facts
stringlengths
379
320k
10
float64
0
1
11
float64
0
1
13
float64
0
1
14
float64
0
1
2
float64
0
1
3
float64
0
1
5
float64
0
1
6
float64
0
1
8
float64
0
1
p1-1
float64
0
1
I. Les circonstances de l’espèce M. Mehmet Erdagöz, ressortissant turc, était, à l’époque des faits, propriétaire d’un magasin situé à Adana. Il réside actuellement à Kars. Le 3 juin 1992, une bagarre avait éclaté entre le requérant et ses proches, d’une part, et un certain dénommé H.A. et ses amis, d’autre part. A la suite de cette rixe, chacun des protagonistes avait déposé une plainte accusant l’autre et, le 16 juin 1992, le ministère public avait inculpé H.A. et les autres du chef d’attaque armée, tentative de meurtre et infraction à la loi relative aux armes à feu. L’issue de la procédure n’est pas connue. Le 16 septembre 1992, vers 2 heures du matin, par un coup de fil anonyme, le commissariat de police de Bağlar fut informé que les vitres du magasin du requérant avaient été brisées par des jets de pierres. Les agents de police, avant même que le requérant, absent, en soit informé, arrivèrent une demi-heure plus tard sur place et constatèrent le bris de vitrine. Ils dressèrent un état des lieux. Plus tard dans la nuit, à 5 h 30, M. Erdagöz, ayant appris l’incident, demanda, en vain, au commissaire de police adjoint de Bağlar, S.K., de procéder à une nouvelle visite des lieux avant l’ouverture de son magasin. Il indiqua également l’identité des personnes, dont H.A., qu’il soupçonnait d’être les auteurs de cette agression, mais renonça à déposer plainte et quitta le commissariat. Le même jour, à 10 h 45, après avoir pris contact avec la direction de la sûreté et sur son conseil, le requérant retourna au commissariat et remit deux douilles de balles qu’il affirmait avoir trouvées dans son magasin. Il déposa également une plainte et demanda l’arrestation de H.A., lequel par inimitié à son égard aurait organisé l’opération. Une équipe de police mena une nouvelle enquête sur les lieux de l’incident. Selon le procès-verbal dressé à cette occasion, à 11 h 30, aucune trace de tirs ne fut constatée. Le 16 mars 1993, en raison des événements du 16 septembre 1992, le procureur de la République d’Adana renvoya H.A. devant le tribunal correctionnel d’Adana pour menace avec arme à feu, dommages causés sur les biens d’autrui et infraction à la loi relative aux armes à feu. Par un jugement du 28 juin 1993, le tribunal correctionnel acquitta le prévenu, faute de preuves suffisantes. La Cour de cassation confirma ce jugement le 28 février 1994. A. La privation de liberté du requérant Le 16 septembre 1992 peu après 11 h 30, à la suite des événements de la nuit et en raison du comportement du requérant, soupçonné d’avoir produit de faux éléments de preuve (paragraphes 11 et 12 ci-dessus), le commissaire principal, M. Enver Tunç, le fit transférer, ainsi que H.A. qui avait entre-temps été arrêté, à la direction de la sûreté. La lettre par laquelle M. Tunç transmit le dossier à la section d’ordre public de cette direction était rédigée dans les termes suivants : « Compte tenu du fait que Mehmet Erdagöz a maintes fois présenté des recours mal fondés en se plaignant du personnel du commissariat, qu’il y a une animosité entre lui et [H.A.], qu’il a déjà abusé la police et les autorités judiciaires, qu’il est probable que la version des faits présentée par M. Erdagöz, attaque à main armée, soit inventée et que, par ailleurs, il possède une arme certifiée, et qu’à la rigueur, il peut en posséder une autre sans certificat, qu’il a plusieurs fois déjà fait des déclarations contradictoires, M. Erdagöz et [H.A.] ont été transférés tous les deux à la direction de la sûreté en vue d’un interrogatoire détaillé. Je vous prierais donc de vérifier si ces personnes sont recherchées et d’en informer la direction de la section de l’ordre public et notre commissariat ainsi que de communiquer le document à la direction du bureau criminel. » Par ordonnance du 17 septembre 1992, le commissaire principal renvoya devant le parquet H.A. et le requérant, suspecté d’avoir inventé un délit. Le même jour, avec les résumés des interrogatoires préparés par M. Tunç, le requérant et H.A. comparurent devant le procureur de la République d’Adana. Le premier fut libéré le même jour à une heure non spécifiée. B. Les plaintes du requérant contre les policiers La première plainte Le 17 septembre 1992, le requérant déposa devant le ministère public une plainte pénale contre le commissaire principal et le commissaire adjoint S.K. Il soutenait que, dans le cadre de l’enquête concernant la bagarre du 3 juin 1992 (paragraphe 10 ci-dessus), le premier avait abusé de ses fonctions en relatant de manière partiale les faits. Il accusait S.K. de lui avoir infligé des mauvais traitements lorsqu’il s’était rendu au commissariat pour la première fois à 5 h 30 à la suite des événements survenus dans la nuit du 15 au 16 septembre. Le lendemain, à la demande de la police, M. Erdagöz subit un examen médical à l’hôpital de la sécurité sociale d’Adana. Le rapport provisoire, établi le même jour, fait état des lésions suivantes : érosion superficielle sur la partie gauche du dos, ecchymoses et œdèmes au-dessous des deux genoux. Le 24 décembre 1992, un médecin de l’Institut de médecine légale d’Adana dressa un nouveau rapport confirmant les constatations contenues dans celui du 18 septembre. Le 29 décembre 1992, le procureur de la République d’Adana, après avoir procédé à une information, rendit une ordonnance de non-lieu. Il conclut que l’allégation d’abus de pouvoir n’était pas fondée et décida de ne pas poursuivre l’instruction ouverte à l’encontre du commissaire principal. Quant à la plainte pour mauvais traitements, le procureur de la République constata : « A la suite de la dénonciation par téléphone auprès du commissariat de Bağlar, informant que le 16 septembre 1992, les vitres du magasin situé au no 62/B, rue 677, avaient été cassées, le commissaire adjoint [S.K.] envoya une équipe de police sur les lieux ; l’équipe en question dressa un procès-verbal à 3 h 30 ; le même jour, à 7 heures, le plaignant se rendit au commissariat pour se plaindre dudit incident ; pendant l’enregistrement de ses griefs, il renonça à porter plainte et quitta le commissariat ; il y revint peu après et affirma avoir trouvé deux [balles] dans son magasin ; sur ce, le chef du commissariat, M. Enver Tunç, fit modifier la première déposition du plaignant et envoya une équipe sur les lieux ; le même jour à 11 h 30, celle-ci rédigea un procès-verbal faisant état de l’absence d’un quelconque impact de balles dans son magasin ; eu égard à l’absence de tels impacts, on en déduisit que le plaignant avait simulé ces balles à la seule fin d’assurer l’arrestation de [H.A.] qu’il accusait ; par conséquent, le commissaire principal, M. Enver Tunç, le renvoya devant la direction du bureau des affaires criminelles en vue d’un interrogatoire ; par une ordonnance du 17 septembre 1992, le plaignant fut renvoyé, pour invention d’infraction, devant le parquet avec [H.A.] Malgré le fait que le rapport médical du 18 septembre 1992, établi deux jours après cet incident par l’hôpital de la sécurité sociale dans lequel M. Mehmet Erdagöz avait été envoyé par le commissaire principal, M. Enver Tunç, fait état de traces de coups et blessures sur le corps de l’intéressé, rien ne permet d’établir que les lésions mentionnées dans le rapport résultent des sévices qu’aurait infligés le commissaire adjoint ; il n’y a donc pas de preuves suffisantes pour introduire une action publique contre ce dernier. » Le 27 janvier 1993, le requérant fit opposition à cette ordonnance de non-lieu devant le président de la cour d’assises de Tarsus, qui la rejeta le 23 février 1993. Le 8 mars 1993, le requérant saisit le ministre de la Justice d’une demande l’invitant à introduire un pourvoi dans l’intérêt de la loi. Le 29 mars 1993, le ministre repoussa cette requête. La seconde plainte Au cours de l’enquête, M. Erdagöz dénonça le commissaire principal et un autre policier, A.K., pour l’avoir insulté et l’avoir placé en garde à vue pendant quarante-huit heures alors qu’il était plaignant. Le 6 décembre 1993, le procureur de la République d’Adana prononça un non-lieu à l’égard de ces deux fonctionnaires. L’ordonnance est ainsi libellée : « Toutefois, l’examen du dossier d’instruction no 1992/22569 ainsi que l’enquête préliminaire menée dans cette affaire révèlent qu’en date du 16 septembre 1992 (...), le plaignant se rendit au commissariat et déclara oralement que les vitres de son magasin étaient cassées, qu’il voulut porter plainte contre le responsable ; que, sur ce, on lui demanda de présenter des preuves sinon de citer un témoin ; qu’il quitta le commissariat et revint après deux heures avec deux [balles] en tant que preuves ; qu’en conséquence, des agents se rendirent sur les lieux pour vérifier les allégations de M. Erdagöz et constatèrent que les vitres étaient cassées mais qu’aucune trace ne démontrait qu’elles avaient été brisées par balles ; compte tenu des antécédents du plaignant, il a été suspecté d’invention d’infraction et, par conséquent, l’objet de l’enquête a été modifié et une instruction en deux branches a été menée. Cependant, la police n’ayant trouvé aucune preuve pertinente établissant les faits délictueux, le plaignant fut renvoyé devant le parquet de la République par ordonnance du 17 septembre 1992 ; contrairement à ce qu’il a allégué, il n’a pas été mis en garde à vue pendant quarante-huit heures mais nécessairement maintenu pour une durée de vingt-quatre heures afin que l’enquête s’achève ; par ailleurs, aucun élément de preuve n’étaye les allégations de diffamation. » Le 15 février 1994, le requérant fit opposition à cette ordonnance de non-lieu devant le président de la cour d’assises. Il indiqua notamment que sa garde à vue avait duré deux jours et qu’elle était motivée par le ressentiment éprouvé contre lui par les fonctionnaires de police en raison des requêtes déjà introduites devant la Commission et les juridictions internes. Le 7 mars 1994, le président de la cour d’assises de Tarsus rejeta le recours et le 24 juin 1994, le ministre de la Justice repoussa la demande de M. Erdagöz tendant à l’introduction d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi. II. Le droit interne PERTINENT A. La Constitution L’article 19 § 8 de la Constitution dispose : « Toute personne privée de sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d’introduire un recours devant une autorité judiciaire compétente afin qu’elle statue à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation serait illégale, ordonne sa libération. » Le code de procédure pénale L’article 128 § 1 du code de procédure pénale, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : « Si la personne arrêtée n’est pas libérée et afin d’éviter tout retard inutile ou injustifié, elle doit être traduite devant le juge d’instruction et interrogée dans les vingt-quatre heures, et ce non compris le délai nécessaire pour sa présentation devant le juge d’instruction le plus proche du lieu de l’arrestation (...) » C. Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal sont les suivantes : Article 245 « Les fonctionnaires chargés d’une exécution forcée et les fonctionnaires de la police ainsi que tout autre fonctionnaire chargé d’une exécution qui procèdent à cette exécution, soit spontanément, soit sur l’ordre d’un supérieur, de façon contraire à la loi ou qui maltraitent, frappent ou blessent un tiers à cette occasion, seront punis de trois mois à trois ans d’emprisonnement et démis temporairement de leurs fonctions. » Article 266 « Quiconque, par des paroles ou par des actes, porte atteinte à l’honneur, à la réputation ou à la dignité d’un fonctionnaire, en sa présence et à l’occasion de ses fonctions, sera puni (...) » Article 283 « Quiconque dénonce à l’autorité judiciaire ou au titulaire d’une fonction officielle qui est tenu de rendre compte à cette autorité ou au titulaire d’une autre fonction qui a le pouvoir d’ouvrir ou d’ordonner une procédure, une infraction qu’il sait n’avoir pas été commise ou qui en fabrique les traces de manière à rendre possible l’ouverture d’une procédure pénale pour la constater, sera puni (...) » Article 285 « Quiconque, par une dénonciation ou en déposant une plainte auprès de l’autorité judiciaire ou auprès d’un fonctionnaire qui est tenu de la transmettre à cette autorité, ou auprès de l’autorité compétente pour entreprendre ou faire entreprendre une procédure, accuse une personne qu’il sait être innocente d’une infraction, ou qui fabrique à la charge de celle-ci les traces ou les indices matériels, sera puni, selon le genre et la nature de cette infraction et l’importance des moyens de preuves fabriqués (...) » D. La loi no 466 Les dispositions pertinentes de la loi no 466 du 7 mai 1964 sont les suivantes : Article 1 « Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne : arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ; à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ; qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ; dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ; qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ; qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement (...) » Article 2 § 1 « Les personnes ayant subi des dommages pour les raisons mentionnées à l’article 1er peuvent introduire une demande en réparation (...) devant la cour d’assises du lieu de leur domicile dans un délai de trois mois à compter du jour où les décisions portant sur les allégations fondant ladite demande ont acquis force de chose jugée. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 1er mai 1993. Invoquant les articles 3 et 5 § 1 de la Convention, il se plaignait de mauvais traitements que des fonctionnaires de police lui auraient infligés ainsi que de l’irrégularité de son « placement en garde à vue ». 30. La Commission a retenu la requête (no 21890/93) le 3 avril 1995. Le 14 mai 1996, elle a rejeté la demande du Gouvernement tendant à l’application de l’article 29 de la Convention. Dans son rapport du 23 mai 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3 de la Convention et à la violation de l’article 5. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt .
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l'espèce M. Abderrahim El Boujaïdi est né en 1967 au Maroc, pays dont il a la nationalité. En 1974, accompagnant sa mère, ses trois sœurs et son frère, il rejoignit son père en France. Il réside au Maroc depuis la mise à exécution, le 26 août 1993, de l'interdiction définitive du territoire français prononcée à son encontre. Le requérant a suivi sa scolarité en France où il a également travaillé pendant plusieurs années. A. La procédure correctionnelle Devant le tribunal correctionnel de Saint-Etienne En octobre 1986, un réseau de distribution d'héroïne importée des Pays-Bas fut mis au jour dans la région de Saint-Etienne (Loire). Huit personnes, dont le requérant, furent renvoyées devant le tribunal correctionnel de Saint-Etienne pour des infractions liées à l'usage et au trafic de drogue. Le 24 mars 1988, ledit tribunal condamna M. El Boujaïdi à trois ans d'emprisonnement – cette peine étant confondue avec une autre peine de trente mois d'emprisonnement prononcée le 25 septembre 1987 par le tribunal correctionnel d'Annecy pour vente d'héroïne – ainsi qu'au paiement de pénalités douanières. Faisant application de l'article L. 630-1 du code de la santé publique, il prononça en outre l'interdiction du territoire, à titre définitif à l'encontre de M. El Boujaïdi et de trois de ses coprévenus, et pour une durée de trois ans à l'encontre d'un quatrième. Devant la cour d'appel de Lyon Saisie par le parquet, la cour d'appel de Lyon, par un arrêt du 12 janvier 1989, porta la peine du requérant à six ans d'emprisonnement et l'assortit d'une période de sûreté des deux tiers. Elle confirma l'interdiction définitive du territoire français. Ledit arrêt est motivé comme suit : « Attendu que dans le cadre d'une enquête tendant au démantèlement d'un réseau d'approvisionnement en héroïne agissant sur la ville de Saint-Etienne, les policiers interpellèrent en avril 1987 [le requérant], cité comme fournisseur par différents usagers ; Attendu qu'au cours des interrogatoires devant les services de police et le juge d'instruction, El Boujaïdi a reconnu qu'il consommait de l'héroïne depuis plusieurs mois et s'injectait jusqu'à 1 gramme et demi par jour ; que selon ses déclarations, il s'approvisionnait auprès de [K., A. et I.] qui se fournissaient en Hollande ; Attendu que, toujours selon ses propres déclarations, El Boujaïdi revendait de l'héroïne depuis le mois de novembre 1986 pour financer sa propre consommation ; qu'il a même précisé au cours d'une audition qu'il revendait trois grammes chaque fois qu'il en achetait cinq ; Attendu que les différents usagers cités à la prévention comme acheteurs de El Boujaïdi ont confirmé au cours de l'enquête qu'ils s'étaient procuré auprès de lui des quantités variables d'héroïne durant toute la période visée, soit de septembre 1986 à avril 1987 ; Attendu qu'il résulte des auditions de plusieurs d'entre eux que El Boujaïdi était connu comme fournisseur dans le milieu des toxicomanes de Saint-Etienne et que les usagers pouvaient le rencontrer dans un bar-tabac situé place Chavanelle où s'effectuaient les transactions ; Attendu que les faits de vente d'héroïne par El Boujaïdi à [B.] ont été jugés par décision, devenue définitive, du tribunal [correctionnel] d'Annecy du 25 septembre 1987 ; qu'il n'y a donc pas lieu à statuer sur ces faits ; que pour le surplus et compte tenu de l'extrême gravité des agissements reprochés au prévenu la Cour estime devoir, après avoir confirmé le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, infliger à El Boujaïdi une peine de 6 années d'emprisonnement qui sera confondue avec la peine de 30 mois d'emprisonnement prononcée le 25 septembre 1987 par le tribunal d'Annecy (...) Attendu que la Cour estime devoir prononcer à l'encontre [du requérant] l'interdiction définitive du territoire français ; (...) » B. La première requête en relèvement de l'interdiction du territoire Le 25 mars 1991, invoquant les attaches familiales qu'il avait en France, M. El Boujaïdi déposa une première requête en relèvement de la mesure d'interdiction définitive du territoire français. Par un arrêt du 14 mai 1991, la cour d'appel de Lyon déclara ladite requête irrecevable, au motif que l'article L. 630-1 du code de la santé publique précisait qu'un étranger condamné à l'interdiction définitive du territoire ne pouvait en demander le relèvement. C. La condamnation pour vol A la suite d'une tentative de vol, le requérant – qui avait été élargi le 19 juin 1991 – fut appréhendé et, le 6 décembre 1992, placé sous mandat de dépôt. Pour ce fait ainsi que pour avoir séjourné en France malgré l'interdiction définitive du territoire prononcée à son encontre, le tribunal correctionnel de Saint-Etienne le condamna à un an de prison le 11 janvier 1993. D. La deuxième requête en relèvement de l'interdiction du territoire Le 25 mai 1992, M. El Boujaïdi sollicita à nouveau le relèvement de l'interdiction du territoire. Il soutenait que l'ancienneté de son séjour en France faisait de lui un condamné étranger à l'égard duquel, aux termes de l'article L. 630-1 du code de la santé publique dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 31 décembre 1991, l'interdiction du territoire n'était pas applicable. Il plaidait également qu'en raison des ses attaches familiales en France, ladite interdiction n'était pas compatible avec l'article 8 de la Convention. La cour d'appel de Lyon rejeta cette demande le 26 novembre 1992 par un arrêt ainsi motivé : « Attendu que le requérant (...) soutient que non seulement il doit être relevé de l'interdiction définitive du territoire français dont il fait l'objet au regard de l'article 8 de la Convention (...) mais que de facto il se trouve en France depuis 1974 et a toute sa famille dans ce pays. (…) Attendu que si la requête de El Boujaïdi est recevable depuis l'abrogation par la loi du 31 décembre 1991 (...) du dernier alinéa de l'article L. 630-1 du code de la santé publique, le requérant ne saurait cependant se prévaloir des dispositions de fond non rétroactives de cette loi aux condamnations devenues définitives, comme en l'espèce, avant son entrée en application ; Attendu que sa requête doit donc être examinée en opportunité sur le fondement de l'article 55-1 du code pénal ; Attendu que El Boujaïdi n'apporte aucun élément nouveau depuis sa condamnation du 12 janvier 1989 ; Qu'il ne saurait prétendre, étant célibataire, que son interdiction du territoire national est une ingérence intolérable dans sa vie familiale telle que visée par l'article 8 de la Convention (...) Que les faits qu'il a commis après deux autres condamnations pour infraction à la loi sur les stupéfiants rendent sa présence sur le territoire français dangereuse pour la santé et l'ordre publics ; (...) » Le 15 mars 1994, la Cour de cassation (chambre criminelle) repoussa le pourvoi formé le 30 novembre 1992 par le condamné contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, au motif que le mémoire de M. El Boujaïdi n'était pas signé par celui-ci. E. La troisième requête en relèvement, l'exécution de l'interdiction du territoire et l'évolution de la situation personnelle du requérant Le 22 juillet 1993, M. El Boujaïdi présenta une troisième requête en relèvement de l'interdiction du territoire devant la cour d'appel de Lyon. A l'appui de son moyen fondé sur l'article 8 de la Convention, il invoquait des changements dans sa situation personnelle : son concubinage avec une Française, Mme M., et la paternité de l'enfant mis au monde le 6 juillet par celle-ci. Le 5 août 1993, l'assistante sociale de la maison d'arrêt où M. El Boujaïdi était incarcéré adressa la lettre suivante au conseil de ce dernier : « (...) En réponse à votre courrier de 28 juillet 1993 concernant les démarches entreprises ces derniers mois pour la reconnaissance de l'enfant de M. El Boujaïdi actuellement incarcéré et dont j'assure le suivi social, je peux vous dire que, à la demande de M. El Boujaïdi et [Mme M.] sa concubine : 1) j'ai constitué courant avril un dossier de reconnaissance avant naissance, transmis par mes soins à la fois à la mairie de La Talandière et au substitut du procureur pour réquisition des officiers d'état civil ; 2) cette demande n'ayant pas abouti, et l'enfant étant né le 6 juillet 1993, j'ai constitué un nouveau dossier de reconnaissance transmis le 3 août 1993 au parquet du tribunal de Saint-Etienne. (...) » Le 26 août 1993, la mesure d'interdiction du territoire fut exécutée. 19. Le 20 octobre 1993, au consulat général de France à Fès, M. El Boujaïdi reconnut la paternité de l'enfant de Mme M. Par un arrêt du 16 décembre 1993, la cour d'appel de Lyon rejeta la requête en relèvement de l'interdiction du territoire aux motifs suivants : « Attendu que le conseil d'El Boujaïdi produit divers documents desquels il ressort qu'il a fait connaissance de [Mme M.] en janvier 1992, c'est-à-dire à une date où il aurait dû se trouver ailleurs que sur le territoire français ; que l'enfant commun est né le 6 juillet 1993 ; que la situation qu'il invoque a donc été créée alors qu'il se trouvait de manière définitive interdit sur notre territoire ; Attendu que la mesure d'interdiction du territoire sanctionnait un dangereux commerce d'héroïne ; que dans ces conditions la cour n'estime pas opportun de faire droit à la présente requête ; (...) » Invoquant essentiellement l'article 8 de la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne, le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 25 octobre 1994, la Cour de cassation (chambre criminelle) repoussa le pourvoi : « Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Abderrahim El Boujaïdi, de nationalité marocaine, a été condamné notamment à l'interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants, par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 12 janvier 1989, passé en force de chose jugée ; que par requête du 22 juillet 1993, il a sollicité le relèvement de cette interdiction ; Attendu que, pour rejeter cette requête, la cour d'appel relève que la situation familiale dont se prévaut l'intéressé a été créée alors qu'il se trouvait de façon définitive interdit sur le territoire national ; qu'elle ajoute que la peine complémentaire prononcée à son encontre « sanctionnait un dangereux commerce d'héroïne » ; Attendu (...) que (...) l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit pas les limitations apportées par la loi au droit au respect de la vie familiale, dès lors qu'elles sont nécessaires, notamment, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la protection de la santé ; que tel est le cas en l'espèce ; D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question le pouvoir discrétionnaire que les juges tenaient de l'article 55-1 du code pénal, alors en vigueur, ne saurait être admis ; (...) » II. Le droit interne pertinent A. Le code de la santé publique L'article L. 630-1 du code de la santé publique disposait : « (...) les tribunaux (...) pourront prononcer l'interdiction définitive du territoire français contre tout étranger condamné pour les délits prévus à l'article L. 627. L'interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière à l'expiration de sa peine. (...) En cas de condamnation à l'interdiction définitive du territoire, le condamné ne pourra demander à bénéficier des dispositions de l'article 55-1 du code pénal. » La loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 a remplacé les trois derniers alinéas par les dispositions suivantes : « Toutefois, l'interdiction du territoire français ne sera pas applicable à l'encontre : (...) 2° D'un condamné étranger père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ; (...) L'interdiction du territoire français ne sera également pas applicable à l'égard du condamné étranger qui justifie : 1° Soit qu'il réside habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans ou depuis plus de quinze ans ; 2° Soit qu'il réside régulièrement en France depuis plus de dix ans. (...) L'interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement. » L'article L. 630-1 a été abrogé par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992. B. Le code pénal L'article 55-1 du code pénal est ainsi rédigé : « (...) (...) toute personne frappée d'une interdiction (...) résultant de plein droit d'une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation (...), peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation (...) de la relever, en tout ou en partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction (...) (...) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. El Boujaïdi a saisi la Commission le 7 novembre 1994. Il soutenait que la mesure d'interdiction définitive du territoire prise à son encontre constituait une violation de l'article 8 de la Convention. Le 17 janvier 1996, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 25613/94). Dans son rapport du 26 juin 1996 (article 31), elle conclut, par onze voix contre deux, qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant « conclut à la violation de l'article 8 de la Convention européenne et à la condamnation du gouvernement français ». Quant au Gouvernement, il « conclut au rejet de la requête ».
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l'espèce Ressortissant suisse né en 1965, M. R.M.D. vit actuellement à Benglen, dans le canton de Zurich, en Suisse. A. La détention provisoire du requérant dans différents cantons La détention provisoire dans le canton de Zurich (13–17 janvier 1992) Le 13 janvier 1992, à la demande de la préfecture (Amtsstatthalteramt) de Willisau (canton de Lucerne) et sur mandat d'arrêt émis par le parquet du district (Bezirksanwaltschaft) d'Uster (canton de Zurich), la police cantonale de Zurich appréhenda le requérant et l'incarcéra à Uster. L'intéressé était soupçonné d'avoir commis plusieurs vols et d'autres infractions dans les cantons de Zurich, Lucerne, Berne et Argovie. Le 15 janvier 1992, son conseil demanda sa mise en liberté immédiate auprès du parquet du district d'Uster. Par une ordonnance du même jour, ce dernier rejeta la demande et la transmit pour vérification au président du tribunal du district (Bezirksgericht) d'Uster. Par une ordonnance du 17 janvier, le juge d'instruction (Haftrichter) près ce tribunal déclara que la demande en question était devenue sans objet, M. R.M.D. ayant été transféré le même jour dans le canton de Lucerne, et qu'il n'y avait dès lors pas lieu de statuer au fond. La détention provisoire dans le canton de Lucerne (17–21 janvier 1992) En effet, le 17 janvier 1992, le requérant fut transféré à Willisau. Par une ordonnance du même jour, la préfecture de Willisau le plaça en détention provisoire. Le 20 janvier 1992, le conseil de l'intéressé demanda par téléphone au préfet (Amtsstatthalter) de Willisau sa désignation en tant qu'avocat de l'inculpé et l'autorisation de rendre visite à ce dernier le 21 janvier. Le préfet lui répliqua que M. R.M.D. serait transféré le 21 janvier à Aarwangen, dans le canton de Berne, à la demande du juge d'instruction de ce canton. La détention provisoire dans le canton de Berne (21–24 janvier 1992) Le 21 janvier 1992, le requérant fut transféré à Aarwangen afin d'y être entendu par le juge d'instruction. Le même jour, le préfet de Willisau en informa le conseil de l'intéressé par écrit. Celui-ci cherchait à contester la décision de maintenir son client en détention à Aarwangen. Cependant, le juge d'instruction d'Aarwangen l'informa par téléphone que lui-même n'avait pas pris d'ordonnance de maintien en détention provisoire de M. R.M.D., étant donné que celle rendue à cet effet par la préfecture de Willisau le 17 janvier 1992 (paragraphe 9 ci-dessus) était toujours valable. La détention provisoire dans le canton de Glaris (24 janvier–3 février 1992) Le 24 janvier 1992, le requérant fut transféré à Glaris, pour y être entendu par le juge d'instruction à propos d'un cambriolage commis dans le canton du même nom. Par une ordonnance du même jour, le juge d'instruction ordonna le maintien de l'intéressé en détention provisoire. La détention provisoire dans le canton de Saint-Gall (3–21 février 1992) Le 3 février 1992, le requérant fut transféré à Saint-Gall. La détention provisoire dans le canton de Schwyz (21–25 février 1992) Le 21 février 1992, M. R.M.D. fut transféré à Schwyz. Le même jour, son conseil demanda sa mise en liberté auprès du juge d'instruction du canton de ce nom, qui la rejeta le 24 février. La détention provisoire dans le canton de Zurich (25 février–3 mars 1992) Le 25 février 1992, le requérant fut de nouveau transféré à Uster. Par une ordonnance du 26 février 1992, le parquet d'Uster ordonna son maintien en détention provisoire. Le même jour, son conseil demanda sa mise en liberté auprès du tribunal de district d'Uster, qui la rejeta le 28 février. 8. La détention provisoire dans le canton d'Argovie (3–13 mars 1992) Le 3 mars 1992, M. R.M.D. fut transféré à Aarau. Par une ordonnance du 4 mars 1992, le parquet d'Aarau ordonna son maintien en détention provisoire. La détention provisoire dans le canton de Zurich (13 mars 1992) Le 13 mars 1992, le requérant fut de nouveau transféré à Uster. Aussitôt son conseil demanda de nouveau sa mise en liberté et l'intéressé fut libéré le jour même. B. Le recours du requérant devant la cour d'appel de Lucerne et le Tribunal fédéral Le 23 janvier 1992, le conseil de M. R.M.D. attaqua devant la cour d'appel (Obergericht) de Lucerne l'ordonnance de mise en détention provisoire du 17 janvier (paragraphe 9 ci-dessus) et demanda la mise en liberté immédiate de son client. Le 27 janvier 1992, la cour d'appel de Lucerne raya le recours du rôle, au motif que celui-ci était devenu sans objet : le requérant ayant été transféré le 21 janvier à Aarwangen et le 24 janvier à Glaris, l'ordonnance de mise en détention provisoire du 17 janvier était devenue caduque (dahingefallen). Le 31 janvier 1992, le conseil de M. R.M.D. saisit le Tribunal fédéral suisse d'un recours de droit public contre l'arrêt de la cour d'appel de Lucerne. Il demanda au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la cour d'appel et d'enjoindre à celle-ci de statuer sur le fond et d'ordonner la mise en liberté immédiate de son client. D'après lui, le refus de la cour d'appel d'examiner l'affaire au fond avait méconnu les dispositions du code de procédure pénale du canton de Lucerne, celles de la Constitution suisse, ainsi que celles de la Convention garantissant le droit à un procès équitable, à l'examen de la légalité de la détention par un tribunal, ainsi qu'à l'assistance d'un défenseur. Le 12 février 1992, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public de l'intéressé. En premier lieu, il indiqua que l'absence d'examen de l'affaire au fond par la cour d'appel n'avait pas méconnu les dispositions du code de procédure pénale du canton de Lucerne : « On peut raisonnablement soutenir que la cour d’appel n’a plus à se prononcer sur le fond d’un appel interjeté contre une ordonnance de mise en détention provisoire lorsque la détention dans le canton de Lucerne prend fin au cours de la procédure d’appel, soit parce que la personne détenue a été libérée, soit parce qu’elle est maintenue en détention dans un autre canton et que la décision de la mettre en détention provisoire dans le canton de Lucerne est alors devenue caduque. Le Tribunal fédéral a adopté un raisonnement analogue. Par conséquent, sauf cas exceptionnel, [le Tribunal fédéral] considère comme sans objet et décide donc de rayer du rôle tout recours visant à contester une détention si le demandeur a été libéré au cours de la procédure devant le Tribunal fédéral (...). Il justifie cette jurisprudence par le fait qu’en pareil cas, il n’y a plus d’intérêt concret immédiat à obtenir une décision sur le recours visant à contester la détention ni même sur les demandes d'indemnisation et de réparation (...). Ces considérations peuvent également s’appliquer aux procédures d’appel devant les juridictions cantonales. Le demandeur peut toujours soutenir, au cours d'une action ultérieure en réparation, qu’il a été irrégulièrement arrêté dans le canton de Lucerne. » En ce qui concerne la procédure de « regroupement » (Sammelverfahren) des informations ouvertes à l'encontre de M. R.M.D. dans divers cantons, le Tribunal fédéral estima qu'il était important, pour éviter toute incertitude sur la compétence en matière de détention au début des investigations, d'établir clairement si et quand une détention dans un canton prenait fin, afin de permettre à l'inculpé de saisir le juge cantonal compétent. C'est pourquoi il eût été préférable que le préfet de Willisau eût indiqué par écrit que la détention du requérant dans le canton de Lucerne avait pris fin et que M. R.M.D. était désormais soumis à la compétence des autorités du canton de Glaris. Cependant, cela ne changerait rien au fait que l'arrêt de la cour d'appel de Lucerne n'avait méconnu ni les dispositions de la Constitution relatives à la liberté personnelle ni l'article 5 § 4 de la Convention, étant donné qu'au moment de l'introduction de son appel, le requérant ne se trouvait déjà plus en détention provisoire dans le canton de Lucerne. Enfin, le Tribunal fédéral déclara irrecevable le grief de l'intéressé relatif à l'article 6 § 3 c) de la Convention, au motif que la question de l'attribution officielle d'un avocat à l'inculpé n'avait pas été soulevée devant la cour d'appel. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution fédérale L'article 64 bis, premier et deuxième alinéas, de la Constitution fédérale de la Confédération suisse dispose : « La Confédération a le droit de légiférer en matière de droit pénal. L'organisation judiciaire, la procédure et l'administration de la justice demeurent aux cantons (...) » En conséquence, chaque canton applique son propre code de procédure pénale. B. Le code pénal suisse Les dispositions pertinentes du code pénal suisse sont ainsi rédigées : Article 350 « 1. Lorsqu'un inculpé est poursuivi pour plusieurs infractions commises en différents lieux, l'autorité du lieu où a été commise l'infraction punie de la peine la plus grave est aussi compétente pour la poursuite et le jugement des autres infractions. Si les différentes infractions sont punies de la même peine, l'autorité compétente est celle du lieu où la première instruction a été ouverte. Lorsqu'un inculpé, contrairement aux règles sur le concours d'infractions (art. 68), aura été condamné par plusieurs tribunaux à plusieurs peines privatives de liberté, le tribunal qui a prononcé la peine la plus grave fixera, à la requête du condamné, une peine d'ensemble. » Article 351 « S'il y a contestation sur l'attribution de la compétence entre les autorités de plusieurs cantons, le Tribunal fédéral désignera le canton qui a le droit et le devoir de poursuivre et de juger. » C. Le code de procédure pénale du canton de Lucerne Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale du canton de Lucerne (Luzerner Strafprozeßordnung) sont ainsi libellées : Article 83 bis « 1. (...) L'accusé à l'encontre duquel le préfet, le procureur, une juridiction inférieure ou le président d'une telle juridiction ont rendu une ordonnance de mise en détention provisoire peut attaquer celle-ci devant la cour d'appel. Il doit être informé de ce droit. La cour d'appel statue dans les trois jours. » Article 83 quater « 1. L'ordonnance de mise en détention provisoire devient caduque après quinze jours. Si le motif d'incarcération persiste, l'autorité saisie de l'affaire doit rendre une ordonnance de maintien en détention. La durée prévue par celle-ci ne peut excéder trente jours (...) La personne arrêtée peut à tout moment soumettre à l'autorité saisie de l'affaire une demande d'élargissement, sur laquelle il doit être statué dans les trois jours. Si le préfet, le procureur, une juridiction inférieure ou le président d'une telle juridiction rendent une ordonnance de maintien en détention ou s'ils rejettent une demande d'élargissement, l'accusé peut former un recours auprès de la cour d'appel. Celle-ci statue dans les sept jours. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. R.M.D. a saisi la Commission le 26 mars 1992. Il alléguait que l'absence d'examen au fond par la cour d'appel de Lucerne et le Tribunal fédéral suisse de son recours visant à contester la légalité de sa détention provisoire enfreignait l'article 5 § 4 de la Convention. Le 18 octobre 1995, la Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête (n° 19800/92) recevable. Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31), elle conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 5 § 4 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour « à dire que, faute d'épuisement des voies de recours internes, elle ne peut connaître du fond de la requête introduite par M. R.M.D. contre la Suisse ». Dans ses écritures, le requérant prie la Cour : « – de dire que la Suisse a violé l'article 5 § 4 de la Convention ; – de condamner la Suisse à lui verser une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention ; – de faire supporter à la Suisse tous autres frais et dépens ».
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPèCE Les faits de la cause tels que la Commission les a établis dans son rapport du 23 mai 1996 ne prêtent pas à controverse. Les événements à l'origine de la requête avaient fait l'objet au niveau national de l'examen approfondi d'une commission d'enquête qui a procédé sur une période de quarante-six jours à des auditions au cours desquelles elle a recueilli les dépositions de soixante-douze témoins et examiné cent treize pièces à conviction (paragraphe 96 ci-dessous). La Commission a pu étudier le procès-verbal intégral de la procédure devant la commission d'enquête et examiné divers éléments de preuve soumis à celle-ci, dont un enregistrement vidéo de l'incident. En revanche, le Gouvernement conteste les conclusions à tirer des faits établis par la Commission, dont les constats divergent de ceux auxquels était parvenue la commission d'enquête interne. Les faits exposés ci-après s'appuient principalement sur ceux figurant dans le rapport de la Commission. Les conclusions de la commission d'enquête se trouvent reproduites aux paragraphes 123 à 139 ci-dessous. A. Le couple décédé A l'époque des événements, Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou étaient âgés respectivement de trente-trois et vingt-deux ans. Lefteris Andronicou avait deux enfants d'un précédent mariage dissous en 1988. Il rencontra Elsie Constantinou pour la première fois en août 1993. Elle travaillait à l'époque pour une boutique de mode, et lui était salarié d'une cimenterie. Le 26 novembre 1993, Elsie Constantinou s'installa dans l'appartement de Lefteris Andronicou, au rez-de-chaussée d'un immeuble du quartier de Chloraka, à Paphos. Il semblerait que les parents d'Elsie Constantinou, les troisième et quatrième requérants, n'approuvaient pas cette relation et qu'ils tentèrent de persuader leur fille de revenir chez eux. A une occasion, le père sollicita l'aide de la police. La mère d'Elsie Constantinou parvint en fait à convaincre celle-ci de quitter l'appartement de Lefteris Andronicou et de rentrer à la maison. La jeune femme passa par la suite deux semaines en Angleterre. Elle revint le 19 décembre et retourna dans l'appartement de Lefteris Andronicou. Le couple annonça ses fiançailles dans la presse locale le 22 décembre 1993. B. Les premières phases de l'incident Dans la matinée du 24 décembre 1993, vers 8 h 30, trois des voisins de Lefteris Andronicou, D. Papapetru, G. Georgiu et H. Hrisanthu, entendirent les cris d’une femme appelant à l’aide de l’appartement de Lefteris Andronicou. Ils décidèrent tout d’abord de ne pas s'en mêler et D. Papapetru et G. Georgiu s’en allèrent. Comme toutefois la femme continuait à crier : « Arrête de me frapper », H. Hrisanthu, propriétaire de la boutique voisine, se résolut à faire appel à A. Trifonos, propriétaire de l’immeuble, ainsi qu’au troisième requérant, le père d’Elsie Constantinou. A un certain moment, H. Hrisanthu aperçut une femme essayant de sauter par la fenêtre et quelqu’un qui la tirait vers l’intérieur. A 10 h 30 environ, il téléphona au commissariat de police de Paphos et deux policiers furent envoyés sur les lieux. Les deux policiers sonnèrent à l’appartement, mais n'obtinrent aucune réponse. L'un d’eux, qui connaissait Lefteris Andronicou, le pria d'ouvrir, sur quoi il entendit une voix de femme crier derrière la porte close : « Lefteris, lâche ce fusil, qu’est-ce que tu veux faire ? » Les deux policiers se retirèrent et appelèrent le commissariat de Paphos par radio. D. Papapetru et G. Georgiu retournèrent alors sur place et virent une jeune femme sortir de l’appartement de Lefteris Andronicou en leur faisant des signes. Ensuite, elle retourna dans l’appartement. Il ne leur fut pas possible de déterminer si elle était rentrée de son plein gré ou si quelqu’un l’avait tirée à l’intérieur. Vers 11 h 30, I. Hatzipashalis, directeur adjoint du service des enquêtes criminelles de Paphos (« le SEC »), accompagné d'autres policiers, arriva sur les lieux. Il frappa à la porte et parla avec Lefteris Andronicou, qui lui dit qu’il s’était disputé avec Elsie Constantinou et qu’ils s’étaient bagarrés. Il entendit alors celle-ci lui crier que Lefteris Andronicou l'avait frappée, dire à ce dernier qu'elle voulait sortir, puis lui demander pourquoi il chargeait le fusil et le pointait sur elle. I. Hatzipashalis tenta de calmer Lefteris Andronicou en lui disant que nombreux sont les couples qui se disputent et qui, finalement, règlent leur différend sans l’intervention de la police. Toutefois, lorsqu’il s’approcha de la fenêtre, Lefteris Andronicou le menaça de tirer sur lui s'il ne s'en allait pas. I. Hatzipashalis demanda à Lefteris Andronicou de lui laisser voir la jeune femme, précisant que si cette dernière lui affirmait qu’elle ne se plaignait de rien, il s’en irait. Il n’obtint pas de réponse. D. Papapetru, agissant avec l’autorisation de I. Hatzipashalis, réussit à entrer en conversation avec Lefteris Andronicou qui lui demanda des cigarettes, ajoutant : « Après, je réfléchirai à ce que je dois faire et j’ouvrirai la porte. » D. Papapetru fit passer quelques cigarettes sous la porte. A un certain moment, la jeune femme cria à D. Papapetru que Lefteris Andronicou pointait le fusil sur elle et qu’il allait faire feu. Un peu plus tard, Lefteris Andronicou tira le rideau et D. Papapetru vit qu'il tenait un fusil de chasse. Les policiers poursuivirent leurs efforts pour convaincre Lefteris Andronicou de libérer Elsie Constantinou, mais en vain. A 12 h 50, I. Hatzipashalis décida d’informer A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, et G. Georgiadis, directeur du SEC de Paphos. A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, arriva sur les lieux vers 13 heures. Il s’adressa à Lefteris Andronicou qui demanda avec colère à la police de se retirer. A. Nikolaidis lui promit aide et protection et l’invita à exposer ses doléances. Lefteris Andronicou répéta que tout ce qu’il voulait c'était que la police s'en aille. Elsie Constantinou recommença à crier à l’aide, prétendant que Lefteris Andronicou l'avait frappée la veille au soir, qu'elle avait maintenant un œil gonflé qui lui faisait mal. Elle dit en sanglotant qu'elle avait peur que Lefteris Andronicou ne la tue et qu'il pointait son fusil dans sa direction. A. Nikolaidis téléphona à D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos. Entre-temps, le troisième requérant, père d’Elsie Constantinou, arriva sur les lieux, accompagné d’Andreas Onufriu, cousin de la jeune femme. Ils y retrouvèrent Antonis Onufriu, un autre cousin de celle-ci, qui lui aussi s’était efforcé de persuader Lefteris Andronicou de libérer la jeune femme. A. Nikolaidis commença à recueillir des renseignements sur les relations entre Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou. Il fut établi que ces deux personnes habitaient ensemble. Toutefois, ainsi qu’il apparut au cours de la procédure devant la commission d’enquête, la police ne savait pas alors que ces deux jeunes gens venaient d'annoncer leurs fiançailles. Vers 14 h 15, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, arriva sur les lieux. Il affirma à Lefteris Andronicou qu’il n’avait rien à craindre et que les choses n’auraient pas de suites. Lefteris Andronicou exigea une nouvelle fois que tous les policiers, sans exception, se retirent. Vers 15 heures, I. Hatzipashalis, directeur adjoint du SEC de Paphos, donna à un policier l’ordre d'aller chercher des mandats d'arrêt et de perquisition au motif que Lefteris Andronicou retenait Elsie Constantinou contre sa volonté et la menaçait avec un fusil de chasse. Un juge du tribunal de Paphos délivra les mandats. D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, fit le point de la situation avec le père d’Elsie Constantinou dans le magasin de H. Hrisanthu, qui servit dès lors de salle de commandement. Ainsi que A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, le confirma devant la commission d’enquête, le père d’Elsie Constantinou proposa que la police se retirât et laissât la famille régler elle-même le problème. D. Konstantinidis demanda aussi l’aide de G. Poliviu, ancien employeur de Lefteris Andronicou, qui se trouvait sur les lieux. G. Poliviu téléphona à Lefteris Andronicou mais découvrit que le téléphone de celui-ci était en dérangement. Avec l’accord de D. Konstantinidis, G. Poliviu plaça sur le rebord de la fenêtre de Lefteris Andronicou un poste de téléphone appartenant à H. Hrisanthu. Il fut constaté ultérieurement que cet appareil était muni d’un haut-parleur. D. Konstantinidis téléphona à la quatrième requérante, la mère d’Elsie Constantinou, et obtint qu’elle vienne sur place. Il demanda aussi au père d’Elsie Constantinou de parler à sa fille, mais l'intéressé s'y refusa. A un certain moment, Lefteris Andronicou demanda à G. Poliviu des cigarettes et des aliments, indiquant qu’Elsie Constantinou avait faim et qu’elle devait manger. D. Konstantinidis décida qu’aucune nourriture ne serait fournie. G. Poliviu déposa quelques cigarettes sur le rebord de la fenêtre. D. Konstantinidis eut plusieurs entretiens téléphoniques avec Lefteris Andronicou et lui promit de l'aide. Il parla aussi au téléphone avec Elsie Constantinou qui lui dit qu’elle était retenue contre sa volonté depuis 23 heures la veille. D. Konstantinidis conclut que Lefteris Andronicou ne voulait pas négocier. A 16 h 50 environ, D. Konstantinidis téléphona à A. Potamaris, directeur général de la police, et lui exposa la situation, se portant volontaire, si besoin était, pour diriger une opération de sauvetage. A. Potamaris décida toutefois d’envoyer à Chloraka la section des forces spéciales d’intervention de la police (Mihanokiniti Monada Amesis Drasis – « le MMAD ») qui, à son avis, était spécialement entraînée pour des interventions de ce genre. La mère d’Elsie Constantinou arriva, mais Lefteris Andronicou refusa de lui parler au téléphone. Elle demanda à la police de se retirer et de laisser la famille régler la question. Peu avant 17 heures arriva G. Georgiadis, directeur du SEC de Paphos. Une foule s’était déjà rassemblée et la police avait établi un cordon interdisant l’accès tout autour de l’appartement. Aux environs de 17 heures, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, s’en alla, laissant son adjoint, A. Nikolaidis, diriger les opérations ; celui-ci, devant la commission d’enquête, affirma que c'était la première fois de sa carrière qu'il participait à une opération et à des négociations de cette nature. Vers 17 h 10, A. Potamaris, directeur général de la police, ordonna à H. Mavros de se rendre à Chloraka avec la section spécialement entraînée du MMAD, placée sous ses ordres. A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, essaya à plusieurs reprises d’entrer en communication avec Lefteris Andronicou, mais la ligne de celui-ci était occupée. A un moment donné, la sœur et la nièce de Lefteris Andronicou arrivèrent et lui parlèrent à travers la porte. Il leur déclara qu’il avait peur de la police, ce que confirma Elsie Constantinou. Il demanda à sa sœur d'emmener ses enfants chez elle ; il ouvrirait la porte à son retour. Vers 18 heures, Lefteris Andronicou téléphona au Dr A. Hatzimitsi, médecin généraliste qu’il avait consultée à plusieurs reprises au cours des trois derniers mois. Il lui déclara qu’il avait battu Elsie Constantinou et que la police se trouvait devant son appartement. Il ajouta qu’il allait perdre Elsie Constantinou. Il demanda au médecin d'informer sa sœur qu’il avait laissé de l’argent sur le réfrigérateur ; en effet, une fois qu'il aurait accompli ce qu’il avait l’intention de faire, sa sœur risquait d’avoir des problèmes de santé et aurait besoin de cet argent. Le Dr A. Hatzimitsi essaya de raisonner Lefteris Andronicou qui lui dit qu’il n’avait plus envie de lui parler. Il l’avertit qu’il raccrocherait si elle essayait de le rappeler. Le Dr A. Hatzimitsi téléphona à G. Poliviu, qui lui avait présenté Lefteris Andronicou, et lui demanda d’informer la police de sa conversation avec celui-ci. A 18 h 10, A. Potamaris, directeur général de la police, téléphona à son adjoint, K. Papakostas, pour lui confier la direction de l’opération. Il ordonna également à N. Konstantinu, directeur adjoint du MMAD, de se rendre à Paphos. A 18 h 15, A. Potamaris, au cours de son entretien téléphonique quotidien avec le ministre de la Justice et de l’Ordre public, le mit au courant de l'incident. A 18 h 30 environ, Lefteris Andronicou accepta de parler au téléphone avec A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos. Il déclara que tout était fini avec Elsie Constantinou, qu’il s’était très mal comporté à son égard et qu’il l’avait perdue pour toujours. Il parut préoccupé par l'état de l'œil de la jeune femme et A. Nikolaidis lui proposa de la conduire chez le médecin, mais Lefteris Andronicou refusa, précisant que A. Nikolaidis devait attendre jusqu’à minuit. Andronicou ajouta qu’après qu'il aurait fêté Noël avec Elsie Constantinou, A. Nikolaidis pourrait venir la chercher à 0 h 5. A. Nikolaidis lui demanda si cela voulait dire qu’il libérerait la jeune femme, mais Lefteris Andronicou ne répondit pas. Il déclara qu'il était fatigué et raccrocha. Vers 19 h 30, H. Mavros, chef de la section du MMAD, arriva sur les lieux accompagné de trois autres agents du MMAD. Il fut mis au courant de la situation par A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, qui lui dit que Lefteris Andronicou était en possession d’un fusil de chasse à deux coups. Il fut établi par la suite que le fusil ne pouvait contenir que deux cartouches à la fois. H. Mavros demanda s’il était possible que Lefteris Andronicou détînt d’autres armes et A. Nikolaidis répondit que ce n’était pas exclu. H. Mavros s’entretint aussi avec son adjoint, N. Konstantinu, qui se trouvait déjà sur les lieux. H. Mavros remarqua la présence de nombreux curieux, ce qui, selon lui, était « inacceptable ». A. Nikolaidis donna l’ordre d’éloigner certains badauds. H. Mavros demanda à A. Trifonos, propriétaire de l’immeuble, qui avait auparavant essayé lui aussi de convaincre Lefteris Andronicou de libérer Elsie Constantinou, de lui exposer la configuration des appartements. H. Mavros visita celui situé au-dessus du domicile de Lefteris Andronicou ainsi que l’appartement, sur le même palier, qui était identique à celui de Lefteris Andronicou. A. Trifonos lui fit un plan de l’appartement de ce dernier. L’appartement se composait de deux pièces et d’une salle de bain. Le salon, situé en façade, mesurait 5 m sur 3,60 m et comportait une porte et une fenêtre. Il y avait une lucarne au-dessus de la porte. La chambre à coucher et la salle de bain, situées à l’arrière, comportaient chacune une fenêtre. Peu après 19 h 30, G. Poliviu rapporta à A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, que Lefteris Andronicou avait déclaré, au téléphone, au Dr A. Hatzimitsi qu’aux environs de minuit il libérerait Elsie Constantinou et se suiciderait. A. Nikolaidis transmit cette information à son directeur, D. Konstantinidis, et au directeur général adjoint de la police, K. Papakostas. Ce dernier chargea A. Nikolaidis d’agir en tant que négociateur principal puisqu’il avait gagné la confiance de Lefteris Andronicou. Il lui demanda aussi de faire participer aux négociations le Dr A. Hatzimitsi ainsi qu’un psychologue ou un psychiatre et toute autre personne pouvant avoir une influence sur Lefteris Andronicou. Finalement, A. Nikolaidis et K. Papakostas envisagèrent d’administrer des somnifères à Lefteris Andronicou. A. Nikolaidis téléphona à Lefteris Andronicou pour lui dire que la mère et la grand-mère d’Elsie Constantinou souhaitaient lui parler, mais Lefteris Andronicou refusa. Puis il téléphona au médecin du district pour avoir les coordonnées des psychiatres de l’hôpital de Paphos. Il apprit que les deux psychiatres en question habitaient Limassol. A. Nikolaidis téléphona également au pharmacien de l’hôpital de Paphos et commanda des médicaments. Le pharmacien, P. Hatzimitsis, certifia avoir fourni deux boîtes de comprimés de Lorezabam, dosés respectivement à 1 mg et 2 mg. L’hôpital ne détenait pas de comprimés dosés à 3 mg. Deux policiers furent envoyés au cabinet du Dr A. Hatzimitsi. Celle-ci s’entretint avec eux au sujet de l’appel téléphonique de Lefteris Andronicou. En réponse à leurs questions, elle déclara qu'à son avis, celui-ci n’avait pas de problèmes psychologiques. Elle ajouta qu’elle ne pensait pas pouvoir apporter une aide quelconque car l’intéressé lui avait déjà dit de ne pas le rappeler. C. Le plan de sauvetage Vers 20 heures, H. Mavros se rendit au commissariat de police de Paphos, où il retrouva le reste de la section du MMAD. D'après la déposition des policiers devant la commission d’enquête, la section comportait deux agents que les témoins qualifièrent de « négociateurs expérimentés ». H. Mavros exposa aux membres de la section le plan visant à secourir Elsie Constantinou et à s’emparer de Lefteris Andronicou. Ce plan était fondé sur la surprise, la rapidité et la précision d’exécution. Dès que la section aurait pris position à l’extérieur de l’appartement de Lefteris Andronicou, H. Mavros avertirait le commandant de l'opération par l’intermédiaire d’un agent de liaison. Le commandant demanderait alors au négociateur d’appeler Lefteris Andronicou au téléphone. Pendant que celui-ci serait occupé à répondre au téléphone, qui se trouvait dans la pièce en façade, à gauche de la porte, quatre agents projetteraient du gaz lacrymogène dans l’appartement par les trois fenêtres. Deux autres agents enfonceraient la porte avec un bélier. Quatre agents pénétreraient dans la pièce du devant. Les deux premiers s’empareraient de Lefteris Andronicou qui, vraisemblablement, serait à moins de deux mètres de la porte. Un troisième agent se saisirait d’Elsie Constantinou. Un quatrième pénétrerait dans l’appartement pour fournir toute aide qui pourrait se révéler nécessaire. Toutes les communications se feraient par talkie-walkie sur une fréquence secrète. Les agents seraient munis de pistolets et de mitraillettes. Leur chef, H. Mavros, leur précisa que Lefteris Andronicou disposait d’un fusil de chasse à deux coups et qu’il n’était pas impossible qu’il fût en possession d’autres armes. Il leur fut enjoint de faire usage d’une force proportionnée et de ne tirer que si la vie d’Elsie Constantinou ou la leur était en danger. Si la pièce était dans l’obscurité, ils devaient utiliser les faisceaux lumineux dont leurs mitraillettes étaient équipées. D. Les phases ultérieures de l'incident A 20 h 40, A. Potamaris, directeur général de la police, eut un entretien avec son adjoint, K. Papakostas. Il fut décidé que le directeur adjoint de la police de Paphos, A. Nikolaidis, continuerait à diriger les négociations, que deux autres négociateurs interviendraient et que la police, après avoir obtenu les avis médicaux appropriés, administrerait des somnifères à Lefteris Andronicou si celui-ci demandait de la nourriture. Alors que les entretiens entre A. Potamaris et K. Papakostas étaient encore en cours, à 20 h 50 environ, A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, parla à nouveau au téléphone avec Lefteris Andronicou qui critiqua vivement la façon dont les médias rendaient compte des événements. Il refusa de laisser A. Nikolaidis parler à Elsie Constantinou ; celle-ci cria que Lefteris Andronicou allait la tuer. N. Hatziharalambus, policier qui connaissait ce dernier, s’efforça lui aussi de le convaincre de libérer la jeune femme. L’entretien entre A. Potamaris et K. Papakostas prit fin à 21 heures. K. Papakostas ordonna d'envoyer à Chloraka deux autres négociateurs des forces de police. Il téléphona aussi à A. Nikolaidis, qui lui indiqua qu’il n’avait pas réussi à entrer en rapport avec les psychiatres de l’hôpital de Paphos et que Lefteris Andronicou refusait de parler aux parents d’Elsie Constantinou. K. Papakostas chargea A. Nikolaidis de prendre contact avec des psychologues du secteur privé. Vers 21 h 30, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, et H. Mavros revinrent sur les lieux. D. Konstantinidis fut mis au courant des derniers événements par A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police. Il téléphona à K. Papakostas, directeur général adjoint de la police, ainsi qu’au Dr A. Hatzimitsi, qui accepta de se rendre sur place. Il aperçut ensuite H. Athinodoru, dernier employeur de Lefteris Andronicou, en train de parler avec celui-ci sur son téléphone portable. H. Athinodoru avait déjà essayé plusieurs fois, sans succès, de convaincre Lefteris Andronicou de libérer Elsie Constantinou, mais ce dernier avait menacé de tirer sur elle si H. Athinodoru tentait d’entrer dans l’appartement. D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, interrompit la conversation entre H. Athinodoru et Lefteris Andronicou et chargea H. Athinodoru de dire à celui-ci que la police était disposée à l’aider. Il précisa qu’il avait été autorisé par ses supérieurs à promettre à Lefteris Andronicou qu’il n’y aurait pas de suites s'il libérait Elsie Constantinou. Lefteris Andronicou aurait la possibilité de partir en voiture, accompagné d'Elsie Constantinou, s’il le souhaitait. H. Athinodoru transmit le message à Lefteris Andronicou. Dans la deuxième partie de son entretien avec Lefteris Andronicou, H. Athinodoru l'avertit qu’on risquait de le laisser sans nourriture et de le frapper. Cette menace peut être entendue dans l’enregistrement vidéo. De plus, D. Konstantinidis reconnut devant la commission d’enquête avoir entendu H. Athinodoru s’exprimer ainsi. Au cours de son témoignage, il affirma également que H. Athinodoru avait parlé au téléphone avec Elsie Constantinou et que celle-ci lui avait dit que Lefteris Andronicou pointait son fusil sur elle. D. Konstantinidis appela alors A. Potamaris, directeur général de la police, et lui rendit compte de l’entretien téléphonique entre Lefteris Andronicou et le Dr A. Hatzimitsi. Entre-temps, H. Mavros retourna au commissariat de police de Paphos et conduisit la section du MMAD dans un entrepôt situé à 200 ou 300 mètres de l’appartement, hors de vue des badauds. Le Dr A. Hatzimitsi, escortée par G. Georgiadis, chef du SEC de Paphos, arriva sur les lieux. Elle s'entretint avec Lefteris Andronicou de la salle de commandement. Elle lui proposa de l’aider à mettre fin à l’incident de façon qu'il n'y ait pas de suites. Il refusa de la laisser entrer dans l’appartement, disant qu’il avait peur de la police. Après avoir obtenu l’autorisation de D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, le Dr A. Hatzimitsi fit à Lefteris Andronicou la proposition suivante. Une voiture serait amenée devant la porte, la police se retirerait, Lefteris Andronicou abandonnerait son fusil et prendrait place dans la voiture seul ou avec Elsie Constantinou. Le médecin ou toute autre personne de qui Lefteris Andronicou souhaiterait être accompagné pourrait également monter dans la voiture. Tous pourraient alors se rendre dans un autre endroit pour négocier. Lefteris Andronicou refusa. Elsie Constantinou intervint et demanda au médecin si Lefteris Andronicou avait des problèmes psychologiques ; le médecin répondit n'avoir connaissance d’aucun problème de ce genre. Lefteris Andronicou répéta qu’il avait peur de la police et des conséquences de ses actes. Il affirma qu’il laisserait Elsie Constantinou sortir de l’appartement à 0 heure ou 0 h 5 et qu’ensuite, il se suiciderait. Pendant la conversation téléphonique, le couple se disputa et Lefteris Andronicou menaça Elsie Constantinou dans les termes suivants : « Assieds-toi et ne bouge pas. » Il dit aussi au médecin de ne plus appeler parce que cela rendait Elsie Constantinou nerveuse. A un certain moment, le Dr A. Hatzimitsi passa la communication à D. Konstantinidis, qui promit une nouvelle fois qu’il n’y aurait pas de suites. A 21 h 50, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, téléphona à K. Papakostas, directeur général adjoint de la police, et lui dit que, selon le Dr A. Hatzimitsi, Lefteris Andronicou était décidé à tuer Elsie Constantinou et à se suicider. Dans sa première déposition, ce médecin confirma à la police que telle était bien son opinion, dont elle avait fait part à D. Konstantinidis. Dans une lettre adressée à l’avocat des requérants le 28 décembre 1995, elle affirma qu’au cours de son entretien téléphonique avec Lefteris Andronicou, elle s’était convaincue qu’il était intransigeant et « capable de faire du mal à lui-même et à Elsie Constantinou ». Elle précisa, en outre, qu’il s’agissait là de l’opinion personnelle de quelqu’un qui n’était pas psychiatre. Elle déplora aussi que la police ait essayé de lui attribuer, dans l’opération, plus de responsabilités qu’elle ne pouvait en avoir. Dans son témoignage devant la commission d’enquête, alors qu’elle était interrogée par l’avocat de la police, le Dr A. Hatzimitsi réitéra sa déclaration initiale, précisant qu’il s’agissait là de son opinion personnelle. H. Athinodoru avertit D. Konstantinidis que Lefteris Andronicou avait téléphoné pour demander de la nourriture. D. Konstantinidis demanda à son adjoint, A. Nikolaidis, de téléphoner à Lefteris Andronicou, ce qui fut fait, et deux pâtés kebab furent commandés. Une personne que A. Nikolaidis ne put identifier lui avait dit avoir reçu un appel téléphonique de Lefteris Andronicou, lequel avait demandé une garantie écrite qu’il n’irait pas en prison. A. Nikolaidis rappela Lefteris Andronicou qui lui dit qu’il avait peur d’aller en prison. A. Nikolaidis lui affirma que la situation n’était pas si grave et proposa d’entrer dans l’appartement pour lui remettre une garantie écrite qu’il n’irait pas en prison. Toutefois, Lefteris Andronicou dit à A. Nikolaidis de ne pas se presser et qu’il pourrait entrer dans l’appartement à 0 h 5. A. Nikolaidis déclara alors qu’il forcerait la porte et entrerait dans l’appartement sans arme. Lefteris Andronicou l’avertit que s’il essayait de faire cela, il tuerait Elsie Constantinou et se suiciderait. A un moment, Elsie Constantinou cria que Lefteris Andronicou mentait en disant qu’il la laisserait partir. Les menaces de Lefteris Andronicou, ajoutées à l'information selon laquelle il avait voulu par le passé tuer avec son fusil de chasse quelqu’un qui avait insulté Elsie Constantinou, amenèrent A. Nikolaidis à conclure que Lefteris Andronicou avait l’intention de tuer Elsie Constantinou et de se suicider aux alentours de minuit. A 22 h 15, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, demanda par téléphone à K. Papakostas, directeur général adjoint de la police, l'autorisation d’administrer des somnifères. K. Papakostas téléphona à un médecin de l’hôpital de Nicosie et à son supérieur, A. Potamaris, qui approuvèrent ce plan, ce dont D. Konstantinidis fut dûment informé. Un policier, S. Zinonos, témoigna devant la commission d’enquête qu'il avait reçu l’ordre d’apporter de la nourriture pour Lefteris Andronicou à 22 h 20. Trois à cinq minutes après s'être mis en route, il fut appelé par radio et l’ordre fut modifié. Un autre policier, I. Pavlu, déclara, dans sa première déposition à la police, que S. Zinonos avait reçu l’ordre d’apporter de la nourriture vers 22 h 40 et que cet ordre avait été modifié quinze minutes plus tard. Devant la commission d’enquête, il indiqua que cet horaire était très approximatif, puisqu'il n’avait pas regardé sa montre lorsque S. Zinonos s’était mis en route. Il s’agissait d’une simple estimation de sa part. Il reconnut aussi qu’il était possible que l’ordre ait été modifié huit à onze minutes après le départ de S. Zinonos. Celui-ci affirma que la préparation des kebabs avait pris de dix à quinze minutes. A 22 h 30, le chef de la section du MMAD, H. Mavros, téléphona à K. Papakostas, directeur général adjoint de la police, et lui exposa le plan de sauvetage. K. Papakostas demanda s’il avait été envisagé de faire usage d’explosifs pour ouvrir la porte et de grenades déflagrantes, mais le recours à ces moyens avait été écarté de crainte de blesser Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou. Il fut également noté que, normalement, les grenades déflagrantes explosent quatre secondes après lancement, ce qui risquait de donner à Lefteris Andronicou le temps de réagir. A 22 h 40, un autre entretien eut lieu au domicile du directeur général de la police entre celui-ci et son adjoint. Le directeur général adjoint, K. Papakostas, déclara au directeur général, A. Potamaris, que Lefteris Andronicou avait l’intention de tuer Elsie Constantinou, puis de se suicider. A 22 h 45, A. Potamaris téléphona au ministre qui exprima l’avis que « la police devait prendre une décision sur le point de savoir si les forces d’intervention devaient lancer une opération de sauvetage en se fondant sur leur appréciation de la situation et après avoir passé en revue toutes les informations pertinentes et éliminé toutes les autres possibilités ». K. Papakostas exposa alors le plan de sauvetage à A. Potamaris qui lui ordonna de retarder le plus possible l’intervention du MMAD afin que les efforts visant à convaincre Lefteris Andronicou puissent se poursuivre. La réunion prit fin à 23 heures. Lorsque la nourriture demandée par Lefteris Andronicou arriva, le Dr A. Hatzimitsi y introduisit les comprimés de Lorezabam fournis par P. Hatzimitsis, pharmacien de l’hôpital. Devant la commission d’enquête, le médecin déclara qu’elle avait introduit dans chacun des pâtés six comprimés de Lorezabam dosés à 3 mg. Elle déclara également qu’il avait été envisagé antérieurement d’employer un autre médicament, le Dormicum, mais que la police n’avait pas eu le temps de s'en procurer. Les aliments furent ensuite apportés à Lefteris Andronicou par A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, qui les laissa sur le rebord de la fenêtre. Tous les policiers qui témoignèrent à ce sujet convinrent que les aliments avaient été déposés vers 23 heures. Cette version des faits fut confirmée par le témoignage du docteur A. Hatzimitsi. Dans son témoignage, Antonis Onufriu, cousin d’Elsie Constantinou, déclara qu’ils étaient arrivés vers 23 h 30. G. Poliviu, ex-employeur et ami de Lefteris Andronicou, précisa, dans sa première déposition à la police, qu’ils étaient arrivés à 23 h 15. Devant la commission d’enquête, il déclara qu'ils étaient arrivés entre 23 h 30 et 23 h 40. H. Athinodoru, dernier employeur de Lefteris Andronicou, déclara que les médicaments avaient été introduits dans les aliments vers 23 h 10, juste avant qu’il ne quitte les lieux. H. Mavros, chef de la section du MMAD, reconnut devant la commission d’enquête qu’il ne savait pas que des somnifères avaient été administrés à Lefteris Andronicou. Aux environs de 23 heures, deux autres négociateurs arrivèrent. A plusieurs reprises, on entendit Elsie Constantinou crier que Lefteris Andronicou allait la tuer. Après 23 heures, D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, eut une réunion avec A. Nikolaidis, son adjoint, G. Georgiadis, directeur du SEC de Paphos, N. Konstantinu, directeur adjoint du MMAD, et H. Mavros, chef de la section du MMAD. Ils parvinrent à la conclusion que Lefteris Andronicou avait l’intention de tuer Elsie Constantinou et de se suicider à 0 heure ou 0 h 5. En conséquence, les négociations ne pouvaient pas se poursuivre et la section du MMAD devait passer à l’action. H. Mavros affirma qu’il était prêt à diriger l’opération. D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, reconnut devant la commission d’enquête que bien que certaines notes eussent été prises pendant les événements, il n’avait pas participé à cette prise de notes et n’avait pas non plus consulté celles-ci avant ou pendant la réunion finale. A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, fit une déclaration analogue. Tout de suite après la réunion, D. Konstantinidis téléphona au directeur général adjoint de la police, K. Papakostas, l’informant que des instructions étaient attendues de la direction générale quant à la question de savoir s’il fallait poursuivre les négociations ou pénétrer de force dans l’appartement. Si les instructions étaient de poursuivre les négociations et que, néanmoins, Elsie Constantinou soit tuée, la responsabilité en incomberait à la direction générale. K. Papakostas témoigna avoir reçu l’appel téléphonique de D. Konstantinidis à 23 h 10. H. Mavros sortit pour mettre sa section au courant de l'évolution de la situation, notamment de l'intention de Lefteris Andronicou de tuer Elsie Constantinou. La section prit alors position plus près de l’appartement de Lefteris Andronicou, derrière l’immeuble. Le directeur général adjoint de la police, K. Papakostas, rencontra son supérieur, A. Potamaris, chez ce dernier. A. Potamaris autorisa l'intervention du MMAD. K. Papakostas téléphona au directeur de la police de Paphos, D. Konstantinidis, et lui fit savoir que le plan de sauvetage avait été approuvé. K. Papakostas s'entretint ensuite avec H. Mavros, chef de la section du MMAD, qui, entre-temps, était revenu sur les lieux et les deux hommes convinrent que le plan resterait inchangé. K. Papakostas parla ensuite à D. Konstantinidis qui, auparavant, avait demandé qu’une ambulance soit envoyée sur les lieux en spécifiant que les phares de l’ambulance devaient être éteints et que sa sirène devait être débranchée afin de ne pas alerter Lefteris Andronicou. D’après les témoignages soumis à la commission d’enquête, la demande d’envoi de l’ambulance parvint à l’hôpital de Paphos à 23 h 45. H. Mavros demanda que tous les curieux soient refoulés et D. Konstantinidis donna des ordres à cet effet. Après la dernière réunion des chefs de la police, E. Parmatzia, cousine de Lefteris Andronicou, arriva sur les lieux avec son mari et sa sœur. E. Parmatzia déclara devant la commission d’enquête avoir reçu deux appels téléphoniques de Lefteris Andronicou dans le courant de la journée, disant qu’il n’ouvrirait sa porte que si la police s’en allait. Le directeur de la police de Paphos, D. Konstantinidis, appela Lefteris Andronicou par téléphone ; celui-ci parla avec E. Parmatzia mais refusa son offre de la rencontrer. Il mit également en doute son identité, puis, selon E. Parmatzia, D. Konstantinidis coupa la communication. E. Parmatzia déclara en outre que cinq à six minutes plus tard, lorsqu'elle parla avec Lefteris Andronicou sur le téléphone portable de G. Poliviu, Lefteris Andronicou réclama le retrait de la police. Le mari de E. Parmatzia témoigna avoir lui aussi parlé à Lefteris Andronicou à cette occasion. Le relevé téléphonique détaillé présenté par G. Poliviu à la commission d’enquête montre que le numéro de Lefteris Andronicou avait été appelé trois fois à partir du téléphone portable de G. Poliviu, une fois à 23 h 18, une autre à 23 h 39 et une dernière fois à 23 h 49. D’après G. Poliviu, lorsqu’il fut en communication pour la dernière fois avec Lefteris Andronicou, celui-ci lui déclara qu’il ne voulait plus être dérangé car il allait faire du café. E. L’intervention armée Peu avant minuit, les agents de la section du MMAD prirent position, en silence, autour de l’appartement de Lefteris Andronicou. Ils furent filmés par le journaliste qui enregistrait en vidéo les événements. H. Mavros, dans son témoignage devant la commission d’enquête, précisa qu’il se tenait à soixante mètres de l’appartement. Six agents furent placés en face de celui-ci (au cours de la procédure devant la commission d’enquête, ces agents se virent attribuer les numéros 1, 2, 3, 4, 5 et 6) et deux autres agents sur la façade arrière (aux fins de l’enquête, les agents nos 7 et 8). Les agents nos 5 et 6, chargés de projeter le gaz lacrymogène dans le salon, se trouvaient à côté de la fenêtre frontale. Les agents nos 1 et 3 furent placés à droite de la porte et les agents nos 2 et 4 à gauche. Les deux hommes munis du bélier furent placés en face de la porte. Cinq autres agents du MMAD prirent position autour de l’appartement à des fins de sécurité. D. Konstantinidis, directeur de la police de Paphos, déclara que lorsque les agents eurent occupé leurs positions, il téléphona une nouvelle fois, à 23 h 55, à K. Papakostas, directeur général adjoint de la police. H. Mavros déclara avoir appelé l’agent de liaison par radio. Selon lui, l’agent de liaison appela D. Konstantinidis, le commandant de l’opération, qui ordonna à A. Nikolaidis, directeur adjoint de la police de Paphos, de téléphoner à Lefteris Andronicou. Au moment où H. Mavros apprit de l’agent de liaison que A. Nikolaidis était en communication avec Lefteris Andronicou, il donna le signal déclenchant l’intervention armée. 73. A. Nikolaidis témoigna avoir appelé Lefteris Andronicou au téléphone lorsque D. Konstantinidis lui dit de le faire à 23 h 59 ou minuit. Lefteris Andronicou dit : « Allô ! » A. Nikolaidis essaya alors de dire quelque chose mais il entendit des coups de feu. Il cria deux ou trois fois le nom de Lefteris Andronicou mais il n’y eut pas de réponse. Les agents nos 1, 3 et 5 déclarèrent avoir entendu le téléphone de Lefteris Andronicou sonner trois fois. Ils pensèrent qu’il s’agissait de l’appel téléphonique destiné à détourner l’attention de Lefteris Andronicou. Ils n’entendirent pas la réponse de celui-ci. Puis ils entendirent le téléphone sonner une nouvelle fois et reçurent le signal : « Allez-y, allez-y, allez-y. » D’après l’agent n° 1, il y eut une minute d’intervalle entre les deux appels téléphoniques. Lorsque le signal fut donné, l’agent n° 5 tira deux projectiles à gaz lacrymogène à travers la fenêtre de la façade puis l’agent n° 6 aspergea le salon de gaz lacrymogène. L’agent n° 8 tira deux projectiles à gaz lacrymogène dans la salle de bain. L’agent n° 7, par mégarde, ainsi qu’il le déclara par la suite, tira dans la chambre à coucher deux balles réelles au lieu de balles à gaz lacrymogène. La porte fut enfoncée et l’agent n° 1 pénétra dans l’appartement. Dans son témoignage, il affirma avoir vu Lefteris Andronicou debout en face de lui, à trois ou quatre mètres de distance, pointant son fusil sur lui. Elsie Constantinou était devant Lefteris Andronicou ; tous les deux bougèrent légèrement. Lefteris Andronicou tenait son fusil par-dessus la jeune femme. L’agent n° 1 se déplaça et Lefteris Andronicou tira sur lui, l’atteignant à l’épaule droite. Il tomba en arrière, entraînant dans sa chute l’agent n° 3 qui tomba sur le sol. Il fut établi par la suite qu'après avoir tiré la première cartouche, Lefteris Andronicou tira une seconde fois, atteignant Elsie Constantinou. Les agents nos 1, 2, 3 et 5, dans leurs dépositions, affirmèrent n’avoir entendu qu’un seul coup de feu. L’agent n° 2 témoigna avoir vu les agents nos 1 et 3 tomber en arrière. Il entendit aussi l’agent n° 1 crier : « Il m’a eu. » Il crut que l’agent n° 1 avait été gravement blessé et que l’agent n° 3 avait été tué. Il entra dans l’appartement trois secondes plus tard, décidé à faire usage de sa mitraillette et non pas de son pistolet parce qu’il avait besoin de lumière. Il alluma le faisceau lumineux de son arme et aperçut Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou dans le coin diagonalement opposé de la pièce. Les genoux de Lefteris Andronicou étaient pliés comme s’il était sur le point de s’asseoir. Elsie Constantinou se trouvait devant lui et lui faisait face. L’agent n° 2 ne pouvait voir que le côté gauche du corps de Lefteris Andronicou. Il ne remarqua pas si ce dernier tenait un fusil, mais crut qu’il en avait effectivement un. Il estima qu’il n’avait pas le temps de vérifier si ce qu’il croyait était conforme à la réalité. Il visa Lefteris Andronicou et tira deux ou trois fois. Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou se déplacèrent et l’agent n° 2 perdit de vue le premier. Il se déplaça vers la droite et put alors voir le côté gauche de Lefteris Andronicou, lequel était assis sur le plancher, le côté droit du corps couvert par le corps de la jeune femme. L’agent n° 2 tira alors de nouveau plusieurs fois sur Lefteris Andronicou. Il s’arrêta lorsque celui-ci fut allongé sur le sol. Il voulait être sûr que Lefteris Andronicou n’était plus dangereux pour lui ni pour Elsie Constantinou. L’agent n° 2 eut l’impression que les gestes de Lefteris Andronicou étaient menaçants ; il déclara, par la suite, qu’il avait toujours visé le côté gauche du corps de celui-ci car c’était le seul visible. Il affirma avoir été entraîné à tirer pour tuer si on lui tirait dessus. Il ne put exclure la possibilité d’avoir tiré une ou deux balles alors que Lefteris Andronicou était déjà allongé sur le plancher. Il fut ultérieurement établi que l’agent n° 2 avait tiré treize balles. L’agent n° 4 déclara avoir pénétré dans l’appartement après que l’agent n° 2 eut tiré les premières balles et se fut avancé dans l’appartement. Il aperçut Lefteris Andronicou dans le coin diagonalement opposé, assis sur le plancher, les jambes étendues devant lui. Elsie Constantinou était couchée sur l’épaule droite de Lefteris Andronicou. Il ne remarqua pas si celui-ci tenait un fusil. Lorsque les tirs eurent cessé, il vit que Lefteris Andronicou était allongé sur le sol, le côté droit du corps recouvert par Elsie Constantinou. Il refusa de répondre à toute autre question au cours de l’enquête, invoquant son droit de ne pas s’incriminer lui-même. Il fut ultérieurement prouvé qu’il avait tiré seize balles. Dans l’enregistrement vidéo, dès que les policiers entrent dans l’appartement, on entend quelques – approximativement six – coups de feu distincts les uns des autres, suivis par une salve. Il fut reconnu par toutes les parties en cause qu’il s’agissait, dans tous les cas, de tirs au coup par coup et non pas de tirs automatiques. L’agent n° 1 déclara être entré de nouveau dans l’appartement après les agents nos 2 et 4. Il dirigea sa lampe sur Lefteris Andronicou, éclairé par les faisceaux lumineux des armes des agents nos 2 et 4 qui continuaient à tirer sur lui. Au moment où l’agent n° 1 entra dans la pièce, l’agent n° 2 se trouvait à sa droite et l’agent n° 4 à sa gauche. Lefteris Andronicou était assis sur le sol, le dos appuyé au mur. Elsie Constantinou couvrait une partie de son côté droit et avait le visage tourné vers le sol. L’agent n° 1 ne compta pas le nombre de coups de feu et ne remarqua pas non plus où se trouvait le fusil de Lefteris Andronicou. Il indiqua qu’il avait été entraîné à tirer pour tuer si on tirait sur lui. Il ajouta qu’il n’aurait pas cessé le tir même s’il avait été sûr que Lefteris Andronicou, assis le dos contre le mur, n’avait pas de fusil. En effet, on lui avait dit qu’il ne pouvait pas être exclu que Lefteris Andronicou fût en possession d’une autre arme, par exemple, un couteau, dont il aurait pu faire usage pour tuer la jeune femme. 82. L’agent n° 3, selon sa déposition, pénétra dans l’appartement après l’agent n° 1 après avoir entendu deux ou trois coups de feu, pendant qu’il s'avançait vers la porte. Lorsqu’il entra, il vit Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou dans le coin diagonalement opposé. Le premier était assis sur le sol, les jambes allongées devant lui, la seconde couvrant le côté droit de son corps. Il vit les agents nos 2 et 3 en train de tirer. Il ne compta pas les coups de feu. Il voulut se saisir d’Elsie Constantinou sans entrer dans la ligne de tir. Il dirigea son regard vers l’agent n° 4 et, avant qu’il ne regarde à nouveau les corps, les tirs cessèrent. Il vit alors que Lefteris Andronicou était couché, les genoux pliés contre le mur, la tête sur la chaîne stéréo. Elsie Constantinou était allongée sur lui, la partie droite du corps sur le côté droit de Lefteris Andronicou, couvrant la moitié du torse de celui-ci. Leurs corps ne se touchaient pas au-dessous de la ceinture. Il ne vit pas de fusil. Il prit Elsie Constantinou dans ses bras et courut vers la porte en criant : « Une ambulance, une ambulance ». Parvenu sur le seuil, il trébucha et laissa échapper la jeune femme, qui se trouva assise sur le sol. Il la remit ensuite entre les mains de deux autres agents du MMAD. Il précisa que, selon la formation qu’il avait reçue, lorsqu’il était nécessaire de tirer, on tirait toujours pour tuer. Dans l’enregistrement vidéo, au moment où Elsie Constantinou est emmenée hors de l’appartement, on entend plusieurs voix réclamant une ambulance à grands cris. Selon tous les témoins, aucune ambulance ne se trouvait toutefois sur place et Elsie Constantinou dut être emmenée à l’hôpital de Paphos dans une voiture de police, accompagnée par le Dr A. Hatzimitsi. L’ambulance arriva sur les lieux peu de temps après. Dans l'enregistrement vidéo, pendant qu’Elsie Constantinou est transportée jusqu’à la voiture de police, on entend deux autres coups de feu. L’agent n° 1 déclara que lui-même et l’agent n° 2 se rendirent compte que la porte de la chambre de l’appartement était fermée à clef. Il appela par radio l’agent n° 5, qui était muni d’un fusil pouvant servir à démolir les portes. L’agent n° 5 reconnut être entré dans l’appartement pendant que l’on emmenait Elsie Constantinou. Il tira une fois, donna un coup de pied dans la porte, et tira de nouveau. La porte ne s’ouvrit pas. Lorsqu’ils comprirent qu’il n’y avait personne à l’intérieur, ils sortirent. L’agent n° 1 rencontra H. Mavros, chef de la section du MMAD, et lui dit que Lefteris Andronicou était mort. G. Georgiadis, directeur du SEC de Paphos, déclara avoir appris par une personne qu’il ne put identifier que Lefteris Andronicou était mort. Il s’avança jusqu’à la porte de l’appartement de celui-ci et éclaira l’intérieur avec sa lampe torche. Il vit Lefteris Andronicou gisant dans une mare de sang, mais n’entra pas à cause des gaz lacrymogènes. Il eut la certitude que Lefteris Andronicou était mort et en informa ses supérieurs. Au cours de la procédure devant la commission d’enquête, il apparut que personne ne s’approcha ensuite du corps de Lefteris Andronicou avant le Dr M. Matsakis, pathologiste de l'Etat, qui inspecta les lieux le 25 décembre 1993 à 5 heures du matin et confirma la mort de Lefteris Andronicou. Le Dr M. Matsakis estima qu’elle était survenue cinq heures plus tôt. A son arrivée à l’hôpital de Paphos, Elsie Constantinou se trouvait en état de choc profond. Elle subit une opération de quatre heures et demie, puis fut placée en salle de réanimation, où elle succomba à ses blessures à 5 h 10 environ au matin du 25 décembre 1993. L’agent n° 1 fut, lui aussi, conduit à l’hôpital de Paphos. On lui administra les premiers soins et on lui fit passer des radiographies. Bien qu'on lui eût conseillé de rester hospitalisé, il décida peu après de quitter l’hôpital. F. Les suites immédiates Dans la matinée du 25 décembre 1993, vers 8 h 30, la police commença à photographier les lieux et à les filmer avec une caméra vidéo. Le corps de Lefteris Andronicou était à moitié nu ; il n'était vêtu que d'un pantalon au moment de sa mort. Une cartouche de chasse fut trouvée dans l’une de ses poches. Le téléphone, posé sur une table à gauche de la porte, n’était pas décroché. Sur la même table se trouvait une tasse de café à moitié pleine, un pâté kebab intact et les restes d’un deuxième kebab. La chambre à coucher était encore fermée à clef, deux trous faits par balle près de la serrure. Le fusil de Lefteris Andronicou était posé en travers des bras d’un fauteuil près de son corps. Les canons du fusil n’étaient pas abaissés pour être rechargés et il n’y avait pas de sang sur le fauteuil. Aucun des policiers en cause ne prétendit que le fusil avait été déplacé après le drame. Un officier supérieur de police, M. Onisiforu, ouvrit une enquête et un certain nombre de témoins firent des dépositions écrites. Plus tard, dans la journée, la police publia un premier communiqué de presse intitulé : « Opération pour sauver une jeune femme kidnappée ». Le 26 décembre 1993, vers 11 heures, le ministre de la Justice et de l’Ordre public participa à une réunion à la direction générale de la police. A l’issue de la réunion, il déclara aux journalistes qu’Elsie Constantinou avait été kidnappée. Le même jour, les familles de Lefteris Andronicou et d’Elsie Constantinou demandèrent l’ouverture d’une enquête judiciaire en vertu de l’article 4 du code de procédure pénale. En outre, le coroner du tribunal de Paphos fut saisi d’une demande d’enquête sur les décès de Lefteris Andronicou et d’Elsie Constantinou. G. La commission d’enquête Le 27 décembre 1993, le conseil des ministres chargea le président de la Cour suprême, M. A.N. Loizou, juge à la Cour européenne des Droits de l’Homme, de procéder à une enquête, conformément à la loi sur les commissions d’enquête. M. A.N. Loizou reçut pour mandat « de procéder à une enquête exhaustive sur les circonstances ayant conduit à la mort de Lefteris Andronicou et d'Elsie Constantinou à Chloraka, Paphos, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1993 ; d'établir qui, le cas échéant, en était responsable et de formuler toutes recommandations ou observations que (le président de la Cour suprême) jugerait nécessaires ». Le procureur général ordonna à M. Onisiforu de poursuivre son enquête, sans toutefois demander à disposer des pièces à conviction, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une enquête pénale au sens de l’article 4 du code de procédure pénale, mais bien d’une enquête interne à caractère purement administratif. De plus, le coroner décida de ne pas fixer de date d'audience. Le 29 décembre 1993, le conseil des ministres décida d’accorder à titre gracieux l'aide judiciaire aux requérants, aux fins de l’enquête, pour couvrir leurs frais de représentation et d'expertise. Les audiences devant la commission d’enquête, composée d'un seul membre, s’ouvrirent le 3 janvier 1994. Les requérants élevèrent d'emblée des objections à la constitution de la commission d’enquête car, selon eux, l’affaire devait faire l'objet d’une enquête judiciaire. La commission se déclara toutefois incompétente pour se prononcer sur la légalité de la décision du conseil des ministres qui l'avait instituée. La commission d’enquête tint quarante-six audiences, auxquelles participèrent le procureur général, au nom de la République, et les conseils des familles des défunts, de la police et du MMAD. Des instructions furent données quant au rassemblement et à la sauvegarde des pièces à conviction et quant aux examens médico-légaux pertinents. Cent treize pièces furent examinées, et soixante-douze témoins furent entendus sous serment et interrogés et contre-interrogés par toutes les parties en cause. Bien que la procédure fût publique, les agents du MMAD qui avaient pris part à l’intervention armée témoignèrent à huis clos. Leur identité ne fut communiquée qu’au président de la Cour suprême chargé de l’enquête. Le procès-verbal de celle-ci, 2 389 pages au total, fut rendu public dans son intégralité. H. Les dépositions d'experts devant la commission d’enquête Les dépositions d’experts ci-après furent soumises à la commission d’enquête. Préparation de l’opération R. Bagg, ancien colonel de l’armée israélienne, spécialiste en matière de formation de personnel affecté aux actions et négociations antiterroristes, critiqua les points suivants de l’opération de sauvetage. Selon lui, dans la plupart des affaires qui n’impliquent pas des terroristes ou des criminels endurcis, les négociations peuvent assurer la libération des personnes détenues et rendre inutile le recours à la force. En l’espèce, toutefois, certaines des principales règles de conduite des négociations n'avaient pas été respectées. D’après le témoin, celles-ci auraient pu déboucher sur un résultat beaucoup plus satisfaisant si elles avaient été fondées sur une approche « donnant-donnant ». En général, il était préférable que les négociations fussent menées par des personnes effectivement ou apparemment étrangères à la police. La police aurait pu veiller à ce qu’aucun appel non autorisé ne parvînt à Lefteris Andronicou en coupant son téléphone et en mettant une autre ligne à sa disposition. Lefteris Andronicou n’aurait pas dû pouvoir apercevoir la foule rassemblée à l’extérieur. La section du MMAD aurait dû utiliser plusieurs voies d’entrée pour son intervention armée. Un observateur aurait dû être placé devant la lucarne afin de pouvoir tenir la police au courant des déplacements de Lefteris Andronicou. Il aurait néanmoins fallu prendre de grandes précautions parce que la tête de la personne devant la lucarne aurait pu être aperçue par lui. L’intervention armée aurait dû être déclenchée plus tôt et il aurait fallu faire usage de grenades déflagrantes au lieu de gaz lacrymogène. Un jet d'eau aurait pu être dirigé dans l’appartement avec une lance à incendie afin de neutraliser Lefteris Andronicou. Dans ce cas, bien entendu, il aurait fallu déterminer à quel endroit se trouvait exactement l'intéressé. Le témoin n’exclut pas la possibilité que les agents aient pu prendre les deux coups de feu tirés par Lefteris Andronicou pour un seul coup de feu, mais alors, ils auraient dû, par ruse, amener Lefteris Andronicou à tirer sa seconde cartouche. Des agents bien entraînés, tels que ceux du MMAD, auraient dû se rendre compte que Lefteris Andronicou n’avait pas de fusil entre les mains et, en tout état de cause, ils auraient dû tirer le moins de balles possible. Aucune balle n’aurait dû être tirée après que Lefteris Andronicou fut tombé sur le sol. 100. W. Spalding, ancien policier américain, spécialiste de la formation en matière de gestion des situations de crise et de négociations en cas de prise d’otages, qui avait formé certains agents du MMAD, ne trouva rien à redire à la façon dont l'opération de sauvetage avait été conduite. Bien que les preneurs d’otages repoussent souvent l’échéance de leurs ultimatums, l’expiration d’un délai à un moment symbolique doit être prise plus au sérieux. Ne pas avoir tiré parti de la lucarne n’avait pas grande importance. A son avis, ce n'était pas une erreur que d’avoir fait usage de gaz lacrymogène au lieu de grenades déflagrantes. Selon W. Spalding, H. Mavros ne pouvait pas avoir eu l’intention d’attendre que les gaz lacrymogènes aient produit leur effet, car cela prenait habituellement un certain temps. Les gaz lacrymogènes avaient été projetés pour détourner l’attention de Lefteris Andronicou. Aux Etats-Unis, il y avait deux écoles de pensée quant aux voies d’entrées multiples. Bien qu’il eût lui-même tendance à préférer cette solution, d’autres l'évitaient par crainte que l’otage ne soit pris dans les tirs croisés. Dans tous les cas, il n’y avait rien à reprocher au plan du chef de la section du MMAD, M. Mavros, qui avait examiné et exclu toutes les autres solutions envisageables. 101. W. Spalding précisa aussi qu'il avait soumis les agents du MMAD à un entraînement si poussé qu’à l’exercice, ils tiraient à balles réelles sur des ballons attachés à son corps. Il leur avait enseigné à ne faire usage de la force meurtrière qu’en dernier recours. En cas de nécessité, toutefois, les agents devaient tirer en visant le thorax et continuer à tirer jusqu’à ce que l’objectif ait cessé de constituer une menace. En l’espèce, l’emploi de la force meurtrière avait commencé à se justifier lorsque Lefteris Andronicou avait ouvert le feu. Les agents du MMAD n’avaient pas à se préoccuper du nombre de balles tirées. Le témoin, soumis au contre-interrogatoire de l’avocat des requérants, reconnut qu’il avait participé à plusieurs opérations impliquant des civils ordinaires détenant des tiers sous la menace d’une arme, dans lesquelles on était parvenu à une solution négociée. Les drogues 102. K. Konari, pharmacologue, qui analysa le pâté kebab non consommé, certifia que la quantité de Lorezabam contenue dans le pâté montrait que cinq comprimés dosés à 2 mg avaient été utilisés. Elsie Constantinou avait consommé un très gros morceau de son kebab. Le Lorezabam était un tranquillisant et un anxiolytique qui avait également des effets soporifiques. Cette drogue commençait à agir environ trente-cinq minutes après son absorption et produisait son effet maximum au bout de deux heures. 103. P. Hatzimitsis, le pharmacien qui avait fourni les somnifères, déclara que le Lorezabam commençait à agir après une demi-heure et atteignait son effet maximum entre une et six heures après l'absorption. 104. Le Dr A. Hatzimitsi, la généraliste qui avait introduit les somnifères dans les aliments, affirma que si Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou avaient mangé les kebabs, la drogue aurait produit son effet au bout d’une demi-heure et ils se seraient endormis. Si du Dormicum avait été administré, ils se seraient endormis en dix minutes. 3. La chronologie des événements 105. N. Adan, expert légiste israélien, avait établi un relevé sonore chronologique sur la base de l’enregistrement vidéo ; il déclara que le deuxième coup de feu provenant du fusil de Lefteris Andronicou avait été tiré 0,8 seconde après le premier. De l’avis du témoin, la deuxième cartouche de Lefteris Andronicou, tout comme la première, avait été tirée en direction de la porte. Le témoin était parvenu à cette conclusion en se fondant sur le petit nombre de plombs trouvés dans l’appartement. Le relevé sonore chronologique fait apparaître que plusieurs coups de feu distincts avaient été tirés après l’entrée des agents du MMAD dans l’appartement, dans l'ordre suivant : une détonation unique, une triple détonation et une double détonation. Ces coups de feu avaient débuté 5,8 secondes et avaient pris fin 8,5 secondes après le premier tir de gaz lacrymogène. Selon N. Adan, Elsie Constantinou devait avoir été blessée à ce moment-là car ses cris, que l’on entend sur la vidéo, étaient nettement plus faibles après les six détonations. Toutefois, le témoin ne put affirmer que ses cris avaient alors complètement cessé. Le relevé sonore chronologique révéla, en outre, que les cinq coups distincts furent suivis d'une salve, qui débuta onze secondes et prit fin treize secondes après le premier tir de gaz lacrymogène. 106. Le Dr A.C. Hunt, professeur d’anatomopathologie au Royaume-Uni, ex-pathologiste du ministère de l’Intérieur et expert en anatomopathologie du Royal College of Pathologists, témoigna qu’à son avis, Elsie Constantinou devait avoir été blessée au tout début de l’action car on ne l’entendait plus crier après les premiers coups de feu. Néanmoins, il n’exclut pas qu’elle ait cessé de crier pour une autre raison ou que le bruit des coups de feu ait couvert ses cris. Le décès de Lefteris Andronicou 107. Le Dr M. Matsakis, pathologiste de l'Etat, procéda à l’autopsie de Lefteris Andronicou le 27 décembre 1993. Il dénombra sept blessures à la tête et au cou, vingt-huit blessures au thorax, à l’abdomen et au bassin, neuf au bras droit, seize au bras gauche et quatre autres blessures, toutes causées par des balles tirées par les mitraillettes des agents du MMAD. Lefteris Andronicou avait été atteint par au moins vingt-cinq balles. D’après le siège des blessures, les bras de Lefteris Andronicou avaient été interposés, pendant au moins une partie des tirs, entre les mitraillettes et son thorax. Devant la commission d’enquête, le Dr M. Matsakis déclara que ces blessures aux bras pouvaient être parmi les premières blessures subies par Lefteris Andronicou. 108. Dans son rapport, le Dr M. Matsakis précisa aussi qu’il était possible que les blessures sur les côtés gauche et droit du corps de Lefteris Andronicou aient été causées par des balles tirées depuis différentes directions. De nombreuses balles avaient été tirées alors que Lefteris Andronicou n’était pas debout. Au moins quelques-unes de celles qui avaient pénétré dans le côté avant droit du corps (principalement l’abdomen) et étaient ressorties dans la région lombaire droite, avaient été tirées pendant que le corps de Lefteris Andronicou était allongé au sol. Devant la commission d’enquête, le Dr M. Matsakis précisa que les dernières balles avaient atteint le corps de Lefteris Andronicou alors que la partie droite de son dos était en contact avec le sol. 109. Le Dr A.C. Hunt affirma que si Elsie Constantinou avait couvert de son corps le côté droit du corps de Lefteris Andronicou pendant les tirs, comme l’avait déclaré l’agent n° 2 du MMAD, Lefteris Andronicou n’aurait pas été blessé comme il l'avait été sur le côté droit du thorax, à l’épaule droite et à l’abdomen. Il ajouta que l’emplacement des blessures était tel qu’Elsie Constantinou ne pouvait pas avoir recouvert le côté droit de Lefteris Andronicou, contrairement à ce qu’avait affirmé l’agent n° 4. De plus, l’emplacement des blessures infligées alors que Lefteris Andronicou était déjà allongé sur le sol était en contradiction avec les témoignages des agents du MMAD selon lesquels l’abdomen de Lefteris Andronicou était sous le corps d’Elsie Constantinou. 110. Au cours de l'audition du Dr A.C. Hunt, les parties en présence admirent que Lefteris Andronicou était déjà mort au moment où les derniers coups de feu furent tirés. Le décès d’Elsie Constantinou 111. Le Dr M. Matsakis procéda également à l’autopsie d’Elsie Constantinou le 26 décembre 1993. Deux balles, tirées par les mitraillettes des agents du MMAD, avaient pénétré dans le corps. La première était entrée dans le bas de la zone postéro-latérale gauche du thorax et était ressortie par le côté droit de la partie centrale du thorax. La seconde, qui avait pénétré au bas du dos à droite, était ressortie par le côté droit de l’abdomen. La distance entre le corps d’Elsie Constantinou et les mitraillettes devait avoir été supérieure à un mètre. 112. Le Dr M. Matsakis constata également la présence à quatre endroits de blessures causées par les cartouches provenant du fusil de Lefteris Andronicou. Une blessure à la main droite avait été causée par un tir à bout touchant ou presque à bout portant. Selon le Dr M. Matsakis, elle était très probablement due au même coup de feu qui avait blessé l’agent n° 1. Une deuxième blessure à la main gauche avait de même été provoquée par un tir à bout touchant ou presque à bout portant. Une troisième blessure sur la partie supérieure gauche du thorax et sur l’avant de la partie supérieure gauche de l’épaule avait été provoquée par la même cartouche qui avait blessé la main gauche d’Elsie Constantinou. Cette même cartouche avait aussi occasionné une légère blessure à l’oreille gauche d’Elsie Constantinou. 113. Des marques montraient aussi qu’Elsie Constantinou avait été frappée au visage avant sa mort. 114. Le Dr M. Matsakis concluait dans son rapport que la mort d’Elsie Constantinou avait été causée par la blessure provoquée par la balle de mitraillette qui avait pénétré dans le poumon droit, le foie, l'estomac et la rate. Une deuxième blessure par balle de pistolet mitrailleur dans l’abdomen et les blessures par cartouche de fusil de chasse dans la partie antérieure gauche du thorax et aux mains avaient contribué à son décès. 115. Devant la commission d’enquête, le Dr M. Matsakis précisa que la première blessure était de nature à causer à elle seule la mort d’Elsie Constantinou. Il n’y aurait eu qu'un très faible risque qu’Elsie Constantinou meure si elle avait été blessée uniquement à la partie antérieure gauche du thorax et aux mains, mais cela n’aurait pas été impossible, en ce sens que même la blessure la plus insignifiante peut provoquer la mort en cas d'infection grave. Le pathologiste fut invité à expliquer les affirmations qu'il formulait dans son rapport, à savoir que les blessures à la partie antérieure gauche et aux mains avaient contribué au décès d’Elsie Constantinou. Il répondit que celle-ci était morte car en raison de l’hémorragie, son cerveau ne recevait plus d’oxygène. Bien que la blessure principale eût occasionné une forte hémorragie, les blessures à la partie supérieure gauche du thorax et aux bras avaient aussi entraîné des pertes de sang. 116. Le Dr F. Konstantinidis, qui avait opéré Elsie Constantinou, attesta que la patiente serait morte même si une ambulance s’était trouvée sur les lieux. 117. Le Dr H. Fotiu, chirurgien cité à comparaître à la demande des familles des défunts et qui avait assisté à l’autopsie, admit que les blessures infligées par le fusil de Lefteris Andronicou avaient contribué à la mort d’Elsie Constantinou. Il indiqua toutefois que Elsie Constantinou serait morte de toute façon. Selon lui, elle aurait certainement survécu si elle n’avait eu que ces blessures-là ; dans ce cas, elle n’aurait dû être hospitalisée que pendant deux ou trois jours. 118. Le Dr A.C. Hunt affirma que les blessures à la partie antérieure gauche du thorax et aux mains « n’auraient pas dû être considérées comme cause contributive. Cela reviendrait à dire (...) que quelqu’un a été décapité et qu’une jambe cassée a contribué au décès. Les blessures décrites dans le premier paragraphe sont si catastrophiques qu’aucune cause annexe n’est nécessaire. Je n’ai jamais vu un décès résultant d’une décharge de fusil de chasse qui n'a pas pénétré dans une cavité du corps ou dans la tête ou le cou. Finalement, cette question serait plutôt du ressort du chirurgien qui a vu la blessure alors que le sujet était encore en vie ». Le fusil de Lefteris Andronicou 119. Ar. Haralambus, le policier chargé de relever les empreintes digitales, affirma que, sans aucun doute, toutes les empreintes digitales sur le fusil de Lefteris Andronicou, à l’exception de deux, étaient bien celles de celui-ci. L’une de ces deux empreintes pouvait être celle de celui-ci et l’autre non. H. Diogenus, biochimiste à l’hôpital de Nicosie, ne fut pas en mesure d'affirmer s'il y avait du sang de Lefteris Andronicou sur le fusil de celui-ci. 120. A. Nikolaidis, policer et expert en balistique, déclara que le fusil de Lefteris Andronicou n’avait été touché par aucune balle et qu'on ne pouvait exclure que le fusil n’ait pas été posé sur le fauteuil, mais qu'il y soit tombé accidentellement. Selon le Dr M. Matsakis, pathologiste de l'Etat, le fusil de Lefteris Andronicou avait pu tomber sur le fauteuil au moment où celui-ci s'effondrait sur le sol. 121. Le Dr A.C. Hunt déclara aussi que si Lefteris Andronicou avait tenu un fusil lorsqu’on lui tira dessus, le fusil serait tombé sur le sol. Il n'aurait pas pu tomber sur le fauteuil dans la position où il avait été trouvé. Il n’aurait pu tomber sur le fauteuil que si celui-ci s’était trouvé devant Lefteris Andronicou au moment où cet homme laissa échapper le fusil. 122. N. Adan déclara que la position dans laquelle se trouvait le fusil de Lefteris Andronicou – canon dirigé vers la porte – et l’absence de sang, indiquaient que l'arme avait été placée là où elle se trouvait par Lefteris Andronicou. A son avis, ce dernier avait eu le temps d’agir ainsi entre le moment où il avait tiré les coups de feu et le moment où le premier agent du MMAD était entré dans la pièce. I. Les conclusions de la commission d’enquête 123. L’enquête prit fin le 27 avril 1994 et le rapport de la commission d’enquête, 258 pages au total, fut publié le 15 juin 1994. La commission d’enquête aboutit principalement aux conclusions suivantes. 124. Les négociations entre la police et Lefteris Andronicou avaient été conduites au mieux, eu égard aux circonstances et, notamment, au comportement de Lefteris Andronicou. Toutes les demandes de celui-ci avaient été satisfaites, à savoir un téléphone, des cigarettes et de la nourriture. Certes, cette nourriture lui était parvenue avec un certain retard, mais ce fut de propos délibéré pour que, fatigué, il finisse par se rendre. On lui avait également garanti qu’il n’y aurait pas de suites s’il acceptait de libérer Elsie Constantinou. Toutefois, Lefteris Andronicou avait continué d'exiger, au minimum, le départ de la police. Rien ne donnait à penser qu’il éprouvait alors une hostilité particulière envers celle-ci. En tous les cas, elle aurait été extrêmement imprudente de se retirer et de laisser Elsie Constantinou entre les mains de Lefteris Andronicou. 125. La non-intervention de psychologues, auxquels il avait été fait appel, mais en vain, n'avait aucun effet sur la validité des conclusions de la commission concernant la conduite des négociations. La police avait confié au directeur adjoint de la police de Paphos le soin d’agir en tant que principal négociateur ; il s’agissait d’un négociateur éprouvé, auquel Lefteris Andronicou fit immédiatement confiance et qui communiqua avec lui jusqu’à la fin. Etaient également présents des négociateurs compétents, membres de la police, dont les connaissances avaient été mises à profit et qui auraient pu intervenir en cas d'erreur. En outre, la police avait eu recours à toutes les personnes pouvant convaincre Lefteris Andronicou de renoncer à ses projets. 126. Il n'avait pas été possible de tenter de prolonger les négociations car il y avait tout lieu de croire que Lefteris Andronicou était déterminé à s'en tenir à l'échéance qu'il s'était fixée. Il avait évoqué à plusieurs reprises, de façon invariable, quelque chose qui se produirait à minuit, le 24 décembre. L’importance symbolique du moment ainsi choisi ne pouvait purement et simplement être méconnue. 127. Le rôle joué par le directeur de la police de Paphos en tant que commandant de l’opération était au-dessus de tout reproche. Des mesures avaient été prises pour essayer de disperser la foule. L'allégation de l’avocat des familles des victimes selon laquelle la police aurait laissé passer plusieurs occasions de neutraliser Lefteris Andronicou lorsqu’il avait ouvert la fenêtre pour prendre le téléphone, les cigarettes et la nourriture était totalement aberrante. 128. La décision du directeur général de la police de faire intervenir le MMAD était réfléchie et raisonnable, et relevait de ses compétences. Toutes les informations requises lui avaient été communiquées. Rien ne laissait penser que l’intervention et le déploiement du MMAD avaient été décidés et organisés en dépit du bon sens. Le MMAD était un corps spécialement entraîné pour faire face à des situations de ce type, qui ne pouvaient pas être traitées par des policiers ordinaires. Il était faux de tenir pour acquis que le MMAD pouvait uniquement intervenir contre les terroristes ou en temps de guerre. 129. Malgré certains témoignages en sens contraire, la commission se déclara convaincue que la nourriture demandée par Lefteris Andronicou était arrivée vers 23 heures. Le pharmacien qui avait fourni les médicaments et le Dr A. Hatzimitsi avaient convenu que les somnifères introduits dans la nourriture auraient commencé à produire leurs effets en une demi-heure. L’autre expert, K. Konari, avait fait une distinction entre le délai nécessaire pour qu’un soporifique donné commençât à agir, soit, selon elle, à peu près trente-cinq minutes, et le délai au bout duquel ce produit atteignait son effet maximum, soit, d'après ses dires, deux heures. Toutefois, ces estimations concernaient l’administration d’une dose normale. De toute façon, même si une dose erronée ou un médicament non approprié avait été administré, comme le prétendaient les requérants, Lefteris Andronicou n'avait pas absorbé la nourriture et l’opération ne pouvait pas reposer sur ce seul élément. 130. C'était sur la base de toutes les informations nécessaires et disponibles que la police avait estimé que Lefteris Andronicou avait l’intention de tuer Elsie Constantinou et de se suicider à minuit. Cette opinion était aussi celle du médecin de Lefteris Andronicou qui s’était longuement entretenu avec lui. Lefteris Andronicou avait déclaré mot pour mot au directeur de la police de Paphos : « Il n’y a pas de Noël pour nous, je célébrerai Noël avec Elsie et à minuit cinq, vous entrerez et l’emmènerez. » Elsie Constantinou elle-même avait affirmé que Lefteris Andronicou avait l’intention de la tuer. Ce dernier avait repoussé toutes les assurances qu'on lui avait données et chaque fois qu’on lui avait laissé entendre que quelqu’un pourrait essayer d’entrer dans l’appartement, il avait menacé de tirer. 131. Contrairement aux dires des requérants, rien ne portait à croire que la police était pressée d’en terminer avant minuit parce que c’était la nuit de Noël. Le fait que la police n’avait pas été pleinement informée de la nature des relations entre Lefteris Andronicou et Elsie Constantinou ne pouvait avoir affecté la validité de son appréciation de la situation. Bien qu’il ait été dit qu’Elsie Constantinou avait été kidnappée, la police savait qu’à l’origine, celle-ci n’avait pas été amenée contre son gré dans l’appartement de Lefteris Andronicou. 132. Le chef de la section du MMAD avait soigneusement inspecté les lieux, avait rassemblé des renseignements sur la disposition de l’appartement de Lefteris Andronicou et avait été pleinement informé des événements qui avaient précédé son arrivée. Il était également en possession de toutes les données qui lui avaient été communiquées par la suite ou qu’il s'était lui-même procurées. Le MMAD n'avait employé ni explosif pour forcer la porte ni grenade paralysante, ce qui démontrait que l'opération avait pour seul but de sauver la vie d'Elsie Constantinou. Il n’aurait pas été judicieux, vu les circonstances, de faire usage d’une lance à eau, de pénétrer par plusieurs points d’entrée ou de placer un observateur devant la lucarne. 133. L’intervention armée avait été prévue pour minuit environ, dans l’espoir que l’on pourrait persuader Lefteris Andronicou de libérer Elsie Constantinou. Le chef de la section du MMAD avait compté sur l'effet de surprise, la rapidité et la précision d'action pour assurer le succès de l'opération. Selon la commission, il ne fallait pas attacher une importance excessive au fait que certains des experts appelés à témoigner auraient organisé autrement l’intervention armée. Il importait plutôt de déterminer si le chef de la section du MMAD avait organisé l'assaut de façon « raisonnable », ce qui avait effectivement été le cas. 134. Lefteris Andronicou n'avait pas été pris par surprise en raison d’un appel téléphonique non autorisé qu’il avait reçu juste avant l’assaut. Il avait pu répondre au téléphone sans soulever le combiné, en actionnant le haut-parleur. Lorsque le premier agent du MMAD avait pénétré dans l’appartement, il avait trouvé Lefteris Andronicou caché derrière Elsie Constantinou, pointant un fusil sur lui. Lefteris Andronicou avait tiré deux coups de feu, l’un sur l’agent du MMAD et l’autre sur Elsie Constantinou. D'après la commission d’enquête, le témoignage d’un expert selon lequel le deuxième coup de feu ne visait pas Elsie Constantinou n'était pas pertinent. 135. La commission d’enquête rejeta la thèse selon laquelle les agents, inspirés par un désir de vengeance, seraient entrés dans l’appartement avec l’intention de tuer Lefteris Andronicou. Elle estima également que les agents du MMAD ne pouvaient exclure la possibilité que la deuxième cartouche du fusil de Lefteris Andronicou n’ait pas été tirée, puisque les deux coups de feu avaient retenti immédiatement l’un après l’autre. Lorsque les agents étaient entrés dans l’appartement, ils n'avaient pas vu si Lefteris Andronicou tenait encore son fusil. En outre, il n’était pas impossible qu’il fût en possession d’autres armes. En conséquence, la commission d’enquête ne jugea pas nécessaire de déterminer si le fusil pouvait être tombé accidentellement sur le fauteuil où il avait été trouvé. Les agents avaient vu Elsie Constantinou, dos tourné vers la porte, faisant face à Lefteris Andronicou. Elle suivait celui-ci dans ses déplacements et les agents avaient dès lors pensé qu’il se servait d’elle comme bouclier humain. 136. Les agents avaient eu raison de commencer à tirer dès qu’ils étaient entrés dans l’appartement car ils avaient l’impression que leur vie et celle d’Elsie Constantinou étaient en péril. Tant que Lefteris Andronicou bougeait, ils avaient considéré que la menace persistait. Ils avaient continué à tirer sur le torse et la tête de Lefteris Andronicou, comme ils y avaient été entraînés, afin de le neutraliser le plus vite possible. Vingt-neuf balles avaient été tirées. Lorsque Elsie Constantinou était tombée sur l’épaule droite de Lefteris Andronicou, son corps avait laissé à découvert une partie du torse et du bassin de ce dernier. Toutes les balles avaient été tirées dans un très court laps de temps, ce qui expliquait pourquoi les deux dernières balles avaient pénétré dans le corps de Lefteris Andronicou alors que son dos était entièrement ou partiellement tout proche du sol, ou déjà en contact avec le sol. La situation était comparable à celle de l’affaire McCann, Farrell et Savage dans laquelle la Commission européenne des Droits de l’Homme avait estimé que le fait de tirer neuf coups de feu sur une personne allongée sur le sol n’engendrait aucune responsabilité lorsque le tireur avait pour objectif de neutraliser ce qui apparaissait comme un risque. L'exercice par l’un des agents du MMAD de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne permettait de tirer aucune conclusion. 137. La commission d’enquête estima que, compte tenu des explications données par le pathologiste de l'Etat lors de sa comparution, celui-ci avait raison de considérer que les blessures infligées à Elsie Constantinou par les plombs tirés par le fusil de Lefteris Andronicou avaient contribué à son décès. Certes, le Dr A.C. Hunt avait exprimé un avis différent, mais il avait précisé que « cette question [était] plutôt du ressort du chirurgien qui a[vait] vu la blessure alors que le sujet était encore en vie ». Le Dr H. Fotiu était également d’avis que les blessures infligées par Lefteris Andronicou avaient contribué au décès d’Elsie Constantinou. Il avait toutefois ajouté qu'elle serait morte même sans ces blessures. 138. La commission d'enquête conclut qu’Elsie Constantinou avait été blessée par les agents du MMAD car « elle avait bougé pendant qu’ils tiraient pour la sauver ». Selon le témoignage d’un expert, la présence d’une ambulance sur les lieux n’aurait en rien modifié le sort d’Elsie Constantinou. 139. A la lumière de ces considérations et s'appuyant notamment sur les conclusions de la Commission européenne des Droits de l’Homme sur le fond de l'affaire McCann, Farrell et Savage c. Royaume-Uni (requête n° 18984/91), la commission d’enquête conclut que le recours à la force par les agents du MMAD, qui avait abouti à la mort de Lefteris Andronicou et d’Elsie Constantinou, avait été rendu absolument nécessaire pour sauver Elsie Constantinou et assurer la légitime défense de ceux qui conduisaient l’opération de sauvetage, et relevait des exceptions énoncées à l’article 7 § 3 a) de la Constitution de la République de Chypre et à l’article 2 § 2 a) de la Convention. De plus, la façon dont l’opération avait été préparée ne révélait aucun défaut de vigilance. Bien qu’aucun acte criminel n'eût été commis et que la police ne pût être critiquée en aucune manière pour ce qui était de la conduite de l'affaire, la commission d’enquête recommanda à l’Etat d'examiner la possibilité d'un versement à titre gracieux aux familles des victimes, en invoquant l’arrêt Diáz Ruano c. Espagne rendu le 26 avril 1994 par la Cour européenne des Droits de l’Homme (série A n° 285-B). J. Les événements ultérieurs 140. Par lettre du 28 septembre 1994, le procureur général fit savoir à l’avocat des requérants que, compte tenu des conclusions de la commission d’enquête, les décès de Lefteris Andronicou et d’Elsie Constantinou ne donneraient pas lieu à l'ouverture d'une action pénale. Il précisa toutefois qu’il proposerait au gouvernement de verser aux héritiers des deux victimes, à titre gracieux, une « indemnisation globale et substantielle ». 141. Le 26 octobre 1994, l’ex-épouse de Lefteris Andronicou demanda au tribunal de district de Paphos de la désigner, conjointement avec son avocat, administratrice de la succession de Lefteris Andronicou, en sa qualité de représentante des deux enfants mineurs nés de son mariage avec celui-ci. Le 7 novembre 1994, les premier et deuxième requérants formèrent opposition à cette demande, faisant valoir que la mère des enfants ne pouvait pas être nommée administratrice, et demandèrent au tribunal de ne prendre aucune mesure sans les en aviser. 142. Le 18 janvier 1995, les premier et deuxième requérants intentèrent devant le tribunal de district de Paphos une procédure contre l’ex-épouse et l’avocat de Lefteris Andronicou, et demandèrent à être désignés administrateurs de la succession de ce dernier. 143. Le 17 mai 1995, le procureur général offrit d’accorder aux requérants l'aide judiciaire aux fins de la procédure devant le coroner de Paphos. Une audience prévue pour le 29 mai 1995 fut ajournée à la demande de l'avocat des requérants. 144. Le 7 juin 1995, le procureur général informa l'avocat des requérants que « l'Etat couvrirait les frais d'avocat que les personnes à charge du défunt encourraient si elles décidaient d'intenter une action civile en dommages-intérêts sur la base des faits qui ont abouti à la mort tragique d'Elsie Constantinou et de Lefteris Andronicou. » 145. Le 20 juillet 1995, le procureur général retira les deux offres d'aide judiciaire. Les requérants et le gouvernement ne parvinrent à aucun accord sur le paiement d'une indemnité à titre gracieux. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La garantie du droit à la vie 146. Le droit à la vie est garanti par l'article 7 de la Constitution de la République de Chypre, ainsi libellé : « 1. Toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique. Nul ne peut être privé de la vie sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal compétent au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. La loi ne peut prévoir la peine capitale qu'en cas d'assassinat, de haute trahison, de piraterie contraire au droit des gens ainsi qu'en cas d'infraction punissable de la peine capitale selon le droit militaire. La mort ne sera pas considérée comme causée au mépris du présent article dans les cas où elle résulte d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de personnes ou de biens contre l'infliction d'un préjudice proportionné et autrement inévitable et irréparable ; b) pour effectuer une arrestation ou empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. » B. Le statut de la Convention européenne des Droits de l'Homme en droit interne 147. La Convention européenne des Droits de l'Homme a été intégrée au droit interne de la République de Chypre et, en vertu de l'article 169 de la Constitution, prime le droit interne. C. Les excuses de coercition et de nécessité en droit interne 148. L'article 16 du code pénal dispose : « A l'exception de l'assassinat et des infractions contre l'Etat punissables de la peine capitale, ne constitue pas une infraction un acte accompli par une personne contrainte de le faire par des menaces qui, au moment de la commission de l'acte, lui donnent raisonnablement à craindre la mort dans l'instant, à condition que l'auteur de l'acte ne soit pas placé, de son plein gré ou par crainte raisonnable d'un préjudice à sa personne autre que la mort dans l'instant, dans une situation telle qu'il s'est trouvé soumis à cette contrainte. » 149. L'article 17 du code pénal prévoit l'excuse de nécessité. Aux termes de cet article : « Un acte ou une omission qui constitueraient dans d'autres circonstances une infraction peuvent bénéficier d'une excuse si la personne accusée peut démontrer qu'elle a accompli cet acte ou a fait cette omission seulement pour éviter des conséquences ne pouvant être évitées autrement et qui, si elles étaient survenues, auraient causé à elle-même ou à d'autres personnes qu'elle était tenue de protéger un préjudice inévitable et irréparable, qu'elle n'a rien fait au-delà de ce qui était raisonnablement nécessaire à cette fin et que le préjudice causé par cet acte ou cette omission n'était pas disproportionné au préjudice ainsi évité. » D. Les pouvoirs d'arrestation de la police 150. L'article 9 du code de procédure pénale énonce : « 1. Lorsqu'ils procèdent à une arrestation, le fonctionnaire de police ou toute autre personne faisant de même touchent ou appréhendent effectivement le corps de la personne à arrêter, sauf si celle-ci par ses paroles ou ses actes se soumet à la détention. 2. Si la personne à arrêter résiste avec vigueur à la tentative de l'arrêter ou cherche à se soustraire à l'arrestation, le fonctionnaire de police ou toute autre personne effectuant l'arrestation peuvent recourir à tous les moyens nécessaires pour l'effectuer : Sous réserve qu'aucune disposition du présent paragraphe ne passe pour justifier le recours à une force plus grande que celle raisonnable dans les circonstances où il en est fait usage ou que celle nécessaire à l'arrestation du délinquant. A l'exception des cas où la personne arrêtée est prise en flagrant délit ou est poursuivie immédiatement après la commission d'une infraction, ou s'évade du lieu où elle est régulièrement détenue, le fonctionnaire de police ou toute autre personne effectuant l'arrestation doivent informer l'intéressé du motif de son arrestation. » E. Les commissions d'enquête 151. Conformément à l'article 2 de la loi de 1959 sur les commissions d'enquête, demeurée en vigueur après l’accession de Chypre à l’indépendance, le gouverneur est habilité à désigner une commission d'enquête et à l'investir des pouvoirs énoncés à l'article 7, qui dispose : « Une commission désignée en vertu des dispositions de la présente loi dispose de ceux des pouvoirs suivants que l'arrêté de désignation exigé par l'article 2 de la présente loi lui confère, à savoir les pouvoirs a) de recueillir tous les éléments de preuve, écrits ou oraux, et interroger comme témoins toutes les personnes qu'elle jugera nécessaire ou souhaitable respectivement de recueillir ou d'interroger ; b) d'exiger qu'un témoin fasse sa déposition, écrite ou orale, sous serment ou par voie de déclaration, ce serment ou cette déclaration devant être les mêmes que ceux qui pourraient être requis du témoin s'il devait déposer devant un tribunal ; c) de citer toute personne résidant dans la Colonie à comparaître à une réunion de la commission pour y témoigner ou pour produire tout document éventuellement en sa possession et l'interroger comme témoin ou lui faire obligation de produire tout document en sa possession, sous réserve des exceptions qui seraient équitables ; d) de décerner un mandat pour contraindre à comparaître toute personne qui, citée à comparaître, ne se présente pas et n'excuse pas son absence de manière satisfaisante pour la commission, et de la condamner à tous les dépens que peut avoir entraînés le fait d'avoir à la contraindre à comparaître ou son refus d'obtempérer, ainsi qu'à une amende ne dépassant pas cinq livres ; e) de condamner à une amende n'excédant pas cinq livres toute personne qui, invitée par elle à déposer sous serment ou par voie de déclaration ou à produire un document, s'y refuse et ne présente à l'appui de ce refus aucune excuse qui satisfasse la commission : Sous réserve que, si le témoin objecte à répondre à telle ou telle question au motif qu'il contribuerait à sa propre incrimination, il ne soit pas contraint à y répondre et n'encoure aucune peine pour refus de répondre ; f) d'admettre tout élément de preuve, écrit ou oral, qui pourrait être irrecevable dans une instance civile ou pénale ; g) d'admettre ou exclure le public à une réunion de la commission ; h) d'admettre ou exclure la presse à une réunion de la commission ; i) d'allouer à toute personne qui a assisté à une réunion de la commission le ou les montants que, selon celle-ci, ladite personne peut avoir raisonnablement exposés aux fins de sa comparution. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION 152. Dans leur requête (n° 25052/94) introduite devant la Commission le 22 août 1994, les requérants alléguaient que la mort de M. Lefteris Andronicou et de Mlle Elsie Constantinou dans les circonstances en cause constituait une violation du droit des victimes à la vie, garanti par l'article 2 de la Convention. Ils se plaignaient en outre de n'avoir pas eu accès à un tribunal pour engager une action en réparation à raison des décès survenus, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention. 153. La Commission a retenu la requête le 5 juillet 1995. Dans son rapport du 23 mai 1996 (article 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention (quinze voix contre trois) mais non de l'article 6 § 1 (douze voix contre six). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR 154. Comme il l'avait fait au stade de la recevabilité devant la Commission, le Gouvernement soulève dans son mémoire des exceptions quant à la recevabilité de la requête, les requérants n'ayant pas selon lui épuisé les voies de recours internes à leur disposition et ayant introduit leur requête dans des conditions équivalant à un abus du droit de recours individuel. Sur le fond des griefs formulés par les intéressés, le Gouvernement soutient, à titre subsidiaire, que les faits de la cause ne révèlent de violation ni de l'article 2 ni de l'article 6 de la Convention. 155. De leur côté, les requérants prient la Cour de rejeter les exceptions préliminaires du Gouvernement, de constater que celui-ci a violé les articles 2 et 6 de la Convention et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l'espèce Le requérant, M. Alfred Worm, est journaliste. Né en 1945, il habite Vienne. A l'époque des faits, il travaillait pour Profil, revue autrichienne à caractère essentiellement politique. Pendant plusieurs années, il enquêta et écrivit des articles sur l'affaire de M. Hannes Androsch, ancien vice-chancelier et ministre des Finances, mis en cause dans certaines procédures pénales. A. Antécédents judiciaires de M. Androsch En 1989, M. Androsch fut condamné par la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Vienne sur deux chefs de faux témoignage. La cour déclara qu'il avait faussement prétendu devant une commission d'enquête parlementaire (Untersuchungsausschuß) que certaines sommes avaient été mises à sa disposition par un certain M. S., alors qu'en réalité, elles provenaient de comptes anonymes dont lui-même et son épouse étaient titulaires. En outre, au cours d'une procédure pénale dirigée contre des fonctionnaires du ministère des Finances inculpés d'abus de pouvoir, il avait déclaré à propos de plusieurs comptes anonymes qu'ils appartenaient à M. S., alors qu'en fait, les titulaires en étaient lui-même, son épouse et sa mère. En 1991, M. Androsch comparut pour fraude fiscale devant le tribunal correctionnel régional (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne, constitué en une juridiction échevinale (Schöffengericht) composée de deux magistrats de carrière et de deux juges non professionnels, qui tint audience notamment les 25 et 26 mai 1991. Le 8 octobre 1991, M. Androsch fut reconnu coupable de fraudes fiscales commises entre 1973 et 1981 et condamné à une amende de 1,8 million de schillings autrichiens (ATS). B. L'article Le 1er juillet 1991, Profil publia un article de deux pages sur ce procès, écrit par le requérant et conçu en ces termes : « AJOURNEMENT POUR RÉFLEXION Pendant deux jours, une juridiction échevinale a examiné les charges de fraude fiscale pesant sur Hannes Androsch. L'atmosphère dans le prétoire était glaciale. « Surtout pas d'erreur dans ce procès ; par prudence élémentaire : agir avec correction et en son âme et conscience, mais sans ménagement ! » (Propos tenus par M. Heinz Tschernutter, agent du fisc et témoin, en réponse à la question de savoir selon quels critères avait été examinée l'affaire Androsch.) La veille du procès, [le journal autrichien] Die Presse fit éclater la bombe qui devait secouer l'Autriche tout entière, en rapportant une phrase de l'avocat Herbert Schachter : « Je suis sûr que M. Androsch fera une présentation impressionnante de son affaire. » La présentation impressionnante assombrit l'horizon, et la terre trembla tandis que l'inculpé aggravait encore plus son cas, déjà merdique, en invoquant des trous de mémoire (« je ne m'en souviens plus » – « je ne connais pas les détails »), en tentant de reporter la faute sur les autres (« j'ai été représenté pendant toutes ces années par mes conseillers fiscaux ») ou en se posant en victime (« aucune grande entreprise n'a dans toute l'Autriche subi autant de contrôles que moi pendant autant d'années »). Le plus gros problème de Hannes Androsch est lui-même. Au deuxième rang vient son avocat, Herbert Schachter. A eux deux, le défenseur et son client sont imbattables : si le mépris affiché pouvait modifier le climat, la salle d'audience serait recouverte d'une épaisse couche de glace. Lorsque le juge Friedrich Zeilinger lui demande patiemment : « Que s'est-il donc exactement passé ? », l'inculpé répond, blasé : « Ce qui s'est passé, je vous prie de le déduire du dossier. Vous avez les documents sous les yeux, je crois ; pas moi. » Une autre fois, Androsch s'adresse à Friedrich Matousek, faisant vers lui un geste condescendant de la main : « Vous, mon cher procureur (...) », sur le ton qu'il aurait employé pour dire : « Misérable crétin ! » Androsch sous-estime la justice. Une fois de plus. Le juge Zeilinger connaît parfaitement le dossier, comme le prouvent toutes ses questions ; le procureur Matousek s'y retrouve dans le dédale des montages financiers des « consultants internationaux » ; il est vrai que le ministère public enquête sur les flux financiers à destination et en provenance de Hannes Androsch depuis une bonne décennie. L'inculpé prend à tort l'attitude excessivement polie et conciliante du président du tribunal pour de la faiblesse. Il connaît aussi le procureur depuis des années, mais sans le comprendre vraiment. Matousek parle doucement et lentement, pour qu'on puisse bien le suivre, et son comportement manque spectaculairement de spectaculaire. Seuls les arrogants prennent l'absence de grands gestes pour de l'ignorance. Le procureur a cependant commis une erreur : citant un arrêt de la cour d'appel dans la procédure, close, dirigée contre Androsch pour faux témoignage, il a parlé d'« imbrication de comptes pratiquée de longue date et de manière astucieuse et subtile ». Or si la fraude fiscale était bien pratiquée « de longue date », elle n'a jamais été « astucieuse et subtile ». Bien au contraire : quiconque s'est plongé dans le dédale des comptes occultes d'Androsch est frappé par la simplicité du montage. Ce dernier manque totalement de subtilité et se caractérise même par son côté extrêmement primitif, ce que n'explique pas un manque d'intelligence de la part d'Androsch, mais le fait qu'il repose sur la base inébranlable de la loyauté mal placée des fonctionnaires. Tant qu'Androsch est resté ministre des Finances, soit jusqu'en janvier 1981, il pouvait compter sur l'obéissance zélée, quoique illégale, de quelques fonctionnaires haut placés. Dès son départ, ces fonctionnaires s'agitèrent en tous sens pour dissimuler leur complicité dans cette opération de camouflage. Certes, toute une série d'autres fonctionnaires, non pas excessivement courageux mais simplement respectueux de la loi, s'efforcèrent de leur côté de laisser parler le droit ; ils furent mis en échec par la réalité des faits. L'équipe dirigée par Adolf Panzenböck, contrôleur fiscal de Carinthie (1982 à 1984), réussit à collecter tous les faits pertinents, mais le chef d'une perception viennoise, qui n'avait été chargé de l'affaire qu'un jour et demi plus tôt, déclara que tout était en ordre. Puis Walter Handerek, Heinz Tschernutter et Gerhard Berner, fonctionnaires des finances qui reprirent le dossier entre 1985 et 1988, se virent traités par l'avocat de la défense Herbert Schachter, lors de leur comparution à titre de témoins la semaine dernière, comme s'il s'agissait de leur procès et non de celui d'Androsch. L'on sait depuis 1980 que Androsch a fraudé le fisc. Le procès ajourné vendredi a fourni une fois de plus la preuve que l'inculpé a échappé à des poursuites pénales pendant des années grâce à l'obéissance zélée de fonctionnaires. Lorsque cela ne fut plus possible, un juge indépendant ayant pris l'enquête en mains, les conseillers d'Androsch essayèrent par tous les moyens de retarder le procès. Il est tout à la fois symptomatique et révélateur qu'Androsch ait répété à maintes reprises devant le tribunal que « sept contrôles » s'étaient conclus en sa faveur et qu'il était parfaitement injuste que le huitième, justement, ait fait s'écrouler le bel édifice de son innocence illusoire. Tout le monde en serait responsable, sauf lui. Entre-temps, Androsch s'est tellement imprégné de son rôle de victime qu'il n'arrive même plus lui-même à comprendre comment il aurait pu commettre des méfaits. Il existe objectivement un élément à sa décharge : il se peut qu'il y ait en Autriche plusieurs personnes qui, en presque deux décennies (entre 1965 et 1983), ont soustrait au fisc plus de 6,3 millions de schillings sans que l'on fasse une telle publicité autour d'eux. En revanche, aucun autre ministre des Finances autrichien ne s'est servi de sept comptes occultes à la fois. S'il est vrai, pour reprendre les termes du procureur, que l'on a pu expliquer l'origine d'une partie des fonds, on ne parvient pas à retrouver la provenance d'une somme avoisinant les cinq millions de schillings. Androsch s'est montré parfaitement impie en ressortant une fois de plus devant le tribunal son « oncle adoptif ». Certes, il a fait valoir que cet « oncle adoptif » était en fait pour lui un « père adoptif », mais il n'empêche qu'il s'agit d'une invocation abusive des mânes d'un mort. Androsch a impliqué dans cette procédure financière non seulement son « père adoptif » Gustav Steiner, mais aussi son beau-père Paul Schärf, de manière épouvantable. Ils ont été engagés à se sacrifier pour Androsch et à assumer la responsabilité de l'argent sale et des opérations fiduciaires avec lesquels ils n'avaient aucun rapport. Le juge d'instruction Anton Zelenka, puis les services du fisc, de même que d'autres juges (Josef Zehetmayer et enfin la cour d'appel) ont prouvé depuis longtemps qu'Androsch ment à ce sujet : s'agissant des sommes qui transitent sur les sept comptes occultes, la seule hypothèse possible est celle d'une fraude fiscale commise par M. Androsch. Sa défense devant le tribunal – après tant d'années, on aurait pu au moins s'attendre à ce qu'il eût élaboré une argumentation solide – était lamentable : chaque fois que le juge Zeilinger lui posait une question précise, il prétextait des trous de mémoire ou se retranchait derrière son défunt « père adoptif ». Il a même invoqué le nom de feu Sir Arthur Stein, explorateur de la route de la soie, qui lui aurait fait un legs. Aucun argument nouveau n'a été présenté au tribunal, ni sur les comptes occultes ni sur le financement de ses villas. Ceux qui s'attendaient à ce qu'Androsch vide son sac et, comme cela avait été annoncé dans les journaux, fasse des révélations et présente des arguments convaincants pour sa défense, ont été amèrement déçus. Ce n'est qu'au sujet de la « répartition occulte des bénéfices » qu'il y eut un échange de vues à caractère juridique. Me Schachter a expliqué au tribunal qu'Androsch était « une victime de la politique ». Ce dernier aurait fait l'objet de « tentatives de crimes » et aurait toujours eu « des ennemis qui ont tenté de le détruire mentalement et physiquement ». C'est la faute de Bruno Kreisky et des autres. Le tribunal s'est constamment efforcé, toujours avec ménagement, d'inciter l'inculpé à abandonner ses radotages à n'en plus finir pour le ramener sur le terrain des faits. A chaque fois, il s'est entendu répondre : « Je ne peux rien dire. Je n'ai pas que cela à faire » (sous-entendu, je n'ai pas de temps à perdre avec vos questions stupides). En cas de nécessité, Androsch rejette toujours la faute sur les autorités. Or cette stratégie est inapplicable au juge Zeilinger. Pendant deux matinées, celui-ci a fait une démonstration de justice policée. Le juge s'obligeait à la politesse, même lorsque l'assurance ennuyée de l'inculpé l'agaçait visiblement. Dès le premier jour du procès s'est installée une tension psychologique que l'ex-ministre a manifestement mal interprétée. Cet homme de cinquante-trois ans adoptait par moments un comportement d'orateur populaire parlant politique, s'intéressant de moins en moins aux questions du juge et affichant à l'égard du procureur un mépris de plus en plus provocant. Pour cela, Androsch se tournait de plus en plus souvent vers le public de la salle d'audience, en quête d'approbation, et ses gestes rappelaient l'autosatisfaction du puissant vice-chancelier et ministre des Finances habitué à vaincre. C'est dans ce cadre que se produisirent plusieurs erreurs tactiques. L'avocat de la défense coupa la parole au juge et Androsch tomba sous son propre charme. Il parla avec une volubilité que le journal Kronen Zeitung prit à tort pour une « brillante rhétorique ». En réalité, l'inculpé mettait le plus de distance possible entre ses responsabilités et lui. C'est la faute des autres. Néanmoins, le président Zeilinger ne perdit pas une seule seconde la maîtrise de la situation. Par moments, comme son attitude le révélait, il avait une remarque acerbe sur le bout de la langue, qui ne franchit cependant jamais ses lèvres. L'inculpé crut à de la faiblesse et utilisa sans retenue sa propre force supposée ; il établit des liens avec le public tout en coupant ceux qui le reliaient au tribunal. Le juge Zeilinger s'était parfaitement préparé au procès. En citant des faits, il parvint maintes fois à pousser Androsch dans ses derniers retranchements, lequel ne pouvait plus alors qu'invoquer des trous de mémoire. Dans la plupart des grands procès, la justice laisse sa chance au pécheur jusqu'à la dernière minute. Androsch a eu la sienne vendredi dernier : sur les douze demandes présentées par la défense, deux ont été retenues. Le tribunal a accueilli des preuves se rapportant à la question de savoir si, au cours de la procédure fiscale menée contre Androsch, il y avait eu des influences illégales ou des instructions contraires aux intérêts du contribuable. Lors de la reprise des débats, en août ou septembre prochain (le tribunal a même tenu compte des vacances d'été de l'avocat de la défense !), seront à cet effet entendus comme témoins des fonctionnaires de la direction régionale des Finances et du ministère des Finances. Dans toute procédure arrive cependant un moment où le tribunal attend un signe de compréhension. La loi espère un tout petit peu d'humilité, qui pourra compter comme circonstance atténuante. Or l'inculpé n'a pas fait preuve de la moindre humilité. Il dispose il est vrai de quelques semaines encore pour méditer sur la question de savoir s'il est compatible avec le principe de la prééminence du droit qu'un ministre des Finances et sa famille disposent de comptes occultes pesant plusieurs millions de schillings. Il lui reste donc à faire preuve de grandeur. La justice a mis au jour des faits graves. Vendredi dernier cependant, le tribunal s'est jusqu'à la dernière minute laissé exclusivement guider par le principe de l'équité, et a ajourné le procès. Pour réflexion. » C. La procédure devant le tribunal correctionnel régional de Vienne M. Worm fut inculpé d'influence abusive sur une procédure pénale (verbotene Einflußnahme auf ein Strafverfahren), en application de l'article 23 de la loi sur les médias (Mediengesetz – paragraphe 23 ci-dessous). Le 12 mai 1992, le tribunal correctionnel régional de Vienne, composé d'un seul juge (Einzelrichter), relaxa le requérant au motif que le texte litigieux n'était pas de nature à influer sur l'issue de la procédure dirigée contre M. Androsch, et qu'il n'était pas établi que le requérant eût agi dans cette intention. Le tribunal rappela que M. Androsch avait été condamné pour fraude fiscale en 1991 (paragraphe 9 ci-dessus) et estima que, pour établir si le passage litigieux était susceptible d'influer sur l'issue de cette procédure, il fallait prendre en compte le fond et la forme de l'ensemble de l'article ainsi que l'issue de la procédure dont il était rendu compte, la personnalité du prévenu et celle du requérant. L'article, contrairement aux chroniques judiciaires de la presse à sensation, analysait l'attitude du président du tribunal, du procureur, de l'avocat de la défense et surtout du prévenu, M. Androsch, presque à la manière d'un psychologue. Par ailleurs, selon le tribunal, tous les lecteurs qui avaient entendu parler de l'affaire savaient pertinemment que le requérant, qui travaillait comme journaliste à Profil depuis de nombreuses années, avait suivi de très près cette affaire, la « Causa Androsch », au sujet de laquelle il avait écrit de nombreux comptes rendus. Il ressortait de l'article que le requérant partait du principe que les services du fisc avaient convenablement mené leur enquête. Il soumettait les déclarations formulées par le prévenu au cours du procès à une analyse critique sous l'angle psychologique. Cependant, le style et la formulation adoptés n'étaient pas de nature à influer sur l'issue de la procédure en question. La personnalité du requérant et ses activités journalistiques dans le cadre de l'affaire Androsch étaient bien connues, même d'un juge non professionnel, qui ne s'attendrait donc pas à ce que l'intéressé rendît compte de la procédure sur un ton neutre. De plus, rien n'établissait que le requérant avait agi avec l'intention de peser sur l'issue de la procédure ; il apparaissait notamment convaincu que M. Androsch serait condamné en fin de compte. D. La procédure devant la cour d'appel de Vienne Sur appel du ministère public, la cour d'appel de Vienne, composée de trois magistrats professionnels, tint une audience le 19 octobre 1992, en présence du requérant et de son conseil. M. Worm fut interrogé et déclara en particulier que la première phrase du passage litigieux – c'est-à-dire « s'agissant des sommes qui transitent sur les sept comptes occultes, la seule hypothèse possible est celle d'une fraude fiscale commise par M. Androsch » – reprenait les propos du procureur au cours du procès. Ce dernier avait également évoqué à de nombreuses reprises la condamnation de M. Androsch pour faux témoignage (paragraphe 8 ci-dessus). A la fin de l'audience, il fut donné lecture du dispositif de l'arrêt et des motifs pertinents. La cour d'appel condamna le requérant, pour influence abusive sur une procédure pénale, à quarante jours-amendes au taux journalier de 1 200 ATS (soit 48 000 ATS) ou, à défaut de paiement, à vingt jours d'emprisonnement. L'éditeur fut condamné à payer solidairement l'amende. Le texte complet de l'arrêt fut signifié au requérant le 25 mars 1993. La cour d'appel déclara notamment ce qui suit : « L'appel interjeté par le procureur est donc fondé. En effet, il s'appuie à juste titre sur le fait que le délit défini à l'article 23 de la loi sur les médias, est un délit de mise en péril [abstraktes Gefährdungsdelikt]. (...) Ce délit se définit en général comme la capacité qu'a le comportement litigieux de créer une situation de risque, même si dans le cas d'espèce personne n'a été réellement soumis à un tel risque. (...) La législation ne réglemente que le comportement de l'auteur du méfait – en l'occurrence l’évaluation de la valeur d’un moyen de preuve – et en déduit que telle évaluation est également susceptible d'influer sur l'issue d'une procédure pénale. Le délit de mise en péril se réduit donc à un simple délit formel [schlichtes Tätigkeitsdelikt]. (...) Les arguments contenus dans le jugement de première instance quant à la question de savoir dans quelle mesure le commentaire sur la défense de M. Androsch était susceptible d'influencer l'issue de la procédure pénale, étaient donc sans objet. (...) Les réponses apportées par un accusé au cours de l'interrogatoire devant un tribunal pénal sont un moyen de preuve. (...) [Le passage litigieux] constitue un jugement de valeur (négatif) sur les réponses fournies par M. Androsch, et non pas seulement une analyse critique sous l'angle psychologique, comme l'a déclaré le tribunal de première instance. (...) » Elle fit observer qu'« une appréciation positive – et pas seulement une opinion négative – au sujet d'un moyen de preuve constitue l'élément objectif du délit défini à l'article 23 de la loi sur les médias ». La cour d'appel contesta également l'affirmation du tribunal régional selon laquelle tout un chacun, y compris les juges non professionnels, savait que le requérant suivait depuis longtemps l'affaire Androsch, en conséquence de quoi son article n'influencerait personne. Il n'était nullement certain que les juges non professionnels fussent des lecteurs réguliers de Profil. Au contraire, dans des procès médiatisés comme celui-ci, les juges non professionnels s'intéressaient souvent aux comptes rendus de journaux qu'ils n'avaient pas l'habitude de lire. Ainsi, la lecture de l'article litigieux était indubitablement susceptible d'influer sur l'issue de la procédure pénale, du moins en ce qui concernait les échevins. La cour d'appel ajouta : « [Le constat précité] est en l'occurrence d'autant plus exact que l'article trahit l'intention de l'accusé de s'ériger en juge de l'affaire. Il est donc satisfait à l'élément objectif du délit défini à l'article 23 de la loi sur les médias. Pour ce qui est de l'élément subjectif, il convient de noter qu'il est difficile de comprendre la raison pour laquelle le tribunal de première instance a conclu à l'absence d'intention d'influer sur l'issue du procès alors que cette intention était au contraire tout à fait évidente. » La cour d'appel jugea en outre que la grande connaissance que le requérant avait de cette affaire et l'intérêt qu'il y portait confirmaient plutôt l'impression qu'il avait écrit l'article dans le but d'influer sur l'issue de la procédure. Il avait enquêté sur cette affaire depuis 1978 et rédigé plus d'une centaine d'articles à ce sujet. Depuis le début, il était convaincu que M. Androsch avait fraudé le fisc. Dans l'article litigieux, il ne s'était pas contenté de critiquer les déclarations de M. Androsch, mais avait également anticipé sur l'issue de la procédure, c'est-à-dire la condamnation du prévenu. L'arrêt se terminait comme suit : « Même la citation placée en tête de l'article, reprenant les propos de M. Heinz Tschernutter : « Surtout pas d'erreur dans ce procès ; par prudence élémentaire : agir avec correction et en son âme et conscience, mais sans ménagement ! » donne au lecteur moyen l'impression qu'il était fortement conseillé au tribunal de s'en tenir à ces principes : ne pas faire d'erreur et traiter M. Androsch sans ménagement. » II. Le droit interne pertinent L'article 23 de la loi sur les médias (Mediengesetz), intitulé « Influence abusive sur une procédure pénale » (Verbotene Einflußnahme auf ein Strafverfahren), est ainsi libellé : « Quiconque évoque au cours d'une procédure pénale, après l'inculpation (...) [et] avant le jugement de première instance, le résultat probable de l'instance ou la valeur d'un moyen de preuve d'une manière susceptible [geeignet] d'influer sur l'issue de la procédure, est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 180 jours-amendes. » L'article 77 du code de procédure pénale dispose : « 1) Les décisions de justice sont rendues publiques soit par lecture en audience, soit par signification de l'original ou d'une copie certifiée. 2) En cas de lecture, les jugements sont consignés par écrit. Toute personne concernée qui en fait la demande peut obtenir une copie du jugement. » En pratique, les personnes concernées reçoivent d'office une copie des décisions telles que celle prise en l'espèce. Conformément à la procédure pénale autrichienne, le délai pour interjeter appel commence à courir à compter de la date de signification de la décision attaquée à la partie concernée (article 79 § 2 du code de procédure pénale). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 28 juillet 1993 à la Commission, M. Worm se plaignait de ce que sa condamnation en vertu de l'article 23 de la loi sur les médias avait entraîné une atteinte à son droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 22714/93) le 25 novembre 1995. Dans son rapport du 23 mai 1996 (article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention (dix-huit voix contre onze). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant a invité la Cour à dire qu'il avait subi une violation du droit à la liberté d'expression consacré par l'article 10 de la Convention en raison d'une mauvaise interprétation de l'article 23 de la loi sur les médias par la cour d'appel de Vienne. Le Gouvernement a pour sa part demandé à la Cour de refuser d'examiner la requête, qui aurait été soumise après l'expiration du délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive. A titre subsidiaire, il a prié la Cour de dire que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Vienne le 19 octobre 1992 n'avait pas emporté violation des droits garantis au requérant par l'article 10 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Née en 1962, Mme Victoria Brualla Gómez de la Torre habite Madrid. A l’époque des faits, elle exerçait sa profession d’avouée (procurador) dans des locaux appartenant à une mutuelle d’assurances et dont elle se considérait locataire subrogée à son père, décédé antérieurement. En 1990, à une date non précisée, la mutuelle introduisit auprès du tribunal de première instance de Madrid une action en résiliation du contrat de bail, alléguant que la requérante ne pouvait se substituer à son père dans les droits que celui-ci détenait du contrat de bail. Le 18 avril 1991, la mutuelle fut déboutée. Elle interjeta appel. Le 7 février 1992, l’Audiencia provincial de Madrid infirma la décision attaquée, estimant que la requérante n’avait pu succéder à son père dans le contrat de bail litigieux. Le 3 mars 1992, l’intéressée fit part à l’Audiencia provincial de son intention de se pourvoir en cassation. Le 26 mars 1992, cette juridiction constata le dépôt de la déclaration de pourvoi (« se tiene por preparado el recurso ») et, le 7 avril, cita les parties à comparaître devant la première chambre du Tribunal suprême pour présenter le pourvoi dans le délai de quarante jours qu’ouvrait à l’époque l’article 1704 du code de procédure civile à cet effet (paragraphe 18 ci-dessous). Entre-temps, la loi n° 10/92 du 30 avril 1992 (« la loi n° 10/92 »), qui introduisit des réformes urgentes de certaines procédures judiciaires, entra en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, soit le 6 mai 1992. Elle modifia certaines dispositions du code de procédure civile, notamment celles qui régissent les conditions d’admissibilité des pourvois en cassation en matière de baux urbains (paragraphe 20 ci-dessous). Le 12 mai 1992, la première chambre du Tribunal suprême rendit une décision interprétant les dispositions transitoires de la loi n° 10/92. Au sujet des pourvois déclarés auprès du tribunal a quo avant l’entrée en vigueur de celle-ci, mais non encore présentés auprès du Tribunal suprême, elle considéra : « Vu le silence ou la lacune de la disposition [transitoire n° 2], la réforme sera appliquée intégralement dans le cas précité, raison pour laquelle il faut se référer à la disposition de portée générale de l’article 6 du décret royal du 3 février 1881 portant promulgation du code de procédure civile. » Le 22 mai 1992, soit avant l’expiration du délai de quarante jours imparti par l’Audiencia provincial (paragraphe 9 ci-dessus), la requérante présenta son pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême. 13. Dans sa décision (auto) du 4 mars 1993, celui-ci constata d’emblée qu’en vertu de sa disposition transitoire n° 2 (paragraphe 17 ci-dessous), la loi n° 10/92 trouvait à s’appliquer aux cas où, comme en l’espèce, un pourvoi en cassation avait été présenté après l’entrée en vigueur de celle-ci, même si l’intention d’exercer ce recours avait été déclarée auparavant. Il releva ensuite que le montant annuel du loyer stipulé dans le contrat de bail litigieux s’élevait à 839 256 pesetas, somme inférieure à celle requise par la nouvelle loi – un million de pesetas – pour se pourvoir en cassation. Dès lors, le recours de la requérante devait être déclaré irrecevable, conformément à l’article 1710 § 1 du code de procédure civile, combiné avec l’article 135 de la loi sur les baux urbains, tels que modifiés par la loi n° 10/92 (paragraphes 19 et 20 ci-dessous). Le 1er avril 1993, Mme Brualla Gómez de la Torre saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo fondé sur l’article 24 § 1 de la Constitution (paragraphe 16 ci-dessous). A la demande de la requérante, le Tribunal constitutionnel ordonna le 19 juillet de surseoir à l’exécution du jugement de l’Audiencia provincial. Se référant notamment à sa propre jurisprudence sur l’interprétation par le Tribunal suprême de la disposition transitoire n° 2 de la loi n° 10/92 (paragraphe 11 ci-dessus), le Tribunal constitutionnel rejeta le 4 juillet 1994 le recours de l’intéressée, contre l’avis du ministère public. Rappelant que l’interprétation des dispositions du droit transitoire relevait des juridictions ordinaires, il estima motivés et raisonnables les critères à l’aide desquels la décision attaquée avait déclaré irrecevable le pourvoi litigieux. L’interprétation par le Tribunal suprême des dispositions de la nouvelle loi ne se révélait ni arbitraire ni mal fondée. La circonstance que la décision litigieuse s’appuyait sur une disposition entrée en vigueur à un moment où le pourvoi en cassation avait été déclaré mais pas encore présenté devant le Tribunal suprême n’était pas déterminante, puisqu’aucune disposition de la Constitution n’interdisait de modifier le système de recours existant, pourvu que le droit au procès équitable fût garanti. II. le droit interne pertinent A. La Constitution Aux termes de l’article 24 § 1 de la Constitution : « Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et tribunaux dans l’exercice de ses droits et ses intérêts légitimes, sans jamais pouvoir être mise dans l’impossibilité de se défendre. » B. La loi n° 10/92 du 30 avril 1992 La disposition transitoire n° 2 de la loi n° 10/92 du 30 avril 1992 portant modification du code de procédure civile dispose : « Les décisions judiciaires civiles prononcées après l’entrée en vigueur de la présente loi ne seront susceptibles de cassation ou d’appel que si elles réunissent les conditions établies à cet effet par la présente loi. S’agissant des pourvois en cassation pendants dont la recevabilité n’a pas encore été constatée, la chambre civile du Tribunal suprême (…) pourra les déclarer irrecevables pour les raisons visées à l’article 1710 du code de procédure civile tel qu’il a été modifié par la présente loi. A cet effet, tant les moyens du pourvoi que les limitations visées à la quatrième règle du premier paragraphe de l’article précité seront déterminés par la législation en vigueur au moment de la présentation (interposición) du pourvoi (…) » C. Le code de procédure civile Dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 10/92, les dispositions pertinentes régissant la déclaration d’un pourvoi en cassation (preparación del recurso) se lisaient ainsi : Article 1694 « La déclaration de pourvoi sera déposée auprès de l’organe juridictionnel qui a rendu la décision attaquée, au moyen d’un écrit présenté dans un délai de dix jours à partir du lendemain de la notification de cette dernière, et dans lequel [le demandeur] déclarera son intention de présenter un pourvoi, exposera sommairement les conditions auxquelles il doit satisfaire et demandera que le pourvoi soit considéré comme présenté dans les délais et les formes prescrits, que le dossier original soit remis, le cas échéant avec le dossier d’appel, à la première chambre du Tribunal suprême et que les parties soient citées. Si aucune déclaration de pourvoi n’est déposée dans les dix jours, l’arrêt ou la décision deviendront définitifs. » Article 1695 « La remise de la déclaration de pourvoi incombe à l’avoué et à l’avocat (procurador et abogado) chargés de la défense (…) » Article 1696 « Si la déclaration de pourvoi réunit les conditions prévues par les deux dispositions précédentes et se réfère à une décision susceptible de recours, la chambre de l’Audiencia constatera la remise de la déclaration de pourvoi (tendrá por preparado [el recurso]) et, dans un délai de cinq jours, remettra à la première chambre du Tribunal suprême le dossier original et le dossier d’appel. En même temps, les parties seront citées à comparaître devant la première chambre du Tribunal suprême dans un délai non renouvelable de quarante jours, mais seule la partie demanderesse sera contrainte de comparaître pour présenter le pourvoi. (...) » Article 1704 « La partie qui a déposé une déclaration de pourvoi présentera celui-ci devant la première chambre du Tribunal suprême dans un délai de quarante jours à partir de la date où [les parties ] ont été citées [à comparaître]. Si le pourvoi n’est pas introduit à l’échéance de ce délai, l’arrêt ou la décision deviendra définitif. » L’article 1710 § 1 régit la présentation d’un pourvoi en cassation. Dans sa version modifiée par la loi n° 10/92, il est ainsi libellé : « 1. Après qu’il aura été remis par le ministère public, le dossier sera transmis au magistrat rapporteur qui l’examinera et le soumettra à la chambre afin qu’elle décide de la suite à lui donner conformément aux règles suivantes : (…) 2) La chambre déclarera (…) irrecevable la demande (…) si, nonobstant le dépôt de la déclaration de pourvoi, elle constate l’inobservation des articles 1697 et 1707, si les dispositions invoquées ne présentent aucun rapport avec les questions qui forment l’objet du pourvoi ou si, quand un défaut donné a dû être corrigé, il ressort du dossier qu’il ne l’a pas été. (…) 4) Le pourvoi sera déclaré irrecevable (…) lorsque la valeur litigieuse n’aura pas été déterminée conformément aux règles applicables ou si la chambre estime que ladite valeur n’atteint pas les montants visés à l’alinéa 1er de l’article1687. » D. La loi sur les baux urbains Tel qu’il a été modifié par la loi n° 10/92, l’article 135 de la loi sur les baux urbains se lit comme suit : « Les arrêts rendus en appel par l’Audiencia provincial ne pourront faire l’objet de recours ultérieurs, sauf le cas des litiges en matière de baux commerciaux dont le loyer contractuel excède un million de pesetas, où un pourvoi en cassation pourra être introduit conformément aux moyens et procédures prévus par le code de procédure civile. » Avant la loi n° 10/92, la valeur litigieuse minimum était de cinq cent mille pesetas. E. Le décret royal du 3 février 1881 L’article 6 du décret royal du 3 février 1881 portant promulgation du code de procédure civile dispose : « Les pourvois en cassation présentés (interpuestos) avant le 1er avril prochain suivront la procédure prévue par la loi actuellement en vigueur ; [ceux présentés] après cette date suivront la procédure prévue par la nouvelle loi, même si la déclaration de pourvoi lui est antérieure. » F. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel Dans son arrêt n° 374/1993 du 13 décembre 1993, rendu dans une affaire comparable au cas d’espèce, le Tribunal constitutionnel a énoncé les principes régissant l’applicabilité ratione temporis de la loi n° 10/92 du 30 avril 1992. Il y a notamment précisé que l’interprétation de la disposition transitoire n° 2 adoptée par le Tribunal suprême, bien que justifiée en l’espèce, ne saurait être considérée comme l’unique interprétation possible. Il a indiqué d’autre part que le terme « interposición » figurant dans la disposition transitoire n° 2 visait la présentation du pourvoi auprès du Tribunal suprême et pas le dépôt de la déclaration de pourvoi auprès de l’Audiencia provincial. En conséquence, le régime antérieur à la loi n° 10/92 s’appliquait à la déclaration de pourvoi et le régime postérieur à la présentation de celui-ci. En outre, le Tribunal constitutionnel s’est référé à sa jurisprudence constante selon laquelle la Constitution ne garantissait pas le droit des justiciables à l’immutabilité du système de recours établi par la loi, pourvu que le droit des parties à un « procès équitable » fût respecté et que les décisions déclarant un recours irrecevable ne fussent pas injustifiées ou mal fondées. Il a rappelé enfin qu’en présence de dispositions transitoires, la détermination de la norme applicable était une question qui relevait exclusivement des tribunaux ordinaires, conformément à l’article 117.3 de la Constitution. En conclusion, le Tribunal constitutionnel a refusé l’amparo. Auparavant, dans un arrêt rendu le 20 juin 1986 dans le cadre du recours d’amparo n° 121/1985, le Tribunal constitutionnel avait abordé la question de l’applicabilité ratione temporis de la disposition transitoire n° 2 de la loi n° 34/1984 du 6 août 1984. Celle-ci portait, elle aussi, réforme du code de procédure civile mais prévoyait, à la différence de la loi n° 10/92, qu’« après la clôture de l’instance dans laquelle ils se trouvent, les pourvois qui auront été présentés (interpuestos) suivront les modifications introduites par la présente loi ». Dans cette affaire, les demandeurs d’amparo avaient déposé leur déclaration de pourvoi selon l’ancienne loi, puis avaient présenté le pourvoi en conformité avec les dispositions de la nouvelle loi, lesquelles toutefois ne différaient pas, quant aux conditions de fond, de celles prévues par la loi antérieure. Le Tribunal constitutionnel précisa que si le verbe « interponer » semblait renvoyer à la présentation du pourvoi, la référence à « la clôture de l’instance » indiquait toutefois que la loi n’avait pas eu pour but de modifier le régime applicable aux pourvois déjà déclarés mais non encore présentés. Le Tribunal constitutionnel estima qu’en l’espèce, l’interprétation du Tribunal suprême de ladite disposition transitoire ne pouvait passer pour dépourvue de fondement et encore moins pour déraisonnable, et que la détermination de la législation applicable à la présentation du pourvoi – en l’occurrence l’ancienne loi – n’était pas inadéquate du point de vue constitutionnel. Dès lors, le Tribunal constitutionnel accorda l’amparo aux demandeurs, considérant qu’ils avaient été victimes d’un formalisme excessif. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Brualla Gómez de la Torre a saisi la Commission le 7 janvier 1995, alléguant qu’au mépris des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, elle n’avait pas bénéficié d’un procès équitable ni d’un recours effectif devant le Tribunal suprême. La Commission a retenu la requête (n° 26737/95) le 15 avril 1996. Dans son rapport du 18 octobre 1996 (article 31), elle exprime l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 (seize voix contre treize) et de l’article 13 (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que la décision litigieuse rendue par le Tribunal suprême n’avait pas emporté violation des droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. De son côté, la requérante prie la Cour de constater qu’il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l’espèce A. Le requérant Le requérant, M. Pekka Helle, est un ancien bedeau, à présent retraité, de la paroisse évangélique luthérienne de Mäntsälä. D'après lui, cela fait quatre générations que sa famille fournit un bedeau à la paroisse. Bien qu'il servît celle-ci depuis 1952, c'est seulement le 21 septembre 1966 qu'une décision (« la décision de 1966 ») créant officiellement le poste de bedeau et confirmant l'intéressé comme titulaire de celui-ci fut prise par l’assemblée paroissiale (kirkkovaltuusto, kyrkofullmäktige ; paragraphe 8 ci-dessous). B. La décision prise par l’assemblée paroissiale en 1966 et la création du poste de bedeau Lorsqu’elle créa le poste en question, l’assemblée paroissiale releva que le conseil d’administration de la paroisse (kirkkohallintokunta) avait suggéré que le bedeau fût payé à concurrence de 75 % de la rémunération afférente à la classe 9 du barème applicable aux salariés de l'Eglise évangélique luthérienne (« l'Eglise »). Toutefois, elle décida finalement que le poste de bedeau serait considéré comme l’occupation principale (päätoimi) de son titulaire, et que celui-ci percevrait la rémunération prévue pour la classe A3 du barème, laquelle, en termes concrets, correspondait à celle qu’avait suggérée le conseil d’administration de la paroisse. En revanche, rien n’indiquait s’il s’agissait d’un poste à temps plein ou d’un poste à temps partiel. L’assemblée paroissiale décida par ailleurs qu’en sa qualité de titulaire du poste M. Helle ne serait pas rémunéré pour l’accomplissement de tâches complémentaires, quelles qu’elles fussent, et qu’il serait autorisé, comme l’avait proposé le conseil d’administration de la paroisse, à exploiter une maison funéraire. C. Les arrangements consécutifs à la nouvelle convention collective A compter du début de 1975 entra en vigueur une nouvelle convention collective applicable aux salariés de l'Eglise. Comme prévu par celle-ci, un nouveau système de rémunération fut introduit qui fixait les rémunérations pour les différents postes et clarifiait la terminologie utilisée, de sorte qu’une occupation principale d’un salarié de l'Eglise pouvait désormais être soit une occupation à temps plein, soit une occupation à temps partiel. Le nouveau système de rémunération fut appliqué en 1977 aux salariés de la paroisse de Mäntsälä. D. La décision prise par le comité paroissial en 1977 Par une décision prise le 16 novembre 1977 (ci-après « la décision de 1977 ») dans le contexte de l’application à ses salariés des arrangements consécutifs à la nouvelle convention collective, le comité paroissial (kirkkoneuvosto, kyrkorådet) nota que la décision de l’assemblée paroissiale du 21 septembre 1966 créant le poste de bedeau (paragraphe 8 ci-dessus) ne précisait pas s’il s’agissait d’un poste à temps plein ou d’un poste à temps partiel. Le comité paroissial estima que dès lors qu'à l'époque le conseil d’administration de la paroisse avait proposé d’accorder à M. Helle la permission d’exploiter une maison funéraire, il était probable que son poste correspondît à une occupation principale à temps partiel. Le comité paroissial déclara que le bedeau avait un horaire de trente-cinq heures de travail par semaine et que sa rémunération correspondait à 87 % de celle qu’il faudrait verser à un bedeau employé à temps plein en application des barèmes de rémunération révisés. La rémunération de M. Helle demeura toutefois identique à celle qu’il percevait auparavant. De surcroît, le comité paroissial autorisa l’intéressé à exploiter une maison funéraire en guise de complément à ses fonctions de bedeau. Depuis le jour où il commença à travailler comme bedeau, le requérant a toujours eu dans l'idée que son poste était en fait un poste à temps plein. Jamais informé de la décision de 1977, il ne se rendit pas compte de ses implications puisqu’il continuait à percevoir la même rémunération et à travailler quarante heures par semaine. Ce n’est qu’en décembre 1988, lorsqu’il s'enquit de ses droits à pension, qu’il découvrit que le comité paroissial avait, en 1977, considéré que son poste était un poste à temps partiel, et que certains de ses droits liés à sa rémunération, et notamment ses droits à pension, se trouvaient en conséquence être inférieurs à ceux qui auraient été les siens s’il avait été titulaire d’un poste à temps plein. E. La procédure contentieuse Le 9 janvier 1989, le requérant attaqua la décision de 1977 devant l’assemblée paroissiale, réclamant le rappel des salaires qu’il aurait dû percevoir en tant que bedeau à temps plein ainsi que les autres avantages perdus. La décision prise par l’assemblée paroissiale en octobre 1989 Dans sa décision du 10 octobre 1989, l’assemblée paroissiale releva que, d'après la décision du comité paroissial en date du 16 novembre 1977 (paragraphe 10 ci-dessus), le poste de M. Helle correspondait à une occupation principale à temps partiel. Elle estima qu’elle n’était pas juridiquement tenue d’accorder à l'intéressé de quelconques avantages pécuniaires en sus de ceux qu’il avait déjà obtenus sur le fondement de la décision de 1977 (paragraphe 10 ci-dessus). Elle décida néanmoins, à titre gracieux, qu'il devait percevoir, à compter du 1er janvier 1987, la différence entre sa rémunération, correspondant à un poste à temps partiel, et la rémunération afférente à un poste à temps plein. Elle augmenta également ses prestations de pension et lui alloua une somme forfaitaire à titre d’indemnité. La décision prise par le chapitre épiscopal en juin 1990 Dans l’intervalle, le 25 janvier 1989, le requérant avait également formé, devant le chapitre épiscopal (tuomiokapituli, domkapitlet) du diocèse d’Helsinki (hiippakunta, stift), un recours dans lequel il affirmait que la décision de 1977 constituait une modification unilatérale de la nature de son poste qui lui avait causé un préjudice financier. En vertu de l’article 443 de la loi de 1964 sur l'Eglise (kirkkolaki, kyrkolag 635/64), le chapitre épiscopal statuait comme « tribunal de première instance » sur les litiges en matière de rémunération opposant les paroisses à leurs agents. Le 15 novembre 1989, à la suite de la décision rendue par l’assemblée paroissiale le 10 octobre 1989, M. Helle saisit le chapitre épiscopal d’un recours additionnel dans lequel il se plaignait de l’insuffisance des avantages qui lui avaient été accordés dans ladite décision et demandait, entre autres, à être indemnisé. Le chapitre épiscopal joignit les deux recours. Dans sa décision du 1er juin 1990, il confirma le locus standi du requérant et déclara que ce dernier ne pouvait être considéré comme forclos, dès lors qu’il n’avait pas reçu notification de la décision de 1977 selon les modalités prévues par le droit finlandais (paragraphe 11 ci-dessus). Quant au fond, il dit estimer que la décision de 1977 concernait essentiellement l’horaire de travail afférent au poste de bedeau. Il précisa qu’il n’avait pas été possible de vérifier, à partir des documents produits par les parties, si, lorsqu’elle avait créé le poste en 1966, l’assemblée paroissiale avait considéré qu’il s’agissait d’une occupation à temps plein. En tout état de cause, le comité paroissial n’avait pas le pouvoir de convertir un poste à temps plein en un poste à temps partiel puisque seule l’assemblée paroissiale était compétente en 1977 pour prendre pareille décision. Le chapitre épiscopal estima en revanche que la fixation de l’horaire afférent au poste à laquelle s'était livré le comité paroissial avait servi de base pour la méthode révisée de calcul des rémunérations, en application des arrangements consécutifs à la nouvelle convention collective. Pour ces motifs, le chapitre épiscopal considéra que la décision de 1977 n’avait pas modifié le poste du requérant de manière à faire d'une occupation à temps plein une occupation à temps partiel. Eu égard au fait que seule la paroisse avait compétence pour décider de l’horaire afférent à un poste, le chapitre épiscopal débouta le bedeau de son recours sur ce point. Il se déclara par ailleurs incompétent pour connaître des demandes d’indemnisation et rejeta cette partie du recours sans l’examiner au fond. La décision rendue par la Cour administrative suprême en mars 1991 Le 28 juin 1990, le requérant attaqua la décision du chapitre épiscopal devant la Cour administrative suprême (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen), soutenant que les décisions du chapitre épiscopal, de l’assemblée paroissiale et du comité paroissial devaient être annulées et qu’il devait être indemnisé du préjudice financier subi par lui depuis le 1er janvier 1978 du fait qu’il n’avait pas été reconnu comme bedeau employé à temps plein. A la demande de la Cour administrative suprême, le chapitre épiscopal soumit, le 5 septembre 1990, un avis dans lequel il concluait au rejet du recours. Le requérant présenta ses observations sur ledit avis le 16 octobre 1990. Par une décision du 8 mars 1991, la Cour administrative suprême confirma, sans avoir tenu d’audience, la décision du chapitre épiscopal quant aux effets de la décision de 1977, estimant qu’il n’y avait aucune raison de la modifier. En revanche, elle considéra que le chapitre épiscopal avait compétence pour connaître de la demande d’indemnisation et elle lui renvoya donc l’affaire à cet effet. La décision rendue par le chapitre épiscopal le 1er juin 1990 se trouvait annexée à la décision de la Cour administrative suprême, qui ne mentionnait en revanche ni l’avis du chapitre épiscopal ni les observations du requérant y relatives. La décision rendue par le chapitre épiscopal en août 1991 Le 31 mai 1991, le requérant déposa devant le chapitre épiscopal un nouveau recours, dans lequel il réitérait ses griefs à l’endroit tant de la décision de 1977 que du niveau d’indemnisation fixé par la décision antérieure de l’assemblée paroissiale. De surcroît, pour le cas où le chapitre épiscopal n’aurait pas été convaincu que son poste était un poste à temps plein depuis sa création, il l’invitait à tenir une audience et à entendre des témoins à ce sujet. Il produisait à l’appui une déclaration émanant de six anciens membres de l’assemblée paroissiale qui avaient participé à la création du poste litigieux en 1966. D’après eux, l’assemblée paroissiale s’était rendu compte que le nombre des heures de travail que devrait accomplir le titulaire du poste serait amplement suffisant pour que l’on pût parler d’un emploi à temps plein et elle avait rejeté en conséquence une proposition tendant à l’établissement d’un poste à temps partiel. Le requérant soumit également une déclaration écrite de son syndicat d’où il ressortait que la paroisse n’avait jamais contesté le fait qu’il avait travaillé au moins quarante heures par semaine, bien qu’il n’eût été rémunéré que pour trente-cinq. Le fait qu’on lui eût accordé (en 1966) l’autorisation d’exercer une occupation secondaire (l'exploitation d’une maison funéraire) n’aurait pas conféré à la paroisse le droit de modifier son contrat de travail de manière unilatérale. Dans sa décision du 29 août 1991, le chapitre épiscopal prit en compte les diverses déclarations écrites présentées par le requérant au soutien de ses prétentions. S’appuyant sur les preuves produites et sur le fait qu’il n’avait pas été possible à l'intéressé d'en fournir de complémentaires concernant son horaire de travail, eu égard notamment à la circonstance qu’il exerçait une occupation secondaire étroitement liée à ses fonctions de bedeau, le chapitre épiscopal confirma la décision rendue par l’assemblée paroissiale le 10 octobre 1991 et rejeta les autres demandes d’indemnisation faute de preuves suffisantes. La demande d’audience qu’avait formulée M. Helle n’était pas mentionnée dans la décision. La décision rendue par la Cour administrative suprême en mars 1992 Le requérant attaqua la décision du chapitre épiscopal devant la Cour administrative suprême, se plaignant d’avoir été trop faiblement indemnisé. Le 11 décembre 1991, le chapitre épiscopal soumit à la Cour administrative suprême, comme elle l’y avait invité, un nouvel avis, dans lequel il concluait au rejet du recours de l’intéressé. Celui-ci fit parvenir ses observations sur ledit avis le 16 janvier 1992. Le 31 mars 1992, n’apercevant aucun motif de la modifier, la Cour administrative suprême confirma, sans avoir tenu d’audience, la décision rendue par le chapitre épiscopal le 29 août 1991. Son arrêt se référait à l’article 538b de la loi de 1984 sur l'Eglise ainsi qu’au règlement sur les emplois et rémunérations dans les paroisses adopté par le chapitre épiscopal en 1988. D’après ledit article 538b, les conditions d’emploi pour les postes au sein de l'Eglise devaient être précisées dans un règlement par le Conseil ecclésiastique (kirkolliskokous, kyrko-mötet) pour autant qu’elles ne se trouvaient pas déjà définies dans les règlements et conventions collectives existants. La décision du chapitre épiscopal en date du 29 août 1991 se trouvait annexée à la décision de la Cour administrative suprême, qui, en revanche, ne mentionnait ni l’avis du chapitre épiscopal ni les observations du requérant y relatives. LE DROIT INTERNE PERTINENT En vertu de la loi de 1964 sur l'Eglise (kirkkolaki, kyrkolag 635/64), le chapitre épiscopal pouvait être saisi d’un recours contre une décision d'une assemblée paroissiale par toute personne estimant que cette décision emportait violation de ses droits de caractère privé (article 323 § 1, tel qu’il était en vigueur à l’époque). Le chapitre épiscopal est un organe à la fois administratif et judiciaire du diocèse (article 432). A l'époque des faits, il se composait de l’évêque, qui en assumait la présidence, de trois assesseurs ecclésiastiques et d'un assesseur juriste. Vice-président du chapitre épiscopal, l’un des assesseurs ecclésiastiques était le doyen de la congrégation épiscopale (tuomiokirkko-seurakunnan tuomiorovasti, domkyrkoförsamlingens domprost). Les deux autres étaient élus par les prêtres et vicaires du diocèse parmi les prêtres permanents de celui-ci. Les assesseurs ecclésiastiques étaient élus pour une période de trois ans. Tant qu’ils officiaient dans la même paroisse ou la même confédération de paroisses, ils ne pouvaient siéger au chapitre épiscopal pour plus de deux périodes. Le dernier assesseur était un juriste désigné par le chapitre épiscopal (articles 433435). Les dispositions légales relatives à l’incapacité des juges valaient également pour les membres du chapitre épiscopal (article 436 § 3). Avant de prendre leurs fonctions, ceux-ci devaient prêter un serment du même type que celui prononcé par les juges (article 437). Le chapitre épiscopal statuait sur dossier. S’il jugeait nécessaire l’audition de témoins, il lui fallait, par l’intermédiaire du conseil administratif de comté (article 455), demander à un tribunal ordinaire de première instance d'y procéder. Le 1er janvier 1994, la loi de 1964 fut remplacée par la loi de 1993 sur l'Eglise (kirkkolaki, kyrkolag 1054/93), qui prévoit expressément que le chapitre épiscopal peut tenir des audiences (chapitre 19, articles 6 et 7). L’article 15 de la loi de 1918 sur la Cour administrative suprême (n° 74/18) dispose que, pour éclaircir les circonstances d'une espèce, la Cour suprême peut solliciter des avis et des rapports, tenir des audiences et mener une enquête. D’après la loi de 1996 sur la procédure judiciaire en matière administrative (hallintolainkäyttölaki, förvaltningsprocesslag 588/96 – « la loi de 1996 », entrée en vigueur le 1er décembre 1996), la Cour administrative suprême doit tenir une audience si une partie privée l'y invite, mais elle peut néanmoins s’y refuser dans certaines circonstances (article 38 § 1). III. LA RéSERVE FINLANDAISE à L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION L’instrument de ratification de la Convention déposé par le gouvernement finlandais le 10 mai 1990 comportait la réserve suivante, faite conformément à l’article 64 de la Convention, au sujet du droit à une audience publique garanti par l’article 6 § 1 : « Pour l’instant, la Finlande ne peut pas garantir le droit à une procédure orale dans les cas où les lois finlandaises n’énoncent pas un tel droit. Ceci s’applique : aux procédures devant les cours d’appel, la cour suprême, les tribunaux des eaux et la cour d’appel des eaux conformément aux articles 7 et 8 du chapitre 26, et 20 du chapitre 30 du code de procédure civile, à l’article 23 du chapitre 15 et aux articles 14 et 39 du chapitre 16 de la loi sur les eaux ; aux procédures devant les tribunaux administratifs régionaux et la cour suprême administrative conformément à l’article 16 de la loi sur les tribunaux administratifs régionaux et à l’article 15 de la loi sur la cour suprême administrative ; aux procédures devant la cour des assurances statuant comme juridiction de dernière instance, conformément à l’article 9 de la loi sur la cour des assurances ; aux procédures devant la commission d’appel en matière d’assurance sociale, conformément à l’article 8 du décret sur la commission d’appel en matière d’assurance sociale. Les dispositions des lois finlandaises mentionnées ci-dessus font l’objet d’une annexe séparée à la présente réserve. » D’après l’annexe à la réserve ci-dessus, la partie pertinente de l’article 15 de la loi sur la Cour administrative suprême énonçait : « Dans l’examen d’une affaire, la Cour suprême administrative peut (…) organiser des débats oraux (…). Au cours de tels débats, les parties, témoins et experts peuvent être entendus, et d’autres éléments de preuves être présentés. La Cour suprême administrative peut décider que les débats oraux seront menés (…) par un ou plusieurs membres de la Cour, avec le référendaire. » Le 20 décembre 1996, après l’entrée en vigueur de la loi de 1996, la Finlande retira la réserve précitée pour ce qui est notamment des procédures devant la Cour administrative suprême concernant les décisions postérieures au 1er décembre 1996. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission de sa requête (n° 20772/92) le 28 septembre 1992. Il se plaignait de ce que, contrairement à ce qu'exige l’article 6 § 1 de la Convention, il n’avait pu, lors de la procédure interne, faire entendre sa cause équitablement et oralement par un tribunal indépendant et impartial. Il affirmait de surcroît avoir été victime d’une discrimination se heurtant à l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1. Enfin, il soutenait qu'en refusant de lui accorder l’ensemble des prestations auxquelles il avait droit en tant que titulaire d’un poste à temps plein depuis 1966 les autorités finlandaises avaient enfreint l’article 1 du Protocole n° 1 à la Convention. Le 7 mars 1996, la Commission a retenu le grief du requérant fondé sur l’article 6 § 1 de la Convention et déclaré irrecevables ses autres doléances. Dans son rapport du 15 octobre 1996 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 ni du fait de l’absence d’audience devant un tribunal indépendant et impartial (unanimité), ni en ce qui concerne le manque allégué d’équité de la procédure (vingt-cinq voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR Le requérant demande à la Cour de juger que, au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention, il a été privé d’une procédure équitable et orale devant un tribunal indépendant et impartial. Il l’invite également à lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. Le Gouvernement, de son côté, maintient que la manière dont la procédure s’est déroulée ne révèle aucun manquement aux exigences de l’article 6 § 1 et qu’en conséquence une satisfaction au titre de l’article 50 ne se justifie pas.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Ressortissant autrichien né en 1953, M. Mauer habite Vienne. Il exploite une société de taxis. A. La première procédure (requête no 16566/90) Le 4 mars 1988, une voiture, qui se révéla appartenir au requérant, brûla un feu rouge. Le 15 mai 1988, la direction de la police fédérale (Bundespolizeidirektion) à Vienne adressa à l’intéressé une lettre l’invitant à dévoiler l’identité du conducteur. Le 20 mai 1988, la direction viennoise de la police fédérale condamna le requérant, par voie de décision provisoire (Strafverfügung), à une amende de 800 schillings autrichiens (ATS) ou, à défaut, à une peine d’emprisonnement (Arrest) de quarante-huit heures pour n’avoir pas révélé l’identité du conducteur de sa voiture à un moment donné, comme il en avait l’obligation, au regard de l’article 103 par. 2 de la loi de 1967 sur les véhicules à moteur (Kraftfahrgesetz), en tant que propriétaire légal (Zulassungsbesitzer) (paragraphe 22 ci-dessous). Le requérant déclare qu’il tenta de présenter un recours écrit au poste de police ou, sinon, de soumettre oralement ses objections, mais que les fonctionnaires présents au poste refusèrent de coopérer. Lorsque la direction de la police voulut procéder à l’exécution de la décision provisoire, M. Mauer fit mention de ce refus. L’autorité engagea alors une procédure administrative pénale ordinaire, laquelle - après audition de l’intéressé - aboutit, par une décision pénale (Straferkenntnis) du 21 avril 1989, à la condamnation de celui-ci à une amende de 800 ATS (ou à quarante-huit heures d’emprisonnement à défaut de paiement) et à 80 ATS pour frais. Le requérant attaqua cette décision devant le gouvernement provincial (Amt der Landesregierung) de Vienne, qui, le 12 juin 1989, déclara la condamnation nulle et non avenue au motif que l’intéressé n’avait élevé aucune objection à l’encontre de la décision provisoire initiale, qui demeurait donc valable. M. Mauer saisit alors la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof); le 18 octobre 1989, elle le débouta sans audience (article 35 par. 1 de la loi sur la Cour administrative) et confirma la décision du gouvernement provincial. Elle estima que le refus de la police d’admettre le recours écrit n’avait pas privé le requérant de la possibilité d’en introduire un; l’intéressé eût pu déposer ce document dans la boîte aux lettres ou l’envoyer par la poste. B. La seconde procédure (requête no 16898/90) Le 6 août 1987, des fonctionnaires de police à Vienne constatèrent qu’un pneu d’un des taxis du requérant était usé. Ils dressèrent procès-verbal et confisquèrent le certificat et les plaques d’immatriculation du véhicule. Le 20 septembre 1988, la direction de la police fédérale à Vienne, après avoir entendu l’intéressé, le condamna à une amende de 500 ATS, ou à trente heures d’emprisonnement à défaut de paiement, pour avoir manqué aux obligations qui lui incombaient en tant que propriétaire légal d’un véhicule à moteur (paragraphe 21 ci-dessous). M. Mauer attaqua la décision devant le gouvernement provincial de Vienne, qui la confirma le 21 avril 1989. L’intéressé saisit la Cour administrative d’un autre recours le 9 juin 1989; il alléguait notamment que le gouvernement provincial avait refusé d’entendre les témoins que lui-même souhaitait citer. La Cour administrative le débouta le 13 décembre 1989 sans audience et le condamna à 2 760 ATS pour frais. D’après les motifs, les autres éléments que M. Mauer souhaitait produire comme preuves ne présentaient, en toute hypothèse, aucun intérêt. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La législation sur la circulation routière Aux termes de l’article 103 par. 1, premier alinéa, de la loi de 1967 sur les véhicules à moteur, le propriétaire légal d’un véhicule doit veiller à la conformité de celui-ci avec les dispositions de la loi et de ses décrets d’application. L’article 7 par. 1 dispose que tout véhicule doit être équipé de pneus adaptés. L’article 4 par. 4 du décret d’application (Kraftfahrzeuggesetz-Durchführungsverordnung) exige que les pneus du type de véhicule en cause ici aient au moins 1,6 mm d’épaisseur sur toute la surface. L’article 103 par. 2 de la loi habilite l’autorité compétente notamment à exiger du propriétaire légal qu’il communique les nom et adresse de la personne qui utilise le véhicule à un moment donné. D’après l’article 134 par. 1, premier alinéa, constitue une infraction administrative (Verwaltungsübertretung) l’inobservation des dispositions qui précèdent, infraction punissable d’une amende maximale de 30 000 ATS ou d’un emprisonnement de six semaines au plus à défaut de paiement. B. Procédure La procédure interne pertinente se trouve décrite dans l’arrêt Umlauft c. Autriche du 23 octobre 1995 (série A no 328-B, pp. 34-36, paras. 14-23). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Mauer a saisi la Commission le 18 janvier 1990 (requête no 16566/90) puis le 14 mai 1990 (requête no 16898/90). Dans la première requête, il invoquait l’article 6 paras. 1 et 3 c) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-c). Il prétendait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable et public devant un tribunal et n’avoir pu défendre lui-même sa cause. Dans la seconde, il invoquait l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Il prétendait n’avoir pas été entendu équitablement et n’avoir pas obtenu l’audition des témoins qu’il proposait. La Commission a retenu les deux requêtes le 18 octobre 1994. Dans ses rapports du 27 juin 1995 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité les avis suivants: a) dans la première affaire (requête no 16566/90), qu’il y a eu violation du droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), mais que l’absence de débats devant la Cour administrative ne soulève aucune question distincte sous l’angle de cette disposition (art. 6-1); b) dans la seconde (requête no 16898/90), qu’il y a eu violation du droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), mais que ni l’absence de débats devant la Cour administrative ni l’appréciation des moyens de preuve ne soulèvent de question distincte sous l’angle de cette disposition (art. 6-1). Le texte intégral de ces avis figure en annexe au présent arrêt.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Citoyen britannique de race noire né en 1966, le requérant réside actuellement à Manchester, en Angleterre. Le procès L’intéressé fut jugé pour vol qualifié par la Crown Court de Manchester du 26 au 28 novembre 1991. Il était assisté d’un avocat. Le dernier jour du procès, à 10 h 46, le jury se retira en vue d’établir son verdict. Une heure trois quarts plus tard, une note émanant de lui fut transmise au juge. Elle était ainsi libellée: "PROPOS À CONNOTATION RACIALE AU SEIN DU JURY. UN MEMBRE À EXCUSER." En l’absence du jury, le juge montra la note aux représentants de l’accusation et de la défense et sollicita leur avis sur la réponse à y apporter. On n’est pas certain de l’attitude prise par l’avocat de la défense quant à la suite à donner à la note. Le représentant de l’accusation se souvient que l’intéressé ne protesta pas vraiment contre la démarche que le juge avait déclaré vouloir adopter, à savoir rappeler le jury et lui donner des instructions claires sur son devoir de rendre un verdict sur la seule base des preuves. L’avocat de la défense, pour sa part, croit se remémorer qu’en réalité il invita le juge à congédier le jury, eu égard aux circonstances, mais que sa demande fut rejetée. Il fonde ses souvenirs sur l’acte d’appel et l’avis sur l’appel qu’il rédigea peu après le procès, le 10 décembre 1991. Toutefois, aucun de ces documents ne laisse supposer qu’il ait explicitement prié le juge de congédier le jury. Sous le point 4 de son acte d’appel, l’avocat de la défense conclut: "L’appelant estime que, dans les circonstances susmentionnées, une enquête aurait dû être effectuée afin de déterminer s’il était possible d’accéder à la requête du jury tendant à ce que l’un de ses membres fût déchargé de sa mission." Dans son avis accompagnant l’acte d’appel, l’avocat déclara: "Il me paraît que l’on peut à tout le moins défendre le point de vue selon lequel le juge aurait dû effectuer une enquête à ce sujet, afin de déterminer s’il était possible d’accéder à la requête formulée par le jury." Autant que le juge s’en souvienne, les représentants des parties marquèrent leur accord sur la conduite proposée par lui (paragraphe 11 cidessus). Le jury fut rappelé à 12 h 47. Marquant des pauses aux moments appropriés, de manière à s’assurer que ses paroles étaient bien comprises, le juge lui fournit le complément d’instructions que voici: "Vous êtes douze personnes de différentes conditions sociales, de différents horizons. Tout le monde a des idées et des pensées préconçues, mais vous êtes appelés de douze milieux différents et l’on attend de vous que vous appliquiez vos douze façons différentes de voir aux problèmes qui vous sont soumis. (...) vous devez statuer sur la présente espèce sur la base des preuves et seulement des preuves. Vous devez vous débarrasser de tous préjugés, quelle qu’en soit la forme, pour ou contre qui que ce soit. Vous devez rendre votre verdict sur la base des preuves. Ce sont les preuves seules qui doivent emporter la décision. Comprenez-vous cela, Membres du jury? Vous êtes les juges et vous devez statuer sur la base des preuves, vous devez évaluer les individus tels que vous les avez vus, et vous ne devez permettre à aucun autre élément d’influer sur votre décision que la qualité des preuves et la manière dont [se comporte] une personne déterminée soumise à votre examen. Vous devez les traiter tous de la même façon et ne pas distinguer selon qu’ils sont accusés ou non, selon l’endroit où ils habitent, selon l’endroit dont ils proviennent. Vous comprenez cela? Je ne vais certainement pas révoquer un membre du jury au motif que telle ou telle personne voudrait que je le fasse parce qu’elle réprouve certaines connotations présentes dans la conversation. Tranchez la présente espèce sur la base des preuves. Membres du jury, je ne suis pas en train de vous dire que vous devez avoir des préjugés en faveur ou en défaveur de quiconque. Examinez la manière dont les preuves ont été rapportées. C’est ainsi que vous devez statuer sur la cause et pas autrement. Tel est votre devoir de jurés assermentés. J’attends de vous que vous accomplissiez ce devoir." Le jury se retira à 12 h 50. A 14 h 21, incapable d’aboutir à un verdict unanime, il fut rappelé par le juge, qui l’informa que le temps était venu où il pouvait accepter un verdict majoritaire d’au moins dix voix. Le jury se retira une nouvelle fois à 14 h 24. A 15 h 27, comme il était toujours indécis, il fut à nouveau rappelé. Le juge lui fournit un nouveau complément d’instructions, dont voici les termes: "Membres du jury, chacun de vous a promis sous serment de rendre un verdict loyal fondé sur les preuves. Rappelez-vous que c’est là le serment que vous avez prêté, il y a deux jours. Aucun de vous ne doit manquer à ce serment. Vous êtes investis d’un devoir, non seulement en tant qu’individus, mais collectivement en tant que jury. Là réside, bien sûr, la force du système de jury. Ainsi, lorsque chacun de vous se rendra dans la salle du jury, qu’il prenne avec lui son expérience et sa sagesse personnelles. (...) Votre tâche consiste à mettre en commun cette expérience et cette sagesse. Vous devez le faire en formulant votre opinion et en écoutant celle des autres. Il y aura obligatoirement débat. (...) Vous devrez forcément discuter et faire des concessions, dans les limites du serment que chacun de vous a prêté. C’est ainsi que vous arriverez à un accord." A 16 h 6, le jury revint dans le prétoire et rendit un verdict concluant à la culpabilité du requérant par dix voix contre deux. L’intéressé fut condamné à six ans d’emprisonnement. La procédure d’appel Le requérant sollicita de la Cour d’appel (Court of Appeal) l’autorisation de la saisir d’un recours contre sa condamnation. Il soutenait que, compte tenu des circonstances, le juge de première instance avait eu tort de ne pas mener, au sujet de la note, une enquête qui lui eût permis de déterminer si l’un des membres du jury devait être déchargé de sa mission pour cause de préventions raciales, et que cette omission avait entaché le procès d’une irrégularité matérielle (paragraphe 11 ci-dessus). Le 28 février 1992, un juge unique refusa d’accorder l’autorisation d’interjeter appel. Il s’exprima ainsi: "Le juge a traité avec tact et sensibilité la situation nouvelle et délicate créée par la note du jury. Il eût été tout à fait inapproprié pour lui de mener une quelconque enquête. Votre procès n’a été entaché d’aucune irrégularité matérielle." Le requérant réitéra sa demande auprès de la Cour d’appel plénière. Le 19 janvier 1993, celle-ci l’en débouta. Elle nota que le juge de première instance: "[avait] estimé et la Cour lui [donnait] raison, que la nature des préoccupations du jury résidait dans le fait que l’un de ses membres avait eu le sentiment que les discussions étaient empreintes, d’une manière générale, de connotations raciales qu’il trouvait inacceptables, et non, comme le requérant le [faisait] valoir, qu’un membre du jury avait de telles préventions raciales qu’il devait être réputé incapable de porter un jugement correct sur les questions qui lui étaient soumises". Et la Cour de poursuivre: "Les questions de ce genre soulèvent des problèmes délicats. Le système de jury suppose que chacun fasse des concessions après avoir prêté attention aux instructions données par le juge. D’après nous, le juge Hammond a traité le problème avec sensibilité, bon sens et justesse de jugement, et l’on ne saurait le blâmer pour avoir conclu que le jury devait poursuivre les délibérations qu’il avait promis sous serment de mener à leur terme. A notre sens il n’y a donc pas matière à grief et nous écartons la demande." II. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs aux procès devant jury en Crown Court Les rôles respectifs du juge et du jury Le juge est l’arbitre des questions de droit. Il doit veiller à ce que le procès se déroule convenablement, dans le respect des règles de droit. A la fin du procès, il lui incombe, notamment, de résumer les preuves, d’inviter le jury à écarter celles qui sont irrecevables, de rappeler aux jurés leurs devoirs et fonctions, d’expliquer toute règle de droit que le jury est tenu d’appliquer, d’instruire celui-ci au sujet de la charge de la preuve et de l’inviter à rendre un verdict fondé sur les preuves qui lui ont été soumises. Pour un procès devant une Crown Court, le jury se compose de douze membres ayant prêté serment ou promis de "juger l’accusé de bonne foi et rendre un verdict loyal fondé sur les preuves". Le jury est l’arbitre des faits. L’exercice des fonctions de juré L’exercice des fonctions de juré est considéré comme un devoir civique important. L’aptitude à servir comme juré (qualification), l’inéligibilité (ineligibility), l’incapacité (disqualification), la dispense (excusal), la révocation (discharge) et d’autres questions pertinentes sont régies par la loi de 1974 sur les jurys (Juries Act 1974), telle qu’amendée. Toute personne entre dix-huit et soixante-dix ans satisfaisant aux conditions énoncées à l’article 1 de la loi est apte à siéger dans un jury et peut y être obligée en cas de citation au titre de l’article 2. Les listes électorales servent de base pour la sélection des jurés. La sélection au hasard des jurés potentiels est considérée comme une garantie essentielle contre la corruption ou la partialité pouvant affecter un jury assermenté. Il existe un certain nombre d’autres garanties, parmi lesquelles: a) Les vérifications concernant les jurés La loi permet que l’on réalise des investigations tendant à déterminer si des jurés potentiels sont frappés d’incapacité pour cause de condamnations antérieures. Les casiers judiciaires peuvent être consultés à cette fin. De surcroît, dans les affaires touchant à la sécurité nationale et dans celles de terrorisme, des démarches supplémentaires peuvent être entreprises pour vérifier l’intégrité d’un juré potentiel. L’Attorney-General a fixé des directives pour la conduite des investigations au sujet des jurés. b) Les récusations En cas de procès sur acte d’accusation, l’accusé et l’accusation peuvent, avant la prestation de serment des intéressés, récuser les jurés appelés à siéger. Il existe deux sortes de récusations: la première, dite "to the array", qui vise l’ensemble des personnes sélectionnées, et la deuxième, dite "to the polls", qui vise des jurés déterminés. La récusation de jurés déterminés doit être motivée. La loi de 1974 sur les jurys précise les causes possibles de récusation, parmi lesquelles figure la partialité, présumée ou avérée, d’un juré potentiel. C’est le juge devant lequel l’accusé doit être jugé qui est compétent pour statuer sur toute récusation motivée. La partie récusante doit, à cet égard, fournir un début de preuve des motifs qu’elle invoque. Si le juge accueille la demande, il ordonne que le juré visé soit écarté et remplacé par un autre. Les récusations motivées ne sont pas limitées en nombre. Seule l’accusation peut demander (procédure dite de "stand by") qu’un juré soit écarté et replacé sur la liste des jurés potentiels. L’Attorney-General a édicté, en novembre 1988, des directives pour l’exercice de ce droit par l’accusation. Elles précisent, notamment, que celui-ci ne doit être utilisé que sur la base de critères restrictifs clairement définis. c) La pratique des questions préventives adressées à l’ensemble des jurés Dans certains types de procédures pénales, la pratique veut qu’avant le début du procès le juge pose, à l’ensemble des jurés, des questions visant à prévenir tout risque de partialité. C’est notamment le cas dans les affaires de terrorisme et dans celles où sont allégués des actes illégaux de policiers ou des actes de fraude au détriment de sociétés ou de services administratifs. Les questions du juge tendent à établir si, par exemple, un juré potentiel présente des liens de parenté ou d’étroite amitié avec des fonctionnaires de police ou des membres des forces armées, ou s’il est employé par la société ou le service administratif concerné par la procédure. Les verdicts majoritaires D’après l’article 17 de la loi de 1974 sur les jurys, le verdict rendu par un jury à l’issue d’une procédure devant une Crown Court ne doit pas nécessairement être unanime si a) dans une espèce où il n’y a pas moins de onze jurés, dix d’entre eux se mettent d’accord sur le verdict, et b) dans une espèce où il y a dix jurés, neuf d’entre eux se mettent d’accord sur le verdict. Le jury doit délibérer pendant au moins deux heures avant qu’un verdict majoritaire puisse être accepté. Les communications entre le juge et le jury après que celui-ci s’est retiré pour délibérer A tout moment pendant leurs délibérations, les jurés peuvent envoyer au juge une note lui demandant une assistance ou des éclaircissements complémentaires. Une pratique établie veut que le juge qui reçoit une note du jury la montre aux représentants de l’accusation et de la défense en l’absence du jury et les invite à lui faire part de leurs observations au sujet de la réponse à y apporter. Lorsqu’un juge reçoit une note d’un jury, y compris lorsqu’elle allègue des comportements fautifs ou des préventions au sein du jury, il dispose des options suivantes: a) fournir au jury un complément d’instructions; b) révoquer jusqu’à trois jurés et autoriser la poursuite du procès avec les jurés restants (article 16 de la loi de 1974 sur les jurys); c) congédier l’ensemble du jury et ordonner un nouveau procès devant un nouveau jury, s’il estime que cette solution s’impose avec un haut degré de nécessité; d) interroger le jury dans son ensemble pour déterminer s’il est capable de poursuivre ses travaux et de rendre un verdict. Lorsqu’est formulée une demande de récusation d’un juré pour cause de comportement fautif ou de partialité, il est établi en droit anglais - tant en statute law (paragraphe 31 ci-dessous) qu’en common law - que l’on ne mène pas d’enquête ou d’investigations au sujet de ce qui se dit dans la salle du jury une fois que celui-ci s’y est retiré (R. v. Orgles, Weekly Law Reports 1994, vol. 1, p. 108). Le secret des délibérations du jury La règle régissant le secret des délibérations du jury figure à l’article 8 par. 1 de la loi de 1981 sur le contempt of court. D’après cette disposition, constitue un contempt of court le fait d’obtenir, de dévoiler ou de solliciter des détails de déclarations formulées, d’opinions exprimées, d’arguments avancés ou de votes émis par des membres du jury au cours de leurs délibérations. Le droit en matière de partialité Dans l’affaire R. v. Gough (All England Law Reports 1993, vol. 2, p. 724), la Chambre des lords a reformulé et clarifié le droit en matière de partialité qui s’appliquait à l’époque de la condamnation du requérant. Si, au cours du procès, le juge entrevoit la possibilité de préjugés chez un juré, il doit se demander si celui-ci a réellement ou non des préventions effectives (critère subjectif). Si cela n’est pas établi, il doit alors rechercher s’il existe un "risque réel de préventions affectant l’état d’esprit du ou des jurés visés" (critère objectif). A cet égard, Lord Goff déclara ce qui suit dans l’affaire Gough: "(...) J’estime qu’il n’est pas nécessaire, dans la formulation du critère approprié, d’exiger que le tribunal examine la question avec les yeux d’un homme raisonnable puisque, en pareil cas, le tribunal personnifie l’homme raisonnable; en tout état de cause, le tribunal doit tout d’abord établir les circonstances pertinentes à partir des preuves disponibles, dont la connaissance n’est pas nécessairement accessible à un observateur dans le prétoire au moment voulu. (...) Je préfère énoncer le critère en termes de risque réel plutôt qu’en termes de probabilité réelle, afin de garantir que le tribunal raisonne en termes de possibilité plutôt qu’en termes de probabilité de préventions." Programmes de sensibilisation aux questions raciales L’article 95 de la loi de 1991 sur la justice pénale est entré en vigueur le 31 octobre 1991. Il oblige le ministre à publier chaque année les informations qu’il juge nécessaires aux fins, notamment, de faciliter aux personnes oeuvrant dans le cadre de l’administration de la justice pénale l’accomplissement de leur devoir d’éviter toute discrimination à l’encontre de quiconque sur la base de la race. En mars 1991, le Lord Chancellor annonça la création d’un Comité consultatif pour les minorités ethniques (Ethnic Minorities Advisory Committee), sous-comité de l’Institut de formation des magistrats (Judicial Training Board). Le 10 novembre 1993, ce sous-comité a tenu, à l’intention des hauts magistrats, son premier séminaire consacré aux questions de minorités ethniques. Une formation destinée à sensibiliser les magistrats, qu’ils exercent à temps plein ou à temps partiel, aux problèmes raciaux a été lancée au début de 1994 et constitue la plus grande entreprise de formation des magistrats jamais menée au Royaume-Uni. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 7 juillet 1993 à la Commission (no 22299/93), M. Gregory se plaignait, entre autres, de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, au sens de l’article 6 de la Convention (art. 6), et d’avoir fait l’objet, au mépris de l’article 14 (art. 14), d’une discrimination fondée sur sa race et/ou sa couleur. Le 5 avril 1995, la Commission (première chambre) a déclaré la requête recevable en ce qui concerne ces deux griefs. Dans son rapport du 18 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par huit voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention (art. 6), et, à l’unanimité, que le grief du requérant au titre de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6) ne soulève aucune question distincte. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Comme dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à déclarer qu’il n’y a eu en l’espèce violation ni de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) ni de l’article 14 combiné avec lui (art. 14+6-1). Réitérant lui aussi la demande contenue dans son mémoire, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et de l’article 14 combiné avec lui (art. 14+6-1), et d’allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50).
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Citoyen grec né en 1937, M. Philis réside à Athènes où, à l’époque des faits, il exerçait la profession d’ingénieur. En 1987, il avait déjà introduit une autre requête qui amena la Cour à constater une violation de son droit à un tribunal (arrêt du 27 août 1991, série A no 209). A. La procédure pénale Le 14 avril 1986, au cours d’une procédure qu’il avait intentée contre des fonctionnaires de l’organisme de logements sociaux (Aftonomos Organismos Ergatikis Katoikias - "AOEK"), le requérant adressa à la chambre d’accusation de la cour d’appel (Symvoulio Efeton) d’Athènes un mémoire dans lequel il déclarait notamment que la procédure suivie par les autorités compétentes dans le cadre des différentes poursuites judiciaires qu’il avait engagées ne laissait subsister aucun doute quant à l’existence d’un préjugé favorable aux fonctionnaires de l’AOEK, et que les lenteurs de la procédure avaient manifestement pour objectif la prescription des infractions. Le 25 avril 1986, le procureur près la cour d’appel (Eissageleas Efeton) transmit ce document au procureur près le tribunal correctionnel (Eissageleas Plimmeleiodikon) d’Athènes et recommanda d’inculper le requérant pour outrage aux autorités judiciaires. Le 30 avril 1986, le procureur près le tribunal correctionnel ordonna l’ouverture d’une enquête préliminaire (paragraphe 23 ci-dessous). Le 9 octobre 1986, M. Philis comparut devant le juge d’instruction. Il contesta les accusations et informa le magistrat de son intention de déposer un mémoire avant le 15 octobre 1986. Dans le mémoire qu’il présenta le 14 octobre 1986, il demandait l’audition de plusieurs témoins. Quatre témoins furent entendus entre le 10 et le 20 novembre 1986. Le 20 janvier 1987, le magistrat instructeur communiqua le dossier au procureur. Le 20 mars 1987, celui-ci chargea le juge d’instruction de compléter le dossier en ordonnant à l’intéressé de lui communiquer un certain nombre de décisions de justice mentionnées dans le mémoire du 14 octobre 1986. Le 11 juin 1987, M. Philis présenta ces décisions ainsi qu’un autre mémoire. Le 12 juin 1987, le juge d’instruction transmit ces documents au procureur. Le 5 octobre 1987, celui-ci inculpa l’intéressé d’outrage aux autorités judiciaires et fixa au 12 octobre 1988 l’audience devant le tribunal correctionnel d’Athènes composé de trois juges (Trimeles Plimmeleiodikeio). Le 13 septembre 1988, le requérant fut cité à comparaître le 12 octobre 1988 devant cette juridiction. Le 22 septembre 1988, il demanda, en vertu de l’article 322 du code de procédure pénale, à être entendu par une chambre d’accusation, ce que le procureur près la cour d’appel refusa le 30 septembre 1988. Le 12 octobre 1988, le tribunal correctionnel condamna M. Philis à cinq mois d’emprisonnement, peine convertie en une amende de 400 drachmes par jour. L’intéressé interjeta aussitôt appel, ce qui emporta suspension de l’exécution de la peine (paragraphe 24 ci-dessous). Le 5 novembre 1990, la cour d’appel d’Athènes ajourna l’audience, mais le 25 octobre 1991, elle accueillit l’appel de M. Philis et relaxa celui-ci. L’arrêt de la cour et le procès-verbal de l’audience furent mis au propre (katharographi) le 19 novembre 1991, puis signifiés au requérant le 28 novembre 1991. Le 9 décembre 1991, celui-ci demanda à la cour d’appel de les rectifier et de les compléter. Le 15 avril 1992, la cour déclara la demande irrecevable, au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans un délai de vingt jours à compter du prononcé de l’arrêt, c’est-à-dire du 25 octobre 1991. En vertu des articles 473 et 506 du code de procédure pénale, le procureur avait le droit de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel dans un délai de dix jours à compter de la mise au propre de cette décision. Toutefois, il ne fit pas usage de ce droit, de sorte que l’arrêt de la cour d’appel passa en force de chose jugée le 29 novembre 1991. B. La procédure disciplinaire Le 2 août 1982, l’AOEK se plaignit auprès de la Chambre technique de Grèce (Techniko Epimelitirio Ellados - "TEE") des diverses actions intentées par M. Philis contre l’AOEK et certains de ses ingénieurs. Le président du conseil de discipline de la TEE engagea alors une procédure disciplinaire contre l’intéressé pour comportement inconvenant. Le 14 novembre 1983, les charges furent définies et un rapporteur désigné. Le 9 mars 1984, le conseil de discipline décida d’ajourner l’examen de l’affaire, le président de l’AOEK, appelé à témoigner, n’ayant pas comparu. Le 20 novembre 1984, le conseil de discipline interdit au requérant d’exercer sa profession pour une période de dix mois. M. Philis fut informé de cette décision le 7 juin 1985. Le 21 juin 1985, dans les quinze jours prévus à cet effet, il forma un recours devant le Conseil suprême de discipline de la TEE, suspendant ainsi la prise d’effet de l’interdiction (paragraphe 28 ci-dessous). Les 14 avril et 18 mai 1992, il demanda par écrit à la TEE de l’informer de l’issue de son recours. Le 22 mai 1992, la TEE lui répondit que l’affaire avait été confiée pour examen à l’un des membres faisant fonction de rapporteur du Conseil suprême de discipline et qu’une audience se tiendrait lorsque ledit membre aurait rendu son rapport. Par une lettre du 17 février 1993, l’intéressé fut invité à participer à l’audience du 10 mars 1993 devant le Conseil suprême de discipline. Le 5 mars 1993, il en récusa tous les membres et demanda à ce que les garanties de l’article 6 de la Convention (art. 6) fussent respectées à l’audience. Le 10 mars 1993, le Conseil suprême de discipline rejeta cette demande. Il accueillit cependant le recours et disculpa entièrement le requérant. Le 2 avril 1993, M. Philis demanda la rectification de la décision du 10 mars 1993. Le Conseil suprême de discipline répondit le 26 avril 1993 aux questions posées par le requérant dans sa demande, mais il ne rectifia pas sa décision. II. Le droit interne pertinent A. Le code de procédure pénale Aux termes de l’article 36 du code de procédure pénale, des poursuites pénales peuvent s’engager d’office à la suite d’un rapport, d’une plainte ou de toute autre information dont il ressort qu’une infraction aurait été commise. Dans ce cas, le procureur est tenu d’ordonner une enquête préliminaire ou de renvoyer directement le prévenu devant une juridiction, lorsqu’un tel renvoi est permis. Si la plainte ou le rapport concerné est dépourvu de fondement, le procureur classe le dossier sans suite (article 43). Les recours introduits conformément à la loi et dans les délais impartis emportent suspension de l’exécution du jugement contre lequel ils sont formés (articles 471 et 497). Selon l’article 370, la procédure pénale prend fin lorsque le prévenu est déclaré coupable ou innocent. B. Dispositions relatives à la procédure disciplinaire Les procédures disciplinaires au sein de la Chambre technique de Grèce sont régies par un décret présidentiel des 27 novembre et 14 décembre 1926 tel que modifié par l’article 1 du décret-loi no 783/1970 et par la loi no 1486/1984. L’article 28 du décret présidentiel précité dispose que les infractions disciplinaires commises par des membres de la TEE relèvent, en première instance, de la compétence du conseil de discipline. D’après l’article 32 par. 1, les décisions du conseil de discipline peuvent faire l’objet d’un recours, lequel doit être introduit auprès du Conseil suprême de discipline dans les quinze jours de la notification de la décision concernée. Le recours est suspensif. Selon l’article 34, les procédures disciplinaires sont indépendantes et ne se voient pas suspendues par des procédures pénales. Cependant, pour des raisons exceptionnelles, le conseil de discipline peut prononcer la suspension de la procédure disciplinaire jusqu’à achèvement de la procédure pénale, tout en demeurant libre de prononcer une sentence s’écartant de celle rendue au pénal. En cas de condamnation dans la procédure pénale, la procédure disciplinaire ayant donné lieu à un acquittement ou à un blâme est rouverte. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 15 janvier 1992 à la Commission (no 19773/92), M. Philis se plaignait de cinq procédures différentes, tantôt civiles, tantôt pénales, tantôt disciplinaires. Intentées, les unes contre lui, les autres par lui, elles auraient entraîné des violations des articles 6, 8 et 14 de la Convention (art. 6, art. 8, art. 14) et 1 du Protocole no 1 (P1-1). Par des décisions des 13 août 1994 et 24 mai 1995, la Commission a retenu les griefs tirés d’une violation de l’article 6 (art. 6) pour dépassement du délai raisonnable dans deux des procédures dénoncées, et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 16 janvier 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de cette disposition (art. 6) dans chacune des deux procédures. Le texte intégral de l’avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à "rejeter toute la requête de M. Nicolas Philis". De son côté, le requérant, dans son mémoire, prie la Cour de "dire pour droit que: 1) dans la procédure pénale intentée contre les agents de l’AOEK, il y a eu violation du droit d’accès à un tribunal ou à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial que garantit l’article 6 par. 1 (art. 6-1); 2) dans la procédure pénale intentée contre les agents de l’AOEK, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [pour dépassement du] délai raisonnable; 3) dans la procédure pénale intentée contre le requérant, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [pour dépassement du] délai raisonnable; 4) dans la procédure pénale intentée contre le requérant, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [pour manquement au] principe de "prééminence du droit" et (...) "déni de justice"; 5) dans la procédure disciplinaire, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [pour dépassement du] délai raisonnable; 6) dans la procédure disciplinaire, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [pour] "déni de justice"; 7) il y a eu violation de l’article 8 et de l’article 1 du Protocole no 1 considérés conjointement et en combinaison avec l’article 6 par. 1 (art. 8+P1-1+6-1); 8) il y a eu violation de l’article 13 (art. 13)".
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. Les circonstances de l’espèce La requérante, Mme Alison Halford, est née en 1940 et réside au Wirral. Elle a travaillé dans la police de 1962 jusqu’à sa retraite, en 1992. A. Contexte des interceptions téléphoniques alléguées En mai 1983, Mme Halford fut nommée au grade de contrôleur général (Assistant Chief Constable) de la police de Merseyside. Elle devint ainsi la femme la plus gradée de la police britannique. Au cours des sept années suivantes, Mme Halford postula en vain à huit reprises au grade d’inspecteur général adjoint (Deputy Chief Constable), des postes étant devenus vacants dans la police de Merseyside et d’autres régions. L’accord du ministère de l’Intérieur était requis pour une telle promotion. La requérante avance cependant que celui-ci lui a chaque fois été refusé sur la recommandation de l’inspecteur général (Chief Constable) de la police de Merseyside, qui désapprouvait son engagement en faveur de l’égalité de traitement entre hommes et femmes. A la suite d’un nouveau rejet de sa candidature en février 1990, Mme Halford engagea le 4 juin de la même année une action pour discrimination fondée sur le sexe devant le tribunal du travail, notamment contre l’inspecteur général de la police de Merseyside et le ministre de l’Intérieur. Le 14 juin 1990, le président et le vice-président du comité de contrôle de la police (Police Authority) furent désignés pour constituer un "comité spécial" chargé d’examiner les questions soulevées par cette affaire de discrimination. Mme Halford allègue que certains membres du comité de contrôle de la police de Merseyside lancèrent une "campagne" contre elle parce qu’elle avait déposé plainte auprès du tribunal du travail, sous forme notamment de fuites dans la presse, d’interception de ses appels téléphoniques (paragraphe 16 ci-dessous) et de la décision d’ouvrir une procédure disciplinaire contre elle. Le 14 septembre 1990, le comité spécial adressa à la commission disciplinaire des hauts fonctionnaires (Senior Officers’ Disciplinary Committee) un rapport rédigé par l’inspecteur général indiquant que Mme Halford aurait commis une faute professionnelle le 24 juillet 1990. La commission disciplinaire décida le 20 septembre 1990 d’ouvrir une enquête officielle et de renvoyer l’affaire à la direction des plaintes contre la police (Police Complaints Authority) puis, le 8 février 1991, d’engager une procédure disciplinaire. Mme Halford fut suspendue de ses fonctions en continuant à percevoir intégralement son traitement à compter du 12 décembre 1990. Elle saisit la High Court d’une demande de contrôle juridictionnel. En septembre 1991, le juge MacPherson ajourna l’affaire en raison de la possibilité d’un accord entre les parties. Celles-ci n’étant pas parvenues à s’entendre, l’affaire revint devant lui le 20 décembre 1991. Il jugea que le président et le vice-président du comité de contrôle de la police avaient outrepassé leurs compétences et, sans les accuser de mauvaises intentions, déclara que l’affaire n’était pas exempte d’iniquité. Il annula donc les décisions concernées. Le tribunal du travail tint audience en juin 1992. La procédure fut suspendue le 14 juillet 1992 dans l’attente du résultat des négociations entre les parties, qui débouchèrent sur le règlement de l’affaire. L’inspecteur général versa à titre gracieux à Mme Halford 10 000 livres sterling (GBP) (somme maximale que le tribunal du travail pouvait légalement octroyer) et le ministre de l’Intérieur 5 000 GBP pour les dépens exposés par elle. Il fut convenu qu’elle prendrait sa retraite pour raisons médicales (en raison d’une blessure au genou survenue en 1989). De plus, le ministère de l’Intérieur accepta de mettre en oeuvre diverses propositions présentées par la commission sur l’égalité des chances, comme l’actualisation et la révision des procédures de sélection pour les grades élevés dans la police. B. Les interceptions alléguées En sa qualité de contrôleur général, Mme Halford eut droit à un bureau réservé à son usage et à deux téléphones, dont un pour ses communications privées. Ces postes faisaient partie du système interne de communications de la police de Merseyside, indépendant du réseau public. L’utilisation de ces téléphones n’était assortie d’aucune restriction et aucun conseil ne fut donné à la requérante à cet égard, sauf lorsqu’elle demanda à l’inspecteur général, peu après avoir engagé la procédure devant le tribunal du travail, si elle était autorisée à s’occuper de l’affaire pendant ses heures de service, notamment en se servant du téléphone, ce qu’il lui confirma. En outre, étant donné qu’elle était souvent d’astreinte à domicile, la police de Merseyside réglait une part importante de sa facture téléphonique personnelle. Le téléphone installé chez elle se composait d’un appareil relié au réseau public des télécommunications, par l’intermédiaire d’un "point terminal de réseau". Elle allègue que des appels téléphoniques passés depuis son domicile et son bureau ont été interceptés dans le but d’obtenir des informations à utiliser contre elle au cours de la procédure en matière de discrimination. Elle a présenté à la Commission divers éléments de preuve à l’appui de ces affirmations (rapport de la Commission, paragraphe 21). En outre, elle a informé la Cour que, selon ce qu’une personne lui avait déclaré sous le couvert de l’anonymat le 16 avril 1991, cette dernière avait surpris peu avant cette date des agents de la police de Merseyside en train de vérifier des transcriptions de conversations téléphoniques qu’elle avait eues à son domicile. Aux fins de l’affaire devant la Cour, le Gouvernement admet que la requérante a présenté suffisamment d’éléments pour établir, avec une probabilité raisonnable, que des appels passés depuis les téléphones de son bureau ont été interceptés, mais ne reconnaît pas que cela soit le cas en ce qui concerne le téléphone du domicile. Mme Halford se plaignit de l’interception de ses appels téléphoniques devant le tribunal du travail le 17 juin 1992. Le 2 juillet 1992, au cours de l’audience, le conseil du ministre de l’Intérieur déclara qu’elle ne pouvait présenter au tribunal de preuves se rapportant aux interceptions alléguées car l’article 9 de la loi de 1985 sur l’interception de communications (Interception of Communications Act 1985 - "la loi de 1985") exclut expressément de présenter à quelque tribunal ou commission que ce soit des éléments tendant à montrer qu’il y a eu infraction à l’article 1 de ladite loi (paragraphe 25 ci-dessous). Le 6 décembre 1991, Mme Halford demanda à la commission compétente en matière d’interception de communications (Interception of Communications Tribunal - "la commission") d’ouvrir une enquête en vertu de l’article 7 de la loi de 1985 (paragraphes 30-32 ci-dessous). La commission l’informa par un courrier du 21 février 1992 que son enquête l’avait convaincue que, dans son cas, il n’y avait pas eu d’infraction aux articles 2 à 5 de la loi de 1985 (paragraphes 26-29 ci-dessous). Elle confirma par une lettre du 27 mars 1992 ne pas être en mesure de préciser si des interceptions s’étaient en fait produites ou non (paragraphe 32 cidessous). Dans une lettre du 4 août 1992 adressée à M. David Alton, député, le ministre de l’Intérieur expliqua que la requête de Mme Halford relative à l’interception d’appels émanant de ses téléphones de bureau "ne relevait pas de [ses] responsabilités de ministre de l’Intérieur ni de la loi [de 1985]". II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Systèmes publics de télécommunications Infraction créée par la loi de 1985 sur l’interception de communications La loi de 1985 sur l’interception de communications (Interception of Communications Act 1985), adoptée à la suite de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A no 82), est entrée en vigueur le 10 avril 1986. Son objectif, exposé dans le Livre blanc du ministère de l’Intérieur qui l’a précédée, était d’indiquer clairement les conditions dans lesquelles seraient autorisées et contrôlées les interceptions de communications sur les systèmes publics, de manière à inspirer confiance aux citoyens (Interception of Communications in the United Kingdom (février 1985) HMSO, Cmnd. 9438). Un système de télécommunications "public" est un réseau exploité en vertu d’une licence délivrée conformément à la loi de 1984 sur les télécommunications (Telecommunications Act 1984 - "la loi de 1984") et désigné comme tel par le ministre (article 10 par. 1 de la loi de 1985, lequel renvoie à l’article 4 par. 1 de la loi de 1984). Aux termes de l’article 1 par. 1 de la loi de 1985, quiconque intercepte volontairement une communication au cours de sa transmission sur un réseau public de communications se rend coupable d’une infraction pénale. L’article 1 paras. 2 et 3 indique les quatre cas où une personne se livrant à une interception ainsi définie ne se rend pas coupable d’infraction. La seule qui soit pertinente en l’espèce est la suivante: l’interception d’une communication en exécution d’un mandat délivré par le ministre en vertu de l’article 2 de la loi (paragraphe 26 ci-dessous). Exclusion de preuves L’article 9 de la loi de 1985 interdit la production, au cours de toute procédure devant un tribunal ou une commission, de preuves donnant à penser qu’un fonctionnaire a commis une infraction à l’article 1 de ladite loi ou qu’un mandat a été délivré à une telle personne en vertu de l’article 2 de la loi. Mandats Les articles 2 à 6 de la loi de 1985 contiennent des règles détaillées sur l’octroi, par le ministre, de mandats d’interception de communications et la divulgation des éléments interceptés. L’article 2 par. 2 est ainsi libellé: "Le ministre ne peut délivrer de mandat (...) à moins qu’il ne le juge nécessaire a) à la sécurité nationale; b) à la prévention ou à la découverte d’une infraction grave; ou c) à la protection du bien-être économique du Royaume-Uni." Pour juger de l’opportunité de délivrer un mandat, le ministre doit évaluer si l’information que l’on juge nécessaire d’obtenir ne pourrait pas raisonnablement être recueillie par d’autres moyens (article 2 par. 2 de la loi de 1985). Le mandat doit indiquer le nom de la personne autorisée à effectuer l’interception et donner des renseignements précis sur les communications à intercepter, comme sur les locaux d’où celles-ci doivent partir et le nom des personnes concernées (articles 2 par. 1 et 3 de la loi de 1985). Un mandat ne peut être décerné que s’il est signé par le ministre en personne ou, en cas d’urgence, par un haut fonctionnaire lorsque le ministre en a expressément autorisé la délivrance. Les mandats signés par le ministre sont valables deux mois, tandis que ceux qui le sont par un fonctionnaire n’ont qu’une durée de validité de deux jours ouvrés. Les mandats peuvent être modifiés ou renouvelés dans certaines circonstances précises (articles 4 et 5 de la loi de 1985). L’article 6 de la loi prévoit notamment de limiter la divulgation, la copie et la conservation des éléments obtenus en vertu d’un mandat. La commission compétente en matière d’interception de communications La loi de 1985 prévoit la création d’une commission compétente en matière d’interception de communications). Celle-ci se compose de cinq membres, qui doivent tous être des juristes exerçant depuis au moins dix ans et sont nommés pour une durée de cinq ans renouvelable (article 7 et annexe 1 à la loi de 1985). Toute personne pensant, entre autres, que des appels qu’elle a passés ou reçus ont pu être interceptés au cours de leur transmission sur un réseau public de télécommunications, peut demander à la commission d’ouvrir une enquête. Si cette demande ne lui paraît ni futile ni abusive, la commission est tenue de rechercher si un mandat a été délivré et, si oui, s’il l’a été dans le respect de la loi de 1985. A cette fin, la commission doit suivre "les principes applicables par les tribunaux saisis d’une demande de contrôle juridictionnel" (article 7 paras. 2-4 de la loi de 1985). Si la commission conclut qu’il n’y a pas eu violation de la loi de 1985, elle en informe le plaignant, mais sans préciser si elle est parvenue à cette conclusion parce qu’aucune interception n’a eu lieu ou parce que l’interception pratiquée se justifiait au regard des dispositions de la loi de 1985. Lorsque la commission estime qu’il y a eu violation, elle est tenue de rendre compte de ses constats au premier ministre et peut en informer le plaignant. Elle peut également, entre autres mesures, ordonner l’annulation du mandat et le versement d’une indemnité au plaignant. La commission ne motive pas ses décisions, qui sont insusceptibles de recours (article 7 paras. 7 et 8 de la loi de 1985). Le commissaire 3 La loi de 1985 prévoit aussi la nomination d’un commissaire par le premier ministre. Lord Justice Lloyd (maintenant Lord Lloyd) fut le premier nommé à ce poste, suivi en 1992 de Lord Bingham, puis en 1994 de Lord Nolan, tous deux également hauts magistrats. Le commissaire a pour tâche de contrôler la manière dont le ministre s’acquitte des fonctions qui lui sont dévolues par les articles 2 à 5 de la loi de 1985, de faire rapport au premier ministre sur les infractions auxdits articles qui n’ont pas été signalées par la commission et de rédiger un rapport annuel, remis au premier ministre, sur ses activités. Ce rapport doit être présenté au Parlement, même si le premier ministre a le pouvoir d’en supprimer la référence à toute question susceptible de nuire à la sécurité nationale, à la prévention ou à la découverte d’infractions graves ou au bien-être du Royaume-Uni. Le rapport doit indiquer s’il a été ainsi expurgé (article 8 de la loi de 1985). Dans leurs rapports au premier ministre, les commissaires ont de manière générale fait état d’une augmentation du nombre de mandats, mais se sont déclarés convaincus que ceux décernés se justifiaient chaque fois au regard de l’article 2 de la loi de 1985. B. Systèmes de télécommunications indépendants du réseau public La loi de 1985 ne s’applique pas aux réseaux de télécommunications indépendants du réseau public, comme le système interne à la police de Merseyside, et il n’existe pas d’autre texte réglementant l’interception des communications sur ce type de système. La common law anglaise ne prévoit aucun recours contre l’interception de communications, car "elle n’apporte aucune restriction générale aux atteintes à l’intimité de la vie privée en tant que telles" (au dire du juge Sedley dans l’affaire R. v. Broadcasting Complaints Commission, ex parte Barclay, 4 octobre 1996, non publiée). PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 avril 1992 à la Commission (no 20605/92), Mme Halford se plaignait de ce que l’interception d’appels qu’elle avait passés depuis ses téléphones de bureau et celui de son domicile constituaient des atteintes injustifiables à son droit au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, contraires aux articles 8 et 10 de la Convention (art. 8, art. 10), de n’avoir disposé d’aucun recours effectif au sujet de ces interceptions, au mépris de l’article 13 de la Convention (art. 13), et d’avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe, interdite par l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 8 et 10 (art. 14+8, art. 14+10). La Commission a retenu la requête le 2 mars 1995. Dans son rapport du 18 avril 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation des articles 8 et 13 de la Convention (art. 8, art. 13) en ce qui concerne les téléphones de bureau de Mme Halford (vingt-six voix contre une) et qu’il n’y a pas eu violation des articles 8, 10 ou 13 (art. 8, art. 10, art. 13) concernant le téléphone du domicile, qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief sous l’angle de l’article 10 (art. 10) s’agissant des téléphones de bureau et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec les articles 8 ou 10 (art. 14+8, art. 14+10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire et à l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à conclure à la non-violation de la Convention. La requérante a pour sa part soutenu qu’il y avait eu violation, et demandé à la Cour de lui accorder une réparation au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
0
0
1
0
0
0
0
0
1
0
I. Les circonstances de l'espèce M. Paul Serves est officier de carrière dans l'armée française et avait à l'époque des faits le grade de capitaine. Il commandait la première compagnie (la « compagnie ») du deuxième régiment étranger de parachutistes (« 2e REP »), basée en République centrafricaine. A. La genèse de l'affaire Le 5 avril 1988, la compagnie partit e « tournée de province » dans la région d'Awajaba, au nord de la République centrafricaine. Le 11 avril, le requérant réunit ses chefs de section, les informa que des braconniers lui avaient été signalés dans la réserve présidentielle et le parc national du Bamingui-Bangoran et qu'ils allaient accomplir une mission « non officielle » d'investigation. Deux zones furent définies : une première section de la compagnie, commandée par le requérant, fut chargée d'enquêter dans l'une, et une deuxième section, commandée par le lieutenant C., dans l'autre. Une troisième section devait relever la deuxième au bout de quarante-huit heures. Le requérant précisa qu'il y avait lieu d'intercepter les braconniers éventuellement rencontrés et, en cas de fuite de ceux-ci, si nécessaire, d'ouvrir le feu après sommation. Les opérations débutèrent le 13 avril au matin. Le 14 avril 1988, une patrouille de la deuxième section, commandée par le sergent-chef B., surprit deux autochtones qui s'enfuirent à sa vue. Le sergent-chef B. tira deux coups de feu, blessant l'un des fuyards à la jambe. Informé par ledit sergent-chef, le lieutenant C. se rendit sur les lieux accompagné de l'infirmier de la section, le caporal J. Des soins furent prodigués au blessé qui fut ensuite transporté au bivouac où le lieutenant C. ordonna au caporal-chef D. de faire creuser une fosse. Une heure après l'accomplissement de cette besogne, le captif ayant été interrogé, il fut, sur l'ordre du lieutenant C., achevé à l'aide de cinq balles tirées par le caporal-chef D., puis enterré. Informé de cette affaire le 15 ou le 16 avril 1988, le requérant ordonna à ses hommes de faire silence. Ils rejoignirent leur cantonnement à Bouar le 21 avril. Dans son rapport sur la « tournée de province », le requérant ne fit état d'aucun incident. B. Les enquêtes de commandement Interrogés le 22 avril 1988 par le lieutenant-colonel Champy, commandant le détachement des éléments français d'assistance opérationnelle (« EFAO ») à Bouar, qui avait eu vent d'un incident durant ladite tournée, le requérant et le lieutenant C. déclarèrent avoir découvert le corps d'un indigène, l'avoir fait enterrer et ne pas en avoir rendu compte par souci de discrétion. Ils rédigèrent des comptes rendus relatant cette version des faits. Les autorités centrafricaines en furent averties le 23 avril et l'enquête ne fut pas poursuivie plus avant. Le 13 mai 1988, le colonel Larrière, commandant les EFAO en République centrafricaine, fut informé que des témoignages portés devant la gendarmerie centrafricaine mettaient ses militaires en cause. Il décida en conséquence de reprendre l'enquête et, le 15 mai, interrogea personnellement le requérant, le lieutenant C., le sergent-chef B. et le caporal J. Les deux premiers confirmèrent le contenu de leurs comptes rendus initiaux. Les déclarations de chacun divergeant toutefois sur certains points, le colonel Larrière entendit une seconde fois le lieutenant C. Ce dernier reconnut alors que le sergent-chef B. avait ouvert le feu sur le braconnier, que celui-ci avait été blessé à la jambe et que des soins lui avaient été prodigués sur place. Il ajouta que le prisonnier était décédé de sa blessure peu de temps après son transport au bivouac et que lui-même avait ordonné qu'il fût immédiatement enterré. De retour à Bangui accompagné du requérant et du lieutenant C., le colonel Larrière fit informer le chef d'état-major des armées. Le 17 mai 1988, celui-ci fit savoir audit colonel qu'il avait pris contact avec le commissaire du gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris, qu'il y avait lieu de saisir la prévôté - détachement de gendarmerie affecté, en opérations, à une grande unité ou à une base, et chargé des missions de police générale et judiciaire – des EFAO et que la compagnie serait relevée aussitôt que possible. Dans son rapport de commandement du 20 mai, le colonel Larrière se dit convaincu par les dernières déclarations du lieutenant C. sur les circonstances de la mort du braconnier. Pour le reste, il exposa les faits ci-dessus décrits (paragraphes 8–12), conclut à la responsabilité « totale » du requérant et demanda des sanctions disciplinaires à son encontre (la relève de l'intéressé à la tête de son unité et le blâme du ministre de la Défense) ainsi qu'à celle du lieutenant C. (quarante jours d'arrêts). Les militaires impliqués dans l'affaire furent rapatriés en France le 21 mai 1988. Le requérant, le lieutenant C., le sergent-chef B., le caporal J. ainsi que les deux autres chefs de section de l'unité y furent interrogés par le général Guignon, commandant la onzième division parachutiste et la quarante-quatrième division militaire territoriale. Son rapport de commandement au chef d'état-major de l'armée de terre daté du 25 mai 1988 fait état d'une rumeur selon laquelle le braconnier avait été « achevé » par le caporal-chef D. et conclut à la responsabilité du lieutenant C. et à celle, « écrasante », du requérant. Le général Guignon interrogea une seconde fois le requérant, le sergent-chef B., le caporal J. et le lieutenant C. qui reconnut que le caporal-chef D. avait, sur son ordre, tiré sur le blessé afin « de mettre un terme aux souffrances d'un moribond », ce qui fut par la suite confirmé par ledit caporal-chef. Un rapport de commandement du 1er juin relate ceci et conclut que « les responsabilités majeures se situent (...) au niveau des deux officiers en cause ». C. L'enquête préliminaire Le 18 mai 1988, le colonel Larrière avait informé le commandant du détachement prévôtal de Bangui des données de l'affaire. Ce dernier avait ouvert une enquête préliminaire et, le même jour ainsi que le 20 mai, adressé des messages au commissaire du gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris, lesquels se lisent respectivement ainsi : « Primo : enquête dirigée par chef de détachement prévôtal Bangui (RCA) assisté personnel prévôté Bangui et Bouar [;] procédure en cours ne nécessite pas maintenir sur place militaires concernés compte tenu position arrêtée par le chef de l'Etat centrafricain. Secundo : tous les personnels impliqués auront effectué déposition avant retour sur la France. Tertio : personnels concernés seront mis en route avec leur unité le samedi 21 mai 1988 pour Bastia (...) » et « Suite communication téléphonique de ce jour 20 mai 1988 vous informe identités des militaires concernés par l'affaire : 1) Serves, Paul, capitaine. 2) [C.], lieutenant. 3) [B.], sergent-chef. 4) [J.], caporal. Impossibilité actuelle vous faire relation circonstanciée des faits. Recherche renseignements en cours. Vous prie demander au CEMA de prendre dispositions auprès EFAO Bangui pour faire acheminer militaires intéressés sur Paris. Sollicite message confirmant vos instructions téléphoniques et éventuellement nouvelles directives - même voix immédiat. » Le 21 mai 1988, le commandant du détachement prévôtal avait procédé à l'audition du colonel Larrière qui lui avait remis une copie de son rapport du 20 mai. Un procès-verbal du même jour – auquel étaient annexés ledit document et le procès-verbal de l'audition du colonel Larrière – avait clôturé l'enquête. D. Les poursuites pénales L'information a) La première information Sur réquisitoire introductif du commissaire du gouvernement près le tribunal des forces armées de Paris du 20 mai 1988, une information fut ouverte. Le 24 mai 1988, le requérant fut inculpé de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner puis, en substitution, le 23 juin 1988, d'assassinat. Il fit l'objet d'une détention provisoire du 24 mai au 21 juillet 1988. Le lieutenant C. et le caporal-chef D. furent également inculpés d'assassinat, et trois autres légionnaires, membres de la deuxième section de la compagnie, de complicité d'assassinat ; le caporal J. fut inculpé de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et le sergent-chef B., de coups, violences ou voies de fait volontaires ayant ou non entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours, commis avec une arme. Le 9 octobre 1989, saisie par le commissaire du gouvernement, la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, exerçant les attributions de la chambre de contrôle de l'instruction du tribunal des forces armées, rendit l'arrêt suivant : « (...) La chambre de contrôle de l'instruction, (...) Constate que l'information a été ouverte par réquisitoire du 20 mai 1988 sans qu'ait été préalablement sollicité, comme le prescrit l'article 97 du code de procédure pénale militaire, l'avis du ministre chargé de la Défense ou de l'autorité prévue par l'article 4 du code de procédure pénale militaire. Dit que cette irrégularité, compte tenu de l'absence de flagrance, a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des personnes mises en cause, en ne leur garantissant pas, par ailleurs, un procès équitable, certaines pièces de l'enquête préliminaire n'ayant pas été versées au dossier. Annule en conséquence le réquisitoire introductif du 20 mai 1988 et les actes de procédure ultérieurs. Dit que l'annulation ne s'appliquera pas à l'enquête préliminaire ni aux messages des [18] et 20 mai 1988. (...) » b) La seconde information Répondant à la demande du commissaire du gouvernement du 21 octobre 1989, le ministre de la Défense rendit, le 10 novembre 1989, l'avis que les faits paraissaient susceptibles d'une qualification criminelle et qu'il y avait lieu à poursuites. Sur réquisitoire du commissaire du gouvernement du 13 mars 1990 – ledit réquisitoire visait le procès-verbal du 12 mai 1988, les messages des 18 et 20 mai 1988, les rapports de commandement du général Guignon des 25 mai et 1er juin 1988 et l'avis du ministre de la Défense –, une instruction préparatoire fut ouverte à l'encontre des seuls lieutenant C. et caporal-chef D., du chef d'assassinat. Ceux-ci furent inculpés le 19 avril 1990. Dans le cadre de cette information, le requérant fut, à trois reprises, assigné à comparaître comme témoin devant le juge d'instruction des forces armées, les 12, 19 et 26 septembre 1990. Chaque fois, il comparut mais refusa de prêter serment et de déposer. Par des ordonnances des mêmes jours, le juge d'instruction condamna le requérant, pour refus de prêter serment et faire sa déposition, à des amendes de 500 francs français (FRF), 2 000 FRF et 4 000 FRF. Le requérant fit appel de ces ordonnances devant la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris. Dans son mémoire, il soutenait essentiellement que l'arrêt du 9 octobre 1989 ayant expressément maintenu l'enquête préliminaire et les messages des 18 et 20 mai 1988 qui avaient servi de base à son inculpation en 1988, il existait contre lui des charges permettant son inculpation de telle sorte qu'il ne pouvait être entendu comme témoin sauf à faire échec à ses droits de la défense et à méconnaître les articles 6 de la Convention et 105 du code de procédure pénale. Il affirmait en outre avoir ainsi expliqué son refus au juge d'instruction à l'occasion de leur première entrevue – ce fait n'est toutefois pas mentionné sur les procès-verbaux de ses auditions. Le 29 octobre 1990, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris confirma les ordonnances litigieuses. Son arrêt est motivé comme suit : « Considérant que si l'arrêt de la chambre de contrôle de l'instruction du 9 octobre 1989 a annulé le réquisitoire introductif et les actes d'instruction subséquents, il résulte de l'article 173 du code de procédure pénale, qu'il est interdit de puiser aucun renseignement contre les parties au débat, à peine de forfaiture pour les magistrats et de poursuites devant leurs chambres de discipline pour les défenseurs dans les actes annulés, qui ont été « retirés du dossier d'information et classés au greffe » ; Considérant en conséquence que, même si le témoin Paul Serves considère que la référence par son conseil à des actes annulés ne lui porte pas préjudice, la chambre de contrôle de l'instruction ne peut adopter la même attitude sauf à violer l'article 173 précité, qui exposerait ses membres aux poursuites prévues par cet article ; Considérant en conséquence, que cette chambre s'interdit d'examiner les actes d'information annulés ; Considérant que Paul Serves, n'étant pas nommément visé par le réquisitoire introductif [du 13 mars 1990], pouvait être entendu comme témoin par le magistrat instructeur, sauf à respecter l'article 105 du code de procédure pénale ; Considérant que si le capitaine Serves a été jugé, par son supérieur hiérarchique, le général Guignon, comme ayant commis des fautes qui engagent sa responsabilité, fautes qui sont susceptibles d'entraîner une sanction disciplinaire, il appartenait au juge d'instruction d'apprécier si les éléments recueillis lors de l'enquête préliminaire et lors de l'enquête de commandement, qui sont les seules pièces de l'information concernant le capitaine Serves, étaient susceptibles de constituer des indices graves et concordants de culpabilité à l'encontre de celui-ci ; Que, respectant les dispositions de l'article 105 du code de procédure pénale, il avait à prendre sa décision sans puiser de renseignements dans les pièces annulées ; Considérant qu'il résulte des procès-verbaux d'audition du requérant que celui-ci a refusé de prêter serment sans donner aucune explication sur ce comportement insolite ; Qu'ainsi le juge d'instruction n'a pas été mis en mesure, après avoir recueilli les explications du témoin sur cette difficulté de procédure, d'apprécier une nouvelle fois s'il y avait lieu ou non à l'application de l'article 105 du Code de procédure pénale ; Considérant que la chambre de contrôle de l'instruction, sauf à dépasser l'objet de sa saisine, ne peut en l'état examiner l'opportunité de l'audition comme témoin de Paul Serves ; Que cette chambre constate que les dispositions des articles 108 du code de justice militaire et 109 du code de procédure pénale ont été observées par le juge d'instruction ; (...) » Le requérant se pourvut en cassation le 31 octobre 1990. Il alléguait notamment une violation des articles 6 de la Convention et 105 du code de procédure pénale. La Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi par un arrêt du 23 octobre 1991, ainsi motivé : « (...) Attendu que, pour confirmer [les] ordonnances [des 12, 19 et 26 septembre 1990], la chambre d'accusation, après avoir constaté qu'elle ne pouvait, sans méconnaître l'article 173 du code de procédure pénale, puiser des renseignements dans des actes précédemment annulés ou, sans méconnaître les limites de sa saisine, examiner l'opportunité d'entendre en tant que témoin Serves, relève que celui-ci a refusé de prêter serment sans donner de motif et qu'ainsi le juge d'instruction n'a pas été mis en mesure d'apprécier s'il y avait lieu à application des dispositions de l'article 105 du code précité ; Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance, la chambre d'accusation a donné une base légale à sa décision (...) » Le 10 novembre 1992, l'huissier du Trésor recouvrit les amendes augmentées des frais et intérêts, soit 6 761 FRF. La condamnation du requérant pour complicité d'assassinat Le 6 mai 1992, le requérant fut de nouveau inculpé d'assassinat. Le 28 février 1994, la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris prononça la mise en accusation du caporal-chef D. pour assassinat, ainsi que du lieutenant C. et du requérant pour complicité d'assassinat. Par un jugement du 11 mai 1994, le tribunal des forces armées de Paris condamna le premier à un an d'emprisonnement avec sursis, le deuxième à trois ans d'emprisonnement dont un avec sursis, et le troisième à quatre ans d'emprisonnement dont un avec sursis. Le pourvoi en cassation formé par le requérant et le lieutenant C. contre l'arrêt du 28 février 1994 et le jugement du 11 mai 1994 est toujours pendant. II. Le droit et la pratique internes pertinents L'article 108 du code de justice militaire dispose : « Le juge d'instruction convoque toutes les personnes dont la déposition lui paraît utile ou les fait citer devant lui, sans frais, par un agent de la force publique. Les dispositions de l'article 109 du code de procédure pénale sont applicables au témoin qui ne comparaît pas ou qui, bien que comparaissant, refuse de prêter serment et de faire sa déposition (...) » 31. L'article 109 du code de procédure pénale est ainsi rédigé : « Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer (...) Si le témoin ne comparaît pas, le juge d'instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l'y contraindre par la force publique et le condamner à une amende de 3 000 FRF à 6 000 FRF. (...) La même peine peut, sur les réquisitions de ce magistrat, être prononcée contre le témoin qui, bien que comparaissant, refuse de prêter serment et de faire sa déposition. (...) » L'article 105 du code de procédure pénale – applicable à la procédure pénale militaire en vertu de l'article 103 du code de justice militaire – précise toutefois : « Le juge d'instruction chargé d'une information, ainsi que les magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, ne peuvent dans le dessein de faire échec aux droits de la défense, entendre comme témoins des personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Serves a saisi la Commission le 21 avril 1992. Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention, il plaidait que sa condamnation en raison de son refus de prêter serment devant le juge d'instruction s'analysait en une méconnaissance des droits de la défense et soutenait que, au mépris de son droit à un procès équitable, ni le juge d'instruction ni la chambre d'accusation n'avaient tenu compte de ses explications orales. Dans sa décision du 19 octobre 1995, la Commission (deuxième chambre) a examiné les griefs du requérant aussi sous l'angle de l'article 10 de la Convention et a retenu la requête (n° 20225/92). Dans son rapport du 23 mai 1996 (article 31), elle conclut à la violation de l'article 6 § 1 (vingt-cinq voix contre deux) et à l'absence de problème distinct sous l'angle de l'article 10 (vingt-six voix contre une). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant « demande à la Cour de déclarer que les amendes qui lui ont été infligées (...) l'ont été en violation des articles 6 § 1 et 10 de la Convention ». Le Gouvernement prie la Cour « de rejeter la requête déposée par M. Serves ».
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l'espèce A. Le contexte Les requérants, M. et Mme Robins, sont nés en 1942 et 1943 respectivement. Ils résident à Crediton, dans le Devon, et à Londres. A l'origine de l'affaire se trouve un litige entre voisins à propos d'une question d'égout. Initialement, ce furent les voisins des intéressés, M. et Mme T., qui engagèrent une procédure en dommages-intérêts à la suite de problèmes d'égout provenant, selon eux, de travaux effectués par les requérants. Ils obtinrent gain de cause. Le 26 février 1988, les requérants les attaquèrent alors devant le tribunal de comté (County Court) d'Exeter, dans le Devon, alléguant que les eaux-vannes de M. et Mme T. sourdaient sur leur terrain. Le 1er mai 1991, le juge Clarke statua en défaveur de M. et Mme Robins. Saisie ultérieurement par eux, la Cour d'appel les débouta. B. La procédure relative aux frais En Angleterre et au pays de Galles, il est usuel que la partie qui succombe au procès assume les frais de la partie adverse (paragraphe 19 ci-dessous). Le 31 mai 1991, M. et Mme T., qui ne bénéficiaient pas de l'aide judiciaire, sollicitèrent une audience afin de faire trancher les questions relatives aux frais. M. et Mme Robins avaient obtenu le bénéfice de l'aide judiciaire, qu'ils conservèrent jusqu'en appel. Après les avoir condamnés aux frais, et bien que cela n'eût aucune incidence sur le montant que M. et Mme T. pourraient percevoir à ce titre, le juge devait évaluer les ressources des requérants aux fins de l'article 17 de la loi de 1988 sur l'aide judiciaire (« la loi de 1988 » ; paragraphe 20 ci-dessous). Après des audiences tenues les 5 et 6 août 1991, la question fut ajournée au 19 septembre 1991, date à laquelle elle devait être examinée par le tribunal de comté (County Court) de Torquay, également dans le Devon. Dès lors que la question des frais ne pouvait être tranchée, en raison de controverses sur les faits et du conflit entre les parties, le juge Clarke prescrivit, le 24 septembre 1991, l'ajournement de l'enquête jusqu'au moment où une série de points concernant le droit des requérants à bénéficier de l'aide judiciaire auraient été clarifiés. En particulier, il y avait lieu de rechercher si les intéressés avaient avisé la Commission d'aide judiciaire (Legal Aid Board – « LAB ») de tout changement de leur situation et si la révocation de leur certificat d'aide judiciaire aurait, le cas échéant, un effet rétroactif. Le 25 novembre 1991, le tribunal reçut de la LAB un rapport décrivant de manière sommaire les données relatives à l'époque où les requérants avaient pour la première fois sollicité le bénéfice de l'aide judiciaire. Le 14 janvier 1992, les parties reçurent notification de ce rapport et furent informées que la question pouvait à nouveau être audiencée. Toutefois, le 4 février 1992, la LAB fit savoir au tribunal qu'il était nécessaire que le Service de la sécurité sociale (Department of Social Security – « DSS ») se livrât à une nouvelle appréciation des ressources des requérants, ceux-ci s'étant séparés. Le DSS expliqua plus tard, dans une lettre déposée devant le tribunal le 10 novembre 1992, qu'un retard de neuf mois avait été engendré par un malentendu à cet égard, les requérants ne s'étant, en réalité, pas séparés. Les débats reprirent le 12 et se poursuivirent le 13 novembre 1992 devant le juge Darwall-Smith, le juge Clarke étant tombé malade. Statuant sur la base des critères énoncés à l'article 17 § 1 de la loi de 1988 (paragraphe 20 ci-dessous), le juge décida que la LAB devait rétrocéder à M. et Mme T. une somme de 4 599 livres sterling (GBP), correspondant au reliquat conservé par elle des dommages-intérêts alloués aux requérants à la suite d'une action en négligence intentée par eux contre un cabinet de solicitors, et que, pour le reste, M. et Mme Robins devaient verser à leurs adversaires, par mensualités de 100 GBP, une somme de 6 000 GBP. C. L'appel contre l'ordonnance relative aux frais Les requérants demandèrent le bénéfice de l'aide judiciaire pour attaquer ladite décision. Le 11 janvier 1993, ils sollicitèrent une prorogation du délai d'appel, celui-ci ayant expiré le 11 décembre 1992. Par la suite, un juriste du greffe des appels en matière civile (Civil Appeals Office) souleva le point de savoir si une autorisation d'interjeter appel était requise, et la question fut renvoyée au greffier. En mars 1993, septembre 1993 et mars 1994, les requérants s'enquirent auprès de la Cour d'appel de la raison pour laquelle leur demande tardait à être instruite. Le 10 avril 1994, le greffier décida qu'ils n'avaient pas besoin d'une autorisation pour interjeter appel de l'ordonnance relative aux frais. Afin d'éviter la perte de temps et les frais liés à la tenue de deux audiences, l'une devant lui pour la prorogation de délai, l'autre devant la Cour d'appel plénière, il renvoya la cause à cette dernière, à charge pour elle de statuer sur la demande de prorogation de délai et, si elle accueillait celle-ci, de connaître immédiatement de l'appel. Les requérants furent invités à déposer les documents requis pour le 2 mai 1994. Comme ils éprouvaient des difficultés à obtenir des expéditions des décisions rendues par les juges de première instance et les notes d'audience de ces derniers, des prorogations de ce délai leur furent accordées, à leur demande, le 25 avril, le 24 mai, le 16 juin, le 6 juillet et une fois encore le 27 juillet 1994. On leur fit savoir ultérieurement que soit les notes du juge Clarke avaient été égarées, soit le magistrat n'en avait pas pris. Le 6 octobre 1994, le greffier accueillit leur demande tendant à ce que des expéditions du jugement rendu par le juge Darwall-Smith fussent produites aux frais du contribuable. Une nouvelle prorogation du délai imparti pour le dépôt des documents fut accordée à M. et Mme Robins le 16 février 1995. Le 6 mars, les documents furent finalement déposés au greffe de la Cour d'appel et, le 29 mars, la cause fut audiencée. Le 19 juin 1995, à l'issue des débats, la Cour d'appel confirma le jugement rendu par le juge Darwall-Smith le 13 novembre 1992 et débouta les requérants. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. L'aide judiciaire Les plaideurs devant les juridictions anglaises peuvent obtenir le bénéfice de l'aide judiciaire, à condition de remplir certaines conditions relatives à leurs ressources et au mérite de leur cause. L'évaluation financière du revenu et du capital disponibles d'une partie est effectuée par le personnel spécialisé du Bureau d'évaluation de l'aide judiciaire de l'Office de prévoyance (Benefits Agency's Legal Aid Assessment Office). Les ressources du conjoint de la partie concernée sont réputées propres à celle-ci, sauf si les intéressés vivent séparés (articles 4 et 7 du règlement de 1989 sur l'évaluation des ressources pour l'aide judiciaire en matière civile – Civil Legal Aid (Assessment of Resources) Regulations 1989 ; Statutory Instrument 1989 nº 338). B. La taxation des frais mis à la charge d'un bénéficiaire de l'aide judiciaire Devant les tribunaux anglais, la question de savoir qui doit supporter les frais de justice relève, d'une manière générale (dans toutes les affaires, y compris celles où une partie bénéficie de l'aide judiciaire), du pouvoir discrétionnaire du tribunal (article 51 de la loi de 1981 sur la Cour suprême). Toutefois, les règlements de procédure énoncent certains principes qu'il faut normalement appliquer dans l'exercice dudit pouvoir discrétionnaire, tel celui qui veut que la partie qui succombe au procès assume les frais de la partie adverse (voir l'article 3 de l'ordonnance nº 62 du règlement de la Cour suprême (Rules of the Supreme Court) et l'article 1 § 3 de l'ordonnance nº 38 du règlement du tribunal de comté (County Court Rules)). Ce principe vaut aussi quand la partie perdante a bénéficié de l'aide judiciaire. Toutefois, lorsqu'une telle partie est condamnée aux frais, le tribunal qui a jugé ou entendu la cause doit déterminer quelle portion de ceux-ci il est raisonnable de lui faire supporter, conformément à l'article 17 § 1 de la loi de 1988 sur l'aide judiciaire, aux termes duquel : « Le montant qu'une partie bénéficiaire de l'aide judiciaire peut être condamnée à payer au titre des frais dans le cadre d'une procédure, quelle qu'elle soit, ne peut excéder une somme raisonnable pour elle, compte tenu de l'ensemble des circonstances, y compris les ressources financières de toutes les parties et leur comportement dans le cadre du litige. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 14 mars 1993 à la Commission (nº 22410/93), M. et Mme Robins formulaient, en s'appuyant sur les articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention, une série de griefs visant la procédure principale relative à leur litige avec leurs voisins ; ils se plaignaient en outre, sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, de la durée de la procédure relative aux frais. Le 22 février 1995, la Commission a déclaré irrecevables les griefs dirigés contre la procédure principale. Le 18 janvier 1996, elle a retenu celui concernant la procédure relative aux frais. Dans son rapport du 4 juillet 1996 (article 31), elle exprime l'avis, par seize voix contre neuf, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention, la procédure litigieuse ne relevant pas du domaine de cette clause. Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à juger que l'article 6 § 1 de la Convention ne s'appliquait pas à la procédure litigieuse et, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition. Les requérants demandent à la Cour de constater une violation et de leur accorder réparation au titre de l'article 50 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Les requérants sont des citoyens britanniques habitant Manchester, en Angleterre. Né en 1955, le premier requérant, "X", est maître assistant à l’université. X est un transsexuel converti du sexe féminin au sexe masculin et sera désigné dans le présent arrêt par des pronoms personnels du genre masculin. Il forme depuis 1979 une union stable avec la deuxième requérante, "Y", femme née en 1959. La troisième requérante, "Z", est née en 1992 de la deuxième requérante après une insémination artificielle avec donneur ("IAD"). Y a depuis donné le jour à un autre enfant par la même méthode. A sa naissance, le corps de X présentait les attributs du sexe féminin. A partir de l’âge de quatre ans, cependant, X souffrit de dysphorie sexuelle et se sentit attiré vers les modes de comportement masculins. Cet écartèlement provoqua chez lui des tendances suicidaires à l’adolescence. En 1975, il commença à suivre un traitement hormonal et à vivre et travailler comme un homme. Il se mit en ménage avec Y en 1979 et subit ensuite au cours de la même année une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, y ayant été autorisé à l’issue d’un suivi et de tests psychologiques. En 1990, par l’intermédiaire de leur médecin généraliste, X et Y firent une demande d’IAD. Ils eurent en janvier 1991 un entretien avec un spécialiste en vue de bénéficier d’un traitement; leur demande, accompagnée de deux recommandations et d’une lettre de leur généraliste, fut transmise au comité d’éthique d’un hôpital, qui la rejeta. Ils firent appel, invoquant notamment une étude portant sur trente-sept enfants élevés par des transsexuels ou homosexuels (leurs parents ou non) qui ne faisait pas apparaître d’orientation sexuelle anormale ou d’autre conséquence néfaste chez ces enfants (R. Green, Sexual identity of 37 children raised by homosexual or transsexual parents - L’identité sexuelle de 37 enfants élevés par des parents homosexuels ou transsexuels, American Journal of Psychiatry, 1978, vol. 135, pp. 692-697). En novembre 1991, le comité d’éthique de l’hôpital accepta de pratiquer le traitement sollicité par les requérants. Il demanda à X de reconnaître la paternité de l’enfant à naître au sens de la loi de 1990 sur la fécondité et l’embryologie humaines (paragraphe 21 ci-dessous). Le 30 janvier 1992, Y fut fécondée artificiellement avec le sperme d’un donneur anonyme, en présence de X. Z naquit le 13 octobre 1992. En février 1992, X avait demandé au Conservateur en chef des actes de l’état civil (paragraphe 22 ci-dessous) s’il y avait quelque objection à ce qu’il fût enregistré comme le père de l’enfant de Y. Dans une lettre du 4 juin 1992 adressée au député de la circonscription dont relève X, le ministre de la Santé répondit qu’après avoir recueilli des avis juridiques, le Conservateur en chef estimait que seul un individu biologiquement de sexe masculin pouvait être enregistré comme père. Il faisait observer que l’enfant pouvait légalement porter le nom de X et que, sous réserve du respect des conditions prévues, X aurait droit à un abattement fiscal supplémentaire s’il était en mesure de prouver que l’enfant était à sa charge. A la naissance de Z néanmoins, X et Y tentèrent de se faire enregistrer comme les père et mère de l’enfant. On n’autorisa pas X à figurer au registre de l’état civil comme le père de l’enfant et cette rubrique fut laissée en blanc. Z fut inscrite dans le registre sous le patronyme de X (paragraphe 24 ci-dessous). Le contrat de travail de X expira en novembre 1995 et il postula à une trentaine d’emplois. La seule réponse positive qu’il reçut émanait d’une université du Botswana. Le contrat prévoyait le logement et l’enseignement gratuit pour les personnes à charge. X déclina cependant cette offre d’emploi lorsqu’un fonctionnaire du Botswana l’informa que seuls les conjoints et les enfants avec lesquels il existait des liens de sang ou d’adoption étaient considérés comme "personnes à charge". Il trouva par la suite un emploi à Manchester, qu’il occupe toujours. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Définition du sexe en droit interne Le droit anglais définit le sexe en s’appuyant sur des critères biologiques constatés à la naissance et ne reconnaît pas les conversions sexuelles résultant d’une intervention chirurgicale (Corbett v. Corbett, Probate Reports 1971, p. 83, et R. v. Tan, Queen’s Bench Reports (Court of Appeal) 1983, p. 1053). En vertu de ce principe, un transsexuel femme-homme ne peut ni épouser une femme ni être considéré comme le père d’un enfant. B. Enfants conçus par insémination artificielle La loi de 1990 sur la fécondité et l’embryologie humaines (Human Fertility and Embryology Act 1990 - "la loi de 1990") dispose notamment que, lorsqu’une femme non mariée donne naissance à un enfant conçu par IAD, en plein accord avec son partenaire masculin, c’est ce dernier, et non le donneur de sperme, qui sera considéré comme le père de l’enfant au regard de la loi (article 28 par. 3). C. Enregistrement des naissances L’article 1 par. 1 de la loi de 1953 sur l’enregistrement des naissances et des décès (Births and Deaths Registration Act 1953 - "la loi de 1953") oblige à consigner au registre de l’état civil certaines données précises au sujet de tout enfant né en Angleterre et au Pays de Galles, dont le nom des parents. Le Conservateur en chef assume la responsabilité générale du système. Si le père de l’enfant (ou l’individu considéré comme son père au regard de la loi - paragraphe 21 ci-dessus) n’est pas marié à la mère, son nom ne figurera pas automatiquement dans le registre à la rubrique "père". Il y sera malgré tout inscrit si la mère et lui en font conjointement la demande (article 10 de la loi de 1953, telle qu’amendée par la loi de 1987 portant réforme du droit de la famille - Family Law Reform Act 1987). Un acte de naissance (birth certificate) consiste soit en une copie authentifiée de l’inscription contenue dans le registre, soit en un extrait de celui-ci. Dans la seconde hypothèse on parle d’"acte de naissance abrégé"; il revêt la forme et donne les renseignements - nom et prénom, sexe, date et lieu de naissance de l’intéressé - que définissent les règlements d’application de la loi de 1953. Le droit anglais autorise les parents à choisir librement les nom et prénoms de leur enfant, lequel peut en changer quand et comme il le souhaite. D. Autorité parentale L’autorité parentale à l’égard d’un enfant est automatiquement dévolue à la mère et, lorsqu’elle est mariée, à son mari. Elle peut aussi être conférée à d’autres personnes (paragraphes 26-27 ci-dessous). L’autorité parentale se définit comme l’ensemble des droits et des devoirs qui appartiennent aux père et mère en vertu de la loi, relativement à la personne de leurs enfants et aux biens de ceux-ci (article 3 de la loi de 1989 sur les enfants - Children Act 1989 - "la loi de 1989"). A elle seule, l’autorité parentale ne suffit pas à conférer à l’enfant un quelconque droit sur les biens de la personne qui l’exerce, comme le droit d’hériter de cette personne si celle-ci décède intestat ou à en recevoir des aliments. De même, elle n’habilite pas l’enfant à se voir transmettre, par l’intermédiaire de cette personne, des baux locatifs en vertu de certaines dispositions réglementaires, ou à bénéficier de mesures en matière de nationalité ou d’immigration ou de droits découlant de la qualité de ladite personne de ressortissante d’un Etat membre de l’Union européenne. Le père d’un enfant, non marié avec la mère à l’époque de la naissance, peut solliciter d’un tribunal une ordonnance lui conférant l’autorité parentale ou peut l’obtenir par voie d’accord avec la mère, rédigé dans les termes requis (article 4 de la loi de 1989). L’autorité parentale ne peut être exercée par aucune autre personne, sauf celles au bénéfice desquelles a été émise une "ordonnance de garde" de l’enfant. Une ordonnance de garde définit les dispositions à prendre quant à la personne avec laquelle l’enfant doit résider (article 8 de la loi de 1989). Chacun peut solliciter une telle ordonnance (les personnes n’appartenant pas à certaines catégories bien définies doivent malgré tout s’adresser auparavant au tribunal pour obtenir l’autorisation de déposer une demande). Lorsqu’un tribunal rend une ordonnance de garde en faveur d’une personne qui n’est ni le parent de l’enfant ni son tuteur, l’intéressée se trouve automatiquement investie de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant tant que l’ordonnance reste en vigueur (article 12 par. 2 de la loi de 1989). De ce fait, même si le premier requérant ne peut pas demander directement l’autorité parentale sur la troisième requérante, il a la possibilité de solliciter avec la deuxième requérante une ordonnance de garde conjointe, ce qui lui aurait permis d’exercer l’autorité parentale pendant la durée de validité de celle-ci. Le 24 juin 1994, M. Douglas-Brown, juge à la High Court de Manchester, rendit une ordonnance de garde conjointe au bénéfice de deux femmes lesbiennes habitant ensemble relativement à l’enfant de l’une d’elles (décision non publiée). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête (no 21830/93) du 6 mai 1993 à la Commission, telle que celle-ci l’a retenue, les requérants se plaignaient d’une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention (art. 8), parce que le rôle de père du premier requérant à l’égard de la troisième requérante n’est pas reconnu et parce que la situation dans laquelle ils se trouvent en conséquence révèle une discrimination contraire aux articles 8 et 14 combinés (art. 14+8). Le 1er décembre 1994, la Commission a retenu les griefs au titre des articles 8 et 14 de la Convention (art. 8, art. 14) et a jugé irrecevables ceux tirés des articles 12 et 13 (art. 12, art. 13). Dans son rapport du 27 juin 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (art. 8) (treize voix contre cinq) et qu’il ne s’impose pas d’examiner s’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) (dix-sept voix contre une). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 27 août 1996, le Gouvernement a, comme dans son mémoire, invité la Cour à dire qu’il n’y a pas eu violation des articles 8 et 14 de la Convention (art. 8, art. 14). A cette même occasion, les requérants ont demandé à la Cour de conclure à la violation et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50).
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Ressortissant colombien né en 1968, H.L.R. se trouve actuellement en France, assigné à résidence. A. La condamnation pénale du requérant Le 14 mai 1989, le requérant, en transit, fut interpellé à l’aéroport de Roissy, porteur d’un colis contenant 580 grammes de cocaïne en provenance de Colombie et à destination de l’Italie. Selon les procès-verbaux des auditions du 16 mai 1989, H.L.R. fournit, au cours de sa garde à vue, des indications sur les deux instigateurs du trafic et sur son recruteur, H.B. Elles permirent à Interpol d’identifier ce dernier, qui était répertorié sous deux noms différents et avait été arrêté le 21 mai 1989 à l’aéroport de Francfort-sur-le-Main en possession de 552 grammes de cocaïne. Condamné le 23 janvier 1990 par le tribunal de Francfort-sur-le-Main à une peine de prison de deux ans et huit mois, H.B. fut expulsé vers la Colombie en exécution d’une ordonnance prise le 12 avril 1990 par le sous-préfet (Landrat des Landkreises) de Darmstadt-Dieking. Entre-temps, le 25 septembre 1989, le tribunal correctionnel de Bobigny avait condamné le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq ans assortie d’une interdiction définitive du territoire français pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Le 24 juillet 1992, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement ainsi que celui rendu par le même tribunal le 22 juin 1992 rejetant la requête en relèvement de l’interdiction définitive du territoire. Le 31 juillet 1992, l’intéressé, faisant notamment valoir qu’il avait collaboré avec les autorités judiciaires, forma en vue d’obtenir la révocation de l’interdiction de séjour un recours en grâce auprès du président de la République. Ce dernier le rejeta le 20 septembre 1994. Le 18 décembre 1992, le procureur de la République de Bobigny, qui, dans un premier temps, avait requis du préfet de la Dordogne de mettre à exécution la mesure d’interdiction du territoire le 30 décembre, date de la libération du requérant, donna ordre de surseoir à ses réquisitions de reconduite à la frontière. A l’issue de sa peine, le requérant fut accueilli au domicile d’un de ses visiteurs de prison. B. La procédure d’expulsion L’arrêté d’expulsion De son côté, nonobstant le recours en grâce, le ministre de l’Intérieur, en application de l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 24 ci-dessous), demanda de soumettre, pour avis, le dossier de l’intéressé à la commission d’expulsion des étrangers. Le 17 février 1994, la commission d’expulsion des étrangers, informée des risques encourus par le requérant en cas d’expulsion vers la Colombie, émit l’avis suivant: "La Commission émet un avis défavorable à son expulsion, sa présence sur le territoire français ne constituant pas une menace grave pour l’ordre public et Monsieur H.L.R. présentant par ailleurs des garanties d’insertion dans la communauté nationale." Le 26 avril 1994, le ministre de l’Intérieur prit néanmoins à l’encontre du requérant un arrêté prononçant son expulsion. Il se fonda sur les raisons suivantes: "Considérant que M. H.L.R., ressortissant colombien, (...), s’est livré en 1989 à des activités constituant une infraction à la législation sur les stupéfiants en important en contrebande près de 600 grammes d’héroïne [sic], Considérant qu’en raison de l’ensemble de son comportement la présence de cet étranger sur le territoire français constitue une menace grave pour l’ordre public, Vu l’avis émis le 17 février 1994 par la commission prévue à l’article 24 de l’ordonnance [no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France]." Par une lettre du 9 mai 1994, reçue par le requérant le 20 mai, le préfet de la Dordogne notifia ledit arrêté. Il précisait que l’expulsion devait être réalisée, dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre, vers la Colombie, à défaut d’admission par un pays tiers. Par décision du 20 juin 1994, le préfet accorda un ultime délai supplémentaire d’un mois pour trouver un pays d’accueil. La demande d’abrogation Le 30 mai 1994, le requérant sollicita l’abrogation de l’arrêté d’expulsion auprès du ministre de l’Intérieur. Ce dernier rejeta cette demande le 17 juin 1994, aux motifs suivants: "J’ai le regret de vous faire connaître qu’il ne m’est pas possible, pour le moment, de réserver une suite favorable à votre requête en raison du caractère récent et de la gravité des faits à l’origine de la mesure d’éloignement prise à l’égard de votre client malgré les différents éléments que vous invoquez en sa faveur dans votre recours. Il s’est en effet livré en 1989 à un trafic portant sur près de 600 grammes d’héroïne [sic]. Sa présence en France constitue par conséquent toujours une menace grave pour l’ordre public." Les recours en annulation Parallèlement, par requêtes enregistrées les 7 et 28 juin 1994, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Bordeaux deux recours en annulation, l’un contre l’arrêté d’expulsion, l’autre contre le refus d’abrogation dudit arrêté d’expulsion. Par un jugement du 18 avril 1996, notifié le 17 juillet, le tribunal, après les avoir jointes, repoussa les deux requêtes. Il motiva sa décision comme suit: "Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 27 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945: "Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 (art. 3) de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950"; qu’en vertu des stipulations de l’article 2 (art. 2) de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme: "1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...)" et de l’article 3 (art. 3) de la même Convention: "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants."; que l’arrêté attaqué du 26 avril 1994 a exclusivement enjoint à [M. H.L.R.] de quitter le territoire français; que, par suite, en tout état de cause, le moyen tiré de ce que son renvoi en Colombie méconnaîtrait les dispositions précitées (art. 2, art. 3) est inopérant; Considérant (...) que [M. H.L.R.] est célibataire, sans enfant, et n’a pas de vie familiale en France; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations [de l’article 8 (art. 8) de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] ne saurait être accueilli." Le 10 septembre 1996, le requérant attaqua ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. L’issue de la procédure n’est pas connue. L’assignation à résidence Entre-temps, le ministre de l’Intérieur avait pris un arrêté le 12 juillet 1994 en application de l’article 28 de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 24 ci-dessous). Considérant établi que l’intéressé n’était pas en mesure présentement de quitter le territoire français, il l’assigna à résidence "jusqu’au moment où il aura la possibilité de déférer à l’arrêté d’expulsion dont il fait l’objet". Cette situation demeure aujourd’hui inchangée. II. Le droit interne pertinent L’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour, telle que modifiée par la loi no 93-1027 du 24 août 1993, régit l’expulsion du requérant. Les dispositions pertinentes, dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, sont les suivantes: Article 23 "Sous réserve des dispositions de l’article 25, l’expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur si la présence sur le territoire français d’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public. L’arrêté d’expulsion peut à tout moment être abrogé par le ministre de l’Intérieur. Lorsque la demande d’abrogation est présentée à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’exécution effective de l’arrêté d’expulsion, elle ne peut être rejetée qu’après avis de la commission prévue à l’article 24, devant laquelle l’intéressé peut se faire représenter. (...)" Article 24 "L’expulsion prévue à l’article 23 ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes: 1o L’étranger doit en être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat; 2o L’étranger est convoqué pour être entendu par une commission siégeant sur convocation du préfet et composée: Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d’un juge délégué par lui, président; D’un magistrat désigné par l’assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département; D’un conseiller du tribunal administratif. Le chef du service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de rapporteur; le directeur départemental de l’action sanitaire et sociale ou son représentant est entendu par la commission; ils n’assistent pas à la délibération de la commission. La convocation, qui doit être remise à l’étranger quinze jours au moins avant la réunion de la commission, précise que celui-ci a le droit d’être assisté d’un conseil et d’être entendu avec un interprète. L’étranger peut demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Cette faculté est indiquée dans la convocation. L’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée par le président de la commission. Les débats de la commission sont publics. Le président veille à l’ordre de la séance. Tout ce qu’il ordonne pour l’assurer doit être immédiatement exécuté. Devant la commission, l’étranger peut faire valoir toutes les raisons qui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l’étranger est transmis, avec l’avis motivé de la commission, au ministre de l’Intérieur qui statue. L’avis de la commission est également communiqué à l’intéressé." Article 25 "Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion, en application de l’article 23: 1o L’étranger mineur de dix-huit ans; 2o L’étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de six ans; 3o L’étranger qui justifie, par tous moyens, résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi que l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans sauf s’il a été, pendant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant"; 4o L’étranger, marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n’ait cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française; 5o L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France, à la condition qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant ou qu’il subvienne effectivement à ses besoins; 6o L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 pour cent; 7o L’étranger résidant régulièrement en France sous couvert de l’un des titres de séjour prévus par la présente ordonnance ou les conventions internationales qui n’a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d’emprisonnement sans sursis. Toutefois, par dérogation au 7o ci-dessus, peut être expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée quelconque pour une infraction prévue ou réprimée par l’article 21 de la présente ordonnance, les articles 4 et 8 de la loi no 73-548 du 27 juin 1973 relative à l’hébergement collectif, les articles L-362-3, L-364-2-1, L-364-3 et L-364-5 du Code du travail ou les articles 225-5 à 225-11 du Code pénal. Les étrangers mentionnés aux 1o à 6o ne peuvent faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière en application de l’article 22 de la présente ordonnance. Par dérogation aux dispositions du présent article, l’étranger entrant dans l’un des cas énumérés aux 3o, 4o, 5o et 6o peut faire l’objet d’un arrêté d’expulsion en application des articles 23 et 24 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans." Article 27 bis "L’étranger qui fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière est éloigné: 1o A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Commission des recours des réfugiés lui a reconnu le statut de réfugié ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile; 2o Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité; 3o Ou à destination d’un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 (art. 3) de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950." Article 28 par. 1 "L’étranger qui fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou qui doit être reconduit à la frontière et qui justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français en établissant qu’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays peut, par dérogation à l’article 35 bis, être astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés, dans lesquels il doit se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION H.L.R. a saisi la Commission le 4 juillet 1994. Il alléguait que son expulsion vers la Colombie lui ferait courir un risque sérieux d’y subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention (art. 3). Le 8 juillet 1994, la Commission a indiqué au gouvernement français, en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur, qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas procéder à l’expulsion du requérant. Cette indication a été renouvelée à plusieurs reprises et, en dernier lieu, le 16 janvier 1996. La Commission a retenu la requête (no 24573/94) le 2 mars 1995. Dans son rapport du 7 décembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-neuf voix contre dix, à la violation de cette disposition (art. 3) au cas où le requérant serait expulsé vers la Colombie. Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt(1). CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête de M. H.L.R. De son côté, le requérant la prie de dire que son éloignement forcé du territoire français constituerait une violation de l’article 3 de la Convention (art. 3).
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. Les circonstances de l'espèce Mme Phyllis Bowman, née en 1926, est domiciliée à Londres. Elle est secrétaire générale de l’Association pour la protection des enfants à naître (Society for the Protection of the Unborn Child – « la SPUC »), organisation qui compte environ 50 000 adversaires de l’avortement et de l’expérimentation sur l’embryon humain et qui cherche à modifier la législation actuelle du Royaume-Uni autorisant l’avortement jusqu’à la vingt-deuxième semaine et l’expérimentation sur l’embryon jusqu’au quatorzième jour. Les grands partis politiques n’ont défini aucune ligne d’action en la matière : il s’agit selon eux de questions morales sur lesquelles les députés sont libres de voter en leur âme et conscience. Mme Bowman et la SPUC estiment en conséquence que si les électeurs sont en mesure de pousser à des modifications de la législation par le choix de leurs représentants, il est fondamental qu’ils soient informés des opinions des candidats sur l’avortement et les questions connexes. Mme Bowman s'employa donc, pendant la période précédant les élections législatives d’avril 1992, à faire distribuer dans diverses circonscriptions du Royaume-Uni un million et demi d'exemplaires, dont 25 000 pour la seule circonscription de Halifax, d'un tract rédigé dans les termes suivants : « Nous ne vous donnons pas de consignes de vote, mais il est indispensable que vous vérifiiez les intentions de vote des candidats sur l’avortement et l’utilisation de l’embryon humain comme cobaye. Terry Martin, conservateur. M. Martin a publiquement exposé son ferme engagement à défendre les enfants à naître. S’il était élu, il voterait pour préciser plus rigoureusement les motifs de pratiquer un avortement afin que ce dernier ne puisse plus être effectué sur simple demande. Il voterait pour l’interdire après la vingt-quatrième semaine, alors que la loi actuelle l’autorise jusqu’au terme normal pour cause de handicap du bébé ou pour d’autres raisons. Il voterait enfin pour mettre fin à la création et à l’utilisation d’embryons humains comme cobayes pour tester des médicaments. Alison Mahon, travailliste. Mme Mahon est un partisan influent de l’avortement. En sa qualité de députée, elle a voté pour autoriser l’avortement jusqu’au terme normal pour les bébés handicapés. Elle s’est prononcée pour l’inscription obligatoire, sur une liste publiée, des médecins qui objectent en conscience à l’avortement, malgré les mises en garde contre une éventuelle liste noire. Elle a également voté pour autoriser le recours à des embryons humains comme cobayes dans des programmes comportant des essais de médicaments et d’autres expériences. Ian Howell, démocrate-libéral. S’il était élu, M. Howell voterait pour plus de rigueur dans les motifs pour lesquels l’avortement peut être pratiqué afin que ce dernier ne puisse plus être effectué sur simple demande. Il voterait aussi pour réduire le délai à vingt-quatre semaines ou moins, alors que la loi actuelle autorise l’avortement jusqu’au terme normal pour cause de handicap du bébé et pour d’autres raisons. Il voterait enfin contre l’utilisation des embryons humains comme cobayes dans les programmes de recherche. ASSOCIATION POUR LA PROTECTION DES ENFANTS À NAÎTRE » Au dos du tract, accompagnant une photo dont la légende était « le bébé dix semaines après la conception », figurait le texte suivant : « Les premières semaines de la vie Jour 1 : Conception – le sperme féconde l’ovule. Composition génétique complète. Couleur des yeux, cheveux, sexe et même carrure définis. Un individu unique se trouve dans la trompe utérine. Jour 12 : Il est arrivé dans l’utérus et s’y est implanté. Jour 17 : Développement de ses propres cellules sanguines. Jour 21 : Le cœur commence à battre, ce qui est au moins aussi spectaculaire que la naissance, mais beaucoup moins que la fécondation. Jour 26 : Formation du système nerveux central. Jour 30 : Flux sanguin régulier dans un système vasculaire clos. Les oreilles et le nez commencent à se développer. Jour 42 : Le squelette et les réflexes existent. Le foie, les reins et les poumons sont formés. Le bébé réagit au contact autour de la bouche. Jour 45 : Les caractéristiques d’une activité cérébrale électrique peuvent être enregistrées. Jour 56 : Hormis les poumons, tous les organes fonctionnent ; à présent, le bébé n’a plus qu’à grandir et à mûrir, exactement comme un enfant croît pour devenir adulte. Jour 65 : Le bébé peut serrer le poing et saisir un objet touchant sa paume ; il monte et descend dans l’utérus par mouvements coordonnés. Semaine 12 : Tout le corps est sensible au contact. Semaine 16 : Le bébé a atteint la moitié de sa taille de naissance ; le cœur pompe quelque 29 litres de sang par jour. Semaine 28 : Les yeux s’ouvrent. Le bébé peut entendre le processus de la digestion de sa mère, le battement de son cœur et sa voix, ainsi que des sons extérieurs au corps maternel. Neuvième mois : Naissance – simple étape d'un processus déjà bien avancé. D’après ce qui précède, il est clair que le bébé peut ressentir de la douleur à un stade très précoce. Par conséquent, nous tuons des bébés en les faisant souffrir jusqu’à l’âge de six mois après la conception, et parfois, dans le cas d’un handicap, jusqu’au terme normal. » Mme Bowman fut inculpée en vertu de l’article 75 §§ 1 et 5 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (« la loi de 1983 ») qui érige en infraction le fait, pour toute personne non autorisée, de consacrer plus de 5 livres sterling (GBP), en période préélectorale, à la communication aux électeurs d’informations visant à favoriser ou à obtenir l’élection d’un candidat (paragraphes 17–19 ci-dessous). 14. Au procès devant la Crown Court de Southwark le 27 septembre 1993, le juge ordonna la relaxe de Mme Bowman, car la citation à comparaître l’accusant de l’infraction n’avait pas été émise dans l’année suivant les dépenses interdites alléguées, conformément au délai fixé à l’article 176 de la loi de 1983. La presse rendit néanmoins compte de l’affaire. Mme Bowman avait été reconnue coupable d’infractions, en vertu de textes de loi analogues, d’abord en 1979 pour diffusion d’un tract avant l’élection partielle dans la circonscription d’Ilford-Nord, puis à nouveau en 1982, lors des élections au Parlement européen. Elle avait été dans les deux cas condamnée à une amende et aux dépens. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Les élections législatives La date des élections législatives est choisie par le premier ministre sortant et est normalement annoncée quatre à six semaines avant le jour du scrutin. Pour les élections, le Royaume-Uni est divisé en circonscriptions. Chacune d’elles est représentée par un seul député, la personne ayant obtenu le plus grand nombre de voix dans sa circonscription. La plupart des candidats sont choisis par les grands partis politiques nationaux, même si certains se présentent en indépendants. La proposition de candidature doit être signée par dix personnes inscrites sur les listes électorales de la circonscription. Chaque candidat doit déposer auprès de l’officier électoral de la circonscription la somme de 500 GBP qui sera perdue s’il n’obtient pas 5 % des suffrages exprimés et non nuls. B. Réglementation des dépenses électorales Au Royaume-Uni, les candidats à la députation ne reçoivent aucune aide de l’Etat pour leur campagne. Afin de protéger la position de ceux qui n’ont pas accès à des capitaux importants, le montant des dépenses pouvant être engagées par un candidat avant, pendant ou après la campagne électorale, est fixé par la loi (article 76 de la loi de 1983). Le montant varie légèrement en fonction de la taille de la circonscription, mais la moyenne est actuellement de 8 300 GBP. Pour éviter que la limite soit contournée, toutes les dépenses électorales engagées par un candidat doivent passer par un agent électoral, qui doit en rendre compte après l’élection (articles 73, 76 et 81 de la loi de 1983). En vertu de l’article 75 § 1 de la loi de 1983, il est interdit à quiconque, hormis le candidat ou son agent, d’engager des dépenses pour favoriser l’élection d’un candidat : « Seuls le candidat, son agent électoral ou les mandataires de ce dernier sont habilités à engager des dépenses visant à favoriser ou à obtenir l’élection dudit candidat lors d’une échéance électorale et consacrées à : a) la tenue de réunions publiques ou l’organisation de manifestations publiques ; ou b) la diffusion de publicités, de circulaires ou de publications ; ou c) la présentation aux électeurs, par tout autre moyen, du candidat ou de ses opinions, ou encore de l’étendue ou de la nature de son soutien ou opposition à un autre candidat. Toutefois l’alinéa c) de ce paragraphe ne peut : i. restreindre la publication, dans un journal ou autre périodique, ou la diffusion, dans un programme de la British Broadcasting Corporation [ou de l’Independent Broadcasting Authority] ; ii. s’appliquer à des dépenses ne dépassant pas au total la somme de 5 GBP (…) » La Chambre des lords a interprété l’expression « visant à favoriser ou à obtenir l’élection d’un candidat » dans ce paragraphe comme incluant l’intention d’empêcher l’élection d’un ou de plusieurs candidats donnés (Director of Public Prosecutions v. Luft, Appeal Cases 1977, p. 962). Mme Bowman a été inculpée d’une infraction en vertu de l’article 75 § 5 de la loi de 1983, ainsi libellé : « Se rend coupable de pratiques abusives quiconque a) engage des dépenses, ou offre à toute autre personne son aide, sa complicité, ses conseils ou des moyens matériels l’incitant à engager des dépenses en violation de [l’article 75] (…) » Les personnes jugées après inculpation en vertu de l’article 75 §§ 1 et 5 sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un an et/ou d’une amende n’excédant pas 5 000 GBP. En outre, quiconque est condamné risque d’être déchu pour cinq ans de ses droits de voter aux élections, d’être élu ou de siéger à la Chambre des communes, ou d’exercer une fonction judiciaire ou publique (articles 160 § 4, 168 § 1 et 173 de la loi de 1983). L’article 75 ne concerne que les dépenses engagées relativement à l’élection d’un candidat donné dans une circonscription donnée. Rien n’interdit à un parti politique, un particulier ou une organisation fortunés de dépenser de l’argent pour faire de la publicité pour ou contre un parti politique ou une tendance en général, à l’échelon national ou régional, à condition que l’intention ne soit pas de favoriser ou de compromettre les chances électorales d’un candidat donné dans une circonscription donnée (voir R. v. Tronoh Mines, All England Reports 1952, vol. 1, p. 697). La loi ne restreint pas non plus les donations privées consenties aux partis politiques ni les pouvoirs de la presse d’apporter son soutien ou de s’opposer à l’élection d’un candidat donné (article 75 § 1 c) i. de la loi de 1983 – paragraphe 19 ci-dessus). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION La requête du 11 mars 1994 (nº 24839/94) a été introduite conjointement devant la Commission par Mme Bowman et la SPUC . Les deux requérantes alléguaient que la procédure engagée contre Mme Bowman avait violé le droit à la liberté d’expression que leur garantit l’article 10 de la Convention. Elles invoquaient également l’article 13 de la Convention. Le 4 décembre 1995, la Commission a déclaré la requête recevable dans la mesure où elle concernait le grief tiré par Mme Bowman de l’article 10. Cependant, estimant que la SPUC ne pouvait pas se prétendre victime des poursuites engagées contre Mme Bowman, elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 12 septembre 1996 (article 31), la Commission a conclu, par vingt-huit voix contre une, à une violation de l’article 10 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire et à l’audience devant la Cour, le Gouvernement a soutenu que, contrairement à l’avis de la Commission, la requête devait être déclarée irrecevable au regard de l’article 25 de la Convention. A titre subsidiaire, il a fait valoir qu’il n’y avait pas eu de restriction à la liberté d’expression de la requérante au sens de l’article 10 § 1 et que, même si cela avait été le cas, la restriction était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10 § 2. La requérante a prié la Cour de constater une violation de l’article 10 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50.
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est un ressortissant français né en 1951 et réside à Habsheim dans le Haut-Rhin. Il exerce la profession d'opérateur-programmeur. Les faits, tels qu'ils ont été présentés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 14 mai 1984, le requérant déposa, auprès de la commune d'Habsheim, une demande de permis de construire un hangar. En réponse, la commune exigea de modifier le projet de construction pour réduire la hauteur de l'édifice, conformément au plan d'occupation des sols. Le 4 septembre 1984, la demande du requérant fut classée car il n'avait pas donné suite à la demande de la commune de déposer un plan modificatif. Par requête du 30 octobre 1984, le requérant saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'une requête aux fins d'être déclaré titulaire d'un permis de construire tacite. Il invoquait le silence gardé par la commune suite à une lettre du 21 juin 1984 par laquelle il avait complété sa demande de permis de construire. Il réclamait des dommages et intérêts à hauteur de 20.000 F. pour non-respect des dispositions du plan d'occupation des sols par la commune et pour la réparation du préjudice qu'il avait subi du fait de la faute commise par la commune. Le 5 novembre 1984, le requérant présenta un mémoire ampliatif. Le 11 avril 1986, la commune présenta un mémoire en défense. Le même jour, le commissaire de la République déposa son mémoire. Le 15 mai 1986, le requérant présenta un mémoire en réplique. Le 8 octobre 1987 se tint l'audience. Par jugement avant dire droit du 15 décembre 1987, le tribunal administratif de Strasbourg rejeta la première demande du requérant en constatant qu'il n'avait pas donné suite à la demande de la commune de modifier son projet de construction et qu'en conséquence, il ne pouvait pas se prévaloir d'un permis de construire tacite. Sur la demande indemnitaire, le tribunal ordonna un supplément d'instruction pour permettre à la commune de produire des observations. Le 14 janvier 1988, la commune présenta ses observations. Le 5 février 1988, le requérant présenta un mémoire en réplique. Le 10 mars 1988, la commune présenta des observations. Le 19 avril 1988 se tint l'audience. Par jugement sur le fond du 16 juin 1988, le tribunal administratif de Strasbourg condamna la commune au paiement de la somme de 12.000 F. à titre de dommages et intérêts. Il estima que le maire de la commune d'Habsheim avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune en faisant une mauvaise interprétation des dispositions du plan d'occupation des sols. Le 19 août 1988, la commune interjeta appel du jugement devant le Conseil d'Etat. Le 19 décembre 1988, la commune présenta un mémoire ampliatif. Par décision du 13 janvier 1989, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat transmit l'appel à la cour administrative d'appel de Nancy, compétente pour examiner l'affaire. Le 31 octobre 1989, le requérant présenta un mémoire en réponse. Le 14 février 1990, la commune présenta un mémoire en réplique. Le 2 mai 1990, le requérant présenta un mémoire complémentaire. Le 31 octobre 1991 se tint l'audience. Par arrêt du 21 novembre 1991, la cour administrative d'appel de Nancy annula le jugement attaqué, au motif que le requérant ne pouvait prétendre à un droit à indemnisation en raison de l'absence de tout préjudice justifié. Le 21 janvier 1992, le requérant forma un pourvoi en cassation. Le 21 mai 1992, le requérant déposa un mémoire complémentaire. Le 15 décembre 1993, le requérant produisit des pièces nouvelles. Le 12 août 1994, la commune déposa un mémoire. Le 22 janvier 1996 se tint l'audience. Par arrêt du 21 février 1996, le Conseil d'Etat annula l'arrêt attaqué pour défaut de motivation et renvoya l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy. Le 12 juin 1997 se tint l'audience. Par arrêt du 26 juin 1997, la cour administrative d'appel de Nancy annula l'arrêt du 21 novembre 1991. Elle confirma le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 16 juin 1988 condamnant la commune à verser au requérant 12.000 F. de dommages et intérêts, en y ajoutant la somme de 3.000 F. GRIEF Le requérant se plaint de la durée de la procédure qu'il estime déraisonnable. Il invoque l'article 6 de la Convention. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La requête a été introduite le 19 mars 1996 et enregistrée le 5 août 1996. Le 26 février 1997, la Commission a décidé de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter par écrit ses observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 24 juin 1997, après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le 8 septembre 1997.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPèCE A. Genèse de l'affaire Le requérant, citoyen suédois né en 1927, habite Tullinge, en Suède. En 1974, il acquit une propriété de 2 644 m2 (Salem 23:1) dans le centre de Rönninge, commune de Salem, banlieue située à quelque 20 kilomètres au sud-ouest de Stockholm. Sur le terrain se dresse une maison monofamiliale. Lors de l'achat, le bien-fonds était englobé dans un plan de subdivision (avstyckningsplan) de 1938, qui interdisait de construire sur un terrain de moins de 1 500 m2 ne disposant pas de conduites d'eau et d'égouts suffisants. Un système d'adduction d'eau et d'égouts semble avoir été installé à la fin des années 60. Le terrain relevait aussi d'un plan sectoriel (områdesplan) de 1972, qui le décrivait comme destiné principalement à l'usage du public et renfermant des espaces verts, des rues et des aires de stationnement ; en outre, il tombait sous le coup d'une interdiction de construire prononcée le 26 août 1974 en vertu de l'article 35 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen). La première interdiction frappant de la sorte la propriété du requérant avait été décrétée dès septembre 1965, pour un an, par la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm. Celle-ci la prorogea ultérieurement pour un ou deux ans chaque fois, en dernier lieu le 11 juillet 1985 jusqu'au 11 juillet 1987. Le 1er juillet 1987, l'entrée en vigueur de la loi de 1987 sur l'aménagement du territoire et la construction (plan-och bygglagen, «la loi de 1987»), qui remplaça la loi de 1947 sur la construction, entraîna l'abolition du système existant d'interdictions de construire auquel se substitua la possibilité pour la commission de la construction (byggnadsnämnden) de surseoir de deux ans au maximum à statuer sur une demande de permis de construire ou d'avis préalable. 10. Depuis qu'il a acquis le bien-fonds en question, le requérant tente en vain d'obtenir des autorités compétentes une autorisation de fractionnement de son terrain et/ou un permis de construire d'autres maisons que celle s'y trouvant déjà. Dans un avis préalable du 28 juillet 1975, sollicité par lui, la commission de la construction de Botkyrka se déclara non disposée à permettre le fractionnement du terrain. Elle se référait notamment au plan sectoriel de 1972 (paragraphe 8 ci-dessus). Le 28 juin 1979, le conseil municipal (kommunfullmäktige) vota un schéma directeur (generalplan) relatif à une partie de la commune de Botkyrka et selon lequel la propriété de M. Jacobsson devait servir à la construction d'immeubles d'habitation de plus de deux étages. Le 15 janvier 1980, la commission de la construction déclara, en réponse à une demande de l'intéressé, qu'eu égard au schéma directeur elle n'était pas prête à lui accorder une dérogation à l'interdiction ou un permis de construire une maison monofamiliale et un garage sur son terrain. M. Jacobsson saisit la préfecture, plaidant l'invalidité de l'interdiction de construire, mais elle rejeta le recours le 25 avril 1980. Elle précisait qu'à ses yeux les constructions envisagées pourraient aller à l'encontre du but de l'interdiction en vigueur et entraver les plans d'urbanisme futurs tels que les indiquait le schéma directeur de 1979. Le 13 février 1984, la commission exécutive de la commune (kommunstyrelsen) adopta un programme selon lequel la zone où se trouve le terrain du requérant servirait à la construction de maisons multifamiliales en 1988 ; elle ajoutait qu'il fallait donner priorité à la planification. Le 23 février 1984, le conseil municipal approuva un programme de construction dans le même sens. Le 12 juin 1984, la commission de la construction déclara dans un nouvel avis préalable, sollicité par l'intéressé, qu'en raison de l'interdiction existante elle n'accorderait pas de permis de construire. Les recours de M. Jacobsson contre cette décision furent tous rejetés, à l'instar des précédents. Le 20 mars 1986, le conseil municipal adopta un nouveau plan sectoriel couvrant entre autres le terrain litigieux et mentionnant la possibilité d'utiliser la zone pour édifier des maisons mono- ou multifamiliales. La procédure et l'ingérence dans l'exercice du droit du requérant au respect de ses biens mentionnées ci-dessus ont fait l'objet de l'arrêt Allan Jacobsson c. Suède du 25 octobre 1989 (série A n° 163). La Cour y a conclu à la non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1. Elle a en revanche constaté un manquement à l'article 6 § 1 de la Convention en ce que le requérant n'avait pas bénéficié d'un droit à un tribunal qui lui eût permis de contester les décisions maintenant les interdictions de construire sur sa propriété. B. La procédure à l'origine de la présente plainte Le 9 juillet 1987, à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1987, de la loi de 1987 et alors que l'affaire susmentionnée était pendante devant les organes de la Convention, le requérant déposa auprès de la commission de la construction une demande d'avis préalable concernant l'octroi d'un permis de construire une maison sur son terrain. Le 13 octobre 1987, la commission de la construction décida toutefois, en vertu des règles introduites par la loi de 1987, de différer sa décision de deux ans (paragraphe 26 ci-dessous). Elle informa le requérant qu'il ne pouvait s'attendre à obtenir un permis de construire dans l'immédiat. Le 21 juin 1989, avant l'expiration du délai de deux ans mentionné ci-dessus, le conseil municipal de Salem rapporta le plan d'aménagement détaillé (appelé auparavant plan de subdivision) en vigueur depuis 1938 (paragraphe 8 ci-dessus). A la suite de cette décision, la commission de la construction confirma, le 11 septembre 1990, son avis préalable du 13 octobre 1987 préconisant le rejet de la demande de permis de construire présentée par le requérant. Elle motiva sa décision en invoquant la nécessité d'élaborer un nouveau plan d'aménagement détaillé et le projet de la commune de consacrer la zone à l'édification de maisons mono- ou multifamiliales, conformément au plan sectoriel de 1986 (paragraphe 14 ci-dessus). Le requérant n'attaqua pas cette décision. Dans l'intervalle, l’intéressé avait toutefois contesté devant la cour administrative d'appel (kammarrätten) de Stockholm la décision du conseil municipal du 21 juin 1989 abrogeant le plan de 1938. Le 6 juillet 1989, la cour déclina sa compétence au motif qu'en vertu de la loi de 1987, pareil recours devait être déféré à la préfecture. La Cour administrative suprême (regeringsrätten) refusa au requérant, le 20 septembre 1989, l'autorisation de former un pourvoi. Par la suite le requérant saisit la préfecture. Il relevait qu'en vertu du chapitre 8, article 23, de la loi de 1987, une décision (sur un permis de construire) pouvait être différée si des travaux étaient en cours en vue de la modification, de la révocation ou de l'adoption d'un plan. Or, en l'espèce, de pareilles démarches n'avaient été entreprises que dix-neuf jours avant l'expiration du délai de deux ans dans lequel la mesure de planification devait s'achever (paragraphe 26 ci-dessous). Il affirmait en outre que la disposition dont il s'agit offrait différentes solutions possibles, qui ne pouvaient se combiner comme ici pour révoquer un plan afin de le modifier ou d'en adopter un nouveau. En procédant de la sorte, la commune aurait contourné le délai légal fixé pour l'examen de la demande de permis de construire présentée par l'intéressé. Celui-ci relevait de surcroît que, conformément entre autres au chapitre 1, article 5, de la loi de 1987, avant de procéder à une révocation, les autorités devaient prendre en compte les intérêts publics et privés (paragraphe 26 ci-dessous). Il invitait la préfecture à déclarer que la révocation du plan d'aménagement détaillé constituait une véritable révocation, non un moyen de proroger le délai prévu pour statuer sur la demande de permis de construire. A titre subsidiaire, il réclamait que ladite demande fût examinée sans retard inconsidéré. Le 7 septembre 1989, la préfecture rejeta le recours et confirma la décision du conseil municipal de rapporter le plan d'aménagement détaillé de 1938. Elle motiva sa décision ainsi : « La zone relève d'un plan d'aménagement détaillé, approuvé par la préfecture le 16 septembre 1938. En vertu de l'article 4 du chapitre 17 de la loi de 1987, il y a lieu de considérer que le délai de mise en œuvre du plan est passé. Dès lors, la commune se trouve en position de force quant au droit de révoquer un plan d'aménagement détaillé ; en effet, la révocation peut être décidée sans que les droits créés par le plan ne soient pris en considération (article 11 § 2 du chapitre 5 de la loi de 1987). Cela présuppose que l'intérêt général milite en faveur de la révocation. L'adoption d'un plan sectoriel pour Östra Rönninge traduit l'existence d'un tel intérêt général. Lorsque des questions sont examinées au regard de la loi de 1987, il convient de prendre en compte les intérêts publics et privés, sauf disposition contraire telle que celle ci-dessus. Il en résulte que la personne qui a acquis un droit créé par le plan ne peut l'invoquer lorsqu'on examine si le plan doit ou non être rapporté. Toutefois, s'agissant du contenu d'un nouveau plan, la principale règle énoncée à l'article 5 du chapitre 1 portant sur les intérêts des particuliers doit manifestement être prise en compte, mais même dans ce cas le respect des droits créés par l'ancien plan ne s'impose pas. Quant à l'adoption d'un nouveau plan, il ne serait pas contraire à la loi de 1987 de la faire précéder par la révocation d'un plan d'aménagement détaillé. On ne peut en l'espèce considérer l'issue éventuelle de l'examen d'une demande de permis de construire pour Salem 2[3]:1 à la suite de l'annulation du plan d'aménagement détaillé. Les conclusions du requérant ne justifient pas de refuser l'exécution de la décision litigieuse. » Le requérant attaqua cette décision devant le gouvernement. Le 14 juin 1990, celui-ci rejeta le recours, déclarant qu'il se ralliait à l'appréciation de la préfecture. Conformément aux dispositions de la loi de 1988 sur le contrôle juridictionnel de certaines décisions administratives (lag 1988:205 om rättsprövning av vissa förvaltningbeslut, « la loi de 1988 »), M. Jacobsson contesta cette dernière décision devant la Cour administrative suprême. Il invita également cette juridiction à examiner sa demande de permis de construire et à tenir une audience. Il soulignait que, d'après le chapitre 8, article 23, de la loi de 1987, dans l'hypothèse où des mesures avaient été prises en vue d'élaborer, de modifier ou de révoquer un plan d'aménagement détaillé, la commission de la construction pouvait, en attendant que la mesure de planification soit achevée, différer sa décision sur une demande de permis de construire. Si la commune n'avait pas mené ladite mesure à bien dans le délai de deux ans, il devait être statué sans délai sur la demande. Dès lors, ledit délai ne pouvait être prorogé par la révocation du plan. D'ailleurs, la commune n'avait pas la faculté d'opter à la fois pour la révocation et soit un amendement du plan soit l'adoption d'un nouveau. Selon le requérant, alors que le plan en cause avait été abrogé en vue de l'adoption d'un nouveau, il fallait voir dans la mesure un simple amendement. Celui-ci n'étant pas intervenu dans le délai de deux ans, la commune n'avait pas le loisir de modifier le plan et de le révoquer en même temps. La révocation du plan n'avait pas de sens puisque l'article 11 du chapitre 5 ne s'appliquait pas à un plan d'aménagement détaillé dont l'achèvement n'était subordonné à aucun délai. Contrairement à ce que la préfecture et le gouvernement avaient donné à entendre, l'article 5 du chapitre 1 devait s'appliquer dans ce cas-ci. Eu égard à ces considérations, le requérant sollicitait l'annulation de la décision du gouvernement et l'examen sans plus tarder de sa demande de permis de construire. Le 11 novembre 1990, la Cour administrative suprême rejeta les griefs du requérant dirigés contre la décision du gouvernement, sans tenir d'audience. Elle déclara : « Aux termes de l'article 1 de [la loi de 1988], à la demande d'une partie privée à certaines procédures administratives devant le gouvernement ou une autre autorité administrative, la Cour administrative suprême examine si la décision contestée contrevient à une règle légale. En l'espèce, l'examen porte sur le rejet par le gouvernement, le 14 juin 1990, du recours du [requérant] contre la décision de la préfecture de Stockholm de confirmer la révocation [du plan d'aménagement détaillé de 1938] concernant une zone rattachée à la commune de Salem. La Cour administrative suprême ne peut donc pas examiner dans le cadre de cette procédure la demande de permis de construire [du requérant]. Elle écarte [avvisar] cette demande et rejette celle relative à la tenue d'une audience publique. Quant à savoir si la révocation du [plan de 1938] contrevient à une règle légale, on peut établir qu'en vertu de l'article 4 du chapitre 17 de la loi de 1987, il s'agissait du plan d'aménagement détaillé dont le délai de mise en œuvre avait expiré. L'article 11 du chapitre 5 de la loi de 1987 prévoit la possibilité de modifier ou rapporter un tel plan sans prendre en compte les droits éventuellement acquis au cours de son existence. Cette dernière disposition constitue une exception à la règle principale énoncée à l'article 5 du chapitre 1 de la loi de 1987 selon laquelle les intérêts publics et privés doivent être pris en considération lorsqu'on examine des questions au regard de la loi de 1987 (projet de loi 1985/86:1, pp. 175 et 464). Rien dans les faits de la cause ne donne à croire que la révocation du plan soit contraire à l'article 11 du chapitre 5, à l'article 5 du chapitre 1, ou à toute autre disposition de la loi de 1987. La décision est confirmée. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions de la loi de 1987 La loi sur l'aménagement du territoire et la construction, entrée en vigueur le 1er juillet 1987, énonce les règles relatives à l'aménagement des terres et zones aquatiques ainsi qu'à la construction. Ces règles ont pour objet, compte dûment tenu des libertés individuelles, de favoriser un développement de la société fondé sur l'égalité et la qualité des conditions de vie pour les générations actuelles et futures (chapitre 1, article 1). Les dispositions de la loi de 1987 invoquées en l'espèce sont ainsi libellées : « Chapitre 1 – Dispositions liminaires (…) Article 5. Lorsque des questions sont examinées au regard de la présente loi, il convient de prendre en compte les intérêts publics et privés, sauf dispositions contraires. (…) Chapitre 5 – Plans d'aménagement détaillés et règlements sectoriels Article 1. Pour examiner si un site se prête à l'aménagement et pour réglementer la réalisation de la zone de construction, il convient de suivre un plan de développement détaillé, qui s'applique aux nouveaux aménagements permanents ; 2. aux nouvelles constructions individuelles dont l'usage aura une importante incidence sur les alentours ou qui seront situées dans une zone faisant l'objet d'une grande demande de terrains à bâtir, ou lorsque l'examen de la construction envisagée ne peut se dérouler à l'occasion de celui d'une demande de permis de construire ou d'avis préalable. (…) Article 5. Le plan d'aménagement détaillé doit énoncer un délai de mise en œuvre, qui doit être fixé de manière à ce que le plan puisse être raisonnablement appliqué dans un délai de cinq ans au moins et de quinze ans au maximum. (…) Passé ce délai, le plan demeure valable tant qu'il n'est pas modifié ou révoqué. (…) Article 11. Avant l'expiration du délai de mise en œuvre, un plan d'aménagement détaillé ne peut faire l'objet de modifications ou d'une révocation se heurtant aux attentes des propriétaires concernés que si ces mesures répondent à un intérêt public majeur, qui ne pouvait être prévu lors de l'élaboration du plan. Passé ce délai de mise en œuvre, le plan peut être modifié ou rapporté sans considération des droits éventuellement acquis durant son existence (…) (…) Chapitre 8 – Permis de construire, de démolir ou d'aménager un site (…) Article 23. Si l'autorisation a été demandée d'exproprier une construction ou un terrain pour lesquels un permis est sollicité, ou si des travaux sont en cours en vue de l'adoption, de l'amendement ou de la révocation d'un plan d'aménagement détaillé, d'une réglementation sectorielle ou d'une réglementation foncière englobant la construction ou le terrain, la commission de la construction peut différer sa décision relative au permis en attendant que la question de l'expropriation soit résolue ou que les travaux de planification soient achevés. Si la commune n'a pas achevé ses travaux de planification dans les deux ans à compter de la réception de la demande du permis par la commission, celle-ci doit statuer sur la demande sans plus attendre. (…) Chapitre 17 – Dispositions transitoires (…) Article 4. Sont considérés comme plans d'aménagement détaillés en vertu de la présente loi, les plans d'urbanisme et les plans d'aménagement rural adoptés en application de la loi sur la construction (1947:385) ou de la loi sur l'urbanisme (1931:142), d'autres types de plans et de règlements plus anciens prévus aux articles 79 et 83 de la dernière loi susmentionnée, ainsi que les plans de subdivision, qui ne sont pas visés par une directive émise conformément à l'article 168 de la loi sur la construction. Les plans de subdivision qui sont visés par les directives susmentionnées cessent d'être valables du fait de l'entrée en vigueur de la présente loi. Quant aux plans d'urbanisme et aux plans d'aménagement rural adoptés avant fin 1978, le délai de mise en œuvre, conformément à l'article 5 § 5, est réputé être de cinq ans à compter de la date où ils ont acquis force exécutoire. Pour les autres plans et règlements visés au premier paragraphe, on considère que le délai de mise en œuvre a expiré. Sauf dispositions contraires dans un plan ou un règlement qui, aux termes du premier paragraphe, est réputé être un plan d'aménagement détaillé au sens de la présente loi, l'article 39 de l'ordonnance sur la construction (1959:612) s'applique d'office au plan. » B. Dispositions sur le contrôle juridictionnel La loi de 1988 sur le contrôle juridictionnel de certaines décisions administratives fut introduite à la suite de plusieurs arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme, rendus notamment dans des affaires suédoises, selon lesquels l'absence de contrôle juridictionnel de certaines décisions administratives enfreignait l'article 6 § 1 de la Convention. Promulguée à titre temporaire, elle devait rester en vigueur jusqu'en 1991 ; elle a été prorogée à compter du 1er juillet 1996 pour une durée indéterminée. Aux termes de l'article 1, quiconque a été partie à une procédure administrative devant le gouvernement ou une autre autorité publique peut, à défaut d'autres recours, inviter la Cour administrative suprême, statuant en premier et dernier ressort, à contrôler les décisions prises en l'espèce et impliquant l'exercice d'un pouvoir public à l'égard d'un particulier. Les types de décisions administratives relevant de la loi se trouvent précisés aux articles 2 et 3 du chapitre 8 de l'instrument de gouvernement (regeringsformen), auquel renvoie l'article 1 de la loi de 1988. L'article 2 de celle-ci énumère plusieurs types de décisions échappant à son empire ; aucun d'eux n'entre en jeu ici. Dans une instance engagée en vertu de la loi de 1988, la Cour administrative suprême recherche si la décision contestée « contrevient à une règle légale » (article 1 de la loi de 1988). D'après les travaux préparatoires reproduits dans le projet de loi 1987/88:69 (pp. 23–24), son examen au fond porte pour l'essentiel sur des questions de droit mais peut englober aussi des questions de fait pertinentes pour l'application de la loi ; elle doit aussi s'assurer qu'il n'y a pas eu de vices de procédure propres à fausser le résultat du litige. Si ladite Cour déclare illégale la décision attaquée, elle l'annule et, au besoin, renvoie la cause à l'autorité administrative compétente. La procédure devant la Cour administrative suprême se trouve régie par la loi de 1971 sur la procédure administrative (förvaltningsprocesslagen). Elle se déroule en principe par écrit, mais la Cour peut décider de tenir une audience sur des points précis si cela lui paraît de nature à faciliter sa tâche ou à accélérer l'instance (article 9). Depuis le 1er juillet 1996, l'article 3 a) de la loi de 1988 énonce que, dans le cadre d'une procédure de contrôle juridictionnel, la Cour doit tenir une audience si la personne qui la saisit en fait la demande et si cela n'est pas manifestement superflu. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Jacobsson a saisi la Commission le 21 juillet 1990. Il se plaignait de plusieurs manquements à l'article 6 § 1 de la Convention : premièrement, il n'avait pu faire statuer par un tribunal sur la révocation du plan d'aménagement détaillé de 1938, deuxièmement, l'étendue du contrôle de la Cour administrative suprême était insuffisante et, troisièmement, il s'était vu refuser une audience dans la procédure devant cette juridiction. Il alléguait en outre que la révocation du plan d'aménagement détaillé de 1938 emportait violation de son droit au respect de ses biens, garanti par l'article 1 du Protocole n°1. Le 16 octobre 1995, la Commission a déclaré la requête (n°16970/90) en partie recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne l'absence d'audience devant la Cour administrative suprême et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 26 novembre 1996 (article 31), elle formule l'avis, par dix-neuf voix contre sept, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience du 24 novembre 1997, comme il l’avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu en l’espèce violation de l’article 6 de la Convention. A la même occasion, le requérant a derechef demandé à la Cour de constater une violation de l’article 6 et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte Le 22 août 1980, M. Jean-Marie Le Calvez fut recruté, en qualité de fonctionnaire territorial, comme technicien agricole en Nouvelle-Calédonie. Il fut titularisé le 12 octobre 1981. La première mise en disponibilité A la suite d’une demande du requérant en date du 7 avril 1986, le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (« le Haut- Commissaire ») décida le 3 juillet 1986 de le placer en position de disponibilité pour une période d’un an à compter du 1er octobre 1986, conformément à l’article 95 du décret n° 1065 du 22 août 1953 portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux du territoire de la Nouvelle-Calédonie (paragraphe 44 ci-dessous). Par une décision du 2 juin 1987, le requérant, conformément à son souhait, fut maintenu dans cette position pour une période de deux ans à compter du 1er octobre 1987, laquelle fut renouvelée jusqu’au mois de janvier 1990. Le détachement Le 26 décembre 1989, le ministre de l’Agriculture et de la Forêt prononça le détachement de M. Le Calvez, qui en avait fait la demande, pour une période de cinq ans à compter du 1er février 1990. L’intéressé fut affecté successivement à la direction départementale de l’agriculture et de la forêt des Côtes d’Armor, puis à partir du 1er février 1991, et à sa demande, au service régional de la protection des végétaux à Brest. Après un avis défavorable de la commission administrative paritaire des techniciens d’agriculture du 28 mai 1991 quant au maintien du requérant dans ledit service, le ministre de l’Agriculture informa M. Le Calvez de sa décision de mettre fin à son détachement dans le corps des techniciens du cadre d’Etat et de demander sa réintégration dans le corps des techniciens du cadre territorial de l’agriculture de la Nouvelle-Calédonie. Par un arrêté du 2 juillet 1991, le ministre prononça la fin dudit détachement à compter du 1er août 1991. La seconde mise en disponibilité Par une lettre du même jour, le Haut-Commissaire invita le requérant à réintégrer son administration d’origine ou à demander sa mise en disponibilité. La veille, soit le 1er juillet 1991, le requérant avait été placé en arrêt de travail et avait sollicité une indemnisation de la « Mutualité Fonction Publique », qui lui envoya le courrier suivant le 7 octobre 1991 : « (…) nous vous confirmons qu’il ne nous est pas possible de procéder à l’indemnisation de l’arrêt de travail qui vous a été prescrit à compter du 30 juillet 1991 jusqu’au 26 octobre 1991. En effet, vous êtes fonctionnaire titulaire. A ce titre, les prestations en espèces de l’assurance maladie sont versées par l’administration (…) » Le même mois, la Mutualité adressait au ministère de l’Agriculture un courrier dans lequel elle confirmait que le requérant était en arrêt de travail depuis le 1er juillet 1991. Elle soulignait que, compte tenu de la cessation d’activité de l’intéressé au sein dudit ministère avec effet au 1er août 1991, ce dernier devait pouvoir prétendre, soit au titre de la fonction publique, soit au titre du régime de sécurité sociale des fonctionnaires, d’une indemnisation. Auparavant, le 9 août 1991, M. Le Calvez avait informé les autorités compétentes de son souhait de ne pas regagner la Nouvelle-Calédonie avant que le tribunal administratif de Rennes ne statue sur sa demande d’annulation de l’arrêté du 2 juillet 1991 (voir paragraphe 19 ci-dessous). Par une décision du 16 septembre 1992, le Haut-Commissaire plaça en conséquence le requérant en position de disponibilité, pour une première période d’un an, à savoir du 1er août 1991 au 31 juillet 1992, prorogée d’année en année et qui a pris fin le 20 mars 1995. Le 30 octobre 1992, la Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) de la direction départementale du travail et de l’emploi du Finistère ne reconnut pas au requérant la qualité de travailleur handicapé et le considéra dès lors comme apte au travail. Le 21 décembre 1994, le Haut-Commissaire adressa au requérant la lettre suivante : « J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint deux ampliations de la décision vous maintenant en position de disponibilité du 1er août 1994 au 20 mars 1995 inclus, date à laquelle vous aurez bénéficié de la totalité des neuf années de disponibilité prévues par l’article 96 de l’arrêté n° 1065 du 22 août 1953. Votre demande de réintégration a été transmise aux collectivités susceptibles de disposer d’un poste budgétaire vacant qui permettrait votre réintégration (...) » B. La procédure relative au détachement Le sursis à exécution Le 31 juillet 1991, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Rennes une demande de sursis à exécution de l’arrêté du 2 juillet 1991 mettant fin à son détachement. Par un jugement du 16 octobre 1991, le tribunal rejeta cette demande, estimant que le préjudice qui résulterait de l’exécution dudit arrêté n’était pas de nature à justifier le sursis à exécution. Le Conseil d’Etat confirma le jugement par un arrêt du 7 octobre 1992. Le recours en annulation Toujours le 31 juillet 1991, M. Le Calvez saisit le tribunal administratif de Rennes d’un recours en annulation contre l’arrêté du 2 juillet 1991. Le tribunal repoussa le recours le 8 juin 1994, par les motifs suivants : « (...) Sur la fin de détachement Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 137 bis de la loi n° 84-821 du 6 septembre 1984 inséré par l’article 38 de la loi 85-1221 du 22 novembre 1985 : « Nonobstant toutes dispositions contraires dans les statuts particuliers régissant les corps de l’Etat soumis à la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat et dans les statuts particuliers régissant les corps et emplois de la fonction publique territoriale soumis à la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, les fonctionnaires appartenant à la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie pourront être détachés dans des corps et emplois de l’Etat ou des collectivités territoriales de niveau équivalent à ceux auxquels ils appartiennent et y être intégrés » ; que ces dispositions, si elles permettent le détachement de fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie ainsi que leur intégration dans des corps équivalents de la fonction publique de l’Etat ou de la fonction publique territoriale, ne dérogent néanmoins pas au caractère révocable du détachement (...) Considérant en deuxième lieu, qu’il ressort des pièces versées au dossier qu’informé par lettre du 11 juin 1991 de la décision de mettre fin au détachement (...), le délégué du gouvernement pour la Nouvelle-Calédonie a demandé à l’intéressé (...) de lui préciser s’il souhaitait être placé en disponibilité ou être réintégré dans son cadre d’origine ; que par suite M. Le Calvez ne peut utilement invoquer ni un refus de réintégration après disponibilité qui lui aurait été opposé antérieurement ni la circonstance que son administration d’origine n’aurait pas donné son accord à cette mesure ; Considérant, enfin, qu’il ne ressort pas des pièces versées au dossier que la décision mettant fin au détachement du requérant ait été prise pour des motifs étrangers à l’intérêt du service ou soit entachée d’erreur d’appréciation ; Sur le refus d’intégration Considérant que si la décision litigieuse mettant fin au détachement du requérant doit être regardée comme portant également refus d’intégration, celui-ci ne peut utilement soutenir que l’administration devait l’intégrer en application de l’article 137 bis de la loi du 6 septembre 1984, lesdites dispositions, ainsi que précisé ci-dessus, ne créant aucune obligation à la charge de l’administration d’origine. (…) » Le 6 juillet 1994, le requérant attaqua le jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes. Le ministre de l’Agriculture déposa un mémoire le 15 novembre 1994, auquel le requérant répondit le 1er décembre de la même année. Par un arrêt du 14 mai 1998, la cour administrative d’appel de Nantes confirma le jugement de première instance. C. Le recours contre la décision de mutation à Brest Entre-temps, par une requête enregistrée le 31 mai 1991 au greffe du tribunal administratif de Rennes, le requérant avait informé le tribunal qu’il « estimait être victime d’une diffamation morale, intellectuelle et professionnelle et souhaiterait bénéficier de conseils ». Le 8 juin 1994, le tribunal rendit le jugement suivant : « Considérant que la requête de M. Le Calvez tend à l’annulation de la décision du 28 décembre 1990 concernant sa mutation à Brest ; Considérant que la décision en cause a été prise, suite à la demande présentée par M. Le Calvez le 10 décembre 1990 ; qu’au surplus, le requérant n’allègue que des moyens tirés de l’illégalité de la décision du 2 juillet 1991 mettant fin à son détachement et qui sont inopérants à l’appui de la décision du 28 décembre 1990 ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête ne peut être que rejetée. » D. La procédure en versement d’indemnités Devant le tribunal administratif de Rennes Dans l’intervalle, le 30 juin 1992, l’intéressé avait adressé au Haut-Commissaire une lettre – restée sans réponse – dans laquelle il demandait « des informations sur sa situation administrative » et sollicitait le versement d’une indemnité de maladie et une compensation de salaire à compter du 1er août 1991. Il faisait valoir que son état de santé le contraignait à être placé en position d’arrêt de travail depuis le mois d’août 1991 et justifiait le paiement d’indemnités de maladie en vertu du code de la sécurité sociale. Le 15 juillet 1992, M. Le Calvez déposa une requête auprès du tribunal administratif de Rennes par laquelle il demandait l’annulation de la décision implicite du Haut-Commissaire de lui refuser le versement d’indemnités de maladie ainsi qu’une compensation de salaire. Le 1er avril 1994, l’aide juridictionnelle fut accordée au requérant. Le Haut-Commissaire produisit un mémoire en défense, enregistré au greffe du tribunal le 11 juillet 1994, et communiqué à M. Le Calvez par l’intermédiaire de son avocat le 12 septembre. Il concluait dans les termes suivants : « (...) Depuis le mois de juillet 1991, M. Le Calvez adresse régulièrement à l’administration territoriale des avis de prolongation d’arrêt de travail (près d’une cinquantaine reçus à ce jour). Dans un courrier daté du 3 janvier 1994, il a adressé à son administration un certificat médical du Dr Roswag certifiant que son état de santé rend incompatible la reprise d’un poste en Nouvelle-Calédonie (... ) A l’expiration de sa période de détachement, M. Le Calvez n’a pas souhaité, pour des raisons de convenance personnelle, regagner le territoire de la Nouvelle-Calédonie. L’administration territoriale a régularisé sa situation en le plaçant, conformément aux dispositions du statut général des fonctionnaires territoriaux, en position de disponibilité à compter du 1er août 1991. Le fonctionnaire placé en position de disponibilité ne perçoit en principe aucun traitement et perd le bénéfice du régime de sécurité sociale des fonctionnaires. De ce fait, M. Le Calvez ne peut prétendre à aucune rémunération et à aucune indemnité. (…) » Le 16 janvier 1995, le médiateur de la République, saisi de l’affaire, fit savoir qu’il avait été informé par le territoire de la Nouvelle-Calédonie que ce dernier ne disposait d’aucun poste vacant susceptible d’accueillir le requérant. Quant à la question de la prise en charge de ce dernier pendant sa maladie, il écrivit : « (…) il m’a été fait connaître qu’il ne pouvait bénéficier d’un congé de maladie rémunéré dans la mesure où le ministère de l’agriculture n’avait pas à maintenir la rémunération de M. Le Calvez au-delà du 1er août 1991. Le territoire de la Nouvelle-Calédonie, ayant dû le placer en disponibilité d’office, ne pouvait de son côté assurer le versement d’un salaire. Je suis pour ma part obligé de constater qu’un règlement amiable, par la prise en considération des éléments d’équité que j’ai pu développer auprès de mes interlocuteurs s’est heurté à une stricte application des dispositions réglementaires sur ce dernier point. » Le conseil du requérant déposa un mémoire le 26 janvier 1995. Par un jugement du 1er mars 1995, le tribunal administratif de Rennes débouta le requérant pour les motifs suivants : « Considérant que M. Le Calvez, technicien agricole du cadre territorial de l’agriculture en Nouvelle-Calédonie, a été placé en position de détachement auprès du ministre de l’Agriculture et de la Forêt pour une période de 5 ans à compter du 1er février 1990 ; que par arrêté du 2 juillet 1991, le ministre de l’Agriculture et de la Forêt a mis fin à ce détachement à compter du 1er août 1991 ; que le délégué du gouvernement, Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, a invité M. Le Calvez, par lettre du 2 juillet 1991, à lui faire connaître, sous huitaine, s’il souhaitait être placé en position de disponibilité ou être intégré dans son cadre d’origine ; que n’ayant pas regagné le territoire de la Nouvelle-Calédonie, il a alors, par décision du 16 septembre 1992, été placé en position de disponibilité pour une période d’un an, du 1er août 1991 au 31 juillet 1992 inclus, puis maintenu dans cette position par décisions des 23 février et 21 octobre 1993 ; que la requête de M. Le Calvez doit être regardée comme tendant à l’annulation de la décision implicite de refus opposée par le Délégué du gouvernement, Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, à sa demande de versement d’une indemnité de maladie et d’une compensation de traitement pour la période qui a commencé à courir le 1er août 1991 ; Considérant que si, à partir du mois de juillet 1991, M. Le Calvez a adressé aux services territoriaux de la Nouvelle-Calédonie des avis d’arrêt de travail, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’un congé maladie lui ait été octroyé ni qu’il ait été mis en disponibilité pour maladie ; que dans ces conditions, M. Le Calvez qui ne saurait utilement invoquer les dispositions des articles L. 721-1 et D. 712-12 du code de sécurité sociale et celles des articles 70 et 71 du statut général des fonctionnaires territoriaux, ne peut prétendre à aucune compensation du traitement ni au bénéfice du régime de sécurité sociale des fonctionnaires. » Devant la cour administrative d’appel de Nantes Le 14 mars 1995, l’intéressé interjeta appel du jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes. Le ministre des Départements et Territoires d’Outre-Mer déposa un mémoire le 11 avril 1995, dans lequel il déclina sa compétence au profit du Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. Le 25 avril 1995, le requérant adressa une lettre au président de la cour administrative d’appel de Nantes, dans laquelle il demandait la jonction de ses deux affaires pendantes (paragraphes 21 et 33 ci-dessus). Il précisait que toutes ses demandes d’emploi avaient été infructueuses et que la réintégration dans son administration d’origine était impossible faute de poste budgétaire vacant en Nouvelle-Calédonie. Il ajoutait que l’octroi d’une aide financière lui permettrait de se rendre en Nouvelle-Calédonie pour examiner sur place les possibilités de réintégration ou de reclassement. Le 17 juillet 1995, la cour administrative d’appel enregistra le mémoire en défense du Haut-Commissaire qui concluait : « (…) si la requête présentée par M. Le Calvez comporte quelques éléments de fait, le plus souvent étrangers au présent litige, elle ne comporte en revanche aucun moyen de droit (...) A l’expiration de sa période de détachement, M. Le Calvez n’a pas souhaité, pour des raisons de convenance personnelle, regagner le territoire de la Nouvelle-Calédonie. L’administration territoriale a régularisé sa situation en le plaçant, conformément aux dispositions du statut général des fonctionnaires territoriaux, en position de disponibilité à compter du 1er août 1991. Le fonctionnaire placé en position de disponibilité ne perçoit en principe aucun traitement et perd le bénéfice du régime de sécurité sociale des fonctionnaires. De ce fait, M. Le Calvez ne peut prétendre à aucune rémunération et à aucune indemnité. Il n’est donc pas fondé à demander l’annulation du refus de l’administration de lui verser une indemnité de maladie. (...) » Le requérant déposa un mémoire le 14 août 1995. Dans un courrier du 21 décembre 1995 – resté sans réponse –, il s’enquit du déroulement de la procédure devant la cour administrative d’appel. Par une lettre du 22 février 1996, il interrogea à nouveau le président de la cour administrative sur la possibilité de joindre les deux affaires précitées (paragraphe 35 ci-dessus) et s’inquiéta de la lenteur avec laquelle l’examen de ses affaires progressait. Le greffier de la cour lui répondit le 11 mars 1996 que les dossiers n’étaient pas en état d’être jugés car l’avocat qui avait été désigné pour le représenter au titre de l’aide juridictionnelle n’avait pas encore produit de mémoire. D’après le Gouvernement, ledit avocat a depuis lors été rayé du barreau. Le 11 juin 1996, le requérant s’enquit une nouvelle fois auprès du président de la cour administrative d’appel du sort et du déroulement de la procédure. Le 17 décembre 1997, son nouvel avocat déposa un mémoire. Le 21 janvier 1998, la cour administrative d’appel de Nantes informa le requérant de la tenue d’une audience dans les deux affaires précitées (paragraphe 35 ci-dessus) au courant du mois d’avril 1998. Par un arrêt du 14 mai 1998, la cour administrative de Nantes confirma le jugement de première instance. Elle considéra que du fait de la position de disponibilité dans laquelle le requérant se trouvait, il n’avait pas droit aux prestations sociales réclamées et ce, conformément à l’article 99 du statut des fonctionnaires du territoire de la Nouvelle-Calédonie (paragraphe 44 ci-dessous). En outre, elle ajouta que les dispositions du code de sécurité sociale invoquées par le requérant à l’appui de ses revendications, à savoir les articles L. 712-1 et D. 712-11 (paragraphe 46 ci-dessous), ne s’appliquaient pas davantage à sa situation car elles concernaient les fonctionnaires en position d’activité. Le 20 mai 1998, le requérant se pourvut devant le Conseil d’Etat. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les principes régissant la mise en disponibilité des fonctionnaires territoriaux Les dispositions du décret n° 1065 du 22 août 1953 pris par le Haut- Commissaire et portant statut général des fonctionnaires des cadres territoriaux de l’administration du territoire de la Nouvelle-Calédonie, applicables en l’espèce, sont les suivantes : Article 91 « La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors des cadres de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier dans cette position de ses droits à l’avancement et à la retraite. » Article 92 « La disponibilité est prononcée par arrêté du chef du territoire, soit d’office, soit à la demande de l’intéressé. (…) » Article 93 « La mise en disponibilité ne peut être prononcée d’office que dans le cas où le fonctionnaire, ayant épuisé ses droits au congé de convalescence ou de longue durée pour maladie, ne peut, à l’expiration de la dernière période, reprendre son service. Dans le cas de la disponibilité d’office faisant suite à un congé de maladie, le fonctionnaire perçoit pendant six mois la moitié de son traitement d’activité, et la totalité des suppléments pour charges de famille. » Article 94 « La durée de la disponibilité prononcée d’office ne peut excéder une année. Elle peut être renouvelée à deux reprises pour une durée égale. (…) » Article 95 « La mise en disponibilité sur demande de l’intéressé ne peut être accordée que pour accident ou maladie grave du conjoint ou d’un enfant, et, après un an de service effectif, à titre exceptionnel, pour convenances personnelles et pour recherches ou études présentant un intérêt général incontestable. » Article 96 « La durée de la mise en disponibilité sur demande de l’intéressé ne peut excéder trois années. Mais elle peut être renouvelée à deux reprises pour une durée égale. » Article 99 « Le fonctionnaire mis en disponibilité sur sa demande n’a droit à aucune rémunération. (…) » Article 100 « Le fonctionnaire mis en disponibilité sur sa demande doit solliciter sa réintégration deux mois au moins avant l’expiration de la période en cours. Cette réintégration est de droit à l’une des trois premières vacances si la durée de la disponibilité n’a pas excédé trois années. » La mise en disponibilité est également régie par l’article 72 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son administration ou service d’origine, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l’avancement et à la retraite. La disponibilité est prononcée, soit à la demande de l’intéressé, soit d’office à l’expiration des congés prévus aux 2°, 3° et 4° de l’article 57 (congé de maladie d’un an, de longue maladie de trois ans et congé de longue durée). Le fonctionnaire mis en disponibilité qui refuse successivement trois postes qui lui sont proposés dans le ressort territorial de son cadre d’emploi, emploi ou corps en vue de la réintégration peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. Dans les autres cas, si la durée de la disponibilité n’a pas excédé trois années, une des trois premières vacances dans la collectivité ou l’établissement d’origine doit être proposée au fonctionnaire. (…) » B. Le code de sécurité sociale Les articles D. 712-11 et L. 712-1 du code de sécurité sociale se lisent ainsi : Article D. 712-11 « En cas de maladie et maternité, les fonctionnaires bénéficient des prestations en nature des assurances sociales, dans les conditions et suivant les tarifs en vigueur dans les caisses d’assurance maladie auxquelles ils sont affiliés (…) » Article L. 712-1 « Les fonctionnaires en activité, soumis au statut général, (…) bénéficient, ainsi que leur famille, dans le cas de maladie, maternité, invalidité et décès, de prestations au moins égales à celles qui résultent de la législation relative au régime de sécurité sociale. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Le Calvez a saisi la Commission le 9 juillet 1994. Il alléguait une violation de l’article 6 § 1 de la Convention résultant de la longueur des procédures qu’il a engagées devant les juridictions administratives, ainsi que de l’article 6 § 3 de la Convention. Le 27 juin 1996, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 25554/94) quant au grief relatif à la durée de la procédure en versement d’indemnités. Dans son rapport du 26 février 1997 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la requête, à titre principal parce qu’incompatible ratione materiae avec les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention, à titre subsidiaire parce que mal fondée. De son côté, le requérant invite la Cour à dire qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 en ce qu’il n’a pas été statué dans un délai raisonnable sur ses droits de caractère civil comme l’exige cette disposition.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant espagnol né en 1952, le requérant est sous-chef du personnel de la société W. A. La genèse de l'affaire et le déroulement de l'enquête Le 12 novembre 1984, à la suite de la plainte contre X déposée par Mme M., salariée de la société W., auprès du juge d'instruction n° 31 de Madrid pour injures et menaces téléphoniques et écrites, une information judiciaire (diligencias previas) fut ouverte. Le 6 février 1985, M. R., fiancé de Mme M., déposa plainte contre X pour les mêmes faits. Les 8 janvier et 19 février 1985, le juge d'instruction ordonna, en vertu de l'article 18 § 3 de la Constitution et sur demande de Mme M. et M. R., formulée lors de leur déposition, la mise sur écoute de leurs lignes téléphoniques pour une durée d'un mois. Plusieurs appels suspects effectués depuis la société W. ou à partir de cabines téléphoniques furent interceptés. Les 18 février et 25 mars 1985 respectivement, la mise sur écoute fut supprimée. Le 29 mars 1985, Mme M. dévoila devant le juge d’instruction les noms des cinq personnes, dont le requérant, ayant accès au numéro de poste de la société W. à partir duquel certains des appels suspects avaient été effectués. Le même jour, trois autres personnes furent citées à comparaître. La société W. fut priée d’apporter des précisions sur les bureaux et les personnes correspondant aux numéros de téléphone litigieux. Le 30 avril 1985, le juge d'instruction ordonna à nouveau la surveillance des lignes téléphoniques de Mme M. et M. R. pour une période allant du 1er au 31 mai 1985. Il ordonna également l'étude de l'écriture des lettres anonymes contenant des menaces à l'encontre de Mme M., en vue de déterminer le modèle de la machine à écrire utilisée pour les rédiger, ainsi que des photographies jointes à certaines des lettres. Il fit également examiner les restes de salive et les empreintes se trouvant sur les enveloppes. Le 7 juin 1985, la cassette contenant l’enregistrement des appels effectués aux numéros surveillés, dont certains révélaient que des menaces et des insultes avaient été proférées à l'encontre de Mme M., fut remise au juge d’instruction. Le 19 novembre 1985, le juge d'instruction ordonna, en se fondant sur l'article 18 § 3 de la Constitution (paragraphe 29 ci-dessous) et prenant en considération le titre VIII du livre II du code de procédure pénale « portant sur l’entrée et les perquisitions dans un endroit fermé, l'examen des livres et des pièces écrites et sur l'interception et l'ouverture de la correspondance écrite et télégraphique » (paragraphe 30 ci-dessous), la mise sur écoute des lignes téléphoniques privées de S. et de M. Valenzuela, chef et sous-chef du personnel, respectivement, de la société où le requérant travaillait, pour une durée d'un mois à partir du 26 novembre 1985. Le requérant apparaissait en effet comme le principal suspect, compte tenu, d'une part, du fait que la plupart des appels étaient effectués depuis la société W. où il travaillait et qu'en tant que sous-chef du personnel il avait accès aux archives de la société et, d'autre part, du fait de la relation sentimentale que M. Valenzuela avait entretenue avec Mme M. L’ordonnance du juge d'instruction se lisait ainsi : « Il est sollicité la mise sur écoute des lignes téléphoniques n° 641 29 25 et n° 795 22 00, appartenant à Cosme Valenzuela Contreras et à M.[S.], respectivement, installées dans cette ville, dans la rue Avda. del Oeste n° 41 de Alcorcón, le premier, et dans la rue H., le second, au motif d'investigation de certains faits délictuels sur lesquels une enquête policière active est en cours. Attendu que : il peut être déduit de ce qui a été exposé par la police judiciaire qu’il existe des indices bien fondés pour que des faits et des circonstances d’intérêt sur la commission d’un délit puissent être découverts par la mise sur écoute des lignes téléphoniques n° 641 29 25 et n° 795 22 00, appartenant à Cosme Valenzuela Contreras et à M.[S.], respectivement ; il est pertinent de procéder à la mise sur écoute sollicitée, qui sera menée par les agents de la Compagnie téléphonique nationale susmentionnée, telle qu’elle est autorisée par l’article 18 § 3 de la Constitution en vigueur. Vu, outre l’article cité, le titre VIII du livre [II] du code de procédure pénale et les autres dispositions d’application générale. [Le juge] dit : la mise sur écoute des lignes téléphoniques n° 641 29 25 et n° 795 22 00, respectivement, appartenant à Cosme Valenzuela Contreras et à M.[S.], qui sera menée par les fonctionnaires de la Compagnie téléphonique nationale d’Espagne pendant une période d’un mois à partir d’aujourd’hui est ordonnée ; à l’échéance de cette période, ils devront rendre compte du résultat de l’intervention mentionnée. (…) » Le 10 décembre 1985, la Direction générale de la police du ministère de l'Intérieur informa le juge d'instruction n° 1 de Madrid que la mise sur écoute du numéro de téléphone de M. S. avait été infructueuse, aucun appel ou conversation suspect n'ayant été enregistré. Elle précisait en revanche que la surveillance de la ligne téléphonique de M. Valenzuela avait révélé que de nombreux appels avaient été passés depuis son téléphone vers ceux de Mme M., du fiancé de cette dernière et de leurs parents proches. Toutefois, la personne qui appelait raccrochait dès que le correspondant décrochait. Le même jour, la Direction générale de la police demanda au juge l'autorisation d'effectuer une perquisition au domicile de M. Valenzuela après que de nouvelles lettres injurieuses eurent été envoyées à la victime. La mise sur écoute de la ligne téléphonique de M. Valenzuela prit fin le 20 décembre 1985, en raison d'une panne dans le système. Les cassettes originales ainsi enregistrées furent remises au juge et incluses dans le dossier judiciaire soumis à l'examen contradictoire des parties. Le 27 décembre 1985, le requérant lui-même porta plainte devant le juge d'instruction n° 2 de Madrid pour menaces téléphoniques. Le 17 juin 1986, le requérant pria le juge, lors de sa comparution, d'ordonner la mise sur écoute de sa propre ligne téléphonique, ce qui ne donna aucun résultat. Le 14 juin 1988, le juge conclut à un non-lieu provisoire (sobreseimiento provisional). Les 9 décembre 1985 et 13 janvier 1986, la Direction générale de la police confirma devant le juge d'instruction que vingt-deux appels avaient été passés à partir de la ligne téléphonique du requérant pendant la durée de la mise sur écoute, dont trois au domicile de Mme M., huit à celui de M. R., deux à la tante de ce dernier et neuf à son chef. Le 26 janvier 1986, le ministère public demanda l’ouverture d’une procédure pénale (sumario) pour délits d’injures graves et menaces à l’encontre de M. Valenzuela et, le cas échéant, de M. S. Le 25 février 1986, le juge d’instruction n° 31 de Madrid ordonna des perquisitions au domicile du requérant et au siège de la société W. Le 18 avril 1986, ce même juge décida d'ouvrir une procédure pénale à l’encontre de M. Valenzuela. Par une ordonnance (auto de procesamiento) du 18 avril 1986, il inculpa le requérant d’injures graves et menaces en vertu des articles 457, 458 §§ 2, 3 et 4, 459, 463 et 493 § 2 du code pénal. Le 26 décembre 1990, le juge d’instruction n° 27 de Madrid, qui s’était vu attribuer l’affaire le 2 janvier 1990, déclara l’instruction close et ordonna le renvoi de l'affaire en jugement devant l’Audiencia provincial de Madrid. B. La procédure devant l'Audiencia provincial de Madrid Les 25 juin et 8 juillet 1991, le ministère public ainsi que Mme M. et M. R., ces derniers en qualité de partie accusatrice privée (acusador particular), formulèrent leurs conclusions provisoires. Le 7 mai 1992, le requérant fit valoir que la surveillance de sa ligne téléphonique et les perquisitions qui avaient eu lieu à son domicile avaient violé les articles 18 et 24 de la Constitution (paragraphe 29 ci-dessous). Le 8 mai 1992, l'Audiencia provincial de Madrid condamna le requérant à une peine de quatre mois d’emprisonnement, à des amendes ainsi qu’à verser des indemnités à Mme M. pour délit continu de menaces proférées pendant quatre ans, par téléphone et par lettre à l'encontre de Mme M. et de M. R., son fiancé, et de leurs familles respectives, dans leur milieu privé et professionnel. Le jugement souligna qu'en tout état de cause, ni les perquisitions ni les écoutes téléphoniques ne constituaient un élément déterminant pour conclure à la culpabilité du requérant ; par le biais des écoutes, il avait été constaté que certains des appels passés à partir du téléphone du requérant correspondaient au numéro de téléphone de Mme M. et que la plupart des appels litigieux avaient été passés depuis la société où tant Mme M. que le requérant travaillaient ; néanmoins, l'identité de la personne qui appelait n'avait pu être déterminée dans la mesure où celle-ci raccrochait dès que le correspondant décrochait. C. La procédure devant le Tribunal suprême Le requérant forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté le 19 mars 1994 par le Tribunal suprême. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques litigieuses, l'arrêt précisa qu’à supposer que l'autorisation judiciaire pour procéder à la mise sur écoute de la ligne téléphonique du requérant eût été accordée « de façon générique », ce moyen de preuve ne constituait pas le seul élément ayant emporté la conviction du tribunal a quo, et qu'en tout état de cause, les menaces litigieuses avaient été également proférées par écrit. D. Le recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel Le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo sur le fondement du principe de la présomption d’innocence et du droit au respect de la vie privée et familiale et du secret des communications téléphoniques (articles 24 et 18 de la Constitution) (paragraphe 29 ci-dessous). Le 16 novembre 1994, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours par les motifs suivants : « (…) Contrairement aux arguments du requérant, aucune violation de son droit au secret des communications téléphoniques ne peut être appréciée dans la présente affaire, dans la mesure où la surveillance de sa ligne téléphonique privée avait été préalablement autorisée par une décision judiciaire motivée conformément à l'article 579 § 3 du code de procédure pénale. Il faut signaler néanmoins que ladite intervention ne donna pas des résultats déterminants permettant de conclure à la culpabilité de M. Valenzuela du chef du délit de menaces dont il était soupçonné, dans la mesure où ce qui a été seulement constaté, c'était que des appels fréquents et sans aucun contenu avaient été effectués depuis son domicile à celui de la personne menacée, puisque l'auteur desdits appels raccrochait dès que [la victime] décrochait. Ce qui a été vraiment déterminant à cet effet [conclure à la culpabilité du requérant] fut l'ensemble d'indices tels que la relation sentimentale récente du demandeur d’amparo avec [Mme M.], sa condition de sous-chef du personnel de la société dans laquelle cette dernière travaillait, le fait qu’il a été démontré que certains des appels avaient été effectués depuis ladite société, et que les photographies accompagnant certaines des lettres anonymes étaient celles des fichiers du personnel appartenant aux archives de la société, accessibles uniquement à ceux qui travaillaient dans son service du personnel, les réactions de [M. Valenzuela] pendant les débats oraux, etc. Ces indices, dûment appréciés par l’[Audiencia provincial] au moyen d’un raisonnement clair non susceptible d’être qualifié d'illogique, peuvent être considérés suffisants pour détruire la présomption d’innocence du demandeur d’amparo (…) » II. le droit interne pertinent A. La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées : Article 10 § 2 « Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l'Espagne. » Article 18 § 3 « Le secret des communications et, en particulier, des communications postales, télégraphiques et téléphoniques est garanti, sauf décision judiciaire. » Article 96 « Les traités internationaux régulièrement conclus, et une fois publiés officiellement en Espagne, feront partie de l’ordre juridique interne (…) » B. Le code de procédure pénale Avant l’entrée en vigueur de la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988 Parmi les dispositions pertinentes du titre VIII du livre II du code de procédure pénale portant sur l’entrée et les perquisitions dans un endroit fermé, l'examen des livres et des pièces écrites et sur l'interception et l'ouverture de la correspondance écrite et télégraphique, en particulier, celles relatives à la correspondance, étaient les suivantes : Article 579 « Le juge pourra autoriser la saisie de la correspondance privée, postale et télégraphique envoyée ou reçue par la personne mise en examen, s'il existe des indices permettant d'obtenir par ces moyens la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure. » Article 581 « L'agent ayant effectué la saisie de la correspondance, la remettra immédiatement au juge d'instruction. » Article 583 « La décision motivée autorisant la saisie et le contrôle de la correspondance (...) précisera la correspondance devant être saisie ou contrôlée (...) » Article 586 « L'opération aura lieu au moyen de l'ouverture, par le juge lui-même, de la correspondance (...) » Article 588 « L'ouverture de la correspondance sera constatée par acte (...) Cet acte sera signé par le juge d'instruction, le greffier et les autres personnes présentes. » Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988 La loi organique 4/1988 a modifié deux articles du titre VIII du livre II (paragraphe 30 ci-dessus), les articles 553 et 579. Ce dernier, seul pertinent en l’espèce, dispose : Article 579 « 1. Le juge pourra autoriser la saisie de la correspondance privée, postale et télégraphique envoyée ou reçue par la personne mise en examen, s'il existe des indices permettant d'obtenir par ces moyens la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure. Le juge pourra aussi autoriser, par décision motivée, la surveillance des communications téléphoniques de la personne mise en examen, s’il existe des indices permettant d’obtenir par ce moyen la découverte ou la vérification de faits ou circonstances importants pour la procédure. De la même façon, le juge pourra autoriser, par décision motivée, pour un délai maximum de trois mois, susceptible de prorogation pour des périodes similaires, la surveillance des communications postales, télégraphiques ou téléphoniques des personnes au sujet desquelles il existe des indices de responsabilité criminelle, ainsi que des communications servant à des fins délictuelles. (…) » C. La jurisprudence Dans son arrêt 114/1984 du 29 novembre 1984, le Tribunal constitutionnel a précisé que le concept de « secret » ne couvre pas seulement le contenu des communications, mais aussi d'autres aspects de celles-ci comme, par exemple, l'identité subjective des interlocuteurs. Dans son arrêt du 21 février 1991, le Tribunal suprême releva l’imperfection de la modification législative opérée par la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988, qui introduisit la nouvelle rédaction de l’article 579 dans le code de procédure pénale. L’arrêt précisa que les cassettes enregistrées à partir d’une intervention téléphonique devaient être mises à la disposition du juge, avec la transcription exacte de son contenu, qui devait être vérifié par le greffier, pour reproduction, le cas échéant, lors des débats oraux. Il ajouta que « si les conditions prévues par l'article 579 étaient remplies, si le juge contrôlait le résultat de l’administration de la preuve et s'il permettait sa reproduction lors des débats oraux », l’interception de la ligne téléphonique serait considérée comme une preuve valable. Dans sa décision (auto) du 18 juin 1992, le Tribunal suprême interpréta la législation existant en Espagne en la matière après l’entrée en vigueur de la loi organique 4/1988 du 25 mai 1988 (paragraphes 29 et 31). Il précisa que « le législateur n'établi[ssai]t pas de limitations en raison de la nature des possibles délits ou des peines y associées », et souligna que les lacunes, l’insuffisance et l’indétermination de cette législation devaient être comblées par la jurisprudence nationale, et par celle de la Cour européenne des Droits de l’Homme. A la lumière de cette dernière, la décision citée du Tribunal suprême établissait les conclusions suivantes : « En résumé, les violations qui entraînent la nullité de la preuve obtenue par mise sur écoute téléphonique et ses effets sont les suivantes : Absence d'indices. Insuffisance de motivation (…) Absence d'indices, selon le juge, susceptibles de justifier une mesure aussi restrictive des droits fondamentaux que l'écoute téléphonique ; le simple soupçon de la police, servant en principe de base à la décision judiciaire, ne suffit pas. Absence de contrôle Il manque un type quelconque de contrôle juridictionnel sur la réalisation concrète de l'interception du téléphone concerné, par le biais, par exemple, d'un examen des conversations enregistrées sur des durées raisonnables ; il faut en effet, d’une part, vérifier la progression de l'enquête, policière dans ce cas, et toujours soumise au principe intangible de proportionnalité dont on ne peut précisément constater le respect que par la motivation et, d’autre part, décider de la nécessité ou non de poursuivre, dans les délais prévus, par le biais de prolongations de l'interception/surveillance, laquelle doit être aussi raisonnablement limitée dans le temps, selon les principes du code de procédure pénale. Périodicité du contrôle. Effets Une fois les conversations enregistrées sur bandes, le juge doit procéder périodiquement à leur examen en présence du greffier, selon les conditions qu'il a fixées dans sa sagesse et en fonction des circonstances puis, après avoir entendu les enregistrements, il doit décider de la marche à suivre, en ordonnant de continuer ou non l'interception et en fixant, le cas échéant, des règles de bon comportement pour les agents d'exécution de cette mesure. Si le juge ordonne de mettre fin à l'interception, ladite mesure devra être portée à la connaissance de la (ou des) personne(s) concernée(s) (…), pour qu'elle(s) puisse(nt) éventuellement engager les actions correspondantes. (…) Ce n'est que dans des cas exceptionnels que le secret pourra être gardé jusqu'à la fin de l'enquête, afin de ne pas compromettre l'intérêt légitime ayant suscité l’enquête (voir arrêt CEDH du 6 septembre 1978 dans l’affaire Klass), mais il devra cependant être levé au plus tard à la fin de l'investigation (…) Dissociation entre autorisation et enquête (…) Il y a eu violation du droit à la vie privée et, plus simplement encore, au secret des communications en général et des communications téléphoniques en particulier, (…) lorsque, au cours de l'écoute initialement autorisée, il apparaît vraisemblable qu’un ou plusieurs délits nouveaux ont été commis. A ce moment-là, (…) la police doit, immédiatement et dans la foulée, en informer le juge d'instruction qui a autorisé/ordonné la mise sur écoute, afin qu’il examine sa propre compétence et le caractère proportionné de la mesure (…). Toute autorisation générale est à proscrire, de même que la poursuite de l'interception/surveillance sans avoir obtenu auparavant une nouvelle autorisation expresse du juge, lorsqu'on s'aperçoit que le délit nouveau présumé qui se profile à travers les entretiens téléphoniques est indépendant de celui qui a motivé l'autorisation initiale. De telles situations, si elles ne sont pas contrôlables et contrôlées directement par le juge, provoquent ou peuvent provoquer une totale méconnaissance du principe de proportionnalité, dont on ne saura jamais s'il a ou non été respecté en l'espèce. (…) Remise de copies au lieu d'originaux Il y a aussi violation de la légalité de l'interception téléphonique lorsque cette mesure n'est pas conforme à la Constitution et à l'ensemble de la législation (article 579 du code de procédure pénale). Le fait que les bandes remises au tribunal ne soient pas des originaux mais des copies, et qu'en plus celles-ci représentent une sélection opérée par la police sans aucun contrôle juridictionnel, est une grave violation du système. (…). Car il faut que le juge, conseillé, s’il l’estime opportun, par des experts, et en présence du greffier (…), sélectionne, de la façon qui lui semble opportune, ce qui intéresse l'enquête ordonnée par lui, et qu'il laisse le reste à la garde du greffier, pour empêcher ainsi une quelconque connaissance non désirée ou indésirable de conversations n'ayant rien à voir avec la décision d'écoute. Il met aussi immédiatement fin à l'interception lorsqu'elle ne vise plus les buts légitimes de la vérification d'une infraction majeure, dont la gravité doit toujours être proportionnelle à l'ingérence, en principe intolérable, dans la vie privée. (…) Constatation du caractère proportionné (…) Sur cette base, il faut observer la proportion ou l'écart existant entre les mesures de sûreté adoptées et le but poursuivi. (…). Le juge, garant essentiel des droits fondamentaux et des libertés publiques, doit examiner chaque infraction dans son contexte et statuer, en recherchant si les objectifs légitimes de l'enquête, du procès et, le cas échéant, de la condamnation, méritent dans le cas concret le sacrifice de biens juridiques aussi importants que la dignité, la vie privée et la liberté de la personne (…) Fixation de la mesure et de ses limites (…) Il appartient à l'autorité judiciaire de préciser en quoi devra consister la mesure et de veiller à ce que sa réalisation soit menée à bien avec le minimum de préjudice pour l'intéressé (…) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Valenzuela Contreras a saisi la Commission le 2 mai 1995. Il alléguait qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable en ce que sa culpabilité n’avait pas été légalement établie et que la surveillance de sa ligne téléphonique avait porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée ; il invoquait les articles 6 § 1 et 8 de la Convention. 36. Le 18 octobre 1996, la Commission a retenu le grief du requérant sur le terrain de l'article 8 et a déclaré la requête (n° 27671/95) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 avril 1997 (article 31), elle exprime l’opinion, par onze voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 8. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que la mise sur écoute de la ligne téléphonique du requérant n’a pas emporté violation de l'article 8 de la Convention. De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation des articles 6 et 8 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50.
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Juriste et ancien député cantonal (Großrat), le requérant habite Root (canton de Lucerne). A l’époque des faits, il était avocat et défendait M.S., qui avait été mis en détention provisoire (Untersuchungshaft) du chef de divers vols. 7. Le 6 novembre 1992, l’épouse de M.S. informa M. Schöpfer que les deux greffiers (Amtsschreiber) de la préfecture (Amtsstatthalteramt) de Hochdorf l’avaient incitée à faire appel à un autre avocat pour défendre son époux si celui-ci voulait être libéré. Les déclarations publiques du requérant Le requérant tint alors, le 9 novembre 1992, en son cabinet à Lucerne, une conférence de presse au cours de laquelle il déclara notamment qu’à la préfecture de Hochdorf, tant les lois du canton de Lucerne que les droits de l’homme étaient, depuis des années, violés au plus haut point (werden sowohl die Luzerner Gesetze als auch die Menschenrechte in höchstem Grade verletzt, und zwar schon seit Jahren). Il précisa qu’il s’adressait à la presse parce qu’elle constituait son ultime recours (deshalb bleibt mir nur noch der Weg über die Presse). Le lendemain, le quotidien Luzerner Neueste Nachrichten (LNN) publia en page 25 l’article suivant : « Un ancien député du Parti démocrate-chrétien (PDC) exige des poursuites contre la préfecture de Hochdorf « Je ne laisserai plus ces messieurs se moquer de moi » L’ancien député du PDC Alois Schöpfer porte de graves accusations contre la préfecture de Hochdorf. « J’en ai assez », fulmine Alois Schöpfer, « de laisser ces messieurs de la préfecture de Hochdorf se moquer de moi. Il ne me reste donc plus que la voie de la presse. » C’est une affaire qui lui a été confiée à la mi-octobre en sa qualité d’avocat qui a incité l’ancien député du PDC à entreprendre une démarche peu courante : s’adresser à l’opinion publique dans une procédure pendante. A cette époque, son client se trouvait déjà depuis un mois en détention provisoire à la prison de la préfecture de Hochdorf. Détenu sans mandat d’arrêt Cet homme de 20 ans, père d’une fillette d’un an et demi, avait été arrêté le 18 août en compagnie de son frère pour le vol d’autoradios et de vêtements, puis remis en liberté après avoir reconnu les faits. Lorsque, le 15 septembre, il voulut s’enquérir de la situation de son frère auprès de la police du canton de Lucerne, il fut réincarcéré sur-le-champ. « Quand je me suis renseigné à la préfecture de Hochdorf au sujet du mandat d’arrêt, on m’a répondu qu’il avait été délivré oralement », se souvient Alois Schöpfer, qui voit dans le comportement de la police une violation flagrante du code cantonal de procédure pénale, dont l’article 82 énonce : « L’arrestation est effectuée par la police, dûment autorisée par un mandat d’arrêt écrit. » Interrogé sur ces reproches, le préfet de Hochdorf, [H.B.], se montre peu éloquent : « Chez moi, personne n’est arrêté sans mandat d’arrêt écrit. Je ne peux pas en dire plus sur une procédure en cours. » En revanche, Alois Schöpfer, chargé par l’épouse du prévenu de représenter celui-ci, refuse de garder le silence plus longtemps : « Cette femme est venue me voir parce que l’avocat commis d’office n’avait pas encore pris contact avec son client, alors que celui-ci se trouvait en détention provisoire depuis six semaines. » Schöpfer prit immédiatement contact avec l’avocat commis d’office, qui lui céda l’affaire. Cependant, la préfecture de Hochdorf ne voulait pas de Schöpfer comme nouveau défenseur d’office et rejeta sa demande le 29 octobre, au motif qu’il n’existait aucune raison de révoquer le mandat de l’avocat commis jusqu’à présent. Il était toutefois libre de représenter son client au titre d’un mandat privé [privat]. Schöpfer comme motif de détention ? Pour Alois Schöpfer, la coupe était pleine quand l’épouse du prévenu l’informa, vendredi dernier, que [T.B.] et [B.B.], les deux greffiers de la préfecture, lui avaient déconseillé de poursuivre la collaboration avec lui. « Ils m’ont expliqué », confirme cette femme au LNN, « que mon mari ne serait pas libéré tant que Alois Schöpfer serait son défenseur. » [T.B.] nie cependant toute implication dans cette affaire : « C’est ridicule. Je n’ai jamais rien dit de tel. [B.B.] peut le confirmer. Il était présent lors de ma conversation avec cette femme. » Alois Schöpfer ne veut pas en rester là : « J’exige que le préfet et ses greffiers se démettent immédiatement et qu’une commission d’enquête neutre, extérieure au canton, examine de près l’affaire. » Un encadré séparé reproduisait le texte suivant : « Reproches Ce n’est pas la première fois que de graves accusations sont portées contre la préfecture de Hochdorf. Déjà dans le cadre de la condamnation de [H.S.], le fonctionnaire chargé à Rothenburg du recouvrement des impayés [Betreibungsbeamter], des poursuites avaient été engagées contre le préfet [H.B.]. Le tribunal de district de Lucerne lui infligea une amende de 400 francs pour violation du secret professionnel. Tout en constatant, elle aussi, que les éléments objectifs constitutifs de l’infraction étaient réunis, la cour d’appel relaxa [H.B.]. » Deux photographies illustraient l’article, l’une représentant la préfecture de Hochdorf et l’autre le préfet H.B., avec cette légende : « Chez moi, personne n’est arrêté sans mandat d’arrêt écrit (Bei mir wird niemand ohne schriftlichen Haftbefehl festgehalten). » Un autre quotidien, le Luzerner Zeitung, publia également, le 10 novembre 1992, un article sur la conférence de presse sous le titre : « Un jeune homme arrêté sans mandat d’arrêt ? Un avocat du barreau de Lucerne accuse la préfecture de Hochdorf d’enfreindre la loi (Junger Mann ohne Haftbefehl verhaftet? Luzerner Anwalt wirft Amtsstatthalteramt Hochdorf Rechtsverletzungen vor). » Le 10 novembre 1992, le ministère public (Staatsanwaltschaft) du canton de Lucerne répondit à ces propos, déclarant que le prévenu en question avait été arrêté selon les voies légales et que le requérant n’avait pas formé de recours contre la décision refusant de le désigner comme nouvel avocat d’office. Cette réponse parut dans la presse le 11 novembre 1992. Le 13 novembre 1992, le Luzerner Zeitung publia le résumé d’un communiqué de presse diffusé par le requérant en réponse aux déclarations du ministère public. Selon M. Schöpfer, l’arrestation de M.S. avait violé à la fois la Convention et – « de façon absolument grossière et inacceptable (in absolut grober und nicht mehr zu verantwortender Weise) » – le code cantonal de procédure pénale. Le requérant cita également une lettre dans laquelle un confrère lui avait écrit : « La situation à Hochdorf est loin d’être réjouissante (...) Ce qui est catastrophique, en outre, c’est qu’à la justice, on sait ce qui se passe à Hochdorf et qu’on en parle à mots couverts. » En conclusion, M. Schöpfer en appela à la cour d’appel et au parlement cantonal pour qu’ils fassent la lumière dans cette affaire. Les 15 octobre, 3 et 13 novembre 1992, le requérant avait présenté des demandes d’élargissement (Haftentlassungsgesuch) de M.S., que le préfet de Hochdorf avait rejetées les 19 octobre, 5 et 16 novembre 1992 respectivement. M. Schöpfer intenta contre cette dernière décision un recours (Rekurs), que la cour d’appel (Obergericht) du canton de Lucerne rejeta le 30 novembre 1992, au motif notamment que, depuis lors, le préfet avait valablement prolongé la détention provisoire de M.S., privant ainsi celui-ci d’un intérêt à agir contre les conditions de son arrestation. Elle releva toutefois qu’après celle-ci, M.S. aurait dû être traduit, non pas devant un greffier, mais devant le préfet lui-même, seul à pouvoir passer pour un juge ou un autre magistrat au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. Aussi ordonna-t-elle que sa décision fût portée à la connaissance du ministère public, en sa qualité d’autorité de tutelle (Aufsichtsbehörde) du préfet. B. La procédure disciplinaire engagée contre le requérant Le 16 novembre 1992, l’autorité de surveillance des avocats (Aufsichtsbehörde über die Rechtsanwälte) à Lucerne informa M. Schöpfer que son comportement était de nature à soulever certaines questions déontologiques, relatives notamment à la nécessaire discrétion (Zurückhaltung) au sujet de procédures pendantes et à la publicité clandestine. Elle invita l’intéressé à s’en expliquer. Dans une lettre du 18 novembre qu’il communiqua à la presse, le requérant répondit qu’il avait agi uniquement dans l’intérêt général et dans celui de son client. Le 16 novembre 1992, le préfet de Hochdorf avait porté plainte (Anzeige) auprès de l’autorité de surveillance et demandé l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre M. Schöpfer. Par ses déclarations, celui-ci aurait non seulement diffamé le préfet et ses deux greffiers, mais il aurait surtout gravement méconnu les règles déontologiques (Standesregeln) des avocats, en préférant répandre par les médias des affirmations fausses plutôt que d’introduire les recours légaux disponibles. Le 21 décembre 1992, l’autorité de surveillance engagea des poursuites disciplinaires contre l’intéressé. Le 15 mars 1993, elle lui infligea, sur la base de l’article 13 de la loi sur les avocats (Anwaltsgesetz) du canton de Lucerne (paragraphe 18 ci-dessous), une amende de 500 francs suisses (CHF) pour manquement aux règles de déontologie de la profession (Verletzung von Berufs- und Standespflichten). Dans sa décision, l’autorité de surveillance constata en particulier que le requérant avait omis de soulever au préalable ses griefs – qui étaient graves – auprès du ministère public ou de la cour d’appel, en leur qualité d’autorités de tutelle de la préfecture. Il avait donc manqué à la discrétion dont doivent faire preuve, en public, les avocats au sujet de procédures pendantes. De surcroît, il s’était livré à de la publicité clandestine (versteckte Reklame) et à la recherche d’effets (Effekthascherei), montrant ainsi qu’il était plus préoccupé par sa propre notoriété que par le fond de l’affaire. En tout état de cause, les déclarations d’avocats à la presse devaient toujours, non seulement présenter un intérêt public réel (reelles öffentliches Interesse), mais aussi demeurer objectives et user d’un ton modéré (objektiv in der Darstellung und sachlich im Ton). Or plusieurs passages des déclarations de M. Schöpfer à la presse laissaient à désirer quant à leur ton ; ainsi quand il déclara : « Je ne laisserai plus ces messieurs se moquer de moi » ou : « J’exige (…) qu’une commission d’enquête neutre, extérieure au canton, examine de près l’affaire », ou encore : « Il ne me reste donc plus que la voie de la presse. » Cette dernière phrase était même contraire à la vérité car, à cette époque, M. Schöpfer ne s’était même pas adressé aux autorités de tutelle de la préfecture et n’avait pas non plus essayé d’intenter les recours légaux ordinaires. Il avait ainsi discrédité non seulement la préfecture de Hochdorf mais aussi l’ensemble des autorités judiciaires cantonales, ce qui était incompatible avec les devoirs déontologiques de l’avocat. L’intéressé intenta contre cette décision un recours de droit public, que le Tribunal fédéral rejeta le 21 avril 1994. D’après la haute juridiction, les avocats jouissent d’une grande liberté de critique à l’égard des autorités judiciaires, pour autant qu’elle s’exprime dans le respect des formes procédurales, en premier lieu à travers la représentation et la défense du client. Quand toutefois un avocat s’adresse à l’opinion publique, il doit, comme toute autre personne employée au service de la justice, s’abstenir de tout comportement propre à nuire au bon fonctionnement de celle-ci. L’article 10 § 2 de la Convention admet, lui aussi, qu’une ingérence peut se justifier en vue de garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Certes, il peut arriver que l’intérêt public requière de rendre publiques des violations alléguées de droits constitutionnels ou de droits de l’homme. Pour en juger, il faut se demander à quel point les violations alléguées sont évidentes, si une procédure encore pendante risque de se voir influencée, si les recours disponibles ont été intentés et comment la critique est présentée. En l’espèce, M. Schöpfer avait été sanctionné non pas tant pour avoir dénoncé des violations des droits de l’homme que pour la manière de le faire. Dans son examen du dossier, l’autorité de surveillance aurait bel et bien tenu compte de ce qu’un des griefs soulevés par l’intéressé, celui qui avait trait à la comparution de M.S. devant un greffier plutôt que devant le préfet, avait été ultérieurement déclaré fondé par la cour d’appel. Pour le reste toutefois, les critiques formulées par M. Schöpfer – qui étaient au demeurant de nature à influencer une procédure encore pendante – s’étaient révélées injustifiées aux yeux de l’autorité de surveillance. De plus, celle-ci avait reproché à l’intéressé de s’être trompé de ton dans sa critique et d’avoir lancé des affirmations contraires à la vérité. L’autorité avait suffisamment étayé ses conclusions et l’intéressé n’y avait opposé aucun argument convaincant. Ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 10 de la loi sur les avocats (Anwaltsgesetz) du canton de Lucerne crée une autorité de surveillance des avocats (Aufsichtsbehörde über die Anwälte) dont les membres – deux conseillers à la cour d’appel, un juge administratif et deux avocats – sont choisis par la cour d’appel pour quatre ans. Aux termes de l’article 12 § 1 de la loi, ladite autorité connaît des infractions aux règles déontologiques de la profession d’avocat (Berufs- und Standespflichten) et peut prononcer des peines disciplinaires. L’article 13 prévoit que celles-ci vont du blâme (Verweis) à la suspension –temporaire ou définitive – de l’exercice de la profession, en passant par l’amende jusqu’à 5 000 CHF. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Schöpfer a saisi la Commission le 11 août 1994, alléguant que la sanction disciplinaire prise à son égard avait violé l’article 10 de la Convention. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 25405/94) le 4 septembre 1996. Dans son rapport du 9 avril 1997 (article 31), elle exprime, par neuf voix contre six, l’opinion que cette disposition n’a pas été méconnue. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « invite la Cour (…) à dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention dans la présente affaire ». De son côté, le requérant, dans son mémoire, prie la Cour de constater une violation de l’article 10 et d’ordonner la réparation par la Suisse du dommage subi.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Citoyen portugais né en 1955 et domicilié à Campelos (Guimarães), M. Francisco Teixeira de Castro était, à l'époque des faits, ouvrier dans une fabrique de produits textiles. Depuis sa sortie de prison, il est sans emploi. A. L'intervention des deux policiers et l'arrestation du requérant Dans le cadre d'une opération de contrôle du trafic de stupéfiants, deux policiers de la Sécurité publique (PSP) du poste de Famalição, habillés en civil, s'adressèrent à plusieurs reprises à un individu, V.S., soupçonné de s'adonner au petit trafic pour pourvoir à sa consommation, principalement du hachisch, et ce dans le but d'identifier son fournisseur. Ils lui proposèrent d'acheter plusieurs kilos de ce stupéfiant. Ignorant leur fonction, V.S. accepta de prendre des contacts à cette fin. En dépit de l'insistance des deux policiers, il ne parvint pas à entrer en relation avec un revendeur. Le 30 décembre 1992, peu avant minuit, les deux policiers se présentèrent chez V.S. et déclarèrent être maintenant intéressés par l'achat d'héroïne. V.S. mentionna le nom de Francisco Teixeira de Castro comme susceptible de trouver un tel produit, mais ne connaissant pas le domicile de ce dernier, il s'adressa à F.O., qui le leur indiqua. Ces quatre personnes, dans la voiture des prétendus acheteurs, se rendirent chez le requérant. Ce dernier, prié par F.O., sortit de son logement et rejoignit la voiture dans laquelle attendaient les deux policiers en compagnie de V.S. Ceux-ci déclarèrent vouloir acheter vingt grammes d'héroïne au prix de 200 000 escudos et exhibèrent une liasse de billets de la Banque du Portugal. M. Teixeira de Castro accepta de leur procurer de l'héroïne et se rendit, dans son propre véhicule, accompagné de F.O., chez un autre individu, J.P.O. Celui-ci obtint auprès d'une autre personne trois sachets d'héroïne dont l'un pesait dix grammes et les deux autres cinq et, à son retour, les remit au requérant pour une somme dont le montant est inconnu mais au moins supérieur à 100 000 escudos (PTE). L'intéressé, en possession de la drogue, alla ensuite au domicile de V.S., que celui-ci avait entre-temps regagné, et devant lequel les deux policiers attendaient. Lorsque ceux-ci, invités par V.S., entrèrent dans la maison, lieu où la transaction devait se faire, le requérant sortit de sa poche l'un des sachets. Les deux policiers divulguèrent alors leur identité et arrêtèrent, vers deux heures du matin, M. Teixeira de Castro ainsi que V.S. et F.O. Ils fouillèrent les trois individus et trouvèrent sur le requérant outre les deux autres sachets d'héroïne une somme de 43 0000 PTE et un bracelet en or. B. Le déroulement de la procédure L'enquête préliminaire Présenté le jour même au juge d'instruction près le tribunal de Famalição, le requérant fut placé en détention provisoire. Le 29 janvier 1993, l'intéressé déposa une demande de mise en liberté. Il critiquait la légalité de sa détention qui aurait violé les articles 3, 6 et 8 de la Convention. D'après lui, sa détention trouvait sa cause dans le comportement moralement et légalement répréhensible des deux policiers, l'infraction ayant été commise uniquement et exclusivement en raison de la provocation desdits agents. Ceux-ci auraient en effet agi en tant qu'« agents provocateurs », d'autant plus que leur intervention ne se déroulait pas dans le cadre d'une opération de répression du trafic de stupéfiants ordonnée par un magistrat. Le juge d'instruction repoussa la demande par une décision du 16 février 1993, confirmée le 21 avril 1993 par un arrêt de la cour d'appel (Tribunal da Relação) de Porto. Le requérant formula deux demandes d'habeas corpus devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça), que celle-ci rejeta par deux arrêts des 11 mars et 13 mai 1993. Dans ce dernier arrêt, elle estima que les agents de police avaient agi en tant qu'« agents provocateurs » pour ce qui est de la vente de l'héroïne mais que la détention du requérant était justifiée, car il avait été trouvé en possession de ce stupéfiant. Le 26 août 1993, le ministère public formula ses réquisitions à l'encontre du requérant et de V.S. Les deux autres inculpés, F.O. et J.P.O., ne furent pas poursuivis. Le dossier fut adressé au tribunal (Tribunal de circulo) de Santo Tirso. La procédure de jugement a) Devant le tribunal de Santo Tirso L'audience se tint le 25 novembre 1993. Le tribunal entendit plusieurs témoins, dont les deux policiers et F.O. Par un jugement du 6 décembre 1993, le tribunal, estimant le requérant coupable, lui infligea six ans d'emprisonnement et condamna V.S. à une amende correspondant à vingt jours d'emprisonnement. Selon lui, l'intervention d'un agent « infiltré » ou même « provocateur » ne semblait pas être prohibée par la législation nationale, à condition que le sacrifice de la liberté individuelle de l'accusé soit justifié par les valeurs à sauvegarder. Le requérant ayant été initialement approché par F.O., la conduite des fonctionnaires de la PSP n'avait pas été « déterminante » dans la commission de l'infraction. Le tribunal précisa que sa conviction était fondée sur les déclarations du témoin F.O., du coprévenu V.S., du requérant lui-même et, de manière « essentielle », sur les déclarations des deux policiers. b) Devant la Cour suprême Le 14 décembre 1993, le requérant introduisit un recours contre ce jugement devant la Cour suprême. Il se plaignait d'une violation du principe du procès équitable et invoquait, entre autres, l'article 6 de la Convention. Par un arrêt du 5 mai 1994, la Cour suprême repoussa le recours et confirma le jugement attaqué dans toutes ses dispositions. Elle s'exprima ainsi : « Il y a eu en l'espèce sans conteste une très forte insistance (...) des agents de la PSP jusqu'à ce qu'ils parviennent à Francisco Teixeira de Castro. Il est toutefois naturel que les choses se soient passées de cette manière. Les agents de police savaient, en vérité, que V.S. était un consommateur de stupéfiants et tentaient de démasquer le fournisseur de stupéfiants auquel il s'adressait pour subvenir à sa consommation. En l'absence de hachisch, ils s'attaquèrent à l'héroïne et rencontrèrent à cette occasion Francisco Teixeira de Castro qui répondit favorablement aux fausses propositions des agents parce qu'il visait grâce à la transaction à obtenir des profits, exploitant ainsi l'un des plus grands fléaux sociaux de nos jours (...) Les agents de la PSP virent ainsi justifiée leur persistance, arrêtant l'accusé en possession d'une quantité déjà significative de ce stupéfiant. D'un autre côté, étant fonctionnaires de police de la Sécurité publique, au poste de Famalição, les policiers (…) agirent en tant qu'organes de la police criminelle (article 1 du code de procédure pénale) sur la base des pouvoirs attribués par la loi pour, de leur propre initiative, recueillir des renseignements sur les infractions, découvrir leurs auteurs et prendre les dispositions nécessaires et urgentes pour sauvegarder les moyens de preuve (article 55 § 2 dudit code). (…) Les [deux] agents de police (…) exercent dans la procédure pénale une activité d'auxiliaire des autorités judiciaires, mais cela ne les empêche pas, dans des situations particulières, définies par la loi, d'accomplir des actes de procédure dans l'exercice d'une compétence propre non déléguée. Ainsi que l'a souligné le ministère public dans ses réquisitions, le comportement des agents de la PSP a respecté la loi et ne s'analyse pas en un moyen de preuve prohibé. Dans ces conditions, le recours de l'accusé Francisco Teixeira de Castro est entièrement dénué de fondement. Compte tenu de ces considérations, la Cour suprême rejette le recours et confirme le jugement attaqué dans toutes ses dispositions. » LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le décret-loi n° 430/83 du 13 décembre 1983 Les dispositions pertinentes du décret-loi n° 430/ 83 du 13 décembre 1983 sur la répression du trafic de stupéfiants, en vigueur à l'époque des faits, étaient ainsi libellées : Article 23 § 1 « Tout individu qui, non porteur d'une autorisation légale, cultive, produit, fabrique, extrait, offre, met en vente, vend, distribue, achète, cède ou, à un titre quelconque, reçoit, procure à autrui, transporte, importe, fait transiter ou détient illicitement, hors des cas prévus à l'article 36, des substances ou préparations visées aux tableaux I à III, sera puni d'une peine de prison de six à douze ans et d'une amende de 50 000 à 5 000 000 escudos. » Article 52 « 1. N'est pas punissable la conduite de l'agent d'investigation criminelle qui, aux fins d'une enquête préliminaire et sans révéler son identité, accepte lui-même ou par l'intermédiaire d'un tiers l'offre de stupéfiants ou d'autres substances psychotropes. Le rapport desdits faits sera joint au dossier dans un délai maximum de 24 heures. » Actuellement, le décret-loi n° 15/93 du 22 janvier 1993 régit la matière. Le texte de l'article 52 du décret-loi n° 430/83 est repris sans modification substantielle à l'article 59 du nouveau décret. B. Le code de procédure pénale Les principales dispositions du code de procédure pénale mentionnées en l'espèce sont les suivantes : Article 126 « 1. Sont nulles, et ne peuvent être utilisées, les preuves obtenues moyennant torture, contrainte ou, en général, atteinte à l'intégrité physique ou morale des personnes. Portent atteinte à l'intégrité physique ou morale des personnes, même si ces dernières donnent leur consentement, les preuves obtenues moyennant : a) trouble de la liberté de volonté ou de décision à l'aide de mauvais traitements, d'offenses corporelles, de tout autre moyen, de l'hypnose ou de l'usage de procédés cruels ou par la ruse ; (...) Lorsque l'emploi des méthodes d'obtention de preuves par cet article constitue un crime, ces preuves peuvent être utilisées dans le but exclusif de poursuivre leurs auteurs. » Article 241 « Le ministère public prend connaissance de l'infraction soit par lui-même, soit par l'intermédiaire des organes de police criminelle ou encore sur dénonciation conformément aux dispositions suivantes. » Article 242 « La dénonciation est obligatoire, bien que les personnes ayant commis l'infraction ne soient pas connues : a) pour les autorités de police concernant toutes les infractions dont elles prennent connaissance ; (...) » C. La jurisprudence et la doctrine La Cour suprême accepte l'intervention des « hommes de confiance », sous certaines conditions, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants (arrêts du 12 juin 1990, BMJ n° 398, p. 282 ; du 14 janvier 1993, Col. Jur. (STJ), 1993-I, p. 270 ; du 5 mai 1994, Col. Jur. (STJ), 1994-II, p. 215, concernant la présente affaire ainsi que les arrêts du 22 juin 1995, Col. Jur. (STJ), 1995-II, p. 238 ; du 6 juillet 1995, Col. Jur. (STJ), 1995-II, p. 261 ; et du 2 novembre 1995, Col. Jur. (STJ), 1995-III, p. 218). La doctrine au Portugal, ainsi que dans d'autres pays européens, opère, sous la désignation générale d’« hommes de confiance », une distinction entre « agent infiltré » et « agent provocateur ». Le premier est celui qui se borne à recueillir des renseignements tandis que le second incite un individu à commettre une infraction pénale. Au Portugal, et au vu de l'état de la législation au moment des faits, la doctrine acceptait comme un moyen de preuve admissible, celle recueillie par l'« agent infiltré », mais était plus restrictive en ce qui concerne l'« agent provocateur » (voir notamment Costa Andrade, Sobre as proibições de prova em processo pènal, Coimbra, 1992, pp. 220 et suiv., et A.G. Lourenço Martins, Droga. Prevenção e tratamento. Combate ao tráfico, Coimbra, 1984, pp. 154 et suiv., ainsi que, plus récemment, « Droga e direito », Aequitas, Editorial Noticias, 1994, pp. 278 et suiv.). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Teixeira de Castro a saisi la Commission le 24 octobre 1994. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable dans la mesure où il avait été incité par des policiers à commettre l'infraction dont il a été par la suite reconnu coupable. A ses yeux, ces faits emportaient aussi violation des articles 3 et 8. Il estimait enfin avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire, contraire à l'article 14, compte tenu de la lourde peine à laquelle il a été condamné alors que les autres personnes impliquées dans l'affaire n'ont pas été poursuivies, ou faiblement punies. Le 24 juin 1996, la Commission a retenu la requête (n° 25829/94) pour autant qu'elle concernait le caractère équitable de la procédure et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 25 février 1997 (article 31), elle conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (trente voix contre une) mais non de l'article 3 (unanimité) et qu'il ne s'impose pas d'examiner de surcroît s'il y a eu violation de l'article 8 (trente voix contre une). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR par le gouvernement Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour « de dire qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, violation de l'article 6 § 1 de la Convention ».
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, M. Salih Tekin, ressortissant turc d’origine kurde, est né en 1964 et habite Diyarbakır. Avant les événements en question, il avait été journaliste au quotidien Özgür Gündem. Les faits de la cause sont controversés. A. La détention du requérant Les parties sont d’accord sur ce qu’en février 1993, au cours d’une visite à sa famille dans le hameau de Yassıtepe, le requérant fut arrêté, pour menaces présumées à des gardes de village, par des gendarmes placés sous la direction du commandant Harun Altın, puis conduit à la gendarmerie de Derinsu. M. Tekin dit avoir été arrêté au matin du 15 février 1993 ; le Gouvernement affirme que l’arrestation eut lieu le 17 février 1993. L’intéressé fut détenu à Derinsu jusqu’au 19 février 1993. Il allègue que, pendant sa garde à vue, il fut détenu dans une cellule glaciale, privée d’éclairage, de lit et de couvertures, et nourri seulement au pain et à l’eau. Il aurait été agressé dans sa cellule par des gendarmes, dont le commandant Altın. Il affirme qu’il serait mort de froid si ses trois frères n’avaient pas été autorisés à entrer dans la cellule la nuit du 18 février et ne l’avaient enveloppé de vêtements supplémentaires. Le Gouvernement nie que M. Tekin ait été maltraité. Il affirme qu’il était impossible que la température dans la salle de sécurité tombât au-dessous de zéro car ladite salle se situe au centre du bâtiment et est entourée d’autres pièces chauffées par des poêles à charbon. Il dément également que les frères de M. Tekin aient été autorisés à rejoindre le détenu dans sa cellule. Au matin du 19 février 1993, le requérant fut emmené à la gendarmerie du district de Derik. Il fut libéré le jour même. Il allègue qu'on l'y a torturé, par jets d’eau froide, électrochocs et coups, dans le but de l’obliger à signer des aveux. Il affirme que le commandant de la gendarmerie du district, Musa Çitil, le menaça de mort s’il revenait dans le secteur. Le Gouvernement conteste l’existence de mauvais traitements. B. La plainte du requérant au procureur Hasan Altun Avant sa libération, M. Tekin fut déféré devant le procureur, Hasan Altun. Il n’est pas contesté qu’il se soit plaint à M. Altun d’avoir été torturé et maltraité, tant à Derinsu qu’à Derik. Le requérant affirme en outre avoir remis à M. Altun le morceau de tissu humide avec lequel on lui aurait bandé les yeux pendant qu’on l’arrosait d’eau froide. Le procureur enregistra ces allégations mais ne prit aucune mesure à cet égard. Le Conseil supérieur de la magistrature décida par la suite d’ouvrir, sur les raisons de l’inaction de M. Altun, une enquête qui déboucha sur des poursuites disciplinaires contre le procureur. A l’audience devant la Cour, le Gouvernement a confirmé que la procédure n’était pas terminée. M. Tekin retourna à Diyarbakır le 20 février 1993. Il ne consulta pas de médecin après sa libération. La semaine suivante, il se plaignit de son traitement à l’Association des droits de l’homme qui lui conseilla d’introduire une requête auprès de la Commission. C. La procédure pénale à l’encontre du requérant L’infraction dont le requérant était accusé (paragraphe 8 ci-dessus) relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat (paragraphe 29 ci-dessous), un procureur de Derik se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Après une audience tenue le 13 mai 1993, le requérant fut relaxé le 2 août 1993. D. Procédure à l’encontre des commandants de gendarmerie Altın et Çitil A la suite de la communication de la requête de M. Tekin par la Commission au Gouvernement le 11 octobre 1993, le ministère de la Justice (direction générale du droit international et des relations extérieures) se mit, le 18 décembre 1993, en rapport avec le parquet de Derik et l’informa des griefs du requérant. Une enquête préliminaire fut ouverte. Le commandant Altın fut interrogé par un procureur du district de Daday le 20 avril 1994, à la demande du procureur de Derik, Bekir Özenir. Le 4 mai 1994, M. Özenir rendit une décision de non-lieu concernant les commandants Altın et Çitil, au motif que rien ne prouvait qu’ils eussent maltraité ou menacé M. Tekin, hormis les allégations non étayées de ce dernier. Cependant, cette décision ne devint pas définitive car le ministère de la Justice intervint, estimant que M. Tekin devait disposer d’un recours. De plus, vu l’identité des défendeurs et la nature des allégations portées contre eux, le ministère considéra que les infractions présumées pouvaient tomber sous le coup de la loi sur les poursuites contre des fonctionnaires, qui ne relèvent pas du parquet (paragraphe 30 ci-dessous). Le procureur de Derik déclina sa compétence le 4 mai 1995 et l’affaire fut renvoyée devant le conseil administratif du district de Derik. A cet égard, le 14 juillet 1995, le commandant Çitil fit une déposition que recueillit un lieutenant-colonel de gendarmerie. Le conseil administratif du district de Derik soumit son rapport d’enquête simplifiée au gouverneur de la province de Mardin le 5 septembre 1995. Le 12 septembre, le rapport fut communiqué au conseil administratif de la province de Mardin (paragraphe 30 ci-dessous). Ce dernier décida, le 13 septembre 1995, de ne pas poursuivre les commandants Altın et Çitil, faute de preuves. La décision fit automatiquement l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat (paragraphe 30 ci-dessous), qui confirma le non-lieu. E. Constatations de la Commission La Commission a mené une enquête sur les faits, avec l’aide des parties. Elle a recueilli des preuves littérales, notamment des dépositions de témoins, des rapports sur la Turquie, des documents concernant d’une part la détention du requérant dans les gendarmeries de Derinsu et Derik, et d’autre part l’enquête menée au niveau interne sur les allégations de l'intéressé, ainsi qu’un plan d’architecte de la gendarmerie de Derinsu. En outre, trois délégués de la Commission ont entendu sept témoins à Diyarbakır le 8 novembre 1995 et une nouvelle audition a eu lieu devant la Commission à Strasbourg le 7 mars 1996. Parmi les témoins figuraient le requérant, son père, Hacı Mehmet Tekin, les commandants Harun Altın et Musa Çitil, ainsi que trois voisins du père, Sinan Dinç, Mehmet Dinç et Halit Tutmaz, qui auraient parlé à l'intéressé peu après sa libération. La Commission a demandé la participation des procureurs Hasan Altun, Bekir Özenir et Osman Yetkin (ce dernier étant procureur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır), mais aucun d’eux ne se présenta pour déposer. La Commission n’est pas en mesure de déterminer la date de l’arrestation du requérant ni le détail de son traitement en détention. Cependant, en procédant à une appréciation prudente des éléments de preuve, elle est convaincue que le requérant a été détenu dans une cellule froide et sombre, qu’il a eu les yeux bandés et qu’il a subi, lors de son interrogatoire, un traitement qui lui a laissé des traces de blessures et des ecchymoses. ii. le DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs A. Etat d’urgence Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie entre les forces de l'ordre et les membres du PPK (Parti des travailleurs du Kurdistan). D’après le Gouvernement, ce conflit a coûté la vie à des milliers de civils et de membres des forces de l’ordre. Deux grands décrets concernant la région du Sud-Est ont été adoptés en application de la loi sur l’état d’urgence (loi n° 2935 du 25 octobre 1983). Le premier – le décret n° 285 (10 juillet 1987) – institue un gouvernorat de la région soumise à l’état d’urgence dans dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie. Aux termes de son article 4 b) et d), l’ensemble des forces de l’ordre privées et publiques, ainsi que le commandement de la force de paix publique de gendarmerie, sont à la disposition du gouverneur de région. Le second – le décret n° 430 (16 décembre 1990) – renforce les pouvoirs du gouverneur de région, par exemple pour ordonner des transferts hors de la région de fonctionnaires et d’agents des service publics, notamment des juges et procureurs. Il prévoit en son article 8 : « La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou d’un gouverneur de province d’une région où a été proclamé l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l’Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle. » B. Dispositions générales réprimant les mauvais traitements, menaces et séquestration arbitraire Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. C. Répression des actes de terrorisme et des infractions imputées à des membres des forces de l’ordre Dans le cas d’actes de terrorisme présumés, le procureur est privé de sa compétence au profit d’un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l’Etat réparties dans toute la Turquie. Le procureur est également privé de sa compétence s’agissant d’infractions imputées à des membres des forces de l’ordre dans la région soumise à l’état d’urgence. Le décret n° 285 prévoit en son article 4 § 1 que toutes les forces de l’ordre placées sous le commandement du gouverneur de région (paragraphe 26 ci-dessus) sont assujetties à la loi sur les poursuites contre des fonctionnaires pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. Dès lors, le procureur qui reçoit une plainte alléguant un acte délictueux commis contre un membre des forces de l’ordre a l’obligation de décliner sa compétence et de transférer le dossier au conseil administratif. Si ce dernier décide de ne pas poursuivre, la décision fait automatiquement l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Tekin s’est adressé à la Commission le 14 juillet 1993. Il alléguait avoir été maltraité pendant sa détention dans les gendarmeries de Derinsu et de Derik du 15 au 19 février 1993 et se plaignait de ce que les autorités de l’Etat n'eussent pas convenablement enquêté à cet égard. Il invoquait les articles 2, 3, 5 § 1, 6 § 1, 10, 13, 14 et 18 de la Convention. La Commission a déclaré la requête (n° 22496/93) recevable le 20 février 1995. Dans son rapport du 17 avril 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation des articles 2, 10, 14 et 18 (unanimité), mais qu’il y a eu violation des articles 3 et 13 (trente et une voix contre une) et qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs du requérant (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans ses observations écrites et ses plaidoiries, le Gouvernement prie la Cour de constater que le requérant n’a pas étayé ses allégations et qu’il n’y a pas eu violation de la Convention. Le requérant demande à la Cour de constater la violation des articles 2, 3, 10, 13, 14 et 18 de la Convention et de lui accorder une satisfaction équitable conformément à l'article 50.
0
0
1
0
0
1
0
0
0
0
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, ressortissant belge né en 1964, a été arrêté le 14 novembre 1992 pour des faits de coups et blessures ayant entraîné une incapacité de travail commis sur son ex-épouse à l’aide d’un marteau. Il fut placé en détention préventive, d’abord en « cellule duo » (paragraphe 23 ci-dessous) puis en salle commune, à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin. A. L’ordonnance d’internement et son exécution Le 15 janvier 1993, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège prit une ordonnance d’internement à l’encontre du requérant fondée sur l’article 7 de la loi de « défense sociale » du 1er juillet 1964 (paragraphe 21 ci-dessous). Elle décida qu’en attendant l’internement dans un établissement à désigner par la commission de défense sociale compétente (paragraphe 21 ci-dessous), M. Aerts serait provisoirement détenu à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin. Son ordonnance était ainsi libellée : « La chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège (...) Adoptant les motifs écrits du réquisitoire d’internement ; (...) Constate que l’inculpé a commis les faits repris au réquisitoire (...) Constate que l’inculpé se trouvait au moment des faits dans un état grave de déséquilibre mental le rendant incapable du contrôle de ses actions et qu’il se trouve encore actuellement dans le même état ; Ordonne l’internement de l’inculpé ; Ordonne qu’en attendant que l’internement de l’inculpé, qui est en état de détention, ait lieu dans un établissement à désigner par la commission de défense sociale, celui-ci aura lieu provisoirement dans l’annexe psychiatrique du centre pénitentiaire à Lantin. » 9. Le 10 mars 1993, un médecin anthropologue adressa à la commission de défense sociale près l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin un rapport rédigé dans les termes suivants : « Interné, actuellement détenu à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin, Aerts est un sujet dont la structure de personnalité me paraît une structure très fragile, mal organisée et qui est au mieux ce que l’on appelle un état limite. Toxicomane profond, il entretenait depuis de nombreuses années maintenant un mode de relations sadomasochistes avec une jeune femme. L’intéressé est extrêmement anxieux à l’annexe en salle commune, il est la source de demande continuelle de modifications de médicaments, et également la proie des ruminations mentales perpétuelles concernant son fonctionnement à l’extérieur avec son amie. Le masochisme moral paraît éclatant quand on l’écoute et il paraît urgent qu’il puisse bénéficier au mieux d’une structure mieux adaptée pour calmer cette anxiété perpétuelle qui est la sienne pour le moment, il est donc urgent qu’il puisse quitter l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin. » Le 22 mars 1993, ladite commission de défense sociale désigna l’établissement de défense sociale de Paifve comme lieu d’internement du requérant. Le 27 juillet 1993, le requérant formula une demande de congé pour retourner chez son grand-père. A l’appui de celle-ci, son médecin traitant, qui avait consulté le médecin anthropologue attaché à l’annexe psychiatrique, avait adressé la veille à la commission de défense sociale la feuille d’observation suivante : « Je vous écris concernant M. Aerts Michel qui paraît présenter une évolution favorable ces derniers temps. Cette évolution concerne son comportement mais aussi ses projets à court et moyen termes. Des congés renouvelables permettraient précisément d’observer ce comportement et la mise en route de ses projets à l’extérieur du milieu carcéral. » Par décision du 2 août 1993, la commission de défense sociale rejeta la demande par les motifs suivants : « Attendu qu’il n’est pas acceptable que notre décision du 22 mars 1993 de placement à l’établissement de défense sociale de Paifve ne soit toujours pas exécutée ; Que cette carence de l’administration des autorités responsables nuit à l’intéressé qui ne bénéficie pas des soins que nécessite l’état qui est à l’origine de son internement ; Attendu, cependant, que la commission de défense sociale ne peut envisager une mesure d’élargissement qui placerait l’intéressé en situation de danger pour lui-même et pour autrui » Le 27 octobre 1993, cinq jours après l’arrêt rendu par la cour d’appel de Liège (paragraphe 19 ci-dessous), le requérant fut transféré à l’établissement de défense sociale de Paifve. 14. Le 19 novembre 1993, la commission de défense sociale compétente, à la demande de l’intéressé, décida de le libérer à l’essai au motif notamment « que l’état mental de l’interné [semblait] s’être suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale permettant de croire qu’il ne [constituait] plus un danger pour la société [étaient] réunies ». Elle assortit sa décision de plusieurs conditions dont celles de se soumettre à des tutelles médicale et sociale ainsi que d’avoir une résidence fixe à l’hôpital de La Volière. Le 24 novembre 1993, M. Aerts fut libéré. Le 23 décembre 1996, eu égard à la dégradation de l’état comportemental du requérant et à la violation des conditions mises à sa libération, notamment la non-consommation d’héroïne et de boissons alcoolisées, la commission de défense sociale de Lantin ordonna une nouvelle fois son internement et désigna à cet effet l’établissement de défense sociale de Paifve. B. Le déroulement de la procédure en référé 1. La procédure devant le président du tribunal de première instance de Liège Le 14 avril 1993, en raison de son maintien à l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin, M. Aerts, avec trois autres détenus se trouvant dans la même situation, saisit en référé le président du tribunal de première instance de Liège d’une action tendant à obtenir son transfert immédiat avec une astreinte de 10 000 francs belges (BEF) par jour de retard. Il alléguait entre autres que ses conditions d’internement constituaient un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Le 10 mai 1993, le président du tribunal de première instance estima que le maintien du requérant à Lantin était illégal et constituait une voie de fait à laquelle il importait de mettre fin au plus tôt. Il enjoignit à l’Etat de transférer l’intéressé à Paifve et déclara qu’au cas où l’Etat ne se conformerait pas à son ordonnance dans les huit jours de sa signification, il devrait payer au requérant une astreinte de 10 000 BEF par jour de retard. 2. La procédure devant la cour d’appel de Liège L’Etat fit appel de cette décision le 28 juin 1993. Le 22 octobre 1993, la cour d’appel de Liège infirma l’ordonnance du 10 mai 1993 et dit n’y avoir lieu à référé. Elle considéra notamment que l’exécution des décisions des commissions de défense sociale constituait un acte de nature administrative échappant à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire et qu’en l’espèce l’administration n’avait pas commis une voie de fait susceptible d’être sanctionnée par le juge civil. Elle motiva ainsi son arrêt : « Attendu que les intimés sont sous le coup d’une mesure d’internement et se sont vu désigner l’établissement de défense sociale de Paifve comme lieu d’internement par des décisions de la commission de défense prises respectivement les (...) ; que leur transfert n’a pas été réalisé et qu’ils sont maintenus à l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin ; que l’appelant expose qu’en raison d’un manque de place disponible à l’établissement de défense sociale de Paifve, il est dans l’obligation d’établir une liste d’attente complétée chronologiquement et qu’il fait conduire à Paifve celui dont le nom se trouve en tête de cette liste dès qu’une place s’y trouve disponible par suite de la libération d’un autre interné dont l’état s’est amélioré ; qu’il ajoute que des travaux importants ont été réalisés pour accroître la capacité d’hébergement de l’établissement de défense sociale de Paifve où l’ouverture d’un nouveau pavillon le 1er octobre 1993 a déjà permis le transfert de plusieurs internés inscrits sur sa liste d’attente et où l’accueil des autres se fera progressivement pour des raisons de sécurité et pour permettre le rodage du personnel de garde (voir rapport de la directrice du 1er octobre 1993) ; qu’il se pourrait que les intimés profitent très prochainement de cette mise en place du nouveau pavillon ; Attendu que si le droit pour les intimés d’être transférés dans un établissement où ils bénéficieront d’un traitement curatif scientifiquement organisé mis au point par une équipe psychiatrique est évident, force est de constater qu’à Paifve la surpopulation chronique caractérisée par une promiscuité déplorable et antithérapeutique s’est accompagnée d’une insécurité développée dans des locaux frisant l’insalubrité et soldée par l’échec des traitements thérapeutiques (voir descriptions dans réf. civ. Liège 27.2.1990, JLMB 1990, 435 et Liège 4.6.1993 en cause Etat belge c. B., C. et T., R.F. 8349/93) ; que redoutant une aggravation de cette situation, l’appelant a dû se résoudre à différer le transfert des internés dans cet établissement et qu’il a instauré le système de la liste d’attente dont certaines décisions de référé, assorties d’une astreinte importante, ont bouleversé l’ordre, créant ainsi des priorités difficilement justifiables ; que de l’exécution de ces décisions, respectées essentiellement en raison de la charge que l’astreinte prononcée représentait, il ne peut se déduire que l’appelant aurait une fois pour toutes renoncé à contester le pouvoir d’intervention des juridictions de l’ordre judiciaire ; que la renonciation à un droit est de stricte interprétation et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d’une autre interprétation (Cass. 20.4.1989, Pas. 1989, I, 861) ; Attendu qu’au contraire des décisions qui statuent sur la mise en liberté de l’interné et qui de ce fait présentent le caractère de jugements (voir Cass. 17.6.1968, Pas. 1968, I, 1183 et conclusions de M. l’avocat général Mahaux), les décisions des commissions de défense sociale qui désignent l’établissement dans lequel l’interné sera placé ne sont pas des décisions touchant à la liberté individuelle mais des modalités d’exécution de l’internement (O. Vandemeulebroeke, Les commissions de défense sociale, RDP 1986, p. 178, no 80) ; qu’en raison de leur nature, elles sont étrangères à l’article 30 de la Constitution ; Que l’exécution de ces décisions est un acte de l’administration et non un règlement tombant sous le coup de l’article 107 de la Constitution ; Attendu que l’appelant ne dénie pas aux intimés le droit d’être transférés à Paifve mais oppose à un transfèrement immédiat des objections tenant à la surpopulation, au désordre qu’elle y entraîne et à l’insécurité qui pourrait en résulter tant pour ceux qui y travaillent que pour les autres citoyens ; que la décision de maintenir les internés en surnombre dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires résulte donc d’un choix où l’administration confronte ce droit des internés à un traitement médical le plus approprié et les impératifs de la sécurité en général ; Attendu que ce choix est un acte de l’administration dont l’opportunité échappe par excellence au contrôle du Pouvoir judiciaire ; Que si le Pouvoir judiciaire est compétent pour ordonner les mesures nécessaires tant pour mettre fin que prévenir une atteinte portée fautivement à un droit subjectif, il lui est interdit d’apprécier l’opportunité d’une mesure prise par l’autorité administrative et de faire œuvre d’administrateur (voir conclusions de M. le Procureur général Velu, alors avocat général, avant Cass. 27.6.1980, Pas. 1980, I, 1357 et spécialement p. 1349 ; Cass. 27.11.1992, RG 7972, en cause Etat belge c. faillite V. D. E.) ; que le juge des référés ne peut, sans s’immiscer dans la politique générale suivie par l’administration, remettre en cause l’opportunité d’établir une liste d’attente et en bouleverser l’ordre en décidant, sous la menace d’une astreinte, le transfert immédiat d’un interné soigné dans des conditions moins favorables à l’annexe psychiatrique ; que d’autres possibilités de transfert doivent d’ailleurs exister puisque la commission de défense sociale et en cas d’urgence son président seul peuvent même d’office diriger un interné vers un autre établissement étatique ou exceptionnellement vers un établissement privé ; Que la seule juridiction de fond ayant été appelée à examiner la question (Civ. Liège 16.2.1993, en cause H. et V. contre Etat belge) a décidé que la détention de l’interné n’en restait pas moins légale, excluant donc l’existence d’une voie de fait relevant de l’arbitraire ; que l’insuffisance des établissements pénitentiaires d’ailleurs, justifie sans doute la création de locaux supplémentaires, mais que ces constructions, outre qu’elles ne seront pas instantanément terminées, impliquent des engagements budgétaires relevant de la politique générale qui échappe au contrôle des cours et tribunaux ; que l’ouverture du nouveau pavillon à Paifve est une illustration de l’intérêt que l’appelant porte également à la problématique de l’internement ; Attendu que la comparaison des régimes et traitements prodigués aux internés à Paifve et à l’annexe psychiatrique de Lantin ressort très bien des constatations faites en 1990 par le président du Tribunal de première instance de Liège à l’occasion d’une visite des lieux et d’une enquête ; qu’elle dispense d’une nouvelle vue des lieux et permet de conclure que si, à Lantin, la situation des internés n’est pas idéale et peut présenter des risques pour le rétablissement des internés, le régime auquel ces individus sont soumis, comme c’est le cas pour les intimés, n’est cependant pas assimilable à un traitement inhumain ou dégradant proscrit par la Convention des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. » 3. La demande devant le bureau d’assistance judiciaire près la Cour de cassation Le 13 janvier 1994, le requérant demanda l’octroi de l’assistance judiciaire pour se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 22 octobre 1993. A l’appui de sa demande, il fit valoir les arguments suivants : « Qu’à l’analyse il apparaît que la cour d’appel a laissé sans réponse le moyen développé par le requérant et fondé sur la violation de l’article 3 de la Convention européenne précitée ; Qu’en effet, la cour d’appel dans son arrêt du 22 octobre 1993, ne rencontre pas ce moyen invoqué par le requérant en terme de citation, implicitement mais certainement rencontré par le premier juge et implicitement mais certainement reproduit par le requérant dans ses conclusions d’appel, ces conclusions faisant valoir principalement qu’il y avait lieu à confirmer l’ordonnance dont appel ; Qu’il apparaît donc que l’arrêt précité du 22 octobre 1993 viole notamment le prescrit de l’article 97 de la constitution ; Que de plus, cet arrêt de la cour d’appel du 22 octobre 1993 est en contradiction totale avec un arrêt de la première chambre civile de la cour d’appel de Liège du 18 janvier 1993 qui avait confirmé dans une affaire similaire une ordonnance de référé en stipulant que la détention était illégale et constituait une voie de fait. » Par décision du 10 février 1994, le bureau d’assistance judiciaire près la Cour de cassation rejeta la demande en se prononçant en ces termes : « Attendu que le requérant justifie de l’insuffisance de ses revenus ; Attendu que la prétention ne paraît pas actuellement juste ; Rejette la demande. » II. LE DROIT et la pratique INTERNEs pertinents A. La loi de défense sociale Les dispositions pertinentes de la loi du 1er juillet 1964 « de défense sociale à l’égard des anormaux et délinquants d’habitude » (« la loi de 1964 ») se lisent ainsi : Article 1 « Lorsqu’il existe des raisons de croire que l’inculpé est, soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions, les juridictions d’instruction peuvent, dans les cas où la loi autorise la détention préventive, décerner un mandat d’arrêt en vue de le placer en observation. (...) » Article 7 « Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article 1. (...) » Article 12 « Il est institué auprès de chaque annexe psychiatrique une commission de défense sociale. Les commissions de défense sociale sont composées de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire qui en est le président, un avocat et un médecin. Les membres des commissions sont nommés pour trois ans ; ils ont chacun un ou plusieurs suppléants. Le président et ses suppléants sont désignés par le premier président de la Cour d’appel. L’avocat et ses suppléants sont choisis par le Ministre de la Justice sur deux listes de trois noms présentées, l’une par le procureur du roi et l’autre par le bâtonnier de l’Ordre des avocats. Le médecin et ses suppléants sont désignés par le Ministre de la Justice. (...) » Article 14 « L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale. Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La commission peut toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. (...) Si, au moment où l’internement est ordonné, l’inculpé est détenu dans un centre pénitentiaire, l’internement a lieu provisoirement dans l’annexe psychiatrique de ce centre ou, à défaut de celle-ci, dans l’annexe désignée par la juridiction qui ordonne la mesure. » Article 15 « La commission peut d’office ou à la demande du Ministre de la Justice, du procureur du roi, de l’interné ou de son avocat ordonner le transfèrement de l’interné dans un autre établissement. La demande de l’interné ou de son avocat ne peut être représentée qu’après l’expiration d’un délai de six mois. La commission peut admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités sont fixées par le Ministre de la Justice. » Article 17 « En cas d’urgence, le président de la commission peut ordonner à titre provisoire le transfèrement dans un autre établissement. Sa décision est soumise à la commission qui statue lors de sa plus prochaine séance. Dans le même cas, et pour des raisons de sécurité, le Ministre de la Justice peut également ordonner, à titre provisoire, le transfèrement de l’intéressé dans un autre établissement. Il en informe immédiatement la commission. » Article 18 « La commission se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet. (...) » Article 20 « Si la mise en liberté est ordonnée à titre d’essai, l’interné est soumis à une tutelle médico-sociale dont la durée et les modalités sont fixées par la décision de mise en liberté. Si son comportement ou son état mental révèle un danger social, notamment s’il ne respecte pas les conditions qui lui ont été imposées, le libéré peut, sur réquisitoire du procureur du roi de l’arrondissement où il est trouvé, être réintégré dans une annexe psychiatrique. Il est ensuite procédé conformément aux articles 14 et 16. » B. La jurisprudence interne Au cours de l’année 1989, le président du tribunal de première instance de Liège, siégeant en référé, fut saisi pour la première fois de problèmes du maintien en détention à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire de Lantin de personnes pour lesquelles la commission de défense sociale avait décidé que l’internement aurait lieu dans l’établissement de défense sociale de Paifve. Cette première procédure, introduite par MM. H. et V., donna lieu à une enquête comportant entre autres une visite de l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin, l’audition des deux plaignants ainsi que celle des médecins attachés à cette institution. Le procès-verbal de visite des lieux et d’audition de MM. H. et V., dressé le 10 janvier 1990, est ainsi rédigé : « A 14 heures, Monsieur le Président ouvre l’audience. Nous nous rendons dans l’annexe psychiatrique qui constitue une partie bien distincte, comprenant – 1 poste central dans lequel se trouve 3 à 4 surveillants mais aucun infirmier ; – 1 dortoir comprenant en tout 26 lits disposés des deux côtés du local avec table de nuit devant chaque lit. Deux de ces lits sont réservés aux servants (c.-à-d. des détenus volontaires, qui ne sont pas malades mentaux, qui sont des hommes de confiance mais qui ne possèdent aucune qualification particulière ; leur présence se justifie dans l’hypothèse où des incidents se produiraient en vue d’aider les agents). Ces derniers sont au nombre de 2 : 1 dans la salle commune, l’autre dans la partie cellulaire ; – 1 salle de séjour comprenant un poste de télévision, une table de ping-pong, deux tables et neuf chaises, ainsi qu’une caméra surveillant l’ensemble de la salle. Cette salle se trouve juste en face du dortoir commun et devait initialement constituer également un dortoir. Les autorités médicales ont estimé préférable de réserver une partie pour la nuit et une partie pour le séjour durant la journée (où on peut notamment fumer) ; – près de la salle de séjour, le bloc sanitaire comprenant deux W.C. et un évier ; – près du dortoir se trouve un local séparé comprenant trois douches, une baignoire, cinq éviers ; – entre le dortoir commun et la salle de séjour se trouve un couloir dans lequel sont servis les repas ; – un petit local où se donne, chaque semaine, une heure de cours de dessin et de français ; – un bloc cellulaire dans lequel se trouvent actuellement vingt personnes dont huit en duo (4 x 2). Un couloir central sépare les cellules dans lesquelles les intéressés peuvent, de 18 à 21 heures, regarder la télévision et jouer aux cartes. Matin et après-midi, ils peuvent se rendre au préau, pendant 1 à 2 heures selon le temps. Dans les chambres occupées en duo, un matelas en mousse a été placé à même le sol ; – un préau assez spacieux réservé aux internés (de la salle commune et du bloc cellulaire ensemble). Lors de la visite de la salle commune, il nous a été déclaré par les occupants : – qu’ils étaient trop nombreux ; – qu’ils n’avaient aucune activité ; – qu’ils passaient toute la journée dans la salle de séjour, ce qui leur semble très long ; – qu’il fait très chaud ; – qu’ils manquent d’air parce que les fenêtres ne sont jamais ouvertes ; – qu’ils n’ont qu’un seul jour de visite par semaine pendant 1 h 30 ; – qu’ils ne peuvent pas téléphoner ; – qu’ils ne peuvent changer que très rarement de vêtements ; – que l’on envoie chez eux tout ce qui gêne ailleurs ; – que les surveillants sont trop peu nombreux (en semaine 3, le week-end souvent moins) ; – que les contacts avec le médecin-psychiatre sont réguliers et très bons. Lors de la visite du bloc cellulaire, M. H. nous déclare : – qu’il n’a pas de travail, de sorte que le temps lui paraît très long ; – qu’il se repose toute la journée ; – qu’il voit le médecin quand il le demande mais que ce dernier ne les examine pas d’office ; – qu’il n’y a pas de psychologue ; – qu’il voit épisodiquement une assistante sociale qui est débordée car elle a d’autres affectations dans la prison et elle n’est pas là tous les jours ; qu’il la voit donc ainsi à peine une fois par semaine ; – qu’il n’y a jamais de sortie extérieure ni de congé ; – que les contacts avec le médecin et les surveillants sont très bons. M. V. nous déclare : – qu’il n’a aucun travail et qu’il ne peut pratiquer aucun sport ; – qu’il ne peut pas avoir de café ou un briquet ; – qu’il n’y a pas de psychologue ; – qu’il voit l’assistante sociale quand il le demande et qu’elle est là ; – que les gardiens sont bons mais très peu nombreux. » Le 15 janvier 1990, le président du tribunal de première instance procéda à l’audition du médecin-psychiatre de l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin. Le procès-verbal de cette audition est libellé comme suit : « (...) Je ne suis ni parent ni allié des demandeurs. Je suis seul neuropsychiatre, médecin anthropologue, dans l’établissement pénitentiaire de Lantin. J’y suis occupé 10 heures par semaine, à savoir : le lundi deux heures, les mardi et jeudi : trois heures, les vendredi et samedi une heure. Mon activité est très vaste car j’ai en charge potentielle tous les détenus de Lantin (environ 700) et non uniquement les personnes se trouvant dans l’annexe psychiatrique. C’est la seule prison de Belgique où il n’y a qu’un seul neuropsychiatre pour autant de détenus et d’internés. Je consacre les 3/5e de mon temps à l’annexe psychiatrique. Celle-ci comprend une population très hétérogène : les internés, les toxicomanes qui entrent à Lantin et qui passent d’abord par l’annexe (il en vient presque tous les jours), les détenus – prévenus ou condamnés – qui présentent des problèmes d’ordre mental de tous genres, et enfin les personnes qui se trouvent en observation psychiatrique notamment à la demande du juge d’instruction. L’annexe psychiatrique compte quarante-deux places dont trois places réservées aux servants. En fait, il y a de trente-cinq à cinquante-cinq pensionnaires. Pendant les vacances, il y en a quarante-sept à quarante-neuf environ. La salle commune compte vingt-trois places et il y a treize cellules occupées actuellement par dix-sept internés, en tout. Le chiffre de quarante est beaucoup trop élevé car ces personnes nécessitent des soins attentifs au point de vue psychiatrique, neurologique et ergothérapeutique notamment. Elles doivent recevoir des soins urgents, qui sont prodigués. Elles devraient recevoir également des soins chroniques en vue de leur réinsertion sociale : elles nécessiteraient des consultations régulières auprès de psychologues et d’assistants sociaux. De même, le travail leur serait indispensable. Or, ces soins chroniques sont inexistants. Au point de vue de l’encadrement, il y a un seul psychiatre (moi-même) occupé partiellement. Il n’y a pas d’infirmier diplômé mais uniquement des surveillants sans formation spéciale. Ces surveillants devraient être cinq par horaire ; ils sont en fait souvent quatre et même trois. La présence des surveillants est très importante auprès des internés ; ils doivent les écouter, dialoguer avec eux, séjourner dans la salle commune, jouer avec les intéressés, ce qui n’est pratiquement pas possible étant donné le grand nombre d’internés et le petit nombre de surveillants. Ils doivent aussi s’occuper des visites que reçoivent les internés et surveiller le préau. L’un de ces gardiens, non infirmier, doit préparer les médicaments. Il n’existe pas de psychologue, ni d’ergothérapeute qui serait cependant nécessaire pour intégrer le travail dans un contexte thérapeutique. Il n’y a pas d’éducateur. Il n’y a qu’une seule assistante sociale qui travaille également dans d’autres secteurs de Lantin (notamment auprès des femmes). Les internés reçoivent quelques cours de musique, d’anglais et de français, qui sont donnés par des bénévoles mais le milieu est propice. (...) Les internés peuvent me rendre visite quand ils le demandent. Je ne les examine pas systématiquement chaque jour. Il serait cependant souhaitable que je les voie régulièrement et que je m’entretienne avec eux mais cela est tout à fait impossible en raison tant du nombre d’internés que du peu d’heures dont je dispose. [Après avoir reçu lecture de ce qui précède, le témoin ajoute :] Les soins chroniques deviennent de plus en plus nécessaires en raison de la durée de plus en plus longue du séjour des internés dans l’annexe psychiatrique alors qu’ils devraient se trouver dans un établissement de défense sociale. [Sur interpellation de Me BERWART :] Les internés ne peuvent pas recevoir d’intraveineuses qui requièrent nécessairement un médecin. Ils reçoivent uniquement des injections intramusculaires qui devraient être effectuées par un infirmier mais qui le sont par les surveillants auxquels j’ai montré comment cela se pratiquait. Cela ne peut cependant pas causer de graves problèmes. Je ne reçois les internés qu’à leur demande. Souvent, ce qu’ils sollicitent est très ponctuel, de sorte que je ne dois leur consacrer que peu de temps. Lorsqu’en revanche, ils désirent ‘vider leur sac’, je leur consacre généralement un quart d’heure ou une demi-heure, ce que je considère trop peu. [Sur interpellation de Me DEWEZ :] De façon générale, il peut arriver que des injections intraveineuses soient nécessaires, notamment lors d’états dépressifs aigus. Il ne peut être question, dans l’annexe psychiatrique, étant donné l’absence de personnel qualifié, de recourir à ces injections. (...) » Par une ordonnance du 27 février 1990 rendue sur le recours de MM. H. et V., le juge des référés estima que dans la mesure où il avait été décidé que l’internement d’une personne aurait lieu à Paifve, son maintien en détention à l’annexe psychiatrique violait « tant les articles 6 et 14 de la loi de défense sociale du 1er juillet 1964 que l’article 3 de la Convention ». Il était d’avis que la situation existant à Lantin était beaucoup moins favorable qu’à Paifve, relevant que les internés n’y bénéficiaient ni de l’encadrement social, psychologique et psychiatrique répondant aux exigences de la loi, ni d’un suivi médical par un médecin-psychiatre, ni d’un environnement adapté à la prise en charge des cas psychiatriques. Il ordonna donc à l’Etat de soumettre les demandeurs à un régime d’internement conforme à la loi. Dans le cadre de l’examen de cette affaire au fond, le tribunal de première instance de Liège estima, pour sa part, que la détention était restée légale malgré le long délai écoulé avant le transfert de Lantin à Paifve. Le président du tribunal de première instance de Liège, siégeant en référé, rendit ultérieurement plusieurs ordonnances allant dans le même sens que celle du 27 février 1990, ordonnances auxquelles l’Etat se conforma. Saisie pour la première fois d’un appel de l’Etat contre pareille ordonnance, la cour d’appel de Liège dans un arrêt du 18 janvier 1993 (arrêt M. c. Etat belge) confirma la décision déclarant illégal le maintien d’un interné à Lantin en dépit de la décision de la commission de défense sociale, en se prononçant en ces termes : « Attendu que la commission de défense sociale a relevé le 26 février 1991 que le médecin responsable de l’annexe a écrit dans son rapport du 22 février 1991 que : – l’état mental des internés se dégrade en raison des conditions dans lesquelles ils se trouvent à l’annexe avec une promiscuité, un défilé continuel de toxicomanes qui ravivent pour certains des passions toxicophiles ; – il existe un risque sérieux d’aggravation irréversible de l’état mental de l’intéressé s’il est laissé plus longtemps à l’annexe où il est manifeste qu’il ne peut recevoir le traitement approprié ; – le défaut d’exécution de la décision d’internement dans un délai raisonnable viciait la détention de l’interné qui devenait illégale et que le délai raisonnable était épuisé. Attendu que c’est à juste titre que le juge des référés a assorti sa décision d’une astreinte ; Qu’en effet l’attitude de l’appelant, lequel manifestait de la résistance à exécuter les décisions antérieures, justifiait pareille mesure. » C. Le rapport du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du 14 octobre 1994, et son suivi 1. Le rapport du CPT Lors de sa visite effectuée en Belgique du 14 au 23 novembre 1993, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») s’est rendu dans plusieurs lieux de détention, dont l’établissement pénitentiaire de Lantin. Dans son rapport, rendu public le 14 octobre 1994, il relevait notamment à propos de l’annexe psychiatrique de Lantin : « 188. Le médecin-psychiatre a spontanément évoqué les difficultés et le régime inadéquat de l’annexe psychiatrique. Tous les patients avec qui la délégation a discuté se sont plaints du manque de contacts avec du personnel qualifié, tout en relevant l’attitude positive des fonctionnaires pénitentiaires. 189. Les contacts avec le médecin-psychiatre étaient réduits à leur plus simple expression. Certains voyaient le médecin tous les dix jours. Pour d’autres, le rythme était plus espacé : par exemple, un patient, à l’annexe depuis juillet 1992, a vu le médecin six fois ; un autre à l’annexe depuis mars 1993 et manifestement déprimé et suicidaire a vu le médecin une fois ; un patient transféré à l’annexe en mai 1993 a vu le médecin deux fois. Il semblerait que les consultations soient extrêmement brèves. Certains patients ont, en outre, allégué qu’ils étaient debout lors des consultations. 190. Lors de la visite, plusieurs patients internés étaient en attente de transfert vers un établissement de défense sociale. L’un des patients avait été désigné depuis le 22 décembre 1992 pour un transfert à Tournai et séjournait depuis plus d’un an à l’annexe (c’est-à-dire depuis le 22 septembre 1992), d’autres attendaient leur transfert depuis plusieurs mois. Il est évident que maintenir les patients internés dans les conditions ci-dessus décrites pendant des périodes prolongées comporte un risque indéniable d’aggravation de leur état mental. La délégation du CPT a été informé qu’il y avait, à l’heure actuelle, un établissement spécifique de défense sociale à Paifve et six autres établissements (soit hospitaliers, soit pénitentiaires) partiellement réservés à l’hébergement des internés. Cependant, il semblerait que leur capacité ne permette pas de répondre aux besoins de l’internement. 191. L’annexe psychiatrique, bien qu’accueillant des patients nécessitant une observation et/ou des soins psychiatriques, ne possède ni le personnel, ni les infrastructures d’un milieu hospitalier psychiatrique. A tous égards, le niveau de prise en charge des patients placés à l’annexe psychiatrique était en-dessous du minimum acceptable du point de vue éthique et humain. 192. En conséquence, le CPT recommande aux autorités belges de prendre sans délai les mesures nécessaires afin que : - l’équipe médicale de l’annexe psychiatrique soit renforcée de manière significative. Cette équipe devrait comprendre au moins l’équivalent d’un poste de médecin-psychiatre à plein temps ; - l’annexe psychiatrique soit dotée d’un effectif en nombre suffisant de personnel infirmier diplômé, formé aux soins psychiatriques ; - une permanence du personnel infirmier diplômé soit organisée la nuit à l’annexe psychiatrique et qu’un terme soit mis au système de surveillance nocturne par les détenus servants ; - des programmes d’activités thérapeutiques différenciés faisant appel à la gamme complète des traitements (psycho/socio/ergothérapies) soient mis en place ; - un environnement thérapeutique différencié pour ce qui concerne les conditions matérielles (objets personnels, armoires, salles de séjour, annexes sanitaires séparées des lieux de vie, etc.) soit mis en place ; - plus généralement, les conditions matérielles d’hébergement soient améliorées de manière significative. 193. En outre, le CPT recommande que les autorités belges explorent la possibilité de remplacer le dortoir par des chambres pour un ou deux patients. 194. Enfin, le CPT recommande aux autorités belges d’accorder une haute priorité à la recherche d’une solution au problème, précédemment relaté, du transfert des patients internés. » 2. Les commentaires du gouvernement belge a) Le rapport intérimaire du 3 mai 1995 Dans un rapport intérimaire rendu public le 3 mai 1995, en réponse au rapport du CPT du 14 octobre 1994, le gouvernement belge affirma qu’il était inexact que les détenus placés à l’annexe psychiatrique de Lantin soient laissés sous la seule surveillance de détenus servants : deux agents faisant partie du personnel de l’annexe étaient présents la nuit. b) Le rapport de suivi du 21 février 1996 Le gouvernement belge déposa un rapport de suivi rendu public le 21 février 1996. Il y fit notamment les commentaires suivants sur le rapport précité du CPT (paragraphe 28 ci-dessus) : « [sur le paragraphe 192 du rapport du CPT] A l’annexe psychiatrique de Lantin, il importe de signaler qu’une unité d’orientation et de traitement (UOT) a été mise en place en 1993. Cette unité opérationnelle depuis le 9 décembre 1993 comprend un psychiatre, un directeur adjoint, deux psychologues, un assistant social et un assistant administratif. L’unité a mis au point un projet de collaboration avec une école sociale chargée de former des éducateurs en milieu pénal. C’est ainsi que, sous la supervision de l’équipe UOT, des candidats éducateurs de cette école auront la possibilité d’effectuer leur stage à la prison de Lantin. Chargés de créer une structure de travail à laquelle pourront être associés d’autres intervenants, les activités de ces stagiaires éducateurs seront essentiellement centrées sur l’annexe psychiatrique et sur le quartier des femmes. D’une part, leurs activités viseront à mettre en place à l’annexe psychiatrique des activités occupationnelles comme un atelier d’ergothérapie, un atelier d’expression orale, des activités sportives, etc. (...) Outre la mise en place de l’équipe UOT précitée, une procédure a été initiée pour recruter une infirmière spécialisée en soins psychiatriques et un psychiatre, à raison de trente heures par semaine. Ce personnel qualifié sera exclusivement affecté à l’annexe psychiatrique de l’établissement. [sur le paragraphe 193 du rapport du CPT] Seul l’hébergement en salle commune et en dortoir permet une surveillance continue (24 h s/ 24), alors qu’en cellule, la fréquence des contrôles, dans le cadre du régime de la surveillance spéciale, se limiterait à toutes les 15 minutes. L’Administration des établissements pénitentiaires estime qu’il appartient au médecin responsable de l’annexe psychiatrique de décider, en fonction de la pathologie particulière du détenu, de son placement en salle commune ou en cellule. Ces deux possibilités doivent donc coexister. Il convient en outre de rappeler qu’un nombre réduit de cellules (solo, duo ou trio) font également partie de cette annexe. [sur le paragraphe 194 du rapport du CPT] Il convient de préciser tout d’abord qu’en vertu de l’article 14 de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude, les commissions de défense sociale sont compétentes pour désigner en toute indépendance le lieu où doit avoir lieu l’internement. Ces organes administratifs institués auprès de chaque annexe psychiatrique disposent d’une totale autonomie et jouissent de pouvoirs juridictionnels. Ainsi, ces commissions peuvent décider d’une libération provisoire à l’essai ou d’une libération définitive. La décision de mise en liberté peut faire l’objet d’une opposition de la part du Procureur du Roi. Dans ce cas le dossier est soumis pour décision à une commission supérieure de défense sociale qui tranche le litige. Les décisions en vertu desquelles les commissions décident qu’il n’y a pas lieu à libération peuvent, quant à elles, faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Les commissions placent les internés soit dans un établissement spécifique dépendant du Ministère de la Justice (Etablissement de Défense sociale (EDS) de Paifve, sections pour internés des prisons de Merksplas et de Turnhout) soit dans des établissements gérés par la Région wallonne (EDS de Mons pour les femmes et EDS de Tournai pour les hommes) soit dans des établissements psychiatriques privés qui acceptent d’accueillir ces malades. Il apparaît que l’exécution des décisions de placement des commissions de défense sociale pose des problèmes particuliers en Communauté française. Des problèmes budgétaires et de capacité y sont en effet rencontrés. Historiquement les commissions de défense sociale du sud du pays ont eu la possibilité de placer les internés à l’EDS de Mons pour les femmes et l’EDS de Tournai pour les hommes. Ces établissements qui à l’origine étaient gérés par le Ministère de la Santé publique national et qui le sont maintenant par la Région wallonne facturent au Ministère de la Justice les frais de prise en charge des internés qui y sont placés. Or, dans des délais très brefs et sans préavis, ces frais fixés par l’Institut National d’Assurance Maladie et Invalidité ont subi des augmentations très importantes en sorte que les moyens budgétaires prévus pour y faire face se sont avérés insuffisants. Des crédits supplémentaires ont dû être sollicités mais ceux-ci ne sont accordés que l’année budgétaire suivante. En ce qui concerne les problèmes de capacité, il est à signaler que le nombre de places disponibles dans les EDS de Paifve et de Tournai est tel que depuis plusieurs années les internés séjournent pendant plusieurs mois dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires avant qu’ils puissent être effectivement transférés vers l’EDS désigné par la commission de défense sociale compétente. Les internés sont ainsi ‘placés’ sur une liste d’attente et classés selon un ordre chronologique. L’impossibilité de les accueillir immédiatement dans les établissements de destination a amené certains de leurs avocats à introduire presque systématiquement des procédures en référé devant le président du tribunal de première instance compétent, aux fins de faire condamner l’Etat belge à exécuter les décisions des commissions. Si l’Etat belge a été condamné à plusieurs reprises en première instance, ces condamnations étant assorties d’astreintes, il convient de noter que ce dernier ne l’a pas été en appel. En instance d’appel (Civ. Liège, 1er octobre 1993), il a notamment été jugé ‘qu’il n’appartient pas au pouvoir judiciaire de substituer sa décision à celle prise par l’autorité administrative et d’ordonner le transfert de l’interné, sans avoir égard aux difficultés rencontrées par l’administration, telles que le choix d’un autre établissement étatique ou exceptionnellement d’un institut privé’ et ‘que bien que la loi de défense sociale ne soit pas vraiment respectée, la promiscuité de l’intimé avec d’autres détenus de droit commun n’est pas pour autant assimilable à un traitement inhumain ou dégradant tombant sous le coup de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales’. Dans le même sens, on peut relever une décision de ce même tribunal qui statuant en appel en date du 16 février 1993 avait retenu l’existence d’un cas de force majeure dans le chef de l’administration pénitentiaire qui ne dispose ni des bâtiments ni du personnel permettant une application normale de la loi de défense sociale. Si aucun pourvoi en cassation n’est pendant en la matière, il importe de relever qu’une requête contre l’Etat belge a été introduite le 8 août 1994 par un interné auprès de la Commission européenne des Droits de l’Homme. A l’heure actuelle, cette affaire est encore en cours. Il échet en outre de signaler que l’EDS de Paifve dispose encore d’une capacité théorique supplémentaire de soixante places. Cette dernière ne pourra être exploitée pleinement que si, d’une part, des travaux importants de rénovation pour conserver l’ancien pavillon de cet établissement sont réalisés et que si, d’autre part, le personnel d’encadrement est renforcé. La réalisation de ce projet de rénovation est prévue à moyen terme (1999–2000). Si cette capacité devenait disponible, on pourrait assister à une ‘normalisation’ de la capacité globale d’accueil. Cette augmentation de capacité ne dispenserait évidemment pas les commissions de recourir aux placements à l’EDS de Tournai puisque cet établissement dispose d’un équipement et d’encadrement en personnel spécialisé. Il importe de conserver cette possibilité d’accueil dans la mesure où l’infrastructure du Ministère de la Justice et les possibilités du secteur privé sont totalement insuffisantes pour absorber à elles seules les besoins. Enfin, il importe de préciser que des contacts entre les différentes autorités politiques fédérales et régionales concernées par la problématique du placement et du traitement des internés seront pris pour tenter de dégager des solutions. Ces négociations sont préparées dans le cadre d’un groupe de travail qui sera constitué à l’initiative du Ministre de la Justice. Ce groupe de travail réunira des représentants des différentes parties concernées. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Aerts a saisi la Commission le 8 août 1994. Il se plaignait d’avoir été détenu en violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention en raison de son maintien à l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin dans l’attente de son transfert à l’établissement de défense sociale de Paifve pour lequel il avait été désigné par décision de la commission de défense sociale du 22 mars 1993. Il alléguait également que le refus de la cour d’appel de Liège, en date du 22 octobre 1993, d’exercer un contrôle quant à la légalité dudit maintien aurait méconnu son droit d’accès à un tribunal prescrit par l’article 5 § 4. Par ailleurs, le rejet de sa demande d’assistance judiciaire pour se pourvoir en cassation à l’encontre de l’arrêt précité du 22 octobre 1993 aurait méconnu son droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6. Enfin, il critiquait les conditions de détention dans ladite annexe qui s’analyseraient en un traitement inhumain et dégradant, prohibé par l’article 3. La Commission a retenu la requête (no 25357/94) le 2 septembre 1996. Dans son rapport du 20 mai 1997 (article 31), elle exprime l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention (vingt-neuf voix contre deux) ainsi que de l’article 3 (dix-sept voix contre quatorze), mais qu’il n’y a pas eu violation des articles 5 § 4 et 6 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement « estime qu’aucune violation des articles 3, 5 et 6 de la Convention n’a été commise au cours de la détention du requérant à l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin ».
0
0
0
0
0
0
1
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Genèse de l’affaire Dans le cadre d’un litige opposant la requérante à un voisin au sujet d’une vue sur sa propriété sise à Lumbier, dans la province de Navarre, un acte de conciliation fut conclu, le 28 juillet 1992, entre les parties par-devant le juge d’instance suppléant d’Aoiz (Navarre). Par cet acte, le voisin, usufruitier de l’immeuble qu’il occupait, s’engageait à supprimer, dans un délai de six mois, la vue depuis sa terrasse sur la propriété de la requérante. Passé ce délai sans que le voisin exécutât ses engagements, le 6 mai 1993, la requérante demanda, devant le juge d’instance d’Aoiz, l’exécution de l’acte de conciliation. B. Procédure devant le juge d’instance d’Aoiz Le 25 mai 1993, le juge accueillit la demande de la requérante et accorda un délai supplémentaire de quinze jours à la partie adverse pour qu’elle exécutât les engagements découlant de l’acte de conciliation. Le 11 juin 1993, le défendeur fit savoir devant le juge d’instance d’Aoiz que, n’étant pas propriétaire de l’immeuble, il ne pouvait pas effectuer les travaux nécessaires pour répondre aux exigences dudit acte. Le 24 août 1993, la requérante réitéra sa demande et précisa que la partie adverse n’avait pas entamé d’action en nullité contre l’acte de conciliation litigieux en vertu de l’article 477 du code de procédure civile (paragraphe 27 ci-dessous). 13. Par une décision (auto) du 7 septembre 1993, le juge d’instance suppléant d’Aoiz (différent du premier juge) rejeta la demande de la requérante et déclara nul l’acte de conciliation : le voisin, simple usufruitier de l’immeuble, ne pouvait, sans l’accord du nu-propriétaire, réaliser les travaux destinés à la suppression de la vue dans la mesure où ceux-ci changeraient la forme et la substance de l’immeuble. Le juge précisa que rien n’empêcherait la conclusion de l’acte avec celui ayant la qualité nécessaire pour agir. Au sujet de l’allégation de la requérante selon laquelle la partie adverse n’avait pas soulevé la nullité de l’acte de conciliation dans les délais prescrits (paragraphe 27 ci-dessous), le juge précisa que l’article 477 du code de procédure civile ne visait que les cas où la conclusion même de l’acte n’aurait pas respecté les conditions ou les formalités requises par la loi, et non les vices de nature à annuler un accord de volonté. L’acte de conciliation comportait un vice en raison de l’absence de capacité d’une des parties pour conclure un tel accord. Notification de la décision du 7 septembre 1993 à Lumbier Le 8 septembre 1993, le greffier du tribunal d’instance d’Aoiz ordonna la notification de la décision au domicile de la requérante dans le village de Lumbier, situé à vingt kilomètres d’Aoiz. Par un acte du 27 septembre 1993, le juge de paix de Sangüesa (du ressort duquel relève le village de Lumbier) constata que la requérante ne se trouvait pas à son domicile de Lumbier et fit savoir au greffe d’Aoiz que l’époux, qui était en même temps l’avocat de la requérante, avait exprimé par téléphone le souhait que la décision fût notifiée à la résidence de cette dernière à Madrid. Le 6 octobre 1993, la décision litigieuse fut notifiée à la partie adverse. Notification de la décision du 7 septembre 1993 à Madrid Par une ordonnance du 21 octobre 1993, le juge de première instance d’Aoiz, ville située à quelque quatre cents kilomètres de Madrid, ordonna que la décision fût notifiée à la résidence de la requérante à Madrid ; le 26 novembre 1993, la requérante reçut enfin notification de ladite décision en la personne de sa femme de ménage puisqu’elle se trouvait absente à ce moment-là. Recours contre la décision du 7 septembre 1993 Contre la décision du 7 septembre 1993 la requérante présenta, le 30 novembre 1993, un recours de reposición et subsidiairement d’appel auprès du greffe du tribunal de permanence de Madrid qui, dans un premier temps, y apposa son cachet ; toutefois, s’apercevant que ledit recours devait être déposé au tribunal d’Aoiz, le responsable du greffe barra et invalida ainsi ledit cachet. Le même jour, la requérante expédia, par courrier recommandé avec accusé de réception, ledit recours de reposición et subsidiairement d’appel auprès du juge d’instance d’Aoiz. Le recours était daté du 27 novembre 1993 et signé par la requérante et son conseil à Lumbier. Sur sa première page figurait le cachet de la poste avec, comme date d’envoi, le 30 novembre 1993. Le courrier fut reçu au greffe du juge d’instance d’Aoiz le 2 décembre 1993. Par une décision (providencia) du 13 décembre 1993, le juge de première instance déclara le recours de reposición et subsidiairement d’appel irrecevable pour tardiveté. Après quelques tentatives infructueuses des juges de paix de Sangüesa et d’instance d’Aoiz dans leurs ressorts respectifs, la requérante reçut notification de cette décision à sa résidence à Madrid le 15 avril 1994. Recours contre la décision du 13 décembre 1993 Le 15 avril 1994, la requérante déposa, par courrier recommandé avec accusé de réception, un recours de reposición contre la décision précitée auprès du tribunal d’instance d’Aoiz, qui fut reçu au greffe le lendemain. Le 25 mai 1994, le juge d’instance rejeta le recours et confirma la décision entreprise : le recours contre la décision du 7 septembre 1993 aurait dû être enregistré au greffe du tribunal dans le délai prescrit de trois jours, soit au plus tard le 30 novembre 1993. Par ailleurs, le juge nota que la législation en matière administrative citée par la requérante (paragraphe 30 ci-dessous) n’était pas applicable en l’espèce, les procédures judiciaires étant régies par la loi organique du pouvoir judiciaire et le code de procédure civile (paragraphes 27–29 ci-dessous). La décision concluait que le dépôt d’un recours par courrier porterait atteinte au concept de « foi publique judiciaire », ce qui battrait en brèche le principe de la sécurité juridique, dans la mesure où un bureau de poste (entité administrative) ne pouvait pas être assimilé à un organe judiciaire. Quant au recours d’appel, le juge ajouta qu’il ne pouvait être déposé qu’après la décision concernant le recours de reposición et pas en même temps que ce dernier, de sorte qu’il était inutile d’examiner s’il avait été introduit dans les délais. C. Procédure devant l’Audiencia Provincial de Navarre Le 7 septembre 1994, la requérante interjeta appel devant l’Audiencia Provincial de Navarre. Celle-ci rejeta le recours par une décision (auto) du 23 décembre 1994, insistant sur la nécessité de présenter les recours devant le tribunal compétent ou devant le juge de permanence de la même ville, en particulier lorsque le justiciable est assisté d’un conseil. D. Recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel Le 20 janvier 1995, la requérante forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, sur le fondement du droit à la protection juridictionnelle (article 24 § 1 de la Constitution). Le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable, par une décision du 8 mai 1995, ainsi motivée : « (…) S’applique au cas d’espèce la ligne jurisprudentielle de ce Tribunal ([voir,] récemment, l’arrêt du Tribunal constitutionnel n° 287/1994) en matière de dépôt des recours : le lieu de dépôt est, par principe, le greffe du tribunal saisi ou le juge de permanence, et seul peut être admis, à titre exceptionnel, le dépôt [du recours] au siège des organes administratifs lorsque le justiciable n’est pas représenté par un avocat ou un avoué. En l’occurrence, la requérante, assistée par un conseil, déposa son recours à un bureau de poste ; les organes judiciaires, appliquant les règles de procédure et se fondant sur des décisions telles que l’arrêt du Tribunal constitutionnel n° 341/1993, ont estimé, au moyen de décisions motivées, que rien ne pouvait justifier le défaut de dépôt [du recours] au greffe du tribunal même ou devant le juge de permanence de la ville. » ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Aux termes de l’article 24 § 1 de la Constitution, « Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des cours et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans jamais pouvoir être mise dans l’impossibilité de se défendre. » B. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes du code de procédure civile relatives à l’acte de conciliation sont ainsi libellées : Article 476 « Les conventions établies par les parties à l’acte de conciliation s’exécuteront par le même juge par-devant lequel l’acte a été conclu et selon la procédure établie pour l’exécution des jugements rendus par un juge d’instance (juicio verbal), lorsqu’il s’agit d’affaires de la compétence de ce même juge. (…) » Article 477 « Contre ce qui a été convenu par acte de conciliation pourra être exercée l’action en nullité fondée sur les causes de nullité des contrats. Cette action devra être introduite dans le délai de quinze jours suivant la conclusion de l’acte, auprès du juge compétent, en utilisant la procédure du procès déclaratif correspondant au montant du litige. » Les dispositions pertinentes du code de procédure civile relatives aux délais et au dépôt des recours indiquent : Article 249 « Les actes judiciaires devront être autorisés, sous peine de nullité, par le fonctionnaire public à qui incombe d’authentifier ou de certifier l’acte. » Article 250 « Les greffiers et secrétaires [des tribunaux] inscriront le jour et l’heure du dépôt des requêtes uniquement lorsque cela sera nécessaire pour vérifier le délai impératif (plazo perentorio). (…) » Article 377 « Le recours de reposición devra être déposé dans les trois jours avec mention de la disposition de la présente loi qui a été violée. Lorsque ces deux conditions ne sont pas réunies, le juge déclare de plano et sans possibilité de recours qu’il n’y a pas lieu à statuer. » C. Loi organique du pouvoir judiciaire (loi n° 6/1985 du 1er juillet 1985) Les dispositions pertinentes de la loi organique du pouvoir judiciaire sont les suivantes : Article 11 « 1. Les règles de la bonne foi seront respectées dans toutes les procédures. (…) Conformément au principe de la protection effective reconnu à l’article 24 de la Constitution, les cours et tribunaux devront toujours statuer sur des prétentions formulées et ne pourront les rejeter pour vice de forme que lorsque celui-ci ne peut pas être redressé ou ne peut l’être selon la procédure [de redressement] prévue par les lois. » Article 268 § 1 « Les actes judiciaires devront être effectués au siège de l’organe juridictionnel. » Article 270 « Les actes de procédure, décisions et jugements seront notifiés à toutes les parties au litige ainsi qu’à toutes les personnes auxquelles ils se réfèrent ou qui peuvent subir un préjudice, lorsqu’il en sera décidé expressément dans les décisions conformément à la loi. » Article 271 « Les notifications pourront être effectuées par le biais de la poste, du télégraphe ou de n’importe quel autre moyen technique qui constate sa réalisation et les circonstances de cette dernière conformément aux lois de procédure. » Article 272 « 1. Dans les communes où existent plusieurs tribunaux (…), un service commun, dépendant du bâtonnier, pourra être établi afin de procéder aux notifications que les tribunaux doivent effectuer. (…) Des services de registre général pourront également être établis pour le dépôt d’actes ou documents adressés à des organes juridictionnels. » Article 283 § 1 « Les greffiers constateront le jour et l’heure du dépôt des demandes, des requêtes introductives d’instance et de tout autre acte dont la présentation est assujettie à un délai impératif (perentorio). » D. La législation applicable en matière administrative La disposition pertinente de la loi n° 30/1992 du 26 novembre 1992 sur le régime juridique des administrations publiques et sur la procédure administrative commune est rédigée comme suit : Article 38 § 4 « Les demandes, mémoires et communications adressés par les citoyens aux organes des administrations publiques pourront être déposés : (...) c) auprès des bureaux de poste, selon la forme établie par voie réglementaire. » Le règlement du service de la poste, tel qu’adopté par le décret n° 1653/1964 du 14 mai 1964 et modifié par l’arrêté du 14 août 1971 et le décret n° 2655/1985 du 27 décembre 1985, dispose : Article 205 « Admission de recours et documents adressés à des institutions administratives (…) Les documents et recours en cause seront présentés sous enveloppe ouverte (…) L’agent qui admet l’envoi apposera un tampon avec mention de la date sur la partie supérieure gauche du document principal, de façon que le nom du bureau de poste et la date de présentation apparaissent clairement (…) » E. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel Par un arrêt du 31 janvier 1991 (n° 20/1991, journal officiel (Boletín oficial del Estado) du 25 février 1991), le Tribunal constitutionnel, se référant à sa propre jurisprudence en la matière, a jugé que le droit à une protection effective par les cours et tribunaux était enfreint « lorsque le citoyen se trouve dans l’impossibilité de déposer un recours en raison d'obstacles indus ou du rejet injustifié et non expliqué ou d’une erreur imputable à l’organe judiciaire ». Par deux arrêts des 14 février 1991 (n° 32/1991, journal officiel du 18 mars 1991) et 6 juin 1991 (n° 128/1991, journal officiel du 8 juillet 1991), le Tribunal constitutionnel a estimé, entre autres, que les règles de procédure relatives à l’admission des recours ne doivent pas empêcher l’exercice pratique du droit à une protection effective par les cours et tribunaux. Leur interprétation se fera sans rigueur excessive et déraisonnable, de manière à tenir compte de leur finalité au moment où elles ont été adoptées et à procurer aux recours un maximum d’accessibilité. Par deux arrêts des 18 novembre 1993 (n° 341/1993, journal officiel du 10 décembre 1993) et 27 octobre 1994 (n° 287/1994, journal officiel du 29 novembre 1994), le Tribunal constitutionnel a jugé qu’en matière de dépôt des recours, le lieu de dépôt est le greffe du tribunal saisi ou le juge de permanence de la ville – il s’agissait en l’espèce de recours présentés devant le Tribunal constitutionnel lui-même –, et seul pouvait être admis, à titre exceptionnel, l’envoi du recours par voie postale lorsque le justiciable n’est pas représenté par un avocat ou un avoué et réside dans une ville lointaine du siège du tribunal. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Pérez de Rada Cavanilles a saisi la Commission le 20 juin 1995. Elle alléguait que l’application rigoureuse des règles de procédure par les tribunaux espagnols l’a empêchée d’utiliser les voies de recours existantes et, partant, l’a privée de la possibilité de défendre ses intérêts légitimes devant les organes judiciaires. Elle invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 28090/95) le 25 novembre 1996. Dans son rapport du 21 octobre 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que le rejet du recours de reposición de la requérante contre le jugement du 7 septembre 1993 n’a pas emporté violation des droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. La requérante prie la Cour de constater l’existence d’une violation de l’article 6 § 1 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les requérants Tous citoyens britanniques, MM. Mobin Ahmed, Dennis Perrin, Ray Bentley et David Brough sont nés en 1941, 1948, 1947 et 1932. Ils résident à Londres, Yelverton, Edgware et Exeter respectivement. A l’époque pertinente, ils occupaient tous des postes permanents auprès de différentes collectivités locales. Leurs statuts et fonctions précis se trouvent décrits à la section C ci-dessous. Les doléances portées devant les organes de la Convention par les intéressés tirent leur origine de l’adoption et de la mise en œuvre de mesures législatives destinées à restreindre l’engagement de certaines catégories de fonctionnaires locaux, dont ils relèvent, dans la politique active. La genèse des mesures en cause ainsi que leur but et leur portée sont présentés à la section B ci-dessous. Leur impact sur les requérants, tous considérés comme des titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique (persons holding politically restricted posts) au sens de la législation applicable, se trouve exposé à la section C ci-dessous. B. L’adoption du règlement de 1990 sur les restrictions imposées aux agents des collectivités locales en matière politique 1. Le contexte politique de l’adoption du règlement Eu égard à la politisation croissante des administrations locales et aux problèmes corrélatifs concernant les rapports entre les membres élus et les agents desdites collectivités, les ministres de l’Environnement, pour l’Ecosse et pour le pays de Galles, instituèrent, le 5 février 1985, une commission (« la commission Widdicombe ») qu’ils chargèrent de se pencher, notamment, sur les rôles respectifs des membres élus et des agents des collectivités locales, et de faire toute recommandation nécessaire pour renforcer le processus démocratique. Le 9 mai 1986, après avoir recueilli des témoignages auprès de 138 collectivités locales et auprès de plus de 500 autres organisations et individus, la commission Widdicombe soumit son rapport. Elle y préconisait fermement le maintien de la tradition d’impartialité politique des agents des collectivités locales, eu égard, en particulier, aux rôles de gestionnaires, de conseillers et d’arbitres assumés par les hauts fonctionnaires locaux dans le fonctionnement quotidien des administrations locales. Dans son avant-propos au rapport final, le président de la commission écrivait : « 6. Si la plupart des problèmes perçus par nous concernent l’ambiguïté des relations, nous avons noté des cas, certes peu nombreux, d’abus de pouvoir. » D’après le président, l’augmentation récente de l’intensité de la lutte politique à l’échelon local se reflétait dans les rapports entre les membres élus des assemblées et les fonctionnaires, et la tendance à une politisation accrue risquait d’engendrer des problèmes si l’on ne recommandait pas l’adoption de règles propres à endiguer l’évolution. En ce qui concerne l’importance de l’impartialité des agents des collectivités locales, la commission Widdicombe concluait comme suit : « 6.141. L’idée largement majoritaire qui se dégage des témoignages que nous avons recueillis est que (sous réserve de quelques rares exceptions, étroitement définies) les fonctionnaires doivent continuer à servir leur collectivité. (…) Nous avons constaté un consensus tout aussi large sur la nécessité de maintenir la tradition d’un corps permanent de fonctionnaires politiquement impartiaux, qui est celle de la fonction publique. (…) 180. La fonction publique, au Royaume-Uni, est ancrée sur la tradition d’un corps permanent d’agents politiquement neutres, exerçant leurs fonctions avec le même dévouement quel que soit le parti au pouvoir. (…) 182. Les administrations locales au Royaume-Uni se sont toujours appuyées sur la même tradition de service public que l’administration centrale, mais il s’agit là seulement d’une question de convention et de pratique. (…) 186. La question de principe est dès lors très simple. Il doit continuer à y avoir un système de fonctionnaires permanents et politiquement neutres, nommés sur la base du mérite. La question que nous devons examiner est celle de savoir si l’établissement d’un nouvel ensemble de règles s’impose pour garantir ce principe et, dans l’affirmative, sur quel fondement. » Pour garantir que les hauts fonctionnaires continuassent à exercer leurs fonctions d’une manière impartiale, tant du point de vue subjectif que du point de vue objectif, la commission Widdicombe recommandait, au paragraphe 6.217 de son rapport : « a) la législation devrait être amendée de manière que les personnes qui occupent un poste de conseiller, qui sont candidates à l’élection à un tel poste ou qui en ont occupé un au cours de l’année précédente, ne puissent être employées par une autre collectivité au rang d’agent principal ou au-dessus ; b) la Commission consultative du statut des agents des collectivités locales devrait faire en sorte que soit incorporée dans les contrats de travail des fonctionnaires à partir du grade d’agent principal une interdiction d’exercer des activités politiques qui mettrait obstacle, notamment, à ce que les intéressés : i. se portent candidats à un poste public électif et occupent pareil poste ; ii. occupent un poste dans un parti politique ; iii. s’expriment publiquement – oralement ou par écrit – à titre personnel d’une manière qui pourrait passer pour un engagement dans la politique partisane ; iv. fassent du démarchage électoral lors d’une élection ; c) à défaut d’insertion dans les contrats de travail des restrictions visées sous le point b) ci-dessus, une législation produisant des effets analogues devrait être introduite. » L’adoption du règlement A la suite de la publication des recommandations de la commission Widdicombe, la Chambre des communes adopta, le 16 novembre 1989, la loi sur les collectivités locales et le logement (Local Governement and Housing Act – « la loi »), qui habilitait le ministre de l’Environnement à édicter un règlement restreignant pour certaines catégories de fonctionnaires locaux la possibilité d’exercer des activités politiques. La loi entra en vigueur le 29 novembre 1989. 12. Le 4 avril 1990 fut adopté au titre de l’article 1 § 5 de ladite loi un règlement sur les restrictions imposées aux agents des collectivités locales en matière politique (The Local Government Officers (Political Restrictions) Regulations – « le règlement »). Déposé devant le Parlement le lendemain, il entra en vigueur le 1er mai 1990. Il s’applique à l’ensemble des titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique, au sens de l’article 2 § 1 de la loi. Cette expression recouvre trois grandes catégories de fonctionnaires locaux : ceux titulaires des plus hauts postes dans les administrations locales (catégorie un), ceux dont la rémunération excède un montant bien défini et dont les postes sont inscrits sur une liste aux fins de l’application du règlement (catégorie deux), et ceux, enfin, dont la rémunération est inférieure au montant en question mais qui occupent eux aussi un poste inscrit sur une liste (catégorie trois). Le règlement fait obligation à toute collectivité locale d’établir une liste de postes relevant des deuxième et troisième catégories (article 2 § 2). Tout agent d’une collectivité locale relevant de la deuxième ou de la troisième catégorie peut demander à un arbitre (adjudicator) indépendant de rayer son poste de la liste de ceux auxquels le règlement s’applique (article 3). Tous les fonctionnaires locaux qui relevaient desdites catégories à l’époque de l’entrée en vigueur du règlement étaient, en vertu de l’article 3 § 1 du règlement, réputés soumis aux mesures en question. Une analyse plus détaillée du contenu de la loi et du règlement figure aux paragraphes 26 à 33 ci-dessous. C. L’effet du règlement sur les requérants 1. M. Ahmed Le premier requérant, M. Ahmed, travaillait comme solicitor pour le conseil de l’arrondissement londonien de Hackney. Bien que sa rémunération fût inférieure au plafond fixé à l’article 2 § 2 a) de la loi (paragraphes 12 ci-dessus et, spécialement, 30 ci-dessous), ce qui faisait de lui un fonctionnaire de la troisième catégorie, le conseil d’arrondissement, en application de l’article 2 § 2 c) de la loi, intégra son poste dans la liste de ceux soumis à des restrictions sur le plan politique, estimant que ce poste impliquait la fourniture régulière d’avis aux commissions du conseil d’arrondissement, notamment à la commission de contrôle des profits immobiliers, à la sous-commission de l’urbanisme et à la sous-commission de l’environnement (paragraphe 30 ci-dessous). M. Ahmed fut choisi comme candidat du parti travailliste aux élections au conseil de l’arrondissement londonien d’Enfield en 1990, mais il se vit contraint de retirer sa candidature à cause du règlement. Le 7 mars 1990, il demanda que son poste fût rayé de la liste de ceux soumis à des restrictions sur le plan politique (paragraphes 12 ci-dessus et, spécialement, 32 ci-dessous). Le conseil d’arrondissement confirma que M. Ahmed n’avait pas assisté à des réunions de commissions au cours des douze derniers mois, mais déclara qu’il aurait à l’avenir à conseiller les commissions, aux réunions desquelles il assisterait plus régulièrement. Aussi le conseil d’arrondissement refusa-t-il de délivrer une attestation aux termes de laquelle l’intéressé ne livrait pas régulièrement des avis. Le 30 mars 1990, l’adjudicator répondit au conseil d’arrondissement qu’en conséquence la demande de dérogation de M. Ahmed ne pouvait être accueillie. 2. M. Perrin Avant de prendre sa retraite, M. Perrin, le deuxième requérant, était estimateur principal au conseil du comté de Devon et relevait à ce titre de la troisième catégorie. Il assurait la direction, la gestion et le développement du personnel du service de l’évaluation du domaine du conseil de comté. En sa qualité, il était régulièrement amené à fournir des conseils aux commissions de ce dernier, y compris des conseils stratégiques sur les questions clés de la gestion immobilière, et à communiquer avec les médias. Aussi son poste avait-il été inclus dans la liste de ceux soumis à des restrictions sur le plan politique établie par le conseil de comté en application de l’article 2 § 2 de la loi de 1989 (paragraphes 12 ci-dessus et, spécialement, 31 ci-dessous). Le 19 février 1990, M. Perrin sollicita une dérogation aux règles litigieuses au motif que, s’il communiquait avec les médias et si le conseil de comté le consultait au cours de ses réunions, les avis qu’il fournissait consistaient en des « informations factuelles permettant d’évaluer les biens en vue de leur acquisition ou de leur vente, ou dans le cadre de leur gestion ». Sa demande de dérogation fut rejetée le 20 mars 1990. L’adjudicator écrivit : « Je considère que les fonctions afférentes à votre poste relèvent de l’article 2 § 3 de la loi, dans la mesure où vous assistez régulièrement aux réunions des commissions de votre employeur pour y émettre des avis. Votre employeur déclare que ces avis ne vont pas jusqu’à constituer des « avis politiques », mais la loi elle-même n’opère aucune distinction entre les types d’avis. En conséquence, je ne puis vous accorder la dérogation sollicitée au titre de l’article 3 § 4 de la loi. » A cause du règlement, M. Perrin dut renoncer à son poste de vice-président et de responsable immobilier du parti travailliste dans la circonscription d’Exeter. Il lui fallut par ailleurs s’abstenir de prêter aide et assistance aux candidats travaillistes aux élections municipales à Exeter, au nombre desquels figurait son épouse, qui fut candidate en mai 1990 et mai 1991. Il réduisit également ses activités syndicales. 3. M. Bentley Le troisième requérant, M. Bentley, est urbaniste au conseil municipal de Plymouth. Il démissionna de son poste de président du parti travailliste pour la circonscription de Torridge et West Devon à cause du règlement. Du fait de celui-ci, il lui était par ailleurs interdit de faire du démarchage électoral au profit de son épouse, seule élue travailliste du conseil de l’arrondissement de West Devon, et de donner des interviews à la radio en sa qualité de président du service d’urgence de Plymouth, organe concerné par les politiques de santé. Le monitoring officer du conseil municipal classa le poste de l’intéressé parmi ceux politiquement sensibles (postes de la première catégorie), soumis, en conséquence, à des restrictions sur le plan politique en application de l’article 2 § 3 de la loi (paragraphe 30 ci-dessous). Il invoqua les motifs suivants : M. Bentley était responsable de l’unité chargée de la politique du conseil municipal ; il était placé sous l’autorité directe du chef des agents du conseil municipal, était responsable de l’analyse et de la recherche en ce qui concerne les politiques à mener, représentait le conseil municipal dans un groupe de coordination sur les transports auquel participaient d’autres collectivités et organismes, et enfin, dans les douze mois précédant le 31 août 1990, il avait assisté à trois réunions de la sous-commission des finances de la commission « politiques et ressources » du conseil municipal et avait donné son avis sur quatre questions distinctes en matière de transport public. Le monitoring officer estima que le poste de M. Bentley entrait également dans le champ d’application de l’article 2 § 7 a) et b) de la loi et qu’à ce titre il était de toute façon soumis aux restrictions litigieuses (paragraphe 28 ci-dessous). M. Bentley sollicita une dérogation aux restrictions litigieuses. Le 19 novembre 1990, l’adjudicator déclara estimer que ses fonctions se limitaient à examiner les demandes de dérogation formées au titre de l’article 2 § 2 de la loi. Il déclara que le conseil municipal avait certes classé le poste de M. Bentley parmi ceux soumis aux restrictions en question, mais que celui-ci n’était pas « soumis à certaines restrictions du fait dudit classement, mais parce qu’il entrait explicitement dans le champ d’application de l’article 2 § 1 c) de la loi. (…) [P]ar conséquent (…), sauf à établir que le poste en cause ne relève pas de l’article 2 § 1 c), il n’est pas nécessaire ni souhaitable de déterminer s’il répond ou non aux critères d’insertion dans la liste de ceux relevant de l’article 2 § 2. » 4. M. Brough M. Brough, le quatrième requérant, est employé par le conseil de l’arrondissement de Hillingdon en tant que chef du secrétariat des commissions (poste de la première catégorie). La tenue du secrétariat des commissions du conseil implique des contacts fréquents avec les membres élus de celui-ci et une activité consultative à leur profit. C’est M. Brough qui était responsable de ce travail. A cause du règlement, M. Brough ne peut plus agir comme « président parlementaire » (Parliamentary Chairman) de son parti à Harrow East, et il lui est interdit de s’exprimer lors de réunions publiques sur des questions telles que le logement et la santé. Il n’a pas sollicité de dérogation au champ d’application du règlement. D. La procédure de contrôle juridictionnel intentée pour contester la validité du règlement Les requérants et la NALGO (le prédécesseur de l’UNISON, le syndicat dont les requérants sont membres et qui représente les salariés du secteur public) sollicitèrent et obtinrent l’autorisation de former une demande de contrôle juridictionnel du règlement. Ils furent déboutés de celle-ci le 20 décembre 1991. Le juge, M. Hutchison, s’estima lié par la décision rendue peu de temps auparavant par la Chambre des lords dans l’affaire R. c. ministère de l’Intérieur, ex parte Brind et autres, concernant le statut de l’article 10 de la Convention en droit interne. En rapport avec le critère « Wednesbury » relatif au caractère raisonnable ou non d’une décision, il se référa à une déclaration faite sous serment par M. Simcock, haut fonctionnaire du ministère de l’Environnement, dans laquelle l’intéressé expliquait comment la commission Widdicombe (paragraphe 8 ci-dessus) avait été créée en 1985 pour enquêter sur les pratiques et procédures en vigueur dans les collectivités locales, en s’attachant en particulier aux rôles respectifs des élus locaux et des fonctionnaires. M. Simcock décrivait également le processus de consultation – auquel la NALGO avait participé – qui avait eu lieu entre la publication du rapport Widdicombe et l’élaboration du règlement, et expliquait en quoi le règlement était à certains égards moins restrictif que les propositions de la commission Widdicombe. Au sujet des hauts fonctionnaires, celle-ci avait déclaré : « (…) Leur travail consiste notamment à conseiller les élus locaux et à se prononcer sur la régularité juridique des actions envisagées, et ce faisant ils doivent s’attirer le respect et la confiance de tous les partis politiques. Il se peut que certains hauts fonctionnaires exerçant des activités politiques soient capables de s’en détacher totalement dans l’accomplissement de leur devoir de fonctionnaires tenus à une obligation de neutralité. Nous estimons toutefois qu’il subsistera toujours un risque considérable qu’ils suscitent la défiance d’élus d’autres partis, ce qui peut être préjudiciable à l’accomplissement de leurs obligations envers le conseil dans son ensemble. » Le juge poursuivit : « (…) Je fais observer en guise d’introduction à mon récapitulatif que certains des [griefs des requérants] reflètent l’opposition radicale des intéressés à l’idée même de restrictions à l’exercice d’activités politiques par les fonctionnaires locaux. Ainsi, Aucun besoin social impérieux n’aurait nécessité l’adoption du règlement : les fonctionnaires locaux auraient toujours par le passé dispensé des conseils impartiaux, et le public leur ferait confiance à cet égard. La définition des [titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique] serait trop large : le gouvernement aurait gagné à définir une catégorie beaucoup plus restreinte. Les restrictions seraient formulées en des termes larges, subjectifs et vagues, défaut particulièrement inadmissible lorsque, comme en l’espèce, il s’agit de limiter des droits fondamentaux de l’homme. Ainsi, dans l’annexe, les références à l’intention apparente (paragraphes 6 et 7) et à la publication dans des circonstances susceptibles de créer une impression (paragraphes 9 et 10) seraient critiquables, comme le serait le paragraphe 4 du règlement lui-même. Le défaut mentionné au paragraphe précédent induirait pour les fonctionnaires le risque d’être traités différemment selon les employeurs, du fait de la trop grande latitude laissée pour l’interprétation des restrictions. Le règlement irait trop loin en interdisant les actes accomplis avec l’intention apparente, etc., et ceux susceptibles de créer l’impression d’un soutien, etc. Il aurait dû se limiter à interdire des activités politiques au vrai sens du terme. L’ampleur des termes utilisés reviendrait à interdire de nombreuses activités non politiques, notamment syndicales ou caritatives. Les restrictions s’appliqueraient aux fonctionnaires actuellement en place, alors qu’elles ne figuraient pas dans leurs contrats de travail initiaux. Les restrictions pourraient nuire au recrutement et entraîner la démission de fonctionnaires compétents. Il me faudra examiner certaines de ces affirmations isolément lorsque j’en viendrai à traiter les autres arguments avancés par les requérants sous des rubriques sensiblement différentes, mais dans le contexte du critère Wednesbury relatif au caractère raisonnable ou non d’une décision, je compte seulement affirmer qu’à mon sens elles sont loin de démontrer une inadéquation entre le texte litigieux et l’objectif qu’il poursuit. J’ai déjà brièvement évoqué le fait que la loi et le règlement trouvent leur origine dans le rapport Widdicombe, ainsi que le processus consultatif qui y a fait suite. Le paragraphe 51 du rapport contenait la recommandation suivante : « (…) les contrats de travail des [titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique] [devraient comporter] une clause interdisant aux intéressés d’exercer des activités politiques et, notamment, (…) (iii) de s’exprimer – oralement ou par écrit – à titre personnel d’une manière qui pourrait passer pour un engagement dans la politique partisane ; » Le Command Paper du gouvernement de juillet 1988 (dans lequel était formulée, je l’ai déjà dit, l’opinion selon laquelle les catégories de [titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique] devaient être plus restreintes que le rapport ne le proposait), expliquait clairement quel était le but essentiel recherché : « il était important que chaque titulaire fût considéré comme politiquement impartial mais que, par ailleurs, les fonctionnaires locaux pussent librement exercer des activités politiques. » Des arguments précis mentionnés sous les points a) à h) ci-dessus, ceux formulés sous les points a), b), e), g) et h) me semblent essentiellement dirigés contre la notion même de restrictions à l’exercice d’activités politiques et ne peuvent, dans ces conditions, justifier une attaque fondée sur les critères Wednesbury. Les arguments résumés sous les points c) et d) consistent à dire que le règlement est vague et inapte à engendrer une application cohérente et équitable. Ils ne sauraient être invoqués sur le fondement des principes Wednesbury, sauf à admettre – quod non – la nullité du règlement pour cause d’incertitude (ce qui constituerait un motif distinct de contestation). Enfin, l’argument énoncé sous le point f) découle à mon sens d’une interprétation erronée : le règlement n’interdit pas le type d’activités qui y est mentionné. Je m’étendrai davantage sur ce sujet lorsque j’évoquerai les arguments des requérants fondés sur les notions d’excès de pouvoir et d’attentes légitimes. J’en viens à présent au premier de ces arguments. » Le juge estima en définitive que le règlement n’allait pas au-delà des orientations générales et du but de la loi, et il rejeta l’argument selon lequel les requérants pouvaient « légitimement escompter » que le Gouvernement ne s’ingérerait pas dans l’exercice d’activités syndicales puisque l’assurance leur en avait été donnée à l’époque par le ministre de tutelle des collectivités locales. Saisie d’un recours, la Cour d’appel le rejeta le 26 novembre 1992. Lord Justice Neill estima que les dispositions de l’article 10 de la Convention n’étaient d’aucun secours à la NALGO et aux requérants, il confirma que les juridictions inférieures à la Chambre des lords n’avaient pas le pouvoir de s’écarter des traditionnels principes Wednesbury lorsqu’elles étaient appelées à contrôler une décision prise par un ministre dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire à lui conféré par le Parlement, et il considéra que le règlement n’était pas « déraisonnable » au sens des principes Wednesbury, ni entaché d’excès de pouvoir. Il fit également sienne l’opinion du juge de première instance quant à la question des attentes légitimes. Les autres juges, Lords Justices Russell et Rose, se prononcèrent dans le même sens. La Cour d’appel refusa aux requérants l’autorisation de saisir la Chambre des lords. Le 24 mars 1993, celle-ci refusa à son tour aux intéressés l’autorisation de la saisir. II. LE droit interne pertinent A. La loi de 1989 sur les collectivités locales et le logement 1. Modification par voie réglementaire de contrats existants L’article 1 § 5 de la loi est ainsi libellé : « Les conditions de nomination et d’emploi de tout titulaire d’un poste de fonctionnaire local soumis à des restrictions sur le plan politique (y compris ceux nommés à un tel poste avant l’entrée en vigueur du présent article) sont réputées incorporer les règles restreignant la possibilité d’exercer des activités politiques susceptibles d’être fixées par le ministre dans un règlement aux fins du présent paragraphe. » L’expression « titulaire d’un poste soumis à des restrictions sur le plan politique » se trouve définie à l’article 2 § 1 de la loi. Elle recouvre trois grandes catégories de fonctionnaires locaux (dont sont exclus les directeurs d’école et les enseignants, que l’article 2 § 10 de la loi soustrait au champ d’application du règlement). 2. Les catégories de fonctionnaires affectés La première catégorie se compose de fonctionnaires titulaires de certains postes, énumérés à l’article 2 § 1 a) à f) de la loi, à savoir ceux de chef du personnel rémunéré de la collectivité (article 2 § 1 a)), de directeurs (article 2 § 1 b) et c)), de directeurs adjoints (article 2 § 1 d)), de monitoring officer (article 2 § 1 e)) et d’attachés de groupes politiques (article 2 § 1 f)). D’après le Gouvernement, 12 000 fonctionnaires environ relèvent de cette catégorie. Les directeurs sont les personnes qui se trouvent à la tête des différents services des collectivités locales. Il y a des directeurs « statutaires » et des directeurs « non statutaires ». Ces termes se trouvent définis à l’article 2, §§ 6 et 7 respectivement, de la loi. Les directeurs statutaires sont le responsable de l’éducation, le responsable de la brigade de lutte contre les incendies, le directeur des services sociaux ou des œuvres sociales, et le responsable du service financier. On entend par directeurs « non statutaires », notamment, les personnes placées sous la responsabilité du chef du personnel rémunéré de la collectivité (article 2 § 7 a)) ou celles qui, dans une large mesure ou exclusivement, relèvent directement de l’autorité de celui-ci ou répondent de leurs actes directement devant lui (article 2 § 7 b)). Les directeurs adjoints sont des personnes qui, pour ce qui est de l’ensemble ou de la plupart des devoirs de leur fonction, sont placées directement sous les ordres d’un ou de plusieurs directeurs statutaires ou non statutaires et répondent de leurs actes devant eux (article 2 § 8). En vertu de l’article 2 § 9, les personnes effectuant un travail purement administratif ou de secrétariat ne sont jamais directeur non statutaire ni directeur adjoint. La deuxième catégorie regroupe les fonctionnaires locaux dont la rémunération annuelle dépasse le niveau fixé à l’article 2 § 2 a) et b) de la loi (le « niveau de référence », actuellement de 25 746 livres ou un prorata de ce chiffre pour les emplois à temps partiel) et dont les postes n’ont pas été exclus du champ d’application du règlement. Le Gouvernement estime à environ 28 000 le nombre des fonctionnaires dont la rémunération excède le niveau de référence. D’après lui, toutefois, le nombre de ceux effectivement soumis au règlement est nettement inférieur à 28 000 car beaucoup ont bénéficié d’une dérogation ou auraient pu s’en voir accorder une s’ils en avaient fait la demande. La troisième catégorie (définie à l’article 2 § 2 c) de la loi) englobe les fonctionnaires locaux dont le niveau de la rémunération annuelle est inférieur au niveau de référence mais dont la fonction correspond à une des deux fonctions définies à l’article 2 § 3 ou aux deux, ou implique une de ces fonctions ou les deux, à savoir : « a) conseiller régulièrement la collectivité elle-même, une de ses commissions ou sous-commissions, ou toute commission mixte où elle est représentée ; b) donner régulièrement des interviews aux journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision. » Dans son mémoire, le Gouvernement estime à environ 7 000 le nombre des fonctionnaires relevant de cette catégorie. 3. L’obligation d’établir une liste Chaque collectivité est tenue d’établir une liste de personnes relevant des deuxième et troisième catégories (article 2 § 2). Tout fonctionnaire dont le poste figure sur cette liste a le droit d’obtenir qu’il en soit radié si ses fonctions sont totalement étrangères à celles visées à l’article 2 § 3. 4. L’arbitre indépendant et les possibilités de dérogation L’article 3 de la loi prévoit la nomination d’une personne (appelée adjudicator) chargée d’examiner les demandes de dérogation aux restrictions à l’exercice d’activités politiques. Si l’adjudicator estime que les fonctions afférentes à un poste inscrit sur la liste (c’est-à-dire un poste de la deuxième ou de la troisième catégorie) ne relèvent pas de l’article 2 § 3, il est tenu de déclarer que le poste en question ne doit pas être considéré comme un poste soumis à des restrictions sur le plan politique. La collectivité doit alors radier le poste de la liste établie en vertu de l’article 2 § 2. D’après le Gouvernement, en janvier 1997, 1 374 demandes de dérogation avaient été introduites, dont 1 176 avaient été accueillies. B. L’annexe au règlement de 1990 L’annexe (partie I) au règlement interdit la participation des titulaires de postes soumis à des restrictions sur le plan politique (y compris ceux nommés à de tels postes avant l’entrée en vigueur du règlement) aux élections à la Chambre des communes, au Parlement européen ou à tout conseil local, en qualité de candidat (paragraphe 1), d’agent électoral (paragraphe 3) ou de démarcheur électoral (canvasser – paragraphe 5). Elle ne prohibe pas l’affiliation à un parti politique mais interdit la détention d’un poste au sein d’un parti politique dès lors qu’elle implique la participation à la direction générale du parti ou de l’une de ses sections (paragraphe 4 a)), ou la représentation du parti dans les contacts avec des tiers (paragraphe 4 b)). L’annexe (partie II) interdit également de s’adresser au public ou à une partie du public ou de publier des œuvres écrites ou artistiques avec « l’intention apparente d’influer sur le soutien de l’opinion publique à un parti politique » (paragraphes 6 et 7). D’après le paragraphe 8, rien dans les paragraphes 6 et 7 ne peut être interprété comme empêchant le titulaire d’un poste soumis à des restrictions sur le plan politique de se livrer aux activités visées dans lesdits paragraphes dans la mesure nécessaire au bon accomplissement de ses fonctions. L’article 4 du règlement prévoit que, pour déterminer si un fonctionnaire a contrevenu aux règles fixées dans les paragraphes 6 et 7, il y a lieu de rechercher : « a) si l’intéressé s’est référé à un parti politique ou à des personnes identifiées à un parti politique, ou si certains de ses propos ou l’œuvre litigieuse approuvent ou critiquent un point de vue identifiable comme étant celui défendu par un parti politique bien déterminé ; et b) là où l’intéressé s’est exprimé ou a publié l’œuvre litigieuse dans le cadre d’une campagne, l’effet que celle-ci paraît avoir tendu à provoquer. » C. Evolution récente Dans son mémoire, le Gouvernement avait informé la Cour qu’un réexamen approfondi de la législation en matière de restrictions à l’exercice d’activités politiques par les fonctionnaires locaux était en cours. Il s’agissait de garantir que les différentes restrictions imposées étaient bien nécessaires au maintien de l’impartialité politique des hauts fonctionnaires des collectivités locales. A l’audience, le Gouvernement a fait savoir que ce réexamen avait montré que le maintien en vigueur des restrictions énoncées dans le règlement continuait de se justifier. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ahmed, M. Perrin, M. Bentley, M. Brough et l'UNISON, syndicat représentant les salariés du secteur public, ont saisi la Commission le 21 septembre 1993. Ils alléguaient que le règlement de 1990 avait des effets préjudiciables pour eux. Il les privait selon eux de leur droit aux libertés d’expression (article 10 de la Convention) et de réunion (article 11), ainsi que de leur droit à participer pleinement au processus électoral (article 3 du Protocole n° 1). La Commission a déclaré la requête (n° 22954/93) recevable le 12 septembre 1995, à l’exception du grief énoncé par l'UNISON. Dans son rapport du 29 mai 1997 (article 31), elle conclut à la violation de l’article 10 de la Convention (treize voix contre quatre), à l’absence de nécessité d’examiner les griefs tirés de l’article 11 de la Convention (treize voix contre quatre) et à la non-violation de l’article 3 du Protocole n° 1 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans leur mémoire et à l’audience, les requérants ont invité la Cour à dire que les faits de l’espèce révèlent une violation des droits à eux garantis par les articles 10 et 11 de la Convention et par l’article 3 du Protocole n° 1, et à leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. De son côté, le Gouvernement, dans son mémoire et à l’audience, a demandé à la Cour de dire et déclarer que les faits de l’espèce ne révèlent aucune violation des droits garantis aux requérants par les articles invoqués.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les requérants Les requérants sont des citoyens britanniques résidant à Londres. La première requérante, Mme Mulkiye Osman, est née à Chypre en 1948 ; elle est la veuve de M. Ali Osman, qui a été tué par M. Paul Paget-Lewis le 7 mars 1988. Le second requérant est son fils, Ahmet Osman, né en Angleterre en 1972. Ancien élève de M. Paul Paget-Lewis à l’école de Homerton House, il fut blessé au cours de l’incident qui coûta la vie à son père. Les intéressés se plaignent de ce que les autorités n’ont pas compris, malgré ce qu’ils appellent une série de signes annonciateurs explicites, la menace grave que représentait M. Paul Paget-Lewis pour la sûreté de Ahmet Osman et de sa famille, et n’aient donc pas réagi en conséquence. Les parties ne sont pas d’accord sur certains aspects essentiels des circonstances ayant provoqué cette tragédie. Ainsi, les requérants contestent que les faits aient été présentés dans leur intégralité par la Commission. B. Déroulement des événements jusqu’à la fin de mars 1987 Plaintes initiales contre M. Paget-Lewis En 1986, le directeur de Homerton House School (« l’école »), M. John Prince, remarqua que l’un des membres du corps enseignant, M. Paul Paget-Lewis, nourrissait une affection particulière pour Ahmet Osman, élève de l’établissement. Selon une déclaration faite à la police le 10 mars 1988, M. Prince précisa « qu’il avait mis un point d’honneur à garder personnellement un œil sur cette affaire ». En raison de cet attachement, M. Paul Paget-Lewis informa M. Prince qu’il avait l’intention de quitter l’école et de prendre un poste de suppléant. M. Kenneth Perkins, directeur adjoint, le convainquit de rester à l’école. En janvier 1987, Mme Green, mère de Leslie Green, autre élève de l’école, et voisine des requérants, appela M. Fleming, également directeur adjoint, pour se plaindre de ce que M. Paget-Lewis eût suivi son fils après l’école et l’eût harcelé. Elle soutint que M. Paget-Lewis avait colporté la rumeur selon laquelle son fils aurait des comportements sexuels anormaux, et que cet enseignant s’opposait à l’amitié de son fils avec Ahmet Osman. Mme Green se plaignit formellement de ces rumeurs auprès de M. Prince le 2 mars 1987. Les divers entretiens concernant les plaintes a) Leslie Green Le 3 mars 1987, M. Perkins interrogea Leslie Green qui confirma que M. Paget-Lewis l’avait suivi et avait propagé à son sujet des rumeurs à caractère sexuel en raison de son amitié pour Ahmet Osman. b) Ahmet Osman Egalement le 3 mars 1987, M. Fleming eut un entretien avec Ahmet Osman. D’après le procès-verbal de cette discussion, daté du 6 mars 1987, Ahmet confirma que M. Paget-Lewis l’avait mis en garde contre Leslie Green, qui aurait eu un comportement sexuel condamnable avec un autre élève. Il rapporta également à M. Fleming au cours de cette entrevue qu’une fois, M. Paget-Lewis les avait suivis dans sa voiture, Leslie et lui, jusque chez eux. Il affirma aussi que M. Paget-Lewis lui avait demandé de le retrouver dans la salle de classe à l’heure du déjeuner, apparemment pour lui apprendre le turc ; que le professeur l’avait photographié et lui avait donné de l’argent, un stylo et un dictionnaire de turc. M. Paget-Lewis lui aurait par la suite repris le stylo qu’il aurait délibérément cassé en deux pendant un cours. c) M. Paget-Lewis Le 6 mars 1987, M. Perkins interrogea M. Paget-Lewis. Au cours de cet entretien, celui-ci confirma avoir avec Ahmet Osman, depuis environ un an, une relation particulière que Leslie Green essayait de détruire ; cette situation le perturbait à tel point qu’un jour il affronta Leslie et l’accusa d’être un pervers sexuel. Il reconnut avoir une fois suivi Leslie jusque chez lui et attendu quarante-cinq minutes devant la maison de ses parents. M. Paget-Lewis mentionna à M. Perkins avoir dit au garçon qu’il serait « furieux » si quelque chose venait entraver sa relation avec Ahmet, tout en précisant au directeur adjoint qu’il ne fallait pas y voir une menace. Il reconnut également avoir donné de l’argent et des cadeaux à Ahmet, et l’avoir photographié pour « des raisons sentimentales ». Dans une note ultérieure, datée du 5 mai 1988, M. Perkins expose que, lors de cet entretien, M. Paget-Lewis était dans un état tout à fait irrationnel et refusait d’admettre que son comportement démontrait un manque évident de clairvoyance et de professionnalisme. Le 9 mars 1987, M. Paget-Lewis soumit à M. Perkins une déclaration écrite concernant la plainte déposée par Mme Green. Dans sa note du 5 mai 1988 (paragraphe 15 ci-dessus), M. Perkins déclara qu’il trouvait cette confession « dérangeante », car elle montrait combien M. Paget-Lewis était « jaloux à outrance » de l’amitié entre Ahmet Osman et Leslie Green et prouvait manifestement qu’il « ne maîtrisait absolument pas ses sentiments ». Leslie était décrit comme un être d’influence perverse, malveillante et pernicieuse. M. Perkins convoqua à nouveau M. Paget-Lewis pour l’interroger sur sa déclaration écrite et lui fit part de son inquiétude sur le contenu de celle-ci ; il lui suggéra également de rechercher une aide psychiatrique. Il informa le directeur de tout ce qui s’était passé jusque-là. Avant le 13 mars 1987, M. Prince eut avec M. Paget-Lewis un entretien informel au cours duquel ce dernier admit avoir dit aux élèves de l’école, dans le but de se venger des rumeurs propagées par Leslie Green sur sa relation avec Ahmet, que Leslie avait pratiqué la fellation avec Ahmet Osman. Le 13 mars 1987, M. Prince interrogea formellement M. Paget-Lewis en se référant aux notes prises par M. Perkins au cours de l’entretien précédent. Selon les notes prises à cette occasion, M. Paget-Lewis aurait reconnu éprouver un certain attachement pour Ahmet Osman ; avoir accusé Leslie Green d’essayer de monter Ahmet contre lui ; avoir stationné devant la maison de Leslie pour lui montrer qu’il ne se laisserait pas intimider. Il nia cependant avoir accusé Leslie de comportements sexuels anormaux. La conclusion tient en une phrase : « La situation s’est aggravée et M. Prince ne pense plus pouvoir la gérer lui-même ». d) Leslie Green et sa mère Le 16 mars 1987, M. Prince apprit au cours d’un entretien avec Leslie Green et sa mère que M. Paget-Lewis espionnait Ahmet et lui avait dit « qu’il savait où travaillait sa mère et combien elle gagnait, et que s’il venait à quitter l’école, il le retrouverait ». e) Ahmet Osman A la même époque, un autre directeur adjoint, M. Youssouf, interrogea à plusieurs reprises Ahmet Osman. Ces entretiens révélèrent que M. Paget-Lewis avait dit à Ahmet qu’il le retrouverait s’il quittait l’école ; il prétendit avoir découvert sa précédente adresse et le nom de son ancienne école, et lui dit avoir visité le quartier et parlé à ses anciens voisins. f) La famille Osman Le 17 mars 1987, M. Prince convoqua la famille Osman pour lui exprimer ses inquiétudes sur l’intérêt que M. Paget-Lewis portait à Ahmet. Il expliqua que, dans l’établissement, on avait la conviction que rien d’inconvenant ne s’était passé entre eux. Il leur donna l’assurance que l’école surveillerait de près la situation, afin de protéger Ahmet. Il fut recommandé à l’adolescent de ne jamais rester seul avec ce professeur. Durant l’entretien, la mère d’Ahmet exprima son souhait de voir son fils transféré dans un autre établissement. Rapports entre l’école et la police à cette époque Selon son agenda, entre le 3 et le 17 mars 1987, M. Prince rencontra l’agent de police Williams à quatre reprises. Les requérants affirment qu’au cours de ces entrevues la police fut informée du comportement de M. Paget-Lewis à l’égard d’Ahmet. Le Gouvernement soutient que l’agent Williams ne se souvient pas avoir entendu parler des cadeaux faits à Ahmet par M. Paget-Lewis, ni que celui-ci aurait suivi le garçon jusque chez lui. Il n’a pas gardé trace de ces entretiens, ni rédigé de rapport sur la nature et l’importance des informations recueillies, et même si c’était le cas, il n’en existe plus aujourd’hui. Le Gouvernement rappelle que toutes les parties concernées s’accordent à reconnaître que l’attachement du professeur pour l’élève n’avait aucune connotation sexuelle, et que l’affaire pouvait donc être réglée dans le cadre de l’école. Les graffitis A partir du 17 mars 1987, des graffitis apparurent en six endroits différents, aux alentours de l’école ; l’inscription en était la suivante : « Leslie, n’oublie pas le préservatif lorsque tu sautes Ahmet, sinon il attrapera le sida. » Les caractères avaient été tracés à l’aide d’une bombe de peinture et d’un pochoir. Après la découverte des graffitis, M. Perkins s’entretint avec M. Paget-Lewis et lui demanda s’il en était l’auteur. Celui-ci répondit que non. Cependant, comme le nota M. Perkins dans son rapport, il connaissait le libellé et l’emplacement exacts de toutes les inscriptions. Les dossiers volés Le 19 mars 1987, une nouvelle discussion eut lieu entre M. Prince et la famille Osman au sujet du transfert d’Ahmet dans un autre établissement scolaire. Pour sa propre sécurité, le directeur demanda à Ahmet de ne pas communiquer l’adresse de sa nouvelle école à quiconque de Homerton House. Alors qu’il prenait des dispositions pour le départ du garçon, M. Youssouf s’aperçut que les dossiers d’Ahmet et de Leslie Green avaient été subtilisés du secrétariat de l’école ; ainsi que celui sur les questions disciplinaires du personnel. M. Perkins considéra que ces dossiers avaient vraisemblablement permis à M. Paget-Lewis de retrouver l’ancienne adresse d’Ahmet et de son école (paragraphe 19 ci-dessus). Il interrogea par conséquent le professeur, qui nia toute implication dans le vol et nia aussi ses remarques sur les précédentes adresse et école de son élève ou sur sa visite au quartier où celui-ci avait habité. Le 23 mars 1987, Ahmet changea d’établissement, mais à cause de l’incompatibilité des programmes scolaires, il dut retourner à Homerton House quinze jours plus tard. C. Déroulement de l’affaire entre avril et août 1987 M. Paget-Lewis change de nom Le 14 avril 1987, M. Paget-Lewis changea, par acte unilatéral, son nom pour celui de Paul Ahmet Yildirim Osman. Le 1er mai 1987, M. Prince écrivit aux services londoniens de l’éducation (Inner London Education Authority, « l’ILEA ») déclarant que M. Paget-Lewis avait changé de nom et qu’il craignait que ce dernier, psychologiquement perturbé, ne mît en péril la sécurité d’Ahmet Osman. Selon lui, il convenait de muter le professeur le plus rapidement possible dans une autre école. Nouveaux contacts entre l’école et la police Le 4 mai 1987, M. Prince s’entretint avec deux policiers, le brigadier major Newman et le brigadier Clarke. D’après les requérants, lors de cette rencontre, le directeur aurait évoqué les dossiers manquants et les graffitis, et mentionné que le vrai nom de M. Paget-Lewis était Ronald Stephen Potter, et qu’il en aurait changé précédemment par acte unilatéral pour adopter celui d’un de ses élèves, nommé Paget-Lewis, alors qu’il enseignait à Highbury Grove School. Le Gouvernement soutient que les deux policiers n’ont pas souvenir d’avoir été informés de ces faits. Contacts avec l’ILEA A la suite de sa lettre du 1er mai 1987 (paragraphe 26 ci-dessus), M. Prince adressa au directeur chargé des questions disciplinaires à l’ILEA un nouveau courrier, daté du 8 mai 1987 et dans lequel il exposait son point de vue sur M. Paget-Lewis. Il estimait que ce dernier avait besoin d’une assistance médicale et que son maintien à l’école compromettait le bien-être, la sécurité et l’éducation des élèves. Une note interne de son correspondant à l’ILEA, datée du même jour, mentionne « la crainte de voir [M. Paget-Lewis] emmener le garçon hors du pays » et indique que la police enquête sur la plainte « attribuant [à M. Paget-Lewis] le vol des dossiers de l’école relatifs à l’affaire ». D’autres notes non datées, écrites par le même fonctionnaire entre le 14 avril et le 8 mai 1987, révèlent la crainte qu’il ne soit fait du mal à Ahmet Osman et qu’ayant changé son nom, M. Paget-Lewis ne cherche à s’enfuir avec le garçon. Est mentionné le fait que la police avait demandé à M. Prince de prendre contact avec elle si Ahmet venait à s’absenter plus d’une heure. De plus, devaient intervenir une enquête sur les dossiers disparus, une perquisition au domicile de M. Paget-Lewis et une enquête sur le passé de ce professeur. Le Gouvernement affirme que la police n’a jamais prétendu vouloir être prévenue en cas de disparition de l’enfant et qu’il n’était aucunement question d’effectuer une perquisition chez M. Paget-Lewis. Conclusions du psychiatre de l’ILEA après son premier examen de M. Paget-Lewis Le 19 mai 1987, le psychiatre de l’ILEA, le docteur Ferguson, examina M. Paget-Lewis. Lui avaient été fournis, entre autres, les documents relatifs au changement de nom du patient, les rapports des entretiens de mars 1987 et le compte rendu préparé par M. Perkins le 5 mai 1987 (paragraphe 15 ci-dessus). Le praticien déclara : « Les inquiétudes au sujet de ce professeur sont effectivement justifiées. Il n’est pas malade au sens propre du terme et ne semble pas présenter de déviance sexuelle mais il a des problèmes de personnalité, et sa façon de concevoir son amitié avec un élève est suspecte et répréhensible. » Le médecin recommanda que M. Paget-Lewis continuât à enseigner dans l’école, mais entreprît une psychothérapie ou se fît aider d’une manière ou d’une autre. Atteintes aux biens des requérants Aux environs du 21 mai 1987, une brique fut jetée à travers une fenêtre de la maison des requérants. La police en fut informée et un agent envoyé pour dresser le constat. A deux reprises en juin 1987, les pneus de la voiture d’Ali Osman furent délibérément crevés. Les deux incidents furent signalés à la police, mais aucune mention à ce sujet n’a pu être retrouvée. Entretiens ultérieurs du docteur Ferguson avec M. Paget-Lewis Le 1er juin 1987, M. Prince demanda à M. Paget-Lewis de prendre un congé de maladie. Le lendemain, 2 juin 1987, le docteur Ferguson réexamina le professeur qui, à cette occasion, exprima un pressant et persistant besoin de parler à Ahmet Osman et se dit furieux de voir que le garçon semblait satisfait de cette absence de contacts. Le docteur Ferguson conclut que, dans ces conditions, M. Paget-Lewis devait être tenu éloigné de Homerton House et il le déclara temporairement inapte au travail. M. Paget-Lewis informa par conséquent M. Perkins qu’il prendrait un congé de maladie pour le reste de l’année scolaire, après quoi il quitta Homerton et n’y revint plus. 32. Le 16 juin 1987, après un nouvel entretien avec M. Paget-Lewis, le docteur Ferguson recommanda que son patient fût exclu du corps enseignant d’Homerton House et muté au plus vite pour raisons médicales. Autres plaintes de Mme Green contre M. Paget-Lewis Le 4 juin 1987, Mme Green téléphona à M. Perkins pour se plaindre à nouveau de ce que M. Paget-Lewis eût une nouvelle fois suivi son fils. Elle l’informa également qu’elle avait envoyé ce dernier chez sa sœur. Suspension de M. Paget-Lewis de ses fonctions d’enseignant et sa réintégration ultérieure Le 18 juin 1987, M. Paget-Lewis fut suspendu de ses fonctions en attendant le résultat de l’enquête de l’ILEA pour « comportement non professionnel » à l’égard d’Ahmet Osman. Il soumit une déclaration datée du 6 juillet 1987 dans laquelle il reconnut, notamment, avoir photographié Ahmet et lui avoir donné de l’argent, mais nia avoir subtilisé les dossiers et être l’auteur des graffitis. Il accusa M. Perkins d’avoir menti à son sujet et affirma que le directeur avait déclaré vouloir le « démolir ». Le 7 août 1987, l’ILEA envoya un courrier à M. Paget-Lewis pour lui adresser un blâme officiel et le mettre sérieusement en garde, mais leva la mesure de suspension. La lettre lui indiquait également de ne pas retourner à Homerton House. Peu de temps après, l’intéressé retrouva un poste comme professeur suppléant dans deux autres établissements de la localité, Haggerston School et Skinners School. D. Déroulement des événements d’août à décembre 1987 Les actes de vandalisme contre les biens des Osman En août ou septembre 1987, un mélange d’huile de moteur et de paraffine fut déversé autour de la maison des Osman. Le 18 octobre 1987, M. Ali Osman eut le pare-brise de sa voiture cassé. En novembre 1987 se produisit une série d’autres incidents : la serrure de la porte d’entrée du domicile des requérants fut colmatée avec de la colle forte, des excréments de chien furent étalés sur le seuil de leur porte et sur leur voiture, et plus d’une fois l’ampoule de la lampe sous leur porche fut volée. A cette même époque, toutes les vitres de leur voiture furent brisées. Ces incidents furent régulièrement signalés à la police, et M. Ali Osman se rendit même à deux reprises au commissariat de Hackney pour discuter de ces actes de vandalisme et atteintes à ses biens. Durant le mois de novembre 1987, l’agent de police Adams se rendit au domicile des Osman puis s’entretint avec M. Paget-Lewis des actes de vandalisme. Dans une déclaration ultérieure à la police, ce dernier allégua avoir confié au policier que la perte de son emploi était si démoralisante qu’il se sentait sur le point de commettre un acte de folie criminelle. Le Gouvernement dément ces affirmations et se réfère au fait qu’au cours de l’entretien avec l’agent de police Adams, M. Paget-Lewis nia une quelconque participation aux actes de vandalisme et aux dommages causés. Le policier Adams n’établit aucun compte rendu détaillé de ses contacts avec M. Paget-Lewis ou avec la famille Osman. Le bureau du représentant de la police métropolitaine ne put par la suite trouver aucune trace d’une quelconque mention dans les dossiers ou les registres officiels (registre des infractions ou cahier des déplacements). La collision impliquant M. Paget-Lewis Le 7 décembre 1987, un véhicule conduit par M. Paget-Lewis percuta une camionnette dans laquelle se trouvait Leslie Green. Selon le conducteur du véhicule, M. Paget-Lewis aurait prétendu que l’accélérateur de sa voiture s’était bloqué et qu’il n’avait rien pu faire pour éviter la collision. La police arriva sur les lieux de l’accident, réprimanda M. Paget-Lewis et dressa un procès-verbal lui enjoignant de venir présenter son permis de conduire. Le 10 décembre 1987, M. Paget-Lewis se rendit donc au poste de police de Hackney muni des documents requis. Comme il lui manquait cependant un certificat de contrôle technique, il fut à nouveau admonesté. Dans sa déposition, recueillie par la police le 22 décembre 1987, le conducteur de la camionnette emboutie se rappela qu’après l’accident M. Paget-Lewis avait déclaré : « Je ne suis pas inquiet, car dans quelques mois je serai emprisonné à vie ». Contacts entre le brigadier Boardman et l’ILEA Le 8 décembre 1987, lendemain de l’accident, le brigadier Boardman prit contact avec l’ILEA, déclarant qu’il souhaitait interroger M. Paget-Lewis et le directeur de l’école. Selon les requérants, il donna toutes les assurances à l’organisme que la famille Osman serait protégée. Le Gouvernement réfute cette allégation. Un compte rendu de l’ILEA daté du 8 décembre 1987 fait état d’actes de harcèlement dont la famille Osman aurait été l’objet et mentionne que M. Paget-Lewis aurait prétendu reconnaître sa responsabilité dans la collision avec la camionnette, déclarant que Leslie Green avait détourné à son profit l’affection qu’Ahmet Osman éprouvait naguère pour lui. La note indique de plus que la police poursuivait l’enquête, mais que, si elle en restait là, il faudrait la « relancer ». L’indication « les familles obtiennent la protection de la police » tient lieu de conclusion. Entretien du brigadier Boardman avec les familles Green et Osman et visite de l’école Le 9 décembre 1987, le brigadier Boardman recueillit une déclaration détaillée de Leslie Green et de sa mère concernant notamment le fait que M. Paget-Lewis avait suivi le garçon jusque chez lui, les actes de harcèlement et les graffitis apparus à l’école. Leslie affirme que M. Paget-Lewis l’avait menacé « de l’avoir », que cela lui prenne « trente jours ou trente ans ». Il dit aussi ne plus aller aux cours depuis deux semaines car il avait peur de se rendre à l’école et avait déménagé chez sa tante afin de se soustraire à M. Paget-Lewis. Le 14 décembre 1987, le brigadier Boardman se rendit à Homerton House et examina les graffitis. Un photographe des services de police en prit quelques clichés. Aux environs du 15 décembre 1987, le policier se rendit chez les Osman et s’entretint avec eux des dommages à leurs biens et de la relation entre M. Paget-Lewis et Ahmet. Les requérants soutiennent que le brigadier Boardman leur aurait dit savoir que M. Paget-Lewis était responsable des actes de vandalisme, et leur donna l’assurance qu’il y mettrait un terme. Le Gouvernement nie que le policier ait tenu de tels propos concernant M. Paget-Lewis et pu s’engager à veiller à la sécurité de la famille. Rapport du brigadier Boardman sur l’affaire Dans son rapport sur l’affaire, rédigé aux alentours du 15 décembre 1987, le brigadier Boardman fit les observations suivantes : « Il faut se rendre à l’évidence : à ce stade, rien n’implique M. Paget-Lewis dans les infractions qui lui sont reprochées, [les graffitis à l’école] ou les actes de vandalisme perpétrés à l’encontre des Osman, même s’il n’existe aucun doute dans les esprits quant à sa responsabilité et qu’il s’agisse d’une nouvelle démonstration de son dépit. » M. Paget-Lewis est interrogé par l’ILEA Le 15 décembre 1987, à sa demande, M. Paget-Lewis fut reçu par des agents de l’ILEA. Une note sur cette entrevue, datée de ce même jour, rapporte que le professeur manifestait des tendances suicidaires, déclarant que tout cela n’était qu’une symphonie dont il fallait jouer le dernier accord. Il avoua être fortement endetté et devoir vendre tous ses biens. Il reprocha à M. Perkins d’être la cause de tous ses maux, mais ne voulait pas faire un « Hungerford» dans une école ; il irait le voir chez lui. La note indique également que la police devait être informée des inquiétudes de l’ILEA et que, dans cette perspective, on avait tenté de joindre par téléphone le brigadier Boardman et, en son absence, laissé un message détaillé à la secrétaire. Un agent de l’ILEA rapporta plus tard, dans une déclaration datée du 9 mars 1988, que M. Paget-Lewis tenait des propos inquiétants, rejetant la responsabilité de la perte de son emploi sur M. Perkins, dont il connaissait le domicile, et qu’il allait faire quelque chose mais en dehors de l’école. Un autre agent, dans son rapport du 9 mars 1988, indiqua que M. Paget-Lewis avait déclaré qu’il allait faire un « Hungerford ». Elle se rappela qu’à la suite de cette conversation, elle avait averti la police et l’école que, selon elle, le directeur et son adjoint étaient physiquement menacés. Bien que les requérants soutiennent que le contenu de cet entretien a été communiqué à la police, le Gouvernement nie qu’il ait été fait allusion à l’affaire « Hungerford » ou à l’existence d’un danger pour les Osman. Réaction du brigadier Boardman au message de l’ILEA et décision d’arrêter M. Paget-Lewis Le 15 décembre 1987, après avoir pris connaissance du message de l’ILEA (paragraphe 46 ci-dessus), le brigadier Boardman adressa un télex au commissariat le plus proche du domicile de M. Perkins, signalant que de vagues menaces avaient été proférées contre lui et que les services de l’éducation en étaient très préoccupés. Il demanda une surveillance de routine des abords de la maison, dressa un portrait sommaire de M. Paget-Lewis et donna le numéro d’immatriculation de sa voiture. Le 16 décembre 1987, le brigadier Boardman prit contact avec l’ILEA dans l’optique de retrouver M. Paget-Lewis et d’obtenir son adresse. Il demanda aussi à son interlocuteur d’inviter M. Paget-Lewis à se mettre en rapport avec la police. Le même jour, le policier rencontra MM. Prince et Perkins. Selon les requérants, il aurait alors donné au directeur l’assurance que la police ferait le nécessaire pour protéger son adjoint, de même que les Osman. Une annotation du 16 décembre 1987 dans l’agenda de M. Prince indiquant : « OSMAN/PERKINS – PRÉSENCE DE LA POLICE ARRANGÉE » fait référence au brigadier Boardman et une autre remarque concerne l’appel de l’ILEA « pour convenir des dispositions à prendre pour la protection des deux familles Osman et Perkins ». Le Gouvernement nie qu’une telle assurance ait été donnée. Le brigadier Boardman aurait eu l’impression, au cours de ses discussions avec MM. Prince et Perkins, que M. Paget-Lewis était furieux d’avoir été exclu de l’école, mais que sa colère était dirigée contre le directeur adjoint qui, lui-même, ne se sentait pas en danger. Le 17 décembre 1987, le brigadier Boardman et d’autres agents de police se rendirent au domicile de M. Paget-Lewis dans l’intention de l’arrêter pour les actes de vandalisme dont il était soupçonné. L’intéressé était absent. La police ignorait qu’il enseignait à l’école de Haggerston ce jour-là. Le 18 décembre 1987, conformément à la requête de la police, l’ILEA envoya une lettre à M. Paget-Lewis l’invitant à se mettre en rapport avec le brigadier Boardman. Le même jour, l’organisme informa la police que le professeur n’avait pas assuré ses cours à Haggerston. Il ne se présenta plus à l’école par la suite. E. Déroulement des événements de janvier à octobre 1988 Tentatives de localisation de M. Paget-Lewis Début janvier 1988, la police déposa contre M. Paget-Lewis une plainte devant le tribunal de première instance pour conduite imprudente d’un véhicule. En outre, M. Paget-Lewis fut fiché dans les registres de la police nationale en tant que personne recherchée à propos de la collision et soupçonnée d’avoir commis des infractions de nature correctionnelle. Le 8 janvier, une responsable de l’ILEA tenta de joindre le brigadier Boardman, afin de s’enquérir de l’évolution de l’affaire, mais il était absent. Trois jours plus tard, il la rappela et lui dit qu’il n’y avait pas d’évolution. Entre janvier et mars 1988, M. Paget-Lewis voyagea à travers l’Angleterre, louant des voitures sous son nouveau nom d’Osman, et fut impliqué dans plusieurs accidents de la circulation. Il retourna régulièrement à son domicile durant cette période et continua à y recevoir du courrier. Le 17 janvier 1988, il fractura une voiture en stationnement à proximité d’un terrain de tir au pigeon près de Leeds, dans le Yorkshire, et vola un fusil de chasse dont il scia les deux canons. Alors que le vol fut signalé à la police locale, il ne le fut pas à celle de Londres, chargée de l’affaire Paget-Lewis, car rien n’associait l’enseignant à ce vol. M. Paget-Lewis est aperçu près du domicile des Osman Les 1er, 4 et 5 mars 1988, Leslie Green aperçut M. Paget-Lewis, coiffé d’un casque noir, près du domicile des requérants. Selon ceux-ci, à chaque fois, Mme Green en informa la police, qui ne donna pas suite. Le Gouvernement reconnaît que, le 5 mars 1988, le brigadier Boardman reçut un message lui demandant de « rappeler Mme Green » ; toutefois, aucun numéro de téléphone n’étant précisé, il ne fit pas le rapprochement avec la mère de Leslie Green. La fusillade fatale et l’arrestation de M. Paget-Lewis Le 7 mars 1988, plusieurs personnes aperçurent M. Paget-Lewis près du domicile des requérants. Vers 23 heures, il tua Ali Osman et blessa grièvement son fils Ahmet. Il se rendit ensuite chez M. Perkins, qu’il blessa d’une balle et dont il tua le fils. Tôt le lendemain matin, M. Paget-Lewis fut arrêté. Il déclara alors : « Pourquoi ne m’avez-vous pas arrêté avant que je ne passe à l’acte ? Je vous ai donné tous les signes avant-coureurs nécessaires ». Plus tard ce même jour, M. Paget-Lewis fut interrogé par la police. D’après le procès-verbal de l’interrogatoire, il prétendit avoir préparé ces agressions depuis qu’il avait perdu son emploi, et qu’il surveillait depuis deux semaines déjà la maison des Osman. Bien qu’il considérât M. Perkins comme sa principale cible, il tenait également Ali et Ahmet Osman pour responsables de la perte de son poste à Homerton House. Il avoua qu’il espérait inconsciemment que la police l’arrêterait. Il reconnut avoir menacé de son arme la famille Osman à son retour au domicile, obligé Ali et Ahmet à s’agenouiller sur le sol de la cuisine, éteint la lumière et tiré sur eux. Il nia cependant avoir endommagé les fenêtres de la maison des Osman à différentes occasions précédemment, mais admit avoir dégonflé les pneus de leur voiture pour leur jouer un tour. Il nia toute responsabilité dans les graffitis et le vol des dossiers au secrétariat de l’école. M. Paget-Lewis est reconnu coupable d’homicide Le 28 octobre 1988, M. Paget-Lewis fut reconnu coupable sur deux chefs d’homicide pour lesquels il avait plaidé coupable sur la base d’une responsabilité atténuée (paragraphe 73 ci-dessous). Il fut condamné à une détention de durée illimitée dans un établissement psychiatrique de sécurité, conformément à l’article 41 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act). F. Poursuites judiciaires engagées contre la police pour faute A l’issue de la procédure pénale, une enquête judiciaire fut menée sur les circonstances du décès de M. Ali Osman. Le Coroner ne la poussa pas très loin, car l’assassin avait été condamné (article 16 de la loi de 1988 sur le Coroner). Le 28 septembre 1989, les requérants intentèrent une action pour faute, notamment contre le préfet de police du Grand Londres (Commissioner of the Police of the Metropolis), car, bien que la police fût avisée des agissements de M. Paget-Lewis depuis mai 1987, celui-ci n’avait été ni appréhendé ni interrogé ; son domicile n’avait jamais été perquisitionné, et lui-même n’avait jamais fait l’objet de poursuites avant mars 1988. Ce n’est que le 24 avril 1990 que des ordonnances de communication de pièces furent rendues. Le 19 août 1991, le préfet de police du Grand Londres introduisit une requête en rejet des poursuites, alléguant qu’elles ne se justifiaient pas. La High Court écarta sa demande. Le 7 octobre 1992, la Cour d’appel fit droit au recours du préfet (Osman and another v. Ferguson and another – All England Law Reports 1993, vol. 4, p. 344). Dans sa décision, la Cour conclut qu’au regard d’une jurisprudence bien établie aucune action ne pouvait être intentée contre la police pour faute dans ses fonctions de recherche et de lutte contre la criminalité, car l’ordre public exigeait que lui fût accordée l’immunité de poursuites. 64. Lord Justice McCowan déclara notamment : « A mon avis, les demandeurs [les requérants] peuvent donc valablement alléguer qu’il existait entre [le second requérant] et sa famille d’une part, et les policiers chargés de l’enquête d’autre part, un très fort lien de proximité créant une relation très spéciale. » Cependant, au regard de l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire Hill v. Chief Constable of West Yorkshire (paragraphes 90-92 ci-dessous), qui ne présentait pas selon lui de différence majeure avec le cas de l’espèce, le juge estima qu’il s’agissait en l’occurrence de se déterminer sur des manquements dans la conduite de l’enquête judiciaire et que l’argument d’ordre public condamnait par avance toute action à l’échec. Il rejeta le raisonnement qui soutenait que l’ordre public ne pouvait pas être invoqué quand les victimes probables étaient identifiables par avance en raison de leur proximité et de leur petit nombre. Il constata que, dans l’arrêt Hill, Lord Keith avait traité séparément la question de l’ordre public et considéré qu’elle ne pouvait être soulevée que s’il existait un devoir de diligence. Le second juge de la Cour d’appel, Lord Justice Beldam, déclara également que la plainte devait être rejetée pour motifs d’ordre public, mais se garda d’exprimer son opinion quant à savoir si, dans le cas où les faits seraient avérés, ils suffiraient à établir une relation de proximité dont l’existence justifierait un devoir de diligence. Lord Justice Simon Brown se rangea à l’avis du juge McCowan. La plainte des requérants fut donc rejetée. La Cour d’appel refusa aux requérants l’autorisation de se pourvoir devant la Chambre des lords, laquelle fit de même le 10 mai 1993. G. Constats de la Commission Les tribunaux internes n’établirent pas tous les faits, puisque M. Paget-Lewis plaida coupable sur les charges retenues contre lui et aucune enquête exhaustive ne fut menée sur les circonstances du décès de M. Ali Osman (paragraphe 60 ci-dessus). De plus, l’action engagée au civil par les requérants contre la police fut radiée du rôle pour insuffisance de fondement juridique (paragraphe 65 ci-dessus). Après examen des pièces produites par les parties, notamment au regard des faits litigieux, la Commission a procédé à l’établissement des faits de la cause. Ses conclusions peuvent se résumer comme suit. Concernant les quatre réunions qui eurent lieu entre la police et l’école entre le 3 et le 17 mars 1987 (paragraphe 21 ci-dessus), la Commission est convaincue que la police avait été tenue informée du déroulement des événements et des inquiétudes de l’école sur le caractère douteux de l’attachement que M. Paget-Lewis portait à Ahmet Osman, ainsi que des réactions préoccupantes du professeur à l’égard de Leslie Green. En outre, le 4 mai 1987, M. Prince avait très probablement averti les brigadiers Newman et Clarke (paragraphe 27 ci-dessus) de l’incident des graffitis, du vol des dossiers scolaires et du changement de nom de M. Paget-Lewis, même si aucun des deux policiers ne se souvient avoir été prévenu des deux premiers événements. De même, lors des entretiens entre le commissaire Williams et M. Prince, aucune note ne semble avoir été prise. Cependant, la Commission estime qu’aucun élément ne permet d’affirmer qu’à ce stade la police se serait engagée à perquisitionner au domicile de M. Paget-Lewis ou aurait été sérieusement alarmée par la possibilité que celui-ci enlevât Ahmet. Ces hypothèses furent émises dans le rapport de l’ILEA rédigé vers cette époque (paragraphe 28 ci-dessus) et probablement soulevées lors des entretiens avec M. Prince, mais pas lors de contacts directs avec la police. Bien que les actes de vandalisme perpétrés contre le domicile et les biens des Osman entre mai et novembre 1987 aient tous été signalés à la police, ainsi que les forts soupçons de la famille à l’encontre de M. Paget-Lewis, tenu pour responsable de ces agressions, la seule mesure prise fut d’inviter ce dernier à se rendre au commissariat pour un entretien (paragraphe 37 ci-dessus). De l’avis de la Commission, on ne peut guère accorder de crédit aux propos ultérieurs de M. Paget-Lewis selon lesquels il aurait déclaré à l’agent de police Adams lors de cette entrevue qu’il allait commettre un acte de folie. On n’a pu retrouver ni note ni rapport de police sur cette réunion, dont on ne connaît d’ailleurs pas la date. Après l’incident de la collision (paragraphe 38 ci-dessus), la police interrogea sur-le-champ les Green et les Osman et photographia les graffitis à l’école (paragraphes 42 et 43 ci-dessus). Bien que le brigadier Boardman, dans son rapport non daté (paragraphe 45 ci-dessus), ait souligné qu’aucun élément ne prouvait que M. Paget-Lewis fût l’auteur des graffitis ou des actes de vandalisme contre le domicile des Osman, la police considéra néanmoins que la menace qu’il représentait était suffisante pour décider de mesures concrètes à son encontre. Aussi, le 16 décembre 1987, la décision fut-elle prise d’arrêter M. Paget-Lewis pour présomption d’infraction pénale. La Commission est également convaincue qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle M. Paget-Lewis aurait directement ou indirectement menacé les Osman au cours de son entretien du 15 décembre 1987 avec l’ILEA (paragraphe 46 ci-dessus). Elle attache plus d’importance à des notes sur la réunion prises à la même époque qu’à la déclaration d’un des agents relatant plusieurs mois après que M. Paget-Lewis avait menacé au cours de cette discussion de commettre « un massacre à la Hungerford ». D’après le compte rendu de la réunion, l’intéressé semblerait avoir dit qu’il ne ferait pas un « Hungerford » à l’école, mais se rendrait au domicile du directeur adjoint. Selon la Commission, cela expliquerait pourquoi la police a exigé la mise en place d’une surveillance de routine du domicile des Perkins. De plus, malgré la formulation du compte rendu de l’ILEA du 8 décembre 1987 et des annotations plutôt sibyllines de l’agenda de M. Prince à la date du 16 décembre 1987 (paragraphes 41 et 48 ci-dessus), il paraît peu probable que la police ait mentionné ou promis sa protection à la famille Osman, d’autant qu’aucune mesure en ce sens ne fut en réalité ni prise ni envisagée. Les services de l’éducation avaient probablement retiré cette impression de la promesse faite par la police de prendre les mesures nécessaires pour régler cette affaire, y compris tenir compte des vagues menaces à l’encontre de M. Perkins. La Commission n’estime pas établi que la lettre envoyée à M. Paget-Lewis par l’ILEA à la demande de la police, après l’arrestation manquée du 17 décembre 1987, ait conduit l’intéressé à disparaître (paragraphe 50 ci-dessus). Elle est également convaincue que la police n’a rien fait pour retrouver la trace de M. Paget-Lewis du 18 décembre 1987 au mois de mars 1988, hormis enregistrer son nom dans le fichier national de la police en janvier 1988. De plus, aucun rapport de cette même époque ne vient étayer l’idée que Mme Green aurait informé la police que son fils avait vu M. Paget-Lewis rôder autour de la maison des Osman début mars 1988 (paragraphe 55 ci-dessus). Il se peut que Mme Green ait simplement laissé un message au commissariat pour que le brigadier Boardman la rappelât. Dans ce cas, il n’est pas étonnant que celui-ci n’ait pas fait le rapprochement entre une Mme Green et l’affaire Paget-Lewis, au point mort depuis trois mois. II. le DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit pénal Assassinat Il y a assassinat lorsqu’une personne saine d’esprit commet un homicide illicite avec préméditation. L’élément moral de l’assassinat, « la préméditation », est établi s’il est prouvé que l’inculpé avait l’intention de tuer, de blesser grièvement ou de commettre un acte dont il savait avec une quasi-certitude qu’il entraînerait la mort ou des blessures graves. L’assassinat est puni de réclusion à perpétuité. Homicide involontaire L’homicide involontaire est constitué lorsque la victime est illégalement tuée par une personne qui, en raison de son état mental, est partiellement irresponsable de ses actes, c’est-à-dire que son état mental est tel qu’il entrave son discernement et l’exonère donc substantiellement des conséquences de ses actes. L’homicide est puni de la réclusion à perpétuité ou d’un emprisonnement plus court. B. La procédure pénale Mandat de perquisition La possibilité d’obtenir un mandat de perquisition pour des objets qui ont été utilisés ou sont susceptibles de l’être pour commettre un crime est régie par l’article 6 § 1 de la loi de 1971 sur les dommages criminels (Criminal Damage Act), ainsi libellé : « S’il vient à être connu par un témoignage sous serment donné devant un juge de paix qu’il y a des raisons valables de penser qu’une personne a en sa possession, sous sa garde ou dans ses locaux, un quelconque objet dont on peut raisonnablement croire qu’il a été utilisé ou est susceptible de l’être sans excuse légale a) pour détruire ou endommager la propriété d’autrui ; ou b) pour détruire ou endommager toute propriété de manière à mettre en danger la vie d’autrui, le juge de paix peut délivrer un mandat qui autorise les forces de police à rechercher et à saisir cet objet. » Pouvoirs d’arrestation et de détention conférés à la police Pour être légale, toute arrestation doit d’abord être conforme aux dispositions des articles 24 ou 25 de la loi de 1984 sur la police et l’administration de la preuve pénale (Police and Criminal Evidence Act) (« la loi de 1984 »). Selon l’article 24, un fonctionnaire de police peut arrêter toute personne qu’il soupçonne légitimement de s’être rendue coupable d’une infraction justifiant l’arrestation (arrestable offence). Constitue une telle infraction celle qui est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus (article 24 § 1). Aux termes de l’article 25, un fonctionnaire de police peut arrêter sans mandat toute personne qu’il soupçonne légitimement de s’être rendue coupable d’une infraction ne justifiant pas l’arrestation (non arrestable offence), à condition que l’une des conditions d’intérêt général soit présente, notamment : a) lorsque le fonctionnaire de police a des motifs légitimes de douter que le nom donné par l’intéressé soit son vrai nom (article 25 § 3 a)) ; b) lorsque le fonctionnaire de police a des motifs légitimes de penser que l’arrestation est nécessaire pour empêcher l’intéressé d’attenter à l’intégrité physique d’autrui ou de porter une atteinte définitive ou dommageable au bien d’autrui (article 25 § 3 d) i. et ii.) ; c) lorsque le fonctionnaire de police a des motifs légitimes de penser que l’arrestation est nécessaire pour protéger un enfant ou une autre personne vulnérable (article 25 § 3 e)). Pour déterminer si les renseignements disponibles sont suffisants pour donner lieu à un soupçon légitime, le critère à appliquer est celui énoncé par la Chambre des lords dans l’affaire Hussein v. Chang Fook Kam, Appeal Cases 1970, p. 942 : « La suspicion, dans l’acception courante, résulte d’une situation conjoncturelle ou conjecturale, quand les preuves font défaut : « Je soupçonne, mais je ne peux pas prouver ». Les soupçons naissent au début ou presque d’une enquête, qui doit se terminer par un commencement de preuve. » La décision d’inculper Lorsqu’une personne est arrêtée pour une infraction, sans mandat ou avec un mandat ne permettant pas une liberté sous caution, le fonctionnaire de police au commissariat où elle est emmenée doit déterminer s’il y a contre elle suffisamment de preuves pour l’accuser de l’infraction pour laquelle elle a été arrêtée (article 37 § 1 b) de la loi de 1984). Avant de se prononcer, ce policier doit se demander s’il existe un motif « raisonnable et suffisant » de poursuites. Dans l’affaire Hicks v. Faulkner, Queen’s Bench Division 1878, vol. 8, p. 167, le juge Hawkins interpréta cette exigence en ces termes : « (…) une conviction honnête quant à la culpabilité du prévenu, fondée sur des motifs raisonnables de croire à l’existence de circonstances qui, en admettant qu’elles soient exactes, conduiraient raisonnablement un homme prudent et sage, placé dans la position du prévenu, à conclure que l’intéressé est probablement coupable du délit reproché. » Le fonctionnaire de police n’a pas à avoir la certitude que le suspect est coupable avant de l’accuser (Tempest v. Snowden, King’s Bench Reports 1952, vol. 1, p. 130). Il ne lui est pas non plus demandé de croire que les poursuites vont aboutir à une condamnation (Dawson v. Vasandau, Weekly Reporter 1863, vol. 11, p. 516). Il doit simplement déterminer si les preuves sont suffisantes pour que l’affaire soit examinée « de manière équitable et impartiale » par un tribunal (Glinski v. McIver, Appeal Cases 1962, p. 726). Si le fonctionnaire de police n’a pas d’éléments suffisants pour inculper, il doit relâcher la personne arrêtée avec ou sans caution. Si toutefois il a des motifs raisonnables de penser que la détention du suspect est nécessaire pour rassembler ou préserver les preuves de l’infraction pour laquelle celui-ci a été arrêté ou pour les obtenir par un interrogatoire, il peut autoriser le prolongement de la garde à vue (article 37 § 2 de la loi de 1984). Modèles d’actes constitutifs d’infraction Lorsqu’il est amené à envisager des poursuites contre une personne, le fonctionnaire de police peut tenir compte des éléments révélant un certain type d’infraction. Toutefois, dans l’affaire D.P.P. v. P., Appeal Cases 1991, vol. 2, p. 447, la Chambre des lords a affirmé que la recevabilité d’une telle preuve doit être déterminée par son degré de force probante. Le Lord Chancellor, Lord Mackay of Clashfern, déclare : « (…) la principale caractéristique d’une preuve est d’avoir une force probante suffisante pour faire admettre que les accusations de crime portées à l’encontre d’une personne sont fondées, même si elles lui sont préjudiciables parce qu’elles tendent à démontrer que le prévenu est coupable d’un autre crime (...). Une fois que le principe du déterminisme de la force probante d’une preuve est admis, l’infinie variété des circonstances où la question se pose prouve qu’il n’y a pas une façon uniforme d’atteindre ce résultat. Le point de savoir si l’aspect préjudiciable doit céder devant la force probante est à chaque fois question de fait et de degré. » (p. 460) Il poursuit : « Lorsque l’identité de l’auteur du crime ou délit reste à déterminer, et qu’une telle preuve est importante à cet effet, elle doit inévitablement être appuyée par l’un des éléments soulevés dans l’argumentation, une signature ou toute autre spécificité. Transposer cette exigence à d’autres situations où la question est de savoir si un crime a été commis, plutôt que de déterminer qui l’a perpétré, signifie restreindre inutilement et mal à propos cette application du principe. » (p. 462) Liberté sous caution L’article 38 de la loi de 1984 prévoit que, lorsqu’une personne arrêtée est accusée d’une infraction, le fonctionnaire de police doit la remettre en liberté, avec ou sans caution, sauf, notamment, si son nom ou son adresse ne peuvent pas être déterminés avec certitude, si la propre sécurité du suspect le commande, s’il faut l’empêcher de porter physiquement atteinte à autrui ou à des biens, ou s’il risque de ne pas comparaître. Si le fonctionnaire de police décide de ne pas relâcher l’inculpé, celui-ci doit être présenté à une Magistrates’ Court dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation ; le juge peut alors décider de le maintenir en détention ou de le libérer sous caution. Conformément à l’article 13 de l’annexe 1, chapitre 1, à la loi de 1976 sur la liberté sous caution (Bail Act) : « L’inculpé ne peut pas être libéré sous caution si le tribunal estime qu’il existe de bonnes raisons de croire qu’une fois libéré (sous conditions ou non) a) il ne se rendra pas à la police, ou b) il commettra un nouveau délit pendant sa liberté provisoire, ou c) il fera pression sur les témoins ou entravera d’une autre manière le cours de la justice, à son égard ou vis-à-vis d’autrui. » Pour se déterminer, la Magistrates’ Court doit, conformément à l’article 9 de l’annexe 1, chapitre 1, prendre en compte telle ou telle des considérations suivantes qui lui paraissent pertinentes : « a) nature et gravité de l’infraction (...) ; b) personnalité, antécédents, environnement social et fréquentations du défendeur ; c) antécédents du défendeur s’agissant du respect de ses obligations dans le cadre d’une liberté provisoire antérieure ; d) sauf dans le cas où il y a sursis à l’examen de l’affaire aux fins de l’enquête ou du rapport, force des preuves quant à l’infraction ou au manquement. » C. Santé mentale L’article 136 de la loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act) énonce : « 1) Si un agent de police découvre, dans un endroit ouvert au public, une personne qui lui paraît présenter des troubles mentaux et avoir immédiatement besoin de soins ou d’assistance, il peut emmener cette personne en lieu sûr, si l’intérêt de cette personne ou la protection d’autrui lui paraît l’exiger (...) 2) Une personne placée en lieu sûr, conformément aux dispositions du présent article, peut être gardée ainsi au maximum soixante-douze heures, afin de pouvoir être examinée par un praticien agréé, d’être interrogée par un agent agréé des services sociaux et afin que soient prises les dispositions nécessaires à son traitement ou à son placement. » La Magistrates’ Court de même que la Crown Court peuvent placer un inculpé dans un hôpital spécialisé afin de le soumettre à un examen de ses facultés mentales. L’article 35 § 2 définit ainsi l’inculpé : « a) pour la Crown Court, toute personne en instance de jugement pour une infraction punie d’emprisonnement ou qui a été traduite devant cette juridiction pour une telle infraction et n’a pas encore fait l’objet d’un jugement ni d’aucune autre mesure en raison de l’infraction pour laquelle elle comparaît ; b) pour la Magistrates’ Court, toute personne déclarée coupable par cette juridiction d’une infraction punie d’une peine correctionnelle d’emprisonnement et toute personne accusée d’une telle infraction dont cette juridiction est convaincue qu’elle a commis l’infraction ou l’omission qui lui est reprochée, ou qu’elle a souscrit à l’exercice par cette juridiction des pouvoirs reconnus par cet article. » Lorsque ces conditions sont remplies, le tribunal peut renvoyer l’inculpé dans un hôpital afin de le faire examiner, conformément à l’article 35 § 3, si : « a) le tribunal est convaincu, sur la base d’un rapport écrit ou oral d’un praticien agréé, qu’il y a lieu de supposer que le prévenu souffre d’une maladie mentale, de psychopathie, d’une grave altération de ses facultés mentales ou de troubles psychiques ; et si b) le tribunal est d’avis qu’il ne serait pas possible de procéder à un examen des facultés mentales de l’intéressé s’il était mis en liberté provisoire (…) » La Crown Court peut placer un prévenu dans un hôpital spécialisé si elle est convaincue, sur la foi du rapport de deux praticiens, qu’il est atteint d’une maladie mentale ou d’une grave altération de ses facultés mentales dont la nature et le degré commandent cette détention dans son propre intérêt (article 36 § 1). A la suite d’une condamnation pour une infraction passible d’emprisonnement, la Crown Court et la Magistrates’ Court peuvent toutes deux, conformément à l’article 38 § 1, ordonner un placement temporaire en milieu hospitalier lorsque : « (...) le tribunal devant lequel ou par lequel l’accusé a été déclaré coupable est convaincu, sur la foi du rapport écrit ou oral de deux praticiens agréés, a) que le coupable souffre d’une maladie mentale, de psychopathie, d’une altération grave de ses facultés mentales ou de troubles psychiques ; et b) qu’il y a lieu de supposer que le trouble mental est de nature à justifier une ordonnance d’hospitalisation en l’espèce (…) » Conformément à l’article 37 § 2, Magistrates’ Court et Crown Court peuvent également faire admettre un prévenu à l’hôpital si : « a) le tribunal est convaincu sur la foi du rapport écrit ou oral de deux praticiens agréés que le coupable souffre d’une maladie mentale, de psychopathie, d’une altération grave de ses facultés mentales ou de troubles psychiques et que (...) i) ledit trouble est d’une nature ou d’un degré justifiant l’hospitalisation du coupable aux fins d’un traitement médical, et, dans le cas de psychopathie ou de troubles psychiques, que ce traitement est susceptible de réduire ou de prévenir une détérioration de son état (...) b) le tribunal estime, au vu de l’ensemble des circonstances, y compris la nature de l’infraction, la personnalité et les antécédents du coupable ainsi que les autres méthodes possibles de traitement, qu’une ordonnance au sens de cet article constitue la solution la plus adéquate. » D. Actions intentées contre la police pour faute Dans l’affaire Dorset Yacht Co. Ltd v. the Home Office (Appeal Cases 1970, p. 1004), les propriétaires d’un yacht endommagé par de jeunes délinquants qui avaient échappé à la surveillance des gardiens d’une maison de redressement cherchèrent à engager contre le ministère de l’Intérieur une action en justice fondée sur la négligence des surveillants. La Chambre des lords conclut que, dans ce cas particulier, il pouvait y avoir devoir de diligence. Lord Diplock déclara : « Je soutiendrai donc que seules les personnes possédant dans le voisinage des lieux de détention des biens, qui risquent d’être volés ou endommagés par des détenus évadés s’efforçant d’échapper à leurs poursuivants, peuvent prétendre à ce qu’un gardien d’une maison de redressement exerce une diligence suffisante pour éviter que des détenus n’échappent à sa surveillance. » Dans l’affaire Hill v. Chief Constable of West Yorkshire (Appeal Cases 1989, p. 53), la mère d’une victime de l’éventreur du Yorkshire intenta une action contre la police qu’elle accusait d’avoir manqué à son devoir de faire tout son possible pour appréhender le meurtrier et protéger ses victimes potentielles. Lord Keith déclara devant la Chambre des lords : « La prétendue négligence de la police tient au fait qu’elle n’a pas découvert l’identité [du meurtrier]. Cependant, puisqu’il n’existe aucun devoir général de diligence à l’égard de chaque individu qui obligerait les autorités responsables à empêcher un criminel notoire de s’évader ou à le rattraper, l’on ne peut raisonnablement exiger de la police un devoir analogue lorsqu’il s’agit d’identifier et d’arrêter un criminel inconnu. En ce sens, Mlle Hill ne pouvait être considérée comme particulièrement exposée à un risque spécifique sous le seul prétexte qu’elle était jeune et de sexe féminin. Quand la catégorie des victimes potentielles d’un certain criminel récidiviste est particulièrement large, une évaluation quantitative précise n’apporte en principe rien à la solution du problème en jeu. Tout propriétaire est la victime potentielle d’un cambrioleur professionnel, et toute femme, celle d’un violeur récidiviste. Il y a lieu de conclure que, malgré la possibilité raisonnable que Mlle Hill fût agressée si Sutcliffe n’était pas identifié et arrêté, il n’existe en l’espèce aucun élément de même nature que ceux qui ont permis d’établir la responsabilité du ministre de l’Intérieur dans l’affaire Dorset Yacht. Rien n’indique non plus qu’il y ait eu faute. Les circonstances de l’affaire ne suffisent donc pas à établir, pour la police du West Yorkshire, un devoir de diligence à l’égard de Mlle Hill. » Bien qu’il considérât ces arguments suffisants pour rejeter l’appel, Lord Keith continua à objecter, sur le fondement de l’intérêt public, à la possibilité d’une action contre la police pour faute dans l’exercice de ses fonctions de recherche et de répression des infractions. « La possibilité de mettre en jeu cette responsabilité pourrait bien souvent se révéler bénéfique pour l’intérêt général, car elle imposerait des normes plus élevées de diligence dans l’exécution d’activités de diverse nature. Néanmoins, je ne pense pas que cela soit le cas pour la police. Le sens du bien public qui motive les forces de police ne sera sans doute pas sensiblement renforcé par l’obligation d’assumer une telle responsabilité, du moins en ce qui concerne l’exercice des fonctions de recherche et de répression des infractions. Il arrive que des erreurs soient commises en ce domaine, mais à n’en pas douter, la police fait tout son possible pour atteindre ces objectifs. Dans certains cas, il pourrait arriver que lui imposer cette responsabilité aboutisse à une mise en œuvre hostile et dommageable de ses pouvoirs. On ne saurait exclure que pareille situation survienne dans le cadre d’une enquête. Par ailleurs, il serait plausible de s’attendre à ce que, si l’on impose cette responsabilité, il soit plutôt fréquent que des actions soient intentées contre la police au motif qu’elle a échoué dans la capture d’un criminel alors qu’elle en avait la possibilité et que l’intéressé a commis d’autres délits. Alors que certains de ces recours ne se fonderaient que sur une simple et élémentaire défaillance – par exemple, un policier a trébuché et est tombé en poursuivant un voleur – d’autres pourraient remettre en cause plus profondément la méthode générale d’investigation de la police, comme ce serait le cas en l’espèce. La conduite d’une telle enquête implique une multitude de décisions à prendre en matière de tactique et de prudence, par exemple le type de recherches le plus approprié et la manière de gérer au mieux les ressources disponibles. Sans doute les tribunaux ne remettraient-ils pas en question bon nombre de ces choix, cependant un examen approfondi des faits de l’espèce pourrait se révéler utile pour déterminer si tel a été effectivement le cas. La préparation de la défense et la convocation des témoins au procès supposeraient un important déploiement de temps, d’efforts et d’argent de la part de la police. Cela aurait pour conséquence de détourner la police, ses effectifs et son énergie, de sa mission primordiale : lutter contre la criminalité. Des dossiers classés seraient rouverts et réexaminés, non dans l’idée de traîner un quelconque criminel en justice, mais simplement pour vérifier si l’enquête a ou non été correctement menée. » Lord Templeman observa : « (...) si cette action est recevable, tout citoyen pourra demander à un tribunal d’enquêter sur l’activité de chaque policier. Si le policier se concentre sur un crime, il peut être accusé d’en négliger d’autres. S’il n’arrête pas un suspect déjà condamné pour d’autres méfaits, la police pourra être tenue pour responsable de crimes ultérieurs. La menace de procès contre la police ne rendra pas un policier plus efficace. L’obligation de se défendre en justice, quelle que soit l’issue de cette action, détournerait le policier de ses devoirs. Ce type d’action est mal venu et causera plus de mal que de bien. » Dans Swinney and another v. the Chief Constable of Northumbria (Queen’s Bench Reports 1997, p. 464), la plaignante avait confidentiellement révélé à la police l’identité d’une personne impliquée dans le meurtre d’un policier et instamment demandé que son anonymat fût préservé. L’information fut consignée, avec indication du nom de la plaignante, dans un document qui fut laissé dans un véhicule de police sans surveillance, lequel fut fracturé ; le document volé se retrouva dans les mains de la personne impliquée, et la plaignante, menacée de sévices et d’incendie de ses biens, en fut mentalement perturbée. La plainte engagée contre la police pour faute fut rejetée en première instance mais accueillie en appel par le juge de la High Court. Le directeur des services de police attaqua cette décision, faisant valoir que la police n’avait aucun devoir de diligence ou, à titre subsidiaire, que les motifs d’ordre public empêchaient les poursuites puisque la police bénéficiait d’une immunité quant aux plaintes liées aux activités de recherche et de répression des infractions. La Cour d’appel rejeta le recours. Dans son arrêt, Lord Justice Hirst, renvoyant aux affaires Dorset Yacht et Hill (paragraphes 89-92 ci-dessus), déclara qu’il ne pouvait en l’espèce accepter l’argument d’une immunité complète des policiers dans l’exercice de leurs fonctions, car il existait d’autres considérations liées à la notion d’ordre public, à savoir la nécessité de protéger les sources d’information de la police et les informateurs afin d’encourager ceux-ci à collaborer avec elle. Au vu des faits de la cause, on pouvait soutenir que la police avait la responsabilité de garantir l’anonymat du plaignant. L’affaire devait donc être renvoyée en jugement. Lord Justice Ward estima pour sa part : « Il existe une relation spéciale de proximité entre les plaignants et le défendeur. La proximité résulte, d’une part, de ce que la police accepte de garantir la confidentialité de l’information et, d’autre part, de ce que les plaignants se fondent sur cette garantie en l’absence de laquelle l’information risquerait de tomber en de mauvaises mains, et de faire courir à la première plaignante et à sa famille un risque particulier de préjudice d’origine criminelle ou autre, au-delà du risque général que tout citoyen doit affronter sereinement. Il est équitable, juste et raisonnable que la loi impose une obligation, dans la mesure où il n’existe aucun motif impérieux d’ordre public d’exclure les poursuites. D’une part, comme le montre en détail l’affaire Hill v. the Chief Constable (...), l’intérêt public bien compris commande que la police puisse accomplir ses lourdes tâches au mieux de ses possibilités et sans être entravée, ni même simplement influencée, par le spectre d’une action en justice venant planer sur chaque jugement qu’elle porte, chaque pouvoir d’appréciation qu’elle exerce, chaque acte qu’elle accomplit ou omet d’accomplir dans le cadre du combat incessant qu’elle mène pour la recherche et la répression des infractions. L’intérêt général supérieur justifie des sacrifices de la part de chacun. D’autre part, il est incontestable que la lutte contre la criminalité dépend quotidiennement des informations fournies à la police par les citoyens, souvent au risque évident de cruelles représailles de la part des criminels et de leurs séides. L’intérêt général ne saurait exiger que l’on demande aux honnêtes gens de révéler des informations à la police sans que, en retour, la police n’assure leur sécurité. Il serait contraire à l’intérêt général que, dans l’exécution du service public, les individus dussent, au regard de la loi, accepter d’assumer un risque sans qu’en contrepartie la police ne prenne plus que les mesures de diligence minimales nécessaires pour leur assurer la confidentialité (...) » La police a été jugée responsable de faute ou de manquement à ses obligations dans d’autres affaires. Dans l’affaire Kirkham v. the Chief Constable of Manchester (Queen’s Bench Reports 1989, vol. 2, p. 283), la Cour d’appel a confirmé un constat de responsabilité pour faute en vertu de la loi de 1976 sur les accidents mortels, car la police avait fait incarcérer un homme en connaissant ses tendances suicidaires mais sans communiquer cette information à l’administration pénitentiaire. L’homme, dépressif, se suicida pendant sa détention. La police, qui avait l’intéressé sous sa responsabilité, n’a pas assumé son devoir de diligence, ce qui a entraîné la mort de l’intéressé. Dans l’affaire Rigby and another v. Chief Constable of Northamptonshire (All England Law Reports 1985, vol. 2, p. 986), la High Court condamna la police à payer des dommages-intérêts pour faute, car elle avait tiré une cartouche de gaz dans les locaux des plaignants afin de déloger un dangereux psychopathe. Ce tir faisait courir un risque d’incendie réel et sérieux, qui n’était acceptable que si les policiers disposaient d’emblée d’un matériel de lutte contre l’incendie. En l’absence d’un tel matériel, le feu se déclara et se propagea très rapidement. La faute fut aussi retenue dans l’affaire Knightley v. Johns and others (All England Law Reports 1982, vol. 1, p. 301), dans laquelle un brigadier de police qui se trouvait sur le lieu d’un accident ordonna aux policiers sous ses ordres de retourner dans le tunnel, à contresens, sans en avoir condamné l’accès, ce qui causa un autre accident. Dans l’affaire R. v. Dytham (Queen’s Bench Reports 1979, vol. 1, p. 722), la Cour d’appel confirma la condamnation pour faute délibérée dans l’exercice de ses fonctions d’un policier qui, lors d’une attaque meurtrière, était resté sans intervenir à côté d’un homme agonisant à l’extérieur d’un club. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants se sont adressés à la Commission le 10 novembre 1993, se plaignant de ce que l’on n’eût pas protégé les vies d’Ali et Ahmet Osman, ni mis fin au harcèlement de leur famille. Ils se plaignaient aussi de n’avoir pas eu accès à un tribunal ni disposé d’un recours effectif pour remédier à cette défaillance. Ils invoquaient les articles 2, 6, 8 et 13 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 23452/94) le 17 mai 1996. Dans son rapport du 1er juillet 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention (dix voix contre sept) ; qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention (dix voix contre sept) ; qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (douze voix contre cinq) et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 de la Convention (douze voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR 100. Les requérants ont soutenu, dans leur mémoire comme à l’audience, que les faits de la cause révèlent des manquements de l’Etat défendeur à ses obligations au titre des articles 2, 6, 8 et 13 de la Convention. Ils demandent à la Cour de conclure en conséquence et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50. Quant au Gouvernement, il invite la Cour à dire qu’il n’y a eu violation d’aucun des articles invoqués par les requérants.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Söderbäck, né en 1957 et résidant à Stigtomta, occupe depuis 1987 un emploi de chauffeur d'autobus. Le requérant rencontra K.W. en 1980. Ils étaient amis, mais sans entretenir de liaison stable. Le 19 septembre 1982, K.W. donna naissance à une fille, M., dont le requérant est le père. Celui-ci se rendit une fois à la maternité pour voir K.W. et l'enfant. Au cours des mois suivants, il vit M. au domicile de K.W. à deux reprises. Il assista également au baptême de l'enfant. Au printemps 1983, il s'occupa de M. pendant une heure environ. Il n'eut pas d'autres contacts avec sa fille pendant cette année-là. Comme l'indique un rapport du conseil social (socialnämnden) de Nyköping, cité ci-dessous (paragraphe 13), K.W. pensait que le requérant abusait de l'alcool et qu'il ne convenait pas qu'il voie sa fille autrement que quand il était sobre. Le requérant affirme qu'il a renoncé à voir M. en partie à cause des obstacles dressés par K.W. et en partie du fait de ses difficultés professionnelles. En outre, il avait eu des problèmes de boisson. Selon le requérant, ces problèmes disparurent lorsqu'il rencontra A.H. en 1984. Celle-ci avait un fils de deux ans. Ils s'installèrent ensemble en janvier 1985. En 1983, K.W. rencontra M.W. Ils commencèrent à cohabiter en mai 1983 et se marièrent en janvier 1989. Le requérant vit sa fille une seule fois en 1984. Il souhaitait avoir des contacts plus fréquents mais K.W. y était selon lui opposée. Toutefois, le requérant vit sa fille de temps à autre entre 1984 et 1986, lorsque lui et A.H. emmenaient le fils de cette dernière chez sa nourrice, qui vivait non loin de celle de M. De plus, le requérant vit M. en juin 1986, lorsque celle-ci vint à l'anniversaire du fils de A.H. K.W. refusant prétendument tout contact entre M. et le requérant, celui-ci demanda en juin 1987 l'aide des services sociaux de Nyköping pour lui permettre de rendre visite à sa fille. Le requérant et K.W. se rencontrèrent une fois au bureau social en novembre 1987 pour examiner la question. K.W. exprima le souhait que le requérant ne fût pas encore autorisé à voir sa fille. En 1988, le travailleur social chargé du dossier vit à d'autres reprises le requérant et K.W. séparément, mais aucune rencontre n'eut lieu entre le requérant et M. Ainsi qu'il ressort des observations pertinentes inscrites au journal, il prit contact avec l'autorité concernée au plus une fois tous les deux mois. En novembre 1988, M.W. demanda au tribunal de district (tingsrätten) de Nyköping l'autorisation d'adopter M. Refusant de consentir à l'adoption, le requérant demanda en février 1989 au tribunal de lui accorder un droit de visite. Le tribunal décida de consulter le conseil social de Nyköping (chapitre 4, article 10, du code parental – Föräldrabalken) et reporta l'examen de la question du droit de visite en attendant l'issue de la procédure d'adoption. Le conseil effectua une enquête au cours de laquelle il entendit le requérant (chapitre 4, article 10, du code parental), K.W. et M.W. Dans son avis du 31 octobre 1989, le conseil conclut que l'adoption de M. par M.W. ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant et recommanda en conséquence au tribunal de rejeter la demande de M.W. Le conseil s'était notamment appuyé sur les considérations ci-dessous. Il releva en premier lieu que K.W. et M.W. vivaient ensemble depuis plus de six ans et étaient mariés depuis janvier 1989. Leur mariage paraissait stable et harmonieux. M.W. était devenu, psychologiquement parlant, le père de M., et éprouvait envers elle les mêmes sentiments que si elle était sa propre fille. M.W. jugeait souhaitable d'entériner cette situation grâce à une adoption qui conforterait la place de l'enfant au sein de la famille. Le rapport signalait ensuite que le requérant semblait entretenir une relation stable avec A.H. et le fils de celle-ci. Il affirmait s'être toujours intéressé à sa fille mais, pendant quelques années, il n'avait pas eu l'énergie nécessaire pour la voir, en raison de ses difficultés personnelles. Il s'opposait à l'adoption et considérait que sa fille avait le droit de connaître son père naturel. Il se rendait compte que la relation avec sa fille devrait se construire avec précautions pendant un certain temps. Le rapport contenait les remarques suivantes : « Les enquêteurs sont d'avis que [M.], comme tous les enfants, a le droit de connaître ses origines. Il est également important qu'elle en soit informée le plus tôt possible. Dès lors, nous ne partageons pas l'opinion de [K.W.] et [M.W.] selon laquelle il est préférable pour [M.] d'attendre. Au contraire, nous croyons que selon toute probabilité, le fait de dire à [M.] à l'adolescence ou à l'âge adulte que [M.W.] n'est pas son père naturel sera pour elle une expérience traumatisante. Nous estimons également que [M.] a le droit de connaître son père et la famille de celui-ci. Nous ne partageons pas les craintes de [K.W.] et [M.W.] que [M.] s'éloigne de [M.W.], tout en sachant qu'il serait naturel qu'elle réagisse d'une façon ou d'une autre. Toutefois, nous sommes d'avis qu'il pourrait être bénéfique pour [M.] de connaître son père et la famille de celui-ci. L'amour filial qu'elle ressent pour [M.W.] n'en sera pas pour autant altéré et [M.W.] demeurera probablement toujours le père de [M.] sur le plan psychologique. Les enquêteurs considèrent qu'il ne s'agit pas de dire quel est le « meilleur » père, mais qu’il s’agit plutôt du droit de connaître et de rencontrer ses ascendants. Nous ne jugeons donc pas qu'il convienne d'appuyer la demande d'adoption de M. formulée par M.W. » Le 12 décembre 1989, le tribunal tint une audience au cours de laquelle il entendit le requérant (chapitre 4, article 10, du code parental) et M.W. Par une décision du 22 décembre 1989, le tribunal autorisa M.W. à adopter M. en vertu de l'article 6 du chapitre 4 du code parental. Le tribunal motiva ainsi sa décision : « L'enquête en l'espèce a montré que [M.] vit avec [K.W.] depuis sa naissance et que [M.W.] participe à l'éducation de [M.] depuis que celle-ci a huit mois. Selon les informations recueillies, [M.] considère [M.W.] comme son père. Il apparaît qu'à l'origine, [le requérant] a rencontré [M.] de temps à autre, mais les contacts entre eux ont par la suite pratiquement cessé. Dans ces conditions, on ne saurait considérer que le besoin qu'a M. d'avoir des contacts avec [le requérant] soit tel qu'il constitue un obstacle à l'adoption. Par ces motifs, et considérant qu'il y a par ailleurs lieu de juger que l'adoption est dans l'intérêt de l'enfant, la demande est accueillie. » Le 5 février 1991, la cour d'appel de Svea (Svea hovrätt) confirma la décision du tribunal de district. Le 19 juin 1991, la Cour suprême (Högsta domstolen) refusa au requérant l'autorisation de la saisir. II. LE Droit interne pertinent Le chapitre 6 du code parental contient des dispositions générales sur la garde et le droit de visite. L'article 3 dispose que dès la naissance, la garde d'un enfant est confiée à ses parents s'ils sont mariés, ou à sa mère si les parents ne sont pas mariés. Selon l'article 4, les parents non mariés peuvent, sur demande, exercer conjointement la garde. En vertu de l'article 15 du chapitre 6, il incombe au gardien de l'enfant de répondre autant que faire se peut aux besoins de contacts de l'enfant, notamment avec un parent qui n'est pas investi de la garde. Si un parent dans cette situation se heurte à un refus de la part du gardien d'autoriser les visites, il peut saisir les tribunaux, qui doivent alors trancher la question du droit de visite dans le sens de l'intérêt de l'enfant. Le chapitre 4 du code parental comporte des dispositions générales sur l'adoption. L'article 3 prévoit qu'une personne mariée peut adopter l'enfant de son conjoint avec le consentement de ce dernier. En vertu de l'article 5 a), un mineur de dix-huit ans ne peut être adopté sans le consentement de ses parents. Toutefois, le consentement du parent qui n'est pas investi de la garde de l'enfant n'est pas requis. Conformément à l'article 6 du chapitre 4, le tribunal compétent doit examiner s'il convient de procéder à l'adoption et ne l'autorise que si l'adoption est favorable à l'enfant et si l'adoptant éventuel a élevé l'enfant ou a l'intention de le faire, ou s'il existe des raisons particulières militant en faveur de l'adoption, eu égard à la relation particulière entre l'adoptant et l'enfant. Aux termes de l'article 8 du chapitre 5, un enfant adopté est considéré par la loi comme l'enfant de l'adoptant et non celui du parent naturel, sauf lorsque le parent naturel est le conjoint de l'adoptant. Lorsque tel n'est pas le cas, les parents naturels de l'enfant cessent de bénéficier du droit de visite du fait de l'adoption. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Söderbäck a soumis sa requête (n° 24484/94) à la Commission le 17 décembre 1991. Il se plaignait de ce que la décision de permettre l'adoption de sa fille, sans son consentement, emportait violation en son chef du droit au respect de la vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Il dénonçait également une violation de l'article 6 (droit à un procès équitable) au motif que le tribunal de district et la cour d'appel avaient enfreint la Constitution suédoise. La Commission a retenu la requête le 27 novembre 1996 dans la mesure où elle concernait le grief tiré de l'article 8 de la Convention et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 22 octobre 1997 (article 31), elle conclut à la violation de l'article 8 (dix voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Lors de l'audience du 24 juin 1998, comme dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de la Convention. A la même occasion, le requérant prie de nouveau la Cour de conclure à la violation de l'article 8 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les essais nucléaires sur l’île Christmas Entre 1952 et 1967, le Royaume-Uni effectua, dans l’océan Pacifique et à Maralinga, en Australie, un certain nombre d’essais atmosphériques d’armes nucléaires auxquels participèrent plus de 20 000 militaires. Il y eut notamment, entre novembre 1957 et septembre 1958, six explosions (essais « Grapple Y » et « Grapple Z ») sur l’île Christmas, dans l’océan Pacifique, d’armes maintes fois plus puissantes que celles larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Au cours des essais effectués sur cette île, des militaires reçurent l’ordre de s’aligner en plein air et de tourner le dos aux explosions en gardant les yeux clos et couverts jusqu’à ce que vingt secondes se fussent écoulées après les détonations. La requérante soutient que le but de cette procédure était d’exposer délibérément des soldats à des rayonnements et ce, à des fins expérimentales. Le Gouvernement combat cette allégation et affirme que l’on croyait à l’époque des essais – et cela se serait vérifié – que les personnes concernées se trouvaient à une distance suffisante du centre de l’explosion pour éviter d’être exposées à des niveaux nocifs de rayonnement, et que la procédure d’alignement visait à garantir que lesdites personnes se prémunissent contre les risques de dommages oculaires et contre les autres lésions physiques pouvant être causées par des matériaux soufflés par les explosions. B. Les circonstances particulières de l’espèce Le père de la requérante se trouvait sur l’île Christmas, où il servait dans les unités de ravitaillement de la Royal Air Force, lors de quatre essais nucléaires effectués en 1957 et 1958. Il participa également au programme de nettoyage qui suivit les essais. La requérante est née en 1966. Vers 1970, on diagnostiqua chez elle une leucémie, cancer qui touche les organes hématopoïétiques. Sa fiche d’admission à l’hôpital indique, sous la rubrique « causes éventuelles », « père irradié ». L’intéressée fut traitée par chimiothérapie jusqu’à l’âge de dix ans. A l’école primaire, elle fut absente la moitié du temps en raison de sa maladie et du traitement requis. Elle ne fut pas non plus en mesure de faire du sport ni de s’adonner aux autres activités normales de l’enfance. En décembre 1992, la requérante eut connaissance de la teneur d’un rapport préparé par l’Association des vétérans des essais nucléaires britanniques (British Nuclear Tests Veterans’ Association – « BNTVA »), lequel faisait état d’une incidence élevée des cancers, y compris la leucémie, chez les enfants de vétérans de l’île Christmas. Elle est membre de cette association. Elle continue de subir régulièrement des bilans de santé et n’ose pas avoir à son tour des enfants, craignant qu’ils ne soient atteints d’une prédisposition génétique à la leucémie. ii. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Affaires Reay et Hope v. British Nuclear Fuels PLC En 1983, un groupe consultatif indépendant présidé par Sir Douglas Black fut constitué au Royaume-Uni pour enquêter sur le nombre anormalement élevé d’enfants qui auraient été atteints de leucémie dans la région où est implanté le réacteur nucléaire de Sellafield (appelé auparavant Windscale), dans le nord de l’Angleterre. Le groupe constata effectivement que la leucémie infantile était plus répandue dans cette zone que la moyenne, mais sans parvenir à en déterminer la cause. L’un des membres du groupe, le Dr Martin Gardner, effectua ensuite trois études sur ce phénomène. La troisième, rendue publique le 17 février 1990 (« le rapport Gardner »), conclut à une corrélation statistique entre l’incidence de la leucémie chez les enfants vivant dans la ville de Seascale, près de Sellafield, et les doses de rayonnement assez fortes reçues sur tout leur corps par leurs pères, travaillant à la centrale nucléaire, avant leur conception. A la suite de la publication dudit rapport, deux plaignants, atteints respectivement d’une leucémie et d’un lymphome non hodgkinien, attaquèrent l’autorité responsable du réacteur de Sellafield en alléguant que leur maladie résultait de ce que leur père travaillait à Sellafield. La High Court of Justice, à Londres, examina simultanément les deux affaires. Les débats, étalés d’octobre 1992 à juin 1993, durèrent quatre-vingt-dix jours. La cour entendit le témoignage de plus de trente experts et reçut une centaine de rapports, traitant principalement de la question de savoir si la corrélation statistique relevée par le Dr Gardner constituait un lien direct de causalité, ainsi que l’affirmaient les plaignants, sur lequel elle puisse s’appuyer. Le juge French prononça le jugement le 8 octobre 1993. Il constata notamment que le rapport Gardner était « une bonne étude, bien menée et présentée ». Cependant, certaines critiques d’ordre technique le concernant étaient valables ; elles ébranlaient la confiance que pouvaient inspirer ses conclusions et soulignaient la nécessité d’en obtenir confirmation grâce à d’autres études indépendantes avant de s’en prévaloir. Il conclut cependant à partir des éléments de preuve qu’il existait de fortes présomptions en faveur d’une corrélation entre l’irradiation paternelle antérieure à la conception et la leucémie infantile à Seascale, mais qu’il fallait se montrer extrêmement prudent avant de conclure à l’existence d’un lien de causalité. Tout en reconnaissant volontiers que les maladies frappant les plaignants présentaient un aspect héréditaire, le juge estima que celui-ci était très faible. Il s’appuya en particulier sur les études portant sur les enfants des rescapés des bombardements de Nagasaki et Hiroshima, qui ne révélaient pas d’augmentation significative du nombre de leucémies ou de lymphomes non hodgkiniens, et ne corroboraient donc nullement l’hypothèse émise dans le rapport Gardner. L’un des témoins cités par l’autorité défenderesse, Sir Richard Doll, avait fait état de recherches soulignant le rôle des infections dans la genèse de la leucémie infantile, notamment dans les régions où s’étaient produits des mélanges de population inhabituels, comme à Seascale, où une population très mobile d’un niveau socio-économique élevé se trouvait dans une zone rurale reculée. Le juge estima que la théorie consistant à attribuer la cause des maladies à de tels facteurs, associés au hasard, n’était pas moins plausible que l’hypothèse du Dr Gardner. Pour conclure, il déclara : « (...) d’après les éléments dont je dispose, la balance penche de manière décisive en faveur de l’autorité défenderesse, et les plaignants n’ont donc pas réussi à me convaincre que, tout bien pesé, l’irradiation paternelle antérieure à la conception soit l’une des causes essentielles à l’origine de l’incidence excessive constatée à Sellafield ni, en conséquence, de [leur maladie] » (Reay v. British Nuclear Fuels PLC ; Hope v. British Nuclear Fuels PLC, Medical Law Reports 1994, vol. 5, pp. 1–55 ; voir aussi l’article Childhood leukaemia and Sellafield : the legal cases (leucémie infantile et Sellafield : les cas de jurisprudence), Journal of Radiological Protection, vol. 14, n° 4, pp. 293–316). Iii. les Déclarations du royaume-uni au titre des articles 25 et 46 DE LA CONVENTION Le 14 janvier 1966, le Royaume-Uni déposa devant le Secrétaire général du Conseil de l’Europe la déclaration suivante : « (…) conformément aux dispositions de l’article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950, (…) le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord reconnaît, à l’égard du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord uniquement (…) pour la période allant du 14 janvier 1966 au 13 janvier 1969, la compétence de la Commission européenne des Droits de l’Homme à être saisie d’une requête adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe postérieurement au 13 janvier 1966, par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale, ou tout groupe de particuliers, qui, à raison d’un acte, d’une décision, de faits ou d’événements postérieurs à cette date, se prétend victime d’une violation des droits reconnus dans la Convention et dans le Protocole additionnel (…) » Le même jour, il déposa, au titre de l’article 46 de la Convention, une déclaration reconnaissant la juridiction de la Cour aux mêmes conditions. Ces deux déclarations ont été depuis renouvelées à plusieurs reprises. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête à la Commission (n° 23413/94) du 21 avril 1993, la requérante, invoquant les articles 2 et 3 de la Convention, se plaignait de n’avoir pas été prévenue des effets de l’irradiation alléguée de son père, ce qui a empêché toute surveillance de sa santé avant et après sa naissance, précaution qui aurait permis de diagnostiquer et soigner plus tôt sa maladie. En outre, elle affirmait avoir fait l’objet de mesures de harcèlement et de surveillance contraires à l’article 8. 22. La Commission a retenu la requête le 28 novembre 1995 dans la mesure où elle concernait les griefs fondés sur les articles 2 et 3, selon lesquels aucune information ni aucun conseil n’auraient été fournis aux parents de la requérante au sujet de l’irradiation alléguée de son père. Dans son rapport du 26 novembre 1996 (article 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il n’y a pas eu violation des articles 2 et 3. Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire et à l’audience, le Gouvernement demande à la Cour de conclure à la non-violation de la Convention. La requérante prie la Cour de dire qu’il y a eu violation des articles 2, 3, 8 et 13 de la Convention et de lui accorder une réparation au titre de l’article 50.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Né en 1935, M. Gian Carlo Fisanotti habite Cagliari. Il a été fonctionnaire public jusqu'à son départ anticipé à la retraite, le 31 juillet 1989. Le 13 juillet 1992, le requérant saisit la chambre régionale de la Cour des comptes pour la Sardaigne (« la chambre régionale ») afin d'obtenir une pension privilégiée : il prétendait que la maladie dont il souffrait était due à son travail. Le 11 novembre 1992, le dossier fut transmis au procureur général aux fins de l'instruction. A la suite de l'entrée en vigueur du décret-loi n° 232 du 17 juillet 1993 – supprimant l'intervention du ministère public dans le contentieux en matière de pensions –, le dossier fut retransmis à la chambre régionale le 28 juillet 1993. La première audience eut lieu le 28 janvier 1995. Par une ordonnance du même jour, déposée au greffe le 4 mars 1996, la chambre régionale demanda l'avis de la commission médico-légale auprès de l'hôpital militaire de Cagliari. Le 3 juin 1997, le requérant fut examiné par ladite commission. Le 6 octobre 1997, le président de la chambre régionale fixa l'audience au 11 février 1998. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Fisanotti a saisi la Commission le 28 avril 1994. Il se plaignait de la durée de la procédure engagée devant la Cour des comptes et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. La Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 32305/96) le 15 avril 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Le Gouvernement prie la Cour de juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Le requérant demande à la Cour de reconnaître la violation de cette disposition et de lui accorder une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen turc né en 1930, le requérant résidait, à l’époque des faits, dans le village de Gökdoğan (district de Durağan, province de Sinop). Au début du mois de septembre 1987, l’Administration nationale des eaux (« la DSİ » : Devlet Su İşleri), organisme étatique chargé, entre autres, de la conception de barrages, expropria deux terrains appartenant au requérant, sis dans le village de Gökdoğan (Sinop). A la suite de la construction du barrage hydro-électrique d’Altınkaya dans la vallée de Kızılırmak, lesdites terres, autrefois cultivées, furent en effet inondées, tout comme celles de plus de trois mille familles qui étaient également affectées par ce projet. Après le transfert de propriété des biens à l’administration, qui eut lieu le 4 septembre 1987, la DSİ versa au requérant 4 370 962 livres turques (TRL) au total, en contrepartie des deux terrains (1 380 000 TRL et 2 990 962 TRL respectivement). Le 2 octobre 1987, le requérant introduisit auprès du tribunal de grande instance de Durağan, pour chaque terrain, une action en augmentation de l’indemnité d’expropriation ; ces actions furent enregistrées sous les nos 87/2837 et 87/2828. Au cours des procédures, le tribunal ordonna deux expertises sur les lieux dans le but d’apprécier l’exactitude des montants fixés par l’administration expropriante. Pour établir leurs rapports, les deux comités d’experts se fondèrent sur les mêmes critères d’évaluation, à savoir ceux indiqués par la loi n° 2942 portant réglementation des expropriations. Comme toutefois les méthodes de calcul adoptées étaient différentes, les deux expertises aboutirent à des sommes divergentes, mais toutes deux plus élevées que celles versées par la DSİ au moment de l’expropriation. Les parties au litige sollicitèrent en vain une troisième expertise ; le tribunal considéra que les deux rapports présentés reposaient sur des critères conformes à la loi et contenaient des éléments suffisamment pertinents pour lui permettre de statuer. Ultérieurement, le requérant déclara par écrit accepter les sommes inférieures auxquelles aboutirent les experts. Le tribunal de grande instance prit acte de cet acquiescement et entérina les montants ainsi acceptés. S’agissant du recours n° 87/2837, le tribunal rendit le 22 juin 1989 une décision enjoignant la DSİ de verser une indemnité d’expropriation complémentaire de 3 089 130 TRL. Au titre du recours n° 87/2828, le tribunal alloua le 10 mai 1990 au requérant un complément de 3 895 692 TRL. Ces sommes étaient assorties d’intérêts moratoires simples au taux légal de 30 % l’an, à compter du 4 septembre 1987 (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour de cassation confirma lesdits jugements par des arrêts des 17 septembre 1990 et 6 septembre 1991 respectivement. L’indemnité complémentaire attribuée en l’affaire n° 87/2837 fut versée au requérant le 30 janvier 1992. Elle s’élevait à 7 097 276 TRL, dont 4 008 146 TRL au titre des intérêts moratoires échus au mois de décembre 1991. S’agissant de l’affaire n° 87/2828, l’intéressé perçut le 7 janvier 1993 une somme de 10 116 692 TRL, dont 6 221 000 TRL versés au titre des intérêts moratoires calculés jusqu’au mois de décembre 1992. ii. LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs A. La Constitution Dans sa partie pertinente, l’article 46 de la Constitution, relatif aux expropriations, dispose : « (...) L’indemnité d’expropriation sera versée au comptant et en espèces. (…) Au cas où la loi autoriserait des paiements à terme (…) la fraction n’ayant pas été payée au comptant sera assortie d’intérêts moratoires au taux maximum prévu pour les dettes de l’Etat (...) » A l’époque des faits, le taux des intérêts moratoires applicable aux créances de l’Etat était de 7 % par mois, soit 84 % par an (article 51 de la loi n° 6183 portant recouvrement des créances de l’Etat et arrêté n° 89/14915 du Conseil des ministres). B. La loi n° 3095 du 4 décembre 1984 En vertu de la loi n° 3095, le taux des intérêts moratoires dus pour le retard dans le règlement des dettes de l’Etat est de 30 % l’an. C. Le code des obligations L’article 105 du code des obligations (« CO ») prévoit : « Lorsque le préjudice subi par le créancier excède les intérêts moratoires, le débiteur est (…) tenu de le réparer, sauf s’il démontre qu’aucune faute ne lui est imputable. Si le préjudice excédentaire est susceptible d’être évalué sur-le-champ, le juge peut en fixer le montant lorsqu’il statue au fond. » En pratique, le dommage dont la réparation peut être réclamée en vertu de cette disposition est celui qui survient par l’intervalle entre la date de l’échéance et celle du paiement de la créance en question. D. La jurisprudence de la Cour de cassation Dans son arrêt du 3 juin 1991, la cinquième chambre civile de la Cour de cassation, compétente en matière d’expropriations, se prononça comme suit : « Ce qui compense le retard dans le règlement des créances, ce sont les intérêts moratoires. Etant donné que l’exécution forcée permet au créancier de demander ce qui lui est dû, majoré des intérêts, il n’est pas en droit d’exiger une autre compensation à titre indemnitaire ; partant, la décision faisant droit à la demande du créancier, au motif que le taux de l’inflation était élevé, s’avère mal fondée (...) » Le Gouvernement se réfère à un autre arrêt rendu par la même chambre (arrêt n° 96/13828 du 22 octobre 1996), laquelle aurait accueilli une demande en réparation au titre de l’article 105 CO. Cette jurisprudence porte sur les préjudices excédentaires allégués résultant du retard dans le remboursement par l’administration d’une somme qui lui avait été indûment versée. Cependant, les prétentions formulées à ce titre reposaient, dans cette affaire, sur le fait que pour régler le montant indû, l’intéressé s’était vu obligé de résilier un placement à terme, ce qui avait entraîné une perte d’intérêts. Cela étant, en dehors du domaine de l’expropriation, la pratique de la Cour de cassation, notamment celle de la treizième chambre (voir les arrêts nos 95/267 et 96/9985), semble être d’admettre la réparation de pareils dommages en vertu de l’article 105 CO dans le cas de litiges entre particuliers. Sur ce point, il convient de rappeler que les comités présidentiels de la Cour de cassation, chargés de l’harmonisation de la jurisprudence, ont tendance à rejeter les moyens tirés par les justiciables de la disparité entre la pratique des diverses chambres, au motif que les solutions sont adoptées au cas par cas, à la lumière des circonstances particulières de chaque espèce, et que dès lors elles ne nécessitent pas d’harmonisation. Par un arrêt de principe du 23 février 1994, la chambre plénière de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur les effets préjudiciables de l’inflation. Elle considéra : « La loi n° 3095 a été approuvée et est entrée en vigueur alors que l’inflation dans le pays était forte, avec un taux qui dépassait largement les 30 %. Malgré cela, le législateur a voulu que le taux des intérêts moratoires soit de 30 %. Pour ce motif, dans l’affaire examinée, il n’est pas conforme au droit, en invoquant les intérêts attachés aux dépôts bancaires, de dépasser par une voie détournée le taux de 30 %. » Le 19 juin 1996, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un autre arrêt de principe, par lequel elle a tranché la question de l’applicabilité de l’article 105 CO (paragraphe 19 ci-dessus) aux prétentions formulées au titre du préjudice subi en raison de l’inflation ; elle se prononçait en ces termes : « (…) le taux d’intérêt prévu par la loi n° 3095 (…) est une indemnité forfaitaire couvrant les dommages sans qu’il y ait besoin de les démontrer (…). Dès lors que le taux des intérêts moratoires (le préjudice dû au retard dans le paiement) est fixé par la loi, en tenant compte des problèmes économiques (inflation, baisse de la valeur monétaire (…)) dans lesquels le pays se trouve, il est impossible de faire valoir les mêmes éléments (inflation, baisse de la valeur monétaire (…)) en tant que preuves évidentes du préjudice excédentaire évoqué à l’article 105 du code des obligations, ni d’affirmer que les désavantages qui en résultent constituent le préjudice réel subi. Sinon, le constat du législateur que la contrepartie desdits désavantages serait de 30 %, n’aurait plus aucun sens. Lorsque le législateur, en considérant l’ensemble des problèmes économiques, a fixé, en vertu du pouvoir législatif que lui confère la Constitution, le taux de la réparation du dommage issu desdits problèmes, on ne saurait accepter que le dommage à réparer ne s’élève pas à 30 %, mais à 60 ou 70 %, au motif implicite que ladite appréciation [du législateur] s’avérerait mal fondée. (…) Il est évident que l’inflation qui se fait considérablement sentir dans la conjoncture économique actuelle de notre pays, excède [le taux de] 30 % prévu par (…) la loi n° 3095, et que [par conséquent] le préjudice subi par le créancier du fait d’un règlement tardif demeure non couvert. Toutefois, ce préjudice excédant le taux de 30 % fixé par le législateur n’est pas celui dont il est question à l’article 105 du code des obligations (…). Lorsque le législateur, en vertu de son pouvoir législatif, a considéré que ledit dommage s’élèverait à 30 %, l’augmentation de celui-ci à des taux plus élevés par une décision judiciaire, au motif que l’inflation dépasse les 30 %, constituerait un empiétement de compétence (…) » En pratique, les arrêts de principe lient les juges appelés à statuer sur des litiges soulevant des questions analogues à celles déjà examinées par la chambre plénière de la Cour de cassation. E. Données économiques En janvier 1992 et 1993, le cours moyen du dollar américain était, selon les taux de change appliqués par la Banque centrale de Turquie, de 5 332,59 et 8 711,80 TRL respectivement. Les effets de l’inflation en Turquie sont indiqués sur les listes de l’indice des prix de détail publiées par l’Institut des statistiques de l’Etat. D’après la liste pertinente, en prenant le chiffre « 100 » comme indice de base pour les mois de septembre–octobre 1987 (période où la propriété des biens expropriés fut transférée à l’administration et où le tribunal de grande instance de Durağan fut saisi – paragraphes 10–11 ci-dessus), l’indice de l’inflation au mois de janvier 1992 (période de versement de l’indemnité complémentaire dans l’affaire n° 87/2837 – paragraphe 16 ci-dessus) atteint le chiffre « 1006,06 » et celui du mois de janvier 1993 (versement analogue dans l’affaire n° 87/2828 – paragraphe 16 ci-dessus) le chiffre « 1783,48 ». PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Aka a saisi la Commission le 15 août 1991. Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1, il se plaignait d’une atteinte au droit au respect de ses biens résultant de l’insuffisance des indemnités complémentaires attribuées par le tribunal de grande instance de Durağan et des intérêts moratoires les accompagnant. Il faisait également grief de ce que la durée des procédures devant ledit tribunal aurait méconnu l’article 6 § 1 de la Convention. Le 16 janvier 1996, la Commission a déclaré irrecevables les griefs tirés de la durée des procédures (article 6 § 1) ainsi que de l’insuffisance des indemnités allouées (article 1 du Protocole n° 1). En revanche, le 14 octobre 1996, elle a retenu la requête (n° 19639/92) en sa partie portant sur l’insuffisance du taux des intérêts moratoires appliqué aux compléments d’indemnités en question. Dans son rapport du 9 septembre 1997 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 1 du Protocole n° 1. Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le requérant invite la Cour à conclure à la violation de l’article 1 du Protocole n° 1 et à lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. De son côté, le Gouvernement prie la Cour, à titre principal, de rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes et, à titre subsidiaire, de constater que les faits de la cause n’ont pas emporté violation des droits garantis par l’article 1 du Protocole n° 1.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Né aux Pays-Bas en 1943, le requérant réside actuellement en Belgique. A la fin des années 70 et au début des années 80 il était le gérant, notamment, des entreprises de nettoyage S. et S.N., toutes deux constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée. En septembre 1980, le fisc néerlandais contrôla les comptes d’une autre entreprise de nettoyage, W.N. Ce contrôle fit apparaître que W.N. était un sous-traitant des sociétés S. et S.N. Entre 1981 et 1984, le fisc contrôla les comptes des sociétés S. et S.N. ainsi que ceux de tous leurs sous-traitants. Le 31 décembre 1981, l’inspecteur des impôts notifia le premier d’une série de redressements fiscaux aux sociétés dont le requérant était le gérant. Les sommes réclamées au titre des redressements furent majorées de 100 % à titre de pénalité, le fisc estimant qu'il y avait eu renvoi de déclarations fiscales inexactes (paragraphe 23 ci-dessous). Les sociétés en cause attaquèrent les redressements par des procédures qui ne présentent aucun intérêt direct pour l’affaire dont la Cour se trouve saisie. Le 28 juin 1982 eut lieu entre deux inspecteurs de la division du contrôle des impôts directs (Afdeling Controle der Directe Belastingen) de La Haye et l’avocat de la société S.N. une discussion au cours de laquelle M. H. – le comptable de la société – et le requérant furent invités à répondre à un certain nombre de questions posées par lesdits inspecteurs. En mai 1984, la division du contrôle des impôts directs de La Haye confia au service de renseignements et d'investigations en matière fiscale (Fiscale inlichtingen- en opsporingsdienst – le « FIOD ») l’enquête au sujet, notamment, des sociétés dont le requérant était le gérant. Le 14 juin 1984, le FIOD interrogea le requérant en qualité de suspect (verdachte). Au cours du même mois, il saisit les comptes de l’intéressé pour les besoins de l’enquête. Entre le 27 février 1985 et le 10 juin 1986, il interrogea aux mêmes fins quelque soixante-dix personnes. Le 8 mai 1985, le requérant fut arrêté pour fraude présumée et placé en détention provisoire. Il fut libéré sous conditions le 17 juin 1985. Les conditions dont son élargissement était assorti, parmi lesquelles figurait la constitution d’une garantie bancaire de 200 000 florins néerlandais (NLG), furent levées le 11 décembre 1985. Le 10 mai 1985 fut ouverte à son encontre une information judiciaire (gerechtelijk vooronderzoek) au cours de laquelle le juge d’instruction l'entendit à quatre reprises. Le magistrat interrogea en outre vingt-cinq témoins et trois experts, la plupart d’entre eux à la demande du requérant. L’information judiciaire fut clôturée en janvier 1989. Le requérant fut par la suite cité à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de La Haye le 13 avril 1989, pour y répondre de cinq chefs de fraude et d’un chef d’association de malfaiteurs. Il déposa une réclamation (bezwaar) contre l’assignation, mais en fut débouté après une audience tenue à huis clos. Le 18 mai 1989, le tribunal d’arrondissement commença son examen au fond des accusations. Il organisa de nouveaux débats le 27 juillet 1989. Le 10 août 1989, il acquitta le requérant sur le chef d’association de malfaiteurs mais le reconnut coupable sur les cinq chefs de fraude. Il le condamna à une peine d’emprisonnement de vingt-quatre mois, dont six avec sursis pendant une période probatoire de deux ans, ainsi qu’à une amende de 500 000 NLG. Il imputa sur la peine d'emprisonnement le temps passé en détention provisoire. Tant le requérant que le procureur attaquèrent ce jugement devant la cour d’appel (gerechtshof) de La Haye. Le 11 juillet 1991, celle-ci infirma le jugement du tribunal d’arrondissement, condamnant le requérant sur trois chefs de fraude et l’acquittant sur les deux autres. Conformément à l’article 63 du code pénal (Wetboek van Strafrecht – paragraphe 26 ci-dessous), elle prit en compte une autre condamnation, intervenue dans l’intervalle, et condamna l’intéressé à six mois d’emprisonnement, dont trois avec sursis pendant une période probatoire de deux ans, ainsi qu’à une amende de 25 000 NLG. Au sujet de l’argument selon lequel les poursuites devaient être déclarées caduques au motif qu’il n’avait pas été statué dans un délai raisonnable sur les accusations portées, la cour d’appel estima que la procédure pénale avait commencé le 14 juin 1984, date à laquelle le requérant avait été interrogé pour la première fois en qualité de suspect. Elle déclara par ailleurs : « L’affaire concerne la gestion d’une série de sociétés à responsabilité limitée étroitement liées entre elles qui cherchaient à dissimuler ces liens. Lorsque s’ouvrit l’enquête concernant le suspect, cet élément n’était pas encore du tout clair et il n’était pas évident non plus que des fausses factures avaient été utilisées (...) Eu égard à la complexité de l’enquête, le délai raisonnable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’a pas été dépassé à ce stade de la présente espèce. (…) La défense impute la durée excessive de l’instruction préparatoire, entre autres, à la qualité insuffisante des investigations menées par le FIOD et au temps limité dont a disposé le juge d’instruction. Quoi qu’il en soit, la durée de l’instruction trouve sa cause principale dans le souhait de la défense de voir à nouveau interroger de manière très approfondie de nombreux témoins ayant déjà été entendus. Si certains aspects de l’enquête menée par le FIOD peuvent prêter à critique, les autorités judiciaires ne sont certainement pas entièrement, ni même dans une large mesure, responsables du fait que cette affaire complexe a pris beaucoup de temps. Le délai raisonnable n’a pas davantage été dépassé dans la procédure d’appel, eu égard, d’une part, à la durée de celle-ci et, d’autre part, à la gravité des faits reprochés. Compte tenu de l’ensemble des circonstances précitées, la durée totale de la procédure suivie à ce jour n’est pas déraisonnable. La cour renvoie à ce qu’elle a déclaré ci-dessus à propos de la complexité de l’affaire. » En ce qui concerne la peine à infliger, la cour d’appel déclara notamment : « D’une part, la cour estime qu’une peine d’emprisonnement ferme se justifie à tous égards, compte tenu de la gravité des faits prouvés. De fait, le suspect était le gérant de S. et S.N. En cette qualité il a pendant longtemps, pour le profit de ses sociétés et/ou des personnes en assumant la direction, éludé le versement d'une grande partie des cotisations de sécurité sociale et de l’impôt sur les sociétés, le tout au détriment de tiers. D’autre part, la cour prend en considération le temps qui s’est écoulé depuis la commission des infractions. Aussi inflige-t-elle à l’intéressé une peine d’emprisonnement et une amende. La peine d’emprisonnement, dont la durée sera précisée ci-dessous, est pour moitié assortie du sursis. » Saisie ultérieurement d’un pourvoi par le requérant, la Cour de cassation (Hoge Raad) le rejeta le 1er décembre 1992. Elle fit sien le raisonnement de la cour d’appel au sujet du grief de l’intéressé consistant à dire que la décision sur les accusations dirigées contre lui n’était pas intervenue dans un délai raisonnable, d’autant que, d’après lui, la procédure aurait dû être réputée avoir débuté le 31 décembre 1981. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions normatives L’article 20 § 1 de la loi générale de 1959 relative aux impôts du royaume (Algemene wet inzake rijksbelastingen) prévoit la notification d’un redressement fiscal lorsqu’un impôt pour lequel le contribuable a l’obligation de remplir une déclaration (die op aangifte behoort te worden voldaan of afgedragen) n’est pas, ou pas intégralement, acquitté. En pareil cas, il est en outre infligé une pénalité fiscale (article 21 § 1). L’article 68 de la loi incrimine, notamment, le fait de renvoyer délibérément une déclaration d’impôts incomplète ou de falsifier ou de dissimuler au fisc des informations dont le droit fiscal rend la communication obligatoire. La falsification de documents constitue une infraction réprimée par l’article 225 du code pénal. 26. L’article 63 du même code dispose que si une personne ayant subi une condamnation est à nouveau condamnée pour une infraction commise avant la première condamnation, la peine infligée au titre de la première condamnation doit être prise en considération lors de la fixation de celle à prononcer au titre de la seconde, comme si l’accusé avait été jugé pour les deux infractions en même temps. Ainsi, d’après le code (articles 57 et 58), l’amende maximale pouvant être prononcée représente la somme des amendes pouvant être imposées pour chaque infraction, mais la peine maximale d’emprisonnement correspond à la peine maximale pouvant être infligée pour l’infraction punissable de la plus longue peine, majorée d’un tiers. B. Procédure Le code de procédure pénale Le procureur est chargé de rechercher les infractions commises dans le ressort du tribunal d’arrondissement auquel il est attaché (article 148 § 1). Il a le pouvoir d’ordonner à des autorités subordonnées d’effectuer des investigations (article 148 § 2). Si, sur la base de celles-ci, il estime que des poursuites s’imposent, il agit en conséquence (article 167 § 1). La procédure est réputée commencer lorsque l’accusé est assigné à comparaître à l’audience (article 258 § 1) ou lorsque le procureur demande l’ouverture d’une information judiciaire (voir le paragraphe suivant). Le procureur peut inviter le juge d’instruction à ouvrir une information judiciaire (article 149). Il doit alors indiquer l’infraction présumée et, si possible, le nom du suspect (article 181 § 1). Si le juge d’instruction accède à la requête, il doit entendre le suspect (article 200). Il est habilité à prescrire la comparution de témoins (articles 210 et 213) et d’experts (article 227), et à ordonner aux autorités compétentes d’effectuer d’autres investigations (article 177 § 1). L’article 180 du code de procédure pénale impose à la juridiction de jugement l’obligation de veiller à ce que l’instruction préparatoire ne subisse pas de retard inutile. La juridiction de jugement peut, soit d’office soit à la demande du procureur ou du prévenu, se faire remettre les pièces de la procédure et ordonner la clôture immédiate ou à bref délai de l’instruction. La loi générale sur les impôts du royaume S’il s’est vu infliger une pénalité fiscale au titre de l’article 21 de la loi générale de 1959 sur les impôts du royaume (paragraphe 23 ci-dessus), le contribuable a la faculté de saisir l’inspecteur des impôts compétent d’une réclamation (bezwaarschrift ; article 23). La décision de l’inspecteur est susceptible d’un recours devant la chambre fiscale de la cour d’appel (article 26). Il est toutefois également loisible au contribuable de former un recours directement auprès de ladite chambre fiscale, sans saisir au préalable l’inspecteur des impôts (article 26 § 2). Par ailleurs, la loi générale sur les impôts du royaume comporte des dispositions procédurales dérogeant comme lex specialis au code de procédure pénale et qui peuvent être appliquées dans les affaires où des infractions fiscales sont présumées avoir été commises. Si le procureur conserve sa compétence au titre du code de procédure pénale, les enquêtes au sujet d’infractions fiscales peuvent également être ordonnées et menées par les autorités fiscales. Celles-ci peuvent transmettre le dossier au procureur si elles jugent l’ouverture de poursuites souhaitable, c’est-à-dire, pour les besoins de la présente espèce, si elles ne désirent pas faire jouer l’article 21 (paragraphe 23 ci-dessus) mais plutôt l’article 68 (paragraphe 24 ci-dessus). Elles y sont tenues, notamment, si elles ont saisi des documents. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Hozee a saisi la Commission le 26 mai 1993. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il dénonçait la durée de la procédure pénale intentée à son encontre. La Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête (n° 21961/93) recevable le 28 février 1996. Dans son rapport du 9 avril 1997 (article 31), elle formule l’avis unanime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à dire que les faits de l'espèce révèlent une violation par l'Etat défendeur de l'article 6 § 1 de la Convention. Dans le sien, le Gouvernement demande à la Cour de conclure en sens inverse.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Introduction La première requérante, Mme Keje Selçuk, est née en 1939. Elle est veuve et mère de cinq enfants. Le second requérant, M. İsmet Asker, est né en 1933. Il est l'époux de Mme Fatma Asker et a sept enfants. Jusqu'en juin 1993, les deux requérants, ressortissants turcs d'origine kurde, habitaient le village d'İslamköy, mais ils ont depuis déménagé à Diyarbakır. 9. Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de l'ordre et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Selon les chiffres les plus récents communiqués par le Gouvernement, ce conflit a coûté la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de l'ordre. A l'époque de l'examen de l'affaire par la Cour, dix des onze provinces de la région du Sud-Est de la Turquie étaient soumises depuis 1987 au régime de l'état d'urgence. İslamköy, localité de quelque 150 foyers dispersés, se trouve dans une région montagneuse du district de Kulp, dans la province de Diyarbakır (Sud-Est de la Turquie), dans la région soumise à l'état d'urgence ; le village est situé à proximité d'une route empruntée par les membres du PKK. Les faits sont controversés. B. La version des faits donnée par les requérants Selon les requérants, des membres des forces de l'ordre de Kulp, placés sous le commandement du commandant du poste de gendarmerie de Kulp, Recep Cömert, ont délibérément incendié leurs maisons à İslamköy le 16 juin 1993 puis, dix jours plus tard, sont revenus pour mettre le feu au moulin dont Mme Selçuk était copropriétaire. Les requérants déclarent que, quelques mois auparavant, les forces de l'ordre avaient menacé les villageois de détruire certaines de leurs maisons, au motif qu'elles servaient au PKK, s'ils ne quittaient pas İslamköy ; les villageois ont toutefois cru comprendre par la suite que cette menace avait été retirée. Selon les intéressés, le 16 juin 1993 au matin un grand nombre de militaires arrivèrent néanmoins à İslamköy, sous le commandement du commandant Cömert, qu'ils connaissaient sous le nom de « Recep » puisqu'il s'était déjà rendu au village plusieurs fois. Les militaires allèrent d'abord chez M. et Mme Asker ; ils entrèrent de force dans la maison et la fouillèrent, et ils ordonnèrent aux Asker d'enlever leurs affaires. Alors que ces deux personnes se trouvaient à l'intérieur et tentaient de sauver leurs meubles et leurs autres biens, ils s'aperçurent que les soldats avaient mis le feu à la maison. M. Asker a dit aux délégués de la Commission (paragraphe 26 ci-dessous) que si sa femme et lui n'avaient pu s'échapper par une porte donnant sur la grange à l'arrière de la maison, ils auraient été asphyxiés. Les militaires empêchèrent les villageois qui tentaient d'éteindre le feu de le faire. La maison, la grange et tous les biens de M. Asker, y compris ses provisions et ses peupliers, furent détruits. 14. Les membres des forces de l'ordre se rendirent ensuite chez Mme Selçuk. Ils la chassèrent ainsi que les enfants de voisins qui se trouvaient chez elle, répandirent de l'essence sur la maison et y mirent le feu. Les villageois furent là encore empêchés de prêter leur aide ; le commandant Cömert repoussa Mme Selçuk et lui fit comprendre qu'elle devait quitter le village. Elle passa la nuit chez une voisine à İslamköy et partit le lendemain vivre chez sa fille à Diyarbakır. Environ dix jours plus tard, vers le 25 juin 1993, les forces de l'ordre revinrent au village et mirent le feu au moulin appartenant à Mme Selçuk et trois autres personnes. Ils incendièrent encore trois autres maisons, dont deux furent détruites. Le beau-frère de Mme Selçuk, M. Nesih Selçuk, lui téléphona à Diyarbakır pour lui apprendre la nouvelle. M. et Mme Asker quittèrent İslamköy vers le 25 juin 1993 ; ils aperçurent alors la fumée des incendies. Ils se rendirent d'abord à Kulp, où M. Asker déposa plainte auprès du gouverneur de district ; il indiqua les dommages causés par les forces de l'ordre, précisant que le commandant de l'opération s'appelait « Recep ». Le gouverneur accepta apparemment la plainte et la communiqua à la police, mais M. Asker n'eut jamais de réponse. L'élu (muhtar) d'İslamköy à l'époque, M. Sait Memiş, aurait lui aussi informé le gouverneur de district de l'incendie des maisons dix jours environ après l'incident, mais en imputant l'incendie au PKK. C. La version des faits donnée par le Gouvernement Dans sa déposition devant les délégués de la Commission (paragraphe 26 ci-dessous), le commandant Cömert expliqua avoir commandé la gendarmerie centrale de Kulp du 15 juillet 1991 au 3 août 1993. Il se serait rendu à İslamköy à trois reprises et connaissait M. Asker ainsi que la plupart des autres habitants. En revanche, il ne serait pas allé au village en juin 1993 et on ne lui aurait signalé aucun incendie de maisons à cette époque. Lorsque les délégués lui demandèrent pourquoi, selon lui, les requérants avaient indiqué son nom, il répondit que des allégations mensongères de ce genre avaient été proférées contre lui par le passé dans des journaux et un livre. Le Gouvernement prétend que les plaintes des requérants ont été fabriquées par d'autres et qu'ils agissent sous l'influence du PKK et/ou dans le but d'obtenir de l'argent. Il affirme que les maisons et autres biens des requérants furent détruits par le PKK, qui entendait se substituer à l'Etat dans la région, à titre de sanction et d'avertissement car d'une manière générale les villageois entretenaient de bonnes relations avec les forces de l'ordre. Les deux requérants en particulier étaient des citoyens respectueux de la loi qui n'avaient aucun antécédent d'activité antigouvernementale. A l'époque des événements en cause, le fils de M. Asker accomplissait son service militaire, occupation que le PKK exhortait les gens de la région à éviter ; un fils de Mme Selçuk était dans l'armée, un autre dans la fonction publique. Le Gouvernement doute que le moulin de Mme Selçuk ait vraiment été incendié mais, si tel est le cas, il dément que ce soit le fait des forces de sécurité. Il conteste en outre que M. Asker ait porté plainte auprès du gouverneur du district de Kulp, puisque l'intéressé ne peut produire aucun reçu et qu'aucune plainte de ce genre n'a été consignée dans les registres. D. Procédure devant les autorités nationales Après la communication des requêtes par la Commission au Gouvernement le 15 avril 1994, il apparaît que le ministère de la Justice (direction générale du droit international et des relations extérieures) prit contact avec le parquet général de Diyarbakır, lequel demanda à son tour par une lettre du 4 mai 1994 au parquet de Kulp si les requérants s’étaient adressés à lui et lui enjoignant, dans le cas contraire, d’ouvrir une enquête. Comme on ne retrouvait pas trace de plaintes des requérants, le procureur de Kulp ouvrit une enquête sous le numéro de dossier 1994/57. Par une lettre du 11 mai 1994, il chargea la gendarmerie de Kulp de rechercher l’adresse des requérants afin de les inviter à se présenter au parquet dès que possible. Par un courrier du 18 mai 1994, le procureur demanda au gouverneur de district si M. Asker avait déposé plainte auprès de lui. Par une lettre du 26 mai 1994, M. Ali Ergulmez, capitaine de gendarmerie, répondit au nom du gouverneur que l’examen des registres montrait que M. Asker n’avait déposé aucune plainte. Le parquet recueillit la déposition de M. Asker le 20 juin 1994, et celle de Mme Selçuk le lendemain. Le 18 août 1994, le procureur adressa au commandant de la gendarmerie du district une demande urgente de renseignements sur le point de savoir si une opération dirigée par le commandant Cömert avait eu lieu à İslamköy le 16 juin 1993 et si les maisons des requérants avaient été incendiées par les forces de l'ordre. Les documents contenus dans le dossier d’enquête communiqué à la Commission ne comportent aucune réponse à ces questions. Il ressort également du dossier que ni les auteurs présumés des incendies ni d'autres villageois qui auraient pu être témoins des événements ne furent entendus. Le 30 novembre 1994, le procureur, M. Erdal Yatmis, se déclara incompétent ; selon lui, l'affaire concernait des allégations de dommages matériels qui auraient été causés durant l'hiver 1993 lors d'un violent affrontement entre les forces de l'ordre et le PKK ; les premières ayant été impliquées dans le cadre de leurs fonctions administratives, c'était le conseil administratif (paragraphe 44 ci-dessous) qui était compétent. Conformément à cette décision, le dossier fut communiqué au gouverneur du district de Kulp le 30 novembre 1995. E. Constatations de la Commission La Commission a procédé à une enquête, avec l'aide des parties, et a admis des preuves littérales, dont les déclarations écrites des témoins et les copies de la main courante de la gendarmerie de Kulp pour les périodes en cause. Trois délégués de la Commission recueillirent les dépositions orales de dix témoins à Ankara en février 1996, à savoir les requérants, l'épouse de M. Asker et le beau-frère de Mme Selçuk, cinq autres anciens habitants d'İslamköy ou des hameaux avoisinants (Necmettin Korkmaz, Tevfik Karaaslan, Sait Memiş, Celal Şeker et Şah Şimşek) ainsi que le commandant Cömert. Quatre des témoins cités à comparaître ne se présentèrent pas, parmi lesquels les procureurs de Lice et de Kulp (paragraphe 25 ci-dessus). En outre, en dépit des demandes réitérées du secrétariat et des délégués de la Commission, le Gouvernement n'a pas produit l'ensemble des procès-verbaux relatifs aux activités des forces de l'ordre dans le district de Kulp en juin 1993. Quant aux dépositions orales, la Commission est consciente des difficultés inhérentes à l'évaluation d'éléments obtenus oralement par l'intermédiaire d'interprètes (dans certains cas, via le kurde et le turc vers l'anglais). Elle a donc prêté une attention toute particulière à la signification et à l'importance à donner aux déclarations des témoins qui ont comparu devant ses délégués. S'agissant des éléments présentés par écrit et oralement, la Commission a conscience du fait qu'une certaine imprécision quant aux dates et à d'autres détails (notamment en ce qui concerne les données numériques) est inévitable, compte tenu du milieu culturel des requérants et des témoins, et estime que cela n'affecte pas en soi la crédibilité des témoignages. Les constatations de la Commission peuvent se résumer ainsi. Le 16 juin 1993 en début de matinée, un important détachement de gendarmes arriva au village d'İslamköy. Plusieurs d'entre eux, apparemment sous le commandement du commandant Cömert, se rendirent à la maison de M. Asker. Cette maison fut incendiée et détruite comme la majeure partie des biens qui s'y trouvaient. M. et Mme Asker se précipitèrent à l'intérieur pour essayer de sauver leurs biens, soit juste avant que les gendarmes ne missent le feu à la maison en l'aspergeant d'essence, soit au moment même où le feu a été allumé ; il n'est pas établi que la maison ait été incendiée après que M. et Mme Asker furent entrés. Des villageois accoururent pour voir ce qui se passait, mais les gendarmes les empêchèrent d'éteindre les flammes. Un certain nombre de gendarmes, dont le commandant Cömert, se rendirent alors à la maison de Mme Selçuk. En dépit des protestations de celle-ci, sa maison fut aspergée d'essence puis incendiée par le commandant Cömert ou sur son ordre. Les villageois, parmi lesquels deux des personnes qui ont déposé devant les délégués de la Commission, furent empêchés d'éteindre l'incendie. La maison de Mme Selçuk fut entièrement détruite avec tout ce qu'elle contenait. M. et Mme Asker quittèrent le village rapidement et y revinrent environ dix jours plus tard. Mme Selçuk passa une ou plusieurs nuits dans le village puis partit chez sa fille à Diyarbakır. Vers le 26 juin 1993, un détachement de gendarmes arriva à İslamköy ; des témoins les ont aperçus sur la route près du village et dans celui-ci. Le moulin appartenant à Mme Selçuk et à d'autres personnes, construit sur le bord d'un cours d'eau traversant le village, fut incendié et détruit. Au moment de ces événements, des témoins aperçurent le commandant Cömert et des gendarmes devant le moulin. M. Asker déposa plainte auprès du gouverneur du district de Kulp pour la destruction de sa maison et formula une requête. Aucune suite n'y a été donnée. Après ces événements, Mme Selçuk ainsi que M. et Mme Asker ont déménagé pour s'installer de façon permanente à Diyarbakır. Le village d'İslamköy a été entièrement abandonné à la fin de 1994 car le PKK y était de plus en plus actif. II. Le droit et la pratique INTERNES pertinents A. Responsabilité administrative L’article 125 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d’état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d’apporter la preuve de l’existence d’une faute de l’administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur une notion de responsabilité collective et appelée théorie du « risque social ». L’administration peut donc indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l’on peut dire que l'Etat a manqué à son devoir de maintenir l’ordre et la sûreté publique, ou à son obligation de sauvegarder la vie et la propriété individuelles. Ce principe de la responsabilité administrative s’exprime à l’article 1 additionnel de la loi n° 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, ainsi libellé : « (...) les actions en réparation touchant l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi doivent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives. » B. Responsabilité pénale Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de contraindre un individu par la force ou la menace à commettre ou ne pas commettre un acte (article 188) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de procéder illégalement à une perquisition domiciliaire (articles 193 et 194) ; – de provoquer un incendie (articles 369, 370, 371, 372) ou un incendie aggravé par la mise en péril de vies humaines (article 382) ; – de provoquer un incendie involontaire par imprudence, négligence ou inexpérience (article 383) ; ou – d’endommager volontairement les biens d’autrui (articles 526 et suivants). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. Conformément aux articles 86 et 87 du code militaire, lorsque les auteurs présumés des actes incriminés sont des militaires, ils peuvent être poursuivis pour préjudice important, et atteinte à la vie humaine ou à des biens matériels, s’ils n’ont pas obéi aux ordres. Dans ces circonstances, les victimes (civiles) peuvent engager des poursuites devant les autorités compétentes, conformément au code de procédure pénale, ou devant le supérieur hiérarchique des personnes soupçonnées (articles 93 et 95 de la loi n° 353 sur la composition et la procédure des juridictions militaires). Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de l'Etat, l’autorisation d’engager des poursuites doit être délivrée par le conseil administratif local (comité exécutif de l’assemblée provinciale). Les décisions des conseils administratifs locaux sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat ; le classement sans suite est automatiquement susceptible d’un recours de ce type. C. Dispositions relatives à l’indemnisation Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral peut faire l’objet d’une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Des poursuites peuvent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite. Les dommages résultant d’actes terroristes peuvent être indemnisés par le Fonds d’aide et de solidarité sociale. D. Dispositions relatives à l’état d’urgence Des décrets – notamment le décret n° 285, tel que modifié par les décrets nos 424, 425, et le décret n° 430 –, pris en application de la loi n° 2935 du 25 octobre 1983 sur l'état d'urgence, confèrent de larges pouvoirs au gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence. Le décret n° 285 modifie l’application de la loi n° 3713 de 1981 relative à la lutte contre le terrorisme dans les régions soumises à l’état d’urgence. La décision de poursuivre des membres des forces de sécurité ne relève ainsi plus du procureur de la République mais des conseils administratifs locaux. Selon la Commission, ces conseils, composés de fonctionnaires, sont critiqués pour leur manque de connaissances juridiques et pour la facilité avec laquelle ils se laissent influencer soit par le gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence soit par les gouverneurs des provinces, qui commandent également les forces de l'ordre. 45. L’article 8 du décret n° 430 du 16 décembre 1990 dispose : « La responsabilité pénale, financière ou juridique du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou du gouverneur d’une province soumise à l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l'Etat des dommages injustifiés subis par elle. » Selon les requérants, cet article accorde l’impunité aux gouverneurs et renforce les pouvoirs du gouverneur de région, qui peut ordonner l’évacuation temporaire ou définitive de villages, imposer des restrictions quant à la résidence et organiser des transferts de population vers d’autres régions. Les dommages infligés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme seraient « justifiés », ce qui mettrait leurs auteurs à l’abri de poursuites. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leurs requêtes (nos 23184/94 et 23185/94) introduites devant la Commission le 15 décembre 1993, les requérants, invoquant les articles 3, 5, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention et 1 du Protocole n° 1, se plaignaient de l'incendie de leurs maisons par les forces de l'ordre de l'Etat vers le 16 juin 1993 et d'avoir dû en conséquence quitter leur village. La première requérante alléguait également que les forces de l'ordre avaient détruit vers le 26 juin 1993 un moulin dont elle était copropriétaire. Le second requérant affirmait en outre que sa vie avait été exposée lors de l'attaque dirigée contre sa maison, au mépris de l'article 2 de la Convention. La Commission a retenu la requête de Mme Selçuk le 3 avril 1995 et celle de M. Asker le 28 novembre 1994. Elle les a jointes le 8 mars 1996. Dans son rapport du 28 novembre 1996 (article 31), elle formule l'avis que : a) il y a eu violation de l'article 8 de la Convention (unanimité) ; b) il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (unanimité) ; c) il y a eu violation de l'article 3 de la Convention (vingt-sept voix contre une) ; d) il n'y a pas eu violation de l'article 2 concernant le second requérant (unanimité) ; e) il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 (unanimité) ; f) il y a eu violation de l'article 6 § 1 (vingt-six voix contre deux) ; g) il y a eu violation de l'article 13 (vingt-six voix contre deux) ; h) il n'y a pas eu violation de l'article 14 (unanimité) ; i) il n'y a pas eu violation de l'article 18 (unanimité). Le texte intégral de l'avis de la Commission ainsi que des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire et à l'audience, le Gouvernement a invité la Cour à constater que les requêtes auraient dû être déclarées irrecevables aux motifs qu'elles n'avaient pas été valablement introduites et que les voies de recours internes n'avaient pas été épuisées ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de la Convention en l'espèce puisque les dépositions recueillies par la délégation de la Commission n'avaient pas étayé les allégations des requérants. Les intéressés, quant à eux, demandent à la Cour de constater des violations des articles 3, 6, 8, 13, 14 et 18 de la Convention et 1 du Protocole n° 1, et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention.
0
0
1
0
0
1
0
0
1
1
Né en 1924, M. S.R. habite Livourne. Il a été fonctionnaire public jusqu'en 1984, année de son départ à la retraite. Le 27 juillet 1988, le requérant saisit la Cour des comptes à Rome afin d'obtenir l'annulation de décisions du ministre des Transports et de la Société nationale des chemins de fer italiens, qui avaient rejeté sa demande visant à obtenir la prise en considération d'une période de travail d'environ un an pour le calcul du montant de sa pension. La première audience fut fixée au 16 mai 1990, mais dut être renvoyée afin de permettre au ministère public de déposer ses conclusions, ce qu'il fit le 6 septembre 1990. A l'issue de l'audience du 12 juin 1991, la cour ordonna à la Sécurité sociale et à la Société nationale des chemins de fer italiens la production de certains documents. Ces pièces furent déposées à différentes dates antérieures au 12 mars 1993. Le 22 décembre 1993, conformément à la demande formulée par le requérant le 16 décembre, le dossier de l'affaire fut transmis à la chambre régionale de la Cour des comptes pour la Toscane (« la chambre régionale »). Par une ordonnance du 22 avril 1994, la chambre régionale suspendit la procédure dans l'attente d'un arrêt des chambres réunies de la Cour des comptes relatif à la compétence des chambres régionales. Le texte de cette décision fut déposé au greffe le 29 juillet 1994. Par un arrêt du 10 mai 1995, déposé au greffe le 11 septembre 1995, la chambre régionale accueillit en partie la demande du requérant. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. S.R. a saisi la Commission le 5 mai 1993. Il se plaignait de la durée de la procédure engagée devant la Cour des comptes et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. La Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 31648/96) le 4 mars 1997. Dans son rapport du 28 mai 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Le Gouvernement prie la Cour de juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. Le requérant demande à la Cour de reconnaître la violation de cette disposition et de lui accorder une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La Edificaciones March Gallego S.A. est une société anonyme, constituée en 1985 et sise à Benidorm (Alicante). M. Federico March Olmos en était l’administrateur unique. Le 11 décembre 1989, la société requérante et, en tant que donneur d’aval, M. March furent assignés en paiement (juicio ejecutivo cambiario) devant le tribunal de première instance n° 10 de Valence, par une autre société, Manuel Codesido Marí S.L., qui leur réclamait la somme de 4 367 842 pesetas sur le fondement d’une lettre de change. Le greffe du tribunal fut chargé d’avertir les défendeurs de la saisie de leurs biens en l’absence de paiement et de la possibilité de faire opposition. La société requérante n’étant pas domiciliée à l’adresse indiquée dans la lettre de change, le demandeur invita le 21 février 1990 le tribunal à procéder, conformément aux articles 1444 et 1460 du code de procédure civile, à la saisie des biens de ladite société sans demande préalable de paiement et à la citation par edictos (paragraphe 24 ci-dessous). Le 26 février 1990, M. March comparut devant le tribunal de première instance, qui détermina la part de ses biens qui pouvait être saisie et lui donna un délai de trois jours pour faire valoir son intention de faire opposition s’il le souhaitait (paragraphe 24 ci-dessous). L’épouse de l’intéressé reçut notification de la procédure en cours et de la désignation des biens saisissables. Le 1er mars 1990, la Edificaciones March Gallego S.A. comparut devant le même tribunal et déclara son intention de faire opposition à la procédure entamée à son encontre. Dans l’acte annonçant son opposition, lequel fut présenté par l’avouée (procuradora) de la société, Me I., il était précisé que « (…) le 26 février courant, la citation et les copies de la demande d'assignation en paiement furent remis à mon client (…) ». Le 6 mars 1990, la société requérante se vit accorder par le tribunal un délai de quatre jours pour présenter ses conclusions et moyens de preuve et former opposition, conformément à l’article 1463 du code de procédure civile (paragraphe 24 ci-dessous). Constatant que M. March n’avait pas comparu dans le délai de trois jours qu’il s’était vu accorder le 26 février 1990, le tribunal le déclara défaillant. Le 9 mars 1990, Me I., agissant au nom de M. March, conformément à « la procuration figurant au dossier de la procédure », fit formellement opposition à la procédure en cause, dans le délai de quatre jours accordé par le tribunal à la société requérante. L’acte d’opposition invitait le tribunal à déclarer nulle la lettre de change en question dès lors que, compte tenu du montant de cette dernière, la somme acquittée de la taxe obligatoire sur les lettres de change était insuffisante. Le 15 mars 1990, le tribunal déclara irrecevable (se tuvo por no formulada) l’opposition, par les motifs suivants : « 1. M. Federico March Olmos n’a pas comparu en temps voulu et dans le respect des conditions de forme requises, l’avouée [qui a présenté l’opposition] n’a pas reçu pouvoir de la personne mentionnée [M. March] ou, à tout le moins, ledit pouvoir n’a pas été formellement présenté et ne figure pas au dossier, la seule à avoir déclaré son intention de faire opposition dans les délais prescrits est la Edificaciones March Gallego S.A.., laquelle avait dûment donné pouvoir à l’avouée, Me [I.], conformément aux conditions prescrites (…) les débiteurs sont deux personnes pouvant être clairement distinguées, d’un côté, la société Edificaciones March Gallego S.A. et, de l’autre, la personne physique M. Federico March Olmos (…) » La décision (providencia) précisait d’autre part qu’il n’y avait pas lieu de citer la société requérante par « edictos », comme la Manuel Codesido Marí S.L. l’avait demandé le 21 février 1990, puisque, en dépit du fait qu’elle n’était pas domiciliée à l’adresse indiquée, ladite société avait comparu en temps utile, conformément à l’article 261 du code de procédure civile. La décision nota que M. March n’avait pas comparu (paragraphe 12 ci-dessus), contrairement à la société requérante, laquelle n’avait toutefois pas fait formellement opposition (paragraphe 13 ci-dessus) conformément aux articles 1462 et 1463 du code de procédure civile (paragraphe 24 ci-dessous). Le 20 mars 1990, l’avouée de la société requérante présenta un recours « de reposición » auprès du tribunal de première instance, faisant valoir que l’opposition avait été introduite au nom de la société, que le fait que le nom de M. March figurait dans l’acte d’opposition provenait d’une simple erreur dactylographique, et qu’il était clair que son intention était de faire opposition au nom de la société requérante et non pas de M. March. Par décision (auto) du 30 mars 1990, le tribunal confirma la décision attaquée. 17. Le 6 avril 1990, la société requérante interjeta appel. Par une décision (auto) du 23 octobre 1991, l’Audiencia provincial de Valence confirma la décision du 30 mars 1990. La décision précisait que l’erreur portait sur le locus standi de la société requérante et de M. March dans la mesure où, bien que le premier nom, « March », fût identique dans les deux cas, le deuxième différait, l’opposition étant formée au nom de « March Olmos », nom de la personne physique, et non pas de « March Gallego », nom de la société dont le premier était l’administrateur unique. Entre-temps, le 9 juin 1990, le tribunal de première instance de Valence, après avoir constaté que M. March était non-comparant et que la société Edificaciones March Gallego – qui n’avait pas été citée mais qui, ayant manifesté, en temps voulu, son intention de faire opposition, avait été considérée comme comparante – ne s’était finalement pas opposée, ordonna la poursuite de la procédure en paiement de la lettre de change litigieuse (sentencia de remate). Contre ce jugement, la société requérante interjeta, le 14 juin 1990, un appel que l’Audiencia provincial de Valence rejeta le 23 octobre 1991, au motif que l’opposition intentée par la société requérante avait été rejetée le 30 mars 1990 par le tribunal de première instance n° 10 de Valence. Le 21 novembre 1991, la société Edificaciones March Gallego et M. March saisirent le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo fondé sur l’article 24 § 1 de la Constitution (paragraphe 23 ci-dessous), alléguant que le refus des juridictions de corriger l’erreur matérielle figurant dans l’acte d’opposition portait atteinte à l’équité de la procédure. Le 3 décembre 1991, le montant de la lettre de change litigieuse fut versé à la société demanderesse. Contrairement à l’avis du ministère public, le Tribunal constitutionnel conclut qu’il ne s’agissait pas d’une simple erreur corrigible dans l’identification des personnes ayant fait opposition, mais d’un manque de diligence non susceptible d’être redressé, et rejeta le recours de la société requérante le 19 décembre 1994. Il rappela d’abord que, le droit d’exercer un recours et d’obtenir une décision motivée des cours et tribunaux étant un droit soumis à des conditions légales, ceux-ci sont contraints d’appliquer les règles de procédure en tenant compte de la finalité recherchée par le législateur, tout en évitant, à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure garantie par l’article 24 de la Constitution, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois. Constatant la différence de qualité juridique entre la société requérante – personne morale – et M. March – personne physique –, le Tribunal constitutionnel précisa : « La différence de qualité juridique des intéressés : l'une, personne morale et société anonyme (Edificaciones March Gallego S.A.), et l'autre, personne physique (M. Federico March Olmos), la communauté ou la divergence évidente d'intérêts entre eux en raison de la ressemblance entre la raison sociale de la première et le nom du second, et le fait que M. Federico March Olmos, en tant qu’administrateur unique de la société, avait donné pouvoir aux représentants légaux de celle-ci – ce qui avait déjà été constaté par la décision du 15 mars 1990 – ne permettent pas de conclure, comme le prétendent les intéressés, à l'existence d'une erreur dans l'identification de la personne ayant formellement fait opposition ; en revanche, ces éléments permettent de conclure, avec les organes judiciaires, à un manque de diligence dans la procédure, ce qui n'est pas susceptible d'être redressé ; sans oublier que ce redressement devrait se faire après la clôture [de la procédure de présentation formelle] de l'opposition. Cette circonstance nous empêche de considérer qu'il s'agit d'un simple acte irrégulier, incomplet ou imparfait, susceptible d'être complété ou corrigé par l'élément omis. En l'espèce, outre le fait que ladite omission concerne un élément essentiel de l'acte et a trait à la personne qui l'accomplit, la correction devrait avoir lieu en dehors des délais impératifs fixés pour présenter formellement l'opposition (article 1463 du code de procédure civile, en relation avec l'article 241 de la loi organique du pouvoir judiciaire) et dans ces cas de correction tardive d'un élément essentiel soumis à des délais impératifs, ce Tribunal a déclaré que le non-redressement [de l'erreur] ne porte pas atteinte au droit à une protection effective par les cours et tribunaux. » II. Droit interne pertinent A. La Constitution Aux termes de l’article 24 § 1 de la Constitution, « Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des cours et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans jamais pouvoir être mise dans l'impossibilité de se défendre. » B. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes du code de procédure civile sont les suivantes : Article 279 « Les notifications et citations effectuées sans respecter cette section [du présent code] sont nulles. Toutefois, lorsque la personne à qui est adressée la notification ou la citation en prend connaissance pendant la procédure, l’acte sortira tous ses effets, comme si elle [la notification ou la citation] avait été faite conformément à la loi. (…) » Article 1444 « Lorsque le domicile ou le lieu de résidence du débiteur sont inconnus, le juge pourra décider, à la demande du demandeur, de procéder à la saisie sans demande préalable de paiement (…) » Article 1460 « Lorsque le domicile ou le lieu de résidence du débiteur sont inconnus, celui-ci sera cité par edictos (…) » [La citation par edictos se fait par l’affichage de la citation sur le tableau de l’organe juridictionnel responsable et, le cas échéant, par sa publication dans le journal officiel de la province (article 269 du code de procédure civile).] Article 1461 « Dans un délai non prorogeable de trois jours ouvrables, à compter du jour suivant la citation, le débiteur pourra faire opposition au paiement, en comparant devant le tribunal, assisté par un avoué [procurador]. » Article 1462 « A l'expiration du délai visé aux deux articles précédents, le débiteur qui n'a pas comparu assisté d'un avoué sera réputé défaillant et la procédure suivra son cours sans qu'il faille le citer une nouvelle fois à comparaître, ni lui adresser d’autres notifications que celles prévues par la loi (…) » Article 1463 « Si le débiteur déclare faire opposition dans les délais requis et en respectant les formalités prescrites, il sera réputé opposant et devra présenter formellement son opposition dans un délai non prorogeable de quatre jours, en invoquant les exceptions et en soumettant les moyens de preuve qu'il estimera nécessaires (…) » Article 1464 « Seules les exceptions suivantes seront admissibles dans le cadre de la procédure en paiement : (…) Toute autre exception susceptible d’être invoquée par le débiteur sera réservée pour la procédure ordinaire et ne pourra pas empêcher le prononcé de l’arrêt ordonnant le paiement [de remate]. » Article 1479 « Les jugements rendus dans le cadre des procédures en paiement [juicio ejecutivo] n'auront pas force de chose jugée, les parties ayant le droit d'engager une procédure ordinaire portant sur la même question. » C. La loi organique du pouvoir judiciaire (loi n° 6/1985 du 1er juillet 1985) Les dispositions pertinentes de la loi organique du pouvoir judiciaire se lisent ainsi : Article 11 § 3 « Conformément au principe de la protection effective reconnu à l’article 24 de la Constitution, les cours et tribunaux devront toujours statuer sur les prétentions formulées et ne pourront les rejeter pour vice de forme que lorsque celui-ci ne peut pas être redressé ou ne peut l’être selon la procédure [de redressement] prévue par les lois. » Article 241 « Les actes de procédure effectués hors délai ne peuvent être annulés que si ceci est permis par la nature même du délai en cause. » Article 267 § 2 « Les erreurs matérielles manifestes et les erreurs arithmétiques pourront être rectifiées à tout moment. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION La Edificaciones March Gallego S.A. et M. Federico March Olmos ont saisi la Commission le 19 mai 1995, alléguant qu’au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention, ils n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable. Ils estimaient que leur droit à ce que leur contestation fût examinée par un tribunal avait été enfreint, que la lettre de change à l’origine de leur contestation était irrégulière et que les notifications effectuées dans le cadre de la procédure litigieuse n’étaient pas conformes aux dispositions pertinentes du code de procédure civile. Par des décisions des 15 janvier et 24 juin 1996, la Commission a retenu le grief de la société requérante selon lequel elle n’a pas eu le droit de voir sa contestation sur ses droits et obligations de caractère civil examinée par un tribunal, et a déclaré la requête (n° 28028/95) irrecevable pour le surplus, notamment les griefs soulevés par M. Federico March Olmos. Dans son rapport du 26 novembre 1996 (article 31), elle exprime l’opinion, par vingt-trois voix contre quatre, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que le rejet de l’opposition de la société requérante n’a pas emporté violation des droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. A l’audience, le représentant de la société requérante a prié la Cour de constater l’existence d’une violation de l’article 6 § 1 et d’allouer à l’intéressée une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1986, M. Mathieu Henra, mineur, est représenté par sa tutrice testamentaire et agit en son nom propre et en tant qu’unique héritier de son père et de sa mère. Le père du requérant, né en 1955, était hémophile et a été fréquemment perfusé. Il a épousé le 20 avril 1985 la mère du requérant. A l'occasion de la grossesse, un test pratiqué sur la mère a révélé en août 1986 qu'elle était séropositive. Le test pratiqué par la suite sur le père a révélé que lui aussi était séropositif. A la naissance, le requérant était également séropositif. A. Les recours en réparation 1. Le recours administratif Le 16 juillet 1990, trois demandes préalables d'indemnisation furent adressées au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale au nom du père du requérant, de sa mère, et en son nom propre, tendant à se voir accorder une indemnité en réparation des troubles de toute nature subis du fait de leur contamination. Ces demandes furent rejetées le 1er octobre 1990. 2. Le recours contentieux a) Devant le tribunal administratif de Paris Le 6 décembre 1990, les parents du requérant saisirent le tribunal administratif de Paris de trois requêtes, tendant à l’octroi d’indemnités en compensation du préjudice provoqué par la carence de l’Etat à prendre les mesures propres à éviter la contamination par le VIH. Le ministre de la Santé présenta ses mémoires en défense respectivement les 12 février et 13 mars 1991. Les mémoires en réplique furent déposés le 8 juillet 1991. Le 22 avril 1992, le tribunal administratif rendit un jugement avant dire droit énonçant que « la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 » et « (...) qu'il y a lieu, pour le tribunal administratif, de condamner l'Etat à réparer l'intégralité du préjudice ». Le tribunal ordonna par ailleurs une expertise médicale afin de déterminer si le père du requérant avait été contaminé au cours de cette période. L'expert déposa son rapport le 31 décembre 1992. Le père du requérant décéda le 8 avril 1993. Le 28 avril 1993, le tribunal joignit les trois requêtes et les rejeta, considérant que l’existence d’un lien de causalité entre la contamination du père du requérant et l’administration de produits sanguins non chauffés pendant la période de responsabilité de l’Etat, comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, n’était pas établie. La mère du requérant décéda le 24 août 1993. b) Devant la cour administrative d’appel de Paris Le 9 avril 1993, l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat rendit trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une indemnité forfaitaire de 2 000 000 francs français (FRF) (paragraphe 39 ci-dessous). Le 9 décembre 1993, la tutrice testamentaire (désignée par testament du 9 mars 1993) et la subrogée tutrice du requérant firent appel devant la cour administrative d’appel de Paris. Le 4 mars 1994, le ministre délégué à la Santé déposa son mémoire. Le requérant présenta son mémoire en réplique le 15 mars 1994. La cour administrative d'appel prononça, le 23 juin 1994, un arrêt dans lequel elle décida, conformément à la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat, que l’Etat devait être déclaré responsable des dommages ayant résulté des transfusions pour le père et la mère du requérant ainsi que pour lui-même. Elle accorda à chacun une somme de 2 000 000 FRF. Considérant toutefois qu'ils avaient accepté respectivement les offres de 1 514 000 FRF, 1 610 000 FRF et 1 900 000 FRF qui leur avaient été faites au titre du même préjudice par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles, la cour d'appel estima que l’indemnité encore due s’élevait à 676 000 FRF. Pour ce qui est des intérêts, la cour les calcula sur ce dernier montant à compter du 18 juillet 1990, avec capitalisation à compter du 9 décembre 1993 (paragraphes 36 et 37 ci-dessous). c) Devant le Conseil d’Etat Le 26 juillet 1994, la tutrice testamentaire du requérant forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat ; elle se plaignait notamment de ce que la somme de 500 000 FRF qui ne devrait lui être versée qu’en cas de déclaration de la maladie avait été déduite du montant de l'indemnité due, et de la manière dont la cour administrative d’appel avait calculé les intérêts. 22. Le 9 décembre 1994, M. Henra saisit la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête n° 25972/94. Le 13 septembre 1995, elle adopta un rapport au sens de l’article 28 § 2 de la Convention, constatant que les parties étaient parvenues à un règlement amiable (paragraphe 43 ci-dessous). Le 1er décembre 1995, le rapporteur au Conseil d’Etat déposa son rapport. Le même jour, le dossier fut attribué à un commissaire du gouvernement. L’audience fut fixée au 19 décembre 1995. Le 31 janvier 1996, le Conseil d'Etat rendit un arrêt cassant l’arrêt de la cour administrative d’appel du 23 juin 1994, dans la mesure où cette cour – au mépris de la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière (paragraphe 40 ci-dessous) – avait déduit des sommes que l'Etat devait verser à M. Henra le montant de l’indemnité liée à la survenance de la maladie, offerte par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles. Le Conseil d'Etat renvoya l’affaire devant la cour administrative d'appel de Paris. d) Devant la cour administrative d’appel de Paris Le dossier parvint le 27 février 1996 à la cour administrative d’appel de Paris. Par une lettre datée du 13 mars 1996, le greffier en chef de celle-ci informa le requérant de la transmission du dossier par le Conseil d'Etat et l’invita à lui faire connaître ses observations dans un délai d’un mois. Ces dernières furent enregistrées au greffe le 25 mars 1996. Le 5 juin 1996 le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles présenta ses observations. Le 30 août 1996, le dossier fut attribué à la troisième chambre d’instruction. Le 26 septembre 1996, la cour décida de passer outre à l’absence d’observations de la Caisse primaire d’assurance maladie de Paris. Le 28 octobre 1996, le conseil de M. Henra écrivit au président de la cour administrative d’appel de Paris, pour attirer son attention sur l’ancienneté et la lenteur de la procédure et sur l’urgence de l’affaire, compte tenu de l’état de santé du requérant. Cette lettre n’a reçu aucune réponse. Le 14 novembre 1996, le ministre de la Santé présenta ses observations sur le pourvoi du requérant. Le 9 janvier 1997, le dossier fut attribué à un rapporteur. Le 21 mai 1997, l’intéressé présenta devant la Commission une nouvelle requête (n° 36313/97), enregistrée le 3 juin 1997, dans laquelle il exposait que la procédure était toujours pendante devant la cour administrative d’appel. B. La demande présentée au Fonds d’indemnisation Parallèlement, le 22 juillet 1992, le père et la mère du requérant, ainsi que lui-même avaient saisi le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessous). Le 19 novembre 1992, le Fonds décida de leur allouer respectivement des indemnités de 1 614 000 FRF, 1 710 000 FRF et 2 000 000 FRF, dont devaient être déduits pour chacun d'entre eux 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles. Par ailleurs, la somme proposée au requérant était payable par tiers sur trois ans et 500 000 FRF seraient versés à la déclaration de la maladie. Ces offres furent acceptées. Le 11 janvier 1993, le Fonds versa aux intéressés 1 514 000 FRF, 1 610 000 FRF et 1 400 000 FRF, respectivement. II. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION A. La législation La loi du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d'ordre social » a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. Son article 47 dispose : « I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. XI. (...) XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...) » B. La jurisprudence Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida « que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 » (paragraphe 17 ci-dessus). Par des arrêts de principe du 24 mars 1995, le Conseil d'Etat jugea que le versement de la somme offerte par le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles pour le cas où la maladie viendrait à se déclarer, était « éventuel et subordonné à l'apparition de la maladie et qu'ainsi, la cour [administrative d'appel de Paris] a commis une erreur de droit en la déduisant des sommes qu'elle a condamné l'Etat à verser en réparation du même préjudice ». III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT A. Le régime applicable en l'espèce A l'époque des faits, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel contenait notamment les dispositions suivantes : Article R.102 « Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. (...) » Article R.129 « Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. » Article R.142 « Immédiatement après l'enregistrement de la requête introductive d'instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé, s'il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. » Article R.150 « Lorsque l'une des parties ou l'administration appelée à produire des observations n'a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n'est pas observé, la juridiction statue. » Article R.151 « Lorsqu'elle concerne une administration de l'Etat, la mise en demeure est adressée à l'autorité compétente pour représenter l'Etat ; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s'il a été constitué. » Article R.182 « Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d'instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. » B. Le régime actuel Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 s'applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d'application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessus) : « TITRE II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance. Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...) » IV. LA REQUÊTE N° 25972/94 À LA COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME Le 9 décembre 1994, M. Henra avait saisi la Commission d’une requête, enregistrée le 16 décembre 1994 sous le n° 25972/94, dans laquelle il se plaignait de la longueur de la procédure en indemnisation litigieuse et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. Le 13 septembre 1995, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a constaté, en vertu de l’article 28 de la Convention : « (…) Le 8 mars 1995, le représentant du requérant a fait savoir que celui-ci était prêt à accepter une somme de 600 000 FF (six cent mille francs) au titre du dommage moral, somme à laquelle devraient s’ajouter les frais et dépens exposés devant la Commission, le tout devant être payé dans le délai d’un mois suivant le rapport de la Commission. Le 3 mai 1995, il a précisé que les frais se montaient à 23 270 FF et a également demandé que des intérêts soient versés en cas de retard dans le paiement. Par courrier du 24 mai 1995, l’agent du Gouvernement a indiqué que celui-ci s’en remettait à la sagesse de la Commission pour aboutir à la conclusion d’une transaction. Le 26 mai 1995, la Commission a soumis aux parties des propositions en vue de parvenir à un règlement amiable, consistant en le versement au requérant de 600 000 FF au titre du préjudice moral et 23 720 FF au titre des frais. Par lettre du 11 juillet 1995, l’agent du Gouvernement a fait savoir que son Gouvernement acceptait de transiger sur la base de ces propositions. Réunie le 13 septembre 1995, la Commission a constaté que les parties étaient parvenues à un accord sur les termes d’un règlement. Elle a estimé en outre, eu égard à l’article 28 § 1 b) de la Convention, que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspirait du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention. (…) » Le texte de la déclaration d’acceptation du règlement amiable, signée par le requérant le 2 novembre 1995, est ainsi rédigé : « Je reconnais que le versement de ces sommes constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices allégués dans ma requête et couvrira également la totalité des frais d'avocat et autres engagés par moi dans cette affaire. J’accepte donc de me désister de cette instance et de renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l’Etat français devant les juridictions nationales et internationales. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Henra a saisi la Commission le 21 mai 1997. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 § 1 de la Convention exige le respect. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n°36313/97) le 16 septembre 1997. Dans son rapport du 28 octobre 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour, à titre principal, « de reconnaître que le règlement amiable conclu avec M. Henra a nécessairement impliqué pour lui la renonciation non équivoque à toute action ultérieure contre l'Etat pour la durée de la procédure » et, à titre subsidiaire, « que la durée de la procédure à l'origine de la présente requête ne saurait être appréciée, en tout état de cause, en tenant compte de la partie qui a déjà fait l'objet du règlement amiable ». 48. De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50, de 200 000 FRF en réparation du tort moral et de 42 210 FRF pour frais et dépens.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, comptable de son métier, est né en 1949 et vit à Nicosie. A. Origine du grief du requérant L’intéressé, qui était alors établi à son compte, posa sa candidature au poste de chef comptable de l’Office de la formation professionnelle (Industrial Training Authority), un organisme public créé par la loi. Seule une autre personne s’était présentée, un certain M. I. Le 2 novembre 1981, l’Office de la formation professionnelle engagea M. I., alors que ses qualifications étaient inférieures à celles du requérant. L’Office avait estimé que les compétences de ce dernier étaient en fait trop élevées pour le poste en question, qui ne lui aurait donc pas apporté suffisamment de satisfaction professionnelle. L’intéressé interjeta appel devant la Cour suprême contre la décision de nommer M. I. M. I. donna sa démission en octobre 1982 et le poste de chef comptable fut supprimé en novembre 1983. Le 6 juin 1984, statuant sur une exception préliminaire de l’Office de la formation professionnelle, la Cour suprême conclut que, malgré la suppression du poste en question, le requérant conservait un intérêt à agir. Elle estima que, au cas où elle constaterait que la candidature de l’intéressé avait été écartée à tort, celui-ci pourrait être réputé avoir subi un préjudice au sens de l’article 146 § 6 de la Constitution (paragraphe 21 ci-dessous). Le 22 février 1986, elle déclara nulle et non avenue la décision de l’Office de la formation professionnelle au motif que cet organisme avait, sans raison valable, négligé de tenir compte des qualifications supérieures du requérant. B. La procédure devant le tribunal de première instance de Nicosie Le 13 avril 1987, le requérant intenta devant le tribunal de première instance de Nicosie une procédure civile en indemnisation contre l’Office de la formation professionnelle, au titre de l’article 146 § 6 de la Constitution (paragraphe 21 ci-dessous). L’Office soumit ses conclusions en défense le 8 octobre 1987. 14. Le 18 avril 1988, le tribunal fixa l’audience de mise en état au 16 mai 1988. A cette date, les deux parties demandèrent au tribunal d’arrêter la date de l’audience, qui fut fixée au 8 novembre 1988. Ce jour-là, le tribunal renvoya de sa propre initiative les débats au 20 avril 1989, date à laquelle il fit de même jusqu’au 27 octobre 1989. Le 26 octobre 1989, le défendeur demanda un ajournement auquel le requérant ne s’opposa pas ; l’audience fut reportée au 7 février 1990. Le 7 février 1990, le tribunal entama l’examen de l’affaire. N’ayant toutefois pu mener sa tâche à bien le jour même, il reporta les débats au 7 mars 1990, date à laquelle l’avocat du requérant demanda un renvoi. Le défendeur n’ayant pas élevé d’objection, le tribunal fixa l’audience suivante au 5 avril 1990, date à laquelle il reprit son examen. A nouveau, n’ayant pu achever ce travail, le tribunal reporta les débats au 10 mai 1990 puis, ce jour-là, les ajourna de son propre chef au 5 juin 1990. A cette date, il acheva l’examen de l’affaire et mit le jugement en délibéré. Le 30 novembre 1990, le tribunal rendit son jugement, allouant au requérant la somme de 2 128 livres cypriotes (CYP). C. La procédure en appel devant la Cour suprême Le 8 janvier 1991, le requérant contesta le montant de l’indemnité devant la Cour suprême. L’Office de la formation professionnelle forma un pourvoi incident, affirmant que l’action du requérant aurait dû être rejetée. Le 12 août 1994, le requérant se plaignit par écrit au greffier de la Cour suprême des lenteurs de la procédure. Le 15 mars 1995 se tint une audience. Les parties convinrent que le pourvoi incident devait être examiné le premier, car une décision l’accueillant réglerait l’ensemble des questions dont la Cour était saisie. Le 20 juin 1995, la Cour suprême estima que sa décision du 22 février 1986 déclarant la nomination de M. I. nulle et non avenue (paragraphe 12 ci-dessus) n’avait créé pour l’Office de la formation professionnelle aucune obligation de nommer le requérant et que, par conséquent, celui-ci n’était pas une victime au sens de l’article 146 § 6 de la Constitution (paragraphe 21 ci-dessous). La suppression ultérieure du poste ne pouvait engendrer un droit à réparation. L’Office de la formation professionnelle était en principe tenu de réexaminer les candidatures à la lumière de l’arrêt précité de la Cour suprême. Cependant, pour décider de l’opportunité d’une telle mesure, l’Office était en droit de prendre en compte la suppression ultérieure du poste, qui était régulière. Dans ces conditions, la Cour suprême résolut d’accueillir le pourvoi incident et de débouter le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La Constitution de Chypre dispose : Article 146 « 1. La Cour constitutionnelle suprême a compétence exclusive pour statuer en dernière instance sur un recours dont elle est saisie dénonçant une décision, un acte ou une omission d’un organisme, d’une autorité ou d’une personne exerçant des pouvoirs exécutifs ou administratifs, comme contraires à l’une des dispositions de la présente Constitution ou d’une loi, ou comme constituant un excès ou un abus des pouvoirs conférés à cet organisme, cette autorité ou cette personne. (…) Statuant sur pareil recours, la Cour peut : a) confirmer, en tout ou en partie, la décision, l’acte ou l’omission incriminés ; ou b) déclarer que la décision ou l’acte incriminés sont, en tout ou en partie, nuls et non avenus et sans effet aucun ; ou c) déclarer que l’omission incriminée, en tout ou en partie, n’aurait pas dû avoir lieu et que l’acte omis, quel qu’il soit, aurait dû être accompli. (…) Quiconque est victime d’une décision ou d’un acte déclarés nuls en vertu du paragraphe 4 du présent article, ou d’une omission dont il a été jugé, conformément à cette même disposition, qu’elle n’aurait pas dû avoir lieu, a la faculté, si l’organisme, l’autorité ou la personne concernés ne font pas droit à ses prétentions, d’engager devant un tribunal une procédure en dommages-intérêts ou tendant à lui ouvrir un autre recours, et de recevoir une indemnité d’un montant que le tribunal estimera juste et équitable, ou encore de bénéficier de toute autre réparation juste et équitable que ce tribunal est habilité à accorder. » Article 172 « La République est tenue pour responsable de tout acte fautif ou omission ayant entraîné un préjudice commis par des fonctionnaires ou des autorités de la République dans l’exercice réel ou présumé de leurs fonctions. Pareille responsabilité est régie par la loi. » 22. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Attorney-General of the Republic v. Markoullides and Another (Cyprus Law Reports 1966, vol. 1, p. 243), la Cour constitutionnelle suprême a confirmé sa jurisprudence selon laquelle une personne victime d’un acte administratif doit commencer par en obtenir l’annulation avant de pouvoir intenter une action en dommages-intérêts au titre de l’article 146 § 6 de la Constitution. En outre, un plaignant victime d’un acte déclaré nul en vertu de l’article 146 § 4 doit engager son action en réparation en vertu de l’article 146 § 6 et non de l’article 172 de la Constitution. Dans ce même arrêt, la Cour constitutionnelle suprême a dit que le montant de l’indemnité octroyée à un salarié du secteur public licencié abusivement doit être calculé non pas sur la base des principes applicables en droit du travail mais de manière « juste et équitable » eu égard aux circonstances et à la culpabilité de l’administration et du plaignant. Elle a déclaré : « Les dommages-intérêts accordés dans une affaire telle que l’espèce doivent être « justes et équitables », comme l’indique l’article 146 § 6. La voie suivie par le Conseil d’Etat français en l’affaire Deberles (7 avril 1933) est d’une grande aide pour interpréter cette expression. Ce dernier a dit, dans un cas proche de l’espèce, qu’il faut tenir compte de la part respective de culpabilité de l’administration et du demandeur pour évaluer les dommages-intérêts à accorder à la suite d’une décision déclarée nulle. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 28054/95) introduite devant la Commission le 10 juillet 1995, M. Mavronichis se plaignait de ce que sa demande en réparation n’eût pas été entendue dans un délai raisonnable, au mépris de l’article 6 § 1 de la Convention. Sur le terrain de l’article 13, il faisait aussi grief de ne pas avoir reçu d’indemnité alors qu’une décision de justice reconnaissait que ses droits avaient été enfreints car il n’avait pas été nommé à un poste du secteur public ultérieurement supprimé. La Commission (première chambre) a retenu la requête le 26 juin 1996 pour ce qui est du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et l’a écartée pour le surplus. Dans son rapport du 15 janvier 1997 (article 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant prie la Cour de dire que les faits de la cause révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50. De son côté, dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de conclure que l’article 6 § 1 ne s’applique pas en l’espèce. A titre subsidiaire, il soutient qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1952, M. Jean-Marc Pailot est employé d’assurances. Il est hémophile et a été fréquemment perfusé. Un test pratiqué le 27 août 1985 révéla que le requérant avait été contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Depuis novembre 1994, il est classé au stade III de la contamination sur l'échelle du Centre de contrôle des maladies d'Atlanta, qui en compte quatre. A. Les recours en réparation Le recours administratif Le 23 décembre 1989, le requérant adressa au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale une demande préalable d'indemnisation tendant à se voir verser une somme de 2 500 000 francs français (FRF) en réparation des troubles de toute nature subis du fait de sa contamination. La demande fut rejetée le 30 mars 1990. Le recours contentieux a) Devant le tribunal administratif de Paris Le 30 mai 1990, M. Pailot saisit le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne d'un recours tendant à l’octroi d’une indemnité de 2 500 000 FRF, en compensation du préjudice provoqué par la carence de l'Etat à prendre les mesures propres à éviter sa contamination par le VIH. Le 14 décembre 1990, le tribunal transmit l'affaire au Conseil d'Etat qui, le 27 février 1991, désigna le tribunal administratif de Paris comme juridiction compétente. Ce dernier enregistra le recours le 18 mars 1991. Le 1er juin 1991, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube présenta un mémoire. L’affaire fut ensuite inscrite à l’audience du 3 avril 1992. Le 17 avril 1992, le tribunal administratif rendit un jugement avant dire droit énonçant que « la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes atteintes d'hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l'occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985 » et « (...) qu'il y a lieu, pour le tribunal, de condamner l'Etat à réparer l'intégralité du préjudice ». Sur requête de M. Pailot, le tribunal ordonna une expertise médicale afin de déterminer si l’intéressé avait été contaminé au cours de cette période. Un expert fut désigné le même jour par le président du tribunal. Le rapport d’expertise, déposé le 23 décembre 1992, précisa : « (...) En 1985, [M. Pailot] a été destinataire de deux prescriptions de 6 concentrés de P.P.S.B. et de facteur IX d'une part le 2 mars 1985 et d'autre part le 27 août 1985 (…) correspondant de ce fait à la période de responsabilité du 12 mars au 1er octobre sus-définie, tout au moins en ce qui concerne la prescription du 27 août 1985. Toutefois, la date de perfusion des produits délivrés le 2 mars 1985 n'a pu être précisée avec certitude. En date du 27 août 1985, la contamination par le V.I.H. est confirmée (…) Etant donné que l’apparition des anticorps décelables par les examens biologiques (séroconversion) n’est détectable qu’après un délai de 6 à 12 semaines après la contamination (voire exceptionnellement plusieurs mois dans de rares cas), on peut considérer que M. Jean-Marc Pailot aurait pu être contaminé en mai ou juin 1985 (1er examen sérologique effectué en date du 27 août 1985). (…) En ce qui concerne la période dite de responsabilité de l'Etat (12 mars 1985 au 1er octobre 1985), il n’est pas impossible mais non certain que les produits délivrés début mars 1985 aient été injectés après le 12 mars 1985 entraînant une contamination avec séroconversion confirmée le 27 août 1985, ceci dans l’hypothèse où la contamination n’aurait pas été antérieure, ce qui est peu vraisemblable étant donné les produits sanguins dérivés reçus antérieurement. (…) la date de contamination ne peut être précisée avec certitude. » Après avoir tenu une audience le 26 février 1993, le tribunal prononça, le 26 mars 1993, le jugement suivant : « Sur les conclusions à fin de condamnation de l'Etat : Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise que le lien de causalité entre la contamination V.I.H. du requérant et l’administration de produits sanguins dérivés, pendant la période de responsabilité de l'Etat comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, ne peut pas être regardé comme établi ; que, par la suite, les conclusions de la requête de M. Jean-Marc Pailot tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice subi du fait de cette contamination ne peuvent qu’être rejetées. » b) Devant la cour administrative d’appel de Paris Le 9 avril 1993, l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat rendit trois arrêts de principe fixant au 22 novembre 1984 le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat et allouant aux victimes une indemnité forfaitaire de deux millions de francs (paragraphe 39 ci-dessous). Invoquant cette jurisprudence, le requérant saisit le 4 juin 1993 la cour administrative d’appel de Paris. Le 28 août 1993, le ministre délégué à la Santé déposa son mémoire en défense : il y soutenait que la requête en appel était dirigée contre le seul jugement du 26 mars 1993 et que, dès lors, le jugement du 17 avril 1992 fixant la période de responsabilité de l'Etat du 12 mars au 1er octobre 1985 était devenu définitif. Le 3 novembre 1993, le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH informa la cour administrative d’appel que M. Pailot avait accepté son offre. 19. Après avoir tenu une audience le 20 janvier 1994, la cour administrative d'appel prononça le 3 février 1994 un arrêt dans lequel elle suivit l'argumentation du ministre et rejeta la demande : il ne ressortait pas du dossier que le requérant eût reçu après le 12 mars 1985 des produits sanguins susceptibles d'être à l'origine de sa contamination. c) Devant le Conseil d'Etat Le 1er avril 1994, l’intéressé forma un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat. Le 1er juin 1994, il déposa un mémoire complémentaire. Il faisait valoir que sa requête en appel sollicitant que le point de départ de la période de responsabilité de l'Etat fût fixé au 22 novembre 1984 critiquait implicitement mais nécessairement le jugement avant dire droit du 17 avril 1992, lequel avait fixé ce point de départ au 12 mars 1985. En conséquence, il demandait au Conseil d'Etat d’annuler l’arrêt de la cour administrative puis, par application de l’article 11 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, de régler l’affaire au fond sans renvoi devant la cour administrative d’appel et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 000 FRF, diminuée de celle versée par le Fonds d’indemnisation. Le 27 mars 1995, la commission d’admission des pourvois en cassation rendit une décision favorable. Entre-temps, le 28 décembre 1994, M. Pailot avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête n° 26116/95. Le 28 juin 1995, elle adopta un rapport au sens de l’article 28 § 2 de la Convention, constatant que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire (paragraphe 42 ci-dessous). Les 13 et 19 octobre 1995 respectivement, la Caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube et le Fonds d’indemnisation des transfusés présentèrent leurs observations. Le 30 octobre 1995, le Conseil d'Etat invita le ministre du Travail et des Affaires sociales à présenter ses observations sur le pourvoi du requérant. Le 15 décembre 1995, le ministre répondit que ledit pourvoi n'appelait pas d'observations de sa part. Le 26 décembre 1995, le requérant présenta ses observations. Le 3 janvier 1996, un rapporteur au Conseil d'Etat fut désigné. Le 19 janvier 1996, le requérant déposa certaines pièces. Les 17 janvier et 17 avril 1996, M. Pailot écrivit à la secrétaire de la cinquième sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat, chargée de l’instruction, et au rapporteur désigné, pour attirer leur attention sur l’ancienneté et la lenteur de la procédure et sur l’urgence de l’affaire, compte tenu de son état de santé. Il n'a reçu aucune réponse. 29. Le 2 juillet 1996, l’intéressé présenta devant la Commission une nouvelle requête (n° 32217/96), enregistrée le 10 juillet 1996, dans laquelle il exposait que la procédure était toujours pendante devant le Conseil d'Etat. Le 29 août 1996, le rapporteur au Conseil d'Etat déposa son rapport. Le 2 septembre 1996, le dossier fut affecté à un réviseur. Le 26 février 1997, un commissaire du Gouvernement fut désigné. L’affaire fut ensuite appelée à une séance du 19 mars 1997. Par un arrêt du 23 avril 1997, le Conseil d'Etat annula les jugements du tribunal administratif et l'arrêt de la cour administrative d'appel. Appliquant l’article 11 de la loi du 31 décembre 1987 (paragraphe 21 ci-dessus), il déclara l'Etat responsable de la contamination de M. Pailot, par les motifs suivants : « Considérant que la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 ; que la séropositivité de M. Pailot a été révélée le 27 août 1985 ; que, dès lors, la responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard de M. Pailot en raison des conséquences dommageables des transfusions qu'il a reçues au cours de la période précitée ; qu'il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation des jugements du tribunal administratif de Paris en date des 17 avril 1992 et 26 mars 1993 rejetant sa demande d'indemnisation (…) » L'Etat fut condamné à verser au requérant la somme de 2 000 000 FRF, moins 1 037 750 FRF versés par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles et 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles, soit un solde de 862 250 FRF, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 26 décembre 1989, capitalisables à compter du 1er juin 1994. L'Etat a payé au requérant le capital de 862 250 FRF en juillet 1997 mais pas, à ce jour, les intérêts. B. La demande présentée au Fonds d’indemnisation Parallèlement, le requérant avait saisi le Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessous). Le 8 septembre 1992, le Fonds décida de lui allouer une indemnité de 1 517 000 FRF, dont 1 137 750 FRF payables par tiers sur trois ans et 379 250 FRF à la déclaration de la maladie. Furent déduits de cette offre les 100 000 FRF versés par le Fonds de solidarité des hémophiles. Le 28 janvier 1993, le Fonds versa 1 037 750 FRF à M. Pailot. ii. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION A. La législation La loi du 31 décembre 1991 « portant diverses dispositions d'ordre social » a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. Son article 47 dispose : « I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies ; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. XI. (...) XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...) » B. La jurisprudence Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida « que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985 » (paragraphe 15 ci-dessus). III. Le droit procédural pertinent A. Le régime applicable en l'espèce A l'époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel contenait notamment les dispositions suivantes : Article R.102 « Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet. (...) » Article R.129 « Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel ou le magistrat que l'un d'eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d'une demande au fond, lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. » Article R.142 « Immédiatement après l'enregistrement de la requête introductive d'instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l'autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé, s'il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige. » Article R.150 « Lorsque l'une des parties ou l'administration appelée à produire des observations n'a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure. En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé. Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n'est pas observé, la juridiction statue. » Article R.151 « Lorsqu'elle concerne une administration de l'Etat, la mise en demeure est adressée à l'autorité compétente pour représenter l'Etat ; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s'il a été constitué. » Article R.182 « Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d'instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre. » B. Le régime actuel Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 s'applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d'application de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 38 ci-dessus) : « Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance. Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...) » iv. LA REQUÊTE N° 26116/95 à LA COMMISSION européenne DES DROITS DE L’HOMME Le 28 décembre 1994, M. Pailot avait saisi la Commission d’une requête, enregistrée le 4 janvier 1995 sous le n° 26116/95, dans laquelle il se plaignait de la longueur de la procédure en indemnisation litigieuse et invoquait l’article 6 § 1 de la Convention. Le 28 juin 1995, la Commission a adopté un rapport dans lequel elle a constaté, en vertu de l’article 28 de la Convention : « (…) Le 8 mars 1995, le représentant du requérant a fait savoir que celui-ci était prêt à accepter une somme de 200 000 FF (deux cent mille francs) au titre du dommage moral, somme à laquelle devraient s’ajouter les frais et dépens exposés devant la Commission, le tout devant être payé dans le délai d’un mois suivant le rapport de la Commission. Le 3 mai 1995, il a précisé que les frais se montaient à 23 270 FF et a également demandé que des intérêts soient versés en cas de retard dans le paiement. Par lettre du 24 mai 1995, l’agent du Gouvernement a fait savoir que son Gouvernement acceptait de transiger sur la base de ces propositions. Réunie le 28 juin 1995, la Commission a constaté que les parties étaient parvenues à un accord sur les termes d’un règlement. Elle a estimé en outre, eu égard à l’article 28 § 1 b) de la Convention, que les parties étaient parvenues à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspirait du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention. (…) » Le texte de la déclaration d’acceptation du règlement amiable, signée par le requérant, est ainsi rédigé : « Je reconnais que le versement de ces sommes constituera le dédommagement intégral et définitif de l'ensemble des préjudices allégués dans ma requête et couvrira également la totalité des frais d'avocat et autres engagés par moi dans cette affaire. J’accepte donc de me désister de cette instance et de renoncer à toute autre action ultérieure de ce chef contre l'Etat français devant les juridictions nationales et internationales. » PROcÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pailot a saisi la Commission le 2 juillet 1996. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 § 1 de la Convention exige le respect. La Commission a retenu la requête (n° 32217/96) le 15 janvier 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1997 (article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour « de reconnaître, à titre principal, que le règlement amiable conclu avec M. Pailot a nécessairement impliqué pour lui la renonciation non équivoque à toute action ultérieure contre l'Etat pour la durée de la procédure » et, à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. De son côté, le requérant prie la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50, de 200 000 FRF en réparation du tort moral et de 42 210 FRF pour frais et dépens.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Aïcha Dalia, de nationalité algérienne, est née le 4 août 1959 en Algérie, alors territoire français. En 1976 ou 1977, à l’âge de dix-sept ou dixhuit ans et dans le cadre du regroupement familial, elle arriva en France où résidaient déjà son père, depuis 1970, ainsi que sa mère et quatre frères et sœurs venus le rejoindre en 1974. Un enfant issu du couple naquit en France en 1977, deux autres y sont nés en 1979 et 1984. Après le divorce de ses parents en 1978, la requérante demeura chez sa mère. Trois de ses frères et sœurs possèdent la nationalité française, les quatre autres sont résidents comme sa mère. A. La procédure correctionnelle Devant le tribunal de grande instance de Nanterre Le 10 mai 1985, le tribunal de grande instance de Nanterre condamna Mme Dalia à la peine de douze mois d'emprisonnement ferme pour infractions à la législation sur les stupéfiants (acquisition, détention et cession d'héroïne). Sur le fondement de l’article L. 630-1, premier alinéa, du code de la santé publique, il prononça également à son encontre une interdiction définitive du territoire français avec reconduite à la frontière. Devant la cour d’appel de Versailles Le 21 mai 1985, l’intéressée interjeta appel de ce jugement. Par un arrêt du 11 juillet 1985, la cour d'appel de Versailles annula le jugement déféré pour vice de procédure quant à la composition du tribunal puis, évoquant l'affaire, condamna la requérante à la même peine d'un an d'emprisonnement ferme assortie d’une interdiction définitive du territoire. Devant la Cour de cassation Le 13 juillet 1985, Mme Dalia introduisit un pourvoi en cassation contre cet arrêt, puis elle s’en désista. Le président de la chambre criminelle donna acte de ce désistement par une ordonnance du 17 février 1986. B. L’exécution de l’interdiction définitive du territoire et l’évolution de la situation personnelle de la requérante Incarcérée le 13 octobre 1984, Mme Dalia fut libérée le 28 octobre 1985. Elle rejoignit alors sa famille à Nogent-sur-Oise. Le 8 avril 1986, elle épousa un ressortissant français. Après avoir été convoquée par les services de gendarmerie, elle fut condamnée le 29 juillet 1987 à une peine de trois mois d’emprisonnement et à une interdiction du territoire pour une durée d’un an pour s’être maintenue en France malgré l’interdiction définitive. A sa libération, elle fut assignée à résidence pendant six jours pour organiser volontairement son départ et, le 14 août 1987, quitta la France pour l’Algérie en application de l’arrêt du 11 juillet 1985 de la cour d’appel de Versailles (paragraphe 9 ci-dessus). Elle y fut hébergée par une tante. Elle revint sur le sol français le 15 juillet 1989 munie d'un visa de trente jours et s’installa à Nogent-sur-Oise chez sa mère, avec d'autres membres de sa famille. Elle y demeurerait toujours. Le 5 novembre 1989, le tribunal de grande instance de Senlis prononça le divorce de la requérante et de son époux. Aucun enfant n'était né de cette union. Le 6 juin 1990, Mme Dalia donna naissance à un garçon prénommé Karim, de nationalité française car né en France d’une mère elle-même née dans un département français (paragraphe 7 ci-dessus). Elle exerce sur lui l'autorité parentale, le père n’ayant pas reconnu l’enfant. C. Les requêtes en relèvement de l’interdiction définitive du territoire Mme Dalia affirme avoir présenté trois requêtes en relèvement de l'interdiction définitive du territoire : la première déposée en 1988 et rejetée le 3 mars 1989, les deux autres enregistrées les 4 mai 1992 et 5 février 1994. D’après le Gouvernement, la cour d'appel de Versailles n'aurait reçu que les deux dernières. 1. La requête du 4 mai 1992 Le 4 mai 1992, la requérante sollicita le relèvement de l’interdiction définitive du territoire français. Elle invoquait l’article L. 630-1, alinéa 2-2, du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 26 ci-dessous). Par un arrêt du 26 novembre 1992, la cour d'appel de Versailles rejeta cette requête dans les termes suivants : « La condamnation étant passée en force irrévocable de chose jugée à la date d’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1991, les dispositions de ce texte, sauf en ce qu’elles ont pour effet de fonder la recevabilité de la requête sur la base de l’article 55-1 du code pénal, n’ont qu’une valeur indicative en ce qui concerne l’intéressée. En l’espèce, la Cour n’estime pas donner une suite favorable à la requête. » La requête du 5 février 1994 Le 5 février 1994, Mme Dalia déposa une nouvelle requête en relèvement de la mesure d'interdiction définitive du territoire. Par un arrêt du 4 octobre 1994, la cour d’appel de Versailles déclara ladite requête irrecevable, pour les motifs suivants : « Madame Dalia a allégué à l'appui de sa requête qu'elle est arrivée en France en 1976, que trois de ses frères et sœurs sont Français, deux autres étant en cours de naturalisation, et qu'elle est mère d'un enfant français né le 6 juin 1990, et sur lequel elle a l'autorité parentale. Son conseil a, au vu de ces éléments, fait valoir lors de l'audience de la cour que l'application stricte de l'article 28 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa nouvelle rédaction de la loi 93-1027 du 24 août 1993 relative à l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, conduirait à une violation de l'article 8 de la Convention [européenne] des droits de l'homme. En disposant qu'il ne peut être fait droit à une demande de relèvement d'une interdiction du territoire que si le ressortissant étranger réside hors de France, la loi susvisée a institué une règle de procédure à laquelle il ne peut être dérogé. La requête de Madame Dalia Aïcha ne peut donc qu'être déclarée irrecevable. » D. Les rapports concernant la requérante Les rapports médicaux Un rapport établi le 18 mai 1994 par un médecin-psychiatre du centre médico-psychologique de Creil et destiné à la cour d'appel de Versailles relève : « Madame Aïcha Dalia présente un état mental nécessitant des soins médicaux au long cours. Une séparation d'avec son milieu familial serait profondément néfaste à son équilibre mental et risquerait d'entraîner une décompensation psychique grave qui ne serait pas sans retentissement sur son enfant, Karim, âgé actuellement de trois ans.» Un certificat médical délivré par le même médecin le 21 décembre 1994 et destiné au ministère de la Justice présente les conclusions suivantes : « Madame Aïcha Dalia présente un état mental nécessitant des soins médicaux au long cours. Madame Aïcha Dalia est suivie régulièrement par nos services depuis novembre 1990. Son état ne s'est pas amélioré du fait du contexte d'insécurité matérielle et psychologique dans lequel elle se trouve. Une séparation d'avec son milieu familial serait profondément néfaste pour elle et pour son petit garçon, âgé de quatre ans, de nationalité française, qui vit avec elle. » Un certificat dressé, à la demande de l'intéressée, par ledit médecin le 4 juin 1997 et destiné à la Cour indique : « Madame Dalia est toujours suivie régulièrement au centre médico-psychologique de Creil. Sa vulnérabilité psychique est intimement liée au stress et à l'instabilité que représente sa situation sociale, juridique et financière. La régularisation de sa situation juridique serait un élément décisif en faveur d'une amélioration clinique mais un départ pour l'Algérie aurait de graves conséquences sur l'équilibre mental déjà précaire de Madame Dalia, mais également sur celui de son fils, âgé de six ans, qui a besoin de la stabilité affective donnée par sa mère. » Le rapport social Un rapport établi le 6 juin 1997 par une assistante sociale du centre médico-psychologique de Creil, où Mme Dalia est suivie depuis novembre 1990, constate : « Madame Dalia ne dispose d'aucune ressource, ni prestation familiale et est donc entièrement à la charge de sa mère. Elle a un petit garçon, Karim, né le 6 juin 1990 à Creil. Karim est très attaché à sa mère. Celle-ci représente le seul parent direct et présent et Madame Dalia met tout en œuvre pour que son petit garçon ne souffre pas de ne pas avoir de papa. De même, elle essaie dans la mesure de toutes ses possibilités de le préserver de la menace soit de séparation soit d'expulsion qui pèse sur leur relation. C'est une maman attentive et responsable, consciente des besoins matériels mais surtout affectifs d'un enfant et elle assume son rôle de mère. En conclusion, Karim est un enfant intégré, ouvert et il serait dommage de laisser encore planer longtemps au-dessus de lui une menace de séparation. Il a besoin, comme tous les enfants, de sécurité. La présence de sa maman est indispensable à son équilibre et c'est avec elle qu'il pourra se construire normalement. » II. Le droit interne pertinent A. Le code de la santé publique L’article L. 630-1 du code de la santé publique disposait au moment des faits : « (…) les tribunaux (…) pourront prononcer l'interdiction définitive du territoire français contre tout étranger condamné pour les délits prévus à l'article L. 627. L’interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière à l’expiration de sa peine. (…) En cas de condamnation à l’interdiction définitive du territoire, le condamné ne pourra demander à bénéficier des dispositions de l’article 55-1 du code pénal. » La loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 avait remplacé les trois derniers alinéas par les dispositions suivantes : « Toutefois, l’interdiction définitive du territoire français ne sera pas applicable à l’encontre : (…) 2° D’un condamné étranger père ou mère d’un enfant français résidant en France, à la condition qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant ou qu’il subvienne effectivement à ses besoins ; (…) L’interdiction du territoire français ne sera pas applicable à l’égard d’un étranger qui justifie : 1° Soit qu’il réside habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de dix ans ou depuis plus de quinze ans ; 2° Soit qu’il réside régulièrement en France depuis dix ans. Les dispositions des huit alinéas précédents ne s’appliquent pas en cas de condamnation pour (…) l'importation ou l’exportation [de plantes vénéneuses classées comme stupéfiants] ou en cas de condamnation pour association formée ou entente établie en vue de commettre ces infractions. (…) L’interdiction du territoire français entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l’expiration de sa peine d’emprisonnement. » L’article L. 630-1 a été abrogé par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992. B. L’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 L’article 28 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, inséré par la loi du 24 août 1993 puis modifié par la loi du 30 décembre 1993, est ainsi rédigé : « Il ne peut être fait droit à une demande de relèvement d’une interdiction du territoire (…) présentée après l’expiration du délai de recours administratif que si le ressortissant étranger réside hors de France. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas pendant le temps où le ressortissant étranger subit en France une peine privative de liberté sans sursis ou fait l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence (…) » Les trois premiers alinéas de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, dans leur rédaction issue de la loi du 24 août 1993, ont été remplacés par les dispositions suivantes, en vertu de la loi du 24 avril 1997 : « (…) Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit : (…) à l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français de moins de seize ans résidant en France, à la condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins. (…) » C. Le code pénal L'article 55-1 du code pénal dispose : « (…) (…) toute personne frappée d'une interdiction (…) résultant de plein droit d'une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation, (…) peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation (…) de relever, en tout ou en partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction (…) (…) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 3 novembre 1994 à la Commission (n° 26102/95), Mme Dalia alléguait que son renvoi vers l’Algérie constituerait pour elle et pour son enfant un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et que le refus de la cour d'appel de Versailles, en date du 4 octobre 1994, d'accueillir sa requête en relèvement de la mesure d’interdiction définitive du territoire français portait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Elle affirmait aussi que la cour d’appel de Versailles, lors de l’examen de sa requête en relèvement de l’interdiction du territoire formulée le 5 février 1994, n’avait pas entendu sa cause conformément aux exigences de l’article 6 de la Convention. Le 17 mai 1995, dans une décision partielle, la Commission (deuxième chambre) a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 6 de la Convention et a ajourné la requête pour le surplus. Le 18 avril 1996, dans une décision finale, la Commission plénière, au bénéfice de laquelle la deuxième chambre s'était dessaisie, a retenu les deux autres griefs. Dans son rapport du 24 octobre 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à l’absence de violation de l'article 3 de la Convention et, par vingt et une voix contre neuf, à la non-violation de l’article 8. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « conclut au rejet de la requête de Mme Dalia ». De son côté, la requérante demande à la Cour : « de dire qu'en l'espèce [elle] a été victime d'une violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne (…) des Droits de l'Homme et qu'il conviendra en conséquence de lui allouer une indemnité de 100 000 francs français ainsi que le remboursement des ses frais et honoraires d'avocat ».
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant M. Mehmet Kaya est un citoyen turc né en 1949. A l'époque des événements en cause (paragraphe 8 ci-dessous), il était cultivateur et habitait le village de Dolunay, situé dans le district de Lice appartenant à la province de Diyarbakır, dans le Sud-Est de la Turquie. Il est actuellement détenu à la prison de type E de Diyarbakır (paragraphe 2 ci-dessus). Son frère, M. Abdülmenaf Kaya, était également fermier à Dolunay avant de trouver la mort le 25 mars 1993, non loin de son village, dans des circonstances controversées se trouvant à l'origine de la procédure engagée devant les institutions de la Convention. Le requérant avait saisi la Commission en son nom propre ainsi qu'au nom de son défunt frère et de la veuve et des sept enfants de ce dernier. Les faits controversés Le requérant allègue que son frère a été tué volontairement par les forces de sécurité le 25 mars 1993. Le Gouvernement affirme au contraire que M. Abdülmenaf Kaya a trouvé la mort lors d'un affrontement armé entre les forces de sécurité et un groupe de terroristes qui les auraient attaquées ce jour-là et dont aurait fait partie le frère du requérant. Les récits des parties sont exposés à la partie A ci-dessous. Le requérant et le Gouvernement étayent leur version contradictoire des circonstances du décès de M. Abdülmenaf Kaya sur des documents cités à la partie B. Les mesures prises par les autorités turques après le 25 mars 1993 dans le cadre de l'enquête sur le décès font l'objet de la partie C. La Commission a désigné deux délégués pour recueillir la déposition des principaux témoins lors d'une audition qui s'est tenue à Diyarbakır le 9 novembre 1995. Eu égard au récit des témoins qui ont comparu et à l'examen des données pertinentes, la Commission a apprécié les éléments de preuve et tiré ses conclusions quant au décès d'Abdülmenaf Kaya et au caractère adéquat de l'enquête interne sur sa mort. Les conclusions et motifs de la Commission sont résumés à la partie D ci-dessous. A. Les événements du 25 mars 1993 La version des faits donnée par le requérant L’intéressé fonde sa description des circonstances dans lesquelles son frère a trouvé la mort le 25 mars 1993 sur les témoignages d'habitants du village de Çiftlibahçe qui, selon lui, ont assisté aux événements, et sur celui de M. Hikmet Aksoy, villageois de Dolunay qui se serait trouvé avec son frère lorsque ce dernier a été tué. Le requérant n'a pas été lui-même témoin des faits. L'intéressé allègue que le 25 mars 1993 au matin, son frère se rendit en compagnie d'Hikmet Aksoy dans les champs situés à trois ou quatre cents mètres de Çiftlibahçe et à quatre kilomètres de Dolunay. Des opérations militaires étaient en cours à ce moment-là. Hikmet Aksoy quitta la route pour se diriger vers ses ruches mais fut arrêté par des soldats. Abdülmenaf Kaya prit alors la fuite, craignant d'être arrêté à son tour. Le voyant courir, les soldats ouvrirent le feu. Abdülmenaf Kaya continua sa course en direction de Çiftlibahçe et se cacha dans des buissons. Les soldats le poursuivirent et le trouvèrent. Selon les villageois de Çiftlibahçe ayant vu la scène, les soldats le tuèrent en le criblant de balles. Les soldats placèrent ensuite une arme près du corps et prirent des photographies. Les villageois demandèrent qu'on leur remît le corps. Les soldats commencèrent par refuser puis cédèrent lorsque les villageois leur eurent exposé que le mort n'était pas un terroriste mais l'oncle de l'un des habitants d'un village voisin. Les membres des forces de sécurité insultèrent et menacèrent les villageois. Hikmet Aksoy fut placé en garde à vue et détenu à la gendarmerie de Lice pendant six jours. La version des faits donnée par le Gouvernement La description que fait le Gouvernement des événements ayant précédé la mort du frère du requérant se fonde sur les dépositions recueillies à Diyarbakır le 9 novembre 1995 par les délégués de la Commission (paragraphe 8 ci-dessus) et formulées par les membres des forces de sécurité ayant participé à l'affrontement allégué avec des terroristes le 25 mars 1993, à savoir : le lieutenant Alper Sır, commandant les quatre détachements de soldats ayant participé à l'opération antiterroriste ce jour-là, les sergents-chefs Ahmet Gümüs et Paşa Bülbül, commandant des patrouilles ayant pris part à l'opération, et le sergent Altan Berk, appartenant à l'une des patrouilles. Le Gouvernement affirme qu'ayant appris que des terroristes avaient été vus dans la région, les forces de sécurité arrivèrent aux abords du village de Dolunay le 25 mars 1993. Alors qu'elles étaient disposées en ligne pour effectuer des recherches sur le terrain entre Dolunay et Çiftlibahçe, elles essuyèrent des coups de feu provenant d'une zone rocheuse, d'un ruisseau et des collines environnantes. Les soldats, qui étaient une soixantaine, se mirent à couvert et ripostèrent en utilisant principalement des fusils G3 et A4 ayant une portée efficace comprise entre 300 et 1 000 mètres ainsi que des mitraillettes MG3 et K23 de plus grande portée. Les forces de sécurité et leurs assaillants étaient distants de quelque 300 à 500 mètres. Les terroristes firent retraite au bout d'une trentaine de minutes. Profitant de l'accalmie, les soldats fouillèrent les lieux et découvrirent un corps à côté duquel se trouvait une arme automatique portant le numéro de série 59339 (le rapport balistique confirma plus tard qu'elle était de fabrication chinoise – paragraphe 32 ci-dessous) ainsi que des munitions, notamment trois chargeurs avec trois cartouches vides et trois pleines. Les soldats trouvèrent aussi d'importantes traces de sang le long de la voie utilisée par les terroristes pour s'enfuir. 13. Le lieutenant Alper Sır, commandant les détachements, bloqua la zone et informa de l'incident le parquet de Lice. Le procureur, M. Ekrem Yıldız, et le médecin officiel du district, le Dr Arzu Doğru, arrivèrent deux heures et demie plus tard sur les lieux en hélicoptère avec des assistants. Le médecin pratiqua une autopsie du corps sur place et rédigea sur-le-champ un rapport (paragraphes 26–30 ci-dessous). Le procureur délivra le permis d'inhumer. Le corps, qui n'avait pas encore été identifié (paragraphe 15 ci-dessous) fut remis au lieutenant Alper Sır, qui signa les formulaires nécessaires. Le détachement de ce dernier se rendit ensuite dans le village le plus proche, Çiftlibahçe, où le corps fut remis au maire et à deux autres villageois pour l'enterrement. Ils signèrent un papier attestant que le corps leur avait bien été remis. Un rapport d'incident fut rédigé à la main le 25 mars et signé de six membres des forces de sécurité, dont Alper Sır, Paşa Bülbül, Ahmet Gümüs et Altan Berk (paragraphe 11 ci-dessus). Ce rapport confirme la version des faits qui vient d'être exposée (paragraphes 12 et 13 ci-dessus). L'identité du défunt n'a été découverte que quelques mois plus tard. Selon un rapport du 5 mai 1993 écrit à la main et signé par trois gendarmes, l'enquête menée après l'incident a montré que le corps était celui d'Abdülmenaf Kaya, villageois de Dolunay tué lors d'un affrontement avec des membres des forces de sécurité menant une opération aux abords de ce village. B. Eléments fournis à l'appui de ces récits Déclarations du requérant L'intéressé affirme avoir personnellement confirmé la version des faits exposée plus haut (paragraphe 10 ci-dessus) dans une déclaration faite le 31 mars 1993 à M. Abdullah Koç, de la section de Diyarbakır de l'Association des droits de l'homme, soit six jours après l'incident fatal, ainsi que dans une déclaration complémentaire recueillie le 20 septembre 1993 par M. Sedat Aslantaş, de la même association. a) Déposition datée du 31 mars 1993, recueillie par Abdullah Koç, de la section de Diyarbakır de l'Association des droits de l'homme Dans sa déclaration, le requérant indique que le 25 mars 1993 au matin, vers 8 heures, Abdülmenaf Kaya et Hikmet Aksoy se rendirent dans les champs situés à trois ou quatre cents mètres du village de Çiftlibahçe et à quatre kilomètres du village de Dolunay. Au même moment, une opération militaire débutait dans les villages de Boyunlu, Dolunay, Çiftlibahçe et Ormankaya. Des soldats qui participaient à cette opération arrêtèrent Hikmet Aksoy. Voyant cela, Abdülmenaf Kaya prit la fuite et les soldats ouvrirent le feu. Abdülmenaf Kaya franchit en courant les trois ou quatre cents mètres qui le séparaient de Çiftlibahçe et se cacha dans les buissons. Les soldats le débusquèrent et, selon des témoins oculaires, criblèrent son corps de plus de cent balles, déposèrent une arme à feu sur lui et prirent des photographies. Ils refusèrent de remettre le corps aux villageois, mais ceux-ci insistèrent en disant que le défunt venait d'un village des environs et qu'il n'était pas un terroriste. Les soldats finirent par leur remettre le corps. Par la suite, le commandant du détachement militaire menaça les habitants de Çiftlibahçe et de Dolunay de détruire leur village. La plupart de ceux qui vinrent présenter leurs condoléances à l'occasion du décès d'Abdülmenaf Kaya subirent des tracasseries de toutes sortes. Le requérant termine sa déclaration en affirmant que Hikmet Aksoy a été placé en garde à vue et qu'on ne sait pas où il se trouve. b) Déclaration complémentaire datée du 20 septembre 1993, recueillie par Sedat Aslantaş, de l'Association des droits de l'homme de Diyarbakır Le requérant déclare qu'Abdülmenaf Kaya fut blessé alors qu'il s'enfuyait en courant et que les forces de sécurité le suivirent jusque dans les buissons, où ils le tuèrent. Selon lui, seules les forces de sécurité prirent des photographies du cadavre. Lorsque le corps fut remis à la famille du requérant, elle dut l'inhumer immédiatement. Une autopsie fut pratiquée, mais M. Mehmet Kaya ne reçut pas copie du rapport, alors qu'il en avait demandé une. Il déclare aussi que les témoins qui avaient vu le corps d'Abdülmenaf Kaya quittèrent le village, effrayés par les forces de sécurité et par les menaces auxquelles ils s'exposeraient s'ils parlaient franchement en public. Il ne parvient à se rappeler le nom d'aucun des villageois ayant assisté au drame. Il conclut en disant que Hikmet Aksoy avait été détenu pendant six jours à la gendarmerie de Lice pour y être interrogé, puis libéré. Déclarations de Hikmet Aksoy Le requérant affirme que sa version des événements est confirmée par plusieurs déclarations faites par Hikmet Aksoy aux autorités dans des conditions où il était impossible que celui-ci ait eu connaissance de la teneur de ses propres dépositions à l'Association des droits de l'homme de Diyarbakır (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). a) Déposition recueillie le 17 juin 1994 par Özcan Küçüköz, procureur de Lice Cette déposition a été recueillie à la suite d'une lettre du procureur général près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır en date du 17 mai 1994 (paragraphe 33 ci-dessous). Lorsqu'il a fait cette déposition, Hikmet Aksoy se trouvait à la prison de Lice pour détention de haschisch. Comme Hikmet Aksoy, Abdülmenaf Kaya était un habitant de Dolunay. Le 25 mars 1993, Hikmet Aksoy quitta sa maison pour aller entretenir ses ruches, installées sur un terrain longeant une route reliant Dolunay à Çiftlibahçe. A la sortie du village, il rencontra Abdülmenaf Kaya, qui voulut l'accompagner. Arrivé aux ruches, il entendit courir et vit une dizaine de soldats s'approcher de lui. Les soldats lui lièrent les mains et lui demandèrent qui il était et ce qu'il faisait là. Deux ou trois minutes plus tard, les soldats aperçurent Abdülmenaf Kaya qui s'enfuyait. Ils hélèrent ce dernier et lui ordonnèrent de s'arrêter, mais il ne les entendit pas ou ne voulut pas les entendre et pressa le pas. Le lieutenant ordonna à ses soldats de tirer aux pieds d'Abdülmenaf Kaya. Celui-ci se trouvait alors à cinquante ou soixante mètres d'eux. Lorsque les soldats commencèrent à tirer, Abdülmenaf Kaya se mit à courir vers Çiftlibahçe. Les soldats le pourchassèrent, emmenant M. Aksoy avec eux. Abdülmenaf Kaya disparut derrière un talus et quand les soldats y arrivèrent, ils l'avaient perdu de vue. Ils parvinrent alors à la dizaine de maisons situées non loin de Çiftlibahçe, où ils rencontrèrent d'autres soldats qui leur signalèrent avoir vu Abdülmenaf Kaya. M. Aksoy et les soldats attendirent dans la rue pendant une demi-heure environ. C'est alors qu'il entendit des coups de feu. Selon lui, trois chargeurs furent vidés successivement. Environ dix minutes après, un hélicoptère se posa, mais trop loin pour que M. Aksoy pût voir ce qui se passait. L'hélicoptère repartit dix minutes plus tard. Ensuite, un lieutenant s'approcha de M. Aksoy et lui dit « nous avons tué Menaf ». M. Aksoy fut emmené à Lice où il resta en garde à vue pendant quinze jours. b) Déposition recueillie le 22 novembre 1995 par deux policiers de la section antiterroriste M. Aksoy aurait fait cette déposition alors qu'il se trouvait en détention, après avoir été arrêté le 14 novembre 1995. Selon le requérant, on ne saurait la considérer comme fiable car elle aurait été extorquée sous la menace, comme le confirme la rétractation ultérieure de M. Aksoy (paragraphes 24 et 25 ci-dessous). 23. M. Aksoy y explique comment, depuis 1990, il fournissait des vivres à des groupes du Parti des travailleurs du Kurdistan (« PKK ») qui venaient dans son village, Dolunay. Depuis 1991, il s'occupait également d'assurer la présence de villageois aux funérailles de terroristes. En mars 1992, six membres du PKK arrivèrent au village et lui dirent d'aller chercher Abdülmenaf Kaya. Celui-ci arriva et eut un entretien en aparté avec un des membres du PKK. Deux mois plus tard, trois membres du PKK arrivèrent avec un groupe de dix personnes. Abdülmenaf Kaya reçut l'ordre d'organiser la présence de villageois à des funérailles. Deux mois après, les militaires lancèrent une opération au cours de laquelle Abdülmenaf Kaya fut tué. D'après le Gouvernement, cette dernière partie de la déclaration est une traduction inexacte des termes employés par M. Aksoy. Il affirme que celui-ci aurait en fait rapporté qu'Abdülmenaf Kaya avait trouvé la mort lors d'un affrontement armé. c) Déposition recueillie par un procureur datée du 23 novembre 1995 M. Hikmet Aksoy y rétracte sa déclaration du 22 novembre 1995 (paragraphes 22 et 23 ci-dessus), affirmant avoir été contraint de signer un document rédigé par la police. Il nie les accusations portées contre lui, à savoir qu'il aurait servi de messager au PKK. Dans cette déposition, il ne mentionne pas Abdülmenaf Kaya. Le rapport d'autopsie du 25 mars 1993 Ce rapport fut rédigé sur place par le Dr Arzu Doğru, arrivé en hélicoptère sur les lieux de la fusillade pour effectuer l'autopsie (paragraphe 13 ci-dessus). Ce rapport indique que le 25 mars 1993, à la suite d'un appel téléphonique de la gendarmerie du district selon lequel le corps d'un membre de l'organisation terroriste PKK avait été trouvé à la suite d'un affrontement, le procureur, M. Ekrem Yıldız, et le médecin officiel du district, le Dr Arzu Doğru, se rendirent sur les lieux en hélicoptère militaire, accompagnés d'un sergent-chef de gendarmerie, qui devait faire fonction de greffier. A leur arrivée sur les lieux, ils trouvèrent le corps gisant sur le dos dans les buissons, sur la berge d'un ruisseau. Le cadavre fut déplacé sur un terrain plat. A côté du corps se trouvait une kalachnikov numérotée 8125298, ainsi qu'un chargeur contenant trois cartouches pleines et six vides. Le corps est décrit comme étant celui d'un homme de 35 à 40 ans aux cheveux gris, portant un pantalon bleu et gris avec une large ceinture autour de la taille, un gilet noir sans manches et une chemise d'hiver à rayures, des chaussures en caoutchouc mais pas de chaussettes. Comme il n'y avait personne sur les lieux pour identifier le corps, les forces de sécurité prirent des photographies sous plusieurs angles. Un grand nombre de blessures causées par l'entrée et la sortie de balles furent constatées sur le corps : au cou, à la gorge, au-dessus du cœur, dans la région supérieure gauche de l'abdomen, autour du nombril et à l'aine, à la hanche gauche et aux deux fémurs. Les balles avaient brisé les os des deux jambes. Le rapport précise ensuite que le médecin fut conduit sur place, que le corps fut mis à sa disposition et qu'il rédigea la déclaration suivante : « J'ai fait les constatations qui précèdent avec le procureur et je les confirme telles qu'elles sont exposées ci-dessus. Ces constatations ne laissent aucun doute quant à la cause du décès. Il n'est pas nécessaire de procéder à une autopsie classique. De toute façon, il est impossible de pratiquer une autopsie complète en raison des conditions sur les lieux, de l'insécurité et de l'absence d'instruments. Les constatations qui précèdent m'amènent à conclure que la mort est due à une insuffisance cardio-vasculaire résultant de blessures occasionnées par des armes à feu. Telle est ma ferme conviction. » Le rapport précise en outre que le fusil et les munitions ont été saisis comme pièces à conviction. Il indique en conclusion que l'examen médico-légal du corps et la procédure d'autopsie ont été menés à bien. Le rapport est notamment signé par le lieutenant Alper Sır, à qui le corps a été remis. C. Procédure devant les autorités nationales Après les événements du 25 mars 1993 et l'identification du corps, reconnu comme celui d'Abdülmenaf Kaya (paragraphe 15 ci-dessus), M. Ekrem Yıldız, procureur de Lice, prit le 20 juillet 1993 une décision d'incompétence et transmit le dossier au procureur général près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır. Dans sa décision, le procureur déclare avoir « examiné les documents préliminaires » concernant un crime commis par Abdülmenaf Kaya qui, en compagnie d'autres terroristes du PKK, aurait participé le 25 mars 1993 à un affrontement armé avec les forces de sécurité. Il y décrit comment ces dernières découvrirent le corps après l'assaut, ainsi qu'une mitraillette et des cartouches vides. Il y indique ne pas avoir encore reçu le rapport balistique sur l'arme. Le procureur conclut qu'en raison des intentions des terroristes et du fait que l'attaque s'est produite dans une zone soumise à l'état d'urgence, l'enquête doit être menée par le parquet de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, car lui-même n'a pas compétence en la matière. La cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır transmit à son tour le dossier au tribunal administratif de Lice pour enquête. 32. Le laboratoire médico-légal de la police de Diyarbakır rédigea le 23 juin 1993 un rapport d'expertise sur l'arme et les munitions trouvées auprès du corps d'Abdülmenaf Kaya. Ce rapport, qui n'était pas disponible lorsque le procureur rendit sa décision d'incompétence (paragraphe 31 ci-dessus), indique que l'arme était une kalachnikov de fabrication chinoise, portant le numéro de série 8125298/59339 et que les trois balles avaient été tirées par la mitraillette « trouvée auprès du terroriste mort ». Le 17 juin 1994, un procureur, apparemment à la requête du procureur général près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, recueillit la déposition de Hikmet Aksoy, alors détenu à Lice, quant à la mort d'Abdülmenaf Kaya (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Au cours de la procédure devant la Commission, celle-ci a demandé au Gouvernement de produire les clichés qui auraient été joints au rapport d'autopsie (paragraphe 27 ci-dessus). A ce jour, les autorités n'ont pas encore été en mesure de récupérer ces photographies. D. Appréciation des preuves et constatations de la Commission quant au décès du frère du requérant et au caractère adéquat de l'enquête officielle Les témoins Le 9 novembre 1995 à Diyarbakır, deux délégués de la Commission ont entendu les cinq témoins suivants : le Dr Arzu Doğru, qui a pratiqué l'autopsie sur les lieux de l'incident, le lieutenant Alper Sır, les sergents-chefs Ahmet Gümüs et Paşa Bülbül et le sergent Altan Berk. Le requérant ne s'est pas rendu à l'audition. Il a informé la Commission le 1er novembre 1995 qu'il craignait des représailles s'il témoignait, sans préciser la nature de ses craintes. M. Hikmet Aksoy ne s'est pas non plus présenté. Dans une lettre du 8 novembre 1995, ce dernier a appris à la Commission, par l'intermédiaire de l'Association des droits de l'homme de Diyarbakır, que la police avait exercé des pressions sur lui et sa famille pour le dissuader de déposer, raison pour laquelle il ne comparaîtrait pas. De plus, alors qu'ils avaient été convoqués, ni M. Ekrem Yıldız, procureur de Lice, ni le procureur général près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır ne se sont rendus à l'audition. Le premier avait d'autres obligations et le second estimait ne pas être en mesure de fournir des informations pertinentes relatives à la poursuite des investigations sur le décès d'Abdülmenaf Kaya, car il n'avait participé à l'enquête qu'une fois l'affaire transmise à la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır. Méthode d'appréciation des preuves La Commission s'est livrée à l'appréciation des éléments écrits et oraux dont elle disposait en se fondant sur le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable, sachant qu'une telle preuve peut résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Elle relève à cet égard que la non-comparution du requérant et de M. Hikmet Aksoy ainsi que des deux procureurs à l'audition de Diyarbakır joue un rôle considérable quant au point de savoir si les faits sont établis avec le degré de certitude voulu. La Commission relève cependant que le requérant n'a pas assisté personnellement aux événements en cause et que son témoignage n'aurait eu qu'une faible valeur. En revanche, la contribution de Hikmet Aksoy aurait été précieuse car celui-ci prétend avoir vu la scène ; le fait qu'il ne se soit pas présenté signifie que les délégués n'ont pas pu le soumettre à un contre-interrogatoire afin d'évaluer sa crédibilité et la valeur probante de son témoignage. De plus, l'absence d'enquête approfondie au niveau interne sur les circonstances de la mort du frère du requérant (paragraphes 31–34 ci-dessus) implique que la Commission a dû fonder ses conclusions sur les dépositions orales et les éléments écrits qu'elle a rassemblés en vertu des pouvoirs que lui confère l'article 28 § 1 a) de la Convention. Appréciation des preuves On peut résumer ainsi l'appréciation qu'a faite la Commission du décès d'Abdülmenaf Kaya : i. Les seuls faits clairs et incontestés en l'espèce sont les suivants : le 25 mars 1993, le corps d'Abdülmenaf Kaya a été découvert gisant dans les buissons sur la berge d'un ruisseau, non loin du village de Dolunay. Il portait un pantalon bleu et gris avec une large ceinture autour de la taille, un gilet noir sans manches et une chemise d'hiver à rayures, des chaussures en caoutchouc, mais pas de chaussettes. Un grand nombre de plaies causées par l'entrée et la sortie de balles ont été constatées sur le corps : au cou, à la gorge, au-dessus du cœur, dans la région supérieure gauche de l'abdomen, autour du nombril et à l'aine, à la hanche gauche et aux deux fémurs. Les balles avaient brisé les os des deux jambes. Le nombre total de blessures par balles n'est pas consigné dans le rapport d'autopsie mais le Dr Arzu Doğru, dans son témoignage oral devant les délégués, l'a estimé à sept ou huit. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'une autopsie consistant uniquement en un examen externe a été effectuée par le Dr Doğru à l'endroit même où Abdülmenaf Kaya avait été tué ou non loin de là, et que le corps a été remis par la suite, sur instructions du lieutenant Alper Sır, à trois habitants du village voisin de Çiftlibahçe. ii. Les récits de l'affrontement donnés par les soldats qui ont témoigné (paragraphe 35 ci-dessus), encore que lacunaires dans les détails, étaient cohérents dans leurs grandes lignes et cadraient avec la version du Gouvernement (paragraphes 11–15 ci-dessus). iii. Un certain nombre de facteurs font toutefois douter du récit du Gouvernement : malgré le nombre de soldats (50–60) et de terroristes du PKK (20–35) engagés dans l'affrontement armé, qui aurait duré de trente à soixante minutes, celui-ci n'a fait qu'une seule victime ; le nombre et la gravité des blessures par balles constatées sur le corps, compte tenu de la portée des armes des soldats (400–600 mètres) et de la distance de tir entre les soldats et leurs assaillants (300 –1 000 mètres) ; le corps du défunt était criblé de balles, ce qui donne à penser qu'il avait dû se trouver entièrement exposé aux tirs, alors qu'on ne l'a pas vu, ni d'autres terroristes, pendant l'affrontement ; les vêtements du défunt n'étaient pas de ceux que portent habituellement les membres du PKK retranchés dans les montagnes ; le corps a été remis à trois villageois inconnus, alors que le défunt passait pour un terroriste ; enfin, l'absence de preuve médico-légale établissant un lien entre le défunt et l'arme trouvée à ses côtés. Les constatations relatives au décès du frère du requérant Tout en jugeant les éléments ci-dessus (paragraphe 39 iii) préoccupants et difficiles à concilier avec les faits incontestés, la Commission n'a pu tenir pour établi au-delà de tout doute raisonnable qu'Abdülmenaf Kaya ait été délibérément tué par des soldats dans les circonstances qu'allègue le requérant, à la lumière d'une appréciation générale des éléments de preuve oraux et écrits. Les constatations relatives à l'enquête interne sur le décès La Commission a procédé à une appréciation des recherches et mesures d'enquête concernant le décès d'Abdülmenaf Kaya alors que les autorités n'avaient mené aucune investigation approfondie sur les événements du 25 mars 1993 et que ses délégués n'avaient pu entendre le témoignage des procureurs ayant joué un rôle clé aux divers stade de l'enquête (paragraphe 37 ci-dessus). La Commission n'a pas jugé convaincantes les raisons avancées pour expliquer leur non-comparution à l'audition organisée par les délégués. Elle a considéré l'autopsie comme défectueuse et incomplète. En premier lieu, rien n'a été fait pour enregistrer le nombre de balles ayant atteint le défunt ni la distance à laquelle les balles avaient été tirées. Le rapport n'indique pas non plus avec précision l'emplacement des blessures causées par l'entrée et la sortie des balles. En second lieu, on n'a pas cherché à relever les empreintes digitales ou les traces de poudre sur les vêtements ou le corps du défunt. Tout en reconnaissant que l'autopsie et l'examen médico-légal ont été pratiqués dans des conditions difficiles vu les conditions de sécurité qui régnaient sur place, la Commission trouve extraordinaire que le corps n'ait pas été transporté par avion en un lieu où l'on eût pu effectuer des examens complémentaires, par exemple des balles ayant pénétré dans le corps. Le fait que le cadavre a été remis aux villageois a interdit tout autre examen. En troisième lieu, la Commission relève que les autorités semblent avoir tenu pour évident que le défunt était un terroriste du PKK et n'ont donc pas jugé utile d'envisager sérieusement la possibilité qu'il ait été tué dans des circonstances engageant la responsabilité des forces de sécurité. A cet égard, la Commission se fonde sur le rapport d'autopsie, où le défunt est décrit comme un membre du PKK, sur le libellé de la décision d'incompétence rendue par le procureur, M. Ekrem Yıldız (paragraphe 31 ci-dessus) et sur le fait que le procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır ne semble pas avoir questionné Hikmet Aksoy au sujet de l'appartenance éventuelle du défunt au PKK (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le Gouvernement a indiqué à la Commission et à la Cour que la législation interne ci-après est applicable en l'espèce. A. Circonstances autorisant les forces de sécurité à ouvrir le feu En vertu de l'article 23 du décret n° 285 (instaurant l'état d'urgence), les membres des forces de sécurité, des forces spéciales en service et des forces armées sont habilités, dans les circonstances prévues par la loi pertinente, à faire usage de leurs armes dans l'exercice de leurs fonctions. Les forces de sécurité peuvent donc ouvrir le feu et tirer sur un individu sommé de se rendre qui n'obtempère pas, désobéit ou répond en ouvrant le feu, ou lorsqu'elles se trouvent en état de légitime défense. La légitime défense est prévue à l'article 49 du code pénal turc qui, en ses passages pertinents, est ainsi libellé : « N'est pas punie la personne qui agit (...) face à la nécessité immédiate de repousser une agression injuste contre sa propre personne ou celle d'autrui ou une atteinte injuste à la pudeur. » B. Enquête sur l'infraction d'homicide et poursuites de ce chef en vertu du code de procédure pénale Le code pénal contient des dispositions ayant trait à l'homicide involontaire (articles 452 et 459), à l'homicide volontaire (article 448) et à l'assassinat (article 450). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces crimes, de porter plainte auprès du procureur ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d'instruire les plaintes dont ils sont saisis (article 153), le premier décidant s'il y a lieu d'engager des poursuites, conformément à l'article 148 du code de procédure pénale. Un plaignant peut faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites (article 165). Le requérant attire l'attention de la Cour sur l'article 4 § 1 du décret n° 285, aux termes duquel le procureur doit décliner sa compétence au profit de conseils administratifs locaux lorsqu'il est saisi d'allégations contre les forces de sécurité. Selon le requérant, la conformité de cette disposition à la Constitution ne saurait être attaquée en justice, puisqu'elle fait partie d'un décret ayant force de loi. On trouve une clause identique à l'article 15 § 3 de la loi n° 3713 (loi de 1981 contre le terrorisme), qui a de fait été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour suprême dans une décision du 31 mars 1992. Le requérant fait valoir que les conseils administratifs, composés de fonctionnaires nommés n'ayant aucune formation juridique, manquent d'indépendance et confient les enquêtes sur les méfaits supposés d'agents des forces de sécurité à un membre haut placé de celles-ci. Ensuite, l'enquêteur recommande ou non l'ouverture de poursuites et le conseil administratif, dont les décisions sont susceptibles d'un contrôle du Conseil d'Etat, adopte sa recommandation. C. Rapport entre responsabilité pénale et responsabilité civile en droit turc Le Gouvernement a fourni à la Cour un descriptif du rapport établi en droit turc entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile. Lorsqu'un tribunal civil statue sur la question de savoir si un acte donné entraîne une faute, il n'est pas lié par des considérations de droit pénal. Au civil, le juge n'est pas tenu par les règles de la responsabilité pénale ni par la décision d'une juridiction pénale d'acquitter une personne pour le méfait qui constitue l'objet de la procédure civile. Il découle de l'article 53 du code turc des obligations qu'en matière civile, le juge n'a pas besoin de s'aligner sur les conclusions de la juridiction pénale, tant en ce qui concerne l'absence de faute que l'existence ou la gravité d'une faute. L'article 53 est ainsi libellé : « Lorsqu'il statue sur la question de la faute ou de la capacité à agir, le tribunal n'est pas lié par les dispositions du droit pénal relatives à la responsabilité pénale ni par la décision d'acquitter émanant d'une juridiction pénale. » Le droit pénal turc ne traite pas les notions de crime et de faute de la même manière que le droit civil. La responsabilité pénale entraîne des sanctions tandis que le droit civil ne s'intéresse qu'à l'indemnisation du plaignant en mesure de prouver que le défendeur a commis une faute. La responsabilité pénale et la responsabilité civile sont engagées à des niveaux différents et selon des critères différents. En droit pénal, il faut établir que l'accusé avait l'intention d'agir comme il l'a fait ; en principe, la négligence n'est pas constitutive de faute. La situation est différente en droit civil. Une juridiction pénale peut statuer sur les aspects pénaux d'une affaire ainsi que sur ses aspects civils si la partie lésée le demande en vertu de la loi sur la procédure pénale. Le tribunal pénal peut ainsi être amené à allouer des dommages-intérêts. En ce cas, sa décision est contraignante. Une juridiction civile saisie d'une demande en réparation n'a pas besoin d'attendre que le tribunal pénal rende son jugement sur les aspects pénaux de l'affaire avant d'examiner le cas. Ce n'est que lorsque la juridiction pénale a jugé qu'un accusé avait commis un acte constitutif d'infraction que le tribunal civil est lié par cette conclusion. En revanche, si le tribunal pénal a acquitté un accusé au motif que les preuves réunies contre lui n'étaient pas suffisantes pour confirmer l'accusation, le tribunal civil n'est pas lié par cette conclusion si l'acte ayant donné lieu à accusation formait l'objet du litige civil. La question de la responsabilité civile est examinée conformément aux règles et procédures civiles. A cet égard, une cour d'appel a jugé en 1971 : « La circonstance que la procédure pénale se solde par l'acquittement de l'accusé ou que le méfait a été commis par plusieurs personnes [et] qu'il n'est pas possible de découvrir qui en est l'auteur ne lie en rien le juge civil dans le cadre d'une action en réparation engagée ultérieurement. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 22729/93) du 23 septembre 1993 à la Commission, le requérant se plaignait de ce que son frère, Abdülmenaf Kaya, avait été tué illégalement par les forces de sécurité le 25 mars 1993 et que les autorités n'avaient pas mené une enquête adéquate sur les circonstances de son décès. Il dénonçait la violation des articles 2, 3, 6, 13 et 14 de la Convention. 52. La Commission a retenu la requête le 20 février 1995. Dans son rapport du 24 octobre 1996 (article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention en raison des insuffisances de l'enquête menée par les autorités sur le décès du frère du requérant (vingt-sept voix contre trois), qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention (unanimité), qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Convention (vingt-sept voix contre trois), qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 13 de la Convention (vingt-huit voix contre deux) et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire et à l'audience, le requérant prie la Cour de dire que les faits de la cause révèlent une violation par l'Etat défendeur des articles 2, 6 et 13 de la Convention ainsi que de ces articles combinés avec l'article 14. Il renonce au grief tiré de l'article 3 qu'il avait fait valoir devant la Commission et prie également la Cour de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50. Pour sa part, tant dans son mémoire qu'à l'audience, le Gouvernement demande à la Cour de déclarer l'affaire irrecevable au motif que M. Kaya n'a pas prouvé qu'il bénéficiait de la qualité de requérant aux fins de la procédure devant les institutions de la Convention. A titre subsidiaire, il invite la Cour à rejeter les griefs de l'intéressé car ils ne correspondent à aucune violation de la Convention.
0
0
1
0
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, M. Muharrem Ergi, est un citoyen turc d'origine kurde né en 1954 et résidant à Incirliova, Aydın. Il a soumis sa requête pour son propre compte ainsi qu’au nom de sa sœur défunte, Mme Havva Ergi, et de la fillette de celle-ci, pour se plaindre d'un incident survenu le 29 septembre 1993 au cours duquel sa sœur a trouvé la mort. Le village où se sont produits les faits possède un ancien nom kurde, Gisgis, ainsi qu'un nom turc officiel, Kesentaş, par lequel il sera désigné ci-dessous. Les faits de la cause sont controversés. A. La version des faits donnée par le requérant Une semaine avant l’incident qui se produisit le 29 septembre 1993 à Kesentaş (le village du requérant), Cuma Bali, l’un des deux « collaborateurs » du village, avait été tué par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). La veille de l’incident, Ibrahim Halil, l’autre « collaborateur », avait quitté Kesentaş pour Ziyaret, situé à cinq kilomètres, sous la protection des gardes de Ziyaret, et avec l’aide, semble-t-il, de gendarmes. Selon le requérant, un « collaborateur » est un espion à la solde de l’Etat, à ne pas confondre avec un garde de village. Le 29 septembre 1993, les forces de l’ordre tendirent une embuscade dans les environs du village, prétendument pour capturer des membres du PKK. Elles se composaient d’un commando et de gardes du village de Ziyaret. Les forces de l’ordre étaient postées à l’intérieur ou à proximité d’un cimetière situé à 600 mètres au nord-ouest du village, ainsi qu’au sud du village, près de la route goudronnée. Elles ouvrirent le feu, tirant sans distinction sur les maisons de la population civile pendant une heure environ. Havva, la sœur du requérant, trouva la mort au cours de cette fusillade. Aucun membre du PKK ne fut tué ou capturé. La maison du requérant se trouvait au centre du village. Au moment où l’incident éclata, son père et sa sœur Havva dormaient sur la terrasse, à l’étage. Dès que les tirs commencèrent, Havva et son père rentrèrent dans la maison pour s'abriter, mais Havva sortit sur la véranda pour ramasser des affaires. Alors qu’elle se trouvait sur le pas de porte, elle fut touchée à la tête par une balle et tuée sur le coup. Le lendemain matin, l’oncle du requérant, Hasan Ergi, informa le commandant de la gendarmerie d’Ergani, sans doute par téléphone, que la sœur du requérant avait été tuée. Le commandant fut surpris d’apprendre qu’une seule personne était décédée et déclara qu’il s'attendait à ce qu'une vingtaine de personnes au moins soient tuées. L’oncle du requérant annonça au commandant qu’il allait s'adresser au procureur, mais le commandant lui dit de rentrer chez lui, déclarant qu’il aviserait lui-même le procureur. Vers midi, le procureur, un médecin et plusieurs militaires se rendirent au domicile du requérant pour procéder à une autopsie. Pendant celle-ci, qui eut lieu à l’intérieur de la maison du requérant, le frère de celui-ci, Seyit Battal Ergi, demanda aux militaires pourquoi sa famille était ainsi persécutée. Un sous-officier lui répondit que si les villageois acceptaient de devenir gardes de village, les persécutions cesseraient. Il ajouta qu’ils avaient tiré sur le village parce qu’ils avaient aperçu des terroristes à l’entrée, et que la fusillade aveugle sur l'ensemble du village s'expliquait par la maladresse des troupes. Après avoir pratiqué l’autopsie, le médecin se borna à présenter ses condoléances et délivra un permis d’inhumer. Le procureur n'interrogea pas le requérant et sa famille sur leur version de la fusillade. Le gendarme İsa Gündoğdu rédigea le rapport concernant l’incident sans interroger les villageois ni les membres du commando impliqué, et sans chercher à recueillir de déclaration de leur part. Les gendarmes ne trouvèrent aucune cartouche dans le secteur où le PKK était censé se trouver pendant l’incident. Rien ne prouve que le PKK ait été alors réellement présent dans les parages. La balle qui avait tué la sœur du requérant fut décrite dans le rapport balistique comme une OTAN 7,62, modèle standard utilisé par les forces de l’ordre turques et de nombreuses autres. Le tir ne pouvait pas venir de l’est, car il aurait été bloqué par les murs des maisons. Il ne pouvait provenir que du sud ou du sud-est, et d’une altitude plus élevée, c’est-à-dire du coteau sur lequel les forces de l’ordre étaient postées. Depuis le jour de l’autopsie, il n'y a eu aucun contact entre le procureur et la famille. Le requérant et sa famille demeurent dans l'ignorance au sujet de la version officielle de l’incident et ne savent pas si une enquête a été ouverte à propos de la fusillade ou si des poursuites ont été engagées. Selon le requérant, sur les deux cents familles que comptait le village, il n'en reste plus que vingt, les autres ayant abandonné leur domicile à la suite d’incidents militaires tels que celui qui a entraîné la mort de sa sœur. B. La version des faits donnée par le Gouvernement Les forces de l’ordre tendirent une embuscade non loin du village afin de capturer les membres du PKK actifs dans ce secteur. Des unités, dissimulées au nord-ouest du village, s’engagèrent dans un affrontement armé avec le PKK au sud-est du village, près du cimetière. Elles étaient postées cent mètres au-dessus du PKK. Aucune unité ne se trouvait au sud, ce qui aurait été inutile, puisque le PKK ne pouvait venir de cette direction. Il était donc impossible que les forces de l’ordre aient tiré le coup de feu provenant du sud qui a tué la sœur du requérant. Au cours de l’affrontement, seules quelques maisons furent légèrement endommagées, ce qui n’étaie pas les allégations selon lesquelles les forces de l’ordre auraient tiré au hasard, et de façon prolongée. C. La procédure suivie devant les autorités nationales Le procureur du district d’Ergani ouvrit une enquête préliminaire sur l’incident. Une autopsie du corps de la sœur du requérant fut pratiquée le 30 septembre 1993 dans la maison de son père. Selon le rapport du médecin établi à cette date, un examen externe révéla une blessure à la tête causée par une balle, probablement par son entrée. Une trépanation permit d'extraire une balle de 7,62 mm du lobe pariétal droit de la victime. D’après le médecin, la mort remontait à environ dix à douze heures. Dans un courrier du 7 octobre 1993 adressé au procureur d’Ergani, le commandant de gendarmerie Ahmet Kuzu déclara que les forces de l’ordre avaient tendu une embuscade à l’entrée du village de Kesentaş. Elles avaient ouvert le feu sur des terroristes, qui avaient fui vers la partie nord du village. Des recherches furent lancées dans cette direction sans permettre de les retrouver. Il affirma qu’on lui avait appris qu’un appel téléphonique avait été donné au commandement de la gendarmerie d’Ergani à 8 heures, le 30 septembre 1993, signalant que Havva Ergi avait été tuée au cours de l’affrontement. Une enquête avait été ouverte le jour même à 10 heures, en présence du procureur. Des copies du rapport sur l’incident et un croquis des lieux étaient joints à la lettre. Le 12 décembre 1993, le procureur d’Ergani, Mustafa Yüce, estimant que l’affaire ne relevait pas de sa compétence, transmit le dossier au procureur compétent près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, devant lequel l’affaire est toujours pendante. Selon la décision d'incompétence, les défendeurs étaient des « membres de l’organisation illégale PKK », auxquels on reprochait les infractions d’engagement dans un affrontement armé avec les forces de l’ordre et d'homicide. D'après la décision, Havva Ergi avait été tuée lors d’une fusillade qui avait éclaté pendant un affrontement armé entre des membres des forces de l’ordre qui avaient tendu une embuscade aux abords du village de Kesentaş et des membres du PKK qui s’approchaient du village. Le 1er avril 1994, le laboratoire régional de la police judiciaire rendit son rapport d’expertise balistique selon lequel il s'agissait d'une balle de calibre 7,62 mm qui avait été tirée par une arme dont le canon présentait quatre rayures à droite. Dans un courrier du 8 décembre 1994 adressé au ministère de la Justice, le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır précisa qu’au cours de l’embuscade les affrontements avaient gagné le village, en conséquence de quoi une balle avait heurté l’encadrement de la porte d’une maison, avant de ricocher et de toucher Havva Ergi qui se tenait debout près de la porte. L’enquête sur son décès se poursuivait. Un examen balistique avait révélé que la balle était déformée et qu’aucun renseignement concret permettant de tirer des conclusions quant à l’arme utilisée ne pouvait être obtenu. Aucune cartouche vide n’avait été trouvée sur les lieux. Le dossier ne contenait donc aucune information relative à l’arme qui avait provoqué la mort. Considérant que l’affrontement armé avait commencé à 21 h 30 et s’était prolongé pendant la nuit, on ne disposait d’aucune déclaration de témoin oculaire susceptible de rapporter ce qu’il avait vu ou entendu. La procédure suivait son cours, dans le but d’appréhender les membres du PKK qui avaient pris part à l’affrontement armé, mais, sachant qu'ils ne revenaient pas avant longtemps sur les lieux des affrontements, leur identification et leur arrestation prendraient du temps. Quant aux allégations formulées par le requérant dans sa déposition du 9 octobre 1993 à l’Association des droits de l’homme (« ADH »), le grief selon lequel les forces de l’ordre avaient ouvert le feu sur le village était mensonger et visait à dénigrer les forces de l’ordre qui luttaient contre le terrorisme. Celles-ci avaient pour mission de maintenir l’ordre et de protéger la population ; il était donc impossible qu’elles aient ouvert le feu sur le village. L’incident de Kesentaş était le résultat du type d’embuscades couramment tendues par les forces de l’ordre sur les routes desservant les villages. Par un courrier du 26 décembre 1994, le ministère de l’Intérieur informa le ministère des Affaires étrangères que le 29 septembre 1993, les forces de l’ordre étaient venues au village pour appréhender des terroristes qui, selon leurs informations, se dirigeaient vers le village. Les forces de l’ordre avaient été attaquées par le PKK. Les gardes du village de Ziyaret n’avaient pas participé à l’opération. Aucun raid n’avait été mené sur le village, qui aurait dû disposer de ses propres gardes. Bien que des villageois se fussent portés candidats pour être gardes, ils n’avaient, en fait, pas été recrutés, parce qu’aucun poste adéquat n’était disponible. A l’époque de l’incident, le village comptait cent cinquante foyers, et non deux cents comme l'affirme le requérant (paragraphe 15 ci-dessus), et, actuellement, il en comprendrait cent quatre-vingts, et non vingt (ibidem). D. Les constatations de fait formulées par la Commission Les faits de la cause étant controversés, notamment les événements survenus en juin 1993, la Commission a mené une enquête avec l'aide des parties et accueilli des preuves écrites, y compris des déclarations, et les dépositions orales de quatre témoins, interrogés par trois de ses délégués à Ankara les 7 et 8 février 1996. S'agissant des preuves écrites, la Commission a tenu compte en particulier d'une déclaration du requérant enregistrée le 9 octobre 1993 par l'ADH à Diyarbakır et du rapport sur l'incident rédigé le 30 septembre 1993 par İsa Gündoğdu, commandant de la gendarmerie centrale d'Ergani, et signé par d'autres gendarmes. Selon la conclusion de ce rapport, Havva Ergi devait avoir été tuée accidentellement par des coups de feu tirés par des membres du PKK lors de leur affrontement avec les forces de l'ordre. La Commission a aussi pris en considération un croquis des lieux effectué et signé le 30 septembre 1993 par İsa Gündoğdu, indiquant entre autres avec des chiffres l'emplacement du corps, la position des terroristes (n° 7), celle des forces de l'ordre (n° 9), la route et le relief du village. La Commission a également tenu compte de deux déclarations datées respectivement du 30 octobre et du 3 novembre 1995. La première déclaration, signée par le requérant et par des agents de la section anti-terrorisme, se présente sous la forme d’une série de questions et de réponses. Le requérant confirma que sa déclaration de ressources portait bien sa signature. On lui demanda s’il avait saisi l’association des droits de l’homme européenne ou turque et, dans ce dernier cas, pour quelle raison. Il déclara qu’il s’était adressé à l’ADH au sujet de sa sœur, qu’il n’avait pas pris contact avec le Kurdish Human Rights Project et qu’il avait indirectement saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme, par l’intermédiaire de l’ADH. Il donna des précisions sur sa situation financière. Selon la seconde déclaration, signée par le requérant et par un procureur, lorsqu'on présenta à l'intéressé sa déclaration de ressources, il confirma qu’il semblait s’agir de la sienne. Il expliqua qu’il avait saisi l’ADH et la Commission européenne en 1993. Sa requête n'avait pas d'autre objet, et il n'avait rien à ajouter. Les témoignages oraux se composent de déclarations du requérant, d'Ahmet Kuzu (commandant de la gendarmerie du district d'Ergani), d'İsa Gündoğdu et Mustafa Yüce (procureur d'Ergani). Les personnes suivantes, appelées à témoigner, n'ont pas comparu : Bekir Selçuk (procureur général près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır), Senai Baran (muhtar), Ibrahim Halil Ergi (père de Havva Ergi), Seyit Battal Ergi (frère de Havva Ergi), Hasan Ergi (oncle de Havva Ergi) et Hacere Ergi (mère de Havva Ergi). Le compte rendu intégral de l'audition qui s'est tenue les 7 et 8 février 1996 contient les passages suivants, qui éclairent l'exception de non-validité de la requête formulée par le Gouvernement (paragraphe 60 ci-dessous) : « M. GÜNDÜZ : Nous avons votre demande sous les yeux. Elle porte votre signature. Muharrem Ergi, est-ce bien cela ? M. Muharrem ERGI : Oui. M. GÜNDÜZ : M. Ergi, avez-vous connaissance de la requête qui a été rédigée ultérieurement en votre nom ? Avez-vous vu la requête remise à la Commission des Droits de l'Homme ? M. Muharrem ERGI : Oui. M. GÜNDÜZ : Parlez-vous anglais ? M. Muharrem ERGI : Très mal. M. GÜNDÜZ : Voici une autre erreur : on indique que vous êtes de sexe féminin, ce qui s'explique par la rareté du prénom Muharrem. Il s'agit de votre signature. Avez-vous dit : « Nous y sommes allés avec mon père et ma mère » ? M. Muharrem ERGI : Oui. » Mustafa Yüce a déclaré aux délégués qu'il était convaincu de l'exactitude de la conclusion formulée dans le rapport selon laquelle le PKK était responsable et que personne n'avait soutenu le contraire. Rien ne permettait de penser que le rapport rédigé par les forces de l'ordre fût erroné. Si on avait allégué que Havva Ergi avait été tuée par des balles tirées par les forces de l'ordre, il aurait dû se rendre dans le village. Il pensait que si les forces de l'ordre étaient responsables, il aurait reçu une plainte. Quant aux dépositions orales, la Commission est consciente des difficultés inhérentes à l'évaluation d'éléments obtenus oralement par l'intermédiaire d'interprètes. Elle a donc prêté une attention toute particulière à la signification à donner aux déclarations faites par les témoins qui ont comparu devant ses délégués. Lorsque, comme en l'espèce, les récits des événements sont contradictoires, la Commission regrette particulièrement l'absence d'examen approfondi au niveau interne par les tribunaux ou d'une autre forme d'enquête indépendante sur les faits en question. Elle est consciente de ses propres limites en tant que juridiction de première instance appelée à établir les faits. Aux problèmes linguistiques évoqués ci-dessus s'ajoute l'inévitable manque de connaissance approfondie et directe de la situation dans la région. En outre, la Commission n'a pas le pouvoir de contraindre des témoins à comparaître et témoigner. En l'espèce, alors que dix témoins ont été cités à comparaître, seuls quatre ont en fait déposé devant les délégués de la Commission. Fait révélateur, seul un des deux procureurs cités s'est présenté, et, malgré les demandes réitérées de la Commission, le Gouvernement n'a pas communiqué les noms d'officiers ayant participé à l'opération afin qu'ils témoignent devant ses délégués. En outre, le Gouvernement n'a pas fourni tous les documents relatifs à l'opération en question. La Commission a donc eu la difficile tâche d'établir les faits en l'absence de témoignages et de preuves susceptibles d'être importants. Les conclusions de la Commission peuvent se résumer ainsi. Contexte général Le village de Kesentaş est en pente ; sa partie nord, adossée à des montagnes escarpées, surplombe sa partie sud. Des vignobles entourent le village ; une route, qui le traverse d’est en ouest, continue vers le nord-est, entre les montagnes ; une route principale plus large, au sud, suit à peu près la direction est-ouest, et au sud de cette route, se dressent également des collines. Le village est donc situé dans une cuvette. Au nord, le terrain est accidenté et escarpé, avec le lit d'une rivière descendant du nord-nord-est vers le village. La Commission déduit des témoignages que la zone où se trouve le village était le théâtre d'une activité importante du PKK en 1993. Au moins deux incidents impliquant le village étaient survenus peu avant l’opération du 29 septembre 1993. Au cours de l’un de ces incidents, un villageois, Cuma Bali, avait été abattu et pendant l’autre, un autre villageois, Ibrahim Halil, avait quitté le village en compagnie de son père, sous la protection des gendarmes, après qu’on eut tiré sur sa maison. Ils avaient déménagé à Ziyaret où ils avaient rejoint les gardes de village. Halil, qui était parti dans les montagnes rejoindre le PKK, était revenu de son plein gré. La date de cet incident n’est pas établie. La déposition écrite du requérant à l’ADH indique que leur départ du village a eu lieu la veille de l’incident, alors qu'il ressort de son témoignage oral qu'il était absent du village et qu’il ne se rappelait pas vraiment ce que d’autres personnes avaient pu lui dire. Le commandant Kuzu, qui s’est rappelé avoir aidé la famille à partir, n’a pas précisé la date de cet événement. Le PKK arrivait en général au village par le nord, protégé par le relief, et exigeait nourriture et médicaments des villageois. Le village ne disposait pas de gardes, et les forces de l’ordre n’étaient pas présentes en permanence dans ce secteur, ne patrouillant que de temps en temps sur la route principale, au sud du village. A Ergani, à environ dix-sept kilomètres à l’est, se trouvait une gendarmerie centrale commandée par le sous-officier İsa Gündoğdu, une gendarmerie de district dirigée par le commandant Kuzu, ainsi qu'un commando. Le commandant Kuzu était responsable de l’ensemble des gendarmeries, et s’absentait fréquemment car il commandait en outre un commando qui était souvent sur le terrain. Evénements survenus à Kesentaş le 29 septembre 1993 La Commission a constaté l'absence d'enquête approfondie ou d'instruction judiciaire au niveau interne concernant les événements survenus dans le village de Kesentaş le 29 septembre 1993. Elle a donc fondé ses conclusions sur les dépositions qui ont été faites oralement devant ses délégués ou sur les éléments présentés par écrit au cours de la procédure. Pour une telle appréciation, il est permis de tenir compte de la présence d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants ainsi que du comportement des parties lors de la recherche des preuves (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 65, § 161). La Commission remarque que les deux gendarmes ont déclaré, dans leurs témoignages, qu’en réalité ils ne se trouvaient pas au village lorsque l’affrontement a éclaté. Le commandant Kuzu a affirmé qu’il menait une opération avec des commandos dans un autre endroit. Le sous-officier İsa Gündoğdu est arrivé après l’arrêt des tirs et, bien qu’il ait suivi la direction dans laquelle les membres du PKK s’étaient prétendument enfuis, il n’en a vu aucune trace. Avant l’audition des témoins à Ankara, la Commission a invité le Gouvernement, à deux reprises, à lui communiquer le nom de gendarmes qui avaient participé à l’opération, pour recueillir leurs témoignages. Le Gouvernement n’a pas répondu. La Commission rappelle que le requérant n’était pas non plus présent au village et que son témoignage sur les événements en question repose sur ses souvenirs de ce que des membres de sa famille ou des villageois lui avaient raconté. Les membres de la famille du requérant présents lors de l’affrontement n’ont pas témoigné devant les délégués, alors qu’ils y avaient été invités. La Commission n'a donc entendu directement aucun témoin oculaire des événements, ce qui est regrettable. De plus, les preuves écrites sont elles aussi de seconde main. Le rapport sur l’incident et le croquis n’ont pas été établis par un des gendarmes ayant participé à l’opération, mais par İsa Gündoğdu, dont le témoignage devant les délégués semble indiquer qu’il n’a pas interrogé de façon très poussée les membres des forces de l’ordre présents sur les lieux. En fait, ses contacts avec eux se sont apparemment limités à des échanges radio, par transmissions codées. Le Gouvernement n’a pas répondu à la Commission, qui lui demandait des informations sur l’unité impliquée dans l’opération et le nom de l'officier qui la commandait, et une copie de l’inscription sur la main courante, du registre ou du rapport faisant état de l’opération. La Commission dispose par conséquent de peu de preuves directes concernant les événements survenus le 29 septembre 1993 au soir. Quant à savoir si un affrontement s’est véritablement produit, la Commission constate que, selon le requérant, on aurait bombardé à l’aveugle le village en représailles des incidents qui s'y étaient produits et au cours desquels un « collaborateur » avait été tué et un autre contraint de partir. La Commission rappelle que le commandant Kuzu a participé directement au départ du villageois menacé et que, selon lui, ce n’était pas le PKK qui avait tiré sur le villageois, mais les autres habitants du village, qui l’auraient tué parce qu’ils voulaient connaître les raisons de son départ de l’organisation. İsa Gündoğdu a déclaré qu’un grand nombre de villageois avait rejoint l’organisation. L’allégation du requérant selon laquelle le bombardement sur le village aurait été motivé par le souhait de donner une leçon aux habitants n’est pas totalement dénuée de fondement. La Commission relève plusieurs faits troublants. Bien que dirigeant les gendarmeries du district, le commandant Kuzu n'avait apparemment pas connaissance d’une opération pourtant effectuée dans sa juridiction et n'y a semble-t-il joué aucun rôle ; cependant, cela ne l’a pas empêché de donner des avis catégoriques sur ce qui avait dû se produire. Le soir de l’incident, İsa Gündoğdu, de la gendarmerie centrale, a dû emprunter à la police un véhicule blindé de transport des troupes, puisque ceux de la gendarmerie étaient utilisés pour une mission. İsa Gündoğdu a déclaré que les tirs sur le village n’avaient duré que cinq minutes environ, alors que la lettre du procureur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır datée du 8 décembre 1994 fait état d’un combat armé qui avait commencé à 21 h 30 et s’était poursuivi pendant la nuit, ce qui semble corroborer la version des faits du requérant, qu'il tient de sa famille, selon laquelle les tirs ont duré plus d’une heure. Le requérant a affirmé qu’il y avait des dégâts importants dans tout le village, comme on pouvait s’y attendre après des tirs nourris. Il avait fait le tour du village, constatant qu’une centaine de maisons avaient été endommagées, et avait pris quelques photographies, lesquelles, en effet, montrent des impacts de balles sur deux maisons. İsa Gündoğdu, qui se trouvait lui aussi dans le village le lendemain, a déclaré que seules deux ou trois maisons et une voiture avaient subi des dommages, causés par quinze balles au maximum. Il s’agit là encore d’une question qui aurait pu être élucidée si le Gouvernement avait fourni des informations supplémentaires. İsa Gündoğdu a prétendu que le procureur avait pris des clichés du village. Ceux-ci n’ont pas été fournis par le Gouvernement, qui a affirmé qu'aucune photographie n’avait été prise. Concernant les précisions qui ont été données sur l’affrontement, la Commission est de nouveau gênée par le manque d’informations directes. Elle a d’abord reçu une copie floue du croquis d’İsa Gündoğdu, amputé de la partie inférieure. Cette copie comportait une légende indiquant les positions des terroristes (n° 7) et des forces de l’ordre (n° 9). Un n° 7 apparaissait clairement à l’est du village. Un n° 9 figurait au nord-ouest. On observait également, au sud, un gribouillis assez semblable à celui indiquant la position des forces de l’ordre au nord-ouest, qui contenait un chiffre flou, un 9 semble-t-il. Interrogé à ce sujet, İsa Gündoğdu a affirmé que les terroristes se trouvaient au sud, indiquant, sur le croquis, qu'ils se trouvaient à proximité de l'endroit indiqué par le chiffre flou. S’il s’agissait d’un 9, c’était une erreur. Le commandant Kuzu a lui aussi été formel : il n’y avait pas de forces de l’ordre au sud car, en deux mots, cela aurait été inutile : le terrain n’était pas favorable, et les forces de l'ordre savaient que le PKK viendrait du nord et s'enfuirait dans cette direction. Considérant que le commandant Kuzu, de son propre aveu, était absent lors de l’affrontement, la Commission ne saurait accorder beaucoup d'importance à son témoignage. İsa Gündoğdu a élaboré son croquis d'après ce que les unités impliquées lui avaient dit lors de ce qui avait apparemment été un bref contact radio. Il est étrange qu’à l’époque des faits, il ait, semble-t-il, indiqué la présence des forces de l’ordre au sud, et qu’à présent, il soit certain qu’il s’agit d’une erreur. De nombreux mois après l’audition des témoins, la Commission a obtenu une copie plus nette du croquis, sur laquelle on voit nettement que le chiffre flou indiqué au sud du village est un 9, c’est-à-dire le chiffre qui correspond aux forces de l’ordre. La Commission estime avec le requérant que, compte tenu de l’orientation sud de la terrasse et de la position des maisons voisines, avec, en particulier, un mur élevé à l’est, il est probable que la balle qui a tué Havva Ergi a été tirée du sud ou du sud-est. Le Gouvernement n'en disconvient pas. Le Gouvernement n’ayant pas présenté les documents et informations susmentionnés, la Commission estime qu’il existe de fortes présomptions en faveur des allégations du requérant selon lesquelles les forces de l’ordre ont fait feu autour du village pendant un certain temps et des unités des forces de l’ordre étaient postées vers le sud. Toutefois, la Commission ne dispose pas d'éléments suffisants pour conclure que l’opération du 29 septembre 1993 n’était pas une embuscade ayant dégénéré en affrontement, mais une opération de représailles. La Commission ne peut tenir pour établi que la balle qui a tué Havva Ergi a été tirée par les forces de l’ordre. Cependant, elle estime qu’il existe de sérieux indices donnant à penser que tel a pu être le cas. Enquête menée par les autorités Le décès de la sœur du requérant a été signalé aux autorités vers 8 heures, le 30 septembre 1993. Le procureur s’est rendu au village en compagnie d’İsa Gündoğdu et d’un certain nombre de gendarmes. Une autopsie a été pratiquée dans la maison des Ergi et une balle extraite, qui a ultérieurement fait l’objet d’une expertise. Le procureur a parlé avec un certain nombre de personnes. Cependant, tout en indiquant que le procureur avait procédé à des interrogatoires, İsa Gündoğdu a confirmé qu’il n’avait pas intégré les informations provenant de ces témoignages dans son propre rapport sur l’incident, et il ne semble pas qu’il ait réellement assisté à un interrogatoire. Sur instructions du procureur, il a cherché des cartouches à un certain nombre d’endroits, notamment au sud. Aucun rapport ne signale que des cartouches auraient été retrouvées. Un autre procureur, Mustafa Yüce, a repris l’enquête à son retour de congé. Le 12 décembre 1993, il a rendu une décision d’incompétence, indiquant que le PKK était soupçonné de l’homicide. Il a fondé sa décision sur le rapport et le croquis établis par İsa Gündoğdu. Il n’avait interrogé ni les membres de la famille, ni les villageois, ni les militaires. Aucun autre procureur n’a recueilli de dépositions de ces personnes. Le rapport sur l'incident ne faisait pas apparaître que la balle qui avait tué la sœur du requérant avait été tirée par le PKK. De plus, le croquis joint au rapport semblait placer les forces de l'ordre au sud et au nord-ouest et les terroristes à l'est, mais il n'y avait aucun plan de la maison des Ergi ni des maisons voisines indiquant clairement la direction d'où la balle avait probablement été tirée. Le texte du rapport ne fournissait pas non plus d'explication sur la position des forces de l'ordre. A la suite de la décision d’incompétence, le dossier a été transmis au parquet de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. A l’exception du rapport balistique du 1er avril 1994, aucun document relatif à d’éventuelles mesures d’investigation n’a été présenté depuis lors. Le commandant Kuzu avait indiqué aux délégués que la préparation des opérations militaires reposait sur un principe fondamental : il fallait éviter le déplacement du champ des opérations dans des zones civiles. En l'espèce, le plan consistait à confiner les opérations au nord du village, mais le PKK n'était pas venu de la direction prévue. Aucune enquête militaire n’a été menée au sujet de la conduite de l’opération. Le commandant Kuzu a lu le rapport et vu le croquis d’İsa Gündoğdu, les a transmis au procureur et s'en est tenu là. ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 125 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l'administration est susceptible d'un contrôle juridictionnel (...) L'administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d'état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément la preuve de l'existence d'une faute de l'administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la notion de responsabilité collective qualifiée de théorie du « risque social ». L'administration est donc tenue d'indemniser quiconque est victime d'un préjudice résultant d'actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l'on peut dire que l'Etat a manqué à son devoir de maintenir l'ordre et la sûreté publique, ou à son obligation de protéger la vie ou les biens d'un individu. Le code pénal contient des dispositions relatives à l'homicide involontaire (articles 452 et 459), à l'homicide volontaire (article 448) et à l'assassinat (article 450). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur et la police sont tenus d'instruire les plaintes dont ils sont saisis (article 153), le premier décidant s'il y a lieu d'engager des poursuites, conformément à l'article 148 dudit code. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites (article 165). Conformément à l'article 89 du code de justice militaire, lorsque les auteurs présumés des actes incriminés sont des militaires, ils peuvent être poursuivis pour préjudice important, et atteinte à la vie humaine ou à des biens matériels, s'ils n'ont pas obéi aux ordres. Dans ces circonstances, les victimes (civiles) peuvent engager des poursuites devant les autorités compétentes, conformément au code de procédure pénale, ou devant le supérieur hiérarchique des personnes soupçonnées (articles 93 et 95 de la loi n° 353 sur la composition et la procédure des juridictions militaires). Si l'auteur présumé d'une infraction pénale est un agent de l'Etat ou un fonctionnaire, l'autorisation d'engager des poursuites doit être délivrée par le conseil administratif local (comité exécutif de l'assemblée provinciale). Les décisions de pareil conseil sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat ; le classement sans suite est automatiquement susceptible d'un recours de ce type. Des poursuites peuvent être engagées contre l'administration devant les juridictions administratives pour les fautes commises dans le cadre des obligations officielles. Tout autre acte ou omission illégal commis par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'une infraction pénale ou d'un délit civil, ayant provoqué un dommage matériel ou moral, peut faire l'objet d'une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Les dommages résultant d'actes terroristes peuvent être indemnisés par le Fonds d'aide et de solidarité sociale. Les avocats du requérant ont déjà signalé certaines clauses légales affaiblissant la protection dont bénéficient les individus en vertu du dispositif général exposé ci-dessus. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 23818/94) soumise à la Commission le 25 mars 1994, M. Ergi, invoquant les articles 2, 8, 13, 14 et 18 de la Convention, dénonçait l'homicide commis par des soldats sur la personne de sa sœur. La Commission a retenu la requête le 2 mars 1995. Dans son rapport du 20 mai 1997 (article 31), elle décide de poursuivre l'examen de la requête (unanimité) et formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 2 en raison de la façon dont l'opération des forces de l'ordre a été préparée et menée et de l'absence d'enquête effective sur la mort de la sœur du requérant (unanimité), qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 8 (unanimité), ni sur celui de l'article 13 (vingt-deux voix contre neuf), qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 ni de l'article 18 (unanimité), et que la Turquie a failli aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 25 (trente voix contre une). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR A l'audience du 21 avril 1998, comme dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'il y a lieu de déclarer l'affaire irrecevable au motif que la requête n'était pas valable ou, à titre subsidiaire, parce que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Pour le cas où la Cour ne retiendrait aucune de ses exceptions préliminaires, le Gouvernement la prie de dire qu'il n'y a pas eu violation des articles 2, 8, 13, 14 et 18 de la Convention et que l'Etat défendeur n'a pas failli aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 25 de la Convention. A la même occasion, le requérant demande une nouvelle fois à la Cour, comme il l'avait déjà fait dans son mémoire, de conclure à la violation des articles 2, 13, 14 et 18 de la Convention, au non-respect par la Turquie des exigences de l'article 25 et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention.
0
0
1
0
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissante portugaise née en 1967, Mme Oliveira réside actuellement à Zurich (Suisse). Le 15 décembre 1990, elle roulait sur une route verglacée et enneigée à Zurich quand sa voiture se déporta sur l’autre côté de la route, puis heurta une première voiture avant d’entrer en collision avec une seconde, conduite par M., lequel fut grièvement blessé. 8. Le 19 mars 1991, l’office du juge de police (Polizeirichteramt) de Zurich transmit le dossier au parquet de district (Bezirksanwaltschaft) pour un complément d’information sur la question de savoir si la requérante avait provoqué par négligence des lésions corporelles graves au sens de l’article 125 § 2 du code pénal suisse (paragraphe 16 ci-dessous). Le 5 avril 1991, la préfecture du district (Statthalteramt) de Zurich transmit le dossier au parquet de district pour un complément d’information sur d’éventuelles contraventions à la loi fédérale sur la circulation routière (paragraphe 17 ci-dessous). Le 3 juin 1991, le parquet de district renvoya à l’office du juge de police le dossier relatif à la victime de l’accident, dans lequel figurait un rapport médical attestant que celle-ci avait été grièvement blessée. Le 12 août 1991, le juge de police rendit une ordonnance de non-lieu (Einstellungs-Verfügung) quant à d’éventuelles poursuites contre la victime puis, le 13 août 1991, condamna la requérante, en vertu des articles 31 et 32 de la loi sur la circulation routière, pour défaut de maîtrise du véhicule en raison de la non-adaptation de la vitesse aux conditions de circulation (Nichtbeherrschen des Fahrzeuges infolge Nichtanpassens der Geschwindigkeit an die Strassenverhältnisse) ; il lui infligea une amende de 200 francs suisses (CHF). La décision précisait notamment que le 15 décembre 1990, la route était verglacée et enneigée et que la voiture de la requérante s’était déportée sur l’autre côté de la route, heurtant une première voiture avant d’entrer en collision avec une seconde. Par une ordonnance pénale (Strafbefehl) du 25 janvier 1993, le parquet de district condamna Mme Oliveira, en vertu de l’article 125 du code pénal suisse, à une amende de 2 000 CHF pour lésions corporelles par négligence, au titre des lésions subies par M. du fait de la collision entre son véhicule et celui de la requérante. Sur opposition de la requérante, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich ramena le 11 mars 1993 l’amende à 1 500 CHF. Il considéra notamment : « Le juge de police qui rendit l’ordonnance portant amende [Bussenverfügung] à laquelle la requérante se réfère était appelé à examiner les faits litigieux dans le cadre d’une procédure pour contravention [Übertretungsstrafverfahren], en sorte qu’eu égard au principe ne bis in idem, il ne fait aucun doute qu’une deuxième procédure pour contravention ne saurait être engagée au titre du même incident. Toutefois, l’examen sommaire et restreint propre à ce type de procédure permet que l’acte puni d’une simple amende soit une nouvelle fois poursuivi et sanctionné comme crime ou délit, pour autant que cet examen plus rigoureux soit requis par des considérations tenant au droit ou aux faits. Dans ce cas, la décision initiale et la sanction qu’elle inflige sont annulées. » Le tribunal ajouta que l’amende de 200 CHF infligée par l’ordonnance du 13 août 1991 était annulée et – pour autant qu’elle eût déjà été payée – déduite de la présente amende, ainsi ramenée à 1 300 CHF. L’intéressée saisit alors la cour d’appel (Obergericht) de Zurich qui, le 7 octobre 1993, la débouta de son recours, considérant notamment : « Il y a lieu de s’interroger sur les conclusions à tirer de l’erreur du juge de police quant à la question litigieuse. Il est manifeste que dans sa décision du 13 août 1991, le juge de police a seulement jugé l’absence de contrôle du véhicule, mais pas les lésions corporelles qui s’en suivirent pour la victime (...) Pourtant, le juge de police avait le pouvoir et l’obligation, pour statuer sur l’inobservation du code de la route, d’apprécier dans leur intégralité et de juger exhaustivement, au regard du droit pénal, les faits qui constituaient l’objet de la procédure ; qu’il ait, nonobstant d’éventuelles lésions corporelles graves causées par négligence, omis de transmettre le dossier, n’entraîne donc pas nécessairement l’annulation de la décision du juge de police – cette décision continue d’exister. Il n’a pas été allégué, et il ne ressort pas du dossier, que la décision en cause présente des vices graves de nature à en entraîner, en toute hypothèse, l’annulation intégrale. » La cour d’appel confirma ensuite la déduction de 200 CHF de l’amende de 1 500 CHF, estimant que la requérante ne devait pas être sanctionnée plus lourdement que si les deux infractions avaient été examinées dans une seule procédure. Mme Oliveira forma des pourvois en nullité (Nichtigkeitsbeschwerden) contre cet arrêt devant la Cour de cassation (Kassationsgericht) du canton de Zurich et devant le Tribunal fédéral. Le 27 avril 1994, la Cour de cassation déclina l’examen du pourvoi en nullité. La requérante saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours de droit public contre cette dernière décision. Le 17 août 1994, la haute juridiction rejeta les recours de droit public et en nullité. Dans son arrêt sur le second, elle estima qu’il fallait supposer que lorsque, le 13 août 1991, le juge de police condamna Mme Oliveira à une amende, celui-ci n’avait pas connaissance des graves lésions subies par M., car il n’eût pas pu, sinon, infliger une amende et eût dû renvoyer le dossier au parquet de district. D’après le Tribunal fédéral, le tribunal de district avait toutefois évité les effets d’une double sanction en tenant compte, « pour déterminer le montant de la nouvelle amende » (bei der Bemessung der neuen Busse), de celle de 200 CHF imposée par le juge de police. ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 125 du code pénal suisse dispose : « 1. Celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni de l’emprisonnement ou de l’amende. Si la lésion est grave le délinquant sera poursuivi d’office. » L’article 31 de la loi fédérale sur la circulation routière prévoit, en son paragraphe 1, que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Aux termes de l’article 32, le conducteur doit adapter aux circonstances la vitesse du véhicule. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Oliveira a saisi la Commission le 22 octobre 1994, dénonçant une infraction à l’article 4 du Protocole n° 7. La Commission a retenu la requête (n° 25711/94) le 13 janvier 1997. Dans son rapport du 1er juillet 1997 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre huit, à la violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole n° 7 dans la présente affaire. 21. De son côté, la requérante prie la Cour, dans son mémoire, « 1. de constater que plusieurs jugements rendus dans une affaire pénale par le juge unique du tribunal de district de Zurich, la cour d’appel et la Cour de cassation du canton de Zurich ainsi que le Tribunal fédéral suisse – jugements relevant de la souveraineté de la Confédération helvétique – ont porté atteinte, au détriment de la requérante, à certaines dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en particulier au Protocole n° 7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, et que, partant, la partie défenderesse n’a pas rempli l’obligation qui lui incombe de respecter les dispositions de ladite Convention ; d’imposer à la partie défenderesse, au regard de l’article 50 de la Convention des Droits de l’Homme, lu conjointement avec l’article 52 § 1 du règlement B, le paiement à la requérante d’une indemnité équitable d’un montant de 60 340 francs suisses. »
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant autrichien né en 1950, M. Antun Petrovic réside à Vienne. A l’époque des faits, il était étudiant et travaillait à temps partiel. Son épouse, qui avait déjà achevé ses études universitaires et était fonctionnaire dans un ministère fédéral, donna naissance à un enfant le 27 février 1989. Elle continua de travailler, tandis que l’intéressé prit un congé parental pour s’occuper de l’enfant. Le 25 avril 1989, M. Petrovic demanda à bénéficier d’une allocation de congé parental (Karenzurlaubsgeld). Le 26 mai 1989, l’agence pour l’emploi (Arbeitsamt) compétente rejeta sa demande, au motif que d’après l’article 26 § 1 de la loi de 1977 sur l’assurance chômage (paragraphe 14 ci-dessous), seules les mères pouvaient prétendre à l’attribution d’une telle allocation à l’occasion d’une naissance. Le 14 juin 1989, le requérant interjeta appel de cette décision auprès de l’agence régionale pour l’emploi (Landesarbeitsamt) de Vienne. D’après lui, cette disposition de la loi sur l’assurance chômage, qui excluait les hommes du bénéfice de l’allocation de congé parental, était discriminatoire et donc inconstitutionnelle. Le 4 juillet 1989, l’agence régionale pour l’emploi débouta l’intéressé pour les mêmes motifs que l’agence pour l’emploi (paragraphe 9 ci-dessus). Le 18 août 1989, M. Petrovic saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Il réitéra ses arguments d’après lesquels l’article 26 § 1 de la loi sur l’assurance chômage était inconstitutionnel, car il méconnaissait le principe d’égalité ainsi que l’article 8 de la Convention. Le 12 décembre 1991, à l’issue d’un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours, au motif qu’il ne présentait pas de chances suffisantes de succès. Elle se référa à sa jurisprudence, d’après laquelle la disposition législative en question ne portait pas atteinte aux droits constitutionnels du requérant et n’était pas contraire aux articles 8 et 12 de la Convention. Elle ajouta que même si l’on tenait compte des récentes modifications législatives (amendement de l’article 26 de la loi sur l’assurance chômage par une loi fédérale du 12 décembre 1989 – paragraphe 15 ci-dessous), le grief de l’intéressé était dénué de fondement, eu égard au délai dont dispose le législateur pour adapter la nouvelle réglementation à l’évolution de la société (Anpassung gesetzlicher Vorschriften an geänderte Verhältnisse). II. Le droit interne pertinent A. La législation en vigueur à l’époque des faits D’après l’article 26 § 1 de la loi de 1977 sur l’assurance chômage, les mères avaient droit à une allocation de congé parental si, à l’occasion d’une naissance, elles prenaient un congé parental d’une année au maximum et si elles remplissaient les conditions d’attribution des allocations de maternité (Wochengeld), prestation sociale versée aux mères salariées pendant huit semaines à compter de la naissance de l’enfant. B. La législation postérieure aux faits Ledit article fut amendé par une loi fédérale du 12 décembre 1989 (Journal officiel n° 651/1989), entrée en vigueur le 1er janvier 1990. Il prévoit désormais qu’un père peut bénéficier d’une allocation de congé parental s’il est salarié, s’occupe principalement de l’enfant et que ce dernier vit sous le même toit. En outre, il faut que la mère ait le droit de prendre un congé parental en raison de sa maternité, et qu’elle ait partiellement ou totalement renoncé à ce droit, ou bien, si elle n’est pas autorisée à prendre un congé parental, que son activité professionnelle l’empêche de s’occuper de son enfant. Toutefois, cette nouvelle réglementation n’est applicable que pour les enfants nés après le 31 décembre 1989 et ne concerne donc pas le requérant, dont l’enfant est né le 27 février 1989. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Petrovic a saisi la Commission le 3 août 1992. Invoquant l’article 8 de la Convention, ainsi que l’article 14 combiné avec cette dernière disposition, il se plaignait du refus de lui attribuer l’allocation de congé parental et du caractère discriminatoire de cette décision. Il alléguait également une violation de l’article 13 de la Convention dans la mesure où la Cour constitutionnelle avait refusé d’examiner son recours. Le 5 juillet 1995, la Commission a retenu la requête (n° 20458/92) quant au grief relatif au refus, prétendument discriminatoire, de lui attribuer l’allocation de congé parental, et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 octobre 1996 (article 31), elle conclut à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention (vingt-cinq voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. Conclusions présentées à la Cour Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour « de déclarer que l'article 8 de la Convention n'est pas applicable en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 combiné avec l'article 14 de la Convention ». Quant au requérant, il prie la Cour « d'accueillir sa requête, comme l'a fait la Commission, et de dire qu'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 [et] de lui accorder, conformément à l'article 50, une satisfaction équitable (…) »
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1951, M. Areski Aït-Mouhoub est actuellement détenu à Montpellier. A. La genèse de l’affaire Le 1er juillet 1992, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Nîmes ordonna la mise en accusation du requérant et le renvoya, avec son fils et sa fille, mineurs au moment des faits, devant la cour d'assises des mineurs du Gard pour complicité de vol à main armée, vols aggravés et recel. Le 11 décembre 1992, la cour d'assises le condamna à douze ans d'emprisonnement pour complicité de vol avec port d'arme et recel qualifié, fixant la période de sûreté à sept années. Le 14 décembre 1992, l'intéressé forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. B. Les dépôts de plainte du requérant et ses demandes d'aide juridictionnelle La première plainte et la demande d’aide juridictionnelle y afférente Le 28 décembre 1992, M. Aït-Mouhoub déposa une première plainte avec constitution de partie civile contre deux gendarmes (MM. Maurin et Seguin) qui avaient participé à l’enquête judiciaire ayant conduit à l’établissement de la culpabilité et la condamnation du requérant par la cour d’assises des mineurs. L’intéressé y accusa M. Maurin de subornation de témoins, de faux et d’usage de faux en écriture publique, de forfaiture, de prévarication, de concussion et de complicité de vol, et reprocha à M. Seguin d’avoir commis des faux et fait usage de faux en écriture publique. La plainte en question était ainsi libellée : « J’ai l’honneur de déposer plainte entre vos mains avec constitution de partie civile contre le maréchal des logis-chef de gendarmerie Maurin Jean-Paul, chef de la section de recherches de Nîmes, pour les délits et exactions judiciaires suivants : subornation de témoins, fabrication de faux, usage de faux, inscription de faux, faux et usage de faux en écriture publique, complicité de vol, forfaiture, prévarication, concussion. J’ai l’honneur de déposer plainte avec constitution de partie civile contre le gendarme Seguin pour les délits et exactions judiciaires suivants : faux et usage de faux en écriture publique, fabrication d’un faux procès-verbal, fausse audition, imitation de la signature d’un témoin. Je détiens bien entendu toutes les preuves et les témoignages à disposition de chacune de mes accusations. J’adresse copie de la présente au bureau d’aide judiciaire de Nîmes. » L'intéressé demanda à bénéficier de l'aide juridictionnelle dans le cadre de cette plainte. Le 28 juin 1993, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Nîmes rejeta sa demande au motif que, bien que le requérant eût des ressources évaluées à zéro franc, elle était irrecevable en raison du pourvoi en cassation formé par l’intéressé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'assises des mineurs du 11 décembre 1992, dont l'examen était encore pendant. Le 24 juillet 1993, M. Aït-Mouhoub fit appel de cette décision auprès du bureau d'aide juridictionnelle. Il confirma son recours par une lettre du 1er octobre 1993. Par une ordonnance du 24 août 1993, le doyen des juges d'instruction près le tribunal de grande instance, constatant que le requérant n'avait pas obtenu l'aide juridictionnelle, fixa la consignation à 80 000 francs français (FRF) pour la plainte contre les deux gendarmes. Il fixa au 28 septembre 1993 la date d'échéance pour le versement de cette consignation, sous peine de non-recevabilité de la plainte. L'intéressé n'interjeta pas appel de cette ordonnance devant la chambre d'accusation pour en contester le montant. Le 9 septembre 1993, M. Aït-Mouhoub écrivit au doyen des juges d'instruction pour lui indiquer qu'il avait fait appel de la décision de rejet d'aide juridictionnelle. Le 21 septembre 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt de la cour d'assises des mineurs du Gard du 11 décembre 1992. Le 18 octobre 1993, l'intéressé, n'ayant aucune nouvelle du bureau d'aide juridictionnelle, réitéra sa demande d'aide juridictionnelle. Il précisa que la cause d'irrecevabilité retenue dans la décision de rejet du 28 juin 1993 avait disparu, puisque la Cour de cassation s'était prononcée entre-temps. Par une ordonnance du 29 décembre 1993, le doyen des juges d'instruction déclara irrecevable la plainte du requérant par les motifs suivants : « Attendu qu’aux termes des articles 88 et R. 236 du code de procédure pénale la partie qui n’a pas obtenu l'aide juridictionnelle est tenue de consigner la somme nécessaire pour les frais de la procédure lorsque son action n’est pas jointe à l’action préalable du ministère public sous peine de non-recevabilité ; Attendu que la partie civile n’a pas versé dans le délai imparti la somme fixée par l’ordonnance précitée, que le ministère public n’estime pas devoir mettre en mouvement l’action publique, Déclarons la constitution de partie civile de Aït-Mouhoub Areski non recevable. » L’intéressé n'interjeta pas appel de cette ordonnance. Le 15 mars 1994, le bureau d'aide juridictionnelle rejeta l'appel de M. Aït-Mouhoub contre la décision de rejet du 28 juin 1993. La seconde plainte et la demande d’aide juridictionnelle y afférente Le 2 janvier 1993, le requérant déposa une seconde plainte avec constitution de partie civile, dirigée contre deux autres personnes (M. Dumas, un témoin à charge lors de son procès, et M. Eut, beau-frère d’un gendarme). Ladite plainte était ainsi rédigée : « J’ai l’honneur de déposer plainte avec constitution de partie civile contre les individus ci-après : Georges Dumas, quartier des Usines à Gagnières, pour incitation à débauche sur mineur, vente d’armes de guerre et de munitions à mineur, non-dénonciation de malfaiteurs, faux témoignages, cité comme témoin par devant la cour d’assises du Gard, ne s’est pas présenté. M. le président des assises a décerné publiquement mandat d’amener. Ce personnage se vante que c’était « bidon », qu’il a été aussitôt informé par un chef de gendarmerie de s’absenter, qu’il n’était plus à l’adresse indiquée, alors qu’il n’a jamais quitté son domicile. J’avais déposé une plainte voici un an, demeurée sans suite à la faveur d’une intervention judiciaire dont il se vante également. Je tiens à votre disposition toutes les preuves de mes accusations que je vous résumerai en un mémoire dès l’ouverture de l’information. Jacky Eut, demeurant à Saint-Florent-sur-Auzonet. Vol, chantage, menaces. Cet individu qui se prétend beau-frère d’un gradé de gendarmerie contre lequel j’ai par ailleurs déposé une plainte pour forfaiture, faux et usage de faux à la faveur de preuves irréfragables : a lors de mon arrestation fait une visite chez moi, avec un gendarme, et enlevé tout le mobilier de mon bar et de mon restaurant. Puis ensuite, il a enlevé tout le mobilier appartenant à ma fille mineure. Malgré mes réclamations, j’ai été averti de me tenir à carreau si je ne voulais pas exploser (...) et ma fille mineure, récemment ayant tenté de réclamer à ce personnage s’est entendu répondre : « Tu n’as pas intérêt à réclamer quoi que ce soit (...) ta mère me doit beaucoup plus, grâce à moi et à mon beau-frère, elle n’est pas allée en taule, on a pu la tirer d’affaire (...) alors fais bien attention petite (...) on pourrait te faire plonger aussi. » Je détiens bien entendu toutes les preuves et témoignages de mes accusations. J’adresse copie de la présente au bureau d’aide judiciaire de Nîmes pour obtenir l’aide juridictionnelle, puisque je suis ruiné. » L’intéressé demanda également à bénéficier de l’aide juridictionnelle dans le cadre de cette plainte, mais le bureau d’aide juridictionnelle ne statua pas sur sa demande. Par une ordonnance du 24 août 1993, le doyen des juges d'instruction, constatant que le requérant n’avait pas obtenu l’aide juridictionnelle, fixa la consignation à 80 000 FRF pour la plainte à l'encontre de MM. Dumas et Eut également, au motif que « les pièces du dossier et (...) l'existence d'une autre plainte justifient l'application des articles 88-1 et 91 du code de procédure pénale [paragraphe 32 ci-dessous] ». Il fixa au 28 septembre 1993 la date d’échéance pour le versement de cette consignation, sous peine de non-recevabilité de la plainte. L’intéressé n’interjeta pas appel de cette ordonnance devant la chambre d’accusation pour en contester le montant. Le 9 septembre 1993, M. Aït-Mouhoub écrivit au doyen des juges d’instruction pour lui indiquer qu’il n’avait pas encore obtenu de réponse concernant l’aide juridictionnelle. Le 18 octobre 1993, l’intéressé, n’ayant toujours aucune nouvelle du bureau d’aide juridictionnelle, réitéra sa demande. Par une ordonnance du 29 décembre 1993, le doyen des juges d’instruction déclara irrecevable la plainte du requérant par les motifs suivants : « Attendu qu’aux termes des articles 88 et R. 236 du code de procédure pénale la partie qui n’a pas obtenu l'aide juridictionnelle est tenue de consigner la somme nécessaire pour les frais de la procédure lorsque son action n’est pas jointe à l’action préalable du ministère public sous peine de non-recevabilité ; Attendu que la partie civile n’a pas versé dans le délai imparti la somme fixée par l’ordonnance précitée, que le ministère public n’estime pas devoir mettre en mouvement l’action publique, Déclarons la constitution de partie civile de Aït-Mouhoub Areski non recevable. » L’intéressé n’interjeta pas appel de cette ordonnance. ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’aide juridictionnelle L’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose : « Les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle. Cette aide est totale ou partielle. (...) » L’article 7 de cette même loi impose une condition supplémentaire aux personnes qui ne sont ni civilement responsables, ni des témoins assistés, ni inculpées, prévenues, accusées, ou encore condamnées : il faut que l’action n’apparaisse pas « manifestement irrecevable ou dénuée de fondement » (voir aussi l’article 22 de ladite loi). Les demandes d’admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle sont examinées par des commissions, dénommées bureaux d’aide juridictionnelle, et composées d’hommes de loi, de représentants de l’Etat et d’usagers (articles 12 et suivants de la même loi). Ces bureaux sont institués auprès des juridictions, et se prononcent sur les demandes relatives aux affaires portées devant ces juridictions. Les bureaux d’aide juridictionnelle peuvent faire recueillir tous les renseignements utiles, spécialement sur la situation financière de la personne à l’origine de la demande, et peuvent aussi faire procéder à toutes auditions (article 21 de la loi précitée et article 42 de son décret d’application du 19 décembre 1991). B. La constitution de partie civile En droit français, la victime d’une infraction peut se constituer partie civile soit par voie d’intervention devant le juge d’instruction, la chambre d’accusation ou la juridiction de jugement, lorsque des poursuites sont déjà en cours, soit par voie d’action, en citant directement le prévenu devant la juridiction de jugement ou en déposant plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, lorsque l’action publique n’a pas été mise en mouvement. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (« CPP ») sont ainsi rédigées : Article 2 « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. La renonciation à l’action civile ne peut arrêter, ni suspendre l’exercice de l’action publique, sous réserve des cas visés à l’alinéa 3 de l’article 6 [CPP]. » Article 79 « L'instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime (...) » Article 85 « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent. » Article 88 « Le juge d'instruction constate, par ordonnance, le dépôt de la plainte. En fonction des ressources de la partie civile, il fixe le montant de la consignation que celle-ci doit, si elle n'a obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la plainte. Il peut dispenser de consignation la partie civile. » Article 88-1 « La consignation fixée en application de l'article 88 garantit le paiement de l'amende civile susceptible d'être prononcée en application du premier alinéa de l'article 91. La somme consignée est restituée lorsque l'action fondée sur cette disposition est prescrite ou a abouti à une décision devenue définitive constatant que la constitution de partie civile n'était ni abusive ni dilatoire. » Article 91 § 1 « Quand, après une information ouverte sur constitution de partie civile, une décision de non-lieu a été rendue, le ministère public peut citer la partie civile devant le tribunal correctionnel où l'affaire a été instruite. Dans le cas où la constitution de partie civile est jugée abusive ou dilatoire, le tribunal peut prononcer une amende civile dont le montant ne saurait excéder 100 000 F (...) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Aït-Mouhoub a saisi la Commission le 9 novembre 1992. Invoquant les articles 5, 6, 13 et 17 de la Convention, il se plaignait notamment de ne pas avoir bénéficié d'un recours effectif devant une juridiction nationale, ses plaintes avec constitution de partie civile ayant été déclarées irrecevables en raison de son incapacité à verser le montant des consignations. Le 17 janvier 1995, la Commission a ajourné l’examen du grief tiré du refus d’accès à un tribunal (article 6 § 1 de la Convention) et a déclaré la requête (n° 22924/93) irrecevable pour le surplus. Le 21 octobre 1996, elle l’a déclarée recevable quant audit grief. Le 12 avril 1997, à la suite des observations complémentaires présentées par le Gouvernement quant au non-épuisement des voies de recours internes, la Commission a décidé qu’aucun motif ne justifiait l’application de l’article 29 de la Convention. Dans son rapport du 9 septembre 1997 (article 31), elle exprime l'avis, par vingt-deux voix contre huit, qu'il y a eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. Conclusions présentées à la Cour Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour de « constater la violation de l’article 6 § 1 de la Convention par l’Etat français à son détriment et [de condamner ce dernier] à en réparer l’intégralité des conséquences ». De son côté, le Gouvernement prie la Cour de « bien vouloir constater à titre principal que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce, et à titre subsidiaire qu’il n’y a pas eu violation de cet article ».
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen turc né en 1962, M. Eşref Yaşa réside actuellement à Diyarbakır. Son oncle, M. Haşim Yaşa, né en 1956, habitait également cette ville, avant d’être tué le 14 juin 1993. L’intéressé a soumis une requête à la Commission « en son nom propre et au nom de son défunt oncle » (paragraphe 56 ci-dessous), affirmant qu’ils avaient été victimes d’agressions armées parce qu’ils vendaient le journal Özgür Gündem. Celles-ci se seraient produites dans le cadre d’une série d’attaques dirigées, de connivence avec des agents de l’Etat, voire même avec leur participation directe, contre cette publication prokurde ainsi que d’autres publications. Les faits à l’origine de la requête sont en partie controversés. A. La version des faits du requérant et du Gouvernement La version du requérant a) Les incidents concernant le requérant et son oncle A l’époque des faits, le requérant louait un kiosque à journaux, dénommé Bulvar Buffet, dans la ville de Diyarbakır. A partir d’octobre 1992, la police le menaça de mort parce qu’il vendait certains journaux, notamment le titre prokurde Özgür Gündem. Aux premières heures du 15 novembre 1992, on mit le feu à son kiosque, qui fut entièrement détruit. Le requérant évalue les dommages à soixante-dix millions de livres turques. Une semaine environ avant cet incident, le requérant avait reçu la visite de deux policiers. L’un d’eux était le commissaire Kemal Fidan, de la direction de la sûreté de Diyarbakır. L’intéressé ignore le nom de l’autre policier. Tous deux ont menacé de mettre le feu à son kiosque à cause des journaux qu’il vendait. Après l’incendie du kiosque, les autres marchands de journaux décidèrent de faire grève en signe de protestation. Ce jour-là, ils refusèrent de vendre quoi que ce soit. Le 15 janvier 1993 à 7 h 15, on tira des coups de feu sur le requérant dans la rue Turistik, située dans le quartier de Mardinkapı à Diyarbakır. Alors qu’il se rendait à bicyclette de son domicile à son kiosque, son fils Diren assis derrière lui sur le porte-bagages, il remarqua deux hommes âgés de vingt à vingt-cinq ans environ, l’un grand et l’autre de taille moyenne, qui lui parurent suspects. Craignant qu’ils ne lui voulussent du mal, le requérant tenta de dévier sa bicyclette mais fut heurté par un taxi. Son fils et lui tombèrent. A ce moment, l’un des deux hommes ouvrit le feu sur lui. Pour se défendre, le requérant dégaina le pistolet qu’il portait à la taille et tira six coups dont aucun n’atteignit les deux hommes. En revanche, il fut touché par huit balles tirées par son agresseur : trois d’entre elles lui éraflèrent le dos et une la jambe droite ; une balle pénétra son bras droit, une autre son poignet gauche ; une autre balle se logea entre l’index et le majeur de la main gauche et la dernière, traversant la fesse droite, pénétra son abdomen. Le requérant fut conduit par un taxi à l’hôpital de Diyarbakır. Il demanda au chauffeur de remettre son arme à un membre de sa famille. Au lieu de cela, le chauffeur la remit à un de ses collègues qui connaissait le kiosque du requérant et qui plaça le pistolet, enfermé dans une boîte en ferblanc, sous le comptoir du kiosque. L’extraction des balles, effectuée dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Diyarbakır, fut retardée de deux heures par des interventions de la police. Les proches du requérant furent par la suite insultés et menacés de mort à l’hôpital. Le requérant passa onze jours à l’hôpital ; il connaît toujours des problèmes de santé dus à son agression. Il ressent des douleurs au bras gauche et à plusieurs doigts de la main gauche et ses cicatrices continuent de le gêner. En outre, il souffre de l’estomac en raison d’une infection qui s’est déclarée après l’opération. Pendant son séjour à l’hôpital, le requérant fit une déclaration à la police, affirmant que ses agresseurs étaient des policiers. Le parquet ne lui a jamais demandé de déposer au sujet de cet incident. A sa sortie de l’hôpital, des poursuites furent ouvertes contre le requérant pour port d’armes non autorisé. Le 24 mai 1993, il fut condamné à une peine d’un an d’emprisonnement, que le tribunal convertit ultérieurement en une amende de 1 633 333 livres turques, à payer de manière échelonnée sur quatre mois. Il fut débouté de son appel contre cette condamnation. Le 14 juin 1993 à 7 h 30 environ, l’oncle du requérant, Haşim Yaşa, qui tenait le kiosque du requérant depuis mars 1993, fut tué par des balles tirées par un inconnu qui l’atteignirent à la tête, alors qu’il marchait avenue Sunay à Diyarbakır. Le fils de Haşim Yaşa, Aziz, alors âgé de sept ans, était le seul témoin de la scène. Le même jour, le requérant fut arrêté, agressé et menacé de mort par des policiers, qui lui affirmèrent que c’étaient eux qui avaient tiré et qu’ils avaient pris la victime pour le requérant. Le 10 octobre 1993, le jeune frère du requérant, Yalçın Yaşa, qui était alors âgé de treize ans et tenait le kiosque après les agressions subies par l’intéressé et l’oncle de celui-ci, fut tué par un inconnu près de son domicile. Un autre frère du requérant, Yahya Yaşa, âgé de seize ans, fut gravement blessé à cette occasion. Après ce dernier incident, le requérant dut vendre son kiosque car il ne restait plus aucun membre de sa famille susceptible de s’en occuper. b) La campagne d’attentats dirigée contre les personnes diffusant des journaux prokurdes Le requérant affirme qu’on a tiré sur son oncle et lui-même parce qu’ils participaient à la diffusion du journal Özgür Gündem. Ces incidents s’inscriraient dans le cadre d’une campagne de persécutions et d’agressions visant les personnes s’occupant de la publication et de la diffusion de ce journal prokurde ainsi que d’autres journaux encore. A l’appui de ce grief, le requérant cite les incidents suivants. i. Fermeture d’Özgür Gündem Ce journal cessa de paraître en avril 1994, en raison d’une série de poursuites engagées contre lui par l’Etat. Depuis sa création en mai 1992, il avait fait l’objet de plusieurs poursuites et ordonnances de saisie et de fermeture temporaire. Si le journal ne fut jamais officiellement interdit à la vente, il y eut toutefois des périodes pendant lesquelles les ordonnances de saisie et de fermeture entravèrent sa parution et sa diffusion. Özgür Ülke, journal ayant succédé à Özgür Gündem, fut contraint de fermer en février 1995 et Yeni Politika, qui l’avait remplacé, cessa de paraître en août 1995. ii. Agressions dirigées contre le personnel d’Özgür Gündem Le requérant a fourni des listes d’agressions, de mauvais traitements, de détentions et de menaces dont le personnel et les distributeurs d’Özgür Gündem et de journaux analogues firent l’objet en 1992, 1993 et au début de 1994. Selon lui, ces incidents montrent clairement qu’il existe un processus généralisé consistant à viser les personnes travaillant pour Özgür Gündem. D’après le requérant, au moins sept journalistes travaillant pour ce journal, dont Musa Anter, ont été tués tandis que d’autres ont été blessés à la suite d’agressions. De nombreux autres journalistes furent placés en garde à vue et, pour certains d’entre eux, soumis à de mauvais traitements. Les propriétaires, rédacteurs en chef et journalistes d’Özgür Gündem firent aussi l’objet de nombreuses poursuites fondées entre autres sur la disposition de la loi relative à la lutte contre le terrorisme interdisant la propagande contre l’indivisibilité de l’Etat. En outre, Behçet Cantürk, l’un des principaux fournisseurs de capitaux d’Özgür Gündem, fut assassiné (paragraphe 46 ci-dessous). Le requérant affirme que plusieurs kiosques à journaux ont été attaqués parce qu’on y vendait Özgür Gündem. En outre, des bombes ont explosé le 3 décembre 1994 au siège de ce journal à Istanbul ainsi que dans ses bureaux d’Ankara, faisant un mort et dix-huit blessés. Des personnes et véhicules intervenant dans la distribution d’Özgür Gündem subirent de multiples incidents. Selon le requérant, onze vendeurs ou distributeurs au moins furent tués, dont Yalçın Yaşa (paragraphe 19 ci-dessus) et Haşim Yaşa (paragraphe 18 ci-dessus). Plusieurs autres vendeurs ou distributeurs ont été abattus ou grièvement blessés, tandis que d’autres encore ont été menacés de violences au cas où ils n’arrêteraient pas de vendre ou distribuer le journal. A l’appui de ses dires, le requérant invoque diverses publications faisant état d’informations et de préoccupations quant aux atteintes à la liberté d’expression en Turquie, notamment « Ce qui est arrivé à la presse en 1993 », publié par Özgür Gündem, des extraits d’Info-Türk datant de 1993 (E.208-7, E.209-6, E.212-8/9), le rapport du Département d’Etat américain sur la Turquie pour 1994 et l’article « L’intimidation – rapport sur les meurtres de journalistes et les pressions sur la presse turque » de Reporters sans frontières (janvier 1993). La version du Gouvernement a) Les incidents concernant le requérant et son oncle Le Gouvernement confirme que le requérant a essuyé des coups de feu le 15 janvier 1993 et que l’oncle de celui-ci a été tué le 14 juin 1993. Dans son mémoire, il évoque les enquêtes menées par les procureurs et ouvertes le jour même des agressions (paragraphes 35 et 41 ci-dessous). Ces investigations, effectuées conformément aux dispositions applicables du code turc de procédure pénale (paragraphe 48 ci-dessous), sont toujours en cours. Le Gouvernement soutient qu’aucun élément ne vient étayer la thèse du requérant selon laquelle des membres des forces de l’ordre étaient les auteurs des incidents touchant l’intéressé et son oncle. En outre, il réfute toute allégation d’après laquelle les autorités de l’Etat seraient responsables de mauvais traitements. Il indique que le requérant ne s’est jamais plaint officiellement auprès des autorités compétentes de ce que ses agresseurs étaient des agents de l’Etat. Enfin, rien ne prouve que, comme le prétend le requérant, un policier lui aurait déclaré que les assassins de son oncle cherchaient en fait à le tuer lui. b) La campagne d’attentats dirigée contre les personnes diffusant des journaux prokurdes Le Gouvernement réfute toute allégation selon laquelle les autorités auraient intimidé des personnes s’occupant de près ou de loin de la vente de journaux. Il rappelle que ces titres sont vendus dans des centaines de kiosques et se trouvent en vente libre dans toute la Turquie. Il concède qu’à certaines occasions, des éditions particulières ont été saisies (paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, ces mesures n’étaient ni arbitraires ni répressives mais s’appuyaient toujours sur des décisions de justice. B. Les constatations de la Commission Estimant que les allégations dont elle est saisie ne sont pas susceptibles, en raison de leur ampleur et de leur nature, de se voir facilement élucidées à l’aide de dépositions orales, la Commission a décidé, après avoir consulté les parties, de les examiner en se fondant uniquement sur les documents écrits fournis par ces dernières. Ses conclusions peuvent se résumer comme suit. Les conclusions relatives aux coups de feu tirés sur le requérant et au meurtre de son oncle La Commission a relevé que les faits se trouvant au cœur de la requête ne sont pas controversés. Le requérant essuya des coups de feu et fut grièvement blessé au cours d’une agression perpétrée par deux hommes le 15 janvier 1993. Le 14 juin 1993, un homme armé tira sur son oncle, M. Haşim Yaşa, et le tua. La Commission a constaté qu’aucun des éléments en sa possession ne prouvait au-delà de tout doute raisonnable que des membres des forces de l’ordre ou des policiers avaient participé à l’agression du requérant et de son oncle. Elle a conclu aussi que les griefs de l’intéressé selon lesquels la police avait entravé l’administration de son traitement à l’hôpital et l’avait maltraité en garde à vue après les obsèques de son oncle n’étaient pas établis. En revanche, la Commission estime qu’eu égard « aux demandes de protection, aux protestations adressées au niveau ministériel par M. Yaşar Kaya, journaliste et propriétaire d’Özgür Gündem, et au grand nombre d’attaques perpétrées contre des personnes liées à ce journal », le Gouvernement n’ignorait pas, ou n’aurait pas dû ignorer que les personnes intervenant dans la publication et la distribution dudit quotidien craignaient d’être victimes d’une campagne concertée et tolérée, voire approuvée, par des agents de l’Etat (paragraphe 104 du rapport de la Commission). Les procédures devant les autorités nationales a) La procédure relative à l’agression sur la personne du requérant Un rapport de police daté du 15 janvier 1993 fait état de coups de feu tirés vers 7 h 15 rue Turistik. Quinze cartouches vides et deux douilles furent recueillies en vue d’une expertise légale et un plan des lieux fut établi. Le jour de l’incident, la police récupéra le pistolet du requérant dans son kiosque. Elle arrêta Ş. Altunhan qui s’y trouvait, ainsi que les deux chauffeurs de taxi, celui auquel le requérant avait confié le pistolet et celui qui l’avait emporté au kiosque (paragraphe 13 ci-dessus). Elle recueillit ensuite leurs dépositions détaillées. En réponse à une demande formulée le 15 janvier 1993 par la direction de la sûreté, le médecin de l’hôpital releva sur le requérant les blessures suivantes : une entrée de balle dans la région fessière gauche, une entrée et une sortie de balle au milieu de l’avant-bras gauche, une éraflure de balle sur l’index de la main gauche, une entrée et une sortie de balle au milieu de l’avant-bras droit, entre le coude et la région axillaire, et une trace de balle peu profonde, atteignant le derme et remontant sous le bras. Le 17 janvier 1993, le requérant fit à la police une déclaration décrivant l’agression, en présence de son avocat. Il indiqua que les hommes voulaient l’assassiner parce qu’il tenait un kiosque vendant en particulier des journaux de gauche. Il expliqua que, puisque des vendeurs de titres de ce genre avaient déjà été attaqués, il avait acheté un pistolet, qu’il portait depuis trois ou quatre jours lorsqu’il fut agressé (paragraphe 16 ci-dessus). Un rapport sommaire du 17 janvier 1993 concernant l’échange de coups de feu et intitulé dossier criminel n° 1993/C-14 qualifiait le requérant de suspect blessé et indiquait que les autres suspects, non identifiés, s’étaient échappés. Les 20 janvier et 14 avril 1993, le procureur général de Diyarbakır demanda à la section concernée de la sûreté d’enquêter sur l’agression perpétrée sur la personne du requérant et d’arrêter les suspects. A cette dernière date, le procureur lui ordonna aussi d’informer des progrès des investigations le bureau du procureur général tous les trois mois jusqu’à la date de prescription de l’action publique, à savoir le 15 janvier 1998. Selon un rapport d’expertise balistique établi le 11 février 1993, les cartouches trouvées par la police sur les lieux de la fusillade présentaient des traces et éraflures identiques à celles relevées à l’occasion de l’agression armée perpétrée sur deux autres personnes à Diyarbakır, les 3 novembre 1992 et 11 février 1993 respectivement. b) La procédure relative à l’assassinat de Haşim Yaşa Une enquête préliminaire fut ouverte sous le numéro de dossier 1993/2248 sur la mort de Haşim Yaşa. Selon le rapport d’autopsie du 14 juin 1993, quatre balles l’avaient touché, dont deux mortellement. A la suite de la fusillade, la police fit un croquis des lieux et recueillit le 14 juin 1993 les déclarations de deux témoins. Il en ressort que V. Şimşek entendit des coups de feu, puis vit une personne, qu’il n’a pas pu identifier, courir derrière des gens qui s’attroupaient dans la rue. R. Orhan, qui y tenait une échoppe, entendit la fusillade mais ne vit rien. Lorsqu’il parvint sur les lieux, Haşim Yaşa était étendu au sol ; il l’aida à monter dans un taxi qui le transporta à l’hôpital. Le procès-verbal de l’interrogatoire par la police du fils de Haşim Yaşa indique que l’enfant vit l’agresseur, mais sans le reconnaître. D’après lui, l’homme – âgé de vingt à vingt-cinq ans et mesurant 1,70 m environ – tira à plusieurs reprises sur son père, alors même que celui-ci était tombé à terre dès le premier coup de feu, puis s’enfuit. D’après un rapport d’expertise balistique du 21 juin 1993, les douilles retrouvées sur les lieux étaient trop déformées pour qu’un examen se révélât utile. c) La progression ultérieure desdites enquêtes Aucune autre information sur des mesures d’investigation prises en rapport avec ces incidents ne se trouve au dossier d’enquête fourni à la Commission. Toutefois, en annexe aux observations écrites du Gouvernement devant la Commission figure une lettre adressée le 2 novembre 1995 par le procureur général près la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır au ministre de la Justice. Dans cette lettre, ledit procureur s’exprimait en ces termes : « [L]’allégation (…) n’a rien à voir avec la vérité. Dans le sud-est de l’Anatolie, il n’y a aucun tireur agissant au nom de l’Etat. Dans [cette] région, il y a des conflits armés entre des organisations armées ainsi que des conflits en raison de règlements de comptes au sein de ces organisations. Imputer ces incidents à l’Etat et dire qu’il y a des tireurs agissant pour l’Etat ne sont que des allégations répugnantes (…) » C. Nouveaux éléments présentés à la Cour Devant la Cour, le requérant a produit la copie d’un rapport récent, émanant du Comité d’inspection près le cabinet du premier ministre. Ce rapport confidentiel (« le rapport de Susurluk ») était initialement destiné au seul premier ministre, qui l’avait commandé le 13 août 1997. Après sa communication en janvier 1998, celui-ci l’a vraisemblablement porté à la connaissance du public, à l’exception de onze pages du corps du document ainsi que de ses annexes ; à l’époque où la Cour examinait l’affaire, le rapport occupait toujours le cœur du débat en Turquie. D’après son préambule, ledit document n’est ni le fruit d’une instruction judiciaire ni un rapport d’enquête. Préparé dans un but d’information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l’existence d’une relation tripartite d’intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines. Le rapport fait l’analyse d’un enchaînement d’incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d’un groupe de repentis censés servir l’Etat, pour conclure à l’existence d’un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Les passages du rapport ayant trait à certains aspects touchant aux périodiques radicaux distribués dans ladite région sont reproduits ci-dessous : « (…) Dans ses aveux à la Direction du bureau criminel de Diyarbakır, (…) M. G. (…) avait déclaré, quant à Ahmet Demir (page 35), que celui-ci (…) racontait de temps en temps (…) qu’il avait planifié et fait exécuter le meurtre de Behçet Cantürk ainsi que d’autres partisans de la mafia et du PKK tués de la même façon (…) ; que le meurtre de (…) Musa Anter était également planifié et réalisé par A. Demir (page 37). (…) Des renseignements sommaires sur les antécédents de Behçet Cantürk, d’origine arménienne, se trouvent ci-dessous (page 72). (…) L’intéressé (…) était, depuis 1992, l’un des financiers du quotidien Özgür Gündem. (…) Malgré l’évidence de son identité et de ce qu’il faisait, l’Etat n’avait pas pu venir à bout de Cantürk. Les voies légales s’étant avérées insuffisantes, finalement, on a fait exploser le quotidien Özgür Gündem au plastic, et vu que Cantürk s’était mis à fonder une nouvelle entreprise, alors qu’on attendait qu’il s’inclinât devant l’Etat, l’Organisation de la Sûreté turque a décidé sa mort et celle-ci a été exécutée (page 73). (…) Toutes les autorités concernées de l’Etat sont au courant de ces activités et opérations. (…) L’analyse des particularités des personnages tués dans lesdites opérations permet de déduire que la différence entre les personnes prokurdes tuées dans la région de l’état d’urgence et les autres, réside en leur pouvoir de financement du point de vue économique. (…) Notre seul désaccord avec ce qui a été fait concerne les modalités d’exécution et leurs conséquences. En effet, il a été constaté que même ceux approuvant tout ce qui s’était passé regrettaient le meurtre de Musa Anter. D’aucuns disent que Musa Anter n’était pas impliqué dans une action armée, qu’il était plutôt préoccupé par la philosophie de la chose, que les effets de son assassinat ont dépassé son influence propre et que sa mort avait été décidée à tort. (Les renseignements sur ces personnes se trouvent à l’annexe 9). D’autres journalistes ont également été tués (page 74). » ii. LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs Les principes et les procédures relatifs à la responsabilité pour des actes contraires à la loi peuvent se résumer comme suit. A. La poursuite pénale des infractions Le code pénal réprime toute forme d’homicide (articles 448 à 455) ainsi que ses tentatives (articles 61 et 62). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les devoirs incombant aux autorités quant à l’enquête préliminaire au sujet des faits susceptibles de constituer pareils crimes et portés à la connaissance des autorités. Ainsi, toute infraction peut être dénoncée aussi bien aux autorités ou agents des forces de l’ordre qu’aux parquets. La déposition de pareille plainte peut être écrite ou orale, et dans ce dernier cas l’autorité est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151). S’il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d’un décès, les agents des forces de l’ordre qui en ont été avisés sont tenus d’en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). En application de l’article 235 du code pénal, tout membre de la fonction publique qui omet de déclarer à la police ou aux parquets une infraction dont il a eu connaissance pendant l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine d’emprisonnement. Le procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – se voit informé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise, est obligé d’instruire les faits aux fins de décider s’il y a lieu ou non d’entamer une action publique (article 153 du code de procédure pénale). Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de la fonction publique et si l’acte a été commis pendant l’exercice de ses fonctions, l’instruction préliminaire de l’affaire dépend de la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public quant à cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales, seront du ressort du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l’intéressé). Une fois pareille autorisation délivrée, il incombe au procureur de la République d’instruire l’affaire. Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; la saisine est d’office si l’affaire est classée sans suite. En vertu de l’article 4, alinéa i), du décret-loi n° 285 du 10 juillet 1987 relatif à l’autorité du gouverneur de la région de l’état d’urgence, la loi de 1914 (paragraphe 49 ci-dessus) s’applique également aux membres des forces de l’ordre subordonnés audit gouverneur. Lorsque l’auteur présumé d’un délit est un militaire, c’est la qualification de l’acte incriminé qui permettra de décider de la loi applicable en l’espèce. Ainsi, s’il s’agit d’un « crime militaire » prévu au code pénal militaire (loi n° 1632), la poursuite pénale sera, en principe, effectuée conformément à la loi n° 353 portant institution des tribunaux militaires et réglementation de leur procédure ; en ce qui concerne les militaires accusés d’une infraction de droit commun, ce sont, en principe, les dispositions du code de procédure pénale qui trouveront application (articles 145 § 1 de la Constitution et 9–14 de la loi n° 353). Le code pénal militaire érige en infraction militaire le fait, pour un militaire qui désobéit à un ordre, de mettre en danger la vie d’une personne (article 89). Dans ce cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 48 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne mise en cause. B. La responsabilité civile et administrative du fait d’actes criminels et délictuels En vertu de l’article 13 de la loi n° 2577 sur la procédure administrative, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative. L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel. (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées. L’article 8 du décret-loi n° 430 du 16 décembre 1990, dont la dernière phrase s’inspire de la disposition susmentionnée (paragraphe 53 ci-dessus), est ainsi libellé : « La responsabilité pénale, financière ou civile (…) du gouverneur de la région de l’état d’urgence ou des gouverneurs des provinces dans ladite région ne saurait être mise en cause relativement à leurs décisions ou actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret-loi, et aucune autorité judiciaire ne saurait être saisie à cette fin. Le droit des personnes de réclamer de l’Etat réparation des dommages injustifiés qu’elles ont subis est réservé. » Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41–46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l’intéressé (article 53). Toutefois, en vertu de l’article 13 de la loi n° 657 sur les employés de l’Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public peuvent, en principe, ester en justice uniquement contre l’autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et pas directement contre celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Lorsque l’acte en question est qualifié d’illicite ou de délictuel et, par conséquent, perd son caractère d’acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l’auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d’engager la responsabilité conjointe de l’administration en sa qualité d’employeur de l’auteur de l’acte (article 50 du code des obligations). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 12 juillet 1993. Il dénonçait les agressions au cours desquelles lui-même avait été grièvement blessé et son oncle tué. Il se plaignait en outre d’avoir été maltraité par la police pendant sa détention et d’avoir été privé de l’accès à un tribunal ou d’un recours effectif au sujet de ces griefs. Il invoquait les articles 2, 3, 6, 10, 13, 14 et 18 de la Convention. La Commission a retenu en partie la requête (n° 22495/93) le 3 avril 1995. Dans son rapport du 8 avril 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention (trente voix contre deux), mais non de l’article 3 (unanimité), que le grief du requérant au titre de l’article 6 § 1 ne soulève aucune question distincte et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (trente et une voix contre une), que le grief du requérant au titre de l’article 13 ne soulève aucune question distincte (trente voix contre deux) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 ni de l’article 18 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Renonçant aux griefs tirés des articles 3 et 6 et soulevés devant la Commission, le requérant a, dans son mémoire et à l’audience, prié la Cour de dire que les faits de la cause révèlent une violation des articles 2, 10, 13, pris isolément ou combinés avec l’article 14, et de l’article 18, et de conclure que ces violations se trouvaient aggravées par l’existence d’une pratique tolérée par l’Etat défendeur. A cet égard, il invite la Cour à tenir compte du contenu du rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-dessus) au titre d’une nouvelle preuve se rapportant à ses griefs (paragraphes 21–28 ci-dessus). Il demande également à la Cour de condamner l’Etat défendeur au versement d’une somme en réparation du dommage moral et matériel qu’il a subi et du dommage moral des proches de son oncle ainsi qu’au remboursement des frais et dépens encourus. Pour sa part, tant dans son mémoire qu’à l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à constater que la requête aurait dû être déclarée irrecevable aux motifs que le requérant n’avait pas qualité pour faire valoir un grief au nom de son oncle et que les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées. Quant au fond, et à titre subsidiaire, il soutient que les faits de la cause n’ont emporté violation d’aucune des dispositions invoquées par le requérant. A l’audience, le Gouvernement a en outre demandé à la Cour de déclarer le rapport de Susurluk irrecevable en tant que moyen de preuve.
0
0
1
0
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, M. Demir, homme d’affaires, est né en 1950, et le deuxième, M. Süsin, élu du quartier de Yenimahalle à İdil, en 1958 ; ils étaient respectivement président et ancien secrétaire de la section d’İdil du Parti populiste social-démocrate (SHP). Quant à M. Kaplan, né en 1973, il était correspondant du quotidien Hürriyet ainsi que membre du bureau de la section d’İdil locale du Parti du peuple de la République (CHP). A l’époque des faits, les requérants résidaient et exerçaient tous à İdil, dans la province de Şırnak, laquelle figure parmi celles qui sont soumises, depuis 1987, à l’état d’urgence décrété dans le Sud-Est de l’Anatolie. Au cours des mois de janvier et février 1993, une trentaine de personnes, dont les requérants, furent arrêtées à İdil sur ordonnance du procureur de la République (« le procureur ») près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l’Etat »). Les faits en rapport avec la détention des requérants sont controversés. M. Demir affirme avoir été arrêté par la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d’İdil (« la direction de la sûreté ») puis placé en garde à vue le 22 janvier 1993 ; de leur côté, MM. Kaplan et Süsin soutiennent avoir subi le même sort, mais le 28 janvier. D’après le Gouvernement, le placement en garde à vue de MM. Demir et Süsin a eu lieu le 26 janvier 1993 et celui de M. Kaplan le 30 janvier. Le 27 janvier 1993, la direction de la sûreté fit examiner MM. Demir et Süsin par le bureau de médecine légale d’İdil en vue de constater si des marques de coups ou de violence pouvaient être décelées sur leurs corps. Les rapports médicaux rédigés le même jour concluaient à l’absence de pareilles traces. Le 30 janvier, M. Kaplan fut à son tour soumis à l’examen des médecins légistes, lesquels, dans leur rapport, parvinrent à la même conclusion. Le 12 février 1993, l’avocat des requérants porta plainte devant le parquet d’İdil à l’encontre de N. Yılmaz, chef de la direction de la sûreté. Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention ainsi que la jurisprudence de la Cour en la matière, il protestait contre la durée de la garde à vue de ses clients et demandait que les responsables fussent poursuivis. M. Kaplan puis MM. Demir et Süsin furent traduits devant le juge unique du tribunal correctionnel d’İdil, les 15 et 18 février 1993 respectivement. Celui-ci ordonna leur mise en détention provisoire. Avant de comparaître, les requérants furent réexaminés par le bureau de médecine légale, à la demande de la direction de la sûreté. Les rapports médicaux établis en conséquence ne diagnostiquaient aucune trace de coups et blessures sur le corps des intéressés. Par la suite, l’avocat des requérants se vit communiquer une décision du 2 avril 1993, par laquelle la direction des affaires criminelles du ministère de la Justice lui faisait part du rejet de sa plainte du 12 février. Le 11 juin 1993, le procureur soumit à la cour de sûreté de l’Etat des réquisitions contre trente-cinq prévenus, dont les requérants. Il accusait ces derniers d’être membres actifs d’une organisation illégale, le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), et requérait l’application des articles 168 § 2 du code pénal (paragraphe 19 ci-dessous) et 5 de la loi anti-terrorisme n° 3713 (paragraphe 20 ci-dessous). Les faits reprochés aux intéressés, tels qu’ils ont été exposés par le procureur, peuvent se résumer comme suit : Après avoir adhéré au PKK en 1988, M. Demir aurait maintenu des contacts réguliers et préparé plusieurs actions avec le militant du PKK responsable d’İdil ; au début de l’année 1990, il aurait été désigné chef du comité local du PKK à Yenimahalle lors d’une réunion clandestine chez lui ; à la suite de l’assassinat de Z. dans le district du Midyat, il aurait invité plusieurs personnes à se rassembler pour les obsèques, durant lesquelles il aurait lancé des slogans et exhorté les participants à en faire autant ; il aurait également proféré des slogans séparatistes lors de la manifestation illégale qui eut lieu à l’occasion de la mort d’un certain A., militant du PKK ; le 21 mars 1992, il aurait incité le peuple à l’insurrection et, quelques mois après, appelé les commerçants à fermer leurs boutiques pour protester contre l’armée turque ; enfin, il aurait maintes fois recelé des personnes voulant rejoindre le PKK. M. Süsin aurait participé à plusieurs réunions et manifestations illégales ; à l’issue de l’assemblée tenue chez M. Demir, il aurait été nommé membre dudit comité du PKK ; en 1991, il aurait recelé chez lui six personnes et en aurait installé sept autres dans des maisons du voisinage, dans l’attente de les voir rejoindre le PKK ; il aurait en outre effectué des collectes de fonds pour le financement des activités de cette organisation. Quant à M. Kaplan, il aurait, environ un an avant son arrestation, participé à une manifestation non autorisée de fermeture de boutiques et, six mois auparavant, photocopié deux tracts du PKK ; il aurait en outre lancé des slogans séparatistes lors de deux manifestations illégales qui se déroulèrent à İdil les 4 et 19 mars 1992. Le 7 juillet 1993, les requérants comparurent devant la cour de sûreté de l’Etat. MM. Demir et Süsin rétractèrent les aveux qu’ils avaient faits à la direction de la sûreté, affirmant qu’ils avaient été extorqués sous la contrainte. Quant à M. Kaplan, il soutint avoir agi sous l’emprise de la peur de représailles de la part du PKK. M. Kaplan fut mis en liberté provisoire le même jour ; les deux autres requérants après l’audience du 3 février 1994. Le 14 novembre 1996, la cour de sûreté de l’Etat condamna, par application de l’article 168 § 2 du code pénal, MM. Demir et Süsin à douze ans et six mois d’emprisonnement pour appartenance à une bande armée ; à M. Kaplan, elle infligea, en vertu de l’article 169 dudit code (paragraphe 19 ci-dessous), trois ans et neuf mois d’emprisonnement pour assistance à une bande armée et recel de malfaiteurs. Les intéressés se pourvurent devant la Cour de cassation qui, par un arrêt du 2 mars 1998, confirma le jugement attaqué. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 19 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté individuelle. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et dans le respect des formes et conditions définies par la loi : (...) La personne arrêtée ou détenue doit être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et, en cas d’infractions collectives, dans les quinze jours (...). Ces délais peuvent être prolongés pendant l’état d’urgence (...) (...) Toute personne privée de sa liberté, pour quelque motif que ce soit, a le droit d’introduire un recours devant une autorité judiciaire compétente afin qu’elle statue à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation serait illégale, ordonne sa libération. Les dommages subis par ceux qui ont été victimes d’un traitement contraire à ces dispositions doivent être réparés par l’Etat, conformément à la loi. » Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 168 « Sera condamné à une peine de quinze ans d’emprisonnement minimum, quiconque, en vue de commettre les infractions énoncées aux articles (...), créera une bande ou organisation armée ou se chargera de la direction, (...) du commandement ou d’une responsabilité particulière dans une telle bande ou organisation. Les autres membres de la bande ou de l’organisation seront condamnés à une peine de cinq à quinze ans d’emprisonnement. » Article 169 « Sera condamné à une peine allant de trois à cinq ans d’emprisonnement (…), quiconque, tout en ayant conscience de la position et qualitéd’une telle bande ou organisation armée, l’aidera ou lui fournira un hébergement, des vivres, armes et munitions ou des vêtements, ou facilitera ses agissements de quelque manière que ce soit. » La loi anti-terrorisme n° 3713 du 12 avril 1991 qualifie de « terroriste » l’infraction visée à l’article 168 du code pénal (article 3). Quant à l’infraction réprimée par l’article 169 du même code, elle figure dans la catégorie des actes « perpétrés aux fins du terrorisme » (article 4). En application de l’article 5 de la loi n° 3713, les peines prévues par le code pénal qui seront infligées à la suite d’infractions énumérées aux articles 3 et 4 seront augmentées de moitié. Aux termes de l’article 9 a) de la loi n° 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, les infractions visées aux articles 168 et 169 relèvent de la compétence exclusive de ces juridictions. A l’époque des faits, l’article 30 de la loi n° 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat – parmi lesquelles figurent celles mentionnées au paragraphe 20 ci-dessus –, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les provinces où l’état d’urgence avait été décrété, ces délais étaient susceptibles d’être prolongés jusqu’à quatre et trente jours respectivement. L’article 1 de la loi n° 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes arrêtées ou détenues prévoit : « Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne : arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ; à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ; qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ; dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ; qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ; qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement (...) » III. LA NOTIFICATION DE DÉROGATION DU 6 AOÛT 1990 ET SES MODIFICATIONS ULTÉRIEURES Le 6 août 1990, le Représentant permanent de la Turquie auprès du Conseil de l’Europe a notifié au Secrétaire général du Conseil de l’Europe une dérogation libellée comme suit : « 1. La République de Turquie est exposée à des menaces pour sa sécurité nationale dans le sud-est de l’Anatolie, dont l’ampleur et l’intensité sont allées croissant au cours des derniers mois au point de représenter une menace pour la vie de la nation au sens de l’article 15 de la Convention. En 1989, 136 civils et 153 membres des forces de sécurité ont été tués à la suite d’actes de terrorisme, dont les auteurs agissaient parfois à partir de bases étrangères. Rien que depuis le début de 1990, le nombre des victimes s’élève à 125 civils et 96 membres des forces de sécurité. La sécurité nationale est principalement menacée dans les provinces de l’Anatolie du sud-est et partiellement aussi dans les provinces adjacentes. En raison de l’intensité et de la diversité des actions terroristes, et afin de les réprimer, le gouvernement a dû non seulement faire intervenir ses forces de sécurité, mais aussi prendre les mesures appropriées pour neutraliser une campagne de désinformation tendancieuse auprès du public, lancée notamment à partir d’autres régions de la République de Turquie ou même de l’étranger et accompagnée d’une utilisation abusive des droits syndicaux. A cette fin, le Gouvernement de la Turquie, agissant conformément à l’article 121 de la Constitution turque, a promulgué, le 10 mai 1990, les décrets-lois n° 424 et n° 425. Ces décrets pourront entraîner une dérogation aux obligations inscrites dans les dispositions ci-après de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales : à savoir dans les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13. Une description sommaire des nouvelles mesures est jointe à la présente (...) » La description sommaire des décrets-lois nos 424 et 425 annexée à cette notification est libellée comme suit : « A. En vertu des décrets-lois nos 424 et 425 dans la région visée par l’état d’urgence, le gouvernement de cette région a été doté des pouvoirs supplémentaires ci-après. Le ministre de l’Intérieur, sur proposition du gouverneur de la région visée par l’état d’urgence, pourra interdire temporairement ou de manière permanente toute publication (indépendamment du lieu de son impression) qui serait de nature à perturber gravement l’ordre public de la région ou à exciter les esprits dans la population locale, ou à gêner les forces de sécurité dans l’accomplissement de leur mission en donnant une interprétation fausse des activités menées dans la région. La mesure d’interdiction pourra s’étendre, le cas échéant, à la fermeture de la maison d’édition en question. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner aux personnes portant atteinte de manière continue à la sécurité générale et à l’ordre public de s’établir dans un lieu spécifié par le ministre de l’Intérieur et situé en dehors de la région visée par l’état d’urgence pour une période qui ne devra pas excéder la durée de l’état d’urgence. A leur demande, les intéressés pourront recevoir une aide financière du Fonds de développement et de soutien. Les modalités de la fourniture de cette aide seront fixées par le ministère de l’Intérieur. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence (ou le gouverneur provincial délégué) pourra suspendre (pour une durée de 3 mois maximum) ou subordonner à une autorisation préalable certaines activités en relation avec des conflits de travail telles que grèves et « lock-out ». Le gouverneur pourra également interdire, ou prendre des mesures préventives à leur encontre, certaines activités telles que destructions, pillages, boycottages, ralentissements du travail, restrictions à la liberté du travail et fermetures d’entreprises. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner à titre temporaire ou permanent l’évacuation, le déplacement, le regroupement de villages, de zones de pâturages et de zones résidentielles pour des raisons de sécurité publique. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner aux institutions publiques appropriées dans la région visée par l’état d’urgence, de muter à titre permanent ou temporaire à d’autres postes leurs fonctionnaires dont elles considèrent qu’ils portent atteinte à la sécurité générale et à l’ordre public. Les fonctionnaires intéressés resteront astreints aux dispositions de la loi spéciale sur la fonction publique qui leur sont applicables. B. Aucune plainte de nature criminelle, pécuniaire ou juridique ne pourra être déposée, ni aucune démarche juridique ne pourra être effectuée à cette fin auprès de l’autorité judiciaire à propos de décisions prises ou d’actes effectués par le ministre de l’Intérieur, le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence et les autres gouverneurs dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont reconnus par le décret-loi n° 424. C. Aucune décision intérimaire à effet suspensif ne pourra être prise à l’encontre d’une décision administrative durant l’examen d’une plainte administrative déposée contre ladite décision si celle-ci a été prise par le ministre de l’Intérieur, le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence et les gouverneurs provinciaux dans l’exercice des pouvoirs que leur reconnaît la Loi sur l’état d’urgence n° 2935. D. Un recours en nullité ne pourra être formé contre des décisions administratives prises par le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence dans l’exercice des pouvoirs que lui reconnaît le décret-loi n° 285. » Dans une note, la dérogation précise que « la sécurité nationale est principalement menacée » dans les provinces de Elazığ, Bingöl, Tunceli, Van, Diyarbakır, Mardin, Siirt, Hakkâri, Batman et Şırnak. Par une lettre du 3 janvier 1991, le Représentant permanent de la Turquie a informé le Secrétaire général que le décret-loi n° 424 avait été remplacé par le décret-loi n° 430 promulgué le 16 décembre 1990. Une description sommaire de celui-ci figurait en annexe ; il se lit ainsi : « 1. Les pouvoirs du gouverneur de l’état d’urgence en vertu du décret-loi n° 425 sont limités à la région visée par l’état d’urgence. Les provinces adjacentes sont, de ce fait, exclues de la compétence du gouverneur. Les pouvoirs spéciaux accordés au gouverneur de l’état d’urgence par le décret-loi n° 425 sont limités aux mesures relatives aux activités terroristes visant à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Le pouvoir du ministre de l’Intérieur d’interdire toute publication ou d’ordonner la fermeture d’une imprimerie (indépendamment de son emplacement) est limité. Selon le nouveau décret-loi, le ministre de l’Intérieur doit d’abord adresser un avertissement au propriétaire ou à l’éditeur de la publication. Si celui-ci continue d’imprimer ou de diffuser le numéro controversé, le ministre concerné peut interdire la publication temporairement ou définitivement et, si nécessaire, ordonner également la fermeture de l’imprimerie pour une période maximale de 10 jours, qui peut toutefois être étendue à un mois en cas de récidive. Aucune période maximale de fermeture de l’imprimerie n’était prévue par le décret-loi n° 424 (abrogé) (voir le § A (1) de la description sommaire jointe à la notification de dérogation du 6 août 1990). Le nouveau décret-loi limite le pouvoir du gouverneur de l’état d’urgence d’ordonner à des personnes de s’établir dans un lieu spécifié situé en dehors de la région visée par l’état d’urgence. Les personnes expulsées de la région visée par l’état d’urgence ne sont pas obligées de s’établir en un lieu spécifié. Elles seront donc libres de choisir leur résidence en dehors de la région, sauf si elles demandent une aide financière. Dans ce cas, elles devront s’établir dans un lieu spécifié (voir le § A (2) de la description sommaire précédente). En ce qui concerne [les] dispositions concernées dans les paragraphes A (3, 4, 5 et 6) de la description sommaire du 6 août 1990 (qui concernent les grèves, le « lock-out » et certaines autres activités syndicales, l’évacuation et le regroupement de villages, la mutation de fonctionnaires à d’autres postes ou emplois), il faut noter que les provinces adjacentes à la province visée par l’état d’urgence en sont exclues par le nouveau décret-loi. Pour ce qui est du paragraphe 8 de la description sommaire précédente, le nouveau décret-loi comporte une nouvelle clause sauvegardant le droit d’introduire une requête contre l’administration (l’Etat) pour une perte ou des dommages subis du fait de décisions prises en vertu de l’état d’urgence. » Le 12 mai 1992, le Représentant permanent de la Turquie a communiqué au Secrétaire général une lettre libellée comme suit : « (...) Comme la plupart des mesures énoncées dans les décrets-lois nos 425 et 430 qui pourraient entraîner une dérogation aux droits garantis par les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention ne sont plus appliquées, je vous informe par la présente que la République de Turquie limite, pour l’avenir, la portée de sa notification de dérogation au seul article 5 de la Convention. La dérogation relative aux articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention n’est plus en vigueur ; par conséquent, la référence relative à ces articles est, par la présente, supprimée de ladite notification de dérogation. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 12 février 1993 ; ils se plaignaient d’avoir subi une garde à vue d’une durée contraire à l’article 5 § 3 de la Convention. La Commission a retenu les requêtes (nos 21380–81/93 et 21383/93) et ordonné leur jonction le 2 mars 1995. Dans son rapport du 29 mai 1997 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de la disposition invoquée. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Les requérants demandent à la Cour de constater que leur garde à vue a emporté violation de l’article 5 § 3 de la Convention et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50. De son côté, le Gouvernement « prie respectueusement la Cour, à titre principal, de déclarer que dans la présente affaire, étant donné les circonstances particulières l’entourant, il n’y a pas eu d’application disproportionnée de la dérogation turque ; à titre subsidiaire, de déclarer que tous les arguments découlant du droit turc n’ont pas été soulevés devant le juge national et (…) de déclarer qu’il n’y a pas eu violation de la Convention ».
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Magistrat à la retraite, le requérant est né en 1923 et réside à Olsztyn, en Pologne. A. La procédure d’appel L’intéressé prit sa retraite en mai 1991. La Caisse de sécurité sociale (Zakład Ubezpieczeń Społecznych), organisme public responsable, entre autres, de l’administration des pensions de retraite, calcula le montant de sa pension conformément aux dispositions pertinentes de la loi de 1972 sur les pensions de retraite, c’est-à-dire sur la base de ses cotisations et du salaire qu’il percevait au moment de son départ à la retraite, lequel équivalait à 314 % du salaire moyen. Le 1er décembre 1991, la Caisse de sécurité sociale prit une nouvelle décision concernant la pension de l'intéressé. Conformément à la loi du 17 octobre 1991 modifiant la loi sur les pensions de retraite précitée, elle en réduisit le montant de 1 075 600 anciens zlotys. La diminution se fondait sur une disposition de ladite loi modificative qui plafonnait le montant du salaire servant de base au calcul de la pension. Le plafond était fixé à 250 % du salaire moyen, quel que fût le salaire réellement perçu au moment du départ à la retraite. Le 17 décembre 1991, le requérant attaqua la décision devant le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) d’Olsztyn, se plaignant que le plafond de 250 % introduit par la loi modificative le privât d’une partie de sa pension. Saisie par l’ensemble des juges du tribunal régional d’Olsztyn d’une demande de renvoi de l’affaire devant une autre juridiction, le requérant ayant été leur supérieur pendant de nombreuses années, la cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Varsovie y fit droit le 25 mai 1992. Le dossier fut ultérieurement transmis au tribunal régional de Varsovie. A l’issue d’une audience tenue le 8 septembre 1992, ladite juridiction rejeta l’appel du requérant contre la décision du 1er décembre 1991, estimant que celle-ci était en conformité avec les dispositions pertinentes de la loi sur les pensions de retraite telle que modifiée. Le 9 février 1993, la Caisse de sécurité sociale adopta une nouvelle décision concernant la pension du requérant. Elle se fondait sur des pièces nouvelles indiquant que le salaire de l’intéressé à son départ à la retraite était en réalité supérieur à celui qui avait servi de référence lors de la décision du 1er décembre 1991 (paragraphe 9 ci-dessus). Le requérant fit appel de cette décision, réitérant son argument selon lequel sa pension n’aurait pas dû être recalculée sur la base du plafond de 250 % du salaire moyen. Le 14 mai 1993, le tribunal régional de Varsovie accueillit partiellement le recours pour la période allant jusqu’au 1er janvier 1992, date d'entrée en vigueur de l'amendement du 17 octobre 1991, mais le rejeta pour autant qu’il avait trait à la période postérieure. B. La procédure d’indemnisation Le 17 décembre 1991, le requérant présenta également au tribunal de district d’Olsztyn une demande d’indemnisation dirigée contre la Caisse de sécurité sociale. Il se plaignait que sa pension eût été recalculée et réduite sur la base de la législation applicable, au mépris du fait que le salaire qu’il percevait réellement à son départ à la retraite équivalait à 314 % du salaire moyen. Il soutenait en outre qu'en se fondant sur la loi qui avait plafonné à 250 % le salaire moyen devant servir à calculer les pensions la Caisse de sécurité sociale avait failli à ses obligations à son égard. Celles-ci trouvaient leur origine dans le versement par lui pendant quarante-quatre ans de cotisations au régime de retraite de la sécurité sociale. Durant toute cette période, aucune disposition légale n’avait jamais prévu le plafonnement des pensions de retraite. Pour le requérant, la Caisse de sécurité sociale avait agi illégalement et engagé sa responsabilité délictuelle. Saisie d'une demande de renvoi de la procédure d'appel devant un autre tribunal par l’ensemble des juges du tribunal régional d’Olsztyn, qui invoquaient le fait que le requérant avait été vice-président de leur juridiction, la cour d’appel de Varsovie l'accueillit le 20 mai 1992. Elle ordonna le transfert du dossier au tribunal régional d’Ostrołęka, qui le reçut le 19 juin 1992. Egalement saisi par l’ensemble des juges du tribunal de district d’Olsztyn d'une demande tendant à ce que l'affaire fût examinée en première instance par un autre tribunal, le tribunal régional d'Ostrołęka y fit droit le 26 juin 1992 et décida que l’affaire devait être jugée par le tribunal de district de Szczytno. Le 29 septembre 1992, le tribunal régional d’Ostrołęka décida, à la demande des juges du tribunal de district de Szczytno, que l’affaire devait être examinée en première instance par le tribunal de district de Przasnysz. La première audience devant le tribunal de district de Przasnysz fut fixée au 9 novembre 1992. Elle fut toutefois ajournée, le tribunal n’ayant pas reçu confirmation que la Caisse de sécurité sociale, partie défenderesse, eût bien reçu l’assignation. Le 17 novembre 1992, le requérant informa le tribunal de district de Przasnysz qu’il maintenait sa demande et sollicita l’audition d’un témoin précis. Le tribunal de district de Przasnysz demanda au tribunal de district d’Olsztyn d’entendre ce témoin. Fixée au 24 novembre 1992, l’audience devant ledit tribunal fut ajournée, le témoin cité par le requérant n’ayant pas comparu. 21. Les débats furent donc reportés au 30 décembre 1992. Le requérant ayant demandé un ajournement, le tribunal de district d’Olsztyn fixa une nouvelle audience au 14 janvier 1993 et entendit à cette date le témoin cité par l'intéressé. Le 19 janvier 1993, le requérant demanda au tribunal de district d’Olsztyn de rectifier le procès-verbal de l’audience du 14 janvier 1993. Sa demande fut accueillie le 15 avril 1993. Fixée au 18 mai 1993, l’audience suivante devant le tribunal de district de Przasnysz fut ajournée, le tribunal n’ayant pas obtenu confirmation que la défenderesse eût reçu l’assignation. Le 17 septembre 1993, le requérant se plaignit de la durée de la procédure auprès du tribunal de district de Przasnysz et demanda à ce que la date de la prochaine audience fût fixée. Il sollicita également la comparution comme témoin du premier ministre afin d'étayer son allégation selon laquelle l’Etat avait par le passé utilisé les cotisations de sécurité sociale à d’autres fins que le paiement des prestations sociales. Le 20 septembre 1993, le requérant demanda la fixation immédiate d’une date pour la prochaine audience. Le même jour, le président du tribunal ordonna que l'intéressé fût informé qu’en raison de l’insuffisance des effectifs la date de l’audience serait fixée ultérieurement. L’audience suivante fut fixée au 25 janvier 1994. Le 21 janvier 1994, le requérant informa le tribunal de district de Przasnysz qu’il ne serait pas en mesure d’assister aux débats, auxquels sa présence n’était pas obligatoire. Il maintint sa demande et se référa à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 11 février 1992, dans lequel certaines dispositions de la loi du 17 octobre 1991 ayant modifié la loi sur les pensions de retraite avaient été déclarées contraires à la Constitution. Le 25 janvier 1994, l’audience fut ajournée en raison de la non-comparution des parties. L’audience suivante fut fixée au 23 septembre 1994. Le 16 septembre, le requérant informa le tribunal de district de Przasnysz qu’il ne pourrait assister aux débats, auxquels sa présence n’était pas obligatoire. Il maintint sa demande et sollicita derechef la comparution de l’ancien premier ministre. Le 23 septembre 1994, l’audience fut de nouveau ajournée, le tribunal de district de Przasnysz ayant décidé de demander à la Caisse de sécurité sociale de lui communiquer le dossier du requérant. Celui-ci lui parvint le 27 octobre 1994. Le 7 décembre 1994, M. Styranowski se plaignit au ministre de la Justice de la durée de la procédure, et notamment du fait que les audiences eussent été ajournées à de nombreuses reprises sans justification. 30. Par une lettre du 10 janvier 1995, le président du tribunal régional d’Ostrołęka lui répondit que son affaire devait être considérée comme privilégiée puisque, compte tenu de l’insuffisance des effectifs du tribunal de district de Przasnysz, les intervalles entre les audiences étaient d’une longueur permettant d’assurer le bon déroulement de l’instance. Il souligna également que le requérant n’avait pas comparu à ces audiences, que la prochaine était fixée au 7 février 1995 et que l’affaire était en état d’être jugée rapidement. Dans sa réponse du 11 janvier 1995, le requérant souligna qu’il avait assisté à l’audience du 14 janvier 1993 et avait longuement plaidé sa cause. Il n’avait certes pas comparu aux autres audiences, mais il avait demandé que l’affaire fût examinée en son absence. De plus, le tribunal n’avait jamais requis sa présence à aucune audience. L’intéressé lui avait adressé plusieurs lettres dans lesquelles il expliquait sa position à la lumière du déroulement de l’instance. Les informations qu’il avait obtenues par téléphone après chaque audience n’avaient jamais fait ressortir qu’aucune de ces audiences eût été ajournée en raison de son absence ou parce qu’il n’aurait pas soumis des documents ou des éléments de preuve requis par le tribunal. Par une lettre du 2 février 1995, le requérant informa le tribunal de district de Przasnysz qu’il ne pourrait assister à l’audience du 7 février 1995 et releva que sa présence n’y était pas obligatoire. Il maintint sa demande, à l'appui de laquelle il présenta de nouvelles observations écrites. Opposant la chose jugée à l'intéressé en lui faisant observer que la question du plafond limitant sa pension avait été tranchée dans deux procédures qui avaient donné lieu aux décisions du 8 septembre 1992 et du 14 mai 1993 respectivement (paragraphes 12-13 ci-dessus), le tribunal de district de Przasnysz le débouta le 7 février 1995. Le 8 février 1995, le requérant sollicita la communication des motifs écrits du jugement, qui lui furent notifiés le 3 avril 1995. Le 5 mars 1995, un incendie se déclara dans l'immeuble abritant le tribunal de district de Przasnysz. Le 6 avril 1995, le requérant interjeta appel de la décision du 7 février 1995. Le 13 juillet 1995, le tribunal régional d’Ostrołęka annula la décision du 7 février 1995 et ordonna le réexamen de l’affaire. Il observa que, dans la procédure d’appel, seule la question de savoir si le calcul de la pension du requérant était conforme à la législation pertinente avait été tranchée. Or, dans le cadre de l’action en réparation, l'intéressé réclamait des dommages-intérêts pour la modification des conditions de son contrat avec la sécurité sociale, et sa demande se fondait sur le principe de la responsabilité délictuelle. Ces deux demandes n’étant pas identiques, la chose jugée ne pouvait être opposée à la seconde. 38. L’audience suivante devant le tribunal de district de Przasnysz se tint le 3 octobre 1995. Après avoir mis l’affaire en délibéré, le tribunal rendit sa décision le 17 octobre 1995. Le 29, le requérant sollicita la communication du jugement motivé, qui lui fut notifié le 5 décembre 1995. Le 13 décembre 1995, il interjeta appel devant le tribunal régional d’Ostrołęka, qui le débouta le 16 janvier 1996. Procédure devant la commission M. Styranowski a saisi la Commission le 24 juillet 1995. Se fondant sur l’article 6 de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure d’indemnisation intentée par lui. Il dénonçait également la décision portant réduction de sa pension, dans laquelle il voyait une privation des droits légalement acquis par lui et une violation de l’article 6 de la Convention combiné avec l’article 17. Il alléguait de surcroît que les décisions relatives à la diminution de sa pension avaient enfreint la Convention et que, tout comme la loi sur laquelle elles se fondaient, elles étaient contraires à la Constitution polonaise. Le 27 juin 1996, la Commission (deuxième chambre) a décidé d’ajourner l’examen du grief concernant la durée de la procédure d’indemnisation et a déclaré la requête (n° 28616/95) irrecevable pour le surplus. Elle a retenu ledit grief le 15 avril 1997. Dans son rapport du 3 décembre 1997 (article 31), elle conclut, par dix voix contre cinq, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à dire que les faits de l’espèce révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et à lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50. Dans le sien, le Gouvernement demande à la Cour de dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. Les circonstances de l’espèce Le Parti socialiste (« le SP »), premier requérant, est un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle (paragraphe 15 ci-dessous). MM. İlhan Kırıt et Doğu Perinçek, les deuxième et troisième requérants, étaient respectivement président et ancien président du SP. Ils résident à Istanbul. 8. Le SP fut fondé le 1er février 1988. Le même jour, ses statuts et son programme furent examinés par le parquet près la Cour de cassation quant à leur compatibilité avec la Constitution et la loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques (« la loi n° 2820 », paragraphes 16 et 17 ci-dessous). A. La première demande en dissolution du Parti socialiste et les poursuites contre ses dirigeants Le 15 février 1988, alors que le SP s’apprêtait à participer aux élections législatives, le procureur général près la Cour de cassation (« le procureur général ») requit auprès de la Cour constitutionnelle la dissolution du SP. Invoquant notamment certains passages de son programme, il lui reprochait d’avoir voulu établir la domination de la classe ouvrière, en vue de créer une dictature du prolétariat (articles 6, 10, 14 et 68 ancien de la Constitution ainsi que 78 et 101 a) de la loi n° 2820). Dans son arrêt du 8 décembre 1988, publié au Journal officiel le 16 mai 1989, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut de fondement, estimant que les objectifs politiques énoncés dans le programme du SP n’enfreignaient pas la Constitution. Des poursuites pénales furent alors entamées devant des cours de sûreté de l’Etat contre certains dirigeants du SP, dont M. Perinçek. Ils se voyaient accusés de propagande nuisible en faveur de l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres, infraction prévue à l’article 142 du code pénal, dans sa version alors en vigueur (paragraphe 18 ci-dessous). L’accusation portée contre M. Perinçek reposait notamment sur des propos qu’il aurait tenus le 10 février 1990 à Diyarbakır et le 21 mars 1990 à Van, lors de deux réunions publiques, ainsi que sur un article paru dans une revue politique le 4 mars 1990, c’est-à-dire avant son élection à la présidence du SP, le 6 juillet 1991. A la suite de l’abrogation de l’article 142 du code pénal par la loi anti-terrorisme n° 3713 du 12 avril 1991, les intéressés furent tous acquittés. Quant aux discours en question, le SP les publia ultérieurement sous les titres : « Serhildan çağrıları-1, Kawa ateşi yaktı » et « Serhildan çağrıları-2, Karpuz değil cesaret ekin » (paragraphe 13 ci-dessous). Le 26 août 1991, le Haut Comité électoral – chargé par la Constitution de surveiller la régularité des élections – décida que le SP réunissait toutes les conditions nécessaires pour participer aux élections législatives du 20 octobre 1991. En conséquence, le parti mena une campagne électorale. B. La deuxième demande en dissolution du Parti socialiste Le 14 novembre 1991, le procureur général demanda pour la deuxième fois à la Cour constitutionnelle de dissoudre le SP. Il accusait celui-ci d’avoir poursuivi des activités propres à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat et à l’unité de la nation, au mépris des articles 3, 4, 14, 66 et 68 ancien de la Constitution ainsi que 78, 81 et 101 b) de la loi n° 2820. A l’appui de sa demande, le procureur général invoquait notamment les extraits suivants des publications électorales du SP ainsi que des déclarations orales faites par son président, M. Perinçek, lors de diverses réunions publiques et émissions télévisées. Les extraits de publications du Parti socialiste a) « Serhildan çağrıları-1, Kawa ateşi yaktı » (« Appels à se relever – n° 1, Kawa a allumé le feu ») « (...) Chers amis, (...) la deuxième dynamique est la dynamique kurde. C’est la demande d’égalité, de liberté, [c’est] la revendication de droits par les Kurdes au titre d’une nation. C’est solliciter que ce qui est reconnu pour les Turcs (...) leur soit également accordé. Au début des années 1900, une guerre d’indépendance a été menée (...) dans des circonstances où les impérialistes occupaient le pays, où le Turc et le Kurde dépendaient l’un de l’autre, devaient s’unir et être côte à côte. Dans le protocole d’Amasya, il a été écrit : « La patrie est constituée des terres où vivent les Turcs et les Kurdes. » Dans les déclarations et documents des congrès d’Erzurum et de Sivas, les droits ethniques, sociaux et géographiques des Kurdes ont été reconnus (...) une fois la guerre terminée et les armes accrochées au mur, on a assisté à l’avènement d’une idéologie officielle (...) comme si on n’avait plus besoin de quelqu’un d’Urfa, de Diyarbakır ou de Malatya pour combattre (...). Dans cette idéologie officielle, il n’y avait plus de place pour les Kurdes. Il n’y avait plus de Kurdes. Désormais, seuls les Turcs existaient (...) » (pages 7–8) b) « Serhildan çağrıları-2, Karpuz değil cesaret ekin » (« Appels à se relever – n° 2, semez du courage, pas des pastèques ») « (...) ils peuvent faire de ce pays (...) une patrie de cultures, de fraternité, de travailleurs, [une patrie] où l’unité est volontaire, où les nations décident librement de leur avenir et s’unissent librement si elles le veulent (...). Vive la fraternité entre les Turcs et les Kurdes ! Vive les peuples turc et kurde ! » (page 31) c) « Çözüm-4, Kürt sorunu » (« Solution n°4, le problème kurde ») « (...) L’effondrement a commencé là où le régime était le plus tyrannique et le plus vulnérable. Les partis [politiques] du statu quo échouèrent à l’est de l’Euphrate (...). On ne [les] voit plus sur les terres où vit le peuple kurde (...) (page 3) Pourquoi les partis du statu quo se sont-ils effacés dans les provinces kurdes ? Parce qu’ils sont nationalistes (...). Le nationalisme turc a fait faillite sur les terres où le problème kurde va être résolu. Le nationalisme turc a tracé ses frontières. Il a divisé l’Anatolie en deux parts, situées à l’ouest et à l’est de l’Euphrate. Le nationalisme turc et son régime sont en train de se noyer dans l’Euphrate. Voilà ce qu’on appelle la faillite d’un régime. (page 4) (...) Après les montagnes, l’Etat a perdu aussi les villages et les villes. C’est pourquoi il compte directement sur la dissuasion des masses. Ainsi, la terreur étatique désire instaurer en Turquie un nouveau régime, en partant de l’est (...) (page 10) L’Etat paie les gardes de village, les forces spéciales (...) qu’il nourrit pour tuer le Kurde avec les impôts qu’il a collectés du peuple. Le coût des balles tirées sur le Kurde, de l’essence utilisée dans les opérations transfrontalières (...), bref, le coût de [cette] guerre spéciale est mis à la charge du peuple (...). Pour mettre fin à l’inflation, (...) à la pauvreté, il faut trouver une solution pacifique au problème kurde. Le problème kurde est en même temps un problème turc (...). Le fait de vivre librement, fraternellement, cœur à cœur, en paix et en sérénité avec le peuple kurde est un besoin (...) pour le peuple de la Turquie (...). Les peuples turc et kurde ne font qu’un. Aucun Turc n’aura le droit d’entrer au paradis si un seul Kurde demeure [encore] en enfer. Le Parti socialiste est déterminé à lutter jusqu’à ce que le dernier Kurde soit sauvé de l’enfer. (pages 11–13) Le Parti socialiste est présent des deux côtés de l’Euphrate (...). Il est le parti de la fraternité kurdo-turque (…). La détermination du Parti socialiste quant au problème kurde a fait ses preuves, au cours des luttes, lorsqu’il faisait face aux pressions de l’Etat sur la nation kurde (...), à travers le destin commun dans le combat des pauvres paysans kurdes (...), lorsqu’il faisait s’effondrer les murs de peur en réunissant des milliers de gens dans les villages et villes kurdes, quand il expliquait au peuple travailleur, dans chaque coin de la Turquie, le problème kurde (...). Notre parti enseigne cette [prise de] conscience. Il voit la solution dans le destin commun des peuples et dans leur lutte. Pour remédier au problème kurde, le Parti socialiste dispose du courage, (...) d’un combat [à mener] et d’un programme. (pages 15–16) La nation kurde dispose pleinement et sans conditions du droit à l’autodétermination. Elle peut, si elle le désire, créer un Etat à part. L’intérêt du prolétariat réside dans la réalisation, par une révolution populaire démocratique, d’une union volontaire fondée sur l’égalité absolue dans les droits et la liberté. Le droit de se séparer est, à tout moment, la condition sine qua non de cette union volontaire. Le fait de vivre en commun ou non dépend de la libre volonté des nations. Afin que celle-ci s’exprime, un référendum doit être organisé dans les provinces kurdes. Lors du référendum, ceux qui sont pour la séparation devraient également pouvoir librement faire de la propagande. Dans les conditions historiques actuelles, la solution en faveur des travailleurs des deux nations se trouve dans une république fédérale démocratique, à laquelle les deux Etats fédérés participent sur un pied d’égalité. Dans cette fédération, le pouvoir sera exercé à travers des assemblées populaires issues d’élections démocratiques organisées au niveau des districts, des villes, des Etats fédérés et de l’Etat fédéral, en commençant par les quartiers et les villages. Les administrations préfectorales et sous-préfectorales, les gouvernements fédérés et le gouvernement fédéral seront les organes exécutifs desdites assemblées et seront responsables envers elles. L’assemblée fédérale populaire se composera de deux assemblées : l’assemblée des députés et l’assemblée des nations. L’assemblée des députés sera constituée par voie d’élections nationales sur la base d’un député pour un certain nombre de citoyens. L’assemblée des nations sera constituée par la participation d’un nombre égal de membres élus de chacun des deux Etats fédérés. Les lois seront adoptées par la majorité des deux assemblées. Une loi rejetée par l’une des assemblées n’entrera pas en vigueur. Les codes du travail, [les codes] pénal, civil et de procédure seront en vigueur dans l’ensemble du pays et adoptés par les organes fédéraux. Dans les districts et provinces de chaque Etat fédéré où les minorités forment une majorité, l’autodétermination régionale sera admise si le peuple la désire. La Constitution fédérale sera la Constitution commune aux deux nations. Elle entrera en vigueur après son acceptation, par référendum, par la majorité de chacune des deux nations. Chaque Etat fédéré aura également sa propre Constitution. La Constitution fédérale couvrira un nombre croissant de matières, dans la mesure où les républiques fédérées y consentiront. Le drapeau et l’hymne de la république fédérale seront communs aux Turcs et aux Kurdes. Par ailleurs, chaque Etat fédéré aura ses propres drapeau et hymne. Le nom de la fédération ne pourra se référer à l’une des nations seulement. La défense du pays, les questions de guerre et de paix, la conclusion des traités de représentation dans les relations internationales relèveront des organes fédéraux. Chaque Etat fédéré pourra [toutefois] établir des relations commerciales et culturelles directes avec les pays étrangers et ouvrir des consulats. A chaque niveau de l’administration, le pouvoir appartiendra totalement aux assemblées populaires et aux autorités locales responsables envers ces dernières. Les préfectures, les sous-préfectures, les forces de sûreté et de la gendarmerie qui sont instaurées par l’[actuelle] administration centrale en dehors du système administratif proposé, seront abolies. Ce système administratif démocratique garantira également l’égalité et la liberté nationales. Les forces de sécurité locales seront aux ordres des administrations locales et responsables envers les assemblées locales. Dans les villages, les forces de sécurité seront composées de jeunes du village et seront aux ordres des comités de villages. La seigneurie, la dépendance à l’égard du chef du clan et toute forme de relation médiévale faisant obstacle aussi bien à la fraternité qu’au développement national et social, seront abolies par une réforme agraire assurée par la mobilisation des paysans et dirigée par des comités de villages. Afin de supprimer les inégalités régionales aggravées par l’économie de marché, la république fédérale majorera la quote-part d’investissement dans les régions économiquement reculées. Ainsi, elle garantira et développera le fondement économique de l’union. En matière d’économie, il sera utilisé un système fédéral de statistiques uniforme. Seront garantis, la liberté et le droit de chaque nation, de chaque minorité nationale ou religieuse de développer sa langue et sa culture, de mener des activités politiques et associatives. Les langues officielles seront le turc et le kurde. Chaque république fédérée aura pour langue officielle la sienne propre. Les décisions des organes fédéraux seront rédigées dans les deux langues. De l’école primaire jusqu’à l’université ainsi que dans toutes les institutions culturelles, des moyens d’enseignement, de recherche et de communication tels que le journalisme, la publication, la radiotélévision, etc., seront assurés dans les deux langues. La culture démocratique de la nation kurde trouvera les moyens de se développer grâce à la suppression des pressions exercées jusqu’à ce jour. Les organes du pouvoir œuvreront pour le libre échange culturel démocratique avec les Turcs et les Kurdes dans les autres pays ainsi que pour l’épanouissement, dans un environnement pluraliste et animé, d’une culture internationale commune à toutes les nations du monde. Tous les organes du pouvoir œuvreront [d’une part] pour éliminer avec tous ses fondements l’ancienne culture idolâtrant la violence et préconisant l’usage de la force pour résoudre les problèmes entre les nations et dans la vie de la société et, [d’autre part], pour répandre au sein du peuple une culture prolétaire internationaliste respectant l’homme et méprisant la violence. Contre la culture nationaliste fondamentaliste qui fait débuter l’histoire des terres où nous vivons avec la guerre de Malazgirt et contre toute autre forme de nationalisme, il sera développé une culture internationaliste, universelle, humanitaire et démocratique, laquelle sera à la recherche de nos sources culturelles, enrichies par la contribution de divers peuples depuis les profondeurs historiques de notre pays, et se nourrira de ces sources. Il sera mis fin au changement des appellations d’origine, lesquelles reflètent la richesse de la culture universelle de notre pays ; chaque lieu sera appelé par son nom connu et établi. » (pages 16–20) Les déclarations orales du président du Parti socialiste a) Lors de l’ouverture de l’assemblée générale du Parti socialiste (24–25 août 1991) « Le Parti socialiste est l’ultime pont entre les peuples kurde et turc (...). Sur le problème kurde, le statu quo actuel a fait faillite et, d’ici, on l’entend s’effondrer à grands bruits (...). Quelle est-elle l’unique solution ? (...) Cette question ne sera résolue qu’en respectant la volonté du peuple kurde (...). (…) le vrai remède, c’est le peuple kurde. (...) On demandera aux Kurdes : « Que voulez-vous ? » (...) si, par contre, ils veulent se séparer, on respectera leur volonté. On organisera un référendum. Nous demanderons au peuple kurde (...), à tout le monde, de Hakkari jusqu’à Antep : « Voulez-vous ou non créer sur ces terres un Etat distinct ? » Le Parti socialiste opte pour l’unification (...). Qui incite à la séparation ? [C’est] l’oppression. L’oppression du peuple kurde par l’Etat turc. Nous défendrons l’unification en supprimant cette oppression et cela témoignera de [notre] acceptation de la volonté du peuple kurde (...). Le Parti socialiste défendra l’union des deux peuples au sein d’une fédération et [l’exercice] en commun du pouvoir (...). Le Parti socialiste est l’ultime pont entre les peuples kurde et turc (...). Hormis le Parti socialiste, aucun parti n’a partagé le destin des Kurdes, n’a pris position contre l’Etat turc et ne saura maintenir cette position. » b) Lors d’une émission télévisée, le 11 octobre 1991 « (…) Allons maintenant définir [ce qu’ils appellent] la sécurité interne. C’est le problème kurde ; si vous le posez en termes de sécurité interne (...), vous aurez recours au gendarme. Si vous le posez comme problème kurde, vous le résoudrez par la démocratie et la liberté. En fait, c’est ce régime qui a transformé l’Euphrate en une frontière. (…) Il s’agissait d’une frontière économique (...). Puis, ils ont fait de l’Euphrate une frontière politique (...) et enfin une frontière idéologique (...). Le nationalisme turc s’est noyé dans l’Euphrate ; il ne peut le franchir (...) parce que le nationalisme n’a pas de place sur ces terres (...). Il s’agit d’un problème turc mais aussi d’un problème kurde (...). (…) la solution fraternelle viendra du Parti socialiste. Les cinq [autres] partis sont devenus séparatistes (...) parce qu’ils étaient nationalistes. Nous, nous proposons une solution fraternelle, une fédération. Le droit à l’autodétermination doit être accordé à la nation kurde. C’est ainsi que se réaliseront les conditions de l’unification (...). Il ne peut y avoir d’union par la contrainte. Vos solutions ont échoué. On le verra, la solution du Parti socialiste l’emportera. » c) Lors d’une réunion publique, le 13 octobre 1991 à Ankara « (...) nous mettrons fin à la guerre spéciale [menée] à l’est (...) nous l’achèverons en y substituant le programme de fraternité kurdo-turque (...) et, enfin, sur le plan structurel, une fédération mettant les deux nations sur un pied d’égalité (...). Ils disent que le fait que l’Euphrate constitue une frontière les gêne. Qui a fait de l’Euphrate une frontière ? Eux ! (...) L’union volontaire, libre, sur un pied d’égalité, des nations kurde et turque au sein d’une fédération, à condition que la nation kurde y consente, qu’elle en décide ainsi en ayant le contrôle de son destin, qu’elle l’accepte : c’est ça la solution du Parti socialiste. Les deux peuples, les deux nations sont obligées [d’accepter] (...) » d) Lors d’une émission télévisée, le 13 octobre 1991 « (...) Parce qu'ils se lèvent, les Kurdes du village de Botan sont en train de devenir maîtres d’eux-mêmes (...) ô statu quo, est-ce toi qui as interdit le nom « kurde » ? Le peuple kurde se lève ; il occupe le cœur du débat ; par son action, il impose son identité et célèbre le Newroz (...). Le Kurde opprimé élabore sa constitution, il fait sa loi. » e) Lors d’une réunion publique, le 16 octobre 1991 à Şırnak « (...) le Parti socialiste affirme que le problème kurde ne peut se résoudre ni par les soldats, ni par balles. Il trouvera sa solution par l’indépendance (...) par l’égalité. Les nations kurde et turque devront avoir les mêmes droits. Les nations turque et kurde créeront une république populaire (...) et ensuite l’une d’elles survivra et l’autre sera opprimée ; c’est insoutenable (...). Celui qui est aux côtés du peuple kurde opprimé, c’est le Parti socialiste (...) En se levant, le peuple kurde a commencé à révéler le combat qu’il menait depuis des années (...). Le peuple kurde accomplira une nouvelle révolution (...). Le peuple kurde opprimé (...) vient rejoindre le Parti socialiste (...) Vive le réveil ! Vive notre peuple ! » f) Lors d’une réunion publique, le 17 octobre 1991 à Van « (…) Le nationalisme turc s’est noyé dans l’Euphrate (...). Cet Etat a tellement écrasé le peuple kurde qu’il a même effacé son nom, qu’il l’a même interdit ; mais les interdictions ne mènent à rien (...). La réalité kurde est là et elle s’impose (...) le Turc et le Kurde demeurent frères ; il n’y a guère de fraternité s’il y a un esclave ; il n’y a pas de fraternité si l’un est maître et l’autre esclave ; tous devront être égaux et avoir les mêmes droits (...). Nul espoir si le Turc et le Kurde ne s’unissent pas (...). Cette équation, il faut la noter quelque part : le peuple turc plus le peuple kurde opprimé est égal à la démocratie, à l’indépendance et à la libération (...) Vive le Kurdistan ! (...) » S’appuyant sur un enregistrement audiovisuel de la réunion en cause, M. Perinçek a toutefois nié, lors des débats du 12 mai 1992 devant la Cour constitutionnelle, avoir prononcé cette dernière phrase. C. La dissolution du Parti socialiste Le 28 novembre 1991, la Cour constitutionnelle transmit le réquisitoire du procureur général au SP, dont les conseils présentèrent des observations écrites, le 29 janvier 1992 à titre préliminaire et le 30 mars 1992 à titre principal. Ils sollicitèrent d’emblée la tenue d’une audience ou, à tout le moins, l’autorisation de présenter des observations orales complémentaires. La Cour constitutionnelle n’accueillit que cette dernière demande et, le 12 mai, entendit M. Perinçek, lequel avait quitté la présidence du parti peu de temps auparavant. Devant cette juridiction, les représentants du SP contestèrent d’abord la constitutionnalité de certaines dispositions de la loi n° 2820 invoquées par le procureur général. Ils s’opposèrent également à ce que la Cour admît les publications du SP (paragraphe 13 ci-dessus) comme preuves à charge. Deux d’entre elles ne seraient que des reproductions de discours que M. Perinçek avait tenus avant d’être élu président du parti, le 6 juillet 1991 ; au demeurant, il s’agirait de textes que les cours de sûreté de l’Etat auraient déjà examinés et considérés conformes à la loi (paragraphe 11 ci-dessus). Les intéressés rappelèrent ensuite que le 8 décembre 1988, la Cour constitutionnelle avait rejeté la première demande en dissolution fondée sur le programme du SP (paragraphe 10 ci-dessus). Ils soutinrent que la Cour se contredirait si elle décidait à présent le contraire en raison seulement des déclarations orales de M. Perinçek qui, en l’espèce, n’aurait fait que reprendre l’article 31 du programme, lequel avait déjà passé le contrôle de la Cour constitutionnelle. Ils relevèrent enfin que depuis la promulgation de la loi anti-terrorisme n° 3713 qui avait notamment aboli l’article 142 du code pénal (paragraphe 18 ci-dessous), les personnes n’étaient plus interdites d’activités à caractère marxiste-léniniste ; pour eux, traiter différemment les partis politiques contreviendrait au but poursuivi par le législateur turc. Appliquant l’article 101 de la loi n° 2820, la Cour constitutionnelle prononça le 10 juillet 1992 la dissolution du SP, laquelle entraîna ipso jure la liquidation et le transfert au Trésor public des biens du parti, conformément à l’article 107 de la même loi. L’arrêt fut publié au Journal officiel le 25 octobre 1992. Il eut pour effet d’interdire aux fondateurs et dirigeants du parti d’exercer des fonctions similaires dans toute autre formation politique (article 69 ancien de la Constitution, paragraphe 16 ci-dessous). Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle releva d’emblée que les publications incriminées du SP portaient le nom ou la signature de son président, M. Perinçek, qui était également l’auteur des déclarations orales faites à la télévision. Dès lors, celles-ci liaient également le SP et, partant, constituaient des éléments de preuve pertinents au regard de l’article 101 de la loi n° 2820. S’agissant des arrêts antérieurs de la Cour constitutionnelle et des cours de sûreté de l’Etat (paragraphes 10–11 ci-dessus), la Cour constitutionnelle estima qu’ils n’affectaient en rien l’examen de la présente affaire. Cette dernière porterait en effet sur les activités politiques du parti, pas sur celles de ses dirigeants. Par ailleurs, il ne saurait être admis que l’abrogation d’une disposition du code pénal réprimant un comportement particulier rendît caduc un motif de dissolution tiré de la loi n° 2820 et portant sur des faits similaires. La Cour constitutionnelle fit observer que contrairement au problème tranché par son arrêt du 8 décembre 1988, celui qui se trouvait en cause en l’espèce reposait sur des faits et éléments de preuve nouveaux et soulevait dès lors une question juridique différente. En l’occurrence, il ne s’agissait plus d’examiner la conformité à la loi du programme et des statuts du SP, mais uniquement de savoir si ses activités politiques se heurtaient ou non aux interdictions en la matière. Pour parvenir à sa décision quant au fond, la Cour constitutionnelle releva notamment que le discours politique du SP distinguait deux nations, les Kurdes et les Turcs. Or, l’on ne pourrait admettre l’existence de deux nations au sein de la République de Turquie dont tous les ressortissants, quelle que soit leur origine ethnique, auraient la nationalité turque. En réalité, les propos du SP concernant les droits culturels et nationaux des Kurdes visaient à la création de minorités et, en définitive, à l’instauration d’une fédération kurdo-turque, au détriment de l’unité de la nation turque ainsi que de l’intégrité territoriale de son Etat. Comme tous les ressortissants nationaux d’origine étrangère, ceux d’origine kurde pourraient exprimer librement leur identité, mais la Constitution et la loi s’opposeraient à ce qu’ils forment une nation et un Etat distincts. Par son idéologie, le SP s’opposerait au nationalisme d’Atatürk, principe le plus fondamental de la République de Turquie. Dans sa finalité, l’activité politique du SP serait également incompatible avec les articles 11 et 17 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dans la mesure où elle s’apparenterait à celle des organisations terroristes, nonobstant une différence dans les moyens utilisés. Bref, des objectifs qui, tels ceux du SP, favoriseraient le séparatisme et inciteraient une communauté intégrée dans la société à s’insurger en vue de créer un Etat fédéré indépendant ne seraient pas admissibles et justifieraient la dissolution du parti qui les poursuit. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi : Article 2 « La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïc et social, respectueux des droits de l’homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d’Atatürk et reposant sur les principes fondamentaux énoncés dans le préambule. » Article 3 § 1 « L’Etat de Turquie est, avec son territoire et sa nation, une entité indivisible. Sa langue officielle est le turc. » Article 4 « Les dispositions de l’article premier de la Constitution stipulant que la forme de l’Etat est une République, ainsi que les dispositions de l’article 2 relatives aux caractéristiques de la République et celles de l’article 3 ne peuvent être modifiées et leur modification ne peut être proposée. » Article 6 « La souveraineté appartient, sans condition ni réserve, à la nation. (...) L’exercice de la souveraineté ne peut en aucun cas être cédé à un individu, un groupe ou une classe sociale. (...) » Article 10 § 1 « Tous sont égaux devant la loi sans aucune discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur, le sexe, l’opinion politique, les croyances philosophiques, la religion, l’appartenance à une secte religieuse ou d’autres motifs similaires. » Article 14 § 1 « Aucun des droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat et l’unité de la nation, de mettre en péril l’existence de l’Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l’Etat à un seul individu ou à un groupe ou d’assurer l’hégémonie d’une classe sociale sur d’autres classes sociales, ou d’établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou l’appartenance à une secte religieuse, ou d’instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions. » Article 66 § 1 « Toute personne liée à l’Etat turc par le lien de la nationalité est Turque. » Article 68 (ancien) « (...) Il ne peut être fondé de partis politiques ayant pour but de préconiser et d’instaurer la domination d’une classe sociale ou d’un groupe, ou une forme quelconque de dictature. (...) » Article 69 (ancien) « Les partis politiques ne peuvent pas se livrer à des activités étrangères à leurs statuts et à leurs programmes, et ne peuvent se soustraire aux restrictions prévues à l’article 14 de la Constitution ; ceux qui les enfreignent sont définitivement dissous. (...) Les décisions et le fonctionnement interne des partis politiques ne peuvent être contraires aux principes de la démocratie. (...) Dès la fondation des partis politiques, le procureur général de la République contrôle en priorité la conformité à la Constitution et aux lois de leurs statuts et programmes ainsi que de la situation juridique de leurs fondateurs. Il en suit également les activités. La Cour constitutionnelle statue sur la dissolution des partis politiques à la requête du procureur général de la République. Les fondateurs et les dirigeants à tous les échelons des partis politiques définitivement dissous ne peuvent être fondateurs, dirigeants ou commissaires aux comptes d’un nouveau parti politique (...) » B. La loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques Les dispositions pertinentes de la loi n° 2820 portant réglementation des partis politiques prévoient : Article 78 « Les partis politiques : a) ne peuvent ni viser, ni œuvrer, ni inciter des tiers à modifier : la forme républicaine de l’Etat de Turquie ; les dispositions (...) relatives à l’intégrité absolue du territoire de l’Etat turc, à l’unité absolue de sa nation, à sa langue officielle, à son drapeau et à son hymne national ; (...) le principe selon lequel la souveraineté appartient sans condition ni réserve à la nation turque ; (...) la disposition prévoyant que l’exercice de la souveraineté ne peut en aucun cas être cédé à un individu, un groupe ou une classe sociale (...) à mettre en péril l’existence de l’Etat et de la République turcs, à abolir les droits et libertés fondamentaux, à établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur de la peau, la religion ou l’appartenance à une secte, ou à instaurer, par tout moyen, un régime étatique fondé sur de telles notions et conceptions. (...) c) ne peuvent avoir pour but de défendre ou d’établir la domination d’une classe sociale sur les autres, ou la domination d’une communauté, ou encore d’instaurer toute forme de dictature ; ils ne peuvent se livrer à des activités poursuivant pareils buts. (...) » Article 80 « Les partis politiques ne peuvent avoir pour but d’affaiblir le principe de l’Etat unitaire sur lequel se fonde la République turque, ni se livrer à des activités poursuivant pareille fin. » Article 81 « Les partis politiques ne peuvent : a) affirmer l’existence, sur le territoire de la République de Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse, à l’appartenance à une secte, à la race ou à la langue ; b) avoir pour but la destruction de l’intégrité de la nation en se proposant, sous couvert de protection, promotion ou diffusion d’une langue ou d’une culture non turques, de créer des minorités sur le territoire de la République de Turquie ou de se livrer à des activités connexes. (...) » Article 90 § 1 « Les statuts, programmes et activités des partis politiques ne peuvent contrevenir à la Constitution et à la présente loi. » Article 101 « La Cour constitutionnelle prononce la dissolution du parti politique : a) dont les statuts ou le programme (…) se révèlent contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi, ou b) dont l’assemblée générale, le comité central ou le conseil d’administration (...) adoptent des décisions, émettent des circulaires ou font des communications (...) contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi (...), ou dont le président, le vice-président ou le secrétaire général font des déclarations écrites ou orales contraires auxdites dispositions (...) c) dont le représentant désigné (...) par le comité administratif (…), fait, à la radio ou à la télévision, des déclarations orales contraires aux dispositions (...) de la présente loi. (...) » Article 107 § 1 « L’intégralité des biens d’un parti politique dissous par la Cour constitutionnelle est transférée au Trésor public. » Le chapitre 4 de la loi, visé à l’article 101, comprend notamment l’article 90 § 1, reproduit ci-dessus. C. Le code pénal A l’époque des faits, l’article 142 du code pénal disposait : « Propagande nuisible Sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, quiconque, de quelque manière que ce soit, fera de la propagande en vue d’établir l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres, d’anéantir une classe sociale, de renverser l’ordre fondamental social ou économique institué dans le pays ou d’anéantir tout l’ordre politique ou juridique de l’Etat. Sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, quiconque, de quelque manière que ce soit, fera de la propagande tendant à ce que l’Etat soit gouverné par une personne ou un groupement social, au détriment du républicanisme ou des principes de la démocratie. Sera puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, quiconque, s’appuyant sur des thèses racistes, fera, de quelque manière que ce soit, de la propagande visant à abolir partiellement ou totalement les droits publics garantis par la Constitution, ou à affaiblir ou détruire les sentiments patriotiques. (…) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 31 décembre 1992, alléguant que la dissolution du SP par la Cour constitutionnelle avait enfreint : – les articles 6 §§ 1 et 2, 9, 10 et 11 de la Convention, pris isolément et combinés avec les articles 14 et (quant aux articles 9, 10, 11) 18 de la Convention ; – les articles 1 et 3 du Protocole n° 1. Le 6 décembre 1994, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention et a retenu la requête (n° 21237/93) pour le surplus. Dans son rapport du 26 novembre 1996 (article 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention mais pas de l’article 6 § 1, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain des articles 9 et 10 et qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs déduits des articles 14 et 18 de la Convention et 1 et 3 du Protocole n° 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « prie respectueusement la Cour de déclarer qu’il n’y a pas eu de violation des articles 6, 9, 10, 11, 14 et 18 de la Convention, ainsi que des articles 1 et 3 du Protocole additionnel ». De leur côté, les requérants demandent à la Cour de dire qu’il y a eu violation des droits garantis par les dispositions susmentionnées de la Convention et du Protocole n° 1.
0
1
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant turc né en 1953, M. İbrahim Incal réside à Izmir. Avocat de profession, il était, à l’époque des faits, membre du bureau de la section d’Izmir du Parti du travail du peuple (« le HEP »). Ce parti, qui était représenté à la Grande Assemblée nationale, fut dissous par la Cour constitutionnelle le 14 juillet 1993. Le 1er juillet 1992, ledit bureau décida de distribuer dans la circonscription d’Izmir un tract dénonçant les mesures prises par les autorités locales, notamment contre le petit commerce clandestin et les abris de fortune agglomérés dans cette ville. Imprimé en dix mille exemplaires, le tract portait comme titre : « A l’opinion publique patriote démocrate ! » ; il était ainsi libellé : « Ces derniers jours, une campagne visant « L’ÉPURATION DES MÉTROPOLES DES KURDES » a été mise en œuvre à Izmir contre la population kurde, par le trio préfecture, direction de la sûreté et mairie. A cette fin, Izmir a été désignée ville-pilote. La première étape de cette campagne a été l’opération [contre les] marchands ambulants, étalagistes et vendeurs de moules, qu’ils ont voulu voiler en prétextant de l’embellissement de la ville et de l’allégement du trafic routier. Avec cette opération, ils voulaient soumettre à un « blocus économique » en particulier nos concitoyens majoritairement kurdes qui gagnent leur vie par ces activités, en les condamnant à la misère et à la famine. Ainsi, les masses allaient être effrayées, opprimées et contraintes à retourner dans leur pays. Avant que le scénario de « L’ÉPURATION [des métropoles] DES KURDES » ne fût mis en œuvre, le terrain matériel et psychologique de cette entreprise avait déjà été préparé à l’aide de tracts signés « Habitants patriotes d’Izmir », intensément distribués à Izmir durant des semaines par des « forces obscures ». Ces tracts incitaient à l’hostilité, notamment contre la population kurde, et provoquaient [les gens] contre les Kurdes. Il a [ainsi] été créé une atmosphère raciste et chauvine contre les Kurdes, par la voie d’une propagande disant : aux Kurdes, tu ne donneras ni travail ni logement ; tu ne les salueras pas, tu ne leur donneras pas ta fille en mariage et tu ne les épouseras pas, tu useras de violence contre les Kurdes. C’est ainsi que les préalables psychologiques, les préparatifs des offensives futures ont été effectués. Bien que ces tracts aient été distribués en plein jour, les responsables n’ont – on ne sait pas pourquoi – jamais pu être arrêtés. Ce scénario ne se limitait guère à l’opération [contre les] marchands ambulants, étalagistes et vendeurs de moules ; « L’opération bidonvilles » en a été le deuxième élément. Et, toujours par le [même] trio préfecture, direction de la sûreté et mairie, la démolition des bidonvilles a été déclenchée. Les destructions commencèrent d’abord dans [les quartiers de] Yamanlar, Şemikler et, ensuite, continuèrent à Gaziemir, [tous] quartiers de bidonvilles habités majoritairement par les Kurdes, lesquels, avant les élections, étaient considérés par les partis du statu quo comme un réservoir de votes potentiel. Ceux qui avaient incité à l’éclatement des bidonvilles par la duperie « Donne ton vote, construis ta baraque », ceux qui, avec la mafia « de terrain », avaient pillé les terrains appartenant au Trésor [public] ont, cette fois, commencé à démolir sauvagement ces baraques selon le scénario d’oppression et d’intimidation des Kurdes, pour forcer ceux-ci à rentrer [chez eux]. Le peuple prolétaire kurde et turc a vu, subitement et sans aucun avertissement, s’écrouler sur sa tête les baraques qu’il avait fabriquées en s’endettant, avec tant de sacrifices, en épargnant sur la nourriture de ses enfants. De cette manière, ils veulent opprimer le peuple kurde et turc et l’entraîner dans la détresse et le désespoir. C’EST DE LA TERREUR PAR L’ÉTAT CONTRE LES PROLÉTAIRES TURCS ET KURDES ! Il est certain que ces destructions, qui ont commencé à Yamanlar et continuent aujourd’hui à Gaziemir, s’étendront bientôt aux autres bidonvilles d’Izmir. L’Etat essaye de tester la réaction et la résistance du peuple en causant des ravages dans divers domaines. La passivité, comme défense devant ces dévastations, a encouragé l’Etat à provoquer des destructions dans d’autres domaines. En conclusion : « La politique d’épuration des métropoles des Kurdes » fait partie de la GUERRE SPÉCIALE actuellement menée dans le pays contre le peuple kurde ; elle en est l’un des mécanismes, son reflet sur les métropoles. Car les méthodes utilisées sont pareilles : il s’agit de l’asservissement, de la violence, de la terreur et de l’oppression par la voie de la contrainte. C’est une guerre psychologique. Si, dans le pays, ils veulent opprimer et faire taire le peuple par la contre-guérilla, les patrouilles spéciales, les gardes de village, le décret SS et par toute [autre] forme de terreur étatique, à Izmir, ils désirent parvenir à cette fin en privant nos concitoyens de leur pain et, finalement, en abattant leurs maisons sur leurs têtes. Les méthodes utilisées, bien que différentes quant à leur forme, constituent au fond des mécanismes servant la guerre spéciale. C’est la forme métropolitaine de la guerre spéciale. À L’OPINION PUBLIQUE DES PATRIOTES DÉMOCRATES ! Le moyen de rendre vaines ces offenses contre les métropoles est de constituer des COMITÉS DE QUARTIER FONDÉS SUR LA PROPRE FORCE DU PEUPLE. Nous invitons tous les patriotes démocrates kurdes et turcs à assumer leurs responsabilités et s’opposer à cette guerre spéciale imposée au peuple prolétaire. – VIVE LA FRATERNITÉ DES PEUPLES ! – HALTE À LA GUERRE SPÉCIALE QUE L’ON VEUT ÉTENDRE DANS LES MÉTROPOLES ! » Par une lettre du 2 juillet 1992, accompagnée d’une copie du tract en question, le président local du HEP fit part à la préfecture d’Izmir de la décision de son bureau (paragraphe 10 ci-dessus) et sollicita l’autorisation de la mettre en œuvre. La direction de la sûreté d’Izmir, chargée de l’examen de cette demande, estima que le tract en cause contenait de la propagande séparatiste susceptible d’inciter le peuple à la résistance envers le gouvernement ainsi qu’au crime. Le 3 juillet 1992, elle s’enquit auprès du procureur général de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Izmir (« le procureur général », « la cour de sûreté de l’Etat ») si la teneur du tract était constitutive d’un délit. Le même jour, à la demande du parquet, un juge suppléant de la cour de sûreté de l’Etat ordonna à titre conservatoire la saisie desdits tracts et interdit leur distribution. La police perquisitionna les locaux du HEP à Izmir, d’abord au siège, où les dirigeants du parti remirent, sans contestation, les neuf mille exemplaires du tract sous forme de colis, puis au bureau du district de Buca, où les mille autres exemplaires furent saisis. Toujours le 3 juillet 1992, le parquet ouvrit une instruction pénale à l’encontre des dirigeants locaux du HEP ainsi que des membres de son bureau, dont le requérant. Le 27 juillet 1992, le procureur général engagea devant la cour de sûreté de l’Etat une action publique contre le requérant ainsi que les huit autres membres du bureau du HEP ayant participé à la décision du 1er juillet 1992 (voir paragraphe 10 ci-dessus). Invoquant le libellé du tract litigieux, il les accusait d’avoir voulu inciter le peuple à la haine et à l’hostilité par des propos racistes et requérait l’application des articles 312 §§ 2 et 3 du code pénal, 5 de la loi anti-terrorisme n° 3713 et de l’article 4 additionnel de la loi sur la presse n° 5680 (paragraphes 21, 23 et 24 ci-dessous). Il demandait également la confiscation des tracts. Le 9 février 1993, la cour de sûreté de l’Etat, composée de trois juges, dont l’un issu de la magistrature militaire, jugea le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à six mois et vingt jours d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de 55 555 livres turques ; elle ordonna également la confiscation des tracts et le retrait pour quinze jours de son permis de conduire. Interprétant les propos du tract, la cour de sûreté de l’Etat souscrivait entièrement aux conclusions présentées par le procureur général à l’appui de son réquisitoire, sauf celle tirée de l’applicabilité de la loi anti-terrorisme n° 3713. Elle relevait notamment que le tract suggérait le recours à la résistance envers les forces publiques et la constitution de « comités de quartier », moyens de contestations qui, à ses yeux, ne se rangeaient pas dans la catégorie que la loi autorisait. Elle estimait par ailleurs que l’acte avait été intentionnel, puisque les prévenus n’avaient contesté ni l’existence ni le libellé du texte incriminé. Quant au quantum de la peine, si la perpétration de l’infraction par la voie d’imprimés constituait une circonstance aggravante, il s’imposait toutefois de prendre en considération la bonne foi des intéressés et le fait qu’il avait été possible de mettre la main sur les objets du délit avant qu’ils ne fussent distribués. Le 9 mars 1993, le requérant et les autres condamnés se pourvurent devant la Cour de cassation. Dans leur mémoire introductif, ils sollicitaient la tenue d’une audience publique et s’en prenaient à l’interprétation du tract par la cour de sûreté de l’Etat ainsi qu’au refus de celle-ci de convertir la peine d’emprisonnement en une amende. Le 20 mai, le procureur général près la Cour de cassation transmit le dossier de l’affaire en y joignant un avis type – non communiqué à M. Incal – demandant confirmation du jugement. Dans un arrêt du 6 juillet 1993, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué en toutes ses dispositions, après avoir relevé qu’eu égard à la nature et au quantum de la peine prononcée en première instance, il ne s’imposait pas de tenir une audience. Le 23 août 1993, le parquet décida, à la demande du requérant, de surseoir pour quatre mois à l’exécution de la peine d’incarcération. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS A. Le droit pénal Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 311 § 2 « Incitation publique au crime Si l’incitation [au crime] est réalisée par des moyens de communication de masse, quels qu’ils soient, par des bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse, par la diffusion ou distribution de manuscrits imprimés ou en posant des panneaux et affiches dans les lieux publics, les peines d’emprisonnement à infliger au coupable seront doublées (...) » Article 312 « Incitation non publique au crime Est passible de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende lourde de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte qualifié de crime par la loi, ou incite la population à désobéir à la loi. Est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans ainsi que d’une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base. Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311. » La condamnation d’une personne en application de l’article 312 § 2 entraîne encore d’autres conséquences, notamment quant à l’exercice de certaines activités régies par des lois spéciales. Ainsi, par exemple, les personnes condamnées de la sorte ne peuvent être fondatrices d’associations (loi n° 2908, article 4 § 2 b)) ou de syndicats, ni membres des bureaux de ces derniers (loi n° 2929, article 5). Il leur est également interdit de fonder des partis politiques ou d’y adhérer (loi n° 2820, article 11 § 5) ou d’être élus parlementaires (loi n° 2839, article 11, alinéa f 3)). De plus, si la peine infligée excède six mois d’emprisonnement, l’intéressé est déchu de son droit d’entrer dans la fonction publique, à condition qu’il s’agisse d’un délit intentionnel (loi n° 657, article 48 § 5). La loi n° 5680 sur la presse L’article additionnel 4 § 1 de la loi n° 5680 sur la presse prévoit : « Si la diffusion [des imprimés objets du délit] se trouve empêchée (…) du fait d’une mesure conservatoire ordonnée par un tribunal ou, en cas d’urgence, d’une ordonnance du procureur général de la République, qui sera confirmée par un tribunal, (…) il sera infligé un tiers de la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause. » La loi anti-terrorisme n° 3713 La loi n° 3713 du 12 avril 1991, promulguée en vue de la répression des actes de terrorisme, se réfère à une série d’infractions visées au code pénal qu’elle qualifie d’actes « de terrorisme » ou d’actes « perpétrés aux fins du terrorisme » (articles 3–4) et auxquelles elle s’applique. Toutefois, l’acte réprimé par l’article 312 du code pénal (paragraphe 21 ci-dessus) ne figure pas parmi eux. Le code de procédure pénale L’article 318 du code de procédure pénale ne permet la tenue d’une audience publique dans la procédure devant la Cour de cassation que si le jugement attaqué statue sur des délits dits « graves », tels ceux qui sont punis de la peine capitale ou d’un emprisonnement de plus de dix ans. Quant à la compétence de la Cour de cassation, aux termes de l’article 307 dudit code, celle-ci est limitée aux questions de légalité et de conformité à la procédure du jugement rendu en première instance. B. Les cours de sûreté de l’Etat Les cours de sûreté de l’Etat ont été instaurées par la loi n° 1773 du 11 juillet 1973, conformément à l’article 136 de la Constitution du 1961. Cette loi fut annulée par la Cour constitutionnelle le 15 juin 1976. Par la suite, ces juridictions furent réintroduites dans l’organisation judiciaire turque par la Constitution de 1982. L’exposé des motifs y afférents contient le passage suivant : « Il peut y avoir de tels actes touchant l’existence et la durabilité d’un Etat que, lorsqu’ils sont commis, une compétence spéciale s’impose pour trancher promptement et avec la plus grande opportunité. Pour ces cas-là, il s’avère nécessaire de prévoir des cours de sûreté de l’Etat. Selon un principe inhérent à notre Constitution, il est interdit de créer un tribunal spécial pour [connaître d’]un acte donné, subséquemment à sa perpétration. Pour cette raison, les cours de sûreté de l’Etat ont été prévues par notre Constitution afin de connaître des poursuites relatives aux infractions susmentionnées. Etant donné que les dispositions particulières régissant leurs attributions se trouvent [ainsi] déterminées au préalable et qu’elles sont créées avant tout acte (…), elles ne sauraient être qualifiées de tribunaux instaurés pour tel ou tel acte subséquemment à la commission de l’un de ceux-ci. » La composition et le fonctionnement de ces juridictions obéissent aux règles ci-dessous. La Constitution Les dispositions constitutionnelles régissant l’organisation judiciaire sont ainsi libellées : Article 138 §§ 1 et 2 « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent, selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Nuls organe, autorité, poste ou personne ne peuvent donner d’ordres ou d’instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser de circulaires, ni leur faire de recommandations ou suggestions. » Article 139 § 1 « Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent (…) » Article 143 § 4 « Les présidents, les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée renouvelable de quatre ans. » Article 145 § 4 « Le statut personnel des juges militaires (…) sera déterminé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent ainsi que des impératifs du service militaire. La loi déterminera en outre les relations des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent, dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) » La loi n° 2845 instaurant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de leur procédure Fondées sur l’article 143 de la Constitution, les dispositions pertinentes de la loi n° 2845 sur les cours de sûreté de l’Etat se lisent ainsi : Article 1 « Dans les chefs-lieux des provinces de (…), il est établi des cours de sûreté de l’Etat qui connaîtront des infractions commises contre la République – dont les qualités constitutives sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – en ce compris son territoire et sa nation –, contre le régime démocratique libre ainsi que des infractions affectant directement la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. » Article 3 « Les cours de sûreté de l’Etat sont composées d’un président et de deux membres titulaires. A chaque cour de sûreté de l’Etat siègent en outre deux membres suppléants. » Article 5 « Le président de la cour de sûreté de l’Etat et l’un des membres, titulaires et suppléants, (…) seront nommés parmi les juges (...) civils, les autres membres, titulaires et suppléants, parmi les juges militaires de premier rang (...) » Article 6 §§ 2, 3 et 6 « La nomination des membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires se fera selon la procédure prévue à cet effet dans la loi spéciale [les concernant]. Sauf les exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne pourront être affectés, sans leur consentement, à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…) (…) Si, à l’issue d’une instruction menée à l’égard des présidents et membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat selon les lois les concernant, des comités ou autorités compétents décident de changer le lieu d’exercice des fonctions d’un juge militaire, le lieu d’exercice des fonctions de ce juge ou ses fonctions [elles-mêmes] (…) pourront être changés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. » Article 9 § 1 a) « Les cours de sûreté de l’Etat connaissent des infractions visées : a) [à l’article] 312 § 2 (…) du code pénal turc (…) » Article 27 § 1 « La Cour de cassation connaît des recours contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. » Article 34 §§ 1 et 2 « Le régime statutaire, la supervision des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d’une instruction disciplinaire et le prononcé d’une peine disciplinaire à leur égard ainsi que l’enquête et la poursuite des infractions (…) relatives à leurs fonctions relèvent des dispositions y afférentes des lois sur leurs professions (…) Les observations de la Cour de cassation et les rapports de notation établis par les commissaires de justice sur les juges de la magistrature militaire (…) ainsi que les dossiers des enquêtes menées à leur encontre (…) seront transmis au Ministère de la Justice. » Article 38 « Une cour de sûreté de l’Etat pourra être transformée en cour martiale de l’état de siège, dans les conditions ci-dessous, en cas de proclamation d’un état de siège couvrant en partie ou totalement le ressort d’une cour de sûreté de l’Etat et à condition qu’il y ait dans ce ressort plus d’une telle cour (…) » La loi n° 357 sur les magistrats militaires Les dispositions pertinentes de la loi sur la magistrature militaire se lisent comme suit : Article 7 additionnel « L’aptitude des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de membres titulaire et suppléant dans les cours de sûreté de l’Etat, requise pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté, sera déterminée sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi ainsi que de la loi sur le personnel des Forces armées turques n° 926 : a) Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers juges militaires titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat au ministère de la Défense ; ensuite vient le ministre de la Défense. (…) » Article 8 additionnel « Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat relevant de la magistrature militaire (…) seront désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des affaires judiciaires militaires du ministère de la Défense (...) » Article 16 §§ 1 et 3 « La nomination des juges militaires (…) sera effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du Premier ministre et soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des Forces armées (…) (…) Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) » Article 18 § 1 « L’échelonnement des salaires, les augmentations de salaires et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent des dispositions relatives aux officiers. » Article 29 « Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après avoir recueilli leur défense, les sanctions disciplinaires mentionnées ci-dessous : A. L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit le fait que l’intéressé doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions. (…) B. Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait qu’un acte ou une attitude particuliers sont considérés comme fautifs. (…) Lesdites sanctions seront définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé, et inscrites dans son dossier personnel (…) » Article 38 « Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile (…) » L’article 112 du code pénal militaire L’article 112 du code pénal militaire du 22 mai 1930 dispose : « Sera puni d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, quiconque, en abusant de son autorité de fonctionnaire [public], influencera les tribunaux militaires. » La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire Aux termes de l’article 22 de ladite loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur promotion et avancement professionnels. C. La jurisprudence La Haute Cour administrative militaire Le Gouvernement a produit divers arrêts d’annulation rendus par la première chambre de la Haute Cour administrative militaire en matière de nomination, de promotion et de sanctions disciplinaires concernant des juges militaires. Il s’agit d’arrêts des 31 mai 1988 (n° 1988/185), 14 décembre 1993 (n° 1993/1116), 22 décembre 1993 (n° 1993/1119), 19 novembre 1996 (n° 1996/950), 1er avril 1997 (n° 1997/262), 27 mai 1997 (n° 1997/405) et 3 juillet 1997 (n° 1997/62). Il en ressort que, pour annuler les décisions de mutation dans les cas en cause, la chambre s’est fondée tantôt sur le défaut de consentement de l’intéressé, tantôt sur un abus du pouvoir discrétionnaire constaté dans le chef des autorités militaires. S’agissant des certificats de notation, le défaut de motivation ou d’objectivité de la part du supérieur hiérarchique a été pris en compte. Enfin, à propos d’une sanction disciplinaire, en principe non susceptible de recours, la chambre a conclu que les faits à charge de l’intéressé avaient été établis d’une manière erronée et que, partant, la sanction était nulle. Les cours de sûreté de l’Etat Le Gouvernement a également présenté certains arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat à propos de l’impartialité des juges militaires y siégeant. Il s’agit d’arrêts des 12 septembre 1995 (n° 1995/171), 27 février 1996 (n° 1996/38), 7 mars 1996 (n° 1996/55), 21 mars 1996 (n° 1996/70), 2 avril 1996 (n° 1996/102), 9 avril 1996 (n° 1996/112), 2 mai 1996 (n° 1996/141), 9 mai 1996 (n° 1996/150), 19 août 1996 (n° 1996/250), 12 septembre 1996 (n° 1996/258), 19 septembre 1996 (n° 1996/263), 1er octobre 1996 (n° 1996/270), 3 octobre 1996 (n° 1996/273), 8 octobre 1996 (n° 1996/278), 12 juin 1997 (n° 1997/128) et 15 juillet 1997 (n° 1997/393). La plupart de ces décisions concluent à la culpabilité des accusés mais contiennent des opinions séparées de juges militaires adoptant une position dissidente quant à l’établissement et la qualification des faits, aux modalités de fixation de la peine ou au principe même de la condamnation. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Incal a saisi la Commission le 7 septembre 1993. Il affirmait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat puisque, d’une part, celle-ci ne pouvait passer pour un tribunal indépendant et, d’autre part, elle avait refusé de convertir sa peine d’emprisonnement en une amende en raison de ses opinions politiques (article 6 § 1 de la Convention pris isolément ou combiné avec l’article 14). Il soutenait également qu’en rejetant sa demande de comparution et en omettant de lui notifier l’avis du procureur général sur son pourvoi, la Cour de cassation avait méconnu l’article 6 §§ 1 et 3 b). Il alléguait en outre que sa condamnation pour avoir contribué à la préparation d’un tract politique constituait une violation des articles 9 et 10 et que le retrait de son permis de conduire était une peine dégradante contraire à l’article 3. Le 16 octobre 1995, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré du retrait provisoire du permis de conduire et retenu la requête (n° 22678/93) pour le surplus. Dans son rapport du 25 février 1997 (article 31), elle exprime l’avis : a) qu’il y a eu violation de l’article 10 (unanimité) ; b) qu’en violation de l’article 6 § 1, la cause du requérant n’a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial (unanimité) ; c) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 (unanimité) ; d) que l’impossibilité pour le requérant de répondre à l’avis du procureur général a emporté violation de l’article 6 § 1 (vingt-six voix contre cinq) ; e) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 du fait de la non-comparution du requérant devant la Cour de cassation (vingt-six voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR Dans son mémoire puis à l’audience, le Gouvernement invite la Cour à constater que la procédure litigieuse n’a pas emporté violation des droits garantis au requérant par les articles 6, 10 et 14 de la Convention. De son côté, le requérant a prié la Cour de constater qu’il y a eu méconnaissance des articles 6 § 1, 9 et 10 de la Convention et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 50.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La première requérante, Mlle Sheffield La première requérante, Mlle Kristina Sheffield, est une citoyenne britannique née en 1946 et résidant actuellement à Londres. A sa naissance, elle fut enregistrée comme étant de sexe masculin. Avant de subir un traitement de conversion sexuelle (paragraphe 13 ci-dessous), elle était mariée. De son mariage, aujourd’hui dissous, elle a une fille. En 1986, elle commença un traitement dans une clinique d’identité sexuelle à Londres, et, à une date non précisée, elle subit une opération et un traitement de conversion sexuelle, qui furent couronnés de succès. Par un acte unilatéral (deed poll), elle troqua son ancien prénom pour celui qu’elle porte actuellement. Le changement de prénom fut répercuté sur son passeport et sur son permis de conduire. La requérante dénonce les difficultés que lui ont values sa décision de subir une opération de conversion sexuelle et son changement de sexe ultérieur. Elle explique avoir été avisée par son psychiatre et par son chirurgien que l’obtention du divorce constituait une condition préalable à la réalisation d’une opération. Après le divorce, son ex-épouse demanda au tribunal d’ordonner la cessation des contacts entre elle-même et sa fille. Mlle Sheffield affirme que le juge accueillit la requête au motif que le maintien de contacts avec un transsexuel ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant. Depuis cette décision, qui remonte à une douzaine d’années, la requérante n’a pas revu sa fille. Si c’est à présent le nouveau prénom de la requérante qui apparaît sur son passeport et sur son permis de conduire, c’est l’ancien qui figure sur son acte de naissance et dans divers registres, tels ceux de la sécurité sociale et de la police. En ce qui concerne son passeport, l’intéressée soutient qu’en cas de nécessité d’investigations au sujet du porteur, ses anciens prénoms et sexe seraient inévitablement divulgués. A titre d’exemple, elle évoque la mésaventure qui lui arriva lorsqu’elle sollicita un visa auprès de l’ambassade américaine à Londres. Les 7 et 16 avril 1992, elle comparut en justice pour se porter caution, à concurrence de 2 000 livres, pour un ami. Les deux fois, à son grand embarras, elle fut invitée à divulguer son ancien prénom au tribunal. En mars 1994, elle préféra également ne pas livrer, dans le cadre d’une procédure pénale, un témoignage qui eût pu servir d’alibi à un ami, de crainte que la divulgation devant le tribunal de son sexe originel tel qu’il figurait sur son acte de naissance pût ajouter à cette procédure un élément de sensationnalisme. En juin 1992, elle fut arrêtée pour une infraction à la réglementation sur les armes à feu. L’affaire fut classée lorsqu’il s’avéra que le pistolet en cause était une réplique. A la suite de remarques de policiers indiquant qu’ils savaient qu’elle avait subi une opération de conversion sexuelle, l’intéressée chercha à savoir si ces données personnelles figuraient sur des fichiers informatiques de la police. Elle découvrit que la demande officielle d’informations formulée au titre des dispositions de la loi de 1984 sur la protection des données l’obligeait à mentionner son sexe et ses autres prénoms. Elle ne poussa pas davantage ses investigations. Le 20 décembre 1992, elle souscrivit une police d’assurance pour sa voiture. Le formulaire devant servir de base au contrat qu’on lui fit remplir l’invitait à préciser son sexe. Dès lors que le droit britannique continue de la considérer comme une personne de sexe masculin, elle fut obligée d’indiquer ce sexe. Elle relève également qu’en vertu de la loi de 1911 sur le parjure, elle est tenue, dans certains contextes, de divulguer son identité sexuelle antérieure, sous peine de sanctions pénales. L’intéressée affirme qu’en conséquence de sa décision de subir une opération de conversion sexuelle, elle a fait l’objet de discriminations au travail ou dans la recherche d’un emploi. Pilote de profession, elle affirme que son licenciement en 1986 était une conséquence directe de son changement de sexe, et que depuis lors il lui a été impossible d’obtenir au Royaume-Uni un emploi dans la profession qu’elle s’est choisie. Elle impute cela pour une large part à la situation juridique des transsexuels dans ledit Etat. B. La seconde requérante, Mlle Horsham La seconde requérante, Mlle Rachel Horsham, est une ressortissante britannique née en 1946. Elle vit aux Pays-Bas depuis 1974 et a acquis la nationalité néerlandaise par naturalisation en septembre 1993. A sa naissance, elle fut enregistrée comme étant de sexe masculin. Elle explique que dès l’enfance elle éprouva des difficultés à se considérer comme un garçon et qu’à l’âge de vingt et un ans elle comprit vraiment qu’elle était transsexuelle. Elle quitta le Royaume-Uni en 1971, craignant les conséquences que pourrait avoir son identification comme transsexuelle. Par la suite, elle vécut à l’étranger une vie de femme. A partir de 1990, elle se soumit à une psychothérapie et à un traitement hormonal et, finalement, le 21 mai 1992, elle subit à l’hôpital de l’Université libre d’Amsterdam une opération de conversion sexuelle. Le 26 juin 1992, alors qu’elle s’était déjà heurtée à plusieurs refus, elle demanda au consulat britannique à Amsterdam de changer la photographie qui figurait dans son passeport et d’inscrire dans celui-ci son nouveau prénom. On l’avisa que cela ne pouvait se faire qu’en exécution d’une ordonnance émanant d’une juridiction néerlandaise. Le 24 août 1992, elle obtint du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam une ordonnance prescrivant la délivrance par le registre des naissances de La Haye d’un certificat de naissance établi sous son nouveau prénom et attestant son appartenance au sexe féminin. L’extrait fut émis le 12 novembre 1992. Dans l’intervalle, le 11 septembre 1992 et sur production de ladite ordonnance, le consulat britannique avait délivré à la requérante un nouveau passeport libellé sous ses nouveaux prénom et sexe. Le 15 novembre 1992, l’intéressée demanda que l’original de son acte de naissance au Royaume-Uni fût modifié de manière à attester son appartenance au sexe féminin. Par une lettre datée du 20 novembre 1992, l’Office des recensements de population et des études démographiques (Office of Population Censuses and Surveys – OPCS) répondit que le droit britannique ne comportait aucune disposition permettant l’inscription de nouveaux renseignements sur l’acte de naissance originaire. La requérante se dit contrainte de vivre en exil à cause de la situation juridique prévalant au Royaume-Uni. Elle a un partenaire qu’elle compte épouser et affirme qu’ils souhaiteraient mener leur vie de couple marié au Royaume-Uni mais que l’OPCS l’a avisée, par une lettre datée du 4 novembre 1993, qu’en droit anglais, si elle devait être considérée comme domiciliée au Royaume-Uni, elle ne pourrait valablement se marier, que le mariage « eût lieu aux Pays-Bas ou ailleurs ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les nom et prénoms En droit anglais, toute personne peut adopter les nom et prénoms de son choix. Ceux-ci sont valables aux fins d’identification et peuvent être utilisés dans les passeports, permis de conduire, cartes de sécurité sociale, cartes d’assurance, etc. Les nouveaux nom et prénoms sont également inscrits sur les listes électorales. B. Le mariage et la définition du sexe en droit interne En droit anglais, le mariage se définit comme l’union volontaire d’un homme et d’une femme. Dans l’affaire Corbett v. Corbett ([1971] Probate Reports 83), le juge Ormrod déclara qu’à cet effet le sexe doit se déterminer au moyen des critères chromosomique, gonadique et génital lorsque ceux-ci concordent entre eux, une intervention chirurgicale n’entrant pas en ligne de compte. Cette utilisation des critères biologiques pour déterminer le sexe fut approuvée par la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Tan ([1983] Queen’s Bench Reports 1053), où elle se vit conférer une application plus générale, ladite juridiction ayant estimé qu’une personne née de sexe masculin avait à bon droit été condamnée sur le fondement d’une loi punissant les hommes vivant du produit de la prostitution, nonobstant le fait que l’accusée avait suivi une thérapie de conversion sexuelle. L’article 11 b) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales répute nul tout mariage où les parties ne sont pas respectivement de sexe masculin et de sexe féminin. Le critère appliqué pour la détermination du sexe des partenaires à un mariage est celui qui fut fixé dans la décision Corbett v. Corbett précitée. D’après celle-ci, un mariage entre une personne passée du sexe masculin au sexe féminin et un homme pourrait également être annulé pour cause d’incapacité du transsexuel de consommer le mariage dans le cadre de rapports sexuels normaux et complets (obiter du juge Ormrod). C. Les certificats de naissance L’enregistrement des naissances obéit à la loi de 1953 sur l’enregistrement des naissances et des décès (« la loi de 1953 »). L’article 1 § 1 de celle-ci requiert l’enregistrement de toute naissance par l’officier compétent de l’état civil de la circonscription où l’enfant a vu le jour. Une inscription dans le registre est considérée comme relatant des événements contemporains de la naissance. Ainsi, le certificat de naissance n’atteste pas l’identité au moment présent mais des faits historiques. Le sexe de l’enfant doit être précisé dans l’acte de naissance. La loi n’énonce pas les critères devant servir à le déterminer. La pratique du conservateur consiste à n’utiliser que les critères biologiques (chromosomique, gonadique et génital) dégagés par le juge Ormrod dans l’affaire Corbett v. Corbett. La loi de 1953 autorise le conservateur des actes de l’état civil à corriger les erreurs de plume ainsi que les erreurs matérielles. En principe, une rectification ne peut être faite que si l’erreur a eu lieu lors de l’inscription de la naissance. Que le « sexe psychologique » de quelqu’un apparaisse plus tard en contraste avec les critères biologiques précités ne passe pas pour révéler une erreur matérielle dans la mention initiale. Seules une mauvaise identification du sexe apparent et génital de l’enfant ou la non-concordance des critères biologiques entre eux peuvent amener à changer ladite mention ; encore doit-on produire des preuves médicales qui en montrent l’inexactitude. L’erreur ne se trouve pas constituée si l’intéressé subit un traitement médical et chirurgical pour pouvoir assumer le rôle du sexe opposé. Le Gouvernement fait observer que l’utilisation du certificat de naissance à des fins d’identification est découragée par le conservateur en chef et que, depuis un certain nombre d’années, ce document comporte une mention aux termes de laquelle il ne vaut pas preuve de l’identité de la personne qui le présente. Toutefois, les individus sont libres de suivre ou non cette recommandation. D. La sécurité sociale, l’emploi et les pensions En matière de sécurité sociale et d’emploi, les transsexuels continuent d’être considérés comme des personnes du sexe sous lequel on les a enregistrés à la naissance. Une personne passée du sexe masculin au sexe féminin ne peut dès lors bénéficier d’une pension de l’Etat qu’à l’âge de soixante-cinq ans, et non à l’âge de soixante ans, applicable aux femmes. E. Autres éléments pertinents Dans l’arrêt rendu par elle le 30 avril 1996 dans l’affaire P. contre S. et Cornwall County Council, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a considéré qu’une discrimination fondée sur le changement de sexe équivalait à une discrimination fondée sur le sexe et a conclu, en conséquence, que l’article 5 § 1 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail s’opposait au licenciement d’un transsexuel pour un motif lié à sa conversion sexuelle. Rejetant l’argument du gouvernement britannique selon lequel l’employeur aurait également licencié P. si cette dernière avait été antérieurement une femme et avait subi une opération pour devenir un homme, la CJCE a estimé que « (...) Lorsqu’une personne est licenciée au motif qu’elle a l’intention de subir ou qu’elle a subi une conversion sexuelle, elle fait l’objet d’un traitement défavorable par rapport aux personnes du sexe auquel elle était réputée appartenir avant cette opération. Tolérer une telle discrimination reviendrait à méconnaître, à l’égard d’une telle personne, le respect de la dignité et de la liberté auquel elle a droit et que la Cour doit protéger. » (paragraphes 21-22) La décision de la CJCE a été appliquée par la Cour du travail (Employment Appeal Tribunal) dans une décision du 27 juin 1997 (Chessington World of Adventures Ltd v. Reed [1997] 1 Industrial Law Reports). F. Les observations de Liberty Dans ses observations écrites sur la reconnaissance juridique des transsexuels en droit comparé (paragraphe 6 ci-dessus), Liberty affirme qu’au cours de la dernière décennie on a pu constater, dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, une tendance parfaitement claire vers la pleine reconnaissance juridique des changements de sexe. D’après l’étude menée par Liberty, la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe ont à l’heure actuelle des règles juridiques assurant pareille reconnaissance. A titre d’exemple, des trente-sept pays étudiés, quatre seulement (parmi lesquels le Royaume-Uni) n’autorisent pas la modification de l’acte de naissance d’une manière ou d’une autre afin qu’il reflète le nouveau sexe de la personne concernée. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mlle Sheffield a saisi la Commission le 4 août 1993. Elle voyait dans le refus par l’Etat défendeur de reconnaître juridiquement sa condition de femme à la suite de sa conversion sexuelle une violation des articles 8, 12 et 14 de la Convention, et dénonçait l’absence, contraire à l’article 13, de recours effectif pour ses griefs. Elle se plaignait également d’avoir été contrainte par des méthodes sournoises de divorcer, et empêchée d’entretenir des contacts avec sa fille. Le 19 janvier 1996, la Commission a retenu la requête (no 22985/93), sauf pour ce qui est du grief concernant le divorce et l’interdiction pour la requérante d’avoir des contacts avec sa fille, partie qu’elle avait déclarée irrecevable le 4 septembre 1995 pour non-respect du délai de six mois fixé par la Convention. Dans son rapport du 21 janvier 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (quinze voix contre une), que le grief énoncé par la requérante sur le terrain de l’article 12 ne soulève aucune question distincte (neuf voix contre sept), qu’il en va de même de celui énoncé sous l’angle de l’article 14 (unanimité) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (unanimité). Mlle Horsham a saisi la Commission le 4 août 1993. Elle estimait que le refus par l’Etat défendeur de reconnaître juridiquement sa condition de femme à la suite de sa conversion sexuelle emportait violation des articles 3, 8, 12, 13 et 14 de la Convention, et que ce qu’elle qualifiait d’expulsion de la part de l’Etat défendeur était contraire à l’article 3 du Protocole no 4. Le 19 janvier 1996, la Commission a retenu la requête (no 23390/94), sauf pour ce qui est des griefs tirés de l’article 3 de la Convention et de l’article 3 du Protocole no 4, qu’elle avait déclarés irrecevables le 4 septembre 1995. Dans son rapport du 21 janvier 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (quinze voix contre une), que le grief énoncé par la requérante sur le terrain de l’article 12 ne soulève aucune question distincte (dix voix contre six), qu’il en va de même de celui énoncé sous l’angle de l’article 14 (unanimité) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (unanimité). Le texte intégral de ses avis relatifs aux deux affaires et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans leur mémoire conjoint, les requérantes invitent la Cour à décider et déclarer que les faits de l’espèce révèlent une violation des droits à elles garantis par l’article 8 de la Convention et/ou par l’article 14 combiné avec l’article 8, et à leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50. Dans le sien, le Gouvernement demande à la Cour de décider et déclarer que les faits ne révèlent aucune violation des droits des requérantes.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Mme Sally McLeod, est une ressortissante britannique née en 1952 et habitant le Middlesex. A. Genèse de l’affaire La requérante et son mari se séparèrent en avril 1986 et divorcèrent en juillet 1988. A cette époque, la mère de l’intéressée, une femme âgée, s’installa chez sa fille dans l’ancien domicile conjugal, acheté par le couple en 1984. Après la séparation, une procédure fut ouverte devant la County Court d’Uxbridge au sujet de l’ancien domicile conjugal et de son contenu. Dans la décision rendue par la High Court le 12 novembre 1992, le juge Tuckey qualifia cette procédure de « difficile et acrimonieuse » (paragraphe 18 ci-dessous). Le 1er juillet 1988, la County Court d’Uxbrige ordonna que, moyennant le paiement de la somme de 30 000 livres sterling (GBP), la propriété de l’immeuble tenant lieu de domicile conjugal soit transférée dans le patrimoine propre de la requérante. Bien que celle-ci ait effectué le versement aux alentours du 26 juillet 1989, le transfert de propriété en son seul nom n’eut lieu qu’après les événements dont il est question. Toutefois, dans son jugement du 27 novembre 1992, la County Court de Brentford estima que, dès le versement des 30 000 GBP, « elle était l’unique propriétaire des biens » (paragraphe 19 ci-dessous). Le 30 juin 1989, la County Court d’Uxbridge ordonna le partage du mobilier et autres biens meubles se trouvant dans l’ancien domicile conjugal, conformément à une liste figurant dans l’ordonnance du tribunal. En l’absence d’exécution, la County Court ordonna le 23 août 1989 à la requérante de prendre les mesures nécessaires pour remettre sous deux semaines à son ex-mari les biens lui appartenant. L’ordonnance était accompagnée d’une notification de sanction pénale. Le 8 septembre 1989, la requérante remit à son ex-mari des biens qui, mis à part un ou deux objets, n’étaient pas mentionnés sur l’ordonnance. En conséquence, la County Court d’Uxbridge ordonna le 28 septembre 1989 la mise en détention de l’intéressée pendant vingt et un jours, avec un sursis de sept jours pour lui permettre de fournir à son ex-mari les biens énumérés sur la liste, et ce le 6 octobre 1989 au plus tard. A la sortie de l’audience, M. McLeod proposa à celle-ci, par l’intermédiaire de son avocat, d’aller chercher lui-même les biens lui appartenant pour qu’elle n’ait pas à se déplacer et suggéra pour cela le 3 octobre 1989 à 16 heures. B. Les événements du 3 octobre 1989 Pensant que la requérante avait accepté sa proposition, son ex-mari se présenta le 3 octobre 1989 à 16 heures à l’ancien domicile conjugal pour y prendre ses biens, en compagnie de son frère, de sa sœur et d’un clerc de solicitor. Redoutant une atteinte à l’ordre public (paragraphes 24 à 27 ci-dessous) en raison de la mauvaise volonté mise par la requérante à exécuter les précédentes ordonnances du tribunal, les solicitors de son ex-mari demandèrent à deux policiers d’assister au déménagement. A leur arrivée sur les lieux, on leur indiqua que M. McLeod était là pour emporter ses biens conformément à un accord intervenu entre lui et la requérante, et on leur remit une copie de la liste des biens mais pas de l’ordonnance du tribunal. Selon l’un des policiers, le clerc de solicitor proposa de retourner à son étude chercher une copie de l’ordonnance, mais le policier déclara que cela n’était pas nécessaire. L’un des policiers frappa à la porte de la maison. La mère de la requérante vint répondre en indiquant que sa fille n’était pas à la maison et qu’elle n’avait connaissance d’aucun accord entre sa fille et son ex-gendre. Dans une déclaration faite sous serment le 21 novembre 1990, la mère de l’intéressée affirma que le policier lui avait dit d’ouvrir la porte parce que le groupe était envoyé par le tribunal et devait exécuter une ordonnance de justice. Elle ouvrit la porte et laissa entrer l’ex-mari de la requérante ainsi que les personnes qui l’accompagnaient. Une décision de justice ultérieure conclut que l’ex-mari de la requérante, son frère, sa sœur et le clerc de solicitor avaient commis une violation de domicile (paragraphe 19 ci-dessous). Ayant pénétré dans la maison, M. McLeod commença à déménager ses biens avec son frère et sa sœur. Bien que les policiers aient accompagné le groupe dans la maison, d’après la déclaration sous serment de la mère de celle-ci, ils auraient passé le plus clair de leur temps dans l’allée menant à la maison. Les policiers ne prirent pas part au déménagement ou au dérangement, mais l’un d’eux vérifia quand même que seuls les biens énumérés sur la liste étaient enlevés. A son retour chez elle à 17 h 30, la requérante se mit en colère et s’opposa au déménagement. A cette heure-là, un chargement avait déjà été emporté, et un second se trouvait dans une camionnette louée par son ex-mari. L’un des policiers s’interposa et la persuada de permettre à son ex-mari de partir avec ses biens. Il l’autorisa à inspecter le contenu de la camionnette mais insista pour qu’elle ne décharge rien car en cas contraire, il craignait une atteinte à l’ordre public. Il expliqua à la requérante que s’il subsistait un désaccord quant aux biens, il serait résolu par son solicitor et celui de son ex-mari. Peu après minuit, la mère de la requérante, qui avait souffert quelque temps auparavant d’une attaque, fut emmenée à l’hôpital pour hypertension. C. La procédure relative à la violation de domicile devant la High Court La requérante engagea une procédure pénale contre les personnes ayant participé à cet incident mais n’obtint pas gain de cause. Avec sa mère, elle intenta trois procédures civiles pour violation de domicile, la première contre son ex-mari et le frère et la sœur de celui-ci, la deuxième contre le clerc de solicitor et la troisième contre les deux policiers. La mère de la requérante décéda le 26 janvier 1992. La procédure contre la police Le 12 novembre 1992, devant la High Court, le juge Tuckey rejeta l’action dirigée contre les policiers au motif qu’ils n’avaient pas commis de violation de domicile ni d’atteinte aux biens de la requérante. Tout en tenant compte de ce que celle-ci n’avait pas accepté que son ex-mari enlève ses biens de l’ancien domicile conjugal le 3 octobre 1989, le juge constata que ce dernier croyait sincèrement qu’un accord avait été conclu. De plus, il estima que les policiers avaient des motifs raisonnables de craindre une atteinte à l’ordre public et étaient donc habilités, d’après la common law telle que reprise dans la législation, à entrer dans un lieu et y rester sans le consentement du propriétaire. « La [requérante] soutient que les policiers n’avaient pas de motif raisonnable de redouter une atteinte à l’ordre public et ont donc commis une violation de domicile. Je rejette cette affirmation. On leur avait dit de se rendre à la maison parce qu’un solicitor avait informé la police qu’il pouvait y avoir des problèmes. Selon moi, la façon dont les choses s’étaient passées jusque-là montre clairement que les craintes du solicitor étaient fondées. Si [la requérante] avait été chez elle à l’arrivée de son ex-mari et des personnes l’accompagnant, je suis certain que les policiers auraient eu à jouer leur rôle de garants de l’ordre public. » S’agissant du grief d’atteinte aux biens, le juge releva que les policiers n’avaient pas pris une part active au déménagement ou au dérangement du domicile de la requérante. Même si l’un des policiers avait vérifié que seuls étaient enlevés les biens énumérés sur la liste jointe à l’ordonnance du tribunal, « il n’a ni incité, ni participé au déménagement des affaires qui apparemment figuraient sur la liste, ni influé sur la manière dont il convenait de traiter les objets se trouvant sur ou dans les biens mentionnés ». Les procédures dirigées contre l’ex-mari de la requérante, le frère et la sœur et les solicitors de celui-ci Le 27 novembre 1992, la County Court de Brentford rendit son jugement sur les deux autres actions civiles dirigées contre l’ex-mari de la requérante et le frère et la sœur de celui-ci, d’une part, et contre ses solicitors, d’autre part. Elle constata qu’il n’y avait pas eu d’entente entre la requérante et son ex-mari pour que ce dernier enlève ses biens le 3 octobre 1989, et que la mère de l’intéressée n’avait pas donné l’autorisation d’entrer à l’ex-mari de sa fille et aux personnes qui l’accompagnaient. Elle conclut en conséquence que ce groupe avait commis une violation de domicile et une atteinte aux biens de l’intéressée. 1 950 GBP avec intérêt furent versées à titre de dédommagement à celle-ci et rapportées à la masse successorale de sa mère. D. La procédure en appel Le 1er décembre 1992, la requérante fit appel de la décision du juge Tuckey au motif que les policiers auraient dû prendre des renseignements avant d’entrer dans sa maison, qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à l’ordre public ni de raison de redouter une telle éventualité et que la police avait commis une faute en ne protégeant pas convenablement sa mère. La Cour d’appel (Court of Appeal) débouta la requérante le 3 février 1994 (McLeod v. Commissioner of Police of the Metropolis, All England Law Reports 1994, vol. 4, p. 553). Selon les termes de Lord Justice Neill : « Selon moi, la véritable question en l’espèce est celle de savoir si les policiers avaient un motif légal d’entrer [dans l’ancien domicile conjugal]. Nul ne conteste la nécessité de pareil motif car il n’apparaît pas que [la requérante] ou sa mère leur ait permis d’entrer. Le juge a constaté qu’ils n’ont pas participé activement au déménagement des biens et, comme je l’ai dit, tout ce qu’a fait [l’un des policiers] était de pointer sur une liste ce qui était enlevé. Il est cependant clair qu’ils ont tous deux pénétré dans les lieux et il se peut même que l’un d’eux ait frappé à la porte. Deux questions doivent être tranchées. D’abord, dans quelles circonstances, le cas échéant, des policiers peuvent-ils entrer dans un domicile privé pour empêcher une atteinte à l’ordre public ? Ensuite, s’il est permis d’entrer dans un domicile privé dans certains cas, les conditions requises étaient-elles réunies en l’occurrence ? » Relevant que le pouvoir de pénétrer dans un domicile privé que la common law conférait à la police se trouve repris à l’article 17 § 6 de la loi de 1984 sur la police et la preuve en matière pénale (Police and Criminal Evidence Act 1984 – « la loi de 1984 »), le juge estima que le principal précédent, s’appuyant sur la common law, était la décision rendue par la Divisional Court en l’affaire Thomas v. Sawkins (King’s Bench Reports 1935, p. 249). Lord Justice Neill poursuivit : « Dans cette affaire, des policiers se sont rendus dans une salle où allait débuter une réunion publique qui avait été largement annoncée ; le sergent commandant le groupe de policiers se vit refuser l’entrée dans la salle, mais insista pour y pénétrer et y demeurer jusqu’à la fin de la réunion. La question qui se pose est celle de savoir si la police était habilitée à agir ainsi. Lord Hewart, qui a prononcé le jugement de première instance en cette affaire, déclara en page 254 : « Je pense qu’il existe des motifs tout à fait suffisants pour étayer la thèse selon laquelle il appartient à la police, dans le cadre de ses pouvoirs, et donc de ses obligations, de prévention, de pénétrer et demeurer dans des locaux privés lorsqu’elle a des motifs raisonnables d’inquiétude, comme les juges ont estimé que c’était le cas en l’espèce. » Le juge Avory déclara en page 255, à propos de l’entrée dans des locaux en raison d’une rixe : « (…) il ne fait pour moi aucun doute qu’il a le droit de pénétrer de force dans des locaux privés pour empêcher une rixe dont il a des raisons plausibles de soupçonner qu’elle va s’y produire. » Il estima donc que les actes des policiers étaient justifiés. Le juge Lawrence s’exprima en ces termes en page 257 : « Si, dans l’exercice de ses fonctions de maintien de l’ordre, un agent de police a le droit de se livrer à des voies de fait, il me semble qu’il a également le droit de violer un domicile. » Lord Justice Neill considéra en outre que l’affaire McGowan v. Chief Police Constable of Kingston Upon Hull, dont le Times avait publié un compte rendu dans son numéro du 21 octobre 1967, constituait également un précédent pertinent : « Dans cette affaire, des policiers ont pénétré dans une maison où un homme tenait un enfant dans les bras. Les policiers ont déclaré qu’ils avaient des raisons de craindre que l’homme et sa maîtresse ne provoquent une atteinte à l’ordre public. Or il s’est posé la question de savoir si la maîtresse avait l’autorité nécessaire pour permettre aux policiers d’entrer. En prononçant son jugement, le Lord Chief Justice a déclaré : « Permission ou pas, les policiers avaient des raisons suffisantes pour entrer dans la maison car ils redoutaient sincèrement une atteinte à l’ordre public. » Lord Justice Neill rappela ensuite que le jugement rendu dans Thomas v. Sawkins avait été critiqué car il semblait enfreindre un principe fondamental : les représentants de la loi ne doivent pas intervenir avant qu’une infraction ait réellement été commise. Il remarqua aussi que l’on avait suggéré que le précédent établi dans cette affaire se limite aux réunions publiques, et enchaîna : « Ayant entendu les parties, je suis convaincu qu’avec l’article 17 § 6 [de la loi de 1984], le Parlement reconnaît désormais le pouvoir d’entrer dans des locaux pour empêcher une atteinte à l’ordre public, dans le cadre du rôle préventif de la justice. Je ne vois aucun motif convaincant de limiter ce pouvoir à certaines catégories de locaux, tels que ceux où se tiennent des réunions publiques. Si la police a des motifs raisonnables de croire qu’il risque de se produire une atteinte à l’ordre public dans un lieu privé, elle a le pouvoir d’y entrer pour l’empêcher. Cette crainte doit toutefois être sincère et se rapporter au futur proche. » En pensant aux difficultés concrètes qui risquaient de se présenter à qui voudrait user de ce pouvoir de manière correcte et avec discernement dans les situations familiales, Lord Justice Neill déclara : « (...) lorsqu’il cherche à prévenir une atteinte à l’ordre public, un policier doit agir avec beaucoup de prudence et de discrétion, surtout lorsqu’il lui faut pour cela pénétrer dans une propriété privée contre la volonté des propriétaires ou des occupants. Le policier doit être convaincu qu’il existe un risque réel et imminent d’atteinte à l’ordre public car si un tribunal est ultérieurement saisi de l’affaire, ce dernier peut être amené à examiner non seulement la conviction du policier à l’époque mais aussi les motifs étayant cette conviction. » Se fondant sur les faits établis par la High Court, Lord Justice Neill estima que les policiers avaient pénétré dans la maison de la requérante pour empêcher une atteinte à l’ordre public et avaient conclu de manière raisonnable qu’il y avait un risque qu’une telle éventualité survienne. Les autres juges, Lords Justices Hoffman et Waite, en convinrent. L’autorisation de saisir la Chambre des lords fut refusée à la requérante. Le 1er mars 1994, l’intéressée demanda à la Chambre des lords l’autorisation de former un pourvoi contre la décision rendue le 3 février 1994 par la Cour d’appel. Elle fut déboutée le 18 mai 1994. ii. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Droit d’entrée prévu par la loi L’article 17 de la loi de 1984 expose les principales circonstances dans lesquelles un agent de police est autorisé à effectuer des perquisitions. Aux termes de l’article 17 § 1 e) de la loi, un policier peut pénétrer dans n’importe quels locaux pour sauver la vie de quelqu’un ou empêcher que des personnes ou des biens ne subissent de graves dommages. Alors que l’article 17 § 5 abolit toutes les règles de la common law qui permettaient auparavant aux policiers d’entrer dans des locaux sans mandat, l’article 17 § 6 dispose : « Rien dans le paragraphe 5 ne limite le pouvoir d’entrer dans des locaux afin de maîtriser ou de prévenir une atteinte à l’ordre public. » B. Atteinte à l’ordre public L’atteinte à l’ordre public (breach of the peace), qui n’est pas une infraction pénale (R. v. County Quarter Sessions Appeals Committee, ex parte Metropolitan Police Commissioner, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 260), est définie par la common law depuis le Xe siècle. Cependant, comme Lord Justice Watkins l’a fait remarquer en janvier 1981 en prononçant la décision de la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Howell (Queen’s Bench Reports 1982, vol. 1, p. 416) : « On n’a que très rarement formulé une définition complète de la notion d’atteinte à l’ordre public (…) » (p. 426) Il poursuivit : « Osons dire qu’il est probable que se produira une atteinte à l’ordre public si une personne ou, en sa présence, ses biens, subissent un préjudice ou sont susceptibles d’en subir un ou si une personne redoute une telle éventualité en raison d’une agression, d’une rixe, d’une émeute, d’une réunion illégalee ou d’un autre trouble. » (p. 427) En octobre 1981, à la Cour d’appel autrement composée, Lord Denning, Master of the Rolls, donna un sens plus large à cette notion dans l'arrêt R. v. Chief Constable of Devon and Cornwall, ex parte Central Electricity Generating Board (Queen’s Bench Reports 1982, p. 458), qui traitait d’une action de protestation contre la construction d’une centrale nucléaire ; il déclara : « Il y a atteinte à l’ordre public chaque fois qu’une personne effectuant légalement son travail en est illégalement et physiquement empêchée par une autre. La loi confère à chacun le droit de faire son travail dans les conditions légales. Quiconque entrave le travailleur illégalement et physiquement, en se couchant ou en s’enchaînant à une installation ou autre, se rend coupable d’une atteinte à l’ordre public. » (p. 471) Dans une affaire traitée ultérieurement par la Divisional Court (Percy v. Director of Public Prosecutions, Weekly Law Reports 1995, vol. 1, p. 1382), le juge Collins s’est plutôt inspiré de Howell que de l’affaire ex parte Central Electricity Generating Board ; il a en effet déclaré qu’il ne peut y avoir atteinte à l’ordre public s’il n’y a pas eu auparavant risque de violence. Selon lui, il n’est toutefois pas indispensable que la violence soit perpétrée par l’accusé dès lors qu’il est établi que la conséquence naturelle de son comportement serait de provoquer la violence chez autrui : « Il n’est pas nécessaire que le comportement en question constitue en lui-même un trouble de l’ordre public ou une infraction pénale. Il suffit que, s’il persiste, sa conséquence naturelle soit d’inciter autrui à la violence, d’où un danger réel de porter atteinte à l’ordre public. » (p. 1392) Dans une autre affaire examinée par la Divisional Court, Nicol and Selvanayagam v. Director of Public Prosecutions (Justice of the Peace Reports 1996, p. 155), Lord Justice Simon Brown a déclaré : « (…) le tribunal ne conclurait certainement pas qu’une [atteinte à l’ordre public] est établie si les éventuels actes de violence susceptibles d’avoir été provoqués chez autrui n’étaient pas seulement illégaux mais totalement disproportionnés, ce qui serait naturellement le cas si le comportement de l’accusé était non seulement légal mais n’entraînait aucune ingérence concrète dans les droits d’autrui et, à plus forte raison, si l’accusé exerçait correctement ses droits fondamentaux, que ce soit le droit de se réunir, de manifester ou de s’exprimer librement. » (p. 163) C. Droit pour la police d’entrer en vue de prévenir une atteinte à l’ordre public Le droit de pénétrer dans des lieux privés en vue d’empêcher une atteinte à l’ordre public, reconnu à la police par la common law et repris à l’article 17 § 6 de la loi de 1984, a été défini comme suit par le Lord Chief Justice Hewart dans l’affaire Thomas v. Sawkins précitée : « Je pense qu’il existe des motifs tout à fait suffisants pour étayer la thèse selon laquelle il appartient à la police, dans le cadre de ses pouvoirs de prévention, et donc de ses obligations en la matière, de pénétrer et demeurer dans des locaux privés lorsqu’elle a des motifs raisonnables d’inquiétude, comme les juges ont estimé que c’était le cas en l’espèce. Il va sans dire que les pouvoirs et devoirs de la police visent non à défendre l’intérêt de la police, mais à protéger la population. (p. 254) (…) Je ne souscris nullement à la jurisprudence selon laquelle ce n’est que lorsqu’il y a eu, ou il y a [atteinte à l’ordre public], que la police est habilitée à entrer et demeurer dans un lieu privé. Il me semble au contraire qu’un policier a entièrement le droit d’agir ainsi, ex virtute officii, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une [atteinte à l’ordre public] est imminente ou probable. » (p. 255) Les tribunaux britanniques ont entériné l’existence du droit d’entrée en vue d’empêcher une atteinte à l’ordre public reconnu en common law et admis qu’il s’appliquait en cas de querelle conjugale. Le Lord Chief Justice a en effet déclaré en l’affaire McGowan v. Chief Constable of Kingston Upon Hull (Criminal Law Reports 1968, p. 34) : « Permission ou pas, les policiers avaient des raisons suffisantes pour entrer dans la maison car ils redoutaient sincèrement une atteinte à l’ordre public. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (n° 24755/94) du 22 mai 1994 à la Commission, Mme McLeod, invoquant l’article 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole n° 1, se plaignait de ce que l’entrée de la police dans sa maison le 3 octobre 1989 et le refus ultérieur des tribunaux de lui accorder une protection juridique emportaient violation de son droit au respect de son domicile et de sa vie privée, et de son droit au respect de ses biens. Elle alléguait en outre une violation de son droit à un procès équitable au titre de l’article 6 de la Convention, au motif que la Chambre des lords avait refusé d’examiner son pourvoi. Enfin, elle dénonçait une atteinte, à l’égard de sa mère, aux droits reconnus par les articles 6 et 8 de la Convention. Le 26 juin 1996, la Commission (première chambre) a retenu les griefs d’ingérence dans le droit de la requérante au respect de son domicile et de sa vie privée et au respect de ses biens, et a rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 9 avril 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention (quatorze voix contre deux) ni de l’article 1 du Protocole n° 1 (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR A l’audience du 18 mai 1998, de même que dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire, comme la majorité de la Commission, qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention. A cette même occasion, la requérante prie la Cour de conclure à la violation de l’article 8 de la Convention et de lui accorder une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
Le 2 février 1981, la requérante assigna son frère et sa sœur devant le tribunal de Syracuse afin d’obtenir une part du patrimoine de leur mère à titre d’héritière réservataire. L’instruction commença le 31 mars 1981. Le 5 mai 1981, le juge de la mise en état nomma un expert, qui prêta serment le 9 juin 1981. Le 22 décembre 1982, les défendeurs contestèrent un mémoire versé au dossier par la requérante. L’audience du 15 avril 1982 fut renvoyée au 7 octobre 1982 dans l’attente du dépôt au greffe du rapport d’expertise. Après un renvoi d’office, le 26 septembre 1983 le juge ajourna l’affaire au 30 janvier 1984 afin de permettre aux parties d’examiner le rapport d’expertise entre-temps déposé au greffe. Le 28 mai 1984, la requérante versa un mémoire au dossier. Le 3 décembre 1984, le juge de la mise en état ordonna la comparution personnelle de l’expert et admit l’audition de la requérante. Après deux renvois, dont un d’office, le 19 juin 1986 se tint l’audition de la requérante et le juge ordonna une expertise complémentaire. Les audiences des 8 janvier et 2 avril 1987 furent renvoyées dans l’attente du dépôt au greffe du rapport d’expertise. Le 17 décembre 1987, les parties demandèrent un renvoi afin d’examiner le rapport d’expertise entre-temps déposé au greffe. Après trois audiences, par une ordonnance du 25 février 1989, le juge de la mise en état admit l’audition de témoins, qui se déroula le 11 mai 1989. Après un renvoi, le 6 juillet 1989 le juge ordonna la comparution personnelle des parties pour une éventuelle conciliation. Le 19 octobre 1989, l’audition des témoins continua et, par une ordonnance du 24 octobre 1989, le juge fixa la date de présentation des conclusions au 1er février 1990. L’audience de plaidoiries, fixée au 28 novembre 1990 fut renvoyée au 18 décembre 1991 car les parties ne s’étaient pas présentées. Entre-temps, suite à la mort du frère de la requérante, le 3 janvier 1991 cette dernière reprit la procédure à l’encontre de sa belle-sœur, Mme T. Par un jugement du 2 janvier 1992, dont le texte fut déposé au greffe le 13 février 1992, le tribunal fit droit à la demande de la requérante. Le 21 mai 1992, Mme T. interjeta appel devant la cour d’appel de Catane. L’instruction de l’affaire commença le 29 octobre 1992. Le 4 février 1993, le juge prononça l’interruption de la procédure en raison du décès de l’avocat de Mme T. Le 16 mars 1993, la requérante reprit la procédure et le 24 juin 1993 le conseiller de la mise en état fixa au 7 octobre 1993 la date de l’audience pour la présentation des conclusions. L’audience de plaidoiries, prévue pour le 20 juin 1994, fut reportée au 10 avril 1995. Le 24 octobre 1994, la requérante présenta une demande tendant à ce que la date de l’audience fût avancée. Ladite audience se tint le 28 novembre 1994. Par une ordonnance du 31 janvier 1995, la cour d’appel rouvrit l’instruction, admit l’audition de témoins et ajourna l’affaire au 30 mars 1995. Après un renvoi d’office, le 9 novembre 1995 les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries fut fixée au 10 juin 1996. Par un arrêt du 1er juillet 1996, dont le texte fut déposé au greffe le 8 avril 1997, la cour d’appel de Catane modifia en partie le jugement de première instance. Selon les informations fournies par la requérante, l’arrêt de la cour d’appel acquit l’autorité de la chose jugée le 9 octobre 1997.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 2 octobre 1992, la requérante déposa au greffe du juge d’instance de Modugno (Bari) une demande de réintégration dans la possession d’un interphone à l’encontre de M. et Mme B. L’instruction de l’affaire commença le 16 octobre 1992. Le 6 novembre 1992 se tint l’audition d’un témoin. Par une ordonnance du 13 novembre 1992, le juge ordonna aux défendeurs de réintégrer la requérante dans sa possession et ajourna l’affaire au 1er mars 1993 quant au fond. Le jour venu, la requérante demanda un renvoi en vue d’un éventuel règlement amiable. Le 14 juin 1993, le juge d’instance fixa la date de l’audience pour la présentation des conclusions au 7 mars 1994. Ce jour-là, la requérante demanda le paiement des frais de justice, étant donné que les défendeurs avaient exécuté l’ordonnance du 13 novembre 1992. Des quatre audiences prévues entre le 9 janvier 1995 et le 21 janvier 1997, trois concernèrent la demande de la requérante de mise en délibéré de l’affaire et une fut reportée d’office en raison de la mutation du juge. Le 24 juin 1997, les parties ne se présentèrent pas et le juge ajourna l’affaire au 27 janvier 1998. Par un jugement du 21 avril 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 21 mai 1998, le juge d’instance déclara que l’affaire avait été réglée car les défendeurs avaient exécuté l’ordonnance du 13 novembre 1992 et condamna ceux-ci à payer les frais de justice.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 14 janvier 1992, le requérant assigna M. B., Mme G. et la compagnie d’assurances L. devant le tribunal de Bergame afin d’obtenir réparation des dommages subis lors d’un accident de la circulation L’instruction commença le 2 avril 1992. L’audience prévue pour le 24 septembre 1992 fut reportée d’office au 5 novembre 1992. Ce jour-là, le juge de la mise en état nomma un expert, qui prêta serment le 30 mars 1993. Le 21 octobre 1993, le requérant demanda l’audition de Mme G. Le 24 mars 1994, le juge ordonna l’audition de celle-ci, du requérant et de témoins et ajourna l’affaire au 21 mars 1995. Le 26 octobre 1995, le requérant versa des documents au dossier et le juge fixa la date de la présentation des conclusions au 7 décembre 1995. Par une ordonnance du 23 décembre 1995, le juge fixa la date de l’audience de plaidoiries au 25 septembre 1997. Ce jour-là et le 23 octobre 1997, les parties ne se présentèrent pas. A cette dernière date, le président du tribunal ordonna la radiation de l’affaire du rôle. Selon les informations fournies par le requérant, le 16 juillet 1997 les parties étaient parvenues à un règlement amiable.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 30 mai 1990, le requérant assigna la société E. devant le juge d’instance de Bari afin d’obtenir la résolution d’un contrat de fourniture et la restitution de l’acompte payé. A son tour, la société déposa une demande reconventionnelle visant à obtenir le reste du prix résultant du contrat. La mise en état de l'affaire commença le 6 juin 1990. Des cinq audiences fixées entre le 19 décembre 1990 et le 8 mai 1992, trois concernèrent l’audition des parties et de témoins, une fut ajournée d’office et une fut renvoyée pour permettre aux parties de présenter leurs conclusions. L’audience de présentation des conclusions eut lieu le 18 novembre 1992 et les débats le 17 mars 1993. Par une ordonnance du 10 juillet 1993, le juge rouvrit l’instruction pour permettre aux parties de se présenter en personne et fixa une audience au 17 novembre 1993. A cette date, l’audience fut ajournée d’office au 2 mars 1994, date à laquelle furent déposés des documents et le requérant demanda la fixation de l’audience de présentation des conclusions. Les cinq audiences fixées entre le 1er juin 1994 et le 17 juin 1996 furent renvoyées à la demande de la défenderesse, pour le dépôt au greffe d’autres documents. Le requérant s’y opposa à chaque fois, car selon lui l’instruction était finie. Le 17 avril 1996, l’audience fut reportée au 4 décembre 1996, à cause de l’absence du requérant et pour permettre aux parties de présenter leurs conclusions, puis d’office au 5 février 1997. L’audience de présentation des conclusions eut lieu le 5 février 1997 et les débats le 7 mai 1997. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 13 mai 1997, le juge d’instance rejeta la demande principale et fit droit à la demande reconventionnelle.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant portugais né en 1961 et résidant à Queluz (Portugal). En 1983, le requérant épousa C.D.S. Le 2 novembre 1987, ils eurent une fille, M. Séparé de son épouse depuis avril 1990, le requérant vit depuis cette date avec un adulte de sexe masculin, L.G.C. A la suite d’une action en divorce intentée par C.D.S., le divorce fut prononcé le 30 septembre 1993 par le tribunal aux affaires familiales (Tribunal de Família) de Lisbonne. Le 7 février 1991, le requérant conclut, dans le cadre de la procédure de divorce, un accord avec C.D.S. relatif à l’octroi de l’autorité parentale (poder paternal) sur l’enfant M. Aux termes de cet accord, l’autorité parentale était confiée à C.D.S., le requérant bénéficiant d’un droit de visite. Toutefois, le requérant ne put bénéficier de son droit de visite, C.D.S. ne respectant pas ledit accord. Le 16 mars 1992, le requérant introduisit une demande visant à lui conférer l’autorité parentale. Il allégua que C.D.S. ne respectait pas les termes de l’accord conclu le 7 février 1991, l’enfant M. se trouvant confiée à la garde de ses grands-parents maternels. Le requérant se prétendait en mesure de mieux s’occuper de son enfant. Dans son mémoire en réponse, C.D.S. accusa L.G.C. de s’être livré à des abus sexuels sur l’enfant. Le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne rendit son jugement le 14 juillet 1994, après une période pendant laquelle le requérant, l’enfant M., C.D.S., L.G.C. et les grands-parents maternels de l’enfant furent suivis par des experts en psychologie auprès de ce même tribunal. Celui-ci attribua l’autorité parentale au requérant, écartant comme non fondées, à la lumière des rapports des experts en psychologie, les allégations de C.D.S. selon lesquelles L.G.C. aurait demandé à l’enfant M. de le masturber. Il considéra par ailleurs, toujours à la lumière des rapports des experts en psychologie, que les déclarations de l’enfant M. en ce sens semblaient plutôt avoir été le résultat d’influences exercées sur l’enfant par d’autres personnes. Le tribunal ajouta : « La mère maintient sa position peu coopérative et il est complètement improbable qu’elle change d’attitude. Elle n’a pas respecté, de manière répétée, les décisions du tribunal. Force est de constater que [la mère] n’a pas démontré être, à l’heure actuelle, capable de donner à M. les conditions d’une vie équilibrée et tranquille dont cette dernière a besoin. Le père est, à l’heure actuelle, plus en mesure de le faire. Outre le fait de disposer des conditions économiques et d’habitation pour avoir l’enfant avec lui, il a démontré être capable de lui transmettre les conditions d’équilibre dont l’enfant a besoin et de respecter son droit à garder un contact régulier et assidu avec la mère et les grands-parents maternels. » M. demeura avec le requérant du 18 avril au 3 novembre 1995, date à laquelle elle aurait été enlevée par C.D.S. A la suite d’une plainte du requérant, une procédure pénale est actuellement pendante au sujet de ces mêmes faits. C.D.S. fit appel contre le jugement du tribunal aux affaires familiales devant la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne. Le 9 janvier 1996, celle-ci rendit son arrêt. Elle infirma le jugement du tribunal de première instance et attribua l’autorité parentale à C.D.S., tout en accordant un droit de visite au requérant. Cet arrêt se lit ainsi : « Dans la procédure d’octroi de l’autorité parentale relative à l’enfant M., née le 2 novembre 1987, fille [du requérant] et de C.D.S., la décision prononcée le 7 février 1991 homologuait l’accord entre les parents au sujet de l’autorité parentale sur l’enfant, du régime de visites et du montant de la pension alimentaire à verser par le père, puisque M. a été confiée à la garde de sa mère. Le 16 mars 1992 [le requérant] introduisit une demande de modification de l’octroi de l’autorité parentale au motif que l’enfant ne vivait pas avec sa mère, conformément à ce qui avait été décidé, mais chez ses grands-parents maternels, ce qui selon lui n’avait pas lieu d’être. C’est pour cette raison qu’il fallait modifier le régime de la garde de façon à lui confier sa fille et à appliquer à la mère le régime de visites et de pension alimentaire qui lui incombait. La mère de l’enfant non seulement contesta la demande du requérant mais invoqua des faits tendant à démontrer que l’enfant ne devait pas rester en compagnie de son père car celui-ci était homosexuel et vivait en ménage avec un autre homme. A la suite de plusieurs démarches dans le cadre de cette procédure, la décision suivante fut rendue le 14 juillet 1994 : « 1. L’enfant est confiée à la garde et aux soins de son père, à qui est confiée l’autorité parentale ; 2. L’enfant pourra voir sa mère un week-end sur deux, du vendredi jusqu’au lundi. Sa mère ira la chercher le vendredi à la sortie de l’école et la ramènera à l’école le lundi matin avant le début des cours ; 3. L’enfant pourra également voir sa mère tous les mardi et mercredi ; sa mère ira la chercher à l’école à la fin des cours et la ramènera le lendemain matin ; 4. L’enfant passera la veille et le jour de Noël alternativement avec son père et avec sa mère ; 5. L’enfant passera les fêtes de Pâques avec sa mère ; 6. Pendant les vacances scolaires d’été, l’enfant passera trente jours avec sa mère. Les dates devront être convenues avec le père au moins soixante jours à l’avance ; 7. La mère devra verser au père une pension alimentaire de 30 000 escudos par mois, avant le 8 de chaque mois. Cette pension sera réactualisée une fois par an à l’aide de l’indice d’inflation de l’année précédente publié par l’INE [Institut national de la statistique]. » Cette même décision réglementait spécifiquement le régime applicable à l’année 1994. Insatisfaite de cette décision, C.D.S. interjeta appel. Auparavant, elle avait fait appel de la décision figurant à la page 238 qui refusait la demande de suspension de l’instance et de la décision prononcée à l’audience de jugement du 29 avril 1994 sur la demande d’examen du document figurant à la page 233 ; ces deux recours ont été renvoyés et n’ont finalement eu qu’un effet purement dévolutif. Les conclusions du mémoire de la requérante sont les suivantes : (...) Dans son mémoire [le requérant] plaide pour la confirmation du jugement de première instance. Le procureur de la République près cette cour d’appel a émis un avis en faveur de la nullité de la décision mais pas en vertu des moyens de l’appelante. Après examen du dossier, il y a lieu de décider. En premier lieu, examinons les faits suivants, que la première instance a considérés comme établis : L’enfant M., née le 2 novembre 1987, est la fille [du requérant] et de C.D.S. Ses parents se sont mariés le 2 avril 1983. Le divorce a été prononcé le 30 septembre 1993 et leur union dissoute. Les parents vivent séparés depuis le mois d’avril 1990, date à laquelle [le requérant] a quitté son domicile pour aller vivre avec un autre homme, prénommé L. Le 7 mars 1991, dans le cadre de la procédure n° 1101/90, le tribunal de Loures, par décision de justice, homologua l’accord suivant relatif à l’exercice de l’autorité parentale sur l’enfant : « I. L’enfant est confiée à sa mère ; II. Son père pourra rendre visite à sa fille chaque fois qu’il le souhaite, sans nuire à son activité scolaire ; III. L’enfant passera avec son père un week-end sur deux, ainsi que Noël et Pâques ; IV. L’enfant passera les vacances du père avec celui-ci, sauf si ces congés coïncident avec ceux de la mère, auquel cas l’enfant passera quinze jours avec chacun des parents ; V. Les week-ends que l’enfant doit passer avec son père, celui-ci ira la chercher chez sa mère, le samedi vers 10 heures et il la ramènera le dimanche vers 20 heures ; VI. Dès que possible, l’enfant ira au jardin d’enfants, dont l’inscription est à la charge du père ; VII. Le père versera une pension alimentaire de 10 000 escudos par mois, réactualisée une fois par an selon le même pourcentage que l’augmentation nette de son salaire. Cette somme sera versée sur le compte de la mère de l’enfant – compte n° ... – avant le 5 du mois suivant ; VIII. Le père paiera en outre la moitié des frais de jardin d’enfants de sa fille ; IX. En cas de dépenses extraordinaires pour la santé de l’enfant, le père en acquittera la moitié. » A partir du mois d’avril 1992, l’enfant cessa de voir son père aux termes de l’accord passé, contre la volonté de ce dernier. Jusqu’au mois de janvier 1994, l’enfant a vécu chez ses grands-parents maternels [nom], à Camarate [adresse]. A partir de cette date, l’enfant est allée vivre chez sa mère et le compagnon de celle-ci [adresse], à Lisbonne. Elle continua cependant à dormir de temps en temps chez ses grands-parents maternels. Les jours d’école, où elle n’y dormait pas, sa mère la conduisait chez ses grands-parents où elle restait après l’école à partir de 17 heures. Pendant cette année scolaire, l’enfant M. était en première année de premier cycle, au collège ... dont les frais de scolarité s’élèvent à 45 400 escudos par mois. Sa mère vit maritalement avec J. depuis au moins deux ans. Ce dernier, gérant commercial, exerce une activité d’import-export, ses affaires l’occupant essentiellement en Allemagne, où il a le statut d’immigrant, et ses revenus sont de l’ordre de 600 000 escudos par mois. La mère, C.D.S., est gérante de la société DNS, dont les associés sont son compagnon et son frère, J.P. Elle est inscrite à l’agence pour l’emploi et la formation professionnelle depuis le 17 février 1994. Ses dépenses sont assurées conjointement par elle et son compagnon. Elle déclare payer 120 000 escudos de loyer et dépenser environ 100 000 par mois en alimentation. Le père, João Mouta, entretient une relation de type homosexuel avec L.G.C., avec lequel il vit depuis le mois d’avril 1990. Il est chef de département chez A., et son revenu mensuel net s’élève, avec les commissions, à un peu plus de 200 000 escudos. L’enfant est extrêmement liée à sa grand-mère maternelle, qui est témoin de Jéhovah. Par suite du non-respect de la décision évoquée au paragraphe 5, la mère de l’enfant a été condamnée le 14 mai 1993 à verser une amende de 30 000 escudos parce que, depuis le mois d’avril 1992, elle n’autorisait pas le père à exercer son « droit de visite à l’égard de sa fille conformément à la décision prononcée ». Le 25 juin 1994, après avoir entendu individuellement et conjointement le père et la mère, et M., sans la présence de ses parents ni de sa grand-mère maternelle, après avoir entendu individuellement cette dernière, le compagnon du père et après examen psychologique de M., le cabinet de psychologie auprès du tribunal fit le rapport suivant : « M. est une enfant communicative, au développement intellectuel normal pour son âge et au potentiel intellectuel supérieur à la moyenne. Elle est très liée affectivement à son père et à sa mère, et la situation de conflit existant entre ses parents est source d’une certaine instabilité. Elle souhaite que ses parents se rapprochent car il lui est difficile de comprendre et d’accepter d’habiter chez ses grands-parents et de ne pas voir son père. Sa relation avec son père est très bonne, et ce dernier est très affectueux et disponible pour sa fille. [Le requérant] et son ex-femme sont tous deux des parents affectueux et flexibles, qui assurent tous les deux un rôle éducatif et sécurisant pour leur fille. Les facteurs à l’origine de leur séparation ont été par la suite source d’un conflit important entre eux, renforcé par la grand-mère maternelle de M. qui n’accepte pas le mode de vie [du requérant] et essaie inconsciemment de l’éloigner de sa fille. En résumé, les deux parents sont capables d’assurer le bon développement psychoaffectif de leur fille, mais il nous semble qu’il n’est pas bon que celle-ci habite chez sa grand-mère qui intervient de manière négative dans le conflit existant entre les deux parties et qui entretient ce conflit en essayant d’éloigner [le requérant] car elle n’accepte pas son mode de vie. » Le 16 août 1993, M. raconta à la psychologue et à son père que le compagnon de ce dernier lui avait demandé, en son absence, de l’accompagner à la salle de bains, qu’il avait fermée à clef, et de le masturber (elle fit les gestes expressifs de la masturbation), en lui disant ensuite qu’elle n’avait pas besoin de se laver les mains et qu’elle ne devait rien dire à son père. La psychologue affirme que la façon dont l’enfant a raconté cet épisode l’a fait douter de la véracité de ce récit, qui aurait pu lui être soufflé à plusieurs reprises. Elle ajoute que, pendant le récit de sa fille, le requérant eut une attitude de compréhension et de recherche d’éclaircissements, qui confirma les bonnes relations entre le père et sa fille. Lors de l’entretien avec la psychologue du 6 décembre 1993, l’enfant déclara qu’elle continuait à vivre chez sa grand-mère maternelle et qu’elle allait de temps en temps chez sa mère où elle dormait sur un canapé dans le salon car il n’y avait pas de chambre pour elle. Dans un rapport daté du 17 janvier 1994, à la suite d’une rencontre entre la fille et le père, la psychologue conclut que « bien que lors de ses rencontres avec son père, M. ait constaté que son père vivait avec un autre homme, ses images parentales sont bien intégrées et elle ne présente pas de problème lié à l’identité psychosexuelle, que ce soit la sienne ou celle de ses parents ». Le Dr V., psychiatre, après examen du compagnon [du requérant], père de l’enfant, déclara que selon lui, celui-ci avait une personnalité stable avec un développement satisfaisant au niveau affectif et cognitif. Il n’a pas observé de pathologie individuelle ou de couple. Il estime totalement improbable que les faits relatés par l’enfant, tels que décrits au paragraphe 23, se soient réellement passés. Le rapport final du cabinet de psychologie sur cette affaire, daté du 12 avril 1994, indique chez M. une certaine instabilité issue en partie de la situation conflictuelle existant entre sa famille maternelle et son père, et une attitude défensive qui se manifeste par le refus d’affronter des situations susceptibles d’être source d’anxiété. L’enfant a conscience de l’opposition manifestée par sa famille à l’égard de ses rencontres avec son père, opposition justifiée par les descriptions faites par l’enfant d’une scène qui se serait passée entre celle-ci et le compagnon de son père, L.G.C., au cours de laquelle il lui aurait demandé de le masturber. En ce qui concerne ce récit, il semble difficile qu’une enfant de six ans reproduise en détail une situation survenue plusieurs années auparavant. Il en conclut que le fait que M. décrive en détail la scène de masturbation susmentionnée ne signifie pas que celle-ci ait réellement eu lieu. Le rapport réaffirme que le père est un père très affectueux, qu’il est plein de compréhension et de tendresse à l’égard de sa fille, sans cependant oublier les limites nécessaires et sécurisantes qu’il lui impose de façon adéquate et pédagogique. Le rapport réaffirme également que la mère de l’enfant est une mère très affectueuse, mais un peu permissive et, de ce fait, peu sécurisante, mais capable d’évoluer positivement. Le rapport conclut également qu’il n’est pas souhaitable que l’enfant vive avec sa grand-mère, car le fanatisme religieux dans lequel elle évolue non seulement condamne, mais exclut son père en raison des choix individuels et affectifs qu’il a faits, ce qui a contribué à semer la confusion chez l’enfant et à augmenter ses conflits internes et son anxiété, en compromettant son bon développement psychoaffectif. A l’occasion de l’audience du 24 janvier 1994, la décision provisoire suivante a été prononcée avec l’accord des deux parents : I. M. peut passer tous les samedis de 10 heures à 22 heures avec son père, II. à cette fin, son père ira la chercher chez sa mère en compagnie de sa grand-mère paternelle et/ou de son arrière grand-mère paternelle. La mère n’a pas permis que sa fille rencontre son père aux termes fixés par la décision susmentionnée. Le 22 avril 1994, le département de pédopsychiatrie de l’hôpital D. Estefânea a jugé nécessaire de suivre M., l’anxiété ressentie par l’enfant risquant de perturber son développement psychoaffectif. Ces faits ressortant de la première instance sont considérés comme définitivement établis, sans préjudice de la possibilité de considérer un autre élément au cours du présent arrêt. En ce qui concerne les autres recours, la requérante n’a pas présenté de mémoires, ces recours étant donc considérés comme sans effet aux termes des articles 292 § 1 et 690 § 2 du code de procédure civile. Outre le fait que les éléments factuels n’ont pas été apportés, ces aspects nous semblent suffisants pour statuer en l’espèce, comme nous comprenons que le juge s’est prononcé sur la question essentielle du procès, à savoir auquel des deux parents doit être confiée l’enfant. Les carences relevées par le magistrat du ministère public dans la décision, bien que pertinentes, n’entraînent pas la nullité de cette dernière. Examinons donc le recours : L’article 1905 § 1 du code civil dispose que dans les cas de divorce, de séparation judiciaire de personnes et de biens, de déclaration de nullité ou d’annulation du mariage, la garde de l’enfant, la pension alimentaire et la forme de son versement sont réglées par un accord entre les parents, celui-ci étant soumis à l’homologation du tribunal ; l’homologation est refusée si l’accord est contraire à l’intérêt du mineur, y compris l’intérêt de celui-ci de maintenir avec le parent à qui il n’a pas été confié une relation très proche. Le paragraphe 2 ajoute que, faute d’accord, le tribunal décide en préservant les intérêts du mineur, y compris l’intérêt de celui-ci de maintenir une relation très proche avec le parent à qui il n’a pas été confié, le mineur pouvant être confié à la garde de l’un des parents, ou, en présence de l’un des cas prévus par l’article 1918, à la garde d’un tiers ou à un établissement d’éducation ou d’assistance. La loi sur l’organisation de la tutelle des mineurs [(OTM)] s’occupe également de ce point, en précisant dans son article 180 § 1, que l’octroi de l’autorité parentale doit être décidé en harmonie avec les intérêts du mineur. On peut lire dans l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 24 avril 1974, résumé dans le BMJ (Bulletin du ministère de la Justice) n° 236, p. 189 : « La charte des droits de l’enfant – Résolution du 20 novembre 1989 de l’Assemblée générale des Nations Unies – proclame avec une rare concision que, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, l’enfant a besoin d’amour et de compréhension ; il doit, dans la mesure du possible, grandir sous la protection et la responsabilité de ses parents et, dans tous les cas, dans un climat d’affection et de sécurité morale et matérielle, l’enfant en bas âge ne devant pas être séparé de sa mère, sauf dans des cas exceptionnels. » Nous n’avons pas la moindre hésitation à soutenir cette affirmation, qui correspond totalement aux réalités de la vie ; en effet, malgré l’importance de l’amour paternel, un enfant en bas âge a besoin de soins que seul l’amour maternel peut lui prodiguer. Nous pensons que M., actuellement âgée de huit ans, a encore besoin des soins maternels. Voir à ce sujet l’arrêt de la cour d’appel de Porto du 7 juin 1988, dans le BMJ n° 378, p. 790, qui décide que « dans le cas des mineurs en bas âge, c’est-à-dire jusqu’à sept ou huit ans, le lien affectif avec la mère est un facteur essentiel au développement psychique et affectif de l’enfant, étant donné que les besoins redoublés de tendresse et d’assistance attentionnée nécessaires à cet âge peuvent rarement être remplacés par l’affection et l’intérêt du père ». Les relations entre M. et ses parents sont un facteur décisif pour son équilibre émotionnel et la formation de sa personnalité, d’autant plus qu’il est prouvé que les liens qui l’unissent à ses parents sont profonds, de même qu’il est prouvé que chacun d’eux est capable d’assurer le développement psychoaffectif de l’enfant. Dans le compte rendu de la décision d’attribution de l’autorité parentale du 5 juillet 1990 [le requérant] reconnaît la capacité de l’appelante à s’occuper de leur fille, et il suggère que celle-ci soit confiée à sa mère et dans le cours de la présente procédure de modification, il réaffirme cette déclaration quand, dans le procès-verbal de l’audience du 15 juin 1992, il déclare renoncer à sa demande initiale de garde de l’enfant car celle-ci vit à nouveau avec sa mère. Le père de M. manifeste le désir que sa fille ne reste pas chez ses grands-parents maternels, en faisant valoir les innombrables difficultés auxquelles il se heurte pour voir sa fille devant le comportement de l’appelante et de sa mère qui font tout pour l’éloigner de ces rencontres parce qu’elles n’acceptent pas son homosexualité. L’article 182 de l’OTM autorise la modification du régime précédemment fixé lorsque l’accord ou la décision finale ne sont pas respectés par les deux parents ou lorsque des circonstances ultérieures rendent nécessaires [de modifier] ce qui a été établi. Il convient cependant de vérifier s’il y a un motif justifié pour modifier la décision qui a confié la garde de l’enfant à sa mère. Si l’on examine le contenu de la demande initiale de modification, on constate que l’accent est mis sur le fait que l’enfant vit chez ses grands-parents maternels, qui sont témoins de Jéhovah. Mais la vérité est que [le requérant] n’a produit aucun fait apportant la preuve du caractère maléfique de cette religion, et qu’il s’est limité à insister sur le refus obstiné des grands-parents à ce que le père et sa fille se voient. D’après ce que nous savons de la doctrine des témoins de Jéhovah, cette religion n’incite pas à la pratique du mal, bien que le fanatisme existe. Existe-t-il des raisons suffisantes pour retirer à la mère l’autorité parentale qui lui a été confiée avec l’accord des parents ? Il est suffisamment prouvé dans le dossier que l’appelante est coutumière du non-respect des accords auxquels elle s’engage au sujet du droit de visite du père et qu’elle ne fait preuve d’aucun respect à l’égard des instances chargées d’instruire le procès, puisqu’à plusieurs reprises, et sans justification, elle ne s’est pas rendue aux entrevues auxquelles elle était convoquée au cours de la procédure. Nous pensons cependant que ce comportement est dû non seulement au mode de vie [du requérant] mais aussi au fait qu’elle a cru vraies les scènes obscènes rapportées par l’enfant, qui mettaient en cause le compagnon du père. Sur ce point, particulièrement important, il y a lieu de convenir qu’il n’est pas possible d’accepter comme avéré que de telles scènes se soient produites, mais on ne peut pas écarter l’hypothèse que ces scènes aient eu lieu. C’est aller trop loin, par absence de fondements matériels, que d’affirmer que jamais le compagnon du père de M. ne serait capable de la moindre attitude indigne à l’égard de cette dernière. Ainsi, s’il est vrai que l’on ne peut pas dire que l’enfant a dit la vérité ou qu’elle n’a pas été manipulée, on ne peut pas non plus conclure que celle-ci a raconté quelque chose qui ne s’était pas passé. Le dossier fournissant des éléments de preuve dans les deux sens, il serait illégitime d’accorder plus d’importance à l’un ou à l’autre. De même, il est admis, en matière d’octroi de l’autorité parentale, de faire prévaloir avant tout l’intérêt de l’enfant, en faisant totalement abstraction des intérêts parfois égoïstes de ses parents. Pour définir quel est l’intérêt de l’enfant, le juge doit, dans chaque cas, tenir compte des valeurs familiales, éducatives et sociales dominantes dans la société où évolue l’enfant. On a déjà indiqué et il est de jurisprudence constante que, compte tenu de la nature des choses, des réalités de la vie quotidienne, et pour des raisons qui tiennent à la nature humaine, un enfant en bas âge doit, en règle générale, être confié à la garde de sa mère, sauf s’il existe des raisons de poids pour ne pas le faire (voir l’arrêt de la cour d’appel d’Evora du 12 juillet 1979, dans le BMJ n° 292, p. 450). Dans le cas d’espèce, l’autorité parentale a été retirée à la mère, alors qu’une telle autorité lui avait été conférée, répétons-le, à la suite d’un accord entre les parents, sans que des faits suffisants pouvant faire douter de sa capacité à continuer à exercer cette autorité aient été allégués. La question qui se pose donc, et il importe de le souligner, ne porte pas véritablement sur le point de savoir auquel des deux parents doit être confiée la garde de M. mais plutôt de savoir s’il existe des motifs pour modifier ce qui était établi. Mais même si ce n’était pas le cas, nous pensons que l’enfant doit être confiée à sa mère. Que le père de l’enfant, qui s’assume homosexuel, veuille vivre avec un autre homme, est une réalité qu’il faut accepter. Il est notoire que la société montre de plus en plus de tolérance envers ces situations. Toutefois, l’on ne saurait soutenir qu’un environnement de cette nature est le plus sain et adéquat au développement moral, social et mental d’un enfant, surtout dans le cadre du modèle dominant dans notre société, comme le fait remarquer à juste titre la requérante. L’enfant doit vivre au sein d’une famille, d’une famille traditionnelle portugaise, qui n’est certainement pas celle que son père a décidé de constituer, car il vit avec un autre homme, comme s’ils étaient mari et femme. Il n’y a pas ici lieu de chercher à savoir si l’homosexualité est ou non une maladie ou si elle est une orientation sexuelle à l’égard des personnes du même sexe. Dans les deux cas, l’on est en présence d’une anormalité et un enfant ne doit pas grandir à l’ombre de situations anormales ; c’est la nature humaine qui le dit et rappelons que c’est [le requérant] lui-même qui l’a reconnu quand, dans la demande initiale du 5 juillet 1990, il affirme qu’il a définitivement quitté le domicile conjugal pour aller vivre avec un ami, décision qui n’est pas normale, selon les critères communs. Ce n’est pas l’amour que porte le père à sa fille qui est en cause, ni sa capacité à s’occuper d’elle pendant les périodes où elle lui est confiée, car il est indispensable que ceux-ci se voient pour atteindre les objectifs évoqués plus haut, à savoir l’équilibre et la formation de la personnalité de l’enfant. M. a besoin de ces visites afin que se dissipent les états d’anxiété et d’instabilité qu’elle a connus. Lorsqu’un enfant est privé de contact avec son père, cela constitue un facteur de risque pour son bon développement et son équilibre psychologique, présent et futur. Il serait bon que la mère comprenne et accepte cette réalité, sous peine de mettre en cause sa capacité à exercer l’autorité parentale. A l’heure actuelle, le non-respect de la décision d’homologation du régime des visites ne constitue pas un motif suffisant pour retirer à la requérante l’autorité parentale qui lui a été accordée par cette décision. C’est pourquoi le jugement entrepris doit être infirmé pour ce qui est de la cohabitation permanente de l’enfant avec son père, sans préjudice du droit de ce dernier d’être avec sa fille pendant les périodes que l’on énoncera ensuite. Il appartient au père de comprendre que, pendant ces périodes, il ne lui est pas conseillé de donner lieu à des situations permettant à l’enfant de comprendre que son père vit avec un autre homme dans des conditions similaires à celles des conjoints. Pour toutes ces raisons, la cour d’appel infirme la décision contestée et décide que l’appelante, C.D.S., continue à exercer l’autorité parentale à l’égard de sa fille, M. Quant au régime de visites, il est fixé de la manière suivante : L’enfant pourra voir son père un week-end sur deux, du vendredi au lundi. A cette fin, le père devra aller chercher sa fille à l’école le vendredi à la fin des cours et l’y ramener le lundi matin avant le début des cours ; Le père pourra rendre visite à sa fille dans l’établissement scolaire n’importe quel autre jour de la semaine, sans nuire à l’activité scolaire de sa fille ; L’enfant passera les vacances de Pâques alternativement avec son père et avec sa mère ; Les vacances scolaires correspondant à la période de Noël seront divisées en deux parties égales : la moitié avec le père et l’autre moitié avec la mère, mais de manière que l’enfant passe alternativement la veille et le jour de Noël avec l’un et le Nouvel An avec l’autre ; Pendant les vacances scolaires d’été, l’enfant passera trente jours avec son père, pendant les congés de ce dernier, mais, si cette période coïncide avec les vacances de la mère, l’enfant passera quinze jours avec chacun d’eux ; Pendant les vacances de Pâques, de Noël et d’été, le père ira chercher l’enfant chez sa mère où il la ramènera, dans les deux cas entre 10 heures et 13 heures, à moins que les parents ne s’entendent sur un autre horaire ; D’après la date de la présente décision, l’enfant passera les prochaines vacances de Pâques et de Noël avec celui de ses parents avec lequel elle n’a pas passé ses vacances en 1995 ; La question de la pension alimentaire à verser par le père, ainsi que de ses modalités de versement, sera examinée quant à elle par la troisième section de la troisième chambre du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne, dans le cadre de l’affaire n° 3821/A, en suspens dans l’attente de la présente décision sur le sort de l’enfant. Frais et dépens à l’intimé. » L’un des trois juges de la cour d’appel a émis l’opinion séparée suivante : « J’ai voté pour la décision, tout en estimant qu’il n’est pas légitime du point de vue constitutionnel d’affirmer, comme principe, qu’une personne peut être exclue de ses droits familiaux en fonction de ses orientations sexuelles. Par conséquent, ces dernières, en tant que telles, ne peuvent en aucun cas être qualifiées d’anormalité. Le droit à la différence ne doit pas se transformer en un faux droit au ghetto. Il ne s’agit donc pas de dévaloriser le fait que [le requérant] assume sa sexualité et par conséquent de lui dénier le droit d’assurer l’éducation de sa fille. Il s’agit, puisqu’il faut prendre une décision, de ce qu’on ne peut pas dire en conscience, dans notre société et à notre époque, qu’un enfant peut, sans risquer de perdre ses modèles de référence, assumer l’homosexualité de son père. » Aucune voie de recours n’était ouverte contre cette décision. Le droit de visite accordé au requérant par l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne n’a jamais été respecté par C.D.S. Le requérant introduisit donc devant le tribunal aux affaires familiales de Lisbonne une demande tendant à l’exécution forcée de la décision de la cour d’appel. Le 22 mai 1998, le requérant reçut, dans le cadre de cette procédure, notification d’un rapport rédigé par les experts médicaux auprès du tribunal aux affaires familiales de Lisbonne. Il prit alors connaissance de ce que M. se trouvait à Vila Nova de Gaia, au nord du Portugal. Le requérant essaya, sans succès, de voir sa fille à deux reprises. Cette procédure serait toujours pendante. II. le droit interne pertinent L’article 1905 du code civil se lit ainsi : « 1. Dans les cas de divorce (...), la garde de l’enfant, la pension alimentaire et la forme de son versement sont réglées par un accord entre les parents, celui-ci étant soumis à l’homologation du tribunal (...) (...) En l’absence d’accord, le tribunal décidera en préservant l’intérêt du mineur, y compris l’intérêt de celui-ci de maintenir une relation très proche avec le parent auquel il n’a pas été confié (...) » Certaines dispositions de la loi sur l’organisation de la tutelle des mineurs (OTM) présentent également un intérêt pour la présente affaire. Article 180 « 1. (...) l’exercice de l’autorité parentale sera réglé en préservant les intérêts du mineur, celui-ci pouvant être confié à la garde de l’un des parents, d’un tiers ou d’un établissement d’éducation ou d’assistance. Un régime de visites sera établi, à moins qu’exceptionnellement l’intérêt du mineur ne le rende pas souhaitable (...) » Article 181 « Si l’un des parents n’accomplit pas ce qui a été accordé ou décidé à l’égard de la situation du mineur, l’autre parent peut demander au tribunal l’exécution forcée (...) » Article 182 « Lorsque l’accord ou la décision finale ne sont pas accomplis par celui des père et mère ou lorsque des circonstances survenues rendent nécessaire de modifier ce qui a été établi, l’un des parents ou le curateur peuvent demander au tribunal (...) une nouvelle réglementation de l’autorité parentale (...) »
0
0
0
1
0
0
0
0
1
0
Le 9 octobre 1990, MM. S.C. et F.C. demandèrent une saisie immobilière à l’encontre du premier requérant devant le juge d’instance d’Ancône. Par décision du 22 octobre 1990, celui-ci fit droit à cette demande. Le 26 novembre 1990, ils déposèrent un recours devant le même juge, visant à obtenir la validation de la saisie. La mise en état de l'affaire commença le 17 janvier 1992. A cette date, la requérante intervint volontairement dans la procédure. Les requérants déposèrent une demande reconventionnelle visant à obtenir le constat de la qualité de copropriétaire de la requérante sur l’immeuble commercial en litige et la réparation des dommages subis suite à la saisie. Des neuf audiences fixées entre le 9 octobre 1992 et le 13 mars 1996, trois furent consacrées au dépôt au greffe de documents, deux furent renvoyées d’office, deux concernèrent l’audition des parties, une traita notamment d’une demande d’expertise et une fut remise afin de permettre aux parties de présenter leurs conclusions. Le 22 mai 1996 eut lieu la présentation des conclusions. L’audience de plaidoiries fixée au 21 novembre 1997 fut remise à la demande des parties au 27 février 1998 puis d’office au 24 avril 1998. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 3 juillet 1998, le tribunal constata son incompétence et indiqua le juge d’instance d’Ancône, faisant fonction de juge du travail, comme juridiction compétente.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 27 juin 1986, M. F., père de la requérante, assigna M. R. devant le juge d’instance de Monsummano Terme (Pistoia), afin d’obtenir la restitution d’armes qu’il avait mises en dépôt auprès de ce dernier. L’instruction commença le 8 juillet 1986. Le 21 octobre 1986, M. F. présenta une demande tendant à la saisie judiciaire des armes objet du litige et le juge lui ordonna de verser au dossier une demande de saisie déjà introduite avant le début du procès. Par une ordonnance du 16 décembre 1986, le juge d’instance rejeta ladite demande. Le 22 janvier 1987, M. F. déposa au greffe un recours en référé. Par une ordonnance du 8 mai 1987, le juge d’instance rejeta ledit recours. Après un renvoi à la demande des parties, le 20 mai 1987 se tint l’audition de témoins. Le 14 juillet 1987, le juge fixa la date de l’audience pour la présentation des conclusions au 6 octobre 1987. Le jour venu, le juge déclara l’interruption de la procédure en raison du décès de M. F. A une date non précisée, la requérante reprit la procédure et la première audience se tint le 31 mai 1988. Le 11 octobre 1988, les parties présentèrent leurs conclusions. Le 13 décembre 1988, le juge mit l’affaire en délibéré. Par un jugement du 14 décembre 1988, dont le texte fut déposé au greffe le 16 décembre 1988, le juge d’instance rejeta la demande de M F. Le 15 mars 1989, la requérante interjeta appel devant le tribunal de Pistoia. L’instruction commença le 4 mai 1989. Le 19 octobre 1989, les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries fut fixée au 28 novembre 1990. Cette audience fut reportée d’office au 27 novembre 1991. Par une ordonnance du même jour, le tribunal rouvrit l’instruction et nomma un expert, qui prêta serment le 24 mars 1992. Après un renvoi dans l’attente du dépôt au greffe du rapport d’expertise, le 23 février 1993, le juge fixa la date de l’audience pour la présentation des conclusions au 26 octobre 1993. L’audience de plaidoiries, prévue pour le 30 novembre 1994, fut reportée à deux reprises, jusqu’au 27 janvier 1999. Le jour venu, l’audience fut renvoyée au 24 février 1999 à cause d’une faute commise par le greffe. A cette date, la procédure fut interrompue suite au décès du défenseur de la partie défenderesse. Suite à la reprise de la procédure, le 12 juillet 1999 le président fixa la date de l’audience de plaidoiries au 24 novembre 1999.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant, membre du Conseil municipal de Potenza, représentait celui-ci au sein du conseil d’administration de la « société alberghiera lucana » (SAL). Le 3 mars 1993, le parquet de Potenza notifia un avis de poursuite au requérant. Ce dernier était soupçonné d’abus de fonctions par rapport à certaines irrégularités commises dans la gestion d’un marché public de la SAL. Le 23 avril 1993, le requérant démissionna de ses fonctions. Le 4 juin 1993, le juge de l’enquête préliminaire (GIP) de Potenza ordonna l’arrestation du requérant. Ce dernier, arrêté le 7 juin 1993, demanda sa mise en liberté. Par décision du 18 juin 1993, le GIP ordonna le placement du requérant en détention à son domicile. Le requérant introduisit un recours devant le tribunal de Potenza pour contester la légalité de sa détention. Par décision du 28 juin 1993, le tribunal de Potenza ordonna la mise en liberté sans restrictions du requérant. Celui-ci se pourvut en cassation en demandant l’annulation des décisions du 4 juin 1993 et du 18 juin 1993. Par un arrêt du 30 novembre 1993, la Cour de cassation accueillit le recours du requérant, au motif que celui-ci - poursuivi pour abus de fonctions - n’avait pas la qualité de fonctionnaire en tant que membre du conseil d’administration de la SAL. Le 25 février 1994, le ministère public ordonna une expertise. Les conclusions de l’expert furent déposées en date du 5 mai 1994. Le 24 juin 1994, le ministère public demanda le renvoi en jugement du requérant et de huit co-prévenus pour abus de fonctions et pour irrégularités dans les passations de marchés publics. Le 3 juin 1998, le juge de l’audience préliminaire prononça une décision de non-lieu. Le 24 septembre 1998, le ministère public interjeta appel. Par une décision du 21 avril 1999, déposée au greffe le 11 mai 1999, la cour d’appel de Potenza rejeta le recours du ministère public. La date à laquelle cette décision devint définitive n’est pas connue.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 19 mai 1983, le requérant fut dénoncé pour calomnie. Le 6 décembre 1984, le juge d'instruction de Rome notifia au requérant un mandat de comparution. Le requérant fut interrogé en date du 26 janvier 1985. Le 7 octobre 1985, le juge d'instruction de Rome renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de Rome. L’audience devant le tribunal de Rome fut fixée au 21 mai 1991. Par jugement du 21 mai 1991, le tribunal de Rome condamna le requérant à deux ans d'emprisonnement. Le 20 septembre 1991, le requérant interjeta appel. L’audience devant la cour d’appel fut fixée au 29 mars 1996. Par arrêt du 29 mars 1996, la cour d'appel de Rome rejeta le recours du requérant. Ce dernier se pourvut en cassation. Par arrêt du 10 janvier 1997, la Cour de cassation annula la décision attaquée et acquitta le requérant. Le texte de cet arrêt fut déposé au greffe le 21 mars 1997.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1970 et résidant à Sesimbra (Portugal). Victime d’un accident de la circulation ayant entraîné notamment un traumatisme crânien et une fracture du poignet, le requérant introduisit, le 6 mars 1991, devant le tribunal de Seixal une demande en réparation des dommages résultant de l’accident en cause contre la compagnie d’assurances « I.-A., S.A. ». Le 11 mars 1991, le juge ordonna la citation à comparaître de la défenderesse. Celle-ci déposa ses conclusions en réponse le 12 avril 1991. Le 15 juillet 1991, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir. Le 31 octobre 1991, le requérant demanda au tribunal d’ordonner une expertise médicale. Le 5 décembre 1991, le juge chargea l’Institut de médecine légale de Lisbonne (« l’IML ») de procéder à l’expertise. Le 10 décembre 1991, le requérant fut soumis à un premier examen médical. Dans son rapport, déposé le 14 février 1992, l’IML considéra qu’il était nécessaire de soumettre le requérant à un nouvel examen, mais uniquement après avoir recueilli certains renseignements auprès des différents hôpitaux où le requérant avait été soigné. Après avoir reçu notification de ce rapport, le requérant, le 12 mars 1992, demanda au tribunal de solliciter les renseignements en cause. Le 25 mars 1992, les renseignements en cause furent demandés à cinq hôpitaux. Les 19 août et 25 novembre 1993, deux de ces hôpitaux envoyèrent au tribunal certains documents concernant le requérant. Par une ordonnance du 2 décembre 1993, le juge invita l’IML à effectuer un deuxième examen médical, qui eut lieu le 27 avril 1994. Dans son rapport, déposé le 9 juin 1994, l’IML déclara avoir besoin d’effectuer des examens complémentaires. Après avoir reçu notification de ce rapport, le requérant, le 23 juin 1994, demanda au juge d’ordonner à l’IML le dépôt du rapport définitif. Par une ordonnance du 20 septembre 1994, le juge décida qu’il y avait lieu de procéder aux examens mentionnés par l’IML et de demander aux hôpitaux en cause les renseignements manquants. Le juge insista auprès desdits hôpitaux les 1er février et 29 mai 1995 et le 8 février 1996. Le 22 février 1996, l’un des hôpitaux envoya certains renseignements. Le 6 mars 1996, le requérant demanda au juge d’ordonner à l’IML le dépôt du rapport définitif. Le 27 mars 1996, un autre hôpital adressa au tribunal des renseignements. Le 12 avril 1996, le requérant demanda au tribunal de juger sa demande sans attendre les résultats de l’expertise médicale. Par une ordonnance du 17 avril 1996, le juge ordonna à l’IML de fixer la date d’un nouvel examen du requérant. L’IML fixa la date de cet examen au 26 novembre 1996, mais le requérant ne comparut pas. Ce dernier demanda, le 17 décembre 1996, la fixation d’une nouvelle date. Le troisième examen du requérant eut lieu le 23 avril 1997. Dans son rapport, déposé le 12 mai 1997, l’IML considéra nécessaire d’effectuer des examens complémentaires (électromyographie et tomographie). Par une ordonnance du 19 juin 1997, le juge ordonna d’effectuer les examens complémentaires en cause, ce qui fut fait les 29 août et 13 octobre 1997. Le 5 novembre 1997, le requérant invita de nouveau le juge à demander le dépôt du rapport définitif d’expertise à l’IML. La procédure est toujours pendante devant le tribunal de Seixal, dans l’attente du rapport définitif d’expertise de l’IML.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
La requérante est la mère d’une jeune fille, M.-A., née en 1981. Le 3 octobre 1988, la requérante et sa fille débarquèrent à l’aéroport de Rome après avoir vécu en Grèce depuis la naissance de M.-A. Dès son arrivée, la requérante s’adressa au service médical de l’aéroport puisque sa fille avait eu un malaise. Le médecin de garde constata des vomissements et de la fièvre s’élevant à 38 et ordonna en conséquence l’hospitalisation de la petite. Le 15 octobre 1988, le service de psychiatrie de l’hôpital demanda au tribunal de Rome, section des enfants, d’autoriser l’éloignement de la requérante de sa fille et l’interdiction des visites jusqu’à ce que la situation médicale et psychiatrique complexe de M.-A., qui ne parlait pas l’italien, fût clairement définie. Selon le médecin compétent, l’état psychologique de la requérante était affecté par des idées obsessionnelles portant sur l’état de santé de sa fille. Il avait été en outre très difficile d’apprécier les conditions psychiques de la fillette compte tenu de l’interférence continue de la requérante dans les soins et examens médicaux. Enfin, selon le médecin, la requérante avait tenté de quitter l’hôpital avec sa fille, contrairement, toujours selon lui, aux recommandations déjà faites par le tribunal. Toutefois, il ne ressort pas du dossier que le tribunal ait auparavant eu à prendre des décisions concernant la requérante et sa fille. Le 22 octobre 1988, l’institut provincial de Rome pour l’assistance aux enfants (Istituto provinciale per l’assistenza all’infanzia) communiqua au tribunal les renseignements qu’il avait pu recueillir sur la base d’entretiens avec la requérante, le personnel de l’hôpital et le frère de la requérante, H.P., résidant depuis longtemps à Milan. Selon cet institut, des éléments recueillis il ressortait que la requérante avait fait hospitaliser M.-A. à plusieurs reprises, en particulier dans des hôpitaux pédiatriques situés à Athènes, Sofia et Londres, car elle considérait que la fillette était grièvement malade. Toujours selon l’institut, pendant la dernière hospitalisation à Athènes, durant l’été 1988, le tribunal d’Athènes avait été appelé à intervenir pour interdire à la requérante de récupérer sa fille et en vue de l’ouverture d’une procédure d’adoption. La requérante avait cependant réussi à faire sortir abusivement sa fille de l’hôpital et avait pu arriver à Rome. Enfin, selon l’institut, après avoir été séparée de sa mère, M.-A. paraissait tranquille, même si elle en demandait des nouvelles. Dans un dernier rapport daté du 25 octobre 1988, le département de psychiatrie de l’hôpital romain adressa au tribunal de Rome les recommandations suivantes : a) maintien de la séparation entre M.-A. et sa mère ; b) sortie de la fillette de l’hôpital dès que possible ; c) placement de celle-ci dans une famille où les relations parentales seraient sereines ; d) insertion dans une école et participation à des activités sociales. L’hôpital avait en effet estimé que M.-A. avait développé un lien pathologique avec sa mère, lien qui répondait aux besoins de la mère plutôt qu’aux exigences du développement de l’enfant. La séparation de la fillette de la requérante avait mis en évidence une réaction anxieuse et dépressive, mais M.-A. s’était montrée capable de la surmonter en s’appuyant sur d’autres images féminines. Selon l’hôpital, M.-A. avait manifesté un grand intérêt pour les enfants de son âge et une excellente capacité de socialisation. Le 26 octobre 1988, le tribunal de Rome ordonna le placement provisoire de M.-A. dans la famille du frère de la requérante. Entre-temps, H.P. et son épouse avaient convaincu la requérante de se faire hospitaliser, à partir du 18 octobre 1988, dans le département psychiatrique d’un hôpital situé à Melegnano, près de Milan. Selon un rapport médical daté du 15 décembre 1988, la requérante souffrait d’une psychose chronique dont l’élément constitutif était un délire hypocondriaque axé sur sa fille. La requérante quitta l’hôpital à cette dernière date et retourna en Grèce. Par une décision du 16 février 1989, le tribunal de Milan, section des enfants, qui était devenu compétent en raison du lieu de résidence de la famille du frère de la requérante, releva que le placement de M.-A. dans cette famille ne pouvait pas se poursuivre à cause d’une série de difficultés de la part de la famille d’accueil. Le tribunal décida en conséquence de maintenir l’enfant éloigné de la requérante et de la confier au service social compétent afin que ce dernier procédât à son placement dans une autre famille dans le plus bref délai. Le tribunal ordonna également une enquête psychologique complète sur la mère. Enfin, le tribunal ordonna l’engagement de la procédure prévue par l’article 8 de la loi n 184 du 4 mai 1983 (« la loi no 184/83 ») visant éventuellement à ce que M.-A. fût déclarée adoptable. Selon cette disposition, « le tribunal pour enfants, même d’office, peut déclarer adoptables (...) les mineurs en situation d’abandon car privés de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus de subvenir à leurs besoins, sauf si le manque d’assistance est dû à une situation provisoire de force majeure ». Par une décision du 16 mars 1989, le tribunal suspendit l’autorité parentale de la requérante ainsi que tout rapport entre la fillette et sa mère et les autres membres de la famille. Compte tenu de l’urgence de la décision, le tribunal n’entendit ni le ministère public ni la requérante. Le tribunal se fonda surtout sur un rapport concernant l’état de santé psychologique de M.-A. rédigé par l’université de Milan. Selon ce rapport, M.-A. souffrait d’anxiété et de dépression, ainsi que d’une tendance presque névrotique à satisfaire ses besoins immédiats. La perception de l’image des parents était problématique: celle de la mère était difficile à identifier et celle du père, qu’elle n’avait jamais rencontré, évoquait la peur et restait abstraite. Ce rapport conclut que la fillette était atteinte de sérieux troubles affectifs/relationnels dus au comportement pathologique de la mère, qui pendant longtemps avait constitué la seule source de stimulations. En constatant le potentiel que représentait la volonté de l’enfant d’une évolution affective positive, le rapport recommandait le placement de M.-A. dans une famille sereine, une assistance psychologique adéquate et l’insertion dans un environnement socio-scolaire stimulant. Le 9 mai 1989, la requérante présenta un premier recours au tribunal de Milan, demandant la révocation de la décision du 16 février 1989. La requérante fit valoir notamment que sa fille avait toujours vécu en Grèce et qu’au moment où elle avait été séparée de sa mère, elle ne connaissait même pas l’italien. La requérante souligna en outre que d’après l’article 20 des dispositions préliminaires du code civil italien, toujours en vigueur à l’époque, les relations entre parents et enfants étaient régies par la loi nationale de la mère, si le père n’était pas connu. Le 22 mai 1989, le tribunal demanda au service social qui suivait M.-A. d’exprimer un avis sur l’adoptabilité de l’enfant, en soulignant le caractère urgent de la question. Entre-temps, M.-A. avait été reconnue par son père. Le 30 juin 1989, le tribunal de Milan déclara M.-A. adoptable, après avoir entendu notamment la requérante, la grand-mère maternelle et H.P. Le tribunal considéra en effet que la fillette se trouvait dans un état d’abandon au sens de l’article 8 de la loi no 184/83, étant donné la situation de la mère et l’impossibilité de placer l’enfant dans la famille de son frère. Il estima par ailleurs qu’aucun poids ne pouvait être attribué à la reconnaissance tardive de M.-A. par son père naturel, qui ne l’avait d’ailleurs jamais vue et dont il ne connaissait même pas le prénom. Enfin, quant à la question de l’application éventuelle de la loi grecque, le tribunal estima que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, pour que la loi italienne fût applicable il suffisait que l’enfant se trouvât dans un état d’abandon sur le territoire italien. La requérante présenta un nouveau recours faisant valoir, entre autres, que l’anamnèse sur laquelle s’était fondé le rapport du 15 décembre 1988 concernant son état de santé psychique, avait pris en compte surtout les informations fournies par sa belle-sœur, avec laquelle elle n’avait jamais eu de rapports avant son arrivée en Italie et qui dès lors ne pouvait pas connaître la vie qu’elle avait menée avec sa fille en Grèce. En outre, il aurait fallu considérer que la requérante s’était présentée spontanément à l’hôpital de Melegnano par crainte d’être séparée de sa fille. Enfin la requérante fit observer qu’on ne pouvait pas parler d’état d’abandon, compte tenu du fait qu’elle percevait une pension et était également la propriétaire d’un appartement à Athènes dont elle percevait un loyer. La requérante demanda qu’une expertise concernant son état de santé mentale fût ordonnée et joignit une première expertise privée de laquelle il ressortait que la séparation d’un enfant de sa mère ne pouvait se justifier que par des raisons exceptionnelles, qui faisaient défaut dans le cas de la requérante, et que certains traits anxieux-dépressifs relevés chez la requérante s’expliquaient par la séparation de sa fille. Entre-temps, le parquet près le tribunal de première instance d’Athènes avait précisé que, contrairement à ce qu’avait affirmé l’institut provincial de Rome le 22 octobre 1988, ce tribunal n’avait jamais pris de mesures concernant la requérante ou sa fille. Une première audience eut lieu le 29 novembre 1989. Une deuxième audience, fixée au 21 février 1990, fut apparemment reportée en raison du retard dans la transmission par le tribunal de Rome du dossier concernant M.-A. A l’audience du 22 mars 1990, le médecin ayant suivi la requérante à l’hôpital de Melegnano précisa avoir obtenu des informations sur le passé récent de la requérante directement d’elle, alors que des renseignements généraux sur sa vie lui avaient été fournis par sa belle-sœur. Ce même médecin déclara également qu’au début la belle-sœur de la requérante avait estimé opportun que celle-ci restât à l’hôpital et seulement par la suite, invitée par le médecin à indiquer une solution de remplacement, avait proposé que la requérante rentrât en Grèce. Enfin, le médecin affirma avoir diagnostiqué une psychose chronique sur la base des informations fournies par la belle-sœur et reconnut en outre n’avoir jamais demandé à la requérante si elle avait eu d’autres enfants ou si elle avait avorté. Les 23 mars et 2 juillet 1990, le tribunal de Milan sollicita à nouveau l’envoi par le tribunal de Rome du dossier concernant la fillette, soulignant le caractère d’urgence de l’affaire. La transmission des actes de la procédure se trouvant à Rome au tribunal de Milan eut finalement lieu le 27 juillet 1990. La dernière audience se déroula le 31 octobre 1990. A cette date, le curateur spécial (curatore speciale) souleva une exception de nullité de la décision du 30 juin 1989, du fait de l’irrégularité de la composition du tribunal. Cette demande fut accueillie et par conséquent, cette dernière décision fut annulée. Par une décision du 22 novembre 1990, déposée au greffe le 1er décembre suivant et notifiée à la requérante le 12 décembre, le tribunal réitéra la déclaration reconnaissant M.-A adoptable. Le tribunal, qui n’avait pas entendu l’enfant et s’était conformé aux conclusions du ministère public, basa sa décision sur les mêmes éléments ayant fondé la décision annulée du 30 juin 1989, à savoir, notamment, les rapports médicaux des 15 décembre 1988 et 14 mars 1989. Le tribunal releva par ailleurs l’intention du père naturel de M.-A. d’épouser la requérante, sans toutefois lui attribuer une incidence quelconque. La requérante, qui entre-temps avait demandé la suspension de la procédure d’adoption, forma opposition. Elle constata tout d’abord que cette dernière décision avait repris servilement les arguments exposés dans la première. Elle fit valoir en particulier que le diagnostic de décembre 1988 concernant son état de santé mentale ne pouvait justifier une décision prise deux ans plus tard, étant donné que la déclaration d’adoptabilité devait se référer aux conditions existant au moment de la décision. La requérante se déclara par ailleurs disposée à être suivie par les services sociaux pour assurer une meilleure éducation à sa fille. Enfin, elle demanda à pouvoir revoir sa fille dans un endroit neutre et en présence des assistants sociaux, ainsi que l’audition de M.-A. et une expertise sur sa propre personne. La requérante produisit par ailleurs plusieurs expertises de psychologues privés. L’une d’entre elles, rédigée par un médecin légiste et notamment spécialiste en psychiatrie, faisait valoir qu’un diagnostic de psychose « chronique » devait se fonder sur des précédents psychotiques, dont en revanche il n’y avait aucune trace dans le dossier de la requérante qui avait exercé, toujours avec succès, son activité d’infirmière. Enfin, cette même expertise soulignait que les préoccupations de la requérante pour la santé de sa fille se fondaient sur des éléments bien réels et ne constituaient pas un « délire ». En effet, il ressortait du dossier que plusieurs médecins avaient dans le passé relevé des pathologies chez M.-A. Ainsi : a) un certificat de la faculté de médecine de l’université d’Athènes du 3 septembre 1986 attestait l’existence d’une pathologie non précisée ; b) un certificat de la même faculté, daté du 12 décembre 1986, précisait que le système immunitaire de la fillette était déficitaire et recommandait de ne pas la vacciner, d’éviter tout contact avec d’autres enfants porteurs éventuels de virus et enfin de ne pas l’envoyer à l’école ; c) un certificat du 30 décembre 1986, rédigé par un médecin privé, recommandait des soins médicaux et pharmaceutiques réguliers, ainsi que des cures climatiques ; d) le certificat d’un autre spécialiste privé, daté du 2 septembre 1988, faisait état d’infections des appareils digestif et respiratoire, et prescrivait l’usage d’oxygène à domicile pendant les crises. En mars 1991, deux expertises d’office furent accomplies. En mai de cette même année, le grand-père de M.-A. ainsi que la requérante furent entendus. Le 16 octobre 1991, le tribunal entendit la requérante et ordonna une expertise psychologique de la fillette. En janvier, avril et mai 1992 furent entendus plusieurs témoins et experts (l’audience du 15 février 1992 ayant été reportée car le défenseur de la requérante avait eu un accident de la route). L’audience du 20 mai 1992 fut consacrée à l’audition de certains témoins cités par la requérante, qui demanda également la fixation d’une audience pour permettre l’audition de témoins vivant en Grèce. Le 21 octobre 1992, l’audience fut reportée en raison de la nécessité de remplacer l’un des membres du tribunal et également à la demande de la requérante. L’audience suivante du 4 novembre 1992 fut elle aussi reportée puisque les témoins cités par la requérante, et qui résidaient en Grèce, n’avaient pas comparu. Le tribunal avait dû par conséquent ordonner des commissions rogatoires internationales. Le 9 décembre 1992, la requérante, relevant que l’audience finale avait été reportée au mois d’avril 1993, se plaignit du fait que, nonobstant ses demandes réitérées, aucune rencontre n’avait été organisée entre elle et sa fille et aucune mesure permettant d’envisager la possibilité de renouer une relation avec sa fille n’avait été prise par le tribunal, ce dernier n’ayant pas répondu ou s’y étant refusé. Le 23 décembre 1992, le tribunal rejeta cette demande, conformément à l’avis exprimé par le ministère public. Par un jugement du 16 juillet 1993, le tribunal de Milan rejeta l’opposition de la requérante. Le tribunal releva tout d’abord le délai écoulé avant de parvenir à une décision en première instance. Il imputa la durée de la procédure aux nombreuses demandes d’audition de témoins et d’experts de la part de la requérante, à l’impressionnante documentation qu’elle avait produite, à ses fréquents changements d’avocat ainsi qu’à la charge de travail du tribunal. En outre, celui-ci n’avait reçu les informations complémentaires attendues de la part du tribunal d’Athènes que lors de la dernière audience. Sur le fond, le tribunal reconnut d’abord le caractère extrêmement complexe de l’affaire (qu’il considéra comme l’une des plus difficiles qu’il eût jamais eues à trancher), ainsi que la difficulté de reconstituer avec précision quelle avait été la situation réelle de la requérante et de sa fille en Grèce. Il constata que lors de la dernière hospitalisation de M.-A. en Grèce, le service de l’hôpital qui suivait la fillette avait signalé la situation de l’enfant au tribunal d’Athènes, section des enfants, en vue d’une éventuelle séparation de la fillette de la requérante, avant que cette dernière ne quittât abusivement l’hôpital afin de partir pour Rome. En effet, pendant cette hospitalisation, les médecins avaient transféré l’enfant dans le service de psychologie infantile, où les enfants étaient d’habitude destinés à être adoptés. Le tribunal souligna que l’expertise d’office de la fillette avait établi que celle-ci n’avait jamais souffert de pathologies graves jusqu’en 1988, ce qui avait été certifié par les établissements où M.-A. avait été hospitalisée (à Athènes, Londres et Rome). Cette expertise avait également précisé que la fillette souffrait de maladies infantiles bénignes, pouvant être soignées par des interventions médicales ordinaires et ne justifiant pas les soins obsessionnels de la mère et les hospitalisations continues, souvent contre l’avis des médecins, que la requérante lui avait fait subir. Le tribunal constata tout particulièrement que l’hôpital de Rome avait relevé, dans son rapport du 15 octobre 1988, des éléments, dans la relation entre la requérante et sa fille, totalement similaires à ceux relevés juste quelques jours auparavant par le médecin de l’hôpital d’Athènes, le 30 septembre, et qui avaient amené ce dernier à informer le parquet près le tribunal d’Athènes. Il était évident, selon le tribunal, que le médecin de Rome n’avait pas eu connaissance de la démarche identique entreprise par son collègue grec. Ces deux documents prouvaient dans quelles conditions dramatiques M.-A. avait vécu jusqu’alors: isolée, sans relation avec les enfants de son âge et figée dans son rôle de malade qui satisfaisait en réalité les besoins de sa mère, avec laquelle subsistait un lien de nature symbiotique. Selon le tribunal les circonstances du départ à l’improviste pour Rome étaient également significatives: deux valises, les billets d’avion achetés à l’aéroport, l’abandon du travail de la requérante à quelques mois à peine de sa retraite, l’abandon de l’appartement et l’interruption de la fréquentation, par M.-A., de l’école à laquelle elle venait de s’inscrire pour la première fois. Le tribunal estima que l’explication fournie par la requérante, qui avait déclaré être partie pour l’Italie afin d’y retrouver son père, dont cependant elle ne connaissait pas l’adresse et qu’elle n’avait pas vu depuis 1980, n’était pas convaincante. Et d’ailleurs, une fois à Rome, la requérante avait de nouveau cherché à quitter l’hôpital sans permission lorsqu’elle s’était vu reprocher sa façon de traiter sa fille, ce qui s’était d’ailleurs produit aussi en Grèce. Le tribunal observa ensuite que cette fillette qui était arrivée en Italie pâle, triste, atteinte de nombreuses caries et se déplaçant difficilement, nonobstant les soins pratiqués par sa mère pour des problèmes de santé en fait secondaires, était désormais une fillette gaie et en pleine santé. D’ailleurs, il ressortait de l’expertise psychologique pratiquée sur l’enfant que celle-ci, pendant sa vie passée en Grèce, se sentait prisonnière de sa maison, où des seringues, phléboclyses et autres appareils médicaux lui étaient consacrés en permanence, et était hospitalisée contre sa volonté dès qu’elle ressentait le moindre malaise. L’expertise avait pu établir par ailleurs que M.-A. avait été heureuse d’être placée dans une autre famille et avait éloigné le souvenir de la mère et que l’idée de rentrer en contact avec elle suscitait ses craintes. Enfin, le tribunal releva que la requérante, laquelle lui avait rapporté minutieusement les maladies dont sa fille était prétendument atteinte, n’avait jamais décrit au tribunal ses caractéristiques physiques, sa personnalité ou encore ses préférences. La requérante n’avait pas non plus fait preuve, à aucun moment du procès, de sa disposition à remettre en cause certaines de ses attitudes envers sa fille. Face à cette absence d’autocritique, toute tentative pour infléchir les convictions de la requérante, qui n’eut jamais conscience d’être atteinte de troubles psychologiques, avait été inutile. Même si la requérante n’avait pas ménagé ses efforts à l’égard de sa fille, bien que d’une manière erronée, et même si ses allégations concernant le comportement des membres de sa famille n’étaient pas dénuées de fondement, elle n’avait pas démontré pouvoir remédier à son état psychologique et permettre ainsi une reprise des contacts avec son enfant. La requérante interjeta appel. Elle soutint notamment que les hospitalisations de M.-A. avaient toujours été nécessaires et avaient fait suite à des diagnostics médicaux. Elle souligna en outre qu’elle s’était toujours souciée de sa fille et de son éducation. Plusieurs témoignages confirmaient, selon elle, qu’elle avait eu une bonne relation avec sa fille et que cette dernière avait grandi dans un environnement absolument normal. La cour d’appel de Milan, section des enfants, rejeta l’appel de la requérante par un arrêt du 2 juin 1994, déposé au greffe le 29 juillet 1994. La cour d’appel souligna entre autres l’importance de la démarche d’un médecin de l’hôpital d’Athènes, visant à informer le parquet du tribunal de la gravité de la situation de la fillette, ainsi que la circonstance significative qu’une démarche identique avait été entreprise par le médecin de l’hôpital de Rome. Le tribunal estima en outre que les expertises privées, produites par la requérante, ne pouvaient pas diminuer la portée des expertises d’office, étant donné le contenu générique des premières et l’absence d’observations spécifiques. Selon la cour d’appel, les témoignages favorables à la requérante n’étaient pas non plus de nature à conduire à des conclusions différentes par rapport aux expertises approfondies ordonnées par le tribunal, puisqu’ils ne concernaient que des contacts limités avec la requérante et sa fille et s’arrêtaient donc aux apparences. Enfin, la cour d’appel jugea inutile et inopportune une nouvelle audition de M.-A, car celle-ci avait été déjà longuement examinée par l’experte commise d’office et il ressortait de cet examen que la fillette avait désormais, d’un point de vue psychologique, fait son choix. La requérante se pourvut en cassation. Elle soutint notamment que la loi n 184/83 justifiait l’adoption d’un enfant uniquement en cas d’abandon matériel et moral ; le fait de porter une attention importante à la santé de l’enfant – sur la base de diagnostics médicaux, même si ceux-ci s’étaient par la suite révélés erronés – ne saurait fonder pareille mesure. En outre, la requérante se plaignit de ce que les juges n’eussent jamais cherché à apprécier l’évolution de sa situation personnelle et de son état de santé, ce qui, compte tenu également de l’âge plus avancé de M.-A., aurait pu justifier une tentative de renouer les contacts entre elle et la fillette à un stade ultérieur, avant de détruire définitivement tout rapport entre elles. Par un arrêt du 7 juin 1995, déposé au greffe le 24 octobre de la même année, la requérante fut déboutée de son pourvoi. La Cour de cassation observa en premier lieu que, d’après sa jurisprudence constante, une situation d’abandon pouvait découler non seulement d’un manque d’assistance matérielle et morale, mais aussi de comportements des parents compromettant un développement sain et équilibré de la personnalité de l’enfant. Quant à l’allégation de la requérante selon laquelle les tribunaux l’avaient séparée de sa fille sans recommander, à elle-même ou aux services sociaux, aucune mesure permettant de remédier à la situation, la Cour souligna que ce genre de décisions relevait de la discrétion des juridictions concernées, lesquelles avaient estimé inutile d’effectuer pareille tentative compte tenu du caractère chronique de la maladie de la requérante. La Cour jugea enfin que la question relative à l’audition de M.-A. relevait également d’une appréciation discrétionnaire des juges du fond et ne pouvait donc pas être réexaminée en cassation. En 1996, la fille de la requérante a été définitivement adoptée par sa famille d’accueil. Selon des informations envoyées par la requérante et que le gouvernement défendeur n’a pas contestées, celle-ci aurait réussi à lui faire parvenir des cadeaux. Le 17 février 1999, M.-A. a atteint la majorité. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme E.P. a saisi la Commission le 24 décembre 1995. Elle alléguait notamment la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1) et la violation de son droit au respect de sa vie familiale du fait que l’on avait déclaré sa fille adoptable et en raison de l’interruption de tout contact entre elles (article 8). Le 16 avril 1998, la Commission a retenu la requête (no 31127/96) quant à ces griefs et l’a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 21 octobre 1998 (ancien article 31), elle conclut à l’unanimité à la violation des articles 6 § 1 et 8 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
1
0
Le 21 février 1991, l’entreprise du requérant introduisit une demande à l’encontre de la société M. devant le tribunal de Bergame afin d’obtenir une injonction de payer une certaine somme. Le tribunal fit droit à cette demande par une ordonnance du 21 février 1991, notifiée à une date non précisée. Le 21 mars 1991, la société M. fit opposition à l’injonction de payer. La mise en état de l'affaire commença le 23 mai 1991. A cette date, le juge de la mise en état rejeta la demande du requérant visant l’exécution provisoire de l’injonction. Le 13 février 1992, l’audience fut consacrée au dépôt au greffe de documents. Le requérant demanda de nouveau l’exécution provisoire de l’injonction, avec le même résultat. Le 17 décembre 1992, la société M. sollicita la jonction de deux autres affaires à la présente, une relative à une demande de la société M. à l’encontre du requérant et la deuxième relative à l’opposition de la société M. à une autre injonction de payer qui avait été obtenue par le requérant le 4 mars 1992. Ce dernier s’opposa à la jonction des affaires et le juge se réserva de décider. Le 29 avril 1993, le juge de la mise en état disposa la jonction des deux affaires à la présente et ordonna l’audition de témoins, ce qui fut fait le 14 février 1994. Les parties présentèrent leurs conclusions le 11 mai 1995 et l’audience de plaidoiries fut fixée au 17 juin 1999. Le 16 janvier 1996, le requérant demanda que la date de cette audience fut avancée. Sa demande fut rejetée le 17 juin 1996. Le 29 octobre 1998, le président du tribunal attribua l’affaire au collège de magistrats chargé de traiter les affaires plus anciennes (sezione stralcio). Les sezioni stralcio, composées d’un juge titulaire, en qualité de président, et deux juges honoraires, ont été crées en vertu de l’article 90 de la loi n° 3531/1990 (tel que modifié par la loi n° 534/1995) afin d’absorber l’arriéré d’affaires pendantes devant les juridictions civiles. Par une ordonnance hors audience du 1er mars 1999, le collège rouvrit l’instruction et fixa une audience au 28 septembre 1999, afin de permettre aux parties de tenter de parvenir à un règlement amiable. D’après les informations fournies par le requérant le 29 octobre 1999, le 1er septembre 1999, le président du tribunal constata que de nouveaux juges honoraires allaient être nommés et reporta les audiences fixées entre le 16 septembre 1999 et le 15 octobre 1999 à une date à fixer ultérieurement.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1926 et résidant à Trofa (Portugal). Le 7 mai 1987, le requérant acheta un immeuble comprenant vingt-quatre appartements ainsi que plusieurs terrains constructibles lors d’une vente judiciaire effectuée dans le cadre d’une procédure d’exécution engagée contre A.O.L. et l’épouse de ce dernier. Ceux-ci avaient toutefois vendu ces mêmes immeubles et terrains à J.G. et son épouse, le 19 février 1987, alors qu’ils faisaient l’objet d’une saisie (penhora) ordonnée dans le cadre de la procédure d’exécution mentionnée. Cette situation est à l’origine des deux procédures litigieuses. A. La procédure n° 98/87 Le 1er juin 1987, J.G. et son épouse introduisirent devant le tribunal de Fafe à l’encontre du requérant, d’A.O.L. et de son épouse, ainsi que d’une société commerciale, une action en revendication de l’immeuble et des terrains en cause. Cité à comparaître le 15 juillet 1987, le requérant déposa ses conclusions en réponse le 20 octobre 1987. Il présenta également une demande reconventionnelle. Le 18 février 1988, le ministère public fut cité à comparaître en qualité de représentant d’A.O.L. et de son épouse, lesquels n’avaient pas pu être trouvés. Le 5 avril 1988, les demandeurs déposèrent leur réplique. Le 21 janvier 1994, le requérant produisit certains documents. Par une ordonnance du 26 mai 1994, le juge invita les demandeurs à inscrire l’introduction de l’action au cadastre foncier, conformément à la loi. Le 15 septembre 1994, les demandeurs produisirent l’attestation du cadastre foncier relative à l’inscription en question. Par une ordonnance du 15 juillet 1997, le juge fixa au 14 novembre 1997 une tentative de conciliation. Le jour dit, la tentative de conciliation eut lieu, sans succès. Le 12 mai 1998, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir. Par une ordonnance du 8 février 1999, le juge fixa l’audience au 29 avril 1999. Le jour dit, l’audience n’eut pas lieu et fut reportée au 28 octobre 1999. Toutefois, par une ordonnance du 20 octobre 1999, le juge déclara cette dernière date sans effet, et fixa la tenue de l’audience au 24 mai 2000. B. La procédure n° 22/92 Le 23 janvier 1992, le requérant introduisit devant le tribunal de Fafe une demande en reconnaissance du droit de propriété sur l’immeuble et les terrains en question. Il demanda également des dommages et intérêts pour les préjudices subis en raison de la revente desdits immeuble et terrains par les défendeurs. Le 6 février 1992, le juge ordonna la citation à comparaître des défendeurs. Plusieurs des défendeurs n’ayant pas été trouvés aux adresses indiquées, le requérant fournit des renseignements complémentaires à cet égard au tribunal, en date du 22 avril 1992. Tous les défendeurs furent par la suite cités, et déposèrent leurs conclusions en réponse les 22 octobre et 2 novembre 1992. Le 6 janvier 1993, le requérant déposa sa réplique. Les défendeurs déposèrent des dupliques les 15 et 20 janvier 1993. La procédure demeure pendante devant le tribunal de Fafe.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
La requérante est une ressortissante grecque, née en 1920. Elle réside à Neo Kordelio, à Thessalonique. Par une décision du Conseil des Ministres du 9 octobre 1964, un terrain de 6 938 m² appartenant à la requérante fut exproprié au profit du groupement des sociétés anonymes Esso-Pappas aux fins de la construction d’une raffinerie et d’une usine d’ammoniac et de produits pétrochimiques. L’expropriation et la modification du propriétaire furent rapportées sur le livre d’hypothèques au bureau d’hypothèques de Thessalonique. L’indemnisation fixée par les juridictions grecques n’ayant pas été versée dans les délais légaux, la requérante demanda, le 5 mars 1978, au tribunal de grande instance de Thessalonique de déclarer l’expropriation révoquée, mais ledit tribunal la débouta. En revanche, la cour d’appel de Thessalonique, saisie par la requérante d’une action déclaratoire, jugea, le 29 juin 1983, que l’expropriation avait été révoquée d’office (arrêt n° 1663/1983). Le 30 janvier 1982, la requérante avait saisi aussi le juge de paix de Thessalonique d’une demande de mesures provisoires en invoquant le risque imminent de conflit entre elle et la société Esso-Pappas, dû au fait que cette dernière avait déjà clôturé le terrain et planté des arbres. Le 7 mai 1982, le juge de paix rejeta la demande au motif qu’ « aucun risque imminent ni aucun cas urgent » ne justifiait l’adoption de telles mesures. En 1982, une entreprise publique, la société EKO (Combustibles et huiles helléniques) avait succédé à Esso-Pappas. Comme EKO refusa de rendre le terrain et comme l’arrêt de la cour d’appel n’avait qu’un caractère déclaratoire, la requérante sollicita et obtint – afin de rendre exécutoire l’arrêt de la cour d’appel – la révocation formelle de l’expropriation : ainsi, le 29 novembre 1991, les ministres adjoints des Finances, de l’Industrie, de l’Energie et de la Technologie adoptèrent une décision commune par laquelle ils révoquaient celle du Conseil des Ministres, du 9 octobre 1964. Le 19 février 1992, EKO introduisit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation de la décision commune du 29 novembre 1991. Le 26 juin 1992, la requérante intervint dans la procédure, en tant que propriétaire du terrain litigieux, demandant le rejet du recours en annulation. Après un certain nombre d’ajournements, les 17 décembre 1992 et 23 mars, 11 mai et 1er juin 1994, dus à une grève des avocats, le Conseil d’Etat tint audience le 25 janvier 1995. Il délibéra le 30 avril 1996 et délivra son arrêt (n° 1158/1997) le 19 mars 1997. L’arrêt rejetait le recours en annulation par les motifs suivants : « L’arrêt n° 1663/1983 de la cour d’appel de Thessalonique, qui est devenu définitif car il n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation, a reconnu que l’expropriation annoncée par la décision n° 178 du Conseil des Ministres, du 9 octobre 1964, était révoquée d’office. Ainsi, par cet arrêt définitif de cette juridiction, tous les effets légaux de l’expropriation ont été levés et l’acte d’expropriation a cessé de produire ses effets. Par conséquent, la simple révocation formelle de l’expropriation qui a été opérée par l’acte incriminé ne produit pas d’effets légaux et pour cette raison le recours sous examen doit être rejeté et l’intervention doit être admise. » Toutefois, et en dépit de l’arrêt du Conseil d’Etat, EKO continua à occuper le terrain et permit même à une de ses succursales de stocker des tuyaux sur le terrain litigieux. Le 7 juillet 1997, la requérante notifia par huissier à EKO une lettre par laquelle elle l’invitait à se conformer audit arrêt et à rendre le terrain. Le 27 août 1997, EKO conclut avec la requérante un accord en vertu duquel la première s’engageait à restituer le terrain avant le 22 septembre 1997 et la seconde se désistait de toute prétention qu’elle pourrait avoir à l’encontre d’EKO en raison de l’occupation du terrain jusqu’à cette date.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 10 avril 1986, la société T. assigna les requérantes devant le tribunal de Bologne afin d'obtenir le paiement de travaux effectués dans leur appartement. Les requérantes, à leur tour, formulèrent une demande reconventionnelle en réparation des dommages subis suite à des malfaçons. La mise en état de l'affaire commença le 22 mai 1986, date à laquelle les requérantes demandèrent l'intervention de M. P., le directeur des travaux. L'audience fixée au 9 octobre 1986 fut ajournée à deux reprises à la demande des parties jusqu'au 8 janvier 1987. A cette date, le juge de la mise en état ordonna la comparution de M. P. à l'audience du 2 avril 1987. Le jour venu, l'audience fut remise à la demandes des requérantes, afin d'examiner des documents déposés par la demanderesse le jour même. Le 9 juin 1987, l'audience fut renvoyée à la demande de cette dernière. Des six audiences qui se tinrent entre le 25 février 1988 et le 28 février 1989, quatre furent relatives à une expertise et deux furent ajournées à la demande des parties. Celles-ci présentèrent leurs conclusions le 27 juin 1989 et l'audience de plaidoiries se tint le 17 décembre 1991. Par une décision du même jour, déposée au greffe le 13 février 1992, le tribunal rouvrit l'instruction afin d'entendre les parties, nomma un expert pour un complément d'expertise, ordonna la jonction de la présente affaire à une autre et fixa une audience au 10 mars 1992. En ce qui concerne cette autre procédure, le 1er octobre 1987 les requérantes avaient fait opposition à l'injonction de payer obtenue par la société T. à leur encontre, devant le tribunal de Bologne. Cette procédure se déroula parallèlement à la première. Après le 26 novembre 1987, toutes les audiences eurent lieu le même jour que les audiences de la première procédure. Après la jonction du 17 décembre 1991 des deux affaires, entre le 28 avril 1992 et le 6 janvier 1995 eurent lieu sept audiences, dont deux furent relatives audit complément d'expertise, deux furent ajournées d'office, deux furent remises à la demande des parties et une pour permettre aux requérantes de remplacer l'avocat qui avait renoncé à son mandat. Le 6 décembre 1995, les parties présentèrent une deuxième fois leurs conclusions et l'audience de plaidoiries se tint le 26 mars 1996. Par un jugement du 2 avril 1996, déposé au greffe le 17 juin 1996, le tribunal fit en partie droit à la demande de la société T., rejeta la demande reconventionnelle et annula l'injonction de payer à l'encontre des requérantes. Le 18 décembre 1996, les requérantes interjetèrent appel devant la cour d'appel de Bologne. Le 22 janvier 1997, l'audience fut renvoyée par le conseiller de la mise en état au 12 mars 1997. Les parties présentèrent leurs conclusions le 23 avril 1997 et l'audience de plaidoiries fut fixée au 5 juin 1998. Par une déclaration du 15 avril 1998, les parties sont parvenues à un règlement amiable aux termes duquel la défenderesse a accepté le versement d'une certaine somme en échange de la renonciation des requérantes à la poursuite de la procédure. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mmes Bosio et Moretti ont saisi la Commission le 28 juin 1995. Elles alléguaient la méconnaissance de leur droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1) et la violation de leur domicile respectif (article 8). Le 10 mars 1998, la Commission a retenu la requête (n° 36608/97) quant au premier grief et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 27 mai 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 5 février 1985, le requérant subit une transfusion sanguine à l'hôpital Saint-André de Bordeaux à la suite d'une hémorragie digestive. Le 3 mars 1987, une hépatite fut diagnostiquée. Des tests spécifiques pratiqués en 1991 révélèrent qu'il s'agissait d'une hépatite C. A une date non précisée, le requérant assigna le centre régional de transfusion sanguine (ci-après CRTS) de Bordeaux, qui à son tour appela en garantie la mutuelle assurance du corps sanitaire français (ci-après MACSF), devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux, en vue d'obtenir la nomination d'experts et le versement d'une provision. Par ordonnance du 3 mars 1993, le juge des référés désigna deux experts afin, notamment, de déterminer l'origine de la contamination, et rejeta la demande de provision. Les experts déposèrent leur rapport, daté des 19 mai et 16 août 1993, concluant que le requérant avait été contaminé par le virus de l'hépatite C, responsable d'une hépatite chronique histologiquement prouvée, et que la chronologie du dossier médical du requérant était « très compatible avec une contamination par le virus de l'hépatite C à l'occasion de l'hospitalisation de 1985 ». Les experts précisèrent que la maladie était évolutive et que le risque d'évolution vers une cirrhose ou un cancer était réel. Le 16 décembre 1993, le requérant assigna de nouveau devant le juge des référés le CRTS de Bordeaux et la MACSF, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie du Béarn et de la Soule (ci-après la CPAM) et la caisse d'allocations familiales des PyrénéesAtlantiques (ci-après la CAF), afin d'obtenir le versement d'une provision de 1 000 000 FRF. Par ordonnance du 2 février 1994, le juge des référés ordonna un complément d'expertise et se déclara incompétent sur la demande de provision, en raison de l'existence d'une contestation sérieuse. Le deuxième rapport, déposé le 1er juillet 1994, confirma en substance l'expertise précédente, en considérant peu probable l'hypothèse d'une contamination par le tatouage que le requérant s'était fait lui-même en 1968 et en indiquant que son état alcoolique antérieur ne paraissait pas avoir joué un rôle important. Les experts ne se prononcèrent pas sur l'éventuelle inhalation par le requérant de produits hépato-toxiques à l'occasion de son travail de soudeur. Entre-temps, le 16 décembre 1993, le requérant avait assigné au fond le CRTS de Bordeaux, la MACSF, la CPAM et la CAF devant le tribunal de grande instance de Bordeaux, afin de les voir condamner conjointement et solidairement à réparer son entier préjudice. Le requérant déposa ses conclusions le 11 octobre 1995 et les défendeurs en firent de même le 30 novembre 1995 pour le CRTS, le 10 novembre 1995 pour la MACFS et les 9 janvier et 13 septembre 1995 pour la CPAM. Le 30 janvier 1996, la clôture fut prononcée. L'affaire fut plaidée à l'audience du 20 février 1996 et mise en délibéré au 16 avril, puis au 10 mai 1996. Par jugement du 10 mai 1996, le tribunal débouta le requérant de ses demandes, au motif que les éléments recueillis ne permettaient pas de retenir « le faisceau de présomption de preuves nécessaire à établir le lien de causalité entre la contamination et la transfusion ». Le 1er juillet 1996, le requérant fit appel de ce jugement devant la cour d'appel de Bordeaux. Il déposa ses conclusions le 31 octobre 1996. Le 27 novembre 1996, il demanda l'aide juridictionnelle, qui lui fut accordée le 16 janvier 1997. Les défendeurs conclurent respectivement les 15 novembre 1996 (CPAM), 21 février (MACSF) et 24 février 1997 (CRTS). Le requérant produisit des conclusions additionnelles les 16 janvier et 30 juin 1997. L'audience de plaidoiries devant la cour d'appel fut fixée successivement au 23 février, puis au 17 juin et au 8 septembre 1999, en raison de l'encombrement du rôle de la cour. Par arrêt du 6 octobre 1999, la cour d'appel confirma le jugement dans toutes ses dispositions.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 1er juillet 1986, le requérant assigna Mme F., en tant qu’administrateur de la firme T., et M. P., en tant qu’administrateur de la firme I., devant le tribunal de Milan, afin d’obtenir l’élimination de vices de construction et la réparation de dommages subis suite à des travaux mal exécutés dans son appartement, ainsi que l’annulation de la mise en demeure (opposizione all’atto di precetto) émise à son encontre le 24 juin 1986 à la demande de M. P. Le 15 juillet 1986, le requérant fit opposition à une mise en demeure qui lui fut notifiée le 5 juillet 1986 à la demande de Mme F. Le 24 juillet 1986, le requérant fit opposition à une injonction de payer émise le 19 juin 1986 à la demande de Mme F. L’instruction de la deuxième procédure commença le 3 octobre 1986, tandis que celle de la première débuta le 9 octobre 1986. Le 16 décembre 1986, le juge de la mise en état ordonna la jonction des trois procédures. Par une ordonnance du 18 décembre 1986, le juge ordonna l’exécution à titre provisoire de l’injonction de payer en faveur de Mme F. Le 26 février 1987, Mme F. s’opposa à la demande d’audition de témoins présentée par le requérant, tandis que ce dernier demanda un renvoi car un nouvel avocat s’était constitué. Le 6 avril 1987, les parties demandèrent un renvoi. Après trois audiences, dont une consacrée au dépôt au greffe de certains documents et deux concernant une demande d’expertise, par une ordonnance du 23 décembre 1987, le juge de la mise en état rejeta la demande de suspension de l’exécution entre-temps présentée par le requérant, étant donné que la compétence à décider sur une telle question était réservée au juge de l’exécution, et nomma un expert. Ce dernier prêta serment le 7 mars 1988. Le 16 juin 1988, les parties demandèrent un renvoi afin d’examiner le rapport d’expertise déposé au greffe. L’audience prévue pour le 8 novembre 1988 fut reportée d'office au 19 janvier 1989. Ce jour-là, le juge ordonna la jonction d’une quatrième procédure en opposition à l’exécution, entamée entre-temps par le requérant à l’encontre de Mme F. Les trois audiences qui eurent lieu entre le 21 novembre 1989 et le 5 juin 1990 concernèrent l’expertise. Le 30 octobre 1990, le juge fixa la date de la présentation des conclusions au 21 mai 1991. Le jour venu, le requérant demanda un renvoi. Le 29 octobre 1991, le juge ajourna l’affaire au 25 février 1992 pour la présentation des conclusions. Après deux audiences, dont une renvoyée car les parties ne s’étaient pas présentées, le 22 décembre 1992 les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries, fixée au 2 février 1994, se tint le 23 février 1994. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 17 mars 1994, le tribunal condamna M. P. à payer une certaine somme en faveur du requérant, rejeta l’opposition à l’injonction de payer et confirma celle-ci, déclara que le requérant avait en réalité renoncé à toutes les oppositions à l’exécution à l’encontre des défendeurs, car il n’avait pas demandé leur annulation lors de la présentation des conclusions, et rejeta la demande en réparation des dommages à l’encontre de Mme F. En outre, le tribunal déclara le jugement exécutoire à titre provisoire entre le requérant et M. P. Le 29 septembre 1994, M. P. interjeta appel devant la cour d’appel de Milan. Le requérant présenta un appel incident. L’instruction commença le 8 novembre 1994. Après une audience, par une ordonnance du 17 décembre 1994, le conseiller de la mise en état révoqua l’exécution provisoire du jugement de première instance. Le 14 mars 1994, les parties présentèrent leurs conclusions et l’audience de plaidoiries fut fixée au 1er octobre 1997. Par un jugement du 22 octobre 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 4 novembre 1997, la cour d’appel rejeta l’appel incident du requérant et condamna celui-ci à payer les frais de justice de première et deuxième instance. Le 1er avril 1998, Mme F. obtint une saisie-arrêt à l’encontre du requérant et de la Caisse d’Epargne des provinces lombardes. La première audience, fixée au 24 avril 1998 devant le juge d’instance de Milan, fut reportée à deux reprises jusqu’au 24 novembre 1998. D’après les informations fournies par le requérant le 10 mai 1999, le jour venu, l'audience fut renvoyée à la demande de la partie défenderesse au 27 septembre 1999.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 20 janvier 1988, la requérante assigna la société G. et la compagnie d'assurances V. devant le tribunal de Catanzaro afin d'obtenir réparation des dommages subis en raison du décès de son mari lors d'un accident de la circulation. La mise en état commença le 8 juin 1988. Le 7 octobre 1988, une autre procédure relative au même accident fut jointe à la présente affaire. Par une ordonnance hors audience du 26 juin 1989, le juge de la mise en état ordonna à la compagnie d'assurances V. de payer à la requérante la somme de 70 000 000 lires italiennes à titre de dédommagement provisoire et l'audience fut reportée au 1er décembre 1989. Des huit audiences fixées entre le 20 avril 1990 et le 15 septembre 1994, cinq furent relatives à une expertise et trois furent ajournées d'office. Le 28 septembre 1995, le juge de la mise en état prononça l'interruption de la procédure à cause du décès de l'avocat de la société G. La requérante reprit la procédure le 11 décembre 1995. Après renvoi d'office, le 24 octobre 1996 se tint l'audience de présentation des conclusions. L'audience de plaidoiries fut fixée au 14 avril 1998. Le jour venu, elle fut remise d'office au 28 avril 1998. L'affaire fut mise en délibéré à cette dernière date. Par une ordonnance hors audience du même jour, le tribunal rouvrit la mise en état et nomma un expert fixant la nouvelle audience au 4 décembre 1998. Le jour venu, l'expert ne s'étant présenté en raison du défaut de notification de l'ordonnance et de la date d'audience, le juge renvoya l'affaire au 28 juin 1999. Selon les informations fournies par le conseil de la requérante, au 9 septembre 1999 l'affaire demeurait pendante devant la chambre chargée des affaires à traiter selon l'ancien code de procédure civile (sezione stralcio). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Arnò a saisi la Commission le 20 juillet 1993. Elle alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1). Le 27 mai 1998, la Commission a retenu la requête (n° 36620/97). Dans son rapport du 15 septembre 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 30 juillet 1986, la requérante assigna son ancien employeur - la société par actions S. - devant le juge d'instance de Rome, faisant fonction de juge du travail, afin d'obtenir l'annulation de son licenciement, la reconnaissance de son droit à une qualification professionnelle correspondant aux fonctions exercées ainsi que le paiement de la différence entre les rétributions perçues et celles auxquelles elle estimait avoir droit. A une date non précisée, la société défenderesse présenta une demande reconventionnelle visant à obtenir la réparation des dommages que la requérante aurait provoqués ainsi que la restitution des sommes indûment perçues. Le Gouvernement a indiqué qu'au cours de la procédure, deux juges d'instance demandèrent à s'abstenir et obtinrent de le faire en raison des communications qu'ils avaient reçues de la requérante. Par un jugement du 19 octobre 1987, le juge d'instance rejeta les demandes des parties. Le 9 mars 1988, la requérante interjeta appel devant le tribunal de Rome. La société S. interjeta appel incident. Le 20 juin et le 30 octobre 1990, la requérante présenta deux mémoires, auxquels respectivement quatre cent quarante-deux et quarante-neuf documents étaient annexés. Par un jugement non définitif du 31 janvier 1992, déposé au greffe le 26 mars 1992, le tribunal infirma en partie le jugement de première instance et déclara que la requérante avait droit à la différence entre les rétributions perçues et celles d'une catégorie professionnelle supérieure pour la période du 1er décembre 1973 au 2 février 1982, date de son licenciement. Faisant droit à l'appel reconventionnel de la société S., le tribunal condamna également la requérante à la restitution de certaines sommes indûment perçues. Par une ordonnance du 31 janvier 1992, le tribunal rouvrit l'instruction, ordonna à la requérante de produire le texte des conventions collectives de travail applicables en l'espèce et chargea un expert de déterminer le montant de la différence de rétribution due à la requérante. Le 24 avril 1992, le juge de la mise en état prononça la suspension du procès car la requérante avait présenté un recours en récusation à l'encontre de l'un des juges. La procédure fut reprise à une date non précisée ; le 10 mars 1993 l'expert prêta serment. Dans une note déposée le 26 mai 1993, l'expert indiqua qu'il n'existait aucune convention collective concernant les maisons d'édition. Le 2 juin 1993, le tribunal, ayant pris acte des difficultés relatives à l'individualisation des dispositions applicables, fixa la date de l'audience de plaidoirie au 2 juillet 1993. Par une ordonnance du même jour, déposée au greffe le 8 juillet 1993, le tribunal invita l'expert à utiliser les paramètres économiques ressortant des conventions collectives en matière d'industrie et commerce et rejeta une demande de la requérante visant à obtenir une somme à titre de provision. Le 20 décembre 1993, l'expert déposa son rapport. Le 26 février 1994, la requérante présenta un mémoire contestant le contenu dudit rapport. Le Gouvernement a indiqué qu'au cours de la procédure d'appel, la requérante présenta un autre recours en récusation, qui fut écarté à une date non précisée. En outre, deux magistrats composant le tribunal demandèrent à s'abstenir. Toutefois, à des dates non précisées, leurs demandes furent rejetées. Par un jugement définitif du 6 mai 1994, déposé au greffe le 11 juin 1994, le tribunal déclara que la requérante avait droit à la somme totale de 147 813 331 lires, à titre de rétribution, d'intérêts légaux et de dévalorisation de la monnaie. Il condamna par conséquent la société S. au paiement de la différence entre cette somme et le montant des salaires versés. Entre-temps, respectivement les 19 et 26 mars 1993, la société S. et la requérante s'étaient pourvues en cassation contre le jugement non définitif du 31 janvier 1992. La requérante allégua notamment que le tribunal aurait dû, en application du principe de l'égalité de traitement, lui reconnaître immédiatement la rétribution des cadres du niveau plus élevé. Par un arrêt du 16 février 1995, déposé au greffe le 2 juin 1995, la Cour de cassation prononça la jonction des pourvois et les rejeta. Elle observa en particulier que le système juridique italien ne prévoyait aucune obligation de rémunérer en égale mesure les employés privés exerçant des fonctions analogues, sauf dans le cas où la différence de traitement était fondée sur l'une des raisons de discrimination interdites par la loi - sexe, race, langue, religion, opinions politiques etc. -, ce qui ne s'était pas produit en l'espèce. Le 9 juin 1995, la requérante se pourvut en cassation contre le jugement définitif du 6 mai 1994. Elle contestait notamment le montant de la somme qui lui avait été accordée à titre de compensation financière. Par un arrêt du 27 février 1996, déposé au greffe le 24 mai 1996, la Cour de cassation débouta la requérante. Dans un courrier parvenu à la Commission le 7 septembre 1998, la requérante indiqua que la procédure litigieuse n'avait pas commencé le 30 juillet 1986, comme indiqué dans la décision sur la recevabilité de sa requête, mais le 18 juillet 1981, date à laquelle elle avait déposé un recours au greffe du juge d'instance de Milan. Le 14 octobre 1998, la Commission demanda à la requérante d'indiquer quelle avait été l'issue du recours en question et de fournir tout document pertinent. Le 20 octobre 1998, lors d'une conversation téléphonique avec le secrétariat de la Commission, la requérante déclara qu'aucune suite n'avait été donnée à son recours et qu'environ deux ans plus tard, le greffier du juge du travail lui avait rendu l'acte introductif d'instance, affirmant que les magistrats de Milan n'étaient pas compétents pour en connaître. Par la suite, la requérante aurait engagé de longs pourparlers avec son employeur, espérant pouvoir aboutir à un règlement amiable de l'affaire. Ce n'est qu'en 1986 qu'elle aurait décidé d'entamer une nouvelle action judiciaire auprès du juge d'instance de Rome. Invitée à fournir plus de précision ainsi que tout document pertinent, la requérante, par télégramme du 21 octobre 1998, précisa qu'elle refusait la lettre de la Commission du 14 octobre 1998, qu'elle estimait abusive (« faziosa e pretestuosa ») et qu'elle ne pouvait que confirmer ce qu'elle avait précédemment communiqué, tout en enjoignant à la Commission de ne pas retarder l'examen de sa requête et l'octroi de la somme due au titre de la réparation des dommages. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Aprile de Puoti a saisi la Commission le 26 juillet 1995. Invoquant des textes autres que la Convention, elle se plaignait du bien-fondé des décisions prises à son encontre, qu'elle considérait discriminatoires, ainsi que du manque d'impartialité des conseillers de la Cour de cassation et de l'expert nommé d'office. S'appuyant sur l'article 9, elle soutenait également avoir été « persécutée » au mépris de ses opinions politiques et de sa liberté de conscience. Enfin, elle dénonçait la durée de la procédure civile engagée par elle (article 6 § 1). 20. Le 22 octobre 1997, la Commission a ajourné la requête (n° 32375/96) quant au grief tiré de la durée de la procédure et l'a rejetée pour le surplus. Le 1er juillet 1998, elle a retenu le grief portant sur l'article 6 § 1. Dans son rapport du 1er décembre 1998 (ancien article 31), elle conclut, par vingt voix contre cinq, à la violation de cette disposition.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Né à Codroipo (Udine) en 1952, le requérant réside à Biauzzo di Codroipo (Udine). Par une ordonnance 19 janvier 1990, le président du tribunal d’Udine enjoignit à M. L. D. de payer une somme d'argent due pour l'exécution, de la part du requérant, d'un contrat d'entreprise. Le 19 février 1990, M. L. D. fit opposition à ladite ordonnance devant la même juridiction. La mise en état de l'affaire commença le 30 avril 1990, date à laquelle le requérant demanda que l'ordonnance du 19 janvier 1990 fût déclarée provisoirement exécutoire. Le 8 mai 1990, le juge de la mise en état rejeta cette demande. Les quatre audiences d'instruction - qui se tinrent entre le 1er octobre 1990 et le 17 juillet 1991 - furent consacrées exclusivement à l'examen des demandes d’admission de moyens de preuve et notamment d’audition de témoins. L’audition des témoins prévue pour le 17 mars 1992 fut renvoyée d’office au 5 mai 1992, date à laquelle six personnes furent entendues. L'audience suivante fut fixée au 14 décembre 1992, mais le requérant obtint qu'elle fût avancée au 26 octobre 1992. Après une autre audience, les parties présentèrent leurs conclusions le 21 décembre 1992 puis le juge de la mise en état fixa la date de l'audience de plaidoiries devant la chambre compétente au 19 mai 1994. Toutefois, la procédure fut d'abord renvoyée au 9 février 1995 car les parties étaient absentes, puis ajournée à la demande de celles-ci au 19 octobre 1995, en raison de la possible conclusion d'un règlement amiable. Par un jugement du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 28 novembre 1995, le tribunal accueillit partiellement les prétentions du requérant. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. A. P. a saisi la Commission le 30 juin 1993. Il se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue dans un délai raisonnable comme le veut l’article 6 § 1 de la Convention. La Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 35265/97) le 9 décembre 1997. Dans son rapport du 10 mars 1998 (ancien article 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le Gouvernement demande à la Cour de constater qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le requérant prie la Cour de reconnaître la violation de l’article 6 § 1 et de lui accorder une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 2 novembre 1992, le premier requérant assigna Mme P. et l'organisme de crédit P. devant le tribunal de Catane afin d'obtenir réparation des dommages subis lors d'un protêt dressé, selon lui illégitimement, suite à l'émission d'un chèque. La mise en état de l'affaire commença le 15 décembre 1992. Après une audience et un renvoi d'office, le 31 mai 1994 le juge fixa à la demande des parties la date de présentation des conclusions au 25 octobre 1994. Le 15 octobre 1994, les trois autres requérants intervinrent dans la procédure et demandèrent l'audition de témoins et une saisie-conservatoire sur les immeubles de Mme P. Le 25 octobre 1994, le juge remit l'audience de présentation des conclusions au 6 décembre 1994. Le jour venu, les requérants demandèrent à nouveau l'audition de témoins et le juge se réserva de décider. Par une ordonnance du 13 décembre 1994, le juge remit la décision sur l'audition de témoins au tribunal et fixa au 31 janvier 1995 la présentation des conclusions. L'audience de plaidoiries fut fixée au 28 mars 1996. Cette audience n'eut pas lieu. Le 29 mars 1996, les requérants déposèrent au greffe une déclaration de renonciation de leur demande à l'égard de Mme P. Par une ordonnance du 4 avril 1996, le tribunal rouvrit l'instruction et fixa l'audience au 2 octobre 1996. Le 9 mai 1996, les requérants présentèrent une demande tendant à ce que l'audience fût avancée. Le 10 mai 1996 le président rejeta ladite demande. Le 8 octobre 1996 le président déclara l'extinction de la procédure à l'égard de Mme P. et fixa l'audience de plaidoiries au 17 septembre 1997. Cette audience fut renvoyée au 3 décembre 1998 en raison de l'empêchement du président. Selon les informations fournies à la Cour par le conseil des requérants, au 2 juillet 1999 l'audience de plaidoiries n'a toujours pas été fixée. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 15 février 1997. Ils alléguaient la méconnaissance de leur droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1). Le 22 avril 1998, la Commission a retenu la requête (n° 37166/97). Dans son rapport du 8 juillet 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 26 août 1979, la compagnie d'assurances du requérant assigna M. B. devant le tribunal de Sassari afin d'obtenir réparation des dommages subis par son client lors d'un accident de la route. Le 20 octobre 1979, le requérant intervint volontairement dans la procédure. La mise en état de l'affaire commença le 5 novembre 1979. Des vingt-sept audiences prévues entre le 21 janvier 1980 et le 7 février 1983, deux furent relatives à une expertise, une consacrée à l'audition de témoins, une au dépôt au greffe de documents, une fut renvoyée à la demande du requérant, deux sur invitation des autres parties, une avec l'accord de toutes les parties, trois concernèrent l'admission d'une preuve. Seize autres audiences furent renvoyées pour permettre à une compagnie d'assurances, devenue partie à la suite de la cessation de l'activité de la demanderesse, de se constituer dans la procédure. Le requérant s'opposa à neuf de ces renvois. Après deux renvois demandés par le requérant et un renvoi d'office, le 10 mai 1983 le requérant demanda l'ajournement de l'audience en l'attente d'un rapport de police concernant l'accident. Le 7 juin 1983, l'audience fut renvoyée à la demande du requérant, puis à celle des parties, pour la même raison, et finalement renvoyée d'office au 12 décembre 1983. Les huit audiences qui suivirent furent ajournées en l'attente dudit rapport de police. Celle du 14 janvier 1985 fut renvoyée à la demande du défendeur. Les neuf audiences fixées entre le 18 février 1985 et le 27 janvier 1986 furent renvoyées à la demande des parties. Après une audience, le 8 avril 1986 eut lieu l'audition du défendeur. Des six audiences fixées entre le 5 mai 1986 et le 1er décembre 1986, deux furent ajournées à la demande des parties et quatre pour permettre au défendeur de déposer le contrat d'assurances dont sa compagnie niait l'existence. Le 19 janvier 1987, le juge de la mise en état ordonna l'interruption de la procédure car la compagnie d'assurances défenderesse avait été mise en liquidation. Le 23 mai 1987, le requérant reprit la procédure et une audience fut fixée au 26 octobre 1987. Des dix-huit audiences prévues entre le 23 novembre 1987 et le 2 octobre 1989, deux furent relatives au dépôt au greffe de documents, une fut remise d'office, une autre ajournée par le juge de la mise en état, treize renvoyées à la demande des parties et une sur l'initiative du défendeur. Les parties présentèrent leurs conclusions le 6 novembre 1989, le 4 décembre 1989, le 15 janvier 1990 et le 12 février 1990. L'audience de plaidoiries eut lieu le 16 novembre 1990. Par une ordonnance du même jour, le tribunal rouvrit l'instruction pour permettre au propriétaire de la voiture utilisé par le défendeur pendant l'accident de se constituer. Une audience fut fixée au 11 février 1991. Des quinze audiences fixées entre le 25 mars 1991 et le 13 mars 1995, douze furent relatives à une deuxième expertise et à un complément d'expertise et trois furent ajournées d'office. L'audience prévue pour le 8 mai 1995 ne se tint pas en raison de la grève des avocats et l'audience fut renvoyée au 16 octobre 1995. Le 20 octobre 1995, les parties présentèrent leurs conclusions et l'audience de plaidoiries se tint le 2 mai 1997. Par un jugement du 3 octobre 1997, déposé au greffe le 19 novembre 1997, le tribunal condamna M. B. à réparer les dommages subis par le requérant. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. G. M. N. a saisi la Commission le 12 mai 1993. Il alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1). Le 22 avril 1998, la Commission a retenu la requête (n° 37131/97). Dans son rapport du 8 juillet 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 17 juin 1989, le requérant assigna M. T. et sa compagnie d'assurances devant le tribunal de Bergame afin d'obtenir réparation des dommages subis lors d'un accident de la route. La mise en état de l'affaire commença le 12 octobre 1989. Après un renvoi d'office, les audiences des 12 juillet et 8 novembre 1990 furent consacrées à une expertise. Le 10 avril 1991, le juge de la mise en état ordonna aux parties défenderesses de payer une provision en faveur du requérant, étant donné qu'il avait été licencié à la suite de l'accident. Les 26 mars 1992, 13 mai et 16 septembre 1993, le requérant demanda l'audition de témoins. Les audiences des 19 janvier et 9 mai 1994 furent consacrées à cette fin. Le requérant ayant demandé une deuxième provision, par ordonnance du 10 mai 1994 le juge de la mise en état lui alloua encore une fois une somme et nomma un autre expert. Celui-ci prêta serment le 13 octobre 1994. L'audience du 11 mai 1995 fut reportée au 22 février 1996 en raison de la grève des avocats. Le jour venu, un nouvel avocat se constitua pour le requérant. Le 6 février 1997 les parties présentèrent leurs conclusions. L'audience de plaidoiries devant la chambre compétente fut fixée au 1er février 2001. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Scalvini a saisi la Commission le 5 avril 1996. Il alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1). Le 10 mars 1998, la Commission a retenu la requête (n° 36621/97). Dans son rapport du 27 mai 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1943 et résidant à Matosinhos (Portugal). Le 18 août 1984, eut lieu un accident maritime à l’intérieur du port de Matosinhos au cours duquel le bateau de pêche du requérant fut abordé et coulé par un cargo. Le 15 octobre 1984, le requérant introduisit devant le tribunal de Matosinhos une action en dommages et intérêts contre les sociétés de droit anglais « F.W.S. Ltd. » et « E.C.L.L.C. », respectivement propriétaire et affréteur du navire en cause. Par une ordonnance du 26 novembre 1984, le juge ordonna la citation à comparaître des défenderesses. L’une de ces dernières n’ayant pu être citée, le requérant demanda au tribunal, par un acte du 4 janvier 1985, sa citation au moyen d’une commission rogatoire internationale. Le 7 novembre 1985, les défenderesses déposèrent leurs conclusions en réponse. Le même jour, elles demandèrent la constitution d’un fonds de limitation de la responsabilité, conformément aux dispositions de la Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957. Cette demande fut annexée à la procédure principale et le juge statua à son sujet par une ordonnance du 9 mai 1988, laquelle fixa la limite de la responsabilité des défenderesses à 14 582 164 escudos portugais (PTE). Le 21 novembre 1985, le requérant déposa sa réplique. Le 27 juin 1986, plusieurs personnes, qui étaient employées par le requérant dans son bateau de pêche, formulèrent une demande en intervention. Requérant et défenderesses, par des actes des 1er et 3 octobre 1986, s’opposèrent à cette demande. Par une décision du 31 juillet 1987, le juge rejeta la demande en intervention. Le 31 juillet 1987, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir. Les parties déposèrent des réclamations contre la décision préparatoire, les 12 et 26 octobre 1987. Le juge statua sur ces réclamations le 28 octobre 1987. Le 22 avril 1988, les défenderesses demandèrent l'audition de trois témoins résidant au Royaume-Uni au moyen d'une commission rogatoire internationale. Par une décision du 6 mai 1988, le juge ordonna de délivrer la commission rogatoire en question. Le 15 juin 1989, le juge constata que la commission rogatoire internationale n'avait pas encore été retournée. Il décida néanmoins de fixer l'audience au 30 janvier 1990. Le 30 janvier 1990, l'audience fut reportée au 18 septembre 1990 en raison de l'absence de l'avocat des défenderesses. Le 18 septembre 1990, le juge, constatant que la déposition de l'un des témoins visés par la commission rogatoire internationale était déjà effectuée mais pas encore communiquée au tribunal de Matosinhos, et considérant qu'elle était essentielle pour la bonne décision de la cause, reporta l'audience au 30 avril 1991. La commission rogatoire en cause parvint au tribunal le 17 janvier 1991. Le 30 avril 1991, l'audience fut reportée au 22 octobre 1991, le juge ayant considéré qu'il convenait de la tenir en même temps que celle relative à une procédure en réclamation de créances qui avait entre-temps été introduite. Le 22 octobre 1991, l'audience fut reportée au 5 mai 1992, pour les mêmes motifs. Par une ordonnance du 30 avril 1992, le juge, prenant en considération la surcharge du rôle du tribunal et le manque de magistrats, reporta l'audience au 10 novembre 1992 et, si nécessaire, au 17 novembre 1992. L’audience eut lieu les jours mentionnés. Le 29 janvier 1993, le dossier fut présenté, en état, au juge. Par un jugement du 16 mars 1997, le tribunal donna partiellement gain de cause au requérant, condamnant les défenderesses au paiement de la somme de 28 792 830 PTE, ainsi que des intérêts y afférents. Le tribunal décida également que le requérant avait droit à une indemnisation supplémentaire à déterminer lors de la procédure d’exécution ainsi qu’au remboursement des intérêts bancaires dont il était débiteur suite à l’achat de son bateau. Le 8 avril 1997, les défenderesses firent appel de ce jugement devant la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Porto. Elles déposèrent leur mémoire le 19 mai 1997. La cour d’appel rendit son arrêt le 26 janvier 1999. Elle considéra que le requérant ne pouvait recevoir que la somme fixée par la décision de constitution du fonds de limitation de la responsabilité rendue le 9 mai 1988 (paragraphe 11 ci-dessus), laquelle, d’après la cour d’appel, avait déjà acquis force de chose jugée. Elle annula ainsi le jugement attaqué. A une date non précisée, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça), où la procédure demeure pendante à ce jour. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Conceição Gavina a saisi la Commission le 5 septembre 1996. Il se plaignait de la durée de la procédure et estimait avoir été victime d'une atteinte à son droit au respect de ses biens. Il invoquait les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole n° 1. Le 4 mars 1998, la Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête (n° 33435/96) recevable. Dans son rapport du 1er juillet 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 1 du Protocole n° 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
Le 13 juillet 1991, M. P. assigna le requérant et trois autres personnes devant le tribunal de Gênes, afin d'obtenir le constat de l'existence d'une servitude de passage sur des terrains de leur propriété. La mise en état commença le 17 octobre 1991. Après deux audiences, par une ordonnance du 29 janvier 1992, le juge de la mise en état nomma un expert et déclara le requérant défaillant. Celui-ci se constitua à une date non précisée. Les neuf audiences qui se tinrent entre le 25 mars 1992 et le 26 mai 1994 concernèrent l'expertise. Le 13 octobre 1994 les parties demandèrent la comparution personnelle de l'expert afin de modifier des questions concernant l'expertise. Des cinq audiences suivantes, quatre furent reportées dans l'attente du dépôt dudit rapport. Le 11 juillet 1996 un nouvel avocat se constitua pour le requérant et le juge ajourna l'affaire au 12 novembre 1996 en vu d'un règlement amiable du différend. Après quatre audiences, le 4 décembre 1997 les trois autres défendeurs demandèrent la fixation de la date de présentation des conclusions. Le 15 janvier 1998 le requérant demanda un renvoi afin d'examiner un document et le juge ajourna l'affaire au 29 janvier 1998. Selon les informations fournies par le requérant le 31 mars 1999, la procédure était encore pendante dans l'attente d'être attribuée à la chambre chargée des affaires à traiter selon l'ancien code de procédure civile (sezione stralcio). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ghilino a saisi la Commission le 28 octobre 1996. Il alléguait la méconnaissance de son droit à un procès dans un délai raisonnable (article 6 § 1). Le 27 mai 1998, la Commission a retenu la requête (n° 38116/97). Dans son rapport du 15 septembre 1998 (ancien article 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 6 § 1.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 3 mai 1982, le requérant fut arrêté par la milice pour avoir pris part à une manifestation à Gdańsk. Par la suite, soupçonné de participation à une réunion illégale, il fut placé en détention provisoire. Le 5 janvier 1983, le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Gdańsk le condamna à seize mois d’emprisonnement, en application de la loi martiale alors en vigueur, pour avoir assisté à une réunion illégale ayant donné lieu à une attaque violente contre des tiers et des biens publics (infraction réprimée par l’article 275 § 1 du code pénal de 1969). Cette juridiction releva en particulier qu’au cours de la manifestation (commémorant l’adoption de la Constitution du 3 mai 1791), l’intéressé avait scandé des slogans antigouvernementaux et jeté des insultes à la milice, avait déployé le drapeau national sur un monument et, lorsque les agents de la milice avaient tenté de réprimer la manifestation, il leur avait lancé des pierres depuis les barricades, endommageant ainsi des biens publics (à savoir des véhicules de la milice et des bancs publics). Le 8 juin 1983, la Cour suprême (Sąd Najwyższy) confirma le jugement. Le 3 mars 1993, sur recours extraordinaire du procureur général (Prokurator Generalny), la chambre criminelle de la Cour suprême, siégeant en collège de sept juges, annula les deux décisions susmentionnées et relaxa le requérant, estimant qu’il n’avait commis aucune infraction mais avait simplement exercé ses droits civils fondamentaux en « participant à une manifestation pacifique et patriotique ». Sur ce dernier point, elle souligna qu’il ne faisait aucun doute que la manifestation, qu’elle fût « légale » ou « illégale » au regard de la loi alors en vigueur, ne se voulait pas une « attaque violente contre des tiers ou des biens ». En outre, les violents affrontements qui avaient eu lieu entre les manifestants et la milice avaient été une simple conséquence et une riposte inévitable à l’assaut brutal de la milice contre les premiers au moyen, notamment, de matraques, de bombes lacrymogènes et de canons à eau. Le 13 avril 1993, le requérant présenta au tribunal régional de Gdańsk une demande fondée sur l’article 487 du code de procédure pénale. Il sollicita du Trésor public une indemnité pour avoir été condamné à tort en 1983 et détenu de façon arbitraire pendant 249 jours au total. Il invita le tribunal à lui allouer une réparation, qu’il ne chiffra pas, pour le manque à gagner, les dommages prétendument subis au cours de sa détention, et la détérioration de sa santé à la suite de son incarcération. Le requérant purgeait alors à la prison de Kwidzyń une peine qui lui avait été infligée dans le cadre d’une autre procédure pénale. Le 21 mai 1993, le président du tribunal régional de Gdańsk l’avisa que la demande susmentionnée avait été déférée le 18 mai 1993 à la section pénale IV de cette juridiction. Dans un courrier daté du 7 juin 1993, M. Humen demanda au tribunal de l’informer de l’état de la procédure. Le 15 juin 1993, le tribunal régional de Gdańsk lui ordonna de préciser le montant de l’indemnité réclamée et de produire des documents relatifs aux dommages subis durant sa détention. Le requérant chiffra l’indemnité dans un mémoire déposé au greffe du tribunal le 25 juin 1993. Le 19 juillet 1993, il invita le tribunal à traiter sa demande dans les meilleurs délais. Le 30 juillet 1993, le tribunal l’informa qu’il en était à examiner les demandes d’indemnisation introduites au cours du premier semestre de 1992. L’attention du requérant fut attirée sur le fait qu’il n’avait pas soumis les documents sollicités le 15 juin 1993. Il les produisit à une date non précisée de septembre 1993, et pria le tribunal de fixer une audience. Le 10 août 1993, M. Humen se plaignit au médiateur (Rzecznik Praw Obywatelskich), au ministre de la Justice et à la cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Gdańsk des lenteurs de la procédure dans son affaire. A une date non précisée, ses plaintes furent déférées au président du tribunal régional de Gdańsk, qui lui répondit le 6 novembre 1993 que la section pénale de cette juridiction était saisie de vingt-huit demandes d’indemnisation similaires et que la sienne arrivait en vingtième position. En conséquence, il était difficile de prévoir précisément quand son affaire serait audiencée. 17. Le 26 octobre 1993, le requérant se plaignit à la Cour suprême de la durée de la procédure. Le 9 novembre 1993, sa plainte fut déférée à la cour d’appel, laquelle, le 23 décembre 1993, informa l’intéressé que son affaire venait en seizième position sur le rôle et qu’elle serait probablement traitée au cours du premier trimestre de 1994. Entre-temps, le 10 novembre 1993, le requérant avait présenté un mémoire au tribunal régional de Gdańsk, dans lequel il augmentait ses prétentions. Il demandait en particulier au tribunal d’ordonner à l’Etat de lui verser de surcroît une indemnité mensuelle pour perte de chances. Il informa également cette juridiction qu’il n’était pas en mesure de produire les documents relatifs aux dommages subis pendant sa détention, étant donné que ses dossiers médicaux de 1982 étaient conservés dans les archives de la prison et ne pouvaient être divulgués que sur ordre du tribunal. Le 25 novembre 1993, le tribunal ordonna aux autorités pénitentiaires compétentes de lui communiquer les documents pertinents, ce qui fut fait le 7 décembre 1993. Le même jour, le requérant invita le tribunal à fixer une audience. Dans un mémoire déposé au greffe du tribunal le 29 décembre 1993, M. Humen étoffa ses prétentions sans en préciser le montant. Le 5 janvier 1994, en réponse à une nouvelle plainte de l’intéressé, le tribunal régional de Gdańsk informa celui-ci que des demandes d’indemnisation antérieures à la sienne étaient encore en cours d’examen. Toutefois, une audience dans son affaire serait fixée dès que possible. Le 24 janvier 1994, le requérant se plaignit de nouveau au tribunal régional de Gdańsk de la durée de la procédure. Par une lettre du 8 février 1994, cette juridiction lui répondit qu’il était impossible de fixer une audience au premier trimestre de 1994. Le 14 février 1994, le requérant saisit le président du tribunal régional de Gdańsk, dénonçant la durée excessive de la procédure, et s’enquit de la date de la première audience. Le 23 mars 1994, le président lui répondit que son affaire serait probablement examinée en juin ou juillet 1994. Il admit également qu’eu égard aux retards importants survenus dans le traitement de demandes d’indemnisation similaires, les indications antérieures quant à une éventuelle date d’audience se révélaient inexactes. Le 28 mars 1994, le requérant se plaignit au ministre de la Justice de l’inactivité du tribunal régional de Gdańsk. Le 1er juin 1994, cette juridiction fixa la première audience dans l’affaire au 17 juin 1994. A cette date, elle entendit le requérant qui déclara notamment qu’en 1982, il pratiquait une activité commerciale et était membre de la chambre des métiers de Gdańsk. Le tribunal ajourna l’audience sine die, estimant qu’il y avait lieu de recueillir des expertises médicales afin d’apprécier l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’état de santé de l’intéressé et la détention qu’il avait subie en 1982-1983. Il jugea également nécessaire d’entendre la sœur du requérant et de demander des preuves écrites de la perte financière éventuellement subie par M. Humen du fait de sa condamnation et de sa privation de liberté. Le 20 juin 1994, le tribunal ordonna de recueillir les preuves écrites suivantes : premièrement, les dossiers médicaux à jour du requérant auprès des autorités pénitentiaires concernées ; deuxièmement, des informations écrites du service fiscal compétent sur le point de savoir si M. Humen avait payé des impôts sur le revenu pour avril et mai 1982 ; troisièmement, un certificat de l’ancien employeur de l’intéressé indiquant son salaire mensuel moyen au cours de la période qui avait précédé sa détention (soit du 29 octobre 1981 au 31 mars 1982) et, quatrièmement, des renseignements écrits de la chambre des métiers de Gdańsk sur la question de savoir si le requérant avait été affilié à la chambre et avait payé sa cotisation. Le 27 juin 1994, le tribunal reçut les dossiers médicaux de M. Humen. Le 21 juillet 1994, le service fiscal répondit que le requérant n’était pas inscrit en tant que contribuable ayant pratiqué une activité commerciale en 1982. La société qui avait employé l’intéressé n’ayant pas produit le certificat sollicité, le tribunal lui adressa deux rappels, les 19 juillet et 1er septembre 1994. Le certificat en question fut fourni le 15 décembre 1994. Dans l’intervalle, par un courrier du 25 juillet 1994, le requérant avait demandé au tribunal quand la procédure s’achèverait. Le 8 août 1994, on lui répondit que des mesures de procédure avaient été prises en vue de recueillir les éléments de preuve nécessaires pour statuer sur ses prétentions. Les 3 et 24 octobre 1994, le requérant se plaignit au président du tribunal régional de Gdańsk de la durée de la procédure. Le 25 octobre 1994, le président l’informa que son dossier avait été transmis le 20 octobre 1994 aux experts de l’institut de médecine légale de l’Académie de médecine de Gdańsk. On ne pouvait donc fixer la date de la prochaine audience avant d’avoir reçu leur rapport. Le 18 novembre 1994, après avoir constaté que les experts n’avaient pas fixé de date pour l’examen du requérant, le tribunal ordonna au greffe de suivre leurs travaux et de rendre compte au président quant à l’obtention des preuves. Le 1er décembre 1994, M. Humen fut examiné par un neurologue qui exprima l’avis qu’il devait subir une tomographie cérébrale. L’institut de radiologie de l’Académie de médecine de Gdańsk, à la demande du tribunal, fixa la date de cet examen au 22 décembre 1994. Entre-temps, le 19 décembre 1994, le requérant, qui avait bénéficié d’une permission de vingt-quatre heures, n’était pas retourné en prison. Il ne se présenta pas à son rendez-vous pour la tomographie cérébrale. 32. Le 13 janvier 1995, après avoir été informé par l’administration pénitentiaire que le requérant était toujours recherché, le tribunal régional de Gdańsk suspendit la procédure. Il la reprit le 17 février 1995, l’intéressé lui ayant fait savoir qu’une assignation ou tout autre document de procédure pouvaient lui être notifiés à son domicile. Par la suite, le tribunal invita les experts à fixer une autre date pour la tomographie cérébrale. Cet examen fut prévu pour le 24 avril 1995, et le tribunal ordonna de conduire le requérant, qui avait été réincarcéré dans l’intervalle, chez les experts à cette date. Toutefois, le 11 avril 1995, le président du tribunal régional de Gdańsk informa le président de la section pénale de cette juridiction que dans deux lettres datées du 3 avril 1995, le requérant avait exprimé son refus de subir la tomographie cérébrale et menacé d’entamer une grève de la faim pour obtenir une date pour la prochaine audience. Le 4 mai 1995, le tribunal fit part aux experts du refus de l’intéressé de subir la tomographie et leur demanda s’ils seraient en mesure d’élaborer leur rapport sur la base du dossier. Les experts soumirent leur rapport au tribunal le 23 mai 1995. A cette date, le tribunal invita de nouveau la chambre des métiers de Gdańsk à lui indiquer si le requérant en avait été membre en avril et mai 1982. Le 25 mai 1995, le tribunal apprit par téléphone que l’intéressé n’avait pas été affilié à la chambre de 1980 à 1995. Ultérieurement, le 30 mai 1995, le tribunal établit à partir d’éléments non mentionnés que M. Humen, bien qu’il eût allégué auparavant avoir commencé son activité commerciale en 1982, n’avait en fait déclaré son activité aux autorités compétentes que le 1er août 1990. Le 2 juin 1995, le tribunal régional de Gdańsk tint une audience au cours de laquelle il entendit la sœur du requérant. A cette occasion, M. Humen confirma son refus de subir la tomographie cérébrale. Le même jour, le tribunal rendit une décision accueillant en partie la demande de l’intéressé. Il lui accorda une indemnité de 5 000 zlotys (PLN), dont 2 500 PLN pour dommage matériel et 2 500 PLN pour préjudice moral. Le 5 juillet 1995, sur appel formé par le requérant le 9 juin 1995, la cour d’appel de Gdańsk annula cette décision et renvoya l’affaire devant le tribunal régional, estimant en particulier que la juridiction de première instance n’avait pas dûment établi l’existence d’un lien de causalité entre l’état de santé de l’intéressé et sa détention. Entre-temps, le 26 juin 1995, le requérant avait invité le tribunal à clore la procédure dans les meilleurs délais. Le 17 juillet 1995, le tribunal régional de Gdańsk demanda un nouveau rapport au neurologue qui avait établi le précédent. 39. Dans son mémoire du 19 juillet 1995, le requérant étoffa ses prétentions sans en préciser le montant. Le 17 août 1995, M. Humen se plaignit au tribunal de la durée excessive de la procédure. Le 23 août 1995, le tribunal lui répondit que la prochaine audience serait fixée après réception du rapport de l’expert. Le 28 août 1995, l’expert informa le tribunal qu’il n’était pas en mesure de rédiger un rapport plus approfondi sur l’état de santé de l’intéressé sans l’aide d’une tomographie cérébrale. Dans un courrier daté du 12 septembre 1995, reçu au greffe le 25 septembre 1995, le requérant invita le tribunal à poursuivre l’examen de son affaire. Le 11 octobre 1995, le tribunal tint une audience au cours de laquelle l’expert déposa. L’audience fut ajournée, le tribunal ayant décidé d’entendre deux témoins, notamment K. D., un médecin, et A. P., le procureur qui avait ordonné le placement du requérant en détention provisoire en mai 1982. Le tribunal ne put trouver l’adresse d’A. P. (et donc le citer à comparaître) avant le 14 décembre 1995. Le 12 janvier 1996, le tribunal tint l’audience suivante et entendit K. D. ; toutefois, l’affaire fut reportée au 9 février 1996 car A. P. ne comparut pas. Le 9 février 1996, un nouvel ajournement fut prononcé pour la même raison. Au cours de l’audience suivante, qui se déroula le 6 mars 1996 en présence de M. Humen, le tribunal entendit A. P. et rendit une décision accordant au requérant une indemnité de 6 800 PLN pour préjudice matériel et moral. Le texte intégral de la décision fut signifié à l’intéressé le 18 mars 1996. N’ayant pas été contestée dans le délai légal de sept jours, la décision acquit force de chose jugée le 26 mars 1996. Le 1er octobre 1996, M. Humen se rendit au service financier du tribunal régional de Gdańsk où il perçut en espèces la somme allouée. II. le droit et la pratique internes pertinents A l’époque des faits, les dispositions régissant la responsabilité de l’Etat pour toute condamnation injuste ou privation de liberté arbitraire subie par un individu au cours d’une procédure pénale diligentée à son encontre figuraient au chapitre 50 du code de procédure pénale de 1969 intitulé « Indemnité pour condamnation, détention provisoire ou arrestation injustifiées ». Ce code n’est plus en vigueur, puisqu’il a été abrogé par le « nouveau code de procédure pénale » du 6 juin 1997. 46. Le passage pertinent de l’article 487 du code de 1969 se lisait ainsi : « 1. Toute personne condamnée qui, à la suite de la réouverture de la procédure pénale à son encontre ou de l’introduction d’un recours extraordinaire, est relaxée ou dont la peine est modifiée en application d’une disposition de fond plus clémente, a droit à être indemnisée par le Trésor public au titre du préjudice qu’elle a subi pour avoir purgé tout ou partie de la peine infligée. (…) Les dispositions du présent chapitre s’appliquent par analogie aux arrestations ou détentions provisoires manifestement injustifiées. » L’article 488 dudit code, en ses dispositions pertinentes, était ainsi libellé : « 1. Toute demande d’indemnisation doit être présentée au tribunal régional dans le ressort duquel a été rendue la décision de première instance donnant lieu à cette demande. (…) Le tribunal se compose de trois juges. Priorité est donnée aux affaires relatives aux demandes d’indemnisation, pour lesquelles le demandeur ne sera pas tenu de payer les frais de procédure. » Toute demande d’indemnisation fondée sur les dispositions précitées était examinée par une juridiction pénale. Dans ce type d’affaire, le tribunal suivait les règles de la procédure pénale. Toutefois, pour apprécier le dommage matériel ou moral subi par le demandeur, il appliquait les principes pertinents du code civil. L’intéressé avait droit à une réparation pour toute perte financière (perte d’emploi ou manque à gagner par exemple), et toute atteinte à sa santé physique ou mentale résultant de l’exécution de la peine ou de la détention provisoire. Pour déterminer le montant de l’indemnité due pour perte d’emploi ou manque à gagner, le tribunal devait établir la capacité de revenus que le demandeur aurait eue s’il n’avait pas été condamné et détenu, et déduire de la somme ainsi chiffrée les dépenses quotidiennes indispensables et, le cas échéant, d’autres frais ou pertes (voir l’arrêt de la Cour suprême du 19 avril 1995, n° WZ 71/95, publié dans OSP 1995/12/235). Le tribunal appliquait avant tout les règles de la preuve figurant dans le code de procédure pénale. Toutefois, conformément à la doctrine bien établie et à la pratique judiciaire constante, il observait également les règles pertinentes de la procédure civile. En particulier, étant donné que pareille procédure avait principalement trait à une réparation financière pour erreur judiciaire et ne tendait pas à une décision sur une accusation en matière pénale, le tribunal appliquait le principe général de la procédure civile selon lequel il incombait au demandeur de produire les éléments de preuve et d’établir les faits. Quant à la recevabilité et à l’appréciation des preuves, le tribunal se fondait principalement sur les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, qui prévoyaient notamment que le tribunal pouvait admettre des éléments de preuve, d’office ou à la demande des parties, et les apprécier selon son intime conviction. Toutefois, lorsqu’il était impossible ou difficile d’établir précisément les faits à prendre en compte pour déterminer le montant de l’indemnité due pour perte d’emploi ou manque à gagner (tels que la capacité de gain du demandeur, son revenu et ses dépenses), le tribunal, appliquant l’article 322 du code de procédure civile par analogie, devait en fixer le montant d’après sa propre appréciation de l’ensemble des circonstances pertinentes (voir la résolution adoptée par la Cour suprême plénière le 7 juin 1958, n° Prez. 729/58, publiée dans OSN 1958, n° 4, point 34). Conformément à l’article 10 § 2 du code de procédure pénale, les organes chargés de la conduite de l’instance pénale étaient tenus, le cas échéant, d’informer les parties de leurs droits et devoirs procéduraux. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Edward Humen a saisi la Commission le 7 avril 1994. Il se plaignait en premier lieu de la durée excessive de la procédure d’indemnisation qu’il avait engagée devant le tribunal régional de Gdańsk pour avoir été condamné à tort en vertu de la loi martiale et détenu de façon arbitraire. Il prétendait en outre que dans trois procédures pénales distinctes diligentées à son encontre, les juridictions polonaises l’avaient condamné sur la base de preuves insuffisantes et avaient procédé à une appréciation erronée des éléments dont elles disposaient. Quant à l’une de ces trois instances, le requérant alléguait également que son droit d’être libéré pendant la procédure avait été méconnu. Enfin, il se plaignait du refus de surseoir temporairement à l’exécution de sa peine. Il n’invoquait aucune disposition précise de la Convention à l’appui de ses griefs. La Commission a examiné ceux-ci sous l’angle des articles 6 § 1 et 5 § 3 de la Convention. Le 3 décembre 1997, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 26614/95) pour autant qu’elle concernait le grief relatif à la durée de la procédure portant sur la demande d’indemnisation présentée par le requérant au titre de ses condamnation et détention injustifiées. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 20 mai 1998 (ancien article 31), elle formule, par huit voix contre six, l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à dire qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et à lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention. Dans le sien, le Gouvernement demande à la Cour de dire que l’article 6 § 1 n’a pas été enfreint en l’espèce.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant algérien, né en 1964 en Algérie. Il est domicilié à Tlemcen (Algérie). Le requérant est entré en France en 1967, à l’âge de deux ans. Il y a depuis lors toujours résidé, comme tous les membres de sa famille. Il a sept frères et sœurs, qui sont de nationalité française. Le requérant a suivi toute sa scolarité en France, où il obtint en 1982 un diplôme professionnel (CAP) de mécanicien-ajusteur. Par ailleurs, entre 1982 et 1992, il a occupé plusieurs emplois et effectué divers stages de formation professionnelle. Il a rencontré en 1987 une ressortissante française, Mlle L., avec laquelle il a entretenu des relations régulières. Le requérant effectua son service militaire en Algérie de janvier 1984 à décembre 1985. Au mois de juillet 1990, les gendarmes de la brigade de recherches de Belley furent informés de la situation d’une fillette âgée de onze ans dont le père venait de décéder du sida et dont la mère, Mme C., elle aussi atteinte de cette maladie, s’adonnait régulièrement à la consommation de stupéfiants et fréquentait de nombreux toxicomanes. Après l’ouverture d’une information contre X pour infraction à la législation sur les stupéfiants, l’enquête effectuée par les services de gendarmerie permit de mettre au jour, à l’automne 1990, l’existence d’un trafic de stupéfiants impliquant à des degrés de responsabilité divers plus d’une vingtaine de personnes. Le requérant fut interpellé et inculpé dans le cadre de cette instruction. Il était mis en cause comme revendeur de drogue par de nombreux coïnculpés. L’information permit d’établir qu’il vivait en concubinage depuis juillet avec Mme C. à qui il fournissait du haschich et de l’héroïne, et avec laquelle il s’était livré à un commerce illicite d’héroïne. Par un jugement du tribunal correctionnel de Belley en date du 10 septembre 1991, le requérant fut condamné pour trafic de stupéfiants à une peine de quinze mois d’emprisonnement, dont douze assortis d’un sursis simple, et à une interdiction du territoire français pour une période de dix ans. Sur appel du requérant, la cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 23 janvier 1992, porta la peine d’emprisonnement à trois ans dont deux ans avec sursis, et confirma la mesure d’interdiction du territoire français. Dans son arrêt, la cour d’appel déclara notamment : « Attendu que Mohamed BAGHLI, devenu au cours de l’été 1990 le concubin de R.C. reconnaît être consommateur de haschich de longue date et s’être initié à l’héroïne depuis le mois de juin 1990 ; Qu’il admet s’être rendu de fin juin à fin juillet à Lyon deux fois par semaine pour se fournir en drogue auprès d’un nommé A., (...) qui lui cédait la drogue et notamment des doses d’héroïne de un gramme ou un demi-gramme aux prix de 1 600 francs ou 800 francs ; Qu’il partageait cette drogue avec sa concubine (...) mais également en revendait une partie (...) (...) Attendu qu’en définitive le trafic d’héroïne reproché à BAGHLI, parfaitement caractérisé par les investigations du juge d’instruction, porte sur une dizaine de grammes d’héroïne consommée pour partie par lui-même ou sa concubine, soit pour une autre part revendue pour financer de nouveaux achats, après coupage dans des conditions particulièrement inquiétantes pour la santé des acquéreurs ; (...) » Le requérant forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté par une décision de la Cour de cassation du 6 septembre 1993. Mme C. décéda en octobre 1992. En décembre 1992, le requérant noua une relation sentimentale avec Mlle I., de nationalité française, tous deux se connaissant depuis plusieurs années. A l’issue de sa peine, le requérant fut reconduit en Algérie le 14 mai 1994. Il semble qu’il soit toujours dans ce pays au jour du présent arrêt. Le 11 janvier 1994, alors qu’il était encore incarcéré à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône, le requérant sollicita auprès de la cour d’appel de Lyon le relèvement de la mesure d’interdiction du territoire en invoquant les dispositions de l’article 8 de la Convention. Par un arrêt rendu le 30 juin 1994, la cour d’appel rejeta son recours. Contre cette décision, le requérant, par l’intermédiaire de son conseil, forma un pourvoi en cassation, en invoquant notamment l’article 8 de la Convention. Par un arrêt du 19 décembre 1995, la Cour de cassation rejeta le recours en ces termes : « (...) Attendu qu’après avoir rappelé que Mohamed Baghli avait été condamné à raison de sa participation à un trafic d’héroïne, la cour d’appel énonce que, s’il est exact que sa famille vit actuellement en France et que la majorité de ses membres a la nationalité française, il n’a pas lui-même perdu tout contact avec l’Algérie où il a fréquemment passé ses vacances et effectué le service militaire en 1984 et 1985 ; que le simple projet de vie commune avec une femme française n’est pas déterminant, alors qu’à l’époque des faits, il vivait avec une autre femme qu’il mêlait à son trafic ; Qu’elle en conclut que la mesure d’éloignement prononcée n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit à la vie de famille, prévu à l’article 8 de la Convention (...) Qu’elle ajoute que, si l’article 14 de ladite Convention interdit toute discrimination fondée sur l’origine nationale, l’article 2, alinéa 3, du Protocole n° 4, qui est additionnel, permet d’interdire l’accès du territoire à un étranger lorsque cette mesure est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la préservation de la santé ou de la morale, comme à la prévention des infractions pénales et que tel est bien le cas en l’espèce, s’agissant d’un trafic de stupéfiants et spécialement d’héroïne ; (...) » Cet arrêt n’a pas été notifié au requérant. Son représentant dit avoir reçu la copie de cet arrêt au mois de septembre 1996. II. le droit interne pertinent L’article L. 630-1, alinéa 1, du code de la santé publique, tel que rédigé au moment des faits, prévoyait : « Sans préjudice de l’application des articles 23 et suivants de l’ordonnance n° 452658 du 2 novembre 1945, les tribunaux pourront prononcer l’interdiction du territoire français, pour une durée de deux à cinq ans, contre tout étranger condamné pour les délits prévus par les articles L. 626, L. 627-2, L. 628, L. 628-4 et L. 630. Ils pourront prononcer l’interdiction définitive du territoire français contre tout étranger condamné pour les délits prévus à l’article L. 627. L’interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière à l’expiration de sa peine. (...) » L’ancien article L. 627 du code de la santé publique prévoyait : « Seront punis d’un emprisonnement de deux ans à dix ans et d’une amende de 5 000 F à 50 000 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui auront contrevenu aux dispositions des règlements d’administration publique prévus à l’article précédent et concernant les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants par voie réglementaire. Lorsque le délit aura consisté dans l’importation, la production, la fabrication ou l’exportation illicite desdites substances ou plantes, la peine d’emprisonnement sera de dix à vingt ans (...) La tentative de l’une des infractions réprimées par l’alinéa précédent sera punie comme le délit consommé. Il en sera de même de l’association ou de l’entente en vue de commettre ces infractions. (...) Seront également punis d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende de 5 000 F à 50 000 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement : Ceux qui auront facilité à autrui l’usage desdites substances ou plantes, à titre onéreux ou à titre gratuit, soit en se procurant dans ce but un local, soit par tout autre moyen. (...) Lorsque l’usage desdites substances aura été facilité à un ou des mineurs de moins de vingt et un ans (...) la peine d’emprisonnement sera de cinq à dix ans. (...) » L’article 55-1 du code pénal dispose : « (...) toute personne frappée d’une interdiction (...) résultant de plein droit d’une condamnation pénale ou prononcée dans le jugement de condamnation, (...), peut demander à la juridiction qui a prononcé la condamnation (...) de la relever, en tout ou en partie, y compris en ce qui concerne la durée, de cette interdiction (...) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Baghli a saisi la Commission le 26 décembre 1996. Il alléguait que la mesure d’interdiction prononcée à son encontre violait son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention. Le 4 mars 1998, la Commission a déclaré la requête (n° 34374/97) recevable. Dans son rapport du 9 septembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut, par onze voix contre trois, à la violation de l’article 8. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, M. Baghli invite la Cour à dire que l’Etat défendeur a violé l’article 8 de la Convention et à lui accorder, au titre de l’article 41, une indemnité pour dommage matériel et moral ainsi que le remboursement de ses frais et dépens. Le Gouvernement, pour sa part, invite principalement la Cour à dire que la requête du requérant est irrecevable ratione temporis car introduite devant la Commission hors du délai de six mois prévu par l’ancien article 26 de la Convention et, à titre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 5 avril 1993, le requérant, alors détenu à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne en exécution d’un arrêt de la cour d’assises du département de l’Hérault le condamnant à dix-huit années de prison pour assassinat, déposa plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Montpellier pour violation du secret de la correspondance contre le vaguemestre de l’établissement pénitentiaire. Le requérant faisait valoir dans sa plainte que, depuis son incarcération à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne, divers courriers émanant de ses avocats, de l’autorité judiciaire, des services sociaux pénitentiaires ainsi que de l’aumônier de l’établissement, lui parvenaient ouverts, en violation des articles D. 69, D. 262, D. 438 et D. 469 du code de procédure pénale et de l’article 8 de la Convention. Par une ordonnance du 24 octobre 1994, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Montpellier décida qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre contre X du chef de violation de la correspondance, au motif qu’il n’existait pas « de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis le délit de violation du secret de la correspondance tel que spécifié à la prévention ». Contre cette décision, le requérant interjeta appel auprès de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Montpellier. Par un arrêt du 6 avril 1995, la cour d’appel confirma l’ordonnance déférée et rejeta l’appel. S’agissant de l’établissement matériel de l’infraction, la cour d’appel estima qu’il était établi pour les motifs suivants : « Qu’en l’espèce, il y a lieu d’observer que l’ingérence de l’administration pénitentiaire, si elle est prévue de façon générale pour le courrier des détenus, est formellement exclue par les articles D. 69, D. 262, D. 438 et D. 469 du Code de procédure pénale pour les correspondances adressées à des détenus et provenant de leurs défenseurs, des autorités administratives et judiciaires, des aumôniers de l’établissement et des travailleurs sociaux appartenant à l’un des services du ministère de la Justice ; Attendu qu’en l’espèce, il résulte des éléments versés au dossier, que des courriers, appartenant à des catégories visées ci-dessus, destinés à DEMIRTEPE, ont été ouverts par le personnel de la prison, que cette ouverture a été reconnue par les services administratifs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne puisque les personnes affectées au service du courrier ont mentionné des ouvertures par mégarde à cause du nombre de plis reçus et de l’utilisation d’une machine électrique, et que, de plus, sont versées au dossier un certain nombre d’enveloppes, portant à l’évidence les mentions requises pour échapper à la censure, manifestement ouvertes par une machine, et qu’enfin figure également au dossier une lettre du sous-directeur de la prison accompagnant un courrier ouvert par erreur à ses dires ; (...) » Toutefois, la cour d’appel constata que, si l’élément matériel de l’infraction dénoncée par le requérant était effectivement établi, à savoir l’ouverture de courriers, ni la responsabilité collective du service du courrier de la maison d’arrêt ni la responsabilité pénale du seul vaguemestre dirigeant ce service ne pouvaient être retenues, et confirma le non-lieu à poursuivre. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Par un arrêt en date du 14 mai 1996, la Cour de cassation rejeta le recours. Cet arrêt lui fut notifié le 20 août 1996. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Code de procédure pénale Les articles pertinents du code de procédure pénale sont ainsi rédigés : Article D. 69 § 1 « Les lettres adressées sous pli fermé par les prévenus à leur défenseur, ainsi que celles que leur envoie ce dernier, ne sont pas soumises au contrôle visé à l’article D. 416, s’il peut être constaté sans équivoque qu’elles sont réellement destinées au défenseur ou proviennent de lui. » Article D. 259 « Tout détenu peut présenter des requêtes ou des plaintes au chef d’établissement ; ce dernier lui accorde audience s’il invoque un motif suffisant. Chaque détenu peut demander à être entendu par les magistrats et fonctionnaires chargés de l’inspection ou de la visite de l’établissement, hors la présence de tout membre du personnel de la prison. » Article D. 260 « Il est permis au détenu ou aux parties auxquelles une décision administrative a fait grief de demander qu’elle soit déférée au directeur régional si elle émane d’un chef d’établissement, ou au ministre si elle émane d’un directeur régional. Cependant, toute décision prise dans le cadre des attributions définies par la loi, par le règlement ou par instruction ministérielle, est immédiatement exécutoire nonobstant l’exercice du recours gracieux ci-dessus prévu. » Article D. 262 « Les détenus peuvent, à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives ou judiciaires françaises dont la liste est fixée par le ministre de la Justice. Ces lettres peuvent être remises sous pli fermé et échappent dès lors à tout contrôle : aucun retard ne peut être apporté à leur envoi. Les détenus qui mettraient à profit la faculté qui leur est ainsi accordée soit pour formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà fait l’objet d’une décision de rejet, encourent une sanction disciplinaire, sans préjudice des sanctions pénales éventuelles. » Article D. 415 « Les lettres adressées aux détenus ou envoyées par eux doivent être écrites en clair et ne comporter aucun signe ou caractère conventionnel. Elles sont retenues lorsqu’elles contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires. » Article D. 416 « (...) les lettres de tous les détenus, tant à l’arrivée qu’au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle. Celles qui sont écrites par les prévenus, ou à eux adressées, sont au surplus communiquées au magistrat saisi du dossier de l’information dans les conditions que celui-ci détermine. Les lettres qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires peuvent être retenues. » Article D. 438 « Les détenus peuvent toujours correspondre librement et sous pli fermé avec l’aumônier de l’établissement ; aucune sanction disciplinaire ne peut entraîner la suppression de cette faculté. » Article D. 469 § 1 « La correspondance échangée entre les détenus et les travailleurs sociaux appartenant à l’un des services du ministère de la Justice se fait librement et sous pli fermé. » B. Circulaire n° AP 86.29.G1 L’article 29, alinéa 3, de la circulaire n° AP 86.29.G1 du 19 décembre 1986 dispose : « S’il existe un doute sur l’origine d’une lettre fermée, celle-ci pourra être ouverte en présence du détenu s’il y consent, sinon en présence du Bâtonnier de l’ordre des avocats ou de son représentant. » procÉdure devant la commission M. Demirtepe a saisi la Commission le 22 janvier 1997. Il alléguait que l’ouverture de courriers, non soumis à la censure en vertu du droit interne, par les services de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelonne constituait une violation de son droit au respect de la correspondance garanti par l’article 8 de la Convention. Le requérant invoquait également l’article 3. Le 2 juillet 1997, la Commission (deuxième chambre) a décidé de donner connaissance de la requête (n° 34821/97) au Gouvernement et d’inviter les parties à présenter des observations sur la recevabilité et le bien-fondé du grief du requérant tiré de la violation de son droit au respect de sa correspondance. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Le 20 mai 1998, la Commission a retenu la requête en ce qui concerne le grief tiré de l’article 8. Dans son rapport du 1er décembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut, par vingt-deux voix contre deux, qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 8.
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A l’époque des faits, le requérant était policier et secrétaire général du syndicat indépendant de la police. Le 24 décembre 1993 parut au Journal officiel hongrois la loi n° 107 de 1993 portant amendement à la Constitution (az Alkotmány módosításáról szóló 1993. évi CVII. törvény). Ce texte modifiait notamment l’article 40/B § 4 de la Constitution en ce sens qu’à partir du 1er janvier 1994 les membres des forces armées, des services de police et de sécurité se voyaient interdire de s’affilier à un parti politique et de se livrer à des activités politiques (texte de l’article au paragraphe 13 ci-dessous). Par lettre circulaire du 28 janvier 1994, le directeur de la police nationale demanda qu’en raison des élections législatives prochaines les policiers s’abstiennent de toute activité politique. Il évoquait l’article 40/B § 4 de la Constitution tel qu’amendé par la loi n° 107 de 1993. Il indiqua en outre que les policiers désireux de poursuivre des activités politiques devraient quitter la police. Dans une deuxième circulaire du 16 février 1994, le directeur de la police nationale déclara qu’aucune dispense ne serait accordée à l’interdiction énoncée à l’article 40/B § 4 de la Constitution. Le 9 mars 1994, le syndicat indépendant de la police déposa un recours constitutionnel auprès de la Cour constitutionnelle en soutenant que l’article 40/B § 4 de la Constitution tel qu’amendé par la loi n° 107 de 1993 enfreignait les droits constitutionnels des policiers de carrière, était contraire aux principes de droit international généralement reconnus et avait été adopté par le Parlement au mépris de la Constitution. Le 11 avril 1994, la Cour constitutionnelle rejeta le recours et déclara n’avoir pas compétence pour annuler une disposition de la Constitution elle-même. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents de la Constitution de la République de Hongrie (loi n° 20 de 1949, plusieurs fois amendée) disposent : Article 40/B § 4 (tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 1994) « Les membres du personnel de carrière des forces armées, de la police et des services civils de la sécurité nationale ne peuvent être membres d’un parti ni exercer d’activité politique. » « A fegyveres erők, a rendőrség és a polgári nemzetbiztonsági szolgálatok hivatásos állományú tagjai nem lehetnek tagjai pártnak és politikai tevékenységet nem folytathatnak. » Article 61 § 1 (tel qu’en vigueur depuis le 23 octobre 1989) « En République de Hongrie toute personne a droit à la liberté d’expression. Elle est libre également de recevoir et de communiquer des informations d’intérêt public. » « A Magyar Köztársaságban mindenkinek joga van a szabad véleménynyilvánításra, továbbá arra, hogy a közérdekű adatokat megismerje, illetőleg terjessze. » Article 78 § 1 « (...) Le gouvernement est chargé de faire appliquer les dispositions de la Constitution de la République de Hongrie. » « A Magyar Köztársaság alkotmánya (…) végrehajtásáról a Kormány gondoskodik. » Article 78 § 2 « Le gouvernement est tenu de déposer devant l’Assemblée nationale les projets de loi nécessaires à l’application de la Constitution. » « A Kormány köteles az alkotmány végrehajtásához szükséges törvényjavaslatokat az Országgyűlés elé terjeszteni. » La loi n° 17 de 1989 sur les référendums, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : Article 1 § 4 « Aucune signature ne peut être recueillie (...) de personnes servant dans les forces militaires ou civiles armées, pendant qu’elles sont en garnison ou en service (...) » « Nem gyűjthető aláírás (…) fegyveres erőknél és fegyveres testületeknél szolgálati viszonyban levő személyektől, a szolgálati helyen vagy szolgálati feladat teljesítése közben (…) » Article 2 § 1 « Les citoyens ayant le droit de voter ou de se présenter aux élections (...) peuvent participer aux référendums (...) » « A népszavazásban (…) való részvételre választójoggal rendelkező állampolgárok (…) jogosultak. » La loi n° 34 de 1989 (plusieurs fois amendée) sur les élections législatives, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : Article 2 § 1 « En République de Hongrie, tout citoyen hongrois (...) qui a atteint l’âge de la majorité (ci-après « électeur ») a le droit de voter aux élections législatives. » « A Magyar Köztársaságban az országgyűlési képviselők választásán választójoga van (…) minden nagykorú magyar állampolgárnak (a továbbiakban: választópolgár). » Article 2 § 3 « Quiconque dispose du droit de vote et justifie d’une résidence permanente en Hongrie peut se présenter aux élections. » « Mindenki választható, aki választójoggal rendelkezik és állandó lakóhelye Magyarországon van. » Article 5 § 1 « Les électeurs de chaque circonscription ont le droit de désigner des candidats au titre de cette circonscription (...) » « Az egyéni választókerületben a választópolgárok (…) jelölhetnek. (…) » Article 10 § 1 « Les électeurs ont le droit de recueillir des bons de désignation, de présenter des programmes électoraux, de soutenir des candidats et d’organiser des réunions électorales (...) » « Bármely választópolgár gyűjthet jelöltet ajánló szelvényeket, ismertethet választási programot, népszerűsíthet jelöltet, szervezhet választási gyűlést (…) » Article 10 § 3 « Les bons de désignation ne peuvent être recueillis (...) auprès de personnes servant dans les forces militaires ou civiles armées, pendant qu’elles sont en garnison ou en service (...) » « Nem gyűjthető jelöltet ajánló szelvény (…) a fegyveres erőknél, a rendőrségnél (…) szolgálati viszonyban lévő személytől, a szolgálati helyen vagy szolgálati feladat teljesítése közben (…) » La loi n° 55 de 1990 sur le statut juridique des parlementaires, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : Article 1 § 1 « Les employeurs de candidats aux élections législatives (...) accorderont aux candidats qui le demanderont un congé sans solde, dès le dépôt de leur candidature et ce, jusqu’à la fin des élections ou, s’ils sont élus, jusqu’à leur entrée en fonction. » « Az országgyűlési képviselő (…) jelöltet jelöltségének nyilvántartásba vételétől a választásának befejezéséig, illetve megválasztása esetén a mandátuma igazolásáig a munkáltató – kérésére – köteles fizetés nélküli szabadságban részesíteni. » Article 1 § 4 (tel qu’en vigueur jusqu’au 30 septembre 1994) « Le paragraphe 1 (…) [de l’article 1] s’applique, le cas échéant, aux candidats (...) servant dans la police (...) » « A (…) rendőrségnél (…) szolgálati viszonyban (…) álló képviselőjelöltre az [1.§] (1) (…) bekezdés rendelkezéseit kell megfelelően alkalmazni. » Article 8 § 1 (tel qu’en vigueur jusqu’au 3 avril 1997) « Tout parlementaire (...) met fin à toute situation d’incompatibilité avec son mandat dans les trente jours suivant son entrée en fonction (...) » « A képviselő a mandátuma érvényességének megállapításától (…) számított harminc napon belül köteles a vele szemben fennálló összeférhetetlenségi okot megszüntetni. (…) » La loi n° 64 de 1990 sur l’élection des membres des collectivités locales et des maires, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, disposait : Article 23 § 1 « Les électeurs ont le droit de présenter des programmes électoraux, de faire campagne au nom des candidats ou d’organiser des réunions électorales (…) à compter du trente-cinquième jour précédant la date des élections. » « Bármely választópolgár – a szavazást megelőző 35. naptól – ismertethet választási programot, népszerűsíthet jelöltet, szervezhet választási gyűlést (…) » Article 25 § 1 « Un électeur qui exerce son droit de vote dans une circonscription peut désigner des candidats au titre de cette circonscription (...) » « Jelöltet ajánlhat az a választópolgár, aki a választókerületben választójogát gyakorolhatja. (…) » La loi n° 34 de 1994 sur les forces de police (« la loi de 1994 sur la police »), entrée en vigueur le 1er octobre 1994, prévoit : Article 2 § 3 « Dans l’exercice de ses fonctions, la police ne doit être soumise à l’influence d’aucun parti. » « A Rendőrség a feladatának ellátása során pártbefolyástól mentesen jár el. » Article 7 § 9 « Si un policier désire se présenter à une élection au niveau national ou local ou à l’élection du maire, il doit prévenir de son intention le directeur de la police [concerné]. Son service est alors suspendu, du soixantième jour précédant le jour de l’élection jusqu’à celui de la publication des résultats. » « Ha a rendőr országgyűlési vagy helyi önkormányzati képviselői, illetőleg polgármesteri választáson jelöltként indul, köteles e szándékát a rendőri szerv vezetőjének előzetesen bejelenteni. A választás napját megelőző 60. naptól kezdődően a választás eredményének közzétételéig a szolgálati jogviszonya szünetel. » Article 7 § 10 « Les policiers ont le droit de s’affilier à des organisations, professionnelles ou autres, qui visent à défendre ou représenter leurs intérêts et sont liées à leurs fonctions de police ; ils peuvent y détenir un poste ; ils ne doivent en subir aucun inconvénient pour leur carrière. L’intéressé doit informer son supérieur de son intention de demeurer ou de devenir membre d’un organisme non lié à ses fonctions de policier. Le directeur de la police [concerné] a le pouvoir de lui interdire de demeurer ou de devenir membre d’une organisation si cela est incompatible avec sa profession ou son rang dans le service, ou si cela porte atteinte ou nuit aux intérêts du service. L’interdiction prend la forme d’une décision susceptible de recours auprès de l’autorité de tutelle. La décision de cette dernière peut être contestée devant un tribunal. » « A rendőr a hivatásával összefüggő szakmai, érdekvédelmi, érdekképviseleti szervezetnek tagja lehet, abban tisztséget vállalhat, e tagsági viszonya és tevékenysége miatt szolgálati jogviszonya körében hátrányt nem szenvedhet. A rendőr köteles a hivatásával össze nem függő társadalmi szervezettel fennálló, illetőleg az újonnan létesülő tagsági viszonyt előzetesen a rendőri szerv vezetőjéhez bejelenteni. A rendőri szerv vezetője a tagsági viszony fenntartását vagy létesítését megtilthatja, ha az a rendőri hivatással vagy szolgálati beosztással nem egyeztethető össze, illetőleg a szolgálat érdekeit sérti vagy veszélyezteti. E döntést határozatba kell foglalni. A határozat ellen a felettes szerv vezetőjénél panasszal lehet élni. A felettes szervnek a panasz kivizsgálása eredményeként hozott határozata a bíróság előtt megtámadható. » Le décret n° 1/1990 du 10 janvier 1990 du ministre de l’Intérieur (« le règlement de 1990 »), qui régissait les activités de la police, fut en vigueur jusqu’au 30 mars 1995 et prévoyait : Article 430 « (…) Aucune activité liée à un parti politique ne peut être exercée dans les locaux de la police ; aucune question liée à la politique des partis ne sera abordée au cours des réunions du personnel. » « (…) A rendőrségen pártpolitikai tevékenység nem folytatható, munkahelyi értekezleteken pártpolitikai kérdések nem tárgyalhatók. » Article 432 « A l’exception des partis politiques, les policiers (...) ont le droit de constituer et de faire fonctionner des organismes sociaux [társadalmi szervezet] (syndicats, mouvements de masse, organisations de défense de leurs intérêts, associations, etc.) à condition que les objectifs n’en soient pas contraires aux dispositions légales et réglementaires régissant le service de police. » « Rendőrök önmagukból - párt kivételével – (…) a szolgálati viszonyra vonatkozó jogszabályokkal, rendelkezésekkel nem ellentétes célú társadalmi szervezetet létrehozhatnak és működtethetnek (szakszervezet, tömegmozgalom, érdekképviseleti szervezet, egyesület stb.). » Article 433 « Les policiers ont le droit de s’affilier à tout organisme social [társadalmi szervezet], y compris à un parti politique, qui a été légalement constitué et enregistré auprès d’un tribunal. Ils ne doivent bénéficier d’aucun avantage ni subir aucun inconvénient dans leur carrière du fait de leur adhésion à un tel organisme ou de leur affiliation à un parti. » « A rendőr bármely törvényesen megalakult, illetve bíróság által nyilvántartásba vett társadalmi szervezetnek – beleértve a politikai pártot is – tagja lehet. Szervezeti hovatartozása, pártállása miatt szolgálati viszonya keretében semmiféle előnyben vagy hátrányban nem részesíthető. » Article 434 « Les insignes et symboles de partis ne doivent pas être exhibés dans les locaux de la police. Dans l’exercice de leurs fonctions, les policiers doivent s’abstenir de porter des insignes indiquant leurs préférences politiques. » « A rendőrség hivatali helyiségeiben, körleteiben pártok jelvényei, jelképei nem helyezhetők el. A rendőr szolgálatban politikai hovatartozására utaló jelvényt nem viselhet. » Article 435 « Les policiers ne doivent pas s’engager, sur la demande de partis politiques, comme experts ou conseillers dans des domaines liés aux fonctions de police, sans l’autorisation expresse du ministre de l’Intérieur. » « A rendőr pártok részére a rendőri szolgálattal összefüggő kérdésekben szakértői, szaktanácsadó feladatokat csak a belügyminiszter engedélyével végezhet. » Article 437 « Dans les locaux de la police, l’exercice du droit à la liberté de réunion est soumis à l’approbation d’un supérieur hiérarchique commun aux organisateurs [de réunions]. » « A rendőrség objektumaiban a gyülekezési jog csak a szervezők közös elöljáróinak engedélyével gyakorolható. » Article 438 « Pendant leurs loisirs, les policiers ont le droit de participer à des rassemblements (…) organisés selon la loi (réunions, défilés, manifestations pacifiques). A ces occasions, ils doivent s’abstenir de porter leur uniforme à moins que la rencontre ait pour objectif la représentation ou la défense d’intérêts en rapport avec le service [de police]. Ils doivent s’abstenir de porter leur arme de service ou toute autre arme à feu qu’ils pourraient régulièrement détenir. Si le rassemblement reçoit l’ordre de se disperser, ils doivent le quitter immédiatement. » « A rendőr szabad idejében részt vehet a (…) jogszerűen tartott rendezvényen (békés összejövetelen, felvonuláson, tüntetésen). Ilyen esetben egyenruhát csak akkor viselhet, ha a rendezvény célja a szolgálati viszonnyal összefüggő érdekek képviselete, védelme. Szolgálati vagy más jogszerűen tartott lőfegyverét nem tarthatja magánál. Ha a rendezvény feloszlatására kerül sor, köteles a helyszínt azonnal önként elhagyni. » Article 470 « Les policiers ont (…) le droit de faire des déclarations à la demande de la presse, de la radio ou de la télévision sur des questions liées à la sécurité routière, la sûreté publique ou certaines infractions, à condition que [ce faisant] ils ne divulguent pas les informations confidentielles du service, ils respectent le principe de la présomption d’innocence, les droits de la personne [személyiséghez fűződő jogok] et ne compromettent pas l’instruction d’une affaire (...) » « A rendőr, a sajtó, a rádió és a televízió megkeresése alapján a közlekedés-, a közbiztonság kérdéseiről, egyes bűncselekményekről, a szolgálati titok megőrzésével, az ügyek vizsgálatának és felderítésének veszélyeztetése nélkül, valamint az ártatlanság vélelmének figyelembe vételével és a személyiséghez fűződő jogok tiszteletben tartásával (…) nyilatkozhat. (…) » Article 472 « (...) [Les policiers] ont le droit de donner des conférences – ou de participer à des émissions de radio ou de télévision – sur la politique, les sciences, la littérature ou le sport sans autorisation préalable, à condition toutefois qu’il ne soit pas fait référence au service de police. » « (…) [A rendőr] politikai, tudományos, szépirodalmi és sport témájú előadásokat, szereplést (a rádióban és a televízióban is) engedély nélkül vállalhat rendőri állására való utalás nélkül. » Article 473 « Les policiers ont le droit de faire des déclarations et de publier des articles dans les revues du ministère de l’Intérieur sans autorisation, à condition d’observer les règles sur la confidentialité dans le service et celles sur le secret d’Etat. » « A Belügyminisztérium lapjaiban a szolgálati- és az államtitokra vonatkozó szabályok betartásával a rendőr engedély nélkül nyilatkozhat és publikálhat. » Article 474 « Les policiers n’ont pas le droit de publier sans autorisation préalable des manuels ou des documents sur les activités de la police (...) » « A rendőri vonatkozású kérdéseket tárgyaló szak- és tényirodalmi művet a rendőr csak előzetes engedéllyel jelentetheti meg. (…) » Article 477 « Les policiers ont le droit de publier sans autorisation des ouvrages de fiction (...) et des ouvrages sur la science, la politique ou le sport (...) sans rapport avec les activités de police, à condition toutefois qu’aucune référence ne soit faite au service de police. » « A rendőr – a rendőri állásra való utalás nélkül – szabadon közölheti, illetve kiadhatja a nem rendőri vonatkozású szépirodalmi (…), tudományos, politikai kérdéseket tárgyaló, sporttal foglalkozó műveit (…) » Le décret n° 3/1995 du 1er mars 1995 du ministre de l’Intérieur (« le règlement de 1995 »), adopté pour mettre en œuvre les dispositions de la loi de 1994 sur la police, régit le cadre dans lequel s’inscrivent les activités de la police et est entré en vigueur le 31 mars 1995. Ses articles pertinents sont ainsi libellés : Article 106 § 5 « Les policiers, en leur qualité de représentants ou de spécialistes de la police, ne doivent pas faire de déclaration à la presse, ni participer à des émissions de radio ou de télévision ou des films, sauf autorisation expresse du directeur de la police nationale ou de l’un de ses adjoints. Aucune autorisation n’est requise pour donner des conférences scientifiques ou culturelles ou pour d’autres apparitions publiques de même nature (y compris s’exprimer à la radio ou à la télévision), à condition qu’aucune référence ne soit faite au service de police. » « A rendőr a rendőrség képviselőjeként, szakértőjeként a sajtóban, a rádió és televízió műsoraiban, filmekben csak az országos rendőrfőkapitány, illetve helyettesei előzetes hozzájárulásával szerepelhet. A rendőri állásra utalás nélkül tartott tudományos, kulturális előadások megtartásához, ilyen irányú egyéb közszerepléshez (beleértve a rádióban és televízióban történő szereplést is) engedély nem kell. » Article 106 § 6 « Les policiers ont le droit de faire des déclarations et de publier des articles dans les revues de la police sans autorisation, à condition d’observer les règles sur la confidentialité dans le service et celles sur le secret d’Etat. » « A rendőrség lapjaiban a szolgálati és az államtitokra vonatkozó szabályok betartásával a rendőr engedély nélkül nyilatkozhat és publikálhat. » Article 106 § 9 « Les policiers ne doivent pas paraître en public ès qualités, sauf autorisation expresse du directeur de la police. En pareil cas, ils doivent s’abstenir de faire des déclarations politiques et manifester leur neutralité vis-à-vis de toute forme d’organisme social [társadalmi szervezetek]. » « Nyilvános szerepléshez (ha az rendőrként történik) engedélyt kell kérni a rendőrfőkapitánytól. A rendőr ilyen közéleti szereplése során tartózkodjék a politikai nyilatkozatoktól, magatartása a társadalmi szervezeteket illetően semleges legyen. » Article 106 § 10 « Pendant leurs loisirs, les policiers ont le droit de participer à des rassemblements (...) organisés selon la loi. A ces occasions, ils doivent s’abstenir de porter leur uniforme et leur arme de service ou toute autre arme à feu qu’ils pourraient régulièrement détenir. Si le rassemblement reçoit l’ordre de se disperser, ils doivent le quitter immédiatement. » « A rendőr szabad idejében részt vehet a (…) jogszerűen tartott rendezvényen. Ilyen esetben egyenruhát nem viselhet. Szolgálati vagy más jogszerűen tartott lőfegyverét nem tarthatja magánál. Ha a rendezvény feloszlatására kerül sor, köteles a helyszínt azonnal önként elhagyni. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. László Rekvényi a saisi la Commission le 20 avril 1994. Il alléguait que les interdictions énoncées à l’article 40/B § 4 de la Constitution hongroise enfreignaient ses droits au titre des articles 10 et 11 de la Convention pris séparément ou combinés avec l’article 14. La Commission a retenu la requête (n° 25390/94) le 11 avril 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 (vingt et une voix contre neuf), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (vingt et une voix contre neuf), qu’il ne s’impose pas d’examiner le grief tiré par le requérant de l’article 14 combiné avec l’article 10 (vingt-cinq voix contre cinq) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 11 (vingt-deux voix contre huit). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSeNTÉES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour de constater une méconnaissance par l’Etat défendeur des obligations que lui imposent les articles 10 et 11 de la Convention pris isolément ou combinés avec l’article 14, et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41. Le Gouvernement, pour sa part, invite la Cour à rejeter les griefs tirés des articles 10 et 11 de la Convention, considérés séparément ou en combinaison avec l’article 14.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La requérante Ressortissante turque née en 1923, la requérante réside à Sarıyaprak, un district de la province de Siirt, laquelle est soumise à l’état d’exception. Elle perdit son fils lors de l’opération des forces de sécurité décrite ci-dessous. B. Les faits Le 24 décembre 1990, une opération armée des forces de sécurité fut conduite sur un chantier appartenant à une entreprise minière située à environ six kilomètres du village de Dağkonak. Le fils de la requérante, Musa Oğur, qui travaillait sur ce chantier comme veilleur de nuit, trouva la mort vers 6 h 30 du matin alors qu’il terminait sa nuit de garde. Selon le Gouvernement, le lieu de l’incident avait servi d’abri à quatre terroristes, membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), dont le fils de la requérante. Celui-ci aurait été touché par des balles provenant de tirs d’avertissement des forces de sécurité. Selon la requérante, son fils n’était qu’un des gardiens du chantier et fut tué par des balles tirées sans avertissement par les forces de sécurité. Le jour du décès, l’employeur de Musa Oğur, Mehmet Zeyrek, dénonça les faits auprès du procureur de la République à Şırnak. Il faisait valoir que son employé avait été tué par balles par les forces de sécurité et les gardes du village, dont l’identité lui était par ailleurs inconnue. Le 26 décembre 1990, le parquet rendit une ordonnance dans laquelle il constata : « A la date de l’incident, une opération fut conduite par les forces de sécurité et les gardes du village, à la suite des informations selon lesquelles un terroriste blessé appartenant au PKK s’était réfugié et se faisait soigner dans un abri près de l’exploitation minière de Mehmet Zeyrek. Lorsque, au cours de l’opération, la victime, Musa Oğur, un des gardiens de la mine qui surveillait les pelleteuses et les bulldozers du chantier appartenant à Mehmet Zeyrek, quitta l’abri et les autres gardiens de la mine et s’assit pour faire ses besoins, les forces de sécurité eurent l’impression que le suspect s’échappait, elles ouvrirent le feu et le tuèrent. Le procureur de la République mena une enquête et recueillit les premières preuves. » Rappelant que les actions des forces de sécurité placées sous les ordres du préfet d’une région soumise à l’état d’exception étaient assujetties aux règles régissant les poursuites contre les fonctionnaires, le parquet se déclara incompétent et, par lettre du 26 décembre 1990, transmit le dossier au comité administratif de la province de Şırnak. Le 15 août 1991, celui-ci rendit une ordonnance, signée par le préfet adjoint et les directeurs des différents services de la province mais non notifiée à l’avocat de la requérante. Le comité administratif y conclut qu’il n’y avait pas lieu de saisir les juridictions pénales contre les fonctionnaires des forces de sécurité qui avaient pris part à l’opération du 24 décembre 1990. D’après lui, la victime, qui passait pour un suspect, était décédée à la suite des tirs d’avertissement durant l’opération en question. Ni les pièces du dossier ni l’éventuel recours à des témoignages ne permettaient toutefois d’identifier avec certitude la personne qui avait tiré. 14. Le 19 septembre 1991, le Conseil d’Etat, saisi d’office de l’affaire par l’effet de la loi, confirma en ces termes l’ordonnance du 15 août 1991 : « Les délits commis par des fonctionnaires agissant dans l’exercice ou au titre de leurs fonctions sont soumis aux procédures régissant les poursuites à l’encontre des fonctionnaires (...), un instructeur administratif chargé de mener l’instruction est nommé par ordonnance (...) Pour mener une enquête contre un fonctionnaire, il faut tout d’abord que celui-ci soit précisément identifié. Faute d’identification précise, aucune instruction ne peut être menée, aucun résumé d’enquête ne peut être rédigé et aucune juridiction compétente en la matière ne peut rendre de jugement. Les informations contenues dans le dossier d’enquête n’ont pas permis de déterminer qui a commis l’acte allégué ; en conséquence, cette enquête n’aurait pas dû être ouverte. Toutefois, un dossier d’enquête a été constitué par l’instructeur désigné et, se fondant sur ce dossier, le comité administratif de la province a rendu une ordonnance de non-lieu, du fait que les responsables sont inconnus et qu’il est impossible d’enquêter sur l’affaire. Le Conseil décide, à l’unanimité, pour les raisons susmentionnées, de confirmer la décision du comité administratif et de renvoyer le dossier. » Par lettre du 20 janvier 1993, l’avocat de la requérante s’enquit auprès du président du comité administratif de la province de Şırnak de l’état de la procédure, car pendant l’enquête administrative, le dossier était resté inaccessible aux proches parents de la victime et ceux-ci n’avaient disposé d’aucun moyen de s’informer de son contenu. Le 3 février 1993, la préfecture de Şırnak lui communiqua une copie de l’ordonnance de non-lieu du 15 août 1991. L’arrêt du Conseil d’Etat lui fut notifié le 15 mars 1993. C. Les éléments de preuve recueillis par la Commission Les éléments de preuve écrits Les comparants ont présenté divers documents relatifs à l’enquête menée à la suite de la mort de Musa Oğur. a) La déposition faite le 24 décembre 1990 par l’employeur de Musa Oğur, Mehmet Zeyrek, auprès du parquet L’employeur de Musa Oğur allégua que la victime avait été tuée par balles par les forces de sécurité et les gardes du village, dont l’identité lui était toutefois inconnue. Il ne connaissait pas les raisons de ce meurtre mais émit l’hypothèse qu’il pouvait s’agir d’un acte émanant de personnes dont les intérêts avaient pu se trouver affectés par l’exploitation minière dont il était propriétaire et où la victime assurait ses fonctions de veilleur de nuit. b) Le procès-verbal des incidents du 24 décembre 1990, signé par six membres des forces de sécurité qui avaient participé à l’opération, et approuvé par le lieutenant du régiment d’infanterie Ce document contient une description détaillée de l’incident du 24 décembre 1990, donnée par six membres de l’équipe d’infanterie et leur lieutenant, İsmail Çağlayan, qui participèrent à l’opération. Les faits ainsi consignés se présentent comme suit : « Le 23 décembre 1990, à la suite d’une dénonciation selon laquelle un terroriste, blessé lors d’un accrochage avec les forces de sécurité, s’était réfugié dans un abri situé sur une colline à six kilomètres du village de Dağkonak, trois équipes d’infanterie (…) se sont rendues sur les lieux de l’incident ; à 4 h 30, la zone a été placée sous le contrôle des soldats qui se sont mis à surveiller l’abri avec des lunettes infrarouges ; constatant des mouvements dans cette zone vers 5 heures, nous nous sommes rapprochés de cet abri en profitant des chutes de neige intenses et du brouillard ; pendant que nous nous dirigions vers l’abri, nous avons crié à ceux qui étaient à l’intérieur qu’ils étaient encerclés, qu’ils n’avaient aucune possibilité de s’échapper et qu’ils devaient sortir de l’abri dans cinq minutes en laissant leurs armes ; rien ne s’étant passé au bout de cinq minutes, nous avons tiré en l’air à titre d’avertissement ; quelqu’un est sorti de l’abri en tirant des coups de feu et a commencé à s’éloigner ; à la suite des avertissements qui sont restés sans effet, nous avons tiré, mais la personne que nous avions entrevue a disparu (...) ; nous avons attendu qu’il fît jour et avons définitivement localisé l’abri (...) ; nous leur avons dit à nouveau de sortir et trois personnes sont sorties de cet abri ; nous leur avons dit de s’approcher et les avons interrogées ; nous sommes ensuite entrés dans l’abri ; nous y avons trouvé trois fusils de chasse, de la nourriture et des médicaments ; (...) nous avons trouvé dehors, à quinze mètres de l’abri, un blessé ; mais cette personne est décédée alors que nous la transportions vers un endroit plus sûr ; nous avons constaté l’existence de trois tranchées à des distances de vingt, cinquante et quatre-vingts mètres de l’abri ; nous avons trouvé des douilles de fusil de chasse, dont cinq sentaient la fumée, un fusil sentait également la fumée ; lors de nos recherches dans les environs, nous avons trouvé plusieurs traces de pas ; nous n’avons pas pu les suivre, car la neige qui tombait les recouvrait ; nous avons conclu que les traces appartenaient probablement au terroriste blessé et à ses complices qui étaient venus l’aider (...). Nous avons contrôlé les médicaments, à savoir de l’eau oxygénée, (...), deux tissus, (...) et de la poudre de pénicilline. L’incident a été aussitôt signalé à la brigade, nous avons attendu la délégation de contrôle, fait le croquis et ce procèsverbal a été rédigé par ceux dont les signatures figurent ci-dessous. » c) Le plan des lieux contenant une description manuscrite des incidents, établi le 24 décembre 1990 par le lieutenant d’infanterie İsmail Çağlayan (le « croquis ») Ce document contient un croquis détaillé de la topographie des lieux et de la disposition des acteurs de l’incident. Il indique que les forces de sécurité et les gardes du village étaient scindés en trois groupes, répartis à gauche, à droite et devant l’abri. Ils ont tiré plusieurs coups de feu en direction de l’abri et derrière celui-ci. Quelques coups de feu sont partis de l’abri vers le groupe des forces armées situé à gauche de celui-ci. d) Le procès-verbal de la visite des lieux de l’incident et des constatations faites sur le corps de Musa Oğur, établi le 24 décembre 1990 par Ali İhsan Demirel, procureur de la République à Şırnak Le procureur de la République à Şırnak consigna les faits comme suit : « Après avoir été informés ce matin vers 10 heures qu’un affrontement avait eu lieu avec les forces de sécurité près de la mine de charbon appartenant à Mehmet Zeyrek se trouvant à Araköyü-Şırnak et qu’une personne avait été blessée puis était décédée à la suite de cet affrontement, et que le corps se trouvait sur les lieux de l’incident, nous avons décidé, le procureur de la République Ali İhsan Demirel, le médecin légiste Namik Demiralay, le greffier Yahya Bahsis et l’assistant du médecin légiste Bilgin Yilmaz, de nous rendre sur les lieux de l’incident vers 11 h 30 (...). Nous avons découvert le cadavre, recouvert d’une couverture, dans un lieu caché sur une colline située dans l’exploitation de mine à charbon appartenant à Mehmet Zeyrek. (...) L’autopsie pratiquée sur le corps dévêtu a révélé qu’il n’y avait pas encore eu de durcissement du corps, qu’il était partiellement froid, que les taches et les marques n’étaient pas encore bleuâtres, que la balle était entrée dans la partie arrière du crâne chevelu et à quatre doigts environ de la nuque, provoquant un trou de cinq centimètres de diamètre, qu’elle était sortie dans la partie supérieure du front qui joint les cheveux en cassant l’os et en provoquant un trou de trois centimètres aux contours irréguliers. Il fut constaté, par ailleurs, un écoulement de sang dans les impacts d’entrée et de sortie de la balle, que le visage était couvert de sang, qu’à hauteur du trou de sortie de la balle il y avait du tissu cérébral blanc. (…) Le médecin légiste, Namik Demiralay, déclara : « la blessure par balle entrée dans la partie occipitale du crâne pour y sortir par la partie frontale est la cause de la destruction cérébrale et donc du décès. La cause certaine du décès étant la blessure provoquée par une arme à feu et aucune autre découverte n’ayant été faite pouvant laisser penser à une autre cause, il n’a pas été jugé nécessaire de pratiquer une autopsie classique. » Le décès de Musa Oğur, survenu ce matin au cours d’une opération armée menée par les forces de sécurité dans la région et ayant été causé par une blessure par balle puis constaté comme tel par le médecin légiste qui a examiné le corps, n’appelle pas d’autopsie classique. Le corps a été rendu à ses proches (...) En présence des témoins oculaires, il fut procédé, sur les lieux de l’incident, à la reconstitution des faits, afin de déterminer les circonstances de l’incident. Aydın Gülsen, adjudant-chef de gendarmerie exerçant la fonction de commandant du poste de la gendarmerie centrale de Şırnak, fut désigné comme expert technique (...) Il fut procédé à la vérification et à la détermination du lieu de l’incident. Interrogé par un officier de gendarmerie, le témoin Naif Zeyrek déclara : « Ce matin, vers 6 h 30, à l’endroit où nous nous trouvons en ce moment, nous étions quatre gardiens employés par l’entreprise de charbon Zeyrek chargés de surveiller les bulldozers et les pelleteuses de l’entreprise. Dans le passé, le feu avait déjà été mis à un bulldozer. Après cet incident, pour surveiller le matériel, nous montions la garde dans cette cabine que nous avions construite et dans les abris qui se trouvent autour de celle-ci. Nous étions quatre personnes ainsi chargées de surveiller cet endroit, pendant la nuit. Ce matin, le jour s’était levé. Nous nous trouvions dans cette cabine près des véhicules. Nous nous sommes levés et nous avons fait notre prière. Musa Oğur, la victime, ayant entendu des perdrix là-haut, a dit qu’il allait chasser. Comme je m’étais opposé à ce qu’il allât chasser, il n’est finalement pas sorti. Quelques instants plus tard, il a franchi le seuil de la porte et s’est dirigé vers la colline que je vous ai déjà montrée. Un court instant plus tard, nous avons entendu des coups de feu. Des coups de feu qui retentirent de partout. Je voulais tirer avec mon fusil de chasse mais mon camarade m’en a empêché. Ensuite, j’ai vu les soldats et leur ai crié de cesser le feu. Lorsque le feu a cessé, nous sommes sortis. J’ai entendu Musa Oğur, il était blessé. Comme il était blessé, nous l’avons enlevé de l’endroit où il se trouvait et que je vous ai indiqué, et nous l’avons transporté. Mais comme il décéda pendant le transport, nous l’avons déposé. » Interrogé par un officier de gendarmerie, le témoin Salih Oğur déclara : « J’étais chargé, comme mes trois autres camarades, de la surveillance des véhicules appartenant à l’entreprise de charbon Zeyrek, à l’endroit que je vous ai indiqué. Pour surveiller les véhicules, nous montions la garde pendant la nuit dans cette cabine que j’ai construite et dans les tranchées-abris que nous avons creusées à proximité de la cabine. Lorsque nous nous sommes levés ce matin, la victime, Musa Oğur, qui est un parent, a dit qu’il avait entendu des perdrix et qu’il voulait sortir pour chasser. Nous l’en avons empêché. Ensuite, il est sorti, je ne sais pour quelle raison. Peut-être pour aller aux toilettes. L’instant suivant, nous avons entendu des coups de feu venant de différents endroits. Le temps était neigeux et légèrement brumeux. Le jour se levait à peine. Nous ne sommes pas sortis à cause des coups de feu. Nous avons essayé de regarder par la porte de l’autre côté ce qui se passait à l’extérieur. Comme le jour se levait, j’ai pu constater qu’il s’agissait de soldats. Pendant que nous regardions, nous avons pu apercevoir au loin un soldat. Nous l’avons appelé de vive voix pour lui faire savoir qui nous étions. Les soldats nous ont demandé de quitter la cabine. Nous nous sommes dirigés vers le lieu qu’ils nous ont indiqué. J’ai entendu Musa Oğur qui criait « mon oncle ! ». Nous n’avons pas pu aller vers lui immédiatement. Nous n’avons pu aller le voir qu’une fois que les soldats étaient arrivés. Il était blessé et ne pouvait pas parler. Nous l’avons transporté de l’endroit que je vous ai montré jusque là-haut pour qu’il y fût soigné. Mais comme il n’a pas survécu, nous l’avons laissé à l’endroit où il est décédé. Nous n’avons pas tiré. Quant à Musa, il était sorti sans armes. Pour protéger les véhicules, nous faisons la garde la nuit dans les tranchées-abris qui se trouvent à proximité. Les douilles vides trouvées dans la première tranchée-abri datent de deux ou trois jours. Lorsque nous tirons, nous ne laissons pas de douilles dans les tranchéesabris. Aujourd’hui, aucun d’entre nous n’a tiré. » Interrogé par un officier de gendarmerie, le témoin Salih Zeyrek déclara : « Je travaillais avec mes autres camarades comme gardien. Ce matin, Musa Oğur était sorti pour aller aux toilettes. Il n’avait pas d’arme sur lui. Un bref instant plus tard, nous avons entendu des coups de feu. Musa criait : « mon oncle ! ». A cause des coups de feu, nous ne sommes pas sortis. Nous avons regardé dehors et aperçu des soldats. Après cela, nous avons crié pour dire qui nous étions. Au moment de l’incident, il neigeait et il y avait aussi du brouillard. Plus tard, nous sommes sortis, avec deux de mes camarades, pour aller vers les soldats. Ensuite, nous avons appris que Musa était blessé par balle et nous sommes allés vers lui. Il était blessé et ne pouvait pas parler. On entendait le souffle de sa respiration. Pour le conduire chez le médecin, nous l’avons soulevé et transporté. Pendant le transport, son souffle a cessé et nous avons compris alors qu’il était mort. Nous l’avons laissé là où il est mort. Aucun d’entre nous n’a tiré. » Il fut procédé à la reconnaissance du lieu de l’incident en présence des témoins et de l’expert technique. Sur place, nous avons constaté que l’exploitation de charbon de Mehmet Zeyrek était éparse, que trois pelleteuses et bulldozers se trouvaient à cinq-six mètres de la cabine, que l’abri constitué d’un côté par un mur en pierres et reposant de l’autre sur la montagne, était un abri couvert, caché et qui se confondait avec le paysage, qu’à l’intérieur il y avait des objets appartenant aux gardiens de la mine et une chaudière. Nous avons vérifié le lieu présumé où, selon les témoins, le défunt a été blessé et le lieu d’où aurait pu partir le coup de feu. Nous avons ratissé les lieux suspects, cherché les douilles sans pouvoir en trouver. Nous avons regardé le premier lieu où le défunt a été blessé. Nous avons longé la colline de haut en bas, sur une distance de dix à quinze pas. Dans les lieux mentionnés, nous avons constaté la présence de beaucoup de sang et trouvé un turban rouge qui se roule autour de la tête et dont nous avons supposé qu’il avait appartenu au défunt. Le turban présentait deux trous provoqués par l’entrée et la sortie de la balle. Nous l’avons ramassé et mentionné au procès-verbal. Près de la cabine, nous avons examiné deux tranchées-abris différentes qui étaient dites appartenir aux gardiens. Dans les tranchées, nous avons découvert huit douilles de fusil de chasse vides. Les douilles ont été ramassées et mentionnées au procès-verbal. L’expert technique (...) a déclaré : « J’ai visité le lieu de l’incident, écouté les témoins, déterminé, une par une, au moyen de croquis simples, les places de la cabine, des véhicules, du blessé et des tranchées-abris, examiné les douilles vides, photographié le lieu de l’incident sous divers angles, croquis et photographies que je vous présenterai après les avoir développées. En examinant les douilles vides, j’ai constaté qu’elles n’étaient pas récentes mais qu’elles devaient avoir deux ou trois jours. Lors de l’examen des fusils des gardiens, qui m’ont été confiés, dont deux étaient de marque Hoglu, j’ai constaté la présence et l’odeur de poudre. Mais il est impossible de dire s’il s’agit de poudre fraîche ou pas. Sur les deux autres fusils, il n’y avait pas de poudre ou d’odeur fraîche. » Les trois fusils de chasse qui ont été trouvés dans l’abri ont été consignés et saisis provisoirement pour examen. (...) L’expert médical a été interrogé sur le matériel médical qui lui a été présenté. Il a déclaré que ce matériel sert à soigner les surfaces éraflées et les blessures. (...) Les témoins furent ensuite interrogés au sujet de ce matériel médical. Le témoin Zeyrek prit la parole et déclara : « Il y a dix jours environ, je suis tombé à cet endroit pendant mon temps de travail et je me suis blessé au doigt. J’ai fait acheter ce matériel pour soigner mon doigt. Ce matériel m’appartient. Ma blessure au doigt étant légère, je me suis soigné moi-même. » Puis, il a montré sa blessure. Nous avons ainsi constaté une blessure légère sur la partie supérieure de son annulaire gauche. Le médecin légiste, expert médical, a examiné la blessure et a déclaré : « Mes observations me permettent de conclure que l’éraflure du témoin est une blessure ancienne, comportant une légère infection et qui a été visiblement soignée. » Ainsi, après l’audition des témoins oculaires et la visite et la reconnaissance du lieu de l’incident, il fut accordé un délai de dix jours à l’expert technique pour achever ses photographies et ses croquis. Comme il ne restait plus rien à vérifier sur le lieu de l’incident, nous avons décidé de mettre un terme aux investigations. Nous avons décidé de rentrer au bureau puis signé ensemble le procès-verbal ainsi dressé, le 24.12.1990 à 14 h 15. » Plus tard dans la journée, le procureur de la République entendit Mehmet Zeyrek sur sa déposition contre les forces de sécurité et les gardes du village (paragraphe 17 ci-dessus). e) Le procès-verbal des objets saisis près de Musa Oğur, établi le 25 décembre 1990 par Ali İhsan Demirel, procureur général de la République de Şırnak Ce document énumère « les objets trouvés sur les lieux du décès de la victime et dans les environs » : huit douilles provenant d’un fusil de chasse et un turban (kefi) avec « des dessins rouges et blancs sur lequel se trouvaient des trous d’entrée et de sortie d’une arme à feu ». f) Le rapport d’expertise sur l’affrontement avec les forces de sécurité et l’incident du 24 décembre 1990, établi le 1er janvier 1991 par Aydın Gülsen, commandant du poste de la gendarmerie centrale de Şırnak Aydın Gülsen, adjudant-chef de gendarmerie exerçant la fonction de commandant du poste de la gendarmerie centrale de Şırnak, désigné comme expert technique par le procureur de la République lors de sa visite sur les lieux, a établi les faits comme suit : « J’ai examiné la blessure qui est à l’origine du décès de Musa Oğur (...) mortellement blessé lors d’un affrontement armé entre les forces de sécurité et les membres du mouvement terroriste PKK, [affrontement] survenu dans l’exploitation de mine de charbon concédée à Mehmet Zeyrek (...) alors que les forces de sécurité s’y rendaient pour vérifier l’exactitude d’une information qu’elles avaient reçue ; j’ai retracé à l’aide de croquis, particuliers et généraux, le lieu qui lui avait servi d’abri et ses environs. Lors de la vérification effectuée par Ali İhsan Demirel, procureur de la République, sur les lieux de l’incident, j’ai répertorié à l’aide de croquis les preuves trouvées sur les lieux de l’incident, les traces de sang, les affaires et objets appartenant à la victime et consigné toutes autres découvertes. Lors de ces vérifications sur le lieu de l’incident, j’ai constaté notamment que : Le jour de l’affrontement, le 24 décembre 1990 à 6 h 30, le temps était brumeux, il neigeait abondamment et le champ de vision, par endroits, ne dépassait pas cinq mètres. L’affrontement eut lieu dans un endroit où travaillaient des gardiens de chantier chargés de surveiller les machines appartenant à la concession de mine Zeyrek. Cet endroit, dont deux côtés étaient constitués de collines et deux autres de murs édifiés en pierres à la façon d’un abri secret, était difficile à évaluer et à cerner du fait du mauvais temps. Musa Oğur y fut blessé à la tête, tomba et roula sur dix-douze mètres lors d’un échange de coups de feu entre les forces de sécurité et les membres du mouvement terroriste PKK qui tiraient de l’abri et essayaient de s’enfuir. Après sommation, les autres personnes qui se trouvaient dans l’abri se rendirent sans armes. Aux alentours de l’abri, il y avait dans quatre endroits et à quatre distances différentes des tranchées-abris aménagées, où se trouvaient des douilles vides provenant de fusils de chasse. Les douilles vides dataient de un à trois jours, les examens effectués sur les fusils trouvés dans l’abri laissaient penser que les fusils avaient été utilisés. Musa Oğur fut blessé et décéda alors qu’il était pris entre des coups de feu venant des deux côtés, les forces de sécurité ripostant aux coups de feu provenant de l’abri, par un temps mauvais qui réduisait sensiblement le champ de vision. Les forces de sécurité s’étaient approchées du lieu de l’incident et avaient examiné les tranchées-abris où avaient été découvertes les douilles de fusils de chasse ; elles ont constaté que ces abris étaient identiques à ceux qu’utilisaient les membres du PKK pour se réfugier et cacher leurs armes. Le mode de construction de l’abri donnait [aux forces de sécurité] l’impression qu’il s’agissait d’un abri secret, le temps était brumeux et fortement neigeux, le paysage était parsemé de tranchées-abris ; dans une telle situation, un tir effectué même avec un fusil de chasse pouvait très probablement tromper les forces de sécurité et il convient de constater qu’il n’était pas possible pour les forces de sécurité de distinguer entre les coups de feu tirés par les individus se trouvant dans l’abri et ceux tirés par les membres du PKK. Eu égard aux déclarations faites par les deux parties lors de l’incident, il apparaît que la victime, Musa Oğur, est décédée à la suite de sa blessure à la tête, que la victime n’a pas été tuée de façon volontaire mais a été tuée alors qu’elle se trouvait prise entre des coups de feu provenant de deux côtés ; c’est la conviction à laquelle je suis parvenu pour établir ce rapport d’expertise. » g) La liste des pièces contenues dans le dossier du procureur de la République, établie le 3 janvier 1991 Cette liste recense les pièces qui étaient à la disposition du procureur de la République, Ali İhsan Demirel, lors de la rédaction de l’ordonnance du 26 décembre 1990 (paragraphe 12 ci-dessus). Y figurent pour l’essentiel le procès-verbal de la visite des lieux de l’incident et de l’autopsie de Musa Oğur, un procès-verbal de saisie de matériel sanitaire du 24 décembre 1990, les dépositions de Naif Zeyrek, Salih Zeyrek et Salih Oğur du 24 décembre 1990 et le procès-verbal des objets saisis près de Musa Oğur du 25 décembre 1990. Par lettre du 16 janvier 1991, la direction de la gendarmerie centrale de Şırnak transmit au parquet de Şırnak le procès-verbal des incidents et le « croquis » (paragraphes 18 et 19 ci-dessus). h) Les documents relatifs à l’enquête menée par l’officier instructeur, Celal Uymaz Par lettre du 3 janvier 1991, le préfet de Şırnak chargea Celal Uymaz, lieutenant-colonel de la gendarmerie, de mener l’enquête préliminaire, en qualité d’instructeur, sur les incidents du 24 décembre 1990 et lui transmit le dossier. Le 22 janvier 1991, le préfet communiqua à l’instructeur des documents supplémentaires. Par lettre du 30 avril 1991, le préfet adjoint de Şırnak demanda à l’instructeur d’accélérer la procédure. Le 3 août 1991, celui-ci entendit comme témoins Salih Zeyrek et Salih Oğur. La déposition du premier, faite avec l’aide d’un interprète, fut consignée comme suit : « Moi et mes amis, nous étions les gardiens de l’entreprise minière de Zeyrek. Le jour de l’incident, le matin, Musa Oğur est sorti pour aller aux toilettes. Moi, j’étais réveillé. J’ai donc vu qu’il sortait. Il a dit qu’il allait aux toilettes. Quelques instants plus tard, nous avons entendu des coups de feu. Nous avons eu peur et nous ne sommes pas tout de suite sortis de l’abri. En regardant dehors, nous avons vu les militaires. Nous avons crié et nous nous sommes présentés. Il y avait du brouillard et il neigeait. Nous sommes sortis de l’abri et sommes allés vers les soldats. Ils nous ont dit que Musa était blessé. Il était couché par terre. Il ne pouvait pas parler. Il respirait lentement. Nous sommes tout de suite partis voir le médecin, mais Musa est mort en route. Le procureur et le médecin légiste l’ont examiné après. Lors de l’incident, aucun de nous n’a tiré. » De son côté, Salih Oğur a déclaré : « (...) Le jour de l’incident, moi, Salih Zeyrek, Musa Oğur (décédé) et Naif Zeyrek, nous nous trouvions dans les locaux de l’entreprise minière afin de surveiller les machines. Nous dormions dans un abri et la nuit nous montions la garde dans les tranchées creusées aux alentours de l’entreprise. A 6 h 30, nous nous sommes réveillés. Musa Oğur, qui est un parent, a dit qu’il avait entendu le cri d’une perdrix et qu’il voulait jeter un coup d’œil dehors. Nous lui avons dit de ne pas le faire. Il est sorti en disant qu’il allait aux toilettes. Peu après, nous avons entendu des coups de feu. Il pleuvait et il y avait du brouillard. Nous ne sommes pas tout de suite sortis. Comme il faisait jour, j’ai pensé que c’étaient peut-être des soldats. En regardant dehors, j’ai vu un soldat. Nous avons crié et nous nous sommes présentés. Les soldats nous ont dit de sortir de l’abri. Nous sommes sortis et nous nous sommes dirigés vers eux. C’est à ce moment-là que nous avons entendu la voix de Musa Oğur. Il criait : « oncle ! ». Nous ne sommes pas allés près de lui tout de suite. Les soldats se sont approchés de nous et, tous ensemble, nous sommes allés le voir. Il était blessé. Il ne pouvait pas parler. Nous avons essayé de le transporter vers un hôpital, mais il est mort. Nous l’avons laissé sur place. Lors de cet incident, nous n’avons tiré aucun coup de feu. Musa était sans arme lorsqu’il est sorti. Notre travail est de rester la nuit dans les tranchées afin de surveiller les machines. Les cartouches qui ont été retrouvées dans la première tranchée étaient là depuis deux jours. Nous laissons toujours les cartouches utilisées sur place. » i) Le rapport d’enquête de l’instructeur, présenté à une date non précisée en août 1991 Dans le rapport d’enquête de l’instructeur, les faits sont consignés comme suit : « Lors d’une opération menée par les forces de sécurité interne dans la région où l’incident s’est produit, celles-ci ont aperçu une personne suspecte et ont tiré vers elle à titre d’avertissement. Témoignages : a) Salih Oğur : j’étais dans l’abri. Je suis sorti une fois que les coups de feu avaient cessé. J’ai vu que Musa Oğur avait été touché. Il est décédé peu après. Je ne sais pas qui a tiré. b) Salih Zeyrek : je n’ai pas vu qui a tiré sur Musa Oğur. Les soldats étaient présents sur les lieux de l’incident. Je ne les connais pas. Je n’ai pas vu qui a tiré. On ne connaît pas l’identité de celui qui a tiré sur Musa Oğur, ni comment il a tiré. Je propose de ne pas saisir les juridictions (pénales), vu qu’on ne connaît pas l’identité de celui qui a tiré sur Musa Oğur, ni comment il l’a fait. » j) La liste des pièces contenues dans le dossier du comité administratif de la province de Şırnak Cette liste recense les pièces que le comité administratif avait à sa disposition pour la rédaction de l’ordonnance de non-lieu du 15 août 1991 (paragraphe 13 ci-dessus). Y figurent pour l’essentiel, outre l’ordonnance d’incompétence du 26 décembre 1990 du procureur de la République et les pièces contenues dans le dossier du parquet (paragraphe 12 ci-dessus), le « croquis » (paragraphe 19 ci-dessus), le procès-verbal des incidents du 24 décembre 1990 (paragraphe 18 ci-dessus) et le rapport d’expertise du 1er janvier 1991 (paragraphe 22 ci-dessus). Les dépositions orales Les 4, 5 et 6 octobre 1995, trois délégués de la Commission ont recueilli à Ankara les dépositions orales suivantes. a) Ali İhsan Demirel Né en 1960, ce témoin était en 1990 procureur de la République à Şırnak. Le matin du 24 décembre 1990, il se rendit sur les lieux de l’incident avec un médecin et d’autres fonctionnaires. Il constata que Musa Oğur avait été touché par une balle de fusil entrée par la nuque et ressortie par le front, et qu’il n’y avait ni douille ni cartouche à l’endroit où se trouvait le corps. Il interrogea Mehmet Zeyrek, l’employeur de Musa Oğur, et les autres gardiens de la mine. Ces derniers indiquèrent qu’ils n’avaient pas utilisé leurs armes. Le témoin relate les faits comme suit : les conditions climatiques étaient mauvaises (brouillard, chute de neige) et le terrain accidenté, de sorte que l’abri où se trouvait la victime était difficilement visible. Les forces de sécurité avaient été informées, par dénonciation, de la présence de membres du PKK dans le secteur. Un groupe armé d’environ trente à cinquante hommes s’était rendu sur les lieux dans le but de procéder à leur arrestation. Après les sommations d’usage, une personne est sortie de l’abri et a pris la fuite sous les tirs d’avertissement, puis l’incident s’est produit. Les forces de sécurité devaient se trouver en contrebas de l’abri, soit à environ trente à cinquante mètres de la victime. Les forces de sécurité n’avaient pas encerclé l’abri. L’incident eut lieu pendant que les forces de sécurité se dirigèrent vers l’abri. D’après le témoin, il y avait des fusils de chasse et des douilles vides de fusil de chasse sur les lieux, dont certaines étaient récentes mais il n’a pu établir avec certitude si elles dataient du jour même ou des jours précédents. Aucune expertise des armes ne fut demandée. Le témoin ne releva pas l’identité des membres des forces de sécurité qui avaient mené l’opération et ne procéda pas à leur audition. Selon lui, seul le comité administratif était compétent pour le faire, puisqu’il s’agissait de fonctionnaires. Il n’a pas été informé de la décision du comité administratif. b) Mehmet Zeyrek (déposition recueillie par téléphone) Né en 1958, le témoin est le propriétaire de l’exploitation minière dans laquelle les incidents eurent lieu. Il indique qu’il connaissait Musa Oğur. Le 24 décembre 1990, il se rendit sur les lieux de l’incident et fut interrogé par le procureur de la République. Il déclare maintenir les termes de la déposition qu’il fit alors. Il expose que les forces de sécurité ont agi sur dénonciation. Il affirme qu’il a mentionné dans sa déposition les noms des personnes qui avaient dénoncé aux forces de sécurité la présence de terroristes du PKK dans l’abri. Il indique que ces personnes ont agi par vengeance personnelle contre sa propre famille. Il s’agissait de tromper les forces de sécurité pour régler une affaire de vendetta remontant à plus de cinquante ans. Le témoin précise que les gardiens de la mine ne possédaient aucune arme, à l’exception de Naif Zeyrek, son neveu, qui avait un fusil de chasse. Celui-ci toutefois n’a tiré aucun coup de feu. c) Mehmet Akay Né en 1966, le témoin accomplissait, à l’époque des faits, son service national en qualité de sergent d’infanterie. Il a été en fonction dans la région de Şırnak pendant quinze mois. Comme membre de l’équipe militaire qui participa à l’opération, il est un témoin oculaire et l’un des six signataires du procès-verbal des incidents, établi le 24 décembre 1990 (paragraphe 18 ci-dessus). 33. Il déclare qu’après avoir reçu une dénonciation sur la présence de terroristes dans les environs du village de Devran, l’équipe dont il faisait partie, composée de dix-sept ou dix-huit militaires, prit position aux alentours de l’abri dans la nuit. L’équipe se scinda en deux par mesure de sécurité. Compte tenu des conditions climatiques (neige) et de l’obscurité, les membres de l’équipe ne voyaient rien, à l’exception d’une lumière qui se situait à environ deux cents mètres devant eux. Ils ne savaient pas qu’ils se trouvaient dans une mine. Ils essuyèrent des coups de feu pendant environ deux ou trois minutes. Il lui était impossible de déterminer la provenance de ces coups de feu. Le témoin se rappelle que des Kalachnikov et des fusils de chasse ont été utilisés. A titre de riposte, le commandant de l’équipe, İsmail Çağlayan, lieutenant d’infanterie, ordonna de procéder à des tirs d’avertissement, ce que firent l’ensemble des membres de l’équipe. Il y eut environ trois à quatre séries de tirs d’avertissement. Il n’y eut aucune sommation verbale par mégaphone. Ils pensaient avoir affaire à des terroristes. Au lever du jour, le témoin, son lieutenant et deux autres militaires s’approchèrent de l’abri. Ils aperçurent alors le terroriste présumé, gisant mort à terre. Le corps se trouvait à environ quinze à vingt mètres de l’abri. Il n’y avait aucune arme à côté du corps. Ils demandèrent par radio si quelqu’un avait tiré sur cet homme ; il leur fut répondu que personne n’avait tiré sur lui. Dans l’abri, ils trouvèrent trois fusils de chasse, de nombreuses cartouches provenant de ces fusils, du matériel sanitaire (pansements, bandages) et des provisions (riz, sucre, farine). Le témoin insiste sur le fait que ces produits et aliments s’y trouvaient en grande quantité (suffisante environ pour deux ans à une famille), comme cela est le cas dans les refuges des militants du PKK, situés dans les montagnes de Cudi. D’après le témoin, aucun membre de l’équipe n’a pu tirer sur la victime. Il en veut pour preuve la distance séparant les membres de l’équipe de la victime (environ deux cents mètres), les conditions climatiques (neige) et les règles régissant de telles opérations qui interdisent de tirer pour tuer. Aucun membre de l’équipe ne reconnut avoir fait feu en direction de la victime. Le témoin précise que les membres de l’équipe étaient en possession de lunettes à vision infrarouge. Celles-ci servaient à repérer les cibles mouvantes dans l’obscurité. Le témoin explique qu’il n’avait pas été informé de la présence de mines de charbon à cet endroit et de celle de veilleurs de nuit. Il en conclut que les personnes qui les avaient informés de la présence de terroristes ont voulu faire accuser les militaires. Selon lui, les montagnes de Cudi constituent l’une des zones les plus fréquentées par les membres du PKK. Il estime en outre qu’il n’y a aucune différence entre l’abri où se trouvaient les gardiens de la mine et ceux qui constituent les abris habituels des membres du PKK. Il ajoute que la révélation de l’identité des militaires qui ont participé à une telle opération est susceptible de mettre leur vie en danger. d) Ahmet Şerif Aka Né en 1969, le témoin accomplissait, à l’époque des faits, son service national en qualité de caporal. Il effectuait son treizième ou quatorzième mois de service militaire. Comme membre de l’équipe qui participa à l’opération, il est un témoin oculaire et l’un des six signataires du procès-verbal des incidents, établi le 24 décembre 1990. Le témoin explique qu’à la suite d’une dénonciation, son équipe est partie en opération dans la montagne, en vue de tendre une embuscade aux membres du PKK en attendant le lever du jour. L’équipe était composée de dix-huit militaires sous les ordres du lieutenant İsmail Çağlayan, militaire de carrière. Les hommes avaient vu une lumière provenant d’un abri. Avant le lever du jour, ses équipiers virent un homme sortir de l’abri et s’enfuir. Le commandant lui cria de se rendre. Il y eut des tirs provenant de fusils de chasse et de Kalachnikov. Le témoin quitta l’endroit où il se trouvait, monta sur une colline et arriva dans une petite forêt. Il leva la tête et l’homme qui s’enfuyait lui tira dessus avec une Kalachnikov. Le témoin s’enfuit puis se ressaisit et reprit sa place près de son équipe. Il précise qu’un de ses équipiers pointa son arme chargée vers lui et qu’il dut crier pour qu’il ne le menaçât plus. Il y eut à nouveau des coups de feu. Le commandant procéda à de nouvelles sommations verbales en direction des terroristes et deux ou trois hommes sortirent de l’abri. Un terroriste était blessé ou mort. Dans l’abri, ils trouvèrent des quantités importantes de médicaments, de pansements, etc. D’après le témoin, un seul membre de l’équipe tira en l’air à titre d’avertissement, sur ordre du commandant. Au sujet de la déposition de M. Akay, selon laquelle tous les membres de l’équipe ont tiré des coups d’avertissement, le témoin répond que c’est possible et qu’il ne se souvient pas exactement de qui a tiré. Il ne se souvient pas non plus si le commandant a utilisé un mégaphone. Le témoin indique qu’il n’entendit pas lui-même l’ordre de tirer des coups d’avertissement, car il y avait près de cinquante mètres de distance entre chaque militaire couché à terre. Toute l’équipe était dispersée sur une ligne composée de dix-huit militaires séparés chacun par cinquante mètres. Il fut informé de vive voix par son équipier le plus proche, et non par radio, qu’un tir d’avertissement avait été effectué. La distance entre les soldats et l’abri était d’environ huit cents à mille mètres. Le témoin ne se souvient pas si la victime était armée. Il se rappelle vaguement qu’on a trouvé un fusil de chasse, soit près de la victime, soit dans l’abri. Il n’est pas certain qu’il y avait d’autres armes dans l’abri. Ils ne trouvèrent pas de Kalachnikov sur place, mais pensèrent que les terroristes les avaient emportées avec eux en s’enfuyant. Le témoin indique qu’il ne reconnaît pas le bruit d’une Kalachnikov mais que les officiers le reconnaissent. Le témoin ne sait pas non plus quelle balle a touché la victime. Il indique que les tirs d’avertissement des soldats ne pouvaient toucher la victime, car ces tirs se faisaient en l’air. D’après lui, il est certain que des coups de feu ont été tirés des environs de l’abri, car il s’agissait de balles traçantes, ce qui lui permettait de les voir et de déterminer leur provenance. Enfin, le témoin affirme que ce n’est que le matin qu’il vit les machines de travail et qu’il comprit alors qu’il se trouvait dans une mine de charbon. e) Celal Uymaz Lieutenant-colonel de gendarmerie né en 1946, le témoin était, à l’époque des faits, chef des opérations de renseignements et de sécurité publique au commandement de la gendarmerie de la ville de Şırnak. Il dit avoir été désigné par le préfet pour enquêter en qualité d’instructeur environ quinze jours après l’incident. Il relate les faits comme suit. Les forces de sécurité avaient été informées qu’un terroriste blessé du PKK s’était réfugié dans la région. Elles procédèrent à des tirs d’avertissement en direction de Musa Oğur qu’elles pensaient être un terroriste. Ensuite, les forces de sécurité et des membres du service de sécurité des mines de charbon de Şırnak (environ cinquantequatre) qui se trouvaient sur les lieux, tirèrent des coups de feu. Ils n’avaient toutefois aucune intention de tuer, sinon la victime aurait été touchée par plus d’une balle. Ils voulaient arrêter un suspect qui – pensaient-ils – voulait s’enfuir. C’est par accident que la victime fut touchée par un des tirs d’avertissement. La victime fut touchée à la nuque, c’estàdire, selon le témoin, dans la position d’une personne qui s’enfuit en refusant d’obtempérer aux sommations. Les forces de sécurité étaient dispersées à droite, à gauche et en face de l’abri. D’après le témoin, dans des circonstances comme celles de l’affaire, les forces de sécurité ont pour instruction de lancer au moins trois sommations verbales en direction du suspect ; elles utilisent des mégaphones pour le prévenir oralement et lui intimer l’ordre de s’arrêter. A défaut, il convient de neutraliser le suspect, sans utiliser d’arme à feu, mais plutôt une crosse, une baïonnette ou la saisie au corps. Dans ce cas-ci, une distance importante séparait le suspect des forces de sécurité, ce qui obligea celles-ci à procéder à des tirs d’avertissement en l’air pour forcer le suspect à s’arrêter. Le témoin reconnaît que le procureur a, quant à lui, fait état de tirs tendus pour stopper la victime. Il répond que le coup de feu ne visait pas à donner la mort intentionnellement. Selon lui, dans les circonstances des incidents (neige, brouillard et obscurité), il était techniquement impossible d’atteindre une cible avec des armes non équipées pour la vision de nuit. Il reconnaît que les unités d’infanterie, comme celles qui étaient en service, possèdent des jumelles à vision infrarouge pour voir la nuit. Il indique qu’elles les utilisaient toutefois pour observer le terrain et non pour détecter une cible. Le témoin affirme que les forces de sécurité, les membres du service de sécurité des mines de charbon de Şırnak et les gardiens de la mine sont armés de fusils G3. Ils peuvent aussi détenir des fusils de chasse. Selon le témoin, les fusils de chasse retrouvés sur place n’étaient pas inscrits au registre des permis de port d’arme. Le témoin dit s’être fondé sur les documents de l’enquête préliminaire (procès-verbal de l’incident, ordonnance d’incompétence du procureur de la République, rapport d’autopsie, etc.) et avoir entendu deux gardiens de la mine, Salih Zeyrek et Salih Oğur, que le préfet avait identifiés. Il ne se rendit pas sur les lieux de l’incident. Le témoin déclare n’avoir pas jugé nécessaire d’identifier les membres des forces de sécurité qui avaient participé à l’opération. Il n’a interrogé aucun des membres de celles-ci, car ils étaient nombreux et il y avait, en plus, des gardiens du village et cinquante-quatre autres membres du service de sécurité des mines de charbon de Şırnak. Il n’a pas estimé nécessaire non plus d’entendre les signataires du procès-verbal de l’incident ; il reconnaît toutefois que le procès-verbal de l’incident mentionnait le nom ou le numéro des équipes chargées de l’opération et qu’il aurait pu convoquer et interroger les membres de ces équipes s’il s’était adressé au commandant de la brigade de gendarmerie. Il n’a pas identifié les gardiens du village qui avaient participé à l’opération. Il n’a pas ordonné d’expertise balistique, car il faisait confiance au procès-verbal de l’incident et environ quinze jours s’étaient écoulés depuis celui-ci. Le témoin reconnaît s’être fondé sur le procès-verbal de l’incident pour conclure, dans son rapport d’enquête, qu’il y avait eu des tirs d’avertissement. Il n’éprouva pas le besoin d’entendre les six membres des forces de sécurité signataires dudit procès-verbal. En effet, bien qu’il reconnaisse qu’il s’agissait de témoins oculaires, il n’estima pas utile de les interroger, car il n’était pas pour autant établi qu’ils avaient fait feu. f) Nurettin Güven Né en 1952, le témoin était en service à Siirt en décembre 1990. En 1991, il présida, comme préfet adjoint de Şırnak, au nom du préfet, le comité administratif de cette province qui rendit, le 15 août 1991, une ordonnance de non-lieu à l’égard des forces de sécurité. Il n’était pas présent lui-même sur les lieux de l’incident. 45. Le témoin décrit comme suit les règles régissant les poursuites à l’encontre de fonctionnaires. Le préfet nomme un instructeur, qui recueille tous les éléments de preuve et soumet ses conclusions au comité administratif. Le dossier est alors examiné lors d’une réunion du comité administratif, pendant laquelle chaque membre exprime ses observations. L’instructeur ne participe pas à cette réunion. La décision de saisir les juridictions pénales ou de rendre un non-lieu est prise à la majorité. L’ordonnance rendue par le comité administratif est transmise au Conseil d’Etat qui, sur examen du dossier, la confirme ou l’infirme. Ces règles spéciales régissant les poursuites à l’encontre de fonctionnaires s’appliquent dans les régions où l’état d’exception est en vigueur. L’état d’exception est déclaré selon les voies démocratiques par l’Assemblée nationale, à la majorité. Le témoin reconnaît que l’on pouvait connaître le nom du chef de l’équipe envoyée pour une telle opération. Il indique que les membres des forces de sécurité n’ouvrent le feu qu’en cas de légitime défense. g) Cengizhan Uysal Né en 1949, le témoin occupait en 1991 le poste de directeur de la santé de Şırnak. Il était l’un des membres du comité administratif de Şırnak qui rendit l’ordonnance de non-lieu du 15 août 1991. Il n’était pas présent lui-même sur les lieux de l’incident. Le témoin ne se souvient pas des circonstances particulières de l’affaire. Il indique que de tels incidents survenaient fréquemment à cette époque et que le comité administratif avait pour pratique de conclure à l’impossibilité d’établir l’identité des responsables. Le témoin explique que le comité administratif fonde sa décision sur les documents déjà versés au dossier par l’instructeur (lequel est désigné par le préfet) et n’est pas véritablement habilité pour enquêter lui-même. C’est au préfet qu’échoient la charge et la compétence d’enquête. Les membres du comité administratif sont placés hiérarchiquement sous les ordres du préfet. Le comité administratif se réunit en général une fois par mois ; parfois il ne tient pas de réunion. Dans ce dernier cas, le préfet fait circuler le projet d’ordonnance dans les bureaux des membres du conseil pour signature. Lorsque le comité administratif se réunit, il est présidé par le préfet ou son représentant. Le greffier lit à haute voix le dossier. Les membres peuvent examiner les documents versés au dossier. Ils sont ensuite invités à exprimer leurs observations et à signer le texte du projet. Les membres peuvent s’opposer, en principe, aux conclusions proposées par le préfet. Ceux qui ne sont pas convaincus par les conclusions peuvent demander des investigations complémentaires. Mais en fin de compte, la procédure est fondée sur la confiance accordée au préfet. Soit les membres sont convaincus et signent l’ordonnance, soit ils sont remplacés par d’autres qui sont prêts à la signer. En pratique, il n’est pas possible que l’ordonnance, telle que proposée par le préfet, ne soit pas signée. Le témoin reconnaît que l’ordonnance rendue dans la présente affaire n’était pas une ordonnance de non-lieu, mais plutôt une décision de ne pas engager de poursuites à l’encontre de fonctionnaires et de ne pas transmettre le dossier au procureur pour que celui-ci poursuivît l’enquête sur l’affaire en vue d’identifier les coupables présumés. Il n’a pas été informé de la suite donnée à cette affaire. Le témoin précise enfin que la gendarmerie connaît l’identité du responsable de chaque opération conduite par les forces de sécurité dans les mines de charbon. h) Autres témoins cités La Commission convoqua encore les témoins suivants, lesquels toutefois ne comparurent pas : Mme Sariye Oğur, requérante et mère de la victime ; MM. Naif Zeyrek, Salih Zeyrek et Salih Oğur, gardiens de la mine ; d’autres membres des forces de sécurité ayant participé à l’opération du 24 décembre 1990. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La poursuite pénale des infractions Le code pénal réprime toute forme d’homicide (articles 448 à 455) ainsi que ses tentatives (articles 61 et 62). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les devoirs incombant aux autorités quant à l’enquête préliminaire au sujet des faits susceptibles de constituer pareils crimes et portés à la connaissance des autorités. Ainsi, toute infraction peut être dénoncée aussi bien aux autorités ou agents des forces de l’ordre qu’aux parquets. La déposition de pareille plainte peut être écrite ou orale, et, dans ce dernier cas, l’autorité saisie est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151). S’il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d’un décès, les agents des forces de l’ordre qui en ont été avisés sont tenus d’en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). Selon l’article 235 du code pénal, tout membre de la fonction publique qui omet de déclarer à la police ou aux parquets une infraction dont il a eu connaissance pendant l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine d’emprisonnement. Le procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – se voit informé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise, est obligé d’instruire les faits aux fins de décider s’il y a lieu ou non d’entamer une action publique (article 153 du code de procédure pénale). Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de la fonction publique et si l’acte a été commis pendant l’exercice des fonctions, l’instruction préliminaire de l’affaire est régie par la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public dans cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales, sont du ressort exclusif du comité administratif local concerné (celui du district ou de la province, selon le statut de l’intéressé), lequel est présidé par le préfet. En l’espèce, celui-ci avait sous ses ordres les forces de sécurité ayant mené l’opération litigieuse. Une fois délivrée l’autorisation de poursuivre, il incombe au procureur de la République d’instruire l’affaire. Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; la saisine est d’office si l’affaire est classée sans suite. En vertu de l’article 4, alinéa i), du décret-loi n° 285 du 10 juillet 1987 sur l’autorité du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence, la loi de 1914 (paragraphe 52 ci-dessus) s’applique également aux membres des forces de l’ordre dépendant dudit gouverneur. Lorsque l’auteur présumé d’un délit est un militaire, la qualification de l’acte incriminé détermine la loi applicable. S’il s’agit d’un « crime militaire » prévu au code pénal militaire n° 1632, les poursuites pénales sont en principe régies par la loi n° 353 instituant des tribunaux militaires et réglementant leur procédure. En revanche, les poursuites contre les militaires accusés d’une infraction de droit commun sont en principe régies par le code de procédure pénale (articles 145 § 1 de la Constitution et 9-14 de la loi n° 353). Le code pénal militaire érige en infraction militaire le fait, pour un militaire agissant en désobéissance, de mettre en danger la vie d’une personne (article 89). Dans ce cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 51 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne mise en cause. B. La responsabilité civile et administrative du fait d’actes criminels et délictuels En vertu de l’article 13 de la loi n° 2577 sur la procédure administrative, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative. 56. L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel. (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que, dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées. L’article 8 du décret-loi n° 430 du 16 décembre 1990 précise à cet égard : « La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou d’un préfet d’une région où a été proclamé l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l’Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle. » L’article 1 additionnel de la loi n° 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’exception dispose : « (…) les actions en réparation concernant l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi sont à intenter contre l’administration et devant les juridictions administratives. » Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41-46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l’intéressé (article 53). Toutefois, en vertu de l’article 13 de la loi n° 657 sur les employés de l’Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public peuvent, en principe, ester en justice uniquement contre l’autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et pas directement contre celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Lorsque l’acte en question est qualifié d’illicite ou de délictuel et, par conséquent, perd son caractère d’acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l’auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d’engager la responsabilité conjointe de l’administration en sa qualité d’employeur de l’auteur de l’acte (article 50 du code des obligations). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION La requérante a saisi la Commission le 16 mars 1993. Elle alléguait que les forces de sécurité avaient tué son fils lors de l’opération du 24 décembre 1990, au mépris de l’article 2 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 21594/93) le 30 août 1994. Dans son rapport du 30 octobre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut, par trentedeux voix contre une, à la violation de l’article 2. Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, la requérante invite la Cour à constater qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention et à lui accorder une satisfaction équitable. De son côté, le Gouvernement, dans son mémoire, prie la Cour de déclarer que la partie requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2.
0
0
0
0
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 1930, les parents du requérant construisirent une maison à Bucarest. A partir de 1939, ils en louèrent le rez-de-chaussée aux frères Mirescu, les oncles du tiers intervenant M. Mircea Dan Mirescu. En 1950, l’Etat prit possession de la maison des parents du requérant, sise à Bucarest, en invoquant le décret de nationalisation n° 92/1950. Les motifs ou la base légale de cette privation de propriété ne furent jamais notifiés aux parents du requérant. Ceux-ci furent néanmoins autorisés à rester dans l’un des appartements de la maison, en tant que locataires de l’Etat. En 1973, en application de la loi n° 4/1973, l’Etat vendit aux frères Mirescu le logement qu’ils occupaient jusqu’alors en tant que locataires. Le tiers intervenant, M. Mircea Dan Mirescu, et sa sœur A.M.M., héritèrent de l’appartement en 1988. En 1997, à la suite du décès de sa sœur, le tiers intervenant demeura le seul héritier dudit appartement. A. L’action en revendication de propriété En 1993, en tant qu’héritier, le requérant saisit le tribunal de première instance de Bucarest d’une action visant à faire constater la nullité de la nationalisation de la maison. L’intéressé fit valoir qu’en vertu du décret n° 92/1950, les biens des salariés ne pouvaient être nationalisés et que ses parents étaient salariés au moment de la nationalisation de leur maison. Il n’est pas précisé dans les documents présentés devant la Cour si, devant le tribunal de première instance, le requérant fit mention de la vente conclue par l’Etat avec les frères Mirescu en 1973. Par un jugement du 9 décembre 1993, le tribunal de première instance releva que c’était par erreur que la maison des parents du requérant avait été nationalisée en application du décret n° 92/1950, car ils faisaient partie d’une catégorie de personnes que ce décret excluait des actions de nationalisation. Le tribunal constata ensuite que la possession exercée par l’Etat était fondée sur la violence et, par conséquent, jugea que l’Etat ne pouvait pas se prévaloir d’un titre de propriété fondé sur l’usucapion. Les juges décidèrent également que l’Etat n’aurait pas pu non plus s’approprier la maison en application des décrets nos 218/1960 et 712/1966, car ces textes étaient contraires respectivement aux Constitutions de 1952 et 1965. Le tribunal ordonna dès lors aux autorités administratives, à savoir la mairie de Bucarest et l’entreprise d’Etat C., gérant de logements d’Etat, de restituer la maison au requérant. En l’absence de recours, le jugement devint définitif et irrévocable, ne pouvant plus être attaqué par voie de recours ordinaire. Le 31 mars 1994, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution de la maison et le 27 mai 1994 l’entreprise C. s’exécuta. A cette date, le requérant cessa de payer le loyer dû pour l’appartement qu’il occupait dans la maison. A partir du 14 avril 1994, le requérant commença à acquitter les taxes foncières afférentes à la maison. Il les versa jusqu’en 1996 inclus (paragraphe 25 ci-dessous). A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie, saisi par M. Mircea Dan Mirescu, forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation (recurs în anulare) contre le jugement du 9 décembre 1993, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret n° 92/1950. L’audience devant la Cour suprême de justice fut fixée au 22 février 1995. M. Mircea Dan Mirescu ne fut pas invité à prendre part à la procédure. Le 22 février 1995, le requérant demanda le report de l’audience, son avocat étant absent pour cause de maladie. La Cour suprême de justice rejeta cette demande le même jour et, à l’issue des débats, mit l’affaire en délibéré au 1er mars 1995, la cour enjoignant au requérant de déposer avant cette date ses conclusions écrites. Dans son mémoire, le requérant demanda le rejet du recours en annulation. Il fit valoir, d’une part, que le décret n° 92/1950 était contraire à la Constitution de 1948 du fait de sa publication partielle et du non-respect du principe selon lequel toute expropriation devait être faite dans un but d’utilité publique et après le paiement d’une juste indemnisation. D’autre part, le requérant soutint que, du fait que ses parents étaient salariés au moment de la nationalisation, l’acte de nationalisation de la maison contrevenait aux dispositions dudit décret, lesquelles prévoyaient que ne pouvaient pas être nationalisés les logements appartenant aux salariés. Enfin, le requérant se prévalut de l’article 21 de la Constitution roumaine de 1991 garantissant le libre accès à la justice sans aucune limite. Par un arrêt du 1er mars 1995, la Cour suprême de justice annula le jugement du 9 décembre 1993 et rejeta l’action du requérant. Elle souligna que la loi était un moyen d’acquisition de la propriété, constata que l’Etat s’était approprié la maison en question le jour même de l’entrée en vigueur du décret de nationalisation n° 92/1950 et rappela que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les instances judiciaires. Par conséquent, la Cour suprême de justice estima que le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement constatant que le requérant était le véritable propriétaire de la maison qu’en modifiant le décret susmentionné et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême de justice confirma le droit des anciens propriétaires d’introduire des actions en revendication, mais jugea qu’en l’espèce le requérant n’avait pas apporté la preuve de son droit de propriété, tandis que l’Etat avait démontré que son titre était fondé sur le décret de nationalisation. La Cour suprême de justice conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était appropriés abusivement. Les services fiscaux informèrent alors le requérant qu’à partir du 2 avril 1996, la maison en question avait été réintégrée dans le patrimoine de l’Etat. B. Développements postérieurs au rapport de la Commission : l’action en restitution de propriété A une date non précisée, le requérant déposa une demande de restitution auprès de la commission administrative pour l’application de la loi n° 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») de Bucarest. Il fit valoir qu’il avait été dépossédé de sa maison en 1950, en violation du décret de nationalisation n° 92/1950, que le tribunal de première instance de Bucarest, dans son jugement définitif du 9 décembre 1993, avait jugé cette privation de propriété illégale et qu’il était dès lors en droit de se voir réintégré dans son droit de propriété sur l’ensemble de la maison. Dans un rapport rédigé en novembre 1997, la commission technique d’évaluation, créée par la loi n° 112/1995, estima la valeur de la maison à 274 621 286 lei roumains (ROL), dont 98 221 701 ROL pour l’appartement habité par le requérant. Par une décision du 24 mars 1998, la commission administrative restitua au requérant l’appartement dans lequel il habitait en tant que locataire et lui accorda un dédommagement pour le reste de la maison. Eu égard à l’article 12 de la loi n° 112/1995 plafonnant les dédommagements, et compte tenu du plafond en vigueur en novembre 1997, à savoir 225 718 800 ROL, la commission administrative octroya au requérant 147 497 099 ROL. Le 14 mai 1998, le requérant forma un recours contre cette décision. Devant le tribunal de première instance de Bucarest, il critiqua le refus de la commission administrative de lui restituer l’ensemble de la maison et l’absence de motivation de ce refus. Il fit valoir que dans son cas, s’agissant d’une privation de propriété illégale, la loi n° 112/1995 sur les privations légales de propriété n’était pas applicable. Dès lors, la seule solution permettant de protéger son droit de propriété était l’action en revendication. Néanmoins, puisqu’il avait déjà introduit une telle action et que, par un jugement définitif du 9 décembre 1993, le tribunal de première instance avait jugé qu’il était propriétaire de la maison, le requérant estima qu’il ne pouvait plus introduire une nouvelle action en revendication. Par conséquent, il demanda la reconnaissance de son droit de propriété sur l’ensemble de la maison et fit valoir qu’il ne comptait pas solliciter un dédommagement sur la base de la loi n° 112/1995. Le recours du requérant fut rejeté par une décision du 21 avril 1999. Le requérant interjeta appel. Cette procédure est actuellement pendante devant le tribunal départemental de Bucarest. II. le droit et la pratique internes pertinents A. La Constitution L’article 21 de la Constitution se lit ainsi : « Toute personne peut s’adresser à la justice pour la protection de ses droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes. Aucune loi ne peut restreindre l’exercice de ce droit. (...) » B. La loi n° 59/1993 portant modification du code de procédure civile Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi libellées : Article 330 « Le procureur général, d’office ou à la demande du ministre de la Justice, peut attaquer, par la voie du recours en annulation devant la Cour suprême de justice, les décisions judiciaires passées en force de chose jugée, pour les raisons suivantes : lorsque la juridiction a outrepassé les attributions du pouvoir judiciaire ; (...) » Article 3301 « Le recours en annulation peut être introduit à tout moment. » C. La loi n° 17 du 17 février 1997 portant modification de l’article 3301 du code de procédure civile L’article 3301 fut ainsi modifié : « Article 3302 – Pour le motif prévu à l’article 330 (1), le recours en annulation peut être formé dans un délai de six mois à partir du jour où la décision judiciaire est passée en force de chose jugée (...) » D. Le décret n° 92/1950 de nationalisation de certains immeubles Les dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article I « (...) afin d’assurer une bonne gestion des logements qui se sont délabrés du fait de la volonté de sabotage de la grande bourgeoisie et des exploiteurs qui possèdent un grand nombre d’immeubles ; Afin de déposséder les exploiteurs d’un important moyen d’exploitation ; Sont nationalisés les immeubles mentionnés dans les listes annexées (...) au présent décret et qui font partie de celui-ci. Ont été retenus pour l’établissement desdites listes : les immeubles appartenant aux anciens industriels, grands propriétaires terriens, banquiers, grands négociants et aux autres représentants de la grande bourgeoisie ; les immeubles appartenant aux exploiteurs immobiliers (...) » Article II « Sont exclus du champ d’application du présent décret et ne peuvent être nationalisés les immeubles appartenant aux ouvriers, fonctionnaires, petits artisans, intellectuels par profession et retraités. » E. Le décret n° 524 du 24 novembre 1955 portant modification du décret n° 92/1950 Les dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article XI « Sous réserve de l’obligation pour lui d’appliquer les critères fixés (...) par l’article II, le Conseil des Ministres peut modifier les annexes au décret [contenant la liste des immeubles nationalisés]. Il peut également décider, pour tout appartement ou immeuble, de ne pas appliquer les dispositions de nationalisation. » F. La position de la Cour suprême de justice Jurisprudence jusqu’au 2 février 1995 La chambre civile de la Cour suprême de justice confirma à plusieurs reprises la jurisprudence des tribunaux inférieurs qui s’estimaient compétents pour examiner les litiges portant sur les biens immeubles nationalisés, notamment ceux l’ayant été en application du décret n° 92/1950. Par exemple, dans son arrêt n° 518 du 9 mars 1993, elle s’exprima comme suit sur la question de savoir si les tribunaux avaient compétence pour examiner des litiges concernant l’application du décret n° 92/1950 : « (...) en statuant sur l’action en revendication de la requérante et accueillant la demande de l’intéressée, les tribunaux – auxquels la loi confère une compétence générale pour trancher les litiges civils – n’ont fait qu’appliquer le décret. Plus précisément ils ont appliqué, d’une part, les dispositions interdisant la nationalisation de certains biens immeubles et, d’autre part, celles exigeant la restitution de ces biens en cas d’application erronée ou abusive du décret. » Le revirement de jurisprudence du 2 février 1995 Le 2 février 1995, la Cour suprême de justice, statuant toutes chambres réunies, décida, à une majorité de vingt-cinq voix contre vingt, de changer la jurisprudence de sa chambre civile. Elle jugea ainsi que : « les tribunaux n’ont pas compétence pour censurer le décret et ordonner la restitution des immeubles nationalisés en application du décret n° 92/1950 (...) ; la mise en conformité des nationalisations effectuées en application du décret n° 92/1950 avec les dispositions de la présente Constitution relatives au droit de propriété ne peut se faire que par voie législative (...) » Le revirement de jurisprudence du 28 septembre 1998 Le 28 septembre 1998, la Cour suprême de justice, statuant toutes chambres réunies, décida, à l’unanimité, de revenir sur son arrêt du 2 février 1995, dans lequel elle avait estimé que les tribunaux n’étaient pas compétents pour trancher les litiges concernant les atteintes au droit de propriété commises entre 1944 et 1989. Elle s’exprima ainsi : « [L]es tribunaux sont compétents pour connaître de toute action relative à des allégations d’atteintes au droit de propriété et à d’autres droits réels commises entre 1944 et 1989. » G. La position de la Cour constitutionnelle Le 19 juillet 1995, la Cour constitutionnelle se prononça sur la constitutionnalité du projet de loi précisant la situation juridique des immeubles à usage d’habitation devenus propriété d’Etat. Elle statua ainsi sur la possibilité, pour les propriétaires des immeubles dont l’Etat s’était adjugé la propriété abusivement ou sans titre, d’obtenir soit la restitution des biens par le biais d’une action en justice, soit un dédommagement : « (...) La situation est différente dans le cas des logements devenus propriété d’Etat par la voie d’un acte administratif illégal, ou simplement de facto, c’est-à-dire sans titre, le droit de propriété de l’Etat ne reposant sur aucun fondement juridique. Dans ces cas, le droit de propriété légal de la personne physique ne s’est pas éteint, de sorte que, l’Etat n’étant pas propriétaire, les biens en cause ne peuvent pas être inclus dans la catégorie des biens visés par une loi dont l’objet est de réglementer la situation juridique des logements devenus propriété d’Etat. En d’autres termes, (...) les mesures prévues dans la présente loi ne sont pas applicables aux logements pour lesquels le droit de propriété de l’Etat n’a pas de fondement juridique. Si la loi considérait que le droit de propriété de l’Etat porte sur les immeubles qu’il s’est appropriés sans titre, cela signifierait qu’elle a un effet constitutif du droit de propriété de l’Etat, c’est-à-dire rétroactif, ou qu’elle met en œuvre une modalité de transformation du droit de propriété des personnes physiques en propriété d’Etat qui n’est pas prévue par la Constitution de 1991, ce qui ne saurait être accepté. Il s’ensuit qu’il convient d’accueillir l’exception d’inconstitutionnalité de cette partie de la loi pour ce qui est des immeubles que l’Etat ou d’autres personnes morales se sont appropriés sans titre. (...) Il appartient au Parlement de décider, lors de la révision du projet de loi, d’adopter des mesures conférant aux personnes que l’Etat a privées de leurs logements sans posséder de titre, ou à leurs héritiers, le droit d’opter pour le bénéfice de cette loi au cas où elles souhaiteraient renoncer à la voie lente, incertaine et coûteuse d’une action en revendication. (...) » H. La loi n° 112 du 23 novembre 1995 précisant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d’habitation, entrée en vigueur le 29 janvier 1996 Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent ainsi : Article premier « Les anciens propriétaires – personnes physiques – des biens immeubles à usage d’habitation qui sont passés, en vertu d’un titre, dans le patrimoine de l’Etat ou d’autres personnes morales après le 6 mars 1945 et qui étaient possédés par l’Etat ou d’autres personnes morales le 22 décembre 1989 bénéficient, à titre de réparation, des mesures prévues par la présente loi. Les dispositions de la présente loi sont également applicables, sans préjudice des lois existantes, aux héritiers des anciens propriétaires. » Article 2 « Les personnes mentionnées à l’article premier bénéficient d’une restitution en nature sous la forme du rétablissement de leur droit de propriété sur les appartements dans lesquels elles habitent en tant que locataires et sur ceux qui sont libres ; pour les autres appartements, elles sont indemnisées dans les conditions prévues par l’article 12 (...) » Article 13 « Les indemnités devant être accordées aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers pour les appartements qui ne leur auraient pas été restitués en nature, ou le prix de vente de ces appartements, selon le cas, seront fixés sur la base du décret n° 93/1977, du décret-loi n° 61/1990 et de la loi n° 85/1992, et la valeur des terrains y afférents sera déterminée sur la base des critères (document 2665 du 28 février 1992) devant servir à l’identification et à l’évaluation des terrains intégrés dans le patrimoine des sociétés commerciales à capital d’Etat (...). Aux valeurs ainsi déterminées seront appliqués des coefficients d’actualisation ne pouvant être inférieurs au taux de croissance du salaire moyen de l’économie. La valeur totale de l’appartement restitué en nature, ou des indemnités dues pour les appartements non restitués en nature et les terrains y afférents ne peut pas dépasser la somme des salaires – plafonnés au niveau du salaire moyen de l’économie – qu’aurait pu percevoir une personne sur une période de 20 ans expirant à la date de fixation de l’indemnité. Lorsque l’ancien propriétaire, ses héritiers ou des apparentés jusqu’au deuxième degré du propriétaire en vie se voient, en application de l’article 2, restituer en nature un appartement dont la valeur, calculée selon les règles fixées au premier alinéa, dépasse la somme prévue au deuxième alinéa, ils ne peuvent être obligés de payer la différence. La valeur des indemnités déterminées dans les conditions décrites ci-dessus sera actualisée au jour du paiement, sur la base du salaire moyen sur l’économie du dernier mois du trimestre expiré. Aux fins d’application des dispositions de la présente loi, il sera constitué un fonds extrabudgétaire qui sera mis à la disposition du ministère des Finances et alimenté comme suit : a) les sommes provenant de la vente des appartements non restitués en nature, qu’il s’agisse de paiements intégraux, d’acomptes, de mensualités ou d’intérêts, après déduction de la commission de 1 % de la valeur des appartements ; b) les sommes provenant des emprunts d’Etat lancés aux fins d’alimenter le fonds, dans les conditions prévues par la loi n° 91/1993 concernant la dette publique. A partir du fonds ainsi constitué seront effectuées des dépenses correspondant, par ordre de priorité : a) au paiement des indemnités dues – dans les conditions de la présente loi – aux propriétaires ou à leurs héritiers ; b) au remboursement des emprunts émis et aux frais entraînés par ceux-ci ; c) à la construction de logements, qui seront attribués en priorité aux locataires se trouvant dans la situation prévue à l’article 5 § 3. » I. La position de l’exécutif au sujet de la loi n° 112/1995 Le 23 janvier 1996, le gouvernement adopta la décision n° 20/1996 pour l’application de la loi n° 112/1995, selon laquelle étaient considérés comme des immeubles sur lesquels l’Etat avait un titre les immeubles devenus propriété d’Etat en application d’une disposition légale. Selon la même décision, la loi n° 112/1995 n’était pas applicable aux immeubles détenus par l’Etat en l’absence d’une disposition légale constituant le fondement juridique du droit de propriété de l’Etat. Le 18 février 1997, le gouvernement adopta la décision n° 11/1997 qui complétait la décision n° 20/1996. Selon l’article 1 § 3 de la décision n° 11/1997, les biens acquis par l’Etat en application du décret n° 92/1950 étaient définis comme ceux qui avaient été acquis dans le respect des articles I §§ 1-5 et II dudit décret et pour lesquels il y avait identité entre la personne figurant comme propriétaire sur les listes dressées en application du décret et le véritable propriétaire à la date de la nationalisation. J. La position des juridictions inférieures quant à l’autorité de la chose jugée Après la décision n° 11 prise par le gouvernement le 18 février 1997, des propriétaires à propos desquels des décisions de justice définitives avaient été annulées par la Cour suprême de justice à la suite d’un recours en annulation introduisirent devant les tribunaux de nouvelles actions en revendication. La question de l’exception de l’autorité de la chose jugée, soulevée à l’occasion de ces nouvelles actions, ne reçut pas une réponse uniforme de la part des tribunaux. Tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest, jugement n° 5626 du 16 mai 1997 passé en force de chose jugée « (...) le bien revendiqué a déjà fait l’objet d’un litige entre les mêmes parties, à l’issue duquel le tribunal de première instance du 2e arrondissement de Bucarest a prononcé le 12 janvier 1994 le jugement n° 212, passé en force de chose jugée, par lequel la demande de I.P. a été accueillie et ce dernier reconnu propriétaire de l’immeuble (...) Contre ce jugement, le procureur général a formé un recours en annulation, à la suite duquel la Cour suprême de justice, par un arrêt du 28 septembre 1995, a annulé le jugement susmentionné et, sur le fond, a rejeté l’action de I.P. (...) (...) en application de l’article 1201 du code civil, selon lequel « il y a autorité de la chose jugée lorsqu’une deuxième demande en justice a le même objet, est fondée sur la même cause et concerne les mêmes parties dans la même qualité », le tribunal constate qu’un litige a déjà eu lieu entre les mêmes parties, au sujet du même immeuble, qui a été tranché par la Cour suprême de justice (...) (...) dès lors, le tribunal accueille l’exception de l’autorité de la chose jugée et rejette l’action du demandeur. » Tribunal de première instance de Făgăraş, jugement susceptible de recours n° 3276 du 10 décembre 1998 « (...) le tribunal constate que l’application du décret n° 92/1950 a été illégale en ce qui concerne l’immeuble de la requérante (...), ordonne la restitution de l’immeuble et rejette l’exception de l’autorité de la chose jugée (...) » K. La loi n° 213 du 24 novembre 1998 sur le domaine public et son régime juridique Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi énoncées : Article 6 « 1. Font également partie du domaine public ou privé de l’Etat ou des autres entités administratives les biens acquis par l’Etat entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, pour autant qu’ils sont entrés dans le patrimoine de l’Etat en vertu d’un titre, c’est-à-dire dans le respect de la Constitution, des traités internationaux auxquels la Roumanie était partie et des lois en vigueur à la date à laquelle les biens en question sont entrés dans le patrimoine de l’Etat. Hormis le cas où leur situation se trouve régie par les lois spéciales de réparation, les biens détenus par l’Etat sans titre valable, y compris ceux qui ont été acquis par suite d’un vice du consentement, peuvent être revendiqués par les anciens propriétaires ou leurs héritiers. Les tribunaux sont compétents pour apprécier la validité du titre. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Brumărescu a saisi la Commission le 9 mai 1995. Il alléguait qu’au mépris des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole n° 1, la Cour suprême de justice l’avait privé de l’accès à un tribunal qui aurait pu lui permettre de reprendre possession de sa maison. La Commission a retenu la requête (n° 28342/95) le 22 mai 1997. Dans son rapport du 15 avril 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt1. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le Gouvernement invite la Cour à constater qu’à la suite de faits nouveaux intervenus après l’adoption de son rapport par la Commission, le requérant a perdu la qualité de victime d’une violation de la Convention et, quoi qu’il en soit, n’a pas épuisé les voies de recours internes. Quant au fond, il prie la Cour de rejeter la requête. Le requérant prie la Cour de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement, de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Mme Ivanka Nikolova, est une ressortissante bulgare née en 1943 et domiciliée à Plovdiv. A. La détention provisoire de la requérante La requérante occupait un poste de caissière et de comptable au sein d’une entreprise étatisée. Un audit qui y fut effectué au début de l’année 1995 révéla un déficit de trésorerie de 1 290 059 levs. En février 1995, la requérante se vit remettre une copie du rapport final de l’audit où les experts estimaient qu’elle avait notamment détourné des fonds en passant intentionnellement des écritures inexactes sur les livres comptables. Le 15 mars 1995, des poursuites pénales furent ouvertes contre la requérante. Dans les mois qui suivirent, M. S., le magistrat instructeur (следовател) chargé de l’affaire, interrogea la requérante dans le cadre de l’enquête. Le 24 octobre 1995, Mme Nikolova fut arrêtée et inculpée en vertu de l’article 203 § 1 combiné avec l’article 201 du code pénal (Наказателен кодекс) de détournement de fonds portant sur des montants élevés. A cette même date, le magistrat instructeur entendit la requérante en présence de son avocat et décida de la placer en détention provisoire ; un procureur du parquet régional (Окръжна прокуратурa) de Plovdiv entérina cette décision sans l’avoir entendue. Le 6 novembre 1995, la requérante contesta sa mise en détention auprès du parquet général (Главна прокуратура). Conformément à la pratique établie, l’avocat de la requérante interjeta appel auprès du parquet régional, déclarant qu’elle n’avait pas tenté de fuir ni d’entraver l’action de la justice depuis qu’elle avait eu connaissance, six mois auparavant, des accusations en matière pénale dirigées contre elle, qu’elle ne travaillait plus comme caissière ou comptable et ne pouvait donc commettre d’autres infractions et, enfin, qu’elle avait subi une intervention gynécologique dont elle n’était pas encore totalement remise. Le 9 novembre 1995, avant de transmettre l’appel au parquet général, un procureur du parquet régional confirma la décision de placer la requérante en détention provisoire. Il estima que l’intéressée était accusée d’une infraction majeure punie de plus de dix ans d’emprisonnement et que « dès lors, la [détention provisoire] [était] légale, car fondée sur la disposition contraignante de l’article 152 § 1 du code de procédure pénale (Наказателно процесуален кодекс) » (paragraphe 30 ci-dessous). Le procureur ajouta qu’il appartenait au magistrat instructeur et au procureur chargé du contrôle de déterminer si l’article 152 § 2 du code trouvait à s’appliquer. En l’occurrence, ni l’un ni l’autre n’avait appliqué cette disposition « vu l’état actuel de la procédure ». La détention de la requérante était donc légale. 15. Par une décision du 15 décembre 1995 enregistrée le 28 décembre 1995, le parquet général rejeta la demande de libération de la requérante. Il écarta de même, par une lettre du 12 janvier 1996, un nouveau recours présenté par l’intéressée contre sa détention. B. Le recours en justice contre la détention Le 14 novembre 1995, Mme Nikolova saisit le tribunal régional (Окръжен съд) de Plovdiv d’un recours contre sa mise en détention provisoire. Dans ses observations écrites au tribunal, son avocat déclara notamment que la décision de placer la requérante en détention provisoire se fondait uniquement sur la gravité des charges pesant sur elle et négligeait d’autres facteurs importants. En effet, l’intéressée avait un domicile fixe, où elle vivait avec son mari et ses deux filles. Elle avait eu connaissance des accusations pénales dirigées contre elle plus de six mois avant son arrestation mais n’avait rien tenté pour fuir ou gêner l’enquête. En outre, les éléments à charge n’étaient pas probants, puisqu’il était établi que six autres personnes avaient été en possession d’une clé du bureau du caissier. Le procureur avait aveuglément suivi les conclusions des experts ayant réalisé l’audit, lesquels avaient désigné la requérante au seul motif qu’elle dirigeait le service. Cependant, rien ne montrait que Mme Nikolova fût l’auteur des écritures inexactes passées sur les registres comptables. Enfin, l’avocat de la requérante mentionna l’état de santé de sa cliente et joignit des certificats médicaux. Conformément à l’usage, l’avocat déposa le recours et ses observations par l’intermédiaire du parquet régional. Le 4 décembre 1995, ce dernier transmit le recours et le dossier d’instruction au tribunal régional. La lettre d’accompagnement, rédigée par le procureur, contenait notamment les passages suivants : « Je pense qu’il y a lieu de rejeter le recours et de confirmer le caractère légal de la détention provisoire. Les accusations se rapportent à une infraction majeure délibérée, au sens de l’article 93 § 7 du code pénal, punie [par conséquent] d’emprisonnement en vertu de l’article 152 § 1 du code de procédure pénale. L’espèce ne relève pas de l’article 152 § 2 du code de procédure pénale : il ne s’agit pas d’une affaire où l’accusé n’a pas la possibilité de fuir ou de récidiver, ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour suprême [suit une référence à cette dernière – paragraphe 31 ci-dessous]. » 19. Le 11 décembre 1995, le tribunal rejeta le recours après un examen à huis clos, en l’absence des parties. Il déclara notamment : « [Les charges retenues contre la requérante] se rapportent à une infraction majeure définie à l’article 93 § 7 du code pénal, à savoir une infraction au sens de l’article 203 du code pénal, punie d’au moins dix ans d’emprisonnement. En ce cas, l’article 152 § 1 du code de procédure pénale exige le placement en détention provisoire. () [Les certificats médicaux soumis par la requérante] concernent son état de santé passé. Aucun renseignement relatif à son état actuel n’a été fourni. Il s’ensuit qu’il n’existe actuellement aucun motif justifiant une réforme de la mesure de détention provisoire imposée à la [requérante]. Il y a donc lieu de rejeter l’appel pour défaut de fondement. » C. La fin de la détention provisoire de la requérante Le 19 janvier 1996, trois médecins experts examinèrent la requérante afin d’établir notamment, à la demande du magistrat instructeur, si les conditions de sa détention mettaient sa santé en danger. Dans un rapport du même jour, les experts estimèrent que les problèmes liés à l’opération qu’elle avait subie plus d’un an auparavant n’affectaient pas son état de santé, en conséquence de quoi elle pouvait être maintenue en détention. Le 5 février 1996, à la suite de douleurs à la vésicule biliaire, la requérante fut admise d’urgence à l’hôpital, et opérée dans la journée. Le 15 février 1996, le magistrat instructeur chargea un nouveau groupe de médecins experts d’examiner la requérante. Ils conclurent que celle-ci avait besoin d’une période de convalescence incompatible avec les conditions de détention. Le 19 février 1996, la détention provisoire de la requérante fut suspendue, pour raisons de santé, sur ordre du parquet régional. L’intéressée fut assignée à résidence. En juin 1996, le magistrat instructeur mit un terme à ses investigations et adressa le dossier au parquet régional, en proposant de rédiger un acte d’inculpation et de renvoyer l’affaire en jugement. A une date non précisée, le procureur compétent retourna le dossier au magistrat instructeur pour complément d’information. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les autorités de poursuite Conformément aux dispositions pertinentes du code de procédure pénale et à la théorie et à la pratique juridiques, le procureur exerce au pénal une double fonction. Au stade préliminaire, il supervise l’enquête. Il a notamment compétence pour donner au magistrat instructeur des instructions obligatoires, participer aux interrogatoires, perquisitions ou autres mesures d’instruction, retirer une affaire à un magistrat instructeur pour la confier à un autre ou prendre lui-même en charge tout ou partie de l’instruction. Il décide aussi s’il y a lieu de mettre fin à la procédure, d’ordonner un complément d’instruction ou de dresser un acte d’accusation en vue du jugement. Au stade judiciaire, il est responsable de l’accusation. Le magistrat instructeur jouit d’une certaine indépendance à l’égard du procureur en ce qui concerne ses méthodes de travail et les mesures d’instruction particulières qu’il prend. Néanmoins, il remplit ses fonctions sous le contrôle du procureur, dont il doit respecter les instructions (articles 48 § 2 et 201 du code de procédure pénale). S’il est en désaccord avec les instructions du procureur, il peut faire appel au supérieur hiérarchique de ce dernier, lequel rend alors une décision définitive et contraignante. Aux termes de l’article 86 du code de procédure pénale, le procureur et le magistrat instructeur sont tenus de recueillir des éléments de preuve tant à charge qu’à décharge. Pendant la totalité de la procédure pénale, le procureur doit « procéder au contrôle de la légalité » (article 43 du code). B. Les dispositions sur la détention provisoire Pouvoir d’ordonner la détention provisoire Un prévenu peut être placé en détention provisoire sur décision du magistrat instructeur ou du procureur. Lorsque cette décision est prise par le magistrat instructeur sans l’accord préalable du procureur, celui-ci doit l’approuver dans les vingt-quatre heures. Le procureur prend en général sa décision en se fondant sur le dossier et sans entendre le prévenu (articles 152, 172, 201-203 et 377-378 du code de procédure pénale). Juridiquement parlant, rien n’empêche un procureur qui a décidé de placer un prévenu en détention provisoire ou qui a approuvé la décision en ce sens du magistrat instructeur de représenter ultérieurement le ministère public au procès de l’intéressé. En pratique, cela se produit souvent. La Cour suprême a jugé qu’un magistrat instructeur nommé ensuite procureur peut représenter le ministère public au procès d’une personne dont il avait instruit l’affaire. Le magistrat instructeur et le procureur occupant tous deux des fonctions ressortissant à l’instruction, cela ne soulève aucun obstacle juridique (реш. от 9.5.1995 по н.д. No. 125/95 на ВС II н.о., бюл. кн. 5/96, стр. 7). Critères juridiques régissant la détention provisoire L’article 152 §§ 1 et 2 est ainsi libellé : « 1) La détention provisoire est ordonnée [pour les personnes accusées] d’une infraction majeure délibérée. 2) Dans les cas relevant du paragraphe précédent, [la mise en détention provisoire] peut ne pas être ordonnée lorsqu’il n’existe aucun risque de voir le prévenu prendre la fuite, entraver le cours de la justice ou récidiver. » « 1) Мярка за неотклонение задържане под стража се взема за тежко умишлено престъпление. 2) В случаите по ал. 1 мярката за неотклонение може да не се вземе, ако няма опасност обвиняемият да се укрие, да осуети разкриването на обективната истина или да извърши друго престъпление. » Aux termes de l’article 93 § 7 du code pénal, une infraction « majeure » est une infraction punie de plus de cinq ans d’emprisonnement. Conformément à la jurisprudence de la Cour suprême, l’article 152 § 1 du code de procédure pénale impose de placer en détention provisoire une personne inculpée d’« infraction majeure délibérée ». La seule exception à cette règle est celle que prévoit l’article 152 § 2 du code, lequel autorise le procureur à ne pas placer un prévenu en détention lorsqu’il est absolument certain que l’intéressé ne risque pas de se soustraire à la justice ou de récidiver. Pareil danger doit être exclu de manière objective, comme lorsque le prévenu est gravement malade, âgé ou détenu pour d’autres motifs, par exemple pour purger une peine (опред. No. 1 от 4.5.1992 по н.д. 1/92 на ВС II н.о., Сб. 1992/93, стр. 172; опред. No. 4 от 21.2.1995 по н.д. 76/95 на ВС II н.о.; опред. No. 78 от 6.11.1995 по н.д. 768/95 на ВС II н.о.; опред. No. 24 по н.д. 268/95 на ВС, I н.о., Сб.1995, стр. 149). Dans certaines décisions plus récentes, la Cour suprême a néanmoins procédé à un examen des faits de la cause afin de justifier la conclusion selon laquelle il existait un danger de fuite ou de récidive (опред. No. 76 от 25.7.1997 по н.д. No. 507/97 на ВС II н.о., бюл. кн. 9-10/97, стр. 5; опред. No. 107 от 27.5.1998 по н.д. 257/98 на ВС II н.о., бюл. кн. 3-4/98, стр. 12). 3. Contrôle juridictionnel de la détention provisoire L’article 152 § 5 du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, disposait : « La personne détenue doit avoir la possibilité immédiate de saisir le tribunal compétent d’un recours contre [son placement en détention]. Le tribunal rend une décision définitive dans un délai de trois jours à compter de la date de dépôt du recours. » « На задържания се осигурява незабавно възможност да обжалва мярката за неотклонение пред съответния съд. Съдът се произнася в тридневен срок от подаването на жалбата с определение, което е окончателно. » La première chambre criminelle de la Cour suprême a déclaré que, lorsqu’ils examinent un recours contre un placement en détention provisoire, les tribunaux n’ont pas la possibilité de rechercher s’il existe suffisamment de preuves pour étayer les charges pesant sur le détenu mais doivent se borner à contrôler la légalité de la détention (опред. No. 24 от 23.5.1995 по н.д. 268/95, I н.о. на ВС, Сб. 1995, стр. 149). Conformément à la pratique en vigueur à l’époque des faits, le tribunal examinait les recours formés contre la mise en détention provisoire à huis clos, en l’absence des parties. En cas de rejet, le tribunal ne communiquait pas la décision au détenu. Un amendement apporté au code de procédure pénale en août 1997 impose désormais d’examiner les recours contre une détention provisoire au cours d’une audience à laquelle participe le détenu. Par une décision du 17 septembre 1992, la première chambre criminelle de la Cour suprême a décidé qu’une décision de placement en détention provisoire ne pouvait être contestée qu’une fois en justice (опред. No. 94 по н.ч.х.д. 754/92, I н.о. на ВС, Сб. 1992-93, стр. 173). Avant l’amendement, en août 1997, du code de procédure pénale, la légalité de la détention provisoire ne pouvait être contrôlée périodiquement par un tribunal qu’à partir du procès, pendant que l’affaire était en instance de jugement. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Nikolova a saisi la Commission le 6 février 1996. Dans sa requête (n° 31195/96), elle alléguait que son arrestation, son placement en détention provisoire et la décision sur le recours contre sa détention ont emporté violation des articles 5, 6 et 13 de la Convention, et que le déroulement de la procédure pénale dirigée contre elle a entraîné la violation de l’article 6 ; elle dénonçait aussi une atteinte à l’ancien article 25 de la Convention en ce qu’elle n’avait pu obtenir copie des documents devant être soumis à la Commission. 38. Le 2 juillet 1997, la Commission (première chambre) a retenu les griefs tirés des articles 5, 6 et 13, relatifs à l’arrestation et à la détention de la requérante et à l’examen du recours contre sa détention. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus dans une décision partielle du 27 février 1997. Dans son rapport du 20 mai 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 5 § 3 et, ayant estimé qu’il y avait lieu d’examiner sous l’angle de l’article 5 § 4 les griefs soumis au titre des articles 5, 6 et 13 se rapportant au recours de la requérante contre sa détention, elle estime à l’unanimité qu’il y a eu violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à « rejeter comme non étayés les faits énoncés dans la requête et dans le rapport de la Commission et, en se basant sur ceux-ci, à conclure à la non-violation de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention ». Dans son mémoire, la requérante prie la Cour de dire que les griefs qu’elle tire des articles 5 §§ 3 et 4 et 13 sont « établis et justifiés » et de lui accorder une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 1992, une controverse s’éleva entre Son Altesse Sérénissime le Prince Hans-Adam II de Liechtenstein (« le prince ») et le gouvernement du Liechtenstein au sujet de compétences politiques en rapport avec le plébiscite sur la question de l’adhésion du Liechtenstein à l’Espace économique européen. A l’époque des faits, le requérant faisait partie du gouvernement du Liechtenstein. A la suite d’un débat qui opposa le prince et des membres du gouvernement lors d’une réunion le 28 octobre 1992, l’affaire fut réglée par une déclaration commune du prince, du Parlement (Landtag) et du gouvernement. A la suite d’élections et de la constitution du nouveau Parlement en mai 1993, le prince et le gouvernement, dont le requérant ne faisait plus partie, débattirent de différents points de droit constitutionnel. En décembre 1993, le requérant, qui ne s’était pas représenté aux élections de mai, fut nommé président du Tribunal administratif (Verwaltungs-beschwerdeinstanz) du Liechtenstein, pour une durée déterminée (paragraphe 26 ci-dessous). Le 16 février 1995, dans le cadre d’une série de conférences sur des questions de compétence constitutionnelle et de droits fondamentaux, le requérant donna une conférence publique dans un institut de recherche, le Liechtenstein-Institut, sur le thème « Nature et fonctions de la Cour constitutionnelle du Liechtenstein » (« Wesen und Aufgaben des Staatsgerichtshofes »). Il y exprima l’opinion que la Cour constitutionnelle avait compétence pour statuer sur « l’interprétation de la Constitution en cas de désaccord entre le prince (le gouvernement) et le Parlement » (« Entscheidung über die Auslegung der Verfassung bei einem Auslegungsstreit zwischen Fürst (Regierung) und Landtag »). Le 17 février 1995 parut dans le journal Liechtensteiner Volksblatt un article sur ladite conférence ; il mentionnait notamment le point de vue de l’intéressé sur les compétences de la Cour constitutionnelle. Le 27 février 1995, le prince adressa au requérant une lettre relative à la conférence, telle qu’elle était résumée dans l’article du Liechtensteiner Volksblatt. Rédigée sur du papier à lettres armorié, la missive était ainsi libellée : « Château de Vaduz, le 27 février 1995 M. Herbert Wille Président du Tribunal administratif du Liechtenstein [adresse privée du requérant] Monsieur, J’ai été surpris de lire dans l’édition du Liechtensteiner Volksblatt du 17 février le compte rendu de votre conférence sur le thème « Nature et fonctions de la Cour constitutionnelle du Liechtenstein ». Je présume que vos déclarations concernant les domaines de compétence de la Cour y ont été correctement reproduites, en particulier l’observation selon laquelle la Cour constitutionnelle peut, en tant que juridiction qui interprète le droit, être saisie en cas de désaccord entre le Prince et le peuple. Vous vous souviendrez certainement du débat qui m’a opposé au gouvernement avant le 28 octobre 1992 et auquel vous avez participé en votre qualité de Vice-Chef du gouvernement. Au cours de cet échange de vues au château de Vaduz, j’avais attiré l’attention du gouvernement sur le fait qu’il ne respectait pas la Constitution, dont j’avais lu à voix haute les articles pertinents. Vous aviez (en substance) répondu que vous n’étiez de toute façon pas d’accord avec ces parties de la Constitution et que, par conséquent, vous ne vous considériez pas lié par ce texte. Aucun de vos collègues ne vous ayant contredit, j’avais été obligé de conclure que, pour l’ensemble du gouvernement, les deux organes détenteurs du pouvoir suprême, à savoir le peuple et le Prince, devaient respecter la Constitution et les lois ordinaires, mais que les membres du gouvernement, qui ont pourtant juré obéissance à la Constitution, en étaient dispensés. Jugeant incroyablement arrogantes vos déclarations d’alors et l’attitude du gouvernement, j’avais informé celui-ci en des termes non équivoques qu’il avait perdu ma confiance. A la suite du compromis heureusement conclu un peu plus tard entre le gouvernement et le Parlement d’une part, et moi-même de l’autre, j’ai déclaré que je redonnais ma confiance au gouvernement, dans l’espoir que ses membres s’étaient rendu compte qu’ils avaient adopté une position inexcusable vis-à-vis de notre Constitution et qu’ils reconnaissaient désormais être liés par elle. De même que j’aurais nommé M. Brunhart à la tête du gouvernement si son parti avait gagné les élections, je vous ai nommé président du Tribunal administratif sur recommandation du Parlement. Malheureusement, à la suite de la publication du compte rendu du Liechtensteiner Volksblatt, j’ai dû me rendre à l’évidence : vous ne vous estimez toujours pas lié par la Constitution et défendez des opinions qui, manifestement, enfreignent tant l’esprit que la lettre de ce texte. Quiconque en lit les articles pertinents peut constater que la Cour constitutionnelle n’est pas habilitée à intervenir, en tant que juridiction qui interprète le droit, en cas de désaccord entre le Prince et le peuple (le Parlement). A mon sens, votre attitude, Monsieur Wille, vous rend inapte à exercer une fonction publique. Je n’ai pas l’intention de m’engager avec vous dans un long débat public ou privé, mais je tiens à vous aviser en temps utile que je refuserai de vous nommer encore à une fonction publique si vous êtes à nouveau proposé par le Parlement ou tout autre organe. J’espère seulement qu’en tant que président du Tribunal administratif vous respecterez la Constitution et les lois ordinaires dans vos arrêts jusqu’au terme de votre mandat. [formule de politesse] Hans-Adam II Prince de Liechtenstein » « Schloss Vaduz, 27. Februar 1995 Herrn Dr. Herbert Wille Präsident der Fürstlich Liecht. Verwaltungsbeschwerdeinstanz (…) Sehr geehrter Herr Präsident Mit Erstaunen habe ich im Liechtensteiner Volksblatt vom 17. Februar den Bericht über Ihren Vortrag am Liechtenstein Institut zum Thema ‘Wesen und Aufgaben des Staatsgerichtshofes’ gelesen. Ich nehme an, dass Ihre Aussagen über die Zuständigkeitsbereiche des Staatsgerichtshofes in diesem Bericht korrekt wiedergegeben wurden, insbesondere jene, in der Sie feststellen, dass der Staatsgerichtshof als Interpretations-gerichtshof bei unterschiedlichen Auffassungen zwischen Fürst und Volk angerufen werden könne. Sie werden sich bestimmt noch an die Auseinandersetzung zwischen der Regierung und mir vor dem 28. Oktober 1992 erinnern, bei der Sie als stellvertretender Regierungschef anwesend waren. Ich habe damals bei der Aussprache auf Schloss Vaduz die Regierung darauf aufmerksam gemacht, dass sie sich nicht an die Verfassung hält, und die entsprechenden Artikel aus der Verfassung der Regierung vorgelesen. Sie haben dazumal sinngemäss geantwortet, dass Sie mit diesen Teilen der Verfassung sowieso nicht einverstanden seien, und sich deshalb auch nicht an die Verfassung gebunden fühlten. Nachdem die anderen Regierungsmitglieder Ihrer Aussage nicht widersprochen haben, musste ich davon ausgehen, dass die gesamte Regierung der Auffassung ist, dass sich zwar die beiden Souveräne, Volk und Fürst, an Verfassung und Gesetze zu halten haben, nicht aber die Regierungsmitglieder, welche einen Eid auf die Verfassung abgelegt haben. Ich habe Ihre damalige Aussage sowie die Haltung der Regierung als unglaubliche Arroganz empfunden, und deshalb habe ich der Regierung in sehr klaren Worten mitgeteilt, dass sie mein Vertrauen verloren hat. Beim Kompromiss, der glücklicherweise etwas später zwischen Regierung und Landtag auf der einen Seite und mir auf der anderen Seite erzielt wurde, habe ich der Regierung wieder mein Vertrauen ausgesprochen. Ich habe dies auch in der Hoffnung getan, dass die einzelnen Regierungsmitglieder ihre unentschuldbare Haltung gegenüber unserer Verfassung eingesehen haben und die Verfassung für sie wieder als bindend anerkennen. Ebenso wie ich Herrn Brunhart bei einem Sieg seiner Partei wiederum zum Regierungschef ernannt hätte, so habe ich Sie über Vorschlag des Landtages zum Präsidenten der Verwaltungs-beschwerdeinstanz ernannt. Leider muss ich aufgrund des Berichtes im Liechtensteiner Volksblatt nun feststellen, dass Sie sich nach wie vor nicht an die Verfassung gebunden fühlen und Auffassungen vertreten, die eindeutig gegen Sinn und Wortlaut der Verfassung verstossen. Jeder wird beim Lesen der einschlägigen Verfassungsartikel feststellen können, dass der Staatsgerichtshof eben nicht Interpretationsgerichtshof bei unterschiedlichen Auffassungen zwischen Fürst und Volk (Landtag) ist. In meinen Augen sind Sie, Herr Dr. Wille, aufgrund Ihrer Haltung gegenüber der Verfassung ungeeignet für ein öffentliches Amt. Ich habe nicht die Absicht, mich mit Ihnen öffentlich oder privat in eine lange Auseinandersetzung einzulassen, aber ich möchte Ihnen rechtzeitig mitteilen, dass ich Sie nicht mehr für ein öffentliches Amt ernennen werde, sollten Sie mir vom Landtag oder sonst irgendeinem Gremium vorgeschlagen werden. Es verbleibt mir die Hoffnung, dass Sie sich während des Restes Ihrer Amtszeit als Präsident der Verwaltungsbeschwerdeinstanz in Ihren Urteilen an Verfassung und Gesetze halten. Mit vorzüglicher Hochachtung Hans-Adam II Fürst von Liechtenstein » Par une lettre du 9 mars 1995, le requérant informa le président du Parlement de la missive du 27 février 1995. Il nia avoir jamais déclaré qu’il ne s’estimait pas lié par la Constitution ou par certaines parties de celle-ci. Il donna en outre des explications sur ses recherches concernant les compétences de la Cour constitutionnelle en matière constitutionnelle. Selon lui, le fait d’exprimer une opinion non partagée par le prince ne pouvait être considéré comme un non-respect de la Constitution. Or, compte tenu des conclusions tirées par le prince dans ladite lettre, son mandat de président du Tribunal administratif était remis en question. Par la suite, le président du Parlement lui fit savoir que le Parlement avait discuté l’affaire à huis clos et qu’il avait conclu à l’unanimité que son mandat n’était pas remis en cause par les avis juridiques qu’il avait exprimés lors de sa conférence. Le 20 mars 1995, le requérant répondit à la lettre du prince, joignant une copie de celle qu’il avait lui-même adressée au président du Parlement. Il expliqua en particulier qu’il avait la conviction, en tant que juriste, que ce qu’il avait dit lors de la conférence du 16 février 1995, à savoir que la Cour constitutionnelle avait compétence pour statuer sur l’interprétation de la Constitution en cas de désaccord entre le prince et le peuple (Parlement), était correct et non contraire à la Constitution. Il affirma pour conclure qu’en se disant résolu à ne plus le nommer à une fonction publique le prince avait porté atteinte aux droits à la liberté d’opinion et à la liberté de pensée que lui garantissaient la Constitution et la Convention européenne des Droits de l’Homme. De plus, cette déclaration remettait en cause le droit constitutionnel à l’égale admissibilité aux fonctions publiques et constituait une tentative d’ingérence dans l’indépendance de la justice. Dans sa réponse écrite, datée du 4 avril 1995, le prince releva que M. Wille avait largement diffusé la lettre du 27 février 1995. Il déclara que s’il lui avait fait part de sa décision par une lettre personnelle aussitôt que possible, c’était dans le but d’éviter une discussion publique. Selon lui, un long débat entre eux sur la question de l’aptitude de M. Wille à exercer la fonction de juge était inopportun puisque celui-ci était resté en fonction et que sa critique à lui ne visait pas les décisions du Tribunal administratif mais l’attitude générale de M. Wille à l’égard de la Constitution. Le prince ajouta qu’il était libre de nommer ou non un candidat à une fonction publique et qu’il n’était pas tenu de motiver ses choix en la matière. Toutefois, comme il connaissait M. Wille depuis de nombreuses années, il avait jugé bon d’exposer les motifs de sa décision le concernant. De plus, sa résolution de ne plus nommer l’intéressé à la présidence de l’une des juridictions les plus élevées, du fait de l’attitude qu’il avait eue dans le passé et des avis qu’il avait exprimés, ne portait pas atteinte à son droit à la liberté d’expression et de pensée. Tous les citoyens étaient libres de proposer et de défendre des amendements à des textes constitutionnels ou à d’autres dispositions juridiques. Toutefois, au lieu de recourir à ces procédés constitutionnels et démocratiques, M. Wille, pendant son mandat au sein du gouvernement et lors de sa conférence, avait tout simplement ignoré les parties de la Constitution avec lesquelles il était en désaccord. Le prince expliqua en outre que la disposition pertinente, à savoir l’article 112 de la Constitution, avait trait à la compétence de la Cour constitutionnelle pour statuer sur l’interprétation de la Constitution en cas de litige entre le gouvernement et le Parlement. Confondre les termes « gouvernement » et « Parlement » avec « prince » et « peuple », comme l’avait fait M. Wille, porterait atteinte à l’Etat de droit ; il incombait au prince, en sa qualité de chef de l’Etat, de sauvegarder l’ordre constitutionnel et les droits démocratiques du peuple. Il manquerait à ses devoirs s’il nommait à l’une des plus hautes fonctions judiciaires une personne dont l’attitude et les déclarations le conduisaient à penser qu’elle n’était pas attachée au respect de la Constitution. Le 2 juin 1995, le prince adressa au requérant, président du Tribunal administratif, une lettre ouverte qui parut dans des journaux du Liechtenstein. Constatant que sa missive du 27 février 1995, que M. Wille avait rendue publique, au moins en partie, avait suscité divers commentaires, le prince jugeait nécessaire d’expliquer son point de vue dans une lettre ouverte. Selon lui, dans un Etat de droit démocratique (demokratischer Rechtsstaat), il convenait d’établir une distinction entre la liberté d’expression et les moyens employés par un individu pour imposer ses vues. A cet égard, l’individu devait respecter les règles définies dans la Constitution et les autres dispositions légales. Le prince déclara en outre que si M. Wille avait le droit, en sa qualité de magistrat, d’exprimer l’avis que la monarchie n’avait plus de raison d’être, que l’article 7 de la Constitution devait être modifié, que le prince devait être soumis à la juridiction des tribunaux internes et qu’il convenait d’attribuer à la Cour constitutionnelle du Liechtenstein des compétences supplémentaires, il n’était pas autorisé à se placer au-dessus de la Constitution en vigueur ni à inciter la Cour constitutionnelle à réclamer des compétences dont la Constitution ne l’avait pas investie. Pour le prince, M. Wille, compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle, ne pouvait ignorer que les termes « peuple » (« Volk »), « Parlement » (« Landtag »), « gouvernement » (« Regierung ») et « prince » (« Fürst »), de même que les droits et obligations respectifs de ces organes, étaient clairement définis dans la Constitution. La thèse de l’intéressé selon laquelle ces termes étaient interchangeables mettrait en péril la Constitution et l’Etat constitutionnel dans sa globalité. Le prince fit également allusion aux événements politiques de l’automne 1992 et, pour conclure, déclara qu’eu égard à l’article paru le 17 février 1995 dans un journal du Liechtenstein, force lui était de considérer que M. Wille avait toujours l’intention de se placer au-dessus de la Constitution. Il expliqua qu’il avait donc souhaité informer l’intéressé, par une lettre personnelle et aussitôt que possible, de sa décision de ne plus le nommer à aucune fonction publique. Au printemps 1997, le mandat du requérant à la présidence du Tribunal administratif arriva à son terme. Le 14 avril 1997, le Parlement du Liechtenstein décida de proposer à nouveau sa nomination à cette fonction. Par une lettre du 17 avril 1997 adressée au président du Parlement, le prince refusa la nomination. Il expliqua que ses expériences avec M. Wille lui avaient fait acquérir la conviction que l’intéressé ne s’estimait pas lié par la Constitution du Liechtenstein. Dès lors, il manquerait à ses devoirs de chef de l’Etat en le nommant président du Tribunal administratif. Le prince déclara par ailleurs qu’il pouvait comprendre, dans une certaine mesure, la proposition du Parlement car, grâce à ses autres qualités professionnelles, M. Wille avait contribué de façon importante au travail des juges du Tribunal administratif. Si le Parlement ne partageait pas ses doutes concernant l’intéressé, il pouvait élire celui-ci juge suppléant au Tribunal administratif. Le requérant travaille actuellement comme chercheur au Liechtenstein-Institut. II. le droit interne pertinent La Principauté de Liechtenstein est une monarchie constitutionnelle héréditaire, fondée sur la démocratie parlementaire ; le pouvoir de l’Etat appartient au prince et au peuple et émane de l’un comme de l’autre, qui doivent l’exercer conformément aux dispositions de la Constitution (article 2 de la Constitution du 24 octobre 1921). Le chapitre II de la Constitution est intitulé « Du Prince ». Aux termes de l’article 7, le prince est le chef de l’Etat et il exerce son autorité souveraine dans le respect des dispositions de la Constitution et des autres lois ; sa personne est sacrée et inviolable. D’autres compétences sont énoncées aux articles 8 à 13. En vertu de l’article 11, le prince nomme les fonctionnaires de l’Etat, en conformité avec les dispositions de la Constitution (voir l’article 79 relatif au chef du gouvernement, aux conseillers du gouvernement et à leurs délégués, l’article 97 relatif au président du Tribunal administratif et à son suppléant, l’article 99, combiné avec la loi sur l’organisation judiciaire, relatif aux juges de première instance, l’article 102 § 3 relatif aux membres de la cour d’appel (Obergericht) et de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof)). Par une lettre du 28 avril 1997, le prince informa le gouvernement du Liechtenstein qu’il le chargeait de procéder, dans le cadre de ses compétences, à la nomination pour 1997 des fonctionnaires de l’Etat qui, en vertu de l’article 11 de la Constitution, devaient être nommés par le prince. Le chapitre IV de la Constitution énonce les droits et obligations de caractère général des citoyens de la Principauté. L’article 31 dispose que tous les citoyens sont égaux devant la loi et jouissent d’une égale admissibilité aux fonctions publiques, sous réserve de l’observation des dispositions légales. En vertu de l’article 97 de la Constitution, toutes les décisions ou ordonnances gouvernementales peuvent être attaquées devant le Tribunal administratif. Celui-ci se compose d’un président, juriste de formation, et de son suppléant, tous deux nommés par le prince sur proposition du Parlement, ainsi que de quatre juges d’appel et de leurs suppléants, élus par le Parlement. Le président et son suppléant doivent être ressortissants du Liechtenstein. Leur mandat coïncide avec celui du Parlement et prend fin à la date de leur remplacement. D’après l’article 104 de la Constitution, la Cour constitutionnelle est compétente, notamment, pour protéger les droits consacrés par la Constitution. L’article 23 de la loi sur la Cour constitutionnelle (Staatsgerichtshofgesetz) prévoit que les décisions des tribunaux et des autorités administratives peuvent être contestées devant cette juridiction en cas de violation alléguée de droits constitutionnels ou de droits garantis par la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. En vertu de l’article 105 de la Constitution, combiné avec l’article 4 de la loi sur la Cour constitutionnelle, les magistrats composant cette juridiction sont élus par le Parlement ; l’élection du président et de son suppléant est soumise à la ratification du prince. L’article 112 de la Constitution est ainsi libellé : « Si un doute surgit quant à l’interprétation de telle ou telle disposition de la Constitution et ne peut être dissipé par un accord entre le gouvernement et le Parlement, la Cour constitutionnelle est appelée à statuer sur la question. » « Wenn über die Auslegung einzelner Bestimmungen der Verfassung Zweifel entstehen und nicht durch Übereinkunft zwischen der Regierung und dem Landtage beseitigt werden können, so hat hierüber der Staatsgerichtshof zu entscheiden. » En 1991, le gouvernement du Liechtenstein présenta au Parlement un projet de loi visant à modifier la loi de 1925 sur la Cour constitutionnelle. Dans ses observations sur l’article traitant de la compétence de la Cour constitutionnelle pour statuer sur l’interprétation des dispositions de la Constitution, le gouvernement exposa notamment son point de vue sur l’esprit et la lettre de l’article 112 de la Constitution et, en particulier, sur le terme « gouvernement », qui à son sens devait être compris comme renvoyant au prince. Lors des travaux préparatoires, le prince, dans une lettre adressée au requérant, alors vice-chef du gouvernement du Liechtenstein, avait marqué son désaccord avec l’interprétation proposée. Le requérant expliqua le projet de loi au Parlement lors de son examen en première lecture en avril 1992. Au cours des débats, le président du Parlement contesta l’interprétation de l’article 112 de la Constitution donnée par le gouvernement dans ses observations. Le projet fut adopté par le Parlement le 11 novembre 1992 ; le prince refusa toutefois de le signer, empêchant ainsi son entrée en vigueur. En vertu de l’article 20 de la loi sur l’organisation judiciaire du Liechtenstein (Gerichtsorganisationsgesetz, LGBl, 1922, n° 16), les juges sont tenus de prêter un serment par lequel, entre autres engagements, ils jurent loyauté au prince et obéissance aux lois et à la Constitution. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Herbert Wille a saisi la Commission le 25 août 1995. Il se plaignait qu’à la suite d’une conférence publique qu’il avait donnée sur des questions de droit constitutionnel, le souverain du Liechtenstein, Son Altesse Sérénissime le Prince Hans-Adam II, lui eût annoncé par courrier qu’il refuserait à l’avenir de le nommer encore à une fonction publique. Il voyait dans cette mesure une violation des droits à lui garantis par les articles 6, 10, 13 et 14 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 28396/95) le 27 mai 1997. Dans son rapport du 17 septembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 (quinze voix contre quatre), qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 6 (dix-sept voix contre deux), qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 10 (seize voix contre trois) et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 10 (dix-sept voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant prie la Cour de constater que l’Etat défendeur n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu des articles 10 et 13 de la Convention, et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention. De son côté, le Gouvernement invite la Cour à rejeter les griefs présentés par le requérant sous l’angle des articles 10 et 13 de la Convention.
1
0
1
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1935 et résidant à Lisbonne. Le 20 juin 1991, le requérant déposa devant le parquet de Lisbonne une plainte pénale pour l’émission d’un chèque sans provision. Des poursuites furent ouvertes et la police judiciaire procéda à certaines investigations. Le 30 mars 1993, le représentant du ministère public formula ses réquisitions (acusação) contre l’accusée. Le 7 mai 1993, le requérant déposa une demande en dommages et intérêts (pedido cível) à l’encontre de l’accusée. Il réclamait notamment le paiement de la somme de 6 350 000 escudos portugais (PTE), correspondant à la valeur du chèque en cause. Le 26 novembre 1993, le représentant du ministère public ordonna d’adresser notification de ladite demande à l’accusée, qui n’avait pas encore été retrouvée. Toutefois, le 10 mars 1994, les autorités de police informèrent le ministère public de ce qu’il n’avait pas été possible de procéder à la notification, l’accusée demeurant introuvable. Le représentant du ministère public ordonna alors, le 6 mai 1994, de procéder à la citation de l’accusée par voie d’affichage (citação edital). Le 12 octobre 1994, le dossier fut transmis à la 5ème chambre correctionnelle (juízo criminal) du tribunal criminel de Lisbonne et présenté au juge attaché à ladite chambre le 17 octobre 1994. Le 15 mars 1996, celui-ci désigna un défenseur d’office à l’accusée. Il ne fixa cependant pas une date pour l’audience en raison du fait que l’accusée demeurait introuvable. Le 8 février 1997, l’accusée reçut le dossier de la procédure. En conséquence, le juge, par une ordonnance du 17 février 1997, fixa la date de l’audience au 3 juillet 1997. L’audience n’eut toutefois pas lieu le jour dit en raison d’une maladie du juge. Elle fut reportée sine die. Par une ordonnance du 19 mars 1999, le juge fixa l’audience au 11 octobre 2000.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La société de construction I.B. était propriétaire d’un appartement à Livourne qu’elle avait loué à L.B. Par lettre recommandée du 20 avril 1983, la société I.B. informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l’expiration du bail, soit le 31 décembre 1983, et le pria de libérer les lieux avant cette date. Par acte notifié en novembre 1983, la société I.B. donna congé au locataire (disdetta) ; l’intéressé refusa de libérer les lieux. Par acte signifié en novembre 1983, la société I.B. réitéra l’avis de congé et assigna l’intéressé à comparaître devant le juge d’instance (pretore) de Livourne. Par ordonnance du 21 novembre 1983, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 septembre 1984. Cette décision devint exécutoire le 7 décembre 1983. Le 30 mai 1985, la société I.B. signifia au locataire le commandement (precetto) de libérer l’appartement. Le 26 septembre 1985, elle lui signifia l’avis (significazione di sfratto) que l’expulsion serait exécutée le 19 novembre 1985 par voie d’huissier de justice. L’huissier fit en vain plusieurs tentatives, les 19 novembre 1985, 28 mars, 30 septembre et 17 décembre 1986, 4 avril et 21 décembre 1987. Devenue propriétaire en 1988 de l’appartement en cause à la suite d’une fusion de sociétés avec, notamment, la société I.B., Immobiliare Saffi poursuivit la procédure d’exécution. Entre le 15 décembre 1988 et le 9 janvier 1996, l’huissier de justice procéda à onze tentatives d’expulsion les 15 décembre 1988, 9 juin et 30 octobre 1989, 30 octobre 1990, 17 février et 17 mai 1991, 18 mai 1992, 15 mai 1993, 8 février 1994, 13 janvier 1995, et 9 janvier 1996. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, les lois sur la suspension ou l’échelonnement de l’exécution des décisions d’expulsion ne permettant pas à la société requérante de bénéficier du concours de la force publique. En mars 1989, lors de l’entrée en vigueur de la loi n° 61 du 21 février 1989 prévoyant l’échelonnement de l’exécution des ordonnances d’expulsion, 1 186 demandes d’assistance de la force publique avaient été déposées auprès du préfet de Livourne, dont 354 pour retards dans le paiement des loyers, 56 parce que les propriétaires avaient besoin de leurs immeubles, 55 pour d’autres raisons et 722, parmi lesquelles celle de la société requérante, pour expiration du bail. D’après les décisions du préfet du 16 mai 1989 et du 19 février 1990, le concours de la force publique allait être accordé selon les critères fixés par la loi n° 61/89, c’est-à-dire en tenant compte des cas prioritaires prévus par le législateur et dans l’ordre chronologique, sous réserve d’appréciation des situations individuelles et conformément au critère de 30 % du nombre total des ordonnances d’expulsion à exécuter dans l’espace d’un mois. En réponse à la demande du greffe, le conseil de la société requérante a informé la Cour le 30 avril 1999 qu’en date du 11 avril 1996, la société requérante avait récupéré son appartement à la suite du décès du locataire. II. le droit et la pratique internes pertinents Depuis 1947, la législation en matière de baux d’habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l’échelonnement de l’exécution forcée des expulsions. A. En matière de prorogation légale La dernière prorogation légale concernant tous les baux en cours, sauf dans certains cas limités prévus par la loi, est celle établie par la loi n° 392 du 27 juillet 1978 (« la loi n° 392/78 ») jusqu’au 31 décembre 1982, 30 juin 1983 ou 31 décembre 1983, selon les dates de conclusion des contrats de bail. B. En matière de suspension de l’exécution forcée Aux termes de l’article 56 de la loi n° 392/78, il revient au juge de fixer la date d’exécution de l’ordonnance d’expulsion, en tenant compte de la situation du locataire et du propriétaire et des motifs de cessation du bail. L’exécution ne peut pas être retardée de plus de six, voire exceptionnellement de douze mois. Si le locataire ne libère pas les locaux dans le délai fixé par le juge, le bailleur engage une procédure d’exécution. Tout jugement devient exécutoire par l’adjonction de l’ordre donné par le juge « à tout huissier de justice pouvant être requis, à toute personne compétente pour exécuter le jugement, au procureur et à tous les agents de la force publique de prêter leur concours à l’exécution du présent jugement, lorsque la loi le prescrit ». Aux termes des articles 608 et 513 du code de procédure civile, l’huissier ordonne au locataire de libérer les lieux et peut à cet effet requérir l’assistance de la force publique « chaque fois que nécessaire ». L’huissier rétablit le propriétaire dans son bien et lui en restitue les clés. La police agit en qualité d’auxiliaire de justice. De nombreuses dispositions ont réglementé la suspension de l’exécution forcée des ordonnances d’expulsion (ordinanze di sfratto). Une première suspension a été mise en place par le décret-loi n° 795 du 1er décembre 1984. Ces dispositions ont été reprises par le décret-loi n° 12 du 7 février 1985, converti en la loi n° 118/85 et couvrant la période du 1er décembre 1984 au 30 juin 1985. Par ailleurs, cette législation prévoyait l’échelonnement de l’exécution forcée des mesures d’expulsion, aux 1er juillet, 30 septembre, 30 novembre 1985 ou 31 janvier 1986, suivant la date à laquelle le jugement constatant la fin du bail était devenu exécutoire. L’article 1 § 3 de la loi n° 118/85 prévoyait qu’une telle suspension ne s’appliquait pas si la libération des lieux avait été ordonnée en raison de retards dans le paiement des loyers. De même, aucune suspension ne pouvait être décidée dans certains cas, dans l’hypothèse notamment où le bailleur avait un besoin urgent de récupérer son appartement pour y habiter lui-même ou y loger ses enfants ou ses ascendants (article 3, premier alinéa, numéro 2, du décret-loi n° 629 du 15 décembre 1979, devenu la loi n° 25 du 15 février 1980 (« la loi n° 25/80 »)). Une deuxième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 708 du 29 octobre 1986, converti en la loi n° 899 du 23 décembre 1986 (« la loi n° 899/86 »). Elle concernait la période du 29 octobre 1986 au 31 mars 1987 et prévoyait les mêmes exceptions que les dispositions précédentes. Cette loi a également établi qu’il appartenait au préfet de déterminer les critères à suivre pour accorder le concours de la force publique en vue de procéder à l’exécution forcée dans le cas de locataires récalcitrants, sur avis d’une commission comprenant les représentants des locataires et propriétaires (commissione provinciale). L’article 3 (§ 5 bis) de la loi n° 899/86 prévoyait aussi que l’exécution forcée des expulsions était en tout cas suspendue jusqu’au 31 décembre 1987 à l’égard des locataires ayant droit à l’attribution d’un logement social. Une troisième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 26 du 8 février 1988, converti en la loi n° 108 du 8 avril 1988. Elle concernait la période du 8 février au 30 septembre 1988 tout d’abord, puis de cette dernière date au 31 décembre 1988. Une quatrième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 551 du 30 décembre 1988, converti en la loi n° 61 du 21 février 1989 (« la loi n° 61/89 »), jusqu’au 30 avril 1989. L’ensemble de ces lois et décrets contenait de surcroît des dispositions concernant le financement de logements sociaux et les aides au logement. C. En matière d’échelonnement de l’exécution forcée La loi n° 61/89 prévoyait également qu’à partir du 1er mai 1989, l’emploi de la force publique pour exécuter les ordonnances d’expulsion devait suivre les critères de priorité établis par le préfet, sur avis d’une commission préfectorale, créée par la loi, dont faisaient partie le préfet ainsi que, notamment, le maire et les représentants des locataires et propriétaires. Parmi les critères de priorité, devaient figurer les cas prévus comme exceptions à la suspension de l’exécution des expulsions. En particulier, priorité était accordée aux propriétaires ayant un besoin urgent de récupérer l’immeuble pour en faire leur habitation propre, celle de leur conjoint, de leurs enfants ou leurs ascendants. Pour que son cas soit traité en priorité, le propriétaire devait faire une déclaration solennelle. Pour tous les autres cas d’expulsion, il était prévu d’échelonner l’octroi de la force publique sur une période maximale de quarante-huit mois, à compter du 1er janvier 1990. Le système d’échelonnement des expulsions forcées a été étendu par une série de décrets-lois, notamment : du 31 décembre 1993 au 31 décembre 1995 (décret-loi n° 330/93) ; du 31 décembre 1995 au 29 février 1996 (décret-loi n° 546/95) ; du 29 février 1996 au 26 avril 1996 (décret-loi n° 81/96) ; du 26 avril 1996 au 25 juin 1996 (décret-loi n° 217/96) et de cette date au 31 décembre 1996 (décret-loi n° 335/96). D. Evolution récente de la situation législative La loi n° 566 du 4 novembre 1996 a ratifié une série de décrets-lois qui n’avaient pas été convertis en lois et a échelonné l’octroi du concours de la force publique jusqu’au 30 juin 1997. Le décret-loi n° 172/1997 a repoussé cette date au 31 janvier 1998. Ce texte élargit la compétence du préfet qui, outre la fixation des critères généraux d’octroi du concours de la force publique, était dorénavant chargé conformément à l’article 1 bis du décret-loi de déterminer le moment réel et les modalités effectives de cet octroi en prenant en compte les circonstances particulières à chaque cas, sans être tenu de suivre l’ordre chronologique des demandes présentées par les huissiers pour obtenir main-forte de la police. En conséquence, la commission préfectorale ne pouvait habituellement que donner un avis sur les critères généraux à appliquer pour accorder le concours de la force publique, et non pas sur l’octroi effectif de cette assistance dans tel ou tel cas. Le décret-loi n° 7/1998 a repoussé la date de reprise des expulsions forcées au 31 octobre 1998. Par un arrêt du 24 juillet 1998, n° 321, la Cour constitutionnelle a déclaré l’article 1 bis du décret-loi n° 172/1997 contraire à l’article 24 de la Constitution italienne qui garantit notamment le droit d’accès à un tribunal, en ce qu’il soumet à un contrôle du préfet la décision concernant le moment de l’exécution dans tel ou tel cas – décision qui est prise d’avance par le juge conformément à l’article 56 de la loi n° 392/78. La Cour a dit que le préfet ne doit que coopérer – à titre auxiliaire – pour exécuter les ordonnances d’expulsion émises par les tribunaux ; l’élargissement des pouvoirs du préfet aux cas individuels a induit d’importants retards dans l’exécution des ordonnances de justice, ce qui est contraire au droit de tout individu à faire décider de ses droits par un tribunal. La Cour constitutionnelle a souligné que la mise en oeuvre des décisions de justice ne peut être ni éludée ni affectée par une décision de l’administration. Récemment, le décret-loi n° 375 du 2 novembre 1998 a repoussé la date de reprise des expulsions forcées au 28 février 1999. L’article 6 de la loi n° 431 du 9 décembre 1998 sur la réglementation des contrats de bail et de la libération des immeubles à usage d’habitation prévoit que, dans le cas où une ordonnance d’expulsion a déjà été émise et est exécutoire lors de l’entrée en vigueur de la loi, le bailleur et le locataire disposent d’un délai de six mois – pendant lesquels l’exécution de l’ordonnance est suspendue – pour parvenir à un accord concernant la conclusion éventuelle d’un nouveau bail. Si aucun accord n’est trouvé dans ce délai, le locataire peut demander au juge d’instance, dans un délai de trente jours à compter de l’échéance du délai ci-dessus, de fixer à nouveau la date de l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. La décision du juge d’instance quant à la date de l’exécution vaut également comme autorisation pour l’huissier de justice de requérir l’assistance de la force publique pour exécuter l’ordonnance d’expulsion. La date de l’expulsion peut être différée pour une période maximale de dix-huit mois, dans le cas où le locataire est soit âgé d’au moins soixante-cinq ans, s’il a cinq enfants ou plus à sa charge, s’il est sur les « listes de mobilité » (liste di mobilità) des entreprises, s’il perçoit une indemnité de chômage ou un complément de salaire, s’il lui a été formellement attribué un logement social, s’il a acheté un logement en construction ou s’il est propriétaire d’un logement pour lequel une procédure d’expulsion est pendante. La même possibilité existe si le locataire ou l’un des membres de sa famille ayant cohabité avec lui pendant au moins six mois est handicapé ou malade en phase terminale. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION La société Immobiliare Saffi a saisi la Commission le 23 septembre 1993. Elle alléguait une violation de l’article 1 du Protocole n° 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’impossibilité prolongée d’exécuter l’ordonnance d’expulsion. La Commission a retenu la requête (n° 22774/93) le 6 mars 1997 et le 18 mai 1998. Dans son rapport du 2 décembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole n° 1 (par vingt-huit voix contre une), qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant du droit d’accès à un tribunal (à l’unanimité) et qu’il ne se pose au regard de l’article 6 § 1 aucune question distincte liée au caractère raisonnable de la durée de la procédure d’expulsion (à l’unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans ses mémoires le Gouvernement a demandé à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, à titre subsidiaire de déclarer le grief tiré de l’article 6 irrecevable comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, et, également à titre subsidiaire, de juger qu’il n’y a eu violation ni de l’article 1 du Protocole n° 1 ni de l’article 6 § 1 de la Convention. De son côté, la société requérante invite la Cour à constater que l’impossibilité prolongée d’exécuter l’ordonnance d’expulsion faute d’octroi de l’assistance de la force publique constitue une violation des articles 1 du Protocole n° 1 et 6 § 1 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
Ressortissants français, MM. Pélissier et Sassi sont respectivement nés en 1944 et 1935, et résident à Sanary-sur-Mer et Cannes. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire Le 16 octobre 1975, MM. Fernand Cortez et Claude Cortez créèrent Bleu Marine, société à responsabilité limitée (Sàrl) ayant pour objet la commercialisation de bateaux de plaisance et dont M. Fernand Cortez était gérant. A partir de 1976, la société Bleu Marine entra en relation avec la société anonyme Chantiers Beneteau dont l’objet est la construction de bateaux. Le 8 octobre 1981, la société Bleu Marine devint le concessionnaire exclusif de la société Chantiers Beneteau pour la zone littorale du Var. Le 31 mars 1980, les deux requérants devinrent actionnaires de la société Bleu Marine à hauteur de 250 parts chacun, sur un total de 1 000 parts (les 500 parts restantes appartenant aux fondateurs, MM. Fernand et Claude Cortez). Le 29 septembre 1982, M. Fernand Cortez, les deux requérants et M. Dominique Stizi constituèrent Station Service du Bateau, Sàrl dirigée par M. Fernand Cortez et M. Dominique Stizi, ayant pour objet la réalisation de tous travaux portuaires d’infrastructure et de construction, ainsi que toutes activités de vente de bateau et d’accastillage. Le capital était réparti à raison de 48 parts pour M. Fernand Cortez, 24 pour les requérants, M. Dominique Stizi en possédant 104. La société fut déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulon du 29 février 1984. Des accords conclus avec la société Station Service du Bateau, ainsi qu’avec une autre société, la société Cortez et Cie, permirent à Bleu Marine de disposer d’une concession en bordure de mer destinée à permettre la mise à flot des bateaux qu’elle commercialisait. A partir de 1983, les relations entre la société Bleu Marine et la société Chantiers Beneteau se détériorèrent, la première étant débitrice de la seconde à concurrence de presque trois millions de francs français (FRF). La société Chantiers Beneteau retira alors sa concession à Bleu Marine. Le 30 mai 1983, la société Bleu Marine déposa son bilan. Le 1er juin 1983, elle fut déclarée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulon. Le 4 juillet 1984, le tribunal de commerce de Toulon déclara la liquidation judiciaire de la société Bleu Marine, en évaluant le passif à près de dix millions de francs. B. L’instruction Le 20 juin 1983, la société Chantiers Beneteau porta plainte contre X en se constituant partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction de Toulon, pour faux en écriture de commerce et escroquerie, consistant à falsifier un bilan comptable et utiliser le faux afin d’obtenir un report d’échéances qui ne devaient jamais être honorées. Le 16 décembre 1983, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire au service régional de la police judiciaire de Marseille. Le 27 juin 1984, M. Fernand Cortez, gérant de la société Bleu Marine, fut mis en examen par le juge d’instruction de Toulon chargé de l’affaire. Le 8 octobre de la même année, il fit l’objet d’une inculpation supplétive pour banqueroute simple et frauduleuse. Le 22 janvier 1985, la commission rogatoire du 16 décembre 1983 fut exécutée. Elle permit notamment de découvrir l’existence de la société civile immobilière (SCI) Le Ponant, constituée par M. Fernand Cortez, M. Pélissier ainsi que l’épouse de M. Sassi, dans le but d’acquérir un terrain en vue de le louer à la société Bleu Marine. Le 15 octobre 1984, les époux Grouzet déposèrent une plainte en se constituant partie civile contre M. Fernand Cortez et toute autre personne responsable de la société Bleu Marine pour abus de confiance, puis pour escroquerie, en raison de l’achat et du paiement d’un bateau jamais réceptionné. Le 4 octobre 1985, M. Louis Dreyer déposa une plainte en se constituant partie civile contre M. Fernand Cortez pour abus de confiance. Le 14 septembre 1984, après avoir été entendu par le juge d’instruction les 20 et 21 août et 13 septembre 1984, le premier requérant fut inculpé pour les faits visés dans la plainte du 20 juin 1983, ainsi que pour banqueroute simple et frauduleuse et abus de confiance. Le 12 juin 1985, le second requérant fut inculpé pour les mêmes faits. A la suite de l’entrée en vigueur de la loi n 85-98 du 25 janvier 1985 réformant la banqueroute, le procureur de la République prit un réquisitoire supplétif, en date du 23 juin 1986, afin de voir MM. Fernand Cortez, Dominique Stizi et les requérants inculpés de banqueroute sur le fondement des textes nouveaux, estimant qu’il existait des « présomptions graves de banqueroute » contre les intéressés. Dans son réquisitoire, il visa les textes relatifs à la banqueroute ainsi qu’à la complicité de banqueroute. Par lettre du 14 novembre 1985 adressée au juge d’instruction, l’avocat de la société Chantiers Beneteau évoqua la possibilité de retenir une complicité de banqueroute à l’encontre des requérants. La société Chantiers Beneteau se constitua partie civile pour les faits de banqueroute le 17 juillet 1986. Le 1er décembre 1986, le juge d’instruction notifia à M. Fernand Cortez une inculpation supplétive « des chefs de banqueroute », en visant les articles 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que les articles 402 et 403 du code pénal. Les 4, 16 et 19 décembre 1986, le juge d’instruction notifia respectivement au premier et au second requérant, ainsi qu’à M. Dominique Stizi, une inculpation supplétive « des chefs de banqueroute » identique. Le 15 juin 1987, le juge d’instruction désigna deux experts afin de diligenter une expertise comptable. Le 30 juin 1988, les experts comptables remirent leur rapport au juge d’instruction. Le 10 janvier 1989, le juge d’instruction rendit une ordonnance de soit-communiqué. Le 27 juin 1990, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu partiel des chefs de faux et usage de faux en écriture de commerce, de banqueroute simple et frauduleuse et d’escroquerie, ne renvoyant finalement les requérants devant le tribunal correctionnel que du chef de banqueroute, sur le fondement de la loi du 25 janvier 1985. M. Fernand Cortez, qui bénéficia également d’un non-lieu partiel pour les mêmes faits et concernant la plainte dirigée par les époux Grouzet contre lui, fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour, d’une part, un certain nombre de faits imputés à lui seul et, d’autre part, des faits commis, soit avec M. Dominique Stizi dans le cadre de la gestion de la société Station Service du Bateau, soit avec les requérants. Dans son ordonnance, le juge d’instruction visa les articles 402, 406 et 408 du code pénal, ainsi que les articles 196 et 197 de la loi du 25 janvier 1985. C. Le jugement du tribunal correctionnel de Toulon du 12 mars 1991 Par jugement du 12 mars 1991, le tribunal correctionnel de Toulon condamna M. Fernand Cortez à un an d’emprisonnement et 20 000 FRF d’amende pour banqueroute frauduleuse, détournements d’actifs et abus de confiance. Le tribunal relaxa M. Dominique Stizi pour les faits qui lui étaient reprochés. Concernant les parties civiles, la société Chantiers Beneteau fut déclarée irrecevable dans sa constitution, le désistement des époux Grouzet fut constaté et seul M. Louis Dreyer obtint réparation pour l’abus de confiance commis par M. Fernand Cortez. Par ce même jugement, le tribunal correctionnel de Toulon jugea, concernant les faits de banqueroute reprochés aux requérants : « Attendu tout d’abord qu’il convient de constater qu’aux termes de la loi, sont seuls punissables les dirigeants de droit ou de fait et non les associés comme le mentionne la poursuite ; Attendu sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la validité de la poursuite qui omet de mentionner la qualité alléguée de gérant de fait des associés [les requérants], élément constitutif indispensable de l’infraction, qu’il suffit de constater qu’aucun acte de gestion n’est imputable [aux requérants], que le gérant de droit ne peut être qualifié de dirigeant de complaisance « substituable » et qu’il n’apparaît pas qu’il ait délégué aux deux autres sa signature ; (...) Attendu ainsi qu’à défaut de pouvoir être pertinemment qualifiés de gérants de fait, les prévenus Sassi et Pélissier doivent être relaxés de ces chefs. » La société Chantiers Beneteau interjeta appel le 14 mars 1991. Le ministère public et M. Fernand Cortez en firent de même le 22 mars 1991. Le 2 avril 1992, la société Chantiers Beneteau déposa des conclusions additionnelles au greffe de la cour d’appel afin de proposer, à titre subsidiaire, de qualifier les faits reprochés aux requérants de « complicité » de banqueroute. D. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 26 novembre 1992 Par arrêt du 26 novembre 1992, après audiences des 16 avril et 25 juin 1992, la cour d’appel d’Aix-en-Provence estima, tout en constatant que les requérants ne pouvaient pas être considérés comme gérants « de fait » de la société, qu’ils avaient néanmoins été informés des graves difficultés de la société et avaient « accompli des actes matériels volontaires et positifs qui ont facilité, aidé ou assisté Cortez dans le détournement d’actif commis au préjudice de Bleu Marine ». Dans cet arrêt, il apparaît que les requérants étaient, dans le cadre de leur renvoi devant la cour d’appel, « prévenu[s] de banqueroute ». La cour d’appel décida, en conséquence, de disqualifier les faits reprochés aux requérants et de les requalifier en complicité de banqueroute par détournement d’actif. Concernant plus particulièrement le premier requérant, la cour releva notamment qu’il avait fourni une fausse attestation pour justifier du versement d’une somme d’argent dans le cadre d’une opération litigieuse. Dans son arrêt, la cour d’appel se référa aux conclusions principales de la société Chantiers Beneteau, laquelle demandait que soit retenue la qualification de banqueroute à l’égard des requérants, mais ne fit aucune allusion aux conclusions additionnelles déposées le 2 avril 1992, relatives à la qualification de complicité de banqueroute. Il est contesté que cette qualification ait été portée à la connaissance des requérants ; mais il est admis qu’elle fut évoquée, de façon incidente, dans le cadre de la plaidoirie de la partie civile. La cour d’appel d’Aix-en-Provence condamna chacun des requérants à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement assortie du sursis, ainsi qu’à 30 000 FRF d’amende. Confirmant la déclaration de culpabilité de M. Fernand Cortez et sa relaxe partielle prononcées par le tribunal correctionnel de Toulon, la cour d’appel porta néanmoins la peine à dixhuit mois d’emprisonnement assortie du sursis, ainsi qu’à 30 000 FRF d’amende. Enfin, la cour confirma la relaxe de M. Dominique Stizi, l’octroi de dommages-intérêts à M. Louis Dreyer et l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la société Chantiers Beneteau. E. La procédure devant la Cour de cassation Les 26 et 27 novembre 1992, les requérants formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision. Dans leur mémoire ampliatif, les requérants contestèrent l’infraction et estimèrent, en invoquant l’article 6 de la Convention, que la requalification opérée par la cour d’appel n’avait pas été débattue contradictoirement et portait atteinte aux droits de la défense. Par ailleurs, le premier requérant estima qu’en faisant état de prétendues manipulations sur son compte, la cour d’appel avait utilisé des faits qui ne lui avaient jamais été reprochés et qui n’étaient pas susceptibles de retenir sa complicité de banqueroute. Par arrêt du 14 février 1994, la Cour de cassation rejeta leur pourvoi aux motifs que : « (...) les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que les juges du fond ont caractérisé sans insuffisance, et dans la limite de leur saisine en tous leurs éléments constitutifs, matériels et intentionnels tant le délit principal de banqueroute par détournement d’actif imputé à Fernand Cortez, que la complicité du délit de banqueroute par détournement d’actif retenu à la charge de Philippe Sassi et de François Pélissier ; que les moyens, qui se bornent à remettre en question l’appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être admis. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont ainsi énoncées : Article 388 « Le tribunal correctionnel est saisi des infractions de sa compétence soit par la comparution volontaire des parties, soit par la convocation par procès-verbal, soit par la comparution immédiate, soit enfin par le renvoi ordonné par la juridiction d’instruction. » Article 509 « L’affaire est dévolue à la cour d’appel dans la limite fixée par l’acte d’appel (...) » B. L’ancien code pénal (dispositions applicables au moment des faits) Les dispositions pertinentes du code pénal, applicables au moment des faits, se lisent comme suit : Article 59 « Les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement. » Article 60 « Seront punis comme complices d’une action qualifiée de crime ou délit ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action ou donné des instructions pour la commettre ; Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui aura servi à l’action, sachant qu’ils devaient y servir ; Ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action, dans les faits qui l’auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l’auront consommée, sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la sûreté de l’Etat, même dans le cas où le crime qui était l’objet des conspirateurs ou des provocateurs n’aurait pas été commis. » Article 402 « Ceux qui sont reconnus coupables de banqueroute sont punis d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans, d’une amende de 10 000 F à 200 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement. En outre, la privation des droits mentionnés à l’article 42 peut être prononcée à leur encontre. » Article 403 « Les complices de banqueroute encourent les peines prévues par l’article précédent, même s’ils n’ont pas la qualité de commerçant, d’artisan ou d’agriculteur ou ne dirigent pas, directement ou indirectement, en droit ou en fait, une personne morale de droit privé ayant une activité économique. » C. La loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent ainsi : Article 196 « Les dispositions du présent chapitre sont applicables : A tout commerçant ou à tout artisan ; A toute personne qui a, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé ayant une activité économique ; Aux personnes physiques représentants permanents de personnes morales dirigeants des personnes morales définies au 2 ci-dessus. » Article 197 « En cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l’article 196 contre lesquelles a été relevé l’un des faits ci-après : Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ; Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ; Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ; Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Pélissier et Sassi ont saisi la Commission le 18 juillet 1994, dénonçant une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention. Le 23 mai 1997, la Commission a déclaré la requête (n° 25444/94) recevable. Dans son rapport du 13 janvier 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut, à l’unanimité, à une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire que la requalification des faits reprochés aux requérants, l’utilisation d’un document litigieux concernant le premier requérant et la durée de la procédure n’ont pas emporté violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention. De leur côté, les requérants prient la Cour de constater qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention et de leur allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Nicole Van Geyseghem, puéricultrice, est une ressortissante belge née en 1942. Lors de l’introduction de sa requête, elle était domiciliée à Hoeilaart (Belgique). La requérante fut poursuivie, en même temps que quatre autres personnes, pour avoir, à trois reprises, entre le 22 juin 1986 et le 21 mars 1987, importé du Brésil des stupéfiants, dont une quantité de 2,330 kilogrammes de cocaïne le 20 mars 1987, date à laquelle elle fut appréhendée. A. La procédure devant le tribunal correctionnel de Bruxelles Le 10 décembre 1992, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna par défaut l’intéressée – qui n’avait pas comparu bien que la citation lui eût été régulièrement signifiée – à une peine d’emprisonnement de quatre ans et à une amende de 180 000 francs belges (BEF). Il ordonna en outre son arrestation immédiate, estimant qu’il était justifié de croire qu’elle tente de se soustraire à l’exécution de sa peine. Le 26 avril 1993, Mme Van Geyseghem fit opposition. Elle comparut à l’audience tenue sur opposition. Le 7 mai 1993, le tribunal correctionnel de Bruxelles, statuant contradictoirement, lui infligea une peine de trois ans d’emprisonnement et une amende de 60 000 BEF. Considérant qu’il n’y avait pas lieu de craindre que la condamnée tente de se soustraire à l’exécution de sa peine, il dit par ailleurs qu’il n’y avait pas lieu d’ordonner son arrestation immédiate. Le 21 mai 1993, la requérante, suivie du ministère public, interjeta appel. B. La procédure devant la cour d’appel de Bruxelles Bien que la citation à comparaître lui eût été régulièrement signifiée, Mme Van Geyseghem ne se présenta pas à l’audience d’appel. Elle n’était pas représentée par un avocat. Par un arrêt du 14 juin 1993, la cour d’appel de Bruxelles, statuant par défaut, confirma le jugement du 7 mai 1993 dans toutes ses dispositions. Elle ordonna, en outre, l’arrestation immédiate de la prévenue, estimant qu’il était justifié de croire qu’elle tente de se soustraire à l’exécution de sa peine eu égard à l’importance de la peine prononcée et au fait qu’elle s’était abstenue de se présenter devant elle et devant le premier juge. Le 26 août 1993, la requérante fit opposition à l’arrêt. Ce recours fut signifié au ministère public par exploit d’huissier, dans lequel l’audience fut fixée au 13 septembre 1993. L’intéressée ne s’y rendit pas en personne. Son avocat, Me Verstraeten, comparut et, invoquant l’article 185 § 2 du code d’instruction criminelle (paragraphe 20 ci-dessous), précisa qu’il entendait représenter sa cliente et déposer des conclusions relatives à la prescription de l’action publique, laquelle serait intervenue entre la date de l’arrêt rendu par défaut et le moment où l’opposition devait être traitée par la cour d’appel. La cour s’opposa à ce que le conseil de Mme Van Geyseghem fût entendu et déposât en son nom des conclusions. A la demande de l’avocat, il a été acté au procès-verbal de l’audience du 13 septembre 1993 ce qui suit : « La cour s’oppose à ce que Me Rafael Verstraeten, avocat au barreau de Bruxelles, représente l’opposante et à ce qu’il dépose des conclusions en son nom relatives à la prescription. » Par un arrêt du 4 octobre 1993, la cour d’appel déclara l’opposition non avenue pour les motifs suivants : « Attendu que l’opposition est régulière en la forme et introduite dans le délai légal, mais que l’opposante ne comparaît point à l’audience par elle fixée et ne justifie d’aucun cas de force majeure la mettant dans l’impossibilité de comparaître en personne. » C. La procédure devant la Cour de cassation La requérante se pourvut en cassation contre l’arrêt du 4 octobre 1993. Dans son mémoire à l’appui du pourvoi, elle faisait valoir que le refus de la cour d’appel d’autoriser le dépôt de conclusions par son conseil violait ses droits de la défense ainsi que l’article 185 § 2 du code d’instruction criminelle, qui dispose que le prévenu peut se faire représenter par un avocat « dans les débats qui ne portent que sur une exception [ou] sur un incident étranger au fond (...) ». Dans une note de plaidoirie datée du 16 mars 1994, l’avocat de la requérante se référa à l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Poitrimol c. France (arrêt du 23 novembre 1993, série A n° 277-A). Par un arrêt du 4 mai 1994, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes : « Attendu que la demanderesse fait valoir que son avocat était présent à l’audience et que la cour d’appel, en s’opposant à ce que celui-ci représente sa cliente et dépose des conclusions relatives à la prescription de l’action publique, c’est-à-dire « une exception étrangère au fond de l’affaire », a violé les articles 185, 188, 211 du Code d’instruction criminelle et le principe général du droit imposant le respect des droits de la défense ; Attendu que lorsque les juges du fond sont saisis de l’action publique exercée du chef d’infraction pouvant entraîner une peine d’emprisonnement à titre principal, le paragraphe 2 de l’article 185 précité n’autorise le prévenu à se faire représenter par un avocat que « dans les débats qui ne portent que sur une exception, sur un incident étranger au fond ou sur les intérêts civils » ; Attendu que, au sens de cette disposition légale, la prescription n’est ni une exception ni un incident étranger au fond ; Que le moyen manque en droit. » II. Le droit interne pertinent Les articles pertinents du code d’instruction criminelle se lisent comme suit : Article 185 « 1. La partie civile et la partie civilement responsable comparaîtront en personne ou par un avocat. Le prévenu comparaîtra en personne. Il pourra cependant se faire représenter par un avocat dans les affaires relatives à des délits qui n’entraînent pas la peine d’emprisonnement à titre principal ou dans les débats qui ne portent que sur une exception, sur un incident étranger au fond ou sur les intérêts civils. Le tribunal pourra toujours autoriser la représentation du prévenu qui justifie de l’impossibilité de comparaître en personne. En tout état de cause, le tribunal pourra, sans que sa décision puisse être l’objet d’aucun recours, ordonner la comparution en personne. Le jugement ordonnant cette comparution sera signifié à la partie qu’il concerne à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal. Si elle ne comparaît pas, il sera statué par défaut. » Article 186 « Si le prévenu ne comparaît pas, il sera jugé par défaut. » Article 187 « Le condamné par défaut pourra faire opposition au jugement dans les quinze jours qui suivent celui de la signification. » Article 188 « L’opposition emportera de droit citation à la première audience après l’expiration d’un délai de quinze jours ou de trois jours si l’opposant est détenu. Elle sera non avenue si l’opposant n’y comparaît pas et le jugement qui interviendra sur l’opposition ne pourra être attaqué par la partie qui l’aura formée, si ce n’est par appel ainsi qu’il sera dit ci-après. Le tribunal pourra, s’il y échet, accorder une provision, et cette disposition sera exécutoire nonobstant l’appel. » Article 208 « Les arrêts rendus par défaut sur l’appel pourront être attaqués par la voie de l’opposition dans la même forme et dans les mêmes délais que les jugements par défaut rendus par les tribunaux correctionnels. L’opposition emportera de droit citation à la première audience après l’expiration d’un délai de quinze jours ou de trois jours si l’opposant est détenu. Elle sera non avenue si l’opposant n’y comparaît pas et l’arrêt qui interviendra sur l’opposition ne pourra être attaqué par la partie qui l’aura formée si ce n’est devant la Cour de cassation. » Article 211 « Les dispositions des articles précédents sur la solennité de l’instruction, la nature des preuves, la forme, l’authenticité et la signature du jugement définitif de première instance, la condamnation aux frais, ainsi que les peines que ces articles prononcent, seront communes aux jugements rendus sur l’appel. » Lorsque l’opposition est déclarée non avenue par suite du défaut de l’opposant, le jugement qui le constate est lui-même un jugement par défaut. L’opposant peut faire défaut à nouveau mais, en application de l’adage « opposition sur opposition ne vaut », une seconde opposition de sa part ne sera pas reçue. Si le condamné pouvait former à nouveau opposition contre la décision du juge qui a statué par défaut sur l’opposition faite à une première décision rendue également par défaut, il pourrait, par sa non-comparution et ses oppositions successives, entraver indéfiniment l’exécution de toute décision de condamnation et ainsi paralyser le cours de la justice. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Van Geyseghem a saisi la Commission le 25 octobre 1994. Elle se plaignait d’une atteinte au droit à un procès équitable et d’une entrave à ses droits de la défense dans la mesure où elle n’aurait pu, en raison de sa non-comparution, se faire représenter par un défenseur devant la cour d’appel de Bruxelles appelée à statuer sur son opposition à l’arrêt de condamnation rendu par défaut le 14 juin 1993. Elle invoquait l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 26103/95) le 9 avril 1997. Dans son rapport du 3 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 (quatorze voix contre une). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de constater, au vu des spécificités du droit belge, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention. L’avocat de la requérante demande à la Cour de : « – Constater qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ; – accorder à la requérante, conformément à l’article [41] de la Convention, une satisfaction équitable ».
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPèCE Né a Bagdad (Irak) en 1958, le requérant se trouvait au moment de l’introduction de sa requête en détention au centre pénitentiaire de Fresnes. A. La genèse de l’affaire En mars 1994, des informations confidentielles, recueillies par les Renseignements Généraux de la préfecture de police de Paris et exploitées en la forme préliminaire par la brigade criminelle de la Direction régionale de la Police judiciaire de Paris, permettaient de mettre à jour l’existence d’un vaste réseau de soutien logistique aux groupes armés islamiques (GIA), ayant son siège en région parisienne mais développant des ramifications en province. Fort des éléments ainsi recueillis, le procureur de la République de Paris ouvrait, le 17 octobre 1994, une information judiciaire contre personne non dénommée, des chefs d’infraction sur les armes et les munitions, association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et recel de vols en relation principale ou connexe avec une entreprise terroriste. Dans le cadre de cette information judiciaire, des commissions rogatoires étaient délivrées par le magistrat instructeur à l’effet, d’une part de continuer l’enquête et, d’autre part, d’assurer la surveillance technique des conversations émises et reçues par les lignes téléphoniques de diverses personnes suspectées. L’exploitation de ces écoutes téléphoniques et la poursuite des investigations devaient rapidement démontrer la matérialité de l’existence d’un réseau international, aux ramifications diverses, et permettre l’identification des principaux participants à ce réseau. B. L’instruction Par suite de cette enquête, une vaste opération de police judiciaire était menée à Paris et dans la banlieue parisienne en date du 8 novembre 1994. Au terme de cette opération, quatre-vingt-quinze personnes étaient interpellées et placées en garde à vue, parmi lesquelles le requérant. Ce dernier, de même que soixante-dix-sept autres personnes interpellées en même temps que lui, furent placés sous mandat de dépôt le 12 novembre 1994. Ce même jour, après avoir fait l’objet d’un interrogatoire de première comparution, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris mis en examen le requérant et le plaça en détention provisoire sous l’accusation d’association de malfaiteurs ayant pour but de préparer un acte de terrorisme, de diverses infractions aux législations relatives aux munitions, aux explosifs et aux étrangers, falsification de documents administratifs et usage, recel et vol. Le juge d’instruction estimait que les « faits d’une extrême gravité ont très sérieusement troublé l’ordre public, que le mis en examen en raison de son engagement au sein de ce réseau et de son niveau de responsabilité est susceptible de réitérer ses agissements délictueux ; que par ailleurs vivant en France dans la clandestinité il n’offre aucune garantie de représentation. » Le 11 mai 1995, le requérant fit l’objet d’un premier interrogatoire sur le fond par le juge d’instruction. Le 11 octobre 1995, un deuxième interrogatoire programmé fut reporté, l’avocat du requérant n’ayant pas pu consulter le dossier. Le 23 novembre 1995, le requérant fut à nouveau interrogé sur le fond par le juge d’instruction. Les 14 février, 21 juin et 17 décembre 1996, le requérant fit l’objet de trois interrogations sur le fond de l’affaire. Entre-temps, le 2 avril 1996, était interpellé le chef du réseau, M. M.K., au Royaume-Uni. Celui-ci sera mis en examen en France, en décembre 1997. Le 4 mars 1997, le requérant fut entendu pour une dernière fois par le juge d’instruction. Le 27 juin 1997, les juges d’instruction communiquèrent le dossier au procureur de la République, qui déposa son réquisitoire définitif de renvoi et de non-lieu partiel le 4 mars 1998. C. Le jugement L’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement fut rendue le 9 mars 1998. Cent trente huit personnes, dont le requérant, furent renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. L’audience de jugement débuta le 1er septembre 1998. Par un jugement du 22 janvier 1999, le tribunal correctionnel de Paris condamna le requérant à la peine de six ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs ayant pour but de préparer un acte de terrorisme. D. Les demandes de mise en liberté présentées par le requérant Après son placement en détention le 12 novembre 1994, le magistrat instructeur prolongea la détention provisoire par ordonnances des 1er mars, 6 juillet et 31 octobre 1995. Le 6 novembre 1995, le requérant interjeta appel de l’ordonnance du 31 octobre 1995. Par un arrêt du 24 novembre 1995, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris rejeta l’appel. Par ordonnances des 26 février et 2 juillet 1996, le juge d’instruction prolongea la détention du requérant. Dans cette dernière ordonnance, le juge d’instruction, se fondant sur les articles 144, 145,145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, justifia sa décision aux motifs suivants : « (...) en ce que le mis en examen, dont l’identité est aujourd’hui incertaine, se trouve impliqué de façon certaine dans un réseau islamiste armé lié au GIA comme l’ont confirmé les derniers développements de l’enquête ; qu’il convient de rappeler que l’intéressé a été interpellé dans une villa située (...) où un véritable arsenal a été saisi ; que les dernières investigations ont permis d’établir que l’intéressé, nonobstant ses dénégations, était en relation avec T.M. alias H.L., R.M. et B.H.Z. ainsi qu’un certain K. alias « S. », présenté comme un des responsables de ce réseau, récemment interpellé en Grande Bretagne, et qui était en relation avec R.A.B., les responsables des opérations extérieures du GIA, un des adjoints de D.Z. ; que la volumineuse documentation saisie par les Autorités britanniques transmise à la justice française par voie de commission rogatoire est en cours d’exploitation ; que le mis en examen, qui a été interrogé à de multiples reprises dans cette affaire et dernièrement le 21 juin 1996, doit être réinterrogé, notamment au vu des éléments saisis à Londres ; qu’eu égard à son implication dans le réseau considéré et à ses liens opérationnels avec les personnes mises en cause dans cette procédure, il convient de prévenir, dans l’intérêt de l’enquête, tout contact clandestin, toute concertation frauduleuse et de façon plus générale, toute entreprise qui serait préjudiciable à la manifestation de la vérité ; Attendu que la détention provisoire de la personne mise en examen est nécessaire : – pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction, – pour mettre fin à l’infraction, – pour prévenir le renouvellement de l’infraction, – pour garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice. » 20. Le requérant interjeta appel de cette dernière décision en invoquant l’article 5 § 3 de la Convention. Par un arrêt du 23 juillet 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris confirma la décision entreprise aux motifs suivants : « Considérant que l’implication de l’appelant, par ailleurs en situation irrégulière, muni de faux documents administratifs et possédant au minimum trois identités, dans une affaire d’une exceptionnelle gravité s’agissant de terrorisme, et d’une grande complexité ; eu égard au nombre important de personnes mises en examen et des investigations nombreuses à effectuer tant en France qu’à l’étranger, démontrent contrairement à ce qui est soutenu dans le mémoire, que les textes qu’il invoque ont été respectés ; Considérant que l’appelant qui n’offre pas la moindre garantie de représentation en justice étant sans domicile fixe en France, et sans ressources avouables ainsi qu’en situation irrégulière et muni de faux papiers est par ailleurs sérieusement impliqué dans un réseau de soutien aux groupes islamistes algériens, pour lesquels il a reconnu avoir à tout le moins participé à une collecte et à des transferts de fonds ; Considérant que par ailleurs qu’il a été interpellé dans un local où se trouvaient de nombreuses armes et munitions ; Considérant qu’en l’état de ces éléments le maintien en détention est l’unique moyen de garantir la représentation en justice et d’éviter toute collusion avec les coauteurs ou complices activement recherchés. » Contre cet arrêt, le requérant se pourvut en cassation en invoquant l’article 5 § 3 de la Convention. Par un arrêt du 18 février 1997, la Cour de cassation rejeta le pourvoi aux motifs suivants : « Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué, partiellement reproduites au moyen, mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la chambre d’accusation, après avoir exposé les faits de la cause et analysé les charges pesant sur la personne mise en examen, ainsi que sa situation personnelle, s’est prononcée sur la prolongation de sa détention par des considérations de fait et de droit répondant aux exigences des articles 144 et suivants du code de procédure pénale et qu’elle a, par des motifs exempts d’insuffisance, souverainement apprécié que la durée de la détention était raisonnable ; (...) » Une nouvelle décision de prolongation de la détention provisoire fut rendue par le juge d’instruction le 25 octobre 1996. L’appel interjeté par le requérant fut rejeté par arrêt de la chambre d’accusation du 15 novembre pour les mêmes motifs que ceux retenus dans l’arrêt du 23 juillet 1996. Le 3 mars 1997, le juge d’instruction rendit une ordonnance de prolongation de la détention du requérant. Sur appel du requérant, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance de prolongation le 28 mars 1997. Par un arrêt du 22 mai 1997, la chambre criminelle de la Cour de cassation constata la déchéance du pourvoi formé contre l’arrêt du 28 mars 1997. Le 4 juillet 1997, une nouvelle ordonnance de prolongation de la détention fut rendue. Sur appel du requérant, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 25 juillet 1997, confirma l’ordonnance entreprise pour les motifs suivants : « Considérant qu’eu égard aux éléments qui précèdent il existe en l’état des indices sérieux à l’encontre de l’appelant ; Considérant que la détention est l’unique moyen de garantir la représentation en justice de l’appelant qui encourt une peine de 10 ans d’emprisonnement, qui n’a ni domicile, ni emploi en France, qui de nationalité étrangère appartient à un réseau structuré et dispose de plusieurs identités ; Que la durée de la détention n’apparaît pas excessive au regard de la gravité des faits qui ont causé un trouble exceptionnel et durable à l’ordre public, de la complexité de la procédure, du grand nombre des mis en examen ; Qu’une mesure de contrôle judiciaire apparaît inopérante pour garantir la représentation en justice ; Qu’en conséquence l’ordonnance entreprise sera confirmée. » Par ordonnance du 12 novembre 1997, le juge d’instruction prolongea la détention provisoire du requérant pour une durée de quatre mois. Suite à une nouvelle demande de mise en liberté, le tribunal de grande instance de Paris, par un jugement du 5 mai 1998, rejeta la demande aux motifs suivants : « Attendu en effet que Debboub Ismaïl qui est entré clandestinement sur le territoire français en possession de faux papiers au nom de Dayon et qui s’est dit successivement être Gouga Salem, Husseini Ali, a été interpellé dans un pavillon de Villeneuve St Georges, (...) en compagnie de Dayon Martin alias Achour Omar et de Gouah Oualid ; qu’à cet endroit du matériel de guerre a été découvert et saisi ; que les investigations réalisées ont permis d’établir après exploitation notamment des documents découverts au domicile de Debboub Ismaïl que les armes retrouvées au domicile d’Arabdji et qui avaient été déposées à cet endroit par Rachid Merad, avaient transité par le pavillon de Villeneuve St Georges ; qu’il a également été établi que Debboub Ismaïl avait procédé à l’acquisition du matériel de rechargement et notamment d’une presse de rechargement de munitions, ainsi que d’armes d’épaule ; que le prévenu a reconnu avoir fabriqué environ un millier de cartouches ; qu’il avait également admis au cours de sa garde à vue qu’il avait collecté de l’argent en Europe pour le compte des victimes du gouvernement algérien ; qu’enfin il résulte des surveillances effectuées à proximité du restaurant le Sona que Debboub Ismaïl était en relation avec Belhadj-Ziane El Habib, Touam Mohamed ainsi que Rachid Merad ; qu’il importe en maintenant les effets de la mesure de détention, d’assurer la représentation en justice de Debboub Ismaïl, eu égard à l’ampleur de la peine encourue et compte tenu de son absence d’attache sur le territoire français ; qu’il convient en maintenant Debboub Ismaïl en détention d’éviter tout risque de renouvellement de l’infraction et de mettre un terme à ses agissements ; Attendu que la détention du prévenu est nécessaire : – pour empêcher une pression sur les témoins, – pour prévenir le renouvellement de l’infraction, – pour garantir le maintien du prévenu à la disposition de la justice ; Attendu que le maintien en détention demeure l’unique moyen de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public qu’à provoqué l’infraction en raison de sa gravité ; » Le requérant a été libéré le 6 mai 1999 après avoir purgé une détention totale de quatre ans cinq mois et vingt-quatre jours, dont quatre ans, deux mois et dix jours de détention provisoire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS A. Placement en détention provisoire L’article 144 du code de procédure pénale dispose : « En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d’emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d’emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137, la détention provisoire peut être ordonnée [ou (loi n° 93-2 du 4 janvier 1993) prolongée] : 1° Lorsque la détention provisoire de la personne mise en examen est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ; [2° (loi n° 93-2 du 4 janvier 1993) Lorsque cette détention est nécessaire pour protéger la personne concernée, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement, pour garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice ou pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction. ] (…) » Le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance qui doit comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux seules dispositions de l’article 144. Cette ordonnance est notifiée verbalement à la personne qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure (article 145, premier alinéa). Le juge d’instruction statue en audience de cabinet, après un débat contradictoire au cours duquel il entend les réquisitions du ministère public, puis les observations de la personne mise en examen et, le cas échéant, celles de son avocat (article 145, quatrième alinéa). B. Durée de la détention provisoire En matière correctionnelle, la détention ne peut excéder quatre mois. Toutefois, à l’expiration de ce délai, le juge d’instruction peut la prolonger par une ordonnance motivée, comme il est dit à l’article 145, alinéa premier. Aucune prolongation ne peut être prescrite pour une durée de plus de quatre mois (article 145-1, premier alinéa). Lorsque la personne mise en examen n’a pas déjà été condamnée pour crime ou délit de droit commun, soit à une peine criminelle, soit à une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée supérieure à un an, et lorsqu’elle n’encourt pas une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, la prolongation de la détention prévue à l’alinéa précédent ne peut être ordonnée qu’une fois, et pour une durée n’excédant pas deux mois (article 145-1, deuxième alinéa). Dans les autres cas, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d’un an. Toutefois, à titre exceptionnel, le juge d’instruction peut, à l’expiration de ce délai, décider de prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à quatre mois par une ordonnance motivée. Celle-ci est rendue conformément aux dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article 145, l’avocat ayant été convoqué conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 114. Cette décision peut être renouvelée selon la même procédure. Néanmoins la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà de deux ans, lorsque la peine encourue ne dépasse pas cinq ans (article 145-1, alinéa troisième). C. Demandes de mise en liberté La mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par la personne détenue ou son avocat sous les obligations prévues à l’article 147, à savoir l’engagement de l’intéressé de se présenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il en sera requis, et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements. Le juge d’instruction communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisition (la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 a supprimé la disposition qui imposait d’aviser la partie civile de la demande de mise en liberté). Le juge d’instruction doit en principe statuer dans les cinq jours suivant cette communication par une ordonnance comportant l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l’article 144. Lorsque le délai susmentionné n’est pas respecté, la personne détenue peut saisir directement de sa demande la chambre d’accusation qui dispose de vingt jours pour se prononcer, faute de quoi, l’intéressée est mis d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées. La mise en liberté, lorsqu’elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire (article 148). La mise en liberté peut aussi être demandée « en tout état de cause » par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure (article 148-1, premier alinéa). Lorsqu’une juridiction de jugement est saisie, il lui appartient de statuer sur la liberté provisoire ; avant le renvoi en cour d’assises et dans l’intervalle des sessions d’assises, ce pouvoir appartient à la chambre d’accusation. En cas de pourvoi et jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l’affaire au fond. Si le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d’assises, il est statué sur la détention par la chambre d’accusation (article 148-1). La juridiction saisie, selon qu’elle est du premier ou du second degré, doit en principe rendre sa décision dans les dix jours ou les vingt jours de la réception de la demande. A défaut, il est mis fin à la détention provisoire et le prévenu, s’il n’est pas détenu pour une autre cause, est mis d’office en liberté (article 148-2). D. Appel de l’ordonnance de refus de mise en liberté et pourvoi en cassation L’ordonnance refusant la mise en liberté est susceptible d’appel devant la chambre d’accusation, tant de la personne mise en examen (article 186) que du procureur de la République et du procureur général (article 185). L’appel n’est pas suspensif. En principe, ladite chambre doit se prononcer dans les quinze jours de l’appel, faute de quoi l’intéressé est mis d’office en liberté (article 194). Saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la chambre d’accusation rendu en matière de détention provisoire, la chambre criminelle de la Cour de cassation doit statuer dans les trois mois qui suivent la réception du dossier, faute de quoi l’intéressé est mis d’office en liberté (article 567-2).
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Genèse de l'affaire La première requérante, Bladet Tromsø A/S, est une société à responsabilité limitée qui publie le quotidien Bladet Tromsø, dans la ville de Tromsø. Le second requérant, M. Pål Stensaas, en était le rédacteur en chef. Il est né en 1952 et réside à Nesbrua, près d'Oslo. Tromsø, capitale régionale de la partie septentrionale de la Norvège, est le centre de l'industrie norvégienne issue de la chasse aux phoques ; elle possède une université qui comporte un centre international de recherches polaires. A l'époque des faits, Bladet Tromsø tirait à quelque 9 000 exemplaires. L'Agence de presse norvégienne (« NTB ») l'utilisait régulièrement comme source, au même titre que les autres journaux locaux norvégiens. M. Odd F. Lindberg avait été à bord du bateau de chasse aux phoques M/S Harmoni (« l'Harmoni ») pendant la saison de 1987, en tant que journaliste indépendant, écrivain et photographe. Bladet Tromsø avait publié plusieurs de ses articles concernant cette saison. Ils n'étaient pas hostiles à la chasse aux phoques. Le 3 mars 1988, M. Lindberg s'adressa au ministère de la Pêche afin d'être désigné inspecteur de la chasse aux phoques pour la saison de 1988 à bord de l'Harmoni. Ainsi désigné le 9 mars 1988, il servit à bord de l'Harmoni du 12 mars au 11 avril 1988, jour où le navire rentra à son port, Tromsø. Après quoi, et jusqu'au 20 juillet 1988, Bladet Tromsø publia vingt-six articles sur l'inspection de M. Lindberg. Le 12 avril 1988, Bladet Tromsø publia un entretien avec M. Lindberg au cours duquel celui-ci avait déclaré notamment que certains chasseurs de l'Harmoni avaient enfreint le règlement sur la chasse aux phoques (forskrifter for utøvelse av selfangst) pris par le ministère de la Pêche en 1972 et modifié en 1980. L'article était ainsi intitulé (traduction) : « Des recherches révèlent de cruelles méthodes de chasse sur la banquise occidentale Violations déplorables du règlement » Le chapeau de l'article citait M. Lindberg en ces termes (en caractères plus grands) : « “Si l'on veut que la chasse aux phoques continue, certains chasseurs doivent cesser de tuer les phoques selon les méthodes qu'ils emploient actuellement. Au cours des deux derniers hivers, que j'ai passés dans l'océan Arctique, j'ai découvert beaucoup de choses qui ne sont manifestement pas conformes aux méthodes acceptables de chasse aux phoques. Mais que ce soit bien clair : quelques chasseurs seulement se rendent coupables de [tels agissements] et ces rares personnes desservent l'industrie [dérivée de la chasse aux phoques] et apportent de l'eau au moulin de Greenpeace. C'est totalement regrettable et parfaitement superflu !” » Dans la suite de l'interview, on pouvait notamment lire ceci : « “Si l'on veut que la chasse aux phoques continue – et je pense que ce doit être le cas – il faut un inspecteur sur chaque bateau. Un inspecteur qui veillera à ce que les animaux soient abattus dans des conditions correctes et sans souffrances inutiles. (...) Permettez-moi de préciser que je suis favorable à la chasse aux phoques, à cela près qu'elle doit se dérouler de manière exemplaire.” (...) M. Lindberg déclare que des chasseurs l'ont sommé, en le menaçant, de garder le silence sur ce qu'il avait observé et expérimenté au cours de la chasse aux phoques sur la banquise occidentale. Il ne veut pas entrer dans les détails (...) “J'en parlerai dans le rapport que je vais écrire (...)” » L'article ne mentionnait le nom d'aucun chasseur et ne fournissait aucune précision sur les méthodes de chasse prétendument illégales. Afin de se défendre contre les accusations figurant dans l'article susmentionné du 12 avril 1988, le capitaine de l'Harmoni et trois membres de l'équipage donnèrent des interviews que Bladet Tromsø publia le 13 avril. Le chapeau du principal entretien indiquait (en caractères plus grands) notamment ceci : « L'équipage de (...) l'Harmoni est vraiment furieux. Les allégations du « chercheur », M. Lindberg, concernant (...) les méthodes d'abattage cruelles employées par les chasseurs de phoques (...) sont dures à avaler. “Ce que dit M. Lindberg est un pur mensonge. Il se prétend chercheur mais ignore tout de ce dont il parle”, déclare M. Kvernmo [membre de l'équipage]. » Une interview séparée de M. Kvernmo intitulée « Ils s'estiment salis » (en caractères plus grands), citait ce marin en ces termes : « “J'ignore ce que M. Lindberg recherche en portant de telles accusations d'abattage bestial des phoques. Mais nous nous sentons salis et nous ne voulons pas que cette réputation nous poursuive.” » L'interview rapporte plus loin les propos de M. Kvernmo : « “(...) M. Lindberg nous décrit comme des meurtriers assoiffés de sang mais nous suivons les règles et sommes humains. (...)” » Le rapport officiel de M. Lindberg sur l'expédition de chasse fut prêt le 30 juin 1988, deux mois et demi après l'expédition, donc sensiblement au-delà du délai imparti d'habitude pour la préparation de rapports de ce genre et après que le ministère de la Pêche s'en fut enquis. Le ministère le reçut le 11 juillet et, en raison des vacances d'été, ne l'examina pas de suite. M. Lindberg faisait état de plusieurs violations du règlement sur la chasse aux phoques et énonçait des allégations contre cinq membres de l'équipage nommément désignés. Il déclarait notamment ce qui suit : « J'ai aussi remarqué que des [phoques] qui avaient été tirés d'une telle manière qu'on les croyait morts se sont « réveillés » alors qu'on les dépeçait (...). J'ai constaté plusieurs fois que des bêtes dépecées « vivantes » montraient des signes que l'activité électrique de leur cerveau n'avait pas cessé. » M. Lindberg recommandait de placer un inspecteur de la chasse aux phoques sur chaque bateau et d'organiser une formation obligatoire pour tous ceux qui chassaient pour la première fois. Il fallait aussi s'assurer qu'ils connaissaient le règlement. M. Lindberg recommandait enfin de modifier celui-ci s'agissant de l'abattage de phoques adultes dans le cas où quelqu'un viendrait à se trouver en état de légitime défense. B. Ordre de ne pas publier le rapport Le ministère de la Pêche décida à titre provisoire (paragraphe 14 ci-dessous) de ne pas rendre public le rapport de M. Lindberg, en application de l'article 6, point 5, d'une loi de 1970 relative à l'accès du public aux documents de l'administration (lov om offentlighet i forvaltningen, loi no 69 du 19 juin 1970). D'après cette disposition, le ministère pouvait interdire la publication du rapport au motif qu'il contenait des allégations d'infractions à la loi. Un article paru dans Bladet Tromsø du 15 juillet 1988 rendit compte de la décision ministérielle en ces termes : « “Le rapport revêt un tel caractère que nous en avons interdit la publication”, dit [un conseiller du ministère]. “Pour l'instant, nous l'avons simplement parcouru. Lorsque nous aurons eu le temps de l'étudier de près, il sera envoyé à l'inspection des pêches et au conseil de la chasse aux phoques. Mais d'abord nous vérifierons toutes les informations que nous fournit l'inspecteur, M. Lindberg, en particulier tout incident qui relèverait du code pénal. Quiconque est personnellement mentionné dans le rapport aura la faculté de s'expliquer et de se défendre.” » C. Les articles querellés publiés les 15 et 20 juillet 1988 Dans l'article susmentionné du 15 juillet 1988, Bladet Tromsø, qui avait reçu un exemplaire du rapport que M. Lindberg avait transmis au ministère de la Pêche, reproduisit certaines des déclarations de l'intéressé à propos des manquements prétendus au règlement sur la chasse aux phoques auxquels se seraient livrés des membres de l'équipage de l'Harmoni. Les manchettes de la première page étaient les suivantes : « Rapport-choc » « “Des phoques dépecés vivants” » Le texte publié en première page était ainsi libellé : « L'inspecteur de la chasse aux phoques, M. Lindberg, critique les chasseurs de phoques norvégiens dans un rapport-choc sur la dernière (...) saison. [Il] fait état de méthodes illicites d'abattage, de l'ébriété de membres de l'équipage et d'un démarrage illégal de la chasse avant l'ouverture de la saison. Surtout, le rapport fait état de ce que des chasseurs furieux auraient roué l'intéressé de coups et l'auraient aussi menacé de le frapper à la tête avec un harpon [hakapik] s'il ne se taisait pas. “Le rapport revêt un tel caractère que nous en avons interdit la publication”, a déclaré un porte-parole du ministère de la Pêche. » Les 19 et 20 juillet 1988, Bladet Tromsø publia en deux parties l'intégralité du rapport, en le faisant précéder de l'introduction que voici : « (...) Au cours des derniers jours [le rapport de M. Lindberg] a provoqué de sérieux remous dans la [profession] des chasseurs de phoques. La plupart y voient une attaque particulièrement grave contre une profession qui rencontre déjà de l'opposition, au plan national comme international. Dans leurs réactions adressées à Bladet Tromsø, plusieurs personnes allèguent clairement que M. Lindberg est un agent de Greenpeace. M. Lindberg nous a fait voir ses notes sur l'[expédition]. Depuis lors, le ministère a traité le rapport (...) comme confidentiel notamment parce que celui-ci désigne nommément diverses personnes qu'il relie aux manquements au règlement. Nous avons supprimé les noms (...) Le rapport (...) ne renferme pas des critiques partiales (...) M. Lindberg félicite aussi plusieurs membres de l'équipage. [Il] se définit en outre comme un sympathisant de la chasse aux phoques. Mais pas de la manière dont elle a été menée sur la banquise occidentale cette année. » La seconde partie du rapport de M. Lindberg, publiée par Bladet Tromsø le 20 juillet 1988, renfermait les déclarations que voici (tout en oblitérant à l'encre noire le nom des membres de l'équipage indiqués ci-après entre crochets) : « A 11 h 45 [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » « A 14 h 40 [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » « A 15 heures [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland. » « Le même jour [j'] ai signalé au capitaine qu'[un membre de l'équipage] ne tuait pas les bébés phoques dans le respect du règlement (c'est-à-dire qu'il (...) avait frappé [le bébé phoque] avec la pointe [du harpon] puis l'avait traîné derrière lui). » « A 15 heures [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » « A 19 heures [un membre de l'équipage] a tué une femelle [phoque du Groenland] qui protégeait son petit. » La chasse aux phoques du Groenland était légale en 1987. D. Articles sur le sujet parus dans Bladet Tromsø entre le 15 et le 20 juillet 1988 Dans un commentaire du 15 juillet 1988, Bladet Tromsø écrivit ceci : « De mauvaises conditions de travail ? Les autorités ont-elles bien la maîtrise de la manière dont la chasse aux phoques se déroule actuellement ? Les conditions de travail des inspecteurs du ministère (...) leur permettent-elles de rendre des rapports impartiaux sur la chasse aux phoques ou se trouvent-ils liés par le désir de préserver de bonnes relations avec les chasseurs de phoques ? En d'autres termes, les inspecteurs (...) jouissent-ils d'une indépendance suffisante dans la surveillance qu'ils exercent à bord des bateaux de chasse ? Telles sont les questions qu'ont adressées à Bladet Tromsø des personnes qui connaissent bien cette activité mais qui, pour différentes raisons, ne veulent pas se faire connaître. Ces questions ont été suscitées par le rapport que M. Lindberg a transmis à son employeur, le ministère de la Pêche. M. Lindberg a été désigné inspecteur de la chasse aux phoques à bord du bateau Harmoni, immatriculé à Tromsø, (...) au cours de la saison de 1988. Le rapport est si critique que le ministère a décidé qu'il resterait « confidentiel » pour le moment (...), un conseiller du ministère (...) admet n'avoir jamais reçu auparavant d'un inspecteur de la chasse aux phoques un rapport “aussi méchant que celui-ci”. » Le 18 juillet 1988, Bladet Tromsø publia une autre interview de M. Kvernmo, membre de l'équipage, sous le titre : « Vives critiques à l'égard de l'inspecteur de la chasse aux phoques : accusations totalement infondées ». La légende d'une photographie figurant à la première page était ainsi libellée : « Purs mensonges. “A en juger par ce qu'ont dit les médias du rapport [de M. Lindberg], je qualifierai ses déclarations de purs mensonges”, dit M. Kvernmo (...) [Il] (...) exige que le rapport soit remis immédiatement [à l'équipage]. Il est en cela appuyé par deux collègues, M. [S.] et M. [M.] (...) » L'interview de M. Kvernmo continuait dans les colonnes du journal sous le titre « “M. Lindberg ment” ». Le journal Bladet Tromsø publia aussi une lettre que M. Kvernmo avait écrite à la rédaction sur le même sujet. D'après M. Kvernmo, la présence de M. Lindberg à bord de l'Harmoni en 1987 n'avait pas été appréciée. Lorsqu'il était arrivé au moment du départ pour l'expédition de 1988, il avait déjà fait plusieurs demandes infructueuses auprès du propriétaire du bateau et de l'équipage. En dernier ressort, il avait tout mis en œuvre pour faire croire au ministère qu'il devait aller sur la banquise occidentale avec l'Harmoni et qu'il pouvait assumer, à titre bénévole, les fonctions d'inspecteur. Sans autre formalité, le ministère l'avait nommé inspecteur parce que M. Lindberg s'était offert à accomplir le travail gratuitement. Donc, le ministère avait envoyé un inspecteur qui savait très peu de choses de la chasse aux phoques et du règlement et qui, du point de vue psychologique, était inapte à l'emploi. M. Lindberg se serait acquitté de sa mission d'une manière très bizarre et médiocre. Dans un éditorial publié lui aussi le 18 juillet 1988, le journal déclara : « D'aucuns laissent entendre que la chasse aux phoques en Norvège sera à nouveau sévèrement critiquée par les écologistes après que l'inspecteur de la chasse aux phoques a révélé plusieurs faits critiquables survenus lors d'une expédition. Nous pensons que ce rapport confortera [la réputation] de nation sérieuse de chasseurs de phoques [qui est celle de la Norvège] à condition que l'on se serve du rapport de manière constructive. Dans toutes les professions, certaines personnes abusent de la confiance que la société place en elles et exercent à la limite de la légalité. Les autorités responsables de la pêche doivent réagir vivement contre de tels abus. Elles ont ici une occasion unique de clarifier la finalité de la chasse aux phoques en Norvège et d'indiquer comment celle-ci doit se dérouler pour respecter des modalités internationalement admises. (...) Ce que révèle ce nouveau rapport (...) doit être perçu comme un épisode isolé et regrettable commandant (...) un examen plus approfondi de la manière dont la chasse aux phoques doit être menée en Norvège dans les années à venir. (...) » Le 19 juillet 1988 Bladet Tromsø publia un article intitulé : « La Fédération des marins est furieuse et voit dans le rapport sur la chasse aux phoques “Un travail commandité par Greenpeace !” » L'article rapportait notamment en ces termes les propos de deux représentants de la Fédération des marins norvégiens : « “Nous connaissons nos chasseurs de phoques et connaissons aussi quelque peu (...) l'inspecteur Lindberg (...) Cela étant nous osons dire : nous ne croyons pas un mot de ce qu'il déclare dans [son] rapport ! Nous ne doutons pas non plus une seconde qu'[il] ait été placé sur (...) l'Harmoni par Greenpeace. Nous exigerons donc que le ministère mette cartes sur table à propos de [sa] désignation (...) (...) Nous sommes aussi vraiment furieux que l'auteur de l'éditorial de Bladet Tromsø [du 18 juillet 1988] ose carrément prendre position sur la question sans en savoir davantage sur la chasse aux phoques. Pour nous, c'est effrayant (...)” » Bladet Tromsø publia le même jour un entretien avec M. Lindberg au cours duquel celui-ci soulignait que son rapport renfermait des déclarations positives pour dix membres de l'équipage, dont il donnait les noms. Dans une interview que Bladet Tromsø publia le 20 juillet 1988, un représentant de Greenpeace démentit que cette organisation eût été en quoi que ce soit mêlée à l'établissement du rapport de M. Lindberg. E. Autres publications sur le sujet, contemporaines des articles litigieux ou postérieures Communiqué du ministère de la Pêche Dans un communiqué publié le 20 juillet 1988, le ministère de la Pêche déclara qu'en raison de sa teneur et de sa forme singulières, le rapport Lindberg ne serait pas publié jusqu'à nouvel ordre. D'après des experts vétérinaires, il était pratiquement impossible de dépecer un phoque vivant car d'habitude des mouvements réflexes se produisent dans les muscles de l'animal au cours de l'abattage. Quant à la désignation de M. Lindberg en qualité d'inspecteur, le ministère indiqua qu'en posant sa candidature, l'intéressé avait signalé qu'il avait assisté à la chasse aux phoques en 1987 afin d'en étudier tous les aspects et de mener des recherches pour l'université d'Oslo. Il souhaitait aussi assister à la saison de 1988. Ses recherches devaient lui permettre d'écrire un ouvrage sur la chasse aux phoques et d'effectuer des travaux scientifiques. M. Lindberg aurait en outre indiqué que, puisque de toute manière il serait à bord de l'Harmoni pendant la saison 1988, il était prêt à assurer l'inspection sans rémunération. Le ministère avait eu avec lui plusieurs entretiens téléphoniques au cours desquels l'intéressé avait dit avoir fait des études de biologie et être membre de plusieurs sociétés scientifiques, notamment dans le domaine des recherches polaires. M. Lindberg étant disposé à effectuer le travail gratuitement et compte tenu en particulier de ses antécédents de chercheur, le ministère avait décidé de le nommer. Tout en cherchant à faire partie de l'expédition de chasse, il avait offert ses services à l'Institut de biologie de l'université d'Oslo. De ce fait, il avait prélevé pour celle-ci au cours de l'expédition certaines parties du corps d'un phoque. De plus amples investigations avaient révélé que l'inspecteur n'avait pas vraiment fait d'études supérieures et n'avait aucune compétence de recherche ni d'expérience de l'abattage des animaux. Les vifs réactions et commentaires qu'il avait eus sur l'abattage des animaux tenaient au fait qu'il n'avait pas le bagage voulu pour être inspecteur. Son rapport ne pouvait passer pour un rapport d'inspection sérieux et adéquat. Articles de Bladet Tromsø Le 21 juillet 1988, Bladet Tromsø publia un article intitulé : « Le ministère de la Pêche rejette le rapport de M. Lindberg ». Il rendait compte comme suit des propos d'un haut fonctionnaire du ministère : « “Le rapport [de M. Lindberg] ne saurait passer pour un rapport d'inspection (...) sérieux ; il se caractérise par le fait que l'intéressé n'a pas le bagage professionnel que devrait posséder un inspecteur (...)” » Un autre article paru dans Bladet Tromsø du même jour citait M. Kvernmo en ces termes : « “Nous sommes vraiment très heureux que le ministère ait rejeté les allégations de M. Lindberg d'après lesquelles nous aurions enfreint les dispositions légales et le règlement au cours de la chasse aux phoques de cette année (...). Nous ne pourrions tolérer que l'on nous accuse, entre autres, de dépecer des phoques vivants (...)” » Bladet Tromsø publia le 23 juillet 1988 un autre article sous le titre suivant : « Les chasseurs de phoques sont persécutés – la Fédération des marins veut que la police s'en mêle : “Examinez à fond la question des phoques” » Le même jour, Bladet Tromsø fit paraître un autre entretien avec un haut fonctionnaire du ministère de la Pêche. Celui-ci aurait notamment déclaré : « “Selon moi, les médias ont assez harcelé la profession des chasseurs de phoques comme cela. Que se passerait-il si vous, les médias, deviez être harcelés de la sorte ? Je peux vous dire que certains chasseurs de phoques ne peuvent plus dormir maintenant ; ils reçoivent des appels téléphoniques jour et nuit.” Hier [le fonctionnaire] semblait plus ou moins hors de ses gonds, surtout après que le [quotidien] Aftenposten eut publié des photographies prises par M. Lindberg pendant la chasse aux phoques de cette année et montrant des phoques tués à l'aide d'un harpon. [Le fonctionnaire] n'épargnait pas non plus Bladet Tromsø : “C'est vous qui avez lancé toute cette absurdité !” (...) » Dans un nouvel article qu'il publia le 25 juillet 1988, Bladet Tromsø rapporta ainsi les propos de deux anciens inspecteurs de la chasse aux phoques : « “Nous ne pouvons affirmer que M. Lindberg n'a pas été le témoin de ce qu'il consigne dans son rapport (...) mais il en a tiré des conclusions totalement erronées. Les [chasseurs de phoques] norvégiens [dans l'océan Arctique] sont des gens consciencieux et responsables, au sens moral plus élevé que les chasseurs norvégiens ordinaires lorsqu'il s'agit de l'abattage des animaux. (...)” » Autres articles parus dans les médias Le 15 juillet 1988, l'Agence de presse norvégienne publia une dépêche reprenant certaines des informations fournies par Bladet Tromsø le même jour quant aux allégations de M. Lindberg (paragraphe 12 ci-dessus). Selon cette dépêche, le ministère de la Pêche estimait que des manquements au règlement sur la chasse aux phoques avaient pu se produire. Cette dépêche fut envoyée à quelque cent cinquante abonnés et divers journaux publièrent des articles s'en inspirant. Dans une dépêche du 18 juillet 1988, l'Agence de presse norvégienne – qui avait Bladet Tromsø pour source – affirmait, premièrement, que l'équipage exigeait que le rapport fût rendu public (« straks (...) offentliggjort ») immédiatement et, deuxièmement, que l'Association des armateurs de pêche demandait elle aussi la publication du rapport. Le Gouvernement soutient que la première déclaration reposait sur l'article paru dans Bladet Tromsø le 18 juillet 1988 (paragraphe 15 ci-dessus) et avait altéré le fait que l'équipage réclamait seulement la remise du rapport. Dans une nouvelle dépêche du même jour, l'agence fit état de ce que le ministère aurait déclaré que des experts vétérinaires allaient examiner le rapport Lindberg controversé ; qu'il publierait d'autres informations sur les résultats ainsi peut-être que sur les circonstances dans lesquelles M. Lindberg avait été recruté comme inspecteur, mais ne ferait plus aucun commentaire tant qu'il n'aurait pas recueilli d'autres informations. Elle ajoutait qu'à cette date, l'Association des armateurs de pêche et l'équipage avaient demandé la publication du rapport. Bladet Tromsø reçut la dépêche le même jour. D'après une nouvelle dépêche du 19 juillet 1988, le ministère de la Pêche aurait déclaré que, lorsqu'il avait nommé M. Lindberg inspecteur, il s'était fondé sur ce que celui-ci lui avait dit lui-même, à savoir qu'il menait des projets de recherche. L'agence avait compris que le ministère avait cru que les recherches de M. Lindberg et ses liens avec l'université d'Oslo étaient bien plus approfondis qu'ils ne l'étaient en réalité. Dans une nouvelle dépêche du même jour, l'agence déclara que M. Lindberg avait refusé de rencontrer des fonctionnaires du ministère pour discuter de son rapport. Le 19 juillet 1988, le quotidien Adresseavisen, se référant aux dépêches de l'Agence de presse norvégienne, déclara que les chasseurs de phoques avaient demandé la publication du rapport de M. Lindberg. Le rapport de M. Lindberg continua à faire l'objet d'un grand nombre d'articles dans d'autres médias aussi. Les 29 juillet et 3 août 1988, de larges extraits en furent publiés dans Fiskaren, un bimensuel pour pêcheurs. L'un des articles parus le 29 juillet 1988 portait le titre suivant : « M. Lindberg dit dans son rapport sur la chasse aux phoques : “Il arrive que des animaux soient dépecés alors qu'ils roulent des yeux et gémissent.” » L'article était ainsi chapeauté : « “Pendant la dernière partie de la période de chasse, il est rare que l'on examine les bêtes, une fois que l'on a tiré dessus, pour vérifier que les coups ont été mortels (...). Après, on hisse les bêtes à bord, souvent encore vivantes. Elles sont donc souvent dépecées alors qu'elles roulent des yeux et gémissent.” Telles sont (...) les observations que M. Lindberg prétend avoir faites alors qu'il exerçait en tant qu'inspecteur de la chasse aux phoques à bord de l'Harmoni (...). En raison de ces affirmations, le ministère (...) et les gens de la profession estiment que le rapport de M. Lindberg « n'est pas sérieux » et ils ne veulent pas le rendre public. Dans [son] rapport M. Lindberg porte de très graves accusations contre certains chasseurs nommément désignés. Dans les extraits publiés par Fiskaren, nous avons systématiquement supprimé tous les noms. » L'extrait publié par Fiskaren le 3 août 1988 renfermait les observations que M. Lindberg avait faites dans son rapport tel que Bladet Tromsø l'avait reproduit le 20 juillet 1988. Le débat sur le rapport de M. Lindberg s'apaisa peu à peu au cours des mois suivants jusqu'au 9 février 1989, date à laquelle M. Lindberg fit une conférence de presse à Oslo. Un film intitulé « Le deuil des phoques » (qui renfermait une séquence filmée par M. Lindberg à bord de l'Harmoni) montrait certains manquements au règlement sur la chasse aux phoques. La Société norvégienne de radiodiffusion diffusa certains passages du film le même jour et une chaîne suédoise de télévision diffusa le film dans son intégralité le 11 février 1989. Les jours suivants, des passages du film furent projetés par pas moins de vingt chaînes de télévision à travers le monde, dont CNN et la British Broadcasting Corporation. F. Le rapport de la commission d'enquête Le film suscitant diverses réactions en Norvège comme au plan international, le ministre de la Pêche fut rappelé alors qu'il se trouvait en voyage officiel à l'étranger. La chasse aux phoques fit l'objet d'un débat au Parlement le 14 février 1989. Le 24 février, le gouvernement annonça la constitution d'une commission d'enquête. Il interdit aussi, avec effet immédiat, l'abattage des bébés phoques. Le 5 septembre 1990, la commission d'enquête remit un rapport approfondi s'appuyant sur divers moyens de preuve dont le rapport d'inspection de M. Lindberg, son film ainsi qu'un livre écrit par lui. Aux fins de l'enquête, le tribunal (byrett) de Sarpsborg avait entendu M. Lindberg comme témoin. La commission avait aussi entendu plusieurs membres de l'équipage de l'Harmoni et d'autres inspecteurs de la chasse aux phoques. Dans son rapport, la commission d'enquête estima que la véracité de la plupart des allégations de M. Lindberg concernant des individus nommément désignés n'avait pas été établie. L'allégation d'après laquelle des phoques adultes ou bébés avaient été dépecés vivants ou l'on avait donné des coups de pied à des bébés phoques ne reposait sur rien (p. 8). En revanche, à la page 69, la Commission releva plusieurs manquements au règlement sur la chasse aux phoques, établis selon elle par la séquence présentée par M. Lindberg. Ainsi, un phoque avait été tué avec la pointe d'un harpon sans avoir été frappé d'abord avec le manche. Un autre phoque avait été tué à la hache et un troisième avait été hissé à bord de l'Harmoni alors qu'il était toujours vivant. La commission publia les parties du rapport de M. Lindberg consacrées à l'expédition de chasse de l'Harmoni, après en avoir supprimé le nom des membres de l'équipage. Elle formula en outre des recommandations quant à des amendements du règlement sur la chasse, à sa mise en œuvre et à la formation des chasseurs. Elles allaient dans le sens de certaines suggestions du rapport de M. Lindberg, notamment quant à la formation des chasseurs sur les méthodes d'abattage, l'information des chasseurs quant aux règles applicables ainsi que sur la présence obligatoire d'un inspecteur à bord de chaque navire de chasse. G. Action pour diffamation engagée contre M. Lindberg En mars 1989, l'équipage de l'Harmoni avait engagé contre M. Lindberg une action pour diffamation devant le tribunal de Sarpsborg ; il mentionnait des déclarations que l'intéressé avait faites à son propos pour les saisons de chasse de 1987 et 1988. Par un jugement du 25 août 1990, le tribunal annula, en vertu de l'article 253 § 1 du code pénal, cinq affirmations figurant dans le rapport d'inspection. Deux autres assertions que M. Lindberg avait énoncées dans un autre cadre furent elles aussi annulées. Le tribunal interdit en outre à M. Lindberg de montrer en public toutes les séquences relatives à l'Harmoni. Il le condamna également à verser des dommages-intérêts (10 000 couronnes norvégiennes (NOK)) à l'équipage de l'Harmoni au titre de la loi de 1969 sur la réparation des dommages ainsi que les frais. Le comité de sélection des recours devant la Cour suprême (Høyesteretts Kjæremålsutvalg) refusa à l'intéressé, le 16 mai 1991, l'autorisation de se pourvoir devant celle-ci. Résidant en Suède, M. Lindberg s'opposa à l'exécution en Suède du jugement du tribunal de Sarpsborg du 25 août 1990, au motif qu'il enfreignait son droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention. Par un arrêt du 16 décembre 1998, la Cour suprême (Högsta Domstolen) suédoise confirma celui de la cour d'appel (Hovrätten) de Suède occidentale du 25 avril 1997, déboutant M. Lindberg. Tout en relevant qu'il ne lui appartenait pas de réexaminer en fait et en droit le jugement norvégien, la Cour suprême suédoise a estimé que celui-ci n'emportait aucune violation des droits de M. Lindberg au regard de l'article 10. Cette disposition ne faisait donc pas obstacle à l'exécution. Le fait que le film litigieux ait été projeté en Suède ne signifiait pas davantage qu'exécuter le jugement norvégien irait à l'encontre des intérêts d'ordre public en Suède. H. La procédure pour diffamation à l'origine de la plainte des requérants sur le terrain de la Convention Le 15 mai 1991, les membres de l'équipage de l'Harmoni engagèrent aussi contre les requérants une action en dommages-intérêts pour diffamation ; ils demandèrent également l'annulation de certaines déclarations du rapport de M. Lindberg reproduites dans Bladet Tromsø des 15 et 20 juillet 1988. Le 4 mars 1992, après avoir entendu les parties à la cause et des témoins pendant trois jours, le tribunal de district (herredsrett) de NordTroms rendit son jugement. Il jugea, à l'unanimité, les déclarations suivantes diffamatoires au regard de l'article 247 du code pénal et les annula (død og maktesløs ; mortifisert) en application de l'article 253 § 1 (la numérotation entre crochets ci-après suit celle des motifs du tribunal). (Affirmations figurant dans la partie du rapport Lindberg parue dans Bladet Tromsø le 20 juillet 1988) [1.1] « A 11 h 45 [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » [1.2] « A 14 h 40 [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » [1.3] « A 15 heures [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland. » [1.6] « A 19 heures [un membre de l'équipage] a tué une femelle qui protégeait son petit. » (Déclarations figurant dans l'un des articles publiés dans Bladet Tromsø le 15 juillet 1988) [2.1] « Des phoques dépecés vivants. » [2.2] « Surtout, le rapport fait état de ce que des chasseurs furieux auraient roué (M. Lindberg) de coups et l'auraient aussi menacé de le frapper à la tête avec un harpon s'il ne se taisait pas. » Le tribunal rejeta en revanche la plainte des chasseurs en ce qui concerne les déclarations suivantes publiées le 20 juillet 1988 : [1.4] « Le même jour [j'] ai signalé au capitaine qu'[un membre de l'équipage] ne tuait pas les bébés phoques dans le respect du règlement (c'est-à-dire qu'il avait frappé [le bébé phoque] avec la pointe [du harpon] puis l'avait traîné derrière lui). » [1.5] « A 15 heures [un membre de l'équipage] a frappé à mort une femelle phoque du Groenland qui protégeait son petit. » Le tribunal motiva ainsi sa décision : « Pour que les déclarations puissent être annulées, la condition fondamentale est qu'elles soient diffamatoires. Pour se prononcer sur la question, il faut apprécier les déclarations en fonction de la manière dont le lecteur moyen d'un journal les a perçues. Par ailleurs, il ne faut pas les interpréter séparément. L'élément déterminant est le point de savoir comment elles ont été comprises lorsque l'on a lu l'ensemble des articles. Il en va toutefois quelque peu différemment lorsqu'on aborde la justification. Le tribunal y reviendra plus loin. Même s'il y a lieu d'apprécier les déclarations globalement, il faut néanmoins accorder du poids à la circonstance que l'affaire a été étalée en première page et en caractères gras. La première impression à en retirer était donc qu'il s'était passé quelque chose de grave. L'article plus détaillé figurant à l'intérieur du journal n'atténuait ni ne modifiait sensiblement cette impression. C'est là un élément d'une importance primordiale. Selon le tribunal, les deux déclarations du 15 juillet 1988 sont manifestement diffamatoires. L'une d'elles est ainsi libellée : « Des phoques dépecés vivants. » (« sel levende flådd »). Elle implique nécessairement que les chasseurs de phoques ont fait preuve de cruauté à l'égard des animaux. Il va sans dire que dépecer un animal vivant lui cause de graves souffrances. Si on l'envisage globalement, l'affirmation se comprend comme valant non seulement pour un phoque, mais pour plusieurs. On en retire encore l'impression qu'il n'était pas rare que les chasseurs de phoques dépècent des phoques encore en vie. L'autre dit ceci : « Surtout, le rapport fait état de ce que des chasseurs furieux auraient roué l'intéressé de coups et l'auraient aussi menacé de le frapper à la tête avec un harpon s'il ne se taisait pas ». Il faut en inférer qu'ils se sont livrés à des voies de fait sur M. Lindberg, ce qui objectivement constitue une infraction pénale (voir l'article 228 du code pénal). La menace de frapper l'intéressé à la tête avec un harpon s'il ne se taisait pas constitue l'élément matériel de l'infraction réprimée par l'article 227 du code pénal. Il faut en conséquence déduire de l'allégation que les chasseurs de phoques ont commis deux infractions. Une telle déclaration doit manifestement passer pour diffamatoire. Quant aux assertions relatives aux femelles phoques du Groenland, la chasse en était incontestablement interdite en 1988. Nous renvoyons aux points 1.1, 1.2, 1.3 et 1.6 des allégations. (...) Le point 1.4 porte aussi sur une infraction au règlement sur la chasse aux phoques. Référence est faite à cet égard à l'article 8 b) du règlement d'après lequel il faut d'abord frapper le phoque avec le manche du harpon puis avec la pointe. La raison en est qu'il faut d'abord assommer l'animal avant de le tuer avec la pointe. La déclaration implique nécessairement que [les marins] n'ont pas d'abord donné des coups avec le manche. Toute transgression du règlement constitue une infraction pénale. Ces violations s'analysent en délits punissables d'amendes. De manière générale, les allégations de pareilles violations doivent elles aussi passer pour diffamatoires (...) Pour le tribunal, les déclarations concernant l'abattage des femelles phoques du Groenland doivent être tenues pour diffamatoires. La chasse de cette espèce de phoques n'était pas du tout autorisée en 1988. Les assertions ne se distinguent pas de celles relatives à la chasse illégale en général et impliquent que l'équipage s'est comporté d'une manière moralement répréhensible. Le tribunal examinera ci-après si ces déclarations peuvent être considérées comme établies et donc licites. Le tribunal conçoit toutefois des doutes en ce qui concerne l'affirmation citée au point 1.4. Il n'y est pas allégué que des souffrances ont été infligées aux bébés phoques, mais simplement que les méthodes d'abattage employées ne respectaient pas le règlement. Cela étant, on ne saurait guère interpréter cette affirmation comme impliquant une vive condamnation morale du chasseur de phoques (...). L'élément déterminant est le point de savoir si l'abattage s'opère de manière responsable. On ne saurait interpréter l'affirmation comme signifiant que tel n'était pas le cas. Quoi qu'il en soit, comme l'auteur ne donne pas à entendre que des souffrances aient été infligées aux bébés phoques, la question doit être considérée comme dénuée de gravité. Non sans nourrir de doutes, le tribunal conclut que cette déclaration ne saurait passer pour diffamatoire. En conséquence, à l'exception du point 1.4, les déclarations relèvent de deux des hypothèses envisagées à l'article 247 du code pénal, à savoir « nuire à la bonne renommée ou à la réputation d'autrui » et « l'exposer à (...) la perte de la confiance nécessaire à l'exercice de sa charge ou de sa profession ». Il ne fait aucun doute que les affirmations étaient susceptibles de produire de tels effets. A cet égard, les défendeurs ont souligné que de fortes marques de sympathie avaient été témoignées à l'équipage au cours du débat public qui a suivi. La condition posée par la loi est toutefois que les affirmations « soient susceptibles » de porter préjudice. Le débat qui a suivi a révélé que les opinions différaient quant à l'activité de la chasse. La chasse aux phoques suscite depuis plusieurs années une vive opposition, au niveau international en particulier. Bien qu'en Norvège, et spécialement en Norvège septentrionale, de nombreuses personnes se soient opposées à M. Lindberg, il ne faut pas en inférer automatiquement qu'elles soutenaient les chasseurs de phoques. Les méthodes de chasse de ces derniers leur ont valu des échos dans les médias et le souvenir en perdurera. Hormis cela, les membres de l'équipage n'ont pas été beaucoup impliqués dans le débat concernant d'autres aspects de la chasse aux phoques ; notamment, l'aspect écologique suscita un débat particulièrement animé au cours des « invasions de phoques » à la fin des années 80. Il ne prête pas à controverse que le groupe de personnes visé par les déclarations n'est pas assez large pour que les individus n'en soient pas affectés. Ainsi les défendeurs n'ont-ils pas argué que la suppression [des noms] garantissait suffisamment l'anonymat. Même si le nom des différents chasseurs de phoques a été supprimé, il est clair que le navire était l'Harmoni. Toute personne qui se trouvait à bord doit donc être considérée comme partie lésée (...). En fait, la suppression des noms a eu l'effet opposé à celui recherché. Le rapport ne désigne nommément que quatre marins qui auraient commis des infractions. Si le journal n'avait pas supprimé les noms, le groupe des personnes en cause se serait trouvé réduit d'autant (...) D'un point de vue objectif, les déclarations tombent sous le coup de l'article 247 du code pénal ; il faut encore qu'elles soient « illicites » [rettsstridig]. Les défendeurs avancent plusieurs arguments à cet égard. D'abord, l'affaire de la chasse aux phoques en Norvège fut probablement celle qui nourrit le plus l'actualité en 1988. Les défendeurs font valoir qu'en pareil cas, la presse doit jouir d'une grande latitude pour pouvoir mettre en évidence tous les aspects de la question (c'est le point de vue de « l'intérêt général ») (...) Le tribunal admet qu'une liberté d'expression étendue est une composante nécessaire d'un débat sur des questions présentant un intérêt général. C'est là le fondement même de l'article 100 de la Constitution norvégienne et il est primordial dans une société démocratique (...). Il n'en existe pas moins certaines limites. D'abord, le tribunal n'oublie pas qu'il faut prendre en compte certaines exigences tenant à la vie privée et à la vérité (...). Il y a lieu d'interpréter toutes les déclarations litigieuses comme impliquant que l'équipage de l'Harmoni a commis des actes illégaux. Ce fut là le thème essentiel des articles de journaux des 15 et 20 juillet 1988. Le tribunal n'a guère l'impression que la façon dont le quotidien a présenté la question, notamment le 15 juillet, tendait d'abord à favoriser un débat sérieux sur des questions d'intérêt public. Les aspects pénaux ont été mis en évidence. Le débat public pour et contre la chasse aux phoques est assurément passé à l'arrière-plan. Il faut prendre aussi en considération la manière dont les éléments furent présentés. L'affaire a été étalée en première page en caractères gras. L'un des titres des articles qui suivent emploie des mots tels que « mensonge ». Le tribunal a assurément le sentiment que le quotidien a d'abord été motivé par le désir d'être le premier à imprimer l'histoire. L'article en première page notamment est un article à sensation. L'on n'a pas suffisamment prêté attention à la protection d'autrui lors de cette divulgation. Le quotidien avait aussi conscience que la matière était délicate et il avait donc toutes les raisons d'agir avec prudence. Le journaliste, M. Raste, avait été averti, sans doute lors d'une conversation téléphonique avec le ministère de la Pêche le 13 juillet, que le rapport ne devait pas être rendu public. Cela étant, le tribunal n'estime pas que la valeur d'actualité de l'affaire justifiait à suffisance la manière dont elle fut présentée. En second lieu, les défendeurs arguent que la publication concerne un document officiel. D'après le quotidien, ces documents sont des sources dignes de foi auxquelles l'on doit pouvoir ajouter crédit. L'article 253 § 3 du code pénal est invoqué à cet égard. De manière générale, le tribunal admet que les documents officiels constituent normalement de bonnes sources pour la presse. Cela dépend toutefois des circonstances. En l'occurrence, le journal savait que le rapport n'était pas rendu public et pourquoi. Le ministère souhaitait instruire la question de plus près avant de décider s'il fallait publier le rapport. M. Raste, le journaliste, savait lui aussi que l'allégation d'après laquelle des phoques avaient été dépecés vivants était une histoire à dormir debout. M. Raste élevait lui-même des moutons et était au fait de l'abattage des animaux. Malgré cela, on donna un grand retentissement à l'affaire. Dans ces circonstances, le journal aurait manifestement dû enquêter d'une manière plus approfondie sur la question avant de publier les articles. Sur la base des éléments dont il dispose, le tribunal conclut qu'aucune enquête n'a été menée. Dans sa déposition M. Gunnar Gran, secrétaire général de l'Association de la presse norvégienne, a déclaré que d'un point de vue déontologique, il était contestable de publier l'allégation selon laquelle des phoques avaient été dépecés vivants si M. Raste savait que ce n'était pas la vérité. Des déclarations reposant sur un rapport d'inspection échappent assurément à l'empire de l'article 253 § 3. Cette disposition est libellée de manière exhaustive (...) (...) Les défendeurs invoquent l'article 10 de la Convention. Ils soulignent à cet égard ce que l'on appelle le point de vue de « l'intérêt général ». On peut le qualifier de théorie de la liberté d'expression illimitée s'agissant des questions d'intérêt général. Bien que le tribunal se soit déjà prononcé sur ce point, il croit devoir indiquer que la présente affaire se distingue des affaires Sunday Times c. Royaume-Uni et Lingens c. Autriche. Cette dernière concernait en particulier l'expression d'opinions politiques. M. Lingens, le rédacteur, avait employé des expressions comme « opportunisme dégoûtant », « immoral » et « indigne » pour qualifier certaines actions du chef du gouvernement, Bruno Kreisky. Il s'agit de jugements de valeur qui ne sont pas, contrairement aux déclarations litigieuses ici, liés à des faits (...) Une déclaration diffamatoire n'est pas illicite si la véracité en est prouvée (voir les articles 253 § 1 et 249 § 1 du code pénal). En l'espèce, les défendeurs admettent que, si ce n'est le cas d'une femelle phoque du Groenland, ils n'ont apporté aucune preuve. Ils font valoir en revanche que M. Lindberg a produit des photos montrant que plusieurs femelles phoques du Groenland avaient été tuées. Nonobstant cet aveu de la défense, le tribunal va se livrer à sa propre appréciation. Il n'a pas été démontré que l'allégation du point 2.1 soit vraie ou probablement vraie. Au contraire, M. Raste estime qu'elle ne peut être qu'incorrecte. M. Lindberg et M. K. ont deux versions différentes du point 2.2. Le tribunal n'a aucune raison d'ajouter davantage foi aux dires de M. Lindberg qu'à ceux de M. K. Le tribunal ne constate l'existence d'aucune autre circonstance étayant cette affirmation. Aucun élément ne vient donc établir celle-ci. Quant à l'abattage des femelles phoques du Groenland, la commission d'enquête dit ceci à la page 84 de son rapport : « Notre conclusion est que nous devons considérer comme hautement improbables les allégations d'après lesquelles cinq femelles phoques du Groenland ont été tuées. » C'est toutefois un fait que l'Harmoni transportait la peau d'une femelle phoque du Groenland lorsqu'il est revenu de son expédition sur la banquise occidentale. L'explication du [marin S.] est que [le marin H.] avait tué un bébé phoque du Groenland. Sa mère n'était pas en vue. Elle était arrivée après et avait attaqué [H.]. Il avait pris peur et avait tenté de la frapper sur le nez avec son harpon. Il l'avait toutefois frappée trop fort, si bien qu'elle avait commencé à saigner. La mère avait été tuée à cause de cela. C'est ce qui est rapporté au point 1.5. Le tribunal ne voit pas que la déclaration donne une impression objectivement incorrecte de ce qui s'est passé. Il n'en conclut pas pour autant que [H.] ait agi illégalement. S'il a agi en état de légitime défense, son acte n'était pas injustifié. Le tribunal n'a pas à se prononcer à ce sujet. [Cette] affirmation ne sera donc pas déclarée nulle et non avenue. Les autres déclarations relatives aux femelles phoques du Groenland n'ont pas été (...) établies par des pièces littérales. Les chasseurs de phoques démentent avoir tué plus d'une femelle phoque du Groenland. Dans sa déposition M. Lindberg parle de photos qui, selon lui, corroborent ses affirmations. Il a refusé de les produire pour que des experts les examinent. Le lendemain de [sa] déposition (...) un article a paru dans (...) Bladet Tromsø ; il s'accompagnait d'une photo de femelles phoques du Groenland. D'après les chasseurs, la photo remontait à 1987, alors que ce genre de chasse avait été autorisé. Le tribunal ne saurait fonder sa décision sur des articles de journaux mais seulement sur les débats qui se sont déroulés pendant l'audience principale. L'on ne saurait donc à l'évidence considérer les autres assertions comme établies. Au surplus, le tribunal est quelque peu surpris par le refus de M. Lindberg de produire les photos en justice. En résumé, le tribunal relève que les conditions se trouvent remplies pour qu'il annule les déclarations citées aux points 1.1, 1.2, 1.3, 1.6, 2.1 et 2.2 des allégations. L'affirmation citée au point 1.4 n'est pas jugée diffamatoire et la véracité de celle citée au point 1.5 est jugée établie. Pour annuler des déclarations, il n'est pas nécessaire que les conditions d'une sanction se trouvent remplies (...). Le tribunal envisagera la question de la responsabilité en examinant les demandes en réparation. Les conditions d'octroi d'une indemnisation sont énoncées aux articles 3 à 6 § 1 de la loi de 1969 sur la réparation des dommages (Skadeerstatningsloven, 13 juin 1969, no 26) (...). Seule est réclamée [une réparation pour préjudice moral]. Les demandeurs affirment précisément que le journal a assurément commis une faute et que le tribunal doit juger raisonnable d'octroyer une telle indemnité. En appréciant la question, le tribunal accordera de l'importance à l'existence d'une faute et à d'autres circonstances. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte lorsqu'il s'agit de déterminer l'indemnité. Selon le tribunal, le journal a commis une faute. Il n'a procédé à aucune enquête supplémentaire avant de publier les articles, bien que cela s'imposât. Le tribunal s'est exprimé sur la question plus haut. Quant à la demande de réparation, il y a lieu d'envisager l'importance à accorder à la tentative faite pour préserver l'anonymat. La suppression des noms n'a pas garanti l'anonymat de l'équipage. Le nom du navire, l'Harmoni, étant clairement indiqué, c'était chose aisée que de découvrir le nom des membres de l'équipage. Les différents marins étaient connus de leurs voisins, de leurs relations, de leurs familles, etc. Le journal ne pouvait l'ignorer. Quoi qu'il en soit, il aurait dû avoir conscience de l'existence d'un risque réel que les individus en cause fussent identifiés. Le tribunal juge raisonnable d'accorder une indemnité aux plaignants. La couverture médiatique a causé un tel désagrément aux membres de l'équipage et a tant nui à leur réputation qu'il y a lieu d'accueillir leur demande. 2 999 phoques au total ont été pris pendant l'expédition sur la banquise occidentale. Même s'il y a probablement eu certains manquements au règlement sur la chasse aux phoques, la publication du rapport de M. Lindberg a donné une image fort déformée. L'impression générale est que le règlement a grosso modo été respecté. Pour ce qui est du [second requérant], les articles 3 à 6 doivent se combiner avec l'article 431 du code pénal. Le rédacteur se trouvait dans sa maison de campagne à ce moment-là et n'était pas totalement au courant de la teneur de ce qui allait être publié. Il a néanmoins donné son consentement. M. Stensaas n'a pas invoqué la clause exonératoire de responsabilité. En conséquence, [il] doit lui aussi voir sa responsabilité engagée à raison des articles parus. Ce qui jouera à son tour sur les demandes d'indemnité. (...) Des éléments militent en faveur d'une large indemnisation : d'abord, certaines déclarations faites au cours des travaux préparatoires de la loi. En second lieu, l'importance de l'offense causée par les articles et de leur diffusion. Il faut relever à cet égard que M. Lindberg a été condamné à verser à chacun des demandeurs 10 000 couronnes norvégiennes (NOK) pour préjudice moral [paragraphe 32 ci-dessus]. (...). Pour déterminer l'indemnité à allouer, le tribunal a accordé de l'importance au fait que les déclarations avaient été largement diffusées. Cet élément ayant déjà été pris en compte, il doit avoir un peu moins de poids dans la procédure dirigée contre le journal. Sinon, l'équipage percevrait en quelque sorte un double dédommagement. De plus, le journal savait que la question était délicate et que l'une des allégations était mensongère. La forme des articles est un autre élément à considérer, de même que le fait que le journal n'ait procédé à aucune investigation. Le quotidien n'a pas non plus présenté d'excuses pour avoir publié les articles. Parmi les éléments en sens contraire figure la circonstance que les membres de l'équipage ont eu la faculté d'exprimer leur point de vue. De manière générale, l'affaire de la chasse aux phoques fut l'une des plus grandes questions d'actualité en 1988. Bien qu'il n'exonère pas le journal de toute responsabilité, cet élément a un certain poids. Compte tenu des circonstances, le tribunal ne croit pas devoir accorder de l'importance au fait que les rapports des inspecteurs sont d'habitude des documents publics. Le rapport de M. Lindberg ne devait pas être publié. Ne joue nullement non plus le fait que Fiskaren ait finalement lui aussi publié le rapport. Cet élément a simplement été mentionné mais nul ne l'a développé au cours de l'audience principale. Le tribunal ignore le contexte, les circonstances, etc. La situation financière du [premier requérant] est à prendre en compte. Le tribunal constate que le journal connaît depuis plusieurs années une situation difficile. Son chiffre d'affaires annuel brut n'en est pas moins de l'ordre de 30 millions de NOK. En conséquence, chacun des plaignants doit percevoir 11 000 NOK d'indemnité, 10 000 de la part du journal et 1 000 de la part du rédacteur. Le journal est aussi conjointement et solidairement responsable avec le rédacteur du montant à verser par celui-ci. » Le 18 mars 1992, les requérants sollicitèrent l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême (Høyesterett), alléguant que le tribunal de district n'avait pas correctement appliqué la loi. Le 18 juillet 1992, le comité de sélection des recours à la Cour suprême a décidé de ne pas les y autoriser, au motif que le recours était manifestement dépourvu de chances de succès. I. Procédure pour diffamation contre d'autres médias L'équipage de l'Harmoni introduisit aussi une action pour diffamation contre d'autres sociétés médiatiques, dont le quotidien Aftenposten, son rédacteur en chef et un journaliste, à cause d'un article paru le 22 juillet 1988 sur la question de la chasse aux phoques. L'action ne portait pas sur un article du 16 juillet 1988 où Aftenposten reproduisait les déclarations de M. Lindberg, parues dans Bladet Tromsø, selon lesquelles des phoques avaient été dépecés vivants. Par un jugement du 1er février 1993, le tribunal d'Oslo écarta l'action. Il estima que, si l'article renfermait plusieurs allégations d'après lesquelles le règlement sur la chasse aux phoques avait été transgressé, le mode de compte rendu journalistique litigieux ne pouvait passer pour « illicite » (« rettsstridig »). Le tribunal dit notamment ceci : « Bladet Tromsø a reçu le rapport de M. Lindberg en juillet et a publié le 15 juillet 1988 un grand article qui prétendait que des phoques avaient été « dépecés vivants ». L'article a suscité un grand intérêt médiatique. L'Agence de presse norvégienne (...) a publié des dépêches sur l'affaire de la chasse aux phoques les 15, 18, 20 et 21 juillet. Aftenposten a aussi suivi l'affaire, mais la plupart de ses articles reposaient sur [ces] dépêches. Le premier article d'Aftenposten, publié le 16 juillet, disait ceci en introduction : « Vives critiques à l'encontre des chasseurs de phoques ». Dans une édition du soir de la même date, il déclarait : « Les chasseurs de phoques doivent s'expliquer ». L'édition matinale du 18 juillet donna la parole aux chasseurs de phoques, à la page 4, sous le titre : « Chasseurs de phoques : nous n'avons jamais dépecé de phoques vivants ». M. Kvernmo avait déclaré au journal : « nous sommes effarés par les allégations de M. Lindberg d'après lesquelles nous aurions dépecé des phoques vivants (...). Il estime que M. Lindberg a mal compris la situation au cours de la chasse aux phoques et regrette que celui-ci, dans son rapport au ministère de la Pêche, ait blâmé l'équipage. » Il ajoute que « l'allégation est si grotesque et si éloignée de la réalité que plusieurs chasseurs de phoques y ont réagi très vivement. Jamais on n'a dépecé de phoques vivants au cours des soixante saisons de chasse auxquelles j'ai participé, déclare M. M. Jacobsen, propriétaire de bateaux arctiques (...). Le 19 juillet, Aftenposten a publié un entretien avec M. Nilssen, inspecteur de la chasse aux phoques, sous le titre « Désaccord sur les méthodes d'abattage appliquées aux phoques ». Le 21 juillet, il a publié un article intitulé « Allégations sans fondement du rapport sur la chasse aux phoques » (...) En résumé, le tribunal estime qu'au soir du 21 juillet, l'affaire de la chasse aux phoques se présentait ainsi : Le rapport de M. Lindberg a suscité un très grand intérêt. La teneur en a été contestée par les chasseurs de phoques, un propriétaire de bateau et le ministère de la Pêche. Ces différents points de vue ont tous été rapportés dans Aftenposten. Bien que les chasseurs de phoques et le ministère de la Pêche aient récusé le rapport, la teneur n'en a pas été effectivement et objectivement réfutée (...) Le compte rendu paru dans Aftenposten le 22 juillet s'inscrivait dans le débat sur la chasse aux phoques qui avait d'ores et déjà commencé. Ce rapport faisait l'objet de critiques que M. Lindberg souhaitait combattre par l'article ainsi que par des photographies. Le débat était en cours et il était tout naturel qu'Aftenposten donnât à M. Lindberg la possibilité de présenter sa version de la question (...). Le tribunal estime que l'article d'Aftenposten a permis à la discussion d'avancer. La manière dont Aftenposten a présenté l'affaire s'analyse en un compte rendu objectif et équilibré en faveur du rapport de M. Lindberg. L'article fournit les éléments de preuve avancés par M. Lindberg pour démontrer l'exactitude du rapport et constitue un élément important dans le débat qui se déroule actuellement sur la chasse aux phoques. Aftenposten met l'accent sur la légalité des méthodes de chasse en vigueur et n'a nullement l'intention d'exposer les chasseurs de phoques à la vindicte publique par le biais d'articles malveillants. (...). Cet article ne saurait manifestement pas se comparer à celui publié dans (...) Bladet Tromsø le 15 juillet. Le tribunal signale aussi qu'Aftenposten a toujours la correction d'indiquer M. Lindberg comme source. Même si le titre, combiné avec les photos, donne à entendre que le règlement a été transgressé et qu'il y a eu cruauté envers les animaux, ces violations ne sont pas particulièrement mises en évidence. Le journal se concentre sur la chasse aux phoques. Il faut aussi noter que le lendemain, les chasseurs ont eu la possibilité de réfuter en bonne place le rapport de l'inspecteur. Autrement dit, il s'agissait d'un débat se tenant sur une question d'intérêt général au cours duquel les parties en cause ont dûment eu la possibilité d'exprimer leurs vues. L'article d'Aftenposten sur l'affaire de la chasse aux phoques se caractérise précisément par la réciprocité : Aftenposten a soutenu que d'un point de vue journalistique, l'article du 22 juillet était exemplaire. Le tribunal marque son accord avec la position du journal, notamment pour ce qui est de la situation qui prévalait avant l'article paru le 22 juillet. Le tribunal n'aperçoit aucune raison de rechercher si Aftenposten a produit des preuves. La commission d'enquête (...) conclut que le règlement a manifestement été méconnu. A la page 101, elle dit ceci : « Nous ne pouvons ne pas mentionner que pendant la période en cause, la mise en œuvre du règlement sur la chasse s'est caractérisée par plusieurs irrégularités qui dans leur ensemble ne sont pas négligeables. » Les circonstances qui ont suivi montrent donc qu'Aftenposten a pu dans une large mesure étayer les allégations selon lesquelles le règlement avait été méconnu. Le rapport de M. Lindberg ne représentait pas un travail sérieux ; il comportait un certain nombre de lacunes, mais des parties s'en sont révélées exactes par la suite. En conséquence, le tribunal conclut que l'article d'Aftenposten n'était pas injustifié. Il ne renferme aucune déclaration diffamatoire illicite. (...) » Les membres de l'équipage ne furent pas autorisés à saisir la Cour suprême. La cour d'appel (lagmannsrett) d'Eidsivating écarta leur demande de réparation pour préjudice moral par un arrêt du 6 mars 1995. Au terme d'une autre action pour diffamation que l'équipage de l'Harmoni avait engagée, le tribunal d'Oslo a annulé, le 4 août 1993, une déclaration diffusée par la Société norvégienne de radiodiffusion les 16 et 18 juillet 1988 et d'après laquelle des phoques avaient été dépecés vivants. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En matière de diffamation, le droit norvégien prévoit trois types de réaction à une diffamation illicite : une sanction infligée au titre des dispositions du code pénal, une décision annulant (mortifikasjon) l'allégation diffamatoire, rendue en application de l'article 253 du même code, et une condamnation à verser à la partie lésée une réparation, prononcée en vertu de la loi de 1969 sur la réparation des dommages. Seules les deux dernières solutions entrèrent en jeu en l'espèce. Un tribunal peut, sur le fondement de l'article 253 du code pénal, annuler une déclaration diffamatoire dont la véracité n'a pas été établie. Les passages pertinents dudit article sont ainsi libellés : « 1. Lorsque la preuve de la véracité d'une allégation est recevable mais qu'aucun élément en ce sens n'a été produit, la partie lésée peut demander à ce que l'allégation soit annulée, sauf dispositions légales contraires. » « 1. Når det har vært adgang til å føre bevis for sannheten av en beskyldning og beviset ikke er ført, kan den fornærmete forlange at beskyldningen blir erklært død og maktesløs (mortifisert) dersom ikke annet følger av lov. » Pareille annulation ne peut intervenir que si l'assertion prétendument diffamatoire concerne des faits, car les jugements de valeur ne se prêtent pas à la démonstration de leur exactitude. Bien que les dispositions qui les régissent figurent dans le code pénal, les décisions annulant des déclarations ne passent pas pour des sanctions pénales mais pour des constats judiciaires que le défendeur n'a pas prouvé la véracité de ses propos, et elles peuvent donc être considérées comme des remèdes de droit civil. Depuis quelques années est débattue en Norvège la question de savoir s'il y a lieu d'abolir ces remèdes que constituent les décisions d'annulation ; celles-ci existent en droit norvégien depuis le XVIe siècle, et on les rencontre aussi en droit danois et islandais. Estimant qu'il s'agit d'une forme de sanction particulièrement légère, l'Association norvégienne des rédacteurs en chef en préconise le maintien. Une personne accusée de diffamation peut voir engager sa responsabilité si se trouvent réunies les conditions énoncées au chapitre 23 du code pénal, dont l'article 247 est ainsi libellé : « Article 247. Quiconque, par des paroles ou par des actes, se comporte d'une manière susceptible de nuire à la bonne renommée ou à la réputation d'autrui ou d'exposer autrui à la haine, au mépris ou à la perte de la confiance nécessaire à l'exercice de sa charge ou de sa profession, ou qui y contribue, est passible d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement d'un an au maximum. Si la diffamation a lieu par voie de publication ou de radiodiffusion, ou dans d'autres circonstances particulièrement aggravantes, une peine d'emprisonnement n'excédant pas deux ans peut être prononcée. » « § 247. Den som i ord eller handling optrer på en måte som er egnet til å skade en annens gode navn og rykte eller til å utsette ham for hat, ringeakt eller tap av den for hans stilling eller næring fornødne tillit, eller som medvirker dertil, straffes med bøter eller med fengsel inntil 1 år. Er ærekrenkelsen forøvet i trykt skrift eller i kringkastingssending eller ellers under særdeles skjerpende omstendigheter, kan fengsel inntil 2 år anvendes. » L'applicabilité de l'article 247 se trouve limitée par la condition que la déclaration litigieuse soit « illicite » (« rettsstridig »). L'article 246 pose expressément cette condition et la Cour suprême a interprété l'article 247 dans le même sens. Dans une affaire civile concernant le compte rendu publié par un journal avant procès, la Cour suprême a donné raison au quotidien, en invoquant la réserve de la légalité (rettsstridsreservasjonen), bien qu'elle ait jugé diffamatoires les déclarations litigieuses. Elle a considéré que, pour déterminer la portée de cette limite, il fallait accorder un poids particulier au point de savoir si l'affaire était d'intérêt général, eu égard à la nature des questions litigieuses et aux parties en cause. Il fallait en outre tenir compte du contexte dans lequel les déclarations avaient été faites. Il importait de savoir si le compte rendu avait présenté l'affaire avec sobriété et mesure et tendait à mettre en lumière la substance et l'objet de la cause (Norsk Retstidende 1990, p. 640). D'autres limites à l'application de l'article 247 sont contenues à l'article 249, dont la partie pertinente en l'espèce est ainsi libellée : « Article 249 1 Aucune sanction ne peut être infligée par application des articles 246 et 247 si la preuve de la véracité des accusations est rapportée. (...) » « § 249 Straff efter §§ 246 og 247 kommer ikke til anvendelse dersom det føres bevis for beskyldningens sannhet. (...) » En ce qui concerne la condition de preuve posée par l'article 249 § 1, le même critère vaut en principe autant pour une personne qui diffuse une déclaration diffamatoire que pour l'auteur de celle-ci. En droit norvégien, il n'apparaît pas précisément s'il y a lieu d'appliquer le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable, comme en droit pénal, ou celui de la probabilité, comme en droit civil. Les requérants font état d'un arrêt de la Cour suprême qui admet le critère appliqué par la juridiction inférieure dans une matière pénale de diffamation à propos d'allégations proférées au cours d'une émission de télévision et dans un journal, d'après lesquelles un avocat exerçant en cabinet avait recommandé à son épouse de commettre des infractions fiscales dans le cadre d'une vente immobilière. Compte tenu de la gravité de l'accusation, la Cour a jugé bon en l'occurrence d'appliquer le même critère de preuve que celui dont devrait user un procureur en cas de poursuites pénales pour fraude fiscale. Des auteurs majeurs estiment aussi que le bien-fondé d'une accusation diffamatoire de vol doit, pour pouvoir exonérer le défendeur de toute responsabilité, être prouvé selon le même critère que celui qui s'appliquerait à des poursuites pour vol. D'après le professeur Mæland, il serait raisonnable d'accroître la charge de la preuve selon la gravité de la déclaration diffamatoire. Le professeur Andenæs et le professeur Bratholm considèrent que, bien qu'il puisse y avoir de bonnes raisons d'imposer une charge stricte de la preuve dans les affaires de diffamation, il peut se justifier dans certaines circonstances d'appliquer un critère moins sctrict qu'en matière pénale, par exemple lorsque la victime de la diffamation s'est comportée d'une manière particulièrement répréhensible (voir H.J. Mæland, Ærekrenkelser, Universitetsforlaget, 1986, pp. 178-179 ; et J. Andenæs et A. Bratholm, Spesiell strafferett, Universitetsforlaget, 1983, p. 196). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Bladet Tromsø A/S et M. Pål Stensaas ont saisi la Commission (requête no 21980/93) le 10 décembre 1992. Ils alléguaient que le jugement du tribunal de district s'analysait en une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention et que cette disposition avait donc été méconnue. La Commission a retenu la requête le 26 mai 1997. Dans son rapport du 9 juillet 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut (par vingt-quatre voix contre sept) qu'il y a eu violation de l'article 10. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES À LA COUR A l'audience du 27 janvier 1999, le Gouvernement a, comme il l'avait fait dans son mémoire, invité la Cour à dire qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 10 de la Convention. Les requérants ont réitéré leur demande tendant à ce que la Cour constate une violation de l'article 10 et leur octroie une satisfaction équitable au titre de l'article 41.
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les faits litigieux Le requérant était, jusqu’en 1989, salarié dans le secteur privé en qualité notamment d’auditeur en gestion et comptabilité. Sur la base de l’expérience professionnelle ainsi acquise, il postula à une mission de coopération à l’étranger pour le compte de l’Etat français. Le ministère français de la Coopération et du Développement le recruta – par un contrat signé le 13 mars 1989 – en qualité de coopérant-conseiller technique du ministre de l’Economie, de la Planification et du Commerce de la Guinée équatoriale. En tant que chef de projet, il devait établir le budget des investissements de l’Etat pour 1990 et participer à l’élaboration du plan triennal et du programme triennal d’investissements publics en liaison avec les fonctionnaires guinéens et les organisations internationales. Le contrat stipulait que le requérant était mis à la disposition du gouvernement de la République de la Guinée équatoriale pour une durée de deux fois dix mois, entrecoupée d’un congé administratif calculé sur la base de cinq jours par mois de travail effectif. Le contrat fixait également les conditions de rémunération et renvoyait, pour le reste, aux dispositions réglementaires prises en application de la loi du 13 juillet 1972 (paragraphe 36 ci-dessous). Le 9 janvier 1990, à la suite de différends locaux, les autorités guinéennes remirent le requérant à la disposition des autorités françaises. Cela mit un terme au contrat à l’échéance du congé administratif (paragraphe 31 ci-dessous). Le ministère entendait conclure un nouveau contrat avec le requérant à l’issue de ce congé pour l’affecter au Gabon. Cela supposait la réunion de deux conditions préalables, exigées de tout postulant : l’agrément des autorités étrangères d’affectation et la vérification de l’aptitude médicale du postulant à servir à l’étranger. L’agrément des autorités gabonaises tardant à venir, le ministère de la Coopération et du Développement notifia au requérant – par une lettre du 2 février 1990 – la résiliation de son contrat et l’avertit de sa radiation subséquente des effectifs du ministère à compter du 15 mars 1990. L’agrément des autorités gabonaises fut ultérieurement donné pour un poste d’analyste financier au ministère de la Réforme du secteur public. Par une lettre du 7 février 1990, le ministère de la Coopération et du Développement en prit acte et déclara en conséquence nulle et non avenue la radiation annoncée le 2 février 1990. Le requérant fut alors convoqué à l’examen médical obligatoire d’aptitude. Le 22 février 1990, le médecin responsable du cabinet médical interministériel, spécialiste de médecine tropicale, examina le requérant et ordonna un complément de diagnostic psychiatrique. Au vu des résultats du diagnostic complémentaire, le médecin conclut, le 15 mars 1990, à l’inaptitude définitive de l’intéressé à servir à l’étranger. Le 23 mars 1990, le ministère de la Coopération et du Développement prit acte de cet avis et notifia en conséquence au requérant sa radiation des effectifs à compter du 15 mars 1990. B. La procédure litigieuse Le 16 mai 1990, le requérant déposa un recours devant le tribunal administratif de Paris aux fins d’annulation pour illégalité de la décision de radiation du 23 mars 1990. 18. Le 9 novembre 1990, le ministre de la Coopération et du Développement déposa des conclusions en défense. Par un jugement avant dire droit du 16 avril 1992, le tribunal administratif de Paris ordonna une expertise médicale aux fins de déterminer si le requérant était, en raison de son état de santé, inapte à l’exercice des fonctions de coopérant technique à l’étranger en mars 1990. Le 21 novembre 1992, l’expert déposa son rapport après avoir procédé, le 3 septembre 1992, à l’audition et à l’examen médico-psychologique et neuropsychiatrique du requérant. Il estima que la réaction administrative du ministère de la Coopération et du Développement avait été excessive et que l’état de santé du requérant ne le rendait pas inapte à la reprise de ses fonctions après un arrêt maladie de trois mois, à l’issue duquel il aurait pu passer une visite médicale. Le 22 décembre 1992, le requérant déposa des conclusions indemnitaires. Il sollicita la condamnation de l’Etat à lui verser deux indemnités, l’une d’un montant de 550 000 francs français (FRF), montant qu’il estimait être égal à la rémunération qu’il aurait perçue s’il était resté en poste, et l’autre d’un montant de 500 000 FRF à titre de réparation du préjudice personnel, moral et financier qu’il estimait avoir subi du fait de sa radiation. Par une ordonnance du 4 janvier 1993, le tribunal administratif de Paris fixa le montant de la somme due au titre des frais d’expertise. Par une ordonnance du 1er mars 1993, le tribunal administratif de Paris corrigea une erreur matérielle contenue dans le dispositif de l’ordonnance. Le 8 mars 1993, le ministre de la Coopération et du Développement présenta ses observations sur le rapport d’expertise. Le 14 avril 1993, le requérant déposa ses conclusions en réponse. Le 3 mai 1993, le ministre de la Coopération et du Développement présenta ses conclusions en réponse aux conclusions indemnitaires du requérant du 22 décembre 1992. Il y contestait le bien-fondé des prétentions du requérant. Les 14 septembre et 4 octobre 1994, le ministre de la Coopération et du Développement déposa de nouvelles conclusions et des pièces. Le 13 décembre 1994, le requérant déposa des conclusions en réponse. L’affaire fut inscrite au rôle de l’audience du 19 janvier 1995. Le 9 janvier 1995, le requérant fut avisé du report de l’affaire à une date à fixer ultérieurement. Les 11 et 18 janvier 1995, le ministre de la Coopération et du Développement présenta des observations complémentaires et des pièces. Le 16 février 1995, le requérant présenta des observations en réponse. 31. Par un jugement du 23 octobre 1997, suivant une audience du 25 septembre 1997, le tribunal administratif de Paris rejeta la requête du requérant, tant en ce qu’elle visait l’annulation de la décision de radiation qu’en ce qu’elle visait le versement d’indemnités. Le tribunal s’exprima notamment comme suit : « (...) Sur les conclusions aux fins d’annulation de la décision du ministre de la coopération en date du [23] mars 1990 Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des pièces du dossier que le contrat liant M. Pellegrin à l’Etat pour servir en Guinée en qualité de coopérant a été résilié à la suite de la remise de l’intéressé à disposition de l’Etat français par les autorités équato-guinéennes ; que si, par lettre du 7 février 1990, le ministre a annulé la décision en date du 2 février 1990 fixant au 15 mars 1990 la radiation des effectifs du ministère, et ce dans la perspective de la conclusion d’un nouveau contrat, il n’a pas entendu remettre en vigueur le contrat affectant M. Pellegrin en Guinée, dès lors que celui-ci se trouvait résilié de plein droit du fait de la remise à disposition de l’intéressé par l’Etat étranger ; que, par suite, M. Pellegrin n’est pas fondé à soutenir que la décision du [23] mars 1990 aurait illégalement retiré la décision en date du 7 [février] 1990 ; Considérant, en deuxième lieu, qu’en fixant au 15 mars 1990 la radiation de l’intéressé des effectifs du ministère, le ministre n’a fait que tirer les conséquences de l’expiration à cette date du contrat affectant M. Pellegrin en Guinée, et de l’absence de conclusion d’un nouveau contrat ; que, par suite, il n’a entaché sa décision d’aucune rétroactivité illégale ; (...) Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte du rapport d’expertise en date du 21 novembre 1992 que M. Pellegrin ne remplissait pas, à la date du [23] mars 1990, les conditions d’aptitude physique pour exercer des fonctions outre-mer ; que, par suite, M. Pellegrin n’est pas fondé à soutenir que la décision du [23] mars 1990, qui s’est fondée sur l’avis d’inaptitude (...) pour refuser à M. Pellegrin le bénéfice d’un nouveau contrat de coopération au Gabon, est entachée d’erreur d’appréciation ; (...) Sur les conclusions aux fins indemnitaires Considérant qu’il résulte du rejet des conclusions aux fins d’annulation de la décision du [23] mars 1990 que M. Pellegrin n’est fondé à se prévaloir d’aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l’Etat ; que, par suite, les conclusions tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant de la décision du [23] mars 1990 doivent être rejetées ; (...) » Le 16 janvier 1998, le requérant interjeta appel du jugement notifié le 13 janvier 1998 et déposa des conclusions. Le 10 juin 1998, le ministre de la Coopération et du Développement déposa un mémoire. Le 30 juin 1998, le requérant déposa un mémoire complémentaire. L’affaire est pendante devant la cour administrative d’appel de Paris. II. éléments pertinents de droit interne Loi n° 72-659 du 13 juillet 1972 relative à la situation du personnel civil de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d’Etats étrangers Les dispositions pertinentes de la loi régissant la situation du personnel civil de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d’Etats étrangers (qui a fait l’objet de deux décrets d’application en date du 25 avril 1978) prévoient : Article 1er « Les personnels civils auxquels l’Etat fait appel, pour accomplir hors du territoire français des missions de coopération culturelle, scientifique et technique auprès d’Etats étrangers, notamment en vertu d’accords conclus par la France avec ces Etats, sont régis par les dispositions de la présente loi (...) » Article 3 « Sous réserve des règles propres à l’exercice des fonctions judiciaires, les personnels visés par la présente loi servent, pendant l’accomplissement de leurs missions, sous l’autorité du Gouvernement de l’Etat étranger ou de l’organisme auprès duquel ils sont placés, dans des conditions arrêtées entre le Gouvernement français et les autorités étrangères intéressées. Ils sont tenus aux obligations de convenance et de réserve résultant de l’exercice de fonctions sur le territoire d’un Etat étranger et inhérentes au caractère de service public des missions qu’ils accomplissent (...). Il leur est interdit de se livrer à tout acte et à toute manifestation susceptible de nuire à l’Etat français, à l’ordre public local ou aux rapports que l’Etat français entretient avec les Etats étrangers. En cas de manquement aux obligations visées aux deux alinéas précédents, il peut, sans formalités préalables, être mis fin immédiatement à leur mission sans préjudice des procédures administratives susceptibles d’être engagées lors de leur retour en France. » III. éléments de droit comparé : l’approche du droit communautaire en matière d’agents publics « Libre circulation des travailleurs et accès aux emplois dans l’administration publique des Etats membres – Action de la Commission en matière d’application de l’article 48 paragraphe 4 du traité CEE » (Communication de la Commission européenne publiée au JOCE n° C 72 du 18 mars 1988) Le traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957 (« le traité CEE ») prévoit, en son article 48 § 4, une dérogation au principe de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté pour les « emplois dans l’administration publique ». La Cour de justice des Communautés européennes a développé une interprétation restrictive de cette dérogation. Dans son arrêt Commission c. Belgique du 17 décembre 1980 (n° 149/79, Recueil p. 3881), elle a décidé que la dérogation ne concernait que les emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions ayant pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques, et qui supposent ainsi, de la part de leurs titulaires, l’existence d’un rapport particulier de solidarité avec l’Etat ainsi que la réciprocité de droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité. La Commission européenne, à laquelle le traité CEE a confié la tâche d’assurer l’application correcte des règles communautaires, a relevé qu’un nombre important d’emplois susceptibles de tomber sous le coup de la dérogation sont, en réalité, sans rapport avec l’exercice de la puissance publique et la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat. Dans une communication du 18 mars 1988, elle a entrepris d’énumérer, d’un côté, les activités couvertes par la dérogation et, d’un autre, les activités qui ne le sont pas. Elle a ainsi établi deux catégories d’activités distinctes selon qu’elles sont considérées comme relevant ou non d’« une participation, directe ou indirecte, à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ». Il s’agit des catégories suivantes : « Activités spécifiques de la fonction publique nationale exclues [du bénéfice de la libre circulation des travailleurs] En se fondant sur l’état actuel de la jurisprudence de la Cour et en tenant compte des conditions actuelles de la construction du marché unique, la Commission estime que la dérogation établie par l’article 48 paragraphe 4 vise les fonctions spécifiques de l’Etat et des collectivités assimilables telles que les forces armées, la police et les autres forces de l’ordre ; la magistrature ; l’administration fiscale et la diplomatie. En outre, sont considérés aussi couverts par cette exception, les emplois relevant des ministères de l’Etat, des gouvernements régionaux, des collectivités territoriales et autres organismes assimilés, des banques centrales dans la mesure où il s’agit du personnel (fonctionnaires et autres agents) qui exerce les activités ordonnées autour d’un pouvoir juridique public de l’Etat ou d’une autre personne morale de droit public telles que l’élaboration des actes juridiques, la mise en exécution de ces actes, le contrôle de leur application et la tutelle des organismes indépendants (...) Activités concernées par l’action dans le secteur des services publics La Commission estime que les tâches et responsabilités caractérisant les emplois relevant de certaines structures nationales apparaissent manifestement comme étant en général suffisamment éloignées des activités spécifiques de l’administration publique telles que définies par la Cour de justice, pour qu’elles ne puissent que très exceptionnellement relever de l’exemption prévue à l’article 48 paragraphe 4 du traité CEE. Dès lors, la Commission entend porter en priorité son action systématique sur les secteurs suivants : – les organismes chargés de gérer un service commercial (par exemple : transports publics, distribution d’électricité ou de gaz, compagnies de navigation aérienne ou maritime, postes et télécommunications, organismes de radio-télédiffusion), – les services opérationnels de santé publique, – l’enseignement dans les établissements publics, – la recherche à des fins civiles dans les établissements publics. En effet, pour chacune de ces activités on constate soit qu’elle existe également dans le secteur privé, auquel cas l’article 48 paragraphe 4 ne s’applique pas, soit qu’elle peut être exercée dans le secteur public en dehors des conditions de nationalité (...) » Pour cette dernière catégorie, la Commission a réservé aux Etats la possibilité de démontrer que, pour un emploi précis, il existe un rapport avec des activités spécifiques de l’administration publique, ce qui justifie, par exception, l’application de la dérogation. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes La Cour de justice a appliqué et développé ces principes dans plusieurs arrêts. Dans son arrêt Commission européenne c. Grand-Duché de Luxembourg du 2 juillet 1996 (C-473/93, Rec. p. I-3248), elle s’est exprimée comme suit : « § 27 (...) pour déterminer si des emplois entrent dans le champ d’application de l’article 48, paragraphe 4, du traité, il convient de rechercher s’ils sont ou non caractéristiques des activités spécifiques de l’administration publique en tant qu’elle est investie de l’exercice de la puissance publique et de la responsabilité pour la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques. Pour cette raison, le critère d’applicabilité de l’article 48, paragraphe 4, du traité doit être fonctionnel et tenir compte de la nature des tâches et responsabilités que comporte l’emploi, en vue d’éviter que l’effet utile et la portée des dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs et à l’égalité de traitement des ressortissants de tous les Etats membres soient limités par des interprétations de la notion d’administration publique tirées du seul droit national et qui feraient échec à l’application des règles communautaires (arrêt du 3 juin 1986, Commission c/France, 307/84, Rec. p. 1725, point 12) (...) § 31 (...) la généralité des emplois dans les secteurs de la recherche, de la santé, des transports terrestres, des postes et télécommunications, ainsi que dans les services de distribution d’eau, de gaz et d’électricité, sont éloignés des activités spécifiques de l’administration publique, parce qu’ils ne comportent pas une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique ni aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques (voir, notamment, arrêts Commission/France, précité, relatif au secteur de la santé, et du 16 juin 1987, Commission/Italie, 225/85, Rec. p. 2625, relatif au secteur de la recherche effectuée à des fins civiles) (...) § 33 (...) la Cour a déjà indiqué que les conditions très strictes auxquelles doivent satisfaire les emplois pour relever de l’exception prévue à l’article 48, paragraphe 4, du traité ne sont pas remplies dans le cas des enseignants stagiaires (arrêt du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum, 66/85, Rec. p. 2121, point 28), des lecteurs de langues étrangères (arrêt du 30 mai 1989, Allué et Coonan, 33/88, Rec. p. 1591, point 9), ainsi que des professeurs de l’enseignement secondaire (arrêt du 27 novembre 1991, Bleis, C-4/91, Rec. p. I-5627, point 7). § 34 La même constatation s’impose, pour des motifs identiques, à l’égard des enseignants de l’enseignement primaire (...) » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pellegrin a saisi la Commission le 8 juillet 1995. Il se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il invoquait également les articles 3 et 13. Le 21 mai 1997, la Commission a retenu en partie la requête (n° 28541/95). Dans son rapport du 17 septembre 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (par dix-huit voix contre quatorze). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à titre principal à la Cour de rejeter la requête introduite par M. Pellegrin pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention. A titre subsidiaire, il s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure. De son côté, le requérant invite la Cour à constater une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et à lui allouer une satisfaction équitable.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
M. Karlheinz Beer, ressortissant allemand né en 1952, est domicilié à Darmstadt. M. Philip Regan, ressortissant britannique né en 1960, réside à Londres, au Royaume-Uni. I. LES CIRCONSTANCES de l’espèce En 1982, le premier requérant, ingénieur employé par la société française S., fut mis à la disposition de l'Agence spatiale européenne pour des prestations de services au Centre européen d'opérations spatiales à Darmstadt. Son contrat fut par la suite repris par T., une autre société française. Le second requérant, programmeur-systèmes employé par la société italienne T.I., fut mis à la disposition de l'Agence spatiale européenne en 1991, également pour fournir des prestations de services au Centre européen d'opérations spatiales à Darmstadt. L'Agence spatiale européenne (« ASE »), dont le siège se trouve à Paris, créée à partir de l'Organisation européenne de recherches spatiales (« CERS ») et de l'Organisation européenne pour la mise au point et la construction de lanceurs d'engins spatiaux (« CECLES »), fut instituée par la Convention du 30 mai 1975 portant création d'une agence spatiale européenne (« Convention de l’ASE », Recueil des traités des Nations unies 1983, vol. 1297, I – n° 21524). Elle gère à Darmstadt le Centre européen d'opérations spatiales (« ESOC »), organisme au demeurant indépendant (Accord de 1967 relatif au Centre européen d'opérations spatiales – Journal officiel (Bundesgesetzblatt) II n° 3, 18.1.1969). En octobre et novembre 1993, les requérants engagèrent devant le tribunal du travail (Arbeitsgericht) de Darmstadt une procédure contre l'ASE, faisant valoir qu'en vertu de la loi allemande sur le prêt de main-d’œuvre (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz), ils avaient acquis le statut d'agents de cette organisation. Dans ses observations, le second requérant précisa que son employeur, T.I., l'avait licencié par courrier du 27 septembre 1993. 14. Dans les procédures respectives, l'ASE invoqua l'immunité de juridiction dont elle jouissait en vertu de l'article XV § 2 de la Convention de l’ASE et de son annexe I. Le 21 mars 1995, le tribunal du travail de Darmstadt, à l'issue d'audiences, déclara les demandes des requérants irrecevables. Dans ses deux décisions, le tribunal estima que l'ASE avait valablement invoqué son immunité de juridiction. Renvoyant à l'article 20 § 2 de la loi sur l'organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz), selon lequel l'immunité de juridiction pouvait être prévue notamment par des accords internationaux, il considéra que l’ASE jouissait d'une telle immunité en vertu de l'article XV § 2 de la Convention de l’ASE et de son annexe I. Dans son raisonnement, il estima en particulier que l'ASE avait été instituée en 1975 comme une organisation internationale nouvelle et indépendante. Il rejeta donc l’argument des requérants selon lequel l’ASE était liée par l’article 6 § 2 de l’Accord relatif à l’ESOC, qui avait soumis le CERS à la juridiction allemande en ce qui concernait les litiges avec son personnel qui ne relèveraient pas de la compétence de sa Commission de recours. Le tribunal rappela en outre que la Cour fédérale du travail (Bundesarbeitsgericht), dans son arrêt du 10 novembre 1993 en une affaire analogue (numéro de dossier 7 AZR 600/92 ; voir l’arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne du 18 février 1999, à paraître dans le recueil officiel de la Cour, §§ 21-25), avait conclu que les dispositions litigieuses ne se heurtaient pas aux principes fondamentaux du droit constitutionnel allemand. Eu égard aux décisions rendues dans les affaires de MM. Waite et Kennedy, les requérants ne firent pas appel. La procédure que le second requérant engagea devant le tribunal du travail de Darmstadt pour contester son licenciement par la société T.I. (paragraphe 13 ci-dessus) aboutit, le 6 septembre 1994, à un règlement amiable selon lequel le contrat de l’intéressé avait pris fin le 31 décembre 1993 et la société s’engageait à verser la somme de 22 000 marks (DEM) pour perte d’emploi. Aux termes d’un accord conclu le 20 juin 1995 avec le premier requérant et qui mettait fin à son contrat de travail à compter du 30 juin 1995, la société T. s’engagea à verser à l’intéressé la somme de 14 000 DEM au titre des frais d’avocat exposés dans le cadre de la procédure relative à son licenciement qui s’était déroulée devant les juridictions du travail et 305 000 DEM pour perte d’emploi. II. LE droit PERTINENT La loi sur le prêt de main-d’œuvre Selon l'article 1 § 1 1) de la loi sur le prêt de main-d’œuvre (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz), tout employeur qui, à des fins professionnelles (gewerbsmäßig), envisage de mettre ses employés à la disposition d'un tiers, c'est-à-dire un utilisateur (Entleiher), a besoin d’une autorisation. L'article 1 § 9 1) dispose que le contrat entre le prêteur de main-d’œuvre (Verleiher) et l'utilisateur, ainsi qu'entre le prêteur et le travailleur temporaire (Leiharbeitnehmer) est nul en l'absence de l’autorisation exigée par l’article 1 § 1 1). Lorsque le contrat entre le prêteur et le travailleur temporaire est nul en vertu de l’article 1 § 9 1), un contrat entre l'utilisateur et le travailleur temporaire est réputé exister (gilt als zustande gekommen) à compter de la date envisagée pour le début de l'emploi (article 1 § 10 1) 1). L'article 1 § 10 2) prévoit en outre la possibilité pour le travailleur temporaire, sauf s'il avait connaissance des motifs de nullité du contrat, d'engager une action en réparation contre le prêteur pour tout dommage qu’il a subi pour s'être fondé sur la validité du contrat. L’immunité de juridiction Les articles 18 à 20 de la loi allemande sur l’organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz) régissent l'immunité de juridiction (Exterritorialität) devant les tribunaux allemands. Les articles 18 et 19 visent les membres des missions diplomatiques et consulaires, et l'article 20 § 1 d'autres représentants d'Etats présents en Allemagne à l'invitation du gouvernement allemand. Conformément à l'article 20 § 2, d'autres personnes jouissent de l'immunité de juridiction en vertu des règles du droit international général, d'accords internationaux ou d'autres dispositions légales. La Convention de l’ASE La Convention de l’ASE est entrée en vigueur le 30 octobre 1980, date à laquelle dix Etats, membres du CERS ou du CECLES, l’ont signée et ont déposé leurs instruments de ratification ou d’acceptation. L'Agence a pour mission d'assurer et de développer, à des fins exclusivement pacifiques, la coopération entre Etats européens dans les domaines de la recherche et de la technologie spatiales et de leurs applications spatiales, en vue de leur utilisation à des fins scientifiques et pour des systèmes spatiaux opérationnels d'applications (article II). Pour l'exécution des programmes qui lui sont confiés, l'Agence maintient la capacité interne nécessaire à la préparation et à la supervision de ses tâches et, à cette fin, crée et fait fonctionner les établissements et installations qui sont nécessaires à ses activités (article VI § 1 a)). L'article XV porte sur le statut juridique, les privilèges et les immunités de l'Agence. Selon le paragraphe 1, l'Agence a la personnalité juridique. Le paragraphe 2 prévoit que l'Agence, les membres de son personnel et les experts, ainsi que les représentants de ses Etats membres, jouissent de la capacité juridique, des privilèges et des immunités prévus à l'annexe I. Des accords concernant le siège de l'Agence et les établissements créés conformément à l'article VI sont conclus entre l'Agence et les Etats membres sur le territoire desquels sont situés son siège et lesdits établissements (article VI § 3). L'article XVII a trait à la procédure d'arbitrage ouverte en cas de différend entre deux ou plusieurs Etats membres, ou entre un ou plusieurs d’entre eux et l'Agence, au sujet de l'interprétation ou de l'application de la Convention de l'ASE ou de ses annexes, ainsi que de tout différend relatif à un dommage causé par l’Agence ou impliquant une autre responsabilité de celle-ci (article XXVI de l'annexe I) qui n’auront pas été réglés par l'entremise du Conseil. L’article XIX dispose qu’à la date d’entrée en vigueur de la Convention de l’ASE, l’Agence reprend l’ensemble des droits et obligations du CERS. L'annexe I concerne les privilèges et immunités de l'Agence. Selon l'article premier de l'annexe I, l'Agence a la personnalité juridique ; elle a notamment la capacité de contracter, d'acquérir et d'aliéner des biens immobiliers et mobiliers, ainsi que d'ester en justice. Conformément à l'article IV § 1 a) de l'annexe I, l'Agence bénéficie de l'immunité de juridiction et d'exécution, sauf dans la mesure où, par décision du Conseil, elle y renonce expressément dans un cas particulier ; le Conseil a le devoir de lever cette immunité dans tous les cas où son maintien est susceptible d'entraver l'action de la justice et où elle peut être levée sans porter atteinte aux intérêts de l'Agence. Selon l'article XXV de l'annexe I, le recours à l'arbitrage est prévu dans tous contrats écrits autres que ceux conclus conformément au statut du personnel. En outre, tout Etat membre peut saisir le tribunal d'arbitrage international visé à l'article XVII de la Convention de l’ASE de tout différend relatif, notamment, à un dommage causé par l'Agence ou impliquant toute autre responsabilité extracontractuelle de celle-ci. Conformément à l'article XXVII de l'annexe I, l'Agence prend les dispositions appropriées en vue du règlement satisfaisant des litiges éventuels entre l'Agence et le Directeur général, les membres du personnel ou les experts au sujet de leurs conditions de service. Le titre VIII du Statut du personnel de l’ASE (articles 33 à 41) traite des litiges au sein de l’Agence. Quant à la compétence de la Commission de recours, l’article 33 prévoit : « 33.1 Il est institué une Commission de recours indépendante de l’Agence qui connaît des litiges relatifs à toute décision explicite ou implicite prise par l’Agence et l’opposant à un membre du personnel en fonctions, un ancien membre du personnel ou ses ayants droit. 2 La Commission annule la décision qui fait l’objet du recours si elle est contraire à la Réglementation applicable au personnel, aux conditions d’engagement de l’intéressé ou à ses droits acquis, dès lors qu’elle porte atteinte à un intérêt personnel et direct du requérant. 3 La Commission de recours peut également condamner l’Agence à réparer tout dommage subi par le requérant à la suite de la décision visée au paragraphe 33.2. 4 Si l’Agence – ou le requérant – fait valoir que l’exécution d’une décision d’annulation soulèverait d’importantes difficultés, la Commission de recours peut, si elle estime cet argument valable, allouer au requérant une indemnité en raison du préjudice subi. 5 La Commission de recours est également compétente dans le cas où un membre du personnel désire intenter une action en justice contre un autre membre du personnel et lorsque cette action a été empêchée par le refus du Directeur général de lever l’immunité de juridiction du membre du personnel en cause. 6 La Commission de recours a également compétence pour statuer sur les litiges relatifs à sa juridiction telle qu’elle est définie dans le présent Statut, ou sur toute question de procédure. » L’Accord relatif à l’ESOC Cet Accord a été conclu entre le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le CERS aux fins de l’établissement d’un Centre européen d’opérations spatiales, comprenant le Centre européen de données spatiales. Les articles 1 à 4 concernent le site de construction des bâtiments de l’ESOC et des questions connexes. Le titre III de l’Accord renferme des dispositions générales. L’article 6 est ainsi libellé : « 1. Sous réserve des dispositions du Protocole sur les Privilèges et les Immunités de l’Organisation et de tout accord complémentaire conclu entre la République Fédérale d’Allemagne et l’Organisation conformément à l’Article 30 dudit Protocole, l’activité de l’Organisation dans la République Fédérale d’Allemagne est régie par le droit allemand. Lorsque les conditions d’emploi d’un agent de l’Organisation ne sont pas réglées par le Statut du Personnel de l’Organisation, elles seront assujetties aux lois et règlements allemands. Les conflits entre l’Organisation et son personnel dans la République Fédérale d’Allemagne qui n’est pas soumis à la compétence de la Commission de recours de l’Organisation, seront soumis à la juridiction allemande. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Beer et Regan ont saisi la Commission le 13 septembre 1995. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, ils se plaignaient de s’être vu refuser l’accès à un tribunal qui eût statué sur leur différend avec l’ASE à propos de prétentions fondées sur le droit du travail allemand. La Commission a retenu la requête (n° 28934/95) le 24 février 1997. Dans son rapport du 2 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (dix-sept voix contre quinze). CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour « de rejeter les requêtes comme irrecevables ou, à titre subsidiaire, de déclarer que la République fédérale d’Allemagne n’a pas violé l’article 6 de la Convention ». Les requérants invitent la Cour à constater une violation des droits que leur reconnaît l’article 6 § 1 de la Convention et à leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’ancien article 50 de la Convention (nouvel article 41).
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le requérant Le requérant est un ressortissant turc né en 1957 et résidant à Istanbul. A l'époque des faits, il était l'actionnaire majoritaire de la société turque à responsabilité limitée Deniz Basın Yayın Sanayi ve Ticaret Organizasyon, qui possède la revue hebdomadaire Haberde Yorumda Gerçek (Nouvelles et commentaires : la vérité), publiée à Istanbul. B. Les publications incriminées Dans le numéro 51 du 13 mars 1993 de la revue fut publié un point de vue intitulé « Le retour de Kawa et Dehak ». L'article analysait les événements susceptibles de se produire lors de la fête de Newroz qui devait se tenir peu après. Les passages pertinents de ce commentaire se traduisent ainsi : « (...) C'est la semaine de Newroz au Kurdistan. C'est durant cette période que se révèle le plus l'opposition entre les exigences du peuple kurde et l'absence de tolérance face à l'expression de ces exigences. La tradition de la rébellion se réveille. Dehak et Kawa se sont réincarnés. Le temps est venu de régler les comptes. Kawa n'a rien de flou. Toutes les montagnes, toutes les villes sont pleines de Kawa. Il y en a des millions. Bon, mais qui est Dehak ? Qui pourrait incarner son personnage aujourd'hui ? Demirel ? Güreş ? Le gouverneur régional ? Ou le nouveau commandant Ilter ? Cette fois, Dehak est-il personnifié par chaque chef luttant contre l'insurrection, par chaque combattant réprimant l'insurrection, chaque membre des forces spéciales ou chaque commissaire de police ? Dehak est-il lui aussi tombé dans l'anonymat ? Quoi qu'il en soit, Dehak et Kawa vont régler leurs comptes une fois encore. (...) L'année dernière, une publication révolutionnaire décrivait les jours précédant la fête de Newroz en ces termes : « Actuellement, plus de deux cent mille soldats sont massés au Kurdistan, où des chars et des armes ont été envoyés. Les bombes pleuvent sur les villages et les montagnes kurdes. Le chef d'état-major a passé en revue les préparatifs de l'offensive. Des instructions sont adressées aux gouverneurs de provinces et de districts, aux chefs des équipes spéciales, aux chefs de la police et de l'armée. Le chef des services de renseignements (MIT) prévoit que beaucoup de sang sera versé. Les députés organisent des voyages d'information afin de prendre le pouls de la population. » (...) Contrairement aux années précédentes, l'assemblée nationale du Kurdistan, à tendance pro-PKK, devrait cette année jouer elle aussi un rôle pendant la fête de Newroz. (...) Par ailleurs, des mesures d'exception sont appliquées dans les grandes villes situées en dehors du Kurdistan abritant de fortes populations kurdes, où il est très probable que les quartiers kurdes seront le théâtre de manifestations de grande ampleur. » Dans le même numéro, et dans le cadre du point de vue ci-dessus, parut aussi un entretien de l'agence de presse kurde avec un représentant du Front national de libération du Kurdistan (« ERNK »), l'aile politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (« PKK »). Ces deux organisations sont illégales en Turquie. La partie pertinente de l'entretien est rédigée comme suit : « (...) Nous soulignons cette conclusion, nous tenons même à insister dessus. Nous en appelons à tous les pays européens. Nous sommes ouverts à toute solution, humanitaire ou politique, y compris tout appel à un armistice. Le PKK et la lutte qu'il mène ne sont en aucun cas des mouvements terroristes. Il faut oublier définitivement cette conception erronée et aller dans la direction de la coopération et du soutien. Le véritable terroriste, c'est la République de Turquie. Nous pensons que les attitudes à cet égard seront bien éclaircies cette année, que des dialogues très positifs s'instaureront et que, progressivement, la République de Turquie sera de plus en plus isolée. » C. Les mesures prises par les autorités La saisie de la revue Le 14 mars 1993, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul (İstanbul Devlet Güvenlik Mahkemesi) ordonna la saisie de tous les exemplaires du numéro 51 de la revue au motif qu'il diffusait de la propagande séparatiste. Les chefs d'accusation Par un acte du 22 avril 1993, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul inculpa le requérant, en sa qualité de propriétaire de la revue, de propagande contre l'indivisibilité de l'Etat, pour avoir publié le point de vue ci-dessus ainsi qu’une déclaration de l'ERNK (paragraphe 12 ci-dessus). Il s'appuyait respectivement sur les articles 8 et 6 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi de 1991 » – paragraphes 24 et 25 ci-dessous). La procédure devant la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul Le requérant réfuta les accusations lors de la procédure devant la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul. Il affirma que le point de vue litigieux ne tombait pas sous le coup de l'article 8 de la loi de 1991, arguant que débattre des actions que le PKK était susceptible de mener durant les célébrations de Newroz ne saurait être assimilé à la publication de la déclaration d'une organisation terroriste au sens de l'article 6 de la loi de 1991. Concernant la liberté d'expression, il invoqua l'article 10 de la Convention ainsi que la jurisprudence de la Commission et de la Cour. Il soutint que le pluralisme des opinions, y compris celles qui choquent ou offensent, est essentiel dans une société démocratique et que les dispositions des articles 6 et 8 de la loi de 1991 limitent le droit à la liberté d'expression, au mépris de la Constitution turque et des critères définis dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour. La condamnation du requérant Dans un arrêt du 27 septembre 1993, la cour de sûreté de l'Etat jugea le requérant coupable au titre de l'article 8 § 2 de la loi de 1991, et le condamna à une amende de 100 millions de livres turques (TRL) qu’elle réduisit par la suite à 83 333 333 TRL eu égard à la bonne conduite de l’intéressé durant le procès. Dans ses attendus, la cour de sûreté de l'Etat estima que le point de vue incriminé était contraire à l'article 8 de la loi de 1991. Elle conclut que cet article, qui qualifiait de « Kurdistan » une certaine partie du territoire turc et de « Kurdes » une fraction de la population, diffusait de la propagande contre l'indivisibilité de l'Etat turc. Elle jugea en outre que la revue avait aussi publié la déclaration d'une organisation terroriste illégale qualifiant la République turque d'Etat terroriste. Toutefois, estimant que cette déclaration faisait partie du point de vue en cause et vu l'article 79 du code pénal turc, elle conclut qu'il n'existait pas de chef d'accusation distinct au titre de l'article 6 de la loi de 1991. Le pourvoi formé par le requérant Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Il réitéra notamment les arguments qu'il avait invoqués pour sa défense devant la cour de sûreté de l'Etat. Le 8 février 1994, la Cour de cassation le débouta, confirmant la pertinence du raisonnement et de l'appréciation des preuves effectuée par la cour de sûreté de l'Etat. Le 29 novembre 1995, le requérant acquitta la dernière mensualité de l'amende qui lui avait été infligée. La suite des événements A la suite des amendements apportés à la loi de 1991 par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 (paragraphes 24 et 25 ci-dessous), la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul réexamina d'office l'affaire. Le 22 avril 1996, elle conclut que ces amendements ne s'appliquaient pas dans le cas du requérant car sa peine avait déjà été exécutée. II. le droit interne pertinent A. Le droit pénal Le code pénal (loi n° 765) Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi libellées : Article 36 § 1 « En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l’objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (…) » Article 79 « Quiconque enfreint diverses disposition du présent code par un acte unique est sanctionné en vertu de la disposition qui prescrit la peine la plus lourde. » La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse Les clauses pertinentes de la loi de 1950 sont libellées comme suit : Article 3 « Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers. Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la diffusion, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir. Le délit de presse n'est constitué que s'il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. » La loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme Les dispositions pertinentes de la loi de 1991 sont libellées en ces termes : Article 6 « Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque déclare, oralement ou dans une publication, que des organisations terroristes commettront une infraction contre une personne, en divulguant ou non son (…) identité mais de manière qu’on puisse l’identifier, ou dévoile l’identité de fonctionnaires ayant participé à des missions de lutte contre le terrorisme ou, pareillement, désigne une personne comme cible. Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque imprime ou publie des déclarations et tracts d’organisations terroristes. (…) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes précédemment réalisées par le dernier numéro du périodique si celui-ci est mensuel ou paraît moins fréquemment, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cinquante millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur.» Article 8 (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. » Lorsque le crime de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. » Article 8 (tel que modifié par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d'un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (…). (…) » La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification des articles 8 et 13 de la loi n° 3713 Les amendements ci-dessous ont été apportés à la loi de 1991 à la suite de l'adoption de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 : Disposition provisoire relative à l’article 2 « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4 et 6 de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » Le code de procédure pénale (loi n° 1412) Le code de procédure pénale contient les dispositions suivantes : Article 307 « Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi. La non-application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi. » Article 308 « La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous : 1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ; 2- si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ; (…) » B. Jurisprudence pénale soumise par le Gouvernement Le Gouvernement a produit copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d'Istanbul à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité – notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion – (article 312 du code pénal) ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713 – paragraphe 23 ci-dessus). S’agissant des cas où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des affaires en cause, le parquet s’est fondé notamment sur la prescription de l’action publique, l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes. En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat quant aux infractions susmentionées et concluant à la non-culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts suivants : 19 novembre (n° 1996/428) et 27 décembre 1996 (n° 1996/519), 6 mars (n° 1997/33), 3 juin (n° 1997/102), 17 octobre (n° 1997/527), 24 octobre (n° 1997/541) et 23 décembre 1997 (n° 1997/606), 21 janvier (n° 1998/8), 3 février (n° 1998/14), 19 mars (n° 1998/56), 21 avril (n° 1998/87) et 17 juin 1998 (n° 1998/133). Pour ce qui concerne plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction, ou par le caractère objectif des propos tenus en l’occurrence. C. Les cours de sûreté de l’Etat La Constitution Les dispositions constitutionnelles régissant l'organisation judiciaire des cours de sûreté de l'Etat sont ainsi libellées : Article 138 §§ 1 et 2 « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Nul organe, nulle autorité (…) nulle personne ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires, ni leur faire des recommandations ou suggestions. » Article 139 § 1 « Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu'ils n'y consentent (…) » Article 143 §§ 1-5 « Il est institué des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d’un procureur et d’un nombre suffisant de substituts. Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires. Les présidents et les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable. La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. (...) » Article 145 § 4 « Le contentieux militaire (…) le statut personnel des juges militaires (…) est fixé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent et des impératifs du service militaire. La loi détermine en outre les rapports des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) » La loi n° 2845 instituant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles Fondées sur l'article 143 de la Constitutions, les clauses pertinentes de la loi n° 2845 sur les cours de sûreté de l'Etat disposent : Article 1 « Dans les chefs-lieux des provinces de (…) sont instituées des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.» Article 3 « Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président et de deux membres titulaires, ainsi que de deux membres suppléants. » Article 5 « Le président de la cour de sûreté de l’Etat ainsi que l’un des [deux] titulaires et l’un des [deux] suppléants (…) sont choisis parmi les juges (...) civils, les autres membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires de premier rang (...) » Article 6 §§ 2 et 6 « La nomination des membres titulaires et suppléants choisis parmi les juges militaires se fait selon la procédure prévue par la loi sur les magistrats militaires. Sous réserve des exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne peuvent être affectés sans leur consentement à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…). (…) Si à l’issue d’une instruction menée, selon les lois les concernant, à l’encontre d'un président, d'un membre titulaire ou d'un membre suppléant d'une cour de sûreté de l’Etat, des comités ou autorités compétents décident qu'il y a lieu de changer le lieu d’exercice des fonctions de l'intéressé, ce lieu ou les fonctions elles-mêmes (…) peuvent être modifiés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. » Article 9 § 1 a) « Les cours de sûreté de l’Etat sont compétentes pour connaître des infractions a) visées à l’article 312 § 2 (…) du code pénal turc, (…) d) en rapport avec les événements ayant nécessité la proclamation de l’état d’urgence, dans les régions où l’état d’urgence a été décrété en vertu de l’article 120 de la Constitution, e) commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – du territoire comme de la nation – et contre l’ordre libre et démocratique, ou touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. (…) » Article 27 § 1 « La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. » Article 34 §§ 1 et 2 « Le régime statutaire et le contrôle des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d'instructions disciplinaires et le prononcé de sanctions disciplinaires à leur encontre, ainsi que les enquêtes et poursuites relatives aux infractions concernant leurs fonctions (…) relèvent des dispositions pertinentes des lois régissant leur profession (…). Les observations de la Cour de cassation, les rapports de notation établis par les commissaires de justice (…) et les dossiers des enquêtes menées au sujet des juges militaires (…) sont transmis au ministère de la Justice. » Article 38 « En cas de proclamation d’un état de siège couvrant tout ou partie de son ressort et à condition qu’elle ne soit pas la seule dans celui-ci, une cour de sûreté de l’Etat pourra, dans les conditions ci-dessous, être transformée en cour martiale de l’état de siège (…) » 3. La loi n° 357 sur les magistrats militaires Les dispositions pertinentes de la loi sur les magistrats militaires prévoient : Article 7 additionnel « Les aptitudes des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de juges titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat requises pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté sont déterminées sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi n° 926 sur le personnel des forces armées turques : a) Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers militaires juges titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat à la Défense ; vient ensuite le ministre de la Défense. (…) » Article 8 additionnel « Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat appartenant à la magistrature militaire (…) sont désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des Affaires judiciaires militaires au ministère de la Défense (...) » Article 16 §§ 1 et 3 « La nomination des juges militaires (…), effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du Premier ministre, est soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des forces armées (…). (…) Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) » Article 18 § 1 « Le barème des salaires, les augmentations de salaire et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent de la réglementation concernant les officiers. » Article 29 « Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après les avoir entendus, les sanctions disciplinaires suivantes : L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit à l’intéressé qu’il doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions. (…) B. Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait que tel acte ou telle attitude sont considérés comme fautifs. (…) Lesdites sanctions sont définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé, puis inscrites dans son dossier personnel (…) » Article 38 « Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile (…) » L'article 112 du code pénal militaire (du 22 mai 1930) L'article 112 du code pénal militaire dispose : « Est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement quiconque influence les tribunaux militaires en abusant de son autorité de fonctionnaire. » La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire Aux termes de l’article 22 de la loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur avancement professionnel. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kamil Tekin Sürek a saisi la Commission le 27 juillet 1994. Il faisait valoir que sa condamnation avait constitué une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté d'expression telle que garantie par l'article 10 de la Convention et qu'il n'avait pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial, au mépris de l'article 6 § 1 de la Convention. Il affirmait aussi que la procédure pénale dirigée contre lui n'avait pas connu une durée raisonnable, constituant ainsi un chef distinct de violation de l'article 6 § 1. La Commission a retenu la requête (n° 24762/94) le 2 septembre 1996, à l'exception du grief tiré de l'article 6 § 1 relatif à la durée de la procédure pénale. Dans son rapport du 13 janvier 1998 (ancien article 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention (trente voix contre deux) et de l'article 6 § 1 (trente et une voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le requérant prie la Cour de conclure que l'Etat défendeur a failli aux obligations que lui imposent les articles 6 § 1 et 10 de la Convention et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 41. De son côté, le Gouvernement invite la Cour à rejeter les allégations du requérant.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Alain Escoubet est un ressortissant français, né en 1948. Il réside à Bruxelles (Belgique). Le 16 juin 1994 à 18 h 30, le requérant fut impliqué dans un accident de la circulation. Informé par les agents de police appelés sur les lieux, le procureur du Roi de Bruxelles ordonna le retrait immédiat du permis de conduire du requérant. Le motif allégué était un état d’alcoolémie présumé supérieur à 0,8 g/l (gramme par litre de sang), taux maximum autorisé en Belgique au moment des faits. Ce fait est cependant contesté par le requérant. Le requérant ayant été dans l’incapacité de satisfaire à un test d’haleine qui lui fut proposé sur les lieux de l’accident, un prélèvement sanguin fut fait le 16 juin 1994 à 19 h 47. Le résultat de l’analyse sanguine lui fut notifié en juillet 1994. Cette analyse révélait un taux d’alcool de 2,51 g/l, soit après correction vu l’écoulement du temps, un taux de 2,70 g/l au moment de l’accident. Le requérant n’étant pas en possession de son permis de conduire le 16 juin 1994, les agents de police se rendirent le lendemain à son domicile pour procéder à la mesure de retrait immédiat de ce document, qui leur fut remis par le requérant. Le 21 juin 1994, le requérant envoya une lettre recommandée au procureur du Roi pour demander la restitution de son permis de conduire. Par lettre du 23 juin 1994, il fut invité à le récupérer, ce qu’il fit. Après avoir obtenu le résultat de l’analyse sanguine pour dosage alcoolique (paragraphe 9 ci-dessus), le requérant demanda une seconde analyse à un autre laboratoire médical le 26 juillet 1994. Il en informa le procureur du Roi le même jour. Par exploit d’huissier du 4 mai 1995, le requérant fut cité par le procureur du Roi de Bruxelles à comparaître le 15 juin 1995 devant le tribunal de police de Bruxelles pour répondre des préventions de coups et blessures involontaires (prévention A), conduite d’un véhicule en état d’ivresse ou dans un état analogue (prévention B), conduite d’un véhicule avec une concentration d’alcool d’au moins 0,8 g/l (prévention C), refus de priorité à droite (prévention D) et conduite d’un véhicule sans en avoir eu constamment le contrôle (prévention E). Le 29 juin 1995, le tribunal de police de Bruxelles condamna le requérant à une amende de 22 500 francs belges (BEF) et à la déchéance du permis de conduire pour une durée de quarante-cinq jours, avec imputation de la période de retrait déjà subie. Il subordonna également la réintégration du droit de conduire à la condition d’avoir satisfait à un examen médical. Le tribunal motiva comme suit sa décision : « 1. Quant aux préventions A-D et E Attendu qu’il résulte de l’information pénale et de l’instruction d’audience que ces trois préventions sont établies. Attendu en effet que débouchant le 16 juin 1994 vers 18 h 30 à Ixelles de la rue SansSouci au carrefour formé par cette artère et la rue de la Tulipe, le prévenu conduisant un véhicule VW Golf était tenu de céder la priorité de droite au véhicule Renault Fuego conduit par M. qui débouchait de la rue de la Tulipe pour se diriger vers la Porte de Namur. Que le plan admis par le prévenu indique que la collision entre les deux véhicules s’est produite au milieu du carrefour de sorte que c’est en vain que le prévenu plaide que son véhicule ayant été touché à l’arrière, il n’était déjà plus dans le carrefour au moment de l’accrochage et que l’accident est imputable exclusivement au créancier de priorité qui aurait circulé à une vitesse anormalement élevée. Attendu qu’au contraire il y a lieu de relever que c’est assurément le prévenu qui, outre le fait qu’il n’a pas cédé le passage au créancier de priorité, n’a pas eu le contrôle de son véhicule et n’a pas été en mesure d’effectuer les manœuvres qui lui incombaient, dès lors qu’après l’accrochage au carrefour avec le véhicule Renault de M., loin de pouvoir s’arrêter, il a continué sur sa lancée, montant sur le trottoir de la rue Longue Vie, au-delà du carrefour, emboutissant successivement deux façades d’immeubles et divers véhicules en stationnement régulier, au flanc droit de ces véhicules. Que par bonheur il n’y avait pas de piétons sur le trottoir le long des immeubles, sauf quoi les conséquences de la manière de circuler dans le chef du prévenu, eussent été catastrophiques. Attendu qu’il n’en demeure pas moins que l’accident provoqué par le prévenu a entraîné des blessures pour les deux passagers du véhicule Renault. Quant à la prévention B Attendu qu’à l’arrivée sur place, la police a relevé que le prévenu se trouvait en état d’ivresse manifeste, titubant, sentant fortement la boisson. Attendu que le prévenu n’a pas été capable de souffler pour se soumettre à l’épreuve respiratoire. Attendu qu’à l’arrivée du prévenu au commissariat de police, le brigadier principal a lui aussi constaté que le prévenu titubait, que son haleine sentait la boisson et que le médecin requis une heure après l’accident, le Docteur V. a énoncé en son rapport d’examen clinique que si le prévenu ne donnait pas les apparences extérieures d’ivresse, a cependant conclu à ce que les symptômes relevés résultent de la consommation d’alcool et que l’intéressé est sous l’influence de la boisson, M. Escoubet prétendant même ne pas être en cause dans un accident quelconque. Attendu qu’entendu plusieurs heures après l’accident, soit à 23 h 10 (après avoir été écroué) et alors que l’alcootest s’est avéré négatif, le prévenu a déclaré : – avoir été embouti par un véhicule dont il ne sait d’où il venait ; – ne plus se souvenir de rien après le choc, encore qu’il n’était ni blessé, ni contusionné ; – qu’il avait bu à son domicile une vingtaine de bières sans alcool, puis rectifié en 8 « Tourtel » et prendre des médicaments type morphine, en raison de son cancer. Attendu qu’il s’ensuit que manifestement le sieur Escoubet a conduit son véhicule sur la voie publique alors qu’il se trouvait en état d’ivresse ou dans un état analogue résultant de drogues ou de produits hallucinogènes, la preuve pouvant notamment être rapportée par des présomptions (cfr. Cass. 11.12.1984, Pas. 1985, I, 449). Attendu que le prévenu devait savoir qu’il ne pouvait conduire s’il consommait des médicaments genre morphine concomitamment avec de la bière, même de type Tourtel. Que pareilles consommations ont inévitablement eu une influence sur son comportement au volant, ne sachant même pas d’où survenait le créancier de priorité et poursuivant sa lancée durant près de 25 mètres, sur le trottoir au-delà de l’endroit de l’accrochage, sans réaction d’évitement quelconque. Attendu partant que la prévention B est demeurée établie. Quant à la prévention C Attendu que s’il est vrai que le Professeur G. a conclu que le dosage d’alcool dans le sang du prévenu a révélé 2,51 grammes par litre au titre de teneur du sang en alcool, soit après correction vu l’écoulement du temps, 2,70 grammes par litre, et que la contre-expertise sollicitée en temps utile, pratiquée par le Pharmacien-biologiste, M. a donné comme résultat 2,24 gr. d’éthanol par litre de sang, ce qui est nettement supérieur au taux maximal admis par la loi, néanmoins le tribunal, respectueux des droits de la défense et vu que la loi pénale est de stricte interprétation, estime qu’en l’occurrence, le résultat d’analyse sanguine ne peut être pris en considération. Attendu en effet que le dossier répressif révèle que le Dr V., ayant procédé à 19 h 47 à la prise de sang, a dû se résoudre à employer son propre matériel, vu que trois veinotubes étaient nécessaires. Que le pharmacien M. a relevé que l’échantillon [à] lui soumis n’était pas contenu dans la vénule légale et sans indication de la personne incriminée. Attendu que l’arrêté royal du 10.6.1959 énonce en son article 3 que c’est l’autorité requérante qui remet au médecin une vénule à laquelle est joint un désinfectant en solution aqueuse et doit contenir du fluorure de sodium, tandis que l’article 4 énonce l’obligation d’énoncer [sur] la vénule les nom et prénom de la personne qui a subi un prélèvement. Attendu que les prélèvements sanguins, effectués sans respecter les règles strictes dudit arrêté royal du 16.6.1959, ne peuvent servir de preuve (cfr. Police Spa [N.D.L.R. ville d’eau par excellence] 7.2.1961. Jur. Liège 1960-1961, 265) ; pareillement le prélèvement effectué au moyen d’une seringue et non d’une vénule n’est pas légal et le juge ne peut en tenir compte (cfr. Corr. Arlon, 20/2/1974, Jur. Liège 1973-1974, p. 211). Attendu que l’article 3 de l’arrêté royal du 10 juin 1959, prescrivant qu’une vénule répondant aux conditions prévues par cet article et par un arrêté ministériel (A.M. du 22 août 1959) sera remise au médecin devant opérer le prélèvement sanguin, par l’autorité compétente, la vénule ainsi remise est réputée, jusqu’à preuve du contraire, être conforme aux prescriptions réglementaires, tandis qu’une analyse de sang prélevé au moyen d’une vénule qui n’a pas été remise par ladite autorité au praticien est dénuée de force probante s’il n’est pas constaté qu’elle répondait auxdites conditions réglementaires (cfr. Cass., 10.5.1965, Pas. 1965, I, 952). Attendu partant que dans le cas d’espèce, pour les raisons ciavant évoquées, le Docteur V. ayant dû se résoudre à utiliser son propre matériel, sans autre précision quant à la nomenclature dudit matériel, la prévention C n’est pas établie. (...) Attendu que les préventions sub. A, B, D et E se confondent et procèdent d’un même fait pénal. Que dès lors il y a lieu d’appliquer une seule peine la plus forte, étant celle visée par la prévention B. Attendu partant qu’en raison de l’absence d’antécédent judiciaire dans le chef du prévenu et tenant compte aussi du fait que, selon les dires de son conseil, M. Escoubet souffrirait d’un cancer du larynx, seule l’amende ci-après énoncée, outre la déchéance du droit de conduire tout véhicule automoteur, déchéance dont la durée tient notamment compte des éléments ci-dessus, ainsi que l’obligation de se soumettre au seul examen médical, subordonnant la réintégration dans le droit de conduire à cette satisfaction (article 38 par. 3 de l’A.R. du 16.3.1968) du chef de la prévention B, l’infraction étant imputable au fait personnel de M. Escoubet et vu qu’il admet conduire sous l’influence de médicaments du type morphine, s’imposent et assureront la finalité des poursuites. » Sur appel du requérant, le tribunal correctionnel de Bruxelles déclara établies les préventions A, D et E. Il estima par contre que la prévention B n’était pas établie. Il motiva cette décision comme suit : « Attendu sans doute que les agents verbalisants ont constaté qu’après l’accident le prévenu titubait et sentait fortement la boisson ; que le fait de tituber après un accident peut s’expliquer par le choc subi lors de la collision ; que le prévenu a démontré, par la voie de son conseil, que la bière sans alcool (dont la consommation est admise par le prévenu) sent la bière et que son odeur peut prêter à confusion par rapport à celle de l’alcool. » En conséquence, il condamna le requérant à une amende de 11 250 BEF et à la déchéance du permis de conduire pour une durée de huit jours. II. le droit ET LA PRATIQUE interneS pertinentS A. Le retrait immédiat du permis de conduire La mesure de retrait immédiat du permis de conduire a été introduite en Belgique par l’article 6 de la loi du 1er août 1963. L’exposé des motifs de cette loi précise : « le retrait immédiat du permis ou de la licence d’apprentissage contribuera à retirer de la circulation un conducteur dangereux et ceci en attendant qu’une décision judiciaire soit prise et, en outre, incitera les conducteurs à respecter les règlements » (Doc. Parl., Sénat, 1962-63, n° 68). Les diverses dispositions réglant la circulation routière ont été regroupées dans les lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de circulation routière, qui constituent une loi pénale particulière. Leur Titre I, intitulé « Réglementation », détermine notamment les compétences pour régler la circulation sur les diverses voies publiques, les compétences d’autorisation en matière d’épreuves et de compétitions sportives empruntant la voie publique et prévoit la possibilité de création de commissions consultatives sur les problèmes de circulation et de stationnement. Le Titre II règle la signalisation sur la voie publique, tandis que le Titre III règle la matière du permis de conduire. Le Titre IV est intitulé « Dispositions pénales et mesures de sûreté » et le Titre V « Action publique et action civile ». Le chapitre VIII des lois coordonnées du 16 mars 1968, compris dans le Titre IV, est intitulé : « Retrait immédiat du permis de conduire ou de la licence d’apprentissage ». Tel qu’il était applicable au moment des faits, il comprenait, entre autres, les dispositions suivantes. Article 55 « Sans préjudice des dispositions de l’article 46, le permis de conduire ou le document qui en tient lieu peut être retiré immédiatement : si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est manifestement ivre ou donne des signes apparents d’intoxication alcoolique ; si le conducteur a pris la fuite pour échapper aux constatations utiles ; si l’accident de roulage, apparemment imputable à la faute grave du conducteur, a entraîné pour autrui des blessures graves ou la mort ; si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est déchu du droit de conduire un véhicule automoteur de la catégorie du véhicule qu’il utilise ; si le conducteur a commis une des infractions graves aux règlements pris en exécution des présentes lois coordonnées. (...) Le retrait immédiat est ordonné soit par le procureur du Roi, soit par l’auditeur militaire lorsque l’infraction est de la compétence du conseil de guerre. (...) Le conducteur ou la personne qui accompagne, visée par les dispositions reprises au premier alinéa, 1° et au deuxième alinéa, est tenu de remettre son permis de conduire ou le titre qui en tient lieu sur l’invitation qui lui en est faite par la police ou la gendarmerie, sur réquisition du ministère public qui a ordonné le retrait. A défaut, ce ministère public peut ordonner la saisie du document. La police ou la gendarmerie communique à l’intéressé quel est le ministère public qui a ordonné le retrait. » Article 56 « Le permis de conduire ou le document qui en tient lieu peut être restitué par le ministère public qui en a ordonné le retrait, soit d’office, soit à la requête du titulaire. Il est obligatoirement restitué : après 15 jours, à moins que l’autorité qui a ordonné le retrait ne proroge ce délai pour une nouvelle période de 15 jours, l’intéressé ou son conseil étant à sa demande préalablement entendu ; cette décision peut être renouvelée une fois ; lorsque le juge ne prononce pas la déchéance du permis de conduire ; lorsque le titulaire d’un permis étranger, qui ne répond pas aux conditions fixées par le Roi pour pouvoir obtenir un permis de conduire belge, quitte le territoire. » Article 57 « Si le juge prononce la déchéance du permis de conduire, le permis de conduire ou le document qui en tient lieu est remis au greffe pour qu’il soit procédé conformément à l’article 46 §§ 2 à 6. Si la déchéance du droit de conduire est prononcée à titre temporaire, le temps pendant lequel le permis de conduire ou le document qui en tient lieu a été retiré par application de l’article 55, alinéa 1er, 1°, 2°, 3° et 5°, est imputé sur la durée de la déchéance, déduction faite des périodes de détention subies pendant ce temps par le condamné. » Article 58 « Les infractions aux dispositions de l’article 55, dernier alinéa, sont punies d’un emprisonnement d’un jour à un mois et d’une amende de 10 francs à 500 francs, ou d’une de ces peines seulement. En cas de circonstances atténuantes, l’amende peut être réduite, sans qu’elle puisse être inférieure à 1 franc. Les peines sont doublées s’il y a récidive dans l’année à dater d’un jugement antérieur portant condamnation et coulé en force de chose jugée. » L’article 55 des lois coordonnées du 16 mars 1968 a été modifié par l’article 27 de la loi du 18 juillet 1990. L’article 55 ainsi modifié est entré en vigueur le 1er décembre 1994. La modification a porté sur le point 1 : la disposition « (...) si le conducteur ou la personne qui l’accompagne en vue de l’apprentissage est manifestement ivre ou donne des signes apparents d’intoxication alcoolique ; » a été remplacée par « (...) dans les cas visés à l’article 60, §§ 3 et 4 ; ». Selon la Cour de cassation, les juridictions du fond ne sont pas compétentes pour apprécier la conformité des mesures de retrait immédiat du permis de conduire, en vertu des articles 55 et suivants du code de la route, avec la Convention, dans la mesure où il n’appartient pas au juge de critiquer l’usage que fait le ministère public de ses pouvoirs (Cass., 10 mai 1995). Dans un arrêt du 7 janvier 1998, cette cour a précisé que « le retrait du permis de conduire décidé en application de l’article 55 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière ne constitue pas une sanction mais une mesure préventive qui a pour but d’écarter de la circulation, pour un temps déterminé, les conducteurs dangereux ». B. L’interdiction de conduire Les paragraphes 3 et 4 de l’article 60, repris au chapitre IX du Titre IV et également modifié par l’article 31 de la loi du 18 juillet 1990, prévoient l’interdiction de conduite d’un véhicule pour une durée de six heures lorsqu’une analyse d’haleine mesure – ou un test d’haleine détecte – une concentration d’alcool d’au moins 0,35 milligramme par litre d’air alvéolaire expiré, lorsqu’il y a refus du test ou de l’analyse d’haleine ou lorsqu’il ne peut pas être procédé à ceux-ci pour une autre raison que le refus et qu’il y a apparence d’ivresse ou d’imprégnation alcoolique. C. La déchéance du droit de conduire Les lois coordonnées du 16 mars 1968 prévoient également, au chapitre VI du Titre IV, la possibilité de déchéance du droit de conduire un véhicule. Celle-ci peut être prononcée par un tribunal à titre de peine (articles 38 à 40) ou pour incapacité physique (articles 42 à 44). La peine de déchéance, qui peut être prononcée lorsque le titulaire du permis a commis une des infractions particulières visées à l’article 38 § 1, est normalement de huit jours au moins et de cinq ans au plus. Elle peut toutefois être prononcée pour une période supérieure ou à titre définitif en cas de délit de fuite, de conduite sans permis ou durant une période de déchéance ou lorsque le titulaire a déjà été condamné pour des infractions visées à l’article 38 § 1 dans les trois années précédentes. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Escoubet a saisi la Commission le 12 septembre 1994 alléguant la violation des articles 5, 6 §§ 1 et 2 et 13 de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 26780/95) en partie le 9 avril 1997. Dans son rapport adopté le 12 mars 1998 (ancien article 31 de la Convention), la Commission conclut, par dix-huit voix contre treize, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES À LA COUR Dans son mémoire à la Cour, le Gouvernement conclut à la nonviolation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il estime, à titre principal, que la requête est incompatible ratione materiae avec l’article 6 § 1 de la Convention et, à titre subsidiaire, qu’elle est mal fondée. L’avocat du requérant demande à la Cour de dire que l’Etat défendeur a violé l’article 6 de la Convention et, à défaut, que l’article 13 a été violé. Il l’invite aussi à allouer au requérant, au titre de l’article 41, une indemnité pour dommage moral et matériel ainsi que le remboursement des frais et dépens.
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant turc d’origine kurde né en 1963, M. Hüseyin Karataş réside à Istanbul et exerce la profession de psychologue. En novembre 1991, il publia à Istanbul un recueil de poèmes intitulé « Le chant d’une rébellion – Dersim » (« Dersim – Bir İsyanın Türküsü »). Le 8 janvier 1992, le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul n° 1 (« le procureur général », « la cour de sûreté de l’Etat ») accusa le requérant et son éditeur de faire de la propagande contre l’« unité indivisible de l’Etat ». Il requérait notamment l’application de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (paragraphe 18 ci-dessous) ainsi que la confiscation des exemplaires de l’ouvrage litigieux (paragraphe 16 ci-dessous), dont il invoquait les extraits suivants à l’appui de sa demande. « (…) [La liberté est la loi du clan] (…) une grande passion prend sens entre nos saintes mains – la lumière de l’ancien Kurdistan aussi longtemps qu’à la lumière du jour le Munzursuyu[] ne sera pas rouge de notre sang nous ne laisserons pas les chiots de la putain Ottomane le piétiner après tout pendant des millénaires nous avons suivi la loi la liberté est la loi du clan. [Dans la solitude, ils ont regardé les pierres tombales] le cœur de Dersim est déchiqueté ses routes sinuant à l’image des serpents les explosions de dynamite le bruit des excavateurs les bottes de soldats (...) une fiole de médicament dans une main du poison dans l’autre des tours de Babel dans d’autres les Turcs arrivent avec leurs écoles leur langue dont nous ne connaissons que trop bien le terme cruauté (...) dans les couloirs du parlement sur les tribunes dans les garnisons les génocides se préparent comme ceux qui n’y mettent aucune limite. (...) sur la tête de Hızır[], mon brave on n’a jamais rien vu ni entendu de pareil je te demande ô frère quelle Ecriture accepterait cette cruauté ? (...) [En silence, ils ont regardé vers le village de Deşt] (...) et maintenant la cruauté court à toute vitesse notre sang se mélangera à celui déversé. la résistance et la trahison la liberté et la reddition côte à côte (...) n’accepte-t-on pas comme loi depuis des millénaires que c’est dans le sang que se lave le sang ? (...) [Dans la solitude, ils ont versé leurs larmes sur la terre] (...) depuis des millénaires les désastres sont sans effet sur nos vies pour notre Kurdistan pour notre Dersim nous sacrifierons nos têtes, enivrés du feu de la rébellion (...) [Dans la solitude, ils ont huilé les fusils et les carabines] (...) allons descendants des insoumis nous avons entendu qu’il y avait une rébellion dans les montagnes pouvons-nous entendre et ne rien faire ? que les festivités et célébrations commencent que des flammes à la hauteur des toits s’élancent vers le ciel qu’avant la fin de la journée les canons ne se taisent vénérable Kurdistan beau Kurdistan ami Kurdistan (...) [Ils ont marché vers les lois pour être frères] (...) depuis des millénaires, ô compagnon, nous sommes les proches parents des cruautés les plus barbares je te demande pour l’amour de l’ère où tu vis jusqu’où supporterons-nous encore cette cruauté ? (...) aux montagnes majestueuses qui nous mèneront à la liberté (...) [Neigeuses sont les montagnes] (...) les chiots de la putain Ottomane frappent sans cesse les montagnes les eaux qui courent nos printemps (...) les génocides se préparent comme ceux qui n’y mettent aucune limite. (...) depuis des millénaires, notre clan subit le siège dans notre pays assiégé (...) [Les montagnes devant ont la voix de la neige] (...) une colère sans borne dans mon cœur une haine muette. (...) les lois ne s’apaisent pas la rébellion vient des montagnes des millénaires de l’histoire il y en a qui sont morts pour elle qui marchent vers la mort. [Ils ont marché vers la solitude] (...) eux qui étaient une poignée de braves l’espoir et la résistance de leurs corps bénis ils ont, morceau par morceau, orné la liberté ceux qui, avant nous, ont marché vers la mort (...) ô jeunesse kurde « j’ai soixante-quinze ans je meurs martyr me mêle aux martyrs du Kurdistan Dersim est défaite mais le Kurdisme et le Kurdistan vivront le jeune Kurde se vengera » lorsque ma vie quittera ma peau mon cœur ne gémira point quel bonheur que de vivre ce jour de rejoindre les martyrs du Kurdistan. (...) [Alişer est mort aussi] (...) nous avons vécu des siècles sans Etat, en exil, pendant les massacres depuis des âges le long des chemins nous traînons derrière nous une épée mais jamais nous n’avons été vaincus par l’épée (...) le vénérable Cheikh Alişer de Hasanan[] était assez brave pour savoir mourir pour son honneur, sa patrie et sa liberté (...) comment raconter à ceux qui viendront après nous tout ce qui est brave et héroïque imprégnant tout mon corps de courage. (...) je vous invite à la liberté à la mort dans ces montagnes en ce printemps béni c’est avec la mort que l’on marche avec la mort que se bénit la liberté je vous invite à mourir. – le temps est blessé comme le battement d’un cœur. (...) [L’exil] (...) des garnisons des écoles de garnison des gamins des femmes (...) des jeunes vaillants les chants de vengeance des mères d’enfants corps à corps côte à côte la reddition et la résistance et la dignité et l’honneur et la fierté du Kurde deviennent sous les serments des Mazlum Doğan[] des Ali Haydar Yıldız des Hayri Durmuş des Delil Doğan petit à petit goutte à goutte une rébellion secrète. » Devant la cour de sûreté de l’Etat, le requérant réfuta les charges, faisant valoir, en particulier, que le passage entre guillemets (paragraphe 10 ci-dessus) était une citation qui ne reflétait aucunement ses propres opinions. Le 22 février 1993, la cour de sûreté de l’Etat, composée de trois juges dont l’un était membre de la magistrature militaire, déclara le requérant coupable des faits reprochés et lui infligea, en application de l’article 8 § 1 de la loi n° 3713, une peine d’emprisonnement d’un an et huit mois ainsi qu’une amende de 41 666 666 livres turques (TRL), à verser en dix mensualités. Elle ordonna également la confiscation des publications en cause. Souscrivant entièrement aux conclusions du procureur général, la cour de sûreté de l’Etat releva notamment dans son arrêt que les poèmes litigieux désignaient une région particulière de la Turquie comme « Kurdistan » et qu’ils glorifiaient les mouvements insurrectionnels dans cette région en les identifiant à une lutte de libération nationale des Kurdes. D’après la cour de sûreté de l’Etat, l’éloge qui transparaissait à travers l’ensemble de l’ouvrage en cause s’analysait en de la propagande séparatiste, laquelle était faite au détriment de l’unité de la nation turque ainsi que de l’intégrité territoriale de son Etat, ce qui justifiait la condamnation de M. Karataş. Par un arrêt du 1er juillet 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi qu’avait introduit le requérant. Le recours en rectification d’arrêt que l’intéressé forma par la suite devant cette même juridiction n’aboutit pas non plus. Le 30 octobre 1995 entra en vigueur la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, qui allégea notamment les peines d’emprisonnement mais aggrava les peines d’amende prévues par l’article 8 de la loi n° 3713 (paragraphe 18 ci-dessous). Dans une disposition provisoire relative à l’article 2, la loi n° 4126 prévoyait en outre la révision d’office des peines prononcées dans des jugements rendus en application de l’article 8 de la loi n° 3713 (paragraphe 19 ci-dessous). Par conséquent, la cour de sûreté de l’Etat réexamina au fond l’affaire du requérant. Dans son jugement du 19 avril 1996, elle ramena la peine d’emprisonnement de M. Karataş à un an, un mois et dix jours, mais porta l’amende à 111 111 110 TRL. Sur pourvoi du requérant, cette décision fut confirmée le 1er décembre 1997 par la Cour de cassation. A cette époque, M. Karataş purgeait encore sa peine à la maison d’arrêt d’Ümraniye (Istanbul). II. LE Droit et la pratique interneS pertinents A. Le droit pénal 1. Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 2 § 2 « Si les dispositions de la loi en vigueur au moment où le crime ou le délit est commis diffèrent de celles d’une loi ultérieure, les dispositions les plus favorables à l’auteur du crime ou du délit sont appliquées. » Article 36 § 1 « En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l’objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (…) » 2. La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse L’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse dispose : Article 3 « Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers. Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la distribution, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir. Le délit de presse n’est constitué que s’il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. » 3. La loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme La loi n° 3713 du 12 avril 1991, relative à la répression des actes de terrorisme, a été modifiée par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, entrée en vigueur le 30 octobre suivant (paragraphe 19 ci-dessous). Ses articles 8 et 13 se lisent ainsi : Article 8 § 1 ancien « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. » Article 8 §§ 1 et 3 nouveau « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d’un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. (…) Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (…) (…) » Article 13 ancien « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. » Article 13 nouveau « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux condamnations prononcées en vertu de l’article 8. » 4. La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification de la loi n° 3713 Au sujet des modifications qu’elle apporte à l’article 8 de la loi n° 3713 quant au quantum des peines (paragraphe 18 ci-dessus), la loi du 27 octobre 1995 contient une « disposition provisoire relative à l’article 2 » ainsi libellée : « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4 et 6 de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » 5. La loi n° 647 du 13 juillet 1965 sur l’exécution des peines En ses parties pertinentes, l’article 5 de la loi n° 647 sur l’exécution des peines est ainsi libellé : « La peine d’amende consiste en un versement au Trésor public d’une somme fixée dans les limites prévues par la loi. (…) Si, après notification de l’injonction de payer, le condamné ne s’acquitte pas de l’amende dans les délais, il est incarcéré, à raison d’un jour par dizaine de milliers de livres turques, sur décision du procureur de la République. (…) La peine d’emprisonnement ainsi infligée en substitution de la peine d’amende ne peut dépasser trois ans (…) » 6. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale relatives aux moyens de cassation qu’un justiciable peut faire valoir contre les jugements rendus en première instance, se lisent ainsi : Article 307 « Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi. La non-application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi. » Article 308 « La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous : 1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ; 2- si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ; (…) » B. Jurisprudence pénale soumise par les parties Le Gouvernement a produit des copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité – notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion – (article 312 du code pénal) ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713 – paragraphe 18 ci-dessus). S’agissant des affaires où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des cas en cause, le parquet s’est fondé notamment sur la prescription de l’action publique, l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes ; comme autres motifs, l’on trouve aussi la non-distribution des imprimés litigieux, l’absence d’intention délictuelle ainsi que l’absence d’établissement des faits ou d’identification des responsables. En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat quant aux infractions susmentionnées et concluant à la non-culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts nos 1991/ 23 – 75 – 132 – 177 – 100 ; 1992/ 33 – 62 – 73 – 89 – 143 ; 1993/ 29 – 30 – 38 – 39 – 82 – 94 – 114 ; 1994/ 3 – 6 – 12 – 14 – 68 – 108 – 131 – 141 – 155 – 171 – 172 ; 1995/ 1 – 25 – 29 – 37 – 48 – 64 – 67 – 84 – 88 – 92 – 96 – 101 – 120 – 124 – 134 – 135 ; 1996/ 2 – 8 – 18 – 21 – 34 – 38 – 42 – 43 – 49 – 54 – 73 – 86 – 91 – 103 – 119 – 353 ; 1997/ 11 – 19 – 32 – 33 – 82 – 89 – 113 – 118 – 130 – 140 – 148 –152 –153 – 154 – 187 – 191 – 200 – 606 ; 1998/ 6 – 8 – 50 – 51 – 56 – 85 – 162. Pour ce qui est plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction, ou par le caractère scientifique, historique et/ou objectif des propos tenus en l’occurrence. Pour sa part, le requérant a fourni une liste d’ouvrages ayant donné lieu à poursuites devant les cours de sûreté de l’Etat ainsi que des informations générales sur les condamnations prononcées par celles-ci et sur les procédures alors pendantes contre plusieurs écrivains et éditeurs. A titre d’exemples, il a produit des copies de plusieurs arrêts rendus à l’encontre de İ.B., écrivain, et A.N.Z., éditrice, condamnés notamment du chef d’incitation au crime ou de propagande séparatiste prokurde. Il s’agit des arrêts nos 1991/ 149 ; 1993/ 109 – 148 – 169 – 229 – 233 ; 1994/ 28 – 143 – 249 – 257 ; 1995/ 10 – 32 – 84 – 225 – 283 – 319 – 327 – 436 ; 1996/ 87 – 136 – 175 – 213 – 214 – 252 ; 1997/ 49 – 50 – 53 – 63 – 120 – 167 – 274 – 571 ; 1998/ 22 – 23. C. Les cours de sûreté de l’Etat Les cours de sûreté de l’Etat ont été instaurées par la loi n° 1773 du 11 juillet 1973, conformément à l’article 136 de la Constitution de 1961. Cette loi fut annulée par la Cour constitutionnelle le 15 juin 1976. Par la suite, ces juridictions furent réintroduites dans l’organisation judiciaire turque par la Constitution de 1982. L’exposé des motifs afférent à ce rétablissement contient le passage suivant : « Il peut y avoir des actes touchant à l’existence et la pérennité d’un Etat tels que, lorsqu’ils sont commis, une compétence spéciale s’impose pour trancher promptement et dans les meilleures conditions. Pour ces cas-là, il s’avère nécessaire de prévoir des cours de sûreté de l’Etat. Selon un principe inhérent à notre Constitution, il est interdit de créer un tribunal spécial pour connaître d’un acte donné, postérieurement à sa perpétration. Aussi les cours de sûreté de l’Etat ont-elles été prévues par notre Constitution pour connaître des poursuites relatives aux infractions susmentionnées. Comme les dispositions particulières régissant leurs attributions se trouvent fixées au préalable et que les juridictions en question sont créées avant tout acte (…), elles ne sauraient être qualifiées de tribunaux instaurés pour connaître de tel ou tel acte postérieurement à sa commission. » La composition et le fonctionnement de ces juridictions obéissent aux règles ci-dessous. 1. La Constitution Les dispositions constitutionnelles régissant l’organisation judiciaire sont ainsi libellées : Article 138 §§ 1 et 2 « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Nul organe, nulle autorité (…) nulle personne ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires, ni leur faire des recommandations ou suggestions. » Article 139 § 1 « Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent (…) » Article 143 §§ 1-5 « Il est institué des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l’unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d’un procureur et d’un nombre suffisant de substituts. Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires. Les présidents et les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable. La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. (...) » Article 145 § 4 « Le contentieux militaire (…) le statut personnel des juges militaires (…) est fixé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent et des impératifs du service militaire. La loi détermine en outre les rapports des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) » 2. La loi n° 2845 instituant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles Fondées sur l’article 143 de la Constitution, à l’application duquel elles se rapportent, les dispositions pertinentes de la loi n° 2845 se lisent ainsi : Article 1 « Dans les chefs-lieux des provinces de (…) sont instituées des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l’unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. » Article 3 « Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président et de deux membres titulaires, ainsi que de deux membres suppléants. » Article 5 « Le président de la cour de sûreté de l’Etat ainsi que l’un des [deux] titulaires et l’un des [deux] suppléants (…) sont choisis parmi les juges (...) civils, les autres membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires de premier rang (...) » Article 6 §§ 2, 3 et 6 « La nomination des membres titulaires et suppléants choisis parmi les juges militaires se fait selon la procédure prévue par la loi sur les magistrats militaires. Sous réserve des exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne peuvent être affectés sans leur consentement à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…) (…) Si à l’issue d’une instruction menée, selon les lois les concernant, à l’encontre d’un président, d’un membre titulaire ou d’un membre suppléant d’une cour de sûreté de l’Etat, des comités ou autorités compétents décident qu’il y a lieu de changer le lieu d’exercice des fonctions de l’intéressé, ce lieu ou les fonctions elles-mêmes (…) peuvent être modifiés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. » Article 9 § 1 « Les cours de sûreté de l’Etat sont compétentes pour connaître des infractions (…) d) en rapport avec les événements ayant nécessité la proclamation de l’état d’urgence, dans les régions où l’état d’urgence a été décrété en vertu de l’article 120 de la Constitution, e) commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – du territoire comme de la nation – et contre l’ordre libre et démocratique, ou touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. (…) » Article 27 § 1 « La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. » Article 34 §§ 1 et 2 « Le régime statutaire et le contrôle des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d’instructions disciplinaires et le prononcé de sanctions disciplinaires à leur encontre, ainsi que les enquêtes et poursuites relatives aux infractions concernant leurs fonctions (…) relèvent des dispositions pertinentes des lois régissant leur profession (…) Les observations de la Cour de cassation, les rapports de notation établis par les commissaires de justice (…) et les dossiers des enquêtes menées au sujet des juges militaires (…) sont transmis au ministère de la Justice. » Article 38 « En cas de proclamation d’un état de siège couvrant tout ou partie de son ressort et à condition qu’elle ne soit pas la seule dans celui-ci, une cour de sûreté de l’Etat pourra, dans les conditions ci-dessous, être transformée en cour martiale de l’état de siège (…) » 3. La loi n° 357 sur les magistrats militaires Les dispositions pertinentes de la loi sur la magistrature militaire se lisent comme suit : Article 7 additionnel « Les aptitudes des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de juges titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat requises pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté sont déterminées sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi n° 926 sur le personnel des forces armées turques : a) Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers militaires juges titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat à la Défense ; vient ensuite le ministre de la Défense. (…) » Article 8 additionnel « Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat appartenant à la magistrature militaire (…) sont désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des Affaires judiciaires militaires au ministère de la Défense (...) » Article 16 §§ 1 et 3 « La nomination des juges militaires (…), effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du premier ministre, est soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des forces armées (…) (…) Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) » Article 18 § 1 « Le barème des salaires, les augmentations de salaire et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent de la réglementation concernant les officiers. » Article 29 « Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après les avoir entendus, les sanctions disciplinaires suivantes : A. L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit à l’intéressé qu’il doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions. (…) B. Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait que tel acte ou telle attitude sont considérés comme fautifs. (…) Lesdites sanctions seront définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé puis inscrites dans son dossier personnel (…) » Article 38 « Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile (…) » 4. Le code pénal militaire L’article 112 du code pénal militaire du 22 mai 1930 dispose : « Est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement quiconque influence les tribunaux militaires en abusant de son autorité de fonctionnaire. » 5. La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire Aux termes de l’article 22 de la loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur avancement professionnel. procédure devant la commission M. Karataş avait saisi la Commission le 27 août 1993. Il affirmait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat puisque celle-ci ne pouvait passer pour un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il alléguait en outre que sa condamnation du fait de la publication de ses poèmes constituait une violation des articles 9 et 10. La Commission a retenu la requête (n° 23168/94) le 14 octobre 1996. Dans son rapport du 11 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle conclut à la non-violation de l’article 10 (vingt-six voix contre six), examiné conjointement avec l’article 9, et à la violation de l’article 6 § 1 (trente et une voix contre une). Des extraits de son avis et les trois opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figurent en annexe au présent arrêt. conclusions présentées à la cour Dans son mémoire puis à l’audience, le Gouvernement a prié la Cour de rejeter la requête de M. Karataş pour absence de violation des articles 6 § 1, 9 et 10 de la Convention. De son côté, le requérant invite la Cour à constater une violation des articles 6 § 1, 9 et 10 de la Convention et dénonce, en substance, une méconnaissance de l’article 7. Il demande en outre à la Cour de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l’article 41.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le requérant Le requérant est un ressortissant turc né en 1957 et résidant à Istanbul. A l’époque des faits, il était l’actionnaire majoritaire de la société turque à responsabilité limitée Deniz Basın Yayın Sanayi ve Ticaret Organizasyon, qui possède la revue hebdomadaire Haberde Yorumda Gerçek (« Nouvelles et commentaires : la vérité »), publiée à Istanbul. B. Les lettres incriminées Dans le numéro 23 du 30 août 1992 de la revue furent publiées deux lettres rédigées par des lecteurs, intitulées « Silahlar Özgürlüğü Engelleyemez » (« Les armes ne peuvent rien contre la liberté ») et « Suç Bizim » (« C’est notre faute »). Ces lettres se traduisent ainsi : a) « Les armes ne peuvent rien contre la liberté Face à l’escalade de la guerre de libération nationale au Kurdistan, l’armée turque fasciste continue les bombardements. Le « massacre de Şırnak », révélé par les journalistes de Gerçek à leurs dépens, en est un autre exemple concret survenu cette semaine. Les brutalités qui ont lieu au Kurdistan sont en fait les pires de ces dernières années. Les massacres perpétrés à Halepçe, au Sud du Kurdistan, par l’administration réactionnaire BAAS se produisent maintenant au Nord du Kurdistan. Şırnak en est une preuve concrète. En se livrant à des provocations au Kurdistan, la République de Turquie allait au-devant d’un massacre. Il y a eu de nombreux morts. Au bout de trois jours d’un assaut mené avec des chars, des obus et des bombes, Şırnak était rayé de la carte. Toute la presse bourgeoise a écrit sur le carnage. Comme elle l’a dit, beaucoup de questions restent effectivement sans réponse. En tout cas, l’attaque de Şırnak est l’action la plus efficace de la campagne menée dans toute la Turquie pour supprimer les Kurdes. Le fascisme n’en restera pas là ; il y aura encore beaucoup de Şırnak. Mais la lutte de notre peuple pour la libération nationale au Kurdistan a atteint un stade où elle ne peut plus être enrayée par les massacres, les chars et les obus. Chaque attaque lancée par la République de Turquie pour éliminer les Kurdes amplifie la lutte pour la liberté. La bourgeoisie et la presse à sa botte, laquelle dénonce tous les jours les brutalités commises en Bosnie-Herzégovine, ne voient pas celles qui se produisent au Kurdistan. Bien sûr, on peut difficilement attendre des fascistes réactionnaires qui appellent à l’arrêt des brutalités en Bosnie-Herzégovine qu’ils fassent la même chose pour le Kurdistan. Le peuple kurde, arraché à ses foyers et à sa terre natale, n’a plus rien à perdre, mais beaucoup à gagner. » b) « C’est notre faute La bande d’assassins de la TC[] continue à sévir (...) sous couvert de « protéger la République de Turquie ». Mais au fur et à mesure que les gens prennent conscience de ce qui se passe et apprennent à défendre leurs droits, et que l’idée que « ce qu’on ne nous donne pas, nous le prendrons par la force » prend forme dans leur esprit et acquiert de jour en jour plus de force – tant qu’il en est ainsi, les meurtres vont à l’évidence aussi se poursuivre (...) en commençant bien sûr par ceux qui ont mis ces idées dans la tête des gens – selon les généraux, les assassins à la solde de l’impérialisme et, selon les Turgut, Süleyman et Bülent nantis et arrogants (...) D’où les événements du 12 mars, ceux du 12 septembre (...) D’où les exécutions, les emprisonnements, les gens condamnés à des peines de 300 ou 400 ans. D’où les gens torturés jusqu’à ce que mort s’ensuive « afin de protéger la République de Turquie ». D’où les Mazlum Doğan exterminés dans la prison de Diyarbakır (...) D’où les révolutionnaires récemment assassinés officiellement (...) La bande d’assassins de la TC continue – et continuera – ses meurtres. Parce que le réveil du peuple est comme une irrésistible vague d’enthousiasme (...) D’où Zonguldak, les ouvriers municipaux, les employés du service public (...) D’où le Kurdistan. Les « bandes de criminels » peuvent-elles arrêter cette vague ? Certains, en voyant le titre de cette lettre, doivent se demander quel peut bien en être le rapport avec le texte. Les « assassins engagés » par l’impérialisme, c’est-à-dire les auteurs du coup d’Etat du 12 septembre, et leurs successeurs d’hier et d’aujourd’hui, ceux qui recherchent encore la « démocratie », qui ont pris part dans le passé d’une manière ou d’une autre à la lutte pour la démocratie et la liberté, qui critiquent maintenant sous cape ou ouvertement leurs actions passées, qui embrouillent les masses et présentent le système parlementaire et l’état de droit comme la planche de salut, donnent le feu vert aux exactions de la bande d’assassins de la TC. Je m’adresse aux « fidèles serviteurs » de l’impérialisme et à son (ses) porte-parole endurci(s), celui (ceux) qui a (ont) dit il y a quelque temps : « Vous ne me ferez pas dire que les nationalistes commettent des crimes »[], qui dit (disent) aujourd’hui : « Ce ne sont pas ce que nous appelons des journalistes », qui dit (disent) : « Qui est contre les manifestations ? Qui s’oppose à ce que l’on défende ses droits ? Evidemment qu’ils peuvent faire une manifestation (...) Ce sont mes ouvriers, mes paysans, mes employés du secteur public », mais qui a (ont) ensuite donné l’ordre de frapper les employés du secteur public manifestant en plein cœur d’Ankara et affirme(nt) après « La police a agi comme il le fallait », et repousse(nt) les grèves pendant des mois. Je m’adresse aux traîtres, aux déserteurs et aux charlatans qui réveillent la conscience réactionnaire des masses, qui essayent de juger ces gens en fonction de leur attitude envers le Kurdistan et tentent d’évaluer leur niveau « démocratique ». La culpabilité de la bande d’assassins est établie. C’est à travers leur chair et leur sang que les gens commencent à le voir et le comprendre. Mais qu’en est-il de la culpabilité des charlatans, de ceux qui détournent la lutte pour la démocratie et la liberté (...) Oui, qu’en est-il de leur culpabilité ? (...) Ils ont leur part de responsabilité dans les meurtres commis par la bande d’assassins (...) Fasse que leur « union » soit heureuse ! » C. Les chefs d’accusation Par un acte du 21 septembre 1992, le procureur près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (İstanbul Devlet Güvenlik Mahkemesi) inculpa le requérant, en sa qualité de propriétaire de la revue, ainsi que le rédacteur en chef de cette dernière, de propagande contre l’indivisibilité de l’Etat et d’incitation du peuple à l’hostilité et à la haine, au titre des articles 312 du code pénal et 8 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi de 1991 ») (paragraphes 22 et 24 ci-dessous). D. La condamnation du requérant Le requérant réfuta les accusations lors de la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul. Il affirma que l’expression d’une opinion ne saurait constituer une infraction et que les lettres en cause avaient été écrites par des lecteurs de la revue et, en conséquence, ne pouvaient engager sa responsabilité. Dans un arrêt du 12 avril 1993, la cour de sûreté de l’Etat jugea le requérant coupable en vertu de l’article 8 § 1 de la loi de 1991, mais considéra qu’il n’existait aucun motif de condamnation au titre de l’article 312 du code pénal. Elle le condamna tout d’abord à une amende de 200 millions de livres turques (TRL) puis, tenant compte de sa bonne conduite lors du procès, la réduisit à 166 666 666 TRL. Pour sa part, le rédacteur en chef de la revue fut condamné à une peine d’emprisonnement de cinq mois et à une amende de 83 333 333 TRL. 15. La cour conclut que les lettres incriminées étaient contraires à l’article 8 de la loi de 1991, estimant qu’elles faisaient référence à huit districts du Sud-Est de la Turquie comme s’il s’agissait d’un Etat indépendant, le « Kurdistan », qualifiaient le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) de mouvement de libération nationale menant une « guerre d’indépendance nationale » contre l’Etat turc et véhiculaient ainsi une propagande visant à briser l’intégrité territoriale de l’Etat turc. La cour jugea en outre que ces lettres contenaient des déclarations exprimant une discrimination fondée sur la race. E. Le pourvoi en cassation et la suite de la procédure Le requérant se pourvut devant la Cour de cassation, faisant valoir que son procès et sa condamnation étaient contraires aux articles 6 et 10 de la Convention et que l’article 8 de la loi de 1991 était inconstitutionnel. Il nia que les lettres incriminées aient diffusé de la propagande séparatiste et soutint en outre qu’il n’avait pas pu se rendre à l’audience au cours de laquelle avait été rendue la décision le condamnant. Selon lui, une décision ainsi rendue en son absence et sans qu’il ait pu présenter ses conclusions n’était pas conforme à la loi. Le 26 novembre 1993, la Cour de cassation conclut que l’amende infligée par la cour de sûreté de l’Etat était excessive ; elle annula la condamnation du requérant et renvoya l’affaire devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul. Par un arrêt du 12 avril 1994, celle-ci condamna le requérant à une amende de 100 millions TRL, qu’elle réduisit ensuite à 83 333 333 TRL, en invoquant les mêmes motifs que ceux avancés dans son arrêt du 12 avril 1993. Le requérant fit appel en réitérant sa ligne de défense antérieure. Il déclara également que la cour de sûreté de l’Etat l’avait condamné sans l’avoir entendu comme il convient. Le 30 septembre 1994, la Cour de cassation débouta le requérant, confirmant la pertinence du raisonnement et de l’appréciation des preuves émanant de la cour de sûreté de l’Etat. F. Les conséquences des amendements apportés à la loi de 1991 Après que la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 eut amendé la loi de 1991 (paragraphe 25 ci-dessus), la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul se saisit de nouveau de l’affaire d’office. Le 8 mars 1996, elle prononça la même peine que celle infligée auparavant. II. le droit ET LA PRATIQUE interneS pertinentS A. Le droit pénal Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi libellées : Article 2 § 2 « Si les dispositions de la loi en vigueur au moment où le crime ou le délit est commis diffèrent de celles d’une loi ultérieure, les dispositions les plus favorables à l’auteur du crime ou du délit sont appliquées. » Article 19 « La peine d’amende lourde consiste en un versement au Trésor public d’une somme de vingt mille à cent millions de livres turques, selon la décision du juge (…) » Article 36 § 1 « En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l’objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (…) » Article 142 (abrogé par la loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme) « Propagande nuisible Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande en vue d’établir l’hégémonie d’une classe sociale sur les autres, d’anéantir une classe sociale, de renverser l’ordre fondamental social ou économique institué dans le pays ou l’ordre politique ou juridique de l’Etat. Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, de quelque manière que ce soit, fait de la propagande visant à ce que l’Etat soit gouverné par une personne ou un groupement social, au mépris des principes qui sous-tendent la République et la démocratie. Est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans quiconque, s’appuyant sur des considérations raciales, fait, de quelque manière que ce soit, de la propagande visant à abolir partiellement ou totalement les droits publics garantis par la Constitution, ou à affaiblir ou détruire les sentiments patriotiques. (…) » Article 311 § 2 « Incitation publique au crime (…) Si l’incitation au crime est pratiquée par des moyens de communication de masse quels qu’ils soient – bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse – par la diffusion ou la distribution de manuscrits imprimés ou par la pose de panneaux ou affiches dans des lieux publics, les peines d’emprisonnement à infliger au coupable sont doublées (…) » Article 312 « Incitation non publique au crime Est passible de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende lourde de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte qualifié de crime par la loi, ou incite la population à désobéir à la loi. Est passible d’un à trois ans d’emprisonnement ainsi que d’une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base. Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311 § 2. » La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse Les clauses pertinentes de la loi de 1950 sont libellées comme suit : Article 3 « Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers. Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la diffusion, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir. Le délit de presse n’est constitué que s’il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. » Article 4 § 1 additionnel « Si la diffusion des imprimés objets du délit se trouve empêchée (…) du fait d’une mesure conservatoire ordonnée par un tribunal ou, en cas d’urgence, du fait d’une ordonnance du procureur général de la République (…), la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause est réduite à un tiers. » La loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme Les dispositions pertinentes de la loi de 1991 sont libellées en ces termes : Article 6 « Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque déclare, oralement ou dans une publication, que des organisations terroristes commettront une infraction contre une personne, en divulguant ou non son (…) identité mais de manière qu’on puisse l’identifier, ou dévoile l’identité de fonctionnaires ayant participé à des missions de lutte contre le terrorisme ou, pareillement, désigne une personne comme cible. Est puni d’une amende de cinq à dix millions de livres turques quiconque imprime ou publie des déclarations et tracts d’organisations terroristes. (…) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes précédemment réalisées par le dernier numéro du périodique si celui-ci est mensuel ou paraît moins fréquemment, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé[]. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cinquante millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » Article 8 (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. Lorsque le crime de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé[1]. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. » Article 8 (tel que modifié par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d’un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (…) (…) » Article 13 (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. » __________ Le membre de phrase en italique a été supprimé par un arrêt de la Cour constitutionnelle en date du 31 mars 1992 et a cessé de produire effet le 27 juillet 1993. Article 13 (tel qu’amendé par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux condamnations prononcées en vertu de l’article 8[]. » Article 17 « Parmi les personnes condamnées pour des infractions relevant de la présente loi, celles (…) punies d’une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, à condition d’avoir purgé les trois quarts de leur peine et fait preuve de bonne conduite. (…) Les premier et second paragraphes de l’article 19[] (…) de la loi n° 647 sur l’exécution des peines ne s’appliquent pas aux condamnés susvisés. » La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification des articles 8 et 13 de la loi n° 3713 Les amendements ci-dessous ont été apportés à la loi de 1991 à la suite de l’adoption de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 : Disposition provisoire relative à l’article 2 « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4[] et 6[] de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » La loi n° 4304 du 14 août 1997 sur les sursis au jugement et à l’exécution des peines quant aux infractions commises avant le 12 juillet 1997 en qualité de rédacteur en chef Les dispositions suivantes sont applicables aux peines réprimant les infractions à la loi sur la presse : Article 1 « Il est sursis à l’exécution des peines infligées en leur qualité de rédacteur en chef, conformément à l’article 16 de la loi n° 5680 sur la presse ou à d’autres lois, aux auteurs d’infractions commises avant le 12 juillet 1997. La disposition du premier paragraphe s’applique aussi aux peines en cours d’exécution. Il est sursis à la mise en branle de l’action publique ou au jugement si le rédacteur en chef n’est pas encore poursuivi, si une enquête préliminaire a été ouverte mais que l’action publique n’a pas encore été lancée, si la procédure en est au stade de l’instruction finale mais que le jugement n’a pas encore été prononcé ou si le jugement a été prononcé mais n’est pas encore devenu définitif. » Article 2 « Si un rédacteur en chef ayant bénéficié des dispositions du premier paragraphe de l’article 1 est condamné en sa qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis, il doit accomplir l’intégralité des peines dont l’exécution avait été suspendue. (…) Dans les cas où il y a été sursis, l’action publique est lancée ou le jugement rendu dès lors qu’intervient une condamnation en qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis. Toute condamnation en qualité de rédacteur en chef prononcée pour une infraction commise avant le 12 juillet 1997 est réputée nulle et non avenue si ledit délai de trois ans expire sans que soit intervenue une nouvelle condamnation pour une infraction intentionnelle. Dans les mêmes conditions, si l’action publique n’a pas été lancée, elle ne peut plus l’être ; si elle l’a été, il y est mis fin. » La loi n° 647 du 13 juillet 1965 sur l’exécution des peines La loi de 1965 sur l’exécution des peines dispose notamment : Article 5 « La peine d’amende consiste en un versement au Trésor public d’une somme fixée dans les limites prévues par la loi. (…) Si, après notification de l’injonction de payer, le condamné ne s’acquitte pas de l’amende dans les délais, il est incarcéré, à raison d’un jour par dizaine de milliers de livres turques dues, sur décision du procureur de la République. (…) La peine d’emprisonnement ainsi infligée en substitution de la peine d’amende ne peut dépasser trois ans (…) » Article 19 § 1 « (…) les personnes condamnées à une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, sous réserve d’avoir purgé la moitié de leur peine et fait preuve de bonne conduite (…) » Le code de procédure pénale (loi n° 1412) Le code de procédure pénale contient les dispositions suivantes : Article 307 « Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi. La non-application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi[]. » Article 308 « La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous : 1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ; 2- si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ; (…) » B. Jurisprudence pénale soumise par le Gouvernement Le Gouvernement a produit des copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité – notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion – (article 312 du code pénal) ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713 – paragraphe 24 ci-dessus). S’agissant des affaires où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des cas en cause, le parquet s’est fondé notamment sur la prescription de l’action publique, l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes ; comme autres motifs, l’on trouve aussi la non-distribution des imprimés litigieux, l’absence d’intention délictuelle ainsi que l’absence d’établissement des faits ou d’identification des responsables. En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat quant aux infractions susmentionnées et concluant à la non-culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts nos 1991/ 23 – 75 – 132 – 177 – 100 ; 1992/ 33 – 62 – 73 – 89 – 143 ; 1993/ 29 – 30 – 38 – 39 – 82 – 94 – 114 ; 1994/ 3 – 6 – 12 – 14 – 68 – 108 – 131 – 141 – 155 – 171 – 172 ; 1995/ 1 – 25 – 29 – 37 – 48 – 64 – 67 – 84 – 88 – 92 – 96 – 101 – 120 – 124 – 134 – 135 ; 1996/ 2 – 8 – 18 – 21 – 34 – 38 – 42 – 43 – 49 – 54 – 73 – 86 – 91 – 103 – 119 – 353 ; 1997/ 11 – 19 – 32 – 33 – 82 – 89 – 113 – 118 – 130 – 140 – 148 – 152 – 153 – 154 – 187 – 191 – 200 – 606 ; 1998/ 6 – 8 – 50 – 51 – 56 – 85 – 162. Pour ce qui est plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction, ou par le caractère objectif des propos tenus en l’occurrence. C. Les cours de sûreté de l’Etat La Constitution Les dispositions constitutionnelles régissant l’organisation judiciaire des cours de sûreté de l’Etat sont ainsi libellées : Article 138 §§ 1 et 2 « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Nul organe, nulle autorité (…) nulle personne ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires, ni leur faire des recommandations ou suggestions. » Article 139 § 1 « Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent (…) » Article 143 §§ 1-5 « Il est institué des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l’unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d’un procureur et d’un nombre suffisant de substituts. Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires. Les présidents et les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable. La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. (...) » Article 145 § 4 « Le contentieux militaire (…) le statut personnel des juges militaires (…) est fixé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent et des impératifs du service militaire. La loi détermine en outre les rapports des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) » La loi n° 2845 instituant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles Fondées sur l’article 143 de la Constitution, les clauses pertinentes de la loi n° 2845 sur les cours de sûreté de l’Etat disposent : Article 1 « Dans les chefs-lieux des provinces de (…) sont instituées des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l’unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. » Article 3 « Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président et de deux membres titulaires, ainsi que de deux membres suppléants. » Article 5 « Le président de la cour de sûreté de l’Etat ainsi que l’un des [deux] titulaires et l’un des [deux] suppléants (…) sont choisis parmi les juges (...) civils, les autres membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires de premier rang (...) » Article 6 §§ 2, 3 et 6 « La nomination des membres titulaires et suppléants choisis parmi les juges militaires se fait selon la procédure prévue par la loi sur les magistrats militaires. Sous réserve des exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne peuvent être affectés sans leur consentement à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…) (…) Si à l’issue d’une instruction menée, selon les lois les concernant, à l’encontre d’un président, d’un membre titulaire ou d’un membre suppléant d’une cour de sûreté de l’Etat, des comités ou autorités compétents décident qu’il y a lieu de changer le lieu d’exercice des fonctions de l’intéressé, ce lieu ou les fonctions elles-mêmes (…) peuvent être modifiés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. » Article 9 § 1 « Les cours de sûreté de l’Etat sont compétentes pour connaître des infractions a) visées à l’article 312 § 2 (…) du code pénal turc, (…) d) en rapport avec les événements ayant nécessité la proclamation de l’état d’urgence, dans les régions où l’état d’urgence a été décrété en vertu de l’article 120 de la Constitution, e) commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – du territoire comme de la nation – et contre l’ordre libre et démocratique, ou touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. (…) » Article 27 § 1 « La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. » Article 34 §§ 1 et 2 « Le régime statutaire et le contrôle des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d’instructions disciplinaires et le prononcé de sanctions disciplinaires à leur encontre, ainsi que les enquêtes et poursuites relatives aux infractions concernant leurs fonctions (…) relèvent des dispositions pertinentes des lois régissant leur profession (…) Les observations de la Cour de cassation, les rapports de notation établis par les commissaires de justice (…) et les dossiers des enquêtes menées au sujet des juges militaires (…) sont transmis au ministère de la Justice. » Article 38 « En cas de proclamation d’un état de siège couvrant tout ou partie de son ressort et à condition qu’elle ne soit pas la seule dans celui-ci, une cour de sûreté de l’Etat pourra, dans les conditions ci-dessous, être transformée en cour martiale de l’état de siège (…) » La loi n° 357 sur les magistrats militaires Les dispositions pertinentes de la loi sur les magistrats militaires prévoient : Article 7 additionnel « Les aptitudes des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de juges titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat requises pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté sont déterminées sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi n° 926 sur le personnel des forces armées turques : a) Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers militaires juges titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat à la Défense ; vient ensuite le ministre de la Défense. (…) » Article 8 additionnel « Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat appartenant à la magistrature militaire (…) sont désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des Affaires judiciaires militaires au ministère de la Défense (...) » Article 16 §§ 1 et 3 « La nomination des juges militaires (…), effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du premier ministre, est soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des forces armées (…) (…) Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) » Article 18 § 1 « Le barème des salaires, les augmentations de salaire et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent de la réglementation concernant les officiers. » Article 29 « Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après les avoir entendus, les sanctions disciplinaires suivantes : A. L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit à l’intéressé qu’il doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions. (…) B. Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait que tel acte ou telle attitude sont considérés comme fautifs. (…) Lesdites sanctions sont définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé puis inscrites dans son dossier personnel (…) » Article 38 « Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile (…) » Le code pénal militaire L’article 112 du code pénal militaire du 22 mai 1930 dispose : « Est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement quiconque influence les tribunaux militaires en abusant de son autorité de fonctionnaire. » La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire Aux termes de l’article 22 de la loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur avancement professionnel. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kamil Tekin Sürek a saisi la Commission le 20 février 1995. Il faisait valoir que sa condamnation avait constitué une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention et qu’il n’avait pas été entendu par un tribunal indépendant et impartial, au mépris de l’article 6 § 1. Il affirmait aussi que la procédure pénale dirigée contre lui n’avait pas connu une durée raisonnable, emportant ainsi une autre violation de l’article 6 § 1. La Commission a retenu la requête (n° 26682/95) le 14 octobre 1996, à l’exception du grief tiré de l’article 6 § 1 relatif à la durée de la procédure pénale. Dans son rapport du 11 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle exprime l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (dix-neuf voix contre treize) mais qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (trente et une voix contre une). Des extraits de son avis et l’une des trois opinions séparées dont il s’accompagne figurent en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Le requérant prie la Cour de conclure que l’Etat défendeur a failli aux obligations que lui imposent les articles 6 § 1 et 10 de la Convention et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41. De son côté, le Gouvernement invite la Cour à rejeter les griefs du requérant.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les requérants A l’époque des faits, le premier requérant, M. Ümit Erdoğdu, était rédacteur en chef de la revue mensuelle Demokrat Muhalefet ! (« Opposition démocratique ! »), qui paraît à Istanbul. Dans son numéro de janvier 1992, la revue publia un entretien avec un sociologue turc, M. İ.B., interrogé par le second requérant, M. Selami İnce. B. L’article incriminé Les passages pertinents de cet entretien se traduisent ainsi : « Q : Comment et dans quelle mesure M. Demirel va-t-il accepter la « réalité kurde » ? Son interprétation de cette « réalité » peut-elle être considérée comme représentative de la politique de l’Etat ? R : (...) Le gouvernement est bien obligé d’accepter certains faits maintenant qu’il existe une résistance armée au Kurdistan. (...) Le recours à la violence par les forces turques n’a pas enrayé l’escalade ni la progression du PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan] (...) Q : Quelle forme prendra la nouvelle politique officielle au Kurdistan ? Quels aspects de l’idéologie officielle seront modifiés et de quelle façon ? Quelles en seront les conséquences sur la vie quotidienne des Kurdes ? R : (...) En Turquie, le gouvernement et l’Etat sont deux choses très différentes. L’Etat fonctionne au travers d’institutions et d’organes, dont les membres sont nommés. Ces institutions et organes représentent le pouvoir de l’Etat. Le poids du gouvernement, c’est-à-dire du pouvoir politique, est négligeable par rapport au pouvoir de l’Etat. C’est pourquoi les gouvernements peuvent être renversés aussi souvent par l’autorité de l’Etat. Un changement de l’idéologie officielle ne peut intervenir que sur le long terme et ce sont les forces politiques et sociales non gouvernementales qui, par leur lutte, pourront susciter ce changement. La substance des idées et de l’action du PKK, par exemple, est de nature à infléchir l’idéologie officielle, réduire l’influence des organes de la scène politique turque dont les membres sont nommés et augmenter le poids des parlementaires élus par le peuple. A mon sens, le rôle des Kurdes, et notamment celui du PKK, va de facto prendre encore de l’importance. L’influence du PKK dans les sociétés kurde et turque va gagner en ampleur et en profondeur. Et à mesure que cette influence grandira, les gouvernements prendront des mesures plus importantes dans le cadre de leurs politiques en vue de la reconnaissance de la « réalité kurde ». De toute évidence, l’Etat tentera de faire obstacle au gouvernement dans ce processus et essaiera de dénaturer certaines idées et politiques. De même, il est manifeste que le gouvernement survivra aussi longtemps qu’il pourra résister au pouvoir de l’Etat et contrôler les institutions et organes désignés, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il détiendra un pouvoir réel. Ces changements se manifesteront dans la vie quotidienne des Kurdes. Les investigations et recherches vont se développer dans des domaines tels que la langue, l’histoire et le folklore kurdes. La culture kurde va connaître un renouveau. La spécificité d’une société kurde sera exaltée parmi les masses kurdes. La conscience nationale et l’aspiration à la libération se renforceront et s’étendront. L’idée et le désir d’indépendance se développeront. Q : On observe à l’heure actuelle que les Kurdes qui, jusqu’à présent, n’auraient jamais dit « je suis kurde et je me lance dans la politique pour améliorer mes conditions de vie présentes et à venir » commencent maintenant clairement « à entrer en politique pour défendre leurs propres intérêts » dans tout le Kurdistan et la Turquie. Qu’est-ce qui a amené cette évolution ? Les Kurdes ont-ils besoin d’un thème politique dans le domaine juridique ? Dans l’affirmative, quelle forme devrait-il prendre ? R : Sans aucun doute, la principale cause de cette évolution a été la lutte armée menée par le PKK depuis presque huit ans. La guérilla a entraîné des changements sociaux et politiques majeurs dans la société kurde traditionnelle. Les valeurs traditionnelles sont bouleversées. La population soutient très largement les guérilleros kurdes depuis le 15 août 1984. La conscience nationale est en train de s’imposer dans la société kurde et ce processus prend rapidement de l’ampleur. Et nous voyons que, dans le cadre de cette évolution, les forces politiques établies sont utilisées pour défendre les intérêts kurdes, pour aller vers l’autonomie et l’indépendance. Les Kurdes, dont l’engagement politique a toujours servi les intérêts d’autres personnes et d’autres nations, font désormais de la politique pour être utiles au peuple kurde. Une saine conscience nationale se développe en réponse au racisme et au colonialisme des Turcs. Sans doute serait-ce simplifier à l’extrême de dire que tout a commencé avec le début de la guérilla kurde le 15 août. Ce processus a des origines plus lointaines mais (ce qui a été décisif, c’est la nouvelle dynamique lancée par le PKK. (...) Qui est illégal au Kurdistan ? Les guérilleros ou les forces spéciales de l’armée turque ? (...) Q : Que faudrait-il faire pour contrer la vague de chauvinisme turc favorisée par la presse de droite et le MCP [Parti des travailleurs nationalistes] ? Existe-t-il une possibilité de confrontation entre les peuples turc et kurde ? Comment empêcher cela ? R : (...) Les Kurdes meurent pour leur nation. Pour quelle cause meurent les Turcs ? Que font-ils au Kurdistan ? Q : Il est dit depuis un certain temps que l’hégémonie du PKK au Kurdistan a atteint un degré tel que l’on peut à présent parler d’un « double pouvoir ». Öcalan a écrit que l’on se dirigeait vers la « formation d’un Gouvernement-Etat » dans la région du Botan-Behdinan. Existe-t-il certaines indications quant à la stratégie future du PKK au Kurdistan et sur la scène politique turque ? R : (...) L’Etat turc a déjà retiré ses soldats et évacué les commissariats de police dans certaines régions telles que le Botan. (...) Cela pourrait être perçu comme le début de la formation d’un Etat. (...) » C. Les mesures prises par les autorités Les chefs d’accusation Par acte du 23 mars 1992, le procureur près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (Istanbul Devlet Güvenlik Mahkemesi), en vertu de l’article 8 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi de 1991 » – paragraphe 19 ci-dessous), inculpa les requérants de diffusion de propagande contre l’intégrité de l’Etat du fait de la publication de l’entretien. La procédure devant la cour de sûreté de l’Etat Devant la cour de sûreté de l’Etat, les requérants réfutèrent les accusations. Ils firent valoir que l’entretien litigieux se bornait à retranscrire les propos de M. İ.B. Selon eux, la publication d’un entretien ne pouvait constituer une infraction ; de plus, des points de vue similaires avaient été exprimés par les plus hautes autorités en Turquie. La condamnation des requérants Par un arrêt du 12 août 1993, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul déclara les requérants coupables d’infractions à l’article 8 de la loi de 1991. Le premier fut condamné à cinq mois d’emprisonnement et à une amende de 41 666 666 livres turques (TRL) en vertu du deuxième paragraphe de l’article 8 de ladite loi ; le second à un an et huit mois d’emprisonnement et à une amende de 41 666 666 TRL en vertu du premier paragraphe de l’article 8. Dans ses attendus, la cour se fonda sur certains passages des déclarations de la personne interrogée. Elle conclut notamment que les extraits suivants constituaient de la propagande contre l’indivisibilité de l’Etat : « (...) le gouvernement est bien obligé d’accepter certains faits maintenant qu’il existe une résistance armée au Kurdistan (...) » ; « (...) Le recours à la violence par les forces turques n’a pas enrayé la montée en puissance du PKK. (...) » ; « (...) La substance des idées et de l’action du PKK (...) est de nature à infléchir l’idéologie officielle (...) » ; « (...) le rôle des Kurdes, et notamment celui du PKK, va prendre encore de l’importance. L’influence du PKK dans les sociétés kurde et turque va gagner en ampleur et en profondeur (...) » ; « (...) La conscience nationale et l’aspiration à la libération se renforceront et s’étendront. L’idée et le désir d’indépendance se développeront (...) » ; « (...) la principale cause de cette évolution a été la lutte armée menée par le PKK depuis presque huit ans (...) » ; « (...) Qui est illégal au Kurdistan ? Les guérilleros ou les forces spéciales de l’armée turque ? (...) » ; « (...) Les Kurdes meurent pour leur nation. Pour quelle cause meurent les Turcs ? Que font-ils au Kurdistan ? (...) » ; « (...) L’Etat turc a déjà retiré ses soldats et évacué les commissariats de police dans certaines régions telles que le Botan. (...) » ; « (...) Cela pourrait être perçu comme le début de la formation d’un Etat (...) ». Le pourvoi formé par les requérants Les requérants se pourvurent en cassation. Par arrêt du 1er février 1994, la Cour de cassation les débouta. Elle confirma le bien-fondé de l’appréciation des preuves et du raisonnement émanant de la cour de sûreté de l’Etat lorsqu’elle avait rejeté les moyens de défense des requérants. L’arrêt fut signifié aux intéressés le 21 février 1994. La suite de la procédure A la suite des modifications apportées à la loi de 1991 par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 (paragraphes 19 et 20 ci-dessous), la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul réexamina d’office les affaires des requérants. Le 15 décembre 1995, elle les condamna respectivement à cinq mois d’emprisonnement et une amende de 41 666 666 TRL, et à un an, un mois et dix jours d’emprisonnement et une amende de 111 111 110 TRL. La cour ordonna d’assortir les peines de prison d’un sursis avec mise à l’épreuve. Les requérants se pourvurent en cassation. Le 7 avril 1997, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour de sûreté de l’Etat. En ce qui concerne M. Erdoğdu, elle considéra que, puisqu’il avait été poursuivi en sa qualité de rédacteur en chef de la revue, sa peine d’emprisonnement aurait dû être commuée en une amende, faute de quoi la condamnation était illégale. Quant à M. İnce, elle jugea que l’avocat de celui-ci n’avait pas été dûment informé de la date de l’audience devant la cour de sûreté de l’Etat. Le 9 septembre 1997, cette dernière tint audience. Compte tenu des dispositions de la loi n° 4304 entrée en vigueur le 14 août 1997, elle décida de surseoir à prononcer une peine définitive contre M. Erdoğdu, conformément à l’article 1 de ladite loi, sous réserve des conditions énoncées à son article 2 (paragraphe 21 ci-dessous). La cour confirma la condamnation de M. İnce et la peine qui lui avait été infligée, à l’exécution de laquelle il était toutefois sursis en raison de sa bonne conduite durant le procès. II. le droit ET LA PRATIQUE interneS pertinentS A. Le droit pénal La loi n° 5680 du 15 juillet 1950 sur la presse Les clauses pertinentes de la loi de 1950 sont libellées comme suit : Article 3 « Sont des « périodiques », aux fins de la présente loi, les journaux, les dépêches des agences de presse et tous autres imprimés publiés à intervalles réguliers. Constitue une « publication », l’exposition, l’affichage, la diffusion, l’émission, la vente ou la mise en vente d’imprimés dans des locaux accessibles au public où chacun peut les voir. Le délit de presse n’est constitué que s’il y a publication, sauf lorsque le discours est en soi constitutif d’une infraction. » La loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme Les dispositions pertinentes de la loi de 1991 sont libellées en ces termes : Article 8 (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. Lorsque le crime de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé[]. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. » Article 8 (tel que modifié par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d’un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (…) (…) » Article 13 (avant modification par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. » Article 13 (tel qu’amendé par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995) « Les peines réprimant les infractions visées à la présente loi ne sont convertibles ni en une amende ni en une autre mesure, et ne peuvent être assorties d’un sursis à exécution. Toutefois, les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux condamnations prononcées en vertu de l’article 8[]. » Article 17 « Parmi les personnes condamnées pour des infractions relevant de la présente loi, celles (…) punies d’une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, à condition d’avoir purgé les trois quarts de leur peine et fait preuve de bonne conduite. (…) Les premier et second paragraphes de l’article 19[] (…) de la loi n° 647 sur l’exécution des peines ne s’appliquent pas aux condamnés susvisés. » La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification des articles 8 et 13 de la loi n° 3713 Les amendements ci-dessous ont été apportés à la loi de 1991 à la suite de l’adoption de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995 : Disposition provisoire relative à l’article 2 « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4[] et 6[] de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » La loi n° 4304 du 14 août 1997 sur les sursis au jugement et à l’exécution des peines quant aux infractions commises avant le 12 juillet 1997 en qualité de rédacteur en chef Les dispositions suivantes sont applicables aux peines réprimant les infractions à la loi sur la presse : Article 1 « Il est sursis à l’exécution des peines infligées en leur qualité de rédacteur en chef, conformément à la loi n° 5680 sur la presse ou à d’autres lois, aux auteurs d’infractions commises avant le 12 juillet 1997. La disposition du premier paragraphe s’applique aussi aux peines en cours d’exécution. Il est sursis à la mise en branle de l’action publique ou au jugement si le rédacteur en chef n’est pas encore poursuivi, si une enquête préliminaire a été ouverte mais que l’action publique n’a pas encore été lancée, si la procédure en est au stade de l’instruction finale mais que le jugement n’a pas encore été prononcé ou si le jugement a été prononcé mais n’est pas encore devenu définitif. » Article 2 « Si un rédacteur en chef ayant bénéficié des dispositions du premier paragraphe de l’article 1 est condamné en sa qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis, il doit accomplir l’intégralité des peines dont l’exécution avait été suspendue. (…) Dans les cas où il y a été sursis, l’action publique est lancée ou le jugement rendu dès lors qu’intervient une condamnation en qualité de rédacteur en chef pour une infraction intentionnelle commise dans les trois ans à compter de la date du sursis. Toute condamnation en qualité de rédacteur en chef prononcée pour une infraction commise avant le 12 juillet 1997 est réputée nulle et non avenue si ledit délai de trois ans expire sans que soit intervenue une nouvelle condamnation pour une infraction intentionnelle. Dans les mêmes conditions, si l’action publique n’a pas été lancée, elle ne peut plus l’être ; si elle l’a été, il y est mis fin. » La loi n° 647 du 13 juillet 1965 sur l’exécution des peines La loi de 1965 sur l’exécution des peines dispose notamment : Article 5 « La peine d’amende consiste en un versement au Trésor public d’une somme fixée dans les limites prévues par la loi. (…) Si, après notification de l’injonction de payer, le condamné ne s’acquitte pas de l’amende dans les délais, il est incarcéré, à raison d’un jour par dizaine de milliers de livres turques dues, sur décision du procureur de la République. (…) La peine d’emprisonnement ainsi infligée en substitution de la peine d’amende ne peut dépasser trois ans (…) » Article 19 § 1 « (…) les personnes condamnées à une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, sous réserve d’avoir purgé la moitié de leur peine et fait preuve de bonne conduite (...) » Le code de procédure pénale (loi n° 1412) Le code de procédure pénale contient les dispositions suivantes : Article 307 « Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi. La non-application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi[]. » Article 308 « La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous : 1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ; 2- si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ; (…) » B. Jurisprudence pénale soumise par le Gouvernement Le Gouvernement a produit copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité – notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion – (article 312 du code pénal) ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713 – paragraphe 19 ci-dessus). S’agissant des affaires où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des cas en cause, le parquet s’est fondé notamment sur la prescription de l’action publique, l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes ; comme autres motifs, l’on trouve aussi la non-distribution des imprimés litigieux, l’absence d’intention délictuelle ainsi que l’absence d’établissement des faits ou d’identification des responsables. En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat quant aux infractions susmentionnées et concluant à la non-culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts suivants : 19 novembre (n° 1996/428) et 27 décembre 1996 (n° 1996/519), 6 mars (n° 1997/33), 3 juin (n° 1997/102), 17 octobre (n° 1997/527), 24 octobre (n° 1997/541) et 23 décembre 1997 (n° 1997/606), 21 janvier (n° 1998/8), 3 février (n° 1998/14), 19 mars (n° 1998/56), 21 avril (n° 1998/87) et 17 juin 1998 (n° 1998/133). Pour ce qui est plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction, ou par le caractère objectif des propos tenus en l’occurrence. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Ümit Erdoğdu, premier requérant, et Selami İnce, second requérant, ont saisi la Commission le 20 août 1994. Invoquant les articles 7, 9 et 10 de la Convention, ils arguaient que leur condamnation pour la publication de l’entretien en question avait constitué une ingérence injustifiable dans leur droit à la liberté de pensée et à la liberté d’expression. Ils se plaignaient aussi d’avoir été condamnés pour un acte ne constituant pas une infraction pénale en droit national ou international à l’époque où il avait été commis étant donné que la disposition pertinente de la loi de 1991 était trop vague pour leur permettre d’établir une distinction entre comportement autorisé et comportement interdit. La Commission a retenu les requêtes (nos 25067/94 et 25068/94) les 2 septembre et 14 octobre 1996 respectivement. Le 2 décembre 1997, la Commission a décidé de joindre les requêtes. Dans son rapport du 11 décembre 1997 (ancien article 31 de la Convention), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 (trente et une voix contre une) mais non de l’article 7 (unanimité). Des extraits de son avis et l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figurent en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans leur mémoire, les requérants prient la Cour de conclure que l’Etat défendeur a failli aux obligations que lui imposent les articles 7 et 10 de la Convention et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41. De son côté, le Gouvernement excipe à titre préliminaire du non-respect de la règle des six mois. A titre subsidiaire, il invite la Cour à conclure à la non-violation des articles invoqués par les requérants.
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le requérant Ressortissant turc né en 1953, le requérant, M. İzzet Çakıcı, vit actuellement à Diyarbakır, dans le Sud-Est de la Turquie. Il a saisi la Commission en son nom propre et en celui de son frère, M. Ahmet Çakıcı, qui, selon lui, a disparu dans des circonstances engageant la responsabilité de l’Etat. B. Les faits Les faits qui entourent la disparition du frère du requérant sont controversés. La version qui en a été fournie par le requérant se trouve exposée sous la section 1 ci-après. Dans son mémoire à la Cour, M. Çakıcı s’est appuyé sur les faits tels que la Commission les a établis dans son rapport (ancien article 31 de la Convention) adopté le 12 mars 1998, ainsi que sur les observations qu’il avait adressées à la Commission. Les faits tels que le Gouvernement les a décrits figurent sous la section 2. La partie C détaille les éléments communiqués à la Commission. La partie D retrace la procédure – telle que la Commission l’a établie – suivie devant les autorités internes à propos de la disparition du frère du requérant. Eu égard au caractère controversé des circonstances de la disparition du frère du requérant, la Commission, appliquant l’ancien article 28 § 1 a) de la Convention, a mené sa propre enquête pour établir les faits. Elle a ainsi examiné plusieurs documents produits par le requérant et par le Gouvernement à l’appui de leurs assertions respectives et elle a désigné trois délégués qu’elle a chargés de recueillir des dépositions lors d’auditions qui se sont déroulées à Ankara les 3 et 4 juillet 1996 et à Strasbourg le 4 décembre 1996. L’appréciation des preuves à laquelle la Commission s’est livrée ainsi que ses constatations se trouvent résumées à la partie E. Les faits tels qu’ils ont été exposés par le requérant Le 8 novembre 1993, le frère du requérant, Ahmet Çakıcı, fut arrêté lors d’une opération menée dans le village de Çitlibahçe par des gendarmes et des gardes de village. Lorsque l’opération avait commencé, tôt le matin, il s’était dissimulé dans une maison près de la fontaine, alors que les autres hommes étaient rassemblés dans un endroit à l’extérieur. Les forces de l’ordre avaient alors entrepris d’incendier les maisons. Ahmet Çakıcı alla chercher de l’argent (4 700 000 livres turques – TRL) qu’il avait caché dans le toit de la maison et fut pris alors qu’il sortait de celle-ci. Il fut emmené hors du village par les forces de l’ordre. Les autres villageois furent témoins de la scène. L’intéressé se vit confisquer l’argent par un officier de gendarmerie : un jeune villageois a indiqué à Remziye Çakıcı, l’épouse d’Ahmet Çakıcı, avoir vu un gendarme prendre l’argent que détenait Ahmet Çakıcı. Ahmet Çakıcı fut emmené à Hazro, où il passa la nuit en détention avant d’être conduit à Diyarbakır. Là-bas, il fut détenu à la gendarmerie départementale où, après six ou sept jours, il demeura seize ou dix-sept jours dans la même pièce que Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş, incarcérés par les forces de l’ordre le 8 novembre 1993, lors d’une opération menée à Bağlan. Il avait été battu et avait une côte cassée et une blessure ouverte à la tête. A plusieurs reprises, il fut emmené hors de la pièce pour être interrogé, frappé et soumis à des décharges électriques. Il a dit à Mustafa Engin que l’argent lui avait été confisqué par un officier de gendarmerie. A la fin de cette période, les trois autres détenus furent traduits en justice. Engin et Demirbaş furent libérés, alors qu’Abdurrahman Al retourna en détention. Engin ne revit plus jamais Ahmet Çakıcı. Après quatre-vingt-cinq jours passés à la gendarmerie départementale, Ahmet Çakıcı fut ramené vers fin janvier-début février 1994 à Hazro, où il resta plusieurs mois en détention. De là, il fut transféré à la gendarmerie de Kavaklıboğaz. Egalement détenu à Kavaklıboğaz au printemps ou au début de l’été 1994, pendant une période de treize jours, Hikmet Aksoy aperçut Ahmet Çakıcı alors qu’on les faisait sortir de leur cellule au moment des repas. A la fin de cette période, Hikmet Aksoy fut transféré à Lice. En mai 1996, lorsque la Commission lui communiqua les observations du Gouvernement, le requérant fut pour la première fois informé que, selon les autorités, Ahmet Çakıcı avait été tué lors d’un affrontement qui avait eu lieu sur la colline de Kıllıboğan (sous-préfecture de Hani) entre le 17 et le 19 février 1995. L’identification ne se fondait apparemment que sur une allégation selon laquelle on avait trouvé la carte d’identité d’Ahmet Çakıcı sur l’un des cadavres. Les faits tels qu’ils ont été exposés par le Gouvernement Le Gouvernement rappelle qu’à cette époque le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) a détruit de nombreux villages, fait souffrir des milliers de victimes innocentes et opprimé de manière intolérable la population de la région du Sud-Est. Ahmet Çakıcı ne fut jamais arrêté par les forces de l’ordre qui menèrent une opération à Çitlibahçe le 8 novembre 1993, ni détenu après cette date. Selon les registres de garde à vue, il ne fut jamais incarcéré ni à Hazro ni à la gendarmerie départementale de Diyarbakır. Il ne fut pas non plus emmené à la gendarmerie de Kavaklıboğaz. Ahmet Çakıcı était un militant du PKK. A la suite d’un affrontement armé ayant opposé cette organisation aux forces de l’ordre du 17 au 19 février 1995, il avait été retrouvé mort avec cinquante-cinq autres militants sur la colline de Kıllıboğan, Hani. Ahmet Çakıcı avait été impliqué dans le meurtre, le 23 octobre 1993, de cinq enseignants de Dadaş, qu’il aurait qualifiés de « chiens serviles de l’Etat ». S’il avait disparu après cet incident, c’était très probablement dans l’intention de se soustraire à la justice et de poursuivre ses activités pour le PKK. Aucun membre de la famille du requérant n’a porté plainte auprès du procureur d’Hazro à propos de la disparition alléguée. C. Pièces produites devant la Commission à l’appui de leurs thèses respectives par le requérant et le Gouvernement Au cours de la procédure devant la Commission, le requérant et le Gouvernement ont produit plusieurs déclarations faites par le requérant à l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır (ADH) et au procureur de cette ville. L’ADH et le procureur avaient aussi recueilli les dépositions de Remziye Çakıcı, épouse d’Ahmet Çakıcı, et de Mustafa Engin, qui avait été détenu du 9 novembre au 1er décembre 1993 à la gendarmerie de Diyarbakır. Mustafa Engin avait aussi fait une déclaration à un fonctionnaire de police. Pour le compte du requérant, Osman Baydemir avait recueilli les déclarations d’Abdurrahman Al, détenu à la même époque que Mustafa Engin, et de deux villageois, Mehmet Bitgin et Fevzi Okatan. Le Gouvernement a aussi communiqué un procès-verbal, daté du 8 novembre 1993, relatif à l’arrestation de Mustafa Engin, d’Abdurrahman Al et de Tahsin Demirbaş, deux rapports des 7 et 8 novembre 1993 sur l’opération effectuée au village de Çitlibahçe, des documents relatifs au témoin Hikmet Aksoy que les délégués de la Commission avaient convoqué pour témoigner mais qui n’a pas comparu, et des documents afférents aux enquêtes menées par les autorités au sujet des allégations. La Commission a réclamé pour la période des faits copie des registres de garde à vue de la gendarmerie d’Hazro, de celle de Lice, de la gendarmerie départementale de Diyarbakır et de la gendarmerie de Kavaklıboğaz. Les délégués de la Commission ont en outre demandé à pouvoir examiner l’original des registres d’Hazro, de Diyarbakır et de Kavaklıboğaz. Le Gouvernement leur a communiqué l’original du registre de garde à vue de la gendarmerie centrale d’Hazro ainsi que copie de ceux de la gendarmerie de Lice et de la gendarmerie départementale de Diyarbakır pour la période concernée. En revanche, il ne leur a pas donné accès à l’original du registre de Diyarbakır, ni fourni copie de l’original du registre de garde à vue de la gendarmerie de Kavaklıboğaz, qu’ils n’ont même pas pu consulter. D. Procédure devant les autorités nationales Le 22 décembre 1993, Tevfik Çakıcı, père du requérant et d’Ahmet Çakıcı, présenta à la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır une demande manuscrite visant à obtenir des informations sur le sort d’Ahmet Çakıcı, arrêté le 8 novembre 1993 par les forces de l’ordre en même temps que Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş, qui avaient été remis en liberté vingt-quatre jours plus tard. On lui répondit oralement qu’Ahmet Çakıcı ne figurait pas sur la liste des détenus. Par courrier du 4 avril 1994, le procureur de Hazro, Aydın Tekin, informa le parquet général près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır que d’après les registres Ahmet Çakıcı n’avait pas été placé en garde à vue ni mis en détention le 8 novembre 1993. Par lettre du 19 avril 1994 adressée au parquet général près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, le procureur de Hazro confirma son courrier précité du 4 avril et déclara que la famille d’Ahmet Çakıcı n’avait pas signalé la disparition de ce dernier. Par lettre du 18 août 1994, le ministère de la Justice (direction générale du droit international et des relations extérieures), se référant à un courrier du 19 juillet 1994 émanant du ministère des Affaires étrangères et exposant les griefs présentés par le requérant à la Commission européenne des Droits de l’Homme, demanda au procureur général de Diyarbakır de se livrer, comme le prévoyait la loi, à une enquête sur les doléances du requérant. Le 9 septembre 1994, un procureur de Diyarbakır recueillit la déposition du requérant. Celui-ci y indiqua que son frère, Ahmet Çakıcı, avait été arrêté par des soldats le 8 novembre 1993 et vu par Mustafa Engin et Tahsin Demirbaş, détenus eux aussi. Le 25 novembre 1994, le procureur recueillit la déposition de Remziye Çakıcı, épouse d’Ahmet Çakıcı. Celle-ci déclara que des gendarmes avaient emmené son mari lors d’une opération qui s’était déroulée le 8 novembre 1993. Par lettre du 1er décembre 1994, le colonel Eşref Hatipoğlu, du commandement de la gendarmerie départementale de Diyarbakır, informa le procureur général de Diyarbakır, en réponse à une demande que ce dernier avait adressée le 22 novembre 1994, que d’après leurs registres Ahmet Çakıcı n’avait pas été mis en détention le 8 novembre 1994 [erreur pour 1993]. Par courrier du 8 décembre 1994, ledit colonel fit rapport aux autorités départementales de Diyarbakır quant à la requête présentée par Ahmet Çakıcı à la Commission européenne des Droits de l’Homme. Il déclara que la police n’avait pas pu trouver les coordonnées du requérant, de son père, d’Ahmet Çakıcı, de Mustafa Engin, d’Abdurrahman Al et de Tahsin Demirbaş, pour recueillir leurs dépositions. Il avait été établi qu’Ahmet Çakıcı, prétendument disparu, était impliqué dans les activités du PKK et avait pris part à des meurtres. On avait signalé qu’il était membre d’une équipe du PKK vivant dans la montagne et qui, le 23 octobre 1993, avait enlevé du village de Dadaş sept personnes (cinq enseignants, un imam et le frère de celui-ci) et avait tué cinq d’entre elles. Il était recherché par ses services. 32. Par courrier du 1er mars 1995, le colonel Eşref Hatipoğlu fit parvenir au commandement de la gendarmerie de la sous-préfecture de Hazro des documents trouvés dans le secteur sur les cadavres de cinquante-six terroristes tués lors d’une opération menée dans la région de Kıllıboğan du 17 au 19 février 1995. Par lettre du 14 mars 1995, le procureur de Hazro, Mustafa Turhan, demanda au parquet de Lice de vérifier si Mustafa Engin et Tahsin Demirbaş avaient été incarcérés par les gendarmes le 8 novembre 1993 et d’interroger Mustafa Engin au sujet d’Ahmet Çakıcı, qui aurait disparu alors qu’il se trouvait en détention. Par courrier du 14 avril 1995, le même procureur de Hazro pria le commandement de la gendarmerie de Hazro de lui donner d’urgence des renseignements sur l’opération menée à Çitlibahçe le 8 novembre 1993, et de rechercher et d’établir si Ahmet Çakıcı avait été détenu aux côtés de Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş. Par lettre du 17 mai 1995, le commandement de la gendarmerie de Hazro répondit au procureur de Hazro que l’opération du 8 novembre 1993 visait à arrêter des membres du PKK et leurs complices, et que, selon les registres, Ahmet Çakıcı, Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş n’avaient pas été détenus. Par courrier du 22 mai 1995, le procureur de Hazro demanda au commandement de la gendarmerie de Hazro de localiser d’urgence Ahmet Çakıcı. Par lettre adressée le 23 juin 1995 au parquet de Hazro, le commandement de la gendarmerie de Hazro se référa au courrier du 22 mai 1995 dans lequel le parquet s’était enquis de l’adresse d’Ahmet Çakıcı et à la lettre que le commandement de la gendarmerie départementale de Diyarbakır lui avait adressée le 1er mars 1995. Il déclara qu’Ahmet Çakıcı était membre du PKK. A la suite d’une opération menée sur la colline de Kıllıboğan du 17 au 19 février, qui avait entraîné la mort de cinquante-six terroristes, l’identité d’Ahmet Çakıcı avait été établie à l’aide d’une carte d’identité trouvée parmi d’autres documents sur l’un des cadavres. Il avait été conclu que l’intéressé faisait partie des terroristes. Par lettre du 27 juin 1995, le procureur de Hazro, se référant à son courrier du 1er décembre 1994 et à la lettre du ministère de la Justice du 18 août 1994, informa le procureur général de Diyarbakır qu’une opération avait été menée le 8 novembre 1993 en vue d’arrêter des membres du PKK et leurs complices, et qu’Ahmet Çakıcı, Mustafa Engin et Tahsin Demirbaş n’avaient pas été détenus comme on l’avait prétendu. Renvoyant à la lettre précitée du 23 juin 1995, le procureur déclara qu’Ahmet Çakıcı était membre du PKK et avait été retrouvé mort au cours des opérations menées dans la région de la colline de Kıllıboğan du 17 au 19 février 1995. Le procureur avait demandé à son collègue de Lice de recueillir la déposition de Mustafa Engin, et on attendait toujours la réponse. Par lettre du 4 juillet 1995, le parquet de Hazro fit part au ministère de la Justice (direction du droit international et des relations extérieures) des informations fournies par les gendarmes de Hazro (paragraphe 37 ci-dessus), précisant qu’une enquête préliminaire (n° 1994/191) avait été ouverte et était toujours en cours. Par courrier du 5 mars 1996, le procureur de Hazro informa le ministère de la Justice que, sur sa demande, le procureur général de Diyarbakır avait été chargé de recueillir la déposition de Mustafa Engin. Le 12 mars 1996, un fonctionnaire de police recueillit une brève déclaration de Mustafa Engin, qui indiqua n’avoir pas vu Ahmet Çakıcı depuis trois ans. Le 13 mai 1996, un procureur de Diyarbakır entendit Mustafa Engin, qui déclara notamment ne pas avoir vu Ahmet Çakıcı alors qu’il était détenu, mais qu’il n’était pas impossible que ce dernier l’eût aperçu. M. Engin précisa avoir reçu des décharges électriques pendant sa détention à la gendarmerie départementale de Diyarbakır. Par décision du 13 juin 1996, le procureur de Hazro, Mustafa Turhan, déclina sa compétence et transmit le dossier au conseil administratif de la sous-préfecture. La décision indiquait que les plaignants étaient le requérant et Remziye Çakıcı, épouse d’Ahmet Çakıcı, et la victime Ahmet Çakıcı. Les chefs d’accusation retenus étaient : mauvais traitements, torture et confiscation de l’argent d’un détenu. Les accusés étaient désignés comme des personnes non identifiées du commissariat de Hazro et des gardes de village. Selon la décision, les plaignants prétendaient que des soldats du commandement de la gendarmerie de Hazro étaient arrivés à Çitlibahçe, le 8 novembre 1993 au matin, et avaient arrêté la victime, qu’ils avaient emmenée à Diyarbakır, où elle avait été torturée. Un lieutenant avait confisqué 4 280 000 TRL. Une enquête avait permis d’établir que la victime était membre de l’organisation terroriste PKK : les forces de l’ordre ayant mené une opération dans la région de la colline de Kıllıboğan les 17 et 19 février, la carte d’identité de la victime avait été trouvée sur l’un des terroristes tués. Cette personne avait dès lors été formellement identifiée comme étant Ahmet Çakıcı. Mustafa Engin avait fait une déposition disant qu’il n’avait pas vu Ahmet Çakıcı. Les suspects relevaient de la loi sur les poursuites contre des fonctionnaires et, après la décision d’incompétence du parquet de Hazro, le dossier avait été transmis à la présidence du conseil administratif de la sous-préfecture de Hazro pour suite à donner. E. Appréciation des preuves et constatations effectuées par la Commission Les faits de la cause étant controversés, notamment en ce qui concerne les événements intervenus vers novembre 1993, la Commission a mené une enquête, avec l’assistance des parties, et admis des preuves littérales, et notamment des déclarations écrites, de même que les dépositions orales de onze témoins : le requérant ; Fevzi Okatan, ancien muhtar de Çitlibahçe ; Remziye Çakıcı, épouse d’Ahmet Çakıcı ; Mustafa Engin, qui fut détenu à la gendarmerie départementale de Diyarbakır du 9 novembre au 1er décembre 1993 ; Ertan Altınoluk, qui était commandant de la gendarmerie de Hazro en novembre 1993 et a dirigé l’opération du 8 novembre 1993 à Çitlibahçe ; Mehmet Bitgin, habitant du village de Çitlibahçe ; Mustafa Turhan, procureur de Hazro depuis novembre 1994 ; Aytekin Türker, commandant de la gendarmerie centrale de Hazro de juillet 1993 à août 1994 ; Ahmet Katmerkaya, gendarme chargé du registre de garde à vue à la gendarmerie départementale de Diyarbakır depuis août 1992 ; Kemal Çavdar, gendarme en service à la gendarmerie de Kavaklıboğaz de juillet 1993 à août 1995 ; et Abdullah Cebeci, frère de l’imam enlevé à Dadaş avec cinq enseignants. Six autres témoins qui avaient été cités à comparaître ne se présentèrent pas : Aydın Tekin, procureur de Hazro en 1994 ; le colonel Eşref Hatipoğlu, commandant de la gendarmerie départementale de Diyarbakır ; Hikmet Aksoy qui, d’après le requérant, avait vu Akmet Çakıcı en détention à Kavaklıboğaz ; Tevfik Çakıcı, père du requérant et d’Ahmet Çakıcı ; Tahsin Demirbaş et Abdurrahman Al, tous deux détenus à la gendarmerie départementale de Diyarbakır du 8 novembre au 1er décembre 1993. Il est apparu que Tevfik Çakıcı était décédé avant l’audition. Le Gouvernement a affirmé n’avoir pu localiser le témoin Hikmet Aksoy en vue de l’audition de juillet 1996, bien que le requérant lui eût indiqué que cet homme était détenu à la prison de Konya. La citation à comparaître à l’audition devant les délégués le 20 novembre 1996 aurait été signifiée à Hikmet Aksoy, mais celui-ci aurait refusé de signer l’acte et aurait été libéré le 18 novembre 1996. Le Gouvernement n’a pas fourni d’explication à la Commission sur le moment et le motif de cet élargissement. Aydın Tekin a écrit à la Commission que, ni directement ni indirectement, il n’avait eu connaissance de l’incident et n’a pas estimé devoir comparaître. A l’audition de juillet 1996, l’agent du Gouvernement a expliqué aux délégués qu’il n’était en mesure de contraindre à se présenter ni les procureurs ni un haut fonctionnaire comme Eşref Hatipoğlu. Dans son rapport (paragraphe 245), la Commission a estimé que le Gouvernement avait manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’ancien article 28 § 1 a) de la Convention, de fournir toutes facilités nécessaires à la Commission pour qu’elle puisse établir les faits de l’espèce. Elle s’est appuyée sur : i. le fait que le Gouvernement n’a pas permis aux délégués de la Commission d’accéder aux originaux des registres de garde à vue (paragraphe 24 ci-dessus) ; ii. le fait que le Gouvernement ne s’est pas employé à faciliter la comparution du témoin Hikmet Aksoy ; iii. le fait que le Gouvernement n’a pas assuré la comparution des témoins Aydın Tekin et Eşref Hatipoğlu. Quant aux dépositions orales, la Commission était consciente des difficultés inhérentes à l’évaluation d’éléments obtenus oralement par l’intermédiaire d’interprètes ; elle a donc prêté une attention toute particulière au sens et à la portée devant être donnés aux déclarations faites par les témoins qui ont comparu devant ses délégués. Vu le caractère contradictoire et discordant des récits des événements, la Commission a regretté particulièrement que les faits en question n’aient fait l’objet au niveau interne d’aucun examen judiciaire approfondi. Elle était consciente de ses propres lacunes en tant que juridiction de première instance appelée à établir les faits. Au problème linguistique évoqué plus haut s’ajoutait un inévitable manque de connaissances approfondies et directes de la situation dans la région. En outre, la Commission n’avait aucun pouvoir de contraindre les témoins à comparaître et à déposer. En l’espèce, alors qu’elle avait fait citer dix-sept témoins à comparaître, seuls onze d’entre eux ont déposé. Elle a signalé l’absence de preuves littérales. Elle a donc eu la difficile tâche d’établir les faits en l’absence de témoignages éventuellement pertinents. Ses constatations peuvent se résumer comme suit. L’opération menée dans le village de Çitlibahçe le 8 novembre 1993 Çitlibahçe est situé dans un secteur où sévissait en 1993 une activité terroriste intense. Le 23 octobre 1993, ou aux alentours de cette date, des membres du PKK enlevèrent au village de Dadaş cinq enseignants, un imam et le frère de celui-ci, Abdullah Cebeci. Ils les emmenèrent à travers la campagne et passèrent près du village de Bağlan. Ils demandèrent à Mustafa Engin d’héberger pour la nuit l’un des enseignants, Kurde d’origine, qu’ils laissèrent ensuite rentrer chez lui. Le PKK tua les quatre autres enseignants et l’imam ; Abdullah Cebeci, bien que blessé, put se mettre en sécurité. Il a décrit aux gendarmes de Lice les personnes qu’il avait vues, y compris les villageois qui avaient apporté des provisions et monté la garde. Le village de Bağlan relève de la gendarmerie de Lice. Les victimes de l’enlèvement étaient passées aussi tout près du village de Çitlibahçe, situé à moins d’un kilomètre de Bağlan mais relevant de la gendarmerie de Hazro. Les gendarmes de Hazro et de Lice menèrent conjointement une opération le 8 novembre 1993. Il s’agissait de recueillir des preuves et des informations sur l’enlèvement et les homicides ainsi que d’appréhender les personnes soupçonnées d’y avoir été mêlées. Ertan Altınoluk dirigea les gendarmes de Hazro. Selon le plan d’intervention établi par lui le 7 novembre 1993, l’opération visait à appréhender des terroristes du PKK et leurs complices et à détruire leurs abris ; elle devait s’effectuer à Çitlibahçe. La Commission a écarté le témoignage d’Ertan Altınoluk d’après lequel les gendarmes ne recherchaient pas Ahmet Çakıcı lorsqu’ils se rendirent à Çitlibahçe. Les délégués ont estimé en effet que, évasif et manifestement dépourvu de sincérité, le témoignage du lieutenant n’était d’aucun secours. La Commission a tenu compte des dépositions de deux autres gendarmes, qui ont affirmé que les autorités recherchaient Ahmet Çakıcı avant cette opération parce qu’elles le soupçonnaient de collaborer avec le PKK, et elle a estimé que, selon toute probabilité, les gendarmes de Hazro s’étaient rendus à Çitlibahçe dans l’intention de rechercher et d’appréhender Ahmet Çakıcı à propos de l’enlèvement. La Commission a estimé dans l’ensemble cohérents, crédibles et convaincants, les récits des témoins du village, à savoir Remziye Çakıcı, Fevzi Okatan et Mehmet Bitgin, qui ont déclaré avoir vu les gendarmes emmener Ahmet Çakıcı hors du village. Elle a considéré que les objections du Gouvernement quant à leur crédibilité ne résistaient pas à l’examen. Elle a conclu en conséquence que les gendarmes étaient arrivés à Çitlibahçe le 8 novembre 1993, qu’Ahmet Çakıcı avait tenté de se cacher mais que les gendarmes de Hazro l’avaient découvert et emmené. Dans le même temps, à Bağlan, les gendarmes de Lice arrêtaient trois hommes, Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş. La détention et les mauvais traitements qu’Ahmet Çakıcı aurait subis Mustafa Engin, Abdurrahman Al et Tahsin Demirbaş furent emmenés à la gendarmerie de Lice, où ils passèrent la nuit. Leur nom n’a pas été porté sur le registre de garde à vue. Le lendemain, 9 novembre 1993, ils furent transférés à la gendarmerie départementale de Diyarbakır, dont le registre indique qu’ils furent détenus ce jour-là. Le registre de garde à vue de la gendarmerie de Hazro ne mentionne rien à la date du 8 novembre concernant Ahmet Çakıcı, non plus que les copies des inscriptions pour la période novembre-décembre 1993 à la gendarmerie départementale de Diyarbakır. La Commission a examiné de près les mentions figurant sur l’un et l’autre document. Elle a constaté de troublantes disparités. Elle s’est aperçue en particulier que les inscriptions ne se suivaient pas ou n’étaient pas dans l’ordre chronologique, que toutes les inscriptions figurant sur le registre de Diyarbakır étaient de la même écriture, et que, selon ce registre, le nombre de détenus était supérieur au nombre de cellules officiellement disponibles. Ces éléments donnaient fortement à penser, notamment, que les inscriptions étaient intervenues à une autre date que les faits dont il s’agit. La Commission a jugé très insuffisantes les explications données par Ahmet Katmerkaya, chargé du registre de la gendarmerie départementale de Diyarbakır : selon lui, le fait que quelqu’un fût inscrit dans le registre ne signifiait pas forcément que l’intéressé fût physiquement présent et les allées et venues des suspects n’étaient pas mentionnées. Elle a conclu que le registre ne recensait pas de manière précise ou exhaustive les personnes pouvant avoir été détenues à l’époque des faits et que l’absence du nom d’Ahmet Çakıcı dans les registres de Hazro et de Diyarbakır ne suffisait pas à établir que l’intéressé n’avait pas été mis en détention. La Commission a admis la déposition de Mustafa Engin, qui affirme avoir vu Ahmet Çakıcı détenu seize ou dix-sept jours dans la même pièce que lui alors qu’il était lui-même incarcéré à la gendarmerie départementale de Diyarbakır, et lui avoir parlé. Elle a ajouté foi aussi à son témoignage d’après lequel Ahmet Çakıcı n’était pas en bon état physique, avait du sang séché sur les vêtements et lui avait dit avoir été battu, avoir eu une côte cassée et une blessure ouverte à la tête, et avoir subi par deux fois des décharges électriques. La déclaration écrite d’Abdurrahman Al, recueillie par l’ADH, confortait, d’après elle, l’assertion selon laquelle Ahmet Çakıcı avait été détenu et maltraité. La Commission a examiné les déclarations écrites de Mustafa Engin qui, d’après le Gouvernement, contredisent la déposition orale de cet homme. Elle a estimé que la première déclaration de Mustafa Engin, recueillie par un fonctionnaire de police le 12 mars 1996, constituait un démenti bref et imprécis. Celle recueillie par un procureur le 13 mai 1996 était également brève et contenait des termes ambigus et contradictoires. La Commission a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une transcription complète et fidèle des déclarations de Mustafa Engin et qu’elle ne jetait pas le doute sur la sincérité de ce témoignage devant les délégués. Elle a estimé en conséquence établi qu’Ahmet Çakıcı, après son arrestation à Çitlibahçe, avait été emmené à Hazro où il avait passé la nuit du 8 novembre, puis avait été transféré à la gendarmerie départementale de Diyarbakır où il avait été vu pour la dernière fois par Mustafa Engin vers le 2 décembre, lorsque celui-ci avait été libéré. La Commission ne s’est pas prononcée sur l’allégation du requérant d’après laquelle Ahmet Çakıcı avait été emmené de la gendarmerie départementale de Diyarbakır à Hazro, puis de Hazro à la gendarmerie de Kavaklıboğaz. Ces allégations reposeraient sur des déclarations orales faites au requérant par Hikmet Aksoy, lequel n’a pas comparu devant les délégués et n’a pas produit de déposition écrite. Quant aux éléments venant les conforter, la Commission a estimé qu’ils n’atteignaient pas le degré probant voulu. Les informations concernant la mort d’Ahmet Çakıcı La famille d’Ahmet Çakıcı n’a pas été informée de son décès présumé lors d’un affrontement entre le PKK et les forces de l’ordre les 17- 19 février 1995. Bien que le colonel Eşref Hatipoğlu eût été invité à informer les autorités de l’endroit où se trouvait Ahmet Çakıcı, il n’a pas fait état officiellement de la découverte de la carte d’identité d’Ahmet Çakıcı sur le cadavre de l’un des terroristes tués sur la colline de Kıllıboğan. Ce sont les gendarmes de Hazro qui furent les premiers à parler de la découverte de la carte ; le colonel Hatipoğlu leur avait fait connaître l’existence de l’affrontement en leur communiquant des documents dont la nature n’a pas été précisée. La Commission n’a toutefois été saisie d’aucun document à propos de l’identification du corps ou de la délivrance du permis d’inhumer. Elle a jugé en conséquence ne pas pouvoir conclure qu’Ahmet Çakıcı avait été tué dans les circonstances alléguées ou que son corps se trouvait parmi ceux découverts sur la colline de Kıllıboğan. L’enquête sur la disparition alléguée d’Ahmet Çakıcı La Commission a constaté que le requérant et son père, Tevfik Çakıcı, avaient adressé des demandes et posé des questions au procureur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır concernant la disparition d’Ahmet Çakıcı. Les seules mesures prises par les autorités ont consisté à vérifier si le nom d’Ahmet Çakıcı figurait dans les registres de la cour de sûreté de l’Etat et à interroger le procureur de Hazro, qui consulta ses registres. A la suite de la communication de la requête par la Commission au Gouvernement, les procureurs de Diyarbakır et Hazro ont procédé à d’autres investigations, qui ont permis de recueillir les dépositions de Mustafa Engin, de Remziye Çakıcı et du requérant. Tahsin Demirbaş et Abdurrahman Al n’ont pas été retrouvés. La Commission a constaté que le procureur de Hazro avait également demandé à la gendarmerie de la sous-préfecture de Hazro des renseignements sur l’arrestation alléguée d’Ahmet Çakıcı, sans toutefois vérifier lui-même l’original du registre de garde à vue. De même, aucun procureur n’a examiné l’original des registres de la gendarmerie départementale de Diyarbakır. Rien n’a été fait non plus pour vérifier les informations présentées par la gendarmerie de la sous-préfecture de Hazro selon lesquelles Ahmet Çakıcı se trouvait parmi les terroristes du PKK tués sur la colline de Kıllıboğan. La décision d’incompétence prise le 13 juin 1996 par le procureur de Hazro se fondait sur les dépositions de Mustafa Engin, de Remziye Çakıcı et du requérant et sur les renseignements fournis par la gendarmerie de Hazro concernant la découverte alléguée du cadavre d’Ahmet Çakıcı. Il se peut également que le procureur ait disposé de documents relatifs à la requête présentée par İzzet Çakıcı à la Commission et de copies de registres de garde à vue. II. le droit et la pratique internes pertinents Dans son mémoire, le Gouvernement n’a fourni sur les dispositions légales internes aucune précision pouvant avoir une incidence en l’espèce. Aussi la Cour se réfère-t-elle à l’aperçu du droit interne livré dans d’autres arrêts, et notamment Kurt c. Turquie du 25 mai 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-III, pp. 1169-1170, §§ 56-62) et Tekin c. Turquie du 9 juin 1998 (Recueil 1998-IV, pp. 1512-1513, §§ 25-29). A. Etat d’urgence Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie entre les forces de l’ordre et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). D’après le Gouvernement, ce conflit a coûté la vie à des milliers de civils et de membres des forces de l’ordre. Deux grands décrets concernant la région du Sud-Est ont été adoptés en application de la loi sur l’état d’urgence (loi n° 2935 du 25 octobre 1983). Le premier – le décret n° 285 (du 10 juillet 1987) – institue un gouvernorat de la région soumise à l’état d’urgence dans dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie. Aux termes de son article 4 b) et d), l’ensemble des forces de l’ordre privées et publiques, ainsi que le commandement de la force de paix publique de la gendarmerie, sont à la disposition du gouverneur de région. Le second – le décret n° 430 (du 16 décembre 1990) – renforce les pouvoirs du gouverneur de région, qu’il habilite par exemple à ordonner des transferts hors de la région de fonctionnaires et d’agents des services publics, notamment des juges et procureurs. Il prévoit en son article 8 : « La responsabilité pénale, financière ou juridique, du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou d’un préfet d’une région où a été proclamé l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens contre l’Etat devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle. » B. Dispositions constitutionnelles sur la responsabilité administrative L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution turque énonce : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » La disposition précitée ne souffre aucune restriction, même en cas d’état d’urgence ou de guerre. Le second alinéa ne requiert pas forcément d’apporter la preuve de l’existence d’une faute de l’administration, dont la responsabilité revêt un caractère absolu et objectif fondé sur la théorie du « risque social ». L’administration peut donc indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées ou des terroristes, lorsque l’on peut dire que l’Etat a manqué à son devoir de maintenir l’ordre et la sûreté publics, ou à son obligation de sauvegarder la vie et la propriété individuelles. Des poursuites peuvent être engagées contre l’administration devant les juridictions administratives, dont la procédure est écrite. C. Droit pénal et procédure pénale Le code pénal turc érige en infraction le fait : – de priver arbitrairement un individu de sa liberté (article 179 en général et article 181 pour les fonctionnaires) ; – de proférer des menaces (article 191) ; – de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 et 245) ; – de commettre un homicide involontaire (articles 452 et 459), un homicide volontaire (article 448) ou un assassinat (article 450). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour ces différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République ou des autorités administratives locales. Le procureur qui est informé de quelque manière que ce soit d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise est tenu d’enquêter sur les faits pour décider s’il y a lieu d’engager des poursuites (article 153). Les plaintes peuvent être écrites ou orales. Le plaignant peut faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites. D. Dispositions de droit civil Tout acte illégal commis par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’une infraction pénale ou d’un délit civil, provoquant un dommage matériel ou moral, peut faire l’objet d’une action en réparation devant les juridictions civiles de droit commun. Aux termes de l’article 41 du code des obligations, toute personne victime d’un dommage résultant d’un acte illégal peut demander réparation à l’auteur présumé de celui-ci, qu’il ait agi délibérément, par négligence ou par imprudence. Les juridictions civiles peuvent accorder réparation au titre des dommages patrimoniaux (article 46 du code des obligations) ou extrapatrimoniaux (article 47 du même code). E. Impact du décret n° 285 Dans le cas d’actes de terrorisme présumés, le procureur est privé de sa compétence au profit d’un système distinct de procureurs et de cours de sûreté de l’Etat répartis dans toute la Turquie. Le procureur est également privé de sa compétence s’agissant d’infractions imputées à des membres des forces de l’ordre dans la région soumise à l’état d’urgence. Le décret n° 285 prévoit en son article 4 § 1 que toutes les forces de l’ordre placées sous le commandement du gouverneur de région (paragraphe 58 ci-dessus) sont assujetties à la loi de 1914 sur les poursuites dont les fonctionnaires peuvent faire l’objet pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions. Dès lors, le procureur qui reçoit une plainte dénonçant un acte délictueux commis par un membre des forces de l’ordre a l’obligation de décliner sa compétence et de transférer le dossier au conseil administratif. Ce dernier se compose de fonctionnaires et est présidé par le gouverneur. S’il décide de ne pas poursuivre, sa décision fait automatiquement l’objet d’un recours en Conseil d’Etat. Une fois prise la décision de poursuivre, c’est au procureur qu’il incombe d’instruire l’affaire. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. İzzet Çakıcı s’est adressé à la Commission le 2 mai 1994. Il alléguait que son frère, Ahmet Çakıcı, avait été incarcéré par les forces de l’ordre, qu’il avait disparu depuis lors et que les autorités n’avaient pas mené une enquête sérieuse sur ces événements. Il invoquait les articles 2, 3, 5, 13, 14 et 18 de la Convention. La Commission a déclaré la requête (n° 23657/94) recevable le 15 mai 1995. Dans son rapport du 12 mars 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 2 quant à la disparition du frère du requérant (unanimité) ; violation de l’article 3 quant au frère du requérant (unanimité) ; violation de l’article 5 en raison de la disparition du frère du requérant (unanimité) ; violation de l’article 3 dans le chef du requérant (vingt-sept voix contre trois) ; violation de l’article 13 (unanimité) ; et qu’il n’y a pas eu violation des articles 14 et 18 de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES À LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à constater que l’Etat défendeur a enfreint les articles 2, 3, 5, 13, 14 et 18 de la Convention et n’a pas rempli ses obligations au titre de l’ancien article 28 § 1 a). Il prie la Cour de lui octroyer, à lui ainsi qu’à la veuve et aux héritiers de son frère, une satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention. Le Gouvernement, quant à lui, demande à la Cour dans son mémoire de déclarer l’affaire irrecevable faute d’épuisement des voies de recours internes. A titre subsidiaire, il avance que les griefs du requérant ne sont pas étayés par des preuves.
0
0
1
0
1
1
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. T.W., est un ressortissant britannique né en 1943. A l’époque pertinente il résidait dans la localité maltaise de Luqa, où il était commerçant. Le soir du jeudi 6 octobre 1994 vers 20 h 30, il fut arrêté par la police. 9. Le vendredi 7 octobre 1994, il fut traduit devant un juge du tribunal de police judiciaire (Court of Magistrates of Judicial Police). Un inspecteur de police lui donna lecture des charges pesant sur lui. On lui reprochait d’avoir commis, sur la personne de sa fille mineure, des attentats à la pudeur et des voies de fait. Il plaida non coupable. Après l’audience, il prit contact avec un avocat ; ils convinrent de se rencontrer le jour suivant, c’est-à-dire le samedi 8 octobre. Le matin du lundi 10 octobre 1994, l’avocat déposa une demande écrite de libération sous caution, dans laquelle il déclarait que son client résidait à Malte, qu’il y possédait un emploi et que, s'il avait des problèmes avec sa femme, de nationalité maltaise, il entretenait les meilleures relations avec sa belle-famille. Il n’existait donc aucun risque de fuite et, même si l'intéressé devait gagner le Royaume-Uni, il y avait des dispositions en matière d’extradition qui rendaient impossibles sa non-comparution en justice au cas où, après la clôture de l’enquête, l’Attorney-General déciderait de le renvoyer en jugement. L’avocat soulignait que son client contestait avec force les charges portées contre lui, et que la détention qui lui était imposée ne reposait sur aucun soupçon plausible mais uniquement sur de pures allégations, entièrement dénuées de fondement. L’intéressé avait comparu, sans l’assistance d’un avocat, devant un magistrat qui n’avait pas le pouvoir d’ordonner sa libération, et sa requête avait été déposée au greffe dès que possible. M. T.W. demandait au tribunal de le mettre en liberté faute de motifs militant en faveur de son maintien en détention. La requête fut immédiatement envoyée à l’Attorney-General, qui se vit accorder un délai de vingt-quatre heures pour répondre. Le même jour, l’Attorney-General fit connaître par la voie d’une déclaration écrite son opposition à l’élargissement du requérant. Toujours le 10 octobre 1994, un juge du tribunal de police, qui affirme se souvenir avoir pris cette décision soit vers la fin de la matinée, soit au début de l’après-midi, rejeta la demande de libération sous caution. Ce magistrat n’était pas le même que celui devant lequel le requérant avait comparu le 7 octobre 1994 et il n’entendit pas personnellement le détenu. Le 11 octobre 1994, le greffier du tribunal de police inscrivit la décision dans les registres du tribunal. Le 20 octobre 1994, le second juge de police judiciaire commença à entendre les témoins, et le 25 octobre 1994 il ordonna la mise en liberté du requérant. Le 8 mai 1995, le tribunal de police reconnut M. T.W. coupable et lui infligea une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis. Le 8 janvier 1996, la cour des appels criminels confirma pour l’essentiel la condamnation de l’intéressé. II. LE droit et LA pratique internes pertinents A. Article 137 du code pénal L’article 137 du code pénal maltais est ainsi libellé : « Tout juge de police judiciaire qui, dans une affaire relevant de sa compétence, omet ou refuse d’examiner une plainte légitime contre une détention illégale, et tout officier de police judiciaire qui, à la suite d’une telle plainte déposée entre ses mains, reste en défaut de prouver qu’il en a avisé ses supérieurs dans un délai de vingt-quatre heures, encourent une condamnation à une peine d’emprisonnement de un à six mois. » Dans la décision rendue par elle le 7 janvier 1998 dans l’affaire Carmelo Sant v. Attorney-General, la Cour constitutionnelle rejeta l’argument du demandeur selon lequel l’article 137 du code pénal prévoyait seulement une peine et non un recours. D’après elle, un examen de la manière dont cet article était appliqué devait faire parvenir à la même conclusion que celle à laquelle avait abouti le président John J. Cremona, qui, dans ses écrits universitaires, avait affirmé que si le droit ordinaire de Malte ne comportait pas, à proprement parler, un recours d’habeas corpus, il y avait dans le code pénal maltais deux dispositions, à savoir les articles 137 et 353, qui, lues conjointement, pouvaient être considérées comme offrant pour la sûreté individuelle une garantie d’effet équivalent. Les parties devant la Cour européenne se sont référées aux exemples suivants d’affaires dans lesquelles l’article 137 a été invoqué : Le 13 juin 1990, la première chambre du tribunal civil ordonna que Christopher Cremona, qui s’était rendu coupable de contempt of court, fût placé en détention pendant vingt-quatre heures. L’intéressé fit appel de la décision en s’appuyant sur l’article 1003 du code d’organisation judiciaire et de procédure civile. M. Cremona ayant invoqué l’article 137 du code pénal, l’Attorney-General invita le tribunal de police à ordonner à son greffier faisant fonction et au commissaire de police de traduire l’intéressé devant le tribunal et à enjoindre à l’un ou l’autre desdits fonctionnaires de libérer le détenu sur-le-champ. D’après l’Attorney-General, le recours formé par M. Cremona ayant un effet suspensif du jugement de condamnation, le maintien en détention de l’intéressé serait entaché d’illégalité. Le tribunal de police suivit les réquisitions de l’Attorney-General. Ibrahim Hafes Ed Degwej, qui prit ultérieurement le nom de Joseph Leopold, invoqua l’article 137 du code pénal pour contester la légalité de la prolongation de sa détention, consécutive à une ordonnance d’expulsion. Il soutenait que la longue durée, par ailleurs indéfinie, de sa détention, qui avait débuté en novembre 1983, avait conféré à celle-ci un caractère illégal. Le 4 juillet 1995, le tribunal de police ordonna que l’Attorney-General fût avisé puis, celui-ci lui ayant fait connaître son avis, décida le même jour de rejeter la demande. Le 28 avril 1997, Joachim sive Jack Spagnol s’appuya sur l’article 137 du code pénal pour attaquer la légalité de sa détention, décidée dans le cadre d’une enquête au sujet de ses avoirs, qui avaient été mis sous séquestre par décision de justice. Il soutenait que cela faisait anormalement longtemps qu’il se trouvait détenu. Il affirmait en outre posséder très peu de biens. Le 28 avril 1997, le tribunal de police communiqua le dossier à l’Attorney-General et s’abstint d’examiner plus avant la demande. Le 5 octobre 1994, le tribunal de police rejeta une demande d'élargissement formée par Emanuela Brincat. Il s’exprima ainsi : « Ainsi qu’il ressort du dossier, plusieurs demandes de mise en liberté ont été introduites devant le tribunal de police et devant le tribunal correctionnel, et elles ont toujours été examinées avec célérité ; cela démontre on ne peut plus clairement le caractère superflu et incompréhensible du premier paragraphe de la présente requête, où l’article 137 du code pénal est invoqué. » (retraduit de l'anglais) Le Gouvernement soutient de surcroît que s’il apparaît au juge de police judiciaire que l’arrestation est illégale, le magistrat doit ordonner l’élargissement du détenu, cette obligation résultant de l’article 137 du code pénal. Toute personne à Malte a l’assurance que si elle est arrêtée elle ne sera pas détenue à ce titre pendant plus de quarante-huit heures, et sa comparution devant le juge de police judiciaire garantit que si elle a des observations à formuler elle pourra le faire en présence d’une personne totalement indépendante et non devant un représentant du ministère public. Pour libérer un détenu sur le fondement de l’article 137 du code pénal, le juge de police judiciaire n’a pas besoin d’entendre l’Attorney-General. Toutefois, dès lors qu’il s’agit d’une procédure contradictoire où la poursuite est assurée par la police, le juge de police judiciaire est supposé entendre celle-ci en qualité de partie, conformément au principe audi alteram partem et à celui de l’égalité des armes. Le pouvoir en cause est totalement distinct de celui d’ordonner une libération sous caution. Si le juge de police judiciaire estime l’arrestation illégale, il doit ordonner l’élargissement de la personne arrêtée, et la question de la libération sous caution ne se pose donc pas. Ce n’est que si rien ne montre que l’arrestation soit illégale que la question d’une libération sous caution peut surgir. B. Article 353 du code pénal L’article 353 du code pénal, qui, combiné avec l’article 137, est considéré par le Gouvernement comme fournissant pour la sûreté des personnes une garantie d’une efficacité équivalente à celle de l’habeas corpus (paragraphe 21 ci-dessus), définit les pouvoirs et obligations de la police en matière de poursuites pénales. Il est ainsi libellé : « 353. 1) Tout officier de police judiciaire revêtu d’un grade inférieur à celui d‘inspecteur doit, lorsqu’il procède à une arrestation, aviser sans délai un officier revêtu au moins du grade d’inspecteur, lequel, s’il estime que l’arrestation se fonde sur des motifs suffisants, ordonne que la personne arrêtée soit traduite devant le tribunal de police ; à défaut, il doit la libérer. 2) Lorsqu’il est ordonné que la personne arrêtée soit traduite devant le tribunal de police, l’ordre doit être exécuté sans délai, et en tout cas dans les quarante-huit heures. » Les pouvoirs qu’un tribunal de police peut exercer au titre de cette disposition à l’égard de personnes traduites devant lui en état d'arrestation ont été discutés in extenso dans l’affaire Ellul. Le 23 décembre 1990, M. Nicolas Ellul, qui avait été arrêté au motif qu’on le soupçonnait d’avoir commis une infraction pénale passible d’une peine de plus de trois ans d’emprisonnement, fut traduit devant le tribunal de police. Il soutint qu’à ce stade l’accusation d[evait] convaincre le juge de la légalité de l’arrestation. Le tribunal de police statua sur la requête le même jour. Il s’exprima ainsi : « La procédure qui doit être suivie par le tribunal de police agissant comme juridiction d’instruction se trouve décrite aux articles 389 à 409 du code pénal. Le paragraphe 1 de l’article 390 détermine la manière dont la procédure doit commencer devant le tribunal : celui-ci « entend l’officier de police en son rapport sous serment, interroge l’accusé hors serment et entend les témoignages à l’appui du rapport de l’officier de police ». D’après l’article 401, le délai dans lequel l’instruction doit se terminer est de un mois. Le tribunal n’est en aucune manière tenu d’entendre des témoignages à l’appui du rapport de l’officier de police. De surcroît, le fait que les agents de poursuite confirment le rapport présenté sous serment est censé convaincre le tribunal qu’il existe des soupçons plausibles justifiant que l'accusé soit présenté en état d’arrestation, compte tenu des charges portées contre lui. Le tribunal ne voit pas matière à censure dans le fait que le rapport confirmé sous serment consiste en une confirmation sous serment des charges portées ; après tout, dans ce contexte, le terme « rapport » est synonyme de « charges ». Telle est, à juste titre, la procédure qui a été suivie en l’espèce. En conséquence, le tribunal rejette comme dépourvues de fondement les demandes de l'accusé. » (retraduit de l'anglais) M. Ellul saisit la première chambre du tribunal civil d'un recours constitutionnel, dans lequel il plaidait la violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Le 31 décembre 1990, ladite juridiction estima que le texte en question n’imposait au magistrat devant lequel une personne arrêtée comparaissait aucune obligation de rechercher si l’arrestation s’était ou non effectuée sur la base de soupçons plausibles. Elle considéra par ailleurs que ladite clause n’imposait pas au parquet l’obligation de produire, au moment de la présentation de la personne arrêtée, des preuves attestant que la police avait des soupçons plausibles à l’époque de l’arrestation. Le 8 janvier 1991, la Cour constitutionnelle confirma la décision de la première chambre du tribunal civil. Le 5 janvier 1999, Francis Xavier Borg, qui avait été arrêté quarante heures plus tôt au motif qu’on le soupçonnait d’avoir commis une infraction pénale passible d’une peine d’emprisonnement de plus de trois ans, fut traduit devant le tribunal de police. Son conseil invoqua l’article 5 § 3 de la Convention, qui, d’après lui, obligeait le tribunal à rechercher d’office si les circonstances de l’espèce justifiaient un maintien en détention. Le tribunal de police statua ainsi : « Conformément à la pratique constante du tribunal et aux dispositions du code pénal, le tribunal ne peut examiner à ce stade les circonstances ayant motivé l'arrestation ; il doit se déterminer au vu des charges portées par l’accusation. De surcroît, il ne peut examiner d’office s’il convient de libérer la personne arrêtée : une demande en ce sens doit au préalable être formée puis notifiée à l’Attorney-General ; ce n’est qu’après la réponse de ce dernier ou à l’expiration du délai dans lequel pareille réponse doit, selon la loi, intervenir, que le tribunal peut statuer sur la question d’une libération sous caution. En conséquence, les demandes de la défense échappent à la compétence du tribunal. Vu les articles 574 § 1, 575 § 2 et 582 § 1 du code pénal, le tribunal se déclare incompétent pour y donner suite et avise l’accusé que s’il souhaite voir examiner sa demande de mise en liberté, il doit se conformer à ce que prévoient les articles précités. » (retraduit de l'anglais) C. Dispositions du code pénal régissant la libération sous caution Le code pénal contient les dispositions suivantes en matière de libération sous caution : « 574. 1) Tout accusé séjournant en détention provisoire pour une infraction peut, sur demande, bénéficier d'une mise en liberté s’il donne des gages suffisants pour garantir qu’il comparaîtra à l’audience, aux lieu et heure fixés. (...) 575. (…) 2) La demande de libération sous caution est introduite par la voie d’une requête dont copie est communiquée à l’Attorney-General le même jour, lorsqu’elle émane (…) c) de personnes accusées d’une infraction passible d’une peine de plus de trois ans d’emprisonnement (…) 3) L’Attorney-General peut, dans le délai d’un jour ouvrable, conclure au rejet de la demande par la voie d’une note motivée. (...) 576. Le montant de la caution est fixé dans les limites établies par la loi, compte tenu de la situation de l’accusé, de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que de la sévérité de la peine encourue. 577. 1) La caution peut prendre la forme d’un engagement écrit d’une personne se portant garante du paiement de la somme fixée. 2) Elle peut également, lorsque le tribunal le juge bon, prendre la forme d’un simple dépôt de la somme fixée, d’une promesse équivalente, ou d'un simple engagement de l'accusé. (...) 582. 1) Le tribunal ne peut libérer l’accusé sous caution que sur demande de l’intéressé. (...) » D. Place de la Convention européenne des Droits de l’Homme en droit maltais En vertu de la loi du 19 août 1987 sur la Convention européenne, la Convention fait partie du droit de Malte. Dans son arrêt Aquilina du 13 juin 1994, la Cour constitutionnelle a déclaré que les juges maltais doivent tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. T.W. a saisi la Commission le 2 novembre 1994. Invoquant l’article 5 §§ 3 et 4 et l’article 6 § 3 c) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir été traduit aussitôt devant un juge habilité à ordonner sa libération, de l’absence de tout recours par la voie duquel il eût pu contester « à bref délai » la légalité de son arrestation ou de sa détention, et de ne pas s’être vu donner l’occasion de commettre ou de se faire commettre un avocat avant sa comparution. Le 17 janvier 1997, la Commission (première chambre) a déclaré la requête (n° 25644/94) recevable pour ce qui est des griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention. Dans son rapport du 4 mars 1998 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 5 mais non du paragraphe 4. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le requérant invite la Cour à dire que l’Etat défendeur a violé l’article 5 § 3 de la Convention et à lui accorder, au titre de l’article 41, une indemnité pour dommage moral ainsi que le remboursement de ses frais et dépens. Le Gouvernement, pour sa part, demande à la Cour de juger qu’il n’y a eu violation ni du paragraphe 3 ni du paragraphe 4 de l’article 5.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant turc né en 1950, M. Haluk Gerger réside à Ankara et exerce la profession de journaliste. Le 23 mai 1993 eut lieu à Ankara une cérémonie à la mémoire de Deniz Gezmiş et ses deux compagnons, Yusuf Aslan et Hüseyin İnan. Tous les trois avaient été à l’origine d’un mouvement d’extrême gauche déclenché parmi les étudiants universitaires vers la fin des années soixante. Condamnés à la peine capitale pour recours à la violence dans le but de détruire l’ordre constitutionnel, ils avaient été exécutés en mai 1972. Lors de ladite cérémonie, le requérant avait été invité à prendre la parole. Empêché toutefois d’y assister, il adressa au comité d’organisation le message suivant pour qu’on le lût en public : « Chers amis, Empêché par des ennuis de santé d'être parmi vous, je tiens néanmoins à vous saluer et à vous exprimer tous mes sentiments de solidarité révolutionnaire. La République turque est fondée sur la négation des droits des travailleurs et des Kurdes. Dans les limites géographiques de ce pays, toute velléité d’action humaine, toute aspiration à la liberté, toute revendication visant à faire valoir les droits des travailleurs et des Kurdes ont toujours suscité, de la part des dirigeants, une réaction impitoyable de négation et de destruction. Il faut dire que ces dirigeants - et cela s'explique par leurs origines et traditions historiques - se sont toujours distingués par un militarisme cruel, fruit de leur médiocrité, de leur arriération, de leur soif d'accumulation de capital et, enfin, de l'essence même de la République et de son asservissement à l'impérialisme. Plus la crise structurelle de l'ordre établi s'approfondissait et plus les classes souveraines ont voulu y remédier en se cramponnant davantage encore à l'impérialisme et au militarisme. Les dirigeants, qui avaient condamné les terres politiques et sociales du pays à une sécheresse stérile et qui, pour briser toute résistance et étouffer toute révolte des masses, avaient passé une chaîne de dépendance autour du cou de la société et avaient imposé à celle-ci un oppressant unisson, ont réussi pendant de longues années à maintenir nos peuples dans la profonde noirceur du silence. Toutefois, l'éveil des années soixante, l'action organisée de couches sociales dynamiques qui jusqu'alors étaient exclues de la vie politique du pays, comme celles des travailleurs, de l'intelligentsia ou des jeunes, et enfin le mouvement de résistance révolutionnaire et démocratique du début des années soixante-dix ont contribué à infléchir l'histoire de la nation, et leur influence profonde s'en fait encore sentir aujourd'hui. C'est un espoir rouge qui bourgeonne dans les cœurs fatigués et infertiles des travailleurs. C'est une épopée qui s'inscrit dans l'histoire pleine de défaites des opprimés. Désormais, plus rien ni personne n'est pareil ! Devant la crise durable de l'ordre établi, la quête d'indépendance et de liberté qui à l'époque s'est imprimée dans la conscience de la société, dans la mémoire collective des masses laborieuses, dans le souvenir des jeunes et de l'intelligentsia et dans la conscience des travailleurs constitue désormais un refuge pour la société. L'esprit de résistance et de révolte de ces années héroïques, cauchemar des dirigeants, plane depuis plus de vingt ans sur le pays. Portée bien haut à l'époque, la bannière du socialisme, seul système apte à se substituer au capitalisme en place, flotte toujours. Et des germes de libération du peuple kurde disséminés à cette époque est née la guérilla dans les montagnes du Kurdistan. Quant à nous, qui sommes les rivières, les ruisseaux, les torrents et les cascades issus des flots déferlants de ces années-là, nous fluons aujourd'hui vers la libération ultime de l'homme, à travers les plaines de notre classe, de notre peuple et de la démocratie, pour aller nous déverser dans l'océan de liberté d'une société sans classes. Multipliés comme autant de Deniz [référence à Deniz Gezmiş, dont le prénom désigne « la mer » en turc], nous nous dirigeons vers les mers de la liberté. Aujourd'hui, face à l'Océan de la Libération, sur ces alluvions fertiles formées par notre solidarité et notre unité dans la lutte, nous adressons un grand salut à ceux conviés au banquet céleste. Salut aux amis ! Salut à ceux qui marchent « Vers les Temps Futurs, Multipliés comme autant de Deniz » ! Salut à vous, la rose Deniz, la rose Yusuf, la rose Hüseyin ... les trois roses de Karşıkaya plantées sur la branche de mon cœur les trois roses de Karşıkaya plantées dans la source de mes larmes avec toutes leurs fleurs de sang. » 11. Le 6 août 1993, le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d'Ankara (« la cour de sûreté de l’Etat ») accusa le requérant de faire de la propagande contre l’unité de la nation turque et l’intégrité territoriale de l’Etat. Pour requérir l’application de l'article 8 § 1 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (paragraphe 19 ci-dessous), il invoquait certains passages du message de M. Gerger, dont la lecture avait été enregistrée lors de la cérémonie en question (il s’agit des passages reproduits en italiques au paragraphe 10 ci-dessus). Devant la cour de sûreté de l’Etat siégeant en une chambre composée de trois juges, dont l’un était membre de la magistrature militaire, M. Gerger plaida non coupable. Il ne contestait pas avoir rédigé le message en question, mais soutenait qu’il n’avait jamais eu l’intention d’agir à des fins séparatistes. Le 9 décembre 1993, la cour de sûreté de l’Etat déclara le requérant coupable de l’infraction visée à l’article 8 § 1 de la loi n° 3713 et lui infligea une peine d’emprisonnement d’un an et huit mois ainsi qu’une amende de 208.333.333 livres turques (TRL). L’arrêt fut rendu par deux voix contre une, celle du juge militaire. Dans son opinion dissidente, celui-ci expliqua que d’après lui, il n’y avait pas eu de propagande séparatiste au sens de l’article 8 § 1 de la loi n° 3713 mais incitation non publique au crime et qu’en conséquence, il eût fallu appliquer l’article 312 § 2 du code pénal (paragraphe 18 ci-dessous). De leur côté, les deux autres membres de la chambre estimèrent notamment que des passages tels que « (…) des germes de libération du peuple kurde disséminés à cette époque est née la guérilla dans les montagnes du Kurdistan (…) nous, qui sommes les rivières, les ruisseaux, les torrents et les cascades issus des flots déferlants de ces années-là, nous fluons aujourd'hui (…) à travers les plaines de notre classe, de notre peuple et de la démocratie (…) », s’analysaient en de la propagande séparatiste, laquelle était faite au détriment de l’unité de la nation turque et de l’intégrité territoriale de son État. D’après eux, le message considéré dans son ensemble – dont le libellé n’était du reste pas contesté – justifiait la condamnation de l’intéressé. Par un arrêt du 22 avril 1994, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. Le 23 septembre 1995, le requérant arriva au terme de sa peine d’emprisonnement. Cependant, faute pour lui d’avoir acquitté l’amende qui lui avait été infligée, il fut maintenu en détention par application de l’article 5 de la loi n° 647 sur l’exécution des peines, et ce à raison d’un jour par 10 000 TRL dues (paragraphe 21 ci-dessus). Le 26 octobre 1995, M. Gerger paya le solde de l’amende et fut mis en liberté. 16. Le 30 octobre 1995 entra en vigueur la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, qui allégea notamment les peines d’emprisonnement mais aggrava les peines d’amende prévues par l’article 8 de la loi n° 3713 (paragraphe 19 ci-dessous). Dans une disposition provisoire relative à l’article 2, la loi n° 4126 prévoyait en outre la révision d’office des peines prononcées dans des décisions rendues en application de l’article 8 de la loi n° 3713 (paragraphe 20 ci-dessous). Par conséquent, la cour de sûreté de l’Etat réexamina au fond l’affaire du requérant. Dans son arrêt du 17 novembre 1995, elle condamna finalement M. Gerger à une amende supplémentaire de 84.833.333. TRL assortie d’un sursis. Cet arrêt devint définitif le 15 mars 1996. II. Droit et pratique interneS pertinents A. Le droit pénal Le code pénal L’article 312 du code pénal se lit ainsi : « Incitation non publique au crime Quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte que la loi réprime comme un crime, ou incite la population à la désobéissance à la loi, est puni de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende (...) de six à trente mille livres turques. Est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans ainsi que d’une amende de neuf à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, une race, une religion, une secte ou une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base. Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311. » 2. La loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme La loi n° 3713 du 12 avril 1991, relative à lutte contre le terrorisme, a été modifiée par la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, entrée en vigueur le 30 octobre suivant. Ses articles 8 et 13 se lisent ainsi : Article 8 § 1 ancien « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. » Article 8 § 1 nouveau « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d'un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. » Article 17 « Parmi les personnes condamnées pour des infractions relevant de la présente loi, celles (…) punies d’une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, à condition d’avoir purgé les trois quarts de leur peine et fait preuve de bonne conduite. (…) Les premier et second paragraphes de l’article 19 (…) de la loi n° 647 sur l’exécution des peines ne s’appliquent pas aux condamnés susvisés ». La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 portant modification de la loi n° 3713 Au sujet des modifications qu’elle apporte à l’article 8 de la loi n° 3713 quant au quantum des peines, la loi du 27 octobre 1995 contient une « disposition provisoire relative à l’article 2 » ainsi libellée : « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (…) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles 4 et 6 de la loi 647 du 13 juillet 1965. » La loi n° 647 du 13 juillet 1965 sur l’exécution des peines La loi n° 647 réglemente, notamment dans ses dispositions suivantes, l’exécution des peines d’amendes et les conditions de la libération conditionnelle : Article 5 « La peine d’amende consiste en un versement au Trésor public d’une somme fixée dans les limites prévues par la loi. (…) Si, suivant la notification de l’injonction de payer, le condamné ne s’acquitte pas de l’amende dans les délais, le procureur de la République décide de son incarcération à raison d’un jour par dix mille livres turques. (…) La peine d’emprisonnement ainsi infligée en substitution de la peine d’amende ne peut dépasser trois ans (…).» Article 19 § 1 « (…) les personnes condamnées à une peine privative de liberté bénéficient d’office d’une libération conditionnelle, à condition d’avoir purgé la moitié de leur peine et fait preuve de bonne conduite (…). » 5. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale relatives aux moyens de cassation qu’un justiciable peut faire valoir contre les jugements rendus en première instance, se lisent ainsi : Article 307 « Le pourvoi en cassation ne peut porter que sur la non-conformité du jugement à la loi. La non application ou l’application fautive d’une règle de droit constitue un cas de non-conformité à la loi. » Article 308 « La violation de la loi est considérée comme manifeste dans les cas ci-dessous : 1- si la juridiction n’est pas constituée conformément à la loi ; 2- si prend part à la décision un juge auquel la loi l’interdit ; (…). » B. Jurisprudence pénale soumise par le Gouvernement Le Gouvernement a produit des copies de plusieurs ordonnances de non-lieu, rendues par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul à l’encontre de personnes soupçonnées d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité, notamment sur la base d’une distinction fondée sur la religion (article 312 du code pénal, paragraphe 18 ci-dessus), ou de propagande séparatiste contre l’unité indivisible de l’Etat (article 8 de la loi n° 3713, paragraphe 19 ci-dessus). S’agissant des affaires où ces infractions ont été commises par la voie de publications, dans la majorité des cas en cause, le parquet s’est notamment fondé, tantôt sur la prescription de l’action publique, tantôt sur l’absence de certains éléments constitutifs de l’infraction considérée ou de preuves suffisantes. En outre, le Gouvernement a communiqué, à titre d’exemples, plusieurs arrêts rendus par des cours de sûreté de l’Etat au sujet des infractions susmentionnées et concluant à l’absence de culpabilité des prévenus. Il s’agit des arrêts des 19 novembre (n° 1996/428) et 27 décembre 1996 (n° 1996/519) ; 6 mars (n° 1997/33), 3 juin (n° 1997/102), 17 octobre (n° 1997/527), 24 octobre (n° 1997/541) et 23 décembre 1997 (n° 1997/606) ; 21 janvier (n° 1998/8), 3 février (n° 1998/14), 19 mars (n° 1998/56), 21 avril 1998 (n° 1998/ 87) et 17 juin 1998 (n° 1998/133). Pour ce qui est plus particulièrement des procès entamés contre des auteurs d’ouvrages ayant trait au problème kurde, dans les cas en cause, les cours de sûreté de l’Etat ont notamment motivé leurs arrêts par l’absence de l’élément de « propagande », constitutif de l’infraction. C. Les cours de sûreté de l’Etat Les cours de sûreté de l’Etat ont été instaurées par la loi n° 1773 du 11 juillet 1973, conformément à l’article 136 de la Constitution du 1961. Cette loi fut annulée par la Cour constitutionnelle le 15 juin 1976. Par la suite, ces juridictions furent réintroduites dans l’organisation judiciaire turque par la Constitution de 1982. L’exposé des motifs afférent à ce rétablissement contient le passage suivant : « Il peut y avoir des actes touchant à l’existence et la pérennité d’un Etat tels que, lorsqu’ils sont commis, une compétence spéciale s’impose pour trancher promptement et dans les meilleures conditions. Pour ces cas-là, il s’avère nécessaire de prévoir des cours de sûreté de l’Etat. Selon un principe inhérent à notre Constitution, il est interdit de créer un tribunal spécial pour connaître d’un acte donné, postérieurement à sa perpétration. Aussi les cours de sûreté de l’Etat ont-elles été prévues par notre Constitution pour connaître des poursuites relatives aux infractions susmentionnées. Comme les dispositions particulières régissant leurs attributions se trouvent fixées au préalable et que les juridictions en question sont créées avant tout acte (…), elles ne sauraient être qualifiées de tribunaux instaurés pour connaître de tel ou tel acte postérieurement à sa commission. » La composition et le fonctionnement de ces juridictions obéissent aux règles ci-dessous. La Constitution Les dispositions constitutionnelles régissant l’organisation judiciaire sont ainsi libellées : Article 138 §§ 1 et 2 « Dans l’exercice de leurs fonctions, les juges sont indépendants ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Nul organe, nulle autorité (…) nulle personne ne peut donner des ordres ou des instructions aux tribunaux et aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel, ni leur adresser des circulaires, ni leur faire des recommandations ou suggestions. » Article 139 § 1 « Les juges (…) sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu'ils n'y consentent (…) » Article 143 §§ 1-5 « Il est institué des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d’un procureur et d’un nombre suffisant de substituts. Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires. Les présidents et les membres titulaires et suppléants (…) des cours de sûreté de l’Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable. La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. (...) » Article 145 § 4 « Le contentieux militaire (…) le statut personnel des juges militaires (…) est fixé par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties dont les juges jouissent et des impératifs du service militaire. La loi détermine en outre les rapports des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent dans l’exercice de leurs tâches autres que judiciaires (...) » La loi n° 2845 instituant des cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles Fondées sur l’article 143 de la Constitution, à l’application duquel elles se rapportent, les dispositions pertinentes de la loi n° 2845 se lisent ainsi : Article 1 « Dans les chefs-lieux des provinces de (…) sont instituées des cours de sûreté de l’Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’intégrité territoriale de l’Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l’ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat.» Article 3 « Les cours de sûreté de l’Etat se composent d’un président et de deux membres titulaires, ainsi que de deux membres suppléants. » Article 5 « Le président de la cour de sûreté de l’Etat ainsi que l’un des [deux] titulaires et l’un des [deux] suppléants (…) sont choisis parmi les juges (...) civils, les autres membres titulaires et suppléants parmi les juges militaires de premier rang (...) » Article 6 §§ 2, 3 et 6 « La nomination des membres titulaires et suppléants choisis parmi les juges militaires se fait selon la procédure prévue par la loi sur les magistrats militaires. Sous réserve des exceptions prévues dans la présente loi ou dans d’autres, le président et les membres titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat (…) ne peuvent être affectés sans leur consentement à un autre poste ou lieu avant quatre ans (…). (…) Si à l’issue d’une instruction menée, selon les lois les concernant, à l’encontre d'un président, d'un membre titulaire ou d'un membre suppléant d'une cour de sûreté de l’Etat, des comités ou autorités compétents décident qu'il y a lieu de changer le lieu d’exercice des fonctions de l'intéressé, ce lieu ou les fonctions elles-mêmes (…) peuvent être modifiés conformément à la procédure prévue dans lesdites lois. » Article 9 § 1 « Les cours de sûreté de l’Etat sont compétentes pour connaître des infractions (…) d) en rapport avec les événements ayant nécessité la proclamation de l’état d’urgence, dans les régions où l’état d’urgence a été décrété en vertu de l’article 120 de la Constitution, e) commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l’unité indivisible de l’Etat – du territoire comme de la nation – et contre l’ordre libre et démocratique, ou touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat. (…)» Article 27 § 1 « La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l’Etat. » Article 34 §§ 1 et 2 « Le régime statutaire et le contrôle des (…) juges militaires appelés à siéger aux cours de sûreté de l’Etat (…), l’ouverture d'instructions disciplinaires et le prononcé de sanctions disciplinaires à leur encontre, ainsi que les enquêtes et poursuites relatives aux infractions concernant leurs fonctions (…) relèvent des dispositions pertinentes des lois régissant leur profession (…). Les observations de la Cour de cassation, les rapports de notation établis par les commissaires de justice (…) et les dossiers des enquêtes menées au sujet des juges militaires (…) sont transmis au ministère de la Justice. » Article 38 « En cas de proclamation d’un état de siège couvrant tout ou partie de son ressort et à condition qu’elle ne soit pas la seule dans celui-ci, une cour de sûreté de l’Etat pourra, dans les conditions ci-dessous, être transformée en cour martiale de l’état de siège (…) » 3. La loi n° 357 sur les magistrats militaires Les dispositions pertinentes de la loi sur la magistrature militaire se lisent comme suit: Article 7 additionnel « Les aptitudes des officiers juges militaires nommés aux postes (…) de juges titulaires et suppléants des cours de sûreté de l’Etat requises pour l’obtention de promotions et d’avancements en échelon, grade ou ancienneté sont déterminées sur la base de certificats de notation établis selon la procédure ci-dessous, sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi n° 926 sur le personnel des forces armées turques : a) Le premier supérieur hiérarchique compétent pour effectuer la notation et établir les certificats de notation pour les officiers militaires juges titulaires et suppléants (…) est le secrétaire d’Etat à la Défense ; vient ensuite le ministre de la Défense. (…) » Article 8 additionnel « Les membres (…) des cours de sûreté de l’Etat appartenant à la magistrature militaire (…) sont désignés par un comité composé du directeur du personnel et du conseiller juridique de l’état-major, du directeur du personnel et du conseiller juridique du commandement des forces dont relève l’intéressé, ainsi que du directeur des Affaires judiciaires militaires au ministère de la Défense (...) » Article 16 §§ 1 et 3 « La nomination des juges militaires (…), effectuée par décret commun du ministre de la Défense et du Premier ministre, est soumise au président de la République pour approbation, conformément aux dispositions relatives à la nomination et à la mutation des membres des forces armées (…). (…) Pour les nominations aux postes de juges militaires (…), il sera procédé en tenant compte de l’avis de la Cour de cassation, des rapports des commissaires et des certificats de notation établis par les supérieurs hiérarchiques (…) » Article 18 § 1 « Le barème des salaires, les augmentations de salaire et les divers droits personnels des juges militaires (…) relèvent de la réglementation concernant les officiers. » Article 29 « Le ministre de la Défense peut infliger aux officiers juges militaires, après les avoir entendus, les sanctions disciplinaires suivantes : A. L’avertissement, qui consiste à notifier par écrit à l’intéressé qu’il doit être plus attentif dans l’exercice de ses fonctions. (…) B. Le blâme, qui consiste à notifier par écrit le fait que tel acte ou telle attitude sont considérés comme fautifs. (…) Lesdites sanctions seront définitives et mentionnées dans le certificat de notation de l’intéressé puis inscrites dans son dossier personnel (…) » Article 38 « Lorsqu’ils siègent en audience, les juges militaires (…) portent la tenue spéciale de leurs homologues de la magistrature civile (…) » Le code pénal militaire L’article 112 du code pénal militaire du 22 mai 1930 dispose : « Est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement quiconque influence les tribunaux militaires en abusant de son autorité de fonctionnaire. » La loi n° 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour administrative militaire Aux termes de l’article 22 de la loi n° 1602, la première chambre de la Haute Cour administrative militaire est compétente pour connaître des demandes en annulation et en dédommagement fondées sur des contestations relatives au statut personnel des officiers, notamment celles concernant leur avancement professionnel. procédure devant la commission M. Gerger avait saisi la Commission le 22 juin 1994. Dans sa demande introductive du même jour et sa requête complémentaire du 5 août – qu’il amenda le 25 octobre 1994 –, il affirmait que sa condamnation constituait une violation des articles 9 et 10 de la Convention. Il alléguait en outre que, faute d’avoir dûment motivé son jugement, la cour de sûreté de l’Etat avait porté atteinte à son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1. Enfin, il se plaignait d’avoir été victime d’une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec les articles 5 § 1 et 6 § 1, en ce que les conditions de libération conditionnelle requises par la loi n° 3713 étaient plus rigoureuses que celles prévues par le droit commun. La Commission a retenu la requête (n° 24919/94) le 14 octobre 1996. Dans son rapport du 11 décembre 1997 (article 31 ancien de la Convention), elle exprime l’avis : – qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention, examiné conjointement à l’article 9 (trente voix contre deux) ; – qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14, combiné avec l’article 5 § 1 a) seulement, l’article 6 § 1 n’étant pas pertinent en l’espèce (unanimité) ; – qu’en violation de l’article 6 § 1, la cause du requérant n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial et que, dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré du défaut de motivation du jugement rendu par la cour de sûreté de l’Etat (trente et une voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. conclusions présentées à la cour Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire pour droit que la condamnation du requérant ne révèle aucune violation des articles 6 § 1, 9, 10 et 14 de la Convention. 33. De son côté, se référant au rapport présenté par la Commission le 11 décembre 1997, M. Gerger a prié la Cour de conclure à la violation des articles 6 § 1 et 10 de la Convention ainsi que de l’article 14 combiné avec l’article 5 § 1, et de considérer à cet égard la circonstance qu’il s’est vu condamné deux fois dans une même affaire. Il réclame en outre une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0