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Le paysage dans le cadre des portières
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le paysage dans le cadre des portières Titre : Le paysage dans le cadre des portières Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le paysage dans le cadre des portières Court furieusement, et des plaines entières Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel Où tombent les poteaux minces du télégraphe Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe. Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout, Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ; Et tout à coup des cris prolongés de chouette. — Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux La blanche vision qui fait mon coeur joyeux, Puisque la douce voix pour moi murmure encore, Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement, Au rythme du wagon brutal, suavement.
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Mon cœur jamais fatigué
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Mon cœur jamais fatigué Titre : Mon cœur jamais fatigué Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Car mon cœur, jamais fatigué D'être ou du moins de le paraître, Quoi qu'il en soit, s'efforce d'être Ou de paraître fol et gai. Mais, mieux que de chercher fortune Il tend, ce cœur, dur comme l'arc De l'Amour en plâtre du parc, À se détendre en l'autre et l'une Et les autres : des cibles qu'on Perçoit aux ventres des nuages Noirs et rosâtres et volages Comme tels désirs en flocon.
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Sainte Thérèse veut que la Pauvreté
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sainte Thérèse veut que la Pauvreté Titre : Sainte Thérèse veut que la Pauvreté Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit La reine d'ici-bas, et littéralement ! Elle dit peu de mots de ce gouvernement Et ne s'arrête point aux détails de surcroît ; Mais le Point, à son sens, celui qu'il faut qu'on voie Et croie, est ceci dont elle la complimente : Le libre arbitre pèse, arguë et parlemente. Puis le pauvre-de-cœur décide et suit sa voie. Qui l'en empêchera ? De vœux il n'en a plus Que celui d'être un jour au nombre des élus, Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain, Prodigue et dédaigneux, sur tous, des choses eues, Mais accumulateur des seules choses sues. De quel si fier sujet, et libre, quelle reine !
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Tu n'es pas du tout vertueuse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu n'es pas du tout vertueuse Titre : Tu n'es pas du tout vertueuse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Tu n'es pas du tout vertueuse, Je ne suis pas du tout jaloux ! C'est de se la couler heureuse Encor le moyen le plus doux. Vive l'amour et vivent nous ! Tu possèdes et tu pratiques Les tours les plus intelligents Et les trucs les plus authentiques A l'usage des braves gens, Et tu m'as quels soins indulgents ! D'aucuns clabaudent sur ton âge Qui n'est plus seize ans ni vingt ans, Mais ô ton opulent corsage, Tes yeux riants, comme chantants, Et ô tes baisers épatants ! Sois-moi fidèle si possible Et surtout si cela te plaît, Mais reste souvent accessible À mon désir, humble valet Content d'un « viens ! » ou d'un soufflet. « Hein ? passé le temps des prouesses ! » Me disent les sots d'alentour. Ça, non, car grâce à tes caresses C'est encor, c'est toujours mon tour. Vivent nous et vive l'amour !
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Mais après les merveilles
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Mais après les merveilles Titre : Mais après les merveilles Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Mais après les merveilles Qui n'ont pas de pareilles De l'épaule et du sein, Faut sur un autre mode Dresser une belle ode Au glorieux bassin. Faut célébrer la blanche Souplesse de la hanche Et sa mate largeur, Dire le ventre opime Et sa courbe sublime Vers le sexe mangeur Que chastement, encore Que joliment, décore Et défend juste assez L'ombre qui sied aux choses Divines, peu moroses Rideaux drûment tressés. Teutatès adorable, Saturne plus aimable, Anthropophage cher Qui veut aux sacrifices Non le sang des génisses Mais le lait de ma chair. Nous chanterons ensuite L'aine blonde et sa fuite Ambrée au sein du Saint... Mais déposons la lyre. Livrons-nous au délire Raisonnable et succinct ? Non ! fou, braque, orgiaque. En apache, en canaque Ivre de tafia : Nous ne sommes pas l'homme Pour la docte Sodome Quand la Femme il y a.
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Madrigal
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Madrigal Titre : Madrigal Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Tu m'as, ces pâles jours d'automne blanc, fait mal À cause de tes yeux où fleurit l'animal, Et tu me rongerais, en princesse Souris, Du bout fin de la quenotte de ton souris, Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur Avec l'huile rancie encor de ton vieux pleur ! Oui, folle, je mourrais de ton regard damné. Mais va (veux-tu ?) l'étang là dort insoupçonné Dont du lys, nef qu'il eût fallu qu'on acclamât, L'eau morte a bu le vent qui coule du grand mât. T'y jeter, palme ! et d'avance mon repentir Parle si bas qu'il faut être sourd pour l'ouïr.
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Sur le Tasse en prison
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Sur le Tasse en prison Titre : Sur le Tasse en prison Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les épaves (1866). Sonnet. Le poète au cachot, débraillé, maladif, Roulant un manuscrit sous son pied convulsif, Mesure d'un regard que la terreur enflamme L'escalier de vertige où s'abîme son âme. Les rires enivrants dont s'emplit la prison Vers l'étrange et l'absurde invitent sa raison ; Le Doute l'environne, et la Peur ridicule, Hideuse et multiforme, autour de lui circule. Ce génie enfermé dans un taudis malsain, Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l'essaim Tourbillonne, ameuté derrière son oreille, Ce rêveur que l'horreur de son logis réveille, Voilà bien ton emblème, Ame aux songes obscurs, Que le Réel étouffe entre ses quatre murs ! Écrit en 1842.
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À Climène (I)
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : À Climène (I) Titre : À Climène (I) Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) (Jalousie contre un rival qui n'est plus.) 1671. J'avais cru jusqu'ici bien connaître l'amour : Je me trompais, Clymène ; et ce n'est que d'un jour Que je sais à quel point peuvent monter ses peines. Non pas qu'ayant brûlé pour beaucoup d'inhumaines, Un esclavage dur ne m'ait assujetti ; Mais je compte pour rien tout ce que j'ai senti. Des douleurs qu'on endure en servant une belle Je n'avais pas encor souffert la plus cruelle. La Jalousie aux yeux incessamment ouverts, Monstre toujours fécond en fantômes divers, Jusque-là, grâce aux dieux, n'en avait pu produire Que mon coeur eût trouvés capables de lui nuire. Pour les autres tourments, ils m'étaient fort communs : Je nourrissais chez moi les soucis importuns, La folle inquiétude en ses plaisirs légère, Des lieux où l'on la porte hôtesse passagère ; J'y nourrissais encor les désirs sans espoir, Les soins toujours veillants, le chagrin toujours noir, Les peines que nous cause une éternelle absence. Tous ces poisons mêlés composaient ma souffrance ; La jalousie y joint à présent son ennui : Hélas ! je ne connais l'amour que d'aujourd'hui. Un mal qui m'est nouveau s'est glissé dans mon âme ; Je meurs. Ah ! si c'était seulement de ma flamme ! Si je ne périssais que par mon seul tourment ! Mais le vôtre me perd : Clymène, un autre amant, Même après son trépas, vit dans votre mémoire ; Il y vivra longtemps ; vos pleurs me le font croire. Un mort a dans la tombe emporté votre foi ! Peut-être que ce mort sut mieux aimer que moi ? Certes, il en donna des marques bien certaines, Quand, pour le soulager de l'excès de ses peines, Vous lui voulûtes bien conseiller, par pitié, De réduire l'amour aux termes d'amitié. Il vous crut ; et pour moi, je n'ai d'obéissance Que quand on veut que j'aime avecque violence. Tant d'ardeur semblera condamnable à vos yeux ; Mais n'aimez plus ce mort, et vous jugerez mieux. Comment ne l'aimer plus ? on y songe à toute heure, On en parle sans cesse, on le plaint, on le pleure ; Son bonheur avec lui ne saurait plus vieillir : Je puis vous offenser, il ne peut plus faillir. Ô trop heureux amant ! ton sort me fait envie. Vous l'appelez ami ! je crois qu'en votre vie Vous n'en fîtes un seul qui le fût à ce point. J'en sais qui vous sont chers, vous ne m'en parlez point : Pour celui-ci, sans cesse il est dans votre bouche. Clymène, je veux bien que sa perte vous touche ; Pleurez-la, j'y consens : ce regret est permis ; Mais ne confondez point l'amant et les amis. Votre coeur juge mal du motif de sa peine : Ces pleurs sont pleurs d'amour, je m'y connais, Clymène ; Des amis si bien faits méritent, entre nous, Que sous le nom d'amants ils soient pleurés par vous. Ne déguisez donc plus la cause de vos larmes ; Avouez que ce mort eut pour vous quelques charmes. Il joignait les beautés de l'esprit et du corps ; Ce n'étaient cependant que ses moindres trésors : Son âme l'emportait. Quoiqu'on prise la mienne, Je la réformerais de bon coeur sur la sienne. Exceptez-en un point qui fait seul tous mes biens : Je ne changerais pas mes feux contre les siens. Puisqu'il n'était qu'ami, je le surpasse en zèle ; Et mon amour vaut bien l'amitié la plus belle. Je n'en puis relâcher. N'engagez point mon coeur A tenter les moyens d'en être le vainqueur : Je me l'arracherais ; et vous en seriez cause. Moi cesser d'être amant ! et puis-je être autre chose ? Puis-je trouver en vous ce que j'ai tant loué, Et vouloir pour ami, sans plus, être avoué ? Non, Clymène, ce bien, encor qu'inestimable, N'a rien de votre part qui me soit agréable ; D'une autre que de vous je pourrais l'accepter ; Mais quand vous me l'offrez, je dois le rejeter. Il ne m'importe pas que d'autres en jouissent ; Gardez votre présent à ceux qui me haïssent. Aussi bien ne m'est-il réservé qu'à demi. Dites, me traitez-vous encor comme un ami ? Tâchez-vous de guérir mon coeur de sa blessure ? On dirait que ma mort vous semble trop peu sûre. Depuis que je vous vois, vous m'offrez tous les jours Quelque nouveau poison forgé par les Amours. C'est tantôt un clin d'oeil, un mot, un vain sourire, Un rien ; et pour ce rien nuit et jour je soupire ! L'ai-je à peine obtenu, vous y joignez un mal Qu'après moi l'on peu dire à tous amants fatal. Vous me rendez jaloux ; et de qui ? Quand j'y songe, Il n'est excès d'ennuis où mon coeur ne se plonge. J'envie un rival mort ! M'ajoutera-t-on foi Quand je dirai qu'un mort est plus heureux que moi ? Cependant il est vrai. Si mes tristes pensées Vous sont avec quelque art sur le papier tracées, " Cléandre, dites-vous, avait cet art aussi. " Si par de petits soins j'exprime mon souci, " Il en faisait autant, mais avec plus de grâce. " Enfin, si l'on vous croit, en rien je ne le passe ; Vous vous représentez tout ce qui vient de lui, Tandis que dans mes yeux vous lisez mon ennui. Ce n'est pas tout encor : vous voulez que je voie Son portrait, où votre âme a renfermé sa joie : " Remarquez, me dit-on, cet air rempli d'attraits. " J'en remarque après vous jusques aux moindres traits ; Je fais plus : je les loue, et souffre que vos larmes Arrosent à mes yeux ce portrait plein de charmes. Quelquefois je vous dis : " C'est trop parler d'un mort " ; A peine on s'en est tu, qu'on en reparle encor. " Je porte, dites-vous, malheur à ceux que j'aime : Le Ciel, dont la rigueur me fut toujours extrême, Leur fait à tous la guerre, et sa haine pour moi S'étendra sur quiconque engagera ma foi. Mon amitié n'est pas un sort digne d'envie : Cléandre, tu le sais, il t'en coûte la vie. Hélas ! il m'a longtemps aimée éperdument ; En présence des dieux il en faisait serment : Je n'ai réduit son feu qu'avec beaucoup de peine. " Si vous l'avez réduit, avouez-moi, Clymène, Que le mien, dont l'ardeur augmente tous les jours, Mieux que celui d'un mort mérite vos amours.
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Les azurs
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Les azurs Titre : Les azurs Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Splendides reflets bleus des parois des glaciers, Qui plongez dans une ombre aussi bleue et splendide, Où les pâles azurs des cristaux, des aciers, Se réfractent sans fin en un saphir limpide, Où les argents, tantôt nacrés, tantôt lucides, Près desquels les rayons de lune sont grossiers, S'unissent, en des jeux féeriques et rapides, À des bleus assombris, somptueux et princiers ; Gouffre idéalement bleuâtre, gouffre étrange, Et dans lequel la main invisible d'un ange Sème encor des béryls et des aigues-marines, Je connais, ô glaciers, un abîme plus doux, Plus riche et frissonnant de clartés divines, Dans l'azur d'yeux plus purs et plus profonds que vous.
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Les oiseaux
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Les oiseaux Titre : Les oiseaux Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Orchestre du Très-Haut, bardes de ses louanges, Ils chantent à l'été des notes de bonheur ; Ils parcourent les airs avec des ailes d'anges Échappés tout joyeux des jardins du Seigneur. Tant que durent les fleurs, tant que l'épi qu'on coupe Laisse tomber un grain sur les sillons jaunis, Tant que le rude hiver n'a pas gelé la coupe Où leurs pieds vont poser comme aux bords de leurs nids, Ils remplissent le ciel de musique et de joie : La jeune fille embaume et verdit leur prison, L'enfant passe la main sur leur duvet de soie, Le vieillard les nourrit au seuil de sa maison. Mais dans les mois d'hiver, quand la neige et le givre Ont remplacé la feuille et le fruit, où vont-ils ? Ont-ils cessé d'aimer ? Ont-ils cessé de vivre ? Nul ne sait le secret de leurs lointains exils. On trouve au pied de l'arbre une plume souillée, Comme une feuille morte où rampe un ver rongeur, Que la brume des nuits a jaunie et mouillée, Et qui n'a plus, hélas! ni parfum ni couleur. On voit pendre à la branche un nid rempli d'écailles, Dont le vent pluvieux balance un noir débris ; Pauvre maison en deuil et vieux pan de murailles Que les petits, hier, réjouissaient de cris. Ô mes charmants oiseaux, vous si joyeux d'éclore ! La vie est donc un piége où le bon Dieu vous prend ? Hélas ! c'est comme nous. Et nous chantons encore ! Que Dieu serait cruel, s'il n'était pas si grand !
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Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe Titre : Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe Se vengent toujours. Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe Sous leurs grands coups sourds. Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie, Mieux vaut la mort lente d'autres suivie, Tant le temps est long, tant les coups sont lourds. Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne Se vengent parfois. Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne, Pris entre leurs doigts. Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte, Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate, Mieux vaut l'édredon d'Othello cent fois. Ô toi, persécuter, crains le vampire Et crains l'étrangleur : Leur jour de colère apparaîtra pire Que toute douleur. Tiens ton âme prête à ce jour ultime Qui surprendra l'assassin comme un crime Et fondra sur le vol comme un voleur.
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Marine
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Marine Titre : Marine Poète : Anatole France (1844-1924) Sous les molles pâleurs qui voilaient en silence La falaise, la mer et le sable, dans l'anse Les embarcations se réveillaient déjà. Du gouffre oriental le soleil émergea Et couvrit l'Océan d'une nappe embrasée. La dune au loin sourit, ondoyante et rosée. On voyait des éclairs aux vitres des maisons. Au sommet des coteaux les jeunes frondaisons Commençaient à verdir dans la clarté première. Et le ciel aspirait largement la lumière. Il se fit dans l'espace une vague rumeur Où le travail humain vint jeter sa clameur. Les femmes en sabots descendent du village, Les pêcheurs font sécher leurs filets sur la plage, Et le soleil allume, au dos des mariniers, Les spasmes des poissons dans l'osier des paniers. Dans un creux de falaise où voltige l'étoupe, Un vieil homme calfate, en chantant, sa chaloupe, Tandis que tout en haut, parmi les chardons blancs, Cheminent deux douaniers, au pas, graves et lents. Dans un bateau pêcheur dont la voile latine. Blanc triangle, reluit à travers la bruine, Un vieux marin, debout sur le gaillard d'avant, Tendant le bras au large, interroge le vent.
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Roman
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Roman Titre : Roman Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) I On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. - Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! - On va sous les tilleuls verts de la promenade. Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin - A des parfums de vigne et des parfums de bière... II - Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon D'azur sombre, encadré d'une petite branche, Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche... Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague ; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête... III Le coeur fou robinsonne à travers les romans, - Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants, Sous l'ombre du faux col effrayant de son père... Et, comme elle vous trouve immensément naïf, Tout en faisant trotter ses petites bottines, Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif... - Sur vos lèvres alors meurent les cavatines... IV Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août. Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire. Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût. - Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !... - Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade... - On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
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Hymne à la beauté
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Hymne à la beauté Titre : Hymne à la beauté Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme, Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l'on peut pour cela te comparer au vin. Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ; Tu répands des parfums comme un soir orageux ; Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l'enfant courageux. Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien. Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement. L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! L'amoureux pantelant incliné sur sa belle A l'air d'un moribond caressant son tombeau. Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe, Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu ! Si ton oeil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ? De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène, Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours, Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! - L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
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La pucelle
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La pucelle Titre : La pucelle Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Quand déjà pétillait et flambait le bûcher, Jeanne qu'assourdissait le chant brutal des prêtres, Sous tous ces yeux dardés de toutes ces fenêtres Sentit frémir sa chair et son âme broncher. Et semblable aux agneaux que revend au boucher Le pâtour qui s'en va sifflant des airs champêtres, Elle considéra les choses et les êtres Et trouva son seigneur bien ingrat et léger. C'est mal, gentil Bâtard, doux Charles, bon Xaintrailles, De laisser les Anglais faire ces funérailles À qui leur fit lever le siège d'Orléans. Et la Lorraine, au seul penser de cette injure, Tandis que l'étreignait la mort des mécréants, Las ! pleura comme eût fait une autre créature.
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Joyeuse vie
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Joyeuse vie Titre : Joyeuse vie Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Bien ! pillards, intrigants, fourbes, crétins, puissances ! Attablez-vous en hâte autour des jouissances ! Accourez ! place à tous ! Maîtres, buvez, mangez, car la vie est rapide. Tout ce peuple conquis, tout ce peuple stupide, Tout ce peuple est à vous ! Vendez l'état ! coupez les bois ! coupez les bourses ! Videz les réservoirs et tarissez les sources ! Les temps sont arrivés. Prenez le dernier sou ! prenez, gais et faciles, Aux travailleurs des champs, aux travailleurs des villes ! Prenez, riez, vivez ! Bombance ! allez ! c'est bien ! vivez ! faites ripaille ! La famille du pauvre expire sur la paille, Sans porte ni volet. Le père en frémissant va mendier dans l'ombre ; La mère n'ayant plus de pain, dénûment sombre, L'enfant n'a plus de lait. II. Millions ! millions ! châteaux ! liste civile ! Un jour je descendis dans les caves de Lille Je vis ce morne enfer. Des fantômes sont là sous terre dans des chambres, Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres Dans son poignet de fer. Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique L'eau coule à longs ruisseaux ; Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente, Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante S'infiltrer dans ses os. Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ; L'œil en ces souterrains où le malheur s'acharne Sur vous, ô travailleurs, Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide, Voit des larves errer dans la lueur livide Du soupirail en pleurs. Misère ! l'homme songe en regardant la femme. Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme Etreindre la vertu, Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte, Et n'ose, l'œil fixé sur le pain qu'elle apporte, Lui dire : D'où viens-tu ? Là dort le désespoir sur son haillon sordide ; Là, l'avril de la vie, ailleurs tiède et splendide, Ressemble au sombre hiver ; La vierge, rose au jour, dans l'ombre est violette ; Là, rampent dans l'horreur la maigreur du squelette, La nudité du ver ; Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues, Familles de la vie et du jour disparues, Des groupes grelottants ; Là, quand j'entrai, farouche, aux méduses pareille, Une petite fille à figure vieille Me dit : J'ai dix-huit ans ! Là, n'ayant pas de lit, la mère malheureuse Met ses petits enfants dans un trou qu'elle creuse, Tremblants comme l'oiseau ; Hélas ! ces innocents aux regards de colombe Trouvent en arrivant sur la terre une tombe En place d'un berceau ! Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre ! J'ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière, Râler l'aïeul flétri, La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue, Et l'enfant spectre au sein de la mère statue ! Ô Dante Alighieri ! C'est de ces douleurs-là que sortent vos richesses, Princes ! ces dénûments nourrissent vos largesses, Ô vainqueurs ! conquérants ! Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes, Du cœur de ces mourants. Sous ce rouage affreux qu'on nomme tyrannie, Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie, De l'aube jusqu'au soir, Sans trêve, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes Ainsi que des raisins on écrase des hommes, Et l'or sort du pressoir. C'est de cette détresse et de ces agonies, De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies, Espoir, tu ne vibras, C'est de ces bouges noirs pleins d'angoisses amères, C'est de ce sombre amas de pères et de mères Qui se tordent les bras, Oui, c'est de ce monceau d'indigences terribles Que les lourds millions, étincelants, horribles, Semant l'or en chemin, Rampant vers les palais et les apothéoses, Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses, Et teints de sang humain ! III. Ô paradis ! splendeurs ! versez à boire aux maîtres ! L'orchestre rit, la fête empourpre les fenêtres, La table éclate et luit ; L'ombre est là sous leurs pieds ! les portes sont fermées La prostitution des vierges affamées Pleure dans cette nuit ! Vous tous qui partagez ces hideuses délices, Soldats payés, tribuns vendus, juges complices, Évêques effrontés, La misère frémit sous ce Louvre où vous êtes ! C'est de fièvre et de faim et de mort que sont faites Toutes vos voluptés ! À Saint-Cloud, effeuillant jasmins et marguerites, Quand s'ébat sous les fleurs l'essaim des favorites, Bras nus et gorge au vent, Dans le festin qu'égaie un lustre à mille branches, Chacune, en souriant, dans ses belles dents blanches Mange un enfant vivant ! Mais qu'importe ! riez ! Se plaindra-t-on sans cesse ? Serait-on empereur, prélat, prince et princesse, Pour ne pas s'amuser ? Ce peuple en larmes, triste, et que la faim déchire, Doit être satisfait puisqu'il vous entend rire Et qu'il vous voit danser ! Qu'importe ! Allons, emplis ton coffre, emplis ta poche. Chantez, le verre en main, Troplong, Sibour, Baroche ! Ce tableau nous manquait. Regorgez, quand la faim tient le peuple en sa serre, Et faites, au -dessus de l'immense misère, Un immense banquet ! IV. Ils marchent sur toi, peuple ! Ô barricade sombre, Si haute hier, dressant dans les assauts sans nombre Ton front de sang lavé, Sous la roue emportée, étincelante et folle, De leur coupé joyeux qui rayonne et qui vole, Tu redeviens pavé ! À César ton argent, peuple ; à toi la famine. N'es-tu pas le chien vil qu'on bat et qui chemine Derrière son seigneur ? À lui la pourpre ; à toi la hotte et les guenilles. Peuple, à lui la beauté de ces femmes, tes filles, À toi leur déshonneur ! V. Ah ! quelqu'un parlera. La muse, c'est l'histoire. Quelqu'un élèvera la voix dans la nuit noire. Riez, bourreaux bouffons ! Quelqu'un te vengera, pauvre France abattue, Ma mère ! et l'on verra la parole qui tue Sortir des cieux profonds ! Ces gueux, pires brigands que ceux des vieilles races, Rongeant le pauvre peuple avec leurs dents voraces, Sans pitié, sans merci, Vils, n'ayant pas de cœur, mais ayant deux visages, Disent : — Bah ! le poète ! il est dans les nuages ! — Soit. Le tonnerre aussi. Le 19 janvier 1853.
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Le port
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le port Titre : Le port Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir.Charles Baudelaire.
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C'était en juin, j'étais à Bruxelles
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : C'était en juin, j'étais à Bruxelles Titre : C'était en juin, j'étais à Bruxelles Poète : Victor Hugo (1802-1885) C'était en juin, j'étais à Bruxelles ; on me dit : Savez-vous ce que fait maintenant ce bandit ? Et l'on me raconta le meurtre juridique, Charlet assassiné sur la place publique, Cirasse, Cuisinier, tous ces infortunés Que cet homme au supplice a lui-même traînés Et qu'il a de ses mains liés sur la bascule. Ô Sauveur, ô héros, vainqueur de crépuscule, César ! Dieu fait sortir de terre les moissons, La vigne, l'eau courante abreuvant les buissons, Les fruits vermeils, la rose où l'abeille butine, Les chênes, les lauriers, et toi, la guillotine. Prince qu'aucun de ceux qui lui donnent leurs voix Ne voudrait rencontrer le soir au coin d'un bois ! J'avais le front brûlant ; je sortis par la ville. Tout m'y parut plein d'ombre et de guerre civile ; Les passants me semblaient des spectres effarés Je m'enfuis dans les champs paisibles et dorés ; Ô contre-coups du crime au fond de l'âme humaine ! La nature ne put me calmer. L'air, la plaine, Les fleurs, tout m'irritait ; je frémissais devant Ce monde où je sentais ce scélérat vivant. Sans pouvoir m'apaiser je fis plus d'une lieue. Le soir triste monta sous la coupole bleue. Linceul frissonnant, l'ombre autour de moi s'accrut ; Tout à coup la nuit vint, et la lune apparut Sanglante, et dans les cieux, de deuil enveloppée, Je regardai rouler cette tête coupée. Jersey, le 20 mai 1853.
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La nuit d'août
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : La nuit d'août Titre : La nuit d'août Poète : Alfred de Musset (1810-1857) La muse Depuis que le soleil, dans l'horizon immense, A franchi le Cancer sur son axe enflammé, Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé. Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte ; Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant. Seule, je viens encor, de mon voile couverte, Poser mon front brûlant sur sa porte entr'ouverte, Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant. Le poète Salut à ma fidèle amie ! Salut, ma gloire et mon amour ! La meilleure et la plus chérie Est celle qu'on trouve au retour. L'opinion et l'avarice Viennent un temps de m'emporter. Salut, ma mère et ma nourrice ! Salut, salut consolatrice ! Ouvre tes bras, je viens chanter. La muse Pourquoi, coeur altéré, coeur lassé d'espérance, T'enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ? Que t'en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ? Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ? Que fais-tu loin de moi, quand j'attends jusqu'au jour ? Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde. Il ne te restera de tes plaisirs du monde Qu'un impuissant mépris pour notre honnête amour. Ton cabinet d'étude est vide quand j'arrive ; Tandis qu'à ce balcon, inquiète et pensive, Je regarde en rêvant les murs de ton jardin, Tu te livres dans l'ombre à ton mauvais destin. Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne, Et tu laisses mourir cette pauvre verveine Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux, Devaient être arrosés des larmes de tes yeux. Cette triste verdure est mon vivant symbole ; Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux, Et son parfum léger, comme l'oiseau qui vole, Avec mon souvenir s'enfuira dans les cieux. Le poète Quand j'ai passé par la prairie, J'ai vu, ce soir, dans le sentier, Une fleur tremblante et flétrie, Une pâle fleur d'églantier. Un bourgeon vert à côté d'elle Se balançait sur l'arbrisseau ; Je vis poindre une fleur nouvelle ; La plus jeune était la plus belle : L'homme est ainsi, toujours nouveau. La muse Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes ! Toujours les pieds poudreux et la sueur au front ! Toujours d'affreux combats et de sanglantes armes ; Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond. Hélas ! par tous pays, toujours la même vie : Convoiter, regretter, prendre et tendre la main ; Toujours mêmes acteurs et même comédie, Et, quoi qu'ait inventé l'humaine hypocrisie, Rien de vrai là-dessous que le squelette humain. Hélas ! mon bien-aimé, vous n'êtes plus poète. Rien ne réveille plus votre lyre muette ; Vous vous noyez le coeur dans un rêve inconstant ; Et vous ne savez pas que l'amour de la femme Change et dissipe en pleurs les trésors de votre âme, Et que Dieu compte plus les larmes que le sang. Le poète Quand j'ai traversé la vallée, Un oiseau chantait sur son nid. Ses petits, sa chère couvée, Venaient de mourir dans la nuit. Cependant il chantait l'aurore ; Ô ma Muse, ne pleurez pas ! À qui perd tout, Dieu reste encore, Dieu là-haut, l'espoir ici-bas. La muse Et que trouveras-tu, le jour où la misère Te ramènera seul au paternel foyer ? Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière De ce pauvre réduit que tu crois oublier, De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure, Chercher un peu de calme et d'hospitalité ? Une voix sera là pour crier à toute heure : Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ? Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ? Crois-tu qu'en te cherchant tu te retrouveras ? De ton coeur ou de toi lequel est Le poète ? C'est ton coeur, et ton coeur ne te répondra pas. L'amour l'aura brisé ; les passions funestes L'auront rendu de pierre au contact des méchants ; Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes, Qui remueront encor, comme ceux des serpents. Ô ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même, Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime, Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi, M'emporteront à lui pour me sauver de toi ? Pauvre enfant ! nos amours n'étaient pas menacées, Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées, Sous les verts marronniers et les peupliers blancs, Je t'agaçais le soir en détours nonchalants. Ah ! j'étais jeune alors et nymphe, et les dryades Entr'ouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux, Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux. Qu'as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ? Qui m'a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ? Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse Qui porte dans ses mains la force et la santé. De tes yeux insensés les larmes l'ont pâlie ; Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu. Et moi qui t'aimerai comme une unique amie, Quand les dieux irrités m'ôteront ton génie, Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ? Le poète Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore Sur la branche où ses oeufs sont brisés dans le nid ; Puisque la fleur des champs entr'ouverte à l'aurore, Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore, S'incline sans murmure et tombe avec la nuit, Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure, On entend le bois mort craquer dans le sentier, Et puisqu'en traversant l'immortelle nature, L'homme n'a su trouver de science qui dure, Que de marcher toujours et toujours oublier ; Puisque, jusqu'aux rochers tout se change en poussière ; Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ; Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ; Puisque sur une tombe on voit sortir de terre Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain ; Ô Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? J'aime, et je veux pâlir ; j'aime et je veux souffrir ; J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ; J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie Ruisseler une source impossible à tarir. J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse, Ma folle expérience et mes soucis d'un jour, Et je veux raconter et répéter sans cesse Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse, J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour. Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore, Coeur gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé. Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur pour éclore. Après avoir souffert, il faut souffrir encore ; Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé.
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Que ton âme soit blanche ou noire
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Que ton âme soit blanche ou noire Titre : Que ton âme soit blanche ou noire Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Que ton âme soit blanche ou noire, Que fait ? Ta peau de jeune ivoire Est rose et blanche et jaune un peu. Elle sent bon, ta chair, perverse Ou non, que fait ? puisqu'elle berce La mienne de chair, nom de Dieu ! Elle la berce, ma chair folle, Ta folle de chair, ma parole La plus sacrée ! — et que donc bien ! Et la mienne, grâce à la tienne, Quelque réserve qui la tienne, Elle s'en donne, nom d'un chien ! Quant à nos âmes, dis, Madame, Tu sais, mon âme et puis ton âme, Nous en moquons-nous ? Que non pas ! Seulement nous sommes au monde. Ici-bas, sur la terre ronde, Et non au ciel, mais ici-bas. Or, ici-bas, faut qu'on profite Du plaisir qui passe si vite Et du bonheur de se pâmer, Aimons, ma petite méchante, Telle l'eau va, tel l'oiseau chante, Et tels, nous ne devons qu'aimer.
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La prière pour tous (VII)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La prière pour tous (VII) Titre : La prière pour tous (VII) Poète : Victor Hugo (1802-1885) VII. Ô myrrhe ! ô cinname ! Nard cher aux époux ! Baume ! éther ! dictame ! De l'eau, de la flamme, Parfums les plus doux ! Prés que l'onde arrose ! Vapeurs de l'autel ! Lèvres de la rose Où l'abeille pose Sa bouche de miel ! Jasmin ! asphodèle ! Encensoirs flottants ! Branche verte et frêle Où fait l'hirondelle Son nid au printemps ! Lis que fait éclore Le frais arrosoir ! Ambre que Dieu dore ! Souffle de l'aurore, Haleine du soir ! Parfum de la sève Dans les bois mouvants ! Odeur de la grève Qui la nuit s'élève Sur l'aile des vents ! Fleurs dont la chapelle Se fait un trésor ! Flamme solennelle, Fumée éternelle Des sept lampes d'or ! Tiges qu'a brisées Le tranchant du fer ! Urnes embrasées ! Esprits des rosées Qui flottez dans l'air ! Fêtes réjouies D'encens et de bruits ! Senteurs inouïes ! Fleurs épanouies Au souffle des nuits ! Odeurs immortelles Que les Ariel, Archanges fidèles, Prennent sur leurs ailes En venant du ciel ! Ô couche première Du premier époux ! De la terre entière, Des champs de lumière Parfums les plus doux ! Dans l'auguste sphère, Parfums, qu'êtes-vous, Près de la prière Qui dans la poussière S'épanche à genoux ! Près du cri d'une âme Qui fond en sanglots, Implore et réclame, Et s'exhale en flamme, Et se verse à flots ! Près de l'humble offrande D'un enfant de lin Dont l'extase est grande Et qui recommande son père orphelin ! Bouche qui soupire, Mais sans murmurer ! Ineffable lyre ! Voix qui fait sourire et qui fait pleurer ! Mai 1830.
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La face de la bête est terrible
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La face de la bête est terrible Titre : La face de la bête est terrible Poète : Victor Hugo (1802-1885) La face de la bête est terrible ; on y sent L'Ignoré, l'éternel problème éblouissant Et ténébreux, que l'homme appelle la Nature ; On a devant soi l'ombre informe, l'aventure Et le joug, l'esclavage et la rébellion, Quand on voit le visage effrayant du lion ; Le monstre orageux, rauque, effréné, n'est pas libre, Ô stupeur ! et quel est cet étrange équilibre Composé de splendeur et d'horreur, l'univers, Où règne un Jéhovah dont Satan est l'envers ; Où les astres, essaim lumineux et livide, Semblent pris dans un bagne, et fuyant dans le vide, Et jetés au hasard comme on jette les dés, Et toujours à la chaîne et toujours évadés ? Quelle est cette merveille effroyable et divine Où, dans l'éden qu'on voit, c'est l'enfer qu'on devine, Où s'éclipse, ô terreur, espoirs évanouis, L'infini des soleils sous l'infini des nuits, Où, dans la brute, Dieu disparaît et s'efface ? Quand ils ont devant eux le monstre face à face, Les mages, les songeurs vertigineux des bois, Les prophètes blêmis à qui parlent des voix, Sentent on ne sait quoi d'énorme dans la bête ; Pour eux l'amer rictus de cette obscure tête, C'est l'abîme, inquiet d'être trop regardé, C'est l'éternel secret qui veut être gardé Et qui ne laisse pas entrer dans ses mystères La curiosité des pâles solitaires ; Et ces hommes, à qui l'ombre fait des aveux, Sentent qu'ici le sphinx s'irrite, et leurs cheveux Se dressent, et leur sang dans leurs veines se fige Devant le froncement de sourcil du prodige.
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Mignonne, allons voir si la rose
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Mignonne, allons voir si la rose Titre : Mignonne, allons voir si la rose Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Odes (1550-1552). Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vesprée Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vostre pareil. Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ses beautez laissé cheoir ! Ô vrayment marastre Nature, Puis qu'une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir ! Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté.
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Si seulement l'image de la chose
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Si seulement l'image de la chose Titre : Si seulement l'image de la chose Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Si seulement l'image de la chose Fait à noz yeux la chose concevoir, Et si mon oeil n'a puissance de voir, Si quelqu'idole au devant ne s'oppose : Que ne m'a fait celuy qui tout compose, Les yeux plus grands, afin de mieux pouvoir En leur grandeur, la grandeur recevoir Du simulachre où ma vie est enclose ? Certes le ciel trop ingrat de son bien, Qui seul la fit, et qui seul vit combien De sa beauté divine estoit l'Idée, Comme jaloux d'un bien si precieux, Silla le monde, et m'aveugla les yeux, Pour de luy seul seule estre regardée.
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Conseils à une parisienne
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Conseils à une parisienne Titre : Conseils à une parisienne Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Oui, si j'étais femme, aimable et jolie, Je voudrais, Julie, Faire comme vous ; Sans peur ni pitié, sans choix ni mystère, A toute la terre Faire les yeux doux. Je voudrais n'avoir de soucis au monde Que ma taille ronde, Mes chiffons chéris, Et de pied en cap être la poupée La mieux équipée De Rome à Paris. Je voudrais garder pour toute science Cette insouciance Qui vous va si bien ; Joindre, comme vous, à l'étourderie Cette rêverie Qui ne pense à rien. Je voudrais pour moi qu'il fût toujours fête, Et tourner la tête, Aux plus orgueilleux ; Être en même temps de glace et de flamme, La haine dans l'âme, L'amour dans les yeux. Je détesterais, avant toute chose, Ces vieux teints de rose Qui font peur à voir. Je rayonnerais, sous ma tresse brune, Comme un clair de lune En capuchon noir. Car c'est si charmant et c'est si commode, Ce masque à la mode, Cet air de langueur ! Ah ! que la pâleur est d'un bel usage ! Jamais le visage N'est trop loin du coeur. Je voudrais encore avoir vos caprices, Vos soupirs novices, Vos regards savants. Je voudrais enfin, tant mon coeur vous aime, Être en tout vous-même... Pour deux ou trois ans. Il est un seul point, je vous le confesse, Où votre sagesse Me semble en défaut. Vous n'osez pas être assez inhumaine. Votre orgueil vous gêne ; Pourtant il en faut. Je ne voudrais pas, à la contredanse, Sans quelque prudence Livrer mon bras nu ; Puis, au cotillon, laisser ma main blanche Traîner sur la manche Du premier venu. Si mon fin corset, si souple et si juste, D'un bras trop robuste Se sentait serré, J'aurais, je l'avoue, une peur mortelle Qu'un bout de dentelle N'en fût déchiré. Chacun, en valsant, vient sur votre épaule Réciter son rôle D'amoureux transi ; Ma beauté, du moins, sinon ma pensée, Serait offensée D'être aimée ainsi. Je ne voudrais pas, si j'étais Julie, N'être que jolie Avec ma beauté. Jusqu'au bout des doigts je serais duchesse. Comme ma richesse, J'aurais ma fierté. Voyez-vous, ma chère, au siècle où nous sommes, La plupart des hommes Sont très inconstants. Sur deux amoureux pleins d'un zèle extrême, La moitié vous aime Pour passer le temps. Quand on est coquette, il faut être sage. L'oiseau de passage Qui vole à plein coeur Ne dort pas en l'air comme une hirondelle, Et peut, d'un coup d'aile, Briser une fleur.
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Nocturne parisien
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Nocturne parisien Titre : Nocturne parisien Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. — Sur tes ponts qu'environne une vapeur malsaine Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris, Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris. Mais tu n'en traînes pas, en tes ondes glacées, Autant que ton aspect m'inspire de pensées ! Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font Monter le voyageur vers un passé profond, Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes, Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes. Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers Et reflète, les soirs, des boléros légers, Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive Où vient faire son kief l'odalisque lascive. Le Rhin est un burgrave, et c'est un troubadour Que le Lignon, et c'est un ruffian que l'Adour. Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies, Berce de rêves doux le sommeil des momies. Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés, Charrie augustement ses îlots mordorés, Et soudain, beau d'éclairs, de fracas et de fastes, Splendidement s'écroule en Niagaras vastes. L'Eurotas, où l'essaim des cygnes familiers Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers, Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète, Rhythmique et caressant, chante ainsi qu'un poète. Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents En appareil royal, tandis qu'au loin la foule Le long des temples va, hurlant, vivante houle, Au claquement massif des cymbales de bois, Et qu'accroupi, filant ses notes de hautbois, Du saut de l'antilope agile attendant l'heure, Le tigre jaune au dos rayé s'étire et pleure. — Toi, Seine, tu n'as rien. Deux quais, et voilà tout, Deux quais crasseux, semés de l'un à l'autre bout D'affreux bouquins moisis et d'une foule insigne Qui fait dans l'eau des ronds et qui pêche à la ligne. Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin Les passants alourdis de sommeil ou de faim, Et que le couchant met au ciel des taches rouges, Qu'il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges Et, s'accoudant au pont de la Cité, devant Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent ! Les nuages, chassés par la brise nocturne, Courent, cuivreux et roux, dans l'azur taciturne. Sur la tête d'un roi du portail, le soleil, Au moment de mourir, pose un baiser vermeil. L'Hirondelle s'enfuit à l'approche de l'ombre. Et l'on voit voleter la chauve-souris sombre. Tout bruit s'apaise autour. À peine un vague son Dit que la ville est là qui chante sa chanson, Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ; Et c'est l'aube des vols, des amours et des crimes. — Puis, tout à coup, ainsi qu'un ténor effaré Lançant dans l'air bruni son cri désespéré, Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie, Éclate en quelque coin l'orgue de Barbarie : Il brame un de ces airs, romances ou polkas, Qu'enfants nous tapotions sur nos harmonicas Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes, Vibrer l'âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes. C'est écorché, c'est faux, c'est horrible, c'est dur, Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ; Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ; Sur une clef de sol impossible juchées, Les notes ont un rhume et les do sont des la, Mais qu'importe ! l'on pleure en entendant cela ! Mais l'esprit, transporté dans le pays des rêves, Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ; La pitié monte au cœur et les larmes aux yeux, Et l'on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux, Et dans une harmonie étrange et fantastique Qui tient de la musique et tient de la plastique, L'âme, les inondant de lumière et de chant, Mêle les sons de l'orgue aux rayons du couchant ! — Et puis l'orgue s'éloigne, et puis c'est le silence, Et la nuit terne arrive et Vénus se balance Sur une molle nue au fond des cieux obscurs : On allume les becs de gaz le long des murs. Et l'astre et les flambeaux font des zigzags fantasques Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ; Et le contemplateur sur le haut garde-fou Par l'air et par les ans rouillé comme un vieux sou Se penche, en proie aux vents néfastes de l'abîme. Pensée, espoir serein, ambition sublime, Tout, jusqu'au souvenir, tout s'envole, tout fuit, Et l'on est seul avec Paris, l'Onde et la Nuit ! — Sinistre trinité ! De l'ombre dures portes ! Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes ! Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur, Si terribles, que l'Homme, ivre de la douleur Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre, L'Homme, espèce d'Oreste à qui manque une Électre, Sous la fatalité de votre regard creux Ne peut rien et va droit au précipice affreux ; Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses De tuer et d'offrir au grand Ver des épouses Qu'on ne sait que choisir entre vos trois horreurs, Et si l'on craindrait moins périr par les terreurs Des Ténèbres que sous l'Eau sourde, l'Eau profonde, Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde ! — Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant, Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent, De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !
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Éloge de la volupté
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Éloge de la volupté Titre : Éloge de la volupté Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Ô douce Volupté, sans qui, dès notre enfance, Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ; Aimant universel de tous les animaux, Que tu sais attirer avecque violence ! Par toi tout se meut ici-bas. C'est pour toi, c'est pour tes appâts, Que nous courons après la peine : Il n'est soldat, ni capitaine, Ni ministre d'État, ni prince, ni sujet, Qui ne t'ait pour unique objet. Nous autres nourrissons, si pour fruit de nos veilles Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles, Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son, Ferions-nous un mot de chanson ? Ce qu'on appelle gloire en termes magnifiques, Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques, N'est que toi proprement, divine Volupté. Et le plaisir des sens n'est-il de rien compté ? Pour quoi sont faits les dons de Flore, Le Soleil couchant et l'Aurore, Pomone et ses mets délicats, Bacchus, l'âme des bons repas, Les forêts, les eaux, les prairies, Mères des douces rêveries ? Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants ? Mais pour quoi les Chloris aux appâts triomphants, Que pour maintenir ton commerce ? J'entends innocemment : sur son propre désir Quelque rigueur que l'on exerce, Encore y prend-on du plaisir. Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse Du plus bel esprit de la Grèce, Ne me dédaigne pas, viens-t'en loger chez moi ; Tu n'y seras pas sans emploi. J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique, La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien Qui ne me soit souverain bien, Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique. Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté, Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ? Il m'en faut tout au moins un siècle bien compté ; Car trente ans, ce n'est pas la peine.
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Veni, Sancte
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Veni, Sancte Titre : Veni, Sancte Poète : Paul Verlaine (1844-1896) « Esprit-Saint, descendez en » ceux Qui raillent l'antique cantique Où les simples mettent leurs vœux Sur la plus naïve musique. Versez les sept dons de la foi, Versez, « esprit d'intelligence », Dans les âmes toutes au moi Surtout l'amour et l'indulgence Et le goût de la pauvreté Tant des autres que de soi-même Qu'ils comprennent la charité Puisqu'ils sont l'élite et la crème. Qu'ils estiment leur rire sot, Visant, non le dogme immuable, Mais l'humble et le faible (un assaut Dont le capitaine est le Diable). Au lieu d'ainsi le profaner, Ce cantique de nos ancêtres, Qu'ils le méditent, pour donner Le bon exemple, eux, les grands maîtres, Et, tandis qu'ils seront en train D'édifier le paupérisme D'esprit et d'argent, qu'ils réin- Tègrent un peu le Catéchisme.
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Marie, qui voudrait votre beau nom tourner
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Marie, qui voudrait votre beau nom tourner Titre : Marie, qui voudrait votre beau nom tourner Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Marie, qui voudrait votre beau nom tourner, Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie, Faites cela vers moi dont votre nom vous prie, Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner. S'il vous plaît pour jamais un plaisir demener, Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie, Pendus l'un l'autre au col, et jamais nulle envie D'aimer en autre lieu ne nous pourra mener. Si faut-il bien aimer au monde quelque chose : Celui qui n'aime point, celui-là se propose Une vie d'un Scythe, et ses jours veut passer Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure. Eh, qu'est-il rien de doux sans Vénus ? las ! à l'heure Que je n'aimerai point, puissé-je trépasser !
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Sans mot dire
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Sans mot dire Titre : Sans mot dire Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Soir de tilleul Été On parle bas aux portes Tout le monde écoute mes pas les coups de mon cœur sur l'asphalte Ma douleur ne vous regarde pas Œillère de la nuit Nudité Le chemin qui mène à la mer me conduit au fond de moi-même À deux doigts de ma perte Polypiers de la souffrance Algues Coraux Mes seuls amis Dans l'ombre on ne saurait voir l'objet de mes plaintes Une trop noire perfidie L'INTRIGUE (Air connu) Cette racine est souveraine GUÉRIT TOUTE AFFECTION
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À un voyageur
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À un voyageur Titre : À un voyageur Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ami, vous revenez d'un de ces longs voyages Qui nous font vieillir vite, et nous changent en sages Au sortir du berceau. De tous les océans votre course a vu l'onde, Hélas ! et vous feriez une ceinture au monde Du sillon du vaisseau. Le soleil de vingt cieux a mûri votre vie. Partout où vous mena votre inconstante envie, Jetant et ramassant, Pareil au laboureur qui récolte et qui sème, Vous avez pris des lieux et laissé de vous-même Quelque chose en passant ! Tandis que votre ami, moins heureux et moins sage, Attendait des saisons l'uniforme passage Dans le même horizon, Et comme l'arbre vert qui de loin la dessine, A sa porte effeuillant ses jours, prenait racine Au seuil de sa maison. Vous êtes fatigué, tant vous avez vu d'hommes ! Enfin vous revenez, las de ce que nous sommes, Vous reposer en Dieu. Triste, vous me contez vos courses infécondes, Et vos pieds ont mêlé la poudre de trois mondes Aux cendres de mon feu. Or, maintenant, le cœur plein de choses profondes, Des enfants dans vos mains tenant les têtes blondes, Vous me parlez ici, Et vous me demandez, sollicitude amère ! - Où donc ton père ? où donc ton fils ? où donc ta mère ? - Ils voyagent aussi ! Le voyage qu'ils font n'a ni soleil, ni lune ; Nul homme n'y peut rien porter de sa fortune, Tant le maître est jaloux ! Le voyage qu'ils font est profond et sans bornes, On le fait à pas lents, parmi des faces mornes, Et nous le ferons tous ! J'étais à leur départ comme j'étais au vôtre. En diverses saisons, tous trois, l'un après l'autre, Ils ont pris leur essor. Hélas ! j'ai mis en terre, à cette heure suprême, Ces têtes que j'aimais. Avare, j'ai moi-même Enfoui mon trésor. Je les ai vus partir. J'ai, faible et plein d'alarmes, Vu trois fois un drap noir semé de blanches larmes Tendre ce corridor ; J'ai sur leurs froides mains pleuré comme une femme. Mais, le cercueil fermé, mon âme a vu leur âme Ouvrir deux ailes d'or ! Je les ai vus partir comme trois hirondelles Qui vont chercher bien loin des printemps plus fidèles Et des étés meilleurs. Ma mère vit le ciel, et partit la première, Et son œil en mourant fut plein d'une lumière Qu'on n'a point vue ailleurs. Et puis mon premier-né la suivit ; puis mon père, Fier vétéran âgé de quarante ans de guerre, Tout chargé de chevrons. Maintenant ils sont là, tous trois dorment dans l'ombre, Tandis que leurs esprits font le voyage sombre, Et vont où nous irons ! Si vous voulez, à l'heure où la lune décline, Nous monterons tous deux la nuit sur la colline Où gisent nos aïeux. Je vous dirai, montrant à votre vue amie La ville morte auprès de la ville endormie : Laquelle dort le mieux ? Venez ; muets tous deux et couchés contre terre, Nous entendrons, tandis que Paris fera taire Son vivant tourbillon, Ces millions de morts, moisson du fils de l'homme, Sourdre confusément dans leurs sépulcres, comme Le grain dans le sillon ! Combien vivent joyeux qui devaient, sœurs ou frères, Faire un pleur éternel de quelques ombres chères ! Pouvoir des ans vainqueurs ! Les morts durent bien peu. Laissons-les sous la pierre ! Hélas ! dans le cercueil ils tombent en poussière Moins vite qu'en nos cœurs ! Voyageur ! voyageur ! Quelle est notre folie ! Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie ? Des plus chers, des plus beaux ? Qui peut savoir combien toute douleur s'émousse, Et combien sur la terre un jour d'herbe qui pousse Efface de tombeaux ? Le 6 juillet 1829.
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Sur le Carnaval de Venise III
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Sur le Carnaval de Venise III Titre : Sur le Carnaval de Venise III Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Carnaval. Venise pour le bal s'habille. De paillettes tout étoilé, Scintille, fourmille et babille Le carnaval bariolé. Arlequin, nègre par son masque, Serpent par ses mille couleurs, Rosse d'une note fantasque Cassandre son souffre-douleurs. Battant de l'aile avec sa manche Comme un pingouin sur un écueil, Le blanc Pierrot, par une blanche, Passe la tête et cligne l'oeil. Le Docteur bolonais rabâche Avec la basse aux sons traînés ; Polichinelle, qui se fâche, Se trouve une croche pour nez. Heurtant Trivelin qui se mouche Avec un trille extravagant, A Colombine Scaramouche Rend son éventail ou son gant. Sur une cadence se glisse Un domino ne laissant voir Qu'un malin regard en coulisse Aux paupières de satin noir. Ah ! fine barbe de dentelle, Que fait voler un souffle pur, Cet arpège m'a dit : C'est elle ! Malgré tes réseaux, j'en suis sûr, Et j'ai reconnu, rose et fraîche, Sous l'affreux profil de carton, Sa lèvre au fin duvet de pêche, Et la mouche de son menton.
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Afin que ton renom s'étende par la plaine
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Afin que ton renom s'étende par la plaine Titre : Afin que ton renom s'étende par la plaine Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Afin que ton renom s'étende par la plaine, Autant qu'il monte au ciel engravé dans un Pin, Invoquant tous les Dieux, et répandant du vin, Je consacre à ton nom cette belle Fontaine. Pasteurs, que vos troupeaux frisez de blanche laine Ne paissent (1) à ces bords ; y fleurisse le Thym, Et tant de belles fleurs qui s'ouvrent au matin, Et soit dite à jamais la Fontaine d'Hélène. Le passant, en été, s'y puisse reposer. Et assis dessus l'herbe à l'ombre composer Mille chansons d'Hélène, et de moi lui souvienne ! Quiconque en boira, qu'amoureux il devienne ; Et puisse, en la humant, une flamme puiser Aussi chaude qu'au cœur je sens chaude la mienne ! 1. Paissent : Paître.
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À Charles Morice
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Charles Morice Titre : À Charles Morice Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). Impérial, royal, sacerdotal, comme une République Française en ce Quatre-vingt-treize Brûlant empereur, roi, prêtre dans sa fournaise, Avec la danse, autour, de la grande Commune ; L'étudiant et sa guitare et sa fortune À travers les décors d'une Espagne mauvaise Mais blanche de pieds nains et noire d'yeux de braise, Héroïque au soleil et folle sous la lune ; Néoptolème, âme charmante et chaste tête, Dont je serais en même temps le Philoctète Au cœur ulcéré plus encor que sa blessure, Et, pour un conseil froid et bon parfois, l'Ulysse ; Artiste pur, poète où la gloire s'assure ; Cher aux femmes, cher aux Lettres, Charles Morice !
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Ma bohème
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Ma bohème Titre : Ma bohème Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ; Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées ! Mon unique culotte avait un large trou. - Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse. - Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !
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À Cassandre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À Cassandre Titre : À Cassandre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ô pucelle plus tendre Qu'un beau bouton vermeil Que le rosier engendre Au lever du soleil, D'une part verdissant De l'autre rougissant ! Plus fort que le lierre Qui se gripe à l'entour Du chesne aimé, qu'il serre Enlassé de maint tour, Courbant ses bras épars Sus luy de toutes parts, Serrez mon col, maistresse, De vos deux bras pliez ; D'un neud qui tienne et presse Doucement me liez ; Un baiser mutuel Nous soit perpetuel. Ny le temps, ny l'envie D'autre amour desirer, Ne pourra point ma vie De vos lévres tirer ; Ainsi serrez demourrons, Et baisant nous mourrons. En mesme an et mesne heure, Et en même saison, Irons voir la demeure De la palle maison, Et les champs ordonnez Aux amants fortunez. Amour par les fleurettes Du printemps éternel Voirra nos amourettes Sous le bois maternel ; Là nous sçaurons combien Les amants ont de bien. Le long des belles plaines Et parmy les prez vers Les rives sonnent pleines De maints accords divers ; L'un joue, et l'autre au son Danse d'une chanson. Là le beau ciel décueuvre Tousjours un front benin, Sur les fleurs la couleuvre Ne vomit son venin, Et tousjours les oyseaux Chantent sur les rameaux ; Tousjours les vens y sonnent Je ne sçay quoy de doux, Et les lauriers y donnent Tousjours ombrages moux ; Tousjours les belles fleurs Y gardent leurs couleurs. Parmy le grand espace De ce verger heureux, Nous aurons tous deux place Entre les amoureux, Et comme eux sans soucy Nous aimerons aussi. Nulle amie ancienne Ne se dépitera, Quand de la place sienne Pour nous deux s'ostera, Non celles dont les yeux Prirent le cœur des dieux.
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La Méridienne du lion
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La Méridienne du lion Titre : La Méridienne du lion Poète : Victor Hugo (1802-1885) Le lion dort, seul sous sa voûte. Il dort de ce puissant sommeil De la sieste, auquel s'ajoute, Comme un poids sombre, le soleil. Les déserts, qui de loin écoutent, Respirent ; le maître est rentré. Car les solitudes redoutent Ce promeneur démesuré. Son souffle soulève son ventre ; Son oeil de brume est submergé, Il dort sur le pavé de l'antre, Formidablement allongé. La paix est sur son grand visage, Et l'oubli même, car il dort. Il a l'altier sourcil du sage Et l'ongle tranquille du fort. Midi sèche l'eau des citernes ; Rien du sommeil ne le distrait ; Sa gueule ressemble aux cavernes, Et sa crinière à la forêt. Il entrevoit des monts difformes, Des Ossas et des Pélions, À travers les songes énormes Que peuvent faire les lions. Tout se tait sur la roche plate Où ses pas tout à l'heure erraient. S'il remuait sa grosse patte, Que de mouches s'envoleraient !
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Stances
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Stances Titre : Stances Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Maintenant, dans la plaine ou bien dans la montagne, Chêne ou sapin, un arbre est en train de pousser, En France, en Amérique, en Turquie, en Espagne, Un arbre sous lequel un jour je puis passer. Maintenant, sur le seuil d'une pauvre chaumière, Une femme, du pied agitant un berceau, Sans se douter qu'elle est la parque filandière, Allonge entre ses doigts l'étoupe d'un fuseau. Maintenant, loin du ciel à la splendeur divine, Comme une taupe aveugle en son étroit couloir, Pour arracher le fer au ventre de la mine, Sous le sol des vivants plonge un travailleur noir. Maintenant, dans un coin du monde que j'ignore, Il existe une place où le gazon fleurit, Où le soleil joyeux boit les pleurs de l'aurore, Où l'abeille bourdonne, où l'oiseau chante et rit. Cet arbre qui soutient tant de nids sur ses branches, Cet arbre épais et vert, frais et riant à l'oeil, Dans son tronc renversé l'on taillera des planches, Les planches dont un jour on fera mon cercueil ! Cette étoupe qu'on file et qui, tissée en toile, Donne une aile au vaisseau dans le port engourdi, À l'orgie une nappe, à la pudeur un voile, Linceul, revêtira mon cadavre verdi ! Ce fer que le mineur cherche au fond de la terre Aux brumeuses clartés de son pâle fanal, Hélas ! le forgeron quelque jour en doit faire Le clou qui fermera le couvercle fatal ! A cette même place où mille fois peut-être J'allai m'asseoir, le coeur plein de rêves charmants, S'entr'ouvrira le gouffre où je dois disparaître, Pour descendre au séjour des épouvantements !
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La prière pour tous (X)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La prière pour tous (X) Titre : La prière pour tous (X) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les feuilles d'automne (1831). X. Et toi, céleste ami qui gardes son enfance, Qui le jour et la nuit lui fais une défense De tes ailes d'azur ! Invisible trépied où s'allume sa flamme ! Esprit de sa prière, ange de sa jeune âme, Cygne de ce lac pur ! Dieu te l'a confiée et je te la confie ! Soutiens, relève, exhorte, inspire et fortifie Sa frêle humanité ! Qu'elle garde à jamais, réjouie ou souffrante, Cet oeil plein de rayons, cette âme transparente, Cette sérénité Qui fait que tout le jour, et sans qu'elle te voie, Écartant de son coeur faux désirs, fausse joie, Mensonge et passion, Prosternant à ses pieds ta couronne immortelle, Comme elle devant Dieu, tu te tiens devant elle En adoration ! Mai 1830.
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Incompatibilité
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Incompatibilité Titre : Incompatibilité Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre, Des fermes, des vallons, par delà les coteaux, Par delà les forêts, les tapis de verdure, Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux, On rencontre un lac sombre encaissé dans l'abîme Que forment quelques pics désolés et neigeux ; L'eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime, Et n'interrompt jamais son silence orageux. Dans ce morne désert, à l'oreille incertaine Arrivent par moments des bruits faibles et longs, Et des échos plus morts que la cloche lointaine D'une vache qui paît aux penchants des vallons. Sur ces monts où le vent efface tout vestige, Ces glaciers pailletés qu'allume le soleil, Sur ces rochers altiers où guette le vertige, Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil, Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence, Le silence qui fait qu'on voudrait se sauver, Le silence éternel et la montagne immense, Car l'air est immobile et tout semble rêver. On dirait que le ciel, en cette solitude, Se contemple dans l'onde, et que ces monts, là-bas, Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude, Un mystère divin que l'homme n'entend pas. Et lorsque par hasard une nuée errante Assombrit dans son vol le lac silencieux, On croirait voir la robe ou l'ombre transparente D'un esprit qui voyage et passe dans les cieux.
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Rois
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Rois Titre : Rois Poète : Paul Verlaine (1844-1896) La myrrhe, l'or et l'encens Sont des présents moins aimables Que de plus humbles présents Offerts aux Yeux adorables Qui souriront plutôt mieux A de simples vœux pieux. Le voyage des Rois Mages Certes agrée au Seigneur. Il accepte ces hommages Et les tient en haut honneur ; Mais d'un pécheur qui s'amende Pour lui la gloire est plus grande. Dans ce sublime concours D'adorations premières, Jésus goûtera toujours Davantage les prières Des misérables et leur Garde un royaume meilleur. Les anges et les archanges Qui réveillent les bergers, Voix d'espoir et de louanges Aux hommes encouragés, Priment dans l'azur sans voile La miraculeuse étoile... Riches, pauvres, faisons-nous Néant devant toi, le Maître, De Ton saint nom seuls jaloux : Tu sauras bien reconnaître Et magnifier les tiens, Riches, pauvres, tous chrétiens.
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Les regrets
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Les regrets Titre : Les regrets Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies fugitives (1787). Tableau IX. Justine est seule et gémissante, Et mes yeux avec intérêt La suivent dans ce lieu secret Où sa chute fut si touchante. D'abord son tranquille chagrin Garde un morne et profond silence : Mais des pleurs s'échappent enfin, Et coulent avec abondance De son visage sur son sein ; Et ce sein formé par les Grâces, Dont le voluptueux satin Du baiser conserve les traces, Palpite encore pour Valsin. Dans sa douleur elle contemple Ce réduit ignoré du jour, Cette alcôve, qui fut un temple, Et redit : Voilà donc l'Amour !
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Dans la Sierra
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Dans la Sierra Titre : Dans la Sierra Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). J'aime d'un fol amour les monts fiers et sublimes ! Les plantes n'osent pas poser leurs pieds frileux Sur le linceul d'argent qui recouvre leurs cimes ; Le soc s'émousserait à leurs pics anguleux. Ni vigne aux bras lascifs, ni blés dorés, ni seigles ; Rien qui rappelle l'homme et le travail maudit. Dans leur air libre et pur nagent des essaims d'aigles, Et l'écho du rocher siffle l'air du bandit. Ils ne rapportent rien et ne sont pas utiles ; Ils n'ont que leur beauté, je le sais, c'est bien peu ; Mais, moi, je les préfère aux champs gras et fertiles, Qui sont si loin du ciel qu'on n'y voit jamais Dieu !
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Magdalena
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Magdalena Titre : Magdalena Poète : Théophile Gautier (1811-1872) J'entrai dernièrement dans une vieille église ; La nef était déserte, et sur la dalle grise, Les feux du soir, passant par les vitraux dorés, Voltigeaient et dansaient, ardemment colorés. Comme je m'en allais, visitant les chapelles, Avec tous leurs festons et toutes leurs dentelles, Dans un coin du jubé j'aperçus un tableau Représentant un Christ qui me parut très-beau. On y voyait saint Jean, Madeleine et la Vierge ; Leurs chairs, d'un ton pareil à la cire de cierge, Les faisaient ressembler, sur le fond sombre et noir, A ces fantômes blancs qui se dressent le soir, Et vont croisant les bras sous leurs draps mortuaires ; Leurs robes à plis droits, ainsi que des suaires, S'allongeaient tout d'un jet de leur nuque à leurs pieds ; Ainsi faits, l'on eût dit qu'ils fussent copiés Dans le campo-Santo sur quelque fresque antique, D'un vieux maître Pisan, artiste catholique, Tant l'on voyait reluire autour de leur beauté, Le nimbe rayonnant de la mysticité, Et tant l'on respirait dans leur humble attitude, Les parfums onctueux de la béatitude. Sans doute que c'était l'œuvre d'un Allemand, D'un élève d'Holbein, mort bien obscurément, A vingt ans, de misère et de mélancolie, Dans quelque bourg de Flandre, au retour d'Italie ; Car ses têtes semblaient, avec leur blanche chair, Un rêve de soleil par une nuit d'hiver. Je restai bien longtemps dans la même posture, Pensif, à contempler cette pâle peinture ; Je regardais le Christ sur son infâme bois, Pour embrasser le monde, ouvrant les bras en croix ; Ses pieds meurtris et bleus et ses deux mains clouées, Ses chairs, par les bourreaux, à coups de fouets trouées, La blessure livide et béante à son flanc ; Son front d'ivoire où perle une sueur de sang ; Son corps blafard, rayé par des lignes vermeilles, Me faisaient naître au cœur des pitiés nonpareilles, Et mes yeux débordaient en des ruisseaux de pleurs, Comme dut en verser la Mère de Douleurs. Dans l'outremer du ciel les chérubins fidèles, Se lamentaient en chœur, la face sous leurs ailes, Et l'un d'eux recueillait, un ciboire à la main, Le pur-sang de la plaie où boit le genre humain ; La sainte vierge, au bas, regardait : pauvre mère Son divin fils en proie à l'agonie amère ; Madeleine et saint Jean, sous les bras de la croix Mornes, échevelés, sans soupirs et sans voix, Plus dégoutants de pleurs qu'après la pluie un arbre, Étaient debout, pareils à des piliers de marbre. C'était, certes, un spectacle à faire réfléchir, Et je sentis mon cou, comme un roseau, fléchir Sous le vent que faisait l'aile de ma pensée, Avec le chant du soir, vers le ciel élancée. Je croisai gravement mes deux bras sur mon sein, Et je pris mon menton dans le creux de ma main, Et je me dis : « O Christ ! Tes douleurs sont trop vives ; Après ton agonie au jardin des Olives, Il fallait remonter près de ton père, au ciel, Et nous laisser à nous l'éponge avec le fiel ; Les clous percent ta chair, et les fleurons d'épines Entrent profondément dans tes tempes divines. Tu vas mourir, toi, Dieu, comme un homme. La mort Recule épouvantée à ce sublime effort ; Elle a peur de sa proie, elle hésite à la prendre, Sachant qu'après trois jours il la lui faudra rendre, Et qu'un ange viendra, qui, radieux et beau, Lèvera de ses mains la pierre du tombeau ; Mais tu n'en as pas moins souffert ton agonie, Adorable victime entre toutes bénie ; Mais tu n'en a pas moins avec les deux voleurs, Étendu tes deux bras sur l'arbre de douleurs. Ô rigoureux destin ! Une pareille vie, D'une pareille mort si promptement suivie ! Pour tant de maux soufferts, tant d'absinthe et de fiel, Où donc est le bonheur, le vin doux et le miel ? La parole d'amour pour compenser l'injure, Et la bouche qui donne un baiser par blessure ? Dieu lui-même a besoin quand il est blasphémé, Pour nous bénir encore de se sentir aimé, Et tu n'as pas, Jésus, traversé cette terre, N'ayant jamais pressé sur ton cœur solitaire Un cœur sincère et pur, et fait ce long chemin Sans avoir une épaule où reposer ta main, Sans une âme choisie où répandre avec flamme Tous les trésors d'amour enfermés dans ton âme. Ne vous alarmez pas, esprits religieux, Car l'inspiration descend toujours des cieux, Et mon ange gardien, quand vint cette pensée, De son bouclier d'or ne l'a pas repoussée. C'est l'heure de l'extase où Dieu se laisse voir, L'Angélus éploré tinte aux cloches du soir ; Comme aux bras de l'amant, une vierge pâmée, L'encensoir d'or exhale une haleine embaumée ; La voix du jour s'éteint, les reflets des vitraux, Comme des feux follets, passent sur les tombeaux, Et l'on entend courir, sous les ogives frêles, Un bruit confus de voix et de battements d'ailes ; La foi descend des cieux avec l'obscurité ; L'orgue vibre ; l'écho répond : Eternité ! Et la blanche statue, en sa couche de pierre, Rapproche ses deux mains et se met en prière. Comme un captif, brisant les portes du cachot, L'âme du corps s'échappe et s'élance si haut, Qu'elle heurte, en son vol, au détour d'un nuage, L'étoile échevelée et l'archange en voyage ; Tandis que la raison, avec son pied boiteux, La regarde d'en-bas se perdre dans les cieux. C'est à cette heure-là que les divins poètes, Sentent grandir leur front et deviennent prophètes. Ô mystère d'amour ! Ô mystère profond ! Abîme inexplicable où l'esprit se confond ; Qui de nous osera, philosophe ou poète, Dans cette sombre nuit plonger avant la tête ? Quelle langue assez haute et quel cœur assez pur, Pour chanter dignement tout ce poème obscur ? Qui donc écartera l'aile blanche et dorée, Dont un ange abritait cette amour ignorée ? Qui nous dira le nom de cette autre Éloa ? Et quelle âme, ô Jésus, à t'aimer se voua ? Murs de Jérusalem, vénérables décombres, Vous qui les avez vus et couverts de vos ombres, Ô palmiers du Carmel ! Ô cèdres du Liban ! Apprenez-nous qui donc il aimait mieux que Jean ? Si vos troncs vermoulus et si vos tours minées, Dans leur écho fidèle, ont, depuis tant d'années, Parmi les souvenirs des choses d'autrefois, Conservé leur mémoire et le son de leur voix ; Parlez et dites-nous, ô forêts ! ô ruines ! Tout ce que vous savez de ces amours divines ! Dites quels purs éclairs dans leurs yeux reluisaient, Et quels soupirs ardents de leurs cœurs s'élançaient ! Et toi, Jourdain, réponds, sous les berceaux de palmes, Quand la lune trempait ses pieds dans tes eaux calmes, Et que le ciel semait sa face de plus d'yeux, Que n'en traîne après lui le paon tout radieux ; Ne les as-tu pas vus sur les fleurs et les mousses, Glisser en se parlant avec des voix plus douces Que les roucoulements des colombes de mai, Que le premier aveu de celle que j'aimai ; Et dans un pur baiser, symbole du mystère, Unir la terre au ciel et le ciel à la terre. Les échos sont muets, et le flot du Jourdain Murmure sans répondre et passe avec dédain ; Les morts de Josaphat, troublés dans leur silence, Se tournent sur leur couche, et le vent frais balance Au milieu des parfums dans les bras du palmier, Le chant du rossignol et le nid du ramier. Frère, mais voyez donc comme la Madeleine Laisse sur son col blanc couler à flots d'ébène Ses longs cheveux en pleurs, et comme ses beaux yeux, Mélancoliquement, se tournent vers les cieux ! Qu'elle est belle ! Jamais, depuis Ève la blonde, Une telle beauté n'apparut sur le monde ; Son front est si charmant, son regard est si doux, Que l'ange qui la garde, amoureux et jaloux, Quand le désir craintif rôde et s'approche d'elle, Fait luire son épée et le chasse à coups d'aile. Ô pâle fleur d'amour éclose au paradis ! Qui répands tes parfums dans nos déserts maudits, Comment donc as-tu fait, ô fleur ! Pour qu'il te reste Une couleur si fraîche, une odeur si céleste ? Comment donc as-tu fait, pauvre sœur du ramier, Pour te conserver pure au cœur de ce bourbier ? Quel miracle du ciel, sainte prostituée, Que ton cœur, cette mer, si souvent remuée, Des coquilles du bord et du limon impur, N'ait pas, dans l'ouragan, souillé ses flots d'azur, Et qu'on ait toujours vu sous leur manteau limpide, La perle blanche au fond de ton âme candide ! C'est que tout cœur aimant est réhabilité, Qu'il vous vient une autre âme et que la pureté Qui remontait au ciel redescend et l'embrasse, comme à sa sœur coupable une sœur qui fait grâce ; C'est qu'aimer c'est pleurer, c'est croire, c'est prier ; C'est que l'amour est saint et peut tout expier. Mon grand peintre ignoré, sans en savoir les causes, Dans ton sublime instinct tu comprenais ces choses, Tu fis de ses yeux noirs ruisseler plus de pleurs ; Tu gonflas son beau sein de plus hautes douleurs ; La voyant si coupable et prenant pitié d'elle, Pour qu'on lui pardonnât, tu l'as faite plus belle, Et ton pinceau pieux, sur le divin contour, A promené longtemps ses baisers pleins d'amour ; Elle est plus belle encore que la vierge Marie, Et le prêtre, à genoux, qui soupire et qui prie, Dans sa pieuse extase, hésite entre les deux, Et ne sait pas laquelle est la reine des cieux. Ô sainte pécheresse ! Ô grande repentante ! Madeleine, c'est toi que j'eusse pour amante Dans mes rêves choisie, et toute la beauté, Tout le rayonnement de la virginité, Montrant sur son front blanc la blancheur de son âme, Ne sauraient m'émouvoir, ô femme vraiment femme, Comme font tes soupirs et les pleurs de tes yeux, Ineffable rosée à faire envie aux cieux ! Jamais lis de Saron, divine courtisane, Mirant aux eaux des lacs sa robe diaphane, N'eut un plus pur éclat ni de plus doux parfums ; Ton beau front inondé de tes longs cheveux bruns, Laisse voir, au travers de ta peau transparente, Le rêve de ton âme et ta pensée errante, Comme un globe d'albâtre éclairé par dedans ! Ton œil est un foyer dont les rayons ardents Sous la cendre des cœurs ressuscitent les flammes ; O la plus amoureuse entre toutes les femmes ! Les séraphins du ciel à peine ont dans le cœur, Plus d'extase divine et de sainte langueur ; Et tu pourrais couvrir de ton amour profonde, Comme d'un manteau d'or la nudité du monde ! Toi seule sais aimer, comme il faut qu'il le soit, Celui qui t'a marquée au front avec le doigt, Celui dont tu baignais les pieds de myrrhe pure, Et qui pour s'essuyer avait ta chevelure ; Celui qui t'apparut au jardin, pâle encore D'avoir dormi sa nuit dans le lit de la mort ; Et, pour te consoler, voulut que la première Tu le visses rempli de gloire et de lumière. En faisant ce tableau, Raphaël inconnu, N'est-ce pas ? Ce penser comme à moi t'est venu, Et que ta rêverie a sondé ce mystère, Que je voudrais pouvoir à la fois dire et taire ? Ô poètes ! Allez prier à cet autel, A l'heure où le jour baisse, à l'instant solennel, Quand d'un brouillard d'encens la nef est toute pleine. Regardez le Jésus et puis la Madeleine ; Plongez-vous dans votre âme et rêvez au doux bruit Que font en s'éployant les ailes de la nuit ; Peut-être un chérubin détaché de la toile, A vos yeux, un moment, soulèvera le voile, Et dans un long soupir l'orgue murmurera L'ineffable secret que ma bouche taira.
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Le coin de l'amitié
Pierre-Jean de Béranger (1780-1857)
Poésie : Le coin de l'amitié Titre : Le coin de l'amitié Poète : Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) L'Amour, l'Hymen, l'Intérêt, la Folie, Aux quatre coins se disputent nos jours. L'Amitié vient compléter la partie, Mais qu'on lui fait de mauvais tours ! Lorsqu'aux plaisirs l'âme se livre entière, Notre raison ne brille qu'à moitié, Et la Folie attaque la première Le coin de l'Amitié. Puis vient l'Amour, joueur malin et traître, Qui de tromper éprouve le besoin. En tricherie on le dit passé maître ; Pauvre Amitié gare à ton coin ! Ce dieu jaloux, dès qu'il voit qu'on l'adore, A tout soumettre aspire sans pitié. Vous cédez tout ; il veut avoir encore Le coin de l'Amitié. L'Hymen arrive : Oh, combien on le fête ! L'Amitié seule apprête ses atours. Mais dans les soins qu'il vient nous mettre en tête Il nous renferme pour toujours. Ce dieu, chez lui, calculant à toute heure, Y laisse enfin l'Intérêt prendre pied, Et trop souvent lui donne pour demeure Le coin de l'Amitié. Auprès de toi nous ne craignons, ma chère, Ni l'Intérêt, ni les folles erreurs. Mais, aujourd'hui, que l'Hymen et son frère, Inspirent de crainte à nos cœurs ! Dans plus d'un coin, où de fleurs ils se parent, Pour ton bonheur qu'ils règnent de moitié ; Mais que jamais, jamais ils ne s'emparent Du coin de l'Amitié.
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Délicatesse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Délicatesse Titre : Délicatesse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). A Mademoiselle Rachilde Tu nous rends l'égal des héros et des dieux, Et, nous procurant d'être les seuls dandies, Fais de nos orgueils des sommets radieux, Non plus ces foyers de troubles incendies. Tu brilles et luis, vif astre aux rayons doux, Sur l'horizon noir d'une lourde tristesse. Par toi surtout nous plaisons au Dieu jaloux, Choisie, une, fleur du Bien, Délicatesse ! Plus fière fierté, plus pudique pudeur Qui ne sais rougir à force d'être fière, Qui ne peux que vaincre en ta sereine ardeur, Vierge ayant tout su, très paisible guerrière. Musique pour l'âme et parfum pour l'esprit, Vertu qui n'es qu'un nom, mais le nom d'un ange, Noble dame guidant au ciel qui sourit Notre immense effort de parmi cette fange.
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Logique
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Logique Titre : Logique Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Quand même tu dirais Que tu me trahirais Si c'était ton caprice, Qu'est-ce que me ferait Ce terrible secret Si c'était mon caprice ? De quand même t'aimer, — Dusses-tu le blâmer, Ou plaindre mon caprice, D'être si bien à toi Qu'il ne m'est dieu ni roi Ni rien que ton caprice ? Quand tu me trahirais, Eh bien donc, j'en mourrais Adorant ton caprice ; Alors que me ferait Un malheur qui serait Conforme à mon caprice ?
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À sa lyre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À sa lyre Titre : À sa lyre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Meslanges (1554). Naguiere chanter je voulois Comme Francus au bord Gaulois Avecq' sa troupe vint descendre, Mais mon luc pinçé de mon doi, Ne vouloit en dépit de moi Que chanter Amour, et Cassandre. Je pensoi pource que toujours J'avoi dit sur lui mes amours, Que ses cordes par long usage Chantoient d'amour, et qu'il faloit En mettre d'autres, s'on vouloit Luy aprendre un autre langage. Et pour ce faire, il n'y eut fust, Archet, ne corde, qui ne fust Echangée en d'autres nouvelles : Mais apres qu'il fut remonté, Plus haut que davant a chanté Comme il souloit, les damoyselles. Or adieu doncq' pauvre Francus, Ta gloire, sous tes murs veinqus, Se cachera toujours pressée, Si, à ton neveu, nostre Roi, Tu ne dis qu'en l'honneur de toi, Il face ma Lyre crossée.
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Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre Titre : Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Sonnets pour Hélène (1578). Vous me distes, Maitresse, estant à la fenestre, Regardant vers Mont-martre et les champs d'alentour : La solitaire vie, et le desert sejour Valent mieux que la Cour, je voudrois bien y estre. A l'heure mon esprit de mes sens seroit maistre, En jeusne et oraisons je passerais le jour : Je desfirois les traicts et les flames d'Amour Ce cruel de mon sang ne pourroit se repaistre. Quand je vous repondy, Vous trompez de penser Qu'un feu ne soit pas feu, pour se couvrir de cendre : Sur les cloistres sacrez la flame on voit passer : Amour dans les deserts comme aux villes s'engendre. Contre un Dieu si puissant, qui les Dieux peut forcer, Jeusnes ny oraisons ne se peuvent defendre.
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Ainsi les plus abjects, les plus vils
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ainsi les plus abjects, les plus vils Titre : Ainsi les plus abjects, les plus vils Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ainsi les plus abjects, les plus vils, les plus minces Vont régner ! ce n'était pas assez des vrais princes Qui de leur sceptre d'or insultent le ciel bleu, Et sont rois et méchants par la grâce de Dieu ! Quoi ! tel gueux qui, pourvu d'un titre en bonne forme, À pour toute splendeur sa bâtardise énorme, Tel enfant du hasard, rebut des échafauds, Dont le nom fut un vol et la naissance un faux, Tel bohème pétri de ruse et d'arrogance, Tel intrus entrera dans le sang de Bragance, Dans la maison d'Autriche ou dans la maison d'Est, Grâce à la fiction légale is pater est, Criera : je suis Bourbon, ou : je suis Bonaparte, Mettra cyniquement ses deux poings sur la carte, Et dira : c'est à moi ! je suis le grand vainqueur ! Sans que les braves gens, sans que les gens de coeur Rendent à Curtius ce monarque de cire ! Et, quand je dis : faquin ! l'écho répondra : sire ! Quoi ! ce royal croquant, ce maraud couronné, Qui, d'un boulet de quatre à la cheville orné, Devrait dans un ponton pourrir à fond de cale, Cette altesse en ruolz, ce prince en chrysocale, Se fait devant la France, horrible, ensanglanté, Donner de l'empereur et de la majesté, Il trousse sa moustache en croc et la caresse, Sans que sous les soufflets sa face disparaisse, Sans que, d'un coup de pied l'arrachant à Saint-Cloud, On le jette au ruisseau, dût-on salir l'égout ! — Paix ! disent cent crétins. C'est fini. Chose faite. Le Trois pour cent est Dieu, Mandrin est son prophète. Il règne. Nous avons voté ! Vox populi. — Oui, je comprends, l'opprobre est un fait accompli. Mais qui donc a voté ? Mais qui donc tenait l'urne ? Mais qui donc a vu clair dans ce scrutin nocturne ? Où donc était la loi dans ce tour effronté ? Où donc la nation ? Où donc la liberté ? Ils ont voté ! Troupeau que la peur mène paître Entre le sacristain et le garde champêtre Vous qui, pleins de terreur. voyez, pour vous manger, Pour manger vos maisons, vos bois, votre verger, Vos meules de luzerne et vos pommes à cidre, S'ouvrir tous les matins les mâchoires d'une hydre Braves gens, qui croyez en vos foins, et mettez De la religion dans vos propriétés ; Âmes que l'argent touche et que l'or fait dévotes Maires narquois, traînant vos paysans aux votes ; Marguilliers aux regards vitreux ; curés camus Hurlant à vos lutrins : Dæmonem laudamus ; Sots, qui vous courroucez comme flambe une bûche ; Marchands dont la balance incorrecte trébuche ; Vieux bonshommes crochus, hiboux hommes d'état, Qui déclarez, devant la fraude et l'attentat, La tribune fatale et la presse funeste ; Fats, qui, tout effrayés de l'esprit, cette peste, Criez, quoique à l'abri de la contagion ; Voltairiens, viveurs, fervente légion, Saints gaillards, qui jetez dans la même gamelle Dieu, l'orgie et la messe, et prenez pêle-mêle La défense du ciel et la taille à Goton ; Bons dos, qui vous courbez, adorant le bâton ; Contemplateurs béats des gibets de l'Autriche Gens de bourse effarés, qui trichez et qu'on triche ; Invalides, lions transformés en toutous ; Niais, pour qui cet homme est un sauveur ; vous tous Qui vous ébahissez, bestiaux de Panurge, Aux miracles que fait Cartouche thaumaturge ; Noircisseurs de papier timbré, planteurs de choux, Est-ce que vous croyez que la France, c'est vous, Que vous êtes le peuple, et que jamais vous eûtes Le droit de nous donner un maître, ô tas de brutes ? Ce droit, sachez-le bien, chiens du berger Maupas, Et la France et le peuple eux-mêmes ne l'ont pas. L'altière Vérité jamais ne tombe en cendre. La Liberté n'est pas une guenille à vendre, Jetée au tas, pendue au clou chez un fripier. Quand un peuple se laisse au piège estropier, Le droit sacré, toujours à soi-même fidèle, Dans chaque citoyen trouve une citadelle ; On s'illustre en bravant un lâche conquérant, Et le moindre du peuple en devient le plus grand. Donc, trouvez du bonheur, ô plates créatures, À vivre dans la fange et dans les pourritures, Adorez ce fumier sous ce dais de brocart, L'honnête homme recule et s'accoude à l'écart. Dans la chute d'autrui je ne veux pas descendre. L'honneur n'abdique point. Nul n'a droit de me prendre Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour. Tout l'univers aveugle est sans droit sur le jour. Fût-on cent millions d'esclaves, je suis libre. Ainsi parle Caton. Sur la Seine ou le Tibre, Personne n'est tombé tant qu'un seul est debout. Le vieux sang des aïeux qui s'indigne et qui bout, La vertu, la fierté, la justice, l'histoire, Toute une nation avec toute sa gloire Vit dans le dernier front qui ne veut pas plier. Pour soutenir le temple il suffit d'un pilier ; Un français, c'est la France ; un romain contient Rome, Et ce qui brise un peuple avorte aux pieds d'un homme. Jersey, le 4 mai 1853.
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Le reniement de Saint-Pierre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le reniement de Saint-Pierre Titre : Le reniement de Saint-Pierre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ? Comme un tyran gorgé de viande et de vins, Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes. Les sanglots des martyrs et des suppliciés Sont une symphonie enivrante sans doute, Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte, Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés ! Ah ! Jésus, souviens-toi du jardin des Olives ! Dans ta simplicité tu priais à genoux Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives, Lorsque tu vis cracher sur ta divinité La crapule du corps de garde et des cuisines, Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité ; Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant, Quand tu fus devant tous posé comme une cible, Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse, Où tu foulais, monté sur une douce ânesse, Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux, Où, le coeur tout gonflé d'espoir et de vaillance, Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras, Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ? - Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait D'un monde où l'action n'est pas la soeur du rêve ; Puissé-je user du glaive et périr par le glaive ! Saint Pierre a renié Jésus... il a bien fait.
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Le désespoir de la vieille
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le désespoir de la vieille Titre : Le désespoir de la vieille Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Le Spleen de Paris (1869). La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux. Et elle s'approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables. Mais l'enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements. Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : — « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l'âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! »
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Les rideaux
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Les rideaux Titre : Les rideaux Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies fugitives (1787). Tableau VI. Dans cette alcôve solitaire Sans doute habite le repos : Voyons. Mais ces doubles rideaux Semblent fermés par le mystère ; Et ces vêtements étrangers Mêlés aux vêtements légers Qui couvraient Justine et ses charmes, Et ce chapeau sur un sofa, Ce manteau plus loin, et ces armes, Disent assez qu'Amour est là. C'est lui-même : je crois entendre Le premier cri de la douleur, Suivi d'un murmure plus tendre, Et des soupirs de la langueur. Valsin, jamais ton inconstance N'avait connu la volupté ; Savoure-la dans le silence. Tu trompas toujours la beauté ; Mais sois fidèle à l'innocence.
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Ballade
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ballade Titre : Ballade Poète : Paul Verlaine (1844-1896) (À propos de deux ormeaux qu'il avait) Mon jardin fut doux et léger Tant qu'il fut mon humble richesse : Mi-potager et mi-verger, Avec quelque fleur qui se dresse Couleur d'amour et d'allégresse, Et des oiseaux sur des rameaux, Et du gazon pour la paresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. De ma claire salle à manger Où du vin fit quelque prouesse, Je les voyais tous deux bouger Doucement au vent qui les presse L'un vers l'autre en une caresse, Et leurs feuilles flûtaient des mots. Le clos était plein de tendresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. Hélas ! quand il fallut changer De cieux et quitter ma liesse, Le verger et le potager Se partagèrent ma tristesse, Et la fleur couleur charmeresse, Et l'herbe, oreiller de mes maux, Et l'oiseau, surent ma détresse. Mais rien ne valut mes ormeaux. ENVOI Prince, j'ai goûté la simplesse De vivre heureux dans vos hameaux : Gaîté, santé que rien ne blesse. Mais rien ne valut mes ormeaux.
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Confiance
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Confiance Titre : Confiance Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ami, tu me dis : « Joie extrême ! Donc, ce matin, comblant ton voeu, Rougissante, elle a dit : Je t'aime ! Devant l'aube, cet autre aveu. Ta victoire, tu la dévoiles. On t'aime, ô Léandre, ô Saint-Preux, Et te voilà dans les étoiles, Sans parachute, malheureux ! » Et tu souris. Mais que m'importe ! Ton sourire est un envieux. Sois gai ; moi, ma tristesse est morte. Rire c'est bien, aimer c'est mieux. Tu me croyais plus fort en thème, N'est-ce pas ? tu te figurais Que je te dirais : Elle m'aime, Défions-nous, et buvons frais. Point. J'ai des manières étranges ; On fait mon bonheur, j'y consens ; Je vois là-haut passer des anges Et je me mêle à ces passants. Je suis ingénu comme Homère, Quand cet aveugle aux chants bénis Adorait la mouche éphémère Qui sort des joncs de l'Hypanis. J'ai la foi. Mon esprit facile Dès le premier jour constata Dans la Sologne une Sicile, Une Aréthuse en Rosita. Je ne vois point dans une femme Un filou, par l'ombre enhardi. Je ne crois pas qu'on prenne une âme Comme on vole un maravedi. La supposer fausse, et plâtrée, Non, justes dieux ! je suis épris. Je ne commence point l'entrée Au paradis, par le mépris. Je lui donne un coeur sans lui dire : Rends-moi la monnaie ! - Et je crois À sa pudeur, à mon délire, Au bleu du ciel, aux fleurs des bois. J'entre en des sphères idéales Sans fredonner le vieux pont-neuf De Villon aux piliers des Halles Et de Fronsac à l'Oeil-de-Boeuf. Je m'enivre des harmonies Qui, de l'azur, à chaque pas, M'arrivent, claires, infinies, Joyeuses, et je ne crois pas Que l'amour trompe nos attentes, Qu'un bien-aimé soit un martyr, Et que toutes ces voix chantantes Descendent du ciel pour mentir. Je suis rempli d'une musique ; Je ne sens point, dans mes halliers, La désillusion classique Des vieillards et des écoliers. J'écoute en moi l'hymne suprême De mille instruments triomphaux Qui tous répètent qu'elle m'aime, Et dont pas un ne chante faux. Oui, je t'adore ! oui, tu m'adores ! C'est à ces mots-là que sont dus Tous ces vagues clairons sonores Dans un bruit de songe entendus. Et, dans les grands bois qui m'entourent, Je vois danser, d'un air vainqueur, Les cupidons, gamins qui courent Dans la fanfare du coeur.
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Intérieur
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Intérieur Titre : Intérieur Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). À grands plis sombres une ample tapisserie De haute lice, avec emphase descendrait Le long des quatre murs immenses d'un retrait Mystérieux où l'ombre au luxe se marie. Les meubles vieux, d'étoffe éclatante flétrie, Le lit entr'aperçu vague comme un regret, Tout aurait l'attitude et l'âge du secret, Et l'esprit se perdrait en quelque allégorie. Ni livres, ni tableaux, ni fleurs, ni clavecins ; Seule, à travers les fonds obscurs, sur des coussins, Une apparition bleue et blanche de femme Tristement sourirait - inquiétant témoin - Au lent écho d'un chant lointain d'épithalame, Dans une obsession de musc et de benjoin.
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Le clown
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le clown Titre : Le clown Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Bobèche, adieu ! bonsoir, Paillasse ! arrière, Gille ! Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin, Place ! très grave, très discret et très hautain, Voici venir le maître à tous, le clown agile. Plus souple qu'Arlequin et plus brave qu'Achille, C'est bien lui, dans sa blanche armure de satin ; Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain, Ses yeux ne vivent pas dans son masque d'argile. Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents, Cependant que la tête et le buste, élégants, Se balancent sur l'arc paradoxal des jambes. Puis il sourit. Autour le peuple bête et laid, La canaille puante et sainte des Iambes, Acclame l'histrion sinistre qui la hait.
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Envoi des feuilles d'automne à madame ***
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Envoi des feuilles d'automne à madame *** Titre : Envoi des feuilles d'automne à madame *** Poète : Victor Hugo (1802-1885) À Madame *** I. Ce livre errant qui va l'aile brisée, Et que le vent jette à votre croisée Comme un grêlon à tous les murs cogné, Hélas ! il sort des tempêtes publiques. Le froid, la pluie, et mille éclairs obliques L'ont assailli, le pauvre nouveau-né. Il est puni d'avoir fui ma demeure. Après avoir chanté, voici qu'il pleure ; Voici qu'il boite après avoir plané ! II. En attendant que le vent le remporte, Ouvrez, Marie, ouvrez-lui votre porte. Raccommodez ses vers estropiés ! Dans votre alcôve à tous les vents bien close, Pour un instant souffrez qu'il se repose, Qu'il se réchauffe au feu de vos trépieds, Qu'à vos côtés, à votre ombre, il se couche, Oiseau plumé, qui, frileux et farouche, Tremble et palpite, abrité sous vos pieds ! Le 18 janvier 1832.
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À une jeune femme
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À une jeune femme Titre : À une jeune femme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Voyez-vous, un parfum éveille la pensée. Repliez, belle enfant par l'aube caressée, Cet éventail ailé, pourpre, or et vermillon, Qui tremble dans vos mains comme un grand papillon, Et puis écoutez-moi. – Dieu fait l'odeur des roses Comme il fait un abîme, avec autant de choses. Celui-ci, qui se meurt sur votre sein charmant, N'aurait pas ce parfum qui monte doucement Comme un encens divin vers votre beauté pure, Si sa tige, parmi l'eau, l'air et la verdure, Dans la création prenant sa part de tout, N'avait profondément plongé par quelque bout, Pauvre et fragile fleur pour tous les vents béante, Au sein mystérieux de la terre géante. Là, par un lent travail que Dieu lui seul connaît, Fraîcheur du flot qui court, blancheur du jour qui naît, Souffle de ce qui coule, ou végète, ou se traîne, L'esprit de ce qui vit dans la nuit souterraine, Fumée, onde, vapeur, de loin comme de près, – Non sans faire avec tout des échanges secrets, – Elle a dérobé tout, son calme à l'antre sombre, Au diamant sa flamme, à la forêt son ombre, Et peut-être, qui sait ? sur l'aile du matin Quelque ineffable haleine à l'océan lointain ! Et vivant alambic que Dieu lui-même forme, Où filtre et se répand la terre, vase énorme, Avec les bois, les champs, les nuages, les eaux, Et l'air tout pénétré des chansons des oiseaux, La racine, humble, obscure, au travail résignée, Pour la superbe fleur par le soleil baignée, A, sans en rien garder, fait ce parfum si doux, Qui vient si mollement de la nature à vous, Qui vous charme, et se mêle à votre esprit, madame, Car l'âme d'une fleur parle au cœur d'une femme. Encore un mot, et puis je vous laisse rêver. Pour qu'atteignant au but où tout doit s'élever, Chaque chose ici-bas prenne un attrait suprême, Pour que la fleur embaume et pour que la vierge aime, Pour que, puisant la vie au grand centre commun, La corolle ait une âme et la femme un parfum, Sous le soleil qui luit, sous l'amour qui fascine, Il faut, fleur de beauté, tenir par la racine, L'une au monde idéal, l'autre au monde réel, Les roses à la terre et les femmes au ciel. Le 16 mai 1837.
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Il est des jours abjects où, séduits par la joie
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Il est des jours abjects où, séduits par la joie Titre : Il est des jours abjects où, séduits par la joie Poète : Victor Hugo (1802-1885) Il est des jours abjects où, séduits par la joie Sans honneur, Les peuples au succès se livrent, triste proie Du bonheur. Alors des nations, que berce un fatal songe Dans leur lit, La vertu coule et tombe, ainsi que d'une éponge L'eau jaillit. Alors, devant le mal, le vice, la folle, Les vivants Imitent les saluts du vil roseau qui plie Sous les vents. Alors festins et jeux ; rien de ce que dit l'âme Ne s'entend ; On boit, on mange, on chante, on danse, on est infâme Et content. Le crime heureux, servi par d'immondes ministres, Sous les cieux Rit, et vous frissonnez, grands ossements sinistres Des aïeux. On vit honteux, les yeux troubles, le pas oblique, Hébété Tout à coup un clairon jette aux vents : République ! Liberté ! Et le monde, éveillé par cette âpre fanfare, Est pareil Aux ivrognes de nuit qu'en se levant effare Le soleil. Jersey, 1853.
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Explication
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Explication Titre : Explication Poète : Victor Hugo (1802-1885) La terre est au soleil ce que l'homme est à l'ange. L'un est fait de splendeur ; l'autre est pétri de fange. Toute étoile est soleil ; tout astre est paradis. Autour des globes purs sont les mondes maudits ; Et dans l'ombre, où l'esprit voit mien que la lunette, Le soleil paradis traîne l'enfer planète. L'ange habitant de l'astre est faillible ; et, séduit, Il peut devenir l'homme habitant de la nuit. Voilà ce que le vent m'a dit sur la montagne. Tout globe obscur gémit ; toute terre est un bagne Où la vie en pleurant, jusqu'au jour du réveil, Vient écrouer l'esprit qui tombe du soleil. Plus le globe est lointain, plus le bagne est terrible. La mort est là, vannant les âmes dans un crible, Qui juge, et, de la vie invisible témoin, Rapporte l'ange à l'astre ou le jette plus loin. Ô globes sans rayons et presque sans aurores ! Enorme Jupiter fouetté de météores, Mars qui semble de loin la bouche d'un volcan, Ô nocturne Uranus, ô Saturne au carcan ! Châtiments inconnus ! rédemptions ! mystères ! Deuils ! ô lunes encor plus mortes que les terres ! Ils souffrent ; ils sont noirs ; et qui sait ce qu'ils font ? L'ombre entend par moments leur cri rauque et profond, Comme on entend, le soir, la plainte des cigales. Mondes spectres, tirant des chaînes inégales, Ils vont, blêmes, pareils au rêve qui s'enfuit. Rougis confusément d'un reflet dans la nuit, Implorant un messie, espérant des apôtres, Seuls, séparés, les uns en amère des autres, Tristes, échevelés par des souffles hagards, Jetant à la clarté de farouches regards, Ceux-ci, vagues, roulant dans les profondeurs mornes, Ceux-là, presque engloutis dans l'infini sans bornes, Ténébreux, frissonnants, froids, glacés, pluvieux Autour du paradis ils tournent envieux ; Et, du soleil, parmi les brumes et les ombres, On voit passer au loin toutes ces faces sombres. Novembre 1840.
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Départ
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Départ Titre : Départ Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Les Illuminations (1886). Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions ! Départ dans l'affection et le bruit neufs !
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Tristesse
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Tristesse Titre : Tristesse Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Avril est de retour. La première des roses, De ses lèvres mi-closes, Rit au premier beau jour ; La terre bienheureuse S'ouvre et s'épanouit ; Tout aime, tout jouit. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse. Les buveurs en gaîté, Dans leurs chansons vermeilles, Célèbrent sous les treilles Le vin et la beauté ; La musique joyeuse, Avec leur rire clair S'éparpille dans l'air. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse. En déshabillés blancs, Les jeunes demoiselles S'en vont sous les tonnelles Au bras de leurs galants ; La lune langoureuse Argente leurs baisers Longuement appuyés. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse. Moi, je n'aime plus rien, Ni l'homme, ni la femme, Ni mon corps, ni mon âme, Pas même mon vieux chien. Allez dire qu'on creuse, Sous le pâle gazon, Une fosse sans nom. Hélas ! J'ai dans le cœur une tristesse affreuse.
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T'en souviens-tu, mon aimable maîtresse
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : T'en souviens-tu, mon aimable maîtresse Titre : T'en souviens-tu, mon aimable maîtresse Poète : Évariste de Parny (1753-1814) T'en souviens-tu, mon aimable maîtresse, De cette nuit où nos brûlants désirs Et de nos goûts la libertine adresse À chaque instant variaient nos plaisirs ? De ces plaisirs le docile théâtre Favorisait nos rapides élans ; Mais tout-à-coup les suppôts chancelants Furent brisés dans ce combat folâtre, Et succombant à nos tendres ébats, Sur le parquet tombèrent en éclats. Des voluptés tu passas à la crainte ; L'étonnement fit palpiter soudain Ton faible cœur pressé contre le mien ; Tu murmurais, je riais de ta plainte ; Je savais trop que le Dieu des Amants Sur nos plaisirs veillait dans ces moments. Il vit tes pleurs ; Morphée, à sa prière, Du vieil Argus que réveillaient nos jeux Ferma bientôt et l'oreille et les yeux, Et de son aile enveloppa ta mère. L'aurore vint, plutôt qu'à l'ordinaire, De nos baisers interrompre le cours ; Elle chassa les timides amours ; Mais ton souris, peut-être involontaire, Leur accorda le rendez-vous du soir. Ah ! si les dieux me laissaient le pouvoir De dispenser la nuit et la lumière, Du jour naissant la jeune avant-courrière Viendrait bien tard annoncer le soleil ; Et celui-ci, dans sa course légère, Ne ferait voir au haut de l'hémisphère Qu'une heure ou deux son visage vermeil. L'ombre des nuits durerait davantage, Et les Amants auraient plus de loisir. De mes instants l'agréable partage Serait toujours au profit des plaisirs. Dans un accord réglé par la sagesse, Au doux sommeil j'en donnerais un quart ; Le Dieu du vin aurait semblable part ; Et la moitié serait pour ma maîtresse.
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Imité de Cicéron
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Imité de Cicéron Titre : Imité de Cicéron Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). Un serpent, s'élançant du tronc creux d'un vieux chêne Darde son noir venin sur l'aigle ami des dieux. Le noble oiseau s'abaisse et sa serre hautaine A bientôt châtié le reptile odieux. La bête, qui tordait ses anneaux avec gloire, A son tour est blessée au flanc et le bec d'or Du roi des airs, tout rouge encor de sa victoire, Déchire en vingt tronçons son adversaire mort. Ayant bien satisfait ses vengeances sublimes Et bien rassasié son ail de sang vermeil, L'aigle alors jette au loin ses dépouilles opimes Et, l'aile ouverte au vent, vole vers le soleil.
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Cæruleum mare
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Cæruleum mare Titre : Cæruleum mare Poète : Victor Hugo (1802-1885) Quand je rêve sur la falaise, Ou dans les bois, les soirs d'été, Sachant que la vie est mauvaise, Je contemple l'éternité. A travers mon sort mêlé d'ombres, J'aperçois Dieu distinctement, Comme à travers des branches sombres On entrevoit le firmament ! Le firmament ! où les faux sages Cherchent comme nous des conseils ! Le firmament plein de nuages, Le firmament plein de soleils ! Un souffle épure notre fange. Le monde est à Dieu, je le sens. Toute fleur est une louange, Et tout parfum est un encens. La nuit on croit sentir Dieu même Penché sur l'homme palpitant. La terre prie et le ciel aime. Quelqu'un parle et quelqu'un entend. Pourtant, toujours à notre extase, Ô Seigneur, tu te dérobas ; Hélas ! tu mets là-haut le vase, Et tu laisses la lèvre en bas ! Mais un jour ton œuvre profonde, Nous la saurons, Dieu redouté ! Nous irons voir de monde en monde S'épanouir ton unité ; Cherchant dans ces cieux que tu règles L'ombre de ceux que nous aimons, Comme une troupe de grands aigles Qui s'envole à travers les monts ! Car, lorsque la mort nous réclame, L'esprit des sens brise le sceau. Car la tombe est un nid où l'âme Prend des ailes comme l'oiseau ! Ô songe ! ô vision sereine ! Nous saurons le secret de tout, Et ce rayon qui sur nous traîne, Nous en pourrons voir l'autre bout ! Ô Seigneur ! l'humble créature Pourra voir enfin à son tour L'autre côté de la nature Sur lequel tombe votre jour ! Nous pourrons comparer, poètes, Penseurs croyant en nos raisons, A tous les mondes que vous faites Tous les rêves que nous faisons ! * * * En attendant, sur cette terre, Nous errons, troupeau désuni, Portant en nous ce grand mystère : Œil borné, regard infini. L'homme au hasard choisit sa route ; Et toujours, quoi que nous fassions, Comme un bouc sur l'herbe qu'il broute, Vit courbé sur ses passions. Nous errons, et dans les ténèbres, Allant où d'autres sont venus, Nous entendons des voix funèbres Qui disent des mots inconnus. Dans ces ombres où tout s'oublie, Vertu, sagesse, espoir, honneur, L'un va criant : Élie ! Élie ! L'autre appelant : Seigneur ! Seigneur ! Hélas ! tout penseur semble avide D'épouvanter l'homme orphelin ; Le savant dit : Le ciel est vide ! Le prêtre dit : L'enfer est plein ! Ô deuil ! médecins sans dictames, Vains prophètes aux yeux déçus, L'un donne Satan à nos âmes, L'autre leur retire Jésus ! L'humanité, sans loi, sans arche, Suivant son sentier desséché, Est comme un voyageur qui marche Après que le jour est couché. Il va ! la brume est sur la plaine. Le vent tord l'arbre convulsif. Les choses qu'il distingue à peine Ont un air sinistre et pensif. Ainsi, parmi de noirs décombres, Dans ce siècle le genre humain Passe et voit des figures sombres Qui se penchent sur son chemin. Nous, rêveurs, sous un toit qui croule, Fatigués, nous nous abritons, Et nous regardons cette foule Se plonger dans l'ombre à tâtons ! * * * Et nous cherchons, souci morose ! Hélas ! à deviner pour tous Le problème que nous propose Toute cette ombre autour de nous ! Tandis que, la tête inclinée, Nous nous perdons en tristes vœux, Le souffle de la destinée Frissonne à travers nos cheveux. Nous entendons, race asservie, Ce souffle passant dans la nuit Du livre obscur de notre vie Tourner les pages avec bruit ! Que faire ? – À ce vent de la tombe, Joignez les mains, baissez les yeux, Et tâchez qu'une lueur tombe Sur le livre mystérieux ! – D'où viendra la lueur, ô père ? Dieu dit : – De vous, en vérité. Allumez, pour qu'il vous éclaire, Votre cœur par quelque côté ! Quand le cœur brûle, on peut sans crainte Lire ce qu'écrit le Seigneur. Vertu, sous cette clarté sainte, Est le même mot que Bonheur. Il faut aimer ! l'ombre en vain couvre L'œil de notre esprit, quel qu'il soit. Croyez, et la paupière s'ouvre ! Aimez, et la prunelle voit ! Du haut des cieux qu'emplit leur flamme, Les trop lointaines vérités Ne peuvent au livre de l'âme Jeter que de vagues clartés. La nuit, nul regard ne sait lire Aux seuls feux des astres vermeils ; Mais l'amour près de nous vient luire, Une lampe aide les soleils. Pour que, dans l'ombre où Dieu nous mène, Nous puissions lire à tous moments, L'amour joint sa lumière humaine Aux célestes rayonnements ! Aimez donc ! car tout le proclame, Car l'esprit seul éclaire peu, Et souvent le cœur d'une femme Est l'explication de Dieu ! * * * Ainsi je rêve, ainsi je songe, Tandis qu'aux yeux des matelots La nuit sombre à chaque instant plonge Des groupes d'astres dans les flots ! Moi, que Dieu tient sous son empire, J'admire, humble et religieux, Et par tous les pores j'aspire Ce spectacle prodigieux ! Entre l'onde, des vents bercée, Et le ciel, gouffre éblouissant, Toujours, pour l'œil de la pensée, Quelque chose monte ou descend. Goutte d'eau pure ou jet de flamme, Ce verbe intime et non écrit Vient se condenser dans mon âme Ou resplendir dans mon esprit ; Et l'idée à mon cœur sans voile, A travers la vague ou l'éther, Du fond des cieux arrive étoile, Ou perle du fond de la mer ! Le 25 août 1839.
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Enthousiasme
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Enthousiasme Titre : Enthousiasme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Allons, jeune homme ! allons, marche...! André Chénier. En Grèce ! en Grèce ! adieu, vous tous ! il faut partir ! Qu'enfin, après le sang de ce peuple martyr, Le sang vil des bourreaux ruisselle ! En Grèce, ô mes amis ! vengeance ! liberté ! Ce turban sur mon front ! ce sabre à mon côté ! Allons ! ce cheval, qu'on le selle ! Quand partons-nous ? ce soir ! demain serait trop long. Des armes ! des chevaux ! un navire à Toulon ! Un navire, ou plutôt des ailes ! Menons quelques débris de nos vieux régiments, Et nous verrons soudain ces tigres ottomans Fuir avec des pieds de gazelles ! Commande-nous, Fabvier, comme un prince invoqué ! Toi qui seul fus au poste où les rois ont manqué, Chef des hordes disciplinées, Parmi les grecs nouveaux ombre d'un vieux Romain, Simple et brave soldat, qui dans ta rude main D'un peuple as pris les destinées ! De votre long sommeil éveillez-vous là-bas, Fusils français ! et vous, musique des combats, Bombes, canons, grêles cymbales ! Éveillez-vous, chevaux au pied retentissant, Sabres, auxquels il manque une trempe de sang, Longs pistolets gorgés de balles ! Je veux voir des combats, toujours au premier rang ! Voir comment les spahis s'épanchent en torrent Sur l'infanterie inquiète ; Voir comment leur damas, qu'emporte leur coursier, Coupe une tête au fil de son croissant d'acier ! Allons...! — mais quoi, pauvre poète, Où m'emporte moi-même un accès belliqueux ? Les vieillards, les enfants m'admettent avec eux ! Que suis-je ? — Esprit qu'un souffle enlève. Comme une feuille morte échappée aux bouleaux, Qui sur une onde en pente erre de flots en flots, Mes jours s'en vont de rêve en rêve. Tout me fait songer : l'air, les prés, les monts, les bois. J'en ai pour tout un jour des soupirs d'un hautbois, D'un bruit de feuilles remuées ; Quand vient le crépuscule, au fond d'un vallon noir, J'aime un grand lac d'argent, profond et clair miroir Où se regardent les nuées. J'aime une lune, ardente et rouge comme l'or, Se levant dans la brume épaisse, ou bien encor Blanche au bord d'un nuage sombre ; J'aime ces chariots lourds et noirs, qui la nuit, Passant devant le seuil des fermes avec bruit, Font aboyer les chiens dans l'ombre. Novembre 1827.
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Milly ou la terre natale (I)
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Milly ou la terre natale (I) Titre : Milly ou la terre natale (I) Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830). Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ? Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ; Il résonne de loin dans mon âme attendrie, Comme les pas connus ou la voix d'un ami. Montagnes que voilait le brouillard de l'automne, Vallons que tapissait le givre du matin, Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne, Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide, Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour, Chaumière où du foyer étincelait la flamme, Toit que le pèlerin aimait à voir fumer, Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?
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Prière
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Prière Titre : Prière Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Comme un ange gardien prenez-moi sous votre aile ; Tendez, en souriant et daignant vous pencher, À ma petite main votre main maternelle, Pour soutenir mes pas et me faire marcher ! Car Jésus le doux maître, aux célestes tendresses, Permettait aux enfants de s'approcher de lui ; Comme un père indulgent il souffrait leurs caresses, Et jouait avec eux sans témoigner d'ennui. Ô vous qui ressemblez à ces tableaux d'église Où l'on voit, sur fond d'or, l'auguste Charité Préservant de la faim, préservant de la bise Un groupe frais et blond dans sa robe abrité ; Comme le nourrisson de la Mère divine, Par pitié, laissez-moi monter sur vos genoux, Moi pauvre jeune fille, isolée, orpheline, Qui n'ai d'espoir qu'en Dieu, qui n'ai d'espoir qu'en vous !
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Un grand sommeil noir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un grand sommeil noir Titre : Un grand sommeil noir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie : Dormez, tout espoir, Dormez, toute envie ! Je ne vois plus rien, Je perds la mémoire Du mal et du bien... Ô la triste histoire ! Je suis un berceau Qu'une main balance Au creux d'un caveau : Silence, silence !
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À George Sand V
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À George Sand V Titre : À George Sand V Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Lettres à George Sand. Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus De tout ce que mon coeur renfermait de tendresse, Quand, dans nuit profonde, ô ma belle maîtresse, Je venais en pleurant tomber dans tes bras nus ! La mémoire en est morte, un jour te l'a ravie Et cet amour si doux, qui faisait sur la vie Glisser dans un baiser nos deux coeurs confondus, Toi qui me l'as appris, tu ne t'en souviens plus.
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La mort
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La mort Titre : La mort Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Telle qu'un moissonneur, dont l'aveugle faucille Abat le frais bleuet, comme le dur chardon, Telle qu'un plomb cruel qui, dans sa course, brille, Siffle, et, fendant les airs, vous frappe sans pardon ; Telle l'affreuse mort sur un dragon se montre, Passant comme un tonnerre au milieu des humains, Renversant, foudroyant tout ce qu'elle rencontre Et tenant une faulx dans ses livides mains. Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire ! Il s'acharne aux enfants, tout comme aux criminels : Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire Tu vois sur l'univers planer ce noir vautour, Le mépris (n'est-ce pas, plutôt que la colère) Magnanime génie, dans ton cœur, a son tour ? Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes, Hugo, tu t'apitoies sur les tristes vaincus ; Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes, Quelques larmes d'amour pour ceux qui ne sont plus.
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Fulgur
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fulgur Titre : Fulgur Poète : Victor Hugo (1802-1885) L'océan me disait : Ô poète, homme juste, J'ai parfois comme toi cette surprise auguste Qu'il me descend des cieux une immense rougeur ; Et je suis traversé tout à coup, ô songeur, Par la foudre sublime, irritée et haïe Comme toi par l'esprit sinistre d'Isaïe ; Les éclairs sont mes cris, les foudres sont ma voix ; Je gronde sur l'écueil comme toi sur les rois ; Je suis l'avertisseur brusque, horrible et céleste. L'énorme bras de feu m'associe à son geste Quand il menace l'ombre et le bagne infernal. On est beau par Virgile et grand par Juvénal, Et mon gouffre le sait aussi bien que ton âme ; J'ai, comme toi, l'azur, une douceur de femme, Une gaîté d'enfant, des vagues pleines d'yeux, Des aurores où rit le ciel prodigieux, Des écumes parfois blanches comme les cygnes ; Les astres par-dessus mes flots se font des signes, Et se disent : Viens donc te mirer dans la mer. Je suis le niveau pur, le précipice clair ; J'offre mes gouttes d'eau nuit et jour aux brins d'herbe. Mais je fais peu de cas de tout ce bleu superbe, De ce vaste sourire épanoui sur tout, De cette grâce où l'ombre en clarté se dissout, De ces flots de cristal, de ces ondes de moire ; Et le passage affreux du tonnerre est ma gloire.
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La naissance du duc de Bordeaux
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La naissance du duc de Bordeaux Titre : La naissance du duc de Bordeaux Poète : Victor Hugo (1802-1885) Le ciel... prodigue en leur faveur les miracles. La postérité de Joseph rentre dans la terre de Gessen ; Et cette conquête, due aux larmes des vainqueurs, Ne coûte pas une larme aux vaincus. Chateaubriand, Martyrs. I. Savez-vous, voyageur, pourquoi, dissipant l'ombre, D'innombrables clartés brillent dans la nuit sombre ? Quelle immense vapeur rougit les cieux couverts ? Et pourquoi mille cris, frappant la nue ardente, Dans la ville, au loin rayonnante, Comme un concert confus, s'élèvent dans les airs ? II. Ô joie ! ô triomphe ! ô mystère ! Il est né, l'enfant glorieux, L'ange que promit à la terre Un martyr partant pour les cieux : L'avenir voilé se révèle. Salut à la flamme nouvelle Qui ranime l'ancien flambeau ! Honneur à ta première aurore, Ô jeune lys qui viens d'éclore, Tendre fleur qui sors d'un tombeau ! C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la prière. La cloche, balancée aux tours du sanctuaire, Comme aux jours du repos, y rappelle nos pas. C'est Dieu qui l'a donné, le Dieu de la victoire ! Chez les vieux martyrs de la gloire Les canons ont tonné, comme au jour des combats. Ce bruit, si cher à ton oreille, Joint aux voix des temples bénis, N'a-t-il donc rien qui te réveille, Ô toi qui dors à Saint-Denis ? Lève-toi ! Henri doit te plaire Au sein du berceau populaire ; Accours, ô père triomphant ! Enivre sa lèvre trompée, Et viens voir si ta grande épée Pèse aux mains du royal enfant. Hélas ! il est absent, il est au sein des justes. Sans doute, en ce moment, de ses aïeux augustes Le cortège vers lui s'avance consolé : Car il rendit, mourant sous des coups parricides, Un héros à leurs tombes vides, Une race de rois à leur trône isolé. Parmi tous ces nobles fantômes, Qu'il élève un front couronné, Qu'il soit fier dans les saints royaumes, Le père du roi nouveau-né ! Une race longue et sublime Sort de l'immortelle victime ; Tel un fleuve mystérieux, Fils d'un mont frappé du tonnerre, De son cours fécondant la terre, Cache sa source dans les cieux. Honneur au rejeton qui deviendra la tige ! Henri, nouveau Joas, sauvé par un prodige, À l'ombre de l'autel croîtra vainqueur du sort ; Un jour, de ses vertus notre France embellie, À ses sœurs, comme Cornélie, Dira : « Voilà mon fils, c'est mon plus beau trésor. » III. Ô toi, de ma pitié profonde Reçois l'hommage solennel, Humble objet des regards du monde Privé du regard paternel ! Puisses-tu, né dans la souffrance, Et de ta mère et de la France Consoler la longue douleur ! Que le bras divin, t'environne, Et puisse, ô Bourbon ! la couronne Pour toi ne pas être un malheur ! Oui, souris, orphelin, aux larmes de ta mère ! Ecarte, en te jouant, ce crêpe funéraire Qui voile ton berceau des couleurs du cercueil ; Chasse le noir passé qui nous attriste encore ; Sois à nos yeux comme une aurore ! Rends le jour et la joie à notre ciel en deuil ! Ivre d'espoir, ton roi lui-même, Consacrant le jour où tu nais, T'impose, avant le saint baptême, Le baptême du Béarnais. La veuve t'offre à l'orpheline ; Vers toi, conduit par l'héroïne, Vient ton aïeul en cheveux blancs ; Et la foule, bruyante et fière, Se presse à ce Louvre, où naguère, Muette, elle entrait à pas lents. Guerriers, peuple, chantez ; Bordeaux, lève ta tête, Cité qui, la première, aux jours de la conquête, Rendue aux fleurs de lys, as proclamé ta foi. Et toi, que le martyr aux combats eût guidée, Sors de ta douleur, ô Vendée ! Un roi naît pour la France, un solda naît pour toi. IV. Rattachez la nef à la rive : La veuve reste parmi nous, Et de sa patrie adoptive Le ciel lui semble enfin plus doux. L'espoir à la France l'enchaîne ; Aux champs où fut frappé le chêne Dieu fait croître un frêle roseau. L'amour retient l'humble colombe ; Il faut prier sur une tombe, Il faut veiller sur un berceau. Dis, qu'irais-tu chercher au lieu qui te vit naître, Princesse ? Parthénope outrage son vieux maître : L'étranger, qu'attiraient des bords exempts d'hivers Voit Palerme en fureur, voit Messine en alarmes, Et, plaignant la Sicile en armes, De ce funèbre éden fuit les sanglantes mers. Mais que les deux volcans s'éveillent ! Que le souffle du Dieu jaloux Des sombres géants qui sommeillent Rallume enfin l'ardent courroux ; Devant les flots brûlants des laves Que seront ces hautains esclaves, Ces chefs d'un jour, ces grands soldats ? Courage ! ô vous, vainqueurs sublimes ! Tandis que vous marchez aux crimes, La terre tremble sous vos pas ! Reste au sein des français, ô fille de Sicile ! Ne fuis pas, pour des bords d'où le bonheur s'exile, Une terre où le lys se relève immortel ; Où du peuple et des rois l'union salutaire N'est point cet hymen adultère Du trône et des partis, des camps et de l'autel. V. Nous, ne craignons plus les tempêtes ! Bravons l'horizon menaçant ! Les forfaits qui chargeaient nos têtes Sont rachetés par l'innocent ! Quand les nochers, dans la tourmente, Jadis, voyaient l'onde écumante Entr'ouvrir leurs frêle vaisseau, Sûrs de la clémence éternelle, Pour sauver la nef criminelle Ils y suspendaient un berceau. Octobre 1820.
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Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour Titre : Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). Vous m'avez demandé quelques vers sur « Amour ». Ce mien livre, d'émoi cruel et de détresse, Déjà loin dans mon Œuvre étrange qui se presse Et dévale, flot plus amer de jour en jour. Qu'en dire, sinon : « Poor Yorick ! » ou mieux « poor Lelian ! » et pauvre âme à tout faire, faiblesse, Mollesse par des fois et caresse et paresse, Ou tout à coup partie en guerre comme pour Tout casser d'un passé si pur, si chastement Ordonné par la beauté des calmes pensées. Et pour damner tant d'heures en Dieu dépensées. Puis il revient, mon Œuvre, las d'un tel ahan, Pénitent, et tombant à genoux mains dressées... Priez avec et pour le pauvre Lelian !
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À celle qui est restée en France
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À celle qui est restée en France Titre : À celle qui est restée en France Poète : Victor Hugo (1802-1885) I Mets-toi sur ton séant, lève tes yeux, dérange Ce drap glacé qui fait des plis sur ton front d'ange, Ouvre tes mains, et prends ce livre : il est à toi. Ce livre où vit mon âme, espoir, deuil, rêve, effroi, Ce livre qui contient le spectre de ma vie, Mes angoisses, mon aube, hélas ! de pleurs suivie, L'ombre et son ouragan, la rose et son pistil, Ce livre azuré, triste, orageux, d'où sort-il ? D'où sort le blême éclair qui déchire la brume ? Depuis quatre ans, j'habite un tourbillon d'écume ; Ce livre en a jailli. Dieu dictait, j'écrivais ; Car je suis paille au vent. Va ! dit l'esprit. Je vais. Et, quand j'eus terminé ces pages, quand ce livre Se mit à palpiter, à respirer, à vivre, Une église des champs, que le lierre verdit, Dont la tour sonne l'heure à mon néant, m'a dit : Ton cantique est fini ; donne-le-moi, poëte. - Je le réclame, a dit la forêt inquiète ; Et le doux pré fleuri m'a dit : - Donne-le-moi. La mer, en le voyant frémir, m'a dit : - Pourquoi Ne pas me le jeter, puisque c'est une voile ! - C'est à moi qu'appartient cet hymne, a dit l'étoile. - Donne-le-nous, songeur, ont crié les grands vents. Et les oiseaux m'ont dit : - Vas-tu pas aux vivants Offrir ce livre, éclos si loin de leurs querelles ? Laisse-nous l'emporter dans nos nids sur nos ailes ! - Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds ! Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons, Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ; Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ; Ni l'église où le temps fait tourner son compas ; Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas, L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe, Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe. II Autrefois, quand septembre en larmes revenait, Je partais, je quittais tout ce qui me connaît, Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne ! J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne, Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler, Sachant bien que j'irais où je devais aller ; Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre ! Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre, Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais, J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais. Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines ! Et, pendant que la mère et la soeur, orphelines, Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir Avec l'avidité morne du désespoir ; Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ; Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise, L'oeil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ; Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient ! Les ronces écartaient leurs branches desséchées ; Je marchais à travers les humbles croix penchées, Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ; Et je m'agenouillais au milieu des rameaux Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure. Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ? Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets, Et disaient : Qu'est-ce donc que cet homme qui songe ? Et le jour, et le soir, et l'ombre qui s'allonge, Et Vénus, qui pour moi jadis étincela, Tout avait disparu que j'étais encor là. J'étais là, suppliant celui qui nous exauce ; J'adorais, je laissais tomber sur cette fosse, Hélas ! où j'avais vu s'évanouir mes cieux, Tout mon coeur goutte à goutte en pleurs silencieux ; J'effeuillais de la sauge et de la clématite ; Je me la rappelais quand elle était petite, Quand elle m'apportait des lys et des jasmins, Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains, Gaie, et riant d'avoir de l'encre à ses doigts roses ; Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses, Je fixais mon regard sur ces froids gazons verts, Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers La pierre du tombeau, comme une lueur d'âme ! Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame Tintait dans le ciel triste et dans mon coeur saignant, Rien ne me retenait, et j'allais ; maintenant, Hélas !... - Ô fleuve ! ô bois ! vallons dont je fus l'hôte, Elle sait, n'est-ce pas ? que ce n'est pas ma faute Si, depuis ces quatre ans, pauvre coeur sans flambeau, Je ne suis pas allé prier sur son tombeau ! III Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre, Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher, La nuit, que je voyais lentement approcher, Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière, Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre, Ô mon Dieu, tout cela, c'était donc du bonheur ! Dis, qu'as-tu fait pendant tout ce temps-là ? - Seigneur, Qu'a-t-elle fait ? - Vois-tu la vie en vos demeures ? A quelle horloge d'ombre as-tu compté les heures ? As-tu sans bruit parfois poussé l'autre endormi ? Et t'es-tu, m'attendant, réveillée à demi ? T'es-tu, pâle, accoudée à l'obscure fenêtre De l'infini, cherchant dans l'ombre à reconnaître Un passant, à travers le noir cercueil mal joint, Attentive, écoutant si tu n'entendais point Quelqu'un marcher vers toi dans l'éternité sombre ? Et t'es-tu recouchée ainsi qu'un mât qui sombre, En disant : Qu'est-ce donc ? mon père ne vient pas ! Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas ? Que de fois j'ai choisi, tout mouillés de rosée, Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée ! Que de fois j'ai cueilli de l'aubépine en fleur ! Que de fois j'ai, là-bas, cherché la tour d'Harfleur, Murmurant : C'est demain que je pars ! et, stupide, Je calculais le vent et la voile rapide, Puis ma main s'ouvrait triste, et je disais : Tout fuit ! Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit ! Oh ! que de fois, sentant qu'elle devait m'attendre, J'ai pris ce que j'avais dans le coeur de plus tendre Pour en charger quelqu'un qui passerait par là ! Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l'appela ; Quand je lui parle, hélas ! pourquoi les ferme-t-elle ? Où serait donc le mal quand de l'ombre mortelle L'amour violerait deux fois le noir secret, Et quand, ce qu'un dieu fit, un père le ferait ? IV Que ce livre, du moins, obscur message, arrive, Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive ! Qu'il y tombe, sanglot, soupir, larme d'amour ! Qu'il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour Le baiser, la jeunesse, et l'aube, et la rosée, Et le rire adoré de la fraîche épousée, Et la joie, et mon coeur, qui n'est pas ressorti ! Qu'il soit le cri d'espoir qui n'a jamais menti, Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure, Le rêve dont on sent l'aile qui nous effleure ! Qu'elle dise : Quelqu'un est là ; j'entends du bruit ! Qu'il soit comme le pas de mon âme en sa nuit ! Ce livre, légion tournoyante et sans nombre D'oiseaux blancs dans l'aurore et d'oiseaux noirs dans l'ombre, Ce vol de souvenirs fuyant à l'horizon, Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison, Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace ! Que ce fauve océan qui me parle à voix basse, Lui soit clément, l'épargne et le laisse passer ! Et que le vent ait soin de n'en rien disperser, Et jusqu'au froid caveau fidèlement apporte Ce don mystérieux de l'absent à la morte ! Ô Dieu ! puisqu'en effet, dans ces sombres feuillets, Dans ces strophes qu'au fond de vos cieux je cueillais, Dans ces chants murmurés comme un épithalame Pendant que vous tourniez les pages de mon âme, Puisque j'ai, dans ce livre, enregistré mes jours, Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds, Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure ; Puisque vous ne voulez pas encor que je meure, Et qu'il faut bien pourtant que j'aille lui parler ; Puisque je sens le vent de l'infini souffler Sur ce livre qu'emplit l'orage et le mystère ; Puisque j'ai versé là toutes vos ombres, terre, Humanité, douleur, dont je suis le passant ; Puisque de mon esprit, de mon coeur, de mon sang, J'ai fait l'âcre parfum de ces versets funèbres, Va-t'en, livre, à l'azur, à travers les ténèbres ! Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit ! Oui, qu'il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit, Comme une feuille d'arbre ou comme une âme d'homme ! Qu'il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme ! Qu'il tombe au plus profond du sépulcre hagard, A côté d'elle, ô mort ! et que là, le regard, Près de l'ange qui dort, lumineux et sublime, Le voie épanoui, sombre fleur de l'abîme ! V Ô doux commencements d'azur qui me trompiez, Ô bonheurs ! je vous ai durement expiés ! J'ai le droit aujourd'hui d'être, quand la nuit tombe, Un de ceux qui se font écouter de la tombe, Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls, Remuer lentement les plis noirs des linceuls, Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres, Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières, La vague et la nuée, et devient une voix De la nature, ainsi que la rumeur des bois. Car voilà, n'est-ce pas, tombeaux ? bien des années, Que je marche au milieu des croix infortunées, Échevelé parmi les ifs et les cyprès, L'âme au bord de la nuit, et m'approchant tout près, Et que je vais, courbé sur le cercueil austère, Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort, Le squelette qui rit, le squelette qui mord, Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières, Et les os des genoux qui savent des prières ! Hélas ! j'ai fouillé tout. J'ai voulu voir le fond. Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond, J'ai voulu le savoir. J'ai dit : Que faut-il croire ? J'ai creusé la lumière, et l'aurore, et la gloire, L'enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur, Et l'amour, et la vie, et l'âme, - fossoyeur. Qu'ai-je appris ? J'ai, pensif , tout saisi sans rien prendre ; J'ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre. Qui sommes-nous ? que veut dire ce mot : Toujours ? J'ai tout enseveli, songes, espoirs, amours, Dans la fosse que j'ai creusée en ma poitrine. Qui donc a la science ? où donc est la doctrine ? Oh ! que ne suis-je encor le rêveur d'autrefois, Qui s'égarait dans l'herbe, et les prés, et les bois, Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille, Tenant la main petite et blanche de sa fille, Et qui, joyeux, laissant luire le firmament, Laissant l'enfant parler, se sentait lentement Emplir de cet azur et de cette innocence ! Entre Dieu qui flamboie et l'ange qui l'encense, J'ai vécu, j'ai lutté, sans crainte, sans remord. Puis ma porte soudain s'ouvrit devant la mort, Cette visite brusque et terrible de l'ombre. Tu passes en laissant le vide et le décombre, Ô spectre ! tu saisis mon ange et tu frappas. Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas. VI Je ne puis plus reprendre aujourd'hui dans la plaine Mon sentier d'autrefois qui descend vers la Seine ; Je ne puis plus aller où j'allais ; je ne puis, Pareil à la laveuse assise au bord du puits, Que m'accouder au mur de l'éternel abîme ; Paris m'est éclipsé par l'énorme Solime ; La hauteNotre-Dame à présent, qui me luit, C'est l'ombre ayant deux tours, le silence et la nuit, Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles ; Et je vois sur mon front un panthéon d'étoiles ; Si j'appelle Rouen, Villequier, Caudebec, Toute l'ombre me crie : Horeb, Cédron, Balbeck ! Et, si je pars, m'arrête à la première lieue, Et me dit: Tourne-toi vers l'immensité bleue ! Et me dit : Les chemins où tu marchais sont clos. Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots ! A quoi penses-tu donc ? que fais-tu, solitaire ? Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre ? Où vas-tu de la sorte et machinalement ? Ô songeur ! penche-toi sur l'être et l'élément ! Écoute la rumeur des âmes dans les ondes ! Contemple, s'il te faut de la cendre, les mondes ; Cherche au moins la poussière immense, si tu veux Mêler de la poussière à tes sombres cheveux, Et regarde, en dehors de ton propre martyre, Le grand néant, si c'est le néant qui t'attire ! Sois tout à ces soleils où tu remonteras ! Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras, Ô proscrit de l'azur, vers les astres patries ! Revois-y refleurir tes aurores flétries ; Deviens le grand oeil fixe ouvert sur le grand tout. Penche-toi sur l'énigme où l'être se dissout, Sur tout ce qui naît, vit, marche, s'éteint, succombe, Sur tout le genre humain et sur toute la tombe ! Mais mon coeur toujours saigne et du même côté. C'est en vain que les cieux, les nuits, l'éternité, Veulent distraire une âme et calmer un atome. Tout l'éblouissement des lumières du dôme M'ôte-t-il une larme ? Ah ! l'étendue a beau Me parler, me montrer l'universel tombeau, Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie ; J'écoute, et je reviens à la douce endormie. VII Des fleurs ! oh ! si j'avais des fleurs ! si je pouvais Aller semer des lys sur ces deux froids chevets ! Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle ! Les fleurs sont l'or, l'azur, l'émeraude, l'opale ! Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher ; Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes ! Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes, Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir, Puisqu'il nous fait lâcher ce qu'on croyait tenir, Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde, Sur la première porte en scelle une seconde, Et, sur le père triste et sur l'enfant qui dort, Ferme l'exil après avoir fermé la mort, Puisqu'il est impossible à présent que je jette Même un brin de bruyère à sa fosse muette, C'est bien le moins qu'elle ait mon âme, n'est-ce pas ? Ô vent noir dont j'entends sur mon plafond le pas ! Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle ! Mers, nuits ! et je l'ai mise en ce livre pour elle ! Prends ce livre ; et dis-toi : Ceci vient du vivant Que nous avons laissé derrière nous, rêvant. Prends. Et, quoique de loin, reconnais ma voix, âme ! Oh ! ta cendre est le lit de mon reste de flamme ; Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi ; Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi. Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume ! Qu'entre tes vagues mains il devienne fantôme ! Qu'il blanchisse, pareil à l'aube qui pâlit, A mesure que l'oeil de mon ange le lit, Et qu'il s'évanouisse, et flotte, et disparaisse, Ainsi qu'un âtre obscur qu'un souffle errant caresse, Ainsi qu'une lueur qu'on voit passer le soir, Ainsi qu'un tourbillon de feu de l'encensoir, Et que, sous ton regard éblouissant et sombre, Chaque page s'en aille en étoiles dans l'ombre ! VIII Oh ! quoi que nous fassions et quoi que nous disions, Soit que notre âme plane au vent des visions, Soit qu'elle se cramponne à l'argile natale, Toujours nous arrivons à ta grotte fatale, Gethsémani ! qu'éclaire une vague lueur ! Ô rocher de l'étrange et funèbre sueur ! Cave où l'esprit combat le destin ! ouverture Sur les profonds effrois de la sombre nature ! Antre d'où le lion sort rêveur, en voyant Quelqu'un de plus sinistre et de plus effrayant, La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée ! Ô chute ! asile ! ô seuil de la trouble vallée D'où nous apercevons nos ans fuyants et courts, Nos propres pas marqués dans la fange des jours, L'échelle où le mal pèse et monte, spectre louche, L'âpre frémissement de la palme farouche, Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés, Et les frissons aux fronts des anges effarés ! Toujours nous arrivons à cette solitude, Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude ! Paix à l'ombre ! Dormez ! dormez ! dormez ! dormez ! Êtres, groupes confus lentement transformés ! Dormez, les champs ! dormez, les fleurs ! dormez, les tombes ! Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes, Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids, Dormez ! dormez, brins d'herbe, et dormez, infinis ! Calmez-vous, forêt, chêne, érable, frêne, yeuse ! Silence sur la grande horreur religieuse, Sur l'océan qui lutte et qui ronge son mors, Et sur l'apaisement insondable des morts ! Paix à l'obscurité muette et redoutée, Paix au doute effrayant, à l'immense ombre athée, A toi, nature, cercle et centre, âme et milieu, Fourmillement de tout, solitude de Dieu ! Ô générations aux brumeuses haleines, Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines ! Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez ! Douleurs, douleurs, douleurs, fermez vos yeux sacrés ! Tout est religion et rien n'est imposture. Que sur toute existence et toute créature, Vivant du souffle humain ou du souffle animal, Debout au seuil du bien, croulante au bord du mal, Tendre ou farouche, immonde ou splendide, humble ou grande, La vaste paix des cieux de toutes parts descende ! Que les enfers dormants rêvent les paradis ! Assoupissez-vous, flots, mers, vents, âmes, tandis Qu'assis sur la montagne en présence de l'Être, Précipice où l'on voit pêle-mêle apparaître Les créations, l'astre et l'homme, les essieux De ces chars de soleil que nous nommons les cieux, Les globes, fruits vermeils des divines ramées, Les comètes d'argent dans un champ noir semées, Larmes blanches du drap mortuaire des nuits, Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis, Pâle, ivre d'ignorance, ébloui de ténèbres, Voyant dans l'infini s'écrire des algèbres, Le contemplateur, triste et meurtri, mais serein, Mesure le problème aux murailles d'airain, Cherche à distinguer l'aube à travers les prodiges, Se penche, frémissant, au puits des grands vertiges, Suit de l'oeil des blancheurs qui passent, alcyons, Et regarde, pensif, s'étoiler de rayons, De clartés, de lueurs, vaguement enflammées, Le gouffre monstrueux plein d'énormes fumées. Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.
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A poor young shepherd
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : A poor young shepherd Titre : A poor young shepherd Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer : J'ai peur d'un baiser ! Pourtant j'aime Kate Et ses yeux jolis. Elle est délicate, Aux longs traits pâlis. Oh ! que j'aime Kate ! C'est Saint-Valentin ! Je dois et je n'ose Lui dire au matin... La terrible chose Que Saint-Valentin ! Elle m'est promise, Fort heureusement ! Mais quelle entreprise Que d'être un amant Près d'une promise ! J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer : J'ai peur d'un baiser !
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Sur une morte
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Sur une morte Titre : Sur une morte Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Elle était belle, si la Nuit Qui dort dans la sombre chapelle Où Michel-Ange a fait son lit, Immobile peut être belle. Elle était bonne, s'il suffit Qu'en passant la main s'ouvre et donne, Sans que Dieu n'ait rien vu, rien dit, Si l'or sans pitié fait l'aumône. Elle pensait, si le vain bruit D'une voix douce et cadencée, Comme le ruisseau qui gémit Peut faire croire à la pensée. Elle priait, si deux beaux yeux, Tantôt s'attachant à la terre, Tantôt se levant vers les cieux, Peuvent s'appeler la Prière. Elle aurait souri, si la fleur Qui ne s'est point épanouie Pouvait s'ouvrir à la fraîcheur Du vent qui passe et qui l'oublie. Elle aurait pleuré si sa main, Sur son coeur froidement posée, Eût jamais, dans l'argile humain, Senti la céleste rosée. Elle aurait aimé, si l'orgueil Pareil à la lampe inutile Qu'on allume près d'un cercueil, N'eût veillé sur son coeur stérile. Elle est morte, et n'a point vécu. Elle faisait semblant de vivre. De ses mains est tombé le livre Dans lequel elle n'a rien lu.
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À une fille
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À une fille Titre : À une fille Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ma petite Nymphe Macée, Plus blanche qu'ivoire taillé, Plus blanche que neige amassée. Plus blanche que le lait caillé, Ton beau teint ressemble les lis Avecque les roses cueillis. Découvre-moi ton beau chef-d'œuvre, Tes cheveux où le Ciel, donneur Des grâces, richement découvre Tous ses biens pour leur faire honneur ; Découvre ton beau front aussi, Heureux objet de mon souci. Comme une Diane tu marches, Ton front est beau, tes yeux sont beaux, Qui flambent sous deux noires arches, Comme deux célestes flambeaux, D'où le brandon fut allumé, Qui tout le cœur m'a consumé. Ce fut ton œil, douce mignonne, Que d'un fol regard écarté Les miens encore emprisonne, Peu soucieux de liberté, Tous deux au retour du Printemps, Et sur l'Avril de nos beaux ans. Te voyant jeune, simple et belle, Tu me suces l'âme et le sang ; Montre-moi ta rose nouvelle, Je dis ton sein d'ivoire blanc, Et tes deux rondelets tétons, Que s'enflent comme deux boutons. Las ! puisque ta beauté première Ne me daigne faire merci, Et me privant de ta lumière, Prend son plaisir de mon souci, Au moins regarde sur mon front Les maux que tes beaux yeux me font.
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L'arrogance est pire que l'humilité
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : L'arrogance est pire que l'humilité Titre : L'arrogance est pire que l'humilité Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). D'autant que l'arrogance est pire que l'humblesse (1), Que les pompes et fards sont toujours déplaisants, Que les riches habits, d'artifice pesants, Ne sont jamais si beaux que la pure simplesse (2) ; D'autant que l'innocente et peu caute (3) jeunesse D'une Vierge vaut mieux en la fleur de ses ans, Qu'une Dame épousée abondante en enfants, D'autant j'aime ma vierge, humble et jeune maîtresse. J'aime un bouton vermeil entr'éclos au matin, Non la rose du soir, qui au Soleil se lâche ; J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleuri ; J'aime une jeune bouche, un baiser enfantin Encore non souillé d'une rude moustache, Et qui n'a point senti le poil blanc d'un mari. 1. Humblesse : Humilité. 2. Simplesse : Simplicité. 3. Caute : Prévoyante.
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Le golfe de Baya
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Le golfe de Baya Titre : Le golfe de Baya Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Vois-tu comme le flot paisible Sur le rivage vient mourir ! Vois-tu le volage zéphyr Rider, d'une haleine insensible, L'onde qu'il aime à parcourir ! Montons sur la barque légère Que ma main guide sans efforts, Et de ce golfe solitaire Rasons timidement les bords. Loin de nous déjà fuit la rive. Tandis que d'une main craintive Tu tiens le docile aviron, Courbé sur la rame bruyante Au sein de l'onde frémissante Je trace un rapide sillon. Dieu ! quelle fraîcheur on respire ! Plongé dans le sein de Thétis, Le soleil a cédé l'empire A la pâle reine des nuits. Le sein des fleurs demi-fermées S'ouvre, et de vapeurs embaumées En ce moment remplit les airs ; Et du soir la brise légère Des plus doux parfums de la terre A son tour embaume les mers. Quels chants sur ces flots retentissent ? Quels chants éclatent sur ces bords ? De ces deux concerts qui s'unissent L'écho prolonge les accords. N'osant se fier aux étoiles, Le pêcheur, repliant ses voiles, Salue, en chantant, son séjour. Tandis qu'une folle jeunesse Pousse au ciel des cris d'allégresse, Et fête son heureux retour. Mais déjà l'ombre plus épaisse Tombe, et brunit les vastes mers ; Le bord s'efface, le bruit cesse, Le silence occupe les airs. C'est l'heure où la mélancolie S'assoit pensive et recueillie Aux bords silencieux des mers, Et, méditant sur les ruines, Contemple au penchant des collines Ce palais, ces temples déserts. O de la liberté vieille et sainte patrie ! Terre autrefois féconde en sublimes vertus ! Sous d'indignes Césars maintenant asservie, Ton empire est tombé ! tes héros ne sont plus ! Mais dans ton sein l'âme agrandie Croit sur leurs monuments respirer leur génie, Comme on respire encor dans un temple aboli La majesté du dieu dont il était rempli. Mais n'interrogeons pas vos cendres généreuses, Vieux Romains ! fiers Catons ! mânes des deux Brutus ! Allons redemander à ces murs abattus Des souvenirs plus doux, des ombres plus heureuses, Horace, dans ce frais séjour, Dans une retraite embellie Par le plaisir et le génie, Fuyait les pompes de la cour ; Properce y visitait Cinthie, Et sous les regards de Délie Tibulle y modulait les soupirs de l'amour. Plus loin, voici l'asile où vint chanter le Tasse, Quand, victime à la fois du génie et du sort, Errant dans l'univers, sans refuge et sans port, La pitié recueillit son illustre disgrâce. Non loin des mêmes bords, plus tard il vint mourir ; La gloire l'appelait, il arrive, il succombe : La palme qui l'attend devant lui semble fuir, Et son laurier tardif n'ombrage que sa tombe. Colline de Baya ! poétique séjour ! Voluptueux vallon qu'habita tour à tour Tout ce qui fut grand dans le monde, Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour. Pas une voix qui me réponde, Que le bruit plaintif de cette onde, Ou l'écho réveillé des débris d'alentour ! Ainsi tout change, ainsi tout passe ; Ainsi nous-mêmes nous passons, Hélas ! sans laisser plus de trace Que cette barque où nous glissons Sur cette mer où tout s'efface.
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Gloria in excelsis
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Gloria in excelsis Titre : Gloria in excelsis Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). Gloire à Dieu dans les hauteurs, Paix aux hommes sur la terre ! Aux hommes qui l'attendaient Dans leur bonne volonté. Le salut vient sur la terre... Gloire à Dieu dans les hauteurs Nous te louons, bénissons, Adorons, glorifions, Te rendons grâce et merci De cette gloire infinie ! Seigneur, Dieu, roi du ciel, Père, Puissance éternelle, Fils unique de Dieu, Agneau de Dieu, Fils du père, Vous effacez les péchés : Vous aurez pitié de nous. Vous effacez les péchés : Vous écouterez nos vœux. Vous, à la droite du Père, Vous aurez pitié de nous. Car vous êtes le seul Saint, Seul Seigneur et seul Très Haut, Jésus, qui fûtes oint De très loin et de très haut, Dieu des cieux, avec l'Esprit, Dans le Père, ainsi soit-il.
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Le sentier
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le sentier Titre : Le sentier Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Il est un sentier creux dans la vallée étroite, Qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite. — C'est plaisir d'y passer, lorsque Mai sur ses bords, Comme un jeune prodigue, égrène ses trésors ; L'aubépine fleurit ; les frêles pâquerettes, Pour fêter le printemps, ont mis leurs collerettes. La pâle violette, en son réduit obscur, Timide, essaie au jour son doux regard d'azur, Et le gai bouton d'or, lumineuse parcelle, Pique le gazon vert de sa jaune étincelle. Le muguet, tout joyeux, agite ses grelots, Et les sureaux sont blancs de bouquets frais éclos ; Les fossés ont des fleurs à remplir vingt corbeilles, À rendre riche en miel tout un peuple d'abeilles. Sous la haie embaumée un mince filet d'eau Jase et fait frissonner le verdoyant rideau Du cresson. — Ce sentier, tel qu'il est, moi je l'aime Plus que tous les sentiers où se trouvent de même Une source, une haie et des fleurs ; car c'est lui, Qui, lorsque au ciel laiteux la lune pâle a lui, À la brèche du mur, rendez-vous solitaire Où l'amour s'embellit des charmes du mystère, Sous les grands châtaigniers aux bercements plaintifs, Sans les tromper jamais, conduit mes pas furtifs.
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La satire à présent, chant où se mêle un cri
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La satire à présent, chant où se mêle un cri Titre : La satire à présent, chant où se mêle un cri Poète : Victor Hugo (1802-1885) La satire à présent, chant où se mêle un cri, Bouche de fer d'où sort un sanglot attendri, N'est plus ce qu'elle était jadis dans notre enfance, Quand on nous conduisait, écoliers sans défense, À la Sorbonne, endroit revêche et mauvais lieu, Et que, devant nous tous qui l'écoutions fort peu, Dévidant sa leçon et filant sa quenouille, Le petit Andrieux, à face de grenouille, Mordait Shakspeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello, Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau. La vie est, en ce siècle inquiet, devenue Pas à pas grave et morne, et la vérité nue Appelle la pensée à son secours depuis Qu'on l'a murée avec le mensonge en son puits. Après Jean-Jacques, après Danton, le sort ramène Le lourd pas de la nuit sur la triste âme humaine ; Droit et Devoir sont là gisants, la plaie au flanc ; Le lâche soleil rit au noir dragon sifflant ; L'homme jette à la mer l'honneur, vieille boussole ; En léchant le vainqueur le vaincu se console ; Toute l'histoire tient dans ce mot : réussir ; Le succès est sultan et le meurtre est visir ; Hélas, la vieille ivresse affreuse de la honte Reparaît dans les yeux et sur les fronts remonte, Trinque avec les tyrans, et le peuple fourbu Reboit ce sombre vin dont il a déjà bu. C'est pourquoi la satire est sévère. Elle ignore Cette grandeur des rois qui fit Boileau sonore, Et ne se souvient d'eux que pour les souffleter. L'échafaud qu'il faut pièce à pièce démonter, L'infâme loi de sang qui résiste aux ratures, Qui garde les billots en lâchant les tortures, Et dont il faut couper tous les ongles ; l'enfant Que l'ignorance tient dans son poing étouffant Et qui doit, libre oiseau, dans l'aube ouvrir ses ailes ; Relever tour à tour ces sombres sentinelles, Le mal, le préjugé, l'erreur, monstre romain, Qui gardent le cachot où dort l'esprit humain ; La guerre et ses vautours, la peste avec ses mouches, À chasser ; les bâillons qu'il faut ôter des bouches ; La parole à donner à toutes les douleurs ; L'éclosion d'un jour nouveau sur l'homme en fleurs ; Tel est le but, tel est le devoir, qui complique Sa colère, et la fait d'utilité publique. Pour enseigner à tous la vertu, l'équité, La raison, il suffit que la Réalité, Pure et sereine, monte à l'horizon et fasse Évanouir l'horreur des nuits devant sa face. Honte, gloire, grandeurs, vices, beautés, défauts, Plaine et monts, sont mêlés tant qu'il fait nuit ; le faux Fait semblant d'être honnête en l'obscurité louche. Qu'est-ce que le rayon ? Une pierre de touche. La lumière de tout ici-bas fait l'essai. Le juste est sur la terre éclairé par le vrai ; Le juste c'est la cime et le vrai c'est l'aurore. Donc Lumière, Raison, Vérité, plus encore, Bonté dans le courroux et suprême Pitié, Le méchant pardonné, mais le mal châtié, Voilà ce qu'aujourd'hui, comme aux vieux temps de Rome, La satire implacable et tendre doit à l'homme. Marquis ou médecins, une caste, un métier, Ce n'est plus là son champ ; il lui faut l'homme entier. Elle poursuit l'infâme et non le ridicule. Un petit Augias veut un petit Hercule, Et le bon Despréaux malin fit ce qu'il put. Elle n'a plus affaire à l'ancien Lilliput. Elle vole, à travers l'ombre et les catastrophes, Grande et pâle, au milieu d'un ouragan de strophes ; Elle crie à sa meute effrayante : — Courons ! Quand un vil parvenu, marchant sur tous les fronts, Écrase un peuple avec des pieds jadis sans bottes. Elle donne à ses chiens ailés tous les despotes, Tous les monstres, géants et nains, à dévorer. Elle apparaît aux czars pour les désespérer. On entend dans son vers craquer les os du tigre. De même que l'oiseau vers le printemps émigre, Elle s'en va toujours du côté de l'honneur. L'ange de Josaphat, le spectre d'Elseneur Sont ses amis, et, sage, elle semble en démence, Tant sa clameur profonde emplit le ciel immense. Il lui faut, pour gronder et planer largement, Tout le peuple sous elle, âpre, vaste, écumant ; Ce n'est que sur la mer que le vent est à l'aise. Quand Colomb part, elle est debout sur la falaise ; Elle t'aime, ô Barbès ! Et suit d'un long vivat Fulton, Garibaldi, Byron, John Brown et Watt, Et toi Socrate, et toi Jésus, et toi Voltaire ! Elle fait, quand un mort glorieux est sous terre, Sortir un vert laurier de son tombeau dormant ; Elle ne permet pas qu'il pourrisse autrement. Elle panse à genoux les vaincus vénérables, Bénit les maudits, baise au front les misérables, Lutte, et, sans daigner même un instant y songer, Se sent par des valets derrière elle juger ; Car, sous les règnes vils et traîtres, c'est un crime De ne pas rire à l'heure où râle la victime Et d'aimer les captifs à travers leurs barreaux ; Et qui pleure les morts offense les bourreaux. Est-elle triste ? Non, car elle est formidable. Puisqu'auprès des tombeaux les vainqueurs sont à table, Puisqu'on est satisfait dans l'opprobre, et qu'on a L'impudeur d'être lâche avec un hosanna, Puisqu'on chante et qu'on danse en dévorant les proies, Elle vient à la fête elle aussi. Dans ces joies, Dans ces contentements énormes, dans ces jeux À force de triomphe et d'ivresse orageux, Dans ces banquets mêlant Paphos, Clamart et Gnide, Elle apporte, sinistre, un rire d'euménide. Mais son immense effort, c'est la vie. Elle veut Chasser la mort, bannir la nuit, rompre le nœud, Dût-elle rudoyer le titan populaire. Comme elle a plus d'amour, elle a plus de colère. Quoi ! L'abdication serait un oreiller ! La conscience humaine est lente à s'éveiller ; L'honneur laisse son feu pâlir, tomber, descendre Sous l'épaississement lugubre de la cendre. Aussi la Némésis chantante qui bondit Et frappe, et devant qui Tibère est interdit, La déesse du grand Juvénal, l'âpre muse, Hébé par la beauté, par la terreur Méduse, Qui sema dans la nuit ce que Dante y trouva, Et que Job croyait voir parler à Jéhovah, Se sent-elle encor plus de fureur magnanime Pour réveiller l'oubli que pour punir le crime. Elle approche du peuple et, guettant la rumeur, Penche l'ïambe amer sur l'immense dormeur ; La strophe alors frissonne en son tragique zèle, Et s'empourpre en tâchant de tirer l'étincelle De toute cette morne et fatale langueur, Et le vers irrité devient une lueur. Ainsi rougit dans l'ombre une face farouche Qui vient sur un tison souffler à pleine bouche. Le 26 avril 1870.
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Le confiteor de l'artiste
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le confiteor de l'artiste Titre : Le confiteor de l'artiste Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini. Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions. Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses. Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle, me révoltent... Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu.
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Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles Titre : Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Derniers vers (1586). Ah longues nuicts d'hyver de ma vie bourrelles, Donnez moy patience, et me laissez dormir, Vostre nom seulement, et suer et fremir Me fait par tout le corps, tant vous m'estes cruelles. Le sommeil tant soit peu n'esvente de ses ailes Mes yeux tousjours ouvers, et ne puis affermir Paupiere sur paupiere, et ne fais que gemir, Souffrant comme Ixion des peines eternelles. Vieille umbre de la terre, ainçois l'umbre d'enfer, Tu m'as ouvert les yeux d'une chaisne de fer, Me consumant au lict, navré de mille pointes : Pour chasser mes douleurs ameine moy la mort, Ha mort, le port commun, des hommes le confort, Viens enterrer mes maux je t'en prie à mains jointes.
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Albertus (LXXII)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (LXXII) Titre : Albertus (LXXII) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Malheur, malheur à qui dans cette mer profonde Théophile Gautier. Malheur, malheur à qui dans cette mer profonde Du coeur de l'homme jette imprudemment la sonde ! Car le plomb bien souvent, au lieu du sable d'or, De coquilles de nacre aux beaux reflets de moire, N'apporte sur le pont que boue infecte et noire. - Oh ! si je pouvais vivre une autre vie encor ! Certes, je n'irais pas fouiller dans chaque chose Comme j'ai fait. - Qu'importe après tout que la cause Soit triste, si l'effet qu'elle produit est doux ? - Jouissons, faisons-nous un bonheur de surface ; Un beau masque vaut mieux qu'une vilaine face. - Pourquoi l'arracher, pauvres fous ?
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Les bijoux
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les bijoux Titre : Les bijoux Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) La très-chère était nue, et, connaissant mon coeur, Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores, Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures. Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur, Ce monde rayonnant de métal et de pierre Me ravit en extase, et j'aime à la fureur Les choses où le son se mêle à la lumière. Elle était donc couchée et se laissait aimer, Et du haut du divan elle souriait d'aise A mon amour profond et doux comme la mer, Qui vers elle montait comme vers sa falaise. Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté, D'un air vague et rêveur elle essayait des poses, Et la candeur unie à la lubricité Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ; Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins, Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne, Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ; Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne, S'avançaient, plus câlins que les Anges du mal, Pour troubler le repos où mon âme était mise, Et pour la déranger du rocher de cristal Où, calme et solitaire, elle s'était assise. Je croyais voir unis par un nouveau dessin Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe, Tant sa taille faisait ressortir son bassin. Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe ! Et la lampe s'étant résignée à mourir, Comme le foyer seul illuminait la chambre, Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir, Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre !
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Le songe
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Le songe Titre : Le songe Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Tableau III. Le sommeil a touché ses yeux ; Sous des pavots délicieux Ils se ferment, et son cœur veille, À l'erreur ses sens sont livrés. Sur son visage, par degrés, La rose devient plus vermeille ; Sa main semble éloigner quelqu'un ; Sur le duvet elle s'agite ; Son sein impatient palpite, Et repousse un voile importun. Enfin, plus calme et plus paisible, Elle retombe mollement ; Et de sa bouche lentement S'échappe un murmure insensible. Ce murmure plein de douceur Ressemble au souffle de Zéphyre, Quand il passe de fleur en fleur ; C'est la volupté qui soupire ; Oui, ce sont les gémissements D'une vierge de quatorze ans, Qui, dans un songe involontaire, Voit une bouche téméraire Effleurer ses appas naissants, Et qui dans ses bras caressants, Presse un époux imaginaire. Le sommeil doit être charmant, Justine, avec un tel mensonge ; Mais plus heureux encor l'amant Qui peut causer un pareil songe !
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L'étoile
Henri Durand (1818-1842)
Poésie : L'étoile Titre : L'étoile Poète : Henri Durand (1818-1842) C'est l'heure où la fatigue au sommeil nous invite, Où la brise fraîchit avec l'ombre du soir ; Je m'en vais seul et triste en regagnant mon gîte : Hélas ! de tout le jour je n'ai pas pu te voir. Je regarde le ciel pour découvrir peut-être L'étoile de mon sort s'avançant dans la nuit ; Soudain, voyant briller la lampe à ta fenêtre, Je dis : Voici mon astre, et j'approche sans bruit. Sa lampe luit encore ; mais pourquoi veille-t-elle ; Et quels soins, quels pensers, l'occupent aussi tard ? Peut-être qu'elle laisse errer son cœur fidèle ; Dans ses rêves du soir peut-être ai-je ma part. Sans doute alors, pensive, elle incline sa tête, Un sourire à sa lèvre, une larme à ses yeux ; Ou bien c'est vers le ciel que son esprit s'arrête : Elle prie à genoux, courbant son front pieux. Que sa prière pure et fraîche d'innocence Monte comme un parfum qui s'élève vers Dieu ! Et si quelque soupir d'amour ou d'espérance S'y mêle aussi, Seigneur, daigne exaucer son vœu ! Mais voici tout à coup que s'éteint la lumière, Et la nuit alentour étend son voile noir ; Aux vitres vient briller l'étoile belle et claire Qui se mire du ciel dans ce sombre miroir. Oh ! cet astre d'argent, n'est-ce pas ? C'est le nôtre ; Il vient dans ton sommeil caresser tes beaux yeux ; L'astre de notre amour ! en est-il donc un autre Qui d'un éclat si pur puisse briller aux cieux ? Oh ! luira-t-il bientôt pour nous conduire ensemble Par des routes en fleurs, par des sentiers bénis ? Jettera-t-il bientôt de son rayon qui tremble Une auréole heureuse à nos deux fronts unis ? Regarde notre étoile et comprends son langage, Ma belle et douce amie ; elle te parle, à toi ; Sache donc dans le ciel lire aussi ce présage De vie et de bonheur, d'espérance et de foi. S'il est bien vrai que l'âme a des chaînes secrètes, Si de la sympathie il est pour nous des lois ; Si l'amour a pour lui de sacrés interprètes Et pour parler aux cœurs une indicible voix, Sans doute, en ce moment, les désirs de mon âme Aussi dans le secret à ton âme ont parlé ; Sans doute de ton cœur mystérieuse flamme, Ton amour par le mien s'est senti consolé. Mais il est tard déjà ; tout s'endort sur la terre ; Un rêve maintenant va charmer ton repos ; C'est l'heure du sommeil, achève ta prière ; Vois et salue encore l'étoile à tes vitraux. Et puis dors, dors en paix, car sur nous elle veille ; C'est Dieu qui l'a placée au ciel pour nous garder, Pour jouer dans la nuit sur ton front qui sommeille, Et dans ce monde obscur nous guider tous les deux.
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Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses
François de Malherbe (1555-1628)
Poésie : Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses Titre : Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses Poète : François de Malherbe (1555-1628) Alcandre plaint la captivité de sa maîtresse. 1609. Que d'épines, Amour, accompagnent tes roses ! Que d'une aveugle erreur tu laisses toutes choses À la merci du sort ! Qu'en tes prospérités à bon droit on soupire ! Et qu'il est mal aisé de vivre en ton empire, Sans désirer la mort ! Je sers, je le confesse, une jeune merveille, En rares qualités à nulle autre pareille, Seule semblable à soi ; Et, sans faire le vain, mon aventure est telle, Que de la même ardeur que je brûle pour elle Elle brûle pour moi. Mais parmi tout cette heure, ô dure destinée, Que de tragiques soins, comme oiseaux de Phinée, Sens-je me dévorer ! Et ce que je supporte avec patience, Ai-je quelque ennemi, s'il n'est sans conscience, Qui le vit sans pleurer ? La mer a moins de vents qui ses vagues irritent, Que je n'ai de pensers qui tous me sollicitent D'un funeste dessein ; Je ne trouve la paix qu'à me faire la guerre ; Et si l'enfer est fable au centre de la terre, Il est vrai dans mon sein. Depuis que le soleil est dessus l'hémisphère, Qu'il monte ou qu'il descende, il ne me voit rien faire Que plaindre et soupirer : Des autres actions j'ai perdu la coutume ; Et ce qui s'offre à moi, s'il n'a de l'amertume, Je ne puis l'endurer. Comme la nuit arrive, et que par le silence Qui fait des bruits du jour cesser la violence L'esprit est relâché, Je vois de tous côtés sur la terre et sur l'onde Les pavots qu'elle sème assoupir tout le monde, Et n'en suis point touché. S'il m'advient quelquefois de clore les paupières, Aussitôt ma douleur en nouvelles manières Fait de nouveaux efforts ; Et de quelque souci qu'en veillant je me ronge, Il ne me trouble point comme le meilleur songe Que je fais quand je dors. Tantôt cette beauté, dont ma flamme est le crime, M'apparaît à l'autel, où, comme une victime, On la veut égorger ; Tantôt je me la vois d'un pirate ravie ; Et tantôt la fortune abandonne sa vie À quelque autre danger. En ces extrémités la pauvrette s'écrie : Alcandre, mon Alcandre, ôte-moi, je te prie, Du malheur où je suis ! La fureur me saisit, je mets la main aux armes : Mais son destin m'arrête ; et lui donner des larmes, C'est tout ce que je puis. Voilà comme je vis, voilà ce que j'endure Pour une affection que je veux qui me dure Au-delà du trépas. Tout ce qui me la blâme offense mon oreille ; Et qui veut m'affliger, il faut qu'il me conseille De ne m'affliger pas. On me dit qu'à la fin toute chose se change, Et qu'avec le temps les beaux yeux de mon ange Reviendront m'éclairer. Mais voyant tous les jours ses chaînes se restreindre, Désolé que je suis, que ne dois-je point craindre ? Ou que puis-je espérer ? Non, non, je veux mourir ; la raison m'y convie ; Aussi bien le sujet qui m'en donne l'envie Ne peut être plus beau ; Et le sort, qui détruit tout ce que je consulte, Me fait voir assez clair que jamais ce tumulte N'aura paix qu'au tombeau. Ainsi le grand Alcandre aux campagnes de Seine Faisait, loin de témoins, le récit de sa peine, Et se fondait en pleurs. Le fleuve en fut ému, ses Nymphes se cachèrent, Et l'herbe du rivage où ses larmes touchèrent Perdit toutes ses fleurs.
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Je suis venu calme orphelin
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je suis venu calme orphelin Titre : Je suis venu calme orphelin Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m'ont pas trouvé malin. À vingt ans un trouble nouveau Sous le nom d'amoureuses flammes M'a fait trouver belles les femmes : Elles ne m'ont pas trouvé beau. Bien que sans patrie et sans roi Et très brave ne l'étant guère, J'ai voulu mourir à la guerre : La mort n'a pas voulu de moi. Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu'est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde ; Priez pour le pauvre Gaspard !
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La clarté du dehors
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La clarté du dehors Titre : La clarté du dehors Poète : Victor Hugo (1802-1885) La clarté du dehors ne distrait pas mon âme. La plaine chante et rit comme une jeune femme ; Le nid palpite dans les houx ; Partout la gaîté lui dans les bouches ouvertes ; Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes Fait aux amoureux les yeux doux. Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves, Les vagues papillons errent pareils aux rêves ; Le blé vert sort des sillons bruns ; Et les abeilles d'or courent à la pervenche, Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche A ces buveuses de parfums. La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres ; Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres ; Les branches, dans leurs doux ébats, Se jettent sur les oiseaux du bout de leurs raquettes ; Le bourdon galonné fait aux roses coquettes Des propositions tout bas. Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes, Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes, Et l'aube dire : « Vous vivrez ! » Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l'heure, L'oeil plein des visions de l'ombre intérieure, Je songe aux morts, ces délivrés ! Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe, Quelques reflux ; j'aurai ma tombe aussi dans l'herbe, Blanche au milieu du frais gazon, A l'ombre de quelque arbre où le lierre s'attache ; On y lira : « Passant, cette pierre te cache La ruine d'une prison. » Ingouville, mai 1843.
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Jeanne fait son entrée
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jeanne fait son entrée Titre : Jeanne fait son entrée Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : L'art d'être grand-père (1877). Jeanne parle ; elle dit des choses qu'elle ignore ; Elle envoie à la mer qui gronde, au bois sonore, À la nuée, aux fleurs, aux nids, au firmament, À l'immense nature un doux gazouillement, Tout un discours, profond peut-être, qu'elle achève Par un sourire où flotte une âme, où tremble un rêve, Murmure indistinct, vague, obscur, confus, brouillé. Dieu, le bon vieux grand-père, écoute émerveillé.
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Ballade de la vie en rouge
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ballade de la vie en rouge Titre : Ballade de la vie en rouge Poète : Paul Verlaine (1844-1896) L'un toujours vit la vie en rose, Jeunesse qui n'en finit plus, Seconde enfance moins morose, Ni vœux, ni regrets superflus. Ignorant tout flux et reflux, Ce sage pour qui rien ne bouge Règne instinctif : tel un phallus. Mais moi je vois la vie en rouge. L'autre ratiocine et glose Sur des modes irrésolus, Soupesant, pesant chaque chose De mains gourdes aux lourds calus. Lui faudrait du temps tant et plus Pour se risquer hors de son bouge. Le monde est gris à ce reclus. Mais moi je vois la vie en rouge. Lui, cet autre, alentour il ose Jeter des regards bien voulus, Mais, sur quoi que son œil se pose, Il s'exaspère où tu te plus, Œil des philanthropes joufflus ; Tout lui semble noir, vierge ou gouge, Les hommes, vins bus, livres lus. Mais moi je vois la vie en rouge. Envoi Prince et princesse, allez, élus, En triomphe par la route où je Trime d'ornières en talus. Mais moi, je vois la vie en rouge.
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Les Poètes
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Les Poètes Titre : Les Poètes Poète : Louis Aragon (1897-1982) SHAKESPEARE. À lui la baguette magique Le pouvoir de tout enchaîner ; Il riva la Nature aux plis de sa tunique, Et la Création a su le couronner. MILTON. Son esprit était un pactole Dont les flots roulaient de l'or pur, Un temple à la vertu dont la vaste coupole Se perdait dans les cieux au milieu de l'azur. THOMPSON. Après le jour la nuit obscure, Après les saisons les saisons, Ses chants qui sont gravés au sein de la nature Iront de l'avenir dorer les horizons. GRAY. D'un vol grandiose il s'élève, La foudre il la brave de l'œil, Le nuage orageux il le passe, puis s'enlève Lumineuse trainée au sein de son orgueil. BURNS. De la lyre de sa patrie Il fit vibrer les plus doux sons, Et son âme de feu, céleste rêverie Se fondit dans des flots d'admirables chansons. SOUTHEY. Où règne la nécromancie Dans les pays orientaux, Il aimait promener sa riche fantaisie, Son esprit à cheval sur les vieux fabliaux. COLERIDGE. Par le charme de sa magie Au clair de la lune le soir Il évoquait le preux, et du preux la vigie, La superstition, hôte du vieux manoir. WORDSWORTH. Au livre de philosophie Il suspendit sa harpe un jour, Là, placé près des lacs, il chante, il magnifie Dans ses paisibles vers la nature et l'amour. CAMPBELL. Enfant gâté de la nature L'art polit son vers enchanteur, Il sut pincer sa lyre et gracieuse et pure, Pour amuser l'esprit, et réchauffer le cœur. SCOTT. Il chante, et voyez ! là s'élance Le Roman que l'on croyait mort, Et la Chevalerie et la Dague et la Lance, Sortent de l'Arsenal poussés par son ressort ! WILSON. Son chant comme une hymne sacrée S'infiltre de l'oreille au cœur ; On croirait qu'il vous vient de la voûte éthérée La voix d'un chérubin, d'un saint enfant de chœur. HEMANS. Elle ouvre la source des larmes Et les fait doucement couler, La pitié dans ses vers elle a les plus doux charmes Et le lecteur ému s'y laisse affrioler. SHELLEY. Un rocher nu, bien solitaire Au loin par de là l'océan, Crévassé par le choc des volcans, du tonnerre, Voilà quel fut Shelley, l'audacieux Titan ! HOGG. Vêtu d'un rayon de lumière Qu'il sut voler à l'arc-en-ciel, Il voit fée et lutin danser dans la clairière, Et faire le sabbat loin de tout œil mortel. BYRON. La tête ceinte de nuages, Ses pieds étaient jonchés de fleurs, L'ivresse et la gaité, le calme et les orages Trouvent en ses beaux vers un écho dans les cœurs. MOORE. Couronné de vertes louanges Et pour chaque œuvre tour à tour, Moore dans les bosquets se plait avec les anges À chanter les plaisirs de son Dieu... de l'Amour !
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Sisina
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Sisina Titre : Sisina Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Imaginez Diane en galant équipage, Parcourant les forêts ou battant les halliers, Cheveux et gorge au vent, s'enivrant de tapage, Superbe et défiant les meilleurs cavaliers ! Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage, Excitant à l'assaut un peuple sans souliers, La joue et l'oeil en feu, jouant son personnage, Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ? Telle la Sisina ! Mais la douce guerrière A l'âme charitable autant que meurtrière ; Son courage, affolé de poudre et de tambours, Devant les suppliants sait mettre bas les armes, Et son coeur, ravagé par la flamme, a toujours, Pour qui s'en montre digne, un réservoir de larmes.
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La vieille d'un mariage
Antoine de Latour (1808-1881)
Poésie : La vieille d'un mariage Titre : La vieille d'un mariage Poète : Antoine de Latour (1808-1881) Recueil : Loin du foyer (1835). Il dormait, si l'on dort en ces nuits enflammées Où l'âme se repait d'un si divin espoir, Et devant lui, dans l'ombre, un magique miroir Évoquait tout le chœur des femmes trop aimées. Le regret entrouvrait leurs lèvres embaumées, Et dans leurs yeux pensifs il croyait entrevoir Ces rêves qui pour lui naguère, chaque soir, S'animaient à l'appel des charmantes Aimées. Mais calme et dédaigneux : « Passez, ô visions, Du poème des sens folles illusions, Doux noms, regards plus doux, voix plus douces encore, Passez, de ce matin qui se lève si pur, Fugitives clartés, vous n'étiez que l'aurore, Étoiles de la nuit, perdez-vous dans l'azur ! »
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Ô triste était mon âme
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ô triste était mon âme Titre : Ô triste était mon âme Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Ô triste, triste était mon âme À cause, à cause d'une femme. Je ne me suis pas consolé Bien que mon cœur s'en soit allé. Bien que mon cœur, bien que mon âme Eussent fui loin de cette femme. Je ne me suis pas consolé, Bien que mon cœur s'en soit allé. Et mon cœur, mon cœur trop sensible Dit à mon âme : Est-il possible, Est-il possible, — le fût-il, — Ce fier exil, ce triste exil ? Mon âme dit à mon cœur : Sais-je Moi-même, que nous veut ce piège D'être présents bien qu'exilés, Encore que loin en allés ?
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Voulant te fuir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Voulant te fuir Titre : Voulant te fuir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Voulant te fuir (fuir ses amours ! Mais un poète est bête), J'ai pris, l'un de ces derniers jours, La poudre d'escampette. Qui fut penaud, qui fut nigaud Dès après un quart d'heure ? Et je revins en mendigot Qui supplie et qui pleure. Tu pardonnas : mais pas longtemps Depuis la fois première Je filais, pareil aux autans, Comme la fois dernière. Tu me cherchas, me dénichas ; Courte et bonne, l'enquête ! Qui fut content du doux pourchas ? Moi donc, ta grosse bête ! Puisque nous voici réunis, Dis, sans ruse et sans feinte, Ne nous cherchons plus d'autres nids Que ma, que ton étreinte. Malgré mon caractère affreux, Malgré ton caractère Affreux, restons toujours heureux : Fois première et dernière.
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