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La retraite
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : La retraite Titre : La retraite Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Aux bords de ton lac enchanté, Loin des sots préjugés que l'erreur déifie, Couvert du bouclier de ta philosophie, Le temps n'emporte rien de ta félicité ; Ton matin fut brillant ; et ma jeunesse envie L'azur calme et serein du beau soir de ta vie ! Ce qu'on appelle nos beaux jours N'est qu'un éclair brillant dans une nuit d'orage, Et rien, excepté nos amours, N'y mérite un regret du sage ; Mais, que dis-je ? on aime à tout âge : Ce feu durable et doux, dans l'âme renfermé, Donne plus de chaleur en jetant moins de flamme ; C'est le souffle divin dont tout l'homme est formé, Il ne s'éteint qu'avec son âme. Etendre son esprit, resserrer ses désirs, C'est là ce grand secret ignoré du vulgaire : Tu le connais, ami ; cet heureux coin de terre Renferme tes amours, tes goûts et tes plaisirs ; Tes voeux ne passent point ton champêtre domaine, Mais ton esprit plus vaste étend son horizon, Et, du monde embrassant la scène, Le flambeau de l'étude éclaire ta raison. Tu vois qu'aux bords du Tibre, et du Nil et du Gange, En tous lieux, en tous temps, sous des masques divers, L'homme partout est l'homme, et qu'en cet univers, Dans un ordre éternel tout passe et rien ne change ; Tu vois les nations s'éclipser tour à tour Comme les astres dans l'espace, De mains en mains le sceptre passe, Chaque peuple a son siècle, et chaque homme a son jour ; Sujets à cette loi suprême, Empire, gloire, liberté, Tout est par le temps emporté, Le temps emporta les dieux même De la crédule antiquité, Et ce que des mortels dans leur orgueil extrême Osaient nommer la vérité. Au milieu de ce grand nuage, Réponds-moi : que fera le sage Toujours entre le doute et l'erreur combattu ? Content du peu de jours qu'il saisit au passage, Il se hâte d'en faire usage Pour le bonheur et la vertu. J'ai vu ce sage heureux ; dans ses belles demeures J'ai goûté l'hospitalité, A l'ombre du jardin que ses mains ont planté, Aux doux sons de sa lyre il endormait les heures En chantant sa félicité. Soyez touché, grand Dieu, de sa reconnaissance. Il ne vous lasse point d'un inutile voeu ; Gardez-lui seulement sa rustique opulence, Donnez tout à celui qui vous demande peu. Des doux objets de sa tendresse Qu'à son riant foyer toujours environné, Sa femme et ses enfants couronnent sa vieillesse, Comme de ses fruits mûrs un arbre est couronné. Que sous l'or des épis ses collines jaunissent ; Qu'au pied de son rocher son lac soit toujours pur ; Que de ses beaux jasmins les ombres s'épaississent ; Que son soleil soit doux, que son ciel soit d'azur, Et que pour l'étranger toujours ses vins mûrissent. Pour moi, loin de ce port de la félicité, Hélas ! par la jeunesse et l'espoir emporté, Je vais tenter encore et les flots et l'orage ; Mais, ballotté par l'onde et fatigué du vent, Au pied de ton rocher sauvage, Ami, je reviendrai souvent Rattacher, vers le soir, ma barque à ton rivage.
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À une femme
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À une femme Titre : À une femme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les feuilles d'automne (1831). Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire, Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre, Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire, Pour un regard de vous ! Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes, Les anges, les démons courbés devant ma loi, Et le profond chaos aux entrailles fécondes, L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes, Pour un baiser de toi !
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Insomnie
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Insomnie Titre : Insomnie Poète : Victor Hugo (1802-1885) Quand une lueur pâle à l'orient se lève, Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve, Commence à s'entr'ouvrir et blanchit à l'horizon, Comme l'espoir blanchit le seuil d'une prison, Se réveiller, c'est bien, et travailler, c'est juste. Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste, Le travail, saint tribut dû par l'homme mortel, Est la strophe sacrée au pied du sombre autel ; Le soc murmure un psaume ; et c'est un chant sublime Qui, dès l'aurore, au fond des forêts, sur l'abîme, Au bruit de la cognée, au choc des avirons, Sort des durs matelots et des noirs bûcherons. Mais, au milieu des nuits, s'éveiller ! quel mystère ! Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre ! Quand pas un œil vivant ne veille, pas un feu ; Quand les sept chevaux d'or du grand chariot bleu Rentrent à l'écurie et descendent au pôle, Se sentir dans son lit soudain toucher l'épaule Par quelqu'un d'inconnu qui dit : Allons ! c'est moi ! Travaillons ! — La chair gronde et demande pourquoi. — Je dors. Je suis très-las de la course dernière ; Ma paupière est encor du somme prisonnière ; Maître mystérieux, grâce ! que me veux-tu ? Certes, il faut que tu sois un démon bien têtu De venir m'éveiller toujours quand tout repose ! Aie un peu de raison. Il est encor nuit close ; Regarde, j'ouvre l'oeil puisque cela te plaît ; Pas la moindre lueur aux fentes du volet ; Va-t'en ! je dors, j'ai chaud, je rêve de ma maîtresse. Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse, D'où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs. Va-t'en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs. Je te tourne le dos, je ne veux pas ! décampe ! Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe. La biche illusion me mangeait dans le creux De la main ; tu l'as fait enfuir. J'étais heureux, Je ronflais comme un bœuf ; laisse-moi. C'est stupide. Ciel ! déjà ma pensée, inquiète et rapide, Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau. Tu m'apportes un vers, étrange et fauve oiseau Que tu viens de saisir dans les pâles nuées. Je n'en veux pas. Le vent, des ses tristes huées, Emplit l'antre des cieux ; les souffles, noirs dragons, Passent en secouant ma porte sur ses gonds. — Paix là ! va-t'en, bourreau ! quant au vers, je le lâche. Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche ; Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon. Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir ! — Non ! Est-ce que je dors, moi ? dit l'idée implacable. Penseur, subis ta loi ; forçat, tire ton câble. Quoi ! cette bête a goût au vil foin du sommeil ! L'orient est pour moi toujours clair et vermeil. Que m'importe le corps ! qu'il marche, souffre et meure ! Horrible esclave, allons, travaille ! c'est mon heure. Et l'ange étreint Jacob, et l'âme tient le corps ; Nul moyen de lutter ; et tout revient alors, Le drame commencé dont l'ébauche frissonne, Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne, Ou le roman pleurant avec des yeux humains, Ou l'ode qui s'enfonce en deux profonds chemins, Dans l'azur près d'Horace et dans l'ombre avec Dante : Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente ; Dans ces grands horizons subitement rouverts, Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers, S'en aller devant soi, pensif, ivre de l'ombre ; Il faut, rêveur nocturne en proie à l'esprit sombre, Gravir le dur sentier de l'inspiration ; Poursuivre la lointaine et blanche vision, Traverser, effaré, les clairières désertes, Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes, Et franchir la forêt, le torrent, le hallier, Noir cheval galopant sous le noir cavalier. 1843, nuit.
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Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Marie, vous avez la joue aussi vermeille Titre : Marie, vous avez la joue aussi vermeille Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Marie, vous avez la joue aussi vermeille Qu'une rose de mai, vous avez les cheveux De couleur de châtaigne, entrefrisés de noeuds, Gentement tortillés tout autour de l'oreille. Quand vous étiez petite, une mignarde abeille Dans vos lèvres forma son doux miel savoureux, Amour laissa ses traits dans vos yeux rigoureux, Pithon vous fit la voix à nulle autre pareille. Vous avez les tétins comme deux monts de lait, Qui pommellent ainsi qu'au printemps nouvelet Pommellent deux boutons que leur châsse environne. De Junon sont vos bras, des Grâces votre sein, Vous avez de l'Aurore et le front, et la main, Mais vous avez le coeur d'une fière lionne.
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À Louis B
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Louis B Titre : À Louis B Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les rayons et les ombres (1840). Ô Louis ! je songeais ! – Baigné d'ombre sereine, Le soir tombait ; des feux scintillaient dans la plaine ; Les vastes flots berçaient le nid de l'alcyon ; J'écoutais vers le ciel, où toute aube commence, Monter confusément une louange immense Des deux extrémités de la création. Ce que Dieu fit petit chantait dans son délire Tout ce que Dieu fait grand, et je voyais sourire Le colosse à l'atome et l'étoile au flambeau ; La nature semblait n'avoir qu'une âme aimante. La montagne disait : Que la fleur est charmante ! Le moucheron disait : Que l'océan est beau ! Le 3 avril 1840.
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Je vous envoye un bouquet que ma main
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je vous envoye un bouquet que ma main Titre : Je vous envoye un bouquet que ma main Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Je vous envoye un bouquet que ma main Vient de trier de ces fleurs épanies, Qui ne les eust à ce vespre cuillies, Cheutes à terre elles fussent demain. Cela vous soit un exemple certain Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries, En peu de tems cherront toutes flétries, Et comme fleurs, periront tout soudain. Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame, Las ! le tems non, mais nous nous en allons, Et tost serons estendus sous la lame : Et des amours desquelles nous parlons, Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle : Pour-ce aimés moy, ce-pendant qu'estes belle.
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Adieux à la poésie
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Adieux à la poésie Titre : Adieux à la poésie Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). Allons, ange déchu, ferme ton aile rose ; Ôte ta robe blanche et tes beaux rayons d'or ; Il faut, du haut des cieux où tendait ton essor, Filer comme une étoile, et tomber dans la prose. Il faut que sur le sol ton pied d'oiseau se pose. Marche au lieu de voler : il n'est pas temps encor ; Renferme dans ton coeur l'harmonieux trésor ; Que ta harpe un moment se détende et repose. Ô pauvre enfant du ciel, tu chanterais en vain Ils ne comprendraient pas ton langage divin ; À tes plus doux accords leur oreille est fermée ! Mais, avant de partir, mon bel ange à l'oeil bleu, Va trouver de ma part ma pâle bien-aimée, Et pose sur son front un long baiser d'adieu !
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Le refus
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Le refus Titre : Le refus Poète : Anatole France (1844-1924) Au fond de la chambre élégante Que parfuma son frôlement, Seule, immobile, elle dégante Ses longues mains, indolemment. Les globes chauds et mâts des lampes Qui luisent dans l'obscurité, Sur son front lisse et sur ses tempes Versent une douce clarté. Le torrent de sa chevelure, Où l'eau des diamants reluit, Roule sur sa pâle encolure Et va se perdre dans la nuit. Et ses épaules sortent nues Du noir corsage de velours, Comme la lune sort des nues Par les soirs orageux et lourds. Elle croise devant la glace, Avec un tranquille plaisir, Ses bras blancs que l'or fin enlace Et qui ne voudraient plus s'ouvrir, Car il lui suffit d'être belle : Ses yeux, comme ceux d'un portrait, Ont une fixité cruelle, Pleine de calme et de secret ; Son miroir semble une peinture Que quelque vieux maître amoureux Offrit à la race future, Claire sur un fond ténébreux, Tant la beauté qui s'y reflète A d'orgueil et d'apaisement, Tant la somptueuse toilette Endort ses plis docilement, Et tant cette forme savante Paraît d'elle-même aspirer A l'immobilité vivante Des choses qui doivent durer. Pendant que cette créature, Rebelle aux destins familiers, Divinise ainsi la Nature De sa chair et de ses colliers, Le miroir lui montre, dans l'ombre, Son amant doucement venu, Au bord de la portière sombre, Offrir son visage connu. Elle se retourne sereine, Dans l'amas oblique des plis, Qu'en soulevant la lourde traîne Son talon disperse, assouplis, Darde, sans pitié, sans colère, La clarté de ses grands yeux las, Et, d'une voix égale et claire, Dit : " Non ! je ne vous aime pas. "
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La princesse Bérénice
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La princesse Bérénice Titre : La princesse Bérénice Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Sa tête fine dans sa main toute petite, Elle écoute le chant des cascades lointaines, Et, dans la plainte langoureuse des fontaines, Perçoit comme un écho béni du nom de Tite. Elle a fermé ses yeux divins de clématite Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines Son doux héros, le mieux aimant des capitaines, Et, Juive, elle se sent au pouvoir d'Aphrodite. Alors un grand souci la prend d'être amoureuse, Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse, Du trône impérial toute femme étrangère. Et sous le noir chagrin dont sanglote son âme, Entre les bras de sa servante la plus chère, La reine, hélas ! défaille et tendrement se pâme.
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Laissez. – Tous ces enfants sont bien là
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Laissez. – Tous ces enfants sont bien là Titre : Laissez. – Tous ces enfants sont bien là Poète : Victor Hugo (1802-1885) Sinite parvulos venire ad me. JESUS. Laissez. – Tous ces enfants sont bien là. – Qui vous dit Que la bulle d'azur que mon souffle agrandit A leur souffle indiscret s'écroule ? Qui vous dit que leurs voix, leurs pas, leurs jeux, leurs cris, Effarouchent la muse et chassent les péris ?... – Venez, enfants, venez en foule ! Venez autour de moi. Riez, chantez, courez ! Votre œil me jettera quelques rayons dorés, Votre voix charmera mes heures. C'est la seule en ce monde où rien ne nous sourit Qui vienne du dehors sans troubler dans l'esprit Le chœur des voix intérieures ! Fâcheux : qui les vouliez écarter ! – Croyez-vous Que notre cœur n'est pas plus serein et plus doux Au sortir de leurs jeunes rondes ? Croyez-vous que j'ai peur quand je vois au milieu De mes rêves rougis ou de sang ou de feu Passer toutes ces têtes blondes ? La vie est-elle donc si charmante à vos yeux Qu'il faille préférer à tout ce bruit joyeux Une maison vide et muette ? N'ôtez pas, la pitié même vous le défend, Un rayon de soleil, un sourire d'enfant, Au ciel sombre, au cœur du poète ! - Mais ils s'effaceront à leurs bruyants ébats Ces mots sacrés que dit une muse tout bas, Ces chants purs d'où l'âme se noie ?... – Eh ! que m'importe à moi, muse, chants, vanité, Votre gloire perdue et l'immortalité, Si j'y gagne une heure de joie ! La belle ambition et le rare destin ! Chanter ! toujours chanter pour un écho lointain, Pour un vain bruit qui passe et tombe ! Vivre abreuvé de fiel, d'amertume et d'ennuis ! Expier dans ses jours les rêves de ses nuits ! Faire un avenir à sa tombe ! Oh ! que j'aime bien mieux ma joie et mon plaisir, Et toute ma famille avec tout mon loisir, Dût la gloire ingrate et frivole, Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers, S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers Une troupe d'oiseaux s'envole ! Mais non. Au milieu d'eux rien ne s'évanouit. L'orientale d'or plus riche épanouit Ses fleurs peintes et ciselées, La ballade est plus fraîche, et dans le ciel grondant L'ode ne pousse pas d'un souffle moins ardent Le groupe des strophes ailées. Je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants, Mes hymnes, parfumés comme un champ de printemps. Ô vous, dont l'âme est épuisée, Ô mes amis ! l'enfance aux riantes couleurs Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs L'aurore donne la rosée. Venez, enfants ! – A vous jardins, cours, escaliers ! Ebranlez et planchers, et plafonds, et piliers ! Que le jour s'achève ou renaisse, Courez et bourdonnez comme l'abeille aux champs ! Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants Iront ou vous irez, jeunesse ! Il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs D'harmonieuses voix, des accords, des rumeurs, Qu'on n'entend que dans les retraites, Notes d'un grand concert interrompu souvent, Vents, flots, feuilles des bois, bruits dont l'âme en rêvant Se fait des musiques secrètes. Moi, quel que soit le monde et l'homme et l'avenir, Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir, Que Dieu m'afflige ou me console, Je ne veux habiter la cité des vivants Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants Fasse toujours vivante et folle. De même, si jamais enfin je vous revois, Beau pays dont la langue est faite pour ma voix, Dont mes yeux aimaient les campagnes, Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon, Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon, Castille, Aragon, mes Espagnes ! Je ne veux traverser vos plaines, vos cités, Franchir vos ponts d'une arche entre deux monts jetés, Vois vos palais romains ou maures, Votre Guadalquivir qui serpente et s'enfuit, Que dans ces chars dorés qu'emplissent de leur bruit Les grelots des mules sonores. Le 11 mai 1830.
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Interruption à une lecture de Platon
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Interruption à une lecture de Platon Titre : Interruption à une lecture de Platon Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). Je lisais Platon. — J'ouvris La porte de ma retraite, Et j'aperçus Lycoris C'est-à-dire Turlurette. Je n'avais pas dit encor Un seul mot à cette belle. Sous un vague plafond d'or Mes rêves battaient de l'aile. La belle, en jupon gris-clair, Montait l'escalier sonore ; Ses frais yeux bleus avaient l'air De revenir de l'aurore. Elle chantait un couplet D'une chanson de la rue Qui dans sa bouche semblait Une lumière apparue. Son front éclipsa Platon. Ô front céleste et frivole ! Un ruban sous son menton Rattachait son auréole. Elle avait l'accent qui plaît, Un foulard pour cachemire, Dans sa main son pot au lait, Des flammes dans son sourire. Et je lui dis (le Phédon Donne tant de hardiesse !) : — Mademoiselle, pardon, Ne seriez-vous pas déesse ?
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J'ai l'âme de regrets touchée
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : J'ai l'âme de regrets touchée Titre : J'ai l'âme de regrets touchée Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). J'ai l'âme, pour un lit, de regrets si touchée, Que nul homme jamais ne fera que j'approche De la chambre amoureuse, encore moins de la couche Où je vis ma maîtresse, au mois de Mai couchée. Un somme languissant la tenait mi-penchée Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche Et ses yeux, dans lesquels l'archer Amour se couche, Ayant toujours la flèche à la corde encochée : Sa tête, en ce beau mois, sans plus, était couverte D'un riche escofion (1) ouvré de soie verte, Où les Grâces venaient à l'envie se nicher ; Puis, en ses beaux cheveux, choisissaient leur demeure. J'en ai tel souvenir que je voudrais qu'à l'heure Mon cœur pour n'y penser plus devenu rocher. 1. Escofion est une coiffe de femme.
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Oh ! que la vie est longue
Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869)
Poésie : Oh ! que la vie est longue Titre : Oh ! que la vie est longue Poète : Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) À Madame Victor Hugo. Notre bonheur n'est qu'un malheur plus ou moins consolé. Jean-François Ducis. Oh ! que la vie est longue aux longs jours de l'été, Et que le temps y pèse à mon cœur attristé ! Lorsque midi surtout a versé sa lumière, Que ce n'est que chaleur et soleil et poussière ; Quand il n'est plus matin et que j'attends le soir, Vers trois heures, souvent, j'aime à vous aller voir ; Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse ! Et vos enfants au loin épars sur la pelouse, Et votre époux absent et sorti pour rêver, J'entre pourtant ; et Vous, belle et sans vous lever, Me dites de m'asseoir ; nous causons ; je commence À vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense, Ma jeunesse déjà dévorée à moitié, Et vous me répondez par des mots d'amitié ; Puis revenant à vous, Vous si noble et si pure, Vous que, dès le berceau, l'amoureuse nature Dans ses secrets desseins avait formée exprès Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais, Douce comme un parfum et comme une harmonie ; Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ; Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain, Comme une ombre, d'en haut, couvrant votre chemin, De vos enfants bénis que la joie environne, De l'époux votre orgueil, votre illustre couronne ; Et quand vous avez bien de vos félicités Épuisé le récit, alors vous ajoutez Triste, et tournant au ciel votre noire prunelle : « Hélas ! non, il n'est point ici-bas de mortelle Qui se puisse avouer plus heureuse que moi ; Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi, Il me prend des accès de soupirs et de larmes ; Et plus autour de moi la vie épand ses charmes, Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert, Plus le ciel bleu, l'air pur, le pré de fleurs couvert, Plus mon époux aimant comme au premier bel âge, Plus mes enfants joyeux et courant sous l'ombrage, Plus la brise légère et n'osant soupirer, Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. » C'est que même au-delà des bonheurs qu'on envie Il reste à désirer dans la plus belle vie ; C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marqué ; Qu'à le chercher plus bas on l'a toujours manqué ; C'est qu'ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe ; C'est qu'après bien des jours, bien des ans révolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus ; Que ces enfants, objets de si chères tendresses, En vivant oublieront vos pleurs et vos caresses ; Que toute joie est sombre à qui veut la sonder, Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable, On découvre sous l'eau de la boue et du sable. Mais comme au lac profond et sur son limon noir Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir, Et, déroulant d'en haut la splendeur de ses voiles, Pour décorer l'abîme, y sème les étoiles, Tel dans ce fond obscur de notre humble destin Se révèle l'espoir de l'éternel matin ; Et quand sous l'œil de Dieu l'on s'est mis de bonne heure, Quand on s'est fait une âme où la vertu demeure ; Quand, morts entre nos bras, les parents révérés Tous bas nous ont bénis avec des mots sacrés ; Quand nos enfants, nourris d'une douceur austère, Continueront le bien après nous sur la terre ; Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas, Alors on peut encore être heureux ici-bas ; Aux instants de tristesse on peut, d'un œil plus ferme, Envisager la vie et ses biens et leur terme, Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur, Soutient l'âme et console au milieu du bonheur. Mai 1829.
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L'aube à l'envers
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'aube à l'envers Titre : L'aube à l'envers Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Le Point-du-Jour avec Paris au large, Des chants, des tirs, les femmes qu'on « rêvait », La Seine claire et la foule qui fait Sur ce poème un vague essai de charge. On danse aussi, car tout est dans la marge Que fait le fleuve à ce livre parfait, Et si parfois l'on tuait ou buvait, Le fleuve est sourd et le vin est litharge. Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris ! Un calembour a béni son histoire D'affreux baisers et d'immondes paris. En attendant que sonne l'heure noire Où les bateaux-omnibus et les trains Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins !
https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-laube-a-lenvers.php
paul-verlaine-poeme-laube-a-lenvers
Le printemps
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Le printemps Titre : Le printemps Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Les bourgeons verts, les bourgeons blancs Percent déjà le bout des branches, Et, près des ruisseaux, des étangs Aux bords parsemés de pervenches, Teintent les arbustes tremblants ; Les bourgeons blancs, les bourgeons roses, Sur les buissons, les espaliers, Vont se changer en fleurs écloses ; Et les oiseaux, dans les halliers, Entre eux déjà parlent de roses ; Les bourgeons verts, les bourgeons gris, Reluisant de gomme et de sève Recouvrent l'écorce qui crève Le long des rameaux amoindris ; Les bourgeons blancs, les bourgeons rouges, Sèment l'éveil universel, Depuis les cours noires des bouges Jusqu'au pur sommet sur lequel, Ô neige éclatante, tu bouges ; Bourgeons laiteux des marronniers, Bourgeons de bronze des vieux chênes, Bourgeons mauves des amandiers, Bourgeons glauques des jeunes frênes, Bourgeons cramoisis des pommiers, Bourgeons d'ambre pâle du saule, Leur frisson se propage et court, À travers tout, vers le froid pôle, Et grandissant avec le jour Qui lentement sort de sa geôle, Jette sur le bois, le pré, Le mont, le val, les champs , les sables, Son immense réseau tout prêt À s'ouvrir en fleurs innombrables Sur le monde transfiguré.
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auguste-angellier-poeme-le-printemps
Il lui disait : Vois-tu..
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Il lui disait : Vois-tu.. Titre : Il lui disait : Vois-tu.. Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Il lui disait : « Vois-tu, si tous deux nous pouvions, xxL'âme pleine de foi, le coeur plein de rayons, xxIvres de douce extase et de mélancolie, xxRompre les mille noeuds dont la ville nous lie ; xxSi nous pouvions quitter ce Paris triste et fou, xxNous fuirions ; nous irions quelque part, n'importe où, xxChercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses, xxUn coin où nous aurions des arbres, des pelouses ; xxUne maison petite avec des fleurs, un peu xxDe solitude, un peu de silence, un ciel bleu, xxLa chanson d'un oiseau qui sur le toit se pose, xxDe l'ombre ; — et quel besoin avons-nous d'autre chose ? » Juillet 18...
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À. L
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À. L Titre : À. L Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les rayons et les ombres (1840). Toute espérance, enfant, est un roseau. Dieu dans ses mains tient nos jours, ma colombe ; Il les dévide à son fatal fuseau, Puis le fil casse et notre joie en tombe ; Car dans tout berceau Il germe une tombe. Jadis, vois-tu, l'avenir, pur rayon, Apparaissait à mon âme éblouie, Ciel avec l'astre, onde avec l'alcyon, Fleur lumineuse à l'ombre épanouie. Cette vision S'est évanouie ! Si, près de toi, quelqu'un pleure en rêvant, Laisse pleurer sans en chercher la cause. Pleurer est doux, pleurer est bon souvent Pour l'homme, hélas ! sur qui le sort se pose. Toute larme, enfant, Lave quelque chose. Le 2 juin 1839.
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Vénus, étoile du soir
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Vénus, étoile du soir Titre : Vénus, étoile du soir Poète : Anatole France (1844-1924) La nuit vient nous ravir en ses puissants arcanes ; L'ombre avec des frissons envahit les platanes ; De légères vapeurs montent des chemins creux. Les vieillards sont assis, et les voix alternées Sous le feuillage obscur se perdent égrenées. C'est l'heure où l'esprit rêve, heureux ou malheureux. Le crépuscule expire et les étoiles blanches Commencent en tremblant à poindre dans les branches. Au regard exalté qui songe et les poursuit, Voici que la plus belle allume la première A l'occident pâli sa vibrante lumière, Vénus splendide et chaste, honneur de notre nuit. Depuis qu'ils ont chéri l'amour et sa souffrance. Les hommes ont fait part de leur brève espérance A cet astre indulgent qui ramène le soir. — Si tu retiens mes yeux, Vénus; si ma pensée Au sein du mol éther vers toi s'est élancée. C'est toi seule et c'est toi toute que je veux voir. J'ai surpris tes secrets : O céleste jumelle De la Terre, astre cher qui mourras avec elle. Tes destins sont pareils aux destins de ta sœur. Le même soleil t'aime; et ce père des flammes Jette en ton sein fleuri la vie, orgueil des âmes. La nuit ainsi qu'à nous te verse sa douceur. Monde, tu fais rouler dans la pâle étendue La forme avec l'amour à tes flancs suspendue ; Tu livres aux troupeaux tes champs hospitaliers ; Tes mers ont leurs nageurs, et des siècles de fauves Ont rugi le désir aux creux de tes rocs chauves ; Tes deux pôles de glace ont de blancs familiers. Des reptiles, traînant leurs épais cartilages, De leurs sillons visqueux souillaient tes chaudes plages, Au temps où tu naissais dans les limons marins. Et maintenant, mangeurs de chair ou d'herbe grasse. Des êtres réjouis dans la force et la grâce. Nés de ton corps adulte, ornent tes jours sereins. Un air rouge et vibrant, semé de feux intimes. Sur tes roides hauteurs dont nul n'a vu les cimes. Nourrit avec excès de larges floraisons. De grands lis pleins d'odeurs et de phosphorescences, Les longs fûts des palmiers aux salubres essences, Et des gerbes de dards exhalant leurs poisons. Des îles en leurs lits récents de madrépores, Vierges, sous le vent frais plein de baisers sonores. Conçoivent les doux fruits des continents lointains. De grands oiseaux guerriers s'assemblent, race antique, Dans les sombres vapeurs de ton ciel magnétique. Sous les cratères noirs de tes volcans éteints. Et des guetteurs, du haut des roches caverneuses. Lourds, velus, déployant leurs ailes membraneuses. De nocturnes regards éclairent les granits : Ils veillent, attendant que l'aire obscure dorme ; Ils vont se laisser choir, et sous leur masse énorme Lentement étouffer les couples dans les nids. Vénus, ô grande mère aux entrailles brûlantes. Mère des animaux avides et des plantes. Tout ce que tu contiens de divine chaleur Dans un fécond travail a gonflé tes mamelles. En allaitant, Vénus, tes nourrissons, tu mêles Largement en leur sang la joie et la douleur. Mais lorsque après tes nuits, tes sombres nuits sans lune, Derrière l'Océan qui gémit sur la dune, Immense et près de toi se lève le soleil, Est-il, pour réfléchir ton ciel qui s'illumine, Un regard où reluit la tristesse divine. Un regard anxieux et fier, au mien pareil ? Nourris-tu des vivants de qui l'âme profonde Te contient tout entier dans elle-même, ô monde ! Et qui sont ta vertu, ta splendeur et tes dieux ? N'as-tu pas enfanté des rois, frères des hommes, Qui, superbes, hardis, pensifs, tels que nous sommes, Seuls portent haut leur front et regardent les cieux ? Ces princes, nos égaux, recherchent-ils les causes, La raison et la fin, la nature des choses ? Quels désirs, quels espoirs gonflent leurs cœurs puissants ! Ont-ils, promptes sans cesse à verser les dictâmes. Des mères et des sœurs belles comme nos femmes. Triomphe de la vie et délices des sens ? Oh ! les meilleurs d'entre eux, dans la nuit solitaire, Levant leur front blanchi d'un reflet de la terre, Ont souvent médité les travaux de nos jours. Connaître pour aimer, tel est la loi de l'être ; Et, dans leur mâle ardeur d'étreindre et de connaître. Ils ont jusqu'à la terre étendu leurs amours. L'esprit cherche l'esprit dans l'étoile prochaine ; Et, jetant dans l'espace une mystique chaîne, Eux en nous, nous en eux, nous nous glorifions. Tant il est naturel de sortir de soi-même, Tant nous portons au cœur le besoin qu'on nous aime. Tant notre âme de feu jette loin ses rayons.
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Versons ces roses près ce vin
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Versons ces roses près ce vin Titre : Versons ces roses près ce vin Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Verson ces roses pres ce vin, De ce vin verson ces roses, Et boyvon l'un à l'autre, afin Qu'au coeur noz tristesses encloses Prennent en boyvant quelque fin. La belle Rose du Printemps Aubert, admoneste les hommes Passer joyeusement le temps, Et pendant que jeunes nous sommes Esbatre la fleur de noz ans. Tout ainsi qu'elle défleurit Fanie en une matinée, Ainsi nostre âge se flestrit, Làs ! et en moins d'une journée Le printemps d'un homme perit. Ne veis-tu pas hier Brinon Parlant, et faisant bonne chere, Qui làs ! aujourd'huy n'est sinon Qu'un peu de poudre en une biere, Qui de luy n'a rien que le nom ? Nul ne desrobe son trespas, Caron serre tout en sa nasse, Rois et pauvres tombent là bas : Mais ce-pendant le temps se passe Rose, et je ne te chante pas. La Rose est l'honneur d'un pourpris, La Rose est des fleurs la plus belle, Et dessus toutes a le pris : C'est pour cela que je l'appelle La violette de Cypris. La Rose est le bouquet d'Amour, La Rose est le jeu des Charites, La Rose blanchit tout au tour Au matin de perles petites Qu'elle emprunte du Poinct du jour. La Rose est le parfum des Dieux, La Rose est l'honneur des pucelles, Qui leur sein beaucoup aiment mieux Enrichir de Roses nouvelles, Que d'un or, tant soit precieux. Est-il rien sans elle de beau ? La Rose embellit toutes choses, Venus de Roses a la peau, Et l'Aurore a les doigts de Roses, Et le front le Soleil nouveau. Les Nymphes de Rose ont le sein, Les coudes, les flancs et les hanches : Hebé de Roses a la main, Et les Charites, tant soient blanches, Ont le front de Roses tout plein. Que le mien en soit couronné, Ce m'est un Laurier de victoire : Sus, appellon le deux-fois-né, Le bon pere, et le fàison boire De ces Roses environné. Bacchus espris de la beauté Des Roses aux fueilles vermeilles, Sans elles n'a jamais esté, Quand en chemise sous les treilles Beuvoit au plus chaud de l'Esté.
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Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde Titre : Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Prêtres de Jésus-Christ, la vérité vous garde. Ah ! soyez ce que pense une foule bavarde Ou ce que le penseur lui-même dit de vous. Bassement orgueilleux, haineusement jaloux, Avares, impurs, durs, la vérité vous garde. Et, de fait, nul de vous ne risque, ne hasarde Un seul pan du prestige, un seul pli du drapeau, Tant la doctrine exacte du Bien et du Beau Est là, qui vous maintient entre ses hauts dilemmes. Plats comme les bourgeois, vautrés dans des Thélèmes Ou guindés vers l'honneur pharisaïque alors, Qu'importe, si, Jésus, plus fort que des cœurs morts, Règne par vos dehors du reste incontestables ? Cultes respectueux, formules respectables, Un emploi libéral et franc des Sacrements (Car les temps ont du moins, dans leurs relâchements, Parmi plus d'une bonne et délicate chose. Laissé tomber l'affreux jansénisme morose), Et ce seul mot sur votre enseigne : Charité ! Mal gracieux, sans goût aucun, même affecté, Pour si peu que ce soit d'art et de poésie, Incapables d'un bout de lecture choisie, D'un regard attentif, d'une oreille en arrêt Pis qu'inconsciemment hostiles, on dirait, A tout ce qui, dans l'homme et fleurit et s'allume. Plus lourds que les marteaux et plus lourds qu'une enclume. Sans même l'étincelle et le bruit triomphant, Que fait ? si Jésus a, pour séduire l'enfant Et le sage qu'est l'homme en sa double énergie, Votre théologie et votre liturgie ? D'ailleurs maints d'entre vous, troupeau trié déjà, Valent mieux que le monde autour qui vous jugea, Lisent clair, visent droit, entendent net en somme, Vivent et pensent, plus que non pas un autre homme, Que tels, mes chers lecteurs, que moi cet écrivain, Tant leur science est courte et tant mon art est vain ! C'est vrai qu'il sort de vous, comme de votre Maître, Quand même une vertu qui vous fait reconnaître. Elle offusque les sots, ameute les méchants. Remplis les bons d'émois révérents et touchants. Force indéfinissable ayant de tout en elle, Comme surnaturelle et comme naturelle, Mystérieuse et dont vous allez investis, Grands par comparaison chez les peuples petits. Vous avez tous les airs de toutes, sinon toutes Les choses qu'il faut être en l'affre de vos routes, Si vous ne l'êtes pas, du moins vous paraissez Tels qu'il faut et semblez dans ce zèle empressés, Poussant votre industrie et votre économie, Depuis la sainteté jusqu'à la bonhomie. Hypocrisie, émet un tiers, ou nullité ! Bonhomie, on doit dire en chœur, et sainteté ! Puisque, ô croyons toujours le bien de préférence, Mais c'est surtout ce siècle et surtout cette France, Que charme et que bénit, à quelques fins de Dieu ? Votre ombre lumineuse et réchauffante un peu. Seul bienfait apparent de la grâce invisible Sur la France insensée et le siècle insensible Siècle de fer et France, hélas ! toute de nerfs, France d'où détalant partout comme des cerfs, Les principes, respect, l'honneur de sa parole. Famille, probité, filent en bande folle, Siècle d'âpreté juive et d'ennuis protestants, Noyant tout, le superbe et l'exquis des instants, Au remous gris de mers de chiffres et de phrases. Vous, phares doux parmi ces brumes et ces gazes, Ah! luisez-nous encore et toujours jusqu'au jour, Jusqu'à l'heure du cœur expirant vers l'amour Divin, pour refleurir éternel dans la même Charité loin de cette épreuve froide et blême. Et puis, en la minute obscure des adieux. Flambez, torches d'encens, et rallumez nos yeux A l'unique Beauté, toute bonne et puissante, Brûlez ce qui n'est plus la prière innocente, L'aspiration sainte et le repentir vrai ! Puisse un prêtre être là, Jésus, quand je mourrai !
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Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies Titre : Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Ô vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies, Toi, cœur saignant d'hier qui flambes aujourd'hui, C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui De nos sens, aussi bien les ombres que les proies. Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui, Bon voyage ! Et le Rire, et, plus vielle que lui, Toi, Tristesse, noyée au vieux noir que tu broies ! Et le reste ! — Un doux vide, un grand renoncement, Quelqu'un en nous qui sent la paix immensément, Une candeur d'âme d'une fraîcheur délicieuse... Et voyez ! notre cœur qui saignait sous l'orgueil, Il flambe dans l'amour, et s'en va faire accueil À la vie, en faveur d'une mort précieuse !
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L'étoile a pleuré rose
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : L'étoile a pleuré rose Titre : L'étoile a pleuré rose Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles, L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ; La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.
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Parsifal
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Parsifal Titre : Parsifal Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). A Jules Tellier. Parsifal a vaincu les Filles, leur gentil Babil et la luxure amusante — et sa pente Vers la Chair de garçon vierge que cela tente D'aimer les seins légers et ce gentil babil ; Il a vaincu la Femme belle, au cœur subtil, Étalant ses bras frais et sa gorge excitante ; Il a vaincu l'Enfer et rentre sous la tente Avec un lourd trophée à son bras puéril, Avec la lance qui perça le Flanc suprême ! Il a guéri le roi, le voici roi lui-même, Et prêtre du très saint Trésor essentiel. En robe d'or il adore, gloire et symbole, Le vase pur où resplendit le Sang réel. — Et, ô ces voix d'enfants chantant dans la coupole !
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Jocelyn, le 16 décembre 1793
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Jocelyn, le 16 décembre 1793 Titre : Jocelyn, le 16 décembre 1793 Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) La nuit, quand par hasard je m'éveille, et je pense Que dehors et dedans tout est calme et silence, Et qu'oubliant Laurence, auprès de moi dormant, Mon cœur mal éveillé se croit seul un moment ; Si j'entends tout à coup son souffle qui s'exhale, Régulier, de son sein sortir à brise égale, Ce souffle harmonieux d'un enfant endormi ! Sur un coude appuyé je me lève à demi, Comme au chevet d'un fils, une mère qui veille ; Cette haleine de paix rassure mon oreille ; Je bénis Dieu tout bas de m'avoir accordé Cet ange que je garde et dont je suis gardé ; Je sens, aux voluptés dont ces heures sont pleines, Que mon âme respire et vit dans deux haleines ; Quelle musique aurait pour moi de tels accords ? Je l'écoute longtemps dormir, et me rendors ! De la Grotte, 16 décembre 1793.
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À Emmanuel Chabrier
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Emmanuel Chabrier Titre : À Emmanuel Chabrier Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). Chabrier, nous faisions, un ami cher et moi, Des paroles pour vous qui leur donniez des ailes, Et tous trois frémissions quand, pour bénir nos zèles, Passait l'Ecce deus et le Je ne sais quoi. Chez ma mère charmante et divinement bonne, Votre génie improvisait au piano, Et c'était tout autour comme un brûlant anneau De sympathie et d'aise aimable qui rayonne. Hélas ! ma mère est morte et l'ami cher est mort. Et me voici semblable au chrétien près du port, Qui surveille les tout derniers écueils du monde, Non toutefois sans saluer à l'horizon Comme une voile sur le large au blanc frisson, Le souvenir des frais instants de paix profonde.
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Ce siècle avait deux ans
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ce siècle avait deux ans Titre : Ce siècle avait deux ans Poète : Victor Hugo (1802-1885) Data fata secutus. DEVISE DES ST-JOHN. Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, Et du premier consul, déjà, par maint endroit, Le front de l'empereur brisait le masque étroit. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole, Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère, Abandonné de tous, excepté de sa mère, Et que son cou ployé comme un frêle roseau Fit faire en même temps sa bière et son berceau. Cet enfant que la vie effaçait de son livre, Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre, C'est moi. — Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour, Prodigués pour ma vie en naissant condamnée, M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée, Ange qui sur trois fils attachés à ses pas Épandait son amour et ne mesurait pas ! Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie ! Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie ! Table toujours servie au paternel foyer ! Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier ! Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse, Comment ce haut destin de gloire et de terreur Qui remuait le monde aux pas de l'empereur, Dans son souffle orageux m'emportant sans défense, À tous les vents de l'air fit flotter mon enfance. Car, lorsque l'aquilon bat ses flots palpitants, L'océan convulsif tourmente en même temps Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage, Et la feuille échappée aux arbres du rivage ! Maintenant jeune encore et souvent éprouvé, J'ai plus d'un souvenir profondément gravé, Et l'on peut distinguer bien des choses passées Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées. Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux, Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux, Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde, Mon âme où ma pensée habite comme un monde, Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté, Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté, Mon plus beau temps passé sans espoir qu'il renaisse, Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse, Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit, Le livre de mon cœur à toute page écrit ! Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées, Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ; S'il me plaît de cacher l'amour et la douleur Dans le coin d'un roman ironique et railleur ; Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie ; Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ; Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume, Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume Dans le rythme profond, moule mystérieux D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ; C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie, L'onde qui fuit, par l'onde incessamment suivie, Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal, Fait reluire et vibrer mon âme de cristal, Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore Mit au centre de tout comme un écho sonore ! D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais, Et je sais d'où je viens, si j'ignore où je vais. L'orage des partis avec son vent de flamme Sans en altérer l'onde a remué mon âme ; Rien d'immonde en mon cœur, pas de limon impur Qui n'attendît qu'un vent pour en troubler l'azur ! Après avoir chanté, j'écoute et je contemple, À l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple, Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs, Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ; Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne ! Juin 1830.
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À la musique
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : À la musique Titre : À la musique Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Place de la Gare, à Charleville. Sur la place taillée en mesquines pelouses, Square où tout est correct, les arbres et les fleurs, Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses. - L'orchestre militaire, au milieu du jardin, Balance ses schakos dans la Valse des fifres : Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ; Le notaire pend à ses breloques à chiffres. Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs : Les gros bureaux bouffis traînant leurs grosses dames Auprès desquelles vont, officieux cornacs, Celles dont les volants ont des airs de réclames ; Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme, Fort sérieusement discutent les traités, Puis prisent en argent, et reprennent : " En somme !..." Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins, Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande, Savoure son onnaing d'où le tabac par brins Déborde - vous savez, c'est de la contrebande ; - Le long des gazons verts ricanent les voyous ; Et, rendus amoureux par le chant des trombones, Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious Caressent les bébés pour enjôler les bonnes... - Moi, je suis, débraillé comme un étudiant, Sous les marronniers verts les alertes fillettes : Elles le savent bien ; et tournent en riant, Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes. Je ne dis pas un mot : je regarde toujours La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles : Je suis, sous le corsage et les frêles atours, Le dos divin après la courbe des épaules. J'ai bientôt déniché la bottine, le bas... - Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres. Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas... - Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres.
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Bêtise de la guerre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Bêtise de la guerre Titre : Bêtise de la guerre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : L'année terrible (1872). Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile, Berceuse du chaos où le néant oscille, Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons, Toute pleine du bruit furieux des clairons, Ô buveuse de sang, qui, farouche, flétrie, Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie, Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit, Où flotte une clarté plus noire que la nuit, Folle immense, de vent et de foudres armée, A quoi sers-tu, géante, à quoi sers-tu, fumée, Si tes écroulements reconstruisent le mal, Si pour le bestial tu chasses l'animal, Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre, Défaire un empereur que pour en faire un autre ?
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Pensionnaires
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Pensionnaires Titre : Pensionnaires Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ; Toutes deux dormaient dans la même chambre. C'était par un soir très lourd de septembre Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise. Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise, La fine chemise au frais parfum d'ambre. La plus jeune étend les bras, et se cambre, Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise, Puis tombe à genoux, puis devient farouche Et tumultueuse et folle, et sa bouche Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ; Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense Sur ses doigts mignons des valses promises, Et, rose, sourit avec innocence.
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Éloge de l'oranger
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Éloge de l'oranger Titre : Éloge de l'oranger Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Sommes-nous, dit-il, en Provence ? Quel amas d'arbres toujours verts Triomphe ici de l'inclémence Des aquilons et des hivers ? Jasmins dont un air doux s'exhale, Fleurs que les vents n'ont pu ternir, Aminte en blancheur vous égale, Et vous m'en faites souvenir. Orangers, arbres que j'adore, Que vos parfums me semblent doux ! Est-il dans l'empire de Flore Rien d'agréable comme vous ? Vos fruits aux écorces solides Sont un véritable trésor ; Et le jardin des Hespérides N'avait point d'autres pommes d'or. Lorsque votre automne s'avance, On voit encor votre printemps ; L'espoir avec la jouissance Logent chez vous en même temps. Vos fleurs ont embaumé tout l'air que je respire : Toujours un aimable zéphyre Autour de vous se va jouant. Vous êtes nains ; mais tel arbre géant, Qui déclare au soleil la guerre, Ne vous vaut pas, Bien qu'il couvre un arpent de terre Avec ses bras.
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Bien loin d'ici
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Bien loin d'ici Titre : Bien loin d'ici Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). C'est ici la case sacrée Où cette fille très parée, Tranquille et toujours préparée, D'une main éventant ses seins, Et son coude dans les coussins, Ecoute pleurer les bassins ; C'est la chambre de Dorothée. - La brise et l'eau chantent au loin Leur chanson de sanglots heurtée Pour bercer cette enfant gâtée. Du haut en bas, avec grand soin, Sa peau délicate est frottée D'huile odorante et de benjoin. - Des fleurs se pâment dans un coin.
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Parisien, mon frère à jamais étonné
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Parisien, mon frère à jamais étonné Titre : Parisien, mon frère à jamais étonné Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Parisien, mon frère à jamais étonné, Montons sur la colline où le soleil est né Si glorieux qu'il fait comprendre l'idolâtre, Sous cette perspective inconnue au théâtre. D'arbres au vent et de poussière d'ombre et d'or. Montons. Il est si frais encor, montons encor. Là ! nous voilà placés comme dans une « loge De face », et le décor vraiment tire un éloge, La cathédrale énorme et le beffroi sans fin. Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain Appareil des remparts pompeux et grands quand même, Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l'or blême Des nuages à l'ouest réverbérant l'or dur De derrière chez nous, tous ces lourds joyaux sur Ces ouates, n'est-ce pas, l'écrin vaut le voyage, Et c'est ce qu'on peut dire un brin de paysage ? — Mais descendons, si ce n'est pas trop abuser De vos pieds las, à fin seule de reposer Vos yeux qui n'ont jamais rien vu que Montmartre, — « Campagne » vert de plaie et ville blanc de dartre (Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin !) — Donc, par ce lent sentier de rosée et de thym, Cheminons vers la ville au long de la rivière, Sous les frais peupliers, dans la fine lumière. L'une des portes ouvre une rue, entrons-y. Aussi bien, c'est le point qu'il faut, l'endroit choisi : Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites. Point hautes, çà et là des bronches sur leurs faîtes, Si doux et sinueux le cours de ces maisons, Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons, Profilant la lumière et l'ombre en broderies Au lieu du long ennui de vos haussmanneries, Et si gentil l'accent qui confine au patois De ces passants naïfs avec leurs yeux matois !... Des places ivres d'air et de cris d'hirondelles Où l'histoire proteste en formules fidèles À la crête des toits comme au fer des balcons, Des portes ne tournant qu'à regret sur leurs gonds, Jalouses de garder l'honneur et la famille... Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille, Le « Théâtre » fait four, et ce dieu des brouillons. Le « Journal » n'en est plus à compter ses bouillons, L'amour même prétend conserver ses noblesses Et le vice se gobe en de rares drôlesses. Enfin rien de Paris, mon frère « dans nos murs ». Que les modes... d'hier, et que les fruits bien mûrs De ce fameux progrès que vous mangez en herbe. Du reste on vit à l'aise. Une chère superbe, La raison raisonnable et l'esprit des aïeux, Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux, Et ce besoin d'avoir peur de la grande route ! Avouez, la province est bonne, somme toute. Et vous regrettez moins que tantôt la « splendeur » Du vieux monstre, et son pouls fébrile, et cette odeur !
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L'immensité de l'humanité
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'immensité de l'humanité Titre : L'immensité de l'humanité Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). L'immensité de l'humanité, Le Temps passé vivace et bon père, Une entreprise à jamais prospère : Quelle puissante et calme cité ! Il semble ici qu'on vit dans l'histoire. Tout est plus fort que l'homme d'un jour. De lourds rideaux d'atmosphère noire Font richement la nuit alentour. Ô civilisés que civilise L'Ordre obéi, le Respect sacré ! Ô, dans ce champ si bien préparé Cette moisson de la seule Eglise !
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Le songe (I)
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Le songe (I) Titre : Le songe (I) Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Corrigé par tes beaux discours J'avais résolu d'être sage, Et dans un accès de courage Je congédiais les amours Et les chimères du bel âge. La nuit vint ; un profond sommeil Ferma mes paupières tranquilles ; Tous mes songes étaient faciles ; Je ne craignais point le réveil. Mais quand l'aurore impatiente, Blanchissant l'ombre de la nuit, À la nature renaissante Annonça le jour qui la suit : L'amour vint s'offrir à ma vue ; Le sourire le plus charmant Errait sur sa bouche ingénue ; Je le reconnus aisément. Il s'approcha de mon oreille. Tu dors, me dit-il doucement, Et tandis que ton cœur sommeille, L'heure s'écoule incessamment. Ici bas tout se renouvelle, L'homme seul vieillit sans retour ; Son existence n'est qu'un jour Suivi d'une nuit éternelle, Mais encor trop long sans amour. À ces mots j'ouvris la paupière ; Adieu sagesse, adieu projets ; Revenez, enfants de Cythère, Je suis plus faible que jamais.
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Albertus (XLIX)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (XLIX) Titre : Albertus (XLIX) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Amour ! le seul péché qui vaille qu'on se damne, Théophile Gautier. Amour ! le seul péché qui vaille qu'on se damne, - En vain dans ses sermons le prêtre te condamne, En vain dans son fauteuil, besicles sur le nez, La maman te dépeint comme un monstre à sa fille ; - En vain Orgon jaloux ferme sa porte, et grille Ses fenêtres. - En vain dans leurs livres mort-nés, Contre toi longuement les moralistes crient, En vain de ton pouvoir les coquettes se rient ; - La novice à ton nom fait un signe de croix ; Jeune ou vieux, laid ou beau, teint vermeil ou teint blême, Anglais, Français, païen ou chrétien, - chacun aime Au moins dans sa vie une fois.
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Dans la grotte
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Dans la grotte Titre : Dans la grotte Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Là ! Je me tue à vos genoux ! Car ma détresse est infinie, Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie Est une agnelle au prix de vous. Oui, céans, cruelle Clymène, Ce glaive, qui dans maints combats Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas, Va finir ma vie et ma peine ! Ai-je même besoin de lui Pour descendre aux Champs Élysées ? Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées Mon coeur, dès que votre oeil m'eut lui ?
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À l'enfant malade pendant le siège
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'enfant malade pendant le siège Titre : À l'enfant malade pendant le siège Poète : Victor Hugo (1802-1885) Si vous continuez d'être ainsi toute pâle Dans notre air étouffant, Si je vous vois entrer dans mon ombre fatale, Moi vieillard, vous enfant ; Si je vois de nos jours se confondre la chaîne, Moi qui sur mes genoux Vous contemple, et qui veux la mort pour moi prochaine, Et lointaine pour vous ; Si vos mains sont toujours diaphanes et frêles, Si, dans vôtre berceau, Tremblante, vous avez l'air d'attendre des ailes Comme un petit oiseau ; Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre Racine pour longtemps, Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystère Vos doux yeux mécontents ; Si je ne vous vois pas gaie et rose et très forte, Si, triste, vous rêvez, Si vous ne fermez pas derrière vous la porte Par où vous arrivez ; Si je ne vous vois pas comme une belle femme Marcher, vous bien porter, Rire, et si vous semblez être une petite âme Qui ne veut pas rester, Je croirai qu'en ce monde où le suaire au lange Parfois peut confiner, Vous venez pour partir, et que vous êtes l'ange Chargé de m'emmener.
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Une tempête souffle
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Une tempête souffle Titre : Une tempête souffle Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Une tempête souffle, et sur l'immense plage S'appesantit un ciel presque noir et cruel, Où s'obstine le vol grisâtre d'un pétrel, Qui le rend plus funèbre encore et plus sauvage ; Un tourbillon de sable éperdu se propage Vers un horizon blême où tout semble irréel ; Il traîne sur la dune un lamentable appel Fait du courroux dos vents et de cris de naufrage ; Les joncs verts frissonnants sont pâles dans la brume ; Sous le morne brouillard qui roule sur la mer, Bondit, hurle et s'écroule un tumulte d'écume ; Et dans ce vaste deuil qu'étreint ce ciel de fer, Nous sentons dans nos cœurs l'indicible amertume De nos baisers d'adieu flagellés par l'hiver.
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Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas Titre : Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas, Mais tirez-moi le coeur de votre douce haleine ; Non, ne le tirez pas, mais hors de chaque veine Sucez-moi toute l'âme éparse entre vos bras ; Non, ne la sucez pas ; car après le trépas Que serais-je sinon une semblance vaine, Sans corps, dessus la rive, où l'amour ne démène (Pardonne-moi, Pluton) qu'en feintes ses ébats ? Pendant que nous vivons, entr'aimons-nous, Marie, Amour ne règne pas sur la troupe blêmie Des morts, qui sont sillés d'un long somme de fer. C'est abus que Pluton ait aimé Proserpine ; Si doux soin n'entre point en si dure poitrine : Amour règne en la terre et non point en enfer.
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Juin
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Juin Titre : Juin Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Mois de Jésus, mois rouge et or, mois de l'Amour, Juin, pendant quel le cœur en fleur et Tàme en flamme Se sont épanouis dans la splendeur du jour Parmi des chants et des parfums d'épithalame, Mois du Saint-Sacrement et mois du Sacré-Cœur, Mois splendide du Sang réel, et de la Chair vraie, Pendant que l'herbe mûre offre à l'été vainqueur Un champ clos où le blé triomphe de l'ivraie, Et pendant quel, nous misérables, nous pécheurs, Remémorés de la Présence non pareille. Nous sentons ravigorés en retours vengeurs Contre Satan, pour des triomphes que surveille Du ciel là-haut, et sur terre, de l'ostensoir, L'adoré, l'adorable Amour sanglant et chaste, Et du sein douloureux où gîte notre espoir Le Cœur, le Cœur brûlant que le désir dévaste, Le désir de sauver les nôtres, ô Bonté Essentielle, de leur gagner la victoire Éternelle. Et l'encens de l'immuable été Monte mystiquement en des douceurs de gloire.
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Moesta et errabunda
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Moesta et errabunda Titre : Moesta et errabunda Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l'immonde cité, Vers un autre océan où la splendeur éclate, Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ? Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs, De cette fonction sublime de berceuse ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate ! Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs ! - Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs, Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ? Comme vous êtes loin, paradis parfumé, Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie, Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé, Où dans la volupté pure le coeur se noie ! Comme vous êtes loin, paradis parfumé ! Mais le vert paradis des amours enfantines, Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets, Les violons vibrant derrière les collines, Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets, - Mais le vert paradis des amours enfantines, L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs, Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine ? Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs, Et l'animer encor d'une voix argentine, L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?
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La Saint-Valentin
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : La Saint-Valentin Titre : La Saint-Valentin Poète : Auguste Angellier (1848-1911) À Léopold Lacour. Février vient, c'est la Saint-Falentin, Février vient, il fait rougir les saules, Et, sous les rais d'un soleil argentin, Encor frileux découvre ses épaules. Dès qu'au ciel gris, c'est la Saint-Valentin, Dès qu'au ciel gris, un peu d'aube prochaine, Un pli d'argent et de jour indistinct Ont soulevé les ombres sur la plaine, Tous les oiseaux, c'est la Saint-Valentin, Tous les oiseaux, rouge-gorges, fauvettes, Merles, geais, pics, tout le peuple mutin Des moineaux francs, les vives alouettes, Se réveillant, c'est la Saint-Valentin, Se réveillant, et secouant leurs plumes, D'un fou désir et d'un vol incertain Se sont cherchés dans les dernières bruines. Dans les buissons, c'est la Saint-Valentin, Dans les buissons, les lierres et les haies Où le houx vert offre un rouge festin, Dans les roseaux, les halliers, les coudraies. Dans les vieux murs, c'est la Saint-Valentin, Dans les vieux murs, pleins d'heureuses nouvelles, Ce fut des cris, des chants, un bruit lointain De gazouillis et de battements d'ailes. Tous échangeaient, c'est la Saint-Valentin, Tous échangeaient, en palpitant de joie, Maint propos tendre ou leste ou libertin, Après lesquels il faut qu'on se tutoie. De temps en temps, c'est la Saint-Valentin, De temps en temps, se détachait un couple ; Et tous les deux avaient bientôt atteint, Pour y causer tout seuls, un rameau souple. Puis ils cherchaient, c'est la Saint-Valentin, Puis ils cherchaient les branches élevées Ou l'humble touffe où blottir leur destin, Et faire un nid aux futures couvées. Et tout le jour, c'est la Saint-Valentin, Et tout le jour ce fut des mariages, Conclus sans prêtre et francs de sacristain, Et dont les lits sont les premiers feuillages. Voici le soir, c'est la Saint-Valentin, Voici le soir, sortant de ses repaires L'ombre a rampé vers le soleil éteint : Tous les oiseaux sont endormis par paires.
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Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme d'un cor
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme d'un cor Titre : Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme d'un cor Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme d'un cor, Des étoiles de sang sur des cuirasses d'or. On trébuche à travers des chaleurs d'incendie... Mais en somme la voix s'en va, comme d'un cor. Voix de la Haine : cloche en mer, fausse, assourdie De neige lente. Il fait si froid ! Lourde, affadie, La vie a peur et court follement sur le quai Loin de la cloche qui devient plus assourdie. Voix de la Chair : un gros tapage fatigué. Des gens ont bu. L'endroit fait semblant d'être gai. Des yeux, des noms, et l'air plein de parfums atroces Où vient mourir le gros tapage fatigué. Voix d'Autrui : des lointains dans des brouillards. Des noces Vont et viennent. Des tas d'embarras. Des négoces, Et tout le cirque des civilisations Au son trotte-menu du violon des noces. Colères, soupirs noirs, regrets, tentations Qu'il a fallu pourtant que nous entendissions Pour l'assourdissement des silences honnêtes, Colères, soupirs noirs, regrets, tentations, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes, Sentences, mots en vain, métaphores mal faites, Toute la rhétorique en fuite des péchés, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes ! Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés. Mourez à nous, mourez aux humbles voeux cachés Que nourrit la douceur de la Parole forte, Car notre coeur n'est plus de ceux que vous cherchez ! Mourez parmi la voix que la Prière emporte Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour, Mourez parmi la voix que la Prière apporte, Mourez parmi la voix terrible de l'Amour !
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Contre Denise Sorcière
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Contre Denise Sorcière Titre : Contre Denise Sorcière Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) L'inimitié que je te porte, Passe celle, tant elle est forte, Des aigneaux et des loups, Vieille sorcîere deshontée, Que les bourreaux ont fouëttée Te honnissant de coups. Tirant apres toy une presse D'hommes et de femmes espesse, Tu monstrois nud le flanc, Et monstrois nud parmy la rue L'estomac, et l'espaule nue Rougissante de sang. Mais la peine fut bien petite, Si Ion balance ton merite : Le Ciel ne devoit pas Pardonner à si lasche teste, Ains il devoit de sa tempeste L'acravanter à bas. La Terre mere encor pleurante Des Geans la mort violante Bruslez du feu des cieux, (Te laschant de son ventre à peine) T'engendra, vieille, pour la haine Qu'elle portait aux Dieux. Tu sçais que vaut mixtionnée La drogue qui nous est donnée Des pays chaleureux, Et en quel mois, en quelles heures Les fleurs des femmes sont meilleures Au breuvage amoureux. Nulle herbe, soit elle aux montagnes, Ou soit venimeuse aux campagnes, Tes yeux sorciers ne fuit, Que tu as mille fois coupée D'une serpe d'airain courbée, Beant contre la nuit. Le soir, quand la Lune fouëtte Ses chevaux par la nuict muette, Pleine de rage, alors Voilant ta furieuse teste De la peau d'une estrange beste Tu t'eslances dehors. Au seul soufler de son haleine Les chiens effroyez par la plaine Aguisent leurs abois : Les fleuves contremont reculent, Les loups effroyablement hurlent Apres toy par les bois. Adonc par les lieux solitaires, Et par l'horreur des cimetaires Où tu hantes le plus, Au son des vers que tu murmures Les corps des morts tu des-emmures De leurs tombeaux reclus. Vestant de l'un l'image vaine Tu viens effroyer d'une peine (Rebarbotant un sort) Quelque veufve qui se tourmente, Ou quelque mere qui lamente Son seul heritier mort. Tu fais que la Lune enchantée Marche par l'air toute argentée, Luy dardant d'icy bas Telle couleur aux jouës palles, Que le son de mille cymbales Ne divertirait pas. Tu es la frayeur du village : Chacun craignant ton sorcelage Te ferme sa maison, Tremblant de peur que tu ne taches Ses boeufs, ses moutons et ses vaches Du just de ta poison. J'ay veu souvent ton oeil senestre, Trois fois regardant de loin paistre La guide du troupeau, L'ensorceler de telle sorte, Que tost apres je la vy morte Et les vers sur la peau. Comme toy, Medée exécrable Fut bien quelquefois profitable : Ses venins ont servy, Reverdissant d'Eson l'escorce : Au contraire, tu m'as par force Mon beau printemps ravy. Dieux ! si là-haut pitié demeure, Pour récompense qu'elle meure, Et ses os diffamez Privez d'honneur de sépulture, Soient des oiseaux goulus pasture, Et des chiens affamez.
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Ma maîtresse est toute angelette
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ma maîtresse est toute angelette Titre : Ma maîtresse est toute angelette Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Ma maîtresse est toute angelette, Toute belle fleur nouvelette, Toute mon gracieux accueil, Toute ma petite brunette, Toute ma douce mignonnette, Toute mon coeur, toute mon oeil. Toute ma grâce et ma Charite, Toute belle perle d'élite, Toute doux parfum indien, Toute douce odeur d'Assyrie, Toute ma douce tromperie, Toute mon mal, toute mon bien. Toute miel, toute reguelyce, Toute ma petite malice, Toute ma joie, et ma langueur, Toute ma petite Angevine, Ma toute simple, et toute fine, Toute mon âme, et tout mon coeur. Encore un envieux me nie Que je ne dois aimer m'amie : Mais quoi ? Si ce bel envieux Disait que mes yeux je n'aimasse Penseriez-vous que je laissasse, Pour son dire, à n'aimer mes yeux ?
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Un soir d'octobre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un soir d'octobre Titre : Un soir d'octobre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). L'automne et le soleil couchant ! Je suis heureux ! Du sang sur de la pourriture ! L'incendie au zénith ! La mort dans la nature ! L'eau stagnante, l'homme fiévreux ! Oh ! c'est bien là ton heure et ta saison, poète Au cœur vide d'illusions, Et que rongent les dents de rats des passions, Quel bon miroir, et quelle fête ! Que d'autres, des pédants, des niais ou des fous, Admirent le printemps et l'aube, Ces deux pucelles-là, plus roses que leur robe ; Moi, je t'aime, âpre automne, et te préfère à tous Les minois d'innocentes, d'anges, Courtisane cruelle aux prunelles étranges.
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À ma fille Adèle
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À ma fille Adèle Titre : À ma fille Adèle Poète : Victor Hugo (1802-1885) Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche, Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ; Ton pur sommeil était si calme et si charmant Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre ; Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre Du mystérieux firmament. Et j'écoutais voler sur ta tête les anges ; Et je te regardais dormir ; et sur tes langes J'effeuillais des jasmins et des oeillets sans bruit ; Et je priais, veillant sur tes paupières closes ; Et mes yeux se mouillaient de pleurs, songeant aux choses Qui nous attendent dans la nuit. Un jour mon tour viendra de dormir ; et ma couche, Faite d'ombre, sera si morne et si farouche Que je n'entendrai pas non plus chanter l'oiseau ; Et la nuit sera noire ; alors, ô ma colombe, Larmes, prière et fleurs, tu rendras à ma tombe Ce que j'ai fait pour ton berceau.
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Soleil et chair
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Soleil et chair Titre : Soleil et chair Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, Verse l'amour brûlant à la terre ravie, Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang ; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme, Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons, Le grand fourmillement de tous les embryons ! Et tout croît, et tout monte ! - Ô Vénus, ô Déesse ! Je regrette les temps de l'antique jeunesse, Des satyres lascifs, des faunes animaux, Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde ! Je regrette les temps où la sève du monde, L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts Dans les veines de Pan mettaient un univers ! Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre ; Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ; Où, debout sur la plaine, il entendait autour Répondre à son appel la Nature vivante ; Où les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante, La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu ! Je regrette les temps de la grande Cybèle Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle, Sur un grand char d'airain, les splendides cités ; Son double sein versait dans les immensités Le pur ruissellement de la vie infinie. L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie, Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux. - Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux. Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses, Et va, les yeux fermés et les oreilles closes. Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi, L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi ! Oh ! si l'homme puisait encore à ta mamelle, Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ; S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, Montra son nombril rose où vint neiger l'écume, Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs, Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs ! II Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère, Aphrodite marine ! - Oh ! la route est amère Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix ; Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois ! - Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste. Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste, Parce qu'il a sali son fier buste de dieu, Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu, Son cors Olympien aux servitudes sales ! Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles Il veut vivre, insultant la première beauté ! - Et l'Idole où tu mis tant de virginité, Où tu divinisas notre argile, la Femme, Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme Et monter lentement, dans un immense amour, De la prison terrestre à la beauté du jour, La Femme ne sait plus même être courtisane ! - C'est une bonne farce ! et le monde ricane Au nom doux et sacré de la grande Vénus ! III Si les temps revenaient, les temps qui sont venus ! - Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué tous les rôles ! Au grand jour, fatigué de briser des idoles, Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux, Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux ! L'Idéal, la pensée invincible, éternelle, Tout ; le dieu qui vit, sous son argile charnelle, Montera, montera, brûlera sous son front ! Et quand tu le verras sonder tout l'horizon, Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte, Tu viendras lui donner la Rédemption sainte ! - Splendide, radieuse, au sein des grandes mers Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers L'Amour infini dans un infini sourire ! Le Monde vibrera comme une immense lyre Dans le frémissement d'un immense baiser ! - Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser. Ô ! L'Homme a relevé sa tête libre et fière ! Et le rayon soudain de la beauté première Fait palpiter le dieu dans l'autel de la chair ! Heureux du bien présent, pâle du mal souffert, L'Homme veut tout sonder, - et savoir ! La Pensée, La cavale longtemps, si longtemps oppressée S'élance de son front ! Elle saura Pourquoi !... Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura la Foi ! - Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable ? Pourquoi les astres d'or fourmillant comme un sable ? Si l'on montait toujours, que verrait-on là-haut ? Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ? Et tous ces mondes-là, que l'éther vaste embrasse, Vibrent-ils aux accents d'une éternelle voix ? - Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ? La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ? Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève, D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature Le ressuscitera, vivante créature, Pour aimer dans la rose, et croître dans les blés ?... Nous ne pouvons savoir ! - Nous sommes accablés D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères ! Singes d'hommes tombés de la vulve des mères, Notre pâle raison nous cache l'infini ! Nous voulons regarder : - le Doute nous punit ! Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile... - Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !... Le grand ciel est ouvert ! les mystères sont morts Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras forts Dans l'immense splendeur de la riche nature ! Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour !... - C'est la Rédemption ! c'est l'amour ! c'est l'amour !... IV Ô splendeur de la chair ! ô splendeur idéale ! Ô renouveau d'amour, aurore triomphale Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros, Kallipyge la blanche et le petit Éros Effleureront, couverts de la neige des roses, Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses ! - Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots, Blanche sous le soleil, la voile de Thésée, Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée, Tais-toi ! Sur son char d'or brodé de noirs raisins, Lysios, promené dans les champs Phrygiens Par les tigres lascifs et les panthères rousses, Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses. - Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague. Il tourne lentement vers elle son oeil vague ; Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur, Au front de Zeus ; ses yeux sont fermés ; elle meurt Dans un divin baiser, et le flot qui murmure De son écume d'or fleurit sa chevelure. - Entre le laurier-rose et le lotus jaseur Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur Embrassant la Léda des blancheurs de son aile ; - Et tandis que Cypris passe, étrangement belle, Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins, Étale fièrement l'or de ses larges seins Et son ventre neigeux brodé de mousse noire, - Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire, Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion, S'avance, front terrible et doux, à l'horizon ! Par la lune d'été vaguement éclairée, Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus, Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile, La Dryade regarde au ciel silencieux... - La blanche Séléné laisse flotter son voile, Craintive, sur les pieds du bel Endymion, Et lui jette un baiser dans un pâle rayon... - La Source pleure au loin dans une longue extase... C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase, Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé. - Une brise d'amour dans la nuit a passé, Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres, Majestueusement debout, les sombres Marbres, Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid, - Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini ! Le 29 avril 1870.
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Le rêve d'un curieux
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le rêve d'un curieux Titre : Le rêve d'un curieux Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse, Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! " - J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse, Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ; Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse. Plus allait se vidant le fatal sablier, Plus ma torture était âpre et délicieuse ; Tout mon coeur s'arrachait au monde familier. J'étais comme l'enfant avide du spectacle, Haïssant le rideau comme on hait un obstacle... Enfin la vérité froide se révéla : J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ? La toile était levée et j'attendais encore.
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Dédain
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Dédain Titre : Dédain Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Une pitié me prend quand à part moi je songe À cette ambition terrible qui nous ronge De faire parmi tous reluire notre nom, De ne voir s'élever par-dessus nous personne, D'avoir vivant encore le nimbe et la couronne, D'être salué grand comme Gœthe ou Byron. Les peintres jusqu'au soir courbés sur leurs palettes, Les Amphions frappant leurs claviers, les poètes, Tous les blêmes rêveurs, tous les croyants de l'art, Dans ces noms éclatants et saints sur tous les autres, Prennent un nom pour Dieu, dont ils se font apôtres, Un de vos noms, Shakespeare, Michel-Ange ou Mozart ! C'est là le grand souci qui tous, tant que nous sommes, Dans cet âge mauvais, austères jeunes hommes, Nous fait le teint livide et nous cave les yeux ; La passion du beau nous tient et nous tourmente, La sève sans issue au fond de nous fermente, Et de ceux d'aujourd'hui bien peu deviendront vieux. De ces frêles enfants, la terreur de leur mère, Qui s'épuisent en vain à suivre leur chimère, Combien déjà sont morts ! Combien encore mourront ! Combien au beau moment, gloire, ô froide statue, Gloire que nous aimons et dont l'amour nous tue, Pâles, sur ton épaule ont incliné le front ! Ah ! chercher sans trouver et suer sur un livre, Travailler, oublier d'être heureux et de vivre ; Ne pas avoir une heure à dormir au soleil, À courir dans les bois sans arrière-pensée ; Gémir d'une minute au plaisir dépensée, Et faner dans sa fleur son beau printemps vermeil ; Jeter son âme au vent et semer sans qu'on sache Si le grain sortira du sillon qui le cache, Et si jamais l'été dorera le blé vert ; Faire comme ces vieux qui vont plantant des arbres, Entassant des trésors et rassemblant des marbres, Sans songer qu'un tombeau sous leurs pieds est ouvert ! Et pourtant chacun n'a que sa vie en ce monde, Et pourtant du cercueil la nuit est bien profonde ; Ni lune, ni soleil : c'est un sommeil bien long ; Le lit est dur et froid ; les larmes que l'on verse, La terre les boit vite, et pas une ne perce, Pour arriver à vous, le suaire et le plomb. Dieu nous comble de biens ; notre mère Nature Rit amoureusement à chaque créature ; Le spectacle du ciel est admirable à voir ; La nuit a des splendeurs qui n'ont pas de pareilles ; Des vents tout parfumés nous chantent aux oreilles : « Vivre est doux, et pour vivre il ne faut que vouloir. » Pourquoi ne vouloir pas ? Pourquoi ? Pour que l'on dise, Quand vous passez : « C'est lui ! » Pour que dans une église, Saint-Denis, Westminster, sous un pavé noirci, On vous couche à côté de rois que le ver mange, N'ayant pour vous pleurer qu'une figure d'ange Et cette inscription : « Un grand homme est ici. » En vérité, c'est tout. — Ô néant ! Ô folie ! Vouloir qu'on se souvienne alors que tout oublie, Vouloir l'éternité lorsque l'on n'a qu'un jour ! Rêver, chercher le beau, fonder une mémoire, Et forger un par un les rayons de sa gloire, Comme si tout cela valait un mot d'amour !
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La source
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La source Titre : La source Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Tout près du lac filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin ; Allègrement l'eau prend sa course Comme pour s'en aller bien loin. Elle murmure : Oh ! quelle joie ! Sous la terre il faisait si noir ! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire à mon miroir. Les myosotis aux fleurs bleues Me disent : Ne m'oubliez pas ! Les libellules de leurs queues M'égratignent dans leurs ébats ; A ma coupe l'oiseau s'abreuve ; Qui sait ? - Après quelques détours Peut-être deviendrai-je un fleuve Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, Emportant le steamer qui fume A l'Océan où tout finit. Ainsi la jeune source jase, Formant cent projets d'avenir ; Comme l'eau qui bout dans un vase, Son flot ne peut se contenir ; Mais le berceau touche à la tombe ; Le géant futur meurt petit ; Née à peine, la source tombe Dans le grand lac qui l'engloutit !
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La cloche fêlée
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La cloche fêlée Titre : La cloche fêlée Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Il est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume, Les souvenirs lointains lentement s'élever Au bruit des carillons qui chantent dans la brume, Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante, Jette fidèlement son cri religieux, Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente ! Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits, Il arrive souvent que sa voix affaiblie Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts, Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.
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Du songe universel
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Du songe universel Titre : Du songe universel Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893). Du songe universel notre pensée est faite ; Et le dragon était consulté du prophète, Et jadis, dans l'horreur des antres lumineux, Entr'ouvrant de leur griffe ou tordant en leurs noeuds D'effrayants livres pleins de sinistres passages, Les monstres chuchotaient à l'oreille des sages.
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À Rosita
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Rosita Titre : À Rosita Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). Tu ne veux pas aimer, méchante ? Le printemps est triste, vois ; Entends-tu ce que l'oiseau chante Dans la sombre douceur des bois ? Sans l'amour rien ne reste d'Ève ; L'amour, c'est la seule beauté ; Le ciel, bleu quand l'astre s'y lève, Est tout noir, le soleil ôté. Tu deviendras laide toi-même Si tu n'as pas plus de raison. L'oiseau chante qu'il faut qu'on aime, Et ne sait pas d'autre chanson.
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Étoiles
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Étoiles Titre : Étoiles Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Étoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes, Faites pleuvoir sur moi, de vos paupières blondes, Vos pleurs de diamant ; Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre, Verse-moi tes rayons, ô blanche solitaire, Du fond du firmament ! Oeil ouvert sans repos au milieu de l'espace, Perce, soleil puissant, ce nuage qui passe ! Que je te voie encor ; Aigles, vous qui fouettez le ciel à grands coups d'ailes, Griffons au vol de feu, rapides hirondelles, Prêtez-moi votre essor ! Vents, qui prenez aux fleurs leurs âmes parfumées Et les aveux d'amour aux bouches bien-aimées ; Air sauvage des monts, Encor tout imprégné des senteurs du mélèze ; Brise de l'Océan où l'on respire à l'aise, Emplissez mes poumons ! Avril, pour m'y coucher, m'a fait un tapis d'herbe ; Le lilas sur mon front s'épanouit en gerbe, Nous sommes au printemps. Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poète, Entre vos seins polis posez ma pauvre tête Et bercez-moi longtemps. Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits ! Les roses, Les femmes, les chansons, toutes les belles choses Et tous les beaux amours, Voilà ce qu'il me faut. Salut, ô muse antique, Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique, Plus jeune tous les jours ! Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire, Ô Grecque de Milet, sur l'escabeau d'ivoire Pose tes beaux pieds nus ; Que d'un nectar vermeil la coupe se couronne ! Je bois à ta beauté d'abord, blanche Théone, Puis aux dieux inconnus. Ta gorge est plus lascive et plus souple que l'onde ; Le lait n'est pas si pur et la pomme est moins ronde. Allons, un beau baiser ! Hâtons-nous, hâtons-nous ! Notre vie, ô Théone, Est un cheval ailé que le Temps éperonne, Hâtons-nous d'en user. Chantons Io, Péan !... Mais quelle est cette femme Si pâle sous son voile ? Ah ! c'est toi, vieille infâme ! Je vois ton crâne ras ; Je vois tes grands yeux creux, prostituée immonde, Courtisane éternelle environnant le monde Avec tes maigres bras !
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Le premier amour
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésie : Le premier amour Titre : Le premier amour Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Recueil : Romances (1830). Vous souvient-il de cette jeune amie, Au regard tendre, au maintien sage et doux ? À peine, hélas ! au printemps de sa vie, Son cœur sentit qu'il était fait pour vous. Point de serment, point de vaine promesse : Si jeune encore, on ne les connaît pas ; Son âme pure aimait avec ivresse, Et se livrait sans honte et sans combats. Elle a perdu son idole chérie ; Bonheur si doux a duré moins qu'un jour ! Elle n'est plus au printemps de sa vie : Elle est encore à son premier amour.
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La source
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La source Titre : La source Poète : Victor Hugo (1802-1885) Un lion habitait près d'une source ; un aigle Y venait boire aussi. Or, deux héros, un jour, deux rois — souvent Dieu règle La destinée ainsi — Vinrent à cette source où des palmiers attirent Le passant hasardeux, Et, s'étant reconnus, ces hommes se battirent Et tombèrent tous deux. L'aigle, comme ils mouraient, vint planer sur leurs têtes, Et leur dit, rayonnant : « Vous trouviez l'univers trop petit, et vous n'êtes Qu'une ombre maintenant ! « Ô princes ! et vos os, hier pleins de jeunesse, Ne seront plus demain Que des cailloux mêlés, sans qu'on les reconnaisse, Aux pierres du chemin ! « Insensés ! à quoi bon cette guerre âpre et rude, Le duel, ce talion ?... » Je vis en paix, moi l'aigle, en cette solitude, Avec lui, le lion. « Nous venons tous deux boire à la même fontaine, Rois dans les mêmes lieux ; Je lui laisse le bois, la montagne et la plaine, Et je garde les cieux. » Octobre 1846.
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Confession
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Confession Titre : Confession Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Une fois, une seule, aimable et douce femme, A mon bras votre bras poli S'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme Ce souvenir n'est point pâli) ; Il était tard ; ainsi qu'une médaille neuve La pleine lune s'étalait, Et la solennité de la nuit, comme un fleuve, Sur Paris dormant ruisselait. Et le long des maisons, sous les portes cochères, Des chats passaient furtivement, L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères, Nous accompagnaient lentement. Tout à coup, au milieu de l'intimité libre Éclose à la pâle clarté, De vous, riche et sonore instrument où ne vibre Que la radieuse gaieté, De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare Dans le matin étincelant, Une note plaintive, une note bizarre S'échappa, tout en chancelant Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde, Dont sa famille rougirait, Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde, Dans un caveau mise au secret. Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde : " Que rien ici-bas n'est certain, Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde, Se trahit l'égoïsme humain ; Que c'est un dur métier que d'être belle femme, Et que c'est le travail banal De la danseuse folle et froide qui se pâme Dans un sourire machinal ; Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte ; Que tout craque, amour et beauté, Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte Pour les rendre à l'Éternité ! " J'ai souvent évoqué cette lune enchantée, Ce silence et cette langueur, Et cette confidence horrible chuchotée Au confessionnal du coeur.
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La bataille commença
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La bataille commença Titre : La bataille commença Poète : Victor Hugo (1802-1885) La bataille commença. Comment ? Par un doux sourire. Elle me dit : — Comme ça, Vous ne voulez pas m'écrire ? — Un billet doux ? — Non, des vers. — Je n'en fais point, répondis-je, — Ainsi parfois de travers Le dialogue voltige. Après le sourire vint Un regard, oh ! qu'elle est fière ! Moi, candidat quinze-vingt, Je me dis : Elle est rosière. Et je me mis à songer À cent vertus, rehaussées Par mes mauvaises pensées D'adolescent en danger. Je me taisais, cela passe Pour puissance et profondeur. Son sourire était la grâce. Et son regard la pudeur. Ce regard et ce sourire M'entraient dans l'âme. Soudain, Elle chanta. Comment dire Ce murmure de l'Éden. Cette voix grave, touchante, Tendre, aux soupirs nuancés !... — Quoi ! m'écriai-je, méchante, Vous achevez les blessés !
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À M. de Régnier
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À M. de Régnier Titre : À M. de Régnier Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). (Après la mort de sa fille.) Quel est donc ce chagrin auquel je m'intéresse ? Nous nous étions connus par l'esprit seulement ; Nous n'avions fait que rire, et causé qu'un moment, Quand sa vivacité coudoya ma paresse. Puis j'allais par hasard au théâtre, en fumant, Lorsque du maître à tous la vieille hardiesse, De sa verve caustique aiguisant la finesse, En Pancrace ou Scapin le transformait gaiement. Pourquoi donc, de quel droit, le connaissant à peine, Est-ce que je m'arrête et ne puis faire un pas, Apprenant que sa fille est morte dans ses bras ? Je ne sais. — Dieu le sait ! Dans la pauvre âme humaine La meilleure pensée est toujours incertaine, Mais une larme coule et ne se trompe pas.
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Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne Titre : Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, Ô vase de tristesse, ô grande taciturne, Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis, Et que tu me parais, ornement de mes nuits, Plus ironiquement accumuler les lieues Qui séparent mes bras des immensités bleues. Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts, Comme après un cadavre un choeur de vermisseaux, Et je chéris, ô bête implacable et cruelle ! Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle !
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Les Amours de Marie (XIX)
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Les Amours de Marie (XIX) Titre : Les Amours de Marie (XIX) Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Comme on voit sur la branche, au mois de Mai, la rose En sa belle jeunesse, en sa première fleur, Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur, Quand l'Aube, de ses pleurs, au point du jour, l'arrose : La Grâce dans sa feuille, et l'Amour se repose, Embaumant les jardins et les arbres d'odeur : Mais battue ou de pluie ou d'excessive ardeur, Languissante, elle meurt feuille à feuille déclose. Ainsi, en ta première et jeune nouveauté, Quand la terre et le Ciel honoraient ta beauté, La Parque t'a tué, et cendre tu reposes. Pour obsèques reçoit mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs, Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
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Torquato Tasso
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Torquato Tasso Titre : Torquato Tasso Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). Le poète est un fou perdu dans l'aventure, Qui rêve sans repos de combats anciens, De fabuleux exploits sans nombre qu'il fait siens, Puis chante pour soi-même et la race future. Plus tard, indifférent aux soucis qu'il endure, Pauvreté, gloire lente, ennuis élyséens, Il se prend en les lacs d'amours patriciens, Et son prénom est comme une arrhe de torture. Mais son nom, c'est bonheur ! Ah ! qu'il souffre et jouit, Extasié le jour, halluciné la nuit Ou réciproquement, jusqu'à ce qu'il en meure ! Armide, Éléonore, ô songe, ô vérité ! Et voici qu'il est fou pour en mourir sur l'heure Et pour ressusciter dans l'immortalité !
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Albertus (II)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (II) Titre : Albertus (II) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Confort et far-niente ! - toute une poésie Théophile Gautier. Confort et far-niente ! - toute une poésie De calme et de bien-être, à donner fantaisie De s'en aller là-bas être Flamand ; d'avoir La pipe culottée et la cruche à fleurs peintes, Le vidrecome large à tenir quatre pintes, Comme en ont les buveurs de Brawer, et le soir Près du poêle qui siffle et qui détonne, au centre D'un brouillard de tabac, les deux mains sur le ventre, Suivre une idée en l'air, dormir ou digérer, Chanter un vieux refrain, porter quelque rasade, Au fond d'un de ces chauds intérieurs, qu'Ostade D'un jour si doux sait éclairer !
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Pluriel féminin
Charles Cros (1842-1888)
Poésie : Pluriel féminin Titre : Pluriel féminin Poète : Charles Cros (1842-1888) Recueil : Le collier de griffes (posthume, 1908). Sonnet. Je suis encombré des amours perdues, Je suis effaré des amours offertes. Vous voici pointer, jeunes feuilles vertes. Il faut vous payer, noces qui sont dues. La neige descend, plumes assidues. Hiver en retard, tu me déconcertes. Froideur des amis, tu m'étonnes, certes. Et mes routes sont désertes, ardues. Amours neuves, et vous amours passées, Vous vous emmêlez trop dans mes pensées En des discordances éoliennes. Printemps, viens donc vite et de tes poussées D'un balai d'églantines insensées Chasse de mon cœur les amours anciennes !
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Les ténèbres
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les ténèbres Titre : Les ténèbres Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Dans les caveaux d'insondable tristesse Où le Destin m'a déjà relégué ; Où jamais n'entre un rayon rose et gai ; Où, seul avec la Nuit, maussade hôtesse, Je suis comme un peintre qu'un Dieu moqueur Condamne à peindre, hélas ! sur les ténèbres ; Où, cuisinier aux appétits funèbres, Je fais bouillir et je mange mon coeur, Par instants brille, et s'allonge, et s'étale Un spectre fait de grâce et de splendeur. A sa rêveuse allure orientale, Quand il atteint sa totale grandeur, Je reconnais ma belle visiteuse : C'est Elle ! noire et pourtant lumineuse.
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charles-baudelaire-poeme-les-tenebres
Ô toi triomphante
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ô toi triomphante Titre : Ô toi triomphante Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Ô toi triomphante sur deux « Rivales » (pour dire en haut style). Tu fus ironique, — elles... feues — Et n'employas d'effort subtil Que juste assez pour que tu fus — Ses encor mieux, grâce à cet us Qu'as de me plaire sans complaire Plus qu'il ne faut à mes caprices. Or je te viens jouer un air Tout parfumé d'ambre et d'iris, Bien qu'ayant en horreur triplice Tout parfum hostile ou complice, Sauf la seule odeur de toi, frais Et chaud effluve, vent de mer Et vent, sous le soleil, de prées Non sans quelque saveur amère Pour saler et poivrer ainsi Qu'il est urgent, mon cœur transi. Mon cœur, mais non pas ma bravoure En fait d'amour ! Tu ressuscite- Rais un défunt, le bandant pour Le déduit dont Vénus dit : Sit ! Oui, mon cœur encore il pantèle Du combat court, mais de peur telle ! Peur de te perdre si le sort Des armes eût trahi tes coups. Peur encor de toi, peur encore De tant de boudes et de moues. Quant aux deux autres, ô là là ! Guère n'y pensais, t'étais là. Iris, ambre, ainsi j'annonçai — Ma mémoire est bonne — ces vers A ta victoire fière et gaie Sur tes rivales somnifères. Mais que n'ont-ils le don si cher, Si pur ? Fleurer comme ta chair !
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Chant de printemps
Henri Durand (1818-1842)
Poésie : Chant de printemps Titre : Chant de printemps Poète : Henri Durand (1818-1842) Enfin le printemps nous donne Sa couronne, Et ses parfums précieux ; Enfin parmi les prairies Refleuries S'égarent nos pas joyeux. Vois à travers le feuillage Du rivage, Frémir le lac doux et pur ! Plus loin, vois, ô ma compagne ! La montagne Briller dans les champs d'azur ! As-tu vu, de ta fenêtre Disparaître Du soir les riches couleurs ? As-tu senti, sur la plaine. Quelle haleine Monte des lilas en fleurs ? Le cœur, au printemps suave, Sans entrave, N'est-ce pas ? Peut s'élever. Tout aspire ce mystère Dont la terre S'enveloppe pour rêver. Mais, plus que cette nature Grande et pure, Plus que les teintes des cieux ; Bien plus que l'azur de l'onde Si profonde, Et que les monts glorieux ; Plus que l'haleine surprise De la brise Dans les longs plis du rideau, J'aime entre les fleurs écloses Et les roses, Voir briller ton œil si beau : Ô toi, mon amour suprême ! J'aime, j'aime Ton souris plein de douceur, Ton souris qui me fait vivre, Qui m'enivre Et met le ciel dans mon cœur.
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Marie-Bleue
François Coppée (1842-1908)
Poésie : Marie-Bleue Titre : Marie-Bleue Poète : François Coppée (1842-1908) Recueil : Sonnets intimes et poèmes inédits (1911). En vain je cherche un mot charmant qui vous désigne, Un mot qui réunisse en sa simplicité Votre blanche jeunesse et votre pureté ; Aucun ne me contente et ne m'en semble digne. Il en est de bien doux pourtant qui me font signe, Des mots resplendissants de candide beauté ; C'est la neige d'hiver, c'est le Paros vanté, Et l'hostie, et l'ivoire, et le lys, et le cygne. Mais j'exprimerais mal, en un mot comme en cent, Cette grâce ingénue et ce charme innocent Qui vous font à mes yeux si touchante et si belle, Et ne trouverais rien de plus essentiel Que ce nom qui vous sied si bien et qui rappelle L'image de la Vierge et la couleur du ciel.
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Bonaparte
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Bonaparte Titre : Bonaparte Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Sur un écueil battu par la vague plaintive, Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive Un tombeau près du bord par les flots déposé ; Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre, Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre On distingue... un sceptre brisé ! Ici gît... point de nom !... demandez à la terre ! Ce nom ? il est inscrit en sanglant caractère Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar, Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves, Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d'esclaves Qu'il foulait tremblants sous son char. Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce, Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce Sur l'aile de la foudre aussi loin ne vola. Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface N'imprima sur la terre une plus forte trace, Et ce pied s'est arrêté là !... Il est là !... sous trois pas un enfant le mesure ! Son ombre ne rend pas même un léger murmure ! Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil ! Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne, Et son ombre n'entend que le bruit monotone D'une vague contre un écueil ! Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète, Que je vienne outrager ta majesté muette. Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté. La mort fut de tout temps l'asile de la gloire. Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire. Rien !... excepté la vérité ! Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage, Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage ! Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom ! Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes Aux solitudes de Memnom. Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides ; La victoire te prit sur ses ailes rapides D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi ! Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course Les mœurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source, Recula d'un pas devant toi ! Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre ; Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre ! Le fantôme croula sous le poids d'un mortel ! Et, de tous ses grands noms profanateur sublime, Tu jouas avec eux, comme la main du crime Avec les vases de l'autel. Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire En jetant dans ses fers un cri de liberté, Un héros tout à coup de la poudre s'élève, Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve Tombe devant la vérité ! Ah ! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes, Plaçant sur ton pavois de royales victimes, Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront ! Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même, De quel divin parfum, de quel pur diadème L'histoire aurait sacré ton front ! Gloire ! honneur! liberté ! ces mots que l'homme adore, Retentissaient pour toi comme l'airain sonore Dont un stupide écho répète au loin le son : De cette langue en vain ton oreille frappée Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée, Et le mâle accord du clairon ! Superbe, et dédaignant ce que la terre admire, Tu ne demandais rien au monde, que l'empire ! Tu marchais !... tout obstacle était ton ennemi ! Ta volonté volait comme ce trait rapide Qui va frapper le but où le regard le guide, Même à travers un cœur ami ! Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse, La coupe des festins ne te versa l'ivresse ; Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer ! Comme un soldat debout qui veille sous les armes, Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes, Sans sourire et sans soupirer ! Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes ! L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes ! Et ta main ne flattait que ton léger coursier, Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière, Et que ses pieds brisaient l'acier ! Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure ! Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure : Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser : Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire, Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre, Et des serres pour l'embrasser ! .................................................... .................................................... .................................................... .................................................... S'élancer d'un seul bon au char de la victoire, Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire, Fouler d'un même pied des tribuns et des rois ; Forger un joug trempé dans l'amour et la haine, Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne Un peuple échappé de ses lois ! Etre d'un siècle entier la pensée et la vie, Emousser le poignard, décourager l'envie ; Ebranler, raffermir l'univers incertain, Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde, Quel rêve ! et ce fut ton destin !... Tu tombas cependant de ce sublime faîte ! Sur ce rocher désert jeté par la tempête, Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ! Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace, Pour dernière faveur t'accorda cet espace Entre le trône et le tombeau ! Oh ! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée, Lorsque le souvenir de te grandeur passée Venait, comme un remords, t'assaillir loin du bruit ! Et que, les bras croisés sur ta large poitrine, Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline, L'horreur passait comme la nuit ! Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde Voit son ombre de loin se prolonger sur l'onde Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ; Tel du sommet désert de ta grandeur suprême, Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même, Tu rappelais tes anciens jours ! Ils passaient devant toi comme des flots sublimes Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes, Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ! Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage, Chaque flot t'apportait une brillante image Que tu suivais longtemps des yeux ! Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ! Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ! Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ! Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ! Là, tu changeais en sceptre une invincible épée ! Ici... Mais quel effroi soudain ? Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ? D'où vient cette pâleur sur ton front répandue ? Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé ? Est-ce d'une cité la ruine fumante ? Ou du sang des humains quelque plaine écumante ? Mais la gloire a tout effacé. La gloire efface tout !... tout excepté le crime ! Mais son doigt me montrait le corps d'une victime ; Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé ! Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse ; Et toujours en passant la vague vengeresse Lui jetait le nom de Condé !... Comme pour effacer une tache livide, On voyait sur son front passer sa main rapide ; Mais la trace du sang sous son doigt renaissait ! Et, comme un sceau frappé par une main suprême, La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème, Le couronnait de son forfait ! C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie Fera par ton forfait douter de ton génie ! Qu'une trace de sang suivra partout ton char ! Et que ton nom, jouet d'un éternel orage, Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge Entre Marius et César ! .................................................... .................................................... .................................................... Tu mourus cependant de la mort du vulgaire, Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire, Et dort sur sa faucille avant d'être payé ! Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse, Et tu fus demander récompense ou justice Au dieu qui t'avait envoyé ! On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie, Devant l'éternité seul avec son génie, Son regard vers le ciel parut se soulever ! Le signe rédempteur toucha son front farouche !... Et même on entendit commencer sur sa bouche Un nom !... qu'il n'osait achever ! Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne ! C'est le dieu qui punit ! c'est le dieu qui pardonne ! Pour les héros et nous il a des poids divers ! Parle-lui sans effroi ! lui seul peut te comprendre ! L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre, L'un du sceptre, l'autre des fers ! .................................................... Son cercueil est fermé ! Dieu l'a jugé ! Silence ! Son crime et ses exploits pèsent dans la balance : Que des faibles mortels la main n'y touche plus ! Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ? Et vous, fléaux de Dieu ! qui sait si le génie N'est pas une de vos vertus ?...
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Quand ces beaux yeux
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Quand ces beaux yeux Titre : Quand ces beaux yeux Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Quand ces beaux yeux jugeront que je meure, Avant mes jours me bannissant là bas, Et que la Parque aura porté mes pas A l'autre bord de la rive meilleure, Antres et près, et vous forêts, à l'heure, Pleurant mon mal, ne me dédaignez pas ; Ains donnez-moi, sous l'ombre de vos bras, Une éternelle et paisible demeure. Puisse avenir qu'un poète amoureux, Ayant pitié de mon sort malheureux, Dans un cyprès note cet épigramme : Ci-dessous gît un amant vandômois, Que la douleur tua dedans ce bois Pour aimer trop les beaux yeux de sa dame.
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Égalité
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Égalité Titre : Égalité Poète : Victor Hugo (1802-1885) Dans un grand jardin en cinq actes, Conforme aux préceptes du goût, Où les branches étaient exactes, Où les fleurs se tenaient debout, Quelques clématites sauvages Poussaient, pauvres bourgeons pensifs, Parmi les nobles esclavages Des buis, des myrtes et des ifs. Tout près, croissait, sur la terrasse Pleine de dieux bien copiés, Un rosier de si grande race Qu'il avait du marbre à ses pieds. La rose sur les clématites Fixait ce regard un peu sec Que Rachel jette à ces petites Qui font le choeur du drame grec. Ces fleurs, tremblantes et pendantes, Dont Zéphyre tenait le fil, Avaient des airs de confidentes Autour de la reine d'avril. La haie, où s'ouvraient leurs calices Et d'où sortaient ces humbles fleurs, Écoutait du bord des coulisses Le rire des bouvreuils siffleurs. Parmi les brises murmurantes Elle n'osait lever le front ; Cette mère de figurantes Était un peu honteuse au fond. Et je m'écriai : — Fleurs éparses Près de la rose en ce beau lieu, Non, vous n'êtes pas les comparses Du grand théâtre du bon Dieu. Tout est de Dieu l'oeuvre visible. La rose, en ce drame fécond, Dit le premier vers, c'est possible, Mais le bleuet dit le second. Les esprits vrais, que l'aube arrose, Ne donnent point dans ce travers Que les campagnes sont en prose Et que les jardins sont en vers. Avril dans les ronces se vautre, Le faux art que l'ennui couva Lâche le critique Lenôtre Sur le poète Jéhovah. Mais cela ne fait pas grand-chose À l'immense sérénité, Au ciel, au calme grandiose Du philosophe et de l'été. Qu'importe ! croissez, fleurs vermeilles ! Soeurs, couvrez la terre aux flancs bruns, L'hésitation des abeilles Dit l'égalité des parfums. Croissez, plantes, tiges sans nombre ! Du verbe vous êtes les mots. Les immenses frissons de l'ombre Ont besoin de tous vos rameaux. Laissez, broussailles étoilées, Bougonner le vieux goût boudeur ; Croissez, et sentez-vous mêlées À l'inexprimable grandeur ! Rien n'est haut et rien n'est infime. Une goutte d'eau pèse un ciel ; Et le mont Blanc n'a pas de cime Sous le pouce de l'Éternel. Toute fleur est un premier rôle ; Un ver peut être une clarté ; L'homme et l'astre ont le même pôle ; L'infini, c'est l'égalité. L'incommensurable harmonie, Si tout n'avait pas sa beauté, Serait insultée et punie Dans tout être déshérité. Dieu, dont les cieux sont les pilastres, Dans son grand regard jamais las Confond l'éternité des astres Avec la saison des lilas. Les prés, où chantent les cigales, Et l'Ombre ont le même cadran. Ô fleurs, vous êtes les égales Du formidable Aldébaran. L'intervalle n'est qu'apparence. Ô bouton d'or tremblant d'émoi, Dieu ne fait pas de différence Entre le zodiaque et toi. L'être insondable est sans frontière. Il est juste, étant l'unité. La création tout entière Attendrit sa paternité. Dieu, qui fit le souffle et la roche, Oeil de feu qui voit nos combats, Oreille d'ombre qui s'approche De tous les murmures d'en bas, Dieu, le père qui mit dans les fêtes Dans les éthers, dans les sillons, Qui fit pour l'azur les comètes Et pour l'herbe les papillons, Et qui veut qu'une âme accompagne Les êtres de son flanc sortis, Que l'éclair vole à la montagne Et la mouche au myosotis, Dieu, parmi les mondes en fuite, Sourit, dans les gouffres du jour, Quand une fleur toute petite Lui conte son premier amour.
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L'enthousiasme
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : L'enthousiasme Titre : L'enthousiasme Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Ainsi, quand l'aigle du tonnerre Enlevait Ganymède aux cieux, L'enfant, s'attachant à la terre, Luttait contre l'oiseau des dieux ; Mais entre ses serres rapides L'aigle pressant ses flancs timides, L'arrachait aux champs paternels ; Et, sourd à la voix qui l'implore, Il le jetait, tremblant encore, Jusques aux pieds des immortels. Ainsi quand tu fonds sur mon âme, Enthousiasme, aigle vainqueur, Au bruit de tes ailes de flamme Je frémis d'une sainte horreur ; Je me débats sous ta puissance, Je fuis, je crains que ta présence N'anéantisse un coeur mortel, Comme un feu que la foudre allume, Qui ne s'éteint plus, et consume Le bûcher, le temple et l'autel. Mais à l'essor de la pensée L'instinct des sens s'oppose en vain ; Sous le dieu, mon âme oppressée Bondit, s'élance, et bat mon sein. La foudre en mes veines circule Etonné du feu qui me brûle. Je l'irrite en le combattant, Et la lave de mon génie Déborde en torrents d'harmonie, Et me consume en s'échappant. Muse, contemple ta victime ! Ce n'est plus ce front inspiré, Ce n'est plus ce regard sublime Qui lançait un rayon sacré : Sous ta dévorante influence, A peine un reste d'existence A ma jeunesse est échappé. Mon front, que la pâleur efface, Ne conserve plus que la trace De la foudre qui m'a frappé. Heureux le poète insensible ! Son luth n'est point baigné de pleurs, Son enthousiasme paisible N'a point ces tragiques fureurs. De sa veine féconde et pure Coulent, avec nombre et mesure, Des ruisseaux de lait et de miel ; Et ce pusillanime Icare, Trahi par l'aile de Pindare, Ne retombe jamais du ciel. Mais nous, pour embraser les âmes, Il faut brûler, il faut ravir Au ciel jaloux ses triples flammes. Pour tout peindre, il faut tout sentir. Foyers brûlants de la lumière, Nos coeurs de la nature entière Doivent concentrer les rayons ; Et l'on accuse notre vie ! Mais ce flambeau qu'on nous envie S'allume au feu des passions. Non, jamais un sein pacifique N'enfanta ces divins élans, Ni ce désordre sympathique Qui soumet le monde à nos chants. Non, non, quand l'Apollon d'Homère Pour lancer ses traits sur la terre, Descendait des sommets d'Eryx, Volant aux rives infernales, Il trempait ses armes fatales Dans les eaux bouillantes du Styx. Descendez de l'auguste cime Qu'indignent de lâches transports ! Ce n'est que d'un luth magnanime Que partent les divins accords. Le coeur des enfants de la lyre Ressemble au marbre qui soupire Sur le sépulcre de Memnon ; Pour lui donner la voix et l'âme, Il faut que de sa chaste flamme L'oeil du jour lui lance un rayon. Et tu veux qu'éveillant encore Des feux sous la cendre couverts Mon reste d'âme s'évapore En accents perdus dans les airs ! La gloire est le rêve d'une ombre ; Elle a trop retranché le nombre Des jours qu'elle devait charmer. Tu veux que je lui sacrifie Ce dernier souffle de ma vie ! Je veux le garder pour aimer !
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Albertus (CX)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (CX) Titre : Albertus (CX) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Chauves-souris, hiboux, chouettes, vautours chauves, Théophile Gautier. Chauves-souris, hiboux, chouettes, vautours chauves, Grands-ducs, oiseaux de nuit aux yeux flambants et fauves, Monstres de toute espèce et qu'on ne connaît pas, Stryges au bec crochu, Goules, Larves, Harpies, Vampires, Loups-garous, Brucolaques impies, Mammouths, Léviathans, Crocodiles, Boas, Cela grogne, glapit, siffle, rit et babille, Cela grouille, reluit, vole, rampe et sautille ; Le sol en est couvert, l'air en est obscurci. - Des balais haletants la course est moins rapide, Et de ses doigts noueux tirant à soi la bride, La vieille cria : - C'est ici.
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Vers pour être calomnié
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vers pour être calomnié Titre : Vers pour être calomnié Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Ce soir je m'étais penché sur ton sommeil. Tout ton corps dormait chaste sur l'humble lit, Et j'ai vu, comme un qui s'applique et qui lit, Ah ! j'ai vu que tout est vain sous le soleil ! Qu'on vive, ô quelle délicate merveille, Tant notre appareil est une fleur qui plie ! O pensée aboutissant à la folie ! Va, pauvre, dors ! moi, l'effroi pour toi m'éveille. Ah ! misère de t'aimer, mon frêle amour Qui vas respirant comme on respire un jour ! O regard fermé que la mort fera tel ! O bouche qui ris en songe sur ma bouche, En attendant l'autre rire plus farouche ! Vite, éveille-toi. Dis, l'âme est immortelle ?
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Je ne me mets pas en peine
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je ne me mets pas en peine Titre : Je ne me mets pas en peine Poète : Victor Hugo (1802-1885) xx(Pour Jeanne seule.) I. Je ne me mets pas en peine Du clocher ni du beffroi ; Je ne sais rien de la reine, Et je ne sais rien du roi ; J'ignore, je le confesse, Si le seigneur est hautain, Si le curé dit la messe En grec ou bien en latin ; S'il faut qu'on pleure ou qu'on danse, Si les nids jasent entr'eux ; Mais sais-tu ce que je pense ? C'est que je suis amoureux. Sais-tu, Jeanne, à quoi je rêve ? C'est au mouvement d'oiseau De ton pied blanc qui se lève Quand tu passes le ruisseau. Et sais-tu ce qui me gêne ? C'est qu'à travers l'horizon, Jeanne, une invisible chaîne Me tire vers ta maison. Et sais-tu ce qui m'ennuie ? C'est l'air charmant et vainqueur, Jeanne, dont tu fais la pluie Et le beau temps dans mon coeur. Et sais-tu ce qui m'occupe, Jeanne ? c'est que j'aime mieux La moindre fleur de ta jupe Que tous les astres des cieux.
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Les colombes
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les colombes Titre : Les colombes Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Sur le coteau, là-bas où sont les tombes, Un beau palmier, comme un panache vert, Dresse sa tête, où le soir les colombes Viennent nicher et se mettre à couvert. Mais le matin elles quittent les branches ; Comme un collier qui s'égrène, on les voit S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches, Et se poser plus loin sur quelque toit. Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles, De blancs essaims de folles visions Tombent des cieux en palpitant des ailes, Pour s'envoler dès les premiers rayons.
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Plût-il à Dieu n'avoir jamais tâté
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Plût-il à Dieu n'avoir jamais tâté Titre : Plût-il à Dieu n'avoir jamais tâté Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Plût-il à Dieu n'avoir jamais tâté Si follement le tétin de m'amie ! Sans lui vraiment l'autre plus grande envie, Hélas ! ne m'eût, ne m'eût jamais tenté. Comme un poisson, pour s'être trop hâté, Par un appât, suit la fin de sa vie, Ainsi je vois où la mort me convie, D'un beau tétin doucement apâté. Qui eût pensé, que le cruel destin Eût enfermé sous un si beau tétin Un si grand feu, pour m'en faire la proie ? Avisez donc, quel serait le coucher Entre ses bras, puisqu'un simple toucher De mille morts, innocent, me froudroie.
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Les phares
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les phares Titre : Les phares Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ; Léonard de Vinci, miroir profond et sombre, Où des anges charmants, avec un doux souris Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre Des glaciers et des pins qui ferment leur pays, Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix décoré seulement, Où la prière en pleurs s'exhale des ordures, Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ; Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules Se mêler à des Christs, et se lever tout droits Des fantômes puissants qui dans les crépuscules Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ; Colères de boxeur, impudences de faune, Toi qui sus ramasser la beauté des goujats, Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune, Puget, mélancolique empereur des forçats, Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres, Comme des papillons, errent en flamboyant, Décors frais et légers éclairés par des lustres Qui versent la folie à ce bal tournoyant ; Goya, cauchemar plein de choses inconnues, De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues, Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ; Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, Ombragé par un bois de sapins toujours vert, Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges Passent, comme un soupir étouffé de Weber ; Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum, Sont un écho redit par mille labyrinthes ; C'est pour les coeurs mortels un divin opium ! C'est un cri répété par mille sentinelles, Un ordre renvoyé par mille porte-voix ; C'est un phare allumé sur mille citadelles, Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage Que nous puissions donner de notre dignité Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge Et vient mourir au bord de votre éternité !
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L'homme
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : L'homme Titre : L'homme Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Recueil : Méditations poétiques (1820). À Lord Byron. Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom, Esprit mystérieux, mortel, ange, ou démon, Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie, J'aime de tes concerts la sauvage harmonie, Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents ! La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine : L'aigle, roi des déserts, dédaigne ainsi la plaine Il ne veut, comme toi, que des rocs escarpés Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappés ; Des rivages couverts des débris du naufrage, Ou des champs tout noircis des restes du carnage.
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Adieux à la mer
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Adieux à la mer Titre : Adieux à la mer Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Murmure autour de ma nacelle, Douce mer dont les flots chéris, Ainsi qu'une amante fidèle, Jettent une plainte éternelle Sur ces poétiques débris. Que j'aime à flotter sur ton onde. A l'heure où du haut du rocher L'oranger, la vigne féconde, Versent sur ta vague profonde Une ombre propice au nocher ! Souvent, dans ma barque sans rame, Me confiant à ton amour, Comme pour assoupir mon âme, Je ferme au branle de ta lame Mes regards fatigués du jour. Comme un coursier souple et docile Dont on laisse flotter le mors, Toujours, vers quelque frais asile, Tu pousses ma barque fragile Avec l'écume de tes bords. Ah ! berce, berce, berce encore, Berce pour la dernière fois, Berce cet enfant qui t'adore, Et qui depuis sa tendre aurore N'a rêvé que l'onde et les bois ! Le Dieu qui décora le monde De ton élément gracieux, Afin qu'ici tout se réponde, Fit les cieux pour briller sur l'onde, L'onde pour réfléchir les cieux. Aussi pur que dans ma paupière, Le jour pénètre ton flot pur, Et dans ta brillante carrière Tu sembles rouler la lumière Avec tes flots d'or et d'azur. Aussi libre que la pensée, Tu brises le vaisseau des rois, Et dans ta colère insensée, Fidèle au Dieu qui t'a lancée, Tu ne t'arrêtes qu'à sa voix. De l'infini sublime image, De flots en flots l'oeil emporté Te suit en vain de plage en plage, L'esprit cherche en vain ton rivage, Comme ceux de l'éternité. Ta voix majestueuse et douce Fait trembler l'écho de tes bords, Ou sur l'herbe qui te repousse, Comme le zéphyr dans la mousse, Murmure de mourants accords. Que je t'aime, ô vague assouplie, Quand, sous mon timide vaisseau, Comme un géant qui s'humilie, Sous ce vain poids l'onde qui plie Me creuse un liquide berceau. Que je t'aime quand, le zéphire Endormi dans tes antres frais, Ton rivage semble sourire De voir dans ton sein qu'il admire Flotter l'ombre de ses forêts ! Que je t'aime quand sur ma poupe Des festons de mille couleurs, Pendant au vent qui les découpe, Te couronnent comme une coupe Dont les bords sont voilés de fleurs ! Qu'il est doux, quand le vent caresse Ton sein mollement agité, De voir, sous ma main qui la presse, Ta vague, qui s'enfle et s'abaisse Comme le sein de la beauté ! Viens, à ma barque fugitive Viens donner le baiser d'adieux ; Roule autour une voix plaintive, Et de l'écume de ta rive Mouille encor mon front et mes yeux. Laisse sur ta plaine mobile Flotter ma nacelle à son gré, Ou sous l'antre de la sibylle, Ou sur le tombeau de Virgile : Chacun de tes flots m'est sacré. Partout, sur ta rive chérie, Où l'amour éveilla mon coeur, Mon âme, à sa vue attendrie, Trouve un asile, une patrie, Et des débris de son bonheur, Flotte au hasard : sur quelque plage Que tu me fasses dériver, Chaque flot m'apporte une image ; Chaque rocher de ton rivage Me fait souvenir ou rêver...
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Chanson - J'ai dit à mon cœur
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Chanson - J'ai dit à mon cœur Titre : Chanson - J'ai dit à mon cœur Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : N'est-ce point assez d'aimer sa maîtresse ? Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, C'est perdre en désirs le temps du bonheur ? Il m'a répondu : Ce n'est point assez, Ce n'est point assez d'aimer sa maîtresse ; Et ne vois-tu pas que changer sans cesse Nous rend doux et chers les plaisirs passés ? J'ai dit à mon cœur, à mon faible cœur : N'est-ce point assez de tant de tristesse ? Et ne vois-tu pas que changer sans cesse, C'est à chaque pas trouver la douleur ? Il m'a répondu : Ce n'est point assez, Ce n'est point assez de tant de tristesse ; Et ne vois-tu pas que changer sans cesse Nous rend doux et chers les chagrins passés ?
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Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve Titre : Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Amour, Amour, donne-moi paix ou trêve, Ou bien retire, et d'un garrot plus fort Tranche ma vie et m'avance la mort : Douce est la mort qui vient subite et brève. Soit que le jour ou se couche ou se lève, Je sens toujours un penser qui me mord, Et malheureux en si heureux effort, Me fait la guerre et mes peine rengrèvent (1). Que dois-je faire ? Amour me fait errer Si hautement, que je n'ose espérer De mon salut que la désespérance. Puis qu'Amour donc ne me veut secourir, Pour me défende il me plaît de mourir, Et par la mort trouver ma délivrance. 1. Rengrève signifie s'aggrave.
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À Louis II de Bavière
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Louis II de Bavière Titre : À Louis II de Bavière Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire, Qui voulûtes mourir vengeant votre raison Des choses de la politique, et du délire De cette Science intruse dans la maison, De cette Science assassin de l’Oraison Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre, Et simplement et plein d’orgueil en floraison Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire ! Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi De ce siècle où les rois se font si peu de chose, Et le martyr de la Raison selon la Foi. Salut à votre très unique apothéose, Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer, Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.
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Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 Titre : Ce qui se passait aux Feuillantines vers 1813 Poète : Victor Hugo (1802-1885) Enfants, beaux fronts naïfs penchés autour de moi, Bouches aux dents d'émail disant toujours : Pourquoi ? Vous qui, m'interrogeant sur plus d'un grand problème, Voulez de chaque chose, obscure pour moi-même, Connaître le vrai sens et le mot décisif, Et qui touchez à tout dans mon esprit pensif ; – Si bien que, vous partis, souvent je passe Des heures, fort maussade, à remettre à leur place Au fond de mon cerveau mes plans, mes visions, Mes sujets éternels de méditations, Dieu, l'homme, l'avenir, la raison, la démence, Mes systèmes, tas sombre, échafaudage immense, Dérangés tout à coup, sans tort de votre part, Par une question d'enfant, faite au hasard ! – Puisqu'enfin vous voilà sondant mes destinées, Et que vous me parlez de mes jeunes années, De mes premiers instincts, de mon premier espoir, Écoutez, doux amis, qui voulez tout savoir ! J'eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère, Trois maîtres : – un jardin, un vieux prêtre et ma mère. Le jardin était grand, profond, mystérieux, Fermé par de hauts murs aux regards curieux, Semé de fleurs s'ouvrant ainsi que des paupières, Et d'insectes vermeils qui couraient sur les pierres ; Plein de bourdonnements et de confuses voix ; Au milieu, presque un champ, dans le fond, presque un bois. Le prêtre, tout nourri de Tacite et d'Homère, Était un doux vieillard. Ma mère – était ma mère ! Ainsi je grandissais sous ce triple rayon. Un jour... – Oh ! si Gautier me prêtait son crayon, Je vous dessinerais d'un trait une figure Qui chez ma mère un jour entra, fâcheux augure ! Un docteur au front pauvre, au maintien solennel, Et je verrais éclore à vos bouches sans fiel, Portes de votre cœur qu'aucun souci ne mine, Ce rire éblouissant qui parfois m'illumine ! Lorsque cet homme entra, je jouais au jardin. Et rien qu'en le voyant je m'arrêtai soudain. C'était le principal d'un collège quelconque. Les tritons que Coypel groupe autour d'une conque, Les faunes que Watteau dans les bois fourvoya, Les sorciers de Rembrandt, les gnomes de Goya, Les diables variés, vrais cauchemars de moine Dont Callot en riant taquine saint Antoine, Sont laids, mais sont charmants ; difformes, mais remplis D'un feu qui de leur face anime tous les plis Et parfois dans leurs yeux jette un éclair rapide. – Notre homme était fort laid, mais il était stupide. Pardon, j'en parle encor comme un franc écolier. C'est mal. Ce que j'ai dit, tâchez de l'oublier ; Car de votre âge heureux, qu'un pédant embarrasse, J'ai gardé la colère et j'ai perdu la grâce. Cet homme chauve et noir, très effrayant pour moi, Et dont ma mère aussi d'abord eut quelque effroi, Tout en multipliant les humbles attitudes, Apportait des avis et des sollicitudes : – Que l'enfant n'était pas dirigé ; – que parfois Il emportait son livre en rêvant dans les bois ; Qu'il croissait au hasard dans cette solitude ; Qu'on devait y songer ; que la sévère étude Était fille de l'ombre et des cloîtres profonds ; Qu'une lampe pendue à de sombres plafonds, Qui de cent écoliers guide la plume agile, Éclairait mieux Horace et Catulle et Virgile, Et versait à l'esprit des rayons bien meilleurs Que le soleil qui joue à travers l'arbre en fleurs ; Et qu'enfin il fallait aux enfants, – loin des mères, – Le joug, le dur travail et les larmes amères. Là-dessus, le collège, aimable et triomphant, Avec un doux sourire offrait au jeune enfant Ivre de liberté, d'air, de joie et de roses, Ses bancs de chêne noirs, ses longs dortoirs moroses, Ses salles qu'on verrouille et qu'à tous leurs piliers Sculpte avec un vieux clou l'ennui des écoliers, Ses magisters qui font, parmi les paperasses, Manger l'heure du jeu par les pensums voraces, Et, sans eux, sans gazon, sans arbres, sans fruits mûrs, Sa grande cour pavée entre quatre murs. L'homme congédié, de ses discours frappée, Ma mère demeura triste et préoccupée. Que faire ? que vouloir ? qui donc avait raison, Ou le morne collège, ou l'heureuse maison ? Qui sait mieux de la vie accomplir l'œuvre austère, L'écolier turbulent, ou l'enfant solitaire ? Problèmes ! questions ! elle hésitait beaucoup. L'affaire était bien grave. Humble femme après tout, Âme par le destin, non par les livres faite, De quel front repousser ce tragique prophète, Au ton si magistral, aux gestes si certains, Qui lui parlait au nom des Grecs et des Latins ? Le prêtre était savant sans doute ; mais, que sais-je ? Apprend-on par le maître ou bien par le collège ? Et puis, enfin, – souvent ainsi nous triomphons ! – L'homme le plus vulgaire a de grands mots profonds : – « Il est indispensable ! – il convient ! – il importe ! » Qui troublent quelquefois la femme la plus forte. Pauvre mère ! lequel choisir des deux chemins ? Tout le sort de son fils se pesait dans ses mains. Tremblante, elle tenait cette lourde balance, Et croyait bien la voir par moments en silence Pencher vers le collège, hélas ! en opposant Mon bonheur à venir à mon bonheur présent. Elle songeait ainsi sans sommeil et sans trêve. C'était l'été. Vers l'heure où la lune se lève, Par un de ces beaux soirs qui ressemblent au jour Avec moins de clarté, mais avec plus d'amour, Dans son parc, où jouaient le rayon et la brise, Elle errait, toujours triste et toujours indécise, Questionnant tout bas l'eau, le ciel, la forêt, Écoutant au hasard les voix qu'elle entendait. C'est dans ces moments-là que le jardin paisible, La broussaille où remue un insecte invisible, Le scarabée ami des feuilles, le lézard Courant au clair de lune au fond du vieux puisard, La faïence à fleur bleue où vit la plante grasse, Le dôme oriental du sombre Val-de-Grâce, Le cloître du couvent, brisé, mais doux encor, Les marronniers, la verte allée aux boutons-d'or, La statue où sans bruit se meut l'ombre des branches, Les pâles liserons, les pâquerettes blanches, Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau, Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau, Se mirent dans la mare ou se cachent dans l'herbe, Ou qui, de l'ébénier chargeant le front superbe, Au bord des clairs étangs se mêlant au bouleau, Tremblent en grappes d'or dans les moires de l'eau, Et le ciel scintillant derrière les ramées, Et les toits répandant de charmantes fumées, C'est dans ces moments-là, comme je vous le dis, Que tout ce beau jardin, radieux paradis, Tous ces vieux murs croulants, toutes ces jeunes roses, Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses, Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent, Et lui dirent tout bas : – « Laisse-nous cet enfant ! » « Laisse-nous cet enfant, pauvre mère troublée ! Cette prunelle ardente, ingénue, étoilée, Cette tête au front pur qu'aucun deuil ne voila, Cette âme neuve encor, mère, laisse-nous-la ! Ne vas pas la jeter au hasard dans la foule. La foule est un torrent qui brise ce qu'il roule. Ainsi que les oiseaux les enfants ont leurs peurs. Laisse à notre air limpide, à nos moites vapeurs, À nos soupirs, légers comme l'aile d'un songe, Cette bouche où jamais n'a passé le mensonge, Ce sourire naïf que sa candeur défend ! Ô mère au cœur profond, laisse-nous cet enfant ! Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées ; Nous changerons en jour ses lueurs commencées ; Dieu deviendra visible à ses yeux enchantés ; Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés, Nous sommes la nature et la source éternelle Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile ; Et les bois et les champs, du sage seul compris, Font l'éducation de tous les grands esprits ! Laisse croître l'enfant parmi nos bruits sublimes. Nous le pénétrerons de ces parfums intimes, Nés du souffle céleste épars dans tout beau lieu, Qui font sortir de l'homme et monter jusqu'à Dieu, Comme le chant d'un luth, comme l'encens d'un vase, L'espérance, l'amour, la prière, et l'extase ! Nous pencherons ses yeux vers l'ombre d'ici-bas, Vers le secret de tout entr'ouvert sous ses pas. D'enfant nous le ferons homme, et d'homme poète. Pour former de ses sens la corolle inquiète, C'est nous qu'il faut choisir ; et nous lui montrerons Comment, de l'aube au soir, du chêne aux moucherons, Emplissant tout, reflets, couleurs, brumes, haleines, La vie aux mille aspects rit dans les vertes plaines. Nous te le rendrons simple et des cieux ébloui : Et nous ferons germer de toutes parts en lui Pour l'homme, triste effet perdu sous tant de causes, Cette pitié qui naît du spectacle des choses ! Laissez-nous cet enfant ! nous lui ferons un cœur Qui comprendra la femme ; un esprit non moqueur, Où naîtront aisément le songe et la chimère, Qui prendra Dieu pour livre et les champs pour grammaire, Une âme, pur foyer de secrètes faveurs, Qui luira doucement sur tous les fronts rêveurs, Et, comme le soleil dans les fleurs fécondées, Jettera des rayons sur toutes les idées ! » Ainsi parlaient, à l'heure où la ville se tait, L'astre, la plante et l'arbre, – et ma mère écoutait. Enfants ! ont-ils tenu leur promesse sacrée ? Je ne sais. Mais je sais que ma mère adorée Les crut, et, m'épargnant d'ennuyeuses prisons, Confia ma jeune âme à leurs douces leçons. Dès lors, en attendant la nuit, heure où l'étude Rappelait ma pensée à sa grave attitude, Tout le jour, libre, heureux, seul sous le firmament, Je pus errer à l'aise en ce jardin charmant, Contemplant les fruits d'or, l'eau rapide ou stagnante, L'étoile épanouie et la fleur rayonnante, Et les prés et les bois, que mon esprit le soir, Revoyait dans Virgile ainsi qu'en un miroir. Enfants ! aimez les champs, les vallons, les fontaines, Les chemins que le soir emplit de voix lointaines, Et l'onde et le sillon, flanc jamais assoupi, Où germe la pensée à côté de l'épi. Prenez-vous par la main et marchez dans les herbes ; Regardez ceux qui vont liant les blondes gerbes ; Épelez dans le ciel plein de lettres de feu, Et, quand un oiseau chante, écoutez parler Dieu. La vie avec le choc des passions contraires Vous attend ; soyez bons, soyez vrais, soyez frères ; Unis contre le monde où l'esprit se corrompt, Lisez au même livre en vous touchant du front, Et n'oubliez jamais que l'âme humble et choisie Faite pour la lumière et pour la poésie, Que les cœurs où Dieu met des échos sérieux Pour tous les bruits qu'anime un sens mystérieux, Dans un cri, dans un son, dans un vague murmure, Entendent les conseils de toute la nature ! Le 31 mai 1839.
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L'homme et la couleuvre
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : L'homme et la couleuvre Titre : L'homme et la couleuvre Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Un Homme vit une Couleuvre. Ah ! méchante, dit-il, je m'en vais faire une oeuvre Agréable à tout l'univers. A ces mots, l'animal pervers (C'est le serpent que je veux dire Et non l'homme : on pourrait aisément s'y tromper), A ces mots, le serpent, se laissant attraper, Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire, On résolut sa mort, fût-il coupable ou non. Afin de le payer toutefois de raison, L'autre lui fit cette harangue : Symbole des ingrats, être bon aux méchants, C'est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue, Reprit du mieux qu'il put : S'il fallait condamner Tous les ingrats qui sont au monde, A qui pourrait-on pardonner ? Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi. Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice, C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ; Selon ces lois, condamne-moi ; Mais trouve bon qu'avec franchise En mourant au moins je te dise Que le symbole des ingrats Ce n'est point le serpent, c'est l'homme. Ces paroles Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas. Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles : Je pourrais décider, car ce droit m'appartient ; Mais rapportons-nous-en. - Soit fait, dit le reptile. Une Vache était là, l'on l'appelle, elle vient ; Le cas est proposé ; c'était chose facile : Fallait-il pour cela, dit-elle, m'appeler ? La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ? Je nourris celui-ci depuis longues années ; Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées ; Tout n'est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants Le font à la maison revenir les mains pleines ; Même j'ai rétabli sa santé, que les ans Avaient altérée, et mes peines Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin. Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin Sans herbe ; s'il voulait encor me laisser paître ! Mais je suis attachée ; et si j'eusse eu pour maître Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin L'homme, tout étonné d'une telle sentence, Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu'elle dit ? C'est une radoteuse ; elle a perdu l'esprit. Croyons ce Boeuf. - Croyons, dit la rampante bête. Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents. Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête, Il dit que du labeur des ans Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants, Parcourant sans cesser ce long cercle de peines Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ; Que cette suite de travaux Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes, Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux, On croyait l'honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l'indulgence des Dieux. Ainsi parla le Boeuf. L'Homme dit : Faisons taire Cet ennuyeux déclamateur ; Il cherche de grands mots, et vient ici se faire, Au lieu d'arbitre, accusateur. Je le récuse aussi. L'arbre étant pris pour juge, Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ; Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs. L'ombrage n'était pas le seul bien qu'il sût faire ; Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire Un rustre l'abattait, c'était là son loyer, Quoique pendant tout l'an libéral il nous donne Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ; L'ombre l'Eté, l'Hiver les plaisirs du foyer. Que ne l'émondait-on, sans prendre la cognée ? De son tempérament il eût encor vécu. L'Homme trouvant mauvais que l'on l'eût convaincu, Voulut à toute force avoir cause gagnée. Je suis bien bon, dit-il, d'écouter ces gens-là. Du sac et du serpent aussitôt il donna Contre les murs, tant qu'il tua la bête. On en use ainsi chez les grands. La raison les offense ; ils se mettent en tête Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, Et serpents. Si quelqu'un desserre les dents, C'est un sot. - J'en conviens. Mais que faut-il donc faire ? - Parler de loin, ou bien se taire.
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Bal des pendus
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Bal des pendus Titre : Bal des pendus Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins. Messire Belzébuth tire par la cravate Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel, Et, leur claquant au front un revers de savate, Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël ! Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles Comme des orgues noirs, les poitrines à jour Que serraient autrefois les gentes damoiselles Se heurtent longuement dans un hideux amour. Hurrah ! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse ! On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs ! Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse ! Belzébuth enragé racle ses violons ! Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale ! Presque tous ont quitté la chemise de peau ; Le reste est peu gênant et se voit sans scandale. Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau : Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées, Un morceau de chair tremble à leur maigre menton : On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées, Des preux, raides, heurtant armures de carton. Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes ! Le gibet noir mugit comme un orgue de fer ! Les loups vont répondant des forêts violettes : A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer... Holà, secouez-moi ces capitans funèbres Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres : Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés ! Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre : Et, se sentant encor la corde raide au cou, Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque Avec des cris pareils à des ricanements, Et, comme un baladin rentre dans la baraque, Rebondit dans le bal au chant des ossements. Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins.
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Épigraphe pour un livre condamné
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Épigraphe pour un livre condamné Titre : Épigraphe pour un livre condamné Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Lecteur paisible et bucolique, Sobre et naïf homme de bien, Jette ce livre saturnien, Orgiaque et mélancolique. Si tu n'as fait ta rhétorique Chez Satan, le rusé doyen, Jette ! tu n'y comprendrais rien, Ou tu me croirais hystérique. Mais si, sans se laisser charmer, Ton oeil sait plonger dans les gouffres, Lis-moi, pour apprendre à m'aimer ; Ame curieuse qui souffres Et vas cherchant ton paradis, Plains-moi !... sinon, je te maudis !
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Parfum exotique
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Parfum exotique Titre : Parfum exotique Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, Je vois se dérouler des rivages heureux Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ; Une île paresseuse où la nature donne Des arbres singuliers et des fruits savoureux ; Des hommes dont le corps est mince et vigoureux, Et des femmes dont l'oeil par sa franchise étonne. Guidé par ton odeur vers de charmants climats, Je vois un port rempli de voiles et de mâts Encor tout fatigués par la vague marine, Pendant que le parfum des verts tamariniers, Qui circule dans l'air et m'enfle la narine, Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
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En patinant
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : En patinant Titre : En patinant Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Nous fûmes dupes, vous et moi, De manigances mutuelles, Madame, à cause de l'émoi Dont l'Été férut nos cervelles. Le Printemps avait bien un peu Contribué, si ma mémoire Est bonne, à brouiller notre jeu, Mais que d'une façon moins noire ! Car au printemps l'air est si frais Qu'en somme les roses naissantes, Qu'Amour semble entr'ouvrir exprès, Ont des senteurs presque innocentes ; Et même les lilas ont beau Pousser leur haleine poivrée, Dans l'ardeur du soleil nouveau, Cet excitant au plus récrée, Tant le zéphyr souffle, moqueur, Dispersant l'aphrodisiaque Effluve, en sorte que le cœur Chôme et que même l'esprit vaque, Et qu'émoustillés, les cinq sens Se mettent alors de la fête, Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans Que la crise monte à la tête. Ce fut le temps, sous de clairs ciels (Vous vous en souvenez-vous, Madame ?), Des baisers superficiels Et des sentiments à fleur d'âme, Exempts de folles passions, Pleins d'une bienveillance amène. Comme tous deux nous jouissions Sans enthousiasme — et sans peine ! Heureux instants ! — mais vint l'Été : Adieu, rafraîchissantes brises ? Un vent de lourde volupté Investit nos âmes surprises. Des fleurs aux calices vermeils Nous lancèrent leurs odeurs mûres, Et partout les mauvais conseils Tombèrent sur nous des ramures Nous cédâmes à tout cela, Et ce fut un bien ridicule Vertigo qui nous affola Tant que dura la canicule. Rires oiseux, pleurs sans raisons, Mains indéfiniment pressées, Tristesses moites, pâmoisons, Et que vague dans les pensées ! L'automne heureusement, avec Son jour froid et ses bises rudes, Vint nous corriger, bref et sec, De nos mauvaises habitudes, Et nous induisit brusquement En l'élégance réclamée De tout irréprochable amant Comme de toute digne aimée... Or, cet Hiver, Madame, et nos Parieurs tremblent pour leur bourse, Et déjà les autres traîneaux Osent nous disputer la course. Les deux mains dans votre manchon, Tenez-vous bien sur la banquette Et filons ! — et bientôt Fanchon Nous fleurira quoiqu'on caquette !
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Femmes damnées (1)
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Femmes damnées (1) Titre : Femmes damnées (1) Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Comme un bétail pensif sur le sable couchées, Elles tournent leurs yeux vers l'horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers. Les unes, coeurs épris des longues confidences, Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux, Vont épelant l'amour des craintives enfances Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ; D'autres, comme des soeurs, marchent lentes et graves A travers les rochers pleins d'apparitions, Où saint Antoine a vu surgir comme des laves Les seins nus et pourprés de ses tentations ; Il en est, aux lueurs des résines croulantes, Qui dans le creux muet des vieux antres païens T'appellent au secours de leurs fièvres hurlantes, Ô Bacchus, endormeur des remords anciens ! Et d'autres, dont la gorge aime les scapulaires, Qui, recélant un fouet sous leurs longs vêtements, Mêlent, dans le bois sombre et les nuits solitaires, L'écume du plaisir aux larmes des tourments. Ô vierges, ô démons, ô monstres, ô martyres, De la réalité grands esprits contempteurs, Chercheuses d'infini, dévotes et satyres, Tantôt pleines de cris, tantôt pleines de pleurs, Vous que dans votre enfer mon âme a poursuivies, Pauvres soeurs, je vous aime autant que je vous plains, Pour vos mornes douleurs, vos soifs inassouvies, Et les urnes d'amour dont vos grands coeurs sont pleins !
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Diamant du cœur
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Diamant du cœur Titre : Diamant du cœur Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Tout amoureux, de sa maîtresse, Sur son coeur ou dans son tiroir, Possède un gage qu'il caresse Aux jours de regret ou d'espoir. L'un d'une chevelure noire, Par un sourire encouragé, A pris une boucle que moire Un reflet bleu d'aile de geai. L'autre a, sur un cou blanc qui ploie, Coupé par derrière un flocon Retors et fin comme la soie Que l'on dévide du cocon. Un troisième, au fond d'une boîte, Reliquaire du souvenir, Cache un gant blanc, de forme étroite, Où nulle main ne peut tenir. Cet autre, pour s'en faire un charme, Dans un sachet, d'un chiffre orné, Coud des violettes de Parme, Frais cadeau qu'on reprend fané. Celui-ci baise la pantoufle Que Cendrillon perdit un soir ; Et celui-ci conserve un souffle Dans la barbe d'un masque noir. Moi, je n'ai ni boucle lustrée, Ni gant, ni bouquet, ni soulier, Mais je garde, empreinte adorée Une larme sur un papier : Pure rosée, unique goutte, D'un ciel d'azur tombée un jour, Joyau sans prix, perle dissoute Dans la coupe de mon amour ! Et, pour moi, cette obscure tache Reluit comme un écrin d'Ophyr, Et du vélin bleu se détache, Diamant éclos d'un saphir. Cette larme, qui fait ma joie, Roula, trésor inespéré, Sur un de mes vers qu'elle noie, D'un oeil qui n'a jamais pleuré !
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Mélodie païenne
Charles Guérin (1873-1907)
Poésie : Mélodie païenne Titre : Mélodie païenne Poète : Charles Guérin (1873-1907) Recueil : Joies grises (1894). Venez ce soir, m'amie, à la vesprée ; Pendant qu'au bourg on danse la bourrée, Vous passerez par la porte du clos, Et je vous attendrai sous les bouleaux, Près de la source au soleil empourprée. Dans la forêt de muguets diaprée, Par nos pas surprise fuira l'Orée, Et nos voix feront vibrer les échos. Venez ce soir, Et je vous dirai, ô mie adorée, Mon amour à vos lèvres murmurée, Eclose en baisers sur vos yeux mi-clos ; Et dans votre gorge aux clairs et blancs flots Si vous voulez que ma main égarée... Venez ce soir.
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Paysage
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Paysage Titre : Paysage Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Vers Saint-Denis c'est bête et sale la campagne. C'est pourtant là qu'un jour j'emmenai ma compagne. Nous étions de mauvaise humeur et querellions. Un plat soleil d'été tartinait ses rayons Sur la plaine séchée ainsi qu'une rôtie. C'était pas trop après le Siège : une partie Des « maisons de campagne » était à terre encore, D'autres se relevaient comme on hisse un décor, Et des obus tout neufs encastrés aux pilastres Portaient écrit autour : Souvenir des désastres.
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Il faut laisser maisons et vergers et jardins
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Il faut laisser maisons et vergers et jardins Titre : Il faut laisser maisons et vergers et jardins Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Derniers vers (1586). Il faut laisser maisons et vergers et jardins, Vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine, Et chanter son obseque en la façon du Cygne, Qui chante son trespas sur les bors Maeandrins. C'est fait j'ay devidé le cours de mes destins, J'ay vescu, j'ay rendu mon nom assez insigne, Ma plume vole au ciel pour estre quelque signe Loin des appas mondains qui trompent les plus fins. Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne En rien comme il estoit, plus heureux qui sejourne D'homme fait nouvel ange aupres de Jesuchrist, Laissant pourrir ça bas sa despouille de boüe Dont le sort, la fortune, et le destin se joüe, Franc des liens du corps pour n'estre qu'un esprit.
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Écrit sur la vitre d'une fenêtre flamande
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit sur la vitre d'une fenêtre flamande Titre : Écrit sur la vitre d'une fenêtre flamande Poète : Victor Hugo (1802-1885) J'aime le carillon dans tes cités antiques, Ô vieux pays gardien de tes moeurs domestiques, Noble Flandre, où le Nord se réchauffe engourdi Au soleil de Castille et s'accouple au Midi ! Le carillon, c'est l'heure inattendue et folle, Que l'oeil croit voir, vêtue en danseuse espagnole, Apparaître soudain par le trou vif et clair Que ferait en s'ouvrant une porte de l'air. Elle vient, secouant sur les toits léthargiques Son tablier d'argent plein de notes magiques, Réveillant sans pitié les dormeurs ennuyeux, Sautant à petits pas comme un oiseau joyeux, Vibrant, ainsi qu'un dard qui tremble dans la cible ; Par un frêle escalier de cristal invisible, Effarée et dansante, elle descend des cieux ; Et l'esprit, ce veilleur fait d'oreilles et d'yeux, Tandis qu'elle va, vient, monte et descend encore, Entend de marche en marche errer son pied sonore ! Malines, août 1837.
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La musique
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La musique Titre : La musique Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile ; La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile, J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ; Je sens vibrer en moi toutes les passions D'un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions Sur l'immense gouffre Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir !
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Soleil couchant
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Soleil couchant Titre : Soleil couchant Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Notre-Dame Que c'est beau ! Victor HUGO. En passant sur le pont de la Tournelle, un soir, Je me suis arrêté quelques instants pour voir Le soleil se coucher derrière Notre-Dame. Un nuage splendide à l'horizon de flamme, Tel qu'un oiseau géant qui va prendre l'essor, D'un bout du ciel à l'autre ouvrait ses ailes d'or, - Et c'était des clartés à baisser la paupière. Les tours au front orné de dentelles de pierre, Le drapeau que le vent fouette, les minarets Qui s'élèvent pareils aux sapins des forêts, Les pignons tailladés que surmontent des anges Aux corps roides et longs, aux figures étranges, D'un fond clair ressortaient en noir ; l'Archevêché, Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché, Se dessinait au pied de l'église, dont l'ombre S'allongeait à l'entour mystérieuse et sombre. - Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux D'une maison du quai ; - l'air était doux ; les eaux Se plaignaient contre l'arche à doux bruit, et la vague De la vieille cité berçait l'image vague ; Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas Que la nuit étoilée arrivait à grands pas.
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Assonances galantes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Assonances galantes Titre : Assonances galantes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) I Tu me dois ta photographie À la condition que je Serai bien sage — et tu t'y fies ! Apprends, ma chère, que je veux Être, en échange de ce don Précieux, un libertin que L'on pardonne après sa fredaine Dernière en faveur d'un second Crime et peut-être d'un troisième. Celle image que tu me dois Et que je ne mérite pas, Moyennant ta condition Je l'aurais quand même tu me La refuserais, puisque je L'ai là dans mon cœur, nom de Dieu ! II Là ! je l'ai, ta photographie Quand t'étais cette galopine, Avec, jà, tes yeux de défi, Tes petits yeux en trous de vrille, Avec alors de fiers tétins Promus en fiers seins aujourd'hui. Sous la longue robe si bien Qu'on portait vers soixante-seize Et sous la traîne et tout son train, On devine bien ton manège D'abord jà, cuisse alors mignonne, Ce jourd'huy belle et toujours fraîche ; Hanches ardentes et luronnes, Croupe et bas ventre jamais las, À présent le puissant appât, Les appas, mûrs mais durs qu'appètent Ma fressure quand tu es là Et quand tu n'es pas là, ma tête ! III Et puisque ta photographie M'est émouvante et suggestive À ce point et qu'en outre vit Près de moi, jours et nuits, lascif Et toujours prêt, ton corps en chair Et en os et en muscles vifs Et ton âme amusante, ô chère Méchante, je ne serai « sage » Plus du tout et zut aux bergères Autres que toi que je vais sac- Cager de si belle manière ; — Il importe que tu le saches — Que j'en mourrai, de ce plus fier Que de toute gloire qu'on prise Et plus heureux que le bonheur ! Et pour la tombe où mes gens gisent, Toute belle ainsi que la vie, Mets, dans son cadre de peluche, Sur mon cœur, ta photographie.
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Ton rire éclaire mon vieux cœur
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ton rire éclaire mon vieux cœur Titre : Ton rire éclaire mon vieux cœur Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Ton rire éclaire mon vieux cœur Comme une lanterne une cave Où mûrirait tel cru vainqueur : Aï, Beaune, Sauterne, Grave. Ton rire éclaire mon vieux cœur. Ta voix claironne dans mon âme : Tel un signal d’aller au feu... ... De tes yeux en effet tout flamme On y va, sacré nom de Dieu ! Ta voix claironne dans mon âme. Ta manière, ton meneo, Ton chic, ton galbe, ton que sais-je, Me disent : « Viens ça » Prodeo. (Ô ces souvenirs de collège ! ) Ta manière ! ton meneo ! Ta gorge, tes hanches, ton geste, Et le reste, odeur et fraîcheur Et chaleur m’insinuent : reste ! Si j’y reste, en ton lit mangeur ! Ta gorge, tes hanches ! ton geste !
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