domaine que la créativité financière a donné toute sa mesure. Ils ont été un des vecteurs les plus redoutables pour transmettre les produits toxiques, mais ils sont également des produits indispensables aux grandes entreprises industrielles et commerciales ainsi qu'aux grands investisseurs pour couvrir leurs risques. Pour mettre de l'ordre dans cette jungle, les ÉtatsUnis et l'Union européenne envisagent de réglementer sérieusement ce marché : enregistrement des acteurs, incitation à standardiser ces produits et à les échanger sur un marché organisé, création de chambres de compensation. Certains responsables politiques voudraient même interdire certains types de dérivés tels que les CDS qui promettent une indemnité en cas de défaillance d'un débiteur, que le porteur du CDS soit créancier ou non de ce débiteur. Ces produits diffusent de manière incontrôlée le risque de défaillance ; ils permettent au préteur d'origine de se dégager complètement du risque qu'il a créé, voire même d'avoir intérêt à la défaillance du débiteur. La valeur faciale des CDS serait passée de 1,2 milliard de dollars en 2002 à 62 000 milliards de dollars en 2008. ## **7/ Les normes comptables** Le Parlement européen a délégué à un organisme indépendant, l'IASB, le pouvoir de fixer les normes comptables applicables à toutes les sociétés cotées sur un marché règlementé au sein de l'Union européenne. Les normes établies par l'IASB privilégient l'approche bilancielle et l'information de l'investisseur à court terme sur les marchés financiers. Cette position de principe conduit à valoriser le plus possible les actifs financiers à leur « fair value » assimilée abusivement à leur « market value ». Au cours de la dernière crise, ces choix se sont révélés fortement procycliques. Après avoir contribué à la création de la bulle financière pendant la période de hausse des cours, ils ont fortement contribué à accentuer la crise pendant la chute des marchés. Ce ne sont pas les normes comptables qui sont à l'origine de la crise, mais elles en ont certainement aggravé les conséquences. Émus par cette situation, les chefs d'États réunis au G20 de Pittsburgh en septembre 2009 ont demandé aux normalisateurs internationaux de constituer un ensemble unique de normes comptables de grande qualité pour juin 2011 en précisant que l'IASB doit améliorer l'implication des différentes parties prenantes. Historiquement, c'est la première fois que des chefs d'États réunis en congrès s'intéressent à la technique comptable ! Ce travail est en cours. Le résultat risque d'être très décevant. Le prétexte de la convergence permet aux théoriciens de la comptabilité de part et d'autre de l'Atlantique d'imposer leurs vues au détriment des souhaits des régulateurs prudentiels et des entreprises industrielles et commerciales. Si l'idée de normes comptables communes au niveau mondial est excellente, la gouvernance des organismes chargés de la mettre en œuvre doit être revue en profondeur, notamment afin de répondre au souhait exprimé in fine par les chefs d'Etats du G 20 : « améliorer l'implication des différentes parties prenantes ». ## **8/ La gouvernance financière des émetteurs** La gouvernance financière des entreprises qui émettent des titres sur les marchés financiers est généralement de bonne qualité. Tous les pays développés ont mis en place un ensemble de règles contraignantes ou incitatives qui sont respectées. Des gendarmes tels que l'AMF à Paris, la FSA à Londres, ou la SEC à New-York, sont là pour surveiller leur bonne application et, éventuellement, sanctionner les contrevenants. Des progrès sont néanmoins possibles dans le domaine de l'information financière (analyse des risques, rôle du comité d'audit et du contrôle interne, qualité des informations trimestrielles) et dans le domaine de la gestion des assemblées générales (vote par Internet, régulation des prêts-emprunts de titres en période d'assemblée, etc.). ## 9/ La protection des épargnants Le plan stratégique de l'AMF pour 2010, établi et mis en œuvre par son président JeanPierre Jouyet, fait une place très importante à la protection de l'épargne. Le gouvernement de Barack Obama en a également fait son cheval de bataille face aux grands opérateurs de Wall Street. Il y a déjà de nombreuses règles qui visent à protéger l'épargne publique. En Europe, la Directive Marché oblige les courtiers à distinguer leurs différents clients selon leur compétence dans l'appréciation des risques courus, et à assurer à tous « la meilleure exécution » des ordres reçus. Concrètement, ces règles ne sont pas opérationnelles, elles vont devoir être renforcées notamment en protégeant l'épargnant contre les risques excessifs qui résultent de l'utilisation d'un effet de levier sous-jacent dans certains produits. Parlant de la protection de l'épargne et des épargnants, il n'est pas inutile de rappeler l'affaire Madoff. La règle française qui impose la séparation des rôles de gestionnaire et de dépositaire aurait empêché le système Madoff de prospérer comme il a pu le faire aux États-Unis. Elle pourrait être généralisée utilement dans d'autres pays, en l'occurrence elle serait bienvenue aux États-Unis et au Luxembourg. ## **Conclusion** De la nécessité d'une meilleure régulation financière dans tous les domaines évoqués, et de la nécessité une régulation financière internationale ou, a minima européenne, on peut conclure, comme le faisait déjà René Ricol dans son rapport destiné à préparer la présidence française de l'Union européenne de juillet à décembre 2008, que l'Europe doit renforcer son leadership politique. Pour cela, l'Europe se doit d'agir avec des objectifs politiques clairs et doit être un acteur efficace de la globalisation. Est-ce politiquement possible ? Probablement pas simultanément, partout, et sur tous les sujets. Mais comme toujours pour la construction européenne, cela peut se faire progressivement, pas à pas, en sachant profiter de toutes les circonstances favorables. Ainsi la Commission européenne a adopté en septembre 2009 des propositions législatives visant à mettre en place un nouveau système européen de surveillance macro prudentielle et micro prudentielle plus intégré, plus efficace et plus durable. Ces propositions prévoient la création d'un Comité Européen du Risque Systémique (macro prudentiel) et de trois nouvelles autorités paneuropéennes pour effectuer la surveillance micro prudentielle (banques, assurances et marchés financiers). Il faut souhaiter que ces propositions soient votées par le Parlement européen et que les pouvoirs qui seront attribués aux nouvelles autorités soient le plus étendus possibles afin des les rendre véritablement efficaces. La France va pouvoir contribuer efficacement dans ce sens. Nous avons à tous les niveaux les meilleurs représentants pour jouer un rôle majeur dans la mise en œuvre de cette nouvelle régulation financière : - Au niveau du Conseil européen (sommet des Chefs d'États et de gouvernement), le président Nicolas Sarkozy a une capacité d'influence démontrée à maintes reprises, notamment lors de la présidence de l'Union par la France au second semestre 2008. - Au niveau de la réunion des Ministres des finances et au sein de l'ECOFIN, Christine Lagarde est reconnue publiquement comme l'un des meilleurs ministres des Finances de l'Europe. Elle est très respectée dans les milieux anglo-saxons qui sont les plus difficiles à convaincre de la nécessité d'une règlementation paneuropéenne. - Au niveau de la Commission européenne, Michel Barnier est le Commissaire en charge de la Direction des marchés intérieurs et des services. Il se trouve en première ligne pour la rédaction et la mise en œuvre des nouvelles règlementations financières. - Au sein du Parlement européen, Jean-Paul Gauzès est coordinateur des députés PPE à la Commission des affaires économiques et monétaires. Il a remis en février 2010 un rapport remarquable sur la Directive relative aux gestionnaires de fonds alternatifs. - L'influence française n'est pas négligeable à la Banque centrale européenne présidée par Jean-Claude Trichet, même si celui-ci est soumis aux pressions de Francfort. - Enfin, Jean-Pierre Jouyet, Président de l'Autorité des marchés financiers et, à ce titre, consulté par le CESR (Comité européen des régulateurs de marchés), par le Parlement européen et par la Commission européenne, a été reconnu comme un solide Ministre des Affaires européennes lorsque la France assurait la présidence de l'Union, ce qui lui a donné une compétence et une réelle autorité auprès de tous les responsables européens à Strasbourg et à Bruxelles.
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institut présaje
2010-05-01
1
[ "albert merlin" ]
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DES OISEAUX ET DES MARCHÉS
# Des oiseaux et des marchés La crise grecque le démontre une nouvelle fois. Pour gagner la confiance des marchés, il faut toujours parler et agir en même temps. Or les pompiers européens ont donné l'impression d'attendre que l'incendie ait dévasté l'Acropole avant d'actionner les lances qu'ils avaient braquées sur la Grèce depuis d'interminables semaines. Il y a des utopies roboratives : celle des « Oiseaux » d'Aristophane, de retour à Paris sous la houlette de l'Argentin Alfredo Arias, n'est pas la plus désagréable lorsqu'elle nous offre l'image de la cité idéale, ornementée d'une mise en scène ébouriffante. Il en est de moins drôles, comme celle qui, semaine après semaine, a tenté de nous faire croire que le traitement de la crise grecque pouvait attendre ! Comme si l'on pouvait compter sur l'apparition d'un magicien ! Comment comprendre le comportement de pays prétendument évolués et nourris d'intelligence politique lorsque, ayant mis en batterie les lances nécessaires à l'extinction de l'incendie, leurs experts ne trouvaient ensuite rien de mieux que de se demander gravement s'il était bien urgent de les activer ? Il faut dire que jusqu'au 1er mai, en Europe, personne ne chantait la même chanson. Les oiseaux d'Aristophane, il est vrai, n'avaient pas la prétention de chanter juste, et la version « relookée » donnée à la Comédie Française ne brille pas vraiment par ses qualités harmoniques ; du moins y perçoit-on un projet, un espoir, un élément moteur dont on cherchait en vain les signes au sein d'un personnel politique bridé par ses soucis intérieurs. Il est vrai que la situation ne manquait pas de sel : des Etats eux -mêmes endettés devant aller emprunter encore davantage pour ensuite prêter à la Grèce !\... Les marchés jouant la baisse, il devenait « urgent » de trouver un bouc émissaire. Ce furent, naturellement, les agences de notation : si ces institutions n'étaient pas aussi méchantes, tout irait mieux ! Mais font-elles autre chose que mesurer la tension et diagnostiquer l'état du malade ? Un accord est enfin intervenu. Ne faisons pas la fine bouche. Mais enfin, qui peut croire que désormais nous sommes à l'abri d'une ou plusieurs rééditions de cette même pièce où l'attentisme le dispute à la tergiversation ? L'état d'esprit des dirigeants européens a-t-il vraiment changé ? Y a-t-il le moindre indice d'une volonté de bâtir enfin une gouvernance européenne ? Les marchés, eux ne sont que partiellement convaincus. Pour gagner vraiment leur confiance, il faut dire et agir à la fois. Comme le faisaient les pères fondateurs de l'Europe (mais les marchés, alors, étaient minuscules), hommes de foi. Le grand danger, c'est qu'une fois l'orage passé, l'effort de concertation s'effondre à nouveau. Convaincre les marchés, cela suppose des dirigeants... convaincus. Et qui se sentent définitivement solidaires. Aujourd'hui, nous sommes tous Grecs.
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institut présaje
2010-05-01
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[ "jean-pierre piotet" ]
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BP, TOYOTA, TIGER WOODS ET LE PRÉSIDENT : LA RÉPUTATION À L'ÉPREUVE DE LA RÉALITÉ
# BP, Toyota, Tiger Woods et le président : la réputation à l'épreuve de la réalité BP, Toyota, Tiger Woods et... Nicolas Sarkozy ont beaucoup alimenté les forums de discussion ces dernières semaines. L'occasion de bien marquer la différence entre l'image et la réputation. A l'heure d'internet, l'image - celle d'un homme politique, d'une entreprise ou d'une star - est par nature fragile et volatile. Elle ne s'enracine pas toujours dans une réalité tangible. A l'inverse, explique Jean-Pierre Piotet, la réputation se construit avec le temps. Elle s'installe peu à peu et résiste aux accidents de parcours. Elle aide à traverser les moments difficiles. Les Anglo-saxons disent : « Reputation gives you a second chance ». *« Il n'y a rien qui fonde mieux la réputation que la disgrâce »* Winston Churchill Longue à bâtir, délicate à cultiver, une réputation sans tache est selon William Shakespeare "le plus pur trésor que puisse donner l'existence humaine". Construite avec patience sur des comportements et des réalités, la réputation est un patrimoine plus solide qu\'on ne le croit souvent. En fait, la réputation des marques, des entreprises, des personnes ou des institutions s\'inscrit dans un cycle. Il faut d\'abord la bâtir, et pour cela exploiter avec habileté les opportunités. Puis, il faut la nourrir par des réalités et des comportements qui la confortent. Vivre sur sa réputation est par la suite un exercice périlleux, car on sort vite du jeu. Mais il faut aussi et surtout la protéger car comme le dit Montesquieu : "les réputations les plus brillantes sont les plus exposées". Pour se bâtir une réputation, il faut du talent bien sûr, beaucoup de travail souvent, et surtout du temps. La combinaison de ces facteurs nécessaires peut varier avec l'époque. Beaucoup de talent (et un peu de chance) peut conduire à créer une image, vite diffusée sur le net, et souvent volatile. La réputation est d'une autre nature, elle se construit par sédimentation, en additionnant des images, certaines plus prégnantes que d'autres, formant ainsi le film de la vie publique d'une personne ou d'une institution. La réputation sera jugée bonne ou mauvaise suivant que l'intention et le scénario s'accordent plus ou moins bien avec les valeurs du moment. Il n'y a pas de réputation sans talent. Certaines vedettes du sport ou du spectacle crèvent rapidement l'écran. Au-delà de leurs dons, c'est surtout leur personnalité qui fascine : Michael Jackson ou Tiger Woods illustre le propos. La reconnaissance du talent est moins fréquente dans le monde politique où les suffrages des citoyens se fondent davantage sur la perception de l'action que sur la réalité des actes. Il faut aussi « travailler » son talent. Derrière un swing parfait ou une note tenue, il y a souvent des milliers d'heures de travail. Et, le talent, c'est aussi de faire oublier le travail pour partager un instant magique. Il n'y a pas de réputation sans Histoire. Certes il y faut de petites anecdotes qui aideront à bâtir la légende et l'illustreront. Mais la réputation, regard des autres, ne s'apprécie que dans le temps. Bien peu d'élus accèderont à cette reconnaissance car les pièges sont nombreux et le Tribunal de l'opinion est peu indulgent. ## **L'équation de Gracian** L'observateur, un peu cynique, se régale tous les jours des maladresses des « puissants ». Le philosophe qui a le mieux exposé le risque sur la réputation est un Jésuite espagnol du XVIIe siècle. Selon Gracian, le "management" de la réputation s\'écrit en une équation simple composant mérite et réputation. Lorsque la réputation est supérieure au mérite, il faut être "réservé". A l\'inverse, lorsque le mérite est supérieur à la réputation, il faut "se produire"... Et de poursuivre : "le monde est une carrière qu\'il est difficile de bien commencer et de bien finir ; l\'expérience nous manque pour l\'un, souvent elle nuit pour l\'autre". Tout est dit ou presque sur la difficile maîtrise de ce patrimoine culturel complexe : la réputation. Protéger sa réputation dans une mauvaise circonstance - personne n'échappe aux crises ou aux difficultés - est un exercice d\'autant plus délicat que c\'est souvent le moment où l\'on peut compter ses amis. Personnalités mises sur la sellette, Nicolas Sarkozy ou Tiger Woods, entreprises bousculées, Toyota, Total ou aujourd'hui BP, pourraient en témoigner. A l'observation, l\'atteinte à la réputation est d\'autant plus forte qu\'en quelques secondes, avec internet, la connaissance du problème devient mondiale, des groupes de discussions et des sites se créent partout pour débattre du sujet. Le principe de précaution, trop souvent d'inaction, tend à devenir la règle. Face à cette fausse bonne conscience, individus et institutions sont peu préparés. Mais il faut aussi tenir compte de la culture locale. Aux Etats-Unis par exemple, lorsqu'on heurte la morale publique, la contrition est une étape nécessaire : il faut regretter ses écarts et promettre d'être meilleur. Bill Clinton et aujourd'hui Tiger Woods ont appliqué cette règle anglo-saxonne. Cela peut coûter très cher. Les sponsors qui ont emprunté un peu de la réputation du Tigre estiment à 5 milliards de dollars la perte de valeur en Bourse liée au comportement de leur champion ! En Europe, la culture latine accorde peu de crédibilité aux promesses du pécheur ; par expérience sans doute. « Qui a bu, boira ». Et au fond, on lui pardonnera plus facilement ses faiblesses qui, d'une certaine façon, nous le rendent plus proche. Là où les Américains disent « reputation gives you a second chance », il faut y ajouter chez nous l'idée de circonstances atténuantes ; et le suffrage, sinon la confiance du citoyen ne se perd pas si facilement. ## **Le cas Sarkozy** La lente dégradation de la cote de confiance de Nicolas Sarkozy en est une bonne illustration. En le portant à la présidence de la République, les Français ne se faisaient guère d'illusions sur le caractère du futur locataire de l'Elysée. Ils le savaient énergique et quelquefois brutal, mais ils savaient aussi qu'en cas de coup dur, on pourrait compter sur lui. Dans les deux cas, ils n'ont pas été déçus. En revanche, la rupture avec le style volontiers familier de Jacques Chirac, et un brin de mépris, ont révélé chez Nicolas Sarkozy une personnalité dont les traits exagèrent la réputation. Et, « le style c'est l'homme » comme notait La Bruyère. Isolé au sein d'une Cour de conseillers maladroits et faux-amis, le Président qui devait être celui de la réforme, ne peut plus compter que sur les crises pour faire apprécier la facette autoritaire d'un personnage complexe. Après tout, il lui reste deux longues années pour se réconcilier avec ceux qui l'ont choisi avec enthousiasme, car si son image s'est fortement dégradée, son capital réputation n'est qu'entamé. A condition de ne pas ajouter durablement le mépris à la maladresse. ## **BP reconnaît sa responsabilité** Il n'y a rien de plus irritant pour le public que le déni ou le refus de son évidente responsabilité. L'actualité offre hélas une excellente illustration des avantages de la stratégie d'acceptation avec BP. Le pétrolier (logo vert oblige) s'était positionné sur le créneau du « respect de l'environnement », avec quelques succès. Il faut dire qu'avec Total, Shell ou Exxon, l'exercice n'est pas difficile. Avec la catastrophe du Golfe du Mexique, BP ne fera que rejoindre, pour un temps, ses concurrents mal-aimés. Mais il est fort probable que son activisme, la reconnaissance rapide de sa responsabilité, fera percevoir la gigantesque pollution comme un problème de société : tous coupables ! Ancrée dans l'histoire de l'entreprise, la réputation de BP, illustrée par son comportement, est son meilleur rempart contre le choc imagé des événements. ^1^ www.obs-reputation.org
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institut présaje
2010-05-01
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[ "jean-pierre chamoux" ]
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CARNET DE VOYAGE DANS L'INDE MODERNE : ESPOIRS, MENACES ET CONTRASTES
# Carnet de voyage dans l'Inde moderne : **Espoirs, menaces et contrastes** Quinze jours de reconnaissance professionnelle au sein des développeurs de l'Inde contemporaine, ces ingénieurs, élus, savants et professeurs qui tentent de redistribuer à leurs compatriotes une partie du savoir qu'ils ont accumulé pendant une trentaine d'années d'expatriation : assez pour sortir des chemins battus par les voyages organisés ; trop peu pour un diagnostic définitif. Jean-Pierre Chamoux nous livre son carnet de voyage sans chercher à conclure sur la forme que prendra l'ancrage de l'Inde au sein du cercle étroit des super-puissances du troisième millénaire. Nous ne pouvons rester indifférents à l'impressionnant renversement de tendance qui met désormais le sous-continent à l'heure du monde après une très longue période d'autarcie nationaliste et « non-alignée » : la libéralisation économique engagée dans l'année qui suivit l'assassinat de Rajiv Gandhi en 1991 avait déjà relancé le secteur privé, timidement ouvert des frontières que l'on savait fermées depuis longtemps au commerce international, et engagé la reprise de l'investissement privé dans l'énorme et très improductif secteur public indien. Après diverses péripéties de politique intérieure et extérieure, le retour au pouvoir du traditionnel *Parti du Congrès^1^* , mené en 2004 par Sonia Gandhi, s'est finalement conclu par la désignation du premier ministre sikh Manmohan Singh dont la démarche politique est, pour le moment, plutôt couronnée de succès : acceptation, par l'Occident notamment, de l'Inde comme sixième puissance nucléaire du monde actuel ; croissance économique soutenue ; reconnaissance de son rôle politique mondial à l'occasion du G20 ; affirmation de son indépendance intellectuelle à l'occasion de la parodie politique de Copenhague, etc. ## **Une presse libre, une tradition du débat ouvert** Née sous l'empire britannique au dernier tiers du XIXe siècle, la presse indienne est héritière de la tradition anglaise : les journaux sont abondants et bien faits ; les régies publicitaires sont très actives ; une large ouverture éditoriale et un sens aigu du débat politique en sont des caractères marquants. La presse produit des magazines nombreux et variés ; la télévision et la radio sont très vivantes ; le cinéma indien, longtemps méprisé par l'Ouest, est désormais reconnu pour sa puissance et pour sa variété ; quant aux nouveaux médias de l'internet, ils sont servis par l'une des industries du logiciel les plus actives du monde ! L'Inde possède ainsi l'un des rares instruments nécessaires pour animer une démocratie représentative. Le visiteur est d'ailleurs frappé par la vivacité des échanges entre Indiens, à tout propos : politique, bien sûr ; mais aussi scientifique, social, philosophique ou économique. Etat fédéral depuis sa constitution en 1947, ce grand territoire révèle à chaque moment la diversité de ses talents, de ses savants et témoigne d'une grande ouverture intellectuelle, ouverture incomparable avec celle que l'on trouve en d'autres lieux d'un développement économique analogue. Il est vrai que les universités sont, elles aussi, porteuses d'une tradition solide : publiques, pour l'essentiel, elles sont peu à peu complétées par des établissements privés, analogues à ceux que créèrent aux Etats-Unis les Carnegie et les Wharton du XIXe siècle. Soutenus par de riches mécènes, ces « grandes écoles » à l'indienne développent notamment la formation au management et l'ingénierie dans des domaines « de pointe » comme le nucléaire, l'électronique, les communications, l'aéronautique, le génie civil et les grandes infrastructures. ## **Contrastes...** Le visiteur de Bangalore (8 millions d'habitants) ou de Madras (renommée Chennai, 6 millions d'habitants) perçoit certes l'impact d'une renaissance économique et politique. Mais il est aussi frappé par l'extraordinaire contraste que révèlent les scènes de rue, caractéristiques d'un monde encore sous-développé : auprès de la richesse industrielle, des technologies de communication et de la modernité, le dénuement le plus total s'étale au grand jour. Bidonvilles enchâssés au cœur de la ville moderne, pauvres hères déambulant ou campant aux carrefours, pèlerins dénudés côtoyant des hommes d'affaires en costume-cravate, etc. Le contraste est encore plus net dès que l'on sort des sentiers battus : à cinquante kilomètres des mégalopoles, la campagne est, certes, soignée, travaillée et nourricière. Mais elle est démunie des attributs du confort : pas ou très peu d'eau courante, guère d'assainissement, une organisation inefficace des marchés agricoles (riz, lait, viande), une faible productivité agricole qui obère le chemin vers la croissance, sachant que 70% de la population indienne vit encore à la campagne. Le dénuement de ces paysans explique que l'exode rural continue à nourrir les grandes villes d'un pays^2^ dont la population résidente est mal décomptée : entre 1,2 et 1,3 milliard d'individus estime-t-on dans les cercles informés de New Delhi, avec une croissance naturelle de l'ordre d'un et demi pour cent annuel. ## **Inquiétudes...et défis** Ces masses d'origine paysanne constituent un terreau favorable à tous les excès, notamment dans l'ordre politique : pays fédéral, l'Inde n'est pas la démocratie paisible dont rêvent les Occidentaux. Comme l'ont vécu au cours de leur histoire la plupart des peuples aujourd'hui développés, l'Inde est agitée par trois grandes formes de troubles : par des conflits religieux qui opposent, pour le moment, principalement l'hindouisme à l'islam ; par des conflits territoriaux dont les provinces partagées entre le Pakistan et l'Inde lors de la dissolution de l'empire britannique sont l'enjeu le plus visible actuellement, au moins par les étrangers ; et par des conflits de politique intérieure qui reflètent à la fois les tensions précédentes et témoignent de la résurgence des particularismes régionaux au sein d'une fédération politique dont l'équilibre institutionnel n'est pas figé^3^ . Les émeutes qui éclatèrent à Hyderabad pour exiger une partition de l'Etat fédéré de l'Andra Pradesh, lors de notre présence sur place, n'en furent qu'un exemple parmi beaucoup d'autres ^4^ ! L'Inde nous montre ainsi une forme de vie politique à laquelle nous ne sommes plus habitués, mais qui reste celle des sociétés politiques créatives mais violentes, émules contemporaines des périodes que la France, l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne ont traversées aux temps modernes : la brutalité des peuples de l'Inde n'est pas significativement différente de celles que nous avons connue au temps de la Fronde, de l'Empire ou du Prince-président. Elle résulte d'une effervescence propre aux peuples jeunes, démographiquement actifs et tournés vers l'avenir, effervescence que j'ai toujours ressentie au Brésil mais que le géant chinois, engourdi peut être par une démographie éteinte sous la contrainte politique, dissimule soigneusement... ## **Immigration massive** Avec notre regard d'Européens, nous percevons mal la vitalité conquérante de l'Inde, les atouts et les travers de la grande puissance qu'elle rêve d'être à nouveau, après une période de stagnation millénaire. Il n'est pas sans intérêt de noter, à ce propos, les soucis exprimés par une haute responsable politique de Delhi à propos des retombées démographiques de la partition du Bengale en 1947, créant l'Etat du Bengladesh à partir d'une frontière religieuse (hindous aux Indes, musulmans au Bengladesh ou Bengale oriental)^5^ : « vous faites bien du bruit autour de votre émigration illégale. Ici, en Inde, nous subissons une pression migratoire autrement plus importante que la vôtre, en provenance du Bengladesh ; les immigrants, sans identité sûre ni papiers, se fondent dans la population du sud par dizaines de milliers chaque année. L'enjeu de l'immigration clandestine, en Inde, se mesure à la taille de notre population : milliardaire ! ». Ce défi n'est pas le moins étonnant d'une Inde en grande transformation, politique, humaine et sociale... ^1^ Continuateur du Congrès national indien fondé en 1885, illustré notamment par la longue démarche vers l'indépendance incarnée par Gandhi entre 1901 et 1947. ^2^ Delhi, 10 millions ; Mumbai, ex-Bombay, plus de 15 millions ; Calcutta, 11 millions, etc. ^3^ La coexistence de dizaines de langues et dialectes très différents les uns des autres ne facilite guère le règlement de ces différends régionaux, mais posés à l'échelle d'un continent ; c'est d'ailleurs ce qui fait de l'anglais une langue véhiculaire pour les échanges fédéraux... ^4^ La « lettre d'Asie » du *Monde* daté du 22 février 2010 signalait d'autres émeutes xénophobes à Bombay, connotées de conflit religieux entre musulmans et hindouistes intégristes. ^5^ Voir à ce propos : Joya Chatterji : *The spoils of partition* (1947-1967), Cambridge UP., 2009.
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institut présaje
2010-05-01
4
[ "michel rouger" ]
591
« TAKE MONEY AND RUN »
# « Take money and run » Le procès Kerviel va s'ouvrir en pleine crise financière européenne. Etonnant paradoxe : pendant les travaux de sauvetage des autorités publiques, la vente de produits toxiques sur les marchés continue comme si de rien n'était. C'est qu'en changeant de siècle et de millénaire, l'acteur de marché - individu honnête ou malhonnête - a cédé la place au « système », à ses modèles et à ses algorithmes. Comment en reprendre le contrôle ? *« Take money and run ».* Il y a 40 ans, Woody Allen a donné, à l'un de ses premiers films, un titre qui a traversé la fin du XXe siècle pour s'appliquer, parfaitement depuis le début des années 2000, à la course des traders entre les gratte-ciels de Manhattan et les tours de la City. *L'inept bank robber*, le gangster minable, s'est installé dans l'imagerie populaire à côté du tricheur de L'Arnaque, du spéculateur du *Sucre*, et des multiples escrocs qui, de tous temps, ont fabriqué toutes sortes de produits ruineux dont ils ont tiré profit en mettant la main dans la poche de leurs victimes. Il suffit de lire les articles 405 et 408 du code pénal qui les concernent. Les tournants du siècle et du millénaire ont transformé ces petits métiers, le tricheur, le spéculateur, l'escroc, chacun correspondant à des types de comportements individuels, qui tendent naturellement à se fondre. Ce brigandage artisanal, déjà stigmatisé par Montesquieu comme la mauvaise part d'un esprit de commerce empreint par ailleurs de générosité, avait sa limite : l'individu de chair et d'esprit. Prospérant sur les terres fertiles et inépuisables de la crédulité humaine, il bénéficiait de la qualification balancée de Délinquance astucieuse. Pensons au faux général qui avait vendu aux autorités d'aprèsguerre des bonbonnes de fausse eau lourde pour la bombe atomique française, ou, plus récemment, à l'inventeur des avions renifleurs. Aujourd'hui, l'individu a laissé la place au « système », lequel, grâce aux modèles et aux algorithmes, peut rassembler en une seule opération tous les métiers artisanaux de jadis, ceux du tricheur, du spéculateur et de l'escroc. La révélation de ce passage de l'individu au système a été faite en janvier 2008 par un jeune trader qui n'aura pourtant pas profité des 5 milliards d'euros que le système - qui lui avait été confié - a fait perdre à son employeur. Il sera intéressant de voir, dans le prochain procès, comment les juges feront la part des responsabilités entre l'homme et le système. Il est indispensable d'avoir leur jugement au moment où, après avoir subi la déferlante des destructions de valeurs économiques et financières, les traders en charge des systèmes du trading financier continuent à travailler comme si rien n'était. La diabolisation des individus dans l'opinion n'y change rien. Les autorités sont incapables d'empêcher la poursuite des ventes de produits toxiques pendant les travaux de sauvetage du système. La vérité est qu'en l'état de nos lois, personne ne peut contraindre un système construit sur des modèles scientifiques, quand il se met à déraper. La finance, la santé, le transport aérien viennent de le démontrer. Le juge qui poursuivra les délinquants, personnes physiques ou morales (sic), ne fera rien d'autre que d'établir un constat. Il ne pourra ni prévenir ni guérir. C'est aux communautés humaines de prendre en charge la réflexion sur les effets dévastateurs de la perte de contrôle des grands systèmes de l'ère numérique. Elles seules, dans les sociétés démocratiques, sauront, après avoir payé le prix des dérapages scientifiques, adapter les lois aux inévitables et profitables mutations des techniques.
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institut présaje
2010-05-01
5
[ "julien emmanuelli" ]
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L'ENTREPRISE FACE AU CANCER SOCIAL DE LA DROGUE ET DE L'ALCOOLISME : LES ADDICTIONS DANS LE MONDE DU TRAVAIL
# L'entreprise face au cancer social de la drogue et de l'alcoolisme : **Les addictions dans le monde du travail** La France compte 4 millions de consommateurs de drogues illicites et 4 millions de buveurs excessifs d'alcool. Un cancer social qui a des prolongements à l'intérieur des entreprises. Pour la première fois, des Assises nationales se tiennent à Paris le 25 juin pour traiter des moyens de lutter contre les addictions dans le monde du travail. Plus nombreux, plus précoces et plus intenses : en quelques décennies, les usages des drogues se sont massifiés au point de devenir un problème majeur de santé publique. On dénombre ainsi en France 4 millions de consommateurs de drogues illicites (cannabis et cocaïne, notamment), 4 millions de buveurs excessifs d\'alcool, près de 20 millions de fumeurs de tabac\... et une tendance marquée à la polyconsommation. Face à ce constat, le Plan gouvernemental de lutte contre les drogues 2008-2011 table sur la mobilisation de l\'ensemble du corps social pour réduire notamment les usages de drogues et les abus d\'alcool ainsi que les dommages qui sont associés. Soignants, éducateurs, parents, communauté scolaire\... Sur ce sujet, chacun a sa part de responsabilité, chacun est comptable des autres. Miroir des évolutions sociétales, le monde du travail n\'est pas épargné par les addictions. C\'est un sujet encore peu documenté mais qui monte en puissance (15 à 20 % des accidents du travail et de l\'absentéisme seraient dûs à l\'usage de psychotropes). Tous les acteurs interrogés, notamment dans le secteur de la construction, du transport et des services, confirment la prévalence croissante de l\'usage de psychotropes sur le lieu du travail, et une perception accrue du phénomène notamment par les DRH. Cette banalisation s\'effectue dans un contexte où l\'implication des médecins du travail sur des sujets déjà difficiles se complique du fait de la démultiplication des missions et de la crise démographique de la filière. Si tout le monde s\'entend globalement sur l\'existence du problème et de son insuffisante prise en compte, les interprétations et les solutions proposées divergent souvent : pour les uns, le problème relève essentiellement des conditions de travail et impose de revoir plus généralement l\'organisation et le management ; pour les autres, c\'est surtout un problème importé au sein de l\'entreprise. Il requiert des moyens d\'intervention plus efficaces (systématisation des actions de prévention primaire et secondaire, dépistage). La solution est sans doute à mi-chemin mais il n\'empêche que le sujet demeure entier et sa gestion actuelle très insatisfaisante. Dans cette perspective, des Assises nationales se tiendront le 25 juin prochain au Palais des congrès de la porte Maillot, le gouvernement ayant estimé que la mise en œuvre d'un dialogue soutenu entre pouvoirs publics, partenaires sociaux, employeurs et intervenants spécialisés était le meilleur moyen d'évoquer ce qui est encore trop souvent un sujet tabou dans notre pays. Ces assises s\'inspireront des retours de forums régionaux organisées sur ce thème en 2009. L\'idée est de porter les termes d\'un débat constructif sur la manière d\'améliorer la prise en compte de ce sujet (qui fait quoi et comment) au regard des évolutions techniques (tests salivaires\...), des consultations organisées par la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) avec les différents acteurs en amont et des préconisations sollicitées auprès du Comité consultatif national d\'éthique, tout en visant à trouver un consensus pour formaliser la responsabilité et les devoirs de chacun en la matière. Outre le fait de documenter plus précisément la question, l\'enjeu est notamment de savoir comment concilier liberté individuelle et sécurité collective en abordant sans détour la question des usages de produits psychoactifs, de leur prévention, de leur repérage et de leur prise en charge dans le respect de principes éthiques réaffirmés ainsi que la question de la formation des professionnels du soin et de la prévention intervenant en entreprise. L\'objectif à terme sera de formuler des préconisations consensuelles et concrètes permettant aux pouvoirs publics d\'engager d\'éventuelles modifications législatives ou réglementaires, impliquant dans leur élaboration et leur mise en œuvre l\'ensemble des acteurs du milieu professionnel.
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institut présaje
2010-05-01
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[ "jacques barraux" ]
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INDUSTRIE : LA DEUXIÈME CHANCE DU \"MADE IN FRANCE\" : UNE FENÊTRE DE SORTIE POUR ÉCHAPPER À LA DÉSINDUSTRIALISATION
# Industrie : la deuxième chance du \"Made in France\" : **Une fenêtre de sortie pour échapper à la désindustrialisation** La France a été physiquement diminuée par la Première Guerre mondiale et moralement dégradée par la Seconde. Elle a ressurgi au seuil des années 50, révélant son génie industriel à la face du monde. Mais les chocs pétroliers des années 70 ont introduit le virus sournois de la perte de compétitivité. La litanie des fermetures d'usines n'a plus cessé depuis lors. Le tissu industriel est déchiré mais il n'est pas détruit. Une chance s'offre à la France d'échapper à la fatalité de la désindustrialisation. La France est-elle encore une puissance industrielle ? Oui, en dépit d'une saignée effrayante et continue qui vide de sa substance une large partie du territoire. Tous critères confondus, notre pays figure aujourd'hui dans le cercle des vingt nations - anciennes et nouvelles gloires - qui dominent l'industrie mondiale. Pourquoi ce chiffre de vingt nations ? N'est-ce pas une façon d'avouer que la France ne figure plus dans le groupe des cinq ou dix leaders mondiaux ? Oui et non. Oui, elle a laissé objectivement s'enclencher une spirale du déclin à partir des années 80 : détournement massif de l'épargne vers d'autres destinations que celle de l'investissement industriel et, si l'on peut dire, perte consciente et assumée de compétitivité. Pourtant, tout n'est pas perdu. En dépit d'une actualité toujours aussi éprouvante sur les fermetures d'usines et les plans sociaux, la France reste un acteur qui compte sur la scène. L'heure de vérité approche. Actuellement ouvert et flottant, l'échiquier scientifique, technique et industriel mondial va à nouveau se figer au cours de la décennie qui commence. Nous sommes en 2010 et les codes de lecture du XXe siècle sont définitivement dépassés. La manière de décrire la planète, d'enseigner la géographie, d'évaluer la puissance des nations n'a plus rien à voir avec celle des années qui ont précédé le basculement de la moitié du monde - ex-URSS et Chine en tête - dans le camp de l'économie mondialisée. ## **L'irruption de nouveaux acteurs casse les hiérarchies et ouvre une période de transition sur la plupart des marchés.** La géographie, les Français savent qu'elle a changé. Ils ont toujours été prompts à fantasmer sur la « surpuissance » des autres -- avant-hier l'Allemagne, hier l'Amérique, aujourd'hui la Chine. Cent fois annoncé, le déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale est désormais une réalité attestée par dix années d'écart de croissance entre l'Asie et l'Occident. Il s'accompagne d'une redistribution radicale des forces de production et de consommation de l'Asie du sud à l'Amérique latine en passant par l'Afrique et le Moyen-Orient. Nous voici dans la phase du grand désordre. Les réseaux, les alliances, la distribution des rôles : rien n'est figé, tout est en chantier. Poussées par une démographie active et un irrésistible appétit de croissance, un « cluster » de jeunes nations ouvre le jeu industriel que les deux économies dominantes du moment - les Etats-Unis et la Chine - seraient fortement tentées de fermer. Leur refus de l'ordre établi n'est pas une mauvaise nouvelle pour l'Europe. Vieillissante, marginalisée aux yeux des observateurs superficiels, elle reste riche de ses compétences accumulées et... de ses contradictions. Le chahut déclenché par les nouveaux concurrents lui donne l'occasion de sortir de ses routines, de nouer de nouvelles coalitions, de réveiller son génie créatif. L'intérêt immédiat des Européens est de se préparer mentalement à être en position d'écoute et d'accueil. De chercher à transformer les impulsions, les forces et les idées en provenance d'un Orient sur lequel s'arrête aujourd'hui le balancier de l'Histoire. Il est aussi de prendre conscience de l'atout précieux que représente l'engagement « hors frontières » de dizaines de milliers d'entreprises européennes. Avec de précieuses positions dans les clubs de leaders : 535 sociétés européennes (dont 64 sociétés françaises) figurent au classement des 2000 premières entreprises mondiales publié cette année par le magazine « Forbes ». ## **Le moteur de l'industrie, c'est la technologie.** La disparition des cheminées d'usines est à l'origine d'un malentendu. L'explosion du « virtuel », la dématérialisation de l'économie et la part majoritaire des services en aval des processus de production n'annoncent nullement la «fin de l'industrie ». Au contraire, la science et la technologie sont plus que jamais les déclencheurs des cycles d'affaires dans l'économie moderne : santé, alimentation, défense, communication, énergie, transport, habitat etc. L'industrie est la passerelle obligée qui conduit aux mondes du service, du logiciel et du marketing. Or la France, comme une bonne dizaine de pays d'Europe - y compris la Grande-Bretagne, contrairement aux idées reçues - reste l'une des grandes puissances techniciennes de la planète. Un domaine où la mondialisation est la règle, mais où il faut savoir jongler entre l'action offensive à découvert et l'action défensive (protection juridique, art de l'alliance, maîtrise du rapport de force). Depuis l'avènement du numérique et l'interconnexion des lieux de savoir et des centres de R&D, la technologie - comme la science - progresse essentiellement par l'échange et le partage d'informations. La fragmentation des marchés va de pair avec la spécialisation croissante qu'impose l'explosion des retombées du progrès scientifique et technique. Les Etats-Unis s'avouent incapables de produire sur leur sol l'intégralité des éléments qui entrent dans la fabrication d'un I-Phone ou d'un I-Pad. A l'inverse, un Airbus européen ne peut pas voler sans intégrer des équipements que seuls les Etats-Unis sont capables de fabriquer. Le monde de la production est une galaxie en expansion où se croisent des développeurs, des intermédiaires, des ensembliers, des mono-producteurs, des investisseurs, tous reliés à des réseaux : forums internet, accords de coopération, joint-ventures, sous-traitants de premier, deuxième, troisième rangs, etc. Mais la technologie - aussi fragmentées que puissent être les spécialités « nationales » - reste le marqueur du niveau industriel d'un pays, c\'est-à-dire de tout ce qui précède, entoure et accompagne l'usine ou l'atelier. Le marqueur de ses savoir-faire, de ses domaines protégés -- brevets, licences, secrets de fabrication. Une « usine tournevis », fut-elle géante, ne hisse pas une nation au rang de puissance industrielle. Le destin du « made in » d'un pays se forge par l'accumulation, depuis l'école jusqu'au service après-vente. Il dépend du niveau de culture technique, de la qualité du système de formation professionnelle, de la vitalité du tissu d'entreprises, de la fluidité des rapports inter-entreprises, du rythme de lancement de produits innovants, de la compétitivité de ses usines... ## **Pas d'industrie sans souci de compétitivité.** Les colères élyséennes sur les productions délocalisées de Renault et les manifestes colbertistes pour le retour d'une politique industrielle offensive se heurtent à des évidences arithmétiques. Idée simple et imparable : pour maintenir ses usines en France, un industriel doit pouvoir fabriquer à des coûts plus ou moins comparables à ceux de ses concurrents. L'avantage que procure une différenciation par l'innovation est souvent fragile et temporaire. Tôt ou tard s'impose la règle du coût standard imposé par celui qui tire les prix vers le bas. Renault, Peugeot, Schneider, Total ou EADS ont l'impérieuse obligation de scruter en permanence les trois indicateurs qui conditionnent le destin des territoires : le coût du travail en France, en Europe et dans le reste du monde (salaires et charges sociales), la pression fiscale (total des impôts directs et indirects), le risque de change (rapport monnaie forte - monnaie faible). Peut-on encore produire en France ? Au regard de ces trois indicateurs, beaucoup sont tentés de répondre par la négative et d'adopter une attitude fataliste sur l'avenir de l'industrie dans notre pays. La médiocrité du débat public à coloration protectionniste n'est pas de nature à les rassurer, de même que les signaux négatifs adressés aux marchés extérieurs : séquestrations de cadres d'entreprises étrangères, destructions de plantations d'OGM, grèves à répétition, blocage des réformes... Mais les Cassandre ont tort car ils s'en tiennent à des jugements de surface. L'industrie française est un monde complexe avec ses zones d'ombre et ses zones de lumière. Elle rassemble des métiers et des entreprises aux contraintes et aux feuilles de route profondément hétérogènes. Quoi de commun entre des secteurs exposés et des secteurs protégés (ce qui dispense des comparaisons de coûts salariaux et fiscaux avec l'étranger) ? Entre des grandes entreprises engagées sur le marché mondial et des entreprises de taille moyenne évoluant dans le seul espace de l'Union européenne (ce qui évite le risque de change) ? Entre des produits de haute technologie et des produits de conception courante (ce qui relativise les problèmes de propriété industrielle) ? Déclinante ici, résistante là, exposée à des vents contraires, les uns destructeurs, les autres régénérateurs, l'industrie française sait qu'elle n'a pas intérêt à déserter l'espace national. Mais encore faut-il que les Français sachent que l'on est ici dans un monde de rationalité. Une bonne politique économique vaut mieux qu'un discours incantatoire sur les vertus du nationalisme industriel.
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institut présaje
2010-05-01
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[ "thierry maudet" ]
1,030
SPORT : LE MODÈLE FRANÇAIS À L'HEURE DE LA MONDIALISATION
# Sport : le modèle français à l'heure de la mondialisation Les Jeux Olympiques, les Championnats du Monde ou d'Europe sont des occasions imparables de tester la qualité du modèle français de sport de haut niveau. Sur la scène mondiale, l'irruption de l'argent, du « star system » et les surenchères de performances ont mis à mal l'héritage sportif lointain du Front Populaire et de son inspirateur Léo Lagrange. Tout le monde admet la nécessité de relever le niveau et de renforcer les moyens. En novembre 2009, un décret a rebaptisé l'Institut National du Sport et en a redéfini les missions. En novembre 2009, l'Institut National du Sport et de l'Education Physique a changé de nom mais pas d'initiales. Il s'appelle désormais Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance. Si l'histoire de l'INSEP est déjà ancienne - son lointain prédécesseur, l'école de Joinville, a été créé en 1852 -, sa récente actualité est marquée par un ensemble de décisions importantes qui visent à transformer en profondeur ses moyens, son offre de services, ses modalités d'intervention et ses modes de gestion. Ses objectifs prioritaires sont de : - mettre en œuvre le « double projet » (double réussite) du sportif de haut niveau ; c'est à dire, permettre aux 630 athlètes répondant à ce critère (répartis au sein de 27 pôles France) tout à la fois de monter sur les plus hautes marches des podiums lors des compétitions internationales de référence (JO, championnats du monde et d'Europe) et de poursuivre parallèlement des études (scolaires, universitaires, professionnelles) ; - former les cadres supérieurs du sport (publics, privés) -- entraineurs, managers d'aujourd'hui et de demain. Le défi de l'Institut est celui de l'amélioration de son offre de services dans un environnement de concurrence accrue aux plans national et international et dans le contexte de la nécessaire maîtrise de la dépense publique. Ce défi est constitué de 5 grands chantiers, à piloter simultanément : - la rénovation du bâti, - la gestion des ressources humaines, - l'enrichissement de l'offre sur site (INSEP, « centre ressources »), - l'ouverture des installations, - l'augmentation et la diversification des ressources, et notamment des recettes propres de l'Institut. Au niveau du bâti, les installations sportives et équipements d'accompagnement (accueil, hébergement, restauration,...) avaient très mal vieilli. Le très ambitieux plan de rénovation de toutes les installations (plus de 200 millions d'euros) permet, depuis 2007, la rénovation et l'adaptation, ainsi que la création de nouveaux équipements. Les 13 bâtiments de la zone nord auront ainsi été rénovés en 3 ans (2007-2010), ceux de la zone sud le seront (à l'exception de la piscine - été 2013) avant fin 2012. Les modes de gestion ont profondément changé : des prestataires privés, au titre du contrat de partenariat public privé, signé fin 2006, assurent contre le paiement d'un loyer annuel, les activités extérieures au cœur de métier : accueil, sécurité, restauration, hébergement. Par décret du 25 novembre 2009, l'Institut National du Sport et de l'Education Physique, établissement public administratif (EPA) - D. 1976 - est devenu l'Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance : les missions de base sont réaffirmées ; mais l'accent est mis sur la formation, la recherche, le rôle de « tête de réseau » à jouer par l'établissement. Le président du conseil d'administration est désormais élu (et non plus nommé) : le premier président du nouvel établissement est M. Pierre Durand, champion olympique et mondial d'équitation. Les collectivités territoriales (Ville de Paris) et les entreprises privées en deviennent membres. L'enjeu central pour l'Institut est de piloter et faire vivre, en cohérence et en intelligence, 4 ambitions : - le « cœur de métier » : contribuer directement à l'amélioration de la compétitivité du sport français sur la scène sportive internationale ; - l'efficience : gérer au mieux ses ressources humaines ; maîtriser ses coûts ; entretenir son patrimoine... - le développement : ouvrir l'Institut sur de nouveaux acteurs ; optimiser l'usage de ses diverses installations ; accroître la part de ses recettes annexes ; - la relation avec le mouvement sportif, dans ses différentes composantes : CNOSF, fédérations. Le soutien, humain, matériel et financier, du ministère chargé des Sports est décisif. A l'heure actuelle, le budget de l'établissement s'établit, en cumulé, à plus de 40 millions d'euros : fonctionnement (12 millions d'euros), masse salariale (17 millions d'euros - 305 agents), loyer du contrat de partenariat public privé (11 millions d'euros). Encore ce montant n'intègre-t-il les rémunérations des 140 entraineurs présents au quotidien sur le site (estimé à plus de 8 millions d'euros). Dans ce montant total, la part des « pensions » payées par les athlètes ne représente que 3 millions d'euros. D'où l'indispensable soutien des pouvoirs publics. La nécessaire maîtrise des coûts, l'obligatoire croissance et diversification des recettes propres, l'INSEP s'y emploie avec volontarisme et méthode. Actuellement, l'établissement porte une attention toute particulière à l'accroissement de son périmètre d'intervention, l'établissement reprenant en effet, à l'été 2010, les attributions dévolues à la préparation olympique et paralympique (POP), à l'évolution du contenu du « double projet » du sportif de haut niveau. Le « modèle » français du sport est singulièrement interpelé par l'augmentation des volumes d'entraînement, l'accroissement du nombre et de la durée des stages et des compétitions à l'étranger, et surtout par l'irruption de l'argent dans la plupart des sports, même pour de tous jeunes sportifs et sportives.. C'est pourquoi les accords passés avec les ministères de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur, l'évolution des conditions d'intervention des enseignants, le développement des technologies de l'information et de la communication - notamment de la formation ouverte et à distance (FOAD) - sont indispensables. C'est à ce prix que les résultats seront au rendez-vous. Les sportifs de l'INSEP représentaient un tiers de la délégation française aux Jeux olympiques de Pékin et ont remporté plus de 50% du total des médailles. Les JO de Londres (2012), Sotchi (2014), Rio (2016), ainsi que les différents championnats du monde, sont bien évidemment dans toutes les têtes. Je sais que chacun est conscient des efforts à produire et mettra tout en œuvre pour accompagner les « Insépiennes » et « Insépiens » dans ces très grands rendez-vous.
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institut présaje
2010-02-01
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[ "institut présaje" ]
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NUMERO SPECIAL : 2010-2020 : LIBÉRALISME OCCIDENTAL CONTRE CAPITALISME ORIENTAL
# NUMERO SPECIAL : **2010-2020 : Libéralisme occidental contre capitalisme oriental** L'Orient s'enivre de ses prouesses. L'Occident a des états d'âme. Après une longue période de leadership, l'Europe et l'Amérique semblent saisies par le doute. Elles ont le sentiment que leur heure est passée, que le balancier de l'Histoire se déplace inexorablement vers l'Asie. Elles s'étonnent que la prospérité des économies émergentes soit acquise au prix d'égratignures avec les valeurs - qu'elles imaginaient universelles - de liberté et de démocratie. Déconcertées par l'élan prodigieux des masses asiatiques, elles oublient qu'elles conservent d'immenses réserves de croissance. Leur suffirait-il de retrouver un peu d'énergie et de joie de vivre pour affronter le géant oriental à armes égales ? L'Institut Presaje, en partenariat avec France-Amériques et Essec Alumni, avait réuni le 18 janvier dernier cinq personnalités autour du président Michel Rouger pour débattre de l'opposition croissante entre un Occident ralenti et un Orient emballé. Entre un modèle libéral occidental tempéré (c\'est-à-dire mêlé d'amortisseurs chrétiens-démocrates et sociodémocrates) et un modèle de capitalisme oriental autoritaire. <Pres@je.Com> publie l'essentiel de leurs propos, introduits par Michel Rouger et conclus par François Ewald.
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institut présaje
2010-02-01
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[ "michel guénaire" ]
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L'OCCIDENT FACE À LA NOUVELLE LOI D'UN MONDE MULTIPOLAIRE
# L'Occident face à la nouvelle loi d'un monde multipolaire **Etrange sortie de crise. Les pays occidentaux semblent convaincus qu'il suffira de réformer le modèle qu'ils ont enseigné au monde entier pour effacer les conséquences du choc économique de 2008-2009. La réalité est différente. La carte géopolitique du monde se redessine sous nos yeux, explique Michel Guénaire, avocat associé du cabinet Gide Loyrette Nouel, et essayiste. De nouvelles puissances annoncent de nouveaux rapports de force sur une planète redevenue multipolaire.** Au commencement de cette année 2010, « l'après-crise » nous inspire des sentiments contradictoires. D'un côté, nous avons l'impression que rien n\'a changé. Les entreprises continuent d\'être ce qu\'elles sont et de suivre les mêmes règles, tandis que les Etats, après l\'effort des plans de relance, reviennent sur leur position régulatrice initiale. Il y a comme une étonnante stabilité des gens, des institutions et des gouvernements. Mais d'un autre côté, nous avons le sentiment que tout est en train de changer. On s\'aperçoit que les principales puissances économiques de l\'Occident échouent dans leurs efforts de sortie de crise, qu'elles se heurtent à des limites, sinon à des murs, à l\'intérieur comme à l\'extérieur, parce qu\'en face d\'elles de nouvelles puissances émergent ou confirment leur émergence. C\'est de ce monde multipolaire nouveau, ou renaissant d\'un point de vue historique, dont je voudrais parler. Nous pressentons qu\'en réalité un nouveau monde est en train de naître. Pour essayer de donner un sens à ce paradoxe - tout change, rien ne change - six brèves observations : ## - La crise qui frappe notre monde est bien la crise d\'un modèle économique qui a été conçu, organisé et développé par l\'Occident. L\'échelle du temps peut être observée sous des angles variés. On peut se contenter de remonter à vingt ans, en observant ce qui s'est passé depuis la chute du mur de Berlin, quand toute alternative à la voie libérale semblait avoir disparu. On peut remonter beaucoup plus loin en amont. De bons ouvrages nous rappellent aujourd\'hui que tout a peut-être commencé au moment des grandes expéditions du XVème siècle. Ce qui est clair, c\'est que la crise économique, financière, politique et sociale que nous connaissons est bien celle d\'un modèle qui a été conçu, organisé et développé par les Occidentaux. Ce modèle reposait à la fois sur des standards d'organisation politique et des standards d\'organisation économique. Ce modèle, que nous avons vendu dans le monde avec la mondialisation des vingt dernières années, entre dans une crise grave et profonde. ## - La réponse de l\'Occident à la crise est fondée sur de simples réformes techniques, non une véritable refondation du modèle inventé par lui. Toutes les recettes mobilisées par les gouvernements occidentaux visent à donner un meilleur équilibre, inspirer un comportement plus sage, assurer une meilleure régulation du modèle économique suivi par eux depuis plus de vingt ans. J\'en veux pour preuve la volonté des gouvernements d\'encadrer les bonus des banquiers, de définir de nouvelles normes comptables prudentielles pour les acteurs économiques ou encore de mettre fin à l\'existence des paradis fiscaux. Dans une crise qui remet en cause les fondamentaux de son modèle, l'Occident donne le sentiment de vouloir s'en tenir à une correction à la marge de ses erreurs. Pire, l\'Occident, au-delà des aménagements qu'il est prêt à apporter à son modèle, reste fidèle à son vieux projet messianique : convertir, continuer de convertir, continuer d\'inviter les autres pays du monde à retenir son modèle. J\'avais récemment un échange avec la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, sur les réformes en cours au sein de l\'Union européenne. Il était frappant qu\'à ses yeux nous devions faire deux choses : définir de bonnes règles réformant le capitalisme libéral, et faire tout notre possible pour que l\'ensemble du monde les suive. Elle pensait que la sortie de la crise serait règlementaire. ## - La sortie de la crise ne sera pas réglementaire, ou ne se résumera pas à l'adoption de nouvelles règles comme l'espère l\'Occident, mais sera géopolitique. L\'issue de la crise me paraît être, en effet, une nouvelle relativité des puissances économiques de l\'Occident qui sont frappées par une forte récession et l\'assaut d\'une nouvelle pauvreté, en face de nouvelles puissances économique qui, à l\'Est du monde, désirent s\'organiser comme bon leur semble, et recherchent la voie d\'un développement nouveau, offensif et décomplexé. La crise rebat les cartes des puissances et des modèles économiques suivis par ces puissances dans le monde. On distinguait il y a cinq siècles cinq grandes puissances dans le monde, qu\'un ethnocentrisme occidental nous a fait perdre de vue. Il y avait l\'empire des Ming, établi en 1368, qui reposait sur une administration très centralisée, très éduquée, très éclairée, la fameuse administration confucéenne, qui bénéficiait d'une technologie supérieure à celle de l\'Occident sur de nombreux points et qui, à l\'époque, avec plus de cent millions d\'habitants, représentait la première puissance du monde. Souhaitant résister aux menaces de conquêtes de leur territoire tentées par les hordes d'Asie centrale, dont les Mongols, les Chinois allaient se replier sur leurs terres et on n\'allait plus entendre parler de la Chine pendant une longue période. Au même instant, toujours il y a cinq siècles, deux Etats se disputaient l'influence islamique. D'un côté, l'empire Ottoman qui connut son apogée jusqu\'au début du XVIe siècle, sous Soliman le Magnifique, et de l'autre, l\'empire des Moghols qui occupaient l'Inde et allaient préparer le sous-continent, avant l'impulsion anglaise, à exercer le rôle de puissance que l'on connait aujourd\'hui. A côté de ces trois empires, il y avait la Russie et le Japon. Les deux ne prétendaient jouer aucun rôle universel, mais avaient déjà les caractéristiques géographiques et historiques de grandes puissances. ## - La Chine, la Turquie, l'Inde, le Japon et la Russie, avec des défis de cohésion et d\'expansion qui leur sont propres, sont aujourd\'hui cinq puissances qui comptent dans le monde. La crise nous apprend, d\'abord et avant tout, à découvrir ou redécouvrir de nouveaux partenaires économiques, et, comme la richesse propre de l\'Occident est devenue relative, à mesurer la relativité du modèle économique qui a porté notre croissance. Nous ne pouvons plus imaginer un ordre des échanges du monde uniquement gouvernés par les lois du libreéchange. Les marchés du monde appartiennent à des régions, à l\'intérieur desquelles il faudra de plus en plus composer avec le pouvoir politique. Les puissances qui font face à l\'Occident annoncent, de surcroît et plus essentiellement sur le plan diplomatique, la fin d\'un leadership occidental. Les organisations multilatérales qui ont été mises en place dans notre monde, de la Société des Nations à l\'Organisation des Nations unies, le mode de règlement des conflits internationaux, l\'établissement de normes internationales, ont été le fruit d\'un droit international public issu de la culture politique occidentale. Nous avons appris dans les Facultés de droit que ce droit était un droit des gens qui était distribué à tout Etat souhaitant accéder à l'ordre du monde et participer aux conférences le réglant. Les cinq puissances que j\'ai citées étaient plutôt rentrées dans cet ordre diplomatique conçu, organisé et développé par l\'Occident. Longtemps, elles n\'ont prétendu à aucun leadership international, hormis celui des pays du Tiers monde, c\'est àdire et déjà, des pays non occidentaux. ## - L\'organisation du monde vers lequel nous allons est celle d\'un équilibre des puissances ou des grandes régions du monde, qui dépasse l\'utopie incantatoire d\'un ordre du monde. La réponse immédiate et collective à la crise financière de 2008, puis les ajustements que les Etats ont arrêtés dans leurs plans de relance pour répondre à la crise économique en 2009, ont mis en évidence un nouveau mode de concertation entre les nations du monde. Les idées, les recettes, les programmes n\'ont plus été l\'apanage d\'un seul camp, ou, en tout cas, n\'ont pas été appliquées dans un seul camp. Toutes les nations du monde ont réfléchi et agi de concert. La traduction la plus frappante a été la tenue des deux G 20 au cours de l\'année dernière. On rappellera que le G 20 accueille des puissances jadis exclues du concert des nations et qui voudront sans doute compter davantage dans le monde de demain, mais qu\'il va aussi devoir rivaliser, dans les mois et les années qui viennent, avec le G 8 - lui-même né d'un G7, lui-même né d'un G5, lui-même né d'un G3 -, qui a toujours rassemblé les seules économies libérales du monde, et que la France veut cependant élargir à un G 14. On parle aussi d\'un G 2, associant les Etats-Unis et la Chine. Le temps annoncé des conférences internationales est en train de bouleverser la scène diplomatique internationale, et, bien sûr, de partager le pouvoir dans le monde. ## - Le monde ne va sans doute pas cesser d\'être libéral, mais cessera sûrement d\'être occidental. Un relativisme économique précède et annonce ainsi un relativisme diplomatique. C\'est, à mes yeux, le principal enseignement qu\'il nous faut, nous Occidentaux, tirer de la crise. Le monde ne cessera pas d\'être acquis, les régions du monde non-occidentales ne cesseront pas d'être conquises, par les recettes et la capacité de séduction de la loi du marché, car elles voudront toujours tirer toujours le meilleur profit de ce legs de l\'Occident. Nous entrons seulement dans un nouveau temps où ce que nous avions imaginé comme étant le ressort de la création de richesses des nations sera repris par chaque région du monde avec sa culture, ses repères, son propre territoire d\'influence dans sa propre région du monde. Nous pensions depuis longtemps qu\'il y avait d\'un côté les préjugés éclairés de l\'Occident, et de l\'autre le présumé archaïsme culturel de l\'Orient. J\'ai l\'intime conviction que la balance des intérêts contestera dorénavant la formation de toute vérité occidentale. Désormais, investir dans un pays, cela consistera de moins en moins à venir avec les catalogues de la Banque mondiale, mais intégrer, respecter et se conjuguer avec le réceptacle de la culture du pays dans lequel on investit. Il n\'y a plus d\'investissement absolu dans son principe. Il y a un urgent défi de reconnaissance et de respect des cultures des pays du monde. Derrière ce discours de réalisme rude qui refait surface dans le monde, d\'une Chine orgueilleuse qui n\'écoute que ses intérêts, qui ne s\'engage pas à Copenhague, comme d\'ailleurs les Etats-Unis, qui parle aux Etats auxquels elle veut parler, dont le Soudan, en répondant que les Américains parlent bien à l\'Arabie Saoudite, dans ce monde de grande relativité, il faut voir les conditions de la paix moderne. Après les deux guerres mondiales, l'Occident avait pensé que la paix serait procurée par un « ordre » mondial. J\'ai la conviction que la paix de demain sera procurée par un « équilibre » mondial. En d\'autres termes, le temps de « l'ordre » du monde laisse la place au temps d\'un « équilibre » du monde. Pour l'Occident, cela peut être l'occasion d'affirmer de nouvelles ambitions, mais il lui faudra au préalable se plier à une sévère leçon de modestie. *\*Dernier ouvrage : « Il faut terminer la révolution libérale », Flammarion, 2009*
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institut présaje
2010-02-01
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[ "xavier lagarde" ]
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NE PAS CASSER LA DYNAMIQUE DU CAPITALISME
# Ne pas casser la dynamique du capitalisme **En Europe - et particulièrement en France - le modèle capitaliste s'est forgé au terme d'un compromis avec l'héritage catholique. Il combine individualisme et logique collective. Face à des concurrents asiatiques sans états d'âme, l'Occident n'a aucune raison de tomber dans des excès de repentance. Xavier Lagarde, professeur à l'université de Paris Ouest Nanterre, plaide pour un libéralisme pragmatique et exigeant.** La crise actuelle est de nouveau l'occasion d'une avalanche de critiques sur le capitalisme. Les discours sur ses inévitables contradictions retrouvent de l'audience. Je crains que, dans le contexte actuel, qui met aux prises le libéralisme occidental avec le capitalisme oriental, cette dénonciation sans nuance ne soit la meilleure façon de nous tirer une balle dans le pied. Dans la société française, mais aussi probablement dans une bonne partie des sociétés européennes, le capitalisme a toujours été en situation de compromis. La France est fille aînée de l'Eglise catholique, elle a prêté une oreille attentive aux chants de la lutte des classes (laquelle, soit dit en passant, rend assez bien compte de ce qui s'est joué chez nous à la fin du XIXème et au début du XXème siècle). Elle n'a donc jamais été spécialement à l'aise avec la posture capitaliste dont la matrice est ce qu'on peut appeler l'acte d'investissement. Qu'est-ce à dire ? Investir, c'est immobiliser des actifs, généralement du numéraire, avec l'espoir que de cette immobilisation (aux fins le plus souvent de financer une activité), il résultera un accroissement de ces actifs. Pour le capitaliste, ce qui compte, c'est le retour sur investissement. Il échange sans doute, mais ce qui importe, c'est moins le lien créé grâce à cet échange, que les biens que celui-ci procure. Le capitaliste ne s'intéresse à l'autre qu'en considération de ce que celui-ci peut lui rapporter. Nous sommes donc bien loin du don de soi et des solidarités chères à la doctrine catholique. Nous sommes en revanche bien proches de la lutte des classes dès lors que cet individu qui cherche son enrichissement est bien vite soupçonné de l'obtenir au détriment d'autrui. La solution française a consisté à dissoudre le fait capitaliste dans une logique collective. La volonté de croissance qui caractérise l'esprit capitaliste a ainsi été mise au service de l'intérêt général et non des individus. Traduction macroéconomique : l'économie est très largement sous contrôle de l'Etat. Traduction microéconomique : l'entreprise est conçue comme une collectivité au sein de laquelle bailleurs de fonds et travailleurs, malgré des intérêts divergents, s'associent en vue de la réussite d'un projet commun ; le tout sous l'arbitrage du chef d'entreprise, issu d'une technostructure dans le cas des grandes entreprises - pour une grande partie formée dans les grands corps d'Etat. C'est ce qu'on a appelé la conception institutionnelle de l'entreprise et qu'on valorise aujourd'hui sous l'expression de capitalisme d'entrepreneur. Assez curieusement, lorsqu'il fonctionnait, ce modèle n'a jamais fait l'unanimité. Aujourd'hui qu'il ne fonctionne plus, on le valorise de toutes parts. Cela pour condamner le capitalisme financier qui a dissout les logiques collectives et mis la croissance au service des seuls intérêts individuels, spécialement ceux des traders et autres concepteurs de produits financiers. Tout se passe comme si nous pleurions ce que nous avons su faire et que désormais, les capitalistes orientaux feraient à notre place (le capitalisme chinois est assurément un capitalisme d'Etat). Ce lamento me paraît sans efficacité. Il n'est plus temps d'espérer un retour de l'ambigu capitalisme d'entrepreneur à la française et un effacement du capitalisme financier. Ceux qui en ont porté l'avènement comme ceux qui le contestent si durement sont de longue date ralliés à l'individualisme qui en est le ferment. Les principaux acteurs et bénéficiaires du capitalisme financier sont très largement issus des institutions les plus représentatives de la méritocratie républicaine. En forçant le trait, ce sont de brillants ingénieurs qui, à la sortie de leur école, grande naturellement, ont choisi la finance plutôt que l'industrie. Devinez pourquoi ? Quoi qu'il en soit, le choix du capitalisme financier est le fait d'élites parfaitement normalisées. Elles ont agi en toute bonne conscience avec ce sentiment de l'avoir-droit que procurent les réussites institutionnellement reconnues. La déferlante financière n'est pas le fait d'une invasion. Elle a pris source au cœur du système. Sans doute n'est-ce pas totalement un hasard si la figure du trader déviant s'est incarnée au travers d'un personnage qui, au fond, était un « petit chose » venu d'une lointaine province et soucieux de prendre sa revanche sur ses collègues issus du sérail. Les contestataires sont dans une autre situation. Assurément les classes moyennes (et moins que moyennes) souffrent. Cependant, elles sont très largement acquises à la cause de l'individualisme. Le vecteur de cette conversion, ce ne sont pas les bonus mais les acquis sociaux. Ces derniers ont donné aux individus deux choses : - Pour ceux qui travaillent, la possibilité de se concevoir une existence en dehors du travail. Des horaires qui ne consument pas toute la force vitale, des rémunérations qui permettent mieux que le simple entretien de cette dernière, une sécurité sociale qui tempère les aléas de l'existence. Ainsi le travailleur devient-il un individu. Il en a le loisir. Et cet individu, détachable de son travail, peut ainsi considérer ce dernier, et donc les investissements qu'il consent à la lumière de ce qu'ils rapportent. - Pour ceux qui ne travaillent pas, les filets de protection ont permis de survivre. En 2002, le cumul des aides au profit d'un couple sans emploi avec deux enfants était de 1,7 fois le SMIC. Tout ceci a contribué à une transformation de la valeur travail. Celle-ci n'est plus apparue comme un dû à la collectivité, mais comme un bien que les individus mobilisent s'ils y trouvent leur compte. Le succès de la formule « travailler plus pour gagner plus » en est une bonne illustration. Par rapport à son travail, sa seule richesse le plus souvent, le travailleur est devenu un capitaliste. On peut se dire qu'avant c'était mieux. On peut aussi se dire que la généralisation de l'individualisme est le fruit d'une évolution souhaitée. Nous l'avons voulu, assumons. La fierté sied mieux que le repentir. D'autant qu'au soutien de la cause individualiste, les arguments ne manquent pas : - D'un point de vue théorique, la possibilité donnée à chacun de construire son devenir peut être considérée comme un projet séduisant. L'esprit des Lumières n'est pas si loin. Au reste, une longue tradition intellectuelle valorise, non pas le dévouement aux choses communes, mais, en quelque sorte, le courage d'être soi. Persévérer dans son être, autant qu'il est en nous même disait Spinoza. - D'un point de vue plus pratique, les individualistes ne font pas que du tort à la collectivité. Les brillants entrepreneurs sont souvent des individus qui ne supportent pas les contraintes du salariat. Ceux qui inventent sont ceux qui ne se satisfont pas des savoirs constitués. Les plus grands artistes sont réputés pour prendre des libertés avec l'académisme. L'individu qui sait entrer en polémique avec les acquis que lui livre sa collectivité d'appartenance est celui sans qui cette dernière ne saurait progresser. La critique du capitalisme est une critique de l'individualisme. Elle est un reniement de notre héritage et elle est malvenue. Au regard du capitalisme oriental, la question que nous devons nous poser est celle des moyens de la survie de cet héritage (et non d'une remise en cause) ? Il faut me semble-t-il pratiquer un libéralisme pragmatique et exigeant. - Un libéralisme pragmatique. La réussite des individus ne se conçoit pas sans réussites collectives. Il nous faudra donc demain de belles entreprises, créatrices de richesses et d'emploi. Il faut donc convaincre les talents de reprendre le chemin de l'innovation industrielle et technologique. Dans un contexte individualiste, il faudra donc les intéresser. De ce point de vue, la volonté de cantonner les rémunérations de la finance, l'ambition de recréer des liens entre l'enseignement supérieur et la recherche et le monde économique vont dans le bon sens. Sans doute faudra-t-il revoir le régime des inventions de salarié, sans doute aussi faudra-t-il développer le capital risque, sans doute unifier les régimes de protection entre salariés et travailleurs indépendants... - Un libéralisme exigeant. Aucune doctrine n'a la valeur d'une martingale. L'individualisme est susceptible de dérives. Tel est le cas lorsque les individus en font le moins possible pour espérer le gain maximum. Certains financiers ont montré le mauvais exemple. Ils ne sont pas les seuls. Tous ces individus qui participent à ses émissions de téléréalité en espérant une gloire que justifie bien peu d'investissement ne font guère mieux. L'individu qui aspire à croître doit engager quelque chose. Notre bon vieux Code civil rappelait qu'il n'est pas de contrat sans objet. Et cette exigence vaut toujours. Le problème, ce n'est pas l'excès de capitalisme c'est l'insuffisance des capitalistes. *\*Dernier ouvrage : « Juste capitalisme », Litec éd., 2009*
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institut présaje
2010-02-01
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[ "jean-marc daniel" ]
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L'ARME ANTI-CRISE : GLADSTONE PLUTÔT QUE KEYNES
# L'arme anti-crise : Gladstone plutôt que Keynes **C'est une histoire qui avait commencé vers 1760 du côté de Manchester et qui se poursuit aujourd'hui en Chine et dans les jeunes puissances émergentes. Pour JeanMarc Daniel, professeur à l'ESCP et à l'Ecole des Mines de Paris, plutôt que de chercher à traiter le choc de 2008-2009 avec les recettes de la crise de 1929, mieux vaudrait en revenir aux deux principes qui, selon Gladstone, garantissent la force d'une nation : avoir - et encourager - les entrepreneurs et un Etat qui se soucie strictement de l'équilibre de ses finances.** Quels sont les enjeux de la décennie à venir pour la France et pour l'Europe, compte tenu de l'évolution de nos sociétés ? D'abord deux remarques. La première est que le plus grand économiste était André Gide. Cela se confirme parce qu'il est revenu d'URSS en disant ce qui s'y passait. J'attends que quelqu\'un rentre de Chine en disant ce qui s'y passe vraiment. J'attends l'André Gide de la Chine qui nous débarrassera de la sino-béatitude et qui nous dira vraiment que les pays mercantilistes ont été condamnés au XVIIe siècle et qu'ils le seront au XXIe siècle. Je vais vous expliquer pourquoi. La deuxième : je ne comprends pas l'expression de « capitalisme financier ». La seule fois où j'avais repéré que l'on parlait de « capitalisme financier », ce n'était pas pour cette crise mais dans un livre de 1910, d'un socialiste qui s'appelait Hilferding, qui était un personnage très important de la pensée économique, que l'on ferait bien de lire aujourd'hui pour deux raisons. Il avait annoncé un certain nombre de choses qui étaient aussi péremptoires que ce que nous avons sur le capitalisme financier actuel, et aucune ne s'est vérifiée. C'est la force de la prévision péremptoire. Ensuite, chose plus triste et je le dis de façon incidente, il s'était réfugié ici parce qu'il était social-démocrate allemand et, en 1940, la police française l'a livré aux Nazis parce que cela faisait partie des conditions de l'armistice. Nous sommes dans un endroit - France-Amérique - où l'on vante les mérites de la démocratie et je pense que la démocratie, en tant que valeur, dépasse l'Occident. L'Occident n'a pas toujours connu la démocratie et des gens, dans ce pays, ont livré un réfugié politique allemand à la Gestapo en 1940 sur la base d'un traité parce que cela faisait partie des conditions d\'armistice. Tout cela pour dire qu'à mon avis la démocratie, la liberté, c'est quelque chose qui dépasse nos valeurs, que je considère comme étant partagé, mais fragile. On peut être démocrate en Asie, on peut être démocrate en Chine et on peut être salopard à Paris. Que s\'est-il passé et qu\'est-ce qui est actuellement en crise ? Ce n'est pas le capitalisme qui est en crise et ce n'est pas le libéralisme. Je pense que l'on va même vers un monde qui sera de plus en plus libéral. Ce qui est en crise, ce n'est pas le néolibéralisme, le néocapitalisme. Tout cela à mes yeux n'existe pas. Ce qui est en crise, c'est un mode de fonctionnement de l\'économie américaine que j'ai qualifié dans mon livre de « keynésianisme néoconservateur ». Grosso modo, le schéma économique intellectuel américain qui a été mis en place dans l'après-guerre sous la présidence Truman a vécu, au travers de tous les présidents des Etats-Unis, avec l'idée que l'on maintenait de la croissance économique en augmentant la demande. C'est le principe de base qui permet de résoudre la crise de 1929. Comme l'indiquait Keynes lui-même, dont la seule pensée toujours d'actualité est de dire que l'on fait toujours de la politique d'économiste mort pour répondre à des crises dépassées, les Etats-Unis mènent la politique d'économie d'un homme mort qui est Keynes pour répondre à une crise qui est passée (celle de 1929). C'est d'ailleurs tellement vrai que l'on n'arrête pas de nous dire que l'on a de la chance d'avoir M. Bernanke à la Réserve Fédérale des Etats-Unis parce qu'il est le grand spécialiste de la crise de 1929 ! C'est dommage, j'aurais aimé qu'il soit le spécialiste de la crise de 2008. Il répond d'ailleurs très pertinemment à la crise de 1929, et c'est cela qui est inquiétant. Cette politique économique est une politique économique dans laquelle on injecte en permanence de l'argent. C'est l'arbitrage de Phillips : pour résoudre le chômage, on risque d'avoir de plus en plus d'inflation et, si on a de plus en plus d'inflation, on l'a vu pour la Grande-Bretagne dans les années 50-60, la monnaie est menacée de dévaluation. Quand elle est menacée de dévaluation, elle l'est par rapport à une référence. La livre sterling des années 50-60 était en permanence menacée de dévaluation par rapport à l'or. Quelle est la grande astuce des Etats-Unis pour que le dollar ne soit pas menacé de dévaluation vis-à-vis de l'or ? C'est de supprimer l'or. Vous mettez en place un système dans lequel votre monnaie n'est menacée de rien puisqu'elle ne se réfère à rien, et vous instaurez une régulation par la demande, c\'est-à-dire que vous injectez en permanence du pouvoir d\'achat pour essayer de maintenir une situation dans laquelle il n'y a pas de chômage. C'est sur ce système que fonctionnent les Etats-Unis. Vous avez en regard de cela effectivement un déséquilibre offre-demande. Pour avoir la certitude que vous atteignez le plein-emploi, un mécanisme d'arbitrage de Phillips se met en place. Plus vous avez de création d'emplois, plus vous avez de tension entre l'offre et la demande, une demande qui devient excessive et vous avez soit de l'inflation, soit de l'importation de biens extérieurs. Les Etats-Unis ont trouvé, face à eux, un Etat mercantiliste. Ils ont trouvé un Etat prêt à leur vendre à un prix ridiculement bas. Ils ont donc évité l\'inflation sous forme de hausse des prix. Ils ont trouvé un Etat qui accumule des dollars. La Banque Centrale de Chine a 2 400 milliards de réserve, mais ce n'est pas le pays qui a le plus de dollars. C'est le pays où il y a le moins de système bancaire organisé qui permette de diffuser ces dollars. L'excédent commercial chinois est récent. En 1978, quand je faisais mes études, on venait de sortir les statistiques de la Banque mondiale et c'était la grande époque où l'on nous annonçait déjà que le Japon allait conquérir le monde. On avait une espèce de commisération assez méprisante et ridicule pour la Chine qui était de très loin le pays le plus pauvre du monde. Quand je faisais mes études, on racontait que, pour aller à l'Assemblée générale des Nations Unies, Deng Tsiao Ping était obligé d'emprunter les dollars qui lui permettaient d'acheter les billets d'avion et qu'il finissait par acheter le billet d'avion à la China Airlines. Surtout, la compagnie chinoise n'avait pas assez de dollars pour payer le droit d'atterrissage sur l'aéroport de New York et les Etats-Unis, qui étaient en train de nouer cette alliance privilégiée dont on parle, ont fait une espèce de geste et ont payé le droit. La Chine n'avait pas de dollars à l'époque. Or, le Japon les accumulait. Cela fait cinquante ans que le Japon accumule des dollars. Cela fait cinquante ans que l'Allemagne accumule des dollars. Ils ne sont évidemment pas dans la Banque Centrale du Japon, ni dans celle d'Allemagne, ni dans la BCE. Monsieur Trichet veille au grain. Dès qu'il voit arriver un dollar, il ne le ramasse pas. Ramasser un dollar, c'est ramasser la promesse qu'un jour les Américains se mettront à travailler. Monsieur Trichet n'est pas fou. Il ne va pas s'engager dans cette aventure. Les dollars, il ne les ramasse pas ! Celui qui ramasse les dollars est celui qui est en train de se faire avoir par les Etats-Unis. Les Américains ont mis en place ce système. Cela peut durer jusqu'au moment où l\'inflation traditionnelle réapparaît. Quand l\'inflation traditionnelle a-t-elle réapparu ? Lorsque cette masse colossale de dollars en circulation a eu un impact. Dans n'importe quelle économie, lorsque la quantité de monnaie en circulation augmente et que la quantité de travail en face n'augmente pas aussi vite, on finit par avoir de l\'inflation sous forme de bulle. Il y a eu des bulles spéculatives. L'économie mondiale s'est heurtée à ce déséquilibre offre-demande aux Etats-Unis qui injectent de la monnaie en permanence dans le système de l'économie mondiale, ce qui se traduit par des hausses de prix et une inflation déguisée, dans un premier temps en déficit extérieur américain, dans un deuxième temps en bulle. Ce qui est à l'origine de la crise, c'est le durcissement brutal de la politique monétaire pour lutter contre ces bulles qui étaient en train d'apparaître. On peut rentrer dans le détail et se demander s\'il était très sain de prêter aux pauvres. Aux Etats-Unis, on s'est mis à prêter aux pauvres. Le principe de base du banquier est de prêter aux riches. Le principe de base du socialisme défunt, celui qu'incarne encore soi-disant la Chine, l'économie socialiste de marché, c\'est-à-dire une économie qui n'est ni socialiste ni de marché, était de promettre aux pauvres qu'ils étaient aujourd\'hui pauvres, mais qu'ils seraient demain riches. Le système financier américain a dit aux pauvres : « Vous êtes riches et vous ne le savez pas. On va vous prêter et vous êtes riches. Ainsi, vous pourrez acheter une maison dont la valeur va s'accroître ». La maison en question est en train d'être rasée parce qu'elle ne vaut plus rien, mais on leur a promis, on leur a expliqué qu'ils étaient riches. Encore une fois, je résume mon propos parce que c'est important pour moi, ce système n'est ni capitaliste, ni libéral. C'est un système keynésien néoconservateur. Dans la période démocrate, on injectait de l'argent en augmentant les dépenses publiques. Dans la période républicaine néoconservatrice, on injecte de l'argent en baissant les impôts. Le vrai problème est que l'on a déshabitué le peuple américain à payer des impôts. La pression fiscale sur les Etats-Unis est revenue à des niveaux qui étaient ceux des années 1910-1920. Encore une fois, la conséquence est la suivante : on injecte de la monnaie, un arbitrage de Phillips mondial s'installe, de moins en moins de chômage et une menace permanente d'inflation. La Chine est-elle une menace dans tout cela ? Je fais partie des naïfs qui pensent au « win win ». Que va-t-il se passer en Europe ? Je pense que nous vivons une transition, une phase nouvelle dans un processus qui a commencé dans les années 1760 en Europe où l'on est sorti de l'économie pénurie, qui était l'économie socialiste, l'économie mercantiliste, l'accumulation de signes monétaires pour passer à une économie de croissance. Comment cela s\'est-il fait ? Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui a pris aux Anglais dans les années 1760 de se mettre à travailler. L'économie rurale du XVIIe siècle comme l'économie socialiste soviétique du XXe siècle étaient des économies où l'on faisait semblant de travailler, en échange de quoi on faisait semblant de vivre. Donc, les Anglais se sont mis en 1760 à travailler. Je ne sais pas ce qui leur a pris, mais toujours est-il que, depuis, le monde entier est en train de se mettre au travail. Concrètement, des millions de paysans quittent une société médiocre, une vie médiocre, répétitive, faite de routine mais assez peu productive pour aller dans des usines et ensuite travailler dans des secteurs qui produisent de plus en plus. D'abord des objets et dans un deuxième temps, accéder dans ce que les économistes libéraux du XIXe siècle appelaient le moment où l'on passe de l'état de production à l'état stationnaire, c\'est-à-dire où l'on échange de la culture, des idées. C'est ce qui est en train d'apparaître. Ce processus, qui a commencé du côté de Manchester en 1760, est en train de gagner la Chine. Il gagne les continents et il gagne en ce moment les pays qui ont été les grands perdants du XXe siècle, c\'est-à-dire les pays qui ont eu à subir les deux abominations du XXe siècle qu'ont été le communisme et le colonialisme. On nous parle de la Chine, mais quel pays a eu le plus de croissance sur ces quinze dernières années ? Au regard des statistiques qui sont fiables, il s'agit de la Slovaquie. Si l'on regarde l'évolution du nombre de chômeurs en Slovaquie en 2009 par rapport à 2008 - l'OCDE vient de sortir son rapport sur la situation de l'année prochaine --, en pleine crise, moins 10 000 chômeurs. Le chômage a baissé de 10 000 personnes en Slovaquie. Pour quelle raison ? Les Slovaques ne sont pas plus géniaux que nous. Ils se sont payés quarante ans de communisme et ils repartent à l'assaut d'une histoire qui leur a été volée. Les Chinois repartent à l'assaut d'une histoire qui leur a été volée. Ils ont une revanche à prendre. Pour l'anniversaire de la Révolution, les 60 ans de la création du régime, les soldats ont fait 169 pas, ce qui correspond au nombre d'années qui les séparent du traité de Nankin, c\'est-à-dire du moment où les Anglais les ont humiliés. Le coup de génie de Nixon dans les années 70 est d'avoir repéré que les Américains et les Chinois avaient les mêmes amis. Historiquement, les Américains et les Chinois détestent les Anglais et les Japonais. Il s'agit d'un jeu assez subtil et compliqué. Ce compromis qui consistait à aller chercher les Chinois, c'est aussi aller chercher un pays qui avait été humilié, brisé par le colonialisme et le communisme. Que ce pays refasse surface me paraît normal. Ce pays, qui représente 25 % de la population mondiale, représente encore 7 % de la production mondiale. Il y a donc des raisons. Si vous avez peur que les Chinois vous concurrencent, sachez que les Chinois ont compris que les Indonésiens vont les concurrencer, que les Vietnamiens vont les concurrencer, que les Nigérians vont les concurrencer. Le processus en cours n'est pas un processus chinois. C'est un processus mondial. C'est la fin de la paysannerie, de l'exode rural et c'est la croissance économique grâce à la fin de la paysannerie. Sommes-nous morts dans tout cela ? J'ai appelé mon livre « le taureau » parce que le taureau était pour moi l'Europe, nous. C'était un discours de Gladstone. Mes étudiants ont du mal à savoir qui était De Gaulle et s'il était avant ou après Mitterrand. Quand je leur parle de Gladstone, ils me regardent avec de grands yeux. Je leur lis le discours de Gladstone de 1842 qui est à l'origine du libre-échange, qui est cette période où l'Angleterre commence sa grande expansion par le libre-échange et incidemment par la guerre de l'Opium. Gladstone explique que deux choses font la force d'un pays. Pour commencer, ses entrepreneurs. Je ne vois pas beaucoup d'entrepreneurs en Chine parce qu'il n'y a pas beaucoup d'entrepreneurs quand il y a un parti communiste. Un entrepreneur est quelqu'un qui lance une entreprise sans aucune visibilité. Il investit quelque chose que lui confie une banque pour faire quelque chose qu'il est absolument incapable de décrire et qui réussit. La première force de la Grande Bretagne en 1842, dit Gladstone, ce sont ses entrepreneurs et la deuxième force est le fait d'avoir des finances saines, c\'est-à-dire d'avoir un Etat qui ne dépense pas plus qu'il ne gagne. Le problème actuel du monde est que le déficit budgétaire mondial a été de 8,5 % en 2009. Le déficit budgétaire aux Etats-Unis a été de 13 % du PIB. Le déficit budgétaire anglais a été de 12 % du PIB. Le véritable enjeu est désormais là. L'Etat est mort parce qu'il passera son temps à essayer de sauver ses finances, de survivre. L'Etat est mort parce que sa capacité d'action est totalement obérée par les politiques irresponsables qui ont essayé de sortir de la crise par la fuite en avant. Il n'est pas mort parce qu'il y aura toujours des Etats, parce qu\'il y aura toujours des gens qui feront la police et parce que l'Etat est consubstantiel à l'organisation humaine, mais la capacité de l'action de l'Etat est totalement brisée par l'endettement issu de la crise. Les conséquences de cela sont les suivantes : - Pour essayer de s'en sortir, l'Etat augmentera ses impôts. Parmi les économistes, la grande idée est de passer de la montgolfière au sablier. La montgolfière était la société des années 70, une grande société où c'était assez bien réparti et, comme il y avait de la croissance, tout le monde montait. Le sablier est que plus rien ne bouge. Il y a une grosse masse en bas de gens pauvres, une masse assez forte de gens riches, et les gens riches tombent parmi les gens pauvres. Je ne pense pas que l\'on aille vers une société en sablier. Je pense que l\'on n\'est pas dans la montgolfière, mais que l\'on est dans une société qui commence à monter. Le seul véritable enjeu pour la classe moyenne sera d\'engager des négociations avec ses mandants dans le cadre de la démocratie pour savoir sur qui paiera la facture de la dette. Qui paiera les impôts ? Je pense à titre personnel que nous allons les payer parce que, si les entreprises les paient, il n'y aura pas de croissance économique. Là, effectivement, nous serons mal. - Quand l'on regarde les évolutions de croissance potentielle que nous donnent les organismes internationaux, le problème de l'Europe est qu'elle est à la frontière technologique, c\'est-à-dire qu'elle ne fait sa croissance que sur de nouvelles découvertes. L'avantage de la Slovaquie est qu'elle fait sa croissance sur le travail et les techno centres de Renault et de Peugeot d'il y a trente ans. En France, Renault et Peugeot sont déjà là, ils ont déjà incorporé. A Flins, la productivité est déjà là. Il y a un problème d'efficacité. La croissance potentielle telle qu'évaluée par l'OCDE au niveau américain sur la productivité telle qu'elle s'est pratiquée sur les dernières années, c\'est-à-dire la capacité technologique inventée par les Etats-Unis, est de 1 % par an. L'Europe est aussi à 1 % et les pays émergents sont à 2 ou 3 %, uniquement sur des bases d'incorporation de la technologie importée. Le véritable enjeu est de savoir s'il y aura des découvertes scientifiques. J'en suis convaincu. J'ai assisté à un déjeuner-débat au cours duquel le PDG de Peugeot indiquait que l'on ne réalise pas tout ce qu'ils ont dans leurs cartons. Tout le monde est persuadé que la voiture électrique est un débat sur la voiture électrique entre Mme Ségolène Royal et M. Raffarin avec le FSI qui dit qu'il ne faut pas prendre l'argent du contribuable pour essayer d'organiser un désastre industriel. Ce n'est pas l'avenir. L'avenir, c'est ce que M. Varin, le patron de Peugeot, a dans ses cartons pour préparer une voiture qui pèsera trois fois moins lourd que les voitures qu'il met actuellement sur le marché. Cela s'appelle la mécanique quantique, les nanotechnologies, l'introduction de progrès techniques et l'introduction dans le processus de production des progrès réalisés par les physiciens dans les années 60. La capacité à générer de la croissance économique est là, à condition que l'on n'empêche pas les entreprises de faire de la croissance économique et qu'on les laisse investir. Nous allons payer plus d'impôts parce que les Etats, aux abois, n'ont pas d'autre solution. - Troisième remarque sur le monde qui nous attend : l'Europe va-t-elle disparaître ? Actuellement, l'Europe c'est l'euro. Une chose me rassure : le discours sur la Grèce. Je dis à tous les gens que je rencontre d'acheter des bons du Trésor grec. Quelle est cette hargne à propos des Grecs ? Tout le monde est persuadé que l'on ne laissera pas tomber la Grèce. Il est de bon ton de venir dire : « L'Europe ne va pas si bien que cela ». Il y a la queue pour rentrer dans l'euro. Les Islandais, qui étaient un modèle de dynamisme, se précipitent pour rejoindre l'euro. Souvenez-vous il y a dix ans, quand ils voulaient entrer dans l'Europe, ils avaient dit qu'ils ne rejoindraient pas l'euro parce qu'ils ne voulaient pas rejoindre ce club de « rastaquouères » puisqu'il y avait les Maltais, les Italiens, les Grecs dans l'euro. Il y en a maintenant du monde qui fait la queue pour être dans le cercle des « rastaquouères » parce que l'euro, cela marche ! L'euro, cela tient maintenant. On parlait des alliances étranges Wall Street et autres. Je ne crois pas trop à ces alliances organisées. On parlait des agences de notation qui n'avaient rien vu venir. C'est rassurant. Ils se sont encore trompés une nouvelle fois. Je pense qu'il y a une espèce de hargne et d'angoisse, notamment dans l'organisation du monde, à travers l'idée que ce qui est en train de marcher, c'est la monnaie d'une zone géographique qui n'a pas d'Etat. La force de l'euro, c'est qu'il n'y a pas d'Etat. La force de M. Trichet est qu'il fait une politique monétaire. Je l'ai toujours défendu. Il fait une bonne politique monétaire parce qu'il n'y a pas d'Etat pour venir la lui conseiller. M.Greenspan ne faisait pas une bonne politique monétaire parce qu'il était obligé de financer le déficit budgétaire de l'Etat fédéral qui n'arrêtait pas de baisser les impôts pour gagner des élections. L'Europe a donc une chance inouïe : il n'y a pas de parti communiste, il n'y a pas d'Etat. Il y a juste un banquier central. Mon message est : quelle bonne nouvelle ! *\* Dernier ouvrage : « Le taureau face aux tigres », Pearson éducation*
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2010-02-01
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COMMENT LA CHINE A PIÉGÉ L'OCCIDENT
# Comment la Chine a piégé l'Occident **Strictement fidèle à ses principes mercantilistes, initiatrice d\'un modèle de capitalisme autoritaire qui la hisse au deuxième rang des grandes puissances de la planète, la Chine est le principal bénéficiaire d\'un partenariat déséquilibré avec les Etats-Unis et l'Europe, estime Jean-Michel Quatrepoint, journaliste et essayiste.** Il y a près d\'un siècle, Lénine avait fait une prédiction : \"les capitalistes nous vendront jusqu\'à la corde pour les pendre.\" Lénine est mort depuis belle lurette. L\'URSS et, avec elle, l'idéologie communiste ont été ensevelies sous les décombres du mur de Berlin, et pour un peu, le marxisme ne serait plus qu\'un de ces épouvantails, une sorte de croquemitaine qu'on raconte aux enfants, le soir à la veillée, pour leur faire peur. Tout ceci est vrai. Ou plutôt tout ceci était vrai, il y a quelques années, au début de ce millénaire. Car aujourd'hui, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, on peut se demander si le dernier parti communiste d'importance n'est pas en passe de réaliser la prophétie de Lénine. Cette situation résulte d'une alliance contre-nature, d'une alliance de circonstance, entre trois grands acteurs : - Wall Street, qui incarne les multinationales et la finance ; - Wal Mart, tête de proue de la grande distribution, plus grande entreprise du monde ; - et troisième acteur, le PCC, le parti communiste chinois. Cette alliance s'est nouée dans la plus grande discrétion au début des années 80. À l'occasion notamment de la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Les Etats-Unis de Ronald Reagan avaient alors un double objectif géopolitique et idéologique. Il s'agissait de lutter tout à la fois contre l'URSS, le communisme, l'empire du mal. Et contre un Japon, qui fort de sa réussite industrielle, menaçait la puissance économique et technologique de l'Amérique. Un Japon qui utilisait une monnaie sous-évaluée pour engranger des recettes à l'exportation et qui avait pour ambition de devenir le leader du sud-est asiatique et de faire du yen une grande monnaie, à côté du dollar et de l'écu européen. Pour atteindre ces objectifs, les Américains vont s'appuyer sur un renouveau idéologique, à partir des travaux des économistes libéraux, l'école de Chicago. Avec une vision schumpetérienne. On revient aux sources du libéralisme, de son dynamisme. On casse les grands monopoles, les syndicats. On déréglemente. On libère l'économie de ses entraves. Les Etats-Unis vont également s'appuyer sur un \"deal\" avec la Chine : - neutralité dans l'affrontement avec l'URSS ; - coup de main pour étouffer dans l'œuf les désirs hégémoniques des Japonais. En échange, Hong Kong retournerait à la Chine et allait servir de \"sas\" entre la Chine communiste et le monde capitaliste. Cela collait à la nouvelle stratégie élaborée par Deng Tsiao Ping, qui visait à conduire la Chine sur la voie de l'économie socialiste de marché. Depuis le célèbre discours devant le congrès du PCC en 1978, la Chine n'a pas varié dans cette stratégie. Elle a un objectif : redevenir la première puissance mondiale qu'elle a été pendant de longs siècles ; prendre sa revanche par rapport à l'humiliation subie pendant un siècle, entre la guerre de l'opium et l'arrivée au pouvoir de Mao Tsé Toung. Pour atteindre son but, elle sait faire preuve de pragmatisme, tel le dragon qui ondule dans les rues dans les fêtes lors du nouvel an chinois. Comprenez bien que la Chine est hyper-capitaliste dans le domaine économique. Un capitalisme sauvage. Où la coexistence de milliardaires à la morale flexible avec des centaines de millions de journaliers qui vendent leur force de travail - dans des conditions d'existence que l'on connaissait il y a un siècle en Occident - ne gênent pas outre mesure un parti communiste chinois, unique, bien sûr, qui tient le pays d\'une main de fer. La Chine est donc communiste ou plutôt autoritaire, pour ne pas dire totalitaire, dans son organisation. Mais l'édifice tient aussi parce que les Chinois sont fiers d\'appartenir à un grand pays, quelles que soient leurs places dans la société. Ils sont fiers d'être Chinois. La Chine est nationaliste. Il faut le savoir. Et ne pas être naïf. Au moment des négociations sur Hong Kong, un deal monétaire s'est alors établi. Le dollar Hong Kong s'est indexé sur le dollar américain. Le yuan-reiminbi était inconvertible. Il l'est toujours. Mais d'une façon indirecte, les échanges transitant par Hong Kong, la monnaie chinoise se liait au dollar Hong Kong et ipso facto au dollar américain. Cela voulait dire que la Chine basculait dans la zone dollar et que, du même coup, la zone yen était mort née. Les multinationales japonaises ne s'y sont pas trompé, puisqu'elles ont été les premières à se délocaliser en Chine pour profiter des bas coûts de main d'œuvre et de l'indexation monétaire sur le dollar. Les Japonais iront à Canossa, lors des accords du Plaza en 1985. Les Américains les obligent à réévaluer fortement le yen. Le Japon va faire quelques autres erreurs de pilotage et imploser début 1990. Il ne s'en est jamais véritablement remis. Ce lien monétaire entre la Chine et le dollar est le fil rouge pour comprendre cette alliance Wall Street - Wal Mart - PCC. Nous sommes alors, il y a une vingtaine d'années, dans le Nirvana de la mondialisation heureuse. Les multinationales voient ce gigantesque marché chinois qui s'ouvre à l'économie de marché comme un eldorado. Elles commencent à vouloir s'implanter pour produire à destination des consommateurs locaux. Et là, l'organisation communiste leur fait comprendre que ce n'est pas comme cela que les choses vont se passer. On a besoin d'elles, de leur technologie, de leur savoir faire, mais elles vont produire, non pas pour les Chinois, sauf à la marge, mais à destination des marchés solvables... occidentaux, japonais et pour le monde entier. La Chine leur offre sa main d'œuvre, entre vingt à trente fois moins chère qu'aux EtatsUnis ou qu'en Europe avec des entreprises qui peuvent exécuter les commandes dans l'instant, grâce à Internet. Tout ceci est archi-connu. La grande distribution --- Carrefour, Wal Mart - voient là le moyen de casser les prix et d'offrir aux consommateurs des produits moins chers, même s'ils sont de moins bonne qualité. On invente d'ailleurs de nouveaux concepts, l'obsolescence programmée. Bref on fait tourner la machine. Et la grande distribution fait pression sur ses fournisseurs pour qu'ils se délocalisent en Chine. Un cercle vicieux, un cercle infernal se met alors peu à peu en place. Le capital délocalise là où c'est le moins cher, supprimant massivement des emplois en Occident où transformant des emplois à valeur ajoutée en emplois dits de service, sous qualifiés et souvent sous payés. L'Occident importe de plus en plus de produits \"Made in China\", creusant ses déficits. Mais au passage, les profits des multinationales, des financiers et de Wal Mart, eux, explosent. Grâce à l\'ingénierie des « Mozart de la Finance », au laxisme des régulateurs, ces bénéfices sont démultipliés. C'est la parabole de la multiplication des pains. Le capitalisme perverti s'habitue à des taux de ROE (15 voire 20 %) démentiels obtenus à coups d'effets de levier et de dettes, qui permettent au passage aux financiers d'engranger des rémunérations indécentes. À côté du principe « toujours plus loin toujours moins cher », le capitalisme financier promeut le dogme du profit maximum dans le minimum de temps. Avec deux conséquences: le cynisme (la fin, c'est à dire le profit justifie les moyens) et l'absence de vision, de stratégie à long terme (plus d'investissements à long terme dont la rentabilité immédiate n'est pas évidente). Les multinationales préfèrent racheter leurs actions plutôt qu'investir, elles localisent leurs investissements productifs en Chine et dans les pays émergents ; elles négligent la recherche fondamentale, ne se préoccupent pas de l'environnement, etc. Cette alliance s'avère aujourd'hui un marché de dupes, lourd de conséquences pour les Occidentaux. ## Illusions occidentales À l'époque, et j'entends encore certaines voix reprendre cette antienne, on nous expliquait que le déficit commercial américain, et accessoirement le nôtre, n'avait pas d'importance, puisqu'il résultait pour une large part de l'importation de produits et de sous-ensembles conçus par des groupes américains ou occidentaux, dont les actionnaires étaient en Occident, et pour des marchés situés essentiellement en Occident. Bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Aux Asiatiques, les usines tournevis, les produits de masse. Aux Occidentaux, à la Silicon Valley, l'innovation, le design, les nouvelles technologies, le marketing, etc. Et en plus, Wall Street et la City construisaient une industrie financière destinée à prendre la place des industries manufacturières. Tout ceci correspondait à une part de réalité. Effectivement, la part de la finance, tout comme celle de la grande distribution, dans le PIB américain n'a cessé de grandir. La finance représentait 21 % du PIB en 2008 et... 40 % de la totalité des profits des entreprises américaines, mais 6 % seulement des emplois. Des chiffres qui symbolisent l'évolution de ces trente dernières années. Mais là où le bât blesse, c'est que cette part prépondérante de l'industrie financière a été acquise au prix d'un endettement massif. Car deux dates, deux événements majeurs vont intervenir au début du millénaire. Le 11 septembre, bien sûr, et ce même mois de 2001, l'entrée de la Chine dans l'OMC. Pour répondre à l'attaque de Al Quaida sur les deux tours, symboles de la puissance américaine, les Etats Unis vont baisser - déjà -- massivement les taux d'intérêt et relancer la course aux crédits. Prêter pour faire tourner la machine et emprunter pour faire également tourner la machine et montrer aux islamistes que l'Amérique sait rebondir, deviennent des devoirs patriotiques. La machine s'emballe donc. Le ménage américain s'endette, parce que son pouvoir d'achat réel n'est plus le même. Il s'endette pour acheter sa maison, y compris les plus pauvres, et des produits de consommation fabriqués en Chine. L'économie américaine est apparemment en croissance (3% en moyenne) mais elle détruit des emplois dans le secteur privé. Les recettes des Chinois s'envolent. Et une bonne partie est mise en réserve par la Banque Centrale de Chine qui les place en dollars, notamment en bons du Trésor américain. Ce mécanisme est totalement pervers. L'Amérique - comme l'Europe-- détruit ses emplois qualifiés ou les externalise ou les délocalise. On distribue du crédit aux populations pour leur donner l'illusion qu'elles ont encore du pouvoir d'achat. On finance la guerre en Irak, non par l'impôt mais par les dollars accumulés par les autres. Et grâce à l'OMC , les produits « Made in China » vendus sous les marques occidentales inondent les rayons des hypermarchés. ## Les gagnants de la crise La crise dite des subprimes était inéluctable. Mais seize mois après la faillite de Lehmann Brothers que constate-t-on ? Qui sont les gagnants de la crise ? - Wall Street et les marchés financiers (+ 70 % depuis le 9 mars). - Les très grandes banques qui ont éliminé quelques concurrents, bénéficié de l'argent gratuit des banques centrales pour prêter à des taux variant de 3,5 % à 25%. Les multinationales ont souffert à des degrés divers. Cela va de l'industrie automobile américaine, en faillite et nationalisée à d'autres groupes qui ont profité de la crise pour serrer encore plus les boulons, dégraisser, délocaliser. À l'image de ce que fait Wal-Mart qui continue d'augmenter ses parts de marché et renforce ses liens avec la Chine, en réduisant au passage le nombre d'intermédiaires. Enfin le grand gagnant, c'est notre PCC, c'est la Chine. Car, pendant la crise : - elle a accru ses parts de marché aux Etats-Unis (19 %) ; - ses exportations ont augmenté de 18 % en un an ; - elle a injecté 585 milliards de dollars dans son économie, essentiellement pour développer des achats d'automobiles et accroître les capacités de production des usines. Ce qui permet de baisser les prix. Et comme depuis l'été 2008, le yuan s'est réindexé sur le dollar (Pékin avait timidement accepté une minime réévaluation de15 % en 3 ans par rapport au dollar...), les produits chinois sont toujours compétitifs ; - la Banque centrale continue d'engranger des réserves : 2 400 milliards de dollars aujourd'hui. Bref, on pourrait énumérer tous les indicateurs qui montrent que la Chine sort renforcée de cette crise. Il y a des signes qui ne trompent pas : la manière dont Barack Obama a été reçu à Pékin ; la manière dont la Chine a imposé ses vues à Copenhague. Alors de bons esprits veulent se rassurer, nous rassurer. On nous ressort l'idéologie du « win-win », gagnant-gagnant. On nous ressort l'idée que l'Occident doit se concentrer sur les nouvelles technologies, la finance. Mais cette vision des choses pêche par plusieurs aspects : - d'abord elle est méprisante par rapport aux Chinois ; - ensuite, elle est naïve. Les Chinois, comme les Indiens, ont toutes les capacités intellectuelles pour développer de nouvelles technologies. Ils le font déjà. Ainsi, la Chine va développer avec l'aide d'une société californienne une centrale de 2 gigawatts. Dix fois plus que les plus grands des projets occidentaux. Un de leurs chercheurs vedettes en biologie moléculaire de Princeton a choisi, comme tant d'autres, de revenir vers sa mère patrie. À Berkeley, près des trois quarts des étudiants sont asiatiques. Et beaucoup des diplômés retournent en Chine. ## Mercantilisme affiché La Chine a vocation à tout produire et elle veut tout produire. Elle importe, elle achète parfois, elle copie souvent, les savoir-faire qu'elle n'a pas. Mais son objectif est bel et bien de produire des TGV, des centrales nucléaires, des avions pour son marché intérieur. Et, dans la foulée, de les exporter en cassant les prix. Cette stratégie s'accompagne, comme l'ont fait les Etats-Unis et l'Europe au XIXe et au XXe siècles, d'une mainmise sur les matières premières que la Chine ne possède pas. Y compris maintenant sur les terres agricoles. Avec, là aussi, des méthodes qui rappellent celles des Occidentaux autrefois. Enfin, cette stratégie mercantiliste qui s'appuie sur un système politique autoritaire, s'appuie également sur un quadruple dumping : - un dumping monétaire avec un yuan notoirement sous-évalué ; - un dumping social avec un système de protection sociale balbutiant qui explique le taux d'épargne très élevé des ménages chinois ; - un dumping environnemental, puisque pour schématiser, Pékin veut continuer à produire sans s'imposer des contraintes, mais en même temps met les bouchées doubles sur les énergies renouvelables. Pendant dix ans, je produis un maximum en polluant, mais les recettes que j'accumule me permettent d'investir dans les énergies du futur ; - enfin, dernier dumping souvent oublié : celui sur le capital. Les entreprises chinoises sont inondées de crédit par un système bancaire étroitement contrôlé par le parti. D'où des surcapacités de production, qui pèsent sur la compétitivité des concurrents. Alors certains nous prédisent aujourd'hui une implosion de la Chine, un krach, une hyperinflation. Les plus naïfs pensent qu'elle va se démocratiser très vite, grâce à Internet et adopter nos belles et bonnes valeurs occidentales. On peut toujours rêver. Cette crise a montré que la mondialisation, l'uniformisation des modèles et des valeurs n'est, pour le moment, qu'une utopie. Pour le moment, les nations sont toujours bien vivantes. La Chine est une nation, et se vit comme une nation. L'Inde également. Le Brésil aussi, sans parler de la Russie. Chaque nation est le fruit d'une histoire et d'une culture, chacune étant éminemment respectable. Les Etats-Unis se vivent comme une nation. Le problème est qu'en Europe, la crise nous touche au milieu du gué. L'idée de nation s'estompe dans chaque pays d'Europe, mais il n'y a pas de nation européenne. Et donc pas de gouvernement européen. ## Imparable logique stratégique Alors, que va-t-il se passer ? La Chine va poursuivre méthodiquement une stratégie qui lui a si bien réussi. L'argent accumulé va lui servir à acheter de par le monde, les biens, les entreprises, les terres, les marchés et les hommes dont elle a besoin. Elle va continuer d'utiliser la cupidité des multinationales et du système financier pour vendre ses produits. Elle va mener une diplomatie visant à fédérer les pays émergents face aux anciens colonisateurs. Dans les instances internationales, elle fera un pas en avant et trois pas en arrière. Donnant l'impression de céder sur quelques points pour reprendre tout de suite le terrain apparemment abandonné. Elle va donner des leçons de libre échangisme aux libéraux. Enfin, elle va peu à peu s'affirmer comme la puissance dominante de l'Asie - ce qui n'ira pas sans friction ni tension - en rendant un jour le yuan convertible et en en faisant la grande monnaie de la région, voire la grande monnaie mondiale. Une politique monétaire qui pourrait s'accompagner d'une montée en puissance de la finance chinoise. Afin d'enlever à l'Occident l'un des derniers domaines où il est encore prépondérant. Je n'ai pas parlé de l'armée chinoise, un des piliers du régime, qui n'est pas encore au niveau bien sûr de l'armée américaine, mais on a vu qu'en quelques années, les choses pouvaient aller très vite. Et Pékin entend accroître les capacités de son outil de défense. C'est donc un défi majeur qui est imposé à l'Occident, et je crains que tout le monde n'en soit pas totalement conscient. Il y a nos gentils libéraux qui ont pour les Chinois les yeux de Chimène, car ils veulent n'y voir que l'aspect économique, ce libéralisme apparemment sauvage, cet univers schumpetérien, où l'entrepreneur privé peut faire fortune très vite. En oubliant que le parti veille. En oubliant le protectionnisme qui protège les entreprises chinoises. Il y a tous ceux qui ont dénoncé l'impérialisme américain et le colonialisme occidental, et qui voient dans la Chine la revanche du petit face au gros. Reste qu'entre les deux, il y a ces centaines de millions de classes moyennes, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, ces classes moyennes qui sont les piliers de nos démocraties qui sont lentement mais sûrement paupérisés, et qui pensent que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes, avec un chômage de masse, avec un marché du travail fait de petits boulots, de temps partiel, qui pèsent, qui minent le moral des populations. Car la réalité de la mondialisation de ces trente dernières années, c'est un formidable transfert de richesses. D'abord, en Occident, vers ce qu'on a appelé les hyper riches, la finance, les grands managers. Et ensuite, au niveau mondial, des classes moyennes occidentales vers des classes moyennes qui émergent en Chine, au Brésil et dans quelques pays émergents. Tout ceci avait été masqué par les bulles boursières et, depuis l'an 2000, par l'endettement des ménages comme des États occidentaux. Pour en revenir à la citation de Lénine, je ne pense pas que la Chine veuille pendre les capitalistes, mais je pense qu'elle a pris au lasso l'Europe, et encore plus les Etats-Unis, et qu'elle va lentement tirer sur le nœud coulant. Et il n'y aura guère que deux issues. Soit accepter de se laisser dompter. Soit couper la corde. *\* Dernières publications : « La crise globale », essai, 2008 ; « La dernière bulle », essai, 2009 ; tous deux édités par Mille et une nuits*
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2010-02-01
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LA CRISE, LE CONGRÈS DE VIENNE ET LA CITÉ RADIEUSE...
# La crise, le Congrès de Vienne et la cité radieuse... **Au terme du débat sur le thème « Libéralisme occidental contre capitalisme oriental** **», François Ewald, essayiste et professeur au Conservatoire des arts et métiers, avait la tâche malaisée de faire la synthèse des discussions. Partant des positions très divergentes des intervenants, il allait prendre le parti du philosophe qui commence par dire qu'il ne sait rien, qu'il s'interroge sur le sens des mots et se sert de l'humour pour des thèses en présence...** En écoutant ces brillants orateurs, je constate que la « crise » n\'a pas touché l\'art de la conversation française du brillant requis dans un exercice français de conversation. Puisque nous sommes ici dans un salon du XVIIIe, je vous laisse le soin de choisir à quel moment nous sommes. Après avoir entendu des certitudes, le philosophe ne peut sortir de là qu'avec des doutes. Je suis dans la position, sans critique, d\'avoir à poser des questions et de ne savoir qu\'une chose : je ne sais pas. On devrait réfléchir un peu aux catégories, à l\'épistémologie qu\'il y a derrière notre manière de décrire la crise économique et financière qui a éclaté il y a deux ans. Nous considérons beaucoup de choses comme allant de soi, mais le premier souci que l'on devrait avoir face à cette crise - qui n\'est pas la première ni la dernière - serait de nous interroger sur les mots que nous utilisons. Sont-ils adéquats ? Sont-ils utiles pour nous diriger ? Le premier jeu de catégorie auquel nous avons assisté est : faut-il utiliser le mot « crise », c\'est-à-dire faut-il supposer la rupture d'une « harmonie » ? Si l'on suppose que le développement de l'économie est par nature chaotique, qu'il y a toujours des heureux et des malheureux, qu'il n\'y a jamais d\'harmonie et qu'il n\'y en aura jamais, qu'est-ce donc alors que la « crise » ? La notion est très relative. Il n'y a que des crises mais il se trouve que certaines sont plus intenses que d'autres à certains moments. La pensée des économistes suppose souvent - c\'est un peu l\'idée de l\'économie politique - que si on laisse faire, l\'harmonie est au bout du chemin. Mais faut-il rester fidèle à ce schéma ? Vous en avez eu quelques formules ici. Vous avez vu la fin heureuse de Jean-Marc Daniel : tout va mal, il y a un méchant. Il sera puni. Là où l'on en sort bien, c'est là où il n'y a pas d'Etat et où, finalement, le marché peut fonctionner plus ou moins bien. Si l'on abandonne le modèle de l\'harmonie, on est confronté à d\'autres jeux qui sont des jeux de pouvoir, des jeux de rapports de force. On peut avoir dans ce qui a été dit, dans ces jeux, différents types d'acteurs. Michel Guénaire a une vision plus heureuse que JeanMichel Quatrepoint. Il est au congrès de Vienne. Les Etats reprennent la main. Ils vont négocier. On arrive finalement à s\'accorder. Il nous promet pour bientôt une sainte alliance qui ne serait plus simplement européenne mais qui sera universelle. C'est le grand rêve d'Henri Kissinger : s'inspirer des compromis du Congrès de Vienne qui ont su maintenir jusqu'au XXe siècle les Etats européens dans une paix relative en marginalisant les guerres. Michel Guénaire a repris et utilisé le thème de « l\'équilibre ». Il a malgré tout introduit un peu de rapports de force, qui sont à fleuret moucheté entre les Etats. Il a dit : « Les régulations, c\'est de la rigolade ».C\'est une thèse. Socratiquement, je vous invite à la mettre en doute. Michel n'est pas spécialement un révolutionnaire, mais il a malgré tout une certaine nostalgie de la révolution et méprise la réforme. Je ne suis pas sûr qu'il faille négliger comme cela le thème des régulations. Si vous considérez que ce qui compte et qui influe sur la nature des choses c'est l'existence d'un système solidaire, alors le fait de modifier les régulations - c\'est-à-dire les petits mécanismes de relations entre des acteurs - peut finir par infléchir les positions de domination. La « réforme » peut modifier les rapports dominants-dominés. Pourquoi peut-on s\'intéresser autant aujourd\'hui au problème des bonus, au problème des régulations ? Parce que l\'on peut avoir le sentiment que la clef d\'un autre ordre n\'est pas dans la macroéconomie, mais plutôt dans la microéconomie des relations de pouvoir. En fin de compte, la « crise », c'est le moment où la distribution des pouvoirs est remise en cause. Certains vont perdre. D'autres vont gagner la bataille. L'enjeu est simple : qui va occuper les positions de force ? La thèse de Jean-Michel Quatrepoint est rude : dans toutes ces affaires, il n\'y a que des rapports de force. Des appétits singuliers cherchent à dominer. Ces appétits peuvent être individuels - les financiers - mais les vrais maîtres du jeu sont des Etats. Plusieurs parlent de revanche. Si nous disons que la période que nous vivons marque la fin de la période ouverte en 1492 par les grandes découvertes et le monde centré sur l'Europe. Si nous pensons que nous commençons à voir la revanche de la Chine - et je ne vois pas pourquoi cela se limiterait à la Chine ; quand vous parlez des puissances émergentes, ce sont souvent des pays que nous avons colonisés. Si donc la période dans laquelle nous entrons est celle de la revanche des pays colonisés sur ceux qui les ont exploités ou, comme dans le cas de la Chine, profondément humiliés, nous entrons dans une période où non seulement l'amélioration de relations économiques aura de l'importance, mais où se posera aussi la dimension politique des dominations et des dépendances. Aurons-nous à vivre l\'épreuve d\'être dans un pays dont les décisions dépendront des autres ? Cela concerne bien sûr les décisions macroéconomiques, mais aussi beaucoup de choses plus larges qui conditionnent l'avenir de nos enfants. Dans la vision « harmonique » de Xavier Lagarde, nos systèmes sociaux européens ont créé un individu unique. Il le prend par le côté sympathique. C'est l'individu libéré des besoins. C'étaient les objectifs de la guerre de 40 définis par Roosevelt. Le paradoxe de cet individu est que sa liberté incontestable souffre d\'une double difficulté : - elle est totalement inconsciente, ignorante des solidarités qui la rendent possible. L'Etat-Providence prend en charge les prestations sans que l'on n'ait plus à s'en soucier ; - dans un tel système, l'individu dépend en réalité totalement des autres. La conséquence est qu'il se sent extrêmement précaire, c\'est-à-dire que sa liberté n'est en fait pas totalement assurée, qu'il y a un risque quelque part. Les individus sont libres mais ils ont conscience que leur liberté est vulnérable. Je voudrais terminer en m'étonnant d'une chose : on a beaucoup parlé de « crise » dans le débat mais il n'a pas été question une seule fois de « catastrophe », un mot pourtant souvent employé dans le débat public. De même, le mot « responsabilité » n\'a pas été prononcé dans le débat. Dans les visions qui nous sont proposées, soit il y a des acteurs, mais on nous explique qu'ils sont liés à des intérêts immédiats qui les rendent irresponsables, soit on nous propose des descriptions de type juridique ou économique, mais qui sont des mécanismes un peu abstraits où, précisément, la responsabilité des acteurs est absente. On peut même aller jusqu'à suggérer que la crise actuelle trouve son origine dans l'immense absence de responsabilité d'acteurs-clé qui nous promettaient que l\'on pouvait compter sur eux, qu\'ils répondaient de nous. Ils ont trahi leurs promesses.
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[ "michel rouger" ]
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LIBÉRALISME OCCIDENTAL CONTRE CAPITALISME ORIENTAL : CATASTROPHE ET HARMONIE
# Libéralisme occidental contre capitalisme oriental : catastrophe et harmonie La conclusion de François Ewald, synthèse des interventions qui nourrissent cette édition de la Lettre [Pres@je.Com,](mailto:Pres@je.Com) fait appel à deux mots et aux concepts qu'ils inspirent pour caractériser le moment que nous vivons au sortir de la crise de 2008- 2009 : « catastrophe » et « harmonie » . Le premier, « catastrophe », a peu évolué dans le temps de l'Histoire. Il décrit une rupture brutale, génératrice de malheurs dans le temps et dans l'espace. Le second, « harmonie », a connu de nombreuses évolutions et a été perçu de manière différente au gré de l'histoire des hommes, de la manière dont ils ont vécu, dont ils ont créé, inventé, construit, cherché à organiser la vie sur terre. La théorie de la relativité du grand Einstein a introduit ce concept d'harmonie entre le temps et l'espace, jusqu'alors domaine réservé à l'Histoire, l'harmonie étant l'antithèse des catastrophes qui la jalonnent. L'intérêt de voir apparaitre ces deux mots, « harmonie » et « catastrophe » dans un débat qui s'est voulu prospectif sur les relations futures entre grandes puissances, est de proposer une nouvelle lecture de ces concepts à la lumière des confrontations qui nous attendent au cours de la décennie 2010-2020. Il faut alors faire référence à deux critères familiers aux juristes : l'absolu et le relatif. La catastrophe « absolue » est d'ordre naturel. Elle est susceptible de faire basculer les relations que l'homme entretient avec la planète sur laquelle il vit. De temps immémoriaux - les dinosaures --, aucune espèce dominante n'a connu de catastrophe globalisée. Seules des ruptures locales ont provoqué et provoquent encore de grands malheurs limités dans l'espace. Haïti après combien d'autres. Certes, de nombreuses voix expriment, plus ou moins fort, les grandes peurs de l'an 2000, comme un millénaire plus tôt, mais rien ne permet de redouter - une malgré tout possible -- catastrophe absolue pour la décennie qui commence. La catastrophe « relative » est d'ordre humain. Elle crée une rupture dans un dispositif visant à assurer le fonctionnement « harmonieux » de la société. La faillite de la banque Lehmann en fut une, la première globalisée, bien au-delà des faillites de 1929, limitées à l'Occident dans leurs conséquences. La question ouverte au cours de ce débat du 18 janvier - un débat voulu pour permettre qu'elle soit posée - est double : - La confrontation globale entre la puissance chinoise conquérante, face à l'Occident assoupi dans les délices trompeurs de Wall Street et le Capoue de la Pax Americana, peut-elle entrainer des catastrophes relatives globales ? - Cette confrontation guidera-t-elle vers une « harmonie » rénovée au terme d'un nouvel agencement des relations entre des nations soudainement saisies par la crainte d'une catastrophe absolue ? L'affaire Google et les attaques des hackers chinois contre des sites américains protégés conduisent à répondre oui à la première question. Le sommet de Copenhague pousse à répondre oui à la deuxième. Face à ces prémisses, PRESAJE s'attachera à comprendre les prémices de cette décennie 2010-2020.
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[ "jacques barraux" ]
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LA CHINE ET LA RONDE DES « ÉCONOMIES-MONDES »
# La Chine et la ronde des « économies-mondes » Tantôt l'avantage à l'un. Tantôt l'avantage à l'autre. Entre l'Orient et l'Occident, l'Histoire est un éternel balancement entre le leadership de l'un et le désenchantement de l'autre (et réciproquement). Nous voici aujourd'hui dans le temps de l'Asie. La Chine surtout, envahit l'espace des tribunes, des écrans et des marchés. Evitons tout à la fois l'idolâtrie et le dénigrement. Mieux vaut connaître ses points forts. Et préparer le prochain retour du balancier. La carte des puissances dans le monde n'est pas figée. Elle est en continuelle transformation. En s'affranchissant peu à peu de la vision eurocentriste de l'histoire économique, les Occidentaux prennent aujourd'hui conscience de deux réalités qui se rapportent à la Chine. ## - Il n'a pas fallu attendre l'invention d'internet et de l'avion à réaction pour comprendre que la planète Terre était aussi petite que ronde. La mondialisation a commencé avec l'histoire du monde. De Fernand Braudel à Immanuel Wallerstein , tous les théoriciens des « économies-mondes » décrivent l'histoire économique comme un jeu d'influences et de compétitions entre des cités-phares reliées par des diasporas de commerçants « longue distance » ayant jeté leurs filets entre l'Orient et l'Occident. Venise, Anvers, Amsterdam, Londres, New-York, Tokyo, Canton, Shanghai : l'ascension ou le déclin de ces « économies-mondes » conditionne le destin des Etats ou des Empires qui les abritent. Et c'est ce jeu perpétuel d'aller-retour - commerce, technologie - entre l'Orient et l'Occident qui structure l'économie mondiale depuis des millénaires. Au milieu du XVIIIème siècle, au moment où Adam Smith écrivait « la Richesse des Nations », on estimait que « l'économie-monde » dominante de l'Occident - les Pays-Bas avec Amsterdam - était moins performante que celle du delta de la rivière des Perles, en Asie du sud. Or cette région est aujourd'hui au cœur de la croissance chinoise : elle abrite des villes qui s'appellent entre autres Canton (Guangzhou), Shenzhen et HongKong ... La grande parenthèse de la puissance économique réelle de la Chine aura donc finalement été assez brève. Elle ne remonte pas à la Renaissance, mais tout au plus au milieu du XIXème siècle pour se refermer cent ans plus tard. ## - A l'heure où le monde entre dans une nouvelle phase de développement industriel et scientifique - croissance verte, économie numérique, révolution de la santé - il est impossible d'ignorer que la Chine a été le moteur mondial de l'innovation depuis le néolithique. Le sinologue britannique - et historien des sciences - Joseph Needham et son équipe y ont consacré 24 volumes ! La charrue, le harnais de trait, la manivelle, la brouette (qui a mis 13 siècles à arriver en Europe), la porcelaine, le papier, le gouvernail, la poudre... autant d'inventions qui témoignent d'une culture favorable à l'intelligence pratique (réponses concrètes aux dilemmes de la vie sur terre ; croisement d'expériences favorisant l'éclosion de solutions innovantes). L'Occident a attendu le Moyen Age pour relever le défi de la technologie mise au service de l'agriculture, des transports, de la santé ou de la guerre. Quelques siècles plus tard, il réussira à conquérir un double leadership dans les sciences et dans la technologie. Voici revenu le temps du duel des intelligences entre zone Atlantique et zone Pacifique. Les deux coalitions sont déjà presque à égalité. L'issue du rapport de force reste ouverte. L'Europe et l'Amérique ne partent pas battues dans la compétition qui s'annonce. L'idolâtrie du modèle chinois en 2010 est aussi déplacée que celle du modèle japonais en 1980. Il n'empêche. Si les Occidentaux ne veulent pas subir l'humiliation du déclassement, ils doivent réveiller au plus vite leur imagination créatrice. Le destin des enfants nés avec le siècle se joue dans la décennie 2010-2020. Ils sont déjà dans leur dernière année d'école primaire...
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INNOVER D'ABORD, NORMER APRÈS
# Innover d'abord, normer après Comment rebondir après la crise économique et financière ? Le débat public en France tourne une fois de plus autour du retour de l'Etat et des régulations autoritaires. Rien de tel pour couper l'envie de créer et d'entreprendre, regrette Albert Merlin, vice-président de l'institut Presaje. L'après-crise à peine amorcé, une fois de plus nous voilà partis pour tout faire à l'envers. Quand on sort d'un tel tsunami, quelle devrait-être la préoccupation première ? Avant tout, le décryptage des ressorts de la croissance, la nouvelle configuration des marchés, l'émergence de nouvelles formes de concurrence, les produits en gestation et leur commercialisation. Cela porte un nom, ou plutôt deux : innovation, imagination. Ce n'est pas exactement ce que l'on voit ou ce que l'on entend. Le discours dominant porte sur la recherche de nouvelles normes, sur la nécessité de régulations plus étroites, et plus généralement du fameux « retour de l'Etat », censé remédier aux regrettables défaillances du marché. Est-ce là, vraiment, ce qu'il faut mettre en tête de notre feuille de route ? ## Encore l'Etat ? D'où vient ce « retour en amour » de l'Etat, alors qu'on pouvait penser que les Français avaient donné l'impression de s'être enfin convertis à l'économie de marché ? Tout vient, évidemment, du réquisitoire selon lequel la crise aurait amplement démontré l'inefficacité du système libéral : alors qu'à l'inverse, une bonne partie de ladite crise apparaît maintenant comme le résultat des défaillances (voire de l'inconscience ) des régulateurs publics ! Mais il y a plus. Aux yeux des « Etatolâtres », il nous faut un Etat plus ambitieux qu'antérieurement : l'Etat devrait faire plus. D'abord à cause de la montée inéluctable des besoins sociaux, qu'il s'agisse de panser les blessures consécutives à la crise, ou plus simplement des données démographiques. Et d'énumérer les besoins de santé, la « facture » des retraites, les réformes universitaires, les dépenses de solidarité liées à la dépendance\... Gare ! Depuis quand est-il écrit dans les astres que tous ces besoins doivent être dans tous les cas couverts par l'Etat-providence ? Pourquoi une bonne part de ces dépenses ne pourraient-elles pas repasser au secteur privé ou associatif ? Faut-il évoquer, de surcroît , le retour en grâce du vieux concept de « politique industrielle », dont les échecs et les gaspillages, pas si lointains, devraient tout de même nous inciter à la prudence ? ## Invincible virus On nous dira : vous oubliez les entreprises, qui, elles, sont par nature innovatrices. C'est exact. Sauf que lorsqu'on vit dans un pays où les politiques et les médias parlent principalement de normes et de régulations, où l' « institutionnel » parait l'emporter sur le souci de créativité, cela ne peut pas être sans effet sur la psychologie des décideurs. L'innovation n'est certes pas absente du discours patronal, mais y a-t-elle toute sa place ? Fréquemment interpellées sur leur rôle dans la société, les entreprises passent beaucoup de temps à s'expliquer, à se justifier : sur les problèmes sociaux, environnementaux, voire politiques. Ce qui est autant de temps en moins pour l'accomplissement de leur fonction première : créer, inventer, innover, imaginer. Pour couronner le tout, on se méprend souvent sur les ingrédients de l'innovation. Le facteur décisif en la matière, contrairement à une idée répandue, n'est pas l'argent, mais le capital humain et sa formation. Deuxième erreur (et ceci explique cela) : la conviction qu'il faut gagner la course aux aides publiques. Toujours le même virus ! Or, nous explique Jean-Claude Pager dans la revue Sociétal, « nous inventons tous les ans de nouvelles procédures...Et pendant que nous perdons du temps à choisir de quel ministère vont relever les aides, les Américains, les Allemands et les Japonais... boostent leur recherche et brevettent à tour de bras. » Tout ceci fait que nous sommes loin du discours mobilisateur que devrait susciter la préparation de l'après-crise : un discours où soufflerait vraiment l'esprit de conquête, où l'on nous parlerait d'autre chose que de normes. Celles-ci sont certes indispensables, mais où a-t-on vu qu'elles pouvaient être créatrices de richesses ? Existe-t-il un régiment qui ait gagné une bataille grâce à l'excellence de son règlement intérieur ? Visiblement, on sousestime l'ampleur des chamboulements qui vont affecter les usines, les labos, les métiers, et l'effort d'anticipation à accomplir. Comment accélérer la prise de conscience qui s'impose ? En remettant tout simplement les choses à l'endroit : le développement d'abord, la norme ensuite.
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TOUCHEZ PAS À MA JUSTICE ! DOSSIER SPÉCIAL SUR LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE
# Touchez pas à ma Justice ! **Dossier spécial sur la réforme de la procédure pénale** Cette affaire de la réforme de la procédure pénale prend une tournure inattendue, sous la forme d'un de ces faits de société, chers à PRESAJE. Bien malin qui sait si la suppression du juge d'instruction est provoquée par l'action des juges qui poursuivent ou si leur réaction est provoquée par le projet de réforme. En tout cas les escarmouches sont viriles. Le juge, qu'il instruise ou qu'il juge, fait tomber le maillet de son imperium sur la tête des puissants, mêlés aux scandales d'Etat, qui ajoutent leurs propres règlements de comptes aux sanctions pénales qui les accablent. Tout est prétexte à des affrontements sur le thème de la séparation des pouvoirs, sur l'indépendance du Parquet, les aléas de l'instruction ou les droits de la défense et des victimes. <Pres@je.Com> consacre l'intégralité de ce numéro au sujet controversé qu\'est la réforme de la procédure pénale. Un panel de magistrats, d'avocats, de professeurs de droit, de hauts fonctionnaires et d'experts s'expriment en toute liberté. Les divergences d'opinion sont souvent radicales mais la volonté de dialogue laisse peut-être espérer un changement de climat au moment où le ministre de la Justice, Madame Alliot-Marie, prépare un avant-projet de loi bientôt transmis au Parlement.
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LE JUGE, SON IDÉAL ET L'ÉCOLE DE LA VIE
# Le juge, son idéal et l'école de la vie Michel ROUGER a été président du tribunal de commerce de Paris de 1992 à 1995, pendant la crise immobilière et bancaire de l'époque, qui l'a conduit à se voir confier la défaisance du Crédit lyonnais de 1995 à 1998. La procédure pénale est familière aux présidents des tribunaux de commerce qui traitent des affaires dans lesquelles l'économique et le politique s'entremêlent. Par les textes qui font que le parquet et ses substituts, présents dans leurs tribunaux, y requièrent comme dans toutes les autres juridictions. Par le contexte propre aux années 1980-1990, qui ont vu les super juges d'instruction manier l'abus de bien sociaux, comme le super policier le Magnum 357. Quel regard peut ainsi porter un juge qui a servi dans l'ordre judiciaire, à l'instar des magistrats professionnels, sans connaitre les servitudes de leur appartenance au corps judiciaire, spécialement celles qui affectent leur liberté d'expression ? Un regard limité aux deux sujets qui font débat : l'indépendance et les conditions d'exercice des poursuites. ## L'indépendance. L'indépendance de l'homme et de la femme qui s'engagent à exercer l'office du juge ne peut dépendre que de leur caractère. Certes, l'école peut leur apprendre à exercer cet office dans la meilleure pratique des techniques juridiques et procédurales. Elle peut leur inculquer la vigilance, voire la méfiance. Elle ne leur forgera jamais le caractère que seule l'école de la vie apporte aux humains. Les juges débutants, férus de leur savoir, qui partent à la conquête d'une Justice idéalisée, sont admirables... en attendant, pour les plus imprudents d'entre eux, de connaitre le destin des Saint-Cyriens en casoar de 1914. L'indépendance est innée, c'est une disposition qui vaut aussi cher qu'elle coûte : elle peut s'acquérir, pas être donnée. En France, l'indépendance de l'institution judiciaire souffre d'un handicap. Elle a été rétrogradée de pouvoir à simple autorité par le fondateur de l'actuelle République qui lui a fait payer l'allégeance générale des juges du corps judiciaire à L'Etat Pétainiste. Ce qu'aucun de ses successeurs s'est bien gardé de modifier. A l'inverse de celle des juges, qui peut être innée, voire acquise, l'indépendance de la Justice ne peut que lui être octroyée : chacun aura constaté qu'aucun politique n'a jamais proposé de commission d'étude sur ce sujet. ## Les poursuites pénales. Avec la conduite des poursuites, on entre dans le concret, voire le spectaculaire. L'actualité nous a confirmé que le pouvoir exécutif craignait toujours autant que l'enquêteur, et sa justice idéalisée, viennent jeter le trouble dans le très instable ordre républicain dont l'élu a la charge, en le confrontant avec l'ordre public, dont le juge a mission de faire cesser le trouble qui lui est causé par le présumé innocent. A quand le débat sur la concurrence entre l'ordre républicain et l'ordre public ? Au delà de ces commentaires institutionnels, il faut en revenir à l'humain quand on parle de poursuites. Aucune autorité, judiciaire, policière, fiscale ou autre, à laquelle une poursuite est confiée, ne pourra jamais se dégager de l'inconscient qui reproduit les gestes du rusé Nemrod ou de la belle Diane. Spécialement lorsque la procédure a armé plusieurs pisteurs pour traquer le présumé innocent, trop tôt considéré comme présumé délinquant. Les poursuites du juge de l'enquête, quel que soit son nom, comme les jugements ultérieurs de ses collègues, sont le fait d'êtres humains, auxquels on a tort de mettre dans la tête qu'ils accomplissent une mission quasi divine. Il suffirait qu'on leur apprenne qu'à trop vouloir apparaitre indispensables au fonctionnement de la démocratie, ils s'éloignent d'un office qui exige l'humilité, tout en proscrivant la servilité. A ce prix, ils mériteront l'indépendance que réclament, à juste titre, les jeunes auxquels on n'a pas assez expliqué qu'ils l'avaient perdue du fait de la servilité de leurs aînés. Si on se réfère à ce qui s'est dit et entendu à ROYAN, dans les débats sur la réforme de la procédure pénale, Alphonse Allais, qui affirmait que la caractéristique des problèmes de fond est qu'ils ne remontent jamais à la surface, a été largement contredit.
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LE JUGE D\'INSTRUCTION FACE AUX TRIBULATIONS DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL
# Le juge d\'instruction face aux tribulations du Tribunal pénal international En 1993, la communauté internationale, par la voie du Conseil de sécurité des NationsUnies, a décidé la création d\'un tribunal international pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l\'humanité commis au cours du conflit de l\'ex-Yougoslavie. Partant du précédent des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, cette juridiction devait constituer une référence judiciaire et historique dans le traitement de ces crimes. Pour la communauté internationale, elle a pu contribuer également à l\'instauration d\'un climat de réconciliation entre des communautés revendiquant des particularismes, y compris linguistiques et religieux. L'objectif était de permettre la reconstruction politique d'une région tourmentée, notamment en jugeant pour des crimes de guerre et des crimes contre l\'humanité, des membres des différentes communautés serbes, croates et bosniaques ^1^. A cette fin, des moyens considérables ont été octroyés pour lui permettre de fonctionner sur la base de ce qui devait être considéré comme les standards les plus élevés de la justice. C\'est ainsi que le règlement de procédure et de preuve inspiré de la tradition anglo-saxonne a instauré une procédure accusatoire garantissant l\'absolue égalité des armes (actuellement, sa 42ème version issue de la révision du 28 février 2008 est en vigueur). Mais si l\'on s\'intéresse au cours de cette justice internationale telle qu\'elle apparaît de manière exhaustive sur le site www.icty.org/ incluant une retransmission intégrale des audiences et le contenu in extenso des décisions, on constate que le bât blesse^2^ . Plusieurs anomalies graves peuvent être relevées. Citons les principales. L\'interminable temps de la procédure qui délaye et dénature le contenu des débats, les imperfections flagrantes de la *« cross examination »* qui valorisent plus le talent de celui qui interroge que le contenu des dépositions et le fond des déclarations, les limites de la procédure orale qui peine à exposer des données et des analyses complexes, l\'exclusion de la victime et l\'illusion de l\'égalité des armes. Face à ces insuffisances et ces impasses, la passivité d\'un juge arbitre consacré comme principe procédural semble être une source d\'importants dysfonctionnements. Reprenons les. La phase préliminaire étant confiée à des enquêteurs qui n\'ont pas d\'obligation de conduire leur investigations à décharge, les éléments de preuve recueillis durant cette phase n\'ont de valeur que dans leur restitution à l\'oral. Ainsi, chaque partie, à commencer par le procureur, est libre de présenter les seules preuves qu\'il souhaite exploiter à l\'exclusion de celles qu\'il estimerait inutiles sinon contraires à sa thèse. Cette conception heurte l\'équité. La *« cross examination »*, c\'est-à-dire finalement l\'examen contradictoire des moyens de preuve présentés par les parties respecte des règles particulières. Il s\'agit d\'une technique qui conduit inévitablement à écarter le contenu du témoignage au profit des techniques d\'interrogatoire propres à en mettre en valeur certains aspects. Cette technique repose sur le talent de l\'interrogateur et introduit une inégalité subjective dans le débat. Ce n\'est seulement plus le contenu des preuves qui compte mais la manière de les présenter. La procédure orale présente des limites notoires que les juges britanniques connaissent bien lorsqu\'ils décident de renvoyer de toute poursuite une affaire aux motifs qu\'elle serait trop complexe. Or ce sont bien les affaires les plus graves et les plus complexes qui *appellent* des investigations approfondies nécessitant des analyses et des interprétations qui se satisfont bien plus d\'une *argumentation* écrite relayée par une présentation orale synthétique. L\'affaire Milosevic est symptomatique d\'un système qui engendre des années d\'audience pour finir clôturée par le décès de l\'accusé. Incontestablement, la procédure accusatoire risque d\'épargner sensiblement les plus retors et d\'accabler les plus faibles. L\'égalité des armes exclut la victime du procès pénal. En effet, face à la partie défenderesse, il ne peut y avoir qu\'un accusateur, sauf à rompre l\'équilibre des armes. Dans ce système, la victime est réduite à l\'état de témoin pouvant se prévaloir de la décision pénale pour saisir une juridiction civile d\'une demande en réparation. L\'absence des victimes représentées devant le TPIY n\'est pas criante, elle est assourdissante. Enfin, l\'égalité des armes qui interdit en théorie au juge d\'intervenir sur le fond, c\'est-à-dire d\'explorer les éléments et les arguments qui sont susceptibles de déterminer sa décision, tend à désinvestir et à déresponsabiliser le juge, à en faire l\'otage des parties et le détourner du chemin de la vérité. La justice s\'en trouve irrémédiablement viciée. Le bilan de la justice internationale présente de nombreux aspects positifs. Outre le mérite d\'exister, une majorité d\'affaires s\'est conclue par des condamnations à l\'encontre notamment de personnages de premier plan. Pour son retour sur l\'avant scène de l\'Histoire depuis la fin de Seconde guerre mondiale, elle a su être dotée de moyens humains et matériels considérables permettant d\'écarter certaines critiques redoutées et d\'accéder à la reconnaissance de son efficacité. Ce bilan contribue à l\'assise et à la légitimité des juridictions répressives internationales qui viendront à oeuvrer dans le futur. Pour autant, la tradition procédurale d\'inspiration anglo-saxonne qui les organise connait des vicissitudes que notre propre tradition permet de comprendre et pourrait permettre de corriger. Résumons. La justice n\'est pas parfaite et le juge d\'instruction pose des questions, mais nous n\'avons pas été obligés de détenir des personnes poursuivies pour des actes de terrorisme sur une base militaire à l\'étranger ni de constituer des commissions militaires pour tenter de les juger. Qui mieux que celui appelé à juger peut déterminer ce qui est pertinent pour motiver sa décision? Le juge d\'instruction n\'est pas un enquêteur, mais une institution logique et rationnelle permettant, *sans jamais préjuger du fond*, de réunir les éléments utiles à la tenue ou non d\'une audience de jugement. La procédure inquisitoire permet de limiter les conséquences graves d\'une justice strictement accusatoire qui s\'expose, qui s\'enlise et qui, se perdant dans les affaires les plus graves et les plus complexes, ignore les victimes, spolie les plus faibles et peut porter atteinte aux principes mêmes de la justice^3^ . *^1^Sur 120 personnes mises en accusation, 60 ont été condamnées, 13 ont été renvoyées devant une juridiction nationale et 22 sont décédées. En outre 41 une personnes sont toujours soumises à une procédure en cours, dont 4 en phase préliminaire. Deux mandats internationaux émis à l\'encontre de Ratko Mladić et de Goran Hadžić n\'ont pas encore été ramenés à exécution. ^2^Le TPI-Y, incluant sa chambre d'appel, devrait achever ses travaux vers 2013.* *^3^C'est sans doute pour toutes ces raisons que les Britanniques réfléchissent sérieusement à l'introduction du juge d'instruction dans leur procédure.*
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LA SUPPRESSION DU JUGE D'INSTRUCTION : UN FAUX DÉBAT
# La suppression du juge d'instruction : un faux débat Il y a plus important que la question de la suppression ou du maintien du juge d'instruction. Il faut élargir le débat au rôle de la phase préparatoire dans la procédure pénale. En amont du procès, sorte de pré-jugement, elle est devenue le centre de gravité de la procédure pénale. Dès la remise de son *« rapport d'étape sur la phase préparatoire du procès pénal »*, le 9 mars 2009, le Comité de réflexion sur la rénovation du code pénal et du code de procédure pénale, dit « Comité Léger » a placé le juge d'instruction au cœur des débats. Les douze propositions de réforme issues du rapport définitif, intitulé « Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale » et remis au Président de la République le 1er septembre 2009, ont sans doute permis d'élargir le champ des critiques et observations. Mais elles ont laissé le juge d'instruction au cœur d'une tourmente qui, au-delà des arguments juridiques, déborde sur le terrain politique et, plus largement, sur celui de l'indépendance de la justice. En cause, la toute première proposition du rapport visant à *« transformer le juge d'instruction en juge de l'enquête et des libertés investi exclusivement de fonctions juridictionnelles ».* L'ampleur de la réforme a aussitôt été soulignée qui consacre la disparition du juge d'instruction, dont les fonctions d'enquêtes sont alors transférées au Parquet. Le rôle du nouveau juge de l'enquête et des libertés serait ici limité à une fonction de contrôle des mesures attentatoires aux libertés. Nombreux sont ceux - avocats, magistrats, universitaires - qui ont dénoncé un risque de déséquilibre de la procédure pénale au profit d'un Parquet omnipotent, mais aussi et surtout dépendant du pouvoir exécutif. Inacceptable pour certains, la suppression du juge d'instruction deviendrait acceptable pour d'autres à la condition d'être accompagnée de mesures assurant l'indépendance du Parquet. Or, il est à craindre que le débat ne s'autoalimente sans permettre une réflexion en profondeur de la réforme de l'ensemble de la procédure pénale. Ainsi, le principe même d'une indépendance institutionnelle du Parquet se heurte au souci légitime d'appliquer une même politique pénale sur tout le territoire. Surtout, la dépendance du Parquet au pouvoir exécutif ne serait pas nécessairement incompatible avec une justice équilibrée, dès lors que, clairement affirmée, elle trouverait un contre-pouvoir dans la création d'une sorte de service public de la défense, véritable circuit d'excellence pour les avocats. Quant au contrôle exercé par le juge de l'enquête et des libertés, appelé à remplacer le juge d'instruction, son efficacité dépendra des hommes, selon qu'ils seront forts ou faibles, qu'ils auront ou non la maîtrise des dossiers sur lesquels ils se prononceront. De là l'idée que la question de la suppression ou du maintien du juge d'instruction est dépassée et qu'il convient, en réalité, de recentrer les débats sur le rôle de la phase préparatoire dans la procédure pénale. Située en amont du procès, elle est, en pratique, devenue le centre de gravité de la procédure pénale et apparaît trop souvent comme une sorte de pré-jugement. L'impression est renforcée par la multiplication des procédures accélérées, simplifiées, qui permettent de régler les affaires sans procès. Elle est encore renforcée par la sanction médiatique qui accompagne la procédure. Or, le juge d'instruction n'est évidemment que l'une des figures de la phase préparatoire. Celle-ci met encore en scène le Parquet, dont les pouvoirs d'enquête n'ont cessé de s'accroître, l'officier de police judiciaire, dont le rapport hiérarchique avec le Parquet mérite d'être précisé, le juge des libertés et de la détention, dont l'efficacité du contrôle ne convainc pas, enfin l'avocat et la victime, chacun sollicitant une reconnaissance accrue de son rôle. Avec ou sans juge d'instruction, la phase préparatoire soulève les mêmes interrogations sur les atteintes à la présomption d'innocence, sur l'articulation entre secret de l'instruction et secret professionnel, sur les moyens accordés à la défense, sur la place revendiquée par la victime mais aussi, plus globalement, sur la multiplication des procédures dérogatoires au droit commun et sur la confusion des rôles des différentes figures de la procédure. Alors, que vive ou meurt le juge d'instruction, la révolution de la procédure pénale, qu'appellent les propositions du rapport Léger, ne doit se faire qu'après concertation et confrontation de tous ceux qui participent à la justice pénale.
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institut présaje
2009-12-01
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[ "xavier de roux" ]
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PITIÉ POUR LA JUSTICE
# Pitié pour la justice Xavier de Roux, président d' honneur des « Entretiens de Royan », qui fonda ceux de Saintes, avocat et homme politique expérimenté en matière de procédure pénale, la fait entendre dans « Pitié pour la Justice » publié fin octobre\*. Avec l'autorité d'un ancien membre de la commission des lois de l'Assemblée nationale, et de la commission d'Outreau qui a tiré les conséquences d'une inadmissible catastrophe judiciaire au travers d'une enquête parlementaire qui a passionné le pays. De nombreuses et pertinentes idées figurent dans cet ouvrage. Pour donner envie de les découvrir par une lecture complète, extrayons celles qui s'attachent au sujet de l'action pénale, traité dans cette Lettre de Pres@je.Com.](mailto:Pres@je.Com) « La peine (la sanction), dans notre société, a bien du mal à trouver ses marques ». « Plus la société devient collectiviste, plus la liberté individuelle veut s'affirmer sans contraintes » « Le pouvoir exécutif a le devoir de poursuivre l'exécution de la Loi devant des tribunaux dont l'indépendance est garantie ». « Les procureurs de la République ne peuvent pas être des magistrats ». « Les citoyens devraient être associés plus intimement à l'acte de juger ». « C'est peut être la dimension philosophique de la réforme qui l'a fait si souvent achopper sur les intérêts corporatifs, ou tout simplement sur les idées reçues ». Nous sommes bien au cœur du sujet. *\* [www.editionsbordessoules.fr*