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Malheur à qui n'a point assez d'expérience dans les affaires! il ne tarde point à se voir enveloppé par une nuée de voleurs, qui tous, sous prétexte de vous servir et de sauver votre fortune, se disputent vos dépouilles, et, pour ainsi dire, votre existence: on cesse de vivre, quand on cesse d'avoir l'âme tranquille. Eh! comment conserver ce calme, lorsqu'on lutte contre des hommes qui, tout en vous caressant, vous dévorent, auxquels rien ne coûte pour vous absorber, vous, vos talents, vos biens, tout, jusqu'à vos espérances?
On m'avait tant parlé de ces honnêtes prêteurs, que je voulus un jour en faire une réunion, j'en rassemblai six. Après un déjeuner bien court, des gens si affairés comptent les minutes, je les pris chacun en particulier. Je leur exposai mes besoins; quatre d'entre eux m'offrirent des écus à raison de dix pour cent par mois, et moyennant une bonne hypothèque sur des biens fonds patrimoniaux, d'une valeur dix fois plus forte que la somme qu'ils m'auraient avancée; je rejetai leur offre, et m'adressai au cinquième dont on m'avait beaucoup vanté la probité, et même le désir d'obliger.
„Monsieur, me dit-il, en me serrant la main, quand on veut être utile, il faut l'être sur-le-champ; j'avais prévu votre embarras pécuniaire, et je me fais un plaisir de voler au-devant de vos besoins; voilà cinquante louis dans ce rouleau, je vous les offre très volontiers, moyennant une rétribution de deux cent francs par mois, le premier payé d'avance, et le remboursement de la somme entière dans l'espace de six mois.“
Quelqu'onéreuse que fut la condition, je l'acceptai; mais quelle fut ma surprise, lorsque calculant les louis et les examinant plus attentivement, je les trouvai tous rognés! j'allai vite chez un orfèvre; il les pèse; il manquait, à chaque louis, un huitième au moins de sa valeur.
Le sixième de ces braves gens m'avait laissé pour mille écus de mandats au pair, qui deux jours après perdirent, dans le commerce, quarante pour cent, et il n'avait point manqué de s'assurer d'avance d'un gros bénéfice, et de quelques meubles en nantissement. Je fus trèsmécontent de cette manière d'obliger. Mais, hélas! c'étaient encore les plus honnêtes de tous les prêteurs. Une femme, qui le croirait, une femme vient me trouver: „Je sais, me dit-elle; avec un langage mielleux, que vous êtes dans l'embarras, que des fripons ont abusé de votre inexpérience et de votre bonne foi; mais voulez-vous m'accorder votre confiance? Je vous ouvre sur-le-champ un crédit de dix mille francs.“ J'hésite un moment, j'examine cette bonne femme; elle portait sur son front l'image de la candeur. Quels sont vos moyens, lui dis-je avec une espèce de surprise? Ne vous mettez point en peine; faites-moi seulement trois billets de cinq mille francs, et je vous rapporterai net, un de ces jours, vos dix mille. L'intérêt me parut énorme, mais l'appât était séduisant, et d'un seul coup je me tirais entièrement d'embarras. Je souscris aveuglément à cette condition; je lui donne mes billets; elle les échange contre des marchandises, les vend, en reçoit le montant, et disparaît. Oh! pour le coup, je renonçai à tous les prêteurs, banquiers, agioteurs; je me renfermai dans la maison de campagne d'un ami, à trois lieues de Paris, et j'attendis les nouveaux revers que le sort me préparait.
CHAPITRE LV.
TraGIQue aventure d'Alonzo; l'assassinat qu'il commet; son procès; son pardon; sa mort; arrestation imprévue; persécution qu'il éprouve de la part d'un ex-député.
L'ami qui me donna l'hospitalité, se nommait Alonzo; il était natif de olède, et résidait en France depuis vingt années; j'avais fait sa connaissance à la cour. Doux, humain, généreux, mais extrêmement emporté, il était du petit nombre des courtisans qui avaient échappé à la rage du parti destructeur. Hélas! il ne put s'échapper à lui-même. Trois jours après mon arrivée, il s'élève, à table, une légère altercation entre son fils et lui; le fils a le malheur de lui opposer un raisonnement victorieux; le père s'emporte, lui jette à la tête une bouteille, et le tue. -- Monstre, s'écrie sa femme, qu'as-tu fait? que t'avait fait... Elle n'acheva point; mais cédant au premier mouvement de son désespoir, elle se précipite du haut d'une fenêtre, et se tue.
Le père cherche en vain à rappeler son fils à la vie; en vain, sur ses lèvres déjà glacées, il attache ses lèvres brûlantes, il n'est plus. Alonzo ne connaissait pas encore toutes ses pertes, il ignorait la mort tragique de son épouse. „Sophie, s'écrie-t-il d'une voix rauque, entrecoupée par des soupirs, où es-tu, ma Sophie?“ Inutilement il l'appelle, il la cherche dans l'intérieur de sa maison; il sort, quel objet s'offre à ses regards! Sophie toute meurtrie et noyée dans son sang! elle rendait son dernier soupir.
-- Sophie! Sophie! elle est morte! et c'est moi qui les ai tués tous deux! Soudain il vole vers la table, saisit un couteau, et va se détruire. J'arrête le coup fatal: „Laissez-moi, laissez-moi, je ne mérite plus de vivre. il dit et pousse des hurlements affreux. Deux domestiques étaient accourus; c'est avec peine que nous le sauvons de sa propre fureur.
Cependant il est traduit devant le tribunal criminel, prévenu d'avoir assassiné son fils: la salle était remplie. Alonzo paraît devant ses juges; il était pâle, abattu, presque mourant; mais lorsqu'il entendit ces mots, accusé d'avoir assassiné son fils, de ses deux mains il se couvre le visage d'un mouchoir qui tout-à-coup est inondé de ses larmes; ses soupirs, ses sanglots interrompent la lecture de l'accusation; il se fait un moment de silence, les juges, les témoins, l'auditoire entier, tout pleure.
La lecture de l'acte achevée, on entend mon témoignage et celui des deux domestiques. Alonzo prend la parole, et d'une voix tremblante: „Oui, c'est moi, dit-il, c'est moi qui, dans un moment d'emportement, ai tué mon fils, mon fils unique!... je suis le plus coupable et le plus malheureux de tons les hommes. Non, ce n'est point la vie que je vous demande, elle m'est trop odieuse! privé de mon fils, privé de mon épouse, l'existence est pour moi le plus cruel supplice; mais au moins qu'il me soit permis de proclamer hautement mon innocence, mes regrets, mes remords. Et vous aussi, vous êtes pères, je lis ma grâce dans vos yeux, vous m'absoudrez, si, comme le veut la loi, vous ne me jugez que d'après l'intention; mais, hélas! il n'est aucun tribunal qui me puisse faire absoudre par moi-même. Je porte dans mon cœur mes dénonciateurs, mes juges, mon bourreau.
Alonzo fut absous à l'unanimité; mais il ne profita pas long-temps de sa grâce. Ne pouvant supporter la société, sur-tout des femmes et des enfants, il se retira dans une solitude profonde, où s'abandonnant à toute l'horreur de sa situation, il se laissa consumer par le chagrin, et mourut six mois après. Il était devenu maigre, taciturne, farouche. Personne ne pouvait l'aborder; pour mieux se nourrir de sa douleur, il avait retracé l'image de son épouse et de son fils; il les avait placés à l'entrée de sa chambre, au-dessus de son lit, sur sa cheminée, et même à sa table. Je n'eus point connaissance, par moi-même, de ces détails; car en sortant du tribunal, où je venais de déposer, on m'arrêta, et on me conduisit à la Force, et le lendemain à la tour du Temple. Pendant deux jours j'ignorai le motif de mon arrestation; enfin le troisième, on m'apprit que j'étais sur une liste d'émigrés, présentée par l'administration centrale d'un département, où ma famille avait des biens, et qu'il ne s'agissait de rien moins que de me fusiller.
J'écrivis à Charles; c'est un homme à grand caractère, à grands moyens; ce que demande le plus un prisonnier, c'est la liberté; il m'entendit, et dès ce moment, après s'être assuré d'un messager fidèle, ne pouvant me voir, il correspondit avec moi de la manière la plus satisfaisante: sa première lettre, sur-tout, portait l'empreinte de l'amitié: elle était ainsi conçue.
„On s'est mépris, vous ne fûtes jamais coupable, je réponds de votre tête et bientôt de votre élargissement.“
Charles avait cru que mon affaire serait incessamment terminée; malheureusement il se trouva, parmi les puissances du jour, un nouveau souverain, qui avait acheté quelques arpents de mes terres sur le territoire du département où j'étais poursuivi; mille fois lutôt me perdre que de rendre son acquisition? il était de la caste de ces hommes privilégiés, qui s'arrogent le droit de tout garder.
Quelle fut ma surprise, quand je sus que cet honorable membre d'un corps, par sa nature, protecteur des personnes et des propriétés, avait juré ma ruine et la perte de ma tête! Avant que d'entrer dans des débats toujours funestes à la cause du détenu, on essaya tous les moyens conciliatoires; on lui proposa de lui laisser la paisible jouissance, et même la propriété de ce bien: „C'est un émigré, disait-il, il est proscrit par la constitution; j'ai juré de maintenir la constitution, il doit être puni.“ Le monstre avait son fils à la solde du prince de Condé!
Charles sentit tout le danger de ma situation, par l'influence qu'avait cet homme barbare: il résolut de me tirer de ma prison à quelque prix que ce fût, et voici la ruse qu'il employa.
CHAPITRE LVI.
Etrange moyen de sortir de la tour du Temple pour aller à l'Hotel-Dieu; le bon chirurgien; la bonne tante; la bonne gardienne; la collation encore meilleure évasion de l'Hôtel-Dieu; l'hospitalité bien placée.
„Il faut hasarder le tout pour le tout, m'écrivit Charles, vous savez de quelle manière on échappe d'une maison qui brûle; prenez bien vos précautions pour que vous ne soyez point entièrement écrasé. Que ce soit demain matin; j'y serai, je me charge de tout.“
Je compris aisément le conseil qu'il me donnait; mais j'ignorais absolument quelle serait la suite de ce coup de force. Je pensai qu'il avait tout prévu; le lendemain matin, au moment où l'on ouvrait la porte de ma chambre pour me donner mon déjeuner, je m'élance, me précipite du haut de l'escalier, me roule et me fais à la tête une large blessure; mon visage, mes mains, mes jambes, tout est meurtri. On vole à mon secours, j'avais perdu l'usage de la raison, et ne la recouvrai que long-temps après.
Quand je pus me reconnaître, quel fut mon étonnement de me trouver dans une immense dépôt de malades de toute espèce! je portai mes regards de tous côtés, et je ne tardai point à m'apercevoir que j'étais à l'Hôtel-Dieu; mais ma surprise redoubla, lorsqu'en recevant la visite d'un chirurgien, je reçus aussi le billet suivant: „Vous êtes en très-bonnes mains; celui qui soigne votre blessure, est mon intime ami; c'est lui qui vous a fait déposer à l'endroit où vous êtes; il sait tout, il peut tout, il fera tout.“
Après avoir achevé la lecture de ce billet, je regardai mon sauveur, lui serrai la main, et lui dis tout bas: „Il est donc encore des hommes? -- Oui me dit-il d'un ton ferme,“ et de peur d'inspirer du soupçon, il me quitta brusquement. Le même jour je reçus la visite de deux dames, dont l'une se disait ma tante, et l'autre ma cousine. C'est alors que commença le stratagème auquel j'ai dû ma liberté, et sans doute ma vie.
De deux jours en deux jours, je reçus la visite de mes deux parentes; je ne sais quel intérêt elles avaient inspiré; mais je m'aperçus bientôt qu'elles jouissaient de l'entière confiance de la sœur qui me soignait et me surveillait spécialement; ma tante ne manqua pas d'en tirer parti; celle entra si bien dans ses bonnes grâces, qu'elle en obtint la permission de faire, près du lit du malade, une collation qu'elle partagerait.
Le banquet eut lieu le lendemain, une heure avant la nuit; la tante vient avec la cousine et une domestique de mon âge. Elles étaient munies de tout ce qu'il y avait de plus exquis en viande froide, en pâtisserie, et sur-tout en vins. Pou mieux tromper ma surveillante, j'avais fait le malade plus qu'à l'ordinaire, et le chirurgien avait affecté de dire que j'avais une fièvre plus forte, qu'il ne fallait point me permettre de manger. Tout avait été merveilleusement préparé, et fut aussi merveilleusement exécuté.
On se met à table; „mon pauvre neveu, me dit la bonne tante, que je suis fâchée, qu'aujourd'hui précisément vous soyez plus malade! que j'aurais du plaisir de vous voir manger un peu de ce chapon du Mans, que j'avais réservé pour madame et pour vous! une autre fois je choisirai mieux l'instant d'une réunion. -- Il est fort heureux, dit froidement la gardienne, que monsieur n'ait pas été sitôt guéri; on l'aurait reconduit à la tour du Temple, et peut-être en ce moment il aurait été fusillé.“ La réflexion n'était point agréable. Ma tante prit la bouteille de Bordeaux, et lui en donna une rasade; à cette bouteille succédèrent rapidement plusieurs autres de vins étrangers, jusqu'à ce que la surveillante, n'y voyant plus clair, et ne pouvant presque plus parler, ne s'aperçut plus de ce qui se passait autour d'elle.
Cependant on avait fermé les rideaux du lit, et la jeune domestique s'y était adroitement renfermée avec le malade, tandis que la tante et la cousine couvraient, pour ainsi dire, de leurs corps la gardienne. Il était nuit; les étrangers prennent congé de la surveillante, et font semblant d'embrasser le malade; on se fait réciproquement les plus tendres adieux.
La domestique joue à merveille son rôle; elle reste à ma place; et moi, sous ses vêtements, je sors avec ma tante et ma cousine. A peine étions-nous dehors qu'elle profite du moment où la surveillante s'était assoupie, prit mes habits et s'en alla.
Le rendez-vous était chez un fonctionnaire public, dans la Cité; c'est là que le chirurgien nous attendait; en moins d'une heure nous y fûmes tous rassemblés; il ne s'agissait plus que de me faire sortir; ou de m'ensevelir dans une maison, à l'abri des recherches de la police. Je préférai le premier parti, pour ne compromettre personne; mais comment se procurer un passeport? le chirurgien se chargea de cette négociation délicate: „N'est-il pas vrai, me dit-il, que vous avez fait le médecin en Grèce? -- Oui. -- Vous connaissez les termes élémentaires de l'art? -- Oui. -- Vous pourriez, en cas de besoin, faire une saignée? -- Cinquante, s'il est nécessaire. -- Vous en savez plus qu'il n'en faut, je réponds de votre passeport et de votre évasion: seulement mettez-vous au lit, et tâchez de n'être vu que de la tante et de la cousine; en révolution, le silence et l'obscurité sont les premières bases de notre conservation. Vous ne tarderez point à me revoir.“
A dix heures du soir j'entendis crier dans la rue: „La grande évasion de l'Hôtel-Dieu d'un émigré de haute naissance; la grande ruse qu'il a mise en usage pour tromper sa surveillante.“ Je vis par-là que mon affaire allait être, à la police, traitée en grand, et certes il fallait être bon chirurgien pour me tirer de cette maladie.
La petite cousine eut le courage de s'approcher d'un groupe d'hommes et de femmes qui s'entretenaient de mon aventure à la porte de l'Hôtel-Dieu. On racontait l'événement tout autrement qu'il ne s'était passé; elle se garda bien de rectifier le fait; mais elle apprit avec douleur que la surveillante avait été chassée, avant que d'avoir cuvé son vin. Nous convimmes qu'après ma radiation, et lors de ma rentrée dans mes biens, je lui ferais une pension: c'était le moyen de justifier le proverbe le plus faux peut-être que je connaisse: le bien vient quelquefois en dormant.
CHAPITRE LVII.
Le faux carabin; l'indiscrétion d'un vieux domestique; la danse fortunée; le double mariage; retraite solitaire au pied d'une montagne; l'amant assassiné; la capitulation avec de faux agents du Gouvernement.
Toute la police était à ma recherche; j'étais le plus grand criminel du monde.
Si j'eusse été pris, mon affaire eût été sur-le-champ terminée; mais j'étais logé chez un de ses principaux inquisiteurs, et je n'avais point à craindre de visite domiciliaire. Ce brave homme poussa la générosité jusqu'à signer le passeport qui devait servir pour mon évasion. Le chirurgien était de ma taille, de mon âge, et avait à-peu-près la même physionomie. Aussi jugea-t-on que nous pouvions, sans danger, passer l'un pour l'autre; un seul article me gênait un peu, c'était la profession; j'aurais bien mieux aimé qu'il eût été médecin; il est si aisé de le paraître! en médecine, il suffit de savoir écrire ou parler, en chirurgie il faut agir; à la vérité, je savais saigner et purger; je valois bien la plupart des chirurgiens de campagne.
Je partis encore une fois de Paris, accompagné seulement de ma tante, et portant dans un sac de nuit tous les outils du métier; je n'avais pas même oublié quelques ordonnances toutes prêtes en cas de besoin; cependant le chirurgien avait eu la précaution de partir en même temps que moi, et s'était retiré chez un de ses amis, à deux lieues de Paris. A quelques pas de la barrière, je pris congé de la tante; cette séparation ne fut pas ce qui coûta le moins cher à mon cœur; les services qu'elle m'avait rendus étaient d'autant plus précieux, qu'ils pouvaient à chaque instant l'exposer à perdre la vie: c'était l'ancienne marquise de T qui n'avait encore obtenu que la permission de rester à Paris le temps nécessaire pour y faire valoir les motifs de sa demande en radiation; jusqu'alors elle s'était contentée de présenter sa pétition, et de la protection que lui avait promise l'un des hommes les plus puissants.
Mon voyage fut heureux jusqu'à Nevers, où je risquai d'être arrêté par un événement singulier: j'entrai dans une auberge; aussitôt un vieillard se jette dans mes bras: „Ah! mon cher comte, s'écrie-t-il, que je suis aise de vous voir! -- Moi! vous vous trompez, bonhomme; je ne fus jamais comte: je ne suis qu'un chétif carabin. -- Quoi! Vous n'êtes pas le comte A, chez lequel j'ai demeuré trente ans; ce n'est point vous que j'ai vu naître le jour de St.Georges, un jour qu'il faisait si mauvais! mais je vous connais comme mes poches. -- Je suis carabin, lui dis-je d'un ton décidé. -- Il peut bien se faire que je me trompe; car en effet on m'a dit que le pauvre comte avait émigré. Tant de gens se ressemblent. -- Oh! mais, vous lui ressemblez comme deux gouttes d'eau. -- Auriez-vous, par hasard, à la poitrine, l'empreinte de cette cerise, que vous apportâtes en venant au monde? -- Je n'ai rien, et ne sais ce que vous voulez me dire.“ Le vieillard se tut; mais il avait parfaitement raison, je le connaissais aussi bien qu'il me connaissait, et ce fut une grande peine pour moi que de le quitter brusquement. Pendant cette conversation tous les regards avaient été fixés sur moi, et si malheureusement j'avais répondu à la salutation, c'en était fait de moi; parmi les spectateurs, se trouvait un de ces hommes qui, quelques années auparavant s'était rendu l'effroi de ce pays par ses éternelles dénonciations; il n'avait pas encore pu en perdre entièrement l'habitude.
Je ne fis point un long séjour à Nevers; à chaque pas que je faisais, mon inquiétude redoublait, je craignais toujours d'être reconnu; mes craintes devinrent bien plus vives, quand j'appris la nouvelle de la journée du 18 fructidor, et la loi qui l'avait suivie concernant les émigrés. J'avais beau répéter que je n'étais qu'un simple chirurgien, il me semblait entendre autour de moi une commission militaire ambulante prononcer sur la fausseté de mon passeport. Cependant je continuai ma route; arrivé à SaintGermain, petit endroit sur la route de Moulins à Lyon, j'entrai dans une auberge, où mon premier soin fut de me coucher, de peur qu'il n'y eut encore quelque vieux domestique qui me reconnût.
Il me fut impossible de dormir; on avait marié, ce jour-là, le fils aîné de la maison, et ce fut pendant toute la nuit une fête, ou plutôt une orgie continuelle. J'étais de fort mauvaise humeur, quand tout-à-coup je m'entendis appeler par une voix douce. -- Dormez-vous? Non. -- Voulez-vous danser? -- Je vous remercie; qui êtes-vous? -- La sœur du marié, -- La sœur du marié, me dis-je tout bas; oh! ma bonne fortune ne m'a pas encore totalement abandonné; mademoiselle, je vais me lever. En effet, dans moins de six minutes, je fus prêt. La jeune Cécile me conduisit au lieu de la réunion, et se mit à danser avec moi.
Il en est de la danse comme de la poésie, la beauté l'inspire; jamais je n'avais mieux figuré: aussi ne tardaije point à recevoir ma récompense; la même nuit, dans la même famille, s'opérèrent deux mariages, dont le dernier ne fut pas le moins agréable; il se fit à l'insu des parents et des prêtres, et pour la centième fois j'eus l'occasion de me convaincre qu'il n'y a rien de plus doux que le fruit défendu. Quand je voulus partir, Cécile fit la petite Didon; mais j'ai su depuis que, loin de se brûler sur un bûcher, elle épousa peu de temps après un gros fermier des environs, et qu'au bout de neuf mois, à dater du jour de la danse, elle lui remit le capital des fonds que je lui avais laissés avec les intérêts.
Je me gardai bien de passer à Lyon; je n'aurais pu supporter l'aspect d'unc ville, où l'échafaud, le fer et le canon avaient enlevé la plus grande partie de ma famille. Mon passeport était pour Chambery, pays natal du chirurgien; mais ce dernier avait eu la sage précaution de me donner l'adresse de l'un de ses meilleurs amis, qui demeurait au pied d'une montagne, dans la Maurienne. C'est-là que je me rendis à l'entrée de la nuit; le chirurgien avait prévenu son ami de mon arrivée; je fus reçus comme le Messie.
Il est rare qu'on puisse tout prévoir, sur-tout lorsqu'on est dans un grand embarras; quelquefois même les choses les plus simples nous échappent. Je n'avais fait que reculer le malade, sans écarter la maladie. La Maurienne faisait partie du territoire de la République française; on y était soumis aux mêmes lois, et par conséquent je n'avais fait que changer de place. A la vérité je n'avais point à craindre une nuée d'espions, mais j'étais bien loin d'être parfaitement tranquille. Un événement aussi fatal qu'imprévu faillit causer ma perte.
L'ami, qui me donnait l'hospitalité, avait une fille, dont les charmes attiraient les regards de tous les jeunes gens de la montagne; deux sur-tout se disputaient son cœur. Rose était le nom de la bien aimée; les deux concurrents s'appelaient, l'un Guillaume, l'autre Jacques. C'était un dimanche au sortir de la messe; Jacques avait aperçu, dans l'église, un chapelet tout neuf entre les doigts de Rose; Rose marchait à côté de Guillaume: „Qui vous a donné ce chapelet, dit Jacques, d'un ton de voix rauque et menaçante. -- Que t'importe, répond fièrement Guillaume? -- Que m'importe, tu vas l'apprendre.“
Aussitôt il saisit une grosse pierre pointue, s'élance sur le malheureux rival, et, sans lui donner le temps de se défendre, lui partage la tête: „Va, s'écrie-il, va donner tes chapelets aux diables.“
On accourt; on veut porter des secours au mourant; soins inutiles! il expire noyé dans son sang; Rose tombe évanouie; Jacques est arrêté; mais, moyennant quelques arrangements particuliers, et par considérations pour sa famille, on lui laisse la faculté de s'évader pendant la nuit.
Les parents de Guillaume poursuivent l'assassin; ils l'attaquent par-devant les tribunaux; on cite des témoins; j'ai le malheur d'être du nombre. Que faire? Paroître au tribunal! sous un faux nom, avec un faux passeport! c'est s'exposer au plus grand danger; n'y point paraître, c'est provoquer les soupçons, et courir encore de plus grands risques. J'étais résolu à comparaître, quand, la nuit qui précéda l'audition des témoins, quatre hommes viennent, au nom de la loi, m'ordonner de les suivre; pour la première fois de ma vie je tremblai. Je demandai la lecture de l'ordre dont ils étaient porteurs; on me le communique. Mon hôte essaye inutilement de m'arracher à ce mandat: il ne connaissait point l'art de persuader. Il ne me restait qu'un moyen d'échapper, je l'employai.
Je m'adresse au chef: „ne serait-il point possible, lui dis-je, de vous parler en particulier? -- A deux pas. -- Vous vous trompez; vous me prenez pour un autre; savez-vous qui je suis? -- Le comte d'A****.“ À ce mot je me crus perdu si je ne faisais une offre analogue à mon rang. -- „Auriez-vous la barbarie de sacrifier un galant homme? -- Il faut que la loi soit exécutée. -- Mais si vous ne m'aviez point trouvé. -- Eh, bien, nous serions repartis sans vous. -- Si vous vouliez me dispenser de vous accompagner, supposer que vous ne m'avez point trouvé. -- Moi! faire un faux rapport!
apprenez, Monsieur, que je suis incapable de frauder la loi? -- J'avais mis de côté ces deux rouleaux de cinquante louis, chacun, pour vous. -- C'est bien dommage de ne pouvoir... vous avez l'air d'un bien brave homme. -- J'ai quelques bijoux de pareille valeur. -- Ah! Monsieur, je voudrais bien ne pas... -- Tenez! voilà les rouleaux, voilà les bijoux! -- Allons un peu plus loin; Monsieur, jamais je n'acceptai, dans pareil cas, une obole; mais vous avez un air si persuasif, je vous estime tant, que je me ferais un crime de vous inquiéter; mais ces rouleaux, ces bijoux, c'est pour moi que vous les destinez; s'il était possible de gratifier un peu mes gens. -- Mais. -- Ils sont strictement attachés à l'exécution des lois; malgré ma bonne volonté, ils pourraient vous nuire.“ Je sentis qu'il était indispensable de faire une troisième saignée à ma bourse. J'offris un second rouleau de cinquante louis. -- „Ils sont trois, me dit mon corsaire. -- Mais je n'ai plus le sol.
-- Eh, bien! il est un moyen de tout concilier; vous allez me faire une lettre-de-change des cent louis restants, à dix jours de date. -- Oui, répliquai-je avec humeur. Vous me répondez de ma tranquillité. -- Sur ma tête.“
Je donnai tout mon argent et souscrivis l'engagement qu'il demandait.
C'est à ce prix que j'achetai ma liberté. Mais quel fut mon étonnement, quand j'appris que les quatre porteurs de l'ordre étaient des voleurs, qui, moyennant de faux papiers, s'introduisaient dans les maisons, y mettaient à contribution les réquisitionnaires, les émigrés, et même d'autres voleurs moins adroits qu'eux! Heureusement il me restait quelques billets payables par de bonnes maisons de Genève.
Mon intention était d'aller plus avant; mon hôte ne voulut point me laisser partir: „Je connais, me dit-il, le secret de vous conserver: je suis riche, et vous pouvez compter que vous resterez chez moi tant que vous voudrez.“
Une offre si obligeante me fit oublier la perte que je venais de faire, et me rassura pour l'avenir; je restai; depuis cette époque, je n'ai point reçu de visites fâcheuses; au sein d'une famille honnête et des plaisirs champêtres, j'attends mon rappel en France, et ma réintégration dans des biens, que des voyages bien innocents n'ont point dû me faire perdre.
L'ENFANT DU BORDEL.
**CHAPITRE PREMIER.
L E fils du potentat comme celui du savetier sont l'ouvrage d'un coup de cul, et tel occupe un trône qui doit la naissance au laquais qui le sert. Grands de ce monde, ne vantez pas si haut votre illustre origine, car moi qui vous parle; je suis père d'un duc et de deux marquises; et que suis-je cependant ? l'enfant du bordel.
Ma création fut le coup d'essai d'un page de seize ans, beau comme l'amour, et d'une petite marchande de modes de quinze, fraîche comme la plus jeune des Grâces.
Le comte de B..... mon père, était depuis un mois dans les pages du roi.
Élevé en province par son père, janséniste outré, il avait, en arrivant à Versailles, la pudicité d'une Agnès; mais un mois de la vie de page lui fit perdre sa précieuse innocence; ses chastes confrères surent si bien l'endoctriner, que quinze jours après son arrivée la théorie de l'amour n'avait plus rien de nouveau pour lui. Au bout d'un mois de service, il eut deux jours de liberté, et prenant pour compagnon d'armes un de ses camarades plus instruit que lui, il vint à Paris pour mettre en pratique les précieuses leçons que l'on avait gravées dans son cœur.
Le projet de nos deux étourdis était d'abord, d'aller à un bordel situé rue St.-Martin, vis-à-vis la rue Grenier-St.-Lazare : ils arrivèrent par la rue Michel-le-Comte; déjà ils apercevaient de loin à une des fenêtres du chaste couvent, une ex-beauté qui montrait aux passants les trois quarts de ses flasques tétons qui, repliés et soutenus par un large ruban; semblaient avoir un air de fraîcheur que démentait la figure jaune et maigre de la Vénus à vingt-quatre sous par tête. La beauté plâtrée se voyant fixée par deux jeunes gens, leur sourit; ils y répondent : elle leur fait un signe de tête et quitte la fenêtre; ils s'élancent, ils vont franchir le seuil de la porte; tout-à-coup Théodore, c'est le nom de mon père, Théodore, dis-je, retient son camarade... Qui peut les empêcher de satisfaire leur désir ?... qui ? une petite marchande de modes qui est sur le pas de sa boutique.
Imaginez ce que la nature peut former de plus mignard et de plus séduisant, et vous aurez une idée de la jolie Cécile; quinze ans, de grands cheveux blonds, un de ces minois arrondis qui prolonge l'enfance, même au-delà du terme ordinaire; petite mais formée, des contours moelleux, une gorge naissante qu'un double linon voilait exactement, sans cependant en cacher la forme; voilà ce que Théodore aperçut du premier coup-d'œil, et ce qui lui fit dédaigner la beauté bannale et ses charmes flétris. Ah la charmante créature, s'écria Théodore À quel endroit, lui dit son camarade ? --- Ici --- Cette petite marchande de modes ? --- Oui. --- En effet, elle n'est pas mal. --- Oh qu'un aussi aimable enfant doit être délicieux à voir tout nu.
--- Bah souvent ce que cache le linge ne vaut pas la peine d'être vu. --- Je suis certain que celle-ci est parfaite de toutes les manières. --- Je conçois qu'une jolie petite motte bien brune doit relever encore les charmes de cette jolie blonde. --- Moi j'aimerais mieux que cette charmante motte fût blonde. --- Je suis certain qu'elle est brune. --- Je suis persuadé qu'elle est blonde. --- Parions. --- Parions. Et voilà nos deux étourdis à parier un déjeuné à discrétion que les appâts secrets de Cécile étaient recouverts d'une perruque blonde; mais comment s'en éclaircir Après un instant d'incertitudes l'ami de mon père lui dit : Je m'en rapporte à toi, et je suis certain que tu auras assez de bonne foi pour convenir si tu as perdu. --- Parole d'honneur. --- En ce cas regarde. Alors sans s'embarrasser des suites, il s'élance auprès de Cécile, la saisit par un pied, la fait tomber moitié dans la boutique et moitié dans la rue; relève lestement ses jupons presque sur la figure, se sauve et disparaît.
Mon père qui suivait son ami de près vit des beautés qui devaient faire d'autant plus d'impression sur ses sens et sur son cœur, que c'était la première fois que les appâts secrets d'une femme étaient offerts à ses yeux.
Il vit aussi que son ami avait deviné juste quant à la couleur de la motte, et que la charmante blonde, loin d'y perdre, y gagnait au contraire de nouveaux charmes.
Cependant un coup-d'œil avait suffi à mon père pour faire ses découvertes; mais l'immobilité de Cécile qui restait exposée aux regards du peuple l'alarma. Il la recouvrit, elle était sans connaissance; il la prit dans ses bras, la rentra dans la boutique, ferma la porte, et tira les rideaux; les curieux qui crurent que Théodore était de la maison s'éclipsèrent peu-à-peu, et laissèrent mon fortuné père avec sa jolie proie.
L'état de Cécile demandait de prompts secours; mon père voulant la desserrer, détacher le voile qui couvrait son sein, Dieux quel spectacle pour lui une gorge naissante qui aurait pu le disputer en blancheur à la neige, sans la légère teinte rosée qui corrigeait ce que les lys avaient de trop blanc, et empêchait qu'on ne les prît pour deux blocs de marbre. Un léger bouton de rose effeuillé l'embellissait encore.
Théodore oubliant que la jeune beauté avait plus besoin de secours que de caresses s'amusait à promener ses mains sur la jolie gorge de Cécile. Oh pouvoir de l'attraction. À peine Théodore eut-il chatouillé quelques instants le bouton naissant qu'il avait sous les yeux, que Cécile tressaille, soupire, et semble revenir à elle; Théodore redouble, elle ouvre ses grands yeux bleus et les fixe sur mon père; mais bientôt s'apercevant de son désordre, elle rougit, le repousse doucement, et rajuste ses vêtements.
Combien votre état m'a inquiété, lui dit mon père d'une voix émue et tremblante. --- Monsieur.... --- Un mauvais sujet a pensé vous blesser dangereusement, en occasionnant la chute qui a causé l'évanouissement dont j'ai eu le bonheur de vous tirer. --- Je suis bien reconnaissante, monsieur, de vos soins obligeants. --- Mais comment se fait-il que vous soyez seule dans cette maison ? --- C'est aujourd'hui dimanche, ma mère et mes compagnes sont sorties et je suis seule gardienne de la boutique.
Théodore, certain que des importuns ne l'interrompront pas, commence à conter à Cécile tout ce que lui avait fait éprouver la vue de ses charmes.
La jeune Cécile fut déconcertée de l'éloge brûlant que mon père en fit. Elle ne put cependant refuser un sourire à la délicatesse de ses louanges; bientôt elle en vint jusqu'à lui avouer qu'elle n'y était pas insensible.
Cependant Cécile paraissait souffrir, Théodore s'informe avec l'accent de l'intérêt, quelle en était la cause. Après s'être fait presser quelques instants, elle avoua qu'elle se croyait les reins un peu écorchés par la chute qu'elle avait faite. Théodore lui dit, qu'étant chirurgien, il lui était facile d'ordonner les remèdes nécessaires, si elle voulait lui montrer l'endroit où était le mal; et Cécile de se récrier, et Théodore d'assurer qu'il en avait assez vu pour que l'on pût sans crainte lui laisser voir le reste : combat de part et d'autre; enfin Théodore est vainqueur.
La belle passe en rougissant dans l'arrière-boutique, se place dans un coin, pour n'être pas vue de la rue, s'agenouille sur le bord d'une chaise, baisse le haut du corps en avant, et livre le reste au trop heureux Théodore. Ses mains tremblantes soulèvent deux jupons d'une blancheur éblouissante, une chemise plus blanche encore, et découvrent le plus joli petit cul que l'on puisse imaginer. Oh M....., si ce cul délicieux eût frappé une seule fois tes regards, tu aurais sans peine renoncé pour lui aux appâts masculins de tes Ganimèdes. Peignez-vous une chute de reins délicieuse, des fesses rebondies sur lesquelles on ne pouvait appuyer la main sans qu'elle ne fût repoussée par l'élasticité des chairs, deux cuisses moulées et qui allaient en mourant jusqu'à un genou parfaitement fait, le tout soutenu par une jambe d'une perfection admirable; recouvrez tous ces appâts d'une peau fraîche et veloutée comme celle de la pêche, et vous aurez une idée du cul de Cécile.
Théodore, extasié à la vue de tant de charmes, ne savait sur lesquels arrêter ses yeux; d'un côté le cul charmant dont nous venons de parler, un peu plus bas la jolie grotte ombragée de la mousse d'ébène qui fuyait entre les cuisses d'albâtre de la jeune beauté.
Théodore admirait ce spectacle enchanteur, lorsque la porte de la boutique s'ouvre brusquement, Cécile reconnaît avec effroi la voix de la vieille Géneviève, servante de la maison. Un mouvement plus prompt que l'éclair fait retomber les jupes de Cécile sur la tête de Théodore, et le couvre tout entier. Géneviève entre, comme Théodore était entre la muraille et Cécile.
La vieille servante ne put apercevoir le volume qu'il faisait sous les jupons de la jeune fille.
Le motif du retour de Géneviève était son chien. Il avait aboyé dans l'église pendant tout le salut, et notamment pendant la bénédiction du saint-sacrement. Géneviève le rapportait en grondant, dans la crainte qu'il ne fût battu par les suisses de la paroisse, qui ont la haute police sur tous les quadrupèdes que le hasard amène dans leur église.
Géneviève en entrant dans l'arrière-boutique, voit Cécile à genoux sur sa chaise; car elle n'avait pas quitté cette position. La voilà qui se persuade que Cécile récitoit ses prières. Ah la chère demoiselle, grommelle-t-elle entre ses dents... C'est un ange... C'est un ange...
Continuez, mon enfant... Continuez. Vous êtes dans la voie du salut, tâchez de ne vous en écarter jamais...
Oui, ma bonne, dit en syncopant la jolie Cécile. --- Restez, mon enfant, dans les dispositions où vous êtes; je retourne à l'église achever mes prières; mais j'aurai beau faire, je vois à votre ton pénétré qu'elles ne seront jamais aussi ferventes que les vôtres. Et la vieille Géneviève de regagner en clopinant le dieu de miséricorde qu'elle avait quitté pour son chien.
Que faisait Théodore pendant la conversation ? Ses lèvres s'étaient d'abord collées sur deux fesses charmantes. Il avait voulu déposer aussi un baiser sur le bijou frisé de Cécile; elle avait serré le derrière, de manière que sa bouche n'y pouvant atteindre, sa langue avait machinalement cherché à y pénétrer; elle avait trouvé moyen de s'y introduire. Cécile n'osait pas repousser son agresseur, de peur d'être découverte; et c'étaient les titillations de cette langue agile qui avaient; causé dans les sens de Cécile ce désordre que Géneviève avait pris pour un élan de dévotion.
À peine Géneviève fut-elle dehors, que Cécile s'arracha aux lèvres amoureuses que les désirs brûlants attachaient sur ses charmes. Elle fut se jeter dans un fauteuil à quelques pas de là, le trop heureux Théodore fut aussitôt à ses genoux. Elle se plaignit avec amertume, de la trahison qu'il lui avait faite. Il se défendit avec cette éloquence voluptueuse que son émotion rendait encore plus persuasive. La jeune vierge fut bientôt apaisée; elle pardonna, et finit par convenir de tout le plaisir qu'elle avait éprouvé.
Bref, on sentit le besoin de se revoir, et Cécile laissa à Théodore le soin d'en faire naître les occasions.
CHAPITRE II.
Théodore ne put rejoindre son ami que le soir à Versailles. Il convint franchement qu'il avait perdu le pari; mais il garda un profond silence sur les suites délicieuses de son aventure.
La nuit qui suivit cet heureux jour, fut employée toute entière à rêver aux charmes de Cécile. Et comme il tournait tant bien que mal des couplets, voici ceux qu'il fit sur son aventure : j'en ignore l'air, mais ils peuvent se chanter sur l'air charmant que chante madame Saint-Aubin dans le Chapitre Second.
Si la déesse des amours Voulait obtenir notre hommage, De ma Cécile pour toujours, Elle emprunteroit le visage; Si parfaits que soient les appâts, Que lui donne un crayon habile, Son cul si vanté ne vaut pas Le joli cul de ma Cécile.
Interprète du sentiment, Qui réside au fond de mon âme, Ma bouche sur ce cul charmant, Déposa cent baisers de flamme; Vous qui nous vantez la vertu, Si votre âme reste tranquille, Ah c'est que vous n'avez pas vu Le joli cul de ma Cécile.
Objet charmant et précieux, Cécile, garde-toi de croire, Qu'un jour ce cul délicieux S'effacera de ma mémoire; Mais s'il faut renoncer pourtant À mon existence fragile, Grands dieux que j'expire en baisant Le joli cul de ma Cécile.
Cependant, ce n'était pas le tout de chanter Cécile, il fallait songer à la revoir. Théodore ne trouva rien de plus à son gré que de s'ouvrir à son ami.
En payant le lendemain le déjeuner du pari, il lui raconta de point en point tout ce qui s'était passé la veille. Celui-ci ne manquait pas de mauvaises connaissances, il adressa Théodore à une certaine dame Florimont, espèce de catin intrigante, qui savait se faire un revenu passable en protégeant les amours d'autrui. Théodore, muni d'un billet de son ami, fit connaissance avec la Florimont. Cette femme se chargea d'y attirer Cécile. Elle remplit sa promesse; et huit jours après celui de leur première entrevue, Théodore se trouva tête-à-tête avec sa jolie conquête, à qui un mensonge adroit laissait à-peu-près trois ou quatre heures de liberté.
Représentez-vous quelle dût être l'ivresse de l'heureux Théodore en serrant entre ses bras, en pressant contre son cœur, la jeune et intéressante vierge qui venait de se livrer à lui. Ses lèvres brûlantes se joignirent à celles de son amante. Sa langue amoureuse chercha celle de Cécile qui, les yeux chargés d'un nuage de volupté, se laissa mollement aller dans les bras de Théodore. Il la porta sur un lit élégant qui n'était pas la pièce la moins nécessaire de l'appartement. Il eut bientôt vaincu la faible résistance que lui opposait la pudeur mourante de Cécile. Il la débarrassa de ses vêtements; et jusqu'à sa chemise, tout lui fut enlevé.
Théodore, bouillant d'ardeur, travaille, de son côté, à se mettre dans le costume de notre premier père. Je vais profiter du temps qu'il emploie à se déshabiller pour tracer rapidement les beautés de Cécile.
Dieu quel spectacle enchanteur Quelle richesse et quelle pureté de formes Les yeux à demi fermés, et recouverts par son bras gauche, elle était étendue sur le dos; ses jolies petits tétons haletans de désirs, semblaient avoir acquis plus de perfection que la première fois. Le délicieux bouton de rose qui en faisait ressortir l'extrême blancheur paraissait s'efforcer de sortir de son enveloppe de neige, et inviter les lèvres amoureuses de Théodore à y pomper l'ivresse de la volupté. Un ventre, des hanches telles qu'on peut les supposer à la jeune Hébé : mais ce qui, surtout, fixait les regards, c'était cette toison charmante, dont le noir éclatant contrastait d'une manière si piquante avec le blond cendré de ses beaux cheveux. Elle n'était pas encore aussi fournie qu'elle promettait de l'être un jour; mais son peu d'épaisseur offrait un spectacle encore plus attrayant, un spectacle fait pour porter le délire dans l'âme la plus indifférente aux plaisirs de l'amour.
À travers ce jeune taillis, on apercevait une fente dont l'extrême petitesse prouvait la fraîcheur et la virginité. Cécile qui, par son attitude, avait les cuisses à demi écartées, laissait apercevoir l'intérieur du sanctuaire où brillait l'incarnat le plus vif. Un léger mouvement convulsif qui agitait le ventre et les cuisses de la jolie victime, démontrait assez qu'elle jouissait par anticipation des plaisirs qu'elle va connaître avec un peu plus d'étendue.
Le spectacle enivrant de tant de charmes avait mis Théodore dans un état voisin de la fureur. Mais, me diront mes lecteurs, comment Théodore, qui ne connaît point encore de femmes, va-t-il s'y prendre pour dépuceler Cécile.
Vous auriez raison, lecteur, s'il arrivait de sa province : mais songez, de grâce, qu'il y a six semaines qu'il est dans les pages du roi; et qu'à cette chaste école un néophite est bientôt passé maître; d'ailleurs, Théodore a déjà eu sous les yeux, plusieurs actes de priapisme, de la part de ses vertueux camarades; et sans avoir jamais, lui-même, participé à l'acte de virilité, il sait parfaitement comment il doit s'y prendre. Avant de venir au rendez-vous, Théodore qui prévoyait ce qui allait arriver, a eu soin de se faire donner de nouvelles instructions; et s'il n'est pas encore passé maître, il a toutes les connaissances nécessaires pour le devenir.
Pardon de la digression, mais je l'ai crue nécessaire.
Théodore, ivre de désirs, s'élance sur sa jolie proie, la prend dans ses bras, la place sur le pied du lit, et veut faire pénétrer la flèche de l'amour dans l'étui que lui a destiné la nature. Mais de vives douleurs font disparaître le nuage de bonheur qui environnait Cécile. Des cris firent arrêter Théodore; il parvint, à force de caresses, à engager Cécile à supporter encore un essai. Et se précipitant avec fureur dans le détroit du plaisir, il brisa tous les obstacles, malgré les gémissements et les plaintes de sa complice. Bientôt, cependant, les cris devinrent moins violents : Cécile parut éprouver une étincelle du plaisir qui dévorait son amant. Ses yeux se troublèrent, et une copieuse éjaculation de part et d'autre consomma le sacrifice.
Ah que vous êtes cruel, dit Cécile en reprenant ses sens : était-ce pour me plonger dans le précipice que vous me témoigniez tant d'attachement.