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Chemise de femme, armure ad hoc
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Chemise de femme, armure ad hoc Titre : Chemise de femme, armure ad hoc Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Chemise de femme, armure ad hoc Pour les chers combats et le gai choc, Avec, si frais et que blancs et gras, Sortant tout nus, joyeux, les deux bras, Vêtement suprême, De mode toujours, C'est toi seul que j'aime De tous ses atours. Quand Elle s'en vient devers le lit, L'orgueil des beaux seins cambrés emplit Et bombe le linge tout parfumé Du seul vrai parfum, son corps pâmé. Vêtement suprême, De mode toujours, C'est toi seul que j'aime De tous ses atours. Quand elle entre dans le lit, c'est mieux Encor : sous ma main le précieux Trésor de sa croupe frémit dans Les plis de batiste redondants. Vêtement suprême, De mode toujours, C'est toi seul que j'aime De tous ses atours. Mais lorsqu'elle a pris place à côté De moi, l'humble serf de sa beauté, Il est divin et mieux mon bonheur À bousculer le linge et l'honneur ! Vêtement suprême. De mode toujours. C'est toi seul que j'aime De tous ses atours.
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À ma fille
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À ma fille Titre : À ma fille Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ô mon enfant, tu vois, je me soumets. Fais comme moi : vis du monde éloignée ; Heureuse ? non ; triomphante ? jamais. -- Résignée ! -- Sois bonne et douce, et lève un front pieux. Comme le jour dans les cieux met sa flamme, Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux Mets ton âme ! Nul n'est heureux et nul n'est triomphant. L'heure est pour tous une chose incomplète ; L'heure est une ombre, et notre vie, enfant, En est faite. Oui, de leur sort tous les hommes sont las. Pour être heureux, à tous, -- destin morose ! Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas ! Peu de chose. Ce peu de chose est ce que, pour sa part, Dans l'univers chacun cherche et désire : Un mot, un nom, un peu d'or, un regard, Un sourire ! La gaîté manque au grand roi sans amours ; La goutte d'eau manque au désert immense. L'homme est un puits où le vide toujours Recommence. Vois ces penseurs que nous divinisons, Vois ces héros dont les fronts nous dominent, Noms dont toujours nos sombres horizons S'illuminent ! Après avoir, comme fait un flambeau, Ébloui tout de leurs rayons sans nombre, Ils sont allés chercher dans le tombeau Un peu d'ombre. Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs, Prend en pitié nos jours vains et sonores. Chaque matin, il baigne de ses pleurs Nos aurores. Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas, Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes ; Une loi sort des choses d'ici-bas, Et des hommes ! Cette loi sainte, il faut s'y conformer. Et la voici, toute âme y peut atteindre : Ne rien haïr, mon enfant ; tout aimer, Ou tout plaindre ! Paris, octobre 1842.
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Cauchemar
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Cauchemar Titre : Cauchemar Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Avec ses nerfs rompus, une main écorchée, Qui marche sans le corps dont elle est arrachée, Crispe ses doigts crochus armés d'ongles de fer Pour me saisir ; des feux pareils aux feux d'enfer Se croisent devant moi ; dans l'ombre, des yeux fauves Rayonnent ; des vautours, à cous rouges et chauves, Battent mon front de l'aile en poussant des cris sourds ; En vain pour me sauver je lève mes pieds lourds, Des flots de plomb fondu subitement les baignent, À des pointes d'acier ils se heurtent et saignent, Meurtris et disloqués ; et mon dos cependant, Ruisselant de sueur, frissonne au souffle ardent De naseaux enflammés, de gueules haletantes : Les voilà, les voilà ! dans mes chairs palpitantes Je sens des becs d'oiseaux avides se plonger, Fouiller profondément, jusqu'aux os me ronger, Et puis des dents de loups et de serpents qui mordent Comme une scie aiguë, et des pinces qui tordent ; Ensuite le sol manque à mes pas chancelants : Un gouffre me reçoit ; sur des rochers brûlants, Sur des pics anguleux que la lune reflète, Tremblant, je roule, roule, et j'arrive squelette. Dans un marais de sang ; bientôt, spectres hideux, Des morts au teint bleuâtre en sortent deux à deux, Et, se penchant vers moi, m'apprennent les mystères Que le trépas révèle aux pâles feudataires De son empire ; alors, étrange enchantement, Ce qui fut moi s'envole, et passe lentement À travers un brouillard couvrant les flèches grêles D'une église gothique aux moresques dentelles. Déchirant une proie enlevée au tombeau, En me voyant venir, tout joyeux, un corbeau Croasse, et, s'envolant aux steppes de l'Ukraine, Par un pouvoir magique à sa suite m'entraîne, Et j'aperçois bientôt, non loin d'un vieux manoir, À l'angle d'un taillis, surgir un gibet noir Soutenant un pendu ; d'effroyables sorcières Dansent autour, et moi, de fureurs carnassières Agité, je ressens un immense désir De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir, Avec quelque lambeau de sa peau bleue et verte, Son cœur demi-pourri dans sa poitrine ouverte.
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Sed non satiata
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Sed non satiata Titre : Sed non satiata Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Bizarre déité, brune comme les nuits, Au parfum mélangé de musc et de havane, Oeuvre de quelque obi, le Faust de la savane, Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits, Je préfère au constance, à l'opium, aux nuits, L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ; Quand vers toi mes désirs partent en caravane, Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis. Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme, Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ; Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois, Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine, Pour briser ton courage et te mettre aux abois, Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !
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Crépuscule
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Crépuscule Titre : Crépuscule Poète : Victor Hugo (1802-1885) L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires, Frisonne ; au fond du bois la clairière apparaît ; Les arbres sont profonds et les branches sont noires ; Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ? Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ? Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ? Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ; L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants. Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ? Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs. Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ; Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs. Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie, Ô couples qui passez sous le vert coudrier. Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie, On emporta d'amour, on l'emploie à prier. Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles. Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau. Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles, Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau. La forme d'un toit noir dessine une chaumière ; On entend dans les prés le pas lourd du faucheur ; L'étoile aux cieux, ainsi qu'une fleur de lumière, Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur. Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont mûres. L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents, Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, Les prières des morts aux baisers des vivants. Chelles, août 18...
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Pour être en vain tes beaux soleils aimant
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Pour être en vain tes beaux soleils aimant Titre : Pour être en vain tes beaux soleils aimant Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Pour être en vain tes beaux soleils aimant, Non pour ravir leur divine étincelle, Contre le roc de ta rigueur cruelle Amour m'attache à mille clous d'aimant. En lieu d'un aigle, un soin cruellement, Souillant sa griffe en ma plaie éternelle, Ronge mon cœur, et si ce Dieu n'appelle Ma dame, afin d'adoucir mon tourment. Mais de cent maux et de cent que j'endure Fiché, cloué dessus ta rigueur dure, Le plus cruel me serait le plus doux, Si j'espérais, après un long espace, Venir à moi l'Hercule de ta grâce, Pour délacer le moindre de mes nouds.
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Albertus (XLI)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (XLI) Titre : Albertus (XLI) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Seul un homme debout auprès d'une colonne, Théophile Gautier. Seul un homme debout auprès d'une colonne, Sans que ce grand fracas le dérange ou l'étonne, A la scène oubliée attachant son regard, Dans une extase sainte enivre ses oreilles. De ces accords profonds, de ces hautes merveilles Qui font luire ton nom entre tous, - ô Mozart ! - Ton génie avait pris le sien, et de ses ailes Le poussait par delà les sphères éternelles. L'heure, le lieu, le monde, il ne savait plus rien, Il s'était fait musique, et son coeur en mesure Palpitait et chantait avec une voix pure, Et lui seul te comprenait bien.
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La prière
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : La prière Titre : La prière Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire, Descend avec lenteur de son char de victoire. Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux, Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue. Comme une lampe d'or, dans l'azur suspendue, La lune se balance aux bords de l'horizon ; Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon, Et le voile des nuits sur les monts se déplie : C'est l'heure où la nature, un moment recueillie, Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit, S'élève au Créateur du jour et de la nuit, Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage, De la création le magnifique hommage. Voilà le sacrifice immense, universel ! L'univers est le temple, et la terre est l'autel ; Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre, Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre, Dans la voûte d'azur avec ordre semés, Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés : Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore, Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore, Dans les plaines de l'air, repliant mollement, Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament, Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore. Mais ce temple est sans voix. Où sont les saints concerts ? D'où s'élèvera l'hymne au roi de l'univers ? Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence. La voix de l'univers, c'est mon intelligence. Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent, Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant ; Et, donnant un langage à toute créature, Prête pour l'adorer mon âme à la nature. Seul, invoquant ici son regard paternel, Je remplis le désert du nom de I'Eternel ; Et celui qui, du sein de sa gloire infinie, Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie, Ecoute aussi la voix de mon humble raison, Qui contemple sa gloire et murmure son nom. Salut, principe et fin de toi-même et du monde, Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde ; Ame de l'univers, Dieu, père, créateur, Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur ; Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole, Je lis au front des cieux mon glorieux symbole. L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur, La terre ta bonté, les astres ta splendeur. Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage ; L'univers tout entier réfléchit ton image, Et mon âme à son tour réfléchit l'univers. Ma pensée, embrassant tes attributs divers, Partout autour de soi te découvre et t'adore, Se contemple soi-même et t'y découvre encore Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux, Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux. C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême ; Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime ; Mon âme est un rayon de lumière et d'amour Qui, du foyer divin, détaché pour un jour, De désirs dévorants loin de toi consumée, Brûle de remonter à sa source enflammée. Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi. Ce monde qui te cache est transparent pour moi ; C'est toi que je découvre au fond de la nature, C'est toi que je bénis dans toute créature. Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts ; Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs, Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore, Et sème sur les monts les perles de l'aurore, Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour, S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour : Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière, M'inonde de chaleur, de vie et de lumière, Dans ses puissants rayons, qui raniment mes sens, Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens ; Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles, Sur le monde endormi jette ses sombres voiles, Seul, au sein du désert et de l'obscurité, Méditant de la nuit la douce majesté, Enveloppé de calme, et d'ombre, et de silence, Mon âme, de plus près, adore ta présence ; D'un jour intérieur je me sens éclairer, Et j'entends une voix qui me dit d'espérer. Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence : Partout à pleines mains prodiguant l'existence, Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts. Je te vois en tous lieux conserver et produire ; Celui qui peut créer dédaigne de détruire. Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté J'attends le jour sans fin de l'immortalité. La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres, Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres. C'est le dernier degré qui m'approche de toi, C'est le voile qui tombe entre ta face et moi. Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore ; Ou, si, dans tes secrets tu le retiens encore, Entends du haut du ciel le cri de mes besoins ; L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins, Des dons de ta bonté soutiens mon indigence, Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance ; Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens Et, comme le soleil aspire la rosée, Dans ton sein, à jamais, absorbe ma pensée.
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Le bateau ivre
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Le bateau ivre Titre : Le bateau ivre Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J'étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, Je courus ! Et les Péninsules démarrées N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots ! Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres, L'eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème De la Mer, infusé d'astres, et lactescent, Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend ; Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rhythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l'amour ! Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes Et les ressacs et les courants : je sais le soir, L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir ! J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques, Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs, La circulation des sèves inouïes, Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries Hystériques, la houle à l'assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux ! J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan ! Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces, Et les lointains vers les gouffres cataractant ! Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises ! Échouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums ! J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants. - Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants. Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux... Presque île, ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds. Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir, à reculons ! Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ; Libre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d'azur ; Qui courais, taché de lunules électriques, Planche folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ; Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais, Fileur éternel des immobilités bleues, Je regrette l'Europe aux anciens parapets ! J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur : - Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles, Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ? Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Toute lune est atroce et tout soleil amer : L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes. Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer ! Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Noire et froide où vers le crépuscule embaumé Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai. Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
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Béatrix Donato
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Béatrix Donato Titre : Béatrix Donato Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Béatrix Donato fut le doux nom de celle Dont la forme terrestre eut ce divin contour. Dans sa blanche poitrine était un coeur fidèle, Et dans son corps sans tache un esprit sans détour. Le fils du Titien, pour la rendre immortelle, Fit ce portrait, témoin d'un mutuel amour ; Puis il cessa de peindre à compter de ce jour, Ne voulant de sa main illustrer d'autre qu'elle. Passant, qui que tu sois, si ton coeur sait aimer, Regarde ma maîtresse avant de me blâmer, Et dis si, par hasard, la tienne est aussi belle. Vois donc combien c'est peu que la gloire ici-bas, Puisque tout beau qu'il est, ce portrait ne vaut pas (Crois-m'en sur ma parole) un baiser du modèle.
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J'ai laissé de mon sein de neige
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : J'ai laissé de mon sein de neige Titre : J'ai laissé de mon sein de neige Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). J'ai laissé de mon sein de neige Tomber un oeillet rouge à l'eau. Hélas ! comment le reprendrai-je Mouillé par l'onde du ruisseau ? Voilà le courant qui l'entraîne ! Bel oeillet aux vives couleurs, Pourquoi tomber dans la fontaine ? Pour t'arroser j'avais mes pleurs !
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À un homme partant pour la chasse
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À un homme partant pour la chasse Titre : À un homme partant pour la chasse Poète : Victor Hugo (1802-1885) Oui, l'homme est responsable et rendra compte un jour. Sur cette terre où l'ombre et l'aurore ont leur tour, Sois l'intendant de Dieu, mais l'intendant honnête. Tremble de tout abus de pouvoir sur la bête. Te figures-tu donc être un tel but final Que tu puisses sans peur devenir infernal, Vorace, sensuel, voluptueux, féroce, Échiner le baudet, exténuer la rosse, En lui crevant les yeux engraisser l'ortolan, Et massacrer les bois trois ou quatre fois l'an ? Ce gai chasseur, armant son fusil ou son piège, Confine à l'assassin et touche au sacrilège. Penser, voilà ton but ; vivre, voilà ton droit. Tuer pour jouir, non. Crois-tu donc que ce soit Pour donner meilleur goût à la caille rôtie Que le soleil ajoute une aigrette à l'ortie, Peint la mûre, ou rougit la graine du sorbier ? Dieu qui fait les oiseaux ne fait pas le gibier.
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Les papillons
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les papillons Titre : Les papillons Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Les papillons couleur de neige Volent par essaims sur la mer ; Beaux papillons blancs, quand pourrai-je Prendre le bleu chemin de l'air ? Savez-vous, ô belle des belles, Ma bayadère aux yeux de jais, S'ils me pouvaient prêter leurs ailes, Dites, savez-vous où j'irais ? Sans prendre un seul baiser aux roses, À travers vallons et forêts, J'irais à vos lèvres mi-closes, Fleur de mon âme, et j'y mourrais.
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Dans l'interminable ennui de la plaine
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Dans l'interminable ennui de la plaine Titre : Dans l'interminable ennui de la plaine Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Dans l'interminable Ennui de la plaine La neige incertaine Luit comme du sable. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune. On croirait voir vivre Et mourir la lune. Comme les nuées Flottent gris les chênes Des forêts prochaines Parmi les buées. Le ciel est de cuivre Sans lueur aucune. On croirait voir vivre Et mourir la Lune. Corneille poussive Et vous, les loups maigres, Par ces bises aigres Quoi donc vous arrive ? Dans l'interminable Ennui de la plaine La neige incertaine Luit comme du sable.
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Se voir le plus possible
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Se voir le plus possible Titre : Se voir le plus possible Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Se voir le plus possible et s'aimer seulement, Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge, Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge, Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ; Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge, Faire de son amour un jour au lieu d'un songe, Et dans cette clarté respirer librement Ainsi respirait Laure et chantait son amant. Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême, Cest vous, la tête en fleurs, qu'on croirait sans souci, C'est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi. Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème, Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci : Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime.
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alfred-de-musset-poeme-se-voir-le-plus-possible
Adieu
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Adieu Titre : Adieu Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Oui, j'ai quitté ce port tranquille, Ce port si longtemps appelé, Où loin des ennuis de la ville, Dans un loisir doux et facile, Sans bruit mes jours auraient coulé. J'ai quitté l'obscure vallée, Le toit champêtre d'un ami ; Loin des bocages de Bissy, Ma muse, à regret exilée, S'éloigne triste et désolée Du séjour qu'elle avait choisi. Nous n'irons plus dans les prairies, Au premier rayon du matin, Egarer, d'un pas incertain, Nos poétiques rêveries. Nous ne verrons plus le soleil, Du haut des cimes d'Italie Précipitant son char vermeil, Semblable au père de la vie, Rendre à la nature assoupie Le premier éclat du réveil. Nous ne goûterons plus votre ombre, Vieux pins, l'honneur de ces forêts, Vous n'entendrez plus nos secrets ; Sous cette grotte humide et sombre Nous ne chercherons plus le frais, Et le soir, au temple rustique, Quand la cloche mélancolique Appellera tout le hameau, Nous n'irons plus, à la prière, Nous courber sur la simple pierre Qui couvre un rustique tombeau. Adieu, vallons; adieu, bocages ; Lac azuré, rochers sauvages, Bois touffus, tranquille séjour, Séjour des heureux et des sages, Je vous ai quittés sans retour. Déjà ma barque fugitive Au souffle des zéphyrs trompeurs, S'éloigne à regret de la rive Que n'offraient des dieux protecteurs. J'affronte de nouveaux orages ; Sans doute à de nouveaux naufrages Mon frêle esquif est dévoué , Et pourtant à la fleur de l'âge, Sur quels écueils, sur quels rivages N'ai-je déjà pas échoué ? Mais d'une plainte téméraire Pourquoi fatiguer le destin ? A peine au milieu du chemin, Faut-il regarder en arrière ? Mes lèvres à peine ont. goûté Le calice amer de la vie, Loin de moi je l'ai rejeté ; Mais l'arrêt cruel est porté, Il faut boire jusqu'à la lie ! Lorsque mes pas auront franchi Les deux tiers de notre carrière, Sous le poids d'une vie entière Quand mes cheveux auront blanchi, Je reviendrai du vieux Bissy Visiter le toit solitaire Où le ciel me garde un ami. Dans quelque retraite profonde, Sous les arbres par lui plantés, Nous verrons couler comme l'onde La fin de nos jours agités. Là, sans crainte et sans espérance, Sur notre orageuse existence, Ramenés par le souvenir, Jetant nos regards en arrière, Nous mesurerons la carrière, Qu'il aura fallu parcourir. Tel un pilote octogénaire, Du haut d'un rocher solitaire, Le soir, tranquillement assis, Laisse au loin égarer sa vue Et contemple encor l'étendue Des mers qu'il sillonna jadis.
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Sur une signature de Marie Stuart
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Sur une signature de Marie Stuart Titre : Sur une signature de Marie Stuart Poète : Anatole France (1844-1924) Recueil : Les poèmes dorés (1873). À Étienne Charavay. Cette relique exhale un parfum d'élégie, Car la reine d'Écosse, aux lèvres de carmin, Qui récitait Ronsard et le missel romain, Y mit en la touchant un peu de sa magie. La reine blonde, avec sa fragile énergie, Signa MARIE au bas de ce vieux parchemin, Et le feuillet heureux a tiédi sous la main Que bleuissait un sang fier et prompt à l'orgie. Là de merveilleux doigts de femme sont passés, Tout empreints du parfum des cheveux caressés Dans le royal orgueil d'un sanglant adultère. J'y retrouve l'odeur et les reflets rosés De ces doigts aujourd'hui muets, décomposés, Changés peut-être en fleurs dans un champ solitaire.
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La mort d'une libellule
Anatole France (1844-1924)
Poésie : La mort d'une libellule Titre : La mort d'une libellule Poète : Anatole France (1844-1924) Sous les branches de saule en la vase baignées Un peuple impur se tait, glacé dans sa torpeur, Tandis qu'on voit sur l'eau de grêles araignées Fuir vers les nymphéas que voile une vapeur. Mais, planant sur ce monde où la vie apaisée Dort d'un sommeil sans joie et presque sans réveil, Des êtres qui ne sont que lumière et rosée Seuls agitent leur âme éphémère au soleil. Un jour que je voyais ces sveltes demoiselles, Comme nous les nommons, orgueil des calmes eaux, Réjouissant l'air pur de l'éclat de leurs ailes, Se fuir et se chercher par-dessus les roseaux, Un enfant, l'oeil en feu, vint jusque dans la vase Pousser son filet vert à travers les iris, Sur une libellule ; et le réseau de gaze Emprisonna le vol de l'insecte surpris. Le fin corsage vert fut percé d'une épingle ; Mais la frêle blessée, en un farouche effort, Se fit jour, et, prenant ce vol strident qui cingle, Emporta vers les joncs son épingle et sa mort. Il n'eût pas convenu que sur un liège infâme Sa beauté s'étalât aux yeux des écoliers : Elle ouvrit pour mourir ses quatre ailes de flamme, Et son corps se sécha dans les joncs familiers.
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À Mademoiselle ***
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Mademoiselle *** Titre : À Mademoiselle *** Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire, Vous avez le fatal pouvoir De nous jeter par un sourire Dans l'ivresse ou le désespoir. Oui, deux mots, le silence même, Un regard distrait ou moqueur, Peuvent donner à qui vous aime Un coup de poignard dans le coeur. Oui, votre orgueil doit être immense, Car, grâce à notre lâcheté, Rien n'égale votre puissance, Sinon votre fragilité. Mais toute puissance sur terre Meurt quand l'abus en est trop grand, Et qui sait souffrir et se taire S'éloigne de vous en pleurant. Quel que soit le mal qu'il endure, Son triste rôle est le plus beau. J'aime encor mieux notre torture Que votre métier de bourreau.
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J'ai rêvé de toi cette nuit
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : J'ai rêvé de toi cette nuit Titre : J'ai rêvé de toi cette nuit Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). J'ai rêvé de toi cette nuit : Tu te pâmais en mille poses Et roucoulais des tas de choses... Et moi, comme on savoure un fruit, Je te baisais à bouche pleine Un peu partout, mont, val ou plaine. J'étais d'une élasticité, D'un ressort vraiment admirable : Tudieu, quelle haleine et quel rable ! Et toi, chère, de ton côté, Quel rable, quelle haleine, quelle Élasticité de gazelle... Au réveil ce fut, dans tes bras, Mais plus aiguë et plus parfaite, Exactement la même fête !
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Chanson
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Chanson Titre : Chanson Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Le printemps n'a point tant de fleurs, L'automne tant de raisins meurs, L'été tant de chaleurs halées, L'hiver tant de froides gelées, Ni la mer a tant de poissons, Ni la Beauce tant de moissons, Ni la Bretagne tant d'arènes, Ni l'Auvergne tant de fontaines, Ni la nuit tant de clairs flambeaux, Ni les forêts tant de rameaux, Que je porte au coeur, ma maîtresse, Pour vous de peine et de tristesse.
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