eighteenth_century_french_novels / BarbeMarbois_Parisienne.txt
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LA PARISIENNE EN PROVINCE.
OUVRAGE NATIONAL.
PREMIERE PARTIE.
MONSIEUR DE Migneville s'était fait Marquis avec de l'or: accablé de titres, de richesses et d'années, il voulut encore se charger d'une femme. Mademoiselle d'Origny qui n'avait qu'un beau nom, une jolie figure et vingt ans, fut l'épouse qu'il choisit. Elle trouvait le nouveau Marquis fort sot, fort gauche et fort laid; mais il était riche, et en se rendant si facile sur le choix d'un époux, elle se proposait en secret de l'être moins sur le choix d'un amant.
Cependant tous sentiments honnêtes n'étaient pas entièrement effacés dans son âme; elle cherchait le plaisir, mais elle fuyait encore l'éclat. D'ailleurs, jusque là sa conduite avec le Marquis était telle, que la plus sévère exactitude n'aurait pu y trouver rien à reprendre.
Un vieillard amoureux est presque toujours la dupe d'une femme coquette: quoiqu'un peu jaloux, le vieux Migneville ne doutait pas que les démonstrations de la tendresse de la Marquise ne fussent sincères: mais il connaissait les femmes et se sentait tout disposé à concevoir quelques soupçons qu'il prenait le plus grand soin de cacher: il n'ignorait pas que la jalousie d'un époux ne sert qu'à donner l'éveil aux amants et fait présumer que si on le peut duper, on ne perdra pas son temps auprès de sa femme. Le Marquis, pour enchaîner Madame de Migneville par la reconnaissance, ne lui refusait rien: attelages brillants, voitures nouvelles, parures, étoffes, diamants, tout lui était prodigué: mais tous ces objets ensemble ne pouvaient captiver une imagination ardente, un cœur qui ne soupirait qu'après un bonheur plus réel, et que tout concourait à séduire. Elle se contraignait toujours, soit par un reste de reconnaissance et d'honnêteté, soit dans l'intention de mieux le tromper dans la suite: elle languissait; le Marquis vivait encore tranquille, si l'on peut trouver le repos dans des nœuds mal assortis.
Madame de Migneville commençait à prendre tous ces agréments frivoles, tous ces brillants travers qui mettent une jolie femme à la mode: elle n'était pas régulièrement belle; mais elle avait le regard si voluptueux, la physionomie si expressive, qu'on ne pouvait la regarder sans émotion. Quant à l'esprit, elle en avait autant qu'on peut en avoir, sans jugement; je veux dire, beaucoup et, quoiqu'il fût noyé dans le jargon le plus futile, dans le persiflage le plus inepte, sa conversation ne laissait pas d'avoir mille charmes. Le monde l'avait déjà rendu fausse et dissimulée. Elle croyait ne rien saire et ne rien dire de bien que ce qui était apprêté; inconséquente par caractère, elle désirait ardemment ce qu'elle n'avait pas, et le négligeait dès qu'elle l'avait obtenu: elle était vive et gaie jusqu'à l'étourderie, plutôt parce qu'elle croyait qu'il est du bon air de l'être, que parce que cela lui fût naturel: on lui avait dit si souvent qu'elle était étourdie, qu'on lui avait persuadé qu'elle devait l'être: d'ailleurs cela donne le droit de faire et de dire mille choses qui autrement tireraient à conséquence: elle avait encore cette facilité à dire des riens; ce tour aisé qui leur donne tant de prix, et qui rend intéressantes les choses les plus minutieuses. Imaginez enfin un composé singulier d'agréments et de défauts; mais de ces défauts que l'art et que le caprice de nos préjugés ont su rendre plus séduisants que les agréments mêmes.
Parmi tous les hommes que voyait Madame de Migneville, elle n'en avait encore distingué aucun: son cœur ne cherchait qu'à se rendre; mais elle était si difficile sur le choix, elle exigeait tant de perfections dans son vainqueur, qu'il était presque impossible qu'elle pût le rencontrer. Telle est la folie des jeunes personnes qui veulent aimer pour la première fois; elles croient excuser leur faiblesse par les qualités de l'objet qui l'a causée.
Il est rare qu'une femme choisisse pour amie une autre femme plus jeune, plus jolie et plus aimable qu'elle: cependant il régnait entre Madame de Mélicourt et la Marquise, l'intimité la plus parfaite.
Madame de Mélicourt était veuve d'un homme qui lui avait laissé de grands biens: elle avait été assez long-temps à la mode et, quoiqu'elle ne fut plus d'âge à avoir des prétentions, elle en conservait cependant encore: c'était une de ces femmes qui ont toujours la fureur du monde, lors même que le monde veut les quitter, qui ne tenant plus à rien, ne peuvent cependant vivre sans intrigues, et qui n'étant plus dans la saison d'en avoir elles-mêmes s'occupent de celles des autres. Elle avait environ cinquante ans; elle en diminuait dix et ses bonnes amies lui en donnaient soixante. Le grand usage du monde lui avait appris à le connaître: elle avait ce qu'on appelle le meilleur ton, c'est-à-dire, qu'elle était très-polie et très-fausse, qu'elle avait l'art de deviner les personnages et de les assortir sans qu'on y soupçonnât le moindre dessein; qu'elle savait ignorer tout ce qu'il ne fallait pas qu'elle sut; qu'elle possédait au suprême degré la science épineuse de la médisance; qu'elle la maniait avec une adresse singulière; et enfin qu'elle entendait à ravir toutes ces petites convenances qui paraissent si peu importantes, et qui font cependant tout le charme de certaines sociétés. L'avantage d'être reçue dans le monde sous une sauve-garde aimable, était le seul motif qui l'avait liée avec la Marquise. Une foule d'agréables des deux sexes se rendait encore chez elle, soit par habitude, soit par désœuvrement. Des jeunes gens d'une élégance, d'une fatuité, d'une indécence, d'une hardiesse à laquelle rien ne pouvait résister: des femmes d'une liberté, d'une inconséquence, d'une frivolité à tout séduire; voilà les personnages dont sa société était composée. Des soirées et des nuits entières remplies par des jeux ruineux, des soupers fort longs qui se passaient à calomnier les bonnes actions quand on était las de médire des mauvaises; des conversations où quelqu'important débitait hardiment mille absurdités qu'il venait démentir le lendemain; des petites intrigues, de petits manéges, des brouilleries, des raccommodements, voilà les occupations de cette société. Dans ce siècle charmant où tout le monde philosophe, on n'avait garde d'y manquer chez Madame de Mélicourt: les ridicules, l'affectation, les prétendus préjugés y étaient frondés continuellement, et toujours par ceux qui en avaient le plus: on y métaphysiquoit sans s'entendre, on y jugeait les Auteurs, les Ouvrages, on y parlait Morale, Politique, Administration, et rien n'était plus comique que les décisions qui s'y rendaient sans appel sur toutes les matières.On y remarquait sur-tout le Chevalier de Belmur; jeune, vif, léger, beau comme on peint l'amour, il était fait pour l'inspirer: on se l'enlevait, on se l'arrachait: une partie n'était pas complète sans lui; aussi était-il d'une scelératesse reconnue.
Vingt infidélités d'éclat et une indiscrétion soutenue lui assuraient désormais les plus brillants succès. Qui ne sait, en effet, que vingt femmes publiquement affichées et déshonorées, sont plus qu'il n'en faut pour mettre le sceau à la réputation d'un joli homme? La Marquise ne tint pas contre un être si merveilleux: elle crût premièrement n'avoir qu'un simple dessein de lui plaire et ne songeait nullement à en faire une affaire sérieuse. Le Chevalier lui parla, lui dit de ces choses qu'on prodigue par habitude à toutes les femmes, et que chacune par une exception peu modeste, ne croit sincères que pour elle. La Marquise s'imagina l'avoir séduit; après un peu de réflexion, elle ne crut pas devoir chercher plus loin l'heureux mortel à qui elle réservait son cœur: mais le premier pas coûte à franchir, et mille choses la retenaient encore.
Belmur s'aperçût bientôt qu'on lui voulait du bien; mais soit caprice, (car de tels hommes ne peuvent guère se dispenser d'en avoir aussi,) soit que pour lors il fût engagé ailleurs, soit plutôt encore par un manège adroit, il négligea d'en profiter. La Marquise en fut désolée; dès cet instant, plus d'enjouement, plus de saillies; les spectacles, les promenades, le monde, tout augmentait son dépit et son chagrin: cela n'échappa point au Chevalier; il venait de rompre avec Rosalie; il était libre. Il savait que la Marquise n'avait encore eu personne, et un regard tendre d'une femme qui n'est point décidée galante, en dit autant que les plus fortes avances d'une autre. La Marquise devait faire éprouver le plaisir le plus délicat à celui qui pourrait le premier lui inspirer de l'amour; mais les longueurs l'effrayaient: il savait que ce qui aurait été terminé dans un instant avec une autre femme, l'arrêterait long-temps avec celle-ci. Il eut recours à Madame de Mélicourt et sut l'intéresser pour lui.
Elle cherchait depuis long-temps à pénétrer dans le cœur de son amie: elle connaissait trop bien les femmes pour croire que celle-ci fût encore sans inclination. Dès le même jour elle se rendit chez elle.
Madame de Migneville aimait à jeter sur le papier les sentiments qui agitaient son cœur: c'est une espèce de confidence qui soulage; on croit n'être plus seul à savoir un secret qui coûte tant à garder, et l'illusion est d'autant plus satisfaisante, qu'on est sûr, avec un tel confident, de la discrétion la plus parfaite. La Marquise écrivait lorsqu'à son ordinaire Madame de Mélicourt entra sans être annoncée; son amie voulut cacher précipitamment ce qu'elle venait d'écrire; mais Madame de Mélicourt promit si sérieusement de se fâcher si on lui refusait ce papier, qu'enfin la Marquise le lui remit en protestant bien que c'était une folie toute pure qui ne signifiait pas grand'chose, et que son cœur n'y était pour rien du tout. Madame de Mélicourt, bien sûre du contraire, lisait sans l'écouter: les femmes sont bien au-dessus des hommes quand c'est le sentiment qui dicte ce qu'elles écrivent: il semble que la nature ait voulu les dédommager par une sensibilité excessive, de l'espèce de supériorité qu'elle nous a accordée dans tout le reste, et si c'est un bonheur que de sentir bien vivement, elles sont assurément plus favorisées que nous.
L'amour était peint dans cet écrit avec toute la force et toute l'énergie imaginables. La Marquise s'y faisait à elle-même l'aveu de la passion qu'elle ressentait pour le Chevalier, et de l'impossibilité où elle était de contraindre son penchant. Elle vit bien qu'elle ne pouvait dissimuler plus long-temps avec Madame de Mélicourt. Eh! bien, ma chère amie, lui dit-elle, lisez jusqu'au fond de mon cœur; voyez-y toute l'étendue de mon malheur: sans cesse obsédée par un homme que je déteste, en butte à ses fatiguantes attentions, forcée à les lui rendre, jugez de l'excès de mes peines. Que mon sort serait différent si l'on m'avait liée avec un homme que je pusse chérir: je dois beaucoup au Marquis, je le sais, je le sais trop... Et que lui devez-vous, interrompit Madame de Mélicourt, que les attentions, les complaisances et l'empressement que vous avez pour lui depuis si longtemps, n'aient déjà trop payé? Je suis comblée de la confidence que vous me faites de vos peines, et je vous conseille d'employer tout ce qui sera nécessaire pour les faire finir très-promptement. -- Cela dépend-il de moi, reprit la Marquise, et quand je ne serais pas obsédée par M. Migneville, croyez-vous qu'il me soit si facile d'oublier mes devoirs. Nos devoirs! vous êtes un enfant: vos devoirs, à votre âge, sont de vous livrer aux plaisirs: quant à votre jaloux, vous lui déroberez sans peine toutes vos démarches. D'ailleurs, un mari qui s'avise aujourd'hui de se formaliser de pareilles choses, ameute tout Paris contre lui.
Combien n'en avons-nous pas vu qui, jaloux des plaisirs de la société, ont été les premiers punis de l'éclat qu'ils ont fait par les persifflages éternels dont ils ont été accablés, tandis qu'on a pris l'intérêt le plus sensible aux jeunes et malheureuses victimes de leur jalousie. Le monde ne doit pas vous embarrasser d'avantage, il est très-indulgent, ou plutôt, il trouve qu'il n'y a rien de si naturel à une jolie femme que de faire un usage convenable de ses beaux jours: vous en avez mille exemples sous les yeux. Personne n'ignore que la dévote Belinde voile sous les apparences d'une piété sévère, la conduite la plus équivoque; que la prude Céphise se dédommage en secret de la fierté qu'elle affecte en public; que la jeune Céliméne, dès les premiers jours de son mariage, a signifié à son époux qu'elle voulait vivre indépendante, et qu'une infinité d'autres ne s'occupent que du soin de faire leur bonheur en faisant des heureux: en sont-elles cependant moins considérées de tous les honnêtes gens qui ont le sens commun? Croyez-en mon expérience, ma chère Marquise, notre vertu n'est aujourd'hui que l'art de dérober nos actions à la satyre et à la méchanceté, et il est mille fois plus utile de persuader qu'on est honnête que de l'être en effet, ou plutôt, l'un et l'autre sont très-peu essentiels; car on est convenu tacitement de certaines bornes, et pourvu qu'on ne les passe pas, le monde ne voit rien et ne veut rien voir. Je veux vous tirer d'esclavage, et je ne souffrirai pas qu'un sexagénaire exige le sacrifice de vos plus beaux moments, parce qu'il vous a destiné un reste de vieillesse qu'il n'eût pu traîner seul. Jouissez de votre jeunesse; car je ne connais aucun état plus ridicule et plus triste que celui d'une femme qui commence à vieillir sans avoir mis à profit les plus doux instants de la vie. La Marquise avait écouté jusque là sans rien répondre, et sans approuver ni rejeter ces excellents raisonnements. Vous connaissez le Chevalier de Belmur, continua Madame de Mélicourt; tout-à-l'heure encore il me parlait de vous -- de moi! le Chevalier... quoi, que vous disait-il? -- Bon... et vous ne l'aimez pas; si j'étais méchante; mais non, je suis trop votre amie pour vous faire aucun mauvais tour.
Belmur vous aime; je ne connais personne qui vous convienne mieux.
Ni moi non plus, disait tout bas la Marquise. -- Je veux vous voir heureuse; je le veux malgré vous; mais vous vous taisez; vous vous amusez à rougir. Je n'ai point aujourd'hui le temps de combattre vos petits scrupules: si demain il vous en reste encore, nous les détruirons: vous savez que je donne une fête à ma campagne; adieu, je compte sur vous. Cette campagne était délicieuse; rien n'avait été épargné pour rendre magnifique la fête que Madame de Mélicourt y donnait. La Marquise y arriva des premières: son amie lui proposa de se promener en attendant que tout son monde fut venu. Au moins, dit Madame de Migneville, je compte que vous n'aurez pas le Chevalier. --- Soyez tranquille, belle Marquise; je n'aurai personne qui puisse vous faire de la peine. -- C'est qu'il ne manquerait pas d'imaginer que je suis venue ici pour lui, et j'en serais au désespoir. -- En effet, il est bien plus dans l'ordre que ce soit lui qui vienne ici pour vous; n'est-il pas vrai? -- Ni l'un ni l'autre ne peut me convenir: je vous ai ouvert mon cœur; vous savez l'impression que le Chevalier y a faite; mais je connais les hommes, et il l'ignorera à jamais. Sçavez-vous bien, ma chère Marquise, que vous m'impatientez horriblement: vous voyez les choses comme un enfant: j'ai voulu vous désabuser de tous ces préjugés de Couvent; je les excuse, parce que j'y ai passé autrefois tout comme vous: j'étais honteuse de paraître aimable, et je croyais qu'on me faisait injure en me le disant: enfin on me fit voir le néant des chimères, dont jusques-là je m'étais bercée.
On m'apprit que dans ce siècle heureux et philosophe, les mœurs n'étaient plus qu'un fantôme vain dont les principes avaient pris la place: je n'étais pas au bout de mes sottises; j'eus encore celle de demeurer fidèle au premier homme que j'avais aimé: cette folie ne dura pas; mais tout en me livrant à mes penchants, je me gardai de l'excès qui consiste à les suivre sans choix et sans délicatesse: l'amour, s'il n'est économisé, use le cœur, et le rend à la fin incapable d'éprouver aucun sentiment. Profitez de mes lumières, et je vous réponds du bonheur de votre vie; c'est au Chevalier qu'est réservé celui de vous apprendre à sentir. Ne le rebutez pas, assez d'autres cherchent à lui plaire pour qu'il ne soit embarassé que sur le choix.
En ce moment un carrosse entra; on reconnut la livrée et l'équipage du Chevalier. La Marquise sentit son cœur palpiter avec la plus grande vivacité: elle eût voulu se cacher dans le sein de son amie. Belmur les joignit: elle ne put dissimuler long-temps la joie qu'elle avait de le revoir: de son côté, il fut si empressé, il s'exprima avec tant de feu, tant de grâce, qu'il obtint le pardon de ses froideurs avant de l'avoir demandé. Il fut charmant pendant tout le dîner: toutes ses attentions furent pour la Marquise: il n'aimait pas assez pour être plus mystérieux, et la malignité curieuse n'eut pas de peine à les deviner.On alla bien-tôt se préparer à un bal aussi magnifique que galant: un peuple d'aimables fous et de folles charmantes s'y étaient rendus de tous les environs. La campagne ajoutait encore un nouvel agrément à cette partie. C'est un plaisir délicieux à mon gré que celui du bal quand on n'en jouit que rarement: c'est-là que triomphe la liberté, l'inconséquence et souvent le plaisir: on n'y connaît point les droits que donne le rang; quelquefois même on y oublie ceux de la beauté: à l'abri d'un masque trompeur, une vieille coquette étale hardiment ses beautés d'emprunt, et sous un domino blanc ou rose, elle écoute les jolis propos d'un agréable tandis qu'à côté d'elle une jeune beauté sourit de se voir prise pour une prude déjà sur le retour.
Tant que le visage conserve son masque, l'esprit jouit de ses droits: on suit une laide spirituelle; on abandonne une beauté stupide: le masque levé, l'ordre est rétabli. Les uns cherchent à contenter leurs regards, les autres à satisfaire leur imagination: heureuses alors celles qui réunissent les charmes si séduisants de l'esprit et ceux de la beauté. Le mélange agréable des deux sexes, les ris, le badinage, des indiscrétions fréquentes, des méprises involontaires ou préméditées, cent misères charmantes enfin y deviennent intéressantes, et semblent se réunir pour dérider le front du misanthrope le plus austère. Le masque donne à l'esprit une aisance qui produit mille saillies plus vives les unes que les autres; on ne se ressemble plus à soi-même; on fait, on dit mille folies dont on s'applaudit en secret; la bruyante joie domine sur toute l'assemblée: Momus voltige parmi les rangs, et le seul aspect de sa marotte en écarte la raison.
Une foule de beautés semblaient être venues dans ce séjour enchanté, de toutes les parties de l'Univers, sous les habits de leur contrée. Mde. de Mélicourt n'avait pas laissé ignorer au Chevalier quel serait le déguisement de la Marquise, il n'y en avait point de plus élégant dans toute l'assemblée: le Chevalier l'eut bientôt démêlée parmi la foule des masques dont les salles étaient remplies. Il se fit connaître et ne manqua pas de dire qu'il l'avait devinée aux seuls mouvements de son cœur: la Marquise le crut bonnement et lui en sut gré.
Le bruit des instruments, le tumulte de l'assemblée, l'éclat des lumières, l'émotion que la danse excite dans tous les sens, enfin ce badinage léger et animé que le masque et l'incognito semblent permettre, échauffent les désirs et enflamment l'imagination par une gradation insensible. L'allemande commençait déjà à être de mode: cette danse grossièrement gaie auparavant, et analogue en cela au caractère de la nation, dont elle tire son origine, avait changé de nature aussi-tôt que nous l'avions adoptée. Une cadence vive et légère avait remplacé les bonds germaniques et lourds qui la caractérisaient primitivement. Le liant, la mollesse et la flexibilité dans les mouvements avaient succédé à la rudesse à la pesanteur et à la dureté. Elle imitait toutes nos affections agréables: voluptueuse, passionnée; lente, précipitée; nonchalante, animée; douce et touchante, légère et folâtre; c'était un Protée charmant à l'aide duquel on se transformait dans un instant sous mille formes séduisantes. Les attitudes en étaient si intéressantes, les bras s'entrelaçoient de tant de manières si heureuses, le corps, les mains pressées doucement, les regards vifs et languissants mêlés à tout cela, avaient quelque chose de si attrayant, que je ne serais pas surpris que bien des femmes eussent été amenées par ce moyen à une défaite dont auparavant elles ne se seraient jamais doutées.
Belmur et Madame de Migneville dansèrent ensemble; il lui proposa de quitter la salle; la Marquise abîmée de lassitude, enivrée d'amour, oublia qu'elle pouvait être remarquée et le suivit sans résistance. Ils descendirent dans le jardin et entrèrent dans des bosquets où ils s'égarèrent volontairement: ils se promenerent quelque temps comme pour chercher une issue qu'ils craignaient tous deux de rencontrer: le charme de la conversation du Chevalier fit trouver ce temps fort court à la Marquise: il l'engagea à se reposer sous un berceau écarté. La nuit était douce et un peu sombre; l'heure était critique; rien n'interrompait le silence de ces beaux lieux: les fleurs exhalaient une odeur délicieuse: la Marquise était fatiguée: elle s'assit en s'appuyant sur le bras du Chevalier, qui se plaça près d'elle. Jamais elle ne s'était rencontrée dans une circonstance aussi agréablement dangereuse: le contraste du fracas qu'elle quittait avec la solitude, le tête-à-tête et l'éloignement où elle se trouvait lui donnait une crainte timide, une tendre émotion qu'elle n'avait jamais senties. Après quelques propos aussi galants que rebattus, le Chevalier qui tenait sa main, y porta ses lèvres et y imprima un baiser de flamme: il s'approcha encore davantage et la pressa tendrement dans ses bras: sa résistance fut si légère qu'il hasarda un baiser sur son sein. -- Oh! pour le coup, Chevalier, vous prenez trop de libertés, et je commence à m'apercevoir à quel point je suis imprudente d'être venue ici seule avec vous; il est temps de rentrer. Le Chevalier lui fit quelques tendres reproches: ils se turent; elle lui serra la main: il tomba à ses genoux... Ils ne tardèrent pas à sortir du bocage. Cette soirée fut délicieuse pour la Marquise: le Chevalier l'aida à réparer le tendre désordre de sa parure. Ils rentrèrent la satisfaction peinte dans leurs regards. Madame de Mélicourt sourit en les voyant reparaître; quelques autres femmes sourirent de même, et avec plus de fondement qu'elles ne croyaient peut-être.
Ils eurent ensuite la facilité de se revoir autant qu'ils le désirerent; ils en profitèrent sans ménagement, et le dégoût succéda bientôt à des souhaits si aisément satisfaits. Belmur fatigué d'une possession trop tranquille, eut la malhonnêteté de rompre le premier: il eut des successeurs: les uns quittés aussi subitement qu'ils avaient été pris; les autres conservés seulement autant de temps qu'il en fallait pour dire qu'on les avait eus, tous amoureux sans passion, transportés sans désirs, comblés de l'excès de leur félicité sans avoir la faculté de la sentir, cherchant l'éclat et non le plaisir; tous volages, inconséquents, vains et indiscrets, et se souciant peu d'obtenir des faveurs qu'on aurait ignorées. Le Marquis de Migneville ne tarda pas à s'apercevoir de ce changement: il connaissait Madame de Mélicourt: il savait qu'elle aimait à obliger: la liaison de cette femme avec la Marquise l'inquiéta; il ne faisait cependant que conjecturer. Une rencontre assez singulière lui dessilla entièrement les yeux.
La Marquise avait alors le jeune Dorville, le plus grand étourdi, le plus indiscret petit-maître de Paris. Un jour que le Marquis promenait ses inquiétudes dans un jardin public, il l'aperçut à quelques pas de lui parlant avec un ami: le vieux Migneville pouvait les entendre, et il les entendit en effet: cet ami faisait la guerre à Dorville sur la difficulté de le rencontrer depuis quelque temps; il le soupçonnait d'être amoureux et d'être aimé.
Dorville après s'être défendu faiblement en convint: cet ami le pressa vivement de lui faire la confidence toute entière. Dorville fit un étalage magnifique de beaux principes sur la discrétion, et refusa constamment de nommer la personne qu'il aimait.
Et le mari lui dit son ami, dis-moi, est-il jaloux? -- Pas tant à beaucoup près que nous le désirerions, car le plaisir de tromper un vieil argus rend celui de la jouissance mille fois plus piquant. Au reste, ajouta-t-il, en allant vers son carrosse, je te quitte dans la crainte que tu me devines: je t'en ai peut-être déjà trop dit, et je déteste les indiscrétions; d'ailleurs il est six heures, et je conduis ce soir ma déesse à l'Opéra en petite loge: chez Madame de Migneville, cria-t-il à ses gens. Son ami l'entendit et rentra dans le jardin en riant comme un fou de cet excès de discrétion: le vieux Marquis l'avait entendu de même; il fut accablé de cette certitude funeste. Il ne balança pas cependant à se déterminer sur le sort d'une femme qu'il avait adorée, et qui peut-être lui était encore chère. Dès le lendemain, le cœur déchiré par la tendresse et la douleur, il prit la plume et traça ces mots que lui dictait un reste d'amour pour la Marquise.
“Je vous ai épousée, Madame, dans l'intention de vous rendre heureuse; vous n'avez répondu à mes desseins que par une ingratitude affreuse: j'aime mieux cependant vous devoir mes malheurs que d'avoir à me reprocher les vôtres, et je n'userai pas de l'autorité que les lois me donnent. Soyez libre; jouissez de la moitié de mes biens, mais ne nous voyons plus: vous ne serez pas toujours jeune; puissiez-vous quand vous approcherez de mon âge, puissiez-vous, pour vos indignes procédés envers un homme qui vous adorait, éprouver la honte et l'horreur qu'il y a de se voir jouer par un enfant, et par un enfant qu'on aime.
La Marquise était à sa toilette quand on lui apporta cette lettre.
Dorville était avec elle... Une lettre du Marquis! De mon mari...
Comme cela sera tourné! Le bonhomme! Lisez-moi cela, Dorville; il faut nous en divertir un moment.
Il lut à haute voix: M. de Migneville est un homme merveilleux, dit-il en finissant; tous ses billets du matin sont-ils de ce style? L'aventure est folle; elle est unique: je suis comblé d'y être pour quelque chose et je vais la conter partout. D'honneur Paris serait trop charmant si tous les maris voulaient imiter le vôtre.
Il partit comme un éclair et laissa la Marquise absorbée dans une rêverie profonde. Le procédé généreux du Marquis l'étonna beaucoup; elle en fut émue pour le moment; un sentiment de douleur et de repentir s'éleva dans son âme: elle se surprit à répandre des larmes. Que je suis bonne, dit-elle à la fin! Je m'afflige tandis que je devrais me livrer à la joie la plus vive: je suis libre; je suis riche; je suis heureuse.
Une seule inquiétude lui restait, c'était de savoir quel usage elle ferait de sa liberté. Mille circonstances lui rendaient le séjour de Paris infiniment désagréable. Dans son incertitude elle se fit conduire chez Madame de Mélicourt: elle la trouva triste et occupée des apprêts d'un voyage inattendu. Il faut nous séparer, ma chère Marquise, lui dit Madame de Mélicourt en l'embrassant: je serais accablée de cette séparation si je ne vous savais heureuse. On me mande de *** qu'on doit y juger incessamment un procès dont le sort m'intéresse infiniment, et je suis forcée de m'y rendre sans délai. Madame de Migneville, après avoir un peu réfléchi, lui dit en riant: je veux être de ce voyage; je me charge de votre affaire: une solliciteuse comme moi ne pourra pas vous nuire.
Elle lui raconta sur le champ ce qui venait de lui arriver.
Madame de Mélicourt l'embrassa mille fois avec les plus grandes démonstrations d'amitié. Au reste, lui dit-elle, nous partons dès demain. A l'instant, si vous voulez; on m'a si souvent parlé de la Province et des espèces qui la peuplent, que je brûle de connaître ce nouvel Univers. Je vous laisse, mes apprêts ne seront pas longs: dans vingt-quatre heures je suis toute à vous.
Malgré cet excès de contentement la Marquise prête à quitter Paris, en regretta les délices: nous n'abandonnons jamais sans peine des lieux auxquels le plaisir nous a habitués; une sorte de tristesse se mêle alors à la douceur d'imaginer que nous allons voir d'autres objets. D'ailleurs, Paris est si attrayant! la Marquise y avait passé des jours si délicieux! Ils pouvaient renaître: et, pour satisfaire un vain mouvement de curiosité, elle s'exposait à périr d'ennui; car, comment peut-on vivre en Province?
Cependant espérant que le voyage serait court, et aussi peu capable d'éprouver de longues inquiétudes que de ressentir des plaisirs durables, elle eut bien-tôt oublié tous ceux qu'elle avait goûtés à Paris pour s'occuper uniquement de ceux que l'avenir semblait lui promettre.
Elles se mirent en route, et pendant le voyage, la Marquise éprouvait toujours une surprise nouvelle à chaque objet nouveau que la nature offrait à ses regards: les choses les plus ordinaires la frappaient également: elle s'était attendue à ne rien voir qui ressemblât à ce qu'elle connaissait déjà; mais c'étaient toujours des Villes riantes, des environs charmants et des campagnes fertiles et bien peuplées. Les habitants sur-tout l'amusaient fort.
Elle trouvait à ces bonnes gens l'air un peu étranger; mais ils lui paraissaient contents: ils riaient, ils chantaient, et leurs travaux, où nous ne voyons que la fatigue, n'étaient pour eux qu'une occupation.
Quel beau pays, disait-elle; les bonnes gens! C'est un meurtre qu'ils ne sachent pas profiter de ce que la nature leur prodigue si libéralement: ces bois, s'ils les tailloient en bosquets, en charmilles; cette rivière que nous voyons serpenter dans ce vallon, tantôt resserrée entre des rochers, tantôt ombragée par des tilleuls, que n'en forment-ils un canal qu'on orneroit de bronzes et de jets-d'eau: mais pas la moindre cascade, pas une statue, point de boulingrins ni de kiosques; toujours des torrents, des grottes, des fontaines naturelles, des bocages et des gazons qui sont venus d'eux-mêmes.
Voyez, ma chère amie, voyez ce paysage, ces hameaux et ces cabanes éparses sans ordre: cette vue qui s'échappe au loin entre ces collines; tout cet ensemble enfin approche-t-il de nos bosquets, de nos allées d'arbres, de nos perspectives et de nos campagnes si bien symmétrisées? Non, plus je voyage et plus je persiste à croire que le séjour que nous quittons est unique...
Mais que font ces deux hommes? L'un tout mouillé de sueur, anime et guide des chevaux harassés; ils traînent une machine qui m'est inconnue: l'autre, lourdement appuyé sur cette machine, marche dans un sillon qu'elle a tracé. Ils labourent, dit Madame de Mélicourt. Ah! ils labourent; je m'en étais un peu doutée: voilà donc le labourage!
Il y a si long-temps que j'étais curieuse de voir labourer! Voilà ce dont j'ai raisonné tant de fois! Ce dont tant de livres m'ont excédée si souvent! Je l'avoue, ma chère amie, j'en sais plus depuis un moment, que tous ces livres ne m'en ont appris: au fond c'est bien peu de chose que cette agriculture dont on fait tant de fracas, et je n'aurais jamais deviné que le pain venait si naturellement: cependant ces hommes me font peine; ils reçoivent sans doute des récompenses proportionnées à leur travail. -- Bon, des récompenses! Quelle plaisanterie! Ils ne connaissent rien: ils n'ont rien à désirer, et dussent-ils périr sous le fardeau de leur misère; ils ne doivent exister qu'autant qu'ils nous sont utiles: le travail et l'indigence, c'est leur partage. La Marquise l'interrompait pour s'amuser d'avance des originaux qu'elle allait trouver à Ces gens n'ont rien vu, rien entendu, disait-elle: ce sera, je crois, de bonnes figures avec leur air d'extase dès qu'ils nous verront paraître: je vois tout cela d'ici. Ah! quelle sensation nous allons faire! Ces paupres Campagnards! Qu'ils seront aises de nous voir! On dit qu'ils ont le cœur bon, quoique les manières un peu sauvages. -- Nous les civiliserons, disait Madame de Mélicourt. Comme on écoutera les moindres choses que nous dirons, reprenait la Marquise! Comme nous allons être admirées des hommes! Comme les femmes vont nous détester! Que je vais faire de jalouses! Pour moi je veux bouleverser toutes leurs modes gothiques; changer leurs usages, leur façon de se mettre, de se coiffer, corriger leur langage, introduire les jeux nouveaux, et bannir sans ménagement tout ce qui n'aura pas été imaginé d'hier. J'ai pris toutes les brochures du jour; ces ouvrages intéressants ne leur parviennent que lorsqu'on en est las à Paris; ils seront comblés de les avoir une fois dans leur nouveauté. Mais, ditesmoi, sans doute on est déjà prévenu de notre arrivée: on en parle beaucoup, n'est-ce pas? Il serait très-plaisant qu'on vînt nous complimenter. Que nous allons occasionner de caquets! On m'a assuré que toutes ces Villes de Province étaient divisées en plusieurs partis, et que les jolies femmes étaient à la tête de chacun: j'espère bien que nous aurons le nôtre. Une chose m'afflige, cependant; c'est que nous aurons l'air de gens de l'autre monde quand nous reviendrons à Paris: tout sera changé, les modes, les usages, les expressions: l'étude des nouveaux plaisirs et des derniers goûts, nous coûtera presque autant que si nous étions Provinciales nous-mêmes.
Par ces remarques judicieuses et solides, et par d'autres semblables, les deux Voyageuses s'efforçaient de charmer les ennuis de la route. Cependant, Madame de Mélicourt un peu plus instruite, souriait quelquefois de la prévention de la Marquise; mais elle ne la détrompoit pas afin de mieux jouir de son étonnement.
Elles passèrent le même jour par un village où la nuit, qui commençait à tomber, les obligea de s'arrêter.
Il n'y avait aucune Auberge: une Paysanne encore fraîche et de bonne mine les invita d'une manière honnête à descendre chez elle: cette femme était engageante; elles s'y déterminèrent volontiers: sa maison était propre et simple, comme on peut croire; un jardin qui en dépendait, les engagea à se promener: elles y admirèrent la nature dans toute sa beauté; des arbres chargés de fruits, des espaliers qui invitaient l'œil et la main, des allées étroites, mais tapissées d'un gazon vert et peu foulé, quelques ombrages formés par des noisettiers, des carreaux de légumes, des couches bien alignées et couvertes de toutes sortes de primeurs, voilà les agréments simples et naturels de ce lieu champêtre. Dans un coin de ce verger, une jeune fille, unique enfant de la Fermiére, cultivait une espèce de parterre composé de quelques plates-bandes; elle avait à peine quinze ans: la fleur de cet âge brillait dans tous ses traits; deux grands yeux noirs qui ne devaient pas être muets dans le tête-à-tête, au-dessous desquels étaient écloses sur chacune de ses joues, deux roses vermeilles dont la rougeur pâlissait vers les extrémités; plus bas une bouche enfantine, dont le moindre souris embellissait ces joues d'une petite fossette; des grâces naturelles, naïves et timides, telle était Toinette: elle se plaisait à considérer les différentes couleurs dont ce parterre était nuancé: c'était son ouvrage; ses mains déjà accoutumées au travail, en avaient distribué les compartiments avec plus de goût que de symétrie; elle y avait conduit industrieusement un filet d'eau qui les rafraîchissoit sans cesse. Les Dames s'extasierent beaucoup sur ce petit ouvrage, et lui firent quelques agaceries auxquelles elle répondit avec une naïveté qui les amusa infiniment.
Elles rentrèrent dans la Ferme et elles allaient souper quand elles virent arriver un Paysan frais et robuste suivi d'un jeune homme grossièrement vêtu, mais de bonne mine: ils saluèrent les deux Dames à leur façon: elles les reconnurent pour ces Laboureurs qu'elles avaient remarqués à peu de distance du village.
La Fermiére quitta tout pour aller embrasser le plus âgé: elle essuya la sueur qui coulait de son front; ensuite elle lui présenta un breuvage rafraîchissant, et il parut oublier toutes ses fatigues.
L'accueil que cette femme faisait à son mari avait quelque chose de touchant: cela ne parut que plaisant à la Marquise. A l'instant la petite fille arriva; elle sauta au col de son père: on lui dit deux mots, puis on fit avancer le jeune homme: on apprit qu'il avait dix-huit ans, qu'il était du Village et depuis un an garçon du Fermier. On le trouva très-grand et très-bien fait pour son âge.
On le fit marcher; on le fit tourner; on admira sa taille et sa jambe, qui ne laissaient pas de paraître sous des habits grossiers. Madame de Migneville lui trouva l'air mâle, et dit que c'était dommage qu'il ne fût pas à la ville: pendant cet examen la bonne femme recommandait à Colin de se tenir droit et de n'être pas honteux; mais sa rougeur et son embarras décelaient toute sa timidité. Madame de Mélicourt le tira de peine en faisant servir le souper. La Marquise voulut être servie par Colin, qui s'y prêta de meilleure grâce qu'elle n'en avait attendue d'un Paysan.
Les lits furent trouvés passables; mais l'habitude de sommeiller mollement sur le duvet, les empêcha de se livrer pour long-temps au repos.
Aussi-tôt que le jour commença à poindre, elles se levèrent. Après quelques tours de jardin elles allèrent s'asseoir sous des noisettiers en attendant l'heure du départ. La tranquillité de ce séjour fit soupirer la Marquise; le calme régnait encore dans toute la Ferme; mais on commençait à entendre le chant des oiseaux et les cris des animaux domestiques. Ce premier moment du matin dispose l'âme aux réflexions, et l'imagination reposée s'y livre sans effort.
Quelle joie pure règne dans toute cette famille, dit Madame de Migneville! Cela me confond. Nous n'avons point d'idée de ces plaisirs là; nous ne voyons même rien de semblable chez les Paysans qui environnent la Capitale. Cette chaumiére est-elle privilégiée? Ou bien toutes celles de ce hameau lui ressemblent-elles?
Oui, dit Madame de Mélicourt; cette tranquillité que vous admirez tant, est universelle dans ce hameau; nous avons rendu méchants et fins les Paysans qui entourent Paris; la bonhomie de ceux-ci vient de ce qu'ils sont rarement victimes de l'injustice et de la force: d'ailleurs ils ne voient qu'eux dans l'Univers; leur cabane est pour eux toute la terre; ils ne courent point après les jouissances et eux seuls jouissent. Cette enfant dont hier nous considérions le travail, est heureuse; elle ne s'occupe que des objets que la nature a mis sous ses yeux; son imagination ne cherche pas à pénétrer au-delà de ce qui l'entoure; le penchant quelle a pour le plaisir lui tient lieu de raison; et parmi les plaisirs, elle ne connaît que ceux qui sont à sa portée: en développant ses idées, en lui montrant d'autres jouissances, on lui préparerait des regrets.
Elles philosophoient encore sur ce ton quand elles la virent entrer dans le verger: elle portait au bras un panier de fleurs; elle avait l'air inquiet, et paraissait chercher quelqu'un: bientôt elles aperçurent un jeune Paysan qui venait à elle par un chemin différent. Elles étaient cachées par des noisettiers et, sans être vues, elles pouvaient tout voir et tout entendre.
Croyez-vous, dit la Marquise que ce rendez-vous soit bien innocent?
Est-ce une chimère enfin que l'aimable simplesse de ces bons villageois?
Vous convenez, sans doute, que ces deux enfants... A propos, j'aime beaucoup l'ardeur qu'elle avait hier à cultiver les fleurs qu'elle apporte aujourd'hui à son galant. Nous allons voir de belles choses. Mais n'est-ce pas Colin, le garçon du Fermier? Justement, c'est lui; la charmante candeur! ses Maîtres le croient à l'ouvrage, il vient en conter à leur fille: oh! suivons cette aventure-ci.
Madame de Migneville triomphait; elle n'aurait pas sitôt cessé de parler, si le plaisir d'entendre une conversation aussi intéressante ne l'eût fait taire. Tu parois bien las, dit la petite à Colin; d'où viens-tu si matin? -- De commander des chevaux à la poste, répondit il; car les Dames veulent partir de bonne heure: et toi-même, Toinette, pourquoi es-tu si-tôt levée? Pour qui ces beaux bouquets si bien arrangés? -- Pour les Dames aussi; elles ont pris plaisir à les voir hier dans mon jardin, et je les cherchais ici. -- Iu ne me cherchais donc pas, Toinette? -- Non, mais je suis bien-aise de t'avoir trouvé.
Comme ils s'approchaient de la retraite des deux Dames, elles se montrèrent: elles prirent les bouquets de la jeune fille, qui paraissait enchantée. Je vous laisse, dit alors Madame de Mélicourt; je vais donner des ordres pour notre départ: Toinette la suivit. La Marquise fit rester Colin: elle venait d'avoir l'idée la plus folle et la plus singulière et elle voulait la réaliser; c'était d'essayer sur lui le pouvoir de ses charmes et de voir jusqu'où allait la sensibilité d'un homme de cette espèce.
Il était resté droit le chapeau à la main; elle le fit asseoir près d'elle.
Tu as sans doute une maîtresse, lui dit-elle; et je suis sûre qu'elle est jolie? Colin répondit par un gros soupir. Tu soupires, est-ce que tu n'es pas content de ton amoureuse? Eh bien! Il faut l'abandonner et en choisir une qui soit plus jolie et plus complaisante: avec ta figure et un peu d'assurance, je te réponds que tu seras aimé. Colin ne répondait mot; mais ses yeux embarrassés et distraits disaient très-intelligiblement que ces avances ne faisaient que l'importuner. Tu n'es pas fait pour la campagne, continua la Marquise, viens à la Ville; je serai ta Maîtresse et tu seras mon serviteur: j'aurai de l'amitié pour toi, mon cher Colin, et tu te plairas sûrement avec moi.
Mais tu ne dis mot; mes offres te déplaisent-elles? Non, Madame,... non;... mais je vois là-bas Toinette. -- Je t'entends, vas la rejoindre. Colin partit comme un trait.
Au fond, se dit la Marquise, je m'attendais bien à ce qui vient d'arriver, et j'en suis comblée. J'aurais été fort embarrassée seule ici avec ce balourd s'il avait été moins stupide; car mon idée était extravagante, et je suis trop heureuse qu'il ait pris le change. Elle continua sa promenade en rêvant à l'insensibilité de cette classe d'êtres malheureux. Sa rêverie la conduisit près d'un berceau où elle entendit parler. La curiosité la fit approcher; elle écarta doucement quelques branches, et aperçut avec le dépit le plus violent, Colin, l'insensible Colin, aux pieds de Toinette. On aurait pu croire que le hasard seul les avait conduits dans cet endroit écarté, si la joie qui les animait ne les eût décelés. Colin lui racontait comment la Dame de Paris avait voulu l'emmener en servage à la Ville et le rendre bien content, et comme il l'avait refusée afin de ne pas se séparer d'elle. Toinette pleurait de joie à ce récit; elle paraissait craindre qu'il ne se laissât séduire par de nouvelles offres: il la rassurait, non par des serments, non par des protestations, mais par un regard mille fois plus expressif: une fleur placée de sa main sur le corset de Toinette, et puis reprise avec transport; une offense légère faite à dessein d'être querellé et pardonné; peut-être quelques baisers, mais plutôt surpris que donnés; tels étaient les plaisirs qui leur abrégoient les moments. La Marquise ne put s'empêcher de faire de tristes réflexions sur la différence de l'amour qu'elle avait jusqu'alors senti et inspiré, et de la tendresse naïve et sincère de ces deux enfants. Elle devina par la suite de leur conversation, que les parents de Toinette ne voulaient pas la marier avec Colin, parce qu'il était pauvre. Avec un esprit corrompu, elle avait cependant l'âme bonne et généreuse, il lui vint une idée de bienfaisance qu'elle résolut de réaliser sur le champ.
Elle retourna à la Ferme, et ayant assemblé toute la famille, elle demanda au bon Fermier et à sa femme pourquoi ils refusaient de marier les deux enfants; ils sont d'accord, continua-t-elle, n'est-ce pas là l'essentiel? -- Non, Madame, non, répondirent les bonnes gens; nous ne cherchons qu'à rendre notre fille heureuse: Colin travaille bien et ferait un bon ménage, mais il n'a rien; s'il avait eu seulement quelque petit bien en sa possession, pour lui rendre la vie douce et à notre Toinette...
Eh bien! Colin n'est pas si pauvre ni si abandonné que vous croyez; il l'a ce bien que vous désirez. -- Ah! Madame, c'est bien inutile de leur mettre ces pensées-là dans la tête; nous savons qu'il ne possède rien, et Toinette n'en a pas assez pour tous deux. -- Il a cent louis à lui donner, reprit Madame de Migneville; si cela vous convient, faites venir le Notaire. Les jeunes gens étonnés à l'excès, pleurant de sensibilité, embarassés, inquiets, et comblés à la fois, s'étaient jetés à ses genoux, et baignaient ses mains de leurs larmes. Elle leur apprit comment elle avait surpris leur secret. Je ne peindrai ni le ravissement du père et de la mère, ni les transports de Colin, ni la satisfaction douce et timide de Toinette. Le Praticien arriva, et le contrat fut conclu avec un plaisir presque égal de tous les côtés. Enfin, après avoir embrassé les futurs époux, les Dames partirent comblées des bénédictions de cette heureuse famille.
On était au milieu de l'été, et pour éviter la grande ardeur du soleil, elles partaient toujours fort matin. Le lendemain, qui était le dernier jour de leur voyage, elles se levèrent beaucoup avant l'aurore pour profiter plus long-temps de la fraîcheur d'une belle matinée. L'aube qui commençait à blanchir le sommet des montagnes leur préparait le spectacle le plus agréable, et l'on n'aurait pu désirer une situation plus heureuse pour en jouir complètement. Elles étaient sur une élévation vis-à-vis d'un coteau qui leur cachait encore le soleil: une vaste rivière répandue sur le fond vert de la prairie, se perdait dans l'éloignement en paisibles replis: mille hameaux, mille palais champêtres dispersés avec ce désordre négligé de la nature, infiniment supérieur à l'aride symétrie de l'art présentaient le tableau le plus riant. On apercevait plus loin les débris majestueux d'un ancien aqueduc, monument presque immortel des travaux opiniâtres du peuple le plus laborieux de la terre. Ces ruines antiques entourées d'arbres presque aussi vieux étaient tellement confondues et mêlées avec les productions de la nature, qu'on aurait pu les prendre pour l'ouvrage de la nature même: elles achevaient de rendre ce point de vue peut-être unique dans l'univers. Cette belle perspective était terminée par une grande Ville qui s'élevait en Amphithéâtre, et de loin paraissait sortir du sein des eaux et lu fond des forêts. L'aspect en fut d'autant plus agréable aux deux Parisiennes, qu'elle leur offrait le terme de leur voyage: elles s'occupaient de la beauté de ce pays, quand un spectacle mille fois plus magnifique attira toute leur attention.
Le Ciel ne brillait encore que d'une demi-clarté; il allait être jour: l'aurore souriant et colorant les nuages, éveillait les oiseaux cachés dans l'épaisseur des taillis: on les entendait se plaindre d'amour du fond de leur retraite; leur gazouillement et le bruit d'un vent frais qui agitait doucement les feuillages interrompaient seuls le silence qui régnait dans toute la nature. Déja un feu plus éclatant efface la lumière douce et tremblante qui précède le soleil; des nuées brillantes et enflammées, de longs flots de matière argentée annoncent l'astre du jour; l'horizon en est pompeusement enveloppé. L'onde les reproduit et semble renfermer de nouveaux cieux entre ses rives: le soleil ne paraît pas encore, et cependant l'œil ne peut fixer le centre d'où cette vive clarté étincelle. Mais bientôt les plus hautes montagnes s'abaissent devant lui et laissent un jeu plus libre à ses rayons: un point de son globe éclate; il paraît s'élever avec une lente majesté: il brille enfin de toute sa splendeur et donne la clarté et la vie à l'Univers.
La nature présente des objets si grands et si merveilleux, que l'imagination, même la plus blazée ne peut s'empêcher de les admirer. Ce spectacle était absolument nouveau pour la Marquise, qui n'avait jamais vu lever le soleil qu'à l'Opéra: transportée d'admiration et de surprise de ce qu'on s'en privait volontairement; elle fut tentée de demander si le lever du soleil était aussi beau à Paris.
Enfin l'instant si long-temps désiré arriva: la Marquise s'était attendue que son entrée ferait une sensation prodigieuse; on ne s'en aperçut même pas: elle en fut intérieurement piquée, et dès cet instant elle augura mal de son voyage.
Cependant, après quelque séjour, elle fut forcée d'avouer que l'idée qu'elle s'était faite de la Province n'était pas exactement juste: elle y trouvait même, à proportion, moins de personnages ridicules qu'à Paris; cependant elle témoigna à son amie le dépit qu'elle avait du peu d'attention qu'on faisait à elle. Il faut vous tirer d'erreur, lui dit celle-ci, vous ne connaissez la Province que par quelques Comédies chargées, ou par les portraits que vous voyez dans les Romans de quelques originaux, ou très-rares, ou qui n'ont jamais existé; mais vous êtes exactement ici comme à Paris, à quelques ridicules près de plus ou de moins de part et d'autre. Oui, des ridicules: je conviens qu'on ne trouve autre chose ici. Voyez-vous comme les charmantes de la Ville s'efforcent de nous copier?
Avez-vous remarqué leur gaucherie, leur ignorance? Quant aux hommes, il y en a d'assez agréables, de jolis; il faut que je m'en amuse.
L'affaire qui avait amené Madame de Mélicourt à *** n'était point prête à se terminer comme on le lui avait mandé; de nouvelles contestations survenues, selon l'usage, en retardaient la décision. Madame de Migneville lui persuada de faire des connaissances: elle s'y détermina sans peine, et elles furent bien reçues partout. Il y avait dans cette Ville une femme qui à la plus belle figure joignait toutes les qualités du cœur et de l'esprit: veuve à vingt-cinq ans, aimée, estimée de tous ceux qui la connaissaient; adorée du Comte d'Elcourt, pour qui elle avait le plus tendre attachement et à qui elle devait dans peu être unie: Mélanide jouissait d'une félicité parfaite.
Madame de Migneville entendait dire tant de bien de cette femme, on lui répétait si souvent son éloge, qu'elle en fut excédée. Voyons, dit-elle avec humeur, voyons cette merveille tant vantée. La coquetterie n'est pas toujours une suite du dessein de plaire, et bien des femmes goûtent moins de douceur à inspirer les passions les plus vives qu'à exciter le dépit et la jalousie des femmes qu'elles effacent. Tel était le sentiment qui animait en ce moment la Marquise.
Mélanide réunissait tous les talents; elle touchait plusieurs instruments avec toute la précision et la légèreté imaginables: elle avait la voix si belle et chantait avec tant de goût, qu'on oubliait le plaisir de la regarder pour celui de l'entendre. Elle fut invitée à un concert particulier dont Madame de Mélicourt et Madame de Migneville devaient être: ce concert avait encore fourni un nouveau sujet de surprise à la Marquise: Elle n'aurait jamais soupçonné qu'on chantât en Province. Instruite qu'elle devait se trouver avec la femme la plus belle et la plus aimable de tout ***, elle n'épargna rien pour l'éclipser. Quant à Mélanide, parée de sa seule beauté, au lieu de recevoir de ses ajustements des agréments nouveaux, elle semblait leur en communiquer elle-même; et si la Marquise eut le plaisir d'attirer un moment les regards par l'éclat de sa parure, elle éprouva bien-tôt le dépit mortel de les voir fixés par les seuls attraits de Mélanide.C'était un Concert particulier: les Amateurs ne dédaignaient pas d'y exciter l'émulation des Musiciens de profession, et les femmes toujours sûres de vaincre dans tous les genres d'agrément, leur disputaient à leur tour l'avantage, soit par le chant, soit par les instruments: il en est un que la mode a consacré à bien juste titre: instrument harmonieux dont les tendres accords lorsqu'une main savante les emploie à propos, se communiquent à notre âme et excitent en nous le plus doux frémissement. Il n'en est point dont les sons s'unissent plus heureusement à ceux de la voix. L'attitude qu'il exige prête un jour si favorable aux grâces qu'il semble avoir été inventé par les grâces mêmes. L'élégance d'une taille légère, un bras arrondi, des doigts bien proportionnés qui se promènent avec aisance sur les cordes de l'instrument, un joli pied qui en presse délicatement les ressorts, deux beaux yeux dont l'expression se joint aux douces inflexions de la voix, un sein qui s'avance et dont le mouvement est tantôt suspendu, tantôt précipité, toutes les beautés enfin, se développent sans affectation, et tandis que l'oreille est délicieusement attachée par la Musique, les yeux s'arrêtent avec transports sur la Musicienne: après les charmes de l'esprit et de la beauté, je n'en sais point de si propres à nous séduire que les sons mélodieux d'un gosier flexible et délicat unis aux célestes accords de la harpe. Mélanide jouait parfaitement de cet instrument, elle s'accompagna dans un air extrêmement tendre avec tout le succès possible.
La musique émeut et dispose insensiblement l'âme à la tendresse. La Marquise l'éprouva: elle avait quitté un Whist pour mieux entendre et de l'œil de l'envie, elle suivait les moindres mouvements de Mélanide. Elle s'aperçut qu'elle puisait dans les yeux de d'Elcourt toute l'expression qu'elle donnait à ce qu'elle chantait: elle le fit remarquer par un signe au Marquis de Saint-Ange, qui nonchalamment accoudé sur le clavecin, marquait la mesure en balançant complaisament sa tête sur ses épaules, et frédonnoit d'un air d'approbation le morceau que l'on exécutait.
Madame de Migneville l'appela et lui fit part de tout ce qu'elle entrevoyait. Saint-Ange sourit: comment la trouvez-vous, lui demanda-t-il à demi-voix et d'un air distrait?
Eh! mais, passable: oui, pour une Provinciale elle est assez bien: je sais des femmes dont on parlait à Paris et qui n'étaient guère mieux que cela. Et puis après quelque examen, elle a du tein, des traits, une taille..... elle peut même frapper au premier coup d'œil; mais convenez que son maintien est des plus gauches: une grande figure de tapisserie assez bien taillée: et puis c'est tout. Quel ridicule assortiment de parure! Quelle affectation de ne mettre du rouge qu'autant qu'il en faut pour en être embellie! C'est peut-être tout ce qu'on m'en a dit de merveilleux qui me la fait voir à son désavantage: mais franchement elle perd tout à être vue de près: point de grâces. Et qu'est-ce qu'une femme sans grâce? -- Je ne voudrais pas vous contredire, Madame; mais en honneur, excepté vous, je ne vois point ici de femme plus remplie de grâce qu'elle. -- Oui des grâces affectées: mais point de comparaisons, mon cher Marquis. Et son esprit, il sera sans doute miraculeux comme sa figure: moi, je suis sûre d'avance que c'est une précieuse, ou qu'elle joue le sentiment: il lui manquera toujours cet air décidé; ce langage tranchant, ce regard assuré, ce ton agréablement léger qu'on ne peut prendre que dans la bonne compagnie. Vous autres Provinciaux, vous accordez, à bien peu de frais l'esprit et la beauté: aussi arrive-t-il presque toujours que ce qu'on a admiré en province paraît misérable à Paris. -- Ajoutez, Madame, pour mieux prouver la dépravation de notre goût, que l'admiration de la Capitale ne détermine pas toujours celle de la province. -- Tenez, Marquis, vous m'impatientez; vous n'êtes pas supportable avec vos préjugés: mais laissons tout cela: à nous entendre on croirait que cette femme est un objet bien intéressant. -- D'accord, Madame, finissons: car quelque bien que soit Mélanide, vous êtes moins que personne dans le cas d'en être jalouse.
-- Jalouse! Monsieur, l'expression est unique: jalouse me plaît infiniment: oui, Monsieur, j'en suis jalouse, et tout prévenu que vous êtes, vous m'avouerez qu'on ne peut lui pardonner d'être Provinciale. -- Madame, je ne puis à mon tour vous passer cette expression: Mélanide est de province, et n'est point du tout provinciale. Encore une fois, Monsieur, finissons: je n'entends pas toutes vos distinctions et n'ai nulle envie de les entendre.
Vous avez pu voir que cette femme me déplaisait souverainement, et vous deviez par égard autant que par équité être de mon avis: Saint-Ange se tut; Madame de Migneville un peu animée par cette querelle, chercha à se distraire par d'autres objets.
D'Elcourt était très-bien: elle fit une attention toute particulière à lui: Marquis, dit-elle encore à SaintAnge, apprenez-moi donc quel est cet homme que Mélanide regarde avec tant de satisfaction et qui la fixe si passionnément.
C'est le Comte d'Elcourt, dit Saint-Ange. -- Sa figure me plaît beaucoup.
Comment sont-ils ensemble? -- Madame, on dit qu'il l'adore. -- On adore donc en Province: je veux le connaître: vous me le présenterez, entendez-vous. Cette précaution de Marquise ne fut pas nécessaire.
D'Elcourt la trouvait comme mille autres femmes: mais, par une coquetterie que les femmes mêmes n'ont point, et qui n'appartient qu'aux hommes, il eut grand soin quand elle jeta les yeux sur lui, d'affecter un air d'admiration et de surprise; de la fixer quelques instants, et puis si elle le regardait de nouveau, de retirer tout-à-coup ses yeux comme s'il ne faisait que s'en apercevoir, de les reporter encore sur elle d'un air avide et frappé: tout cela voulait dire: vous êtes la plus belle femme que j'aie jamais vue. Je suis réellement étonné de votre éclat. Je veux inutilement vous cacher l'impression que vous faites sur moi: mais regardezmoi un peu, et songez un peu à moi, car je vous regarde beaucoup, et ne songe qu'à vous seule. D'Elcourt ne pensait rien de tout cela: mais il savait l'effet que produit sur une femme ce petit manège, et qu'elle a une pente toute naturelle à payer de réciprocité quelqu'un qui à la première vue l'adore sans balancer. Soit hasard, soit dessein, il s'approcha de la Marquise: on chantait dans ce moment un beau duo de Lagarde encore fort rare: elle montra quelque envie de l'avoir: d'Elcourt avec qui elle venait de s'entretenir de choses indifférentes, demanda la permission de le lui apporter le lendemain et l'obtint aisément.L'amour exclut toutes les passions ou du moins il les assujettit sans peine; j'en excepte l'amour-propre qui tue l'amour même: le Comte démêla sans peine qu'il avait plu à la Marquise; il en fut flatté quoique sincèrement attaché à Mélanide: les agréments et même les caprices de Madame de Migneville lui promettaient quelques moments délicieux: d'ailleurs une petite querelle survenue entre Mélanide et lui, telle qu'il y en a sans cesse entre les amants, même les mieux unis, acheva de le décider.
Cette Marquise, se dit-il, n'est qu'une jolie folle: mon cœur ne risque rien avec elle; Mélanide le possède tout entier quelque injuste qu'elle soit; et sans lui manquer je puis bien satisfaire un goût passager: elle vaut cent fois mieux que la Marquise: mais sa vertu trop austère me contraint à voiler les désirs qu'elle fait naître: l'autre ne donne pas, je pense, dans les visions de l'amour Métaphysique, et quoique mon cœur n'y soit pour rien, je puis goûter plus d'un plaisir avec elle et m'écarter d'une fidélité scrupuleusement romanesque.
Sur ces beaux raisonnements il se rendit chez la Marquise: elle en fut enchantée.
Vous êtes charmant, lui dit-elle; je ne comptais plus vous voir: j'étais engagée à une partie fort agréable et j'allais sortir: mais je romps sans peine tous mes engagements. Madame, répondit d'Elcourt, je sens tout le prix de ce sacrifice; mais ce serait être indiscret et importun.....
-- Il est vrai, Monsieur, mais vous m'importunerez jusqu'au soir: je vous donne le reste du jour; j'envoie dire que j'ai la migraine et que l'on ne compte point sur moi. Ils donnèrent un instant au Duo qui était le prétexte de la visite: on décida en deux mots de la musique et des paroles: on ne manqua pas de dire que les grands airs et les éternelles psalmodies de ce qu'on appelle l'Opéra François étaient bien au-dessous des jolies Ariettes et des frédons charmants de l'Opéra-Comique. On abandonna bientôt ce sujet comme pour s'occuper de choses plus intéressantes: ne me trouvez-vous pas étonnante, dit la Marquise?
je vous sacrifie une partie charmante; et vous retiens pour toute la journée, c'est presque un rendez-vous. -- J'en serais comblé dit d'Elcourt. -- Vous n'êtes pas vrai, Comte, et je suis sûre que ces instants sont dérobés à Mélanide; tout le monde dit que c'est une merveille que votre Mélanide; et moi qui l'ai vue hier, je la trouve en effet très-bien: vous vous taisez, Comte, n'êtes-vous pas de mon avis?
-- Eh! Madame, laissons-là Mélanide; est-ce ici le moment de m'occuper d'une autre que de vous? -- Oui certainement quand c'est de Mélanide. Vous dissimulez avec moi; je sais cependant que vous êtes avec cette femme mieux que vous ne voudriez le laisser paraître, et je vous sais gré pour un moment de cette discrétion; soyez sincère, cependant: je veux être votre confidente: vous y consentez, n'est-ce pas? Est-elle bien tendre dans le tête-à-tête? Cette question paraissait faite pour amener une déclaration. D'Elcourt embarassé y répondit indirectement: ces plaisanteries lui reprochaient trop sensiblement ses torts avec Mélanide pour qu'il pût s'y prêter. Il s'efforçait de donner un autre tour à la conversation: mais la Marquise ne prenait pas aisément le change.
Votre Mélanide est surprenante, continua-t-elle: j'ai peine à croire tout ce qu'on m'en a dit: on m'a assurée que sa maison était d'un ordre, d'une régularité! Qu'on n'y passait jamais minuit: qu'on n'y jouait point ou qu'on y jouait très-petit jeu: qu'elle n'y recevait pas tout le monde indifféremment: que sa société était bornée à peu de connaissances; et qu'on n'y médisoit jamais.
Que sais-je? Mille choses fort ennuyeuses, sans doute, mais qui n'en sont pas moins exemplaires: ce serait la félicité suprême que de vivre avec une pareille femme. Elle servirait de bonne, de gouvernante à ses enfants; les nourrirait elle-même... C'eût été ma folie, à moi, de donner de mon sein à mes enfants leur première nourriture: Mélanide apprendra aux siens à parler, à lire... Eh!
Madame, dit d'Elcourt impatienté, ce n'est pas ce qu'elle pourrait faire de pis: quoi de plus respectable qu'une mère qui se donne toute à sa famille? En agir autrement, c'est pervertir l'ordre de la nature, et rien n'excuse une femme qui pouvant élever elle-même ses enfants les confie à des mains étrangères, pour ne s'occuper que de misères et de frivolités. Quelle sortie, s'écria la Marquise, en riant! Mais n'est-ce pas de la morale que vous venez de me faire?
Combien cette façon de penser vous rend respectable! Mélanide doit vous en savoir bien du gré. Depuis quel temps avez-vous cette femme, Comte? Six mois, un an? Non, vous n'auriez jamais pu y tenir si long-temps: une femme galante et coquette à l'excès vaut mille fois mieux qu'une prude de l'espèce de Mélanide: celle-ci ne vous fait partager que ses insipides langueurs et les bizarreries de son humeur; vous partageriez au moins tous les plaisirs de l'autre.
Quel supplice que tant de régularité!Le ton de cette conversation déplaisait infiniment au Comte: après avoir essayé plusieurs fois de la faire changer, il prit le parti de ne répondre qu'à l'extrémité. La Marquise à son tour vivement impatientée par ce flegme et ce silence, se leva et demanda son carrosse.
Vous sortez, Madame, lui dit le Comte? Ne m'aviez-vous pas promis votre après-dînée? -- Vous voyez qu'il faut peu compter sur nos promesses; je vais au spectacle, et vous m'y donnerez la main.
On venait de commencer quand ils arrivèrent; Mélanide fut le premier objet qui frappa leurs regards; sa présence fut pour la Marquise le sujet d'une joie immodérée, et pour le Comte un coup de foudre: souris affectueux, regards tendres, airs mystérieux, petits mots qui ne voulaient rien dire, enfin toute l'affectation imaginable fut employée pour persuader à Mélanide, et à tout le monde, que d'Elcourt était entièrement à elle. L'air satisfait de la Marquise perçait le cœur de Mélanide; d'Elcourt était dans un état mille fois plus affreux; quoique la Marquise pût faire, il se refusait absolument à ce manège elle en fut outrée, et son humeur ne tarda pas à éclater: elle trouva tout détestable; d'ailleurs, rien de nouveau; toujours les pièces antiques et surannées de l'éternel Corneille. Le parterre n'était pas bruyant; les femmes attendaient pour décider que l'Acte fût fini; autant eût-il valu assister à un discours Acdémique. Elle se plaisait cependant à voir le Théâtre inondé de part et d'autre de Militaires et des charmants de la Ville, qui allaient, venaient, et répétaient plus haut que les Actrices, ce qu'elles allaient réciter, empêchaient l'Acteur d'arriver jusque sur la scène, et l'applaudissaient avant qu'il eût ouvert la bouche: à cela près elle ne devinait pas comme elle avait pu de sang-froid venir s'ennuyer-là pendant trois mortelles heures, et elle protestait bien qu'on ne l'y retrouverait plus.
Le spectacle finit, et elle en sortit avec le dépit qui l'y avait conduite; mais avec le plaisir inexprimable d'avoir lu sur le visage de sa rivale tout le désespoir de la jalousie.
LA PARISIENNE EN PROVINCE.
OUVRAGE NATIONAL.
SECONDE PARTIE.
Que la vie d'une jolie femme est variée en apparence, et qu'elle est monotone en effet! De son lever à son coucher, sa journée est aujourd'hui ce qu'elle fut hier, et ce qu'elle sera demain. Arrachée aux charmes du sommeil, elle emploie un reste de matinée à cette première toilette, où ne président point encore les Coëffeurs avec leurs essences et leurs parfums; où un rouge effrayant n'efface point encore l'incarnat vif et naturel d'une belle peau; où la poudre et les diamants n'affaissent point encore une belle chevelure; où une gorge et une taille bien prises ne sont point encore emprisonnées sous une baleine flexible; où une peau odoriférente ne couvre point encore une belle main et le contour d'un bras bien arrondi; où enfin un panier gênant et ridicule n'achève point encore de la rendre entièrement méconnaissable. Cette première toilette, au contraire, que j'appellerais volontiers le négligé des grâces, d'où l'art paraît banni et dont l'art fait tous les frais, est remplie par les billets du matin qu'on reçoit et qu'on écrit, par les propos charmants de Cléon qui dit et fait cent folies, raconte la nouvelle du jour, ce qu'il a perdu ou gagné la veille, la rupture de Blamzé et de Lucile, à qui l'on demande son goût sur les étoffes de la saison, sur des garnitures, des rubans, de pompons; où on lit la nouvelle rochure, bonne ou mauvaise; où l'on parcourt quelques pages du Mercure, et où l'on prend du chocolat avec sa perruche ou son sapajou. On la quitte, cette toilette, pour aller répéter l'ariette nouvelle, et s'accompagner nonchalamment de sa harpe ou de son clavecin, on va un instant à son métier, on gronde ses femmes et son mari, on est servie; l'on abrège un dîner où l'on n'a que le récréant spectacle de ce mari et de ses enfants, et l'on vole à la toilette du soir. Aucun profane n'est admis aux mystères secrets de celle-ci. Nulle initiation; les enchantements et les opérations magiques qui rajeunissent des charmes presque flétris, qui embellissent la laideur, et à nos yeux blasés, donnent un nouveau prix à la beauté même: toutes ces ressources cachées, dis-je, redoutent les regards indiscrets.
Junie passe dans son salon, où dix hommes qui l'attendent, briguent l'honneur de lui donner la main: d'un mot elle règle le destin de cette foule d'esclaves: elle fait un tour de boulevards, s'arrête à une parade et se fait descendre aux Thuileries ou à quelque spectacle: il est commencé; elle entre avec fracas, et sort avant la fin, d'une manière encore plus bruyante. Elle vole chez Cloë, où elle est attendue pour un Cavagnole: tout en arrangeant ses tableaux elle fait rapidement l'histoire de sa journée; elle peint l'élégante voiture dans laquelle Livie a paru à la promenade; les diamants, la robe qu'elle avait, le ridicule de sa coiffure: elle joue, cependant, et perd peut-être des sommes qu'elle refusait durement le matin à un Créancier qu'elle ruine: elle n'a garde d'être affectée de cette perte: un souper succède: il est délicieux et poussé fort avant dans la nuit. Je ne sais quel feu anime les convives. Il semble que la gaieté échappée des chaînes où la contrainte l'a retenue tout le jour, cherche à se dédommager par une liberté illimitée: le ton de la bonne compagnie, ce ton qui ne s'acquiert point par l'étude et que l'usage seul peut donner, assaisonne tout ce qui se dit.
Un langage choisi, la finesse, la légèreté, la fleur de l'esprit et de toutes les connaissances font l'âme de ce souper: toutes les préférences, tous les égards, toutes les prévenances s'adressent à Junie: elle est jolie femme, et l'âge, le rang et la dignité doivent le céder à ce beau titre. On se retire, les uns comblés d'eux-mêmes et les autres enchantés de voir la fin d'une journée aussi pénible qu'ils ont remplie comme des mercenaires dont la tâche est prescrite et qui brûlent de la voir finir.
C'elle est la vie d'une jolie femme, et si quelques traits sont oubliés dans ce tableau, ce sont des brouilleries, des raccommodements, des infidélités et des retours; elle arrive de la sorte à quarante ans, et ne s'en douterait pas si la foule des adorateurs, plus sincères que son miroir, ne diminuait à vue d'œil, et ne lui apprenait irrévocablement une triste vérité.
La Marquise de Migneville était encore loin de cette époque fatale, et mille agréments pouvaient la rendre adorable, sans la funeste manie de vouloir tout subjuguer, tout anéantir, et paraître plus aimable et plus belle que tout ce qui était aimable et beau.
Les femmes connaissent parfaitement aujourd'hui tout ce qui appartient à la Littérature frivole, et elles en jugent en dernier ressort: petits vers, Romans, Drames, Politique même, tout est soumis à leur tribunal: les Journaux, cette heureuse invention au moyen de laquelle on peut se parer, sans beaucoup de frais, de l'esprit et des connaissances des autres, leur donnent la facilité de paraître instruites de tout, de prononcer sur tout, d'effleurer tout sans rien avoir approfondi. Et que d'hommes sont femmes sur ce point! D'ailleurs le prétendu esprit philosophique brille aujourd'hui de tout son éclat. La morale est à une époque qui marquera dans les fastes de la Philosophie. Tout le monde moralise; les Académies, les Cercles, les Théâtres retentissent de questions artistement métaphisiquées; mais oserai-je le dire? On n'a jamais vu moins de Philosophes que dans ce siècle de la Philosophie. Cependant quel abus n'a-t-on pas fait de ce beau titre en l'accordant à des hommes qui ne le méritaient pas?
Quelques opinions extraordinaires et hardies, une teinture superficielle de l'ensemble de nos connaissances, une affectation de sublimité, un mépris dangereux et affiché des sentiments de la multitude, peut-être l'art d'embellir, par un style enchanteur, les paradoxes les plus funestes; voilà, sans partialité, la base de la réputation de beaucoup de nos Philosophes modernes. Aveugles, qui n'ont pas compris combien il est affreux de détruire quand on manque de matéreaux pour réédifier! Qui, après avoir tenté de nous ôter notre premier guide, ne nous ont point appris qu'il existe encore une autre règle de nos devoirs, immuable, éternelle et entièrement indépendante du jugement des hommes...
Mais, quoi! Le charme opère aussi sur moi; plus ridicule et plus fou que tous nos Moralistes ensemble, j'ai pensé, dans un Roman faire un cours de Morale: il est temps que je m'arrête, et que je quitte le manteau de Diogéne pour le grelot de la folie.
La Marquise, comme on peut croire, faisait aussi de l'esprit. Un jour que le Marquis de S. Ange se trouvait chez elle avec d'Elcourt, elle dit au premier: qu'est-ce que cette brochure qu'on donne à un jeune homme de cette Ville? Une misère, Madame, un persiflage qu'on ne saurait lire. -- Comment! Cela est donc bien mauvais? Au delà de l'expression. -- Vous l'avez lue, sans doute, lui dit d'Elcourt? -- Non, assurément, et je vous jure que je n'en prendrai pas la peine; mais on devine aisément ce que ce doit être: quelques scènes mal assemblées; des portraits pris partout, ou qui ne ressembleront à rien; des descriptions, des figures, quelque satyre ennuyeuse et triviale; en quatre mots, voilà l'ouvrage, ou je ne m'y connais pas. Je n'ai pas de peine à vous croire, Marquis, continua Madame de Migneville; où voulez-vous qu'un Provincial ait appris à écrire, à parler, à connaître? Un bel esprit de Province ne peut rien produire de supportable, et ce n'est qu'à Paris que se trouve le bel et bon esprit. Vos Provinciaux ont peut-être du bon sens, du jugement; mais qu'est-ce qu'on fait avec du jugement et du bon sens? Vous, Marquis, vous devriez faire un Roman: je suis bien sûre que vous réussiriez. -- Moi, Madame!
Ah! je me connais trop pour jamais m'y hasarder: il faut, pour ces sortes d'Ouvrages, un esprit si Philosophique, des connaissances si transcendantes, un goût si exquis, il faut être si consommé dans l'art d'écrire et de penser!...
-- Eh bien, Marquis! N'avez-vous pas tout cela?
Pour moi, je vous crois trèsPhilosophe. -- Moi, Philosophe! Ah! Madame, je n'ai garde d'usurper ce beau nom: je conviens bien que j'ai ma petite Philosophie à part; mais c'est sans conséquence, et personne n'a moins de prétentions que moi.
Il doit cependant être bien agréable, reprit la Marquise, de dire: j'ai fait un Livre; et il me semble que l'Auteur d'un Roman qui s'est soutenu pendant quelques jours, doit en être bien fier. Il a fait ses preuves d'esprit, et il est désormais dispensé d'en avoir. Il s'est trouvé, malgré cela, dit Saint-Ange, des gens d'un goût assez dépravé pour prétendre qu'on ne trouvait dans les Romans qu'un rabachage fatiguant et monotone des mêmes situations présentées sous des formes un peu différentes, et cela est révoltant. -- Comment, révoltant!
C'est une chose qui crie vengeance.
Moi, je prétends que rien au monde n'est si nécessaire à la société que les Romans. Ils sont la carte du monde, et l'on n'y peut voyager sans les avoir lus avec attention. -- Ajoûtez, Madame, que c'est dans un Roman, et sur-tout dans un Roman moral que triomphe le génie et le goût. Quelle connaissance du monde! Quel art de varier son style selon les personnages qu'on met en scène, d'intéresser toutes les classes de Lecteurs!... Et surtout, interrompit d'Elcourt, tant de jolies femmes, pour qui une brochure nouvelle est le bonheur suprême; pour qui il est si agréable de l'avoir au sortir de la presse, d'en juger souverainement, de pouvoir dire la première: j'ai lu le Roman nouveau, je suis sûre qu'il est d'un tel Auteur... Malgré vos fades plaisanteries, Monsieur, reprit la Marquise, il n'est nullement facile de bien juger un Ouvrage et d'en deviner l'Auteur en le lisant.
Voilà précisément, dit Saint-Ange, où je prétends exceller: à reconnaître un Auteur à son Ouvrage, et je puis assurer que je me trompe rarement. Il en est beaucoup, répondit d'Elcourt, qui se sont fait un genre qui n'est qu'à eux, et dont le style apprend mieux le nom que le titre de leurs Livres: il en est un entre'autres dont la manière sombre et philosophique... Ah! Comte, n'allez-vous pas me parler de cet éternel Ecrivain, qui a fait et traduit des Romans de sept à huit volumes? La lecture d'un seul de ses Livres donnerait des vapeurs à la femme la moins délicate.
Ici je trouve ses Romans partout, tandis qu'à Paris on a sagement proscrit tout ce qui passe un volume ou deux, tout au plus; il n'est point de constance à l'épreuve de ces tristes Romans Anglois et de leurs insipides imitations. Je croyais, dit d'Elcourt, qu'on pouvait faire grâce à la prolixité en faveur de l'intérêt, de la beauté des détails et de la pureté du style: aussi, reprit Saint-Ange, je ne doute pas que l'Auteur ingénieux de Marianne, du Paysan parvenu, et de tant d'autres jolis Ouvrages, ne trouve grâce devant Madame.
-- Il est vrai, dit-elle, que j'ai lu avec un plaisir singulier tout ce qui est sorti de sa plume: ses moindres détails sont d'une finesse qui m'enchante. Et moi, répliqua d'Elcourt, j'avoue tout franchement qu'il est trop fin pour moi.
Si je veux, en le lisant, m'arrêter sur un trait qui m'a paru confusément joli, je m'aperçois que la pensée s'est évanouie et qu'il ne reste plus rien à mon imagination. Il a tant d'esprit que je n'en ai presque jamais assez pour le comprendre. En ce cas-là, Monsieur, vous ne goûterez pas davantage l'Auteur des Egaremens du Cœur et de l'Esprit, du Sopha, de Tanzai... -- Personne ne l'admire plus sincèrement que moi; cependant.... -- A propos, d'admiration, dit Saint-Ange dont l'imagination frivole et vagabonde passait rapidement et sans suite d'un sujet à un autre, c'est un phénomène qui mérite bien d'être admiré, que la différence incroyable qui se trouve entre le génie de cet agréable Ecrivain et celui de son père, de ce tragique célèbre que notre scène vient de perdre (*). Celui-ci a prouvé que notre théâtre déjà si supérieur à ceux des autres Nations était encore susceptible de ce tragique terrible et pathétique, de ces beautés sombres et effrayantes dont nos rivaux étaient si jaloux.
Celui-là a effleuré le sentiment avec tant de grâce et de légèreté, il a analysé le cœur humain avec tant de délicatesse... Qu'il a souvent donné dans le précieux, interrompit d'Elcourt: personne n'a développé le cœur des femmes avec tant de précision que lui; il les a peut-être mieux connues qu'elles ne se connaissent elles mêmes: mais pour trop les connaître, il s'est familiarisé avec leur manière de penser, de voir et de sentir: le cercle de ses idées s'est rétréci, et il est devenu aussi petit que beaucoup d'entre elles. Je me permets ces expressions devant Madame, parce que les agréments mêmes des femmes peuvent être des défauts dans un Ecrivain. Dès que vous êtes difficile à ce point pour un Auteur si généralement goûté, reprit la Marquise, vous n'aurez pas plus d'indulgence pour l'homme d'esprit à qui nous devons ces contes charmants où la morale est si adroitement mêlée à l'intérêt, qu'en ne songeant qu'à se distraire et à s'amuser, il arrive qu'on se rend meilleur. -- J'ai peine à convenir de ce dernier point, Madame, je regarde, au contraire, ces Contes comme très-dangereux. Le piège qu'ils cachent est d'autant plus à craindre, qu'il est plus adroitement couvert de fleurs, et qu'on se doute moins du péril: il est vrai que la vertu y paraît toujours le principal objet; mais on lui donne une forme si rebutante, des couleurs si tristes, que personne n'est tenté de la suivre: et tandis qu'on conseille l'horreur du vice, on le présente sous une image si riante, sous un aspect si séduisant, que ceux mêmes qui le détestaient commencent à l'aimer. -- Au moins, mon cher Comte, conviendrez-vous que c'est d'un bout à l'autre la touche de l'homme du monde, et que personne n'a saisi plus heureusement le goût et le ton de notre siècle. -- Oui, mais il restera encore à décider si le goût de notre siècle est le goût du beau. -- A ce que je puis voir, Monsieur le Comte n'est pas partisan de ces deux Auteurs. -- Personne, Madame, ne l'est plus que moi: et malgré tout ce que je viens de dire, je n'en rends pas moins de justice à leurs talents peu communs: je crois même que les suffrages doivent être partagés entre eux pour tout ce qui s'appelle Romans du jour. -- Je suis de votre avis, reprit la Marquise, et je donne toujours la préférence à celui que j'ai lu le dernier.
Si pour décider cette question aussi intéressante qu'utile, dit Saint-Ange, je trouvais un Auteur supérieur à tous deux? Vous allez nous parler, dit d'Elcourt, de cet Ecrivain universel dont le génie est si généralement admiré, que tout parallèle lui ferait injure. -- Non, mon cher Comte, l'Auteur dont je veux parler est du sexe de Madame, et vous avouerez que les Lettres de Milady Catesby et de Miss Fanni, soit comme originaux, soit comme traductions, peuvent le disputer à tous les Romans connus. -- Ce sont, en effet, reprit le Comte, deux miniatures parfaites; mais parmi les femmes qui de nos jours ont pris la plume avec succès, il en est bien d'autres que vous pourriez nommer à Madame, et les Lettres touchantes du Marquis de Roselle feront toujours honneur au sentiment qui les a dictées. Fort bien, dit la Marquise, il y a beaucoup d'autres merveilles dont nous aurions encore à parler; mais il est tard, et la grande Piéce doit être très-avancée.
D'Elcourt, quelques jours après celui où il l'avait accompagnée au spectacle, se trouvant seul avec elle, rompit le silence et se déclara: il fut favorablement écouté: il demanda du retour, on lui en promit; mais sous la condition expresse qu'il ne verrait plus Mélanide. Vous avez aimé cette femme, lui dit la Marquise, vous n'en êtes peut-être pas entièrement détaché: je veux que vous cessiez absolument de la voir. D'Elcourt adorait Mélanide; mais la Marquise lui inspirait des désirs, et plus vifs en ce moment qu'ils n'avaient jamais été.
Il jura de rompre avec Mélanide, mais bien déterminé à devenir parjure: la Marquise cependant tarda long-temps encore à le rendre heureux, et comptant peu sur ses serments, elle fit éclairer ses démarches: elle apprit qu'il donnait à sa rivale tous les instants qu'il ne passait pas avec elle: furieuse et transportée de jalousie, elle songea aux moyens de le captiver entièrement et se promit bien, si elle ne pouvait y réussir, de s'en venger d'une manière éclatante.
Le dépit de voir Mélanide préférée n'était pas le seul sentiment qui l'animât; l'amour avait trouvé place dans ce cœur usé par cent passions différentes, et l'on sait jusqu'où un amour méprisé peut porter une femme. La première fois qu'elle revit le Comte, elle l'accabla de reproches: il voulut se justifier: elle joua la froideur; le bouda, fit des mines, en sa présence, à d'autres agréables qui la pourchassoient, et parut même en favoriser un plus particulièrement, ce fut le Marquis de Saint-Ange. Ainsi qu'on a pu l'entrevoir, il avait dans un degré éminent tous les ridicules d'un petit-maître: c'est une espèce qui pullule considérablement en Province, où elle est encore moins supportable qu'à Paris: ou plutôt le ridicule les a presque anéantis dans cette Capitale, et si l'on y en trouve encore, ils y réussissent médiocrement.
Le Petit-Maître de Province se doute bien que par état il doit être libertin; mais il ignore l'art dangereux d'être un agréable libertin: il est insolent et hardi avec les femmes, mais souvent sans succès; indiscret et presque toujours sans fondement; il ne parle d'elles qu'en vainqueur; il sait que ce n'est plus à elles à décider de la beauté d'une dentelle, de l'arrangement d'une coiffure, ou du choix d'un ruban, et tandis qu'elles discutent entre elles quelque point de métaphysique qu'elles ne comprennent pas, il s'extasie à la vue d'une garniture d'un goût nouveau, s'occupe d'un joli colifichet ou s'amuse à broder au tambour: au reste, il n'ignore aucune de ces phrases précieuses de ces agréables superlatifs que l'on a depuis long-temps abandonnés aux subalternes, qu'il recueille avec soin, et qu'il a le secret de ramener à chaque instant dans un papillotage vide de sens. Il triomphe sur tout, lorsqu'au milieu de la nuit, après une longue débauche, la tête troublée par les fumées du vin, il peut exercer son humeur destructive sur des vitres et des lanternes innocentes, et faire retentir de ses cris les rues désertes. D'ailleurs, personne ne connaît mieux que lui les variations des usages et les modes regnantes; il n'a que le nom de Paris à la bouche; il a, dans cette Ville, des correspondants qui l'instruisent à point nommé de la nouvelle du jour, du succès du nouvel Opéra-Comique, et de la chute de la dernière Tragédie. Tel est le Petit-Maître de Province, moitié homme, moitié femme; les hommes rougiraient de le compter parmi eux, et les femmes sensées le méprisent trop pour l'admettre parmi elles.
La Marquise avait distingué Saint-Ange parce qu'il avait paru lui-même faire beaucoup d'attention à elle; et puis, c'est qu'il avait un Coureur, une Maîtresse, un train, qu'il vivait avec un faste qui lui rappelait Paris, et qu'il se ruinait avec un détachement et une grandeur que personne de la Province ne pouvait imiter.
A l'air d'intelligence qu'il affectait avec la Marquise, d'Elcourt ne douta plus de son infidélité: il fut cruellement blessé d'avoir été prévenu par ce changement: les premiers mouvements de son dépit lui persuadèrent d'oublier pour jamais cette femme légère; cependant, lorsque la colère eut fait place à la vanité, il se crut intéressé à ne pas laisser échapper une conquête sur laquelle il avait compté: il devint jaloux sans être amoureux.
Soit caprice ou raffinement de la part de Madame de Migneville, soit mal-adresse de la part de d'Elcourt, il n'en avait obtenu aucune faveur qui pût diminuer les regrets de l'avoir perdue; il se proposa de revenir à ses genoux, non comme avant leur mésintelligence guidé par le seul espoir du plaisir, mais avec le dessein formé de l'engager à lui donner son cœur. Que le sentiment qui l'animait alors le rendait séduisant, et qu'il eût été difficile à toute autre femme moins consommée dans l'art de feindre, de lui résister long-temps! Un cœur usé par la coquetterie n'est presque jamais capable d'une passion vraie; quelquefois il arrive aussi que l'amour achève ce que la coquetterie n'a qu'ébauché. La Marquise aimait trop violemment le Comte pour que son retour ne lui causât pas la joie la plus vive; mais elle crut devoir encore la dissimuler. D'Elcourt apprit qu'elle allait passer quelques jours dans une campagne peu éloignée de avec Madame de Mélicourt et plusieurs autres femmes. Il parvint à se faire mettre de la partie et il en fut comblé, bien sûr que cette liberté dont on jouit à la campagne, cette aisance qui y règne, et l'usage où l'on est de s'y débarrasser des règles gênantes d'une trop exacte bienséance, lui fourniraient plus d'une occasion de se raccommoder et de sceller le raccommodement par les plus doux plaisirs de l'amour.
La situation de cette maison était charmante, et la distribution intérieure très-recherchée: elle était petite: la magnificence en avait été bannie; mais l'élégance y régnait, et l'on y trouvait tout ce qu'exigent les commodités de la vie la plus sensuelle: les jardins répondaient parfaitement à la maison: on avait tiré d'un terrain peu spacieux tout le parti imaginable. La vue était admirable et variée à chaque pas que l'on faisait: les bosquets situés à l'écart, et près desquels serpentait un petit ruisseau, étaient délicieux.
Cette retraite champêtre était si peu éloignée de la Ville, qu'on y jouissait à la fois du calme de la solitude et des agréments de la société.Il me semble que la Philosophie consiste sur-tout dans l'art de ménager les plaisirs pour les rendre durables, et de les varier pour en écarter le dégoût. Le Maître de ce beau lieu possédait ce secret dans le plus haut degré: chez lui on n'épuisait aucun amusement; on ne se livrait pas indifféremment à tous ceux qui venaient s'offrir; on éguisoit les sens par l'appâts du plaisir sans les émousser par la satiété.
J'ai dit que les bosquets étaient situés sur le bord d'un ruisseau: plusieurs tilleuls touffus environnés par une charmille épaisse, dans laquelle on avait ménagé les points de vue les plus agréables, y formaient une grande salle de verdure; les branches recourbées en venant se joindre, y faisaient régner une fraîcheur continuelle; on avait creusé, autour de cette salle, des sièges de verdure, et le gazon du milieu formait une table sur laquelle on avait servi un ambigu froid: les vins rafraîchissoient dans le bassin d'une fontaine qui sourdoit avec un bruit agréable d'une grotte voisine, et qui en s'échappant à travers le bocage, y répandait une vapeur délicieuse: quelques instruments qu'on avait placés assez loin pour plaire à l'oreille sans la fatiguer, achevaient de flatter agréablement tous les sens.
C'est dans ces sortes de parties que la gaieté n'est jamais contrainte, et que le cœur aime à s'épanouir: les plaisirs n'y sont pas toujours bruyants et n'en sont que plus doux: on n'a pas recours à la médisance pour égayer et soutenir la conversation; et quoiqu'elle ne soit pas semée de saillies piquantes, de pensées fines et neuves, d'expressions délicates et recherchées, elle n'y tarit jamais: on y dit tout simplement ce qu'on pense, et on le dit toujours bien: on n'est pas obligé de se faire sans cesse illusion sur le plaisir, ni de dire qu'on s'amuse beaucoup pour se le persuader: tout le monde sur-tout y est maître, et personne n'est chargé du pénible emploi de faire les honneurs. Madame de Migneville avait eu quel-que velleïté de trouver tout pitoyable; mais la gaieté s'étant communiquée, elle avait pris le parti de se mettre à la portée de tout le monde.
Elle fut effectivement charmante, et Mélanide fut de nouveau sacrifiée: au dessert on renvoya les gens; la joie alors ne fut plus contrainte.
Tout le monde était dans cette aimable disposition, où une pointe de vin rend l'âme si communicative: où la franchise se déploie et semble prendre un nouveau degré d'activité. Les hommes furent chargés de l'agréable emploi de prévenir les souhaits des femmes, et par cette douce émulation, qui fait que chacun cherche à plaire, les deux sexes s'empressèrent à faire éclore tous les plaisirs du sein de la liberté.
La Marquise prétendait à faire seule l'agrément de cette partie: elle aurait pu y réussir sans une jeune femme dont le caractère étourdi, franc et jovial, se peignait sur son visage: sans prétentions, et avec moins de ranement que la Marquise, elle amusait davantage: les connaissances acquises et l'esprit cultivé, échouent presque toujours contre l'esprit naturel. Elle songeait moins à égayer les autres qu'à se divertir elle-même.
Elle ne s'était jamais doutée que l'on fît une étude du plaisir et un art de la gaieté: elle ne se fit point prier pour chanter, et au lieu de ces doucereux Madrigaux, qui nous viennent je ne sais d'où, elle chanta bourgeoisement ces anciennes rondes de table, ces bons et vieux Vaudevilles qui ont un charme tout particulier pour exciter la joie, et mettre tout le monde en train. Quelquefois un peu libres, je l'avoue, mais dont chacun peut répéter le refrain sans avoir appris la musique. Cette femme charmante était mariée à M. de Merval, jeune militaire, qui l'avait épousée par inclination. Un peu de malice se mêlait en ce moment à tous ses charmes, et la rendait adorable. Elle fit quelques agaceries à d'Elcourt, peut-être dans l'unique but de tourmenter un instant Madame de Migneville.
Ce désir momentané de plaire augmentait encore sa gaieté naturelle, et répandait le sel le plus piquant sur tout ce qu'elle disait. La Marquise dévorée de jalousie, devint furieuse: elle lui lançait des regards foudroyants auxquels elle ne faisait nulle attention, et quoique d'Elcourt, uniquement occupé de Madame de Migneville, ne s'aperçût point de ces demi avances, elle se promit cependant de prendre complètement sa revanche et de désoler à son tour Madame de Merval dès que l'occasion s'en présenterait.
D'un autre côté, l'émulation s'en mêla, et elle eut aussi la complaisance de chanter à son tour quelques couplets nouveaux, malgré le ridicule insupportable dont on se couvre aujourd'hui en chantant à table. Ces couplets étaient très-jolis; d'ailleurs la Marquise les chantait très-bien: on l'entendit avec plaisir, et on le lui témoigna: elle proposa à d'Elcourt de chanter un Duo; elle choisit précisément celui qui avait servi de prétexte à leur connaissance: il lui rappelait une idée agréable; en chantant elle mettait tant de volupté dans le son de sa voix, ses regards exprimaient quelque chose de si tendre et de si touchant, que le Comte ennivré de plaisir, agité par les transports les plus vifs, ne pouvait qu'à peine les contenir. Enfin on sortit de table, et chacun se dispersa: d'Elcourt donna la main à la Marquise; il la lui pressa doucement: elle fit de même, en le fixant avec une tendre émotion. Ah!
S'écria-t-il, je n'en doute plus; vous m'aimez encore; vous oubliez donc...
-- Moi, répondit-elle, d'un ton qui la démentait, j'oublie même que vous m'avez jamais aimée: vous avez rompu vos serments, nous ne devons plus être l'un pour l'autre que ce que nous sommes pour le reste de l'Univers. Pourquoi prolonger ma peine, reprit d'Elcourt en la conduisant vers un labyrinthe écarté? Pourquoi me dérober votre tendresse? Si l'amour le plus violent peut expier une faute où mon cœur n'a point eu de part; si les sentiments.... Il allait continuer sur ce ton, quand la Marquise aperçut quelqu'un de la compagnie qu'elle appela, soit qu'elle crût devoir encore retarder le bonheur de d'Elcourt et le sien propre; soit que d'autres raisons l'empêchassent de céder dans cette circonstance.
La soirée était charmante: on proposa une promenade au clair de lune; la Marquise objecta, qu'elle craignait d'être incommodée par le serein, se doutant bien que, si elle restait, d'Elcourt lui ferait compagnie; mais les Provinciaux ne devinent rien: ils l'assurèrent que le serein de Province n'avait jamais fait de mal à personne.
Elle les suivit, et s'amusa mieux qu'elle n'avait espéré: elle voulut alors prolonger cette promenade; mais par une fatalité singulière, ils furent encore d'un avis contraire au sien; car jusqu'ici ils ont conservé le gothique usage de consacrer la nuit au sommeil. On se retira donc, et chacun alla se préparer par le repos à de nouveaux plaisirs.
Qu'il me soit permis ici de jeter un coup d'œil sur ces renversements du jour, de la nuit et de toutes les habitudes de la vie par où les gens comme il faut cherchent à se distinguer: antipodes de leurs concitoyens, ils ont la lumière quand ceux-ci ont la nuit, et quand ils dorment les autres veillent. Ils ne voient lever, ni coucher le soleil: délâbrés, (et ce délabrement est du meilleur ton) pâles et languissants comme ces ombres qui, dit-on, apparoissent la nuit, ils redoutent et fuient comme elles la lumière du jour. Ce ridicule amour des ténèbres ne vient-il pas de la corruption des mœurs et du dérèglement de l'esprit, qui sont ennemis irréconciliables de la nature, de l'ordre et de la raison? “La lumière“ disent nos élégants, „est bonne pour le peuple qui n'entend rien au plaisir: que cette classe d'hommes grossiers respire au printemps l'odeur de la violette et des roses; qu'ils jouissent des primeurs que la nature leur offre si libéralement, et à si peu de frais: il est bien plus digne d'un voluptueux d'avoir à force d'or et de bras, au milieu des glaces de l'hiver, des fleurs, des fruits, des légumes, sans odeur, il est vrai; sans goût et sans saveur, mais très-rares et hors de la portée du peuple.
Que ce peuple se promène dans de vastes et beaux jardins de niveau, ou dans une forêt coupée de mille routes variées: il est bien plus magnifique d'élever des terrasses énormément coûteuses, d'aplanir une montagne, de construire une rampe pénible, et de planter des jardins dans des lieux inaccessibles. Il est ignoble de vivre comme le commun des hommes: il faut se faire un matin, un coucher, des exercices, des plaisirs, des mets et des principes distingués de ceux de la multitude“. Fort bien; mais est-ce pour faire mieux? Est-ce pour vous mettre au-dessus des préjugés de ce vulgaire? Non, c'est pour vous en faire de nouveaux, et d'un ordre plus relevé: c'est parce qu'il est bien plus merveilleux de vivre, de faire un dîner à la lueur des flambeaux et des bougies, que de jouir de celle du soleil, qui n'est interdite à personne, qui ne coûte rien, et qui, par conséquent est méprisable. Il faut que les plaisirs qu'on goûte fassent de l'éclat, que personne ne les ignore, et que peu de gens puissent y atteindre.
Combien y en a-t-il qui ne se ruinent, qui n'ont une Maîtresse, un train que pour qu'on en parle. On a d'ailleurs un dégoût mortel pour la vie ordinaire: on en a épuisé toutes les ressources; il faut faire, en quelque façon, violence à la nature, pour qu'elle fournisse encore quelques plaisirs dont on ne soit pas rassasié. Que la vie de Province est différente? Que les plaisirs de la campagne, sur-tout y sont délicieux! Habitans de Paris qui avez de magnifiques campagnes, vous ne connaissez pas les plaisirs de la campagne; elle a en Province des charmes toujours variés, on y goûte le repos dans un asile écarté: on se promène à pas lents dans des allées sombres; on s'enfonce au plus creux des forêts, où l'on parcourt les bords d'un ruisseau: on y prend le plaisir du bain, si la chaleur le demande; quelquefois on y lit des Romans, ou l'on exerce sa voix: la liberté en a banni toutes les lois gênantes; on n'en a d'autres que sa volonté et son caprice, et comme tout le monde a pour but le plaisir, il arrive que tout le monde est d'accord.Le lendemain le Comte se leva avant l'Aurore; il jouissait en promenant sa rêverie de la fraîcheur d'une belle matinée: il cueillit sans dessein quelques roses qui venaient d'éclore; il les arrangeait avec distraction, quand il entendit quelqu'un chanter: c'était des sons échappés comme par hasard; mais qui disaient très-intelligiblement: je suis ici. Il reconnut la voix de la Marquise, qui l'ayant aperçu dans le jardin, voulait, sans pourtant l'appeler, lui faire remarquer qu'il était jour chez elle. Les croisées de son balcon étaient ouvertes; bien-tôt elle y parut elle-même un moment, et feignant de n'avoir pas vu le Comte, elle se retira sans affectation.
Tout le monde reposait encore: d'Elcourt surpris de la voir éveillée si matin, ne manqua pas d'interpréter cette insomnie à son avantage, et peut-être il ne se trompait pas: quoiqu'il en soit, il vola à son appartement: elle l'attendait; cependant pour la forme elle le querella d'être venu la surprendre si matin: elle avait passé une nuit affreuse; elle avait un commencement de migraine qui la désolait; elle ne savait pas comment on pouvait la regarder faite comme elle était: elle avait essayé de chanter; mais inutilement: sa voix avait des caprices, était fausse, et le Com-te avait justement choisi sa mauvaise heure.
Malgré tout ce persiflage, d'Elcourt la trouvait charmante: jamais, en effet, elle n'avait été si bien. Elle était en déshabillé: elle sortait des bras du sommeil, et ce négligé relevait encore cette tendre fraîcheur, et cette langueur attrayan-te que procure un doux repos, pendant lequel l'esprit n'a été agité que par des songes légers et flatteurs. Elle était à demi-couchée sur son canapé. Elle fit asseoir d'Elcourt auprès d'elle: quoique très-matin, il faisait déjà fort chaud, et sous ce prétexte elle laissait sa gorge entièrement découverte: elle était d'une blancheur éblouissante; ce spectacle est d'autant plus séduisant, que l'on en est plus avare: sa coiffure n'était composée que d'une mousseline claire attachée par un ruban, et dont les plis cachaient à moitié ses joues et ses yeux qui, sous cette espèce de voile, n'en avaient que plus de vivacité. Un corcet à-demi noué montrait l'élégance de sa taille sans la gêner. Un jupon très-court, et d'une étoffe légère adroitement relevé, quoiqu'avec un air de négligence, laissait paraître toute la finesse de sa jambe. D'Elcourt était enflammé de désirs; elle s'en aperçut, et songea à les augmenter. Elle se mit à sa toilette que ses femmes avaient approchée de son canapé avant de se retirer. Cependant elle connaissait trop ses avantages, et le prix des instants, pour les employer à se parer. Pour bien des femmes la toilette est une étude pénible; pour une jolie femme elle est un triomphe: elle y étale en liberté des beautés que dérobe toujours la parure la plus élégante. Les grâces y président. Le badinage y voltige au milieu des fleurs et des rubans; elle semble faite pour animer un Amant trop timide, ou pour favoriser ces larcins d'un Petit-Maître audacieux, et presque toujours elle excuse et précipite la fuite de la pudeur.
J'ai fait cette nuit le plus singulier rêve, dit la Marquise; je m'imaginais que vous m'aimiez toujours, et qu'à force de tendresse vous aviez su me rendre plus sensible que jamais: ne riez-vous pas de la singularité d'un pareil songe?
-- Moi, non, je vous jure, Madame: je n'y vois rien que de très-naturel, et je répondrais bien de sa réalité, au moins pour ce qui me regarde. -- Très-bien, mon cher Comte; mais je ne crois point aux songes: sonnez mes femmes, je vous prie. -- Quoi! vos femmes, à l'heure qu'il est? -- Assurément. -- Ah! je veux les remplacer: je ne me pique pas d'avoir leur adresse: mais l'amour pourra me la donner; ou plutôt, restez comme vous voilà; vous êtes si bien. -- Au moins faut-il que je me coiffe; quelle coiffure prendrai-je aujourd'hui? La même qu'hier: c'est celle qui sied si bien à Mélanide. -- Il s'arrêta à ces mots, qu'un souvenir importun alors lui avait arrachés sans réflexion.
Qu'avons-nous à faire ici de Mélanide, Monsieur? D'Elcourt s'était aussi-tôt aperçû de son étourderie: il la répara par les plus tendres protestations. Il hasardait de joindre quelques gestes à ses paroles; la Marquise le repoussait avec un doux effort: le Comte toujours plus animé par cette résistance, ou plutôt par le manège de la plus raffinée coquetterie, mettait tout en usage pour lui persuader qu'elle était adorée. Mes peines, lui disait-il, n'ont été modérées que par la douceur que je trouvais à croire que je pouvais être encore aimé: ce souvenir me troublait et m'agitait sans cesse; votre image m'a suivi jusque dans mes songes; (car je songe, ainsi que vous). Quels instants, belle Marquise, et qu'il serait doux de les réaliser! Je n'ai qu'à peine alors l'usage de mes sens: toutes les facultés de mon âme sont suspendues: je n'existe plus que par vous: je demeure plongé dans un doux anéantissement et je n'en suis tiré que par mes transports et les atteintes d'un plaisir auquel il ne manque pour être parfait, que d'être partagé. Vous peignez vos feux avec bien de la vivacité, lui dit la Marquise, et je me laisserais surprendre à votre air de sincérité si je n'avais déjà éprouvé votre perfidie. -- Ah! que jamais vous ne me rendiez heureux si je suis capable de vous oublier.
Il entrevoyait que son bonheur n'était pas éloigné. Moins on est amoureux, moins on est timide: il s'enhardissait, s'enflammait par une gradation très-sensible: la Marquise appuyée sur un carreau, reposait sa tête sur un bras plus blanc que la neige; son autre main badinait, se jouait dans les cheveux de d'Elcourt.
Le tendre mouvement de son sein, ses lèvres qui paraissaient inviter celles du Comte, tout concourait à échauffer leurs désirs: il tenait les roses qu'il venait de cueillir; il y avait joint une touffe de lis dont elles relevaient la blancheur: ces fleurs étaient parfaitement assorties au tein et au déshabillé de la Marquise. Sous prétexte de continuer sa toilette, d'une main que la passion rendait timide et tremblante, il écarta la gaze qui couvrait en partie son sein, et il essaya d'y placer son bouquet: les beautés que chaque instant, chaque mouvement lui découvrait, augmentèrent encore son trouble et son ivresse. Sa main s'égarait: il dénouoit mal-adroitement un ruban: déchirait une dentelle:... la Marquise souriait. Que vous êtes neuf, lui dit-elle: cessez, j'achèverai moi-même... Ah! étourdi, vous m'avez piquée. Ciel, reprit-il, avec feu, que je guérisse la piqûre que je vous ai faite! A l'instant ses lèvres brûlantes couvrent la gorge de la Marquise: ce baiser achève de le transporter.
Ah! d'Elcourt;... par un baiser, il lui coupa la parole, et fit passer dans son sein la flamme qui l'agitait lui-même. Tout en résistant; car elle résistait encore, elle mettait plus de désordre dans sa parure; le toilette fut entièrement oubliée; les nœuds de son corcet détachés: son jupon à demi relevé et la vue d'un joli pied et d'une jambe faite au tour, de beaux bras qui essayoient mollement d'écarter la bouche de d'Elcourt de dessus son sein, leurs soupirs brûlants et entrecoupés qui se confondaient, c'était bien plus qu'il n'en fallait pour porter leurs désirs à leur dernier période: leurs cœurs palpitoient de tendresse et de plaisir; leurs regards se fixaient voluptueusement; la Marquise ne faisait plus de résistance: enfin agitée par toutes les fureurs de l'amour, elle presse avec un tendre transport d'Elcourt dans ses bras. Un baiser par lequel elle répondit à tous les siens, fut le signal de sa victoire: ils furent heureux l'un par l'autre.
Le Comte enivré de plaisir, fixait Madame de Migneville, dont les yeux étaient encore fermés: ils se taisoient, et par intervalles, elle le pressait voluptueusement sur son sein: de longs soupirs de contentement avaient succédé à leurs soupirs redoublés et entrecoupés; leurs lèvres étaient collées ensemble et se communiquaient la douce chaleur qu'elles respiraient; leurs âmes semblaient se confondre: ils ne s'aperçurent que fort tard qu'il faisait jour chez tout le monde: ils s'arrachèrent des bras l'un de l'autre.
Quand d'Elcourt eut quitté la Marquise, il se livra au plaisir de se croire aimé d'une femme charmante, et d'avoir obtenu des preuves aussi chères de sa tendresse. Cependant lorsqu'il voulut développer les sentiments divers dont il était agité, il fut surpris de voir que l'amour avait beaucoup moins de part que la vanité au plaisir qu'il ressentait. Il avait cru pour un moment aimer Madame de Migneville, et il n'avait éprouvé que l'attrait de la volupté. Telle est d'ailleurs, notre inconséquence à l'égard des femmes, que souvent leurs faiblesses les rendent d'un moindre prix à nos yeux.
Madame de Mélicourt et la Marquise ne négligeaient rien de ce qui pouvait leur faire trouver moins long le temps de leur exil: elles apprirent que le Château de M. de Montalban était dans le voisinage de et qu'il était venu y passer quelque temps. Montalban était un homme extraordinairement riche et celui qui savait répandre avec le plus de profusion et de grandeur; la fortune immense dont il jouissait lui avait peu coûté: aussi, loin de vouloir l'accroître, il ne songeait qu'aux moyens de la dissiper agréablement: on ne lui entendait prononcer que les mots de fêtes et d'amusements: il en avait épuisé tous les raffinements; mais blasé sur toute espèce de plaisirs et désespérant de pouvoir s'en procurer de nouveaux à Paris, il avait pris le parti d'essayer si la Province pourrait remplir le vide affreux de son cœur, et en chasser le dégoût mortel qu'il éprouvait pour tout ce qui s'efforçait de le tirer de sa léthargie. Cependant comme il craignait autant l'apparence de l'ennui que l'ennui même, il avait conduit avec lui une Troupe complète de Comédiens; des Musiciens, des Auteurs à gages, des Artistes dans tous les genres, et sur-tout les plus fins Cuisiniers de Paris; il avait encore amené des hommes aimables et de jolies femmes, dont malheureusement il obtenait tout ce qu'il désirait. Sa campagne était magnifique: l'élégance y triomphait de toutes parts: les ornements et la richesse y étaient prodigués; mais cependant de façon qu'ils annonçaient l'homme de goût sans faire deviner le millionnaire: l'on n'avait rien oublié de ce qui pouvait y déguiser jusqu'aux moindres apparences du naturel: il retrouvait Paris au milieu de sa campagne, et voulant fuir le fracas de la Capitale, il n'avait pas songé qu'il le traînait avec lui. Le cœur d'un seul homme est trop étroit pour suffire à ce qui pourrait faire le bonheur de mille autres: les extrémités se touchent, et quand il croit atteindre le plaisir, le dégoût en prend la place.
Les deux Dames l'avaient beaucoup connu à Paris: on disait même qu'il avait été au mieux avec Madame de Mélicourt. Il faut aller le surprendre, dit Madame de Migneville à son amie, nous végétons depuis si long-temps dans cette Province que nous serons trop heureuses de faire cette partie: j'admire comment je n'y ai pas pensé plutôt: c'est du moins un être raisonnable que ce Montalban. Elles partirent la tête remplie d'idées de plaisir, et s'en occupèrent pendant tout le chemin.Rien n'égale la surprise dont elles furent saisies en entrant dans le Château de Montalban: elles se crurent chez quelque riche Cultivateur qui faisait valoir ses terres par lui-même, plutôt que chez le mortel le plus voluptueux de la terre. Des charrues, des semoirs, des herses, et tous les instruments de l'Agriculture remplissaient de vastes remises, et y tenaient la place des équipages lestes et brillants qui accompagnent et annoncent ordinairement un homme de plaisir.
Des gens occupés à battre le blé, d'autres qui l'étendaient dans des granges; ceux-ci qui le vannoient, ceux-là qui distribuaient les gerbes; des femmes, des enfants occupés à tous les travaux rélatifs à l'économie rurale; voilà ce qu'elles aperçurent au lieu de la foule insolente des laquais, des femmes, des valets-de-chambre et de toute la nombreuse valetaille. Un portier vêtu d'une livrée très simple, remplaçait les Suisses de porte et d'appartements.
Est-ce bien ici chez Montalban, s'écria Madame de Mélicourt: qu'est-ce que tout ceci? Est-il mort, ruiné?
Bon-homme, ajouta-t-elle, en s'adressant à ce Portier, quel est ton Maître? Où est M. de Montalban?
Sommes-nous chez lui? -- Assurément, Madame, vous êtes chez lui. -- Ah! ma chère Marquise, quelle chute! Y est-il? Que fait-il, ce pauvre Montalban? -- Il n'est point pauvre, Madame; tout ce que vous voyez est à lui, et ce n'est encore rien: il est actuellement avec son Fermier, ou bien il se promène avec M. le Vicaire. Les Dames se regardèrent réellement confondues et répétant, son Fermier! son Vicaire!
Il n'est pas mort, ni ruiné, mais ce qui est pis, il a perdu la tête: éclaircissons un changement si prodigieux.
M. de Montalban avait aperçu un équipage et des femmes: sans deviner qui ce pouvait être, il s'était hâté de venir les recevoir. Il fut agréablement surpris quand il reconnut ses anciennes amies: après les premiers compliments, et quand on lui eut expliqué rapidement par quel hasard on se retrouvait, il proposa aux Dames de leur présenter la compagnie. Elle est nombreuse, sans doute, dit la Marquise? -- Non, je n'ai que deux ou trois de mes voisins avec leurs femmes, et mon Pasteur, qui est un homme de très-bon sens. Elles remirent à un autre moment l'éclaircissement d'un phénomène aussi inexplicable; elles entrèrent en examinant tout de l'œil de la surprise et de la curiosité.
Cependant elles trouvèrent les hommes et les femmes qui étaient-là, gens d'assez bonne compagnie, quand on n'en a point d'autre, et puis c'était tout.
Elles s'étaient proposées de rester quelques jours chez lui; mais tout ce qu'elles voyaient les engagea à ne pas demeurer davantage dans cette Thébaide.
Elles annoncèrent donc qu'elles partiraient ce même jour, et l'on tint table peu long-temps: le dîner avait été bon et sain; mais sans appareil, et gai sans folie.
En sortant de table M. de Montalban leur fit voir sa Maison et ses Jardins.
On n'y trouvait plus aucune trace du luxe et du faste qui y avaient régné.
C'étaient toujours les mêmes agréments, les mêmes commodités; mais plus de superfluités, plus de magnificences inutiles: on voyait paître un troupeau à la place qu'occupaient autrefois de vastes bosquets à l'Italienne. Le froment croissait dans un espace de cinq ou six arpents, où le Brun, rival de Lenotre, avait, quelque temps auparavant, tracé un parterre enchanté, et les bleuets mêlés aux pavots dont ce champ jaunâtre était parsemé, rappelaient encore son ancienne destination par un coup d'œil non moins agréable. Ici une voliére remplaçait un magnifique cabinet de treillage: une pipée était auprès, et le bruit d'une fontaine qui roulait sur des cailloux y attirait la rouge-gorge vagabonde et la grive imprudente. Au lieu d'une allée de marroniers géométriquement taillée, on voyait des arbres dont les branches courbées et presque rompues par le poids des fruits, répandaient sur les sentiers une obscurité agréable, et annonçaient de toutes parts une utile abondance. Ce verger était coupé par plusieurs petits ruisseaux qui auparavant s'élançaient en gerbes élevées ou roulaient en cascades bruyantes et maintenant libres et vagabonds, s'échappaient sans ordre et sans symétrie à travers les allées.
Un kiosque superbe avait été changé en une cabane propre et commode, où le Laboureur harassé se réfugioit pendant la grande ardeur du jour, en bénissant le Maître bienfaisant qui avait pourvu à ses besoins. Apprenez-nous enfin, lui dit Madame de Mélicourt, le mot de cette énigme, et la raison d'un changement si frappant. Je me suis attendu à votre surprise, Mesdames, répondit-il: je vais la faire cesser: vous avez pu savoir le motif qui m'avait conduit ici et les efforts que j'ai faits pour y dissiper mon ennui; vous connaissez aussi Madame de Blamont et la difficulté, ou plutôt l'impossibilité de satisfaire tous ses goûts et tous ses caprices: elle m'y avait accompagné avec plusieurs autres femmes, et c'est à elle que je dois l'heureux changement qui paraît vous affliger.
Depuis trois semaines nous faisions ici tous nos efforts pour tuer le temps, lorsque j'imaginai de donner une fête où je prétendis surpasser tout ce que j'avais fait jusqu'alors: après le plus énorme dîner nous vîmes représenter un Opéra dont la musique et les paroles avaient été faites pour célébrer les plaisirs de ce séjour: on y avait peint sous allégorie ingénieuse, toutes les personnes de notre société.
Nous jouâmes ensuite nous mêmes une Comédie et, selon l'usage, nous jouâmes horriblement mal; n'importe, nous nous admirâmes réciproquement.
Un bal et une illumination dans mes jardins, succédèrent à ce spectacle.
Pour donner plus d'éclat à cette fête, j'avais rassemblé ce qu'il y avait de mieux dans la Province; je me donnais tous les soins tous les mouvements possibles pour que rien ne manquât; aussi j'avais la satisfaction d'entendre répéter de toutes parts: il faut avouer que nous nous amusons bien, que Montalban fait merveilleusement les choses, et qu'il est un homme unique pour donner une Fête. J'étais enchanté du succès de mes soins, et il ne me restait exactement qu'à désirer qu'ils pussent produire quelqu'effet sur moi; mais jamais l'ennui ne m'avait poursuivi plus vivement. Le fantôme du plaisir se présentait à moi sous toutes les faces, et dès que je voulais le saisir, le dégoût en prenait la place, et pour comble de malheur, j'étais obligé de me cacher pour baîller à mon aise.
Le lendemain, comme je songeais en me promenant dans mon Parc, au projet d'une Fête nouvelle, j'y rencontrai Madame de Blamont: je m'empressai à lui faire le détail du plan que je venais de former. Au lieu d'y applaudir avec ses transports ordinaires, comme je m'y étais attendu, elle m'écouta avec le plus beau sang-froid. A merveille, me dit-elle, quand j'eus fini, et sans doute vous comptez sur moi -- Assurément, et vous voyez que vous m'êtes trèsnécessaire. -- Désabusez-vous, Monsieur, je péris ici d'ennui; toutes vos belles Dames, n'en doutez pas, sont dans le même cas, et je vois que la crainte d'avoir un mauvais procédé avec vous, ne les retient qu'à peine.
Mais vous êtes pour le moins aussi ennuyé que nous, et c'est pour vous mettre à votre aise que je romps le silence la première. Sçachez donc que toutes les démonstrations de joie que vous avez remarquées dans la cohue que vous aviez rassemblée ici hier, ne sont que de fausses apparences, et que dans tout ce mescolô, il n'y a pas quatre personnes qui se soient amusées. On ne peut se faire illusion plus long-temps, et l'on n'attend plus pour partir que l'instant de pouvoir vous quitter sans indécence. Et pour être sincère jusqu'à la fin, je vous dirai que l'on ne vous regarde ici que comme l'Intendant des plaisirs d'autrui.Je connaissais parfaitement Madame de Blamont, et je fus peu surpris de cette incartade. Et quel est actuellement votre dessein, Madame, lui dis-je? -- De prendre congé de vous, et de partir dans une heure au plûtard.
-- Quoi! si-tôt? Vous savez qu'il n'y a personne à Paris. -- A Paris?
Ah! je vous proteste qu'on ne m'y reverra de long-temps: je vais m'enterrer toute vive dans mes domaines; j'y détesterai votre Paris tout à mon aise, et au lieu de courir après le plaisir, je l'attendrai paisiblement.
Je vis bien qu'il serait inutile d'insister avec elle, et je la laissai partir: bientôt chacun la suivit, comme elle me l'avait annoncé, et dans moins de huit jours je me trouvai seul, mais absolument seul. Cet événement fut un trait de lumière pour moi. Je voyais bien que Madame de Blamont était une folle, incapable d'exécuter un dessein formé aussi légèrement: en effet, j'appris bien-tôt après qu'elle était retournée à Paris, où elle s'abandonnait de nouveau au torrent.
Cependant cette folle m'avait prédit vrai: je songeai à profiter de sa leçon.
Je commençai par congédier tous les inutiles dont ma maison était remplie, et je la réduisis par ce moyen à moins d'un quart: ensuite je distribuai mon temps de la manière qui me parut la plus convenable. Je me proposai de passer environ huit mois à la campagne, et les quatre mois d'hiver à Paris. Je pensai à m'occuper sérieusement, parce que je suis persuadé que l'homme doit travailler.
Je regarde l'inaction comme une espèce d'anéantissement: et demandez-vous-mêmes à ces malheureux qui n'ont jamais eu de peines, qui végetent sans exister, demandez-leur s'ils ont jamais goûté aucun plaisir. Je me fis donc des occupations, et je me choisis une société parmi tous ce qui habite les Villages voisins: vous en avez vu aujourd'hui partie. C'est bonne compagnie; nous allons alternativement les uns chez les autres; mais sans nous astreindre à nulle étiquette: j'ai des Livres; je m'occupe de quelques détails d'agriculture: ils ont véritablement quelque chose de noble et d'intéressant, et sans être enthousiaste, ils me plaisent infiniment. Je chasse peu; je me promène beaucoup; je monte souvent à cheval, et vais faire visite à mes bons amis les Laboureurs: ils m'instruisent, et quelquefois je suis assez heureux pour leur être utile à mon tour par mes conseils: ce sont là les Artistes dont j'aime à parcourir les ateliers, et je suis sûr qu'ils ne me persifflent pas quand je les ai quittés. J'emploie une partie des biens que le sort m'a donnés à soulager les misérables, dont le nombre n'est que trop grand: le Pasteur connaît ceux qui sont dans l'indigence; il m'éclaire et me guide dans l'emploi que je fais de cette petite partie de ma fortune: c'est un des plus doux plaisirs que j'aie su me faire, et je puis en parler sans affecter une bienfaisance fastueuse, puisque ces libéralités ne diminuent rien de mes richesses: ce que je donnais à des inutiles, je le donne à des malheureux qu'un léger secours tire de la misère, et rend précieux à l'Etat.
Je vis de la sorte depuis six mois, et je m'en trouve très-bien. A la fin de l'automne je retournerai à Paris: j'y reverrai mes connaissances; je m'amuserai pour la première fois du fracas et du bruit qui y règnent, et dès le printemps, je reviendrai jouir du calme et de la tranquillité de ce séjour.On
avait écouté M. de Montalban sans l'interrompre: quand il eut fini, la Marquise le fixa un instant, puis laissant échapper un grand éclat de rire: vous me faites pitié, mon cher Montalban, lui dit-elle; vous avez embrassé ce nouveau genre de vie à peu près comme une femme choisit la dévotion quand le monde lui manque, avec cette différence que la crainte seule de vous rétracter vous arrête, et qu'elle a mille ressources que vous n'avez pas. Je suis même persuadée que dans le premier moment vous avez été transporté de la même ferveur que Madame de Blamont, et que ce n'est que par réflexion que vous avez imaginé de faire entrer les quatre mois de séjour à Paris dans votre arrangement. -- Non, Madame, je ne me suis pas décidé par boutade, ainsi qu'elle, j'ai raisonné le parti que je prenais, et j'ai tout lieu de croire que rien ne me fera changer. -- Au moins avez-vous à présent bien plus de désirs à former, et beaucoup moins de moyens pour les satisfaire. -- Eh!
Madame, voilà justement ce qui me rend heureux. Autrefois mes souhaits étaient aussi-tôt remplis que formés: je n'avais pas le temps de désirer; la satiété me faisait trouver tout insipide, rien n'était neuf pour moi: aujourd'hui que j'ai plus de peine à me satisfaire, je compte au moins le plaisir pour quelque chose.
Malgré l'excès de ta folie, mon cher Montalban, dit Madame de Melicourt, on doit encore te savoir gré des quatre mois que tu veux bien nous donner; mais nous voulons t'avoir sans partage. Vous m'attaquez aussi, Madame: j'aurai peine à me défendre. Néanmoins, je le dis sans balancer; s'il me fallait opter pour toujours entre Paris et la Province, Paris serait sacrifié. -- Quoi!
Montalban, et tu le dis tout haut.
Le cher Montalban déraisonne complètement, dit la Marquise, tous les ridicules de ses bons amis les Provinciaux... -- Oui, Marquise, oui, leur honnêteté, leur candeur, leur bonne-foi sont des ridicules. -- Non, Monsieur, non; mais comment appellerez-vous, ces rivalités odieuses des hommes les uns contre les autres; ces basses jalousies qu'ils ont contre ceux d'entre eux que leur esprit et leurs talents distinguent et cette pernicieuse adresse qu'ils emploient à se déchirer réciproquement? Comment appellerezvous cet esprit de parti qui divise perpétuellement les femmes; ces dissensions qu'occasionnent l'esprit et la beauté? Ces médisances continuelles, ces cailletages ignobles et bourgeois, et ces étiquettes minutieuses dont elles fatiguent sans fin la société? Vous venez précisément, Marquise, de peindre en petit ce que Paris offre en grand: toutes ces misères, j'en conviens, jettent beaucoup de désagrément sur le commerce de la vie: mais je les préfère à tous ces vices si artistement masqués dont Paris est infecté. Je les préfère aux préjugés, à la cupidité, à l'ambition, à la violation du plus saint de tous les nœuds; ce vice devenu si commun, qu'il n'en est plus un, et à cet amour-propre insensé qui ne nous laisse voir que nous dans l'Univers. Tant de dépravation nous a rejetés si loin de nous-mêmes, que, si l'on mettait aujourd'hui l'homme prétendu social à côté de l'homme naturel, on les prendrait pour deux êtres d'espèces tout-à-fait différentes. Le luxe, je l'avoue encore, les talents, les arts, les superfluités se trouvent réunis à Paris dans un degré supérieur; mais tout cela ne nous rend point heureux: ce sont seulement de nouvelles chaînes sous le poids desquelles nous gémissons sans pouvoir les briser: moi-même, moi qui par une longue expérience, ai appris à connaître la valeur réelle de tous ces faux besoins, de tous ces plaisirs imaginaires; je n'ai pu cependant m'en affranchir entièrement: je les vois sans préjugés comme sans enthousiasme: mais une pente invincible m'y ramène, et l'habitude qui les a émoussés pour moi, les a cependant rendu nécessaires à mon existence: c'est ce motif qui me rappellera à Paris pendant quatre mois de chaque année. Quelle sublimité! Mon cher Montalban, interrompit enfin Madame de Mélicourt, et que nous devons te paraître petites du haut de la sphère où tu viens de t'élever! Madame, la plaisanterie vous sied, et je vous rends les armes dans ce genre de combat; mais je n'en crois pas moins que Paris est admirable pour quelque temps, et la Province pour la plus grande partie de la vie. La Marquise trouva cette décision pitoyable; elle le témoigna en disant que les déclamations ne prouvaient rien. Par déférence et par politesse on ne lui répondit rien.
La nuit s'approchait: les Dames quittèrent M. de Montalban, et l'on se promit de part et d'autre, de se revoir à Paris au retour de l'hiver.
Je vous y attends avant la fin de l'automne, lui dit Madame de Mélicourt.
Jugez, Madame, répliqua-t-il, de la fermeté de ma résolution, puisque votre invitation ne peut la changerElles reprirent le chemin de la Ville, en disant qu'elles étaient très-sincèrement fâchées de cette disparate, et que c'était un aimable homme de moins dans la société.
La vraie tendresse est rarement jalouse sans raison; mais une amante attentive et délicate distingue sans peine les soupirs de l'amour de ceux de la contrainte. Mélanide aimait trop le Comte pour ignorer long-temps son infidélité. Elle s'était fait une douce habitude de son amour, et jamais elle n'avait craint qu'il l'abandonnât pour la Marquise. Peu faite pour le tyranniser, afin d'en être aimer, elle n'était nullement exigeante, et avec un peu d'adresse il lui aurait caché cette intrigue: quand, par les soins de la Marquise, elle ne put se dissimuler plus long-temps qu'elle était trahie, une tristesse mortelle s'empara de son cœur; elle n'avait jamais redouté le coup affreux qui l'accablait: tendre, sincère, elle avait aimé de bonne-foi, et avait cru être aimée de même. Telle qu'une rose fanée au midi par les rayons brûlants de l'astre dont la douce chaleur l'a fait éclore au matin, telle, après avoir goûté les plaisirs les plus purs dans le sein de l'amour, Mélanide n'espérait plus que des jours malheureux. Une sombre mélancolie s'était emparée de son âme, et l'avait rendue incapable d'éprouver désormais aucune douceur: elle ne se rappelait qu'avec larmes le souvenir de d'Elcourt, et quelqu'affligeant qu'il fût, c'était son unique consolation.
Que d'Elcourt se crut heureux tant que dura son ivresse! Que son sort lui parut délicieux tant qu'il n'eut pas épuisé tous les raffinements d'une volupté enchanteresse, et tant que la Marquise put couvrir de fleurs les liens qui l'enchaînaient! On s'exagère souvent de loin un bonheur qui s'évanouit dès qu'il est vu de près: bien-tôt le charme de l'illusion se dissipa. La Marquise détruisit par ses bizarreries et ses caprices, ce prestige, ce fantôme de félicité que ses enchantements avaient fait naître.
Peut-être jusque-là d'Elcourt avait-il cru être amoureux; mais quand ses désirs furent satisfaits, sa passion s'anéantit: revenu comme d'un songe, il détesta l'erreur de ses sens, et ne songea plus qu'à la réparer. La Marquise elle-même lui en fournit bien-tôt l'occasion.
Un jour que, fatigués l'un de l'autre, ils ne savaient plus que se dire, elle lui demanda si Mélanide ne lui avait jamais écrit; le Comte, sans deviner le but de cette question, lui répondit qu'il avait plusieurs Lettres d'elle. -- Je serais charmée de voir du style de cette femme merveilleuse: apportez-les moi demain, nous nous en amuserons. -- Madame veut, sans doute, mettre ma discrétion à l'épreuve? -- Moi, point du tout; je veux uniquement savoir si l'on a jugé aussi sainement de son esprit que de sa figure, et justifier en même-temps, s'il est possible, le goût que vous aviez pris pour elle. Je veux donc que vous m'apportiez ces lettres demain au plus tard: je le veux, entendezvous. -- Je n'ignore pas, Madame, ce que je dois à une femme qui a eu assez de confiance en moi pour m'accorder une preuve écrite de ses sentiments: les lettres de Mélanide ne contiennent rien que tout le monde ne puisse voir; mais je ne puis en disposer, c'est un dépôt que je dois respecter: je la respecterai toujours elle-même: (il avait presque dit je l'aimerai toujours) vous me demandez ces lettres; c'est tout ce que vous pourriez faire si elle était du nombre de ces femmes légères qui en écrivent indifféremment à tous les hommes. -- Point d'épigrammes, Monsieur; en un mot, est-ce inutilement que je vous presse de me faire cet important sacrifice? -- Oui, Madame, très-inutilement. -- Je vous entends, Monsieur; vous êtes encore plus attaché à cette femme que je n'avais pensé. Quoi qu'il en soit, ne me revoyez que ses lettres à la main.
Le Comte la quitta froidement, bien résolu à ne jamais se prêter à une action aussi éloignée de ses principes: cet événement lui rappela plus fortement que jamais le souvenir de Mélanide. Que la beauté parée des grâces de la vertu est séduisante!
Cette Mélanide oubliée si longtemps, si injustement; mais toujours tendre, toujours égale, toujours sensible, toujours fidèle, peut-être, fut enfin regrettée: l'image de cette femme si chérie, si digne d'adoration, et qu'une fantaisie avait éloignée du cœur de d'Elcourt s'y retraça plus fortement que jamais: la Marquise en fut à son tour effacée pour toujours. Mélanide n'avait employé pour séduire le Comte, ni ces faux dehors, ni ce manège adroit, uniques ressources de la coquetterie: elle s'était contentée d'aimer sans partage et de laisser voir tout son amour à celui qui l'avait fait naître. Mais comment la revoir, après l'avoir si cruellement outragée? Comment obtenir le pardon de ses injustices? Le sacrifice du cœur de la Marquise était-il suffisant pour les expier?
D'Elcourt balança long-temps entre les intérêts de son cœur et la honte de l'infidélité: enfin rassuré par la connaissance qu'il avait de l'âme de Mélanide, il revole à ses pieds, fait parler ses larmes, son repentir, son désespoir: attendrie et troublée, elle hésite, elle détourne ses beaux yeux; elle parle et veut mettre de la fierté et de l'indifférence dans ses discours; son dépit et son amour éclatent et la trahissent malgré tous ses efforts.
L'ingrat dont la douleur éloquente la pénétrait, implorait son pardon avec des grâces si touchantes; il avait été si tendrement aimé, qu'elle sentit que sa colère disparoîtroit bien-tôt pour faire place aux sentiments les plus doux.
L'empreinte de la plus profonde tristesse, ce tendre embarras, ce silence même qui dit tant de choses, et sur-tout le cœur de Mélanide, parlaient d'une manière triomphante en faveur de d'Elcourt; mais peut-on croire aux serments d'un parjure? Non, disait-elle, non, laissez-moi vous oublier. Vous m'avez trompée; vous avez voulu perdre mon cœur et vous l'avez perdu: si j'étais assez faible pour aimer l'amant d'une autre, je saurais lui déguiser ma tendresse; je saurais peut-être la vaincre. -- Ah!
Mélanide, ne déchirez point mon cœur par ce funeste souvenir: si vous ne me détestez point, cessez de vous faire un jeu cruel de mon tourment: je l'avoue en rougissant, une femme bien peu digne de vous être comparée avait su me séduire; j'ai pu recevoir un portrait pour gage de sa tendresse: un portrait, Mélanide, qui n'était pas le vôtre, que votre main ne m'offrait pas! A ces mots il déchire, il brise une boîte qu'il avait reçue de la Marquise, et il en jette les morceaux aux pieds de Mélanide: elle ne pouvait plus lui dérober son attendrissement: il en ressentit la joie la plus vive: leurs regards se rencontrèrent: elle finit par lui pardonner.
Que de chagrins évanouis par cette réconciliation! Que de doutes détruits par les plus tendres protestations de fidélité! Une autre, lui dit-elle, pourrait encore vous séduire par l'espoir du plaisir; mais songez, cher d'Elcourt, que, jusqu'au moment où nous serons unis pour jamais, je n'ai que mon cœur à vous donner. -- Votre cœur, Mélanide, suffit à mon bonheur, à mes plaisirs: peut-être, ajouta-t-il, en la fixant tendrement, peut-être un jour les rendrez-vous plus vifs et plus sensibles; mais ils ne seront jamais plus doux qu'en ce moment.Le changement imprévu de d'Elcourt rendit Madame de Migneville furieuse: en vain elle écrivit, commanda, supplia; tous ses efforts furent autant de trophées élevés à la gloire de sa rivale. Lassée enfin, de l'inutilité de ses démarches, elle songea aux moyens de se consoler; mais sans abandonner le projet de se venger de l'infidélité du Comte. Quoiqu'elle l'eût aimé, son cœur était blessé moins vivement que son amour propre: elle aurait pu pardonner à d'Elcourt de l'avoir quittée; mais jamais de l'avoir quittée le premier.
Elle avait encore un reste de ressentiment contre Madame de Merval. On se rappelle peut-être le dépit et la jalousie que cette petite femme lui avaient causés dans cette partie de campagne où elle avait paru vouloir lui enlever d'Elcourt. C'est une offense que les femmes ne se pardonnent guère. Madame de Merval n'avait pas réussi, il est vrai; mais elle en avait laissé paraître le désir, et en pareil cas la moindre velléïté est un crime. Merval était charmant, mais c'était un de ces hommes de l'autre siècle, qui aiment comme des furieux quand ils ont le malheur d'aimer; qui sacrifient à leur amour, rang, fortune, honneurs et sa femme en avait fait l'épreuve. J'ai dit qu'il l'avait épousée par inclination: c'était une passion violente, et elle le payait d'une réciprocité qui ne lui laissait rien à désirer. Cette femme, cependant, était l'inconséquence même.
Il n'y avait rien de si beau qu'elle: elle le savait: elle le disait, et protestait aux gens qu'ils étaient amoureux d'elle, ou qu'ils le deviendraient: elle s'en moquait: elle se plaisantait elle-même, et il arrivait souvent que ce badinage tournait la tête à ceux qui ne voulaient que rire un moment de ses folies. On ne doit pas être surpris qu'avec ce caractère elle eût fait des agaceries à d'Elcourt, quoiqu'au fond elle se souciât peu de lui. Elle ne voulait que désoler un moment la Marquise et elle y avait réussi.
C'est ce composé singulier de déraison et d'agréments qui lui attachait Merval plus fortement même qu'avant leur mariage. Il s'était fait une réputation au service, et à tous égards, il la méritait bien. Très-peu de temps après son mariage, le Corps où il servait fut désigné pour une expédition qu'on regardait comme fort dangereuse: amoureux de sa femme à l'excès, il se disposa cependant sans murmurer à partir. Madame de Merval, qui l'idolâtrait, désespérée d'un départ dont la seule idée la faisait mourir mille fois par les suites funestes qu'elle envisageait, mit en œuvre les prières les plus touchantes pour l'arrêter. Merval n'ignorait pas qu'une retraite prématurée, ferait à sa réputation une tache irréparable, et il résista long-temps à toutes ces attaques. Mais il est des moyens contre lesquels nous tenons difficilement, des moments, (et les femmes les connaissent parfaitement) où elles peuvent tout demander, et où nous ne leur refusons rien. On peut croire que Madame de Merval n'avait négligé aucune ressource: en effet, entraîné par un penchant irrésistible, quoique rougissant intérieurement d'une condescendance aussi aveugle, le plus faible et le plus amoureux des hommes, consentit à faire le sacrifice tout entier. Il quitta le service pour une Charge de Judicature. A peine eut-il pris ce parti, fi coûteux à un galant-homme, qu'il s'en repentit; mais il était trop tard, et sa démission avait été acceptée. Tout entier alors à sa femme, il ne songea donc plus qu'à s'affranchir près d'elle d'un souvenir importun, et qu'à faire tomber les épigrammes en les méprisant.
Dès qu'il eut acquis le petit nombre de connaissances nécessaires pour obtenir le droit de juger ses semblables, son premier soin fut de se présenter à sa femme sous un vêtement qu'il n'avait pris que pour elle: cet habit le rendait méconnaissable; une ample perruque lui couvrait la moitié du visage, retombait sur ses épaules, et descendait jusqu'à sa ceinture: un bonnet noir remplaçait sur sa tête le panache blanc des enfants de Mars; une longue robe de pourpre à larges plis l'enveloppait tout entier, et de longues manches rabattues jusques sur ses doigts, achevaient de l'embarrasser et de lui donner un air d'autant plus empesé, que lui-même il se trouvait fort ridicule.
Il croyait surprendre agréablement Madame de Merval, et il entra chez elle pendant qu'elle déjeunoit; mais ce changement dont elle n'avait pas été prévenue, lui fit jeter un cri d'étonnement: elle se leva si précipitamment, qu'elle renversa sa table et son chocolat, et fuyant un homme qui venait lui prouver la plus violente passion, elle courut se cacher au fond de son appartement. Merval, anéanti d'un accueil auquel il devait si peu s'attendre, voulut inutilement lui faire entendre raison; il ne lui fut pas possible de percer jusqu'à elle. Ce passage subit d'une profession dont les femmes n'aiment et ne voient que les brillantes frivolités, le contraste prodigieux de cette profession, dis-je, avec un état qui exige toute la lenteur de la gravité, toute la maturité de la prudence, toute l'assiduité du travail, avait produit une espèce de révolution dans l'esprit léger de cette petite femme, et elle détestait alors le même homme qu'elle adorait un moment auparavant. Une injustice aussi marquée réduisit Merval au désespoir; mais toujours esclave, toujours idolâtre d'une femme capricieuse, et cependant charmante, il ne se sentit point le courage de prendre le ton d'autorité qui convenait dans cette occasion. Les reproches les plus tendres furent les seules armes qu'il employa.
La petite Merval, toujours aussi inconséquente et aussi folle, répondit constamment qu'elle n'aimerait jamais deux hommes; qu'elle était toute à Merval Militaire, et qu'elle avait une répugnance invincible pour Merval Magistrat.
Cette aventure faisait beaucoup de bruit, et dans l'instant de désœuvrement où se trouvait Madame de Migneville, elle songea à s'en prévaloir: elle crut qu'il y aurait un extrême plaisir à rendre amoureux un homme qui aimait si parfaitement: elle n'avait jusque-là inspiré que des goûts passagers; elle voulait faire une passion. D'ailleurs elle avait à se plaindre de Madame de Merval, et la circonstance était unique pour prendre sa revanche.
Le Procès de Madame de Mélicourt était sur le point d'être jugé, et son obligeante amie l'accompagnait dans toutes les visites qu'elle faisait à cette occasion à ses Juges.
Merval était du nombre. Madame de Mélicourt, uniquement occupée de cette affaire, qui était de la plus grande importance pour elle, avait perdu de vue tous les plaisirs frivoles qui remplissaient les instants de la Marquise.
Absorbée dans les titres, les Actes, les Mémoires, entourée d'Avocats et de gens de loi, tout ce qui n'avait pas rapport à son affaire était étranger pour elle. Je connais beaucoup Merval, lui dit la Marquise; je me charge de le voir: j'irai seule, et je vous promets de mettre dans mes sollicitations tout l'intérêt et toute la vivacité que vous pouvez désirer de moi. Madame de Mélicourt ne demandait pas mieux. Au moins, lui dit-elle, n'allez pas oublier que mon affaire est le principal objet de votre visite, et quoiqu'il puisse arriver, ne séparez pas vos intérêts des miens. La Marquise le lui promit. C'est un état bien scabreux et très-délicat que celui de Juge. Il est bien beau; mais il est bien plus dangereux de décider du haut de son tribunal de la vie et de la fortune des hommes? Sans cesse entre la justice et l'iniquité, comment démêler le fil imperceptible qui les sépare? Ce n'est rien encore que de voir ce qui est juste, si on ne le pratique; et pour cela, il faut presque se dépouiller ici de sa qualité d'homme: il faut imposer silence à toutes ses passions; il faut étouffer l'impression des sens; il faut fermer son cœur à l'intérêt, à l'ambition, aux instances de l'amitié, aux sollicitations de l'autorité, et sur-tout aux insinuations, aux séductions de l'amour: il faut voir à ses pieds la beauté touchante et désolée sans être ému d'une pitié dangereuse: il faut détourner les yeux de dessus des charmes dont souvent on peut disposer, et mettre dans ses discours et dans ses réponses une austérité, une sévérité qu'on n'a pas dans son cœur. Un Juge intègre n'est point un homme; c'est un Dieu à qui le bien qu'il fait tient lieu de tout celui dont il se prive.
Madame de Migneville se rendit chez Merval: une impression de mélancolie était encore répandue sur le visage du nouveau Magistrat; il semblait dire: plaignez-moi. Et en effet, la Marquise en se rappelant la cause de sa tristesse, sentit redoubler l'intérêt qu'elle prenait à lui. Je viens soutenir auprès de vous, lui dit-elle, les droits d'une amie, et les détails que j'ai à vous faire rendront ma visite un peu longue. Heureusement, Madame, je suis libre, lui répondit-il, en la conduisant dans son cabinet, et vous pouvez disposer de tout mon temps. Il donna ordre à l'instant qu'on dit à tout le monde qu'il n'y était pas. Il comprend à ravir, se dit la Marquise: on ne nous troublera point, et c'est beaucoup.
Le portrait de Madame de Merval ornait ce cabinet. Voilà qui est peint divinement, lui dit-elle; Madame de Merval est belle comme une Ange dans portrait, et cependant elle est encore mieux qu'on ne l'a représentée. -- Il est vrai, Madame, qu'elle est très-bien. -- Très-bien! c'est une expression trop froide pour une femme à qui l'on a tout sacrifié: votre femme est adorable; et si le cœur répondait... -- Madame, je n'ai point à me plaindre de Madame de Merval, et si elle avait des torts avec moi, je n'aurais garde de les rendre publics; mais je ne lui en trouve aucun, et je suis un peu surpris que l'on s'inquiète pour moi. -- Rien de mieux, ni de plus délicat, mon cher Merval; mais la dissimulation est inutile entre nous: je sais votre histoire; elle est affreuse; avoir tout sacrifié... -- Je n'ai fait que suivre mon penchant, Madame; tout ceci, d'ailleurs, est mon affaire, et souffrez que je vous réitére que je ne me plains point de Madame de Merval. Mais puis-je savoir ce que vous exigez de moi? La plaie est encore fraîche, se dit Madame de Migneville, et je m'y suis mal prise: il faut chercher un autre biais. Elle lui fit alors un détail rapide de l'affaire de Madame de Mélicourt. Vous voyez, ajouta-t-elle, que rien n'est plus juste que sa cause, et que vous ne pouvez vous dispenser de lui être favorable. -- Madame, je l'examinerai, et je désire très-sincèrement que ses droits soient aussi fondés que vous le prétendez. -- Il faudra les trouver tels, Monsieur; il le faudra absolument.
Mais savez-vous que vous avez pris à un point qui vous rend méconnaissable, le flegme, la morgue, et froid glaçant de l'état que vous avez embrassé. Je commence à n'être plus si surprise de la disparate de Madame de Merval: il ne tiendrait cependant qu'à vous de la ramener. Vous avez de quoi faire le plus joli et le plus aimable de tous les Magistrats. -- Madame, je me sens peu propre à ce changement, et il est vrai-semblable que je serai toujours aussi maussade que je le suis actuellement. -- Vous ne m'entendez pas, Merval; vous n'êtes point maussade, et vous ne pouvez jamais l'être. Je connais parfaitement tout ce que vous valez: je suis même persuadée que, si vous en preniez la peine, vous seriez un homme très-dangereux, et qu'on se défendrait difficilement d'une passion que vous voudriez bien sérieusement inspirer. -- Non, Madame, vous n'ignorez pas que ces choses-là ne dépendent nullement de nous, et puisque vous me connaissez si parfaitement, vous devez savoir qui je chercherais à rendre sensible si l'on commandait à l'amour: mais... -- Point de mais, je vous dispense des détours, Merval: vous voulez dire que vous ne seriez pas fâché que je prisse du goût pour vous, n'est-ce pas? -- Moi, Madame?
je vous proteste qu'il n'était nullement question... -- Mais, mon cher Merval, vous ne faites pas attention qu'il est mal-honnête de vous défendre si sérieusement d'une chose aussi évidente. Je ne prends point mal l'espèce de déclaration que vous avez voulu me faire. Non: personne n'a plus d'indulgence que moi pour les faiblesses du cœur: je vous permets de m'aimer, de me le dire: je consens à être votre meilleure amie; je veux même vous dire comme il faut vous y prendre avec votre femme pour la mettre à la raison, et si vous n'y pouvez parvenir, je vous promets alors de partager la passion que vous avez pour moi. Que voulez-vous de plus? On a vu que Merval était bien loin de faire une déclaration à Madame de Migneville: il n'avait même aucun goût pour elle; mais il y a des choses d'honnêteté et de bon procédé auxquelles on ne se refuse guère, à moins de vouloir passer pour brutal.
D'ailleurs, l'amour n'est pas toujours nécessaire pour enflammer l'imagination; la Marquise était trop bien pour que Merval fit le cruel hors de propos, et son erreur paraissait de trop bonne foi pour qu'il eût le courage de la détromper. Il lui dit donc des choses assez tendres, et s'assit près d'elle en lui prenant les mains. L'art de filer une conversation de cette nature n'était point nouveau pour elle.
De son côté, il passait pour avoir des qualités peu communes. Insensiblement le charme impérieux des sens lui fit éprouver tout son pouvoir: bientôt ses yeux devinrent brûlants de désirs: les couleurs vives et riantes du plaisir colorerent son visage: celui de la Marquise était animé par l'expression touchante du désir qui appelle la volupté. Elle ne paraissait pas disposée à faire la moindre résistance: au contraire, ses regards languissants, sa respiration entrecoupée annonçaient qu'il se passait en elle quelque chose d'extraordinaire. Enfin Merval allait se précipiter au centre du bonheur quand la porte du cabinet s'ouvrit tout-à-coup; c'était Madame de Merval. Elle avait reconnu l'équipage de Madame de Migneville, et apprenant que Merval avait ordonné qu'on les laissât seuls, il n'en avait pas fallu davantage pour la décider à entrer. Elle avait entendu une partie de la conversation; d'ailleurs, rien n'était moins équivoque que ce qu'elle voyait. Pardon, Madame, dit-elle ironiquement à la Marquise, pardon si je trouble un tête-à-tête où il me paraît que je suis de trop: je viens aussi solliciter Monsieur: et pendant qu'il est d'humeur à accorder des grâces, je me hâte d'y participer. Vous n'êtes point de trop, Madame, répondit la Marquise, embarrassée au dernier point; vous arrivez, au contraire, fort à propos pour mettre le sceau à une réconciliation que je vous ménageais à tous deux. Une réconciliation, Madame! j'avoue que votre procédé est d'une générosité rare; mais depuis quand sommes-nous brouillés? Qui vous l'a dit? Est-ce toi, Merval? Et pourquoi le serions-nous? Il est difficile de rendre tous les sentiments dont Merval était agité en ce moment. Confus d'avoir été surpris par sa semme, et comblé cependant d'avoir excité sa jalousie, il ne put contenir sa joie plus longtemps. Jamais, s'écria-t-il en l'embrassant; non, jamais je n'ai cessé de t'adorer. Eh bien, Madame! reprit la maligne petite femme, vous l'entendez; et vous voyez que tous vos bons offices sont désormais superflus: croyez cependant que ma reconnaissance égale tout ce que vous avez eu dessein de faire pour moi. Le rôle de Madame de Migneville n'était pas le rôle brillant de cette scène: la petite Merval paraissait disposée à profiter de tous ses avantages, et à ne pas lui faire grâce d'une seule plaisanterie.
La retraite était donc le seul parti qui lui restât à prendre, et c'est celui qu'elle prit. Merval lui donna la main, et sa femme eut encore la méchanceté de la reconduire en faisant quelques épigrammes sanglantes que leur sens équivoque pouvait faire prendre à leurs gens pour des choses honnêtes, mais auxquelles la Marquise ne pouvait se méprendre.Ils rentrèrent, et l'on peut croire que Madame de Merval ne s'amusa pas à des reproches inutiles, et qu'elle jouit des honneurs d'un triomphe qui n'avait point été préparé pour elle.
Il est inutile d'expliquer comment par une suite de l'inconséquence de son caractère, le caprice et la jalousie ranimèrent tout-à-coup ses sentiments pour Merval. De son côté, il se contenta de lui prouver de la manière la plus claire et la plus évidente, que son tête-à-tête avec Madame de Migneville était sans conséquence. Réunis depuis ce moment, ils s'aimèrent toujours avec une tendresse encore plus vive qu'avant leur brouillerie.
Madame de Migneville tâcha de se faire illusion sur tout ce que cette aventure avait d'humiliant pour elle, et d'en effacer le souvenir par quelqu'autre mieux concertée: mais corrigée pour jamais du dessein de faire des passions, et dégoûtée de l'amour, elle ne voulait plus qu'effleurer le sentiment, et que prendre la surface du plaisir plutôt que d'user sa sensibilité par trop d'amour.
Saint-Ange lui convenait parfaitement; elle n'eut pas de peine à le ramener à ses pieds: un regard d'une jolie femme suffit pour fixer un homme qui fait gloire d'être à toutes. Il crut bonnement tout ce qu'elle lui raconta de son aventure avec d'Elcourt; et quand il en aurait douté, il était trop peu délicat pour chercher à éclaircir ses doutes.
L'outrage qu'elle s'imaginait avoir reçu du Comte et de Mélanide, n'était pas encore sorti de son cœur: elle n'attendait que l'occasion de s'en venger avec éclat. Depuis quelques jours elle paraissait dévorée d'une profonde mélancolie, et jusque-là Saint-Ange l'avait pressée en vain de lui en dire le sujet.
Les femmes ont les pleurs à leur commandement, et jamais elles ne sont plus puissantes que lorsqu'elles emploient ces marques de leur faiblesse. Quelques larmes adroites avaient affecté Saint-Ange très-vivement. Ma vie, lui dit-il, ma fortune, toute mon existence est à vous: que je puisse l'employer à vous servir, et ce bonheur me tiendra lieu de tous ceux auxquels j'osais aspirer. Que vous dirai-je, cher Saint-Ange, interrompit-elle, avec amertume, et comme vaincue par ses importunités, et quel remède apporterez-vous à mes maux? Qui peut réparer l'injure que me fait d'Elcourt, en publiant que je vous ai poursuivi, vexé, forcé à vous attacher à moi?
Jaloux de votre tendresse et désespéré de n'avoir pu me rendre sensible, il veut me contraindre à ne plus vous voir, et puis-je, en effet, après de tels bruits, souffrir davantage vos assiduités? Non, Saint- Ange, et le désir de me dérober à ses persécutions, me fera, sans doute, hâter le moment de mon départ. La douceur de répandre mes peines dans le sein d'un ami, m'engage seule à vous les confier: ne nous voyons plus, et que jamais ce secret ne sorte d'entre nous.
Ce manège avait produit tout son effet, et la fureur de Saint Ange éclatait dans ses regards: un nouvel incident vint encore l'augmenter: comme la Marquise achevait ces paroles, on lui remit un paquet: c'était de la part du Comte. Ce matin même outrée de n'en avoir aucune réponse satisfaisante, elle lui avait écrit pour lui redemander toutes ses lettres et son portrait: c'était cette même miniature que, dans un transport de tendresse, il avait imprudemment déchirée aux pieds de Mélanide; la lettre de Madame de Migneville était infiniment pressante et ne lui laissait pas le temps de réparer cette faute.
Il lui renvoya donc la boîte dans l'état de délabrement où elle était, et en s'excusant du mieux qu'il put. La Marquise ouvrit impatiemment le paquet: dans la fureur où la mit la vue de son portrait déchiré, elle le montra à Saint-Ange, qui, déjà animé par ses discours, ne put se contenir plus long-temps. Il était intimement lié avec le Comte; mais il était François et brave, et ces deux titres font aisément oublier les lois de l'amitié pour venger l'honneur d'une femme qu'on aime. Sans exiger d'autres détails il sortit impétueusement de chez la Marquise, malgré les efforts qu'elle faisait pour l'arrêter, et se rendit sur le champ chez d'Elcourt avec ses lettres, qu'elle n'avait pas eu le temps de retirer de ses mains.
Il entra brusquement dans l'appartement du Comte: celui-ci était seul, plongé dans cette douce rêverie, dans cette ivresse voluptueuse, où l'âme satisfaite, quoique le cœur désire encore, s'arrête avec contentement sur les plus flatteuses idées. Il se peignait Mélanide entraînée par sa propre tendresse, cédant à ses désirs, livrée à ses transports et comblant tous ses vœux. Il était loin d'imaginer en ce moment que la Marquise voudrait encore troubler son bonheur: il allait se rendre chez Mélanide et sans deviner quel sujet amenait Saint-Ange, il maudit en secret un contre-temps qui retardait ses plaisirs: il cherchait même un prétexte honnête pour s'en débarrasser quand Saint-Ange le prévint, le pria de le suivre, et sortit sans rien ajouter. Le Comte étonné d'un abord si laconique et si peu ménagé, le suivit et lui en demanda le sujet. Saint-Ange garda le silence, et d'Elcourt, toujours incertain, prit le parti de l'imiter. Arrivés dans un endroit écarté, Saint-Ange le força de mettre l'épée à la main, sans vouloir entrer dans aucune explication. Un homme d'honneur évite les querelles, mais il ne les fuit pas: le Comte se mit en défense: il avait conservé tout son sang-froid, et il aurait pu sans peine ôter la vie à un homme que la colère aveuglait, et qui ne songeant qu'à porter des coups mortels, ne pensait point à parer ceux de son adversaire.
Mais d'Elcourt se battait avec un flegme admirable, et tout en parant les coups de Saint-Ange, il prenait soin de le dérober à son fer, et mettait toute son attention à le désarmer: il fut assez heureux pour y réussir, et pour prévenir quelqu'événement tragique, il cassa sa propre épée et en jeta les morceaux loin de lui: le Marquis furieux avait déjà relevé la sienne: cet acte généreux (quoiqu'imprudent peut-être) la fit tomber de ses mains, et d'Elcourt parvint à le calmer entièrement.Dans la chaleur du combat, les lettres de Madame de Migneville étaient tombées à terre: d'Elcourt les aperçut et présuma d'où partait le coup. Soyez moins prompt désormais, dit-il, à Saint-Ange: nous avons presque été victimes l'un et l'autre de la fureur d'une femme vindicative; il faut nous en garantir pour toujours.
Il lui fit sur le champ le détail de ce qui s'était passé entre lui et la Marquise, et de ce qui les avait brouillés ensemble. Ensuite, ramassant un des billets qu'elle lui avait écrits, il le donna à Saint-Ange. S'il vous reste encore quelques doutes, ajouta-t-il, ces lettres, que vous n'avez sûrement pas lûes, pourront les dissiper: vous y verrez tous mes torts envers elle: quand même elle vous serait moins connue, le péril où elle nous a exposés, me dispenserait d'avoir pour elle les égards que mériterait toute autre femme. A ces mots il le quitta pour aller près de Mélanide, éprouver la différence qu'il y a entre l'amour d'une coquette et celui d'une femme vertueuse.SaintAnge
resté seul, lut le billet suivant. “Je ne vous ai pas vu ce matin, Comte; qu'êtes-vous devenu? Que vous connaissez mal le prix des instants! Je n'en ai qu'un dans le jour à vous donner, et il s'écoule sans que j'entende parler de vous: le reste du temps obsédée par mille importuns, fatiguée de leur insipide hommage, mes yeux seuls peuvent vous dire que mon cœur vous distingue. Ah!
d'Elcourt, que j'aime à vous exprimer ma tendresse! que j'aurais de plaisir à vous la prouver! Vous craignez, dites-vous, que je ne vous préfère Saint-Ange; quelle folie! Il est vrai que sa fatuité et son bavardage m'ont quelquefois amusée: mais vos craintes sont d'un enfant: j'avais presque envie de vous en punir. Non, elles me divertissent; personne, avant vous, n'avait imaginé d'être jaloux de Saint-Ange. Répondez-moi sur le champ, ou plutôt apportez-moi ce soir votre réponse vous-même, et ne manquez pas de la faire bien tendre; je vous promets d'être seule.“
Saint-Ange demeura confondu de cette aventure: honteux de s'être laissé jouer par la Marquise, il ne songea, à son tour, qu'aux moyens de l'en punir: le goût qu'il avait pris pour elle se changea en mépris: son amour-propre cruellement blessé, lui suggéra mille projets de vengeance: il s'arrêta à celui qui lui parut le plus singulier.
Il avait assez bonne opinion de lui-même pour ne pas douter du succès de son dessein.
Les femmes sont plus vindicatives que les hommes; mais elles ont les mœurs plus douces: elles sont jalouses, mais elles ne sont point barbares, et je crois que la Marquise avait frémi la première de la fureur de SaintAnge, et qu'il avait été bien au-delà de ce qu'elle désirait de lui: son dessein n'avait été, sans doute, que de l'animer contre d'Elcourt et Mélanide, et de l'engager à faire un éclat, ou à répandre des bruits injurieux à celle-ci. En effet, toutes ces âmes étroites et flétries n'enfantent jamais que des projets petits comme elles, et c'est une chose infiniment heureuse; car, si à leur dépravation se joignaient encore ces grands mouvements, ces secousses violentes qui portent rapidement à toutes les extrémités, ce sexe si charmant deviendrait bien-tôt féroce, et la plus délicieuse de toutes les passions produirait mille atrocités: mais la médisance, les faux bruits, les plaintes, l'aigreur, les petites perfidies; voilà les puissants moyens qu'elles emploient pour se venger, voilà où se consument leurs efforts et toutes leurs passions si violentes en apparence. Si ces premiers mouvements les emportent quelquefois au-delà des bornes de la modération, et sont cause de quelques accidents funestes, elles gémissent bien-tôt elles-mêmes du mal qu'elles ont fait. La sensibilité, la douceur et l'humanité, qui sont leur apanage si naturel, reprennent le dessus, et leur rendent un empire que nous ne leur refusons que lorsqu'elles veulent nous l'arracher.
Le lendemain Saint-Ange retourna chez Madame de Migneville: il lui avait renvoyé ses lettres dès la veille, comme s'il ne les eût emportées que par distraction, et jusque-là, rien ne put faire croire à la Marquise qu'il les avait lûes. Il lui dit qu'il n'avait pu trouver d'Elcourt; mais qu'il n'en était pas moins déterminé à la venger. Elle le supplia de tout oublier, protesta qu'elle mourrait de douleur si elle savait qu'il courût le moindre danger pour elle, et je veux croire qu'elle était sincère. Dans cet instant on vint annoncer à Madame de Mélicourt que son Procès allait être jugé. Elle sortit avec empressement, agitée par la plus affreuse incertitude, et laissa son amie tête-à-tête avec le Marquis. Je crois avoir dit qu'il était de la figure la plus brillante; l'usage lui tenait lieu d'esprit; et sans avoir jamais étudié les femmes, une longue habitude lui avait appris à les connaître parfaitement.
Ce Procès décidé, rien n'arrêtait plus les deux Parisiennes à ***, il crut qu'il convenait d'être anéanti de cet événement: la tristesse le gagna insensiblement: il devint distrait, inquiet: on lui en fit la guerre; il se défendit en homme qui ne veut pas qu'on le croie, et il eut grand soin de ne pas mettre le sens commun dans tout ce qu'il employa pour s'excuser. Me voilà donc à la veille de vous perdre, dit-il enfin à la Marquise, avec une douleur feinte: vous m'aurez bientôt oublié: je serai confondu dans la foule de ceux qui vous ont aimée: on vous rendra de nouveaux hommages; mais songez quelquefois qu'il est un homme sincère qui ne cessera jamais de vous adorer. Il est vrai, répondit-elle, que rien ne nous arrête que ce Procès: cependant, si mon amie le gagne, nous retarderons peut-être notre départ; mais si, par une injustice, qu'il ne faut pas prévoir, elle venait à perdre... Avec quelle tranquillité vous m'annoncez la mort! Et n'ai-je pas raison de frémir, quand je songe que chacun va s'empresser à vous faire oublier le séjour que vous aurez quitté. Eh!
croyez-vous, Saint-Ange, que je quitte ce séjour sans former des regrets, que vous n'ayez pas beaucoup de part à ces regrets?.. Elle agitait son éventail en laissant échapper cet aveu, et s'en couvrait le visage, comme pour cacher la rougeur qu'il devait lui causer. Dieux! que mon bonheur est grand, s'écria Saint-Ange en tombant à ses genoux! Ah! répétez-moi que je ne vous suis pas indifférent. -- Que me demandez-vous encore, Saint-Ange? Ne me sixez plus: vos yeux embarrassent les miens: mais levez-vous, que je n'aie point à me repentir de vous avoir montré toute ma tendresse. Par combien de serments ne tâcha-t-il pas de la rassurer! Qu'il paraissait amoureux, et qu'il savait bien imiter la vérité!
L'expression de la volupté; cette douce langueur et ce trouble intéressant qui l'accompagnent, se peignaient dans ses yeux des plus vives couleurs. Il avait plus d'une fois éprouvé que le plus sûr moyen de troubler la tête d'une femme est de paraître troublé soi-même. La Marquise animée par le badinage voluptueux dont il appuyait ses discours se prêtait sans effort à la douce émotion où il se plaisait à la plonger. Un soupir d'attendrissement lui échappa; Saint-Ange le recueillit sur sa bouche, et loin d'en marquer le moindre ressentiment, ses yeux animés par la volupté en brillèrent d'une flamme nouvelle. Mais quel feu, disait-elle, quelle vivacité! non, cher Saint-Ange...
Non... Je n'y consentirai jamais: finissez, vous dis-je, finissez. Elle prononçait ce mot, tant de fois répété, du ton le moins propre à arrêter le Marquis: il osa tout impunement. Déja les mains de la Marquise pressaient les siennes: déjà agitée par tous les transports, par toutes les fureurs de l'amour, elle lui rendait ses baisers: déjà leurs lèvres en se joignant les préparaient à une union plus étroite: cependant le triomphe du Marquis était encore douteux, et loin d'y mettre le sceau, sa flamme paraissait se ralentir. La Marquise peu faite à tant de longueurs, ne put s'empêcher de lui en faire un tendre reproche. Ingrat, lui dit-elle, vous ne m'aimez pas aussi tendrement que je vous aime: vos soupirs sont moins ardents que les miens; vous vous taisez; vous ne cherchez pas même à me rassurer.
Que j'ai à rougir de ma faiblesse!
Ah! laissez-moi;... laissez-moi, vous dis-je, vous m'importunez.
Saint-Ange qui, sous l'air de la plus vive émotion, avoir conservé tout son sang-froid, se leva avec tranquillité, et changeant tout-à-coup cet air de tendresse si naturellement imité, en un air froid et ironique: vous vous fâchez, je pense, lui dit-il, eh quoi! je vous importune. Ah!
pour une Parisienne, c'est faire une résistance bien maussade: je la pardonnerais à une provinciale; mais à vous, Marquise, à vous! cela m'anéantit.... et comme elle allait répondre... N'allez pas m'alléguer votre vertu: eh!
laissez à nos prudes le vain étalage de cette vertu si farouche; c'est un ridicule dont on ne guérira jamais la Province.
La Marquise anéantie avait les yeux baissés et se taisait. Il se rapproche, une main hardie... Insolent, s'écrie-t-elle avec effort; c'en est trop; sortez de ma présence...
Il me semble que Madame fait la merveilleuse, reprit Saint-Ange; elle me trouve donc bien extraordinaire, bien peu respectueux... Voilà bien les femmes! Y pensez-vous, Marquise?
Laissez là les airs pour un moment, et avouez que vous seriez désolée que tout le monde eût toujours eu autant de respect que moi. D'Elcourt, par exemple, Merval, n'ont-ils pas eu quelquefois l'audace de l'enfreindre? Il est charmant, d'Elcourt; c'est un grand malheur qu'il soit infidèle et indiscret...
Vous rougissez, adorable Marquise: que d'attraits réunis! Mais avez-vous oublié qu'il n'est permis qu'à la pudeur de rougir? Ce pauvre d'Elcourt, il a couru de beaux risques, ainsi que moi; il faut convenir que cette intrigue était filée bien habilement; après tout, ce n'est pas votre faute si le succès n'a pas secondé vos vues...
Mais quoi, vous pleurez, belle Marquise; vous paraissez irritée; cependant vous allez nous quitter, et je serais désespéré de vous voir partir sans nous être réconciliés. De grâce, oublions tout le passé, faisons la paix et embrassons-nous de bonne amitié...
A cette dernière injure, Madame de Migneville transportée de fureur, pleurant de honte et de rage, quitte la place et se jette précipitamment dans son cabinet.
Saint-Ange allait l'y suivre quand il entendit quelqu'un monter avec fracas: le vacarme et les cris réitérés dont les appartements retentissent lui annoncent Madame de Mélicourt.
Bien-tôt il la voit paraître toute effarée, hors d'elle-même, les traits défigurés par tout ce que la colère a de plus violent, s'en prenant dans son désespoir, à tout ce qu'elle rencontrait, brisant les glaces et les porcelaines, criant à l'injustice! mon Procès est perdu, ils m'ont ruinée! il n'y a plus de justice! Enfin elle tombe épuisée dans un fauteuil, entourée des débris du Saxe et du Japon.
A la voix de son amie, la Marquise était rentrée dans le salon, laissant voir encore dans sa parure les marques du désordre où Saint-Ange l'avait mise avec si peu d'utilité. Ma foi, Mesdames, leur dit-il en s'en allant, je vous plains avec toute la sincérité dont je suis capable. Vous, belle Marquise, vous êtes trahie par vos Amans; Madame perd sa fortune: je ne décide pas laquelle est la plus malheureuse. Je vous quitte promptement pour aller publier partout vos infortunes, et l'injustice des hommes à votre égard.
Que signifie le propos de cet étourdi, demanda Madame de Mélicourt?
Partons, dit la Marquise pour toute réponse; j'abhorre un pays où l'on n'éprouve que perfidie: partons sans le moindre retard. D'accord, reprit avec feu son amie; je ne respire pas où règne l'injustice; il est clair que je devais gagner mon Procès: je le perds; il me tarde d'arriver à Paris; c'est-là que les femmes ne sollicitent pas en vain.