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Promesses de mars | Auguste Angellier (1848-1911) | Poésie : Promesses de mars
Titre : Promesses de mars
Poète : Auguste Angellier (1848-1911)
Quand Mars sème ses giboulées
Dont la grêle folle étincelle,
Quand, de ses blanches aiguillées,
Le givre brode de dentelle
Les noires branches des allées,
Dans les herbes renouvelées
Déjà prêtes pour l'asphodèle,
D'exquises senteurs exhalées
Annoncent le retour fidèle
Des douces brises exilées :
Et des collines aux vallées,
Le petit rouge-gorge appelle,
Secouant ses ailes mouillées,
Les jours où le bois entremêle,
Pour cacher les nids, ses feuillées.
Mais aux âmes inconsolées
Qu'importe que Juin amoncelle
Sur les vieux murs les giroflées,
Et que dans les airs bleus ruisselle
Un flot de chansons roucoulées ?
Mes espérances sont allées
Dans la froide tombe avec celle
Qui dort au champ des mausolées ;
Le Printemps est mort avec elle ;
Toutes saisons sont désolées. | https://www.poesie-francaise.fr/auguste-angellier/poeme-promesse-de-mars.php | auguste-angellier-poeme-promesse-de-mars |
Femme et chatte | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Femme et chatte
Titre : Femme et chatte
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Poèmes saturniens (1866).
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate ! -
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-femme-et-chatte.php | paul-verlaine-poeme-femme-et-chatte |
Une soirée perdue | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Une soirée perdue
Titre : Une soirée perdue
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
J'étais seul, l'autre soir, au Théâtre Français,
Ou presque seul ; l'auteur n'avait pas grand succès.
Ce n'était que Molière, et nous savons de reste
Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste,
Ignora le bel art de chatouiller l'esprit
Et de servir à point un dénoûment bien cuit.
Grâce à Dieu, nos auteurs ont changé de méthode,
Et nous aimons bien mieux quelque drame à la mode
Où l'intrigue, enlacée et roulée en feston,
Tourne comme un rébus autour d'un mirliton.
J'écoutais cependant cette simple harmonie,
Et comme le bon sens fait parler le génie.
J'admirais quel amour pour l'âpre vérité
Eut cet homme si fier en sa naïveté,
Quel grand et vrai savoir des choses de ce monde,
Quelle mâle gaieté, si triste et si profonde
Que, lorsqu'on vient d'en rire, on devrait en pleurer !
Et je me demandais : Est-ce assez d'admirer ?
Est-ce assez de venir, un soir, par aventure,
D'entendre au fond de l'âme un cri de la nature,
D'essuyer une larme, et de partir ainsi,
Quoi qu'on fasse d'ailleurs, sans en prendre souci ?
Enfoncé que j'étais dans cette rêverie,
Çà et là, toutefois, lorgnant la galerie,
Je vis que, devant moi, se balançait gaiement
Sous une tresse noire un cou svelte et charmant ;
Et, voyant cet ébène enchâssé dans l'ivoire,
Un vers d'André Chénier chanta dans ma mémoire,
Un vers presque inconnu, refrain inachevé,
Frais comme le hasard, moins écrit que rêvé.
J'osai m'en souvenir, même devant Molière ;
Sa grande ombre, à coup sûr, ne s'en offensa pas ;
Et, tout en écoutant, je murmurais tout bas,
Regardant cette enfant, qui ne s'en doutait guère :
" Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat."
Puis je songeais encore (ainsi va la pensée)
Que l'antique franchise, à ce point délaissée,
Avec notre finesse et notre esprit moqueur,
Ferait croire, après tout, que nous manquons de coeur ;
Que c'était une triste et honteuse misère
Que cette solitude à l'entour de Molière,
Et qu'il est pourtant temps, comme dit la chanson,
De sortir de ce siècle ou d'en avoir raison ;
Car à quoi comparer cette scène embourbée,
Et l'effroyable honte où la muse est tombée ?
La lâcheté nous bride, et les sots vont disant
Que, sous ce vieux soleil, tout est fait à présent ;
Comme si les travers de la famille humaine
Ne rajeunissaient pas chaque an, chaque semaine.
Notre siècle a ses moeurs, partant, sa vérité ;
Celui qui l'ose dire est toujours écouté.
Ah ! j'oserais parler, si je croyais bien dire,
J'oserais ramasser le fouet de la satire,
Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verts,
Qui se fâchait jadis pour quelques mauvais vers.
S'il rentrait aujourd'hui dans Paris, la grand'ville,
Il y trouverait mieux pour émouvoir sa bile
Qu'une méchante femme et qu'un méchant sonnet ;
Nous avons autre chose à mettre au cabinet.
Ô notre maître à tous, si ta tombe est fermée,
Laisse-moi dans ta cendre, un instant ranimée,
Trouver une étincelle, et je vais t'imiter !
J'en aurai fait assez si je puis le tenter.
Apprends-moi de quel ton, dans ta bouche hardie,
Parlait la vérité, ta seule passion,
Et, pour me faire entendre, à défaut du génie,
J'en aurai le courage et l'indignation !
Ainsi je caressais une folle chimère.
Devant moi cependant, à côté de sa mère,
L'enfant restait toujours, et le cou svelte et blanc
Sous les longs cheveux noirs se berçait mollement.
Le spectacle fini, la charmante inconnue
Se leva. Le beau cou, l'épaule à demi nue,
Se voilèrent ; la main glissa dans le manchon ;
Et, lorsque je la vis au seuil de sa maison
S'enfuir, je m'aperçus que je l'avais suivie.
Hélas ! mon cher ami, c'est là toute ma vie.
Pendant que mon esprit cherchait sa volonté,
Mon corps savait la sienne et suivait la beauté ;
Et, quand je m'éveillai de cette rêverie,
Il ne m'en restait plus que l'image chérie :
" Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l'éclat. " | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-une-soiree-perdue.php | alfred-de-musset-poeme-une-soiree-perdue |
Caprice | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Caprice
Titre : Caprice
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Ô poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai,
Jusqu'en l'extérieur riche et pauvre pas vrai,
(Dès lors, comment veux-tu qu'on soit sûr de ton cœur ?)
Tour à tour souple drôle et monsieur somptueux,
Du vert clair plein d' « espère » au noir componctueux,
Ton habit a toujours quelque détail blagueur.
Un bouton manque. Un fil dépasse. D'où venue
Cette tache — ah ça, malvenue ou bienvenue ? —
Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile ?
Nœud noué bien et mal, soulier luisant et terne.
Bref, un type à se pendre à la Vieille Lanterne
Comme à marcher, gai proverbe, à la belle étoile,
Gueux, mais pas comme ça, l'homme vrai, le seul vrai,
Poète, va, si ton langage n'est pas vrai,
Toi l'es, et ton langage, alors ! Tant pis pour ceux
Qui n'auront pas aimé, fous comme autant de tois,
La lune pour chauffer les sans femmes ni toits,
La mort, ah, pour bercer les cœurs malechanceux,
Pauvres cœurs mal tombés, trop bons et très fiers, certes !
Car l'ironie éclate aux lèvres belles, certes,
De vos blessures, cœurs plus blessés qu'une cible,
Petits sacrés-cœurs de Jésus plus lamentables !
Va, poète, le seul des hommes véritables,
Meurs sauvé, meurs de faim pourtant le moins possible. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-caprice.php | paul-verlaine-poeme-caprice |
Comédie de la soif | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Comédie de la soif
Titre : Comédie de la soif
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
1. LES PARENTS
Nous sommes tes Grands-Parents,
Les Grands !
Couverts des froides sueurs
De la lune et des verdures.
Nos vins secs avaient du coeur !
Au soleil sans imposture
Que faut-il à l'homme ? boire.
Moi. - Mourir aux fleuves barbares.
Nous sommes tes Grands-Parents
Des champs.
L'eau est au fond des osiers :
Vois le courant du fossé
Autour du château mouillé.
Descendons en nos celliers ;
Après, le cidre et le lait.
MOI. - Aller où boivent les vaches.
Nous sommes tes Grands-Parents ;
Tiens, prends
Les liqueurs dans nos armoires ;
Le Thé, le Café, si rares,
Frémissent dans les bouilloires.
- Vois les images, les fleurs.
Nous rentrons du cimetière.
MOI. - Ah ! tarir toutes les urnes !
2. L'ESPRIT
Éternelles Ondines
Divisez l'eau fine.
Vénus, soeur de l'azur,
Émeus le flot pur.
Juifs errants de Norwège
Dites-moi la neige.
Anciens exilés chers,
Dites-moi la mer.
MOI. - Non, plus ces boissons pures,
Ces fleurs d'eau pour verres ;
Légendes ni figures
Ne me désaltèrent ;
Chansonnier, ta filleule
C'est ma soif si folle
Hydre intime sans gueules
Qui mine et désole.
3. LES AMIS
Viens, les vins vont aux plages,
Et les flots par millions !
Vois le Bitter sauvage
Rouler du haut des monts !
Gagnons, pèlerins sages,
L'absinthe aux verts piliers...
MOI. - Plus ces paysages.
Qu'est l'ivresse, Amis ?
J'aime autant, mieux, même,
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.
4. LE PAUVRE SONGE
Peut-être un Soir m'attend
Où je boirai tranquille
En quelque vieille Ville,
Et mourrai plus content :
Puisque je suis patient !
Si mon mal se résigne,
Si j'ai jamais quelque or
Choisirai-je le Nord
Ou le Pays des Vignes ?...
- Ah ! songer est indigne
Puisque c'est pure perte !
Et si je redeviens
Le voyageur ancien,
Jamais l'auberge verte
Ne peut bien m'être ouverte.
5. CONCLUSION
Les pigeons qui tremblent dans la prairie,
Le gibier qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la bête asservie,
Les derniers papillons !... ont soif aussi.
Mais fondre où fond ce nuage sans guide,
- Oh ! favorisé de ce qui est frais !
Expirer en ces violettes humides
Dont les aurores chargent ces forêts ? | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-comedie-de-la-soif.php | arthur-rimbaud-poeme-comedie-de-la-soif |
En dépit des sots et des méchants | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : En dépit des sots et des méchants
Titre : En dépit des sots et des méchants
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
Qui ne manqueront pas d'envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.
N'est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l'Espoir,
Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.
Isolés dans l'amour ainsi qu'en un bois noir,
Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.
Quant au Monde, qu'il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bien,
S'il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.
Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d'ailleurs, possédant l'armure adamantine,
Nous sourirons à tous et n'aurons peur de rien.
Sans nous préoccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l'âme enfantine
De ceux qui s'aiment saris mélange, n'est-ce pas ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-en-depit-des-sots-et-des-mechants.php | paul-verlaine-poeme-en-depit-des-sots-et-des-mechants |
Écrit en 1875 | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Écrit en 1875
Titre : Écrit en 1875
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
J'ai naguère habité le meilleur des châteaux
Dans le plus fin pays d'eau vive et de coteaux :
Quatre tours s'élevaient sur le front d'autant d'ailes,
Et j'ai longtemps, longtemps habité l'une d'elles.
Le mur, étant de brique extérieurement,
Luisait rouge au soleil de ce site dormant,
Mais un lait de chaux, clair comme une aube qui pleure,
Tendait légèrement la voûte intérieure.
Ô diane des yeux qui vont parler au cœur,
Ô réveil pour les sens éperdus de langueur,
Gloire des fronts d'aïeuls, orgueil jeune des branches,
Innocence et fierté des choses, couleurs blanches !
Parmi des escaliers en vrille, tout aciers
Et cuivres, luxes brefs encore émaciés,
Cette blancheur bleuâtre et si douce, à m'en croire,
Que relevait un peu la longue plinthe noire,
S'emplissait tout le jour de silence et d'air pur
Pour que la nuit y vînt rêver de pâle azur.
Une chambre bien close, une table, une chaise,
Un lit strict où l'on pût dormir juste à son aise,
Du jour suffisamment et de l'espace assez,
Tel fut mon lot durant les longs mois là passés,
Et je n'ai jamais plaint ni les mois ni l'espace,
Ni le reste, et du point de vue où je me place,
Maintenant que voici le monde de retour,
Ah vraiment, j'ai regret aux deux ans dans la tour !
Car c'était bien la paix réelle et respectable,
Ce lit dur, cette chaise unique et cette table,
La paix où l'on aspire alors qu'on est bien soi,
Cette chambre aux murs blancs, ce rayon sobre et coi,
Qui glissait lentement en teintes apaisées,
Au lieu de ce grand jour diffus de vos croisées.
Car à quoi bon le vain appareil et l'ennui
Du plaisir, à la fin, quand le malheur a lui,
(Et le malheur est bien un trésor qu'on déterre)
Et pourquoi cet effroi de rester solitaire
Qui pique le troupeau des hommes d'à présent,
Comme si leur commerce était bien suffisant ?
Questions ! Donc j'étais heureux avec ma vie,
Reconnaissant de biens que nul, certes, n'envie.
(Ô fraîcheur de sentir qu'on n'a pas de jaloux !
Ô bonté d'être cru plus malheureux que tous !)
Je partageais les jours de cette solitude
Entre ces deux bienfaits, la prière et l'étude,
Que délassait un peu de travail manuel.
Ainsi les Saints ! J'avais aussi ma part de ciel,
Surtout quand, revenant au jour, si proche encore,
Où j'étais ce mauvais sans plus qui s'édulcore
En la luxure lâche aux farces sans pardon,
Je pouvais supputer tout le prix de ce don :
N'être plus là, parmi les choses de la foule,
S'y dépensant, plutôt dupe, pierre qui roule,
Mais de fait un complice à tous ces noirs péchés,
N'être plus là, compter au rang des cœurs cachés,
Des cœurs discrets que Dieu fait siens dans le silence,
Sentir qu'on grandit bon et sage, et qu'on s'élance
Du plus bas au plus haut en essors bien réglés,
Humble, prudent, béni, la croissance des blés !
D'ailleurs nuls soins gênants, nulle démarche à faire.
Deux fois le jour ou trois, un serviteur sévère
Apportait mes repas et repartait muet.
Nul bruit. Rien dans la tour jamais ne remuait
Qu'une horloge au cœur clair qui battait à coups larges.
C'était la liberté (la seule !) sans ses charges,
C'était la dignité dans la sécurité !
Ô lieu presque aussitôt regretté que quitté,
Château, château magique où mon âme s'est faite,
Frais séjour où se vint apaiser la tempête
De ma raison allant à vau-l'eau dans mon sang,
Château, château qui luis tout rouge et dors tout blanc,
Comme un bon fruit de qui le goût est sur mes lèvres
Et désaltère encor l'arrière-soif des fièvres,
Ô sois béni, château d'où me voilà sorti
Prêt à la vie, armé de douceur et nanti
De la Foi, pain et sel et manteau pour la route
Si déserte, si rude et si longue, sans doute,
Par laquelle il faut tendre aux innocents sommets.
Et soit aimé l'Auteur de la Grâce, à jamais ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-ecrit-en-1875.php | paul-verlaine-poeme-ecrit-en-1875 |
Aubade | François Coppée (1842-1908) | Poésie : Aubade
Titre : Aubade
Poète : François Coppée (1842-1908)
Recueil : Le cahier rouge (1892).
L'aube est bien tardive à naître,
Il a gelé cette nuit ;
Et déjà sous ta fenêtre
Mon fol amour m'a conduit.
Je tremble, mais moins encore
Du froid que de ma langueur ;
Le frisson du luth sonore
Se communique à mon cœur
Ému comme un petit page,
J'attends le moment plus sûr
Où j'entendrai le tapage
De tes volets sur le mur ;
Et la minute me dure
Où m'apparaîtra soudain,
Dans son cadre de verdure,
Ton sourire du matin. | https://www.poesie-francaise.fr/francois-coppee/poeme-aubade.php | francois-coppee-poeme-aubade |
Les caresses des yeux | Auguste Angellier (1848-1911) | Poésie : Les caresses des yeux
Titre : Les caresses des yeux
Poète : Auguste Angellier (1848-1911)
Recueil : À l'amie perdue (1896).
Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
Elles apportent l'âme aux limites de l'être,
Et livrent des secrets autrement ineffables,
Dans lesquels seul le fond du coeur peut apparaître.
Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d'elles ;
Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
Rien n'exprime que lui les choses immortelles
Qui passent par instants dans nos êtres frivoles.
Lorsque l'âge a vieilli la bouche et le sourire
Dont le pli lentement s'est comblé de tristesses,
Elles gardent encor leur limpide tendresse ;
Faites pour consoler, enivrer et séduire,
Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes !
Et quelle autre caresse a traversé des larmes ? | https://www.poesie-francaise.fr/auguste-angellier/poeme-les-caresses-des-yeux.php | auguste-angellier-poeme-les-caresses-des-yeux |
Croquis parisien | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Croquis parisien
Titre : Croquis parisien
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Poèmes saturniens (1866).
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fumée en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris. La bise pleurait
Ainsi qu'un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d'étrange et grêle façon.
Moi, j'allais, rêvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-croquis-parisien.php | paul-verlaine-poeme-croquis-parisien |
Odelette | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Odelette
Titre : Odelette
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Les Odes (1550-1552).
Pourtant, si j'ai le chef plus blanc
Que n'est d'un lis la fleur éclose,
Et toi le visage plus franc
Que n'est le bouton d'une rose
Pour cela, cruelle, il ne faut
Fuir ainsi ma tête blanche ;
Si j'ai la tête blanche en haut,
J'ai en bas la queue bien franche.
Ne sais-tu pas, toi qui me fuis,
Que pour bien faire une couronne,
Ou quelque beau bouquet, d'un lis
Toujours la rose on environne ? | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-odelette.php | pierre-de-ronsard-poeme-odelette |
Femmes damnées (2) | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Femmes damnées (2)
Titre : Femmes damnées (2)
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.
Elle cherchait, d'un oeil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.
De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L'air brisé, la stupeur, la morne volupté,
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.
Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l'avoir d'abord marquée avec les dents.
Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remerciement.
Elle cherchait dans l'oeil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir.
- " Hippolyte, cher coeur, que dis-tu de ces choses ?
Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir
L'holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir ?
Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants ;
Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de boeufs aux sabots sans pitié...
Hippolyte, ô ma soeur ! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon coeur, mon tout et ma moitié,
Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'étoiles !
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un rêve sans fin ! "
Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête :
- " Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.
Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.
Avons-nous donc commis une action étrange ?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi :
Je frissonne de peur quand tu me dis : " Mon ange ! "
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi.
Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée !
Toi que j'aime à jamais, ma soeur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition ! "
Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L'oeil fatal, répondit d'une voix despotique :
- " Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer ?
Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté !
Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour !
Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide ;
Cours offrir un coeur vierge à ses cruels baisers ;
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés...
On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maître ! "
Mais l'enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain : - " Je sens s'élargir dans mon être
Un abîme béant ; cet abîme est mon cœur !
Brûlant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.
Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos !
Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux ! "
- Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer éternel !
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel,
Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs ;
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.
Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes ;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.
L'âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.
Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-femmes-damnees-2.php | charles-baudelaire-poeme-femmes-damnees-2 |
Les réparties de Nina | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Les réparties de Nina
Titre : Les réparties de Nina
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
LUI. - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du bon matin bleu, qui vous baigne
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
De chaque branche, gouttes vertes,
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :
Tu plongerais dans la luzerne
Ton blanc peignoir
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand oeil noir
Amoureuse de la campagne,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais.
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,
Au rose églantier qui t'embête
Aimablement :
Riant surtout, à folle tête,
À ton amant !...
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Mêlant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...
Puis, comme une petite morte,
Le coeur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'oeil mi-fermé...
Je te porterais, palpitante,
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
Au Noisetier..
Je te parlerais dans ta bouche :
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Aux tons rosés :
Et te parlant la langue franche...
Tiens !... - que tu sais...
Nos grands bois sentiraient la sève
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil.
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers tors !
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts !
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;
Ça sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière ;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
À chaque pas...
- Les lunettes de la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bière
Cerclé de plomb,
Moussant entre les larges pipes
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Happent le jambon aux fourchettes
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.
Les fesses luisantes et grasses
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
Frôlé par un mufle qui gronde
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit...
Que de choses verrons-nous, chère,
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
Les carreaux gris !...
- Puis, petite et toute nichée
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas...
Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
ELLE. - Et mon bureau ? | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-les-reparties-de-nina.php | arthur-rimbaud-poeme-les-reparties-de-nina |
Invocation | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Invocation
Titre : Invocation
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
O toi qui m'apparus dans ce désert du monde,
Habitante du ciel, passagère en ces lieux !
O toi qui fis briller dans cette nuit profonde
Un rayon d'amour à mes yeux ;
A mes yeux étonnés montre-toi tout entière,
Dis-moi quel est ton nom, ton pays, ton destin.
Ton berceau fut-il sur la terre ?
Ou n'es-tu qu'un souffle divin ?
Vas-tu revoir demain l'éternelle lumière ?
Ou dans ce lieu d'exil, de deuil, et de misère,
Dois-tu poursuivre encor ton pénible chemin ?
Ah ! quel que soit ton nom, ton destin, ta patrie,
Ou fille de la terre, ou du divin séjour,
Ah ! laisse-moi, toute ma vie,
T'offrir mon culte ou mon amour.
Si tu dois, comme nous, achever ta carrière,
Sois mon appui, mon guide, et souffre qu'en tous lieux,
De tes pas adorés je baise la poussière.
Mais si tu prends ton vol, et si, loin de nos yeux,
Soeur des anges, bientôt tu remontes près d'eux,
Après m'avoir aimé quelques jours sur la terre,
Souviens-toi de moi dans les cieux. | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-invocation.php | alphonse-de-lamartine-poeme-invocation |
Le buffet | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Le buffet
Titre : Le buffet
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Poésies (1870-1871).
Sonnet.
C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;
- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
- Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-le-buffet.php | arthur-rimbaud-poeme-le-buffet |
C'est parce qu'elle se taisait | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : C'est parce qu'elle se taisait
Titre : C'est parce qu'elle se taisait
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865).
Son silence fut mon vainqueur ;
C'est ce qui m'a fait épris d'elle.
D'abord je n'avais dans le coeur
Rien qu'un obscur battement d'aile.
Nous allions en voiture au bois,
Seuls tous les soirs, et loin du monde ;
Je lui parlais, et d'autres voix
Chantaient dans la forêt profonde.
Son oeil était mystérieux.
Il contient, cet oeil de colombe,
Le même infini que les cieux,
La même aurore que la tombe.
Elle ne disait rien du tout,
Pensive au fond de la calèche.
Un jour je sentis tout à coup
Trembler dans mon âme une flèche.
L'Amour, c'est le je ne sais quoi.
Une femme habile à se taire
Est la caverne où se tient coi
Ce méchant petit sagittaire. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-c-est-parce-qu-elle-se-taisait.php | victor-hugo-poeme-c-est-parce-qu-elle-se-taisait |
À un visiteur parisien | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À un visiteur parisien
Titre : À un visiteur parisien
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Domremy, 182...
Moi, que je sois royaliste !
C'est à peu près comme si
Le ciel devait rester triste
Quand l'aube a dit : Me voici !
Un roi, c'est un homme équestre,
Personnage à numéro,
En marge duquel de Maistre
Écrit : Roi, lisez : Bourreau.
Je n'y crois plus. Est-ce un crime
Que d'avoir, par ma cloison,
Vu ce point du jour sublime,
Le lever de la raison !
J'étais jadis à l'école
Chez ce pédant, le Passé ;
J'ai rompu cette bricole ;
J'épelle un autre A B C.
Mon livre, ô fils de Lutèce,
C'est la nature, alphabet
Où le lys n'est point altesse,
Où l'arbre n'est point gibet.
Maintenant, je te l'avoue,
Je ne crois qu'au droit divin
Du coeur, de l'enfant qui joue,
Du franc rire et du bon vin.
Puisque tu me fais visite
Sous mon chaume, à Domremy,
À toi le Grec, moi le Scythe,
J'ouvre mon âme à demi...
Pas tout à fait. — La feuillée
Doit voiler le carrefour,
Et la porte entrebâillée
Convient au timide amour.
J'aime, en ces bois que j'habite,
L'aurore ; et j'ai dans mon trou
Pour pareil, lé cénobite,
Pour contraire, le hibou.
Une femme me fascine ;
Comme Properce, j'entends
Une flûte tibicine
Dans les branches du printemps.
J'ai pour jeu la poésie ;
J'ai pour torture un minois,
Vieux style, et la jalousie,
Ce casse-tête chinois.
Je suis fou d'une charmeuse,
De Paris venue ici,
Dont les saules de la Meuse
Sont tous amoureux aussi.
Je l'ai suivie en Sologne,
Je la suis à Vaucouleurs.
Mon coeur rit, ma raison grogne,
Et me voilà dans les fleurs.
Je l'ai nommée Euryanthe.
J'en perds l'âme et l'appétit.
Circonstance atténuante :
Elle a le pied très petit.
Plains-moi. Telle est ma blessure.
Cela dit, amusons-nous.
Oublions tout, la censure,
Rome, et l'abbé Frayssinous.
Cours les bals, danse aux kermesses.
Les filles ont de la foi ;
Fais-toi tenir les promesses
Qu'elles m'ont faites à moi.
Ris, savoure, aime, déguste,
Et, libres, narguons un peu
Le roi, ce faux nez auguste
Que le prêtre met à Dieu. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-un-visiteur-parisien.php | victor-hugo-poeme-a-un-visiteur-parisien |
À Marguerite | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : À Marguerite
Titre : À Marguerite
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Poésies diverses (1587).
En mon cœur n'est point escrite
La rose ny autre fleur,
C'est toy, blanche Marguerite,
Par qui j'ay cette couleur.
N'es-tu celle dont les yeux
Ont surpris
Par un regard gracieux
Mes esprits ?
Puis que ta sœur de haut pris,
Ta sœur, pucelle d'élite,
N'est cause de ma douleur,
C'est donc par toy, Marguerite,
Que j'ay pris ceste couleur.
Ma couleur palle nasquit,
Quand mon cœur
Pour maistresse te requit ;
Mais rigueur
D'une amoureuse langueur
Soudain paya mon mérite,
Me donnant ceste pâleur
Pour t'aimer trop, Marguerite,
Et ta vermeille couleur.
Quel charme pourroit casser
Mon ennuy
Et ma couleur effacer
Avec luy ?
De l'amour que tant je suy
La jouissance subite
Seule osteroit le malheur
Que me donna Marguerite,
Par qui j'ay cette couleur. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-a-marguerite.php | pierre-de-ronsard-poeme-a-marguerite |
Quinze longs jours encore et plus de six semaines | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Titre : Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Déjà ! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente angoisse est celle d'être loin.
On s'écrit, on se dit que l'on s'aime ; on a soin
D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l'on mit son bonheur, et l'on reste
Des heures à causer tout seul avec l'absent.
Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent
Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
À demeurer blafard et fidèlement triste.
Oh ! l'absence ! le moins clément de tous les maux !
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l'infini morose des pensées
De quoi vous rafraîchir, espérances lassées,
Et n'en rien remonter que de fade et d'amer !
Puis voici, pénétrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison,
Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon
Décoché par le Doute impur et lamentable.
Est-ce bien vrai ? tandis qu'accoudé sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux,
N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?
Qui sait ? Pendant qu'ici pour moi lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?
Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?
Et je relis sa lettre avec mélancolie. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-quinze-longs-jours-encore-et-plus-de-six-semaines.php | paul-verlaine-poeme-quinze-longs-jours-encore-et-plus-de-six-semaines |
Les soeurs de charité | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Les soeurs de charité
Titre : Les soeurs de charité
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Le jeune homme dont l'oeil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,
Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales,
Qui se retournent sur des lits de diamants ;
Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans son coeur largement irrité,
Et plein de la blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa soeur de charité.
Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Tu n'es jamais la Soeur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.
Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu'une question :
C'est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles,
Nous te berçons, charmante et grave Passion.
Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances,
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.
- Quand la femme, portée un instant, l'épouvante,
Amour, appel de vie et chanson d'action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le déchirer de leur auguste obsession.
Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes,
Délaissé des deux Soeurs implacables, geignant
Avec tendresse après la science aux bras almes,
Il porte à la nature en fleur son front saignant.
Mais la noire alchimie et les saintes études
Répugnent au blessé, sombre savant d'orgueil ;
Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,
Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades
Immenses, à travers les nuits de Vérité,
Et t'appelle en son âme et ses membres malades,
Ô Mort mystérieuse, ô soeur de charité. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-les-soeurs-de-charite.php | arthur-rimbaud-poeme-les-soeurs-de-charite |
Après le bal | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Après le bal
Titre : Après le bal
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Adieu, puisqu'il le faut ; adieu, belle nuit blanche,
Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour !
Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche,
Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.
Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,
Entrouvre ses rideaux avec ses doigts rosés ;
O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,
Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.
Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes,
Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais,
N'entendez-vous pas l'aube aux rumeurs importunes,
Qui halète à la porte et souffle son air frais.
Le bal est enterré. Cavaliers et danseuses,
Sur la tombe du bal, jetez à pleines mains
Vos colliers défilés, vos parures soyeuses,
Vos dahlias flétris et vos pâles jasmins.
Maintenant c'est le jour. La veille après le rêve ;
La prose après les vers : c'est le vide et l'ennui ;
C'est une bulle encore qui dans les mains nous crève,
C'est le plus triste jour de tous ; c'est aujourd'hui.
Ô Temps ! Que nous voulons tuer et qui nous tues,
Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traînant le pied,
D'un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues,
Quand sur nos fronts blêmis le spleen anglais s'assied.
Et lorsque le bonheur nous chante sa fanfare,
Vieillard malicieux, dis-moi, pourquoi cours-tu
Comme devant les chiens court un cerf qui s'effare,
Comme un cheval que fouille un éperon pointu ?
Hier, j'étais heureux. J'étais. Mot doux et triste !
Le bonheur est l'éclair qui fuit sans revenir.
Hélas ! Et pour ne pas oublier qu'il existe,
Il le faut embaumer avec le souvenir.
J'étais. Je ne suis plus. Toute la vie humaine
Résumée en deux mots, de l'onde et puis du vent.
Mon Dieu ! N'est-il donc pas de chemin qui ramène
Au bonheur d'autrefois regretté si souvent.
Derrière nous le sol se crevasse et s'effondre.
Nul ne peut retourner. Comme un maigre troupeau
Que l'on mène au boucher, ne pouvant plus le tondre,
La vieille Mob nous pousse à grand train au tombeau.
Certes, en mes jeunes ans, plus d'un bal doit éclore,
Plein d'or et de flambeaux, de parfums et de bruit,
Et mon cœur effeuillé peut refleurir encore ;
Mais ce ne sera pas mon bal de l'autre nuit.
Car j'étais avec toi. Tous deux seuls dans la foule,
Nous faisant dans notre âme une chaste Oasis,
Et, comme deux enfants au bord d'une eau qui coule,
Voyant onder le bal, l'un contre l'autre assis.
Je ne pouvais savoir, sous le satin du masque,
De quelle passion ta figure vivait,
Et ma pensée, au vol amoureux et fantasque,
Réalisait, en toi, tout ce qu'elle rêvait.
Je nuançais ton front des pâleurs de l'agate,
Je posais sur ta bouche un sourire charmant,
Et sur ta joue en fleur, la pourpre délicate
Qu'en s'envolant au ciel laisse un baiser d'amant.
Et peut-être qu'au fond de ta noire prunelle,
Une larme brillait au lieu d'éclair joyeux,
Et, comme sous la terre une onde qui ruisselle,
S'écoulait sous le masque invisible à mes yeux.
Peut-être que l'ennui tordait ta lèvre aride,
Et que chaque baiser avait mis sur ta peau,
Au lieu de marque rose, une tache livide
Comme on en voit aux corps qui sont dans le tombeau.
Car si la face humaine est difficile à lire,
Si déjà le front nu ment à la passion,
Qu'est-ce donc, quand le masque est double ? Comment dire
Si vraiment la pensée est sœur de l'action ?
Et cependant, malgré cette pensée amère,
Tu m'as laissé, cher bal, un souvenir charmant ;
Jamais rêve d'été, jamais blonde chimère,
Ne m'ont entre leurs bras bercé plus mollement.
Je crois entendre encore tes rumeurs étouffées,
Et voir devant mes yeux, sous ta blanche lueur,
Comme au sortir du bain, les péris et les fées,
Luire des seins d'argent et des cols en sueur.
Et je sens sur ma bouche une amoureuse haleine,
Passer et repasser comme une aile d'oiseau,
Plus suave en odeur que n'est la marjolaine
Ou le muguet des bois, au temps du renouveau.
Ô nuit ! Aimable nuit ! Sœur de Luna la blonde,
Je ne veux plus servir qu'une déesse au ciel,
Endormeuse des maux et des soucis du monde,
J'apporte à ta chapelle un pavot et du miel.
Nuit, mère des festins, mère de l'allégresse,
Toi qui prêtes le pan de ton voile à l'amour,
Fais-moi, sous ton manteau, voir encore ma maîtresse,
Et je brise l'autel d'Apollo, dieu du jour. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-apres-le-bal.php | theophile-gautier-poeme-apres-le-bal |
Barcarolle | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Barcarolle
Titre : Barcarolle
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !
L'aviron est d'ivoire,
Le pavillon de moire,
Le gouvernail d'or fin ;
J'ai pour lest une orange,
Pour voile une aile d'ange,
Pour mousse un séraphin.
Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !
Est-ce dans la Baltique,
Sur la mer Pacifique,
Dans l'île de Java ?
Ou bien dans la Norvège,
Cueillir la fleur de neige,
Ou la fleur d'Angsoka ?
Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !
— Menez-moi, dit la belle,
À la rive fidèle
Où l'on aime toujours.
— Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-barcarolle.php | theophile-gautier-poeme-barcarolle |
À Laure, duchesse d'A | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À Laure, duchesse d'A
Titre : À Laure, duchesse d'A
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du
Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris. Le ministre de
l'intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument.
(Journaux de février 1840.)
Puisqu'ils n'ont pas compris, dans leur étroite sphère,
Qu'après tant de splendeur, de puissance et d'orgueil,
Il était grand et beau que la France dût faire
L'aumône d'une fosse à ton noble cercueil ;
Puisqu'ils n'ont pas senti que celle qui sans crainte
Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux
A le droit de dormir sur la colline sainte,
A le droit de dormir à l'ombre des héros ;
Puisque le souvenir de nos grandes batailles
Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ;
Puisqu'ils n'ont pas de cœur, puisqu'ils n'ont point d'entrailles,
Puisqu'ils t'ont refusé la pierre d'un tombeau ;
C'est à nous de chanter un chant expiatoire !
C'est à nous de t'offrir notre deuil à genoux !
C'est à nous, c'est à nous de prendre ta mémoire
Et de l'ensevelir dans un vers triste et doux !
C'est à nous cette fois de garder, de défendre
La mort contre l'oubli, son pâle compagnon ;
C'est à nous d'effeuiller des roses sur ta cendre,
C'est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !
Puisqu'un stupide affront, pauvre femme endormie,
Monte jusqu'à ton front que César étoila,
C'est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas : Ne crains rien ! je suis là !
Car j'ai ma mission ; car, armé d'une lyre.
Plein d'hymnes irrités ardents à s'épancher,
Je garde le trésor des gloires de l'Empire ;
Je n'ai jamais souffert qu'on osât y toucher !
Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles !
Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours,
Ton noble esprit planait avec de nobles ailes,
Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !
Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres,
Livrée à la tempête et femme en proie au sort,
Jamais tu n'imitas l'exemple de tant d'autres,
Et d'une lâcheté tu ne te fis un port !
Car toi, la muse illustre, et moi, l'obscur apôtre,
Nous avons dans ce monde eu le même mandat,
Et c'est un nœud profond qui nous joint l'un à l'autre,
Toi, veuve d'un héros, et moi, fils d'un soldat !
Aussi, sans me lasser dans celte Babylone,
Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau,
J'ai dit pour l'Empereur : Rendez-lui sa colonne !
Et je dirai pour toi : Donnez-lui son tombeau !
Février 1840. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-laure-duchesse-d-a.php | victor-hugo-poeme-a-laure-duchesse-d-a |
Pour M.L.C.D.C | Jean de La Fontaine (1621-1695) | Poésie : Pour M.L.C.D.C
Titre : Pour M.L.C.D.C
Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695)
(Pour M.L.C.D.C. en captivité.)
À Iris.
Vous demandez, Iris, ce que je fais :
Je pense à vous, je m'épuise en souhaits.
Etre privé de les dire moi-même,
Aimer beaucoup, ne point voir ce que j'aime,
Craindre toujours quelque nouveau rival,
Voilà mon sort. Est-il tourment égal ?
Un amant libre a le Ciel moins contraire :
Il peut vous rendre un soin qui vous peut plaire ;
Ou, s'il ne peut vous plaire par des soins,
Il peut mourir à vos pieds tout au moins.
Car je crains tout ; un absent doit tout craindre ;
Je prends l'alarme aux bruits que j'entends feindre :
On dit tantôt que votre amour languit ;
Tantôt qu'un autre a gagné votre esprit.
Tout m'est suspect ; et cependant votre âme
Ne peut si tôt brûler d'une autre flamme :
Je la connais ; une nouvelle amour
Est chez Iris l'oeuvre de plus d'un jour.
Si l'on m'aimait, je suis sûr que l'on m'aime ;
Mais m'aimait-on ? Voilà ma peine extrême.
Dites-le-moi, puis le recommencez.
Combien ? cent fois ? Non, ce n'est pas assez :
Cent mille fois ? Hélas ! c'est peu de chose.
Je vous dirai, chère Iris, si je l'ose,
Qu'on ne le croit qu'au milieu des plaisirs
Que l'hyménée accorde à nos désirs.
Même un tel soin là-dessus nous dévore,
Qu'en le croyant on le demande encore.
Mais c'est assez douter de votre amour :
Doutez-vous point du mien à votre tour ?
Je vous dirai que toujours même zèle,
Toujours ardent, toujours pur et fidèle,
Règne pour vous dans le fond de mon coeur.
Je ne crains point la cruelle longueur
D'une prison où le sort vous oublie,
Ni les vautours de la mélancolie ;
Je ne crains point les languissants ennuis,
Les sombres jours, les inquiètes nuits,
Les noirs moments, l'oisiveté forcée,
Ni tout le mal qui s'offre à la pensée
Quand on est seul, et qu'on ferme sur vous
Porte sur porte, et verrous sur verrous.
Tout est léger. Mais je crains que votre âme
Ne s'attiédisse et s'endorme en sa flamme,
Ou ne préfère, après m'avoir aimé,
Quelque amant libre à l'amant enfermé. | https://www.poesie-francaise.fr/jean-de-la-fontaine/poeme-pour-M.L.C.D.C.php | jean-de-la-fontaine-poeme-pour-M.L.C.D.C |
L'esclave | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : L'esclave
Titre : L'esclave
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : Poésies diverses (1838-1845).
Captive et peut-être oubliée,
Je songe à mes jeunes amours,
À mes beaux jours,
Et par la fenêtre grillée
Je regarde l'oiseau joyeux
Fendant les cieux.
Douce et pâle consolatrice,
Espérance, rayon d'en haut,
Dans mon cachot
Fais-moi, sous ta clarté propice,
À ton miroir faux et charmant
Voir mon amant !
Auprès de lui, belle Espérance,
Porte-moi sur tes ailes d'or,
S'il m'aime encore,
Et, pour endormir ma souffrance,
Suspends mon âme sur son cœur
Comme une fleur ! | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-lesclave.php | theophile-gautier-poeme-lesclave |
À Charles de Sivry | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : À Charles de Sivry
Titre : À Charles de Sivry
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Amour (1888).
Mon Charles, autrefois mon frère, et pardieu bien !
Encore tel malgré toutes les lois ensemble,
Te souvient-il d'un amoureux qui n'ose et tremble
Et verse le secret de son cœur dans le tien ?
Ah, de vivre ! Et te souvient-il du fameux Sage,
Austère avec douceur, en route, croyait-il,
Pour un beau Bethléem littéral et subtil,
Entre un berger naïf et quelque très haut mage ?
— L'amoureux est un veuf orgueilleux. Ah, de vivre !
Le sage a suspendu son haleine et son livre,
N'aspirant plus en Dieu que par la bonne mort.
Et pourtant, pourtant comme ils sont toujours le même
Homme du chaste espoir de justes noces qu'aime
Ou non celle qui sous sa tombe d'oubli dort ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-a-charles-de-sivry.php | paul-verlaine-poeme-a-charles-de-sivry |
Bottom | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Bottom
Titre : Bottom
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Les Illuminations (1886).
La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère, — je me trouvai néanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s'essorant vers les moulures du plafond et traînant l'aile dans les ombres de la soirée.
Je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d'œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles.
Tout se fait ombre et aquarium ardent.
Au matin, — aube de juin batailleuse, — je courus aux champs, âne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu'à ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-bottom.php | arthur-rimbaud-poeme-bottom |
L'infidélité | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : L'infidélité
Titre : L'infidélité
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Poésies fugitives (1787).
Tableau VIII.
Un bosquet, une jeune femme ;
À ses genoux un séducteur
Qui jure une éternelle flamme,
Et qu'elle écoute sans rigueur ;
C'est Valsin. Dans le même asile
Justine, crédule et tranquille,
Venait rêver a son amant :
Elle entre : que le peintre habile
Rende ce triple étonnement. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-l-infidelite.php | evariste-de-parny-poeme-l-infidelite |
Le spectre de la rose | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Le spectre de la rose
Titre : Le spectre de la rose
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : La comédie de la mort (1838).
Soulève ta paupière close
Qu'effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d'une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d'argent de l'arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.
Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j'arrive du paradis.
Mon destin fut digne d'envie :
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d'un aurait donné sa vie,
Car j'ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l'albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Ecrivit : Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-le-spectre-de-la-rose.php | theophile-gautier-poeme-le-spectre-de-la-rose |
La mort des pauvres | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : La mort des pauvres
Titre : La mort des pauvres
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le coeur de marcher jusqu'au soir ;
A travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir ;
C'est un Ange qui tient dans ses doigts magnétiques
Le sommeil et le don des rêves extatiques,
Et qui refait le lit des gens pauvres et nus ;
C'est la gloire des Dieux, c'est le grenier mystique,
C'est la bourse du pauvre et sa patrie antique,
C'est le portique ouvert sur les Cieux inconnus ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-la-mort-des-pauvres.php | charles-baudelaire-poeme-la-mort-des-pauvres |
L'obélisque de Paris | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : L'obélisque de Paris
Titre : L'obélisque de Paris
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Sur cette place je m'ennuie,
Obélisque dépareillé ;
Neige, givre, bruine et pluie
Glacent mon flanc déjà rouillé ;
Et ma vieille aiguille, rougie
Aux fournaises d'un ciel de feu,
Prend des pâleurs de nostalgie
Dans cet air qui n'est jamais bleu.
Devant les colosses moroses
Et les pylônes de Luxor,
Près de mon frère aux teintes roses
Que ne suis-je debout encor,
Plongeant dans l'azur immuable
Mon pyramidion vermeil
Et de mon ombre, sur le sable,
Écrivant les pas du soleil !
Rhamsès, un jour mon bloc superbe,
Où l'éternité s'ébréchait,
Roula fauché comme un brin d'herbe,
Et Paris s'en fit un hochet.
La sentinelle granitique,
Gardienne des énormités,
Se dresse entre un faux temple antique
Et la chambre des députés.
Sur l'échafaud de Louis seize,
Monolithe au sens aboli,
On a mis mon secret, qui pèse
Le poids de cinq mille ans d'oubli.
Les moineaux francs souillent ma tête,
Où s'abattaient dans leur essor
L'ibis rose et le gypaëte
Au blanc plumage, aux serres d'or.
La Seine, noir égout des rues,
Fleuve immonde fait de ruisseaux,
Salit mon pied, que dans ses crues
Baisait le Nil, père des eaux,
Le Nil, géant à barbe blanche
Coiffé de lotus et de joncs,
Versant de son urne qui penche
Des crocodiles pour goujons !
Les chars d'or étoilés de nacre
Des grands pharaons d'autrefois
Rasaient mon bloc heurté du fiacre
Emportant le dernier des rois.
Jadis, devant ma pierre antique,
Le pschent au front, les prêtres saints
Promenaient la bari mystique
Aux emblèmes dorés et peints ;
Mais aujourd'hui, pilier profane
Entre deux fontaines campé,
Je vois passer la courtisane
Se renversant dans son coupé.
Je vois, de janvier à décembre,
La procession des bourgeois,
Les Solons qui vont à la chambre,
Et les Arthurs qui vont au bois.
Oh ! dans cent ans quels laids squelettes
Fera ce peuple impie et fou,
Qui se couche sans bandelettes
Dans des cercueils que ferme un clou,
Et n'a pas même d'hypogées
A l'abri des corruptions,
Dortoirs où, par siècles rangées,
Plongent les générations !
Sol sacré des hiéroglyphes
Et des secrets sacerdotaux,
Où les sphinx s'aiguisent les griffes
Sur les angles des piédestaux ;
Où sous le pied sonne la crypte,
Où l'épervier couve son nid,
Je te pleure, ô ma vieille Égypte,
Avec des larmes de granit ! | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-l-obelisque-de-paris.php | theophile-gautier-poeme-l-obelisque-de-paris |
Walcourt | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Walcourt
Titre : Walcourt
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Romances sans paroles (1874).
Paysages belges
Briques et tuiles,
Ô les charmants
Petits asiles
Pour les amants !
Houblons et vignes,
Feuilles et fleurs,
Tentes insignes
Des francs buveurs !
Guinguettes claires,
Bières, clameurs,
Servantes chères
À tous fumeurs !
Gares prochaines,
Gais chemins grands...
Quelles aubaines,
Bons juifs errants ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-walcourt.php | paul-verlaine-poeme-walcourt |
À Madame N. Menessier | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À Madame N. Menessier
Titre : À Madame N. Menessier
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Premières poésies (1829).
Madame, il est heureux, celui dont la pensée
(Qu'elle fût de plaisir, de douleur ou d'amour)
A pu servir de sœur à la vôtre un seul jour.
Son âme dans votre âme un instant est passée ;
Le rêve de son cœur un soir s'est arrêté,
Ainsi qu'un pèlerin, sur le seuil enchanté
Du merveilleux palais tout peuplé de féeries
Où dans leurs voiles blancs dorment vos rêveries.
Qu'importe que bientôt, pour un autre oublié,
De vos lèvres de pourpre il se soit envolé
Comme l'oiseau léger s'envole après l'orage ?
Lorsqu'il a repassé le seuil mystérieux,
Vos lèvres l'ont doré, dans leur divin langage,
D'un sourire mélodieux. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-madame-n-menessier.php | alfred-de-musset-poeme-a-madame-n-menessier |
Odelette anacréontique | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Odelette anacréontique
Titre : Odelette anacréontique
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : Émaux et Camées (1852).
Pour que je t'aime, ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.
L'oiseau qui marche dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit ;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.
Muet comme l'Hermès de marbre,
Sous la charmille pose-toi ;
Tu verras bientôt de son arbre
L'oiseau descendre sans effroi.
Tes tempes sentiront près d'elles,
Avec des souffles de fraîcheur,
Une palpitation d'ailes
Dans un tourbillon de blancheur,
Et la colombe apprivoisée
Sur ton épaule s'abattra,
Et son bec à pointe rosée
De ton baiser s'enivrera. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-odelette-anacreontique.php | theophile-gautier-poeme-odelette-anacreontique |
Les douaniers | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Les douaniers
Titre : Les douaniers
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Poésies (1870-1871).
Sonnet.
Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d'Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités
Qui tailladent l'azur frontière à grands coups d'hache.
Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s'en vont, amenant leurs dogues à l'attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !
Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
"Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots !"
Quand sa sérénité s'approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contrôlés !
Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés ! | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-les-douaniers.php | arthur-rimbaud-poeme-les-douaniers |
La femme sauvage et la petite-maîtresse | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : La femme sauvage et la petite-maîtresse
Titre : La femme sauvage et la petite-maîtresse
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
« Vraiment, ma chère, vous me fatiguez sans mesure et sans pitié ; on dirait, à vous entendre soupirer, que vous souffrez plus que les glaneuses sexagénaires et que les vieilles mendiantes qui ramassent des croûtes de pain à la porte des cabarets.
« Si au moins vos soupirs exprimaient le remords, ils vous feraient quelque honneur ; mais ils ne traduisent que la satiété du bien-être et l'accablement du repos. Et puis, vous ne cessez de vous répandre en paroles inutiles : « Aimez-moi bien ! j'en ai tant besoin ! Consolez-moi par-ci, caressez-moi par-là ! » Tenez, je veux essayer de vous guérir ; nous en trouverons peut-être le moyen, pour deux sols, au milieu d'une fête, et sans aller bien loin.
« Considérons bien, je vous prie, cette solide cage de fer derrière laquelle s'agite, hurlant comme un damné, secouant les barreaux comme un orang-outang exaspéré par l'exil, imitant, dans la perfection, tantôt les bonds circulaires du tigre, tantôt les dandinements stupides de l'ours blanc, ce monstre poilu dont la forme imite assez vaguement la vôtre.
« Ce monstre est un de ces animaux qu'on appelle généralement « mon ange ! » c'est-à-dire une femme. L'autre monstre, celui qui crie à tue-tête, un bâton à la main, est un mari. Il a enchaîné sa femme légitime comme une bête, et il la montre dans les faubourgs, les jours de foire, avec permission des magistrats, cela va sans dire.
« Faites bien attention ! Voyez avec quelle voracité (non simulée peut-être !) elle déchire des lapins vivants et des volailles pialliantes que lui jette son cornac. « Allons, dit-il, il ne faut pas manger tout son bien en un jour, » et, sur cette sage parole, il lui arrache cruellement la proie, dont les boyaux dévidés restent un instant accrochés aux dents de la bête féroce, de la femme, veux-je dire.
« Allons ! un bon coup de bâton pour la calmer ! car elle darde des yeux terribles de convoitise sur la nourriture enlevée. Grand Dieu ! le bâton n'est pas un bâton de comédie, avez-vous entendu résonner la chair, malgré le poil postiche ? Aussi les yeux lui sortent maintenant de la tête, elle hurle plus naturellement. Dans sa rage, elle étincelle tout entière, comme le fer qu'on bat.
« Telles sont les mœurs conjugales de ces deux descendants d'Ève et d'Adam, ces œuvres de vos mains, ô mon Dieu ! Cette femme est incontestablement malheureuse, quoique après tout, peut-être, les jouissances titillantes de la gloire ne lui soient pas inconnues. Il y a des malheurs plus irrémédiables, et sans compensation. Mais dans le monde où elle a été jetée, elle n'a jamais pu croire que la femme méritât une autre destinée.
« Maintenant, à nous deux, chère précieuse ! À voir les enfers dont le monde est peuplé, que voulez-vous que je pense de votre joli enfer, vous qui ne reposez que sur des étoffes aussi douces que votre peau, qui ne mangez que de la viande cuite, et pour qui un domestique habile prend soin de découper les morceaux ?
« Et que peuvent signifier pour moi tous ces petits soupirs qui gonflent votre poitrine parfumée, robuste coquette ? Et toutes ces affectations apprises dans les livres, et cette infatigable mélancolie, faite pour inspirer au spectateur un tout autre sentiment que la pitié ? En vérité, il me prend quelquefois envie de vous apprendre ce que c'est que le vrai malheur.
« À vous voir ainsi, ma belle délicate, les pieds dans la fange et les yeux tournés vaporeusement vers le ciel, comme pour lui demander un roi, on dirait vraisemblablement une jeune grenouille qui invoquerait l'idéal. Si vous méprisez le soliveau (ce que je suis maintenant, comme vous savez bien), gare la grue qui vous croquera, vous gobera et vous tuera à son plaisir !
« Tant poète que je sois, je ne suis pas aussi dupe que vous voudriez le croire, et si vous me fatiguez trop souvent de vos precieuses pleurnicheries, je vous traiterai en femme sauvage, ou le vous jetterai par la fenêtre, comme une bouteille vide. » | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-la-femme-sauvage-et-la-petite-maitresse.php | charles-baudelaire-poeme-la-femme-sauvage-et-la-petite-maitresse |
Que diras-tu ce soir | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Que diras-tu ce soir
Titre : Que diras-tu ce soir
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri,
A la très-belle, à la très-bonne, à la très-chère,
Dont le regard divin t'a soudain refleuri ?
- Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges :
Rien ne vaut la douceur de son autorité ;
Sa chair spirituelle a le parfum des Anges,
Et son oeil nous revêt d'un habit de clarté.
Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et dit : " Je suis belle, et j'ordonne
Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau ;
Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone. " | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-que-diras-tu-ce-soir.php | charles-baudelaire-poeme-que-diras-tu-ce-soir |
À Julie | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À Julie
Titre : À Julie
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
On me demande, par les rues,
Pourquoi je vais bayant aux grues,
Fumant mon cigare au soleil,
À quoi se passe ma jeunesse,
Et depuis trois ans de paresse
Ce qu'ont fait mes nuits sans sommeil.
Donne-moi tes lèvres, Julie ;
Les folles nuits qui t'ont pâlie
Ont séché leur corail luisant.
Parfume-les de ton haleine ;
Donne-les-moi, mon Africaine,
Tes belles lèvres de pur sang.
Mon imprimeur crie à tue-tête
Que sa machine est toujours prête,
Et que la mienne n'en peut mais.
D'honnêtes gens, qu'un club admire,
N'ont pas dédaigné de prédire
Que je n'en reviendrai jamais.
Julie, as-tu du vin d'Espagne ?
Hier, nous battions la campagne ;
Va donc voir s'il en reste encor.
Ta bouche est brûlante, Julie ;
Inventons donc quelque folie
Qui nous perde l'âme et le corps.
On dit que ma gourme me rentre,
Que je n'ai plus rien dans le ventre,
Que je suis vide à faire peur ;
Je crois, si j'en valais la peine,
Qu'on m'enverrait à Sainte-Hélène,
Avec un cancer dans le cœur.
Allons, Julie, il faut t'attendre
À me voir quelque jour en cendre,
Comme Hercule sur son rocher.
Puisque c'est par toi que j'expire,
Ouvre ta robe, Déjanire,
Que je monte sur mon bûcher. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-julie.php | alfred-de-musset-poeme-a-julie |
Nous sommes en des temps infâmes | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Nous sommes en des temps infâmes
Titre : Nous sommes en des temps infâmes
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : La bonne chanson (1872).
Nous sommes en des temps infâmes
Où le mariage des âmes
Doit sceller l'union des cœurs ;
À cette heure d'affreux orages,
Ce n'est pas trop de deux courages
Pour vivre sous de tels vainqueurs.
En face de ce que l'on ose
Il nous siérait, sur toute chose,
De nous dresser, couple ravi
Dans l'extase austère du juste
Et proclamant, d'un geste auguste
Notre amour fier, comme un défi !
Mais quel besoin de te le dire ?
Toi la bonté, toi le sourire,
N'es-tu pas le conseil aussi,
Le bon conseil loyal et brave,
Enfant rieuse au penser grave,
À qui tout mon cœur dit : merci ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-nous-sommes-en-des-temps-infames.php | paul-verlaine-poeme-nous-sommes-en-des-temps-infames |
Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit
Titre : Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit
Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu'adorer et servir la beauté qui me nuit :
Si c'est aimer que de suivre un bonheur qui me fuit,
De me perdre moi même et d'être solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,
Pleurer, crier merci, et m'en voir éconduit :
Si c'est aimer que de vivre en vous plus qu'en moi même,
Cacher d'un front joyeux, une langueur extrême,
Sentir au fond de l'âme un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fièvre amoureuse me traite :
Honteux, parlant à vous de confesser mon mal !
Si cela est aimer : furieux je vous aime :
Je vous aime et sait bien que mon mal est fatal :
Le coeur le dit assez, mais la langue est muette. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-si-cest-aimer-madame-et-de-jour-et-de-nuit.php | pierre-de-ronsard-poeme-si-cest-aimer-madame-et-de-jour-et-de-nuit |
Chanson : Lorsque la coquette Espérance | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Chanson : Lorsque la coquette Espérance
Titre : Chanson : Lorsque la coquette Espérance
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies nouvelles (1850).
Lorsque la coquette Espérance
Nous pousse le coude en passant,
Puis à tire-d'aile s'élance,
Et se retourne en souriant ;
Où va l'homme ? Où son coeur l'appelle.
L'hirondelle suit le zéphyr,
Et moins légère est l'hirondelle
Que l'homme qui suit son désir.
Ah ! fugitive enchanteresse,
Sais-tu seulement ton chemin ?
Faut-il donc que le vieux Destin
Ait une si jeune maîtresse ! | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-chanson-lorsque-la-coquette-esperance.php | alfred-de-musset-poeme-chanson-lorsque-la-coquette-esperance |
Sur le Carnaval de Venise I | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Sur le Carnaval de Venise I
Titre : Sur le Carnaval de Venise I
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Dans la rue.
Il est un vieil air populaire
Par tous les violons raclé,
Aux abois des chiens en colère
Par tous les orgues nasillé.
Les tabatières à musique
L'ont sur leur répertoire inscrit ;
Pour les serins il est classique,
Et ma grand'mère, enfant, l'apprit.
Sur cet air, pistons, clarinettes,
Dans les bals aux poudreux berceaux,
Font sauter commis et grisettes,
Et de leurs nids fuir les oiseaux.
La guinguette, sous sa tonnelle
De houblon et de chèvrefeuil,
Fête, en braillant la ritournelle,
Le gai dimanche et l'argenteuil.
L'aveugle au basson qui pleurniche
L'écorche en se trompant de doigts ;
La sébile aux dents, son caniche
Près de lui le grogne à mi-voix.
Et les petites guitaristes,
Maigres sous leurs minces tartans,
Le glapissent de leurs voix tristes
Aux tables des cafés chantants.
Paganini, le fantastique,
Un soir, comme avec un crochet,
A ramassé le thème antique
Du bout de son divin archet,
Et, brodant la gaze fanée
Que l'oripeau rougit encor,
Fait sur la phrase dédaignée
Courir ses arabesques d'or. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-sur-le-carnaval-de-venise-I.php | theophile-gautier-poeme-sur-le-carnaval-de-venise-I |
Charles-Quint au monastère de Saint-Just | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Charles-Quint au monastère de Saint-Just
Titre : Charles-Quint au monastère de Saint-Just
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
L'empereur vit, un soir, le soleil s'en aller ;
Il courba son front triste, et resta sans parler.
Puis, comme il entendit ses horloges de cuivre,
Qu'il venait d'accorder, d'un pied boiteux se suivre,
Il pensa qu'autrefois, sans avoir réussi,
D'accorder les humains il avait pris souci.
– Seigneur, Seigneur ! dit-il, qui m'en donna l'envie ?
J'ai traversé la mer onze fois dans ma vie ;
Dix fois les Pays-Bas ; l'Angleterre trois fois ;
Ai-je assez fait la guerre à ce pauvre François !
J'ai vu deux fois l'Afrique et neuf fois l'Allemagne,
Et voici que je meurs sujet du roi d'Espagne !
Eh ! que faire à régner ? je n'ai plus d'ennemi ;
Chacun s'est dans la tombe, à son tour, endormi.
Comme un chien affamé, l'oubli tous les dévore ;
Déjà le soir d'un siècle à l'autre sert d'aurore.
Ai-je donc, plus habile à plus longtemps souffrir,
Seul parmi tant de rois, oublié de mourir ?
Ou, dans leurs doigts roidis quand la coupe fut pleine,
Quand le glaive de Dieu, pour niveler la plaine,
Décima les grands monts, étais-je donc si bas,
Que l'archange, en passant, alors ne me vit pas ?
M'en vais-je donc vieillir à compter mes campagnes,
Comme un pasteur ses bœufs descendant des montagnes,
Pour qu'on lise en mon cœur les leçons du passé,
Comme en un livre pâle et bientôt effacé ?
Trop avant dans la nuit s'allonge ma journée.
Dieu sait à quels enfants l'Europe s'est donnée !
Sur quels bras va poser tout ce vieil univers,
Qu'avec ses cent Etats, avec ses quatre mers,
Je portais dans mon sein et dans ma tête chauve !
Philippe !... que saint Just de ses crimes le sauve !
Car du jour qu'héritier de son père, il sentit
Que pour sa grande épée il était trop petit,
N'a-t-il pas échangé le ciel contre la terre,
Contre un bourreau masqué son confesseur austère ?
La France !... oh ! quel destin, en ses jeux si profond,
Mit la duègne orgueilleuse aux mains d'un roi bouffon,
Qui s'en va, rajustant son pourpoint à sa taille,
Aux oisifs carrousels se peindre une bataille !
Ah ! quand mourut François, quel sage s'est douté
Que du seul Charles-Quint il mourait regretté ?
Avec son dernier cri sonna ma dernière heure.
Où trouver maintenant personne qui me pleure ?
Mon fils me laisse ici m'achever ; car enfin
Qui lui dira si c'est de vieillesse ou de faim ?
Il me donne la mort pour prix de sa naissance !
Mes bienfaits l'ont guéri de sa reconnaissance.
Il s'en vient me pousser lorsque j'ai trébuché. –
C'est bien. – Je vais tomber. – Le soleil s'est couché !
Ô terre ! reçois-moi ; car je te rends ma cendre !
Je vins nu de ton sein, nu j'y vais redescendre.
C'est ainsi que parla cet homme au cœur de fer ;
Puis, se voyant dans l'ombre, il eut peur de l'enfer !
– Ô mon Dieu ! si, cherchant un pardon qui m'efface,
Je trouvais la colère écrite sur ta face,
Comme ce soir, mon œil, cherchant le jour qui fuit,
Dans le ciel dépeuplé ne trouve que la nuit !
Quoi ! pas un rêve, un signe, un mot dit à l'oreille,
Dont l'écho formidable alors ne se réveille !
Non ! – Rien à vous, Seigneur, ne peut être caché.
Kyrie eleison ! car j'ai beaucoup péché ! »
Alors, avec des pleurs il disait sa prière,
Les genoux tout tremblants et le front sur la pierre.
Tout à coup il s'arrête, il se lève, et ses yeux
Se clouaient à la terre et sa pensée aux cieux.
Voici que, sur l'autel couvert de draps funèbres,
Les lugubres flambeaux ont rompu les ténèbres
Et les prêtres debout, comme de noirs cyprès,
S'assemblent, étonnés des sinistres apprêts.
Et les vieux serviteurs disaient : – Qui donc va naître
Ou mourir ? – et pourtant priaient sans le connaître ;
Car les sombres clochers s'agitaient à grand bruit,
Et semblaient deux géants qui pleurent dans la nuit.
Tous frappaient leur poitrine et respiraient à peine.
Sous les larmes d'argent le sépulcre d'ébène
S'ouvrait, lit nuptial par la mort apprêté,
Où la vie en ses bras reçoit l'éternité.
Alors un spectre vint, se traînant aux murailles,
Livide, épouvanter les mornes funérailles.
Maigre et les yeux éteints, et son pied, sur le seuil
De granit, chancelait dans les plis d'un linceul.
– Qui d'entre vous, dit-il, me respecte et m'honore ?
(Et sa voix sur l'écho de la voûte sonore
Frappait comme le pas d'un hardi cavalier.)
Qu'il s'en vienne avec moi dormir sous un pilier !
Je m'y couche, et j'attends que m'y suive qui m'aime.
Pour ceux qui m'ont haï, je les suivrai mot-même ;
Ils y sont. – Prions donc pour mes crimes passés ;
Pleurons et récitons l'hymne des trépassés !
Il marcha vers sa tombe, et pâlit : – Qui m'arrête,
Dit-il ? Ne faut-il pas un cadavre à la fête ?
Et le cercueil cria sous ses membres glacés,
Puis le chœur entonna l'hymne des trépassés. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-charles-quint-au-monastere-de-saint-just.php | alfred-de-musset-poeme-charles-quint-au-monastere-de-saint-just |
Paysage | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Paysage
Titre : Paysage
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : Premières poésies (1830).
Pas une feuille qui bouge,
Théophile Gautier.
Pas une feuille qui bouge,
Pas un seul oiseau chantant ;
Au bord de l'horizon rouge
Un éclair intermittent ;
D'un côté, rares broussailles,
Sillons à demi noyés,
Pans grisâtres de murailles,
Saules noueux et ployés ;
De l'autre, un champ que termine
Un large fossé plein d'eau,
Une vieille qui chemine
Avec un pesant fardeau,
Et puis la route qui plonge
Dans le flanc des coteaux bleus,
Et comme un ruban s'allonge
En minces plis onduleux. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-paysage.php | theophile-gautier-poeme-paysage |
Le retour | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Le retour
Titre : Le retour
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Poésies fugitives (1787).
Tableau X.
Cependant Valsin infidèle
Ne cessa point d'être constant ;
Justine, aussi douce que belle,
Pardonna l'erreur d'un instant.
Elle est dans les bras du coupable.
Il lui parle de ses remords ;
Par un silence favorable
Elle répond à ses transports ;
Elle sourit à sa tendresse,
Et permet tout à ses désirs :
Mais pour lui seul sont les plaisirs ;
Elle conserve sa tristesse ;
Son amour n'est plus une ivresse :
Elle abandonne ses attraits,
Mais cependant elle soupire ;
Et ses yeux alors semblaient dire :
Le charme est détruit pour jamais. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-le-retour.php | evariste-de-parny-poeme-le-retour |
Anacréon, poète | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Anacréon, poète
Titre : Anacréon, poète
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les chants du crépuscule (1836).
Anacréon, poète aux ondes érotiques
Qui filtres du sommet des sagesses antiques,
Et qu'on trouve à mi-côte alors qu'on y gravit,
Clair, à l'ombre, épandu sur l'herbe qui revit,
Tu me plais, doux poète au flot calme et limpide !
quand le sentier qui monte aux cimes est rapide,
Bien souvent, fatigués du soleil, nous aimons
Boire au petit ruisseau tamisé par les monts !
Le 21 août 1835. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-anacreon-poete.php | victor-hugo-poeme-anacreon-poete |
Idylles | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Idylles
Titre : Idylles
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
LE SÉNAT.
Vibrez, trombone et chanterelle !
Les oiseaux chantent dans les nids.
La joie est chose naturelle.
Que Magnan danse la trénis
Et Saint-Arnaud la pastourelle !
LES CAVES DE LILLE.
Miserere !
Miserere !
LE CONSEIL D'ÉTAT.
Des lampions dans les charmilles !
Des lampions dans les buissons !
Mêlez vous, sabres et mantilles !
Chantez en choeur, les beaux garçons !
Dansez en rond, les belles filles !
xxLES GRENIERS DE ROUEN.
Miserere !
Miserere !
LE CORPS LÉGISLATIF.
Jouissons ! l'amour nous réclame.
Chacun, pour devenir meilleur,
Cueille son miel, nourrit son âme,
L'abeille aux lèvres de la fleur,
Le sage aux lèvres de la femme !
xBRUXELLES, LONDRES,BELLE-ISLE, JERSEY.
Miserere !
Miserere !
L'HÔTEL DE VILLE.
L'empire se met aux croisées
Rions, jouons, soupons, dînons.
Des pétards aux Champs-Elysées !
A l'oncle il fallait des canons,
Il faut au neveu des fusées.
LES PONTONS.
Miserere !
Miserere !
L'ARMÉE.
Pas de scrupules ! pas de morgue !
A genoux ! un bedeau paraît.
Le tambour obéit à l'orgue.
Notre ardeur sort du cabaret,
Et notre gloire est à la morgue.
LAMBESSA.
Miserere !
Miserere !
LA MAGISTRATURE.
Mangeons, buvons, tout le conseille !
Heureux l'ami du raisin mûr,
Qui toujours, riant sous sa treille,
Trouve une grappe sur son mur
Et dans sa cave une bouteille !
CAYENNE.
Miserere !
Miserere !
LES ÉVÊQUES.
Jupiter l'ordonne, on révère
Le succès, sur le trône assis.
Trinquons ! Le prêtre peu sévère
Vide son âme de soucis
Et de vin vieux emplit son verre !
LE CIMETIÈRE MONTMARTRE.
Miserere !
Miserere !
Jersey, le 7 avril. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-idylles.php | victor-hugo-poeme-idylles |
À Némésis | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : À Némésis
Titre : À Némésis
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Non, sous quelque drapeau que le barde se range,
La muse sert sa gloire et non ses passions !
Non, je n'ai pas coupé les ailes de cet ange
Pour l'atteler hurlant au char des factions !
Non, je n'ai point couvert du masque populaire
Son front resplendissant des feux du saint parvis,
Ni pour fouetter et mordre, irritant sa colère,
Changé ma muse en Némésis !
D'implacables serpents je ne l'ai point coiffée ;
Je ne l'ai pas menée une verge à la main,
Injuriant la gloire avec le luth d'Orphée,
Jeter des noms en proie au vulgaire inhumain.
Prostituant ses vers aux clameurs de la rue,
Je n'ai pas arraché la prêtresse au saint lieu ;
A ses profanateurs je ne l'ai pas vendue,
Comme Sion vendit son Dieu !
Non, non : je l'ai conduite au fond des solitudes,
Comme un amant jaloux d'une chaste beauté ;
J'ai gardé ses beaux pieds des atteintes trop rudes
Dont la terre eût blessé leur tendre nudité :
J'ai couronné son front d'étoiles immortelles,
J'ai parfumé mon coeur pour lui faire un séjour,
Et je n'ai rien laissé s'abriter sous ses ailes
Que la prière et que l'amour !
L'or pur que sous mes pas semait sa main prospère
N'a point payé la vigne ou le champ du potier ;
Il n'a point engraissé les sillons de mon père
Ni les coffres jaloux d'un avide héritier :
Elle sait où du ciel ce divin denier tombe.
Tu peux sans le ternir me reprocher cet or !
D'autres bouches un jour te diront sur ma tombe
Où fut enfoui mon trésor.
Je n'ai rien demandé que des chants à sa lyre,
Des soupirs pour une ombre et des hymnes pour Dieu,
Puis, quand l'âge est venu m'enlever son délire,
J'ai dit à cette autre âme un trop précoce adieu :
"Quitte un coeur que le poids de la patrie accable !
Fuis nos villes de boue et notre âge de bruit !
Quand l'eau pure des lacs se mêle avec le sable,
Le cygne remonte et s'enfuit."
Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle,
S'il n'a l'âme et la lyre et les yeux de Néron,
Pendant que l'incendie en fleuve ardent circule
Des temples aux palais, du Cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer,
Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer !
Honte à qui peut chanter pendant que les sicaires
En secouant leur torche aiguisent leurs poignards,
Jettent les dieux proscrits aux rires populaires,
Ou traînent aux égouts les bustes des Césars !
C'est l'heure de combattre avec l'arme qui reste ;
C'est l'heure de monter au rostre ensanglanté,
Et de défendre au moins de la voix et du geste
Rome, les dieux, la liberté !
La liberté ! ce mot dans ma bouche t'outrage ?
Tu crois qu'un sang d'ilote est assez pur pour moi,
Et que Dieu de ses dons fit un digne partage,
L'esclavage pour nous, la liberté pour toi ?
Tu crois que de Séjan le dédaigneux sourire
Est un prix assez noble aux coeurs tels que le mien,
Que le ciel m'a jeté la bassesse et la lyre,
A toi l'âme du citoyen ?
Tu crois que ce saint nom qui fait vibrer la terre,
Cet éternel soupir des généreux mortels,
Entre Caton et toi doit rester un mystère ;
Que la liberté monte à ses premiers autels ?
Tu crois qu'elle rougit du chrétien qui l'épaule,
Et que nous adorons notre honte et nos fers
Si nous n'adorons pas ta liberté jalouse
Sur l'autel d'airain que tu sers ?
Détrompe-toi, poète, et permets-nous d'être hommes !
Nos mères nous ont faits tous du même limon,
La terre qui vous porte est la terre où nous sommes,
Les fibres de nos coeurs vibrent au même son !
Patrie et liberté, gloire, vertu, courage,
Quel pacte de ces biens m'a donc déshérité ?
Quel jour ai-je vendu ma part de l'héritage,
Esaü de la liberté ?
Va, n'attends pas de moi que je la sacrifie
Ni devant vos dédains ni devant le trépas !
Ton Dieu n'est pas le mien, et je m'en glorifie :
J'en adore un plus grand qui ne te maudit pas !
La liberté que j'aime est née avec notre âme,
Le jour où le plus juste a bravé le plus fort,
Le jour où Jehovah dit au fils de la femme :
" Choisis, des fers ou de la mort ! "
Que ces tyrans divers, dont la vertu se joue,
Selon l'heure et les lieux s'appellent peuple ou roi,
Déshonorent la pourpre ou salissent la boue,
La honte qui les flatte est la même pour moi !
Qu'importe sous quel pied se courbe un front d'esclave !
Le joug, d'or ou de fer, n'en est pas moins honteux !
Des rois tu l'affrontas, des tribuns je le brave :
Qui fut moins libre de nous deux ?
Fais-nous ton Dieu plus beau, si tu veux qu'on l'adore ;
Ouvre un plus large seuil à ses cultes divers !
Repousse du parvis que leur pied déshonore
La vengeance et l'injure aux portes des enfers !
Ecarte ces faux dieux de l'autel populaire,
Pour que le suppliant n'y soit pas insulté !
Sois la lyre vivante, et non pas le Cerbère
Du temple de la Liberté !
Un jour, de nobles pleurs laveront ce délire ;
Et ta main, étouffant le son qu'elle a tiré,
Plus juste arrachera des cordes de ta lyre
La corde injurieuse où la haine a vibré !
Mais moi j'aurai vidé la coupe d'amertume
Sans que ma lèvre même en garde un souvenir ;
Car mon âme est un feu qui brûle et qui parfume
Ce qu'on jette pour la ternir. | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-a-nemesis.php | alphonse-de-lamartine-poeme-a-nemesis |
Sur les débuts d'Amina Boschetti | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Sur les débuts d'Amina Boschetti
Titre : Sur les débuts d'Amina Boschetti
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les épaves (1866).
Sonnet.
Amina bondit, — fuit, — puis voltige et sourit ;
Le Welche dit : « Tout ça, pour moi, c'est du prâcrit ;
Je ne connais, en fait de nymphes bocagères,
Que celle de Montagne-aux-Herbes-potagères. »
Du bout de son pied fin et de son oeil qui rit,
Amina verse à flots le délire et l'esprit ;
Le Welche dit : « Fuyez, délices mensongères !
Mon épouse n'a pas ces allures légères. »
Vous ignorez, sylphide au jarret triomphant,
Qui voulez enseigner la valse à l'éléphant,
Au hibou la gaieté, le rire à la cigogne,
Que sur la grâce en feu le Welche dit : « Haro ! »
Et que, le doux Bacchus lui versant du bourgogne,
Le monstre répondrait : « J'aime mieux le faro ! »
Écrit en 1864. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-sur-les-debuts-d-amina-boschetti.php | charles-baudelaire-poeme-sur-les-debuts-d-amina-boschetti |
Les petites vieilles | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Les petites vieilles
Titre : Les petites vieilles
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
À Victor Hugo.
I.
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.
Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus
Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;
Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés
Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.
- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,
Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;
A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.
- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !
II.
De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,
Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !
L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !
III.
Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,
Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au coeur des citadins.
Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son oeil parfois s'ouvrait comme l'oeil d'un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !
IV.
Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au coeur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.
Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.
Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !
Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L'oeil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :
Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon coeur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !
Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ? | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-les-petites-vieilles.php | charles-baudelaire-poeme-les-petites-vieilles |
Souvenir | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Souvenir
Titre : Souvenir
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Déjà la nuit s'avance, et du sombre Orient
Ses voiles par degrés dans les airs se déploient.
Sommeil, doux abandon, image du néant,
Des maux de l'existence heureux délassement,
Tranquille oubli des soins où les hommes se noient ;
Et vous, qui nous rendez à nos plaisirs passés,
Touchante illusion, Déesse des mensonges,
Venez dans mon asile, et sur mes yeux lassés
Secouez les pavots et les aimables songes.
Voici l'heure où trompant les surveillants jaloux,
Je pressais dans mes bras ma maîtresse timide.
Voici l'alcôve sombre où d'une aile rapide
L'essain des voluptés volait au rendez-vous.
Voici le lit commode où l'heureuse licence
Remplaçait par degrés la mourante pudeur.
Importune vertu, fable de notre enfance,
Et toi, vain préjugé, fantôme de l'honneur,
Combien peu votre voix se fait entendre au cœur !
La nature aisément vous réduit au silence ;
Et vous vous dissipez au flambeau de l'amour
Comme un léger brouillard aux premiers feux du jour.
Moments délicieux, où nos baisers de flamme,
Mollement égarés, se cherchent pour s'unir !
Où de douces fureurs s'emparant de notre âme
Laissent un libre cours au bizarre désir !
Moments plus enchanteurs, mais prompts à disparaître,
Où l'esprit échauffé, les sens, et tout notre être
Semblent se concentrer pour hâter le plaisir !
Vous portez avec vous trop de fougue et d'ivresse ;
Vous fatiguez mon cœur qui ne peut vous saisir,
Et vous fuyez sur-tout avec trop de vitesse ;
Hélas ! on vous regrette, avant de vous sentir !
Mais, non ; l'instant qui suit est bien plus doux encore.
Un long calme succède au tumulte des sens ;
Le feu qui nous brûlait par degrés s'évapore ;
La volupté survit aux pénibles élans ;
Sur sa félicité l'âme appuie en silence ;
Et la réflexion, fixant la jouissance,
S'amuse à lui prêter un charme plus flatteur.
Amour, à ces plaisirs l'effort de ta puissance
Ne saurait ajouter qu'un peu plus de lenteur. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-souvenir.php | evariste-de-parny-poeme-souvenir |
Ode saphique XXXI | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Ode saphique XXXI
Titre : Ode saphique XXXI
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Mon âge et mon sang ne sont plus en vigueur,
Les ardents pensers ne m'eschauffent le cœur ;
Plus mon chef grison ne se veut enfermer
Sous le joug d'aimer.
En mon jeune avril, d'Amour je fus soudart,
Et, vaillant guerrier, portay son estendart ;
Ores à l'autel de Venus je l'appens,
Et forcé me rens.
Plus ne veux ouyr ces mots delicieux :
« Ma vie, mon sang, ma chere âme, mes yeux. »
C'est pour les amants à qui le sang plus chaud
Au cœur ne défaut.
Je veux d'autre feu ma poitrine eschaufer,
Cognoistre nature et bien philosopher,
Du monde sçavoir et des astres le cours,
Retours et destours.
Donc, sonnets, adieu ! adieu, douces chansons !
Adieu, dance ! adieu de la lyre les sons !
Adieu, traits d'Amour ! volez en autre part
Qu'au cœur de Ronsard.
Je veux estre à moy, non plus servir autruy ;
Pour autruy ne veux me donner plus d'ennuy.
Il faut essayer, sans plus me tourmenter,
De me contenter.
L'oiseau prisonnier, tant soit-il bien traité,
Sa cage rompant, cherche sa liberté :
Servage d'esprit tient de liens plus forts
Que celuy du corps.
Vostre affection m'a servy de bonheur.
D'estre aimé de vous ce m'est un grand honneur.
Tant que l'air vital en moy se respandra,
II m'en souviendra.
Plus ne veut mon âge à l'amour consentir,
Repris de nature et d'un tard repentir.
Combattre contre elle et luy estre odieux,
C'est forcer les dieux. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-ode-saphique-XXXI.php | pierre-de-ronsard-poeme-ode-saphique-XXXI |
L'adultère, celui du moins codifié | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : L'adultère, celui du moins codifié
Titre : L'adultère, celui du moins codifié
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
L'adultère, celui du moins codifié
Au mépris de l'Église et de Dieu défié,
Tout d'abord doit sembler la faute irrémissible.
Tel un trait lancé juste, ayant l'enfer pour cible !
Beaucoup de vrais croyants, questionnés ici,
Répondraient à coup sûr qu'il en retourne ainsi.
D'autre part le mondain, qui n'y voit pas un crime,
Pour qui tous mauvais tours sont des bons coups d'escrime,
Rit du procédé lourd, préférant, affrontés,
Tous risques et périls à ces légalités
Abominablement prudentes et transies
Entre ces droits divers et plusieurs fantaisies,
Enfin juge le cas boiteux, piteux, honteux.
Le Sage, de qui l'âme et l'esprit vont tous deux,
Bien équilibrés, droit, au vrai milieu des causes,
Pleure sur telle femme en route pour ces choses.
Il plaide l'ignorance, elle donc ne sachant
Que le côté naïf, c'est-à-dire méchant
Hélas ! de cette douce et misérable vie.
Elle plait et le sait, et ce qu'elle est ravie
Mais son caprice tue, elle l'ignore tant !
Elle croit que d'aimer c'est de l'argent comptant,
Non un fonds travaillant, qu'on paie et qu'on est quitte,
Que d'aimer c'est toujours « qu'arriva-t-elle ensuite »,
Non un seul vœu qui tient jusqu'à la mort de nous.
Et certes suscité, néanmoins son courroux
Gronde le seul péché, plaignant les pécheresses,
Coupables tout au plus de certaines paresses,
Et les trois quarts du temps luxurieuses point.
Bêle orgueil, intérêt mesquin, voilà le joint,
Avec d'avoir été trop ou trop peu jalouses.
Seigneur, ayez pitié des âmes, nos épouses. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-ladultere-celui-du-moins-codifie.php | paul-verlaine-poeme-ladultere-celui-du-moins-codifie |
Choses écrites à Créteil | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Choses écrites à Créteil
Titre : Choses écrites à Créteil
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Sachez qu'hier, de ma lucarne,
J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux.
Près d'un vieux pont, dans les saulées,
Elle lavait, allait, venait ;
L'aube et la brise étaient mêlées
À la grâce de son bonnet.
Je la voyais de loin. Sa mante
L'entourait de plis palpitants.
Aux folles broussailles qu'augmente
L'intempérance du printemps,
Aux buissons que le vent soulève,
Que juin et mai, frais barbouilleurs,
Foulant la cuve de la sève,
Couvrent d'une écume de fleurs,
Aux sureaux pleins de mouches sombres,
Aux genêts du bord, tous divers
Aux joncs échevelant leurs ombres
Dans la lumière des flots verts,
Elle accrochait des loques blanches,
Je ne sais quels haillons charmants
Qui me jetaient, parmi les branches,
De profonds éblouissements.
Ces nippes, dans l'aube dorée,
Semblaient, sous l'aulne et le bouleau,
Les blancs cygnes de Cythérée
Battant de l'aile au bord de l'eau.
Des cupidons, fraîche couvée,
Me montraient son pied fait au tour ;
Sa jupe semblait relevée
Par le petit doigt de l'amour.
On voyait, je vous le déclare,
Un peu plus haut que le genou.
Sous un pampre un vieux faune hilare
Murmurait tout bas : Casse-cou !
Je quittai ma chambre d'auberge,
En souriant comme un bandit ;
Et je descendis sur la berge
Qu'une herbe, glissante, verdit.
Je pris un air incendiaire
Je m'adossai contre un pilier,
Et je lui dis : « Ô lavandière !
(Blanchisseuse étant familier)
« L'oiseau gazouille, l'agneau bêle,
« Gloire à ce rivage écarté !
« Lavandière, vous êtes belle.
« Votre rire est de la clarté.
« Je suis capable de faiblesses.
« Ô lavandière, quel beau jour !
« Les fauvettes sont des drôlesses
« Qui chantent des chansons d'amour.
« Voilà six mille ans que les roses
« Conseillent, en se prodiguant,
« L'amour aux coeurs les plus moroses.
« Avril est un vieil intrigant.
« Les rois sont ceux qu'adorent celles
« Qui sont charmantes comme vous ;
« La Marne est pleine d'étincelles ;
« Femme, le ciel immense est doux.
« Ô laveuse à la taille mince
« Qui vous aime est dans un palais.
« Si vous vouliez, je serais prince ;
« Je serais dieu, si tu voulais. — »
La blanchisseuse, gaie et tendre,
Sourit, et, dans le hameau noir,
Sa mère au loin cessa d'entendre
Le bruit vertueux du battoir.
Les vieillards grondent et reprochent,
Mais, ô jeunesse ! il faut oser.
Deux sourires qui se rapprochent
Finissent par faire un baiser.
Je m'arrête. L'idylle est douce,
Mais ne veut pas, je vous le dis,
Qu'au delà du baiser on pousse
La peinture du paradis. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-choses-ecrites-a-creteil.php | victor-hugo-poeme-choses-ecrites-a-creteil |
Au statuaire David | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Au statuaire David
Titre : Au statuaire David
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
I.
DAVID ! comme un grand roi qui partage à des princes
Les états paternels provinces par provinces,
Dieu donne à chaque artiste un empire divers ;
Au poète le souffle épars dans l'univers,
La vie et la pensée et les foudres tonnantes,
Et le splendide essaim des strophes frissonnantes
Volant de l'homme à l'ange et du monstre à la fleur ;
La forme au statuaire ; au peintre la couleur ;
Au doux musicien, rêveur limpide et sombre,
Le monde obscur des sons qui murmure dans l'ombre.
La forme au statuaire ! – Oui, mais, tu le sais bien,
La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien.
Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée !
Il faut que, sous le ciel, de soleil inondée,
Debout sous les flambeaux d'un grand temple doré,
Ou seule avec la nuit dans un antre sacré,
Au fond des bois dormants comme au seuil d'un théâtre,
La figure de pierre, ou de cuivre, ou d'albâtre,
Porte divinement sur son front calme et fier
La beauté, ce rayon, la gloire, cet éclair !
Il faut qu'un souffle ardent lui gonfle la narine,
Que la force puissante emplisse sa poitrine,
Que la grâce en riant ait arrondi ses doigts,
Que sa bouche muette ait pourtant une voix !
Il faut qu'elle soit grave et pour les mains glacée,
Mais pour les yeux vivante, et, devant la pensée,
Devant le pur regard de l'âme et du ciel bleu,
Nue avec majesté comme Adam devant Dieu !
Il faut que, Vénus chaste, elle sorte de l'onde,
Semant au loin la vie et l'amour sur le monde,
Et faisant autour d'elle, en son superbe essor,
Partout où s'éparpille et tombe en gouttes d'or,
L'eau de ses longs cheveux, humide et sacré voile,
De toute herbe une fleur, de tout œil une étoile !
Il faut, si l'art chrétien anime le sculpteur,
Qu'avec le même charme elle ait plus de hauteur ;
Qu'Âme ailée, elle rie et de Satan se joue ;
Que, Martyre, elle chante à côté de la roue ;
Ou que, Vierge divine, astre du gouffre amer,
Son regard soit si doux qu'il apaise la mer !
II.
Voilà ce que tu sais, ô noble statuaire !
Toi qui dans l'art profond, comme en un sanctuaire,
Entras bien jeune encor pour n'en sortir jamais !
Esprit, qui, te posant sur les plus purs sommets
Pour créer ta grande œuvre, où sont tant d'harmonies,
Près de la flamme au front de tous les fiers génies !
Voilà ce que tu sais, toi qui sens, toi qui vois !
Maître sévère et doux qu'éclairent à la fois,
Comme un double rayon qui jette un jour étrange,
Le jeune Raphaël et le vieux Michel-Ange !
Et tu sais bien aussi quel souffle inspirateur
Parfois, comme un vent sombre, emporte le sculpteur,
Âme dans Isaïe et Phidias trempée,
De l'ode étroite et haute à l'immense épopée !
III.
Les grands hommes, héros ou penseurs, – demi-dieux ! –
Tour à tour sur le peuple ont passé radieux,
Les uns armés d'un glaive et les autres d'un livre,
Ceux-ci montrant du doigt la route qu'il faut suivre,
Ceux-là forçant la cause à sortir de l'effet ;
L'artiste ayant un rêve et le savant un fait ;
L'un a trouvé l'aimant, la presse, la boussole,
L'autre un monde où l'on va, l'autre un vers qui console ;
Ce roi, juste et profond, pour l'aider en chemin,
A pris la liberté franchement par la main ;
Ces tribuns ont forgé des freins aux républiques ;
Ce prêtre, fondateur d'hospices angéliques,
Sous son toit, que réchauffe une haleine de Dieu,
A pris l'enfant sans mère et le vieillard sans feu,
Ce mage, dont l'esprit réfléchit les étoiles,
D'Isis l'un après l'autre a levé tous les voiles ;
Ce juge, abolissant l'infâme tombereau,
A raturé le code à l'endroit du bourreau ;
Ensemençant malgré les clameurs insensées,
D'écoles les hameaux et les cœurs de pensées,
Pour nous rendre meilleurs ce vrai sage est venu ;
En de graves instant cet autre a contenu,
Sous ses puissantes mains à la foule imposées,
Le peuple, grand faiseur de couronnes brisées ;
D'autres ont traversé sur un pont chancelant,
Sur la mine qu'un fort recelait en son flanc,
Sur la brèche par où s'écroule une muraille,
Un horrible ouragan de flamme et de mitraille ;
Dans un siècle de haine, âge impie et moqueur,
Ceux-là, poètes saints, ont fait entendre en chœur,
Aux sombres nations que la discorde pousse,
Des champs et des forêts la voix auguste et douce
Car l'hymne universel éteint les passions ;
Car c'est surtout aux jours des révolutions,
Morne et brûlant désert où l'homme s'aventure,
Que l'art se désaltère à ta source, ô nature !
Tous ces hommes, cœurs purs, esprits de vérité,
Fronts où se résuma toute l'humanité,
Rêveurs ou rayonnants, sont debout dans l'histoire,
Et tous ont leur martyre auprès de leur victoire.
La vertu, c'est un livre austère et triomphant
Où tout père doit faire épeler son enfant ;
Chaque homme illustre, ayant quelque divine empreinte,
De ce grand alphabet est une lettre sainte.
Sous leurs pieds sont groupés leurs symboles sacrés,
Astres, lyres, compas, lions démesurés,
Aigles à l'œil de flamme, aux vastes envergures.
– Le sculpteur ébloui contemple ces figures ! –
Il songe à la patrie, aux tombeaux solennels,
Aux cités à remplir d'exemples éternels ;
Et voici que déjà, vision magnifique !
Mollement éclairés d'un reflet pacifique,
Grandissant hors du sol de moment en moment,
De vagues bas-reliefs chargés confusément,
Au fond de son esprit, que la pensée encombre,
Les énormes frontons apparaissent dans l'ombre !
IV.
N'est-ce pas ? c'est ainsi qu'en ton cerveau, sans bruit,
L'édifice s'ébauche et l'œuvre se construit ?
C'est là ce qui se passe en ta grande âme émue
Quand tout un panthéon ténébreux s'y remue ?
C'est ainsi, n'est-ce pas, ô maître ! que s'unit
L'homme à l'architecture et l'idée au granit ?
Oh ! qu'en ces instants-là ta fonction est haute !
Au seuil de ton fronton tu reçois comme un hôte
Ces hommes plus qu'humains. Sur un bloc de Paros
Tu t'assieds face à face avec tous ces héros
Et là, devant tes yeux qui jamais ne défaillent,
Ces ombres, qui seront bronze et marbre, tressaillent.
L'avenir est à toi, ce but de tous leurs vœux,
Et tu peux le donner, ô maître, à qui tu veux !
Toi, répandant sur tous ton équité complète,
Prêtre autant que sculpteur, juge autant que poète,
Accueillant celui-ci, rejetant celui-là,
Louant Napoléon, gourmandant Attila,
Parfois grandissant l'un par le contact de l'autre,
Dérangeant le guerrier pour mieux placer l'apôtre,
Tu fais des dieux ! – tu dis, abaissant ta hauteur,
Au pauvre vieux soldat, à l'humble vieux pasteur :
– Entrez ! je vous connais. Vos couronnes sont prêtes.
Et tu dis à des rois : – Je ne sais qui vous êtes.
V.
Car il ne suffit point d'avoir été des rois,
D'avoir porté le sceptre, et le globe, et la croix,
Pour que le fier poète et l'altier statuaire
Étoilent dans sa nuit votre drap mortuaire,
Et des hauts panthéons vous ouvrent les chemins !
C'est vous-mêmes, ô rois, qui de vos propres mains
Bâtissez sur vos noms ou la gloire ou la honte !
Ce que nous avons fait tôt ou tard nous raconte.
On peut vaincre le monde, avoir un peuple, agir
Sur un siècle, guérir sa plaie ou l'élargir, –
Lorsque vos missions seront enfin remplies,
Des choses qu'ici-bas vous aurez accomplies
Une voix sortira, voix de haine ou d'amour,
Sombre comme le bruit du verrou dans la tour,
Ou douce comme un chant dans le nid des colombes,
Qui fera remuer la pierre de vos tombes.
Cette voix, l'avenir, grave et fatal témoin,
Est d'avance penché qui l'écoute de loin.
Et là, point de caresse et point de flatterie,
Point de bouche à mentir façonnée et nourrie,
Pas d'hosanna payé, pas d'écho complaisant
Changeant la plainte amère en cri reconnaissant.
Non, les vices hideux, les trahisons, les crimes,
Comme les dévouements et les vertus sublimes,
Portent un témoignage intègre et souverain.
Les actions qu'on fait ont des lèvres d'airain.
VI.
Que sur ton atelier, maître, un rayon demeure !
Là, dans le silence, l'art, l'étude oubliant l'heure,
Dans l'ombre les essais que tu répudias,
D'un côté Jean Goujon, de l'autre Phidias,
Des pierres, de pensée à demi revêtues,
Un tumulte muet d'immobiles statues,
Les bustes méditant dans les coins assombris,
Je ne sais quelle paix qui tombe des labris,
Tout est grand, tout est beau, tout charme et tout domine.
Toi qu'à l'intérieur l'art divin illumine,
Tu regardes passer, grave et sans dire un mot,
Dans ton âme tranquille où le jour vient d'en haut,
Tous les nobles aspects de la figure humaine.
Comme dans une église à pas lents se promène
Un grand peuple pensif auquel un dieu sourit,
Ces fantômes sereins marchent dans ton esprit.
Ils errent à travers tes rêves poétiques
Faits d'ombres et de lueurs et de vagues portiques,
Parfois palais vermeil, parfois tombeau dormant,
Secrète architecture, immense entassement
Qui, jetant des rumeurs joyeuses et plaintives,
De ta grande pensée emplit les perspectives,
Car l'antique Babel n'est pas morte, et revit
Sous les front des songeurs. Dans ta tête, ô David !
La spirale se tord, le pilier se projette ;
Et dans l'obscurité de ton cerveau végète
La profonde forêt, qu'on ne voit point ailleurs,
Des chapiteaux touffus pleins d'oiseaux et de fleurs !
VII.
Maintenant, – toi qui vas hors des routes tracées,
Ô pétrisseur de bronze, ô mouleur de pensées,
Considère combien les hommes sont petits,
Et maintiens-toi superbe au-dessus des partis !
Garde la dignité de ton ciseau sublime.
Ne laisse pas toucher ton marbre par la lime
Des sombres passions qui rongent tant d'esprits.
Michel-Ange avait Rome et David a Paris.
Donne donc à ta ville, ami, ce grand exemple
Que, si les marchands vils n'entrent pas dans le temple,
Les fureurs des tribuns et leur songe abhorré
N'entrent pas dans le cœur de l'artiste sacré.
Refuse aux cours ton art, donne aux peuples tes veilles,
C'est bien, ô mon sculpteur ! mais loin de tes oreilles
Chasse ceux qui s'en vont flattant les carrefours.
Toi, dans ton atelier, tu dois rêver toujours,
Et, de tout vice humain écrasant la couleuvre,
Toi-même par degrés t'éblouir de ton œuvre !
Ce que ces hommes-là font dans l'ombre ou défont
Ne vaut pas ton regard levé vers le plafond
Cherchant la beauté pure et le grand et le juste.
Leur mission est basse et la tienne est auguste.
Et qui donc oserait mêler un seul moment
Aux mêmes visions, au même aveuglement,
Aux mêmes vœux haineux, insensés ou féroces,
Eux, esclaves des nains, toi, père des colosses !
Avril 1840. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-au-statuaire-david.php | victor-hugo-poeme-au-statuaire-david |
C'est l'extase langoureuse | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : C'est l'extase langoureuse
Titre : C'est l'extase langoureuse
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Romances sans paroles (1874).
C'est l'extase langoureuse,
C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.
Ô le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C'est la nôtre, n'est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-cest-lextase-langoureuse.php | paul-verlaine-poeme-cest-lextase-langoureuse |
Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons
Titre : Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Vous reviendrez bientôt, les bras pleins de pardons
Selon votre coutume,
Ô Pères excellents qu'aujourd'hui nous perdons
Pour comble d'amertume.
Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l'honneur,
Avec la Fleur chérie.
Et que de pleurs joyeux, et quels cris de bonheur
Dans toute la patrie !
Vous reviendrez, après ces glorieux exils,
Après des moissons d'âmes,
Après avoir prié pour ceux-ci, fussent-ils
Encore plus infâmes,
Après avoir couvert les îles et la mer
De votre ombre si douce
Et réjoui le ciel et consterné l'enfer,
Béni qui vous repousse,
Béni qui vous dépouille au cri de liberté,
Béni l'impie en armes,
Et l'enfant qu'il vous prend des bras, — et racheté
Nos crimes par vos larmes !
Proscrits des jours, vainqueurs des temps, non point adieu,
Vous êtes l'espérance.
À tantôt, Pères saints, qui nous vaudrez de Dieu
Le salut pour la France ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-vous-reviendrez-bientot-les-bras-pleins-de-pardons.php | paul-verlaine-poeme-vous-reviendrez-bientot-les-bras-pleins-de-pardons |
Le génie | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Le génie
Titre : Le génie
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
À M. de Bonald.
Ainsi, quand parmi les tempêtes,
Au sommet brûlant du Sina,
Jadis le plus grand des prophètes
Gravait les tables de Juda ;
Pendant cet entretien sublime,
Un nuage couvrait la cime
Du mont inaccessible aux yeux,
Et, tremblant aux coups du tonnerre,
Juda, couché dans la poussière,
Vit ses lois descendre des cieux.
Ainsi des sophistes célèbres
Dissipant les fausses clartés,
Tu tires du sein des ténèbres
D'éblouissantes vérités.
Ce voile qui des lois premières
Couvrait les augustes mystères,
Se déchire et tombe à ta voix ;
Et tu suis ta route assurée,
Jusqu'à cette source sacrée
Où le monde a puisé ses lois.
Assis sur la base immuable
De l'éternelle vérité,
Tu vois d'un oeil inaltérable
Les phases de l'humanité.
Secoués de leurs gonds antiques,
Les empires, les républiques
S'écroulent en débris épars ;
Tu ris des terreurs où nous sommes :
Partout où nous voyons les hommes,
Un Dieu se montre à tes regards !
En vain par quelque faux système,
Un système faux est détruit ;
Par le désordre à l'ordre même,
L'univers moral est conduit.
Et comme autour d'un astre unique,
La terre, dans sa route oblique,
Décrit sa route dans les airs ;
Ainsi, par une loi plus belle,
Ainsi la justice éternelle
Est le pivot de l'univers !
Mais quoi ! tandis que le génie
Te ravit si loin de nos yeux,
Les lâches clameurs de l'envie
Te suivent jusque dans les cieux !
Crois-moi, dédaigne d'en descendre ;
Ne t'abaisse pas pour entendre
Ces bourdonnements détracteurs.
Poursuis ta sublime carrière,
Poursuis ; le mépris du vulgaire
Est l'apanage des grands coeurs.
Objet de ses amours frivoles,
Ne l'as-tu pas vu tour à tour
Se forger de frêles idoles
Qu'il adore et brise en un jour ?
N'as-tu pas vu son inconstance
De l'héréditaire croyance
Eteindre les sacrés flambeaux ?
Brûler ce qu'adoraient ses pères,
Et donner le nom de lumières
A l'épaisse nuit des tombeaux ?
Secouant ses antiques rênes,
Mais par d'autres tyrans flatté,
Tout meurtri du poids de ses chaînes,
L'entends-tu crier : Liberté ?
Dans ses sacrilèges caprices,
Le vois-tu, donnant à ses vices
Les noms de toutes les vertus ;
Traîner Socrate aux gémonies,
Pour faire, en des temples impies,
L'apothéose d'Anitus ?
Si pour caresser sa faiblesse,
Sous tes pinceaux adulateurs,
Tu parais du nom de sagesse
Les leçons de ses corrupteurs,
Tu verrais ses mains avilies,
Arrachant des palmes flétries
De quelque front déshonoré,
Les répandre sur ton passage.
Et, changeant la gloire en outrage,
T'offrir un triomphe abhorré !
Mais loin d'abandonner la lice
Où ta jeunesse a combattu,
Tu sais que l'estime du vice
Est un outrage à la vertu !
Tu t'honores de tant de haine,
Tu plains ces faibles coeurs qu'entraîne
Le cours de leur siècle égaré ;
Et seul contre le flot rapide,
Tu marches d'un pas intrépide
Au but que la gloire a montré !
Tel un torrent, fils de l'orage,
En roulant du sommet des monts,
S'il rencontre sur son passage
Un chêne, l'orgueil des vallons ;
Il s'irrite, il écume, il gronde,
Il presse des plis de son onde
L'arbre vainement menacé ;
Mais debout parmi les ruines,
Le chêne aux profondes racines
Demeure; et le fleuve a passé !
Toi donc, des mépris de ton âge
Sans être jamais rebuté,
Retrempe ton mâle courage
Dans les flots de l'adversité !
Pour cette lutte qui s'achève,
Que la vérité soit ton glaive,
La justice ton bouclier.
Va ! dédaigne d'autres armures ;
Et si tu reçois des blessures,
Nous les couvrirons de laurier !
Vois-tu dans la carrière antique,
Autour des coursiers et des chars,
Jaillir la poussière olympique
Qui les dérobe à nos regards ?
Dans sa course ainsi le génie,
Par les nuages de l'envie
Marche longtemps environné ;
Mais au terme de la carrière,
Des flots de l'indigne poussière
Il sort vainqueur et couronné. | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-le-genie.php | alphonse-de-lamartine-poeme-le-genie |
Cette nuit-là | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Cette nuit-là
Titre : Cette nuit-là
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Cette nuit-là
Trois amis l'entouraient. C'était à l'Elysée.
On voyait du dehors luire cette croisée.
Regardant venir l'heure et l'aiguille marcher,
Il était là, pensif ; et rêvant d'attacher
Le nom de Bonaparte aux exploits de Cartouche,
Il sentait approcher son guet-apens farouche.
D'un pied distrait dans l'âtre il poussait le tison,
Et voici ce que dit l'homme de trahison :
« Cette nuit vont surgir mes projets invisibles.
Les Saint-Barthélemy sont encore possibles.
Paris dort, comme aux temps de Charles de Valois.
Vous allez dans un sac mettre toutes les lois,
Et par-dessus le pont les jeter dans la Seine. »
Ô ruffians ! bâtards de la fortune obscène,
Nés du honteux coït de l'intrigue et du sort !
Rien qu'en songeant à vous mon vers indigné sort,
Et mon coeur orageux dans ma poitrine gronde.
Comme le chêne au vent dans la forêt profonde !
Comme ils sortaient tous trois de la maison Bancal,
Morny, Maupas le grec, Saint-Arnaud le chacal,
Voyant passer ce groupe oblique et taciturne,
Les clochers de Paris, sonnant l'heure nocturne,
S'efforçaient vainement d'imiter le tocsin ;
Les pavés de Juillet criaient à l'assassin !
Tous les spectres sanglants des antiques carnages,
Réveillés, se montraient du doigt ces personnages
La Marseillaise, archange aux chants aériens,
Murmurait dans les cieux : aux armes, citoyens !
Paris dormait, hélas ! et bientôt, sur les places,
Sur les quais, les soldats, dociles populaces,
Janissaires conduits par Reibell et Sauboul,
Payés comme à Byzance, ivres comme à Stamboul,
Ceux de Dulac, et ceux de Korte et d'Espinasse,
La cartouchière au flanc et dans l'oeil la menace,
Vinrent, le régiment après le régiment,
Et le long des maisons ils passaient lentement,
A pas sourds, comme on voit les tigres dans les jongles
Qui rampent sur le ventre en allongeant leurs ongles
Et la nuit était morne, et Paris sommeillait
Comme un aigle endormi pris sous un noir filet.
Les chefs attendaient l'aube en fumant leurs cigares.
Ô cosaques ! voleurs ! chauffeurs ! routiers ! bulgares !
Ô généraux brigands ! bagne, je te les rends !
Les juges d'autrefois pour des crimes moins grands
Ont brûlé la Voisin et roué vif Desrues !
Eclairant leur affiche infâme au coin des rues
Et le lâche armement de ces filons hardis,
Le jour parut. La nuit, complice des bandits,
Prit la fuite, et, traînant à la hâte ses voiles,
Dans les plis de sa robe emporta les étoiles
Et les mille soleils dans l'ombre étincelant,
Comme les sequins d'or qu'emporte en s'en allant
Une fille, aux baisers du crime habituée,
Qui se rhabille après s'être prostituée. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-cette-nuit-la.php | victor-hugo-poeme-cette-nuit-la |
À Alfred Tattet | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À Alfred Tattet
Titre : À Alfred Tattet
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies nouvelles (1850).
Sonnet.
Qu'il est doux d'être au monde, et quel bien que la vie !
Tu le disais ce soir par un beau jour d'été.
Tu le disais, ami, dans un site enchanté,
Sur le plus vert coteau de ta forêt chérie.
Nos chevaux, au soleil, foulaient l'herbe fleurie :
Et moi, silencieux, courant à ton côté,
Je laissais au hasard flotter ma rêverie ;
Mais dans le fond du cœur je me suis répété :
Oui, la vie est un bien, la joie est une ivresse ;
Il est doux d'en user sans crainte et sans soucis ;
Il est doux de fêter les dieux de la jeunesse,
De couronner de fleurs son verre et sa maîtresse,
D'avoir vécu trente ans comme Dieu l'a permis,
Et, si jeunes encor, d'être de vieux amis.
Bury, le 10 août 1838. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-alfred-tattet.php | alfred-de-musset-poeme-a-alfred-tattet |
À Albert Mérat | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : À Albert Mérat
Titre : À Albert Mérat
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Jadis et naguère (1884).
Et nous voilà très doux à la bêtise humaine,
Lui pardonnant vraiment et même un peu touchés
De sa candeur extrême et des torts très légers,
Dans le fond, qu'elle assume et du train qu'elle mène.
Pauvres gens que les gens ! Mourir pour Célimène,
Epouser Angélique ou venir de nuit chez
Agnès et la briser, et tous les sots péchés,
Tel est l'Amour encor plus faible que la Haine !
L'Ambition, l'orgueil, des tours dont vous tombez,
Le Vin, qui vous imbibe et vous tord imbibés,
L'Argent, le Jeu, le Crime, un tas de pauvres crimes !
C'est pourquoi, mon très cher Mérat, Mérat et moi,
Nous étant dépouillés de tout banal émoi,
Vivons dans un dandysme épris des seules Rimes ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-a-albert-merat.php | paul-verlaine-poeme-a-albert-merat |
Hymne de l'enfant à son réveil | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Hymne de l'enfant à son réveil
Titre : Hymne de l'enfant à son réveil
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Ô père qu'adore mon père !
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux !
Toi, dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mère !
On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance ;
Que sous tes pieds il se balance
Comme une lampe de vermeil.
On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux dans les champs,
Et qui donne aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître !
On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare,
Et que, sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.
Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié ;
Nul insecte n'est oublié
À ce festin de la nature.
L'agneau broute le serpolet,
La chèvre s'attache au cytise,
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mon lait !
L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.
Et, pour obtenir chaque don,
Que chaque jour tu fais éclore,
À midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il ? prononcer ton nom !
Ô Dieu ! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redouté.
Un enfant même est écouté
Dans le choeur qui te glorifie !
On dit qu'il aime à recevoir
Les voeux présentés par l'enfance,
À cause de cette innocence
Que nous avons sans le savoir.
On dit que leurs humbles louanges
A son oreille montent mieux,
Que les anges peuplent les cieux,
Et que nous ressemblons aux anges !
Ah ! puisqu'il entend de si loin
Les voeux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.
Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.
Donne au malade la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
À l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.
Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur,
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse !
Que je sois bon, quoique petit,
Comme cet enfant dans le temple,
Que chaque matin je contemple,
Souriant au pied de mon lit.
Mets dans mon âme la justice,
Sur mes lèvres la vérité,
Qu'avec crainte et docilité
Ta parole en mon coeur mûrisse !
Et que ma voix s'élève à toi
Comme cette douce fumée
Que balance l'urne embaumée
Dans la main d'enfants comme moi ! | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-hymne-de-l-enfant-a-son-reveil.php | alphonse-de-lamartine-poeme-hymne-de-l-enfant-a-son-reveil |
À un poète aveugle | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À un poète aveugle
Titre : À un poète aveugle
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les contemplations (1856).
Merci, poète ! - au seuil de mes lares pieux,
Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles ;
Et l'auréole d'or de tes vers radieux
Brille autour de mon nom comme un cercle d'étoiles.
Chante ! Milton chantait ; chante ! Homère a chanté.
Le poète des sens perce la triste brume ;
L'aveugle voit dans l'ombre un monde de clarté.
Quand l'oeil du corps s'éteint, l'oeil de l'esprit s'allume.
Paris, mai 1842. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-un-poete-aveugle.php | victor-hugo-poeme-a-un-poete-aveugle |
Le pitre | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Le pitre
Titre : Le pitre
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Jadis et naguère (1884).
Le tréteau qu'un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans dédain
Les badauds piétinant devant lui dans la boue.
Le plâtre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il pérore et se tait tout soudain,
Reçoit des coups de pieds au derrière, badin,
Baise au cou sa commère énorme, et fait la roue.
Ses boniments, de coeur et d'âme approuvons-les.
Son court pourpoint de toile à fleurs et ses mollets
Tournants jusqu'à l'abus valent que l'on s'arrête.
Mais ce qu'il sied à tous d'admirer, c'est surtout
Cette perruque d'où se dresse sur la tête,
Preste, une queue avec un papillon au bout. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-le-pitre.php | paul-verlaine-poeme-le-pitre |
La voix | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : La voix
Titre : La voix
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Mon berceau s'adossait à la bibliothèque,
Babel sombre, où roman, science, fabliau,
Tout, la cendre latine et la poussière grecque,
Se mêlaient. J'étais haut comme un in-folio.
Deux voix me parlaient. L'une, insidieuse et ferme,
Disait : " La Terre est un gâteau plein de douceur ;
Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !)
Te faire un appétit d'une égale grosseur. "
Et l'autre : " Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves,
Au delà du possible, au delà du connu ! "
Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d'où venu,
Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie.
Je te répondis : " Oui ! douce voix ! " C'est d'alors
Que date ce qu'on peut, hélas ! nommer ma plaie
Et ma fatalité. Derrière les décors
De l'existence immense, au plus noir de l'abîme,
Je vois distinctement des mondes singuliers,
Et, de ma clairvoyance extatique victime,
Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.
Et c'est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,
J'aime si tendrement le désert et la mer ;
Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,
Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;
Que je prends très souvent les faits pour des mensonges,
Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.
Mais la Voix me console et dit : " Garde tes songes :
Les sages n'en ont pas d'aussi beaux que les fous ! " | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-la-voix.php | charles-baudelaire-poeme-la-voix |
Les corbeaux | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Les corbeaux
Titre : Les corbeaux
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !
Par milliers, sur les champs de France,
Où dorment des morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir !
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-les-corbeaux.php | arthur-rimbaud-poeme-les-corbeaux |
Le rebelle | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le rebelle
Titre : Le rebelle
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
Un ange furieux fond du ciel comme un aigle,
Du mécréant saisit à plein poing les cheveux,
Et dit, le secouant : " Tu connaîtras la règle !
(Car je suis ton bon Ange, entends-tu ?) Je le veux !
Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace,
Le pauvre, le méchant, le tortu, l'hébété,
Pour que tu puisses faire, à Jésus, quand il passe,
Un tapis triomphal avec ta charité.
Tel est l'Amour ! Avant que ton coeur ne se blase,
A la gloire de Dieu rallume ton extase ;
C'est la Volupté vraie aux durables appas !"
Et l'Ange, châtiant autant, ma foi ! qu'il aime,
De ses poings de géant torture l'anathème ;
Mais le damné répond toujours : " Je ne veux pas !" | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-rebelle.php | charles-baudelaire-poeme-le-rebelle |
Le flambeau vivant | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le flambeau vivant
Titre : Le flambeau vivant
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ;
Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.
Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,
Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ;
Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.
Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu'ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil
Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique ;
Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ;
Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul Soleil ne peut flétrir la flamme ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-flambeau-vivant.php | charles-baudelaire-poeme-le-flambeau-vivant |
Ballade en rêve | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Ballade en rêve
Titre : Ballade en rêve
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Au docteur Louis Jullien.
J'ai rêvé d'elle, et nous nous pardonnions
Non pas nos torts, il n'en est en amour,
Mais l'absolu de nos opinions
Et que la vie ait pour nous pris ce tour.
Simple elle était comme au temps de ma cour,
En robe grise et verte et voilà tout,
(J'aimai toujours les femmes dans ce goût),
Et son langage était sincère et coi.
Mais quel émoi de me dire au débout :
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
Elle ni moi nous ne nous résignions
À plus souffrir pas plus tard que ce jour.
Ô nous revoir encore compagnons,
Chacun étant descendu de sa tour
Pour un baiser bien payé de retour !
Le beau projet ! Et nous étions debout,
Main dans la main, avec du sang qui bout
Et chante un fier 'donec gratus'. Mais quoi ?
C'était un songe, ô tristesse et dégoût !
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi.
Et nous suivions tes luisants fanions,
Soie et satin, ô Bonheur vainqueur, pour
Jusqu'à la mort, que d'ailleurs nous niions.
J'allais par les chemins, en troubadour,
Chantant, ballant, sans craindre ce pandour
Qui vous saute à la gorge et vous découd.
Elle évoquait la chère nuit d'Août
Où son aveu bas et lent me fit roi.
Moi, j'adorais ce retour qui m'absout.
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi !
Envoi.
Princesse elle est, sans doute, à l'autre bout
Du monde où règne et persiste ma foi.
Amen, alors, puisqu'à mes dam et coût,
J'ai rêvé d'elle et pas elle de moi. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-ballade-en-reve.php | paul-verlaine-poeme-ballade-en-reve |
À Climène | Jean de La Fontaine (1621-1695) | Poésie : À Climène
Titre : À Climène
Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695)
(Nouveaux tourments d'amour.)
1671.
Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse,
Qui ne suis pas encor du naufrage essuyé,
Quitte à peine d'un voeu nouvellement payé.
Que faire ? mon destin est tel qu'il faut que j'aime
On m'a pourvu d'un coeur peu content de lui-même,
Inquiet, et fécond en nouvelles amours :
Il aime à s'engager, mais non pas pour toujours.
Si faut-il une fois brûler d'un feu durable ;
Que le succès en soit funeste ou favorable,
Qu'on me donne sujet de craindre ou d'espérer,
Perte ou gain, je me veux encore aventurer.
Si l'on ne suit l'Amour, il n'est douceur aucune :
Ce n'est point près des rois que l'on fait sa fortune ;
Quelque ingrate beauté qui nous donne des lois,
Encore en tire-t-on un souris quelquefois ;
Et, pour me rendre heureux, un souris peut suffire.
Clymène, vous pouvez me donner un empire,
Sans que vous m'accordiez qu'un regard d'un instant :
Tiendra-t-il à vos yeux que je ne sois content ?
Hélas ! qu'il est aisé de se flatter soi-même !
Je me propose un bien dont le prix est extrême,
Et ne sais seulement s'il m'est permis d'aimer.
Pourquoi non, s'il vous est permis de me charmer ?
Je verrai les Plaisirs suivre en foule vos traces,
Votre bouche sera la demeure des Grâces,
Mille dons près de vous me viendront partager ;
Et mille feux chez moi ne viendront pas loger !
Et je ne mourrai pas ! Non, Clymène, vos charmes
Ne paraîtront jamais sans me donner d'alarmes ;
Rien ne peut empêcher que je n'aime aussitôt.
Je veux brûler, languir, et mourir s'il le faut :
Votre aveu là-dessus ne m'est pas nécessaire.
Si pourtant vous aimer, Clymène, était vous plaire,
Que je serais heureux ! quelle gloire, quel bien !
Hors l'honneur d'être à vous je ne demande rien.
Consentez seulement de vous voir adorée :
Il n'est condition des mortels révérée
Qui ne me soit alors un objet de mépris.
Jupiter, s'il quittait le céleste pourpris,
Ne m'obligerait pas à lui céder ma peine.
Je suis plus satisfait de ma nouvelle chaîne
Qu'il ne l'est de sa foudre. Il peut régner là-haut :
Vous servir ici-bas c'est tout ce qu'il me faut.
Pour me récompenser, avouez-moi pour vôtre ;
Et, si le Sort voulait me donner à quelque autre,
Dites : < Je le réclame ; il vit dessous ma loi
Je vous en avertis, cet esclave est à moi ;
Du pouvoir de mes traits son coeur porte la marque,
N'y touchez point. " Alors je me croirai monarque.
J'en sais de bien traités, d'autres il en est peu :
Je serai plus roi qu'eux après un tel aveu.
Daignez donc approuver les transports de mon zèle ;
Il vous sera permis après d'être cruelle.
De ma part, le respect et les soumissions,
Les soins, toujours enfants des fortes passions,
Les craintes, les soucis, les fréquentes alarmes,
L'ordinaire tribut des soupirs et des larmes,
Et, si vous le voulez, mes langueurs, mon trépas,
Clymène, tous ces biens ne vous manqueront pas. | https://www.poesie-francaise.fr/jean-de-la-fontaine/poeme-a-climene.php | jean-de-la-fontaine-poeme-a-climene |
À mes amis S.-B. et L.B | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À mes amis S.-B. et L.B
Titre : À mes amis S.-B. et L.B
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Buen viage !
GOYA.
Amis, mes deux amis, mon peintre, mon poète !
Vous me manquez toujours, et mon âme inquiète
Vous redemande ici.
Des deux amis, si chers à ma lyre engourdie,
Pas un ne m'est resté. Je t'en veux, Normandie,
De me les prendre ainsi !
Ils emportent en eux toute ma poésie ;
L'un, avec son doux luth de miel et d'ambroisie,
L'autre avec ses pinceaux.
Peinture et poésie où s'abreuvait ma muse,
Adieu votre onde !
Adieu l'Alphée et l'Aréthuse
Dont je mêlais les eaux !
Adieu surtout ces coeurs et ces âmes si hautes,
Dont toujours j'ai trouvé pour mes maux et mes fautes
Si tendre la pitié !
Adieu toute la joie à leur commerce unie !
Car tous deux, ô douceur ! si divers de génie,
Ont la même amitié !
Je crois d'ici les voir, le poète et le peintre.
Ils s'en vont, raisonnant de l'ogive et du cintre
Devant un vieux portail ;
Ou, soudain, à loisir, changeant de fantaisie,
Poursuivent un oeil noir dessous la jalousie,
À travers l'éventail.
Oh ! de la jeune fille et du vieux monastère,
Toi, peins-nous la beauté, toi, dis-nous le mystère.
Charmez-nous tour à tour.
À travers le blanc voile et la muraille grise
Votre oeil, ô mes amis, sait voir Dieu dans l'église,
Dans la femme l'amour !
Marchez, frères jumeaux, l'artiste avec l'apôtre !
L'un nous peint l'univers que nous explique l'autre ;
Car, pour notre bonheur,
Chacun de vous sur terre a sa part qu'il réclame.
À toi, peintre, le monde ! à toi, poète, l'âme !
À tous deux le Seigneur !
Mai 1830. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-mes-amis-S.-B.-et-L.B.php | victor-hugo-poeme-a-mes-amis-S.-B.-et-L.B |
Il faut tout perdre | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Il faut tout perdre
Titre : Il faut tout perdre
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Élégie VII.
Il faut tout perdre, il faut vous obéir.
Je vous les rends ces lettres indiscrètes,
De votre cœur éloquents interprètes,
Et que le mien eût voulu retenir ;
Je vous les rends. Vos yeux à chaque page
Reconnaîtront l'amour et son langage,
Nos doux projets, vos serments oubliés,
Et tous mes droits par vous sacrifiés.
C'était trop peu, cruelle Éléonore,
De m'arracher ces traces d'un amour
Payé par moi d'un éternel retour ;
Vous ordonnez que je vous rende encore
Ces traits chéris, dont l'aspect enchanteur
Adoucissait et trompait ma douleur.
Pourquoi chercher une excuse inutile,
En reprenant ces gages adorés
Qu'aux plus grands biens j'ai toujours préférés ?
De vos rigueurs le prétexte est futile.
Non, la prudence et le devoir jaloux
N'exigent pas ce double sacrifice.
Mais ces écrits qu'un sentiment propice
Vous inspira dans des moments plus doux,
Mais ce portrait, ce prix de ma constance,
Que sur mon cœur attacha votre main,
En le trompant, consolaient mon chagrin :
Et vous craignez d'adoucir ma souffrance ;
Et vous voulez que mes yeux désormais
Ne puissent plus s'ouvrir sur vos attraits,
Et vous voulez, pour combler ma disgrâce,
De mon bonheur ôter jusqu'à la trace.
Ah ! j'obéis, je vous rends vos bienfaits.
Un seul me reste, il me reste à jamais.
Oui, malgré vous, qui causez ma faiblesse,
Oui, malgré moi, ce cœur infortuné
Retient encore et gardera sans cesse
Le fol amour que vous m'avez donné. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-il-faut-tout-perdre.php | evariste-de-parny-poeme-il-faut-tout-perdre |
Pour veiner de son front la pâleur | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Pour veiner de son front la pâleur
Titre : Pour veiner de son front la pâleur
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : La comédie de la mort (1838).
Pour veiner de son front la pâleur délicate,
Le Japon a donné son plus limpide azur ;
La blanche porcelaine est d'un blanc bien moins pur
Que son col transparent et ses tempes d'agate ;
Dans sa prunelle humide un doux rayon éclate ;
Le chant du rossignol près de sa voix est dur,
Et, quand elle se lève à notre ciel obscur,
On dirait de la lune en sa robe d'ouate ;
Ses yeux d'argent bruni roulent moelleusement ;
Le caprice a taillé son petit nez charmant ;
Sa bouche a des rougeurs de pêche et de framboise ;
Ses mouvements sont pleins d'une grâce chinoise,
Et près d'elle on respire autour de sa beauté
Quelque chose de doux comme l'odeur du thé. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-pour-veiner-de-son-front-la-paleur.php | theophile-gautier-poeme-pour-veiner-de-son-front-la-paleur |
Dévotions | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Dévotions
Titre : Dévotions
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Sécheresse maligne et coupable langueur,
Il n'est remède encore à vos tristesses noires
Que telles dévotions surérogatoires,
Comme des mois de Marie et du Sacré-Cœur,
Éclat et parfum purs de fleurs rouges et bleues,
Par quoi l'âme qu'endeuille un ennui morfondu,
Tout soudain s'éveille à l'enthousiasme dû
Et sent ressusciter ses allégresses feues
Cantiques frais et blancs de vierges comme aux temps
Premiers, quand les chrétiens étaient toute innocence,
Hymnes brûlants d'une théologie intense
Dans la sanglante ardeur des cierges palpitants ;
Comme le chemin de la Croix, baisers et larmes,
Argent et neige et noir d'or des Vendredis Saints,
Lent cortège à genoux dans la paix des tocsins,
Stabats sévères indiciblement aux si doux charmes,
Et la dévotion, aussi, du chapelet,
Grains enflammés de chaste délire où s'embrase
L'ennui souvent, où parfois l'excès de l'extase
Se consumait au feu des Ave qui roulait ;
Et celle enfin des saints locaux, Martin de France,
Et Geneviève de Paris, saints du pays
Et des villes et des villages, obéis
Et vénérés avec chacun son espérance
Et son exemple et son précepte bien donné,
Ses miracles ! — mœurs plus intimes du culte,
Eh oui, c'est encor vous, en dépit de l'insulte,
Qui nous sauvez, peut-être, à tel moment donné. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-devotions.php | paul-verlaine-poeme-devotions |
Saint Benoit-Joseph Labre | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Saint Benoit-Joseph Labre
Titre : Saint Benoit-Joseph Labre
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Amour (1888).
Jour de la canonisation
Comme l'Église est bonne en ce siècle de haine,
D'orgueil et d'avarice et de tous les péchés,
D'exalter aujourd'hui le caché des cachés,
Le doux entre les doux à l'ignorance humaine
Et le mortifié sans pair que la Foi mène,
Saignant de pénitence et blanc d'extase, chez
Les peuples et les saints, qui, tous sens détachés,
Fit de la Pauvreté son épouse et sa reine,
Comme un autre Alexis, comme un autre François,
Et fut le Pauvre affreux, angélique, à la fois
Pratiquant la douceur, l'horreur de l'Évangile !
Et pour ainsi montrer au monde qu'il a tort
Et que les pieds crus d'or et d'argent sont d'argile,
Comme l'Église est tendre et que Jésus est fort ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-saint-benoit-joseph-labre.php | paul-verlaine-poeme-saint-benoit-joseph-labre |
À Georges | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À Georges
Titre : À Georges
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Mon doux Georges, viens voir une ménagerie
Quelconque, chez Buffon, au cirque, n'importe où ;
Sans sortir de Lutèce allons en Assyrie,
Et sans quitter Paris partons pour Tombouctou.
Viens voir les léopards de Tyr, les gypaètes,
L'ours grondant, le boa formidable sans bruit,
Le zèbre, le chacal, l'once, et ces deux poètes,
L'aigle ivre de soleil, le vautour plein de nuit.
Viens contempler le lynx sagace, l'amphisbène
À qui Job comparait son faux ami Sepher,
Et l'obscur tigre noir, dont le masque d'ébène
A deux trous flamboyants par où l'on voit l'enfer.
Voir de près l'oiseau fauve et le frisson des ailes,
C'est charmant ; nous aurons, sous de très sûrs abris,
Le spectacle des loups, des jaguars, des gazelles,
Et l'éblouissement divin des colibris.
Sortons du bruit humain. Viens au jardin des plantes.
Penchons-nous, à travers l'ombre où nous étouffons
Sur les douleurs d'en bas, vaguement appelantes,
Et sur les pas confus des inconnus profonds.
L'animal, c'est de l'ombre errant dans les ténèbres ;
On ne sait s'il écoute, on ne sait s'il entend ;
Il a des cris hagards, il a des yeux funèbres ;
Une affirmation sublime en sort pourtant.
Nous qui régnons, combien de choses inutiles
Nous disons, sans savoir le mal que nous faisons !
Quand la vérité vient, nous lui sommes hostiles,
Et contre la raison nous avons des raisons.
Corbière à la tribune et Frayssinous en chaire
Sont fort inférieurs à la bête des bois ;
L'âme dans la forêt songe et se laisse faire ;
Je doute dans un temple, et sur un mont je crois.
Dieu par les voix de l'ombre obscurément se nomme ;
Nul Quirinal ne vaut le fauve Pélion ;
Il est bon, quand on vient d'entendre parler l'homme,
D'aller entendre un peu rugir le grand lion. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-georges.php | victor-hugo-poeme-a-georges |
Effet de nuit | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Effet de nuit
Titre : Effet de nuit
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Poèmes saturniens (1866).
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette
De flèches et de tours à jour la silhouette
D'une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l'air noir des gigues nonpareilles,
Tandis, que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d'épine épars, et quelques houx
Dressant l'horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
Sur le fuligineux fouillis d'un fond d'ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contresens des lances de l'averse. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-effet-de-nuit.php | paul-verlaine-poeme-effet-de-nuit |
Idolâtries et Philosophies | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Idolâtries et Philosophies
Titre : Idolâtries et Philosophies
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
La philosophie ose escalader le ciel.
Triste, elle est là. Qui donc t'a bâtie, ô Babel ?
Oh ! Quel monceau d'efforts sans but ! Quelles spirales
De songes, de leçons, de dogmes, de morales !
Ruche qu'emplit de bruit et de trouble un amas
De mages, de docteurs, de papes, de lamas !
Masure où l'hypothèse aux fictions s'adosse,
Ayant pour toit la nuit et pour cave la fosse ;
Bleus portiques béants sur les immensités,
De tous les tourbillons des rêves visités ;
Vain fronton que le poids de l'infini déprime,
Espèce de clocher sinistre de l'abîme
Où bourdonnent l'effroi, la révolte, et l'essaim
De toutes les erreurs sonnant leur noir tocsin !
Et, comme, de lueurs confusément semées,
Par les brèches d'un toit s'exhalent des fumées,
Les doctrines, les lois et les religions,
Ce qu'aujourd'hui l'on croit, ce qu'hier nous songions,
Tout ce qu'inventa l'homme, autel, culte ou système,
Par tous les soupiraux de l'édifice blême,
À travers la noirceur du ciel morne et profond,
Toutes les visions du genre humain s'en vont,
Éparses, en lambeaux, par les vents dénouées,
Dans un dégorgement livide de nuées.
Temple, atelier, tombeau, l'édifice fait peur.
On veut prendre une pierre, on touche une vapeur.
Nul n'a pu l'achever. Pas de cycle ni d'âge
Qui n'ait mis son échelle au sombre échafaudage.
Qui donc habite là ? C'est tombé, c'est debout ;
C'est de l'énormité qui tremble et se dissout ;
Une maison de nuit que le vide dilate.
Pyrrhon y verse l'eau sur les mains de Pilate ;
Le doute y rôde et fait le tour du cabanon
Où Descartes dit oui pendant qu'Hobbes dit non ;
Les générations sous le gouffre des portes
Roulent, comme, l'hiver, des tas de feuilles mortes ;
Les escaliers, sans fin montés et descendus,
Sont pleins de cris, d'appels, de pas sourds et perdus
Et d'un fourmillement de chimères rampantes ;
Des oiseaux effrayants volent dans les charpentes ;
C'est Bouddha, Mahomet, Luther disant : allez !
Lucrèce, Spinosa, tous les noirs sphinx ailés !
Tout l'homme est sculpté là. Socrate, Pythagore,
Malebranche, Thalès, Platon aux yeux d'aurore,
Combinent l'idéal pendant que Swift, Timon,
Ésope et Rabelais pétrissent le limon.
Est-il jour ? Est-il nuit ? Dans l'affreux crépuscule
Le rhéteur grimaçant ricane et gesticule ;
On ne sait quel reflet d'un funèbre orient
Blanchit les torses nus des cyniques riant,
Et des sages, jetant des ombres de satyres ;
Le devin rêve et tord dans les cordes des lyres
Le laurier vert mêlé de smilax éternel.
Chaque porche entr'ouvert découvre un noir tunnel
Dont l'extrémité montre une idéale étoile ;
Comme si, — Tu le sais, Isis au triple voile, —
Ces antres de science et ces puits de raison,
Souterrains de l'esprit humain, sans horizon,
Sans air, sans flamme, ayant le doute pour pilastre,
Employaient de la nuit à faire éclore un astre,
Et le mensonge impur, difforme, illimité,
Vaste, aveugle, à bâtir la blanche vérité !
Partout au vrai le faux, lierre hideux, s'enlace ;
Pas de dogme qui n'ait son point faible, et ne lasse
Une cariatide, un support, un étai ;
Thèbe a pour appui l'Inde, et l'Inde le Cathay ;
Memphis pèse sur Delphe, et Genève sur Rome ;
Et, végétation du sombre esprit de l'homme,
On voit, courbés d'un souffle à de certains moments,
Croître entre les créneaux des hauts entablements
Des arbres monstrueux et vagues dont les tiges
Frissonnent dans l'azur lugubre des vertiges.
Et de ces arbres noirs par instants tombe un fruit
À la foule des mains ouvertes dans la nuit ;
Quel fruit ? Demande au vent qui hurle et se déchaîne !
Quel fruit ? Le fruit d'erreur. Quel fruit ? Le fruit de haine ;
La pomme d'Ève avec la pomme de Vénus.
Ô tour ! Construction des maçons inconnus !
Elle monte, elle monte, et monte, et monte encore,
Encore, et l'on dirait que le ciel la dévore ;
Et tandis que tout sage ou fou qui passe met
Une pierre de plus à son brumeux sommet,
Sans cesse par la base elle croule et s'effondre
Dans l'ombre où Satan vient avec Dieu se confondre ;
Gouffre où l'on n'entend rien que le vent qui poursuit
Ces deux larves au fond d'un tremblement de nuit ! | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-idolatries-et-philosophies.php | victor-hugo-poeme-idolatries-et-philosophies |
Espoir en dieu | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Espoir en dieu
Titre : Espoir en dieu
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les chants du crépuscule (1836).
Espère, enfant ! demain ! et puis demain encore !
Et puis toujours demain ! croyons dans l'avenir.
Espère ! et chaque fois que se lève l'aurore,
Soyons là pour prier comme Dieu pour bénir !
Nos fautes, mon pauvre ange, ont causé nos souffrances.
Peut-être qu'en restant bien longtemps à genoux,
Quand il aura béni toutes les innocences,
Puis tous les repentirs, Dieu finira par nous !
Octobre 18... | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-espoir-en-dieu.php | victor-hugo-poeme-espoir-en-dieu |
Le meilleur moment des amours | René-François Sully Prudhomme (1839-1907) | Poésie : Le meilleur moment des amours
Titre : Le meilleur moment des amours
Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Recueil : Stances et poèmes (1865).
Le meilleur moment des amours
N'est pas quand on a dit : « Je t'aime. »
Il est dans le silence même
À demi rompu tous les jours ;
Il est dans les intelligences
Promptes et furtives des cœurs ;
Il est dans les feintes rigueurs
Et les secrètes indulgences ;
Il est dans le frisson du bras
Où se pose la main qui tremble,
Dans la page qu'on tourne ensemble
Et que pourtant on ne lit pas.
Heure unique où la bouche close
Par sa pudeur seule en dit tant ;
Où le cœur s'ouvre en éclatant
Tout bas, comme un bouton de rose ;
Où le parfum seul des cheveux
Parait une faveur conquise !
Heure de la tendresse exquise
Où les respects sont des aveux. | https://www.poesie-francaise.fr/rene-francois-sully-prudhomme/poeme-le-meilleur-moment-des-amours.php | rene-francois-sully-prudhomme-poeme-le-meilleur-moment-des-amours |
La mort | Anatole France (1844-1924) | Poésie : La mort
Titre : La mort
Poète : Anatole France (1844-1924)
Recueil : Les poèmes dorés (1873).
Sonnet.
Si la vierge vers toi jette sous les ramures
Le rire par sa mère à ses lèvres appris ;
Si, tiède dans son corps dont elle sait le prix,
Le désir a gonflé ses formes demi-mûres ;
Le soir, dans la forêt pleine de frais murmures,
Si, méditant d'unir vos chairs et vos esprits,
Vous mêlez, de sang jeune et de baisers fleuris,
Vos lèvres, en jouant, teintes du suc des mûres ;
Si le besoin d'aimer vous caresse et vous mord,
Amants, c'est que déjà plane sur vous la Mort :
Son aiguillon fait seul d'un couple un dieu qui crée.
Le sein d'un immortel ne saurait s'embraser.
Louez, vierges, amants, louez la Mort sacrée,
Puisque vous lui devez l'ivresse du baiser. | https://www.poesie-francaise.fr/anatole-france/poeme-la-mort.php | anatole-france-poeme-la-mort |
Milly ou la terre natale (II) | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Milly ou la terre natale (II)
Titre : Milly ou la terre natale (II)
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père,
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère,
Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés
Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés,
Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire,
De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire,
Et, plein du grand combat qu'il avait combattu,
En racontant sa vie enseignait la vertu !
Voilà la place vide où ma mère à toute heure
Au plus léger soupir sortait de sa demeure,
Et, nous faisant porter ou la laine ou le pain,
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim ;
Voilà les toits de chaume où sa main attentive
Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive,
Ouvrait près du chevet des vieillards expirants
Ce livre où l'espérance est permise aux mourants,
Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée,
Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée,
Et tenant par la main les plus jeunes de nous,
A la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux,
Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières :
Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières !
Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait,
La branche du figuier que sa main abaissait,
Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore
Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore,
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur !
C'est ici que sa voix pieuse et solennelle
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle,
Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé,
La grappe distillant son breuvage embaumé,
La génisse en lait pur changeant le suc des plantes,
Le rocher qui s'entr'ouvre aux sources ruisselantes,
La laine des brebis dérobée aux rameaux
Servant à tapisser les doux nids des oiseaux,
Et le soleil exact à ses douze demeures,
Partageant aux climats les saisons et les heures,
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter,
Mondes où la pensée ose à peine monter,
Nous enseignait la foi par la reconnaissance,
Et faisait admirer à notre simple enfance
Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux !
Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies,
Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries.
Là, mes soeurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux !
Là, guidant les bergers aux sommets des collines,
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines,
Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer,
Passaient heure après heure à les voir ondoyer.
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide,
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort
Des brises dont mon âme a retenu l'accord.
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme,
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cime,
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux
Submergeaient lentement nos barques de roseaux,
Le chêne, le rocher, le moulin monotone,
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne,
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards,
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards !
Tout est encor debout; tout renaît à sa place :
De nos pas sur le sable on suit encor la trace ;
Rien ne manque à ces lieux qu'un coeur pour en jouir,
Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir.
La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire,
Loin du champ paternel les enfants et la mère,
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers !
Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ;
Bientôt peut-être... ! écarte, ô mon Dieu ! ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l'or à la main, s'emparer de ces lieux
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux,
Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après ! | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-milly-ou-la-terre-natale-II.php | alphonse-de-lamartine-poeme-milly-ou-la-terre-natale-II |
L'immortalité | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : L'immortalité
Titre : L'immortalité
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore,
Sur nos fronts languissants à peine il jette encore
Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit ;
L'ombre croit, le jour meurt, tout s'efface et tout fuit !
Qu'un autre à cet aspect frissonne et s'attendrisse,
Qu'il recule en tremblant des bords du précipice,
Qu'il ne puisse de loin entendre sans frémir
Le triste chant des morts tout prêt à retentir,
Les soupirs étouffés d'une amante ou d'un frère
Suspendus sur les bords de son lit funéraire,
Ou l'airain gémissant, dont les sons éperdus
Annoncent aux mortels qu'un malheureux n'est plus !
Je te salue, ô mort ! Libérateur céleste,
Tu ne m'apparais point sous cet aspect funeste
Que t'a prêté longtemps l'épouvante ou l'erreur ;
Ton bras n'est point armé d'un glaive destructeur,
Ton front n'est point cruel, ton oeil n'est point perfide,
Au secours des douleurs un Dieu clément te guide ;
Tu n'anéantis pas, tu délivres! ta main,
Céleste messager, porte un flambeau divin ;
Quand mon oeil fatigué se ferme à la lumière,
Tu viens d'un jour plus pur inonder ma paupière ;
Et l'espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,
Appuyé sur la foi, m'ouvre un monde plus beau !
Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles,
Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes,
Que tardes-tu? Parais ; que je m'élance enfin
Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin !
Qui m'en a détaché ? qui suis-je, et que dois-je être ?
Je meurs et ne sais pas ce que c'est que de naître.
Toi, qu'en vain j'interroge, esprit, hôte inconnu,
Avant de m'animer, quel ciel habitais-tu ?
Quel pouvoir t'a jeté sur ce globe fragile ?
Quelle main t'enferma dans ta prison d'argile ?
Par quels noeuds étonnants, par quels secrets rapports
Le corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ?
Quel jour séparera l'âme de la matière ?
Pour quel nouveau palais quitteras-tu la terre ?
As-tu tout oublié ? Par-delà le tombeau,
Vas-tu renaître encor dans un oubli nouveau ?
Vas-tu recommencer une semblable vie ?
Ou dans le sein de Dieu, ta source et ta patrie,
Affranchi pour jamais de tes liens mortels,
Vas-tu jouir enfin de tes droits éternels ?
Oui, tel est mon espoir, ô moitié de ma vie !
C'est par lui que déjà mon âme raffermie
A pu voir sans effroi sur tes traits enchanteurs
Se faner du printemps les brillantes couleurs.
C'est par lui que percé du trait qui me déchire,
Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire,
Et que des pleurs de joie à nos derniers adieux,
A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.
" Vain espoir ! " s'écriera le troupeau d'Epicure,
Et celui dont la main disséquant la nature,
Dans un coin du cerveau nouvellement décrit,
Voit penser la matière et végéter l'esprit ;
Insensé ! diront-ils, que trop d'orgueil abuse,
Regarde autour de toi : tout commence et tout s'use,
Tout marche vers un terme, et tout naît pour mourir ;
Dans ces prés jaunissants tu vois la fleur languir ;
Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbe
Sous le poids de ses ans tomber, ramper sous l'herbe ;
Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir ;
Les cieux même, les cieux commencent à pâlir ;
Cet astre dont le temps a caché la naissance,
Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,
Et dans les cieux déserts les mortels éperdus
Le chercheront un jour et ne le verront plus !
Tu vois autour de toi dans la nature entière
Les siècles entasser poussière sur poussière,
Et le temps, d'un seul pas confondant ton orgueil,
De tout ce qu'il produit devenir le cercueil.
Et l'homme, et l'homme seul, ô sublime folie !
Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,
Et dans le tourbillon au néant emporté.
Abattu par le temps, rêve l'éternité !
Qu'un autre vous réponde, ô sages de la terre !
Laissez-moi mon erreur : j'aime, il faut que j'espère ;
Notre faible raison se trouble et se confond.
Oui, la raison se tait : mais l'Instinct vous répond.
Pour moi, quand je verrais dans les célestes plaines,
Les astres, s'écartant de leurs routes certaines,
Dans les champs de l'éther l'un par l'autre heurtés,
Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;
Quand j'entendrais gémir et se briser la terre ;
Quand je verrais son globe errant et solitaire
Flottant loin des soleils, pleurant l'homme détruit,
Se perdre dans les champs de l'éternelle nuit ;
Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres,
Entouré du chaos, de la mort, des ténèbres,
Seul je serais debout : seul, malgré mon effroi,
Etre infaillible et bon, j'espérerais en toi,
Et, certain du retour de l'éternelle aurore,
Sur les mondes détruits, je t'attendrais encore !
Souvent, tu t'en souviens, dans cet heureux séjour
Où naquit d'un regard notre immortel amour,
Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques,
Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques,
Sur l'aile du désir, loin du monde emportés,
Je plongeais avec toi dans ces obscurités.
Les ombres à longs plis descendant des montagnes,
Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes
Mais bientôt s'avançant sans éclat et sans bruit
Le choeur mystérieux des astres de la nuit,
Nous rendant les objets voilés à notre vue,
De ses molles lueurs revêtait l'étendue ;
Telle, en nos temples saints par le jour éclairés,
Quand les rayons du soir pâlissent par degrés,
La lampe, répandant sa pieuse lumière,
D'un jour plus recueilli remplit le sanctuaire.
Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeux,
Et des cieux à la terre, et de la terre aux cieux ;
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
L'esprit te voit partout quand notre oeil la contemple ;
De tes perfections, qu'il cherche à concevoir,
Ce monde est le reflet, l'image, le miroir ;
Le jour est ton regard, la beauté ton sourire
Partout le coeur t'adore et l'âme te respire ;
Eternel, infini, tout-puissant et tout bon,
Ces vastes attributs n'achèvent pas ton nom ;
Et l'esprit, accablé sous ta sublime essence,
Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.
Et cependant, ô Dieu! par sa sublime loi,
Cet esprit abattu s'élance encore à toi,
Et sentant que l'amour est la fin de son être,
Impatient d'aimer, brûle de te connaître.
Tu disais : et nos coeurs unissaient leurs soupirs
Vers cet être inconnu qu'attestaient nos désirs ;
A genoux devant lui, l'aimant dans ses ouvrages,
Et l'aurore et le soir lui portaient nos hommages,
Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tour
La terre notre exil, et le ciel son séjour.
Ah! si dans ces instants où l'âme fugitive
S'élance et veut briser le sein qui la captive,
Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos voeux,
D'un trait libérateur nous eût frappés tous deux !
Nos âmes, d'un seul bond remontant vers leur source,
Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course
A travers l'infini, sur l'aile de l'amour,
Elles auraient monté comme un rayon du jour,
Et, jusqu'à Dieu lui-même arrivant éperdues,
Se seraient dans son sein pour jamais confondues !
Ces voeux nous trompaient-ils? Au néant destinés,
Est-ce pour le néant que les êtres sont nés ?
Partageant le destin du corps qui la recèle,
Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle ?
Tombe-t-elle en poussière ? ou, prête à s'envoler,
Comme un son qui n'est plus va-t-elle s'exhaler ?
Après un vain soupir, après l'adieu suprême
De tout ce qui t'aimait, n'est - il plus rien qui t'aime ?
Ah ! sur ce grand secret n'interroge que toi !
Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi ! | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-l-immortalite.php | alphonse-de-lamartine-poeme-l-immortalite |
Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin
Titre : Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Amours diverses (1578).
Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin,
Canal à tirer sang, qui voletant en presse
Sifles d'un son aigu, ne picque ma Maistresse,
Et la laisse dormir du soir jusqu'au matin.
Si ton corps d'un atome, et ton nez de mastin
Cherche tant à picquer la peau d'une Deesse,
En lieu d'elle, Cusin, la mienne je te laisse :
Succe la, que mon sang te soit comme un butin.
Cusin, je m'en desdy : hume moy de la belle
Le sang, et m'en apporte une goutte nouvelle
Pour gouster quel il est. Ha, que le sort fatal
Ne permet à mon corps de prendre ton essence !
Repicquant ses beaux yeux, elle auroit cognoissance
Qu'un rien qu'on ne voit pas, fait souvent un grand mal. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-cusin-monstre-a-double-aile-au-mufle-elephantin.php | pierre-de-ronsard-poeme-cusin-monstre-a-double-aile-au-mufle-elephantin |
Le lézard | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Le lézard
Titre : Le lézard
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
(Le lézard sur les ruines de Rome.)
Un jour, seul dans le Colisée,
Ruine de l'orgueil romain,
Sur l'herbe de sang arrosée
Je m'assis, Tacite à la main.
Je lisais les crimes de Rome,
Et l'empire à l'encan vendu,
Et, pour élever un seul homme,
L'univers si bas descendu.
Je voyais la plèbe idolâtre,
Saluant les triomphateurs,
Baigner ses yeux sur le théâtre
Dans le sang des gladiateurs.
Sur la muraille qui l'incruste,
Je recomposais lentement
Les lettres du nom de l'Auguste
Qui dédia le monument.
J'en épelais le premier signe :
Mais, déconcertant mes regards,
Un lézard dormait sur la ligne
Où brillait le nom des Césars.
Seul héritier des sept collines,
Seul habitant de ces débris,
Il remplaçait sous ces ruines
Le grand flot des peuples taris.
Sorti des fentes des murailles,
Il venait, de froid engourdi,
Réchauffer ses vertes écailles
Au contact du bronze attiédi.
Consul, César, maître du monde,
Pontife, Auguste, égal aux dieux,
L'ombre de ce reptile immonde
Éclipsait ta gloire à mes yeux !
La nature a son ironie
Le livre échappa de ma main.
Ô Tacite, tout ton génie
Raille moins fort l'orgueil humain ! | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-le-lezard.php | alphonse-de-lamartine-poeme-le-lezard |
Écrit sur la première page d'un Pétrarque | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Écrit sur la première page d'un Pétrarque
Titre : Écrit sur la première page d'un Pétrarque
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Quand d'une aube d'amour mon âme se colore,
Quand je sens ma pensée, ô chaste amant de Laure,
Loin du souffle glacé d'un vulgaire moqueur,
Eclore feuille à feuille au plus profond du cœur,
Je prends ton livre saint qu'un feu céleste embrase,
Où si souvent murmure à côté de l'extase
La résignation au sourire fatal,
Ton beau livre, où l'on voit, comme un flot de cristal
Qui sur un sable d'or coule à sa fantaisie,
Tant d'amour ruisseler sur tant de poésie !
Je viens à ta fontaine, ô maître ! et je relis
Tes vers mystérieux par la grâce amollis,
Doux trésor, fleur d'amour qui, dans les bois recluse,
Laisse après cinq cents ans sont odeur à Vaucluse !
Et tandis que je lis, rêvant, presque priant,
Celui qui me verrait me verrait souriant,
Car, loin des bruits du monde et des sombres orgies,
Tes pudiques chansons, tes nobles élégies,
Vierges au doux profil, sœurs au regard d'azur,
Passent devant mes yeux, portant sur leur front pur,
Dans les sonnets sculptés, comme dans des amphores,
Ton beau style, étoilé de fraîches métaphores !
Le 14 octobre 1835. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-ecrit-sur-la-premiere-page-d-un-petrarque.php | victor-hugo-poeme-ecrit-sur-la-premiere-page-d-un-petrarque |
Chanson (Les châtiments, I) | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Chanson (Les châtiments, I)
Titre : Chanson (Les châtiments, I)
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Courtisans ! attablés dans la splendide orgie,
La bouche par le rire et la soif élargie,
Vous célébrez César, très bon, très grand, très pur ;
Vous buvez, apostats à tout ce qu'on révère,
Le chypre à pleine coupe et la honte à plein verre... —
Mangez, moi je préfère,
Vérité, ton pain dur.
Boursier qui tonds le peuple, usurier qui le triches,
Gais soupeurs de Chevet, ventrus, coquins et riches,
Amis de Fould le juif et de Maupas le grec,
Laissez le pauvre en pleurs sous la porte cochère,
Engraissez-vous, vivez, et faites bonne chère... —
Mangez, moi je préfère,
Probité, ton pain sec.
L'opprobre est une lèpre et le crime une dartre.
Soldats qui revenez du boulevard Montmartre,
Le vin, au sang mêlé, jaillit sur vos habits ;
Chantez : la table emplit l'Ecole militaire,
Le festin fume, on trinque, on boit, on roule à terre... —
Mangez, moi je préfère,
Ô gloire, ton pain bis.
Ô peuple des faubourgs, je vous ai vu sublime.
Aujourd'hui vous avez, serf grisé par le crime,
Plus d'argent dans la poche, au cœur moins de fierté.
On va, chaîne au cou, rire et boire à la barrière.
Et vive l'empereur ! et vive le salaire !... —
Mangez, moi je préfère,
Ton pain noir, Liberté
Jersey, décembre 1852. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-chanson-les-chatiments.php | victor-hugo-poeme-chanson-les-chatiments |
Odelette à une jeune maîtresse | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Odelette à une jeune maîtresse
Titre : Odelette à une jeune maîtresse
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Les Odes (1550-1552).
Pourquoi, comme une jeune Poutre,
De travers guignes-tu vers moi ?
Pourquoi, farouche, fuis-tu outre,
Quand je veux approcher de toi ?
Tu ne veux pas que l'on te touche,
Mais si je t'avais sous ma main,
Assure-toi que dans la bouche
Bientôt je t'aurais mis le frein.
Puis, te voltant à toute bride,
Soudain je te ferais au cours,
Et te piquant, serais ton guide
Dans la carrière des Amours.
Mais par l'herbe tu ne fais ore
Que suivre des prés la fraîcheur,
Parce que tu n'as point encore
Trouvé quelque bon chevaucheur. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-odelette-a-sa-jeune-maitresse.php | pierre-de-ronsard-poeme-odelette-a-sa-jeune-maitresse |
À la France | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À la France
Titre : À la France
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Personne pour toi. Tous sont d'accord. Celui-ci,
Nommé Gladstone, dit à tes bourreaux : merci !
Cet autre, nommé Grant, te conspue, et cet autre,
Nommé Bancroft, t'outrage ; ici c'est un apôtre,
Là c'est un soldat, là c'est un juge, un tribun,
Un prêtre, l'un du Nord, l'autre du Sud ; pas un
Que ton sang, à grands flots versé, ne satisfasse ;
Pas un qui sur ta croix ne te crache à la face.
Hélas ! qu'as-tu donc fait aux nations ? Tu vins
Vers celles qui pleuraient, avec ces mots divins :
Joie et Paix ! - Tu criais : - Espérance ! Allégresse !
Sois puissante, Amérique, et toi sois libre, ô Grèce !
L'Italie était grande ; elle doit l'être encor.
Je le veux ! - Tu donnas à celle-ci ton or ;
A celle-là ton sang, à toutes la lumière.
Tu défendis le droit des hommes, coutumière
De tous les dévouements et de tous les devoirs.
Comme le boeuf revient repu des abreuvoirs,
Les hommes sont rentrés pas à pas à l'étable,
Rassasiés de toi, grande soeur redoutable,
De toi qui protégeas, de toi qui combattis.
Ah ! se montrer ingrats, c'est se prouver petits.
N'importe ! pas un d'eux ne te connaît. Leur foule
T'a huée, à cette heure où ta grandeur s'écroule,
Riant de chaque coup de marteau qui tombait
Sur toi, nue et sanglante et clouée au gibet.
Leur pitié plaint tes fils que la fortune amère
Condamne à la rougeur de t'avouer pour mère.
Tu ne peux pas mourir, c'est le regret qu'on a.
Tu penches dans la nuit ton front qui rayonna ;
L'aigle de l'ombre est là qui te mange le foie ;
C'est à qui reniera la vaincue ; et la joie
Des rois pillards, pareils aux bandits des Adrets,
Charme l'Europe et plaît au monde... - Ah ! je voudrais,
Je voudrais n'être pas Français pour pouvoir dire
Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre,
Je te proclame, toi que ronge le vautour,
Ma patrie et ma gloire et mon unique amour ! | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-la-france.php | victor-hugo-poeme-a-la-france |
À sa maîtresse | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : À sa maîtresse
Titre : À sa maîtresse
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
La lune est coutumière
De naître tous les mois :
Mais quand notre lumière
Est éteinte une fois,
Sans nos yeux réveiller,
Faut longtemps sommeiller.
Tandis que vivons ores,
Un baiser donnez-moi,
Donnez-m'en mille encore,
Amour n'a point de loi :
A sa divinité
Convient l'infinité.
En vous baisant, Maîtresse,
Vous m'avez entamé
La langue chanteresse
De votre nom aimé.
Quoi ! est-ce là le prix
Du travail qu'elle a pris ?
Elle, par qui vous êtes
Déesse entre les Dieux,
Qui vos beautés parfaites
Célébrait jusqu'aux Cieux,
Ne faisant l'air, sinon
Bruire de votre nom ?
De votre belle face,
Le beau logis d'Amour,
Où Vénus et la Grâce
Ont choisi leur séjour,
Et de votre œil qui fait
Le soleil moins parfait ;
De votre sein d'ivoire
Par deux ondes secous (1)
Elle chantait la gloire,
Ne chantant rien que vous :
Maintenant en saignant,
De vous se va plaignant.
Las ! de petite chose
Je me plains sans raison,
Non de la plaie enclose
Au cœur sans guérison,
Que l'Archerocux
M'y tira de vos yeux.
1. Secous : Secoué. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-a-sa-maitresse.php | pierre-de-ronsard-poeme-a-sa-maitresse |
Prologue d'un livre | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Prologue d'un livre
Titre : Prologue d'un livre
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
PROLOGUE D'UN LIVRE DONT IL NE PARAITRA
QUE LES EXTRAITS CI-APRÈS.
Ce n'est pas de ces dieux foudroyés.
Ce n'est pas encore une infortune
Poétique autant qu'inopportune,
Lecteur de bon sens, ne fuyez !
On sait trop tout le prix du malheur
Pour le perdre en disert gaspillage.
Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge,
Ni le vrai mal secret de mon cœur.
Et de ce que ces vers maladifs
Furent faits en prison, pour tout dire,
On ne va pas crier au martyre.
Que Dieu vous garde des expansifs !
On vous donne un livre fait ainsi.
Prenez-le pour ce qu'il vaut en somme.
C'est l'ægri somnium d'un brave homme
Étonné de se trouver ici.
On y met, avec la « bonne foy »,
L'orthographe à peu près qu'on possède
Regrettant de n'avoir à son aide
Que ce prestige d'être bien soi.
Vous lirez ce libelle tel quel,
Tout ainsi que vous feriez d'un autre.
Ce vœu bien modeste est le seul nôtre.
N'étant guère après tout criminel.
Un mot encor, car je vous dois
Quelque lueur en définitive
Concernant la chose qui m'arrive :
Je compte parmi les maladroits.
J'ai perdu ma vie, et je sais bien
Que tout blâme sur moi s'en va fondre ;
A cela je ne puis que répondre
Que je suis vraiment né Saturnien. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-prologue-dun-livre.php | paul-verlaine-poeme-prologue-dun-livre |
Ô Fontaine Bellerie | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Ô Fontaine Bellerie
Titre : Ô Fontaine Bellerie
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Ô fontaine Bellerie,
Belle fontaine chérie
De nos Nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le Satyreau,
Qui les pourchasse à la course
Jusqu'au bord de ton ruisseau.
Tu es la Nymphe éternelle
De ma terre paternelle :
Pour ce, en ce pré verdelet
Vois ton Poète qui t'orne
D'un petit chevreau de lait,
A qui l'une et l'autre corne
Sortent du front nouvelet.
L'Été, je dors ou repose
Sur ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules verts,
Je ne sais quoi, qui ta gloire
Enverra par l'Univers,
Commandant à la Mémoire
Que tu vives par mes vers.
L'ardeur de la Canicule
Ton vert rivage ne brûle,
Tellement qu'en toutes parts
Ton ombre est épaisse et drue
Aux pasteurs venants des parcs,
Aux bœufs las de la charrue,
Et au bestial épars.
Ô ! tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moi célébrant le conduit
Du rocher percé, qui darde,
Avec un enroué bruit,
L'eau de ta source jazarde
Qui trépidante se suit. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-a-la-fontaine-bellerie.php | pierre-de-ronsard-poeme-a-la-fontaine-bellerie |
Child wife | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Child wife
Titre : Child wife
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Romances sans paroles (1874).
Vous n'avez rien compris à ma simplicité,
Rien, ô ma pauvre enfant !
Et c'est avec un front éventé, dépité
Que vous fuyez devant.
Vos yeux qui ne devaient refléter que douceur,
Pauvre cher bleu miroir
Ont pris un ton de fiel, ô lamentable soeur,
Qui nous fait mal à voir.
Et vous gesticulez avec vos petits bras
Comme un héros méchant,
En poussant d'aigres cris poitrinaires, hélas !
Vous qui n'étiez que chant !
Car vous avez eu peur de l'orage et du coeur
Qui grondait et sifflait,
Et vous bêlâtes vers votre mère - ô douleur ! -
Comme un triste agnelet.
Et vous n'aurez pas su la lumière et l'honneur
D'un amour brave et fort,
Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,
Jeune jusqu'à la mort ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-child-wife.php | paul-verlaine-poeme-child-wife |
La petite fleur rose | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : La petite fleur rose
Titre : La petite fleur rose
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Du haut de la montagne,
Près de Guadarrama,
On découvre l'Espagne
Comme un panorama.
A l'horizon sans borne
Le grave Escurial
Lève son dôme morne,
Noir de l'ennui royal ;
Et l'on voit dans l'estompe
Du brouillard cotonneux,
Si loin que l'oeil s'y trompe,
Madrid, point lumineux !
La montagne est si haute,
Que ses flancs de granit
N'ont que l'aigle pour hôte,
Pour maison que son nid ;
Car l'hiver pâle assiège
Les pics étincelants,
Tout argentés de neige,
Comme des vieillards blancs.
J'aime leur crête pure,
Même aux tièdes saisons
D'une froide guipure
Bordant les horizons ;
Les nuages sublimes,
Ainsi que d'un turban
Chaperonnant leurs cimes
De pluie et d'ouragan ;
Le pin, dont les racines,
Comme de fortes mains,
Déchirent les ravines
Sur le flanc des chemins,
Et l'eau diamantée
Qui, sous l'herbe courant,
D'un caillou tourmentée,
Chuchote un nom bien grand !
Mais, avant toute chose,
J'aime, au coeur du rocher,
La petite fleur rose,
La fleur qu'il faut chercher ! | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-la-petite-rose.php | theophile-gautier-poeme-la-petite-rose |
Saint Graal | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Saint Graal
Titre : Saint Graal
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
A Léon Bloy
Parfois je sens, mourant des temps où nous vivons,
Mon immense douleur s'enivrer d'espérance.
En vain l'heure honteuse ouvre des trous profonds,
En vain bâillent sous nous les désastres sans fonds
Pour engloutir l'abus de notre âpre souffrance,
Le sang de Jésus-Christ ruisselle sur France.
Le précieux Sang coule à flots de ses autels
Non encor renversés, et coulerait encore
Le fussent-ils, et quand nos malheurs seraient tels
Que les plus forts, cédant à ces effrois mortels,
Eux-mêmes subiraient la loi qui déshonore,
De l'ombre des cachots il jaillirait encore.
Il coulerait encor des pierres des cachots,
Descellerait l'horreur des ciments, doux et rouge
Suintement, torrent patient d'oraisons,
D'expiation forte et de bonnes raisons
Contre les lâchetés et les « feux sur qui bouge ! »
Et toute guillotine et cette Gueuse rouge !...
Torrent d'amour du Dieu d'amour et de douceur,
Fût-ce parmi l'horreur de ce monde moqueur,
Fleuve rafraîchissant de feu qui désaltère,
Source vive où s'en vient ressusciter le cœur
Même de l'assassin, même de l'adultère,
Salut de la patrie, ô sang qui désaltère ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-saint-graal.php | paul-verlaine-poeme-saint-graal |
Exil | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Exil
Titre : Exil
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881).
Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
Hélas !
Si je pouvais, - mais, ô mon père,
O ma mère, je ne peux pas,
Prendre pour chevet votre pierre,
Hélas !
Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
Hélas !
Si je pouvais, ô ma colombe,
Et toi, mère, qui t'envolas,
M'agenouiller sur votre tombe,
Hélas !
Oh ! vers l'étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
Hélas !
Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j'écoute le glas ;
Je voudrais fuir, mais je demeure,
Hélas !
Pourtant le sort, caché dans l'ombre,
Se trompe si, comptant mes pas,
Il croit que le vieux marcheur sombre
Est las. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-exil.php | victor-hugo-poeme-exil |
La servante au grand coeur | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : La servante au grand coeur
Titre : La servante au grand coeur
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,
Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,
Son vent mélancolique à l'entour de leurs marbres,
Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,
A dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,
Tandis que, dévorés de noires songeries,
Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,
Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,
Ils sentent s'égoutter les neiges de l'hiver
Et le siècle couler, sans qu'amis ni famille
Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.
Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,
Calme, dans le fauteuil, je la voyais s'asseoir,
Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l'enfant grandi de son oeil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ? | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-la-servante-au-grand-coeur.php | charles-baudelaire-poeme-la-servante-au-grand-coeur |
Tu fus souvent cruelle | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Tu fus souvent cruelle
Titre : Tu fus souvent cruelle
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Odes en son honneur (1893).
Tu fus souvent cruelle,
Même injuste parfois,
Mais que fait, ô ma belle,
Puisqu'en toi seule crois
Et puisque suis ta chose.
Que tu me trompes avec Pierre,
Louis, et cœtera punctum,
Je sais, mais, là ! n'en ai que faire :
Ne suis que l'humble factotum
De ton humeur gaie ou morose.
S'il arrive que tu me battes,
Soufflettes, égratignes, tu
Es le maître dans nos pénates,
Et moi le cocu, le battu,
Suis content et vois tout en rose.
Et puis dame j'opine
Qu'à me voir ainsi si
Tien, finiras, divine
Par m'aimoter ainsi
Qu'on s'attache à sa chose. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-tu-fus-souvent-cruelle.php | paul-verlaine-poeme-tu-fus-souvent-cruelle |
Fadaises | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Fadaises
Titre : Fadaises
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Daignez souffrir qu'à vos genoux, Madame,
Mon pauvre cœur vous explique sa flamme.
Je vous adore autant et plus que Dieu,
Et rien jamais n'éteindra ce beau feu.
Votre regard, profond et rempli d'ombre,
Me fait joyeux, s'il brille, et sinon, sombre.
Quand vous passez, je baise le chemin,
Et vous tenez mon cœur dans votre main.
Seule, en son nid, pleure la tourterelle.
Las, je suis seul et je pleure comme elle.
L'aube, au matin ressuscite les fleurs,
Et votre vue apaise les douleurs.
Disparaissez, toute floraison cesse,
Et, loin de vous, s'établit la tristesse.
Apparaissez, la verdure et les fleurs
Aux prés, aux bois, diaprent leurs couleurs.
Si vous voulez, Madame et bien-aimée,
Si tu voulais, sous la verte ramée,
Nous en aller, bras dessus, bras dessous,
Dieu ! Quels baisers ! Et quels propos de fous !
Mais non ! Toujours vous vous montrez revêche,
Et cependant je brûle et me dessèche,
Et le désir me talonne et me mord,
Car je vous aime, ô Madame la Mort ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-fadaises.php | paul-verlaine-poeme-fadaises |
Parfums, couleurs, systèmes, lois | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Parfums, couleurs, systèmes, lois
Titre : Parfums, couleurs, systèmes, lois
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Sagesse (1881).
Parfums, couleurs, systèmes, lois !
Les mots ont peur comme des poules.
La chair sanglote sur la croix.
Pied, c'est du rêve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.
Cieux bruns où nagent nos desseins,
Fleurs qui n'êtes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l'oeillade de tes seins,
Nuit câline aux frais traversins,
Qu'est-ce que c'est que ce délice,
Qu'est-ce que c'est que ce supplice,
Nous les damnés et vous les Saints ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-parfums-couleurs-systemes-lois.php | paul-verlaine-poeme-parfums-couleurs-systemes-lois |