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echo des arènes numérique
2021-04-01
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[ "michel rouger" ]
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L\'USAGE, LES MOTS PUIS LE DROIT-- EDA AVRIL 2021
# L\'usage, les mots puis le droit-- EDA Avril 2021 A la lecture de l\'article Les GAFA : le début de la fin \| Partie 3 : les géants aux piliers d'argiles, retrouvez ci dessous le commentaire de Michel Rouger Un texte est vraiment intéressant lorsqu\'il inspire un prolongement. C\'est le cas de cet article. Vous expliquez clairement comment le tournant entre le 20^e^ et le 21è siècle a été marqué par les innovations technologiques et comportementales qui ont transformé la vie des sociétés humaines. Vous dites que le recours au droit restera le seul moyen de régulation des effets, comportementaux et technologiques subis par les populations. C\'est vrai mais il faut prendre de l\'élan. C\'est ce que je fais avec les réflexions suivantes. Au cours du XIXe siècle, l\'humanisme occidental animé par la conjugaison des conquêtes territoriales anglaise et française a fait émerger un nouveau comportement humain construit sur les droits de l\'homme et du citoyen, la pratique du parlementarisme, le droit d\'association, les droits et les devoirs de l\'individu, la place de la religion, de la vie sociale, l\'émergence d\'une opinion publique. Ce fut la construction, de l\'actuel état de droit. Lequel est devenu obsolète avec la digitalisation. Au cours du XXe siècle le productivisme industriel occidental animé par la conjugaison des conquêtes commerciales et coloniales construites sur le développement du capitalisme au service de la puissance industrielle, à cherché comment établir un  nouvel état de droit qui a inventé  les droits sociaux. Ce fut l\'inflation des codes, des règlements, et des administrations bureaucratiques. Au cours du XXIe siècle le digitalisme relationnel mondialisé est animé par la conjugaison des conquêtes commerciales. Les GAFA sont l' expression temporaire de cette domination absolue. Cette domination se heurte à des intérêts régionaux (union européenne, union asiatique) qui ne se laissent pas soumettre à l\'état de droit américain. Je reviens en France et surtout à l\'écoute des arènes Lorsqu\'il s\'agit de passer d\'une situation d\'innovation vers un état de droit à construire pour en réguler les conséquences, il est indispensable de créer les concepts, les mots que les juristes créateurs du droit feront vivre juridiquement. Lorsque le XXe siècle a fait naître le droit aérien, ce sont les pionniers qui ont créé les mots, après quoi les juristes ont construit le droit sur ces mots qu\'il n\'avait pas créés en installant droit aérien sur le droit maritime. Aujourd\'hui il faudrait proposer un vocabulaire du digitalisme qui soit humanisé, personnalisé et dépouillé de son expression technique. Exemple. Qualifié de plate-formiste l\'utilisateur d'une  plate-forme, de LinkedIner, l\'abonné au réseau, d'Amazoneur, le prestataire de services fournis le bien acheté en ligne. En apportant à ces opérateurs, tous américains ou soumis à la loi américaine, une personnalité juridique qualifiée dans le vocabulaire et le langage de l\'État de droit auquel il se trouve rattaché l\'essentiel du chemin est fait. Et personne ne peut empêcher quiconque de qualifier quiconque dans le langage qui est le sien. Même si le vocabulaire devient le support du droit . C\'est en pratiquant ainsi que nous avons fabriqué le droit de la consommation. Le choix des mots a précédé l\'élaboration des mesures du droit.
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echo des arènes numérique
2021-03-01
0
[ "michel rouger" ]
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POLTICUS 2022 : XAVIER BERTRAND - EDA MARS 2021
# Polticus 2022 : Xavier Bertrand - EDA Mars 2021 La COVID 22 Alerte. Alors que la COVID 19 continue de faire souffrir le bon peuple de France, on apprend qu'une nouvelle souche s'est échappée des laboratoires élyséens, plus spécialement du bureau 2022. Les premières analyses révèlent qu'il s'agit d'un variant baptisé Haut-de-France. Selon son inventeur, l'éminent professeur Bertrand, les risques de cette diffusion dans la population sont limités aux plus de 18 ans. Et parmi eux à la catégorie électeurs. Le taux de contagion, tel qu'il est apprécié par la Haute autorité des sondage publics ne dépasserait pas 15 % de contaminations. Les autorités déplorent d'être dans l'incapacité de fournir rapidement un vaccin qui permettrait d'éradiquer cette nouvelle souche. La décon3ture, en 2017, des 2 principales usines installées sur le marché complique la situation. La crainte est grande chez les dirigeants du laboratoire principal élyséen de voir apparaître plusieurs variants régionaux issus des urnes rangées, sans avoir été désinfectées après les élections municipales de 2020 en pleine pandémie. Interrogé, en sa qualité d'ancien ministre de la santé, le professeur Bertrand s'est rangé du côté des rassuristes . Il considère que les stocks d'oxygène dont il dispose et qu'il entend largement diffuser permettront aux Français de ne plus manquer d'air.
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fonds documentaire mrc
2012-02-1
0
[ "michel rouger" ]
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FAIRE FACE À LA CRISE ET REBONDIR !
# FAIRE FACE À LA CRISE ET REBONDIR ! Le 25ème congrès d'Eurojuris s'est tenu du 26 au 29 janvier à Budapest, sur le thème de « * la crise, quelle crise ? -- Nouvelles opportunités - Nouveaux métiers * ». La plénière d'ouverture a été l'occasion pour le nouveau président, Jérôme Depondt, de réaffirmer les objectifs de ce Congrès : dépasser l'idée de crise et la morosité ambiante pour mettre en place de nouveaux outils, amorcer quelques solutions de sortie de crise et surtout déceler de nouveaux axes de développement pour les cabinets, voire de nouveaux métiers. Plusieurs pistes ont été ensuite évoquées par Michel Rouger (Fondateur de l'institut PRESAJE et ancien Président du Tribunal de Commerce de Paris) pour permettre à la profession de prendre du recul et réfléchir au devenir de notre société en crise, dans laquelle l'avocat a un rôle important à jouer : - dans un contexte de crise propice à l'agressivité et au repli sur soi, l'avocat doit rester ouvert et développer une culture de l'apaisement : il faut sortir des conflits juridiques violents - l'avocat, tout au long de sa carrière, développe une capacité à la pédagogie qu'il lui faut entretenir pour pouvoir éviter à ses clients de rester dans l'agressivité et aux juges de se réfugier dans la procédure - l'avocat enfin a un rôle de 1er plan dans une société où la parole des institutions s'est perdue : il doit développer une culture de la réflexion pour participer à l'évolution nécessaire des structures juridiques. Enfin, Jérôme Depondt souligne à plusieurs reprises, que l'on ne peut plus (et l'avocat encore moins que d'autres) raisonner sur un plan uniquement national : l'avocat doit être en veille sur ce qui se passe à l'international pour apporter un regard différent aux dossiers complexes qu'il gère, pour prendre du recul et améliorer sa performance ; il est aidé en cela par le réseau Eurojuris, présent dans 16 pays, dont les membres de chaque réseau participent régulièrement aux travaux de leurs collègues étrangers. Les congressistes ont ensuite pu participer à plusieurs tables rondes thématiques et très opérationnelles : - Donner vie à l'interprofessionnalité - structures interprofessionnelles et déontologie - L'acte d'Avocat - un nouveau produit - Organiser la veille du cabinet - veille commerciale et juridique. Knowledge management - Nouveaux métiers - risques et opportunités. Le choix de Budapest pour ce congrès a été arrêté suite à un questionnaire adressé aux membres du réseau ; La Hongrie, malgré l'entrée en vigueur très décriée d'une nouvelle constitution en janvier 2012 s'est imposée comme un choix évident ; elle bénéficie en effet d'une position tout à fait unique dans la mosaïque européenne : entre l'Europe occidentale et l'Europe orientale, entre l'Europe du Nord et les Balkans, la Hongrie constitue un îlot et démontre une richesse culturelle importante, comme le souligne à la tribune Arnaud Steyer, chargé de mission Coopération juridique et institutionnelle à l'ambassade de France en Hongrie. Et comme il ne saurait y avoir de congrès sans ce mélange de réflexions, de prospectives, et de festivités propres à tous les échanges réussis...\ Tous les participants ont pu découvrir les spécialités gastronomiques de leurs confrères lors d' »un apéritif des régions » où brie, crevettes, bigorneaux, macarons, kugelhopf et boutargue se sont allègrement côtoyés...diner dans le mythique Café Gerbeaud et diner et danser jusqu'au bout de la nuit dans le décor magique du Monastère Tiscelli... et rencontrer sur leur stand les partenaires du congrès Eurojuris 2012 : Dalloz, Ecostaff, Lexis Nexis, Pyramiq, Secib, Wolters Kluwer. On ne peut, à l'issue de ce Congrès, que féliciter les organisateurs, et leur demander : A quand le 26ème Congrès Eurojuris ? Sur quels thèmes ? Où ?\ Rendez-vous en 2013 !
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fonds documentaire mrc
2012-01-27
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[ "michel rouger" ]
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COMPRENDRE LES CRISES ECONOMIQUES, ET REAGIR EN JURISTES
# COMPRENDRE les CRISES ECONOMIQUES, et REAGIR en JURISTES ## COMPRENDRE Les inquiétudes de ceux qui craignent un effet négatif des crises de ce début de siècle, sur l\'état de nos droits, et l'évolution de notre justice, sont fondées. La justice, vertu cardinale de l'action politique, aussi bien que l'institution judiciaire et ses juges, sont les seules garantes de nos libertés. Il n'est pas sur qu'elles résistent aux troubles économiques et géopolitiques en cours. Le monde est engagé, plus solidairement que jamais, dans de multiples crises qui se superposent, aux causes différentes, les quatre plus sérieuses en Occident, aux États-Unis, en Europe et en France. A un moment où de grandes mutations technologiques entrainent des mutations comportementales de caractère plus sociétales que politiques ou religieuses. La question exige plusieurs réponses documentées par l'expérience. C'est ainsi que je vous présente l'état des réflexions en cours, au sein de l'Institut PRESAJE, sur ces mutations résultant de ces crises globalisées, partout où elles impactent votre vie de professionnels du droit. Vous souhaitez mieux *comprendre,* et mieux *réagir,* pour faire face à vos responsabilités. Pour répondre à votre attente, bien qu'il s'agisse, pour partie, d'économie, je ne parlerai pas chiffres. D'abord, parce que l'obsession de convaincre par les chiffres est devenue vaine par saturation. Ensuite, comment ne pas privilégier la parole face à une assemblée comme la votre. Enfin, parce la parole réfléchie est plus efficace pour créer la persuasion, la conviction de devoir agir. Autant l'économiste se détermine par référence aux normes reposant sur des chiffres autant le juriste se détermine par référence aux normes exprimées par des mots et des textes. Les crises ont obligé les économistes à réfléchir avec des mots, et des textes, à profusion, au point que les faits économique et financiers, les pensées et débats qui s'y attachent, sont hypertrophiés et omni présents dans la vie des peuples. Il est temps que les juristes se saisissent des crises de l'économie en réfléchissant aux chiffres et à leurs conséquences, avec les mots et les pensées du droit, de la justice et de la liberté. ### 1.La victoire de la Chine et les crises occidentales. Depuis 30 ans, l'Occident est face au problème de l'émergence économique et politique du plus grand peuple de la planète, la Chine. Napoléon 1^er^ l'a prédit, jadis, en son temps, Alain Peyrefitte l'a prophétisé , naguère, écrivant que son réveil ferait trembler le monde. Les tremblements de cette crise vont secouer tous les peuples pendant le temps des vues humaines. Spécialement en Europe. Et plus encore en France. Pour comprendre la profondeur du trouble, il faut regarder l'accumulation des défaites annoncées, avec précision, il y a dix ans, dans « La victoire de la Chine » de Mandelbaum et Haber aux Editions Descartes. On ne peut pas dire que l'énoncé du problème posé à l'Occident l'ait mal été. Au contraire. Mais la pensée occidentale de la Pax Américana du début de 21^ème^ siècle, de signe zodiacal judéo chrétien à fort ascendant protestant, était occupée ailleurs. Elle réagissait, en religion, contre l'Islam, en méprisant la réalité géopolitique de la conquête chinoise. Les réponses apportées furent tardives et, plus grave, erronées. Cette quête de puissance du plus grand peuple du monde, fut clairement décrite, par Mandelbaum, sous forme du croisement de deux courbes des développements de l\'Occident et de l\'Orient chinois. Le premier croisement s'est produit à la fin du XVe siècle lorsque l'Occident a accumulé les manifestations de sa puissance, la découverte de l\'Amérique, la renaissance, le siècle des lumières, les révolutions industrielles et les conquêtes coloniales, alors que l'Empire du milieu allait décliner pendant la même durée. Le second croisement a achevé l'inversion des deux courbes lorsqu'à la fin du 20^ème^ siècle, l'Orient chinois a profité du déclin de l'Europe ravagée par un siècle de guerres civiles, ayant entraîné la perte de trois empires, l\'anglais le français et le russe. Ce que Mao Tsé Toung, mort en 1976, n'avait pas imaginé, Deng Xiaoping l'a mis en œuvre aussitôt après sa disparition. Il ne restait plus aux occidentaux qu'à observer, et subir, ébahis, muets d'interrogations, les progrès de la Chine en 30 ans. Il est aussi intéressant qu'inquiétant d'entendre, début 2012, le premier Ministre chinois « rassurer » les Européens en affirmant à son premier client, l'Allemagne, que la Chine ne voulait pas racheter l'Europe. Ce qui peut aussi signifier, qu'en l'état où il la voit, il attend qu'elle soit vendue « à la casse ». Face à ce problème majeur, annoncé et vérifié, les trois réponses de l\'Occident ont chacune aggravé une crise, dont il a enfin été pris conscience lorsque la cigale Europe est allée « taper » la fourmi chinoise. La première réponse à considéré que, de l\'instant où le monde, dit émergent, Chinois en tète, avait choisi le modèle de l'économie de marché, il avait ipso facto rejoint le modèle occidental construit sur le bien-être, la croissance, la démocratie. C'est faux et archifaux. Alain MINC, lui-même, auteur de « la Mondialisation heureuse », en 1997, a corrigé, en 2004, dans « ce Monde qui vient » en évoquant le capitalisme chinois de l'apocalypse. Jean marc DANIEL, historien et économiste lucide qui pourfend la sinobéatitude qui règne en France, en 2012, n'est pas plus entendu. La Chine se développe en forte croissance sans démocratie grâce à un bien-être très sélectif. Le Japon vit le bien-être de la démocratie sans croissance depuis 20 ans. Quant aux Etats pétroliers dont les Emirs ou les oligarques achètent l'Europe, ils vivent de la rente, sans croissance industrielle, ni liberté démocratique. La seconde réponse à considéré que l\'Occident organisateur de la globalisation des échanges gérerait la répartition du travail entre les pays, en se gardant les fonctions « nobles », et en laissant partir les petits emplois chez les pauvres, comme il l\'avait fait au XIXe siècle avec les classes sociales non instruites prolétarisées invitées, par la bourgeoisie instruite, au développement du machinisme et de l\'industrie. Faux et archifaux. Certes, chaque pays assure son émergence en prenant en charge les travaux les moins rentables jusqu\'à trouver celui qui en héritera. Il le fera au fur et à mesure que son développement économique lui permettra de prétendre à des productions industrielles plus rentables entrant en concurrence avec les productions occidentales restant à absorber. La troisième réponse a consisté à laisser la Chine devenir l'usine du monde, à lui permettre d'utiliser le formidable potentiel de ses propres migrants, les Chinois dits d'outre mer, pour coloniser, au nez et à la barbe de l'occident, les territoires des anciens empires coloniaux abandonnés. Erreur imbécile, digne d'un gribouille obsédé par un appétit maximum de biens de consommation, pour un prix minimum. Ce qui n\'a fait qu\'aggraver et accélérer la remontée de la courbe bien au-delà du croisement constaté il y a dix ans, dans « la victoire de la Chine » sur un Occident victime de sa propre bêtise arrogante. La messe est dite. ### 2 Le déclassement de la puissance américaine et la crise des États-Unis. Depuis 30 ans la première puissance mondiale, gestionnaire de la Pax Américana à vocation messianique, nation faite de matériaux composites, les Etats unis sont confrontés à une triple difficulté interne qui exigera d'eux un traitement à long terme. D'abord, le vieillissement naturel de sa population exclusivement financé par une épargne qui appelle des rendements élevés des capitaux nécessaires pour l'entretien d'une classe inactive, de plus en plus nombreuse, et influente à raison de son poids politique. Ensuite, la dégradation de la santé physique des classes moyennes, par une obésité liée à un mercantilisme de consommation mal maîtrisé, auquel s'ajoute une urbanisation criminogène. Enfin, la dégradation des infrastructures dont l'indispensable remise en état est empêchée par les blocages politico fiscaux. La première réponse de l\'administration fédérale a pris la bonne mesure de cette réalité à laquelle elle a apporté une solution destructive. Elle a estimé que le modèle de capitalisme fordiste qui avait supporté le complexe militaro-industriel victorieux de la deuxième guerre mondiale et de la guerre froide, ne produisait pas assez de rentabilité pour traiter les trois difficultés du pays, pensions de retraite, santé, infrastructures. Les États-Unis ont déclassé ce modèle pour le remplacer, depuis le milieu des années 80, par le monétaro financier dérégulé reposant sur le capitalisme managérial, la share holder value des fonds de pension, la fair market value des prédateurs financiers. Ce qui avait été bon pour GM (General Motors) et l\'Amérique ne l'était plus. Ce fut G. S.(Goldman Sachs) qui devint le modèle américain. La seconde réponse a consisté à inventer et à généraliser le leverage, l\'effet de levier créé par des emprunts à très bon marché, utilisés pour restructurer des pans entiers de l\'économie industrielle livrée aux seuls critères quantitatifs des marchés financiers. Ce qui était très bon pour G. S. devenait mortel pour GM, on l'a vu en 2009. Il a suffi d\'ouvrir en grand les portes de Wall Street pour y trouver tout l\'argent à transformer, sous forme de tous les produits que la révolution numérique allait permettre de faire exploser partout dans le monde. Entre 2000 et 2010 les fonds de leverage sont passés, en volume, de 250 % de PIB annuel à prés de 400 %, aussi bien aux États-Unis qu\'en Europe. Une fois cet emballement dérégulé, incontrôlé, installé dans la vie économique, sous le règne bienveillant et obstiné de la Réserve Fédérale américaine, il était inévitable qu\'après avoir buté sur l\'insuffisante rentabilité du complexe Militaro industriel et du capitalisme fordiste, les États-Unis buteraient sur l\'excès de cupidité du capitalisme managérial et du complexe monétaro financier. Là est la cause, conjuguée avec la victoire de la Chine, de la désindustrialisation des Etats Unis et de l'Occident. Des milliers d\'ouvrages et de colloques ont évoqué ces trois erreurs majeures des États-Unis face à la dégradation profonde de la situation sociale de leur population et de leurs infrastructures. Mais un espoir réel renait de la mutation récente du modèle monétaro financier vers le type monétaro industriel qui fait le succès de l'Allemagne. C'est le retour de G M au propre et au figuré. Pour que cette mutation réussisse il faudra du temps. Une génération va devoir rééquilibrer les effets de l\'individualisme originel, anti taxes, de l'Américain, et la contribution collective indispensable pour répondre aux défis internes et externes posés à son leadership. Pour éviter de passer du déclassement au déclin. Ce sera le retour vers un nouveau modèle de guerre froide qui aidera les Etas Unis à se rétablir. L'Américain qui est un allemand en costume d'Anglais va ajouter au melon londonien de la finance pour les grosses bretelles bavaroises de l'industrie. L'Europe, bon gré mal gré, devra prendre sa part de l'effort. ### 3. La crise de l\'Europe géographique et politique. Depuis 30 ans, le premier marché mondial, l'Europe géographique à 27 pays, est confrontée aux convulsions géopolitiques inhérentes à la fin des trois guerres qu'elle a vécues au 20^ème^ siècle, les deux chaudes et la froide. L'Europe, telle qu'un Chinois peut la voir à l'ouest de l'Oural, est passée, dans les années 90, sans drame, d'une coupure longitudinale, le rideau de fer et le mur de Berlin, à une coupure latitudinale le 45e parallèle. Dans l\'ancien modèle les mauvais étaient à l\'est, enfermés dans leur complexe Militaro - idéologique. Les bons étaient à l\'ouest, ouverts au monde, avec leur modèle socialo-industriel, né dans la communauté charbon acier en 1957. La guerre froide aidant, l'Allemagne, coupée en deux, y a trouvé le moyen de se rétablir après sa folie suicidaire, la France le moyen de se maintenir après la perte de son Empire colonial. La décennie 80 à détruit ce bel équilibre, à la suite de la révolte des polonais. En dix ans l'Est géopolitique a disparu. L'Allemagne a retrouvé sa puissance géographique. Pendant ces temps cruciaux la France, avec les meilleures intentions du monde, a solidifié les bases de son modèle socialohédoniste providentiel. Les Allemands lui ont tourné le dos en construisant leur modèle monétaro industriel exportateur, partagé avec la Chine. Sous le regard bienveillant du Royaume uni et de son système monétaro financier partagé, lui-même, avec les Etats Unis. Pourquoi, alors, l'Europe politique n'est elle pas encore morte ? La raison tient aux trois décisions prises, toutes favorables à l'Allemagne et au Royaume uni, toutes défavorables à la France. Et parce que, pour la France, déclassée, cette Europe reste garante de la paix, menacée, à terme, par le retour de la puissance allemande, l'émergence de la Chine, et le rétablissement américain. Pour que ce couple francoallemand, séparé de biens, pas encore de corps, se rabiboche, il faudra que soit l'Allemagne change, soit la France change. Pour apprécier la probabilité de la survenance de chaque terme de l'alternative, il faut rappeler les trois décisions néfastes que la France a laissé passer il y a 20 ans. a) La première décision a consisté pour les dirigeants français, en 1990, à regarder, passer le train de la réunification allemande. Ces responsables n'ont voulu voir que le bon coup de la récupération par l'ouest, d'un territoire et d'une population qui faisait rire de mépris avec sa « Trabant ». Aucun n'a voulu voir que, 20 ans plus tard, l'ex RDA constituerait la partie émergente, ouverte à l'est, de l'économie allemande, une fois accompli l'effort pour l'intégrer à l'ouest. Et qu'ainsi l'Allemagne remporterait deux victoires, économique sur ses voisins, politique sur elle-même, qui effaceraient, chez elle, les souvenirs honteux du 20^ème^ siècle. b) La seconde décision a consisté, deux ans plus tard, en 1992, à élaborer, dans le traité de Maastricht, un modèle monétaro-industriel d'inspiration rhénane, plus que méditerranéenne, dans lequel les pays de l\'Union européenne, souscriraient des engagements de déficit et d\'endettement que la France serait incapable de tenir. Y ajoutant l'instauration d'une monnaie unique qui supprimerait les dévaluations répétées, bases de la compétitivité de la France et des pays du Sud, face à ceux du Nord. Ce fut l'acte de condamnation du modèle socialoprovidentiel des français. c) La troisième décision a consisté à adopter l'Euro sans la Grande Bretagne. Elle a remis la France et son modèle socialo providentiel entre les mains de l'Allemagne et de son modèle monétaro-industriel. On peut ajouter deux cerises sur ce gâteau au poivre. La volonté française de piloter la Banque centrale pour bien marquer l'attachement français au dogme monétaire allemand. Le choix du G 10 de l'époque - 1992 - d'appliquer le fameux « ratio Cooke » qui a eu pour effet, en 1993, d'achever la 1^ère^ banque européenne, le Crédit lyonnais, déjà mal en point, et de liquider les velléités, en France, de développer le concept de banque industrie, souvent présenté comme élément déterminant des succès germaniques. Depuis 20 ans l'Europe vit avec un grand malade, son vieux père, le modèle socialoindustriel né, pendant la guerre froide. Il a généré deux enfants aux caractères inconciliables, le modèle latin socialo-providentiel consommateur, le germanique monétaro industriel producteur. Le malade est resté en réanimation grâce aux soins intensifs des crédits fournis par les marchés. La crise les oblige à débrancher les tuyaux qui alimentent le modèle socialo providentiel. Quand on voit l'effet sur la Grèce, son état de droit et ses libertés, on peut être préoccupé de voir arriver les conséquences pour la France. ### 4 . La crise française et le surclassement de son économie par l'Allemagne Le décrochage survenu entre les deux premières économies de l'Union Européenne, au détriment de la France, n'est qu'un des éléments de ce mal être des Français qui est une crise en soi, complexe, autant commentée, par tant d'auteurs, que l'est depuis quelques années la crise économique et géopolitique mondiale. Lucidement, le malaise économique est plus facile à résoudre que le mal être ambiant. Il suffit que la société française, pendant quelques brèves années préfère la production à la consommation, le travail qui se vend à l'emploi qui s'administre. Ce devrait être d'autant plus facile que, si l'Etat français est endetté, les Français, grands épargnants, sont riches, à la mesure des dettes de leur Etat. Le sujet est vaste il faudra y revenir dans une prochaine publication de l'Institut PRESAJE. En effet, il est intéressant d'entendre ce qui se dit dans les débats de la campagne présidentielle française sur ces sujets économiques européens. Le pouvoir en place est vilipendé au motif qu'il s'est soumis à l'Allemagne. L'opposition oppose son modèle socialo providentiel pour l'imposer au modèle monétaro industriel allemand. Les objectifs sont généreux. Mais avec quelle industrie et quel argent ? Au moment de la confrontation l'Allemagne rappellera une évidence. Qui était au pouvoir en France et à Bruxelles, en 1990/1992, quand toutes ces décisions favorables à l'Allemagne ont entrainé le déclassement de la France en une décennie ? François Mitterrand à Paris, Jacques Delors à Bruxelles. Cette observation, qui n'est pas condamnation, répond à la question sur les chances, nulles, de voir l'Allemagne changer. A la France d'en tirer les conclusions. Ce qui ne signifie pas que les enfants spirituels des auteurs des ces erreurs géopolitiques seront incapables de les corriger. Il leur suffira de prendre aux Français ce qu'il faut donner à la France, pour leur éviter de passer ensemble d'un déclassement relatif au déclin, le déclassement absolu. Comme en 1940, après que l'Allemagne, de 1920 à 1940, ait surclassé la France dans leurs puissances militaires respectives. Au point de l'asservir en un mois de conquête éclair. Aujourd'hui, le déclassement économique provoqué par la puissance exportatrice pacifique des Allemands reste relatif. Le déclassé qui n'a pas eu l'envie suffisante de se battre avec les moyens du travail et de l'effort n'est pas le vaincu asservi. Le rétablissement lui reste ouvert. ## REAGIR en JURISTES La profession d'avocat, famille aux branches multiples de juristes polyvalents, est, par nature et par intermédiation sociétale, apte à réagir face aux pathologies des sociétés humaines, comme à l'affaiblissement des lois qui libèrent et des institutions judiciaires qui protègent. Cette aptitude est remise en cause, au travers des bouleversements des crises de l'économie globale, qui surviennent hors droit, hors justice, par la domination qu'exerce l'esprit économique et ses affirmations péremptoires sur l'esprit juridique, écarté des études et des débats. Pour répondre à la question comment réagir ? il faut expliquer pourquoi les situations de déclassement qui viennent d'être décrites, les éventuelles décisions de redressement risquent d'aggraver les tensions sociétales, l'affaiblissement de la loi, le déclassement de l'institution judiciaire. Ces explications, forcément sommaires ne peuvent constituer un bréviaire du comment réagir. Elles doivent aider chacun à faire ce qui manque le plus, réfléchir à ce qu'il veut, doit et peut faire d'utile. ### a). Une intermédiation sociétale qui exige une parole d'apaisement Quand on considère que la parole, comme déjà dit, constitue un moyen efficace de convaincre à agir, faut-il encore qu'elle soit crédible. Quand on observe, qu'en 5 ans de temps, deux auteurs reconnus, publient avec succès deux ouvrages qui décrivent la profondeur des sentiments de défiance qui paralysent la société française on mesure l'absence de crédibilité des opérateurs de l'intermédiation, en dehors des altruistes du soutien aux miséreux. Tout est réuni pour ce qui est à la limite du supportable, par excès de défiance, dégénère dés que le moindre des efforts à accomplir sera accueilli avec une défiance encore accrue. Au risque de rendre les relations sociétales corrompues par les conflits de toute sortes, partout, tout le temps. L'état psycho dépressif de la société française, non démontré, mais révélé par sa place sur le podium du championnat mondial de consommation de psychotropes, peut la conduire vers l'aventure suicidaire. Donc, partout où un intermédiaire sociétal opère, comme l'avocat qui gère les troubles conflictuels, il doit porter une parole d'apaisement, de conciliation, de médiation, de solution. L'exemple réussi de la séparation amiable, dans le code le plus idéologiquement rigide, celui du travail montre l'utilité de la démarche. Ce sera, une première réaction aux conséquences de la crise du déclassement. ### b). L'affaiblissement de la Loi française Le sujet mériterait qu'une journée entière lui soit consacré pour faire apparaitre quelles réactions il doit inspirer. Chacun trouvera par lui-même comment réagir, en entrant dans les débats de ce congrès, comme on trouve comment plaider, en entrant dans le dossier du client. Cet affaiblissement est historique, il coïncide avec la perte du dernier Empire, le colonial, qui faisait régner la Loi française « world wide ». Il est institutionnel. Il coïncide avec l'avènement de la 5^ème^ République qui a, de fait, subordonné le pouvoir législatif au pouvoir exécutif dans l'élaboration des lois. Il est opérationnel. Il coïncide avec la prise du pouvoir exécutif par une dynastie de très hauts fonctionnaires plus experts en règlements administratifs, qu'en compromis parlementaires. Il faut ajouter à cette maladie de langueur, développée à l'intérieur du corpus législatif, les lois de pérennité éponymique de nombreux ministres, les lois à vocation médiatico politique, les lois jetables et celles jamais appliquées comme elles ont été votées etc \... Mais ce n'est pas tout, hélas. La dure loi française d'antan doit affronter la Soft law des échanges économiques et financiers globalisés qui l'affaiblissent. Personne n'a d'autre choix. Il faut respecter des principes de gouvernance auquel il est recommandé de se conformer si on veut être bien noté par les dispensateurs des dollars si nécessaires. Sans toujours comprendre comment traduire dans notre loi d'attardés du siècle des lumières, ces beaux mots de compliance ou d'accountability. Sans préjudice de l'application exigée par les institutions communautaires des directives de la Middle law européenne nées des traités que la France à signés. En rechignant à les appliquer lorsqu'il s'agit de les voir donner à nos codes un volume et une complexité hors de portée de l'esprit humain. Tout cela devrait décourager toute volonté de réaction. Erreur, surtout pour des professionnels du barreau. Ce foisonnement des textes crée une forte demande de connaissances et de conseils. C'est pourquoi les grandes firmes d'avocats Anglo saxons, pendant les années 80/90 ont absorbé l'activité de droit des affaires en France. Comme l'ont fait les grandes firmes d'audit pour les chiffres des entreprises. Le déclassement de l'économie française ne leur garantit plus la rentabilité qui les pousserait à conserver leur hégémonie. Une réaction des professionnels français serait pertinente, à condition, qu'à défaut de constituer des firmes, modèle peu français, les ambitieux se constituent en réseaux de compétences affirmées dans ces deux domaines de la Middle law communautaire et de la Soft law anglo saxonne. La Loi française et la plupart des codes n'ont pas déserté les cabinets d'avocats, loin de la. Certes, le code pénal entraine la fourniture de prestations plus proches de celles d'un service public onéreux pour le prestataire, que d'un exercice libéral. Pire, l'extension de la délinquance est rendue prévisible par les conséquences des crises. Il faut éviter que cette activité, incontournable, conduise au déclassement d'une partie de la profession d'avocat. C'est une raison supplémentaire de créer des réseaux de compétences aptes à concurrencer les firmes qui ont absorbé le droit des affaires. C'est affaire de temps, de vision et de volonté ### c). Le déclassement de l'institution judiciaire C'est un drame national. On peut comprendre que le Général de Gaulle, seul président de la République élu après avoir été condamné à mort, ait maudit ses juges militaires, comme les juges civils qui ont tous, sauf un, prêté serment au Maréchal qui l'a fait condamner. Mais 70 ans plus tard la sanction maintenue qui a rétrogradé l'institution judiciaire de pouvoir à autorité est un des éléments du déclassement de la France. Les juges du corps et de l'ordre judiciaire en charge de la régulation de la société, historiquement défiants à l'égard des pratiques des membres des deux pouvoirs maintenus, l'exécutif et le législatif, sont à la fois les plus attendus dans la pratique de la vertu de justice et les plus critiqués sur l'exercice de cette mission. La justice rejette la soumission qui ne peut avoir cours en démocratie. Le pouvoir exécutif, agacé par le comportement médiatico politique d'une extrême minorité de juges qui font un bruit de vedettes du show bizz, tient la bride serrée à la majorité. Le pouvoir législatif accable les juges de lois mal faites, instables, de directives mal expliquées. Les médias mettent de l'huile sur le feu pour entretenir le climat de suspicion et de dénonciation qui fait de l'audimat ou du lectorat. Les relations confiantes, naturelles, entre juges et avocats s'altèrent. Tout cela est catastrophique. Plus la crise entrainera de conséquences humaines, plus le redressement entrainera de conflits, plus le besoin d'une autorité reconnue, sereine, celle du juge, exigera d'être satisfait. Pour tenter d'y arriver il est primordial que les réseaux de compétence des avocats portent la bonne parole de la reconnaissance aux juges. Il faudra de la persévérance, de l'intelligence, de la délicatesse, bien longtemps après avoir sonné le « halte au feu ». Les structures ordinales seules, si conscientes soient elles du danger de voir perdurer cette situation, n'y suffiront pas. Surtout si les effets de la crise atteignent les barreaux eux-mêmes. Cette troisième réaction sera de vraie utilité citoyenne. En vous invitant à réfléchir sur les éléments de ce rapide panorama d'un terrain agité de nombreux tremblements, que dire en conclusion. Agissez pour développer vos réseaux de compétences juridiques, off shore, d'apaisement sociétal indoor, et surtout de renforcement de notre institution judiciaire.
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2007-04-19
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[ "michel rouger" ]
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CE QUI PRIME, C'EST QUE LE BANQUIER FASSE SON MÉTIER DE BANQUIER AVANT DE FAIRE CELUI D'ADMINISTRATEUR
# Ce qui prime, c'est que le banquier fasse son métier de banquier avant de faire celui d'administrateur *Le 28 mars 2007, une conférence débat fut organisée par l'Institut français des administrateurs sur la question de « la place pour la banque dans la gouvernance de l'entreprise ». Michel Rouger, un des intervenants présents a accepté de nous livrer quelques précisions sur le sujet.* Comment expliquez-vous le fait que les rapports entre les banques et les entreprises ne soient pas très bien définis ? Je pense que ces rapports ont subi les dégâts collatéraux de la catastrophe du Crédit Lyonnais. A l'époque, nous avons condamné le concept de Banque-industrie, sans jugement, sans débattre des intérêts que nous pouvions en tirer, sans nous efforcer d'y apporter un substitut : en fait, sans réfléchir, dans l'émotion politique liée à l'événement. Certes, les Américains avaient encadré ce concept bien auparavant, en prohibant la détention du capital d'une société industrielle par une banque, encore qu'ils soient revenus sur cette norme. Il était interdit à une banque d\'investir plus d\'un certain pourcentage dans le capital. A l'inverse, les Allemands en ont fait un principe et l'ont très largement développé. La population de leurs grosses PME en a profité. Elles nous manquent en France.\ Je pense que nous avons raté bien maladroitement une évolution indispensable. Quels sont les enseignements que vous tirez de votre expérience comme administrateur concernant les relations banques-entreprises ? Depuis  douze ans, j\'ai vécu les conseils d\'administration de deux sociétés du CAC 40. Dans un de ces conseils, les banques avaient acquis un droit de présence par convention, au moment où ils avaient apporté les moyens qui permettaient à l\'entreprise d\'éviter des difficultés majeures. Ils ont voulu accompagner l\'avenir de la société dans la sécurité en obtenant le droit de participer à son gouvernement. L'opération a permis à l'entreprise d'affirmer une réussite spectaculaire. Dans le second conseil, il n\'y a pas de banques. Il y a plusieurs anciens présidents de banques de grande qualité. Le conseil est très homogène. Les administrateurs indépendants peuvent s\'exprimer, comme le personnel présent au capital (qui représente plus de 15%). La présence de grands séniors, devenus indépendants en gardant leur compétence technique, participe à cette homogénéité composée de diversités d'expérience. La réussite est tout aussi spectaculaire. J'au aussi vécu deux conseils de PME. Dans la première, devenue grosse, j'ai été confronté, dès mon arrivée, à la caricature qui stigmatisait l'entreprise du modèle des années 50, à savoir l'établissement de trois bilans : celui du patron, celui du banquier et celui  des impôts. Ce fut bref. À la première difficulté, les banquiers, qui étaient en risque, et qui étaient dans le conseil, ont mis la main sur l\'entreprise, la banque gérant l\'affaire de l'intérieur, avec son propre système de gouvernance, avant de dégager les actionnaires anciens propriétaires. Le plus récent conseil, celui d\'une petite PME de haute technologie, mariait les dirigeants d'origine, consacrés à leurs découvertes technologiques, peu sensibles à l'aspect financier de leur projet, avec les dirigeants détachés des banques qui détenaient la moitié du capital. L'arbitre que je fus a été obligé de siffler la fin de la partie en vendant l'entreprise. Nous pouvons observer à travers ces quatre scénarios que les banquiers ne sont pas homogènes dans leur comportement et que les entreprises ne sont pas homogènes dans leurs objectifs. En réalité, il existe une infinité de situations. Ce qui primera alors avant toute chose, c'est la considération que le banquier en activité, donc en risque, fera toujours son métier de  banquier avant de faire celui de l'administrateur. On ne lui en demande ni plus ni moins. De quelle manière se pose la question des conflits d'intérêts ? Nos sociétés sont devenues très complexes tout comme sont devenues très complexes les relations entre le monde de la banque et celui de la production de biens et de services.\ Nous subissons de ce fait une attraction irrépressible à l\'égard du consultant, du conseil, de l\'expert. Ils nous paraissent être des spécialistes utiles pour éviter les bévues ou carrément les grosses erreurs. Le problème est que l'utilisation généralisée de leurs services entraîne une généralisation des situations de conflits d\'intérêts. Concrètement, pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, il ne faut pas mélanger deux fonctions : le banquier peut parfaitement être le conseil de l\'entreprise, formé, documenté ; par les éléments de son propre contrôle interne, il peut développer des recommandations très utiles.\ Néanmoins, il ne faut pas qu\'il devienne délibératif : si il est à la fois en capacité de donner des conseils et que par ailleurs il est en situation de délibérer sur ses propres conseils, il crée le conflit d\'intérêts. Sans oublier que le banquier n'a pas qu'un client, ni qu'une seule technique.\ Il peut même arriver que sa main droite ignore ce que fait sa main gauche. Quelles solutions préconisez-vous ? Pour faire la chasse aux conflits d\'intérêts, il faut réinventer la notion de comptes-rendus. Des travaux sont en cours, au sein de l'Institut Presaje que je dirige, sur le concept anglais d'accountability. A l'heure actuelle, nous sommes très loin de l\'application quotidienne de principes simples qui s'imposeront tôt ou tard à tous ceux qui, de droit ou de fait, participent aux décisions des dirigeants sociaux, sans qu'il soit souvent rendu compte de leurs rôles. 
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2007-12-7
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[ "michel rouger", "albert merlin", "bernard delafaye", "alain benon", "xavier de kergommeaux", "xavier lagarde", "henri pigeat" ]
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ENFIN, UN VENT DE RÉFORMES SUR LA JUSTICE !
# Enfin, un vent de réformes sur la justice ! L'institut Présaje (\*), se situant au carrefour de la justice, du droit et de l'économie, ne peut rester indifférent au vent de réformes qui, depuis la place Vendôme, souffle sur la justice. Centre de recherches sociétales, Présaje n'a certes pas vocation à s'inscrire dans l'actualité du débat politique, mais, parce qu'il se veut prospectif et s'intéresse donc aux enjeux du long terme, ne peut que relever les initiatives qui se préoccupent uniquement de l'intérêt commun. Evidemment, les feux sont braqués sur la réforme de la carte judiciaire, dont l'utilité est pourtant reconnue. Mais entre les paroles et les actes, il y a le gouffre de la pusillanimité et de l'opposition systématique, si bien que d'Henri Nallet en 1989 à Elisabeth Guigou en 1997, en passant par Pierre Méhaignerie et Jacques Toubon, ces quatre honorables Gardes des sceaux de gauche et de droite, se sont cassés les dents sur le projet de réforme qu'ils avaient caressé. Or, en 2007, Rachida Dati est en position de réussir là où d'autres ont échoué. Il lui a fallu la détermination qui a manqué jusque-là, le courage aussi de risquer l'impopularité qui souvent stérilise les élus et enfin l'inspiration d'un grand dessein pour la justice de notre pays. ## La réforme de la carte judiciaire ne peut qu'être profitable au justiciable A bien y réfléchir, en effet, qu'est donc la finalité de cette réforme de la carte judiciaire si ce n'est de mettre enfin la justice et les conditions dans lesquelles elle doit être rendue, «aux normes» du XXIème siècle ? A quoi aboutit-elle ? Elle ne fait qu'adapter la justice aux évolutions démographiques, économiques et sociales ; elle permet de lutter contre un saupoudrage de moyens humains, dispersés entre 1 200 juridictions et 800 sites ce qui peut conduire parfois à l'isolement du juge et à la dramatique affaire d'Outreau ; elle permettra de constituer des juridictions d'une taille suffisante garantissant au justiciable une plus grande sécurité juridique avec des magistrats spécialisés dans des contentieux techniques. On entend que cette réforme anéantit la justice de proximité, mais à l'heure du TGV et des nouvelles technologies, Présaje y croit d'autant moins que la ministre a lancé un vaste plan de numérisation des procédures qui permettra, très bientôt, à l'ensemble des cours d'appel et des tribunaux de grande instance d'être équipés pour permettre cette dématérialisation. Dans ces conditions, la réforme de la carte judiciaire ne peut qu'être profitable au justiciable, comme aux acteurs du système judiciaire : ceux-ci doivent en effet être conscients qu'après l'implantation impériale du début du XIXème siècle, aucune modification significative n'est survenue depuis les initiatives de Raymond Poincaré et Michel Debré ; les conditions d'exercice de la justice dans ce pays ne sont pas plus intangibles que ne l'ont été d'autres missions régaliennes, comme vient de le monter en matière de finances publiques la fusion décidée entre la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique, dont les structures remontaient à l'après-guerre quand ce n'était pas à l'Ancien régime. Bousculant des situations acquises, la réforme heurte des habitudes, parfois sincères et inévitablement résistantes. L'intérêt général n'en doit pas moins prévaloir sur les intérêts particuliers, les corporatismes et les égoïsmes. Les griefs sur la méthode pèsent finalement peu au regard des enjeux de fond. La vérité est que cette réforme répond aux besoins de la société, comme à ceux de l'économie. Le problème n'est pas qu'elle soit trop forte, mais qu'elle ait trop tardé. ## La Garde des sceaux est à l'origine de trois lois très positives Parallèlement à la révision de la carte judiciaire, la Garde des sceaux est à l'origine de trois lois très positives. Elle est actuellement à l'origine de trois lois définitivement adoptées : celle instaurant des peines planchers, impérieuse nécessité lorsque l'on connait les ravages de la récidive, celle instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, également impérieuse nécessité lorsque l'on connait les conditions de détention dans notre pays ; enfin celle relative à la corruption, mettant notre droit pénal en conformité avec les normes internationales. D'autres projets sont à l'étude qui devraient connaître prochainement un aboutissement : le projet instituant des mesures de sûreté contre les délinquants dangereux en fin de peine permettra de répondre enfin au délicat problème de certains criminels qui sont libérés alors qu'ils sont notoirement dangereux ; un autre chantier très important est celui de l'amélioration des conditions de détention et, pour la première fois depuis 1987, une loi pénitentiaire, envisagée mais non réalisée par ses prédécesseurs, verra le jour. Sont également encouragées des initiatives parlementaires sur des sujets aussi fondamentaux que la simplification du droit autorisant notamment l'utilisation de la visioconférence à l'audience ou la réforme de la prescription en matière civile. Enfin, même si le problème de l'insuffisance du budget de la justice est récurrent, comment oublier que le projet de loi de finances pour 2008 prévoit une augmentation de plus de 4% des crédits et de plus de 1 600 créations de postes faisant du ministère de la justice le seul département ministériel qui connaît une augmentation de ses effectifs alors que dans les autres sont supprimés de nombreux postes ? La démarche résolument tournée vers l'avenir et le long terme choisie par la Ministre qui, ainsi, privilégie l'intérêt général sur le pointillisme circonstanciel, et le mouvement contre les conservatismes, constitue un pas décisif vers une justice moderne et efficace. \* Prospective, Recherches et Etudes Sociétales Appliquées à la Justice et à l'Economie, association de la loi de 1901, créée en 2002 par Michel Rouger, Albert Merlin et Bernard Delafaye. \*\*Michel Rouger est président honoraire du tribunal de commerce de Paris, Albert Merlin est économiste, Bernard Delafaye est avocat général honoraire près la cour d'appel de Paris, Alain Benon est ancien haut fonctionnaire à la direction du Trésor, Xavier de Kergommeaux est avocat au barreau de Paris, Xavier Lagarde est professeur agrégé des facultés de droit, Henri Pigeat est ancien président de l'agence France-presse.
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2025-04-27
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[ "michel rouger" ]
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OPINION - NUMÉRO 3000 - TRIBUNE POTENTIELLE MICHEL ROUGER
# OPINION - Numéro 3000 - Tribune potentielle Michel ROUGER « Cette nuit, le conseil de sécurité de l'ONU a mis un terme au conflit entre le la Chine et les États-Unis. Une disposition de l'accord prévoit le transfert du siège de l'ONU en France. L'opération, doit être réalisée dans les cinq ans à venir. La République française devra adopter un statut de neutralité en se retirant de tous les traités par lesquels cette neutralité pourrait être mise en cause. L'ONU donnera à a République française la garantie des moyens dont elle dispose afin que cette neutralité soit assurée. La République française devra adopter une Constitution de type fédéral permettant à la région autonome de Paris de contracter avec l'ONU sur les dispositions qui régiront l'installation de son siège et de ses services en son sein. Les modalités de ce transfert seront élaborées entre le secrétariat général de l'ONU et celui du gouvernement de la République française. Les négociations pour la réalisation de l'opération seront conduites avec le Pouvoir exécutif issu des futures élections nationales françaises. » Voir détails et commentaires dans ce numéro historique.
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1999-02-8
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[ "pascal henisse" ]
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LES ENTRETIENS DE SAINTES : LE POUVOIR DES JUGES EN QUESTION
# Les entretiens de Saintes : le pouvoir des juges en question Le colloque de Saintes, rendez-vous consacré aux problèmes de justice organisé à l\'initiative de Michel Rouger, ancien président du tribunal de commerce de Paris et du CDR, et Xavier de Roux, avocat, ancien député, s\'est penché cette année sur les juges et la façon dont ils exercent leurs prérogatives. L\'intrusion sur la place publique de quelques dossiers particulièrement spectaculaires et les mises en examen d\'importants responsables politiques ou du monde des affaires font-ils des juges les personnages les plus puissants du pays ? Bref, sommes-nous guettés par le gouvernement des juges ? Aux interpellations très directes d\'Alain Minc, qui vient de publier un ouvrage sur ces questions et pour qui les juges* « ont gagné »,* les magistrats présents ont opposé la réalité quotidienne de leur mission et ce qu\'ils considèrent être en définitive un exercice presque* « modeste »* de leurs prérogatives.* « Il faut cesser de traduire la montée du droit en termes de vainqueur et de vaincus. S\'il y a un vainqueur, c\'est l\'Etat de droit »,* a ainsi avancé Jean-Pierre Zanoto, juge d\'instruction à Paris. A ses yeux,* « il n\'y a pas d\'activisme des juges, mais il n\'y a pas non plus de raison pour que s\'exerce une justice pénale à deux vitesses ».*  Dans le même registre, Valery Turcey, président de l\'Union syndicale des magistrats, a fait valoir que le juge* « ne se saisit pas lui-même »* et que* « si l\'ensemble des règles de droit s\'imposaient d\'elles-mêmes, on aurait moins besoin d\'y avoir recours ».* ## Faculté d\'interprétation Les juges présents ont par ailleurs reçu le soutien quelque peu inattendu de l\'ancien ministre de l\'Intérieur, Philippe Marchand, qui a publiquement reconnu que les officiers de police judiciaire, qui en principe conduisent leurs missions sous la direction des magistrats, se tournent ensuite très spontanément vers leur hiérarchie, donc la Place Beauvau, pour solliciter par exemple l\'autorisation de transmettre au juge les procès-verbaux qu\'ils sont amenés à établir. Mais la question du pouvoir des juges dépasse largement la seule conduite des investigations. Elle concerne aussi l\'application des textes.* « Le juge ne doit qu\'appliquer la loi, mais l\'article 4 du Code civil précise que, même s\'il n\'existe pas de texte ou s\'il n\'est pas clair, le juge doit tout de même statuer, faute de quoi il se rend coupable d\'un déni de justice »,* a expliqué Alain Lecabarats, vice-président du tribunal de grande instance de Paris. Cette faculté d\'interprétation reconnue aux juges, qui, par exemple, ont leur propre définition du « secret professionnel » des avocats, compatible avec des perquisitions dans les cabinets, n\'est pas sans soulever quelques questions. Pour certains, cela pourrait conduire les magistrats à se prononcer non seulement en fonction des textes, mais aussi en vertu de considérations* « morales ou éthiques ».* Quant à la responsabilité des juges, les interpellations d\'Alain Minc sont restées sans réponse.* « Peut-on exercer un pouvoir sans que sa responsabilité individuelle puisse être engagée. Pour les magistrats, cela signifie une responsabilité disciplinaire qui jouerait effectivement ? »,* demande-t-il en effet au moment où certains regrettent, plus que le pouvoir des juges, « l\'impunité » qui caractériserait aujourd\'hui le corps judiciaire.
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2006-09-26
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[ "marie-josée cougard", "michel rouger" ]
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INTERVIEW DE MICHEL ROUGER PRÉSIDENT DU CONSEIL DE MODÉRATION ET DE PRÉVENTION
# INTERVIEW DE MICHEL ROUGER PRÉSIDENT DU CONSEIL DE MODÉRATION ET DE PRÉVENTION - Marie-Josée Cougard Vous avez été nommé président du Conseil de modération et de prévention. Quel est l\'objet de ce conseil ? - Michel Rouger Ce Conseil a été créé par un amendement au projet de loi d\'orientation agricole le 14 février 2006. Il doit être consulté sur les projets de campagne de communication relative à la consommation d\'alcool et sur les projets de textes législatifs et réglementaires dans son domaine de compétence. Le Conseil accueille 32 membres, dont 8 membres de droit (des représentants des six ministères intéressés, le président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie et le délégué à la sécurité routière), 8 parlementaires, 8 représentants des boissons alcoolisées, 8 de la santé et de la prévention de l\'alcoolisme. - Marie-Josée Cougard Quelle est votre mission en tant que président ? - Michel Rouger C\'est mon expérience de médiateur qui a conduit le gouvernement à m\'appeler. Les relations sont aujourd\'hui difficiles entre le monde de la santé, qui se sent légitimement fondé à lutter contre l\'alcoolisme, et les professionnels de la viticulture, confrontés à des crises cycliques. Ma mission sera donc de trouver ou d\'établir des passerelles de communication entre ces deux sphères. - Marie-Josée Cougard La première réunion a bien mal démarré semble-t-il\... - Michel Rouger Elle s\'est tenue en l\'absence des représentants du monde de la santé, qui ont refusé de venir. Ils sont convaincus que la création du Conseil de la modération et sa composition résultent d\'une mainmise du lobby viticole sur la politique de prévention de l\'alcoolisme. Cela est d\'autant plus étonnant que le Conseil n\'a pas vocation à fonctionner comme le Parlement, où la majorité fait loi. Les avis divergents seront très largement relayés aux pouvoirs publics chaque fois qu\'ils s\'exprimeront. - Marie-Josée Cougard Dans une telle ambiance, ne craignez-vous pas la mission impossible ? - Michel Rouger Non, sinon je n\'aurais pas accepté de présider le Conseil. Le temps fera son oeuvre et les esprits seront sans doute apaisés après les élections. En outre, le Conseil a bien fait la preuve de son sens des responsabilités en donnant un avis favorable à la mise en garde des femmes enceintes contre la consommation d\'alcool via l\'apposition d\'un pictogramme sur toutes les boissons alcoolisées. Malgré l\'absence des personnalités qualifiées de la santé.
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fonds documentaire mrc
2011-06-29
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[ "philippe plassart" ]
3,242
CONCORDANCES TROUBLANTES
# Concordances troublantes La France d\'aujourd\'hui ressemble à s\'y méprendre à celle de l\'Ancien Régime En dressant un parallèle entre la France de ce début de XXIe siècle avec celle du XVIIIe siècle d\'avant 1789, Le nouvel Economiste n\'entend céder ni à une "historiamania" facile, ni à un quelconque "devoir de mémoire" ici totalement déplacé, pas plus qu\'à une analogie gratuitement provocante. Simplement, l\'évocation de l\'Ancien Régime étant récurrente dans le débat public - avec pour dernier exemple, autour de l\'affaire DSK, le "droit de cuissage" du noble sur ses servantes ("droit" qui n\'a pourtant jamais existé, assurent les historiens) - l\'envie nous a pris de pousser l\'investigation. Et ô surprise, à ce jeu de correspondances, il est frappant et troublant de découvrir combien par de nombreux aspects - y compris les inévitables anachronismes inhérents à ce type de rapprochement -, la France d\'aujourd\'hui ressemble à celle des Bourbon. Mais ayant l\'avantage de connaître la fin de la première séquence - la Révolution de 1789 -, la leçon politique de l\'histoire tombe comme la lame de la guillotine : un régime inapte à se réformer et qui refuse d\'assimiler les ferments du changement radical est inéluctablement condamné. "Il y a toujours du passé dans le présent, particulièrement dans notre pays qui s\'est construit, comme un millefeuille, par couches successives. Et il n\'est donc pas étonnant d\'en trouver des traces en surface", affirme l\'historien Max Gallo. Or aujourd\'hui, ce sont celles de l\'Ancien Régime - signe des temps ? - qui remontent le plus nettement. Les références spontanées à la monarchie du XVIe siècle -- celle de Louis XIV, XV et XVI - sont nombreuses. Bien plus que celles évoquant par exemple la période pourtant plus proche du second Empire qui avait vu l\'ouverture du pays au libéralisme, ou celle de la Libération et de son programme du CNR. Où les "indignés" français ont-ils cherché à installer leur campement ? Place de la Bastille, lieu chargé de symboles s\'il en est. Où le président de la République a-t-il consulté pour former son dernier gouvernement au cœur de l\'hiver ? A la Lanterne, antichambre du château de Versailles. Quel personnage a choisi l\'exécutif pour exalter le retour d\'une politique industrielle ? L\'inusable Jean-Baptiste Colbert, ministre du Roi-Soleil. Que craignent les économistes et les marchés ? L\'explosion de la dette "souveraine" tricolore, une sémantique qui renvoie directement au "souverain", c\'est-à-dire au roi et à la monarchie. A quoi ont fait allusion certains commentateurs à propos du comportement (supposé) de l\'ancien directeur français du FMI dans un grand hôtel new-yorkais ? A l\'exercice d\'un improbable "droit de cuissage" à la façon d\'un noble sur sa domesticité... un privilège qui n\'a pourtant jamais existé, selon les historiens. Last but not least : où des activistes spécialistes de l\'agit-prop ont-ils tenté de faire tomber le masque de la connivence des élites médiatiques avec le milieu politique et économique ? A l\'Automobile Club de Paris, sis place de la Concorde. "Il y a dans tout Français le désir qui sommeille de voir la tête de Louis XVI tomber. Et chez les journalistes, c\'est dix fois par jour !", ironise Michel Rouger, l\'ex-responsable du CDR du Crédit Lyonnais, président de l\'institut Presaje, spécialisé dans le droit et l\'économie. Tant de rapprochements sont possibles entre l\'Ancien Régime et la situation d\'aujourd\'hui - qu\'ils soient valides, boiteux ou tirés par les cheveux - que cela jette forcément un trouble. Et si ces concordances chargées inévitablement d\'anachronismes et d\'approximations - ces deux péchés méthodologiques qui font en général reculer les historiens dans la comparaison - contenaient une part de vérité, ne conviendrait-il pas alors d\'annoncer l\'imminence d\'un fracas révolutionnaire ? Prudence ! "Tout au long du XVIIIe siècle, la société d\'Ancien Régime était en pleine ébullition et craquait d\'un peu partout. Pour autant, rien n\'était écrit à l\'avance et surtout pas la Révolution à laquelle, il faut bien le dire, personne ne songeait, sauf aux tous derniers moments", recadre Vincent Milliot, professeur d\'histoire à l\'université de Caen (1).La société d\'ordres de l\'Ancien Régime (du sommet de la pyramide, le roi, jusqu\'à sa base, le tiers état) - était loin d\'être aussi figée qu\'on nous l\'a appris dans nos manuels ; quant à notre société , même en crise profonde, elle offre un cadre de vie et une sécurité à ses membres à nuls autres pareils dans l\'histoire - merci à l\'Etat providence. Néanmoins, le miroir de l\'histoire, par ses grossissements et ses caricatures mêmes permet de mieux voir les multiples défis à relever par les politiques. Ceux d\'aujourd\'hui auront-ils le courage, l\'habileté et la lucidité, ces qualités qui ont manqué à nos monarques d\'antan, pour préserver leur pouvoir ? A regarder leurs lointains prédécesseurs, ils savent au moins à quoi s\'attendre... ## Les caisses vides Notre histoire parallèle commence par la publication d\'un faire-part. "L\'Ancien Régime est mort de son endettement financier. La crise des finances publiques a paralysé la réforme politique. Et l\'Etat, tenu par sa dette, s\'est écroulé", affirme d\'emblée Christian Jouhaud, historien, directeur de recherches au CNRS (2). Le diagnostic fait directement écho au célèbre "la France est en faillite" de François Fillon à la fin de 2007. Jean-Marc Daniel, professeur d\'économie à l\'ESCPEurope et spécialiste de la dette, fait ce rappel. "Les états généraux ont été convoqués en 1789 en vue d\'augmenter les impôts. A l\'époque, pour autant que l\'on puisse faire une évaluation précise, le poids de la dette équivaut à 80 % du Pib, c\'est-à-dire les niveaux atteints par notre Etat providence contemporain. Or en 1788, le ministre du Budget de l\'époque, Brienne, n\'arrive plus à placer ses emprunts." C\'est précisément cette situation catastrophe que le gouvernement Fillon cherche à éviter dans les prochains mois en défendant à tout prix la signature de la France et son triple A auprès des marchés financiers. Ultime tentative pour conjurer le mauvais sort ? François Baroin, qui tient les caisses publiques, a racheté récemment le manuscrit dans lequel Turgot, ministre des Finances, écartait l\'éventualité d\'une banqueroute du royaume... ## "Privilèges" et "niches fiscales" Paradoxe. La royauté, sans le sou, ne parvient plus à payer ses fonctionnaires et ses officiers, pourtant la France du XVIIIe siècle est deux fois plus riche qu\'un siècle plus tôt. Le diagnostic est connu. Volet dépenses, les guerres - perdues (celle d\'Amérique en particulier) - ont ruiné le régime tandis que du côté recettes, l\'assiette des prélèvements, inchangée depuis deux cents ans dans ses fondamentaux, n\'est pas assez large. Un "effet de ciseau" fatal. La question fiscale se focalise en particulier sur "la taille" que ne paient pas les nobles propriétaires du tiers des terres du royaume, un "privilège" accordé à ces derniers par Louis XIV en 1614. "Ces exonérations s\'inscrivent dans une véritable logique de "donnantdonnant" puisque les nobles participent aux emprunts publics et aux achats d\'offices royaux. Parler ici de "privilèges" au sens où on l\'entend aujourd\'hui est donc impropre", tempère l\'historien Robert Descimon, directeur d\'études au centre de recherche historique à l\'EHESS. (3). Max Gallo analyse le phénomène ainsi : "Le pouvoir royal a tellement besoin d\'argent qu\'il "privatise" autant qu\'il peut ses fonctions régaliennes de la magistrature à l\'armée et même jusqu\'aux coiffeurs." Un modèle d\'architecture fiscale comparé au maquis de nos 450 niches fiscales modernes aux finalités totalement disparates, créees pour la plupart en catimini et dans un total désordre en un quart de siècle de loi de finances depuis 1975. Il n\'empêche : "La monarchie est minée par cette question de l\'équité des "contributions" aux caisses publiques. La niche fiscale dont bénéficient les nobles, le clergé et les habitants des villes, outre qu\'elle prive l\'Etat de recettes, devient insupportable au nom de l\'effort à partager", reprend Jean-Marc Daniel. Une problématique qui nous ramène directement de plain-pied au débat contemporain sur la fiscalité supportée par les plus fortunés ( bouclier fiscal, impôt sur la fortune). "Actuellement, les grandes fortunes paient relativement peu d\'impôt. Ce faible niveau résulte au premier chef d\'une application astucieuse de la réglementation par ces contribuables aisés en quête d\'optimisation fiscale, un comportement révélateur de la faiblesse de la volonté politique", analyse Robert Descimon. Meilleure preuve, les justifications initiales d\'un impôt "light" pour les riches n\'ont pas résisté au grand vent de la polémique. ## Le retour des "héritiers" S\'il est un trait caractéristique de la société d\'ordres d\'Ancien Régime, c\'est bien que la naissance conditionne en grande partie la destinée des individus. Etre "bien né", autrement dit naître dans une famille noble, garantit un rang, un statut et des prérogatives à vie. Pour autant et contrairement à une image d\'Epinal, la société d\'ordres n\'a jamais eu la rigidité de celles de castes, façon société hindoue, le système étant en partie articulé sur des mécanismes d\'ascension sociale par l\'achat des charges et des fonctions. "Cette mécanique suscite des frustrations car elle est onéreuse pour ceux qui aspirent à s\'élever dans la hiérarchie et elle est sans garantie de réussite pour un projet mené souvent par les roturiers sur plusieurs générations. A plusieurs occasions en effet, la noblesse, frappée par des crises d\'identité, éprouve le besoin de se replier sur elle-même en fermant les portes", explique l\'historien spécialiste du XVIIIe siècle Guy Chaussinand-Nogaret, directeur honoraire de recherches au CNRS. Sans compter les possibles revers de fortune, comme lorsque Colbert casse la vénalité des offices et ruine une partie de la nouvelle noblesse de robe endettée pour acquérir son titre... Au regard de ces hauts et bas, la société française d\'aujourd\'hui telle qu\'a pu l\'analyser par exemple le sociologue Pierre Bourdieu dans la reproduction sociale fait figure, pour les héritiers les plus nantis, d\'un havre de paix quasi paradisiaque. "La machine à reproduire les élites tourne bien. Les couches sociales aisées parviennent très bien à défendre les intérêts de leurs enfants. Pour en juger, il suffit d\'examiner la composition sociale des formations supérieures qui permettent en France d\'accéder aux positions les plus avantageuses. Les enfants issus des milieux populaires y sont de moins en moins présents", affirme Patrick Savidan, président de l\'Observatoire des inégalités et professeur de philosophie à l\'université de Poitiers. Autre mesure de la place grandissante des transmissions patrimoniales de parents à enfants : le retour des dynasties familiales. "Classique dans la haute administration, ce phénomène touche l\'industrie et les services mais se répand aussi dans d\'autres milieux comme l\'édition ou les arts et spectacles où le patronyme constitue en soi un capital à faire fructifier", observe Robert Descimon. Allégé fiscalement, l\'héritage opère un retour spectaculaire. Le montant de la valeur des actifs transmis au sein des familles qui était tombé à 5 % du Pib est évalué à 15 % en 2008 et devrait retrouver son étiage du début du XIXe siècle soit entre 20 et 25 % à l\'horizon 2050, selon les prévisions de l\'économiste Thomas Piketty. "L\'héritage et la rente n\'ont nullement dit leur dernier mot. Or on s\'y intéresse peu alors que c\'est pourtant à ce niveau aussi que se joueront les inégalités abyssales de demain. C\'est au creuset de cette injustice que se forgera la société de rentiers qui renaît sous nos yeux aveuglés", s\'alarme Patrick Savidan. Les dynasties familiales sont de retour, comme sous les Bourbon, et c\'est en France où l\'on trouve le moins de self-made-men parmi les milliardaires puisque parmi ces derniers, seul un sur trois est "parti de rien", contre 8 sur 10 au Royaume-Uni et 6 sur 10 aux Etats-Unis, selon une étude Forbes-Société générale. L\'héritage, mécanisme étranger en théorie aux vraies sociétés libérales, ne se porte nulle part mieux que chez nous dans le monde. Mais faut-il s\'en étonner ? ## Ascension sociale bloquée De tels mécanismes de reproduction deviennent insupportables, surtout quand dans le même temps, la perspective d\'une ascension sociale se referme pour le plus grand nombre. Signe des temps : en 1787, l\'avocat Barnave proclame : "l\'horizon est bouché de toutes parts", en 2011, le best-seller de l\'année de l\'octogénaire Stéphane Hessel a pour titre Indignez-vous ! A la fin de l\'Ancien Régime, les "classes moyennes" - c\'est-à-dire les commerçants, manufacturiers, avocats... - se sentaient bloquées dans leur ascension. Les places se faisaient rares et étaient chères. Aujourd\'hui elles ont peur du déclassement pour leurs rejetons. Dans les deux cas, la machine se grippe. "Les cas d\'ascension fulgurante d\'individus issus du tiers état se font rares. Ou alors ils s\'arrêtent à des niveaux modestes comme secrétaire de grand seigneur, bibliothécaire ou prêtre. La promotion par le savoir patine. On ne monte plus qu\'à la faveur des grâces du roi, des coups de pouce des ministres ou par l\'argent. Pire, ceux qui considèrent que le jeu n\'en vaut plus la chandelle deviennent de plus en plus nombrex, le service de l\'Etat et les gratifications sociales qui lui sont liées apparaissant de plus en plus vains", reprend Robert Descimond. Echelle de promotion retirée, démotivation des classes intermédiaires : cette paire fait écho à notre bien connu ascenseur social en panne et au malaise de nos classes moyennes. Et les échelons de la haute fonction publique d\'Etat ne sont pas épargnés puisqu\'on y observe la même sourde inquiétude que sous l\'Ancien Régime. ## Esprit critique et dérision Classique : une population mieux éduquée à qui l\'on ferme l\'espoir accumule naturellement les mêmes frustrations à trois siècles de distance. Ces dernières nourrissent dans un premier temps la critique sous le manteau, puis la contestation ouverte. Celle-ci s\'exprime avec une qualité de forme et de fond qui surprend toujours les historiens dans les cahiers de doléances de 1789. Une lucidité que l\'on retrouve parfois sur certains blogs aujourd\'hui. Non sans la bonne dose d\'humour ravageur et de dérision au troisième degré qu\'autorise l\'anonymat des réseaux. Un état d\'esprit qui n\'est pas sans rappeler celui qui présidait aux réunions des fameux salons et autres sociétés de pensée. "On y parlait de sujets graves mais on aimait aussi les anecdotes, la plaisanterie, le "bon mot". Chaque participant cherchait à se faire remarquer et à faire sa promotion. Un peu comme dans nos talk-shows télévisuels. D\'Alembert, le très sérieux père de l\'Encyclopédie, esprit délié et très drôle, était aussi un mime. Ces imitations étaient fort prisées", raconte Guy Chaussinand-Nogaret. Un lointain ancêtre de l\'esprit Guignol qui épargne le roi mais pas la reine Marie-Antoinette, "Madame Déficit", vilipendée - à tort - dans l\'affaire du Collier. ""L\'anti-sarkozysme primaire" relève un peu de ce registre. Il est vrai qu\'en France, le pouvoir n\'est jamais très longtemps légitime", soupire Max Gallo. "L\' affaire du collier de la Reine a fait les délices des pamphlétaires, c\'est le "bling-bling" à la puissance au carré", ironise Jean-Marc Daniel. La chasse aux élites est ouverte et ça tire dans tous les coins. Marat tient une feuille d\'opposition, à l\'affût du moindre petit scandale - et la matière ne manque pas, en dépit du secret entourant les affaires royales (ce n\'est qu\'en 1789 que sera publié l\'index nominal des toutes les pensions distribuées par le roi aux courtisans, et cette mise à jour fut un choc) - mettant en cause une personnalité du régime. L\'équivalent de nos actuels sites d\'information spécialisés dans la dénonciation et champions dans l\'art de monter en épingle leurs "scoops". ## L\'art non maîtrisé de la réforme Dans un tel climat de défiance, il est difficile de manier la société pour la diriger en douceur vers là où c\'est nécessaire. La monarchie en fera les frais et l\'exécutif de la Ve République, qui dispose pourtant des deux armes décisives de la persuasion, la télévision et les CRS - Louis XVI n\'avait rien de tout cela - en fait l\'amère expérience depuis trente ans. Mais il s\'ajoute un problème de méthode commun à ce type de régimes à forte concentration de pouvoirs : l\'absence de concertation réelle. "Jean-Baptiste Colbert et Nicolas Sarkozy ont un point commun : celui de vouloir passer en force en permanence pour mener les réformes jugées nécessaires. Colbert a déstabilisé le système en cassant la vénalité des offices sans préavis ; et Sarkozy a bousculé la magistrature sans ménagement", analyse Robert Descimon. Et lorsque les grands réformateurs montent sur la scène - Turgot, au premier chef --, il est trop tard. "Malgré leur hauteur de vue, leurs tentatives - comme celle d\'instaurer un impôt foncier universel -sont vouées à l\'échec car le régime est incapable d\'élaborer le compromis nécessaire entre les parties de la société", reprend Robert Descimon. La difficulté est la même aujourd\'hui pour un pouvoir qui ne dispose pas, lui non plus, des corps intermédiaires pour forger un accord solide et pérenne. ## Crise profonde de représentation Dans ce contexte, l\'inadéquation de la représentation politique avec la société n\'en est que plus criante. "Le roi - incarnation de l\'Etat à lui seul - convoque dans l\'urgence d\'une banqueroute annoncée des états généraux, une première depuis 150 ans. Une initiative mal maîtrisée car la question des impôts va attiser au contraire l\'aspiration des "sujets" du roi à devenir des citoyens", analyse Guy Chaussin-Nogaret. Un décalage aussi important existe sans doute aujourd\'hui. "En matière de non-renouvellement des élites, la classe politique est la pire. La situation est bien plus grave que dans les entreprises où la compétence et le talent finissent parfois à s\'imposer. Le système est si verrouillé que le Parlement actuel représente une France qui n\'existe plus, celle des notables. La classe moyenne de la fonction publique truste les fonctions d\'élus alors qu\'elle n\'a plus, à l\'instar du corps enseignant, les manettes du pouvoir", déplore Hakim El Karoui, avocat d\'affaires et fondateur du club XXIe siècle qui réunit des enfants de l\'immigration ayant accédé aux plus hauts postes. Un signe positif : face à une représentation sclérosée qui suscite le désintérêt, le découragement et l\'apathie électorale, une sorte de contre-culture politique semble se développer sur Internet. "Une nouvelle opinion échappant à la politique traditionnelle est en train de naître via les outils du Net qui permettent de la cristalliser en dehors des cadres classiques", se félicite Robert Zarader, directeur de l\'agence de conseil Equancy and Co. "Sous l\'Ancien Régime, il y avait aussi des réseaux, mais au lieu d\'aller sur Internet, on allait à la réunion de l\'Académie, à celle de la franc-maçonnerie ou bien dans un salon privé, discuter des idées de Rousseau", explique Jean-Marc Daniel. ## Conjurer le syndrome de Coblence Question : à quoi aspirent les citoyens du XXIe siècle ? A rester de purs "consommateurs de droits sans devoirs" émargeant au compte de l\'Etat providence ? Ou bien à devenir des citoyens plus impliqués dans les choix qui conditionnent leur vie et celle de la cité ? Quelle que soit l\'option, il faudra sortir de l\'ambiguïté - "la population sait au fond d\'elle-même qu\'elle ne pourra pas bénéficier indéfiniment de droits non financés", rappelle Michel Rouger et faire aussi preuve d\'ingéniosité. Une démarche que la monarchie finissante n\'a pas su initier face à des défis de même ampleur - la nécessité d\'une fiscalité rénovée pour le royaume. Une leçon d\'histoire qui trois siècles plus tard mérite d\'être méditée d\'urgence pour éviter que le syndrome de Coblence - celui de l\'exil des élites mondialisées ayant fait le choix de se situer hors du sol - ne se répète. *(1) Vincent Milliot, auteur de Pouvoir et société dans la France d\'Ancien Régime (éd. Armand Colin).\ (2) Christian Jouhaud, auteur de Sauver le Grand siècle. Présence et transmission du passé (éd. Le Seuil).\ (3) Robert Descimon, auteur avec Elie Haddad de Epreuves de noblesse (éd Les Belles Lettres).\ (4) Max Gallo, auteur de Le Peuple et Le Roi (éd XO).*
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2017-08-10
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PATER FAMILIAS : GRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA GÉNÉRATION DES ANNÉES TRENTE AU LEGS CONTROVERSÉ
# Pater familias : grandeur et décadence de la génération des années trente au legs controversé Les mêmes hommes qui avaient pourtant si remarquablement su organiser la reconstruction ont laissé insensiblement filer le système à la dérive Un banquier central, un magistrat, un journaliste. Ces trois-là sont nés au tournant des années trente et n'ont donc pas très loin de 90 ans. Et comme l'ensemble de cette génération, ils ont vécu trois siècles en un : le drame des années 30 et 40, les Trente glorieuses, et les années de crise. Ils ont connu une jeunesse dramatique et une vie prospère. Ayant résisté aux épreuves de la vie, ils ont donc surtout à faire valoir leur expérience, plus encore que leur expertise, dans trois domaines essentiels : le pacte social et sa refondation, la finance et son rôle, et enfin l'avenir de l'Europe. Leur expérience ? Celle d'abord d'avoir été, jeunes adultes, aux avant-postes de la reconstruction réussie de l'après-guerre jusqu'aux années soixante. Leur grande œuvre assurément. Bâtissant sur des décombres, ils ont fait preuve d'imagination et d'audace - et donc avant tout d'un état d'esprit - pour établir les fondations d'un système novateur qui fera ses preuves durant les Trente Glorieuses. Et puis irrésistiblement, la machine va se détraquer. La crise et ses dérèglements ne sont pas des phénomènes naturels tombés du ciel. Ils résultent aussi d'erreurs humaines et de comportements déviants. Et les mêmes hommes qui avaient pourtant si remarquablement su organiser la reconstruction ont laissé insensiblement filer le système à la dérive en cédant à la facilité de l'endettement. Un processus délétère et pernicieux qui s'assimile à une sorte de lente mais sûre décadence, qui fait toujours quarante ans plus tard côtoyer chômage de masse, déficits et dette. Et dont la génération née dans les années Trente, arrivée en pleine maturité au début de son enclenchement au tournant des années 70, porte la responsabilité. Aujourd'hui, le point de non-retour semble être atteint. Tout est à nouveau à reconstruire. Et il appartient à la relève de jeter les bases, comme en 1945, d'un nouveau monde. Mais la tâche est rendue plus ardue qu'à l'époque, car dans un monde devenu bien plus complexe que celui bipolaire de la guerre froide, le legs des pater familias de quatre-vingt-dix ans à leurs successeurs qui sont aujourd'hui aux commandes paraît bien encombrant. ## La grandeur de la reconstruction Ce fut l'œuvre de cette génération : remettre debout une économie et une société après leur effondrement durant la guerre. Et la réussite fut totale. Jamais un tel redressement - des bons de rationnement des années de la Libération à la naissance de la société de consommation durant les années soixante - ne fut opéré aussi vite, avec des taux de croissance inégalés dans l'histoire. Affaire d'état d'esprit, et d'argent aussi, merci au Plan Marshall. L'ancien directeur du Fonds monétaire international, Jacques de Larosière, salue la démarche. "L'esprit coopératif de 1944 a été un petit miracle dans l'histoire de l'humanité, avec le Plan Marshall et la création des grandes institutions internationales, un moment de grâce inspiré par les États-Unis", analyse-t-il. Le terreau était chez nous réceptif. "La volonté de tourner la page et de ne pas rester dans le négatif de la période de l'occupation animait la nouvelle génération après la Libération. Elle s'est mise sérieusement au travail pour éviter que la France explose" se souvient Michel Rouger, l'ancien président du Tribunal de commerce de Paris, aujourd'hui animateur d'une web TV. Premier chantier : l'élaboration d'un nouveau pacte social longuement mûri pendant les années de résistance et par des années de débat sous la IVe République. "Il fallait que la France retrouve sa puissance après l'humiliation de la défaite de 40. Le pacte donnait à la France un équilibre entre le bonheur du peuple et la puissance de la Nation", reprend le magistrat. Et le projet européen sera la grande affaire de cette génération. L'intuition européenne pénétrante de De Gaulle sera gagnante puisqu'elle va permettre de préserver la puissance d'un pays qui décolonise et la capacité de créer des richesses à l'échelle du marché commun. Et cela a marché. "En situation de plein-emploi, les gens 'gagnent leur vie la tête haute' disait-on à l'époque", explique le journaliste économique Paul Fabra. Les années bonheur avec la certitude que demain sera meilleur qu'hier... ## La voie de la décadence Et puis assez soudainement, le système vient à se dérégler. Les nuages s'amoncellent outre-Atlantique dans les années soixante et le 15 août 1971, les États-Unis abandonnent le système de Bretton-Woods. "On est passé d'un système de forte discipline à un 'non-système' ", déplore Jacques de Larosière. Cette transformation a surtout ouvert la voie à l'endettement. "Au début, la période était plutôt agréable. Elle rappelait l'ambiance post-soixante-huitarde où les choses sont faciles" raconte le banquier. Sur le plan idéologique, la mutation s'opère radicalement. "On a commencé à croire au début des années 70 à la New economic qui postulait avec Milton Friedman que le but exclusif des entreprises est l'augmentation des profits", rappelle Paul Fabra. Pourtant, les effets secondaires ne manquent pas de se faire sentir. Ce sont les États qui sont au cœur de cette dérive par leurs déficits. D'où, explique Paul Fabra, le développement d'une excroissance de la finance à des fins non productives. "Le système a cessé d'être économique pour devenir exclusivement financier. On se retrouve comme dans une économie de guerre qui connaît un gonflement du secteur de l'armement au détriment du secteur civil", déplore l'ancien chroniqueur aux Échos. Mais la prise de conscience des risques encourus ne s'opère pas. "Il était plus commode d'emprunter et de financiariser les problèmes que de les résoudre. (...). Les hommes politiques et les systèmes politiques ont toujours reculé devant les ajustements et les corrections nécessaires", déplore Jacques de Larosière. Et sur cette toile de fond, la France va connaître un sévère décrochage. "La France a perdu pied au milieu des années 80, le pays abandonnant sa capacité à produire de la richesse. Cela remonte à la cohabitation Mitterrand-Chirac, période des 'années fric' durant laquelle le pacte issu de la résistance a fait l'objet de déchirements" se souvient Michel Rouger qui poursuit : "notre problème vient de là depuis quarante ans : on a géré le présent sans s'occuper de l'avenir". ## Un legs controversé "La volonté d'échapper à la réalité va finir par nous rattraper", prévient Jacques de Larosière. La reprise en main ne sera pas facile. Les schémas anciens de la période bénie de la reconstruction qui pourraient être une source d'inspiration sont révolus. L'héritage des pater familias s'est délité. L'Europe ? "Le rêve d'une Europe politique a fait long feu, l'Allemagne réunifiée étant trop puissante" tranche Michel Rouger. Et pendant ce temps, les pays européens continuent à tirer à hue et à dia. "Il faudrait devenir un peu plus sérieux quand on est moins sérieux et un peu plus ouvert quand on est trop sérieux", recommande Jacques de Larosière, en attendant que se forme un hypothétique leadership à plusieurs à l'échelon européen. La finance ? Il serait plus que temps de remettre les pendules à l'heure et d'arrêter de faire n'importe quoi. Mais ne rêvons pas. "L'esprit coopératif fait défaut. Les égoïsmes nationaux prédominent. Les conditions géopolitiques d'une véritable coopération ne sont pas réunies. États-Unis, Chine et Allemagne n'accepteront pas une telle démarche" observe lucidement Jacques de Larosière. Quant au pacte social, il reste fondamentalement plombé par la persistance du sous-emploi. "On ne peut pas rééquilibrer une situation fondamentalement déséquilibrée et qui est tolérée uniquement parce qu'il n'y a pas d'autre solution" estime Paul Fabra. Europe, finance, social : comment ne pas sombrer dans le pessimisme absolu ? Michel Rouger, qui croit dans la dynamique du renouvellement des générations pour changer radicalement la matrice d'une société, l'affirme : "La France est en train de retrouver un 'parfum d'avenir' parce qu'elle retrouve une fierté qu'elle avait perdue". Acceptons-en l'augure tant il est vrai que l'avenir d'un pays se joue aussi - c'est une des leçons de vie de nos pater familias -- principalement sur le mental.
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2017-08-10
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MICHEL ROUGER, ANCIEN PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
# Michel Rouger, ancien président du tribunal de commerce de Paris Michel Rouger, l'ancien président du tribunal de commerce de Paris qui anime aujourd'hui une web TV croit dans la dynamique du renouvellement des générations pour changer radicalement la matrice d'une société. Il donne l'exemple de la génération de la reconstruction après la Seconde guerre mondiale. "Des nouveaux sont arrivés et se sont mis sérieusement au travail pour éviter que la France explose. La France ne pouvait pas rester dans le négatif de la période de 1940-1945. Nous sommes actuellement dans les mêmes tâtonnements et recherches", estime-t-il. Encore faut-il se dégager de la vision court-termiste : "Notre problème est là depuis quarante ans : on a géré le présent sans s'occuper de l'avenir dans notre petite patrie corrézienne si douce à vivre". Le sursaut viendra selon Michel Rouger d'un ingrédient indispensable, aujourd'hui de nouveau présent : l'estime de soi. "La France est train de retrouver un 'parfum d'avenir' parce qu'elle retrouve une fierté qu'elle avait perdue", observe-t-il. La base de ce renouveau passera, assure l'ancien magistrat, par un mix entre "l'autorité des nations pour assurer la puissance" et "l'adhésion à l'Europe pour fabriquer la richesse". Le pacte social naît, d'une manière ou d'une autre, de mouvements politiques. Le dernier est né des mouvements politiques de la Résistance et de la Libération. Il a grosso modo servi de support à la IVe puis à la Ve République. Pensez le temps qu'il a fallu pour le constituer : il y a eu des années de débats politiques. Aujourd'hui, le pacte social, dont on sait qu'il est fragilisé, va devoir être reconstruit durant le quinquennat en cours. ## Le pacte social est cassé Entre la Libération et la mondialisation de la fin du XXe siècle, beaucoup d'événements ont transformé le peuple français, qui ne vivra plus dans le même pacte social, dont une partie aura été mondialisée, pour ne pas dire américanisée. Voyez comment vivent, parlent, consomment les moins de 40 ans. Or ce sont eux qui reconstruiront le pacte social à imaginer. Aujourd'hui, le pacte est cassé. Il donnait à la France un équilibre entre le bonheur du peuple et la puissance de la nation. Le bonheur du peuple était trouvé par une répartition de la richesse typiquement française. Quant à la puissance de la nation, elle était donnée par la place que la France devait prendre en Europe après avoir perdu ses colonies. Voilà quels étaient les piliers du pacte. L'aspect purement social - l'équilibre richesse/pauvreté - a été mis à mal lorsque la France a perdu sa capacité à produire de la richesse. Cela remonte à la fin des années 1980, au moment de la cohabitation Mitterrand-Chirac, période durant laquelle le pacte issu de la Résistance a fait l'objet de déchirements et d'opérations assez douteuses marquées par les "années fric" qui ont détruit l'équilibre entre la richesse et la pauvreté. Et les engagements européens, qui étaient peut-être conformes à la volonté de puissance de la France, se sont avérés difformes par rapport à l'équilibre spécifique du pays, qui n'était partagé ni par les Allemands, ni par les Anglais. Il y avait une contradiction antagonique entre la volonté de puissance d'un pays et la volonté de faire le bonheur de son peuple, surtout dans un environnement mondialisé où l'américanisation de la société s'est imposée avec sa dimension inégalitaire, en opposition au pacte égalitaire de la Résistance. Cette américanisation est une tendance lourde : même les Chinois n'y échappent pas, ces derniers subissant comme nous la Pax americana comme nous avions subi en son temps la Pax Romana. ## La fierté retrouvée de la France La France a perdu deux capacités : celles de créer de la puissance et celle de créer de la richesse. Mais tout espoir n'est pas perdu. Ce devrait être l'œuvre de ce quinquennat. La réussira-t-il ? C'est toute la question. Il dispose d'éléments favorables. J'ai vécu la constituante de 1946. Nous sommes actuellement dans les mêmes tâtonnements et recherches. Mais il en sortira nécessairement quelque chose, comme lorsqu'à la Libération on ne pouvait pas rester dans le négatif de la période 1940-1945. Une fois que la France s'est reconstituée, que des nouveaux sont arrivés, la génération s'est mise sérieusement au travail pour éviter que la France explose. Nous allons rééditer ce process aujourd'hui. Cela prendra un certain temps - un quinquennat minimum -- mais nous allons suivre la même voie que celle empruntée en 1946 et 1951, après quoi on est entré dans les difficultés de la décolonisation dont nous sommes sortis avec le général de Gaulle en 1958 pour poser les jalons d'une nouvelle forme de puissance qui s'est exprimée après sous Pompidou, tout en conservant le bonheur du peuple qui se fait sur le plan matériel avec les augmentations d'échelons, d'indices et de salaires, mais aussi sur le plan de la fierté retrouvée. Aujourd'hui, la France est en train de retrouver un "parfum d'avenir" parce qu'elle retrouve une fierté qu'elle avait perdue. En cela, le règne de François Hollande a été catastrophique parce qu'il a fait perdre - sans qu'il s'en rende compte - la fierté au pays, alors que son prédécesseur Chirac avait fait perdre la puissance à la France. Le déclin de l'industrie française et sa colonisation par l'étranger ont été manifestes sous Chirac. Le renouvellement de générations va opérer une mutation radicale. Les nouveaux venus n'ont pas la même mentalité et auront d'autres modes de vie. Cela va se sentir dans le rapport à l'argent, le rapport à la politique et le rapport à l'Europe. Le pacte social de la Résistance avait été élaboré après l'humiliation de la défaite de 1940 pour que la France retrouve sa puissance et le bonheur du peuple, qui avait été certes moins massacré qu'ailleurs, mais qui avait été profondément divisé. Il va falloir recoller les morceaux du pot. C'est un mouvement naturel : ce n'est pas la première fois que l'on voit une nouvelle génération recréer un pacte différent. J'ai en mémoire le pacte de l'entre-deux-guerres contre les Ligues et le risque nazi, mais qui a explosé du fait de l'invasion allemande. J'ai parlé du pacte de la Résistance, et l'aventure gaulliste de la décolonisation. Et on a perdu pied au milieu des années 80. ## Nouveau rapport à l'argent et à la politique Le rapport à l'argent a été totalement corrompu durant les années fric. On vient d'apprendre qu'un équipementier japonais allait faire faillite avec 7 milliards d'euros de pertes. La faillite du Crédit Lyonnais, dont j'ai eu à m'occuper, c'était 30 milliards d'euros de l'époque. Il faut se rendre compte de ce qu'avait été la corruption générale à l'époque où l'on faisait de l'argent en dormant. Les pratiques politiques et financières d'une France qui était encore largement étatisée ne reviendront plus, mais elles ont laissé des traces qui justifient la loi de moralisation de la vie politique. Les gens n'auront plus de mentor en matière d'argent. Un nouveau rapport à la politique se dessine. Sa caractéristique ? On passe d'un système fermé à un système "open". On m'a fait la proposition il y a vingt ans d'entamer une carrière politique, avec la promesse d'avoir la mairie d'une sous-préfecture et un poste au Sénat. Lorsque j'ai vu comment fonctionnait le système politique - celui qui vient de s'écrouler --, j'ai refusé. Mon entourage à l'époque n'avait pas compris pourquoi mais aujourd'hui, ma démarche s'éclaire : il ne fallait pas mettre le nez en politique il y a vingt ans. C'était terminer sa carrière d'une manière déconsidérée. Ce rapport-là est brisé. Aujourd'hui, on n'a pas besoin de partis politiques pour être majoritaire à l'Assemblée. On en aura besoin dans cinq ans lorsqu'il s'agira de consolider le nouveau pacte social. Aujourd'hui, ce n'est pas nécessaire. Quiconque peut rêver d'être député et le devenir en six mois de temps ! Comment ce rapport nouveau à la politique se jouera-t-il en 2022 ? Ce moment sera décisif. ## La finance spéculative et la nouvelle finance Pour parler de la finance, il faut faire particulièrement attention aux qualificatifs que l'on emploie dans un pays qui a un rapport si spécifique à l'argent. Les Français sont parmi les champions du monde de l'épargne. C'est la preuve que l'on aime l'argent. Mais c'est un argent de précaution et non pas d'investissement, et donc de puissance. On le voit bien en bourse où l'on reste souffreteux et où la moitié de la capitalisation est aux mains d'étrangers. La culture catholique, qui a été souvent confrontée à la culture protestante, a horreur de la spéculation. La finance est aujourd'hui à la fois protestante et juive au sens religieux. La domination actuelle de la finance de New York, qui a supplanté celle de Londres, est patente. Alors que la crise de 2008, qui a démontré que la finance américaine était dangereuse et nuisible, a fini par être oubliée. Aujourd'hui, il y a deux formes d'exploitation des moyens financiers. La première, c'est la spéculation pure et simple, qui a tout de même été encadrée à la suite de faillites retentissantes. La deuxième forme repose sur l'utilisation intensive de ce que l'on appelle les banques de données. Les Américains ont su se créer une richesse grâce au développement phénoménal de ces grandes sociétés du big data qui ont permis à une société comme Amazon de dominer le marché mondial de la consommation. Les Gafa dominent l'exploitation de tous les échanges. La nouvelle finance est là. Le trading à haute fréquence sait traiter des multitudes de données au milliardième de seconde. Est-ce l'argent ou la donnée qui prime ? Je laisse la réflexion aux philosophes. Ma certitude est qu'on ne peut plus séparer la spéculation qu'on a connue depuis des siècles et l'utilisation des grandes banques données qui, d'une façon ou d'une autre, nourrissent la fabrication de monnaies spéculatives. Les Français n'ont pas la tête à cela. Nous sommes toujours à penser à notre épargne de précaution, à en assurer la pérennité en assimilant la finance au vil spéculateur qui se nourrit du sang du pauvre. Or on est passé à un stade supérieur depuis que ces pauvres alimentent par leurs données les Gafa. Ce sont ces données qui fabriquent tôt au tard l'argent, donc la finance. À quelles fins ? Pourquoi croyez-vous que Google investit dans la biologie ? Pour des recherches de médecine prédictive qui se monnaieront un jour ou l'autre. Le séquençage du génome ? Son coût s'est réduit de façon considérable, sauf en France, par manque de concurrence. Une occasion perdue. La France, qui avait la première place dans ce domaine, est reléguée par abandon et perte de vision de ce qu'est la puissance qu'on fabrique dans l'avenir. Notre problème est là depuis quarante ans : on a géré le présent sans s'occuper de l'avenir dans notre petite patrie corrézienne si douce à vivre. L'avenir va revenir, j'en suis persuadé. Je lis le journal depuis février 1934, moi aussi j'ai ma base de données. La notion même d'argent va changer. La figure du spéculateur que l'on aime haïr va disparaître derrière l'utilisation des données individuelles avec lesquelles on va faire de l'argent. Et de l'argent beaucoup plus caché que durant la période des années fric des années 80. Il faut toujours faire attention aux réactions brutales des Américains. Les Américains, ce sont des Allemands dans des costumes d'Anglais. Ils ne vont pas se laisser entraîner. Si les grands Californiens des Gafa donnaient l'impression d'une écrasante domination, la conception même du pouvoir aux États-Unis ne le tolérerait pas. Le pouvoir fédéral ne supportera pas d'être dominé. Il y aura des resserrements probablement brutaux. Une évolution favorable ? C'est trop tôt pour le dire. ## La fin du rêve d'une Europe politique Tout ce que j'ai vécu autour de mes lectures de journaux pendant 80 ans me pousse à rester européen. Mais quelle Europe ? Au début des années 2000, j'ai été président d'une petite union de magistrats statuant en matière commerciale. J'ai été élu contre un Allemand par des Allemands, les Français ayant voté contre. Il y a dans cette situation personnelle une explication. La grande vision du général de Gaulle est d'avoir compris qu'il pouvait décoloniser, puisqu'on avait une véritable substitution possible en tendant la main à l'Allemagne pour former un duopole de puissances ouest-européennes basées sur la reconstruction et l'argent américain via le plan Marshall. Une vision pénétrante. Comme il avait trop vécu la dépendance aux armées anglo-saxonnes, il voulait garder son indépendance. Et il s'est évertué à ne pas être trop dépendant de l'Otan. L'Otan est l'expression militaire américaine de l'Occident, comme le marché élargi des Britanniques est l'expression commerciale et financière de l'Occident. La capitale mondiale de l'Occident est Washington, la capitale financière et un peu commerciale est Londres, tandis que Francfort ou Bruxelles sont des capitales commerciales. Voilà l'Europe story. Et les Français mitterrandiens l'avaient accepté, d'où la pression de Mitterrand au moment du vote de Maastricht. Il nous faut maintenant faire un choix majeur qu'Emmanuel Macron a posé avec son idée d'hypermarché. On veut faire une Europe politique telle que le Général a pu la rêver au moment où il s'est rapproché de l'Allemagne d'Adenauer, qui était à relever. Mais ce n'est plus imaginable aujourd'hui. En 1991, Mitterrand à Paris et Delors à Bruxelles ont laissé faire la réunification allemande. Tout espoir de voir naître une Europe politique est mort à ce moment-là, l'Allemagne devenant trop forte. Souvenez-vous ce que Mauriac disait : on aime tellement les Allemands qu'on préfère qu'ils soient deux qu'unique. Peut-on à tout le moins faire vivre une Europe qui garantisse le bonheur des peuples par la création de richesse sans garantir la puissance politique en laissant aux nations gérer leur puissance ? On n'a pas pu avoir le débat au cours de la présidentielle. On l'aura nécessairement durant le quinquennat. C'est un élément du pacte social. ## Le nouveau pacte social de 2022 Profondément européen pour avoir trop vécu les désordres et les violences au sein de l'Europe pendant plusieurs décennies, je crois qu'il faut d'abord savoir organiser la puissance au niveau de la nation et ne pas tout miser sur le bonheur du peuple, qui viendra en grande partie des richesses créées au sein de l'Europe. Mais cette réalité a été oubliée depuis vingt ans. Cela peut devenir un débat positif. Les jeunes générations n'ont pas vécu les affres de la guerre et de la décolonisation. Elles sont internationales dans l'esprit : elles travaillent indifféremment en France ou ailleurs. Les jeunes ont une vision européenne mais pas de la conscience d'une domination politique, qui était celle des générations plus anciennes, héritées de De Gaulle pour des raisons de grandeur et de Mitterrand pour des raisons idéologiques. Je crois à une reconstruction européenne qui sera basée sur une relative autorité des nations pour assurer la puissance du pays, et sur une assez forte adhésion à une communauté européenne qui sera là pour fabriquer la richesse. Cela passera par des unifications fiscales et sociales qui formeront le menu du prochain quinquennat. Je ne suis pas pessimiste. On va retravailler à la base le pacte social qui va être amené à maturité en 2022, non sans difficultés. Je suis convaincu que l'on va découvrir que la finance repose au moins autant sur les technologies numériques mondialisées que sur la spéculation pure et simple - et l'ajustement mental à faire sera important pour les Français, même si les jeunes générations le comprennent mieux - et l'on va quitter sur le plan européen les grands rêves d'harmonie politique à base géostratégique à la De Gaulle, ou à base idéologique à la Mitterrand, pour arriver à un équilibre à trouver entre la puissance sauvegardée au niveau des nations et la richesse assurée et le bonheur des peuples dans la création de richesses. ## Bio express : Homme d'action et de réflexion Né en 1928, Michel Rouger a commencé sa vie professionnelle après la guerre comme artisan transporteur. Puis fondateur de la Banque Sofinco, il développe l'activité de location longue durée de voitures. En 1991, il est élu président du tribunal de commerce de Paris, à la tête duquel il restera quatre ans pour devenir président du consortium de réalisation chargé de gérer la faillite du Crédit Lyonnais jusqu'en 1998. Il intègre ensuite le milieu de l'arbitrage international. En 1995, il crée les Entretiens de Saintes, puis Présaje en 2002, un think tank de droit et d'économie. Il anime le site et la web TV L'Écho des Arènes.fr.
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2015-12-15
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LE DROIT, LE JUGE ET LES FRONTIERES
# LE DROIT, LE JUGE et LES FRONTIERES *La France traverse une période troublée, faite de profonde émotion, à la suite de l'agression sanguinaire dont Paris a été victime, et de grand désarroi, face au déclassement social d'une partie de son peuple qui se sent de plus en plus abandonné depuis 40 ans.* *Elle renvoie à début 2017, le débat sur les solutions.* Depuis 40 ans, 1977, dernière année budgétaire positive avant l'entrée de l'Etat dans 4 décennies de déficits parfois abyssaux et paralysants, les Princes charmants de nos palais des bords de la Seine, de l'Elysée à Bercy, qui ont entrepris de réveiller la belle endormie n'y ont pas réussi. Pour la majorité des Français cette plaie d'argent n'est pas mortelle, du moins tant que les intérêts payés aux créanciers sont au plancher. Pour eux la solution rêvée est ailleurs. Depuis 40 ans la France a perdu ses frontières. Dans son tréfonds elle ne l'admet pas, tout en étant convaincue qu'elle ne peut pas y échapper. Il faut le comprendre au pays des châteaux forts, des bocages, des murs et des murets, des querelles de parcelles et de bornage, de l'impôt sur les portes et sur les fenêtres, de la ligne Maginot, de la ligne de démarcation, du mur de l'Atlantique, des barrages et des barricades. Les Celto-Gaulois, définition des Français par leurs amis Anglais, ont un besoin impérieux de se diviser furieusement pour mieux s'enfermer au village d'Astérix et d'Obélix. Depuis des siècles, le territoire sur lequel « nos ancêtres les Gaulois » sont installés, est un open space qui attire les migrants du nord vers le sud, de l'est vers l'ouest, et plus récemment, du sud vers le nord. L'actuelle bouffée de colère, récurrente et passéiste, qui fait rêver au bon vieux temps de la zone libre de Vichy, n'a d'autre but que faire des lois pour que l'avenir ne remplace pas le passé. La France adore les révolutions - restaurations qui remplacent les institutions défaillantes. En attendant 2017, il faudra que les hommes et les femmes responsables expliquent, à la place des politiques inaudibles, ce qu'est le « Sans frontières » dans le monde transformé par les innovations technologiques que les peuples ont intégrées dans le changement de leurs comportements. Ce petit texte destiné aux femmes et aux hommes de loi et de justice y est consacré. ## Le DROIT et la JUSTICE sans FRONTIERES Les réflexions publiées dans cet article sont extraites d\'un ouvrage d'analyse, entrepris il y a 18 mois, pour éclairer les prochaines évolutions de l\'institution judiciaire française, une fois passée l'étape de haute montagne de 2017. Ces extraits sont articulés en trois chapitres résumés. Ils traitent de l'abolition des frontières, de ce qu'elle imposera aux gens de robe, juges et juristes d'aujourd'hui, comme jadis l'abolition des privilèges à leurs ancêtres des parlements. Revenons en 1977, Alain Peyrefitte, le visionnaire, est Ministre de la Justice. Il vient de publier le « Mal Français », qui n'a toujours pas quitté l'hexagone, avec ou sans frontières. L'organisation de la Justice, telle que gravée dans le marbre de la constitution de 1958, simple autorité divisée entre ses deux ordres, l'administratif et le judiciaire, respecte le triptyque républicain. La Nation rassemble le Peuple à l'intérieur de ses frontières, le Peuple fait la Loi par ses représentants, L'Etat la fait appliquer par ses services extérieurs que sont les cours et les tribunaux, au sein desquels opèrent les fonctionnaires à statut spécial du corps des magistrats formés à l'Ecole de l'Etat. Les juges régulent les échanges économiques, financiers et culturels. Après le prononcé de ce très banal rappel, on serait tenté de dire « fermez le ban » comme à la fin de la sonnerie aux défunts, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Que s'est il donc passé en 40 ans qui aboutit à des bouleversements que la société ressent fortement, au point d'exprimer le malaise sociétal et politique actuel ? Pour répondre il faut extraire de ces 300 pages de réflexions, non encore publiées, celles consacrées aux domaines les plus sensibles dans lesquels la Nation a perdu ses frontières. L'abolition des frontières dans la production industrielle, la consommation marchande, et dans les relations individuelles et intimes. La décennie 80 a débuté par la décision de reprendre au marché toutes ses grandes entreprises industrielles, commerciales et financières pour les confier à l'Etat, devenu administrateur du patrimoine productif d'un pays fermé, protégé par sa langue. La décennie 90 a tout rendu au marché à domination anglophone. La décennie 2000 a mis l'Etat, sur endetté, sous la dépendance des mêmes marchés opérant, au profit des plus forts, dans un espace mondialisé, sans protection des plus faibles. Ces têtes à queue ont envoyé l'industrie française au fossé, avant de la mettre à la casse. Ce marché, dorénavant globalisé, agité jusqu'à l'hystérie financière de 2008, par les gigantesques puissances commerciales des marketeurs nord-américains a attiré, sans espoir de retour, les consommateurs envoutés par les technologies séduisantes, confortables, créatrices de la révolution numérique et de ses « petites poucettes ». Les marketeurs commencent à se rendre compte qu'il faut accepter, en tous domaines, la renaissance du Droit, seule garantie pour assurer le vivre ensemble. Enfin, la culture basique du peuple a trouvé son bonheur dans la relation au sein des réseaux planétaires, temps, distances et valeurs abolies, symboles d'appartenance à un modèle de liberté, d'égalité et de fraternité dont le virtuel fait oublier le factice, cachant la réalité d'une révolution numérique, celle d'une économie sans croissance périlleuse pour les finances publiques françaises . Qu'ont fait le Droit et la justice, maîtres des lieux à l'intérieur des frontières abolies, dans cette situation caricaturée par la célèbre formule de la vulgate marxiste du « renard libre dans le poulailler libre » ? Pas grand-chose qu'on puisse leur reprocher. Ni les juristes, ni les juges, en France, n'ont compris un seul instant quels seraient les effets de la suppression des frontières sur leurs professions et sur leurs offices, dans un pays installé dans une incurie politique, enfin reconnue par ceux qui en sont les auteurs. Le temps est venu de cette renaissance du Droit qui appartient aux juristes. ## L'abolition des frontières dans la création de la Loi, de la jurisprudence et de la doctrine La France, pays de grands juristes, a toujours su ce que représentaient ces trois éléments du droit positif, piliers de l'Etat de droit. Or, doucettement, l'origine et la forme de la loi ont évolué. La Loi est devenue plurielle, divisible, métissée, au sein d'une République qui se veut une et indivisible, et qui a, de plein gré, accepté de faire vivre le contrat républicain passé avec le citoyen selon une succession d'avenants communautaires qu'il suffisait de transposer à défaut de les avoir proposés. La transposition des textes européens, mode législatif transfrontière, majoritaire au sein des lois Françaises, se fait par ordonnances du gouvernement, ratifiées par le Parlement sans débat conclusif. Le contrôle, récent, des budgets des Etats soumis au pacte de stabilité ajoutera à l'interrogation du citoyen, qui sera invité à donner sa contribution à la recette collective comme une taxe répartie par des contrôleurs extérieurs. Pour bien comprendre le coté cocasse de l'histoire il faut revenir 60 ans en arrière. En 1955, la révolte poujadiste qui conduira plus de 50 députés à l'Assemblée élue en 1956, est née d'une taxation autoritaire de contrôleurs fiscaux, sur les recettes supposées de boulangers pâtissiers réputés fraudeurs. On sait jusqu'où cette révolte, aggravée par les convulsions de la guerre d'Algérie, a mené la France. Au bord de la guerre civile évitée de justesse par la mort de la 4ème République. Revenons à nos lois. La longue tradition parlementaire française a pu vérifier que le processus de maturation des lois durables et appliquées appartient au long terme. Cette observation, légitimée par les aspirations des citoyens, s'oppose aux pratiques nées de la substitution de lois prêtes à voter, issues des travaux communautaires, aux lois votées après maturation d'un long débat national. Tout cela entraine une absence de synchronisation entre le pouvoir normatif du décideur européen et le pouvoir exécutif des gouvernements nationaux. Ce phénomène doit être mis en perspective en ce qu'il brouille le rôle du juge. L'instabilité législative affecte son travail, le rend opaque, incompréhensible aux yeux du justiciable duquel on ne peut pas exiger qu'il soit édifié sur les tenants et aboutissants des traités communautaires et de leurs conséquences sur son affaire. Au surplus, le juge national, ancienne « Bouche de la loi » de la constitution de 1958 est confronté aux difficultés d'interprétation de la loi déformée par une double perte de repères. A l'extérieur, ce sont ceux disparus avec la superposition des décisions de constitutionnalité nationale et de conventionnalité européenne. C'est compliqué mais en retenant sa décision, au risque d'agacer les plaideurs, le juge sait faire. L'abolition d'une frontière intérieure, celle qui séparait la loi existante de sa validité originelle, par la question prioritaire de constitutionnalité ajoute une incertitude dans la valeur des lois, dans la nature et la portée du contrôle. En pareil cas le juge devrait trouver secours auprès de la doctrine pour conforter sa jurisprudence. Hélas, qu'elle soit nationale ou européenne, la doctrine, qui a besoin du long temps de la réflexion documentée est plus troublée que toute autre par les abolitions de frontières qui se sont conjuguées depuis le début du 21ème siècle. L\'abolition des frontières et le rôle des cours et des tribunaux de l\'ordre judiciaire. Le choix fait de résumer plusieurs chapitres de l\'ouvrage d\'analyse, duquel sont tirés ces extraits, en entraine un, arbitraire, de les classer selon les règles usuelles, chez les juristes, de la compétence, le lieu, la matière, la personne. Les lieux de formation des engagements et de traitement des litiges qu'ils entrainent. Dans le secteur de la consommation de masse, une grande partie de la population, spécialement les moins de 50 ans, ont pris l\'habitude des échanges transfrontières réalisés sur internet, les sites et applications qui y foisonnent, accessibles par les moteurs de recherches américains, selon des modèles juridiques qui leurs sont propres. Les engagements qui y sont souscrits laissent le minimum de traces sur la succession des opérations et l'accumulation des opérateurs mis en œuvre. Revenons à 1977 lorsque l'acquéreur d'un beau livre de collection pour un cadeau de Noel allait l'acheter chez son libraire favori. S'il se posait par la suite un problème de brochage qui se transformait en litige, il était facile de le plaider. La même acquisition chez Amazon, aujourd'hui, affectée du même problème, sera plus compliquée à traiter si le vendeur ne résout pas le litige à l'amiable. Autant à raison du coût pour le demandeur, que de la complexité et des incertitudes contractuelles. Les actions de groupe, leurs objectifs de transaction, forme judiciaire de la consommation de masse, peu familières de la culture juridique Française, contournent le juge. Dans les secteurs industriels et commerciaux de l'économie marchande globalisée la domination des méthodes et de la langue des Anglo saxons, ont généralisé la pratique des conflits transigés ou arbitrés selon des attributions de lieux et de droit pré souscrites qui écartent le juge national. Dans le secteur des opérations financières, la domination de la monnaie américaine, ajoutée aux méthodes et à la langue ont simplifiés les débats. Leurs tribunaux se sont approprié les litiges en s'attribuant une compétence de lieu, pour toutes opérations libellées en dollars, quel que soit le lieu de sa réalisation. Le juge national est out. ## La matière des conflits soumis au juge national. Personne ne peut nier que les plus importantes dispositions d'\'abolition des frontières ont été mises en œuvre, par l\'État, après l\'échec du référendum de 2005. Elles ont transformé les rapports de l\'économie de marché avec les tribunaux de l'ordre judiciaire. Lorsque l\'économie était administrée par l'Etat, les juges n'y mettaient pas le nez. La loi de tout le monde ne s'appliquait pas à l'Etat. Lorsqu'au milieu des années 80 a été préparé le retrait de l'Etat par les dénationalisations et le « big bang » de Bercy, l'administration a voulu garder la main sur l'économie restituée aux marchés, par la mise en place d'un système de Régulation. Il l'a fait en multipliant les autorités administratives indépendantes qui se sont attribué des compétences étendues sur les matières confiées aux juges. Comme un malheur n\'arrive jamais seul, l\'orientation naturelle des opérateurs de marché vers les pratiques du monde anglosaxon dominant, le traitement, par les juges, de la sanction, en toutes matières, civiles et commerciales, a cédé la place aux solutions de médiation, de conciliation et d\'arbitrage, préférées à celle du jugement. Enfin le développement d'opérations de très haute technologie, effectuées par des algorithmes et des automates, ont rendu certaines opérations suffisamment inaccessibles au cerveau humain, pour que la matière de leurs conséquences, échappe aux juges. Cette transformation de la matière civile dans la compétence des tribunaux de l\'ordre judiciaire, peu sensible parce que progressive, a orienté leurs rôles vers le domaine pénal, matière qui enferme le juge dans un triangle de contraintes insupportables, l'émotion populaire, les empiètements des médias, la manipulation de l'institution soit par l'une, soit par les autres. ## La personne du justiciable Dans un pays fermé au sein duquel chacun est identifiable, l\'abolition des frontières a tout bouleversé. Pour faire simple, cet extrait n'évoquera que 3 sujets. La naissance d\'une population de sans-papiers, aux papiers, volés, faux ou usurpés qui fait quotidiennement la une des médias, d'autant plus qu'ils nourrissent, à défaut d'être nourris eux-mêmes, les chroniques judiciaires, administratives et politiciennes. La naissance, au sommet de la pyramide sociale mondiale, de grands responsables de l'économie de la finance ou des ONG, de personnes titulaires de plusieurs nationalités, des passeports qui vont avec, et des lieux de résidences déconnectés de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font. Avec le privilège de mettre leur patrimoine à l'abri des juges nationaux, et leurs actes à l'abri de leurs regards s'ils représentent des structures ou organismes non identifiables. L'affirmation d'un concept de Droits de l'homme, importé par l'abolition des frontières, qui se superpose aux dispositions du droit national en obligeant les magistrats des deux ordres, à accumuler les précautions pour ne pas s\'exposer, par des décisions maladroites, à la censure exigée par des défenseurs dont l\'essentiel des moyens sont fournis par des organismes transfrontières. La conjugaison de ces évolutions ont conduit les Etats à se défier de leurs systèmes judiciaires et à s'orienter, par le renseignement, vers le traitement administratif de certaines formes de criminalité. ## CONCLUSION Au terme de ce triptyque Economie, Droit, Justice quelles conclusions tirer ? Il est exact que le peuple français a un problème avec l\'abolition des frontières de son Hexagone. On peut admettre que les oppositions au modèle ouvert, antérieures à la révolution numérique et à l'arrivée de plusieurs milliards d'ordinateurs personnels à connexion planétaires, depuis 2007, ont fait rêver au retour au bon vieux temps. Il faut l'aider à comprendre que ces rêves sentent le cauchemar. On ne voit pas comment les petites poucettes d\'aujourd\'hui, qui ne peuvent pas vivre sans le lien permanent avec l'humanité numérisée accepteraient de ne plus regarder leur écran pour revenir vivre à l'abri du clocher de la force tranquille qui s\'est installée au pouvoir sans vision du lendemain. On ne voit pas plus comment ignorer les dégâts de l'abolition des frontières sur trois populations. Celle, jeune, que l'ouverture faite, à leurs parents, au temps des 30 glorieuses, pour rejoindre un pays attractif, dont la communauté nationale n'était pas prête aux efforts de leur intégration. Celle des 2 générations, parents et enfants, ravagés par le brutal déclassement de l'industrie française gérée en dépit du bon sens par l'Etat bureaucratique des années 80. Celle des ruraux, âgés, des villages et des cantons, les grands parents oubliés par les Bobos parisiens de la cour du Roi en 2000. Il semble que la classe politique découvre, lentement, que le chômage n'est qu'une seule partie des 3 problèmes, qui affecte chacune des 3 populations, depuis plus de 30 ans, avec l'excuse, typiquement française, résumée, il a plus de 20 ans par la célèbre formule « le chômage, on a tout essayé ». C'est faux ! La formation des jeunes et des adolescents, comme l'aménagement du territoire ont été négligés, pour ne pas nuire au clientélisme politique et à la distribution des prébendes. C'est pourtant par la que passe la solution qui permettra de faire vivre ensemble le mondialiste et le patriote autrement qu'en se délectant de caricatures et se gargarisant de mots qui annoncent tant de maux. Pour terminer, un texte - référence \* est disponible sur le site de PRESAJE www. presaje.com Il a dressé, en plein milieu de la crise financière récente, avant la présidentielle de 2012, les perspectives de sortie de crise pour les professions du droit et de la justice. 4 ans plus tard il se vérifie que le chemin défriché était le bon. Il faut continuer à le parcourir.
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2019-09-01
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INTERVIEW DE MICHEL ROUGER
# INTERVIEW DE MICHEL ROUGER - LMDA Votre livre « Le récit de 40 voyages au temps du monde ouvert » (1974-2012) nous transporte, joyeusement, il faut le dire, tout autour de la terre : pour vous voyager c\'est vivre, découvrir, conquérir ? - Michel ROUGER En fait j\'ai toujours voyagé. Mes parents et mes grands-parents transporteurs m'emmenaient avec eux. Mon activité de tour opérating est née du fait que j'ai dû créer une agence de voyages pour satisfaire les clients de la Banque SOFINCO. Ces 40 voyages sont nés de la rencontre entre ce fait professionnel et l\'appréciation que je portais sur l\'évolution de notre pays après les événements de 1968. Le changement de génération correspondait à celui du comportement des dirigeants mondiaux après la visite de Nixon à Mao en 1972. La découverte d\'une population, de ses modes de vie, et de ce qui, dans ces autres pays, pouvait développer d\'autres comportements géopolitiques, y compris en France, ont nourri mes réflexions. - LMDA Le récit du voyage dans « La Californie reganienne » m'a particulièrement amusée puisque mon mari et moi y avons participé et je ris encore en pensant aux ciels de lit en miroir du Caesar's Palace... L \'Amérique de l\'Ouest vous est-elle aussi apparue comme un véritable nouveau monde ? - Michel ROUGER La réponse est oui. Après retour à Paris, l\'option d\'une migration en Californie s\'est posée. L'évolution professionnelle était favorable, mais les études des enfants, en bonnes voies, n'étaient pas compatibles avec une migration dans un pays dont personne ne possédait la langue. Quoi qu\'il en fût, les perspectives de ce monde californien telles que nous les avons senties étaient pertinentes. Il s\'agissait bien d\'un Nouveau Monde. J'ai pu le vérifier 20 ans plus tard, en allant y travailler durant trois ans, sans migration. - LMDA A cette époque du voyage dans cet Ouest d'une autre civilisation, vous n'étiez pas Juge consulaire, même s'ils étaient majoritaires dans ce déplacement. Est-ce la fréquentation des membres du voyage de 1977 qui vous a amené à vous présenter aux élections consulaires. Parlez-nous de votre vie antérieure et de votre motivation d\'alors ?\ \ - Michel ROUGER La Californie 1977 a été un élément déclencheur de ma candidature aux fonctions de Juge consulaire. J\'ai retiré de ce voyage une relation fidèle et très amicale avec le président Fred. Juge respecté. De son côté le président de SOFINCO, juge lui-même, lointain neveu d\'un ancien président du tribunal des années 1830, a décidé de s\'en aller. Il m'a encouragé à devenir juge. Ce que j'ai fait en 1980. La candidature à la présidence ce fut une autre aventure. J'ai franchi le pas par goût du challenge. Depuis la fin de la guerre de 39 -45 l\'élection du président du tribunal se faisait de façon très classique par le choix binaire entre un commerçant fortuné et un financier juriste, aux compétences reconnues. Lors de l\'élection de 1991 deux de mes amis étaient candidats avec chacun la certitude d\'être élu. Il est évident que la seule chance que j\'avais d\'être élu, était d'apporter une double originalité. D\'abord dans la campagne électorale qui, au tribunal de Paris, voulait que les candidats traitent les électeurs en les recevant dans des locaux ou dans des réceptions, où ils montraient soit leur munificence soit leur compétence, voire les deux. J'ai choisi de visiter chaque électeur chez lui, ce qui n\'a pas manqué d\'étonner et qui a produit un effet manifeste dans la victoire obtenue. Ensuite, j\'avais pu étudier pendant les deux années précédentes quelles étaient les évolutions prévisibles de cette crise des années 90 qui s\'annonçait, à laquelle personne ne semblait attacher d\'importance alors qu\'elle mettrait le tribunal face à des décisions lourdes et compliquées. Ces choix ont été déterminants pour m\'assurer une victoire à laquelle je tenais, qui fut inattendue pour la plupart des collègues habitués au classicisme des décennies précédentes. - LMDA Vous êtes élu Président du Tribunal de Commerce de Paris en 1991 : quels ont été les faits marquants de votre rôle de Président consulaire ? - Michel ROUGER Ils ont été très nombreux. De janvier 1992 jusqu'à janvier 1998, car j'ai ajouté à ma présidence consulaire, interrompue en juillet 1995, celle de la défaisance créée par le plan de sauvetage qui a évité la faillite du Crédit Lyonnais. Ce furent six années de grands troubles liés à la crise économique et financière que pronostiquée. L'économie collectivisée en 1982, baptisée Economie administrée, a entrainé un véritable effondrement du modèle économique français. J\'observe au passage que c\'est cette période qui a provoqué le déclin français contre lequel tout le monde cherche à lutter. Après l'avoir pronostiquée, je vais en produire une analyse détaillée et documentée dans un prochain ouvrage. Au cours de ces six années j\'ai connu six premiers ministres, deux Présidents de la République, une pléiade de ministres de l\'économie et de la justice. Avec des allers-retours politiques successifs qui ont abouti à la disparition du patrimoine de l'Etat, des 70 banques et compagnies d\'assurances qui avaient été nationalisées d\'abord en 45 puis en 82. L'industrie qui avait été très largement soutenue par le système des banques d\'État a dû s\'adapter à cette défaillance brutale. Face à cette situation j'ai choisi de limiter les liquidations judiciaires à celles qui étaient inévitable, l'essentiel étant traité par les moyens devenus d\'utilisation courante du règlement amiable par la pratique très étendue de la conciliation. Il est évident qu\'au cours de ces six années j\'ai rencontré la totalité des personnalités politiques financières et économiques en charge des responsabilités politiques administratives économiques ou financières de la quasi-totalité du système économique français. - LMDA Il y a 10 ans, l'ANASED, composée d'avocats spécialistes du droit de l'entreprise, préconisait la création des Tribunaux de l'Economie en élargissant la compétence des juges consulaires à tous les Tribunaux économiques et ouvrant le rôle de juges consulaires aux agriculteurs, artisans et professionnels libéraux dont les avocats. Le Sénateur Philippe BAS, Président de la Commission des Lois du Sénat, a inclus cette rénovation dans la proposition n° 60 de la Commission d'information sur le redressement de la Justice. Le Sénat a approuvé et transmis cette proposition de loi à l'Assemblée Nationale. Pouvez-vous nous donner votre avis sur cette grande réforme d\'avenir ? - Michel ROUGER Je suis d\'autant plus convaincu du nécessaire redressement de l\'institution judiciaire française que depuis maintenant 25 ans je fais vivre successivement les Entretiens de Saintes et l\'Institut PRESAJE, fusionnés en 2013. Ces organismes d\'études sociétales dont je conserve la responsabilité intellectuelle, ont débuté leurs travaux sur la Justice, le Droit et l'Economie par le Juge et le Paysan, déjà en révolte à cause de la PAC. Ils ont connu le succès avec « Jury or not Jury » travaux qui ont servi de base à la réforme de la Cour d'assises. Le dernier colloque du 25 juin 2019 a traité de l'Intelligence artificielle et de la Justice à la Cour de Cassation. Entre temps 30 colloques ont été tenus, suivis d'actes publiés. 20 ouvrages sur ces sujets Justice, Droit et Economie ont été publiés à Paris chez Dalloz, à Bruxelles chez Larcier. Les contributions de 350 éminentes personnalités des 3 mondes y figurent. En 2007, le colloque sur la Réforme de la Justice a conduit au « Serment de Saintes » auquel ont été associés les 2 ministres nominés pour figurer dans les futurs gouvernements des 2 candidats ! Je ne doute pas que, pour ses travaux, le sénat ait eu recours à cette documentation considérable. - LMDA Quels conseils donneriez-vous à un jeune avocat souhaitant se spécialiser dans le droit économique de l\'entreprise et des de ses difficultés ? - Michel ROUGER J'ai déjà donné la réponse au congrès de la FNUJA à Biarritz en 1994 en présence de J. Toubon, Ministre de la Justice devant lequel expliqué l'évolution de l'économie mondiale. L'économie régionale qui a besoin de cabinets qui formeront les jeunes au traitement des transactions commerciales dans un champ territorial réduit, soumis à un Droit et à une juridiction de types nationaux. L'économie communautaire au sein de laquelle opéreront des juristes multi-compétents partagés entre les juristes internes aux entreprises clientes, et les avocats des firmes intracommunautaires. Je les ai fréquentés les uns et les autres quand j'ai été président 2000-2002 de l'Union Européenne des Magistrats commerciaux. L'économie globalisée dont les activités juridiques et judiciaires sont entre les mains de grandes firmes d'avocats, le plus souvent d'origine Anglo-saxonne. Je les ai beaucoup fréquentées dans les affaires du de la défaisance du Crédit lyonnais qui avait semé des contentieux originaux dans 49 pays. L'objectif pour un jeune ambitieux sera de passer d'une économie à l'autre en réussissant sa promotion professionnelle par l'amélioration de ses compétences. L'avenir de ce métier sera aussi ouvert en 2030 qu'il l'était en 1990. Pas par le même chemin.
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QU'ATTENDRE DES BANQUES ?
# QU'ATTENDRE DES BANQUES ? ## Introduction Pour juguler la crise financière qui a suivi la faillite de Lehman Brothers, le gouvernement français a lancé un vaste plan de soutien aux banques. L'intention n'était pas seulement de sauver le système bancaire, mais aussi de relancer le crédit, dont l'assèchement menace l'économie. René Ricol est nommé médiateur pour « fluidifier les relations entre les entreprises et les banques » et les préfets sont mobilisés. Les élus seront certainement sollicités par les entreprises en mal de crédits, et tentés de faire pression. Mais on sait que, quand le politique interagit de façon trop étroite avec le monde bancaire, on risque un périlleux mélange des genres, à l'origine par exemple de la débâcle du Crédit Lyonnais. Or, les banques françaises sont fragiles et les inciter à aller trop loin peut engendrer la catastrophe dans quelques années. Comment donc les stimuler pour qu'elles contribuent à la relance de l'économie sans les pousser au naufrage ? Que peut-on attendre raisonnablement des banques ? L'idée de cette soirée est née de l'ouvrage Rendre des comptes, nouvelle exigence sociétale, dirigé par Hervé Dumez et coédité par l'Institut PRESAJE (Prospective, recherches, études sociétales appliquées à la justice et à l'économie) et par Dalloz en octobre 2008\. Ce livre évoque l'impératif de rendre des comptes auquel sont désormais soumis juges, médecins, chercheurs, hommes politiques, gestionnaires... En pleine période de crise des subprimes, devenue une crise bancaire mondiale, il paraissait intéressant de se poser la même question à propos des banques, d'autant que différents gouvernements ont volé à leur secours en mobilisant pour elles des milliards d'euros. Comment vont-elles rendre compte de l'emploi de cet argent, et à qui ? Les banques ont déjà affaire à de nombreuses instances de régulation, qui fonctionnent plus ou moins bien. Les gouvernements sont-ils légitimes à leur imposer leurs propres exigences ? Michel Rouger m'a communiqué un texte datant de 1802, dans lequel le troisième président des États-Unis, Thomas Jefferson, confie à son secrétaire au Trésor : « Je pense que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des armées entières prêtes au combat. Si le peuple américain permet un jour que des banques privées contrôlent sa monnaie, les banques et toutes les institutions qui fleuriront autour d'elles priveront les gens de toute possession, d'abord par l'inflation, ensuite par la récession, jusqu'au jour où leurs enfants se réveilleront sans toit sur la terre que leurs parents ont conquise. » Cette attaque en règle contre les banques ne s'applique pas forcément dans le contexte actuel, car les pouvoirs publics ont certainement une part non négligeable de responsabilité dans cette situation. En France, il y a quelques années, le Crédit Lyonnais a été fortement encouragé à accorder des prêts par l'État actionnaire, qui voulait en faire un instrument de sa politique industrielle. Quelques années plus tard, quand la situation s'est dégradée, l'État a laissé les banquiers se débrouiller face à la vindicte publique. Les relations entre banques et pouvoir politique sont complexes, car si les banques prêtent trop peu, la situation économique en pâtit, mais si elles prêtent trop, on peut aboutir à une débâcle doublée d'une crise d'endettement des États, et les politiques ne sont pas forcément les meilleurs appréciateurs de ce genre de risque. En ces temps troublés, il est donc opportun de se demander ce que l'on peut légitimement et raisonnablement attendre des banques. Pour répondre à cette question, nous entendrons Michel Rouger, qui a été président du tribunal de commerce de Paris et a dû gérer la crise du Crédit Lyonnais entre 1992 et 1997 ; Patrick Pélata, qui nous parlera de la situation d'une industrie particulièrement exposée actuellement, l'automobile ; et Edmond Alphandéry, qui était ministre de l'Économie en 1993, et actuellement président de CNP Assurances et membre des conseils d'administration de plusieurs banques. ## EXPOSÉ de Michel ROUGER Entre l'été 1992 et l'été 1997, je me suis posé tous les jours, et parfois la nuit, la question qui nous réunit ce soir : « Que peut-on attendre des banques ? » Pour y répondre, il faut distinguer les deux acceptions du verbe attendre : « J'attends de vous » exprime une exigence ; « Je vous attends », une patience. C'est entre ces deux acceptions que sera tendu le fil de mon propos. ### La crise de 1992-1997 Ce que nous avons vécu entre 1992 et 1997 était, comme aujourd'hui, une crise des promesses de revenus. Cette crise avait commencé à la fin des années 1980, aux États-Unis et à Londres, dans l'immobilier de commerces et de bureaux. En France, elle a pris la forme d'une crise des promesses de revenus liée aux échanges de promesses de transactions immobilières quis'étaient mises à circuler en quantités industrielles. Dès son arrivée au ministère des Finances, Edmond Alphandéry a bloqué le système de circulation libre de ces promesses de vente, qui était devenu une sorte de titrisation inavouée et avait pris des proportions effarantes. Personne n'était capable d'évaluer l'étendue exacte des dégâts, mais André Lévy-Lang s'en est sans doute approché en estimant que le montant de cette titrisation s'élevait environ à 450 milliards de francs. Compte tenu du taux de décote important que l'on observe lorsque l'immobilier se retourne, le système bancaire s'avérait totalement incapable d'assumer le coût correspondant. La perspective des élections législatives prévues en mars 1993 et de l'alternance politique qui s'annonçait ne facilitait guère la gestion de la crise. Le tribunal de commerce s'est retrouvé en première ligne, car à partir de septembre 1992, plus personne, dans la classe politique, n'était en mesure de prendre les décisions qui s'imposaient. Or, la situation était grave : non seulement les banques, mais les trois principales compagnies d'assurance (l'UAP, le GAN et les AGF) étaient touchées. ### La patience Face à cet effondrement économique et politique, nous avons assez vite compris qu'il serait impossible de tout attendre des banques, et qu'il faudrait au contraire savoir les attendre, quelle que soit la pression de l'opinion publique. Or cette pression était très forte : les principales critiques se concentraient sur le Crédit Lyonnais, mais on assistait aussi à des règlements de compte idéologiques entre partisans et adversaires du concept de banque d'État. Nous étions convaincus que si nous pouvions laisser entre les mains des banques, pendant quelques années, l'énorme patrimoine immobilier qu'elles avaient acquis et pour lequel elles ne trouvaient pas d'acheteurs, nous parviendrions à dénouer la crise car la dénationalisation des compagnies d'assurance ferait émerger un nouveau marché immobilier. Nous avons réussi à retarder jusqu'au 30 juin 1995 la première mise en liquidation d'une banque significative, la Pallas Stern. Si cette faillite avait eu lieu deux ans plus tôt, elle aurait sans doute provoqué une vraie crise systémique, comme la faillite de Lehman Brothers en 2008. Mais en 1995, des balises avaient été placées au bon endroit et sa disparition n'a pas eu de conséquences graves. Le marché immobilier était d'ores et déjà en train de renaître de ses cendres. Des sociétés américaines se sont précipitées en France pour acheter des lots très importants, parfois sans se montrer très regardantes sur ce qu'elles acquéraient, immeubles ou simples créances. Le sangfroid et la capacité à attendre s'étaient révélés payants. ### L'exigence Dans le même temps, nous avons mis en œuvre le second volet de notre action, qui consistait au contraire à exprimer des attentes très fortes à l'égard des banques, mais dans un domaine très précis : la préservation de deux filières industrielles qu'il nous semblait indispensable de protéger. La première était celle des transports. La seconde, celle de la presse, dont dépendaient la publicité, l'imprimerie et l'industrie de la pâte à papier. Nous nous sommes montrés intransigeants sur ce point et nous avons imposé aux banques d'accorder tous les crédits nécessaires dans ces deux filières. Cela n'a pas été simple et il a fallu, dans certains cas, recourir à la coercition. Nous avons constaté que, dans ce genre de circonstances, les politiques nous laissaient largement la bride sur le cou : ils estimaient manifestement que l'imperium des juges serait plus efficace, face aux banques, que leurs propres pressions. ### La situation actuelle Pour sortir de la crise actuelle, il faudra également savoir utiliser le verbe attendre dans ses deux acceptions. La situation va sans doute évoluer plus rapidement que lors de la crise de 1992-1997 car, à l'époque, les décisions avaient été retardées par deux campagnes électorales successives, celle de 1993, puis celle de 1995. La très grande impatience de l'opinion publique peut cependant pousser les pouvoirs publics à se tromper dans le choix de leurs domaines d'intervention, et à exiger où il faudrait patienter, et patienter où il faudrait exiger. De son côté, le système bancaire, qui est aujourd'hui très éprouvé, ne comprendra peut-être pas toujours ce que l'on attend de lui et ne saura peut-être pas convaincre sur ce qu'il est en droit d'attendre des pouvoirs publics.
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QU'ATTENDRE DES BANQUES ?
# QU'ATTENDRE DES BANQUES ? Je vais illustrer les propos de mon prédécesseur par l'exemple de l'industrie automobile. Quel impact les aléas de l'économie financière peuvent-ils avoir sur l'économie réelle ou, en d'autres termes, comment Wall Street et Main Street interagissent-ils ? ## Les besoins de financement L'industrie automobile mondiale est durement frappée par la crise actuelle, car ses besoins de financement sont extrêmement importants et les banques ne sont plus en mesure aujourd'hui d'y répondre. Renault, par exemple, a besoin d'environ 4 milliards d'euros par an pour ses investissements et sa R&D. Cette somme est, en temps normal, couverte par l'autofinancement. Mais en période de croissance ou de récession, l'entreprise doit faire appel aux banques pour 25 % de ses besoins et au marché financier pour le reste. Renault a également besoin de ressources pour financer ses ventes. En Europe, nous vendons près de deux voitures sur trois à crédit, et dans un cas sur deux, nous accordons ce crédit nous-mêmes, à travers notre société financière, RCI-Banque. Cette dernière doit générer un flux de 9 milliards d'euros par an, dont 5 correspondent aux remboursements effectués par les clients, et 4 doivent être trouvés auprès des banques ou des marchés financiers. ## Les constructeurs dans l'incapacité de se financer Or nous ne parvenons plus à trouver de ressources, ni auprès des banques, ni auprès des marchés financiers. Une agence comme Moody's, qui évalue les risques de non-remboursement des crédits, considère Renault comme une entreprise moyenne : si elle ne fait pas partie des junks, constructeurs auxquels aucune banque n'accepterait de prêter de l'argent, elle ne figure pas non plus en tête de tableau. Mais depuis octobre 2008, c'est l'ensemble des entreprises automobiles, quelle que soit leur cotation, qui ne parviennent plus à obtenir de crédits. Seule une poignée de constructeurs allemands et japonais ont réussi à trouver des fonds pendant quelques mois, puis la source s'est tarie. Ce blocage est lié, entre autres, au taux des Credit Default Swaps (CDS), les contrats financiers d'assurance à cinq ans destinés à garantir les crédits. Pour Renault, au début de 2007, le CDS était à 0,25 % de taux d'intérêt. À l'été 2007, il est passé à 0,50 %, puis à 2 % en mars 2008. Il a atteint 5,5 % en décembre 2008 et il est actuellement redescendu à 3,5 %. Ce taux d'intérêt signifie que le risque de défaillance présenté par Renault à cinq ans est estimé à 3,5 %. En principe, nous pourrions donc emprunter aujourd'hui à ce taux de 3,5 %, qui viendrait s'ajouter au taux interbancaire pour atteindre un niveau de 8 ou 9 %, ce qui représente un coût financier très élevé et permet difficilement de dégager des marges. N'ayant pas le choix, les constructeurs allemands qui ont réussi à emprunter ces derniers mois l'ont fait à des taux compris entre 7 et 9,5 %. Mais même à ces prix-là, nous n'avons pas trouvé de banque acceptant de nous faire crédit. ## Les banques dans l'incapacité de prêter Faut-il pour autant incriminer les banques et les contraindre à investir dans l'industrie automobile, comme certains le demandent ? Cela paraît difficile, car elles sont soumises à des règlements qui leur imposent de réduire leurs prêts lorsque leurs actifs diminuent. Or,l'analyse de leur capitalisation boursière entre mi 2007 et fin 2008 révèle que cette capitalisation s'est effondrée. Il faut cependant souligner qu'en dépit de cette situation, les grandes banques françaises continuent pour l'instant d'honorer les lignes de crédit très importantes que Renault et sa société financière avaient contractées avec elles avant la crise, et ce pour des montants très importants (plus de 4 milliards d'euros pour Renault et plus de 5 milliards pour RCI-Banque). À l'exception de Fortis, pour des raisons que l'on peut comprendre, toutes ont tenu leurs engagements. ## Le risque de l'industrie automobile La difficulté des constructeurs automobiles à trouver des crédits s'explique aussi par la mauvaise image globale de cette industrie. Parmi les entreprises que l'agence Moody's considère comme des junks, on trouve les trois constructeurs américains, General Motors, Chrysler et Ford, mais aussi Mitsubishi et Fiat jusqu'à une date récente. Selon le critère du Credit Default Swap, General Motors atteint en janvier 2009 le taux de 100 %, ce qui signifie que selon le marché, il existe 100 % de risque de défaillance à 5 ans, ce qui rend toute transaction assez improbable... Pour Ford, le taux est de 70 %, et pour Fiat, de 12,5 %. Si Fiat obtenait des prêts bancaires, le coût du crédit s'élèverait à 15 ou 16 % en y ajoutant le taux interbancaire : comment dégager suffisamment de marge brute pour faire face à des taux d'intérêt aussi élevés ? En dépit de quelques "bons élèves" comme Toyota, tout en haut du tableau, suivi par Honda, BMW et Volkswagen, l'image globale de l'industrie automobile est donc celle d'une industrie risquée : peut-on d'ailleurs continuer à parler de "risque" quand l'évaluation du taux de défaillance est de 100 % ? ## L'effondrement du marché De fait, le marché de l'automobile est en train de s'effondrer. Alors qu'il avait atteint 68 millions de voitures par an en 2007, il est tombé à 63 millions en 2008 et les tendances du dernier trimestre 2008 laissaient prévoir des ventes de 55 millions de voitures pour 2009. Tous les chiffres que nous collectons en ce moment nous conduisent à penser que la chute sera plus importante encore. Elle ira largement au-delà de ce que nous avons connu en 1995, en 1993, en 1981 ou en 1973\. La seule crise avec laquelle nous puissions établir des comparaisons pour le moment est celle de 1929. ## Une industrie destructrice de valeur Les pertes considérables liées à la chute du marché sont encore aggravées par l'envolée des remises consenties aux acheteurs, dont l'augmentation a été quasiment linéaire depuis une douzaine d'années, et même pendant les cinq dernières années, où le marché se portait relativement bien. On observe également une part de plus en plus importante des ventes dites "tactiques". Les constructeurs ont toujours tendance à surestimer leurs futures ventes. Ils investissent en conséquence, puis, lorsque les résultats s'avèrent insuffisants, ils se mettent à raisonner en profit marginal et bradent leurs véhicules dans l'espoir de récupérer une partie de l'investissement. Ils abandonnent alors toute exigence de profit et donc de croissance durable. En Europe de l'Ouest, ces ventes tactiques sont passées de 25 % en janvier 2005 à 28 % en octobre 2008. Au total, sachant que les profits moyens des constructeurs automobiles sont de 4 à 5 % de marge opérationnelle et que la demande d'investissement est de 4 %, cette industrie ne réussit pas à produire de valeur ajoutée : elle détruit au contraire de la valeur. De fait, la capitalisation boursière de l'industrie automobile mondiale, qui avait légèrement augmenté pour passer de 440 milliards de dollars en mars 1999 à 500 milliards en décembre 2007, a perdu une centaine de milliards de dollars entre décembre 2007 et juin 2008, et encore entre 100 et 120 milliards depuis. ## Les raisons de la crise de l'automobile La crise que traverse cette industrie est indubitablement l'une des conséquences de la crise des subprimes. Dans une situation de crise de confiance, les ménages renoncent en premier lieu aux dépenses significatives qu'ils peuvent reporter sans trop de dommage, et les achats d'automobiles en font partie. On observe d'ailleurs une étroite corrélation entre l'entrée en crise des différents pays et l'impact sur les ventes de voitures : aux États-Unis, cela s'est produit en janvier 2008 ; en Espagne, en février-mars 2008 ; au Royaume-Uni, en mars et avril 2008. Mais le problème a aussi des causes plus structurelles. Aujourd'hui, en Europe, les clients ont le choix entre 300 modèles de voitures, proposés par 39 marques différentes. Le poids des investissements correspondants et le coût des réseaux commerciaux qui distribuent ces marques sont colossaux. L'industrie automobile européenne est manifestement arrivée à un point où elle ne peut plus continuer à faire vivre autant de constructeurs. Il en va de même aux États-Unis. General Motors, qui est en très mauvaise santé depuis 7 ou 8 ans, a accumulé un total de 60 milliards de dollars de dettes et consomme actuellement 2 à 3 milliards de dollars par mois, soit l'équivalent de sa capitalisation boursière. Une telle situation n'est pas tenable. Si l'industrie automobile veut à nouveau avoir accès au crédit et retrouver un mode de fonctionnement normal, il n'y a pas d'autres solutions pour elle que de réduire le risque qu'elle représente aux yeux des banques. La crise actuelle doit servir à "faire le ménage", dans une industrie dont les fondamentaux sont sains (à l'échelle de la planète, seulement un tiers du besoin de mobilité est satisfait) mais qui doit aussi savoir se transformer en profondeur. ## Qu'attendre des banques ? Pour expliquer ce que nous attendons des banques, je m'appuierai sur quatre expériences que j'ai vécues de plus ou moins près. En 1999, les banques japonaises ont opposé un refus net et définitif à tout nouvel emprunt de la part de Nissan, et ont obligé ce constructeur à trouver de l'argent auprès d'une autre entreprise mondiale. C'est de ce refus, inhabituel chez les banquiers japonais, et appuyé par le gouvernement japonais de l'époque, qu'est née l'Alliance entre Renault et Nissan. Mon deuxième exemple s'est également déroulé au Japon, au moment où Mitsubishi Motors manquait cruellement de fonds. La Mitsubishi Bank s'était opposée à toute nouvelle avance et nous étions en train d'envisager ensemble une restructuration partielle du groupe. Les négociations se présentaient bien, jusqu'au moment où, à l'issue d'une lutte interne au sein du keiretsu Mitsubishi, la Mitsubishi Bank a dû céder, et ce sans le moindre plan de restructuration. Depuis, Mitsubishi Motors ne fait que survivre avec beaucoup de difficultés. En 2002, les banques italiennes ont obligé Fiat à se restructurer et l'ont aidé à le faire. L'entreprise a réussi à rembourser ses dettes et à retrouver l'équilibre, en tout cas jusqu'au début de la crise actuelle. Dernier exemple, en 2000, les banques américaines et les marchés financiers ont accepté de prêter 40 milliards de dollars à General Motors, alors que cette entreprise était déjà en piètre état. Depuis, elle n'a fait qu'aggraver ses pertes. Pour avoir conduit des négociations entre Renault et General Motors pendant l'été 2006, j'ai pu constater que dès cette date, il y avait besoin de changements profonds pour sauver l'entreprise, mais qu'ils n'étaient pas engagés.Ce que nous pouvons attendre des banques aujourd'hui au regard de ces quatre exemples, c'est qu'elles reviennent à leur rôle primordial : analyser l'état d'une industrie et l'état d'une entreprise donnée au sein de cette industrie, évaluer avec le plus de discernement possible le risque présenté par cette entreprise et en déduire la possibilité ou non de lui prêter de l'argent à un taux raisonnable. En recourant au système financier, beaucoup plus large et complexe et beaucoup moins régulé que le système bancaire, nous avons perdu une partie des vertus qui reposaient sur un lien étroit entre ceux qui estimaient le risque des entreprises et ceux qui prêtaient l'argent. Aujourd'hui, ce lien est partiellement rompu et les risques ne sont plus correctement évalués. Il faudrait en finir avec les comportements moutonniers qui conduisent à ranger toutes les entreprises d'une industrie donnée "dans le même sac", attitude qui aggrave la crise systémique. Les banques devraient au contraire intervenir avec perspicacité pour pousser cette industrie à entreprendre les transformations, restructurations ou alliances qui lui permettront de sortir de la crise.
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QU'ATTENDRE DES BANQUES ?
# QU'ATTENDRE DES BANQUES ? Les banques connaissent actuellement une situation contrastée. Certaines sont en faillite, comme Lehman Brothers, ou en quasi-faillite, comme Royal Bank of Scotland qui, sans l'appui de l'État, serait en liquidation. D'autres sont dans un piètre état comme Fortis, Dexia ou City Group. Mais d'autres sont en bonne santé. Cependant le secteur bancaire est globalement dans un état préoccupant. Les interventions massives des banques centrales et des pouvoirs publics en sa faveur ne réussissent pas à apaiser les inquiétudes sur sa capacité à faire face à ses obligations vis-à-vis de l'économie. D'aucuns estiment même que les banques vont contribuer à plonger l'économie dans une situation aussi grave que celle que nous avons connue pendant la grande crise de l'entre-deux-guerres. ## Un problème moral ? Comment en est-on arrivé là ? Il est évident qu'un nombre d'erreurs ont été commises par les banques elles-mêmes, en particulier dans les activités de marché. Beaucoup de banques ont commercialisé des produits de type CDO (Collateralized Debt Obligations, obligations adossées à des dettes) ou CLO (Collateralized Loan Obligations, obligations adossées à des prêts), sans mesurer pleinement les risques qu'elles encouraient, ou faisaient courir à ceux à qui elles vendaient ces produits, en cas de rupture brutale des conditions de marché. La course à la rentabilité les a incitées à tenter d'atteindre par tous les moyens au moins 15 % de taux de rendement des capitaux. De nombreux excès ont été commis en matière de bonus. Le Herald Tribune citait, il y a quelques jours, le cas d'un trader qui avait perçu en 2007 une rémunération fixe de 350 000 euros, et une rémunération variable 100 fois plus importante, soit 35 millions d'euros. Nous sommes confrontés à un problème d'éthique que nous aurions tort de sous-estimer. Ce problème a été soulevé dès le début de la révolution industrielle, par le père de l'économie politique, Adam Smith, auteur de La Richesse des nations mais également de la Théorie des sentiments moraux. Toute l'histoire de la pensée économique est traversée par cette idée que l'échange économique ne peut reposer que sur la confiance et que cette confiance se construit par le respect de certaines règles de comportement. Sans doute faudrait-il enseigner à nouveau ce genre de chose dans nos écoles de management. Cependant, réduire cette crise à un problème moral, qui est réel mais ne date pas d'hier, serait passer à côté de l'essentiel. ## Un phénomène systémique Plus fondamentalement, nous assistons à un phénomène cyclique comme le système bancaire en a connus tout au long du XIXe et du XXe siècle, mais d'une telle violence que les forces de rappel classiques ne jouent plus. Nous sommes dans une crise systémique. L'ensemble des médias a tendance à traiter les banques comme des boucs émissaires, mais même si elles ont naturellement joué un rôle dans ce phénomène, on peut penser qu'elles ont été entraînées par une mécanique d'ensemble beaucoup plus qu'elles n'en ont été le moteur. Cette mécanique se caractérise par quatre grands facteurs qui se sont renforcés mutuellement. ### La volatilité de la politique monétaire Le premier est l'extraordinaire volatilité de la politique monétaire américaine depuis une quinzaine d'années. Entre 1998 et 2000, la Banque fédérale de réserve a fait monter les taux d'intérêt à 6,5 %. En 2004, ils étaient redescendus à 1 %. À la fin de 2007, ils étaient remontés à 5,25 %, avant de redescendre aujourd'hui à 0 %. Certes, pendant toute cette période, on n'a pas observé d'inflation : la croissance s'est poursuivie en dépit du choc du Nasdaq, des attentats du 11 septembre ou de la crise asiatique. Mais si l'inflation a été contenue, en particulier par la concurrence internationale et par la pression sur les prix liée à la mondialisation, les taux d'intérêt très bas imposés par la Banque fédérale pendant quatre ans n'en ont pas moins alimenté une formidable bulle spéculative et ont créé une situation artificielle sur le marché immobilier comme sur le marché des actions. ### Le déséquilibre de la balance des paiements Le second phénomène, corollaire du premier, est le spectaculaire déséquilibre de la balance des paiements américaine, provoqué par la politique monétaire mais aussi par la reconstitution d'une pseudo-zone dollar à travers le monde, notamment avec les pays asiatiques. Jamais ce déséquilibre n'avait atteint de telles proportions. Il a naturellement gonflé le volume des liquidités dans le monde et a énormément contribué à la déstabilisation de l'économie. ### La titrisation des crédits Cette très grande aisance monétaire a été encore accentuée par les effets de levier mis en place sur les marchés financiers. À l'époque où les taux d'intérêts étaient très bas, il fallait en effet doper les rendements. De leur côté, les banques se sont lancées dans une politique de crédit à taux très bas sur de longues périodes, et ont parallèlement mis d'énormes volumes de crédits sur le marché sous la forme de produits extrêmement complexes et dangereux de type CDO ou CLO, qui ont encore augmenté le volume d'actifs. ### L'insuffisance de la régulation Le quatrième facteur a été l'insuffisance ou même l'absence de régulation du système financier aux États-Unis. Des organismes de crédits hypothécaires ont été incités par les pouvoirs publics à prêter à des ménages à peine solvables, à la grande satisfaction de ces derniers qui voyaient la valeur de leur acquisition augmenter continuellement du fait de la faiblesse des taux d'intérêt. Certains demandaient même le remboursement de leur première hypothèque pour en contracter une seconde sur un montant encore plus important. ## La fin de la confiance Cette absence de régulation a conduit à la crise des subprimes, qui a joué le rôle de détonateur d'une crise financière générale : la prise de conscience que de très nombreux crédits avaient été accordés à des ménages insolvables a ébranlé la confiance. Bien avant la faillite de Lehman Brothers en 2008, s'est produit en août 2007 un événement dont la portée devait être énorme et qui a été sous-estimé : les banques ont soudain cessé de s'accorder des prêts les unes aux autres sur le marché interbancaire. Chacune, découvrant la proportion de produits toxiques présents dans son bilan, a compris qu'il en allait probablement de même chez ses concurrentes, et la confiance a disparu ; elle n'est toujours pas complètement revenue à l'heure actuelle. La crise financière a naturellement débouché sur une crise de l'économie réelle : Patrick Pélata nous a présenté un sombre tableau de l'industrie automobile et nous vivons dans la hantise d'une déflation comme celle qui a sévi en 1929. ## Les remèdes à court terme Pour faire face à cette crise, il existe quatre remèdes à court terme ; seul le quatrième concerne directement les banques. ### Lutter contre la déflation Il faut tout d'abord alimenter l'économie en liquidités. Compte tenu du risque systémique qu'entraînerait la faillite du système bancaire, les banques centrales doivent alimenter le marché monétaire et abaisser les taux d'intérêt, et les États doivent apporter leur garantie au système. Mais faut-il pour autant abaisser les taux d'intérêt jusqu'à zéro ? Je n'en suis pas convaincu. Le président de la Réserve fédérale des États-Unis, Ben Bernanke, qui est un universitaire et a beaucoup étudié la crise de 1929, a mesuré la responsabilité des autorités monétaires américaines de l'époque dans l'aggravation de cette crise : en refusant d'alimenter suffisamment les banques en liquidités, elles avaient provoqué des faillites en chaîne, ce qui avait comprimé la quantité de monnaie disponible. Ben Bernanke vit dans cette obsession. Il en exposait déjà les risques lors d'un discours qu'il a prononcé en 2004 et qui est resté célèbre ; c'est la raison pour laquelle la Banque fédérale a tant tardé à ramener les taux d'intérêt à des niveaux raisonnables. ### Relancer l'économie Il faut également élaborer des plans de relance budgétaires, tout en restant vigilant sur le risque souverain : si des pays comme la Grèce, l'Irlande ou le Royaume-Uni commencent à avoir du mal à emprunter, nous risquons de nous retrouver dans une impasse vraiment dramatique. ### Résister à la tentation protectionniste La troisième réponse est la lutte contre la tentation protectionniste. La crise de 1929 a connu un tournant dramatique lorsque les Américains ont érigé des barrières douanières : les autres pays ont répondu par des mesures de rétorsion, ce qui a contracté le commerce mondial et s'est avéré dévastateur pour la croissance et pour l'emploi. Aujourd'hui, j'observe deux indices inquiétants à cet égard. Dans son communiqué de novembre, le G20 s'était engagé àreprendre le cycle de Doha avant la fin de l'année, ce qu'il n'a pas fait. Par ailleurs, l'aide massive accordée par l'État américain à son industrie est un signal donné aux Européens pour en faire autant, ce qui constitue la première étape du protectionnisme. ### Isoler les actifs toxiques Mais la mesure la plus importante de toutes consiste à contraindre les banques à "nettoyer" leur bilan, seule solution pour rétablir la confiance. Pour y parvenir, ni le plan Paulson, ni le plan de Gordon Brown ne me paraissent pleinement appropriés. Il faudra sans doute revenir aux bonnes vieilles méthodes, que nous avons utilisées par exemple en 1993 : créer des structures de défaisance pour isoler les actifs toxiques des banques les plus touchées. Les banques allemandes ont évalué le volume de leurs actifs toxiques à 800 milliards d'euros, ce qui donne une idée de la gravité du problème et de l'effort à consentir. Les structures de défaisance sont très coûteuses et nécessiteront l'intervention de la puissance publique, qui en retour devrait avoir son mot à dire sur les modalités du redressement des banques. Cette tâche est très impopulaire et c'est la raison pour laquelle tout le monde hésite à l'entreprendre, mais le retour de la confiance est à ce prix. ## Les chantiers à plus long terme Il existe aussi des réponses à plus long terme, comme la réforme des agences de notation, où l'on a découvert d'inquiétants conflits d'intérêts ; la création d'une instance de supervision, pour les banques qui exercent des activités dans divers pays ; une meilleure régulation des banques avec, par exemple, la création d'un nouveau ratio leur imposant de disposer de fonds propres plus importants. La plupart de ces chantiers sont déjà ouverts, avec des degrés d'avancement inégaux. ## Conclusion La crise que nous connaissons est à la hauteur de la période de très grande et belle croissance que nous avons connue ces dernières années. Les volumes de liquidités dont nous disposons devraient nous permettre de la surmonter assez rapidement : je ne suis pas pessimiste à cet égard, sauf si une montée brutale du protectionnisme devait retarder le processus. Je suis plus inquiet sur la façon dont nous gèrerons la phase d'inflation qui ne manquera pas d'intervenir à la sortie de la crise, au moment où l'on prendra conscience que le volume de liquidités est trop important. Il faudra alors faire remonter les taux d'intérêt, et de nouvelles perturbations, peut-être encore plus graves, seront alors à redouter.
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école de paris
2009-01-26
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[ "michel rouger", "patrick pélata", "edmond alphandéry" ]
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DÉBAT
# DÉBAT ## Le pouvoir de dire non - Un intervenant L'exposé de Patrick Pélata a montré à quel point l'industrie automobile avait besoin du soutien de l'État et des banques, mais les exemples qu'il a cités en finissant valorisaient surtout leur pouvoir de dire non. N'y a-t-il pas là un paradoxe ? - Patrick Pélata Si nous ne trouvons pas auprès des banques ou des marchés financiers l'argent dont nous avons besoin pour faire tourner l'entreprise, il ne nous reste d'autre choix que de cesser notre activité ou de demander de l'aide aux pouvoirs publics, ce que nous sommes en train de faire. Mais si tous les gouvernements apportent leur aide en même temps à tous les constructeurs, la nécessaire transformation de cette industrie risque de ne pas s'opérer. Nous nous trouvons dans une situation un peu particulière où nous devons à la fois obtenir ces financements publics et ne pas reculer devant les changements qui nous permettront de sortir réellement de la crise. Nous estimons que la filière française est relativement bien armée pour effectuer cette transition, car nous avons pris une certaine avance sur la réduction des émissions de CO2 et aussi sur la conception de nouveaux circuits de distribution. ## Le rôle de l'Europe - Un intervenant L'Europe peut-elle inciter ses membres à résister à la tentation protectionniste ? - Michel Rouger Parmi les principaux pays européens, le Royaume-Uni est au bord de la faillite ; l'Allemagne se tourne de plus en plus vers l'Est car elle songe à ses futurs clients ; et la France ne va pas trop mal mais ne peut pas faire grand-chose seule. - Patrick Pélata Sans l'euro, la catastrophe aurait été multipliée par dix. La livre sterling ayant perdu 30 à 40 % de sa valeur, les industriels britanniques qui enregistraient des profits de 3 à 4 % n'ont plus qu'une chose à faire : cesser toute activité et attendre que les prix remontent. Le fait d'avoir une monnaie commune nous oblige à nous comparer sans cesse et à nous fédérer. Les constructeurs européens sont par exemple en train de se concerter pour demander à leurs gouvernements des mesures communes. De son côté, la Banque européenne d'investissement s'apprête à intervenir sur l'ensemble de la filière automobile européenne, à hauteur de 4 à 5 milliards d'euros, sous la forme de prêts bonifiés à 4,5 % destinés à financer les investissements en faveur de la réduction des émissions de CO2, ce qui permettra de consolider l'avance européenne dans ce domaine. L'Europe est un atout majeur pour traverser cette crise. - Edmond Alphandéry La Banque centrale européenne a joué un rôle très positif dans la réponse à la crise, et l'euro a effectivement démontré sa solidité. Il appartiendra également à l'Europe, qui siège à l'OMC (Organisation mondiale du commerce), de s'opposer à ce que certains pays prennent unilatéralement des mesures protectionnistes. ## Emprunter ou recapitaliser ? - Un intervenant On ne peut que frémir en entendant Patrick Pélata évoquer des taux d'emprunts à 15 ou 16 %. Pourquoi ne pas recapitaliser les entreprises plutôt que leur accorder des prêts ? Il vaut beaucoup mieux distribuer des dividendes que payer des intérêts. - Patrick Pélata De même que le corps humain meurt d'un arrêt cardiaque, l'entreprise meurt d'un manque de cash. Pour survivre, elle doit donc se procurer des liquidités à n'importe quel prix et sous n'importe quelle forme, emprunts, obligations, etc. Si la situation se prolonge, il faut trouver d'autres solutions. Mais on ne peut pas envisager une augmentation de capital simplement pour payer des dettes : une augmentation de capital ne peut réussir que quand on dispose d'un projet stratégique solide. Nous n'en sommes pas encore là aujourd'hui, et nous devons tenir jusqu'au moment où nous pourrons mettre en place un tel projet. ## La faute des banquiers - Un intervenant Je suis choqué de voir comment l'on prend la défense des banquiers. Ils ont rendu solvables des gens qui ne l'étaient pas et ils ont revendu des dettes au lieu d'assumer les risques qu'ils avaient pris. En d'autres termes, ils ont trahi leur métier, et ils appellent aujourd'hui le contribuable au secours. Il ne s'agit pas de désigner des boucs émissaires, mais d'admettre que ceux qui ont commis des fautes doivent être sanctionnés. - Edmond Alphandéry Je suis d'accord avec vous, et un certain nombre de mesures vont d'ailleurs être prises pour corriger les abus. On estime par exemple que les bonus devraient être calculés non seulement sur les résultats d'une année, mais sur ceux des années suivantes. Cela dit, il serait vain de penser qu'il suffirait de punir les banquiers pour résoudre le problème. Il vaut mieux les aider à mettre en place un système qui fonctionnera convenablement. - Michel Rouger En 1992, les difficultés rencontrées par le Crédit Lyonnais risquaient de provoquer 40 000 suppressions d'emplois dans des entreprises où cette banque détenait des participations. Pour nous, sacrifier ces 40 000 emplois était totalement exclu, quelle qu'ait été la responsabilité du Crédit Lyonnais. Comme je le disais à l'époque : « Ma mission consiste à sauver des actifs, pas à condamner des fautifs. » La sanction relève de la justice pénale. On cherche des débiteurs solvables - Un intervenant Les banques françaises ne vont pas si mal qu'on le dit, même si Dexia et Natixis ont eu quelques ennuis. Je suis un peu choqué de voir le gouvernement français offrir des fonds aux banques et leur demander d'accorder plus de crédits à leurs clients. Le président Rouger sait comment le tribunal de commerce réagit lorsque les banques accordent des crédits abusifs. Le système bancaire français ne manque pas de fonds propres : il manque de clients solvables. C'est la raison pour laquelle le Crédit Agricole vient de refuser un nouveau prêt que l'État voulait lui accorder. ## La dette américaine - Patrick Pélata Ne peut-on considérer que la cause majeure de la crise est la dérive inouïe de la dette américaine ? Quand on additionne les dettes de l'État fédéral, du système de santé, des collectivités locales, des ménages, des entreprises et des banques, on obtient 8 fois le PNB (Produit national brut) des États-Unis. Ce pays a construit toute sa croissance sur l'argent des autres : comment pourra-t-il rétablir l'équilibre ? Je crains que cette crise ne dure longtemps, car le réservoir des dettes à vider avant que le marché américain puisse recommencer à consommer est énorme. - Michel Rouger Ce chiffre me paraît un peu surévalué ; parler de 3 à 4 années de PNB serait sans doute plus proche de la réalité. - Edmond Alphandéry L'état de l'économie américaine est à l'évidence déterminant pour l'avenir de l'économie mondiale. Je ne suis pas certain que le plan de relance très ambitieux de Barack Obama aille dans le bon sens : il risque d'aggraver encore les déséquilibres qui sont à l'origine des difficultés actuelles. Selon un expert de la Banque des règlements internationaux, il vaudrait mieux que ce soient les pays qui disposent de surplus, comme le Japon, la Chine ou l'Allemagne, qui tentent de relancer l'économie. ## Le rôle des pays émergents - Un intervenant Les besoins de financement des États-Unis sont considérables, sans parler de ceux des autres pays. Qui d'autre que la Chine pourrait faire face à une telle demande ? - Un intervenant Henry Kissinger a récemment déclaré qu'un nouveau Bretton Woods serait souhaitable, avec le dollar pour monnaie de référence, et en donnant la priorité aux relations entre les États-Unis et la Chine afin de permettre de refinancer le système américain. À aucun moment, il n'a évoqué l'Europe, ni l'euro. Comment parer le risque de voir le monde gouverné par un G2 ? - Patrick Pélata Le PIB de la Chine équivaut à celui de la France et représente un dixième du PIB des États-Unis et de l'Europe réunis. De plus, ce PIB correspond essentiellement à des exportations, car la consommation intérieure reste très faible. C'est une illusion de croire que la Chine pourrait nous sortir de nos difficultés actuelles. - Edmond Alphandéry Les pays émergents sont eux aussi emportés par la tourmente actuelle, mais à moyen et long terme, il est évident que ce sont eux qui offriront le plus grand potentiel de développement. Si nous sortons de la crise actuelle, ce sera donc probablement grâce à la Chine, mais aussi à l'Inde, au Brésil et peut-être même à la Russie. ## L'impact sur les finances publiques - Un intervenant À supposer que la Chine ou tout autre pays puisse répondre aux besoins financiers des États-Unis et des autres pays emprunteurs, quel sera l'impact sur leurs finances publiques ? - Edmond Alphandéry Une phase de forte inflation est sans doute inévitable. Le pays qui épargne le plus actuellement est la Chine ; le Japon épargne un peu moins qu'autrefois, de même que les pays producteurs de pétrole, dont la rente commence à s'épuiser. Ce sont ces pays qui, jusqu'ici, ont financé le déficit américain. Pour sortir de la crise, il faudrait qu'ils se mettent à consommer, mais s'ils le font, leur épargne risque de manquer au moment où nous en aurons le plus besoin. Les plans de relance actuels représentent des engagements énormes, qui vont s'ajouter aux engagements antérieurs, notamment sur les retraites, et accroître de façon démesurée l'emprunt public. L'expérience prouve que le seul moyen connu d'effacer ce genre de dettes est l'inflation. - Un intervenant Pourrait-il se faire qu'un jour, les États-Unis ne trouvent plus à emprunter ? - Edmond Alphandéry Nous serions alors dans la catastrophe absolue. Mais personne n'a intérêt à voir l'économie américaine s'effondrer, car elle constitue le pilier du système capitaliste. D'ailleurs, l'un des paradoxes actuels est que plus l'économie américaine s'endette, plus elle attire des capitaux. Les gens ne savent plus où placer leur argent ; ils se sont détournés de la Bourse et de l'immobilier et se précipitent vers ce qui leur apparaît le plus sûr : les bons du Trésor américain, dont les taux d'intérêt n'ont jamais été aussi bas depuis dix ans, et qui se vendent pourtant comme des petits pains. - Un intervenant L'incendie actuel est très grave et on a raison de déverser des trombes d'eau pour l'éteindre, mais il faudra ensuite éponger, et l'eau provoque parfois autant ou davantage de dégâts que le feu... ## Les bons élèves - Un intervenant À force de vouloir sauver les mauvais élèves, on risque de fragiliser les bons, car les institutions qui se sont bien comportées ne reçoivent pas les mêmes aides que celles qui ont fauté. Cela ne pose-t-il pas un problème de respect de la concurrence ? - Edmond Alphandéry Il est évident que la garantie généralisée que les États ont décidé d'apporter aux banques pose un grave problème. Actuellement, plus aucune banque ne peut faire faillite ! Il faudra sortir de cette situation au plus vite, car elle est en effet contraire au principe de la concurrence. - Patrick Pélata Nous avons l'espoir que des pays déjà très endettés ne pourront pas soutenir indéfiniment l'ensemble de leur industrie, et qu'une régulation économique va se mettre en place. Ceci nous oblige en retour à nous assurer de faire partie des bons élèves ! Lors de la Grande dépression, on a observé trois grands pics de défaillances d'entreprises. Celles qui n'étaient pas en bonne santé ont chuté dès 1930\. Celles qui ne s'étaient pas préparées à une crise longue n'ont pas survécu à 1932. Mais le pic le plus important s'est produit en 1935, c'est-à-dire au moment de la reprise : certaines sociétés ont manqué de trésorerie, d'autres n'ont pas su s'adapter aux nouveaux besoins des consommateurs. Nous devons garder à l'esprit cette leçon de l'histoire. ## Présentation des orateurs : Edmond Alphandéry : est président de CNP Assurances depuis 1998 ; entre 1993 et 1995, il a été ministre de l'Économie dans le gouvernement d'Édouard Balladur ; il est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et agrégé d'économie politique ; il est membre des conseils d'administration de CALYON, GDF SUEZ, ICADE ; il est également président du Centre des professions financières et vice-président de la section française de la Commission Trilatérale. Patrick Pélata : diplômé de l'École polytechnique et de l'École nationale des Ponts et Chaussées, est titulaire d'un doctorat en socioéconomie de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris ; il entre chez Renault en 1984 comme chef d'atelier à l'usine de Flins ; de 1985 à 1998, il occupe différentes positions à la Direction des études ; il devient directeur du développement de l'Ingénierie Véhicule en 1998 et entre au comité de direction Renault ; en 1999, il rejoint Nissan à Tokyo en tant que directeur général adjoint en charge du Plan, du Produit, du Design et des Programmes et membre du comité exécutif et du conseil d'administration de Nissan ; le 1er juillet 2005, il est nommé directeur général adjoint Plan, Produit, Programmes du groupe Renault et membre du comité exécutif Groupe ; le 13 octobre 2008, il est nommé directeur général délégué aux opérations de Renault. Michel Rouger : après une carrière dans le transport, il participe à la création et au développement de la Banque Sofinco (1956-1984), comme directeur de l'exploitation et des risques ; en 1985, il rejoint le groupe Suez ; juge au tribunal de commerce de Paris depuis 1980, il en devient président de 1992 à 1995 ; président du Consortium de réalisation (CDR) de 1995 à 1998, il entre comme conseiller auprès du président de la banque ABN AMRO, et développe ses activités d'arbitre (médiateur et d'administrateur indépendant) ; il est aussi en 1996 président des Entretiens de Saintes (justice et société), en 2002 président de l'Institut PRESAJE, membre du conseil de l'Association internationale de droit économique et en 2006, président du Conseil de modération et de prévention (santé/alcool).
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institut présaje
2002-09-01
0
[ "xavier lagarde", "agnès valentin", "florence richard" ]
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TRAVAIL ET VIE PROFESSIONNELLE
# TRAVAIL et VIE PROFESSIONNELLE La maison des avocats a accueilli le premier débat par lequel devaient s'ouvrir, dans l'esprit prospectif propre à la démarche PRESAJE, les perspectives du passage du droit du travail modèle XXème siècle vers le droit de la vie professionnelle modèle XXIème siècle ## Xavier LAGARDE, professeur agrégé de droit Xavier LAGARDE met en évidence l'état d'extrême complexité d'un système normatif qui reste construit sur le taylorisme et la subordination du faible au fort. Il rappelle que la base de ce droit repose sur le concept de temps fourni par le salarié à la subordination qu'il subit et que les innombrables contraintes, dérogations, exonérations, protections imposées par les réalités économiques ont encore plus compliqué le fonctionnement d'une mécanique légale qui connaît avec la loi sur les 35 heures le degré extrême de difficulté. La croissance, le développement des sociétés humaines, l'imagination et l'innovation qu'elles développent, trouvent leurs origines dans des structures économiques simples, souples, transformables, au sein desquelles les rapports professionnels ne reposent plus sur le triptyque salariat, hiérarchie, subordination, mais sur celui de créativité, coopération, rémunération qui pousse à l'éclatement des structures hyper-centralisées. ## Agnès VALENTIN, directeur adjoint des ressources, humaines de Sofinco forte de son expérience de terrain, Agnès VALENTIN confirme à quel point il est indispensable de réviser les concepts de notre droit. Elle met en évidence les obligations d'équilibre et d'arbitrages permanents qui pèsent sur la gestion des rapports professionnels. L'entreprise doit, impérativement, conserver son efficacité commerciale, sa rentabilité financière, la productivité de son exploitation. Le maintien de son effectif en dépend. L'entreprise, ses dirigeants et ses cadres doivent comprendre les textes à appliquer, veiller à ce que cette compréhension soit partagée par les représentants du personnel et, surtout, agir en conformité avec ces textes auxquels la nature juridique associe de nombreuses sanctions pénales, ajoutant encore à leur complexité. Les comportements des acteurs dans les rapports professionnels multiformes, à la fois institutionnels et concurrentiels, voire antagonistes, doivent être traités avec un très haut degré de technicité, tant les conséquences de l'incompétence sont préjudiciables. ## Florence RICHARD, avocate au barreau de Paris L'adaptation c'est bien, la "révolution" c'est mieux, pense Florence RICHARD. La distinction entre salarié et non salarié s'estompe, surtout si l'on considère le salariat comme une garantie de revenus, la vie durant, dans des statuts protégés, dont il est évident que la communauté non protégée supportera de plus en plus mal le poids. L'aspiration au travail va se déplacer vers le désir d'indépendance dans l'exercice de l'activité et l'acceptation, soit par périodes, soit en permanence, d'une mixité entre la rémunération de type salarial et la rémunération de type "partage" liée à la créativité et à la coopération. Selon elle, trois objectifs devraient être visés dans un proche avenir : 1. retenir la notion de citoyen au travail, en général salarié, pas tout le temps, pas obligatoirement, et accepter que ce citoyen au travail soit libre de son temps de travail, dans la journée, dans la semaine, dans le mois, dans l'année, selon les différentes contraintes économiques des entreprises 2. retenir, pour conséquence évidente de cette évolution, une généralisation du contrat comme relation de base entre les parties intéressées, la loi fixant simplement le cadre de ce qui n'est pas licite au regard du respect des équilibres sociaux. 3. intégrer dans les rapports professionnels de nombreux éléments qui sont venus, dans la pratique, avec l'évolution des moeurs et des comportements en société, ajouter à la vie professionnelle des conditions nouvelles aux droits et devoirs qui ne se limitent pas à ceux du patron à l'égard de son employé, et vice-versa. ## conclusion \> ou bien le système normatif existant sera conservé, auquel cas des pans entiers de l'activité économique, émigreront vers des communautés étrangères, laissant sur place un chômage structurel et incompressible avec l'assistanat qu'il imposera. \> ou bien un nouveau système normatif, diversifié en fonction des activités économiques que la communauté nationale voudra conserver, sera mis en place, auquel cas un nouveau droit de la vie professionnelle, plus autonome et plus contractuel, verra le jour.
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institut présaje
2002-09-01
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[ "frank ceddaha", "charles beigbeder", "elisabeth lulin" ]
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L' ÉPARGNE ENTRE VIRTUALITÉ ET REALITÉ
# L' ÉPARGNE ENTRE VIRTUALITÉ et REALITÉ la seconde réunion PRESAJE du 19 juin, toujours à la maison des avocats, s'est intéressée à l'épargne, en visant dans le mille, alors que la tempête allait se lever avec l'ouragan des malversations et les typhons des surendettements. Nous voilà bien entre virtualité et pénible réalité, dans une confusion que nos trois animateurs nous ont aidés à dissiper, en orientant nos futurs travaux. ## Frank CEDDAHA, managing director de Abn Amro Bank Frank CEDDAHA a attiré l'attention sur l'extrême concentration des opérateurs intervenants dans le placement du "papier" qui constitue le support de l'épargne investie : une cinquantaine dans le monde. Cette situation comporte des risques évidents : effets d'imitation, de suivisme, toute puissance de la mode, phénomènes d'emballement, etc., hélas complétés depuis notre réunion par la révélation de pratiques carrément délictueuses, faites de copinage et de falsifications, qui font douter l'épargnant après l'avoir fait trembler. Abordant les pratiques des fonds indiciels ou alternatifs, il a expliqué comment leur gestion dynamique entraînait un accroissement brutal des variations constatées, en positif comme en négatif, variations résultant de comportements exacerbés par la domination d'une cohorte d'analystes aux conclusions parfois expéditives. ## Charles BEIGBEDER, fondateur de Self-Trade Créateur avec succès, au grand moment de la bulle spéculative, d'une société opératrice dans les transactions boursières en ligne, Charles BEIGBEDER nous a apporté l'expérience irremplaçable de celui qui a vécu les deux cotés du pic, à la montée et à la descente. En tirant trois leçons des dysfonctionnements constatés : 1. la qualité de l'investissement doit reposer sur une information équilibrée. Or la documentation reste filtrée par les analystes qui sont nécessairement vulnérables face à certaines manipulations de la communication chiffrée. En outre, les opérations des dirigeants sur leur propre capital, domaine opaque, sauf en Allemagne, renforcent cette asymétrie entre la documentation des actionnaires et celle des dirigeants. 2. les défaillances nées du compartimentage des marchés d'actions ont, parfois, gravement affecté les sécurités sur lesquelles les épargnants croyaient pouvoir compter, sans avoir une juste conscience de la différence de niveau de risque entre le premier, le second et le nouveau marché. Les sécurités à l'introduction n'ont pas toujours fonctionné. Tel le cas d'un serveur internet souscrit à l'excès par l'épargnant, en toute confiance en raison de sa cotation au premier marché et dont le retournement catastrophique a ruiné la totalité de son actionnariat. 3. les approximations hasardeuses ou totalement aventureuses des "business plans", totalement irréalistes, sont venus ajouter des pratiques qui conduisaient, comme on l'a déploré trop tard, à valoriser des pertes par des multiples qui n'auraient jamais été appliqués à des bénéfices. ## Elisabeth LULIN, Présidente de "Paradigmes" Le point de vue d'Elisabeth LULIN a eu le grand mérite d'ouvrir la perspective, une fois le décor et les acteurs présentés par ses prédécesseurs en reprenant le thème de l'inévitable ruée vers la régulation qui suit, en général, le rush vers la spéculation. Stigmatisant la culture française de la loi et du règlement, elle se réfère à la théorie du marteau selon laquelle tout possesseur de cet outil cherche un clou pour l'enfoncer. De même, tout détenteur de pouvoir rêve de s'en servir. Elle a rappelé à quel point le complexe politico-administratif de type français était lourdement équipé d'objets contondants, et souhaite qu'un effort de réflexion sur une régulation incitative et contractuelle soit engagé dans l'évolution du marché de l'épargne. Opposant le pragmatisme habituel des Anglo-Saxons au dogme de l'État omnipotent, elle a donné l'exemple d'un traitement paradoxal, pour un esprit administratif, celui du permis de conduire : considérant qu'à la fin, c'est le système d'assurance collectif et obligatoire qui supporte les conséquences des risques de la conduite automobile, ne serait-il pas logique que le permis de conduire, le type de garantie et le montant de la prime soient délivrés et fixés par l'opérateur en dernier ressort ? Réflexion naturellement transposable au marché de l'épargne. Ce détour par la gestion des situations paradoxales, qui sont souvent celles des épargnants, a ouvert de très larges perspectives, pour l'étude qui est mise en chantier, sur une activité humaine, l'épargne, qui est en train de connaître un gigantesque sinistre, sauf pour ceux qui avaient tricoté leur "bas de laine" avant la fin du siècle.
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institut présaje
2004-01-01
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[ "michel rouger" ]
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AUTORITÉ ET RESPONSABILITÉ
# Autorité et responsabilité *Il y a juste quarante ans, fin 1963, un ouvrage lançait un grand débat au sein des institutions de l'époque et de la sphère économique française, alors en croissance forte :* "*Pour une réforme de l'entreprise*"*.* *Les réflexions et les propositions avaient été inspirées par la grande "boîte à idées" de l'après guerre, le Club JeanMoulin au sein duquel se retrouvait le "gratin" des serviteurs de l'Etat, des dirigeants d'entreprise et des hommes de réflexion qui avaient la charge de reconstruire la France. François BlochLainé, président de la Caisse des dépôts, tenait la plume. Il en fit la synthèse.* *Une phrase résume la pensée de ces dirigeants qui remirent l'économie d'aplomb :* "*Les gouvernants se reconnaissent à la plénitude de leur responsabilité plus qu'à l'exercice de l'autorité*". *Depuis 1963, le temps de l'ardente obligation de la planification étatique de l'économie, celui où l'on faisait seul la loi chez soi, grâce à une justice soumise, est révolu. L'Etat et son administration ont pratiquement renoncé à leur rôle marchand. La contrainte du marché ouvert a remplacé celle des politiques nationales, la mondialisation financière a parachevé cette "libération" qui a quelquefois flirté avec l'anarchie économique.* *Aujourd'hui, force est de constater que, si la notion d'autorité s'est assez bien accommodée de cette évolution car elle appartient à la nature de l'homme, la notion de responsabilité, en revanche, a beaucoup souffert car elle fait appel à la volonté de l'homme, ce qui est moins évident.* *L'accumulation des catastrophes financières, les déroutes et les dommages qu'elles entraînent donnent le beau rôle aux sonneurs de tocsin, quitte à laisser enfler les soupçons et à traquer les délinquants, sans souci de la pédagogie à développer.* *Dès ses débuts, PRESAJE a tissé ce fil rouge, en demandant à tous les jeunes futurs dirigeants d'entreprise, magistrats, universitaires et avocats de remettre la responsabilité individuelle au coeur de leurs réflexions prospectives. Car l'esprit de responsabilité ne peut être exigé des seuls opérateurs économiques.* *La société dans son ensemble a gagné en liberté, le prix doit en être payé en responsabilité.*
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institut présaje
2004-01-01
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[ "christian de perthuis" ]
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QUEL AVENIR POUR LES MARCHÉS DE PERMIS D'ÉMISSION ?
# QUEL AVENIR POUR LES MARCHÉS DE PERMIS D'ÉMISSION ? la suite du retrait des Etats-Unis, la mise en oeuvre du protocole de Kyoto destiné à combattre le réchauffement climatique est désormais subordonnée à la ratification de la Russie. Forte de sa position d'arbitre, cette dernière envoie des messages contradictoires. L'un des points les plus novateurs du dispositif de Kyoto est la mise en place d'un système international d'échange de permis d'émission des gaz à effet de serre. Dans le scénario d'un "adieu à Kyoto", va-t-on dès lors renoncer à l'outil du marché des permis d'émission ? Ce nouvel instrument constitue une innovation dont l'intérêt est de concilier fixation d'objectifs environnementaux ambitieux et incitations économiques responsabilisant l'entreprise : pour les industriels, le prix du marché représente le coût marginal de la tonne évitée, ce qui permet aux entreprises les plus à même de réduire leurs émissions de valoriser leurs quotas en excès en les vendant à des firmes moins performantes. Les émissions de gaz à effet de serre ont toutes les chances d'avoir demain un prix fixé par le marché. L'Union européenne projette d'ouvrir le premier marché international des permis d'émission de carbone en janvier 2005, qui aura une couverture nettement plus large que ceux de Londres et de Copenhague. Du côté américain, l'opposition de l'Administration Bush au dispositif de Kyoto s'inscrit dans une hostilité plus large à l'égard du dispositif multilatéral de l'ONU. Reste que, sur le terrain, les Etats-Unis sont également en train d'organiser un marché des permis d'émission de gaz à effet de serre à Chicago, dont les promoteurs prévoient un élargissement ultérieur à l'international. Cette marche dispersée risque cependant de ne pas intégrer correctement les pays du Sud. Du fait de leur croissance accélérée, les économies émergentes pèsent de plus en plus dans les nouvelles émissions de gaz à effet de serre. Il y a donc urgence à trouver des incitations économiques pour freiner ces émissions. Par ailleurs, le dispositif des permis d'émission, à condition d'être correctement paramétré, permettrait de drainer des ressources supplémentaires vers les pays moins avancés. Cette "invention" du permis d'émission n'est-elle pas un bel exemple de judicieuse combinaison entre régulation et jeu du marché ? (1) *(1) pour plus de détails, cf. Ch. de Perthuis "La génération future a-t-elle un avenir ? ", aux Editions Belin.*
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institut présaje
2004-01-01
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[ "egizio valceschini", "sandrine blanchemanche" ]
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LES MARCHÉS DES PRODUITS ALIMENTAIRES EN QUESTION
# LES MARCHÉS DES PRODUITS ALIMENTAIRES EN QUESTION 'obésité est désormais bien installée en Europe. En retour, la "maladie de la vache folle" vient d'atteindre les Etats-Unis. De la dramatique affaire de l'huile frelatée en Espagne il y a quelques années à la controverse autour de la viande d'une chaîne de restaurants, l'alimentation et ses marchés soulèvent sans cesse de nouvelles questions. Le saumon offre les dernières en date. Risques et suspicions Les innovations agro-alimentaires entraînent la montée des suspicions. Au niveau de la production agricole, la sélection génétique et les techniques intensives de culture ou d\'élevage modifient la notion de produit naturel. Tout au long de la transformation, du conditionnement, de l\'emballage, des transports et de la distribution, s\'établit une distance, à la fois physique et symbolique, entre le "mangeur" et l\'origine des aliments. Le risque alimentaire est périodiquement rappelé à l\'opinion publique. Les "affaires" du "veau aux hormones", les alertes aux salmonelloses ou aux listérioses, en passant par l\'épidémie des " vaches folles", en témoignent. Elles confortent les consommateurs dans l\'idée que, si la probabilité du risque est faible, ses effets, eux, ne le sont pas. La méfiance des consommateurs ne porte pas uniquement sur le produit, elle concerne aussi les procédés de production. Le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) est ici exemplaire ; ils demandent plus d'information et de garantie de sécurité. Les préoccupations nutritionnistes transforment la notion de sécurité*.* Les maladies de civilisation (maladies cardio-vasculaires et cancers, obésité) rendent les consommateurs plus sensibles aux rapports entre santé et nutrition, entre forme physique et régime alimentaire. Les interrogations ne portent donc plus uniquement sur les risques de toxi-infections soudaines et rapides, mais également sur les effets nocifs à long terme. ## L'intervention publique : jusqu'où ? Les marchés alimentaires doivent satisfaire à deux impératifs. Le premier, lié à la fonction d\'alimentation, est la protection du "mangeur" ; l'exigence fondamentale en est la préservation de la santé. Le second renvoie à la fonction d\'échange et à l\'information ; l\'objectif en est la loyauté des transactions et le choix en toute connaissance de cause. Dans tous les cas, les individus doivent recourir à des garanties et à des repères. En effet, leurs sens ou leur capacité d'expertise sont insuffisants pour leur permettre de juger seuls, sans danger pour leur santé et sans risque d\'être trompé. Les autorités publiques ont alors un rôle majeur. La légitimité de l'intervention. Historiquement, les pouvoirs publics ont pris en charge la protection de la santé. Dans le domaine de l\'hygiène et de la sécurité, dans tous les pays industrialisés, leur rôle est aujourd\'hui considéré comme relevant légitimement de leur activité réglementaire et répressive. Le rôle de l'Etat consiste aussi à défendre les consommateurs contre les tromperies ou les fraudes éventuelles, et à les informer. L'objectif est la loyauté des transactions ; l'intervention publique s\'immisce alors davantage dans le domaine des échanges et de la concurrence. L'intervention de l'Etat a rencontré depuis une vingtaine d'années d'importantes limites. La méthode d'élaboration des réglementations a été mise en difficulté. Elle procède habituellement en détaillant in extenso les caractéristiques du produit, ses composants, les procédés de fabrication, les technologies\... jusqu\'aux méthodes d\'analyse et de contrôle. Avec la complexité croissante des problèmes de sécurité et l'élargissement du champ de la santé, jusqu\'où l\'État doit-il réglementer et contrôler, pour sauvegarder la santé publique et garantir à l\'acheteur la véracité des allégations commerciales et publicitaires ? Le principe de l'intervention lui-même a été contesté au nom du libre-échange et du démantèlement des barrières non-tarifaires, d'abord dans le cadre de la construction du marché unique européen puis des négociations internationales au sein de l'OMC ou du Codex Alimentarius. Parmi les principales barrières non-tarifaires figurent en effet les réglementations techniques et les réglementations de vente, ou encore les réglementations restrictives sous couvert de santé, de qualité, d'information, d'environnement et d'éthique. ## Plus de partenariat, moins de police La normalisation, substitut de la réglementation ? Les instances européennes marquent un recul par rapport au rôle classique de l\'État pour favoriser la confiance basée sur le professionnalisme technique. Elles renvoient aux professionnels la résolution de problèmes jusque-là assumés par les pouvoirs publics. L'idée est que leur potentiel technologique, leur proximité avec les consommateurs et leur capacité d\'auto-organisation devraient permettre, plus efficacement que l\'intervention publique, de définir certaines règles communes, y compris au niveau international. Les entreprises sont incitées à accroître leur crédibilité et à engager leur responsabilité juridique. La norme a ceci de particulier qu\'elle produit de la confiance, non pas à partir d\'une procédure coercitive, mais à partir d\'une concertation entre acteurs économiques. Pour acquérir leur légitimité, les normes doivent avoir une validité garantie par un organisme indépendant ; les organismes de certification sont censés remplir ce rôle. Aux fonctions traditionnelles d\'inspection et de répression de l'Etat s'ajoute désormais un rôle de conseil, d\'évaluation et de validation des divers référentiels élaborés par les professionnels eux-mêmes. Une telle démarche ne conduit pas nécessairement les pouvoirs publics à renoncer à l\'exercice de leur responsabilité. Plus de partenariat, moins de police : tel pourrait être l'objectif. Encore faut-il que l'impératif de responsabilité ne soit pas dilué. Tel doit-être le fil conducteur de la réflexion entamée par le groupe de travail que vient de lancer Présaje.
223
institut présaje
2004-01-01
3
[ "jean-luc girot" ]
323
DU COURRIEL AU "POURRIEL"
# DU COURRIEL AU "POURRIEL" Chaque jour, nous nous échangeons à travers le monde trente milliards de courriels. Mais depuis quelque temps déjà, notre nouveau média de communication s'est trouvé très fortement perturbé à cause du "courrier électronique non sollicité" ou SPAM. Les messages non sollicités sont, en général, envoyés par des entreprises peu scrupuleuses à leurs correspondants à des fins commerciales. Pour atteindre cet objectif, les "spammeurs" se procurent les adresses par tous les moyens. Au cours de l'année 2003, les messages de ce type ont représenté environ 25% des messages. C'est déjà près de 15% de plus qu'en 2002, et plusieurs éditeurs de solutions anti-spam s'accordent à dire que nous atteindrons 50% très rapidement, avec, de surcroît, une majorité de messages à caractère pornographique ! Si le volume de "pourriel" venait à dépasser celui du courrier légitime, l'usage des messageries électroniques deviendrait tout simplement impossible. Faut-il développer des filtres anti-spam ? Ces mécanismes, qui s'adaptent sur les boîtes à lettres électroniques ou sur les serveurs de messageries, analysent la provenance des messages et tentent de filtrer les messages non sollicités, grâce à des listes d'émetteurs ou à des mots-clefs. Mais les émetteurs de messages usent de techniques toujours plus sophistiquées afin de les contourner. Autre solution : légiférer et poursuivre les contrevenants. Le projet de loi sur la "confiance dans l'économie numérique", récemment adopté par l'Assemblée Nationale, annonce-t-il une remise en ordre ? Il faut savoir que les "spammeurs" sont souvent étrangers et donc, de ce fait, très difficiles à poursuivre et à condamner. Voilà une problèmatique où la justice doit s'allier à la technologie pour construire une barrière efficace à la prolifération d'une pratique irrégulière, qui pourrait bien transformer l'une des plus belles inventions du XXème siècle en nuisance insupportable. Nous n'avons pas à nous colleter avec un problème relevant seulement du droit ou seulement de l'économie ; il relève des deux à la fois. C'est un sujet typiquement "présajien".
224
institut présaje
2003-10-01
0
[ "michel rouger" ]
331
DÉLOCALISATIONS
# Délocalisations *Il y a vingt ans, les choses étaient claires.* *Toutes les décisions gouvernementales concernant l'économie étaient prises à Paris, dans le triangle géographique du pouvoir exécutif, rue St Honoré (l'Elysée), rue de Varenne (Matignon), rue de Rivoli (les finances).* *Toutes les décisions concernant le Droit étaient prises dans le triangle du pouvoir législatif et réglementaire, le Palais Royal (Conseil d'Etat et Conseil constitutionnel), la rue de l'Université (Assemblée nationale), la rue de Vaugirard (le Sénat).* *Toutes les décisions construisant la jurisprudence étaient prises dans le coeur de l'Ile de la cité (Cour de cassation). En langage courant, le Français, comme le charbonnier, était maître chez lui.* *Aujourd'hui, les choses sont aussi claires, mais plus difficiles à admettre car les décisions sont très largement délocalisées. On le découvre un peu tard.* *En matière financière, les décisions sont mondiales, éclatées, dispersées, mais largement interdépendantes, dans une figure géométrique aux lignes floues, qui passent par Tokyo, Londres, Berlin, Pékin, Ryad, avec un seul point fixe, New York.* *Les décisions concernant le Droit et le règlement sont continentales, surtout depuis que l'Union européenne s'est développée en intégrant vingt cinq pays, et résultent d'équilibres complexes qui font craindre que ce qui est consensuel n'est pas toujours sensé.* *Les décisions judiciaires, de loin les plus difficiles, surtout quand elles doivent résoudre le casse-tête des faillites ou des plans sociaux, restent très isolément nationales.* *Le mois de septembre nous a apporté, avec Alstom, l'illustration des conséquences de l'éclatement, de la délocalisation, des éléments structurant les décisions à prendre.* *Le système de poids et mesures uniques a vécu, et chaque cas litigieux fait l'objet d'une analyse ad hoc, fondée sur un cocktail de critères plus ou moins rigoureux.* *Plus que jamais, il faut que ceux qui ont la vocation de servir l'Economie, le Droit et la Justice apprennent à se comprendre, à réfléchir ensemble sur l'avenir. L'idée d'une marche arrière est évidemment sans issue. Ce qu'il faut aujourd'hui, après avoir ouvert les frontières, c'est ouvrir les esprits.*
225
institut présaje
2003-10-01
1
[ "thomas cassuto" ]
751
LA LOI, LE JUGE ET LE MÉDECIN
# LA LOI, LE JUGE ET LE MÉDECIN Longtemps, l'univers du droit et celui de la médecine ont eu des rapports limités, la médecine constituant néanmoins un auxiliaire indispensable de la justice. Peu à peu, les techniques ont évolué, le public est mieux formé et plus attentif, plus exigeant : les cadres de la responsabilité médicale se sont considérablement élargis. Progressivement, l'obligation de moyens énoncée en 1936 par la Cour de Cassation s'est transformée en obligation de sécurité de résultats. Les exigences qui l'accompagnent, reflets de l'évolution d'une société et des progrès qui l'animent, constituent des contraintes supplémentaires pour les activités de recherche. Beaucoup de scientifiques et de praticiens considérant cette charge comme "exorbitante", on a admis, dans certains cas, de la reporter sur la solidarité nationale. Mais dans une société où l'économie de la santé publique est perturbée dans ses grands équilibres, le choix du recours à la solidarité nationale constitue un défi majeur pour la pérennité du système. Tout repose sur le pari que l'on fait de l'augmentation de l'efficience de ces soins et de la mise en oeuvre d'une responsabilité professionnelle. En regard, le recours au droit offre plus de sécurité s'il sait offrir un cadre fort, lisible et protecteur des différents acteurs (usagers, praticiens, assureurs, collectivité, etc.) dans la perspective éventuelle d'une résolution judiciaire des conflits. Comme médiateur du règlement des conflits par l'interprétation de la loi et l'énoncé du droit, le juge doit respecter les grands équilibres qui lui servent de base afin de prévenir les maux modernes qui guettent les activités de santé: les excès de juridicisation, de judiciarisation et de pénalisation, sans pour autant ignorer les enjeux casuels. ## Le fil de la vie Dans l'exercice périlleux de la préservation du fil de la vie, la mise à l'écart de toute erreur, qu'elle se manifeste par un défaut de vigilance dans l'action ou par l'ignorance injustifiable, constitue une priorité. Un dilemme survient lorsqu'on constate que nombre d'erreurs commises, constatées et analysées sont à l'origine de spectaculaires avancées scientifiques. Là, c'est l'éthique de la démarche qui fonde juridiquement la sanction des résultats. L'évolution des mécanismes de réparation dans le domaine de la santé n'est pas singulière. Bien au contraire, symbole d'une recherche permanente de cohérence par le droit, elle semble suivre les grandes étapes : sanction pénale, puis civile au travers de l'approche contractuelle ou quasi délictuelle des rapports entre les parties. Aujourd'hui émerge un large accord sur l'idée d'un principe légalisé d'indemnisation qui tend à présumer une responsabilité sans pour autant la désigner. L'assurance joue alors le rôle de filtre et de régulateur. Mais les enjeux humains et économiques sont tels que le fossé entre la médecine et la justice reste difficile à combler. L'intervention du législateur par la loi du 10 juillet 2000 modifiant le régime de la responsabilité pénale non intentionnelle, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, et la loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale illustrent les zones de tension et les difficultés à établir un mode équilibré de règlement des difficultés. Cette rupture entre deux activités qui partagent pourtant une culture humaniste appelle des remèdes fondés principalement sur un meilleur partage du savoir entre les institutions. Il est à craindre que la réactivité et l'émiettement législatifs finissent par entamer la cohérence et la sagesse d'un corpus juridique. La confiance dans le juge doit également s'exprimer au travers de l'acceptation de la capacité de faire progresser une société par le biais de l'évolution de la jurisprudence. Ces risques ont un coût pour la collectivité. Nul doute qu'un excès de judiciarisation des activités médicales est de nature à affecter l'accessibilité et l'efficience des soins. Nul doute également que le corps social tolère de moins en moins le défaut de prise en compte de la souffrance de chacun. L'apaisement dont notre société aurait besoin nécessite un effort commun. Ainsi que le soulignait le procureur général près la Cour de Cassation le 10 mars 2003 : "La justice n'est pas là pour entraver les initiatives curatives du médecin. Pour peu que celui-ci sache communiquer à son patient le sens de ses décisions et de ses actes, \[\...\] une part importante du contentieux médical disparaîtrait et avec lui le climat de méfiance créé, au sein de la profession, par des décisions judiciaires où l'esprit de compassion l'emporte sur l'éthique de responsabilité". La réponse juridique et économique aux "défis du vivant" ne peut se contenter d'une lecture purement arithmétique.
226
institut présaje
2003-10-01
2
[ "thomas paris" ]
699
LA CRISE DE L'INDUSTRIE DU DISQUE
# LA CRISE DE L'INDUSTRIE DU DISQUE L'économie de la musique connaît la plus grave crise de son histoire. Les ventes de CD ont baissé de 30 % en trois ans aux Etats-Unis et l'on évalue à 500 millions le nombre de fichiers musicaux téléchargés "illégalement" chaque mois dans le monde. L'industrie du disque est en train de ployer sous les coups répétés de la piraterie, c'est-à-dire de la consommation, de la diffusion et de l'échange de musique par internet. Problème judiciaire, car il s'agirait de faire respecter les règles en vigueur ? Problème juridique, dans la mesure où se pose la question de la qualification des actes incriminés, et de la responsabilité des différents intervenants ? Ou problème économique, puisque c'est toute l'économie de la musique qui serait mise à mal ? Les trois à la fois ! La crise que l'on observe aujourd'hui est un processus de reconstruction entre les technologies, les usages, les règles de droit et les stratégies des acteurs économiques. L'imbrication de ces quatre dimensions dans cette crise est un fait essentiel, souvent ignoré. D'un côté, dans le camp des consommateurs, de nombreuses voix s'élèvent pour défendre le "libre" en arguant que les maisons de disques n'ont pas su anticiper les effets du développement de l'internet mais qu'elles finiront par s'adapter à la gratuité, comme l'ont fait avant elles les majors du cinéma face à l'explosion de la vidéo. De l'autre, le camp de la propriété intellectuelle, emmené par les fournisseurs de contenus, défend le système en place en recourant à des parades techniques et en cherchant à obtenir des jurisprudences favorables. Quotidiennement, le combat se joue devant les tribunaux. Un jour, ils donnent raison aux maisons de disques, le lendemain, ils se rangent derrière les arguments des consommateurs ou des concepteurs de systèmes de "peer-to-peer". La compréhension, dans toutes ses dimensions, du phénomène en train de se jouer n'est pas si facile. Des technologies nouvelles sont apparues. Ce n'est pas la première fois ! Mais aujourd'hui, le cocktail est explosif : numérisation + compression + logiciels d'échange. La numérisation permet une reproduction à l'identique, ce que ne faisait pas le magnétoscope. La compression et les logiciels de partage permettent l'échange à grande échelle des fichiers reproduits. Les technologies d'aujourd'hui ne sont donc nullement comparables à toutes celles qui les ont précédées, de l'imprimerie au magnétoscope en passant par la radiodiffusion. ## Consommateurs hors-la-loi Aussi bien, la prise en compte des usages est importante. Avec le magnétoscope, on pouvait voir un film dans son salon. Cela définissait un nouvel usage et des nouvelles catégories de consommateurs, cela entraînait éventuellement des transferts de consommateurs d'un usage (le film en salle) à un autre (le film à la maison), mais au final cela ne remettait pas en cause le premier usage qui conservait ses spécificités (écran géant, sortie...). Pour la musique, l'usage est identique : une fois téléchargée et/ou gravée, on écoute sa musique de la même façon que si l'on avait acheté un CD. Le "peer-to-peer" ne définit pas un usage complémentaire du CD, mais un usage identique, accessible gratuitement. Or la facilité de l'usage gratuit, et la difficulté de contrôle par les titulaires de droits, est l'autre trait important de l'évolution des usages. Quand des dizaines de millions de personnes sont hors-la-loi, n'est-ce pas la loi qui n'est pas adaptée ? La propriété intellectuelle est d'abord une réponse à un problème économique, le problème d'incitation à la production de biens collectifs. Aujourd'hui, la musique devenant immatérielle et le coût de sa reproduction nul, le problème est reposé. Pour qu'il y ait création, il faut qu'elle puisse être rémunérée. Dans cette perspective, les majors envisagent ou testent différentes stratégies de mouvements capitalistiques (alliances avec des opérateurs de diffusion pour valoriser leurs catalogues), de marketing (baisse des prix ou enrichissement du produit CD), de développement de nouveaux services (musique en ligne). Aujourd'hui, il ne s'agit pas de prendre le parti de la loi contre les technologies ou des usages contre les acteurs économiques, mais bien de faire dialoguer étroitement le monde juridique avec le monde économique, en y incluant les consommateurs, pour redéfinir une économie viable qui tienne compte des nouvelles technologies et des nouveaux usages.
227
institut présaje
2003-10-01
3
[ "xavier lagarde" ]
346
LE TRAVAIL, AUTREMENT
# LE TRAVAIL, AUTREMENT Les années 1990 ont été l'occasion de gloses savantes et souvent séduisantes sur la fin du travail. Aujourd'hui, l'heure est à la réhabilitation de la "valeur travail". Sa reconnaissance est un facteur de paix civile. L'observation des "quartiers difficiles", où les taux de l'inactivité sont nettement plus élevés qu'ailleurs, oblige à admettre que l'oisiveté suscite le repli religieux, une éthique guerrière, et in fine un surcroît de violence. Sa reconnaissance est aussi un facteur d'équité. Le seul moyen de préserver la liberté tout en atténuant la tension que crée la perpétuelle aspiration à l'égalité suppose de définir un modus de fabrication des inégalités légitimes. Ce ne peut être ni la naissance, ni l'appartenance ; ce ne peut donc être que le travail. En même temps, de sa traversée du désert, la "valeur travail" n'est certainement pas sortie indemne. Elle a vraisemblablement perdu sa nature d' "impératif catégorique" pour devenir, sous la forme d'un oxymore, une "valeur individualisée". D'une certaine manière, nous acceptions que la vie professionnelle absorbe l'individu ; désormais, c'est l'individu qui absorbe la vie professionnelle. Il n'accepte les termes de cette dernière qu'à la condition qu'elle participe de son développement personnel. D'aucuns percevront cette évolution comme l'expression d'une dérive individualiste et pointeront dès lors ses effets pervers : déclin des valeurs, perte du sens du collectif et des solidarités, judiciarisation des rapports sociaux... autant de manifestations d'une irresponsabilité généralisée. A tout prendre, mieux vaut considérer que l'individualisation du travail, si elle n'est pas sans dangers, est aussi une chance. Il faut alors identifier le modus d'une saine articulation entre les attentes individuelles et les exigences de ces deux collectifs que sont l'entreprise et l'organisation d'une protection sociale. En bonne logique, ce doit être le contrat (individuel) ; parce qu'il fait naître des droits et obligations à la charge des deux parties qui le concluent, il associe de fait liberté et contrainte mieux qu'aucun autre instrument ne saurait le faire. C'est à cette tentative de compréhension prospective que se livre le rapport du groupe "travail et vie professionnelle" (à paraître prochainement).
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institut présaje
2003-07-01
0
[ "michel rouger" ]
440
TROIS TEMPS, TROIS MOUVEMENTS
# Trois temps, trois mouvements *Dans un point de vue récent (Les Echos du 27 mai 2003), notre nouveau Commissaire au plan, Alain Etchegoyen, a exprimé avec justesse et concision son regret d'avoir à constater la mort du temps, étranglé, étouffé, écrasé sous le poids de l'immédiat.* *La création de PRESAJE, en 2001, procédait de la même réflexion et de la volonté des fondateurs de contribuer au sauvetage de ce moribond en lui apportant leur propre souffle ; et surtout celui des jeunes, nombreux, qui font vivre nos projets.* *Encore faut-il intervenir méthodiquement, afin que chaque sauveteur soit à sa place et ne gêne pas les autres bénévoles désireux de partager cette bonne action. A cet effet, la vision de PRESAJE est claire. Comme tout malade polytraumatisé, il faut commencer par l'étendre, ce qui, traduit en temps, impose, pour pouvoir l'allonger, de lui faire une perfusion de prospective plutôt que la classique injection anesthésiante. Puis il faut traiter chaque membre brisé.* *C'est ce que nous avons entrepris, en associant à nos travaux de jeunes talents, spécialistes des membres fracturés du temps que sont l'Economie, la Justice et le Droit. Pour l'Economie productive, ce qui compte c'est le long terme ; chacun sait qu'il a été écrasé par le temps de l'économie financière, axée sur l'immédiat.* *La Justice, régulatrice des pulsions ou des maladies de la société, s'intéresse aux court et moyen termes, mais c'est trop souvent "le temps qui n'en finit pas", dès lors que le pénal a envahi le système judiciaire au point de le rendre quasi impotent.* *Reste le temps du Droit, lequel, comme la valse, se découpe en trois. Le temps de la Loi, qui est celui du long terme. Le temps du Règlement, dont la souplesse et la plasticité animent le cadre rigide de la Loi. Le temps de la Jurisprudence, par laquelle le jugement trouve, dans le passé, les corrections que méritent la Loi et le Règlement.* *Aujourd'hui, ces trois temps ne sont plus "articulés". La Loi et la Jurisprudence se disputent la création des normes, au point d'avoir vu apparaître la notion de "loi jetable", puis celle de lois correctrices de la jurisprudence, le tout dans une insécurité juridique aggravée par la présence des normes européennes.* *A ce petit jeu, il était inévitable que le Règlement accapare le Droit, comme l'a démontré l'arrêt récent du Conseil d'Etat, annulant la décision du comité des établissements de crédit qui avait agi sans base légale, donc en dehors du droit.* *C'est pourquoi toute étude entreprise par PRESAJE, sur les grands sujets de vie qui nous concernent tous, est conduite en regroupant l'Economie, la Justice et le Droit.*
229
institut présaje
2003-07-01
1
[ "guillaume desgens-pasanau" ]
368
FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA PHILOSOPHIE DU REGULATEUR (CNIL)
# FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA PHILOSOPHIE DU REGULATEUR (CNIL) En abordant ce sujet, nous retrouvons le fil conducteur des thèmes traités par l'institut PRESAJE : comment concilier les impératifs de la vie économique (sauf à entamer la compétitivité de nos entreprises) et, en même temps, veiller au respect des normes juridiques et éthiques ? ## Sur la convergence des démarches économique et juridique La loi du 6 janvier 1978 entend prémunir les libertés publiques et la vie privée des individus contre les dérives engendrées par la mise en oeuvre de fichiers informatiques. Mais la directive européenne d'octobre 1995 modifie totalement la problématique : la protection de la vie privée devient une simple condition à la libéralisation des flux de données au sein de l'Union Européenne. En France, la loi "Informatique et Libertés" n'est pas figée. Par exemple, dans le cadre de la transposition de la Directive Européenne, on prévoit des changements concernant les fichiers du secteur privé, avec un allégement des formalités préalables et un renforcement du rôle de conseil de la CNIL. ## Sur l'harmonisation de l'économique et du juridique On assiste à un fort développement de systèmes experts permettant de sélectionner la clientèle. La sélection est positive lorsqu'il s'agit de "trier" la clientèle afin d'effectuer auprès d'elle de la prospection commerciale ; la sélection est négative lorsqu'il s'agit d'exclure certains individus du bénéfice d'un contrat (credit scoring) ou de se prémunir contre la fraude (listes noires). Plus graves sont les détournements de finalité ; par exemple, l'utilisation frauduleuse des données communiquées par les consommateurs dans le cadre de la prestation d'un bien ou d'un service. Autre exemple : la réutilisation des données clients à des fins de marketing ou de lutte contre la fraude. Il faut donc tenir bon sur les principes. Ainsi, le projet de loi "Informatique et Libertés" prévoit la mise en oeuvre d'un régime d'autorisation pour les fichiers permettant d'exclure une personne physique du bénéfice d'un droit ou d'un contrat, ainsi que le renforcement des pouvoirs de contrôle et de sanction de la CNIL à l'encontre des responsables de traitements automatisés de données. Reste une question : quid de l'application de la loi française pour les bases de données internationales ?
230
institut présaje
2003-07-01
2
[ "éric freyssinet" ]
343
FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LES PREOCCUPATIONS DE LA POLICE ET DE LA JUSTICE
# FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LES PREOCCUPATIONS DE LA POLICE ET DE LA JUSTICE Deux questions dominent le débat : - la répression éventuelle du détournement des fichiers - la nécessité, pour le bon exercice de la justice, d\'accéder à des données qui sont souvent le seul lien vers un suspect potentiel. ## L\'application de la loi "Informatique et Libertés" De façon générale, le volet répressif de cette loi est très peu utilisé. Il peut y avoir des abus dans l\'utilisation qui est faite par les entreprises des données personnelles : le cas de certaines banques a pu être cité, mais il ne faut pas oublier les sectes !\... Un aspect de cette loi, moins souvent soulevé, est celui de l\'obligation de sécurité en matière de traitement automatisé de données personnelles. La difficulté sera, pour le juge et, éventuellement, l\'expert qu\'il aura commis, de déterminer si l\'entreprise a mis en oeuvre un niveau de sécurité suffisant. ## L\'accès aux fichiers des entreprises Un certain nombre de domaines sont expressément couverts par un secret particulier, celui des médecins, avocats et journalistes, voire le secret d\'une autre enquête. Ainsi, quotidiennement, les enquêteurs sont amenés à recouper des informations détenues légalement par les acteurs économiques (banques, opérateurs de télécommunications, employeurs). Internet suscite des difficultés nouvelles : une infraction peut être entièrement virtuelle ou numérique. Pour qu\'une enquête soit possible, il est donc nécessaire de faire le lien depuis l\'ordinateur visé vers l\'ordinateur à l\'origine de l\'attaque ; encore faut-il pour cela que des traces subsistent. ## Quelques pistes de réflexion : - Au-delà des législations internationales parfois discordantes, quelle est la position d\'équilibre à trouver pour le monde de l\'entreprise dans le traitement des données personnelles ? - Comment sensibiliser les entreprises à la nécessité de sécuriser les traitements de données personnelles ? - Comment intégrer les nouvelles technologies dans le traitement des réquisitions judiciaires ? - Quel rôle actif peuvent jouer les entreprises en matière de prévention des crimes et délits, mais aussi dans quelle mesure peuvent-elles contribuer à protéger leurs intérêts patrimoniaux ?
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institut présaje
2003-07-01
3
[ "jean-luc girot" ]
326
FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA STRATEGIE DES ENTREPRISES
# FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA STRATEGIE DES ENTREPRISES Les Banques, les Compagnies d'assurances, les Sociétés financières spécialisées, les Vépécistes, les Compagnies aériennes, etc. possèdent et entretiennent des bases de données de plus en plus complètes : - des données familiales (situation de famille) - des éléments patrimoniaux (valeurs mobilières et immobilières) ou de revenus, et donc de train de vie et d'équipement en général - des données liées aux modes de consommation des personnes (canaux d'interaction favoris, heures de disponibilité sur tel ou tel canal), utilisées notamment par les plates-formes téléphoniques - des données liées aux habitudes et aux goûts (presse lue, préférences musicales, centres d'intérêts, régime alimentaire\...) - des données prospectives (projet immobilier, achat de voiture, etc.). ## Comment les données sont-elles utilisées ? L'entreprise utilise ces données à plusieurs fins : - la rétention des Clients - l'estimation de la valeur du Client (l'intérêt des Clients aux yeux de l'entreprise) : elle se calcule grâce à des éléments factuels liés à l'individu, comme l'âge, l'équipement, les revenus, et des éléments factuels liés à l'entreprise - l'estimation des valeurs du Client (l'intérêt de l'entreprise aux yeux des Clients) : il s'agit ici de comprendre puis de gérer ce qui attache le client à l'entreprise - la gestion des Clients : gestion des réclamations, recréation de l'esprit de marque et de fidélité d'appartenance - le marketing interne de transformation : une fois le client acquis, il faut lui vendre un second produit puis un troisième pour le rendre rentable ; le premier produit est en effet souvent un produit d'appel destiné à le capter - le marketing sur prospects. ## La limite entre l'acceptable et l'inacceptable Il ne faut pas confondre l'information déduite par l'entreprise (ou capturée) et celle donnée de plein gré. Que penser du droit d'accès et de modification des données nominatives par l'individu ? Est-il applicable en l'état ? Correspond-il à un réel besoin ? Les entreprises jouent-elles le jeu ?
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institut présaje
2003-07-01
4
[ "michel guénaire" ]
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FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA PROTECTION DE LA PERSONNE
# FICHIERS PLANETAIRES ET LIBERTE INDIVIDUELLE, LA PROTECTION DE LA PERSONNE ## L'initiative européenne sur la protection de la vie privée L'Union Européenne s'est dotée d'un cadre juridique harmonisé concernant la protection de la vie privée. Titre de ce texte : "Directive concernant la protection des données à caractère personnel et de la vie privée et la libre circulation de ces données". En adoptant des principes de protection communs, les Etats membres de l'Union Européenne ont permis le libre échange, au sein du marché intérieur, des données personnelles. Dans le même temps, cette directive stipulait que l'exportation de données personnelles hors de l'Union Européenne n'était autorisée que si le destinataire de ces données résidait dans un pays offrant un niveau de protection de la vie privée comparable à celui existant en Europe. Les Etats-Unis ont négocié durant trois ans, avec la Commission Européenne, l'adoption aux Etats-Unis d'un socle de principes, les "principes du Safe Harbor", destinés à satisfaire l'exigence européenne. Une idée simple, mais forte : des données protégées par la législation européenne ne peuvent quitter l'espace juridique européen qu'à la condition d'être protégées ailleurs comme elles le sont en Europe. ## L'initiative américaine d'une sécurité internationale Surgissent les attentats du 11 septembre 2001 : une loi américaine a alors imposé, à toute compagnie aérienne, de transmettre aux autorités américaines le dossier de réservation (nom, prénom, habitudes alimentaires\...) sous peine de ne pouvoir faire atterrir leurs avions aux Etats-Unis. L'Administration Bush avait omis d'informer les Etats membres de l'Union de l'utilisation qui serait faite des données ainsi transférées. Des informations ont finalement été fournies par l'administration américaine et la Commission a entériné en mars 2003. ## De quels droits fondamentaux parle-t-on ? Il s'agit de savoir si une personne peut être réduite à l'avatar que constitue son comportement informatisé - réel ou supposé-- et si des décisions peuvent être prises sur le fondement de ce que l'ordinateur a mémorisé. Si la réponse est oui : - avec quel contrôle effectif permettant d'éviter des dérives ? - avec quel "droit à l'oubli" ? Ces deux questions en suscitent mille autres pour l'avocat, gardien des libertés.
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institut présaje
2011-01-01
0
[ "michel rouger" ]
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700 MILLIONS DE CHINOIS, ET MOI ET MOI
# 700 millions de Chinois, et moi et moi *1966, année de la révolution culturelle chinoise et de la chanson de Jacques Dutronc. J'en reprends le titre, 45 ans plus tard, en doublant le nombre de Chinois. Avec le souvenir d'un périple de 15 jours, début 1979, l'an 01 de la Chine d'aujourd'hui. Le pays était tombé au fond de l'arriération et du sous-développement après 30 ans de Maoïsme. Les jeunes guides, ex-gardes rouges, qui nous encadraient avaient jeté le petit livre rouge à la corbeille, au sens propre et au sens figuré du capitalisme boursier.* *Ils avaient une vision crédible de leur futur, exposée en français courant, avec une bonne pédagogie. Ils voulaient sortir la Chine de son marasme et de son isolement, le plus vite possible, en adoptant si besoin le modèle d'économie de marché qui faisait le succès de l'Occident américain. Sans la démocratie, qui ne s'appelait pas Droits de l'homme, modèle inadapté à un peuple aussi nombreux et turbulent. Ils choisissaient la puissance de la Chine, avant le bonheur des Chinois, qui en bénéficieraient plus tard. Ce modèle - capitalisme sans droits -- s'est installé solidement. Il menace celui des EtatsUnis et de l'Occident : capitalisme et Droits de l'Homme.* *Et moi et moi, Français, en 2011 ? J'observe que mes compatriotes dévorent le tout petit livre de l'inventeur du moteur à indignation qui entrainera la future révolution vers un troisième modèle,* typical French*, les Droits sans le capitalisme. Sans comprendre comment la Chine de Deng Xaoping avait pris, en trente ans d'économies, le chemin du vrai capitalisme, celui qui accumule le capital comme instrument de la conquête des marchés industriels, commerciaux et financiers et des richesses. Pas du faux, le nôtre, celui de l'accumulation des dettes causées par trente ans de déficits, comme instrument de soumission aux marchés financiers.* *Il faudra beaucoup de vision et de pédagogie pour expliquer aux jeunes Français inquiets pourquoi ils auront besoin de l'économie libre et compétitive, qui produira les capitaux indispensables pour payer les dettes de l'héritage. Au moment où il leur faudra assumer les conséquences des mutations sociétales à venir, ajoutées à celles de la liquidation du passé. A défaut, ils connaitront la faillite, la dépendance et l'exil.*
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institut présaje
2011-01-01
1
[ "michel rouger" ]
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LE VISIONNAIRE ET LE PEDAGOGUE
# LE VISIONNAIRE ET LE PEDAGOGUE Le monde médical connait le *French paradox*, qui relève que les comportements alimentaires des Français n'entrainent pas les pathologies observées chez les autres populations. Un second paradoxe intéresse la psychopathologie. Les phénomènes de dépression collective des Français n'entrainent pas de pathologies individuelles à la mesure de celles constatées au niveau de la collectivité. Les Français conservent leur bonheur de vivre, la famille, les amis, les loisirs. La jeunesse affirme sa confiance dans sa capacité de construire son avenir. Une énorme défiance accable la société française, la nation, l'Etat, et concerne l'incapacité de nos dirigeants à inspirer la confiance au peuple. Ces deux paradoxes s'inscrivent dans un troisième. Jamais l'individu n'avait disposé, à portée de main, sur son portable, des outils de vision et de pédagogie qui lui permettent aujourd'hui de se repérer sur le globe et de se documenter sur le monde, du GPS illustré à tous les WIKIS pédagogues. Comment se fait-il que le collectif, la société, l'Etat, soient aveuglés et submergés par l'émotion de l'immédiat, qu'ils négligent leur devoir de vision de l'avenir ? Comment traiter les angoisses nées du manque de repères, d'explications claires ? Cette analyse, ressassée dans toutes les publications, colloques, débats, interpelle PRESAJE, dont il faut rappeler que les objectifs fondateurs sont inscrits dans le nom : Prospective, Recherches, Etudes Sociétales. Certes, ces objectifs ont, en premier, été appliqués à la Justice et L'Economie. C'était l'urgence, elle reste d'actualité. Mais une autre urgence est née, telle que décrite ci-dessus. Voilà le pourquoi : il faut s'engager et expliquer comment PRESAJE peut prendre sa place dans le débat public en y apportant sa part de vision et de pédagogie, en y travaillant, parmi d'autres, avec des moyens renforcés et des objectifs ambitieux. Sans s'éloigner du couple Droit-Economie qui occupe une telle place dans les sociétés modernes, et qui entre de plus en plus en conflit sous la pression sociale. Ces mutations, aux origines multiples, que la société française va connaitre, exigent un élargissement du champ d'action à l'ensemble de la société, pas seulement aux spécialistes des professions du Droit et de l'Economie. Une nouvelle équipe, aux compétences élargies, reconnues, sera mise en oeuvre au printemps, au sein des Amis de PRESAJE. Elle y rejoindra ceux qui ont déjà publié avec nous. Elle portera ce nouveau projet plus global, le fera prospérer en y associant tous ceux qui voudront y participer parmi ceux qui sont fidèles à nos travaux. ## La vision sociétale Le concept exprimé par le mot sociétal est né presqu'en même temps que les premiers symptômes de la dépression psychique de la société française lorsqu'elle a pris conscience des archaïsmes et des blocages qui la pénalisaient. Il y a moins de vingt ans. Le Littré et le Larousse ignorent le mot qui n'apparait que dans les années 80 dans le Robert sous une très courte définition : se rapporte à la société. Ce manque de vision et de pédagogie sur le concept sont déjà marquants. Il faut donc lui donner du contenu, de la consistance. A la lumière de ce que signifie ce mot de contenu dans le monde de la communication devenu numérique. Ainsi, la société serait le contenant du sociétal : les individus, leurs vies et leurs comportements. Cette prise en compte du sociétal sera retenue, au-delà de la Société, entité abstraite, champ de bataille des combats d'idées politiques ou religieuses, étrangers à la vocation de PRESAJE. Ce sera l'objectif des travaux engagés qui devront donner de la vision et de la pédagogie sur les évolutions dans leur vie quotidienne que subiront, parfois avec peine, des Français collectivement déprimés. En traitant tous ces sujets par la microéconomie, trop souvent absente des débats réservés à la macro. ## La pédagogie Il est évident que toute pédagogie utile à éclairer le public implique que la réalisation des travaux lui soit accessible. A cet effet, il faudra qu'ils trouvent leur place dans des moyens de diffusion numérique importants. La participation à un site WEB à la mesure des besoins sera recherchée en partenariat. Les auteurs continueront à disposer, pour leurs livres, du contrat de coédition papier avec DALLOZ. Les articles et les cahiers numériques dédiés à l'étude des mutations sous la marque PREMICES seront présents sur le site, lequel permettra en outre de participer à un forum d'auteurs, ouvert aux échanges avec leur lectorat, pour démultiplier la diffusion, donc la notoriété et la qualité des travaux. A très bientôt.
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institut présaje
2011-01-01
2
[ "xavier lagarde" ]
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SUPPRIMER LA DUREE LEGALE DU TRAVAIL : RUPTURE OU PAS RUPTURE ?
# SUPPRIMER LA DUREE LEGALE DU TRAVAIL : RUPTURE OU PAS RUPTURE ? La question du temps de travail est de nouveau sur la sellette. Elle constitue depuis les origines du droit social une question centrale. C\'est le Dr Villermé qui, dès 1841, dresse un constat alarmant de l\'état sanitaire des travailleurs en usine contraints à des journées de labeur qui peuvent atteindre 15 heures par jour. Les premières réactions législatives portent ainsi sur la durée du travail, celle des enfants puis ensuite celle des adultes. Par la suite, le mouvement a été à sens unique, ou presque, et rendu possible - on l'oublie trop souvent - par la hausse spectaculaire de la productivité. L\'objectif a été, peu ou prou, de préserver la dignité des salariés en évitant que leur existence se réduise à l\'activité qu\'ils déploient au bénéfice de leur entreprise. Dès lors, la remise en cause de la durée légale peut apparaître comme une rupture et, de fait, comme une régression. En même temps, il ne faut pas se tromper de contexte. Les discussions actuelles n\'auraient sans doute pas vu le jour s\'il n\'y avait eu les 35 heures. Il s\'agissait à l\'origine d\'une politique d\'inspiration malthusienne, destinée à traiter le problème spécifiquement français de la persistance d\'un chômage massif. C\'est avec le retour de la croissance, observée pendant le gouvernement Jospin et qui rendait moins pertinent le choix de cette politique, que la réduction de la durée du travail à 35 heures a été présentée comme un progrès social. Mais cette idée n\'a jamais parfaitement convaincu. Aussi bien, la volonté de mettre un terme à une définition légale de la durée du travail peut être aussi comprise comme une tentative de refermer la parenthèse des 35 heures. Ce serait alors une rupture de court terme plus que de long terme. Qui plus est, il ne faut pas confondre durée légale et durée maximum. La première marque le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. La seconde est celle qui ne peut être dépassée quel que soit le prix que l\'employeur serait prêt à payer. La durée légale constitue ainsi une référence qui permet de fixer le prix du travail tandis que la durée maximum est un outil de protection de la personne du salarié. De ce point de vue, la réduction de la première est assez neutre. Ce qui compte, c'est la seconde, précision étant faite qu'une directive européenne la fixe en principe à 48 heures. D'ailleurs, la fixation de la durée légale a une incidence assez modeste sur la durée effective du temps de travail. Les Français sont les seuls à bénéficier des 35 heures. En moyenne, ils travaillent cependant 41 heures par semaine, soit presque autant que la moyenne des européens (41,5 heures). Dès lors que la notion de durée légale du travail constitue un outil permettant essentiellement de déterminer la rémunération de ce dernier, il est permis de reconsidérer cette durée sans y voir nécessairement la marque d'une régression. A l'appui de cette révision, on peut avancer que le prix du travail ne doit pas systématiquement être traité à l\'aide du même marqueur quantitatif dans tous les secteurs. Est-il évident qu\'il faille raisonner de la même manière pour un serveur travaillant en discothèque et percevant de nombreux pourboires et pour un travailleur posté en usine ou une caissière de supermarché ? Ce n'est pas certain. L\'idée d\'une durée conventionnelle, fixée par branche ou par entreprise, peut permettre de réguler au plus près les spécificités de chaque marché du travail. Maintenant, il est vrai que la proposition est politiquement maladroite. Renégocier la durée légale, c\'est renégocier le prix des heures supplémentaires. En cette période de crise, on imagine sans peine qu\'il s\'agirait plutôt de revoir les prix à la baisse. Nous sommes donc loin des propositions du candidat Sarkozy qui offrait de sortir par le haut des 35 heures. La droite introduit de la sorte une rupture par rapport aux espérances qu\'elle avait fait naître. De manière plus implicite, on voit poindre derrière cette discussion l\'idée que le travail coûte trop cher. D\'où la volonté d\'en passer par la négociation pour la tarification des heures supplémentaires. Il est vrai que, sous cet angle, la France n\'est pas compétitive. Mais peut-elle l\'être beaucoup plus ? Un travailleur français sera pour de nombreuses années encore bien \"plus cher\" qu\'un travailleur chinois. Par ailleurs, du fait des 35 heures, les salaires ont été tassés de sorte que le salaire médian reste très bas. Avec pour conséquence que les individus compensent leur faible pouvoir d\'achat par le recours à l\'endettement. Aussi bien le temps est-il peut-être venu de réfléchir à notre compétitivité en considérant d\'autres variables que le coût du travail.
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institut présaje
2011-01-01
3
[ "catherine vergès" ]
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ESPIONNAGE INDUSTRIEL ET VIGILANCE
# ESPIONNAGE INDUSTRIEL ET VIGILANCE Des affaires comme Boeing, Coca-Cola, ou plus près de nous, Valeo, Michelin, Renault, ont révélé au grand jour des problématiques d'espionnage diversement nommées : espionnage industriel, secret défense, secret des affaires, intelligence économique et bien d'autres. En France, le réflexe consiste souvent à réclamer plus de lois. Mais la solution à ces problèmes de protection ne passe-t-elle pas d'abord par une meilleure vigilance de la part des entreprises ? Commençons par le contrôle des sources. Les enquêtes d'investigation ont montré combien il était aisé de reconstituer, par exemple, le contenu des corbeilles à papier et de retrouver la trace des commanditaires, des achats de produits ou de matières premières ainsi que des données immatérielles. Comment s'assurer de la loyauté de tous les acteurs de la chaine de la valeur ? L'obligation de loyauté parait évidente pour les salariés de l'entreprise, mais elle a souvent besoin d'être renforcée par la clause de non-concurrence. C'est encore plus vrai pour les acteurs extérieurs. Lorsqu'on signe un accord, l'utilisation de clauses de confidentialité devrait être plus souvent utilisée ! En témoigne le cas de la sous-traitance, notamment lorsqu'elle intervient en deuxième ou troisième ligne ; mais il suffit au contrat de désigner explicitement les acteurs. En cas d'accord de licence, il faut préciser si la sous-traitance est autorisée en totalité ou en partie, et pouvoir visiter les lieux à tout moment. La localisation permet de s'assurer de la distinction entre travail à façon et sous-traitance, et de se garantir ainsi de marchés parallèles ou de contrefaçons. Dans les projets industriels, pourquoi néglige-t-on si fréquemment le recours à un simple accord de confidentialité, si bien connu des milieux pharmaceutiques et aéronautiques ? Cela vaut aussi bien pour les images, dessins, prototypes et toutes informations matérialisées. Idée-clé : responsabiliser tous les intervenants tout au long de la chaine. Tout cela relève d'une « culture » juridique d'inspiration contractuelle, et par-dessus tout pragmatique. Peut être la question se pose-telle de légiférer ou de compléter le dispositif existant, mais nous sommes dans une économie de marché : assumer ses responsabilités passe avant tout par le maximum de vigilance.
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institut présaje
2010-10-01
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[ "michel rouger" ]
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LA FRANCE MUTANTE
# La France Mutante *La société française vit une période de transition entre la mutation engagée avec le début du XXIe siècle et son accomplissement dans les années 2020. Eblouie par les bulles de la décennie passée, affolée par les ruptures de solidarité de la décennie en cours, elle cherche à comprendre. Pour l'y aider il faut, à raison de sa spécificité, séparer sa manière de vivre de sa manière d'être.* *La* manière de vivre *est en train de subir les mutations nées des bouleversements technologiques et géopolitiques récents. Ces derniers ont entrainé des mutations comportementales multiformes qui sont loin de leur achèvement. Les investigateurs des temps prochains, les Amis de PRESAJE, donneront leurs conclusions pédagogiques début 2011 dans les cahiers PREMICES, et déjà dans nos Lettres.* *Au sein de la société française, la* manière d'être *de la France, dont les penseurs et les historiens du XIXe siècle ont dit qu'elle était une personne, joue un rôle essentiel dans la vie des Français. Or, cet être est, lui-même, en pleine transition entre deux mutations.* *La France a vécu une transition d'une quarantaine d'années entre deux phases distinctes : la mutation, en 1962, de son être républicain, le 4ème vers le 5ème, sous forme de monarchie relative associée à un Etat absolu, à base historique, et ensuite la mutation du début des années 2000, de nature géographique. Nous sommes face à cette seconde mutation qui aura des conséquences considérables : la géographie remplace l'histoire.* *Comment et pourquoi ? Parce que la France, après s'être retirée de l'histoire du monde entre 1940 et 1955 y a été ramenée, miraculeusement, en deux temps, par le même homme providentiel. D'abord en la remettant dans le camp des vainqueurs de 1945, ensuite dans celui des bâtisseurs d'avenir, pour elle-même et pour l'Europe, en 1958. C'est l'origine de la précédente transition dans laquelle la France a conservé le rôle et l'indépendance propres à la vision historique du gaullisme.* *Avec l'entrée dans la monnaie européenne, le retour dans l'Otan, l'intégration dans l'Union élargie à 27 pays, la mutation devient de nature géographique. La personne France, chère à Michelet, a filialisé son histoire dans le groupe européen. Son être, le 5ème bis, essaie de se transformer, de s'adapter sous l'effet des contraintes de cette filialisation européenne sur sa monarchie de plus en plus relative et son Etat de moins enmoins absolu.* *Comme si l'Etat, plus confiant, moins introverti, devenait plus ouvert aux réformes imprégnées de l'esprit de liberté, sans les convulsions de la violence ! Espérons.*
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institut présaje
2010-10-01
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[ "françois ecalle" ]
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VERS UN BOUCLIER SANITAIRE ? : COMMENT RESPONSABILISER LES MÉNAGES
# VERS UN BOUCLIER SANITAIRE ? : Comment responsabiliser les ménages Une fois encore, le problème du déficit de l'assurancemaladie, loin d'être traité au fond, va faire l'objet de «mesurettes ». Quand l'attaquera-t-on pour de bon ? Les dépenses de santé représentaient 8,4% du PIB en 1990, 11,2 % en 2008 et pourraient atteindre de 15 à 20 % du PIB en 2050. Si la part prise en charge par la Sécurité sociale (75 %) est maintenue constante, le déficit public augmentera ainsi de 3 à 6 points de PIB à l'horizon de 2050. La maîtrise des dépenses de santé est une tâche pareille au déplacement du rocher de Sisyphe : quelques économies sont constatées, donnant l'impression que le but est atteint, puis les dépenses dérapent à nouveau et il faut se remettre à l'ouvrage. Les pressions à la hausse de ces dépenses sont en effet très puissantes : au fur et à mesure que notre niveau de vie s'élève, nous voulons être mieux soignés et la demande de soins croît plus vite que le PIB ; le vieillissement de la population renforce cette tendance ; le progrès technique permet de réaliser des gains de productivité, mais les nouvelles technologies médicales contribuent surtout à stimuler la demande tout en étant souvent coûteuses. Comme la demande de soins est peu contrainte par leur prix, le taux de remboursement étant très élevé, ces pressions ne baisseront pas. Des réformes radicales de l'organisation du système de soins, où les gaspillages sont immenses, sont parfois proposées pour au moins ralentir ces dépenses, mais aucun pays n'a trouvé la recette idéale. Dans les pays membres de l'OCDE en 1990, les dépenses de santé représentaient 6,9 % du PIB à cette date et 9,2 % en 2008. Sur les dix dernières années, la progression moyenne est la même qu'en France et ce ratio n'a diminué dans aucun pays. Question : pourquoi chercher à ralentir les dépenses de santé ? Si nous voulons être mieux soignés, pourquoi nous en empêcher ? Ces dépenses ne posent problème que dans la mesure où elles sont financées par des prélèvements obligatoires ou des emprunts publics. Or c'est en France que les dépenses publiques de santé sont les plus élevées. Il paraît donc souhaitable de réduire le taux de remboursement de l'assurance maladie. Nous pouvons très bien vouloir être mieux soignés, mais il faut en payer le prix. L'application de ce principe de responsabilité à l'assurance maladie pose toutefois des problèmes très difficiles. Une première solution consiste à confier l'assurance santé à des entreprises privées en concurrence, mais le réflexe normal d'un assureur en concurrence est de segmenter sa clientèle pour faire payer à chaque catégorie le coût de son risque particulier. Mieux vaut alors ne pas avoir de maladie longue et coûteuse. Il faut donc réglementer les assureurs privés, par exemple pour interdire le refus d'assurance ou plafonner les primes, et ces réglementations, inévitablement complexes, atténuent fortement l'intérêt de la privatisation et de la mise en concurrence. Une autre solution consiste, sans changer l'organisation du système de santé, à augmenter la participation des assurés au financement de leurs soins en agissant sur les tickets modérateurs, forfaits et franchises. Mais le montant laissé à la charge des ménages peut devenir incompatible avec leurs ressources et les conduire à renoncer aux soins. Pour pouvoir augmenter significativement la participation des assurés, il est nécessaire qu'elle ne puisse pas dépasser une certaine proportion de leurs revenus. C'est l'objet du projet de *bouclier sanitaire^1^* qui a été présenté en 2007. Le problème des finances publiques ne peut être résolu qu'en responsabilisant financièrement les ménages. Mais les dépenses de santé présentent des caractéristiques particulières qui limitent fortement la portée de cette solution : concentration de ces dépenses sur une petite partie de la population nécessitant des traitements coûteux, incompatibles avec leurs ressources ; tendance naturelle des assureurs privés à isoler cette population et à lui faire payer des primes reflétant ces coûts, donc tout aussi incompatibles avec leurs revenus. Il est donc difficile de beaucoup déplacer la frontière entre assurances publiques et privées mais, dans le cadre actuel, la mise en place d'un bouclier sanitaire permettrait de relever ensuite significativement la participation financière des ménages. Ce qui n'atténue en rien la nécessité de s'attaquer aux inefficacités qui affectent la production de soins. Conjuguer efficacité avec justice sociale, responsabilité individuelle avec solidarité, tel est le défi. Quel est le bon dosage ? Où placer le curseur ? Sisyphe devra encore reprendre son ouvrage. ^1^ Cf « Le bouclier sanitaire en France », François Ecalle, Futuribles avril 2008.
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institut présaje
2010-10-01
2
[ "thomas cassuto" ]
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SCIENCE, ETHIQUE ET DROIT
# SCIENCE, ETHIQUE ET DROIT Le 21 mai 2010, la revue «Science» a livré à ses lecteurs la conception, la synthèse et l\'assemblage d\'un chromosome fabriqué à partir de quatre produits chimiques réalisés par l\'institut de Craig Venter, l\'un des pionniers du séquençage du génome humain. Cette réalisation constitue une avancée logique découlant des progrès réalisés en matière génétique et une étape formidable sur le terrain du savoir-faire. Les brevets déposés détermineront la capacité des chercheurs à l\'exploiter pour progresser dans la connaissance du rôle des gènes, de leur interaction, et des applications industrielles qui se développeront. Mais la compétition scientifique et technique peut-elle s\'affranchir de l\'environnement juridique? Où en sommes-nous ? Depuis les années 70, des brevets sont déposés sur des organismes vivants. Au début des années 90, des brevets ont été revendiqués sur des séquences de gènes. Un immense débat s\'est nourri autour de considérations éthiques. La loi de 1994 et la Directive européenne de 1998 ont posé des limites en des termes voisins, mais avec une nuance qui pouvait laisser craindre des distorsions préjudiciables aux entreprises et aux organismes de recherche français. La loi du 6 août 2004, après quelques contrariétés et retards, devait satisfaire au principe de la révision programmée prévue par la loi de 1994. Mais dès le 9 avril 2009, le Conseil d\'Etat remettait au gouvernement un rapport sur la révision de la loi du 6 août 20041 dont l\'ultime proposition était « Ne pas prévoir un réexamen des lois de bioéthique au bout de cinq ans». En réalité, le débat était dépassé. Dès 2001, nous relevions que le morcellement du corps humain et l\'exploitation de ses éléments et produits autorisaient leur appropriation2. Cette réification n\'était qu\'une étape, l\'objectif de ces recherches étant de parvenir à synthétiser l\'ensemble du processus naturel. Rappelons les principaux enjeux éthiques. Ils sont centrés autour de trois questions fondamentales: l\'information des personnes, le bien-fondé de l\'acte ou de la recherche, et la préservation de l\'humanité attachée à tout ou partie de la personne vivante ou décédée, ou de l\'embryon. La pratique et la recherche médicale se sont industrialisées. Le consommateur-usager de la santé publique devient une cible commerciale pour des produits ou des actes de moins en moins médicaux. De fait, ce sont les réponses à ces questions éthiques qui sont bousculées. Ainsi, la notion de « singularité »3 traduit des travaux conduits aux Etats-Unis sur une génétique de l\'éternité associée à l\'intelligence artificielle... Dans son rapport de 2009, le Conseil d\'Etat ne se penche pas sur lamodification du Code de la propriété intellectuelle. Pourtant, les perspectives offertes par la réalisation de l\'institut Venter remettent en cause l\'interprétation des exclusions prévues par ce code concernant le clonage, la modification de l\'identité génétique ou l\'utilisation d\'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales. La Déclaration universelle sur le génome humain n\'a pas limité la prise de brevets sur la génomique de synthèse4. Ainsi, l\'ambition de modifier la nature se renouvelle. Ne va-t-on pas jusqu'à prétendre accéder à l'éternité ? Belle machine à rêves... et à lever des fonds. Elle trouve un écho particulier aux Etats-Unis dans sa quête historique de créer un « Homme nouveau ». Surtout, elle alimente des recherches dont nul ne peut prédire les orientations et les impacts. Reste que dans la compétition économique d\'une des premières industries du futur, la loi nationale devra éviter de devenir un obstacle au progrès, sauf à rendre stériles chercheurs et entreprises et à nous exclure de la maîtrise de notre avenir que d\'autres s\'approprieront. Il faut donc trouver un point d'équilibre. C'est ce que fait le Conseil d'Etat lorsqu'il tente de concilier les règles du dispositif français avec la nécessité de rechercher une homogénéité et une coopération internationale. Il tente ainsi de réfréner le mal de ce début de siècle, l\'inflation législative. Il offre un ballon d\'oxygène à nos scientifiques et suggère implicitement que l\'affermissement du primat de la dignité humaine relève plutôt du juge, dont les décisions devront tirer toutes les conséquences des différents principes fondamentaux, mais sans faire obstacle au progrès qui pourrait considérablement améliorer notre vie. 1\. « La révision des lois bioéthiques ». La Documentation française, 2009. 2\. Thomas Cassuto « La brevetabilité des éléments et produits du corps humain ». Thèse Paris, 8 juin 2001. 3\. J.-Y. Eudes, « L\'éternité n\'attend pas », Le Monde 6 septembre 2010. 4\. (Dir. Thomas Cassuto) « Les défis du vivant », éditions Presaje/Dalloz, et notamment les contributions de Charles Auffray et de Zhu Cheng, actuel ministre de la santé de la Chine.
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institut présaje
2010-10-01
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[ "albert merlin" ]
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MOINS D'ACQUIS, PLUS D'ACQUÊTS
# MOINS D'ACQUIS, PLUS D'ACQUÊTS « Touche pas à ma retraite, ne change rien à mon assurance-maladie (la meilleure du monde !\...), ne limite en rien les moyens de l'Education Nationale ». On a beau évoquer les difficultés budgétaires, les changements sociétaux introduits chez la plupart de nos principaux partenaires, la chanson ne varie guère. Enumérer la liste des pôles de résistance ne sert à rien. Tout se passe « en amont ». C'est la « culture » française qui se trouve défiée de l'extérieur, et qui, ancrée dans les esprits, refuse de « muter » (cf édito). Le plus probable est qu'il y aura encore beaucoup de défilés pour s'opposer à la modernisation de notre système de retraites, à la réforme de l'assurance-maladie et à la rénovation de notre système éducatif : monolithique, étatique et bureaucratique. Les plus conservateurs nous disent : le monde bouge, c'est peut-être vrai, mais la France a bien le droit de ne pas suivre ; les « acquis sociaux » ne sont pas négociables. Bref, nous sommes en 1945, nous avons fait encore mieux depuis (35 heures et retraite à 60 ans à la clé), ces acquis sont intouchables (même si cela doit compromettre la situation de nos descendants...). Voilà pour la version la plus dure. Est-ce là un mur de béton ? Peut-être pas. Aujourd'hui certains experts se permettent de proposer des systèmes où la notion de liberté retrouverait la place qui lui est due en démocratie. Pour les retraites, on peut maintenant parler, sans risque d'excommunication, de comptes à points : chacun partirait à l'âge qu'il déciderait lui-même et toucherait une pension calculée en fonction des points accumulés et de la valeur du point. Autrement dit : *moins d'acquis, plus d'acquêts*. S'agissant de la santé, on parle de responsabiliser les ménages (cf l'article de François Ecalle p. 2). D'autres, plus audacieux, plaident pour une privatisation partielle de l'assurance-maladie. Ce qui, pour le moment, est encore synonyme d'horreur absolue. Mais pourquoi le couple liberté / responsabilité ne pourrait-il enfanter une solidarité newlook ? Coup sur coup, la Cour des comptes a remis en cause la gestion de l'Education Nationale et de l'assurance-maladie, ce qui a remué une partie du « microcosme ». Cela nous change. Mais en fait de pédagogie, nous n'en sommes qu'au début : aux *prémices* !
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institut présaje
2010-07-01
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[ "michel rouger" ]
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BIENVENUE AUX « AMIS DE PRESAJE »
# Bienvenue aux « Amis de PRESAJE » *Cette lettre n'est pas tout à fait comme les précédentes. Elle exprime les souhaits de bienvenue à l'association « Les Amis de PRESAJE ». Elle ouvre ses colonnes aux six fondateurs, issus de notre conseil d'administration, qui ont pris en charge la réalisation de nos futures publications sous l'étiquette PREMICES. A eux six, ils vous en dessinent les objectifs qui s'ajoutent à ceux des éditions PRESAJE et des manifestations qui les accompagnent.* *Pourquoi et pour quoi faire ? Au cours de la décennie écoulée, nous nous sommes attachés à tisser les liens - manquants ou insuffisants - entre le Droit, l'Economie et la Justice. La planète a brutalement changé en découvrant la récente crise de sa mondialisation. Tous les pays vont être contraints aux adaptations sociétales nées des mutations profondes engagées. Il faut, pour les comprendre, faire évoluer les mécanismes d'information et de réflexion. C'est ce à quoi les Cahiers Premices répondront, pour leur part, à leur place.* *Concrètement, alors qu'il y a dix ans l'Occident américano-européen détenait le quasi-monopole des marchés mondiaux et de ses innovations technologiques, il va devoir dorénavant les partager avec les pays émergents d'Orient. Les grandes industries de biens de consommations courants (habillement, ménage, jouets) ou durables (automobiles, télécoms, mécanique) ont quitté, en partie, l'Occident, avec le cortège des troubles collectifs et personnels qui affectent les nations et leurs Etats.* *Une seconde bataille approche, à grande vitesse : celle du partage des capacités d'innovation et de transformation des modes de vie qui se préparent, avec les millions de grands diplômés des universités de la Chine ou de L'Inde. Au « made in China » conçu en Occident va se substituer le « conçu en Chine ou en Inde » fabriqué dans les pays environnants, encore pauvres pour un temps.* *C'est ainsi que le cher et vieux pays du général de Gaulle, comme ses voisins d'Europe, va devoir transformer ses modes de vie, dans tous les domaines où chacun s'était abrité avec la certitude d'éviter d'avoir à en changer. Pour y arriver, il lui faudra trouver des réponses pertinentes à des questions impertinentes. La qualité des connaissances et des documentations sera indispensable et primordiale. Elles devront constituer un édifice de compétences reconstruit sur le précédent démoli.* *Premices entend être une des pierres de cette construction. Bienvenue et longue vie à ce projet qui se développera au retour des congés d'été.*
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institut présaje
2010-07-01
1
[ "henri pigeat" ]
339
S'INFORMER C'EST BIEN, COMPRENDRE, C'EST MIEUX
# S'INFORMER C'EST BIEN, COMPRENDRE, C'EST MIEUX Parmi les maux qui affectent la démocratie, le moindre n\'est pas le manque d\'information dont souffrent les citoyens et les décideurs. Paradoxale en apparence, l'affirmation correspond pourtant bien à ce que chacun ressent devant l'avalanche permanente des messages de toutes sortes dont il est accablé. Depuis deux ans, les médias ne cessent de « couvrir la crise financière », multipliant annonces, échos, analyses et avis d'experts. Parfois, la question paraît éclaircie, avant que la confusion ne revienne à son comble. La plupart des acteurs et commentateurs ont fait semblant de croire que le déversement de liquidités nouvelles constituait le remède éprouvé. On commence maintenant à percevoir que si cette méthode peut valoir pour le court terme, elle constitue pour le moyen terme un risque sérieux de nouvelle crise. Le flou de l'information entretient l'inquiétude, donc l'instabilité des marchés, mais aussi la réserve des consommateurs et de l'opinion. ## Incompréhension égale inquiétude Or, dans une économie mondialisée et dans la société de communication, l'opinion pèse de plus en plus lourd, alors même que les autorités politiques traditionnelles ont de moins en moins de prise sur l'économie. Le pouvoir semble en fait s'atomiser sur une infinité de décideurs dont la capacité de savoir et de comprendre devient déterminante. A qui imputer la responsabilité de cette situation ? Aux insuffisances des médias ? A la duplicité des banquiers mercantiles ? A l'incapacité des politiques à dépasser le court terme électoral ? Au dogmatisme ou à l'ignorance des experts ? Des questions voisines avaient déjà guidé Presaje, il y a quelques années, dans sa démarche pour établir un lien entre l\'économie et la société d'une part, et le droit d'autre part. Cet effort demeure nécessaire, mais les problèmes doivent désormais être pris plus en amont. Tel est l\'objectif que se fixent « Les Amis de Presaje » à travers la nouvelles collection « Premices ». Personne ne détient la vérité. Mais personne ne peut, non plus, se dégager de la part de responsabilité qui lui revient.
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institut présaje
2010-07-01
2
[ "jacques barraux" ]
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UN OUTIL POUR L'ACTION
# UN OUTIL POUR L'ACTION Comment former son opinion ? Comment trier dans l'avalanche des informations immédiates et fragmentées ? Comment participer efficacement au débat public qui s'ouvre dans une Europe menacée de déclin sur la scène mondiale mais qui conserve intacts les moyens de l'enrayer ? En France, le débat d'idées transite par la presse quotidienne, par les revues, et par internet. Chaque canal a sa logique, chacun est dans son rôle. La presse colle à l'actualité. Les revues du type « Le Débat », « Commentaire » ou « Esprit » confient leurs analyses aux élites proches de leurs réseaux historiques. Internet est la marmite géante où se mêlent toutes les sources, des plus objectives aux plus subjectives. ## Sujets brûlants En lançant la collection « Premices » de cahiers de 50 à 60 pages sur les sujets de société, de droit, d'économie, de science et de management les plus brûlants, l'institut Presaje a deux objectifs. 1. Créer un format rédactionnel intermédiaire entre l'article et le livre. C'est-à-dire entre un texte trop court pour sortir des généralités et un texte trop long pour être réellement lu. Il s'agit de rendre accessibles, à un public large, des sujets de fond qui s'échappent trop souvent du cercle étroit des spécialistes sous la forme de raccourcis simplistes et inutiles pour l'action. 2. Ouvrir un lieu d'expression à la fois neutre et transparent sur les bouleversements qui attendent les citoyens de toutes générations. Neutre car extérieur aux hiérarchies du pouvoir intellectuel dans notre pays. Transparent car explicite sur l'origine et les qualifications des auteurs, connus ou inconnus, issus de toutes origines (université, entreprise, fonction publique, recherche, cercles politiques). Les Français sont déconcertés par l'ampleur des remises en cause d'un modèle national qui peine à s'articuler avec le modèle flottant de l'Europe des Vingt-Sept, et plus encore, avec le modèle contraignant d'un espace mondialisé. Les exposés argumentés des fascicules de « Premices » ne prétendront nullement rivaliser avec les productions concurrentes des circuits de la presse, de l'édition ou des forums internet. Ils se contentent d'ajouter au dispositif courant une pièce supplémentaire : un outil pour l'action.
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institut présaje
2010-07-01
3
[ "jean-marc daniel" ]
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DES ECONOMISTES A L'EGAL DES DENTISTES
# DES ECONOMISTES A L'EGAL DES DENTISTES Comment l'analyse macroéconomique aborde-t-elle la crise et l'après-crise ? Edmund Phelps, prix Nobel 2006, a coutume de déplorer qu'avant de prendre position, les économistes éprouvent le besoin de se définir par leur rattachement à une école de pensée, dont il évalue le nombre à sept rien qu'en macroéconomie. Au XIXe siècle, même ceux qui contestaient le modèle libéral dominant n'en contestaient ni la validité ni la pertinence. Ils l'accusaient simplement d'être daté ou de permettre à une classe sociale ou à un pays de profiter de ses vérités pour asseoir leur pouvoir. N'en restait pas moins acceptée l'idée que l'économie est une science et donc qu'elle est porteuse d'une vérité. Dans les années 30, le choc keynésien a fait voler en éclats cette approche. Il a tendu à faire accroire que l'économie n'était pas une science mais un débat, où tout le monde avait le droit de s'exprimer, si bien qu'en fin de compte, tout le monde pouvait prétendre avoir raison. Sentant le danger couru alors par l'économie, Samuelson a tenté de construire une synthèse. ## Foin des « astrologues » Depuis trente ans et les chocs pétroliers, cette synthèse est confrontée à un bilan ambigu. Après la fin du communisme, le monde a connu la plus forte croissance de son histoire ; mais aujourd'hui, il est plongé dans une crise à répétition que le retour proclamé du keynésianisme est loin d'avoir résolue. Certains en concluent qu'il faut tourner définitivement la page keynésienne. Ce flou a ouvert la porte à la multiplication des discours et des intervenants, conduisant à s'interroger sur la notion même d'économiste. Parallèlement au développement de la science économique académique est née une sorte d' « économisme » mondain qui peut être à terme ravageur. Pour Kenneth J. Arrow - prix Nobel 1972 -, l'économie moderne est une astronomie en passe de tomber aux mains d'astrologues... Tout cela est bien beau. Mais qui ne voit combien ce flou déstabilise les décideurs, pourtant avides de conseils opérationnels ? Moins de sophistication académique, un peu plus de pragmatisme, davantage d'économistes qui se révéleraient « aussi utiles que les dentistes » (Keynes dixit) : est-ce trop demander ?
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institut présaje
2010-07-01
4
[ "xavier lagarde" ]
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LE MANAGEMENT AUTREMENT
# LE MANAGEMENT AUTREMENT La crise financière, la faillite de l'Etat providence qu'elle amplifie, les bouleversements géopolitiques qu'elle annonce, alimentent une prose d'une teneur macroéconomique, au moins à titre principal. Pourtant, il n'est de richesses que d'hommes et, probablement en va-t-il de même des pertes. Pour effacer ces dernières, il faudra donc bien que, euro ou pas euro, G7 ou G20, Chine, Inde ou USA, les individus se mobilisent. C'est peu de le dire, la partie n'est pas gagnée. Le cas des cadres, petits ou grands, moyens ou supérieurs, est à cet égard emblématique. Ils sont la cheville ouvrière de nos réussites collectives. Pourtant, une étude récente nous apprend que 55% des personnels de l'encadrement intermédiaire n'attribuent plus aucun crédit au discours de leur entreprise et qu'à l'inverse, ils ne sont plus que 43% à déclarer un attachement à leur entreprise (étude réalisée pour l'Institut de l'entreprise). ## La fracture de l'encadrement Qu'il est aisé de les comprendre ! Voici 20 ans qu'ils assument seuls la charge de travail d'une Nation qui se repose, qu'ils le font, qui plus est, pour des rémunérations modestes, qu'au surplus ils supportent des prélèvements obligatoires record, qu'enfin leur niveau de vie repose bien souvent sur les soutiens familiaux de leurs ascendants. Plus grave, au désenchantement s'ajoute l'amertume. Les cadres et les ingénieurs ont constaté que la financiarisation des économies gagnait progressivement leur entreprise, que les top managers devenaient les porte-voix des actionnaires, et qu'à vouloir la congruence entre travail et capital, on creusait, lentement mais sûrement, la fracture salariale. Sans doute faudra-t-il renoncer à cette illusoire congruence. Que les salariés soient rémunérés à la hauteur de leur engagement personnel et non pas en considération d'investissements financiers qui ne sont pas les leurs et qu'ils ne maîtrisent pas. Qu'ainsi la cohérence soit rétablie entre l'investissement humain et le retour sur cet investissement. En tout cas, s'il n'y a pas de recette miracle, il est temps de réfléchir à nouveau aux principes qui permettent de fédérer les aspirations individuelles et, conséquemment, la réussite de projets collectifs, parmi lesquels ceux de nos entreprises. Cela s'appelle le management. A nous d'en esquisser l'avenir.
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institut présaje
2010-07-01
5
[ "michel rouger" ]
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LE THEATRE ET L'ACTEUR, L'ECONOMIE ET LE DECIDEUR
# LE THEATRE ET L'ACTEUR, L'ECONOMIE ET LE DECIDEUR Henri Pigeat nous parle du besoin de comprendre. Jacques Barraux s'interroge sur les outils. L'un et l'autre esquissent ce que sera notre nouvelle collection : Premices. Ils savent que celui qui veut produire de l'information, la communiquer à son public, doit comprendre que, comme au théâtre, la prestation des acteurs fera le succès ou l'échec. Dans l'économie, l'acteur, c'est le décideur, insatiable dans sa quête d'informations. C'est là que le bât blesse. Il n'y a guère de données que l'on puisse qualifier de « brutes », tant elles ont été « travaillées » : une information est presque toujours présentée comme triste ou réjouissante, avec sourire ou froncement de sourcil à l'appui, pour ne rien dire du clairon et du canon, bien connus des boursiers. Pourquoi aujourd'hui plus qu'hier ? Parce que les « livreurs » d'informations sont de plus en plus nombreux et de plus en plus difficiles à évaluer, comme ce qu'ils produisent. Il ne s'agit pas de contester leur existence, mais seulement de souligner, pour le déplorer, le rôle dominant qu'ils ont pris sur la scène de l'information. Ainsi de la Bourse. On critique sa prédilection pour le court terme. C'est indispensable pour rappeler aux décideurs l'exigence de rentabilité. Mais on ne s'est pas rendu compte que cette manie du court terme était devenue quasiment un dogme, notamment depuis l'explosion du numérique, qui permet de faire joujou sur la même valeur sans aucune limitation, pour être toujours « au plus près » : comme si la stratégie d'une entreprise changeait à chaque minute que Dieu fait ! A ce jeu, seules l'humeur et la rumeur comptent. Surtout si elles sont corroborées par le pilonnage des batteries et des salves de chiffres tirées de casemates inaccessibles au dirigeant visé, touché et parfois coulé. Sous ce déluge, il faut au décideur, mal informé, bousculé, tarabusté, de solides qualités de courage pour continuer à gérer le temps de la décision. Il suffit d'observer le comportement des politiques qui vivent la « blitzkrieg » des escadrilles de sondeurs pour en prendre conscience. L'information nourrie de l'expérience du temps et de son rôle, documentée par l'analyse des faits, démaquillée, « nature », redevient un besoin. En témoigne la notice en 25 langues de produits devenus obsolètes à peine arrivés sur le marché. Si cette information était suffisante, pourquoi tant d'angoisse face à ce qui se prépare ? Mais parce que, précisément, elle ne fait souvent que renforcer l'angoisse. Immense chantier ! « Premices » entend y prendre sa part. Obstinément. Rendez-vous à l'automne.
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institut présaje
2010-04-01
0
[ "michel rouger" ]
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PASSE-DROIT ET PASSE-DROITS
# PASSE-DROIT ET PASSE-DROITS *Il ne s'agit pas d'une simple querelle qui agita l'Académie après avoir divisé les auteurs du XVIe siècle. Il s'agit d'un débat très actuel. Il faut retenir à quel point les différentes formes de passe-droit, au singulier, au pluriel, les passe-droits, font corps avec la culture de notre beau pays.* *Ce ne sont pas les débats virils sur leurs responsabilités - les élus, les patrons, les banquiers, les parents, les éducateurs, les juges, les experts... - qui les détourneront de la recherche de ces formes singulières ou plurielles du passe-droit qui fournit le meilleur moyen d'échapper aux rigueurs du Droit ou au respect des droits des autres.* ## Le passe-droit éternel *Il se définit comme la* Grâce accordée contre le Droit et l'usage ordinaire*. Il est aussi éternel que l'est la pratique monarchique qui a étendu ce* Droit de grâce *au pouvoir suprême de la République. On vient d'en connaitre le double effet, sur la jeune fille graciée et sur le Préfet disgracié. Les choses sont claires, seul le DROIT est outrepassé.* ## Les passe-droits communautaires *Les traités européens donnent à leurs Etats signataires de nombreuses obligations, y compris celles d'accepter que le droit national soit jugé, dans ses modalités d'application, par les juridictions européennes. Voila la porte ouverte aux passe-droits, qui comme le passe-muraille de Marcel Aymé, va aller chercher* son bon droit *au sein de cet autre temple du droit, celui des Droits de l'homme.* ## Les passe-droits procéduriers *Patrie des ingénieurs en droit des procédures - le droit processuel -, la France a toujours fait l'admiration des grands juristes. On parle beaucoup, depuis des mois, d'une réforme de la procédure pénale française, modeste projet de plus de 400 articles. Il est prévisible que lorsque le Parlement aura livré ce monument, les praticiens seront tentés, comme des enfants espiègles, d'aller y jouer à cache-cache, pour y trouver les petits endroits abrités où cultiver les passe-droits.* ## Les passe-droits révolutionnaires *On le découvre, Robespierre, Danton et Mirabeau viennent de laisser la place à Google, Facebook et Twitter. Le saut dans l'inconnu que nous faisons avec eux, partout dans le monde, va-t-il nous conduire à vivre cette révolution des sans-paroles, bien loin de celle des sans-culottes, telle qu'elle semble se dessiner ? Si c'est le cas, tous les* SANS *seront naturellement tentés d'outrepasser les Droits que leur condition antérieure poussait à respecter.* *La mutation de tous les pouvoirs et de toutes leurs formes est engagée. Rendez vous avec PRESAJE à l'automne.*
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institut présaje
2010-04-01
1
[ "michel berry" ]
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LA SUBVERSION NUMÉRIQUE
# La subversion numérique Presaje a participé à Sup de Co Paris au lancement par Michel Berry et Christophe Deshayes de leur ouvrage « Les vrais révolutionnaires du numérique » (Ed. Autrement, mars 2010). Les auteurs ont été distingués dans Le Monde.fr du 30 mars 2010. Voici leurs propos. Les élites aiment les NTIC (*nouvelles technologies de l\'information et de la communication*), mais surtout pour les autres. Elles peinent en effet à gérer leurs mails surabondants et leurs communications téléphoniques, et n\'ont guère le temps de surfer. Pour elles, les NTIC créent de l\'activité économique et développent l\'efficacité à un moment où l\'économie est atone, et elles occupent les gens désoeuvrés. L\'opium moderne du peuple, en somme. Ainsi, elles ne soupçonnent pas les usages que peuvent en faire ceux qui disposent de temps et sont en mal de reconnaissance... ## L\'opium du peuple ?\... Le \"*peuple*\" se saisit effectivement de ce nouvel outil. Au départ pour des activés éducatives, conviviales ou ludiques : lire les journaux on line, préparer des voyages, faire des achats ; échanger avec des proches ; et jouer quel que soit leur âge. Les jeux prennent une place importante dans la société numérique. Ils rapportent davantage que les ventes de places de cinéma et de nombreux jeux instructifs jouent un rôle central dans la vie quotidienne, y compris dans le milieu professionnel. Ces amusements deviennent sérieux, comme le montre l\'engouement pour les *serious games*. Mais les NTIC peuvent aussi permettre d\'exister socialement à des personnes en déficit de reconnaissance. C\'est ce que découvrent des retraités, des chômeurs, des \"*ménagères de moins de 50 ans*\", des jeunes à la recherche de leur identité, etc. ## \... Ou la facilitation de contre-pouvoirs ? Que des personnes utilisent leur temps libre pour corriger sur Wikipédia les fautes d\'autrui peut sembler mystérieux. Si l\'on ajoute que Wikipédia vient de lever 7,5 millions de dollars (*5,5 millions d\'euros*) de dons auprès de certains de ses lecteurs, et surtout de ses contributeurs, on peut se demander si l\'on ne vient pas de découvrir une nouvelle secte ou un nouveau mode de production de valeur. Raillé à ses débuts, notamment de la part des professionnels qui ne rient plus aujourd\'hui, Wikipédia a montré que la masse des gens \"*ordinaires*\" peut, lorsqu\'elle est Intelligemment agrégée, se sublimer et contribuer efficacement à la diffusion des connaissances. Quand le régulateur de vitesse de la Laguna a été accusé de se bloquer, des forums de passionnés, dont nombre d\'anciens de l\'automobile, se sont constitués pour étudier l\'affaire. Certains ont même cherché à reconstituer les circonstances de la panne en roulant à des vitesses prohibées sur autoroute. Ils ont constitué un dossier dont Renault aurait pu tirer parti pour recouper ses investigations. Ou encore, après l\'accident du vol Rio-Paris, des forums, auxquels participent d\'anciens pilotes, constituent des dossiers impressionnants. Les participants n\'ont pas toutes les informations des enquêteurs, encore qu\'on trouve beaucoup de choses sur l\'Internet, mais ils sont plus libres de leurs mouvements et de leurs paroles que les enquêteurs qui doivent composer avec la justice. La communication officielle va donc être sous contrôle. Le Réseau Education sans frontières s\'occupe de l\'accompagnement de personnes dites sans papiers avec une organisation en réseau sans chef, sans organigramme ni structure juridique, sans moyens, mais en utilisant les technologies du numérique d\'une façon qui lui donne une rapidité et une souplesse d\'action stupéfiantes. Ingénieusement utilisées, les NTIC, comme on l\'a d\'ailleurs vu pour l\'usage de Twitter en Iran, peuvent se transformer en puissants outils de contre-pouvoir. ## Une révolution invisible ? La compétence en NTIC s\'acquiert finalement rapidement pour ceux qui ont du temps et la motivation. Or les marginalisés de la guerre économique ont du temps et de la motivation. Ils s\'immiscent ainsi, par des démarches collaboratives d\'un genre nouveau, dans tous les domaines de la vie sociale. L\'Etat s\'inquiète déjà d\'essayer de canaliser cette révolution. Mais comment faire ? Elle ne s\'affiche pas réellement car elle n\'en possède aucun des attributs classiques : aucune violence de masse perpétrée, aucune idéologie apparente, nul penseur emblématique à sa tête, une cohorte improbable et hétérogène d\'acteurs issus de la société civile conscients des enjeux de leur action, mais ne nourrissant aucun espoir déraisonné, le tout s\'opérant dans une ambiance plutôt ludique. Même le gouvernement chinois semble de plus en plus à la peine. Bref, une révolution joyeuse qui, contrairement aux autres, ne mange pas ses enfants. Une première dans l\'Histoire !
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institut présaje
2010-04-01
2
[ "julie bastianutti", "hervé dumez" ]
694
RESPONSABLES, LES ENTREPRISES
# Responsables, les entreprises Que signifie exactement le fait, pour l'entreprise, d'être responsable ? Un détour par l'étymologie peut être éclairant. Répondre ne veut pas dire initialement formuler un discours en réponse à un autre discours. Le latin *spondere* signifie promettre solennellement, s'engager devant les dieux et les hommes. Le contexte est juridique, et il est celui de l'action autant que celui du discours. Le verbe fonctionne également dans d'autres contextes, notamment l'économie : le champ « répond » aux soins de l'agriculteur, en produisant du fruit. Quant au substantif « responsabilité », il vient de l'anglais « *responsibility* » qui renvoie à la politique : un ministre qui n'a plus la confiance du Parlement est moralement contraint de démissionner. Cette variété de contextes reflète la difficulté à définir précisément ce que peut être la responsabilité. ## L'entreprise face à la loi L'entreprise est responsable parce que le droit lui a conféré des droits et des devoirs et a fait d'elle une personne morale. On sait que le débat a été nourri et rude, au XIXe siècle, autour de cette question. Nombre de juristes estimaient qu'il s'agissait là d'une simple fiction. Pourtant, l'entreprise a maintenant le droit de contracter ou d'ester en justice. Elle est même, depuis le début des années 90, pénalement responsable. Certains pensent alors que l'emprise du droit sur l'entreprise confine désormais au carcan (sur le plan fiscal, pénal, social, etc.). En réalité, l'entreprise n'est pas une personne comme les autres. La dimension organisationnelle est au coeur d'un phénomène d'irresponsabilité potentielle. Elle crée la « médiation illimitée de nos processus de travail » (Günther Anders) et fait de l'individu un rouage (Hannah Arendt), rendant l'imputation de la responsabilité individuelle difficile : certains hauts « responsables » se voient parfois blanchis par la justice alors que des subalternes servent de lampistes. La responsabilité individuelle se dilue dans l'organisation qui joue de sa nature pour échapper à ses responsabilités : les entreprises s'achètent, se vendent, disparaissent, changent de nom, s'insèrent dans des réseaux, créent des filiales, des holdings\... Quand une usine pollue, qui est responsable ? L'usine, la filiale, la maison-mère actuelle, la précédente, la holding, le donneur d'ordres dans la chaîne d'offre ? Le droit américain parle du *corporate veil*. On pourrait parler plutôt des masques de l'entreprise (*persona*, en latin, est le masque qui couvre le visage de l'acteur). Le juriste allemand Gunther Teubner utilise la métaphore de l'hydre : un monstre à plusieurs têtes dont on ne sait pas quelle est celle qui commande. Contrainte par le droit, l'entreprise parvient assez souvent à le manipuler. Est-elle pour autant irresponsable ? Non, parce que divers mécanismes se sont mis en place pour la responsabiliser. ## Le micro et le projecteur L'entreprise est en effet entrée dans un champ politico-médiatique qui rend ses comportements visibles, et elle se trouve ainsi contrainte de s'expliquer. C'est l'articulation du projecteur et du micro. Ainsi joue ce que Jon Elster, professeur au Collège de France, appelle la force civilisatrice de l'hypocrisie. Dans un espace politico-médiatique où s'activent d'innombrables acteurs sociaux (journalistes, associations, ONG, etc.), l'entreprise est exposée au conflit et tenue d'afficher la vertu. Elle se trouve responsabilisée : mais sa responsabilité est évaluée sur un plan symbolique (par exemple, les classements en matière de politique environnementale) et réel (des fonds d'investissement, de plus en plus nombreux et importants, lient leur participation financière aux entreprises aux efforts que celles-ci font pour être socialement responsables). Bousculées, les entreprises réagissent en prenant l'initiative : elles signent souvent des partenariats, y compris avec les ONG ou les associations qui les ont attaquées dans un premier temps. En revanche, aux États-Unis et au Canada, elles ont parfois utilisé les poursuites judiciaires pour bâillonner les entrepreneurs sociaux qui pouvaient les menacer (poursuites-baillons ou « *Strategic Lawsuits Against Public Participation* » - SLAPPs). Concluons : si l'entreprise, personne morale, n'est pas responsable par nature, elle est aujourd'hui soumise à un ensemble de mécanismes qui la responsabilisent. Les règles de ce jeu, largement conflictuel mais dans lequel se dessinent des voies de coopération et d'apaisement, restent encore à définir. L'économie finira par déboucher sur le droit. C'est affaire de pragmatisme, pas de décrets.
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institut présaje
2010-04-01
3
[ "alexis rimbaud" ]
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LES INVESTIGATIONS TECHNOLOGIQUES FACE AU DROIT
# Les investigations technologiques face au Droit L\'influence des nouvelles technologies dans la vie quotidienne accélère l\'évolution des lois. Nous ne comptons plus les infractions pénales commises par de simples utilisateurs connectés à l\'internet ou par certains DSI, contrevenant aux dispositions relatives à l'\'intrusion dans les systèmes d\'information, ou ceux concernant les traitements automatisés. Aux Etats-Unis, et plus généralement dans les pays anglosaxons, cette confrontation entre les lois et l'investigation est répandue, au point de générer de nouvelles entreprises, spécialisées dans le renseignement et l\'utilisation extensive des nouvelles technologies dans la parfaite maîtrise du droit et la validité des preuves. Un sujet sur lequel s'opposent opérateurs et contrôleurs. En décembre 2009, à Philadelphie, une affaire d\'escroquerie financière portant sur plusieurs dizaines de millions de dollars fut ainsi réduite à néant par une défense entièrement construite sur l\'emploi du temps de l\'accusé et ses traces, probantes, enregistrées sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook. Une autre le fut grâce à la remise en cause des éléments de l\'accusation portant sur la géolocalisation effectuée au travers du logiciel GoogleEarth, avec à l\'appui, une démonstration in situ, en la présence d\'un géomètre et d\'un ingénieur en informatique. La clé de la réussite réside dans le dialogue entre les compétences droit / technologies. De nombreux systèmes autrefois réservés aux « *services spécialisés de l\'Etat* » sont aujourd\'hui en vente libre, à l\'instar des micro-logiciels d\'interception téléphonique, de SMS et autres géolocalisations, ayant récemment défrayé la chronique. Mais qu\'en est-il de la validité des preuves ainsi récoltées ? En France, cette demande de prestations devient insistante. Les ordonnances technologiques en matière civile (divorce), commerciale ou pénale, sont choses courantes et ces sociétés qui les produisent ont le vent en poupe. Ce n'est pas sans lien avec la réforme de la procédure pénale qui, tendant vers un système anglo-saxon et l\'abandon du magistrat instructeur, ouvre la voie, selon les détracteurs de ces projets, à une « privatisation de la procédure », replaçant l\'investigation, ses moyens (et coûts), au centre du débat. L\'expert en technologies est au coeur de ce processus. Il n\'est plus rare qu'il soit sollicité par les parties - accusation, partie civile ou défense -, versant elles-mêmes aux débats d\'innombrables éléments glanés, sans garantie juridique, à l\'aide d\'outils commerciaux commandés sur des sites spécialisés, américains, voire chinois. Face à ces situations, le rôle de l'expert judiciaire consiste à se référer au droit, puis à user des moyens mis à sa disposition par les technologies validées par le Code. C'est indispensable, face à la pression exercée par le business.
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institut présaje
2009-10-01
0
[ "michel rouger" ]
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QUI PENSE PEU SE TROMPE SOUVENT
# Qui pense peu se trompe souvent *Il y a cinq siècles, Léonard de Vinci nous mettait en garde contre les dérives de nos économies modernes. Pourquoi nous trompons-nous si souvent ? Pourquoi pensons-nous si peu ?* *De crise en crise, nous répétons l'erreur d'accorder trop de crédit, au propre comme au figuré, aux chiffres, aux calculs et aux évaluations qui conditionnent nos décisions économiques et financières. De projets de régulations en essais de contrôle, nous répétons l'erreur de rechercher les solutions dans la petite pensée courte, la réglementation, ses textes bâclés, ses sanctions péremptoires, de préférence à la pensée longue, réfléchie, la Loi.* *L'économie, monde des usages, se méfie des règles, qu'elle excelle à contourner. Elle respecte la Loi qui fixe le cadre de ses activités, elle en reconnait la lettre et l'esprit, qui donnent au jugement une force incomparable à celles de l'usage et de la réglementation.* *A condition que l'économie vive dans un Etat de droit. Ce fut vrai dans les Etatsnations, jusqu'à ce que la mondialisation en fasse des féodalités locales, aux droits décalés, comme on le voit après la ruine passagère de la monarchie absolue régnant à la Cour deWall Street.* *C'est pourquoi il est grand temps de remettre chacun à sa place utile -- le Droit, le chiffre, le jugement et l'évaluation - si l'on veut penser plus pour se tromper moins. Une question s'impose alors : faut-il condamner le chiffre ? Non. Seulement son mauvais usage, qui ne doit pas nous faire oublier tout ce qu'il nous a apporté dans l'analyse de la productivité des machines, du développement des marchés, des sciences, de la richesse et de la liberté.* *Heureusement, la dernière alliance ruineuse de la cupidité des manipulateurs de chiffres et de la négligence des régulateurs petits penseurs a produit un bienfait. Le monarque n'est plus absolu et les gourous qui l'inspiraient ont perdu de leur pouvoir, même s'ils n'ont pas tous quitté la Cour. La place est libre pour les penseurs de gros temps, aux équipes capables de mélanger les disciplines des lettres, du chiffre, du droit, de l'économie, de la gestion, de la finance.* *Repassons chez Léonard de Vinci : « Aucune investigation humaine ne peut s'intituler science si elle ne s'appuie sur la démonstration mathématique ». Si ce visionnaire industriel avait imaginé les mathématiques financières, il aurait inversé son propos.*
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institut présaje
2009-10-01
1
[ "jean-rené farthouat" ]
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LE JUGE D'INSTRUCTION : ECHEC ET MAT ?
# LE JUGE D'INSTRUCTION : ECHEC ET MAT ? *Tel est l'intitulé du colloque des Entretiens de Royan, organisé par PRESAJE le 19 septembre dernier au Palais des Congrès de Royan. Les débats ont été animés par M. Jean-Marie Coulon, premier président honoraire de la cour d'appel de Paris. Voici la conclusion des travaux, confiée au bâtonnier Jean-René Farthouat.* Si j'en avais le talent, j'aurais volontiers commencé ce rapport par une fable intitulé « *Le mauvais juge et le bon procureur* ». Sans doute ne faut-il pas oublier les critiques qui ont été, dans le passé, adressées au juge d'instruction ou, du moins, à certains d'entre eux. Pour autant, je n'ai pas le souvenir que le procureur ait jamais été présenté comme le gardien des libertés et la solution à tous les maux dont souffre la justice. Les débats de ce colloque ont fait apparaître que, pour nombre d'intervenants, la solution ne résidait pas, nécessairement, dans un choix entre un juge instructeur et un procureur instructeur. L'une et l'autre solutions présentent des avantages et des inconvénients, mais ni l'une ni l'autre ne pourront être satisfaisantes si les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l'institution judiciaire ne sont pas mis au service de l'instructeur, qu'il soit juge ou qu'il soit procureur. Après que le professeur Didier Rebut ait montré que les nombreuses réformes qu'a connu la procédure pénale traduisent un perpétuel balancement entre le souci d'une nécessaire répression et l'exigence du respect des droits fondamentaux de la défense, c'est la nécessité d'une nouvelle réforme qui a opposé les intervenants. Pour les tenants du juge d'instruction, au nombre desquels, parmi beaucoup d'autres, Mme Marie-Odile Bertella-Geffroy et le bâtonnier Frank Natali, ni l'argument de la dyslexie dont souffre ce magistrat supposé instruire à charge et à décharge, ni le fait que 95 % des affaires pénales soient, d'ores et déjà, instruites selon les modalités préconisées par le rapport Léger, ne résistent à l'examen. Le procureur, dont le rôle premier est de poursuivre, est encore moins à même que le juge d'instruction de le faire à charge et à décharge. Si l'instruction ne concerne que 5 % des affaires pénales, ce sont les plus graves et les plus sensibles qui requièrent d'être instruites par un juge totalement indépendant. Aussi bien la réforme proposée par le rapport Léger leur apparait-elle porteuse de graves dangers. Le but poursuivi par ce qu'un des orateurs a qualifié de « *fait du prince* » serait, en réalité, la mise au pas du juge. Pour les partisans de la réforme et, par conséquent, d'un procureur chargé d'instruire, dont Me Jean-Yves Le Borgne s'est institué le porte-parole, la procédure actuelle porte gravement atteinte au droit de la défense. Ils font valoir que l'ordonnance de renvoi constitue, en réalité, un pré-jugement. Ils stigmatisent la durée anormalement longue de la procédure d'instruction et l'impossibilité, dans ce cadre, de mettre en place un véritable travail d'équipe qui pourrait, au contraire, se réaliser plus aisément au sein d'un Parquet hiérarchisé. Les rapports présentés par MM. Michel Desplan et Guillaume Daïeff ont illustré cette opposition. La réforme proposée permettrait, pour M. Michel Desplan, une meilleure lisibilité, une meilleure capacité et une meilleure organisation de l'instruction, tandis que pour M. Guillaume Daïeff, elle porterait atteinte aux droits des victimes et aux droits de la défense, ce serait pour lui « *plus de police et moins de magistrats* ». Le président Jacques Buisson a souligné la difficulté sinon l'impossibilité de choisir entre ce qu'il a appelé « *une solution thérapeutique* » et une « *solution chirurgicale* ». Les orateurs qui se sont succédé, qu'ils soient partisans, sans enthousiasme excessif, des propositions du rapport Léger ou qu'ils aient dit, face à ces propositions, leur déception, leur nostalgie ou leur inquiétude, sont tombés d'accord pour considérer que l'essentiel ne résidait pas dans la substitution du procureur au juge d'instruction,mais dans les garanties dont sera entourée une éventuelle réforme. L'indépendance du Parquet, les moyens d'y parvenir et, notamment, selon Me Jean-Pierre Spitzer, l'institution d'un pouvoir judiciaire, la fin de la confusion entre le Parquet et le siège dénoncée par le conseiller Jean-Yves Monfort, sont apparus comme les garde-fous sinon les contre-feux nécessaires à une réforme dont, le moins qu'on puisse dire, est qu'elle ne fait pas l'unanimité. Cette unanimité s'est faite, en revanche, sur la nécessité de mobiliser, en faveur de la justice pénale, des moyens financiers. Le bâtonnier Jean Castelain s'est fait l'avocat éloquent de cette exigence. Si la partie d'échec qu'annonçait le titre de ce colloque est loin d'être achevée, il a eu le mérite, comme l'a souligné Me Giovani Bana du Barreau de Milan, de permettre des échanges fructueux entre tous les acteurs de la scène judiciaire.
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institut présaje
2009-10-01
2
[ "xavier lagarde" ]
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FAUT-IL BRULER LE P.I.B. ? LES DITS ET NON-DITS DU RAPPORT STIGLITZ
# FAUT-IL BRULER LE P.I.B. ? Les dits et non-dits du rapport STIGLITZ Il y a quelques jours, la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social remettait son rapport au Président de la République. Lors d'un colloque à la Sorbonne, ce dernier en livrait en quelques mots la synthèse médiatique : « *il faut en finir avec la religion du chiffre* ». Et l'opinion de s'enchanter de la mort annoncée du PIB, pour produit intérieur brut, auquel se substituerait désormais un indicateur de bien-être. Et puisque la célèbre commission est présidée par Joseph Stiglitz, qu'elle est conseillée par Amartya Sen, eux-mêmes accompagnés d'une pléiade de prix Nobel, consacrés ou potentiels, nul n'ose sérieusement porter la contradiction. Et pourtant... Essayons d'être juste. Le rapport propose trois pistes de réflexions aux fins de mieux mesurer la performance des économies : - La première porte sur le calcul du P.I.B. que les éminents membres de la Commission ne condamnent pas définitivement et dont ils proposent d'affiner la mesure. De fait, le P.I.B. d'une économie de services ne se détermine pas de la même manière qu'au temps des grandes manufactures. C'est incontestable et nous avons besoin d'experts pour améliorer notre jugement. - La deuxième (présentée en troisième place dans e rapport) met l'accent sur la « *soutenabilité* » de la croissance. A l'heure de la déperdition des énergies fossiles et du réchauffement climatique, il n'est pas inutile d'agiter le spectre d'une croissance assise sur un feu de paille et de réfléchir aux conditions d'un développement durable. - La troisième tourne autour de la qualité de la vie. Il est tout d'abord suggéré de considérer la richesse, non plus seulement sous l'angle de la production (le fameux P.I.B.), mais également du point de vue de ceux qui sont censés en profiter. C'est astucieux et bienvenu. Mais il est également avancé qu'il faudrait « *mesurer le bien-être, tant objectif que subjectif* ». Et c'est ici que les hésitations commencent. Les auteurs du rapport sont prudents. Ils reconnaissent qu'il n'y a point de définition consensuelle du bien-être et qu'en conséquence la mesure est délicate. Cependant, cette prudence ressemble à une simple précaution rhétorique. Car bien vite, il nous est dit qu'il existe des indicateurs fiables, liés notamment à la santé, au travail, au logement, à l'environnement, aux relations sociales, à l'investissement dans la vie citoyenne... Se profile ainsi une définition économiquement et politiquement normalisée du bonheur individuel qui suscite une certaine perplexité. D'abord, son exactitude est douteuse. Dans d'autres pays, comme les Etats-Unis, nombreux sont les individus qui n'imaginent pas une seconde de lier leur bonheur aux droits dont ils disposeraient en matière de sécurité sociale ou de logement. Ensuite, la légitimité de cette sorte de « projet bien-être » que dessine le rapport Stiglitz peut-être contestée. Sans doute ne rêvons-nous plus grand soir ou grandes conquêtes. Et c'est tant mieux. Faut-il pour autant se résoudre à de médiocres destinées ? L'Europe, le progrès technologique, la paix dans le monde, le dialogue des civilisations, bien d'autres choses encore... N'y a-t-il pas là de plus nobles ambitions ? Cette promotion du bien-être au rang d'indicateur des politiques publiques suscite d'autant plus de réserves que, d'une certaine manière, le rapport tombe mal. Il est censé éclairer la lanterne des puissants de ce monde, tout spécialement ceux que réunit le G20. L'utilisation politique du rapport conduira à une réduction de son propos qui, vraisemblablement, sera ainsi résumé : moins de croissance, plus de bien-être. Un programme qui ressemble à celui que la France pratique depuis un quart de siècle, « *forte* » d'une croissance molle et fière d'un système de santé qu'elle croit et dit être le meilleur au monde. En termes politiques, chacun admirera le coup de maître du commanditaire d'un plaidoyer *pro domo* écrit par des sommités, dont les deux plus connues sont l'une américaine, l'autre indienne. Peut-être s'ensuivra-t-il un coup de génie si le monde à l'unisson vient célébrer la supériorité du modèle français. Simplement, il est à craindre que ce cocorico de circonstance n'offre qu'une courte satisfaction intellectuelle. Bien vite, les autres découvriront que, faute de croissance, nous sommes incapables de financer notre bien-être. En un mot, le rapport Stiglitz est politiquement une réussite, sociologiquement une illusion.
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institut présaje
2009-10-01
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[ "albert merlin" ]
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LES COMPTES DE LA COUR
# LES COMPTES DE LA COUR En France, il y a beaucoup de questions taboues, surtout lorsqu'on touche au « social ». Heureusement, il y a une institution anti-tabou : la Cour des comptes. Elle n'intervient que tardivement, et pas assez souvent. Mais elle fait quelquefois des découvertes qui laissent perplexe. Ainsi de son dernier rapport sur les coûts des services hospitaliers : l'opinion a naturellement du mal à comprendre comment l'effectif du personnel médical par lit de spécialité, dans des services par ailleurs comparables, peut varier de 1 à 5 en maternité, de 1 à 8 en chirurgie orthopédique, de 1 à 10 en pneumologie. Les écarts ne sont pas moindres lorsqu'on effectue des comparaisons de ville à ville. Et alors ?\... Alors, une fois l'étonnement passé, l'opinion va s'intéresser à tout autre chose : au prix du beurre ou au dernier roman de tel homme politique s'affichant comme romancier. Et si l'on en profitait, au-delà de l'évènement, pour réfléchir calmement à la mission et à la gestion des entreprises et des services publics ? Sachant qu'il n'y a pas que les hôpitaux qui posent problème : les chemins de fer, la Poste, l'Education Nationale et nombre de services publics ne sont pas, que l'on sache, des modèles de gestion. Et il n'y a pas que les comptes qui importent : la qualité du service, la capacité d'innovation, le choix des investissements sont tout autant décisifs. Il faut beaucoup de talent pour marier quantitatif et qualitatif : mais c'est la règle du jeu ! Que le social au sens large, tout comme le culturel, ne relèvent pas d'une pure logique d'entreprise, tout le monde en sera d'accord. Mais peut-on les dispenser de compter ? C'est le contraire qui est vrai ! Dans l'entreprise privée, les ajustements se font quotidiennement en fonction des réactions du marché ; dans le secteur public, où il n'y a pas ce constant rappel à l'ordre, il faut (il faudrait) faire des calculs internes pour tenter d'approcher de l'optimum. Si le mot « argent » suscite la gêne, il n'en manque pas d'autres : efficacité, rationalisation, optimisation ... et nécessité de rendre compte. Seul ennui : quiconque plaide pour ce recours à la rationalité se voit accusé de comportement anti-social . Pourtant, tout le monde peut comprendre qu'une société humaniste ne peut résulter que d'une juste répartition des responsabilités. Sans tabou !
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institut présaje
2010-01-01
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[ "michel rouger" ]
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LES INFORTUNES DE LA LOI
# Les infortunes de la Loi *La décennie 2000-2010 a révélé les infortunes de la vertu de l'*homo economicus*. Elle a subi les outrages du développement de l'économie criminelle avec ses énormes trafics mondiaux, puis ceux de l'explosion d'une sphère financière qui avait envahi tout l'espace économique, avec ses scandales et sa cupidité. On comprend pourquoi l'appel aux règles et aux lois est si fort.* *Le risque est grand que cet appel soit vain, tant les signes annonciateurs des futures infortunes de la loi se multiplient. Pour les découvrir, il faut rappeler ce qu'est la Loi, selon Littré : une* prescription qui émane de l'autorité souveraine*.* *La loi qui émane du peuple souverain prévaut dans les économies des Etats dits de droit. Hors de leurs frontières, la loi change de définition pour ne plus être que* l'expression d'un rapport de forces à un instant donné*. Si l'année 2010 confirme ce que 2009 a apporté, la loi économique de la prochaine décennie sera celle découlant des rapports de force.* *Trois exemples font réfléchir.* *A Copenhague, 195 pays de l'ONU souveraine étaient réunis pour prescrire les règles d'un développement économique qui protège la terre nourricière des hommes. Trois pays ont confisqué le débat à leur profit . Chacun a marqué son territoire ; on ne les voit pas s'abandonner à la loi d'une autre souveraineté.* *A Wall Street, les financiers responsables de la crise, et de la pénurie de crédit destructrice des échanges internationaux, ont admis que la loi de l'autorégulation des marchés, qui fit leur force, n'avait pas de fondement économique. Après quoi, ils se sont accordés pour la remplacer par les règles qui rétabliraient leurs forces affaiblies, afin de mieux affronter les conflits d'intérêt avec les prétendants au partage de leur souveraineté invalidée.* *A Londres, patrie de* l'actionnaire *et de la* share holder value*, lieu du culte de la* gouvernance *et de la* soft law*, ces recueils des prescriptions des autorités de la City ont disparu dans la tourmente. L'Etat n'a pas hésité. Après avoir déploré, brièvement, la ruine de ses chers actionnaires, il a mis la main, sans vergogne, sur ce qui restait de leur patrimoine. Cette débâcle augure mal des chances de l'actionnaire de conserver son pouvoir dans l'économie. La loi qui en réorganisera l'exercice sera celle des rapports de force entre les parties prenantes à l'entreprise.·* *A Paris, patrie de la norme et du règlement, il est grand temps d'étudier les mouvements économiques et géostratégiques de cette décennie 2010-2020, qui provoqueront les infortunes de la loi choisie par le plus grand nombre au profit de celle imposée par les plus forts*
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institut présaje
2010-01-01
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[ "michel rouger", "michel cicurel", "olivier poupart-lafarge" ]
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APRES LA CRISE : DU DISCREDIT AU CREDIT
# APRES LA CRISE : DU DISCREDIT AU CREDIT Organisé par l'institut Présaje et le Fides (Forum sur les institutions, le droit, l'économie et la société), un colloque s'est tenu autour de ce thème le 14 octobre dernier à l'université Paris Ouest-Nanterre La Défense. Ci-après figurent quelques extraits des propos tenus par trois des intervenants :Michel Cicurel, Olivier Poupart-Lafarge et Michel Rouger. La transcription intégrale des débats peut être consultée sur notre site www. presaje.com, rubrique actualités. ## Michel CICUREL Beaucoup de critiques sont adressées aux banquiers. On nous reproche de temps en temps de ne pas prêter assez ou de prêter trop. S'agissant des *subprimes*, on nous disait que l'on prêtait trop. Dix-huit mois après, on ne prête pas assez. Je ne dis pas que les banques ne méritent pas de critiques, mais je trouve qu'elles sont assez mal ajustées. Mon propos s'organise autour de trois thèmes; je n'ai pas évité les thèmes dangereux : - naturellement en tête : les bonus, qui intéressent tout le monde, - ensuite, j'espère ne pas mordre sur la deuxième table ronde : la régulation, - enfin, le rapport entre finance et économie réelle. 1. Premier point : les bonus. Pour planter le décor, je dirais que les bonus sont un sujet politique, mais qui n\'a strictement rien à voir avec la crise. C\'est complètement hors sujet par rapport à la crise. Simplement, voir des banques distribuer des bonus aussi généreusement alors que le chômage va vraisemblablement continuer de progresser aux Etats-Unis jusqu\'au printemps prochain, qu\'un Américain sur six sera au chômage, est une provocation. Mais c'est un sujet politique qui aurait dû être traité par les politiques. Je pense depuis très longtemps (quinze ou vingt ans), que la finance est trop rémunérée par rapport à d\'autres activités, et pas seulement les patrons de banque. Vis-à-vis d'autres métiers (enseignants, chercheurs, médecins, infirmières, etc.), je trouve qu'il y a un problème de contribution à la société et je ne crois pas qu'un secteur puisse durablement gagner beaucoup plus qu'il n'apporte à la société. 2. Deuxième sujet : la régulation. Aujourd\'hui, on dit : « *Vive la régulation !* ». Ma conviction est que le principal responsable de la crise d'aujourd\'hui n'est pas le banquier mais le régulateur. J'estime en particulier que la Réserve fédérale était le *dealer*, à la différence de Jean-Claude Trichet, qui, je vous le rappelle, a essayé de maîtriser la masse monétaire et se faisait huer par toute l'Europe. Dans le même temps, le patron déifié de la Réserve fédérale a laissé se développer une bulle immobilière très dangereuse, sans la regarder. Je me suis toujours demandé si les banquiers centraux, à moins d'être comme Jean-Claude Trichet amoureux du martyre, étaient vraiment indépendants, ou s'ils n'étaient pas finalement dépendants de l'opinion et de leur image. L'erreur humaine est beaucoup plus dévastatrice dans la tour de contrôle que dans la cabine de pilotage ! 3. Dernier thème : finance et économie réelle. Cette distinction me paraît redoutable parce qu'elle ne correspond absolument pas à la réalité des entreprises. Une grande entreprise n'a pas envie d'avoir celui qui lui fait un crédit sur son bilan d'un côté, celui qui lui organise ses émissions obligataires, ses augmentations de capital en actions d'un autre côté, puisque c'est la banque de marché. L'entreprise a envie d'avoir un interlocuteur unique. Maintenant, deux mots sur la titrisation. Je pense qu'il serait de la folie d'arrêter la titrisation, et que ce serait de la folie aussi que le régulateur admette que l'on puisse titriser 100 % d'un crédit. Il faut continuer de titriser, mais il faut que les banques gardent une part de responsabilité dans la titrisation. Le problème n'est pas banque commerciale vs banque d'investissement. Le problème est le compte propre. Quand une banque commence à rouler pour son compte propre et à s'intéresser plus à elle-même qu'à ses clients, à prendre des risques sur ses fonds propres alors que le régulateur lui impose par ailleurs des règles tatillonnes, je me dis qu'il y a probablement un risque ; de fait, il s'est matérialisé. ## Olivier POUPART-LAFARGE Pour essayer d'y voir clair, je voudrais prendre une image toute simple : celle du chauffard ivre-mort qui roule à 200 km/heure sur la route et qui provoque un accident important, un carambolage. On se tourne à ce moment vers tous les responsables possibles de cet accident. On dira que la route, que la signalisation étaient mal faites, que les gendarmes n'ont pas bien surveillé le trafic... Pour moi, c'est le chauffard ivre qui est responsable de l'accident. Qui, dans notre propos, joue le rôle du chauffard ivre qui roule à 200 km/heure ? Les banques. Mais puisque l'on parle de responsabilité, peut-être faudrait-il évoquer cette innovation curieuse qu'a représenté la norme de rendement des fonds propres à 15%. Je crois que cela n'a pas peu contribué à l'accident que nous connaissons. Il n'est pas normal que des gens pensent qu'ils peuvent durablement avoir 15%de rendement des fonds propres. On a un peu parlé des *tradings* pour comptes propres. Il s'agit là d'un vrai scandale puisque l'on met à la fois en péril les fonds propres et l'on est aussi en conflit d'intérêt avec ses propres clients. Que dire de la titrisation ? Un élément me paraît grave : la BRI a déterminé que seulement 20%de la titrisation étaient placés dans des investisseurs externes et que 80 % étaient rachetés par les banques elles-mêmes. Il s'agissait donc en réalité d'arbitrages réglementaires : les banques faisaient tomber des lignes de crédit aux entreprises dans des instruments financiers qui étaient moins régulés et qui leur permettaient d'augmenter leurs profits. Cela dit, il ne faut évidemment pas tuer les marchés financiers ni la possibilité de faire de la titrisation si elle est raisonnablement faite, placée auprès d'investisseurs et qu'une partie du risque est conservée par les banques. Il faut de la titrisation, c'est absolument indispensable, mais il y a nécessairement des limites. Quelques mots, maintenant, sur les besoins d'un groupe comme Bouygues. Le groupe dispose de 8,8 milliards de fonds propres, affiche un bénéfice net de 1,5 milliard et des investissements de 1,8 milliard. Total de la dette : 8,7 milliards. Il s'adresse, bien sûr, aux marchés financiers, mais aussi aux crédits et aux garanties bancaires, essentiels dans ces métiers. Autre aspect important : le financement de nos clients, crucial pour des chantiers souvent longs. Une remarque spéciale pour les crédits relais, actuellement en panne vu l'incertitude sur les prix. Ces crédits relais sont le moteur des lancements de chantiers. C'est cet indicateur qui est significatif du marché. Or il est totalement à plat. ## Michel ROUGER En cinquante ans d\'activité bancaire, je n\'ai tiré qu\'une seule leçon, qu'il s\'agisse de la toute petite SOFINCO de 1956 - pour laquelle je suis allé aux Arts ménagers vendre le crédit à la consommation à la ménagère de moins de cinquante ans - ou de la banque internationale ABN AMRO de 2006 - pour laquelle j'ai tenté de vendre la titrisation aux banquiers chinois qui ne savaient pas comment gérer leurs engagements immobiliers. Les relations sont difficiles entre le banquier et son client parce que le client demande un crédit, une marque de confiance, alors que le banquier octroie un prêt, une prise de risques\... J\'ai vécu quatre crises qui ont affecté la distribution du crédit, en cinquante années de carrière. Elles ont toutes suivi le même processus : emballement du marché de l'offre de crédit, constatation de la mauvaise qualité des risques, crédit crunch, discrédit des banquiers. La dernière, la plus récente, car ce n'est pas la dernière, est intéressante, car elle comporte les éléments du processus classique, auxquels se sont ajoutés des phénomènes inconnus auparavant, et notamment l'ouverture aux simples consommateurs de pratiques de spéculations immobilières grâce à des crédits qu'ils subissaient plus qu'ils ne les demandaient. Il ne faut pas s'étonner de la puissance de l'explosion qui a fait le tour de la planète. Le discrédit qui affecte les banques, à la suite de la catastrophe, est à la mesure des ravages subis par ceux qui se plaignent de ne pas trouver de crédit, face à ceux qui affirment continuer à consentir des prêts. Il est inutile de guerroyer sur ce terrain. On ne refait pas des oeufs avec une omelette. J'ai vécu cette expérience dans la « bad bank » (le CDR, qui participa au plan de sauvetage du Crédit lyonnais), à laquelle l'Etat avait confié les nombreuses entreprises commerciales et industrielles, dans lesquelles le Crédit Lyonnais détenait le contrôle, et que sa situation de quasi faillite ne lui permettait plus de conserver, même pas comme clientes. Ces entreprises, avec leurs 40.000 emplois, se sont vu refuser leurs crédits par les autres banquiers de la place, qu'elles étaient bien obligées de solliciter. Quand on est face à un problème de ce type, insoluble dans le cadre du fonctionnement du marché, il ne faut compter que sur soi même. Pour éviter de pénaliser ces entreprises, déjà victimes de leur proximité avec la banque qui était accablée par le discrédit de ses turpitudes médiatisées, il n'y avait que la solution de réactiver une des banques condamnées à la liquidation par le plan de sauvetage et d'en dédier les activités reprises, aux financements de ces sociétés. Grâce à cet outil, en donnant la promesse de gérer cette banque, notée AAA, dans le cadre exclusif des entreprises captives du CDR, le crédit crunch dramatique qu'elles subissaient a été dépassé. Mais, quelle qu'ait été la grande utilité du dispositif mis en place, les rapports banquier / client sont restés générateurs de controverses, d'opposition, voire de suspicion. Cette règle détermine les relations entre celui qui demande la confiance d'un crédit et celui qui lui offre les risques d'un prêt.
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institut présaje
2010-01-01
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[ "jean-luc girot" ]
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LA NUMÉRISATION DE NOTRE PATRIMOINE EST-ELLE UNE AFFAIRE D'ETAT ?
# La numérisation de notre patrimoine est-elle une affaire d'Etat ? Resté longtemps sous-jacent, le problème de la numérisation des ouvrages et de ses limites a éclaté au grand jour avec le jugement interdisant à Google de poursuivre la numérisation d'ouvrages sans autorisation des auteurs et des éditeurs. Au-delà du procès, la véritable question est celle de l'attitude des Français face à ce qui apparaît comme un « clash » entre droit et accès à la culture. On peut évidemment déplorer que le patrimoine national reste encore peu accessible, alors que la dématérialisation offerte par le numérique, le stockage illimité et la diffusion rapide des contenus sont une chance à saisir. En regard, cette révolution technique suscite mille convoitises chez les opérateurs privés, avides de profits. La question est donc posée : la numérisation, le stockage et la diffusion de notre patrimoine national est-elle une affaire d'Etat ? Si oui, le contribuable devra mettre la main à la poche et l'Etat assumer la charge de travail pour que les entreprises privées ne puissent faire main basse sur cet acquis collectif. Aujourd'hui, au plus haut niveau, on estime que c'est l'Etat qui devrait se charger de la numérisation et du stockage des oeuvres dont il est le dépositaire pour les générations futures. Ceci suppose la mise en oeuvre d'un vaste programme avec les « gardiens du temple » de la culture, comme la Bibliothèque nationale de France (BNF), le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), l'Institut national de l'audiovisuel (INA), les grands musées nationaux, etc. Mais alors, que deviendra la diffusion du patrimoine lorsque l'ensemble aura été versé dans des serveurs informatiques, aux confins des sous-sols de l'Etat ? Il faudra bien autoriser les moteurs de recherche à venir les y chercher pour les mettre à disposition de tous. L'Etat devra-t-il également se lancer dans la mise au point d'un « Google » nationalisé pour maîtriser la complétude de la chaîne de la valeur culturelle ? Mission impossible ! Alors, soyons protecteurs mais pas protectionnistes ! Le patrimoine culturel est l'affaire de tous. Le rôle de l'Etat est, bien sûr, de le préserver, mais également de permettre sa mise à disposition et sa diffusion au plus grand nombre. Comment cela sera-t-il possible s'il s'isole totalement des entreprises privées qui maîtrisent les outils ? A nous d'imaginer les solutions pour garantir un équilibre stable au profit de tous. Dans ce domaine également, Etat et entreprises privées sont contraints de s'entendre. Pour concilier économie, culture et droit.
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institut présaje
2009-07-01
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[ "michel rouger" ]
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EVALUER, JUGER, GOUVERNER.
# Evaluer, juger, gouverner. Que la gouvernance était belle au temps béni de la finance débridée ! Le bon docteur Pangloss-Greenspan était heureux, tout était pour le mieux, dans le meilleur d'un monde transparent, conforme et « accountable ». Jusqu'à ce que cette belle gouvernance aille se fracasser, à un carrefour de Wall street, en explosant comme la 2 cv de Bourvil dans le «Corniaud*»*. Mi-juin, notre ami François Ewald a réuni, dans les jardins inspirés de la villa Médicis à Rome, quelques spécialistes capables de faire le bilan de santé de cette gouvernance mal en point. Conclusion des deux journées : seuls les hommes, par leur courage, leurs vertus, leurs valeurs, le sens de leurs responsabilités, lui redonneront vie et dignité. Ce qui fut brillamment confirmé par un grand banquier, humaniste pragmatique, passager involontaire d'un véhicule pris dans le carambolage fatal. Au-delà de ce consensus, un mal plus profond a été révélé, au détour d'un scanner du comportement humain et de son évolution récente. Sous l'influence sournoise du couple «infernet*» *(informatique + internet), les individus ont abandonné le jugement qualitatif - le Pour, le Contre -- en privilégiant l'évaluation quantitative, le Combien. Ensuite, le bon Combien, celui de la responsabilité du bon usage des intérêts confiés, a été chassé par lemauvais : celui de l'intérêt personnel, au mépris de l'intérêt général. Pour le dire concrètement : le bon Combien occulté, c'est le travail de l'infirmière surchargée, le mauvais, affiché, celui du trader insatiable. Au point que la valeur de l'infirmière disparait, très loin derrière celle du trader. Il n'y a qu'un malheur dans cette évolution. Elle interdira de trouver les hommes et les femmes de valeur qui ne pourront jamais quantifier ni leur courage, ni leurs vertus, ni leur sens des responsabilités. Ils seront dédaignés au profit des beaux esprits falsificateurs du Combien, à court terme. On sait pourtant, depuis la Rochefoucauld, que l'*«*on est quelquefois sot avec de l'esprit, mais qu'on ne l'est jamais avec du jugemen*t». *Beau sujet : Présaje va s'y intéresser. Les maux que certains sots ont fait aux sociétés humaines ne seront soignés et guéris que par les hommes et femmes de jugement qui ont été écartés par ceux et celles des fausses évaluations.
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institut présaje
2009-07-01
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[ "jean-pierre chamoux" ]
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LE LEVIATHAN EUROPEEN
# LE LEVIATHAN EUROPEEN Morne campagne : au sein des pays-membres, le débat électoral fut surréaliste, tant par sa fragmentation que par son caractère anecdotique ; les candidats, bien trop nombreux pour tous être éligibles, concentraient leurs feux sur des thèmes locaux et circonstanciels. Aucun souffle, peu de projets, sauf peut-être écologiques, c'est-à-dire conservateurs, au sens propre : à deux ans du traumatisme provoqué par le projet constitutionnel avorté, aucune vision n'en émane pour éclairer le propos politique de notre Union ! Rien ou presque qui puisse relever le défi d'une crise mondiale... Ce nanisme politique accouche d'un Parlement fragmenté qui évoque notre défunt « régime d'assemblée ». Celui de la France vieillissante ! L'Europe serait-elle la proie de démons analogues ? Pour en sortir, trois impératifs : que l'Europe abandonne sa course à la redistribution ; qu'elle cesse de confondre la loi avec le droit ; qu'elle comprenne la société d'information. Rien que cela ! ## Redistribution L'Europe y est désormais très présente : elle redistribue entre régions, entre pays, entre populations. Or la redistribution ne fonctionne qu'à deux conditions : ne pas épuiser la capacité contributive des payeurs et ne prélever qu'une quote-part des richesses produites au sein de la collectivité contributive. Faute de respecter l'une et l'autre de ces conditions, la redistribution devient prédative ; puis elle s'éteint par épuisement de la ressource qui l'alimente. Avec l'élargissement de l'Union, le périmètre de la redistribution européenne s'est élargi alors que la base contributive restait la même. Tous les nouveaux membres émargent à la distribution. A la lumière de la crise qui nous touche, endetterons-nous encore les contributeurs pour entretenir de nouveaux entrants ? L'équation n'est pas extrapolable. ## Droit et Loi La loi n'est que l'une des sources du droit ; mais une perversité nous entraîne à croire qu'il n'existerait de droit que par l'entremise de la loi. Dans une société policée, il n'y a pas de vide juridique puisque les contrats constituent l'essentiel du droit. Il en est ainsi depuis des siècles et ce n'est que la croissance démesurée de l'Etat-providence, ce Léviathan moderne, qui nous fait confondre « droit » et « loi » ! De plus, les « droits à » créés par la loi sont, pour l'essentiel, des créances tirées sur la société au profit de quelques cohortes. Le Léviathan en règle le prix, payé par d'autres ! Que faire ? Limiter l'appel à la loi ; restreindre son intervention au strict nécessaire ; réduire les dérives de la sacro-sainte harmonisation (par directives et/ou règlements) et admettre une diversité du droit qui a bien des avantages ! Autrement dit, abandonner le constructivisme juridique au profit d'une « reconnaissance mutuelle » des normes qui présente l'avantage de comparer, au sein d'un même espace politique, l'effet de plusieurs règles pour répondre à une même situation concrète, et de préserver la diversité culturelle, force de notre continent. L'expérience démontre d'ailleurs que l'harmonisation n'est pas une panacée. Deux illustrations : l'harmonisation mondiale des normes imposées aux banques (dites « Bâle 2 ») n'a-t-elle pas accéléré la récente crise financière ? Une autre, guère plus concluante : l'harmonisation, voulue par Bruxelles, des enchères lancées en l'an 2000 au sein de l'Europe communautaire pour émettre les licences téléphoniques de « troisième génération » cellulaire n'a-t-elle pas aggravé la crise de l'internet, née en Amérique et prolongée par ce biais en Europe ? ## Information Qui ne voit que l'informatisation, les réseaux de communication, l'électronique suscitent des vocations, de nouvelles affaires et la découverte de talents ? Son foisonnement autorise toutes les audaces, mais conduit parfois à l'échec car il faut des milliers de pépinières pour que naisse parmi elles une pépite comme Dell, Lotus ou Facebook ! Or ce bouillon désordonné fait peur à nos contemporains soucieux, disent-ils, d'ordre. L'espace public leur parait saturé par ce délire verbal qui déferle sur n'importe quel sujet et prend position sur tout : blogs, radios, sites du net suscitent la parole anonyme qui s'épanche et se répand ! Alors nous autres, cartésiens, réagissons comme il se doit : réglementons pour faire cesser ce tintamarre ! Fermez les vannes, constituez une commission Théodule : nos « sages » contrôleront cette vaine expression qui fait désordre ! Mais vouloir résoudre par le règlement ce qui relève d'un changement culturel profond ne mène pas loin. Qui dit culture dit diversité, variété, initiatives multiples. Il faut certes des règles du jeu. Mais c'est tout de même dans le marché que se trouve la sève nourricière.
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institut présaje
2009-07-01
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[ "michel rouger" ]
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CRISE DES POUVOIRS, POUVOIRS DE CRISE
# CRISE DES POUVOIRS, POUVOIRS DE CRISE Face à un patient déprimé, en crise, le médecin qui considère le malade avant le médicament se livre à un diagnostic préalable de son état général. Les urgentistes qui ont reçu les victimes du collapsus financier récent se sont rués vers l'armoire à pharmacie où ils ont trouvé la panoplie des recettes techniques, avant d'avoir mis le doigt sur les racines du mal, dont le diagnostic apparait enfin. D'abord, le mot « crise » est-il adéquat ? Oui si l'on s'en tient à la thrombose qui a bloqué la circulation du crédit dans le monde. Non si on analyse les causes. Le terme qui convient, c'est celui de mutation, d'une triple mutation : comportementale, technologique, sociétale. Pour la décrire, il faut aller au fond des choses, ce qui, dans nos temps de techniciens de surface, décourage la plupart des commentateurs. L'enchainement des causes débute avec les années 80. L'argent est devenu une matière première brute, industriellement transformable en produits finis, vendables dans le monde entier. Comment ? En fournissant cette matière première aux transformateurs sous forme de monnaie et de crédits, massivement, bon marché. Ces nouveaux industriels ont eu recours, pour fabriquer leurs produits, à des outils largement « robotisés », sans critique humaine possible sur les risques qu'ils présentaient. Après quoi ils ont inondé le monde grâce aux possibilités quasi illimitées des instruments magiques offerts par le numérique et internet. Vient le moment des soins à donner au malade pour qu'il retrouve ses pouvoirs. Trois candidats postulent : le négationniste, le régulationniste, le pragmatique. ## Le négationniste Pour lui, seul vaut le pilotage aux instruments en compagnie de robots numériques qui offrent le nirvana des gros bonus au money maker, comme la drogue à l'addict. Il est convaincu que tout va recommencer « comme avant » : en témoigne la réapparition de la chasse aux petits génies prêts à fabriquer ces produits-miracles, tout comme celle aux savants de l'Allemagne de 1945, prêts à relancer leurs fusées. Et vive les raids des banques américaines qui, une fois le plus dur passé, seront naturellement tentées de compenser leurs pertes « domestiques » par des opérations de prédation off-shore. ## Le régulationniste Le retour à la bonne gouvernance, dit-il, est affaire de règles : il faut contraindre, contrôler les rouages et les engrenages de cette « fabrication de l'argent », dont on ne s'étonnera pas qu'elle ait été inventée par les Anglais, bookmakers dans l'âme. La City avait vocation d'abriter le siège industriel mondial de l'argent transformé. ## Le pragmatique Il sait qu'il faut des règles, les libéraux - les vrais - ont toujours insisté sur leur nécessité. Il redoute l'overdose dans une France qui multiplie les lois nationales auxquelles s'ajoutent les directives européennes, et les standards de la soft law anglo-saxonne à respecter sur lemarché global. Il sait qu'il faut d'abord appliquer les normes existantes avant d'en créer de nouvelles. Qui, finalement, prendra les pouvoirs pour gérer le rétablissement ? Les Rambos de Wall street et de la City, successeurs des gnomes de Zurich ? Comment croire qu'ils nous sortiront de l'ornière ? Impossible ! Néanmoins ils resteront dans le jeu. L'argent a envahi la planète. Il est devenu produit de consommation. Comme les jeux et les spectacles. On le trouve même dans les hyper marchés sous forme de cartes. Les Ayatollas de la régulation ? Impossible ! Ils seraient bien incapables de réguler les conséquences de la perte des notions de temps et d'espace par la sur-utilisation du numérique et la domination tyrannique de l'information chiffrée par les analystes, pas plus qu'ils ne pourraient redresser les tares congénitales des robots évaluateurs. Néanmoins, ils resteront, eux aussi, dans le jeu en vertu des effets thérapeutiques et préventifs de la « peur du gendarme ». Avec modération. Les pragmatiques, au for intérieur capable de résister aux modes, aux postures et aux impostures ? Possible ! Avec le secours de Kant, ils pourront revaloriser les vertus de l'intuition dans les grands choix. Forts de l'expérience de la crise, sachant ce qu'il ne faut pas faire, ils pourront revaloriser le jugement qualitatif par rapport au calcul. Ils redonneront du sens à l'indispensable engagement de responsabilité, en s'inscrivant dans ce mouvement vers une ouverture sociétale qui intègre toutes les parties prenantes. S'ils sont patrons, ces oiseaux rares s'entoureront dans leurs équipes, dans leurs conseils d'administration, de pragmatiques à leur image. S'ils sont conseillers, ils iront entourer les dirigeants auxquels ils seront utiles pour réussir ce rétablissement que seuls ces pragmatiques réussiront.
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institut présaje
2008-10-01
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[ "michel rouger" ]
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CHERE DEFAISANCE, LE GRAND RETOUR
# CHERE DEFAISANCE, LE GRAND RETOUR *Défaisance : conséquence directe de la crise financière américaine, cette procédure quelque peu mystérieuse, désignée par un terme légèrement « barbare », est souvent mal comprise. On saisit le « pourquoi », mais on évalue mal le « comment » : rythme de liquidation, effets d'annonce, évaluation des gains et des pertes, incidences macroéconomiques, sans compter l'intrication avec les pressions et les intrigues de caractère politique.* *Michel Rouger nous livre ici les réflexions tirées de son expérience vécue comme créateur de la défaisance du Crédit Lyonnais.* Printemps 1996 : l'opinion publique française se passionne pour l'affaire du Crédit Lyonnais, paroxysme des difficultés des banques françaises. Elle découvre un mot venu d'ailleurs, défaisance, qu'elle traduit par *malfaisance.* Automne 2008 : l'opinion publique mondiale se passionne pour la catastrophe financière américaine. Elle découvre le remède-miracle d'une hyper défaisance dont les chiffres donnent le tournis, après avoir mis KO les assaillants de Wall Street. Comparaison n'est pas raison. La défaisance française de novembre 1995 avait été voulue par son bénéficiaire et subie par l'Etat. L'américaine de l'automne 2008 est voulue par l'Etat fédéral et subie par les banques qui en bénéficieront. La différence est de taille. Au printemps 1996, les autorités du Trésor américain, expérience faite après avoir fermé la RTC - défaisance de leurs Caisses d'épargne --, pouvaient utilement la faire partager au CDR, défaisance du Crédit lyonnais. Leurs réflexions étaient d'autant plus utiles que ce CDR naissant n'avait reçu ni orientation ni objectifs. Les conclusions de ces discussions, à ce jour inédites, ouvertes par l'auteur lui-même à l'occasion d'un congrès sur la gestion des crises immobilières et bancaires, pourront peut-être, en retour, être utiles aux dirigeants américains de cette future défaisance. En cinq points. ## I. Faut-il révéler les pertes prévisibles ? Oui. En précisant leur montant et, surtout, qui les couvrira. En France, fin 1995, ce fut catégoriquement non. L'entrée du pays dans les critères de Maastricht était aléatoire. Il ne fallait pas ajouter 0,5 du PIB représentant ces pertes à charge du budget de l'Etat. Les autorités européennes n'ont pas été dupes de cette manipulation. Elles ont aggravé la situation en exigeant la liquidation rapide des actifs du CDR pour mieux en révéler les pertes. L'Etat français, empêtré dans son subterfuge, s'est incliné, sans le dire à son opinion publique ; jusqu'en juin 1997, lorsque les commissaires aux comptes, face à cette absence totale de transparence, ont exigé de l'Etat un engagement de couverture sans limite. C'est le contre-modèle. L'état fédéral américain, qui n'a pas de contraintes communautaires, devrait éviter le piège français. Encore que, si l'actuel parti au pouvoir y reste, il sera tenté de ne pas tout dire. De toute manière, cacher la vérité sera très difficile. Lorsque survient une défaillance à ce niveau, l'environnement financier, économique, juridique, judiciaire et politique a intérêt à voir les pertes lourdement révélées. On vient de voir que le bégaiement pratiqué dans la révélation de la crise des subprime n'a servi à rien. Le Congrès a fait sa mauvaise tête face au plan proposé. Conclusion : les sociétés de défaisance doivent avoir la maîtrise de leurs comptes et de la révélation de leurs pertes prévisibles, que l'État qui les couvre doit reconnaître. ## II. Faut-il accélérer ou ralentir la liquidation des actifs ? Mission impossible pour le décideur politique. Il est trop risqué de choisir un rythme de cession qui ne soit pas critiquable. Ne rien décider permet de mieux critiquer. Cette réalité explique l'absence de directives données au CDR au moment crucial, fin 1995, comme l'opacité sur les engagements de liquidation rapide, pourtant publiés dans le JO des Communautés Européennes. La manipulation risquant de ruiner le sauvetage du Crédit Lyonnais dont le plan n'a été accepté par Bruxelles qu'au bout de 30 mois, le CDR a pris seul les risques du rythme des cessions. La querelle sur la rapidité a été close par la Cour des comptes : « Pour autant le rythme des cessions effectivement constaté n'est pas apparu contraire aux intérêts de l'Etat ». Entre-temps, le dénigrement orchestré avait fait des ravages. Lorsque l'on met sur le marché 30 milliards d'euros d'actifs réputés pourris par ceux qui ont exigé qu'on les en débarrasse, il est impossible de ne pas provoquer des réactions s'apparentant à la curée dans les chasses à courre. Les Américains s'apprêtent à en mettre, en dollars, l'équivalent de 500 milliards d'euros. Il sera passionnant de voir comment ils vont gérer ces phénomènes de curée. Il leur sera difficile d'en retenir les assauts tant qu'il restera matière à dévorer. On parle de produits toxiques, moins attractifs que le faisandé pour les grands prédateurs. Cela ne suffira pas à les éloigner. Conclusion : les sociétés de défaisance sont condamnées à une double peine. Celle de l'autoliquidation et celle de la critique généralisée de cette liquidation. ## III. Peut-on empêcher les interventions politiques et les jeux d'influence ? Non. C'est du domaine de l'utopie. Toutes les démocraties sont vulnérables face aux pressions des intermédiaires. Le lobbyiste constitue, dans l'économie de marché, l'élément relationnel de base entre les intérêts privés et les décideurs publics. Ils sont près de 15 000 rien qu'à New York. Il faut ajouter qu'en France, monarchique ou républicaine, une longue tradition ancrée au sein des pouvoirs d'Etat veut que les jeux d'influences compliqués soient préférés aux négociations impersonnelles d'intérêts. Latinité oblige. Soyons lucide, en France comme aux États-Unis, dans de telles situations, les défenseurs du contribuable, ou du « tax payer », ont pullulé et pulluleront. Comme les innombrables conseils aux solutions miracles, les redresseurs de torts, les financiers à l'imagination débridée, jusqu'aux maîtres-chanteurs, tous opérant, recommandations en main, sous la casquette de l'intérêt général. On peut déjà plaindre les dirigeants qui prendront en charge l'hyper défaisance américaine. Le gilet pare-balles leur sera plus utile que le « golden parachute ». Conclusion : dans l'idéal, il faudrait que ceux qui tournent autour des actifs évitent de lyncher ceux qui les gèrent pour mieux assouvir leurs pulsions prédatrices ; que le sauvé de la noyade ne participe pas au lynchage, et que personne n'utilise le sauvetage comme tremplin d'une carrière politique. N'est-ce pas encore utopique ? ## IV. La défaisance aggrave-t-elle les pertes ? Oui, parce qu'elle cumule le prix à payer pour gérer à la fois le passé et l'avenir. C'est pourquoi il faut dès le début se débarrasser des faux actifs dont l'existence génère des pertes qui aggravent le montant pris en charge. Le temps utile pour y procéder coûte très cher. Comme coûte le prix à payer pour les expertises exigées par le contrôle, et pire encore, celui des procès judiciaires inhérents à ces opérations. Les pertes prévisibles globales du CDR ont été communiquées en janvier 1997. Le montant n'avait pas bougé dix ans plus tard. Entre-temps il avait fallu entretenir une structure, nécessairement lourde pour satisfaire aux hyper-contrôles dont elle faisait l'objet, et préparer, après la liquidation des actifs, celle des personnels qui s'y étaient consacrés, avec l'ANPE pour seule perspective. L'opération américaine, à son niveau, va être spectaculaire sur ce point. Conclusion : les sociétés de défaisance doivent révéler les pertes prévisibles comprenant celles de leur propre exploitation pour faire partager à leur tutelle les choix de gestion commerciale ou judiciaire qui devront balancer leurs coûts et leurs intérêts. ## V. La défaisance procure-t-elle des gains ? Oui, à long terme. C'est d'ailleurs pourquoi les comptes liquidatifs apparaissent à plus de dix ans. La perte est quantifiable, dans la structure microéconomique de la défaisance, en quelques brèves années. Le gain n'est pas quantifiable ailleurs que dans la structure macroéconomique que la défaisance a permis de transformer. En France, la défaisance du Crédit Lyonnais, comme celle du GAN et du Comptoir des entrepreneurs, a favorisé la restructuration du système bancaire, des assurances et des spécialistes du financement de l'immobilier. Cette restructuration est intervenue au moment où la France ouvrait un véritable marché de l'immobilier, nourri par les stocks dont les banques devaient se débarrasser, après les avoir récupérés de la masse de leurs débiteurs insolvables. Le caractère positif de ces transformations macroéconomique est indéniable. Enfin, la défaisance entretient l'élément de sociabilité constitué, dans les classes moyennes, par les banques ou les caisses d'épargne de proximité. Les gains à mettre en face des pertes sont à vocation macroéconomique et sociétale. Conclusion : les sauvetages par défaisance n'ont d'utilité que macroéconomique et sociétale. C'est pourquoi Lehman Brothers, qui ne présentait pas ces caractères d'utilité, a été sacrifiée et AIG, qui les présentait, sauvée. En attendant les 200 établissements « intoxiqués » qui pourraient passer en cellule de dégrisement. Conclusion générale : défaisance n'est pas malfaisance. Même si le mot commence comme défaite et finit comme assistance, deux mots qui lui donnent sa vraie signification.
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institut présaje
2008-10-01
1
[ "albert merlin" ]
454
QUAND LA TECHNOCRATIE BAISSE PAVILLON !
# QUAND LA TECHNOCRATIE BAISSE PAVILLON ! Quel statut pour les bénévoles participant, dans l'ensemble du pays, au développement du « spectacle vivant » ? Particulièrement vif, animé et médiatisé, le débat estival semble clos pour le moment, après le communiqué ministériel du 9 septembre dernier : « La loi ne semble pas être le bon vecteur pour encourager et sécuriser la pratique amateur ». Il y avait bien pourtant, dans les cartons, un avant-projet ultracontraignant : il s'agissait d'exiger que les amateurs soient rémunérés (qu'est-ce qu'un « amateur rémunéré » ?) et soumis au Code du travail. Quand un virus a montré « le bout de son nez », n'est-il pas sain de rester alerté ? A l'origine, il s'agissait de chercher une solution juridique permettant d'éviter les disputes, voire les litiges entre amateurs et professionnels. Rien à dire à cela. Mais au fil des mois, sans la moindre concertation, l'affaire a tourné tout autrement : au profit d'une solution autoritaire visant tout simplement à faire rentrer les amateurs « dans le rang ». N'était-ce pas l'occasion pour les professionnels du spectacle, d'éliminer la «concurrence » ? En passant sous silence le caractère artisanal et régional des spectacles d'amateurs. Comme le soulignait Hubert Bender, d'Illkirch-Graffenstaden, au beau milieu du débat de cet été : « On voit difficilement les intermittents du spectacle francophones jouer une pièce de théâtre en alsacien ! ». Mais comment résister à la conjonction entre corporatisme et réflexes administratifs ? C'est ainsi qu'est née, en quelque sorte naturellement, une dérive technocratique qui n'était pas dans les projets initiaux. La pratique amateur apparaissant finalement comme une indiscipline défiant les codes, il convenait de la rappeler à l'ordre, de lui imposer limites et contraintes, au nom de la Loi. Ce qui, au passage, mettait en cause sa survie !\...ni plus, ni moins. Patatras ! Ce qui se mijotait en haut lieu et circulait sous forme d'indiscrétions est devenu patent, au milieu des vacances, par la divulgation du contenu d'un décret d'application, sans explication aucune, au moment précis où s'ouvrait le Festival Interceltique de Lorient, symbole spectaculaire de réussite, incomparable fédérateur de bonnes volontés, mondialement connu et apprécié. On comprend que les protestations les plus véhémentes soient nées chez les Bretons -- faisant état de quelque 40 000 bénévoles - avant que le mouvement ne se répande dans l'ensemble des régions. D'où la marche arrière du Ministère, affichant maintenant sa préférence pour des solutions « contractuelles ou conventionnelles ». C'est la sagesse. Mais que de temps perdu ! Fallait-il vraiment semer l'inquiétude dans tout le pays, au risque de briser la création artistique spontanée ? La technocratie, cette fois, a reculé. C'est bien. Mais gare : elle ne demande qu'à ressurgir !
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institut présaje
2009-01-01
0
[ "michel rouger" ]
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IL Y A VALEURS ET VALEURS
# Il y a valeurs et Valeurs 2008 a vu l\'effondrement des valeurs d\'argent sur lesquelles se fondent les échanges propres à l\'économie sociale de marché. Chacun submit les effets simultanés de cet effondrement qui affecte maintenant le social, par le chômage, prouvant à quel point le social dépend du dynamisme de l'économie. Cette plaie d\'argent, si hémorragique soit-elle, est-elle mortelle, comme le proclament les prophètes du malheur, ou non, comme le veut la sagesse populaire ? Le pire est annoncé par les révolutionnaires compulsifs, prêts à pendre les marchands à la lanterne comme ils le firent, jadis, avec les aristos. Ils se voient déjà debout sur les décombres de l\'économie effondrée, appelant à leur rescousse les tyrans pervers du XXe siècle pour inventer le nouveau goulag du XXIe. Caricature ! A peine. On connaît la passivité française, née des fatigues de son histoire, qui l'a conduite, il y a 70 ans, à s\'abandonner entre les mains de ses assassins. Frayeurs inutiles, sans doute, si l\'on veut bien rejeter la propagande imbécile qui veut que 2008 égale 1929 en pire. Tous ceux qui prétendent savoir jouent avec le eu en annonçant le retour de la barbarie, par la faute d un marché qu'ils détestent. Ils oublient que la crise des années 30, en Europe, a simplement accru les ravages de deux pays, l\'Allemagne et la Russie, saignés par la boucherie de 1914-1918, moralement détruits par les conséquences et les humiliations de leurs défaites. L\'origine des deux barbaries que ces pays ont développées en Europe se trouve dans l\'effondrement des valeurs humanistes provoqué par les idéologies de l\'époque, intelligemment manipulées par les pervers pour se frayer le chemin de leur pouvoir absolu. L'Europe de 2010 n'a rien à voir avec celle de 1930. Grâce à l'économie sociale de marché, elle vient de vivre 50 ans de prospérité et de libertés retrouvées contre ces tyrannies. Autant la crise des valeurs d\'argenta la forme systémique en s'imposant aux individus, le temps de réparer le système, autant la crise des valeurs humanistes est provoquée par l'individu qui s'en détourne. On sait que la peur est l'arme des idéologues pour imposer leur système, hélas irréparable. L'année 2009, que PRESAJE vous souhaite personnellement bonne et heureuse, le sera collectivement si chacun de nous affiche son choix de liberté. Sinon ce sera l'horreur du sauve qui peut. Comme ce fut le cas en 1940.
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institut présaje
2009-01-01
1
[ "jérôme cazes" ]
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COMMENT AVOIR DE BONNES NOTATIONS FINANCIERES ?
# COMMENT AVOIR DE BONNES NOTATIONS FINANCIERES ? Après la crise, il va falloir reconstruire, et l'un des principaux chantiers est celui des notations d'agence. Pourquoi ? Parce que les notations d'agences ont joué un rôle majeur dans cette crise, en banalisant l'investissement par tout un chacun dans des véhicules de titrisation. En 2004, la titrisation n'est pas une idée nouvelle, mais son développement reste limité. Elle consiste : a. à mettre ensemble un paquet de prêts d'une qualité médiocre, des prêts qui normalement ne trouvent que difficilement preneur : des prêts immobiliers, des prêts d'étudiants, des prêts automobiles... ; b. à faire tourner un modèle mathématique afin d'évaluer quelle proportion de ces prêts risque de faire défaut ; c. à mettre cette proportion de côté, et à vendre le reste, censé être « sans risque », par petits bouts (des titres) à divers investisseurs. Comment convaincre les investisseurs de la solidité de ces prêts titrisés ? Les agences de notation ronronnaient depuis une centaine d'années, en notant les grandes entreprises, les municipalités, ainsi que l'Etat américain. Elles seules peuvent délivrer le triple A ou AAA), la meilleure note qui signale les emprunts « sans risque ». Parmi dix millions d'entreprises américaines, elles ne sont aujourd'hui que quatre à jouir de cette distinction suprême ! Une note d'agence indique la probabilité qu'a une entreprise de faire défaut dans les douze mois. Et le triple A indique une chance seulement sur 3000 de faire défaut dans l'année. Alléchées par une diversification rémunératrice, les agences ont utilisé leur droit de « créer de la monnaie » en décernant la note triple A à des prêts titrisés dont la solidité était pour le moins sujette à caution. Au plus haut de la bulle, 5000 véhicules financiers étaient estampillés triple A. Un tel dérapage n'a été possible que du fait de l'absence d'autorités de contrôle qui auraient pu interdire cette \"fausse publicité ». La Commission européenne a proposé le 10 novembre un projet de réglementation. Et là, surprise, ce projet ne sert à rien : ni à empêcher une répétition de la crise des subprimes, ni à ouvrir l'oligopole des trois agences américaines, qui concentrent 98 % d'un marché mondial de 6 milliards d'euros (avec 45 % de marge). La commission se contente en effet de reprendre dans son règlement le code professionnel des agences : un code qui était déjà là avant la crise et qui n'a rien empêché. Ce projet, s'il était voté dans sa forme actuelle, serait une occasion manquée. ## Comment noter « juste » ? Comment avoir des notes justes, qui ne coûtent pas trop cher ? Il existe une solution unique à ces deux problèmes : il suffit de vérifier la qualité statistique des notations d'agences, famille de notes par famille de notes. Ce contrôle statistique est facile : il est imposé à toutes les banques par les règles dites « Bâle 2 » pour leurs notations internes. Il serait paradoxal qu'on contrôle des notes internes et confidentielles (celles des banques) plus strictement que des notes publiques et validées par la puissance publique (celles des agences). Si en 2004, les agences étaient venues en disant : « j'ai une idée ; au lieu de noter seulement les entreprises, les Etats souverains et les banques ou compagnies d'assurance, je vais noter les véhicules de titrisation », l'organe de contrôle leur aurait répondu : « donnez nous les statistiques, sur un nombre d'années suffisant, prouvant la qualité de vos nouvelles notes ». Elles auraient reconnu qu'elles ne les avaient pas et l'organe de contrôle leur aurait justement dit : « réservez ces notes privées à des investisseurs avertis ; revenez dans quelques années pour une validation officielle, et en attendant, n'appelez surtout pas ces notes comme celles que nous validons et qui sont reconnues par la réglementation bancaire et de l'épargne ; donc pas de « triple A », appelez-les donc « trois étoiles » ... Gageons que l'exportation des subprimes n'aurait jamais décollé. Ceci apporterait en prime l'ouverture de l'oligopole. Car un oligopole adore les obligations de moyens comme celles du projet actuel : elles augmentent à la fois le prix du produit et les barrières à l'entrée ! L'oligopole déteste, en revanche, les obligations de résultat, comme ce qui est proposé ici. Elles font en effet apparaître deux choses : qu'on peut comparer deux agences sur autre chose que leur notoriété - sur leur fiabilité statistique et sur leur coût --, et que le service actuel de notation est beaucoup trop cher - 100.000 € comme prix de base. L'expérience acquise à la Coface permet de penser que la méthode statistique suggérée ici pourrait permettre de produire des notations de meilleure qualité pour trois à cinq fois moins cher.
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institut présaje
2009-01-01
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[ "michel rouger" ]
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LE CONFLIT D'INTERETS AUX TEMPS MODERNES
# LE CONFLIT D'INTERETS AUX TEMPS MODERNES Le conflit d\'intérêts connait, à notre époque, un vrai regain... d'intérêt. Il envahit la totalité des sphères où s'exerce le pouvoir de décision. A l'étranger, on le voit s'appliquer à l'attribution des Prix Nobel, comme à celle des marchés de la guerre d'Irak à des proches du président des Etats-Unis. En France, l'affrontement politique en use pour mettre en cause la relation entre le pouvoir exécutif et la Justice. Il s'est adapté à une nouvelle forme de conflictualité marquée par l\'ambiguïté des normes, métissées par le mélange entre le national et le global, la perversité des modes de communication qui vivent du soupçon, de l\'investigation et de la dénonciation, et la virtualité des preuves affectées par l\'usage généralisé du numérique. ## L\'ambiguïté, la triche et la fraude Le conflit d\'intérêts est ignoré par la loi. Tout au plus, s\'est-elle intéressée à deux types de décideurs, l'élu qui dispose d\'un privilège de pouvoir, exposé au délit de prise illégale d\'intérêts, et l\'administrateur de sociétés cotées qui dispose d\'un privilège d\'information exposé au délit d\'initié. L'ambiguïté n'est pas pour autant levée, tant il est difficile au juge de traverser les écrans interposés entre les intérêts de l\'auteur et ceux de la victime. Les juristes, et leurs cousins déontologues, grands chasseurs de conflit d\'intérêts, ont formulé une définition qui a le mérite de tracer la ligne jaune à ne pas franchir : « *Le conflit d\'intérêts se définit comme une situation dans laquelle les intérêts personnels d\'une personne sont en opposition avec ses devoirs, lesquels tendent justement à la protection des intérêts dont elle a la charge »*. La triple répétition du mot intérêt renvoie à la maxime de La Rochefoucauld : *« Les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves dans la mer »*. Au point de rendre la définition insuffisante, si nécessaire soit-elle. En effet, le conflit d\'intérêts se développe sur le terrain aux frontières incertaines qui sépare la morale du droit, la triche de la fraude. Chacun peut avoir un intérêt personnel, matériel ou intellectuel, qu\'il préférera, dans l\'exercice de son pouvoir, à celui qu\'il a le devoir de défendre. À l\'inverse, celui qui a vu son intérêt confié à l\'autre peut attendre, du traitement qui lui est appliqué, le respect de ses préférences matérielles ou intellectuelles. Cela offre un terreau favorable à la culture du soupçon, dont la consommation est éminemment toxique tant dans les rapports individuels que collectifs. L A L E T T R E D E P R E S A J E - N ° 2 6 - J A N ## La perversité L\'explosion des modes de communication repose, en partie, sur l\'exploitation du soupçon, l\'investigation sauvage, la dénonciation gratuite. Au point que les juges eux-mêmes souffrent de ce phénomène -- en témoigne l'affaire d'Outreau - aussi bien que les gouvernants, les patrons, les vedettes, les élus, sans oublier les prix Nobel. Les débordements de l\'argent alertant sur les risques de corruption généralisée, le conflit d\'intérêts a fourni le carburant bon marché de la machine de guerre conduite par ceux qui ne maîtrisent pas leurs intérêts, contre le pouvoir qui les a en charge. L\'utilisation du soupçon est d'usage commode, affranchie des servitudes des procédures qui sont la garantie de tous ceux qui sont « présumés » lorsque l\'accusation repose sur les preuves soumises à la sanction du juge. L\'usage du soupçon s\'apparente à celui des paradis artificiels lorsqu\'il se mélange avec celui de la rumeur et du dénigrement. ## La virtualité La nature fournissant aussi bien le poison que l\'antidote, les modes de communication virtuels atténuent les conséquences infamantes pour celui qui subit, à tort, le procès virtuel du soupçon de conflit d\'intérêts. C\'est tant mieux. Mais qui ne voit la contrepartie ? Le virtuel protège tout aussi bien celui qui est à la source du conflit. Aussi la loi est-elle restée muette sur un type de conflit dans lequel les innocents sont beaucoup plus en risque que les coupables. Il est vrai qu\'il n\'est pas facile pour le législateur d\'aller se perdre dans le terrain marécageux qui sépare la morale du droit. Pas plus qu\'il est commode d\'enfermer les intentions qui se cachent dans le tréfonds de l\'âme humaine. Conclusion. Tout, dans notre société, conduit au développement de conflits d\'intérêts entre des protagonistes qui ne peuvent être retenus par l\'encadrement de normes et de sanctions. Il faut donc avoir le courage de parler des conflits d\'intérêts si l\'on veut éviter les conséquences nuisibles de leur développement. Il faut que les décideurs les prennent en compte dans leurs démarches par un saint principe de précaution, sans avoir peur des mots. Marguerite Yourcenar a raison quand elle écrit :*« On ne doit plus craindre les mots lorsqu'on a consenti aux choses ».*
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institut présaje
2009-01-01
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[ "guillaume desgens-pasanau" ]
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INTERNET ET LA PROTECTION DES ENFANTS
# INTERNET ET LA PROTECTION DES ENFANTS La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, adoptée le 20 novembre 1989, consacre le droit au respect de la vie privée de chaque enfant. Ainsi, la CNIL a-t-elle toujours considéré que les garanties offertes par la loi du 6 janvier 1978 modifiée devaient s'imposer avec force lorsqu'il s'agit de mineurs. Il se trouve que la question de la protection des données personnelles des enfants se pose aujourd\'hui avec une particulière acuité pour trois raisons : - L\'utilisation d\'Internet par les enfants et les adolescents tout d'abord : les enfants constituent aujourd'hui des cibles idéales pour se procurer des informations très précises. L\'exemple le plus flagrant est bien sûr le succès rencontré par *Facebook* auprès des jeunes. Dès 2001, la CNIL a émis un certain nombre de recommandations à l\'attention des familles et des professionnels de l\'Internet. Plus récemment, la CNIL a participé au programme « Internet sans crainte », piloté par la délégation aux usages de l'Internet. - Au-delà, le développement exponentiel de technologies dites « à traces » est également à prendre en compte, dans un environnement technologique dont les enfants ne maitrisent ni les enjeux, ni les risques (vidéosurveillance, géolocalisation, etc.). Ainsi la CNIL a, par exemple, interdit l\'utilisation, dans les cantines scolaires, de lecteurs d\'empreintes digitales au lieu de la traditionnelle carte de cantine. - Enfin, l\'appétence des administrations pour les informations relatives à des mineurs doit appeler une vigilance particulière. L\'affaire « EDVIGE », révélant la volonté de ficher les faits et gestes de mineurs de 13 ans, s'est heureusement heurtée à l\'intervention de l\'opinion publique et de la CNIL. Au delà de ces enjeux, force est de constater que les parents eux-mêmes deviennent parfois des ficheurs. En témoigne la commercialisation de bracelets électroniques pour les nouveauxnés ou de « doudous électroniques » (boîtiers introduits dans une peluche). Si l'on fonde la légitimité de ces dispositifs sur la seule vulnérabilité d\'un enfant, ceux-ci n'aurontils pas vocation à s'étendre infiniment ? Après les maternités, il faudra demain équiper les crèches et les écoles... Dans ce contexte, il apparaît nécessaire d'éviter deux écueils : 1. La sensibilisation des jeunes doit intervenir dès le plus jeune âge, et pas seulement à l\'adolescence lorsque l\'usage des technologies est certes le plus prégnant, mais que les jeunes ne sont pas toujours en situation « d\'entendre » les recommandations sur la protection de leur vie privée. 2. Il ne faut pas croire que la facilité avec laquelle les jeunes manipulent les outils technologiques préjuge de leur capacité à en comprendre les enjeux. Ainsi, le rôle des parents est fondamental, s\'agissant notamment des limites d\'utilisation qu'il est indispensable de définir. Rappelons qu\'un mineur ne dispose pas de la capacité juridique et qu\'il appartient donc aux représentants légaux d\'intervenir et de jouer les contrôleurs ? Autant de défis à relever pour ceux qui concourent à l\'éducation et à la sensibilisation des jeunes. L'Union internationale des télécommunications vient de décider que la journée Mondiale des télécommunications et de la société de l\'information sera consacrée, le 17 mai 2009, à la protection des mineurs dans le cybermonde. Une occasion à ne pas manquer.
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institut présaje
2009-04-01
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[ "michel rouger" ]
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SCIENCE DES DEVOIRS, CONSCIENCE DES DROITS
# Science des devoirs, conscience des droits *Parler de la déontologie - la science des devoirs - est une chose aventureuse à l\'époque où la conscience des droits atteint des sommets d\'exigence. Il faut pourtant le faire dans les domaines familiers à Présaje, l\'économie, le droit et la justice. Pour l\'économie, dont chacun sait qu'elle ne prospère que dans le contrat et le respect des engagements, le séisme de la crise et de ses destructions fait des ravages. Qu'il s'agisse de la rémunération des dirigeants, de la protection des salariés, des épargnants comme des futurs contribuables, le contrat ne vaut plus grand-chose. Les droits et les devoirs sont fonction de la météo politique. On ne sait pas qui a tiré le premier, mais le dernier a fait mouche, le patron des assurances américaines AIG, sauvées du naufrage par les remorqueurs de la FED, qui n\'a pas hésité à puiser dans les restes du coffrefort avant qu\'ils ne tombent dans les mains du sauveteur. On comprend que la météo politique tourne à l'orage. Oublions la déontologie dans l\'économie, pour un temps, il sera plus audible d\'y revenir après le tumulte de l'orage. Et comme tout finira chez les avocats et les juges - comme en France, autrefois, dans les chansons -, intéressons-nous à eux, en ouvrant un débat sur une recherche et un ouvrage ^(1)^ qui traite de leur déontologie. Le justiciable l'apprend parfois à ses dépens : si le juge rend la justice par ses jugements, l\'avocat la fait ou la défait par la procédure et sa relation avec les médias. L\'exacerbation, chez l'avocat, de la conscience des droits de ceux qu'il défend, peut annihiler la science de ses devoirs. L\'exacerbation, chez le juge, de la science de ses devoirs, peut annihiler la conscience des droits de ceux qu'il juge. Les grands procès médiatisés ont fourni l'exemple de la défense de l'assassin présumé très mal ressentie par les proches de la victime dont on ignore la douleur, comme celui de l'accusation des présumés pédophiles dont on méprise l\'innocence. La déontologie est très présente dans les formations des avocats et des juges. Elle constitue une véritable épreuve pour les candidats à ces nobles professions. Il est réconfortant de voir ce débat ouvert sur la science des devoirs et la conscience des droits chez ceux qui sont les plus sollicités pendant les crises sociales. ^(1)^ L'avocat, le juge et la déontologie, par E. de Lamaze et Ch. Pujalte, aux PUF, en participation avec Présaje
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institut présaje
2009-04-01
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[ "guillaume desgens-pasanau" ]
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L'IDENTITE A L'ERE DU NUMERIQUE
# L'IDENTITE A L'ERE DU NUMERIQUE Extraits de l'ouvrage éponyme à paraître dans la collection Présaje/Dalloz ## Les limites de l'anonymat De nouvelles formes de l\'identité se font jour sur Internet. On le constate tous les jours, même les moins technophiles des internautes s\'approprient très rapidement ces nouvelles représentations de l\'identité : pseudonymes, alias, méls, identifiants, profils, avatars\... Il semblerait que la pratique d\'identités multiples soit naturelle pour l\'être humain. Le souhait de rester anonyme sur Internet est donc assez général. Il vient s\'opposer au désir de notoriété, et repose sur l\'idée - assez juste - que l\'on n\'est pas complètement à l\'abri sur Internet. La crainte la plus couramment exprimée est celle de la surveillance exercée par l\'État. Viennent ensuite la protection contre les multi-nationales, le vol d\'identité ou diverses activités criminelles. On peut aussi analyser ce besoin d\'anonymat en le rapprochant du principe -- constitutionnel - du droit à la liberté d\'aller et venir sans entrave. Pour autant, l\'anonymat est en débat car il ne peut se développer en laissant impunis tous les petits et grands méfaits qui sont commis en ligne. L\'identification de ses interlocuteurs sur les réseaux est une nécessité dans l\'utilisation quotidienne que chacun en fait, mais c'est aussi une activité nouvelle : que l\'on soit marchand, recruteur ou enquêteur judiciaire. L\'identification sur Internet est facilitée par les \"traces\" que laissent les internautes : celles qu\'ils créent volontairement et celles qui sont créées par les protocoles utilisés. Dans la première catégorie, on peut ranger le pseudonyme utilisé pour se connecter, le contenu du message publié ou les données saisies dans le formulaire d\'un moteur de recherches. Dans la deuxième, on retrouve les adresses IP, les coordonnées de serveurs intermédiaires dans la communication ou les fameux cookies. Grâce à l'exploitation de ces traces, les moteurs de recherche possèdent par exemple la capacité de connaître leurs utilisateurs comme probablement aucune entreprise ne l'a jamais eue. \[\...\] ## Archivage et droit à l'oubli Combien de siècles faudrait-il à un individu pour rechercher dans tous les livres entreposés à la Bibliothèque nationale de France le nom de quelqu'un ? Le même résultat peut aujourd\'hui être obtenu sur Internet en interrogeant un moteur de recherche. En tapant son nom, on sait en moins d\'une seconde quelles sont les pages, parmi les milliards présentes sur le Web, qui contiennent le nom de cette personne. Certains sites sont mis à jour très souvent, d\'autres disparaissent ou changent de fournisseur ou d\'hébergeur. Face à ce constat, certains acteurs de l'Internet tentent de procéder à l\'archivage du Web. La méthode principalement utilisée est celle de l\'archivage automatique à l\'aide de robots d\'indexation. Ces robots parcourent le Web à intervalles réguliers, et aspirent tout ou partie du Web. On peut par exemple citer la *Wayback machine* du site *archive.org* qui conserve les versions successives d\'une même page Web au cours du temps. Ce mécanisme peut jouer des tours aux utilisateurs qui expriment e souhait de supprimer ou modifier le contenu d'un site Internet et qui découvrent que l'information reste accessible depuis un autre site Internet... \[\...\] ## Le simple choix des mots La question de la *clé de recherche*, c'est-à-dire les mots que l\'utilisateur a tapés sur un moteur de recherches, est essentielle car celle-ci permet bien souvent de révéler des éléments parfois intimes de l\'identité des personnes concernées. Exemple : une clé de recherche qui serait composée des mots \"lieux de culte Paris 8^ème^ arrondissement\". Cette requête, associée à une adresse IP, permet de détecter tel ou tel résident, supposé de telle ou telle confession. Cette information, au-delà de son intérêt marchand, induit des risques insupportables en termes de protection de la vie privée, voire de libertés publiques Ainsi, le rôle important joué par les moteurs de recherche soulève des enjeux en termes de droit à l\'oubli, principe consacré par la loi informatique et libertés. Conclusion : explorer les évolutions de l\'identité au travers des applications numériques est indispensable pour délimiter la place de l\'individu dans cette société numérique, et imaginer comment éviter que son identité ne lui échappe. Il faut aussi développer de nouvelles technologies - par exemple autour d\'un anonymat sécurisé -- et de nouvelles règles pour les accompagner. Entre technique et éthique, la course ne fait que commencer.
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2009-04-01
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[ "michel rouger" ]
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L'ARMEE DU LUCRE
# L'ARMEE DU LUCRE Les historiens se pencheront sur la période 1987- 2007, qui a vu les sociétés développées lever la gigantesque armée du lucre qui a utilisé les fabricants de monnaie comme d\'autres les fabricants de canons pour se mettre au service du profit et des bénéfices (lucrum), avec l'avidité que l\'appât des rendements annoncés pouvait inspirer. Cette armée a envahi les terrains de la croissance, de la consommation et du crédit, que l\'humanité a tant de peine à cultiver pour assurer le progrès. Elle vient de se débander dans une retraite pitoyable, sauf pour ses généraux qui la vivent dorée. Il faut analyser le futur de cette armée défaite, selon les critères hiérarchiques des armées classiques, car, de sa remise en ordre de bataille, dépendra la sortie de la crise que tout le monde attend avec anxiété. ## Les généraux et amiraux de l'Etat major On les voit tous les jours s\'asseoir, à tour de rôle, sur la pierre de la honte. Auparavant, ne comptant leurs revenus qu\'en millions de dollars, de livres et d'euros, ils ont pulvérisé les produits toxiques de leur commerce sur les champs de leurs batailles, au plus grand mépris des conséquences. Les moralistes vont penser que ces généraux disparaîtront avec l'échec de leur stratégie. Ils seront déçus d'en voir revenir certains. Dans toutes les armées battues, il y a des chefs compétents et efficaces, à condition qu\'ils soient contrôlés. Clémenceau a dit que la guerre était chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires. Il est dommage que personne ne se soit inspiré de cet adage pour la finance internationale. ## Les officiers des conquêtes globales Ces officiers ont vécu leur lucre en centaines de milliers (\$, £, €). Organisés en réseaux, à partir de l\'armée régulière des banques d\'investissement, ils ont fait équipe avec de nombreux services spéciaux, opérant en appui pour leur propre compte, partout où les montages scientifiques, économiques, juridiques, communicants, l'exigeaient pour atteindre leurs objectifs de prédation et/ou de dépeçage. Leur efficacité, leur compétence ne sont plus à démontrer, quel qu'en ait été le prix. Ils ont dû ranger au placard bonus, fees et stock-options, en attendant de sortir de leur mauvaise passe. Aucune économie, aucune finance, qu\'elle soit libre ou étatique, ne pourra se passer d'eux pour redémarrer la machine à croissance. ## Les sous-officiers du terrain Ce sont eux qui, outre la discipline, font la force des armées. Ils ne pensent qu\'en dizaines de milliers (\$, £, €). Ils s\'en contentent parce qu'ils ont choisi la sécurité du salariat. Qu\'ils appartiennent à l'économie privée ou aux administrations d\'État, ils participent au progrès, sans les risques ni l'ambition des officiers. Ils ont rejoint l\'armée du lucre pour leur consommation, sans les résultats que se sont partagés les officiers et les généraux. Ils subiront le poids de la défaite, sûrement aux USA et à Londres. Moins en France, pays protégé par son goût de l'épargne et son aversion pour la fortune du commerce. Ils constituent la classe moyenne pour laquelle le triptyque croissance-consommation-crédit fut inventé par les Américains avant d'être saccagé par leur armée du lucre. Ils devront s'adapter aux conséquences de ce saccage, optimiser le rapport qualité/coût de leurs prestations, réduire globalement leur nombre pour garder leurs revenus, et évoluer vers d'autres statuts moins protégés pour éviter de subir soit une migration territoriale, soit une migration sociale qui les pousserait vers le corps des hommes de troupe. ## Les hommes de troupe du champ de bataille Fantassins, supplétifs et auxiliaires, plus recrutés que volontaires, ils sont exclus du monde du lucre. Ils comptent leur peu d'argent en milliers (\$, £, €). Chômeurs virés, jeunes cédédéisés, épargnants rincés, seniors jetés, rmistes, smicards et « working poors » font partie de la foule irréductible des maigres qui mourront lorsque les gros maigriront. Porteurs de rébellions agitées par des meneurs séduisants et utopistes, armée de sans-culottes, affronteront-ils les débris de l\'armée du lucre ? Pas sûr ! La télé virtualise ces bouffées de fièvre sociale, instrumente leurs violences, pour mieux effrayer la classe moyenne sans laquelle le grand soir restera spectacle dans les journaux du vingt heures. L'armée du lucre changera vite de nom, d'uniformes et de moyens pour repartir à la guerre de la croissance et de la consommation. L'homme lucratif, qui vient de casser le progrès, n'a pas mieux fait que le collectiviste a-lucratif qui a tué la liberté. Il serait temps de se rendre compte que la liberté et le progrès sont les biens les plus précieux de l'homme, et de trouver les moyens pour les conserver. L'homo benevolus pourrait y prendre sa part. A suivre.
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2009-04-01
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[ "xavier lagarde" ]
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LE « DALO », OU LES METAMORPHOSES DU DROIT CONTEMPORAIN
# LE « DALO », OU LES METAMORPHOSES DU DROIT CONTEMPORAIN Tous les ans, à compter du 15 mars, les occupants sans titre sont à nouveau sous la menace de mesures d'expulsion. A cette occasion, les Français ressentent intérieurement le drame de ceux qui se retrouvent à la rue. Si tout le monde n'est pas prêt à ouvrir sa porte, au moins, chacun comprend et compatit. A l'appel du Président Chirac, le législateur est intervenu. Le 5 mars 2007, le DALO (droit au logement opposable) a fait son entrée dans notre droit. Personne ne contestera la générosité du dispositif. Seulement, de l'émotion à la législation, il faut au minimum un temps de réflexion, à défaut duquel l'exercice de la démocratie dégénère bien vite en posture démagogique. Pourquoi réfléchir ? Parce que derrière l'évidence des bons sentiments, il y a la complexité des rapports sociaux. On peut proclamer le droit au logement et même lui reconnaître un caractère fondamental. Simplement, il existe un autre droit tout aussi fondamental, reconnu comme tel tant par notre Constitution que par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui n'est rien d'autre que le droit de propriété. Or, si le propriétaire ne veut pas héberger l'occupant insolvable, il n'est pas besoin d'être grand juriste pour saisir que la proclamation d'un droit au logement ne fait qu'accuser l'opposition entre ces deux protagonistes. En guise de solution, le droit ne peut alors offrir que la médiation et, en cas d'échec de celle-ci, des recours. C'est ce que fait la loi DALO, en proposant aux personnes en demande d'hébergement médiation et recours. Ceux-ci finiront devant la juridiction administrative en vue de contraindre le Préfet à trouver un logement au demandeur. Cependant, comme toute procédure, celle-ci charrie son lot de complexité, ce qui éloigne d'autant la mise en oeuvre du DALO. On l'aura compris : s'il est moins cher de distribuer des droits que de construire des logements, c'est aussi moins efficace. Un mot de plus pour atténuer la sévérité du propos. On peut soutenir que, même en multipliant les droits, le Droit ne trahit pas totalement son office : d'une part, parce que l'allocation de droits est un mode de reconnaissance symbolique des individus ; d'autre part, parce qu'elle engendre une certaine pression sur les pouvoirs publics propre à accélérer le règlement de ces situations. Sauf à observer malgré tout que les droits mettent alors le Droit au service de la sociologie et de l'action politique. Or, précisément, il est irréductible à l'une comme à l'autre.
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institut présaje
2008-07-01
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[ "michel rouger" ]
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SECRETS ET TRANSPARENCE
# Secrets et transparence Les secrets sont les multiples enfants du silence, couverts d\'or. Ils ont pour prénom : médical, défense, instruction, bancaire,d\'État, d\'alcôve, et bien d\'autres. La transparence est la fille de la vidéo qui vient d\'entrer dans les cabinets des juges d\'instruction, et de l\'épargnant qui a payé pour savoir que si le silence est d\'or, il nerespecte pas toujours leur argent. La difficulté vient lorsqu\'il s\'agit de dresser le contrat de mariage entre le secret et la transparence. Les tabellions qui cherchent l\'équilibre entre ce qui évitera les excès du mutisme et les perversités de l\'exhibitionnisme ont inventé le rendu de compte -* accountability *en anglais - pour apporter la solution. Avec quelques conditions à la clé. D\'abord, quiconque tient les cordons de la bourse des autres, avec les pouvoirs qui y sont attachés, doit manifester une réelle volonté de rendre des comptes. Cette disposition, peu compatible avec un ego surdimensionné, peut-être stimulée par la seconde condition à respecter : la méthode. Comme dans tout phénomène d\'émission et de réception, les grands arrangeurs de la communication peuvent transformer la musique et les paroles pour les adapter en dissimulant la partition d\'origine. Il faut donc une méthode de rendu de compte qui soit à la fois stimulante pour les volontés amollies, et préventive de l\'action des arrangeurs de la Com. Depuis une dizaine d\'années, les autorités de marché ont appliqué progressivement, de plus en plus lourdement, les méthodes à respecter par les grandes entreprises. Reste à préserver la méthode des dérives de l\'émotionnel, du superficiel et de l\'instabilité lorsque les aléas de l\'économie inspirent des peurs qui détournent du traitement des dangers. Mais cette méthode ne peut être pérenne que si elle s\'étend bien au-delà du cercle des sociétés cotées. Les parties prenantes à l\'économie de marché se sont multipliées bien au-delà des entreprises du secteur marchand. À tel point que les spécialistes évoquent ouvertement l\'application des principes de gouvernance, de transparence et de « rendu de compte » à tous les organismes, publics ou privés, associatifs à but lucratif ou non, groupements et réseaux, qui interviennent dans les échanges de biens et de services. Le chantier à entreprendre est vaste et urgent. Ce début de XXIe siècle laisse apparaître les fractures de l\'édifice économique et financier contrôlé par les puissances de l\'OCDE depuis quelques décennies. Les temps devenant plus durs, l\'obligation de rendre compte sera plus indispensable que jamais pour ceux qui détiendront un pouvoir sur les conditions de vie des autres. Après l\'été, que PRESAJE vous souhaite agréable, le thème des comptes à rendre dans différentes professions dont la nature est de se nourrir du secret, sera abordé par des spécialistes de premier plan dans notre prochain ouvrage. À bientôt.
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institut présaje
2008-07-01
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[ "michel rouger" ]
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SECURITE NATIONALE : LA FRANCE DISPOSE-T-ELLE DE MOYENS A LA HAUTEUR DES MENACES ?
# SECURITE NATIONALE : LA FRANCE DISPOSE-T-ELLE DE MOYENS A LA HAUTEUR DES MENACES ? Tel était le thème du débat organisé par Présaje et le Press Club le 10 juin dernier, à l\'occasion de la parution de notre 11ème ouvrage : « *Pour une stratégie* *globale de sécurité nationale* », publié sous la direction de Nicolas Arpagian et Eric Delbecque. Ciaprès figure la synthèse des propos tenus par les quatre intervenants. Les débats étaient animés par Eric Giacometti, rédacteur en chef au Parisien. La transcription intégrale des débats peut être consultée sur notre site www.presaje.com ## Xavier RAUFER Nous sommes dans une société de l\'information. A la tribune, nous en faisons tous partie comme experts ou praticiens, présents ou passés, d\'une manière ou d\'une autre. Et cette société a oublié les fondamentaux : connaître son ennemi. On a oublié l\'urgence absolue et le côté indispensable du diagnostic dans tout ce que l\'on fait. On se précipite sur les solutions et souvent, elles ne sont pas satisfaisantes. Le premier chapitre de notre ouvrage est une approche phénoménologique. Je suis parti du dépliant d\'une conférence à laquelle j\'avais été invité à Washington, conférence qui durait trois jours sur la défense des frontières. Le dépliant, comme la conférence, vous livre des tonnes d\'informations. Pas une seule fois au cours de la conférence, il n\'a été dit un mot sur ce qui menaçait la frontière sud des Etats-Unis. C\'était une série de gadgets, du fétichisme de la haute technologie (des rayons, des lasers\...), mais pas un mot sur qui peut bien avoir l\'idée de passer illicitement la frontière. Sur les menaces non terroristes qui se déroulent au sein de l\'Union européenne, entre 2002 et 2007, la quantité de cocaïne importée dans l\'Union européenne, selon Europol qui compile toutes les statistiques des saisies dans l\'Union européenne, est passée de 50 à 300 tonnes, soit 300 000 kilos. Les dégâts sont naturellement énormes. L\'héroïne est une drogue pour marginaux suicidaires. Cyniquement, on pourrait penser, comme dans le petit commerce : « Si cela n\'aide pas, cela débarrasse\... ». Mais la cocaïne est une drogue de jeunes actifs, d\'ingénieurs, de médecins, de gens du showbiz. Elle vise la société au coeur. Il faut savoir que l\'ennemi n\'est pas ce que l\'on voudrait qu\'il soit. Dans un bureau des élèves d\'une école coranique, l\'association n\'est pas en forme de pyramide, mais en forme de système solaire : un individu est au milieu avec des gens qui gravitent autour. Tout chez les islamis- tes est "Maktabiste", une forme d\'organisation qui leur est spécifique. Or, les Etats-Unis n\'ont jamais entendu parler de cela. Quiconque assiste à un meeting du Hezbollah voit une représentation qui, sur la scène, a l\'air du plus grand désordre. Des chefs prennent la parole avec des gardes du corps autour qui ont l\'air de graviter d\'une manière complétement chaotique. Il existe pourtant un ordre, différent du nôtre. ## Jean-Pierre MAULNY Nous pouvons assister à des accélérations de l\'histoire. C\'est par exemple la hausse des prix du pétrole, couplée à la hausse des matières premières, notamment des produits alimentaires et des ressources stratégiques. On peut se retrouver, dans cette configuration, avec des migrations très importantes, car les populations ne peuvent plus se nourrir dans certains pays. Cela peut être une rupture stratégique qui n\'est pas nécessairement prévue : voilà ce que l\'on pourrait appeler une menace, en tout cas une menace intentionnelle. Telle sera la difficulté des années à venir. Les formats opérationnels des armées seront réduits et nos capacités de projection avec eux. Une des solutions à la fois naturelle, politique et nécessaire est d\'envisager toutes ces questions de sécurité et de défense dans un cadre qui n\'est plus uniquement français, mais plutôt multilatéral et naturellement européen. *C\'est politiquement* *nécessaire*. Il faut essayer de progresser dans la construction de l\'Europe de la défense. Nous avons près de deux millions de soldats en Europe contre un million et demi aux Etats- Unis. Si nous arrivions à mettre tout cela en commun, nos capacités seraient certainement supérieures. Il en est de même en matière de moyens civils, de sécurité civile, de lutte contre le terrorisme avec d\'ailleurs une clause d\'assistance mutuelle qui est prévue dans le Traité de Lisbonne. ## Eric DELBECQUE Observons un débat qui suscite beaucoup de passion, celui des fonds d\'investissements. Pas tous les fonds d\'investissements, mais certains, que l\'on connaît bien aujourd\'hui. Certains sont neutres et d\'autres ne le sont pas. Il existe deux écoles. Pardonnez-moi ces jeux de mots, mais le premier « intellectueur » venu va vous expliquer que tout cela est un monde parfaitement libéral et que ces fonds d\'investissement sont totalement neutres. A l\'opposé, vous avez des énervés qui vont vous expliquer qu\'il y a des complots partout. L A L E T T R E D E P R E S A J E - N ° 2 4 - J U I L L E T 2 0 0 8 Il n\'y a pas de complots partout, mais la recherche d\'une capacité des individus à travailler ensemble et à faire que les intérêts d\'Etat et les intérêts privés se marient harmonieusement. On nous demande : « la France est-elle à la hauteur ? ». Qu\'est-ce que cela veut dire ? C\'est simplement cette capacité merveilleuse à se dire que l\'on peut récupérer une technologie qui, pour des raisons de sécurité nationale, est intéressante et qu\'en plus, on peut gagner beaucoup d\'argent. Il faut se débarrasser du complexe d\'infériorité européen. En France, nous sommes de ce point de vue très mal préparés car, comme nous pouvons le constater dans les médias, nous n\'avons pas d\'intérêts mais des idéaux. Il est obscène de dire que l\'on a des intérêts. Nous, nous avons des idéaux. Mais ces idéaux ne se soutiennent bien que sur une puissance, sur une force d\'expansion. Si on n\'a pas de potentiel de puissance derrière, que défend-on ? Rien. Il y a tout de même quelques avancées. S\'il n\'y a pas d\'accroc, nous allons normalement créer une *Small* *Business Administration* en Europe à partir de la fin juin. Je vous rappelle qu\'aux Etats-Unis, ce qui a donné naissance à ce dispositif, donc la loi, date de 1953. Juin 2008 pour notre SBA à l\'Européenne, eux juin 1953\... Nous pouvons commencer à penser que nous sommes en retard. Le problème essentiel est le rattrapage ! ## Nicolas ARPAGIAN S\'il s\'agit de protéger d\'un point de vue physique le territoire national, techniquement, même une France encore appauvrie, amoindrie, peut encore physiquement le faire. La seule question est : quelles ambitions politiques, audelà de nos strictes frontières, avons-nous pour notre pays, pour ses idées, pour ses intérêts que nous voulons voir prospèrer hors de nos frontières ? En clair, dès lors que les moyens d\'action sont réduits, il faudra admettre que nous ne puissions plus intervenir lors de conflits dans toutes les régions du monde, que la France sera obligée, soit d\'admettre qu\'elle n\'a pas les moyens de ses ambitions, soit de composer avec d\'autres nations. Quand on pose la question des fonds souverains, faudrait- il un fonds souverain à la française ? Je rappelle qu\'un fonds souverain, dans les économies « normales », est soit un excédent budgétaire, ce que nous n\'avons pas à ma connaissance, soit un excédent qui découle des gains liés aux réserves énergétiques ou autres. En d\'autres termes, c\'est du *cash*, comme un particulier qui aurait de l\'argent dont il n\'aurait pas immédiatement besoin. En matière de défense, c\'est la même chose. La France a les moyens de sécuriser son territoire de Dunkerque à Calvi, elle pourra même protéger les DOM-TOM. Au-delà de la protection de ses territoires, c\'est avant tout une question d\'ambition politique et de moyens investis pour la concrétiser. ## Jean-Pierre MAULNY Je reviens sur les questions industrielles et de protection économique, de protection des intérêts et des technologies. Le système des Américains est très simple : on peut investir chez eux à condition de ne rien connaître sur ce qui se passe dans l\'entreprise. Votre actionnaire arrive en fin d\'année, touche ses bénéfices, mais il ne sait absolument rien de ce qui se passe dans l\'entreprise. Il n\'a pas le droit d\'intervenir dans la stratégie de l\'entreprise. Sur cette question du contrôle des investissements, nous avons une législation. Le Code monétaire et financier a été revu. Nous avons le décret de 2005. Nous avons même été accusés par la Commission européenne, car le spectre du contrôle des investissements étrangers était trop large. Le contrôle des investissements consiste à examiner le dossier de quelqu\'un qui veut investir en France avec la possibilité de lui dire non. La législation existe donc sur le sujet. Le tout est de savoir qui est l\'investisseur, ce qu\'il veut faire. ## Eric DELBECQUE La grande question est : comment organiser nos ressources, comment les coordonner ? Nous en revenons à nos vieux débats : comment construire les lieux de concentration de cette pensée et de sa projection à l\'international ? Le problème est d\'organiser la projection de la pensée française ou européenne. Preuve que nous n\'avons pas la même approche que les Etats-Unis : il faut savoir que les Américains peuvent décider, pour des raisons de sécurité nationale, d\'interdire un investissement. La logique à l\'oeuvre est très différente de la nôtre. ## Nicolas ARPAGIAN L\'idée de base de notre ouvrage était, à l\'instar du fameux « la guerre est chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires » de Clemenceau, de se dire que cette question ne doit pas être l\'apanage des seuls militaires. Il faut que l\'opinion publique s\'en saisisse, que la sphère économique se l\'approprie, que le politique en soit partie prenante ; bref, se dire que c\'est une oeuvre collective.
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institut présaje
2008-07-01
2
[ "alexis rimbaud" ]
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EXPERTISE, SAVOIR ET POUVOIR
# EXPERTISE, SAVOIR ET POUVOIR La bulle médiatique née de la déclaration de vingt scientifiques sur la question de la dangerosité des téléphones mobiles a montré, une fois de plus, avec quelle légèreté sont gérés les rapports entre science et médias. Un peu d\'histoire : depuis le début du XXème siècle, les interrogations liées à l\'usage prolongé des champs magnétiques ont donné lieu à bon nombre de violentes polémiques. Il suffit de relire les travaux passionnants de Nicolas Tesla2 pour s\'en convaincre. Aujourd\'hui, on nous brandit le « principe de précaution » à tout bout de champ, et tout de suite on sonne l\'alarme. Le problème soulevé mérite tout de même mieux qu\'un « coup médiatique ». Un film de quelques secondes a déclenché « le buzz » sur Internet (plus de 200 000 consultations en six jours). Cette vidéo réalisée caméra au point, en plan séquence, présente deux amis réunissant quatre téléphones GSM placés en croix, au milieu desquels sont disposés des grains de maïs crus. Faisant sonner les quatre appareils en même temps, les grains explosent soudainement en popcorn, ce qui est censé démontrer l\'influence des ondes additionnées. Cette « démonstration » étonnante suscita une polémique sur les forums Internet, dénonçant l\'influence néfaste des ondes sur le cerveau, avant que la supercherie ne soit dévoilée et qu\'un fabricant d\'oreillettes blue-tooth ne confirme qu\'il s\'agissait bien d\'un film publicitaire vantant l\'utilité de ses produits. La référence au « principe de précaution » comme seule réponse à un problème posé par la confrontation des évolutions de nos sciences avec la santé est une conception curieuse du progrès. Où en seraient nos modes de transport ou notre industrie si ce principe avait été appliqué ? Aurionsnous atteint les 100 km/h si l\'on avait écouté les scientifiques prédisant le manque d\'oxygène à une telle vitesse ? Et que dire des travaux de Pierre et Marie Curie sur la radioactivité... Le principe de précaution relève du champ de l\'expertise. Il impose une distinction claire entre Savoirs et Pouvoir. Ce principe induit aussi le questionnement et l\'établissement d\'un référentiel méthodologique normalisé. C\'est précisément dans cette indépendance, loin des pressions et du tumulte médiatique, que nos institutions doivent faire appel à l\'expertise oeuvrant dans le domaine du savoir. Moins de battage, plus de sérieux ! 1 Auteur de l\'ouvrage « Le juge pénal et l\'expertise numérique », Ed. Présaje/Dalloz 2 Inventeur et ingénieur d\'origine serbe, émigré aux Etats-Unis, 1856-1943
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institut présaje
2008-04-01
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[ "michel rouger" ]
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RÉFORMES ET INCOHÉRENCES
# Réformes et incohérences La réforme est le maître mot de la société française depuis si longtemps qu\'on finira bien un jour par trouver pour quelles raisons il est impossible de réaliser, par cette voie classique, les transformations que les Français attendent. Le passionnant colloque* des Entretiens de Saintes *(1) sur « La santé, malade de la Justice ? » a démontré à quel point il fallait prendre en compte ces incohérences. Le fameux « French paradox », inexpliqué par les médecins qui se penchent sur les risques alimentaires des Français et leur vaillante "résistance", n'est pas le seul. - Si l\'on veut attirer l\'attention sur les multiples incohérences évoquées ci-dessus, il suffit de retenir les plus évidentes par les temps qui courent. - Pourquoi les Français champions de l\'épargne individuelle entretiennent-ils un Etat champion du surendettement collectif ? - Pourquoi le pays qui comporte un million d\'élus de toutes sortes admet-il que la loi soit faite par cent directeurs de cabinet du pouvoir central ? - Pourquoi le système de santé français est-il considéré comme le meilleur du monde, vu de l\'étranger, alors qu\'il est présenté à l\'intérieur du pays comme un malade proche de l\'agonie ? - Pourquoi le vin français est-il considéré comme le meilleur sur le marché mondial alors qu\'il est dénoncé comme poison par les agences sanitaires de l\'État ? - Pourquoi les Français continuent-ils à espérer augmenter leur pouvoir d\'achat alors que leur administration étatique fait tout pour entraver la capacité de vente de leur économie ? - Pourquoi la France entretient-elle son imagerie révolutionnaire en rêvant de faire bouger des Français manifestement réfractaires à tout changement ? - Pourquoi les Français sollicitent-ils la confiance des étrangers alors qu\'ils vivent dans un état de défiance les uns à l\'égard des autres ? - Pourquoi les Français sont-ils sincèrement défenseurs des droits de l\'homme chez les autres alors que leur Etat est régulièrement condamné pour ne pas les appliquer correctement chez eux ? Il n\'y aura sans doute pas de réponse à ces questions dans le prochain numéro. Les Français ont appris à vivre avec ces incohérences, comme on apprend, avec l\'âge, à vivre avec ses rhumatismes. Ils s\'en accommodent, en dehors des périodes de rémission et de traitement qui durent quelques mois après le changement de rhumatologue. A l\'institut PRESAJE, nous qui pensons ce malcurable, serions-nous devenus incohérents ?
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institut présaje
2008-04-01
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[ "christian noyer" ]
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LA NOTATION FINANCIERE ET SES MALENTENDUS
# LA NOTATION FINANCIERE ET SES MALENTENDUS « Les agences de notation et la crise du crédit : faux procès et vrais débats ». Tel était le thème du dernier colloque organisé par l\'institut Présaje, l\'université Paris X-Nanterre, le Cercle France- Amériques et l\'Association française des docteurs en droit, avec le soutien de Ernst & Young. Ci-dessous figure la synthèse des propos tenus par le Gouverneur de la Banque de France. Quelle est la fonction essentielle des marchés financiers ? Celle de la collecte et du traitement de l\'information. C\'est cette fonction qui permet d\'évaluer le rendement et le risque des divers actifs et, par là, de prendre les décisions d\'investissement et de financement. Le seul ennui, c\'est qu\'il existe sur les marchés de nombreuses asymétries d\'information, d\'où résultent maints dysfonctionnements : par exemple, la « sélection adverse » (quand les investissements de moindre qualité trouvent plus facilement de l\'argent que les bons projets), ou encore l\'aléa moral. Surtout, l\'information est coûteuse : les investisseurs ne sont guère incités à engager ces coûts s\'ils pensent que d\'autres s\'en chargeront à leur place ! Quand les banques assurent l\'intermédiation entre prêteurs et emprunteurs, elles s\'appuient sur la connaissance des clients pour exercer un rôle de tri. Mais sur un marché titrisé, cela ne joue plus. C\'est ce qui explique l\'apparition et le développement des agences de notation : il y a, à l\'évidence, concomitance entre le développement de la titrisation et celui de la notation. ## Triomphe de la confusion Mais le processus ne s\'est pas arrêté à cette première étape. L\'ingénierie financière ayant inventé les produits « structurés », conséquemment les agences de notation ont vu là un moyen de développer considérablement leurs activités. Elles en sont venues à inventer des méthodes et des modèles censés évaluer, véhicule par véhicule, la corrélation entre rendement et effet de levier créé par la structuration. Résultat : elle sont souvent sur la sellette, depuis le début de la crise. Tout cela trouve sa source dans l\'immense malentendu qui s\'est installé entre certains investisseurs et les agences. Premier malentendu : le contenu même de la notation. Les agences se considèrent comme responsables du jugement sur le seul risque de crédit, tandis que beaucoup de gestionnaires \- comme les fonds de placement à court terme - ont pensé trouver chez elles une protection globale, couvrant notamment les risques de liquidité. Deuxième source de malentendu : la « métrique » utilisée pour noter les produits structurés. Celle-ci est identique, dans sa présentation, à celle qui est utilisée pour les produits obligataires classiques. Or, il s\'agit de deux univers différents. L\'attribution d\'un AAA pour un CDO (Collateralized Debt Obligation : en français, obligation adossée à des actifs) n\'emporte pas les mêmes conséquences qu\'un AAA sur une obligation « corporate ». Les produits structurés sont construits sur des corrélations et des effets de levier. Il suffit qu\'une des tranches risquées soit défectueuse pour que les autres tranches soient affectées par contagion. On a vu récemment un CPDO (Constant Proportion Debt Obligation) noté AAA subir une dégradation de neuf crans en une seule journée ! Il eût été sûrement plus simple et plus sage d\'adopter une métrique spécifique pour les produits structurés; on aurait sans doute évité bien des incompréhensions ! ## Revoir la métrique Que faire aujourd\'hui ? D\'abord éviter les rafistolages. Les perturbations actuelles sont trop importantes pour que l\'on se contente de demimesures. De plus, il ne faut pas oublier Bâle II, qui repose sur un calcul plus fin des risques ; il faudra une référence plus fréquente à la notation externe. Deuxième erreur à éviter : se lancer dans une réglementation pesante et détaillée de l\'activité de notation. Mais il y a beaucoup d\'améliorations possibles, comme celles évoquées par Michel Prada (1) : enregistrement, reporting, amélioration de l\'organisation professionnelle... Pour ma part, je proposerais, dans la ligne de ce que j\'ai évoqué dans mon diagnostic, deux changements majeurs : 1. d\'abord exiger une plus grande transparence des méthodes, et une différenciation marquée des métriques entre obligations classiques et produits structurés : soit en adoptant une autre échelle de notation, soit en complétant la notation de crédit par une appréciation sur la volatilité ; 2. ensuite, mettre en place une notation spécifique du risque de liquidité ; ce n\'est pas facile, mais des concertations sont en cours - groupes de régulateurs de marché, groupes de banquiers centraux travaillant à ces questions \- et la Banque de France y est activement impliquée. Il y va de la survie de la fonction de notation et du développement des marchés financiers. Donc de l\'économie.
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institut présaje
2008-04-01
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[ "jean petit" ]
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LA SANTE, MALADE DE LA JUSTICE ? OU... LE JUGE, LE MEDECIN ET LE CITOYEN
# LA SANTE, MALADE DE LA JUSTICE ? OU... LE JUGE, LE MEDECIN ET LE CITOYEN Jean Petit était l\'un des intervenants au colloque annuel *Les Entretiens de Saintes*, coorganisé par Présaje et le barreau de Saintes le 5 avril dernier, sur le thème de « la santé, malade de la justice ? ». Le compte rendu publié dans les Annonces de la Seine du 7 avril est en ligne sur notre site www.presaje.com Les rapports entre la médecine et la justice sont marqués de longue date par une grande incompréhension mutuelle, faite au mieux d\'ignorance et au pire de suspicion réciproques. Parallèlement à des progrès continus, plusieurs évolutions ont marqué de ce point de vue la dernière décennie. La plus importante est probablement le développement des « droits des patients » qui scelle un changement majeur et irréversible des rapports entre les professionnels de santé et leurs patients. La France a été le premier pays à promulguer, en 1974, une « Charte des malades hospitalisés », devenue ensuite (1995) une « Charte des patients hospitalisés », puis en 2006 « des personnes hospitalisées ». La Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la Loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie reflètent cette aspiration collective à plus de transparence et à une plus grande association des patients aux décisions les concernant. L\'information donnée est, évidemment, au coeur de ce débat. Alors, la plupart des pays développés ont pris conscience des risques liés aux soins médicaux. Aux USA, l\'Institute of Medicine estime le nombre de décès *évitables* par évènement indésirable entre 44 000 et 98 000, soit davantage que le nombre de décès par accident de la voie publique, cancer du sein et SIDA ! Des chiffres similaires en proportion ont été rapportés en Grande Bretagne et récemment en France (Enquête Nationale sur les Evènements Indésirables liés au Soins, données publiés sur le site du Ministère (1). Parallèlement, la justice ne s\'est plus seulement intéressée à la responsabilité du médecin dans le colloque singulier avec son malade. L\'autorité administrative voire politique en matière de santé publique s\'est trouvée mise en question. Il convient ainsi de distinguer d\'une part les rapports de la justice et de la médecine individuelle, d\'autre part les rapports de la justice et des autorités de santé publique. Ce sont deux sujets bien distincts, quoique pour le citoyen malade ou potentiellement malade, cette distinction n\'ait guère de sens concret. ## Justice et médecine individuelle Le propos n\'est pas ici à un long développement historique. Le code d\'Hammourabi, les premières condamnations par des tribunaux civils français au XIXème siècle, puis le glissement progressif vers une obligation de moyens (arrêt Mercier - 1936) jusqu'à une quasi-obligation de sécurité de résultat reflètent l\'adaptation de la justice aux progrés de la médecine et aux exigences croissantes de la société. En France, la responsabilité médicale peut, selon le choix du demandeur, être posée devant la justice pénale ou devant la justice civile (établissements de santé privés et exercice libéral) ou administrative (établissements de santé publics). Toutes activités médicales et paramédicales confondues, le nombre de plaintes devant le juge pénal est stable depuis dix ans, de l\'ordre de 350 par an. Les recours en responsabilité civile ont augmenté, de 1000 par an au début des années 90 à plus de 4000 aujourd\'hui, mais un sur dix seulement donne lieu à indemnisation. Environ 3000 recours sont enregistrés par les tribunaux administratifs. Dans les faits, le nombre des affaires impliquant des professionnels ou des établissements de santé et portées devant la justice française reste donc particulièrement faible comparé aux pays anglo-saxons. Un médecin américain sur six fait aujourd\'hui l\'objet d\'un recours juridique pour faute chaque année, avec des frais de 23 000 \$ par recours, et une indemnisation moyenne de 1 000 000 \$ par recours indemnisé en 2000 ! Pour rendre compte de la faiblesse relative des recours en France, il est difficile de formuler une explication univoque et objective... Meilleure prévention des risques ? Inadaptation du dispositif de recours ? Efficacité des dispositifs défensifs des médecins ? Vindication faible des patients explicable par la perception d\'un niveau élevé de qualité des soins ? Le législateur, il est vrai, a développé de très nombreux mécanismes de prévention et de régulation pour les deux types de juridiction. Des évolutions sont attendues, leur impact est encore imprévisible. Le mouvement anglo-saxon qualifié de « patient empowerment » sonne la fin du paternalisme médical et ouvre une voie nouvelle pour les relations médecins-malades, avec une plus grande transparence (communication du dossier médical du patient, développement de la médiation, obligation d\'information du malade sur sa pathologie, ses problèmes de santé). Le développement de l\'évaluation des pratiques professionnelles, la réflexion sur l\'évaluation des compétences qui est en cours, sont d\'autres mécanismes de régulation. ## Justice et santé publique Plusieurs « affaires », portées devant la justice pénale, ont marqué les dernières décennies : sang contaminé, infections du site opératoire, hormone de croissance, etc. D\'autres devraient suivre. Ces affaires illustrent le manque de transparence des prises de décision sanitaire et l\'inefficacité des mécanismes de régulation de l\'époque. D'où une véritable logorrhéée réglementaire. En matière civile, les conséquences judiciaires de ces affaires sont restées particulièrement limitées, pour ne pas dire dérisoires. Diverses explications peuvent être mises en avant, notamment l\'impossibilité d\'action en nom collectif dans le droit français. La justice administrative reste à ce jour peu concernée. Les procès correspondants, concernant principalement des responsables administratifs ou politiques, ont eu une conséquence importante : une rupture de confiance entre les citoyens et les autorités dans le domaine sanitaire. Ces affaires et l\'incompréhension du « principe de précaution » sont en partie responsables de la perception d\'une judiciarisation accrue des relations justice - médecins. ## Pourquoi le corps médical a-t-il la perception d\'une dérive vers la judiciarisation de la médecine ? Si le nombre des plaintes civiles et des déclarations de sinistre aux assureurs ont effectivement augmenté ces dernières années, cette augmentation ne peut pas justifier de manière objective la perception du corps médical. En revanche, l\'augmentation des primes d\'assurance en responsabilité civile a été particulièrement rapide. Un jeune obstétricien qui s\'installe en secteur libéral peut se voir demander 25 000 à 30 000 e par an... Certes l\'Assurance Maladie lui en remboursera les deux tiers s\'il s\'engage dans le mécanisme vertueux ( ?) de l\'accréditation médicale. Certes, son collègue américain paye de 90 000 \$ (en Californie) à 277 000 \$ (en Floride)... Mais rien, dans son enseignement, ne l\'avait préparé à cette prise de conscience pour le moins brutale du coût du risque. Un autre élément à prendre en compte est la multiplication des textes législatifs et réglementaires et les décisions des agences. La multiplication des mécanismes de prévention ou de régulation tend à persuader les professionnels de santé français d\'une américanisation au mieux imminente et au pire déjà présente. Enfin, les prises de position souvent alarmistes des associations agréées de défense des usagers, des professionnels de la justice, des assureurs, des médias, voire des politiques, ne contribuent pas à la sérénité pourtant nécessaire à la pratique d\'une médecine de qualité. L\'impact d\'une hypothétique augmentation de la gestion juridique de la faute médicale sur le système de santé français L\'analyse du système américain montre que la judiciarisation du système de santé induit de nombreux effets néfastes, notamment des comportements défensifs des professionnels de santé dans leurs propositions en matière de stratégies diagnostiques et thérapeutiques, une croissance exponentielle des dépenses de santé et une explosion des primes d\'assurance. En France, deux options, incompatibles entre elles, peuvent être envisagées pour le proche avenir : continuer à mettre en avant la sanction et accroître la réparation de la faute médicale ; ou, au contraire, privilégier la transparence et la promotion de la qualité des soins. C\'est plutôt cette seconde voie qui a été retenue. ## Les mécanismes de prévention et de régulation Ils sont particulièrement nombreux en matière d\'évaluation externe et d\'amélioration de la qualité et de la sécurité des patients dans le système de santé français : - poursuite de l\'extension des champs d\'activité soumis à police sanitaire et réglementation - développement de recommandations de bonnes pratiques cliniques - renforcement du dispositif de médiation et création de commissions de relation avec les usagers sur la qualité de la prise en charge dans les établissements de santé - création d\'un dispositif d\'indemnisation de l\'aléa thérapeutique, sous certaines conditions (CRCI) - certification des établissements de santé et des réseaux de soins, par la Haute Autorité de Santé - évaluation obligatoire des pratiques professionnelles médicales et accréditation des équipes médicales à risque, par la Haute Autorité de Santé - évaluation des compétences médicales (Direction de l\'Hospitalisation et de l\'Offre de Soins) - contrats de bon usage des médicaments ; accords cadres de bonne pratique hospitalière ; accords de bon usage des soins (Assurance Maladie) - tableaux de bord d\'indicateurs de performance des établissements de santé. Au total, en France, la médecine n\'est certainement pas malade de la justice. Mais elle souffre de la complexité du dispositif judiciaire et du dispositif de régulation, associée à la multiplicité des « clients » et à une communication défaillante. Les médecins, ou du moins certains d\'entre eux, sont devenus malades à la pensée qu\'un jour le système sanitaire français pourrait connaître une derive anglo-saxonne ; certains d\'entre eux sont même, probablement, persuadés que ce jour est déjà arrivé. \(1\) Etudes et Résultats N° 398, mai 2005 : Les événements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements de santé : premiers résultats d'une étude nationale \<http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er398/er398.pdf\>. Philippe Michel, Jean-Luc Quenon, Ahmed Djihoud, Sophie Tricaud-Vialle, Anne-Marie de Sarasqueta, Sandrine Domecq, CCECQA, avec la collaboration de Brigitte Haury et de Chantal Cases, DREES
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[ "thomas cassuto" ]
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LE DROIT ET LA VIE
# LE DROIT ET LA VIE Par ses trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a replacé sur le devant de la scène l\'une des questions les plus difficiles à trancher : la définition du seuil de la vie. Il faut partir, naturellement, de l\'Etat de la science médicale. Celle-ci a changé, au fil des ans, l\'image de la vie, singulièrement *l\'image* du foetus « intra utero » : désormais, on perçoit plus concrètement les premières manifestations de la vie. Ne va-t-on pas jusqu\'à imaginer un visage sur le corps qui réagit à la voix du père, à ses mains ? Comment concilier cette image avec l\'idée rappelée par de nombreux scientifiques selon laquelle la vie est un continuum ? Une interruption de grossesse, volontaire ou accidentelle, est un événement dramatique. La question de la viabilité devient alors critique. La définition d\'un seuil théorique a évolué grâce aux progrès scientifiques. Mais un tel seuil ne saurait avoir un caractère systématique. Il ne peut reposer sur l\'arbitraire, à l\'instar du seuil de la notion de majorité. Que dit le droit ? La loi du 8 janvier 1993 a inséré un article 79-1 dans le Code civil qui offre la faculté d\'établir sur l\'Etat civil un acte d\'enfant sans vie. Cet acte ne préjuge pas la question de savoir si l\'enfant a vécu ou non. Que dit la Cour de cassation ? Elle rappelle que le texte de loi n\'entend introduire aucune distinction quant à la durée de la grossesse ou au poids du foetus. Certains ont cru y voir une avancée vers la définition d\'un *statut de l\'embryon* ou sur l\'expression, par la Haute juridiction, d\'une indication sur le début de la vie. De telles interprétations sont contraires à l\'esprit de la loi et aux décisions rendues, et satisferaient ainsi « une soumission inconditionnelle aux pressions et convoitises d\'une idéologie de convenance », pour reprendre l\'expression du Professeur Emmanuel Hirsch1 . Qu\'il y ait débat sur la notion de début de la vie est parfaitement normal. Cela relève de considérations philosophiques et éthiques. Mais quand il s\'agit de la loi, il ne faut laisser aucune place à telle ou telle interprétation idéologique : le texte de loi s\'impose au juge tel qu\'il est, et il faut se garder de lui demander une interprétation qui serait contraire à l\'essence même de la loi. Sinon, il est à craindre que la médecine devienne un fragile sujet du droit et, qu\'à l\'occasion de contentieux, le désir devienne une source de droit dont le juge ne pourrait se départir. Cette affaire est révélatrice « des conflits qui animent notre société et de la faiblesse de notre droit à s\'affirmer comme un ensemble de valeurs dynamiques dont la compréhension et la cohérence ne peuvent être assurées que par l\'intermédiaire de l\'office du juge »2 . 1 Le Figaro 20 mars 2008. 2 Thomas Cassuto, *La santé publique en procès*, PUF, avril 2008 p. 160.
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2008-01-01
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[ "michel rouger" ]
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APPRÉCIATION, ÉVALUATION, NOTATION
# Appréciation, évaluation, notation Les temps sont aux évaluations, et, corrélativement, aux critiques qu\'elles inspirent. Chacun a le souvenir des mercuriales, ces registres tenus par les maires, qui fixaient la valeur des biens échangés et les prix pratiqués sur les foires et les marchés. On a oublié le sens originel du mot, qui s\'appliquait au jugement que le Roi portait sur la Justice. Louis XII, désireux de censurer les juges, proposa une mercuriale en tenant un lit de justice pour « traiter et accuser leurs moeurs et leurs façons de vivre ». Il choisit le mercredi. Cinq siècles plus tard, un autre mercredi, s\'est tenue à Paris une mercuriale originale (1), entre grands professionnels de la finance entrée en crise. Les agences de notation y prirent la place des juges du XVème siècle. Les notateurs, leurs clients et les opérateurs de marché se sont expliqués, non sur leurs moeurs, mais sur la nature de leurs activités et leurs prestations. Les agences de notation, confrontées à l\'évaluation de produits hyper complexes, ont évoqué mille difficultés. Les experts en calcul que sont les évaluateurs, les parents des notateurs, pris dans le tsunami comptable qui submerge la planète ont protégé leurs travaux en faisant valider la technique dite de l\'analyse multicritères. Lorsque le juge, l\'autorité administrative, venaient troubler le jeu du marché, à nouveau la complexité fabriquait un brouillard dans lequel tout le monde se trouvait enveloppé. Les notateurs, eux, condamnés à s\'exprimer par quelques chiffres ou lettres, n\'ont pas cette protection. Montons d\'un cran. Il est question de faire évaluer l\'action du pouvoir exécutif en fonction des résultats. Les experts évaluateurs, qui vont ainsi se rapprocher du pouvoir suprême, vont devoir affirmer la pertinence de leurs analyses multicritères ! Alors que dans le politique il s\'agit autant de qualitatif que de quantitatif. Verrons-nous un ministère auréolé d\'un triple A ? Si oui, Édouard Herriot, grand amateur d\'andouillettes quintuple A, se retournera dans sa tombe, lui qui disait que la politique et l\'andouillette se ressemblaient par leur odeur. En 1990, un grand banquier de la place portait une appréciation simple sur sa profession, en disant que dorénavant la nature des choses serait de mal tourner. Cette saine analyse a suffi pour trouver les moyens de sortir les banques françaises de leur marasme, avec ou sans experts en évaluation et en notation. 2008 devrait confirmer la grande valeur de l\'intuition et de l\'appréciation. Soyons confiants. (1) Débats accessibles sur le site www.presaje.com : « les agences de notation et la crise du crédit ».
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[ "michel rouger" ]
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LA JUSTICE A L\'HEURE DE LA PREUVE IMMATERIELLE
# LA JUSTICE A L\'HEURE DE LA PREUVE IMMATERIELLE Synthèse des débats du 21 novembre 2007 à la Maison du barreau de Paris, tenus sous la présidence de Michel ARMAND-PREVOST et Thomas CASSUTO. Pour la lecture de la version intégrale, se reporter à notre site www.presaje.com (actualités Présaje) ## I - PREUVE NUMERIQUE ET PROCEDURE CIVILE Introduisant le débat, le bâtonnier Yves Repiquet note que les juges, magistrats et avocats pratiquent tous la preuve immatérielle. Et cela, depuis des décennies, depuis que l\'usage de la photocopieuse est partagé par le plus grand nombre. En effet, dans le procès civil, combien de fois entend-on un juge ou un avocat demander que soit produite la pièce originale ? Il est très rare que le cas se présente, sans pour autant que la preuve perde en \"qualité\", en force probante. C\'est qu\'une preuve s\'apprécie rarement *ex-nihilo*, elle s\'inscrit dans un ensemble, un faisceau de preuves. L\'écrit moderne étant immatériel, déjà les procès commerciaux sont envahis d\'e-mails, de communications entre avocats et juridictions. Personne ne conteste la force probante de ce support. Quant au pénal, la preuve est libre. Un décret a été publié à la suite de la loi du 5 mars 2007, qui permettra désormais aux avocats d\'avoir un accès direct, par le biais d\'Internet, aux dossiers en matière pénale. Ceci constitue une véritable révolution. Mais quelle confiance accorder à la preuve immatérielle ? A quel acteur du processus de réalisation d\'une preuve immatérielle accorder ou ne pas accorder sa confiance ? C\'est aujourd\'hui le nouveau paradigme à inventer. Se référant au Code Civil (textes du 13 mars 2000, du 21 juin 2004 et du 16 juin 2005), Michel Armand-Prévost rappelle que « *l\'écrit sous forme électronique est admis* en preuve au même titre que l\'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu\'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l\'intégrité ». Qu\'en résulte-t-il dans la pratique ? ## Du papier au clavier En tant qu\'avocate, Christiane Féral-Schuhl estime que les faits ont précédé le droit. Cependant, la loi de mars 2004 a marqué une étape majeure en permettant aux parties de se concentrer sur l\'acte juridique. Plus décisive encore est l\'avancée de l\'ordonnance de juin 2005 dans la mesure où elle permet de produire des éléments qui ne pouvaient l\'être précédemment : par exemple, un accusé de réception pourra être remplacé par un accusé électronique. Pour Serge Lipski, expert en informatique, le premier avantage est de réduire le volume des informations. Avec cependant une difficulté : celle de la datation. Celle-ci, en effet, peut toujours être contestée, car il est facile de changer la date enregistrée par l\'ordinateur. Deuxième difficulté : la conduite de la mission de l\'expert. Peut-on se contenter de dire que toutes les informations électroniques reçues doivent être considérées comme fiables ? Cela suppose l\'utilisation de clés et de codes qui ne sont pas toujours aisés à manipuler. ## Quand le papier résiste Selon Maurice Lotte, huissier de justice, le problème majeur est celui de la signification de l\'acte. Il faut un support papier, un réel contact. Cette contrainte sera difficile à lever. En revanche, pour tous les actes qui ne supposent pas d\'assignation, le recours à l\'électronique est licite : ceci concerne les recouvrements amiables, dits pré-contentieux. Dès lors qu\'il n\'y a pas titre exécutoire, l\'ensemble des relances, lettres comminatoires ou interventions spécifiques à l\'égard d\'un débiteur, qui font l\'objet d\'échanges entre l\'huissier et son donneur d\'ordre, seront numériques. Apportant le point de vue du juge, Emmanuel Binoche, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, estime qu\'il est temps de revenir aux textes délimitant le rôle du numérique : - « à défaut de convention valable entre les parties », dit la loi : cela signifie qu\'il est possible, notamment en matière commerciale, de prévoir a priori la manière dont on peut résoudre l\'éventuel conflit de preuve ; - « à défaut, il est question pour le juge de déterminer par tous moyens le titre le plus vraisemblable » : le juge dispose, en fait, d\'une grande latitude. Tout ceci suppose, bien entendu, un certain nombre de précautions, parmi lesquelles la numérotation des pièces, prévue d\'ailleurs par la convention du 4 mai 2006. ## Formalisme accentué ? Stéphane Lipski acquiesce, mais insiste surtout sur le problème du volume d\'informations. Le progrès apporté par l\'électronique est évidemment immense. Mais cela suppose une autorité de certification, ce qui peut aller jusqu\'à une communication face-à-face avec l\'autorité de certification : la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Il faut par ailleurs une autorité d\'enregistrement, qui vérifie l\'identité du demandeur de certificat. Il faut enfin des « opérateurs » de certification qui « fabriquent » le certificat et le délivrent au demandeur : la Compagnie des commissaires aux comptes s\'est adressée pour cela à la société Certplus. Christiane Féral-Schuhl souligne qu\'à côté des signatures électroniques garanties par les procédures d\'authentification, il existe des signatures électroniques « ordinaires ». D\'ailleurs, la signature électronique est prévue par la Directive européenne. Certains pays ont opté pour la mise en place d\'une signature ordinaire, par opposition à la signature électronique avancée, qui est le choix de la France. Mais il est tout à fait possible, dans le cadre d\'un accord bipartite, de décider que l\'on se contentera de signatures ordinaires. ## Que conserver ? Comment ? Maurice Lotte souligne également l\'utilité et l\'usage très répandu de la signature électronique. Il rappelle que les plateformes des offices d\'huissiers de justice sont aujourd\'hui de plus en plus dématérialisées. Il est possible d\'assurer un paiement en ligne. Il est également possible pour l\'huissier de justice d\'enregistrer sur cette plateforme dématérialisée certains dépôts, des règlements de jeux concours... Emmanuel Binoche revient sur le rôle du juge. Selon lui, la jurisprudence entrera nécessairement dans une problématique qui a déjà été plus ou moins rencontrée en ce qui concerne la fiabilité de la signature hors présomption légale, avec ce qui a été dégagé en matière de télécopie et de photocopie. On retrouvera également toutes les précautions qui ont déjà été examinées, eu égard aux éventuels risques de montage. Stéphane Lipski insiste sur la conservation du support. Lorsque l\'on a un support papier, on est généralement tranquille pour de longues années. Pour un support magnétique, la durée de la conservation est de quelques années. Si vous essayez aujourd\'hui de relire une disquette ancienne de quinze ou vingt ans, maintes informations auront disparu. La Compagnie des commissaires aux comptes, en s\'adressant à un tiers archiveur qui stocke les informations sur des supports conservés sur une longue durée, a une solution : sauvegarder sur un support et, périodiquement, tous les cinq ans par exemple, recopier sur un autre support de manière à rafraîchir l\'information. Ces systèmes sont relativement lourds mais, petit à petit, s\'imposeront. ## De la carte postale à l\'acte notarié Les entreprises, explique Christiane Féral-Schuhl, ont une propension évidente à la multiplication d\'octets. Que faut-il conserver ? Que peut-on éliminer ? Dans ce qu\'il faut conserver, il y a une hiérarchisation entre ce que l\'on a envie de conserver à titre informatif, et ce que l\'on doit conserver à raison des prescriptions légales, à raison des risques de contrôles dont on peut faire l\'objet fiscalement. Toutes ces prescriptions doivent être intégrées dans cette politique d\'archivage. L\'écrit électronique et la copie ne se situent pas sur le même registre juridique. Approchant de la conclusion, Emmanuel Binoche tente de résumer les avancées sur le plan législatif. Un décret du 28 décembre 2005 a prévu que les envois, remises, notifications, copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire pourraient être effectués par voie électronique sous certaines conditions et que le destinataire devait expressément consentir à l\'utilisation de la voie électronique. C\'est essentiel parce que nous ne sommes pas encore dans une dématérialisation totale. ## II - EXPERTISE NUMERIQUE ET PROCEDURE PENALE Alexis Rimbaud, rédacteur de nombreuses expertises en informatique, auteur du livre publié par l\'institut PRESAJE chez Dalloz, estime que dans cette question majeure de l\'administration de la preuve en matière pénale, il faut avant tout bien définir le rôle des uns et des autres dans le prétoire, et surtout la fonction de l\'expert. De ce dernier on attend souvent qu\'il dise oui ou non, qu\'il affirme ou qu\'il infirme. En réalité, il est surtout là pour reconstituer les faits et les hiérarchiser. Pour aider à comprendre : pourquoi le prévenu a-t-il agi ainsi ? Y avait-il une volonté réelle de transgression ? Ce qui suppose une méthodologie rigoureuse. ## Une imagination débridée Laurence Ifrah, criminologue (département de recherche de Paris II), pense que l\'on sous-estime largement les menaces qu\'engendre le développement du numérique. Il n\'y a pas que les menaces financières ou les vengeances : le numérique permet de se livrer à toutes sortes de falsifications, grâce aux complicités d\'administrateurs-système peu scrupuleux. Les plus « performants », parmi tous les moyens techniques couramment employés, sont les outils « anti-forensic », qui empêchent les experts de procéder à leur travail : modification des dates de création et de visualisation des fichiers, ou tout simplement des effacements. Face à cela, les dirigeants d\'entreprise sont peu enclins à porter plainte. Parce qu\'ils ne veulent pas révéler leur imprudence. La solution passe par un effort de déculpabilisation et de persuasion : montrer les avantages de la prévention. Alain Bensoussan, avocat, renchérit. En dépit du nombre croissant de fraudes, il n\'y a pratiquement pas d\'affaires. On dispose aujourd\'hui de textes sur la filature informationnelle, sur la perquisition numérique, sur l\'interrogatoire à distance, sur la saisie électronique, issus des lois Perben 1, Perben 2, et des Sarkozy 1 et 2. Alors, d\'où vient le problème ? De la peur d\'être victime, quand on enclenche une procédure, de l\'effet « publicité ». Il y a, face à toutes ces fraudes, une réponse électronique, il y a une réponse juridique, mais il n\'y a pas d\'affaires parce que la victime a peur de la double peine : la première est d\'avoir été frappé par l\'électronique ; la deuxième, d\'être ensuite frappé par la « publicité » électronique. ## Fraudes sans frontières Pour Fabien Lang, commissaire de police, les difficultés de la preuve numérique tiennent à l\'évolution extraordinairement rapide des techniques, qui demande des adaptations constantes. A cela s\'ajoutent les effets de la mondialisation des échanges et des communications. Les infractions « voyagent » : partant de la Russie, on peut ensuite rebondir aux Etats-Unis, en Ukraine ou en Chine et, finalement, aboutir en France ou dans un pays voisin. Diligenter une enquête, cela signifie revenir en arrière. Autant une attaque peut être instantanée - ou durer quelques secondes -, autant une enquête est beaucoup plus longue. De là résulte un contraste saisissant entre plan national (pour lequel la législation française est bien adaptée) et plan international, qui, lui, appelle de gigantesques efforts. Didier Peltier, magistrat instructeur au pôle « Santé publique », attribue trois fonctions à l\'administration de la preuve immatérielle. Ce peut être un moyen d\'investigation (par exemple, dans le cas d\'un trafic de molécule), ou bien un moyen de preuve d\'un lien de causalité (par exemple entre le bruit d\'un ordinateur et la naissance d\'acouphènes), ou encore l\'élément probant d\'une infraction (exercice illégal de la médecine...). L\'essentiel, pour les affaires de santé comme pour toute autre, est de bien délimiter les compétences du magistrat instructeur, de l\'expert et du Parquet. En particulier, il faut insister sur le fait (déjà souligné par Alexis Rimbaud) que l\'expert n\'est pas un décideur. Ce qu\'on exige de lui, c\'est la précision. La meilleure façon de procéder, pour le magistrat instructeur, c\'est de définir la mission de l\'expert en totale concertation avec lui. ## Les ingrédients de la preuve Serge Migayron, expert près la cour d\'appel de Paris, revient sur les « ingrédients » de la preuve numérique, et sa validité. Il faut exiger de la preuve numérique : - intégrité : c\'est-à-dire absence de modifications, voire de destruction d\'une partie du document ; - qualité : ne pas se fier aux apparences, exiger la copie « bit à bit », qui garantit la fidélité ; on s\'efforce en outre de dégager un *faisceau* de preuves ; - interprétabilité : une date calculée sur un fuseau horaire donné n\'a évidemment rien d\'absolu ; - intelligibilité : ce qui veut dire qualité de la rédaction technique. Éric Freyssinet, officier de gendarmerie, admet qu\'en matière d\'infractions numériques, il y a relativement peu d\'affaires, mais elles peuvent être quelquefois retentissantes. En France, les affaires de piratage, assez nombreuses, ne sont pas très connues parce que les services d\'enquête et les magistrats conservent une certaine confidentialité aux affaires les plus sensibles. Toutefois, en matière pénale, tout procès est public. A la Commission européenne, certains ont proposé d\'assurer une certaine confidentialité en plaçant les victimes « sous x ». On peut juger préférable d\'engager un effort d\'éducation des entreprises et des administrations, pour que tous ceux qui sont susceptibles de subir une atteinte à leur système d\'information soient en mesure de porter plainte, voire à communiquer sur les raisons de leur dépôt de plainte. Michel Rouger, président de PRESAJE, conclut en soulignant combien l\'introduction du numérique paraît finalement assez facile en matière civile, mais encore très compliquée au pénal. Ce débat devait être ouvert au Barreau, lieu d'élection des controverses, afin de mieux imaginer comment marier demain justice et efficaté, technologie et sécurité.
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[ "jean-claude ducastel" ]
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DE LA RESPONSABILITE MEDICALE
# DE LA RESPONSABILITE MEDICALE Justice et santé : voilà un thème majeur affectant tout à la fois le droit, la justice, les technologies et les finances aussi bien publiques que privées. C\'est un sujet typiquement « présajien », sociétal par excellence, où le sérieux de l\'analyse doit être associé à la démarche prospective, donc imaginative. « *Les Entretiens de Saintes* » (2), qui cette année seront co-organisés avec PRESAJE, en ont d\'ailleurs fait leur sujet sous le titre de « la santé, malade de la justice ? », et réuniront donc une pléiade d\'experts. En avant-première, voici une brève communication d\'un praticien, qui, pétrie d'humanisme, appelle à la sagesse. Le sujet, comme tant d\'autres, est l\'objet d\'un dialogue de sourds entre magistrats et professionnels de la santé. Pour dépasser la polémique, tentons d\'énumérer les quelques points qui engendrent l\'incompréhension des uns et des autres. Il s\'agit de l\'expertise médicale, du niveau de l\'indemnisation du préjudice, du devoir d\'information du patient et de la responsabilité sans faute, quatre sujets sur lesquels nos jeunes confrères seraient bien inspirés d\'éclaircir leurs idées et les magistrats de tendre l\'oreille... ## L\'expertise médicale Fréquemment demandées, réalisées par des médecins aux compétences reconnues et incontestées, les expertises apportent au praticien une appréciation essentielle de la conduite qu\'il a cru bon d\'adopter. Or, depuis les travaux du Professeur Sabatier, les juges s\'estiment fondés, dans un domaine dans lequel ils n\'ont souvent aucune compétence, à passer outre, leur conviction étant prépondérante, celle de l\'expert n\'ayant souvent pour eux qu\'une valeur consultative. Il y là un vrai débat : quelle est l\'utilité des expertises si elles ne sont que des prétextes de bonne pratique judiciaire ? ## Le niveau d\'indemnisation du préjudice D\'abord une question de vocabulaire : le terme d\'indemnisation est nettement préférable à celui de réparation. Le terme réparation est, à mes yeux, inadapté ; pire, insultant pour la victime. Comment peut-on assimiler le versement d\'une somme d\'argent à la « réparation » d\'une infirmité ? Une « réparation » financière peut-elle compenser le préjudice subi par un patient rendu paraplégique par une exploration radiologique, compliquée d\'infection de la colonne vertébrale ? Au fil des années, l\'indemnisation du préjudice a subi une évolution qui effraie les médecins et les assureurs, mais apparemment pas les juges. Les infirmités coûtent de plus en plus cher à ceux qui souhaitent s\'organiser pour y faire face. Cependant, on reste pantois, dans certains cas, devant les sommes allouées. Il ne s\'agit pas ici d\'en discuter le montant. Il suffit de dire que les compagnies d\'assurances ont crié grâce et que, sachant compter, elles ont demandé des primes insupportables aux praticiens concernés. De plus, nos cadets, effrayés par ces problèmes, fuient les spécialités « à risque ». Les premiers reçus au concours d\'internat, autrefois, choisissaient la chirurgie. C\'est loin d\'être le cas de nos jours, et ceux qui le font sont en nombre très insuffisant. Par qui sera-t-on opéré, endormi, accouchée dans quelques années ? Même s\'ils doivent continuer de bénéficier d\'une grande indépendance dans leur exercice, les juges ne peuvent s\'affranchir d\'une réflexion sur les conséquences de leurs décisions concernant une profession d\'exercice difficile, et dans laquelle les aléas sont nombreux. On ne peut les accabler ; les commentaires excessifs des médias et la pression populaire qui refuse les échecs en matière de santé, les engagent à une très grande sévérité. Il faudra cependant un jour fixer la limite au-delà de laquelle aucun système de mutualisation des responsabilités ne peut être équilibré de façon efficace et pérenne. ## Le devoir d\'information du malade Le sujet, qui a fait l\'objet d\'une législation récente, a été bien mal examiné. En milieu hospitalier, en particulier, où les consignes aboutissent à une démarche souvent brutale des praticiens, qui désespère les patients au lieu de les aider à affronter des épreuves thérapeutiques souvent pénibles. On est bien loin du « colloque singulier » de Duhamel qui définissait si bien la relation médecin-malade ; le dialogue laissait s\'insinuer la vérité sans l\'asséner comme cela se fait trop souvent de nos jours. C\'était l\'époque où les qualités humaines des praticiens « équilibraient » la rudesse du diagnostic. En fait, la vérité due au malade a été proclamée par des sujets bien portants, dont la réflexion a été un peu courte sur la fragilité des êtres. Les mesures édictées sont d\'efficacité discutable en pratique : en effet, soit le patient est « ailleurs », donc incapable d\'entendre la vérité, soit il l\'entend mais la refuse au fond de lui. Dans ces conditions, que valent les avertissements oraux ou même les questionnaires signés à la hâte à la veille d\'une intervention ou d\'examens pénibles ? Qu\'il était lourd le fardeau porté par les praticiens de ma génération, lorsque le médecin, par compassion pour « son malade », gardait pour lui, et pour les très proches, ses certitudes et laissait s\'instaurer une atmosphère dans laquelle le malade pouvait conserver un dernier espoir ! A quoi servent les discours sur la nécessaire humanisation des établissements hospitaliers si le patient n\'y rencontre que des machines, des statistiques, qui ne leur disent pas s\'ils sont dans le bon ou le mauvais lot ? Toutes les mesures d\'accueil et de prévention resteront dérisoires devant le gouffre de désespoir que l\'on est en train d\'installer. De nos jours, sous le fallacieux prétexte d\'améliorer les conditions de vie des individus, la collectivité se fait de plus en plus contraignante. De grâce, laissons, si possible, mourir les malades incurables dans l\'illusion qu'ils peuvent guérir. Ne délivrons pas d\'informations statistiques utiles pour choisir les traitements mais plus cruelles les unes que les autres pour ceux dont la vie est sur le fil du rasoir ! ## Responsabilité sans faute Ce dernier né dans la responsabilité médicale est issu d\'une brillante construction intellectuelle visant à recouvrir les cas, assez souvent rencontrés, où le dommage subi par le patient ne peut être imputé ni au praticien de l\'acte, ni au prescripteur auquel l\'examen a semblé indispensable au diagnostic et au traitement. En théorie, le concept est parfait mais, en pratique, comment faire ? Dans ce système, on souhaite recouvrir l\'aléa, épée de Damoclès qui menace quotidiennement le patient et son médecin. Quelles que soient les précautions prises, dans la décision comme dans l\'exécution, nul ne peut s\'estimer à l\'abri de l\'événement imprévisible et dommageable. Il est juste de chercher à pallier cette difficulté de l\'exercice médical mais il faut se demander : - par qui sera abondé le fonds d\'indemnisation ? - comment éviter que le ditfonds ne discute « la responsabilité sans faute » avec des procédures interminables contre les praticiens incriminés afin de tenter de reporter sur leurs assurances l\'indemnité à régler ? En la matière, il conviendrait sans doute de faire preuve d\'humilité, car l\'aléa peut être aussi « thérapeutique ». Or la « science médicale » en est à ses premiers balbutiements en matière de sensibilité individuelle aux médicaments ; cela veut dire que ce qui est inconvénient mineur pour les uns peut être préjudice irrémédiable pour les autres, avec le même médicament administré aux mêmes doses et dans les mêmes conditions. ## Pour un doute salvateur Ce qui précède constitue un vaste point d\'interrogation sur l\'évolution des mentalités et de la jurisprudence en matière de responsabilité médicale. Aussi bien, si un doute salvateur s\'installait dans les esprits, des discussions calmes et sérieuses sur tous ces problèmes entre les juges et les médecins seraient sûrement génératrices de compréhension et pourraient contribuer au rétablissement d\'une relation de confiance entre les médecins et leurs patients, sans laquelle l\'exercice de cette profession est impossible. Appelant à la sagesse, on devrait demander aux juristes de réfléchir aux questions toutes simples qui pourraient éclairer les débats en cas de conflit : - le praticien a-t-il répondu à l\'appel du patient dans des délais compatibles avec l\'urgence du cas ? - a-t-il fait preuve de compétence dans ses soins en regard des règles de « bonne pratique » ? - a-t-il suivi avec assiduité l\'évolution de l\'état de santé du patient, afin de réorienter aussi vite que possible le traitement en cas de complication ? Si la réponse est oui à ces trois questions, le juge doit admettre que le praticien a fait tout ce qui était en son pouvoir. Pour le reste, il doit avoir à l\'esprit que la médecine reste un art « au sens artisanal » et non une science. Beaucoup ont un avis différent. On sait où cela mène sur le plan humain, mais aussi sur le plan financier pour la collectivité. \(1\) Chirurgien (er) \(2\) *Les Entretiens de Saintes*, samedi 5 avril 2008, Abbaye aux Dames de Saintes.
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[ "michel rouger" ]
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LE PROCÈS, LE JUGE ET LE PROCESSEUR
# Le procès, le juge et le processeur Chacun connaît les petites puces qui équipent tous les objets de la vie quotidienne sans lesquels ce serait le retour cinquante ans en arrière, situation inimaginable pour ceux qui sont nés après le célèbre transistor des années soixante. Ces puces, et les processeurs qui en gèrent le fonctionnement, reposent sur le principe binaire du choix - oui ou non - qui permet l\'enchaînement des décisions. La justice et ses auxiliaires le font, beaucoup, beaucoup plus lentement, dans le procès qui prépare tout jugement. L\'enchaînement des décisions, leurs liens - mot transcrit dans le langage des internautes - vont être élaborés pour constituer le procès qui est le fondement même de toute action judiciaire. Certes, l\'héritage de la pratique du syllogisme, cher aux philosophes et aux grands orateurs, peut conduire le juge à résister à la domination des choix binaires, auteur/ victime, créancier/débiteur, coupable/innocent, responsable/non responsable, etc. Mais c\'est de plus en plus difficile. C\'est pourquoi il faut attirer l\'attention sur les risques résultant d\'une telle évolution. Par sa formation, le juge a appris à faire parler les hommes et femmes qui comparaissent devant lui. Il a appris à dialoguer avec leurs avocats. Il a appris à comprendre les rapports des experts qu\'il a missionnés pour éclairer le procès. Nulle part, sauf à titre personnel, le juge n\'apprend à faire parler les disques, les puces et autres CD-rom. Or l\'actualité montre à quel point tous ces objets sont indispensables dans l\'analyse des faits et des comportements. La preuve immatérielle fait ainsi irruption dans les procès, élaborée par des techniciens qui font leur entrée dans le prétoire. Ils y expriment les certitudes de la « science ». La réfutation de leurs affirmations est d\'autant plus aléatoire que leurs expertises, ou ce qui en tient lieu, ne sont pas contradictoires en matière pénale. Cette évolution, par laquelle le fonctionnement du processeur, les analyses et conclusions qu\'il suggère, viennent s\'imposer dans le déroulement du procès, pose un véritable défi. Il doit être relevé par tous les acteurs d\'une oeuvre de justice qui repose, depuis des siècles, sur la recherche des preuves matérielles les plus irréfutables. La mode de la solution par les experts, vite mise en valeur dans les séries audiovisuelles, ne peut conduire à lui donner le pas sur le jugement humain.
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[ "xavier lagarde" ]
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LA RÉFORME DU « SOCIAL », SPORT DE HAUT NIVEAU
# LA RÉFORME DU « SOCIAL », SPORT DE HAUT NIVEAU Le président de la République s\'est plu à le répéter : il n\'est pas plus difficile de faire toutes les réformes en même temps que de les faire une par une. En lançant pêle-mêle les réformes des retraites, de la fonction publique et du contrat de travail, il prouve, comme disait un autre, qu\'il fait ce qu\'il dit (et qu\'il dit ce qu\'il fait). Pour l\'instant, nul n\'a une idée précise du point d\'arrivée : alignement des régimes spéciaux sur celui de la fonction publique ou harmonisation des régimes par une négociation entreprise par entreprise ? Réduction drastique du nombre des fonctionnaires ou diversification des parcours professionnels et des statuts ? Contrat de travail unique ou introduction de variantes - dont la résiliation amiable - dans les modes de rupture du CDI ? Ce sont là, parmi d\'autres, des alternatives possibles. ## La « courbe en J » En revanche, il n\'y a guère de doute sur le sens des discussions engagées. Que ce soit sous un angle quantitatif ou qualitatif, il s\'agit bien de revoir les principes qui ont fait les beaux jours de l\'Etat-providence. Cette remise en cause n\'équivaut pas nécessairement à une régression. En termes sociaux, mieux vaut réduire le chômage que le traiter, même généreusement. Simplement, les bénéfices espérés des réformes à venir ne peuvent s\'apprécier que dans le moyen terme. C\'est ce que les économistes appellent la « courbe en J ». Pour faire mentir le proverbe « un tiens vaut mieux que deux tu l\'auras », il faut convaincre qu\'en quelque sorte un tiens vaut moins que deux tu l\'auras. Il faut ainsi acheter du temps et cela ne peut se faire qu\'à la condition de susciter la confiance. Depuis les dernières élections, et pour quelque temps encore, celle des citoyens est à peu près acquise. En revanche, on ne peut pas en dire autant des partenaires sociaux. Certains pensent que ces derniers ne représentent plus grand monde et qu\'en conséquence, malgré leur désaccord, les réformes se feront sans trop de mal. Ne sous-estimons cependant pas leur capacité de mobilisation. Lorsque les transports s\'arrêtent, la France tourne au ralenti. Le discours syndical est vraisemblablement le reflet de deux types de blocage. Le premier d\'entre eux est d\'ordre culturel. Il prend appui sur une conception conflictuelle de l\' « économique » et du « social ». A l\'aune de celle-ci, le social avance ou régresse. Toute révision sans accentuation des protections antérieures est donc nécessairement perçue comme une régression. Ce réflexe intellectuel prend sa source au coeur de l\'identité française. Celleci, assez largement mise en forme par les codifications napoléoniennes, se singularise par une exclusion du monde marchand de la société civile. En France, le capitaliste est considéré comme un individu dont la préoccupation exclusive est l\'accroissement de ses avoirs. L\'échange n\'est pour lui que l\'occasion d\'un retour sur investissement. Il n\'a que faire d\'autrui et des solidarités qu\'implique la vie en collectivité. En conséquence, les dispositifs destinés à assurer la cohésion de la société civile, en un mot le «social», se présentent à lui comme un obstacle. Pour préserver ce dernier, il faut donc savoir résister. Cet état d\'esprit n\'est guère propice au développement d\'un agencement harmonieux entre contraintes économiques et nécessités de la protection sociale. ## Donnant-donnant ? Le second blocage est bien plus prosaïque que le premier. La résistance peut céder si elle obtient des contreparties. C\'est la logique du « donnant-donnant ». Cependant, il est à craindre qu\'il n\'y ait plus beaucoup de grain à moudre. Il est difficile de proposer une assurance- chômage plus généreuse en contrepartie d\'un assouplissement du contrat de travail car il est de fait, qu\'au moins en valeur relative, le chômeur français est plutôt bien indemnisé. Moins de fonctionnaires pour une meilleure rémunération de ces derniers : la proposition est ingénieuse mais, à l\'étude, il semble bien qu\'en termes de rémunération, les fonctionnaires ne soient pas si mal lotis... Voudrait-on négocier qu\'il n\'y a malheureusement plus grand-chose à échanger. Il risque donc, selon la formule consacrée, d\' « y avoir du sport ». Cela n\'empêche pas d\'ouvrir des négociations. D\'abord, parce que c\'est une exigence démocratique. Ensuite, parce qu\'il faut toujours tout tenter. Enfin, parce que les discussions sont autant d\'occasions de convaincre et, à tout le moins, d\'atténuer la virulence des conflits à venir.
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[ "christian de perthuis" ]
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LE CREDIT CARBONE : PASSER D\'UNE GESTION COMPTABLE À UNE STRATÉGIE DYNAMIQUE
# LE CREDIT CARBONE : PASSER D\'UNE GESTION COMPTABLE À UNE STRATÉGIE DYNAMIQUE Le 1er janvier 2008, la France entre dans la période d\'engagement du protocole de Kyoto. Elle doit plafonner les émissions de six gaz à effet de serre depuis son territoire à 565 millions de tonnes de CO2éq par an sur la période 2008-2012. Ce droit à émettre est matérialisé par son stock d\'unités de compte Kyoto, cessibles sur le marché international : l\'actif carbone du pays, ou encore sa « monnaie carbone ». En fin de période, la France devra restituer autant d\'unités qu\'elle aura émis de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012\. Le pays peut gérer de façon passive ce stock de « monnaie carbone » en s\'efforçant de maintenir ses émissions cumulées en dessous du plafond jusqu\'à la fin de période. Mais il peut aussi utiliser ce nouvel instrument pour optimiser sa politique climat sous l\'angle environnemental et financier. ## Que font nos partenaires ? Des pays comme les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande se sont lancés très tôt dans une telle démarche pro-active. Dès 2000, les Pays-Bas ont mis en place un programme d\'achat de crédits carbone sur le marché international. Ces crédits rémunèrent des réductions d\'émission obtenus par des projets qui peuvent être conduits dans des pays comme la Chine ou l\'Ukraine où les coûts de réduction sont plus faibles. La Nouvelle Zélande a mis en place un système dit de « projets domestiques » permettant d\'utiliser une partie de sa monnaie carbone pour réduire les émissions de gaz. En Europe, l\'Espagne, l\'Italie, l\'Allemagne et les pays baltes se sont engagés dans des programmes d\'achat de crédits sur le marché international qui permettent de contribuer au financement de projets réducteurs d\'émission dans des pays étrangers. L\'acquisition de ces crédits facilitera la réalisation de leurs objectifs de réduction d\'émission au titre du protocole et en réduira le coût. Autre utilisation possible des actifs carbone : la mise aux enchères des quotas de CO2 attribués aux installations industrielles couvertes par le système européen. Une telle politique permet d\'améliorer le signal prix envoyé aux industriels et surtout de procurer des recettes aux pouvoirs publics. Le Royaume-Uni compte s\'engager résolument dans cette voie à partir de 2008. Simultanément, il utilise les atouts que lui donne la place de Londres pour attirer une grande partie des échanges de carbone et créer sur son territoire les emplois qualifiés dûs à cette nouvelle activité. Le département britannique de l\'environnement estime à 5000 personnes ces nouveaux emplois fin 2007\. ## Dépasser la gestion comptable Notre pays est jusqu\'à présent resté en retrait en matière d\'utilisation de ces nouveaux instruments. La France ne fait pas partie des pays ayant la contrainte Kyoto la plus difficile à atteindre. Elle n\'est pas poussée, par le risque de non conformité, à mettre en place une telle politique pro-active sur le marché international. C\'est sans doute la raison pour laquelle elle s\'est contentée jusqu\'à présent d\'une « gestion comptable » de ses actifs carbone consistant à thésauriser jusqu\'à fin 2012 son stock de monnaie carbone pour voir à ce moment là si le pays est « dans les clous » ou non. Mais le discours du Président Sarkozy sur le climat devant l\'Assemblée générale des Nations Unies pourrait être le signe d\'une modification de stratégie. L\'importance des mécanismes de marché y a été mise en avant, et notamment l\'intérêt économique que présenterait un approfondissement du signal-prix. Deux voies ont notamment été tracées : la mise aux enchères d\'une partie des quotas de CO2 actuellement délivrés gratuitement aux industriels alors que la directive quotas permet aux Etats d\'en vendre 10% ; le financement, via le prix du carbone, de projets permettant de limiter les rejets de gaz carbonique, notamment en préservant les forêts tropicales. A quelques encablures du lancement de la négociation du « Grenelle de l\'environnement », ces déclarations ne sont pas anodines. Elles pourraient déboucher sur l\'utilisation des nouveaux instruments économiques par les pouvoirs publics pour accroître l\'efficacité de notre politique climatique.
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[ "thomas paris" ]
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UNE COMMISSION POUR SAUVER LES INDUSTRIES CULTURELLES ?
# UNE COMMISSION POUR SAUVER LES INDUSTRIES CULTURELLES ? Où en étions-nous ? De méchants pirates, environ dix millions en France, avaient entrepris de détruire la création musicale en s\'échangeant des fichiers sur Internet. Le gouvernement avait décidé qu\'il fallait que cela cesse et avait demandé aux députés de voter une loi pour envoyer tout ce beau monde, dont leurs fils et neveux, en prison. Le Conseil constitutionnel avait censuré la loi et les pirates avaient continué à sévir. Alors, comment faire face à cet embrouillamini ? Que faire, sinon créer, une fois de plus, une commission pour régler le problème en deux temps trois mouvements. Cela va faire bientôt dix ans que l\'industrie musicale essaye de digérer un cocktail technologique explosif ( Internet + compression des fichiers + peer to peer ) qu\'elle a dû ingurgiter de force. La crise est très sérieuse : le marché du disque s\'est effondré de 40 % en cinq ans. L\'industrie du film est confrontée au même problème, et les professionnels du livre commencent à s\'inquiéter à leur tour. La Commission Olivennes, installée par la ministre de la Culture début septembre, a jusqu\'au 31 octobre (2007 !) pour trouver des solutions au problème. Une gageure ! Pendant longtemps, la difficulté tenait au fait que les entreprises des télécoms avaient tout à gagner à ce que des échanges de fichiers se fassent sur les réseaux dont elles contrôlaient l\'accès. Aujourd\'hui, le taux d\'équipement en Internet haut-débit a beaucoup progressé chez les ménages, et elles accepteront moins difficilement d\'envoyer des messages aux internautes qui procèdent à des échanges illégaux. Mais le problème est plus complexe ; la répression, même graduée, ne permettra jamais de récupérer la part de marché perdue. Depuis plusieurs années, de nouveaux usages dans la consommation de la musique et des produits culturels se sont mis en place, qui intègrent notamment les aspects communautaires (échanges de contenus ou d\'informations). Les technologies rendent de plus en plus aisée l\'impunité. Dans ces conditions, ni la répression ni l\' « éducation » des consommateurs ne peuvent suffire à régler le problème. C\'est tout un système qui doit se recomposer et qui devra compter de nouvelles offres, en phase avec les nouveaux usages, et de nouveaux modèles économiques, en phase avec le développement d\'une création variée... Tout l\'enjeu est donc de parvenir à une solution « négociée » entre les usages des consommateurs, les règles de droit, les technologies et les intérêts des industriels. Une commission d\'une durée de vie de deux mois peut-elle être le lieu pour le faire ?
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institut présaje
2007-10-01
4
[ "michel rouger" ]
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LA PERSONNE ET SON IMAGE : SERVITUDES RÉELLES, LIBERTÉS VIRTUELLES
# La personne et son image : servitudes réelles, libertés virtuelles Question posée à l\' assemblée générale de Presaje : « Comment expliquez-vous que les contraintes qui pèsent sur les personnes, physiques ou morales, par l\'accumulation des règles et des lois, et la multiplication de ceux qui les font appliquer, n\'entraînent pas de révolte ? » Une courte réponse a été avancée. Les personnes ainsi accablées l\'oublient en vivant avec leur image : ce que font les entreprises avec la « com », ce que peut faire tout citoyen avec son blog, où il est difficile de distinguer le virtuel du réel. On assiste à un démembrement entre la personne, sujet de droit, et son image, personnage virtuel préservé des servitudes sociales et juridiques. L\'un assume les charges, l\'autre a la jouissance. L\'image étant devenue un patrimoine, on y retrouve le nu-propriétaire et l\'usufruitier. Pour les stars, les leaders, tantôt le juge protège l\'image pour sauvegarder la personne, tantôt il brutalise la personne quand le niveau d\'adoration publique de l\'image fait pression sur lui. Dans l\'économie, c\'est le droit qui se méfie de l\'image en multipliant les normes de transparence, de gouvernance, de dénonciation, de conformité, pour empêcher que la virtualité et l\'influence de l\'image viennent masquer la réalité des actes. Dans la politique, de plus en plus dominée par l\'image, le démembrement évoqué ci-dessus a atteint des sommets au mois de mai lorsque la perdante a diffusé une image de gagnante, contre toute réalité, afin de coller sur la personne du gagnant une image de perdant. Enfin, le juge pénal qui ne dispose que de peu de moyens de faire condamner la personne, jugée des années plus tard, choisit fréquemment la destruction immédiate de son image par des affirmations de culpabilité qui se révéleront bien plus tard sans objet ni fondement. C\'est ainsi. Pour vivre heureux, doit-on vivre caché ? La place est déjà prise par les malheureux qui cachent leur misère. Sauf quand les stars en quête d\'image les transforment en figurants dans les scénarios écrits pour valoriser leur « petite personne » dans les plans médias.
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institut présaje
2007-10-01
5
[ "bertrand du marais" ]
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L\'ATTRACTIVITE ECONOMIQUE DU DROIT : OPTIMISER NOS ATOUTS DANS LA COMPÉTITION
# L\'ATTRACTIVITE ECONOMIQUE DU DROIT : optimiser nos atouts dans la compétition Ces colonnes ont résonné, il n\'y a pas longtemps, du débat passionné lancé par les rapports *Doing* *Business* de la Banque mondiale, et leur classement en fonction de la capacité du droit à faciliter les affaires. Ayant directement participé au débat sur la mesure de l\'efficacité économique du droit - voire l\'ayant suscité - l\'heure est venue d\'en dresser un premier bilan, de montrer comment ce débat fait son chemin. ## De la compétitivité à l\'attractivité L\'attractivité économique du droit est à la fois une réalité et un instrument. L\'attractivité est « la capacité à attirer et retenir les activités à contenu élevé en travail très qualifié ». Le droit constitue un des paramètres de l\'attractivité générale d\'une économie, notamment comme variable dans le processus de choix des investisseurs directs étrangers. La plupart des analyses de la localisation des entreprises internationales intègrent le facteur juridique à travers plusieurs niveaux : la stabilité du système réglementaire, la fiscalité, le droit du travail, mais aussi le droit de la protection sociale, facteur de coût. L\'attractivité économique du droit est également un instrument, à travers le programme du même nom, opérationnel jusqu\'en septembre 2007(2) . En moins de deux ans d\'opération, ce « think tank », à la fois partenariat public privé et réseau pluridisciplinaire d\'une centaine de chercheurs et de praticiens en droit et en économie, aura beaucoup produit (trois ouvrages, deux cycles de conférences de droit comparé, la première conférence internationale des producteurs d\'indicateurs d\'efficacité du droit, etc.). Cette profusion traduit la naissance d\'une dynamique profonde de travail collectif : entre économistes et juristes ; entre universitaires, praticiens et décideurs publics. Cette démarche aura notamment grandement contribué à faire progresser la France de douze places dans le classement Doing Business 2007 ! (cas suffisamment rare pour être noté). La méthode était en effet la bonne. Loin de l\'invective ou de la déploration, une analyse de la méthodologie de ce classement, rigoureuse et publique, associant étroitement juristes, économistes, statisticiens et économètres, a permis de rendre crédible notre critique, puis audibles les efforts d\'explications de nos spécificités juridiques. ## La concurrence des droits continue Mais le droit n\'est pas seulement un paramètre de la concurrence entre acteurs économiques, il est luimême terrain de concurrence. Sur le marché intérieur, les entreprises peuvent choisir aujourd\'hui de localiser certaines activités, voire leurs seuls bénéfices, en fonction du droit applicable. Sur les marchés extérieurs, les États en voie de développement sélectionnent leurs modèles de réformes juridiques. Au sein d\'organisations régionales, les États développés eux-mêmes choisissent entre harmonisation, standardisation ou combinaison des divers systèmes juridiques disponibles. Cette concurrence se traduit à travers des indicateurs synthétiques de « l\'efficacité » du droit, de « l\'Economic Freedom Index » de la « Heritage Foundation » jusqu\'aux indices de risques pays des établissements financiers, en passant par *Doing* *Business* ou les composantes juridiques du World Economic Forum. Cette concurrence est organisée par de puissants « prescripteurs » : organisations internationales publiques, organismes professionnels, mais aussi agences de notation financière, etc. Ainsi, alors que des données quantitatives rendent similaire la situation de la France et des Etats-Unis, telle agence sous-évalue en moyenne les entités françaises d\'un « notch » (une position dans l\'échelle de notation)(3) . Cette prescription implicite s\'appuie souvent sur une démonstration prétendument scientifique de la supériorité intrinsèque de la Common Law, selon une logique proche de celle des vins AOC\... ## Optimiser pour relever le défi de la concurrence Faire respecter la concurrence suppose alors de développer l\'analyse critique des classements les plus médiatisés et donc les plus réutilisés. Des indicateurs alternatifs, plus complets et mieux à même de rendre compte de la diversité, pourraient être proposés. En outre, il faut traduire nos concepts et en démontrer l\'efficacité auprès de la communauté des investisseurs étrangers. Enfin, il nous faut optimiser notre système juridique grâce à une évaluation économique comparative. En effet, le droit comparé traditionnel ne suffit plus : le défi est également scientifique. Dès lors que l\'argumentation dominante est économique, seule une méthodologie rigoureuse, approfondie, associant étroitement analyse juridique, outils statistiques et économétriques, permet d\'être crédible. Il faut espérer que la Place de Paris, décideurs publics et dirigeants privés, continuera à soutenir avec constance une telle démarche. \(1\) Conseiller d\'Etat et professeur associé de droit à l\'université Paris X - Nanterre. L\'auteur s\'exprime à titre personnel. \(2\) Voir http://www.gip-recherche-justice.fr/aed.htm \(3\) Voir « Le droit et la note », Rapport du Groupe de Travail d\'AED à paraître début septembre 2007 à la Documentation française.
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institut présaje
2007-10-01
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[ "pierre-yves geoffard" ]
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LA SANTE AVANT TOUT ?
# LA SANTE AVANT TOUT ? Selon le préambule de la Constitution de l\'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), voté en 1946 par tous les Etats membres dont la France, « la possession du meilleur état de santé qu\'il est capable d\'atteindre constitue l\'un des droits fondamentaux de tout être humain ». Certes. Mais encore faut-il s\'entendre sur le sens à donner à « la santé ». Sur ce point, l\'OMS précise que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d\'infirmité». Ainsi posé, on le voit, le droit à la santé selon l\'OMS va très loin : en définissant la santé comme un état de bien-être, le droit à la santé devient quasiment un droit au bonheur... tant et si bien qu\'on peut légitimement s\'interroger sur la portée pratique de ce droit. N\'a-t-on pas droit à une vie éternelle en bonne santé ? Dès lors, on pourrait penser que le droit à la santé reste un principe assez théorique, qui ne se traduirait par aucune disposition concrète. Il s\'agirait alors d\'une utopie, mais certainement l\'une des plus belles, et aussi un fantastique aiguillon qui pousserait les sociétés à chercher, encore et encore, à reculer le plus tard possible la mort et l\'infirmité de chacun de ses individus. Bien que jamais réalisé car nullement réalisable, le « droit à la santé » serait alors un fantastique moteur du progrès des connaissances. ## Le concept de « droit à la santé » Mais dès lors que l\'on vise à une déclinaison concrète de ce droit, l\'affaire est autrement compliquée. Le préambule à la Constitution française de 1946 affirme que la Nation garantit à tous « la protection de la santé ». La version pratique du droit à la santé deviendrait alors un droit aux *soins*. Et c\'est ici que ce principe se heurte de front à une impitoyable contrainte : celle de la rareté des ressources disponibles. En 1946, la question ne se posait pas dans les mêmes termes ; la médecine était souvent incapable de guérir, ses diagnostics et ses thérapeutiques restaient limités, et peu coûteux. Peut-être était-il alors possible de garantir à chacun la mobilisation des moyens médicaux disponibles sans que se pose de manière cruelle la question du rationnement des soins. Mais en 60 ans, le développement des technologies médicales a conduit à l\'émergence d\'une médecine incroyablement plus efficace ; plus efficace, mais aussi bien plus coûteuse. L\'une des raisons invoquées pour expliquer cette forte inflation est que la médecine, très intensive en travail, n\'a pas connu de gains importants de productivité. Le coût du travail - déterminé à long terme par sa productivité dans l\'ensemble de l\'économie - ayant fortement augmenté, cela conduit à une hausse du coût des soins. Il y aurait alors une cause très profonde à l\'évolution inéluctable des dépenses de santé. Mais une autre explication peut venir de la notion même de « droit à la santé ». En effet, comment garantir à chacun un accès aux soins les plus performants ? Tout d\'abord, en s\'assurant que ces soins sont gratuits pour celui qui peut en bénéficier. Le développement de l\'assurance maladie, qu\'il s\'agisse de la sécurité sociale, des mutuelles (et autres complémentaires), puis de filets de sécurité, tels que la CMU, a contribué à créer une demande solvable pour des soins de qualité et quantité toujours croissantes. Ensuite, en assurant que les professionnels de santé ont tout intérêt à fournir le maximum de soins. Cet objectif se traduit par un mode de rémunération les incitant à ne pas se restreindre ; de ce point de vue, le paiement à l\'acte constitue un levier puissant. Bernard Shaw, dans sa pièce *The Doctor\'s* *Dilemma*, écrite en 1906, posait le problème en ces termes : « ayant observé que l\'on pouvait s\'assurer de la fourniture de pain en donnant un intérêt aux boulangers à en cuire pour vous, on en déduit qu\'il faut donner un intérêt pécuniaire à un chirurgien s\'il coupe votre jambe»... Mais même si l\'on doit reconnaître avec Shaw qu\'un tel mode de paiement n\'incite pas forcément à la qualité, il faut admettre qu\'il nourrit une offre de soins abondante. L\'offre de soins peut alors répondre sans entrave à une demande de soins elle-même en perpétuelle croissance. Or ces deux éléments que sont la gratuité des soins et le paiement à l\'acte sont l\'objet de choix politiques, en parfaite cohérence avec l\'idée d\'un « droit aux soins » sans claire limite. ## Retour sur terre On n\'évitera pas la douleur. Comment imaginer des situations dans lesquelles des soins sont disponibles mais ne devraient pas être dispensés car trop coûteux ? Dans un pays qui a, fort justement, choisi de socialiser la dépense de soins, un tel examen se doit d\'être collectif. En matière de santé comme dans tous les autres domaines, si nos attentes ou nos besoins sont infinis, nos ressources sont limitées et le « droit à la santé » est inévitablement concurrent du droit à la sécurité, à l\'éducation, au logement et de bien d\'autres « droits ». Il n\'y a pas - il ne saurait y avoir - de droit absolu.
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institut présaje
2007-10-01
7
[ "thomas cassuto" ]
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LE NUMERIQUE ET LA PREUVE
# LE NUMERIQUE ET LA PREUVE En matière de preuve, les moyens informatiques sont apparus comme un nouvel instrument facilitant le traitement, le calcul et l\'analyse de l\'information. Puis le numérique, qui a envahi le moindre recoin de la vie courante, est devenu le support d\'actions frauduleuses et, en même temps, la source d\'informations utiles : en somme, un objet d\'analyse à part entière. La mise en oeuvre du droit dans un environnement informatique nous rappelle que cet univers n\'est pas virtuel. C\'est seulement sa projection qui peut l\'être. Derrière les écrans se trouvent des hommes, des machines bien réelles mais dont le comportement, par le volume d\'informations et d\'opérations traitées, risque de nous échapper et d\'affecter ainsi l\'accès à la preuve utile. S\'il est encore possible d\'établir un événement survenu dans un système informatique, avec les réserves d\'usage, il est toujours plus délicat de le relier à un auteur identifiable à une personne physique ou morale. L\'altération d\'un code source, le piratage d\'un système informatique, l\'atteinte aux droits de propriété intellectuelle, qui génèrent des contentieux de plus en plus nombreux, sont l\'illustration de ces difficultés. La jurisprudence a d\'ores et déjà dégagé les critères essentiels qui permettent de considérer que l\'intégrité d\'une preuve a été préservée et qu\'un fait de nature informatique peut être établi (T.G.I. Paris 4 mars 2003 et 7 février 2006). Mais il faut admettre que dans le domaine du « tout numérique », l\'administration de la preuve est un mécanisme complexe qui impose l\'intervention séquentielle de plusieurs acteurs, appliquant de concert des protocoles. Parties, enquêteurs, huissiers, experts, magistrats doivent s\'appuyer sur des pratiques professionnelles fiables et communément intelligibles. L\'éternel cachet de cire garantit au papier, au parchemin ou même à l\'argile, la lisibilité du support en préservant l\'intégrité de son contenu. Reste à consacrer le mode de préservation de l\'intégrité de la preuve électronique, en maintenant l\'accessibilité de son contenu à des fins d\'analyse. Avec le numérique, l\'enjeu de la révélation de la preuve est de taille : il s\'agit de satisfaire à la nécessité de gérer un volume colossal d\'informations et d\'assurer la mise en exergue du contenu pertinent pour l\'exercice des droits. Ce n\'est pas rien.
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institut présaje
2007-04-01
0
[ "michel rouger" ]
400
ECONOMIE, DROIT ET SANTE
# ECONOMIE, DROIT ET SANTE Le souci de la croissance et de l\'emploi ne nous quitte pas. Plus nouveau, celui de l\'environnement nous défie. Mais qui ne voit se profiler les prémices du problème dominant de la société du XXIe siècle : la santé ? Les craintes sur le climat, l\'explosion démographique, la circulation effrénée des individus et des informations, les limites de l\'urbanisation, celles de la protection collective, sont venues déstabiliser les comportements individuels La précaution, la sécurité personnelle, la responsabilité individuelle et collective, la judiciarisation des aléas de la vie, viennent ajouter de nouvelles incertitudes face au traitement des risques de maladie et d\'accidents. Sans compter les risques psycho- sociaux du stress, de la violence et des addictions. Pendant longtemps, la protection collective a pu garantir aux individus vivant dans des pays développés la couverture des risques qu\'ils encouraient, la santé étant considérée comme un coût qu\'il appartenait à l\'État de couvrir. La fameuse « prise en charge » réglait tout. On commence à découvrir que cette période de la santé coût est révolue. Elle devra être remplacée par celle de la santé valeur, au cours de laquelle il faudra « valoriser » aussi bien l\'action personnelle du demandeur de soins que celle de celui qui les donne. Le temps est proche qui verra se multiplier les opérations de prévention de couverture individuelle de risques. Les risques psycho-sociaux, le plus souvent nés du comportement du malade, d\'une « infection » de l\'esprit, d\'une maladie ou d\'un accident de la vie, offriront un champ d\'actions préventives qui ne seront plus à la mesure du seul État, pas plus que des collectivités. C\'est ainsi qu\'on verra se développer, dans la sphère de la santé, les débats qu\'a connus l\'économie il y a cinquante ans : productivité, rentabilité, solidarité, efficacité, pédagogie, formation, communication. L\'approche sociétale se substituera à l\'approche purement médicale, en la complétant. Comme ces risques psycho-sociaux affecteront, par priorité, le monde de l\'économie et du travail, il faudra s\'attendre à des bouleversements des secteurs du droit du travail qui se recoupent avec ceux de la santé. Alors que les débats idéologiques, familiers du mode de fonctionnement de la démocratie française, agitent encore le couple économie/ travail, on doit se préparer à leur irruption dans le couple travail/santé, plus spécialement dans les rapports avec la santé, le droit et l\'économie. Le temps est venu de rapprocher des mondes qui s\'ignorent.
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institut présaje
2007-04-01
1
[ "bernard colasse" ]
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LE DROIT COMPTABLE EST MORT, VIVE LE DROIT COMPTABLE !
# LE DROIT COMPTABLE EST MORT, VIVE LE DROIT COMPTABLE ! Il y a un quart de siècle, on s\'interrogeait sur l\'existence d\'un droit comptable français. Peu de temps après, au début des années 1980, émergeait ce droit que beaucoup appelaient de leurs voeux. Mais l\'histoire va vite ! Ce droit, à peine né, n\'est-il pas déjà mort ? Reprenons le cours des évènements. On peut effectivement se demander s\'il existait, au tout début des années 1980, un véritable droit comptable. Ou alors c\'était un droit aux sources très diverses mais essentiellement publiques, dépendant du droit civil et de la fiscalité, sans cadre théorique. Les années 1980 furent des années fastes. Deux lois, l\'une de 1983 pour les sociétés de capitaux, l\'autre de 1985 consacrée aux groupes, furent votées en application de directives européennes et débouchèrent sur un droit comptable « à la française », pyramidal mais rigide : trop rigide pour une pratique aussi évolutive que la comptabilité. Ce droit ne pouvant répondre aux exigences des marchés financiers, les grandes sociétés cotées françaises, comme leurs consoeurs des autres Etats-membres, vont alors se tourner vers les normes américaines ou les normes internationales. Le coup de grâce sera donné quand l\'Union Européenne décidera de ne pas réviser ses directives comptables et d\'exiger des sociétés cotées qu\'elles appliquent à partir du 1er janvier 2005 les normes émises par l\'International Accounting Standards Board (IASB) pour leurs comptes de groupe. Conclusion : le nouveau droit comptable est international, d\'inspiration anglo-saxonne. C\'est un droit « non pyramidal », composé de normes peu hiérarchisées : un droit qui bouge constamment comme le monde économique, mais qui, en contrepartie, risque de poser de redoutables problèmes d\'interprétation pour des juges habitués, chez nous, à s\'appuyer sur le pouvoir normatif de la Loi ! L\'éthique comptable, pièce essentielle de la responsabilité des dirigeants, y trouvera-t-elle son compte ? Quel « présage » porte ce glissement vers la culture de « Common Law » ? Celui de la toute-puissance de l\'investisseur, pour lequel il a été conçu. Celui d\'un apprentissage difficile dans les pays de droit écrit. Mais aussi, corrélativement, celui d\'un bel avenir pour les professionnels de la comptabilité et pour les juristes, peu nombreux à maîtriser ces nouvelles règles. Implacable loi de l\'offre et de la demande...
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institut présaje
2007-04-01
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[ "michel rouger" ]
1,037
LE DÉBAT SUR LA SÉCURITÉ, ENJEU DE LA PRÉSIDENTIELLE ?
# Le débat sur la sécurité, enjeu de la Présidentielle ? ## Nicolas ARPAGIAN: la pièce et les acteurs L\'idée générale de cette réflexion était de saisir l\'aspect polymorphe du problème de la sécurité. Au-delà des responsabilités directes des forces de police et de gendarmerie, force est d\'ouvrir le débat au fond, qui est de nature sociale, sociétale, politique. D\'où la constitution d\'un « panel » diversifié, mêlant des personnalités de l\'université, de l\'entreprise, de la police, de la magistrature. Une fois le diagnostic dressé, trois options sont toujours possibles pour les pouvoirs publics : - ne rien faire - laisser à d\'autres acteurs le soin d\'intervenir : c\'est la solution de la sécurité privée - faire appel aux outils offerts par les nouvelles technologies. Mais jusqu\'où aller ? Les risques de récidive détectés par l\'analyse des traits du visage est courante aux Etats- Unis ; en Europe, cela est jugé choquant. Trouver le compromis acceptable entre sécurité et préservation de la liberté, tel est le défi d\'aujourd\'hui. ## Alain BAUER : des images télévisées à la connaissance du terrain Le présent ouvrage peut paraître décalé dans la mesure où les débats politiques de 2007 portent moins explicitement sur la sécurité qu\'en 2002. En fait, le thème de la sécurité est toujours là, mais il est habillé de façon différente : on parle maintenant du problème de *l\'identité*. Evidemment, les formes d\'expression ne sont pas neutres : l\'actualité devrait sans doute nous amener à porter attention à des gestes apparamment plus nouveaux, comme la référence à la Marseillaise, voire la génuflexion à Notre- Dame. Mais au fond, la problématique de la société a-t-elle beaucoup changé depuis 2002 ? Elargissons le débat à la criminalilté. Quand on raisonne en termes économiques, il faut bien voir que la « production » de criminalité est une activité majeure au plan mondial (sur les diverses formes de criminalité, cf. le compte-rendu des débats en ligne). Et face à cela, on ne nous offre souvent qu\'une réponse ultra-répressive ou, au contraire, une vision angélique. A cela s\'ajoutent les calculs politiques, reposant sur l\'exploitation de la peur. Les bonnes solutions ne peuvent être trouvées que par la connaissance du terrain, des quartiers, des écoles, c\'est-à-dire de la *complexité*. On est en train de découvrir le passage de la télévision en noir en blanc à la TV en couleurs ! C\'est un progrès... ## Jean-Claude MAGENDIE: lien social et fraternité Montesquieu, déjà, posait la question : comment concilier la sûreté de l\'Etat avec la liberté de la personne ? Comment ne pas glisser de la notion de sécurité à la tendance sécuritaire ? Certains Etats n\'y ont pas réussi. La France, elle, a choisi de respecter les droits de l\'homme, sans évacuer, même en temps de guerre, ce qui relève du droit et du juge, garants des valeurs de la démocratie. Le droit a ses veilleurs. Depuis 2000 existe une Commission nationale de déontologie de la sécurité, instituée pour éviter tout risque de dérapage. Mais il n\'y a pas que le droit. Il ne faut pas oublier le troisième terme de la devise républicaine - la fraternité -, conçu sur le tard après la Révolution de 1848, mais aussi essentiel que les deux termes qui le précèdent. C\'est le meilleur rempart contre les dangers du communautarisme. Que l\'on soit passé peu à peu de la fraternité à la solidarité, peu importe : le lien social est le ciment qui joue un rôle déterminant dans l\'objectif de sécurité. ## Frank NATALI: résister aux pressions Quand on rappelle que c\'est au juge de trouver le juste équilibre entre sécurité et liberté, il faut se souvenir que celui-ci se situe dans un contexte social, et parfois, on peut avoir le sentiment que le magistrat a besoin d\'une grande force d\'indépendance pour ne pas agir sous pression. Hier encore, nombre de nos concitoyens étaient prêts à admettre assez largement la détention provisoire. Depuis l\'affaire d\'Outreau, on note une évolution: on se dit qu\'il doit y avoir aussi une sécurité pour ceux qui sont poursuivis ou qui sont susceptibles de l\'être. Les garanties procédurales sont le privilège de nos démocraties. C\'est de cette manière que l\'on peut résoudre le dilemme entre sécurité et liberté, qui semble d\'ailleurs s\'estomper. Les avocats ont évidemment le devoir d\'y veiller. ## Delphine BATHO : halte au manichéisme ! Premier point : il faut être conscient de l\'attente des citoyens directement concernés par les problèmes de sécurité : les difficultés de la vie quotidienne, les interpellations et tout ce qui en résulte. Les politiques sontils capables d\'apporter les solutions attendues ? Voilà la question des Français. Deuxième point : le rôle essentiel du diagnostic, qui doit écarter tout manichéisme. Gauche et droite partagent succès et échecs. Des moyens ont été déployés de 1997 à 2002, comme entre 2002 et 2007 : tirons les leçons de ces expériences. L\'opinion semble tout de même avoir évolué : l\'élection présidentielle ne se joue pas seulement sur le thème de la prévention-répression, on y mêle la question d\'éducation, de protection sociale, d\'environnement. L\'idée est de lutter contre *tous* les désordres générateurs d\'inquiétude, et donc trop souvent de violence. ## Elsa HERVY: les violences « non crapuleuses » Représentant ici Thierry Mariani, j\'ai bien saisi la question qui nous était posée : vous PS, et vous UMP, partagez-vous le même diagnostic ? La réponse est oui s\'il s\'agit de mesurer la gravité de la crise. Là où nous sommes moins d\'accord, c\'est sur l\'appréciation de la tendance et des chiffres. La vérité, c\'est que depuis 2002, les violences crapuleuses ont baissé ; ce qui a augmenté, ce sont les violences « non crapuleuses » (cf. l\'analyse d\'Alain Bauer dans le compte-rendu en ligne). Nous préconisons deux lignes d\'action : - d\'abord continuer à assurer la répression contre toutes les formes de violence ; - faire de la prévention : moins de discours, plus d\'actions ; par exemple en recourant à la loi de 2007 permettant l\'éloignement du conjoint violent. L\'arrivée des travailleurs sociaux dans les commissariats va dans le même sens. Il y a, à l\'évidence, une prise de conscience du caractère global de la sécurité. Le présent ouvrage, où chacun apporte sa pierre, contribue à border la réflexion.
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institut présaje
2007-04-01
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[ "emmanuel lechypre" ]
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JOURNALISTE 2.0
# JOURNALISTE 2.0 Les journalistes survivront-ils à Internet ? La réponse est sans ambiguïté : non. Du moins si l\'on entend par journaliste celui qui exerce son métier depuis un siècle et demi, quel que soit son média de prédilection (presse écrite, radio, télévision), à savoir : collecter et diffuser des informations, dévoiler la réalité derrière l\'écran de fumée des apparences, la raconter le plus objectivement possible à un public qui le lit, le regarde ou l\'écoute. Ces journalistes là sont voués à la disparition aussi sûrement que les dinosaures ont été balayés de la surface du globe par un bouleversement de grande ampleur. A l\'origine du bouleversement : la numérisation et la mobilité. Aujourd\'hui, la presse écrite, la radio et la télévision ne sont majoritaires que chez les plus de 50 ans. Internet est donc, de fait, devenu le seul média de masse, les « vieux médias » étant déjà presque réduits au rôle de niches. Ce n\'est pas réjouissant, si l\'on considère un média comme un support. En revanche, avec Internet, et particulièrement Internet 2.0, toutes les perspectives sont renversées. Les médias traditionnels, y compris d\'ailleurs Internet 1.0, étaient des médias d\'offre, fondés sur le monologue d\'un journaliste qu\'il ne fallait pas pousser beaucoup pour prendre un ton de professeur vis à vis de son public. Internet 2.0, en revanche, est un média qui devra avant tout répondre aux demandes des internautes, favoriser le dialogue et l\'interconnectivité, et accepter la personnalisation extrême de la hiérarchie de l\'information. De là va émerger une nouvelle génération de journalistes, qui sera peut-être plus nombreuse encore que la précédente. Le journaliste 2.0 devra comme son aîné hiérarchiser, trier, organiser, mais plus dans une logique « d\'animation » et de « médiation » que dans une logique didactique. Les enquêtes sur le terrain ? Elles seront en partie commandées, pourquoi pas, par ces journalistes aux internautes, qui apporteront leurs contributions à l\'ensemble, le tout étant restitué dans de grands récits multimédias qui font l\'essence même d\'Internet. A côté de cette masse, subsistera sans doute une élite de mandarins qui continueront à produire du contenu à haute valeur ajoutée, sans doute encore par écrit pour des publications de niches très haut de gamme, privilégiant l\'analyse sur le récit. Conclusion : journaliste est un métier d\'avenir.
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institut présaje
2007-01-01
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[ "michel rouger" ]
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DES LETTRES ET DES CHIFFRES
# DES LETTRES ET DES CHIFFRES L\'OPINION NUMERIQUE (1), dernier ouvrage paru dans la collection PRESAJE, ouvre une perspective sur l\'évolution de l\'opinion publique abondamment sollicitée depuis que la transformation des lettres en chiffres - la numérisation - permet à la pensée d\'ignorer les contraintes de l\'espace et du temps. Cette révolution, identique à ce que fut l\'invention de l\'alphabet, puis celle de l\'imprimerie, entraînera des effets considérables sur les trois piliers des démocraties humanistes : l\'économie, le droit et la justice. Eléments qui doivent converger dans leurs objectifs, pour garantir aux citoyens un Etat de droit capable de résister aux prochaines violences globalisées. Economie, Droit, Justice : nous entrons de plain pied chez PRESAJE, dont les fondateurs se voulaient médiateurs entre l\'entreprise, le juriste et le juge. Cette médiation n\'est plus à la mesure de ce qu\'il faut faire pour favoriser la convergence souhaitable, dès lors que le fossé se creuse entre les uns et les autres, avec des conséquences manifestement néfastes pour tous. Il faut procéder autrement, en restant prospectif, en portant notre regard au-delà du court terme, et en décryptant les trois bouleversement progressifs qui affecteront notre condition : - une transformation du VOULOIR, qui conduira les citoyens à exprimer différemment leurs demandes, en utilisant les moyens offerts par le numérique ; - une transformation du POUVOIR, qui pourrait pousser les dirigeants vers le meilleur d\'une démocratie participative réfléchie, construite, dégagée du verbe et du spectacle ; mais qui pourrait aussi favoriser les Web dictatures ; - une transformation du SAVOIR, qui obligera ceux qui le détiennent à modifier la collecte et le choix des sujets grâce à une pédagogie adaptée, en utilisant les nouveaux contenants disponibles pour des contenus rénovés. Dans cette recherche de convergence, que PRESAJE a ajoutée à sa fonction médiatrice initiale, trois thèmes se sont imposés comme prioritaires. Ce sont ceux qui subissent les plus graves nuisances des divergences que nous constatons : la responsabilité, le travail, la santé. Que ceux qui sont intéressés, comme visiteurs de notre site (2) ou comme acteurs tentés de nous accompagner dans nos recherches, soient assurés qu\'ils feront oeuvre utile et trouveront chez nous un accueil amical et ouvert. (1) Ed. Dalloz (2) www.presaje.com
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institut présaje
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[ "xavier de kergommeaux" ]
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POUR UN DROIT CRÉATEUR DE VALEUR
# POUR UN DROIT CRÉATEUR DE VALEUR Chaque pays doit s\'interroger sur sa capacité à générer et à faire évoluer un droit créateur de valeur. A cet égard, l\'arsenal législatif et réglementaire de notre pays mérite réflexion. Certains textes s\'inscrivent dans ce qu\'on pourrait appeler, selon le cas, « le syndrome de l\'enfant violé » ou, à l\'inverse, « le syndrome d\'Outreau » : les réactions sont unanimes face au viol d\'un enfant par un pervers récidiviste, et beaucoup reprochent alors aux politiques que l\'arsenal législatif ne permette pas de prévenir un tel forfait. L\'indignation est tout aussi générale pour exiger, en sens contraire, que des individus ne soient pas broyés par la machine judiciaire, lorsqu\'ils sont finalement jugés innocents des crimes qui leur étaient reprochés. Dans les deux cas, les politiques sont tentés d\'adopter de nouveaux textes, avec l\'illusion qu\'ainsi, rien de tel ne se reproduira plus... ! Sommes-nous mieux lotis lorsqu\'il s\'agit de droit des affaires ? Chaque faillite retentissante, a fortiori frauduleuse et internationale, incite les pouvoirs publics à adopter de nouveaux textes. En pratique, ce nouvel arsenal n\'empêchera pas les escrocs de « partir avec la caisse », mais compliquera sensiblement le fonctionnement quotidien de toutes les entreprises. La France n\'a certes pas le monopole de ces lois destructrices de valeur. Certaines dispositions de la loi Sarbanes-Oxley, aux Etats-Unis, sont pénalisantes pour les entreprises. Mais les erreurs législatives et réglementaires mettent beaucoup plus longtemps, chez nous, à être corrigées, lorsqu\'elles le sont. La jurisprudence, elle aussi, génère un décalage évident entre les décisions judiciaires et la pratique des affaires. Certains arrêts, parfois rendus « contra legem », ouvrent la voie à des années d\'incertitudes juridiques. Des revirements de jurisprudences établies ont de lourdes conséquences pratiques, et entraînent une destruction de valeur. Une jurisprudence qui privilégie systématiquement les entreprises en faillite est aussi inepte qu\'une politique de défense nationale qui s\'appuierait sur la restauration de la ligne Maginot ! Plaidons pour que le législateur, le régulateur et le juge appliquent à leurs travaux la « théorie du bilan » et se posent systématiquement la question : notre décision est-elle conforme à l\'intérêt général économique et, si ce n\'est pas le cas, l\'objectif poursuivi par cette décision est-il proportionné à la destruction de valeur qu\'elle entraîne ?
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institut présaje
2007-01-01
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[ "michel rouger" ]
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POUR UN DROIT CRÉATEUR DE VALEUR
# POUR UN DROIT CRÉATEUR DE VALEUR EXTRAITS du débat au PRESS CLUB DE FRANCE organisé le 19 décembre 2006 à l\'occasion de la parution du 8ème ouvrage de la collection Présaje/Dalloz « L\'OPINION NUMERIQUE ». *(Transcription intégrale de ce débat sur notre site* *www.presaje.com).* Avec les interventions de : - David GUIRAUD, directeur général des Echos - Francis LORENTZ, président de l\'Institut de l\'audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate) - Henri PIGEAT, président du Centre de formation des journalistes - Gérald de ROQUEMAUREL, président d\'Hachette Filipacchi Medias (HFM) de 1997 à décembre 2006. Et la participation de Jean-Pierre TEYSSIER, président du BVP. Débat animé par Nicolas ARPAGIAN, grand reporter à 01 Informatique. L\'information que vous voulez, quand vous la voulez : telle est l\'offre d\'Internet. L\'information rapide, factuelle et sans frais, tel est le défi lancé par les gratuits. Quels sont les « ingrédiens » de cette révolution ? ## Quel modèle économique ? - Henri PIGEAT La grande question qui se pose aux éditeurs de presse est de savoir comment réviser leur modèle économique. Ce qui a été explicité récemment par le patron du New York Times : « Grosso modo, je perds entre 1,5 et 2 % par an en diffusion, mais mon site internet progresse dans le même temps de plus de 45 %. Le drame est que le site Internet, pour l\'instant, ne me rapporte pratiquement rien ; et ce que j\'ai perdu en diffusion est une perte concrète». - Jean-Pierre TEYSSIER La publicité va arbitrer le modèle économique. Qui va l\'emporter ? Est-ce le modèle de l\'écrit, où il faudra payer en plus de la publicité, ou celui de l\'audiovisuel, où l\'on a acc ès gratuitement à l\'information grâce à la publicité ? ## Internet et les tribus - Francis LORENTZ L\'un des apports de l\'Internet est de permettre une relation très individualisée avec chaque consommateur ou utilisateur, ou avec des groupes extrêmement segmentés, sortes de « tribus ». Cela peut aller jusqu\'à une interactivité permanente, le message pouvant être adapté en fonction des réactions de l\'utilisateur grâce aux techniques de « profilage » individuel. ## Le lecteur-éditeur - Gérald de ROQUEMAUREL Le jour viendra où le journal au format PDF sera imprimé chez nous pendant la nuit, sans même la peine d\'appuyer sur un bouton. On le trouvera au réveil dans des conditions acceptables puisque, finalement, ce sera le lecteur qui paiera le coût de la distribution (l\'ADSL). ## L\'information dans tous les sens - Francis LORENTZ Nous sommes entrés dans l\'ère du consommateur actif. Il est à la fois capable de composer son propre journal, de choisir ce qu\'il veut recevoir, et rien d\'autre. Mais il est aussi générateur de contenu, sans intermédiaire puisque cela se développe de façon multiforme, grâce au peer to peer, y compris en incluant l\'image. Choquée, bouleversée, prise au dépourvu, la presse écrite ne conserve-t-elle pas quelques avantages ? ## Reste l\'inévitable besoin de repères - Henri PIGEAT Si vous voulez parvenir à une vision d\'ensemble et à une compréhension du monde, il vous faut faire confiance à des professionnels qui vous donnent des repères forts. Ce que ne fait pas l\'Internet : on dit tout et son contraire. On est passé d\'un système vertical, où le journaliste avait une sorte de monopole, à un système horizontal, où l\'information circule dans tous les sens. Où sont les repères ? ## Les avantages comparatifs de l\'écrit - Henri PIGEAT L\'écrit apporte une capacité de fiabilité, de développement, de vérification plus grande que les autres médias. Quand on passe en direct à la radio ou au journal télévisé, on doit faire confiance à la source, on n\'a pas le temps de la vérifier, ni de la mettre en situation. L\'écrit a cette force extraordinaire d\'avoir 24 heures devant lui. \[...\] La presse est en crise, elle n\'est pas en déclin. ## Qui paie au bout du compte ? - David GUIRAUD Je n\'ai pas peur des gratuits, j\'ai peur du fantasme de la gratuité. On affirme que tout ce qui est sur Internet doit être gratuit... Rappelons-nous la fameuse phrase de Milton Friedman : « There is no free lunch ». Il faut bien, un jour ou l\'autre, passer à la caisse ; il y a quelqu\'un, quelque part, qui va payer. ## Les gratuits et les jeunes - Gérald de ROQUEMAUREL Les gratuits peuvent être considérés comme un complément à la presse traditionnelle. \[...\] L\'irruption des gratuits est moins une menace pour la presse qu\'une extension de marché ; c\'est une manière d\'amener les jeunes vers la lecture pour qu\'ils achètent ensuite leur quotidien. ## Le partage du « gâteau » publicitaire - Francis LORENTZ L\'émergence du haut débit, qu\'il s\'agisse de la télévision, du PC ou du téléphone, renforce le rôle de l\'image : ce qui accentue la concurrence pour l\'accès à la publicité. Les enjeux sont d\'autant plus importants et la concurrence plus dure que les opérateurs de télécom voient leurs recettes traditionnelles soumises à une pression accrue. Ce qui va les entraîner à intervenir dans l\'arène pour conquérir un part du « gâteau » publicitaire. - Jean-Pierre TEYSSIER Le développement de la publicité sur Internet suppose deux conditions : de nouveaux formats, comme le référencement sur les moteurs de recherche, et l\'exigence d\'une publicité saine, loyale et honnête. ## L\'exigence éditoriale - Henri PIGEAT Nous n\'avons pas su suivre avec assez de pertinence ce qu\'attendait le public. On s\'aperçoit que les jeunes n\'achètent plus et ne lisent plus le journal ; les moins jeunes le lisent encore, mais de moins en moins. \[...\] Nous publions trop de journaux sans concept, sans crédibilité. Nous, les éditeurs, n\'avons pas assez d\'exigence éditoriale. Je parle pour l\'ensemble de la profession, même si je pense prioritairement aux magazines. Nous ne sommes pas assez exigeants sur le concept. Et s\'en éloigner quand on affiche une marque forte, c\'est trahir le lecteur. Comment, demain, « fabriquer » l\'information, puis la distribuer ? Et comment être dans le camp des gagnants ? ## La convergence des métiers - Francis LORENTZ L\'organisation en « silos », séparant les divers types de médias, est directement menacée par la convergence des technologies et la nécessité de mutualiser les moyens, ce qui veut dire diffusion d\'une même information sous des formes multiples. D\'où une certaine convergence des métiers. ## Polyvalences et synergies - Henri PIGEAT Le changement fondamental qui s\'opère actuellement est la réintégration du web à l\'intérieur du système éditorial. Cela se traduit par des salles de rédaction communes, des polyvalences plus ou moins poussées entre les journalistes. Avec une articulation plus claire entre management et rédaction, afin que tout le monde comprenne que le journal est un produit intellectuel typé, non interchangeable. ## Qui va succéder au tabac-papeterie ? - Gérald de ROQUEMAUREL L\'idée que l\'on puisse vivre éternellement avec une mono-activité - en l\'occurrence la presse - est obsolète. On vivait assez bien de l\'association du tabac et des journaux ; c\'en est fini avec le tabac. On pourrait vivre, également, en jumelant papeterie et presse. Mais la papeterie est partie dans les supermarchés. Il faut retrouver, et c\'est une des clés du problème, des activités complémentaires pour la distribution. ## Le souvenir des chemins de fer - David GUIRAUD Le fait est qu\'il y aura des morts. Il y en aura même beaucoup, car, aujourd\'hui, on crée des sites, des journaux nouveaux, et tout le monde lance des paris. Mais rappelons nous la révolution industrielle et le nombre de compagnies de chemins de fer qui furent lancées à cette époque : il n\'en est pas resté beaucoup.
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2007-01-01
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[ "thomas paris" ]
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L\'INDIVIDU NUMÉRISÉ S\'EN VA-T-AUX URNES
# L\'INDIVIDU NUMÉRISÉ S\'EN VA-T-AUX URNES Alicia Mortuchaine a longtemps été une ménagère de moins de cinquante ans. Aux yeux de son mari, elle était bien plus que cela. Lui sait qu\'elle n\'a pas d\'égale question blanquette de veau. Mais même si elle était parfois un peu plus raffinée - « employée », « suburbaine », « deux enfants »... - elle s\'était faite à l\'idée d\'être, pour les professionnels du marketing, « Alicia », « née en 1957 », « résidant rue de la Mélasse » : avec cela, ils savaient tout sur elle. Aujourd\'hui, c\'est tout différent. La notion de représentation est devenue fondamentale dans nos sociétés démocratiques. C\'est le médiateur entre l\'individu et la société. Il fonctionne dans les deux sens. D\'un côté, on prend 60 millions d\'individus, on les mélange et l\'on sort cinq cents représentants, puis huit à l\'occasion d\'une élection présidentielle, puis deux puis un. En partant d\'un grain assez fin, on détériore petit à petit la qualité de l\'image, mais au final, on obtient bien une représentation. De l\'autre, ceux qui représentent ces 60 millions d\'individus doivent se les représenter, pour mieux les représenter. Pour eux, vous êtes « de sensibilité de gauche », « conservateur », « cadre », « bobo », « issu de la France d\'en bas » ou « de la France qui souffre ». Mais voilà ! Alicia a découvert l\'Internet. Grâce à cet outil, elle échange des cartes postales de villages inondés avec un petit groupe de gens qui partagent sa passion. « Collectionneuse de cartes postales de villages inondés », ça lui ressemble plus que « ménagère de moins de cinquante ans ». Elle participe au blog de Lucien Garmont, qui a des goûts assez proches des siens en matière de cinéma. Avant, elle achetait deux magazines mais ne savait jamais à quel saint se vouer. Maintenant, grâce aux blogs des candidats, elle peut expliquer précisément ses problèmes politiques - le manque de places de parking devant la station de RER, l\'absence de feux de signalisation devant l\'école, le prix des cerises qui écarte le clafoutis de ses menus -, plutôt que de se torturer l\'esprit pour savoir si elle est de gauche ou de droite. C\'est la démocratie participative. Grâce à Internet, c\'en est fini de l\'insupportable anonymat de l\'individu dans la société. Nous allons tous être numérisés, non plus à partir de trois malheureux pixels - sexe, âge, profession \- mais en haute-définition. Alicia peut désormais exister dans tout son être. Sauf qu\'au bout du compte, il faudra voter, pour un candidat parmi deux : dur réveil de la représentation.
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2006-10-01
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[ "michel rouger" ]
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JE PARLE, DONC J\'EXISTE
# JE PARLE, DONC J\'EXISTE Les travaux de Présaje sur la parole de *l\'opinion publique numérisée\* et sur celle de l\'expert\*, mises au service de toutes les causes, inspirent une réflexion, proche de celle d\'un mineur de fond, il y a trente ans, rapportée par François Ewald : « Je n\'existe pas puisque je n\'ai pas la parole ». En clair, être par la pensée ne suffit pas ; il faut pour exister avoir la parole. Revisitons alors les rapports ancestraux de la parole et de la pensée. Au temps de Descartes, la pensée était délivrée « en gros » par ceux qui pensaient « haut », les philosophes, les prêcheurs, les monarques et les tyrans, vers ceux qui pensaient « bas », la multitude des sujets, des analphabètes et des sans parole. Puis vinrent les temps modernes et la presse, écrite, audio et visuelle, grâce à laquelle la pensée fut délivrée en « demi gros » par les mass médias, mettant en forme celle des sociologues, des politiques, des économistes, des juristes, des experts et de quelques gourous ou saltimbanques, vers ceux qui pensaient moins bas grâce à l\'école obligatoire. Les libertés démocratiques et l\'Etat de Droit y trouvèrent leurs fondations. Aujourd\'hui, la numérisation de tous les messages, la multiplication des écrans fixes ou mobiles qui permettent leur visualisation, partout, de partout, à chaque instant, offrent à la multitude le moyen de délivrer une pensée, déstructurée, émiettée, au « détail », en reléguant celle des penseurs structurés dans le ghetto promis aux élites d\'en haut. Il n\'est pas sûr que les libertés démocratiques et l\'Etat de Droit y trouveront les éléments d\'une survie toujours menacée. Une réflexion approfondie doit être entreprise, afin de faire admettre à cette démocratie d\'opinion, qui cherche à se construire sur les médias interactifs pour lesquels elle manifeste un emballement libertaire, les grandes vertus des médias écrits, plus structurés et plus réfléchis. Peu important le vecteur dont usent ces médias, le papier, ou le numérique. Les rejeter vers le néant, comme il est de mode de le faire, pourrait conduire au pire. On sait depuis des siècles que les paroles s\'envolent et que les écrits restent, que lorsque la parole s\'est envolée à peine émise, et que l\'écrit réfléchi n\'est plus, il ne reste que la pensée du plus fort et sa brutale tyrannie. \* Parutions respectives novembre 2006, février 2007.
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2006-10-01
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[ "hervé dumez" ]
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ENTRE RESPONSABILITE ET "ACCOUNTABILITY"
# ENTRE RESPONSABILITE ET "ACCOUNTABILITY" Responsabilité : voilà un concept qui rallie tous les suffrages. Encore faut-il ne pas confondre responsabilité et obligation de rendre des comptes, notion beaucoup plus floue. Voici une situation familière : une personne à qui l\'on a confié une tâche doit se justifier devant quelqu\'un de totalement extérieur, qui évalue son action, peut la réorienter, et possède éventuellement un pouvoir de sanction. En anglais - qui est la seule langue européenne, dit-on, à disposer d\'un mot pour décrire cela - on parle d*\'accountability*. L\'univers de référence de cette situation est financier et politique. Le Code civil prévoit que, dans le cas où une personne reçoit mandat de s\'occuper des intérêts d\'un tiers, elle a obligation de rendre des comptes à son mandant. Ainsi, les dirigeants d\'entreprise ont le devoir de présenter les comptes de leur gestion à leurs actionnaires. De leur côté, les dirigeants d\'un pays démocratique ont des comptes à rendre à propos du mandat qui leur a été confié. Mais jusqu\'où aller ? Où est la limite entre le « trop » et le « trop peu » ? ## Mandataires et mandants On estime désormais légitime que les dirigeants d\'entreprise soient en situation, non plus seulement d\'avoir à rendre des comptes à leurs actionnaires, mais aussi aux « parties-prenantes » de l\'entreprise : le personnel de la firme, les clients, les fournisseurs, l\'opinion publique (par exemple, pour des questions d\'environnement, ou pour les conditions de travail) ; que les médecins n\'aient pas seulement à s\'expliquer devant leurs pairs, mais aussi devant les malades et la société ; que le malade potentiel de son côté, pour peu qu\'il soit fumeur, ait à s\'expliquer sur son comportement ; que les chercheurs aient à justifier le fait que leurs recherches ne conduisent pas à un taux d\'innovation suffisamment élevé ; que les parents aient à se justifier à propos de l\'éducation qu\'ils donnent à leurs enfants, etc. L\'extension de cette obligation (initialement politique ou financière) au domaine moral n\'est pas tout à fait nouvelle : les Evangiles sont remplis de paraboles dans lesquelles un maître rentré inopinément demande des comptes à son intendant ou à ses serviteurs. Comme si l\'obligation de rendre des comptes était la métaphore même de toute obligation morale. L\'anglais dit d\'ailleurs bien cette dimension fondamentale : « *ability* » dans *accountability* exprime le fait que quelqu\'un agit avec, suspendue au-dessus de son action, cette possibilité qu\'on lui en demande raison. Mais que signifie exactement cette généralisation, forcément métaphorique, du modèle du mandat, lorsqu\'on passe d\'une situation dans laquelle un chef d\'entreprise doit justifier ses résultats non seulement devant ses actionnaires, mais aussi devant l\'opinion publique, magma aux contours flous ? Estil possible d\'établir une transparence généralisée, et cette transparence est-elle souhaitable ? Pire : la responsabilité peut-elle se réduire au fait d\'avoir rendu des comptes, et le quitus obtenu ne conduit-il pas à dégager finalement toute responsabilité personnelle, ne serait-ce qu\'en la diluant entre celui qui a agi et ceux à qui il a rendu des comptes ? ## Gare aux critères flous ! L\'expérience même de la démocratie montre que des limites doivent être posées : d\'une part, en évitant que le mandat confié aux élus soit détaillé et impératif ; d\'autre part, en fixant des échéances qui ne soient pas trop rapprochées. On sait que ce sont les gouvernements élus pour faire une politique de guerre qui sont en situation de signer la paix. Donc, un mandat se doit de n\'être ni trop précis, ni trop contraignant (tout en l\'étant suffisamment), et il faut éviter que le décideur ait à « comparaître » à échéance trop brève. Dans la tradition démocratique, rappelons que l\'*accountability* ne recouvre pas la responsabilité politique, et surtout n\'en dispense pas : si son administration fait problème, un ministre britannique doit démissionner. Bref, l\'extension proliférante de l\'obligation de rendre des comptes, lorsqu\'elle multiplie les instances, accroît le risque d\'hypocrisie (Nils Brunsson évoque le découplage entre l\'action et les discours, avec adaptation multiforme à chacune des parties prenantes) et de dilution de la responsabilité. Les mandataires sont si nombreux et si peu identifiés, les mandats si flous, que l\'on peut aboutir à une déresponsabilisation généralisée. Plus on ira dans cette direction, plus on s\'éloignera de la vraie responsabilité, juridiquement délimitée et véritablement contraignante.
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institut présaje
2006-10-01
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[ "agathe lepage" ]
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LE NET ET L\'OPINION PUBLIQUE
# LE NET ET L\'OPINION PUBLIQUE L\'histoire foisonne de prévisions défaillantes ou erronées. Mais l\'Internet détient la palme. Il y a dix ans, qui aurait prédit l\'intense engouement de la société d\'aujourd\'hui pour ce « joujou » ? L\'Internet constitue un vivier d\'informations sans précédent, accessible sans contingence de temps ou de lieu. Aux sources traditionnelles, comme la presse, les livres, accessibles dans une certaine mesure sur l\'Internet, s\'adjoint la production personnelle d\'un nombre croissant d\'internautes, qui utilisent le Web comme une scène inédite d\'expression publique. Le succès rencontré depuis quelques années par les pages personnelles, ou blogs, en est la manifestation la plus saisissante. N\'importe qui peut désormais s\'exprimer dans quelque registre que ce soit à l\'attention d\'un public indéterminé. Le journal intime, que son auteur a traditionnellement vocation à conserver, semble bien loin. Question : où nous mène ce foisonnement universel ? ## L\'Internet à tout-va ? Traditionnellement, l\'opinion publique se formait par les vecteurs « descendants » de l\'information, les médias classiques, qui se faisaient les relais des sources institutionnelles. Avec une forte propension au mimétisme, lié aux nécessités du suivi de l\'actualité, les mêmes événements, les mêmes sujets étaient souvent abordés de conserve par l\'ensemble des médias, puis délaissés semblablement par eux. L\'Internet entraîne une double rupture par rapport à ce schéma traditionnel. Tout d\'abord, l\'opinion publique ne se forge plus aux seules sources institutionnelles mais tout un chacun, papillonnant où bon lui semble sur le Web, peut y glaner des informations, des analyses, comme autant d\'eau apportée au moulin de sa propre opinion. Dans le même temps, l\'Internet, ouvert tous azimuts, favorise non pas tant la constitution d\'une opinion publique, que *l\'expression* *publique d\'opinions personnelles*. Le tout aboutit à l\'émergence d\'une opinion numérique, empreinte non seulement d\'une propension à l\'universalisme, mais aussi d\'un repli sur l\'individu. C\'est donc, à tous égards, un véritable changement de paradigme de la communication publique qui semble s\'installer. Du moins dans un premier temps... Les limites du clic Ces limites, le numérique les engendre lui-même, car l\'Internet regorge d\'informations erronées, imprécises, trompeuses. Seul celui qui sait déjà ou \- variante - qui sait ce qu\'il ne sait pas, est à même de tirer le meilleur parti de la Toile. En outre, la liberté qu\'assure la technique dans l\'accès à l\'Internet finit souvent par devenir synonyme de liberté sans garde-fou. Or si le droit, dans ses sources nationales comme internationales, reconnaît le principe de la liberté d\'expression, il l\'assortit d\'un certain nombre de limites (respect de la vie privée, présomption d\'innocence, diffamation,etc.) qui sont allègrement méconnues par les internautes. Cela veut dire que le risque de monopole est exclu. Ce qui se profile, c\'est une vaste réorganisation du marché de la communication. Un marché très concurrentiel, sous l\'aiguillon du Net ! ## La nouvelle donne On oublie trop souvent que l\'émergence de l\'Internet a coïncidé avec la naissance de la presse gratuite : d\'où le choc. Mais les médias réagissent. Ainsi la presse écrite et la radio ne se contentent pas de développer leurs propres sites Web, mais s\'inspirent des atouts de l\'Internet : réduction du format des journaux, place plus importante laissée au lecteur ou à l\'auditeur, développement du podcast. Par ailleurs, les points faibles de l\'Internet ne manqueront pas de révéler les mérites des médias traditionnels. Si la déontologie dont est nourri le journalisme sérieux offre des gages de compétence dans la recherche de l\'information et l\'expression des propos, nulle déontologie ne s\'applique au commun des personnes qui font usage de cette tribune qu\'est l\'Internet. Les médias traditionnels resteront donc indispensables. A condition de s\'adapter ! « Qui donc a un avis à donner à sa cité ? » Telle était la formule par laquelle, dans l\'Antiquité, était ouverte deux fois par an l\'Ecclesia d\'Athènes, rassemblant l\'ensemble des citoyens. Réponse en ce début de XXIe siècle : tout le monde, par l\'écrit, par la voix, par l\'image, par le Net.