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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Francisco Velosa Barreto, ressortissant portugais né en 1954, est employé de bureau. Il se maria en avril 1979. De son union naquit le 7 juin 1980 un enfant. Célibataire, le requérant vivait avec ses parents. Depuis son mariage, il habite dans la maison louée par ses beaux-parents. Un frère de son épouse et deux de ses tantes ont vécu sous le même toit pendant plusieurs périodes. La maison, située à Funchal (île de Madère), comporte quatre chambres, une cuisine, un salon-salle à manger et une cave. En novembre 1982, M. Velosa Barreto hérita de ses parents une maison également sise à Funchal. Cette maison, louée à usage d'habitation depuis le 23 juin 1964 à E.R., comprend trois chambres, une cuisine et une salle de bains. Le loyer fixé initialement à 1 200 escudos (PTE) était de 1 500 PTE au moment de l'ouverture de la procédure. Le 6 avril 1983, le requérant et sa femme assignèrent E.R. et son épouse devant le tribunal de première instance de Funchal. Sur la base des articles 1096 et 1098 du code civil, ils sollicitaient la résiliation du bail au motif qu'ils avaient besoin de l'immeuble pour y habiter. Le tribunal de Funchal les débouta le 13 mars 1989. Il estima qu'une des conditions de résiliation prescrites par la loi n'était pas remplie puisque l'intéressé n'avait pas démontré des faits prouvant le besoin réel et effectif qu'il avait d'habiter la maison. Le juge développa notamment les considérations suivantes: "Le besoin pour un propriétaire de résilier un contrat de location s'apprécie essentiellement au regard de sa situation familiale, de ses conditions de logement et/ou de sa situation professionnelle au moment de l'introduction de l'action ou dans un avenir proche et prévisible. Or, en ce qui concerne cette question, il ressort des faits établis que "depuis son mariage, au mois d'avril 1979, le demandeur habite chez ses beaux-parents, Travessa do Caetano, [à Funchal]"; "y habitaient (...) les parents de la demanderesse, les demandeurs et leur fils ainsi qu'un frère et deux tantes de la demanderesse"; "l'immeuble des demandeurs comporte trois chambres, une cuisine et une salle de bains"; "la maison où vivent les demandeurs comporte quatre chambres au premier étage, une cuisine, un salon-salle à manger au rez-de-chaussée et une cave"; "les beaux-parents du demandeur, actuellement seuls occupants, avec les demandeurs et leur fils, du logement sis Travessa do Caetano, se résignent à la présence des demandeurs et de leur fils dans leur maison, puisqu'ils n'ont pas d'autre endroit où habiter"; et "les demandeurs exercent leur profession respective à Funchal". Il convient de noter que les deux tantes et le frère de la demanderesse n'habitent plus dans la maison où vivent actuellement les demandeurs, ce qui augmente donc l'espace vital et l'intimité dont tout être humain a besoin pour vivre. La situation des demandeurs en matière de logement est meilleure aujourd'hui qu'elle ne l'était à la date de l'introduction de l'action, puisqu'ils disposent même d'une chambre pour leur fils. D'autre part, les demandeurs ne sont pas parvenus à apporter la preuve qui leur incombait, des relations tendues et conflictuelles permanentes entre eux et leurs parents; en revanche, il est certain qu'aucun lien n'a pu être établi entre la maladie de leur fils et les conditions dans lesquelles ils vivent dans cette maison. On pourrait dire - et après tout il a été prouvé qu'ils habitent dans la maison de leurs parents, "lesquels se résignent à la présence des demandeurs et de leur fils chez eux puisqu'ils n'ont pas d'autre endroit où habiter" - qu'en vertu du dicton cité par le demandeur dans sa première requête "celui qui se marie a besoin d'un toit", le mariage serait suffisant pour justifier le besoin de récupérer l'immeuble loué pour l'habiter. (...) Cependant, chaque cas est unique. Compte tenu des faits prouvés et de ceux allégués par les demandeurs à l'appui de leurs prétentions, mais non prouvés, et attendu que le concept de besoin d'habiter doit s'interpréter comme un état de nécessité, à apprécier objectivement selon un critère raisonnable, et conformément à l'expérience commune, force est de constater que, dans l'ensemble, les faits ne sont pas suffisants pour justifier la conclusion que les demandeurs ont besoin de l'immeuble pour y habiter. Il est certain que leurs conditions de vie seraient meilleures et plus confortables dans la maison louée aux défendeurs, mais le besoin réel et effectif qu'exige la jurisprudence n'existe pas, de même que l'on ne se trouve pas en présence d'un cas où le logement est absolument nécessaire ou indispensable aux demandeurs. Par conséquent, bien que les autres conditions de l'article 1098 du code civil soient remplies, il y a lieu de considérer comme irrecevable le grief des demandeurs car le bien-fondé de leur droit de résiliation, prévu à l'article 1096 par. 1, alinéa a), du code civil, n'a pas été établi. En conclusion, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter d'autres considérations, je déclare non fondée, pour défaut de preuve, la présente action tendant à la résiliation du bail, suivie de l'expulsion du locataire (processo especial de despejo) et je déboute les demandeurs (...)" Le 6 avril 1989, M. Velosa Barreto interjeta appel contre ce jugement devant la cour d'appel de Lisbonne. Se référant à la ratio legis de la législation concernant le droit de résiliation du bail, il fit valoir son droit, et celui de sa famille, à un foyer exclusivement à eux. Le 11 octobre 1990, la cour d'appel confirma la décision attaquée. D'après elle, la maison des beaux-parents du requérant s'avérait suffisamment grande pour tous ceux qui y habitaient, y compris le requérant, sa femme et son fils. Dès lors, il n'y avait pas un besoin réel pour M. Velosa Barreto d'habiter la maison dont il était propriétaire. La cour d'appel précisa: "Pour démontrer le besoin, il faut invoquer des faits concrets qui, une fois prouvés, établissent l'existence d'un besoin réel, sérieux et actuel, fondé sur des motifs importants et non pas purement hypothétiques. En effet, (...) il ne suffit pas de vouloir, de souhaiter ou de réclamer. (...) Pour pouvoir exercer leur droit [de résiliation], les demandeurs doivent apporter la preuve de ces faits (article 342 par. 1 du code civil). (...) (...) il est établi que: a) la maison où vivent les demandeurs comporte quatre chambres au premier étage, une cuisine et un salon-salle à manger au rez-de-chaussée, ainsi qu'une cave; b) dans cette maison vivent actuellement les beaux-parents du demandeur, les demandeurs et leur fils, soit cinq personnes au total; c) les beaux-parents du demandeur se résignent à la présence des demandeurs et de leur fils dans la maison. Etant donné que la maison comporte quatre chambres, les demandeurs peuvent occuper une chambre et leur fils une autre. La maison comporte un nombre suffisant de chambres pour permettre à tous les membres de la famille d'y vivre. Chaque couple a sa chambre et le fils des demandeurs a la sienne. Et il reste encore une chambre de libre. Le jugement doit correspondre à la situation existant au moment de la clôture des débats (article 663 par. 1 du code de procédure civile). Dans la mesure où il n'est pas prouvé que les demandeurs se trouvent dans une situation précaire, le fait qu'ils vivent chez leurs beaux-parents, même par faveur, est manifestement insuffisant pour établir le besoin qui constitue la base de l'article 1096 du code civil (...). De plus, les demandeurs n'ont pas pu apporter la preuve de tensions rendant la cohabitation intolérable. Ce n'est que lorsque le besoin d'habiter apparaît comme étant de nécessité absolue, fondée sur des motifs importants, qu'il est possible de déroger au principe général et d'expulser le locataire au profit du propriétaire (article 1095 du code civil). Eu égard à ce qui précède et parce que les demandeurs en appel n'ont pas fait la preuve du besoin, de la manière précitée et selon notre conception, le recours est déclaré mal fondé et le jugement est confirmé." Aucun recours ne s'ouvrait contre cet arrêt. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT On trouvera ci-après une traduction des principales dispositions du code civil applicables, à l'époque des faits, en matière de résilation des contrats de location d'un logement: Article 1095 "(Principe général) (...) le propriétaire ne dispose pas du droit de résilier un contrat [de location], lequel sera tacitement reconduit s'il n'est pas résilié par le locataire conformément à l'article 1055." Article 1096 "(Exceptions) Le propriétaire peut demander la résiliation du contrat [de location] lors de son échéance dans les cas suivants: a) Quand il a besoin (necessite) de l'immeuble pour y habiter lui-même ou pour y bâtir sa résidence. (...)" Article 1098 "(Résiliation pour habitation) Le droit de demander la résiliation du contrat [de location] pour habitation du propriétaire implique la réunion des conditions suivantes: a) Etre propriétaire (...) de l'immeuble depuis plus de cinq ans, ou l'avoir acquis par succession, indépendamment de ce délai; b) Ne pas avoir (...) dans la région où est sis l'immeuble objet du contrat [de location] une autre résidence, en tant que propriétaire ou en tant que locataire, depuis plus d'un an; c) Ne pas avoir demandé la résiliation auparavant. (...)" Selon une jurisprudence constante (arrêts de la Cour suprême des 15 décembre 1981 et 12 juillet 1983), le droit de résiliation du bail par le propriétaire aux fins d'habitation ne peut s'exercer que lorsque sont réunies tant les conditions visées à l'article 1098 que celle prévue à l'article 1096 par. 1 a) du code civil, c'est-à-dire le besoin réel du propriétaire d'habiter l'immeuble. Le décret-loi du 15 octobre 1990 a modifié la réglementation, mais n'a introduit aucun changement substantiel quant aux possibilités de résiliation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Velosa Barreto a saisi la Commission le 31 mars 1991. Il se plaignait d'une violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention en raison de l'impossibilité de récupérer la maison dont il était propriétaire pour y habiter avec sa famille. La Commission (deuxième chambre), se plaçant d'office sur le terrain de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), a retenu la requête (n° 18072/91) le 12 janvier 1994. Dans son rapport du 29 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention mais non de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt .
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Antonius Adrianus van der Tang est né en 1959 et habite Haarlem, aux Pays-Bas. A l'époque des faits, il travaillait comme camionneur. A. L'arrestation du requérant Au petit matin du 26 mai 1989, à Bayona, en Galice, sur la côte nord-ouest de l'Espagne, la police (Guardia Civil) arrêta M. van der Tang qui transportait dans son camion 1 300 kg de haschisch. Le véhicule appartenait au requérant. La police trouva également dans le camion un pistolet dont on avait effacé la gravure du numéro de série, une radio présélectionnée sur une station coïncidant avec celle d'un autre poste trouvé ultérieurement chez Luciano Núñez, également arrêté (paragraphe 32 ci-dessous). Par la suite, huit personnes au moins furent arrêtées pour participation à une opération en trois phases de livraison d'environ 7 000 kg de haschisch. B. La procédure devant l'Audiencia Provincial Devant la police le 26 mai 1989, le requérant, assisté d'un avocat et d'un interprète, déclara qu'un inconnu avait pris contact avec lui en mars puis, de nouveau, en mai 1989 et lui avait offert 20 000 florins pour transporter 1 300 kilos de "drogue" (droga) de Bayona aux Pays-Bas. Après quelque hésitation, il avait finalement accepté. Tard dans la soirée du 25 mai 1989, suivant les instructions de l'inconnu, il avait conduit son camion à Bayona où un autre homme avait chargé la drogue et s'en était allé. Le requérant ne conduisait que depuis une dizaine de minutes lorsqu'il fut appréhendé. Il confirma cette déclaration le 27 mai 1989 devant l'autorité judiciaire compétente (paragraphe 34 ci-dessous), le juge d'instruction n° 1 de Vigo, qui ordonna son placement en détention provisoire (auto de prisión). En s'appuyant sur les articles 503 et 504 du code de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal, "LECrim" - paragraphes 42 et 43 ci-dessous), le juge déclara qu'il existait des motifs suffisants de penser que M. van der Tang était pénalement responsable d'une atteinte à la santé publique. Selon le requérant, les autres détenus, tous de nationalité espagnole, bénéficièrent d'une libération sans condition. Le 12 juin 1989, dans une déposition devant le juge d'instruction n° 1 de Vigo, M. van der Tang expliqua que, contrairement à ses précédentes déclarations, il ne savait pas qu'il transportait de la drogue au moment où il avait été arrêté. Il pensait que le chargement était du tabac, mais avait dit "drogue" en raison des pressions exercées et de ses difficultés à comprendre la langue. Par ordonnance du 18 novembre 1989 (auto de procesamiento), le juge d'instruction n° 1 constata que les éléments de preuve étaient suffisants pour inculper le requérant d'atteinte à la santé publique (articles 344 et 344 bis a) du code pénal - paragraphes 37 et 38 ci-dessous) et de détention illicite d'une arme à feu (article 254 du code pénal - paragraphe 39 ci-dessous). Il confirma la mise en détention de l'intéressé. Le recours formé par celui-ci contre cette décision fut écarté, semble-t-il. Les 25 septembre et 22 novembre 1989, M. van der Tang déposa auprès du juge d'instruction n° 1 ses premières demandes de libération provisoire. Arguant de ce qu'il avait ignoré de bout en bout la véritable nature du chargement, il persistait à nier être impliqué dans une quelconque organisation de trafic de drogue. Il se plaignait en outre de ce que, pendant sa détention de quatre mois, le juge ne l'eût interrogé que deux fois - en mai et juin 1989 - et qu'il était la seule personne encore détenue malgré le caractère relativement mineur de l'infraction reprochée. M. van der Tang s'engageait aussi à respecter les conditions dont sa libération serait éventuellement assortie. Le juge rejeta ces demandes les 9 octobre et 25 novembre 1989, par des décisions non motivées. Le requérant déposa le 22 décembre 1989 une demande analogue de libération conditionnelle, repoussée le 27 décembre 1989 par un auto (décision motivée). Le motif indiqué était la gravité des infractions, à savoir détention illégale d'une arme à feu et narcotrafic portant sur de grandes quantités; la seconde infraction étant en elle-même punie d'une peine qualifiée de "prisión menor en su grado medio", c'est-à-dire d'un emprisonnement allant de deux ans, quatre mois et un jour à quatre ans et deux mois. Par une décision du 19 avril 1990 (auto de conclusión del sumario) le requérant fut renvoyé en jugement. Il redemanda sa libération provisoire à l'Audiencia Provincial de Pontevedra (paragraphe 34 ci-dessous) les 20 avril, 28 mai, 19 juillet et 5 septembre 1990. Le 21 septembre 1990, le procureur (Ministerio Fiscal) de Pontevedra déclara ne pas s'opposer à la libération provisoire du requérant, à condition que celui-ci versât une caution de 500 000 pesetas, remît son passeport aux autorités et se présentât quotidiennement à la police. Le 26 septembre 1990, cependant, l'Audiencia Provincial rejeta les demandes de mise en liberté, en indiquant brièvement: "Les motifs initiaux du placement en détention provisoire demeurent inchangés" (paragraphe 45 ci-dessous). Le requérant demanda alors à l'Audiencia Provincial de réexaminer sa décision au motif que, notamment, plusieurs codétenus contre lesquels le procureur avait requis des peines allant jusqu'à dix ans de prison avaient obtenu leur libération conditionnelle simplement contre paiement de 200 000 pesetas. Selon l'intéressé, seule sa condition d'étranger semblerait expliquer sa longue détention. Le 9 octobre 1990, l'Audiencia Provincial refusa de reconsidérer sa décision. C. La procédure devant l'Audiencia Nacional En 1989, les autorités espagnoles lancèrent une opération d'envergure nationale ("l'opération Nécora") pour lutter contre une importante organisation de narcotrafic opérant principalement en Galice. Le juge d'instruction central n° 5 près l'Audiencia Nacional à Madrid (paragraphe 35 ci-dessous) fut chargé de l'instruction de l'ensemble de l'affaire. Le cas du requérant étant réputé étroitement lié à ceux de Nécora, le dossier fut transféré à Madrid le 29 octobre 1990. L'Audiencia Provincial avait entendu les parties au préalable, mais l'intéressé ne présenta pas d'observations (paragraphe 36 ci-dessous). Le 8 janvier 1991, le juge d'instruction central n° 5 rendit une ordonnance (auto de procesamiento) ajoutant de nouveaux chefs d'accusation contre le requérant, sans rien changer aux faits établis. L'intéressé fut inculpé non seulement d'atteinte à la santé publique et de détention illégale d'une arme à feu d'origine étrangère (paragraphe 10 ci-dessus), mais aussi de contrebande et d'association de malfaiteurs (articles 173 et 174 du code pénal). Il forma contre ces décisions un recours, incluant une demande de mise en liberté, que la troisième chambre pénale de l'Audiencia Nacional rejeta le 8 juillet 1991. Les motifs indiqués pour refuser la libération du requérant étaient la gravité des infractions reprochées, des considérations liées à l'ordre public et le risque important de voir le requérant se soustraire à la justice vu sa nationalité étrangère. Le 19 novembre 1990, M. van der Tang adressa une nouvelle demande de mise en liberté au juge d'instruction central n° 5, dans laquelle il réitérait ses arguments précédents et faisait valoir en outre que le transfert de son dossier à Madrid se traduirait inévitablement par un nouveau retard de son procès. Le procureur s'opposa à la libération et le 30 novembre 1990, le juge d'instruction central n° 5 décida de maintenir le requérant en détention compte tenu des preuves existantes, de la nature de l'infraction et de sa gravité, de la peine de prison encourue, de l'importance de la participation du requérant et de la probabilité de le voir prendre la fuite. L'intéressé attaqua cette décision devant la troisième chambre pénale de l'Audiencia Nacional. Dans son recours, il fit valoir notamment que son infraction présumée n'ayant absolument aucun lien avec les accusations de narcotrafic, il aurait pu facilement être jugé dans le mois suivant son arrestation. Il soutint en outre qu'au demeurant, même si le juge devait le déclarer coupable des infractions dont il était accusé, il avait déjà purgé sa peine en détention provisoire (plus de deux ans). Le 30 avril 1991, l'Audiencia Nacional rejeta le recours, confirmant ainsi la décision du juge d'instruction. Le Tribunal constitutionnel rejeta le 11 septembre 1991 le recours constitutionnel subséquent (recurso de amparo), au motif qu'aucune des questions soulevées par le requérant n'était d'ordre constitutionnel. Dans l'intervalle, par un télégramme du 30 janvier 1991 adressé au juge d'instruction central n° 5, le requérant avait renouvelé sa demande de mise en liberté. Le procureur près l'Audiencia Nacional demanda la prolongation de la détention du requérant jusqu'au maximum légal de quatre ans (paragraphe 43 ci-dessous). M. van der Tang répondit en offrant de s'engager formellement à habiter Vigo si une libération conditionnelle lui était accordée. Le 6 mars 1991, le juge d'instruction central n° 5 décida de le maintenir en détention provisoire et ajourna sa décision sur la demande de prolongation présentée par le procureur. Le temps de détention de M. van der Tang approchant les deux ans, le juge d'instruction central n° 5 décida, le 22 mai 1991, conformément à l'article 504 par. 4 du code de procédure pénale (paragraphe 44 ci-dessous) et après avoir entendu les parties, de proroger de deux ans la période maximale de détention. Il fonda cette décision sur la gravité des accusations et sur la peine susceptible d'être infligée en cas de condamnation. Le 19 février 1992, le même juge prononça la clôture de l'instruction préliminaire. L'affaire fut déférée pour jugement à la troisième chambre pénale de l'Audiencia Nacional. D. La mise en liberté sous caution du requérant Le 29 avril 1992, le requérant demanda derechef sa mise en liberté, s'adressant cette fois à l'Audiencia Nacional, qui la lui accorda le 11 juin 1992 en l'assortissant des conditions suivantes: a) verser comptant une caution de huit millions de pesetas; b) indiquer son adresse et informer le tribunal de tout changement ultérieur; c) se présenter quotidiennement à la police de Vigo; et d) ne pas quitter le territoire espagnol. L'Audiencia Nacional motiva ainsi sa décision: "Il y a présomption que (...) le prévenu n'a joué de rôle important dans aucune des organisations considérées, puisqu'il s'est borné à transporter la substance illicite en cause, dont la nature a d'ailleurs été prise en compte par le tribunal. Le temps écoulé depuis l'incarcération de Van der Tang plus de trois ans (il est de beaucoup le prisonnier le plus ancien dans l'affaire) - permet d'écarter l'hypothèse qu'il pourrait dissimuler ou supprimer des preuves. Cet écoulement du temps résulte à l'évidence - pourquoi ne pas le dire franchement? - de la malchance et des aléas de la procédure. Le prévenu aurait pu en effet passer en justice en Galice il y a plusieurs mois, quand le procureur de Pontevedra ne s'opposait pas à sa mise en liberté provisoire. Ce même écoulement du temps, si on le relie au récit sommaire et provisoire des faits, milite pour une modification de la mesure conservatoire de la détention provisoire, en l'adoucissant et en donnant la possibilité de la contourner, à condition de prendre les mesures indiquées plus bas dans le dispositif et destinées à s'assurer de la comparution du prévenu à l'audience. Le tribunal n'a pas estimé que la nationalité étrangère du prévenu soit un obstacle insurmontable pour arriver à cette conclusion car, en l'espèce, d'autres inculpés étrangers sont effectivement en liberté. Il a simplement considéré que c'était un élément de plus qui, associé au manque d'attaches avec l'Espagne, pourrait étayer l'idée que le prévenu aurait peut-être tendance à se soustraire à l'action de la justice, mais cela ne peut se présumer sans éléments complémentaires. Par ailleurs, ce type de crainte, de caractère toujours relatif, ne saurait dans ces conditions avoir pour effet d'amener le prévenu à purger, inéluctablement et par anticipation, la peine susceptible de lui être infligée. D'autant que l'intéressé a montré, dans une certaine mesure au moins, qu'il avait la possibilité de rester sur le territoire espagnol et d'y obtenir un contrat de travail pour exercer une activité licite pendant la durée du contrat." Le 2 juillet 1992, à la suite d'une demande de réduction de la caution, l'Audiencia Nacional ramena celle-ci à quatre millions de pesetas à verser au comptant ou sur garantie bancaire. Le 24 juillet 1992, le requérant fut libéré après versement de la caution par son épouse. Pendant son séjour à la prison de Vigo, M. van der Tang se comporta bien et participa à diverses activités dans l'établissement. Il travailla également à l'économat de la prison. Le 9 octobre 1992, à la demande de M. van der Tang, l'Audiencia Nacional l'autorisa à ne se présenter à la police qu'une fois par semaine et lui restitua certains documents, dont son permis de conduire. Le 12 novembre 1992, l'intéressé sollicita l'autorisation de se rendre aux Pays-Bas pour y passer Noël en famille. L'Audiencia Nacional rejeta sa requête le 24 novembre 1992, compte tenu du risque manifeste de le voir se soustraire à la justice. Le 23 décembre 1992, le requérant quitta l'Espagne et se rendit aux Pays-Bas en voiture. Par une lettre du 5 janvier 1993, son avocat néerlandais informa ses avocats espagnols que leur client avait quitté l'Espagne pour regagner les Pays-Bas faute de moyens de subsistance. Il leur demanda de faire modifier les conditions posées à la mise en liberté provisoire, notamment l'obligation de demeurer en Espagne. Par une lettre du 7 avril 1993 adressée à l'ambassade d'Espagne à La Haye, son avocat néerlandais suggéra que M. van der Tang se présentât à l'ambassade une fois par semaine. Il déclara en outre que son client avait l'intention de regagner l'Espagne pour comparaître à son procès. L'ambassade répondit en conseillant au requérant de se mettre en rapport avec l'Audiencia Nacional. Ni M. van der Tang ni ses conseils ne semblent avoir pris contact alors avec l'Audiencia Nacional, ni avoir informé cette juridiction du changement d'adresse de l'intéressé. E. Le défaut de comparution du requérant à son procès Entre-temps, le 3 juillet 1992, l'Audiencia Nacional avait confirmé la décision du juge d'instruction de clôturer l'instruction préliminaire (paragraphe 20 ci-dessus), ordonnant par là même l'ouverture des débats (juicio oral). A ce stade, le dossier comptait plus de 22 000 pages. Le 15 juillet 1992, le procureur déposa ses réquisitions provisoires (conclusiones provisionales) énumérant des chefs d'accusation contre cinquante-deux personnes. S'agissant du requérant, le procureur réclamait au total une peine de prison de quatorze ans, ainsi qu'une amende de soixante millions de pesetas pour atteinte à la santé publique (paragraphes 37 et 38 ci-dessous) et pour détention illégale d'une arme à feu d'origine étrangère (paragraphes 39 et 40 ci-dessous). Par une convocation du 10 juin 1993, le requérant fut sommé de comparaître devant la juridiction de jugement, mais le document ne lui fut pas signifié puisqu'il ne résidait plus à l'adresse initialement communiquée aux autorités espagnoles. Le 9 juillet 1993, la police informa les autorités judiciaires qu'elle ignorait où se trouvait M. van der Tang. L'Audiencia Nacional ordonna alors la comparution du requérant et de son garant (son épouse) le 23 juillet 1993, à une audience concernant la confiscation de la caution versée. L'avocat espagnol de l'intéressé fit opposition contre cette ordonnance, alléguant notamment que son client avait dû quitter l'Espagne pour une raison impérieuse, à savoir la phase terminale de la maladie de son père, mais qu'il n'avait nullement l'intention de se soustraire à la justice espagnole et qu'il comparaîtrait à son procès. Le 31 juillet 1993, l'Audiencia Nacional, relevant que le requérant n'avait pas respecté les conditions mises à sa libération, rejeta l'opposition et ordonna son arrestation. Le 16 septembre 1993, l'Audiencia Nacional prit acte de la défaillance (rebeldía) du requérant et confisqua sa caution. Le procès se déroula à Madrid du 20 septembre 1993 au 24 mai 1994. M. van der Tang n'y comparut pas et ne put dès lors pas être jugé, conformément à l'article 841 du code de procédure pénale. Le 27 septembre 1994, l'Audiencia Nacional rendit un arrêt de 529 pages. Il déclara que Luciano Núñez (paragraphe 8 ci-dessus) avait joué un rôle capital en important de très grandes quantités de haschisch. Il le condamna en conséquence à treize ans de prison au total et à une amende de cent millions de pesetas. Il ne ressort pas des faits établis dans cet arrêt que le requérant ait participé aux activités de narcotrafic autrement qu'en convoyant les 1 300 kg de haschisch, faits à l'origine de son arrestation (paragraphe 8 ci-dessus). Les autorités espagnoles n'ont pas demandé l'extradition de M. van der Tang. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Compétence judiciaire en matière de narcotrafic Dans les affaires de droit commun, l'instruction de toutes les catégories d'infractions relève du juge d'instruction (juez de instrucción) dans le ressort duquel l'infraction a été commise (article 14.II LECrim). A l'issue de l'instruction, le juge peut par une ordonnance (auto de conclusión del sumario y apertura del juicio oral - article 622 par. 1 LECrim) renvoyer le prévenu en jugement devant l'Audiencia Provincial dans le ressort de laquelle l'infraction a été commise (article 14.IV LECrim). Les infractions de narcotrafic perpétrées par "des bandes ou groupes organisés et concernant plusieurs provinces" et toutes autres infractions connexes sont de la compétence de l'Audiencia Nacional de Madrid (article 65 par. 1 e) et in fine de la loi d'administration de la justice - Ley Orgánica del Poder Judicial, "LOPJ"). Dans ces cas-là, l'instruction incombe au juge d'instruction central (juez de instrucción central) près l'Audiencia Nacional à Madrid également (article 88 LOPJ). Lorsque deux juridictions examinent les mêmes faits, celle qui estime avoir compétence pour le faire doit demander à l'autre de lui transférer le dossier (inhibitoria). La décision de transfert du dossier ne peut intervenir qu'après audition des parties (article 45 LOPJ) et elle a toujours un caractère définitif et sans appel (article 49). B. Le code pénal Selon l'article 344 du code pénal, "quiconque se livre à la culture, à la fabrication ou au trafic de drogues toxiques, de narcotiques ou de substances psychotropes ou, de toute autre manière, favorise ou facilite leur consommation illégale, ou les a en sa possession dans de tels buts" encourt une peine de prison allant de quatre mois et un jour à quatre ans et quatre mois (de arresto mayor en su grado máximo a prisión menor en su grado medio) et d'une amende de 500 000 à 50 millions de pesetas, si le préjudice causé à la santé par les substances ou produits en cause est sans gravité. Le haschisch relève de cette catégorie de substances, contrairement aux "drogues dures". Toutefois, aux termes de l'article 344 bis a) du code pénal, la durée de l'emprisonnement est sensiblement plus importante - de quatre ans, deux mois et un jour à dix ans - lorsque: "3. (...) la quantité de drogues toxiques, de narcotiques ou de substances psychotropes (...) est particulièrement importante. (...) (...) le contrevenant appartient à une organisation, même de type provisoire, dont l'objectif pourrait être de répandre de telles substances ou produits, même de manière occasionnelle." D'après l'article 254 du code pénal, la détention illégale d'une arme à feu, sans le permis requis, est punie d'une peine d'emprisonnement s'échelonnant de deux ans, quatre mois et un jour à quatre ans et deux mois. La durée de l'emprisonnement s'échelonne de six ans et un mois à dix ans lorsqu'il s'agit d'armes à feu d'origine étrangère et introduites illégalement sur le territoire espagnol (article 255 par. 2 du code pénal). C. La réglementation de la détention provisoire L'article 17 de la Constitution garantit le droit à la liberté et à la sûreté de la personne et fixe les conditions dans lesquelles une personne peut voir restreindre sa liberté. Le paragraphe 4 dispose que la loi définira une procédure d'habeas corpus, qui fixera aussi la durée maximale de la détention provisoire. Selon l'article 503 LECrim: "Les conditions suivantes sont nécessaires pour ordonner le placement en détention provisoire: Que soit établie en l'espèce l'existence d'un fait pouvant constituer un délit (delito). Que ce délit soit puni d'une peine supérieure à six ans de prison (prisión menor) ou que, même si la peine prévue est plus courte, le juge estime nécessaire d'ordonner la détention provisoire, compte tenu du casier judiciaire du prévenu, des circonstances du délit, du trouble ainsi causé à l'ordre public ou de la fréquence de faits analogues (...) Qu'apparaissent en l'espèce des motifs suffisants d'estimer pénalement responsable du délit la personne objet du mandat de dépôt." Selon l'article 504 LECrim, la détention provisoire ne saurait dépasser un an lorsqu'il s'agit d'un délit puni d'une peine de prison allant de six mois et un jour à six ans (prisión menor), ni excéder deux ans si la peine susceptible d'être infligée est plus lourde. Si, toutefois, en raison de circonstances particulières, l'affaire ne peut pas être jugée dans ce délai et que le prévenu risque de se soustraire à la justice, l'article 504 LECrim prévoit la possibilité de prolonger la détention provisoire jusqu'à deux ans et quatre ans respectivement. Le tribunal compétent ne rend une décision motivée (auto) en ce sens qu'après avoir entendu prévenu et procureur. Aux termes de l'article 528 par. 1 LECrim, la détention provisoire ne dure qu'autant qu'en subsistent les motifs initiaux. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. van der Tang a saisi la Commission le 2 décembre 1991. Invoquant l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, il alléguait le caractère déraisonnable de la durée de sa détention provisoire. Il estimait également que, contrairement à l'article 6 par. 1 (art. 6-1), il n'avait pas été décidé dans un délai raisonnable de l'accusation pénale portée contre lui. Le 27 septembre 1993, le requérant s'étant soustrait à la justice, le Gouvernement a demandé le rejet de la requête conformément à l'article 29 (art. 29) de la Convention. La Commission l'a débouté le 20 octobre 1993. La Commission a retenu la requête (n° 19382/92) le 10 février 1993, mais seulement quant au grief tiré de la durée déraisonnable de la détention, et a rejeté le surplus pour défaut manifeste de fondement. Dans son rapport du 28 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-sept voix contre neuf, qu'il y a eu violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Les faits présentés ci-dessous, établis par la Commission dans son rapport du 4 mars 1994 (paragraphes 132 et 142 ci-dessous), sont principalement repris du compte rendu de l'enquête judiciaire qui s'est tenue à Gibraltar (paragraphe 103 ci-dessous). I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Avant le 4 mars 1988, et probablement depuis le début de l'année au moins, les autorités du Royaume-Uni, d'Espagne et de Gibraltar savaient que l'Armée républicaine irlandaise provisoire (Provisional Irish Republican Army, "IRA") préméditait un attentat terroriste à Gibraltar. A partir des renseignements reçus et d'observations faites par la police de Gibraltar, il apparut que la cible en serait l'aire de rassemblement située au sud d'Ince's Hall, où le Royal Anglian Regiment se rassemblait habituellement pour procéder à la relève de la garde, tous les mardis à 11 heures. Avant le 4 mars 1988, un groupe consultatif fut formé pour conseiller et assister M. Joseph Canepa, préfet de police de Gibraltar ("le préfet"). Il se composait des militaires F (conseiller militaire et officier du Special Air Service ou "SAS"), E (commandant d'attaque du SAS) et G (conseiller en déminage), de M. Colombo (faisant fonction de préfet de police adjoint), de l'inspecteur divisionnaire Ullger, attaché à la section spéciale, et de fonctionnaires de la sûreté. Le préfet donna des instructions pour la préparation d'un ordre opérationnel afin de faire face à la situation. A. Dispositions militaires réglementant l'ouverture du feu Le militaire F et son groupe, incluant le militaire E et un certain nombre d'autres militaires du SAS, étaient arrivés à Gibraltar avant le 4 mars 1988. Des réunions d'information préliminaires avaient été dirigées par le ministère de la Défense à Londres. Conformément aux dispositions militaires réglementant l'ouverture du feu (intitulées "Dispositions réglementant l'ouverture du feu pour le commandant militaire de l'opération Flavius"), transmises au militaire F par le ministère de la Défense, la présence des forces militaires à Gibraltar visait à aider la police de Gibraltar à arrêter l'unité de service actif ("ASU") de l'IRA si la police réclamait une telle intervention militaire. D'après les dispositions précitées, F devait aussi opérer selon les directives du préfet de police. Les dispositions spécifiaient également les circonstances dans lesquelles le recours des militaires à la force serait admis, à savoir: "Recours à la force Vos hommes et vous n'aurez pas recours à la force à moins que cela ne vous soit demandé par le(s) officier(s) supérieur(s) de police nommé(s) par le préfet de police de Gibraltar; ou à moins que cela ne soit nécessaire pour protéger des vies humaines. Vos hommes et vous ne devez pas dans ce cas user d'une force supérieure à celle qui est nécessaire pour protéger la vie humaine (...) Ouverture du feu Vos hommes et vous ne pouvez ouvrir le feu sur une personne que si eux ou vous êtes fondés à croire qu'elle est en train de commettre, ou est sur le point de commettre, une action de nature à mettre en danger votre vie ou la leur, ou la vie de toute autre personne, et s'il n'existe pas d'autre moyen de l'empêcher. Tir sans sommation Vos hommes et vous pouvez tirer sans sommation si le fait de faire une sommation ou de tarder à tirer pouvait vous exposer, vos hommes, vous, ou toute tierce personne, à être tué ou blessé, ou si une sommation est manifestement impraticable. Sommation avant tir Si les circonstances décrites au paragraphe 6 ne s'appliquent pas, une sommation est nécessaire avant d'ouvrir le feu. La sommation doit être aussi claire que possible, et inclure un ordre de re ddition et l'avertissement très clair que vous ouvrirez le feu en cas de désobéissance à l'ordre donné." B. Ordre opérationnel du préfet L'ordre opérationnel du préfet, rédigé le 5 mars 1988, stipulait que l'on soupçonnait qu'un attentat terroriste était prévu à Gibraltar et que la cible en serait très probablement l'orchestre et la garde du premier bataillon du Royal Anglian Regiment au cours de la cérémonie de relève de la garde du 8 mars 1988 à Ince's Hall. Il indiquait que "des indices portaient à croire que le moyen serait l'utilisation d'explosifs, probablement à l'aide d'une voiture piégée". Les buts de l'opération étaient alors précisés comme consistant à "a) protéger des vies humaines, b) déjouer l'attentat, c) arrêter leurs auteurs, d) placer les prisonniers en détention". La liste des méthodes à employer énumérait la surveillance policière et la mise à disposition d'un personnel suffisant équipé de manière à parer à toute éventualité. L'ordre prévoyait également d'arrêter les suspects en usant de la force minimale, de les désarmer et de réunir les preuves en vue d'un procès. Figuraient en annexe des listes de répartition des effectifs de police, les dispositions réglementant l'ouverture du feu, ainsi qu'un guide sur l'utilisation d'armes à feu par la police (paragraphes 136 et 137 ci-dessous). C. Plan d'évacuation Un plan d'évacuation de la zone prévue pour l'attentat fut élaboré le 5 mars 1988 par l'inspecteur principal Lopez. Il devait être mis à exécution le lundi ou le mardi (7-8 mars). Il comportait des dispositions pour évacuer et isoler la zone par un cordon de police dans un rayon de 200 m autour d'Ince's Hall, identifiait les voies d'accès devant être barrées, détaillait les déviations routières nécessaires et recensait les effectifs nécessaires pour la mise en oeuvre de ce plan, qui ne fut toutefois pas distribué aux autres agents concernés. D. Salle commune de contrôle des opérations L'opération menée à Gibraltar pour parer à l'attentat terroriste prévu fut dirigée à partir d'une salle commune de contrôle des opérations, au centre de Gibraltar. Dans cette salle de contrôle se trouvaient trois groupes distincts - l'armée ou le groupe militaire (comprenant le SAS et le personnel de déminage), un groupe de policiers et le groupe de surveillance ou de la sûreté. Chacun disposait de ses propres moyens de communication avec son personnel en position sur le terrain, fonctionnant à partir d'une station de commande distincte. Les deux principaux moyens de communication utilisés étaient cependant les deux réseaux de radiocommunication dénommés réseau de surveillance et réseau tactique ou militaire. Il y avait sur place un réseau de démineurs, qui n'était pas occupé et, alors que la police disposait d'un réseau de communication, il ne fut pas jugé sûr et il semble qu'un téléphone ait été utilisé pour les communications indispensables avec le commissariat central. E. Premier repérage des suspects en Espagne le 4 mars 1988 Le 4 mars 1988, il fut signalé que les membres de l'ASU avaient été repérés à Malaga, en Espagne. Le préfet, ne sachant pas exactement quand ni comment ils se rendraient à Gibraltar, instaura une surveillance. F. Réunion d'information opérationnelle du 5 mars 1988 Dans la nuit du 5 au 6 mars 1988 à 0 heure, le préfet tint une réunion d'information à laquelle assistèrent des fonctionnaires de la sûreté (notamment les témoins H, I, J, K, L, M et N, de l'équipe de surveillance), des militaires (notamment les militaires A, B, C, D, E, F et G) et des membres de la police de Gibraltar (les policiers P, Q et R, ainsi que l'inspecteur divisionnaire Ullger, chef de la section spéciale, et l'enquêteur Viagas). Le préfet dirigea la réunion sous son aspect policier, les agents de la sûreté donnèrent des instructions sur les aspects de renseignements, le chef de l'équipe de surveillance couvrit l'opération de surveillance, et le militaire E expliqua le rôle qu'auraient à jouer les militaires s'ils étaient appelés à l'aide. Il semble alors que la réunion se soit scindée en petits groupes, E continuant à informer les militaires sous son commandement, mais dans le même local. Le préfet expliqua également les dispositions réglementant l'ouverture du feu et exposa l'importance pour la police de rassembler des preuves en vue d'un procès ultérieur des terroristes. La réunion d'information conduite par le représentant de la sûreté incluait notamment les postulats suivants: a) l'IRA projetait d'attaquer durant la cérémonie de relève de la garde, qui devait avoir lieu sur l'aire de rassemblement à l'extérieur d'Ince's Hall le mardi 8 mars 1988 au matin; b) une ASU de trois personnes serait envoyée pour lancer l'attaque. Elle serait constituée de Daniel McCann, Sean Savage et d'un troisième membre, plus tard formellement identifié comme étant Mairead Farrell. M. McCann avait déjà été condamné à deux ans d'emprisonnement pour détention d'explosifs. Mlle Farrell avait précédemment été condamnée à quatorze ans d'emprisonnement pour avoir provoqué des explosions. Il était notoire que durant son incarcération, elle avait été le leader de l'aile des prisonniers de l'IRA. Savage était décrit comme un expert en fabrication de bombes. L'on fit circuler des photographies des trois suspects; c) les trois individus étaient considérés comme de dangereux terroristes qui seraient très vraisemblablement armés et qui, s'ils se heurtaient aux forces de l'ordre, se serviraient probablement de leurs armes; d) l'attentat serait commis au moyen d'une voiture piégée. On pensait que les terroristes passeraient la frontière en voiture avec la bombe, qui resterait dissimulée dans le véhicule; e) il avait été envisagé, mais jugé peu probable, que les terroristes garent sur l'aire de rassemblement une voiture ne contenant pas la bombe afin de garder une place pour la voiture renfermant la bombe. Cette éventualité n'a pas été retenue, comme l'a indiqué O, haut responsable de la sûreté, dans sa déposition lors de l'enquête judiciaire car 1) il aurait fallu pour cela effectuer deux voyages; 2) cette mesure n'était pas nécessaire car il y aurait des places pour se garer le lundi soir ou le mardi matin; 3) il était possible que la voiture servant à garder la place soit elle-même bloquée par une voiture mal garée. Il a donc été supposé que les membres de l'ASU arriveraient en voiture au dernier moment, lundi soir ou mardi matin. Par ailleurs, l'inspecteur principal Lopez, qui n'assistait pas à la réunion d'information, déclara qu'il n'aurait pas apporté la bombe le mardi car il y aurait beaucoup de circulation et il serait difficile de trouver une place pour se garer. Mode de déclenchement de la bombe Diverses méthodes de déclenchement de la bombe furent évoquées lors de la réunion d'information: par retardateur, par RCIED (dispositif explosif improvisé radiocommandé) et par câble. Cette dernière option, qui exigeait de placer une bombe reliée par câble à un détonateur, fut rejetée comme peu pratique en l'occurrence. L'utilisation d'un retardateur fut, selon O, considérée comme hautement improbable au vu de la récente explosion d'une bombe perpétrée par l'IRA à Enniskillen au moyen d'un retardateur et qui avait provoqué un grand nombre de victimes civiles. L'utilisation d'une télécommande fut considérée comme beaucoup plus probable, car plus sûre pour le terroriste qui avait le temps de s'enfuir avant que la bombe n'explose, et plus facilement contrôlable qu'un retardateur qui, une fois enclenché, était pratiquement impossible à arrêter. Les souvenirs des autres personnes présentes à la réunion d'information diffèrent sur ce point. Les témoins de la police se rappelèrent que la discussion avait porté à la fois sur un retardateur et sur une télécommande. Le préfet de police et son adjoint s'attendaient à l'un ou l'autre dispositif. L'inspecteur divisionnaire Ullger se rappela que la télécommande avait été présentée comme plus probable. Les agents de surveillance, eux aussi, pensaient qu'on avait insisté sur l'utilisation d'une télécommande. Les témoins militaires semblent au contraire s'être laissés convaincre qu'il s'agirait certainement d'une télécommande. Le militaire F ne mentionna pas de retardateur, mais déclara qu'il leur avait été dit qu'il s'agirait d'une radiocommande, afin que la bombe puisse exploser sur simple pression d'un bouton ("button job"). Il croyait que l'IRA avait émis la directive de ne pas réitérer le carnage d'Enniskillen et de réduire au minimum les victimes civiles innocentes. On pensait que les terroristes savaient qu'en cas de pluie, le défilé serait annulé et que dans ce cas, si un retardateur était utilisé, ils se retrouveraient avec une bombe susceptible d'exploser à l'aveuglette. Le militaire E déclara aussi que, lors de la réunion d'information, ils avaient été informés que la bombe serait déclenchée au moyen d'un bouton. En réponse à un juré, il déclara qu'il y avait eu discussion avec les militaires sur le fait que le risque était plus grand qu'ils aient à tirer pour tuer, étant donné qu'ils auraient très peu de temps si le déclenchement devait être provoqué en appuyant sur un bouton. Les militaires A, B, C et D déclarèrent que, lors de la réunion, on leur avait dit que le dispositif serait radiocommandé. Le militaire C indiqua que E avait insisté sur le fait que le déclenchement se ferait au moyen d'un simple bouton. Possibilité que les terroristes déclenchent la bombe en se sentant acculés D'après O, si le déclenchement s'opérait par radiocommande, il avait été envisagé que les suspects puissent, s'ils étaient interpellés, chercher à déclencher le dispositif. Le militaire F se rappela également que l'estimation était que n'importe lequel des trois suspects pouvait porter un dispositif. En réponse à une question faisant valoir l'illogisme de cette proposition par rapport à l'appréciation selon laquelle l'IRA souhaitait réduire au minimum le nombre de victimes civiles, F déclara que les terroristes feraient malgré tout exploser la bombe pour s'assurer un certain succès de propagande. Il déclara que la réunion d'information dirigée par les membres des services de renseignements établissait qu'il était probable, si les terroristes étaient acculés, qu'ils tenteraient de faire exploser la bombe. Le militaire E confirma qu'on leur avait dit que les trois suspects étaient dénués de scrupules et que s'ils se retrouvaient cernés, ils auraient recours à n'importe quelle arme ou dispositif à bouton qu'ils porteraient. Il avait particulièrement insisté auprès de ses hommes sur le fait qu'il y avait une forte probabilité qu'au moins l'un des suspects porte un tel dispositif. Les militaires C et D avaient en substance les mêmes souvenirs. Le militaire B ne se rappelait pas qu'on lui ait dit que les suspects tenteraient de provoquer l'explosion en cas d'arrestation, mais il était conscient de cette éventualité. Ils furent prévenus que les terroristes étaient extrêmement dangereux et fanatiques. Il ne semble pas qu'il y ait eu une quelconque discussion durant la réunion d'information quant à la taille, au mode de déclenchement ou à la portée probables de la télécommande à laquelle on pouvait s'attendre. Les militaires semblent avoir été informés au cours de leurs propres réunions. Le militaire F ne savait pas ce que pouvait être la taille précise d'un détonateur radio, mais on lui avait dit que le dispositif serait assez petit pour être dissimulé sur le porteur. Quant à D, on lui avait dit que le dispositif pouvait être petit et actionné par pression d'un seul bouton. En ce qui concerne la portée du système, le militaire F déclara que les militaires avaient été informés que l'équipement dont disposait l'IRA était susceptible de faire exploser une bombe radiocommandée à une distance de 2 400 m. G. Evénements du 6 mars 1988 Déploiement des militaires A, B, C et D La salle de contrôle des opérations ouvrit à 8 heures. Le préfet y prit son service de 10 h 30 à 12 h 30. Le préfet de police adjoint Colombo le remplaça à son départ. Des membres des équipes de surveillance étaient de service dans les rues de Gibraltar, comme l'étaient les militaires A, B, C et D, ainsi que des membres des forces de police impliquées dans l'opération. Les militaires A, B, C et D étaient en civil et tous armés d'un Browning 9 mm qu'ils portaient dans le dos, passé à la ceinture. Chacun dissimulait également une radio sur lui. Ils travaillaient par équipes de deux. Dans chaque équipe, l'un était en contact radio avec le réseau tactique, l'autre avec le réseau de surveillance. Les policiers P, Q et R, qui étaient de service pour aider les militaires dans l'éventualité d'une arrestation, étaient également armés et en civil. Surveillance à la frontière Le 6 mars 1988 à 8 heures, l'enquêteur Huart se rendit à la frontière pour, dans l'attente des trois suspects, se poster en observation dans la salle des ordinateurs du bureau d'immigration espagnol. Il connaissait la véritable identité des trois suspects et avait vu leurs photographies. Les policiers espagnols disposaient également de photographies. La salle des ordinateurs se trouvait à quelque distance du poste frontière. Les policiers espagnols en service au bureau d'immigration lui montrèrent des passeports à l'aide d'une visionneuse. Il semble qu'ils ne lui aient montré que les passeports des passagers des voitures transportant deux hommes et une femme. Plusieurs photos furent visionnées à son intention durant la journée mais il ne reconnut aucune des personnes photographiées. Lors de l'enquête judiciaire, soumis à un contre-interrogatoire, il ne se souvint tout d'abord pas qu'on lui ait donné aucun des noms d'emprunt que pouvaient employer les trois suspects. Puis il pensa toutefois se souvenir d'avoir entendu mentionner le nom de Coyne en rapport avec M. Savage, et qu'à l'époque il avait dû connaître les noms d'emprunt des trois suspects, tout comme les policiers espagnols. L'inspecteur divisionnaire Ullger, qui avait cependant informé Huart, n'avait aucun souvenir d'avoir entendu mentionner le nom de Coyne avant le 6 mars et se rappelait seulement le nom de Reilly en relation avec M. McCann. Toutefois, si l'enquêteur Huart s'en souvenait, il ne mettait pas en doute le fait que ce nom ait été mentionné. Du côté gibraltarien de la frontière, les fonctionnaires des douanes et de la police en service normal ne furent ni informés ni associés à la surveillance, au motif que cela impliquerait que l'information soit communiquée à un trop grand nombre de personnes. Aucune mesure ne fut prise pour ralentir la file de voitures lors de leur entrée, ou pour examiner tous les passeports, car on craignait que cela puisse alerter les suspects. Une équipe de surveillance distincte se trouvait cependant à la frontière et un groupe préposé à l'arrestation était posté dans le secteur de l'aéroport voisin. Le témoin M, qui dirigeait une équipe de surveillance postée à la frontière, exprima sa déception au vu du manque apparent de coopération entre les divers groupes impliqués à Gibraltar, mais il comprit que les choses étaient ainsi organisées pour des questions de sécurité. Lors de l'enquête judiciaire, l'inspecteur divisionnaire Ullger déclara, alors qu'il était instamment prié de s'expliquer sur les raisons de l'absence de mesures plus scrupuleuses du côté de Gibraltar, "Dans cette affaire particulière, nous parlons de dangereux terroristes. Il s'agissait d'une opération très, très importante et délicate, qui devait réussir. Je pense que la seule manière de parvenir au succès était de permettre aux terroristes d'entrer et d'agir avec eux de la manière dont cela a été fait en matière de surveillance." Alors que les militaires E et F ont indiqué que la préférence des militaires allait à l'option consistant à intercepter et arrêter les suspects dans la zone frontière, il semble qu'elle ait été appliquée sans aucune conviction, car l'on présumait qu'une identification serait impossible au vu du bref laps de temps disponible pour ce faire (dix à quinze secondes par voiture) et de l'absence d'avertissement préalable du côté espagnol. Options d'arrestation: politique du groupe consultatif Le militaire F déclara que l'option militaire avait été affinée, pour finalement donner la préférence à une arrestation des suspects lorsqu'ils seraient à pied sur l'aire de rassemblement, à leur désarmement puis au désamorçage de la bombe. Il fit également référence à quatre indications clés formulées par le groupe consultatif en vue de guider le préfet: si une voiture était introduite à Gibraltar et garée sur l'aire de rassemblement par un membre de l'unité de service identifié; si une voiture était conduite sur l'aire de rassemblement par un membre de l'ASU sans avertissement préalable; si d'autres membres de l'ASU étaient présents à Gibraltar; s'il apparaissait clairement que des terroristes ayant garé leur voiture piégée avaient l'intention de quitter Gibraltar, c'est-à-dire se dirigeaient vers la frontière. Il était prévu de procéder à l'arrestation après que tous les membres de l'ASU seraient présents et identifiés et auraient garé une voiture qu'ils se proposaient de quitter. Toute action antérieure était considérée comme prématurée car susceptible d'éveiller les soupçons de tout membre de l'ASU non appréhendé, avec les risques éventuels pouvant en découler, et ne laissait aucune preuve pouvant être utilisée par la police au cours d'un procès. Localisation de M. Savage L'enquêteur Viagas était de surveillance dans une banque d'où il avait vue sur le secteur où l'on escomptait que la voiture conduite par les terroristes serait garée. Vers 12 h 30, il entendit sur le réseau de surveillance signaler qu'une voiture s'était garée en stationnement sur l'aire de rassemblement sous observation. Un membre de la sûreté ajouta que le conducteur avait mis du temps à sortir de la voiture et bricolé quelque chose entre les sièges. L'enquêteur Viagas vit l'homme verrouiller la portière de la voiture et s'éloigner en direction de Southport Gate. L'un des fonctionnaires de la sûreté présents consulta un collègue sur une identification possible, mais aucun d'entre eux n'était affirmatif. On demanda à un officier supérieur de confirmer l'identité. L'enquêteur Viagas ne put lui-même identifier l'homme de l'endroit où il se trouvait. Le témoin N, de l'équipe de la sûreté en surveillance sur le parc de stationnement de l'aire de rassemblement, se souvint qu'à 12 h 45 une Renault blanche était arrivée et s'était garée, le conducteur en sortant deux à trois minutes plus tard et s'en allant à pied. Un jeune homme ressemblant au suspect fut ensuite aperçu vers 14 heures dans le secteur. Le témoin H, qui avait été envoyé pour vérifier son identité, vit le suspect à peu près au même moment et le reconnut sans peine comme étant M. Savage. Le témoin N vit également le suspect derrière le John Mackintosh Hall et, à 14 h 10, signala par radio à la salle de contrôle des opérations qu'il l'avait identifié comme étant M. Savage et aussi comme l'homme qui avait précédemment garé la voiture sur l'aire de rassemblement. Le policier Q, de service dans la rue, se rappela avoir entendu sur le réseau de surveillance, aux alentours de 14 h 30, que Savage avait été identifié. Le préfet ne se souvint cependant pas avoir reçu notification de l'identification de Savage avant son arrivée dans la salle de contrôle des opérations à 15 heures. M. Colombo ne se rappela pas non plus avoir entendu quoi que ce fût concernant M. Savage, avant qu'il ne fût rapporté que ce dernier avait retrouvé deux autres suspects vers 14 h 50. Les militaires E et F se rappelèrent cependant qu'un repérage possible de M. Savage avait été signalé vers 14 h 30. Le militaire G fait également référence au repérage ultérieur, effectué à 14 h 50, comme étant la première identification de M. Savage. Il semblerait que les informations sur ce qui se passait sur le terrain aient été reçues dans la salle de contrôle des opérations ou retransmises avec un certain décalage. Il est possible que les militaires E et F aient été plus au fait des événements que le préfet, étant donné qu'ils contrôlaient attentivement les informations arrivant par les réseaux, apparemment pas audibles par le préfet, lequel se trouvait à une table éloignée des postes de commande. Le suspect fut filé pendant approximativement une heure par le témoin H qui se rappela que celui-ci avait utilisé des techniques anti-filature, employant par exemple des itinéraires détournés à travers des rues transversales. Le témoin N suivit également le suspect pendant à peu près 45 minutes et considéra que M. Savage était vigilant et prenait des précautions consistant entre autres à s'arrêter après avoir tourné au bout d'une ruelle pour voir qui le suivait. Localisation de M. McCann et de Mlle Farrell Le témoin M, qui dirigeait la surveillance à la frontière, déclara que deux suspects avaient passé la frontière aux alentours de 14 h 30, bien qu'ils n'eussent apparemment pas été clairement identifiés à l'origine. Ils étaient à pied et prenaient, à ce que l'on rapporte, des mesures anti-filature (Mlle Farrell jetait fréquemment des regards en arrière). Leurs déplacements à Gibraltar furent suivis. Les militaires E et F se rappelèrent avoir reçu à 14 h 30 un message selon lequel il était possible qu'on eût repéré M. McCann et Mlle Farrell arrivant à pied. Le préfet en fut immédiatement informé. Localisation de trois suspects sur l'aire de rassemblement Vers 14 h 50, la salle de contrôle des opérations fut avisée que les suspects McCann et Farrell avaient rejoint un deuxième homme, identifié comme étant M. Savage et que les trois suspects regardaient la Renault blanche garée sur le parc de stationnement de l'aire de rassemblement. Le témoin H déclara que les trois suspects avaient passé un temps considérable à regarder fixement l'endroit où avait été garée la voiture, comme si, selon lui, ils l'étudiaient afin de s'assurer que l'endroit convenait parfaitement pour que la bombe ait l'effet voulu. L'enquêteur Viagas fut également témoin de la rencontre des trois suspects aux abords du parc de stationnement, déclarant qu'ils s'étaient tous trois retournés pour regarder l'endroit où était garée la voiture. Il estima l'heure à 14 h 55 environ et déclara que c'est à ce moment-là que les services de sûreté avaient procédé à l'identification des trois suspects. A ce moment, la possibilité de procéder à l'arrestation fut envisagée. Les souvenirs diffèrent. M. Colombo déclara qu'on lui avait demandé s'il allait céder le contrôle aux militaires pour qu'ils procèdent à l'arrestation, mais qu'il avait demandé si les suspects avaient été formellement identifiés; il lui fut répondu que l'identification était sûre à 80 %. Presque immédiatement, les trois suspects s'éloignèrent de la voiture par Southport Gate. M. Colombo se souvint que le déplacement des trois suspects vers le sud avait soulevé une discussion quant au point de savoir si cela indiquait que les trois étaient en reconnaissance et susceptibles de revenir à la voiture. C'est pour cette raison que la décision fut prise de ne pas procéder à l'arrestation à ce stade. A 15 heures, M. Colombo téléphona au préfet pour l'informer qu'il était de plus en plus probable qu'il s'agissait de M. McCann et Mlle Farrell. Lorsque le préfet arriva, peu après, M. Colombo l'informa que les suspects McCann et Farrell avaient rejoint une troisième personne que l'on pensait être M. Savage et que l'arrestation avait failli être effectuée. Le préfet demanda une identification formelle des trois suspects. L'identification fut confirmée à 15 h 25, lorsque l'on signala à la salle de contrôle des opérations que les trois suspects étaient revenus sur l'aire de rassemblement et étaient passés en regardant de nouveau le véhicule. Les trois suspects s'éloignèrent, poursuivant vers le nord. Les militaires E et F se rappelèrent que le contrôle avait été transmis aux militaires, mais immédiatement repris car le préfet avait demandé une vérification supplémentaire de l'identité des suspects. La confirmation d'identité arriva presque immédiatement. Examen de la voiture suspecte sur l'aire de rassemblement Après que l'identité des trois suspects eut été confirmée et qu'ils eurent quitté l'aire de rassemblement, le militaire G examina la voiture suspecte. Il procéda à un examen de l'extérieur, sans toucher la voiture. Il la décrivit comme une Renault blanche paraissant assez neuve. Il ne détecta rien d'anormal dans la voiture ni quoi que ce soit de visiblement déplacé ou caché sous les sièges. Il observa que l'antenne de la voiture, qui était rouillée, ne correspondait pas à l'âge de la voiture. Il resta sur le terrain moins de deux minutes. Il revint à la salle de contrôle des opérations et rapporta au préfet qu'il considérait la voiture comme "susceptible d'être piégée". Lors de l'enquête judiciaire, il expliqua que c'était un terme technique pour désigner une voiture garée dans des circonstances suspectes donnant tout lieu de croire qu'il s'agit d'une voiture piégée et lorsqu'il n'est pas possible d'affirmer le contraire. Le préfet se rappela que G avait rapporté qu'il s'agissait d'une voiture susceptible d'être piégée, en raison de la vieille antenne située au milieu d'une voiture relativement neuve. Il déclara que par conséquent, ils l'avaient traitée comme une "voiture potentiellement piégée". Le militaire F mentionna l'antenne comme un élément rendant la voiture suspecte et déclara que cette information avait été communiquée à toutes les parties en position sur le terrain. Le militaire E fut plus catégorique et déclara qu'autant que G ait pu en juger "d'après un bref examen visuel, il était en mesure de confirmer nos soupçons selon lesquels il s'agissait d'une voiture piégée". Le militaire A déclara qu'il était sûr à cent pour cent qu'il y avait une bombe dans la zone de débarquement des bus, que les suspects disposaient de télécommandes et étaient vraisemblablement armés. C'est ce qui lui avait été dit par radio. Le militaire C se rappela que le militaire E avait confirmé l'existence d'un dispositif dans la zone d'Ince's Hall, qui pouvait être déclenché par l'un des trois suspects, plus probablement par M. Savage, celui-ci ayant été vu auparavant en train de "bricoler" quelque chose dans la voiture. Il avait également été avisé de l'indice que constituait une vieille antenne sur une voiture neuve. Le militaire D dit qu'il lui avait été confirmé par le militaire E qu'il y avait là une bombe. D'après ses souvenirs, personne ne leur avait dit qu'il était possible que les trois suspects ne transportassent pas de télécommande sur eux ce dimanche, ou qu'ils n'eussent pas apporté de bombe. Le militaire E, en qui il avait entière confiance, lui avait dit qu'il y avait une bombe dans la voiture. Au cours de l'enquête judiciaire, le militaire G fut décrit comme le conseiller en déminage. Il avait acquis l'expérience des voitures piégées en Irlande du Nord, mais déclara au cours de l'enquête, en réponse à diverses questions, qu'il n'était expert ni en radiocommunication ni en explosifs. Il n'avait pas songé à désamorcer ce qu'il présumait être une bombe en dévissant l'antenne de la voiture. Lorsque la question lui fut posée durant le contre-interrogatoire, il admit qu'il aurait été potentiellement dangereux de tenter de dévisser l'antenne. Passation du contrôle aux militaires en vue de l'arrestation Après réception du rapport du militaire G et compte tenu du fait que les trois suspects continuaient vers le nord sans prendre la voiture, le préfet décida que les trois suspects devaient être arrêtés sous l'inculpation de complot d'assassinat. A 15 h 40, il signa un formulaire demandant aux militaires d'intercepter et d'appréhender les suspects. Le formulaire, qui avait été fourni à l'avance par les militaires, stipulait: "Je soussigné, Joseph Luis Canepa, préfet de police, après avoir examiné la situation du terrorisme à Gibraltar et reçu toutes informations utiles sur le plan militaire prévoyant l'utilisation d'armes à feu, vous demande de recourir à l'option militaire, qui peut inclure le recours à la force meurtrière dans le but de protéger des vies humaines." Après signature du formulaire, le militaire F se dirigea vers le réseau tactique et donna des instructions en vue d'une intervention militaire. Le militaire E s'informa par radio de la position des militaires. Les militaires C et D avaient surveillé visuellement les déplacements des trois suspects dans Line Wall Road et Smith Dorrien Avenue. Les militaires A et B se dirigeaient vers le nord, à travers Casemates Square et dans le tunnel de Landport. Les militaires furent informés que le contrôle leur avait été transmis pour procéder à une arrestation. La teneur des dépositions faites à l'enquête par les militaires, le policier R et l'inspecteur divisionnaire Ullger était que les militaires s'étaient à plusieurs occasions exercés à des procédures d'arrestation en collaboration avec la police avant le 6 mars 1988. Durant ces répétitions, les militaires devaient s'approcher à très courte distance des suspects, les tenir en joue avec leurs pistolets et crier "Stop! Police! Les mains en l'air!" ou quelque chose d'analogue. Ils devaient alors faire s'allonger les suspects à terre, bras écartés, jusqu'à ce que la police arrive pour procéder à une arrestation officielle. En outre, l'inspecteur divisionnaire Ullger a déclaré que des efforts particuliers avaient été menés afin de trouver à Gibraltar un endroit où placer les terroristes en détention après leur arrestation. Ayant atteint le carrefour de Smith Dorrien Avenue et Winston Churchill Avenue, les trois suspects traversèrent et, discutant, s'arrêtèrent de l'autre côté de la chaussée. Le policier R, en observation, les vit qui semblaient échanger des journaux. Les militaires C et D étaient alors en train de s'approcher du carrefour de Smith Dorrien Avenue. Les militaires A et B, sortant du tunnel de Landport, virent également les trois suspects au carrefour, alors qu'ils se trouvaient à l'endroit où l'allée menant au tunnel rejoint Corral Road. Cependant, alors que les militaires convergeaient vers le carrefour, M. Savage se sépara des suspects McCann et Farrell, bifurquant vers le sud, en direction du tunnel de Landport. M. McCann et Mlle Farrell poursuivirent vers le nord, sur le trottoir droit de Winston Churchill Avenue. M. Savage dépassa les militaires A et B, frôlant l'épaule de B. Ce dernier faillit se retourner pour procéder à l'arrestation, mais A lui dit qu'ils devaient continuer à se rapprocher des suspects McCann et Farrell, sachant que C et D étaient dans le secteur et qu'ils arrêteraient M. Savage. Les militaires C et D, qui arrivaient de Smith Dorrien Avenue, se rendant compte qu'A et B suivaient les suspects McCann et Farrell, traversèrent et filèrent M. Savage. Tirs sur M. McCann et Mlle Farrell Les témoignages apportés par les militaires A et B au cours de l'enquête sont repris ci-dessous. Les militaires A et B continuèrent à remonter Winston Churchill Avenue vers le nord, sur les traces de M. McCann et Mlle Farrell, marchant à vive allure pour les rattraper. M. McCann marchait à la droite de Mlle Farrell, du côté intérieur du trottoir. Il était vêtu d'un pantalon et d'une chemise blancs, et ne portait pas de veste. Mlle Farrell, vêtue d'une jupe et d'une veste, portait un grand sac à main. Lorsque le militaire A se trouva à quelque dix mètres (ou peut-être moins) derrière M. McCann, du côté intérieur du trottoir, ce dernier se retourna pour regarder par-dessus son épaule gauche. Il semble que M. McCann ait regardé A directement et qu'il ait cessé de sourire, comme s'il avait réalisé qui était A et que celui-ci représentait une menace. Le militaire A dégaina son pistolet, avec l'intention de leur crier en même temps de s'arrêter, bien qu'il ne fût pas certain d'avoir effectivement prononcé les mots d'avertissement. M. McCann agita brusquement et agressivement la main devant lui. A pensa qu'il cherchait à atteindre le détonateur pour faire exploser la bombe et ouvrit le feu. Il lui tira une balle dans le dos d'une distance de trois mètres (peut-être moins). Du coin de l'oeil, A vit Mlle Farrell faire un mouvement. Elle marchait à la gauche de M. McCann, du côté rue du trottoir. A la vit faire un demi-tour sur sa droite, vers McCann, en saisissant son sac à main qui se trouvait sous son bras gauche. A pensa qu'elle aussi cherchait à atteindre un bouton et lui tira une balle dans le dos. Il ne nia pas les faits, lorsqu'on lui exposa que les preuves fournies par le médecin légiste révélaient qu'il avait pu tirer d'une distance de moins d'un mètre (paragraphe 111 ci-dessous). A se retourna alors vers M. McCann et lui tira encore une balle dans le corps et deux dans la tête. A ne prit pas conscience que B ouvrait le feu au même moment. Il tira cinq coups au total. Le militaire B se rapprochait, juste derrière Mlle Farrell, du côté rue du trottoir. Il la regardait. Lorsqu'ils furent à trois ou quatre mètres de distance, il vit, du coin de l'oeil, que M. McCann tournait la tête pour regarder par-dessus son épaule. Il entendit ce qu'il présuma être un cri de A, qu'il interpréta comme étant le début de la procédure d'arrestation. Presque au même instant, on fit feu sur sa droite. Simultanément, Mlle Farrell fit un geste brusque vers sa droite, tirant le sac qu'elle portait sous son bras gauche et le serrant devant elle. B ne pouvait voir ses mains ou son sac et craignit qu'elle ne fût en train de chercher à atteindre le bouton. Il ouvrit le feu sur elle. Il estima que M. McCann avait adopté une attitude menaçante et, comme il était dans l'incapacité de voir les mains de ce dernier, il ouvrit le feu sur lui. Il se retourna alors vers Mlle Farrell et continua à tirer jusqu'à ce qu'il soit certain qu'elle ne représentait plus une menace, à savoir lorsqu'elle se retrouva les mains écartées du corps. Il tira sept coups de feu au total. Les deux militaires nièrent que Mlle Farrell ou M. McCann eussent fait une quelconque tentative de reddition en levant les mains en l'air ou qu'ils aient tiré sur les deux suspects alors que ceux-ci gisaient à terre. Lors de l'enquête, le militaire A déclara expressément que son intention avait été de tuer M. McCann "pour l'empêcher de devenir une menace et de faire exploser cette bombe". La fusillade eut lieu sur le trottoir, en face d'un garage Shell, dans Winston Churchill Avenue. Après la fusillade, les militaires coiffèrent leurs bérets afin d'être reconnus par la police. Ils remarquèrent une voiture de police, sirènes en marche, arrivant du sud du cadran solaire, de l'autre côté de Winston Churchill Avenue. Plusieurs policiers bondirent hors de la voiture et sautèrent la barrière centrale. Le militaire A avait encore son pistolet en main. Il leva les mains en l'air et cria "Police!". A se souvint d'avoir entendu une fusillade derrière lui alors que la voiture de police s'approchait. Alors qu'aucun des militaires n'avait pris conscience de la présence de la voiture de police ou du hurlement de la sirène avant la fin de la fusillade, la majorité des témoins, notamment les policiers P, Q et R, qui se trouvaient à proximité pour assister les militaires lors de l'arrestation, un certain nombre des membres de l'équipe de surveillance, ainsi que des témoins civils, se rappelèrent que le son de la sirène de police avait précédé, ne fût-ce que d'un court instant, le bruit de la fusillade. Les policiers P et Q, qui observaient la scène d'assez près, jugèrent que Mlle Farrell et M. McCann avaient réagi au son de la sirène: Q était d'avis que c'était la sirène qui avait fait s'arrêter et se retourner Mlle Farrell et M. McCann. L'arrivée de la voiture de police sur les lieux fut un événement fortuit. Après que le préfet eut transmis le contrôle aux militaires à 15 h 40, il chargea M. Colombo de s'assurer qu'il y avait des véhicules de police disponibles. M. Colombo téléphona à l'inspecteur principal Lopez au commissariat central, lequel chargea à son tour le brigadier Goodman de rappeler la voiture de service. Ce dernier enregistra l'appel à 15 h 41. Il informa par radio les policiers se trouvant dans la voiture de patrouille qu'ils devaient rentrer sur-le-champ. Il ne savait pas où se trouvait la voiture à ce moment-là, ni quelle était la raison de son rappel. Lorsque l'inspecteur Revagliatte, qui se trouvait dans la voiture, demanda si cela était urgent, le contrôleur lui dit que c'était un message prioritaire et que de nouvelles instructions leur seraient données à leur arrivée. Au moment où fut transmis le message, la voiture de police se trouvait dans un embouteillage sur Smith Dorrien Avenue. L'inspecteur Revagliatte dit au chauffeur de mettre la sirène et le gyrophare. La voiture déboîta sur la voie en sens contraire pour dépasser la file de voitures. Elle rejoignit la bonne voie aux feux du carrefour avec Winston Churchill Avenue et continua vers le nord, le long de cette avenue, sur la voie extérieure. Alors qu'ils passaient devant le garage Shell, les quatre policiers qui se trouvaient dans la voiture entendirent des coups de feu. L'inspecteur Revagliatte ordonna au chauffeur de continuer. Lorsqu'il se retourna, il vit deux personnes allongées sur le trottoir. La voiture prit le rond-point du cadran solaire et revint se garer de l'autre côté de la rue, en face du garage Shell. Pendant ce temps, la sirène de la police continuait à fonctionner. Lorsque la voiture s'arrêta, les quatre policiers en sortirent, trois d'entre eux sautant la barrière centrale et l'inspecteur Revagliatte la contournant pour parvenir sur les lieux. Les policiers P, Q et R se trouvaient à proximité du garage Shell et arrivèrent aussi rapidement sur les lieux où avaient été abattus M. McCann et Mlle Farrell. Les policiers P et R couvrirent les corps de leurs vestes. Le policier P laissa tomber son revolver alors qu'il était accroupi, et dut le remettre dans son étui. L'agent Q et l'inspecteur Revagliatte opérèrent une fouille des corps. Récits de témoins oculaires des tirs sur M. McCann et Mlle Farrell La fusillade eut lieu par un beau dimanche après-midi, alors qu'il y avait foule en ville et que les rues étaient encombrées. De plus, de nombreux immeubles d'habitation donnaient sur le garage Shell. La fusillade se déroula donc sous les yeux d'un nombre considérable de témoins, dont des policiers prenant part à l'opération, des policiers qui se trouvaient passer dans le secteur pour d'autres missions, des membres de l'équipe de surveillance et un certain nombre de civils et de policiers qui n'étaient alors pas de service. La presque totalité des témoins qui déposèrent au cours de l'enquête se rappela que Mlle Farrell portait son sac sous son bras droit, et non sous son bras gauche comme l'avaient déclaré les militaires A et B. Le Coroner mentionna dans son résumé devant le jury que cela avait pu avoir son importance par rapport à la justification invoquée par les militaires pour avoir ouvert le feu, à savoir le prétendu geste de Mlle Farrell serrant son sac devant elle. De manière plus significative, trois témoins - dont deux accordèrent des entretiens dans le documentaire télévisé controversé "Mort sur le Rocher" portant sur les événements - avancèrent dans leurs dépositions que M. McCann et Mlle Farrell avaient été tués alors qu'ils se trouvaient à terre. Ils déclarèrent avoir assisté à la fusillade à partir d'immeubles d'habitation donnant sur le garage Shell (paragraphe 125 ci-dessous). Mme Celecia vit un homme allongé sur le trottoir, à côté duquel se trouvait un autre homme, les bras tendus: quoique n'ayant pas vu de revolver, elle avait entendu des coups de feu qu'elle pensait provenir de cette direction. Après que le bruit eut cessé, l'homme qu'elle pensait avoir vu tirer sembla mettre quelque chose dans sa veste. Lorsqu'on lui présenta une photographie de la scène prise après les événements, Mme Celecia ne put identifier ni le militaire A ni le militaire B comme étant l'homme qu'elle pensait avoir vu tirer. M. Proetta vit une jeune fille lever les mains, bien qu'il pense que c'était plutôt sous le coup du choc qu'en signe de reddition. Après qu'on lui eut tiré dessus et qu'elle fut tombée à terre, il entendit une autre fusillade. Il supposa que les hommes qui se trouvaient près d'elle continuaient à faire feu, mais admit qu'il y avait de l'écho dans cette zone et que le son aurait pu provenir du secteur du tunnel de Landport. Mme Proetta vit un homme et une femme lever les mains, paumes ouvertes, au-dessus de leurs épaules. Ils furent abattus, d'après ses souvenirs, par des hommes qui avaient sauté la barrière. Lorsque les corps furent tombés à terre, elle entendit d'autres coups de feu et vit un revolver dans la main d'un homme accroupi à côté des corps, bien qu'elle n'ait vu ni fumée ni cartouches sortir de l'arme. Elle supposa que puisqu'elle avait vu un revolver, les coups de feu en provenaient. Il semble également qu'une fois les corps tombés à terre, ils lui furent cachés par un muret; tout ce qu'elle vit fut un homme visant dans leur direction. M. Bullock se rappela avoir vu un homme reculer en chancelant sous les coups de feu, les mains rejetées en arrière. Aucun des autres témoins ne vit M. McCann ou Mlle Farrell lever les mains ou des militaires tirer sur les corps gisant à terre. Le témoin I, membre de l'équipe de surveillance, déclara qu'il avait vu tirer sur M. McCann et Mlle Farrell alors qu'ils étaient pratiquement à terre, mais non étendus à terre. Bien que les militaires ne fussent pas certains qu'une quelconque sommation eût été prononcée par le militaire A, quatre témoins (les policiers P et Q, le témoin K et l'agent de police Parody) se rappelèrent clairement avoir entendu les mots "Police! stop!", ou quelque chose d'analogue. Le policier P, qui s'approchait par le nord et avait atteint le mur d'enceinte du garage Shell, déclare avoir vu M. McCann faire un geste comme pour saisir un revolver et Mlle Farrell faire un geste vers son sac à main, ce qui l'avait amené à penser qu'elle cherchait à atteindre un détonateur. Le policier Q, qui assistait à la scène de l'autre côté de la rue, vit également Mlle Farrell faire un geste vers son sac à main, tout comme l'agent de police Parody, qui n'était pas de service et regardait la scène d'un appartement en surplomb. Tirs sur M. Savage La teneur des témoignages apportés par les militaires C et D lors de l'enquête judiciaire est reprise ci-dessous. Après que les trois suspects se furent séparés au carrefour, le militaire D traversa la route et suivit M. Savage qui se dirigeait vers le tunnel de Landport. Celui-ci portait un jean, une chemise et une veste. Le militaire C fut brièvement retenu de l'autre côté de la route par la circulation sur cette artère passante, mais était en train de le rattraper lorsque D se rapprocha de M. Savage. D avait l'intention de l'arrêter en se rapprochant légèrement, en dégainant son pistolet et en criant "Stop! Police! Les mains en l'air!". Lorsque D se trouva à trois mètres, il sentit qu'il lui fallait se rapprocher encore, parce que trop de gens se trouvaient alentour et qu'une dame se trouvait directement dans la ligne de mire. Cependant, avant que D ait pu se rapprocher, il entendit des coups de revolver à l'arrière. Au même moment, C cria "Stop!". M. Savage fit volte-face et son bras descendit vers sa hanche droite. D crut que M. Savage cherchait à atteindre un détonateur. Il repoussa d'une main la dame hors de la ligne de mire et ouvrit le feu, d'une distance de deux à trois mètres. D tira neuf balles à une cadence rapide, visant d'abord le centre du corps de M. Savage, puis la tête avec les deux dernières. M. Savage pivota sur lui-même en tombant. D reconnut qu'il était possible que la tête de M. Savage se soit trouvée à quelques centimètres du sol alors qu'il tirait les dernières balles. Il continua de tirer jusqu'à ce que M. Savage soit immobile au sol et que ses mains soient écartées du corps. Le militaire C se rappela avoir suivi M. Savage, à quelques pas derrière D. M. Savage se trouvait à 2,50 m environ de l'entrée du tunnel, peut-être plus. Il était dans l'intention de C de s'avancer pour procéder à l'arrestation, lorsqu'il entendit des coups de feu tirés derrière lui, sur sa gauche, en provenance de la direction qu'avaient empruntée Mlle Farrell et M. McCann. M. Savage se retourna. C cria "Stop!" et dégaina son pistolet. M. Savage abaissa son bras droit en direction de la poche de sa veste et adopta une attitude menaçante et agressive. C ouvrit le feu, craignant que M. Savage ne fût sur le point de faire exploser la bombe. Il vit quelque chose de volumineux dans la poche droite de M. Savage, qu'il prit pour le bouton d'un détonateur. Il se trouvait à 1,50 m environ de M. Savage. Il tira six fois, alors que M. Savage tombait en pivotant sur lui-même, visant le centre de son corps. Une balle l'atteignit au cou et l'autre à la tête alors qu'il s'écroulait. C continua à tirer jusqu'à ce qu'il fût sûr que M. Savage resterait à terre et ne serait plus en mesure de déclencher le dispositif. Pendant l'enquête judiciaire, lors d'un contre-interrogatoire, les deux militaires déclarèrent que s'il s'avérait nécessaire d'ouvrir le feu, ils continuaient à tirer jusqu'à ce que la personne ne représente plus une menace. C admit que la meilleure manière de s'en assurer était de tuer. D déclara qu'il avait tiré sur M. Savage pour le tuer et que telle était la manière dont étaient entraînés tous les militaires. Les deux militaires nièrent néanmoins avoir tiré sur M. Savage alors qu'il était à terre. Le militaire E (commandant l'attaque) déclara que, lors de l'ouverture du feu, l'intention était de tuer car c'était le seul moyen de supprimer la menace. Il ajouta que telle était la pratique suivie à l'armée par tout militaire lorsqu'il ouvre le feu. Après les événements, les militaires coiffèrent leurs bérets pour se faire reconnaître de la police. Récits de témoins oculaires des tirs sur M. Savage Les témoins H, I et J avaient pris part à la surveillance des trois suspects dans le secteur Smith Dorrien/Winston Churchill ou aux alentours. Le témoin H avait observé les militaires A et B filant M. McCann et Mlle Farrell le long de Winston Churchill Avenue. Il se mit à suivre M. Savage qu'il avait aperçu au coin, sur le point de tourner dans l'allée menant au tunnel de Landport. A ce moment-là, il signala M. Savage aux militaires C et D qui l'accompagnaient. Alors qu'il s'avançait pour suivre M. Savage, il vit de loin les militaires tirer sur M. McCann et Mlle Farrell. Il continua à suivre M. Savage, qui s'était engagé dans l'allée. Il entendit une sirène, le cri "Stop!" et vit M. Savage faire volte-face. Les militaires se tenaient à 1,50 m de ce dernier. H se détourna alors et ne fut pas témoin de la fusillade même. Le témoin I avait rejoint le témoin H et le militaire D et avait confirmé que M. Savage s'était dirigé vers le tunnel de Landport. Le témoin I s'engagea dans l'allée après le début de la fusillade. Il vit une ou deux balles atteindre M. Savage qui gisait à terre. Il ne vit qu'un seul militaire tirer d'une distance comprise entre 1,50 et 2,15 m. Il ne vit pas le militaire poser, tout en tirant, son pied sur la poitrine de M. Savage. Le témoin J avait suivi M. Savage après que celui-ci eut quitté M. McCann et Mlle Farrell. Lorsque M. Savage se fut avancé de 6 m dans l'allée, près d'un grand arbre, elle entendit derrière elle le bruit d'une fusillade et au même instant, une sirène de police relativement proche. M. Savage se retourna très rapidement au son des coups de feu, l'air abasourdi. J se détourna et ne vit pas la fusillade. Lorsqu'elle se retourna à nouveau, elle vit M. Savage étendu sur le dos et un militaire penché sur lui, qui disait "Appelez la police". M. Robin Mordue assista à une partie de la fusillade mais étant lui-même tombé et s'étant ensuite mis à couvert derrière une voiture, il ne vit qu'une partie des événements. Il ne se souvint pas d'avoir vu M. Savage courir. A partir du moment où il vit le militaire penché sur M. Savage, les coups de feu cessèrent. La déposition de M. Kenneth Asquez fut celle qui suscita le plus de polémiques. L'une de ses déclarations écrites semble avoir été utilisée par la Thames Television dans son documentaire "Mort sur le Rocher" (paragraphe 125 ci-dessous). Un projet de déclaration faite sous serment, élaboré par un avocat agissant pour la Thames Television qui avait interviewé M. Asquez, mais non approuvé par lui, fut également utilisé pour le texte de l'émission. Dans ces documents, il alléguait qu'alors qu'il se trouvait dans la voiture d'un ami, roulant vers la frontière via Corral Road, il emprunta le tunnel de Landport. Il entendit des "pétards" et vit un homme en sang sur le sol. Il vit un autre homme montrant une carte d'identité et portant un béret noir, qui avait le pied sur la gorge du mourant et criait "Stop! C'est OK! C'est la police". L'homme tira alors trois ou quatre coups de feu supplémentaires. A l'enquête, M. Asquez avoua que la partie de la déclaration relative à la fusillade était un mensonge de son propre cru. Il apparut extrêmement confus et se contredit fréquemment. Lorsqu'on lui fit remarquer que, jusqu'à l'ouverture de l'enquête, les responsables de l'opération n'avaient pas révélé que les militaires portaient des bérets (aucun reportage n'avait mentionné ce détail), il supposa qu'il l'avait entendu dans la rue. Lorsqu'on lui demanda, lors de l'enquête, pourquoi il avait inventé cette déclaration de toutes pièces, il invoqua une maladie antérieure, des pressions subies dans son travail et le désir de voir cesser les appels téléphoniques d'une personne qui lui demandait d'accorder un entretien aux médias. Mlle Treacy prétendit qu'elle se trouvait, lorsque la fusillade éclata, dans l'allée sortant du tunnel, entre M. Savage et le premier militaire, mais pas dans la ligne de mire. Elle se souvint que M. Savage courait et pensa qu'il avait été abattu dans le dos alors qu'il se trouvait face au tunnel. Elle ne vit personne tirer sur lui alors qu'il était à terre. Son témoignage comportait un certain nombre de contradictions apparentes avec les récits d'autres témoins; elle déclara que le militaire avait tiré de la main gauche, alors qu'il était en fait droitier; personne d'autre ne vit M. Savage en train de courir; et elle décrivit le corps en train de s'écrouler, les pieds en direction de l'arbre voisin plutôt que la tête vers l'arbre, tel que l'avaient dépeint tous les autres témoins de la scène. Dans son résumé, le Coroner pensa qu'il serait possible de faire concorder son récit avec les autres, car Mlle Treacy pouvait ne pas avoir regardé M. Savage alors qu'il se retournait pour faire face aux militaires et, au moment où elle regarda effectivement, il était en train de pivoter, en réaction aux coups de feu, vers le tunnel. M. Bullock et son épouse déclarèrent qu'un homme les avait bousculés sur son passage, alors qu'ils remontaient Smith Dorrien Avenue en direction du carrefour et qu'ils avaient vu qu'il portait un revolver dans le dos, passé dans la ceinture. Ils le virent retrouver un autre homme, portant également un revolver à la ceinture, au coin de l'allée menant au tunnel de Landport. Les hommes regardaient la fusillade qui se déroulait devant le garage Shell et, lorsque les coups de feu cessèrent, ils tournèrent et disparurent en courant. Il y eut ensuite un nouveau tir nourri. Cependant, un autre témoin, M. Jerome Cruz, qui se trouvait dans une voiture prise dans l'embouteillage de Smith Dorrien Avenue et se souvenait avoir vu M. Bullock plonger pour se mettre à l'abri, mit sa version en doute. Il déclara en particulier que M. Bullock ne se trouvait pas près de l'extrémité de Smith Dorrien Avenue, mais à une plus grande distance du garage Shell (à près de 100 m) et qu'il avait plongé pour se mettre à l'abri au premier bruit de fusillade. Il admit avoir également vu des personnes accroupies regardant, à l'abri d'un mur, l'entrée de l'allée menant au tunnel. 13. Evénements intervenus après les tirs A 15 h 47-15 h 48, E reçut un message dans la salle de contrôle des opérations, indiquant que l'arrestation des trois suspects avait eu lieu. Il n'apparaissait pas clairement, à ce stade, s'ils avaient été arrêtés ou abattus. A 16 heures-16 h 5, la salle des opérations reçut un rapport établissant que les suspects avaient été abattus. A 16 h 5-16 h 6, le militaire F remit un formulaire au préfet, lui rendant le contrôle des opérations. D'après le procès-verbal de la déposition faite par le préfet lors de l'enquête judiciaire, ce formulaire remis par le militaire F précisait: "A 16 h 6, le 6 mars, un groupe militaire d'assaut est intervenu contre les membres de l'ASU présents à Gibraltar, conformément à l'option militaire. Par le présent document, le contrôle est remis aux autorités civiles." Le préfet de police adjoint Colombo téléphona au commissariat central pour que les plans d'évacuation soient mis en oeuvre. Des instructions furent également données en vue d'assurer le contrôle des lieux des événements. Le militaire G reçut également l'ordre de procéder à l'enlèvement de la voiture. Après la fusillade, on procéda à la fouille des corps des trois suspects et du sac à main de Mlle Farrell. On ne découvrit ni arme ni dispositif de déclenchement. Sur les lieux du garage Shell, les douilles et les cartouches furent ramassées sans marquage préalable de leur emplacement ou autre enregistrement de leur position. La position des corps ne fut pas marquée. Sur les lieux où M. Savage avait été abattu, seul l'emplacement de quelques-unes des cartouches fut marqué. La police ne prit aucune photographie de la position des corps. L'inspecteur Revagliatte avait marqué à la craie les contours du corps de M. Savage. A l'intérieur de ces contours se trouvaient cinq traces de coups, dont trois dans la région de la tête. L'inspecteur principal Lopez ordonna un rappel général des effectifs et se rendit directement sur l'aire de rassemblement pour commencer à l'isoler par un cordon de police. La brigade des pompiers arriva également sur l'aire de rassemblement. L'équipe de déminage ouvrit la Renault blanche suspecte mais n'y trouva ni système explosif ni bombe. La zone fut déclarée sans danger entre 19 et 20 heures. H. Enquête de police après les tirs L'inspecteur principal Correa fut chargé de l'enquête. Dans le sac à main de Mlle Farrell, on trouva un porte-clefs avec deux clefs et une étiquette portant le numéro d'immatriculation MA9317AF. Cette information fut transmise, vers 17 heures, à la police espagnole qui entreprit une recherche de la voiture, soupçonnant qu'elle pouvait contenir des explosifs. Dans le courant de la nuit du 6 au 7 mars, la police espagnole découvrit à La Linea une Ford Fiesta rouge portant ce numéro d'immatriculation. A l'intérieur de la voiture se trouvaient d'autres clefs, correspondant à un autre véhicule immatriculé MA2732AJ, ainsi qu'un contrat de location indiquant que la voiture avait été louée le 6 mars à 10 heures par Katharine Smith, nom figurant sur le passeport que portait Mlle Farrell dans son sac à main. Le 8 mars, aux alentours de 18 heures, une Ford Fiesta immatriculée MA2732AJ fut découverte dans un parc de stationnement souterrain à Marbella. Elle fut ouverte par l'équipe de déminage de Malaga qui découvrit dans son coffre un engin explosif caché dans le logement de la roue de secours. Le dispositif se composait de cinq paquets d'explosifs Semtex (64 kg en tout), auxquels étaient reliés quatre détonateurs et placés au milieu de 200 cartouches. Il y avait deux retardateurs marquant respectivement 10 h 45 et 11 h 15. Le dispositif n'était ni amorcé ni connecté. 100. Le rapport établi sur l'engin par la police espagnole, fait à Madrid le 27 mars 1988, conclut qu'il y avait un double système de déclenchement, garantissant l'explosion même si l'un des retardateurs était défectueux; que les explosifs étaient dissimulés dans le logement de la roue de secours pour éviter leur détection au passage de la douane entre l'Espagne et Gibraltar; que la quantité d'explosifs et l'utilisation de cartouches pour amplifier l'explosion indiquaient que les terroristes voulaient frapper très fort; et que l'on pensait que le dispositif était réglé pour exploser pendant le défilé militaire du 8 mars 1988. 101. L'inspecteur principal Correa, qui faisait également fonction d'adjoint au Coroner, retrouva et interrogea des témoins des trois fusillades. Des policiers effectuèrent des visites dans les habitations du secteur, frappant aux portes et revenant une seconde fois en cas d'absence. Le procureur général lança deux ou trois appels invitant le public à se présenter. Lors de l'enquête, l'inspecteur principal Correa observa que le public semblait plus réticent que d'habitude à se présenter pour faire des déclarations à la police. 102. Les trois suspects décédés subirent une autopsie le 7 mars 1988. Le professeur Watson, pathologiste britannique hautement qualifié, conduisit la procédure. Son rapport fut transmis à un pathologiste, le professeur Pounder, nommé par les requérants. Plus tard, au cours de l'enquête, les deux pathologistes firent des observations sur des vices constatés dans la procédure d'autopsie. Les corps avaient notamment été totalement dévêtus avant que le professeur Watson les ait vus, ce qui l'avait privé de tout indice pouvant l'aider à distinguer les plaies dues à l'entrée ou à la sortie des balles; il n'avait disposé d'aucune installation de rayons X et, par la suite, n'avait pu se procurer ni un jeu complet de photographies ni les rapports médico-légal et balistique. I. L'ENQUÊTE JUDICIAIRE DE GIBRALTAR ("INQUEST") 103. Une enquête portant sur les homicides, menée par le Coroner de Gibraltar, fut ouverte le 6 septembre 1988. Les familles des défunts (dont les requérants) y étaient représentées, de même que les militaires du SAS et le gouvernement du Royaume-Uni. L'enquête fut présidée par le Coroner qui siégea en présence d'un jury sélectionné au sein de la population locale. 104. Avant l'enquête, le ministre de l'Intérieur, le ministre de la Défense et le vice-gouverneur de Gibraltar émirent trois attestations, respectivement les 26 août, 30 août et 2 septembre 1988, indiquant que, pour des raisons d'intérêt général, certaines informations ne devaient pas être révélées. Selon ces attestations, l'intérêt général exigeait de ne pas divulguer les catégories d'informations suivantes: Dans le cas des sept témoins militaires, l'objection concernait la divulgation de toute information ou document qui révélerait: i) leur identité; ii) l'identité, la situation géographique, les rapports hiérarchiques, les méthodes de fonctionnement et les capacités des unités dans lesquelles servaient les militaires le 6 mars 1988; iii) la nature de leur entraînement ou de leurs équipements spéciaux; iv) la nature de toute activité opérationnelle antérieure des militaires ou de toute unité dans laquelle l'un d'entre eux aurait pu servir à un moment quelconque; v) dans le cas du militaire G (l'officier technicien chargé des munitions), toute information, activité ou opération relative aux renseignements défense (et les sources de renseignements), notamment celles sur lesquelles se fondaient ses appréciations, et le détail des capacités des forces de sécurité en matière de contre-mesures, incluant les méthodes de fonctionnement, l'entraînement et les équipements spéciaux. Dans le cas des témoins de la sûreté, l'objection concernait la divulgation d'informations qui révéleraient: a) l'identité des agents de la sûreté, et des détails sur leur déploiement, leur entraînement et leur équipement; b) toutes les sources de renseignements; c) tous les détails des activités et des opérations de la sûreté. 105. Comme les attestations l'indiquaient toutefois expressément, il ne fut fait aucune objection aux dépositions de militaires ou d'agents de la sûreté concernant: i) la nature des informations relatives au complot redouté de l'IRA, qui furent transmises au préfet de police et à d'autres personnes concernées (y compris les témoignages d'ordre général portant sur la nature d'une unité de service actif de l'IRA); ii) les estimations du militaire G quant à la probabilité de la présence d'un engin explosif et des risques y afférents, et quant aux mesures de protection qu'il y aurait à prendre; iii) les événements conduisant aux fusillades du 6 mars 1988 et les circonstances les entourant, y compris les preuves relatives au transfert du contrôle aux autorités militaires. 106. L'enquête se poursuivit jusqu'au 30 septembre et, durant les dix-neuf jours où elle se déroula, soixante-dix-neuf témoins furent entendus, parmi lesquels les militaires, les policiers et le personnel de surveillance ayant pris part à l'opération. On entendit également les dépositions de pathologistes, d'experts légistes et d'experts en matière de déclenchement d'engins explosifs. Dépositions de pathologistes lors de l'enquête judiciaire 107. Le professeur Watson, pathologiste qui avait procédé aux autopsies le 7 mars 1988, ainsi que le professeur Pounder, appelé par les requérants (paragraphe 102 ci-dessus), firent des dépositions. 108. En ce qui concerne Mlle Farrell, on constata qu'elle avait été touchée à trois reprises dans le dos, d'une distance de moins d'un mètre selon le professeur Pounder. Elle portait cinq plaies à la tête et au cou. Les blessures au visage indiquaient que tout le corps, ou du moins la partie supérieure du corps, faisait face au tireur. Un scénario acceptable, cadrant avec les blessures, supposait qu'elle aurait reçu les balles dans la tête alors qu'elle faisait face au tireur, puis serait tombée et aurait été touchée dans le dos. Le professeur Watson admit que la trajectoire montante des balles qui frappèrent Mlle Farrell indiquait qu'elle était en train de tomber ou était déjà à terre au moment de l'impact. Elle fut frappée au total par huit balles. 109. M. McCann, lui, avait été touché deux fois dans le dos et présentait trois blessures à la tête. Celle située au sommet du crâne donnait à penser que les plaies à la poitrine avaient précédé la blessure à la tête et que l'intéressé était près ou très près du sol lorsque celle-ci lui fut infligée. Les impacts de balles sur le corps se trouvaient à un angle d'environ 45 degrés. Il avait reçu cinq balles. 110. Quant à M. Savage, il avait été touché par seize balles. Il portait sept blessures à la tête et au cou, cinq à la poitrine, cinq dans le haut du dos, une en haut de chaque épaule, trois à l'abdomen, deux à la jambe gauche, deux au bras droit et deux à la main gauche. La position des plaies causées par l'impact des balles suggérait que certaines des blessures avaient été reçues alors qu'il faisait face au tireur, tandis que les balles causant les plaies à la poitrine étaient entrées par le dos. Le professeur Watson convint que M. Savage était "criblé de balles" et que "cela ressemblait à une attaque forcenée". Il admit qu'il serait raisonnable de supposer, au vu des impacts sur le trottoir, que les balles avaient atteint M. Savage à la tête alors qu'il gisait à terre. Le professeur Pounder convint aussi que les preuves fournies par les marques au sol ainsi que l'angle et l'état des plaies indiquaient que l'intéressé avait été frappé, alors qu'il était étendu sur le dos, par des balles tirées par une personne se tenant debout face à ses pieds. Il insista, lors de l'interrogatoire mené par l'avocat des militaires, sur le fait que les trois impacts au sol dessinés à la craie à l'intérieur des contours correspondaient à des blessures à la tête. "Ces blessures doivent avoir été infligées alors que la tête reposait par terre ou se trouvait très proche du sol", déclara-t-il et, lorsqu'une plus grande précision lui fut demandée, il ajouta "à quelques centimètres du sol". Dépositions relatives à des questions médico-légales lors de l'enquête judiciaire 111. Un expert légiste spécialisé dans les armes à feu avait examiné les vêtements des trois défunts, à la recherche, notamment, de dépôts de poudre qui auraient indiqué que les coups avaient été tirés à faible distance. Il trouva des traces de poudre partiellement brûlée sur la partie supérieure arrière droite de la veste de Mlle Farrell et sur la partie supérieure avant gauche de la chemise de M. Savage, qui indiquaient un tir à faible distance. Il procéda à des essais qui montrèrent qu'un tel résultat ne pouvait être obtenu par un pistolet Browning que d'une distance inférieure à 1,80 m environ. La densité de poudre trouvée sur la veste de Mlle Farrell indiquait une distance de moins d'un mètre entre la bouche du pistolet et la cible et celle constatée sur la chemise de M. Savage, une distance de 1,20 à 1,80 m. Dépositions relatives aux mécanismes de déclenchement 112. Des questions furent soulevées lors de l'enquête quant au point de savoir si, quand bien même les trois suspects auraient porté des télécommandes, ils auraient été en mesure de faire exploser la bombe suspecte qui se trouvait à environ 1,4 km de l'endroit où ils furent abattus. On se demanda également si les militaires pouvaient raisonnablement s'attendre à ce que les victimes aient dissimulé des dispositifs sur elles sans que cela soit visible et si, de fait, elles auraient pu faire exploser l'engin en pressant sur un seul bouton. 113. M. Feraday témoigna au nom de l'Etat. Expert légiste employé au laboratoire médico-légal des explosifs à l'Institut royal de recherche et de développement de l'armement, il avait trente-trois ans d'expérience en matière d'explosifs. Il présenta un émetteur ICOM IC2, comme exemple d'engin employé en Irlande du Nord, de la taille d'un talkie-walkie standard grand public. Ce dispositif fut également remis par le Gouvernement, à titre de preuve, à la Commission et à la Cour lors de la procédure suivie à Strasbourg (paragraphe 130 ci-dessous). En se référant aux facteurs qui pouvaient avoir une incidence sur sa portée (par exemple le terrain, les conditions météorologiques), M. Feraday déclara que l'équipement pouvait, dans des conditions optimales, fonctionner à une distance maximale de 50 km environ. Selon lui, l'antenne de la voiture suspecte aurait pu recevoir un signal, bien que son efficacité eût été plutôt faible étant donné qu'elle n'avait pas la longueur requise pour la fréquence. Il estima qu'il faudrait supposer qu'une bombe pouvait être activée par télécommande, en utilisant cette antenne, d'une distance d'environ 1,5 km. 114. Les requérants appelèrent le Dr Scott, titulaire d'une maîtrise et d'un doctorat en ingénierie et d'un permis d'opérateur radio. Il avait pris part à deux procès de l'IRA en Angleterre. Il avait pratiqué des essais avec des récepteurs similaires le long de l'itinéraire emprunté par les trois suspects. Il mentionna le fait qu'entre les sites des fusillades et l'aire de rassemblement se trouvaient une butte, de même qu'un mur épais et un nombre considérable de bâtiments. Or l'IRA utilise des codeurs et décodeurs sur ses dispositifs pour empêcher des signaux parasites de faire exploser ses bombes, ce qui nécessite la réception d'un signal clair et net. S'agissant de l'antenne, qui "était de la blague" du point de vue de l'efficacité, avec sa longueur inadaptée à la fréquence prévue et sa position parallèle au toit et non verticale, il maintint son avis professionnel selon lequel le récepteur présumé n'aurait pu être déclenché par un émetteur dans les circonstances de l'espèce. Il indiqua également que la bombe aurait pu être neutralisée en déposant l'antenne et que cette manipulation n'aurait pas déstabilisé le dispositif explosif. 115. Le Dr Scott expliqua également comment fonctionnerait l'émetteur. En supposant déjà réglé le cadran fixant la fréquence, il serait nécessaire d'activer le commutateur marche/arrêt, puis le commutateur marche/arrêt du codeur, et enfin il faudrait presser sur un troisième bouton pour effectuer la transmission. Alors qu'il serait possible de régler le dispositif pour qu'il suffise d'appuyer sur un seul bouton (le bouton de transmission) afin de faire exploser la bombe, cela exigerait de laisser les commutateurs en position "marche" à la fois pour l'émetteur et le codeur, au risque de vider les batteries. Il y aurait aussi le risque de voir le dispositif se déclencher accidentellement à la suite d'un choc dans la rue ou sous l'impact d'une balle ou parce qu'une personne, en tombant maladroitement, lui ferait heurter le bord d'un trottoir ou d'un banc. 116. Le capitaine Edwards fut appelé par l'avocat représentant les militaires pour réfuter ce témoignage. Il était membre du Royal Corps of Signals et avait de l'expérience dans le domaine de la radio VHF/HF dans les spectres d'ondes radio de combat. Il procéda à des essais pour voir si les communications vocales étaient possibles sur une radio de type ICOM dans le secteur, ou depuis le garage Shell au Ince's Hall. L'équipement utilisé n'était pas identique à celui du Dr Scott. Il déclara que, sur les sites des fusillades, il était possible de recevoir à la fois des communications vocales et une seule tonalité audio en provenance de l'aire de rassemblement. Toutefois, il n'utilisa pas de codeur et ses équipements étaient compatibles. M. Feraday fut également rappelé. Selon lui, si une faible communication vocale pouvait être reçue, le signal pourrait alors suffire à déclencher une bombe. 117. Il semble que tous aient admis que l'IRA avait pris l'habitude d'utiliser des systèmes à haute fréquence, qui nécessitent des antennes plus courtes et ont un effet plus sûr en visibilité directe. Il a été dit que ceux-ci possèdent les caractéristiques adaptées à un déclenchement lorsque l'opérateur du système a une visibilité directe de la bombe et qu'ils présentent moins de risques d'interférences par d'autres sources radio ou de contre-mesures. Il n'existe pas d'exemple connu, ou du moins donné, d'utilisation de ce mode de déclenchement à distance dans d'autres conditions que la visibilité directe. Arguments développés pendant l'enquête 118. Lors de l'enquête, le représentant des requérants, M. P.J. McGrory, interrogea les témoins et fit des déclarations tendant à prouver que, soit la décision de tirer pour tuer les suspects avait été prise par le gouvernement du Royaume-Uni avant l'événement et les militaires avaient reçu l'ordre de procéder aux fusillades, soit l'opération avait été organisée et exécutée de manière que le meurtre des suspects par les militaires en fût le résultat inévitable. Quoi qu'il en soit, au vu des circonstances, le recours à la force meurtrière par les militaires n'était pas nécessaire ou, s'il l'était, la force utilisée avait été excessive et, par conséquent, injustifiée. Il maintint cependant tout du long qu'il ne contestait pas que le préfet de police et ses collaborateurs eussent agi comme ils le devaient et de bonne foi. 119. Le militaire F (le commandant en chef) et le militaire E (le commandant des opérations tactiques) nièrent qu'il y ait eu un plan, exprimé ou tacite, visant à exécuter les suspects. Lorsque la question fut posée aux militaires A, B, C et D, ils nièrent également avoir été envoyés, expressément ou implicitement, pour abattre les suspects. Explications données par le Coroner au jury 120. A la fin de l'enquête, le Coroner expliqua au jury le droit applicable, en particulier l'article 2 de la Constitution de Gibraltar (paragraphe 133 ci-dessous). La procédure de l'enquête judiciaire ne permettant pas aux parties de présenter leur argumentation au jury, il résuma les propositions respectives des représentants des requérants, de ceux des militaires et de l'Etat relatives aux témoignages. Le Coroner conclut en se fondant sur les dépositions des militaires selon lesquelles, lorsqu'ils avaient ouvert le feu, ils avaient tiré dans l'intention de tuer, et instruisit le jury quant à la gamme des verdicts possibles: "(...). Si les militaires se sont mis en route ce jour-là avec l'intention expresse de tuer, cela serait un assassinat et il serait juste de rendre un verdict d'homicide illégal. Deuxième exemple: si vous deviez conclure dans le cas de Savage (ou de l'un des deux autres) qu'on lui a tiré dans la tête alors qu'il était à terre après avoir été effectivement neutralisé, cela constituerait un assassinat si vous parvenez à la conclusion que les militaires ont continué à tirer pour l'achever. Dans les deux cas, ils avaient projeté de tuer non pas en légitime défense ou pour défendre autrui ou au cours de l'arrestation. (...) c'est donc un assassinat et vous rendrez un verdict d'homicide illégal. Si, dans ce second exemple, vous deviez conclure que les suspects ont été tués du fait du recours à une force supérieure à celle qui était raisonnablement nécessaire, le verdict devrait alors également être l'homicide illégal, mais cela n'aurait pas été un assassinat. Le troisième exemple que je propose est précisément ce cas de figure. Si vous acceptez l'analyse selon laquelle l'intention des militaires était véritablement d'arrêter (dans le sens où ils devaient appréhender les trois suspects et les remettre vifs aux forces de police de Gibraltar) et que l'arrestation s'est mal déroulée et a eu pour résultat les trois décès parce que soit a) on a utilisé la force alors que cela n'était pas nécessaire soit b) la force utilisée était supérieure à celle raisonnablement nécessaire, cela ne serait alors pas un assassinat (...) et le verdict serait, comme je l'ai dit, l'homicide illégal. Quatrième exemple: si vous êtes convaincus que les militaires ont agi correctement mais que l'opération avait néanmoins été montée pour causer la mort des trois suspects à l'insu des militaires, vous rendriez alors aussi un verdict d'homicide illégal. (...). Vous avez donc raisonnablement le choix entre seulement trois verdicts, qui sont: a) tués illégalement, c'est-à-dire homicide illégal; b) tués légalement, c'est-à-dire homicide raisonnable et justifié; c) verdict ouvert. Vous souvenant que vous devez avoir une conviction intime lorsqu'il s'agit du verdict d'"homicide illégal", il convient de considérer deux cas de figure. Le premier concerne les militaires eux-mêmes, le second le point de savoir s'ils ont été les instruments involontaires d'un complot visant à se débarrasser des trois suspects. Pour ce qui est du premier cas de figure, concernant les militaires eux-mêmes, je dois vous dire que si vous n'avez pas l'intime conviction qu'ils ont tué illégalement, vous avez alors le choix entre un verdict ouvert et celui d'un homicide légal. Mes instructions sont que vous devriez rendre un verdict d'homicide justifié, c'est-à-dire d'homicide légal, parce que, vu la nature des circonstances de cet événement, c'est ce que vous aurez résolu si vous ne rendez pas un verdict d'homicide illégal en ce qui concerne les militaires eux-mêmes. Telle est la logique de la situation. Il se peut que vous vous retrouviez en situation de ne pouvoir trancher ni dans un sens ni dans l'autre, auquel cas la seule autre possibilité est de rendre un verdict ouvert, mais je dois vous conseiller vivement, dans l'exercice de votre devoir, d'éviter ce verdict ouvert. Cela vaut également pour le second cas de figure, dans lequel les militaires auraient été des instruments involontaires (...)" 121. A une majorité de neuf voix contre deux, le jury rendit des verdicts d'homicide légal. J. Procédure en Irlande du Nord 122. Mécontents de ces verdicts, les requérants intentèrent des actions devant la High Court of Justice d'Irlande du Nord contre le ministère de la Défense, pour les pertes et les dommages subis, en raison des décès, par les successeurs de chacun des défunts. Les actes introductifs d'instance furent notifiés le 1er mars 1990. 123. Le 15 mars 1990, le ministre des Affaire étrangères et du Commonwealth émit des attestations au titre de l'article 40 (3)a de la loi de 1947 intitulée Crown Proceedings Act, modifiée par la Crown Proceedings (Northern Ireland) Order de 1981. L'article 40 (2)b de cette loi exclut les procédures intentées en Irlande du Nord contre l'Etat en ce qui concerne la responsabilité découlant d'actions commises autrement qu'"au titre du Gouvernement de sa Majesté au Royaume-Uni". Une exonération similaire s'applique à l'Etat en Irlande du Nord, conformément à la loi de 1981. Une telle attestation du ministre est sans appel. Les attestations indiquaient en l'espèce que ni le gouvernement de Sa Majesté au Royaume-Uni ni le gouvernement de Sa Majesté en Irlande du Nord ne pouvaient engager la responsabilité de l'Etat. 124. Le ministère de la Défense proposa alors de rayer les actions du rôle. Les requérants contestèrent la légalité des attestations dans une procédure en contrôle judiciaire. L'autorisation de solliciter un contrôle judiciaire leur fut accordée unilatéralement le 6 juillet 1990, mais retirée le 31 mai 1991, à l'issue d'une audience réunissant l'ensemble des parties, au motif que la requête n'avait aucune chance raisonnable de réussir. L'avocat principal fit savoir qu'à son avis, il serait vain de faire appel de cette décision. Les actions des requérants devant la High Court furent rayées du rôle le 4 octobre 1991. K. Documentaire télévisé "Mort sur le Rocher" 125. Le 28 avril 1988, la Thames Television diffusa un documentaire intitulé "Mort sur le Rocher" (paragraphe 70 ci-dessus), avec reconstitution de la prétendue surveillance de la voiture des terroristes par la police espagnole et description par des témoins des fusillades de ce qu'ils avaient vu, certains alléguant que M. McCann et Mlle Farrell avaient reçu des coups de feu alors qu'ils étaient à terre. La déclaration d'un témoin anonyme, dont la teneur était que M. Savage avait été abattu par un homme qui avait posé son pied sur sa poitrine, fut lue à haute voix. Le Conseil de l'audiovisuel (Independent Broadcasting Authority) avait rejeté la demande du ministre des Affaires étrangères et du Commonwealth de retarder la diffusion de l'émission jusqu'à la fin de l'enquête judiciaire. L. Autres témoignages produits devant la Commission et la Cour Déclaration de l'inspecteur en chef Valenzuela 126. Bien que la police de Gibraltar ait invité un membre de la police espagnole à témoigner sur le rôle de cette dernière lors de l'enquête judiciaire, il ne s'est pas présenté à l'audience car ses supérieurs ne l'y auraient pas autorisé. 127. Le Gouvernement a fourni à la Commission une copie de la déclaration de l'inspecteur principal Rayo Valenzuela, policier à Malaga, datée du 8 août 1988. D'après cette déclaration, la police britannique avait fourni début mars à la police espagnole des photographies des membres présumés de l'ASU, dénommés Daniel McCann, Mairead Farrell et Sean Savage. Ces trois individus ont été vus à leur arrivée à l'aéroport de Malaga le 4 mars 1988 mais leur trace fut perdue à la sortie de l'aéroport. Des recherches furent ensuite menées les 5 et 6 mars 1988 afin de les retrouver. Cette déclaration, remise par le Gouvernement, n'a pas été jointe aux preuves présentées à l'enquête judiciaire, le Coroner ayant refusé de l'accepter par suite de l'objection émise par M. P.J. McGrory, lequel estimait qu'il s'agissait d'une preuve par "ouï-dire" puisqu'aucun policier espagnol n'a comparu en personne. Déclaration de M. Harry Debelius 128. Cette déclaration, datée du 21 septembre 1988 et fournie pour le compte des requérants, émane d'un journaliste ayant agi comme consultant auprès des auteurs de l'émission de la Thames Television "Mort sur le Rocher". M. Debelius déclara que la Renault blanche utilisée par l'ASU était surveillée par les autorités espagnoles alors qu'elle se dirigeait vers Gibraltar en suivant la côte. La surveillance aurait été menée par quatre à cinq voitures de police, qui se seraient relayées pour éviter d'être repérées ainsi que par hélicoptère et par des agents situés à des postes d'observation fixes. Les détails de la progression de la voiture furent communiqués aux autorités gibraltariennes, qui furent informées de son arrivée à la frontière. Il déclare que ces renseignements lui ont été fournis par M. Augustín Valladolid, porte-parole des services de sûreté espagnols à Madrid, qu'il avait interrogé entre 18 heures et 19 h 20 le 21 mars 1988 en compagnie de M. Julian Manyon, journaliste à la Thames Television. 129. Les requérants avaient l'intention de présenter cette déclaration à titre de preuve lors de l'enquête. Le Coroner refusa cependant de l'accepter car, comme la déclaration sur laquelle s'est appuyée le Gouvernement (paragraphe 127 ci-dessus), il s'agit d'une preuve par ouï-dire. Pièces produites par les parties 130. Le Gouvernement a remis à la Commission et à la Cour un émetteur ICOM muni d'un codeur improvisé. L'émetteur mesure 18 cm x 6,5 cm x 3,7 cm. Le codeur (habituellement collé à l'émetteur avec du ruban adhésif et tenant dans une petite boîte plate de Strepsil) mesure 8 cm x 9 cm x 3 cm. L'antenne de l'émetteur a une longueur de 18 cm. Autres documents présentés par les requérants 131. Les requérants ont également fourni un nouvel avis émis par le Dr Scott le 22 octobre 1993, où celui-ci répète qu'il aurait été impossible aux trois suspects de déclencher une bombe située dans la zone cible à partir de l'endroit où ils ont été abattus au moyen d'un ICOM ou de tout autre assemblage émetteur/antenne imaginable se prêtant à la dissimulation. Il affirme que les autorités devaient être parfaitement conscientes de cela et fit également observer que la puissance d'un émetteur portable est sérieusement réduite lorsqu'il se trouve à proximité du corps humain. Lors de la transmission, il doit être tenu loin du corps et l'antenne doit être la plus haute possible. Conclusions de la Commission concernant les faits 132. Dans son rapport du 4 mars 1994, la Commission procède aux conclusions suivantes: - les suspects ont effectivement été autorisés à entrer à Gibraltar pour y être arrêtés par les agents de surveillance placés dans ce but à des endroits stratégiques (paragraphe 213); - il n'existe pas de preuves pour étayer l'affirmation des requérants selon laquelle il existait un dessein prémédité de tuer M. McCann, Mlle Farrell et M. Savage (paragraphe 216); - il n'existe aucun élément corroborant les allégations selon lesquelles les militaires auraient tué M. McCann et Mlle Farrell alors qu'ils tentaient de se rendre ou gisaient à terre. Les militaires ont cependant tiré de très près. Le rapport médico-légal indique une distance de moins d'un mètre dans le cas de Mlle Farrell (paragraphes 222 et 223); - Mlle Farrell et M. McCann ont été abattus par les militaires A et B à courte distance, après que les deux suspects eurent fait ce que les militaires ont pris pour des gestes menaçants. Ils furent abattus alors qu'ils tombaient, mais non lorsqu'ils gisaient à terre (paragraphe 224); - c'est probablement soit le son de la sirène de police soit le bruit des tirs sur M. McCann et Mlle Farrell au garage Shell, ou les deux, qui ont poussé M. Savage à se retourner pour faire face aux militaires qui se trouvaient derrière lui. Il est peu probable que les militaires C et D aient été les témoins des tirs sur M. McCann et Mlle Farrell avant de se lancer à la poursuite de M. Savage (paragraphe 228); - il n'existe pas suffisamment d'éléments pour réfuter la version de la fusillade donnée par les militaires C et D. Ces derniers tirèrent sur M. Savage de très près jusqu'à ce qu'il tombe à terre et tiraient encore lorsqu'il toucha le sol ou juste après. Cette conclusion est étayée par le témoignage donné par les pathologistes lors de l'enquête judiciaire (paragraphes 229 et 230); - les militaires A à D ont ouvert le feu dans le but d'empêcher les suspects, qu'ils savaient être des terroristes impliqués dans de précédents attentats à l'explosif, de faire exploser une bombe au centre de Gibraltar (paragraphe 231); - selon toute vraisemblance, il a dû être fait mention d'un retardateur lors de la réunion d'information opérationnelle du préfet de police. Cependant, quelle qu'en soit la raison, les militaires ne semblent pas avoir pris ce facteur en compte dans leur évaluation de la situation (paragraphe 241). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 133. L'article 2 de la Constitution de Gibraltar dispose: "1. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal eu égard à une infraction pénale dont il a été reconnu coupable. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article si elle résulte d'un recours à la force rendu raisonnablement justifiable dans la mesure et dans les circonstances autorisées par la loi: a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence ou pour la défense de la propriété; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue (...) (...) d) pour empêcher que cette personne ne commette une infraction pénale." 134. La jurisprudence interne pertinente établit que le caractère raisonnable du recours à la force doit s'apprécier sur la base de faits à l'existence desquels croit honnêtement l'utilisateur de la force: cela implique de recourir au critère subjectif de ce à quoi croyait l'utilisateur et au critère objectif tendant à établir s'il avait des motifs raisonnables pour étayer cette conviction. Etant donné cette conviction honnête et raisonnable, on doit alors déterminer s'il était raisonnable d'avoir recours à la force en question pour prévenir une infraction pénale ou pour effectuer une arrestation (voir par exemple les affaires Lynch v. Ministry of Defence, Northern Ireland Law Reports 1983, p. 216, R v. Gladstone Williams, Criminal Appeal Reports 1983, vol. 78, p. 281, et R v. Thain, Northern Ireland Law Reports 1985, p. 462). 135. La question de savoir si l'usage de la force est raisonnable, que ce soit en légitime défense, pour empêcher un crime ou pour effectuer une arrestation, est un critère strict. Il a été décrit en ces termes dans le rapport de la commission royale nommée pour examiner le droit relatif aux infractions majeures (House of Lords Papers 1879, vol. 36, p. 167): "Nous considérons comme l'un des grands principes de la common law que, même si elle sanctionne la défense de la personne, de la liberté et de la propriété contre la violence illégale et autorise le recours à la force pour empêcher des infractions afin de protéger l'ordre public et de traduire les délinquants en justice, elle prévoit que la force utilisée doit être nécessaire; cela signifie qu'il ne faut pas que le mal que l'on cherche à empêcher ait pu être évité par des moyens moins violents et que le mal résultant de la force utilisée, ou dont on peut raisonnablement prévoir qu'il en résultera, soit disproportionné au préjudice ou au mal que l'on cherche à prévenir." Le Lord Justice McGonigal déclara dans l'affaire Attorney General for Northern Ireland's Reference (Northern Ireland Law Reports (Court of Appeal) 1976, p. 169) qu'il comprenait cette approche comme suit (p. 187): "(...) il me semble que, pour déterminer si la force employée dans des circonstances données était raisonnable, il convient d'utiliser les critères exposés dans ce paragraphe, qui pose deux questions: a) le mal que l'on cherche à éviter aurait-il pu l'être par des moyens moins violents? b) le mal fait ou celui que l'on pouvait raisonnablement attendre en conséquence du recours à la force est-il disproportionné au préjudice ou au mal que l'on cherche à prévenir? Il convient de répondre à ces questions de façon objective, mais en se fondant sur la manière dont une personne raisonnable aurait agi dans ces circonstances et en tenant compte des convictions sincères de l'accusé. La force n'est pas raisonnable: a) si elle est supérieure à celle nécessaire, ou b) si le préjudice causé est incomparablement supérieur au mal que l'on cherchait à éviter." 136. Le document annexé à l'ordre opérationnel du préfet de police intitulé "Armes à feu - dispositions réglementant l'ouverture du feu" prévoyait ce qui suit, en tant que de besoin: "Règles générales N'ayez pas recours à une force supérieure à celle qui est nécessaire pour atteindre votre objectif. Si vous utilisez des armes à feu, faites-le en vous préoccupant de la sécurité des personnes se trouvant à proximité. Sommation avant tir a) Faites, si possible, une sommation avant d'ouvrir le feu. Faites-la à voix aussi haute que possible et ajoutez-y l'ordre de se rendre et précisez que vous ouvrirez le feu en cas de désobéissance. b) Vous pouvez tirer sans sommation lorsque le fait de faire une sommation ou d'attendre avant de tirer pourrait soit provoquer la mort d'une personne qu'il est de votre devoir de protéger, la vôtre ou celle de tout autre agent participant à votre opération, soit leur/vous causer des blessures graves. Ouverture du feu Vous pouvez ouvrir le feu sur un preneur d'otage a) s'il utilise une arme à feu ou toute autre arme ou s'il fait exploser un engin et qu'il y a un danger que vous-même soyez tué ou gravement blessé, ou tout agent participant à l'opération, ou une personne qu'il est de votre devoir de protéger; b) s'il est sur le point d'utiliser une arme à feu ou toute autre arme, ou sur le point de déclencher un engin explosif et que son action est susceptible de mettre en danger votre vie ou celle de tout autre agent participant à l'opération, ou de toute personne qu'il est de votre devoir de protéger, ou de vous/leur causer des blessures graves (...) s'il est en train de placer une charge explosive dans ou à proximité d'un quelconque véhicule, bateau, bâtiment ou installation qui, en explosant, mettrait en danger votre vie, ou celle d'un autre agent participant à l'opération, ou celle de toute personne qu'il est de votre devoir de protéger ou vous/leur causerait des blessures graves, et qu'il n'y a pas d'autre moyen de protéger ceux qui se trouvent en danger (...)" 137. L'ordre opérationnel comportait également en annexe un guide sur l'usage des armes à feu à l'intention des policiers, rédigé comme suit: "Armes à feu: utilisation par la police. Toute opération armée de la police a pour objet d'arrêter le criminel en faisant courir le moins de risque possible à toutes les personnes concernées. Le premier devoir des policiers est de protéger le public mais ils ne doivent pas mettre leur vie ou celle de leurs collègues en danger aux seules fins de tenter de procéder à une arrestation rapide. L'intégrité physique d'un criminel portant une arme à feu ne doit pas être placée plus haut que celle d'un policier et la police ne doit pas prendre de risques inconsidérés. Lorsqu'ils utilisent leurs armes et lorsqu'ils ont recours à la force, quel qu'en soit le degré, les policiers sont soumis aux restrictions prévues par la loi. L'étude de la loi permet de dégager le facteur le plus important à cet égard: la responsabilité est individuelle. Tout policier utilisant une arme à feu peut être amené à répondre de ses actes devant les tribunaux ou devant le Coroner menant une enquête judiciaire; s'il a commis des actes illégaux (ou déplacés) il peut être condamné, à titre individuel, pour meurtre, homicide involontaire ou coups et blessures volontaires. De même, s'il a utilisé une arme à feu de façon illégale ou négligente, il pourra être traduit devant un tribunal civil et se voir réclamer de gros dommages-intérêts. Ce n'est pas parce que le préfet de police est susceptible de se voir opposer pareille plainte que l'individu est déchargé de ses responsabilités. Le fait pour un policier d'avoir utilisé son arme à feu sur l'ordre d'un supérieur ne suffit pas, en soi, à l'exonérer de sa responsabilité pénale. Lorsqu'un policier reçoit une arme à feu, il n'est pas investi de ce fait d'un quelconque pouvoir de l'utiliser autrement que dans le strict respect de la loi. De même, lorsqu'il reçoit des instructions pour une opération, les informations données sur un criminel peuvent laisser penser que ce dernier est dangereux et prêt à tout. Ce facteur doit certes être pris en compte mais ne justifie pas à lui seul d'abattre le criminel. C'est en dernier ressort l'individu qui est responsable de ses actes. La décision de tirer ou non à un moment donné relève donc nécessairement de l'individu. Cette décision doit se fonder sur une bonne connaissance du droit pertinent et tenir compte des circonstances de l'espèce." III. INSTRUMENTS DES NATIONS UNIES 138. Le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants a adopté le 7 septembre 1990 les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois ("Principes de l'ONU sur le recours à la force"). 139. Le Principe sur le recours à la force n° 9 prévoit notamment qu'"ils [les responsables de l'application des lois] ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines". Les autres principes pertinents disposent: Principe 10 " (...) les responsables de l'application des lois doivent se faire connaître en tant que tels et donner un avertissement clair de leur intention d'utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l'avertissement puisse être suivi d'effet, à moins qu'une telle façon de procéder ne compromette indûment la sécurité des responsables de l'application des lois, qu'elle ne présente un danger de mort ou d'accident grave pour d'autres personnes ou qu'elle ne soit manifestement inappropriée ou inutile vu les circonstances de l'incident." Principe 22 "(...) les pouvoirs publics et les autorités de police doivent s'assurer qu'une procédure d'enquête effective puisse être engagée et que, dans l'administration ou le parquet, des autorités indépendantes soient en mesure d'exercer leur juridiction dans des conditions appropriées. En cas de décès ou de blessure grave, ou autre conséquence grave, un rapport détaillé sera envoyé immédiatement aux autorités compétentes chargées de l'enquête administrative ou de l'information judiciaire." Principe 23 "Les personnes contre qui il est fait usage de la force ou d'armes à feu ou leurs représentants autorisés ont accès à une procédure indépendante, en particulier à une procédure judiciaire. En cas de décès de ces personnes, la présente disposition s'applique à leurs personnes à charge." 140. Le Principe 9 des Principes des Nations Unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions ("Principes de l'ONU relatifs à la prévention des exécutions extrajudiciaires"), adoptés le 24 mai 1989 par le Conseil économique et social dans sa Résolution 1989/65, dispose notamment: "Une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l'on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, y compris ceux où des plaintes déposées par la famille ou des informations dignes de foi donneront à penser qu'il s'agit d'un décès non naturel dans les circonstances données. (...)" Les Principes 9 à 17 présentent en détail les procédures qui doivent être respectées lors des enquêtes menées sur des morts survenues dans ces circonstances. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION 141. Les requérants ont saisi la Commission le 14 août 1991 (requête n° 18984/91). Ils alléguaient que les homicides sur les personnes de Daniel McCann, Mairead Farrell et Sean Savage par des membres du SAS (Special Air Service) constituaient une violation de l'article 2 (art. 2) de la Convention. 142. La Commission a retenu la requête le 3 septembre 1993. Dans son rapport du 4 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par onze voix contre six, à l'absence de violation de l'article 2 (art. 2). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR 143. Le Gouvernement a fait valoir que, contrairement à ce qui est avancé dans la requête, il était justifié au regard de l'article 2 par. 2 a) (art. 2-2-a) d'infliger la mort, car elle résultait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense de la population de Gibraltar contre la violence illégale; il a ainsi invité la Cour à conclure que les faits de la cause ne révèlent de violation de l'article 2 (art. 2) de la Convention dans le chef d'aucun des trois défunts. 144. Les requérants affirment que le Gouvernement n'a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que la préparation et la conduite de l'opération ont respecté l'article 2 par. 2 (art. 2-2) de la Convention. Les homicides n'étaient donc pas absolument nécessaires au sens de cette disposition (art. 2-2).
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Ancien médecin municipal né en 1905, M. Francesco Paccione habite San Remo. Le 1er mars 1980, cette commune lui notifia la décision déterminant le montant de la pension de retraite ordinaire qui lui serait versée. Le requérant prétend s'être adressé le 7 avril 1980 à la Cour des comptes pour se plaindre de ce que l'évaluation faite ne tenait pas compte de tous les paramètres nécessaires. Par lettre du 11 avril 1985, il sollicita un examen rapide de son affaire. Cette requête fut répertoriée le 18 avril 1985 et enregistrée le 20. Le 24 avril 1985, la Cour demanda le dossier administratif de l'intéressé au ministère compétent, qui le lui fit parvenir le 13 décembre 1985. Le 14 avril 1989, elle fixa les débats au 9 juin et la date du dépôt de tous les documents au 20 mai 1989 au plus tard. Ces dates furent notifiées le 19 mai 1989 au requérant qui déclara ne pouvoir les respecter et exigea la fixation de nouveaux délais pour constituer ses avocats, ce qu'il aurait fait, selon le Gouvernement, le 19 octobre 1989. Le 3 juillet 1990, les avocats obtinrent la fixation d'une audience pour le 19 avril 1991. Le jour dit, retenus à l'étranger pour des raisons professionnelles, ils se firent remplacer par un autre conseil, lequel demanda un renvoi à leur insu. A leur retour, ils sollicitèrent la tenue des débats le plus rapidement possible. A l'issue de l'audience du 11 mars 1992, la Cour des comptes rejeta le recours pour vice de procédure, constatant que M. Paccione ne l'avait pas notifié au ministère du Trésor. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 4 mars 1993. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Paccione a saisi la Commission le 24 février 1989. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de l'examen de son action devant la Cour des comptes. La Commission a retenu la requête (n° 16753/90) le 12 janvier 1994. Dans son rapport du 11 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle relève, à l'unanimité, une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 315-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a prié la Cour de juger qu'il n'y a pas eu violation de la Convention en l'espèce.
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I. Les circonstances de l'espèce M. Francisco Gea Catalán a la nationalité espagnole et réside à Barcelone. Dans les premiers mois de 1985, profitant de sa condition d'employé du Banco de Fomento, il fit escompter en sa faveur des lettres de change qu'il avait tirées lui-même sous l'identité de personnes imaginaires. Les faits découverts, la banque porta plainte contre le requérant, licencia deux autres salariés pour négligence dans leurs fonctions de contrôle et se constitua partie civile dans les poursuites contre M. Gea Catalán. Par une décision du 1er juillet 1986, le juge d'instruction n° 21 de Barcelone considéra que les faits établis par lui révélaient en particulier le délit d'escroquerie réprimé par les articles 528 et 529 par. 7 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessous). Il renvoya l'inculpé en jugement devant l'Audiencia Provincial de Barcelone. Dans ses conclusions déposées avant les débats (conclusiones provisionales), le ministère public donna aux faits incriminés la qualification, notamment, de délit d'escroquerie puni par l'article 528 avec la circonstance aggravante renforcée ("muy cualificada") prévue au paragraphe 1 de l'article 529 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessous). En tant que partie civile, la banque formula des conclusions qui reprenaient pour l'essentiel celles du ministère public. Lors de l'audience les deux parties poursuivantes confirmèrent leurs conclusions (conclusiones definitivas). Par un jugement du 22 janvier 1988, l'Audiencia Provincial infligea au requérant, entre autres, une peine de deux ans et quatre mois d'emprisonnement pour escroquerie, délit qui portait sur 5 610 150 pesetas, avait nui au renom de la banque et avait entraîné le licenciement de deux autres employés. Elle fondait donc la condamnation sur le paragraphe 7 de l'article 529 du code pénal, estimant qu'il existait une circonstance aggravante renforcée. M. Gea Catalán se pourvut en cassation. Invoquant l'article 24 par. 2 de la Constitution (paragraphe 16 ci-dessous), il se plaignait en substance de s'être vu appliquer la circonstance aggravante prévue au paragraphe 7 de l'article 529, sans qu'il en eût été informé au préalable. A cet égard, il relevait qu'aussi bien le ministère public que la partie civile s'étaient référés dans leurs conclusions uniquement au paragraphe 1 dudit article, incohérence qui avait enfreint ses droits de la défense. Le 7 novembre 1990, le Tribunal suprême (Tribunal Supremo) rejeta le pourvoi: la discordance dénoncée par M. Gea Catalán provenait simplement d'une erreur matérielle, facile à comprendre et à corriger par l'emploi des règles de la logique et du bon sens, tant il aurait été absurde d'appliquer aux faits en cause le paragraphe 1 de l'article 529. Le requérant saisit le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) d'un recours d'amparo en alléguant la violation des droits de la défense. Ledit recours fut rejeté le 6 mai 1991 comme dépourvu de contenu constitutionnel: l'inversion dactylographique consistant à faire référence au paragraphe 1 de l'article 529 au lieu du paragraphe 7 ne modifiait ni le chef d'accusation ni les faits incriminés, de sorte que l'erreur matérielle ainsi produite n'avait aucune incidence sur les droits de la défense. II. Le droit interne pertinent La Constitution Aux termes de l'article 24 de la Constitution, "1. Toute personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l'exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu'en aucun cas elle puisse être mise dans l'impossibilité de se défendre. De même, toute personne a le droit d'être entendue par le juge de droit commun prédéterminé par la loi, de se défendre et de se faire assister par un avocat, d'être informée de l'accusation portée contre elle, de bénéficier d'un procès public sans délais indus et avec toutes les garanties, d'utiliser les preuves nécessaires à sa défense, de ne pas faire de déclaration contre elle-même, de ne pas s'avouer coupable et d'être présumée innocente. (...)" Le code pénal Deux dispositions du code pénal entrent en ligne de compte dans la présente affaire: Article 528 "Se rend coupable d'escroquerie quiconque recourt, dans un esprit de lucre, à des manoeuvres frauduleuses pour induire autrui en erreur, l'amenant ainsi à réaliser un acte de disposition préjudiciable à lui-même ou à un tiers. Le coupable sera puni d'une peine d'emprisonnement (arresto mayor) [d'un mois et un jour à six mois] si le montant escroqué dépasse 30 000 pesetas. Lorsque sont retenues deux ou plusieurs des circonstances aggravantes prévues à l'article suivant ou une circonstance aggravante renforcée, la peine sera celle de l'emprisonnement (prisión menor) [de six mois et un jour à six ans] (...) Lorsque n'est retenue qu'une seule des circonstances de l'article suivant, la peine prononcée le sera dans son degré de sévérité le plus élevé(grado máximo) [de quatre mois et un jour à six mois]." Article 529 "Sont considérés comme circonstances aggravantes aux fins de l'application de l'article précédent: Le fait de perpétrer l'escroquerie en modifiant la nature, la qualité ou la quantité de biens de première nécessité, d'habitations ou de tout autre bien d'utilité sociale reconnue. (...) La gravité spéciale de l'escroquerie eu égard au montant escroqué." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Gea Catalán a saisi la Commission le 14 octobre 1991. Invoquant l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention, il se plaignait de n'avoir pas été informé d'un élément de l'accusation portée contre lui. Il affirmait aussi que sa cause n'avait pas été entendue équitablement et dans un délai raisonnable et qu'il y avait eu méconnaissance de la présomption d'innocence et de l'interdiction de l'emprisonnement pour dette (articles 6 paras. 1 et 2 de la Convention et 1 du Protocole n° 4) (art. 6-1, art. 6-2, P4-1). Le 30 mars 1993, la Commission a retenu le premier grief et déclaré la requête (n° 19160/91) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 30 novembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 3 a) (art. 6-3-a). Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 309 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe de la Cour. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Lors de l'audience, le Gouvernement a invité la Cour à classer l'affaire en raison du désistement implicite du requérant et, subsidiairement, à déclarer que les faits de l'espèce "ne sauraient constituer une violation de la Convention européenne".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Inspecteur du service des permis de conduire, M. G. fut inculpé le 14 décembre 1980 de corruption passive pour avoir délivré des permis de conduire moyennant le versement d'une somme d'argent (article 177 du code pénal, paragraphe 12 ci-dessous). En cours d'information et à la suite de réquisitions supplétives, le juge d'instruction l'inculpa de "corruption passive par sollicitation de relations sexuelles" ainsi que d'attentat à la pudeur avec violence ou contrainte (paragraphe 13 ci-dessous) sur la personne de P., candidate au permis de conduire. Il se fondait, quant au second point, sur l'article 333 du code pénal tel qu'il résultait de la loi du 23 décembre 1980 (paragraphe 14 ci-dessous). Il lui reprochait plus particulièrement d'avoir imposé, le 14 novembre 1980, des actes de sodomie à une jeune femme atteinte d'un léger retard mental. A l'époque de leur accomplissement, les actes en question tombaient sous la qualification d'attentat à la pudeur et non de viol. Le 18 novembre 1982, le tribunal correctionnel de Rennes le condamna à la peine de cinq ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis, pour corruption passive par citoyen chargé d'un ministère de service public et attentats à la pudeur commis avec violence ou contrainte par personne ayant autorité. Ce faisant, le tribunal appliqua la loi du 23 décembre 1980 (paragraphe 14 ci-dessous). La cour d'appel de Rennes confirma le jugement par un arrêt du 14 novembre 1983. La Cour de cassation cassa ce dernier le 26 février 1985 pour défaut de réponse aux exceptions de nullité soulevées, et renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'Angers. Par un arrêt du 22 janvier 1987, la juridiction de renvoi rejeta lesdites exceptions. Ecartant la prévention de corruption passive par sollicitation de relations sexuelles, elle déclara le requérant coupable de corruption passive par remise de fonds ainsi que d'attentats à la pudeur avec contrainte et abus d'autorité sur la personne de P. Réformant la peine, elle condamna M. G. à trois ans d'emprisonnement en faisant application de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, entrée en vigueur postérieurement à l'accomplissement des faits (paragraphe 14 ci-dessous). Le requérant saisit à nouveau la Cour de cassation. Le quatrième et dernier moyen de son pourvoi était ainsi libellé: "Violation des articles 7 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 4, 332 et 333 du code pénal dans leur rédaction applicable aux faits, et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale; En ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'attentat à la pudeur sur la personne de P. le 14 novembre 1980; (...) Alors que, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, aucune disposition du code pénal ne réprimait l'attentat à la pudeur commis avec contrainte, dès lors qu'aucune violence n'avait été exercée contre la personne, objet de cette contrainte; que nul ne pouvant être déclaré coupable de faits qui n'étaient pas constitués en infraction par la loi avant qu'ils fussent commis, les faits d'attentat à la pudeur avec contrainte reprochés à l'exposant n'étaient, à la date des faits, constitutifs d'aucune infraction pénale ni l'état de déficience mentale de la `victime' une circonstance aggravante de ce crime, et ne pouvaient être réprimés à ce titre; qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé le principe de la légalité des délits et des peines." Le 25 janvier 1989, la Cour de cassation repoussa le pourvoi. Elle rejeta ledit moyen par les motifs ci-après: "attendu que la déclaration de culpabilité sur [le] chef de prévention [de corruption passive] justifie la peine prononcée; qu'il n'y a pas lieu, dès lors, en application des dispositions de l'article 598 du code de procédure pénale [paragraphe 15 ci-dessous], de statuer sur le quatrième moyen de cassation présenté par le demandeur." II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La corruption des fonctionnaires publics L'article 177 1° du code pénal dispose: "Sera puni d'un emprisonnement de deux à dix ans et d'une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 1 500 F, quiconque aura sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour: 1° Etant investi d'un mandat électif, fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, militaire ou assimilé, agent ou préposé d'une administration publique ou d'une administration placée sous le contrôle de la puissance publique, ou citoyen chargé d'un ministère de service public, faire ou s'abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire." B. Les attentats aux moeurs Le régime applicable à l'époque des faits Le code pénal comprenait les règles suivantes: Article 331 "Tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur la personne d'un enfant de l'un et l'autre sexe âgé de moins de quinze ans sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans. Sera puni de la même peine, l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d'un mineur, même âgé de plus de quinze ans, mais non émancipé par le mariage. Sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précèdent ou par les articles 332 et 333 du présent code, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 60 F à 15 000 F quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans." Article 332 "Quiconque aura commis le crime de viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans. Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans. Quiconque aura commis un attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans. Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant au-dessous de l'âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans." Article 333 "Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l'attentat, s'ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable, quel qu'il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans dans le cas prévu par le paragraphe premier de l'article 331, et de la réclusion criminelle à perpétuité dans les cas prévus par l'article précédent." Les notions de viol et attentats à la pudeur n'étant pas définies par la loi, la jurisprudence en a précisé les contours. Elle a ainsi assimilé la contrainte ou violence morale à la violence physique. En conséquence, les infractions se trouvaient constituées dès lors qu'elles avaient été commises en l'absence du consentement de la victime (arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 juillet 1838, Bulletin n° 191, du 27 septembre 1860, Bulletin n° 219, du 25 juin 1857, Bulletin n° 240, du 27 décembre 1883, Bulletin n° 295, du 17 novembre 1960, Bulletin n° 528). Le régime ultérieur Modifiés par la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980, entrée en vigueur le 24 décembre 1980, les articles 332 et 333 du code pénal sont désormais libellés comme suit: Article 332 "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise, constitue un viol. Le viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans. Toutefois, le viol sera puni de la réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans lorsqu'il aura été commis soit sur une personne particulièrement vulnérable en raison d'un état de grossesse, d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale, soit sur un mineur de quinze ans, soit sous la menace d'une arme, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle ou encore par une personne qui a abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions." Article 333 "Tout autre attentat à la pudeur commis ou tenté avec violence, contrainte ou surprise sur une personne autre qu'un mineur de quinze ans sera puni d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d'une amende de 6 000 F à 60 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement. Toutefois, l'attentat à la pudeur défini à l'alinéa premier sera puni d'un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d'une amende de 12 000 F à 120 000 F ou de l'une de ces deux peines seulement lorsqu'il aura été commis ou tenté soit sur une personne particulièrement vulnérable en raison d'une maladie, d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale ou d'un état de grossesse, soit sous la menace d'une arme, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit encore par une personne qui a abusé de l'autorité que lui confèrent ses fonctions." La loi nouvelle a correctionnalisé l'infraction d'attentat à la pudeur, auparavant qualifiée de crime. C. Le non-cumul des peines Le code pénal dispose en son article 5 qu'"en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte est seule prononcée". Ce principe du non-cumul des peines sert en partie de fondement à la théorie de la peine justifiée consacrée par l'article 598 du code de procédure pénale, ainsi rédigé: "Lorsque la peine prononcée est la même que celle portée par la loi qui s'applique à l'infraction, nul ne peut demander l'annulation de l'arrêt sous le prétexte qu'il y aurait erreur dans la citation du texte de la loi." Ainsi, la Cour de cassation déclare justifié le dispositif d'un arrêt de condamnation lorsque la peine prononcée est identique à celle que le juge du fond aurait fixée si l'erreur de qualification n'avait pas été commise. En cas de condamnation pour plusieurs infractions, elle n'examine pas le moyen tiré de l'erreur et dirigé contre l'une des infractions si la peine prononcée est justifiée par les autres infractions (arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 1890, Bulletin n° 196, du 30 octobre 1925, Recueil Dalloz 1926, p. 6, du 25 mars 1927, Recueil Dalloz 1927, p. 287, du 7 novembre 1931, Recueil Dalloz 1931, p. 559). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. G. a saisi la Commission le 19 juillet 1989 (requête n° 15312/89). Il alléguait que sa condamnation pour un acte qui, lors de son accomplissement, ne constituait pas une infraction selon le droit en vigueur enfreignait l'article 7 (art. 7) de la Convention. Il se plaignait aussi d'une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, au motif que la Cour de cassation avait rejeté le moyen déduit du non-respect du principe de la légalité des délits et des peines, en application de la "théorie de la peine justifiée". Le 5 mai 1993, La Commission a retenu le premier grief et déclaré le second irrecevable. Dans son rapport du 29 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 (art. 7). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour "de juger, conformément à l'avis émis par la Commission dans son rapport du 29 juin 1994, que le grief tiré de la violation de l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention n'est pas fondé, la condamnation du requérant n'ayant pas été prononcée au mépris du principe de la légalité des délits et des peines".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le 5 avril 1986, M. Harald Pfarrmeier fit l'objet d'un contrôle par la gendarmerie alors qu'il avait stationné son véhicule au bord de la route, feux et moteur allumés. Il refusa de se soumettre à l'alcootest. Par une "décision pénale" (Straferkenntnis) du 11 juin 1987, l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de Bregenz le condamna au paiement d'une amende de 9 000 schillings autrichiens (ATS), assortie d'une peine de 360 heures d'emprisonnement à défaut de paiement, pour non-respect de l'article 99 par. 1 b) combiné avec l'article 5 par. 2 du code de la route (Straßenverkehrsordnung - paragraphes 13 et 14 ci-dessous). Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Vorarlberg, qui le débouta le 11 novembre 1987. Le 7 janvier 1988, l'intéressé saisit la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). Il dénonçait notamment l'illégalité de la décision incriminée, ainsi qu'une violation des règles de procédure. Le 23 mars 1988, la Cour administrative annula la décision du gouvernement du Land (article 42 par. 2, alinéas 1 et 3, de la loi sur la Cour administrative - Verwaltungsgerichtshofsgesetz - paragraphe 21 ci-dessous) et lui renvoya l'affaire. Le gouvernement du Land de Vorarlberg, statuant une seconde fois le 23 décembre 1988, confirma la décision rendue par l'administration du district de Bregenz sur la question de la culpabilité, mais réduisit l'amende à 5 000 ATS et la peine subsidiaire à 200 heures d'emprisonnement. Le 10 février 1989, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Il dénonçait une violation du droit de propriété, du principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi, ainsi que du droit à une "procédure équitable" en matière pénale au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Le 10 mars 1989, à l'issue d'un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 17 ci-dessous): eu égard à sa jurisprudence relative à la portée de la réserve autrichienne à l'article 5 (art. 5) de la Convention, il était dénué de chances suffisantes de succès; de plus, l'affaire n'échappait pas à la compétence de la Cour administrative. A la demande de M. Pfarrmeier, elle déféra la requête à la Cour administrative le 24 avril 1989. Reprenant en substance les arguments qu'il avait développés devant la Cour constitutionnelle, le requérant se plaignait notamment d'une mauvaise appréciation des preuves par l'autorité administrative concernée. La Cour administrative statua une seconde fois et rejeta le recours, après une procédure purement écrite; le requérant ne l'avait pas invitée à tenir une audience. Elle se fonda sur les motifs suivants: "Toutefois, eu égard au pouvoir de contrôle restreint qui est le sien dans le cadre d'une procédure relative à un recours dirigé contre un acte administratif, il n'appartient pas à la Cour administrative de vérifier si l'appréciation des preuves effectuée dans un cas concret est correcte, en ce sens par exemple que c'est l'exposé des faits défavorable au requérant qui est conforme à la réalité et non sa contestation (décision rendue par une chambre "renforcée" le 3 octobre 1985, Zl. 85/02/0053). En conséquence, est inopérant le grief du requérant d'après lequel il n'aurait pas parlé à l'agent verbalisateur d'une nuit de beuverie. (...) L'autorité mise en cause pouvait, sans enfreindre l'exigence du caractère concluant de l'appréciation des preuves, tirer des faits établis mentionnés ci-dessus la conclusion que des circonstances objectives - et pas seulement le sentiment subjectif de l'agent verbalisateur - avaient pu faire soupçonner un état d'ébriété. (...) En ce qui concerne la doléance du requérant d'après laquelle on n'aurait pas permis à son avocat d'interroger le témoin Widlroither devant l'autorité, il est renvoyé à la jurisprudence constante de la Cour administrative selon laquelle ni la tenue d'une audience ni la possibilité d'interroger des témoins ne constituent des composantes indispensables d'une procédure pénale régulière en matière administrative (comparer la décision du 13 juin 1986, Zl. 86/18/0065, et celle du 19 février 1987, Zl. 86/02/0159). Quant à la prétendue inconstitutionnalité de la réserve de la République d'Autriche à l'article 5 de la CEDH, il est renvoyé à la décision rendue par une chambre "renforcée" le 8 mai 1987, Slg. N.F. n° 12.466/A. La requête n'étant pas parvenue à démontrer l'illégalité par elle alléguée de la décision attaquée, elle devait être rejetée pour défaut de fondement, en vertu de l'article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative. (...)" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation sur la circulation routière L'article 5 du code de la route de 1960 interdit la conduite d'un véhicule à toute personne ayant un taux d'alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 g/l dans le sang ou à 0,4 mg/l dans l'air expiré; il définit en outre les conditions d'utilisation des alcootests et des tests sanguins. Dans sa version de 1971, l'article 99 par. 1 dudit code disposait: "Commet une contravention administrative (Verwaltungsübertretung) passible d'une amende de 5 000 à 30 000 schillings ou, à défaut de paiement, d'un emprisonnement de une à six semaines, quiconque: (...) b) refuse de se soumettre à l'alcootest, alors que les conditions prévues à l'article 5 sont réunies. (...)" En 1958, à l'époque de la ratification de la Convention par le gouvernement autrichien (paragraphe 25 ci-dessous), l'article 7 de la loi de 1947 sur la police de la circulation (Straßenpolizeigesetz) prévoyait que "toute personne a l'obligation de conduire en prêtant une attention raisonnable aux autres usagers de la route et en faisant preuve du soin et de l'application nécessaires au maintien de l'ordre, de la sécurité et de la bonne circulation routière". B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. L'article 39 par. 1 de la loi sur la Cour administrative dispose qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pfarrmeier a saisi la Commission le 13 juin 1990. Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal doté de la plénitude de juridiction et de n'avoir pu interroger des témoins. Le 10 mai 1993, la Commission a retenu la requête (n° 16841/90). Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne l'accès à un tribunal (unanimité) et estime qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d'audience (unanimité), ni sur celui de l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) quant à l'absence de possibilité d'interroger des témoins. Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent rapport . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article (art. 6) au cours de la procédure administrative pénale litigieuse".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Respectivement avocat et professeur d'université, Me Spadea et Mme Scalabrino habitent Milan. En avril 1982, ils achetèrent, dans le but d'en faire leur habitation, deux appartements contigus. L'ancien propriétaire les avait donnés en location à Mme B. et Mme Z., lesquelles payaient un loyer soumis au contrôle des pouvoirs publics. Par un acte notifié le 13 octobre 1982, les requérants donnèrent congé aux locataires des biens en question, en les sommant de quitter les lieux à l'échéance des baux, le 31 décembre 1983, et les assignèrent devant le juge d'instance (pretore) de Milan. Les 22 décembre 1982 et 13 janvier 1983, ce dernier homologua l'injonction et fixa la date de l'expulsion au 31 décembre 1984. Les décisions furent rendues exécutoires les 22 décembre 1982 et 19 janvier 1983. Par application du décret-loi n° 12 du 7 février 1985, converti en la loi n° 118 du 5 avril 1985 ("la loi n° 118"), le juge d'instance suspendit l'exécution des mesures d'expulsion jusqu'au 30 janvier 1986. Le 14 mars 1986, Me Spadea et Mme Scalabrino engagèrent la procédure d'exécution des décisions d'expulsion, les locataires ne s'y étant pas encore conformées. Cependant, l'huissier de justice chargé de l'exécution se heurta à trois reprises - les 9 juin, 9 septembre et 10 octobre 1986 - au refus de Mmes B. et Z. de libérer les appartements. Celles-ci, des personnes âgées aux revenus modestes, avaient en effet demandé à la municipalité de Milan l'attribution d'une habitation à loyer modéré. Le décret-loi n° 708 du 29 octobre 1986, converti en la loi n° 899 du 23 décembre 1986, suspendit l'exécution des mesures d'expulsion jusqu'au 31 mars 1987: à compter de cette date et jusqu'au 31 mars 1988, seul le préfet (prefetto) pouvait, dans certains cas, faire exécuter lesdites mesures avec l'assistance de la force publique. Les 14 mai, 15 juin, 22 septembre, 9 novembre, 10 décembre 1987 et 14 janvier 1988, l'huissier de justice tenta en vain de procéder à l'exécution litigieuse. A partir du 8 février 1988, l'exécution des mesures d'expulsion fut une nouvelle fois suspendue, d'abord jusqu'au 31 décembre 1988 par le décret-loi n° 26 du même jour, converti en la loi n° 108 du 8 avril 1988, puis jusqu'au 30 avril 1989 par le décret-loi n° 551 du 30 décembre 1988, converti en la loi n° 61 du 21 février 1989. En août 1988, Mme Z. décéda et les requérants entrèrent en possession de l'un des appartements. Le second fut libéré par Mme B. en février 1989. Entre-temps, le 22 février 1988, Me Spadea et Mme Scalabrino avaient dû acheter un autre logement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Sur la base du rapport de la Commission, la législation italienne en matière de baux d'habitation peut se résumer ainsi: Depuis 1947, la législation en question a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, visant le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le Gouvernement, ainsi que la prorogation légale de tous les baux en cours et la prorogation, la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En matière de prorogation légale La dernière prorogation légale concernant tous les baux en cours, sauf dans certains cas limitativement prévus par la loi, est celle établie par la loi n° 392 du 27 juillet 1978 jusqu'au 31 décembre 1982, 30 juin 1983 ou 31 décembre 1983 selon les dates de conclusion des contrats de bail. Il y a lieu de noter cependant que, en ce qui concerne les immeubles destinés à un usage autre que l'habitation, la prorogation légale des baux en cours prévue par l'article 1 par. 9 bis de la loi n° 118 du 5 avril 1985 a été déclarée inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour constitutionnelle (n° 108) du 23 avril 1986: les limites légales au droit de propriété, prévues par l'article 42 de la Constitution afin d'assurer les finalités sociales de celle-ci, permettaient de considérer légitime la réglementation imposant des restrictions, à condition que cette réglementation ait un caractère extraordinaire et temporaire, mais le fait de perpétuer de telles limitations était incompatible avec la protection du droit de propriété consacrée à l'article 42 de la Constitution. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a rappelé également que la prorogation légale des baux pour une durée de six mois, établie par la loi n° 118, ne pouvait être considérée isolément, mais dans le contexte de la réglementation d'ensemble des baux. Elle s'est référée notamment au fait que cette prorogation prenait le relais d'autres prorogations légales et pouvait être un point de départ à de nouvelles limitations à l'autonomie contractuelle en la matière. De surcroît, la mesure perpétuait des contrats pour lesquels le loyer, nonobstant les augmentations applicables conformément à l'indice des prix à la consommation, n'était même pas approximativement en rapport avec la nouvelle réalité socio-économique. De plus, cette législation n'accordait au bailleur la possibilité de rentrer en possession de l'immeuble qu'en cas d'extrême nécessité. La Cour a également estimé que la loi n° 118, dans la mesure où elle prévoyait une prorogation généralisée des baux en cours sans tenir compte des différentes conditions économiques des bailleurs et locataires, ce qui aurait pourtant été nécessaire à des fins de justice sociale, contrevenait au principe de l'égalité des citoyens devant la loi, reconnu par l'article 3 de la Constitution. En matière d'exécution forcée De nombreuses dispositions ont réglementé la prorogation, la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des décisions judiciaires ordonnant aux locataires de libérer les lieux (ordinanze di sfratto). Une première suspension a été mise en place par le décret-loi n° 795 du 1er décembre 1984. Ses dispositions ont été reprises par le décret-loi n° 12 du 7 février 1985, converti en la loi n° 118 du 5 avril 1985. Elle concerne la période du 1er décembre 1984 au 30 juin 1985. Par ailleurs, ces textes prévoyaient l'échelonnement de l'exécution forcée des mesures d'expulsion, aux 1er juillet 1985, 30 septembre 1985, 30 novembre 1985 ou 31 janvier 1986, suivant la date à laquelle le jugement constatant la fin du bail était devenu exécutoire. L'article 1 par. 3 de la loi n° 118 prévoyait qu'une telle suspension ne s'appliquait pas lorsque la libération des lieux avait été ordonnée en raison de retards dans le paiement des loyers. De même, aucune suspension ne pouvait être décidée dans les cas suivants: a) lorsque le bailleur, après la conclusion du contrat de bail, se trouvait dans le besoin d'affecter l'immeuble à son usage propre ou à celui de son conjoint ou de ses descendants en ligne directe jusqu'au second degré, soit à titre d'habitation, soit à titre commercial ou professionnel, ou bien quand le bailleur qui avait l'intention d'utiliser les locaux comme prévu ci-dessus offrait, d'une part, à son locataire un immeuble similaire, dont le loyer ne dépassant pas de 20 % celui payé était compatible avec ses possibilités et, d'autre part, s'engageait à payer les frais de déménagement de son locataire (article 59, premier alinéa, numéros 1, 2, 7, 8, de la loi n° 392 du 27 juillet 1978 ("la loi n° 392")); b) dans l'hypothèse notamment où le bailleur avait un besoin urgent de récupérer son appartement pour y habiter lui-même ou y loger ses enfants ou ses ascendants (article 3, premier alinéa, numéros 1, 2, 4, 5, du décret-loi n° 629 du 15 décembre 1979, converti en la loi n° 25 du 15 février 1980 ("la loi n° 25")). Une deuxième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 708 du 29 octobre 1986, converti en la loi n° 899 du 23 décembre 1986. Elle concernait la période du 29 octobre 1986 au 31 mars 1987 et prévoyait aux articles 2 et 3 les mêmes exceptions que les dispositions précédentes. Cette loi a également établi qu'il appartenait au préfet de déterminer les critères à suivre pour accorder le concours de la force publique en vue de procéder à l'exécution forcée dans le cas de locataires récalcitrants, sur avis d'une commission comprenant les représentants des locataires et propriétaires. Le paragraphe 5 bis de l'article 3 de la loi n° 899 du 23 décembre 1986 prévoyait aussi que l'exécution forcée des expulsions était en tout cas suspendue jusqu'au 31 décembre 1987 à l'égard des locataires ayant droit à l'attribution d'un logement social. Une troisième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 26 du 8 février 1988, converti en la loi n° 108 du 8 avril 1988. Elle concerne la période du 8 février 1988 au 30 septembre 1988 tout d'abord, puis de cette dernière date au 31 décembre 1988. Une quatrième suspension a été mise en place par le décret-loi n° 551 du 30 décembre 1988, converti en la loi n° 61 du 21 février 1989, jusqu'au 30 avril 1989. Dans les régions touchées par des calamités naturelles la suspension allait jusqu'au 31 décembre 1989. Cette loi prévoyait également, sauf en cas de nécessité, l'échelonnement de l'octroi du concours de la force publique pour l'exécution des expulsions sur une période de quarante-huit mois, à compter du 1er janvier 1990, et créait une commission préfectorale chargée de fixer les priorités dans l'octroi du concours de la force publique. L'ensemble de ces lois et décrets contenait de surcroît des dispositions concernant le financement de logements sociaux et les aides au logement. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Me Spadea et Mme Scalabrino ont saisi la Commission le 15 avril 1987. Ils se plaignaient: a) d'une atteinte injustifiée à leur droit de propriété (article 1 du Protocole n° 1) (P1-1); b) de ce que l'application de la législation en question avait entraîné une discrimination entre propriétaires d'immeubles à usage d'habitation et locataires, ainsi qu'entre les premiers et les propriétaires d'immeubles destinés à d'autres usages (articles 14 de la Convention et 1 du Protocole n° 1, combinés) (art. 14+P1-1); c) de l'absence de tout contrôle répondant aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention quant à l'exercice par le préfet de son pouvoir discrétionnaire entre le 31 mars 1987 et le 8 février 1988. La Commission a déclaré la requête (n° 12868/87) recevable le 5 avril 1993 quant aux deux premiers griefs et a rejeté, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré du non-respect de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Dans son rapport du 9 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut qu'il n'y a eu violation ni de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (vingt et une voix contre deux), ni de l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 1 du Protocole n° 1 (art. 14+P1-1) (vingt-deux voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, à titre subsidiaire, de juger qu'il n'y a eu infraction ni de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) ni de l'article 14 (art. 14) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, ressortissant britannique, est né en 1952 et habite Leicester. Il se maria le 11 août 1984. De cette union naquit un fils, en 1985. Le 11 novembre 1987, les époux se séparèrent mais se réconcilièrent environ deux semaines plus tard. Le 21 octobre 1989, en raison de nouveaux problèmes du couple, l’épouse quitta le foyer conjugal avec l’enfant et revint vivre chez ses parents. Elle avait déjà, à cette époque, consulté des avocats au sujet de ses déboires conjugaux et avait laissé au requérant une lettre lui indiquant qu’elle projetait de demander le divorce. Elle n’avait toutefois engagé aucune procédure avant que ne se produisît l’événement qui donna lieu à des poursuites pénales. Le 23 octobre 1989, le requérant avait eu une conversation téléphonique avec son épouse, lui annonçant qu’il était également dans ses intentions de "faire des démarches en vue d’un divorce". Peu avant 21 heures, le 12 novembre 1989, vingt-deux jours après que l’épouse fut retournée vivre chez ses parents, et alors que ceux-ci étaient absents, le requérant s’introduisit de force à leur domicile et tenta d’abuser de sa femme. Durant cette tentative, il la brutalisa, notamment en lui serrant le cou des deux mains. L’intéressé fut inculpé de tentative de viol ainsi que de coups et blessures. Lors de son procès devant la Crown Court de Leicester, le 30 juillet 1990, il allégua que le chef d’inculpation de viol était inconnu en droit, du fait qu’il était l’époux de la prétendue victime. Il se fondait sur la thèse exposée par Sir Matthew Hale, Chief Justice, dans son ouvrage History of the Pleas of the Crown, publié en 1736: "Mais l’époux ne peut être coupable d’un viol commis par lui-même sur sa femme légitime, car de par leur consentement et leur contrat de mariage, l’épouse s’est livrée à son époux, et elle ne peut se rétracter." Dans son jugement (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 747), le juge Owen releva qu’il s’agissait là d’une affirmation faite en termes généraux à une époque où le mariage était indissoluble. Le juge Hale avait exposé la common law telle qu’elle lui apparaissait à ce moment-là, et ce dans un ouvrage et non en se référant à un ensemble particulier de circonstances dont il aurait eu à connaître dans le cadre d’une procédure. Cette déclaration sans ambages se trouvait reproduite dans la première édition de Archbold on Criminal Pleadings, Evidence and Practice (1822, p. 259), dans les termes suivants: "Un mari ne peut pas davantage se rendre coupable du viol de sa femme." Le juge Owen examina en outre plusieurs décisions judiciaires (R. v. Clarence, Queen’s Bench Division 1888, vol. 22, p. 23, et All England Law Reports 1886-1890, p. 113; R. v. Clarke, All England Law Reports 1949, vol. 2, p. 448; R. v. Miller, All England Law Reports 1954, vol. 2, p. 529; R. v. Reid, All England Law Reports 1972, vol. 2, p. 1350; R. v. O’Brien, All England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663; R. v. Steele, Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22; R. v. Roberts, Criminal Law Reports 1986, p. 188; paragraphes 19-22 ci-dessous), reconnaissant qu’en se mariant une femme consent tacitement à avoir des rapports sexuels avec son mari et que ledit consentement peut être révoqué sous certaines conditions. Il ajouta: "On m’invite à admettre que le consentement tacite de l’épouse à des relations sexuelles avec son mari doit se présumer; je n’ai pas de mal à en convenir. Je trouve en revanche difficile de (...) croire que la common law ait jamais voulu qu’un mari puisse avoir le droit de battre sa femme pour l’obliger à avoir des relations sexuelles. (...) S’il en était ainsi, ce serait une bien triste observation sur la loi et sur les juges censés en être les gardiens. Je dois néanmoins admettre qu’il existe bien quant aux relations sexuelles un consentement tacite qui me commande de rechercher si l’accusé en l’espèce peut être reconnu coupable de viol." Quant aux circonstances qui suffiraient en droit pour révoquer ce consentement, le juge Owen nota qu’il peut être mis fin à celui-ci, d’abord par une décision judiciaire ou un équivalent. En second lieu, releva-t-il, il ressortait de l’arrêt de la Court of Appeal dans l’affaire R. v. Steele (Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22) que le consentement tacite pouvait être retiré par accord entre les parties. Cet accord pouvait assurément être implicite; rien dans la jurisprudence ne donnait à penser le contraire. Enfin, selon lui, la common law reconnaissait que la rupture de la vie commune par l’une ou l’autre partie, assortie d’un signe clair qu’il n’y avait plus consentement aux relations sexuelles, reviendrait à révoquer tacitement ledit consentement. Il concluait que les deuxième et troisième exceptions à la dérogation, dans le mariage, aux poursuites pour viol s’appliquaient en l’occurrence. A la suite de cette décision du juge, le requérant plaida coupable de tentative de viol et d’atteinte à l’intégrité physique. Il fut condamné à trois ans d’emprisonnement. Il interjeta appel devant la Court of Appeal, (chambre criminelle), au motif que le juge Owen avait fait une erreur de droit en estimant qu’un homme peut violer sa femme alors que le consentement aux rapports sexuels donné par l’épouse en se mariant n’a été révoqué ni par une ordonnance judiciaire ni par un accord entre les parties. Le 14 mars 1991, la Court of Appeal (chambre criminelle) (Lord Lane, président, et Sir Stephen Brown P., Watkins, Neill et Russell, juges) écarta le recours à l’unanimité (All England Law Reports 1991, vol. 2, p. 257). Lord Lane nota que le principe énoncé par Sir Matthew Hale dans son History of the Pleas of the Crown (1736) (paragraphe 11 ci-dessus) - un homme ne peut violer sa femme - passait en général pour bien refléter la common law à l’époque. Par ailleurs, Lord Lane procéda à une analyse des décisions judiciaires antérieures; il en ressort que dans l’affaire R. v. Clarence (1888), la première de ce genre publiée, certains magistrats de la Court for Crown Cases Reserved s’étaient élevés contre le principe. Dans l’affaire publiée suivante, R. v. Clarke (1949), le juge du fond s’était écarté du principe: il avait estimé que le mari ne pouvait exciper de son immunité dans le cas où une décision de justice avait dégagé l’épouse de l’obligation de vie commune. Presque toutes les décisions ultérieures ménagèrent d’importantes exceptions à l’immunité conjugale (paragraphe 22 ci-dessous). Dans R. v. Steele (1976), la Court of Appeal avait admis qu’un accord pouvait mettre fin au consentement tacite aux rapports sexuels. Ce qu’elle confirma dans R. v. Roberts (1986) où elle dit que l’absence d’une clause de non-molestation dans un acte de séparation conclu à l’expiration d’une ordonnance de non-molestation, ne ressuscitait pas le consentement auxdits rapports. Lord Lane ajouta: "Depuis la décision du juge Byrne dans R. v. Clarke en 1949, les tribunaux paraissent souscrire en apparence à la thèse du juge Hale, mais dans le même temps multiplient les exceptions, les situations dans lesquelles elle ne s’applique pas. C’est là faire un usage légitime de la souplesse de la common law, qui peut et doit s’adapter à l’évolution de la société. Vient un moment où les changements sont si grands qu’il ne suffit plus d’énoncer de nouvelles exceptions restreignant l’effet de cette thèse, un moment où celle-ci commande elle-même d’examiner si ses termes concordent avec ce que l’on tient aujourd’hui généralement pour une conduite acceptable. (...) Il nous apparaît que lorsque la règle de la common law ne représente plus en rien la véritable position d’une épouse dans la société d’aujourd’hui, le tribunal a le devoir de prendre des mesures pour modifier la règle s’il peut légitimement le faire, eu égard aux dispositions pertinentes adoptées par le parlement. Ce qui revient pour finir à envisager le terme "illégitime" dans la loi de 1976." Lord Lane examina alors d’un oeil critique les différents courants d’interprétation de l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 dans la jurisprudence, notamment l’argument d’après lequel le terme "illégitime" (paragraphe 17 ci-dessous) excluait du viol les rapports sexuels dans le mariage. Il conclut: "(...) [N]ous n’estimons pas que la loi de 1976 nous empêche de dire que l’immunité dont jouissait l’époux selon le juge Hale n’a plus cours. Nous estimons que le moment est venu pour la loi de déclarer qu’un violeur demeure un violeur, relevant du droit pénal, quelles que soient ses relations avec sa victime." La Court of Appeal autorisa le condamné à saisir la Chambre des lords. Celle-ci confirma à l’unanimité l’arrêt de la Court of Appeal le 23 octobre 1991 (All England Law Reports 1991, vol. 4, p. 481). Lord Keith of Kinkel, rejoint par Lord Brandon of Oakbrook, Lord Griffiths, Lord Ackner et Lord Lowry, exposa, entre autres, les motifs suivants: "Durant les 150 et quelques années qui ont suivi la publication de l’ouvrage de Hale, il semble n’y avoir eu aucune affaire publiée dans laquelle sa thèse ait fait l’objet d’un examen judiciaire. La première de ce genre fut la cause R. v. Clarence (Queen’s Bench Division 1888, vol. 22, p. 23, et All England Law Reports 1886-1890, p. 133) (...) L’on pourrait en déduire que cette thèse était généralement considérée comme un exposé fidèle de la common law anglaise. La common law est cependant susceptible d’évoluer, à la lumière des changements sociaux, économiques et culturels. La thèse de Hale reflétait l’air du temps, à l’époque où elle fut énoncée. Depuis, la condition des femmes, et notamment des femmes mariées, a changé du tout au tout, de diverses manières qui nous sont familières et dans le détail desquelles il n’est pas nécessaire d’entrer. Outre les questions patrimoniales et l’existence de recours en matière conjugale, l’un des changements les plus notables est que le mariage est désormais considéré, dans la société contemporaine, comme un partenariat entre pairs et non comme une relation dans laquelle la femme est le bien subalterne du mari. La thèse de Hale impliquait que par le mariage, une femme consentait de manière irrévocable aux relations sexuelles avec son mari, en toutes circonstances et quel que soit son état de santé ou sa disposition d’esprit. De nos jours, toute personne sensée doit considérer cette conception comme totalement inacceptable. (...) La réalité est donc que l’on a dérogé dans une série d’affaires judiciaires à la partie de la thèse de Hale d’après laquelle une femme ne peut rétracter le consentement aux rapports sexuels qu’elle donne en se mariant. Sur le plan des principes, il n’existe pas de raison valable de ne pas tenir pour inapplicable de nos jours l’ensemble de cette thèse. La seule question consiste à savoir si l’article 1 par. 1 de la loi de 1976 représente un obstacle infranchissable à cette attitude raisonnable. L’argument est que le terme "illégitime" figurant dans ce paragraphe signifie "hors mariage". (...) Le fait est que d’avoir des relations sexuelles avec une femme, quelle qu’elle soit, sans son consentement est totalement illégitime, et que l’emploi du terme dans le paragraphe dont il s’agit n’ajoute rien. A mon sens, il n’existe aucun motif rationnel pour donner à ce terme l’interprétation suggérée et on devrait le traiter comme une simple redondance de la législation (...) J’estime donc que l’article 1 par. 1 de la loi de 1976 n’empêche nullement la présente chambre de déclarer que de nos jours, la dérogation conjugale prétendue en matière de viol ne fait pas partie intégrante du droit anglais. La Court of Appeal, chambre criminelle, a adopté une position analogue [en l’occurrence]. Vers la fin de l’arrêt, Lord Lane dit ceci (...): "La question qui demeure, et qui n’est pas moins difficile, est de savoir si, malgré cela, c’est là un domaine où le tribunal doit s’effacer pour laisser place au processus parlementaire. Il ne s’agit pas d’ériger une nouvelle infraction, mais de supprimer une fiction de la common law devenue anachronique et offensante; parvenus à cette conclusion, nous estimons de notre devoir de lui donner les suites qu’elle comporte." J’approuve respectueusement." II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’infraction de viol En common law, l’infraction de viol se définissait traditionnellement comme des rapports sexuels illégitimes avec une femme sans son consentement et obtenus par la force, la peur ou le dol. Aux termes de l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, "le viol d’une femme par un homme constitue un crime". Pour autant qu’il s’applique ici, l’article 1 par. 1 de la loi modificative de 1976 sur les délits sexuels (Sexual Offences (Amendment) Act) est ainsi libellé: "Aux fins de l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels (relatif au viol), commet un viol l’homme qui - a) a des rapports sexuels illégitimes avec une femme non consentante au moment desdits rapports (...)" Le 3 novembre 1994, la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public (Criminal Justice and Public Order Act 1994) a remplacé les dispositions ci-dessus en insérant de nouveaux alinéas à l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, dont l’un a eu pour effet de supprimer le mot "illégitime": "1. 1) Un homme violant une femme ou un autre homme commet une infraction. 2) Un homme commet un viol si - a) il a des rapports sexuels avec une personne (...) non consentante au moment desdits rapports (...)" B. L’immunité conjugale Avant la procédure concernant le requérant, les tribunaux anglais, dans les rares occasions où ils avaient eu à examiner le problème, directement ou indirectement, avaient toujours reconnu au moins une certaine forme d’immunité de l’époux contre toute accusation de viol ou de tentative de viol, en raison de la théorie ou de la fiction du consentement aux relations sexuelles, censé avoir été accordé par l’épouse au moment du mariage. La thèse précitée de Sir Matthew Hale (paragraphe 11 ci-dessus) a été retenue jusqu’à récemment, par exemple dans l’affaire R. v. Kowalski (Criminal Appeal Reports 1987, vol. 86, p. 339), laquelle concernait le point de savoir si une épouse avait ou non tacitement consenti à des actes qui, s’ils lui étaient imposés contre son gré, constitueraient des sévices. Rendant le jugement du tribunal, le juge Ian Kennedy déclara, obiter: "Selon un droit clair, bien établi et ancien, un homme ne peut, en tant qu’auteur, être coupable de viol sur sa femme." Et il ajouta que ce principe "dépendait du consentement tacite aux rapports sexuels, qui découle de l’état de mariage et se poursuit jusqu’à ce que le consentement soit retiré par un jugement provisoire, par une ordonnance de séparation de corps ou, dans certaines circonstances, par un accord de séparation". Dans une autre affaire, R. v. Roberts (Criminal Law Reports 1986, p. 188), Lord Justice O’Connor dit: "L’état de mariage implique que la femme ait consenti à avoir des rapports sexuels avec son mari tant que dure le mariage (...) elle ne peut retirer son consentement unilatéralement." Cependant, le 5 novembre 1990, dans l’affaire R. v. C. (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 755), le juge Simon Brown perçut toute la notion d’immunité conjugale comme une idée fausse: "N’était la conséquence fort fâcheuse d’en arriver à une autre conclusion sur ce point, je m’abstiendrais, quoiqu’à regret, d’adopter cette position radicale sur la véritable situation en droit. Mais je l’adopte. Du point de vue de la logique, je la considère comme la seule défendable, compte tenu de l’évolution du droit et de son état en cette fin de XXe siècle. D’après moi, la position actuelle du droit est celle déjà établie en Ecosse, à savoir qu’il n’existe aucune immunité conjugale en matière de viol. C’est ainsi que je statue." En revanche, le 20 novembre 1990, dans l’affaire R. v. J. (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 759), le juge Rougier défendit la règle générale de la common law, estimant que l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 avait pour effet de maintenir la dérogation conjugale consacrée par la thèse de Hale, sous réserve des exceptions établies par des affaires tranchées avant l’adoption de ladite loi. Il ajouta ceci: "(...) il nous faut étudier ici un principe général important, à savoir que le droit, et particulièrement le droit pénal, devrait être assez clair pour qu’un homme sache où il se situe par rapport à lui. Je n’ai pas suffisamment d’imagination pour supposer que le défendeur en l’espèce a soigneusement étudié les précédents et pris le conseil d’un avocat avant de se comporter comme on le prétend, mais le principe de base dépasse de loin les limites de la présente affaire, et devrait opérer de manière qu’un homme ne puisse être reconnu coupable au moyen de décisions judiciaires a posteriori." Le 15 janvier 1991, dans l’affaire R. v. S., le juge Swinton Thomas suivit le juge Rougier, tout en considérant que les juges pouvaient définir d’autres exceptions. Le juge Rougier comme le juge Swinton Thomas regrettèrent que l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 les empêchât d’adopter la même position que le juge Simon Brown dans R. v. C. Dans son document de travail 116, Rape within Marriage (Le viol au sein du mariage), achevé le 17 septembre 1990, la Law Commission déclara: "2.8 Il est généralement admis que, sous réserve d’exceptions (considérées ci-dessous (...)), un mari ne peut être reconnu coupable du viol de sa femme (...). Il semble en effet qu’avant 1949, il n’y ait eu aucun cas de poursuites engagées contre un mari pour le viol de sa femme (...) (...) 11 L’immunité a donné naissance à une jurisprudence importante sur les affaires particulières dans lesquelles la dérogation ne s’applique pas. Les limites de cette loi sont difficiles à déterminer avec certitude. Une grande partie repose sur des décisions de première instance qui n’ont jamais été totalement contrôlées en appel (...)" La Law Commission a défini les exceptions suivantes à l’immunité d’un époux: - une décision judiciaire a été rendue, en particulier: a) une injonction du tribunal dispose qu’une épouse n’est plus tenue de cohabiter avec son mari (R. v. Clarke, Criminal Appeal Reports 1949, vol. 33, p. 216); b) il y a eu jugement de séparation de corps ou un jugement provisoire de divorce au motif qu’"entre le prononcé du jugement provisoire et l’obtention d’une décision définitive, un mariage subsiste simplement en théorie" (R. v. O’Brien, All England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663); c) un tribunal a rendu une ordonnance faisant interdiction au mari de molester sa femme, ou le mari s’est engagé auprès du tribunal à ne pas la molester (R. v. Steele, Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22); d) dans l’affaire R. v. Roberts (Criminal Law Reports 1986, p. 188), la Court of Appeal a conclu que lorsqu’une ordonnance de non-molestation de deux mois avait été rendue en faveur de l’épouse, le consentement présumé de celle-ci n’était pas rétabli à échéance de l’ordonnance; - aucune décision judiciaire n’a été rendue: e) le juge Lynskey releva, obiter, dans l’affaire R. v. Miller (Queen’s Bench Division 1954, vol. 2, p. 282), que le consentement d’une épouse serait révoqué par un accord de séparation, en particulier s’il contenait une clause de non-molestation; f) Lord Justice Geoffrey Lane déclara, obiter, dans l’affaire R. v. Steele, qu’un accord de séparation contenant une clause de résidence séparée aurait cet effet. La Law Commission nota qu’il avait été dit dans l’affaire R. v. Miller, puis confirmé par la Court of Appeal dans l’affaire R. v. Steele, que l’introduction d’une demande en divorce ne suffirait pas. Elle mentionna également la décision du juge Owen dans la présente affaire, lequel estimait un accord tacite de séparation suffisant pour lever l’immunité, et déclarant que même en l’absence d’un accord, la rupture de la vie commune par l’une ou l’autre partie, accompagnée d’un signe clair qu’il n’y avait plus consentement aux rapports sexuels, exclurait l’immunité. Elle jugea difficile de concilier cette opinion avec la position adoptée dans Steele et d’après laquelle une demande en divorce n’était "manifestement" pas suffisante. La décision rendue en l’occurrence semblait élargir notablement ce qui apparaissait préalablement comme la loi, bien qu’elle soulignât la nécessité d’une séparation de fait - le simple retrait du consentement aux rapports sexuels ne suffisant pas - pour que l’immunité fût levée. La Law Commission souligna que son enquête revêtait un caractère inhabituel sur un aspect important. La pratique voulait que lorsqu’on envisage la réforme de règles de common law, on étudiât les motifs des décisions judiciaires ou de la doctrine d’où se dégage l’état actuel du droit, afin d’analyser si lesdits motifs sont bien fondés. Toutefois, cette démarche n’était guère utile ici, en partie parce qu’il y avait peu de jurisprudence en la matière, mais surtout parce qu’il ne prêtait guère à controverse qu’on ne pouvait souscrire à la raison avancée dans les décisions formant le droit actuel (paragraphe 4.1 du document de travail). Le droit reposait sur l’idée que des rapports sexuels contre le gré de l’épouse échappaient au droit du viol par cela que dans son dictum, Sir Matthew Hale adhérait à la fiction du consentement présumé aux rapports sexuels. Cette notion était tout à fait artificielle et, dans la société moderne en tout cas, totalement anormale. En vérité il était difficile de trouver une décision récente ou un commentateur la jugeant tant soit peu digne d’être appuyée. On pouvait percevoir le caractère artificiel et anormal de l’immunité conjugale en la comparant à l’état actuel du droit sur les effets juridiques du mariage (paragraphe 4.2). La notion de consentement présumé était artificielle parce que les conséquences juridiques du mariage ne résultaient pas de l’accord réciproque des parties. Bien qu’il faille que celles-ci aient la capacité juridique de contracter mariage et en observent les formalités nécessaires, elles ne pouvaient décider des clauses du contrat; le mariage était plutôt une condition qui entraînait certains droits et obligations dont de temps à autre la loi déterminait la teneur. Le juge Hawkins l’avait souligné dans l’affaire R. v. Clarence (1988) en ces termes: "Les rapports sexuels qui ont lieu entre mari et femme après le mariage ne tiennent pas à un consentement particulier de sa part à elle, mais résultent simplement de la soumission à une obligation que la loi lui impose" (paragraphe 4.3). La Law Commission souligna à cet égard que "les droits et devoirs découlant du mariage ont toutefois évolué au fil des années, de même que le droit s’est adapté aux changements de la société et des valeurs. A l’époque moderne, on considère le mariage comme un partenariat entre pairs" (paragraphe 4.4). Elle donna alors quelques exemples de changements de la loi et ajouta: "4.11 Cette reconnaissance progressive de droits et obligations réciproques au sein du mariage, décrite aux paragraphes 4.3-4.10 ci-dessus, montre clairement à notre avis que, quels que puissent être les arguments en faveur de l’immunité, on ne saurait tenir celle-ci pour justifiée en quoi que ce soit par la nature du mariage moderne ou par la loi qui le régit." Ladite commission proposa notamment, à titre provisoire, d’"abolir l’actuelle immunité conjugale dans tous les cas" (paragraphe 5.2 de son document de travail). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 31 mars 1992 (no 20190/92) à la Commission, le requérant se plaignait de sa condamnation, au mépris de l’article 7 (art. 7) de la Convention, pour une conduite - la tentative de viol sur sa femme - qui, à l’époque des faits, ne constituait pas, selon lui, une infraction pénale. La Commission a retenu la requête le 14 janvier 1994. Dans son rapport du 27 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention (quatorze voix contre trois). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 20 juin 1995, comme il l’avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 7 (art. 7) de la Convention. A la même occasion, le requérant a, comme dans son mémoire, prié la Cour de dire qu’il y avait eu violation de l’article 7 (art. 7) et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le 30 avril 1986, M. Peter Schmautzer fit l'objet d'un contrôle par la gendarmerie alors qu'il circulait au volant de son véhicule. Il ne portait pas sa ceinture de sécurité. Par une "décision pénale" (Straferkenntnis) du 1er juin 1987, la direction de Graz de la police fédérale (Bundespolizeidirektion) le condamna au paiement d'une amende de 300 schillings autrichiens (ATS), assortie d'une peine de vingt-quatre heures d'emprisonnement à défaut de paiement, pour non-respect de l'article III paras. 1 et 5, alinéa a), du troisième amendement à la loi sur les véhicules à moteur (Kraftfahrgesetz - paragraphe 10 ci-dessous). Le requérant interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung) de Styrie, qui confirma cette dernière le 2 février 1988, mais réduisit l'amende à 200 ATS et la peine subsidiaire à quatorze heures d'emprisonnement. Le 6 avril 1988, l'intéressé saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Il dénonçait une atteinte au principe de l'égalité de tous les citoyens devant la loi et alléguait que sa condamnation à une peine subsidiaire par une autorité administrative qui n'est pas un tribunal "indépendant et impartial" violait les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention. Il fit également valoir que l'obligation du port de la ceinture de sécurité constituait une ingérence dans sa vie privée, contraire à l'article 8 (art. 8) de la Convention. Le 27 février 1989, à l'issue d'un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 12 ci-dessous): eu égard à sa jurisprudence relative à l'article 6 (art. 6) de la Convention, il était dénué de chances suffisantes de succès; de plus, l'affaire n'échappait pas à la compétence de la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). En outre et à la demande de M. Schmautzer, elle résolut de déférer la requête à la Cour administrative. Le 20 septembre 1989, celle-ci suspendit la procédure engagée devant elle, car le recours du requérant ne correspondait pas aux exigences de fond et de forme requises à l'article 34 par. 2 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz - paragraphe 14 ci-dessous). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation sur la circulation routière L'article III de la loi de 1976 dans sa version de 1984 portant amendement de la loi de 1967 sur les véhicules à moteur (Kraftfahrgesetz) est ainsi libellé: "1. Lorsque le siège d'un véhicule à moteur est équipé d'une ceinture de sécurité conformément aux exigences de la loi sur les véhicules à moteur, le conducteur ainsi que les passagers qui occupent un tel siège sont dans l'obligation de porter la ceinture de sécurité conformément à usage (bestimmungsgemäß). (...) (...) Toute personne ne se soumettant pas à l'obligation prévue au paragraphe 1, première phrase, a) en tant que conducteur d'un véhicule à moteur ou b) en tant que passager d'un véhicule à moteur commet (...) une contravention administrative passible, par référé pénal (Organstrafverfügung) en application de l'article 50 de la loi administrative pénale de 1950, d'une amende de 100 ATS. En cas de refus de paiement de l'amende (...), l'autorité peut infliger une amende allant jusqu'à 300 ATS, assortie, à défaut de paiement, d'une peine allant jusqu'à 24 heures d'emprisonnement. (...)" B. Le droit procédural L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) dispose: "En matière civile et pénale, les débats devant la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l'article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l'article 144 prévoit: "Jusqu'à l'audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d'une décision (Beschluß), refuser l'examen d'un recours s'il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l'on ne peut attendre de l'arrêt qu'il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l'examen d'une affaire que l'article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. Aux termes de l'article 34 par. 2 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz): "Les requêtes qui ne se heurtent à aucune des circonstances décrites au paragraphe 1, mais qui n'ont pas respecté les conditions de forme et de contenu (paras. 23, 24, 28 et 29), doivent être ajournées sous fixation d'un bref délai pour permettre de remédier aux vices (Behebung der Mängel); le non-respect du délai équivaut à un retrait." L'article 39 par. 1 dispose notamment qu'au terme de la procédure préliminaire (Vorverfahren), la Cour administrative doit tenir une audience lorsque le plaignant en fait la demande. Le paragraphe 2 est ainsi libellé: "Nonobstant la demande introduite par une partie conformément au paragraphe 1, la Cour administrative peut décider de ne pas tenir d'audience lorsque: la procédure doit être suspendue (article 33) ou le recours rejeté (article 34); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse (article 42 par. 2, alinéa 2); la décision attaquée doit être annulée pour illégalité en raison de l'inobservation de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéa 3); selon la jurisprudence constante de la Cour administrative, la décision attaquée doit être annulée en raison de l'illégalité de son contenu; ni l'autorité défenderesse ni d'autres comparants n'ont présenté de mémoire en réponse et que la décision attaquée doit être annulée; il ressort des mémoires des parties à la procédure devant la Cour administrative ainsi que des pièces soumises à celle-ci et relatives à la procédure administrative antérieure qu'une audience n'est pas susceptible de contribuer à clarifier davantage l'affaire." Du paragraphe 2 de l'article 39, les points 1 à 3 étaient en vigueur en 1958; les points 4 et 5 ont été ajoutés en 1964 et le point 6 en 1982. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L'article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsanschauung) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). Dans un arrêt du 14 octobre 1987 (G 181/86), la Cour constitutionnelle a considéré: "De ce qu'il s'est avéré nécessaire d'étendre la réserve à l'article 5 (art. 5) de la Convention aux garanties procédurales de l'article 6 (art. 6) de celle-ci, en raison du lien entre ces deux dispositions (art. 5, art. 6), il suit qu'à l'inverse le contrôle réduit (die (bloß) nachprüfende Kontrolle) exercé par la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle ne suffit pas pour les sanctions pénales au sens de la Convention non couvertes par la réserve." Les "chambres administratives indépendantes" L'article 129 de la Constitution fédérale a institué dans les Länder, avec effet au 1er janvier 1991, des juridictions administratives appelées "chambres administratives indépendantes" (Unabhängige Verwaltungssenate). Elles connaissent notamment, en fait comme en droit, des contraventions administratives (Verwaltungsübertretungen). III. LA RÉSERVE DE L'AUTRICHE À L'ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L'instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l'article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] n° 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Schmautzer a saisi la Commission le 26 mai 1989. Invoquant les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir eu accès, dans le cadre d'une procédure pouvant conduire à sa condamnation à une peine d'emprisonnement, à un tribunal indépendant et impartial. Il voyait en outre dans l'obligation de porter la ceinture de sécurité une atteinte à sa vie privée contraire aux articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention. Le 10 mai 1993, la Commission a retenu la requête (n° 15523/89) quant au grief soulevé sur le terrain de l'article 6 (art. 6) et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne l'accès à un tribunal (unanimité) et estime qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant au défaut d'audience (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion concordante dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire. "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce ou, à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de cet article au cours de la procédure administrative pénale litigieuse".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Les sinistres et leurs conséquences judiciaires Les requérants sont propriétaires, mutuelles d'armement ou, dans un cas, curateur de navires impliqués dans des sinistres qui se sont produits dans les eaux territoriales belges ou néerlandaises à une date antérieure au 17 septembre 1988. Attribuant ces accidents à des fautes commises par des pilotes belges à bord des navires en question, ils ont intenté, tantôt contre l'Etat belge, tantôt contre une société privée de pilotage, des actions judiciaires dont l'état actuel, d'après les informations fournies à la Cour, se présente comme suit: La première requérante: société de droit grec Pressos Compania Naviera S.A. (navire Angeartic) 11 août 1982: abordage; 24 avril 1985: jugement du tribunal de Middelburg (Pays-Bas) imputant la responsabilité à la première requérante; 10 juin 1987: assignation de l'Etat belge en recouvrement devant le tribunal de première instance de Bruxelles. La deuxième requérante: société de droit libérien Interocean Shipping Corporation (navire Oswego Freedom) 13 décembre 1970: abordage dans les eaux néerlandaises; 8 novembre 1972 et 16 novembre 1974: jugement du tribunal de Middelburg, puis arrêt de la cour d'appel de La Haye imputant la responsabilité à la deuxième requérante; 12 décembre 1972: assignation de l'Etat belge en recouvrement devant le tribunal de première instance de Bruxelles; 9 mars 1988: action déclarée non fondée à défaut de responsabilité civile du pilote selon le droit néerlandais; 7 avril 1988: appel interjeté par la requérante. La troisième requérante: société de droit libérien Zephir Shipping Corporation (navire Panachaikon) 27 février 1971: abordage; 28 avril 1977: arrangement estimant le préjudice à supporter par la troisième requérante à 456 798 dollars américains; 26 février 1973: assignation de l'Etat belge en recouvrement devant le tribunal de première instance de Bruxelles; 18 mars 1988: jugement avant dire droit déclarant l'action fondée en vertu du principe de la responsabilité de l'Etat pour les fautes commises par ses pilotes; 23 février 1994: réformation du jugement par la cour d'appel de Bruxelles, eu égard à la loi du 30 août 1988 (paragraphe 18 ci-dessous). La quatrième requérante: société de droit anglais Cory Maritime Ltd (navire Pass of Brander) 6 janvier 1983: heurt causant des avaries à un emplacement lors de l'accostage; 23 juillet 1984: assignation de l'armement par le propriétaire de l'emplacement (BASF), devant le tribunal de commerce d'Anvers; 22 août 1984: appel en garantie de la société de pilotage Brabo (paragraphe 9 ci-dessous); 19 juin 1986: jugement du tribunal de commerce d'Anvers condamnant: 1) la quatrième requérante à réparer les dommages; 2) la société Brabo, défendeur en garantie, à dédommager la requérante des sommes payées par elle; 18 août 1986: appel interjeté par la société Brabo; 11 février 1993: règlement par l'armement de la réclamation de BASF, sous réserve de l'issue de la procédure pendante devant la cour d'appel d'Anvers. La cinquième requérante: société de droit malaisien Malaysian International Shipping Corporation Berhad (navire Bunga Kantan) 23 novembre 1986: heurt causant des dommages au mur d'un quai appartenant à l'Etat belge; 8 août 1988: assignation de l'Etat belge par l'armement, devant le tribunal de première instance d'Anvers, en réparation du dommage au navire; 21 novembre 1988: assignation de l'armement et de la société Brabo par l'Etat, propriétaire du quai, devant le tribunal de première instance d'Anvers, en réparation du dommage au quai; 23 novembre 1988: assignation de l'armement par la ville d'Anvers, devant le tribunal de première instance d'Anvers, en remboursement des frais résultant du sinistre. La sixième requérante: société de droit libérien City Corporation (paragraphe 2 ci-dessus). Les septième, huitième et neuvième requérantes: société de droit sud-coréen Kukje Shipping Company Ltd, M. Young (en sa qualité de curateur de la requérante n° 7) et la société de droit anglais The London Steam-ship Owners' Mutual Insurance Association Ltd (navire Super star) 27 octobre 1985: abordage; 28 janvier 1986: assignation des requérants par l'armement adverse devant le tribunal de première instance d'Anvers; 24 octobre 1986: appel en garantie de l'Etat belge par les requérants; date inconnue: règlement transactionnel avec subrogation entre les armateurs des navires impliqués dans l'abordage. Les dixième et onzième requérantes: société de droit libérien Ocean Car Carriers Company Ltd et société de droit japonais Kansai Kisen K.K. (navire Cygnus Ace) Premier sinistre: 1er octobre 1983: heurt causant des avaries à un pont dans les bassins d'Anvers; 22 mai 1984: assignation des requérantes par la ville d'Anvers devant le tribunal de première instance d'Anvers; 21 juin 1984: appel en garantie de la société de pilotage Brabo par les requérantes; 26 septembre 1990: appel en garantie du pilote par les requérantes. Deuxième sinistre: 23 novembre 1984: heurt causant des dommages à une écluse; 27 mai 1987: assignation des requérantes par la ville d'Anvers, devant le tribunal de première instance d'Anvers; 16 juin 1987: appel en garantie de l'Etat belge par les requérantes; 10 septembre 1991: règlement amiable avec subrogation. La douzième requérante: société de droit anglais Furness Withy (Shipping) Ltd (navire Andes) 31 mars 1988: heurt causant des dommages à une écluse; 29 octobre 1990: assignation de la requérante par la ville d'Anvers, devant le tribunal de première instance d'Anvers; 19 novembre 1990: appel en garantie de la société de pilotage Brabo par la requérante; 14 janvier 1992: paiement avec subrogation par la requérante d'une réparation à la ville d'Anvers. Les treizième et quatorzième requérantes: sociétés de droit anglais M.H. Shipping Company Ltd et Powell Duffryn Shipping Ltd (navire Donnington) 8 décembre 1984: heurt causant des dommages à une écluse; 9 décembre 1985: assignation des requérantes par la ville d'Anvers, devant le tribunal de commerce de cette ville; 8 décembre 1987: appel en garantie de l'Etat belge par les requérantes; 9 mars 1989 et 31 mars 1992: condamnation de l'armement, par le tribunal de commerce puis par la cour d'Anvers, au paiement en principal de 34 841 522 francs belges (FB); février et juin 1992: paiement de la somme par les requérantes, sous réserve d'un arrêt de la Cour européenne déclarant "nulle" la loi du 30 août 1988. La quinzième requérante: société de droit français Société navale chargeurs Delmas-Vieljeux (navire Marie Delmas) 20 mars 1985: heurt causant des dommages à une écluse; 27 novembre 1986: assignation de la requérante et de la société de pilotage Brabo, devant le tribunal de première instance d'Anvers; 17 novembre 1992: paiement d'une réparation par la requérante, sous réserve des suites à donner à l'arrêt de la Cour européenne. La seizième requérante: société de droit libérien Merit Holdings Corporation (navire Leandros) 26 juillet 1985: avaries importantes aux installations d'accostage de la société Eurosilo et aux murs d'un quai dans le port de Gand; 10 mars 1986: assignation de la requérante par la société Eurosilo, devant le tribunal de première instance de Gand; 18 juillet 1986: appel en garantie de l'Etat par la requérante; 17 septembre 1991: condamnation par défaut de l'armement, de l'Etat et du pilote au paiement solidaire de divers montants; 24 octobre 1991: opposition contre le jugement. Les dix-septième et dix-huitième requérantes: société de droit brésilien Petrobas Brasileiro et société du droit des Bermudes The United Kingdom Mutual Steam Ship Assurance Association (Bermuda) Ltd (navire Quitauna) 30 novembre 1986: heurt avec dommages à une écluse; 27 octobre 1987: devant le tribunal de première instance d'Anvers, assignation des requérantes et de l'Etat belge par la société Roegiers et la ville d'Anvers; 8 juin 1989: jugement du tribunal d'Anvers; 17 juin 1991: condamnation des requérantes, par la cour d'appel d'Anvers, à payer réparation. La dix-neuvième requérante: société de droit turc Koçtug Gemi Isletmeçiligi ve Ticaret A.S. (navire Fethiye) 27 octobre 1984: avaries causées à deux autres navires, lors de manoeuvres d'amarrage; date inconnue: assignation de la requérante devant le tribunal de commerce de Gand; 27 octobre 1986: appel en garantie de l'Etat belge par la requérante; 14 janvier 1992: jugement du tribunal de commerce de Gand retenant la responsabilité de la requérante et déchargeant l'Etat belge ainsi que le pilote; 6 mai et 1er septembre 1993: appel interjeté par la requérante. La vingtième requérante: société de droit libérien Initial Maritime Corporation S.A. (navire Acritas) 21 mars 1984: abordage entre trois navires; 14 mars 1986: devant le tribunal de première instance d'Anvers, assignation par la requérante des autres armements impliqués et de l'Etat belge. La vingt et unième requérante: société de droit panaméen North River Overseas S.A. (navire Federal Huron) 26 avril 1986: abordage; 14 mai 1986: devant le tribunal de commerce d'Anvers, assignation par la requérante de l'armement adverse et de l'Etat belge; 25 avril 1988: devant le même tribunal, assignation par l'armement adverse de la requérante et de l'Etat belge. La vingt-deuxième requérante: société de droit libérien Federal Pacific (Liberia) Ltd (navire Federal St Laurent) 29 septembre 1985: abordage; 4 septembre 1986: assignation par la requérante de l'armement adverse et de l'Etat belge, devant le tribunal de première instance d'Anvers; 10 décembre 1987: règlement amiable. La vingt-troisième requérante: société du droit des îles Caïman Conbulkships (3) Ltd (navire Cast Otter) 6 février 1987: échouement; 6 avril 1987: assignation de l'Etat belge par la requérante, devant le tribunal de première instance de Bruxelles. La vingt-quatrième requérante: société de droit belge Compagnie belge d'affrètement (Cobelfret) S.A. (navires Belvaux et Clervaux) Navire Belvaux: 18 juin 1979: échouement; 10 juin 1986: assignation de l'Etat par la requérante, devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Navire Clervaux: 5 octobre 1981: échouement; 10 juillet 1986: assignation de l'Etat par la requérante, devant le tribunal de première instance de Bruxelles. La vingt-cinquième requérante: société de droit espagnol Naviera Uralar S.A. (navire Uralar Cuarto) 11 décembre 1983: heurt causant des dommages à une estacade dans le port d'Anvers; 18 juillet 1985: assignation de la requérante par la société Roegiers, qui avait la garde provisoire de l'estacade, devant le tribunal de première instance d'Anvers; 14 août 1985: appel en garantie de l'Etat belge par la requérante; 26 octobre 1988: rejet de l'appel en garantie par la cour d'appel d'Anvers, eu égard à l'effet rétroactif de la loi du 30 août 1988; 19 avril 1991: rejet du pourvoi par la Cour de cassation (paragraphe 8 ci-dessous). La vingt-sixième requérante: société de droit anglais B.P. Tanker Company Ltd (navire British Dragoon) 24 janvier 1977: échouement dans l'Escaut; 21 janvier 1982: assignation de l'Etat belge par la requérante, devant le tribunal de première instance de Bruxelles. La vingt-sixième requérante n'intenta pas d'action judiciaire contre la loi du 30 août 1988. B. Procédures devant la Cour d'arbitrage et devant la Cour de cassation En mars 1989, vingt-quatre des requérants saisirent la Cour d'arbitrage de recours en annulation de la loi du 30 août 1988 "modifiant la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer" ("la loi de 1988"), dont ils dénonçaient en particulier l'effet rétroactif (paragraphe 18 ci-dessous). La cour rejeta les recours le 5 juillet 1990, considérant notamment: "Il peut être admis que le législateur estime que les catégories auxquelles s'adresse la loi incriminée sont, principalement en raison de leur intégration dans l'activité maritime, assez spécifiques pour justifier un régime de responsabilité particulier. En l'espèce, le législateur a donné effet rétroactif à la loi. L'élément rétroactif que comporte le système spécial de responsabilité instauré en matière de pilotage porte atteinte au principe fondamental de la sécurité juridique, selon lequel le contenu du droit doit en principe être prévisible et accessible de sorte que le sujet de droit puisse prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte se réalise. Cette atteinte au principe n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnée par rapport à l'objectif général visé par la législation attaquée. Le législateur a entendu maintenir dans la législation sur le pilotage le système de responsabilité qu'il n'avait pas voulu modifier en 1967 et que la jurisprudence antérieure à 1983 ainsi que la doctrine déduisaient de l'article 5 de la loi de 1967 sur le pilotage ainsi que des articles 64 et 251 de la loi maritime (Livre II, titre II, du Code de commerce); de plus, il a pris en compte les conséquences budgétaires importantes découlant de façon imprévue pour les pouvoirs publics concernés de la modification de la jurisprudence. Compte tenu de tous ces éléments, l'exonération de responsabilité pour les organisateurs d'un service de pilotage et la limitation de la responsabilité personnelle des pilotes ne peuvent être considérées, même en tant que la loi rétroagit, comme ne satisfaisant pas aux exigences des articles 6 et 6 bis de la Constitution. (...) Les requérants affirment que la loi incriminée introduit une distinction injustifiée entre, d'une part, les litiges terminés (causae finitae) qui ne tombent pas dans le champ d'application de la loi et, d'autre part, les litiges en cours (causae pendentes) qui tombent, eux, dans le champ d'application de la loi. L'octroi d'un effet rétroactif à une règle de droit signifie en principe que cette règle s'applique aux rapports juridiques nés et non définitivement accomplis avant son entrée en vigueur; cette règle ne peut alors être applicable qu'à des litiges en cours et futurs et n'a aucune influence sur des litiges terminés. Selon un principe fondamental de notre ordre juridique, les décisions judiciaires ne peuvent être modifiées que par la mise en oeuvre de voies de recours. En limitant selon la distinction critiquée l'effet de la loi dans le passé, le législateur a voulu respecter ce principe et n'a donc pas établi de distinction contraire aux articles 6 et 6bis de la Constitution. Les requérants invoquent encore la violation de l'article 11 de la Constitution et de l'article 1er du premier Protocole additionnel (P1-1) à la Convention européenne des Droits de l'Homme. (...) En modifiant un régime légal d'indemnisation de dommages sans remettre en cause les créances dont le titre est une décision judiciaire, le législateur n'introduit aucune distinction injustifiée, la protection assurée par les dispositions précitées ne couvrant que la propriété déjà acquise." La vingt-cinquième requérante, quant à elle, se pourvut devant la Cour de cassation contre l'arrêt du 26 octobre 1988 par lequel la cour d'appel d'Anvers l'avait déboutée, en vertu de la loi de 1988, de son action en garantie contre l'Etat belge (paragraphe 6 ci-dessus). Le 26 janvier 1990, la Cour de cassation soumit à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle relative à la constitutionnalité de la loi de 1988 et en particulier de sa rétroactivité. Le 22 novembre 1990, cette dernière juridiction confirma en substance son arrêt du 5 juillet 1990 (paragraphe 7 ci-dessus). En conséquence, la Cour de cassation rejeta le 19 avril 1991 le pourvoi de la vingt-cinquième requérante. Reprenant la réponse de la Cour d'arbitrage à sa question préjudicielle, elle écarta un premier moyen tiré de ce que la rétroactivité de la loi de 1988 violerait les articles 6 et 6 bis anciens de la Constitution. Elle déclara ensuite irrecevable le moyen tiré d'une infraction à l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), après avoir observé que la vingt-cinquième requérante n'avait pas invoqué cette disposition devant la cour d'appel. Enfin, elle repoussa le grief déduit de ce qu'en intervenant dans les procès en cours, la loi de 1988 empêcherait le juge de trancher les litiges tels qu'ils lui avaient été soumis, au mépris de l'indépendance des tribunaux et de l'égalité des armes entre les parties. A cet égard, elle considéra: "Attendu que la mission et l'obligation du juge est d'appliquer la loi au litige dont il est saisi; que la circonstance que telle est sa mission et son devoir est sans influence sur son indépendance; qu'une loi rétroactive applicable à des litiges en cours, même si l'Etat est partie à la cause, n'entrave pas l'indépendance du juge dans l'accomplissement de sa mission et dans l'exécution de son devoir; que l'éventuelle pression exercée sur le juge par une telle loi n'est autre que la pression que toutes les lois exercent sur lui; que le fait que l'arrêt applique une telle loi ne constitue pas une violation du droit à une instruction équitable de la cause par un tribunal indépendant." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le pilotage des bâtiments de mer En Belgique, le pilotage des bâtiments de mer est un service public organisé par l'Etat dans l'intérêt de la navigation. Il se trouve régi par la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer ("la loi de 1967"). En pratique, il est assumé soit par l'Etat lui-même, pour le pilotage de mer et de rivière, soit par des sociétés privées dotées d'une concession, telle la société Brabo qui détient le monopole du pilotage à l'intérieur du port d'Anvers. En vertu de la loi de 1967 et des traités conclus entre la Belgique et les Pays-Bas, les navires de commerce qui pénètrent dans l'estuaire de l'Escaut doivent obligatoirement avoir à leur bord un pilote disposant d'une licence accordée par l'un ou l'autre de ces Etats. Le capitaine de navire qui contrevient à cette obligation n'encourt toutefois aucune autre sanction que l'obligation d'acquitter le droit de pilotage, lequel est dû en tout état de cause. Aux termes de l'article 5 par. 1 de la loi de 1967, "(...) le pilotage consiste dans l'assistance donnée aux capitaines des bâtiments de mer par des pilotes nommés par le Ministre qui a le service de pilotage dans ses attributions. Le pilote opère comme le conseiller du capitaine. Ce dernier est seul maître de la conduite et des manoeuvres du bâtiment." Au sujet de cette disposition, l'exposé des motifs du projet de la loi de 1967 précise: "L'article 5 définit le pilotage et, partant, détermine la nature du rôle du pilote dans cette opération. Il règle donc une question juridique importante. Puisqu'il s'agit d'assistance, le pilote ne se substitue pas au capitaine qui demeure seul maître de la direction et des manoeuvres de son navire. Le pilote n'est que son conseiller pour la route à suivre. Il s'agit en l'occurrence d'une confirmation de la règle qui est actuellement en vigueur et que l'on retrouve entre autres dans un arrêt [de la Cour de cassation] du 19 mars 1896 (...)" Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'Etat a considéré que celui-ci "consacr[ait] par un texte exprès une interprétation ancienne selon laquelle le pilote n'est que le conseiller du capitaine". Comme le projet disposait initialement que "le capitaine est seul responsable de la conduite et des manoeuvres du navire", le Conseil d'Etat a suggéré que le mot "responsable" fût remplacé par le terme "maître", puisqu'il semblait que "l'intention du Gouvernement ne [fût] pas de déroger par ce texte au droit commun de la responsabilité". L'article 64 de la loi maritime (livre II, titre II, du code de commerce) prévoit que "[l]e capitaine est tenu d'être en personne dans son navire, à l'entrée et à la sortie des ports, havres ou rivières". B. La responsabilité en cas d'abordage Aux termes de l'article 251 de la loi maritime, " (...) Si l'abordage a été causé par la faute de l'un des navires, la réparation du dommage incombe à celui qui l'a commise. (...) La responsabilité établie par les dispositions qui précèdent subsiste dans le cas où l'abordage est causé par la faute d'un pilote, même lorsque celui-ci est obligatoire." Selon deux arrêts, rendus par la Cour de cassation respectivement le 24 avril 1840 (Pasicrisie, 1839-1840, I, 375) et le 19 mars 1896 (Pasicrisie, 1896, I, 132), le pilote devait être considéré comme le préposé du capitaine, du propriétaire ou de l'armateur. Ceci entraînait l'application de l'article 1384 du code civil, qui dispose: "On est responsable non seulement du dommage que l'on cause de son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. Le père et la mère sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs; Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés; (...)" Il en résultait l'exclusion de la responsabilité de l'Etat pour les fautes de pilotage. Quant aux pilotes, ils ne répondaient que des fautes commises à l'insu du capitaine. Par un arrêt du 15 décembre 1983 (Pasicrisie, 1983, I, 418), rendu sur conclusions conformes de Mme Liekendael, avocat général, la Cour de cassation mit fin à ce régime en considérant notamment ce qui suit à propos des deux alinéas précités (paragraphe 15 ci-dessus) de l'article 251 de la loi maritime: "Attendu qu'il ressort de ces dispositions légales que, en cas d'abordage causé par la faute d'un navire, le propriétaire de ce navire est tenu de réparer les dommages que ladite faute a causés aux victimes de l'abordage; qu'il ne se déduit toutefois, ni de l'article 251 de la loi maritime, ni de l'article 64 de cette loi, aux termes duquel le capitaine est tenu d'être en personne dans son navire, à l'entrée et à la sortie des ports, havres ou rivières, que le propriétaire ne puisse exercer de recours contre les tiers dont la responsabilité pourrait être engagée sur la base d'autres dispositions légales, notamment des articles 1382 ou 1384 du Code civil; Attendu que le capitaine, seul maître de la conduite et des manoeuvres du bâtiment conformément à l'article 5 de la loi du 3 novembre 1967 sur le pilotage des bâtiments de mer, n'est investi d'aucune autorité à l'égard du pilote qui, suivant le même texte légal, opère comme son conseiller; Attendu qu'en omettant d'examiner si le pilote d'un navire ayant causé l'abordage n'avait pas commis une faute, si légère fût-elle, ayant contribué à la réalisation des dommages résultant de cet abordage, et en excluant que, dans l'affirmative, la responsabilité de l'Etat puisse être engagée, bien que le pilote appartienne à un service organisé par l'Etat et relevant de la compétence exclusive de celui-ci, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision;" Il en découlait que le pilote ne pouvait pas passer pour le préposé du capitaine et qu'il engageait donc sa propre responsabilité aquilienne ainsi que celle de l'organisateur du service de pilotage. Cette nouvelle jurisprudence, confirmée peu après par un arrêt du 17 mai 1985 (Pasicrisie, 1985, I, 1159), se situait dans la ligne de l'arrêt "La Flandria" du 5 novembre 1920 (Pasicrisie, 1920, I, 193), par lequel la Cour de cassation avait reconnu que l'Etat et les autres personnes de droit public sont soumis au droit commun de la responsabilité. Par une loi du 30 août 1988, publiée au Moniteur belge du 17 septembre 1988, le législateur a inséré dans la loi de 1967 un article 3 bis qui se lit ainsi: "par. 1er. L'organisateur d'un service de pilotage ne peut être rendu, directement ou indirectement, responsable d'un dommage subi ou causé par le navire piloté, lorsque ce dommage résulte d'une faute de l'organisateur lui-même ou d'un membre de son personnel agissant dans l'exercice de ses fonctions, que cette faute consiste en un fait ou une omission. L'organisateur d'un service de pilotage ne peut non plus être rendu, directement ou indirectement, responsable du dommage qui résulte d'une défaillance ou d'un vice des appareils destinés à fournir des informations ou des directives aux bâtiments de mer, appartenant ou utilisés par le service de pilotage. Pour l'application du présent article, on entend par: 1° organisateur: l'autorité publique et l'administration portuaire qui organisent le service de pilotage ou le donnent en concession, ainsi que le concessionnaire dudit service; 2° service de pilotage: a) le service qui met à la disposition du capitaine d'un bâtiment de mer un pilote qui opérera auprès de celui-ci en qualité de conseiller; b) tout service qui, notamment par observations radar ou par sondage des eaux accessibles aux bâtiments de mer, fournit des informations ou des directives à un bâtiment de mer, même lorsqu'il n'y a pas de pilote à bord; 3° navire piloté: tout bâtiment de mer qui fait appel au service de pilotage au sens du 2° a) et/ou b) ci-dessus. Le navire est responsable du dommage visé à l'alinéa 1er. Le membre du personnel qui, par son fait ou son omission, a causé le dommage visé à l'alinéa 1er, n'est responsable que s'il a commis une faute intentionnelle ou une faute grave. Le membre du personnel n'est tenu de réparer le dommage qu'il a causé par sa faute grave qu'à concurrence de cinq cent mille francs par événement dommageable. Le Roi peut adapter ce montant en tenant compte de la situation économique. par. 2. Le paragraphe précédent entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge. Il a un effet rétroactif dans le temps pour une période de trente ans à compter de ce jour." C. La compétence de la Cour d'arbitrage En vertu de l'article 107 ter (ancien, actuellement 142) de la Constitution et des articles 1 et 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, celle-ci statue notamment: 1) sur les recours en annulation de lois, de décrets ou d'ordonnances pour cause de violation, soit des règles relatives à la répartition des compétences entre l'Etat, les communautés et les régions, soit des articles 6 et 6 bis (anciens, actuellement 10 et 11) de la Constitution, qui consacrent l'égalité devant la loi et prohibent la discrimination dans l'exercice des droits et libertés; 2) sur les questions préjudicielles relatives à la violation de ces règles ou de ces articles par des lois, des décrets ou des ordonnances. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 4 janvier 1991. Ils alléguaient que le régime de responsabilité institué par la loi du 30 août 1988 viole les articles 1 du Protocole n° 1 (P1-1), 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole n° 1 (art. 14+P1-1). Le 6 septembre 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs aux articles 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et rejeté la requête (n° 17849/91) pour le surplus. Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (unanimité) et à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (onze voix contre six), sauf en ce qui concerne les deuxième (quatorze voix contre trois) et douzième requérants (seize voix contre une). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour "en ordre principal, de déclarer la requête n° 17849/91 non recevable et, en ordre subsidiaire, de dire pour droit que les faits de la présente cause ne révèlent, de la part de l'Etat belge, aucune violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention européenne des Droits de l'Homme." Quant aux requérants, ils invitent la Cour à "1. dire que la loi du 30 août 1988 a violé les articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (P1-1); dire que l'Etat belge doit rembourser, à titre de frais et dépens, 51 380 253 francs belges (FB); dire qu'il y a lieu de réserver à statuer sur la satisfaction équitable qui revient aux requérantes."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. John Bryan, est fermier et entrepreneur de travaux. Né en 1931, il habite Warrington, Cheshire. Le 4 décembre 1989, le conseil municipal de Vale Royal adressa au requérant une mise en demeure exigeant la démolition de deux bâtiments de brique sis sur un terrain acquis par le requérant en 1987. Comme l’indiquait cette mise en demeure, il apparaissait au conseil qu’il y avait eu infraction au plan d’aménagement du territoire, les deux bâtiments ayant été érigés sans le permis de construire requis. La mise en demeure sommait le requérant de démolir les bâtiments et de faire enlever les matériaux de construction dans les trois mois. Les autorités appliquaient en cela l’article 172 de la loi de 1990 sur l’aménagement urbain et rural (Town and Country Planning Act 1990, "la TCPA"), qui regroupait les textes antérieurs (paragraphe 18 ci-dessous). Le requérant forma un recours devant le ministre de l’Environnement, invoquant les alinéas a), b), g) et h) de l’article 174 par. 2 de la TCPA (paragraphe 19 ci-dessous). Conformément à la législation pertinente (paragraphe 20 ci-dessous), un inspecteur fut nommé pour conduire une enquête et statuer sur l’appel. Il s’agissait d’un inspecteur principal en matière de logement et d’urbanisme, agent salarié du ministère de l’Environnement. Il avait été nommé par le ministre après approbation du Lord Chancellor. Dans sa décision, datée du 1er octobre 1990, il rejeta le recours quant aux moyens a), b) et g) mais l’accueillit pour le moyen h), portant de trois à six mois le délai autorisé pour exécuter les mesures demandées. Il déclara notamment: "Moyen d’appel tiré de l’alinéa b) (...) (12) Je dois à ce titre décider si, tant en fait qu’en degré, les bâtiments pouvaient être considérés, de par leur apparence et leur agencement, comme ayant été conçus à des fins agricoles. Je conclus, ayant examiné des photographies prises durant la construction et constaté les modifications apportées dans l’intervalle, que le conseil avait raison d’être préoccupé par le fait que les bâtiments ressemblaient à de grandes maisons individuelles. Leur taille, leur agencement et leur aspect extérieur d’origine, ainsi que les détails les caractérisant, ne m’ont guère incité à penser autrement. (13) A mon sens, la manière dont les bâtiments ont été construits à l’origine aurait amené toute personne raisonnable à conclure qu’elle avait sous les yeux les premiers éléments d’un nouveau lotissement de maisons individuelles. De fait, cela semblait être l’avis largement partagé par de nombreux habitants de la région et soutenu par le député local, qui s’inquiétaient de ce qui s’édifiait à l’orée du village. La construction plus récente d’un bâtiment encore inachevé, mais similaire, à proximité des deux bâtiments incriminés, renforce cette impression. (14) C’est cependant l’aspect d’origine des deux bâtiments litigieux, et particulièrement l’appréciation première du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Industrie agro-alimentaire qui me convainc que les bâtiments n’étaient ni requis ni raisonnablement nécessaires à des fins agricoles. De nombreuses caractéristiques des bâtiments convenaient davantage à des maisons qu’à des granges. Les ouvertures d’origine du bâtiment no 1 étaient censées être les portes d’une unité d’élevage de veaux de boucherie. Or ce bâtiment ne comportait pas de système d’écoulement interne, considéré comme nécessaire pour un tel cheptel. Les ouvertures semblaient plus vraisemblablement destinées à des fenêtres, aucune n’étant de plain-pied avec le sol; l’une s’ouvrait pratiquement à hauteur de la taille, au-dessus du niveau du sol extérieur, mesuré à partir du bord inférieur du briquetage non cimenté ajouté par la suite. Les deux bâtiments présentaient d’autres particularités, comme l’usage fréquent de fenêtres de style XVIIIe siècle, ainsi que d’autres fenêtres destinées à un usage domestique. Je crois comprendre que les relations de M. Bryan lui ont permis d’acheter ces fenêtres à bon prix. Mais, quelle que soit leur provenance, elles contribuent à donner l’impression que les bâtiments sont davantage des maisons d’habitation que des granges. D’autres particularités militent en ce sens: l’utilisation d’avant-toits et de bordures de pignons de style domestique, l’aspect résidentiel du "porche" du bâtiment no 1, ainsi que l’avis [du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Industrie agro-alimentaire] sur l’agencement peu économique des deux bâtiments dans leur construction d’origine. Tout cela concourt à donner l’impression que ces bâtiments n’ont pas été conçus pour un usage agricole, bien qu’ils aient, depuis lors, été modifiés et adaptés à une telle utilisation. (15) Vous avez dit que ces bâtiments ressemblaient à beaucoup de vieilles granges de la région. Je suis cependant d’avis que, tels qu’ils ont été construits à l’origine, les bâtiments en cause auraient ressemblé nettement plus à des maisons d’habitation. Ils n’avaient pas l’air d’avoir été conçus à des fins agricoles. Le fait d’avoir constaté qu’ils sont à présent utilisés pour stocker du foin ne modifie pas mon opinion. Le moyen d’appel tiré de l’alinéa b) ne saurait être accueilli. Moyen d’appel tiré de l’alinéa a) (16) Les bâtiments litigieux se situent dans une partie de la ceinture verte (...) Ils se trouvent également dans la zone de protection de l’environnement de Higher Whitley, mais en dehors des limites du village de Higher Whitley, qui bénéficie d’une politique particulière, apparaissant dans le projet de plan d’aménagement local du conseil municipal de Vale Royal. D’après moi, la décision doit s’axer sur les principales questions suivantes: si les bâtiments ne s’insèrent pas bien dans la ceinture verte, existe-t-il des circonstances particulières pour justifier l’octroi d’un permis de construire? Par ailleurs, les édifices litigieux mettent-ils en valeur ou préservent-ils le caractère et l’aspect de la zone de protection? J’étudierai également l’incidence des constructions sur le paysage aux alentours du village. (17) (...) (18) Les bâtiments en cause n’ont ni mis en valeur ni préservé l’aspect de cette partie de la zone de protection, bien au contraire. La nature plaisante de ce site émane en grande partie du regroupement des habitations les plus anciennes autour du centre, ainsi que de sa situation rurale et agricole. Les deux bâtiments en cause ressemblent à un petit lotissement de pavillons nantis de voies d’accès et de jardins. Le troisième bâtiment, qui n’entre pas dans le cadre de ce recours, accentue cette impression. (19) Ces objections constituent des raisons valables et précises justifiant le refus du permis de construire. Que d’autres bâtiments, ou des bâtiments d’un caractère assez similaire, puissent être édifiés en vertu de l’arrêté général d’aménagement urbain et rural de 1988, s’ils sont considérés comme conçus à des fins agricoles, n’influe pas sur ma décision. Le moyen d’appel tiré de l’alinéa a) ne saurait être accueilli. Moyen d’appel tiré de l’alinéa g) (20) Vous avez déclaré que la démolition des bâtiments et l’enlèvement des matériaux constituaient une exigence excessive. Je ne suis pas de cet avis. Il y a eu préjudice eu égard à la vocation de la ceinture verte. L’aspect et le caractère de la zone de protection n’ont été ni améliorés ni préservés. Le paysage a été gâté. Faire davantage ressembler les bâtiments à ceux dont on aurait pu autoriser l’implantation, comme vous le suggériez, pourrait atténuer quelque peu le préjudice que j’ai observé. Mais il ne s’agit pas seulement d’une question d’apparence. Les objections essentielles demeureraient. Pour moi, la ligne de conduite correcte et nécessaire est celle qu’exige la mise en demeure, jusques et y compris l’enlèvement des matériaux. Une telle exigence n’exclurait pas leur réutilisation sur place pour toute implantation éventuellement autorisée plus tard. Le moyen d’appel tiré de l’alinéa g) ne saurait être accueilli. Moyen d’appel tiré de l’alinéa h) (21) (...) M. Bryan souhaitait disposer de plus de temps pour édifier un ou plusieurs bâtiments de remplacement avant la démolition. Je ne vois pas la nécessité de s’obstiner à maintenir un délai qui lui créerait des difficultés excessives. Je prolongerai ce délai et lui octroirai six mois (...) (22) J’ai pris en compte tous les autres points soulevés, y compris la possibilité que votre client édifie un grand bâtiment à revêtement d’acier, ce qui entre dans le cadre des aménagements autorisés, mais conclus qu’ils ne modifient pas ma décision." Le requérant forma un recours contre cette décision au titre de l’article 289 de la TCPA (paragraphe 24 ci-dessous). Dans son acte d’appel à la High Court, il alléguait en premier lieu que l’inspecteur "avait commis une erreur de droit en appliquant un critère inapproprié pour déterminer si l’implantation des bâtiments était autorisée au titre des dispositions de (...) l’arrêté général d’aménagement" et en "considérant que lesdits bâtiments n’étaient ni requis ni raisonnablement nécessaires à des fins agricoles, alors qu’il n’existait aucune preuve permettant à un inspecteur doté de bon sens de tirer une telle conclusion". Les moyens d’appel suivants reprenaient expressément les moyens de l’appel auprès du ministre tirés des alinéas a) et g) (paragraphe 9 ci-dessus). Le recours fut rejeté par la High Court le 8 mars 1991, le juge, M. Lionel Read, QC, concluant notamment: "Lors de l’enquête, l’un des principaux arguments présentés pour le compte du requérant au titre [du moyen tiré] de l’alinéa b) consistait à dire que la construction des deux bâtiments était autorisée en vertu de l’arrêté général d’aménagement (...) (...) Le requérant ne conteste pas la décision de l’inspecteur au titre du moyen b). Néanmoins, les paragraphes 14 et 15 de celle-ci, où il continue à traiter de ce moyen, sont à prendre en compte par la cour dans son étude de la décision quant aux moyens a) et g) (...) (...) A mon sens, (...) l’on ne peut dire que l’inspecteur ait négligé de tenir compte de ce que le requérant pourrait, dans le cadre de ses droits au titre de l’arrêté général d’aménagement de 1988, construire des bâtiments de caractère approximativement similaire. Il a mentionné cette même considération en termes explicites au paragraphe 19 de sa décision. Le requérant jouissant de ces droits et souhaitant disposer de plus de temps pour édifier un ou plusieurs bâtiments de remplacement, l’inspecteur prolongea, dans le cadre du moyen h), le délai accordé à l’intéressé pour se conformer à la mise en demeure. Quant à déterminer si l’existence des droits découlant de l’arrêté général d’aménagement fournissait une raison suffisante à l’inspecteur pour accorder un permis de construire pour les bâtiments réellement édifiés - soumis ou non à conditions, comme l’avait suggéré le requérant -, il s’agissait d’une question de jugement relevant de l’inspecteur. Savoir si un autre responsable serait parvenu à la même conclusion que cet inspecteur ne présente aucun intérêt, non plus que l’opinion de ce tribunal, qui ne siège pas en appel contre des jugements émis par des inspecteurs. Je n’ai pu constater quoi que ce soit d’irrationnel dans la décision de l’inspecteur. Notamment, la question de savoir si les modifications proposées pour un bâtiment étaient, comme il le pensait manifestement, "une question d’apparence" et ne suffiraient pas à faire tomber les principales objections, relevait uniquement de son jugement en matière d’urbanisme. Il convient de se rappeler qu’afin de rester dans le cadre des droits reconnus par l’arrêté général d’aménagement, le requérant doit construire des bâtiments de remplacement qui, de par leur aspect et leur agencement, pourraient être considérés comme conçus à des fins agricoles. A cette condition, leur incidence sur la ceinture verte, le paysage et la zone de protection est sans rapport avec l’exercice de ce droit. Toutefois, cela ne signifie pas, à mon avis, que l’inspecteur ait agi irrationnellement en concluant que les bâtiments réellement construits sans permis conforme à l’arrêté étaient inacceptables et devaient être démolis. Par conséquent, je ne constate aucune erreur de droit et rejette la requête." A l’audience devant la Commission européenne des Droits de l’Homme, le 14 octobre 1993, les représentants du requérant déclarèrent que, bien qu’ils n’aient pas défendu celui-ci devant la High Court, ils présumaient que la contestation du raisonnement de l’inspecteur sur le moyen b) avait été soulevée dans l’acte d’appel à la High Court, puis abandonnée à l’audience devant cette juridiction en raison de sa compétence limitée. Le requérant a fourni à la Cour, à titre de preuve, une déclaration de l’avocat qui l’avait représenté devant la High Court. L’autorisation de saisir la Court of Appeal fut refusée. Le 11 juin 1991, la Court of Appeal opposa le même refus. II. Le droit et la pratique internes pertinents En vertu de l’article 57 de la TCPA, tout aménagement foncier requiert un permis de construire. L’article 58 de cette loi prévoit qu’un permis de construire peut être accordé par un arrêté d’aménagement. L’arrêté général d’aménagement urbain et rural de 1988 (Town and Country Planning General Development Order 1988 SI no 1813, "TCPGDO") définit les catégories d’aménagement pour lesquelles un permis est automatiquement accordé. Aux termes de l’article 3 et de l’alinéa 6 A de l’annexe no 2 au TCPGDO, un permis de construire est tacitement accordé pour les aménagements suivants: "A. La réalisation, sur un terrain agricole comportant une unité agricole, de a) travaux de construction, d’agrandissement ou de modification d’un bâtiment, ou b) toute opération de creusement ou de génie raisonnablement nécessaire à des fins agricoles dans cette unité." En conséquence, les bâtiments, édifices ou travaux non conçus à des fins agricoles nécessitent un permis de construire (paragraphe A.1 c) de la catégorie A du titre 6 de l’annexe 2 au TCPGDO). Lorsque les services locaux d’urbanisme estiment qu’il y a eu infraction au plan d’aménagement du territoire et jugent utile de prendre cette mesure, ils peuvent adresser une mise en demeure ordonnant la réparation de cette infraction (article 172 de la TCPA). L’article 174 par. 2 de la TCPA dispose qu’un appel d’une mise en demeure peut être formé devant le ministre en vertu de l’un des moyens suivants: "a) le permis de construire devrait être accordé pour l’aménagement auquel se rapporte la mise en demeure ou, le cas échéant, une condition ou une limitation que la mise en demeure prétend non respectée devrait être supprimée; b) les faits reprochés dans la mise en demeure ne constituent pas une infraction à la réglementation en matière d’urbanisme; (...) g) les mesures requises par la mise en demeure excèdent ce qu’il convient de faire pour remédier à toute infraction à la réglementation en matière d’urbanisme ou pour atteindre un objectif spécifié à l’article 173 par. 4; h) le délai spécifié dans la mise en demeure pour prendre les mesures nécessaires est inférieur à celui qui devrait raisonnablement être accordé." L’article 175 par. 3 de la TCPA dispose que si un appelant ou l’autorité locale le souhaitent, le ministre donnera à chacun d’entre eux la possibilité de comparaître devant une personne nommée par lui à cet effet et d’être entendu par elle. Lorsque ladite personne aura pris une décision quant au recours, celle-ci sera considérée comme celle du ministre. Conformément au règlement pertinent, les appels de mises en demeure sont soumis à un inspecteur qui rend une décision à leur sujet. Selon le document-cadre du bureau exécutif de l’inspection de l’urbanisme (1992), "le personnel de l’inspection agit au nom du [ministre] de l’Environnement (...) Cela comprend le travail des inspecteurs qui, en exerçant leur jugement propre de façon indépendante, statuent sur des affaires ou adressent des recommandations au (...) ministre (...)" (paragraphe 2.2). Le processus de prise de décision sur les appels revêt un "caractère quasi judiciaire" (paragraphe 2.4). L’inspection, qui "défend les principes de transparence, d’équité et d’impartialité" (paragraphe 2.6), est soumise au contrôle des tribunaux, de la commission parlementaire pour l’administration et au conseil contentieux (Council on Tribunals) (...)" (paragraphe 2.6). L’un des objectifs de l’inspection est le maintien de "l’intégrité de chaque inspecteur comme organe de jugement indépendant, libre de toute influence indue" (paragraphe 2.7 ii.). L’annexe B au document-cadre indique en outre: "Chaque inspecteur doit faire preuve d’un jugement indépendant; il ne doit pas être soumis à une influence indue et il ne doit pas apparaître qu’il existe une telle possibilité." Dans la pratique, les principes fondamentaux énoncés dans ce document étaient appliqués de longue date. En se prononçant sur des recours en matière d’urbanisme, les inspecteurs doivent tenir notamment compte de la politique définie par le ministre en matière d’urbanisme, à titre de "paramètre factuel" (material consideration) (article 70 de la TCPA) et se conformer aux diverses règles de procédure relatives à l’examen des recours contre des mises en demeure (règlement de 1981 sur l’aménagement urbain et rural (mises en demeure et recours) - Town and Country Planning (Enforcement Notices and Appeals) Regulations 1981 - et règles de 1981 sur l’aménagement urbain et rural (exécution) (procédures d’enquête) - Town and Country Planning (Enforcement) (Inquiries Procedure) Rules 1981). Comme toute personne exerçant des pouvoirs tirés de lois, l’inspecteur doit également faire preuve d’équité dans la conduite de la procédure. Les décisions des inspecteurs ne sont pas revues au stade du projet, avant promulgation, par le ministère de l’Environnement. Cependant, jusqu’à la parution de la décision, le ministre peut dessaisir l’inspecteur de son pouvoir de statuer en appel (annexe 6 à la TCPA). L’article 289 de la TCPA régit les recours formés contre une décision du ministre au titre de l’article 174. L’appelant peut saisir la High Court d’un point de droit ou demander au ministre de soumettre le dossier à cette juridiction pour obtenir son avis sur une question de droit (article 289 par. 1 de la TCPA). Nul ne conteste qu’un recours sur un "point de droit" se fonde sur des motifs identiques à une demande de contrôle juridictionnel. Il suppose donc de rechercher si une décision ou une déduction fondée sur une constatation de fait est arbitraire ou irrationnelle (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Brind, Appeal Cases 1991, pp. 764 H-765 D). La High Court accueillera également un recours lorsque la décision de l’inspecteur ne comporte aucune preuve étayant une constatation donnée, lorsque ladite décision se fonde sur des éléments étrangers à l’affaire ou néglige des facteurs pertinents ou encore a été prise à des fins irrégulières, en suivant une procédure inéquitable ou en contrevenant à la législation ou à la réglementation en vigueur. Cependant, l’organe de contrôle ne peut substituer sa propre décision sur le bien-fondé de la cause à celle de l’autorité administrative (paragraphe 12 ci-dessus). Etant donné qu’un recours devant la High Court au titre de l’article 289 par. 1 porte sur un point de droit, la High Court n’a pas le pouvoir de recevoir des preuves complémentaires sur les faits bruts (Green v. Minister of Housing and Local Government, All England Law Reports 1963, vol. 1, p. 616). Les Halsbury’s Statutes of England and Wales (4e édition, vol. 46 (réédition 1990), p. 836) qualifient de contradictoires les conclusions rendues dans bon nombre d’affaires portant sur la question de savoir si un point est de fait ou de droit. Les Halsbury’s Laws of England (4e édition, vol. 46 (réédition 1992), p. 698) exposent que "s’il n’existe pas de preuves étayant une constatation particulière, ou si l’organe de jugement ne tient absolument aucun compte d’un point pertinent, il pourrait bien y avoir des moyens d’appel soulevant une question de droit. L’assertion selon laquelle un organe de jugement n’a pas accordé suffisamment d’importance à une preuve, ou n’a pas tenu suffisamment compte d’une circonstance particulière, ne fournit pas de tels moyens; et c’est à cet organe qu’il revient de définir l’importance qu’il accordera à un élément de preuve particulier ou à un point donné". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 29 octobre 1991 à la Commission, M. Bryan s’appuyait sur l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) à la Convention pour dénoncer une violation de son droit au respect de ses biens du fait de la mise en demeure que le conseil municipal de Vale Royal lui avait adressée le 4 décembre 1989 (paragraphe 8 ci-dessus). Il alléguait également que le contrôle exercé par la High Court ne revêtait pas une portée suffisante pour satisfaire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a déclaré la requête (no 19178/91) recevable le 14 octobre 1993 uniquement pour le grief tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Dans son rapport du 28 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle estime qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition (art. 6-1) (onze voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le requérant a invité la Cour "à dire qu’il y a eu violation de l’article 6 (art. 6) et à lui accorder une satisfaction équitable". De son côté, le Gouvernement a fait valoir que, "considérant la procédure dans son ensemble, M. Bryan n’a subi aucune violation de l’article 6 par. 1" (art. 6-1).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE A. L'"affaire ABP" En 1983 fut publié de manière anonyme un "livre noir" (zwartboek) contenant des allégations d'irrégularités concernant les opérations financières du Fonds général des pensions civiles (Algemeen Burgerlijk Pensioenfonds, "l'ABP"). A la suite d'une enquête judiciaire, les deux requérants furent inculpés de faux et de corruption. A l'époque, M. Masson était le gestionnaire du portefeuille de l'ABP. M. van Zon était un homme d'affaires s'occupant de promotion immobilière. B. Les procédures au pénal M. Masson a) Les restrictions à sa liberté Le 10 mai 1984, M. Masson fut arrêté et placé en garde à vue (verzekering). On le mit par la suite en détention provisoire (voorlopige hechtenis). Par une ordonnance du 21 février 1985 (produisant ses effets le 22), la chambre du conseil (raadkamer) du tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Maastricht suspendit la détention provisoire, autorisant M. Masson à rentrer chez lui, à condition, notamment, qu'il remît son passeport et qu'il se présentât quotidiennement au bureau de police local. De surcroît, il lui était interdit de communiquer, de quelque manière que ce fût, avec son co-ïnculpé M. van Zon. La chambre du conseil prononça le 26 mars 1986 la mainlevée de l'obligation pour l'intéressé de se présenter quotidiennement à la police. b) Les procédures suivies devant les juridictions internes jusqu'à son acquittement Vers la fin de juillet 1984, le procureur (officier van justitie) assigna M. Masson à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht le 3 août 1984 pour y répondre de quatre chefs de faux, de complicité de banqueroute frauduleuse, de corruption et d'escroquerie. M. Masson déposa le 26 juillet 1984 une réclamation (bezwaarschrift) qui entraîna la caducité de l'assignation (article 262 du code de procédure pénale ("CPP") dans sa version de l'époque). Le tribunal d'arrondissement l'en débouta le 14 septembre 1984. Sur recours, la cour d'appel de Bois-le-Duc décida le 7 novembre 1984 de disculper M. Masson du chef de complicité de banqueroute frauduleuse, mais estima que, pour le reste, les poursuites dirigées contre l'intéressé étaient à première vue légitimes. Sa décision fut confirmée par la Cour de cassation (Hoge Raad) le 26 mars 1985. M. Masson fut à nouveau assigné à comparaître devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht le 20 mai 1985 pour y répondre, cette fois, des charges retenues par la cour d'appel le 7 novembre 1984. Le 21 mai 1987, après plusieurs ajournements et audiences, le tribunal d'arrondissement acquitta M. Masson sur l'un des chefs d'accusation, mais le reconnut coupable quant aux autres. Elle le condamna à un an d'emprisonnement et lui enjoignit de verser à l'Etat 108 000 florins néerlandais (NLG), représentant l'estimation par le tribunal des bénéfices réalisés par M. Masson grâce aux délits dont il avait été convaincu. Tant M. Masson que le procureur attaquèrent ce jugement devant la cour d'appel de Bois-le-Duc. Le 7 juin 1988, celle-ci acquitta M. Masson sur l'ensemble des charges. M. van Zon a) Les restrictions à sa liberté M. van Zon fut arrêté le 11 mai 1984. Comme M. Masson, il fut placé en garde à vue puis en détention provisoire. Il demeura incarcéré jusqu'au 29 janvier 1985. A cette date, sa détention provisoire fut suspendue à condition qu'il se présentât chaque semaine devant le juge d'instruction et qu'il fournît une caution de 350 000 NLG. L'ordonnance lui enjoignant de se présenter au juge d'instruction fut levée le 14 février 1986. Le 30 septembre 1987, à la demande de M. van Zon, la cour d'appel de Bois-le-Duc annula dans son entier l'ordonnance portant détention provisoire et prescrivit la restitution de la caution. b) Les procédures suivies devant les juridictions internes jusqu'à son acquittement M. van Zon fut assigné à comparaître le 3 août 1984 devant le tribunal d'arrondissement de Maastricht. Le 24 juin 1987, après plusieurs ajournements et audiences, celui-ci reconnut l'intéressé coupable sur un certain nombre de chefs d'escroquerie, de corruption et de faux et le condamna à un an d'emprisonnement. Tant le procureur que M. van Zon attaquèrent ce jugement devant la cour d'appel de Bois-le-Duc. Le 7 juin 1988, celle-ci acquitta M. van Zon de l'ensemble des charges. C. Dommage, frais de justice et procédures d'indemnisation M. Masson M. Masson fut suspendu de ses fonctions par le ministre de l'Intérieur (Minister van binnenlandse zaken) le 26 août 1983, à la suite de l'engagement des poursuites pénales. Le 24 décembre 1984, le ministre décida de retenir un tiers de son salaire pendant une période de six semaines et l'intégralité par la suite, ce qui semble avoir privé l'intéressé de revenus provenant d'un emploi public du 5 février 1985 au 1er septembre 1987, date à laquelle il fut admis au bénéfice d'une pension. En septembre 1988, à la suite de l'acquittement, le ministre de l'Intérieur versa à M. Masson la moitié du montant qui avait été retenu. Les frais de justice exposés par M. Masson dans le cadre des procédures internes s'élevaient au total à 804 090,99 NLG. De cette somme, 787 243,56 NLG demeurèrent impayés. M. van Zon M. van Zon dut verser à ses avocats 610 049,61 NLG pour leur assistance dans les procédures internes; parmi les autres frais consentis par lui figure la garantie bancaire exigée à titre de caution à la place de sa détention. Les actions engagées Les 5 et 6 septembre 1988, M. van Zon et M. Masson saisirent la cour d'appel de requêtes, les unes fondées sur l'article 591a CPP et tendant au remboursement par l'Etat des frais de justice, de voyage et de subsistance exposés par eux dans le cadre des procédures (paragraphe 28 ci-dessous), les autres fondées sur l'article 89 et visant à une réparation financière pour les restrictions à leur liberté (paragraphe 27 ci-dessous). Le 9 décembre 1988, la chambre du conseil de la cour d'appel rejeta les demandes formulées par les deux requérants au titre de l'article 89 au motif qu'il n'y avait en équité aucune raison de leur accorder une indemnité. Parmi les trois juges dont la chambre était composée, deux (dont le président) avaient siégé en appel; le troisième membre de la chambre originaire avait, dans l'intervalle, quitté la cour d'appel de Bois-le-Duc. Par des décisions du même jour, le président de la chambre du conseil alloua 5 853,55 NLG à M. Masson et 3 559,80 NLG à M. van Zon au titre du remboursement des frais de voyage et de subsistance encourus en rapport avec les audiences ainsi que pour les frais des témoins à décharge, mais il rejeta leurs demandes pour le surplus. Ces décisions se référaient explicitement à celles de la chambre du conseil mentionnées au paragraphe précédent, y compris à leurs motifs. Les deux requérants attaquèrent l'Etat néerlandais devant le tribunal d'arrondissement de La Haye (M. van Zon le 27 mai 1993 et M. Masson le 6 juin 1993). Alléguant un délit civil (onrechtmatige daad), ils réclamaient réparation du dommage à eux causé par leur détention provisoire, ainsi que le remboursement intégral de leurs frais de justice. Il apparaît que cette procédure est toujours pendante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale ont été modifiées par la loi du 8 novembre 1993, Staatsblad (Journal officiel) 1993, n° 591, entrée en vigueur le 1er janvier 1994 (paragraphe 31 ci-dessous). Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale dans leur version de 1988 Dans la mesure où ils sont pertinents en l'espèce, les articles 89 et 90 CPP étaient ainsi libellés: Article 89 "1. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'estimposée, ou s'il en est prononcé une mais en raison d'un faitpour lequel la détention provisoire n'est pas autorisée, lejuge peut, à la requête de l'ex-prévenu, allouer à celui-ci,aux frais de l'Etat, une indemnité pour le préjudice subi parlui du fait de sa garde à vue ou de sa détention provisoire.Le terme préjudice englobe le dommage non patrimonial. (...) La requête ne peut être introduite que dans les troismois après la clôture de l'affaire. Le requérant estentendu, ou du moins appelé, et il peut se faire assister parun avocat lors de l'audience. L'avocat se voit donnerl'occasion, lors des audiences, de formuler les observationsnécessaires. La chambre du conseil se compose, autant que possible,des membres qui ont siégé au procès. Est compétente pour allouer l'indemnité, la juridictionde jugement (gerecht in feitelijke aanleg) qui, à l'époque dela clôture de l'affaire, était ou serait saisie de celle-ciou qui autrement était la dernière à en avoir été saisie, ou,s'il s'agit d'un tribunal de canton (kantonrechter), letribunal de l'arrondissement. (...)" Article 90 "1. Une indemnité est toujours octroyée si et dans lamesure où le juge estime, au vu de toutes les circonstances,qu'elle se justifie en équité. Pour en déterminer le montant il faut aussi tenircompte de la situation matérielle (levensomstandigheden) del'ex-prévenu. La décision est motivée. L'ordonnance est signifiéesans délai à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, mais, s'ils'agit d'une décision de rejet, sans ses motifs. Dans cecas, l'ex-prévenu ou ses héritiers peuvent prendreconnaissance de ceux-ci au greffe." Il n'était pas possible d'introduire un pourvoi en cassation contre une décision fondée sur ces dispositions. Dans la mesure où ils sont pertinents en l'espèce, les articles 591 et 591a CPP étaient ainsi libellés: Article 591 "1. Il est alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, à la charge de l'Etat, une indemnité pour les frais que l'intéressé a dû exposer du fait des prescriptions légales et réglementaires relatives aux honoraires en matière pénale (Wet tarieven in strafzaken) pour autant que l'exposition de ces frais a servi l'intérêt de l'enquête ou que le retrait, par le ministère public (openbaar ministerie), des citations ou des recours diligentés par lui l'a rendue inutile. Le montant de l'indemnité est fixé à la requête de l'ex-prévenu ou de ses héritiers. La requête doit être introduite dans les trois mois de la clôture de l'affaire. La fixation du montant a lieu devant la juridiction de jugement qui, à l'époque de la clôture de l'affaire, s'en trouvait ou s'en serait trouvée saisie, ou était autrement la dernière à en avoir été saisie, et elle est le fait du juge de canton ou du président du tribunal. Le président peut désigner à cet effet un des conseillers ou un des juges ayant connu de la cause. Le juge de canton ou celui du tribunal d'arrondissement [ou le conseiller] délivre un mandat d'exécution (bevelschrift van tenuitvoerlegging) pour le montant de l'indemnité. Ceux qui ont introduit la requête peuvent être entendus. S'ils l'exigent, ils doivent être entendus, ou du moins appelés. Ils peuvent se faire assister par un avocat. L'article 24, dernier alinéa, trouve à s'appliquer. (...)" Article 591a "1. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'est imposée (...), il est alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, aux frais de l'Etat, une indemnité, calculée sur la base des prescriptions légales et réglementaires relatives aux honoraires en matière pénale, pour les frais de voyage et de subsistance exposés par lui aux fins de l'enquête et du traitement de l'affaire. Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'est imposée (...), il peut être alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, aux frais de l'Etat, une indemnité pour le préjudice réellement subi par l'intéressé du fait de la perte de temps résultant de l'instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) et du traitement de l'affaire à l'audience, ainsi que pour ses frais d'avocat. Cette indemnité couvre aussi les frais d'avocat afférents à la garde à vue et à la détention provisoire. Une indemnité pour ces frais peut en outre être accordée dans l'hypothèse où l'affaire se termine par le prononcé d'une peine ou d'une mesure en raison d'un fait pour lequel la détention provisoire n'est pas autorisée. (...) Les articles 90 et 591, paragraphes 2 à 5, s'appliquent par analogie." Elaboré en 1921 et entré en vigueur en 1926, le code de procédure pénale partait du principe que les questions dont il traitait étaient tranchées, soit par la juridiction de jugement après une audience qui en principe était publique, soit par la chambre du conseil à huis clos. La procédure devant la chambre du conseil était régie par les articles 21 à 26. Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, l'article 21 CPP disposait : "1. Dans tous les cas où la décision ne doit pas obligatoirement être prise par la juridiction de jugement à l'audience ou n'y est pas prise d'office, l'examen a lieu en chambre du conseil. Néanmoins, il est débattu et statué à l'audience sur toutes les demandes, requêtes ou propositions qui y sont formulées. 2-4. (...)" Dans la mesure où il est pertinent, l'article 24 CPP énonçait: "1. Le prévenu a le droit de se faire assister par son conseil à toutes les audiences. 2-3. (...) Le conseil ou l'avocat se voient donner l'occasion, pendant les audiences, de formuler les observations nécessaires." Les requêtes fondées sur les articles 89 et suivants et celles s'appuyant sur les articles 591 et 591a étaient examinées par la chambre du conseil. Ainsi qu'il a été indiqué au paragraphe précédent, la procédure en chambre du conseil n'était, en principe, pas publique. Etant donné toutefois que la Convention est directement applicable aux Pays-Bas et qu'elle prime la loi nationale, il était loisible aux intéressés d'arguer du fait qu'une requête fondée sur l'une des dispositions précitées concernait un "droit civil" au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et qu'en conséquence ils avaient droit à une audience publique. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que si la chambre du conseil souscrivait à cette thèse, elle devait accueillir la demande d'examen en audience publique. Elle pouvait aussi conclure d'office à l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) et en déduire qu'il lui fallait examiner en public la requête en question, à moins que le requérant ne préférât une audience à huis clos (voir notamment l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 1990, Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise, "NJ") - 1991, n° 184). Dans un pourvoi dans l'intérêt de la loi (cassatieberoep in het belang der wet) dirigé contre une décision rendue par la cour d'appel de Bois-le-Duc le 27 mars 1992, le procureur général (procureur-generaal) près la Cour de cassation se pencha sur la question de savoir si une demande d'indemnité fondée sur l'article 89 CPP conduisait à la détermination d'un "droit de caractère civil", et il y répondit par la négative (voir les paragraphes 19 à 21 de ses conclusions). Dans son arrêt de rejet (arrêt du 2 février 1993, NJ 1993, n° 553), la Cour de cassation refusa expressément de statuer sur cette question. Les modifications législatives entrées en vigueur le 1er janvier 1994 La loi du 8 novembre 1993 (paragraphe 26 ci-dessus) tend à aligner la procédure en chambre du conseil sur l'article 6 (art. 6) de la Convention tel que, d'après le législateur, ce texte (art. 6) doit être compris en vertu de la jurisprudence de la Cour. Le législateur a choisi de maintenir le principe de la non-publicité de la procédure en chambre du conseil, mais d'en prescrire la publicité là où l'article 6 (art. 6) l'exige. Dans la mesure où il est pertinent, l'article 22 CPP énonce à présent: "1. Sauf disposition contraire, la procédure en chambre duconseil ne se déroule pas en public. 2-4. (...)" L'exposé des motifs (Kamerstukken (Documents parlementaires) II, 1991-1992, 22 583 n° 3, pp. 11 et suiv.) énumère les procédures en chambre du conseil qui, aux yeux du Gouvernement, relèvent de l'article 6 (art. 6) de la Convention. A cet égard, on peut en citer le passage suivant (p. 17): "Les actions en obtention d'une indemnité pour dommages oupour frais* sont d'une nature hybride (gemengd van aard)(articles 89, 90, 591 et 591a). Certes, le lien étroit del'action avec le procès pénal justifie qu'on la place dans lecode de procédure pénale, mais l'enjeu de la procédure n'enpeut pas moins passer pour être de caractère civil.L'applicabilité de l'article 6 (art. 6) est ainsi établie."(*En relief dans l'original) En conséquence, le troisième paragraphe de l'article 89 dispose à présent: "La requête ne peut être introduite que trois mois après laclôture de l'affaire. L'examen par la chambre du conseil alieu en public." De même, le troisième paragraphe de l'article 591 énonce à présent: "L'examen de la requête par la chambre du conseil a lieu en public." Autre conséquence du fait que l'article 6 (art. 6) est maintenant jugé applicable à la procédure fondée sur l'article 89, le troisième paragraphe de l'article 90 a été modifié. Il dispose à présent: "L'ordonnance est signifiée sans délai à l'ex-prévenu ou àses héritiers." On peut lire dans l'exposé des motifs: "L'article 24 exige que l'ordonnance soit motivée. Lapublicité envisagée de l'audience et du prononcé de ladécision est incompatible avec l'omission de la motivationdans une ordonnance de rejet." B. Distinction entre possibilité d'obtenir une indemnité enéquité et droit à réparation Dans son arrêt du 7 avril 1989 (NJ 1989, n° 532), la chambre civile de la Cour de cassation a décidé que l'article 89 du CPP n'empêchait pas un ex-prévenu s'estimant victime d'une privation illégale de liberté d'engager la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat devant le juge civil et de réclamer la réparation intégrale du dommage subi par lui. La Cour de cassation a considéré notamment que "[l'article 89] visait seulement à donner au juge lapossibilité d'allouer, en équité, une indemnité 'pour uneprivation de liberté qui, pour avoir été légale, ne s'en estpas moins révélée être par la suite injustifiée'". Dans la ligne de cette décision, on peut citer un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 2 février 1993 (NJ 1993, n° 552), et indiquant notamment: "Les articles 89 et suivants du code de procédure pénaleoffrent à l'ex-prévenu une possibilité rapide et peuonéreuse, mais en même temps limitée, eu égard auxdispositions des premier et deuxième paragraphes del'article 90 du code, d'obtenir sur le fondement de l'équitéune indemnité pour le dommage subi. Aussi cette procédure nes'étend-elle pas à l'octroi par le juge d'une réparationintégrale pour un délit civil commis par l'Etat à l'égard del'(ex-)prévenu et laisse donc intacte pour ce dernier lapossibilité de s'adresser de ce chef au juge civil. Comptetenu de la portée limitée de la procédure régie par lesarticles 89 et suivants du code de procédure pénale, lesrègles prescrites dans ces dispositions au sujet de laprocédure à suivre n'empêchent pas leur application aussi encas de privation illégale de liberté." Il y a peu, la chambre civile de la Cour de cassation a une nouvelle fois confirmé que l'ex-prévenu ne peut saisir le juge civil que s'il agit sur la base d'une privation illégale de liberté et que, pour le reste, la seule possibilité qui s'offre à lui est d'engager une procédure sur le fondement des articles 89 et suivants CPP (arrêt du 23 décembre 1994, Rechtspraak van de Week (Recueil hebdomadaire de jurisprudence, "RvdW") 1995, n° 12). Il ressort donc de cette jurisprudence que l'ex-prévenu peut saisir à son choix le juge pénal ou le juge civil. Pour que sa demande soit accueillie par le juge civil, il lui faut prétendre et prouver qu'il a été privé illégalement de sa liberté; s'il y parvient, il a droit à une réparation intégrale. Pour que sa demande soit accueillie par le juge pénal, il suffit que l'affaire se soit terminée sans qu'une peine ou mesure ait été prononcée et que la chambre du conseil estime qu'il existe, en équité, des motifs pour lui allouer une indemnité. Anciennement controversée en doctrine, la question de savoir quand une privation de liberté intervenant dans le cadre de poursuites pénales constitue un délit civil a été tranchée dans deux arrêts récents de la Cour de cassation. Dans celui du 29 avril 1994 (RvdW 1994, n° 104), la Cour de cassation a rejeté la thèse selon laquelle une détention provisoire subie à cause d'un fait dont le prévenu a été acquitté doit, après coup, toujours et automatiquement passer pour illégitime, l'Etat étant par conséquent tenu d'indemniser le prévenu du dommage subi par lui de ce fait. Elle a estimé au contraire que seules des circonstances supplémentaires pouvaient conduire à cette décision. Elle a énuméré ces circonstances supplémentaires dans le même arrêt et les a développées dans son arrêt précité du 23 décembre 1994. Il ressort de ce dernier qu'une détention provisoire ne peut engager la responsabilité quasi délictuelle de l'Etat et ouvrir à l'ex-prévenu un droit à réparation intégrale que dans deux cas: - premièrement, s'il est établi après coup, soit par la décision acquittant l'ex-prévenu, soit sur la base d'autres preuves contenues dans le dossier de la procédure au pénal, que les soupçons qui existaient au moment où la détention provisoire a été ordonnée et qui la justifiaient à l'époque n'avaient, en fait, pas de base; et - deuxièmement, si la détention provisoire a été ordonnée au mépris du droit écrit ou non écrit, c'est-à-dire si les conditions légales pour une telle détention n'étaient pas remplies, si la détention a été ordonnée en violation de droits fondamentaux de l'accusé (par exemple, sans que celui-ci ait été entendu) ou si, compte tenu des circonstances, la détention était disproportionnée et par conséquent incompatible avec l'obligation de vigilance des autorités. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. van Zon et M. Masson ont saisi la Commission de leurs requêtes (nos 15379/89 et 15346/89) les 2 et 8 juin 1989 respectivement. Invoquant l'article 3, l'article 5 paras. 1, 2, 3 et 5, l'article 6 paras. 1, 2 et 3 et l'article 13 (art. 3, art. 5-1, art. 5-2, art. 5-3, art. 5-5, art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3, art. 13) de la Convention, l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et l'article 2 du Protocole n° 7 (P7-2), M. Masson énonçait divers griefs concernant sa garde à vue et sa détention provisoire, ainsi que le refus de lui accorder réparation pour ses périodes de détention et de lui rembourser ses frais de justice. Se prévalant de l'article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) et de l'article 13 (art. 13), M. van Zon se plaignait seulement du refus de lui accorder réparation pour sa détention avant procès et de lui rembourser ses frais de justice. Le 1er avril 1992, la Commission a décidé de différer l'examen des griefs formulés par les deux requérants sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention relativement à leurs demandes de remboursement de leurs frais de justice et autres et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus. Après avoir joint les requêtes, elle les a déclarées recevables pour le surplus le 8 janvier 1993 et a décidé en outre que le grief tiré par M. Masson de l'article 13 (art. 13) était tellement lié à celui qu'il formule sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) qu'il était impossible de les dissocier à ce stade. Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation, dans chaque espèce, de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (quinze voix contre neuf) et qu'il ne s'impose pas d'examiner la doléance énoncée par M. Masson sur le terrain de l'article 13 (art. 13) (vingt et une voix contre trois). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a conclu à la fois son mémoire et sa plaidoirie en affirmant que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) n'est pas applicable en l'espèce et que, le serait-il, il n'y aurait pas eu violation. A l'audience, l'avocat de M. van Zon (seul requérant à avoir pris part à la procédure devant la Cour - paragraphe 2 ci-dessus) a conclu que "[p]our les raisons exposées dans la requête introductive et dans les observations complémentaires produites devant la Commission, ainsi que dans les conclusions écrites présentées à la Cour et les explications fournies à l'audience", l'article 6 par. 1 (art. 6-1) s'applique en l'espèce et a été violé.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le 15 novembre 1987 vers 20 heures, les gendarmes de la brigade de Vescovato étaient informés par un appel téléphonique de Mme R. qu'une agression venait d'être perpétrée à la ferme des époux R., à Querciolo, dans la commune de Sorbo-Ocagnano (Haute-Corse). L'auteur des faits avait été mortellement blessé par balle. Se transportant sur les lieux, les gendarmes découvraient le cadavre d'un homme, identifié à la morgue comme étant celui de Jean-Baptiste Acquaviva, fils et frère des requérants. Il s'agissait d'un militant nationaliste en fuite, dont la photo figurait sur des affiches apposées par la police qui proposait une récompense à toute personne susceptible de l'aider dans ses recherches. R. fut immédiatement placé en garde à vue, puis relâché à 1 h 30 le 16 novembre 1987. Son épouse fut également entendue. Un rapport d'autopsie fut établi le 17 novembre. Le lendemain, le procureur de la République de Bastia requit des expertises balistique et toxicologique qui furent déposées les 4 décembre 1987 et 4 janvier 1988. Dans deux communiqués diffusés le lendemain des faits, le Front de libération nationale de la Corse (FLNC) - organisation dissoute en janvier 1983 - présenta la victime comme un "frère de combat" et un "martyr de la cause nationaliste", délibérément abattu par R. Les époux R. quittèrent la Corse sous de fausses identités le 18 novembre 1987, le capitaine de gendarmerie les ayant avertis qu'il ne pourrait pas assurer leur sécurité. Le mobilier de la ferme disparut le 20 novembre. Le 3 décembre 1987, l'enquête de gendarmerie conclut à l'existence d'indices graves et concordants de nature à motiver l'inculpation de R. pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, cet acte paraissant avoir été accompli en état de légitime défense. Le 11 décembre 1987, les parents de la victime déposèrent plainte avec constitution de partie civile pour homicide volontaire contre R.: ils souhaitaient connaître les circonstances du décès de leur fils et sollicitèrent la reconstitution des faits, sans réclamer d'indemnisation. Le 14 janvier 1988, ils consignèrent la somme de 5 000 francs français (FRF) fixée par ordonnance du 14 décembre 1987. Le 19 décembre 1987, la ferme placée sous la surveillance de la gendarmerie fut partiellement détruite par un attentat à l'explosif. L'information ouverte relativement à ces faits fut clôturée le 2 janvier 1990 par l'effet de la loi d'amnistie du 10 juillet 1989. A. L'instruction à Bastia Par le juge d'instruction Le 25 janvier 1988, une information fut ouverte contre X du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le même jour, le juge Catalano fut désigné pour l'instruire et le parquet demanda des investigations et la reconstitution des faits. Les requérants furent entendus le 8 avril 1988. Le 13 juin 1988, le parquet requit les auditions du médecin qui avait constaté le décès et du chef de gendarmerie. Celles-ci eurent lieu le 25 août 1988. Les parties civiles ne se présentèrent pas à la convocation du 4 juillet 1988 par suite de l'empêchement de leur conseil. Le 2 septembre 1988, le juge d'instruction commit les médecins qui avaient procédé à l'autopsie; ils présentèrent leur rapport le 23 septembre. Le 20 septembre, les gendarmes déposèrent en tant que témoins. La ferme des époux R. - acquise au printemps 1988 par le ministère de l'Agriculture - fut mise sous scellés le 27 septembre 1988. Entendus le 13 octobre 1988 au sujet du rapport des experts médicaux, les requérants maintinrent leur plainte et insistèrent sur la nécessité d'une reconstitution. Convoqué le 20 octobre 1988, R. se fit excuser auprès du juge et ne se déplaça pas le 3 novembre pour l'interrogatoire. Dans un réquisitoire supplétif du 26 octobre 1988, le procureur de la République préconisa de nouvelles expertises, notamment balistique. Un mois plus tard, les parties civiles réclamèrent à leur tour des mesures d'instruction complémentaires. Le 10 janvier 1989, le juge d'instruction se rendit à l'aéroport parisien d'Orly pour entendre R. en qualité de témoin assisté et sa femme en tant que simple témoin. Le 11 janvier 1989, le juge rejeta les demandes d'investigation présentées par le parquet et les parties civiles. Ceux-ci attaquèrent son ordonnance. Appelé à d'autres fonctions, M. Catalano fut remplacé le 12 janvier 1989 par le juge Sievers. Par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bastia a) Le contentieux relatif à la reconstitution Saisie par le procureur de la République de Bastia et les requérants, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bastia considéra, dans un arrêt avant dire droit du 22 février 1989, que le refus de procéder aux investigations demandées faisait grief aux intérêts des parties civiles.Comme l'y invitait le procureur général, elle infirma la décision du juge Catalano et ordonna un supplément d'information consistant notamment en la reconstitution des faits sur les lieux, en présence de R. et de deux experts désignés en matière balistique. Elle en confia l'exécution au juge Sievers et mit à la charge du Trésor public l'avance des frais d'expertise. Le 31 mai 1989, le parquet prit un réquisitoire supplétif pour organiser le transport sur les lieux des époux R. en vue des opérations de reconstitution. R. fut entendu le 27 juin 1989 à Paris en qualité de témoin assisté. Le 10 octobre 1989, la gendarmerie constata le bris des scellés apposés sur la ferme et le vol d'une pièce à conviction, la porte d'entrée qui portait la marque des impacts de balles. Dans un rapport déposé dix jours plus tard, le commandant indiqua que ces faits rendaient impossible la réalisation dans des conditions satisfaisantes de la reconstitution, compte tenu par ailleurs de l'absence de tout mobilier dans la maison. Le juge d'instruction se transporta sur les lieux le 23 octobre 1989. Il entendit R. le 26 octobre à Paris. Le 31 octobre 1989, le parquet de Bastia requit contre X l'ouverture d'une information judiciaire incidente à la suite de la destruction des scellés et du vol de la porte. Cette procédure fut ensuite clôturée par un arrêt de non-lieu. Le 7 novembre 1989, le juge d'instruction ordonna une enquête sur le déménagement du mobilier et la disparition de la porte. Il se transporta sur les lieux le 9 novembre et entendit les requérants le lendemain au sujet des préparatifs de la reconstitution. Dans le cadre de cette enquête, le juge entendit les gendarmes le 15 novembre 1989, le fils des époux R. le 8 décembre puis, le 18 décembre, le procureur qui était intervenu le soir du drame. Il délivra le 20 décembre une commission rogatoire. L'ancien procureur de la République de Bastia lui précisa, le 15 janvier 1990, que la reconstitution avait été envisagée dès le début de la procédure. Cette opération, fixée au 16 janvier 1990 et organisée à grand renfort de mesures de sécurité, n'eut pas lieu, en raison de l'absence de R. et du capitaine de gendarmerie qui avait mené l'enquête ainsi que du refus des requérants d'y assister dans de telles circonstances. Le lendemain, les époux Acquaviva sollicitèrent des mesures coercitives à l'encontre des époux R. Le ministère public requit, le 19 janvier 1990, la transmission des pièces à la chambre d'accusation pour qu'elle statue sur ces nouvelles demandes et décide de la suite de la procédure. Le 29 janvier 1990, le juge Sievers transmit le dossier à la juridiction, laquelle en ordonna, le 7 mars, la communication au procureur général. Le 21 mai 1990, celui-ci requit la reconstitution des faits. Le 12 juin 1990, les requérants déposèrent plainte avec constitution de partie civile visant la destruction des scellés apposés sur la maison des époux R. et le vol de la porte d'entrée.w Cette plainte pour vol, dissimulation et destruction d'indices fut déclarée irrecevable pour des motifs de procédure. b) La procédure incidente relative au statut de témoin assisté Le 13 juin 1990, la chambre d'accusation de Bastia tint une audience. Dès l'ouverture de celle-ci, les parties civiles s'élevèrent contre la présence dans la salle des conseils de R., témoin assisté. Par un arrêt incident rendu le jour même, la cour accueillit l'objection et mit l'affaire en délibéré au 20 juin quant au surplus. R. saisit la Cour de cassation le 19 juin 1990 et sollicita un examen d'urgence de son pourvoi. La chambre d'accusation de Bastia décida, le 20 juin 1990, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de cassation. Le même jour, son président invita le juge d'instruction à ne procéder à aucun acte jusqu'à nouvel ordre. A la requête du procureur de la République, reprise par le procureur général, la chambre d'accusation annula, par un arrêt du 27 juin 1990, les cinq actes d'instruction accomplis postérieurement au 29 janvier 1990. La Cour de cassation rejeta, le 27 novembre 1990, le pourvoi de R., déclaré irrecevable au motif que sa qualité de témoin assisté ne lui conférait pas celle de partie à la procédure. Le statut de témoin assisté introduit par la loi n° 87-1062 du 30 décembre 1987 visait à donner aux personnes qui sont l'objet d'une plainte avec constitution de partie civile les mêmes garanties que celles reconnues aux inculpés aujourd'hui dénommés personnes mises en examen. B. L'instruction à Versailles A la requête de son procureur général, la Cour de cassation dessaisit, le 27 février 1991, la chambre d'accusation de Bastia. Elle renvoya, pour cause de sûreté publique, la procédure suivie contre X du chef de coups mortels à la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles. La nouvelle juridiction examina l'affaire en l'état où elle avait été soumise par l'ordonnance du juge Sievers du 29 janvier 1990. Elle rendit le 21 juin 1991 un arrêt avant dire droit par lequel elle accueillit la demande du procureur général et dit "n'y avoir lieu de procéder à la reconstitution ordonnée par arrêt de la chambre d'accusation de Bastia". En effet, celle-ci ne pourrait plus "s'accomplir dans des conditions satisfaisantes. De surcroît, la participation des époux R. à de telles opérations ne serait pas sans comporter des risques inacceptables du fait de l'insécurité qui sévit dans cette région d'après les rapports de gendarmerie". Elle ordonna la mainlevée de toutes les mesures prises en vue de la reconstitution, délégua son président pour la poursuite du supplément d'information ordonné le 22 février 1989 et décida que les frais de justice seraient dorénavant à la charge des parties civiles éventuellement tenues de verser un supplément de consignation. Par une lettre du 27 août 1991, le président de la chambre d'accusation demanda aux requérants de lui indiquer les diligences qu'ils souhaitaient voir exécuter, et le 29 octobre, la chambre d'accusation communiqua l'instruction close au parquet aux fins de réquisitions. Le 30 octobre 1991, le parquet de Versailles requit le non-lieu. Le 19 novembre, les requérants déposèrent des mémoires tendant à la reconstitution des faits. Par un arrêt du 10 décembre 1991, la chambre d'accusation de Versailles considéra que R. pouvait se prévaloir du fait justificatif de la légitime défense et qu'il n'existait pas à l'encontre de quiconque des charges suffisantes pouvant justifier une inculpation du chef visé dans les poursuites. Elle prononça donc le non-lieu. Les requérants exercèrent contre cette décision un pourvoi que, par un arrêt du 14 avril 1992, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara irrecevable: le mémoire n'avait pas été déposé au greffe de la cour d'appel mais avait été transmis directement à la Cour de cassation sans le ministère d'un avocat aux conseils, et n'avait donc pas saisi celle-ci de moyens. Cette décision leur fut signifiée le 1er septembre 1992. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L'article 2 du code de procédure pénale (CPP) dispose: "L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. La renonciation à l'action civile ne peut arrêter, ni suspendre l'exercice de l'action publique, sous réserve des cas visés à l'alinéa 3 de l'article 6 [CPP]." Toutefois, en matière de contravention, le ministère public conserve le monopole de la mise en mouvement de l'action publique. Aux termes de l'alinéa 3 de l'article 6 CPP, "[L'action publique] peut, en outre, s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément; il en est de même, en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite." La constitution de partie civile, qui a pour effet de suspendre l'action devant les juridictions civiles, peut avoir lieu à tout moment devant le juge d'instruction ou la chambre d'accusation jusqu'à ce que soit intervenue une décision clôturant l'information. Elle peut être contestée par le ministère public, par la personne mise en examen ou par une autre partie civile, ou déclarée d'office irrecevable par une ordonnance du juge d'instruction, motivée et susceptible d'appel (article 87 CPP). La décision de la juridiction d'instruction accueillant une constitution de partie civile n'acquiert aucune autorité de chose jugée quant à la recevabilité de l'action civile devant la juridiction de jugement. L'intervention d'une partie civile peut n'être motivée que par le souci de corroborer l'action publique et d'obtenir que soit établie la culpabilité du prévenu. De ce fait, la jurisprudence admet la recevabilité d'une constitution de partie civile même si aucune prétention à l'allocation de dommages-intérêts ne peut être envisagée. En se constituant partie civile, la victime est renseignée sur les opérations de l'instruction, elle peut user des voies de recours contre les décisions qui lèsent ses intérêts et a accès au dossier de l'information dans les mêmes conditions que la personne mise en examen. Quand une information ouverte sur constitution de partie civile se clôture par un non-lieu, toute personne visée dans la plainte peut réclamer des dommages-intérêts devant les juridictions pénales et civiles et demander l'ouverture de poursuites pour dénonciation calomnieuse contre la partie civile. Le ministère public peut également la citer devant le tribunal correctionnel où l'affaire a été instruite. Si la constitution de partie civile est jugée abusive ou dilatoire, le tribunal peut prononcer une amende civile dont le montant ne saurait excéder 100 000 FRF (article 91 CPP). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mmes Acquaviva ont saisi la Commission le 16 décembre 1991. Ils se plaignaient de la durée de l'instruction de leur plainte avec constitution de partie civile et formulaient, sous l'angle de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, divers griefs à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles. La Commission a retenu la requête (n° 19248/91) le 1er septembre 1993 en tant qu'elle visait la durée de la procédure. Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-trois voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir juger que la requête introduite par les consorts Acquaviva est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et subsidiairement qu'elle est mal fondée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant espagnol, M. Francisco Iribarne Pérez résida en Andorre entre 1981 et 1985. Il est actuellement domicilié en Espagne. A. La procédure en Andorre Le 7 juillet 1985, la police de la Principauté arrêta le requérant après qu'une certaine quantité de drogue et une arme à feu notamment furent découvertes à son domicile lors d'une perquisition, et le plaça en garde à vue durant quatre jours. Deux autres personnes furent appréhendées dans le cadre de la même procédure. Les intéressés furent poursuivis pour les délits d'introduction de stupéfiants en Andorre et de trafic de stupéfiants ainsi que pour celui de détention illégale d'une arme à feu. Durant le procès, M. Iribarne Pérez affirma que ses aveux et ceux des deux autres inculpés avaient été obtenus sous la contrainte. Il aurait en outre plaidé que sa participation aux faits délictueux visait à permettre l'arrestation de trafiquants recherchés par la garde civile espagnole. Le 26 novembre 1985, le Tribunal des Corts rendit le jugement suivant: "(...) [Le Tribunal des Corts] déclare condamner Francesc Iribarne Pérez, auteur responsable du délit d'introduction, de détention et de trafic de substances toxiques et de stupéfiants et du délit de détention illicite d'une arme à feu, à une peine de douze ans de prison; (...) [déclare] condamner tous les accusés à l'expulsion de la Principauté et au paiement des frais de justice; pour l'exécution de la peine principale, il sera fait déduction du temps de détention déjà accompli par les condamnés en raison de la présente cause. En décide ainsi par jugement définitif." Ce jugement fut notifié à M. Iribarne Pérez le 2 décembre 1985 en présence de son avocat. Dans son rapport, la Commission relève en outre qu'à l'issue de deux autres procédures le Tribunal des Corts condamna le requérant à un an de prison pour corruption de fonctionnaire et à six mois de prison pour tentative d'évasion, et que l'intéressé affirme que ces jugements - dont la date n'est pas déterminée - ne lui furent jamais notifiés. B. La procédure en France Ayant choisi de purger sa peine en France, M. Iribarne Pérez fut écroué à la maison d'arrêt de Toulouse le 17 décembre 1985. Le 16 mars 1986, il tenta de s'évader et fut condamné de ce chef, le 17 juin 1987, par le tribunal correctionnel de Toulouse, à dix mois d'emprisonnement. Il séjourna au centre pénitentiaire de Fresnes du 11 avril 1986 au 12 janvier 1987, puis au centre de détention de Muret. Le 28 janvier 1990, le requérant déposa un mémoire auprès du procureur de la République de Toulouse, dans lequel il se plaignait de la procédure dont il avait fait l'objet en Andorre et de sa détention en France. Le procureur y répondit par une lettre au directeur du centre de détention de Muret, datée du 6 mars 1990 et notifiée à l'intéressé le 12 mars: "Je vous prie de bien vouloir notifier au détenu Iribarne Pérez Francisco, écrou 4724, qu'il lui appartient d'adresser sa supplique au président du Tribunal des Corts, seul compétent puisque le jugement de la condamnation qu'il purge a été prononcé par cette juridiction. Vous voudrez bien lui notifier que sa requête du 28 janvier 1990 est classée sans suite." Le 14 janvier 1993, M. Iribarne Pérez déposa auprès de la Cour de cassation une plainte avec constitution de partie civile contre le procureur de la République de Toulouse, pour détention arbitraire et déni de justice: ce dernier n'aurait pas respecté à son égard les prescriptions des articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale relatifs au transfèrement en France de personnes condamnées à l'étranger et ne l'aurait pas même informé de l'existence de ces dispositions. Le 30 mars 1993, le ministre de la Justice envoya au procureur général près la cour d'appel de Toulouse la lettre suivante: "Le 9 mars 1993, vous avez bien voulu me transmettre un courrier de Monsieur Iribarne Pérez Francisco qui conteste la procédure qui l'a conduit à exécuter sa peine en France. J'ai l'honneur de vous informer des éléments suivants. Francisco Iribarne Pérez a choisi, comme l'y autorise l'article 210 du décret de procédure pénale andorran du 10 avril 1976, d'exécuter sa peine dans les prisons françaises. Aucune faculté de rétraction de ce choix n'est prévue par ce texte. Les transfèrements mis en oeuvre dans le cadre de la Convention précitée du 21 mars 1983 s'entendent comme s'opérant d'un Etat 'de condamnation' vers un Etat 'd'exécution de la peine'. Au regard de la situation pénitentiaire du requérant, l'Etat français est bien l'Etat d'exécution de sa peine prononcée en Andorre et aucune disposition de la Convention ne prévoit de possibilité de transfèrement d'un Etat d'exécution vers un autre Etat d'exécution. J'ajoute qu'en tout état de cause, Andorre ne saurait même avoir qualité d'Etat de condamnation, le statut juridique d'Etat ne lui étant pas reconnu. Il est à noter que les relations entre la France et Andorre en matière d'exécution des peines de prison ne sont pas uniques en leur genre et se rapprochent de la Convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963. Pour ce qui est de l'application des articles 713-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs au transfèrement en France des personnes condamnées et détenues à l'étranger, ces dispositions, en l'espèce, n'ont pas vocation à s'appliquer, Andorre n'étant pas considérée comme un sujet de droit international et donc comme une juridiction étrangère au sens de l'article 713-1." Le requérant fut libéré le 13 août 1994 puis expulsé du territoire français. II. LE DROIT FRANÇAIS PERTINENT Le transfèrement en France d'une personne condamnée à l'étranger obéit aux dispositions suivantes du code de procédure pénale (loi n° 84-1150 du 21 décembre 1984): Article 713-1 "Lorsque, en application d'une convention ou d'un accord internationaux, une personne détenue en exécution d'une condamnation prononcée par une juridiction étrangère est transférée sur le territoire français pour y accomplir la partie de la peine restant à subir, l'exécution de la peine est poursuivie conformément aux dispositions du présent code, et notamment des articles 713-2 à 713-6." Article 713-2 "Dès son arrivée sur le sol français, le condamné détenu est présenté au procureur de la République du lieu d'arrivée, qui procède à son interrogatoire d'identité et en dresse procès-verbal. Toutefois, si l'interrogatoire ne peut être immédiat, le condamné est conduit à la maison d'arrêt où il ne peut être détenu plus de vingt-quatre heures. A l'expiration de ce délai, il est conduit d'office devant le procureur de la République, par les soins du surveillant-chef [depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, il s'agit du chef d'établissement]. Au vu des pièces constatant l'accord des Etats sur le transfèrement et le consentement de l'intéressé ainsi que de l'original ou d'une expédition du jugement étranger de condamnation, accompagnés, le cas échéant, d'une traduction officielle, le procureur de la République requiert l'incarcération immédiate du condamné." Article 713-3 "La peine prononcée à l'étranger est, par l'effet de la convention ou de l'accord internationaux, directement et immédiatement exécutoire sur le territoire national pour la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger. Toutefois, lorsque la peine prononcée est, par sa nature ou sa durée, plus rigoureuse que la peine prévue par la loi française pour les mêmes faits, le tribunal correctionnel du lieu de détention, saisi par le procureur de la République ou le condamné, lui substitue la peine qui correspond le plus en droit français ou réduit cette peine au maximum légalement applicable. Il détermine en conséquence, suivant les cas, la nature et, dans la limite de la partie qui restait à subir dans l'Etat étranger, la durée de la peine à exécuter." Article 713-4 "Le tribunal statue en audience publique, après avoir entendu le ministère public, le condamné et, le cas échéant, le conseil choisi par lui ou commis d'office sur sa demande. Le jugement est immédiatement exécutoire nonobstant appel." Article 713-5 "Les délais de transfèrement s'imputent intégralement sur la durée de la peine qui est mise à exécution en France." Article 713-6 "Tous incidents contentieux relatifs à l'exécution de la peine privative de liberté restant à subir en France sont portés devant le tribunal correctionnel du lieu de détention. Les dispositions de l'article 711 du présent code sont applicables." Article 713-7 "L'application de la peine est régie par les dispositions du présent code." Article 713-8 "Aucune poursuite pénale ne peut être exercée ou continuée et aucune condamnation ne peut être exécutée à raison des mêmes faits contre le condamné qui exécute en France, en application d'une convention ou d'un accord internationaux, une peine privative de liberté prononcée par une juridiction étrangère." III. LE SYSTÈME JUDICIAIRE ANDORRAN La Constitution de la Principauté d'Andorre, en vigueur depuis le 4 mai 1993, et la loi qualifiée sur la justice, du 3 septembre 1993, ont profondément modifié le système judiciaire andorran. A. Avant la réforme de 1993 Dans l'arrêt Drozd et Janousek c. France et Espagne du 26 juin 1992 (série A n° 240, pp. 17-21, paras. 46-66) la Cour a ainsi décrit le système judiciaire andorran antérieur à la réforme de 1993: "46. Sauf le tribunal de Visura, qui règle les conflits de voisinage et relève du Conseil général, les juridictions andorranes ont leur base légale dans le 'droit de justice' historique des coprinces et dépendent donc directement de ces derniers. Leurs membres sont toujours de nationalité andorrane au niveau inférieur et souvent d'origine étrangère à l'échelon supérieur, en raison de l'exiguïté de la Principauté et du souci de préserver l'indépendance des intéressés. En règle générale, les nominations incombent aux coprinces. Le choix du coprince français se porte traditionnellement sur des magistrats français, honoraires ou détachés par le ministère de la Justice, et tient compte de la compétence personnelle, de la connaissance du droit andorran et de la langue catalane ainsi que de la compréhension de l'espagnol. Celui du coprince épiscopal retient comme critères la compétence, l'indépendance, l'absence d'intérêts personnels en Andorre et la disponibilité, les fonctions de magistrat en Espagne étant incompatibles avec celles de juge en Andorre, même à temps partiel et pour une durée déterminée. La justice pénale Un décret des viguiers [représentants directs en Andorre des deux coprinces, le président de la République française et l'évêque d'Urgel], du 30 décembre 1975, a jeté les bases d'une nouvelle justice pénale, en prévoyant notamment l'intervention d'avocats et l'institution d'un ministère public; il a été suivi d'un décret de procédure pénale du 10 avril 1976. Fondé sur les décrets des viguiers et le droit coutumier, un code de procédure pénale a été promulgué en 1984 et amendé le 16 février 1989. a) Les institutions i. Les bayles Juges de première instance en matière pénale et civile, les bayles (batlles) s'acquittent aussi d'autres tâches. Ils mènent l'instruction après l'accomplissement d'une infraction, veillent à l'exécution des décisions judiciaires rendues en Andorre et siègent comme assesseurs - sans voix délibérative - au Tribunal des Corts (paragraphe 52 ci-dessous). Depuis le décret des viguiers du 6 août 1977, leur nombre s'élève à quatre. Le viguier français et le coprince épiscopal en désignent chacun deux, sur une liste de sept noms dressée par le Conseil général des Vallées. Les intéressés doivent posséder la nationalité andorrane. ii. Le tribunal des délits mineurs Institué par les coprinces en 1988, le tribunal des délits mineurs examine en premier ressort les affaires pénales de peu de gravité. Ses jugements peuvent donner lieu à un appel devant le Tribunal des Corts. iii. Le Tribunal des Corts Jusqu'au 15 octobre 1990, le Tribunal des Corts constituait la juridiction pénale suprême. Il 'connaît (...) de toutes les causes pour les délits commis sur le territoire des Vallées, sans différences ni distinctions de personnes, et pour les délits commis par les Andorrans à l'étranger' (article 2 du code andorran de procédure pénale). Il statue aussi sur les appels formés contre les jugements des bayles. Le Tribunal comprend trois membres: le juge des appellations et les deux viguiers. Le juge des appellations, qui préside, dirige les débats et rédige l'arrêt en qualité de rapporteur. Il se prononce seul sur les recours exercés en matière de détention provisoire. Magistrat français ou espagnol nommé pour cinq ans à tour de rôle par chaque coprince, il doit connaître le droit de la Principauté et la langue officielle de celle-ci, le catalan. Les viguiers (...) ont le pouvoir de siéger mais renoncent en général à s'en prévaloir. Le viguier français - un diplomate désigné par le coprince français pour une durée indéterminée - se fait depuis 1981 remplacer par un magistrat français, honoraire ou détaché par le ministre de la Justice; quant au viguier épiscopal, il n'a plus siégé depuis le 22 avril 1988 et délègue désormais ses fonctions à un magistrat espagnol (...). Les viguiers ou leurs suppléants n'ont pas l'obligation d'être andorrans et juristes, mais doivent parler le catalan. Ils sont assistés de deux bayles, de deux notaires faisant fonction de greffiers, d'un huissier et de deux rahonadors, membres du Conseil général des Vallées délégués par ce dernier. La charge du ministère public incombe à un fiscal general et à un fiscal general adjoint, choisis pour cinq ans par celui des coprinces qui n'a pas nommé le juge des appellations. iv. Le Tribunal supérieur des Corts Par un décret du 12 juillet 1990 - en voie de préparation depuis 1981 -, les viguiers ont créé une nouvelle juridiction, le Tribunal supérieur des Corts, qui se compose de quatre magistrats désignés pour cinq ans par les coprinces et se prononce sur les recours en 'supplication' formés contre les arrêts du Tribunal des Corts. Le lendemain, ils ont adopté un autre décret relatif à la procédure, comportant des dispositions transitoires ainsi libellées: '1. Les condamnés qui, avant l'entrée en vigueur du présent décret, doivent exécuter ou (...) sont en train d'exécuter des peines privatives de liberté en vertu d'arrêts du Tribunal des Corts pourront former un recours en 'supplication' contre ceux-ci devant le Tribunal supérieur, dans le délai de deux mois à partir de l'entrée en vigueur du présent décret. Le présent décret entrera en vigueur le 15 octobre 1990.' b) L'exécution des peines L'article 234 du code andorran de procédure pénale prévoit deux régimes distincts pour l'exécution des peines privatives de liberté infligées en Andorre: le condamné subit sa peine dans un centre pénitentiaire de la Principauté si sa durée n'atteint pas trois mois, dans un établissement français ou espagnol s'il en va autrement. i. Le choix du pays de détention Dans la seconde hypothèse, le choix entre la France et l'Espagne relève de l'intéressé. Il revêt un caractère définitif et implique l'acceptation tacite du régime pénitentiaire du pays retenu. Il trouve son origine dans le droit coutumier, traditionnellement appliqué depuis le XIIe siècle. De 1979 à 1989, 32 condamnés ont demandé leur transfèrement en France et 134 en Espagne. En 1990 et 1991 les prisons françaises n'ont accueilli aucun détenu en provenance d'Andorre. ii. Le régime français Si, comme en l'espèce, le condamné opte pour la France, l'exécution de sa peine obéit aux dispositions du code français de procédure pénale (circulaire du ministre de la Justice, du 8 février 1983). Comme toute personne condamnée à l'étranger et transférée en France, il peut - selon le Gouvernement - bénéficier de réductions de peine, de permissions de sortie ou de la semi-liberté au même titre et dans les mêmes conditions que les détenus condamnés par une juridiction française (article D.505 du code de procédure pénale). Le juge de l'application des peines a seul compétence pour admettre le détenu au bénéfice de la libération conditionnelle ou - sans dépasser le plafond légal - d'une réduction de peine. Quand la période de détention excède trois ans, l'octroi d'une libération conditionnelle dépend du ministre de la Justice, lequel doit obtenir au préalable l'accord du Tribunal des Corts (article 253 du code andorran de procédure pénale). Aux termes de l'article 710 du code français de procédure pénale, les incidents contentieux relatifs à l'exécution des peines sont portés devant la juridiction qui a prononcé la sentence, à savoir en l'occurrence celle d'Andorre. iii. La grâce Une grâce individuelle ne peut être accordée que par les deux coprinces agissant de concert. Quant aux grâces collectives, elles ne profitent pas aux détenus condamnés par des juridictions andorranes et purgeant leur peine en France: un décret du président de la République française, de 1985, excluait expressément ces derniers. Les décrets présidentiels des 17 juin 1988 et 13 juin 1989, eux, autorisaient la mise en jeu de la grâce si les conventions internationales ratifiées par la France le permettaient, mais aucun arrangement particulier n'existe en la matière avec la Principauté. iv. L'amnistie Seules les autorités andorranes ont compétence pour décider une amnistie. En outre, le Tribunal des Corts peut rectifier sa propre sentence en allégeant la peine et accorder, sous l'expression de 'liberté provisoire', une véritable libération conditionnelle. La justice civile En matière civile, il existe trois degrés de juridiction. Les bayles (paragraphe 49 ci-dessus) ont, comme dans le domaine pénal, compétence en première instance. Le juge des appellations (paragraphe 52 ci-dessus) connaît des recours formés contre les décisions des bayles. Statuant en dernier ressort, le Tribunal supérieur d'Andorre comporte deux 'sénats': le tribunal supérieur de Perpignan et le tribunal supérieur de la Mitre. Le premier comprend deux membres de droit (le président du tribunal de grande instance de Perpignan et le viguier français, lequel ne siège plus depuis plusieurs années) et deux membres désignés pour quatre ans par le coprince français (un avocat au barreau de Perpignan et une personne connaissant la langue et les usages andorrans). Il n'applique pas le droit français et ne suit pas la procédure française; en particulier, il échappe au contrôle de la Cour de cassation. Le second se compose d'un président, d'un vice-président et de quatre juges (vocals), nommés par le coprince épiscopal. Les deux 'sénats' ont leurs sièges respectifs à Perpignan et à Urgel, mais ils exercent leurs fonctions en Andorre." Depuis 1992, les prisons françaises n'ont accueilli qu'un seul détenu en provenance d'Andorre. B. Depuis la réforme de 1993 Dans leur rapport du 27 mai 1994 sur la législation de la Principauté d'Andorre, que le Bureau de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe les avait chargés d'élaborer conjointement (addendum III au Document 7080), M. Manuel Antonio Lopes Rocha, juge à la Cour européenne des Droits de l'Homme, et M. Jean-Claude Geus, membre de la Commission européenne des Droits de l'Homme, font les observations suivantes: "VII. Les institutions judiciaires La Constitution et la loi qualifiée sur la justice ont opéré une réforme fondamentale de la justice andorrane. Le système décrit par la Cour européenne des Droits de l'Homme aux paragraphes 46 à 54 et 63 à 66 de son arrêt Drozd et Janousek du 26 juin 1992 (série A n° 240) est donc révolu. Actuellement, la juridiction de première instance est la Batllia ou tribunal des batlles et les batlles eux-mêmes, compétents en matière pénale, civile et administrative. Les batlles siègent comme juridiction unipersonnelle en matière pénale pour les contraventions, en matière civile pour les procédures relatives à une instance d'un montant minime, et en matière administrative pour les affaires relatives au contentieux de la sécurité sociale. Dans les autres cas, le tribunal des batlles siège à trois membres ou en assemblée. Le Tribunal des Corts juge, en première instance, les délits majeurs, et en appel les contraventions et les délits mineurs. Quant au Tribunal supérieur d'Andorre, il est compétent pour juger tous les recours introduits contre les décisions judiciaires rendues par la Batllia en matière civile et administrative, et par le Tribunal des Corts en matière pénale. Tous les juges sont nommés pour un mandat renouvelable de six ans par le Conseil supérieur de la justice. Pendant la durée de leur mandat, ils sont inamovibles. La fonction de juge est incompatible avec toute charge publique et l'exercice d'une activité professionnelle. En vertu de l'article 86, paragraphe 3, de la constitution, le jugement pénal est rendu par une autorité judiciaire autre que celle qui a dirigé l'instruction. Le ministère public forme un corps distinct, doté d'un statut semblable à celui des juges. Le pouvoir politique ne peut adresser d'injonction à ses membres. Le Conseil supérieur de la justice est composé de cinq membres désignés, un par chaque coprince, un par le Syndic général [qui préside le Consell General, organe détenant le pouvoir législatif et dont les membres sont élus au suffrage universel], un par le chef de gouvernement, et un par les juges. Leur mandat de six ans n'est pas renouvelable. Le Conseil supérieur nomme les juges et, sur proposition du gouvernement, le procureur général et les procureurs adjoints. Il exerce le pouvoir disciplinaire et, de manière générale, administre la justice. Il n'y a donc pas de ministre de la Justice à Andorre. Le Conseil supérieur de la justice a également pour mission de garantir l'indépendance de la justice andorrane qui, jadis, dépendait des coprinces. Ceux-ci ne pouvaient cependant exercer d'influence sur les juges en raison de la personnalité de ces derniers. L'organisation judiciaire, ainsi succinctement décrite, n'appelle pas de critique de notre part. Nous estimons que la durée limitée du mandat des juges n'est pas de nature à compromettre leur indépendance. En effet, la composition du Conseil supérieur de la justice et la difficulté de remplacer les magistrats, qui conduira au renouvellement presque automatique des mandats, paraissent offrir des garanties suffisantes à cet égard. Il convient de noter par ailleurs que l'Etat assume la responsabilité des dommages résultant d'une erreur judiciaire ou du fonctionnement anormal de la justice. VIII. Le Tribunal constitutionnel Le Tribunal constitutionnel occupe, dans la Constitution, une place distincte du pouvoir judiciaire. Il est composé de quatre magistrats, désignés un par chaque coprince et deux par le Conseil général. Leur mandat est de huit ans et n'est pas immédiatement renouvelable. Il connaît des recours en inconstitutionnalité des lois, des demandes d'avis préalable sur la conformité des lois et des traités internationaux à la Constitution, des procédures de protection constitutionnelle (recours d'empara), et des conflits de compétences entre autorités publiques. Il est également saisi des questions préjudicielles que lui adressent les tribunaux. Le recours d'empara a volontairement été limité aux actes des pouvoirs publics qui lèsent des droits fondamentaux, afin que le tribunal constitutionnel ne soit pas engorgé de recours, et éviter l'accroissement de la durée des procédures qui pourrait en résulter. Le constituant andorran a ainsi entendu tirer les conséquences de l'expérience espagnole du recours d'amparo." IV. LE STATUT INTERNATIONAL D'ANDORRE A. A l'époque des faits Dans l'arrêt Drozd et Janousek, la Cour fait la description suivante du "statut" international d'Andorre (pp. 21-23, paras. 67-74): "67. La Principauté d'Andorre a en droit international public un "statut" qui frappe par son originalité et son ambiguïté, au point qu'elle passe souvent pour une entité sui generis. La pratique suivie ces dernières années laisse désormais conclure à l'existence d'un consensus entre les coprinces pour se considérer comme égaux dans l'exercice des compétences internationales d'Andorre. Celle-ci a noué en la matière un certain nombre de relations aussi bien bilatérales que multilatérales. A. Les relations bilatérales Les relations avec la France Les relations entre Andorre et la France ne correspondent pas au modèle des rapports entre Etats souverains et n'ont jamais pris la forme d'accords internationaux, le coprince français étant président de la République française et le gouvernement de celle-ci ayant toujours refusé de reconnaître un caractère étatique à la Principauté. Elles revêtent différentes modalités: actes unilatéraux français, tels que la création d'écoles françaises; arrangements administratifs, par exemple pour la sécurité sociale, les réseaux téléphoniques ou les régimes douaniers; rapports de fait, résultant tantôt de la coutume (il en va ainsi de l'exécution de certaines peines hors de la Principauté - paragraphes 55-62 ci-dessus), tantôt de la pratique administrative ou judiciaire (non soumises à l'exequatur, les décisions judiciaires andorranes possèdent en France l'autorité de la chose jugée). Par ailleurs, le gouvernement français met à la disposition d'Andorre une unité de la gendarmerie nationale. Enfin, la France n'a pas de consulat dans la Principauté; ses ressortissants y dépendent de la préfecture des Pyrénées-Orientales. Les relations avec l'Espagne Les relations entre Andorre et l'Espagne obéissent à un schéma analogue. Elles se manifestent par des actes unilatéraux espagnols, comme le décret royal du 10 octobre 1922 fixant le régime commercial entre la Principauté et le Royaume, et par des arrangements bilatéraux, tels les accords de type administratif en matière de sécurité sociale. Le gouvernement espagnol offre certains services à la Mitre. Ainsi, une unité de la garde civile stationne en Andorre: ses membres ne relèvent plus de leur administration d'origine et le viguier épiscopal peut s'opposer efficacement à leur nomination et à leur présence; les autorités espagnoles prennent en charge les soldes tandis que le budget andorran supporte les frais d'équipement et de fonctionnement liés aux activités administratives, notamment consulaires. Il n'existe pas de consulat d'Espagne en Andorre, le viguier épiscopal jouant de facto le rôle de consul pour les Espagnols. Les relations avec des Etats autres que la France et l'Espagne La Principauté n'entretient de relations diplomatiques avec aucun Etat. En revanche, elle a noué des rapports consulaires avec les huit pays suivants: Allemagne, Argentine, Belgique, Etats-Unis d'Amérique, Italie, Royaume-Uni, Suisse et Venezuela. Elle n'a pourtant pas de représentation consulaire propre, ses nationaux bénéficiant en la matière de la protection des autorités françaises et espagnoles. B. Les relations multilatérales Les organisations internationales Andorre n'est membre d'aucune organisation internationale intergouvernementale. Les 15-18 octobre 1990, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a 'demandé au Secrétaire Général de prendre contact avec les deux coprinces pour définir les domaines susceptibles de se prêter à une coopération entre le Conseil de l'Europe et la Principauté d'Andorre'. Il donnait ainsi une 'réponse intérimaire' à la Recommandation 1127 (1990) relative à la Principauté d'Andorre, adoptée le 11 mai 1990 par l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe. Les conventions internationales Andorre a adhéré à deux accords internationaux: la Convention universelle sur les droits d'auteur (Genève, 1952) et la Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954). Les conférences internationales Depuis la Conférence universelle sur les droits d'auteur (Genève, 1952), Andorre participe régulièrement aux sessions de l'UNESCO. Elle a aussi envoyé une délégation à trois conférences: protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954), révision de la Conférence universelle sur les droits d'auteur (, 1971) et protection des phonogrammes (Genève, 1971). Depuis 1973 et sur ordre des coprinces, les viguiers désignent ensemble les représentants de la Principauté à ces réunions. Quatre membres du Conseil général des Vallées accompagnent désormais lesdits représentants. Le chef du gouvernement est le porte-parole de la délégation. Les Communautés européennes Pendant plusieurs décennies la Principauté n'a pas fait partie du territoire douanier communautaire. Le 20 mars 1989, le Conseil des Communautés européennes a adopté une directive invitant la Commission de Bruxelles à négocier avec Andorre un accord en vue de la création d'une union douanière pour les produits industriels. Intervenu le 28 juin 1990 sous la forme d'un échange de lettres, l'accord en question est entré en vigueur le 1er janvier 1991. La lettre de la Principauté porte la signature des représentants des coprinces et du chef du gouvernement." B. Postérieurement aux faits Depuis lors, le "statut" international d'Andorre a considérablement évolué. La Constitution du 4 mai 1993 définit Andorre comme "un Etat de droit, indépendant, démocratique et social" (article 1 par. 1). La Principauté est devenue membre de l'Organisation des Nations Unies le 28 juillet 1993 et de l'Union internationale des télécommunications le 12 novembre 1993. Le 10 novembre 1994, elle a adhéré au Conseil de l'Europe et a signé la Convention européenne des Droits de l'Homme. Un "traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération entre la République française, le Royaume d'Espagne et la Principauté d'Andorre" fut signé le 1er juin 1993 par les ministres des affaires étrangères français et espagnol et, le 3 juin, par le chef du gouvernement andorran. Aux termes de ce traité, la France et l'Espagne reconnaissent Andorre comme un Etat souverain, établissent avec elle des relations diplomatiques et s'engagent à faciliter sa participation aux conférences et organisations internationales ainsi que son accès aux conventions. Si Andorre conserve certaines particularités - notamment l'institution des coprinces -, il ne fait pas de doute qu'elle est, en tout cas aujourd'hui, un "Etat" au sens du droit international public. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Iribarne Pérez a saisi la Commission le 18 mars 1986. Il alléguait une violation des articles 3, 5, 6, 7, 8, 13 et 14 de la Convention (art. 3, art. 5, art. 6, art. 7, art. 8, art. 13, art. 14). Le 19 janvier 1994, la Commission a retenu la requête (n° 16462/90) quant au grief selon lequel l'intéressé n'a pas disposé d'un recours devant un tribunal français afin qu'il statue sur la légalité de sa détention; elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 28 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut par neuf voix contre neuf, avec la voix prépondérante du président, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes qui l'accompagnent figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour européenne des Droits de l'Homme de bien vouloir juger qu'il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention (...)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les événements ayant conduit aux accusations contre le requérant Le requérant est ressortissant britannique. Ses relations avec sa femme, qu’il épousa en 1987, furent mouvementées et connurent de fortes tensions en 1990, lorsqu’il se trouva sans emploi. Le 18 septembre 1990 en début de soirée, l’épouse de l’intéressé lui dit que depuis quelques semaines, elle songeait à le quitter et qu’elle considérait le mariage comme ayant pris fin. Avant cette date, ils avaient fait chambre à part - d’après le requérant, une nuit; d’après sa femme, cinq nuits. M. S.W. refusa d’admettre que sa femme pensait ce qu’elle disait et il y eut une querelle après laquelle il la jeta dehors, lui meurtrissant le bras. Elle se rendit chez ses voisins les plus proches et appela la police, qui se rendit sur les lieux et parla au requérant et à son épouse séparément. Le même soir, celle-ci réintégra le domicile conjugal et le requérant eut des rapports sexuels avec elle. Peu après, elle quitta la maison, tentant d’abord d’emmener leur enfant avec elle. Elle se rendit chez ses voisins en larmes et désemparée; elle se plaignit à eux et à la police, qu’elle appela, d’avoir été violée sous la menace d’un couteau. Le 19 septembre 1990, le requérant fut accusé de viol, en application de l’article 1 par. 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels (Sexual Offences Act 1956), de menaces de mort, contraires à l’article 16 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861), et d’atteinte à l’intégrité physique, au mépris de l’article 47 de cette dernière loi. B. Le jugement de la Crown Court du 30 juillet 1990 et l’arrêt de la Court of Appeal du 14 mars 1991 dans l’affaire R. v. R. Le 30 juillet 1990, dans une autre affaire, R. v. R., la Crown Court avait condamné l’accusé à trois ans d’emprisonnement pour tentative de viol ainsi que coups et blessures sur sa femme. Le juge de première instance, le juge Owen, avait rejeté le moyen de l’accusé d’après lequel il ne pouvait être condamné, eu égard au principe de la common law énoncé par Sir Matthew Hale, Chief Justice, dans son ouvrage History of the Pleas of the Crown, publié en 1736: "Mais l’époux ne peut être coupable d’un viol commis par lui-même sur sa femme légitime, car de par leur consentement et leur contrat de mariage, l’épouse s’est livrée à son époux, et elle ne peut se rétracter." Dans son jugement (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 747), le juge Owen releva qu’il s’agissait là d’une affirmation faite en termes généraux à une époque où le mariage était indissoluble. Le juge Hale avait exposé la common law telle qu’elle lui apparaissait à ce moment-là, et ce dans un ouvrage et non en se référant à un ensemble particulier de circonstances dont il aurait eu à connaître dans le cadre d’une procédure. Cette déclaration sans ambages se trouvait reproduite dans la première édition de Archbold on Criminal Pleadings, Evidence and Practice (1822, p. 259), dans les termes suivants: "Un mari ne peut pas davantage se rendre coupable du viol de sa femme." Le juge Owen examina en outre plusieurs décisions judiciaires (R. v. Clarence, Queen’s Bench Division 1888, vol. 22, p. 23, et All England Law Reports 1886-1890, p. 113; R. v. Clarke, All England Law Reports 1949, vol. 2, p. 448; R. v. Miller, All England Law Reports 1954, vol. 2, p. 529; R. v. Reid, All England Law Reports 1972, vol. 2, p. 1350; R. v. O’Brien, All England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663; R. v. Steele, Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22; R. v. Roberts, Criminal Law Reports 1986, p. 188; paragraphes 22-25 ci-dessous), reconnaissant qu’en se mariant une femme consent tacitement à avoir des rapports sexuels avec son mari et que ledit consentement peut être révoqué sous certaines conditions. Il ajouta: "On m’invite à admettre que le consentement tacite de l’épouse à des relations sexuelles avec son mari doit se présumer; je n’ai pas de mal à en convenir. Je trouve en revanche difficile de (...) croire que la common law ait jamais voulu qu’un mari puisse avoir le droit de battre sa femme pour l’obliger à avoir des relations sexuelles (...) S’il en était ainsi, ce serait une bien triste observation sur la loi et sur les juges censés en être les gardiens. Je dois néanmoins admettre qu’il existe bien quant aux relations sexuelles un consentement tacite qui me commande de rechercher si l’accusé en l’espèce peut être reconnu coupable de viol." Quant aux circonstances qui suffiraient en droit pour révoquer ce consentement, le juge Owen nota qu’il peut être mis fin à celui-ci, d’abord par une décision judiciaire ou un équivalent. En second lieu, releva-t-il, il ressortait de l’arrêt de la Court of Appeal dans l’affaire R. v. Steele (Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22) que le consentement tacite pouvait être retiré par accord entre les parties. Cet accord pouvait assurément être implicite; rien dans la jurisprudence ne donnait à penser le contraire. Enfin, selon lui, la common law reconnaissait que la rupture de la vie commune par l’une ou l’autre partie, assortie d’un signe clair qu’il n’y avait plus consentement aux relations sexuelles, reviendrait à révoquer tacitement ledit consentement. Il concluait que les deuxième et troisième exceptions à la dérogation, dans le mariage, aux poursuites pour viol s’appliquaient en l’occurrence. La Court of Appeal (chambre criminelle) écarta un recours le 14 mars 1991 (All England Law Reports 1991, vol. 2, p. 257). Lord Lane nota que le principe énoncé par Sir Matthew Hale dans son History of the Pleas of the Crown (1736) (paragraphe 10 ci-dessus) - un homme ne peut violer sa femme - passait en général pour bien refléter la common law à l’époque. Par ailleurs, Lord Lane procéda à une analyse des décisions judiciaires antérieures; il en ressort que dans l’affaire R. v. Clarence (1888), la première de ce genre publiée, certains magistrats de la Court for Crown Cases Reserved s’étaient élevés contre le principe. Dans l’affaire publiée suivante, R. v. Clarke (1949), le juge du fond s’était écarté du principe: il avait estimé que le mari ne pouvait exciper de son immunité dans le cas où une décision de justice avait dégagé l’épouse de l’obligation de vie commune. Presque toutes les décisions ultérieures ménagèrent d’importantes exceptions à l’immunité conjugale (paragraphe 24 ci-dessous). Dans R. v. Steele (1976), la Court of Appeal avait admis qu’un accord pouvait mettre fin au consentement tacite aux rapports sexuels. Ce qu’elle confirma dans R. v. Roberts (1986) où elle dit que l’absence d’une clause de non-molestation dans un acte de séparation conclu à l’expiration d’une ordonnance de non-molestation, ne ressuscitait pas le consentement auxdits rapports. Lord Lane ajouta: "Depuis la décision du juge Byrne dans R. v. Clarke en 1949, les tribunaux paraissent souscrire à la thèse du juge Hale, mais dans le même temps multiplient les exceptions, les situations dans lesquelles elle ne s’applique pas. C’est là faire un usage légitime de la souplesse de la common law, qui peut et doit s’adapter à l’évolution de la société. Vient un moment où les changements sont si grands qu’il ne suffit plus d’énoncer de nouvelles exceptions restreignant l’effet de cette thèse, un moment où celle-ci commande elle-même d’examiner si ses termes concordent avec ce que l’on tient aujourd’hui généralement pour une conduite acceptable. (...) Il nous apparaît que lorsque la règle de la common law ne représente plus en rien la véritable position d’une épouse dans la société d’aujourd’hui, le tribunal a le devoir de prendre des mesures pour modifier la règle s’il peut légitimement le faire, eu égard aux dispositions pertinentes adoptées par le parlement. Ce qui revient pour finir à envisager le terme "illégitime" dans la loi de 1976." Lord Lane examina alors d’un oeil critique les différents courants d’interprétation de l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 dans la jurisprudence, notamment l’argument d’après lequel le terme "illégitime" (paragraphe 20 ci-dessous) excluait du viol les rapports sexuels dans le mariage. Il conclut: "(...) [N]ous n’estimons pas que la loi de 1976 nous empêche de dire que l’immunité dont jouissait l’époux selon le juge Hale n’a plus cours. Nous estimons que le moment est venu pour la loi de déclarer qu’un violeur demeure un violeur, relevant du droit pénal, quelles que soient ses relations avec sa victime. La question qui demeure, et qui n’est pas moins difficile, est de savoir si, malgré cela, c’est là un domaine où le tribunal doit s’effacer pour laisser place au processus parlementaire. Il ne s’agit pas d’ériger une nouvelle infraction, mais de supprimer une fiction de la common law devenue anachronique et offensante; parvenus à cette conclusion, nous estimons de notre devoir de lui donner les suites qu’elle comporte. Si nous avions décidé autrement et estimé que la thèse du juge Hale demeurait applicable, nous n’en aurions pas moins dit que lorsque, comme ici, une épouse rompt la vie commune de manière à signifier au mari qu’en ce qui la concerne, le mariage a touché à sa fin, l’immunité du mari se trouve levée." Le 23 octobre 1991, sur un nouveau recours du condamné dans l’affaire précitée, la Chambre des lords confirma l’arrêt de la Court of Appeal; elle déclara notamment que le principe selon lequel un mari ne peut violer sa femme n’avait plus cours en droit anglais et gallois. Elle souligna que la common law était susceptible d’évoluer à la lumière des mutations sociales, économiques et culturelles. La thèse de Hale reflétait l’air du temps, à l’époque où elle fut énoncée. Depuis, la condition des femmes, et notamment des femmes mariées, avait changé du tout au tout, de diverses manières. Outre les questions patrimoniales et l’existence de recours en matière conjugale, l’un des changements les plus notables était que le mariage était désormais considéré, dans la société contemporaine, comme un partenariat entre pairs et non comme une relation dans laquelle la femme est le bien subalterne du mari (R. v. R., All England Law Reports 1991, vol. 4, p. 481). Le 31 mars 1992, l’appelant ci-dessus introduisit une requête (no 20190/92) devant la Commission. Celle-ci la déféra (C.R. c. Royaume-Uni) à la Cour le même jour que la présente affaire (paragraphes 1 et 3 ci-dessus). C. Le procès du requérant en l’espèce Le 16 avril 1991, à l’ouverture de son procès, le requérant soutint qu’il n’avait pas à répondre du chef de viol. En premier lieu, il prétendait que le juge de première instance, le juge Rose, devait suivre la démarche de la Court of Appeal dans l’affaire R. v. Steele (Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22), et ne pas se sentir lié par l’arrêt de la même cour, du 14 mars 1991, dans l’affaire R. v. R., dans la mesure où il prétendait changer le principe selon lequel un mari ne peut être déclaré coupable du viol de sa femme. En second lieu, il affirmait qu’il fallait déclarer contraire à l’article 7 (art. 7) de la Convention l’effet rétroactif du changement du droit apporté par l’affaire R. v. R. Il se référait, entre autres, à l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en la cause R. v. Kent Kirk (Recueil 1984, p. 2689), concernant une disposition pénale relative à la pêche, ayant prétendument eu un effet rétroactif. Sur le premier moyen de l’intéressé, le juge Rose, le 18 avril 1991, s’estima lié par l’arrêt de la Court of Appeal dans l’affaire R. v. R. Il n’avait pas la conviction que les motifs de cette décision se heurtaient à ceux du jugement R. v. Steele. D’ailleurs, la décision R. v. R. n’avait pas été rendue dans l’ignorance de R. v. Steele, mais la prenait en compte. Quant au second moyen du requérant, le juge Rose releva: "(...) aux fins du présent argument, je pars du principe que l’affaire Kirk s’applique par le biais du Traité de Rome et la décision de la [Cour de justice des Communautés européennes] d’incorporer l’article 7 par. 1 (art. 7-1) au droit anglais. Il me paraît toutefois que l’article 7 par. 2 (art. 7-2) a pour effet d’empêcher l’accusé de se prévaloir de l’article 7 par. 1 (art. 7-1). De plus, (...) une série d’affaires (...) devant la [Cour de justice] (...) ont dégagé le principe de la protection des droits fondamentaux dans des causes relatives à des questions économiques et financières (...) Il me paraît que dans la mesure où elles concerneraient éventuellement la question, et où l’on admet qu’elles ne traitent pas d’infractions pénales comme celle que j’ai à considérer, elles protégeraient, à n’en pas douter, le droit fondamental d’une femme à ne pas se voir contrainte à des rapports sexuels contre son gré. En outre, de par sa nature, la common law, qui évolue d’une décision judiciaire à l’autre, mais passant pour être toujours ce qu’elle est déclarée être, est telle que si l’article 7 (art. 7) fait partie intégrante du droit anglais, l’article 7 par. 2 (art. 7-2) n’est pas incompatible avec cette conception de la common law. En droit anglais, comme sans aucun doute dans le système juridique de maintes nations civilisées, les rapports sexuels non consensuels constituent (...) une infraction pénale. Pour autant qu’à la fin du XIXe siècle, il existait en droit anglais (...) une immunité conjugale; cette immunité conjugale s’est effritée peu à peu au fil des décisions judiciaires, en particulier au cours des trente à quarante dernières années, au point qu[‘] (...) elle n’a plus cours. A mon sens, c’est, ou ce serait, un abus de langage que de dire que, dans ces circonstances, l’accusé en l’espèce risque, selon les termes de l’article 7 par. 1 (art. 7-1), d’être condamné pour une action "qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international". Partant, le second moyen [du conseil du requérant] ne saurait être accueilli. (...) Eu égard aux conclusions auxquelles je suis parvenu (...), le requérant doit, d’après moi, répondre d’un chef d’accusation." Le 19 avril 1991, le jury reconnut l’accusé coupable de chacune des trois infractions (paragraphe 9 ci-dessus). Le juge lui infligea cinq ans d’emprisonnement au total: cinq ans pour viol, deux ans pour menaces de mort et trois mois pour coups et blessures - les peines de deux ans et de trois mois devant être purgées l’une après l’autre, mais concurremment à celle de cinq ans. Le condamné attaqua le verdict et la peine; il réitéra les moyens exposés au paragraphe 14 ci-dessus. Compte tenu de la décision de la Chambre des lords du 23 octobre 1991 dans l’affaire R. v. R. (paragraphe 12 ci-dessus), les avocats du requérant lui indiquèrent, le 3 janvier 1992, que son recours contre le verdict n’offrait aucune chance d’aboutir. Il retira donc son appel contre le verdict de culpabilité le 15 janvier 1992. La Court of Appeal le débouta de son appel contre la peine le 30 juillet 1992. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’infraction de viol En common law, l’infraction de viol se définissait traditionnellement comme des rapports sexuels illégitimes avec une femme sans son consentement et obtenus par la force, la peur ou le dol. Aux termes de l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, "le viol d’une femme par un homme constitue un crime". Pour autant qu’il s’applique ici, l’article 1 par. 1 de la loi modificative de 1976 sur les délits sexuels (Sexual Offences (Amendment) Act) est ainsi libellé: "Aux fins de l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels (relatif au viol), commet un viol l’homme qui - a) a des rapports sexuels illégitimes avec une femme non consentante au moment desdits rapports (...)" Le 3 novembre 1994, la loi de 1994 sur la justice pénale et l’ordre public (Criminal Justice and Public Order Act 1994) a remplacé les dispositions ci-dessus en insérant de nouveaux alinéas à l’article 1 de la loi de 1956 sur les délits sexuels, dont l’un a eu pour effet de supprimer le mot "illégitime": "1. 1) Un homme violant une femme ou un autre homme commet une infraction. 2) Un homme commet un viol si - a) il a des rapports sexuels avec une personne (...) non consentante au moment desdits rapports (...)" B. L’immunité conjugale Avant l’affaire R. v. R., les tribunaux anglais, dans les rares occasions où ils avaient eu à examiner le problème, directement ou indirectement, avaient toujours reconnu au moins une certaine forme d’immunité de l’époux contre toute accusation de viol ou de tentative de viol, en raison de la théorie ou de la fiction du consentement aux relations sexuelles, censé avoir été accordé par l’épouse au moment du mariage. La thèse précitée de Sir Matthew Hale (paragraphe 10 ci-dessus) a été retenue jusqu’à récemment, par exemple dans l’affaire R. v. Kowalski (Criminal Appeal Reports 1987, vol. 86, p. 339), laquelle concernait le point de savoir si une épouse avait ou non tacitement consenti à des actes qui, s’ils lui étaient imposés contre son gré, constitueraient des sévices. Rendant le jugement du tribunal, le juge Ian Kennedy déclara, obiter: "Selon un droit clair, bien établi et ancien, un homme ne peut, en tant qu’auteur, être coupable de viol sur sa femme." Et il ajouta que ce principe "dépendait du consentement tacite aux rapports sexuels, qui découle de l’état de mariage et se poursuit jusqu’à ce que le consentement soit retiré par un jugement provisoire, par une ordonnance de séparation de corps ou, dans certaines circonstances, par un accord de séparation". Dans une autre affaire, R. v. Roberts (Criminal Law Reports 1986, p. 188), Lord Justice O’Connor dit: "L’état de mariage implique que la femme ait consenti à avoir des rapports sexuels avec son mari tant que dure le mariage (...) elle ne peut retirer son consentement unilatéralement." Cependant, le 5 novembre 1990, dans l’affaire R. v. C. (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 755), le juge Simon Brown perçut toute la notion d’immunité conjugale comme une idée fausse: "N’était la conséquence fort fâcheuse d’en arriver à une autre conclusion sur ce point, je m’abstiendrais, quoiqu’à regret, d’adopter cette position radicale sur la véritable situation en droit. Mais je l’adopte. Du point de vue de la logique, je la considère comme la seule défendable, compte tenu de l’évolution du droit et de son état en cette fin de XXe siècle. D’après moi, la position actuelle du droit est celle déjà établie en Ecosse, à savoir qu’il n’existe aucune immunité conjugale en matière de viol. C’est ainsi que je statue." En revanche, le 20 novembre 1990, dans l’affaire R. v. J. (All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 759), le juge Rougier défendit la règle générale de la common law, estimant que l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 avait pour effet de maintenir la dérogation conjugale consacrée par la thèse de Hale, sous réserve des exceptions établies par des affaires tranchées avant l’adoption de ladite loi. Il ajouta ceci: "(...) il nous faut étudier ici un principe général important, à savoir que le droit, et particulièrement le droit pénal, devrait être assez clair pour qu’un homme sache où il se situe par rapport à lui. Je n’ai pas suffisamment d’imagination pour supposer que le défendeur en l’espèce a soigneusement étudié les précédents et pris le conseil d’un avocat avant de se comporter comme on le prétend, mais le principe de base dépasse de loin les limites de la présente affaire, et devrait opérer de manière qu’un homme ne puisse être reconnu coupable au moyen de décisions judiciaires a posteriori." Le 15 janvier 1991, dans l’affaire R. v. S., le juge Swinton Thomas suivit le juge Rougier, tout en considérant que les juges pouvaient définir d’autres exceptions. Le juge Rougier comme le juge Swinton Thomas regrettèrent que l’article 1 par. 1 a) de la loi de 1976 les empêchât d’adopter la même position que le juge Simon Brown dans R. v. C. Dans son document de travail 116, Rape within Marriage (Le viol au sein du mariage), achevé le 17 septembre 1990, la Law Commission déclara: "2.8 Il est généralement admis que, sous réserve d’exceptions (considérées ci-dessous (...)), un mari ne peut être reconnu coupable du viol de sa femme (...). Il semble en effet qu’avant 1949, il n’y ait eu aucun cas de poursuites engagées contre un mari pour le viol de sa femme (...) (...) 11 L’immunité a donné naissance à une jurisprudence importante sur les affaires particulières dans lesquelles la dérogation ne s’applique pas. Les limites de cette loi sont difficiles à déterminer avec certitude. Une grande partie repose sur des décisions de première instance qui n’ont jamais été totalement contrôlées en appel (...)" La Law Commission a défini les exceptions suivantes à l’immunité d’un époux: - une décision judiciaire a été rendue, en particulier: a) une injonction du tribunal dispose qu’une épouse n’est plus tenue de cohabiter avec son mari (R. v. Clarke, Criminal Appeal Reports 1949, vol. 33, p. 216); b) il y a eu jugement de séparation de corps ou un jugement provisoire de divorce au motif qu’"entre le prononcé du jugement provisoire et l’obtention d’une décision définitive, un mariage subsiste simplement en théorie" (R. v. O’Brien, All England Law Reports 1974, vol. 3, p. 663); c) un tribunal a rendu une ordonnance faisant interdiction au mari de molester sa femme, ou le mari s’est engagé auprès du tribunal à ne pas la molester (R. v. Steele, Criminal Appeal Reports 1976, vol. 65, p. 22); d) dans l’affaire R. v. Roberts (Criminal Law Reports 1986, p. 188), la Court of Appeal a conclu que lorsqu’une ordonnance de non-molestation de deux mois avait été rendue en faveur de l’épouse, le consentement présumé de celle-ci n’était pas rétabli à échéance de l’ordonnance; - aucune décision judiciaire n’a été rendue: e) le juge Lynskey releva, obiter, dans l’affaire R. v. Miller (Queen’s Bench Division 1954, vol. 2, p. 282), que le consentement d’une épouse serait révoqué par un accord de séparation, en particulier s’il contenait une clause de non-molestation; f) Lord Justice Geoffrey Lane déclara, obiter, dans l’affaire R. v. Steele, qu’un accord de séparation contenant une clause de résidence séparée aurait cet effet. La Law Commission nota qu’il avait été dit dans l’affaire R. v. Miller, puis confirmé par la Court of Appeal dans l’affaire R. v. Steele, que l’introduction d’une demande en divorce ne suffirait pas. Elle mentionna également la décision du juge Owen dans l’affaire R. v. R., lequel estimait un accord tacite de séparation suffisant pour lever l’immunité, et déclarant que même en l’absence d’un accord, la rupture de la vie commune par l’une ou l’autre partie, accompagnée d’un signe clair qu’il n’y avait plus consentement aux rapports sexuels, exclurait l’immunité. Elle jugea difficile de concilier cette opinion avec la position adoptée dans Steele et d’après laquelle une demande en divorce n’était "manifestement" pas suffisante. La décision R. v. R. semblait élargir notablement ce qui apparaissait préalablement comme la loi, bien qu’elle soulignât la nécessité d’une séparation de fait - le simple retrait du consentement aux rapports sexuels ne suffisant pas - pour que l’immunité fût levée. La Law Commission souligna que son enquête revêtait un caractère inhabituel sur un aspect important. La pratique voulait que lorsqu’on envisage la réforme de règles de common law, on étudiât les motifs des décisions judiciaires ou de la doctrine d’où se dégage l’état actuel du droit, afin d’analyser si lesdits motifs sont bien fondés. Toutefois, cette démarche n’était guère utile ici, en partie parce qu’il y avait peu de jurisprudence en la matière, mais surtout parce qu’il ne prêtait guère à controverse qu’on ne pouvait souscrire à la raison avancée dans les décisions formant le droit actuel (paragraphe 4.1 du document de travail). Le droit reposait sur l’idée que des rapports sexuels contre le gré de l’épouse échappaient au droit du viol par cela que dans son dictum, Sir Matthew Hale adhérait à la fiction du consentement présumé aux rapports sexuels. Cette notion était tout à fait artificielle et, dans la société moderne en tout cas, totalement anormale. En vérité il était difficile de trouver une décision récente ou un commentateur la jugeant tant soit peu digne d’être appuyée. On pouvait percevoir le caractère artificiel et anormal de l’immunité conjugale en la comparant à l’état actuel du droit sur les effets juridiques du mariage (paragraphe 4.2). La notion de consentement présumé était artificielle parce que les conséquences juridiques du mariage ne résultaient pas de l’accord réciproque des parties. Bien qu’il faille que celles-ci aient la capacité juridique de contracter mariage et en observent les formalités nécessaires, elles ne pouvaient décider des clauses du contrat; le mariage était plutôt une condition qui entraînait certains droits et obligations dont de temps à autre la loi déterminait la teneur. Le juge Hawkins l’avait souligné dans l’affaire R. v. Clarence (1888) en ces termes: "Les rapports sexuels qui ont lieu entre mari et femme après le mariage ne tiennent pas à un consentement particulier de sa part à elle, mais résultent simplement de la soumission à une obligation que la loi lui impose" (paragraphe 4.3). La Law Commission souligna à cet égard que "les droits et devoirs découlant du mariage ont toutefois évolué au fil des années, de même que le droit s’est adapté aux changements de la société et des valeurs. A l’époque moderne, on considère le mariage comme un partenariat entre pairs" (paragraphe 4.4). Elle donna alors quelques exemples de changements de la loi et ajouta: "4.11 Cette reconnaissance progressive de droits et obligations réciproques au sein du mariage, décrite aux paragraphes 4.3-4.10 ci-dessus, montre clairement à notre avis que, quels que puissent être les arguments en faveur de l’immunité, on ne saurait tenir celle-ci pour justifiée en quoi que ce soit par la nature du mariage moderne ou par la loi qui le régit." Ladite commission proposa notamment, à titre provisoire, d’"abolir l’actuelle immunité conjugale dans tous les cas" (paragraphe 5.2 de son document de travail). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 29 mars 1992 (no 20166/92) à la Commission, le requérant se plaignait de sa condamnation, au mépris de l’article 7 (art. 7) de la Convention, pour une conduite, à savoir le viol de sa femme, qui, à l’époque des faits, ne constituait pas, selon lui, une infraction pénale. La Commission a retenu la requête le 14 janvier 1994. Dans son rapport du 27 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 par. 1 (art. 7-1) de la Convention (onze voix contre six). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 20 juin 1995, comme il l’avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 7 (art. 7) de la Convention. A la même occasion, le requérant a, comme dans son mémoire, prié la Cour de dire qu’il y avait eu violation de l’article 7 (art. 7) et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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M. Patrick Allenet de Ribemont est secrétaire général de société. Il est actuellement domicilié à Lamontjoie (Lot-et-Garonne). A. La genèse de l’affaire Le 24 décembre 1976, M. Jean de Broglie, député de l’Eure et ancien ministre, fut assassiné devant le domicile du requérant. Il venait de rendre visite à son conseiller financier, M. Pierre De Varga, qui habitait le même immeuble et avec lequel M. Allenet de Ribemont projetait de devenir copropriétaire du restaurant parisien "La Rôtisserie de la Reine Pédauque". Le financement de l’opération était assuré grâce à un emprunt contracté par la victime, laquelle en avait remis le montant au requérant, ce dernier ayant la charge du remboursement. Une information fut ouverte contre X du chef d’homicide volontaire. Les 27 et 28 décembre 1976, la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris procéda à plusieurs interpellations dont celle du conseiller financier de la victime. Le 29, elle arrêta M. Allenet de Ribemont. B. La conférence de presse du 29 décembre 1976 et la mise en cause du requérant Le 29 décembre 1976, à l’occasion d’une conférence de presse consacrée au programme pluriannuel d’équipement de la police nationale, M. Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur, M. Jean Ducret, directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, et le commissaire Pierre Ottavioli, chef de la brigade criminelle, évoquèrent l’enquête en cours. Deux chaînes de télévision françaises rendirent compte de ladite conférence dans le cadre de leurs journaux. La transcription des extraits pertinents s’établit ainsi: "JOURNAL TÉLÉVISÉ DE TF 1 M. Roger Giquel, présentateur du journal: (...) quoi qu’il en soit, voici comment au cours de la conférence de presse, hier soir, de M. Michel Poniatowski, toute l’affaire de Broglie a été expliquée au public. M. Poniatowski: Le coup de filet est complet. Toutes les personnes impliquées sont maintenant arrêtées après l’arrestation de M. De Varga-Hirsch. Le mécanisme était extrêmement simple: il y avait un prêt contracté auprès d’une banque avec la caution de M. de Broglie et remboursable par M. Varga-Hirsch et M. de Ribemont. Un journaliste: Monsieur le commissaire, qui était le personnage clef de cette affaire? De Varga? M. Ottavioli: Je pense que ce devait être M. De Varga. M. Ducret: L’instigateur M. De Varga et son acolyte M. de Ribemont sont les instigateurs de l’assassinat. L’organisateur, c’est l’inspecteur Simoné et l’assassin, c’est M. Frèche. M. Giquel: Il y a dans ces déclarations, vous le voyez, un certain nombre d’affirmations. C’est cela qui est aujourd’hui reproché à la police dans les milieux de la chancellerie. Bien que le commissaire Ottavioli ou M. Ducret aient pris soin (fin de l’enregistrement). JOURNAL TÉLÉVISÉ D’ANTENNE 2 M. Daniel Bilalian, présentateur du journal: (...) ce soir donc, l’affaire est dénouée. On connaît les mobiles et le meurtrier. M. Ducret: L’organisateur, c’est l’inspecteur Simoné et l’assassin, c’est M. Frèche. M. Ottavioli: Effectivement, je peux vous ... [inintelligible] les faits en disant que cette affaire est née d’un accord financier qui existait entre la victime, M. de Broglie, et M. Allenet de Ribemont et M. Varga. M. Poniatowski: Le mécanisme était extrêmement simple: il y avait un prêt contracté auprès d’une banque avec la caution de M. de Broglie et remboursable par M. Varga-Hirsch et M. de Ribemont. Un journaliste: Monsieur le commissaire, qui était le personnage clef de cette affaire? De Varga? M. Ottavioli: Je pense que ce devait être M. De Varga. M. Jean-François Luciani, journaliste: Le prêt était garanti par une assurance-vie de quatre cents millions d’anciens francs contractée par Jean de Broglie. En cas de disparition du député de l’Eure, le montant de l’assurance devait être versé à Pierre De Varga-Hirsch et Allenet de Ribemont. C’est la nuit dernière que tout a basculé avec les aveux du policier Guy Simoné qui a craqué le premier. Il a reconnu avoir été l’organisateur du meurtre, avoir prêté une arme pour que l’on tue le député de l’Eure. C’est lui qui a également recruté le tueur à gage, Gérard Frèche, auquel on avait promis trois millions d’anciens francs et qui à son tour s’entourait de deux personnes qui devaient l’accompagner. Ce qui les a perdus, c’est que d’abord le nom de Simoné figurait sur l’agenda de Jean de Broglie. C’est qu’ensuite, ils ont tué Jean de Broglie devant le 2 de la rue des Dardanelles. Ça, ça n’était pas prévu: ils devaient apparemment l’emmener ailleurs, mais Jean de Broglie n’a-t-il pas refusé de suivre le tueur? En tout cas, c’est là leur première faute, erreur. Et Varga et Ribemont auraient ensuite refusé de les payer. De là, les rendez-vous et les conciliabules dans les bars, filatures des policiers et indicateurs, on connaît la suite, et leur arrestation. La deuxième erreur, c’est Simoné qui l’a commise: avant de contacter Frèche, il s’est adressé à un autre tueur à gage qui, lui, a refusé, mais en a apparemment parlé à d’autres. Les policiers, avec réalisme, sont partis pour les confondre de deux idées simples: premièrement, le meurtre avait eu lieu rue des Dardanelles alors que Jean de Broglie sortait du domicile de De Varga. Il y avait forcément un lien entre le tueur et De Varga. Deuxièmement, le passé de De Varga ne plaidait pas en sa faveur et les policiers le considéraient plutôt comme un conseiller juridique douteux. Deux idées simples et plus de soixante enquêteurs qui les ont conduits au meurtrier. M. Bilalian: L’épilogue de cette affaire tombe précisément le jour où le conseil des ministres était consacré en partie au problème de la sécurité des Français (...)" Le 14 janvier 1977, M. Allenet de Ribemont fut inculpé de complicité d’homicide volontaire et placé sous mandat de dépôt. Il fut libéré le 1er mars 1977 et bénéficia d’un non-lieu le 21 mars 1980. C. Les recours en réparation Le recours administratif Le 23 mars 1977, M. Allenet de Ribemont adressa au premier ministre un recours gracieux fondé notamment sur l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Il sollicitait une indemnité de dix millions de francs en réparation du préjudice moral et financier qu’il estimait avoir subi du fait des déclarations précitées du ministre de l’Intérieur et de hauts fonctionnaires de police. La procédure devant les juridictions administratives a) Devant le tribunal administratif de Paris Le 20 septembre 1977, le requérant déféra à la censure du tribunal administratif de Paris la décision implicite de rejet prise par le premier ministre et renouvela sa demande en réparation. Il remit son mémoire le 12 octobre 1977. Le ministre de la Justice fit de même le 21 février 1978. Après avoir été mis en demeure par le tribunal administratif le 14 mars 1978, le ministre de l’Intérieur et le premier ministre déposèrent les leurs respectivement les 21 et 27 avril 1978. M. Allenet de Ribemont en présenta d’autres les 29 mars et 24 mai 1978. Des mémoires furent encore déposés le 29 mars 1979 par le ministre de la Culture - le dossier de la procédure lui avait été communiqué le 23 janvier 1979 - , les 6 juin 1979 et 12 août 1980 par le ministre de l’Intérieur et le 14 mai 1980 par le requérant. Après une audience le 29 septembre 1980, le tribunal administratif de Paris rendit, le 13 octobre 1980, un jugement ainsi motivé: "Considérant que la requête de M. Allenet dit Allenet de Ribemont tend à la condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice que le ministre de l’Intérieur de l’époque lui aurait causé en citant son nom dans les déclarations qu’il a faites le 29 décembre 1976 à l’occasion de la conférence de presse consacrée au meurtre de M. Jean de Broglie; Considérant que si les actes administratifs d’un membre du gouvernement sont susceptibles d’engager la responsabilité pécuniaire de l’Etat, les déclarations qu’il fait dans l’exercice de ses fonctions gouvernementales échappent au contrôle de la juridiction administrative; que par suite, ladite requête n’est pas recevable; (...)" b) Devant le Conseil d’Etat Le 15 décembre 1980, le Conseil d’Etat enregistra la requête sommaire en appel de M. Allenet de Ribemont. Ce dernier déposa son mémoire complémentaire le 1er juillet 1981, après avoir été mis en demeure le 19 mai 1981. Ce mémoire fut communiqué le 7 juillet au ministre de l’Intérieur, qui présenta ses observations le 13 avril 1982. Le requérant répliqua le 7 juillet 1982. Après une audience du 11 mai 1983, le Conseil d’Etat rejeta la requête le 27 mai 1983, par les motifs suivants: "Considérant que M. Allenet, dit de Ribemont, demande réparation du préjudice que lui auraient causé les déclarations faites à la presse, le 29 décembre 1976, par le ministre de l’Intérieur, le directeur de la police judiciaire et le chef de la brigade criminelle, au sujet des résultats de l’enquête menée dans le cadre de l’information judiciaire ouverte sur le meurtre de M. Jean de Broglie; que les déclarations faites par le ministre de l’Intérieur à l’occasion d’une opération de police judiciaire ne sont pas détachables de cette opération; que par suite, il n’appartient pas à la juridiction administrative de se prononcer sur les conséquences éventuellement dommageables de telles déclarations; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, si c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a décidé, par le jugement attaqué, que la demande du requérant concernait un acte accompli ‘dans l’exercice de fonctions gouvernementales’ et échappant pour ce motif au contrôle de la juridiction administrative, M. Allenet n’est pas fondé à se plaindre du rejet de sa demande par ce jugement;" La procédure devant les juridictions judiciaires a) Devant le tribunal de grande instance de Paris M. Allenet de Ribemont assigna devant le tribunal de grande instance de Paris, le 29 février 1984, le premier ministre et, le 5 mars 1984, l’agent judiciaire du Trésor. Le premier conclut le 25 septembre 1984 à l’incompétence du tribunal de grande instance, une telle action ne pouvant, selon lui, être portée que devant la juridiction administrative. Après avoir demandé au requérant de verser aux débats le texte intégral et complet des déclarations imputées au ministre et soulevé la prescription de l’action fondée sur la diffamation, le second répondit le 21 septembre 1984 ainsi que le 28 mai 1985. Le requérant déposa ses conclusions les 14 novembre 1984 et 5 avril 1985. Il demandait au tribunal d’enjoindre à deux sociétés de télévision françaises de communiquer l’enregistrement audiovisuel de la conférence de presse du 29 décembre 1976 et versait aux débats des coupures de presse y relatives. Le tribunal rendit son jugement le 8 janvier 1986: "Sur la recevabilité de l’action dirigée contre le premier ministre Attendu que l’article 38 de la loi du 3 avril 1955 énonce que toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt ou au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l’agent judiciaire du Trésor public; Qu’il s’ensuit que la demande de Patrick Allenet de Ribemont, tendant à obtenir de l’Etat réparation du préjudice subi à la suite des propos imputés au ministre de l’Intérieur, devait être dirigée contre le seul agent judiciaire, qui a le monopole de la représentation de l’Etat en justice et non contre le premier ministre, qui ne doit pas, en conséquence, être maintenu dans la cause; Sur la compétence Attendu que la compétence du tribunal de grande instance de Paris doit être retenue, dans la mesure où les propos prêtés au ministre de l’Intérieur peuvent être rattachés à une opération de police judiciaire et ne sont pas détachables de cette opération; Attendu que la conférence de presse du 29 décembre 1976, qui a eu lieu en présence du ministre de l’Intérieur, du directeur de la police judiciaire et du chef de la brigade criminelle, afin de présenter à la presse les résultats de l’enquête judiciaire effectuée par les services de police à la suite de l’assassinat de Jean de Broglie, peut être considérée comme un événement non détachable de l’opération de police judiciaire qui se déroulait; (...) Sur les propos reprochés (...) Attendu qu’il appartient à toute personne qui se plaint de propos, qu’ils soient diffamatoires ou seulement fautifs au sens de l’article 1382 du code civil, d’apporter la preuve de la réalité des déclarations incriminées; qu’il n’incombe pas au tribunal de suppléer à la carence des parties ou de compléter leurs offres de preuves, dès lors qu’elles ont été en mesure de faire valoir librement et contradictoirement l’ensemble de leurs pièces et de leurs moyens; Qu’à cet égard, le demandeur n’ayant pu obtenir communication de l’enregistrement vidéo de la conférence de presse en cause et l’agent judiciaire du Trésor estimant ne pas avoir à solliciter du juge de la mise en état ou du tribunal une décision tendant à la production forcée d’un tel moyen de preuve, il convient de statuer au vu des éléments du dossier; Attendu que Patrick Allenet de Ribemont verse aux débats des coupures de presse relatant la conférence du 29 décembre 1976, dont certaines datent soit du lendemain, soit des jours qui ont suivi cet événement (...); que ces journaux ne rapportent pas cependant les déclarations qu’aurait faites le ministre de l’Intérieur, telles que précisées dans l’assignation; Que toutefois, dans des publications effectuées plusieurs années après l’événement, les journalistes prêtent au ministre de l’Intérieur des propos relatifs au rôle qu’aurait joué Patrick Allenet de Ribemont et on peut lire notamment dans Le Point du 6 août 1979 les déclarations de Michel Poniatowski ainsi rapportées: ‘MM. De Varga et de Ribemont sont les instigateurs de l’assassinat, l’organisateur, c’est l’inspecteur Simoné et l’assassin, c’est M. Frèche’; Mais attendu que les articles de presse dont se prévaut Patrick Allenet de Ribemont, et quel que soit le sérieux avec lequel les journalistes auraient rapporté les propos litigieux, ne sauraient, en raison de la contestation élevée par le défendeur sur ce point, être admis comme seul moyen de preuve; Qu’il est surabondant d’observer que les publications réalisées au moment où s’est tenue la conférence critiquée, faisaient seulement état des propos qu’aurait tenus, après le ministre de l’Intérieur, le commissaire Ottavioli, sur la participation de Patrick Allenet de Ribemont à l’assassinat de Jean de Broglie; Qu’ainsi, et dans la mesure où le demandeur ne met en cause l’Etat qu’en raison des seuls propos reprochés au ministre de l’Intérieur, la demande doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le moyen tiré de la prescription d’une action fondée soit sur la diffamation, alors que le demandeur conteste un tel fondement, soit sur la violation du secret de l’instruction, prévu par l’article 11 du code de procédure pénale; (...)" b) Devant la cour d’appel de Paris M. Allenet de Ribemont interjeta appel devant la cour de Paris le 19 février 1986, et l’agent judiciaire du Trésor forma un appel incident le 19 mars. Le requérant réitéra sa demande de communication des bandes d’enregistrement en vue de leur projection. Le 7 mai 1986, le conseiller de la mise en état adressa, sans succès, une injonction de conclure à M. Allenet de Ribemont. Le 14 octobre 1986, il l’invita à fournir ses pièces avant le 30 octobre ainsi que ses éventuelles conclusions avant le 14 novembre. Il adressa un dernier avis avant clôture le 19 novembre. L’agent judiciaire du Trésor conclut le 28 novembre et le requérant le 9 décembre. Le 21 décembre, les parties furent avisées que l’ordonnance de clôture serait rendue le 28 avril 1987. A l’audience du 17 juin 1987, M. Allenet de Ribemont demanda le renvoi de l’affaire et, dûment autorisé par la cour, déposa de nouvelles conclusions le 8 juillet. La cour d’appel tint une nouvelle audience le 16 septembre 1987 et rendit son arrêt le 21 octobre 1987. Elle déboutait le requérant par les motifs suivants: "- sur la fin de non-recevoir: (...) Considérant que les motifs, énoncés plus bas, concernant l’analyse du préjudice, font apparaître qu’il s’agit d’une action en responsabilité de l’Etat, fondée sur un mauvais fonctionnement du service judiciaire, et non pas d’actions civiles en diffamation et/ou en violation du secret de l’instruction; - sur le fond: Considérant que, selon l’appelant, M. Poniatowski avait déclaré: ‘MM. De Varga et de Ribemont sont les instigateurs de l’assassinat, l’organisateur, c’est l’inspecteur Simoné et l’assassin, c’est M. Frèche; que de l’ensemble des déclarations faites soit par M. Poniatowski, soit, sous son autorité, par MM. Ducret et Ottavioli, il serait ressorti que tous les coupables étaient arrêtés, que le coup de filet était complet, que l’affaire était ‘bouclée’; que les trois personnalités auraient présenté comme le mobile du crime un emprunt bancaire contracté par M. de Broglie pour permettre à M. de Ribemont de prendre le contrôle de la société Rôtisserie de la Reine Pédauque. Mais considérant que, comme les premiers juges l’ont justement estimé, les extraits de presse produits par M. Allenet de Ribemont ne suffisent pas à justifier ses affirmations; Considérant qu’à supposer cependant cette preuve apportée, il importe de rechercher si le préjudice avancé par l’appelant peut être mis en relation avec les déclarations incriminées; (...) Considérant qu’il n’est pas démontré que les déclarations critiquées, qui sont intervenues au cours de la procédure d’instruction préparatoire, aient par elles-mêmes causé le préjudice allégué; que, dans la mesure où ce préjudice apparaît en rapport avec la poursuite pénale, il ne peut être pour autant retenu que ces déclarations aient affecté le cours de cette affaire; Considérant qu’en l’absence de lien de causalité entre les déclarations en cause, dans l’hypothèse où la teneur en serait établie, et le préjudice invoqué, il n’y a pas lieu de s’arrêter à la demande subsidiaire tendant à la mise au débat de la bande d’enregistrement; (...)" c) Devant la Cour de cassation M. Allenet de Ribemont forma un pourvoi que la Cour de cassation (deuxième chambre civile) examina à une audience du 4 novembre 1988 et rejeta le 30 novembre 1988 en considération des éléments ci-après: "Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt [de la cour d’appel de Paris] d’avoir débouté M. Patrick Tancrède Allenet de Ribemont de sa demande, au motif que les extraits de presse produits par lui ne suffisaient pas à justifier ses affirmations, alors que, d’une part, la cour d’appel aurait dénaturé lesdits extraits établissant de manière certaine l’existence et le contenu des déclarations du ministre de l’Intérieur, alors que, d’autre part, en se refusant à prendre en considération le préjudice moral de M. Patrick Tancrède Allenet de Ribemont, la cour d’appel aurait violé l’article 1382 du code civil, et alors qu’enfin, en refusant une équitable réparation à un homme atteint dans son honneur par des déclarations entendues par des millions de téléspectateurs, la cour d’appel aurait violé l’article 13 (art. 13) de la Convention européenne des droits de l’homme; Mais attendu que l’arrêt, par motifs propres et adoptés, retient que les extraits de presse des journaux du lendemain et des jours suivants ne rapportaient pas les déclarations qu’aurait faites le ministre de l’Intérieur, telles que précisées dans l’assignation, que ces publications faisaient seulement état des propos qu’aurait tenus, après le ministre, un commissaire de police et que les propos prêtés à M. Poniatowski, relatifs au rôle de l’instigateur qu’aurait joué M. Patrick Tancrède Allenet de Ribemont, sont reproduits dans une publication effectuée seulement plusieurs années après l’événement; Et attendu que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’apprécier les éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel a pu estimer, sans les dénaturer, que les extraits de presse ne suffisaient pas à justifier les affirmations de M. Patrick Tancrède Allenet de Ribemont; Que, par ce seul motif, abstraction faite des motifs critiqués par le moyen et qui sont surabondants, la cour d’appel a légalement justifié sa décision; (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Allenet de Ribemont a saisi la Commission le 24 mai 1989. Il alléguait que les déclarations faites par le ministre de l’Intérieur lors de la conférence de presse du 29 décembre 1976 constituaient une atteinte à son droit de bénéficier de la présomption d’innocence protégé par l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Il se plaignait également, sous l’angle de l’article 13 (art. 13), de n’avoir pas bénéficié d’un recours effectif lui permettant d’obtenir réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait de ces déclarations et, sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), du manque d’indépendance des juridictions internes et de la durée de la procédure devant elles. Le 8 février 1993, la Commission a retenu la requête (no 15175/89) quant aux griefs tirés du non-respect de la présomption d’innocence et de la durée excessive de la procédure, et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 12 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de constater l’absence de violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention". De son côté, le requérant invite la Cour à "entériner l’avis rendu par la Commission le 12 octobre 1993" et à "dire et juger que la violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention est établie".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La société requérante est une société à responsabilité limitée de droit britannique. Parmi ses activités figurent la fabrication et la vente de produits dérivés du tabac. Le 14 mai 1986, agissant par le truchement d'un conseil néerlandais en brevet d'invention, elle saisit l'Office néerlandais des brevets (Octrooiraad) d'une demande de brevet. Elle revendiquait une priorité à compter du 24 mai 1985 sur le fondement d'une demande de brevet déposée au Royaume-Uni (article 4 de la Convention de Paris de 1883 pour la protection de la propriété industrielle, telle que révisée - "la Convention de Paris"; paragraphe 18 ci-dessous). La demande, qui concernait une cigarette, comportait neuf revendications (conclusies). Elle fut ouverte à l'inspection publique (terinzagelegging - article 22C de la loi sur les brevets (Rijksoctrooiwet); paragraphe 34 ci-dessous) le 16 décembre 1988. Le 15 mai 1987, à la suite d'une demande introduite à cet effet par la société requérante (article 22I de la loi sur les brevets; paragraphe 35 ci-dessous), l'Office des brevets envoya à celle-ci un rapport de recherche faisant état de quatre publications de brevets afin de permettre d'évaluer l'état de la technique. Deux de ces publications étaient intervenues après la date à compter de laquelle la priorité était revendiquée, mais avant celle de dépôt aux Pays-Bas. A la suite d'une requête (article 22J de la loi sur les brevets; paragraphe 36 ci-dessous) introduite par la société requérante afin d'obtenir une décision sur la délivrance ou non d'un brevet, une division des requêtes (Aanvraagafdeling) composée d'un membre de l'Office des brevets qualifié techniquement déclara, dans une lettre datée de mai 1988, qu'à son avis les revendications énoncées ne décrivaient pas une invention brevetable et, dans la même lettre, invita la société requérante à réfuter ses objections. Elle relevait notamment que l'une des mesures décrites dans la revendication principale ne figurait pas dans la demande correspondante déposée au Royaume-Uni. Par une lettre du 24 juin 1988, la division des requêtes consentit à publier la demande aux fins d'opposition (openbaarmaking - article 25 de la loi sur les brevets; paragraphe 39 ci-dessous), à condition que certaines modifications y fussent apportées. La requérante était notamment invitée à définir le domaine de la protection sollicitée dans une revendication unique, dont le libellé devait être conforme à une suggestion faite par la division des requêtes elle-même. En revanche, celle-ci refusa de reconnaître la priorité revendiquée. Par une lettre du 20 septembre 1988, la société requérante soumit deux revendications nouvelles et indépendantes, réclamant pour la première seulement de celles-ci la reconnaissance de la priorité initialement invoquée. Le 13 octobre 1988, la division des requêtes rendit une décision définitive (eindbeschikking) aux termes de laquelle l'invention pourrait tout aussi bien être décrite dans une revendication unique sans que la clarté eût à en souffrir. Elle considéra que le recours à deux revendications indépendantes aux seules fins de résoudre des problèmes relatifs à la reconnaissance de la priorité invoquée était contraire aux exigences d'équité de la procédure (goede procesorde) et ne pouvait donc être admis. En conséquence, elle refusa de publier la demande aux fins d'opposition. Le 11 janvier 1989, la société requérante interjeta appel auprès de la division des recours (Afdeling van Beroep) de l'Office des brevets. Dans ses conclusions d'appel (memorie van grieven), elle se référait à une série de décisions publiées de la division des recours dont il apparaissait, d'après elle, que le fait qu'une demande unique de brevet comptât plus d'une revendication indépendante n'était pas dirimant. Elle émettait aussi des doutes sur la manière dont le recours à deux revendications indépendantes aux seules fins de résoudre des problèmes relatifs à la reconnaissance d'une priorité pouvait se heurter aux exigences d'équité de la procédure. Tout en admettant que l'invention pourrait certes être couverte par une revendication unique, elle faisait observer que la portée de la protection offerte par le brevet s'en trouverait limitée. Elle invitait la division des recours à infirmer la décision de la division des requêtes et à ordonner la publication de la demande aux fins d'opposition, avec les deux revendications indépendantes énoncées par elle, mais avec une reconnaissance de priorité pour la première seulement de celles-ci. A titre subsidiaire, elle sollicitait la publication de la demande aux fins d'opposition, avec la revendication unique proposée par la division des requêtes, dont elle consentait à limiter plus étroitement le domaine, et avec la reconnaissance de la priorité invoquée. Composée de deux membres qualifiés techniquement et d'un membre qualifié juridiquement, la division des recours tint une audience le 7 juin 1989. Le 15 janvier 1990, elle envoya à la société requérante une lettre dans laquelle elle déclarait estimer pour l'heure que ni les deux revendications indépendantes ni la revendication unique proposée à titre subsidiaire ne décrivaient une invention brevetable, et précisait les motifs sous-jacents à cette opinion. Elle invitait la société requérante à contester les objections ainsi soulevées d'office. Celle-ci répliqua par une lettre du 15 juin 1990 énonçant des arguments en sens contraire. Après que la division des recours eut précisé qu'elle n'était pas convaincue par ces arguments, elle tint le 23 janvier 1991 une seconde audience, à laquelle assistèrent les conseils en brevet néerlandais et britannique de la société requérante. Celle-ci déposa de nouvelles revendications le 28 janvier. La division des recours rendit une décision définitive le 29 août 1991. D'après elle, il n'était pas nécessairement contraire à une quelconque règle d'équité de la procédure de passer par deux revendications indépendantes pour résoudre des problèmes relatifs à la reconnaissance d'une priorité. Le recours initial de la société requérante étant limité à cette question il fut donc accueilli. Néanmoins, la division des recours considéra que l'objet de la demande n'était pas brevetable, dès lors qu'il n'impliquait pas une activité inventive, et elle refusa pour ce motif de publier la demande aux fins d'opposition. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle La Convention de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle, telle qu'elle a par la suite été révisée à de nombreuses reprises (en dernier lieu à Stockholm le 14 juillet 1967, Recueil des Traités des Nations Unies 1972, vol. 828, pp. 305 et suiv.), institue une Union pour la protection de la propriété industrielle. L'expression "propriété industrielle" recouvre les brevets d'invention, les modèles d'utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial, les indications de provenance ou appellations d'origine, ainsi que la répression de la concurrence déloyale (article premier), mais non les droits d'auteur. La Convention de Paris vise à prévenir la discrimination envers les non-nationaux et fixe un certain nombre de critères très généraux concernant le droit procédural et matériel en matière de propriété industrielle. Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, son article 4 dispose: "A. (1) Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d'une demande de brevet d'invention (...) dans l'un des pays de l'Union, ou son ayant cause, jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres pays, d'un droit de priorité pendant les délais déterminés ci-après. (...) B. En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré dans l'un des autres pays de l'Union, avant l'expiration de ces délais, ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation (...) et ces faits ne pourront faire naître aucun droit de tiers ni aucune possession personnelle (...) C. (1) Les délais de priorité mentionnés ci-dessus seront de douze mois pour les brevets d'invention (...) (...)" Dans la mesure où il est pertinent, l'article 12 énonce: "(1) Chacun des pays de l'Union s'engage à établir un service spécial de la propriété industrielle et un dépôt central pour la communication au public des brevets d'invention, des modèles d'utilité, des dessins ou modèles industriels et des marques de fabrique ou de commerce. (...)" B. Le droit néerlandais des brevets Le droit, tant matériel que procédural, des brevets se trouve régi par la loi sur les brevets (loi du 7 novembre 1910, Journal officiel (Staatsblad) 1910, n° 313, telle qu'elle a été amendée par la suite). Certains détails de procédure sont réglés dans des arrêtés pris par le ministre des Affaires économiques en exécution de cette loi. Droit matériel des brevets a) Conditions de fond L'article 1A de la loi sur les brevets porte: "Un brevet est délivré, à la demande de l'intéressé, à quiconque a inventé un produit ou un procédé nouveaux." Le brevet doit être délivré, sauf si l'invention est déjà connue ou constitue une évolution évidente compte tenu de l'état de la technique (articles 2-2A). Pour être brevetable, l'invention doit conduire à un résultat dans le domaine de l'industrie ou de l'agriculture (article 3 par. 1). Néanmoins, aucun brevet ne peut être délivré pour des variétés végétales ou des races animales nouvelles, ni pour des procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, sauf pour les procédés microbiologiques (article 3 par. 2). Une demande de brevet ne peut se rapporter qu'à une seule invention ou à un groupe d'inventions basées sur une idée inventive unique (article 5A). b) Droits conférés par un brevet Un brevet demeure valable pendant vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande initiale, moyennant paiement d'une redevance annuelle (articles 47 et 35 par. 1 de la loi sur les brevets). Sous réserve des dispositions de la loi sur les brevets, un brevet confère au breveté le droit exclusif, entre autres, de fabriquer, utiliser, commercialiser, revendre, louer, livrer, importer ou stocker le produit breveté ou, le cas échéant, d'appliquer sur le plan commercial le procédé breveté ou de fabriquer, utiliser, commercialiser, revendre, louer, livrer, importer ou stocker le produit obtenu directement de l'application du procédé breveté (article 30 de la loi sur les brevets). Le breveté peut faire valoir ses droits exclusifs à l'encontre de toute personne (article 43); cela peut passer, par exemple, par l'obtention auprès des tribunaux civils d'une injonction ou (en cas de contrefaçon délibérée (desbewust)) de dommages-intérêts. Tant que la demande n'a pas été convertie en un brevet, le demandeur dont la demande a été publiée aux fins d'opposition conformément à l'article 25 (paragraphe 39 ci-dessous) n'a qu'un droit en germe: il peut seulement prendre des mesures pour faciliter l'exercice ultérieur du droit qu'il espère obtenir. Une fois le brevet délivré, en revanche, il peut faire valoir ses droits de manière rétroactive à l'encontre des actes commis entre la date de publication aux fins d'opposition et celle d'obtention effective du brevet; semblables actes deviennent illicites avec effet rétroactif (article 44). Ceux commis avant la publication aux fins d'opposition demeurent licites en principe, même si le breveté a droit à une rémunération raisonnable sous forme de royalties lorsqu'ils ont été commis par une personne sachant qu'ils étaient couverts par la demande de brevet (article 43A). En vertu de l'article 33, le breveté peut concéder, au moyen d'une licence, le droit d'accomplir des actes interdits à toute autre personne que lui-même. Tant le brevet que le droit à un brevet au sens des articles 1 et suivants de la loi sur les brevets sont cessibles et autrement transférables en tout ou en partie (article 37 de la loi sur les brevets). Un brevet peut être déclaré nul (nietig) dès l'origine s'il ne satisfait pas aux conditions de fond fixées par la loi sur les brevets (article 51). Il peut être également revendiqué (opeising) par toute personne soutenant que c'est elle et non le breveté qui y a droit (article 53). Une licence obligatoire au titre d'un brevet peut être revendiquée, soit par le détenteur d'un brevet basé sur une demande de brevet subséquente s'il en a besoin pour utiliser efficacement son propre brevet (article 34 par. 4 de la loi sur les brevets), soit conjointement par le ministre des Affaires économiques et d'autres ministres directement concernés si les intérêts de l'Etat l'exigent (article 34A). Dans un cas comme dans l'autre, le breveté a droit à une rémunération raisonnable. Droit procédural des brevets Les demandes de brevet doivent être déposées auprès de l'Office des brevets, qui délivre les brevets (article 13 de la loi sur les brevets). Il ressort de l'exposé des motifs accompagnant le projet dont est issue la loi sur les brevets (Annexe aux documents parlementaires, Chambre basse, 1904-1905 197, n° 3, p. 16) que le but était d'empêcher, dans toute la mesure du possible, la délivrance de brevets "ne reposant pas sur de bonnes raisons". Aussi décida-t-on d'établir un système prévoyant l'examen des demandes de brevet par un organe de l'Etat "ayant la faculté mais non l'obligation" d'étendre son examen à "tous les points pouvant s'avérer pertinents pour la validité du brevet" et prévoyant que "durant l'examen, il [fallait] donner aux tiers l'occasion de former opposition". Un organe spécialisé fut créé à cet effet: l'Office des brevets. On avait fait observer que seule la création de semblable organe "[pouvait] conférer aux experts techniques, tout à fait indispensables, l'indépendance voulue" et "[pouvait] fournir la garantie requise pour la qualité des décisions, qui, pour ne pas être de véritables décisions judiciaires au sens strict du terme, s'en [rapprochaient] très fort". Les dispositions légales régissant la procédure devant l'Office des brevets sont très sommaires, de sorte qu'au fil des ans celui-ci a dû, au travers de sa jurisprudence, instituer un certain nombre de règles procédurales afin de combler les lacunes. Pour les besoins de la présente espèce, il est intéressant de noter que, conformément aux susdits buts énoncés dans les travaux préparatoires de la loi sur les brevets, l'Office des brevets ne s'estime pas lié par les faits tels qu'ils lui sont soumis par les parties, ni par ce que les demandeurs revendiquent, mais il établit les faits lui-même, au besoin d'office. Les paragraphes qui suivent résument les principales règles de la procédure applicable aux demandes de brevet. a) Demandes de brevet On trouve dans la loi sur les brevets proprement dite et dans le règlement sur les brevets (Octrooireglement) édicté pour son exécution les conditions de forme relatives aux demandes de brevet. Semblable demande doit comporter, notamment, une description générale de l'invention, et l'étendue des droits exclusifs désirés doit être définie dans une ou plusieurs revendications annexées à la description (article 22A par. 1 e) de la loi sur les brevets). La description (qui peut contenir des dessins ou des graphiques) doit permettre à un homme du métier de comprendre et d'appliquer l'invention, et les revendications doivent être détaillées (article 22B par. 1). Celles-ci doivent énumérer de manière séparée et en détail les caractéristiques originales de l'invention pour lesquelles des droits exclusifs sont réclamés (article 24 par. 2 du règlement sur les brevets). En pratique, la première revendication décrit généralement l'idée inventive principale, et d'autres revendications, dépendant de la première, décrivent des concrétisations particulières de l'invention. Le droit de priorité créé par l'article 4 de la Convention de Paris (paragraphe 18 ci-dessus) doit être expressément invoqué (article 7). b) Procédure applicable aux demandes de brevet Dès que possible après l'écoulement de dix-huit mois à compter de la date de dépôt, ou après la date à partir de laquelle la priorité est revendiquée si celle-ci est antérieure, la demande est ouverte à l'inspection publique (article 22C par. 1 de la loi sur les brevets). A compter de ce moment, elle fait partie de l'état de la technique à prendre en considération lors de demandes ultérieures pour ce qui est de la condition de nouveauté (article 2 par. 3). Le demandeur ou - après que la demande a été ouverte à l'inspection publique - toute autre personne peut solliciter auprès de l'Office des brevets un rapport de recherche énumérant les documents publiés qu'il juge pertinents comme descriptifs de l'état de la technique (article 22I par. 1 de la loi sur les brevets). En pratique, ces rapports de recherche sont rédigés non par l'Office néerlandais des brevets lui-même, mais par l'Office européen des brevets (par application de l'article 22 par. 8). Les documents mentionnés dans le rapport d'investigation sont ordinairement d'autres demandes de brevet déposées aux Pays-Bas et dans d'autres pays. Une fois remis le rapport de recherche, le demandeur ou toute autre personne peut solliciter une décision sur la délivrance ou non d'un brevet (article 22J par. 1 de la loi sur les brevets). A ce stade, l'Office des brevets communique toutes objections qu'il peut avoir à la délivrance d'un brevet. Le demandeur peut alors en réponse soumettre des arguments par écrit ou modifier sa demande (article 23 par. 2). La demande est ensuite confiée à la division des requêtes (article 23 par. 3; paragraphe 58 ci-dessous). Celle-ci doit donner au demandeur l'occasion d'être entendu, après quoi elle doit rendre sa décision dès que possible (article 23 par. 4). L'article 24 par. 1 de la loi sur les brevets énonce: "Si la division des requêtes juge la demande ou une partie de celle-ci non brevetable, elle rend une décision de non-publication aux fins d'opposition; dans le cas contraire, elle rend une décision de publication aux fins d'opposition." Le demandeur peut, dans les trois mois, saisir la division des recours d'un appel contre une décision de non-publication ou de publication seulement partielle de la demande aux fins d'opposition. Il doit pour ce faire déposer des conclusions écrites (article 24A par. 1 de la loi sur les brevets). Comme celle devant la division des requêtes, la procédure devant la division des recours n'est pas contradictoire. Cette dernière ne doit entendre - ou tout au moins appeler - que le demandeur. Elle peut ordonner un rapport de recherche complémentaire (article 24A par. 3). Sa décision est motivée (article 24A par. 5). Si la demande est jugée brevetable en tout ou en partie, soit au stade initial par la division des requêtes, soit en appel par la division des recours, elle est publiée aux fins d'opposition (article 25 par. 1 de la loi sur les brevets). Dans les quatre mois de la publication de la demande aux fins d'opposition, toute personne peut s'opposer à la délivrance d'un brevet (article 25 par. 3 de la loi sur les brevets). Si aucune opposition n'est formulée dans ce délai ou si celles intervenues sont jugées dépourvues de fondement, la demande est convertie en un brevet et les droits exclusifs du breveté sont établis (article 28 par. 1 de la loi sur les brevets). Les oppositions sont examinées par la division des requêtes ayant statué sur la publication de la demande aux fins d'opposition (article 26 par. 1). Si la division initiale se composait d'un membre unique, on lui adjoint deux membres supplémentaires. La procédure d'opposition est entièrement contradictoire: tant la partie opposante que le demandeur sont entendus (ou appelés) (article 26 par. 1). La division des requêtes doit rendre une décision motivée (article 26 par. 1). Chaque partie peut attaquer devant la division des recours le résultat de la procédure d'opposition. Sauf le fait que la procédure d'appel est également contradictoire, on applique à ces recours les mêmes règles qu'aux recours dirigés contre les décisions de non-publication aux fins d'opposition rendues par les divisions des requêtes (article 27). Les audiences devant l'Office des brevets ne sont pas publiques et les décisions rendues par lui ne le sont pas en public. Avant le 1er janvier 1991, diverses dispositions de la loi sur les brevets précisaient les documents auxquels le demandeur de brevet et d'autres intéressés devaient avoir accès (réclamations (bezwaarschriften), demandes et conclusions écrites les concernant). Certains, mais non l'ensemble, de ces documents devaient aussi être rendus accessibles au public une fois la demande de brevet ouverte à l'inspection publique. Le 1er janvier 1991 est entrée en vigueur une nouvelle disposition (l'article 28A de la loi sur les brevets) qui prévoit qu'une fois la demande de brevet ouverte à l'inspection publique (ou publiée aux fins d'opposition, selon que c'est l'une ou l'autre de ces formalités qui est accomplie en premier), toute personne peut compulser tous documents relatifs à la demande de brevet reçue par l'Office des brevets ou envoyés par celui-ci au demandeur ou à des tiers en vertu des dispositions de la loi sur les brevets. Tant que la demande de brevet n'a pas été ouverte à l'inspection publique, les tiers ne peuvent compulser ces documents qu'avec l'accord du demandeur, sauf à prouver que ce dernier a invoqué la demande de brevet contre eux. C. Autorités compétentes en matière contentieuse Les actions en contrefaçon ou en annulation (nietigverklaring) d'un brevet et en contestation (opeisen) des droits du breveté sont portées devant un tribunal civil ordinaire, le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye (article 54 de la loi sur les brevets), dont la compétence en la matière est exclusive. Ses décisions sont susceptibles d'un recours devant la cour d'appel (gerechtshof) de La Haye, dont les décisions sont elles-mêmes susceptibles d'un pourvoi devant la Cour de cassation. Les actions en obtention d'une licence obligatoire sont portées devant l'Office des brevets si le demandeur est un particulier (article 34 par. 6 de la loi sur les brevets); l'octroi d'une licence obligatoire dans l'intérêt de l'Etat peut simplement être ordonné par les ministres concernés (paragraphe 27 ci-dessus). La rémunération en pareils cas est fixée par l'Office des brevets si les deux parties le demandent d'un commun accord; si elles ne peuvent s'entendre ni sur le montant de la rémunération ni pour soumettre la question à l'Office des brevets, le breveté peut saisir le tribunal d'arrondissement de La Haye (article 34 par. 9). Il n'existe aucune disposition légale autorisant ou barrant explicitement l'accès aux juridictions civiles pour attaquer une décision de la division des recours de l'Office des brevets. Il apparaît toutefois que le législateur a voulu conférer à la division des recours une compétence exclusive. L'exposé des motifs accompagnant le projet dont est issue la loi sur les brevets contient le passage suivant (Annexe aux documents parlementaires, Chambre basse du Parlement, 1904-1905 197, n° 3, p. 25): "La décision de rejet d'une demande [de brevet] rendue par l'Office des brevets en dernière instance ne doit pas être susceptible de recours. Il faut supposer que lorsque l'Office des brevets, qui est l'organe expert par excellence, considère que la loi ne l'autorise pas à délivrer le brevet sollicité, cet avis se fonde sur des motifs solides. En tout état de cause, le libellé d'un brevet ne saurait guère être confié à un organe autre que l'Office des brevets, qui possède l'expertise requise." La compétence des tribunaux administratifs est expressément exclue par la loi (à l'époque pertinente, par l'article 1 f) de la loi sur la justice administrative en matière de décisions de la puissance publique (Wet administratieve rechtspraak overheidsbeschikkingen - "loi AROB")). D. L'Office des brevets Statut du président et des membres Aux Pays-Bas, le service de la propriété industrielle visé à l'article 12 de la Convention de Paris est l'Institut de la propriété industrielle (Bureau voor de Industriële Eigendom). L'Office des brevets fait partie de cet institut (article 14 de la loi sur les brevets; article 1 de l'arrêté sur l'Institut de la propriété industrielle (Besluit Bureau industriële eigendom)). Le président de l'Office des brevets est aussi directeur de l'Institut de la propriété industrielle (article 2 par. 2 de l'arrêté précité). Tous les fonctionnaires et autres agents - terme qui inclut les membres de l'Office des brevets - de l'Institut lui sont subordonnés; agissant sur les instructions du ministre des Affaires économiques, il peut fixer des règles pour la gestion quotidienne de l'Institut; celles-ci sont toutefois soumises à l'approbation du ministre (article 5 de l'arrêté). Le directeur doit présenter au ministre des Affaires économiques un rapport annuel sur les activités de l'Institut (article 8 de l'arrêté). Lorsqu'il statue, l'Office des brevets n'est pas lié par les instructions de quelque autre autorité administrative que ce soit. Les fonctionnaires et autres agents de l'Institut ne peuvent avoir aucune autre fonction rémunérée sans l'autorisation du ministre des Affaires économiques. Il leur est défendu d'exercer les professions d'avocat et de conseil en brevet d'invention et ils ne peuvent participer, ni directement ni indirectement, à une entreprise impliquant le dépôt de demandes de brevet ou l'enregistrement de marques de fabrique, de dessins ou de masques de semi-conducteurs. Il leur est interdit d'introduire eux-mêmes des demandes de brevet (article 3 de l'arrêté sur l'Institut de la propriété industrielle). L'Office des brevets se compose d'au plus quatre-vingt-dix membres ordinaires et suppléants, divisés en membres qualifiés juridiquement et membres qualifiés techniquement, et d'au moins douze membres extraordinaires (article 2 du règlement sur les brevets). Le président et tous les membres de l'Office des brevets sont désignés et peuvent être révoqués par la Couronne (c'est-à-dire le monarque conjointement avec le ministre responsable; article 14 par. 3 de la loi sur les brevets). Avant leur prise de fonctions, ils doivent prêter un serment ainsi libellé (article 14 par. 3 de la loi sur les brevets et article 4 du règlement sur les brevets): "Je promets d'accomplir diligemment, consciencieusement et impartialement les devoirs de la charge de président [ou de vice-président, de membre ordinaire, de membre extraordinaire ou de membre suppléant] de l'Office des brevets, et spécialement de prendre part, selon mes propres convictions, aux décisions devant être rendues par les divisions, de garder secret ce qu'au travers de mes fonctions j'ai appris concernant les demandes de brevet, dans la mesure où celles-ci n'ont pas été ouvertes à l'inspection publique ou publiées aux fins d'opposition, d'aider à mettre en oeuvre avec précision les mesures générales d'administration (algemene maatregelen van bestuur) pertinentes et de n'accepter ni promesses ni dons, que ce soit directement ou indirectement, pour faire ou omettre quoi que ce soit dans l'exercice de mes fonctions (...)" Aucun membre de l'Office des brevets ne peut participer à une procédure à laquelle il est intéressé, directement ou indirectement, ou dans laquelle il a joué un rôle quelconque (article 3 du règlement sur les brevets). La désignation du président et des membres ordinaires demeure valable jusqu'à leur retraite. Les membres extraordinaires sont désignés pour une période de cinq ans, renouvelable (article 2 par. 2 du règlement sur les brevets). Ils sont recrutés sur la base d'une expertise dans un domaine technique particulier et sont en général professeur d'université dans l'une ou l'autre science technique ou appliquée. Il n'existe pas de règles spécifiques protégeant le président ou les membres de l'Office des brevets contre le licenciement. Ceux-ci jouissent de la même protection que les autres agents publics permanents, qui ne peuvent être révoqués que pour certains motifs limités, fixés par la loi, et qui peuvent attaquer leur révocation devant le juge des fonctionnaires (ambtenarenrechter). On a connaissance d'un cas où un membre de l'Office des brevets a été révoqué. L'intéressé avait refusé d'exécuter un ordre du président lui intimant d'effectuer un travail préparatoire concernant des demandes de brevet et consistant à vérifier qu'elles remplissaient les conditions de forme. Cette tâche était normalement accomplie par des fonctionnaires subalternes mais, à l'occasion, les membres de l'Office s'en occupaient sur une base volontaire; leur assistance était devenue nécessaire en raison d'un arriéré de travail grandissant. Après que le membre concerné eut refusé de prêter volontairement son assistance, même après consultation, le président lui enjoignit formellement de le faire. L'intéressé refusa d'obtempérer et fut révoqué pour ce motif. Il attaqua en vain sa révocation, d'abord devant le juge des fonctionnaires, puis en appel devant la Commission centrale de recours (Centrale Raad van Beroep). Il n'avait pas contesté l'ordre lui-même. Dès lors, les deux juridictions saisies devaient supposer qu'il n'aurait pu avoir été révoqué sans juste motif que si l'ordre avait été manifestement donné par une personne dépourvue de l'autorité pour ce faire. En l'espèce, l'ordre pouvait être fondé sur l'article 11A du règlement sur la propriété industrielle (Reglement Industriële Eigendom), une disposition introduite en 1957 et d'après laquelle les tâches incombant à l'Office des brevets mais non assignées spécifiquement à l'une quelconque des divisions devaient être accomplies par le président, lequel était habilité à les déléguer aux membres ordinaires de l'Office. La Commission centrale de recours cita l'exposé des motifs accompagnant l'arrêté de 1957 introduisant l'article 11A susvisé; il en ressortait que le ministre compétent avait supposé que les membres de l'Office des brevets étaient subordonnés au président, sauf en ce qui concerne les décisions relatives aux demandes de brevet. Pour ce qui était de ces décisions, ils ne pouvaient agir que selon leurs propres convictions (voir l'arrêt de la Commission centrale de recours du 17 février 1971, n° 1970/B 12, non publié). Organisation de l'Office des brevets L'Office des brevets comprend une division centrale, des divisions des requêtes, des divisions des recours et des divisions spéciales (article 14 par. 2 de la loi sur les brevets). La division centrale compte cinq membres. Elle est présidée d'office par le président de l'Office des brevets; les quatre autres membres sont désignés par le ministre des Affaires économiques (article 5 du règlement sur les brevets). La division centrale décide de la composition des autres divisions. Les divisions des requêtes, les divisions des recours et les divisions spéciales sont constituées pour chaque affaire en fonction des nécessités. Les divisions des requêtes, composées soit d'un membre (qui doit être qualifié techniquement) ou de trois membres (dont un ou deux doivent être qualifiés juridiquement), décident si une demande de brevet peut être publiée aux fins d'opposition et examinent les oppositions formées (paragraphes 39 et 41 ci-dessus; articles 6 par. 1 et 7 du règlement sur les brevets). Celles qui examinent les oppositions se composent toujours de trois membres, même si la demande elle-même a été traitée par une division des requêtes composée d'un membre unique (article 26 par. 1 de la loi sur les brevets). Les divisions spéciales, qui se composent soit d'un membre (qui doit être qualifié juridiquement) soit de trois membres (dont un ou deux doivent être qualifiés juridiquement), se prononcent en première instance sur toutes les autres questions entrant dans la compétence de l'Office des brevets (articles 6 par. 2 et 9 du règlement sur les brevets). Les divisions des recours, qui se composent soit de trois membres (dont un ou deux doivent être qualifiés juridiquement) soit de cinq membres (dont deux ou trois doivent être qualifiés juridiquement), en fonction de la nature et de la complexité de l'affaire, examinent les recours dirigés contre les décisions des autres divisions (articles 6 par. 1 et 8 du règlement sur les brevets). Le président de l'Office des brevets préside d'office les divisions des recours mais peut être remplacé en son absence par un vice-président (articles 8 par. 3 et 12 du règlement sur les brevets). Une division des recours ne peut comporter de membres ayant participé à la rédaction du rapport de recherche ou à la décision attaquée en qualité de membres d'une division des requêtes (article 24A par. 4 de la loi sur les brevets). Il n'existe pas de disposition légale permettant aux demandeurs de récuser soit un ou plusieurs membres d'une division, soit une division entière. E. Jurisprudence interne relative à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention Aux termes de l'article 112 de la Constitution néerlandaise, "Le pouvoir judiciaire tranche les litiges relatifs aux droits de caractère civil et aux créances." D'après une jurisprudence établie de la Cour de cassation, cette disposition doit se lire de manière à embrasser pratiquement tous les litiges entre particuliers et autorités administratives. Les juridictions civiles sont ainsi réputées constituer un "filet de sécurité" pour ce qui est de la protection de l'individu contre les actes des autorités. Cela signifie que bien qu'il appartienne aux juridictions civiles de décider elles-mêmes quand il leur faut exercer leur compétence, elles doivent déclarer une action irrecevable si elles estiment qu'il existe une autre voie de droit offrant des garanties de procédure suffisantes. En revanche, si elles concluent à l'absence de semblable recours ou si celui qui existe présente des garanties insuffisantes, elles doivent examiner l'affaire au fond. En ce qui concerne les actions intentées par les particuliers contre les autorités administratives, il existe depuis l'arrêt Benthem c. Pays-Bas rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme le 23 octobre 1985 (série A n° 97) une jurisprudence constante de la Cour de cassation d'après laquelle les juridictions civiles doivent prendre en compte les exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention. (Pour une discussion détaillée de l'évolution juridique pertinente et de l'influence de l'arrêt Benthem, voir l'arrêt Oerlemans c. Pays-Bas rendu par la Cour le 27 novembre 1991, série A n° 219.) La question de savoir si la procédure devant l'Office des brevets offre des garanties suffisantes n'a été soumise que deux fois aux juridictions civiles. Ni dans un cas ni dans l'autre la réponse apportée ne fut concluante. Le problème fut soulevé pour la première fois devant une juridiction civile à l'occasion d'une procédure en référé (kort geding) devant le président du tribunal d'arrondissement de La Haye (jugement du 11 juillet 1989, Bijblad bij De Industriële Eigendom (Revue de propriété industrielle, BIE) 1990, p. 246). Dans cette affaire, le demandeur, contre lequel avait été prononcée, dans le cadre d'une procédure en référé antérieure, une injonction lui interdisant de porter atteinte à un brevet dont le défendeur était propriétaire, avait sollicité une déclaration aux termes de laquelle ladite injonction s'appliquerait seulement à la période entre la date à laquelle elle avait été prononcée et celle à laquelle le demandeur avait invité l'Office des brevets à octroyer une licence obligatoire au titre du brevet. Le défendeur avait fait valoir qu'il ne se trouvait pas lié par la procédure relative aux licences obligatoires dès lors que l'Office des brevets, lorsqu'il statuait en cette matière (rendant ce qui, d'après le défendeur, s'analysait en des décisions sur des droits et obligations de caractère civil, au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention), n'était pas un "tribunal indépendant et impartial". Le président du tribunal d'arrondissement refusa de se prononcer sur cette question. Même si sa supposition était correcte, le défendeur pouvait, après l'octroi de la licence obligatoire, s'adresser aux juridictions civiles, qui auraient alors décidé si celle-ci avait été accordée à bon droit. L'objection du défendeur à l'arrangement prévoyant l'octroi d'une licence obligatoire ne pouvait dès lors, d'aucune manière, justifier la conclusion que semblable licence ne devrait jamais être accordée au demandeur, ce qui avait été l'idée sous-jacente au moyen de défense. Le président du tribunal d'arrondissement déclara, dans un obiter dictum, qu'en l'état actuel des choses - vu la manière dont les fonctions de l'Office des brevets étaient décrites par la loi et compte tenu de la façon dont les dispositions légales régissant la procédure en matière de licences obligatoires étaient libellées et mises en oeuvre en pratique - la probabilité pour que les juridictions civiles néerlandaises, dans une procédure au fond (bodemprocedure), ou la Commission ou la Cour européennes des Droits de l'Homme estimassent non conformes à l'article 6 (art. 6) de la Convention l'Office des brevets ou la procédure en matière de licences obligatoires n'était pas suffisamment forte pour qu'il pût fonder sa décision en référé sur une telle hypothèse. D'après les informations fournies par le Gouvernement, la question fut soulevée une seconde fois en 1990, à l'occasion d'un procès intenté par une société contre l'Etat devant le tribunal d'arrondissement de La Haye, à propos de l'octroi d'une licence obligatoire sur le fondement d'un brevet dont elle était propriétaire. La société invita le tribunal à déclarer illégale la décision de la division des recours, au motif, notamment, que l'Office des brevets ne remplissait pas les critères de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Le Gouvernement a déclaré devant la Cour qu'il n'avait pas contesté la recevabilité de ces allégations mais qu'au contraire il avait conclu au fond. Il apparaît que la société décida de ne pas mener l'affaire à son terme. En conséquence, le tribunal d'arrondissement n'eut pas à se prononcer. F. La loi de 1995 sur les brevets A compter du 1er avril 1995, la loi de 1910 sur les brevets a été remplacée par une loi entièrement nouvelle, la loi de 1995 sur les brevets (loi du 15 décembre 1994, Journal officiel (Staatsblad) 1995, n° 51). Toutefois, les demandes de brevets déposées avant le 1er avril 1995, les brevets octroyés sur leur fondement et les licences accordées au titre de ces brevets continuent d'être régis par la loi de 1910. Celle-ci sera finalement abrogée. La nouvelle loi a aboli le système actuel d'examen au fond des demandes de brevet préalablement à la délivrance d'un brevet. S'inspirant notamment de l'exemple belge, le nouveau système prévoit l'enregistrement des brevets après un examen se limitant au respect des conditions de forme. L'examen au fond est confié aux juridictions civiles, auxquelles il incombe de juger si les conditions de brevetabilité sont remplies, spécialement en ce qui concerne l'activité inventive. Les oppositions doivent être formées directement auprès des juridictions civiles. En vertu du nouveau système, l'Office des brevets sous sa forme actuelle finira par disparaître. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La société requérante a saisi la Commission de sa requête (n° 19589/92) le 27 février 1992. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), elle se plaignait respectivement de ne pas avoir eu un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, et d'avoir été privée de ses biens sans qu'un tribunal indépendant et impartial se fût penché sur la question. La Commission a déclaré la requête recevable le 15 octobre 1993. Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (vingt-deux voix contre une), mais non de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, la société requérante invite la Cour à confirmer les conclusions de la Commission à elle favorables, au besoin sur la base d'un raisonnement différent, à établir les autres violations de la Convention alléguées par elle mais non constatées par la Commission et à lui accorder une satisfaction équitable. Le Gouvernement conclut son mémoire en réitérant son avis selon lequel il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
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Ressortissant autrichien, né en 1958, M. Ronald Ribitsch habite avec son épouse à Vienne. I. LA GENÈSE DE L’AFFAIRE Le bureau de sécurité de la direction de la police fédérale (Sicherheitsbüro der Bundespolizeidirektion) de Vienne comprenait à l’époque des faits trois unités chargées des enquêtes en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants. L’une d’elles, dirigée par l’inspecteur divisionnaire Pöttinger, intervenait plus spécialement en cas de mort d’homme. Le 21 mai 1988, suite au décès de deux personnes par une surdose d’héroïne, une amie de l’une d’elles se rendit à l’unité dirigée par M. Pöttinger en indiquant que son compagnon avait voulu se procurer de la drogue auprès du requérant. Suite à ces déclarations, plusieurs inspecteurs de police de cette unité interrogèrent ce dernier le même jour et effectuèrent une perquisition à son domicile, sans toutefois disposer de mandat. Les recherches demeurèrent infructueuses et l’intéressé ainsi que son épouse furent autorisés à partir en vacances le jour même à destination de la Turquie. Le 22 mai 1988, on reconnut en l’une des personnes décédées un chanteur de rock très connu en Autriche, ce qui donna lieu à des pressions médiatiques pour retrouver le vendeur de l’héroïne mortelle. L’unité de M. Pöttinger mena de nombreuses investigations entre le 22 et le 31 mai 1988. Ce jour-là, une autre unité du bureau de sécurité, dirigée par l’inspecteur divisionnaire Gross, et auquel appartenaient à l’époque des faits les inspecteurs Markl, Trnka et Fröhlich, reçut un appel téléphonique anonyme accusant M. Ribitsch d’avoir vendu l’héroïne à l’une des personnes décédées. Vers 12 h 30, plusieurs inspecteurs de cette unité interpellèrent le requérant et son épouse pour trafic de stupéfiants et effectuèrent une perquisition à leur domicile, sans disposer d’un mandat de perquisition ni d’un mandat d’arrêt. On trouva 0,5 g de haschisch sur les lieux. II. LA GARDE À VUE DU REQUÉRANT M. Ribitsch et sa femme furent placés en garde à vue dans les locaux du bureau de sécurité de la direction de la police fédérale de Vienne du 31 mai 1988 vers 12 h 30 jusqu’au 2 juin 1988 vers 9 h 30. Deux versions des événements survenus au cours de la garde à vue s’opposent. Selon l’intéressé, les policiers chargés de mener les interrogatoires l’ont grossièrement insulté, puis brutalisé à plusieurs reprises afin de lui extorquer des aveux. Il avait reçu des coups de poing à la tête (Kopfnuß), dans la région rénale et au bras droit, et des coups de pied dans les cuisses et les reins. On l’avait traîné à terre par les cheveux et cogné sa tête sur le sol. 90 % de ses blessures provenaient des coups reçus de l’inspecteur Markl. A sa sortie, il présentait des hématomes au bras droit et sur une cuisse, et souffrait d’un syndrome cervical, de vomissements, de diarrhées et d’une violente céphalée. Une autre version est donnée par M. Markl dans un rapport daté du 1er juin 1988 mais relatant des faits qui, d’après les termes mêmes de ce document, se seraient produits respectivement le ler juin à partir de 15 h 20 environ, le 2 juin vers 8 heures et 9 h 30. Selon ce rapport, on fit sortir le requérant des locaux de la police dans l’après-midi du ler juin afin de le conduire dans un institut de recherche acoustique et de comparer sa voix à celle d’une personne anonyme qui avait appelé les services d’urgence de Vienne. En descendant de la voiture de police et alors qu’il avait les menottes aux poignets, M. Ribitsch avait glissé et son bras droit avait heurté la portière arrière du véhicule. M. Markl, qui lui avait ouvert la porte, put agripper son bras gauche, mais ne put l’empêcher de tomber. Cependant, sa chute fut considérablement amortie et il avait atterri "doucement" sur son séant. Ce n’est que le lendemain matin, au cours de l’interrogatoire, que l’intéressé avait signalé sa blessure aux policiers, tout en refusant un traitement médical. A l’issue de sa garde à vue, le requérant informa plusieurs personnes de sa famille, ainsi qu’un psychologue et un journaliste, des mauvais traitements qu’il aurait subis. Sur les conseils de ce dernier, il se rendit à l’hôpital Meidling dans l’après-midi du 2 juin, où il fut examiné à partir de 17 h 35, et chez son médecin généraliste le lendemain. Le rapport de l’hôpital fait état d’hématomes de 2 à 3 cm sur le milieu de la face externe du bras droit, et un rapport neurologique annexe de contusions sur les faces externe et interne du bras droit. Aucune autre blessure aux extrémités ne fut observée. Une radioscopie ne révéla aucune lésion osseuse. Le rapport du médecin indique que l’intéressé présentait plusieurs ecchymoses sur son bras droit, ainsi que des symptômes caractéristiques d’un syndrome cervical, qu’il souffrait de vomissements, d’une céphalée intense, et qu’il avait une température de 37,5oC. Un photographe prit un cliché des blessures de M. Ribitsch. III. LA PROCÉDURE PÉNALE ENGAGÉE CONTRE LES INSPECTEURS DE POLICE DEVANT LE TRIBUNAL PÉNAL DE DISTRICT DE VIENNE Le 7 juin 1988, à la suite d’une émission de la radio autrichienne sur les méthodes que les services de police auraient utilisées lors des interrogatoires des époux Ribitsch, la direction de la police fédérale de Vienne ouvrit une enquête au sujet des policiers mis en cause et transmit les résultats de celle-ci au parquet le 25 octobre 1988. Le 22 novembre, le requérant se constitua partie civile en vue d’obtenir des dommages et intérêts, conformément à l’article 47 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung). A. Les investigations préliminaires Le 26 juin 1989, le juge du tribunal pénal de district (Strafbezirksgericht) de Vienne procéda aux investigations préliminaires (Vorermittlungen) et entendit M. et Mme Ribitsch en qualité de témoins, ainsi que les inspecteurs de police Trnka, Gross, Fröhlich et Markl en qualité de prévenus (Beschuldigte). Dans son rapport, la Commission décrit ainsi leur audition: "23. Le requérant déclara avoir été arrêté, le 31 mai 1988, par quatre inspecteurs de police, dont M. Markl et M. Trnka. Après qu’ils l’eurent pris en photo et relevé ses empreintes digitales, ils se mirent à l’interroger dans l’après-midi et dans la soirée. Lors du premier interrogatoire, cinq inspecteurs de police étaient présents qui le questionnaient à tour de rôle. Le requérant signala également que les inspecteurs de police, à l’exception de M. Fröhlich, buvaient du vin. Au cours de l’interrogatoire, leur supérieur, M. Gross, avait commencé à lui tirer la moustache qu’il avait en guidon de bicyclette, le forçant ainsi à faire le tour de la pièce, puis l’avait giflé. Comme il n’avait toujours pas avoué, l’inspecteur de police Markl s’était mis à le frapper. Le requérant connaissait l’identité de ce dernier, car il l’avait vu signer le procès-verbal. L’inspecteur Fröhlich était assis à la machine à écrire. Il était le seul à s’être comporté correctement. L’inspecteur Markl avait continué à le frapper durant les interrogatoires successifs. C’était M. Markl qui l’avait battu le plus souvent, bien que d’autres l’eussent également frappé à coups de pied, alors qu’il gisait à terre. Le deuxième jour, une personne dotée d’une formation juridique a pu assister un bref moment à la scène et voir qu’il s’était fait battre. L’inspecteur Markl avait ensuite essayé de l’inciter à riposter. 90 % de ses lésions avaient été causées par M. Markl. L’hématome qu’il portait au bras droit provenait des coups de poing qu’il lui avait assenés. M. Markl avait continué à lui donner des coups de pied et provoqué un hématome à la jambe droite ou gauche; l’empreinte de la chaussure avait plus tard été relevée sur son pantalon. L’inspecteur Markl l’avait également agrippé par les cheveux et jeté à terre. Interrogé, le requérant déclara qu’aucun incident ne s’était produit lors de sa visite sous escorte à l’Institut de recherche acoustique. L’inspecteur de police Trnka déclara avoir travaillé avec, entre autres, les inspecteurs de police Markl et Fröhlich. Il ne parvenait pas à se souvenir s’il avait assisté à l’arrestation du requérant. Il avait mené l’interrogatoire de l’épouse du requérant. Ce dernier avait été interrogé dans une autre pièce, où M. Trnka s’était rendu à plusieurs reprises pour lui poser des questions. Il avait pris connaissance par les médias des dommages corporels infligés au requérant. Lui-même ne l’avait ni battu ni frappé à coups de pied et n’avait pas vu ses collègues se livrer à ces brutalités. Les inspecteurs de police n’avaient pas bu d’alcool durant les interrogatoires. De plus, bien que travaillant dur, ils avaient toujours fait une pause, au moins entre minuit et 7 heures du matin. L’inspecteur de police Gross expliqua qu’il dirigeait cette unité de travail depuis 1983, que l’inspecteur Markl en faisait partie depuis deux ans, l’inspecteur Fröhlich depuis un an et l’inspecteur Trnka depuis cinq ans. Il avait assisté à une partie des interrogatoires du requérant et de son épouse. Il n’avait pas touché au requérant et, bien que se rappelant que celui-ci portait une curieuse moustache, ne la lui avait pas tirée. A l’époque des faits, ils avaient fait des heures supplémentaires, mais n’avaient subi aucune pression particulière. Il avait été informé par l’inspecteur Markl ou Fröhlich de ce que le requérant avait trébuché en sortant d’une voiture de police. Il n’avait eu connaissance d’aucune blessure. Il avait chargé ses collègues de rédiger un rapport sur l’incident. Il n’y avait pas d’alcool dans la pièce où s’étaient déroulés les interrogatoires. Selon l’inspecteur de police Fröhlich, qui avait rejoint l’unité de travail en avril 1988, l’interrogatoire du requérant, mené par M. Markl, s’était toujours déroulé en présence de deux ou trois collègues. Interrogé, il confirma qu’une personne ayant une formation juridique, un supérieur, avait brièvement assisté à l’un des interrogatoires. Personne n’avait consommé d’alcool durant les interrogatoires. Ils avaient fait des heures supplémentaires, mais n’avaient subi aucune pression particulière. M. Fröhlich, déclarant avoir assisté à la majeure partie de l’interrogatoire, nia que le requérant eût été physiquement agressé. Il poursuivit, déclarant qu’il avait, le 1er juin 1988, en compagnie de l’inspecteur Markl, escorté le requérant à l’Institut de recherche acoustique pour y faire comparer sa voix. M. Fröhlich conduisait et M. Markl était assis à l’arrière avec le requérant, lequel était menotté, les mains liées devant lui. Ce dernier était vraisemblablement sorti par la portière arrière gauche. M. Fröhlich signala qu’il n’avait pas vu trébucher le requérant, mais avait entendu un bruit qui le laissait supposer. Lorsqu’il s’était retourné, il avait vu M. Markl déjà en train de soutenir le requérant. Celui-ci avait déclaré ne pas être blessé. Le lendemain, il avait fait état d’une ecchymose au bras. L’un des inspecteurs en avait informé M. Gross, qui leur avait conseillé de faire un rapport sur l’incident. L’inspecteur de police Markl déclara avoir rejoint l’unité de travail de l’inspecteur Gross en mai 1988. Il avait alors interrogé le requérant, mais certainement pas seul: afin de ne pas prêter le flanc à des allégations sans fondement, d’autres collègues avaient assisté à l’interrogatoire, du moins en partie. M. Markl nia avoir eu recours à la violence contre le requérant et supposa que lui et son épouse, pour des raisons inconnues, avaient voulu se venger d’eux. Quant au déroulement des interrogatoires, M. Markl spécifia que le requérant avait commencé par nier toute implication dans les infractions litigieuses; ce n’est que plus tard qu’il avait fourni une indication décisive sur l’identité du véritable coupable. Pour ce qui est des dommages corporels soufferts par le requérant, M. Markl confirma ses déclarations dans son rapport du 1er juin 1988. Pendant le trajet, il était assis à côté du requérant qui portait les menottes aux poignets, les mains liées devant lui, à l’arrière de la voiture de police. Il avait ensuite ouvert la portière de l’extérieur, du côté du requérant. Le requérant avait trébuché en sortant et était tombé, heurtant son bras droit contre l’encadrement de la portière. M. Markl n’avait réussi qu’à l’arrêter dans sa chute. Le requérant lui avait dit qu’il allait bien. Ce n’est que le lendemain qu’il avait mentionné une ecchymose au bras droit. M. Markl ne se souvenait d’aucune autre blessure, ni d’une empreinte de chaussure sur le pantalon du requérant. M. Markl expliqua qu’il avait rédigé le rapport concernant l’accident le 2 juin, mais l’avait daté du jour de l’incident. M. Markl confirma en outre qu’un de ses supérieurs, qui pouvait leur avoir été présenté comme une personne ayant une formation juridique, avait fait une brève apparition à l’un des interrogatoires. M. Markl signala également qu’il faisait habituellement entre 60 et 70 heures supplémentaires par mois; à l’époque des faits, il pouvait avoir travaillé entre 80 et 90 heures supplémentaires. En outre, lui et ses collègues n’avaient consommé aucun type d’alcool durant leur travail." B. L’audience Le 13 octobre 1989, le procès des inspecteurs de police Trnka, Gross et Markl, mis en examen pour coups et blessures, s’ouvrit devant le tribunal pénal de district de Vienne, juridiction à juge unique. Au cours de l’audience, ce dernier entendit les prévenus, ainsi que plusieurs témoins, à savoir M. et Mme Ribitsch, l’inspecteur de police Fröhlich, le chef des trois unités du bureau de sécurité de la police fédérale de Vienne, M. Pretzner, ainsi que toutes les personnes qui avaient pu constater les lésions du requérant et auxquelles ce dernier avait fait part des sévices qu’il aurait subis: il s’agissait notamment du Dr Scheidlbauer, médecin généraliste, du Dr Tripp, psychologue, ainsi que de M. Buchacher, journaliste, et de M. Lehner, photographe. Dans son rapport, la Commission relate ainsi leurs déclarations: "30. L’inspecteur de police Markl rappela ses déclarations antérieures. Interrogé, il expliqua qu’en raison d’informations lui ayant été transmises, l’enquête concernant l’affaire en question leur avait été transférée d’une autre unité de travail de la Direction de la police fédérale de Vienne. A la suite de leur arrestation, le requérant et son épouse avaient été conduits à la Direction de la police. Interrogé sur la suite des événements, l’inspecteur Markl déclara que l’identité du requérant avait été relevée et qu’il avait été questionné sur les infractions concernées. M. Markl confirma que l’inspecteur de police Fröhlich était présent durant l’interrogatoire. Cependant, il ne parvenait pas à se rappeler si les inspecteurs de police Gross et Trnka se trouvaient également là. Le requérant avait clamé son innocence, et avait même prétendu n’être en rien concerné par les stupéfiants et l’opium en particulier. Il s’était plaint que la police crée de nouveau des difficultés et les avait en outre prévenus, à plusieurs reprises, qu’il leur attirerait des ennuis et les couvrirait de ridicule. L’inspecteur Markl décrivit alors le déroulement des événements à la sortie du requérant des locaux de la Direction de la police: le requérant, les mains attachées devant lui par des menottes, était assis à l’arrière du véhicule de police. A l’arrivée, M. Markl avait ouvert la portière où la sécurité enfant avait été enclenchée, par mesure de précaution. En sortant de la voiture, le requérant avait perdu l’équilibre et était tombé, son bras droit heurtant l’encadrement de la portière. Il avait montré sa blessure, une ecchymose circulaire mais n’avait pas voulu consulter de médecin. Interrogé plus avant par le procureur général, M. Markl déclara que lors de son arrestation, du haschisch avait été trouvé sur le requérant, mais que la fouille de son épouse n’avait rien donné. Toutefois, des informateurs de la police leur avaient affirmé que le requérant faisait le commerce de l’héroïne et avait vendu de la lessive en poudre à des toxicomanes. Les informateurs n’étant pas disposés à faire figurer leur déposition au dossier, cette information n’avait pas été consignée. Dans un interrogatoire ultérieur, M. Markl fit savoir que le requérant et son épouse, niant dans un premier temps toute relation avec l’une des victimes, avaient fini par admettre qu’ils étaient très liés. L’inspecteur de police Trnka ajouta tout d’abord quelques remarques d’ordre général sur l’organisation et la répartition du travail entre les trois unités affectées aux affaires de trafic de stupéfiants. Il se souvint d’avoir assisté à l’arrestation du requérant et de son épouse et d’avoir interrogé cette dernière. Bien qu’il n’eût pas pris part à l’interrogatoire du requérant, qui se déroulait dans le bureau attenant, il lui était arrivé d’entrer pour poser des questions au requérant. Lui et ses collègues avaient centré leur enquête sur les contradictions apparaissant dans les alibis fournis par les deux époux. Il n’avait été informé de la blessure du requérant qu’après la mise en liberté de ce dernier. L’inspecteur de police Gross, chef de l’unité concernée, expliqua également qu’après que certaines informations eurent été obtenues par l’inspecteur Markl sur cette affaire précise, celle-ci leur avait été transférée par une autre unité, laquelle avait jusqu’alors mené l’enquête. Il avait rencontré le requérant pour la première fois dans l’après-midi, au cours de l’interrogatoire. Assisté de l’inspecteur Trnka, il avait interrogé l’épouse du requérant, ainsi que celui-ci, afin de vérifier leur alibi, en raison de contradictions dans leurs déclarations. S’agissant de la blessure du requérant, il se rappelait avoir été informé de l’incident survenu au cours de la visite sous escorte, soit par l’inspecteur Markl, soit par l’inspecteur Fröhlich. Il les avait chargés de rédiger un rapport. Interrogé en détail sur les allégations de mauvais traitement portées par le requérant, M. Gross déclara qu’il semblait impossible, dans la pratique, de traîner le requérant par la moustache sans que cela lui laisse des lésions au visage. Le requérant, entendu comme témoin, déclara qu’à la suite de son arrestation, tard dans la matinée, il avait d’abord été interrogé en fin d’après-midi par les inspecteurs de police Markl et Fröhlich, notamment à propos de son alibi. Les policiers avaient eu recours à la violence; M. Gross l’avait traîné par la moustache tout autour de la pièce et il avait été légèrement frappé à la tête. Il avait de nouveau été interrogé dans l’après-midi du deuxième jour et, parce qu’il avait refusé d’admettre avoir fourni de la drogue aux deux personnes ultérieurement décédées, il avait été battu toutes les demi-heures. Il avait également été frappé à coups de pied alors qu’il gisait au sol, et n’avait par conséquent pas vu les auteurs de ces sévices. L’inspecteur de police Markl l’avait frappé au bras droit et lui avait assené des coups de pied. A un moment donné, une personne dotée d’une formation juridique s’était trouvée présente, laquelle n’avait pas fait cesser les brutalités. Des inspecteurs de police appartenant à un autre groupe avaient également assisté à la scène; les personnes présentes n’étaient jamais les mêmes. Entre-temps, il avait été escorté à l’Institut de recherche acoustique. Interrogé sur cette visite, le requérant nia avoir trébuché en sortant de la voiture. Il confirma également que l’inspecteur Fröhlich ne lui avait fait aucun mal. Le requérant déclara ensuite avoir été libéré le 2 juin 1988, en même temps que son épouse. Ils avaient ensuite rejoint leur domicile, où ils avaient retrouvé son frère, accompagné d’un psychologue de sa connaissance, le Dr Tripp. Ce n’était que plus tard qu’il avait remarqué qu’une empreinte de pied sur son pantalon correspondait à une blessure qu’il avait à la jambe. Après s’être douché et changé, il avait retrouvé le journaliste Buchacher. Il s’était ensuite rendu à l’hôpital. Deux des doigts de sa main droite étaient ankylosés. Le jour suivant, il avait souffert d’une raideur dans la nuque et de vomissements. Le requérant déclara que cela faisait deux jours qu’il n’avait pas mangé et qu’il avait des problèmes gastriques. Il déclara en outre souffrir d’ennuis de santé dus aux traitements infligés par M. Markl, qui l’avait extirpé d’une chaise et traîné à terre en le tirant par les cheveux. L’épouse du requérant déclara avoir été interrogée par l’inspecteur de police Trnka, puis contre-interrogée par quatre personnes et enfin par les inspecteurs de police Markl et Fröhlich. Elle avait été libérée en même temps que son mari qui lui avait immédiatement annoncé qu’il avait été frappé, battu et tiré par la moustache et les cheveux. Elle avait vu les ecchymoses dont il avait fait mention, ainsi que l’empreinte d’une chaussure sur son pantalon. Son époux avait désigné l’inspecteur de police Markl comme l’auteur de ses contusions. Il s’était plaint de douleurs à la nuque, de maux de tête, puis d’une sensation d’engourdissement dans la main droite. Ce fut ensuite au tour de l’inspecteur de police Fröhlich d’être entendu comme témoin. Il déclara que leur unité ayant été mise sur la piste de l’identité de celui qui avait fourni les stupéfiants aux personnes décédées, l’affaire leur avait été transférée. En raison de la rivalité opposant les unités, une information de ce type ne se transmettait pas. Lors de son arrestation, le requérant avait dit qu’il leur attirerait des ennuis. Cependant, il était demeuré très calme durant l’interrogatoire. M. Fröhlich nia avoir vu frapper le requérant. En ce qui concernait la visite sous escorte, M. Fröhlich indiqua qu’il avait garé le véhicule de police relativement près d’une autre voiture. L’inspecteur Markl avait ouvert la portière du requérant. Selon M. Fröhlich, il y avait eu un bruit et, se retournant, il avait vu M. Markl soutenir le requérant. M. Fröhlich confirma que l’inspecteur de police Gross leur avait conseillé de rédiger un rapport sur l’incident. Le médecin du requérant, le docteur Scheidlbauer confirma avoir [examiné] le requérant, lequel était dévêtu. Le requérant souffrait d’hématomes divers, dont le plus important au bras droit. Le docteur Scheidlbauer eut l’impression, soit que le requérant avait heurté quelque chose, soit qu’il avait été frappé. Il exclut qu’une chute contre un encadrement de portière eût pu causer ces hématomes. Le requérant n’avait pas signalé qu’il avait été battu par la police. Le docteur Scheidlbauer n’avait pas constaté de lésions aux jambes, mais d’autres contusions étaient apparentes et le requérant s’était plaint de vomissements et de céphalées. Il ne souffrait pas d’une commotion mais, en raison d’un syndrome cervical, n’était pas en mesure de tourner la tête. Interrogé, le docteur Scheidlbauer déclara qu’un tel syndrome pouvait avoir des origines diverses, tel, notamment, un refroidissement ou le fait d’avoir été tiré à plusieurs reprises par les cheveux. Toutefois, la cause ne pouvait en être objectivement établie. Le psychologue Tripp, qui avait [vu] le requérant après que celui-ci eut été remis en liberté, confirma que le requérant lui avait raconté son arrestation et sa détention et lui avait dit avoir été battu et malmené par la police et par un inspecteur en particulier. Le psychologue Tripp ajouta qu’il n’avait pas cherché à vérifier l’existence de blessures. Il déclara également n’avoir eu à aucun moment l’impression que le requérant avait inventé cette histoire. Le tribunal entendit ensuite M. Pretzner, chef d’une section (composée de trois unités) de la Direction de la police fédérale de Vienne, chargée d’enquêter sur les affaires d’empoisonnement à l’opium. M. Pretzner commença par expliquer la manière dont s’organisait et se répartissait le travail entre les unités et, dans ce contexte, exclut toute rivalité entre celles-ci. Il déclara en outre avoir assisté, durant quelque dix minutes, à l’interrogatoire du requérant par les inspecteurs de police Markl et Fröhlich. M. Pretzner se souvint d’avoir avisé le requérant de ce que des aveux pourraient lui valoir une plus grande clémence du tribunal. Confronté aux allégations du requérant, M. Pretzner nia que celui-ci eût été torturé ou battu. L’ambiance avait à l’inverse été plutôt amicale. La belle-soeur du requérant, Mme Hoke, décrivit l’état du requérant et de son épouse après leur mise en liberté. Elle confirma notamment avoir vu l’ecchymose que portait le requérant au bras droit; il lui avait dit qu’il avait été traîné par les cheveux, jeté à terre, frappé à coups de poing et que deux ou trois inspecteurs de police, le plus brutal étant M. Markl, avaient été présents durant la majeure partie de l’interrogatoire. Elle ne se rappelait pas avoir vu d’empreinte de chaussure sur le pantalon du requérant. M. I. Ribitsch [le frère du requérant] déclara que lorsqu’ils s’étaient retrouvés chez (...) son frère, celui-ci lui avait révélé avoir subi des violences physiques durant sa détention, à savoir qu’il avait été battu, frappé à coups de pied et traîné à terre par les cheveux. [Il] avait constaté plusieurs ecchymoses sur le corps de son frère, ainsi qu’une empreinte de chaussure sur son pantalon. Le requérant lui avait également parlé de problèmes gastriques et de vomissements. Il avait ensuite été demandé à Mme Hoke, belle-soeur du requérant, ainsi qu’à son frère M. I. Ribitsch, si le requérant avait fait état d’un incident survenu durant une visite sous escorte. Mme Hoke déclara que le requérant avait mentionné que l’un des inspecteurs de police lui avait dit considérer l’incident en question comme étant à l’origine de ses lésions. M. I. Ribitsch n’en avait rien su. Le journaliste reporter Buchacher avait été informé par Mme Hoke, la belle-soeur du requérant, des allégations de ce dernier concernant des sévices subis lors de sa détention par la police. M. Buchacher était, sur ce, convenu par téléphone d’un rendez-vous avec le requérant. Celui-ci lui avait montré des lésions diverses, les hématomes qu’il portait au bras droit, dont le plus important sur la face externe, ainsi qu’un ou deux autres, plus légers, sur la face interne du bras. Le lendemain, M. Buchacher les avait photographiés pour un article de magazine. Interrogé, M. Buchacher indiqua que le requérant lui avait dit avoir subi une confrontation vocale, mais non pas qu’il était tombé de la voiture de police. M. Buchacher se mit alors à lire ses notes, prises au cours de la conversation qu’il avait eue à l’époque avec le requérant, selon lesquelles ce dernier lui avait fait le récit suivant: le chef du groupe l’avait tiré par la barbe et l’avait frappé à la tête du plat de la main; durant les premiers interrogatoires, il avait été insulté, mais pas encore frappé. A la suite de sa visite sous escorte à l’Institut de recherche acoustique, les inspecteurs de police l’avaient secoué par les pieds et les mains et l’avaient battu pendant à peu près vingt minutes. Il y avait des bouteilles de vin dans le bureau et les inspecteurs de police sentaient l’alcool. L’inspecteur Fröhlich s’était comporté correctement et ne l’avait pas frappé. C’était l’inspecteur Markl qui s’était montré le plus violent. Ils l’avaient également menacé de placer ses enfants dans un établissement. Ce n’est qu’au cours du dernier interrogatoire, le matin précédant sa mise en liberté, que tous les inspecteurs de police, y compris M. Markl, s’étaient montrés aimables et polis. M. Buchacher signala également avoir remarqué une empreinte de pied sur le pantalon du requérant, qui semblait avoir été traîné au sol. M. Buchacher affirma en outre avoir vérifié que l’empreinte coïncidait avec un hématome que portait le requérant sous le genou. Interrogé, M. Buchacher déclara ne pas avoir eu l’impression que le requérant simulait. Le photographe Lehner, collègue du journaliste Buchacher, confirma avoir photographié les contusions dont souffrait le requérant, à savoir une sérieuse ecchymose au bras droit. Il se souvint également de lésions aux jambes. Il n’avait pas photographié les lésions moins importantes, car elles n’auraient pas été visibles sur la photo." C. Le jugement A l’issue du procès, le tribunal pénal de district reconnut l’inspecteur de police Markl coupable de coups et blessures, conformément à l’article 83 par. 1 du code pénal (Strafgesetzbuch), et le condamna à deux mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve de trois ans, ainsi qu’au versement d’une somme de 1 000 schillings autrichiens (ATS) à M. Ribitsch. Les deux autres inspecteurs de police, MM. Trnka et Gross, furent relaxés. Dans son jugement du 13 octobre 1989, le tribunal retraça les grandes lignes de l’enquête criminelle et rappela les pressions auxquelles avaient été soumis les inspecteurs, membres de l’unité de M. Gross, pour retrouver le coupable et les nombreuses heures supplémentaires qu’ils avaient effectuées de ce fait. Il décrivit ensuite les sévices subis par le requérant durant sa garde à vue, excluant toute cause accidentelle de ses blessures. Le tribunal s’appuya sur les déclarations de M. Ribitsch, qui avait fait une excellente impression à la barre, ainsi que sur le récit des témoins et notamment sur celui du journaliste qui avait vu l’intéressé le jour de sa sortie de garde à vue et avait pris des notes. Il ajouta: "En résumé, on peut donc dire: les blessures de Ronald Ribitsch ont été vues par plusieurs personnes totalement étrangères à la procédure; il s’agissait de plusieurs ecchymoses et non pas d’une petite écorchure ou d’une petite ecchymose sur la partie supérieure du bras droit. Le syndrome cervical allégué par l’intéressé paraît vraisemblable, compte tenu de la description des circonstances dans lesquelles il se serait produit: on aurait pris l’intéressé par les cheveux et l’on aurait imprimé à sa tête des mouvements violents d’avant en arrière. Il est bien connu des tribunaux (gerichtsbekannt) que l’on ne peut démontrer de manière objective l’existence d’un syndrome cervical, même par des radiographies. Le recours à un expert médical à cet effet aurait donc eu pour seule conséquence un ralentissement de la procédure. Un hématome à peu près gros comme un oeuf constitue, avec de multiples autres hématomes et un syndrome cervical, une blessure corporelle. Il s’agit ici d’une question ne relevant pas d’un expert mais qui doit être établie par le tribunal, qui y a d’ailleurs répondu conformément à la jurisprudence constante. Ronald Ribitsch apparaît crédible compte tenu non seulement des déclarations faites jusqu’à présent mais aussi du souvenir très précis qu’il a des personnes concernées. On peut renvoyer, à cet égard, à la confrontation qui a eu lieu le 26 juin 1989, soit plus d’un an après les faits (doc. 10). Lors de cette confrontation avec neuf personnes au total, Ronald Ribitsch n’a pas hésité un instant avant de reconnaître les personnes qui avaient participé à l’interrogatoire, et notamment le prévenu Markl. En face de ces éléments de preuve, on a une ligne de défense du prévenu que l’on ne peut qualifier que d’effrayante. A l’audience, tant celui-ci et son défenseur que son supérieur, M. Pretzner (voir à cet égard dossier, p. 114, in doc. 25), ont tenté de faire passer Ronald Ribitsch pour un individu méprisable et réfractaire au travail. Indépendamment du fait que la circonstance que quelqu’un soit au chômage ne donne certainement pas le droit à un membre du bureau de sécurité de le tabasser pour lui arracher des aveux, on se rend compte ici de la conception manifestement dévoyée qu’a le prévenu de ses obligations légales. Tout à ses efforts pour dépeindre le témoin Ribitsch comme un dépravé, il affirme soudainement à l’audience que les deux témoins anonymes étaient Wilhelm Puschl et Ursula Hennemann. Ceux-ci lui auraient entre-temps appris que "Ribitsch était une fripouille minable (eine miese Kröte) parce qu’il vendait des détergents aux plus pauvres d’entre les pauvres: aux drogués" (dossier, p. 128, in doc. 25). Le tribunal lui ayant alors demandé s’il avait déposé plainte, il dut répondre par la négative, pour s’emmêler ensuite dans des contradictions toujours plus nombreuses à propos des déclarations de ces deux témoins (dossier, p. 129, in doc. 25). Si l’assertion du prévenu correspondait vraiment à la vérité, cela signifierait qu’un agent du bureau de sécurité soupçonnant concrètement une personne, au minimum de blessures corporelles graves et intentionnelles résultant de la vente de détergents à la place d’héroïne, n’estime pas nécessaire d’accomplir le moins du monde les obligations découlant pour lui de l’article 84 du code de procédure pénale. Force est alors de conclure que le prévenu Markl préférerait laisser commettre des infractions susceptibles de mettre des vies en péril plutôt que de donner prise - ce qu’il craint manifestement (voir p. 129) - à l’affirmation qu’il voulait mettre quelque chose sur le dos de Ribitsch. Quant à la demande de désignation d’un médecin légiste afin de prouver que les blessures existantes et l’hématome avaient pu aussi résulter d’un choc contre le bord de la porte de la voiture et que les autres hématomes constatés sur la face interne de la partie supérieure du bras s’expliquent par le fait qu’on aurait agrippé l’ex-suspect, il échet de faire observer ce qui suit: le prévenu Markl prétend lui-même dans son rapport (dossier, p. 419) - d’ailleurs faussement daté - que lorsque Ronald Ribitsch avait été emmené aux fins de comparaison des voix, l’intéressé avait manifestement fait un faux pas en descendant de la voiture, ce qui lui avait fait perdre l’équilibre et l’avait fait heurter du bras droit le bord de la porte du véhicule, qui était restée ouverte. Lui, Markl, qui se tenait debout juste à côté, avait encore pu saisir la partie supérieure du bras gauche de l’intéressé mais n’avait pu empêcher sa chute. Son intervention avait cependant fortement atténué celle-ci et Ribitsch n’aurait que légèrement heurté le sol avec son séant. Markl prétend donc lui-même qu’il a saisi Ribitsch par le bras gauche et il ne pourrait donc, de ce fait, avoir provoqué l’apparition d’un hématome sur la face interne du bras droit. Enlève également de la crédibilité à cette description des faits figurant dans le rapport, la déposition du témoin Fröhlich (dossier, p. 103, in doc. 25), qui déclara qu’il y avait sur place un gros problème de parking, qu’il avait dû se garer très près d’un autre véhicule et que, de ce fait, il avait eu beaucoup de mal às’extraire du sien. Il est "très étrange" (lebensfremd) que le conducteur du véhicule ait du mal à s’en extraire de son côté, que, compte tenu de l’exiguïté du lieu, le suspect à l’époque (M. Ribitsch) doive manifestement aussi éprouver des difficultés à en sortir - Markl a affirmé que Ronald Ribitsch était assis juste derrière le conducteur - mais qu’il trouve tout de même suffisamment de place pour tomber contre le bord de la portière, pour finalement atterrir sur son séant. Lorsque l’on connaît la taille de Ronald Ribitsch, cela est impossible. De surcroît, le témoin Scheidlbauer, médecin généraliste, a déclaré, en tant que témoin expert, de manière crédible et "facile à comprendre" (nachvollziehbar), que le plus gros hématome se situait sur la partie supérieure du bras droit mais qu’il y en avait d’autres à cet endroit. Il expliqua en outre ce qu’après de multiples procédures on peut qualifier de fait bien connu des tribunaux, à savoir que lorsque l’on chute contre un bord, en général on s’égratigne, on s’écorche, tandis que dans le cas d’un choc avec un objet dépourvu d’arêtes vives, qu’il s’agisse d’une chose présentant une grande surface ou qu’il s’agisse d’un poing, les blessures ne sont pas superficielles, mais ce sont les tissus mous situés sous la peau qui souffrent (dossier, p. 107). De même, un syndrome cervical pourrait s’expliquer par le fait que l’on ait violemment secoué la tête. Du point de vue juridique, Josef Markl a donc commis, objectivement et subjectivement, l’infraction de coups et blessures, réprimée par l’article 83 par. 1 du code pénal, et il y a donc lieu de prononcer sa condamnation. Les conditions de l’article 42 du code pénal ne se trouvent pas remplies, car la manière d’agir du prévenu ne peut être qualifiée de faute négligeable, et des motifs spéciaux, mais aussi et surtout généraux, de prévention plaident contre l’application de cette norme. Josef Markl n’a pu s’abstenir de commettre les agissements à lui reprochés en l’espèce, alors qu’il devait savoir qu’un de ses supérieurs, l’inspecteur Gross, avait déjà dû subir une fois une procédure analogue (dont les faits étaient plus graves). Peut être considéré comme circonstance atténuante lors de la fixation de la peine, le fait que le prévenu a un casier judiciaire vierge, comme circonstance aggravante, en revanche, son attitude particulièrement brutale. La peine de deux mois prononcée contre lui, alors qu’il en risquait une de neuf mois, est donc adaptée à sa personnalité et à sa faute. Il n’est pas possible de prononcer une peine pécuniaire, compte tenu notamment de motifs généraux de prévention: depuis des années, les critiques adressées aux policiers brutaux (prügelnde Polizisten) du bureau de sécurité ne font que croître. Eu égard, en revanche, à l’importance de la peine privative de liberté prononcée, il échet de partir du principe que la menace de son exécution suffira pour dissuader Josef Markl et d’autres de commettre des infractions, et c’est la raison pour laquelle la peine privative de liberté peut être prononcée avec sursis." IV. L’APPEL DE L’INSPECTEUR DE POLICE MARKL DEVANT LE TRIBUNAL PÉNAL RÉGIONAL DE VIENNE M. Markl interjeta appel du jugement devant le tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne. A. L’expertise Dans un jugement avant dire droit du 2 mars 1990, le tribunal ordonna une expertise de l’institut médico-légal de l’Université de Vienne sur la probabilité d’un lien de causalité entre les blessures de M. Ribitsch et l’incident qui serait survenu lors de sa sortie sous escorte policière, ainsi que sur la crédibilité des déclarations du requérant quant aux mauvais traitements subis, vue sous l’angle médical. Après avoir entendu aussi bien ce dernier que M. Markl et procédé à une reconstitution de la prétendue chute de l’intéressé contre la portière arrière du véhicule de police, l’expert de l’institut médico-légal résuma ainsi ses observations: "Ainsi, si l’on se fonde sur le dossier médical de l’hôpital pour accidentés de Meidling, Ronald Ribitsch présentait sur la face externe de la partie supérieure du bras droit un groupe d’ecchymoses couvrant une surface de 2 cm sur 3. De plus, l’expertise neurologique fait également état d’une ecchymose sur la face interne de la partie supérieure du même bras. Les seules blessures objectivement constatées par les médecins étaient donc les ecchymoses décrites ci-dessus sur les faces externe et interne du bras droit. Elles doivent être qualifiées de légères et sont à attribuer à une action violente exercée contre ces régions au moyen d’un objet contondant (lokale stumpfe Gewalteinwirkung). Elles ne sauraient entraîner plus de vingt-quatre jours de troubles de santé et d’incapacité de travail. Quant à savoir s’il y avait d’autres ecchymoses dans la région d’une aisselle et sous le genou droit, il appartiendra au tribunal d’apprécier les preuves à cet égard car on ne dispose, pour élucider cette question, d’aucune constatation médicale de nature à fonder un avis. La crédibilité des témoignages sera décisive sur ce point. Même à supposer présents ces hématomes, cela n’aurait pas modifié les conséquences des blessures citées ci-dessus. Le Dr Fritz Scheidlbauer, médecin généraliste, diagnostiqua un syndrome cervical et fit également état de vomissements, de maux de tête et d’une augmentation de la température du corps. Toutefois, l’examen neurologique pratiqué à l’hôpital de Meidling n’a fait apparaître ni blessure à la tête ni luxation de la colonne cervicale. Ces modifications peuvent passer en l’espèce pour des plaintes non spécifiques pouvant résulter, par exemple, d’une infection générale (Allgemeininfekt) (Ronald Ribitsch a déclaré qu’il souffrait de diarrhée); par contre, d’un point de vue médico-légal, il n’est pas possible d’établir un lien avec un quelconque traumatisme pouvant avoir été subi. Le test effectué avec la voiture - on ne saurait avoir de grandes différences avec une VW Golf - a permis d’établir que les ecchymoses sur la face externe de la partie supérieure du bras droit correspondaient plus ou moins, du point de vue de la hauteur à laquelle elles se situaient, à l’ecchymose sur la face externe de la partie supérieure du bras droit décrite dans le procès-verbal ambulatoire et visible sur la photographie. Du point de vue médical, ces blessures doivent être qualifiées de non spécifiques et permettent seulement de conclure que cette région a subi une action violente exercée au moyen d’un "instrument" contondant, sans qu’il soit possible de déterminer, à partir du préjudice subi, de quel instrument il s’agissait. On ne saurait donc exclure que la blessure soit résultée d’un choc contre la porte de la voiture. Même à supposer établies les blessures décrites par les témoins, le diagnostic d’ensemble doit être qualifié, d’une manière générale, de non caractéristique et, par conséquent, on ne saurait conclure avec certitude, d’un point de vue médical, à l’infliction de sévices, même si l’on ne peut exclure des coups contre la partie supérieure du bras et éventuellement un coup de pied dans la région du genou. On ne saurait toutefois, en aucun cas, déduire du tableau d’ensemble des blessures que l’intéressé ait été gravement traumatisé pendant plusieurs heures. La version donnée par Josef Markl, à savoir que Ronald Ribitsch aurait heurté la porte de la voiture, ne peut toutefois expliquer qu’une blessure parmi plusieurs possibles." B. L’audience Au cours de l’audience du 14 septembre 1990, après lecture du rapport d’expertise et d’une déclaration de la "maison d’arrêt de la police" indiquant que le médecin de la prison avait vu M. Ribitsch le 1er juin 1988 à 8 heures et l’avait déclaré apte à la détention, le tribunal entendit l’inspecteur de police Markl, M. Ribitsch, ainsi que l’expert de l’institut médico-légal. Dans son rapport, la Commission relate ainsi les déclarations des deux premiers: "60. L’inspecteur de police Markl fut de nouveau interrogé sur les accusations portées à son encontre par le requérant et son épouse. Selon M. Markl, l’épouse du requérant avait souffert de sa détention en tant que telle et, de concert avec son mari, avait concentré ses accusations sur lui. M. Markl se rappelait que lors de son arrestation, le requérant avait menacé de leur attirer des ennuis. Plus tard, en présence de son supérieur, M. Pretzner, l’ambiance était redevenue aussi calme qu’à l’accoutumée. Au cours de l’interrogatoire du 2 juin 1988, le requérant lui avait montré l’ecchymose qu’il portait au bras droit, mais avait refusé de consulter un médecin. M. Markl répéta également sa version de l’incident survenu lors de la visite sous escorte du requérant. Le requérant fut interrogé sur sa formation professionnelle et ses emplois précédents, sa situation financière et, en outre, sur ses contacts avec le milieu de la drogue. Interrogé sur l’escalade de la violence qui aurait eu lieu au cours de l’interrogatoire, le requérant déclara que les inspecteurs de police souhaitaient trouver un coupable à tout prix. Pour ce qui était du premier interrogatoire, ayant eu lieu le 31 mai 1988, il déclara que l’inspecteur Gross avait peu apprécié l’une de ses réponses et l’avait donc extirpé de sa chaise, puis rassis, en le tirant par la moustache. Comme il n’avait pas résisté, sa moustache n’avait pas été arrachée. A ce stade, l’inspecteur Markl l’avait déjà frappé, mais pas au visage; tout au long du passage à tabac, M. Markl avait tenté, dans la mesure du possible, d’éviter de laisser des marques. Le requérant déclara en outre n’avoir été la victime d’aucun incident fortuit lors de sa visite sous escorte et affirma qu’à l’époque des faits, il avait été transporté dans une voiture à deux portes, alors que c’était une quatre portes qui avait été utilisée lors de la reconstitution. Le requérant fut subséquemment interrogé en détail sur le déroulement des sévices auxquels il prétendait avoir été soumis. Il réitéra ses déclarations antérieures, selon lesquelles c’était M. Markl qui s’était le plus acharné sur lui, lui donnant des coups de pied et le traînant par les cheveux sur le sol, bien qu’il ait eu l’impression, se trouvant à terre, que les coups de pied lui étaient administrés par plus d’une personne. Interrogé sur les disparités constatées dans ses déclarations ayant trait à l’empreinte de chaussure, faites au cours de la procédure, le requérant soutint que l’hématome se trouvait en dessous du genou, tout comme l’empreinte de chaussure sur son pantalon. Il ne pouvait affirmer avec certitude que cet hématome avait été provoqué par les coups de pied de M. Markl. Le requérant déclara également n’avoir choisi un avocat pour le représenter dans cette affaire qu’après avoir réuni des informations. Le reporter de l’émission publique s’était trouvé, par une coïncidence, dans le pub où il avait relaté les événements à des amis." C. Le jugement A l’issue du procès, le tribunal pénal régional annula le jugement du tribunal de district du 13 octobre 1989 et relaxa M. Markl des accusations portées à son encontre. Conformément à l’article 366 par. 1 du code de procédure pénale, il renvoya le requérant devant les juridictions civiles pour sa demande de dommages et intérêts. Dans son jugement du 14 septembre 1990, il exposa les bases de son raisonnement de la manière suivante: "Toutefois, l’appel contre la condamnation formé par écrit par l’avocat de la défense, puis complété oralement lors de l’audience du 2 mars 1990, met en évidence la question de savoir si, à elles seules et dans leur contexte, les preuves accablant le prévenu présentent un degré de fiabilité suffisamment proche de la certitude pour justifier un verdict de culpabilité, dès lors que l’on ne saurait négliger le fait que la partie civile Ronald Ribitsch a, au moins à certaines époques, fréquenté le milieu de la drogue. La juridiction d’appel s’est ainsi vue confrontée à la situation suivante en matière de preuves (Beweislage): s’il est vrai que la concordance est parfaite entre les dépositions de tous les témoins informés par la partie civile Ronald Ribitsch et la version des faits donnée puis toujours maintenue par l’intéressé lui-même, l’exactitude objective du déroulement des faits ne repose que sur la fiabilité du témoignage de Ronald Ribitsch. Comme le tribunal de première instance, la juridiction d’appel ne doute d’ailleurs nullement de l’exactitude subjective des témoignages du Dr Scheidlbauer, du Dr Tripp, d’Elisabeth Hoke, de Robert Buchacher et de Peter Lehner, et elle peut donc fonder sa décision sur les procès-verbaux y relatifs, conformément à l’article 473 par. 2 du code de procédure pénale. Mais elle estime néanmoins nécessaire de s’interroger sur la crédibilité de Ronald Ribitsch, de mettre en balance sa version des faits avec celle du prévenu, et de compléter la procédure de première instance en recourant à un expert de l’institut médico-légal." En ce qui concerne la crédibilité du requérant, le tribunal régional rappela que le 6 octobre 1988, le tribunal pénal de district avait reconnu M.Ribitsch coupable d’infractions à la législation sur les stupéfiants et l’avait condamné à une peine d’amende. De plus, l’intéressé se trouvait au chômage depuis plusieurs années et vivait des revenus de son épouse et de prestations sociales. Or ces ressources ne coïncidaient pas avec ses besoins d’argent en tant que consommateur de stupéfiants, père de deux enfants mineurs à l’époque des faits, et avec ses autres dépenses personnelles. Le tribunal résuma ensuite les versions données par M. Ribitsch d’un côté et par M. Markl de l’autre sur le déroulement des événements pendant la garde à vue et ajouta: "Ni la version de Ronald Ribitsch ni les déclarations de son épouse Anita portées au dossier n’ont réussi à convaincre sérieusement la juridiction d’appel de l’existence d’une situation susceptible d’expliquer de manière logique les débordements criminels auxquels ces interrogatoires auraient donné lieu. En outre, étant donné que quatre policiers seulement étaient présents et posaient des questions pendant l’interrogatoire, qu’ils se sont aussi, en partie, occupés d’interroger Anita Ribitsch, que les inspecteurs Gerhard Trnka et Helmut Gross, par la suite acquittés, ont été innocentés par Ronald Ribitsch lui-même (volume II, pp. 95 et 96), et que ni Ronald Ribitsch ni son épouse Anita n’ont accusé l’inspecteur Mario Fröhlich, qui les a traités correctement, d’une quelconque infraction (déclaration de Ronald Ribitsch à Buchacher, volume II, pp. 122 et 123, Anita Ribitsch, volume I, p. 47), la question reste entière pour la juridiction d’appel de savoir quels autres agents du bureau de sécurité doivent figurer, en qualité de coauteurs de l’infraction (Mit- oder Nebentäter) aux côtés du prévenu Josef Markl. L’appréciation des preuves effectuée par le tribunal de première instance et selon laquelle la pression exercée par l’opinion publique pour que l’on élucide les affaires - ainsi qu’en témoignaient les nombreuses heures supplémentaires effectuées (éléments confirmés par le chef de la police, M. Bögl, dans le volume I, pp. 37 et 43) - constituait un mobile suffisant, ne paraît pas fondée (nicht tragfähig) à la juridiction d’appel, car on ne peut simplement supposer qu’un agent, conscient justement du contrôle supplémentaire exercé par les médias, se laisse aller, à l’encontre de toute logique, à des agissements criminels. A la lecture de la version des faits de Ronald Ribitsch, d’après laquelle "de 15 heures à 22 h 45 le 1er juin 1988, trois policiers l’ont interrogé pendant des périodes d’environ trois quarts d’heure, puis deux autres lui ont tapé la tête sur le sol et lui ont donné des coups de pieds pendant un quart d’heure" (volume I, p. 27), on s’attendrait à ce qu’apparaissent, surtout sur les parties proéminentes du visage, une multitude de blessures. De même, l’allégation de l’intéressé (loc. cit.) selon laquelle on lui aurait porté au corps des coups "qui laissent peu de traces mais sont néanmoins très douloureux" donnerait à penser que les policiers ont agi d’une manière bien réfléchie; or celle-ci ne peut se concilier avec l’assertion de Ronald Ribitsch selon laquelle les policiers, animés par le désir d’extorquer des aveux, auraient perdu tout contrôle de leurs actes. Cette version des faits ne correspond pas à la thèse de l’intéressé d’après laquelle on pouvait distinguer entre les policiers ayant procédé à son interrogatoire et ceux lui ayant fait subir des sévices, étant donné que d’après d’autres déclarations faites par lui, Josef Markl aurait participé tant à l’interrogatoire qu’aux sévices." Puis le tribunal se pencha sur les blessures constatées chez le requérant: i. il rappela les déclarations de M. Markl, d’après lesquelles M. Ribitsch avait perdu l’équilibre en heurtant le cadre de la portière arrière du véhicule et avait glissé vers le bas, avant qu’il eût pu le saisir au bras gauche et amortir sa chute. D’après l’expertise médico-légale, il n’était pas exclu que les hématomes sur la partie externe du bras droit du requérant résultassent de cette chute, même si le médecin généraliste questionné par le tribunal de première instance à ce propos avait estimé cela plutôt improbable. Enfin, l’expert de l’institut médico-légal, qui avait procédé à la reconstitution des faits, avait indiqué que plus le choc (Anprall) contre la portière avait été violent, plus il pouvait être à l’origine des blessures; en revanche, plus le contact de M. Ribitsch avec la portière ressemblait à un simple glissement vers le bas (Abgleiten), plus la version des faits donnée par le prévenu était improbable; ii. le tribunal ajouta qu’un seul des témoins, à savoir le journaliste, avait noté l’existence d’un hématome sur la partie interne du bras droit qui, de toute façon, ne constituait pas à lui seul une preuve de mauvais traitements; par ailleurs, M. Markl avait déclaré à ce propos qu’il n’excluait pas d’avoir également saisi M. Ribitsch par son bras droit afin de prévenir sa chute; iii. quant aux autres symptômes présentés par le requérant, à savoir le syndrome cervical, l’ankylose dans les doigts, la diarrhée, le tribunal se référa à l’expertise médico-légale pour indiquer qu’il pouvait également s’agir là des signes d’une infection générale. Le tribunal refusa l’administration de nouvelles preuves demandée par l’avocat du requérant, telles que la réaudition des témoins, la production de l’enregistrement fait par la radio autrichienne, la reconstitution des faits avec une VW Golf à deux portes et le recours à une expertise psycho-neurologique; il rejeta également la demande du ministère public tendant à la production des livres de bord du bureau de sécurité pour vérifier s’il s’agissait d’une voiture à deux ou à quatre portes, avant de conclure en ces termes: "Enfin, si l’on considère le fait que la partie civile Ronald Ribitsch n’a pas jugé bon de porter plainte, qu’il n’a pu expliquer cette attitude pendant la procédure, que, pour des raisons incompréhensibles, il a choisi la voie d’une accusation publique au travers de la radio autrichienne, et que, pendant la procédure, il s’est emmêlé dans des contradictions au sujet de l’alibi qui devait être prouvé par le témoin Stranner, on peut émettre des doutes considérables sur la fiabilité (verläßliche Tragfähigkeit) de ses déclarations. En conséquence, la juridiction d’appel n’est en mesure, de manière concluante, ni de réfuter les déclarations du prévenu ni de suivre, fût-ce partiellement, avec la conviction qui seule peut fonder une condamnation pénale, les déclarations de la partie civile Ronald Ribitsch. (...)" V. LE RECOURS DU REQUÉRANT DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE M. Ribitsch saisit la Cour constitutionnelle, qui rendit son arrêt le 26 novembre 1990. Elle estima que l’arrestation du requérant et son maintien en garde à vue, ainsi que les perquisitions effectuées à son domicile, avaient été illégales et violaient son droit à la liberté et au respect de son domicile: les policiers n’avaient disposé ni d’un mandat d’arrêt ni d’un mandat de perquisition et n’avaient pu établir l’existence d’un danger de collusion ou d’un danger immédiat. Elle se déclara incompétente pour statuer sur la question des insultes que les policiers auraient proférées à l’encontre de l’intéressé. Quant aux mauvais traitements que ce dernier aurait subis, elle nota que les trois prévenus avaient été relaxés par les juridictions inférieures et conclut: "Au vu de ce résultat de la procédure suivie devant les juridictions pénales (laquelle s’est appuyée sur de nombreux éléments de preuve), la Cour constitutionnelle s’estime hors d’état (außer Stande) de souscrire aux assertions du demandeur et de considérer comme établis avec certitude les sévices allégués dans la requête: en résumé, il n’a plus été possible, dans le cadre de la procédure devant la Cour constitutionnelle, compte tenu des circonstances, d’élucider plus avant les faits litigieux, ni, par conséquent, de rapporter la preuve de la violation des droits de l’homme prétendument commise. Le recours doit donc, sur ce point également - en l’absence d’un objet de recours valable -, être rejeté comme irrecevable (unzulässig)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ribitsch a saisi la Commission le 5 août 1991. Invoquant les articles 3, 6 par. 1 et 13 combiné avec l’article 3 (art. 3, art. 6-1, art. 13+3) de la Convention, il se plaignait d’avoir subi des traitements inhumains et dégradants pendant sa garde à vue, d’avoir été empêché de poursuivre efficacement son action en dommages-intérêts en raison de son statut de partie civile au procès pénal et de ne pas avoir eu droit à un recours effectif devant la Cour constitutionnelle. Le 20 octobre 1993, la Commission a retenu sa requête (no 18896/91) quant au grief soulevé sur le terrain de l’article 3 (art. 3) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 3 (art. 3) (dix voix contre six). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que les droits du requérant énoncés à l’article 3 (art. 3) de la Convention n’ont pas été méconnus par les fonctionnaires de la direction de la police fédérale de Vienne".
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I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE LA CAUSE Citoyen algérien né sourd-muet en juin 1960 en Algérie, M. Nasri est le quatrième d'une fratrie de dix enfants, dont l'un est décédé; six d'entre eux possèdent la nationalité française. Il vint en France, avec sa famille, en février 1965. Actuellement, il est assigné à résidence au domicile de ses parents, à Nanterre (Hauts-de-Seine). A. La scolarité du requérant D'après le dossier, la scolarité du requérant peut se résumer comme suit. A leur arrivée en France en 1965, M. et Mme Nasri voulurent inscrire leur fils à l'école maternelle, où on le refusa en raison de son infirmité. Ils le présentèrent alors à l'Institut Saint-Jacques à Paris, établissement spécialisé pour les sourds-muets, qui ne put l'admettre faute de place et parce que son niveau intellectuel aurait passé pour insuffisant. Ainsi, M. Nasri n'a pu fréquenter une école jusqu'en 1968. Cette année-là, l'intéressé fut admis au Centre audiométrique médico-psychopédagogique de Boulogne (Hauts-de-Seine), à la suite de démarches d'une assistante sociale. Il y suivit une rééducation audiométrique et un enseignement adapté à son état. Le 11 décembre 1971, il fut renvoyé pour brutalités. Il resta de nouveau sans formation ni scolarisation jusqu'en 1974. A cette époque, il fut inscrit dans un centre pour sourds-muets à Tours (Indre-et-Loire). Comme toutefois ses parents ne pouvaient plus payer l'hébergement, il leur fut remis sept mois plus tard. Le 20 septembre 1976, il entama une formation de peintre en bâtiment, qu'il dut interrompre le 20 octobre 1977 à la suite d'incidents. L'intéressé indique qu'il maîtrise mal le langage des sourds-muets, qu'il ne sait ni lire ni écrire et qu'il s'exprime, de façon rudimentaire, à l'aide de signes compris seulement par son entourage le plus proche. B. Les condamnations pénales du requérant Dès 1977, le requérant se signala auprès de la police par divers vols; il dut comparaître à plusieurs reprises devant les tribunaux. Au 10 mars 1992, son casier judiciaire présentait les condamnations suivantes: - les 3 novembre 1981, 2 février 1982 et 21 janvier 1983, des peines d'emprisonnement, allant de six mois à un an, pour vol simple et tentative, par le tribunal correctionnel de Paris; - le 15 mai 1986, cinq ans d'emprisonnement, dont deux avec sursis et mise à l'épreuve pendant cinq ans, du chef de viol en réunion, par la cour d'assises des Hauts-de-Seine; - le 17 septembre 1987, un an et trois mois d'emprisonnement pour vol avec violence, par le tribunal correctionnel de Nanterre; - le 10 novembre 1988, dix mois d'emprisonnement du chef de vol avec violence, par la cour d'appel de Paris; - le 7 septembre 1989, deux mille francs d'amende pour violences volontaires sur officier public, par le tribunal correctionnel de Paris; - le 10 décembre 1990, six mois d'emprisonnement du chef de vol avec violence et recel, par la cour d'appel de Versailles. S'y ajoutèrent, le 21 mai 1982, une condamnation à huit jours d'emprisonnement avec sursis pour destruction du bien d'autrui, le 13 mai 1992, une peine de huit mois d'emprisonnement pour vol et, le 31 mars 1993, une condamnation pour vol avec violence, sur laquelle la Cour ne possède pas de précisions. C. L'expulsion du requérant Le 21 août 1987, le ministre de l'Intérieur ordonna l'expulsion du requérant, au motif que sa présence sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public. Pris en vertu des articles 23 et 24 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée (paragraphe 27 ci-dessous), l'arrêté s'appuyait sur cinq condamnations récentes de l'intéressé, dont celle du 15 mai 1986 (paragraphe 12 ci-dessus). Le 10 mars 1988, le tribunal administratif de Versailles annula cet arrêté. D'après lui, c'est à tort que le ministre s'était fondé sur l'ordonnance de 1945, dans sa version modifiée par la loi du 9 septembre 1986, car celle-ci contenait des dispositions plus rigoureuses que celles en vigueur jusqu'alors. S'en prévaloir en l'espèce, en présence de condamnations pénales toutes antérieures à cette date, revenait à remettre indûment en cause des situations existantes. Le 15 février 1991, le Conseil d'Etat réforma le jugement précité et rejeta les demandes de M. Nasri tendant à l'annulation ou au sursis à exécution dudit arrêté. Selon lui, l'expulsion d'un étranger n'avait pas le caractère d'une sanction, mais d'une mesure de police exclusivement destinée à protéger l'ordre et la sécurité publics; dès lors, les dispositions de la loi du 9 septembre 1986 pouvaient être appliquées dès leur entrée en vigueur à des étrangers remplissant les conditions fixées par elles, quelle que fût la date des condamnations retenues à leur encontre. Le 30 janvier 1992, l'intéressé se présenta, sur convocation, à la préfecture des Hauts-de-Seine à Nanterre, où il fut placé en garde à vue, puis, par arrêté du préfet, mis en rétention administrative, pour une durée de vingt-quatre heures, en vue de son expulsion vers l'Algérie. Celle-ci ne pouvant avoir lieu dans le délai fixé, le tribunal de grande instance de Nanterre assigna M. Nasri à résidence, au domicile de ses parents, par une ordonnance du 31 janvier. Invoquant les articles 3, 6 et 8 (art. 3, art. 6, art. 8) de la Convention, le requérant introduisit le 31 janvier 1992, auprès du tribunal administratif de Paris, un recours dirigé notamment contre les arrêtés d'expulsion et de rétention. Le tribunal l'en débouta le 28 octobre 1992: la présence de l'intéressé sur le territoire français faisait peser une grave menace sur la sécurité publique, compte tenu de son lourd passé délictueux, de la gravité des faits commis et de sa persistance dans la délinquance; aussi la décision attaquée n'avait-elle pas porté à son droit à une vie familiale "une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels [elle avait] été prise". A ce jour, l'expulsion n'a pas eu lieu, eu égard à la demande de sursis à éloignement présentée par le président de la Commission européenne des Droits de l'Homme (paragraphe 29 ci-dessous). Par un arrêté du 4 février 1992, le ministre de l'Intérieur assigna M. Nasri à résidence, au domicile de ses parents, "jusqu'au moment où il [aurait] la possibilité de déférer à l'arrêté d'expulsion dont il fait l'objet". Cette mesure a été prolongée depuis lors. D. Les rapports concernant le requérant Les rapports médicaux Dans le cadre des poursuites dirigées contre le requérant, plusieurs expertises s'attachèrent à étudier sa personnalité, son comportement et son milieu. a) Les rapports antérieurs aux poursuites pour viol Un rapport d'examen psychiatrique, effectué en octobre 1977 à la demande du juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Nanterre, présente les conclusions suivantes: "L'inculpé est un adolescent de 17 ans, sourd et muet, et non encore rééduqué, indemne de débilité mentale et de maladie mentale. Mais il est particulièrement influençable. Il n'est pas en état de démence au sens de l'article 64 du code pénal, mais son immaturité affective et ses troubles intermittents du caractère, joints à la surdi-mutité, permettent d'atténuer sa responsabilité pénale dans une assez large mesure. Il ne s'agit nullement d'un aliéné. Il ne présente pas de dangerosité d'ordre psychiatrique. Il peut être remis à sa famille. Il est peu accessible à une sanction pénale (...)" Un rapport d'examen médico-psychologique, daté du 26 novembre 1982 et demandé par le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris, indique: "La biographie recueillie est très pauvre, en raison même du fait que le sujet mime plus qu'il ne parle le langage des sourds-muets. Nous apprenons, néanmoins, qu'il est né en Algérie, il y a à peu près 22 ans, il est incapable de pouvoir nous donner sa date de naissance exacte. Il nous apprend qu'il est venu d'Algérie en France, alors qu'il était tout jeune enfant. Ses parents sont tous deux en vie. Son père est toujours en activité professionnelle. Sa mère est à la maison, elle est décrite comme une femme malade. (...) Sur le plan de sa scolarité, [il] nous dit qu'il a été scolarisé dans une école spécialisée pour sourds-muets où il a appris le métier de peintre en bâtiment. Il nous déclare ne pas savoir écrire et être obligé de demander à un autre sujet sourd-muet de l'aider dans cette tâche. Il ne connaît pas l'adresse de ses parents à Paris. (...) Son niveau intellectuel apparaît des plus modestes. En effet, il n'est pas capable de préciser avec exactitude des dates importantes dans sa vie. Il déclare ne pas savoir écrire, ni savoir lire. L'interprète pour sourds-muets nous dit qu'il ne connaît que très mal le langage des sourds-muets et qu'il pratique plus par mime que dans une langue adaptée. (...) Il serait utile qu'il soit pris en charge sur le plan socio-professionnel et trouve réellement un emploi adapté à son état." b) Les rapports dans le cadre des poursuites pour viol Un rapport d'examen médico-psychologique établi le 21 novembre 1983 relève: "Mohamed Nasri nous apparaît comme ne disposant que de peu de moyens de communication et d'appréhension du monde. Dans sa famille et dans la société, il s'est trouvé dans une position à côté où il s'est constitué un univers clos. Sa communication avec le monde restant rudimentaire, elle s'exprime souvent en termes agressifs, dans la mesure aussi où ses identifications assimilatrices ne peuvent se faire que sur des personnages qui incarnent une certaine agressivité à l'égard d'un milieu social qui ne lui a pas donné les instruments de communication qu'il pouvait attendre. Ainsi apparaît-il réfugié dans la communauté maghrébine, la seule qui lui procure un statut mais qui le met dans la situation de manifester ce statut à travers des actes délictueux ou agressifs. C'est là ce qui rend toute aide ou intervention difficile. Mohamed Nasri se situe à un niveau de conception et de communication qui est celui de l'enfance. Son appréhension du monde reste rudimentaire, son expression et sa compréhension pauvres. Les rééducations proposées n'ont pu lui fournir des moyens de communication corrects et amples et il a dû revenir, de manière régressive, vers un milieu d'origine auquel il doit s'identifier pour avoir un statut et une identité. Dans ce milieu d'origine où son intégration se fait sous le surnom qui marque sa différence, 'le muet', [il] ne peut que se situer dans des attitudes de délit et d'agressivité, seuls moyens dans sa condition de conserver statut et identité." Un rapport d'examen psychiatrique, du même jour, conclut: "Nous ne saurons que peu de chose sur une histoire qui a été très marquée par la surdi-mutité et les tentatives à résultats très moyens de rééducation. (...) [Il] passera toute son enfance et toute son adolescence en France, il ne s'est jamais rendu en Algérie, dont cependant il a conservé la nationalité. (...) Il vit chez ses parents, il sort, il traîne, il utilise l'argent de poche que lui donne sa mère; ils habitent maintenant dans les HLM à Nanterre. Il a connu un emprisonnement il y a un ou deux ans, pour des vols à la tire, et c'est au cours de cet emprisonnement qu'il a présenté un état anxieux aigu, qui a rendu nécessaire son transfert et son séjour pendant trois mois dans un service hospitalier de psychiatrie. (...) [Son] intelligence, de niveau normal, sans doute, au départ, se juge aujourd'hui en terme d'efficience intellectuelle, à savoir que le capital de signes est médiocre, l'articulation entre eux rudimentaire, la compréhension limitée; aussi accède-t-il très mal aux notions abstraites de temps, de lieux, etc. (...) Les acquisitions scolaires sont limitées, il ne lit pas, ou seulement les titres, les noms de rue, écrit son nom, sans plus, et n'a pas intégré le mécanisme de l'addition avec retenue. Notre interprète le perçoit comme un jeune garçon sourd-muet de 7 à 8 ans, n'ayant jamais bénéficié de prise en charge spécialisée (...)" D'après un rapport d'examen psychiatrique du 31 juillet 1984: "Il est sourd-muet, il n'a pratiquement pas été rééduqué et l'on sait que de telles déficiences, au-delà du simple déficit instrumental, retentissent, de façon beaucoup plus générale, sur l'ensemble des processus de conceptualisation et notamment d'acquisition de la loi morale; on peut donc penser qu'il n'obéit pas aux mêmes échelles de valeur qu'un individu qui serait normalement inséré dans la société et normalement entendant et il convient de tenir compte de ces facteurs psychologiques dans l'appréciation de son infraction. (...) M. Mohamed Nasri ne présente pas à l'examen d'anomalies mentales, psychiques ou caractérielles majeures de dimension psychiatrique aliénante; il apparaît toutefois comme un sujet transplanté, mal inséré, désocialisé, handicapé par une surdi-mutité, avec le retentissement que cela peut avoir sur ses processus de conceptualisation et sur son intégration des règles morales. Il ne se trouvait pas en état de démence, au sens de l'article 64 du code pénal, au moment des faits; d'un point de vue strictement psychiatrique, les anomalies constatées ne sont pas de nature à atténuer sa responsabilité. Il est accessible à une sanction pénale; il ne requiert pas de soins particuliers mais il bénéficierait utilement d'un encadrement spécialisé en relation avec sa surdi-mutité, ce qui serait susceptible d'améliorer le pronostic de sa réadaptabilité; son placement dans un hôpital psychiatrique n'apparaît indiqué ni dans son intérêt, ni dans celui de la collectivité." Selon un rapport d'examen médico-psychologique du 18 juin 1985: "Rien à l'examen ne permet de dire que [M. Nasri] ne serait pas en mesure de prendre normalement conscience des règles et des interdits sociaux, ni que son aptitude à se contrôler serait altérée par un processus pathologique caractérisé. Il n'est en revanche pas douteux que l'insatisfaction éprouvée, les difficultés de communication avec autrui, l'impossibilité de médiatiser ses désirs par la parole se conjuguent chez lui pour constituer un terrain psychologique de moindre résistance à l'égard des passages à l'acte." Le rapport de police Un rapport de police du 13 avril 1992 relatif au requérant précise: "Son handicap, mutité et surdité, est effectif et ne l'empêche pas de déambuler à toutes heures du jour et de la nuit dans les rues de Villeneuve-la-Garenne, et autres communes, et de fréquenter assidument les débits de boissons où il boit de l'alcool ce qui le rend agressif, voire violent. (...) Il inspire la terreur à bien des Villenogarennois ainsi qu'à ses complices. Il se trouve mêlé [à] de nombreuses affaires de vol ou de violence. Cet individu, violent et asocial, ne fait aucun effort pour s'intégrer dans notre société et profite de son handicap et des dispositions favorables de l'administration et de la justice. Il est un réel danger pour l'ordre public, d'autant plus qu'il semble être le leader des jeunes délinquants de Villeneuve par la crainte qu'il inspire." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'expulsion des étrangers se trouve régie par l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. L'article 23 de celle-ci dispose, dans sa version du 29 octobre 1981: "L'expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l'Intérieur si la présence de l'étranger sur le territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public." Une loi du 9 septembre 1986 avait supprimé le mot "grave" du texte susmentionné; le 2 août 1990 a été restauré le libellé introduit en 1981. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Nasri a saisi la Commission le 30 janvier 1992 (requête n° 19465/92). Il alléguait que son expulsion vers l'Algérie entraînerait une violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention; il prétendait en outre avoir subi une infraction à l'article 6 (art. 6). Le même jour, le président de la Commission a indiqué au gouvernement français, en vertu de l'article 36 de son règlement intérieur, qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas procéder à l'éloignement du requérant jusqu'au 21 février 1992, fin de la prochaine session de la Commission. Celle-ci a prolongé plusieurs fois l'application dudit article 36. Le 11 mai 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs aux articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 10 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis selon lequel l'expulsion de l'intéressé vers l'Algérie constituerait une violation des articles 3 (art. 3) (dix-neuf voix contre trois) et 8 (art. 8) (vingt voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête de M. Nasri". De son côté, le requérant invite la Cour à déclarer que l'exécution de l'arrêté d'expulsion vers l'Algérie constituerait une violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8), et "à demande[r] à la France d'annuler purement et simplement [ledit] arrêté (...)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Née en 1949 et de nationalité allemande, Mme Dorothea Vogt habite à Jever, dans le Land de Basse-Saxe. Après six années d'études littéraires et linguistiques à l'université de Marbourg-sur-Lahn, au cours desquelles elle devint membre du Parti communiste allemand (Deutsche Kommunistische Partei - "DKP"), elle passa en novembre 1975 l'examen d'aptitude à l'enseignement secondaire supérieur (wissenschaftliche Prüfung für das Lehramt an Gymnasien). De février 1976 à juin 1977, elle effectua le stage préparatoire à la profession d'enseignant (Vorbereitungsdienst für das Lehramt) à Fulda, dans le Land de Hesse. En juin 1977, elle passa le second examen d'Etat d'aptitude à l'enseignement secondaire supérieur (zweite Staatsprüfung für das Lehramt an Gymnasien) et obtint à compter du 1er août 1977 un poste de professeur (Studienrätin), avec statut de fonctionnaire à l'essai (Beamtenverhältnis auf Probe), dans un lycée public à Jever. Le 1er février 1979, avant la fin de sa période d'essai, intervint sa nomination comme fonctionnaire titulaire (Beamtin auf Lebenszeit). Mme Vogt enseigna l'allemand et le français. Un rapport de notation rédigé en mars 1981 qualifia d'entièrement satisfaisants ses aptitudes et son travail et indiqua qu'elle était hautement appréciée tant de ses élèves et de leurs parents que de ses collègues. A. La procédure disciplinaire Devant le gouvernement du district de Weser-Ems Après une instruction préliminaire, le gouvernement du district de Weser-Ems (Bezirksregierung Weser-Ems) engagea, par une ordonnance (Verfügung) du 13 juillet 1982, une procédure disciplinaire contre la requérante, au motif qu'elle avait manqué à l'obligation de loyauté envers la Constitution ("la loyauté politique" - die politische Treuepflicht) à laquelle elle était tenue en sa qualité de fonctionnaire en vertu de l'article 61 par. 2 de la loi sur la fonction publique de Basse-Saxe (Niedersächsisches Beamtengesetz - paragraphe 28 ci-dessous). On lui reprochait d'avoir exercé dès l'automne 1980 diverses activités politiques en faveur du DKP et notamment d'avoir été candidate du DKP aux élections du Parlement du Land (Landtag) de Basse-Saxe en 1982. L'"acte d'accusation" (Anschuldigungsschrift) du 22 novembre 1983, dressé dans le cadre de la procédure disciplinaire, énuméra onze activités politiques publiques de l'intéressée en faveur du DKP, telles la distribution de tracts d'information, la représentation du DKP lors de manifestations politiques, sa fonction de cadre du parti dans une circonscription et sa candidature lors des élections fédérales du 6 mars 1983. Le 15 juillet 1985, la procédure fut suspendue, afin d'étendre le champ des investigations à d'autres activités politiques de la requérante mises à jour entre-temps. Selon un "acte d'accusation" complémentaire du 5 février 1986, Mme Vogt avait également manqué à ses obligations de fonctionnaire pour: a) être membre du "comité directeur" (Vorstand) de la section régionale (Bezirksorganisation) de Brême/Basse-Saxe du Nord du DKP depuis fin 1983; b) avoir participé et pris la parole au 7e congrès du DKP du 6 au 8 janvier 1984 à Nuremberg en tant que présidente de la section locale du parti (Kreisvorsitzende) de Wilhelmshaven/Friesland. Après une nouvelle suspension de procédure le 23 juin 1986, un second "acte d'accusation" complémentaire, établi le 2 décembre 1986, énuméra quatre autres activités politiques jugées incompatibles avec la qualité de fonctionnaire de la requérante, à savoir: a) sa candidature pour le DKP aux élections du Parlement du Land de Basse-Saxe le 15 juin 1986; b) le fait d'être toujours membre du "comité directeur" de la section régionale du DKP de Brême/Basse-Saxe du Nord; c) le fait d'être toujours présidente de la section locale du DKP à Wilhelmshaven/Friesland; et d) sa participation au 8e congrès du DKP à Hambourg du 2 au 4 mai 1986 en tant que déléguée du parti. Par une ordonnance du 12 août 1986, le gouvernement du district de Weser-Ems notifia à la requérante la suspension de ses fonctions à titre provisoire, indiquant notamment: "La violation délibérée de votre obligation de loyauté envers la Constitution pendant une durée prolongée, alors que vous connaissiez l'avis juridique de votre employeur et la jurisprudence des juridictions disciplinaires [en la matière], constitue un manquement professionnel particulièrement grave pour un fonctionnaire nommé à vie. Le fonctionnaire, dont le statut repose sur une relation de confiance particulière avec l'Etat et qui, par son serment, a réaffirmé sa volonté de défendre le droit et la liberté, détruit cette base de confiance indispensable à la poursuite des relations avec son employeur [Dienstverhältnis], lorsqu'il soutient délibérément un parti dont les buts sont incompatibles avec le régime fondamental libéral et démocratique. C'est le cas dans la présente espèce." A compter d'octobre 1986, Mme Vogt ne perçut plus que 60 % de son traitement (Dienstbezüge). Devant la chambre disciplinaire du tribunal administratif d'Oldenburg Devant la chambre disciplinaire du tribunal administratif (Disziplinarkammer des Verwaltungsgerichts) d'Oldenburg, la requérante, qui se dit membre du DKP depuis 1972, fit valoir que son comportement ne pouvait constituer un manquement à ses obligations de fonctionnaire. Par son appartenance à ce parti et son engagement en son sein, elle aurait usé du droit de tout citoyen à avoir une activité politique, qu'elle aurait toujours exercée dans le cadre des dispositions légales et des limites constitutionnelles. Son action en faveur de la paix intérieure et extérieure de la République fédérale d'Allemagne ainsi que sa lutte contre le néofascisme ne révéleraient aucune attitude anticonstitutionnelle. Le DKP, dont les buts auraient toujours été injustement (mais sans que cela ait jamais été prouvé) considérés comme anticonstitutionnels, participerait légalement au processus de formation de la volonté politique en République fédérale d'Allemagne. Enfin, d'après le rapport de la commission d'enquête du Bureau international du travail du 20 février 1987, l'introduction de procédures disciplinaires à l'encontre de fonctionnaires, en raison de leur engagement politique au sein d'un parti dont l'interdiction n'a pas été prononcée, violerait la Convention n° 111 de l'Organisation internationale du travail (OIT) concernant la discrimination en matière d'emploi et des professions. Il y aurait également violation de l'article 10 (art. 10) de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Dans son jugement du 15 octobre 1987, la chambre disciplinaire rejeta tant la demande de l'intéressée tendant à la suspension de la procédure que celle relative à l'audition de témoins. Elle abandonna certaines "charges" et retint à l'encontre de Mme Vogt son appartenance au DKP en tant que telle, ainsi qu'au "comité directeur" de la section régionale de Brême/Basse-Saxe du Nord, sa présidence de la section locale du DKP à Wilhelmshaven ainsi que sa candidature aux élections du Parlement du Land de Basse-Saxe le 15 juin 1986. Quant au fond, la chambre disciplinaire estima que la requérante avait manqué à son devoir de loyauté politique et ordonna sa révocation à titre de sanction disciplinaire. Elle lui accorda le versement de 75 % de ses droits à pension acquis à cette date pour une période de six mois. La juridiction constata d'emblée que ni la Convention n° 111 de l'OIT ni les recommandations figurant dans le rapport de la commission d'enquête du 20 février 1987 ne s'opposaient à l'ouverture d'une procédure disciplinaire. Selon elle, l'engagement actif d'un fonctionnaire au sein d'un parti poursuivant des objectifs anticonstitutionnels était incompatible avec son devoir de loyauté politique. Or ceux du DKP, tels qu'ils étaient énoncés dans le programme de Mannheim du 21 octobre 1978 (paragraphe 22 ci-dessous), allaient clairement à l'encontre du régime fondamental libéral et démocratique de la République fédérale d'Allemagne. L'anticonstitutionnalité d'un parti pouvait être établie indépendamment de son interdiction par la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) prévue à l'article 21 par. 2 de la Loi fondamentale (Grundgesetz - paragraphe 25 ci-dessous). Par son engagement actif au sein du DKP, la requérante avait donc clairement soutenu des objectifs contraires à la Constitution. La chambre disciplinaire ajouta que l'interdiction, prévue à l'article 48 par. 2, première phrase, de la Loi fondamentale (paragraphe 25 ci-dessous), d'empêcher quiconque d'être investi d'un mandat parlementaire, ne pouvait justifier la candidature de l'intéressée pour le DKP lors des élections régionales: cette interdiction ne visait pas des mesures telles que des poursuites disciplinaires qui, à l'origine, avaient un objectif différent et ne limitaient que de manière indirecte et inévitable la liberté d'acquérir et de détenir un mandat parlementaire. L'obligation de loyauté politique, qui certes restreignait les droits fondamentaux des fonctionnaires, figurait parmi les principes traditionnels de la fonction publique et avait valeur constitutionnelle en vertu de l'article 33 par. 5 de la Loi fondamentale (paragraphe 25 ci-dessous). Partant, elle avait priorité sur les dispositions figurant dans les instruments internationaux, telle la Convention européenne des Droits de l'Homme. L'intéressée avait par ailleurs exercé ses fonctions politiques alors qu'elle connaissait la jurisprudence qui avait établi l'incompatibilité d'un engagement au sein du DKP avec le devoir de loyauté politique. Au plus tard à compter de l'arrêt de la cour disciplinaire de Basse-Saxe (Niedersächsischer Disziplinarhof) du 24 juin 1985, publié dans une circulaire officielle de l'enseignement et dont la requérante avait été personnellement informée, celle-ci devait être consciente de son comportement fautif (pflichtwidriges Verhalten). En conséquence, Mme Vogt devait être révoquée pour avoir rompu le rapport de confiance la liant à son employeur. Tout au long de la procédure disciplinaire, elle n'avait d'ailleurs cessé de manifester son intention de poursuivre ses activités politiques au sein du DKP, malgré les mises en garde dont elle avait fait l'objet. La circonstance qu'elle avait assuré son service pendant des années de manière satisfaisante et qu'elle avait été appréciée tant de ses élèves que de leurs parents n'entrait pas en ligne de compte. La chambre disciplinaire décida enfin que Mme Vogt percevrait 75 % de ses droits à pension pendant six mois. Hormis son manquement à son obligation de loyauté, Mme Vogt s'était en effet toujours acquittée de ses fonctions de manière irréprochable et avec enthousiasme et il lui fallait quelques revenus pour être à l'abri des difficultés dans l'immédiat. Devant la cour disciplinaire de Basse-Saxe Le 18 mars 1988, la requérante interjeta appel du jugement devant la cour disciplinaire de Basse-Saxe, en reprenant ses arguments antérieurs (paragraphe 18 ci-dessus). Par un arrêt du 31 octobre 1989, celle-ci débouta Mme Vogt et confirma en tout point le jugement du tribunal administratif. Elle souligna que, par son engagement en faveur du DKP, l'intéressée avait manqué à l'obligation de loyauté politique à laquelle elle était tenue en vertu de l'article 33 par. 5 de la Loi fondamentale combiné avec l'article 61 par. 2 de la loi sur la fonction publique de Basse-Saxe. Selon ces dispositions, un fonctionnaire devait constamment professer le régime libéral et démocratique au sens de la Loi fondamentale et en défendre le maintien. Il devait se désolidariser sans équivoque de groupements qui attaquent, combattent et diffament l'Etat, ses institutions et le régime constitutionnel existant. De par ses activités au sein du DKP, la requérante n'avait pas répondu à ces exigences. L'orientation politique de ce parti était incompatible avec ledit régime. Le fait que la Cour constitutionnelle n'avait pas prononcé l'interdiction du DKP n'empêchait pas d'autres juridictions de constater son anticonstitutionnalité, ainsi que l'avaient fait la Cour administrative fédérale ainsi que la cour disciplinaire elle-même de manière convaincante dans leurs arrêts des 1er février 1989 et 20 juillet 1989. L'analyse du programme de Mannheim, toujours en vigueur, effectuée par MM. Mies et Gerns dans leur ouvrage sur la méthode et l'objectif du DKP (Weg und Ziel der DKP, 2e édition, 1981), révélait que les principes posés par Marx, Engels et Lénine constituaient toujours la ligne directrice du parti, dont le but était l'instauration d'un régime semblable à celui qu'avaient connu les pays communistes vers 1980. L'obligation de loyauté politique n'était pas limitée par l'article 48 par. 2 de la Loi fondamentale et les dispositions correspondantes du Land de Basse-Saxe protégeant le mandat parlementaire, car ces textes ne s'appliquaient pas aux empêchements résultant d'une procédure disciplinaire. Selon la cour, la référence de la requérante à l'article 5 par. 1 de la Loi fondamentale garantissant le droit à la liberté d'expression n'était pas pertinente, car les dispositions régissant la fonction publique évoquées à l'article 33 par. 5 de la Loi fondamentale devaient passer pour des lois générales au sens de l'article 5 par. 2 de la Loi fondamentale (paragraphe 25 ci-dessous). De même, la Cour européenne des Droits de l'Homme avait jugé que la décision d'une autorité compétente portant sur l'accès à la fonction publique ne constituait pas une ingérence dans la liberté d'expression. La même analyse devait s'appliquer dans le cas d'une fonctionnaire déjà titularisée. Mme Vogt avait adopté un comportement contraire à la loi. En exerçant d'aussi hautes fonctions politiques au sein du DKP, elle s'identifiait nécessairement à ses objectifs anticonstitutionnels et devait donc elle-même être considérée comme hostile à la Constitution, bien qu'elle clamât son attachement à la Loi fondamentale. On ne pouvait appuyer à la fois les deux systèmes. Même si l'intéressée cherchait avant tout à atteindre certains objectifs à court terme du DKP tels que la lutte contre le chômage, la politique en faveur de la paix et la lutte contre les prétendues interdictions professionnelles (Berufsverbote), cela n'ôtait pas à son comportement son caractère fautif. Certes, le DKP ne poursuit pas uniquement des buts anticonstitutionnels et certains sont compatibles avec la Loi fondamentale. Un fonctionnaire ne saurait toutefois, afin d'atteindre ses propres objectifs politiques, se servir d'un parti dont les buts sont anticonstitutionnels et faciliter son accès au pouvoir. La cour d'appel se référa à ce propos aux attendus suivants d'un arrêt de la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) du 20 janvier 1987, en précisant y souscrire car elle avait la conviction que le même raisonnement valait pour l'affaire dont elle se trouvait saisie: "Il est vrai qu'avec la Cour disciplinaire fédérale [Bundesdisziplinargericht], on peut admettre que le fonctionnaire ne désire pas changer le système de gouvernement de la République fédérale d'Allemagne en recourant à la violence, et qu'il ne s'agit pas là d'une déclaration de 'pure forme'. On peut également croire le fonctionnaire lorsqu'il déclare que ce qui l'anime, c'est surtout le désir de combler le fossé qu'il constate entre les principes posés par la Constitution et la réalité constitutionnelle qui est celle de la République fédérale d'Allemagne et qu'il aspire sincèrement à une société plus juste, dans le domaine économique surtout. Cela ne l'autorise pas toutefois à voir dans le DKP, contrairement à ce que pense la Cour disciplinaire fédérale, un groupement politique au sein duquel il croit pouvoir mettre en oeuvre son idée du meilleur ordre politique possible. On peut sérieusement douter que la notion de Constitution exprimée par le fonctionnaire en l'espèce correspond bien à l'interprétation qu'il convient de donner de la Loi fondamentale. Cette question n'appelle pas de réponse ici. Dans son arrêt portant interdiction de l'ancien Parti communiste (KPD) (BVerfGE 5, p. 85), la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré incompatibles avec le régime fondamental libéral et démocratique, non seulement les 'méthodes de combat' de l'ancien KPD, mais aussi les différentes étapes à franchir avant d'atteindre l'objectif final du 'règne socialiste'[sozialistische Herrschaft], à savoir la révolution prolétarienne par des moyens pacifiques ou violents et le triomphe de la classe ouvrière (...). [Elle] a également affirmé que la propagande et l'agitation intensives pour instaurer un régime politique - même si ce n'est pas dans un futur proche - qui se heurte clairement au régime fondamental libéral et démocratique, doivent déjà actuellement et directement porter atteinte à ce régime (...). Ainsi la Cour constitutionnelle fédérale a donc aussi indéniablement déclaré incompatibles avec le régime fondamental libéral et démocratique les étapes transitoires d'une durée indéterminée [que le parti cherche à établir] en recourant à une propagande et une agitation intensives (BVerwGE 47, pp. 365 et 374). Dès lors, contrairement à l'opinion exprimée par la Cour disciplinaire fédérale, la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il n'entendait pas modifier le système politique de la République fédérale d'Allemagne en recourant à la violence, déclaration conforme d'ailleurs à de nombreuses affirmations de son parti, n'a aucune valeur juridique (BVerwGE 76, p. 157)." D'autre part, la cour estima que l'engagement de la requérante en faveur d'un changement d'orientation au sein du DKP ne pouvait la disculper. En effet, l'obligation de loyauté politique comprenait le devoir pour les fonctionnaires de se désolidariser sans équivoque de groupements qui attaquent et diffament l'Etat et le régime constitutionnel existant. L'attitude d'un fonctionnaire qui, même s'il oeuvrait pour l'abandon d'objectifs contraires à la Constitution à l'intérieur même du parti, montrait à l'extérieur, de par les fonctions politiques qu'il occupait, son soutien inconditionnel au programme et à la politique de ce parti, était incompatible avec ce devoir. Aussi longtemps que ce parti n'avait pas abandonné ses objectifs anticonstitutionnels, l'obligation de loyauté politique interdisait à un fonctionnaire de s'engager activement en son sein. Cela demeurait valable, même si son intention était de rapprocher le parti des valeurs démocratiques. Par ailleurs, l'intéressée avait déclaré au cours de la procédure disciplinaire qu'elle soutenait de manière absolue les objectifs du DKP tels qu'ils figurent dans le programme de Mannheim. Tout comme le tribunal administratif, la cour constata que Mme Vogt avait sciemment manqué à ses obligations professionnelles: alors qu'elle connaissait la jurisprudence ainsi que l'avis de ses supérieurs en la matière, elle avait poursuivi et même accentué son engagement en faveur du DKP. La révocation de l'intéressée était donc justifiée, car un fonctionnaire qui persistait ainsi à manquer à ses devoirs et à ne pas vouloir entendre raison (unbelehrbar), n'était plus en mesure de servir l'Etat, qui doit pouvoir compter sur la loyauté de ses agents envers la Constitution. Elle ajouta que chez une enseignante, censée enseigner aux enfants qu'on lui avait confiés les valeurs de base de la Constitution, un tel manquement était particulièrement grave. Les parents qui, en raison de la scolarité obligatoire, doivent envoyer leurs enfants à l'école publique, étaient en droit d'attendre de l'Etat qu'il n'emploie que des professeurs qui soutiennent sans réserve le régime fondamental libéral et démocratique. L'Etat était tenu de se séparer d'enseignants qui s'engagent activement dans une organisation anticonstitutionnelle. La cour ajouta qu'un changement radical d'attitude de la part du fonctionnaire pouvait avoir une incidence sur l'appréciation de la gravité de la faute professionnelle. Or, tout au long de la procédure disciplinaire, la requérante, loin de diminuer son engagement au sein du DKP, l'avait, au contraire, accentué. Une sanction disciplinaire moindre visant à la faire renoncer à ses activités politiques au sein du DKP était donc à l'avance vouée à l'échec. De ce fait, son maintien au sein de la fonction publique s'avérait impossible et sa révocation inévitable. Son comportement par ailleurs irréprochable dans l'exercice de ses fonctions d'enseignante n'y changeait rien, car la base de confiance indispensable à la poursuite de son activité de fonctionnaire faisait défaut. B. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 22 décembre 1989, la requérante saisit la Cour constitutionnelle fédérale d'un recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde). Statuant en comité de trois membres, celle-ci décida le 7 août 1990 de ne pas retenir le recours; elle l'estima dénué de chances suffisantes de succès. D'après la Cour constitutionnelle, l'analyse des juridictions compétentes reposait sur la conviction que l'intéressée, par son appartenance au DKP et son engagement au sein de ce parti, avait manqué à ses devoirs de fonctionnaire; or cette conclusion était fondée et dénuée de tout arbitraire. Après l'ouverture de la procédure disciplinaire, Mme Vogt avait elle-même déclaré qu'il n'y avait pas de point, passage ou partie du programme du DKP qu'elle désapprouvait, se ralliant ainsi de manière inconditionnelle aux objectifs du parti énoncés dans le programme de Mannheim. L'anticonstitutionnalité des objectifs du DKP avait pu légitimement être établie par les juridictions disciplinaires, indépendamment des dispositions de l'article 21 par. 2 de la Loi fondamentale. Eu égard à l'entêtement dont l'intéressée avait fait preuve sur le plan de sa loyauté politique, les juridictions disciplinaires avaient pu estimer à bon droit que la base de confiance nécessaire à la continuation de l'activité de fonctionnaire de Mme Vogt faisait défaut, même si cette dernière s'était prononcée pour une nouvelle orientation au sein du parti et avait par ailleurs exercé ses fonctions de manière irréprochable. Partant, la révocation de la requérante respectait le principe de proportionnalité vu sous l'angle du droit constitutionnel. Il n'y avait donc pas eu violation de l'article 33 paras. 2, 3 et 5 de la Loi fondamentale. C. Evénements ultérieurs De 1987 à 1991, la requérante travailla en tant que dramaturge et professeur artistique au théâtre régional (Landesbühne) de Basse-Saxe du Nord à Wilhelmshaven. A compter du 1er février 1991, elle réintégra ses fonctions d'enseignante au sein du service de l'éducation de Basse-Saxe. Auparavant le gouvernement du Land avait abrogé le décret sur l'emploi des extrémistes dans la fonction publique (Ministerpräsidentenbeschluß, également connu sous le terme Radikalenerlaß - paragraphe 32 ci-dessous) en Basse-Saxe et promulgué une réglementation applicable aux "dossiers antérieurs" (paragraphe 33 ci-dessous). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Loi fondamentale Les dispositions suivantes de la Loi fondamentale (Grundgesetz) entrent en ligne de compte en l'espèce: Article 5 "(1) Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l'écrit et par l'image, et de s'informer librement aux sources généralement accessibles. La liberté de la presse et la liberté de l'information par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n'y a pas de censure. (2) Ces droits trouvent leurs limites dans les prescriptions des lois générales, dans les dispositions légales sur la protection de la jeunesse et dans le droit au respect de l'honneur personnel. (3) L'art et la science, la recherche et l'enseignement sont libres. La liberté de l'enseignement ne dispense pas de la fidélité à la Constitution." Article 21 "(1) Les partis concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Leur fondation est libre. Leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Ils doivent rendre compte publiquement de la provenance et de l'emploi de leurs ressources ainsi que de leur patrimoine. (2) Les partis qui, d'après leurs buts ou d'après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte au régime fondamental libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l'existence de la République fédérale d'Allemagne, sont anticonstitutionnels. La Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question de l'anticonstitutionnalité. (3) Des lois fédérales régleront l'application de ces principes." Article 33 "(...) (2) Tous les Allemands disposent de l'égalité d'accès à la fonction publique selon leurs aptitudes, leurs capacités et leurs qualifications professionnelles. (3) La jouissance des droits civils et civiques, l'accès à la fonction publique ainsi que les droits acquis en son sein sont indépendants de la confession religieuse. Personne ne doit subir de préjudice en raison de son 'adhésion ou de sa non-adhésion' à une confession [Bekenntnis] ou à une "conception philosophique du monde" [Weltanschauung]. (...) (5) Le droit de la fonction publique doit être réglementé en tenant compte des principes traditionnels du fonctionnariat." Article 48 par. 2 "Nul ne peut être empêché d'accepter et d'exercer les fonctions de député. Toute dénonciation d'un contrat de travail ou tout licenciement pour ce motif sont interdits." B. La législation sur la fonction publique Aux termes de l'article 7 par. 1, alinéa 2, de la loi sur les fonctionnaires fédéraux (Bundesbeamtengesetz) et de l'article 4 par. 1, alinéa 2, de la loi-cadre sur les fonctionnaires des Länder (Beamtenrechtsrahmengesetz), seul peut être nommé fonctionnaire celui qui "offre la garantie qu'il prendra constamment fait et cause pour le régime fondamental libéral et démocratique au sens de la Loi fondamentale". L'article 52 par. 2 de la loi sur les fonctionnaires fédéraux et l'article 35 par. 1, troisième phrase, de la loi-cadre sur les fonctionnaires des Länder disposent que "le fonctionnaire est tenu, dans tout son comportement, de professer le régime fondamental libéral et démocratique au sens de la Loi fondamentale et d'en assurer le maintien". Ces dispositions ont été reprises dans les législations des Länder sur la fonction publique, et notamment à l'article 61 par. 2 de la loi sur la fonction publique de Basse-Saxe (Niedersächsisches Beamtengesetz) qui prévoit de même que "le fonctionnaire est tenu, dans tout son comportement, de professer le régime fondamental libéral et démocratique au sens de la Loi fondamentale et d'en assurer le maintien". Le code disciplinaire de Basse-Saxe (Niedersächsische Disziplinarordnung) contient les dispositions pertinentes ci-après: Article 2 par. 1 "En vertu de la présente loi, peut être poursuivi (1) un fonctionnaire qui a manqué à son obligation professionnelle alors qu'il bénéficiait du statut de fonctionnaire (...)" Article 5 par. 1 "Les mesures disciplinaires sont: (...) la révocation (...)" Article 11 par. 1 "La révocation entraîne également la perte du droit à un traitement et des droits à pension (...)" C. Le décret sur l'emploi d'extrémistes dans la fonction publique Le 28 janvier 1972, le chancelier fédéral et les ministres-présidents des Länder adoptèrent le décret concernant l'emploi d'extrémistes dans la fonction publique (Ministerpräsidentenbeschluß) (Bulletin du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne n° 15 du 3 février 1972, p. 142), qui rappelle le devoir de loyauté des fonctionnaires envers le régime fondamental libéral et démocratique et précise ce qui suit: "(...) L'adhésion de fonctionnaires à des partis ou à des organisations qui combattent le régime constitutionnel - ainsi que tout soutien apporté à de tels partis ou organisations - conduira (...) généralement à un conflit de loyauté. S'il en résulte un manquement au devoir [Pflichtverstoß], il appartient à l'employeur de décider dans chaque cas des mesures à prendre." Aux fins d'application de ce décret, le gouvernement du Land de Basse-Saxe arrêta notamment le 10 juillet 1972 des dispositions sur "l'activité politique de candidats à la fonction publique ou de membres de celle-ci, dirigée contre le régime fondamental libéral et démocratique". Des réglementations analogues furent adoptées à l'origine dans tous les Länder. Toutefois, à compter de 1979 elles ne furent plus appliquées ou ne le furent que partiellement; elles furent même abrogées dans certains d'entre eux. En 1990, dans le cadre de leur accord de coalition sur la formation d'un nouveau gouvernement du Land de Basse-Saxe, le parti social-démocrate et celui des "verts" décidèrent d'abolir le décret portant sur l'emploi d'extrémistes dans la fonction publique, abolition réalisée par une décision ministérielle du 26 juin 1990. Le 28 août 1990, le gouvernement du Land prit un certain nombre de mesures concernant le traitement des "dossiers antérieurs", c'est-à-dire les cas des personnes qui avaient été exclues de la fonction publique ou non admises en son sein en raison de leurs activités politiques. Cette décision prévoyait la possibilité, pour les fonctionnaires révoqués à la suite d'une procédure disciplinaire, et à supposer qu'ils remplissent les conditions de recrutement et de qualification, de les réintégrer dans leurs fonctions, comme ce fut le cas dans la présente espèce (paragraphe 24 ci-dessus), sans pour autant les faire bénéficier d'indemnités ou d'arriérés de salaire. D. La jurisprudence en matière de fonction publique Dans un arrêt de principe du 22 mai 1975, la Cour constitutionnelle fédérale a précisé le devoir particulier de loyauté des fonctionnaires allemands envers l'Etat et sa Constitution: "(...) L''Etat administratif' moderne - ses missions sont aussi variées que compliquées, et de leur accomplissement adéquat, efficace et ponctuel dépendent le fonctionnement du régime politique et social et la possibilité pour les groupes, les minorités et chaque individu de mener une vie décente - doit pouvoir compter sur un corps de fonctionnaires intact, loyal, fidèle à son devoir, dévoué en son for intérieur à l'Etat et à sa Constitution. Si l'on ne peut plus compter sur les fonctionnaires, alors la société et l'Etat sont "perdus" dans des situations critiques. (...) Il suffit de retenir que l'obligation de loyauté politique forme le noyau de l'obligation de loyauté du fonctionnaire. Elle ne signifie pas une obligation de s'identifier aux objectifs ou à une politique particulière du gouvernement en place. Elle signifie plutôt le devoir d'être prêt à s'identifier à l'idée de l'Etat que le fonctionnaire doit servir, au régime fondamental libéral et démocratique de cet Etat fondé sur la prééminence du droit et la justice sociale. (...) L'Etat et la société ne peuvent avoir intérêt à disposer de fonctionnaires qui n'exercent aucune critique. Mais il faut absolument que le fonctionnaire approuve l'Etat - quels que soient ses défauts - et le régime constitutionnel existant tel qu'il est en vigueur, qu'il les reconnaisse dignes de protection, qu'il les professe dans cet esprit et qu'il s'engage activement pour eux. (...) L'obligation de loyauté politique - loyauté envers l'Etat et la Constitution - requiert plus qu'une attitude formellement correcte, mais par ailleurs désintéressée, froide, distante intérieurement à l'égard de l'Etat et de la Constitution; elle comprend en particulier le devoir pour le fonctionnaire de se désolidariser sans équivoque de groupements et de tendances qui attaquent, combattent et diffament cet Etat, ses institutions et le régime constitutionnel existant. (...) [L'obligation de loyauté auquel le fonctionnaire est tenu] vaut pour tout type de recrutement dans la fonction publique, qu'il s'agisse d'une affectation pour une durée déterminée, à titre probatoire, à titre révocable ou à titre permanent. Il n'y a pas davantage place pour une distinction selon la nature des fonctions que l'intéressé est appelé à exercer. (...) La circonstance que la Cour constitutionnelle fédérale n'a pas rendu de décision lui revenant sur l'anticonstitutionnalité d'un parti ne signifie pas que l'on ne puisse être convaincu - et défendre cette conviction - que ce parti poursuit des objectifs anticonstitutionnels et doit donc être combattu sur le terrain politique. Un parti qui par exemple propage dans son programme la dictature du prolétariat ou approuve le recours à la violence aux fins de renverser le régime constitutionnel, si les circonstances devaient le permettre, poursuit des objectifs anticonstitutionnels (...) (...)" Par des arrêts des 29 octobre 1981 et 10 mai 1984, la Cour administrative fédérale a considéré qu'un fonctionnaire qui s'engageait activement au sein du DKP, par exemple en y occupant un poste ou en se présentant comme son candidat aux élections, violait son devoir de loyauté politique, car il s'identifiait nécessairement aux objectifs anticonstitutionnels de ce parti. Elle a suivi le même raisonnement dans un arrêt du 20 janvier 1987 (paragraphe 22 ci-dessus). E. Le rapport de la commission d'enquête du Bureau international du travail Dans son rapport du 20 février 1987, la majorité de la commission d'enquête du Bureau international du travail a conclu "qu'à divers égards les mesures prises en République fédérale d'Allemagne en application du devoir de fidélité à l'ordre fondamental démocratique et libéral ne sont pas restées dans les limites des restrictions autorisées par l'article 1, paragraphe 2, de la Convention n° 111 [concernant la discrimination en matière d'emploi et des professions]". Elle a également formulé un certain nombre de recommandations. En réponse à ce rapport, le gouvernement allemand a notamment fait valoir que les mesures prises pour maintenir une fonction publique loyale à la Constitution n'étaient pas contraires aux dispositions pertinentes de la Convention n° 111 et que par ailleurs les recommandations formulées par la commission d'enquête ne liaient pas l'Etat allemand sur le plan interne. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Vogt a saisi la Commission le 13 février 1991. Invoquant les articles 10 et 11 (art. 10, art. 11) de la Convention, ainsi que l'article 14 combiné avec l'article 10 (art. 14+10), elle se plaignait d'une atteinte à son droit à la liberté d'expression et à la liberté d'association. La Commission a retenu la requête (n° 17851/91) le 19 octobre 1992. Dans son rapport du 30 novembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre une, qu'il y a eu violation des articles 10 et 11 (art. 10, art. 11) de la Convention et que rien n'imposait d'examiner également la requête sous l'angle de l'article 14 (art. 14) de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que, dans la présente espèce, la République fédérale d'Allemagne n'a pas porté atteinte aux articles 10, 11 et 14 combiné avec l'article 10 (art. 10, art. 11, art. 14+10) de la Convention". De son côté, la requérante prie la Cour "de constater qu'il y a eu violation des articles 10 et 11 (art. 10, art. 11) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Ressortissant français né en 1944, M. Daniel Bellet est fonctionnaire de la Ville de Paris et se trouve en congé de longue maladie. Atteint d'une hémophilie A qui s'est manifestée pour la première fois en 1948, il a subi de fréquentes transfusions sanguines, puis, dans les années 1983 et 1984, a reçu de nombreux produits sanguins. Sa contamination par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) a été décelée le 26 octobre 1983. A. Les recours en réparation Le recours devant le tribunal administratif Le 19 mai 1990, le requérant saisit le tribunal administratif de Paris d'un recours tendant à la condamnation de l'Etat au paiement du dommage causé par cette contamination. Par un jugement du 8 avril 1992, le tribunal le débouta au motif que sa séropositivité avait été révélée hors de la période de responsabilité pour inaction fautive de l'Etat qui a débuté le 12 mars 1985, date à laquelle l'autorité ministérielle était pleinement informée de la dangerosité des produits sanguins préparés à partir de pools de donneurs parisiens. Le recours devant les juridictions civiles Parallèlement, en décembre 1991, M. Bellet saisit en référé le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir la Fondation nationale de la transfusion sanguine ("la FNTS"), organisme provenant du regroupement du Centre national de transfusion sanguine et de l'Institut national de transfusion sanguine, condamnée à lui payer une somme de 3 000 000 francs français (FRF) au titre du dommage subi. Le 13 janvier 1992, le président ordonna une mesure d'expertise. Dans un rapport du 13 avril, l'expert médical conclut que la contamination de l'intéressé trouverait son origine, avec une très haute probabilité, dans les produits sanguins délivrés par ledit établissement. Le 19 mai 1992, l'avocat du requérant, sans informer le tribunal de la saisine du fonds d'indemnisation (paragraphe 15 ci-dessous), assigna une seconde fois la FNTS en paiement de la somme de 3 000 000 FRF. Par un jugement du 14 septembre 1992, le tribunal estima que "le virus VIH contracté par le demandeur ne [pouvait] avoir d'autre cause que l'administration massive de produits sanguins délivrés par la défenderesse". Il condamna en conséquence la FNTS à verser à l'intéressé une indemnité de 1 500 000 FRF et ordonna l'exécution provisoire de la décision. La FNTS, après avoir appris le versement de l'indemnité par le fonds, obtint, le 16 octobre 1992, la suspension de cette exécution. Sur appels principal de la FNTS et incident du requérant, lequel avait cité le fonds en intervention forcée, la cour de Paris infirma le jugement déféré et déclara irrecevable la demande de M. Bellet de voir porter la somme octroyée à 3 000 000 FRF. Dans son arrêt du 12 mars 1993, elle adopta le raisonnement suivant: "(...) considérant que l'article 47 III [de la loi du 31 décembre 1991 - paragraphe 21 ci-dessous] prévoit que le fonds assure la réparation intégrale des préjudices résultant de la contamination; Considérant que, si l'obligation du fonds et celle pouvant résulter de la responsabilité de la FNTS ont des fondements juridiques différents, elles ont le même objet, à savoir la réparation intégrale des préjudices subis par la victime; Considérant que la victime qui a saisi le fonds d'une demande d'indemnisation peut également intenter une action en justice pour obtenir réparation de son préjudice, mais qu'après son acceptation de l'offre qui lui a été faite, étant intégralement indemnisée, elle n'a plus d'intérêt à agir; Considérant que le préjudice spécifique de contamination indemnisé par le fonds est un préjudice de caractère personnel, non économique; que dans la phase de séropositivité il comprend les troubles résultant de la réduction de l'espérance de vie, de l'incertitude quant à l'avenir, de l'existence de souffrances et de leur crainte ainsi que des perturbations de la vie familiale, sociale et des préjudices relatifs à l'intimité; que dans la phase de sida déclaré il comprend les souffrances endurées, qui sont plus importantes, le préjudice esthétique ainsi que le préjudice d'agrément; Considérant qu'en l'espèce c'est de ce préjudice d'une exceptionnelle gravité que M. Bellet poursuit la réparation contre la FNTS, et que, étant intégralement indemnisé par le fonds, il ne peut pas prétendre à une indemnisation complémentaire." Le 26 janvier 1994, la Cour de cassation (deuxième chambre civile) repoussa le pourvoi de M. Bellet qui soulevait l'absence d'accès à un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle motiva son arrêt comme suit: "Mais attendu qu'ayant constaté que le préjudice indemnisé par le fonds était celui dont réparation était demandée à la FNTS, et que l'acceptation de l'offre d'indemnisation de son préjudice spécifique de contamination que lui avait faite le fonds dédommageait intégralement M. Bellet, la cour d'appel, par ce seul motif et sans violer l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l'Homme, la victime ayant disposé de la faculté de saisir une juridiction pour voir fixer l'indemnisation de son préjudice, en a déduit à bon droit que l'action de M. Bellet était irrecevable, faute d'intérêt." B. La demande présentée au fonds d'indemnisation Au cours de l'instruction de son action civile, le 9 avril 1992, le requérant, sans l'intermédiaire de son avocat, avait saisi le fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 21 ci-dessous). Il ne l'informa pas de l'action entreprise devant le tribunal de grande instance de Paris. Le 21 mai, le fonds lui proposa un montant de 993 750 FRF, payable en trois versements échelonnés sur deux ans, en réparation de son "préjudice de séropositivité", dont il faudrait déduire 100 000 FRF versés, en 1989, par le fonds privé de solidarité des hémophiles. L'intéressé devait en outre obtenir une somme de 331 250 FRF dès la déclaration du sida (syndrome d'immunodéficience acquise). L'offre d'indemnisation comportait les indications suivantes: "La Commission d'indemnisation a décidé, en sa séance du 19 mai 1992, de vous adresser une offre d'indemnisation correspondant à l'intégralité de votre préjudice spécifique de contamination, à savoir votre préjudice actuel et futur de séropositivité, et dans un second temps, s'il y a lieu, de sida déclaré. En se fondant sur la moyenne des indemnisations jusque-là accordées tant par les tribunaux judiciaires qu'administratifs et sur l'âge auquel vous établissez avoir été contaminé, la Commission a fixé ainsi les modalités de l'indemnisation qu'elle vous propose. (...) Si vous acceptez cette offre, faites-le par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. (...) Il va de soi que l'attribution de cette indemnité ne vous interdit pas de réclamer une autre indemnité au titre des préjudices économiques dont vous souffririez ou auriez déjà souffert, à condition bien entendu d'en apporter les preuves. Si cette offre ne vous agrée pas, vous avez la possibilité d'introduire une action judiciaire devant la cour d'appel de Paris dans les conditions prévues à l'article 47 VIII de la loi du 31 décembre 1991 (...)" A la suite de l'acceptation, intervenue le 7 juillet, de l'offre par le requérant, le fonds lui adressa le 16 juillet 1992 un premier versement de 297 920 FRF. II. LE MÉCANISME D'INDEMNISATION A. Les travaux préparatoires de la loi du 31 décembre 1991 L'Assemblée nationale Dans son rapport du 5 décembre 1991 présenté à l'Assemblée nationale au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Boulard, député, a admis qu'après l'acceptation de l'offre du fonds la victime pouvait rechercher une meilleure indemnisation: "L'autonomie de la procédure d'indemnisation par le fonds est affirmée par la possibilité pour les victimes ou leurs ayants droit de poursuivre les actions éventuellement introduites devant les tribunaux judiciaires, au civil ou au pénal, voire d'en introduire quand ils ne l'auront pas fait concomitamment à la demande déposée auprès du fonds. L'indemnisation par le fonds ne constitue donc pas une 'transaction' extinctive des recours judiciaires, contrairement aux aides accordées par les fonds public et privé créés en 1989, mais un mécanisme d'indemnisation reposant sur la notion de risque et indépendant de toute recherche de faute. Toutefois la victime devra informer le fonds et le juge des différentes actions engagées. Cette disposition s'impose parce que le fonds est subrogé dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou contre les personnes tenues à réparation à un titre quelconque." A la suite de l'arrêt rendu le 26 janvier 1994 par la Cour de cassation dans la présente affaire, M. Mazeaud, député, a proposé une loi interprétative afin de lever les ambiguïtés de rédaction ayant donné lieu à cette jurisprudence. Il estimait en effet que ledit arrêt donnait de la loi du 31 décembre 1991 une interprétation qui aboutissait à un résultat contraire à celui voulu par le législateur. En conséquence, il invitait le parlement à modifier l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 et plus particulièrement à supprimer dans le paragraphe III de cet article le mot "intégrale" et à insérer en tête de son paragraphe V un alinéa ainsi rédigé: "L'acceptation de l'offre d'indemnisation ne fait pas obstacle à d'éventuelles actions en justice concomitantes ou ultérieures du chef du même préjudice." Dans un rapport du 2 juillet 1994 établi au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et concernant la proposition de loi de M. Mazeaud, M. Leccia, député, appuyait en substance cette dernière et proposait un texte nouveau, adopté par ladite commission et ainsi rédigé: "Proposition de loi modifiant les règles relatives à l'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le virus du sida Article unique Il est inséré après le paragraphe V de l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 portant diverses dispositions d'ordre social, un paragraphe V bis nouveau ainsi rédigé: 'Les victimes déjà indemnisées à la date de la publication de la loi n° ... du ... conservent, nonobstant toute décision de justice passée en force de chose jugée, la possibilité de demander à la Cour d'Appel de Paris de procéder à une nouvelle évaluation des préjudices pour lesquels elles ont déjà été indemnisées.' 'Pour les victimes non encore indemnisées à la date de publication de la loi n° ... du ..., l'acceptation de l'offre d'indemnisation vaut renonciation à toute action en justice concomitante ou ultérieure du chef du même préjudice. Lorsque la victime se pourvoit devant la Cour d'Appel de Paris pour contester le montant de l'offre qui lui est faite par le Fonds, elle perçoit immédiatement de celui-ci une provision d'un montant au moins égal aux 4/5 de l'offre faite.'" Cette proposition de loi est toujours à l'étude à l'Assemblée nationale. Le Sénat Dans l'avis du 12 décembre 1991 présenté au Sénat au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale et portant sur le projet de loi en cause, M. Thyraud, sénateur, écrivait notamment: "Le projet de loi répond à une situation exceptionnelle. Les solutions qu'il propose peuvent être considérées comme étant de même nature. Il s'agit pour la collectivité, indépendamment de l'examen des responsabilités actuellement en cours, notamment au plan pénal, d'assurer le mieux qu'il soit la réparation des conséquences d'un tel drame. (...) Ainsi qu'indiqué dans l'introduction du présent commentaire, le souhait des auteurs du projet de loi a été de mettre en place un dispositif pleinement autonome ne pouvant être interprété comme une quelconque validation des évolutions récentes de la jurisprudence dans le domaine présent. Simultanément, a été maintenue la possibilité pour les victimes de recourir aux procédures de droit commun, soit devant les juridictions civiles ou administratives, soit devant les juridictions pénales. Cependant, les formulations du projet de loi ne sont pas pleinement explicites à ce propos, cependant que le texte soumis à notre examen reste muet sur les effets éventuels de décisions antérieures de juridictions sur celles de la commission d'indemnisation, ainsi que sur les conséquences des décisions de la commission sur les jugements postérieurs d'autres juridictions. Le projet de loi ne permet pas, par exemple, de déterminer si les décisions de la commission emportent ou non reconnaissance de responsabilité ou présomption de culpabilité. De la même manière, il n'est pas dit si l'autorité de la chose jugée de décisions antérieures de juridictions s'impose à la commission." B. La législation La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 "portant diverses dispositions d'ordre social" a créé un mécanisme spécifique d'indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d'injections de produits sanguins. La particularité du système, fondé sur la solidarité, est de permettre la réparation des conséquences d'une contamination par le VIH indépendamment de l'examen des responsabilités. L'article 47 de ladite loi dispose: "I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. Toute clause de quittance pour solde valant renonciation à toute instance et action contre tout tiers au titre de sa contamination ne fait pas obstacle à la présente procédure. III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d'indemnisation. Un conseil composé notamment de représentants des associations concernées est placé auprès du président du fonds. IV. Dans leur demande d'indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l'atteinte par le virus d'immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d'information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d'indemnisation sont réunies; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d'indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices. (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d'action en justice contre le fonds d'indemnisation que si sa demande d'indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d'appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d'action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d'appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. XI. (...) XII. L'alimentation du fonds d'indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...)" C. La position du Conseil d'Etat Les arrêts du 9 avril 1993 Par trois arrêts du 9 avril 1993, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat décida "que la responsabilité de l'Etat est intégralement engagée à l'égard des personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience humaine à la suite d'une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985". L'avis du 15 octobre 1993 Au sujet de l'affaire Vallée, dont la Cour a eu à connaître (arrêt du 26 avril 1994, série A n° 289-A), et à la demande du tribunal administratif de Paris, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur les conséquences de l'exercice parallèle d'actions devant la juridiction administrative et devant le fonds d'indemnisation. Statuant au contentieux le 15 octobre 1993, il rendit l'avis ci-après: "1. Le décret du 12 juillet 1993 (...) applicable aux instances en cours à la date de sa publication (...) donne une solution au problème soulevé (...) par le tribunal administratif. (...) il appartient au juge administratif à qui une telle condamnation est demandée, de soulever d'office, lorsque cela ressort des pièces du dossier, que le préjudice invoqué a déjà été, en tout ou partie, indemnisé par un tiers, alors même que celui-ci ne présente pas, par subrogation aux droits de la victime, de conclusions tendant au remboursement des sommes qu'il a versées en réparation du dommage subi par cette dernière. Dès lors, le juge administratif, saisi d'une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine, lorsqu'il est informé par l'une des parties au litige de ce que la victime ou ses ayants droit ont déjà été indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit, d'office, déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable. (...) Lorsque la somme offerte par le fonds a été acceptée par les intéressés (...) tout ou partie du préjudice dont il est demandé réparation est effectivement et définitivement indemnisé par le fonds. En conséquence, il appartient au juge administratif, informé de cette circonstance, de déduire d'office la somme dont le fonds est ainsi redevable, de l'indemnité qu'il condamne la personne publique responsable du dommage à verser à la victime." III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT Le décret n° 93-906 du 12 juillet 1993 ajoute les articles 15 à 20 au décret n° 92-759 du 31 juillet 1992 relatif aux actions en justice intentées devant la cour d'appel de Paris en vertu de l'article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 (paragraphe 21 ci-dessus). Il s'applique aux instances en cours à la date de sa publication, à savoir le 17 juillet 1993. "Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l'encontre des responsables des dommages définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l'action subrogatoire prévue au IX de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d'appel devant toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l'article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l'article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s'il a été ou non saisi d'une demande d'indemnisation ayant le même objet et, dans l'affirmative, l'état d'avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s'il entend ou non intervenir à l'instance. Lorsque la victime a accepté l'offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l'offre et l'acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l'état de la procédure engagée devant la cour d'appel de Paris en application des dispositions du titre Ier du présent décret et communique, s'il y a lieu, l'arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n'est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en vigueur du [présent] décret (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bellet a saisi la Commission le 24 mars 1994. Il se plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, pour faire valoir son droit à indemnisation. La Commission a retenu la requête (n° 23805/94) le 20 octobre 1994. Dans son rapport du 19 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre deux, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Bellet".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE MM. Prager et Oberschlick sont journalistes et résident à Vienne. Le second édite (Medieninhaber) le mensuel Forum. A. L’article dans Forum Le 15 mars 1987, M. Prager publia dans le no 397/398 de Forum un article sous le titre "Attention, juges méchants!" (Achtung! Scharfe Richter!). Sur treize pages, il y critiquait le comportement des juges pénaux autrichiens. Comme sources d’informations, il citait, outre sa présence personnelle à certaines audiences, le témoignage d’avocats et de chroniqueurs judiciaires ainsi que des études universitaires. Après un bref résumé de l’idée maîtresse, suivi d’une introduction générale, le texte décrivait dans le détail l’attitude de neuf membres du tribunal régional pénal (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne, dont celle du juge J. Le résumé Ledit résumé était libellé comme suit: "Ils traitent d’emblée tout accusé comme s’il était déjà condamné; ils font emprisonner au prétoire, pour danger de fuite, des personnes venues de l’étranger; ils demandent à des personnes qui ont perdu connaissance si elles acceptent leur peine; les protestations d’innocence n’entraînent plus qu’un haussement d’épaules de leur part et valent à l’accusé la peine la plus lourde pour n’avoir pas avoué. - Parmi les juges pénaux autrichiens, certains sont capables de tout. Tous sont capables de beaucoup: tout cela obéit à une méthode." L’introduction générale Dans l’introduction générale, l’auteur s’en prenait d’abord aux juges qui, selon lui, règnent pendant des années en maîtres absolus "dans l’arène de leur prétoire", exploitant au détriment des prévenus les moindres faiblesses ou particularités de ceux-ci. La susceptibilité des magistrats pourrait transformer la salle d’audience en "champ de bataille"; le condamné qui égratigne leur orgueil risquerait, par l’effet de la prétendue libre appréciation des preuves, un an de peine supplémentaire ou la perte d’un sursis éventuel. L’intéressé dénonçait ensuite les magistrats qui n’acquittent qu’en dernier recours, condamnent beaucoup plus durement que la plupart de leurs collègues, traitent les avocats comme des malfaiteurs, harcèlent et humilient à l’extrême les accusés, prolongent la détention provisoire au-delà de la durée maximale de la peine principale et suspendent le verdict d’un jury quand il ne leur plaît pas. Leur indépendance leur servirait à se mettre en valeur démesurément et à appliquer les lois dans toute leur cruauté et leur irrationalité, sans aucun scrupule et sans que personne ne puisse s’y opposer. M. Prager poursuivait en décrivant ses expériences personnelles au contact des magistrats et dans les salles d’audiences, mentionnant à cette occasion les "vexations dédaigneuses" (menschenverachtende Schikanen) du juge J. La description de magistrats L’article enchaînait sur une description de certains magistrats en particulier. Celle du juge J. se lisait ainsi: "Genre: forcené (...) [J.]. (...) [J.], s’adressant à l’avocat viennois [K.], il y a quelques années: `Soyez bref, maître; j’ai déjà pris ma décision!’ [J.]: un juge qui n’autorise pas les agents de probation à s’asseoir dans son bureau, car il ne leur parle pas. [J.]: un juge qui un jour porta plainte contre une prostituée parce qu’il l’avait déjà payée quand elle s’enfuit avec son souteneur sans que rien se fût passé. Elle a dû se dire que le client était trop ivre pour remarquer la différence. Lui toutefois se mit à l’affût et releva la plaque minéralogique. La plainte de [J.] entraîna même la condamnation de la prostituée - et une procédure disciplinaire à l’encontre de [J.], laquelle ne manqua pas ses effets puisque l’histoire grivoise - qui, à tout le moins, en disait long sur l’entêtement de [J.] - parut dans les journaux. A part cela, il faillit quand même devenir procureur quand la presse divulgua une affaire dans laquelle son nom apparaissait à nouveau, cette fois en rapport avec des poursuites pénales et des soupçons du chef d’exercice d’activités de conseil juridique sans autorisation (Winkelschreiberei). Deux hommes, L. père et fils, se voyaient accusés d’avoir, au moyen de contrats frauduleux, soutiré de l’argent à des personnes désireuses d’acquérir des appartements dans des immeubles anciens. Quand il apparut que les contrats avaient été rédigés par [J.], l’accusation prit une autre tournure: soudain, ce n’étaient plus les contrats qui étaient frauduleux, mais l’intention qui avait présidé à leur utilisation. [J.] resta juge au lieu de devenir procureur. Les rédacteurs de Kurier [un quotidien autrichien] le regrettent aujourd’hui, car un procureur est moins dangereux. En septembre, Profil [un magazine autrichien] en donna les raisons. Comme juge d’instruction, [J.] avait laissé un toxicomane en détention provisoire pendant plus d’un an, bien que les défenseurs d’office de l’intéressé lui eussent régulièrement signalé qu’il se trompait dans l’appréciation de la quantité de stupéfiants concernés et que la peine correspondante se situait dans une fourchette de quatre à six mois d’emprisonnement. Ce qui n’empêcha pas [J.] de transmettre le dernier recours en annulation, non pas à la Cour suprême, mais, en violation des règles, à la cour d’appel et à son président, lesquels mirent trois mois de plus à rechercher s’il fallait ordonner la mise en liberté de l’intéressé et si le juge de la détention provisoire avait commis des erreurs. Une photocopieuse aurait épargné au moins ces trois mois-là au détenu. Elargi début mars par le nouveau juge auquel les conseillers à la Cour suprême, enfin saisis, avaient transmis le dossier, l’intéressé, qui avait passé treize mois en prison, écopa finalement, fin mars, d’une peine de cinq mois. D’après les calculs des deux défenseurs d’office de la victime de [J.], rien que les honoraires d’avocat s’étaient déjà élevés à 85 000 schillings. Tout cela ne semble pas être resté sans conséquences pour le juge [J.]. Le grand juge barbu possède une voix grave et sonore. Toutefois, durant tout le procès contre Marianne O., la ‘vacancière voleuse’, on put observer un tic persistant sur le visage de l’assesseur [du juge S.]. Le verdict du jury fut alors suspendu et une plainte disciplinaire déposée contre l’avocat [G.]." B. L’action en diffamation Le 23 avril 1987, le juge J. intenta une action en diffamation (üble Nachrede, article 111 du code pénal autrichien - paragraphe 18 ci-dessous) contre M. Prager. Outre la saisie du numéro en cause de Forum et la publication par extraits du jugement, il demanda notamment que l’éditeur fût condamné à des dommages-intérêts et, solidairement avec l’auteur, à une amende et aux frais de justice (articles 33 à 36 de la loi sur les médias - Mediengesetz, paragraphe 19 ci-dessous). Le 11 mai 1987, les requérants récusèrent le tribunal régional pénal et la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne. Le 5 août, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) rejeta la demande en tant qu’elle visait la cour d’appel. Le 17 septembre, celle-ci l’accueillit quant au tribunal régional de Vienne et transféra l’affaire à celui d’Eisenstadt. En première instance Le 11 octobre 1988, le tribunal régional d’Eisenstadt reconnut M. Prager coupable d’avoir diffamé le juge J. à travers des passages de l’article incriminé cités comme suit: (1) "Ils traitent d’emblée tout accusé comme s’il était déjà condamné." (2) "Certains juges autrichiens sont capables de tout." (3) "Rien n’était comparable (...) aux vexations dédaigneuses du juge [J.]." (4) "Genre: forcené (...) [J.]." (5) "A part cela, il faillit quand même devenir procureur quand la presse divulgua une affaire dans laquelle son nom apparaissait à nouveau, cette fois en rapport avec des poursuites pénales et des soupçons du chef d’exercice d’activités de conseil juridique sans autorisation. Deux hommes, L. père et fils, se voyaient accusés d’avoir, au moyen de contrats frauduleux, soutiré de l’argent à des personnes désireuses d’acquérir des appartements dans des immeubles anciens. Quand il apparut que les contrats avaient été rédigés par [J.], l’accusation prit une autre tournure: soudain, ce n’étaient plus les contrats qui étaient frauduleux, mais l’intention qui avait présidé à leur utilisation. [J.] resta juge au lieu de devenir procureur. Les rédacteurs de Kurier le regrettent aujourd’hui, car un procureur est moins dangereux." Appliquant l’article 111 du code pénal, ladite juridiction infligea à M. Prager une amende de 120 unités journalières à 30 schillings (ATS) et, à défaut de paiement, un emprisonnement de 60 jours. Quant à M. Oberschlick, il fut condamné à payer une réparation de 30 000 ATS au juge J. et se vit déclarer solidairement responsable, avec le premier requérant, de l’acquittement de l’amende et des frais de justice (articles 6 par. 1 et 35 de la loi sur les médias). Enfin, le tribunal ordonna la confiscation des stocks restants du numéro incriminé de Forum et la publication par extraits de son jugement. Dans ses motifs, la juridiction constata d’abord que les conditions objectives du délit de diffamation se trouvaient remplies: parmi les passages litigieux, les nos 2 et 4 prêtaient ouvertement au plaignant une qualité ou un sentiment méprisables (eine verächtliche Eigenschaft oder Gesinnung), tandis que les nos 1, 3 et 5 lui reprochaient un comportement qui, déshonorant et contraire aux bonnes moeurs, pouvait objectivement le rendre méprisable ou le dénigrer dans l’opinion publique (ein unehrenhaftes und gegen die guten Sitten verstoßendes Verhalten, das objektiv geeignet ist, ihn in der öffentlichen Meinung verächtlich zu machen oder herabzusetzen). Bref, devant des critiques aussi massives, un lecteur impartial se voyait presque contraint de soupçonner le plaignant d’un comportement vil (ehrloses Verhalten) et de qualités méprisables (verächtliche Charaktereigenschaften), ce dont l’auteur était du reste parfaitement conscient. Le tribunal se pencha ensuite sur les demandes de M. Prager tendant à la production de pièces et de témoignages destinés à établir la véracité de ses propos et le soin journalistique apporté à la rédaction de l’article. Il considéra que seuls se prêtaient à pareille démonstration les passages nos 1, 3 et 5, les autres s’analysant en des jugements de valeur. Après examen, il estima qu’aucune des offres de preuve ne pouvait adéquatement étayer les citations litigieuses. Ainsi, l’affirmation no 1 selon laquelle le juge J. traitait d’emblée tout accusé comme s’il était déjà condamné ne serait-elle pas vérifiée par la seule circonstance que ledit juge aurait, dans un cas donné, invité un défenseur à rester bref, son opinion étant déjà faite. De même, les trois décisions du juge J. rapportées par M. Prager à l’appui de l’allégation no 3 n’autoriseraient pas à reprocher au plaignant un comportement vexatoire; aucune d’elles en effet ne laissait entrevoir l’intention de faire souffrir inutilement. S’agissant enfin du passage no 5, les accusations qu’il contenait se trouvaient définitivement réfutées par une décision disciplinaire de la cour d’appel de Vienne du 6 décembre 1982; les deux dossiers dont l’intéressé demandait la production n’y changeaient rien, dès lors que le premier ne renfermait aucun renseignement sur la personne du juge J. et que le second, relatif à la candidature de celui-ci au parquet, devait rester confidentiel. D’après le tribunal, M. Prager restait aussi en défaut de prouver qu’il avait mis à la rédaction de l’article attaqué le soin journalistique exigé par l’article 29 par. 1 de la loi sur les médias (paragraphe 19 ci-dessous). Non content d’avoir privé le juge J. d’une occasion de s’exprimer sur les reproches à son encontre, il avait en effet mené ses recherches de façon très superficielle; de surcroît, il avait lui-même avoué ne pas avoir assisté à des audiences présidées par le plaignant, avoir repris sans vérification le contenu d’anciens articles de journaux et avoir tenu pour fondés des reproches connus seulement par ouï-dire. En appel Le 26 juin 1989, la cour d’appel de Vienne confirma ce jugement mais réduisit à 20 000 ATS le montant de la réparation (paragraphe 14 ci-dessus). Elle considéra notamment qu’en rejetant pour manque de pertinence les offres de preuve de M. Prager, le tribunal n’avait nullement porté atteinte aux droits de la défense. Qu’il en fût allé ainsi tenait à la formulation des reproches incriminés; ils étaient à ce point globaux et généraux qu’il se révéla impossible d’indiquer les preuves possibles de leur véracité. Par ailleurs, l’espèce se distinguerait de l’affaire Lingens c. Autriche (arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme du 8 juillet 1986, série A no 103) en ce qu’elle aurait trait à l’affirmation de certains faits et non à l’expression de jugements de valeur. Quant au soin requis des journalistes dans l’exercice de leur profession, il devait se conformer à la règle "audiatur et altera pars". La confiscation des exemplaires restants du numéro en question (paragraphe 14 ci-dessus) n’a pas eu lieu. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal L’article 111 du code pénal est ainsi libellé: "1. Est puni d’une peine privative de liberté de six mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque, d’une manière telle qu’un tiers puisse le remarquer, prête à une autre personne une qualité ou des sentiments méprisables, ou l’accuse d’une attitude contraire à l’honneur ou aux bonnes moeurs et de nature à rendre cette personne méprisable ou à la rabaisser aux yeux de l’opinion publique. Est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque commet l’acte dans un imprimé, par le moyen de la radiodiffusion ou de toute autre manière qui rend la diffamation accessible à un large public. L’auteur n’est pas puni si l’assertion s’avère exacte. Dans le cas visé à l’alinéa 1, il ne l’est pas non plus si sont prouvées des circonstances lui ayant donné des raisons suffisantes de tenir l’assertion pour vraie." L’article 112 précise: "La preuve de la vérité et celle de la bonne foi ne sont admises que si l’auteur invoque l’exactitude de l’assertion ou sa bonne foi (...)" D’après le paragraphe 1 de l’article 114, "les actes visés à l’article 111 (...) sont légitimes s’ils constituent l’accomplissement d’une obligation légale ou l’exercice d’un droit". Aux termes du paragraphe 2, "n’est pas punissable la personne que des raisons spéciales forcent à présenter, sous la forme et de la manière choisies par elle, une allégation tombant sous le coup de l’article 111 (...), sauf s’il s’agit d’une affirmation inexacte et que l’auteur eût pu s’en rendre compte en s’entourant des précautions voulues (...)". La loi sur les médias Selon l’article 6 de la loi sur les médias, l’éditeur assume une responsabilité objective en matière de diffamation; la victime peut donc lui réclamer des dommages-intérêts. En outre, il peut se voir déclarer solidairement responsable, avec la personne condamnée pour une infraction à ladite loi, du paiement des amendes infligées et des frais de procédure (article 35). La personne diffamée peut demander la confiscation de la publication ayant servi à commettre l’infraction (article 33). En outre, l’article 36 l’autorise à en requérir la saisie immédiate s’il y a lieu de s’attendre à l’application ultérieure de l’article 33 et si la mesure n’entraîne pas de conséquences dommageables disproportionnées à l’intérêt juridique qu’elle vise à protéger. La saisie est exclue si l’on peut sauvegarder cet intérêt en publiant un avis qui signale l’ouverture de poursuites pénales (article 37). Enfin, la victime peut solliciter la publication du jugement pour autant qu’elle apparaisse nécessaire à l’information du public (article 34). L’article 29 par. 1 dispose notamment que les éditeurs et journalistes échappent à une condamnation du chef d’un délit d’information susceptible d’une preuve de véracité, non seulement s’ils apportent cette preuve, mais aussi s’il existait un intérêt public majeur à la publication litigieuse ainsi que des motifs qui, en appliquant le soin journalistique voulu, justifiaient de prêter foi à l’affirmation qu’elle contient. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête (no 15974/90) du 21 décembre 1989 à la Commission, MM. Prager et Oberschlick affirmaient que leurs condamnations respectives méconnaissaient leur droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention, et que l’ordre de confiscation des numéros restants de la revue s’analysait en une discrimination prohibée par l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10). Ils alléguaient en outre une infraction aux articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention. Le 29 mars 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs aux articles 10 et 14 (art. 10, art. 14), et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 28 février 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation de l’article 10 (art. 10) (quinze voix contre douze) et de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour: a) de déclarer irrecevables les griefs du second requérant tirés respectivement d’une violation des articles 14 et 10 combinés (art. 14+10) et 10 (art. 10) pris isolément de la Convention: le premier pour non-épuisement des voies de recours internes, le second pour absence de la qualité de victime; b) de constater que les requérants n’ont subi aucune infraction à l’article 10 (art. 10). De leur côté, les requérants invitent la Cour à conclure à la méconnaissance de l’article 10 (art. 10).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Evénements survenus avant et en 1987 Le premier requérant, Antony McMichael, et la seconde requérante, Margaret McMichael, résident à Glasgow. Ils sont nés respectivement en 1938 et 1954 et se sont mariés le 24 avril 1990. Le 29 novembre 1987, la seconde requérante a donné naissance à un fils, A. Le premier requérant, alors connu sous le nom d’Antony Dench, et elle cohabitaient tout en ayant en ce temps-là chacun son domicile. La seconde requérante niait expressément à cette époque que le premier requérant fût le père de A. Le nom du père de l’enfant ne figurait pas dans l’acte de naissance. La seconde requérante souffrait de troubles psychiatriques graves et intermittents, diagnostiqués comme une psychose maniaco-dépressive. Les premières manifestations de sa maladie eurent lieu vers 1973, sur quoi elle avait été internée de force dans des établissements psychiatriques à plusieurs reprises. Alors qu’elle et A. se trouvaient encore à l’hôpital après la naissance, le Dr R., psychiatre conseil qui la suivait depuis 1985, constata une réapparition de ses troubles mentaux. Il estima que si elle rentrait chez elle avec A., l’enfant serait en danger. Le département des services sociaux du conseil régional de Strathclyde ("le Conseil") - organe de l’autorité locale ayant de par la loi des responsabilités quant à la protection d’enfants de Glasgow et des environs - demanda le 11 décembre 1987 et obtint une ordonnance dite de "placement en un lieu sûr", en vertu de l’article 37 par. 2 de la loi de 1968 sur le travail social en Ecosse (Social Work (Scotland) Act 1968, "la loi de 1968") (se reporter au paragraphe 50 ci-dessous pour une explication de pareilles ordonnances). Cette ordonnance avait pour effet d’autoriser le Conseil à garder A. à l’hôpital pour sept jours au plus. La seconde requérante en fut informée et on lui suggéra de demander les conseils d’un homme de loi. Estimant que A. pouvait requérir des mesures de placement de force, le rapporteur (Reporter) auprès du collège des spécialistes de l’enfance (children’s panel) de la région de Strathclyde prit des dispositions afin qu’une commission de l’enfance (children’hearing) se réunît, en application de l’article 37 par. 4 de la loi de 1968 (sur les fonctions du rapporteur et la nature des commissions de l’enfance, voir les paragraphes 46, 47, 50 et 51 ci-dessous). Le motif de la saisine de ladite commission était que "le défaut de soins de la part des parents risqu[ait] de causer à [A.] des souffrances évitables ou de porter gravement atteinte à sa santé ou à son développement" - il s’agissait là d’un des motifs prévus par l’article 32 de la loi de 1968 (paragraphe 48 ci-dessous). L’exposé des faits suivants était produit à l’appui de la saisine: "1) (...) 2) [La mère] souffre de troubles psychiatriques graves. 3) [La mère] refuse de se soumettre à un traitement médical pour stabiliser sa maladie lorsqu’elle n’est pas hospitalisée dans un établissement psychiatrique. 4) [La mère] a dû être internée d’urgence dans un hôpital psychiatrique (...) les 5 juin 1986, 5 décembre 1986 et 31 décembre 1986. 5) En raison de son état mental, [la mère] ne peut sans doute pas s’occuper convenablement de son enfant." A l’audience du 17 décembre 1987 devant la commission, le président expliqua à la seconde requérante les motifs invoqués par le rapporteur à l’appui de la saisine. L’intéressée indiqua ne pas les accepter; elle contesta en particulier les paragraphes 2, 3 et 5 de l’exposé des faits. La commission chargea en conséquence le rapporteur d’en référer à la Sheriff Court (tribunal du comté) aux fins de déterminer si lesdits motifs étaient établis, conformément à l’article 42 de la loi de 1968 (paragraphe 54 ci-dessous). La commission de l’enfance délivra aussi un mandat, sur la base de l’article 37 par. 4 de la loi de 1968, pour que A. demeurât placé en un lieu sûr jusqu’au 6 janvier 1988 (paragraphe 50 ci-dessous). Une nouvelle ordonnance fut rendue le 5 janvier 1988 lors d’une autre audience. Le 23 décembre 1987, A. fut transféré de l’hôpital à une famille d’accueil à Greenock, à une trentaine de kilomètres de Glasgow. Il s’y trouve depuis. Le même jour, la seconde requérante quitta l’hôpital de son propre chef. Des dispositions furent prises pour la conduire trois fois par semaine voir A. dans le foyer d’accueil, sous la surveillance du département des services sociaux. Le premier requérant, qui avait lui aussi souffert de troubles mentaux, ne fut pas englobé à ce stade dans les modalités des visites. La principale raison en était que la seconde requérante continuait de contester qu’il fût le père de A. et que lui-même n’en revendiquait pas la paternité. En outre, il avait une attitude agressive et menaçante et refusait de fournir des renseignements sur ses antécédents. B. Evénements survenus en 1988 La seconde requérante se plaignit du placement de l’enfant à Greenock et du caractère insuffisant des modalités des visites. Elle admit tout d’abord que le premier requérant ne pouvait y participer, mais par la suite, lui et elle s’en prirent aussi à cette exclusion. Elle ne se présenta pas à quatre des visites qu’elle avait été autorisée à faire entre le 31 décembre 1987 et le 18 janvier 1988. Le 21 janvier 1988, la Sheriff Court de Glasgow examina la requête du rapporteur afin de se prononcer sur les motifs de la saisine. La seconde requérante assista et fut représentée à l’audience par un solicitor. Le premier requérant y assista lui aussi. Le rapporteur mena l’audition des membres du personnel médical, dont le Dr R., des puéricultrices et des travailleurs sociaux. Le premier et la seconde requérante déposèrent également. Aucune pièce écrite ne fut produite au tribunal, si ce n’est les motifs de la saisine et l’exposé des faits (mentionnés au paragraphe 9 ci-dessus). Au terme de l’audience, le Sheriff estima établi le motif de la saisine. Il déféra la cause au rapporteur qu’il chargea de réunir une commission de l’enfance aux fins d’examiner l’affaire. La seconde requérante n’en appela pas à la Court of Session, la juridiction civile suprême en Ecosse. Saisi d’une demande du rapporteur et après l’avoir entendu ainsi que la seconde requérante, le Sheriff délivra aussi une ordonnance confirmant le placement de A. en un lieu sûr pour une nouvelle période de vingt et un jours au plus. Le 27 janvier 1988, le département des services sociaux tint une réunion relative à la prise en charge de l’enfant ("child care review") pour examiner ce cas. Les deux requérants y assistèrent. Le psychiatre conseil, le Dr R., indiqua que la seconde requérante souffrait de graves troubles mentaux mais ne voulait pas subir de traitement. Il fut décidé de mettre fin aux visites, mais que cette décision serait reconsidérée si la condition mentale de la seconde requérante s’améliorait. Le premier requérant avait aussi demandé à la réunion à bénéficier d’un droit de visite, se prétendant pour la première fois le père de A. Les visites lui furent refusées puisque la seconde requérante persistait à dire qu’il n’était pas le père. Le département des services sociaux tint aussi compte de son attitude agressive et menaçante et de son refus persistant de donner des renseignements sur lui-même. Le 4 février 1988, une commission de l’enfance se réunit pour déterminer si des mesures obligatoires de placement s’imposaient pour A. La seconde requérante assista à l’audience, le premier requérant y étant son représentant. La commission de l’enfance avait en sa possession un certain nombre de pièces, notamment un rapport du 28 janvier 1988 sur l’enfant, établi par le département des services sociaux, retraçant l’historique de l’affaire et proposant que A. demeurât au foyer d’accueil. Conformément aux règles procédurales pertinentes (figurant dans le règlement de 1986 sur les commissions de l’enfance en Ecosse (Children’s Hearings) (Scotland) Rules 1986, "le règlement de 1986"; paragraphe 57 ci-dessous), les pièces ne furent pas remises aux requérants, mais le président informa ceux-ci de leur substance. La commission de l’enfance décida que A. avait besoin de mesures obligatoires de placement. En vertu de l’article 44 par. 1 a) de la loi de 1968, elle prit donc une ordonnance de mise sous tutelle, plaçant A. sous la tutelle du Conseil et fixant comme condition qu’il résidât au foyer d’accueil à Greenock (pour les conditions de tutelle, voir les paragraphes 58 à 60 ci-dessous). Cette décision s’appuyait, notamment, sur la santé mentale des deux requérants, leur attitude agressive et hostile et le refus de la seconde de se soumettre à une aide et à un traitement psychiatriques. Cette décision ne prévoyait rien en matière de visites. En pareil cas, on présume que les parents jouiront d’un droit de visite raisonnable sous réserve des dispositions de l’article 20 par. 1 de la loi de 1968 qui habilite une autorité locale à refuser les visites lorsque le bien-être de l’enfant le commande. Le 6 février 1988, la seconde requérante fut admise dans un hôpital psychiatrique, d’abord de son plein gré puis, à partir du 10 février, de force. Elle rentra chez elle en juin 1988. La seconde requérante (alors internée) se pourvut devant la Sheriff Court contre la décision de la commission de l’enfance. L’ensemble du dossier dont avait disposé celle-ci fut communiqué à la Sheriff Court. Il semble que, conformément à la procédure habituelle (pour celle-ci, voir le paragraphe 61 ci-dessous), il n’ait pas été communiqué à la seconde requérante. Accompagnée de deux infirmières, elle assista à l’audience d’appel le 29 février 1988. Elle avait manifestement absorbé une forte dose de sédatifs et n’était pas représentée. Après quelques discussions, le Sheriff lui demanda si elle préférait qu’une commission de l’enfance réexaminât l’ordonnance de placement sous tutelle plutôt que de maintenir son recours. Elle choisit la première solution. Dès lors, on considéra qu’elle s’était désistée de son recours. Le département des services sociaux réexamina l’affaire le 27 avril 1988. Les deux requérants assistèrent à la réunion, l’établissement psychiatrique ayant autorisé la seconde à s’y rendre. Son état mental s’étant amélioré, il fut décidé de lui permettre de voir A. sous surveillance. A cette époque, elle avait admis que le premier requérant était le père de l’enfant. Le 18 février 1988, le nom de l’intéressé avait été ajouté sur l’acte de naissance de A., mais cette mention ne lui conférait aucun droit parental (sur ce point, voir le paragraphe 43 ci-dessous). Au cours de cette réunion, le Conseil décida de ne pas accorder de droit de visite au premier requérant tant qu’il n’aurait pas communiqué des informations sur ses antécédents, ce à quoi il s’était refusé jusqu’alors. Les visites de la seconde requérante à A. au foyer d’accueil, sous la surveillance d’un travailleur social, commencèrent le 26 mai 1988 et se poursuivirent jusqu’en septembre 1988. Le 24 août 1988, les solicitors agissant pour le compte du premier requérant demandèrent au comité écossais d’aide judiciaire (Scottish Legal Aid Board) l’aide judiciaire afin d’engager une instance contre le Conseil devant la Court of Session dans le but d’obtenir la garde de A. ou, sinon, un droit de visite. Le comité refusa l’aide judiciaire: dans les circonstances de la cause, il serait déraisonnable d’en accorder à l’intéressé le bénéfice et l’existence d’une cause défendable n’avait pas été démontrée. Son conseil fit alors savoir au premier requérant que l’action envisagée échappait à sa compétence et que le meilleur moyen d’obtenir un droit de visite consisterait à demander à une commission de l’enfance de revoir l’ordonnance de placement sous tutelle. Le 20 septembre 1988, le département des services sociaux tint une nouvelle réunion relative à la prise en charge de l’enfant. Aucun des requérants n’y assista, mais la seconde y fut représentée par un ministre du culte. Le département avait au préalable entendu le premier requérant à plusieurs reprises pour obtenir des renseignements sur ses antécédents et, avec son autorisation, avait interrogé son médecin et la police à son sujet. Il décida de permettre aux deux requérants de rendre visite, sous surveillance, trois fois par semaine à leur enfant dans un centre spécialisé et de les aider à apprendre à exercer leur fonction de parents. On ferait le point trois mois plus tard. Les visites au centre commencèrent le 4 octobre 1988. Le 13 octobre 1988, la commission de l’enfance réexamina l’ordonnance de placement sous tutelle. La seconde requérante assista à la réunion et le premier requérant l’y représenta. La commission avait en sa possession un rapport du département des services sociaux daté du 20 septembre 1988 et renfermant des informations récentes sur A. Ce document contenait aussi une déclaration selon laquelle la seconde requérante refusait de suivre le traitement qui lui avait été prescrit, ainsi qu’un exposé des modalités envisagées pour les visites et une recommandation tendant au maintien de la tutelle en attendant l’évaluation des visites suggérées pour les trois mois suivants. En conformité avec les règles procédurales pertinentes (paragraphe 57 ci-dessous), ce rapport ne fut pas remis aux requérants mais le président les informa de sa teneur. Les intéressés avaient adressé un mémoire dans lequel ils affirmaient que le motif de la saisine était sans fondement car ils n’avaient jamais eu la possibilité de démontrer leur aptitude à s’occuper de A. La commission de l’enfance décida de maintenir la tutelle et d’approuver les propositions relatives aux visites. Elle estima que seul le temps permettrait de savoir si la restitution de A. aux soins des requérants était un projet viable et qu’il fallait suivre de près l’évolution de l’état mental de la seconde. Celle-ci ne se pourvut pas devant la Sheriff Court. Entre le 4 octobre et le 19 décembre 1988, les requérants firent quelque vingt-trois visites à A. Les travailleurs sociaux ne considérèrent pas celles-ci comme fructueuses. Des rapports datés du 22 novembre 1988 d’un visiteur sanitaire et du 23 novembre d’un médecin indiquèrent que les intéressés se querellaient fréquemment devant A. et manifestaient de l’agressivité à l’égard du personnel, ce qui avait entraîné leur expulsion de deux centres de protection de l’enfance. Ils semblaient incapables d’accepter ou de suivre des conseils sur les soins à donner aux enfants. Le 19 décembre 1988, une réunion sur la prise en charge de l’enfant eut lieu; les requérants y assistèrent. On nota qu’il n’y avait eu aucun progrès sensible dans leur aptitude à s’occuper de A. On décida de mettre fin aux visites en raison des effets préjudiciables à long terme qu’elles risquaient d’avoir sur A. s’il n’y avait pas de perspectives réelles qu’il fût confié de nouveau aux soins de ses parents naturels. On décida aussi d’étudier la possibilité d’autoriser l’adoption de A. Les requérants formèrent un recours interne devant le directeur de district des services sociaux, lequel leur confirma la décision par une lettre du 28 décembre 1988, où il leur recommandait de demander le conseil d’un avocat. C. Evénements survenus en 1989 A la suite d’une demande de Mme McMichael, une commission de l’enfance examina le 20 juin 1989 la question de la tutelle. L’intéressée y assista en compagnie du premier requérant, qui la représentait. Le rapporteur communiqua à la commission un nouveau rapport du département des services sociaux renfermant des informations récentes sur A. Il signalait les problèmes rencontrés au cours de la période des visites et indiqua que A. était heureux, se développait bien au foyer d’accueil et que l’on recherchait des personnes susceptibles de l’adopter. Furent aussi produites les pièces déjà versées au dossier de précédentes commissions. Les requérants demandèrent le rétablissement de leur droit de visite. La commission de l’enfance estima qu’il pouvait exister un conflit d’intérêt entre Mme McMichael et A. Elle ajourna donc l’examen de la cause pour permettre la désignation d’un tuteur ("safeguarder"), personne indépendante chargée de représenter les intérêts de l’enfant (sur ce point, voir le paragraphe 53 ci-dessous). Une fois désigné, le tuteur s’entretint avec les requérants, les travailleurs sociaux, les parents nourriciers et la police. Dans son rapport daté du 18 août 1989, il déclara en particulier que les parents nourriciers s’occupaient convenablement de A. et qu’il était souhaitable que la seconde requérante obtînt l’avis d’un médecin sur son état mental actuel. La commission de l’enfance qui avait été reportée se tint le 5 septembre 1989. Les intéressés assistèrent aux débats où la seconde requérante fut représentée par un solicitor. Conformément aux règles de procédure pertinentes (paragraphe 57 ci-dessous), le rapport du tuteur et les autres pièces communiqués à la commission ne furent pas remis aux requérants, mais le président informa ceux-ci de leur substance. Avant l’audience, M. et Mme McMichael avaient également déposé un mémoire faisant état de leur aptitude à s’occuper de A. et de ce qu’il y avait d’injuste à les juger sur la base de trois mois de visites intensives. Le tuteur assista aux débats et confirma que, selon lui, le meilleur moyen de protéger les intérêts de A. consisterait à continuer la prise en charge. La commission conclut à la nécessité de maintenir la tutelle et qu’aucun des arguments entendus par elle ne l’avait convaincue d’accorder un droit de visite. Elle ne suivit pas la suggestion du solicitor de la seconde requérante tendant à un nouvel ajournement afin de recueillir auprès d’un psychiatre indépendant un rapport sur la seconde requérante. Celle-ci fit appel devant la Sheriff Court aux motifs que: a) les requérants n’avaient pas été informés du contenu des pièces produites à l’audience; b) le refus des visites résultait du caractère incomplet des renseignements, et en particulier de l’absence d’informations récentes sur l’état de santé de la seconde requérante; c) le refus de surseoir à statuer aux fins d’obtenir un rapport psychiatrique sur l’état mental de la seconde requérante était manifestement déraisonnable. Le motif a) fut retiré par la suite. A l’audience d’appel du 4 octobre 1989, le Sheriff estima qu’on aurait dû solliciter un rapport psychiatrique. Il accueillit donc le recours et renvoya la cause à la commission de l’enfance. Dans l’intervalle, un rapport psychiatrique, daté du 29 septembre 1989, avait été produit à la demande des solicitors de la seconde requérante. Il indiquait que celle-ci souffrait de troubles psychiques intermittents, mais se trouvait en phase de rémission et qu’en cas de rechute, elle pourrait réagir de manière satisfaisante à un traitement comme cela avait été le cas dans le passé. Le psychiatre préconisait le rétablissement du droit de visite et la restitution de A. aux requérants le moment venu. Une commission de l’enfance se réunit le 12 décembre 1989 pour réexaminer l’affaire, comme l’y avait invitée le Sheriff (paragraphe 27 ci-dessus). Les débats furent toutefois reportés à la demande du solicitor représentant la seconde requérante afin de laisser au psychiatre la possibilité de compléter son rapport. D. Evénements survenus en 1990 Une commission de l’enfance se réunit le 9 janvier 1990, mais aucun des deux requérants n’assista ni ne fut représenté à ses débats. Elle fut informée que la requérante avait été déclarée en état de démence et hospitalisée. Une nouvelle audience se tint le 18 janvier 1990. Aucun des deux requérants n’y assista ou ne s’y fit représenter. La commission conclut que l’état de santé de la seconde requérante n’était pas assez satisfaisant pour lui permettre de rendre visite à A. et qu’on ne pouvait envisager pour celui-ci un avenir avec elle. La commission ajouta à l’ordonnance de mise sous tutelle la condition que la seconde requérante ne pût rendre visite à A. L’intéressée n’attaqua pas cette décision devant la Sheriff Court. Le 1er février 1990, le Conseil déposa une requête devant la Sheriff Court aux fins d’autoriser l’adoption de A. Les requérants se marièrent le 24 avril 1990. Le premier a par là même obtenu les droits parentaux à l’égard de A. (sur ce point, voir les paragraphes 42 et 43 ci-dessous). La requête fut examinée entre le 18 juin et le 27 juillet 1990. Les requérants, en leur qualité de parents, refusèrent de consentir à l’adoption. Ils assistèrent aux débats. Le premier requérant défendit lui-même sa cause tandis que la seconde requérante fut représentée par un solicitor. Les pièces écrites en la possession du tribunal avaient été portées à la connaissance des intéressés. Des témoins furent entendus et la possibilité fut donnée à M. et Mme McMichael d’interroger les témoins cités par le Conseil comme de citer leurs propres éléments de preuve. Le Sheriff prononça son jugement le 14 octobre 1990; entre-temps, le 12 août, la seconde requérante avait été hospitalisée derechef. Il conclut que les intéressés refusaient abusivement de donner leur consentement et qu’il y avait donc lieu de s’en passer. Il prit en conséquence l’ordonnance déclarant A. adoptable. Son jugement retraçait dans le détail l’historique des troubles mentaux de la seconde requérante ainsi que les problèmes rencontrés au cours des visites à l’enfant. Il constatait notamment ceci: "Mme McMichael est incapable de s’occuper en permanence de l’enfant [A.] en raison de la gravité et de l’imprévisibilité de sa maladie. Lorsque ses troubles sont en phase aiguë, il serait risqué de laisser l’enfant à sa garde. (...) Les parents naturels n’ont aucun sens de ce que l’on entend par amour et soin d’un enfant et manifestent une incapacité soit à acquérir de telles compétences, soit à vouloir les apprendre. Dans l’intérêt du bien-être de l’enfant, il y a lieu de le déclarer adoptable. Les parents par le sang sont sur le plan affectif comme intellectuel incapables de lui assurer un environnement stable et sûr. S’il leur était confié, il risquerait de souffrir d’un manque affectif et, à cause de leur inaptitude à prendre soin de lui physiquement, il pourrait se trouver dans des situations de danger." Le Sheriff conclut en ces termes: "A mon avis, force est de conclure que les deux parents refusent abusivement de donner leur consentement. Ils refusent de donner leur consentement car ce ne sont pas des parents qui ont commencé à démontrer leur aptitude à exercer la garde de leur enfant. Mme McMichael souffre d’une grave maladie mentale qui peut à tout moment, en l’absence d’un traitement médical approprié, l’empêcher de s’occuper non seulement de son enfant, mais aussi d’elle-même. Même si sa maladie n’atteint pas une gravité nécessitant son hospitalisation, elle s’est montrée incapable d’exercer les facultés physiques et affectives les plus élémentaires exigées de parents. La seule inclination qu’elle possède, je le reconnais, est son désir d’être un parent, de vivre avec son enfant, mais je crains qu’elle ne soit pas à la mesure de cette ambition. L’incapacité du père de se comporter normalement comme un parent envers l’enfant est établie par les témoignages de Mme [K. (visiteur sanitaire)] et de Mme [M. (département des services sociaux)], dont les dépositions confirment les conclusions auxquelles je suis moi-même parvenu au sujet de ce qui s’est passé pendant les visites (...)" En décembre 1990, les requérants en appelèrent de la décision du Sheriff devant la Court of Session. E. Evénements survenus en 1991 et 1992 Les requérants bénéficièrent de l’aide judiciaire. Les avocats et solicitors leur indiquèrent qu’un recours serait totalement voué à l’échec et qu’il y avait lieu d’abandonner. Les intéressés ne suivirent pas ce conseil et maintinrent leur appel, sans l’aide d’un homme de l’art. La Court of Session les débouta le 1er novembre 1991. Elle estima que le Sheriff était fondé à conclure que, en raison de l’état mental de la seconde requérante et du fait qu’elle et le premier requérant ne comprenaient pas comment s’occuper correctement d’un enfant, il aurait été contraire à l’intérêt bien compris de A. de le restituer à la garde des intéressés. Entre-temps, le 18 juillet 1991, une commission de l’enfance avait décidé le maintien de la tutelle. Une autre commission prit une décision dans le même sens le 9 juin 1992. F. Evénements survenus en 1993 Lors de la réunion d’une commission qui eut lieu le 4 mai 1993, il fut annoncé que les parents nourriciers chez lesquels A. vivait depuis le 23 décembre 1987 envisageaient de l’adopter. La commission décida de maintenir la tutelle, à la condition que A. résidât chez les parents nourriciers. Le 25 mai 1993, le Sheriff accueillit la demande d’adoption de A. présentée par les parents nourriciers. L’ordonnance d’adoption avait pour effet d’investir les parents adoptifs de tous les droits et devoirs parentaux concernant A. Le 21 septembre 1993, une commission de l’enfance décida de mettre fin à la tutelle, A. ayant été adopté et tous les rapports sur son bien-être étant favorables. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS A. Droits des parents En Ecosse, la nature des droits dont jouissent les parents à l’égard de leurs enfants se trouve régie par la common law. A l’égard des filles âgées de moins de douze ans et des garçons âgés de moins de quatorze ans, les parents jouissent entre autres: a) du droit d’administration et de représentation, qui peut être décrit comme le droit d’administrer les biens de l’enfant et de passer des actes juridiques en son nom; b) du droit de garde, qui peut être décrit comme le droit du parent de vivre avec son enfant ou, à défaut, de décider du lieu de résidence de celui-ci et de diriger son éducation quotidienne; c) du droit de visite. La situation des personnes pouvant exercer les droits parentaux relève de la loi de 1986 portant modification de la législation écossaise relative aux parents et aux enfants (Law Reform (Parent and Child) (Scotland) Act 1986, "la loi de 1986"). D’une manière générale, la loi de 1986 a supprimé les distinctions juridiques entre enfants nés dans le mariage et ceux nés hors mariage. Elle maintient toutefois une distinction pour les droits parentaux, comme il ressort de l’article 2 par. 1, ainsi libellé: "a) la mère d’un enfant exerce l’autorité parentale qu’elle soit ou non mariée avec le père de l’enfant; b) le père de l’enfant ne peut exercer l’autorité parentale que s’il est marié avec la mère de l’enfant ou était marié avec elle au moment de la conception de l’enfant ou l’a épousée par la suite." L’article 2 par. 1 est à son tour subordonné à l’article 3, qui permet à toute personne revendiquant un intérêt à demander au tribunal de rendre une ordonnance sur les droits parentaux (paragraphe 1). Dans l’obligation de tenir le bien-être de l’enfant pour la considération primordiale, le tribunal ne peut prendre pareille ordonnance que s’il a la conviction qu’elle servira l’intérêt de l’enfant (paragraphe 2). Le père naturel d’un enfant né hors mariage (qui ne peut y prétendre automatiquement en vertu de l’article 2 par. 1) peut obtenir l’autorité parentale (y compris les droits d’administration et de représentation, de garde ou de visite) en se prévalant de cette procédure auprès de la Court of Session ou de la Sheriff Court dont il dépend. Lorsque la mère donne son consentement, l’affaire est traitée rapidement. B. Mesures obligatoires de prise en charge En Ecosse, les dispositions applicables aux enfants pouvant requérir des mesures obligatoires de prise en charge figurent au titre III de la loi de 1968, complétée par des règlements et notamment celui de 1986 relatif à la procédure devant les commissions de l’enfance. Le cadre institutionnel a) L’autorité locale L’article 20 de la loi de 1968 investit l’autorité locale (en l’espèce, le conseil régional de Strathclyde) d’une responsabilité générale en matière de protection sociale dans son ressort. Plus précisément, elle a pour mission d’enquêter sur les enfants pouvant requérir des mesures obligatoires de prise en charge et de signaler leur cas au rapporteur, d’établir des rapports sur les enfants à l’intention des commissions de l’enfance et de mettre en oeuvre les décisions de celles-ci relatives aux placements sous tutelle. b) Le rapporteur En vertu de l’article 36 de la loi de 1968, le rapporteur est nommé par l’autorité locale. Bien qu’employé par elle, il est censé exercer son pouvoir d’appréciation en toute indépendance et ne relève pas du département des services sociaux. Il ne peut être révoqué sans le consentement du ministre. Il est notamment chargé de dire si une affaire doit être déférée à une commission de l’enfance et de prendre, s’il y a lieu, des dispositions pour que celle-ci puisse se réunir. c) Les commissions de l’enfance Les commissions de l’enfance décident si un enfant doit faire l’objet de mesures obligatoires de prise en charge et, dans l’affirmative, lesquelles. En vertu de l’article 34 de la loi de 1968, une commission se compose d’un président et de deux autres membres choisis au sein du collège des spécialistes de l’enfance (children’s panel). Le ministre en désigne un dans chaque collectivité locale. Les membres exercent leurs fonctions pendant une durée fixée par lui. Il peut les révoquer à tout moment, mais seulement avec l’accord du juge du rang le plus élevé en Ecosse, le Lord President de la Court of Session (article 33 de la loi de 1968, annexe 3 à celle-ci, et article 7 par. 1 de la loi de 1992 sur les organes juridictionnels et d’enquête (Tribunals and Inquiries Act 1992)). En pratique, les membres sont d’abord désignés pour une durée de deux ans puis, d’habitude, reconduits pour une nouvelle période, en principe de cinq ans. Ils ne sont relevés de leurs fonctions que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. En droit interne, une commission est considérée comme un organe juridictionnel ("tribunal"). Elle obéit à la législation applicable aux organes juridictionnels écossais (paragraphe 61 de l’annexe 1 à la loi de 1992 sur les organes juridictionnels et d’enquête). Ses membres passent pour bénéficier de l’immunité judiciaire, qui les met à l’abri de poursuites pour détention irrégulière ou diffamation, au même titre que les magistrats des juridictions inférieures. La commission peut examiner seulement les cas d’enfants que le rapporteur lui soumet et si certains "motifs de saisine" se trouvent établis, soit en accord avec l’enfant et son parent, soit à la suite d’une décision de la Sheriff Court. Parmi les motifs, énoncés à l’article 32 de la loi de 1968, figure celui-ci: "c) le défaut de soins de la part de ses parents risque de causer à l’enfant des souffrances évitables ou de porter gravement atteinte à sa santé ou à son développement." Ainsi, à défaut d’accord, la décision d’un juge sur les motifs de saisine, qui doit reposer sur tous les moyens de preuve appropriés, est essentielle pour que la commission puisse statuer. d) Le Sheriff Le Sheriff - tout juge de la Sheriff Court locale - a essentiellement pour tâche dans la procédure: a) de délivrer une ordonnance pour le maintien du placement de l’enfant en un lieu sûr, dans l’attente d’une audience, dans certaines conditions; b) de dire si les motifs de saisine de la commission se trouvent établis, dans le cas où l’enfant ou le parent ne les admettent pas; c) de connaître des recours contre des décisions des commissions. La procédure a) Mesures d’urgence A titre de mesure d’urgence pour protéger un enfant avant qu’il ou elle ne puisse être traduit(e) devant une commission de l’enfance, un juge peut autoriser une personne à emmener un enfant en un "lieu sûr", tel que le définit la loi de 1968, dans le cas où l’on a des raisons de penser que les soins parentaux font défaut (articles 37 par. 2 et 94 par. 1 de la loi de 1968). Pareil placement ne peut en aucun cas durer plus de sept jours. Le rapporteur doit en être informé immédiatement. S’il estime alors que des mesures obligatoires de prise en charge seront peut-être nécessaires, il doit organiser une commission qui examinera le cas (article 37 par. 4). Si la commission ne peut statuer, elle peut délivrer un mandat, renouvelable une fois, exigeant le placement pendant vingt et un jours au maximum (article 37 paras. 4 et 5). Passé ce délai, le rapporteur peut demander au Sheriff un mandat confirmant le placement pour une nouvelle période de vingt et un jours (article 37 par. 5A). L’enfant et ses parents ont le droit d’être entendus avant que pareil mandat ne soit décerné par une commission ou un Sheriff. b) Devoirs du rapporteur Le rapporteur est tenu d’aviser les parents d’un enfant de la date de réunion d’une commission de l’enfance au moins sept jours à l’avance. Il doit également leur communiquer avant la première audience un exposé des motifs de la saisine. Il doit encore demander à l’autorité locale un rapport sur l’enfant et son milieu social, et l’autorité locale a le devoir de le lui fournir (article 39 par. 4 de la loi de 1968). c) Personnes pouvant assister aux débats de la commission de l’enfance Un parent a le droit d’assister à toutes les phases de la procédure devant une commission. Le terme "parent" exclut le père d’un enfant né hors mariage, mais désigne toute personne à laquelle l’autorité parentale a été conférée en vertu de l’article 3 de la loi de 1986 (articles 4 par. 1 et 30 par. 2 de la loi de 1968). Un parent peut être représenté par toute personne de son choix (article 11 du règlement de 1986). d) Le tuteur Lorsque le président de la commission de l’enfance estime qu’il y a un conflit d’intérêt entre enfant et parent, il est habilité à désigner un tuteur pour représenter l’enfant (article 34A de la loi de 1968). e) Etablissement des motifs de saisine A la première audience de la commission, ses membres doivent s’assurer que l’enfant ou son parent accepte les motifs de la saisine. Si l’un et l’autre marquent leur accord, l’audience peut se poursuivre. Dans le cas contraire, la commission doit charger le rapporteur de demander à la Sheriff Court de déterminer si les motifs de la saisine sont établis. Une telle requête doit être présentée dans les sept jours et examinée dans les vingt-huit jours suivant son introduction. Les parents peuvent comparaître en tant que parties et se faire représenter. L’audience se déroule à huis clos, dans l’intérêt de l’enfant. Après l’audience, le Sheriff peut soit révoquer la saisine soit, s’il a la conviction que les motifs sont établis, transmettre l’affaire au rapporteur. Celui-ci organise alors une autre audience de la commission de l’enfance qui examinera le cas et arrêtera une décision (article 42 par. 6 de la loi de 1968). f) Examen de la cause par la commission de l’enfance A ce stade, après avoir discuté du cas avec l’enfant, le ou les parents, le tuteur et le représentant éventuels assistant à l’audience, la commission doit examiner les dispositions à prendre pour protéger au mieux les intérêts de l’enfant (article 43 de la loi de 1968). Elle peut notamment, 1) décider qu’aucune autre mesure ne s’impose et se dessaisir de l’affaire; 2) suspendre ses travaux en attendant de nouvelles investigations; 3) si elle estime que l’enfant requiert des mesures obligatoires de prise en charge, rendre une ordonnance de placement sous tutelle (sur ce point, voir le paragraphe 58 ci-dessous). Avant la fin de l’audience, le président doit informer l’enfant, le ou les parents, le tuteur éventuel et les représentants (s’ils assistent à l’audience) de la décision de la commission, des raisons sur lesquelles elle repose, du droit de l’enfant ou de ses parents d’en appeler de cette décision devant le Sheriff et de leur droit à recevoir communication par écrit des raisons de la décision. Cet exposé écrit doit alors leur être remis s’ils en font la demande. Tout parent, enfant ou tuteur qui n’a pas assisté aux débats doit être avisé par écrit de la décision, du droit d’en recevoir l’exposé des raisons et de celui d’interjeter appel (articles 19 par. 4 et 20 du règlement de 1986). Les commissions sont tenues d’examiner tout renseignement pertinent qui leur est communiqué (article 19 par. 2 a) du règlement de 1986). A l’exception de l’exposé des motifs de saisine, ces renseignements (parmi lesquels figurent le rapport, les documents ou informations éventuels communiqués par le rapporteur) ne sont pas en principe communiqués à l’enfant ou à ses parents. Toutefois, le président est tenu d’informer à l’audience l’enfant et ses parents de la teneur desdits rapports, documents ou renseignements, s’ils lui paraissent revêtir de l’importance pour la décision à rendre et dans le cas où leur divulgation ne nuira pas aux intérêts de l’enfant (article 19 par. 3 du règlement de 1986). g) Ordonnances de placement sous tutelle Les ordonnances de placement sous tutelle sont des décisions de la commission imposant des mesures obligatoires de prise en charge. Ainsi, elle peut mettre l’enfant sous tutelle en fixant certaines conditions, par exemple que l’enfant résidera dans un lieu déterminé autre qu’un établissement spécialisé - par exemple chez des parents nourriciers (article 44 par. 1 a) et b) de la loi de 1968). Une ordonnance de placement sous tutelle rend l’autorité locale responsable de la protection de l’enfant conformément aux conditions fixées par elle et lui confère les pouvoirs nécessaires pour exercer cette responsabilité. En revanche, elle ne l’investit pas formellement des droits parentaux de garde et ne supprime aucun droit parental. Ces droits sont subordonnés aux conditions fixées par l’ordonnance et, en cas d’incompatibilité avec elles, ils ne peuvent être exercés. Ainsi, le droit de garde ne peut être exercé quand une ordonnance de placement sous tutelle prévoit que l’enfant doit vivre dans un foyer d’accueil. Dans l’affaire Aitken v. Aitken (Session Cases 1978, p. 297), la Court of Session a indiqué qu’elle a la faculté d’accorder à une personne la garde de l’enfant lorsque l’ordonnance se trouve en vigueur, mais cette décision ne produirait ses effets que sous réserve des conditions prévues par l’ordonnance et la personne ne pourra exercer effectivement la garde tant que l’ordonnance demeurera en vigueur. Quant aux visites, la commission est habilitée à les subordonner à certaines conditions lorsqu’elle rend ou proroge une ordonnance de placement sous tutelle (voir l’affaire Kennedy v. A., Scots Law Times 1986, p. 358). A défaut d’une condition expresse, les parents ont un droit de visite raisonnable. Toutefois, une autorité locale a la compétence de mettre fin à ces visites lorsque cela s’avère nécessaire dans l’exercice des responsabilités que lui confère l’article 20 de la loi de 1968 (paragraphe 45 ci-dessus). Dans l’affaire Dewar v. Strathclyde Regional Council (Session Cases 1984, p. 102), la Court of Session a dit clairement que les tribunaux ne se prononcent pas sur des controverses entre les parents et l’autorité locale au sujet des visites. Si un parent conteste la décision d’une autorité locale en la matière, il lui appartient de demander à une commission de l’enfance de régler la question en ajoutant une condition concernant les visites à l’ordonnance de placement sous tutelle. La décision de la commission pourra être attaquée devant les tribunaux. Un parent a le droit de demander le réexamen d’une ordonnance de placement sous tutelle tous les six mois après le dernier contrôle (article 48 par. 4 de la loi de 1968) et peut user de ce droit pour obtenir une décision sur les visites. Selon la loi de 1968, un enfant ne doit pas être placé sous tutelle plus longtemps que son intérêt ne l’exige. Une commission doit réexaminer l’ordonnance a) à tout moment si l’autorité locale estime qu’elle devrait cesser de déployer ses effets ou être modifiée; b) dans le délai d’un an, ou à défaut elle cessera automatiquement de déployer ses effets; c) à la demande de l’enfant ou de l’un ou l’autre de ses parents, à l’expiration des délais suivants: i. trois mois à compter de la date de l’ordonnance de placement; ii. trois mois à compter de la date de toute modification de la condition de réexamen; iii. six mois à compter de tout autre réexamen (article 48 par. 4 de la loi de 1968). Le rapporteur doit prendre les dispositions nécessaires en vue des audiences de réexamen. Au terme de celui-ci, la commission peut mettre fin au placement sous tutelle, le maintenir ou en modifier les modalités (articles 47 par. 1 et 48 de la loi de 1968). h) Appel contre la décision d’une commission Dans le délai de trois semaines à compter de la décision d’une commission, l’enfant, le parent ou l’un et l’autre peuvent l’attaquer devant le Sheriff (article 49 par. 1 de la loi de 1968). Cela vaut pour toutes les décisions. Le rapporteur est tenu de veiller à ce que tous les rapports et déclarations dont est saisie la commission ainsi que les comptes rendus de ses débats et la motivation de ses décisions soient déposés auprès du greffier de la Sheriff Court. En pratique, ces pièces ne sont pas, communiquées aux parents. L’appel est examiné à huis clos, dans l’intérêt de l’enfant. Le Sheriff doit entendre d’abord l’appelant ou son représentant et le tuteur éventuellement désigné. Lorsqu’une irrégularité dans la conduite de l’affaire est invoquée, si les faits ne sont pas reconnus par le rapporteur, le Sheriff doit examiner les éléments de preuve soumis par l’auteur de l’appel ou en son nom et le rapporteur au sujet de l’irrégularité. Il pose alors des questions, s’il le juge bon, au rapporteur, aux auteurs des comptes rendus et déclarations en sa possession ou à ceux qui les ont recueillis. Il peut demander des rapports ou des déclarations complémentaires s’il l’estime utile. L’enfant et les parents ainsi que le tuteur ont normalement le droit d’assister à toutes les phases de cette procédure. Le Sheriff accueille le recours s’il estime que la procédure suivie par la commission est entachée d’un vice, ou que celle-ci n’a pas suffisamment pris en compte tel ou tel élément de la cause. Lorsqu’il estime l’appel non fondé, il confirme la décision de la commission. Dans le cas où il accueille le recours, les différentes possibilités suivantes s’offrent à lui: a) dans le cas où le recours est dirigé contre un mandat de placement, il peut lever celui-ci; b) dans tout autre cas, soit il renvoie l’affaire à la commission pour qu’elle la réexamine, soit il relève l’enfant de toute nouvelle procédure qui aurait pour base les motifs de saisine initiaux (article 49 par. 5 de la loi de 1968). Tant que l’appel est pendant, l’enfant ou ses parents peuvent s’adresser à une commission pour demander la suspension de l’ordonnance de placement sous tutelle. Le rapporteur est alors tenu d’organiser une audience, où la demande sera accueillie ou écartée (article 49 par. 8 de la loi de 1968). C. La procédure d’adoption en Ecosse La procédure d’adoption se trouve régie par la loi de 1978 sur l’adoption en Ecosse (Adoption (Scotland) Act 1978, "la loi de 1978"). En vertu de la loi de 1978, une ordonnance déclarant l’enfant adoptable peut être rendue par la Court of Session ou la Sheriff Court. La procédure à cette fin permet à l’enfant de vivre chez les candidats à l’adoption dans la période antérieure à l’adoption sans risque que les parents par le sang le réclament. Avant de rendre l’ordonnance, la cour doit s’assurer en ce qui concerne chaque parent ou le tuteur de l’enfant que: a) soit il ou elle consent librement, et en toute connaissance de cause, de manière générale et sans condition, à ce que l’ordonnance d’adoption soit rendue; b) soit il y a lieu de se passer de son consentement à l’ordonnance d’adoption pour l’un des motifs énoncés, parmi lesquels le fait que le parent ou le tuteur (guardian) refuse abusivement son consentement (article 16 par. 2 de la loi de 1978). Aux fins de la loi de 1978, le père naturel d’un enfant né hors mariage n’est considéré comme un "parent" ou "tuteur" que s’il a épousé la mère par la suite ou si une ordonnance lui conférant l’autorité parentale a été rendue en sa faveur. Une ordonnance déclarant un enfant adoptable a pour effet de conférer les droits et devoirs parentaux à l’organisme d’adoption (c’est-à-dire une autorité locale ou un service d’adoption agréé) et de faire disparaître les droits parentaux existants. Une fois déclaré adoptable, l’enfant réside d’habitude pendant un certain temps chez les candidats à l’adoption, lesquels demandent ensuite une ordonnance d’adoption. Une ordonnance de la Sheriff Court déclarant un enfant adoptable est susceptible de recours devant la Court of Session. Celle-ci a plénitude de juridiction à cet égard. Elle se fonde d’ordinaire sur les constats de fait du Sheriff mais n’est pas tenue d’agir ainsi. Elle peut, le cas échéant, recueillir elle-même des éléments de preuve ou renvoyer la cause devant le Sheriff en lui donnant des instructions quant à la manière de procéder. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme McMichael ont saisi la Commission (requête no 16424/90) le 11 octobre 1989. Ils se plaignaient d’avoir été privés des soins et de la garde de leur fils A. et, partant, de leur droit à fonder une famille, ainsi que de celui de rendre visite à leur enfant qui avait pour finir était déclaré adoptable. Ils prétendaient n’avoir pas été entendus équitablement devant la commission de l’enfance et n’avoir pas eu accès aux rapports confidentiels et autres pièces qui lui avaient été communiqués. Le premier requérant soutenait aussi que, père naturel, il n’avait aucun droit légal à obtenir la garde de A. ou à prendre part à la procédure relative à la garde ou à l’adoption et qu’il avait en conséquence fait l’objet d’une discrimination. Le 8 décembre 1992, la Commission a écarté pour défaut manifeste de fondement les griefs des requérants dirigés contre la prise en charge de A., la suppression des visites à A. et l’autorisation d’adoption concernant A. Elle a retenu la requête pour le surplus. Dans son rapport du 31 août 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention; b) par onze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) à l’égard du premier requérant; c) à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) à l’égard de la seconde requérante; d) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (art. 14) à l’égard du premier requérant. Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 20 septembre 1994, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions de son mémoire, par lesquelles il admettait qu’il y avait eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) dans le chef de la seconde requérante, mais invitait la Cour à dire: "1) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef du premier requérant; 2) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef du premier requérant; 3) qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 8 (art. 8) de la Convention en ce qui concerne la seconde requérante; et 4) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (art. 14) de la Convention dans le chef du premier requérant". A la même occasion, les requérants ont eux aussi maintenu en substance les conclusions de la fin de leur mémoire, où ils invoquaient "(premièrement) l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, au libellé duquel [ils renvoyaient] et sur lequel [ils se fondaient] pour dire qu’en l’espèce, le défaut d’accès aux informations [était] contraire à cette disposition (art. 6-1), et (deuxièmement) l’article 8 (art. 8) de ladite Convention, au libellé duquel [ils renvoyaient] et sur lequel [ils se fondaient] en ce qui concerne la vie privée et familiale, et cetera, lui aussi violé en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne allemande domiciliée à Remagen, Mme Dorothée Piermont est de longue date militante écologiste et pacifiste. A l’époque des faits, elle siégeait au Parlement européen. A. La mesure prise en Polynésie française L’arrêté d’expulsion et d’interdiction d’entrée Conviée par M. Oscar Temaru, président du Front de libération de la Polynésie française, la requérante séjourna sur le territoire polynésien du 24 février au 3 mars 1986, soit pendant la campagne électorale précédant les élections législatives et les élections à l’assemblée territoriale qui devaient avoir lieu le 16 mars. Dès sa descente d’avion et sur ordre du Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, la police de l’air et des frontières l’invita à observer dans ses propos une certaine réserve à l’égard des affaires intérieures françaises, faute de quoi elle risquait d’être expulsée. Mme Piermont participa le 28 février 1986 à une réunion publique et le 1er mars, avec environ neuf cents autres personnes, à la traditionnelle marche indépendantiste et antinucléaire. Moins suivie que l’année précédente, cette manifestation se déroula sans incident dans les rues de Faaa, ville limitrophe de Papeete où elle avait été interdite par un arrêté du Haut-Commissaire en raison des risques de "troubles graves à l’ordre public". La requérante y dénonça la poursuite des essais nucléaires et la présence française dans le Pacifique. Ses propos furent ainsi rapportés par les journaux: "Mme Piermont avait pris la parole en français pour évoquer notamment les circonstances dans lesquelles, à son arrivée à l’aéroport de Tahiti, ‘le chef des flics’ responsable de la police air-frontière l’avait mise en garde contre l’ingérence que constituerait, en période de campagne électorale, une participation à une manifestation publique. Mme Piermont, ayant répondu à la police qu’elle manifesterait si elle y était invitée, avait déclaré samedi aux manifestants rassemblés autour d’elle qu’en fait d’ingérence, la présence française en était une dans les affaires des Polynésiens, ingérence matérialisée, selon elle, par les essais nucléaires à Mururoa. Estimant qu’en Polynésie française, l’ensemble de la presse s’oppose à l’évolution vers l’indépendance et se montre favorable à la poursuite des essais nucléaires, Mme Piermont avait annoncé que les `verts’ allemands avaient décidé de faire don d’un million de [francs] CFP au Front de libération de la Polynésie pour créer ‘un journal qui dira la vérité’." Le lendemain, 2 mars 1986, le Haut-Commissaire prit à l’encontre de la requérante un arrêté prononçant son expulsion et l’interdiction de toute nouvelle entrée sur le territoire. Il se fonda sur les raisons suivantes: "Considérant que tout ressortissant étranger se doit de respecter une certaine neutralité vis-à-vis du territoire de la République française qui l’accueille; Considérant que malgré la mise en garde verbale sur l’obligation de réserve à respecter, tout particulièrement en période de campagne électorale, faite à son arrivée le 24 février 1986, Mme Piermont a, lors d’une manifestation publique sur le thème de l’indépendance du territoire et de l’opposition aux essais nucléaires, déclaré que la France commettait des actes d’ingérence dans les affaires polynésiennes; Considérant que ces déclarations portent atteinte à la politique de la France." Ledit arrêté fut notifié à l’intéressée le 3 mars 1986 alors qu’elle se trouvait déjà installée à bord de l’avion qui devait la conduire en Nouvelle-Calédonie. Le recours en annulation a) Devant le tribunal administratif de Papeete Le 15 avril 1986, Mme Piermont saisit le tribunal administratif de Papeete de deux demandes tendant l’une à obtenir le sursis à exécution de la décision, l’autre son annulation. La juridiction repoussa la première le 8 juillet 1986. En revanche, par un jugement du 23 décembre 1986, elle accueillit la seconde par les motifs suivants: "Considérant que selon les dispositions de l’article 7 de la loi (...) du 3 décembre 1849 (...) le représentant de l’Etat peut ‘par mesure de police’ enjoindre à tout étranger de sortir immédiatement du territoire français; que si le représentant de l’Etat dans le territoire tient non seulement de ces dispositions (...) un large pouvoir discrétionnaire en vue de lui permettre d’assurer efficacement le maintien de l’ordre, il doit, en tout état de cause, concilier le pouvoir qui lui est ainsi conféré avec le respect des libertés de circulation et d’expression qui sont garanties non seulement par les textes de la Communauté européenne mais d’abord par la Constitution et les principes généraux du droit que la République reconnaît tant à ses propres nationaux qu’à ceux des étrangers dont la présence et l’attitude sur le territoire ne constituent pas une menace pour l’ordre public; que la conciliation dont il s’agit implique l’obligation d’adapter rigoureusement la mesure de police à intervenir aux strictes nécessités du maintien ou du rétablissement de l’ordre public; Considérant d’une part que les propos tenus par la requérante (...) ne présentaient aucun caractère séditieux et ne pouvaient en eux-mêmes constituer un risque sérieux de troubles de l’ordre public; qu’ils n’étaient dès lors pas de nature à justifier la mesure litigieuse; Considérant d’autre part, et au surplus, qu’il ressort des pièces du dossier que cette mesure a été décidée au moment où l’intéressée s’apprêtait à quitter spontanément le territoire; qu’elle ne pouvait plus, dans ces conditions, être regardée comme indispensable au maintien de l’ordre sur le territoire; Considérant qu’il suit de là, et sans qu’il soit besoin de faire appel à l’ordre juridique international ou communautaire, que les principes généraux du droit interne suffisent à établir que la décision litigieuse est entachée d’excès de pouvoir; qu’elle encourt de ce fait l’annulation." b) Devant le Conseil d’Etat Le ministre des Départements et Territoires d’outre-mer saisit le Conseil d’Etat le 16 mars 1987 afin qu’il annulât le jugement. Le 12 mai 1989, le Conseil d’Etat accueillit la requête en se fondant sur les raisons ci-après: "Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme Piermont a, lors de son séjour en Polynésie française, tenu au cours de manifestations publiques organisées pendant la campagne pour les élections législatives et pour les élections à l’assemblée territoriale, des propos violemment hostiles à la politique de défense de la France et à l’intégrité de son territoire; qu’en estimant, dans les circonstances de l’affaire, que les agissements de Mme Piermont constituaient une menace pour l’ordre public et en décidant pour ces motifs d’enjoindre à l’intéressée de quitter le territoire, le Haut-Commissaire de la République n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation; que, dès lors, le ministre des Départements et Territoires d’outre-mer est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Papeete, pour annuler l’arrêté du 2 mars 1986, s’est fondé sur l’absence de motifs de nature à justifier l’expulsion de Mme Piermont; (...) Considérant qu’en l’absence de dispositions la rendant applicable au territoire de la Polynésie et Dépendances, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre le public et l’administration, est sans application dans ce territoire; qu’aucune autre disposition législative ou réglementaire n’impose la motivation d’une mesure de police; Considérant que si Mme Piermont invoque les stipulations du Traité de Rome sur la libre circulation sur le territoire des Etats membres, les articles 135 et 227 du Traité renvoient la mise en oeuvre de cette liberté dans les pays associés, dont font partie les territoires d’outre-mer français, à des conventions ultérieures qui requièrent l’unanimité des Etats membres; qu’en l’absence de telles conventions, le moyen ne saurait en tout état de cause être accueilli; Considérant que les privilèges et immunités reconnus aux membres du Parlement européen par les articles 6 à 11 du Protocole du 8 avril 1965, assurent à ceux-ci le libre déplacement pour se rendre au Parlement et les protègent contre toute mesure de poursuite ou de détention durant ses réunions, mais ne sauraient faire obstacle à l’édiction d’une mesure de police de la nature de celle qui a été prise à l’encontre de Mme Piermont; Considérant enfin que la mesure attaquée ne porte pas atteinte à la liberté d’expression définie aux articles 10 et 14 (art. 10, art. 14) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et relève de l’article 2 alinéa 3 du Protocole no 4 (P4-2) annexé à ladite Convention, qui autorise les restrictions à la libre circulation fondées sur les impératifs de sécurité nationale, de sûreté publique et d’ordre public;" B. La mesure prise en Nouvelle-Calédonie L’arrêté d’interdiction d’entrée Après avoir quitté la Polynésie le 3 mars 1986 (paragraphe 13 ci-dessus), Mme Piermont se rendit en Nouvelle-Calédonie, invitée par des élus locaux, dont le président du Front de libération nationale kanake socialiste. Le 4, à 13 h 55, elle débarqua à l’aéroport de Nouméa. Après qu’elle eut subi, avec les autres passagers, le contrôle des agents de la police de l’air et des frontières, lesquels oblitérèrent son passeport, un fonctionnaire de police l’interpella et la conduisit dans un bureau de l’aéroport où elle fut retenue jusqu’à son départ. Avisés de la venue de la requérante, une quarantaine de militants dits loyalistes l’attendaient pour exprimer leur hostilité à sa présence sur le territoire. Ils firent savoir qu’ils ne partiraient que sous la contrainte tant que le député européen serait sur le sol calédonien. Devant les risques d’affrontement et après de vaines tentatives de conciliation, le Haut-Commissaire de la République prit le soir même un arrêté interdisant l’entrée de Mme Piermont sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, ainsi motivé: "Vu l’arrêté d’expulsion et d’interdiction d’entrée du Haut-Commissaire de la République en Polynésie française concernant Mme Piermont (...) en date du 2 mars 1986, Considérant que la présence sur le territoire de Nouvelle-Calédonie et Dépendances, notamment en période de campagne électorale, de Madame Piermont Dorothée, de nationalité allemande (R.F.A.), suscite et est de nature à susciter des troubles à l’ordre public (...)" Un commissaire de police lui notifia cet arrêté dans l’enceinte même de l’aéroport aux environs de 18 h 30. Vers minuit, la requérante fut embarquée sur un vol à destination de Tokyo, son passeport à nouveau dûment oblitéré. Le recours en annulation a) Devant le tribunal administratif de Nouméa Le 23 avril 1986, Mme Piermont saisit le tribunal administratif de Nouméa d’une requête en annulation de l’arrêté lui interdisant l’entrée en Nouvelle-Calédonie. Par un jugement du 24 décembre 1986, qui suivait les conclusions du commissaire du gouvernement, ledit tribunal annula la décision incriminée pour défaut de motivation. Il déclara: "Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs ‘(...) doivent être motivées les décisions qui (...) restreignent l’exercice des libertés publiques ou de manière générale constituent une mesure de police’; qu’aux termes de l’article 3 de la même loi ‘la motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision’; Considérant que si l’arrêté attaqué vise l’arrêté du 2 mars 1986 du Haut-Commissaire de la République en Polynésie française, prononçant l’expulsion et l’interdiction d’entrée de Mme Piermont sur ce dernier territoire, le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et Dépendances ne déclara pas s’approprier les termes de cet arrêté dont le texte n’est ni incorporé ni joint à sa décision; que ce visa n’a pu, dès lors, tenir lieu de la motivation exigée par la loi; Considérant, par ailleurs, qu’en se bornant à indiquer que ‘la présence sur le territoire de Nouvelle-Calédonie et Dépendances, notamment en période de campagne électorale, de Mme Dorothée Piermont, de nationalité allemande (R.F.A.), suscite et est de nature à susciter des troubles à l’ordre public’ sans préciser les éléments de fait à la base de cette mesure de police, le Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie et Dépendances n’a pas satisfait aux exigences de l’article 3 de la loi précitée; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, Mme Piermont est fondée à demander l’annulation de cet arrêté;" b) Devant le Conseil d’Etat Le ministre des Départements et Territoires d’outre-mer interjeta appel le 16 mars 1987 devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt du 12 mai 1989, ce dernier annula le jugement attaqué. Après avoir constaté la non-applicabilité au territoire de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances de la loi susmentionnée du 11 juillet 1979, il se fonda sur les motifs suivants: "Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France, maintenue en vigueur dans les territoires d’outre-mer et applicable dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances: ‘le ministre de l’intérieur pourra par mesure de police enjoindre à un étranger voyageant ou résidant en France de sortir immédiatement du territoire français et le faire reconduire à la frontière’; (...) que compte tenu tant des agissements de Mme Piermont au cours des jours précédents que des troubles provoqués par l’annonce de son arrivée sur le territoire, le Haut-Commissaire, en estimant que la présence de Mme Piermont constituerait une menace pour l’ordre public et en interdisant par ce motif l’accès du territoire de la Nouvelle-Calédonie à l’intéressée, n’a entaché sa décision d’aucune erreur manifeste d’appréciation; Considérant que si Mme Piermont invoque les stipulations du Traité de Rome sur la libre circulation sur le territoire des Etats membres, les articles 135 et 227 du Traité renvoient la mise en oeuvre de cette liberté dans les pays associés, dont font partie les territoires d’outre-mer français, à des conventions ultérieures qui requièrent l’unanimité des Etats membres; qu’en l’absence de telles conventions, le moyen ne saurait en tout état de cause être accueilli; Considérant que les privilèges et immunités reconnus aux membres du Parlement européen par les articles 6 à 11 du Protocole du 8 avril 1965, assurent à ceux-ci le libre déplacement pour se rendre au Parlement et les protège contre toute mesure de poursuite ou de détention durant ses réunions, mais ne sauraient faire obstacle à l’édiction d’une mesure de police de la nature de celle qui a été prise à l’encontre de Mme Piermont; Considérant enfin que la mesure attaquée ne porte pas atteinte à la liberté d’expression définie aux articles 10 et 14 (art. 10, art. 14) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et relève de l’article 2 alinéa 3 du Protocole no 4 (P4-2) annexé à ladite Convention, qui autorise les restrictions à la libre circulation fondées sur les impératifs de sécurité nationale, de sûreté publique et d’ordre public." L’abrogation de l’arrêté Le 23 novembre 1994, le Haut-Commissaire de la République abrogea de son propre chef l’arrêté du 4 mars 1986 au motif qu’il n’y avait "plus lieu, eu égard aux circonstances actuelles, de s’opposer à l’entrée sur le territoire de Nouvelle-Calédonie de Mme Piermont". II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. Le droit français Généralités Les territoires d’outre-mer ("les TOM") français font partie intégrante du territoire de la République. Toutefois, en vertu du principe de spécialité législative (articles 74 et 76 de la Constitution), un texte n’est applicable dans les TOM que s’il prévoit expressément ladite application ou s’il y a été promulgué. Lors du dépôt le 3 mai 1974 des instruments de ratification de la Convention et du Protocole no 4 (P4), l’Etat français a déclaré que ces textes s’appliqueront "à l’ensemble du territoire de la République, compte tenu, en ce qui concerne les territoire d’outre-mer, des nécessités locales auxquelles l’article 63 (art. 63) de la Convention fait référence". L’entrée et le séjour des étrangers a) La législation En vigueur en France métropolitaine, l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France n’a pas été promulguée dans les TOM et n’y est donc pas applicable. Le texte régissant la matière est une loi du 3 décembre 1849 relative à la naturalisation et au séjour des étrangers dont l’article 7, premier alinéa, dispose: "Le ministre de l’Intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France, de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière." Cette loi a été déclarée applicable aux colonies par celle du 29 mai 1874. La loi du 6 septembre 1984 confère, dans les TOM, les pouvoirs du ministre de l’Intérieur au Haut-Commissaire de la République. b) La jurisprudence du Conseil d’Etat En matière d’expulsion ou de refus d’accès sur le territoire, le contrôle exercé par le Conseil d’Etat, à l’époque des faits, se limitait à celui de l’erreur manifeste d’appréciation (voir, par exemple, l’arrêt Office national d’immigration du 22 octobre 1975, Recueil Lebon 1975, p. 520, et, concernant une expulsion de Nouvelle- Calédonie, l’arrêt Julbe-Saez du 6 octobre 1978, Recueil Lebon 1978, p. 900). Plus particulièrement à propos des activités politiques des étrangers, le Conseil d’Etat a considéré, dans l’arrêt Perregaux du 13 mai 1977 (Recueil Lebon 1977, p. 216), qu’"un comportement politique n’[était] pas à lui seul de nature à justifier légalement l’expulsion d’un étranger dont la présence sur le territoire français ne constituerait pas une menace pour l’ordre public". B. Le droit communautaire Le champ d’application du traité instituant la Communauté économique européenne A l’époque des faits, l’article 227 du traité instituant la Communauté économique européenne ("le traité CEE"), était ainsi rédigé: "1. Le présent traité s’applique au royaume de Belgique, au royaume de Danemark, à la république fédérale d’Allemagne, à la République hellénique, au royaume d’Espagne, à la République française, à l’Irlande, à la République italienne, au grand-duché de Luxembourg, au royaume des Pays-Bas, à la République portugaise et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. En ce qui concerne l’Algérie et les départements français d’outre-mer, les dispositions particulières et générales du présent traité relatives: - à la libre circulation de marchandises, - à l’agriculture, à l’exception de l’article 40, paragraphe 4, - à la libération des services, - aux règles de concurrence, - aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 108, 109 et 226, - aux institutions, sont applicables dès l’entrée en vigueur du présent traité. Les conditions d’application des autres dispositions du présent traité seront déterminées au plus tard deux ans après son entrée en vigueur, par des décisions du Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission. Les institutions de la Communauté veilleront, dans le cadre des procédures prévues par le présent traité et notamment de l’article 226, à permettre le développement économique et social de ces régions. Les pays et territoires d’outre-mer dont la liste figure à l’annexe IV du présent traité font l’objet du régime spécial d’association défini dans la quatrième partie de ce traité. Le présent traité ne s’applique pas aux pays et territoires d’outre-mer entretenant des relations particulières avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord qui ne sont pas mentionnés dans la liste précitée." Les TOM, dont la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, figurent parmi les territoires énumérés à l’annexe IV du traité CEE. Les articles 131 à 136 bis de ce dernier fixent leur régime spécial d’association. Au sujet de la liberté de circulation des travailleurs, les articles 48 et 135 sont ainsi libellés: Article 48 "1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté au plus tard à l’expiration de la période de transition. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique: a) de répondre à des emplois effectivement offerts, b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des Etats membres, c) de séjourner dans un des Etats membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux, d) de demeurer, dans les conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un Etat membre, après y avoir occupé un emploi. (...)" Article 135 "Sous réserve des dispositions qui régissent la santé publique, la sécurité publique et l’ordre public, la liberté de circulation des travailleurs des [TOM] dans les Etats membres et des travailleurs des Etats membres dans les [TOM] sera réglée par des conventions ultérieures qui requièrent l’unanimité des Etats membres." Les modalités et la procédure de l’association à la CEE des pays et territoires d’outre-mer se trouvent définies par une convention d’application du 16 décembre 1980, renouvelée le 30 juin 1986. Le régime tend au développement économique et social des territoires concernés mais ne comporte pas de liberté de circulation. Le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes Le protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, signé le 8 avril 1965, comporte un chapitre III relatif aux membres du Parlement européen ainsi libellé: Article 8 "Aucune restriction d’ordre administratif ou autre n’est apportée au libre déplacement des membres du Parlement européen se rendant au lieu de réunion du Parlement européen ou en revenant. Les membres du Parlement européen se voient accorder en matière de douane et de contrôle des changes: a) par leur propre gouvernement, les mêmes facilités que celles reconnues aux hauts fonctionnaires se rendant à l’étranger en mission officielle temporaire; b) par les gouvernements des autres Etats membres, les mêmes facilités que celles reconnues aux représentants de gouvernements étrangers en mission officielle temporaire." Article 9 "Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions." Article 10 "Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient: a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du Parlement de leur pays; b) sur le territoire de tout autre Etat membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent. L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Piermont a saisi la Commission les 6 et 8 novembre 1989. Elle alléguait que les mesures administratives prises à son encontre en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie enfreignaient plusieurs dispositions de la Convention: l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2) pour méconnaissance de son droit à la libre circulation sur le territoire français; l’article 10 (art. 10) de la Convention pour entrave à sa liberté d’expression; l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 10 (art. 14+10), pour discrimination fondée sur l’origine nationale. La Commission, après avoir ordonné la jonction des requêtes (nos 15773/89 et 15774/89), les a retenues le 3 décembre 1992. Dans son rapport du 20 janvier 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut a) que la mesure d’expulsion de Polynésie française, assortie d’une interdiction d’y entrer, n’enfreignait pas l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2) (unanimité), mais violait l’article 10 (art. 10) de la Convention (huit voix contre six); b) que la mesure d’interdiction d’entrer sur le territoire de Nouvelle-Calédonie ne violait ni l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2) (treize voix contre une) ni l’article 10 (art. 10) de la Convention tant pris isolément (douze voix contre deux) que combiné avec l’article 14 (art. 14+10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de rejeter la requête" de Mme Piermont. Quant au conseil de la requérante, il a invité la Cour à conclure: "- à la violation de l’article 10 (art. 10) en Polynésie française, pris tant isolément que combiné à l’article 14 (art. 14+10); - à la violation de l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2) en Polynésie française; - à la violation de l’article 10 (art. 10) en Nouvelle-Calédonie, pris tant isolément que combiné avec l’article 14 (art. 14+10); - à la violation de l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2) en Nouvelle-Calédonie; (...)"
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I. Les circonstances de l'espèce A. Contexte du litige De 1983 à 1987, plusieurs incidents suscitèrent des préoccupations quant à l'efficacité des dispositifs de sécurité de la société requérante à l'aéroport d'Heathrow, à Londres: 1) Entre novembre 1983 et septembre 1984, plusieurs conteneurs, dont les services des douanes (Customs and Excise) pensaient qu'ils renfermaient de la drogue, disparurent du hangar de transit d'Air Canada. 2) En mars 1986, 809 kg de résine de cannabis furent découverts dans un conteneur en provenance de l'Inde (New Delhi). 3) En mai 1986, un conteneur en provenance de Thaïlande, qui avait été soustrait à la zone contrôlée, fut intercepté et l'on y découvrit 300 kg de résine de cannabis. Deux membres du personnel d'Air Canada furent, par la suite, reconnus coupables d'infractions liées à l'importation de résine de cannabis. 4) Le 11 juin 1986, les services des douanes écrivirent au responsable du centre de fret de la société requérante, afin de lui exprimer leurs préoccupations au sujet de l'entrée en contrebande de grandes quantités de drogue dans le pays avec l'assistance du personnel d'Air Canada. Dans sa réponse, celle-ci s'engagea à améliorer sa sécurité. 5) Le 15 décembre 1986, les services des douanes écrivirent à tous les responsables des compagnies aériennes aux aéroports de Heathrow et Gatwick, pour les avertir des sanctions qu'ils encourraient si des importations illégales étaient découvertes à bord de leurs appareils. La lettre précisait notamment que dans l'hypothèse où un avion servirait au transport d'une marchandise confiscable, les inspecteurs des douanes "envisager[aient] d'user des pouvoirs dont la loi les investit, y compris ceux de saisir et confisquer l'appareil ou, à défaut, d'imposer des sanctions pécuniaires". 6) Le 31 décembre 1986, les services des douanes écrivirent de nouveau à la société requérante pour l'informer qu'ils prélèveraient 2 000 livres sterling ("GBP") sur sa caution, en application de l'article 152 de la loi de 1979 sur les douanes (Customs and Excise Management Act, "la loi de 1979") à raison de précédents manquements à la sécurité. 7) Entre novembre 1986 et janvier 1987, un autre conteneur fut enlevé du hangar de transit d'Air Canada sans autorisation du service compétent et un laps de temps considérable s'écoula avant que la société requérante n'en avisât les douanes. Il fut décidé de retenir 5 000 GBP sur la caution d'Air Canada. B. Découverte d'une cargaison de résine de cannabis Le 26 avril 1987, un avion Tristar, propriété de la société requérante et exploité par elle, d'une valeur supérieure à 60 millions de livres, atterrit à l'aéroport d'Heathrow à Londres, où il débarqua des marchandises, dont un conteneur qui, à son ouverture, se révéla renfermer 331 kg de résine de cannabis, estimés à 800 000 GBP. Le numéro de la lettre de transport aérien du conteneur était faux, le système informatique fret ne disposait d'aucune donnée sur le conteneur et aucune lettre de transport aérien n'avait été établie et envoyée au sujet de celui-ci. L'avion empruntait une ligne programmée et régulière depuis Singapour et se dirigeait vers Toronto avec escale à Bombay et Heathrow. Il transportait tant des passagers payants que des marchandises. C. Action des inspecteurs des douanes Le 1er mai 1987 au matin, des inspecteurs des douanes ("les inspecteurs"), en vertu des pouvoirs que leur conférait l'article 139 par. 1 de la loi de 1979, saisirent l'appareil, confiscable selon eux au regard de l'article 141 par. 1 de ladite loi. Les passagers attendaient l'embarquement. Le même jour, dans l'exercice des pouvoirs prévus à l'article 139 par. 5 de la loi de 1979 et au paragraphe 16 de l'annexe 3 à celle-ci, les inspecteurs restituèrent l'avion à la société requérante moyennant paiement d'une peine pécuniaire, à savoir une traite de 50 000 GBP. A l'époque, on n'indiqua nullement à la société requérante pourquoi l'on avait décidé de saisir l'avion ou d'imposer la peine. C'est seulement au cours de la procédure devant la Commission européenne des Droits de l'Homme que le Gouvernement a avancé les problèmes de sécurité antérieurs (paragraphe 6 ci-dessus) comme explication des mesures prises par les inspecteurs. D. Procédure devant la High Court Le 20 mai 1987, la société requérante déposa un recours par lequel elle contestait que l'avion fût confiscable. Les inspecteurs engagèrent en conséquence une action en confiscation devant la High Court afin qu'elle confirmât notamment que l'avion était confiscable au moment de la saisie conformément au paragraphe 6 de l'annexe 3 (paragraphe 18 ci-dessous). Le 18 juin 1988, un Master de la High Court rendit une ordonnance dont les termes étaient acceptés par les parties et selon laquelle il y avait lieu de statuer sur les questions préjudicielles ci-après: "1) Les faits suivants: a) la découverte de résine de cannabis dans le conteneur ULD6075AC et b) le transport par l'appareil dont il s'agit de ce conteneur sur le vol AC859 du 26 avril 1987 constituaient-ils à eux seuls une "utilisation de l'avion pour le transport d'une marchandise confiscable" au sens de l'article 141 par. 1 a) de la loi de 1979 sur les douanes, de nature à en justifier la saisie ultérieure le 1er mai 1987? 2) Les défendeurs ont-ils un moyen de défense à opposer aux plaignants [les inspecteurs] dans la présente action s'ils établissent qu'ils ignoraient que le conteneur susvisé renfermait de la résine de cannabis et n'avaient pas témoigné d'insouciance en ce qu'ils n'en avaient pas découvert le contenu? 3) Les défendeurs ont-ils un moyen de défense à opposer aux plaignants dans la présente action s'ils établissent qu'ils n'auraient pu, en témoignant d'une vigilance raisonnable, découvrir que du cannabis avait été dissimulé et caché ou était transporté dans le conteneur et que l'exercice d'une vigilance raisonnable n'aurait pu empêcher la dissimulation dans le conteneur? 4) Est-il nécessaire que les plaignants prouvent dans cette instance: i. que les défendeurs savaient ou auraient dû savoir que de la résine de cannabis se trouvait à bord de l'avion le 26 avril 1987 et/ou ii. que l'avion n'effectuait pas un voyage régulièrement programmé et licite?" Le 7 novembre 1988, le juge Tucker, prononçant le jugement de la High Court (Weekly Law Reports 1989, vol. 2, p. 589), conclut en ces termes: "Je ne pense pas que le rédacteur de la loi de 1979 avait à l'esprit la situation dont nous avons à connaître. Je ne puis croire que le parlement entendait que l'exploitant innocent et de bonne foi d'un avion présentant un grand intérêt sur un vol international programmé encoure le risque de voir ledit avion confisqué si, à son insu et sans aucune insouciance de sa part, une personne mal intentionnée introduit à bord de l'avion des marchandises en contrebande ou dont la distribution est interdite." Il statua ainsi sur les questions préjudicielles: "1. Non. A eux seuls ces faits ne constituent pas une "utilisation de l'avion pour le transport d'une marchandise confiscable". Oui. C'est un moyen de défense. Oui. C'est un moyen de défense. Il est nécessaire que les plaignants prouvent dans la présente instance: i) que les défendeurs savaient ou auraient dû savoir que de la résine de cannabis se trouvait à bord de l'avion le 26 avril 1987; ou (mais non et) ii) que l'avion ne faisait pas un voyage régulièrement programmé et licite." E. Procédure devant la Court of Appeal Le 14 juin 1990, la Court of Appeal infirma la décision de la High Court (Customs and Excise Commissioners v. Air Canada, Queen's Bench Division 1991, vol. 2, p. 446). Lord Justice Purchas dit ceci (pp. 467-468): "La formulation de l'article 141 est, selon moi, claire et sans ambiguïté et n'autorise aucune implication ou interprétation évocatrice d'un élément équivalant à l'intention criminelle (mens rea) et ne concerne aucunement une personne au sens le plus large du terme, qu'il s'agisse d'un utilisateur, d'un propriétaire ou d'un détenteur, mais est liée exclusivement à l'utilisation de 'la chose' pour l'exécution de l'infraction qui a rendu les biens confiscables. (...) Selon moi, les circonstances atténuantes prévues à l'article 152 et au paragraphe 16 de l'annexe 3 révèlent clairement que le parlement se proposait de laisser aux inspecteurs [certains] éléments d'appréciation. En outre, l'exercice de ce pouvoir d'appréciation sera facilement susceptible de contrôle judiciaire en vertu du titre 53 du règlement de la Cour suprême. (...) Je me bornerai à relever qu'il se peut qu'il y ait des arguments valables à invoquer pour exclure les avions à réaction intercontinentaux ou gros porteurs volant sur des lignes régulières du champ d'application de l'article 141 par. 1 dans la même mesure que les navires dépassant une certaine taille ont été exclus et de les faire tomber sous l'empire de l'article 142 (...)" Les réponses aux questions préjudicielles furent celles-ci: Oui Non Non Non Bien que la Court of Appeal ait prononcé la confiscation de l'appareil, Air Canada ne se trouva pas dépossédée de celui-ci puisqu'elle avait versé la somme exigée pour la restitution de l'avion (voir le paragraphe 7 de l'annexe 3 au paragraphe 19 in fine ci-dessous). Dans son arrêt, Lord Justice Purchas ajouta (pp. 464 et 467): "Au nom d'Air Canada, M. Webb, s'appuyant sur la jurisprudence susmentionnée, a présenté les arguments suivants: (...) sinon par sa forme, du moins par ses effets, l'article 141 constituerait une disposition pénale en vertu de laquelle des peines sévères pourraient être infligées en pratique au détenteur ou propriétaire de navires ou d'avions particulièrement gros; dès lors, conformément aux arrêts cités, cet article impliquerait pour les inspecteurs des douanes l'obligation d'établir, lors de la procédure en confiscation, l'existence, chez les agents ou employés de la compagnie aérienne, d'une certaine forme de conscience correspondant à la présomption d'intention criminelle des dispositions pénales. (...) Pour moi, la réponse à cette thèse, qui en démontre l'inexactitude, est que le procès sur lequel débouchent les articles 141 par. 1 et 139 et l'annexe 3 est, par définition, un procès civil. Cela n'empêcherait pas cette disposition d'être, par nature, pénale si tous les autres éléments militaient en ce sens. La seule formulation ne serait pas nécessairement déterminante encore que la procédure devant les tribunaux civils exposée à l'annexe 3 doive jouer un grand rôle. Toute discussion devient toutefois inutile au vu de la jurisprudence antérieure (...) [selon laquelle] l'article 141 et ceux qui l'ont précédé dans les lois de 1952 et de 1876 aboutissent à un procès in rem contre tout véhicule, conteneur ou objet similaire utilisé en fait lors de l'opération de contrebande (...)" Lord Justice Balcombe et Sir David Croom-Johnson convinrent que l'article 141 par. 1 ne créait pas d'infraction pénale (pp. 468 et 469). La Court of Appeal à cette occasion puis, le 7 novembre 1990, la Chambre des lords refusèrent l'autorisation de saisir cette dernière. II. Droit et pratique internes pertinents A. Loi de 1979 sur les douanes Confiscabilité Article 141 par. 1 "(...) lorsqu'un bien devient confiscable en vertu des lois sur les douanes - a) tout navire, avion, véhicule, animal, conteneur (y compris tout article faisant partie des bagages des passagers) ou toute autre chose utilisée pour le transport, la manutention, le dépôt ou la dissimulation du bien confiscable, soit au moment où il était devenu confiscable, soit dans le but de commettre l'infraction qui l'a ensuite rendu confiscable (...) est également confiscable." Annexe 3, paragraphe 6 "En cas de notification régulière d'un recours relatif à un bien conformément aux [paragraphes 3 et 4 ci-dessus], les inspecteurs engagent une procédure tendant à la confiscation judiciaire de l'objet du litige, et si le tribunal estime que ce bien était confiscable à l'époque de la saisie, il en prononce la confiscation." Pouvoirs des inspecteurs après la saisie Article 139 par. 5 "Sous réserve des paragraphes 3 et 4 et de l'annexe 3 à [la] loi, il y a lieu de traiter tout bien saisi ou retenu en vertu des lois sur les douanes, en attendant qu'il soit statué sur sa confiscation ou sur l'usage qu'il convient d'en faire et, en cas de confiscation judiciaire ou si l'on estime qu'il aurait dû y avoir confiscation, il y a lieu d'en disposer selon les modalités fixées par les inspecteurs." Article 152 "Les inspecteurs peuvent, s'ils l'estiment opportun, a) surseoir, suspendre ou régler à l'amiable toute procédure relative à une infraction ou tendant à la confiscation judiciaire de tout bien en vertu des lois sur les douanes; ou b) restituer, sous réserve des conditions qu'ils jugeraient adéquates, tout bien confisqué ou saisi en vertu de ces lois; ou c) après le jugement, atténuer ou rapporter toute sanction pécuniaire infligée au titre de ces lois (...)" Annexe 3, paragraphe 16 "Lorsqu'il y a eu saisie au motif que l'objet était confiscable, les inspecteurs peuvent à tout moment, s'ils le jugent bon et nonobstant le fait qu'il n'y a pas encore eu confiscation judiciaire ou si l'on estime qu'il n'y a pas encore eu pareille confiscation a) le livrer à tout demandeur moyennant paiement à eux de toute somme qu'ils jugeraient adéquate, mais ne dépassant pas, à leur avis, la valeur de l'objet, y compris tous droits ou taxes exigibles qui n'auraient pas été acquittés (...)" Annexe 3, paragraphe 7 "Lorsque la confiscation judiciaire d'un objet est prononcée ou passe pour avoir été prononcée conformément au paragraphe 5 ou au paragraphe 6 (...), sans préjudice de la remise ou de la vente de l'objet par les inspecteurs des douanes en application du paragraphe 16 (...), la confiscation prend effet à la date où l'objet est devenu confiscable." B. Contrôle judiciaire L'exercice des pouvoirs dont les inspecteurs des douanes se trouvent investis est susceptible de contrôle judiciaire. Les trois motifs traditionnels de pareil contrôle tels que Lord Diplock les a décrits dans l'affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service (Appeal Cases 1985, p. 375 - Chambre des lords) sont l'illégalité, l'irrationalité et l'irrégularité procédurale. Par "illégalité" on entend que le décideur doit interpréter correctement les normes juridiques régissant son pouvoir de décision et leur donner effet. L'"irrationalité" - ou ce que l'on désigne souvent par l'expression "attitude déraisonnable selon Wednesbury" ("Wednesbury unreasonableness") - vaut pour une décision qui défie de manière si flagrante la logique ou les principes moraux communément admis que nulle personne sensée n'aurait pu la prendre après avoir réfléchi au problème. "L'irrégularité procédurale" couvre l'inobservation des règles fondamentales de la justice naturelle ou le défaut d'équité, en matière de procédure, envers la personne que concernera la décision, de même que l'inobservation de règles de procédure expressément énoncées, même lorsque pareil manquement n'implique aucun déni de justice naturelle. Dans l'affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Brind (Appeal Cases 1991, vol. 1, p. 696), la Chambre des lords a dit que le défaut de proportionnalité ne passe pas d'habitude pour un motif distinct de contrôle en droit administratif anglais. Lord Ackner, tout en considérant qu'une décision administrative souffrant d'un manque total de proportionnalité serait déraisonnable au sens de la jurisprudence Wednesbury, indiqua que tant que le parlement n'avait pas intégré la Convention au droit interne, les cours et tribunaux britanniques n'avaient aucune base pour suivre la théorie de la proportionnalité appliquée par la Cour européenne des Droits de l'Homme (pp. 762-763). Lord Lowry cita (à la page 767), pour l'approuver, un extrait de Halsbury's Laws of England (vol. 1 (1), paragraphe 78): "Proportionnalité: les tribunaux annuleront tout exercice du pouvoir discrétionnaire ne présentant pas un rapport raisonnable entre l'objectif poursuivi et les moyens employés à cette fin ou débouchant sur des sanctions prises par les autorités administratives ou les tribunaux inférieurs sans commune proportion avec la faute en cause. Le principe de proportionnalité est un principe bien établi du droit européen et les juridictions anglaises l'appliquent lorsque le droit européen est applicable en droit interne. Ce principe est encore à l'état d'ébauche en droit anglais; le défaut de proportionnalité n'y constitue pas normalement un moyen distinct de contrôle judiciaire mais il représente un indice du caractère manifestement déraisonnable [de la décision]." Le contrôle judiciaire de décisions des inspecteurs des douanes a été demandé dans deux affaires. Dans R. v. Commissioners of Customs and Excise, ex parte Haworth (jugement du 17 juillet 1985), la High Court a estimé que les inspecteurs n'avaient pas agi d'une manière raisonnable en ce qu'ils n'avaient fourni au propriétaire des biens saisis lors d'une tentative de contrebande ni les informations nécessaires sur les faits retenus contre lui ni l'occasion de les discuter. De même, dans R. v. Commissioners of Customs and Excise, ex parte Tsahl (jugement du 11 décembre 1989), la High Court a invité les inspecteurs à prendre comme date d'évaluation des diamants qu'ils avaient saisis, non la date de l'importation mais celle de la restitution pour déterminer le montant à verser en vue de cette dernière. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La société requérante a saisi la Commission (requête n° 18465/91) le 2 mai 1991. Elle voyait dans la saisie de son avion et la restitution ultérieure de celui-ci sous condition une atteinte à son droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Elle prétendait en outre que la procédure litigieuse ne répondait pas aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 1er avril 1993. Dans son rapport du 30 novembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre cinq, à la non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et, par huit voix contre six, à la non-violation de l'article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 316-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire et déclarer que les faits ne révèlent aucune violation des droits de la requérante tels que les garantissent les articles 1 du Protocole n° 1 et 6 de la Convention (P1-1, art. 6).
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M. Michelangelo Ciricosta et Mme Rosina Viola habitent Rosarno (Reggio de Calabre). Le 4 juillet 1980, en application de la procédure d'urgence régissant la matière, ils introduisirent devant le juge d'instance (pretore) de Palmi une action possessoire et de dénonciation de nouvelles oeuvres (azione possessoria e denuncia di nuova opera). Ils demandaient la suspension des travaux que M. L. avait entrepris sur un terrain limitrophe au leur et appartenant à son beau-père, ainsi que la remise en état des lieux. M. L. avait modifié les conditions d'écoulement des eaux de pluie ainsi que l'utilisation d'une route appartenant aux requérants, et construit une forge sur le terrain en question. Le 17 juillet 1980, le magistrat fixa la comparution des parties au 4 août 1980, date à laquelle il autorisa l'audition de témoins, demandée le même jour par les requérants. A l'audience du 29 septembre 1980, les parties obtinrent un report des débats. Entre le 22 octobre 1980 et le 17 février 1981, le juge d'instance tint cinq nouvelles audiences. A l'occasion de la première, il entendit six témoins. Lors de la deuxième, les parties communiquèrent des documents, examinés à la troisième par le juge d'instance. A la suivante, ce dernier ordonna une expertise, déposée le 19 janvier 1981. Le 5 mars 1981, le juge d'instance accueillit les demandes des requérants, ordonna aux frais du défendeur le retour au statu quo ante des lieux et renvoya la procédure quant au fond au 1er juin 1981. Le 3 avril, il rejeta une requête du défendeur visant la révocation de la décision du 5 mars. Le 6 décembre 1982, après six audiences d'instruction s'échelonnant du 1er juin 1981 au 5 juillet 1982, les parties sollicitèrent un report. Les trois audiences ultérieures furent repoussées à la demande du défendeur, en l'absence d'opposition des requérants. Le 5 décembre 1983, M. L. pria le juge de convoquer l'expert, ce qui fut fait le 9. A l'audience du 5 mars 1984, ce dernier répondit à certaines questions puis le magistrat fixa au 4 juin l'audience pour le dépôt des conclusions. A cette date, les requérants présentèrent les leurs tandis que le défendeur demanda et obtint un nouveau report. Arrivés en retard à l'audience du 2 juillet 1984, les conseils des parties sollicitèrent un renvoi. Le 7 janvier 1985, le défendeur requit l'admission d'un moyen de preuve, mais il fut débouté le 21 janvier. A sept reprises, à la demande des requérants (les 4 mars et 20 juillet 1985), de M. L. (le 6 mai 1985), des deux parties (les 3 décembre 1986, 18 mars 1987 et 17 février 1988) et d'office (le 3 février 1986), le juge reporta la date de l'audience. Le 18 mai 1988, le conseil de M. Ciricosta et Mme Viola obtint un délai supplémentaire pour soumettre des observations sur un document présenté par le défendeur. Le 6 juillet, les parties se limitèrent à solliciter un nouveau renvoi, puis, le 5 octobre, les requérants déposèrent de nouvelles conclusions alors que M. L. obtenait un ajournement. Entre le 1er mars 1989 et le 16 janvier 1991, le juge fit droit à six demandes d'ajournement formulées conjointement par les parties. Le juge d'instance ayant été muté, l'audience prévue pour le 2 octobre 1991 ne put avoir lieu. Aux audiences des 14 avril et 10 novembre 1993, les parties demandèrent un renvoi, puis le nouveau juge fixa les débats au 8 juin 1994, mais la suspension des activités du tribunal d'instance de Palmi, due au manque d'effectifs du greffe, retarda davantage la procédure. Le 22 mars 1995, les requérants demandèrent un nouveau report. Le juge d'instance convoqua les parties pour le 24 janvier 1996. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ciricosta et Mme Viola ont saisi la Commission le 3 mars 1992. Ils se plaignaient de ce que leur cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable comme le veut l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission (première chambre) a déclaré la requête (n° 19753/92) recevable le 2 septembre 1994. Dans son rapport du 30 novembre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix voix contre quatre, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 337-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La société requérante, Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH (ci-après "Gasus"), est une société à responsabilité limitée de droit allemand ayant son siège social à Wurtzbourg, en Allemagne. A. La genèse de l’affaire Le 17 juin 1980, son agent aux Pays-Bas reçut de la part d’une société néerlandaise établie à Leiderdorp, Atlas Junior Beton B.V. ("Atlas"), une commande pour une bétonnière et des accessoires. Gasus confirma elle-même la commande par écrit le 18 juin 1980. Elle annexa à sa lettre ses conditions générales de vente, qui comportaient les passages suivants: "La marchandise livrée demeure notre propriété jusqu’au règlement intégral de toutes les créances, y compris les créances futures et accessoires, résultant du contrat." et "Les contrats conclus avec des partenaires étrangers (Auslandsgeschäfte) sont régis exclusivement par le droit de la République fédérale allemande." Gasus reçut par la suite une commande concernant des accessoires, qu’elle confirma par une lettre du 21 juillet 1980 à laquelle elle annexa derechef ses conditions générales de vente. Il fut convenu, notamment, qu’Atlas fournirait le matériel de levage et une partie du personnel nécessaires pour assembler la machine, dont la partie principale pesait cinq tonnes. Entre le 25 juillet et le 28 août 1980, Gasus envoya à Atlas, qui ne les contesta pas, des factures pour un montant total de 125 401,24 marks allemands (DEM). Gasus ne reçut que 21 672 DEM en paiement avant les événements incriminés. B. La saisie de la bétonnière et la faillite d’Atlas La machine fut installée par Gasus chez Atlas; les travaux durèrent du 28 juillet au 2 août 1980. Le 31 juillet 1980, l’huissier du fisc (belastingdeurwaarder) saisit l’ensemble des biens meubles se trouvant sur le fonds d’Atlas en vue de leur vente forcée en exécution de trois contraintes (dwangbevelen) délivrées par le receveur des impôts directs (Ontvanger der directe belastingen - "le receveur") pour un montant total de 67 741,59 florins néerlandais (NLG). Le procès-verbal (proces-verbaal) comporte une mention de la bétonnière. La saisie fut notifiée à Atlas, mais non à Gasus. Incapable d’honorer ses obligations financières, Atlas sollicita un moratoire (surséance van betaling), qui lui fut accordé par le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye le 16 octobre 1980. Conscient qu’il n’était pas possible à Atlas de poursuivre ses activités de manière indépendante, l’administrateur judiciaire (bewindvoerder), un avocat nommé par le tribunal d’arrondissement, réussit à intéresser une autre société, Van Baarsen Wandplaten B.V. ("Van Baarsen"), à une reprise de celles-ci. Sous la pression des clients d’Atlas, qui insistaient pour qu’un arrangement satisfaisant permettant de poursuivre la production fût conclu avant le 23 octobre 1980, Atlas, l’administrateur judiciaire et Van Baarsen passèrent à cette date un accord prévoyant une reprise par Van Baarsen. Cette convention ne put intervenir qu’avec la coopération des créanciers hypothécaires d’Atlas - deux banques qui avaient financé Atlas et avaient stipulé que la propriété de certains de ses biens meubles ferait l’objet, à son profit, d’un transfert fiduciaire à titre de sûreté - et du receveur, qui avait saisi tous les biens meubles se trouvant sur le fonds d’Atlas. L’accord était subordonné à la condition qu’aucun tiers ne pût revendiquer un droit prioritaire sur les biens couverts par lui. Van Baarsen paierait une somme forfaitaire de 500 000 NLG pour la reprise des machines et des marchandises composant l’inventaire d’Atlas. La moitié de cette somme serait versée au fisc, l’autre moitié à une banque, NIB, propriétaire fiduciaire de certains biens non soumis au droit de saisie du fisc. Van Baarsen poursuivit les activités d’Atlas dans les installations de cette dernière à partir du 27 octobre, utilisant ce qui avait été le personnel et les machines d’Atlas. Le 21 octobre 1980, Gasus envoya à l’administrateur judiciaire d’Atlas une lettre qui parvint à ce dernier le 24. Elle y déclarait n’avoir reçu que 21 672 DEM de la somme qu’Atlas lui devait, et réclamait le paiement du reliquat. Elle y annonçait aussi qu’elle reprendrait la bétonnière le 30 octobre si elle n’avait pas reçu le 28 des garanties suffisantes de paiement. Aucun paiement ne fut effectué, mais il n’apparaît pas que Gasus ait réagi. A la requête de son administrateur judiciaire et avec l’accord de sa direction, Atlas fut déclarée en faillite le 30 octobre 1980, et l’administrateur judiciaire fut nommé curateur (curator). La procédure de faillite se clôtura le 20 juin 1990 pour manque d’actif. Aucun des créanciers chirographaires d’Atlas ne put recouvrer la moindre partie de ses créances. Le 4 mars 1981, le directeur des impôts directs (directeur der directe belastingen) reçut de Gasus une lettre dans laquelle cette dernière, qui avait appris la saisie de la machine, déposait réclamation (bezwaarschrift) contre cette mesure. Par une lettre du 15 mai 1981, le directeur déclara la réclamation irrecevable, au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans les sept jours de la saisie comme l’imposait l’article 16 par. 1 de la loi de 1845 sur le recouvrement des impôts directs (Invorderingswet 1845 - "la loi de 1845"; paragraphe 29 ci-dessous); il ajouta qu’en tout état de cause il n’apercevait aucun motif d’annuler l’ordonnance de saisie et que pour statuer ainsi il n’avait pas été influencé par le caractère tardif de la réclamation. C. La procédure devant le tribunal d’arrondissement d’Utrecht Le 22 mai 1981, Gasus assigna le curateur d’Atlas et Van Baarsen devant le tribunal d’arrondissement d’Utrecht, afin que celui-ci ordonnât la restitution de la machine. Gasus a déclaré dans la procédure devant la Commission que tant le curateur que Van Baarsen avaient reconnu sa qualité de propriétaire mais avaient refusé de rendre la machine, au motif que celle-ci était toujours aux mains du fisc. Cette procédure ne semble pas avoir été menée à son terme. Le 17 septembre 1981, Gasus actionna le receveur, le curateur et Van Baarsen devant le tribunal d’arrondissement de La Haye, formant opposition à la saisie et cherchant à faire prononcer deux ordonnances: l’une adressée au receveur et prévoyant la mainlevée de la saisie, l’autre adressée au curateur et à Van Baarsen et leur interdisant d’entraver l’exercice par Gasus de ses droits. La position de Gasus peut se résumer comme suit. Son opposition (verzet) à la saisie se fondait sur l’argument selon lequel la machine n’était pas en état de marche le 31 juillet 1980, de sorte qu’elle ne pouvait servir à "garnir une maison ou une ferme", au sens de l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 (paragraphe 29 ci-dessous). A titre subsidiaire, la saisie était, pour divers motifs, illégitime (onrechtmatig) en droit civil. Enfin, le fait que l’article 16 par. 3 empêchait les tiers de contester une saisie frappant leurs propres biens s’analysait en un refus d’accès à un tribunal, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le receveur déposa de longues observations en réponse. Ni le curateur ni Van Baarsen n’en formulèrent eux-mêmes sur le fond, mais ils demandèrent que les conclusions en réponse (conclusie van antwoord) et les conclusions en duplique (conclusie van dupliek) du receveur fussent traitées comme les leurs propres. Le tribunal d’arrondissement rendit son jugement le 21 décembre 1983. Accueillant la thèse du receveur, il considéra que le fait que la machine n’était pas opérationnelle à l’époque de la saisie ne viciait pas cette dernière. Dès lors que la procédure concernait une opposition à une saisie au titre de l’article 16 par. 3 de la loi de 1845, le tribunal ne pouvait se pencher sur le grief de Gasus selon lequel la saisie était illégale; le seul but admissible de pareille procédure était de rechercher s’il avait été satisfait aux conditions de l’article 16 par. 3. En outre, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention était inapplicable - et n’avait donc pas été violé - dès lors que l’article 16 se rapportait à la levée et au recouvrement d’impôts, habilitant les autorités de l’Etat à prendre des décisions dans l’accomplissement normal de leur mission de droit public, et ne concernait donc pas des "droits et obligations de caractère civil". D. La procédure devant la cour d’appel de La Haye Gasus saisit la cour d’appel de La Haye, assignant le curateur d’Atlas le 19 mars 1984, puis le receveur et Van Baarsen le 20. Son premier grief (grief) était que le tribunal d’arrondissement s’était trompé en jugeant la saisie valide bien que la machine n’eût pas été opérationnelle à l’époque. Ses deuxième et troisième griefs concernaient le refus par le tribunal d’arrondissement de connaître les allégations d’illégalités formulées par Gasus et d’accueillir les arguments de celle-ci fondés sur l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le receveur répliqua que les plaintes énoncées par Gasus sur le terrain de l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 s’analysaient en une allégation de privation de propriété contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Il nia toutefois l’existence de semblable violation. Après un échange de mémoires entre les parties à la procédure, une audience se tint le 16 septembre 1986. Lors de celle-ci, le conseil de Gasus continua à se prévaloir de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. D’après lui, ce qui était décisif pour l’applicabilité de cette disposition (art. 6-1) était la question de savoir si le demandeur réclamait la protection d’un droit devant être qualifié "de caractère civil" au sens de ce texte (art. 6-1). Dès lors que Gasus cherchait à se prémunir contre une atteinte par le receveur à son droit de propriété sur la bétonnière, droit de caractère indubitablement "civil" au sens de cette disposition (art. 6-1), l’article 6 par. 1 (art. 6-1) trouvait à s’appliquer; il avait de surcroît été violé, puisque l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 s’analysait en une restriction du droit d’accès à un tribunal pour les biens du genre qu’il mentionnait. Tout en confirmant que sa cliente avait été privée de l’un de ses biens et avait subi de ce fait un dommage, le conseil de Gasus se refusa explicitement à invoquer l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Contrairement à ce que le receveur avait prétendu tant en première instance qu’en appel, l’article 16 par. 3 n’avait rien à voir avec une privation de propriété, mais barrait l’accès à un tribunal à ceux qui cherchaient à se protéger contre la saisie et la vente de leurs biens. Cela ressortait clairement de son libellé. Cela résultait aussi, incidemment, de l’article 14 de la Constitution néerlandaise, qui interdisait d’exproprier sans indemnité: si l’article 16 par. 3 était une disposition concernant la privation de propriété, elle serait contraire à l’article 14 de la Constitution. En application du principe selon lequel une disposition de droit néerlandais ne pouvait se comprendre comme étant incompatible avec la Constitution, l’article 16 par. 3 devait dès lors s’interpréter comme barrant simplement l’accès à un tribunal. Les questions soulevées par ce texte étaient donc de nature "procédurale" et non "matérielle" et, par conséquent, la disposition la plus appropriée de la Convention était l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et non l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Dès lors que l’article 16 par. 3 violait manifestement l’article 6 par. 1 (art. 6-1), il fallait - conformément à l’article 94 de la Constitution - en exclure l’application. Cela signifiait que les articles 456 et suivants du code de procédure civile étaient applicables sans restriction, ce qui impliquait à son tour que Gasus pouvait invoquer son droit de propriété sur la bétonnière, laquelle n’était donc pas susceptible de saisie. La cour d’appel statua le 3 décembre 1986. Comme le tribunal d’arrondissement, elle estima que la saisie n’était pas viciée par le fait que la bétonnière n’avait pas été complètement opérationnelle à l’époque; son utilisation projetée avait déjà été établie, et le maximum avait été fait pour la mettre en état de marche et garantir qu’elle servirait Atlas de manière durable. La machine pouvait donc être considérée comme servant à "garnir" l’usine d’Atlas. Il y avait lieu, par conséquent, de rejeter le premier grief. Le deuxième et le troisième furent également écartés. Après avoir établi que le droit revendiqué par Gasus était "de caractère civil" aux fins de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), la cour d’appel s’exprima ainsi: "La question est dès lors de savoir si en l’occurrence l’accès à un organe judiciaire et un procès équitable ont été suffisamment garantis à Gasus. Pour y répondre, il échet de déterminer quelles dispositions, dans la mesure de leur pertinence pour la présente espèce, traitent de la propriété et de la procédure s’y rapportant. Dans des articles du (...) titre I [de la Convention] autres que l’article 6 (art. 6), un certain nombre de droits fondamentaux sont nommés et - là où c’était nécessaire - définis. Le droit de propriété n’en fait pas partie. Celui-ci se trouve consacré par le Protocole no 1 (P1) à la Convention (...) [L’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)] autorise donc bien le législateur national à adopter des lois limitant la jouissance de biens, ou même privant entièrement l’individu de cette jouissance pour des buts déterminés, relevant de l’intérêt général; toutefois, lorsqu’il s’agit de la question de savoir si, dans un cas concret, semblable loi a correctement été appliquée, le propriétaire concerné conserve le droit, garanti par l’article 6 (art. 6) de la Convention, à l’accès à un tribunal et à un procès équitable afin de faire contrôler l’application de la loi. L’article 16 par. 3 de la loi de 1845 constitue semblable disposition de droit interne autorisée par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La règle qu’il fixe implique que la saisie opérée par le fisc afin de recouvrer une créance d’impôt prive en fait un tiers de sa propriété sur un bien meuble, à condition qu’au moment où la saisie a été opérée le bien se trouvât sur le fonds du débiteur de l’impôt et servît à le "garnir". La question de savoir si, au regard de cette disposition, la saisie a été opérée à bon droit sur ses biens est une question que le tiers concerné peut faire examiner par les tribunaux civils ordinaires par la voie d’un procès. Pour apprécier la légalité de la saisie, le tribunal ne peut pas prendre en considération le point de savoir si, oui ou non, les biens en question sont la propriété du débiteur de l’impôt parce que, précisément, ce point est sans pertinence - sauf dans certains cas exceptionnels qui ne jouent pas en l’occurrence - pour la portée de cette disposition. Cela révèle également la signification de la déclaration selon laquelle les tiers "ne peuvent jamais former un recours contre des saisies opérées à des fins fiscales". Cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent s’adresser aux tribunaux, mais plutôt qu’ayant saisi ceux-ci, ils ne peuvent asseoir leur recours avec succès sur l’idée que la saisie serait illégale car opérée sur des biens qui leur appartiennent à eux et non au débiteur de l’impôt. De même, les dispositions de l’article 456 par. 1 du code de procédure civile ne leur sont d’aucun secours à cet égard, car l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 constitue à leur égard une lex specialis. Les considérations qui précèdent signifient qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention et que c’est la raison pour laquelle le tribunal d’arrondissement ne s’est pas penché sur l’allégation selon laquelle le receveur avait agi illégalement en saisissant la bétonnière appartenant à Gasus (...)" E. La procédure devant la Cour de cassation Gasus adressa un pourvoi (beroep in cassatie) à la Cour de cassation (Hoge Raad) le 3 mars 1987. Ses moyens de cassation (middelen van cassatie) étaient chacun subdivisés en un grand nombre de branches. L’avocat général (advocaat-generaal) releva que plusieurs moyens et nombre de leurs branches n’étaient que de simples variations sur un même thème. La cour d’appel s’était trompée en analysant la question sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). L’article 16 par. 3 de la loi de 1845 était une disposition "procédurale", non une disposition "matérielle", et par conséquent elle aurait dû être examinée uniquement à la lumière de l’article 6 (art. 6); le fait que l’absence d’accès à un tribunal pût conduire à une perte de propriété indiquait seulement que les intérêts protégés par l’article 6 (art. 6) étaient très réels. Gasus maintint sa thèse selon laquelle l’article 16 par. 3 violait l’article 6 (art. 6) dès lors qu’il n’autorisait les tiers à s’opposer à la saisie par le fisc de leurs biens se trouvant sur le fonds d’autrui qu’au motif que ces biens n’étaient pas des "fruits" ou ne servaient pas à "garnir" ledit fonds ni à "cultiver" ou "utiliser la terre". Si les biens concernés entraient dans l’une de ces catégories, il n’y avait aucun autre motif sur lequel fonder une action. L’article 16 par. 3 avait été inspiré de la nécessité de prévenir la fraude fiscale mais avait été rendu obsolète par l’évolution de la pratique et du droit des affaires, la réserve de propriété étant à présent une forme de sûreté généralement acceptée et tout à fait légale. Le receveur avait agi illégalement en saisissant la machine dès lors que Gasus ne s’était pas effectivement rendue coupable de complicité de fraude fiscale. En tout état de cause, même si l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) était applicable - quod non aux yeux de Gasus - il autorisait les Etats à s’ingérer dans la paisible jouissance de leurs biens par les contribuables afin de s’assurer du paiement par eux de leurs impôts. Il ne les habilitait pas à priver les tiers de leur propriété. Il ne fallait pas supposer que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) autorisait des atteintes plus importantes aux droits des citoyens que celles que permettait l’article 14 de la Constitution néerlandaise, qui interdisait d’exproprier sans indemnité. Si l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 devait passer pour une disposition "matérielle", elle s’analysait clairement en un texte permettant des privations de propriété par l’Etat dans l’intérêt public. Enfin, le receveur n’avait à aucun moment informé Gasus de la saisie ainsi qu’il aurait dû le faire. Suivant les conclusions (conclusie) de son procureur général (procureur-generaal), la Cour de cassation écarta le pourvoi le 13 janvier 1989. Elle s’exprima ainsi: "3.1. Les trois premiers moyens tendent à démontrer que le contenu de l’article 16 par. 3 de la loi du 22 Mai 1845 (...) est incompatible avec l’article 6 (art. 6) de la Convention et/ou avec l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) à celle-ci. Pour apprécier la justesse de cet argument, les éléments suivants revêtent de l’importance: a) L’article 16 de la loi de 1845, plus précisément son paragraphe 3, prévoit que le receveur dispose d’un droit de recouvrement sur les biens de tiers cités audit paragraphe et qui `se trouvent sur le fonds du débiteur de l’impôt au moment de la saisie’. b) L’opposition que les tiers peuvent former devant le juge civil à l’encontre d’une saisie de leurs biens est en principe limitée à la question de savoir s’il a été satisfait aux conditions que l’article 16 par. 3 énonce pour son applicabilité, tandis que, pour le reste, les tiers peuvent saisir le directeur des impôts directs au moyen de la procédure de réclamation prévue au premier paragraphe dudit article (...) c) Il résulte des dispositions du chapitre 5 de la loi générale sur les impôts de l’Etat (Algemene wet inzake rijksbelastingen) et de l’article 5, préambule et m), de la loi sur la justice administrative en matière de décisions de l’autorité (Wet administratieve rechtspraak overheidsbeschikkingen) que la décision du directeur concernant la réclamation n’est pas susceptible d’un recours administratif. Cela signifie que le tiers est recevable à intenter devant le juge civil - éventuellement en référé (kort geding) - contre semblable décision une action fondée sur l’illégalité de l’acte litigieux. En pareil cas, le tiers peut aussi chercher à démontrer que le directeur a agi en violation d’un principe général de bonne administration (algemeen beginsel van behoorlijk bestuur). d) Les dispositions des directives de 1961 pour le recouvrement des impôts (Leidraad invordering - Résolution du 8 décembre 1961, no B 1/18516), notamment l’article 30, revêtent également de l’importance à cet égard. Ces directives ne contiennent certes pas des règles de droit, mais les principes de bonne administration impliquent que le directeur ne peut s’écarter, au détriment du tiers, des règles qu’elles contiennent, telles que celles-ci doivent être comprises d’après la jurisprudence. S’il s’en écarte, il agit en principe de manière illégitime à l’égard du tiers. e) En ce qui concerne le contenu dudit article 30, il échet de préciser les points suivants, à propos des dispositions inscrites au paragraphe 9. Suivant la politique du directeur, le droit de propriété du tiers doit être respecté dans les cas où il y a `propriété réelle’. Mais le recouvrement sur les biens d’un tiers est en principe justifié lorsque `la circonstance que, juridiquement, ils appartiennent à une autre personne est avant tout une fiction destinée à empêcher le recouvrement sur ces biens à la charge du débiteur de l’impôt ou à conférer au tiers un privilège sur ces biens’. A titre d’exemple, on cite ici, entre autres, le cas du fournisseur de marchandises qui s’en réserve la propriété. Il a été établi que Gasus, fournisseur des biens litigieux, a procédé de cette manière. f) Il est également prévu à l’article 30 par. 8 des directives de 1961 qu’une réclamation déposée par un tiers doit être examinée même si elle n’a pas été déposée dans les délais, c’est-à-dire dans la période de sept jours prévue à l’article 16 par. 1 de la loi de 1845, laquelle court à compter de la date de la saisie. Il en résulte donc qu’un tiers qui dépose une réclamation hors délai a droit à ce qu’elle soit examinée. Comme il n’est pas nécessairement au courant de la saisie ni, dès lors, du point de départ du délai (ni la loi ni les directives pour le recouvrement ne requièrent une notification ou une quelconque autre forme d’avertissement à un tiers), il faut supposer - eu égard notamment à l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne - que le tiers peut, là aussi, s’adresser aux tribunaux civils, de la manière décrite ci-dessus sous les points c) et d). 2. Compte tenu de ce qui précède, les arguments avancés dans les trois premiers moyens ne peuvent être considérés comme fondés. Le tiers dont les biens ont été saisis dispose de telles possibilités de recours devant un organe judiciaire indépendant et impartial contre les actes du receveur ou du directeur qu’il a été satisfait aux conditions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. On ne peut davantage considérer que le recouvrement opéré au titre de l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 sur les biens d’un tiers tel Gasus - qui, en sa qualité de fournisseur des marchandises, s’en était réservé la propriété - n’est pas compatible avec l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). L’article 16 par. 3 peut en effet passer pour une disposition légale que l’Etat juge nécessaire pour assurer le paiement des impôts, c’est-à-dire pour garantir qu’il ne soit pas fait obstacle à semblable paiement par une réserve de propriété stipulée au profit d’un tiers fournisseur. Eu égard à ce qui précède, les trois premiers moyens sont dépourvus de fondement, quoi qu’il en soit de la motivation de la cour d’appel attaquée par ces moyens. 3. D’après l’exposé qui l’accompagne, le quatrième moyen se base sur les précédents et doit donc partager leur sort. Dans la mesure où il voudrait dire en outre que l’article 16 par. 3 ne doit pas s’appliquer, au motif que `l’évolution de la pratique et du droit des affaires l’a rendu obsolète’, il est dénué de fondement. 4. Le cinquième moyen est dirigé contre l’appréciation de la cour d’appel selon laquelle une obligation d’avertissement ne pesait pas sur le receveur, et il implique que le receveur aurait dû avertir Gasus après la saisie. Il est dépourvu de fondement. Ainsi qu’il a déjà été indiqué ci-dessus, sous le point 3.1.f), ni la loi de 1845 ni les directives pour le recouvrement des impôts ne prévoient cette obligation. Celle-ci peut certes, dans des circonstances particulières, être fondée sur le droit non écrit, mais Gasus n’a pas invoqué l’existence de pareilles circonstances en l’espèce. 5. Dès lors qu’aucun des griefs d’appel ne justifie une infirmation de l’arrêt attaqué, le recours doit être rejeté." L’arrêt ci-dessus de la Cour de cassation fut publié dans le Recueil hebdomadaire de jurisprudence (Rechtspraak van de Week, RvdW) 1989, 28, dans le Journal d’études professionnelles (Vakstudie Nieuws) 1989, p. 363, dans le Recueil de jurisprudence néerlandaise (Nederlandse Jurisprudentie, NJ) 1990, no 211, et dans le Recueil de décisions en matière fiscale (Beslissingen in Belastingzaken, BNB) 1989/129. Il fut salué par les commentateurs comme clarifiant la portée de la protection judiciaire disponible contre l’utilisation par le fisc de l’article 16 par. 3 (notes de E.A. Alkema in NJ 1990, no 211, et de H.J. Hofstra in BNB 1989/129 sur l’arrêt de la Cour de cassation rendu en l’espèce; note de W.H. Heemskerk sur l’arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1989, NJ 1990, no 131). II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Dispositions pertinentes de la Constitution néerlandaise La Constitution de 1983 ne garantit pas explicitement un droit à la propriété. Son article 14 est ainsi libellé: "1. L’expropriation ne peut avoir lieu que dans l’intérêt général et moyennant une indemnité préalable, conformément aux règles fixées par la loi ou par les règlements. (...) Dans les cas indiqués par la loi ou par les règlements, il existe un droit à dédommagement, total ou partiel, si, dans l’intérêt général, les autorités compétentes détruisent ou rendent inutilisables des biens, ou restreignent l’exercice du droit de propriété." Aux termes de l’article 104, "Les impôts du Royaume sont levés conformément à la loi. Les autres contributions levées par le Royaume sont régies par la loi." En droit constitutionnel néerlandais, les tribunaux ne peuvent contrôler la constitutionnalité des lois. D’après l’article 120, "Les juges ne se prononcent pas sur la constitutionnalité (grondwettigheid) des lois et des traités." B. Dispositions pertinentes du code civil (Burgerlijk Wetboek), du code de commerce (Wetboek van Koophandel) et du code de procédure civile (Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering) A l’époque des faits, le code civil de 1838 était toujours en vigueur. Dans la mesure où il concernait le droit des biens, il fut remplacé, en 1992, par un nouveau code civil; un certain nombre de dispositions du code de commerce et du code de procédure civile furent modifiées ou abrogées par la même occasion; les paragraphes qui suivent se rapportent au droit tel qu’il se présentait à l’époque des faits incriminés. D’après l’article 1177 du code civil, les créances pouvaient, en principe, être recouvrées sur tous les biens, tant meubles qu’immeubles, appartenant au débiteur. D’autres dispositions légales autorisaient certaines exceptions limitées, non pertinentes pour la présente espèce. L’article 1178 ajouta le principe paritas creditorum: tous les créanciers pouvaient se désintéresser sur les biens du débiteur proportionnellement à la part de leurs créances, sauf si l’un quelconque d’entre eux pouvait revendiquer un droit de paiement préférentiel. Semblable droit dérivait notamment de dispositions légales spécifiques conférant un privilège (privilege). Ces privilèges étaient fondés sur la nature des créances (article 1180) et leur rang était fixé par la loi. La plupart d’entre eux figuraient dans le code civil, mais non ceux du fisc, pour lesquels ledit code renvoyait aux lois particulières (article 1183 par. 1). Un privilège pouvait porter sur un bien particulier ou sur l’ensemble des biens appartenant au débiteur; en général, les privilèges du premier type l’emportaient sur ceux du second (article 1184). L’article 1185 énumérait les créances couvertes par un privilège portant sur certains biens appartenant au débiteur. Parmi elles figuraient notamment les loyers dus en vertu d’un bail et le prix dû au vendeur d’un bien meuble. L’article 1186 était ainsi libellé: "1. Le bailleur peut exercer son privilège sur les fruits qui sont toujours attachés aux arbres par leurs branches, ou au sol par leurs racines, sur les fruits récoltés ou à récolter qui se trouvent sur le fonds (die zich op den bodem bevinden) et sur tout ce qui se trouve sur le fonds et qui sert soit à garnir le bien loué ou la ferme, soit à cultiver ou à utiliser la terre, comme le bétail, l’outillage agricole et autres choses semblables, que les objets précités appartiennent ou non au locataire ou au fermier. Toutefois, si le locataire ou le fermier a en sa possession des biens en vertu d’une location-vente, le bailleur ne peut exercer son privilège à l’encontre du vendeur si la location-vente concerne des semences ou de l’outillage, sauf à prouver que le bailleur avait connaissance de la location-vente. (...)" Aux termes de l’article 1190, "Le vendeur de biens meubles non encore payés peut exercer son privilège sur le prix de vente lorsque les biens se trouvent encore en possession du débiteur, que la vente ait eu lieu avec ou sans stipulation d’un délai." D’après l’article 1191: "1. Si la vente a eu lieu sans stipulation d’un délai, le vendeur peut même exiger la restitution des biens aussi longtemps que ceux-ci se trouvent en possession de l’acheteur et empêcher leur revente, à condition que la revendication intervienne dans les trente jours de la livraison. Les articles 231, 233, 234, 236 et 237 du code de commerce s’appliquent par analogie." Il échet de noter que l’article 1191 ne concerne pas un privilège, mais confère au vendeur le droit de résoudre la vente au moyen d’une déclaration faite à l’acheteur et de recouvrer la propriété des biens précédemment vendus et livrés. Le vendeur peut alors revendiquer ses biens, y compris - à l’intérieur de certaines limites -auprès de tiers. Les articles 231 et suivants du code de commerce règlent l’usage d’un droit analogue en cas de faillite du débiteur (paragraphe 35 ci-dessous). Les articles 439 et suivants du code de procédure civile fixaient des règles pour le recouvrement sur des biens meubles d’un débiteur. En principe, semblable recouvrement commençait par une saisie, nécessitant d’ordinaire un jugement d’un tribunal (même si la loi prévoyait des exceptions, notamment en matière fiscale: paragraphe 28 ci-dessous). Il convient de citer l’article 456, auquel l’article 16 de la loi de 1845 faisait référence: "1. Quiconque se prétend propriétaire, en tout ou en partie, des biens saisis peut faire opposition à leur vente au moyen d’un exploit motivé, adressé à la partie pour le compte de laquelle la saisie a été effectuée (arrestant) et à la personne qui la subit, et notifié au séquestre, le tout à peine de nullité. (...) (...)" C. Saisie par le fisc de biens appartenant à des tiers et se trouvant sur le fonds du débiteur de l’impôt (bodembeslag) A l’époque des faits, en vertu de l’article 12 de la loi de 1845, les créances d’impôt l’emportaient sur toutes autres créances, à l’exception des frais de justice et autres frais liés à la vente forcée de biens, et des créances garanties par une hypothèque. Les biens appartenant à des tiers et saisis en vertu de l’article 16 par. 3 (paragraphe 29 ci-dessous) étaient également soumis à cette priorité (arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 1979, NJ 1980, no 280). L’article 14 de la loi de 1845 autorisait le fisc à saisir les biens meubles et immeubles d’un débiteur d’impôts et à les vendre afin de recouvrer sa créance. Un jugement préalable établissant la dette et enjoignant au débiteur de la payer n’était pas nécessaire. Une saisie pratiquée au titre de cette disposition était fondée sur une contrainte établie par le receveur. Celle-ci était notifiée au débiteur, dont l’omission de payer était suivie de la saisie et de la vente forcée de ses biens. L’article 14 précisait explicitement que semblable contrainte avait les mêmes effets qu’un jugement. Aussi le paragraphe 2 de cette disposition prévoyait-il que la contrainte du fisc devait être exécutée conformément aux dispositions du code de procédure civile régissant l’exécution des jugements (paragraphe 27 ci-dessus). L’article 15 donnait au débiteur de l’impôt le droit de saisir les tribunaux civils d’une opposition contre la contrainte, mais limitait les moyens pouvant être invoqués à l’appui. Il précisait aussi que pareille opposition n’avait pas d’effet suspensif, mais il était possible de solliciter en référé (kort geding) une ordonnance portant suspension de l’exécution. Complétant le droit d’opposition conféré au débiteur par l’article 15, l’article 16 accordait un droit analogue aux tiers revendiquant un droit de propriété sur des biens meubles saisis sur le fonds du débiteur. L’article 16 devait se lire à la lumière de l’article 14, qui déclarait applicables les dispositions pertinentes du code de procédure civile. Son but était de limiter les droits de tiers au titre de l’article 456 (paragraphe 27 ci-dessus). Il était ainsi libellé: "1. Les tiers qui estiment avoir un droit complet ou partiel sur les biens meubles saisis en raison d’une dette fiscale peuvent adresser une réclamation au directeur des impôts directs, à condition de la présenter avant la vente et au plus tard dans les sept jours qui suivent la saisie. La réclamation est soumise au receveur, qui en accuse réception. Le directeur rend une décision dans les plus brefs délais. Un délai de huit jours doit être respecté entre la notification de la décision au demandeur et à la personne contre laquelle la saisie est dirigée, et la vente, dont la date doit figurer sur la notification. En introduisant la réclamation visée au paragraphe précédent, la partie concernée ne perd pas le droit de former son opposition devant un tribunal ordinaire. Sous réserve de l’action en répétition reconnue par (...) les articles 230 et suivants du code de commerce, les tiers ne peuvent jamais former un recours contre une saisie de biens opérée en matière fiscale, sauf s’il s’agit de taxes foncières, si les fruits récoltés ou à récolter, ou les biens meubles garnissant une maison ou une ferme, ou utilisés pour cultiver ou utiliser la terre, sont situés sur le fonds du débiteur concerné au moment de la saisie." Le terme "fonds" fut interprété comme visant un terrain ou une parcelle de terre utilisés effectivement par le débiteur de l’impôt et dont il dispose indépendamment d’autres personnes (voir notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 1991, NJ 1992, no 298; voir aussi l’article 30 par. 4 des directives de 1961). Les "biens meubles garnissant une maison ou une ferme" étaient tous objets destinés à permettre toute utilisation du fonds conforme à la destination que lui avait effectivement donnée le débiteur de l’impôt. Ils étaient réputés inclure les machines non attachées au fonds (voir notamment le jugement du tribunal d’arrondissement de Haarlem du 18 février 1964, NJ 1965, no 402, et l’arrêt de la cour d’appel d’Amsterdam du 7 décembre 1979, cité dans l’arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 1981, NJ 1981, no 656; voir aussi l’article 30 par. 4 des directives de 1961), mais non les stocks, ni les matières premières, ni les produits finis, ni les véhicules (arrêt de la Cour de cassation du 11 mars 1927, NJ 1927, p. 494; directives de 1961, ibidem). Le droit pour le fisc de saisir tous les biens meubles trouvés sur le fonds du débiteur de l’impôt, y compris les biens appartenant à des tiers, impliquait le droit de recouvrement sur ces biens (article 30 par. 1 des directives de 1961 et arrêt de la Cour de cassation rendu en l’espèce (paragraphe 23 ci-dessus)). Le recouvrement s’opérait normalement par la vente aux enchères des biens (article 14 par. 2 de la loi de 1845 combiné avec l’article 463 du code de procédure civile). On jugeait néanmoins que si le débiteur de l’impôt était en faillite, le receveur avait la faculté de donner son accord pour que le curateur pût les vendre de gré à gré (arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 1989, NJ 1990, no 131). Afin de favoriser une application uniforme de la loi, le ministre des Finances édicta, par une décision du 8 décembre 1961, les directives de 1961. Il s’agissait d’instructions officielles adressées aux autorités fiscales, subordonnées au ministre, et indiquant la manière dont la loi devait être interprétée et appliquée. Les directives en question furent publiées; les particuliers pouvaient s’en prévaloir en justice contre le fisc, lié par elles en vertu des principes généraux de bonne administration. Par un arrêt du 28 mars 1990 (NJ 1991, no 118), la Cour de cassation confirma cette interprétation en décidant que des directives telles que celles-là devaient être appliquées, à l’égard des intéressés, comme des règles de droit. L’article 30 des directives de 1961 concernait l’interprétation et l’application de l’article 16. Son paragraphe 9 donnait des instructions complémentaires concernant la manière dont les réclamations au titre de l’article 16 paras. 1 et 2 (paragraphe 29 ci-dessus) devaient être traitées. Il était ainsi libellé: "La décision du directeur ne doit pas dépendre uniquement de considérations d’ordre juridique. Une fois les relations juridiques en cause suffisamment éclaircies, il échet d’accorder une place importante à l’équité (billijkheid) et aux exigences de bonne politique. Il convient à cet égard de respecter le droit de propriété des tiers lorsqu’il s’agit de recouvrer un impôt personnel ou une cotisation de sécurité sociale, mais aussi lorsque le tiers concerné jouit d’une propriété réelle (reële eigendom), le tout sous réserve de ce qui suit. (...) Ce qui précède ne change rien au fait qu’il n’y a aucune raison d’adopter une politique timorée dans les cas manifestes de collusion entre le débiteur et le tiers, visant à feindre l’existence d’un droit de propriété pour tenter d’empêcher le recouvrement sur les biens. Du point de vue de l’équité et de la bonne politique, le recouvrement sur les biens d’un tiers est généralement justifié lorsqu’il sert à récupérer un impôt commercial et des cotisations de sécurité sociale, et que le lien économique entre le débiteur et les biens laisse penser que ces biens lui appartiennent et que le fait que, juridiquement, ils appartiennent à une autre personne est avant tout une fiction visant à empêcher le recouvrement sur ces biens à la charge du débiteur de l’impôt ou à permettre au tiers de bénéficier d’un privilège sur eux. Pour illustrer ce qui précède, on peut citer les cas où des biens ont été livrés en vertu d’une vente-location, de différentes formes de crédit-bail ou d’autres moyens grâce auxquels le fournisseur des biens se réserve la propriété de ceux-ci. On peut en outre penser aux cas où la propriété des biens a été transférée à un tiers à titre de sûreté. (...)" Dans son arrêt du 9 janvier 1981 (NJ 1981, no 656), la Cour de cassation rejeta la thèse selon laquelle l’article 16 par. 3 s’appliquait seulement aux biens présents sur le fonds du débiteur de l’impôt et dont la propriété avait été transférée à un tiers afin d’empêcher le fisc de recouvrer ses créances en procédant à la vente forcée de ces biens. Bien qu’il ressortît des travaux préparatoires de cette disposition qu’elle avait été motivée à l’époque (en 1845) par le désir de contrer certains abus, cela ne signifiait pas que l’on eût fait de la survenance d’un abus une condition d’applicabilité de ce texte, l’article 16 dérivant du privilège du propriétaire défini à l’article 1186 du code civil (paragraphe 26 ci-dessus). L’article 16 avait par la suite plusieurs fois fait l’objet, entre le gouvernement et le Parlement, de discussions dont il apparaissait que le but de cette disposition était, pour reprendre les termes de la Cour de cassation, "d’accorder au fisc la possibilité de se désintéresser sur les biens saisis, nonobstant tous droits de tiers, comme s’ils appartenaient au débiteur de l’impôt". Il n’était pas possible aux fournisseurs de marchandises d’obtenir de la part du fisc des informations sur le point de savoir si leurs clients avaient des dettes fiscales impayées et si, en conséquence, ils risquaient une saisie. D’après l’article 67 par. 1 de la loi générale sur les impôts de l’Etat (Algemene wet inzake rijksbelastingen), les agents du fisc étaient et sont toujours tenus de garder ces informations secrètes. Les autorités douanières jouissaient d’un droit analogue à celui reconnu au receveur par l’article 16 de la loi de 1845. L’article 151 de la loi générale en matière de douane et accises (Algemene wet inzake de douane en de accijnzen) les habilitait à recouvrer les droits à l’importation et les accises sur les marchandises pour lesquelles ceux-ci sont dus, de même que toutes amendes ou tous intérêts administratifs, quelle que fût la personne pouvant revendiquer des droits sur les marchandises concernées. D. Conséquences de la faillite de l’acheteur Lorsqu’une personne physique ou morale était déclarée en faillite, toutes les saisies pratiquées sur ses biens devenaient caduques (article 33 par. 2 de la loi sur la faillite - Faillissementswet). Etaient également visées les saisies diligentées par le fisc mais non celles effectuées sur les biens de tiers en vertu de l’article 16 par. 3 de la loi de 1845. Pour les cas où des biens meubles avaient été vendus et livrés, mais non intégralement payés, l’article 230 du code de commerce autorisait le vendeur à les récupérer si l’acheteur faisait faillite, à condition qu’ils pussent toujours être identifiés (article 231) et que le vendeur exerçât ses droits dans les trente jours de la livraison à l’acheteur (article 232). Le vendeur devait alors restituer tout paiement qu’il pouvait déjà avoir reçu, ainsi que certaines dépenses qui pouvaient avoir été encourues dans l’intervalle (articles 233 et 235). Le contrat de vente était alors considéré comme résolu et le vendeur passait pour avoir toujours conservé la propriété des biens (arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 1970, NJ 1971, no 203). Les droits garantis au vendeur par les articles 230 et suivants du code de commerce devaient être respectés par le fisc (article 16 par. 3 de la loi de 1845 - paragraphe 29 ci-dessus). E. Dispositions procédurales Ainsi qu’il résultait de l’article 16 par. 1 de la loi de 1845, les tiers revendiquant un droit sur les biens saisis sur le fonds du débiteur de l’impôt pouvaient soumettre une réclamation au receveur qui la transmettait au directeur des impôts directs. L’article 16 par. 1 prévoyait un délai de sept jours, mais les réclamations présentées tardivement n’en étaient pas moins examinées et le receveur devait suspendre la vente forcée des biens saisis si cela était toujours possible (article 30 par. 8 des directives de 1961). Il n’y avait pas de limitations quant aux motifs sur lesquels une réclamation au fisc pouvait être assise. Après avoir obtenu une décision du directeur ou - s’ils le jugeaient préférable - sans avoir obtenu semblable décision, les tiers pouvaient intenter une action devant le tribunal d’arrondissement en vertu de l’article 456 du code de procédure civile (paragraphe 27 ci-dessus). Toutefois, l’article 16 par. 3 de la loi de 1845 limitait les moyens pouvant être invoqués à l’appui de semblable action à la question de savoir si les biens saisis étaient en fait "des fruits récoltés ou à récolter, ou des biens meubles servant, soit à garnir une maison ou une ferme, soit à cultiver ou à utiliser la terre" (arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 1981, NJ 1981, no 656, et arrêt de la Cour de cassation rendu en l’espèce; paragraphe 23 ci-dessus). Les possibilités d’obtenir réparation devant les juridictions civiles ont été clarifiées par l’arrêt rendu par la Cour de cassation en l’espèce (paragraphe 23 ci-dessus). Il ressort clairement de cette décision qu’en portant une affaire devant les juridictions civiles, un tiers n’avait pas à se borner aux questions décrites au paragraphe 37 ci-dessus, mais pouvait aussi fonder son action sur un délit civil (article 1401 du code civil) commis par le receveur, permettant ainsi aux tribunaux de vérifier si les directives de 1961 avaient été observées par le receveur lorsqu’il avait autorisé la saisie et par le directeur des impôts directs lorsqu’il avait rejeté les tierces oppositions. F. Réserve de propriété L’article 455 du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch) se lit ainsi: "Si le vendeur d’un bien meuble s’en est réservé la propriété jusqu’au moment où le prix serait payé, il faut supposer en cas de doute que le transfert de propriété n’a lieu que sous une condition suspensive de paiement intégral du prix et que le vendeur a le droit de résoudre le contrat si l’acheteur vient à se trouver en défaut de paiement." En cas de résolution, d’après l’article 346 du même code, chaque partie devait restituer à l’autre tout ce qu’elle avait déjà reçu en vertu du contrat. A l’époque des faits incriminés, le droit néerlandais ne comportait aucune disposition légale analogue à l’article 455 précité, même si la réserve de propriété était fréquemment utilisée et validée par les tribunaux dans les litiges entre parties privées. G. Développements concernant le droit pour le fisc de saisir des biens appartenant à des tiers et se trouvant sur le fonds du débiteur de l’impôt En 1974, un rapport fut publié par un comité gouvernemental (le "comité Houwing") créé pour examiner le droit en matière de privilèges (paragraphe 26 ci-dessus). En ce qui concerne le droit conféré au fisc par l’article 16 par. 3 de la loi de 1845, il formulait l’avis que ce droit devait être limité aux cas dans lesquels d’autres créanciers, s’ajoutant au fisc, avaient stipulé des droits s’analysant totalement ou essentiellement en des sûretés garantissant leurs créances; cela aurait correspondu, dans les grandes lignes, à la politique du fisc lui-même, telle qu’elle était exposée dans les directives de 1961 (paragraphe 30 ci-dessus). Il suggérait également d’étendre le droit de saisie à tous les biens meubles destinés à un usage professionnel permanent par l’entreprise concernée. Le droit garanti au fisc par l’article 16 par. 3 devint la cible de critiques croissantes. Aussi lorsqu’il a introduit une législation visant à moderniser le droit en matière de recouvrement des impôts, le gouvernement n’a-t-il pas - pour l’heure - proposé de modifications significatives au privilège du fisc ou au droit de saisie. En déposant son projet, il déclara que la question nécessitait un complément d’étude, pour lequel un groupe de travail interministériel devait être institué. Cette attitude fut critiquée au Parlement, en particulier par les partis qui jugeaient injustifiés les amples pouvoirs de saisie du fisc, mais le gouvernement campa sur sa position. Néanmoins, le dépôt au Parlement du nouveau projet suscita une fois de plus un débat critique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parlement. Le projet mentionné au paragraphe précédent devint la nouvelle loi sur le recouvrement des impôts, qui entra en vigueur le 1er juin 1990 (Invorderingswet 1990 - "la loi de 1990"). En pratique, elle laisse intactes les dispositions de la loi de 1845 concernant le caractère prioritaire des créances fiscales et accroît le délai concerné. Elle contient aussi une disposition (article 22) qui est pratiquement identique à l’article 16 de la loi de 1845 (paragraphe 29 ci-dessus), la seule différence réelle étant que le troisième paragraphe donne une liste exhaustive des impôts concernés. D’après l’article 70 de la loi de 1990, l’article 22 devait cesser de s’appliquer au 1er janvier 1993, sauf si à cette date un projet avait été introduit pour le remplacer ou pour proroger sa validité pour une période maximale d’un an; en fait un projet (no 22.942) remplissant ces conditions fut déposé à la chambre basse du Parlement le 30 novembre 1992. Le groupe de travail interministériel (paragraphe 41 ci-dessus) a publié son rapport en 1990. Le projet no 22.942, qui est fondé sur ledit rapport et le suit de près, propose d’amender le code civil et la loi de 1990 de manière à conférer au fisc un droit de recouvrement sur tous les biens n’appartenant pas au débiteur de l’impôt mais destinés à son usage permanent dans l’exercice de sa profession. Les tiers n’auraient la faculté d’opposer au receveur aucun droit négocié servant essentiellement de sûreté. Le receveur serait toutefois tenu de demander au débiteur de l’impôt si, parmi les biens saisis, il en est qui appartiennent à des tiers. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Gasus a saisi la Commission de sa requête le 6 juillet 1989. Elle se plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal indépendant et impartial, en violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), et d’avoir été privée du respect de ses biens, au mépris de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 21 octobre 1992, la Commission a déclaré la requête (no 15375/89) recevable en ce qui concerne les griefs formulés sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 21 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par six voix contre six, celle de son président étant prépondérante, qu’il n’y a pas eu violation du l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement conclut son mémoire en formulant l’avis que la requête de Gasus fondée sur une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (article 26 de la Convention) (art. 26), et qu’elle est en tout état de cause dépourvue de fondement.
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyen néerlandais né en 1927, le requérant réside à Alicante, en Espagne. Il vécut aux Pays-Bas jusqu'à la fin de 1974. Au moins jusqu'à l'automne 1976, il participa à la direction d'un certain nombre de sociétés de droit néerlandais dans lesquelles il avait aussi, directement ou indirectement, des intérêts en tant qu'actionnaire. En 1977, le fisc ouvrit une enquête au sujet d'infractions fiscales que l'intéressé pouvait avoir commises. Le 22 janvier 1980, il lui notifia des redressements concernant son impôt sur le revenu (inkomstenbelasting) pour l'année 1974 et son impôt sur le patrimoine (vermogensbelasting) pour l'année 1975. Les sommes payables furent majorées de 100 %, le fisc estimant que M. Leutscher avait renvoyé des déclarations inexactes (paragraphe 13 ci-dessous). Le 25 janvier 1980, le directeur des impôts de l'Etat (Directeur van 's Rijks Belastingen) fit parvenir au procureur (officier van justitie) un procès-verbal (proces-verbaal) de constatations, établi par le service des recherches et des renseignements fiscaux (Fiscale Inlichtingen- en Opsporingsdienst) et daté du 10 janvier 1980, en l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour poursuivre le requérant. Le 25 juin 1980, celui-ci adressa au procureur une lettre l'informant qu'il avait eu vent des soupçons pesant sur lui. Le 3 septembre 1982, le procureur requit l'ouverture d'une instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) contre M. Leutscher. Le 24 mai 1984, le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) d'Amsterdam jugea l'intéressé par défaut. Les charges comportaient quatre chefs d'injonction de renvoi de fausses déclarations fiscales pour les années 1974 à 1976, adressées à diverses sociétés à la direction desquelles le requérant participait, ainsi que deux chefs d'établissement de fausses déclarations de ses revenus et avoirs ayant entraîné la fixation à des montants incorrects de son impôt sur le revenu pour 1974 et de son impôt sur le patrimoine pour 1975. Le tribunal d'arrondissement le déclara coupable sur l'ensemble des chefs d'accusation le 7 juin 1984 et le condamna à un an d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de 1 000 000 florins néerlandais (NLG). M. Leutscher attaqua la décision devant la cour d'appel (gerechtshof) d'Amsterdam. Après avoir tenu des audiences le 10 octobre 1986 et les 16 janvier et 13 mars 1987, celle-ci, dans un arrêt du 13 mars 1987, annula le jugement du tribunal d'arrondissement et déclara les poursuites périmées. Dès lors que le requérant avait su dès le 25 juin 1980 que des poursuites pénales pouvaient être engagées contre lui et qu'aucune action n'avait été entreprise à cet effet avant le 3 septembre 1982 (date d'ouverture de l'instruction judiciaire préparatoire), on ne pourrait plus prétendre, estima la cour d'appel, qu'il eût été statué dans un "délai raisonnable" sur les accusations en matière pénale dirigées contre l'intéressé, comme l'exigeaient l'article 6 (art. 6) de la Convention et l'article 14 par. 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le 25 juin 1987, M. Leutscher saisit la cour d'appel d'une demande de remboursement des frais et dépens encourus par lui au cours de la procédure pénale dont il avait fait l'objet. Se fondant sur l'article 591a par. 2 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering; CPP), il réclamait, notamment, 61 410 NLG pour ses frais d'avocat et 40 000 NLG pour perte de temps (paragraphe 17 ci-dessous). Le 6 janvier 1988, la chambre fiscale (belastingkamer) de la cour d'appel d'Amsterdam annula le redressement concernant l'impôt sur le revenu du requérant pour l'année 1974. Le 13 avril 1988, elle annula également celui relatif à l'impôt sur le patrimoine pour l'année 1975 (paragraphe 8 ci-dessus). Le 16 mars 1990, à la suite d'une audience tenue à huis clos le 20 juillet 1988 et à laquelle assistèrent le requérant et son avocat, le président de la chambre du conseil (raadkamer) de la cour d'appel statua sur la demande de remboursement de ses frais et dépens introduite par le requérant. Il alloua certaines sommes censées couvrir les frais des témoins et les honoraires des conseillers fiscaux, et il accorda le remboursement intégral des frais de voyage de M. Leutscher. Il refusa en revanche d'ordonner le versement de quelque somme que ce fût pour compenser la perte de temps, n'estimant pas établi que le requérant eût souffert un quelconque préjudice à cet égard. Il repoussa aussi la demande tendant au remboursement des frais d'avocat. A cet égard, il déclara notamment: "Il ressort du dossier que [le requérant] participait à la gestion d'une série de sociétés et que celles-ci, sous sa direction ou ses ordres, ont commis une série de délits fiscaux [fiscale delicten] qui ont causé à l'Etat une perte financière considérable. La condamnation prononcée contre l'intéressé par le tribunal d'arrondissement visait notamment ces infractions (...) Ni le dossier de l'instruction pénale ni celui se rapportant à la présente requête n'autorisent le moindre doute sur le bien-fondé de cette condamnation. Dans ces conditions, la cour d'appel, ayant égard à l'ensemble des circonstances, considère qu'il n'existe en équité aucune raison d'accorder [au requérant] le remboursement de ses frais de justice." II. Le droit interne pertinent Les paragraphes qui suivent reproduisent les dispositions pertinentes du code de procédure pénale telles qu'elles étaient libellées à l'époque des événements incriminés. Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, l'article 90 CPP énonçait: "1. Une indemnité est toujours octroyée si et dans la mesure où le juge estime, au vu de toutes les circonstances, qu'elle se justifie en équité. (...)" Dans la mesure où il est pertinent en l'espèce, l'article 591a CPP disposait: "(...) Si à l'issue de l'affaire aucune peine ou mesure n'est imposée (...), il peut être alloué à l'ex-prévenu ou à ses héritiers, aux frais de l'Etat, une indemnité pour le préjudice réellement subi par l'intéressé du fait de la perte de temps résultant de l'instruction judiciaire préparatoire et du traitement de l'affaire à l'audience, ainsi que pour ses frais d'avocat. Cette indemnité couvre aussi les frais d'avocat afférents à la garde à vue et à la détention provisoire. Une indemnité pour ces frais peut en outre être accordée dans l'hypothèse où l'affaire se termine par le prononcé d'une peine ou d'une mesure en raison d'un fait pour lequel la détention provisoire n'est pas autorisée. (...) [L'article] 90 s'applique par analogie." La procédure d'appel contre une condamnation ou une peine prononcées en première instance implique un nouvel examen complet de la cause. La défense jouit des mêmes droits qu'en première instance (article 415 CPP). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Leutscher a saisi la Commission le 29 juin 1990. Invoquant l'article 6 paras. 1 et 3 b) et d) (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-d) de la Convention, il se plaignait, d'une part, que les redressements fiscaux et la procédure pénale dirigée contre lui se fondaient sur des faits inexacts et, d'autre part, qu'on lui avait refusé la possibilité de prouver que tant les redressements que les accusations pénales étaient injustes. Il soutenait que celles-ci comme ceux-là étaient basés sur des documents fiscaux auxquels on lui avait refusé l'accès, ce qui l'avait sérieusement gêné pour contester les uns et les autres. En conséquence, il n'avait pas eu un procès équitable devant la cour d'appel en ce qui concerne ses demandes d'indemnisation consécutives à l'arrêt de la procédure pénale. Il se plaignait également que la référence au bien-fondé de sa condamnation en première instance, faite par le président de la chambre du conseil de la cour d'appel dans sa décision du 16 mars 1990 relative à la demande d'indemnisation formée par l'intéressé, avait violé les droits garantis à ce dernier par l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, dès lors qu'elle reflétait l'opinion qu'il était coupable des infractions dont il avait été accusé, alors que la procédure pénale ne s'était pas terminée par une condamnation. Enfin, M. Leutscher faisait valoir, sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, que la procédure qu'il avait engagée afin d'avoir accès à certains documents fiscaux, prétendument à la base des redressements et majorations dont il avait fait l'objet, n'avait pas été menée à son terme dans un délai raisonnable. Le 8 janvier 1993, la Commission a retenu la requête (n° 17314/90) dans la mesure où elle se rapportait aux griefs énoncés par le requérant relativement à la procédure concernant sa demande de remboursement de ses frais de justice et à son droit d'être présumé innocent, et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 12 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), et, par huit voix contre cinq, qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 6 par. 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis et de l'opinion partiellement dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement conclut son mémoire en formulant l'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 2 (art. 6-2), que les paragraphes 1 et 3 de l'article 6 (art. 6-1, art. 6-3) ne s'appliquent pas en l'espèce et que, quand bien même la Cour jugerait le paragraphe 1 applicable, cette disposition n'a pas été violée.
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I. Les circonstances de l'espèce A. La genèse de l'affaire Le 28 juillet 1981, l'Etat procéda par une décision conjointe du ministre des Finances et de celui des Travaux publics, et en vertu de la loi n° 653/1977 "relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales", à l'expropriation d'une partie de chacun des immeubles des requérants, aux fins de construction d'un pont routier sur la route reliant les villes de Thessalonique et de Langada. La loi n° 653/1977 présume que les propriétaires d'immeubles sis au bord d'une route nationale tirent profit lorsqu'il y a élargissement de cette route, et prévoit que dès lors ils participent obligatoirement aux frais d'expropriation s'ils sont expropriés (paragraphe 29 ci-dessous). Les immeubles, sis au bord de la route, étaient utilisés à des fins commerciales. Les deux premiers requérants, MM. Savvas et Nicolaos Katikaridis, avaient un commerce de vente de pneus d'automobiles, dont ils se virent soustraire 174,38 m². Le troisième, M. Tormanidis, négociant de combustibles, possédait une station-service dont il perdit 68,68 m². La quatrième, Agrotikes Synetairistikes Ekdoseis, AE, maison d'édition et imprimerie, fut expropriée de 347,36 m². B. La procédure de fixation judiciaire de l'indemnité En 1982, l'Etat saisit le tribunal de grande instance de Thessalonique d'une action tendant à ce qu'un montant unitaire provisoire au mètre carré soit fixé pour l'indemnité. Le 10 juin 1982 (jugement n° 3008/1982), le tribunal fixa le montant en question à 14 000 drachmes au mètre carré. Par un arrêt du 8 décembre 1983 (n° 2445/1983), la cour d'appel de Thessalonique porta le montant définitif à 14 500 drachmes au mètre carré. C. La procédure de reconnaissance de titulaires du droit à indemnisation Le 4 juin 1984, le tribunal de grande instance de Thessalonique reconnut aux requérants la qualité de bénéficiaires de l'indemnité définitivement fixée en 1983 (jugement n° 3648/1984). Toutefois, à cause de l'application de la présomption posée par la loi n° 653/1977, l'Etat n'indemnisa pas les requérants pour la zone des quinze mètres de largeur visée par ladite loi. D. La procédure en recouvrement de l'indemnité Devant le tribunal de grande instance de Thessalonique Le 20 juillet 1984, les requérants saisirent le tribunal de grande instance de Thessalonique en vue d'obtenir le paiement de l'indemnité fixée. Ils précisaient dans leur demande que leurs immeubles, qui donnaient auparavant sur la route nationale, large de trente mètres, étaient, après la construction du pont routier, riverains d'une route secondaire, large de cinq à sept mètres seulement. De surcroît, cette dernière n'avait aucun point de communication avec la route principale qui passait désormais six mètres au-dessus de leurs immeubles. En revanche, l'Etat soutint qu'en application de la présomption posée par la loi n° 653/1977, les requérants, propriétaires riverains de la route à élargir, tiraient profit de l'expropriation et n'avaient donc aucun droit à dédommagement. Le tribunal de grande instance de Thessalonique statua le 27 juin 1985 (jugement n° 2190/1985). Il accueillit l'exception de l'Etat et rejeta l'action des requérants au motif que la présomption légale était irréfragable et s'appliquait à leur cause. Devant la cour d'appel de Thessalonique Le 12 juillet 1985, les requérants interjetèrent appel contre ce jugement. La cour d'appel de Thessalonique décida le 24 juin 1986 (arrêt n° 934/1986) que l'application de la présomption irréfragable était contraire à l'article 17 de la Constitution. Elle ordonna aux requérants de prouver que la construction du pont routier n'avait pas été à leur avantage. Le 9 juin 1987 (arrêt n° 1882/1987), la cour d'appel trancha en faveur des requérants après avoir recueilli les éléments de preuve sollicités. Elle releva que les commerces des intéressés dont la façade donnait, avant la construction du pont routier, sur la route principale, faisaient alors de larges bénéfices en raison du nombre de voitures qui empruntaient cette route; toutefois, depuis les travaux, ces magasins ont vu leur activité diminuer considérablement et certains ont même dû fermer car ils travaillaient à perte. Enfin, elle décida que l'Etat devait verser 2 528 510 drachmes à M. Katikaridis, 995 860 drachmes à M. Tormanidis et 5 036 720 drachmes à la société Agrotikes Synetairistikes Ekdoseis, AE. Devant la Cour de cassation Le 30 septembre 1987, l'Etat se pourvut en cassation. L'audience fut fixée au 28 septembre 1988 et les délibérations eurent lieu le 17 octobre suivant. Par un arrêt (n° 672/1989) du 13 juin 1989, la troisième chambre de la Cour de cassation jugea ainsi: " (...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 s'appliquent non seulement en cas de percée ou d'élargissement d'une route qui se trouve hors du plan d'urbanisme, mais aussi pour la construction d'un échangeur et des voies de raccordement liant les immeubles expropriés à la route nationale. L'article 1 par. 3 de la loi n° 653/1977 consacre une présomption légale irréfragable selon laquelle le propriétaire dont l'immeuble acquiert une façade sur la route percée ou sur la voie de raccordement de l'échangeur en tire profit. L'institution d'une telle présomption est en principe tolérée par la Constitution, lorsque la cause de la présomption est raisonnable et fondée sur l'expérience commune. La présomption en l'espèce impose une obligation de participation aux frais de l'ouvrage, qui sont engagés par l'Etat, sous la forme de "l'auto-indemnisation" des propriétaires riverains. Cette obligation pèse sur les propriétaires d'immeubles de chaque côté, c'est-à-dire sur ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur la route percée ou sur l'échangeur; ces propriétaires sont considérés comme en tirant profit et sont obligés [de participer aux frais de construction] d'une zone d'une largeur égale à la moitié de la route percée, lorsque celle-ci ne dépasse pas la moitié de la surface de l'immeuble concerné. La prémisse de cette obligation est que la percée de la route nationale ou la construction de l'échangeur modifie de fond en comble la physionomie économique de la région et multiplie la valeur des immeubles qui se trouvent des deux côtés de l'ouvrage, de sorte que cela provoque un enrichissement sans cause de leurs propriétaires; or si cet enrichissement n'était pas compensé par le préjudice dû à l'occupation d'une partie de leur immeuble, cela causerait une grande difficulté, sinon l'impossibilité, pour l'Etat d'acquérir les terrains indispensables à l'exécution des programmes de voirie (...). Assurément, il n'est pas exclu que, dans certains cas, le même propriétaire, alors qu'il tire profit de la mise en valeur de l'ensemble de la région, soit en même temps lésé: la forme ou la taille de son immeuble peut être modifiée au point d'en rendre impossible ou d'en diminuer l'utilisation; de même, cette utilisation (jusqu'à la construction de l'ouvrage) ou la réalisation de plans de mise en valeur de son immeuble peuvent s'avérer impossibles ou difficiles. Toutefois, dans cette hypothèse, le propriétaire lésé peut être indemnisé en vertu de l'article 13 par. 4 du décret-loi n° 797/1971, qui s'applique aussi dans les cas visés par la loi n° 653/1977. Par conséquent, les dispositions de cette loi ne sont pas contraires aux articles 17 et 4 par. 1 de la Constitution car elles n'introduisent pas des exceptions injustifiées à l'encontre des propriétaires riverains. (...)" La troisième chambre renvoya l'affaire devant la quatrième chambre de la Cour de cassation. Assignés le 20 janvier 1990, les requérants déposèrent leur mémoire le 10 juillet suivant. Les débats furent fixés au 21 septembre 1990. Le 30 novembre 1990, la quatrième chambre de la Cour de cassation jugea (arrêt n° 1841/1990) que l'article 1 par. 3 de la loi n° 653/1977 (combiné avec l'article 62 paras. 9 et 10 de la loi n° 947/1979) ne s'appliquait pas en cas d'expropriation forcée pour la construction d'un échangeur (pont aérien) en dehors du plan d'urbanisme; une telle construction ne profite pas aux riverains car elle vise exclusivement à assurer le flux rapide et sûr de véhicules; de plus, elle les prive de tout accès direct et immédiat à la route principale initiale sur laquelle donnait auparavant la façade de leurs immeubles. Elle estima, en outre, que la présomption instituée par cet article était réfragable, sans quoi ledit article serait contraire à la Constitution. Enfin, elle renvoya l'affaire devant la formation plénière de la Cour de cassation pour que celle-ci lève la contradiction entre les deux chambres (article 580 par. 4 du code de procédure civile). Assignés le 6 décembre 1990 devant la nouvelle formation de la Cour de cassation, les requérants déposèrent, le 20 janvier 1991, un mémoire ampliatif dans lequel ils invoquaient les articles 6 de la Convention (art. 6) et 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Les débats furent fixés au 21 février suivant. Le 6 juin 1991, la Cour de cassation, siégeant en formation plénière (trente-deux juges), trancha en faveur de la position de la troisième chambre en ces termes (arrêt n° 14/1991): "(...) Conformément à l'article 62 par. 9 de la loi n° 947/1979 "relative aux zones constructibles", les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 s'appliquent aussi en cas d'amélioration de routes existantes au moyen de nouveaux tracés ou d'élargissement de ces routes ou des parties de celles-ci. La liste des cas d'améliorations (...) est indicative et non exhaustive. Il s'ensuit qu'au sens véritable de cette disposition, l'amélioration d'une route nationale comprend la construction d'un échangeur; or l'expropriation d'immeubles pour l'élargissement d'une telle route et la construction parallèlement à celle-ci de voies d'accès à l'échangeur sont régies par les [articles 1 paras. 1, 3, 4 et 5 et 2 par. 2 de la loi n° 653/1977]. Du reste, ainsi qu'il ressort des dispositions de l'article 1 paras. 1 et 3 de la loi n° 653/1977, la présomption [selon laquelle les propriétaires tirent avantage d'une telle amélioration] est irréfragable; la loi n'autorise pas une procédure qui tendrait à prouver que l'amélioration de la route ne procure pas d'avantages, et ainsi à renverser cette présomption. Enfin, la disposition légale qui énonce ladite présomption permet aussi d'identifier les personnes pouvant prétendre à une indemnité à raison de l'expropriation de leurs immeubles, et le droit à réparation des propriétaires desdits immeubles ne se trouve pas affecté. Il s'ensuit que la disposition de cette loi et la présomption irréfragable qu'elle institue ne méconnaissent pas l'article 17 par. 2 de la Constitution qui impose l'indemnisation complète du propriétaire de l'immeuble exproprié. (...)" Toutefois, une minorité de treize juges estima que la controverse aurait dû être vidée en faveur de la position de la quatrième chambre. Selon quatre d'entre eux, l'article 62 par. 9 de la loi n° 947/1977 ne s'appliquait pas pour les améliorations au moyen de la construction d'échangeurs et, par conséquent, les propriétaires riverains n'en tiraient aucun profit. Pour quatre autres, ladite présomption n'était pas irréfragable mais réfragable car, en matière d'échangeurs, la différence de niveau entrave l'accès à la route nationale, ce qui désavantage les immeubles riverains. Enfin, cinq juges considérèrent que la présomption irréfragable privait les propriétaires de leur droit de se faire rembourser à la juste valeur de leurs immeubles au temps de l'expropriation. L'affaire fut ensuite renvoyée à la quatrième chambre pour qu'elle statue sur le bien-fondé de l'action des requérants. Cependant, l'action étant vouée à l'échec après l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 1991, les requérants ne reprirent pas la procédure. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Les articles pertinents de la Constitution de 1975 se lisent ainsi: Article 17 "1. La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède au jour de l'audience du tribunal sur cette demande. (...)" Article 93 par. 4 "Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire à la Constitution." B. Le décret-loi n° 797/1971 relatif aux expropriations Le décret-loi n° 797/1971 des 30 décembre 1970/1er janvier 1971 constitue la législation fondamentale qui régit les expropriations, en application des principes énoncés dans les dispositions constitutionnelles. Le chapitre A du décret-loi fixe la procédure et les conditions préalables à l'annonce d'une expropriation. Selon l'article 1 par. 1 a), si elle est autorisée par la loi dans l'intérêt public, l'expropriation de propriétés urbaines ou rurales ou la revendication de droits réels sur celles-ci est annoncée par une décision conjointe du ministre compétent dans le domaine visé par l'expropriation et du ministre des Finances. L'article 2 par. 1 fixe les conditions préalables à une décision annonçant une expropriation; en particulier: a) un plan cadastral indiquant la zone à exproprier, et b) la liste des propriétaires des biens-fonds, la superficie de ceux-ci, leur délimitation et les principales caractéristiques des bâtiments qui y sont édifiés. Le chapitre B du décret-loi précise les modalités de mise en oeuvre de l'expropriation. La personne concernée doit percevoir une indemnité, selon des conditions précisément énoncées. L'acquisition de la propriété par la partie en faveur de laquelle l'expropriation a été décidée (articles 7 par. 1 et 8 par. 1) commence au jour du paiement ou à la date de publication au Journal officiel du dépôt de l'indemnité auprès de la Caisse des dépôts et consignations (dans l'hypothèse où l'on n'a pas terminé d'identifier les bénéficiaires, où la propriété est grevée d'hypothèques, ou bien en cas de litige quant à l'identité du véritable bénéficiaire). Si l'expropriation n'est pas opérée selon les conditions qui précèdent, dans le délai d'un an et demi à compter du jugement fixant l'indemnité, elle se trouve levée d'office (article 11 par. 1). Le chapitre D détermine dans le détail la procédure devant permettre de fixer l'indemnité. Aux termes de l'article 14, les parties au procès sont: a) la partie tenue de verser l'indemnité; b) la partie en faveur de laquelle l'expropriation est décidée; c) la partie qui revendique la propriété du bien exproprié ou d'autres droits réels sur celle-ci. L'article 17 par. 1 confie aux tribunaux le soin de fixer l'indemnité. Il dispose expressément que ceux-ci fixent uniquement le montant unitaire de l'indemnité, sans préciser le/les bénéficiaires de celle-ci ou la partie tenue de la verser. D'après l'article 13 par. 1, l'indemnité se calcule par rapport à la valeur réelle de la propriété expropriée au moment de la publication de la décision annonçant l'expropriation. Aux termes du paragraphe 4 du même article, "En cas d'expropriation d'une partie d'un immeuble et lorsque la partie restant au propriétaire subit une dépréciation substantielle de sa valeur ou se rend inutilisable, le jugement qui fixe l'indemnité détermine aussi l'indemnité spéciale pour cette partie. Cette indemnité spéciale est versée au propriétaire avec celle pour la partie expropriée." La procédure de fixation de l'indemnité peut comporter deux phases. D'abord, la phase de la fixation provisoire: le tribunal compétent est le juge unique du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le bien exproprié et qui connaît de l'affaire une fois saisi d'une requête déposée par une partie intéressée (article 18). Ensuite, la phase de la fixation définitive: elle relève de la cour d'appel dans le ressort de laquelle la propriété expropriée est située, sur requête introduite par les parties intéressées dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision de fixation provisoire ou dans le délai de six mois à compter de sa publication, si elle n'est pas notifiée (article 19 paras. 1 et 2). Conformément au paragraphe 6 du même article, ladite requête bénéficiera uniquement à la personne qui l'a déposée, en vue d'une augmentation ou d'une diminution du montant provisoirement fixé. Celui-ci devient définitif pour les personnes qui n'ont pas déposé rapidement une requête. Par ailleurs, une requête peut être déposée directement devant la cour d'appel aux fins d'une décision définitive; celle-ci est insusceptible de recours (article 20). Le chapitre E du même décret-loi prévoit une procédure particulière pour l'identification judiciaire des bénéficiaires de l'indemnité. Le tribunal compétent pour cette identification est le juge unique du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se trouve le bien exproprié (article 26). D'après l'article 27 par. 1, le tribunal procède à l'identification à partir des informations figurant sur le plan cadastral et la liste des propriétaires fonciers établis par un ingénieur compétent, dûment agréé par les services du ministère des Travaux publics, ainsi que de tout autre renseignement fourni par les parties ou examiné d'office. La décision prononcée au terme de cette procédure spéciale ne se prête à aucun recours (article 27 par. 6). En vertu du paragraphe 4 de l'article 27, le tribunal ne rend pas de décision si: a) l'audience ou une déclaration de l'Etat établit que quelqu'un peut prétendre à la pleine propriété du bien exproprié ou à un autre droit réel; b) la propriété ou un autre droit réel prêtent à controverse entre plusieurs des bénéficiaires allégués, de sorte qu'il y a lieu de procéder à une enquête sur les prétentions élevées, laquelle doit comprendre une audience pour chaque partie intéressée ayant engagé une action; c) l'audience établit qu'aucun droit réel n'est avéré en faveur de la partie qui cherche à se voir reconnaître comme bénéficiaire de l'indemnité. Selon le paragraphe 2 de l'article 8 du décret-loi n° 797/1971, une décision définitive sur la reconnaissance d'une personne donnée comme bénéficiaire est nécessaire pour que la Caisse des dépôts et consignations verse la somme déposée à titre d'indemnité après que celle-ci a été fixée en justice. C. La loi n° 653/1977 relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales Les dispositions pertinentes de l'article 1 de la loi n° 653/1977 des 25 juillet/5 août 1977 sont ainsi libellées: "1. En cas de percée, en dehors du plan d'urbanisme, de routes nationales d'une largeur jusqu'à trente mètres, les propriétaires riverains qui en tirent profit sont astreints à payer pour une zone d'une largeur de quinze mètres, participant ainsi aux frais d'expropriation des immeubles sis sur ces routes. Cette charge ne peut pas toutefois dépasser la moitié de la surface de l'immeuble concerné. (...) Aux fins de l'application du présent article, sont considérés comme propriétaires riverains avantagés ceux dont les immeubles acquièrent une façade sur les routes percées. Lorsque les ayants droit à indemnité en raison d'une expropriation sont en même temps débiteurs du paiement d'une partie de celle-ci, il y a compensation des droits et obligations. La manière et la procédure de répartition de l'indemnité entre l'Etat et les propriétaires riverains sont déterminées par décrets publiés sur la proposition du ministre des Travaux publics. (...)" D. La loi n° 947/1979 relative aux zones constructibles L'article 62 de la loi n° 947/1979 des 10/26 juillet 1979 dispose: "(...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 (...) s'appliquent aussi en cas d'amélioration de routes existantes au moyen de nouveaux tracés ou d'élargissement de ces routes ou des parties de celles-ci, définies par décision du ministre des Travaux publics (...) Les dispositions de l'article 1 de la loi n° 653/1977 (...) s'appliquent aussi aux routes départementales, municipales ou communales pour une largeur jusqu'à quinze mètres (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 24 octobre 1991. Ils alléguaient des violations des articles 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 31 août 1994, la Commission a retenu la requête (n° 19385/92) quant aux griefs des requérants concernant la durée de la procédure et l'atteinte au droit au respect de leurs biens; elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 28 juin 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation des articles 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-V), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour "à titre principal, à déclarer la requête irrecevable pour défaut d'épuisement des voies de recours prévues par le droit interne (...) et, à titre subsidiaire, à rejeter la requête pour défaut de fondement".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le 2 avril 1982, le tribunal de Fermo (Ascoli Piceno) prononça la faillite de la société constituée par M. Umberto Ceteroni et ses parents ainsi que leur faillite personnelle. Les 8 et 15 juin 1983, M. A. et la société L.M., s'estimant créanciers des faillis, entamèrent deux procédures d'opposition à l'état des créances établi en vue du règlement du passif devant le juge commissaire (giudice delegato) de Fermo: celui-ci fixa les audiences de première comparution aux 26 octobre et 9 novembre 1983 respectivement. A cette dernière date, le syndic demanda au juge l'autorisation de se constituer dans la deuxième procédure; sa requête fut accueillie le 3 février 1987. La mise en état des deux affaires se poursuivit respectivement jusqu'aux 15 et 29 octobre 1990. Quinze et seize audiences, presque toutes renvoyées à la demande des parties ou d'office, se tinrent durant cette période. A une date non précisée, les deux procédures furent suspendues sine die en raison de la mutation du juge. Elles reprirent les 25 mars et 7 février 1994. Le 30 mai 1994, le tribunal de Fermo raya la première procédure du rôle car les parties ne s'étaient pas présentées. D'après les renseignements fournis par le conseil des requérants, le demandeur y avait renoncé. Quant à la seconde, le 21 février 1994 les parties communiquèrent leurs conclusions et le juge fixa l'audience de plaidoiries au 11 mars 1994, date à laquelle le tribunal de Fermo accueillit la demande de la société L.M. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 7 avril 1994. II. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes du décret royal no 267 du 16 mars 1942 se lisent ainsi: Article 26 "Les décisions du juge commissaire peuvent faire l'objet de recours (...) devant le tribunal dans un délai de trois jours de la date d'adoption, de la part du syndic, du failli, du comité des créanciers et de toute autre personne intéressée. Le tribunal décide en chambre du conseil par acte motivé. Le recours ne suspend pas l'exécution de la décision attaquée." Article 36 "Les actes d'administration du syndic peuvent faire l'objet de recours devant le juge commissaire de la part du failli et de toute autre personne intéressée; le juge statue par décision motivée. Contre cette décision, il est possible d'introduire un recours, dans les trois jours, devant le tribunal. Celui-ci statue par acte motivé après avoir entendu le syndic et le demandeur." Article 48 "La correspondance adressée au failli doit être remise au syndic qui a le droit de garder celle relative à des intérêts patrimoniaux. Le syndic doit garder le secret sur le contenu de la correspondance qui ne concerne pas lesdits intérêts." Article 49 "Le failli ne peut quitter son lieu de résidence sans autorisation du juge commissaire et doit se présenter audit juge, au syndic ou au comité des créanciers chaque fois qu'il est convoqué, sauf les cas où, à cause d'un empêchement légitime, le juge l'autorise à comparaître par l'intermédiaire d'un représentant. Le juge peut faire amener le failli par la police si ce dernier n'obéit pas à la convocation." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 2 décembre 1992. Invoquant les articles 6 par. 1 et 8 de la Convention (art. 6-1, art. 8) et 2 par. 1 du Protocole no 4 (P4-2-1), ils se plaignaient de la durée de deux procédures civiles, d'une atteinte à leur droit au respect de leur correspondance ainsi qu'à celui de circuler librement sur le territoire de leur Etat et d'y choisir librement leur résidence. Le 17 octobre 1994, la Commission a retenu les requêtes (nos 22461/93 et 22465/93). Dans son rapport du 22 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité) et estime inutile de rechercher s'il y a eu infraction aux articles 8 de la Convention (art. 8) et 2 par. 1 du Protocole no 4 (P4-2-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience le Gouvernement a prié la Cour, à titre principal, de rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes et, subsidiairement, de juger qu'il n'y a pas eu violation de la Convention ni de son Protocole no 4 (P4).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE A. L’enquête policière Citoyen néerlandais né en 1958, M. Doorson réside à Amsterdam. En août 1987, le parquet résolut de s’attaquer à la nuisance causée par le trafic des stupéfiants à Amsterdam. La police avait compilé des séries de photographies de personnes soupçonnées de pareil commerce. Ces photos furent montrées à quelque cent cinquante toxicomanes en vue de recueillir des déclarations de leur part. Toutefois, à la suite d’une action analogue menée en 1986 et où des toxicomanes ayant fait des déclarations à la police avaient été menacés, il apparut que la plupart de ceux à qui les photographies étaient soumises n’étaient prêts à déposer qu’à condition que leur identité ne fût pas révélée aux revendeurs de drogue identifiés par eux. Dans chaque série de photographies figurait celle d’une personne que l’on savait innocente. Les déclarations émanant de personnes désignant cette photographie comme étant celle d’un revendeur de drogue étaient écartées pour manque de crédibilité. En septembre 1987, la police reçut d’une personne, à qui elle attribua le numéro de code GH.021/87, des informations d’après lesquelles M. Doorson se livrait au trafic de la drogue. Aussi la photographie d’identification du requérant, qui avait été prise en 1985, fut-elle incluse par la police dans la collection soumise aux toxicomanes. Un certain nombre d’entre eux déclarèrent par la suite à la police qu’ils reconnaissaient le requérant sur ladite photographie et qu’il avait vendu de la drogue. Six de ces toxicomanes demeurèrent anonymes; la police les désigna par les noms de code Y.05, Y.06, Y.13, Y.14, Y.15 et Y.16. L’identité de deux autres, à savoir R. et N., fut dévoilée. B. Procédure devant le tribunal d’arrondissement Soupçonné d’infractions à la législation sur les stupéfiants, M. Doorson fut arrêté le 12 avril 1988. Il apparaît qu’il fut par la suite placé en détention provisoire. Le 13 avril 1988, on lui montra la photographie prise de lui par la police et il se reconnut dessus. Une instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) fut ouverte, au cours de laquelle l’avocat du requérant soumit une demande d’audition des témoins mentionnés dans le rapport de police relatif à l’affaire de son client. En conséquence, le juge d’instruction (rechter-commissaris) ordonna à la police d’amener ces témoins devant lui le 30 mai 1988, entre 9 h 30 et 16 heures. L’avocat du requérant fut averti et invité à assister à l’audition des intéressés par le magistrat. Le 30 mai 1988, il arriva au cabinet de celui-ci à 9 h 30. Toutefois, alors qu’une heure et demie plus tard aucun des témoins ne s’était encore présenté, il conclut qu’aucune audition n’aurait lieu. Aussi se rendit-il à un autre rendez-vous. D’après lui, il agit ainsi avec le consentement du magistrat instructeur, le juge M., qui lui avait promis que si les témoins se présentaient plus tard dans la journée, il ne les entendrait pas mais les inviterait à comparaître aux fins d’audition à une date ultérieure, de sorte que l’avocat du requérant pût être présent. Après le départ de l’avocat, deux des huit témoins mentionnés dans le rapport de police se présentèrent et furent entendus par le juge d’instruction en l’absence de l’avocat, le témoin Y.15 vers 11 h 15, le témoin Y.16 vers 15 heures. D’un procès-verbal de constatations (proces-verbaal van bevindingen) établi par le juge M. le 17 juin 1988, il apparaît que Y.15 et Y.16 ne tinrent pas leur promesse de revenir pour une nouvelle audition le 3 juin. Inculpé de trafic de stupéfiants, M. Doorson comparut devant le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam le 19 juillet 1988. A la demande du procureur, le tribunal décida de reporter l’examen de l’affaire au 25 août 1988. Il reprit l’audience à la date prévue. Comme il siégeait dans une composition différente, il recommença l’examen de la cause. L’avocat du requérant l’invita à renvoyer l’affaire au juge d’instruction, afin que celui-ci entendît les six témoins anonymes et que lui-même ouît les deux témoins nommément désignés, à savoir R. et N. Le tribunal rejeta la première demande mais ordonna la comparution de R. et N. devant lui et ajourna l’audience jusqu’au 4 octobre 1988. Estimant que le requérant était toujours soupçonné et que les raisons pour lesquelles sa détention provisoire avait été ordonnée étaient toujours valables, il repoussa également une demande de la défense tendant à la levée ou à la suspension de cette détention. Un des juges siégeant à cette occasion était un certain Sm. Le 29 septembre 1988, l’avocat du requérant soumit au tribunal d’arrondissement une série de documents, parmi lesquels l’arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 24 novembre 1986 dans l’affaire Unterpertinger c. Autriche (série A no 110) et le rapport adopté par la Commission européenne des Droits de l’Homme le 12 mai 1988 dans l’affaire Kostovski c. Pays-Bas (requête no 11454/85). Le 4 octobre 1988, le tribunal d’arrondissement reprit la procédure. Les trois juges le composant n’ayant pas siégé auparavant, il recommença derechef l’examen de la cause. La défense sollicita une nouvelle fois, mais en vain, l’audition des six témoins anonymes. Le témoin nommément désigné N. comparut, R. non. Tant l’accusation que la défense se virent donner l’occasion de poser des questions à N. Invité à identifier le requérant, N. déclara ne pas le reconnaître. Lorsqu’on lui montra la photo de l’intéressé, il affirma remettre l’homme qui lui avait donné de l’héroïne quand il était malade. Toutefois, vers la fin de son audition, il déclara ne plus être tout à fait sûr de reconnaître l’individu sur la photographie; peut-être n’y avait-il qu’une ressemblance entre cet homme et celui qui lui avait donné l’héroïne. Il soutint en outre que lorsque la police lui avait montré les photographies, il n’avait désigné celle du requérant comme représentant une personne à qui il avait acheté de la drogue que parce que, très malade à l’époque, il craignait que la police ne lui restituât pas la drogue qu’elle avait trouvée en sa possession. Le tribunal ajourna les débats jusqu’au 29 novembre 1988, ordonnant la comparution des témoins R. et N. ainsi que - à la demande de la défense - de L., un expert dans le domaine des problèmes relatifs au trafic et à la consommation de stupéfiants. Il ordonna que le témoin R. fût conduit devant lui par la police. Le 29 novembre 1988, le tribunal d’arrondissement reprit les débats. L’expert L. comparut et fut interrogé. Il dit douter que des déclarations comme celles faites par les toxicomanes en l’espèce pussent passer pour délibérées. En tout état de cause, de telles déclarations étaient d’après lui très peu crédibles, car la présentation des photos était précédée de promesses de toutes sortes, si bien que lorsqu’il s’agissait d’identifier des individus, les intéressés savaient exactement ce qu’attendait d’eux la personne chargée de leur audition, qu’il s’agît d’un policier ou d’un magistrat. Les témoins N. et R. ne comparurent pas, le second bien que le tribunal eût ordonné que la police l’amenât devant lui. En conséquence, la défense retira sa demande tendant à l’audition de R. et N. devant le tribunal, afin d’éviter un nouvel ajournement des débats qui aurait eu pour effet de prolonger la détention provisoire du requérant. L’avocat du prévenu fournit une analyse critique des déclarations faites par les témoins anonymes. Il releva en outre qu’il n’y avait aucune raison valable de préserver leur anonymat, dès lors qu’on n’avait pas démontré que le requérant se fût jamais livré à des représailles ou à des actes de violence. Le 13 décembre 1988, le tribunal d’arrondissement déclara le requérant coupable de trafic de stupéfiants et le condamna à quinze mois d’emprisonnement. Pour ce faire, il prit en considération le fait que le prévenu avait antérieurement été convaincu d’infractions analogues. C. Procédure devant la cour d’appel M. Doorson attaqua le verdict devant la cour d’appel (gerechtshof) d’Amsterdam. Par une lettre du 6 novembre 1989, son avocat invita le procureur général (procureur-generaal) près la cour d’appel à citer les témoins anonymes, les témoins nommément désignés N. et R., ainsi que l’expert L., aux fins d’audition à l’audience devant la cour, fixée au 30 novembre. Le procureur général répondit, par une lettre du 22 novembre, qu’il citerait N., R. et L., mais non les témoins anonymes, dont il souhaitait préserver l’anonymat. Au besoin, la cour d’appel pourrait décider à l’audience d’ordonner leur audition à huis clos par le juge d’instruction. Le 24 novembre 1989, l’avocat du requérant adressa au président de la cour d’appel une lettre l’invitant à convoquer les six témoins anonymes. A l’appui de sa demande, il fit observer que ni son client ni lui-même n’avaient jamais eu l’occasion d’interroger ces témoins. A cet égard, il se référa à l’arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 20 novembre 1989, soit quatre jours plus tôt, dans l’affaire Kostovski c. Pays-Bas (série A no 166). L’expert L. comparut à l’audience du 30 novembre 1989 devant la cour d’appel, ce dont s’abstinrent tous les témoins. Aussi le requérant sollicita-t-il l’ajournement des débats, afin que les intéressés pussent être assignés aux fins d’audition publique à une date ultérieure par la cour ou, à titre subsidiaire, par le juge d’instruction. La cour d’appel décida de vérifier la nécessité de maintenir l’anonymat des témoins et renvoya l’affaire au juge d’instruction à cet effet. Elle l’invita aussi à interroger les témoins - non sans avoir décidé s’il fallait préserver leur anonymat - à propos des faits imputés au requérant, et à offrir à l’avocat de celui-ci la possibilité, tant d’assister à cette audition dans la pièce où elle aurait lieu que de poser des questions aux témoins. La cour exprima aussi le voeu que, si elles étaient toujours disponibles, les séries de photographies utilisées par la police fussent jointes au dossier. Enfin, elle ordonna la comparution devant elle des témoins R. et N. ainsi que de l’expert L., et elle ajourna l’audience sine die. Le 14 février 1990, le juge d’instruction ouït les témoins Y.15 et Y.16 en présence de l’avocat du requérant. Le magistrat en question était le juge Sm., du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam, qui avait pris part, en qualité de membre de la juridiction de jugement, à l’audience du 25 août 1988 ainsi qu’aux décisions prises à cette occasion (paragraphe 16 ci-dessus). L’avocat se vit donner l’occasion de poser des questions aux deux témoins, mais ne fut pas informé de leur identité. Celle-ci était connue du juge d’instruction. Les deux témoins exprimèrent le voeu de conserver l’anonymat et de ne pas comparaître devant la cour. Le témoin Y.16 déclara qu’un autre revendeur de drogue lui avait par le passé infligé des blessures après qu’il eut "parlé", ce qui lui faisait craindre des représailles analogues de la part du requérant. Le témoin Y.15 affirma que des revendeurs de drogue l’avaient antérieurement menacé pour le cas où il parlerait; il ajouta que le requérant était agressif. Le juge d’instruction conclut des motifs invoqués que les deux témoins avaient des raisons suffisantes de souhaiter garder l’anonymat et ne pas comparaître en audience publique. Y.15 et Y.16 furent longuement interrogés, tant par le juge d’instruction que par l’avocat du requérant. Le second s’enquit notamment des raisons qui les avaient amenés à témoigner contre un revendeur qui, au dire de chacun d’eux, vendait des drogues de bonne qualité, et il leur demanda si on les payait pour témoigner. Ni Y.15 ni Y.16 ne refusèrent de répondre à l’une quelconque des questions posées par l’avocat du prévenu. Tous deux déclarèrent qu’ils avaient acheté de la drogue au requérant et qu’ils l’avaient vu en vendre à d’autres personnes. Ils l’identifièrent de nouveau à partir de la photographie de la police et donnèrent des descriptions de son apparence et de ses vêtements. Y.16 précisa que la police avait passé en revue avec lui sa déposition antérieure avant de le conduire devant le juge d’instruction. Le procès-verbal de l’audition de Y.15 précise qu’après être arrivé à la conclusion que celui-ci avait de bonnes raisons de souhaiter conserver l’anonymat ou de ne pas être entendu en audience publique, le juge d’instruction lui fit prêter serment. Une déclaration analogue fait défaut dans le procès-verbal de l’audition de Y.16. Le 20 mars 1990, le juge Sm. établit un procès-verbal de constatations contenant des informations obtenues de la police relativement aux témoins Y.05, Y.06, Y.13 et Y.14. De nationalité étrangère, Y.06 avait été expulsé des Pays-Bas. Le lieu de résidence de Y.13 était inconnu. Y.05 et Y.14 avaient été vus, mais les tentatives entreprises pour les retrouver et les conduire devant le juge d’instruction étaient demeurées vaines. Le magistrat ajouta que la police ne pouvait se passer des séries de photographies mais que si la cour d’appel l’ordonnait, la police pourrait les produire au procès. Le même jour, le juge Sm. renvoya le dossier à la cour d’appel. Après qu’on eut averti la défense que les débats devant la cour d’appel reprendraient le 10 mai 1990, l’avocat du requérant invita le procureur général, par une lettre du 17 avril 1990, à citer les six témoins anonymes (Y.05, Y.06, Y.13, Y.14, Y.15 et Y.16) à comparaître. Le 2 mai 1990, le procureur général rejeta cette demande au motif que Y.15 et Y.16 avaient été réentendus, en présence de l’avocat du requérant, par le juge d’instruction, qui connaissait leur identité et avait estimé qu’ils avaient des raisons valables de souhaiter garder l’anonymat. Il considéra en outre qu’eu égard aux constatations du juge d’instruction, il serait vain de tenter d’assigner les autres témoins anonymes. Il fallait aussi prendre en compte la nécessité de mettre fin à la procédure dans les plus brefs délais (lites finiri oportet). Le 10 mai 1990, la cour d’appel recommença l’examen de la cause, sa composition ayant changé. La défense sollicita une nouvelle fois l’audition de R. et N., ainsi que des six témoins anonymes. Toutefois, se penchant à nouveau sur le souhait des témoins Y.15 et Y.16 de conserver l’anonymat, la cour conclut qu’il avait été décidé sur la base de motifs suffisamment convaincants que ces deux témoins avaient de bonnes raisons de se sentir sérieusement menacés, eu égard notamment à des rapports de police contenus dans le dossier et laissant apparaître qu’il se pouvait effectivement que des trafiquants de drogue menaçassent des témoins potentiels. Elle n’ordonna donc pas leur citation. Quant aux témoins Y.05, Y.06, Y.13 et Y.14, elle se rangea aux constatations du juge d’instruction selon lesquelles il ne servirait à rien de les assigner à comparaître. En revanche, elle ordonna que les témoins R. et N. fussent amenés de force devant elle et elle ajourna les débats jusqu’au 28 août 1990. Par une lettre du 15 août 1990, la défense demanda une nouvelle fois au procureur général de produire les six témoins anonymes. Par une lettre du 17 août 1990, elle l’invita aussi à appeler K., qui enseignait la criminologie à l’université et avait effectué de nombreuses recherches sur les toxicomanes à Amsterdam, et V., un ancien toxicomane qui avait une expérience personnelle en matière d’interrogatoires par la police. Le procureur général rejeta les deux demandes le 22 août 1990. En ce qui concerne les six témoins anonymes, il renvoya à ses décisions des 22 novembre 1989 et 2 mai 1990 et réitéra le constat de la cour d’appel du 10 mai 1990. Il fonda sa décision de ne pas convoquer K. et V. sur le fait que K. avait publié un livre qui reproduisait ses vues de manière suffisamment claire et auquel la défense pouvait se référer à l’audience si elle le souhaitait, et sur la supposition que V. ne pourrait parler que des expériences vécues par lui en tant que personne soupçonnée d’infractions à la législation sur les stupéfiants. De plus, il était superflu d’appeler l’un comme l’autre, dès lors que l’expert L. devait comparaître à l’audience du 28 août. Le 28 août 1990, la cour d’appel reprit les débats. Incarcéré, le témoin V. ne comparut pas. La défense retira sa demande tendant à son audition mais maintint celle visant à l’audition des six témoins anonymes et de l’expert K. Se référant à sa décision du 10 mai, la cour d’appel refusa de faire droit à la demande de la défense concernant les six témoins anonymes. Toutefois, eu égard à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 juillet 1990 (paragraphe 46 ci-dessous), elle décida de renvoyer l’affaire au juge d’instruction, qu’elle invita à consigner ses constatations quant à la crédibilité des témoins Y.15 et Y.16, ajoutant que si le juge d’instruction estimait nécessaire de les entendre à nouveau pour évaluer celle-ci, il devrait le faire. Bien que l’expert K., appelé par la défense, fût présent à l’audience du 28 août 1990, la cour d’appel décida de ne pas l’entendre. Elle considéra que, expert plutôt que témoin, on ne pouvait escompter qu’il contribuât à l’élucidation des faits de la cause. Entendu par la cour en présence du requérant et de son avocat, lequel put l’interroger, N. affirma que sa déclaration à la police était fausse et qu’en réalité il ne connaissait pas le requérant. A la suite de l’ordonnance rendue par la cour le 10 mai 1990 et prescrivant qu’on l’amenât de force, le témoin nommément désigné R. était initialement présent. Il apparaît qu’avant d’être entendu, il demanda à l’huissier chargé de sa surveillance la permission de s’absenter un instant; sa requête accueillie, il disparut et ne put être retrouvé. La cour ordonna par la suite qu’il fût amené de force devant elle à sa prochaine audience, fixée au 22 novembre 1990. Elle entendit l’expert L., qui déclara que les toxicomanes faisaient souvent à la police des déclarations manquant de crédibilité au sujet de revendeurs de drogue présumés. A en croire des toxicomanes, les policiers leur faisaient des promesses et ils ne faisaient des déclarations qu’afin d’être autorisés à s’en aller le plus tôt possible. Semblables déclarations se situaient, d’après lui, "quelque part entre la vérité et le mensonge". Le 19 novembre 1990, le magistrat instructeur, le juge Sm., établit un procès-verbal de constatations concernant la crédibilité des déclarations de Y.15 et Y.16 reçues par lui le 14 février 1990. Il affirma dans ce document qu’il ne se souvenait pas des visages des deux témoins, mais qu’après avoir relu les procès-verbaux d’audition, il se rappelait plus ou moins ce qui était arrivé. Il avait eu l’impression que les deux témoins savaient de qui ils parlaient et ils avaient identifié la photographie du requérant sans hésitation. Quant aux faits dont celui-ci était accusé, il avait eu le sentiment que les témoins eux-mêmes croyaient à la véracité de leurs déclarations. Autant qu’il s’en souvînt, les témoins avaient répondu à toutes les questions, sans rechigner et sans hésiter, même s’ils avaient donné l’impression d’être "un peu endormis". La police ayant été incapable de le trouver, le témoin R. ne comparut pas à l’audience du 22 novembre 1990 devant la cour d’appel. La cour décida qu’une nouvelle ordonnance prescrivant sa comparution serait vaine. Le procureur général produisit un policier, I., qui avait participé à l’enquête, et sollicita son audition. L’avocat du requérant protesta, faisant valoir que l’expert K. n’avait pas été entendu et que la défense n’avait pas eu l’occasion de se préparer pour l’audition de I.; accepter d’entendre I. maintenant serait préjudicier aux droits de la défense. La cour d’appel n’en accéda pas moins à la demande, et I. fut entendu au sujet de la manière dont l’enquête avait été conduite. Il expliqua que, de 1982 à 1986, il avait fait partie d’une équipe de police créée pour lutter contre le trafic de drogue dans le centre d’Amsterdam. Au fil des ans, celle-ci avait développé de bons rapports avec beaucoup des toxicomanes vivant dans ce secteur. Profitant des liens ainsi créés, elle leur avait demandé des renseignements sur les revendeurs de drogue. Leur coopération était entièrement volontaire. I. nia que la police fît des promesses aux toxicomanes ou exerçât des pressions sur eux; il précisa en outre qu’elle ne montrait pas de photographies à ceux ayant été arrêtés. D’après lui, les déclarations faites par les toxicomanes étaient donc très crédibles. De plus, on n’agissait contre des revendeurs de drogue présumés que s’il y avait au moins huit déclarations les incriminant. I. confirma en outre qu’il était arrivé dans le passé que, après avoir purgé leur peine, des revendeurs de drogue eussent agressé et menacé des toxicomanes auteurs de déclarations à charge contre eux. Bien qu’il n’eût jamais eu connaissance d’un recours à la violence ou à des menaces de la part du requérant, il n’excluait pas que cela pût se produire. La défense contesta la fiabilité des déclarations faites par les différents témoins, tant nommément désignés qu’anonymes, mettant en exergue ce qu’elle jugeait être des discordances entre elles. Elle s’opposa en particulier à l’admission comme preuves des déclarations faites par les témoins Y.15 et Y.16, aux motifs, notamment, que tous deux étaient toxicomanes et que le procès-verbal de constatations établi par le juge d’instruction le 20 mars 1990 ne précisait pas qu’il croyait que les témoins avaient dit la vérité. Invoquant l’arrêt Hauschildt c. Danemark rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 24 mai 1989 (série A no 154), elle formula également des doutes quant à l’impartialité du juge d’instruction Sm., dans la mesure où celui-ci avait participé à l’audience du 25 août 1988 devant le tribunal d’arrondissement en qualité de membre de cette juridiction, ainsi qu’aux décisions qui avaient alors été prises. Elle protesta contre le refus d’entendre K. Le 6 décembre 1990, adoptant une attitude différente à l’endroit des preuves, la cour d’appel annula le jugement rendu par le tribunal d’arrondissement le 13 décembre 1988. Elle jugea le requérant coupable de vente délibérée d’héroïne et de cocaïne. Ce constat se fondait sur les preuves suivantes: a) le fait, attesté par les rapports de police, qu’à la suite d’informations d’après lesquelles le requérant se livrait au trafic de drogue, sa photographie avait été insérée dans la collection de photographies de personnes soupçonnées de cette infraction; b) les déclarations faites devant le juge d’instruction le 14 février 1990 par Y.15 et Y.16 (paragraphe 25 ci-dessus); c) le fait que, le 13 avril 1988, le requérant s’était reconnu sur la photographie prise par la police (paragraphe 12 ci-dessus); d) les déclarations faites à la police par les témoins nommément désignés N. et R. (paragraphe 10 ci-dessus). En ce qui concerne le grief selon lequel la majorité des témoins n’avaient pas été entendus en présence du requérant ou de son avocat, la cour déclara qu’elle avait puisé sa conviction dans les témoignages de N., R., Y.15 et Y.16. Ces deux derniers avaient été interrogés par le juge d’instruction en présence de l’avocat du requérant. La cour d’appel ajouta qu’elle avait utilisé leurs dépositions "avec la prudence et la retenue requises". Elle jugea que ces déclarations pouvaient être utilisées comme preuves, au vu notamment de leur concordance avec le témoignage du policier I. Elle estima également que la crédibilité des témoins et le bien-fondé de leur voeu de conserver l’anonymat avaient été suffisamment contrôlés par le juge d’instruction. Le témoin N. avait été entendu en audience publique tant en première instance qu’en appel. Bien qu’il eût rétracté sa déclaration à la police, c’est cette déclaration que la cour d’appel choisit de croire, à la lumière du témoignage du policier I. Enfin, le simple fait que la défense n’avait pas eu l’occasion d’interroger R. ne signifiait pas que la déposition de celui-ci ne pouvait pas être utilisée comme preuve. La cour d’appel rejeta le grief du requérant fondé sur le prétendu manque d’impartialité du juge Sm. Elle releva que l’audience du 25 août 1988 avait été sommaire: le tribunal d’arrondissement avait seulement examiné la demande de M. Doorson tendant à l’audition des six témoins anonymes et sa demande d’élargissement. Au cours de cette audience, il n’avait pas examiné au fond la cause du requérant. Il n’apparaissait pas, nul ne l’avait d’ailleurs soutenu, que le juge Sm. eût eu de quelconques rapports avec Y.15 et Y.16 avant de les interroger. En tout état de cause, un juge d’instruction ne devait pas offrir les mêmes garanties qu’un membre d’une juridiction de jugement. De surcroît, aucun fait ou circonstance n’avait été indiqué ni n’était venu au jour qui eût justifié la conclusion que le juge d’instruction n’avait pas été en mesure de se former une opinion objective sur la crédibilité des témoins entendus par lui, ou qu’il avait été de parti pris au moment de les interroger. Le requérant fut condamné à quinze mois d’emprisonnement. Le temps passé par lui en garde à vue et en détention provisoire fut déduit de sa peine. D. Procédure devant la Cour de cassation Le requérant saisit la Cour de cassation (Hoge Raad) d’un pourvoi. Son avocat déposa des conclusions le 29 novembre 1991. Les griefs énoncés, dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, étaient les suivants. Premièrement, la cour d’appel n’aurait pas dû refuser d’entendre l’expert K. Le fait qu’elle eût choisi d’entendre I. à la demande du parquet, qui l’avait produit au dernier moment, signifiait que le requérant n’avait pas eu la possibilité d’obtenir la présence d’un témoin à décharge aux conditions auxquelles l’accusation avait pu produire un témoin à charge. En outre, la cour n’avait pas fourni des raisons suffisantes expliquant pourquoi la déposition de K. ne pouvait servir à établir les faits, dès lors qu’elle n’avait rien précisé, ni dans le compte rendu de l’audience, ni dans son arrêt, à propos de la déclaration que K. entendait faire. Deuxièmement, la cour d’appel n’aurait pas dû s’appuyer sur les dépositions de Y.15 et Y.16. Elle avait ignoré le souhait de la défense de les voir amenés devant le tribunal d’arrondissement afin que celui-ci pût se rendre compte lui-même de leur manque de crédibilité et que le requérant pût leur poser des questions directement. Troisièmement, la cour d’appel n’aurait pas dû tenir compte de la déposition de R., que la défense n’avait pas eu l’occasion d’interroger, et elle n’aurait pas dû non plus décider, après que l’on eut permis à R. de s’éclipser, qu’il ne servirait plus à rien de tenter de s’assurer de sa présence. Quatrièmement, vu que le parquet avait produit le témoin I. au tout dernier moment et sans que la défense eût eu l’occasion de se préparer, la cour d’appel aurait dû, soit refuser d’entendre l’intéressé, soit reporter son audition à une date ultérieure. Cinquièmement, la cour d’appel n’aurait pas dû s’appuyer sur les dépositions reçues par un juge d’instruction (le juge Sm.) qui avait précédemment, en qualité de membre d’une juridiction de jugement et sur la base des preuves figurant alors dans le dossier (lequel contenait les dépositions de l’ensemble des huit témoins), pris part à une décision de prorogation de la détention provisoire du requérant. D’après ce dernier, le juge Sm. avait omis de préserver une apparence d’impartialité. Conformément aux conclusions de l’avocat général (advocaat-generaal), M. Fokkens, le pourvoi du requérant fut rejeté par la Cour de cassation le 24 mars 1992. Quant au premier grief, la Cour de cassation estima que la cour d’appel avait fourni des raisons suffisantes pour ne pas entendre K., d’autant que la défense n’avait pas indiqué de quelle manière les déclarations de celui-ci auraient pu être pertinentes pour toute décision concernant les accusations portées. Le requérant n’avait pas davantage été privé d’un "procès équitable" de ce chef; peu importait que, nonobstant les protestations de la défense, la cour d’appel eût donné à l’accusation l’occasion de faire entendre un témoin sans avoir au préalable annoncé son intention de le produire. Quant au deuxième grief, la Cour de cassation considéra que le simple fait qu’un prévenu n’avait pas été en mesure d’interroger lui-même un témoin anonyme, mais avait dû le faire par le truchement de son conseil, ne constituait pas une violation du droit à un "procès équitable", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ni du droit protégé par l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de celle-ci. Quant au troisième grief, la Cour de cassation estima que le raisonnement sur lequel la cour d’appel avait fondé sa décision de ne plus chercher à ce que R. fût amené devant elle n’était pas inintelligible; en tout état de cause, elle ne pouvait évaluer la validité de celui-ci car il s’agissait essentiellement d’une question d’appréciation de faits. Vu qu’il s’était révélé vain de renouveler les tentatives entreprises pour amener R. de force devant la cour d’appel et que la déposition de l’intéressé était suffisamment corroborée par d’autres preuves, en particulier par la déclaration faite par N. à la police, la cour d’appel avait pu utiliser cette déposition comme preuve. Quant au quatrième grief, la Cour de cassation estima que la cour d’appel n’était pas tenue d’interpréter les protestations élevées par la défense comme une demande d’ajournement ou comme un moyen de défense exigeant une décision motivée. Quant au cinquième grief, la Cour de cassation souscrivit à l’opinion de la cour d’appel selon laquelle il n’y avait aucune raison de supposer qu’il avait manqué au juge Sm. l’impartialité requise, ou que le requérant aurait pu être fondé à nourrir semblable crainte. Elle poursuivit: "Le simple fait qu’un juge qui, en première instance, a prispart à une décision rejetant des demandes de la défensetendant à l’ajournement des débats et au renvoi de l’affaireau juge d’instruction aux fins d’audition de témoins anonymes,ainsi qu’à des décisions repoussant des demandes visant àobtenir la levée ou la suspension de la détention provisoire,a par la suite, conformément à une ordonnance de la courd’appel, entendu lesdits témoins et formulé un avis sur lacrédibilité de leurs témoignages et sur les raisons justifiantleur souhait de conserver l’anonymat, n’implique pas, en règlegénérale, que l’exigence d’un procès devant un "tribunalimpartial", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), n’a pasété respectée en appel. Il ne ressort pas du dossier qu’il yait en l’espèce des circonstances spéciales militant en faveurd’une conclusion différente." II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Sauf les différences notées ci-dessous (paragraphes 45 et suivants), droit et pratique internes pertinents en vigueur à l’époque de la procédure pénale incriminée ont été exposés dans l’arrêt rendu par la Cour le 20 novembre 1989 dans l’affaire Kostovski susmentionnée. Aussi la Cour renvoie-t-elle à cet arrêt, spécialement aux pages 13-17, paras. 22-32. Dans la mesure où les dispositions légales en matière de détention provisoire sont pertinentes, la Cour renvoie à son arrêt Nortier c. Pays-Bas du 24 août 1993, série A no 267, pp. 13-14, par. 27. A. Le code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering - CPP) Le procureur a le pouvoir de convoquer des témoins et des experts à l’audience (article 260 CPP). Dans la citation qu’il délivre à l’accusé, il donne une liste des témoins et experts qui seront appelés par l’accusation. Si l’accusé souhaite citer des témoins, il peut, en vertu de l’article 263, soumettre au procureur, au plus tard trois jours avant l’audience, une requête en assignation d’un témoin devant le tribunal. En général, le procureur doit accueillir la demande, mais l’article 263 par. 4 lui permet de l’écarter s’il faut raisonnablement supposer qu’il ne sera pas préjudicié aux droits de la défense si un témoin cité par elle n’est pas entendu à l’audience ("Indien redelijkerwijs moet worden aangenomen, dat de verdachte niet in zijn verdediging kan worden geschaad wanneer een door hem opgegeven getuige ... niet ter terechtzitting wordt gehoord"). Il doit rendre une décision motivée par écrit, et en même temps informer la défense du droit que lui garantit l’article 280 par. 3 (paragraphe 40 ci-dessous) de réitérer sa requête à l’audience devant la juridiction du jugement. A l’ouverture de l’audience, le procureur remet au tribunal la liste de tous les témoins appelés, puis le greffier (griffier) en donne lecture (article 280 par. 2). Si le procureur a omis de citer un témoin dont le prévenu avait demandé la convocation, ou s’il a refusé de le faire, la défense peut inviter le tribunal à faire assigner ce témoin (article 280 par. 3). Le tribunal rend une ordonnance à cet effet, sauf s’il estime que la non-comparution du témoin ne peut raisonnablement être réputée préjudicier aux droits de la défense ("De rechtbank beveelt dat de ... getuige ... zal worden gedagvaard of schriftelijk opgeroepen, tenzij zij ... van oordeel is dat door het achterwege blijven daarvan de verdachte redelijkerwijs niet in zijn verdediging kan worden geschaad" - article 280 par. 4). Une requête de la défense tendant à l’audition d’un témoin qui ne figure pas sur la liste susmentionnée, qui n’a pas été convoqué au procès et dont la défense n’a pas sollicité l’assignation au titre de l’article 280, doit être traitée conformément à l’article 315 (paragraphe 42 ci-dessous). Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 décembre 1986 que la juridiction de jugement ne doit accueillir semblable requête que si elle l’estime nécessaire. D’après l’article 315 CPP, la juridiction de jugement a le pouvoir d’ordonner d’office la production de preuves, y compris la citation de témoins non encore entendus par elle. Si elle le juge utile, elle peut ordonner qu’un témoin soit amené par la police à l’audience devant elle (articles 282 par. 1 et 315 CPP). Si, au procès, elle estime nécessaire un examen par le juge d’instruction d’une quelconque question de fait, elle doit suspendre les débats et renvoyer la question à ce magistrat, conjointement avec le dossier. Les investigations menées par le juge d’instruction dans ces hypothèses sont réputées constituer une instruction judiciaire préparatoire et sont soumises aux mêmes règles (article 316 CPP). La procédure d’appel contre une condamnation ou une peine prononcées en première instance implique un réexamen complet de la cause. Tant l’accusation que la défense peuvent demander que des témoins déjà entendus en première instance le soient à nouveau; elles peuvent aussi produire des preuves nouvelles et solliciter l’audition de témoins non entendus en première instance (article 414 CPP). La défense jouit des mêmes droits qu’en première instance (article 415 CPP). B. Jurisprudence relative aux témoins anonymes Dans son arrêt du 2 juillet 1990 (Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise, "NJ") 1990, no 692), la Cour de cassation a considéré qu’il fallait supposer, à la lumière de l’arrêt Kostovski de la Cour européenne, que l’utilisation de témoignages anonymes était soumise à des conditions plus strictes que celles définies jusqu’alors dans sa jurisprudence. Elle précisa ces exigences plus sévères dans la règle suivante: la déclaration anonyme doit avoir été reçue par un juge a) qui connaissait l’identité du témoin, b) qui a exprimé, dans le procès-verbal d’audition, son avis quant à la crédibilité du témoin et quant aux raisons justifiant son souhait de conserver l’anonymat, et c) qui a donné à la défense l’occasion de poser ou de faire poser des questions au témoin. Cette règle tolère des exceptions. Ainsi, d’après le même arrêt, la déclaration d’un témoin anonyme peut être utilisée comme preuve a) si la défense n’a, à aucun stade de la procédure, sollicité l’autorisation d’interroger le témoin, b) si la condamnation se fonde, dans une mesure importante, sur d’autres preuves, non obtenues de sources anonymes, et c) si la juridiction de jugement précise qu’elle a utilisé la déclaration du témoin anonyme avec prudence et retenue. C. Réforme législative La loi du 11 novembre 1993 (Staatsblad (Journal officiel) 1993, no 603) a ajouté au CPP un certain nombre de dispositions détaillées relatives à la "protection des témoins". Elle est entrée en vigueur le 1er février 1994. Les ajouts comportent les éléments suivants. L’article 226a prévoit à présent que l’identité d’un témoin peut demeurer secrète s’il y a des raisons de croire que sa révélation représente une menace pour la vie, la santé, la sécurité, la vie familiale ou la situation socio-économique de l’intéressé, et si celui-ci a précisé ne pas souhaiter faire de déclaration à cause de cela. La décision relève du juge d’instruction, qui doit au préalable entendre le parquet, la défense et le témoin lui-même. La décision du juge d’instruction est susceptible d’appel devant la juridiction de jugement (article 226b). Le juge d’instruction peut ordonner qu’un témoin menacé soit entendu en l’absence de l’accusé, de son avocat, ou des deux, de manière à ne pas dévoiler l’identité du témoin; dans cette hypothèse, le ministère public ne peut, lui non plus, assister à l’audition. Le juge d’instruction doit alors autoriser la défense à poser elle-même des questions au témoin, soit par voie de télécommunication soit par écrit (article 226d). L’article 264 porte à présent que le parquet peut refuser d’assigner un témoin menacé. Si la juridiction de jugement a ordonné l’audition d’un témoin et qu’il apparaît que celui-ci est menacé, le juge d’instruction doit l’entendre à huis clos (article 280 par. 5). La déclaration d’un témoin anonyme reçue en conformité avec les dispositions précitées ne peut être utilisée comme preuve que contre une personne accusée d’infractions pour lesquelles un placement en détention provisoire est autorisé (article 342 par. 2 b)). Un nouveau paragraphe a été ajouté à l’article 344; il prévoit qu’une déclaration émanant d’une personne dont l’identité n’est pas apparente ne peut être utilisée comme preuve que si la condamnation se fonde dans une mesure importante sur d’autres preuves et si, à aucun moment du procès, la défense n’a cherché à interroger ou à faire interroger cette personne. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Doorson a saisi la Commission le 27 juin 1992. Il se disait victime de violations de l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention en ce qu’il avait été condamné sur la foi de déclarations de témoins qui n’avaient pas été entendus en sa présence et qu’il n’avait pas eu l’occasion d’interroger, en ce que la cour d’appel avait admis les dépositions des témoins anonymes sur la base de la déclaration d’un juge d’instruction qui, à un stade antérieur de la procédure, avait participé à une décision de prorogation de sa détention provisoire, et en ce que la cour d’appel avait refusé d’entendre un expert appelé par la défense, alors qu’elle avait consenti à en entendre un cité par le parquet. Il voyait aussi une atteinte à sa vie privée contraire à l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le fait que sa photographie avait été montrée à des tiers en l’absence de toute base juridique. Le 29 novembre 1993, la Commission a déclaré la requête (no 20524/92) recevable dans la mesure où elle concernait l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par quinze voix contre douze, qu’il n’y a pas eu violation de ladite clause. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le requérant conclut son mémoire en indiquant que la Commission aurait dû déclarer son grief bien fondé. Le Gouvernement estime dans le sien qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espèce A. La procédure au fond Le 14 juillet 1978, le requérant assigna M. V. et Mme L. devant le tribunal de Matera afin de les voir condamner à démolir une construction bâtie en violation des dispositions relatives aux distances légales en matière de fonds mitoyens et à arracher quatre arbres pour la même raison. Il demanda également la remise en état des lieux pour permettre aux eaux de pluie de s'écouler sans inonder son terrain, ainsi que le paiement de dommages-intérêts. La première audience eut lieu le 13 octobre 1978. Les 2 mars et 6 avril 1979, le conseil de M. Di Pede requit une expertise; à une date non précisée, le juge de la mise en état désigna un expert, puis, le 1er juin, lui accorda un délai de soixante jours. L'audience du 12 octobre 1979 fut reportée pour permettre aux parties d'examiner le rapport entre-temps déposé. Après quatre autres audiences d'instruction, le 7 juin 1980, le juge ordonna à l'expert de comparaître à l'audience du 4 juillet 1980 en vue de fournir des éclaircissements concernant notamment la question des dommages entraînés par l'écoulement des eaux de pluie. A cette date, l'expert demanda un délai de trente jours pour présenter un rapport complémentaire. Ce document n'ayant été communiqué que le 7 juillet 1981, malgré des sollicitations du juge les 31 janvier et 8 mai 1981, cinq audiences (entre le 31 octobre 1980 et le 26 juin 1981) durent être reportées. Le 6 novembre 1981, le conseil des défendeurs demanda un renvoi pour examiner ledit rapport; le requérant ne s'y opposa pas et le juge renvoya les débats au 8 janvier 1982. Les dix audiences suivantes (du 15 janvier 1982 au 11 mars 1983) furent ajournées à la demande des parties (deux fois conjointement, sept fois par le requérant et une fois par les défendeurs). Le 13 janvier 1984, après six autres audiences, des témoins furent entendus. Le 8 février 1985, les parties présentèrent leurs conclusions, après avoir obtenu cinq nouveaux reports. L'affaire fut mise en délibéré le 25 février 1986. Le 11 mars 1986, le tribunal de Matera accueillit les demandes du requérant en précisant que la question relative au quantum des dommages-intérêts devait faire l'objet d'une nouvelle procédure. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 7 avril 1986. Le 24 mai 1986, M. V. et Mme L. interjetèrent appel mais négligèrent l'inscription de l'acte au rôle de la cour d'appel de Potenza, ce qui entraîna l'extinction de la procédure. A la demande de M. Di Pede, le greffier de cette juridiction certifia, le 22 décembre 1987, que l'inscription n'avait pas été faite. B. La procédure d'exécution Le 10 février 1988, le requérant mit M. V. et Mme L. en demeure d'obtempérer au jugement du 11 mars 1986, puis le 26 avril 1988, il demanda au juge d'instance (pretore) de Matera de fixer les modalités de l'exécution des prestations dues par ses voisins. Lors de la première audience, le 2 juillet 1988, M. Di Pede réitéra sa requête. Le 1er octobre 1988, le juge d'instance nomma un géomètre et une entreprise de construction, leur confiant la direction et l'exécution des travaux indiqués dans la décision du tribunal de Matera. Le 28 décembre 1988, le géomètre présenta au juge d'instance un rapport indiquant que les travaux avaient été partiellement effectués. Le requérant confirma ce fait devant la Commission européenne le 23 janvier 1995. II. Le droit interne pertinent A. Le code civil L'article 2931 du code civil est ainsi libellé: "En cas d'inexécution d'une obligation de faire, le créancier peut demander qu'elle soit exécutée aux dépens du débiteur selon les formes établies par le code de procédure civile." B. Le code de procédure civile Deux dispositions du code de procédure civile entrent en ligne de compte: Article 612 "Celui qui veut obtenir l'exécution forcée d'un jugement de condamnation pour violation d'une obligation de faire (...) doit, par recours, demander au juge d'instance que soient déterminées les modalités de l'exécution. Le juge d'instance statue sur la demande, après avoir entendu la partie obligée. Dans son ordonnance, il nomme l'huissier de justice qui doit procéder à l'exécution et les personnes qui doivent veiller à l'accomplissement de l'ouvrage non effectué (...)" Article 613 "L'huissier de justice peut demander l'assistance de la force publique et doit demander au juge d'instance de prendre les mesures nécessaires afin d'éliminer toute difficulté pouvant survenir au cours de l'exécution. Le juge d'instance statue par une décision [decreto]." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Di Pede a saisi la Commission le 3 juillet 1989. Il se plaignait: 1) de la durée d'une procédure civile suivie d'une procédure d'exécution (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1); 2) d'une atteinte à son droit au respect de ses biens causée par la longueur alléguée de la phase d'exécution (article 1 du Protocole n° 1) (P1-1); 3) de la violation du principe de l'égalité des armes du fait de l'obligation de payer une somme à titre d'avance aux experts (articles 14 et 6, combinés, de la Convention) (art. 14+6). Le 2 mars 1995, la Commission a retenu la requête (n° 15797/89) quant aux deux premiers griefs et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 6 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 (art. 6) (vingt-trois voix contre six) et estime qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (vingt-cinq voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. Les circonstances de l'espèce Les requérants, trois soeurs et un frère, sont propriétaires d'une ferme et d'un terrain adjacent, support de leur exploitation agricole. Le 21 août 1979, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan d'aménagement général adopté conformément à la loi n 167/62, la ville de Brescia ("la ville") prit un décret d'occupation d'urgence dudit terrain, situé dans un secteur destiné à la construction d'immeubles d'habitation à prix modérés et populaires (edilizia economica e popolare). Le 16 juillet 1980, la ville procéda à l'occupation matérielle du terrain avec l'assistance de la force publique. Le 6 octobre 1981, le conseil régional de Lombardie émit un décret d'expropriation. En contestant dès le début la légalité de l'action de l'administration, les intéressés entamèrent plusieurs procédures devant les juridictions administratives et civiles. A. L'action possessoire devant les juridictions civiles Le 1er octobre 1980, les requérants s'adressèrent au juge d'instance (pretore) de Brescia en demandant la restitution du terrain au motif que le décret d'occupation d'urgence du 21 août 1979 avait perdu sa validité car mis à exécution après l'échéance du délai prévu par la loi (trois mois). Par une décision provisoire du 10 janvier 1981, le juge d'instance fit droit à la demande des requérants. La ville ne s'exécuta pas. Le 16 mars 1983, statuant définitivement, le juge révoqua sa première décision car, entre-temps, le décret d'expropriation du 6 octobre 1981 (paragraphe 9 ci-dessus) avait validé l'occupation litigieuse. Il déclara toutefois illégale la dépossession effectuée le 16 juillet 1980 en la qualifiant d'acte de spoliation et condamna la ville à réparer les dommages subis de ce fait par les requérants. Le 13 juin 1983, contestant ce dernier point, la ville interjeta appel devant le tribunal de Brescia qui, le 18 décembre 1985, confirma la décision attaquée. Le texte de son jugement fut déposé au greffe le 13 juin 1986. Dans l'intervalle, le 16 avril 1981, les deux coopératives chargées des travaux de construction (paragraphe 18 ci-dessous) avaient engagé à l'encontre des requérants une procédure en réparation des dommages engendrés par le retard apporté à l'opération immobilière et dû à leurs actions judiciaires. B. La procédure sur le fond devant les juridictions administratives Par un acte notifié le 12 novembre 1979, les requérants demandèrent au tribunal administratif régional ("le TAR") de Lombardie d'annuler le décret d'occupation d'urgence du 21 août 1979. Le 22 juillet 1980, ils présentèrent un nouveau recours contre l'occupation matérielle du terrain, puis le 6 janvier 1982, devant le même tribunal, ils attaquèrent le décret d'expropriation du 6 octobre 1981. Après jonction de ces différents recours, le TAR annula, le 15 juin 1984, les différents actes administratifs - dont le décret d'expropriation - mais se déclara incompétent pour juger de la légalité de la prise de possession du terrain des requérants effectuée le 16 juillet 1980, estimant que cette question relevait des juridictions ordinaires. Le texte de cette décision fut déposé au greffe le 30 juillet 1984. La ville interjeta appel devant le Conseil d'Etat qui, par un arrêt du 21 novembre 1985, déposé au greffe le 17 janvier 1986, confirma la décision du TAR. C. Les procédures d'exécution 1. Devant les juridictions administratives La ville ne s'étant pas exécutée, les intéressés l'assignèrent alors devant le Conseil d'Etat. Le 10 juin 1986, celui-ci se déclara incompétent et renvoya l'affaire devant le TAR de Lombardie. Le 16 juillet 1986, les requérants saisirent le TAR qui, le 24 octobre 1986, fit partiellement droit à leur demande : il décida en substance que l'annulation par le Conseil d'Etat des actes d'expropriation litigieux avait pour effet d'obliger la ville à procéder à la restitution immédiate de la portion des terrains occupés sur laquelle n'avait été construite aucune oeuvre, soit environ 12 000 m². Il ordonna donc la restitution de ladite portion dans un délai de trente jours. Quant au restant des terrains, sur lesquels avaient entre-temps été bâtis des logements, le TAR se déclara incompétent pour ordonner des mesures d'exécution puisque avant même l'annulation de l'expropriation ils avaient été cédés par la ville à deux coopératives de construction. De ce fait, les membres des coopératives en étaient devenus les occupants matériels et, s'agissant de personnes privées, ni la ville ni le TAR n'avaient compétence pour leur ordonner quoi que ce fût à titre d'exécution. Le TAR renvoya les requérants à se pourvoir devant les juridictions civiles. Déposé au greffe le 31 octobre 1986, le jugement ne fut suivi d'aucun effet. 2. Devant les juridictions civiles Le 29 juillet 1986, les requérants mirent en demeure la ville afin qu'elle obtempère au jugement du 15 juin 1984, confirmé par le Conseil d'Etat le 21 novembre 1985. Par un acte notifié le 5 août 1986, la ville assigna les requérants devant le tribunal de Brescia, afin d'entendre déclarer nulle ou inefficace la mise en demeure au motif que la décision litigieuse ne constituait pas un titre idoine pour entamer une procédure d'exécution. Les requérants formèrent alors une demande reconventionnelle afin d'obtenir du tribunal, en plus de la restitution de leur terrain, la démolition des immeubles bâtis sur une partie de celui-ci, la pose d'une clôture ainsi que la réparation des dommages subis. A l'audience du 26 mars 1987, le tribunal mit l'affaire en délibéré. Le 2 avril 1987, il annula la mise en demeure - car si le jugement du TAR avait annulé les mesures adoptées dans le cadre de l'expropriation, il n'était pas pour autant automatiquement exécutoire - et accueillit la demande reconventionnelle des requérants en ce qu'elle visait la réparation des dommages et la restitution du terrain. Par un acte notifié le 12 juin 1987, la ville interjeta appel. Le 19 octobre 1988, l'affaire fut mise en délibéré. Le 9 novembre 1988, la cour d'appel de Brescia réforma partiellement la décision attaquée par application de la loi n 458 du 27 octobre 1988 ("la loi de 1988"), dite "Legge Zubani". Entrée en vigueur le 3 novembre 1988, ladite loi consacrait la jurisprudence établie en la matière par l'arrêt de la Cour de cassation (chambres réunies) n 1464 du 16 février 1983, qui prévoit la cession forcée du bien à la puissance publique lorsque, à la suite de la réalisation d'une oeuvre publique, la restitution du bien exproprié à son propriétaire devient impossible. L'intéressé avait alors droit à une indemnisation intégrale. En conséquence, la cour rejeta la demande de restitution du terrain, tout en confirmant le droit des requérants à la réparation des dommages subis. Le texte de son arrêt fut déposé au greffe le 15 novembre 1988. A une date non précisée, les intéressés se pourvurent en cassation attaquant, notamment, l'application rétroactive de la loi de 1988. Le 18 septembre 1989, la Cour de cassation reporta l'audience à une date ultérieure. Par un arrêt du 6 novembre 1989, déposé au greffe le 3 avril 1990, la haute juridiction repoussa le pourvoi : la cour d'appel avait à juste titre appliqué la loi de 1988 puisque les requérants n'avaient pas encore obtenu de décision définitive condamnant la municipalité à la restitution du terrain construit. Par ailleurs, le 15 novembre 1989, dans le cadre de la procédure engagée par les coopératives en 1981 (paragraphe 13 ci-dessus), le tribunal de Brescia souleva, à la demande des requérants, une exception tirée de l'inconstitutionnalité de l'article 3 de la loi de 1988. La Cour constitutionnelle la rejeta le 12 juillet 1990 (arrêt n 384 - paragraphe 35 ci-dessous). Le 28 novembre, le tribunal débouta les demanderesses et condamna la ville à rembourser les intéressés pour les préjudices subis, en précisant que cette question devrait faire l'objet d'une nouvelle procédure. Les 4 et 5 mars 1993, les requérants assignèrent les coopératives et la ville devant le tribunal afin que celui-ci fixât le montant du dédommagement auquel ils avaient droit. Le 26 avril 1995, le tribunal, considérant la ville comme seule responsable de l'occupation litigieuse et des dommages causés, accorda aux intéressés la somme de 599 605 830 lires italiennes moins 100 000 000 lires (réévaluées à 139 650 600) versées par la ville en 1988 en guise d'acompte, ainsi que 22 300 000 lires pour frais et honoraires d'avocat. Déposé au greffe le 2 août 1995, le jugement fut déclaré exécutoire le 11 octobre et fut notifié à la ville le 13. Le 29 septembre 1995, le conseil municipal de Brescia arrêta le paiement des sommes dues en faveur des requérants. La première, majorée des intérêts légaux jusqu'à la date probable du versement (31 octobre 1995), s'élevait à 1 015 255 000 lires. Le 20 octobre 1995, les intéressés adressèrent une mise en demeure à la ville, qui, le 29 novembre suivant, leur versa 751 164 000 lires. Le 17 janvier 1996, en vertu de l'article 543 du code de procédure civile, ils assignèrent la ville ainsi que sa banque à comparaître le 26 mars 1996 devant le juge de l'exécution afin qu'il soit procédé à la saisie des crédits appartenant à la ville de manière à obtenir le paiement du solde de la somme due. Le 18 janvier 1996, l'huissier de justice saisit 250 000 000 lires. II. Le droit interne pertinent A. La législation L'article 20, alinéa 1, de la loi n 865 du 22 octobre 1971 prévoit : "L'occupation d'urgence des zones à exproprier est établie par un décret du préfet. Ce décret perd sa validité si l'occupation n'est pas effectuée dans les trois mois suivant sa promulgation." L'article 3 de la loi n 458 du 27 octobre 1988 dispose : "Le propriétaire d'un terrain, utilisé pour la construction de bâtiments publics et de logements sociaux, a droit à la réparation du dommage subi, à la suite d'une expropriation déclarée illégale par une décision passée en force de chose jugée, mais ne peut prétendre à la restitution de son bien. Il a également droit, en plus de la réparation du dommage, aux sommes dues en raison de la dépréciation monétaire et à celles mentionnées à l'article 1224 § 2 du code civil et ceci à compter du jour de l'occupation illégale." L'article 1224 § 2 du code civil est ainsi libellé : "Le créancier qui démontre avoir subi un dommage plus important a le droit d'en obtenir réparation. Il n'y a pas droit si des intérêts moratoires étaient convenus." L'article 543 du code de procédure civile se lit ainsi : "La saisie des crédits du débiteur vers des tiers (...) s'effectue par le moyen d'un acte notifié personnellement au tiers et au débiteur (...)" B. La jurisprudence Interprétant l'article 3 de la loi de 1988, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 12 juillet 1990 (n 384), a considéré : "Par la disposition attaquée, le législateur, entre l'intérêt des propriétaires des terrains - obtenir en cas d'expropriation illégitime la restitution des terrains - et l'intérêt public - concrétisé par la destination de ces biens à des finalités de constructions résidentielles publiques à des conditions favorables ou conventionnées - a donné la priorité à ce dernier intérêt." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 26 janvier 1988. Invoquant les articles 6 § 1 et 8 de la Convention, ainsi que l'article 1 du Protocole n 1, ils se plaignaient : 1) de la longueur des procédures suivies devant les juridictions civiles et administratives ; 2) d'une violation du droit au respect de leur domicile ; 3) d'une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Le 6 décembre 1993, la Commission a retenu la requête (n 14025/88) quant au troisième grief et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 21 février 1995 (article 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n 1. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour, à titre principal, de rejeter le grief des requérants pour non-respect du délai de six mois ou pour non-épuisement des voies de recours internes (article 26 de la Convention). Subsidiairement, il la prie de juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole n 1.
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyen suisse né en 1949, M. Martin Thomann réside à Zurich. A. La procédure par défaut Le 13 décembre 1988, le parquet du canton de Bâle-Ville le mit en accusation (Anklageerhebung) du chef de récidive d'escroquerie qualifiée et tentative (wiederholter und fortgesetzter, vollendeter und versuchter, teils gewerbsmäßiger Betrug), de banqueroute simple (leichtsinniger Konkurs) et d'absence de comptabilité (Unterlassung der Buchführung). Le tribunal pénal (Strafgericht) du canton décida de tenir audience dans cette affaire du 10 au 17 mai 1989. Toutefois, la citation à comparaître (Vorladung zur Verhandlung) ne put être remise au requérant, car il avait quitté son domicile sans laisser d'adresse. Un mandat d'arrêt fut dès lors décerné; il précisait que les débats pourraient avoir lieu à tout moment, même en l'absence de l'intéressé. Composé des juges Metzener, Becht-Gutmann et Memminger, le tribunal siégea du 10 au 17 mai 1989, en l'absence de M. Thomann. Celui-ci fut arrêté le 16 mai 1989 et assista le 17 au prononcé du jugement le condamnant à deux ans et demi d'emprisonnement et à une amende de cinq cents francs suisses pour escroquerie et tentative dans l'exercice de la profession (gewerbsmäßiger Betrug), banqueroute simple et absence de comptabilité. B. La procédure en révision Le requérant demanda aussitôt la révision de son procès (paragraphe 24 ci-dessous). Le tribunal y fit droit et décida en conséquence de ne pas motiver par écrit son jugement par défaut (Kontumazurteil). Il engagea par la suite la procédure ordinaire et fixa une nouvelle audience au 30 octobre 1989. Ayant appris que le siège du tribunal pénal serait identique à celui qui l'avait condamné par défaut, M. Thomann formula, le 29 juin 1989, une demande de récusation (Ausstandsbegehren wegen Befangenheit) contre ses trois membres, qui refusèrent le 22 août de l'accueillir. Sur recours (Beschwerde) de l'intéressé, la cour d'appel (Appellationsgericht) du canton annula cette décision le 5 octobre et ordonna qu'il fût statué sur la demande en l'absence des juges récusés. Composé des juges Kunz, Stephenson et Stamm, le tribunal la rejeta le 25 octobre. Invoquant les articles 58 de la Constitution fédérale et 6 par. 1 de la Convention européenne (art. 6-1), le requérant saisit derechef la cour du canton, qui écarta l'appel (Beschwerde) le 14 novembre 1989. Selon elle, la révision au sens de l'article 267 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessous) ne s'analyse pas en une véritable voie de recours, mais en une restitution (Restitution) qui a pour seul effet d'annuler un jugement par défaut et d'ouvrir une procédure ordinaire (gewöhnliches Verfahren) qui mène à un nouveau jugement remplaçant le premier. En l'absence de dispositions légales sur ce point, la pratique confie au magistrat qui a rendu le premier jugement le soin de traiter la demande en révision et de siéger dans la procédure ordinaire. Cela se comprend par la circonstance que la révision n'implique ni l'exercice de fonctions différentes de celles exercées par le premier juge ni une critique de sa décision: elle vise uniquement à compléter les éléments de fait sur lesquels son jugement se trouve fondé. Dans ces conditions, on ne saurait guère craindre un manque d'impartialité de sa part quand il rejuge l'affaire. Du reste, les magistrats statuant par défaut sont parfaitement conscients que leurs décisions sont sujettes à révision. En l'espèce, le jugement censuré est issu d'un collège de trois juges - ce qui a déjà réduit les risques de manquements au devoir d'impartialité - qui, de surcroît, ont consenti à annuler leur propre décision, montrant ainsi qu'à leurs yeux, M. Thomann ne devait pas pâtir de son absence à la première audience. Le 2 mai 1990, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public (staatsrechtliche Beschwerde) introduit par l'intéressé. Rappelant sa jurisprudence en la matière, la haute juridiction considéra notamment que les membres d'un collège de trois juges siégeant dans une procédure ordinaire ne perdaient pas leur impartialité par cela seul qu'ils ont déjà statué par défaut dans la même affaire, pourvu que l'issue de celle-ci paraisse toujours ouverte et non prédéterminée (Anschein der Vorbestimmtheit). Pour s'en assurer, il convient de tenir compte des éléments de fait et de procédure entourant les instances respectives. Vu l'importance de la comparution personnelle devant une juridiction pénale, on ne saurait jamais exclure qu'une affaire traitée en l'absence du prévenu n'eût pu connaître une conclusion différente si celui-ci avait assisté aux débats. Aussi les codes de procédure pénale cantonaux autorisant le jugement par défaut prévoient-ils tous le droit pour le condamné de demander l'ouverture d'une procédure ordinaire. Contrairement à l'appel, celle-ci n'a pas pour objet l'examen (Überprüfung) du premier jugement: elle replace l'affaire au stade de l'audience pour qu'elle soit entièrement reprise à zéro, à travers des débats et un jugement nouveaux. Certes, les juges ont à y trancher les mêmes questions, celles de la culpabilité et de la peine. Comme toutefois la procédure ordinaire permet d'accomplir des actes qui, tels les interrogatoires et les répliques, s'avéraient impossibles en raison de l'absence du prévenu, l'affaire se trouve entièrement reconsidérée. Son issue est donc ouverte, les magistrats pouvant très bien parvenir à une conclusion différente de celle qu'ils ont adoptée antérieurement. L'avis contraire de M. Thomann sur ce point s'appuie uniquement sur ses impressions subjectives qui, d'après la jurisprudence, ne peuvent être retenues. Quant aux décisions de justice qu'il invoque, elles manquent de pertinence car elles concernent un problème étranger au cas d'espèce: le cumul de fonctions différentes, notamment celles de juge du fond et de magistrat instructeur. Au demeurant, la thèse du requérant ouvrirait la voie aux abus, car dans les cantons où l'ouverture d'une révision ne dépend pas de la réalisation de conditions objectives, il suffirait à un prévenu de ne pas se présenter à l'audience pour écarter le juge qui n'a pas ses faveurs. L'intéressé se verrait ainsi avantagé par rapport à celui qui comparaît. Il provoquerait en outre un ralentissement de l'instance, lui-même renforcé par le fait qu'à chaque fois, de nouveaux juges devraient étudier l'affaire. C. La procédure ordinaire L'audience sur révision se tint du 26 septembre au 3 octobre 1990 devant le tribunal pénal de Bâle-Ville composé des juges Metzener, Becht-Gutmann et Memminger, qui entendirent le requérant, assisté d'un avocat commis d'office, ainsi que plusieurs témoins. Le 3 octobre, cette juridiction le condamna à deux ans et trois mois d'emprisonnement et à une amende de cinq cents francs suisses pour escroquerie et tentative dans l'exercice de la profession, banqueroute simple et absence de comptabilité. Le 11 juillet 1991, la cour d'appel du canton acquitta M. Thomann de certains chefs d'accusation relatifs à l'escroquerie, puis ramena la peine à deux ans d'emprisonnement et cinq cents francs d'amende. Le 9 décembre 1992, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public formé par l'intéressé contre cet arrêt. II. Le droit cantonal pertinent A. La procédure ordinaire Le prévenu qui comparaît au procès est d'abord interrogé sur sa situation personnelle, puis autorisé à faire une déclaration succincte sur l'acte d'inculpation. Ensuite, le président du tribunal le questionne dans le détail sur les charges portées contre lui (article 178 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung) de Bâle-Ville). Le prévenu peut être confronté à des témoins (article 179) et demander l'audition d'autres témoins (article 181). Après les réquisitions du ministère public et, le cas échéant, les déclarations de la victime, il peut présenter sa défense; il a toujours la parole en dernier, après les répliques du ministère public (articles 185 et 186). A l'exception de celui-ci, les parties à une procédure pénale qui ont un intérêt à agir peuvent interjeter appel contre le jugement de première instance. Dans ce cas, la cour d'appel réentendra toute la cause (article 236, deuxième phrase). B. La procédure par défaut Dans la mesure du possible, l'enquête préliminaire contre un suspect absent doit être conduite de manière aussi approfondie que s'il était présent; il convient en particulier d'entendre les témoignages pertinents (article 260). Une personne absente qui n'a pas été entendue sur les charges portées contre elle ne peut être mise en accusation (öffentliche Anklage) que si sa non-audition résulte de sa faute et que, malgré l'absence de l'intéressé, le procès paraît pouvoir déboucher sur des conclusions fiables (article 261 par. 1). Lorsqu'une personne absente a été mise en accusation ou qu'une personne citée à comparaître s'absente sans raison valable, le président du tribunal pénal (Strafgerichtspräsident) ordonne que l'audience se tienne par défaut (Kontumazialverhandlung). Il en est fait mention dans les documents relatifs aux recherches et enquêtes menées pour retrouver cette personne (article 262 par. 1). Si le prévenu ne peut être amené à l'audience, les pièces pertinentes du dossier d'instruction sont remises aux membres du siège ou lues lors des débats. Le tribunal rend son jugement en se fondant sur le dossier, après avoir entendu les parties présentes (article 263 par. 1). Le président peut, d'office ou à la demande d'une partie, ordonner l'audition de témoins, d'experts ou de toute autre personne (article 263 par. 2). S'il manque des preuves suffisantes pour condamner le prévenu, la procédure est provisoirement suspendue (article 264 par. 1). En revanche, s'il condamne celui-ci, le tribunal se prononce, dans son jugement par défaut (Kontumazurteil), sur les mesures à prendre dès l'arrestation de l'intéressé. Le jugement doit, autant que possible, être exécuté immédiatement (article 264 par. 2). La personne condamnée par défaut en est informée par signification dès qu'elle est traduite devant la juridiction compétente ou qu'elle comparaît de son plein gré (article 267 par. 1). Elle peut demander la révision du procès (Revision des Verfahrens) dans les dix jours qui suivent la signification (article 267 par. 2). La demande ne peut être accueillie que si l'intéressé démontre qu'il n'a pas reçu la citation ou que, sans faute de sa part, il a été empêché de comparaître (article 267 par. 3). S'il y est fait droit, l'affaire est rejugée en procédure normale et un nouveau jugement est rendu (article 267 par. 4); dans le cas contraire, ou en l'absence de demande de révision, le jugement par défaut passe en force de chose jugée (article 267 par. 5). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 5 décembre 1990 à la Commission (n° 17602/91), M. Thomann se plaignait d'avoir été condamné le 3 octobre 1990 par un tribunal ne présentant pas l'impartialité voulue par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1994. Dans son rapport du 2 mars 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt voix contre quatre, à l'absence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. Les circonstances de l’espèce En 1978, M. Guy Ankerl emménagea avec son épouse dans un appartement situé au deuxième étage du 3 de la rue Saint-Léger à Genève. Il sous-louait ledit appartement à la régie immobilière SA ("la régie immobilière"), elle-même locataire de la SI Chrysanthemum SA ("la SI Chrysanthemum"), propriétaire de l’immeuble. A. La genèse de l’affaire A l’automne 1985, M. Ruffieux devint l’actionnaire principal de la SI Chrysanthemum. Le 14 novembre 1986, la régie Naef SA ("la régie Naef"), gérante de l’immeuble où se trouvait l’appartement litigieux, informa le requérant que ledit immeuble allait faire l’objet de travaux de rénovation et d’aménagement. Par une lettre du 8 mai 1987, la régie Naef donna à la régie immobilière - en liquidation - congé de l’appartement à partir du 29 février 1988, date de l’échéance du contrat de bail, et l’invita à résilier le contrat de sous-location conclu avec M. Ankerl. La régie immobilière aurait demandé à la régie Naef d’encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl. Le 14 juillet 1987, la régie Naef aurait adressé à ce dernier des bulletins de versement relatifs au payement des loyers d’avril à juillet de la même année. Elle aurait précisé - le requérant le conteste - qu’en encaissant les sommes y relatives, elle n’entendait pas reconnaître l’existence de rapports de droit directs entre celui-ci et la SI Chrysanthemum. Par une lettre recommandée du 21 juillet 1987, la régie immobilière informa M. Ankerl qu’elle résiliait leur contrat de sous-location à compter de son échéance. Le requérant s’adressa alors à la commission de conciliation en matière de baux et loyers afin d’obtenir une prolongation dudit contrat. En l’absence de conciliation, il saisit le tribunal des baux et loyers, puis se désista. A partir de février 1988, la gérance de l’immeuble fut confiée à l’agence GPR Degenève SA ("l’agence GPR Degenève"). Celle-ci communiqua son numéro de compte bancaire au requérant. Par une lettre du 29 février 1988, restée sans réponse, M. Ankerl confirma à ladite agence qu’il verserait dorénavant le loyer sur ce compte. Il soutient avoir procédé de la sorte chaque mois - de mars 1988 à août 1991 -, en prenant soin de faire mentionner le terme "loyer" sur les avis de virement, sans rencontrer aucune objection. Le 22 avril 1988, le requérant et son épouse eurent un entretien - dont les termes sont controversés - avec M. Linder, administrateur de l’agence GPR Degenève (paragraphe 18 ci-dessous). B. La procédure devant le tribunal de première instance du canton de Genève Le 15 novembre 1988, la SI Chrysanthemum déposa une demande d’évacuation des lieux auprès du tribunal de première instance du canton de Genève. Elle alléguait que le requérant résidait sans droit dans les locaux litigieux puisque son contrat de sous-location avait été résilié. M. Ankerl plaida l’incompétence ratione materiae du tribunal: il soutenait avoir conclu un bail verbal avec la demanderesse. Le tribunal devait ainsi trancher la question de savoir si le comportement des protagonistes traduisait un accord quant à la conclusion d’un bail de location après la résiliation du bail de sous-location. Le tribunal tint une audience le 19 mai 1989. Il entendit MM. Linder (agence GPR Degenève) et Veuillet (régie Naef), ainsi que Mme Ankerl; M. Ruffieux (SI Chrysanthemum) et le requérant s’exprimèrent également. Seuls les deux premiers avaient la qualité de témoin assermenté. Le procès-verbal d’enquête se lit comme suit: "(...) Monsieur Jean-Gabriel Linder (...) Lorsque j’ai repris [la gestion de l’immeuble en mars 1988] M. Ankerl se trouvait dans les locaux mais il n’était au bénéfice d’aucun contrat de bail ni écrit ni verbal ni même simplement tacite. Il est exact que j’ai eu un entretien avec M. Ankerl à ma propre initiative. (...) Je voulais savoir ce qu’il en était de la situation de M. Ankerl. Je lui ai clairement fait connaître que pour ma part j’estimais qu’il n’était pas bénéficiaire d’un bail. M. Ankerl m’a pour sa part exposé qu’il tenait beaucoup sentimentalement à demeurer dans cet appartement où il disait avoir écrit un livre. Il est possible que M. Ankerl m’ait dit qu’auparavant on lui aurait concédé verbalement un bail mais toutefois je ne saurais l’affirmer. En tout cas M. Ankerl ne m’a pas demandé qu’on lui établisse un bail. En fin d’entretien M. Ankerl m’a proposé de payer un loyer plus élevé pour pouvoir rester dans l’appartement. Cela sous-entend j’imagine qu’il demandait qu’on lui fasse un bail. J’ai dit au défendeur que je ferai part de sa demande au propriétaire. Je lui ai clairement dit tant au début qu’à la fin de l’entretien que je ne pouvais moi-même prendre une décision. Par conséquent j’ai fait part au propriétaire de l’entretien dont je viens de parler. Ce dernier m’a répondu qu’il ne désirait pas entrer en matière et il ne m’a pas donné les raisons. Je n’ai pas communiqué moi-même à M. Ankerl la position de l’actionnaire mais par contre j’avais transmis le dossier à notre avocat qui a dû lui faire part de cette position. Mon secrétariat a dû vraisemblablement communiquer à M. Ankerl notre numéro de compte lorsque nous avons succédé à la régie Naef. (...) J’ai eu connaissance d’un accord qui avait été passé au préalable entre la régie Naef et M. Ankerl afin que ce dernier paie directement le loyer auprès de la régie Naef. Monsieur Dominique Veuillet (...) Je travaille à la régie Naef depuis le 1er mars 1983. (...) Nous savions que M. Ankerl occupait de fait les locaux (...) (...) En 1986 ou 1987, M. Ankerl est venu me trouver, il m’a dit que sa situation était un peu particulière avec la régie immobilière. Je n’ai plus en mémoire les raisons exactes de cette situation. Le défendeur a demandé que nous lui fassions un bail en son nom. Parallèlement la régie immobilière nous avait demandé d’encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl. (...) Nous avons nous-même remis le dossier à une autre régie au 31 décembre 1987 et à ce moment-là pour nous la situation de M. Ankerl restait celle que nous avions décrite dans notre lettre du 14 juillet 1987. (...) Il est exact que nous avions informé en date du 14 novembre 1986 M. Ankerl du projet de travaux dans l’immeuble. Ceci est en raison du fait que nous ne pouvions pas ignorer la présence de M. Ankerl dans les locaux. (...) Madame Méryl Ankerl (...) J’étais présente en avril 1988 lors de l’entretien avec M. Linder. M. Linder nous a demandé quelles étaient nos intentions au sujet de cet appartement et nous lui avons dit que nous souhaitions rester. Il nous a exposé alors que l’immeuble allait être rehaussé et nous a demandé si les travaux ne nous incommoderaient pas. Nous avons répondu que les travaux nous incommoderaient peut-être mais que nous le supporterions puisque nous voulions rester. M. Linder a ajouté que de toute manière le processus serait long parce que les plans de l’architecte n’avaient pas été agréés par les Travaux publics. Il nous a dit aussi que pendant les travaux nous pourrions occuper un autre appartement dans l’immeuble et qu’après les travaux nous pourrions occuper un appartement nouvellement créé dans les combles. Ou alors nous pouvions réintégrer notre appartement du deuxième étage. Lorsque nous sommes partis M. Linder nous a déclaré qu’il nous informerait de la suite. Lorsque nous sommes sortis nous étions vraiment rassurés et optimistes. M. Linder ne nous a nullement demandé de chercher un appartement ailleurs ni de donner un délai pour partir. Je ne me souviens pas si M. Linder a dit qu’il allait en référer au propriétaire. J’avais moi-même l’impression qu’il avait une certaine autonomie. Monsieur Ruffieux: Je suis moi-même administrateur de la demanderesse depuis octobre 1985. Je n’ai jamais vu M. Ankerl à ce jour. J’ai répondu une fois à une lettre qu’il m’envoyait pour me demander un entretien et je lui ai dit que son cas était suivi par le service juridique de la régie Naef. (...) Il est exact que j’ai dit à M. Linder que je refusais de faire un bail à M. Ankerl. Nous n’avions jamais admis que M. Ankerl soit locataire et je ne voulais pas que nous l’admettions. Je sais dès le début que M. Ankerl occupait les locaux. Le loyer est à jour. Je n’aurais pas été initialement opposé à une solution transactionnelle mais les relations deviennent difficiles avec M. Ankerl. J’ai laissé déjà quatre ans à M. Ankerl. Monsieur Ankerl: Quand j’ai fait le bail avec la régie immobilière je ne m’étais pas rendu compte que c’était une sous-location. J’avais consulté un avocat au moment de signer. M. Ruffieux dit aujourd’hui qu’il n’est pas facile de s’entendre avec moi mais il disait auparavant qu’il ne voulait plus de nous parce qu’il voulait rénover son immeuble." Le 12 octobre 1989, le tribunal constata que les parties n’étaient liées par aucun contrat de bail et condamna M. Ankerl "à évacuer de tous biens et de toutes personnes, et à restituer à la demanderesse, en bon état, l’appartement" litigieux. Le jugement est ainsi libellé: "(...) Attendu (...) Que M. Veuillet, employé de [la régie Naef], a déclaré au tribunal que la locataire, soit la régie immobilière, avait demandé à la régie Naef d’encaisser les loyers directement auprès de M. Ankerl. Que cette formule fut acceptée, les paiements étant reçus au titre d’indemnité pour occupation illicite, ce qui ressort d’un courrier daté du 14 juillet 1987 (...) Qu’en date du 20 janvier 1988 la nouvelle gérance, soit l’agence GPR Degenève SA, écrivait à la régie Immobilière SA, pour lui demander de verser dorénavant en ses bureaux l’indemnité pour occupation illicite de M. Ankerl. Que M. Linder, employé de la nouvelle gérance, déclara au tribunal avoir eu un entretien avec M. Ankerl, et lui avoir fait clairement connaître qu’il ne l’estimait pas au bénéfice d’un bail. Que M. Ankerl aurait implicitement requis l’établissement d’un bail, à quoi M. Linder expose avoir répondu qu’il ne lui appartenait pas de décider. Que M. Ruffieux, administrateur et actionnaire de la demanderesse, a déclaré au tribunal n’avoir jamais admis et ne pas vouloir admettre de conclure un bail avec le défendeur. Attendu toutefois que (...) M. Ankerl avait été nanti personnellement du numéro de compte de l’agence GPR Degenève, et écrivait à cette société le 29 février 1988 pour l’informer qu’à l’avenir il paierait le loyer au compte de cette dernière (...) Que cette lettre ne paraît pas avoir reçu de réponse, si ce n’est que, trois mois plus tard, l’avocat constitué par la bailleresse écrivait pour s’enquérir du délai de départ de M. Ankerl. Que par ailleurs l’épouse du défendeur - qui était présente lors de l’entretien que son mari avait eu avec M. Linder - a retenu de cet entretien que la régie envisageait de leur proposer un autre appartement dans l’immeuble, pour la durée des travaux, et qu’en quittant leur interlocuteur, les époux avaient tout lieu d’être rassurés, dès lors qu’il ne leur était pas demandé de quitter les lieux. (...) Considérant, en droit, que la seule question utile à résoudre est celle de savoir si le défendeur, depuis que son bail de sous-location a été résilié, s’est vu concéder un bail de la part de la société propriétaire. Qu’un contrat de bail peut être conclu verbalement, étant cependant observé qu’il est d’usage, de la part d’une régie, de préparer un document écrit. Qu’en l’occurrence, depuis la résiliation du bail de sous-location, aucun contrat n’a été signé. Qu’aucune des pièces produites ne révèle un accord quelconque de la demanderesse quant à la conclusion d’un bail. Qu’il reste à examiner si - en ne répondant pas immédiatement, ni clairement, à la lettre du défendeur du 29 février 1988, ou en laissant exposer à ce dernier, par un collaborateur de la régie, qu’il allait en référer à la société propriétaire - la demanderesse est susceptible d’avoir ainsi - selon les règles de bonne foi - donné son accord à la conclusion d’un bail. Que le tribunal arrive à la conclusion que - dans les circonstances du cas d’espèce - il n’y a pas eu conclusion d’un bail ni verbal (la preuve d’un accord verbal n’est pas rapportée), ni même par actes concluants. Qu’en effet, s’il est exact que le défendeur souhaite demeurer dans les locaux, il n’est même pas ressorti de l’enquête qu’il ait clairement requis l’établissement d’un contrat. Que, devant les courriers non équivoques de la demanderesse, le défendeur n’a pas pris la peine de répondre par écrit. Qu’il ne pouvait donc pas véritablement admettre - de bonne foi - que la demanderesse lui concédait implicitement un bail. Qu’il pouvait d’autant moins admettre un tel accord tacite que, depuis la résiliation du bail principal et, partant, du bail de sous-location, une instance en prolongation de bail était pendante, dans le cadre de laquelle la bailleresse avait clairement exposé n’être pas liée au défendeur, et ne pas vouloir l’être. Qu’en conséquence, il n’existe aucun bail entre les parties. [Qu’] (...) il y a lieu de constater que le défendeur demeure sans droit dans les locaux. Que l’article 641 ch. 2 cc trouve son application en l’espèce (...)" C. La procédure devant la cour de justice du canton de Genève Par un arrêt du 7 juin 1990, la cour de justice du canton de Genève débouta M. Ankerl de son appel aux motifs suivants: "La Cour ne peut que partager l’avis du premier juge quant à l’absence d’un lien contractuel entre la société propriétaire Chrysanthemum SA et Guy Ankerl. Il est téméraire de soutenir que la preuve de la conclusion d’un bail ressort de l’attitude du propriétaire ou de ses représentants qui ont, au contraire, toujours souligné leur volonté de ne pas conclure de bail avec Guy Ankerl pour l’appartement 3, rue Saint-Léger, 2ème étage. Le fait d’avoir remis des bulletins de versement du loyer accompagnés de la lettre du 14 juillet 1987, ou de n’avoir pas répondu à la lettre de l’appelant du 29 février 1988, [n’est] pas constitutif d’éléments permettant de conclure à l’existence d’un bail. Il en résulte, faute de contrat de bail, que le tribunal de première instance était compétent ratione materiae. (...) Selon la jurisprudence de la cour, il a été reconnu que le propriétaire est en droit de se prévaloir de son droit de propriété à l’encontre du sous-locataire et d’invoquer en sa faveur l’article 641 alinéa 2 cc, faute de tout lien juridique existant entre les intéressés (...) Le contrat de sous-location constitue un bail entre le locataire principal et le sous-locataire (...) Ayant reçu son congé pour le 28 février 1988, Guy Ankerl, dès cette date, n’est plus au bénéfice d’aucun titre pour se maintenir dans les locaux. (...)" D. La procédure devant le Tribunal fédéral Le requérant saisit le Tribunal fédéral d’un recours de droit public contre le jugement de la cour de justice. Dans son mémoire, il invoquait notamment les articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14) et exposait: "(...) le fait [pour les juridictions cantonales] d’avoir admis que le représentant d’une partie soit entendu comme témoin assermenté crée une inégalité flagrante avec l’autre partie qui elle n’a pas été, par la force des choses, en mesure de citer des témoins susceptibles d’être assermentés. L’égalité des armes garantie tant par la Constitution fédérale que par la Convention européenne des Droits de l’Homme n’a pas été respectée. Cette inégalité est d’autant plus flagrante lorsque le tribunal saisi n’a pas tenu le moins du monde compte dans sa décision des déclarations d’un témoin, fût-il entendu à titre de renseignement. Il s’agit là d’une violation grossière de la loi qui pourtant prévoit expressément, même si elle exclut la prestation de serment, la faculté pour l’épouse de témoigner et implique donc l’examen de ce témoignage par le tribunal saisi." La première cour civile du Tribunal fédéral rendit son arrêt le 3 octobre 1990. Elle déclara irrecevable - notamment - le grief pris de la violation des articles 6 et 14 de la Convention (art. 6, art. 14): "(...) Saisi d’un recours de droit public, le Tribunal fédéral n’examine que les griefs invoqués de manière suffisante (...) l’acte de recours doit contenir, notamment, un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation (article 90 al. 1 let b de la loi fédérale d’organisation judiciaire). (...) A maints égards, le présent recours ne respecte pas cette exigence de motivation. Tel est (...) le cas du moyen pris de la violation des articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) [de la] Convention européenne des Droits de l’Homme, que le recourant se contente d’alléguer sans fournir aucune explication à ce sujet." Rejetant le reste du recours, la première cour civile précisa: "Le recourant fait encore valoir que la cour de justice a apprécié arbitrairement les preuves administrées par le premier juge. (...) (...) Si l’on comprend bien l’argumentation peu claire de l’intéressé, la cour cantonale aurait rendu compte, d’une manière inadmissible, de l’entretien que sieur Linder avait eu en avril 1988 avec le recourant en présence de l’épouse de ce dernier, en ce sens qu’elle aurait complètement passé sous silence les déclarations de celle-ci et n’aurait pris en considération que la déposition de sieur Linder. A cet égard, il convient de souligner que l’épouse du recourant n’a été entendue qu’à titre de renseignement et sans prestation de serment, conformément à l’article 226 [de la] loi de procédure civile [du canton de Genève]. Or, selon les commentateurs de la loi de procédure civile genevoise, l’audition à titre de renseignement n’a qu’une portée informative, sans valeur probante (...). Il n’y avait donc rien d’arbitraire, en l’espèce, à ne pas tenir compte des explications fournies par Mme Ankerl. Le recourant ne démontre, du reste, nullement en quoi la cour cantonale aurait interprété d’une manière insoutenable les déclarations du témoin assermenté Jean-Gabriel Linder. Contrairement à ce qu’il paraît vouloir soutenir, l’autorité intimée n’a pas déduit de ces déclarations que le témoin aurait indiqué au recourant qu’il devait quitter l’appartement. Elle constate simplement que sieur Linder "a confirmé qu’il transmettrait au propriétaire le souhait de Guy Ankerl de conclure un nouveau bail". Le recourant n’attaque pas cette constatation. (...) Manifestement mal fondé, le présent recours ne peut dès lors qu’être rejeté en tant qu’il est recevable." E. Le départ du requérant Les époux Ankerl quittèrent l’appartement en cause le 16 octobre 1991. II. Le droit interne pertinent A. Le droit cantonal Les dispositions pertinentes de la loi de procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, entrée en vigueur le 1er août 1987, sont les suivantes: Article 196 "A moins que la loi ne prescrive le contraire, le juge apprécie librement les résultats des mesures probatoires." Article 222 par. 1 "Toute personne capable de discernement et régulièrement citée est tenue de comparaître comme témoin pour déposer sous la foi du serment." Article 225 "1. Ne peuvent être entendus comme témoins: a) les parents en ligne directe de l’une des parties; b) les frères et les soeurs; c) les oncles et les neveux; d) les alliés au même degré; e) le conjoint, même divorcé. Toutefois, les parties peuvent faire entendre ces personnes, à l’exception des descendants, dans les instances en retrait de l’autorité parentale, dans les questions d’état des personnes et dans les causes de séparation de corps, de divorce et de mesures protectrices de l’union conjugale." Article 226 "Les personnes visées à l’article 225, alinéa 1, peuvent être entendues dans les autres causes sans distinction, mais sans prestation de serment et seulement à titre de renseignement. (...)" B. Le droit fédéral L’article 90 de la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 est ainsi libellé: "1. Outre la désignation de l’arrêté ou de la décision attaqués, l’acte de recours doit contenir: a) Les conclusions du recourant; b) Un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 10 décembre 1990. Invoquant les articles 6 par. 1 et 14 de la Convention (art. 6-1, art. 14), il alléguait qu’en ayant entendu sous serment un témoin de la partie adverse et non son épouse, Mme Méryl Ankerl, le tribunal de première instance du canton de Genève avait méconnu le principe d’égalité des armes. La Commission a déclaré la requête (no 17748/91) recevable le 5 juillet 1994. Dans son rapport du 24 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (sept voix contre six) et estime inutile de rechercher s’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 14+6-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant demande à la Cour "de mettre à néant l’arrêt (...) du Tribunal fédéral suisse, lequel contrevient aux obligations de la Suisse de respecter l’article 6 de la Convention (art. 6)". De son côté, le Gouvernement invite la Cour, "à titre principal, à dire que faute d’épuisement des voies de recours internes, elle ne peut connaître du fond de l’affaire et, à titre subsidiaire, que les autorités suisses n’ont pas violé la Convention (...) à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Guy Ankerl contre la Suisse".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant portugais domicilié à Lisbonne, M. Pedro Lobo Machado entra en 1955 en qualité d’ingénieur au service de la société Sacor, qui, après sa nationalisation en 1975, s’intégra dans l’entreprise publique Petrogal-Petróleos de Portugal, EP ("Petrogal"). Le 4 avril 1989, cette dernière devint une société anonyme, dont l’Etat détient toujours la majorité des actions. Dans l’intervalle, le 1er janvier 1980, le requérant avait pris sa retraite. Le 5 février 1986, M. Lobo Machado engagea une procédure devant le tribunal du travail de Lisbonne contre Petrogal, représentée par un avocat désigné par le président du conseil d’administration de l’entreprise. Il demandait la reconnaissance de la catégorie professionnelle de "directeur général" au lieu de celle de "directeur" que son employeur lui avait attribuée. Cette classification ayant un effet sur le montant de sa pension de retraite, il réclamait également le paiement des sommes qui, selon la convention collective (acordo colectivo de trabalho), auraient dû lui être accordées depuis 1980. Le tribunal du travail de Lisbonne le débouta de ses prétentions par un jugement du 7 octobre 1987. La cour d’appel de Lisbonne confirma cette décision par un arrêt du 1er juin 1988. L’intéressé se pourvut devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça). Après un échange de mémoires entre les parties, le dossier fut transmis le 20 février 1989 au représentant du ministère public près la Cour suprême, un procureur général adjoint. Le 28 février 1989, celui-ci émit un avis dans lequel il se prononça pour le rejet du recours dans les termes suivants: "1. Vu. Reprenant les arguments déjà présentés devant la cour d’appel, l’appelant demande la cassation de l’arrêt attaqué et du jugement du tribunal de première instance ainsi que la reconnaissance du bien-fondé de son action. Cependant, lesdits arguments ont déjà été dûment examinés dans l’arrêt a quo, qui se suffit à lui-même en ce qui concerne sa motivation. Toute autre considération n’est dès lors pas nécessaire. En conséquence, je suis d’avis que le recours doit être rejeté." Le 19 mai 1989, réunie en chambre du conseil, la Cour suprême examina le recours. La séance se déroula en présence des trois juges, d’un greffier et du magistrat du ministère public. Les parties n’avaient pas été convoquées. A l’issue des délibérations, la haute juridiction adopta un arrêt de rejet, notifié au requérant le 22 mai 1989. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Le ministère public dispose d’une autonomie et d’un statut similaires à ceux de la magistrature assise. L’article 221 paras. 1 et 2 de la Constitution définit ses attributions dans les termes suivants: "1. Il appartient au ministère public de représenter l’Etat, d’exercer l’action pénale, de défendre la légalité démocratique et les intérêts fixés par la loi. Le ministère public bénéficie d’un statut propre et jouit de l’autonomie, conformément à la loi." B. La loi organique du ministère public La loi no 47/86 du 15 octobre 1986 délimite le champ des compétences du ministère public et établit le mode de son intervention - principale ou "accessoire" (acessória) - dans les procédures judiciaires. Les dispositions suivantes entrent en ligne de compte en l’espèce: Article 1 "Le ministère public, aux termes de la loi, est l’organe chargé de représenter l’Etat, d’exercer l’action pénale et de défendre la légalité démocratique et les intérêts qui lui sont attribués par la loi." Article 3 par. 1 "Il appartient en particulier au ministère public: a) de représenter l’Etat (...); b) d’exercer l’action pénale; c) de représenter les travailleurs et leurs familles dans la défense de leurs droits sociaux; d) de défendre l’indépendance des tribunaux, dans le cadre de ses attributions, et de veiller à ce que la fonction juridictionnelle s’exerce en conformité avec la Constitution et les lois; e) de promouvoir l’exécution des décisions des tribunaux pour lesquelles il est habilité à le faire; f) de conduire l’enquête pénale, même quand elle est effectuée par d’autres entités; g) de promouvoir et de collaborer aux actions de prévention de la criminalité; h) de contrôler la constitutionnalité des actes normatifs; i) d’intervenir dans les procédures en faillite et insolvabilité et dans toute autre relevant de l’intérêt général; j) d’exercer des fonctions consultatives, aux termes de la présente loi; l) de surveiller l’activité procédurale des organes de police; m) de former recours contre les décisions découlant d’un concert frauduleux entre les parties dans l’intention d’éluder la loi ou prononcées en violation d’une disposition légale expresse; n) d’exercer toutes les autres fonctions qui lui sont attribuées par la loi." Article 5 "1. L’intervention du ministère public dans la procédure est principale: a) lorsqu’il représente l’Etat; (...) d) lorsqu’il représente les travailleurs et leurs familles dans la défense de leurs droits sociaux; (...) L’intervention du ministère public dans la procédure est "accessoire": a) lorsqu’il ne se vérifie aucun des cas prévus au paragraphe 1 et que les parties intéressées à la cause sont les régions autonomes, les collectivités locales, d’autres personnes morales publiques, des personnes morales d’utilité publique, des incapables ou des absents; b) dans tous les autres cas prévus par la loi." Article 6 "1. Lorsque son intervention est "accessoire", le ministère public veille sur les intérêts qui lui sont confiés en prenant toutes les mesures nécessaires. Les conditions de cette intervention sont celles établies dans la loi de procédure." Article 11 par. 2 "[La représentation du ministère public] est assurée [devant les cours suprêmes] par des procureurs généraux adjoints (...)" Article 59 "Le ministre de la Justice peut: a) donner au procureur général de la République des instructions d’ordre spécifique concernant les affaires civiles dans lesquelles l’Etat a un intérêt; b) autoriser le ministère public (...) à acquiescer, à conclure un règlement Amiable ou à effectuer un désistement dans les affaires civiles auxquelles l’Etat est partie; (...)" C. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, également applicables aux litiges relevant de la compétence des juridictions sociales, sont les suivantes: Article 20 "1. L’Etat est représenté par le ministère public. Si l’affaire a pour objet des biens ou des droits de l’Etat, mais que ces biens sont gérés ou ces droits exercés par des entités autonomes, celles-ci peuvent prendre un avocat qui agira concurremment avec le ministère public dans la procédure. En cas de divergence entre le ministère public et l’avocat, c’est la position du ministère public qui prévaut." Article 709 "1. Les juges, après avoir examiné le dossier, y apposent leurs vistos, datés et signés; à l’issue de la phase des vistos, le greffe inscrit le dossier au rôle. Le jour du jugement, le juge rapporteur lit le projet d’arrêt et ensuite chaque assesseur rend son vote, suivant l’ordre des vistos. Dans la mesure du possible, il sera distribué, au début de la séance, une photocopie ou une copie manuscrite ou dactylographiée du projet d’arrêt à chacun des assesseurs et au président du tribunal. (...)" Article 752 par. 1 "Lorsque le ministère public doit intervenir [dans la procédure], le dossier lui est communiqué [pour observations] pendant une période de sept jours; après quoi (...), il est transmis aux juges assesseurs et au juge rapporteur aux fins d’une décision finale, les premiers disposant chacun d’un délai de sept jours et le dernier de quatorze jours." Aux termes de la Constitution et de la loi organique du ministère public, ce dernier doit intervenir dans toutes les procédures mettant en jeu l’intérêt général (interesse público). En matière de droit du travail, la pratique établie par la chambre sociale de la Cour suprême veut que le représentant du ministère public près cette juridiction (un procureur général adjoint) soit saisi du dossier, afin d’exprimer son avis sur le bien-fondé du recours. En règle générale, ledit représentant participe également à la séance consacrée à l’examen du recours. D. Le code de procédure du travail Le Gouvernement a mentionné les dispositions suivantes du code de procédure du travail: Article 8 "Les représentants du ministère public doivent représenter d’office: a) les travailleurs et leurs familles; b) (...)" Article 10 "Lorsqu’un mandataire est désigné, la représentation d’office du ministère public prend fin, sans préjudice de l’intervention "accessoire" de celui-ci." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Lobo Machado a saisi la Commission le 2 novembre 1989. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait tout d’abord du défaut d’une nouvelle appréciation par la cour d’appel des preuves des faits considérés comme établis par le tribunal de première instance et de l’absence de débats publics tant devant la cour d’appel que devant la Cour suprême; il critiquait ensuite le rôle attribué au ministère public dans la procédure devant la Cour suprême, qui aurait porté atteinte à son droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial ainsi qu’au principe d’égalité des armes. Il alléguait en outre une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) en raison des répercussions patrimoniales négatives de l’échec de son action. Le 29 novembre 1993, la Commission a retenu les griefs relatifs à la participation du ministère public à la procédure devant la Cour suprême et à la méconnaissance du droit au respect des biens du requérant. Elle a déclaré la requête (no 15764/89) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 19 mai 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre neuf, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et considère, par vingt-deux voix contre une, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES DEVANT LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour "de dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissant autrichien né en 1936, M. Wilhelm Putz habite à Bad Goisern (Haute-Autriche). A. Le contexte de l'affaire Au cours d'une procédure pénale engagée dès 1985 contre le requérant, gérant de plusieurs sociétés commerciales, notamment pour banqueroute simple (fahrlässige Krida), le tribunal régional (Kreisgericht) de Wels lui infligea plusieurs sanctions pécuniaires (Ordnungsstrafen) pour atteintes au bon ordre des procédures judiciaires. B. Les décisions du tribunal régional de Wels La première amende Le 2 avril 1991, le tribunal régional de Wels condamna M. Putz au paiement d'une amende de 5 000 schillings autrichiens (ATS), conformément à l'article 235 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung - paragraphe 19 ci-dessous). Il ajouta qu'en vertu de l'article 237 par. 1 du même code (paragraphe 19 ci-dessous), cette décision n'était pas susceptible d'appel. Dans ses motifs, le tribunal régional rappela qu'au cours de la procédure pénale engagée contre l'intéressé, il avait à plusieurs reprises averti ce dernier qu'il risquait des sanctions disciplinaires, prévues par l'article 235 du code de procédure pénale, s'il persistait dans son comportement et dans ses attaques répétées, notamment à l'encontre du président du tribunal. Il ajouta que lors de l'audience au fond du 2 avril 1991, M. Putz avait en partie réitéré ces reproches (en particulier celui selon lequel le président avait méconnu la loi au cours de la procédure de renvoi en jugement (Zwischenverfahren) et avait participé à la présente procédure alors qu'il s'était prétendument récusé auparavant), bien que la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Linz eût à plusieurs reprises tenté de lui expliquer que ces accusations étaient dénuées de tout fondement. Le requérant avait également reproché au président d'avoir violé son serment, de persister à enfreindre la loi et d'avoir exercé des pressions sur des fonctionnaires afin "de le priver de tous ses droits de défense par des manoeuvres frauduleuses, des inexactitudes et des mensonges". Le tribunal régional estima que cette dernière accusation, qui portait sur un prétendu refus de communiquer le compte rendu de l'audience, s'avérait complètement injustifiée et dénuée de tout fondement, notamment si l'on se référait aux déclarations du président à ce sujet; en conséquence, une mesure disciplinaire appropriée devait être prise à l'encontre de l'intéressé. Le 16 avril 1991, le tribunal régional de Wels notifia la décision à M. Putz. Le 21 avril 1991, il rendit à l'encontre du requérant une ordonnance de paiement de l'amende en question et la convertit ultérieurement en une peine d'emprisonnement de trois jours pour défaut de paiement. Le 3 décembre 1991, le tribunal régional de Wels enjoignit à l'intéressé de purger la peine de prison; ce dernier paya alors l'amende. La deuxième amende Le 8 avril 1991, le tribunal régional de Wels condamna à nouveau M. Putz au paiement d'une amende de 7 500 ATS, conformément à l'article 235 du code de procédure pénale (paragraphe 19 ci-dessous). Il précisa qu'en vertu de l'article 237 par. 1 du même code (paragraphe 19 ci-dessous), cette décision n'était pas susceptible d'appel. Dans ses motifs, le tribunal régional se référa à sa décision du 2 avril 1991, par laquelle il avait déjà infligé au requérant une sanction pécuniaire basée sur le même article de loi (paragraphe 8 ci-dessus). Il rappela qu'au cours de l'audience au fond du 8 avril 1991, l'intéressé avait à nouveau adressé des reproches infondés au président, l'accusant d'avoir violé son serment, d'avoir délibérément enfreint la loi et mené un procès pénal inéquitable pour, entre autres, promouvoir sa carrière, et d'avoir déjà décidé du jugement avant l'issue du procès. Le tribunal régional conclut qu'une sanction pécuniaire appropriée devait donc être infligée à M. Putz. Le 17 avril 1991, le tribunal régional de Wels rendit à l'encontre du requérant une ordonnance de paiement de l'amende en question et la convertit ultérieurement en une peine d'emprisonnement de cinq jours pour défaut de paiement. Le 3 décembre 1991, il enjoignit à l'intéressé de purger la peine de prison; ce dernier paya alors l'amende. C. Les décisions de la cour d'appel de Linz La décision du 24 mai 1991 Le 21 avril 1991, le requérant effectua un appel disciplinaire (Aufsichtsbeschwerde) à l'encontre des décisions du tribunal régional de Wels des 2 et 8 avril 1991 auprès de la cour d'appel de Linz. Le 24 mai 1991, celle-ci, statuant à huis clos après avoir entendu le ministère public, déclara le recours irrecevable, car en vertu de l'article 237 par. 1 du code de procédure pénale, l'infliction de sanctions pécuniaires n'était pas susceptible d'appel. Elle conclut en ces termes: "Indépendamment (...) du fait que le législateur déclare expressément que de telles sanctions pécuniaires sont inattaquables (unanfechtbar), il n'y a pas lieu de supposer qu'il y ait eu en l'espèce déni de justice (Rechtsverweigerung) ou application volontairement incorrecte du droit (Rechtsbeugung) de la part du tribunal. Le requérant a en fait insulté le président du tribunal comme un criminel (...). Prononcer d'office une condamnation au paiement d'une amende pour sanctionner ces accusations manifestement infondées ne sort pas du cadre de l'article 235 du code de procédure pénale." La troisième amende Le 20 juin 1991, le requérant adressa des observations à la cour d'appel de Linz. Le 17 juillet 1991, celle-ci condamna M. Putz au paiement d'une amende de 10 000 ATS, conformément aux articles 85 par. 1 et 97 de la loi sur l'organisation judiciaire (Gerichtsorganisationsgesetz - paragraphe 22 ci-dessous) combinés avec l'article 220 par. 1 du code de procédure civile (Zivilprozeßordnung - paragraphe 23 ci-dessous). Elle ajouta que cette décision n'était pas susceptible d'appel. La cour d'appel reprocha au requérant d'avoir formulé les accusations suivantes à l'encontre du président du tribunal dans ses écritures: "Le président Sturm empêche ainsi la manifestation de la vérité. La méthode qu'il applique à l'audience est typiquement celle qui était employée dans les régimes nazi et du bloc de l'Est (...). L'audience se trouve ainsi rabaissée au rang de simulacre de procès visant à la confirmation d'un jugement préconçu (...). Un certain Jörg Haider est poursuivi pour réactivation des idées nazies, alors qu'au tribunal régional de Wels on assiste quotidiennement, comme sous Hitler ou Staline, à des violations de la loi, sans qu'à ce jour on ait entamé contre les juges et procureurs concernés les mêmes poursuites." Dans ses motifs, la cour d'appel rappela les dispositions législatives applicables lorsque des propos offensants ont été proférés par écrit à l'encontre de magistrats au cours d'une procédure pénale; elle résuma ensuite les principes applicables pour déterminer le caractère insultant des écritures: "A titre récapitulatif, on peut faire observer ici que la question de savoir si un document comporte des propos offensants ne relève pas de la libre appréciation du tribunal mais doit être tranchée comme une question de droit. Il n'est pas nécessaire à cet égard que les propos en question soient constitutifs d'une infraction pénale, la seule condition est qu'ils soient offensants. Peu importe également qu'il y ait eu ou non intention d'offenser. Il suffit que les propos incriminés soient objectivement offensants, c'est-à-dire qu'ils méconnaissent le devoir de bienséance envers l'autorité. A cet égard, le fait que le défendeur ait eu la conviction que sa critique était fondée ne saurait, elle non plus, justifier les propos offensants. On peut dire qu'on a affaire à pareils propos lorsqu'une requête est rédigée de manière telle qu'elle constitue un comportement inconvenant envers l'autorité. Tel est le cas lorsqu'une requête manque de la mesure que, par respect pour l'autorité, il y a lieu d'observer dans les rapports avec elle. Quiconque constate dans l'action d'un organe d'une autorité un excès ou un abus de pouvoir peut s'en plaindre sous une forme prévue par la loi, mais il n'a pas le droit de nuire à la considération de l'autorité (d'un organe) par des propos subjectifs méconnaissant le devoir de bienséance." Elle conclut qu'en l'espèce, M. Putz avait franchi les limites de l'objectivité et de la décence en comparant les méthodes judiciaires dans la procédure en question à celles qui caractérisaient les procès nazis et du bloc du l'Est, et en parlant de violation criminelle de la loi comme sous Hitler ou Staline. Une sanction pécuniaire de 10 000 ATS lui paraissait donc appropriée. Le 18 mars 1992, la cour d'appel de Linz rendit à l'encontre du requérant une ordonnance de paiement de l'amende en question. Le 26 mars 1992, l'intéressé paya cette dernière. D. L'arrêt de la Cour suprême Le 25 février 1992, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) déclara irrecevable le recours intenté par le requérant contre la décision de la cour d'appel de Linz du 17 juillet 1991. II. Le droit interne pertinent Le droit autrichien réprime les propos offensants ou accusations infondées prononcés dans le cadre d'une procédure pénale en prévoyant l'application d'une sanction pécuniaire (Ordnungsstrafe). Si lesdits propos ou accusations ont été proférés au cours d'une audience, ce sont les dispositions du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung) qui s'appliquent. Si en revanche ils ont été formulés par écrit, ce sont les dispositions de la loi sur l'organisation judiciaire (Gerichtsorganisationsgesetz) combinées avec celles du code de procédure civile (Zivilprozeßordnung) qui entrent en jeu. Dans les deux cas, ce sont les dispositions du code de procédure pénale qui déterminent la procédure de recours. A. Le code de procédure pénale La police dans la procédure orale Article 233 "1. Le président assure le maintien, dans le prétoire, du calme et de l'ordre, ainsi que de la bienséance correspondant à la dignité du tribunal. (...) Les manifestations d'approbation ou de réprobation sont interdites. Le président a le droit de rappeler à l'ordre ceux qui troublent l'audience par de telles manifestations ou autrement, et d'expulser au besoin de la salle d'audience une partie ou l'ensemble du public. En cas de résistance ou si les désordres se reproduisent, il peut prononcer, à l'encontre du fauteur de troubles, une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à dix mille schillings, ou, lorsque cela s'avère indispensable au maintien de l'ordre, une peine privative de liberté de huit jours au plus." Article 235 "Le président doit veiller à ce qu'il ne soit proféré à l'encontre de personne des injures ou des accusations manifestement dépourvues de fondement ou étrangères à la cause. Si l'accusé, l'accusateur privé (Privatankläger), la partie civile (Privatbeteiligter), un témoin ou un expert se permet de tels propos, le tribunal peut lui infliger, à la demande de la personne qui en est victime ou du procureur, ou d'office, une sanction pécuniaire pouvant atteindre dix mille schillings, ou, lorsque cela s'avère indispensable au maintien de l'ordre, une peine privative de liberté de huit jours au plus." Article 237 par. 1 "Les décisions prononcées en vertu des articles 233 à 235 (...) sont à exécuter sur-le-champ. Elles sont sans recours." Les infractions pénales Article 237 par. 2 "Si le comportement visé aux articles précités est constitutif d'une infraction réprimée par la loi pénale, il y a lieu d'appliquer les dispositions de l'article 278." Article 278 par. 1 "S'il se commet pendant les débats une infraction dans le prétoire et que l'auteur est pris en flagrant délit, le tribunal peut en connaître séance tenante moyennant interruption de l'audience ou à l'issue de celle-ci, à la demande de l'accusateur à ce habilité et après audition de l'accusé et des témoins s'il en existe. Les recours ouverts contre une telle décision n'ont pas d'effet suspensif." Article 67 "L'accomplissement d'actes judiciaires dans la procédure pénale est interdit à tout juge comme à tout greffier lorsqu'ils sont eux-mêmes victimes de l'infraction (...)" La conversion d'amendes Article 7 "1. Si une amende prononcée sur le fondement du code de procédure pénale s'avère partiellement ou entièrement irrécouvrable, le tribunal doit, dans les cas dignes de considération, en modifier le montant, dans les autres, la convertir en une peine privative de liberté de huit jours au plus. Les dispositions de la loi sur l'exécution des peines privatives de liberté n'excédant pas trois mois sont applicables, d'après l'esprit de la loi (dem Sinne nach), à l'exécution desdites peines privatives de liberté de substitution, à celle des peines privatives de liberté prévues par le code de procédure pénale et à celle de la contrainte par corps. (...)" Conformément à l'article 114 par. 1 du même code, les décisions de conversion d'une amende en une peine de prison pour défaut de paiement sont susceptibles d'appel. B. La loi sur l'organisation judiciaire La police dans la procédure écrite Article 85 par. 1 "[Sanctions pécuniaires; police d'audience] Sans préjudice d'éventuelles poursuites pénales, le tribunal peut infliger une sanction pécuniaire (article 220 du code de procédure civile) aux parties qui, dans des demandes écrites en matière gracieuse, manquent, par leurs propos, au respect dû au tribunal, ou injurient la partie adverse, un représentant, un mandataire, un témoin ou un expert." Article 97 "[Application aux procédures pénales] Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux affaires pénales dans la mesure où leur nature s'y prête et où il n'a pas été édicté, dans le cadre de la réglementation de la procédure pénale, des prescriptions spéciales à cet égard." C. Le code de procédure civile La conversion d'amendes Article 220 "1. Une sanction pécuniaire (Ordnungsstrafe) ne peut excéder vingt mille schillings (...) (...) En cas d'insolvabilité, l'amende (Geldstrafe) doit être convertie en détention. Le tribunal fixe la durée de celle-ci, sans toutefois qu'elle puisse excéder dix jours. (...)" D. Le code pénal Le code pénal contient les règles suivantes: Article 18 "1. (...) L'emprisonnement à temps ne peut être inférieur à un jour ni supérieur à vingt ans." Article 19 "1. L'amende (Geldstrafe) doit être exprimée en jours-amende. Elle ne peut être inférieure à deux jours-amende. Le jour-amende doit être fixé d'après la situation personnelle et financière du contrevenant à l'époque du jugement de première instance. Toutefois, il ne peut être inférieur à trente schillings ni supérieur à quatre mille cinq cents schillings. Si l'amende s'avère irrécouvrable, il convient de fixer une peine de substitution privative de liberté. Une journée de peine de substitution privative de liberté correspond à deux jours-amende. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Putz a saisi la Commission le 23 septembre 1991. Invoquant les articles 6, paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3), et 13 (art. 13) de la Convention, il se plaignait de n'avoir bénéficié ni d'un procès équitable devant un tribunal impartial ni d'un recours effectif, au regard des décisions des juridictions autrichiennes lui infligeant des sanctions pécuniaires pour atteintes au bon ordre des procédures judiciaires. Il alléguait également une violation des articles 3, 7, 9, 10 et 17 (art. 3, art. 7, art. 9, art. 10, art. 17) de la Convention. Le 3 décembre 1993, la Commission a retenu les deux premiers griefs en ce qui concerne les décisions du tribunal régional de Wels des 2 et 8 avril 1991 et de la cour d'appel de Linz du 17 juillet 1991 et a déclaré la requête (n° 18892/91) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3) (dix voix contre six) et qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief du requérant tiré de l'article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu'en l'espèce "1. l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'est pas applicable, ou à titre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3) de la Convention".
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I. Les circonstances de l'espèce A. Evénements ayant conduit à une action en réparation Les requérants, dont la liste figure ci-après, sont tous des citoyens danois, personnellement victimes du virus de l'immunodéficience humaine ("le VIH") ou proches de victimes décédées du virus. Toutes les victimes ont reçu de fréquentes transfusions sanguines dans des hôpitaux danois et ont été contaminées par le VIH au cours des périodes indiquées ci-dessous entre parenthèses. M. A (7 juillet 1985 - 25 mai 1986) réside à St Heddinge et fait des études d'agronomie. M. Henning Eg (9 juin 1985 - 10 février 1986) est domicilié à Kværndrup et a travaillé comme électromécanicien jusqu'en 1991; il perçoit depuis lors une pension de retraite anticipée. M. C (1er janvier 1978 - 7 juin 1985) a occupé un emploi d'électromécanicien puis s'est vu attribuer une pension de retraite anticipée lorsque sont apparus les premiers symptômes du syndrome d'immunodéficience acquise (le "sida"), au cours de l'hiver 1991-1992; il est mort du sida le 14 septembre 1993 et sa veuve, Mme Gitte Christensen, poursuit la requête en son nom. M. D (1er janvier 1978 - 27 avril 1985) réside à Copenhague. M. E (16 janvier 1980 - 21 février 1985) habite Frederiksberg et a abandonné les poursuites internes litigieuses le 4 novembre 1993. M. F (3 janvier 1980 - 6 mars 1985) est mort du sida le 9 septembre 1992; sa veuve, Mme F, poursuit la requête en son nom. M. et Mme G sont les parents d'un hémophile (10 mai 1986 - 26 mars 1987), mort du sida le 9 août 1992. Mme Kirsten Feldskov est veuve d'un hémophile (1er janvier 1978 - 12 mars 1985) qui bénéficiait d'une pension depuis l'âge de quinze ans et est mort du sida le 10 août 1987. Mme Britt Lykkeskov Jacobsen est la mère d'un hémophile (1er janvier 1978 - 17 octobre 1985), mort du sida le 27 août 1986; les symptômes étaient apparus en 1985. En 1982, il fut établi que le sida pouvait se transmettre notamment par voie sanguine et par certains produits dérivés du sang. En 1984 fut créée au Danemark une commission des produits sanguins (blodproduktudvalg), qui souleva en 1985 la question du dépistage des dons de sang afin d'éviter l'utilisation de sang contaminé. En mars 1985, l'Association danoise des hémophiles (Den danske Bløderforening - "l'association") demanda au ministère de l'Intérieur d'ordonner que les produits sanguins fussent chauffés et les dons de sang soumis à un dépistage. Le 10 septembre 1985, le ministère de l'Intérieur enjoignit à la direction nationale de la santé d'introduire dès que possible le chauffage obligatoire de tous les produits sanguins ainsi qu'un dépistage systématique sur chaque don du sang. Ces chauffage et dépistage sont en conséquence devenus obligatoires les 1er octobre 1985 et 1er janvier 1986 respectivement. Toutefois, il demeura possible, dans certaines circonstances, d'utiliser des produits sanguins qui n'avaient pas été inactivés. Le 11 novembre 1987, la direction nationale de la santé reçut un rapport émanant du centre national hospitalo-universitaire, qui évoquait la possibilité que les infections par le VIH eussent été causées par des produits sanguins non inactivés. Le 13 novembre 1987, la direction nationale de la santé informa les fabricants danois de dérivés sanguins que tous les produits non passés par le processus d'inactivation devaient être retirés du marché immédiatement. Dans l'intervalle, en avril 1987, l'association avait établi un rapport selon lequel quatre-vingt-dix hémophiles environ avaient été contaminés par le VIH. Elle exhortait le Parlement (Folketinget) à adopter une législation prévoyant l'octroi aux victimes d'une réparation ex gratia s'élevant au minimum à 450 000 couronnes danoises (DKK). Un décret (bekendtgørelse) du Parlement pris le 2 septembre 1987 autorisa le ministre de l'Intérieur à accorder une réparation ex gratia d'un montant de 100 000 DKK aux hémophiles devenus séropositifs à la suite de transfusions sanguines. L'association ayant adressé le 15 octobre 1987 des critiques à la commission parlementaire de la santé (Folketingets Sundhedsudvalg), le Parlement releva, le 14 juin 1988, le montant à 250 000 DKK et autorisa l'octroi de cette réparation à certains proches. Enfin, un nouveau décret, du 19 novembre 1992, fixa la réparation à 750 000 DKK. Ce montant a été et continuera à être imparti aux hémophiles dont la séropositivité est apparue après qu'on leur a administré des produits sanguins, ainsi qu'à d'autres sujets séropositifs contaminés à l'occasion de transfusions sanguines effectuées dans des hôpitaux danois. Dans certaines circonstances, la réparation ex gratia est octroyée aux héritiers de ces personnes. En vertu du régime indiqué ci-dessus, les cinq premiers requérants ainsi que Mme Feldskov ont touché l'intégralité des 750 000 DKK. M. F avait obtenu 250 000 DKK et, après son décès, le 9 septembre 1992, le reliquat de 500 000 DKK a été versé à sa veuve, Mme F. Le fils de M. et Mme G a reçu 250 000 DKK avant sa mort, le 9 août 1992. En l'absence d'héritiers en ligne directe (livsarvinger), les 500 000 DKK restants n'ont pas été payés. Aucun montant n'a été versé pour le fils de Mme Lykkeskov Jacobsen, celui-ci étant décédé avant le décret du 2 septembre 1987 et n'ayant laissé aucun héritier en ligne directe. Outre l'autorisation qu'il lui avait donnée d'effectuer des versements ex gratia, le Parlement demanda au gouvernement de prendre des mesures afin de clarifier les circonstances dans lesquelles des produits sanguins non inactivés avaient été utilisés après l'introduction du dépistage obligatoire le 1er janvier 1986. Une enquête judiciaire fut donc ouverte; les conclusions en furent présentées en mai 1988. Le ministère de la Santé ouvrit en juillet de la même année une enquête officielle contre sept fonctionnaires, critiqués dans les conclusions; enfin, un fabricant de dérivés sanguins fit l'objet de poursuites et, par un jugement du 29 novembre 1989, fut reconnu coupable d'infraction à la loi sur les médicaments et condamné à une amende de 15 000 DKK. B. La procédure civile devant la cour régionale Le 14 décembre 1987, l'association intenta une action devant la cour régionale du Danemark oriental (Østre Landsret) à l'encontre du ministère de l'Intérieur (auquel devait se substituer par la suite le ministère de la Santé), de la direction nationale de la santé, de Novo-Nordisk A/S (une société) et de l'Institut national du sérum. L'association et la société étaient toutes deux représentées par un avocat et les trois autres défendeurs par l'avocat du gouvernement (kammeradvokaten). Dans son assignation, l'association alléguait que les défendeurs, en contribuant après le 1er janvier 1986 à l'utilisation de produits pouvant avoir été contaminés par le VIH, s'étaient comportés de manière injustifiable et irresponsable envers ses membres. Elle invitait la cour régionale à les déclarer conjointement et solidairement responsables envers ses adhérents devenus séropositifs à la suite de l'utilisation de produits sanguins distribués par Novo-Nordisk A/S et/ou l'Institut national du sérum. Le 18 février 1988, lors de la première audience de la cour consacrée à l'affaire, les défendeurs présentèrent leurs conclusions en défense (svarskrift), dans lesquelles ils priaient la cour de rejeter les prétentions des demandeurs au motif que l'association n'avait pas qualité pour agir au nom de ses membres. Selon eux, l'action pouvait être retenue seulement si l'association estait en qualité de mandataire (mandatar) de ses membres. A titre subsidiaire, ils demandaient à la cour de se prononcer sur le fond en leur faveur. Ils réclamaient en outre une suspension de l'instance dans l'attente de leurs conclusions finales, qu'ils ne déposeraient qu'après la clôture de l'enquête judiciaire mentionnée au paragraphe 13 ci-dessus. La cour renvoya l'affaire au 7 avril 1988, puis au 5 mai 1988, chaque fois dans l'attente des conclusions finales de la défense, le rapport d'enquête judiciaire n'ayant pas été publié avant mai 1988. A l'audience suivante, le 15 août 1988, les défendeurs ne présentèrent aucune observation, mais demandèrent à la cour d'examiner séparément leur demande de rejet; quant à l'association, elle sollicita l'autorisation de soumettre des observations écrites sur ce point. La cour consentit alors à remettre la cause au 8 septembre 1988. A cette date, l'association invita la cour régionale à écarter la demande des défendeurs tendant à la disjonction des causes. Elle précisa agir dorénavant à titre de mandataire d'un membre qui souhaitait conserver l'anonymat; elle soutenait avoir aussi un intérêt autonome, au nom de l'ensemble de ses adhérents, à obtenir une décision de la cour sur la responsabilité éventuelle des défendeurs à l'égard de ses adhérents contaminés par le VIH après une certaine date. L'instance fut suspendue jusqu'au 10 novembre 1988, afin de permettre aux défendeurs de présenter des observations écrites en réponse. Le 10 novembre 1988, les défendeurs déclarèrent maintenir leur demande de rejet. Cependant, ils étaient prêts à revoir la question si l'association voulait bien considérer l'affaire comme concernant une plainte pour un acte dommageable de leur part, précis et passible de poursuites civiles, à l'encontre du membre dont l'association était mandataire. A la demande des parties et en vertu de l'article 355 de la loi sur l'administration de la justice (retsplejeloven), la cour régionale décida de tenir le 9 février 1989 une audience préliminaire afin de préciser ces différents points (paragraphe 49 ci-dessous). Le conseil de l'association ne put toutefois y assister pour cause de maladie. Le 2 mars 1989, après avoir consulté les parties, la cour régionale fixa l'audience préliminaire au 18 mai 1989. Lors de celle-ci, le représentant de l'association accepta d'envisager avec elle l'éventualité d'une action à titre individuel de ses membres, qui demanderaient ainsi une réparation spécifique. A cet effet, l'examen de l'affaire fut reporté au 28 septembre 1989. Dans ses conclusions du 18 mai 1989, l'association modifia ses griefs; elle prétendait désormais que les défendeurs voyaient engager leur responsabilité à raison de leurs actes dès le 1er janvier 1985, et non plus le 1er janvier 1986, date avancée auparavant. Le 28 septembre 1989, l'association demanda une suspension de huit semaines pour examiner s'il y avait lieu d'attendre l'issue de la procédure pénale intentée contre Novo-Nordisk A/S. La question de l'action individuelle de ses membres n'avait pas encore été tranchée. La cour remit la cause au 23 novembre 1989. Eu égard aux débats qui s'étaient déroulés le 18 mai 1989, le président demanda cependant aux parties de régler certaines questions formelles. A l'audience du 23 novembre 1989, l'association fit valoir qu'elle agissait en qualité de mandataire des membres qui avaient été contaminés par le VIH après le 1er janvier 1985 et que les six premiers requérants ainsi que le fils de M. et Mme G s'étaient joints à l'instance à condition que leur identité ne fût pas révélée. Pour permettre aux défendeurs de présenter leurs conclusions finales en défense, la cour régionale reporta l'examen de l'affaire au 18 janvier 1990 puis au 22 mars suivant. A l'audience du 22 mars 1990, quatre autres demandeurs, dont Mme Feldskov et Mme Lykkeskov Jacobsen (paragraphe 7 ci-dessus), se joignirent à l'instance. La cause fut remise au 17 mai 1990, dans l'attente des conclusions des défendeurs qui ne pouvaient selon eux les présenter tant que les requérants n'auraient pas indiqué dans quelle mesure ils maintenaient leurs diverses demandes de pièces. Le 17 mai 1990, l'affaire fut reportée au 21 juin 1990 pour permettre aux demandeurs d'examiner certains documents. Le 21 juin 1990, ils en déposèrent vingt et un autres. Dans l'attente des observations des défendeurs sur ceux-ci, la cause fut remise au 23 août 1990 puis au 27 septembre 1990. Au cours de l'audience du 27 septembre 1990, les demandeurs suggérèrent de solliciter une expertise médicale en indiquant qu'ils présenteraient des documents pertinents à cet égard. L'affaire fut une nouvelle fois ajournée, au 25 octobre 1990, en vue des observations des défendeurs sur cette proposition. Le 25 octobre 1990, Novo-Nordisk A/S accepta celle-ci, mais les autres défendeurs n'exprimèrent pas leur sentiment à cet égard; c'est pourquoi l'affaire fut reportée au 29 novembre 1990. A cette date, toutes les parties convinrent de demander une expertise. L'instance fut suspendue jusqu'au 21 février 1991, puis jusqu'au 4 avril 1991, les demandeurs étant en train de constituer des dossiers médicaux concernant six autres plaignants potentiels. Les 4 avril, 16 mai et 6 juin 1991, la cour régionale accorda de nouvelles suspensions car les parties ne pouvaient tomber d'accord sur la désignation des experts, les questions à poser à ceux-ci et la procédure. Le 8 août 1991, lors d'une audience préliminaire tenue en application de l'article 355 de la loi sur l'administration de la justice (paragraphe 49 ci-dessous), les demandeurs présentèrent leurs propositions sur l'expertise médicale envisagée et trois des défendeurs réclamèrent un renvoi afin d'examiner la question plus avant. La cour reporta l'examen de l'affaire au 12 septembre 1991. Ce jour-là, les parties informèrent la cour qu'elles étaient parvenues à s'entendre sur la procédure à suivre pour l'expertise médicale. Pour leur permettre d'aboutir à un accord sur la désignation d'experts et sur les questions à leur poser, la cour régionale consentit à de nouveaux renvois à la date précitée puis les 19 décembre 1991, 20 février 1992, 12 mars 1992 et 4 juin 1992. D'après les requérants, bien qu'ils eussent présenté leur projet de questions le 5 février 1992, ils ne reçurent les observations de trois des défendeurs que le 6 août. Les conclusions des demandeurs du 5 février 1992 remplacèrent leurs sept mémoires antérieurs, ce qui supposait une reformulation de leurs griefs et arguments sur plusieurs points. Deux demandeurs se désistèrent. Le 6 août 1992, les parties avisèrent la cour régionale qu'elles étaient tombées d'accord sur l'identité des experts ainsi que sur les points à examiner par eux. La cour nomma alors les experts suggérés et renvoya l'affaire au 10 décembre 1992 dans l'attente de leur rapport. Le 9 août 1992, le fils de M. et Mme G décéda et le 9 septembre 1992, ce fut le tour de M. F. A cette dernière date, la cour régionale fut informée que les requérants avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme d'une requête sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention quant à la durée de la procédure. Il semble en outre que d'autres problèmes aient surgi à propos des documents qui devaient être envoyés aux experts pour appréciation. Eu égard à ces éléments, le président décida le 13 octobre 1992 d'ajouter au procès-verbal les remarques suivantes: "(...) depuis la phase préparatoire, l'instance a été suspendue conformément aux demandes présentées conjointement par les conseils des deux parties (...) Le président prie instamment les conseils des défendeurs de soumettre à la cour régionale et aux conseils [des demandeurs], avant le 1er novembre 1992, leur réponse aux observations [des conseils des demandeurs] présentées le 9 septembre 1992. Le président ajoute que tout élément supplémentaire que les parties souhaiteraient soumettre aux experts doit au préalable être présenté à la cour." Le 11 novembre 1992, à la demande du ministre de la Santé, l'avocat du gouvernement convoqua les avocats des plaignants à une réunion où seraient envisagées les possibilités de hâter la marche de l'instance. Les défendeurs firent valoir en particulier que leurs adversaires n'avaient pas encore présenté de demandes portant spécifiquement sur la réparation du préjudice subi, bien que ce fût à leurs yeux l'objectif de la procédure. Les demandeurs répliquèrent que l'action ne visait pas seulement à obtenir des dommages-intérêts, mais aussi à situer les responsabilités quant aux manquements allégués. Les experts n'ayant pas encore remis leur rapport à la date de l'audience suivante, le 10 décembre 1992, la cour régionale renvoya l'affaire, avec le consentement des parties. Le 10 décembre 1992, les requérants demandèrent l'aide judiciaire au ministère de la Justice pour leur action en dommages-intérêts (ils avaient obtenu auparavant l'aide judiciaire pour l'action en responsabilité). Le ministère l'accorda à huit d'entre eux le 11 juin 1993. Le rapport d'expertise fut déposé le 17 décembre 1992; après quoi les parties commencèrent à discuter des questions supplémentaires à soumettre aux experts. A l'audience du 11 février 1993, l'affaire fut renvoyée au 18 mars suivant afin de permettre aux parties de préparer leurs arguments à cet égard. Le 18 mars 1993, les parties n'étaient pas encore parvenues à un accord. Selon le procès-verbal de cette audience-là, le conseil du ministère de la Santé, de la direction nationale de la santé et de l'Institut national du sérum signala que ledit ministère souhaitait que l'instance reprît son cours aussi rapidement que possible. Le président de la cour réitéra ce qu'il avait dit le 13 octobre 1992 (paragraphe 28 ci-dessus), à savoir que l'examen de la cause avait été reporté à chaque fois à la demande conjointe des conseils des deux parties. Il soulignait en outre qu'en matière civile, la conduite de l'instance est laissée essentiellement à l'initiative des parties. L'examen de la cause fut renvoyé au 1er avril 1993, dans l'attente d'un accord des parties sur les questions supplémentaires à soumettre aux experts. Les parties convinrent qu'il était inutile de tenir une audience préliminaire en vertu de l'article 355 de la loi sur l'administration de la justice (paragraphe 49 ci-dessous). Le 1er avril 1993, elles communiquèrent à la cour les questions supplémentaires à soumettre aux experts. Dans l'attente de la réponse de ceux-ci, l'instance fut suspendue jusqu'au 13 mai 1993, puis jusqu'au 17 juin. A l'audience du 17 juin 1993, les demandeurs déposèrent une demande préliminaire en dommages-intérêts pour le montant d'un million de couronnes danoises au titre des six premiers requérants et du fils de M. et Mme G. Ils réclamèrent en outre 750 000 DKK pour Mme Feldskov, mais n'élevèrent aucune prétention pour Mme Lykkeskov Jacobsen, la législation pertinente ne prévoyant aucune possibilité pour un parent de solliciter une réparation pour la perte d'un enfant de moins de dix-huit ans. Le rapport d'expertise complémentaire n'étant pas encore disponible, l'affaire fut renvoyée au 2 septembre 1993 puis au 4 novembre 1993. Les parties I et II du rapport d'expertise furent présentées les 9 septembre et 22 octobre 1993 respectivement. Le 14 septembre 1993, M. C décéda. Au cours de l'audience du 4 novembre 1993, les quatre premiers requérants, Mme F, M. et Mme G, et Mme Feldskov élevèrent des prétentions précises d'un montant de 1 090 000 DKK pour incapacité de travail, invalidité, perte de soutien et frais d'obsèques. Mme Lykkeskov Jacobsen ne formula aucune demande de réparation et M. E annonça qu'il se désistait de l'instance. Lors de nouvelles audiences tenues les 16 décembre 1993 et 13 janvier 1994, des pièces supplémentaires relatives à la question de dommages-intérêts furent produites. Les défendeurs suggérèrent de demander à la commission des accidents du travail (Arbejdsskadestyrelsen) son avis sur les prétentions des requérants, mais acceptèrent de ne pas poursuivre dans cette voie. Le 3 mars 1994, lors d'une audience tenue en vertu de l'article 355 de la loi sur l'administration de la justice (paragraphe 49 ci-dessous), la cour régionale, après avoir consulté les parties, décida que le procès se déroulerait du 24 octobre au 22 novembre 1994. A la demande des requérants, il fut reporté et fixé du 28 novembre 1994 au 17 janvier 1995. Le procès se déroula à la période fixée. Les requérants renoncèrent à leur action à l'encontre de l'Institut national du sérum. M. Eg, Mme Christensen, M. D, Mme veuve F et Mme Lykkeskov Jacobsen retirèrent toutes les plaintes contre Novo-Nordisk A/S. Sous réserve de ces changements, les requérants, à l'exception de M. E qui s'était désisté, soutinrent que les défendeurs avaient fait preuve de négligence et avaient été ainsi à l'origine de la contamination des intéressés par le VIH. Les autres requérants, sauf Mme Lykkeskov Jacobsen, maintinrent leurs demandes en dommages-intérêts, dont les montants s'échelonnaient entre 24 630,24 et 1 090 000 DKK. Par un arrêt du 14 février 1995, la cour régionale rejeta le surplus des demandes dirigées contre la société Novo-Nordisk A/S; elle conclut en revanche que le ministère de la Santé et la direction nationale de la santé avaient fait preuve de négligence pendant une période déterminée, mais que seul le fils de M. et Mme G en avait subi les conséquences. Statuant en équité, elle alloua pour celui-ci 18 718,24 DKK plus les intérêts à compter du 17 juin 1993, date à laquelle la demande en réparation avait été présentée pour la première fois (paragraphe 34 ci-dessus). Elle écarta toutes les autres demandes de réparation. C. Mesures politiques prises après l'arrêt de la cour régionale Le 22 février 1995, à la suite d'un débat au Parlement sur les conséquences politiques de l'arrêt de la cour régionale, le ministre de la Santé publia un communiqué, remis à l'association le même jour, déclarant que "les partis représentés au Parlement et le gouvernement" exprimaient toute leur sympathie aux hémophiles porteurs du VIH et regrettaient l'immense tragédie que constituait la contamination par ce virus de quatre-vingt-neuf hémophiles, à la suite de l'injection de produits sanguins, à la fin des années 70 et dans les années suivantes, avant que le risque de contamination par le VIH ne soit connu et que des méthodes pour en empêcher la transmission ne soient élaborées. Le Parlement et le gouvernement reconnaissaient et regrettaient le fait que les mesures prises en 1985 et 1986 dussent, à certains égards, être qualifiées d'insuffisantes - sur la base des connaissances actuelles. Ils respectaient toutefois l'arrêt de la cour régionale allant dans le sens des autorités compétentes, lesquelles prétendaient n'avoir fait preuve d'aucune négligence en n'instituant le chauffage des produits sanguins que le 1er octobre 1985, et le dépistage sur l'ensemble des dons de sang que le 1er janvier 1986. Le Parlement et le gouvernement n'en estimaient pas moins qu'il était de leur devoir moral de témoigner d'une grande souplesse afin de parvenir à une solution politiquement acceptable. L'indemnisation déjà accordée (paragraphe 11 ci-dessus) attestait de la sympathie que le Parlement ressentait pour tous les hémophiles porteurs du virus. Le Parlement et le gouvernement étaient en outre convenus de créer dès que possible un fonds d'un montant de vingt millions de couronnes danoises qui serait géré par l'association. Cette mesure visait à garantir une meilleure satisfaction des besoins particuliers et individuels des hémophiles, alors et dans les années à venir. Par ailleurs, le gouvernement mettrait en place dès que possible - par une législation spécifique - un régime d'assurance maladie destiné à couvrir les frais occasionnés par les traitements médicamenteux au sens large et à indemniser plus facilement les victimes que ne le permettait la loi sur la responsabilité du fait des produits. Enfin, le gouvernement offrirait à l'association la faculté d'être représentée au sein de la commission des produits sanguins de la direction nationale de la santé, qui était notamment chargée de proposer des mesures visant à une utilisation optimale des dons de sang et à une autosuffisance en produits sanguins, dans la mesure du possible. Le fonds ci-dessus mentionné a décidé récemment d'accorder 90 000 DKK supplémentaires aux hémophiles contaminés lors de transfusions sanguines. Dans un communiqué de presse du 15 mars 1995, l'association indiqua que, selon elle, la déclaration du ministre représentait une base suffisante pour mettre un terme à l'affaire. L'association préconisait depuis longtemps, au vu de considérations humaines et aussi de ses ressources limitées, une solution rapide et honorable. Néanmoins, elle déplorait que la déclaration ne reconnût pas plus franchement que le risque d'infection par le VIH encouru par les hémophiles n'avait pas été traité de façon adéquate entre 1984 et 1986. En outre, il eût été préférable que la déclaration traduisît plus fidèlement la décision de la cour régionale, notamment le fait que les magistrats avaient conclu dans un des cas à la responsabilité de l'Etat. L'association ajouta regretter que trois au moins des huit demandeurs aient décidé de former un recours contre la décision de la cour régionale devant la Cour suprême. Tout en respectant leur choix à cet égard, elle ne les représenterait plus. Elle releva en revanche que les autorités n'ayant exprimé aucun regret quant à la durée de la procédure - plus de sept ans - elle estimait que les droits fondamentaux des hémophiles continuaient d'être violés; la requête devant la Commission européenne des Droits de l'Homme serait donc maintenue. D. Le recours devant la Cour suprême Le 10 avril 1995, M. A, M. Eg et Mme Feldskov, mais non les autres requérants, attaquèrent l'arrêt de la cour régionale devant la Cour suprême. Ils se réservèrent le droit de solliciter une nouvelle expertise et d'inviter la haute juridiction à entendre les témoins qui avaient déposé devant la cour régionale. Le 10 mai 1995, Novo-Nordisk A/S présenta ses conclusions en défense et, le 16 mai, les trois autres défendeurs déposèrent les leurs. Les défendeurs invitèrent les appelants à préciser les arguments sur lesquels s'appuyaient leurs demandes. Le 16 mai 1995, le conseil des défendeurs pria la Cour suprême de demander à la commission des accidents du travail d'évaluer le taux d'invalidité et d'incapacité de travail de M. A et de M. Eg. Dans l'attente des observations des appelants, la Cour suprême reporta l'instance les 17 mai, 7 juin, 14 juin et 30 juin. Le 14 juin 1995, la Cour suprême donna l'autorisation de saisir la commission nationale des accidents du travail et, le 16 juin, le conseil des autorités défenderesses sollicita de celle-ci une évaluation. Le 27 juin 1995, M. A et Mme Feldskov posèrent certaines questions à Novo-Nordisk A/S et, à leur instigation, la Cour suprême suspendit la cause jusqu'au 27 juillet 1995 en attendant la réponse de la société. La Cour suprême reporta une nouvelle fois la cause, au 22 août 1995, les appelants devant communiquer leurs observations sur les moyens de défense. Elle les invita aussi à présenter dès que possible leurs vues sur les éléments de preuve. Le 2 novembre 1995, la Cour suprême a fixé la période du 16 au 23 septembre 1996 pour le procès. II. Le droit interne pertinent Une procédure civile comme celle-ci peut être portée devant la cour régionale, statuant en première instance, par le dépôt d'un acte d'assignation. A réception de celui-ci, la procédure est réputée engagée (articles 224 à 226 et 348 de la loi sur l'administration de la justice). On distingue deux phases dans la procédure: une phase préparatoire et une phase d'audience. La préparation d'une affaire peut être orale: les parties comparaissent, en personne ou par l'intermédiaire d'un représentant, aux audiences préliminaires au cours desquelles des arguments et autres documents sont échangés et formellement présentés à la juridiction compétente (article 351 de la loi sur l'administration de la justice). La préparation peut aussi se dérouler par écrit, chaque partie communiquant les documents à la cour qui veille à ce que l'adversaire en reçoive copie (article 352). La phase préparatoire a pour objet d'établir les faits et de dégager les questions de droit, de préciser la cause autant que possible et de déterminer l'objet du litige. Outre ce qui précède, si elle le juge bon, la juridiction peut citer les parties à comparaître à une audience préliminaire sur la base de l'article 355 de la loi sur l'administration de la justice, en vue de préciser autant que faire se peut leur position sur les points de fait et de droit en litige, de définir les points ne prêtant pas à controverse et de voir s'il y a lieu à production de preuves. Au cours des audiences préliminaires, la cour peut également statuer sur des différends entre les parties portant sur la préparation et l'organisation effective de l'affaire. En matière civile, les parties déterminent l'objet du litige. La cour ne peut octroyer à une partie plus qu'elle n'a réclamé et ne peut en principe prendre en compte que les conclusions présentées par elle (article 338 de la loi sur l'administration de la justice). D'après l'article 339, la cour peut en revanche adresser des questions aux parties pour qu'elles précisent leurs demandes ou arguments et les inviter à indiquer leur position sur les points de fait et de droit ayant des incidences sur la cause ou à produire des preuves. Les parties peuvent faire des propositions quant à la désignation d'experts, mais la cour n'est pas tenue de les suivre (article 200). D'après l'article 340, les éléments de preuve doivent être présentés à l'audience mais, dans des cas exceptionnels, la cour peut décider qu'ils le seront avant, en tout ou partie, et elle peut fixer un délai à cette fin. La cour peut au besoin suspendre la procédure (article 345). Par exemple, pour permettre à une partie de formuler des observations sur les conclusions de l'adversaire ou des éléments de preuve pertinents, ou encore pour laisser aux parties le loisir de recueillir et examiner un avis d'expert, mener des négociations en vue d'un règlement amiable ou préciser leurs positions respectives. En pratique, la cour veille aussi à ce que la procédure ne stagne pas. Elle intervient lorsqu'une des parties conteste une remise de cause ou lorsque selon elle de pareilles mesures ne sont pas nécessaires. La cour décide de la clôture de la phase préparatoire (article 356). Après quoi les parties ne peuvent modifier leurs demandes, présenter de nouveaux arguments ou de nouveaux éléments de preuve sauf si elles remplissent certaines conditions restrictives (articles 357 et 363). En pratique, la cour est d'ordinaire réticente à clore la phase préparatoire si les parties estiment que certains points appellent de plus amples précisions. Dès la clôture de la phase préparatoire ou immédiatement après, la cour fixe une date d'audience (article 356). En droit danois, c'est au demandeur à une action en réparation qu'il incombe de prouver le dommage, la faute ou la négligence et la responsabilité. Le fardeau de la preuve peut être renversé s'il est probable que les allégations factuelles du demandeur sont véridiques. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 27 août 1992 (n° 20826/92) à la Commission, les requérants alléguaient qu'au mépris de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, leur cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable. La Commission a retenu la requête le 30 novembre 1994. Dans son rapport du 24 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef des huit premiers requérants (unanimité) mais non dans celui de Mme Feldskov et de Mme Lykkeskov Jacobsen (unanimité). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 26 octobre 1995, comme il l'avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. A la même occasion, les requérants ont, comme dans leur mémoire, prié la Cour de constater une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) et de leur octroyer une satisfaction équitable au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE M. Abed Hussain est né en 1962 et se trouve actuellement détenu à la prison de Lindholme. Le 12 décembre 1978, le requérant - alors âgé de seize ans - fut reconnu coupable par la Crown Court de Leeds du meurtre de son jeune frère de deux ans. Il avait grièvement blessé l’enfant pendant qu’il le gardait. Il fut condamné à une peine de prison obligatoire "pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté" (detention during Her Majesty’s pleasure - "détention HMP"), conformément à l’article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents, telle qu’amendée (paragraphe 23 ci-dessous). La peine avait pour effet de permettre la détention du requérant "dans le lieu et les conditions ordonnés par le ministre [de l’Intérieur]". Le juge déclara en prononçant la condamnation: "Je vous considère comme un jeune homme qui a prouvé sa cruauté et son manque de sentiment. Je vous crois dangereux, en tout cas pour le moment." Le requérant interjeta appel à la fois de sa condamnation et de sa peine. La cour d’appel le débouta le 5 mars 1980. M. Hussain fut d’abord détenu dans l’aile des mineurs de la prison de Liverpool, puis dans un établissement pour délinquants juvéniles avant d’être transféré dans une prison pour adultes. En vertu des procédures administratives applicables aux peines telles que celles infligées au requérant, une période dite "punitive" ("tariff") précise le nombre d’années de détention nécessaire pour répondre aux impératifs de répression et de dissuasion (paragraphe 27 ci-dessous). A cet égard, le juge de première instance écrivit en 1978 au ministre en ces termes: "Au cours des deux ou trois jours qui ont immédiatement précédé le décès du bébé, il est certain que [le requérant] lui a infligé des traitements extrêmement violents (gifles, coups de pied, secousses). Le bébé présentait plus de soixante contusions et des blessures au cerveau et à la colonne vertébrale. [Le requérant] ayant nié avoir jamais levé la main sur lui, il fut impossible de déterminer les raisons d’une telle violence. [Le requérant] est sans aucun doute un jeune menteur sans scrupules, mais son trait de caractère le plus étonnant est son impassibilité. Il n’a manifesté aucun sentiment devant les blessures et la mort de son frère. Tout ceci m’a donné le sentiment qu’il est certainement un jeune homme très dangereux, que la brutalité n’émeut pas. J’ai le souci que l’on garde à l’esprit cet aspect de son caractère lorsqu’il s’agira d’examiner la question de sa libération. Il a encore trois jeunes frère et soeurs, et il faut avant tout se soucier de leur sécurité. Je suis très préoccupé par l’apparence de normalité, sans aucun doute trompeuse, que donne ce jeune homme. Il m’est impossible de recommander une peine de prison définie dans le temps. La détention devra perdurer jusqu’à ce que l’on puisse affirmer avec un degré raisonnable de certitude qu’avec la maturité, le danger qu’il fait courir aux autres a disparu. Le problème est qu’il semble déjà "mûr pour son âge", ainsi que l’a décrit un policier. La maturité dans son cas signifie beaucoup plus que devenir adulte. Je ne peux que tirer la sonnette d’alarme." Ce n’est pas avant 1986 que le ministre fixa à quinze ans la période punitive due par le requérant, à l’issue d’un processus confidentiel de consultation avec le juge ayant prononcé la sentence et le Lord Chief Justice. Pendant ce processus, au cours duquel le requérant ne vit aucun des documents, le juge recommanda une période de dix ans "compte tenu de la jeunesse du prisonnier à l’époque où il a commis le délit"; le Lord Chief Justice en convint, ajoutant toutefois que cette durée devait être "le strict minimum". Le ministre de l’Intérieur déclara pour sa part: "Je ne peux me rallier à la période fixée par le juge car je considère qu’elle ne correspond pas à la gravité de l’un des délits les plus effroyables qu’il m’ait été donné de connaître." Il ajouta en conséquence cinq ans à la durée proposée. Le requérant n’apprit ces détails que par une lettre du ministère de l’Intérieur, en date du 6 octobre 1994, à lui adressée conformément à l’arrêt rendu par la Chambre des lords le 24 juin 1993 (paragraphe 30 ci-dessous). Au cours de la détention du requérant, la commission de libération conditionnelle (Parole Board - paragraphe 37 ci-dessous) rechercha à quatre reprises s’il y avait lieu de recommander l’élargissement de l’intéressé. Elle procéda à un premier contrôle en décembre 1986. Les rapports faisaient état d’une évolution positive chez le requérant et, comme il lui fut révélé plus tard: "le comité local de contrôle [Local Review Committee - paragraphe 38 ci-dessous], jugeant le risque acceptable, a estimé opportun de fixer une date provisoire pour la libération conditionnelle de M. Hussain." Cependant, la commission de libération conditionnelle recommanda, non pas la libération du requérant, mais son transfèrement dans une prison de catégorie C, à régime moins strict, et préconisa d’entamer un deuxième contrôle en août 1990. A l’époque, le requérant ne put consulter aucun des rapports soumis à la commission, ni être entendu par elle. La commission examina une deuxième fois l’affaire en 1990. Un résumé de la procédure de contrôle, émanant du ministère de l’Intérieur, fut communiqué ultérieurement au requérant; on y lisait notamment: "Le comité local de contrôle a recommandé de fixer une date provisoire pour la libération conditionnelle de M. Hussain (...) La commission n’a pas recommandé d’élargir le requérant, mais de le transférer dans une prison à régime ouvert et de débuter une autre procédure de contrôle dix-huit mois plus tard. Cependant, le ministre ne suivit pas la recommandation de la commission et ordonna de transférer le requérant dans une autre prison de catégorie C et d’effectuer un autre contrôle à partir d’octobre 1992." Cette fois encore, le requérant ne put consulter les rapports le concernant, ni être entendu par la commission. On ne lui donna aucune raison justifiant les décisions prises à son encontre. A l’issue du troisième examen, en décembre 1992, la commission recommanda de transférer le requérant dans une prison à régime ouvert et de procéder à un nouveau contrôle six mois plus tard. Cependant, le ministre, usant de ses pouvoirs réglementaires (paragraphe 29 ci-dessous), ne suivit pas cette recommandation, ordonnant que le requérant demeurât en milieu carcéral avec un nouveau contrôle à partir de mars 1995. Ce n’est qu’en mars 1993 que le requérant fut informé de ce que son élargissement n’avait pas été recommandé et de la date fixée pour le contrôle suivant. En juin 1993, le requérant demanda un contrôle juridictionnel (judicial review - paragraphe 39 ci-dessous) de la décision qui lui avait été notifiée en mars 1993, au motif qu’il n’avait pas eu accès aux rapports dressés à son sujet et présentés à la commission. Il se référait à l’arrêt Prem Singh (paragraphe 24 ci-dessous), qui établissait que les détenus HMP avaient, selon la common law, le droit de consulter ces rapports. Le 13 octobre 1993, la commission de libération conditionnelle s’engagea envers la High Court à reconsidérer immédiatement le cas du requérant et à communiquer à celui-ci l’ensemble des pièces du dossier afin qu’il soit en mesure de faire des observations en connaissance de cause. Le requérant retira sa demande de contrôle juridictionnel. Lors du plus récent examen de l’affaire, en janvier 1994, le requérant put consulter les rapports soumis à son sujet à la commission de libération conditionnelle, mais ne put pas comparaître. A l’issue de cet examen, le ministre suivit l’avis de la commission, qui recommandait de transférer le requérant dans une prison à régime ouvert, ce qui fut fait en février 1994. La commission réexaminera l’affaire du requérant en février 1996. Le requérant est détenu depuis plus de dix-sept ans. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Catégories de détention des condamnés pour meurtre Est coupable de meurtre quiconque provoque la mort d’une autre personne dans l’intention de la tuer ou de lui porter des coups et blessures graves. Le droit anglais impose une peine obligatoire pour le crime de meurtre: "la détention pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté" lorsque le meurtrier n’a pas dix-huit ans (article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (version amendée) - paragraphe 23 ci-dessous); "l’internement à vie" lorsque l’auteur du crime est âgé de dix-huit à vingt ans (article 8 par. 1 de la loi de 1982 sur la justice pénale); et "l’emprisonnement à perpétuité" si le coupable a vingt et un ans ou plus (article 1 par. 1 de la loi de 1965 sur l’homicide (suppression de la peine de mort)). C’est la loi qui fixe les peines perpétuelles obligatoires, par opposition aux peines perpétuelles discrétionnaires que le tribunal peut décider souverainement d’infliger aux personnes reconnues coupables de certains délits violents ou sexuels (homicide involontaire, viol, vol qualifié, etc.). Les principes suivants régissent le prononcé de la peine discrétionnaire: i. l’infraction doit être grave et ii. il doit exister des circonstances exceptionnelles démontrant que le délinquant est dangereux pour autrui, et il doit être impossible de dire quand ce danger s’éloignera. Les peines perpétuelles discrétionnaires ont une durée indéterminée, de façon à "pouvoir surveiller les progrès du détenu (...) afin de ne le maintenir en prison qu’aussi longtemps que la sécurité du public serait menacée par son élargissement" (R. v. Wilkinson, Criminal Appeal Reports 1983, no 5, p. 108). B. La détention pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté A l’origine de la notion de détention pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté se trouve une loi de 1800 sur "l’internement en toute sécurité des aliénés mentaux coupables d’infractions" (Criminal Lunatics Act), selon laquelle les prévenus disculpés de meurtre, trahison ou crime en raison d’un état de démence au moment des faits devaient être internés "sous stricte surveillance pour la durée qu’il plaira[it] à Sa Majesté". Ce type de peine était qualifié d’internement "pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté". La détention HMP fut introduite en 1908 pour les délinquants âgés de dix à seize ans, puis étendue en 1933 à tous ceux qui avaient moins de dix-huit ans au moment de leur condamnation, puis à nouveau étendue, en 1948, aux mineurs de dix-huit ans au moment des faits. La disposition actuellement en vigueur est l’article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (telle qu’amendée) ("la loi de 1933"), ainsi libellé: "Lorsque l’auteur d’une infraction est reconnu coupable de meurtre et que le tribunal constate qu’il avait moins de dix-huit ans au moment des faits, le tribunal ne pourra ni le condamner à l’emprisonnement à perpétuité ni prononcer contre lui ou faire inscrire sur son casier judiciaire une condamnation à la peine capitale, mais en lieu et place le tribunal (...) le condamnera à être détenu pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté, et l’intéressé purgera alors sa peine dans le lieu et aux conditions ordonnés par le ministre." Dans l’affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh (20 avril 1993, non publiée), le juge Evans, de la Divisional Court, déclara au sujet de la détention HMP: "Au moment du prononcé de la sentence, les peines d’emprisonnement infligées en vertu de l’article 53 revêtaient un caractère obligatoire. Il s’agit en réalité de l’équivalent légal pour les mineurs de la peine perpétuelle obligatoire infligée à un meurtrier adulte. La peine en soi se rapproche davantage, par nature, de la peine discrétionnaire, dont une partie est punitive (répression et dissuasion) et dont le reliquat ne se justifie que par des intérêts de sécurité publique lorsque est vérifié le critère de dangerosité. L’octroi à un détenu purgeant une peine perpétuelle obligatoire de droits analogues en matière de libération conditionnelle ne change rien au fait que ce type de peine revêt un caractère punitif pendant toute sa durée: voir R. v. Secretary of State Ex. p. Doody & Others [1993] Q. B. 157 et Wynne v. UK (CEDH, 1er décembre 1992). L’article 53, dans ses termes mêmes, prévoit une peine à la fois discrétionnaire et indéterminée: la détention "pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté". (...) Je trancherai cette affaire en adoptant une interprétation restrictive, c’est-à-dire que, nonobstant la pratique du ministre de l’Intérieur et de la commission de libération conditionnelle, le demandeur devrait être assimilé à un détenu purgeant une peine perpétuelle discrétionnaire quant à la question de savoir si la présente espèce relève de la jurisprudence Wilson plutôt que de celle de Payne." (compte rendu d’audience, pp. 24C-25B). La cour estima par conséquent qu’il fallait que l’intéressé, en détention HMP, puisse, à l’instar d’un détenu purgeant une peine perpétuelle discrétionnaire, consulter les pièces dont avait disposé la commission de libération conditionnelle pour se prononcer sur l’opportunité de le libérer après sa réincarcération, à la suite de la révocation de son élargissement sous condition. La commission de libération conditionnelle modifia sa pratique en conséquence. Cependant, dans une déclaration faite au Parlement le 27 juillet 1993 (paragraphe 32 ci-dessous), le ministre Michael Howard expliqua qu’il incluait dans la catégorie des "personnes frappées d’une peine perpétuelle obligatoire": "les personnes qui sont ou seront détenues pendant la durée qu’il plaira à Sa Majesté en vertu de l’article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (...)" Dans l’affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte T. and Others (Queen’s Bench 1994, p. 390D), le juge Kennedy de la Divisional Court (avec qui le juge Pill marqua son accord) déclara: "Je ne vois aucune raison de le considérer comme doté d’un statut spécial parce qu’il a été condamné à la détention [HMP] plutôt qu’à l’emprisonnement à vie, en dépit de ce que disait le juge Evans lorsqu’il rendit sa décision dans l’affaire Reg. v. Parole Board, ex parte Singh (Prem) (20 avril 1993, non publiée). Les enjeux dans cette affaire étaient fort différents de ceux de l’espèce. Si Hickey n’avait pas été envoyé à l’hôpital, il aurait pu espérer bénéficier des dispositions de l’article 35 par. 2 de la loi de 1991 [sur les détenus condamnés à une peine perpétuelle obligatoire] (...). On se rappelle que, dans l’affaire Hickey, le crime était un homicide volontaire, si bien que la peine infligée était obligatoire et non discrétionnaire." En appel, la cour d’appel déclara que, s’agissant d’une personne condamnée à la détention HMP en vertu de l’article 53 par. 1 de la loi de 1933 sur l’homicide volontaire, les dispositions applicables en matière d’élargissement étaient celles de l’article 35 par. 2 de la loi de 1991 sur la justice pénale (paragraphe 29 ci-dessous) et non pas celles applicables à un détenu condamné à une peine perpétuelle discrétionnaire (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Hickey, All England Law Reports 1995, no 1, p. 488). C. La libération conditionnelle Pour toute personne condamnée à une peine perpétuelle obligatoire ou discrétionnaire, à l’internement à vie ou à la détention HMP, est fixée une période dite punitive (tariff) correspondant à la période de détention jugée nécessaire pour répondre aux impératifs de répression et de dissuasion. Passé cette période, le détenu peut prétendre à être admis au bénéfice de la libération conditionnelle. Les dispositions et pratiques applicables en matière de fixation de cette période punitive et d’élargissement sous condition ont récemment fait l’objet de modifications, en particulier à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er octobre 1992, de la loi de 1991 sur la justice pénale ("la loi de 1991"). Procédure générale L’article 61 par. 1 de la loi de 1967 sur la justice pénale ("la loi de 1967") énonçait notamment que le ministre peut, sur recommandation de la commission de libération conditionnelle et après consultation du Lord Chief Justice et du juge dont émane la sentence, "libérer sous condition une personne purgeant une peine de prison à perpétuité ou internée en vertu de l’article 53 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents". Il n’y avait à cet égard aucune différence entre condamnés selon que la peine perpétuelle était obligatoire ou discrétionnaire. Aux termes de l’article 35 par. 2 de la loi de 1991, le ministre peut, si la commission de libération conditionnelle le lui recommande et après consultation du Lord Chief Justice et du juge dont émane la sentence, libérer sous condition un détenu HMP ou une personne subissant une peine perpétuelle qui n’est pas discrétionnaire (paragraphe 20 ci-dessus). C’est donc toujours du ministre que dépend la décision d’élargir ou non. Le ministre décide également de la durée de la période punitive imposée au détenu. Depuis un arrêt rendu par la Chambre des lords le 24 juin 1993 (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Doody, Appeal Cases 1994, no 1, p. 567G), le point de vue du juge auteur de la sentence est communiqué au détenu après son procès, de même que l’avis du Lord Chief Justice. Le détenu peut adresser des observations au ministre qui fixe alors la période punitive et est habilité à s’écarter du point de vue du juge en indiquant ses raisons. Dans la pratique, le détenu est informé de la décision définitive prise par le ministre. Dans la deuxième phase, post-punitive, de la détention, le prisonnier sait que "les effets pénaux de son crime sont épuisés" (ibidem, p. 557A). Dans une déclaration de principe du 13 novembre 1983, Sir Leon Brittan, alors ministre de l’Intérieur, précisa que la libération conditionnelle après expiration de la période punitive dépendait de l’appréciation du risque que l’intéressé continuait à représenter pour le public. Le 27 juillet 1993, le ministre, M. Michael Howard, fit une déclaration de principe relative aux détenus frappés d’une peine perpétuelle obligatoire. Il souligna notamment qu’avant d’admettre pareils détenus au bénéfice de la libération conditionnelle, le ministre "doit rechercher, non seulement a) si la période purgée par le détenu suffit pour satisfaire aux impératifs de répression et de dissuasion et b) s’il n’y a pas de risque à libérer l’intéressé, mais encore c) si une libération anticipée serait acceptable pour le public. En d’autres termes, [il] n’exercer[a] [s]on pouvoir discrétionnaire d’élargir que [s’il a] la conviction que semblable décision ne va pas compromettre la confiance du public dans la justice pénale". Dans une série d’affaires récentes concernant des détenus HMP, le juge a déclaré que le critère à appliquer pour la phase de détention "post-punitive" était de décider si l’intéressé continuait à représenter un danger pour autrui (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cox, 3 septembre 1991; R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh, 20 avril 1993 - cité plus haut au paragraphe 24; R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Prem Singh (no 2), 16 mars 1995). Procédure applicable aux condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire A la suite de l’arrêt rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni (arrêt du 25 octobre 1990, série A no 190-A), la loi de 1991 a apporté des modifications aux procédures d’élargissement des condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire. En vertu de l’article 34 de la loi de 1991, le tribunal prononçant la sentence précise désormais, en audience publique, la durée de la période punitive. Après expiration de cette période, le détenu peut exiger du ministre qu’il saisisse la commission de libération conditionnelle, compétente pour prescrire son élargissement si elle a la conviction que son maintien en détention n’est plus nécessaire à la protection du public. Conformément au règlement de 1992 sur la commission de libération conditionnelle, entré en vigueur le 1er octobre 1992, un détenu est en droit d’être entendu au cours d’une audience, d’avoir accès à tous les éléments à la disposition des membres (paragraphe 37 ci-dessous) et de se faire assister d’un défenseur. Les dispositions de ce règlement lui permettent de faire citer des témoins à décharge et de contre-interroger les auteurs de rapports le concernant. Aux termes de la loi de 1991, ne sont pas considérées comme frappées d’une peine perpétuelle discrétionnaire les personnes détenues pour la durée qu’il plaira à Sa Majesté (article 43 par. 2). D. Commission de libération conditionnelle et comités locaux de contrôle L’article 59 de la loi de 1967 définit la composition et les fonctions de la commission de libération conditionnelle: "1. En vue de l’exercice des fonctions que cette partie de la présente loi lui attribue pour l’Angleterre et le pays de Galles, il existe un organe dénommé commission de libération conditionnelle (...), composé d’un président et d’au moins quatre autres membres désignés par le ministre. (...) Les dispositions suivantes s’appliquent à la conduite de la procédure devant la commission dans toute affaire dont elle connaît: a) la commission examine l’affaire sur la base de tout document que lui communique le ministre, de tout rapport qu’elle se procure et de tout renseignement qu’elle recueille oralement ou par écrit; b) si, dans un cas particulier, elle estime nécessaire d’interroger l’intéressé avant de se prononcer, elle peut en charger l’un de ses membres et prend en considération le compte rendu de pareil entretien (...) Les documents que le ministre doit communiquer à la commission aux fins du paragraphe précédent comprennent entre autres: a) si l’affaire déférée à la commission a trait à une libération relevant de l’article 60 ou 61 de la présente loi, toute observation que l’intéressé a faite par écrit au sujet de son dernier interrogatoire opéré conformément aux dispositions du paragraphe suivant, ou depuis lors; b) si elle a trait à une personne réintégrée en vertu de l’article 62 de la présente loi, toute observation faite par écrit conformément à cet article." Quant à la composition de la commission, l’annexe 2 à la loi de 1967 ajoute: "1. La commission de libération conditionnelle comprend notamment: a) une personne qui exerce ou a exercé une fonction judiciaire; b) un psychiatre inscrit au registre des médecins; c) une personne choisie par le ministre parce qu’elle semble connaître la surveillance des détenus libérés, ou l’assistance post-pénitentiaire à ceux-ci, ou en avoir l’expérience; d) une personne choisie par [lui] pour avoir étudié les causes de la délinquance ou le traitement des délinquants." La commission compte toujours en son sein trois juges à la High Court, trois juges itinérants (circuit judges) et un juge temporaire (recorder). Peuvent traiter les affaires dont on la saisit trois de ses membres ou davantage (règlement de 1967 sur la commission de libération conditionnelle). En pratique, elle siège par petits groupes de membres dont chacun, s’il s’agit d’une personne condamnée à vie, inclut un juge à la High Court et un psychiatre. Les juges membres de la commission sont nommés par le ministre (article 59 par. 1 de la loi de 1967) après consultation du Lord Chief Justice. La loi de 1991 prévoit des dispositions analogues, exception faite des règles nouvelles concernant les condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire. En vertu de l’article 59 par. 6 de la loi de 1967, le ministre de l’Intérieur créa pour chaque établissement pénitentiaire un comité local de contrôle (Local Review Committee) chargé de le conseiller sur l’opportunité de libérer les détenus sous condition. L’usage était d’obtenir cet avis avant de déférer le dossier à la commission de libération conditionnelle. Avant l’examen d’une affaire par le comité, l’un de ses membres devait s’entretenir avec le détenu si celui-ci le désirait. Le premier examen de l’affaire par le comité local de contrôle intervenait généralement trois ans avant l’expiration de la période punitive. Le règlement de 1992 sur la commission de libération conditionnelle a supprimé les comités locaux de contrôle, le détenu étant à présent interrogé par un membre de la commission. E. Contrôle juridictionnel Le détenu HMP peut solliciter auprès de la High Court le contrôle juridictionnel de toute décision de la commission de libération conditionnelle ou du ministre de l’Intérieur s’il estime la décision contraire aux exigences du règlement pertinent ou entachée d’illégalité, d’irrationalité ou d’irrégularité procédurale (Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, All England Law Reports 1984, no 3, pp. 950-951). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Hussain a saisi la Commission le 31 mars 1993. Il invoquait l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, en se plaignant notamment, en vertu des règles en vigueur: a) de n’avoir pas le droit de faire périodiquement examiner par un tribunal son maintien en détention; b) de ce que la décision finale sur sa libération appartienne à l’exécutif; c) de n’avoir pas le droit d’être entendu au cours d’une audience, ni d’interroger ou de citer des témoins; d) de n’avoir pas le droit de consulter les rapports soumis à la commission de libération conditionnelle. Le requérant se plaignait en outre, au regard de l’article 14 (art. 14) de la Convention, d’avoir subi une discrimination n’ayant aucune base rationnelle en raison de sa situation de condamné pour meurtre. La Commission a retenu la requête (no 21928/93) le 30 juin 1994. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention quant à l’absence de contrôle juridictionnel du maintien en détention du requérant, et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs tirés de l’article 14 (art. 14) de la Convention. Le texte intégral de l’avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, l’agent du Gouvernement a invité la Cour à conclure qu’il n’y avait eu, en l’espèce, aucune violation de la Convention. Le requérant, de son côté, a prié la Cour d’accueillir ses griefs et de déclarer qu’il y avait eu violation des droits que lui garantit l’article 5 par. 4 (art. 5-4), tant par le refus de contrôle par un organe de type juridictionnel que par le refus d’une audience contradictoire lors de laquelle il aurait pu exposer personnellement sa demande de libération.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le 1er avril 1990, M. Benham devint assujetti à l’impôt de capitation (community charge), d’un montant de 325 livres sterling (GBP). Il ne s’en acquitta pas et, le 21 août 1990, la magistrates’ court de Poole émit une injonction de payer habilitant le conseil du comté de Poole ("l’organisme de recouvrement") à engager une procédure d’exécution (paragraphe 19 ci-dessous, articles 29 et 39 par. 1 du règlement pertinent). M. Benham ne versa pas le montant dû, et des huissiers se rendirent au domicile de ses parents (où il vivait), mais ils s’entendirent dire qu’il ne possédait là ou ailleurs aucun bien de valeur qu’ils pussent saisir et faire vendre pour recouvrer la dette. D’après l’article 41 du règlement de 1989 sur la gestion et le recouvrement de l’impôt de capitation (Community Charge (Administration and Enforcement) Regulations 1989, "le règlement"; paragraphe 19 ci-dessous), lorsqu’il apparaît qu’un contribuable ne dispose pas de biens suffisants pouvant être saisis afin d’assurer le paiement de l’impôt restant dû, l’organisme de recouvrement peut demander à une magistrates’ court d’ordonner la contrainte par corps. Lors d’une telle demande, le tribunal procède, en présence du contribuable défaillant, à une enquête en vue de déterminer quelles sont ses ressources actuelles et si le défaut de paiement ayant entraîné l’émission de l’injonction de payer à son encontre était dû à un refus délibéré ou à une négligence coupable de sa part. L’organisme de recouvrement sollicita ce mandat de dépôt et, le 25 mars 1991, M. Benham comparut devant la magistrates’ court de Poole aux fins de l’enquête requise par le règlement. Il ne fut pas assisté ou représenté par un avocat, bien qu’il pût prétendre au bénéfice de conseils et d’une assistance juridiques dans le cadre du programme "formule verte" ("Green Form Scheme") avant l’audience (paragraphe 29 ci-dessous) et, s’ils l’avaient jugé bon, les magistrats auraient pu ordonner une assistance sous forme de représentation (Assistance by Way of Representation - "ABWOR") (paragraphe 30 ci-dessous). Les magistrats constatèrent que M. Benham, qui avait validé neuf matières au certificat de fin d’études de premier cycle de l’enseignement secondaire ("O" Level General Certificates of Secondary Education), avait commencé en septembre 1989 un programme national de formation à l’emploi, mais avait abandonné en mars 1990 et n’avait plus travaillé depuis. Il avait sollicité un soutien de revenu, mais s’était heurté à un refus parce que les personnes volontairement sans travail ne peuvent percevoir cette prestation, et il n’avait ni biens ni revenus personnels. Sur la foi de ces éléments de preuve, les magistrats conclurent que le défaut de paiement de l’impôt de capitation était dû à une négligence coupable de l’intéressé, celui-ci "ayant manifestement les capacités de gagner sa vie afin de s’acquitter de son obligation de payer". Ils ordonnèrent donc son incarcération pour trente jours à défaut de paiement. M. Benham fut écroué le même jour à la prison de Dorchester. Le 27 mars 1991, un solicitor fut commis pour le représenter et invita par écrit la magistrates’ court à déférer les points de droit soulevés par l’affaire à l’avis de la juridiction supérieure (paragraphe 21 ci-dessous) et réclama la libération provisoire du requérant (paragraphe 22 ci-dessous). Une aide judiciaire fut octroyée pour l’appel, mais non pour la demande de libération car elle n’est pas prévue pour une telle procédure. Pour finir, le solicitor comparut sans rémunération devant les magistrats le 28 mars 1991 pour requérir la libération provisoire, mais en vain. Le 4 avril 1991, le solicitor de M. Benham invita la High Court à autoriser une demande de contrôle juridictionnel et la libération provisoire. Il était tenu de revendiquer le contrôle juridictionnel, bien qu’il eût déjà formé appel en réclamant un renvoi sur points de droit, faute de quoi il n’aurait pu prier la High Court de prononcer la libération provisoire de son client tant que les magistrats n’auraient pas soumis à celle-ci les points de droit (paragraphe 22 ci-dessous). La libération provisoire fut accordée le 5 avril 1991 et M. Benham fut donc élargi après avoir passé onze jours en détention. Les 7 et 8 octobre 1991, la Divisional Court examina les points de droit qui lui étaient soumis et la demande de contrôle juridictionnel (Regina v. Poole Magistrates, ex parte Benham, 8 octobre 1991, non publiée). M. Benham avait un représentant et bénéficiait de l’aide judiciaire. La cour releva qu’il avait fallu demander le contrôle juridictionnel pour pouvoir obtenir la libération provisoire, mais qu’il valait mieux statuer sur les points de droit soumis; elle ne se prononça donc pas sur la demande de contrôle juridictionnel. Le juge Potts, de la Divisional Court, estima que les magistrats avaient versé dans l’erreur en concluant que M. Benham ne s’était pas acquitté de l’impôt de capitation en raison d’une négligence coupable: "A mon avis, les éléments dont disposaient les magistratsn’autorisaient pas cette conclusion. Dans certaines circonstances, un débiteur qui ne travaille pas et ne tenterien pour gagner de l’argent et payer l’impôt de capitationpeut être taxé de négligence coupable. Cependant, à mon sens,pareille conclusion exige pour le moins des preuves patentesque le débiteur s’est vu proposer une activité rémunérée qu’ilavait l’aptitude d’exercer, et qu’il a refusé ou rejeté cetteoffre. Une telle preuve n’a pas été rapportée en l’espèce.A mon sens, le constat par les magistrats d’une négligencecoupable ne saurait s’appuyer sur les éléments produits devanteux." Il considéra en outre que la décision d’écrouer M. Benham aurait été erronée même si pareille preuve avait existé, l’intéressé étant dans l’incapacité de s’acquitter du montant dû le jour de sa comparution, et que "[p]areille décision ne peut être prise que si le [débiteur] peut payer et qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’y contraindre". En l’occurrence, les magistrats auraient dû envisager, au lieu d’une peine d’emprisonnement immédiate, les autres voies possibles prévues par le règlement. C’est ainsi qu’ils auraient pu ajourner la délivrance du mandat de dépôt à la date et aux conditions déterminées souverainement par eux, ou refuser d’ordonner la mise en détention, laissant à l’organisme de recouvrement la faculté de présenter ultérieurement une nouvelle demande si la situation financière de M. Benham venait à changer (paragraphe 19 ci-dessous). M. Benham ne pouvait solliciter une réparation pour la durée de sa détention car il ne pouvait démontrer la mauvaise foi dans le chef des magistrats, comme l’exigeait l’article 108 de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques (Courts and Legal Services Act 1990) (paragraphe 28 ci-dessous). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions relatives au recouvrement de l’impôt decapitation La législation secondaire pertinente est le règlement de 1989 sur la gestion et le recouvrement de l’impôt de capitation (instrument réglementaire 1989/438) (Community Charge (Administration and Enforcement) Regulations 1989 (Statutory Instrument 1989/438) ("le règlement")). Les dispositions de l’article 29 applicables ici ("demande d’une injonction de payer") sont ainsi libellées: "1) Lorsqu’un montant échu (...) reste en tout ou partieimpayé (...) l’organisme de recouvrement peut (...) demanderà une magistrates’ court d’émettre une injonction à l’encontredu débiteur défaillant. (...) 5) La magistrates’ court émet l’injonction si elle a laconviction que la somme est échue et n’a pas été versée." L’article 39 par. 1 prévoit la saisie et la vente d’un bien du débiteur ("exécution forcée" ("levying of distress")): "Lorsqu’une injonction de payer a été émise, l’autorité quil’a sollicitée peut prélever le montant correspondant parsaisie et vente des biens du débiteur concerné." L’article 41 concerne la contrainte par corps; les passages pertinents sont ainsi libellés: "1) Lorsqu’un organisme de recouvrement, face à uncontribuable individuel, a tenté en vertu de l’article 39 deprocéder à l’exécution forcée, et qu’il lui apparaît que lecontribuable ne dispose d’aucun bien ou dispose de biensinsuffisants pour qu’il puisse procéder à la saisie-exécution,il peut demander à une magistrates’ court d’ordonner leplacement en détention dudit contribuable. 2) Lorsqu’elle est saisie d’une telle demande, lamagistrates’ court s’enquiert, en présence du contribuabledéfaillant, de ses ressources, et recherche si le défaut depaiement ayant entraîné l’émission de l’injonction de payer àson encontre était dû à un refus délibéré ou à une négligencecoupable de sa part. 3) Si (et seulement si) elle est d’avis que ce défaut depaiement était dû à un refus délibéré ou à une négligencecoupable de la part du contribuable défaillant, lamagistrates’ court a le pouvoir discrétionnaire: a) d’ordonner la contrainte par corps, ou b) de fixer la durée de la peine et d’ajourner la mise endétention à la date et aux conditions (éventuelles)qu’elle détermine souverainement. (...) 7) L’ordonnance précise la durée, n’excédant pas troismois, de la contrainte par corps, à moins que le montantindiqué dans le mandat de dépôt ne soit acquitté auparavant(...)" Le passage pertinent de l’article 42 dispose: "3) Lorsqu’une demande a été formulée en vertu del’article 41 mais qu’aucun mandat n’a été décerné ou qu’aucunepeine de prison n’a été fixée, la demande peut être renouvelée(...) au motif que la situation du débiteur a changé." Dans l’affaire Regina v. Highbury Corner Magistrates, ex parte Watkins (9 octobre 1992, non publiée), le juge Henry, de la High Court, a déclaré: "La procédure visée à l’article 41 est manifestement une procédure judiciaire ne revêtant pas un caractère pénal. Il s’agit d’une procédure en vue du recouvrement d’un impôt non acquitté." En revanche, dans la décision Regina v. Hebburn Justices, ex parte Martin (31 juillet 1995, non publiée), le juge Sedley, de la High Court, a estimé que si l’obligation initiale de verser l’impôt de capitation revêtait un caractère civil, lorsque les magistrats "en viennent à ordonner la détention, ils s’engagent dans un processus pénal". B. Appel de la décision d’une magistrates’ court par renvoi sur point de droit En vertu de l’article 111 de la loi de 1980 sur les magistrates’ courts, une partie à une instance devant un tel tribunal peut "contester la procédure pour erreur de droit ou dépassement de compétence (excess of jurisdiction), en demandant aux magistrats de renvoyer pour avis à la High Court le point de droit ou la question de compétence en cause (...)". Cette procédure est connue sous le nom de "renvoi sur point de droit" ("case stated"). L’article 113 de la loi de 1980 habilite les magistrats à accorder la libération provisoire d’une partie qui leur demande de renvoyer pour avis un point de droit; mais s’ils refusent, dans des affaires qualifiées de "civiles" en droit interne, la High Court n’a compétence pour ordonner l’élargissement provisoire que si elle se trouve saisie d’une procédure au fond dont la libération provisoire peut constituer l’accessoire. Les mesures prises en vertu de la décision d’une magistrates’ court infirmée ultérieurement par une juridiction supérieure ne sont pas illégales en soi. Il incombe à cette dernière de déterminer souverainement si ces actes incidents sont eux aussi entachés d’invalidité: Regina v. Deputy Governor of Parkhurst Prison, ex parte Hague, Appeal Cases 1992, vol. 1, p. 124D-G (Lord Justice Taylor, de la Cour d’appel); London and Clydeside Estates Ltd v. Aberdeen District Council, Weekly Law Reports 1980, vol. 1, pp. 189C-190C (Lord Hailsham, Lord Chancellor, de la Chambre des lords); Regina v. Panel on Take-overs and Mergers, ex parte Datafin PLC, Queen’s Bench 1987, p. 840A-C (Sir John Donaldson, Master of the Rolls). C. Distinction entre la décision d’une magistrates’ courts implement erronée en droit et une décision erronée au point de constituer un dépassement de compétence En droit anglais, la décision d’une magistrates’ court excédant sa compétence (in excess of jurisdiction) est nulle ab initio, tandis qu’une décision entrant dans sa compétence demeure valide tant qu’elle n’est pas annulée par une juridiction supérieure. Un tribunal peut être tenu à réparation seulement dans le cas du premier type d’erreur (d’après l’article 108 de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques, qui a remplacé l’article 45 de la loi de 1979 sur les juges de paix (Justices of the Peace Act 1979); paragraphes 27-28 ci-dessous). Le critère à appliquer pour déterminer si la décision d’une magistrates’ court est nulle pour défaut de compétence est celui énoncé par la Chambre des lords dans l’affaire McC. v. Mullan (Appeal Cases 1985, p. 528). Dans cette affaire, les magistrats avaient ordonné le placement d’un adolescent de quatorze ans dans un centre de redressement après une audience à laquelle il n’avait pas été représenté par un conseil, n’avait pas sollicité l’assistance judiciaire et n’avait pas été informé de son droit à le faire. Cette décision fut annulée dans le cadre d’un contrôle juridictionnel au motif que, d’après l’article 15 par. 1 de l’ordonnance de 1976 sur le traitement des délinquants en Irlande du Nord (Treatment of Offenders (Northern Ireland) Order 1976), les magistrats ne pouvaient prononcer pour la première fois une peine privative de liberté à l’encontre d’un mineur qui n’avait pas été représenté par un conseil, sauf s’il avait demandé l’assistance judiciaire et se l’était vu refuser car il avait des moyens suffisants, ou avait été informé de son droit de la demander, mais avait refusé ou négligé de le faire. L’adolescent réclama alors à l’encontre des magistrats des dommages-intérêts pour détention irrégulière. Cette affaire ayant été tranchée avant la promulgation de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques et à une époque où les magistrats étaient légalement tenus à dommages-intérêts pour détention irrégulière en cas de dépassement de compétence (paragraphe 26 ci-dessous), la Chambre des lords avait à se prononcer sur la question de la compétence. Dans son arrêt, elle précisa qu’une magistrates’ court outrepassait sa compétence dans trois cas seulement: 1) si elle agissait sans avoir vocation à connaître de la cause, 2) si elle avait commis dans l’exercice de ses pouvoirs une irrégularité procédurale grossière et manifeste, ou 3) si l’ordonnance qu’elle avait rendue était mal fondée en droit en raison de l’inobservation d’une condition légale préalable. Cette affaire relevait de la troisième branche de la règle: les magistrats étaient tenus à dommages-intérêts parce qu’ils n’avaient pas observé les exigences de l’article 15 par. 1 de l’ordonnance de 1976. Lorsqu’il prononça l’arrêt, Lord Bridge fit les observations suivantes (p. 546 E-F) sur la compétence des magistrats dans la conduite d’un procès pénal: "(...) dès lors que les magistrats ont dûment entamé leprocès sur une question relevant de leur compétence, seul unélément tout à fait exceptionnel survenant au cours de laprocédure peut les priver de leur compétence (...) [U]ne erreur (de fait ou de droit) sur une question corollaire dontla compétence dépend n’aura pas cet effet. Pas plus quel’absence de tout élément de preuve venant étayer la condamnation (...)" La dernière branche du principe énoncé par la Chambre des lords dans l’affaire McC. v. Mullan (c’est-à-dire que les magistrats outrepassent leur compétence lorsqu’ils prononcent une décision non fondée en droit faute d’avoir observé une condition légale préalable) fut appliquée par la Cour d’appel dans l’affaire R. v. Manchester City Magistrates’ Court, ex parte Davies, All England Reports 1989, vol. 1, p. 30, une affaire concernant les impôts locaux (rates) (prédécesseur de l’impôt de capitation). Il fallait rechercher là encore si les magistrats avaient outrepassé leur compétence et étaient donc tenus à dommages-intérêts pour détention irrégulière. Le plaignant n’avait pu acquitter tous les impôts locaux dont il était redevable en décembre 1984, et en janvier 1986 il ne suivit pas son comptable qui lui conseillait de fermer son entreprise et de déposer le bilan. Les magistrats, appliquant une législation analogue à l’article 41 du règlement sur l’impôt de capitation, virent dans le fait que l’intéressé n’avait pas suivi le conseil de son comptable une négligence coupable et ils ordonnèrent la contrainte par corps. La Cour d’appel considéra qu’aucun lien de causalité n’avait été établi entre l’inobservation du conseil du comptable en 1986 et le défaut de paiement des impôts locaux en 1984 et que les magistrats ne s’étaient pas correctement livrés à l’enquête (sur le point de savoir si le défaut de paiement était dû à une négligence coupable) que la législation posait comme condition préalable à la contrainte par corps. Ils avaient donc commis un abus de compétence et étaient tenus à dommages-intérêts. Les trois juges de la Cour d’appel exprimèrent leurs constatations dans des termes légèrement différents. Lord Justice O’Connor releva qu’"ils n’avaient nullement procédé à l’enquête voulue [par la loi]"; Lord Justice Neill estima qu’"ils s’étaient enquis dans une certaine mesure de la situation financière du requérant", mais que "l’on pouvait établir une distinction nette et déterminante entre l’enquête exigée par la loi et celle effectivement menée. Les magistrats n’[avaient] nullement recherché si le défaut de paiement était dû à une négligence coupable"; et Sir Roger Ormrod (se démarquant de la majorité) déclara: "(...) il est patent que les magistrats ont examiné soigneusement et en détail les moyens de l’intéressé (...). Il est également manifeste qu’ils se sont totalement trompés (...). Ils n’ont pas perçu (...) que la question à trancher était celle de savoir si le fait que le plaignant ne s’était pas acquitté de ses impôts locaux "était dû à un refus délibéré ou à une négligence coupable" de sa part" (pp. 637 B, 642 H-643 G et 647 E). D. La protection des magistrats contre une action en responsabilité civile La loi met les magistrats à l’abri d’une action en responsabilité civile dans certaines circonstances. Avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1991, de l’article 108 de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques, cette protection était assurée par les articles 44 et 45 de la loi de 1979 sur les juges de paix. En bref, un magistrat était tenu à dommages-intérêts pour des actes commis dans l’exercice de ses fonctions s’il était prouvé soit que l’acte en cause avait été perpétré avec intention de nuire et sans cause raisonnable et probable, soit que le magistrat avait agi en dehors de son domaine de compétence ou avait dépassé sa compétence (voir le paragraphe 25 ci-dessus pour le sens de cette dernière expression). Avec l’article 108 de la loi de 1990 sur les tribunaux et les services juridiques, une action peut désormais être engagée contre un magistrat seulement si la preuve peut être faite qu’il a agi de mauvaise foi et a outrepassé sa compétence: "Une action peut être intentée contre un magistrat (...) àraison d’un acte ou d’une omission de sa part a) dans l’exercice prétendu de ses fonctionsi) de magistrat; (...) b) dans un domaine échappant à sa compétence, si, mais seulement si, sa mauvaise foi est démontrée." E. L’assistance judiciaire Le régime d’assistance judiciaire ne prévoit pas de représentation pleine et entière devant les magistrats lors de procédures pouvant déboucher sur la contrainte par corps pour défaut de paiement de l’impôt de capitation. Le programme "formule verte" ("Green Form Scheme") accorde une aide équivalant à deux heures au moins de conseils et d’assistance par un solicitor (durée susceptible d’être prolongée), y compris la préparation d’un procès, mais ne prévoit rien en matière de représentation. L’assistance sous forme de représentation (Assistance by Way of Representation, "ABWOR") permet à une magistrates’ court, dans certaines circonstances, de désigner un solicitor qui se trouve être dans l’enceinte du tribunal, afin de représenter une partie qui, sinon, ne serait pas ainsi représentée. L’article 7 par. 1 b) du règlement de 1989 sur la portée de l’assistance et des conseils en matière juridique (Legal Advice and Assistance (Scope) Regulations 1989) prévoit que l’ABWOR peut intervenir: "lors d’une audience dans le cadre de toute instance devantune magistrates’ court mettant en cause une partie qui n’estpas représentée et ne s’est pas vu refuser sa représentationpour cette instance, lorsque la magistrates’ court i.a la conviction que l’audience doit se dérouler dansla journée; ii. a la conviction qu’à défaut, cette partie nebénéficierait d’aucune représentation; et iii. demande à un solicitor qui se trouve dans l’enceintedu tribunal à des fins autres que celle d’apporter uneABWOR en vertu du présent alinéa; ou autorise un telsolicitor, sur proposition de celui-ci, à apporter uneABWOR à la partie en question (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 19380/92) du 20 septembre 1991 à la Commission, M. Benham alléguait que sa détention du 25 mars au 5 avril 1991 était irrégulière, au mépris de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1); que l’article 108 de la loi de 1989 sur les tribunaux et les services juridiques le privait d’un droit exécutoire à réparation à ce titre, contrairement à ce que prévoit l’article 5 par. 5 (art. 5-5), et que l’absence d’une assistance judiciaire pleine et entière pour l’audience devant la magistrates’ court ayant débouché sur son incarcération enfreignait l’article 6 (art. 6). La Commission a retenu la requête le 13 janvier 1994. Dans son rapport du 29 novembre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre six, à la violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1), par dix-sept voix contre une, à celle de l’article 5 par. 5 (art. 5-5), et par quinze voix contre trois, à celle de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 22 novembre 1995, comme il l’avait fait dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu violation des articles 5 et 6 de la Convention (art. 5, art. 6). A la même occasion, le requérant a réitéré la demande, formulée dans son mémoire, par laquelle il priait la Cour de dire qu’il y avait eu infraction aux articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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Ancien officier de la police financière (Guardia di finanza), M. Pasquale Ausiello habite Bologne; il est retraité. Le 24 novembre 1989, l'huissier de justice auprès de la cour d'appel de Bologne signifia au ministère des Finances de la part du requérant une citation à comparaître devant la Cour des comptes, à Rome. M. Ausiello contestait en effet le calcul de la pension qui lui avait été octroyée deux ans auparavant et demandait l'annulation du décret fixant le montant litigieux et, entre autres, la prise en considération de la totalité de la période pendant laquelle il avait été suspendu du service. Le 2 janvier 1991, le ministère transmit la requête au commandement général de la police financière, qui la communiqua à la Cour des comptes le 22 janvier. Cette dernière reçut le dossier administratif de l'intéressé le 19 octobre 1991. En application de la loi n° 19 du 14 janvier 1994 ("la loi n° 19"), qui avait attribué aux chambres régionales de la Cour des comptes la compétence pour connaître des différends concernant les pensions civiles et militaires, le dossier fut transmis, à une date non précisée, à la chambre juridictionnelle pour l'Emilie-Romagne, à Bologne. Le 17 novembre 1994, M. Ausiello déposa un autre recours par lequel il demandait à pouvoir bénéficier lui aussi des augmentations accordées au personnel en activité de la police financière par une loi de 1990. Le 21 septembre 1995, la chambre rejeta, après les avoir examinés conjointement, les deux moyens, les estimant dénués de fondement. Le texte de sa décision fut déposé au greffe le 17 janvier 1996. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ausiello a saisi la Commission le 21 février 1992. Il se plaignait de ce que sa cause n'avait pas été entendue dans un délai raisonnable comme le veut l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission (première chambre) a déclaré la requête (n° 20331/92) recevable le 28 février 1995. Dans son rapport du 24 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant allemand né en 1916, M. Süßmann a travaillé comme physicien dans des instituts de recherche qui avaient adopté le système de rétribution et de retraite de la fonction publique. Retraité depuis 1980, il perçoit, outre la pension légale, une pension de retraite complémentaire (Versorgungsrente) que lui verse la caisse de retraite complémentaire de la Fédération et des Länder (Versorgungsanstalt des Bundes und der Länder - "VBL"). Cet organisme gère un régime complémentaire d’assurance vieillesse, qui permet aux fonctionnaires allemands ou à des personnes disposant d’un statut équivalent de bénéficier d’une pension complémentaire progressive. Constatant que le total des sommes versées au titre du régime général d’assurance vieillesse et du régime complémentaire d’assurance vieillesse de la fonction publique dépassait régulièrement celui des derniers salaires nets des fonctionnaires, les partenaires sociaux se mirent d’accord pour amender les statuts de la caisse de retraite complémentaire afin d’aboutir à une réduction progressive du surplus. Ces modifications, intervenues en mars 1982 et en mars 1984, touchaient également les personnes déjà affiliées au régime complémentaire ou percevant des pensions de retraite. Le 16 mars 1988, la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof), dans une série d’arrêts de principe, entérina la validité de ces modifications. A. La procédure devant les juridictions arbitrales Les 30 avril et 31 mai 1985, la caisse de retraite complémentaire calcula sur la base des nouvelles règles le montant à verser au requérant au titre de sa pension complémentaire, qui s’en trouva réduite. L’intéressé saisit alors le tribunal arbitral de la caisse de retraite complémentaire (Schiedsgericht der VBL) d’un recours contre cette caisse, contestant notamment la légalité des modifications de statuts intervenues. Dans un compromis d’arbitrage des 3 et 18 septembre 1985, M. Süßmann et la caisse de retraite complémentaire avaient reconnu la compétence des juridictions arbitrales de cette dernière. Le 20 février 1987, le tribunal arbitral rejeta le recours. Le 11 mai 1987, M. Süßmann interjeta appel de cette décision devant la haute cour d’arbitrage de la caisse de retraite complémentaire (Oberschiedsgericht der VBL). Le 10 mars 1989, celle-ci débouta également le requérant, aux motifs que la diminution de sa pension de retraite complémentaire résultant de la modification des statuts n’était pas contraire à la loi. B. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 11 juillet 1988, l’intéressé saisit la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) d’un recours, relatif aux modifications de statuts intervenues en 1982 et 1984. Par la suite il souleva aussi d’autres moyens. Le 4 avril 1989, il étendit ses griefs à la décision de la haute cour d’arbitrage du 10 mars 1989. Statuant en comité de trois membres, la deuxième section de la première chambre (zweite Kammer des ersten Senats) de la Cour constitutionnelle fédérale décida, le 6 novembre 1991, de ne pas retenir le recours; elle l’estimait dénué de chances suffisantes de succès. Après avoir relevé que le recours était irrecevable dans la mesure où il soulevait pour la première fois des questions de fait ou de droit qui auraient pu être soumises aux juridictions ordinaires, la Cour constitutionnelle fédérale déclara recevables les griefs pour le surplus, notamment ceux relatifs au caractère inéquitable de la procédure devant la Cour fédérale de justice et à l’atteinte au droit de propriété de l’intéressé. La Cour fédérale de justice ayant tranché en dernier ressort les questions de fait et de droit dans ses arrêts de principe du 16 mars 1988, il n’y avait pas lieu de former d’autres recours pour épuiser les voies de recours ordinaires. Toutefois, même à l’égard des griefs déclarés recevables, la Cour constitutionnelle fédérale estima que le recours constitutionnel était dénué de chances suffisantes de succès, pour les raisons suivantes: Il n’y avait pas eu violation du droit du requérant à être entendu en justice (Recht auf Gewährung rechtlichen Gehörs). En particulier, rien ne portait à croire que les tribunaux n’avaient pas dûment pris en compte les éléments de fait afférents à la modification des statuts. Les décisions se fondaient pour l’essentiel sur deux rapports établis par des commissions d’experts en septembre 1975 et en novembre 1983. L’administration d’autres moyens de preuve n’était pas nécessaire. A supposer que les droits à pension relèvent du droit constitutionnel de propriété, rien n’indiquait qu’il y avait eu atteinte à ce droit. Il était licite de réduire les droits à pension par le biais des modifications des statuts dans le cadre des règles du droit privé. En effet, la Cour fédérale de justice avait jugé que les pensions versées au titre du régime géré par la caisse de retraite complémentaire relevaient du droit privé, analyse qui ne fut pas contestée par le requérant. Elle avait par ailleurs considéré l’assurance vieillesse en question comme une assurance collective (Gruppenversicherung), seuls les employeurs étant considérés comme assurés, les salariés (Arbeitnehmer) demeurant de simples ayants droit (Bezugsberechtigte). Enfin, la Cour fédérale de justice avait examiné si la révision des statuts respectait les intérêts des salariés et le principe de "bonne foi" (Treu und Glauben), estimant que cette mesure avait contré une évolution socialement et politiquement intolérable et mis fin à une déviation importante des objectifs de la retraite complémentaire. D’après elle, la modification des statuts visait la consolidation de l’ensemble des régimes d’assurance vieillesse rendue nécessaire par l’évolution économique et démographique, et se fondait sur une décision de principe prise par les partenaires sociaux. La Cour constitutionnelle fédérale conclut en ces termes: "Cette application du droit civil n’emporte violation d’aucun droit fondamental. La fonction de protection objective de la garantie de propriété n’a été trahie ni par la qualification du contrat d’assurance comme assurance de groupe, où les salariés ne sont que des ayants droit, ni dans l’appréciation des intérêts individuels de ceux-ci. La thèse selon laquelle des intérêts publics, notamment ceux de l’ensemble des salariés de la fonction publique à voir consolider leurs régimes de retraite, rendraient nécessaire une refonte de ces derniers est plausible et ne prête en tout cas pas à critique au regard du droit constitutionnel. Les intérêts des salariés considérés comme ayants droit peuvent être défendus de manière adéquate par les organisations qui les représentent. Compte tenu des intérêts supérieurs de l’ensemble des salariés de la fonction publique à un régime de retraite solide et finançable, une défense collective de ces intérêts apparaît objectivement appropriée, dès lors que c’est la seule façon d’assurer la péréquation nécessaire au sein du groupe. Quoi qu’il en soit, la teneur objective de la garantie de propriété ne requiert pas un surcroît de protection de l’ayant droit individuel. Il en va de même de l’appréciation du contenu du nouveau régime. Celui-ci s’inspire aussi bien du principe de proportionnalité que de la nécessité de protéger la confiance dans le maintien des droits à retraite acquis." Elle ajouta que le revirement de jurisprudence opéré par la Cour fédérale de justice, qui avait auparavant considéré le salarié comme étant l’assuré au regard des statuts en question, ne portait pas non plus atteinte au droit de propriété, car la jurisprudence n’avait pas valeur législative et pouvait évoluer. Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale releva que la modification des statuts en question ne méconnaissait pas le principe de l’égalité devant la loi, ni celui de la liberté d’association. Quant aux doutes du requérant sur l’impartialité des arbitres, ils ne sauraient être pris en considération, ces juges ne relevant pas de l’ordre judiciaire, mais de juridictions arbitrales de droit privé. La décision fut notifiée au requérant le 5 décembre 1991. Dans les deux ans qui suivirent le dépôt de son recours en juillet 1988, la deuxième section de la première chambre eut à connaître de vingt-quatre affaires portant sur la compatibilité des nouveaux statuts de la caisse de retraite complémentaire avec la Loi fondamentale (Grundgesetz). Parallèlement, elle fut saisie d’autres recours concernant notamment les préavis de licenciement de salariés (décision du 30 mai 1991), le droit d’un employeur de mener des actions de lock-out en cas de grève (décision du 26 juin 1991), ainsi que ceux d’anciens fonctionnaires de la République démocratique allemande contestant une disposition du Traité sur l’unité allemande qui mettait fin aux contrats de travail d’environ 300 000 personnes (décision du 24 avril 1991). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Loi fondamentale L’article 93 par. 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) est ainsi rédigé: "La Cour constitutionnelle fédérale statue: (...) a) sur les recours constitutionnels qui peuvent être formés par quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l’un de ses droits fondamentaux ou dans l’un de ses droits garantis par les articles 20, al. 4, 33, 38, 101, 103 et 104 [de la Loi fondamentale]." B. La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale La composition et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale sont régis par la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Gesetz über das Bundesverfassungsgericht). Les articles 90 à 96 de cette loi ont trait aux recours constitutionnels individuels (paragraphe 20 ci-dessus). La version de 1985, applicable depuis le 1er janvier 1986, était en vigueur à l’époque des faits . Article 90 "1. Toute personne peut introduire devant la Cour constitutionnelle fédérale un recours constitutionnel en affirmant que la puissance étatique a porté atteinte à l’un de ses droits fondamentaux ou à l’un des droits énoncés dans la Loi fondamentale à l’alinéa 4 de son article 20, ainsi qu’à ses articles 33, 38, 101, 103 et 104. Si la voie de droit est admissible contre la violation, alors le recours constitutionnel ne peut être introduit qu’après épuisement de la voie de droit. Toutefois la Cour constitutionnelle fédérale peut statuer immédiatement sur un recours constitutionnel avant l’épuisement de la voie de droit lorsque ce recours revêt une importance générale ou si le requérant devait subir un désavantage important et inéluctable dans le cas où il serait d’abord tenu d’épuiser la voie de droit. (...)" Article 92 "Dans la justification du recours, il y a lieu de spécifier le droit prétendument violé ainsi que l’action ou le manquement de l’organe ou de l’autorité par lequel le plaignant se sent lésé. Article 93a "Le recours constitutionnel doit d’abord être admis aux fins de décision (Annahme zur Entscheidung)." Article 93b "(1) La section peut, par une décision unanime, refuser d’admettre le recours constitutionnel lorsque le demandeur n’a pas versé, ou n’a pas versé dans les délais, la provision exigée de lui (article 34 par. 6), le recours est irrecevable ou présente pour d’autres motifs des chances insuffisantes de succès, ou il est probable que la chambre n’admettra pas le recours conformément à l’article 93c, deuxième phrase. La décision est sans appel. (2) La section peut, par une décision unanime, accueillir le recours constitutionnel lorsque celui-ci est manifestement fondé au motif que la Cour constitutionnelle fédérale a déjà statué sur la question de droit constitutionnel pertinente (...) (3) La section statue sans audience. Pour motiver la décision par laquelle elle refuse d’admettre le recours constitutionnel, il lui suffit de mentionner l’élément juridique déterminant pour le refus d’admission." Article 93c "Si la section n’a ni refusé d’admettre le recours constitutionnel ni accueilli celui-ci, la chambre se prononce sur l’admission. Elle admet le recours lorsque deux juges au moins estiment que la décision sur le recours est de nature à clarifier une question de droit constitutionnel ou que le refus d’admission cause au demandeur un préjudice grave et inévitable. L’article 93b par. 3 s’applique mutatis mutandis." L’article 94 prévoit le droit pour des tiers d’être entendus lors de la procédure de recours devant la Cour constitutionnelle fédérale. Article 95 "1. S’il est donné suite au recours constitutionnel, alors il y a lieu de se prononcer sur la question de savoir quelle prescription de la Loi fondamentale a été violée et par quelle action ou par quel manquement la violation a eu lieu. La Cour constitutionnelle fédérale peut également décider que toute répétition de la mesure contestée viole la Loi fondamentale. S’il est donné suite à un recours constitutionnel portant sur une décision de justice, alors la Cour constitutionnelle fédérale abroge la décision [et] dans les cas énoncés à la première phrase de l’alinéa 2 de l’article 90 ci-dessus, elle renvoie l’affaire à un tribunal compétent. S’il est donné suite à un recours constitutionnel ayant pour objet une loi, alors il y a lieu d’abroger la loi. Il en va de même lorsqu’il est donné suite à un recours constitutionnel conformément à l’alinéa 2 ci-dessus, parce que la décision de justice abrogée est fondée sur une loi anticonstitutionnelle (...)" La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale a été modifiée ultérieurement afin d’alléger la charge de travail de cette juridiction; le texte amendé en 1993 (entré en vigueur le 11 août 1993) a notamment réorganisé la procédure concernant les recours individuels (article 93a-d de la loi de 1993 sur la Cour constitutionnelle fédérale). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Süßmann a saisi la Commission en son nom et au nom de Mme Stieler le 21 mai 1992. Invoquant les articles 1 du Protocole no 1 et 6 de la Convention (P1-1, art. 6), il se plaignait de la réduction de leur pension de retraite complémentaire, de l’absence de procès équitable devant les juridictions internes, notamment devant les tribunaux arbitraux et la Cour fédérale de justice, et, uniquement en ce qui le concerne, de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale. Les 8 septembre 1993 et 30 août 1994, la Commission a déclaré la requête (no 20024/92) recevable quant au grief de M. Süßmann relatif à la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 12 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que la requête est irrecevable ou, à défaut, qu’il n’y a pas eu violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, garanti par l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)". De son côté, le requérant prie la Cour, en son nom et au nom de Mme Stieler "de conclure à la violation de l’article 6 de la Convention (art. 6) et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ainsi que de l’article 14 de la Convention [combiné avec] l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) et de rétablir les requérants dans leurs droits contractuels antérieurs en guise de réparation".
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I. Les circonstances de l'espèce A. La procédure au fond Le 27 juillet 1963, les requérants assignèrent M. B. devant le tribunal de Reggio de Calabre afin d'obtenir la réparation des dommages résultant de l'inexécution d'un contrat de vente d'un appartement en construction. Par un jugement exécutoire par du 5 juillet 1968, dont le texte fut déposé au greffe le 21 septembre 1968, le tribunal évalua le préjudice à 5 000 000 lires italiennes (ITL) et homologua la saisie immobilière obtenue par les requérants le 19 juin 1964. La cour d'appel de Reggio de Calabre confirma cette décision le 7 juin 1969. Par un arrêt du 12 mars 1973, dont le texte fut déposé au greffe le 16 juillet de la même année, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de M. B. B. La procédure d'exécution Le 28 novembre 1969, M. et Mme Zappia avaient notifié à M. B. une première mise en demeure, restée sans effet, puis une seconde, le 21 juillet 1977, sans plus de succès. Le 5 décembre 1977, ils demandèrent alors au juge de l'exécution la réalisation de la saisie (paragraphe 7 ci-dessus) afin d'obtenir le paiement de la somme due augmentée des intérêts, ainsi que le remboursement des frais de la procédure d'exécution. Le 9 mai 1980, le juge fixa la première audience au 10 décembre 1980, mais les débats ne se tinrent que le 11 mars 1981 à cause de sa mutation. Des huit audiences suivantes (du 13 mai 1981 au 24 novembre 1982), deux furent renvoyées à la demande des parties, une sans motif, une à la demande du défendeur, deux en raison de l'absence du conseil de celui-ci, une car les parties ne s'étaient pas présentées et la dernière d'office. Le 23 mars 1983, un autre créancier intervint dans la procédure. Le 23 mai 1984, après trois nouveaux reports, les requérants sollicitèrent l'évaluation des biens saisis. Le 27 mars 1985, après un renvoi d'office, le juge désigna un expert qui prêta serment le 25 septembre 1985. Ce dernier ne s'étant pas acquitté de sa tâche dans le délai de soixante jours qui lui avait été imparti, les débats prévus pour les 26 février et 25 juin 1986 durent être ajournés. L'audience prévue pour le 26 novembre 1986 ne put avoir lieu, le juge ayant été muté. Le 28 décembre 1988, les requérants demandèrent la fixation de la vente. Le 9 janvier 1989, le nouveau juge chargé de l'affaire, constatant l'existence d'autres saisies sur les biens litigieux, ordonna au greffe du tribunal d'insérer dans le dossier tous les documents concernant lesdites saisies (article 561 du code de procédure civile). Le greffe ne s'étant pas exécuté, les audiences des 24 mai 1989, 18 décembre 1989, 3 juin 1991 et 4 mai 1992 durent être ajournées. Il en était allé de même le 1er octobre 1991 pour permettre aux parties d'examiner le rapport d'expertise. Le 5 octobre 1992, notant que le greffe s'était enfin conformé à l'ordonnance du 9 janvier 1989, le conseil des requérants demanda la fixation de la vente. Deux audiences plus tard, le 31 décembre 1992, le juge ordonna au même expert une nouvelle évaluation des biens saisis, aux créanciers d'informer un autre créancier de la saisie, et au greffe d'accomplir les formalités de publicité relatives à la vente des biens; il convoqua donc les parties à l'audience du 5 juillet 1993. Le greffe n'ayant pas notifié cette ordonnance aux parties, ces débats furent renvoyés au 27 septembre 1993 puis, et pour la même raison, au 7 mars 1994. L'audience du 7 novembre 1994 fut ajournée car le dossier de l'affaire était introuvable au greffe. L'audience du 5 décembre 1994 fut remise au 5 juin 1995 en attendant le dépôt de l'expertise complémentaire. L'audience du 5 juin 1995 fut renvoyée d'office à cause de la mutation du juge. D'après une attestation du tribunal de Reggio de Calabre du 26 janvier 1996, déposée à la Cour par les requérants le 6 février, l'expert n'a toujours pas présenté son rapport. II. Le droit interne pertinent Dans son rapport du 6 juillet 1995, la Commission donne un aperçu de la législation italienne régissant la procédure d'exécution. En particulier, le code de procédure civile prévoit: Article 474 "L'exécution forcée ne peut avoir lieu qu'en vertu d'un titre exécutoire pour un droit certain, liquide et exigible. Sont des titres exécutoires: 1) les jugements et mesures auxquels la loi attribue expressément force exécutoire; (...)" Article 479 "A moins que la loi n'en dispose autrement, l'exécution forcée doit être précédée par la notification du titre revêtu de la formule exécutoire et de la mise en demeure. (...)" Article 567 "Après échéance du délai [dix jours] fixé à l'article 501, le créancier qui a procédé à la saisie et chacun des créanciers intervenus munis d'un titre exécutoire peuvent demander la vente de l'immeuble saisi. (...)" Article 598 "Si le projet [de partage du produit de la vente du bien] est approuvé ou si l'on arrive à un accord entre toutes les parties, on en prend acte dans le procès-verbal et le juge de l'exécution ordonne le paiement des différentes parts, autrement [le juge procède à la mise en état de l'affaire]." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Zappia ont saisi la Commission le 15 mai 1993. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), ils se plaignaient de la durée d'une procédure civile suivie d'une procédure d'exécution. Le 2 mars 1995, la Commission a retenu la requête (n° 24295/94). Dans son rapport du 6 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt-six voix contre trois, à la violation de l'article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE M. Gérard Guillot et son épouse, Mme Marie-Patrice Lassauzet, choisirent de prénommer "Fleur de Marie, Armine, Angèle" leur fille née le 7 avril 1983. L'officier de l'état civil de Neuilly-sur-Seine devant lequel ils déclarèrent l'enfant, refusa, après consultation du procureur de la République de Nanterre, de recevoir le premier de ces prénoms au motif qu'il ne figurait dans aucun calendrier. L'acte de naissance dressé à cette occasion se borne à mentionner "Armine, Angèle". A. La procédure devant le tribunal de grande instance de Nanterre Par un jugement du 7 février 1984, le tribunal de grande instance de Nanterre débouta les requérants de leur demande principale tendant à voir ordonner l'adjonction du prénom "Fleur de Marie" comme premier prénom de leur fille, mais accueillit celle, subsidiaire, relative à l'ajout de "Fleur-Marie". Il se prononça ainsi: "Attendu que le procureur de la République conclut en s'opposant à la requête au motif que si "Fleur" et "Marie" sont séparément des premiers prénoms recevables aux termes de la loi française, il en est autrement de "Fleur de Marie"; Attendu que les requérants font plaider que "Fleur de Marie" est constitué de deux prénoms reconnus par la loi française, et que leur réunion par la préposition "de" forme le nom d'une héroïne d'Eugène Sue dans les Mystères de Paris, oeuvre mondialement connue; Mais attendu que si un prénom peut comprendre au plus deux vocables déjà usités, il ne saurait être composé, comme en l'espèce, d'un amalgame constitué par un double vocable articulé autour d'une préposition; qu'il s'écarterait de cette manière de la pure et simple reprise d'une nomination traditionnelle d'homme ou de femme pour devenir une image dont la création serait laissée au pouvoir des individus fussent-ils dans le romanesque et le feuilleton les égaux d'Eugène Sue; Que telle en tout cas n'a pas été la volonté du législateur en réglementant le choix des prénoms; qu'il échet en conséquence de rejeter la demande principale de la requête mais que rien ne s'oppose à l'accueil de la demande subsidiaire portant sur le prénom "Fleur-Marie". Par ces motifs (...) Déboute les requérants de leur demande tendant à voir ordonner l'adjonction du prénom "Fleur de Marie" comme premier prénom de l'enfant née le 7 avril 1983 et déjà nommée Armine Angèle. Déclare par contre acceptable au regard de la loi française le prénom "Fleur-Marie" et ordonne qu'il sera adjoint comme premier prénom de l'enfant précité. Ordonne la transcription du dispositif du présent jugement ordonnant l'adjonction du premier prénom en marge de l'acte de naissance de l'enfant. Dit qu'expédition de l'acte ne peut plus être délivrée qu'avec l'adjonction ordonnée. (...)" B. La procédure devant la cour d'appel de Versailles Les époux Guillot interjetèrent appel devant la cour d'appel de Versailles qui, le 18 septembre 1984, confirma le jugement déféré, dans les termes suivants: "(...) Considérant que si, en dépit des impératifs résultant de la loi du 11 germinal an XI qui prescrit de choisir les prénoms des différents calendriers en usage, la jurisprudence s'achemine vers un certain libéralisme en vue de tenir compte de l'évolution des moeurs, des particularismes locaux et des traditions familiales, il échet d'exclure du choix des parents, des prénoms empreints d'une trop grande fantaisie et d'une originalité dont l'enfant risque d'être la première victime; que tel est le cas du prénom "Fleur de Marie", serait-il celui porté par l'héroïne d'une oeuvre littéraire célèbre; Considérant, par contre, que rien ne s'oppose à ce que soit fait droit à la demande subsidiaire tendant à ce que le prénom soit constitué de la juxtaposition des deux prénoms "Fleur" et "Marie"; (...)" C. La procédure devant la Cour de cassation Invoquant notamment les articles 8, 9 et 14 de la Convention (art. 8, art. 9, art. 14), les requérants saisirent la Cour de cassation (première chambre civile), qui rejeta leur pourvoi le 1er octobre 1986, par les motifs ci-après: "(...) attendu (...) que les dispositions de l'article 1er de la loi du 11 germinal an XI ne sont pas contraires aux articles [8, 9 et 14] (art. 8, art. 9, art. 14) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui se bornent à poser des principes généraux relatifs au respect de la vie privée et familiale, à la liberté de conscience et à l'interdiction des discriminations entre les individus; (...) (...) attendu que, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, énonce, dans l'exercice de son pouvoir souverain, qu'en raison de sa trop grande fantaisie et de son originalité, le prénom choisi, serait-il celui porté par l'héroïne d'une oeuvre littéraire célèbre, risque de nuire à l'intérêt de l'enfant; qu'elle a, ce faisant, légalement justifié sa décision (...)" II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le régime applicable à l'époque des faits Le code civil L'article 57 du code civil était ainsi libellé: "L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu, ceux du déclarant(...) Les prénoms de l'enfant figurant dans son acte de naissance peuvent, en cas d'intérêt légitime, être modifiés par jugement du tribunal de grande instance prononcé à la requête de l'enfant ou, pendant la minorité de celui-ci, à la requête de son représentant légal. Le jugement est rendu et publié dans les conditions prévues aux articles 99 et 101 du présent code. L'adjonction de prénoms pourra pareillement être décidée." La loi du 11 germinal an XI et son application L'article 1er de la loi du 11 germinal an XI disposait: "(...) les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus dans l'histoire ancienne pourront seuls être reçus, comme prénoms, sur les registres destinés à constater la naissance des enfants; et il est interdit aux officiers publics d'en admettre aucun autre dans leurs actes". L'instruction ministérielle du 12 avril 1966 modifiant l'instruction générale relative à l'état civil (Journal officiel du 3 mai 1966) prévoyait notamment: "(...) CHOIX DES PRENOMS (...) Principes généraux (...) Application pratique a) Il y a cependant lieu d'observer que la force de la coutume, en la matière, a sensiblement élargi les limites initialement assignées à la recevabilité des prénoms par les prescriptions littérales de la loi du 11 germinal an XI. Celles-ci présentent certes l'intérêt pratique d'offrir un rempart aux officiers de l'état civil contre des innovations qui leur paraîtraient de nature à nuire plus tard aux intérêts des enfants et seraient dès lors inadmissibles. En fait, on voit mal les officiers de l'état civil, en tant que juges immédiats de la recevabilité des prénoms, chercher à inventorier les ressources exactes des calendriers et de l'histoire ancienne afin de déterminer si tel prénom figure ou non parmi ceux de ce patrimoine du passé. Il leur appartient, en réalité, d'exercer leur pouvoir d'appréciation avec bon sens afin d'apporter à l'application de la loi un certain réalisme et un certain libéralisme, autrement dit de façon, d'une part, à ne pas méconnaître l'évolution des moeurs lorsque celle-ci a notoirement consacré certains usages, d'autre part, à respecter les particularismes locaux vivaces et même les traditions familiales dont il peut être justifié. Ils ne devront pas perdre de vue que le choix des prénoms appartient aux parents et que, dans toute la mesure du possible, il convient de tenir compte des désirs qu'ils ont pu exprimer. (...) b) Outre les prénoms normalement recevables dans les strictes limites de la loi de germinal, peuvent donc, compte tenu des considérations qui précèdent et, le cas échéant, sous réserve des justifications appropriées, être éventuellement admis: 1o Certains prénoms tirés de la mythologie (tels: Achille, Diane, Hercule, etc.); 2o Certains prénoms propres à des idiomes locaux du territoire national (basques, bretons, provençaux, etc.); 3o Certains prénoms étrangers (tels: Ivan, Nadine, Manfred, James, etc.); 4o Certains prénoms qui correspondent à des vocables pourvus d'un sens précis (tels: Olive, Violette, etc.) ou même à d'anciens noms de famille (tels: Gonzague, Régis, Xavier, Chantal, etc.); 5o Les prénoms composés, à condition qu'ils ne comportent pas plus de deux vocables simples (tels: Jean-Pierre, Marie-France, mais non par exemple: Jean-Paul-Yves, qui accolerait trois prénoms). c) Exceptionnellement, les officiers de l'état civil peuvent encore accepter, mais avec une certaine prudence: 1o Certains diminutifs (tels: "Ginette" pour Geneviève, "Annie" pour Anne, ou même "Line", qui est tiré des prénoms féminins présentant cette désinence); 2o Certaines contractions de prénoms doubles (tels: "Marianne" pour Marie-Anne, "Marlène" ou "Milène" pour Marie-Hélène, "Maïté" pour Marie-Thérèse, "Sylvianne" pour Sylvie-Anne, etc.); 3o Certaines variations d'orthographe (par exemple Michèle ou Michelle, Henri ou Henry, Ghislaine ou Guislaine, Madeleine ou Magdeleine, etc.). d) En définitive, il apparaît que les officiers de l'état civil ne doivent se refuser à inscrire, parmi les vocables choisis par les parents, que ceux qu'un usage suffisamment répandu n'aurait pas manifestement consacrés comme prénoms en France. C'est ainsi notamment que devraient être systématiquement rejetés les prénoms de pure fantaisie ou les vocables qui, à raison de leur nature, de leur sens ou de leur forme ne peuvent normalement constituer des prénoms (noms de famille, de choses, d'animaux ou de qualités, vocables utilisés comme noms ou prénoms de théâtre ou pseudonymes, vocables constituant une onomatopée ou un rappel de faits politiques). (...)" Par un arrêt du 10 juin 1981, la Cour de cassation précisait que "les parents peuvent notamment choisir comme prénoms, sous la réserve générale que dans l'intérêt de l'enfant ils ne soient jugés ridicules, les noms en usage dans les différents calendriers et, alors qu'il n'existe aucune liste officielle des prénoms autorisés, il n'y a pas lieu d'exiger que le calendrier invoqué émane d'une autorité officielle" (première chambre civile, 10 juin 1981, Recueil Dalloz Sirey 1982, p. 160). La loi du 6 fructidor an II La loi du 6 fructidor an II contenait - et contient toujours - les dispositions suivantes: Article 1 "Aucun citoyen ne pourra porter de nom ou de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance: ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre." Article 2 "Il est également défendu d'ajouter aucun surnom à son nom propre, à moins qu'il n'ait servi jusqu'ici à distinguer les membres d'une même famille, sans rappeler des qualifications féodales ou nobiliaires." Article 4 "Il est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l'acte de naissance ou les surnoms maintenus par l'article 2 ni d'en exprimer d'autres dans les expéditions et extraits qu'ils délivreront à l'avenir." B. Le régime ultérieur La loi no 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et instituant le juge aux affaires familiales a abrogé la loi du 11 germinal an XI et a remplacé les deux derniers alinéas de l'article 57 du code civil par les dispositions suivantes: "Les prénoms de l'enfant sont choisis par ses père et mère (...). L'officier de l'état civil porte immédiatement sur l'acte de naissance les prénoms choisis. Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel. Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, l'officier de l'état civil en avise sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. Si le juge estime que le prénom n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, il en ordonne la suppression sur les registres de l'état civil. Il attribue, le cas échéant, à l'enfant un autre prénom qu'il détermine lui-même à défaut par les parents d'un nouveau choix qui soit conforme aux intérêts susvisés. Mention de la décision est portée en marge des actes de l'état civil de l'enfant." En revanche, la loi du 8 janvier 1993 n'a pas abrogé celle du 6 fructidor an II. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Guillot ont saisi la Commission le 28 mars 1987. Ils soutenaient que le refus des autorités publiques d'inscrire sur l'acte de naissance le prénom qu'ils avaient choisi pour leur fille constituait une violation du droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention (art. 8). Ils alléguaient aussi une atteinte aux droits de la défense résultant du fait que les conclusions du ministère public ne leur avaient pas été communiquées préalablement au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, au mépris de l'article 6 de la Convention (art. 6). Le 10 octobre 1994, la Commission a retenu la requête (no 22500/93) quant au premier grief. Dans son rapport du 12 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre onze, à la non-violation de l'article 8 (art. 8). Le texte de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête (...) et de juger conformément à l'avis émis par la Commission dans son rapport du 12 avril 1995 que le grief tiré de la violation de l'article 8 de la Convention (art. 8) n'est pas fondé".
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I. Les circonstances de l’espèce La société Levages Prestations Services se consacre à des prestations de services et à la location de matériel de levage. En mai 1983, elle eut recours à une entreprise de travail temporaire avec laquelle elle signa cinq contrats de mise à disposition de travailleurs manuels. Elle refusa ensuite de régler quatre des cinq factures établies en contestant d’abord le nombre d’heures facturées, puis le défaut de cachet et de signature. Le 18 septembre 1984, le tribunal de commerce de Paris la condamna à verser à l’entreprise un solde de 29 808,01 francs français (FRF) en exécution des contrats passés. La société requérante déposa plainte contre X du chef de faux en écriture commerciale et contre l’entreprise de travail temporaire pour complicité et usage de faux. Elle interjeta appel du jugement du tribunal de commerce devant la cour d’appel de Paris et lui demanda de surseoir à statuer jusqu’à l’issue de la procédure pénale ouverte à la suite du dépôt de sa plainte. Le 1er octobre 1986, la cour d’appel rendit un arrêt avant dire droit de sursis à statuer, dont la partie pertinente se lisait ainsi: "Considérant (...) que la société [Levages Prestations Services] produit le texte de sa plainte déposée auprès du doyen des juges d’instruction de Paris, ainsi que la justification du versement le 28 octobre 1985 de la somme de 3 000 francs représentant le montant de la consignation qui lui avait été demandé le 16 octobre 1985; (...) Que cette plainte porte non seulement sur l’identité du signataire de certaines fiches horaires, mais également sur le nombre des heures facturées; Qu’ainsi, ce sont les pièces mêmes sur lesquelles [l’entreprise de travail temporaire] fonde sa demande qui sont arguées de faux; Qu’en application de la règle le criminel tient le civil en l’état, il ne peut qu’être sursis à statuer dans la présente procédure." Les deux plaintes pénales aboutirent, le 24 décembre 1987, à une ordonnance de non-lieu. L’instance reprit devant la cour d’appel de Paris qui confirma le jugement de première instance le 28 septembre 1989. Statuant à la suite de l’arrêt qu’elle avait rendu le 1er octobre 1986, la cour d’appel renvoya "pour l’exposé des faits de la cause et des prétentions des parties à la relation qui ressort de cette décision [du 1er octobre 1986] et de celle qu’en ont donnée les premiers juges (...)". Elle condamna la requérante, qui arguait toujours de l’existence d’un faux, au paiement de 15 000 FRF de dommages-intérêts, pour avoir exercé un recours dilatoire et désobligeant à l’égard de l’entreprise de travail temporaire. Le 1er décembre 1989, la société Levages Prestations Services se pourvut en cassation contre l’arrêt du 28 septembre 1989. Le 27 avril 1990, elle déposa son mémoire ampliatif dans lequel elle ne fit aucune mention de l’instance pénale et du premier arrêt de la cour d’appel de Paris. Elle joignit copie du jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 septembre 1984, de ses conclusions d’appel du 10 mars 1986 et de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 28 septembre 1989 qu’elle attaquait. Devant la Cour de cassation, la requérante fut représentée par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, comme la loi l’y obligeait. La Cour de cassation (chambre commerciale) déclara le pourvoi irrecevable le 1er décembre 1992, par un arrêt ainsi rédigé: "Vu l’article 979 alinéa 1er du nouveau code de procédure civile; Attendu que, le 1er décembre 1989, la société Levages Prestations Services s’est pourvue en cassation contre un arrêt rendu le 28 septembre 1989 par la cour d’appel de Paris, lequel renvoie expressément pour l’exposé des faits de la cause et des prétentions des parties à un précédent arrêt du 1er octobre 1986; que cet arrêt du 1er octobre 1986, qui fait ainsi partie intégrante de l’arrêt attaqué, n’a été produit ni en copie, ni en expédition; d’où il suit que le pourvoi est irrecevable." II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La procédure civile en général Le nouveau code de procédure civile ("NCPC") contient les dispositions générales suivantes: Article 2 "Les parties conduisent l’instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes de procédure dans les formes et délais requis." Article 3 "Le juge veille au bon déroulement de l’instance; il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires." Article 455 "Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens; il doit être motivé. Le jugement énonce la décision sous forme de dispositif." Article 729 "En cas de recours ou de renvoi après cassation, le secrétaire adresse le dossier à la juridiction compétente, soit dans les quinze jours de la demande qui lui en est faite, soit dans les délais prévus par des dispositions particulières. Le secrétaire établit, s’il y a lieu, copie des pièces nécessaires à la poursuite de l’instance." Article 968 "Au dossier de la cour [d’appel] est joint celui de la juridiction de première instance que le greffier demande dès que la cour [d’appel] est saisie." B. La procédure devant la Cour de cassation en matière civile Voie de recours extraordinaire, la procédure de cassation en matière civile est écrite et relativement simple. Elle comporte cependant des délais rigoureux. Le pourvoi dirigé contre une décision et non contre une partie est en principe présenté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, encore appelé avocat aux conseils. Celui-ci a le monopole de la représentation devant ces juridictions et tient le double rôle de représentant des parties et de collaborateur desdites juridictions. Ainsi par exemple, il reçoit de la Cour de cassation toutes les indications relatives au déroulement de la procédure d’examen du dossier (désignation du rapporteur, dépôt du rapport, nomination de l’avocat général, inscription à l’audience) qu’il lui appartient ensuite de transmettre à son client. A la différence des avocats inscrits à un barreau, les avocats aux conseils ont le statut d’officiers ministériels et leur nombre a été irrévocablement maintenu à soixante par l’ordonnance du 10 septembre 1947. Ils sont nommés par le gouvernement après avis motivé du conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, du premier président de la Cour de cassation et du vice- président du Conseil d’Etat. Le ministère des avocats aux conseils est normalement obligatoire et tout bénéficiaire de l’aide juridictionnelle peut choisir son avocat. Toutefois, dans certaines matières (autorité parentale, matière prud’homale, séjour des étrangers en France, élections politiques et professionnelles, etc.), la loi dispense les plaideurs de l’obligation de recourir à un avocat aux conseils et organise une procédure plus simple et moins formaliste. La procédure avec représentation obligatoire Elle est décrite aux articles 974 à 982 NCPC et constitue le cadre normal du pourvoi en cassation. a) La déclaration de pourvoi La déclaration de pourvoi qui lance la procédure est déposée au secrétariat-greffe de la Cour de cassation qui l’enregistre. Signée par l’avocat, elle indique notamment la décision attaquée. Le greffe l’adresse "aussitôt" au défendeur (article 977, premier alinéa) et "demande simultanément au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision attaquée communication du dossier" (article 977, second alinéa). b) Le mémoire ampliatif Sous peine de déchéance, le demandeur au pourvoi doit, dans les cinq mois du pourvoi, déposer son mémoire ampliatif et le signifier au défendeur. Ce mémoire contient les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée sous peine d’irrecevabilité de ceux-ci, prononcée d’office sans qu’il y ait lieu pour la Cour de cassation d’en avertir préalablement les parties (Cour de cassation, première chambre civile, 28 avril 1981, Bulletin civil (Bull. civ.) I, no 134; 19 mai 1981, Bull. civ. I, no 166). c) La production de la décision attaquée et des pièces En dernier lieu, le mémoire doit être accompagné des décisions et pièces visées par l’article 979 NCPC, ainsi rédigé: "A peine d’irrecevabilité du pourvoi prononcée d’office, une copie de la décision attaquée signifiée soit à partie, soit à avoué, soit à avocat ou une expédition de cette décision, ainsi qu’une copie de la décision confirmée ou infirmée par la décision attaquée, doivent être remises au greffe dans le délai du dépôt du mémoire. Le demandeur doit également joindre les pièces invoquées à l’appui du pourvoi." D’une manière générale, selon une jurisprudence ancienne, le demandeur doit fournir tous les documents dont l’examen est nécessaire à la compréhension et à la justification du moyen de cassation présenté, sous peine de voir déclarer ce moyen non recevable (Cour de cassation, arrêts des 29 novembre 1852, Dalloz 1853, 1, 301; 6 décembre 1871, Dalloz 1872, 1, 192; 16 décembre 1891, Dalloz 1892, 1, 67). La production, requise par l’article 979, premier alinéa, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi prononcée d’office a donné lieu à un important contentieux et la jurisprudence a précisé le contenu de l’exigence formelle de cette disposition. En 1962 (Cour de cassation, troisième chambre civile, 12 février 1962, Barbezat et autres c. Swietek, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation no 93), la Cour de cassation précisait déjà que l’obligation imposée de joindre une copie de la décision attaquée "doit s’entendre en ce sens qu’elle s’applique non seulement à la décision, objet du pourvoi, mais encore aux décisions qui en sont l’accessoire nécessaire". Elle spécifia ensuite que la communication de la décision de première instance requise par l’article 979 s’impose par le fait que le jugement fait corps avec l’arrêt attaqué: "Attendu qu’il résulte des articles 954 et 955 du NCPC que le jugement de première instance fait corps avec l’arrêt attaqué en ce qui concerne tant sa motivation que l’exposé des prétentions et moyens des parties; que dès lors la production du jugement constitue une formalité d’ordre public dont l’inobservation que la Cour de cassation, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, doit relever d’office, entraîne l’irrecevabilité du pourvoi; Qu’en l’absence de la production qui incombait au demandeur de la copie du jugement, le pourvoi est irrecevable." (Cour de cassation, troisième chambre civile, 19 novembre 1986, Desmoulins c. Delambre, Bull. civ., no 161) La Cour de cassation décida encore qu’en cas de contrariété de décisions, le demandeur au pourvoi doit produire l’arrêt attaqué et la copie des décisions contraires entre elles (requêtes, 14 février 1837, Jurisprudence générale, Cassation, no 869), qu’en cas de pourvoi contre un arrêt rejetant une tierce opposition, le demandeur au pourvoi doit produire une copie de la décision frappée d’opposition (Cour de cassation, chambre civile, 6 avril 1987, Bull. civ. II, no 83), ou encore qu’en cas de pourvoi contre un arrêt statuant sur l’appel d’un jugement rendu sur opposition et confirmant pour partie le jugement par défaut, le demandeur au pourvoi doit produire, outre l’arrêt attaqué, le jugement par défaut et le jugement sur opposition, pour permettre à la Cour d’avoir une complète connaissance de la décision attaquée (Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 1962, Bull. civ. III, no 93). L’irrecevabilité fut souvent soulevée dans des cas où la copie de la décision de première instance figurait au dossier de procédure transmis par le greffe de la juridiction qui avait rendu la décision. La troisième chambre civile de la Cour de cassation jugea sur ce point qu’elle pouvait soulever cette fin de non-recevoir d’ordre public sans en aviser préalablement les parties (19 novembre 1986, Consorts Ceresa, Bull. civ., no 162). Pour la doctrine qui accueillit favorablement cette jurisprudence, il n’entre pas dans les attributions du juge de cassation de prévenir les parties, représentées par avocat, de l’irrecevabilité qu’elles encourent pour n’avoir pas produit les pièces avant l’expiration du délai. La loi fait seulement obligation au juge de les "avertir des moyens de cassation qui paraissent pouvoir être relevés d’office, et les invite à présenter leurs observations dans le délai qu’il fixe" (article 1015 NCPC). La procédure sans représentation obligatoire Réglementée par les articles 983 à 995 NCPC, la procédure sans représentation obligatoire reste exceptionnelle, bien que les cas de dispense spéciale soient nombreux. Le formalisme y est réduit à l’extrême. a) La déclaration de pourvoi La déclaration de pourvoi peut être simplement orale. Elle est faite auprès de la juridiction qui a rendu la décision attaquée mais peut aussi être présentée selon les règles de la procédure à représentation obligatoire et déposée à la Cour de cassation. Le greffier qui l’enregistre en donne récépissé, lequel reproduit la teneur des articles du NCPC qui précisent les obligations du demandeur. Il en avertit le défendeur par une notification qui contient le texte des articles relatifs aux obligations de celui-ci. b) La transmission du dossier au greffe de la Cour de cassation L’article 988 NCPC dispose: "Le secrétaire transmet sans délai au secrétariat-greffe de la Cour de cassation le dossier de l’affaire avec: - une copie de la déclaration; - une copie du récépissé de la déclaration; - une copie de la décision attaquée; - une copie de la décision de première instance ainsi que, s’il en a été pris, les conclusions de première instance et d’appel. Il transmet immédiatement au secrétariat-greffe de la Cour de cassation toute pièce qui lui parviendrait ultérieurement." Si la Cour de cassation constate l’absence d’une des pièces requises, elle sursoit à statuer et ordonne le "rétablissement du dossier au greffe de la juridiction locale aux fins de régularisation" (Cour de cassation, deuxième chambre civile, 18 janvier 1957, Bull. civ. II, no 63). c) La production de la décision attaquée L’exigence, prescrite par l’article 979 NCPC pour la procédure avec ministère d’avocat, de la production d’une copie de la décision attaquée dans le délai du dépôt du mémoire, n’est pas applicable à la procédure sans représentation obligatoire (Cour de cassation, chambre sociale, 27 janvier 1993, Bull. civ. V, no 27) et les formalités relatives à la déclaration de pourvoi ne sont pas prévues à peine de nullité. d) La sanction de l’inobservation des règles L’irrecevabilité du pourvoi peut être encourue lorsque l’omission d’une formalité requise fait obstacle à la poursuite de la procédure (par exemple, défendeur ou décision attaquée non désignés). Elle est prononcée d’office si le demandeur qui n’a pas, au moins sommairement, énoncé dans sa déclaration de pourvoi les moyens de cassation, omet de le faire dans les trois mois qui la suivent. Le mémoire est facultatif dans la procédure sans représentation obligatoire. Si, par suite d’une erreur non imputable au demandeur, le mémoire produit dans le délai imparti n’a pas été joint au dossier de sorte qu’un arrêt d’irrecevabilité a été rendu, il y a lieu de rabattre cet arrêt et de déclarer le pourvoi recevable (Cour de cassation, chambre sociale, 25 mars 1985, Bull. civ. V, no 205). En général, dans les affaires où la représentation n’est pas obligatoire, et où l’énoncé du moyen peut être sommaire, la Cour de cassation fait preuve de moins de sévérité. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La société Levages Prestations Services a saisi la Commission le 1er avril 1993. Invoquant l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), elle alléguait que le prononcé d’office de l’irrecevabilité de son pourvoi en cassation avait porté atteinte à son droit à un procès équitable. La Commission a retenu la requête (no 21920/93) le 12 octobre 1994. Dans son rapport du 5 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir rejeter la requête de la Société Levages Prestations Services". De son côté, la requérante prie la Cour de dire qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Nigel Wingrove, est réalisateur cinématographique. Il est né en 1957 et habite Londres. M. Wingrove a écrit le scénario et dirigé l’enregistrement d’un film vidéo intitulé Visions of Ecstasy (Visions d’extase). D’une durée de dix-huit minutes environ, ce film ne comporte aucun dialogue, seulement des images et une bande musicale. D’après le requérant, il s’inspirerait de la vie et des écrits de sainte Thérèse d’Avila, religieuse carmélite ayant vécu au XVIe siècle, qui fonda de nombreux couvents et eut de puissantes visions extatiques de Jésus-Christ. L’action du film est centrée sur une jeune femme habillée en religieuse, censée représenter sainte Thérèse. Au début du film, la religieuse, vêtue d’une robe noire qui laisse deviner son corps, s’enfonce un grand clou dans la main et étale son sang sur ses vêtements et ses seins nus. Prise de mouvements convulsifs, elle renverse le vin de messe contenu dans un calice, puis le lèche à même le sol. Elle perd connaissance. Cette séquence couvre approximativement la moitié du film. Dans la seconde partie, on voit sainte Thérèse debout, vêtue d’une robe blanche, les bras retenus au-dessus de la tête par une corde blanche qui lui lie les poignets. Non loin de là, la silhouette nue d’une autre femme, censée être sa psyché, rampe lentement dans sa direction. L’ayant atteinte, la psyché commence par lui caresser les pieds et les jambes, puis le ventre, les seins, et finit par l’embrasser avec passion. Tout au long de cette scène, sainte Thérèse semble frémir d’un plaisir érotique intense. La scène est entrecoupée à intervalles fréquents par une autre séquence, dans laquelle on peut voir le corps du Christ crucifié, la croix reposant sur le sol. Sainte Thérèse commence par embrasser les stigmates qu’il a sur les pieds, puis remonte le long de son corps et embrasse ou lèche la plaie béante en son flanc droit. Ensuite, elle s’assoit sur lui à califourchon, apparemment nue sous sa robe et, tout en faisant des mouvements qui suggèrent une excitation intense, embrasse ses lèvres. Pendant quelques instants, le Christ semble réagir à ses baisers. Cette scène est entrecoupée par les baisers passionnés de la psyché décrits plus haut. Enfin, sainte Thérèse fait glisser sa main jusqu’à la main clouée du Christ et mêle ses doigts aux siens. Les doigts du Christ semblent alors se refermer sur les siens, scène sur laquelle s’achève le film. Hormis le générique qui apparaît sur l’écran pendant quelques instants, aucun élément du film lui-même ne permet au spectateur de savoir que la personne habillée en religieuse est censée représenter sainte Thérèse et que l’autre femme serait sa psyché. A aucun moment le film n’est situé dans un contexte historique. Visions of Ecstasy fut soumis à l’Office britannique des visas cinématographiques (British Board of Film Classification, "l’Office des visas"), organe désigné par le ministre de l’Intérieur, en application de l’article 4 par. 1 de la loi de 1984 sur les enregistrements vidéo (Video Recordings Act 1984, "la loi de 1984" - paragraphe 24 ci-dessous), comme "l’autorité chargée de prendre des dispositions a) pour déterminer si, aux fins de la présente loi, les films vidéo remplissent ou non les conditions d’obtention du visa, compte tenu particulièrement du fait que les films bénéficiant d’un visa risquent d’être visionnés au sein des foyers, b) pour décider, s’agissant des oeuvres répondant aux conditions requises, i. de prendre toute mesure nécessaire en vue de l’octroi du visa, et ii. de délivrer le visa (...) (...)" Le requérant soumit son film à l’Office des visas afin de pouvoir, en toute légalité, le vendre, le louer ou le diffuser de quelque manière que ce soit dans tout ou partie du grand public. Le 18 septembre 1989, l’Office rejeta la demande de visa en ces termes: "En réponse à votre demande de visa (...), vous n’ignorez pas qu’en vertu de la loi de 1984 sur les enregistrements vidéo, l’Office des visas doit tout d’abord déterminer si les films vidéo remplissent ou non les conditions d’obtention du visa, compte tenu particulièrement du fait que ces films risquent d’être visionnés au sein des foyers. Dans son examen, l’Office doit tenir compte de l’arrêté de désignation du ministre de l’Intérieur, l’exhortant à "continuer à éviter d’accorder un visa aux oeuvres qui sont obscènes au sens des lois de 1959 et 1964 sur les publications obscènes ou contraires à d’autres dispositions du droit pénal". Parmi ces dispositions figure le droit pénal sur le blasphème tel qu’exposé par la Chambre des lords dans l’arrêt récent R. v. Lemon (1979), plus connu sous le nom de Gay News. Dans cette affaire, le blasphème est défini comme comportant ‘un quelconque élément de mépris, d’injure, de grossièreté ou de ridicule à l’égard de Dieu, de Jésus-Christ ou de la Bible (...). N’est pas blasphématoire le fait de prononcer ou de publier des opinions hostiles à la religion chrétienne, dès lors que la publication est "libellée en un langage décent et mesuré". L’important n’est pas le contenu, mais sa présentation, c’est-à-dire plus précisément "le ton, le style et l’esprit" qui la caractérisent. Le film vidéo que vous nous avez soumis mêle l’extase religieuse à la passion charnelle. Si ce thème peut revêtir un intérêt légitime pour l’artiste, il relève toutefois du droit sur le blasphème dès lors que sa présentation risque d’offenser autrui par la manière inacceptable dont est traité un sujet sacré. Considérant que le corps meurtri du Christ crucifié est présenté exclusivement comme l’objet des désirs érotiques de sainte Thérèse et, à certains moments, comme un participant à ses désirs, et que la signification des images n’est nullement approfondie - ce qui limite le film à une expérience érotique proposée aux spectateurs -, l’Office des visas et ses conseillers juridiques estiment qu’un jury raisonnable et convenablement instruit des points de droit conclurait que cette oeuvre enfreint le droit pénal sur le blasphème. En résumé, sans que les images érotiques montrées dans Visions of Ecstasy en fassent un film réservé aux personnes de plus de dix-huit ans, il s’avère simplement que, pendant la majeure partie du film, ces images sont centrées sur la personne du Christ crucifié. Si le personnage masculin n’était pas le Christ, le problème ne se poserait pas. On pourrait envisager des coupes assez radicales dans les scènes montrant de manière explicite des actes sexuels entre sainte Thérèse et le Christ, mais je crois savoir que vous avez écarté cette possibilité. En conséquence, nous concluons qu’il ne convient pas d’accorder un visa à ce film vidéo." M. Wingrove attaqua la décision de l’Office des visas devant la commission de recours en matière de vidéo ("la commission de recours" - paragraphe 25 ci-dessous), instituée en application de l’article 4 par. 3 de la loi de 1984. L’acte d’appel, rédigé par ses conseils d’alors, était ainsi motivé: "i. l’Office des visas a eu tort de considérer que le film enfreint le droit pénal sur le blasphème, et qu’un jury raisonnable et convenablement instruit des points de droit conclurait de même; ii. le demandeur fera valoir notamment qu’une personne raisonnable, consciente de l’aspect sérieux du film - lequel donne une interprétation artistique et imaginative de l’"extase" ou du "ravissement" de sainte Thérèse d’Avila, religieuse carmélite du XVIe siècle - jugerait qu’il ne contient aucun élément de mépris, d’injure, de grossièreté ou de ridicule, ou ne révèle aucune forme de dépréciation à l’égard de Dieu, de Jésus-Christ ou de la Bible. Le recours soulèvera un moyen mélangé de fait et de droit exigeant de déterminer si la diffusion du film, même limitée, irait à l’encontre du droit pénal en vigueur sur le blasphème." Dans des conclusions formelles adressées à la commission de recours, l’Office des visas expliqua sa décision à la lumière des fonctions que lui assigne l’article 4 de la loi de 1984: "La loi n’énonce pas de manière explicite les principes que doit appliquer l’autorité compétente pour déterminer si un film vidéo remplit ou non les conditions d’obtention du visa. Aussi l’Office a-t-il usé de son pouvoir discrétionnaire pour formuler des principes relatifs à l’octroi d’un visa pour un film vidéo; il l’a fait d’une manière qu’il estime à la fois raisonnable et appropriée pour atteindre les grands objectifs de la loi. L’un des principes ainsi adoptés par l’Office est que le critère déterminant pour juger si un film remplit les conditions requises consiste à s’assurer qu’il ne porte pas atteinte aux dispositions du droit pénal. En formulant et en appliquant ce principe, l’Office a toujours pris en considération l’arrêté de désignation pris par le ministre de l’Intérieur conformément à la loi sur les enregistrements vidéo (...) Après avoir consulté un éminent avocat, l’Office des visas a conclu que le film vidéo en question enfreint le droit pénal sur le blasphème, et qu’un jury raisonnable et convenablement instruit des points de droit parviendrait à la même conclusion. Il considère - et a été avisé - qu’en Grande-Bretagne, il y a délit de blasphème lorsqu’un film vidéo traite un sujet à caractère religieux (notamment Dieu, Jésus-Christ ou la Bible) d’une manière qui est de nature à choquer (dans le sens de "susceptible de", et non de "conçue pour" choquer) quiconque connaît, apprécie ou fait siennes l’histoire et la morale chrétiennes, en raison de l’élément de mépris, d’injure, d’insulte, de grossièreté ou de ridicule que révèlent le ton, le style et l’esprit caractérisant la présentation du sujet. Le film vidéo qui fait l’objet du recours prétend décrire les fantasmes érotiques d’un personnage que le générique présente comme étant sainte Thérèse d’Avila. La seconde partie du film, qui dure quatorze minutes, présente "sainte Thérèse" dans le cadre d’un fantasme érotique mettant en scène une représentation du Christ en croix, et d’un fantasme saphique dans lequel intervient la "psyché de sainte Thérèse". A aucun moment ces images ne sont replacées dans un contexte historique, religieux ou dramatique: les personnages de sainte Thérèse et de sa psyché ont une apparence manifestement moderne et les scènes érotiques sont accompagnées d’une musique rock. Le film ne comporte ni dialogue ni élément qui dénoterait un souci quelconque d’analyser la psychologie, voire la sexualité du personnage censé représenter sainte Thérèse d’Avila. Au contraire, ce personnage et ses prétendus fantasmes saphiques ou associés au corps et au sang du Christ servent de prétextes à une série d’images érotiques proches de la pornographie "douce". A l’appui de ces affirmations, l’Office des visas fait état d’une interview accordée par le demandeur et publiée dans le magazine Midweek du 14 septembre 1989. Au cours de l’entretien, l’intéressé tente d’établir une distinction entre la pornographie et "l’érotisme" en conant que le film vidéo en question soit pornographique et en affirmant que "l’ensemble de (son) oeuvre est en fait érotique". Plus loin, le journaliste qui l’interroge fait les commentaires suivants: "A maints égards, pourtant, le film Visions utilise des ressorts qui sont classiques dans la pornographie de bas étage: religieuses, saphisme, femmes attachées (en fait, le film aurait pu aussi s’intituler Nonnes lesbiennes enchaînées). Nigel Wingrove a un sourire égrillard. "C’est vrai, dit-il, je ne le nie pas. Je ne sais pas ce qui se passe avec les religieuses; c’est du même ordre que les bas blancs, je suppose." Alors pourquoi ne considère-t-il pas que le film Visions relève de la pornographie, du moins de la pornographie douce? "J’ose espérer que mon film est plus fin, plus subtil que cela", dit-il. La plupart des gens, je crois, estiment que la pornographie montre l’acte sexuel, ce que ne fait pas mon film." Que l’oeuvre puisse ou non à juste titre être qualifiée de pornographique, les propres déclarations de l’intéressé indiquent clairement que son contenu est purement érotique, et que, pendant une grande partie du film, les images érotiques sont associées au corps et au sang du Christ, que l’on voit même réagir aux caresses du personnage principal. De plus, la façon dont sont traitées ces images a pour effet de centrer le film moins sur la sensibilité érotique du personnage que sur celle des spectateurs. Telle est d’ailleurs la fonction première de la pornographie, que l’acte sexuel soit ou non montré de manière explicite. Estimant que la signification des images n’est nullement approfondie, ce qui limite le film à une invitation au voyeurisme érotique, l’Office des visas considère que sa diffusion aurait pour effet de heurter et d’outrager la sensibilité des chrétiens (...) (...) L’Office des visas (...) déclare qu’il convient de rejeter le recours et de confirmer sa décision." M. Wingrove présenta ensuite d’autres observations à la commission de recours, indiquant notamment: "La définition du délit de blasphème que donne (...) l’Office (...) est trop large; elle est considérablement plus étendue que le critère approuvé dans le seul précédent contemporain - voir Lemon & Gay News Ltd v. Whitehouse, Appeal Cases 1979, p. 617, présenté par Lord Scarman, p. 665. Par exemple, le droit sur le blasphème n’est pas uniforme en Grande-Bretagne, les dernières poursuites engagées pour un délit de ce type en application du droit écossais remontent à 1843 - voir Thos Paterson, Recueil Brown 1843, vol. I, p. 629. De plus, ce ne sont pas tous les thèmes religieux qui donnent lieu à blasphème, l’élément injurieux devant concerner Dieu, Jésus-Christ ou la Bible, ou encore le rituel de l’Eglise d’Angleterre telle qu’établie par la loi. Selon le demandeur, ces restrictions revêtent une importance capitale dans cette affaire, car le film ne traite aucunement de ce que Dieu ou Jésus-Christ ont fait ou pensé ou de ce qu’ils auraient pu approuver. Il porte sur les visions et fantasmes érotiques d’une carmélite du XVIe siècle, à savoir sainte Thérèse d’Avila. Il est évident que la représentation du Christ fait partie de ses fantasmes, comme le reconnaît expressément l’Office des visas (...). Au cours des dernières années, l’Office a accordé un visa à des films traitant de thèmes religieux sur le mode de la grossièreté et/ou de l’érotisme, sans que ces oeuvres aient fait l’objet de poursuites; citons La vie de Brian, des Monty Python, ou encore La dernière tentation du Christ, de M. Scorsese. (...) L’Office des visas prétend que le film relève exclusivement de l’érotisme ou de la pornographie "douce", et est dépourvu de tout intérêt historique, religieux, dramatique ou artistique. Il s’ensuit que si le film avait eu un tel intérêt, l’Office aurait très probablement pris une décision différente. Le demandeur s’attachera à soutenir et à démontrer que son film vidéo traite de manière sérieuse, en adoptant un point de vue contemporain, les transports extatiques de sainte Thérèse (bien relatés dans ses propres écrits et dans ceux de ses exégètes). Enfin, la "bande-son rock" a été spécialement commandée au célèbre compositeur Steven Severin, à l’issue d’une discussion portant sur l’effet artistique et émotionnel voulu par le réalisateur. L’Office des visas a fondé sa décision sur le jugement à l’égard de l’oeuvre le plus borné, le plus dépréciatif et le plus critique qui soit. Le demandeur considère qu’une appréciation bien plus positive quant à ses objectifs et au résultat atteint dans Visions of Ecstasy est à tout le moins défendable, et que l’Office des visas ne devrait pas fonder son refus sur une simple interprétation de l’oeuvre. Le demandeur cone les déclarations citées par l’Office des visas (...) qui lui sont attribuées sur la base d’un article écrit par un certain Rob Ryan et publié dans le magazine Midweek du 14 septembre 1989. L’Office ne devrait voir dans ces remarques que des ouï-dire. De plus, le passage cité correspond pour une grande partie aux propres commentaires du journaliste. L’interpolation des paroles qui lui sont attribuées et le fait de citer ce passage hors de son contexte contribuent à déformer totalement les déclarations faites au journaliste par le demandeur. Avant tout, le demandeur cone le principal argument de l’Office des visas, à savoir que le contenu du film est purement érotique." Le recours fut examiné les 6 et 7 décembre 1989 par un collège de la commission de recours ("le collège"), composé de cinq membres, qui entendit des dépositions orales et examina des déclarations écrites. La décision de rejet, prise à la majorité de trois voix contre deux, fut rendue par écrit le 23 décembre 1989. Le collège s’estima également lié par les critères énoncés dans l’arrêté de désignation (paragraphe 24 ci-dessous). Il eut toutefois des difficultés à cerner et à appliquer l’actuel droit sur le blasphème. Il fit les commentaires suivants: "La jurisprudence relative à ce délit de common law a été réexaminée par la Chambre des lords dans l’affaire Lemon and Gay News Ltd v. Whitehouse, relative à un magazine intitulé Gay News, destiné principalement aux homosexuels, même si certains kiosques à journaux le mettaient à la disposition du grand public. L’un des numéros de ce magazine contenait un poème intitulé "L’amour qui ose dire son nom", accompagné d’un dessin illustrant le thème traité. Dans sa décision, Lord Scarman a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de se livrer à des spéculations pour déterminer si un chrétien, choqué par le poème et par l’illustration, serait incité à commettre des actes contraires à l’ordre public, et que la véritable question était de savoir si les termes employés étaient de nature à heurter et outrager les sentiments d’un chrétien, le film en question contenant un élément de mépris, d’injure, de grossièreté ou de ridicule à l’égard de Dieu, de Jésus-Christ, de la Bible ou du rituel de l’Eglise d’Angleterre. Sans doute convient-il de préciser que l’expression "de nature à" doit être comprise selon le sens que lui attribue le dictionnaire, à savoir, "propre à" ou "susceptible de"; en effet, il a été décidé que l’intention (autre que l’intention de publier) n’était pas un élément constitutif du délit. Dans la même affaire, Lord Diplock a déclaré que le message devait être "susceptible d’offenser ceux qui professent ou respectent la foi chrétienne". En l’espèce, le directeur de l’Office des visas (...) a expliqué dans sa déposition que, selon cet organisme, le film "méprise la divinité du Christ". Il a ajouté que si la décision de l’Office se fondait sur l’appréciation selon laquelle le film a un caractère blasphématoire (le blasphème étant un délit uniquement lié à la religion chrétienne), sa position serait exactement la même s’il lui était demandé d’accorder un visa à un film qui, par exemple, mépriserait Mahomet ou Bouddha." Le collège étudia le contenu de la vidéo et admit que le requérant avait à l’esprit sainte Thérèse, religieuse "dont on sait qu’elle eut des visions extatiques du Christ, qui, d’ailleurs, ne commencèrent qu’à l’âge de trente-neuf ans, ce qui contraste avec l’évidente jeunesse de l’actrice qui interprète ce rôle". Le collège parvint aux conclusions suivantes: "Si l’on se fonde sur les propres écrits de sainte Thérèse et sur des écrits postérieurs, il n’y a aucune raison de douter que, dans certaines de ses visions, elle voyait le corps glorieux du Christ, de même que ses plaies; cela dit, il apparaît clairement que M. Wingrove a fait du sujet une adaptation très libre. Outre le problème de l’âge - qui n’est pas très important -, nous n’avons eu connaissance d’aucun élément indiquant que Thérèse se soit jamais mutilé la main, ou que ses visions aient comporté des éléments à caractère saphique. Qui plus est, rien ne porte à croire que Thérèse, dans ses visions, ait jamais imaginé avoir un contact physique avec le Christ glorieux. Comme l’a déclaré l’écrivain Stephen Clissold, "Thérèse vécut l’extase comme une forme de prière dans laquelle elle ne jouait pratiquement aucun rôle". Compte tenu de l’adaptation extrêmement libre du sujet, on peut, à notre avis, raisonnablement penser que le film met en scène une religieuse quelconque appartenant à n’importe quelle époque et ayant des visions extatiques, comme de nombreuses religieuses en ont eues au cours des siècles. Une autre raison nous amène à cette conclusion: à moins que le spectateur ne lise le générique qui apparaît sur l’écran pendant quelques instants, il n’a aucun moyen de savoir que la religieuse est censée représenter sainte Thérèse, ni que la deuxième femme est supposée être sa psyché. En tout cas, le spectateur peut fort bien ignorer que Thérèse est un personnage réel qui a bel et bien eu des visions extatiques. Certes, M. Wingrove a déclaré que "des indications historiques de base pour aider le spectateur" seraient données sur la jaquette du film vidéo, mais nous ne saurions accorder à cet élément une quelconque importance. En premier lieu, cela ne garantit nullement que tous les spectateurs liront ces indications; en second lieu, la décision de l’Office des visas et du collège chargé de statuer sur le recours doit se fonder sur le seul contenu du film (outre le fait qu’au moment où est prise une telle décision, la jaquette n’est encore généralement pas conçue, ce qui est le cas ici). Toutefois, bien que nous ayons jugé opportun de nous attarder sur le personnage de "sainte Thérèse", nous sommes d’avis que, s’agissant de déterminer si la vidéo revêt ou non un caractère blasphématoire, il importe peu dans la pratique de considérer le personnage principal comme représentant sainte Thérèse ou n’importe quelle autre religieuse. Dans sa déposition écrite, le demandeur insiste sur le fait, d’ailleurs inconable, que l’intégralité de la deuxième moitié du film met en scène des visions ou des rêves de Thérèse, et affirme en conséquence que le film ne traite aucunement du Christ, que son personnage n’est que le produit de l’imagination de sainte Thérèse, et qu’il n’a nullement eu l’intention de le faire participer à un acte sexuel explicite. Il ajoute qu’en fait, "les très légères réactions du Christ - le baiser, l’étreinte de la main et enfin les larmes - reflètent l’imagination de sainte Thérèse. Ne montrer aucune réaction à cette création de l’esprit de sainte Thérèse aurait été un non-sens car aucune femme (ni homme) en proie à une passion amoureuse capable de faire naître de telles visions/extases ne peut s’imaginer que l’objet de cette passion ignore froidement ses caresses". Tout en étant sensibles à la logique de cet argument, nous sommes réservés quant à l’incidence que pourrait avoir le fait que la séquence ne dépeint que des visions ou des rêves sur l’appréciation du caractère blasphématoire ou non des paroles ou des images. En suivant cette logique, il serait possible, par exemple, de produire un film ou une vidéo comportant des éléments extrêmement méprisants, injurieux, grossiers ou ridicules à l’égard du Christ, en prétextant qu’il s’agit de ce qu’imagine une personne. En pareilles circonstances, nous avons du mal à admettre qu’on puisse raisonnablement affirmer, en usant d’un artifice aussi simple, qu’aucun délit n’a été commis. A notre avis, si le spectateur, après avoir bien compris que la scène dépeint un rêve, peut néanmoins raisonnablement estimer qu’elle est de nature à heurter et à outrager les sentiments d’un chrétien, l’existence du délit est alors établie. Par ailleurs, il y a lieu de répondre, ne fût-ce que brièvement, à un autre argument présenté au nom du demandeur, selon lequel le délit de blasphème ne peut porter que sur des paroles écrites ou prononcées, et donc qu’un tribunal ne saurait décider qu’un film cinématographique ou une oeuvre vidéo, de même sans doute qu’une image télévisée, puisse donner lieu à poursuites de ce chef. Nous nous contenterons de répondre que l’argument est à notre sens trop pauvre pour être retenu par l’Office des visas ou le collège de la commission de recours au moment de prendre leur décision. La majorité du collège estime que la vidéo, loin de traiter le combat de sainte Thérèse contre ses visions, comme le prétend le demandeur, exploite sous un angle purement charnel sa dévotion à l’égard du Christ. Par ailleurs, la majorité considère que la vidéo n’a ni le sérieux ni la profondeur du film La dernière tentation du Christ, avec lequel le conseil de l’intéressé a tenté une comparaison. En fait, la majorité estime que le message véhiculé par la vidéo est que la religieuse est mue par une extase non pas d’ordre religieux mais sexuel, cette extase ayant de plus un caractère pervers, comme en témoignent les nombreuses images de sang, de sadomasochisme, de saphisme (voire d’auto-érotisme) et de chaînes. Bien que certains éléments dans la dévotion de sainte Thérèse à l’égard du Christ indiquent une libido refoulée, la majorité ne pense pas que cela permette pour autant de la montrer s’abandonnant à une sexualité débridée. La majorité considère que le ton et l’esprit de la vidéo sont globalement indécents, et ne doute guère que l’ensemble des facteurs mentionnés, auxquels s’ajoutent les mouvements de la religieuse lorsqu’elle est assise à califourchon sur le Christ et les réactions de celui-ci à ses baisers et l’entrelacement de leurs doigts, soient de nature à heurter les sentiments des chrétiens, qui pourraient légitimement penser que cette vidéo méprise la divinité du Christ. Dans ces conditions, la majorité est convaincue que la vidéo revêt un caractère blasphématoire, qu’un jury raisonnable et convenablement instruit des points de droit conclurait probablement dans le même sens et que c’est donc à bon droit que l’Office a refusé l’octroi du visa. Partant, le recours est rejeté. Il convient de préciser qu’une minorité des membres du collège, tout en admettant que beaucoup trouvent la vidéo d’un goût extrêmement douteux, aurait accueilli le recours au fond car elle estime peu probable qu’un jury raisonnable et convenablement instruit des points de droit conclurait au caractère blasphématoire de l’oeuvre." Le collège ayant confirmé la décision rendue par l’Office des visas, M. Wingrove commettrait un délit relevant de l’article 9 de la loi de 1984 (paragraphe 23 ci-dessous) s’il diffusait la vidéo de quelque manière que ce soit, dans un but lucratif ou non. Un conseiller juridique a indiqué au requérant que sa cause ne se prêtait pas à une demande de contrôle juridictionnel (paragraphes 30-31 ci-dessous) car la formulation des règles sur le délit de blasphème, telles que le collège les a admises, était un "exposé exact de l’état actuel du droit". II. SITUATION DE L’INDUSTRIE VIDÉO AU ROYAUME-UNI Selon les chiffres produits par le Gouvernement, en 1994 il existait 21,5 millions de magnétoscopes au Royaume-Uni. Sur environ 20,75 millions de ménages dans le pays, 18 millions possédaient au moins un magnétoscope. Il y avait approximativement quinze mille points de distribution de films vidéo au Royaume-Uni. Ces films pouvaient être loués dans quatre à cinq mille boutiques de location. Ils pouvaient également être achetés dans trois mille grands magasins et dans sept à huit mille points de vente "secondaires", tels que les supermarchés, les "boutiques du coin" et les stations d’essence. En 1994, il y a eu au Royaume-Uni 194 millions de locations de films vidéo et 66 millions d’achats de pareils films. On estime qu’il a de surcroît été distribué cette année-là 65 millions de copies illégales de films vidéo ("vidéos piratées"). III. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La réglementation en matière d’enregistrements vidéo La loi de 1984 sur les enregistrements vidéo ("la loi de 1984") régit la distribution des enregistrements vidéo. Hormis certaines dérogations, quiconque diffuse ou se propose de diffuser un enregistrement vidéo contenant un film vidéo dépourvu de visa commet une infraction relevant de l’article 9 par. 1 de cette loi. L’article 7 prévoit trois catégories de visas: les films reconnus "tous publics" (qui peuvent comporter un avis destiné aux parents), les films réservés aux personnes qui ont atteint un certain âge, et enfin, les films que seuls peuvent diffuser les sex-shops titulaires d’une licence. Le ministre de l’Intérieur peut exiger que le contenu de certaines oeuvres fasse l’objet d’une mention spécifique (article 8). Le fait de passer outre à ces règles, par exemple en mettant à la disposition d’un mineur un film réservé aux spectateurs de plus de dix-huit ans, constitue une infraction (article 11). Aux termes de l’article 4 par. 1 de la loi de 1984, le ministre peut désigner toute personne ou tout organe comme l’autorité chargée de prendre des dispositions en vue de déterminer si les films vidéo remplissent ou non les conditions d’obtention du visa (eu égard en particulier au fait que les films bénéficiant d’un visa risquent d’être visionnés au sein des foyers). L’Office britannique des visas cinématographiques a ainsi été désigné par un arrêté du 26 juillet 1985. Pour les oeuvres qui, à l’issue de cet examen, sont considérées comme remplissant les conditions requises, l’Office est chargé, au titre de l’article 4 par. 1, de prendre toute mesure nécessaire à l’octroi et à l’utilisation du visa. Dans son arrêté, le ministre a prié l’Office de "continuer à éviter d’accorder un visa aux oeuvres qui sont obscènes au sens des lois de 1959 et de 1964 sur les publications obscènes, ou contraires à d’autres dispositions du droit pénal". En application de l’article 4 par. 3 de la loi de 1984, la commission de recours en matière de vidéo a été créée pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l’Office des visas. B. Le droit sur le blasphème Le blasphème et la diffamation blasphématoire sont des infractions de common law dont les auteurs peuvent être poursuivis en justice et encourent une peine d’amende ou d’emprisonnement. Alors que le blasphème a trait à des déclarations verbales, la diffamation blasphématoire consiste à publier d’une manière ou d’une autre un message à caractère blasphématoire. La diffamation suppose une publication sous une forme permanente, qui peut consister en des images filmées. Dans l’affaire Whitehouse v. Gay News Ltd and Lemon, (Appeal Cases 1979, p. 665), qui concernait le droit sur le blasphème en Angleterre, Lord Scarman a déclaré que les règles contemporaines en matière de blasphème sont formulées au paragraphe 214 de l’ouvrage de Stephen, Digest of the Criminal Law (9e édition, 1950). L’auteur y écrit: "Une publication revêt un caractère blasphématoire lorsqu’elle contient un quelconque élément de mépris, d’injure, de grossièreté ou de ridicule à l’égard de Dieu, de Jésus-Christ, de la Bible ou du rituel de l’Eglise d’Angleterre telle qu’établie par la loi. N’est pas blasphématoire le fait de prononcer ou de publier des opinions hostiles à la religion chrétienne, ou de nier l’existence de Dieu, dès lors que la publication est libellée en un langage décent et mesuré. Le critère d’appréciation est la manière dont les doctrines sont défendues, et non leur contenu en soi." Dans cette affaire, la Chambre des lords décida également que l’élément psychologique de l’infraction (mens rea) ne tenait pas à l’intention qu’avait pu avoir l’accusé de blasphémer, et qu’il suffisait à l’accusation de prouver que la publication avait été intentionnelle et que le message publié revêtait un caractère blasphématoire. L’affaire Gay News, engagée sur poursuites privées, était la première affaire de blasphème depuis 1922. Comme indiqué plus haut, le droit sur le blasphème ne protège que les adeptes de la religion chrétienne et, plus particulièrement, ceux de l’Eglise établie d’Angleterre. La Divisional Court l’a confirmé en 1991. Se prononçant sur une demande de contrôle juridictionnel du refus d’un magistrate d’assigner en référé pour blasphème Salman Rushdie et les éditeurs des Versets sataniques, Lord Watkins déclara: "Il ne fait aucun doute pour nous que la loi dans son état actuel ne s’étend pas aux religions autres que le christianisme (...) (...) Nous estimons juste de dire que si nous était ouverte la faculté d’étendre la loi à des religions autres que le christianisme, nous devrions nous en abstenir. Les considérations d’intérêt général sont en effet très difficiles et fort complexes. Il serait pratiquement impossible aux juges de circonscrire le délit dans des limites suffisamment claires et les autres problèmes en jeu sont colossaux." (R. v. Chief Metropolitan Stipendiary Magistrate, ex parte Choudhury, All England Law Reports 1991, vol. 1, p. 318) Le 4 juillet 1989, le ministre adjoint de l’Intérieur, M. John Patten, adressa une lettre à un certain nombre de personnalités musulmanes britanniques, dans laquelle il écrivait notamment: "De nombreux musulmans ont soutenu qu’il faudrait modifier le droit sur le blasphème pour mettre des livres tels que [Les Versets sataniques] hors du champ de ce qui est légalement acceptable. Nous avons soigneusement pesé leurs arguments et sommes parvenus à la conclusion que, pour toute une série de motifs, il ne serait pas sage de modifier le droit sur le blasphème, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de consensus sur le point de savoir si l’on devait réformer ou abroger ce droit. (...) (...) modifier le droit pourrait entraîner un foisonnement de litiges qui envenimerait les relations inter-confessionnelles. Je pense que vous êtes conscients des divisions et des dommages que pourrait engendrer un tel contentieux et du caractère inapproprié de nos mécanismes juridiques pour traiter des questions de foi et de croyance individuelles. En fait, la foi chrétienne ne s’appuie plus sur ce droit, préférant admettre que la puissance de ses convictions propres constitue la meilleure armure contre railleurs et blasphémateurs." C. La possibilité d’un contrôle juridictionnel en tant que voie de recours Les décisions d’organes publics dont les conséquences portent préjudice à un individu ou groupe d’individus peuvent être attaquées devant la High Court par une demande de contrôle juridictionnel. Parmi les causes possibles d’un tel recours figure l’erreur sur un point de droit qu’aurait commise l’organe en cause. La commission de recours en matière de vidéo est assurément un organe public, puisqu’elle a été instituée en application d’une loi votée par le Parlement (paragraphe 25 ci-dessus). Par ailleurs, ses décisions ont des effets sur les droits des personnes qui réalisent des films vidéo, dans la mesure où la confirmation d’une décision refusant l’octroi du visa pour un film signifie que les enregistrements vidéo de cette oeuvre ne peuvent être légalement mis à la disposition du public. En principe, un tribunal saisi d’une demande de contrôle juridictionnel portant sur une décision rendue par un tel organe n’examine cette décision au fond que lorsqu’elle est irrationnelle au point qu’aucun organe raisonnable et convenablement instruit des points de droit ne l’aurait prise. Toutefois, lorsque la décision se fonde sur un point de droit et que l’intéressé allègue que l’organe en question a commis une erreur sur ledit point, la décision peut être attaquée au moyen d’une demande de contrôle juridictionnel. Dans l’affaire C.C.S.U. v. Minister for the Civil Service (All England Law Reports 1984, vol. 3, p. 950), tranchée par la Chambre des lords, Lord Diplock a réparti en trois catégories les motifs pour lesquels un acte administratif peut être soumis au contrôle du juge. Il a appelé le premier motif "illégalité", qu’il définit en ces termes: "J’entends par "illégalité", en tant que motif donnant lieu à contrôle juridictionnel, que l’organe décideur doit avoir une compréhension correcte des règles de droit qui régissent son pouvoir de décision et leur donner effet. Le point de savoir s’il l’a fait ou non est par excellence une question à soumettre à la justice et à faire trancher, dans l’hypothèse d’un litige, par ceux qui exercent le pouvoir judiciaire de l’Etat, à savoir les juges." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Wingrove a saisi la Commission le 18 juin 1990. Invoquant l’article 10 de la Convention (art. 10), il se plaignait de ce que le refus d’accorder le visa à son film vidéo Visions of Ecstasy fût une atteinte à sa liberté d’expression. Le 8 mars 1994, la Commission a retenu la requête (no 17419/90). Dans son rapport du 10 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention (art. 10) (quatorze voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans ses conclusions, le Gouvernement a invité la Cour à déclarer que les faits de l’espèce ne révèlent aucune violation de l’article 10 de la Convention (art. 10). Le requérant, quant à lui, a invité la Cour à "adopter un arrêt déclarant le droit britannique sur le blasphème comme étant aussi inutile en théorie qu’il l’est en pratique dans toute démocratie multiculturelle".
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I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE LA CAUSE Citoyen marocain né en 1955, le requérant réside actuellement au Maroc. En 1966, il vint s'installer en Belgique avec ses parents, son frère et ses trois soeurs, tous de nationalité marocaine. Entre 1988 et 1991, celles-ci prirent la nationalité belge; ultérieurement, deux d'entre elles quittèrent la Belgique pour le Luxembourg. Le père de l'intéressé décéda au Maroc en 1989. M. C. vécut à Bruxelles avec sa famille, dans un immeuble appartenant à cette dernière. Il fut scolarisé et suivit une formation de mécanicien. A partir de 1984, il exerça le métier de chauffeur de taxi dans l'entreprise familiale. Le 17 octobre 1985, il épousa, au Maroc, une femme marocaine qui vint habiter avec lui en Belgique. De cette union naquit un fils le 10 août 1986. A une date inconnue, M. C. divorça au Maroc de sa femme qui regagna ce pays. Le 10 juillet 1991, le tribunal de première instance de Kenitra (Maroc) prit acte de ce que celle-ci renonçait à son droit de garde de l'enfant, lequel revint en Belgique après la mise en liberté de son père (paragraphe 13 ci-dessous) et vécut chez sa grand-mère paternelle. Depuis mai 1992, il habiterait chez une de ses tantes au Grand-Duché de Luxembourg. Le 6 avril 1988, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le requérant, pour destruction volontaire, à deux mois d'emprisonnement avec sursis de trois ans et à 400 (x 60) francs belges (FB) d'amende. A la suite d'une saisie de 17,2 kilos de cannabis, cette même juridiction lui infligea le 14 décembre 1988 sept ans d'incarcération et 1 000 (x 60) FB d'amende pour détention illicite de stupéfiants et association de malfaiteurs. Le 30 juin 1989, la cour d'appel de cette ville ramena la durée de la peine à cinq ans. Dans le cadre de l'instruction de l'affaire, le commissaire de police adjoint d'Ixelles avait dressé le 28 juillet 1988 le rapport suivant sur le requérant: "L'intéressé est de bonne conduite dans le quartier. Il ne se fait pas remarquer par une mauvaise moralité par le voisinage. Il fréquente principalement des personnes d'origine marocaine. Il est connu comme chauffeur de taxi et travaille pour la SPRL (...) dont le siège est situé à Ixelles (...). Il perçoit un salaire mensuel de 25 000 FB en moyenne net pour son travail. Il n'aurait pas d'autres sources de revenus. Il vit dans l'immeuble propriété de ses parents. Il y occupe une chambre et ne paie pas de loyer. Comme charge, il a été marié avec [R. S.], il a eu un fils de cette union. Ces personnes ne vivent plus en Belgique et vivent au Maroc. Il doit payer 2 000 FB pour les frais d'entretien de son épouse. L'intéressé est assidu à son travail. Il donne entière satisfaction à son employeur." Selon un questionnaire établi le 24 juin 1988 par l'administration de la prison de Forest, l'intéressé y aurait déclaré parler l'arabe, le français et l'espagnol. 13. M. C. fut mis en liberté conditionnelle le 23 mai 1991. Son fils, qui avait séjourné avec sa mère pendant la détention de l'intéressé, le rejoignit en Belgique en juillet 1991 (paragraphe 9 ci-dessus). 14. Le 25 février 1991, un arrêté royal, notifié en mars 1991, avait ordonné l'expulsion du requérant, aux motifs suivants: "Considérant qu[e M. C.] s'est rendu coupable de destruction volontaire, fait établi pour lequel il a d'ailleurs été condamné le 6 avril 1988 à une peine devenue définitive de 2 mois d'emprisonnement et 400 Frs d'amende avec sursis de 3 ans pour l'emprisonnement principal; Considérant qu'il s'est rendu coupable comme auteur ou coauteur de détention, vente ou offre en vente de stupéfiants, à savoir 17 kilos 200 grammes de cannabis, avec la circonstance que l'infraction constitue un acte de participation à l'activité principale ou accessoire d'une association, faits établis pour lesquels il a d'ailleurs été condamné le 30 juin 1989 à une peine devenue définitive de 5 ans d'emprisonnement et 1 000 Frs d'amende; Considérant par conséquent qu'il a, par son comportement personnel, porté atteinte grave à l'ordre public;" En prenant cette décision, le ministre de la Justice s'était écarté de l'avis de l'Office des étrangers qui lui avait proposé de ne pas expulser M. C. mais de lui notifier un avertissement. Le 13 septembre 1990, la commission consultative des étrangers avait, quant à elle, estimé l'expulsion justifiée, considérant notamment: "[M. C.] a été marié à une compatriote mais il est divorcé. Un enfant est né de ce mariage en 1986, qui a vécu avec sa mère au Maroc, et qui actuellement serait, avec elle, aux Pays-Bas (...) Aucune circonstance ne permet de penser que serait écartée la grave menace que fait craindre son comportement. Si l'éloignement d'un étranger devait être tenu pour une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (art. 8), cette ingérence serait ici légitime, étant prévue par la loi et constituant, dans le cas de l'intéressé et vu la gravité de la menace que présenterait sa présence en Belgique, une mesure nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales." Le 21 mai 1991, le requérant invita le Conseil d'Etat à annuler l'arrêté ordonnant son expulsion, mais la haute juridiction le débouta le 7 octobre 1992, aux motifs suivants: "Considérant que le requérant prend un premier moyen de la violation de la circulaire du 8 octobre 1990 du ministre de la Justice, de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (art. 8), en ce que le ministre et la commission consultative des étrangers n'ont pas tenu compte du fait que le requérant vivait en Belgique depuis 1966, que sa mère et ses soeurs y vivent également et qu'il n'avait plus d'attaches au Maroc dont il ne parle pas la langue; Considérant que le ministre, dans sa circulaire, s'est engagé à ne pas expulser un étranger établi depuis plus de dix ans dans le pays sauf en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement de cinq ans et plus; qu'il s'est réservé le pouvoir d'expulser l'étranger en cas de circonstances particulières; qu'en l'espèce le ministre a examiné ces circonstances; qu'il a valablement pu estimer que, devant la gravité des faits, il y avait lieu d'éloigner le requérant, notamment compte tenu des circonstances familiales décrites par la commission consultative des étrangers; que ce faisant il n'a violé ni sa circulaire ni l'article 8 de la Convention (art. 8); Considérant qu'en un deuxième moyen, le requérant invoque la violation de l'article 6 de la Constitution (art. 6), de la circulaire du 8 octobre 1990 du ministre de la Justice, de l'article 62 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, des articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (art. 8, art. 14), en ce que le ministre n'a pas suivi son administration qui lui proposait de ne pas expulser le requérant et qu'il n'existe aucun motif ayant pu justifier une telle attitude; Considérant que le ministre a eu son attention attirée sur les arguments de l'Office des étrangers et sur ceux de la commission consultative des étrangers; qu'il n'a pas excédé ses pouvoirs en estimant que, devant la gravité des faits, il y avait lieu d'éloigner le requérant, estimant ainsi que la sauvegarde de l'ordre public devait primer les intérêts personnels et familiaux du requérant." Le 11 septembre 1991, le Conseil d'Etat avait déclaré irrecevable, en raison de la non-comparution de l'intéressé, la demande de sursis à exécution introduite par celui-ci. Mis en liberté conditionnelle le 23 mai 1991 (paragraphe 13 ci-dessus), M. C. disposa de trente jours puis, sur prolongation, jusqu'au 25 septembre 1991 pour quitter le territoire du Royaume. Il s'exécuta à une date inconnue. II. Le droit interne pertinent La loi du 15 décembre 1980 "sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers", plusieurs fois modifiée depuis lors, régit le statut administratif des étrangers. Aux termes de son article 20, alinéa 2, l'étranger bénéficiant d'une autorisation d'établissement peut être expulsé "lorsqu'il a gravement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale". Avant une telle expulsion, le ministre de la Justice doit recueillir l'avis de la commission consultative des étrangers, composée d'un magistrat, d'un avocat et d'un membre d'une association de défense des étrangers. Signé par le Roi, l'arrêté d'expulsion peut faire l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'Etat (article 69). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 mars 1993 à la Commission (no 21794/93), M. C. se plaignait d'une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8 de la Convention pris isolément (art. 8) et combiné avec l'article 14 (art. 14+8)). La Commission a retenu la requête le 27 juin 1994. Dans son rapport du 21 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'absence de violation de l'article 8 pris isolément (art. 8) (dix-neuf voix contre trois) et combiné avec l'article 14 (art. 14+8) (vingt et une voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt
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I. Les circonstances de l’espèce A. La condamnation du requérant pour trafic de stupéfiants Le 4 mars 1990, M. Bizzotto fut arrêté alors qu’il transitait par l’aéroport d’Athènes en possession de 3,5 kg de haschisch qu’il avait acheté à Islamabad (Pakistan) au prix de 1 000 dollars américains. Il fut placé en détention provisoire à la prison de Korydallos (Athènes). Le 6 mai 1991, la cour d’appel d’Athènes, siégeant comme tribunal de première instance en matière criminelle et composée de trois juges (Trimeles efeteio kakourgimaton), se prononça ainsi (jugement no 986/1991): "La Cour juge l’accusé coupable d’avoir délibérément et en tant que toxicomane: a) acheté le 1er mars 1990 à Islamabad, au Pakistan, 3,5 kg environ de chanvre indien à des personnes inconnues, contre la somme de 1 000 dollars américains, b) transporté par avion, le 4 mars 1990, ladite quantité de Karachi (Pakistan) à Athènes, c) importé cette quantité, le 4 mars 1990, sur le territoire grec et d) possédé cette quantité emballée dans la doublure d’un anorak, le 4 mars 1990, à l’aéroport d’Athènes. Les stratagèmes qu’il a employés pour cacher et transporter cette quantité, la facilité avec laquelle il s’est déplacé à plusieurs reprises au Pakistan, en Thaïlande et dans d’autres pays d’Orient, la facilité avec laquelle il s’est procuré le haschisch au Pakistan et les contacts qu’il a dans ce pays, sa connaissance du degré de sévérité des mesures de sécurité douanière des différents pays, ses condamnations antérieures pour infraction aux lois relatives aux stupéfiants, la quantité importante de haschisch qu’il a achetée pour la vendre, témoignent qu’il est particulièrement dangereux." Elle le condamna à huit ans de réclusion criminelle et à deux millions de drachmes d’amende; de plus, elle le priva de ses droits civils pendant cinq ans et ordonna son interdiction définitive du territoire après sa libération. Enfin, elle ordonna son placement dans un établissement thérapeutique approprié aux fins de sa désintoxication (article 14 de la loi no 1729/1987 - paragraphe 15 ci-dessous). Le 22 octobre 1992, la cour d’appel d’Athènes composée de cinq juges (Pentameles efeteio) - statuant sur l’appel formé par l’intéressé - confirma le jugement rendu en première instance (paragraphe 7 ci-dessus) mais réduisit la peine à six ans de réclusion criminelle et à un million de drachmes d’amende (arrêt no 1003/1992). Elle aussi prescrivit le "placement de l’accusé dans un établissement pénitentiaire approprié ou autre établissement hospitalier public pour qu’il soit soumis à une cure de désintoxication". Néanmoins, M. Bizzotto ne fut jamais placé dans un tel établissement; il purgea sa peine dans la prison de Patras. Par une lettre du 26 novembre 1992 notifiant l’arrêt de la cour d’appel au directeur de la prison de Patras, le ministère public précisait que ledit arrêt ne s’appliquait pas quant à sa partie concernant le placement de l’intéressé dans un établissement pénitentiaire à caractère thérapeutique, en raison de l’inexistence de tels établissements. Il ajoutait cependant qu’il reprendrait contact avec le directeur au cas où un de ces établissements commencerait à fonctionner avant que M. Bizzotto n’ait fini de purger sa peine. B. Les quatre demandes de libération conditionnelle présentées par le requérant Pendant son incarcération dans la prison de Patras, le requérant introduisit auprès du tribunal correctionnel (Trimeles plimmeliodikeio) de Patras quatre demandes de mise en liberté conditionnelle, dont trois avant que la cour d’appel d’Athènes composée de cinq juges ne rende son arrêt (paragraphe 8 ci-dessus) La première demande Dans sa première demande, du 4 décembre 1991, M. Bizzotto soutenait qu’il était rétabli et qu’il avait perdu toute accoutumance à la drogue lors de son séjour prolongé en prison et à la suite de son traitement médical. En outre, il invoquait sa situation de père de famille, le fait qu’il possédait une exploitation agricole rentable en Italie, ainsi que sa détermination de ne plus commettre de nouvelles infractions dans l’avenir. Enfin, il sollicitait sa libération conditionnelle en s’appuyant sur l’article 23 de la loi no 1729/1987 (paragraphe 15 ci-dessous). Par une décision (no 595/1992) du 3 février 1992, le tribunal correctionnel de Patras rejeta la demande. Il releva d’abord que les toxicomanes ne sont pas placés dans un établissement thérapeutique, en raison d’une impossibilité objective, à savoir l’inexistence de tels établissements. Il ajouta ensuite: "Il ressort des articles 14 et 23 de la loi no 1729/1987 (...) que celui qui a été condamné pour avoir enfreint cette loi et a été qualifié de toxicomane, est obligatoirement placé dans un établissement pénitentiaire approprié ou dans un autre établissement hospitalier public pour qu’il subisse un traitement spécial. La durée d’un tel placement ne peut être inférieure à un an. Pendant ce placement, il est soumis périodiquement à un contrôle afin de constater s’il est réellement guéri ou s’il est nécessaire de prolonger le placement. Le contrôle périodique a lieu à partir de l’écoulement d’un an, soit d’office par le tribunal soit sur la proposition du procureur. Si le tribunal (...) estime - après avoir pris connaissance de l’expertise pertinente - que l’accusé est guéri, il ordonne la sortie de celui-ci de l’établissement; si la durée de la peine est supérieure à celle du traitement, le détenu hospitalisé est reconduit en prison pour purger le restant de sa peine. Dans ce cas, si le tribunal n’aperçoit aucun motif grave justifiant la purge de ce restant, il ordonne la libération sous condition du détenu. (...) Ceux qui se sont accoutumés à l’usage de stupéfiants et ne parviennent pas à s’en défaire par leurs propres forces, c’est-à-dire "les toxicomanes", sont des patients et sont traités comme tels par la disposition de l’article 23. Il échet de noter que la législation grecque en vigueur (...) n’utilise pas le terme "toxicomane" qui est consacré par la science, mais l’expression "usager de substances narcotiques soumis à un traitement spécial" (article 13 par. 1 de la loi no 1729/1987) (...) La libération sous condition de personnes condamnées en vertu de l’article 105 du code pénal ne doit pas être confondue avec l’élargissement de toxicomanes condamnés selon les dispositions de l’article 23 de la loi no 1729/1987; dans le premier cas, le but poursuivi est purement de redressement, tandis que dans le second il est aussi thérapeutique (...). La recevabilité d’une demande à cet effet de la personne condamnée présuppose a) que celui-ci ait été placé dans un établissement aux fins de sa désintoxication et b) que le séjour dans cet établissement ait duré au moins un an et qu’il ait été considéré comme guéri (...). Un problème se pose lorsque la personne condamnée n’a jamais été placée dans un tel établissement. Dans ce cas, la disposition de l’article 23 ne trouve pas à s’appliquer car la condition procédurale requise à cette fin fait défaut; par conséquent, cette personne est privée de son droit de formuler une telle demande qui est pour cette raison irrecevable. Cela n’est pas mis en cause par le rétablissement allégué dans la prison pendant l’exécution de la peine. Le certificat de désintoxication délivré par le psychiatre de la prison n’est d’aucune utilité; en revanche, il provoque de sérieux points d’interrogation et des doutes quant à l’objectivité des conclusions des expertises psychiatriques effectuées pendant l’instruction et prises en compte par les juridictions compétentes. En effet, alors que ces expertises qualifient ces personnes de "toxicomanes" (...), après l’écoulement de quelques mois, ces personnes sont considérées comme "totalement guéries" à la suite d’un traitement inexistant et de la seule consommation d’aspirine ou d’"Hypnostedon". (...) Du reste, les conditions essentielles pour la recevabilité de la demande consistent en un rétablissement total de la personne condamnée et dans le constat qu’il n’existe pas un motif grave pour que celle-ci purge le restant de la peine qui lui avait été infligée. (...) Pour constater l’existence d’un "motif grave" il faudra tenir compte des conditions posées par l’article 106 par. 1 du code pénal. Or il ressort du dossier que le requérant ne remplit pas les conditions substantielles requises par la loi, notamment quant à sa désintoxication totale; compte tenu de sa vie antérieure (...) et de son caractère, il n’est pas probable que le requérant mènera une vie honnête à sa sortie de prison car il fait preuve d’une nette tendance à commettre des délits se rapportant aux stupéfiants." La deuxième demande Le 5 février 1992, le requérant déposa une deuxième demande de libération conditionnelle dans laquelle il répétait pour l’essentiel les mêmes arguments que dans la première (paragraphe 10 ci-dessus). Le 27 février 1992, le tribunal correctionnel de Patras rejeta la demande (décision no 1119/1992) en ces termes: "Le tribunal n’est convaincu ni par les pièces du dossier ni par la comparution personnelle du requérant détenu que celui-ci est totalement guéri de la dépendance à l’égard des stupéfiants: d’une part, il n’a pas été hospitalisé dans un établissement thérapeutique approprié et, d’autre part, son traitement thérapeutique dans la prison de Patras n’est pas suffisant pour qu’il perde la dépendance qu’il a acquise par un usage très long; en outre, aucun certificat du psychiatre de la prison indiquant le progrès thérapeutique n’a été produit (...)" La troisième demande Le requérant formula, le 4 mars 1992, une troisième demande assortie de certificats psychiatriques témoignant de son rétablissement. Il entendait bénéficier des dispositions de l’article 23 de la loi no 1729/1987 (paragraphe 15 ci-dessous). Au cours des débats, il avoua qu’il avait "touché à la drogue" depuis l’âge de dix-neuf ans et qu’il avait même consommé de l’héroïne dans le passé; toutefois, il affirma qu’il avait réussi à se désintoxiquer dans la prison où les conditions s’y prêtaient difficilement et ajouta que si son incarcération se prolongeait, sa situation allait empirer. Par une décision (no 2694/1992) du 27 mai 1992, le tribunal correctionnel de Patras parvint aux conclusions suivantes: "Le diagnostic du médecin de la prison ne constitue pas un élément suffisant prouvant le rétablissement du requérant; la demande de celui-ci est irrecevable car il n’a pas été placé dans un établissement pénitentiaire approprié similaire à la clinique psychiatrique de la prison de Korydallos. De plus, jusqu’au dépôt de cette demande, le requérant avait purgé deux ans, un mois et vingt-six jours de sa peine et il existe un motif grave justifiant l’exécution du restant, d’autant plus qu’il ressort de son casier judiciaire qu’il a été condamné en 1974 par la cour d’assises d’Athènes à trois ans d’emprisonnement pour infraction à la loi sur les stupéfiants." Par une lettre du 9 juin 1993, le ministre de la Justice, répondant à une requête de M. Bizzotto tendant à son placement dans un centre de désintoxication, informait ce dernier qu’un tel établissement n’existait pas dans l’enceinte de la prison. La quatrième demande Le 15 décembre 1993, le requérant déposa une quatrième demande de mise en liberté sous condition en se fondant sur les articles 105 et 106 du code pénal (paragraphe 16 ci-dessous). Il alléguait qu’il avait purgé les trois cinquièmes de sa peine et que son comportement pendant toute la durée de son incarcération avait été exemplaire. Il prétendait ne plus être accoutumé à la drogue et donc dangereux pour la société; la prolongation de la détention lui serait préjudiciable et ne pouvait plus se justifier. Le 11 février 1994, la chambre d’accusation (Symvoulio plimmeliodikon) du tribunal correctionnel de Patras accueillit la demande: elle constata que l’intéressé avait déjà purgé quatre ans et quatorze jours de sa peine - c’est-à-dire plus de la moitié de la peine infligée, celle-ci étant supérieure au minimum d’un an (article 105 du code pénal) - et que pendant son incarcération il avait fait preuve de bonne conduite, de repentir et de respect au règlement de la prison et n’avait pas été sanctionné disciplinairement. II. Le droit interne pertinent A. La loi no 1729 relative à la lutte contre la propagation des stupéfiants, à la protection des jeunes (...), des 3/7 août 1987 Les dispositions pertinentes de la loi no 1729/1987 se lisent ainsi: Article 3 "1. L’organisation de la lutte contre la dépendance pharmaceutique de substances narcotiques au sens de l’article 4 de la présente loi comporte trois échelons: a) prévention-information; b) rétablissement thérapeutique; c) réintégration sociale. Pour la mise en oeuvre de ce programme, sont créés en vertu des décisions conjointes du ministre de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale et du ministre compétent selon le cas, qui sont publiées au Journal officiel, respectivement: a) (...) b) des unités spéciales de désintoxication et des établissements pénitentiaires à caractère thérapeutique; c) (...)" Article 5 "1. Une peine d’emprisonnement d’au moins dix ans et une amende de 100 000 jusqu’à 100 000 000 drachmes sont infligées à celui qui: a) importe dans le territoire ou exporte ou fait transiter des stupéfiants; b) vend, achète ou dispose à des tiers de quelque manière que ce soit des stupéfiants ou agit comme intermédiaire, les emmagasine ou les met en dépôt; (...) g) possède ou transporte des stupéfiants de quelques manière et moyen que ce soit, soit sur le territoire hellénique, soit en longeant ou en traversant les eaux territoriales, soit en empruntant l’espace aérien hellénique; (...)" Article 8 "Quiconque enfreint les articles 5, 6 et 7 est passible d’une peine de réclusion à perpétuité, s’il est récidiviste ou s’il agit par profession, par comportement habituel ou dans le but de susciter l’usage de stupéfiants chez des mineurs, ou si les circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises prouvent qu’il est particulièrement dangereux." Article 12 "1. Quiconque, pour son propre usage exclusif, se procure ou possède de quelque manière que ce soit des stupéfiants en petite quantité ou qui en consomme, est passible d’une peine d’emprisonnement. La peine est exécutée dans un établissement pénitentiaire spécial à caractère thérapeutique. Si celui qui fait usage de stupéfiants selon le paragraphe 1 n’a pas été définitivement condamné pour une autre infraction à la présente loi et ne présente pas des symptômes de dépendance des substances narcotiques, le tribunal, tout en appréciant les circonstances particulières ainsi que la personnalité du condamné, inflige, au lieu de la peine mentionnée au paragraphe 1, l’obligation de suivre un programme de consultation et de soutien, qui est déterminé par le ministre de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale (...), au sein des centres de soins médicaux qui sont implantés dans chaque département, des stations de consultations ou d’autres établissements équivalents. Au cas où la personne condamnée ne se conformerait pas à cette mesure, le tribunal ordonne son placement dans un établissement approprié pour qu’elle y suive le même programme." Article 13 "1. Quiconque s’est accoutumé à l’usage de stupéfiants et ne peut s’en défaire par ses propres forces, est soumis à un traitement spécial selon les dispositions de la présente loi. La réunion des conditions mentionnées au paragraphe précédent dans le chef de l’accusé ou du condamné est constatée par le tribunal, à la suite d’une expertise effectuée dans un centre de désintoxication spécialisé (...) L’auteur de l’infraction, dans le chef duquel sont réunies les conditions du paragraphe 1, et s’il est reconnu coupable d’avoir commis a) l’acte visé à l’article 12 par. 1, restera impuni et les dispositions du second alinéa de l’article 14 par. 1 de la présente loi lui seront appliquées par analogie; b) les actes visés aux articles 5, 6 et 7, sera passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois et d’une amende de 50 000 drachmes jusqu’à 10 000 000 drachmes; (...) c) les actes visés à l’article 8, sera passible d’une peine de réclusion jusqu’à dix ans et d’une amende de 1 000 000 drachmes jusqu’à 200 000 000 drachmes." Article 14 "1. L’auteur d’une infraction dans le chef duquel sont réunies les conditions de l’article 13 paras. 1 et 2 de la présente loi et dont la détention provisoire est ordonnée conformément au code de procédure pénale ou qui est condamné pour une infraction quelconque, est placé obligatoirement dans un établissement pénitentiaire approprié à caractère thérapeutique. Si on lui reconnaît la non-imputabilité, conformément à l’article 34 du code pénal, il est placé dans un établissement hospitalier public. Dans les deux cas, il est soumis à un programme de traitement spécial fixé par le ministère de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale. En cas de condamnation à une peine privative de liberté, la durée du placement dans un établissement hospitalier est considérée comme faisant partie de l’exécution de la peine." Article 23 "1. Si la durée de l’hospitalisation de l’auteur de l’infraction, selon l’article 14, est supérieure à un an, ce qui est la durée minimale de traitement, la direction de l’établissement dans lequel il est placé établira, à la fin de chaque année, un rapport à l’intention du procureur près le tribunal correctionnel du lieu d’exécution de la peine ou de la mesure de sécurité, sur l’évolution du traitement auquel il est soumis, ainsi que sur l’éventualité de prolonger le maintien dans l’établissement. Sur la base de ce rapport, le tribunal correctionnel composé de trois membres se prononce sur la prolongation de la détention. Le tribunal, qui peut aussi ordonner une expertise conformément à l’article 13 par. 2, se prononce de manière définitive sur la nécessité de prolonger la détention dans l’établissement hospitalier. En cas de rétablissement de la personne détenue dans l’établissement hospitalier et si celle-ci a bénéficié de la reconnaissance de la non-imputabilité conformément à l’article 34 du code pénal, le tribunal ordonne sa libération sur proposition du procureur. Au cas où il existerait un restant de la peine à exécuter, le tribunal décide s’il existe un motif grave pour qu’elle le purge, sinon il ordonne la mise en liberté sous condition. Ces conditions peuvent concerner son mode de vie et notamment le lieu de sa résidence, ainsi que l’obligation de se présenter à la station de consultation ou au centre spécial de désintoxication ou à l’hôpital général qui est le plus proche de son lieu de résidence à chaque fois qu’elle y est invitée aux fins de contrôle du respect des conditions. (...) Au cas où le détenu ne serait pas libéré conformément au paragraphe précédent, le tribunal se prononce, à la fin de chaque année, sur sa libération, sur demande du détenu lui-même ou du directeur de l’établissement dans lequel il est interné ou sur proposition du procureur. (...)" B. Le code pénal Les articles 105 par. 1 et 106 du code pénal disposent: Article 105 par. 1 "Quiconque est condamné à une peine privative de liberté peut, après avoir purgé les deux tiers de sa peine, et dans tous les cas au moins un an et, s’agissant d’une réclusion à perpétuité, vingt ans, être libéré sous réserve de révocation conformément aux dispositions suivantes." Article 106 "1. La mise en liberté conditionnelle n’est accordée que si le détenu a fait preuve de bonne conduite au cours de l’exécution de la peine, s’il a rempli dans la mesure où il le pouvait ses obligations à l’égard de la victime (...) et si l’examen de sa vie antérieure, de sa situation personnelle et sociale en général et de son caractère (...) laisse espérer qu’il mènera une vie honnête dans l’avenir. Certaines obligations peuvent être imposées au détenu à libérer concernant son mode de vie et notamment le lieu de sa résidence. Ces obligations peuvent à tout moment être révoquées ou modifiées sur la demande du libéré. (...)" C. Le code de procédure pénale L’article 565 du code de procédure pénale est ainsi libellé: "Doutes quant à la nature ou la durée de la peine Tout doute ou objection quant à l’exécution du jugement ainsi qu’à la nature ou la durée de la peine est levé par le tribunal correctionnel du lieu de l’exécution de la peine. Le procureur et le condamné peuvent se pourvoir en cassation contre cette décision." D. La circulaire du ministre de la Justice, du 23 septembre 1992 Par une circulaire du 23 septembre 1992, le ministre de la Justice a informé les procureurs près les cours d’appel et les tribunaux de grande instance, ainsi que les directeurs de prison, qu’il n’existait pas dans les prisons grecques d’établissement pénitentiaire thérapeutique mentionné dans l’article 14 de la loi no 1729/1987; par conséquent, une décision judiciaire ordonnant le placement de toxicomanes dans un tel établissement, en vertu de cet article, ne pouvait recevoir exécution sur ce point. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bizzotto a saisi la Commission le 15 juin 1992. Il alléguait une violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1), faute d’être détenu dans un établissement thérapeutique approprié aux fins de sa désintoxication. Le 2 décembre 1994, la Commission a retenu la requête (no 22126/93). Dans son rapport du 4 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par huit voix contre sept, qu’il y a eu violation de cet article (art. 51). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à "rejeter la requête de Carlo Bizzotto dans son ensemble". De son côté, le requérant prie la Cour de dire "1. qu’il n’y a pas eu détention régulière après condamnation par un tribunal compétent, comme le veut le libellé de l’article 5 par. 1 a) de la Convention (art. 51a), dès lors qu’il existe un net contraste entre la détention à laquelle le requérant a été condamné par les tribunaux grecs et la détention qu’il a effectivement subie; que la détention continue du requérant pendant quatre ans et quinze jours dans une prison de droit commun alors qu’il était toxicomane et avait, en conséquence, droit à être détenu dans un lieu approprié, constitue une violation de l’article 5 par. 1 e), combiné avec l’article 18 de la Convention (art. 18+5-1-e); que le requérant et sa famille ont droit à une indemnité pour les dommages moral et matériel, et les frais et pertes subis à cause des violations reconnues de la Convention; 4. que le gouvernement grec doit verser, au requérant et à sa famille, à titre de satisfaction équitable, une indemnité appropriée, comprenant le remboursement des frais de justice."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Contexte Mme Buckley est une Tsigane de nationalité britannique. Elle vit avec ses trois enfants dans des caravanes installées sur un terrain qui lui appartient, situé au bord d'une voie débouchant dans Meadow Drove, à Willingham (district de Cambridge-Sud, Angleterre). Elle est mariée mais séparée de son mari depuis 1991. Aussi loin que l'on remonte dans sa généalogie, ses ancêtres étaient tous des Tsiganes voyageant dans le district de Cambridge-Sud. Elle a toujours vécu dans une caravane et, lorsqu'elle était enfant, voyageait avec ses parents dans cette région. Elle a continué à mener cette vie itinérante jusque peu avant la naissance de son troisième enfant en 1988. En 1988, la soeur et le beau-frère de la requérante achetèrent un terrain d'un acre (4 000 mètres carrés environ) le long de Meadow Drove, à Willingham, et se virent accorder à titre personnel un permis temporaire pour y installer une unité d'habitation se composant de deux caravanes. A l'invitation de sa soeur, Mme Buckley vint vivre sur ce terrain en novembre 1988, alors qu'elle attendait son troisième enfant, car elle jugeait pénible de se déplacer constamment avec de jeunes enfants. Pendant cette période sédentaire, les deux aînés fréquentèrent l'école communale, où ils s'intégrèrent bien. En 1988, à une date non précisée, la requérante acheta une partie du terrain de sa soeur (0,16 hectare) située à l'extrémité du site la plus éloignée de Meadow Drove. Elle y installa ses trois caravanes. La parcelle de Mme Buckley fait maintenant partie d'un groupe de six terrains contigus occupés par des Tsiganes. Un permis d'aménagement foncier permanent pour l'installation de trois caravanes servant d'habitation a été accordé pour l'un d'eux. Le site occupé par la soeur de la requérante bénéficiait d'un permis temporaire expirant le 4 août 1995. Les trois autres sites ont été occupés sans permis et des mises en demeure ont été adressées aux personnes y vivant (paragraphe 32 ci-dessous). Les occupants de deux de ces sites ont également introduit des requêtes devant la Commission européenne des Droits de l'Homme. Mme Buckley a déclaré avoir l'intention de reprendre sa vie itinérante dans un avenir indéterminé et de transmettre la tradition du voyage à ses enfants. En 1993, elle se rendit avec sa soeur à Saint Neots, dans le comté de Cambridge, car son beau-père était mourant. Elle fut autorisée à stationner sur un terrain vague pendant deux semaines, mais dut partir peu après l'enterrement. B. La demande de permis d'aménagement foncier Le 4 décembre 1989, Mme Buckley demanda rétroactivement au conseil du district de Cambridge-Sud un permis d'aménagement foncier (planning permission) pour les trois caravanes se trouvant sur son terrain. Le conseil refusa le 8 mars 1990 au motif 1) qu'il existait des capacités d'accueil suffisantes pour les caravanes tsiganes ailleurs dans le Cambridge-Sud, où les sites pour Tsiganes avaient, selon lui, atteint le "seuil de saturation"; 2) que l'utilisation prévue pour le terrain porterait atteinte au caractère rural et dégagé du paysage, contrairement à l'objectif fixé dans le plan local d'aménagement, qui était de protéger la campagne en n'autorisant que les aménagements indispensables (paragraphe 30 ci-dessous); et 3) que Meadow Drove était un ancien passage pour le bétail trop étroit pour permettre à deux véhicules de se croiser en toute sécurité. Le 9 avril 1990, le conseil adressa à la requérante une mise en demeure lui enjoignant d'enlever ses caravanes sous un mois. L'intéressée fit appel de cette mesure auprès du ministre de l'Environnement (paragraphe 33 ci-dessous). Le ministre chargea une inspectrice de rédiger un rapport sur l'appel (paragraphe 33 ci-dessous). Celle-ci se rendit sur le site et examina les observations écrites présentées par Mme Buckley et le conseil de district. Dans son rapport du 14 février 1991, l'inspectrice fit observer que les autorités locales avaient accordé un permis d'aménagement foncier pour deux sites caravaniers situés entre le terrain de la requérante et Meadow Drove (à savoir celui de la soeur de la requérante et un autre) ainsi que pour un chantier agricole installé sur un terrain placé à l'est du site (occupé à l'époque de l'inspection par une entreprise de transport routier non autorisée). Les caravanes de l'intéressée ne se voyaient pas de la route car elles étaient cachées par ces aménagements autorisés et non autorisés. L'inspectrice releva cependant: "(...) qu'il se voit ou non, l'aménagement objet de ces mises en demeure [à savoir le site caravanier de Mme Buckley] prolonge l'aménagement plus loin de la route que cela n'est autorisé. Il empiète dès lors sur la campagne, contrairement à l'objectif du plan directeur [paragraphe 30 ci-dessous] selon lequel il convient de protéger la campagne en n'autorisant que les aménagements indispensables." L'inspectrice estima également que la voie d'accès au site était trop étroite pour permettre le passage de deux véhicules; l'installation de caravanes sur ce site se ferait donc au détriment de la sécurité routière. Considérant par ailleurs le statut particulier de la requérante en tant que Tsigane, l'inspectrice fit observer qu'en janvier 1990, plus de soixante familles tsiganes se trouvaient sur des terrains non autorisés dans le district de Cambridge-Sud. Elle poursuivit: "Il m'apparaît donc clairement qu'il existe un manque d'emplacements autorisés. (...) Cependant, j'estime qu'il importe de maintenir à un faible niveau la concentration en sites pour Tsiganes, car ces derniers sont ainsi mieux acceptés par la communauté locale. (...) la concentration de sites pour Tsiganes a atteint à Willingham le seuil maximal souhaitable et je ne pense donc pas que le besoin global en sites doive être considéré, en l'espèce, comme l'emportant sur les objections urbanistiques." Elle conclut en recommandant le rejet du recours. Le ministre débouta Mme Buckley le 16 avril 1991, invoquant notamment les motifs suivants: "La question décisive pour juger du bien-fondé de vos recours sur le plan de l'aménagement foncier est celle de savoir si le besoin incontestable de sites supplémentaires pour accueillir les caravanes des Tsiganes dans les zones relevant de la compétence administrative du conseil de district et du conseil de comté est impérieux au point de l'emporter sur les objections qui, en matière d'aménagement foncier et de sécurité routière, s'opposent à ce que le site en cause continue d'être occupé par des caravanes tsiganes installées à demeure. A cet égard, j'estime que ces objections sont suffisamment fortes pour exclure l'octroi d'un permis d'aménagement foncier, temporaire ou nominatif. Cette conclusion tient parfaitement compte des directives de la circulaire ministérielle 28/77 incitant les conseils à fournir un nombre suffisant de sites pour accueillir les caravanes des Tsiganes résidant ou séjournant fréquemment dans leur secteur. Or les éléments disponibles conduisent à penser, conformément à l'évaluation de l'inspectrice, que la concentration de sites pour Tsiganes autour de Willingham a atteint le niveau maximal souhaitable et que le besoin global en sites supplémentaires ne doit pas l'emporter sur les motifs touchant à l'aménagement foncier et à la sécurité routière qui s'opposent à ce que ce site-là continue d'être occupé." La requérante n'interjeta pas appel devant la High Court, son conseil lui ayant indiqué qu'elle n'avait aucun motif pour cela (paragraphe 34 ci-dessous). C. Poursuites pénales contre la requérante Mme Buckley fut poursuivie pour refus d'obtempérer à la mise en demeure qui lui avait été adressée en mai 1990. Le 7 janvier 1992, elle fut condamnée à verser 50 livres sterling (GBP) d'amende et 10 GBP pour dépens. Elle fut poursuivie à deux reprises encore après le dépôt de sa requête à la Commission le 7 février 1992. Le 12 janvier 1994, une magistrates' court la relaxa, mais lui imposa le paiement des frais de poursuite. Le 16 novembre 1994, enfin, la requérante fut condamnée à 75 GBP d'amende et 75 GBP pour dépens. D. Classement Par une lettre du 20 mai 1993, le ministère de l'Environnement informa le conseil du district de Cambridge-Sud que le ministre avait décidé de classer ce district en vertu de l'article 12 de la loi de 1968 sur les sites caravaniers (paragraphe 37 ci-dessous). Il y constatait que quelques Tsiganes restaient encore installés sur des sites non autorisés mais que, compte tenu du fait qu'un nombre de sites plus grand que dans tout autre district y était mis à la disposition des Tsiganes, il n'était "pas opportun d'augmenter les capacités d'accueil pour les Tsiganes résidant ou séjournant fréquemment dans le district de Cambridge-Sud". L'ordonnance de classement de ce district entra en vigueur le 13 août 1993, mais ne s'applique plus en raison des dispositions prévues dans la loi de 1994 sur la justice pénale et l'ordre public (paragraphe 41 ci-dessous). E. Evénements ultérieurs Le 19 septembre 1994, Mme Buckley sollicita à nouveau l'autorisation d'installer ses caravanes sur son terrain, des changements étant intervenus dans la législation (paragraphes 40-42 ci-dessous). Le conseil de district rejeta sa demande le 14 novembre 1994 au motif 1) que la politique locale d'aménagement foncier prévoyait de limiter les aménagements dans la campagne et qu'aucun élément justifiant de s'écarter de cette politique n'avait été avancé, et 2) qu'il existait un site d'accueil pour Tsiganes dans Meadow Drove (paragraphe 24 ci-dessous). La requérante (ainsi que d'autres personnes occupant les terrains avoisinants) fit appel de cette décision auprès du ministre. Une inspectrice établit un rapport en mai 1995. Cette dernière examina deux questions: premièrement, le maintien des caravanes tsiganes sur ce terrain porterait-il atteinte au caractère rural du secteur et, deuxièmement, si oui, existait-il des circonstances particulières suffisantes permettant d'écouter cette objection? Elle jugea que l'objection relative à la sécurité routière, qui avait constitué l'un des motifs de rejet en avril 1991 (paragraphe 16 ci-dessus), ne tenait plus. En ce qui concerne la première question, l'inspectrice constata que Mme Buckley possédait sur son terrain une caravane fixe, trois caravanes de tourisme et trois abris, qui ne se voyaient pas depuis la route car ils étaient dissimulés par les caravanes installées sur les terrains situés devant et par une entreprise de machines agricoles, qui s'étendaient vers l'est sur la même distance que le site de la requérante. Ils étaient visibles depuis d'autres endroits offrant une belle vue mais pouvaient être valablement cachés derrière des haies. L'inspectrice conclut cependant: "(...) le maintien de caravanes sur les terrains situés à l'arrière prolonge l'aménagement de la campagne très au sud de la route. Il est inévitable que cette densification gâche en elle-même le caractère rural et dégagé du secteur, ce qui est contraire aux objectifs définis dans la politique rurale établie aux niveaux régional et national. J'en conclus donc que le maintien de caravanes tsiganes sur ces sites porte préjudice au caractère et à l'apparence de la campagne." Quant aux circonstances particulières de l'affaire, notamment le fait que la requérante est Tsigane, l'inspectrice procéda aux constatations suivantes. Elle releva que le site de Mme Buckley était "propre, spacieux et en bon ordre". Au contraire, elle qualifia le site géré par le conseil dans Meadow Drove (paragraphes 24-26 ci-dessous) d'"isolé, exposé et quelque peu négligé". Elle estima néanmoins que "l'existence de possibilités d'accueil à proximité, ce qui permettrait aux appelants de rester dans le secteur de Willingham et à leurs enfants de continuer à fréquenter les écoles communales, constitue une considération pertinente". En revanche, "on ne peut guère tenir compte des sites privés de Cottenham. Ni le conseil ni les appelants n'ont fourni d'élément prouvant que des emplacements y étaient libres ou indiquant leur prix". L'inspectrice examina les conséquences de la circulaire 1/94 (paragraphe 43 ci-dessous) en l'espèce, mais conclut que, bien que celle-ci mette plus l'accent sur l'acquisition de terrains par les Tsiganes pour leur propre usage, le gouvernement préconisait de continuer à examiner les propositions d'implantation de sites pour Tsiganes uniquement sous l'angle de l'utilisation du terrain. Elle conclut que les circonstances de l'affaire n'avaient pas subi de changement dont il faille tenir compte depuis l'étude du premier appel et qu'il convenait donc de rejeter celui qu'elle venait d'examiner. Souscrivant aux conclusions et recommandations de l'inspectrice, le ministre débouta Mme Buckley le 12 décembre 1995. Cette dernière interjeta ensuite appel devant la High Court, qui n'a pas encore rendu sa décision. F. Sites pour Tsiganes autorisés dans le district de Cambridge-Sud En novembre 1992, le conseil de district ouvrit un site officiel à Meadow Drove, à sept cents mètres environ du terrain de Mme Buckley. Ce site comporte quinze emplacements, comprenant chacun une zone clôturée en partie herbeuse et en partie en dur pour recevoir les caravanes ainsi qu'un bâtiment en briques abritant une cuisine, une douche et des toilettes. Tous les emplacements sont prévus pour accueillir une caravane fixe, une caravane de tourisme, un camion et une voiture, et sont reliés par une route centrale. Le site se trouve en rase campagne. Entre novembre 1992 (date de l'ouverture du site) et août 1995, des emplacements s'y sont libérés à vingt-huit reprises. Le conseil de district écrivit à la requérante les 17 février 1992 et 20 janvier 1994 pour l'informer de ce que des emplacements pouvaient être disponibles sur ce site et lui conseiller d'en demander un auprès du conseil de comté. L'intéressée n'a jamais fait de démarche en ce sens. Depuis l'ouverture du site, on y a signalé les incidents suivants: 1) en mai 1993, une des personnes résidant sur le site se serait trouvée en possession d'une arme à feu; cette allégation n'a pas été prouvée; 2) en décembre 1993 eut lieu une rixe au cours de laquelle un des résidents du site donna à un autre un coup de poing dans l'oeil; 3) en 1994, une voiture fut conduite sur le site et incendiée; 4) la même année se produisit un acte de violence domestique; 5) en 1994 toujours, le bureau du gardien du site fut cambriolé et endommagé alors qu'il était temporairement inoccupé; 6) en 1995, un résident du site fut condamné pour comportement susceptible de troubler l'ordre après avoir échangé des paroles et gestes menaçants avec un éboueur engagé par le conseil de district; 7) en mars 1995, quatre emplacements furent endommagés à la suite d'actes de vandalisme et/ou d'un incendie. Des sites autorisés à gestion privée se trouvent à Smithy Fen, Cottenham, à sept kilomètres environ de Willingham. En mai 1995, le prix d'acquisition d'un emplacement sur ces sites aurait été compris entre 7 000 et 40 000 GBP. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La législation en matière d'aménagement foncier La loi de 1990 sur l'aménagement urbain et rural (Town and Country Planning Act 1990) ("la loi de 1990") (telle qu'amendée par la loi de 1991 sur l'urbanisme et l'indemnisation - Planning and Compensation Act 1991) regroupe la législation antérieure sur l'urbanisme. Cette loi dispose en son article 57 qu'un permis est nécessaire pour tout aménagement foncier. Peut être considérée comme tel une modification de l'utilisation du terrain en vue d'y installer des caravanes (Restormel Borough Council v. Secretary of State for the Environment and Rabey, Journal of Planning Law 1982, p. 785; John Davies v. Secretary of State for the Environment and South Hertfordshire District Council, Journal of Planning Law 1989, p. 601). Les demandes de permis d'aménagement foncier sont à adresser aux services locaux de l'urbanisme, qui se prononcent à cet égard en respectant le plan d'aménagement local, sauf si des considérations pertinentes plaident en sens contraire (article 54A de la loi de 1990). Le plan d'aménagement local de Cambridge-Sud n'autorise, dans les zones rurales, que les aménagements indispensables à une exploitation efficace dans certains domaines particuliers, comme l'horticulture, l'agriculture et la forêt. La loi de 1990 prévoit d'en appeler au ministre en cas de refus du permis d'aménagement foncier (article 78). Mis à part quelques exceptions non pertinentes en l'espèce, si l'appelant ou les autorités en manifestent le souhait, le ministre doit leur accorder à chacun la possibilité de soumettre des observations à un inspecteur nommé par lui. En pratique, il est établi que tout inspecteur doit exercer son jugement de manière indépendante, libre de toute influence indue (arrêt Bryan c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A n° 335-A, p. 11, par. 21). Il est également possible de saisir la High Court au motif que le ministre a pris sa décision en outrepassant les pouvoirs que lui confère la loi de 1990 ou sans respecter les conditions pertinentes fixées dans ladite loi (article 288). Lorsqu'un aménagement est réalisé sans le permis requis, les autorités locales peuvent adresser au contrevenant une "mise en demeure" si elles le jugent opportun eu égard aux dispositions du plan d'aménagement et à toute autre considération pertinente (article 172 par. 1 de la loi de 1990). Un recours contre une mise en demeure peut être formé devant le ministre au motif, notamment, que le permis devrait être accordé pour l'aménagement en cause (article 174). Comme pour l'appel du refus d'octroyer un permis, le ministre doit offrir à chacune des parties la possibilité de soumettre des observations à un inspecteur. Il existe en outre un droit de recours à la High Court sur "un point de droit" contre une décision rendue par le ministre en vertu de l'article 174 (article 289). Semblable recours peut se fonder sur des motifs identiques à une demande de contrôle juridictionnel. Il suppose donc de rechercher si une décision ou une déduction fondée sur une constatation de fait est arbitraire ou irrationnelle (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Brind, Appeal Cases 1991, pp. 764 H-765 D). La High Court accueillera également un recours lorsque la décision de l'inspecteur ne comporte aucune preuve étayant une constatation donnée, lorsque ladite décision se fonde sur des éléments étrangers à l'affaire ou néglige des facteurs pertinents ou encore a été prise à des fins irrégulières, en suivant une procédure inéquitable ou en contrevenant à la législation ou à la réglementation en vigueur. Cependant, l'organe de contrôle ne peut substituer sa propre décision sur le bien-fondé de la cause à celle de l'autorité administrative. B. Sites caravaniers destinés aux Tsiganes La loi de 1968 sur les sites caravaniers La partie II de la loi de 1968 sur les sites caravaniers (Caravan Sites Act 1968 - "la loi de 1968") visait à résoudre les problèmes suscités par la diminution du nombre de sites où les Tsiganes pouvaient légalement stationner, en raison des changements intervenus après la Seconde Guerre mondiale dans la législation en général et les textes sur l'urbanisme en particulier et des mutations sociales survenues à cette époque. L'article 16 de la loi définissait les "Tsiganes" comme suit: "personnes ayant un mode de vie nomade, quelle que soit leur race ou leur origine; ce terme ne recouvre pas les membres de groupes organisés présentant des spectacles itinérants, ou des personnes travaillant dans des cirques ambulants, qui voyagent ensemble à cet effet". L'article 6 de la loi de 1968 imposait aux autorités locales "d'user de leurs pouvoirs (...) autant que de besoin pour offrir des capacités d'accueil suffisantes aux Tsiganes résidant ou séjournant fréquemment dans leur secteur". Le ministre pouvait ordonner aux autorités locales de créer des sites caravaniers lorsque la nécessité lui en apparaissait (article 9). Lorsque le ministre était convaincu, soit que les autorités locales mettaient suffisamment de sites d'accueil à la disposition des Tsiganes, soit qu'il n'était ni nécessaire ni opportun de le faire, il pouvait décider de "classer" le district ou comté considéré (article 12 de la loi de 1968). Le classement avait pour conséquence d'ériger en infraction le fait pour tout Tsigane d'installer, pour y vivre pendant une durée quelconque, une caravane dans le périmètre classé sur le bas-côté d'une route, sur tout terrain inoccupé ou sur tout terrain occupé sans le consentement de l'occupant (article 10). En outre, l'article 11 de la loi de 1968 conférait aux autorités locales le pouvoir de demander à une magistrates' court de prendre une ordonnance les autorisant à faire enlever les caravanes installées en infraction à l'article 10 dans les zones classées. Le rapport Cripps Il apparut vers le milieu des années 70 que le rythme de création de sites en vertu de l'article 6 de la loi de 1968 était insuffisant et que les campements non autorisés suscitaient nombre de problèmes sociaux. En février 1976, le gouvernement chargea ainsi Sir John Cripps de procéder à une étude sur la mise en oeuvre de la loi de 1968. Celui-ci remit en juillet 1976 un rapport intitulé "Accueil des Tsiganes: rapport sur la mise en oeuvre de la loi de 1968 sur les sites caravaniers" (Accommodation for Gypsies: A report on the working of the Caravan Sites Act 1968 - "le rapport Cripps"). Sir John y estimait à 40 000 environ le nombre de Tsiganes vivant en Angleterre et au Pays de Galles. Il constata: "Six ans et demi après l'entrée en vigueur de la partie II de la loi de 1968, les sites existant ne peuvent accueillir qu'un quart du nombre total de familles tsiganes recensées ne possédant pas leur propre terrain. Les trois quarts d'entre elles sont donc toujours dans l'impossibilité de trouver un lieu de séjour légal (...). Ce n'est qu'en voyageant qu'elles sont dans la légalité; quand elles s'arrêtent pour la nuit, elles n'ont pas d'autre solution que d'enfreindre la loi." Ce rapport contenait nombre de recommandations visant à améliorer la situation. La circulaire 28/77 Le ministère de l'Environnement émit la circulaire 28/77 le 25 mars 1977, en la présentant comme conçue pour fournir aux autorités locales des conseils sur les "procédures légales, les autres modes d'accueil des Tsiganes et des informations pratiques sur la mise à disposition et la gestion des sites". Elle devait rester en vigueur jusqu'à l'adoption de mesures définitives inspirées des recommandations du rapport Cripps. Elle encourageait notamment les autorités locales à aider les Tsiganes à résoudre par eux-mêmes leur problème de logement en préconisant "une attitude bienveillante et souple face aux demandes de permis d'aménagement foncier et de licence d'ouverture de sites [émanant de Tsiganes]". Elle citait des exemples de Tsiganes qui, ayant acheté une parcelle de terrain pour y garer leurs caravanes, demandaient en vain un permis d'aménagement foncier et recommandait en ce cas de ne pas émettre de mise en demeure tant que d'autres sites d'accueil ne seraient pas disponibles dans le secteur. La circulaire 57/78 La circulaire 57/78, émise le 15 août 1978, indiquait notamment "qu'il serait avantageux pour tout le monde de permettre au plus grand nombre possible de Tsiganes de trouver par eux-mêmes des sites d'accueil", conseillant en conséquence aux autorités locales de "prendre en compte en tant que considération pertinente, lorsqu'elles rendent des décisions d'aménagement foncier (...) la nécessité particulière d'accueillir les Tsiganes". De surcroît, cent millions de livres environ furent dépensés dans le cadre d'un plan accordant des subventions aux autorités locales afin de couvrir intégralement les frais de création de sites pour Tsiganes. La loi de 1994 sur la justice pénale et l'ordre public L'article 80 de la loi de 1994 sur la justice pénale et l'ordre public (Criminal Justice and Public Order Act 1994 - "la loi de 1994"), entrée en vigueur le 3 novembre 1994, abroge les articles 6 à 12 de la loi de 1968 (paragraphes 35-37 ci-dessus) ainsi que le plan de subventions mentionné au paragraphe 40 ci-dessus. L'article 77 de la loi de 1994 confère aux autorités locales le pouvoir d'ordonner à un campeur non autorisé de déguerpir. Le campeur non autorisé est défini comme "une personne résidant pour le moment dans un véhicule situé sur tout terrain faisant partie d'une route, sur tout autre terrain inoccupé ou sur tout terrain occupé sans l'autorisation du propriétaire". Le non-respect d'un tel ordre dans les meilleurs délais ou une nouvelle installation sur le terrain dans les trois mois sont constitutifs d'une infraction pénale. Les autorités locales peuvent demander à une magistrates' court d'émettre une ordonnance les autorisant à procéder à l'enlèvement des caravanes installées en infraction à un tel ordre (article 78 de la loi de 1994). La circulaire 1/94 Le gouvernement émit à l'intention des autorités locales de nouvelles directives sur les sites pour Tsiganes et l'aménagement foncier, dans le droit fil de la loi de 1994, dans la circulaire 1/94 du 5 janvier 1994, qui annule et remplace la circulaire 57/78 (paragraphe 40 ci-dessus). Cette circulaire dispose: "Afin d'encourager la mise à disposition de terrains privés, les services d'urbanisme locaux doivent offrir des conseils et une aide concrète quant à la marche à suivre aux Tsiganes désireux d'acquérir leur propre terrain pour s'y installer. (...) Le but, dans la mesure du possible, doit être d'aider les Tsiganes à trouver une solution par eux-mêmes et de leur permettre d'acquérir des terrains correspondant à leurs besoins en évitant ainsi des infractions aux règles d'urbanisme." Cependant: "Comme pour les autres demandes en matière d'urbanisme, les propositions relatives aux sites pour Tsiganes doivent continuer à être examinées uniquement du point de vue de l'utilisation du terrain. Si des sites pour Tsiganes peuvent être acceptables dans certaines zones rurales, l'octroi d'un permis doit se concilier avec les politiques définies en matière d'agriculture, d'archéologie, de paysage, d'environnement et de ceinture verte (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 7 février 1992 à la Commission (n° 20348/92), Mme Buckley se plaignait de n'avoir pu vivre avec sa famille dans des caravanes sur son propre terrain ni suivre le mode de vie traditionnel des Tsiganes, au mépris de l'article 8 de la Convention (art. 8). La Commission a retenu la requête le 3 mars 1994. Dans son rapport du 11 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l'avis qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) (sept voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour "à décider et déclarer que les faits de la cause ne révèlent aucune violation des droits garantis à la requérante par l'article 8 de la Convention (art. 8)". La requérante prie la Cour "de dire que les faits révèlent une violation des droits que l'article 8 et/ou l'article 8 combiné avec l'article 14 (art. 8, art. 14, art. 14+8) [lui] garantissent" et de lui accorder une satisfaction équitable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La situation du requérant et d’une partie de sa famille en Suisse Ressortissant turc né en 1947, M. Gül vit actuellement avec son épouse à Pratteln, dans le canton de Bâle-Campagne en Suisse. Jusqu’en 1983, il vécut avec sa femme et leurs deux fils, Tuncay (né le 12 octobre 1971) et Ersin (né le 20 janvier 1983), dans la ville de Gümüshane en Turquie. Le 25 avril 1983, le requérant se rendit en Suisse où il fit une demande d’asile politique en tant que Kurde et ancien membre du parti social-démocrate turc ("CHP"). Il y exerça un emploi dans un restaurant jusqu’en 1990, date à laquelle il tomba malade. Depuis lors, il perçoit une pension d’invalidité partielle. Sa femme, restée en Turquie avec leurs deux fils, se brûla gravement en 1987 au cours d’une de ses crises d’épilepsie, maladie dont elle souffrait depuis 1982. A défaut de soins adéquats dans la région où elle vivait, elle rejoignit en décembre 1987 son mari en Suisse, où elle fut hospitalisée d’urgence. On l’amputa de deux doigts de la main gauche. Le 19 septembre 1988, Mme Gül donna naissance en Suisse à un troisième enfant, Nursal, une fille. Souffrant toujours d’épilepsie, elle ne put prendre soin du bébé, qui fut placé dans un foyer en Suisse; l’enfant y est restée depuis. D’après une attestation établie par un spécialiste de médecine interne de Pratteln et datée du 31 mars 1989, un retour en Turquie s’avérerait impossible pour Mme Gül et risquerait même de lui être fatal eu égard à son grave état de santé. Le 9 février 1989, le délégué aux réfugiés rejeta la demande d’asile politique de M. Gül, au motif que ce dernier n’avait pu établir qu’il avait été personnellement victime de poursuites, la situation générale dans laquelle se trouvait la population kurde en Turquie ne suffisant pas à elle seule pour l’octroi de l’asile politique. Il ajouta que, d’après des sources sûres, les anciens membres du CHP ne faisaient l’objet d’aucune mesure de la part des autorités étatiques et somma le requérant de quitter la Suisse, sous menace d’expulsion, avant le 30 avril 1989. Le 10 mars 1989, l’intéressé interjeta appel de cette décision auprès du département fédéral de Justice et de Police. Il fit valoir que la répression collective dont les Kurdes font l’objet en Turquie et dont il fut lui-même victime justifiait à elle seule l’octroi de l’asile politique; de plus, au moment de sa fuite vers la Suisse, tous les partis politiques avaient été interdits et leurs membres - spécialement ceux des partis de gauche comme le CHP - poursuivis. Un retour en Turquie ne saurait donc être exigé de lui et méconnaîtrait l’article 3 (art. 3) de la Convention. Par une lettre du 26 juin 1989, la police des étrangers (Fremdenpolizei) du canton de Bâle-Campagne informa le conseil du requérant qu’elle soutenait la demande de ce dernier en vue d’obtenir une autorisation de séjour (Aufenthaltsbewilligung) pour raisons humanitaires pour lui-même, sa femme et sa fille Nursal. Eu égard à la durée du séjour de M. Gül en Suisse et à la santé précaire de son épouse, la police estima que les conditions requises par l’article 13 f) de l’ordonnance du conseil fédéral limitant le nombre des étrangers ("l’OLE" - paragraphe 21 ci-dessous) pour l’obtention d’un tel permis humanitaire étaient remplies. L’accord définitif de l’Office fédéral des étrangers intervint le 15 février 1990. Le département fédéral de Justice et de Police ayant par ailleurs informé le requérant que sa demande d’asile politique n’avait que très peu de chances d’aboutir en appel, M. Gül retira alors celle-ci. L’autorité en prit acte le 8 novembre 1989. B. Les démarches du requérant en vue de faire venir ses deux fils en Suisse Devant la police des étrangers du canton de Bâle-Campagne Le 14 mai 1990, M. Gül sollicita auprès de la police des étrangers du canton de Bâle-Campagne l’autorisation de faire venir en Suisse ses deux fils, Tuncay et Ersin, restés en Turquie. Par une ordonnance du 19 septembre 1990, celle-ci rejeta sa demande, au motif que les conditions nécessaires au regroupement familial n’étaient pas réunies (article 39 de l’OLE - paragraphe 21 ci-dessous). D’une part, l’appartement de la famille Gül ne correspondait pas aux normes requises et, d’autre part, le requérant ne disposait pas de moyens financiers suffisants pour subvenir aux besoins de sa famille. Au demeurant, Tuncay avait déjà atteint l’âge de dix-huit ans et ne pouvait donc bénéficier d’une autorisation dans le cadre du regroupement familial. Devant le conseil d’Etat du canton de Bâle-Campagne Le 1er octobre 1990, l’intéressé interjeta appel de cette décision devant le conseil d’Etat (Regierungsrat) du canton de Bâle-Campagne. D’après lui, l’autorisation de séjour dont il bénéficiait avec son épouse en vertu de l’article 13 f) de l’OLE, aurait dû être élargie à ses deux fils, car il s’agissait d’un cas personnel d’extrême gravité. Un retour en Turquie s’avérant impossible en raison de la santé précaire de son épouse et de la durée de son séjour hors de son pays, le regroupement familial ne pourrait avoir lieu qu’en Suisse. Aussi bien l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantissant le droit au respect de la vie familiale que la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant conféreraient aux deux garçons le droit de venir rejoindre leurs parents en Suisse. Si le conseil d’Etat devait néanmoins s’appuyer sur les dispositions des articles 38 et suivants de l’OLE (paragraphe 21 ci-dessous) sur le regroupement familial, le plus jeune fils Ersin pourrait et devrait alors en bénéficier. L’appartement de la famille Gül serait assez spacieux pour l’accueillir et les moyens financiers du requérant suffisants pour subvenir aux besoins de la famille. Le 30 juillet 1991, le conseil d’Etat du canton de Bâle-Campagne débouta l’intéressé. Il rappela qu’en vertu de l’article 4 de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers ("la LSEE" - paragraphe 20 ci-dessous), l’autorité cantonale compétente apprécie librement (nach freiem Ermessen), dans le cadre des dispositions légales et des accords internationaux, l’octroi d’une autorisation de séjour (Aufenthaltsbewilligung) ou d’établissement (Niederlassungsbewilligung); à cet égard, elle doit tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays, ainsi que du degré de surpopulation étrangère (Überfremdung). Le conseil d’Etat rechercha ensuite si les deux fils de M. Gül pouvaient se prévaloir d’un droit à l’obtention d’une autorisation de résider (Anwesenheitsbewilligung) en Suisse sur la base de dispositions légales, la convention d’établissement conclue entre la Turquie et la Suisse le 13 décembre 1990 ne conférant pas un tel droit. L’article 17 par. 2 de la LSEE (paragraphe 20 ci-dessous) ne reconnaît pareil droit à un enfant mineur que si son parent bénéficie d’une autorisation d’établissement. M. et Mme Gül ne disposant que d’une autorisation de séjour, ils ne pouvaient donc se fonder sur cet article pour faire valoir un droit au regroupement familial. Quant aux garanties énoncées à l’article 8 (art. 8) de la Convention, seules pouvaient s’en prévaloir les personnes ayant la nationalité suisse ou bénéficiant d’une autorisation d’établissement, ce qui n’était pas le cas des époux Gül. Quant aux articles 38 et suivants de l’OLE (paragraphe 21 ci-dessous), ils ne confèrent pas un droit, mais énoncent simplement les conditions minimales à remplir pour permettre le regroupement familial. L’autorisation définitive appartient à l’autorité cantonale qui agit dans le cadre de sa libre appréciation. Seul le fils mineur Ersin pouvant, le cas échéant, bénéficier de ces dispositions, le conseil d’Etat énuméra les conditions minimales que doit remplir l’étranger vivant en Suisse en vertu de l’article 39 par. 1 de l’OLE (paragraphe 21 ci-dessous) pour autoriser le regroupement familial, à savoir: a) que son séjour et, le cas échéant, son activité lucrative paraissent suffisamment stables; b) qu’il vive en communauté avec sa famille et dispose à cet effet d’une habitation convenable; c) qu’il dispose de ressources financières suffisantes pour entretenir sa famille; d) que la garde des enfants ayant encore besoin de la présence des parents soit assurée. Le conseil d’Etat ne trancha pas les points a) et b), mais examina avec attention les points c) et d): "c) Les calculs effectués tant par la police des étrangers que par le service juridique du conseil d’Etat ayant instruit l’affaire ont révélé que M. Gül ne satisfait pas à la condition énoncée à l’article 39 par. 1 c) de l’OLE. Il ne dispose pas d’un revenu suffisant pour assurer le séjour de sa famille en Suisse. D’après le calcul de référence, M. Gül devrait disposer au moins d’un revenu mensuel net de 2 710 francs suisses (CHF) pour ne pas tomber en-dessous du minimum social. Ce calcul s’appuie sur les taux de base appliqués par le bureau cantonal d’aide sociale en vue de calculer le risque d’aide, qui sont dans l’ensemble identiques aux taux de base adoptés par la conférence suisse sur l’aide publique pour le calcul de l’aide matérielle. Ces taux servent à établir les frais de subsistance mensuels de l’étranger et des membres de sa famille appelés à le rejoindre, qui doivent être couverts par son revenu. Celui-ci doit permettre d’assurer non seulement les besoins essentiels de subsistance mais également un niveau social minimum. De cette manière seront également pris en compte les intérêts légitimes des collectivités publiques, selon lesquels la famille ne doit pas être à la charge des services d’aide sociale. Le revenu mensuel net de M. Gül s’élève à 2 060 CHF, ce qui représente un déficit de 650 CHF par rapport au niveau minimum calculé par les services d’aide sociale. Ne sont pas pris en compte les frais concernant la plus jeune enfant, Nursal, qui se trouve dans une maison d’enfants, car on ne sait pas qui finance son séjour dans cette institution. Le calcul du revenu se fonde sur les derniers bulletins de salaire en date, ceux de l’année 1989. Le 23 octobre 1990, l’hôpital cantonal de Liestal a envoyé à la police cantonale des étrangers un certificat médical attestant que M. Gül était atteint d’une incapacité de travail de 100 %, et ce pour une durée indéterminée. A la suite d’une demande d’information, il a été confirmé dans un certificat médical du 19 avril 1991 que M. Gül était atteint d’une incapacité de travail de 100 % depuis avril 1990 et jusqu’à nouvel ordre. Les services d’aide sociale de la commune de Pratteln ont fait savoir par un courrier du 11 juin 1991 que M. Gül devait subir plusieurs opérations et se trouvait dans l’attente d’une pension d’invalidité. Les services sociaux ont versé, rien que pour les trois premiers mois de cette année-là, la somme de 8 731,75 CHF au profit de la famille Gül. Celle-ci continuera à être entretenue aux frais des services sociaux. En juin 1991, M. Gül a indiqué, à l’occasion d’un entretien personnel devant l’instance inférieure (Vorinstanz), que sa famille vivait à cette époque entièrement des subsides octroyés par les services sociaux. Il n’a donc pas d’autre source de revenus. Actuellement, les services sociaux versent à la famille Gül ce qui est nécessaire, sans plus, à une famille de trois personnes. On ne saurait exiger des services sociaux qu’ils acceptent des enfants arrivant du pays d’origine alors qu’on sait dès le départ qu’ils seront à leur charge. M. Gül ne peut pas non plus subvenir par ses propres moyens aux besoins de ses autres enfants. Cela seul constitue un motif de refuser la demande de regroupement familial. d) L’article 39 par. 1 d) dispose en outre que la garde des enfants doit être assurée. Or Mme Gül, pour des raisons liées à sa maladie, n’est pas mentalement et physiquement en état de garder sa fille Nursal auprès d’elle et de s’en occuper. C’est pourquoi Nursal a été élevée dans la maison d’enfants "Auf Berg" de Seltisberg, où elle doit continuer à séjourner. La garde du fils de M. et Mme Gül, Ersin, âgé de huit ans, est donc loin d’être assurée au cas où il rejoindrait sa famille. On peut supposer que cet enfant-là aussi devrait être élevé dans une maison d’enfants, ce qui n’est pas le but d’un regroupement familial. Un certificat médical daté du 18 avril 1991 atteste que Mme Gül souffre d’une maladie grave qui nécessite surveillance et traitements médicaux constants. Un nouveau séjour à l’hôpital pourrait même s’avérer nécessaire. Cette perspective ne permet pas de tenir la garde de l’enfant pour assurée, comme l’ordonnance l’exige." Le conseil d’Etat ajouta que les autorisations de séjour accordées pour raisons humanitaires en vertu de l’article 13 f) de l’OLE ne sauraient en outre conférer aux intéressés un droit au regroupement familial. Pour assurer l’égalité de traitement de tous les étrangers ne disposant pas d’un droit de résider en Suisse, un tel regroupement ne peut se faire qu’en application des articles 38 et suivants de l’OLE. Enfin, le conseil d’Etat examina la situation du plus jeune des garçons sous l’angle de l’article 36 de l’OLE (paragraphe 21 ci-dessous): "Ersin Gül est âgé de huit ans seulement. Il échet dans son cas de déterminer si son entrée en Suisse serait conforme à l’article 36 de l’OLE. Cet article prévoit une "raison importante", qui fait en l’espèce défaut. Il n’existe aucune raison particulière de traiter Ersin Gül différemment des autres enfants souhaitant rejoindre leur famille, pour lesquels les conditions préalables requises par les articles 38 et suivants de l’OLE ne se trouvent pas réunies. Une autre raison militant contre son admission en Suisse est la séparation d’Ersin et Tuncay Gül. Ersin Gül vit depuis sa naissance avec Tuncay Gül. En revanche, il vit séparé de son père et de sa mère depuis huit ans et trois ans et demi respectivement. Considérant le bien de l’enfant, qui joue un rôle important en matière de regroupement familial, on peut à tout le moins se demander s’il est raisonnable de le séparer de son frère et de l’environnement auquel il est habitué pour le rapprocher de sa mère gravement malade, qui ne sera pas en état de le garder auprès d’elle ni de s’en occuper, et de son père, qui est parti pour la Suisse trois mois après sa naissance et qu’il ne peut donc guère connaître. Compte tenu de l’ensemble des circonstances et du bien de l’enfant, le conseil d’Etat ne juge pas qu’il convienne de laisser Ersin Gül rejoindre ses parents en Suisse. En tout état de cause, aucune raison importante au sens de l’article 36 de l’OLE ne milite en faveur de son admission en Suisse." Il conclut que M. Gül ne remplissait pas les conditions requises pour un regroupement familial et que ses enfants ne pouvaient pas non plus se baser sur les articles 13 f) ou 36 de l’OLE pour venir le rejoindre. Devant le Tribunal fédéral Le 2 septembre 1991, le requérant intenta un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral suisse. Reprenant ses arguments antérieurs (paragraphe 15 ci-dessus), il ajouta qu’en raison des "circonstances particulières", l’article 8 (art. 8) de la Convention conférait à ses fils un droit à l’obtention d’une autorisation de séjour en Suisse: à l’époque, la délivrance d’un permis humanitaire pour lui-même, sa femme et sa fille, reposait sur le constat qu’un retour en Turquie s’avérait impossible, car il impliquait un risque majeur pour la santé de ces dernières. Or les mêmes raisons qui avaient prévalu lors de l’octroi de ce titre de séjour devraient en empêcher tout retrait, qui reviendrait à soumettre Mme Gül, dont la santé demeure toujours préoccupante, à un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 (art. 3) de la Convention. L’autorisation de séjour pour raisons humanitaires dont bénéficiaient les époux Gül équivaudrait donc à une autorisation d’établissement, d’où découlerait le droit au regroupement familial qui ne pourrait avoir lieu qu’en Suisse. Par un arrêt du 2 juillet 1993, le Tribunal fédéral déclara le recours de l’intéressé irrecevable. Il rappela qu’en vertu de l’article 100 b), alinéa 3, de la loi fédérale sur l’organisation judiciaire, le recours de droit administratif en matière de police des étrangers est irrecevable lorsqu’il porte sur l’octroi ou le refus d’autorisations pour lesquelles la législation fédérale n’attribue pas de droit. A l’instar du conseil d’Etat, le Tribunal constata que ni l’article 17 par. 2 de la LSEE ni l’article 8 (art. 8) de la Convention ne confèrent un tel droit à un étranger résidant hors de Suisse, dont le parent vivant en Suisse, comme c’est le cas de M. Gül, ne dispose que d’une simple autorisation de séjour. En particulier, l’article 8 (art. 8) de la Convention ne peut être invoqué que par une personne qui dispose d’un droit de résider en Suisse, soit en vertu de sa nationalité suisse, soit en vertu d’un permis d’établissement: "L’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantit le droit au respect de la vie familiale. Dans certaines conditions, l’on peut en déduire le droit à l’octroi d’un permis de séjour (arrêts du Tribunal fédéral - "ATF" - 118 Ib 152 E. 4, 157 E. c; 116 Ib 355 E. 1b; 109 Ib 185 E. 2) de telle sorte qu’il peut y avoir violation de l’article 8 (art. 8) lorsqu’un étranger, dont la famille réside en Suisse, se voit refuser l’entrée dans ce pays. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, cependant, il faut pour cela que les membres de la famille résidant en Suisse soient eux-mêmes investis d’un droit de résider (Anwesenheitsrecht) bien établi. A cette fin, il faut en principe posséder la nationalité suisse ou bénéficier d’une autorisation d’établissement (ATF 116 Ib 355 E. 1b; 115 Ib 4 E. 1d). Une simple autorisation de séjour ne suffit en aucun cas si elle ne se fonde pas sur un droit fermement établi (ATF 111 Ib 163/4 E. 1a), comme le Tribunal fédéral l’a déclaré dans maints jugements non publiés (en dernier lieu, jugement du 6 avril 1993 i. S. K. E. 1b) (...) Cela concorde d’ailleurs avec la nouvelle réglementation sur le statut juridique des étrangers qui ont de la famille en Suisse (articles 7 et 17 par. 2 de la LSEE, version amendée du 23 mars 1990, entrée en vigueur le 1er janvier 1992). D’après la loi, le droit au regroupement familial suppose un droit de résider fermement établi, comme indiqué plus haut (E. 1b). Etant donné que le législateur a voulu précisément, avec cet amendement législatif, tenir compte de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (BBl 1987 III pp. 293 et suiv., notamment pp. 321 et 322), il n’existe aucune raison, en ce qui concerne la reconnaissance des droits juridiques en matière d’autorisation de séjour par référence à cette disposition de la Convention, d’aller plus loin que ce que la loi elle-même prescrit expressément (arrêt non publié du Tribunal fédéral du 6 avril 1993 i.S. K. E. 1b)." Le Tribunal fédéral insista par ailleurs sur les différences entre l’autorisation d’établissement et l’autorisation de séjour: "Contrairement à l’autorisation d’établissement, accordée pour une durée illimitée (article 6 par. 1 de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers - "la LSEE"), l’autorisation de séjour est toujours assortie d’un délai (article 5 par. 1 de la LSEE). Quel que soit le motif qui a conduit à accorder pour la première fois l’autorisation de séjour, l’étranger doit dans ce cas compter avec la possibilité que son autorisation ne soit pas renouvelée. Les raisons peuvent en être multiples et reposer par exemple sur des circonstances d’ordre policier, économique ou démographique. Même si la situation personnelle doit être prise en compte dans le cadre de l’étude menée pour vérifier la proportionnalité de la non-prolongation, cela ne signifie pas que l’étranger ait de ce fait droit à la prolongation de son autorisation de séjour. Cette situation juridique vaut également pour les autorisations de séjour accordées à des fins humanitaires. La constatation d’un cas d’extrême gravité au sens de l’article 13 f) de l’ordonnance du conseil fédéral du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers ("l’OLE" - SR 823.21) a seulement pour effet d’exclure l’étranger des nombres maximaux visés dans l’ordonnance et n’implique pas l’existence d’un droit à une autorisation de séjour. La police des étrangers préfère rester libre de décider quand il convient d’accorder une telle autorisation (ATF 119 Ib 35 E. 1a). On ne peut en outre pas exclure que les circonstances particulières ayant conduit à accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires disparaissent ultérieurement ou perdent de leur force de sorte qu’il n’y ait non seulement plus de motif d’exclusion des nombres maximaux, mais également qu’il ne soit plus justifié de prolonger l’autorisation de séjour. Il ressort d’ailleurs de la règle établie à l’article 12 par. 2 de l’OLE que les conditions nécessaires à l’existence d’un cas d’extrême gravité peuvent disparaître à un stade ultérieur (jugement non publié du 3 juillet 1992 i. S. P. E. 6). La question de savoir si l’on se trouve devant un cas de ce genre est donc indépendante de l’existence ou non d’un droit à une autorisation de résider en Suisse au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (ATF 115 Ib 8). En l’espèce, il n’est de surcroît pas possible d’exclure totalement qu’à l’avenir, les raisons médicales, entre autres, qui ont conduit les autorités à octroyer l’autorisation de séjour perdent de leur signification, ou qu’apparaissent de nouveaux motifs justifiant le non-renouvellement de cette autorisation. Le requérant ne peut donc déduire de son autorisation de résider en Suisse aucun droit à l’octroi d’une autorisation de séjour pour ses fils." Le Tribunal fédéral ajouta qu’il n’avait pas à connaître de l’application de l’OLE pour l’octroi d’autorisations dans le cadre du recours de droit administratif, car le conseil d’Etat avait déjà examiné l’octroi d’une autorisation de séjour pour le plus jeune fils en vertu de l’article 36 de cette ordonnance. C. La situation d’Ersin, fils du requérant, en Turquie Ersin a vécu en Turquie depuis sa naissance: d’abord à Gümüshane jusqu’en 1993 (auprès de sa mère jusqu’en 1987), puis à Istanbul. D’après le Gouvernement, il vit actuellement avec son grand-père dans la famille de son frère aîné Tuncay et a reçu à plusieurs reprises la visite de son père. Le requérant soutient qu’Ersin change souvent de résidence et qu’il passe deux ou trois jours dans différentes familles kurdes originaires de son village natal, dont celle de son frère aîné. Les moyens financiers limités de son grand-père ainsi que l’éloignement de certaines familles de l’école empêcheraient le jeune garçon de s’y rendre sur une base régulière. Comme l’atteste un article paru le 25 juillet 1995 dans le journal turc Sabah, M. et Mme Gül ont rendu visite à leur fils en Turquie en juillet et août 1995. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE), du 26 mars 1931 La loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers dispose entre autres: Article 4 "L’autorité statue librement, dans le cadre desprescriptions légales et des traités avec l’étranger,sur l’octroi de l’autorisation de séjour oud’établissement." Article 16 "1. Pour les autorisations, les autorités doiventtenir compte des intérêts moraux et économiques du pays,ainsi que du degré de surpopulation étrangère. (...)" Article 17 "1. En règle générale, l’autorité ne délivrera d’abord qu’une autorisation de séjour, même s’il est prévu que l’étranger s’installera à demeure en Suisse.L’Office fédéral des étrangers fixera, dans chaque cas,la date à partir de laquelle l’établissement pourra être accordé. Si cette date a déjà été fixée ou si l’étranger possède l’autorisation d’établissement, son conjoint adroit à l’autorisation de séjour aussi longtemps que les époux vivent ensemble. Après un séjour régulier et ininterrompu de cinq ans, le conjoint a lui aussi droit à l’autorisation d’établissement. Les enfants célibataires âgés de moins de dix-huit ans ont le droit d’être inclus dans l’autorisation d’établissement aussi longtemps qu’ils vivent auprès de leurs parents. Ces droits s’éteignent si l’ayant droit a enfreint l’ordre public." Dans la version antérieure au 1er janvier 1992, le paragraphe 2 de cet article était rédigé de la manière suivante: "Lorsque cette date a déjà été fixée ou lorsque l’étranger possède l’autorisation d’établissement, sa femme et les enfants de moins de dix-huit ans ont le droit d’être compris dans l’autorisation lorsqu’ils feront ménage commun avec lui." B. L’ordonnance limitant le nombre des étrangers (OLE), du 6 octobre 1986 Les dispositions pertinentes de l’ordonnance limitant le nombre des étrangers sont les suivantes: Article 13 - Exceptions "Ne sont pas comptés dans les nombres maximaux: (...) f) les étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas personnel d’extrême gravité ou en raison de considérations de politique générale. (...)" La version antérieure au 18 octobre 1989 comportait l’expression "cas de rigueur excessive" au lieu de "cas personnel d’extrême gravité". Article 36 - Autres étrangers sans activité lucrative "Des autorisations de séjour peuvent être accordées à d’autres étrangers n’exerçant pas une activité lucrative lorsque des raisons importantes l’exigent." Chapitre 4: Regroupement familial Article 38 - Principe "1. La police cantonale des étrangers peut autoriser l’étranger à faire venir en Suisse son conjoint et ses enfants célibataires âgés de moins de dix-huit ans dont il a la charge. (...)" Article 39 - Conditions "1. L’étranger peut être autorisé à faire venir sa famille sans délai d’attente (...): a) lorsque son séjour et, le cas échéant, son activité lucrative paraissent suffisamment stables; b) lorsqu’il vit en communauté avec elle et dispose à cet effet d’une habitation convenable; c) lorsqu’il dispose de ressources financières suffisantes pour l’entretenir et d) si la garde des enfants ayant encore besoin de la présence des parents est assurée. Une habitation est convenable si elle correspond aux normes applicables aux ressortissants suisses dans la région où l’étranger veut habiter." Dans la version antérieure au 20 octobre 1993, l’expression "sans délai d’attente" ne figurait pas dans le texte. C. La jurisprudence du Tribunal fédéral suisse D’après la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’article 8 (art. 8) de la Convention autorise une personne à rejoindre un membre de sa famille en Suisse, si ce dernier possède la nationalité suisse ou bénéficie d’une autorisation d’établissement (arrêts du Tribunal fédéral (ATF): vol. 116, partie I b), p. 355; vol. 115 partie I b), p. 4; vol. 111, partie I b), pp. 163 et suiv.). D. La convention de sécurité sociale entre la Suisse et la Turquie, du 1er mai 1969 En réponse à la question posée à l’audience par un juge, le Gouvernement a indiqué qu’en vertu de la convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et la République de Turquie le 1er mai 1969, entrée en vigueur le 1er janvier 1972 avec effet au 1er janvier 1969, les prestations d’assurance invalidité sont exportables entre les deux pays. En l’occurrence, si M. Gül retournait en Turquie, il percevrait un montant de 915 CHF, composé de sa pension ordinaire (436 CHF), ainsi que de la moitié de la pension supplémentaire versée pour son épouse (131 CHF), son fils Ersin (174 CHF) et sa fille Nursal (174 CHF). Le requérant affirme que seule sa pension d’invalidité et non les prestations sociales pourrait lui être versée en Turquie. De plus, sa pension d’invalidité serait actuellement en cours de révision et si elle tombait en dessous d’un taux d’invalidité de 50 %, elle ne pourrait plus être transférée en Turquie. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Gül a saisi la Commission le 31 décembre 1993. Il alléguait que le refus des autorités helvétiques d’autoriser ses deux fils, Tuncay et Ersin, à le rejoindre en Suisse constituait une violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention. Le 10 octobre 1994, la Commission a retenu la requête (no 23218/94) quant au grief relatif à l’article 8 (art. 8) de la Convention en ce qui concerne Ersin et l’a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 4 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 8 (art. 8) (quatorze voix contre dix). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire qu’en l’espèce: "à titre principal, l’article 8 (art. 8) de la Convention n’est pas applicable;à titre subsidiaire, il n’y a pas eu "ingérence" desautorités publiques suisses dans l’exercice du droit durequérant à ses relations familiales avec son fils Ersin; à titre plus subsidiaire encore, en cas de constat d’une telle ingérence, celle-ci était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2) de la Convention." De son côté, le requérant demande à la Cour de constater que les conditions énoncées à l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention n’étaient pas remplies et de suivre la Commission sur ce point.
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I. Les circonstances de l’espèce Les trois requérants sont témoins de Jéhovah. Elias et Maria Valsamis sont les parents de Victoria, née en 1980 et actuellement élève au lycée public de Melissia, à Athènes. Ils expliquent que le pacifisme constitue un dogme fondamental de leur religion qui leur interdit tout comportement ou pratique liés, même indirectement, à la guerre ou à la violence. C’est pourquoi les témoins de Jéhovah refusent d’effectuer leur service militaire ou de participer à des manifestations à connotation militaire. Le 20 septembre 1992, M. et Mme Valsamis présentèrent une déclaration écrite afin que leur fille Victoria, alors âgée de douze ans et élève au gymnase de Melissia, fût exemptée des cours de religion dispensés à l’école, de la messe orthodoxe, ainsi que de toute autre manifestation contraire à ses convictions religieuses, y compris la commémoration des fêtes nationales et les défilés publics. Victoria fut effectivement dispensée de l’obligation de participer aux cours d’instruction religieuse et à la messe orthodoxe. En revanche, en octobre 1992, elle fut invitée, au même titre que les autres élèves de son école, à participer à la célébration de la fête nationale du 28 octobre qui commémore, par des défilés scolaires et militaires, le 28 octobre 1940, date à laquelle l’Italie fasciste déclara la guerre à la Grèce. A cette occasion, des défilés scolaires ont lieu dans pratiquement toutes les villes et communes. Dans la capitale, il n’y a aucun défilé militaire le 28 octobre, et à Thessalonique, le défilé scolaire se tient un autre jour que le défilé militaire. Les deux défilés, militaire et scolaire, ne sont simultanés que dans un nombre limité de communes. Victoria déclara alors au proviseur de l’école que ses convictions religieuses lui interdisaient de s’associer à la commémoration d’une guerre, en participant devant les autorités civiles, ecclésiastiques et militaires, à un défilé scolaire qui suivrait une messe officielle et se déroulerait le même jour qu’un défilé militaire. Selon les requérants, les autorités scolaires refusèrent de recevoir sa déclaration. De l’avis du Gouvernement, celle-ci était imprécise et confuse et ne permettait pas de connaître les convictions religieuses en question. En tout état de cause, sa demande de dispense ne fut pas acceptée. Victoria ne participa pourtant pas au défilé de l’école. Le 29 octobre 1992, le proviseur de l’école la sanctionna pour son absence par un "renvoi de l’école" d’une journée. Cette décision fut prise conformément à la circulaire no C1/1/1 du 2 janvier 1990 du ministère de l’Education nationale et des Cultes (paragraphe 13 ci-dessous). II. Le droit et la pratique internes pertinents A. En matière de religion La Constitution de 1975 contient les dispositions suivantes: Article 3 "1. La religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la même foi (homodoxi), observant immuablement, comme les autres églises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le saint-synode, composé de tous les évêques en fonction, et par le saint-synode permanent qui, dérivant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l’Eglise et conformément aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du 4 septembre 1928. Le régime ecclésiastique établi dans certaines régions de l’Etat n’est pas contraire aux dispositions du paragraphe précédent. Le texte des Saintes Ecritures est inaltérable. Sa traduction officielle en une autre forme de langage, sans le consentement préalable de l’Eglise autocéphale de Grèce et de la Grande Eglise du Christ à Constantinople, est interdite." Article 13 "1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun. Toute religion connue est libre; les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. L’exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante. Nul ne peut être dispensé de l’accomplissement de ses devoirs envers l’Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en raison de ses convictions religieuses. Aucun serment ne peut être imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule." Un décret royal du 23 juillet 1833, intitulé "Proclamation de l’indépendance de l’Eglise de Grèce", qualifia l’Eglise orthodoxe d’"autocéphale" et les Constitutions successives de la Grèce lui ont attribué un caractère "dominant". Selon les conceptions grecques, l’Eglise orthodoxe incarne, en droit et en fait, la religion de l’Etat lui-même dont elle assure d’ailleurs bon nombre de fonctions d’ordre administratif ou éducatif (droit du mariage et de la famille, instruction religieuse obligatoire, serment des gouvernants, etc.). Son rôle dans la vie publique se traduit notamment par la présence du ministre de l’Education nationale et des Cultes aux séances de la hiérarchie consacrées à l’élection de l’archevêque d’Athènes et par la participation des autorités ecclésiastiques à toutes les manifestations officielles de l’Etat; en outre, le président de la République prête serment conformément aux rituels de la religion orthodoxe (article 33 par. 2 de la Constitution) et le calendrier officiel suit celui de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. B. En matière scolaire La circulaire no C1/1/1 du 2 janvier 1990 du ministère de l’Education nationale et des Cultes dispose: "Les écoliers qui sont des témoins de Jéhovah sont dispensés des cours de religion, de la prière à l’école et de la messe. (...) Pour que les écoliers bénéficient de la dispense, leurs deux parents ou, en cas de divorce, le parent investi de l’autorité parentale, conformément à une décision de justice, ou la personne chargée de la garde de l’enfant, doivent déposer une déclaration écrite indiquant qu’eux-mêmes, ainsi que leur enfant, ou l’enfant dont ils ont la garde, sont des témoins de Jéhovah. (...) Les écoliers ne seront, en aucun cas, dispensés de l’obligation de participer à d’autres activités scolaires et notamment aux manifestations de caractère national." Les articles pertinents du décret présidentiel no 104/1979 des 29 janvier et 7 février 1979 sont les suivants: Article 2 "1. Le comportement des écoliers à l’intérieur et à l’extérieur de l’école constitue leur conduite, quelle que soit la manière - action ou omission - dont ils l’expriment. Les écoliers sont tenus de se conduire convenablement, c’est-à-dire d’observer les règles régissant la vie scolaire et les principes moraux gouvernant l’environnement social dans lequel ils vivent, et toute action ou omission constituant une violation des règles et principes en question sera traitée selon les voies du système éducationnel et soumise, au besoin, aux mesures disciplinaires prévues par le présent décret." Les mesures disciplinaires édictées par l’article 27 du même décret sont, par ordre croissant de gravité, l’avertissement, le blâme, l’exclusion des cours pendant une heure, le renvoi de l’école jusqu’à cinq jours et le transfert dans une autre école. Article 28 par. 3 "Les écoliers renvoyés peuvent demeurer à l’école pendant les heures d’enseignement et participer à diverses activités, sous la responsabilité du directeur de l’école." C. En matière de recours Le droit de pétition L’article 10 de la Constitution dispose: "Toute personne, ou plusieurs agissant en commun, ont le droit, en se conformant aux lois de l’Etat, d’adresser, par voie écrite, des pétitions aux autorités. Celles-ci sont tenues d’agir au plus vite suivant les dispositions en vigueur et de fournir au pétitionnaire une réponse écrite motivée conformément aux dispositions de la loi." Quant à l’article 4 du décret législatif no 796/1971, il précise: "Une fois que les autorités ont reçu la pétition [prévue par l’article 10 de la Constitution], elles doivent répondre par écrit et fournir toutes explications nécessaires au pétitionnaire, dans un délai jugé absolument nécessaire, lequel ne saurait excéder trente jours à compter de la notification de la pétition." Le recours en annulation L’article 95 de la Constitution est ainsi rédigé: "Relèvent en principe de la compétence du Conseil d’Etat: a) l’annulation sur recours des actes exécutoires des autorités administratives pour excès de pouvoir ou violation de la loi. (...)" Selon la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, "les actes des organes de l’école par lesquels sont infligées aux élèves les peines prévues à l’article 27 du décret présidentiel no 104/1979 ont pour but de maintenir la discipline nécessaire à l’intérieur de l’école et de contribuer au bon fonctionnement de celle-ci; il s’agit là de mesures d’ordre interne dépourvues de force exécutoire et qui ne peuvent faire l’objet d’un recours en annulation" (arrêts nos 1820/1989, 1821/1989, 1651/1990). Seul le transfert scolaire est jugé exécutoire et susceptible d’être annulé par le Conseil d’Etat (arrêt no 1821/1989). Les recours en indemnisation L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit: "L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition existante mais afin de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres." Cet article établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extra-contractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictuelle 1977, par. 48 B 112; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217; arrêt no 535/1971 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 19e année, p. 1414; arrêt no 492/1967 de la Cour de cassation; Nomiko Vima, 16e année, p. 75). La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition: la nature illégale de l’acte ou de l’omission. L’article 57 du code civil ("Droits de la personne") dispose: "Celui qui, d’une manière illicite, subit une atteinte dans les droits de sa personne, peut exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. Si l’atteinte concerne les droits d’une personne décédée, son conjoint, ses descendants, ascendants, frères et sœurs et les héritiers testamentaires pourront exercer ce droit. En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 26 avril 1993. Ils alléguaient des violations de l’article 2 du Protocole no 1 (P1-2) et des articles 3 et 9 de la Convention (art. 3, art. 9) ainsi que de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles précités (art. 13+P1-2, art. 13+3, art. 13+9). Le 29 novembre 1994, la Commission a retenu la requête (no 21787/93). Dans son rapport du 6 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut a) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 (P1-2) au regard des deux premiers requérants (dix-neuf voix contre dix); b) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention (art. 9) au regard de la troisième requérante (dix-sept voix contre douze); c) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention (art. 3) au regard de la troisième requérante (unanimité); d) qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 (art. 13+P1-2), au regard des deux premiers requérants (vingt-quatre voix contre cinq); e) qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 9 de la Convention (art. 13+9), au regard de la troisième requérante (vingt-six voix contre trois); f) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 3 de la Convention (art. 13+3), au regard de la troisième requérante (vingt-quatre voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour défaut de fondement.
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I. Les circonstances de l’espèce M. Miailhe possède la double nationalité française et philippine. Il a exercé des fonctions de consul honoraire des Philippines à Bordeaux de 1960 à mai 1983 et s’occupait aussi du consulat de ce pays à Toulouse. A. La genèse de l’affaire: les poursuites douanières Les 5 et 6 janvier 1983, des agents des douanes saisirent près de 15 000 documents à la résidence bordelaise du requérant, dans des locaux abritant le siège de sociétés qu’il dirigeait et le consulat de la République des Philippines. Ils agissaient dans le cadre d’une enquête en matière de contrôle des changes qui portait notamment sur le point de savoir si le requérant, ainsi que sa mère, devaient passer pour résidents en France. Ouverte sur plainte du directeur des enquêtes douanières du chef de constitution et détention irrégulières d’avoirs à l’étranger, l’information judiciaire aboutit à un jugement du tribunal correctionnel du 2 décembre 1992 déclarant "l’action publique et l’action tendant à l’application des sanctions douanières éteintes par l’abrogation de la loi pénale à l’encontre des époux Miailhe" et ordonnant la restitution des documents saisis. Celle-ci eut lieu en janvier 1993. M. Miailhe contesta devant les organes de Strasbourg la régularité des saisies douanières menées en application des articles 64 et 454 du code des douanes. Cette procédure déboucha sur deux arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme concluant, le premier, à la violation de l’article 8 de la Convention (art. 8) au motif que les visites domiciliaires et les saisies opérées par les agents des douanes, en l’absence d’un mandat judiciaire, avaient porté atteinte à la vie privée du requérant, de sa mère et de son épouse, et, le second, au versement par la France à M. Miailhe de 50 000 francs français (FRF) pour dommage moral et de 60 000 FRF pour frais et dépens (voir les arrêts Miailhe c. France (no 1) du 25 février 1993, série A no 256-C, et du 29 novembre 1993, série A no 277-C). B. La procédure administrative de contrôle fiscal Le 4 mars 1983, la direction nationale des enquêtes fiscales adressa au requérant un avis de vérification approfondie de sa situation fiscale d’ensemble concernant ses revenus au titre des années 1979, 1980, 1981 et 1982. M. Miailhe se considérant comme domicilié fiscalement aux Philippines et, partant, non redevable de l’impôt à l’Etat français, l’administration fiscale lui demanda de produire copie de ses bulletins d’imposition aux Philippines et des pièces permettant d’identifier tous les comptes bancaires ouverts à son nom tant en France qu’à l’étranger. Le 20 avril 1983, M. Miailhe répondit qu’il lui était impossible de transmettre certains des documents retenus par les douanes et dont il avait demandé la restitution. Au courant du mois de mai 1983, l’agent vérificateur des impôts exerça le droit de communication prévu aux articles L.81 et suivants du livre des procédures fiscales et 64A du code des douanes. Il consulta auprès de ses homologues douaniers les 9 478 pièces définitivement retenues et cotées par l’administration des douanes et fit copie de 1 200 à 1 300 de ces documents. Le 9 février 1984, l’agent vérificateur sollicita des autorités philippines l’assistance administrative prévue par l’article 26 de la convention fiscale franco-philippine du 9 janvier 1976 "tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu" (paragraphe 27 ci-dessous). Il eut communication le 21 mars 1985 de quarante et un feuillets concernant des déclarations et annexes du requérant et de sa mère pour les années 1980 et 1982, de vingt-sept feuillets relatifs aux déclarations, états financiers y attachés et certificats de l’expert comptable de la société AMIBU gérée par l’intéressé au titre des exercices 1979, 1980 et 1981, et de trois feuillets concernant une situation comptable provisoire et un état de rapprochement des soldes des comptes bancaires au 15 septembre 1982. Ces pièces étaient parvenues le 8 novembre 1984 à l’administration centrale des impôts, à Paris. Au terme de la procédure de vérification fiscale, M. Miailhe se vit notifier quatre redressements: le 22 décembre 1983 pour l’année 1979, le 4 décembre 1984 pour l’année 1980, le 19 février 1985 pour l’année 1981 et le 12 mars 1985 pour l’année 1982. L’administration revint sur les avis concernant les années 1979, 1980 et 1981, une première fois le 16 juillet 1985, au vu des observations du requérant, puis le 8 novembre 1985, pour substitution de motifs. Pour chaque catégorie de procédures, administrative, fiscale et pénale, les pièces pertinentes à analyser n’étaient pas toutes les mêmes puisqu’il s’agissait d’exercices fiscaux différents, d’assiettes d’impôts diverses, de non-déclaration ou d’impositions foncières et agricoles distinctes de l’imposition générale sur le revenu que la controverse sur la résidence fiscale concernait plus spécialement. C. La contestation des impositions devant les juridictions administratives M. Miailhe contesta devant les juridictions de l’ordre administratif, ès qualités de juge de l’impôt, les redressements fiscaux imposés au titre des années 1979 à 1982, en introduisant un recours fondé en partie sur le caractère non contradictoire de l’instruction au plan fiscal de son dossier. Par un jugement du 12 décembre 1991, le tribunal administratif de Bordeaux considéra que le requérant ne démontrait pas avoir expressément demandé à l’administration des impôts la communication des documents sur lesquels elle aurait fondé les redressements pour les années 1980, 1981 et 1982 et ordonna un supplément d’instruction sur ce point. Quant au redressement imposé pour l’année 1979, le tribunal constata en revanche que l’administration avait omis de faire droit à une demande de communication du conseil du requérant et accorda de ce fait au requérant la décharge des impositions supplémentaires dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers et en matière de revenus d’origine indéterminée au titre de cette année. La cour administrative d’appel de Bordeaux rejeta l’appel du ministre du Budget portant sur la décharge d’impôt accordée pour la seule année 1979. Le jugement du tribunal se trouve aujourd’hui soumis à l’examen du Conseil d’Etat en tant que juge de cassation. Le tribunal administratif ne s’est pas encore prononcé au fond sur les rappels d’impôts afférents aux années 1980, 1981 et 1982. Dans le cadre d’une autre instance opposant la société AMIBU dirigée par le requérant à l’administration des impôts, la cour administrative d’appel de Bordeaux releva que l’imposition contestée par la société était en partie établie sur des documents saisis par les douanes dans des conditions jugées contraires à l’article 8 de la Convention (art. 8). Par un arrêt du 15 juin 1995, elle accueillit la requête de la société en décharge d’impositions en ces termes: "Considérant que, si l’irrégularité de la saisie, dans le cadre d’une procédure diligentée au titre d’une autre législation, de documents sur la base desquels le service des impôts, usant de son droit de communication, a établi les impositions est sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition, cette irrégularité est de nature à priver de toute valeur probante lesdits documents, y compris en tant qu’ils ont révélé au service que le contribuable était en situation d’être taxé d’office; que, lorsqu’un organe juridictionnel international institué par un traité ou accord international régulièrement ratifié ou approuvé a statué sur la non-conformité de la saisie des documents audit traité ou accord, le juge de l’impôt doit regarder les documents saisis comme dénués de valeur probante (...)" D. Les poursuites pénales pour fraude fiscale Le 15 avril 1986, la commission des infractions fiscales (CIF) se déclara favorable au dépôt d’une plainte tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts, conformément à l’article L.228 du livre des procédures fiscales (paragraphe 29 ci-dessous). En conséquence, la direction générale des impôts déposa une plainte avec constitution de partie civile contre l’intéressé, pour fraude fiscale au titre des années 1981 et 1982. Elle lui reprochait de n’avoir pas souscrit de déclaration générale des revenus pour 1981 et d’avoir minoré ses revenus agricoles pour 1982. L’administration joignit à sa plainte une partie des documents communiqués par les services douaniers. Elle n’y annexa alors aucune des pièces transmises par les autorités philippines, bien que le rapport de synthèse de l’agent vérificateur versé au dossier de l’instruction mentionnât la correspondance entre les autorités françaises et philippines. Le juge d’instruction entendit sur ce point l’agent des impôts qui en référa à son administration centrale. Il put ensuite informer le juge que l’administration avait hésité à produire dans une procédure pénale des documents que l’autorité judiciaire n’aurait pu se procurer elle-même. Sur demande du magistrat, l’agent versa au dossier les pièces en provenance des Philippines que lui fournit son administration, soit les seuls documents concernant M. Miailhe pour les faits retenus dans la prévention. Les pièces non versées intéressaient Mme Miailhe et la société AMIBU qui n’étaient pas en cause et, en ce qui concerne le prévenu, les années 1980 et 1982 qui n’étaient pas visées par les poursuites de défaut de déclaration. Le 6 mai 1988, le juge d’instruction renvoya devant le tribunal correctionnel de Bordeaux le requérant, prévenu de s’être frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement partiels de l’impôt sur le revenu dû au titre des années 1981 et 1982 "en s’abstenant de faire certaines déclarations catégorielles (pour les revenus de capitaux mobiliers "RCM" et les bénéfices industriels et commerciaux "BIC", article 92 du code général des impôts) dans les délais prescrits (pour 1981), et en omettant une fraction de ses revenus agricoles et fonciers dans ses déclarations (pour 1981 et 1982), dissimulant ainsi volontairement dans ses déclarations globales une partie des sommes sujettes à l’impôt". Devant le tribunal correctionnel de Bordeaux Avant toute défense au fond, M. Miailhe déposa des conclusions visant à faire constater la nullité de la plainte de l’administration fiscale et de la procédure d’instruction. Il soutenait que les saisies opérées par les douanes étaient nulles, que le principe du contradictoire n’avait pas été respecté par l’administration et que celle-ci aurait, notamment au stade de l’instruction, dissimulé des pièces à l’autorité judiciaire et formulé des affirmations mensongères. Il versa lui-même certains documents qu’il avait pu se procurer auprès des autorités philippines: la demande des services fiscaux français à leurs homologues philippins, la réponse des services philippins indiquant que les époux Miailhe avaient leur domicile fiscal aux Philippines pour 1980 et 1982, des renseignements concernant la société AMIBU, des pièces bancaires non traduites, un certificat d’un comptable agréé attestant que la déclaration fiscale de M. Miailhe pour 1982 était sincère, un état de ses revenus et dépenses pour 1982, un tableau d’amortissement pour 1981, un état de ses revenus pour 1981, sa déclaration de revenus souscrite aux Philippines pour 1981 et une déclaration de revenus pour 1982. Le 11 janvier 1989, le tribunal correctionnel rendit son jugement. Il commença par rejeter l’ensemble des exceptions préliminaires de M. Miailhe. Au sujet de la première, il rappela que, sur recours de l’intéressé relatif au bien-fondé de ces saisies, la Cour de cassation avait confirmé un arrêt de la cour d’appel de Paris disant "que les fonctionnaires des douanes n’ont pas excédé leurs pouvoirs et qu’il n’existait aucune violation manifeste et délibérée d’une liberté individuelle"; les saisies douanières entraient dans les prévisions du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention (art. 8-2) et les pièces saisies avaient été régulièrement communiquées à l’administration fiscale. Il répondit à la deuxième exception en ces termes: "(...) en vertu du principe de l’indépendance des procédures fiscales et pénales, le juge [pénal] ne peut apprécier la nullité d’une procédure fiscale. La seule exception apportée à ce principe relève de l’article L.47 du livre des procédures fiscales (...). Cet article sanctionne sous peine de nullité de la procédure l’avis de vérification qui ne mentionnerait pas que le contribuable ait la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. Comme le prévenu ne conteste pas que cette information lui ait été donnée, il ne peut invoquer aucun autre argument en vue de faire prononcer par la juridiction pénale la nullité de la procédure fiscale." Quant à la dernière exception, le tribunal constata, au vu des pièces produites par le requérant à l’audience, que les lettres et documents échangés par les autorités françaises et philippines ne figuraient pas au dossier et conclut sur ce point: "(...) L’omission de verser aux débats une partie des documents importants pour la défense du prévenu et qui ont été réclamés dans leur intégralité par le juge d’instruction constitue une violation de ses droits. Cette violation des droits de la défense ne saurait cependant entraîner la nullité de la procédure antérieure. En effet, en produisant ces documents à l’audience le prévenu a pu s’expliquer sur leur contenu et provoquer leur examen contradictoire. Cette violation de ses droits n’a donc pas eu pour effet de porter atteinte à ses intérêts." Statuant sur le point de savoir si M. Miailhe était tenu de déclarer en France ses revenus catégoriels et s’il s’était soustrait de mauvaise foi au paiement de cet impôt pour l’année 1981, le tribunal regarda le requérant comme fiscalement domicilié en France à l’époque, tant du point de vue du droit français que de la convention franco-philippine. Pour juger de la mauvaise foi, il s’appuya notamment sur un manuscrit de M. Miailhe, reproduit dans le rapport de vérification fiscale, et sur l’attitude que l’intéressé avait adoptée en ne fournissant qu’à l’audience l’intégralité de sa déclaration de 1981, présentée au vérificateur avec des chiffres blanchis. Au sujet des revenus agricoles et fonciers non déclarés pour les années 1981 et 1982, le tribunal constata que le requérant s’était prêté de l’argent à lui-même à travers les comptes bancaires de ses sociétés et avait déduit ensuite de son revenu agricole les frais financiers et pertes sur change. Il réalisait ainsi un déficit fiscal pour ces années et exportait légalement ses capitaux par le biais des remboursements. Le tribunal en conclut que M. Miailhe avait personnellement mis en place des mécanismes frauduleux destinés à éviter son assujettissement à l’impôt et le paiement en France. Il le condamna à trois ans d’emprisonnement, dont six mois ferme, et à 150 000 FRF d’amende. La publication par extraits du jugement fut ordonnée au Journal officiel français ainsi que dans les quotidiens Le Monde, Le Figaro et Sud-Ouest. Devant la cour d’appel de Bordeaux Le prévenu fit appel et reprit devant la cour de Bordeaux les trois exceptions de nullité déjà soulevées, précisant quant à la dernière: "(...) que s’il a pu se procurer un certain nombre de pièces recélées en les demandant aux autorités philippines, il n’a pu avoir connaissance du plus grand nombre des documents annexés aux correspondances, qu’il en ignore toujours la teneur et n’a pu s’expliquer à leur sujet; en particulier, il n’a pu faire état des pièces recélées devant la commission des infractions fiscales; (...)" La cour d’appel statua par un arrêt du 7 juin 1989. Joignant les exceptions au fond, elle les écarta en se référant, "pour les deux premières demandes de nullité reprises mais peu soutenues", aux arguments du tribunal correctionnel. Elle repoussa en ces termes la dernière exception concernant la dissimulation de pièces et les affirmations mensongères: "Ces pièces auraient dû être transmises mais n’apportent aucun élément susceptible d’avoir une quelconque influence sur la décision du tribunal ou sur celle de la cour; pour la plupart, elles n’intéressaient pas Miailhe ou la période envisagée, 1981; (...) les pièces non versées ne présentaient aucun intérêt en la cause et au demeurant elles ont été déposées à l’audience du tribunal et discutées à cette occasion; le même raisonnement, mis à part la discussion des pièces, vaut pour la commission des infractions fiscales; de plus, la nullité de la procédure devant cette commission n’avait pas été demandée en première instance; en ce qui concerne les très nombreuses autres pièces transmises mais non versées au dossier, leur existence alléguée par [le requérant] n’est pas prouvée et il ne saurait en être tenu aucun compte." Au fond, la cour jugea, quant à la première infraction de non-déclaration de revenus pour 1981, que le requérant avait la qualité de résident fiscal français au regard du seul droit français, la convention franco-philippine ne jouant pas en l’espèce, faute de conflit entre les deux législations nationales. Elle signala que les calculs de l’administration avaient été faits à partir de pièces signées en France par M. Miailhe, qu’elle énuméra. Elle conclut qu’il était de mauvaise foi, à l’examen des notes de celui-ci, saisies et figurant au dossier, et des pièces qu’il avait lui-même versées et qui montraient que, malgré sa qualité prétendue de résident et citoyen philippin, il ne s’était pas plus acquitté de son obligation de déclarer aux Philippines ses revenus mondiaux. La cour d’appel, qui confirma dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal correctionnel, infligea au prévenu trois ans d’emprisonnement, dont dix mois ferme, et une amende de 250 000 FRF. Devant la Cour de cassation M. Miailhe forma un pourvoi que la Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le 18 mars 1991. L’arrêt se lisait ainsi: "Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l’article 8 de la Convention (art. 8) (...) (...) Qu’ainsi le moyen ne peut qu’être écarté; Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation (...) de l’article 6 de la Convention (art. 6) (...) (...) Attendu, d’une part, que le prévenu s’est borné à soulever, devant les premiers juges avant toute défense au fond, une exception de nullité touchant à la régularité de la procédure de redressement fiscal, laquelle, purement administrative, est étrangère aux poursuites pénales; Que, dès lors, le moyen en sa première branche, qui invoque pour la première fois devant la Cour de cassation l’exception tirée d’une prétendue nullité de la procédure préalable à l’avis de la commission des infractions fiscales, est irrecevable par application de l’article 385 du code de procédure pénale; Attendu, d’autre part, que pour refuser de faire droit à l’exception de nullité de la procédure judiciaire, tirée d’une dissimulation par l’administration fiscale de pièces utiles à la défense, la cour d’appel relève que dans le cadre de la convention fiscale franco-philippine du 9 janvier 1976, les autorités françaises ont demandé l’assistance administrative des autorités philippines; que le prévenu soutient que 71 documents ont été ainsi adressés à l’administration française; que le prévenu qui a pu se procurer certains de ces documents, les a versés à l’audience du tribunal; qu’après avoir analysé lesdites pièces, la cour d’appel constate que celles-ci, qui pour la plupart n’intéressaient pas [William] Miailhe ou la période de référence visée à la prévention, ne présentaient aucun intérêt en la cause; qu’au demeurant, elles ont été déposées à l’audience du tribunal et discutées à cette occasion entre les parties; que la cour d’appel ajoute que l’existence des autres pièces prétendument transmises et non versées au dossier n’est pas établie; Attendu qu’en prononçant comme elle l’a fait, la cour d’appel, qui n’a fondé sa conviction que sur les documents versés aux débats, a donné une base légale à sa décision; Que le moyen ne peut qu’être également écarté en sa seconde branche." Incarcéré le 18 mars 1991, le requérant bénéficia le 21 juillet suivant d’une mesure de libération conditionnelle. Il fut placé sous contrôle judiciaire jusqu’au 8 novembre 1991. II. Le droit international et interne pertinent A. La convention franco-philippine du 9 janvier 1976 Les gouvernements français et philippin ont signé le 9 janvier 1976 à Kingston une convention "tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu". Son article 26 ("Echange de renseignements") dispose: "1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangeront les renseignements (renseignements dont elles disposent sur la base de leurs pratiques administratives fiscales respectives et renseignements qu’elles peuvent se procurer par une enquête particulière) nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente Convention et celles des lois internes des Etats contractants relatives aux impôts visés par la Convention, en particulier pour prévenir la fraude ou l’évasion relatives à ces impôts. Les renseignements ainsi échangés seront tenus secrets et ne seront communiqués qu’aux personnes et autorités (y compris les tribunaux ou organismes administratifs) chargées de l’établissement, de la perception ou du recouvrement des impôts visés par la présente Convention ou des poursuites, réclamations et recours concernant ces impôts. Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à l’un des Etats contractants l’obligation: a) De prendre des dispositions administratives dérogeant à sa propre législation ou à sa pratique administrative ou à celles de l’autre Etat contractant; b) De fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa propre législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant; c) (...)" B. Le livre des procédures fiscales La procédure administrative de contrôle fiscal est réglementée par le livre des procédures fiscales. Aux termes de l’article L.47 de celui-ci, "Une vérification approfondie de la situation fiscale d’ensemble d’une personne physique au regard de l’impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification. Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l’exploitation ou de l’existence et de l’état des documents comptables, l’avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations de constatations matérielles. L’examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu’à l’issue d’un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil." Le juge de l’impôt, qui en matière d’impôts directs est le juge administratif, a une compétence de principe pour connaître des irrégularités de la procédure administrative de contrôle fiscal. Il veille au respect des garanties accordées au contribuable. Ainsi, "l’autorité de la chose jugée au pénal ne peut faire obstacle à ce que, devant le juge de l’impôt, le contribuable fasse valoir que la vérification dont procèdent les impositions contestées est entachée d’irrégularité" (Conseil d’Etat, 9 avril 1986, no 22691, Revue de jurisprudence fiscale, juin 1986, no 625). L’article L.228 du livre des procédures fiscales dispose: "Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxes sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxes de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’Administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé des finances. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires. Le ministre est lié par les avis de la commission." Aucune disposition législative ou réglementaire n’oblige l’administration fiscale à engager des poursuites pénales pour les infractions visées à l’article 1741 du code général des impôts (Conseil d’Etat, 5 novembre 1980, Droit fiscal 1981, p. 365). Créée par la loi du 29 décembre 1977 pour accorder de nouvelles garanties aux contribuables, la CIF se compose de six conseillers d’Etat (magistrats de l’ordre administratif) et de six conseillers à la Cour des comptes (magistrats de la juridiction financière). Le Parlement a formellement exclu que la CIF puisse constituer un premier degré de juridiction. Il a refusé que ses avis soient motivés afin d’éviter d’influencer la juridiction judiciaire. Dès lors qu’aucune atteinte n’est portée aux droits de la défense, le contribuable, prévenu du chef de fraude fiscale, est irrecevable à contester devant les juridictions répressives la régularité de la procédure administrative préalable à l’avis favorable de la CIF; le juge pénal doit seulement constater la réalité et la date dudit avis (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 décembre 1985, Recueil Dalloz Sirey ("DS"), 1986, p. 489). Les juridictions pénales qui sont les juges de la fraude fiscale n’ont pour mission que de sanctionner celle-ci. La Cour de cassation a affirmé: "(...) les poursuites pénales instaurées sur la base de l’article 1741 du code général des impôts et la procédure administrative tendant à la fixation de l’assiette et de l’étendue des impositions sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre (...) la mission du juge qui se prononce sur une poursuite intentée en vertu de l’article 1741 se borne à rechercher si le prévenu a échappé ou a tenté d’échapper à l’impôt par des manoeuvres répréhensibles et pour des sommes dépassant la tolérance légale." (chambre criminelle, 9 avril 1970, DS 1970, p. 755) L’article L.47 sanctionne la violation de ses dispositions par la nullité de la procédure "sans faire aucune distinction entre la procédure administrative et la procédure pénale (...). Cette dernière procédure pouvant trouver son fondement dans les constatations faites par les vérificateurs dans la comptabilité et les documents détenus par un contribuable, l’observation des prescriptions de [l’article L.47] apparaît ainsi comme une garantie essentielle des droits de la défense dont il appartient à la juridiction répressive d’assurer le respect" (Cour de cassation, chambre criminelle, 4 décembre 1978, Venutolo, DS 1979, p. 90). Cependant, "l’appréciation de la régularité de la procédure fiscale n’est pas de la compétence du juge répressif (...). La conséquence tirée par les tribunaux judiciaires de l’inobservation des dispositions de l’article L.47, en ce qu’elle déroge au principe général de la séparation des autorités administratives et judiciaires, est d’interprétation stricte et ne saurait dès lors être étendue au-delà des cas où la loi a entendu expressément la limiter" (Cour de cassation, chambre criminelle, 9 mai 1983, DS 1983, p. 621). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Miailhe a saisi la Commission le 16 septembre 1991. Invoquant l’article 6 de la Convention (art. 6), il dénonçait une atteinte au principe de l’égalité des armes lors de la phase administrative de la procédure, antérieure à l’avis de la CIF, et se plaignait de la violation de ses droits de la défense au cours du procès La Commission a retenu la requête (no 18978/91) le 6 avril 1994. Dans son rapport du 11 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par onze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir rejeter l’ensemble des griefs soulevés par le requérant".
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant, M. de Salvador Torres, est né en 1928 et habite Barcelone. En juin 1966, en sa qualité de directeur administratif d’un hôpital public de Barcelone (Hospital Clínico y Provincial), le requérant conclut avec une banque un accord prévoyant, pour le dépôt de fonds, le versement d’intérêts supérieurs au taux légal. Il fit encaisser sur son compte personnel les sommes correspondant à la différence entre les intérêts légaux et les intérêts supplémentaires (extratipos) payés par la banque sur les quantités déposées. Entre 1966 et 1983, un montant total de 147 614 565 pesetas fut ainsi transféré à l’intéressé. En 1983, une procédure pénale fut engagée contre M. de Salvador Torres. Par une ordonnance du 16 mars 1984 (auto de procesamiento), le juge d’instruction no 2 de Barcelone l’inculpa de détournement de deniers publics (malversación de caudales públicos), en vertu de l’article 394 par. 4 du code pénal (paragraphe 15 ci-dessous). Ce délit fut réputé commis non par un fonctionnaire stricto sensu, mais par une personne chargée de gérer des fonds appartenant à un établissement public (article 399 du code pénal - paragraphe 16 ci-dessous). Le juge ordonna par la suite son renvoi en jugement devant l’Audiencia Provincial de Barcelone. Le ministère public et l’hôpital - ce dernier en qualité de partie civile - déposèrent des observations reproduisant pour l’essentiel les constats du juge d’instruction et demandèrent, notamment, que le requérant fût condamné à quinze ans d’emprisonnement. L’avocat de l’Etat (Abogado del Estado), lui aussi partie civile au nom de l’administration des finances, soutint que les faits de la cause étaient constitutifs du délit de corruption de fonctionnaire. Par un jugement du 12 septembre 1988, l’Audiencia Provincial déclara que si M. de Salvador Torres relevait de la catégorie prévue à l’article 399, les sommes qu’il s’était appropriées n’étaient pas des "deniers publics" et que, dès lors, l’article 394 par. 4 ne s’appliquait pas. Elle dit en outre que, vu son statut personnel dans l’hôpital, l’intéressé n’avait pas la qualité de fonctionnaire stricto sensu. Elle écarta donc les accusations de corruption. M. de Salvador fut néanmoins reconnu coupable de détournement de fonds (apropiación indebida), délit puni par l’article 535 (paragraphe 17 ci-dessous), et condamné à dix-huit mois d’emprisonnement en vertu des articles 528 et 529 par. 7 du code pénal (paragraphes 18 et 19 ci-dessous). L’Audiencia Provincial ne constata l’existence d’aucune circonstance aggravante d’application générale (paragraphe 21 ci-dessous). Le ministère public et l’hôpital se pourvurent en cassation. Ils qualifièrent de fonds publics les sommes en cause et demandèrent à nouveau la condamnation du requérant pour le délit de détournement de deniers publics, prévu aux articles 394 par. 4 et 399 du code pénal. Dans ses conclusions, le ministère public insista sur le fait que l’Audiencia Provincial avait clairement reconnu que l’accusé avait la charge de fonds appartenant à un établissement public au sens de l’article 399. M. de Salvador Torres ne forma pas de pourvoi, acceptant par là même les faits tels que l’Audiencia Provincial les avait établis, leur qualification juridique et la peine infligée. Dans deux arrêts consécutifs du 21 mars 1990, le Tribunal suprême (Tribunal Supremo) estima que le délit prévu à l’article 394 par. 4 n’était pas constitué puisque l’hôpital n’avait pas légalement le droit d’encaisser les sommes. Contrairement à l’Audiencia Provincial, le Tribunal suprême déclara: "(...) Il est exact, au demeurant, que même si l’article 394 du code pénal (détournement de deniers publics) ne peut pas s’appliquer, il reste que le prévenu, M. de Salvador, est un fonctionnaire et qu’il s’est prévalu de sa qualité pour commettre l’infraction dont il a été reconnu coupable. Dès lors, (...) la circonstance aggravante prévue à l’article 10 par. 10 doit s’appliquer. Pour le dire simplement: si le délit de détournement de deniers publics n’est pas constitué faute d’élément objectif, la circonstance aggravante doit jouer vu le statut juridique de l’auteur de l’infraction." Le Tribunal suprême cassa dès lors le jugement attaqué et reconnut M. de Salvador Torres coupable de détournement avec la circonstance aggravante due à ce qu’il s’était prévalu, dans l’exercice des devoirs de sa charge, du caractère public de sa fonction (article 10 par. 10 du code pénal - paragraphe 21 ci-dessous). Le Tribunal estima dès lors que l’application de cette circonstance aggravante découlait implicitement des réquisitions du ministère public (paragraphe 10 ci-dessus). Usant de ses pouvoirs (paragraphe 22 ci-dessous), le Tribunal suprême condamna l’intéressé à cinq ans d’emprisonnement, durée maximale pour le délit de détournement de fonds que prévoient les règles de fixation des peines énoncées à l’article 61 par. 2 du code pénal (paragraphe 20 ci-dessous). M. de Salvador Torres saisit le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) d’un recours d’amparo. Il se plaignait de n’avoir pas été informé de toutes les composantes de l’accusation portée contre lui, ce qui aurait violé son droit à un procès équitable (article 24 de la Constitution - paragraphe 14 ci-dessous). Par une décision (auto) du 20 juillet 1992, le Tribunal déclara le recours irrecevable comme ne soulevant aucune question de droit constitutionnel. Selon la haute juridiction, le requérant savait fort bien que les accusations portées contre lui présupposaient non seulement que le statut de l’auteur du délit équivalait à celui d’un fonctionnaire, mais aussi qu’il s’en était prévalu pour commettre l’infraction. Il avait dès lors eu la possibilité de se placer sur ce terrain tout au long de la procédure et ses droits de la défense n’avaient donc en rien été méconnus. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution Selon l’article 24 de la Constitution, "1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre. 2. De même, toute personne a le droit (...) d’être informée de l’accusation portée contre elle, de bénéficier d’un procès (...) assorti de toutes les garanties, d’utiliser les preuves nécessaires à sa défense (...)" B. Le code pénal Le délit de détournement de deniers publics (malversación de caudales públicos) Aux termes de l’article 394 du code pénal, "Tout fonctionnaire qui détourne ou consent qu’autrui détourne des fonds ou autres biens publics confiés à sa charge en vertu de ses fonctions est passible: (...) 4. d’une peine d’emprisonnement d’une durée allant de douze ans et un jour à vingt ans (reclusión menor), si le montant détourné excède 2 500 000 pesetas. (...) Dans tous les cas, l’auteur du délit est définitivement déchu du droit d’exercer une fonction publique." D’après l’article 399, la disposition précédente s’applique aussi à: "(...) ceux qui sont chargés, à un titre quelconque, de fonds (...) appartenant aux provinces, aux communes ou aux établissements d’instruction ou de bienfaisance, ainsi qu’aux administrateurs ou dépositaires de fonds saisis (...) par l’autorité publique, même s’ils appartiennent à des particuliers". Selon la jurisprudence, l’auteur du délit doit non seulement avoir le statut de fonctionnaire ou de dépositaire de fonds appartenant à un établissement public, mais il doit aussi s’en être prévalu. Le délit de détournement de fonds (apropiación indebida) En vertu de l’article 535, "Est passible des peines prévues à l’article 528 quiconque, au détriment d’autrui, s’approprie ou détourne de l’argent, des capitaux ou tout autre bien meuble confié à sa charge en qualité de dépositaire, mandataire ou administrateur, ou à tout autre titre emportant obligation de les remettre ou de les rendre, ou qui nie les avoir reçus (...)" L’article 528, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé: "(...) Quiconque est reconnu coupable de ce délit encourt une peine d’emprisonnement d’une durée d’un mois et un jour à six mois (arresto mayor) lorsque le montant en cause dépasse 30 000 pesetas. Lorsque sont retenues deux ou plusieurs des circonstances aggravantes prévues à l’article 529 ci-dessous ou une circonstance aggravante renforcée, l’accusé est puni d’une peine d’emprisonnement allant de six mois et un jour à six ans (prisión menor) (...) Lorsqu’est retenue une seule des circonstances aggravantes énoncées à l’article 529, la peine d’emprisonnement se situe dans la gamme des peines de durée maximale (grado máximo) [de quatre mois et un jour à six mois]." D’après l’article 529, "Sont considérées comme circonstances aggravantes aux fins d’application de l’article précédent: (...) la gravité particulière du délit compte tenu de la somme détournée." Circonstances aggravantes Aux fins de fixation de la peine, lorsqu’un délit est puni d’emprisonnement, la peine comporte trois degrés identiques (grados): minimal, moyen et maximal. Si le tribunal ne retient aucune circonstance atténuante et qu’une seule aggravante, il doit infliger une peine moyenne ou maximale. Lorsqu’il a établi l’existence de plusieurs circonstances aggravantes, il doit prononcer la peine maximale (article 61). Les circonstances aggravantes peuvent être propres à un certain délit (voir, par exemple, le paragraphe 19 ci-dessus) ou être d’application générale. L’article 10 du code pénal décrit la circonstance aggravante susceptible d’être appliquée à tout délit: "Constituent des circonstances aggravantes: (...) le fait que le/la coupable se soit prévalu(e) du caractère public de sa fonction." C. Les pouvoirs du Tribunal suprême Lorsque le Tribunal suprême constate que le jugement attaqué est contraire à la loi, il le casse, l’annule et rend une nouvelle décision au fond. Pour ce faire, il n’a qu’une seule limitation: ne pas prononcer une peine plus lourde que celle requise par le procureur (article 902 du code de procédure pénale). Comme toute juridiction, le Tribunal suprême est habilité à s’écarter de la qualification juridique donnée par l’accusation, à condition toutefois que: a) l’intention délictueuse jugée exister soit essentiellement identique à celle constatée dans le délit reproché ("delitos homogéneos" - par exemple homicide et parricide); b) les faits pris en compte soient les mêmes; c) la nouvelle qualification conduise à infliger une peine moins lourde que celle réclamée par l’accusation. Le Tribunal constitutionnel a déclaré ces pouvoirs conformes à la Constitution, notamment dans ses arrêts des 23 novembre 1983 (105/83), 17 juillet 1986 (104/86) et 29 octobre 1986 (134/86). La nouvelle qualification juridique peut emporter constat des circonstances aggravantes déjà implicites dans la qualification précédente (Tribunal suprême, chambre criminelle, arrêt du 13 juin 1984, Repertorio de Jurisprudencia Aranzadi no 3553, p. 2708). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. de Salvador Torres a saisi la Commission le 11 janvier 1993. Invoquant l’article 6 de la Convention (art. 6), il se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable, dans la mesure où il n’a jamais été formellement inculpé de la circonstance aggravante retenue dans la condamnation prononcée contre lui en dernier ressort. La Commission a retenu la requête (no 21525/93) le 27 juin 1994. Dans son rapport du 21 février 1995 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 a), combinés, de la Convention (art. 6-1+6-3-a). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a prié la Cour de conclure à l’absence de violation de la Convention. De son côté, le requérant a cherché à faire constater une violation de la Convention et à obtenir une indemnité pour le préjudice qu’il aurait subi et les frais et dépens exposés.
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I. Les circonstances de la cause Mme Stubbings Mme Leslie Stubbings est née le 29 janvier 1957. Alors qu’elle avait presque deux ans, une autorité locale la plaça chez M. et Mme Webb qui l’adoptèrent alors qu’elle en avait trois. M. et Mme Webb avaient deux enfants dont l’aîné, Stephen, est né le 21 juillet 1952. Mme Stubbings prétend avoir été l’objet de violences sexuelles de la part de M. Webb et avoir commis, à sa demande, des actes indécents à plusieurs reprises entre décembre 1959 (avant son adoption) et décembre 1971 (alors qu’elle avait quatorze ans). Il s’agissait de sévices graves qui n’allèrent cependant pas jusqu’à de véritables rapports sexuels. Elle allègue en outre que Stephen Webb l’obligea à avoir des rapports sexuels avec lui par deux fois en 1969, alors qu’elle avait douze ans et qu’il en avait dix-sept. Depuis 1976, Mme Stubbings souffre de graves troubles mentaux qui ont conduit à son hospitalisation à trois reprises. Divers diagnostics ont été posés: schizophrénie, instabilité émotionnelle, paranoïa, dépression et agoraphobie. Elle a commis une tentative de suicide. En septembre 1984, à la suite d’un traitement auprès d’un psychiatre-conseil spécialiste des enfants et de la famille, elle se serait aperçue qu’il pouvait y avoir un lien entre les violences qu’elle aurait subies dans l’enfance et ses troubles mentaux. Le 18 août 1987, elle entama une procédure contre ses parents et son frère adoptifs afin d’obtenir des dommages-intérêts pour les sévices allégués. Les défendeurs demandèrent que la plainte fût écartée pour prescription en application de la loi de 1980 sur la prescription (Limitation Act 1980, "la loi de 1980"; paragraphe 35 ci-dessous). La Haute Cour (High Court) et la Cour d’appel (Court of Appeal), qui connurent de l’affaire, étaient tenues par une décision judiciaire antérieure (Letang v. Cooper; paragraphe 32 ci-dessous) de dire que la plainte de Mme Stubbings reposait sur un "manquement à un devoir" au sens de l’article 11 de la loi de 1980 (paragraphe 35 ci-dessous). Le délai de prescription de pareilles actions est de trois ans à compter soit de la date où est survenu le motif pour agir, soit de la date à laquelle le demandeur a su pour la première fois que le dommage en cause était important et imputable aux défendeurs. Selon l’article 33 de la loi de 1980, le tribunal pouvait autoriser le maintien d’une action si elle avait débuté après expiration du délai de trois ans lorsqu’il était équitable de procéder ainsi (paragraphe 35 ci-dessous). La Haute Cour donna gain de cause aux défendeurs, estimant que la "date de connaissance" de Mme Stubbings était antérieure de plus de trois ans au début de l’instance. La Cour d’appel, pour sa part, accueillit l’argument de Mme Stubbings d’après lequel celle-ci, si elle avait toujours conservé le souvenir des violences sexuelles commises par M. Webb et Stephen, n’avait perçu qu’en septembre 1984 qu’elle avait subi une atteinte suffisamment grave pour justifier d’intenter une action, c’est-à-dire lorsqu’elle comprit le lien de causalité entre les violences et ses troubles mentaux. Les défendeurs se pourvurent devant la Chambre des lords (Stubbings v. Webb, Appeal Cases 1993, p. 498). Lord Griffiths, rejoint par les quatre autres law lords, douta que la "date de connaissance" fût aussi tardive que septembre 1984, car il avait "le plus grand mal à admettre qu’une femme qui a été violée ignore qu’elle a subi un grave préjudice". D’ailleurs, après avoir examiné le rapport du comité Tucker (paragraphe 31 ci-dessous), il estima que les mots "manquement à un devoir" figurant à l’article 11 par. 1 de la loi de 1980 n’englobaient pas des actions tirées de dommages intentionnels comme le viol et les attentats à la pudeur. Ces types de plaintes étaient au contraire soumis au délai de prescription de six ans fixé à l’article 2 de la loi de 1980. Ce délai, auquel un tribunal ne pouvait déroger, commençait à courir au dix-huitième anniversaire du plaignant (article 28; paragraphe 35 ci-dessous). La plainte se trouvait donc frappée de forclusion. Mme J.L. Mme J.L. est née en 1962. Elle prétend qu’entre 1968 et septembre 1979, son père lui a fait subir des sévices sexuels et a pris d’elle des clichés pornographiques. Entre 1981 et 1991, elle a souffert de plusieurs crises de dépression et de difficultés relationnelles. En 1990, elle commença à faire des cauchemars relatifs aux sévices subis dans l’enfance. En octobre 1990, elle finit par consulter un médecin qui l’adressa à un psychologue. Elle aurait alors pour la première fois pris conscience du lien de causalité entre ses problèmes psychologiques et les sévices subis par elle. Cette prise de conscience aggrava d’abord son état et la conduisit à une tentative de suicide en décembre 1990. En janvier 1991, elle consulta des solicitors sur la possibilité d’engager une procédure en réparation contre son père. Elle obtint l’aide judiciaire et un acte introductif d’instance fut déposé le 26 mars 1991. D’après un rapport médical établi en mai 1991 aux fins de l’instance, l’intéressée présentait de graves troubles psychologiques qui se traduisaient notamment par l’incapacité de faire confiance aux autres, des changements d’humeur constants, des insomnies et des angoisses. Selon ce rapport, la requérante resterait probablement sujette à des troubles sa vie durant et son risque de souffrir d’une pathologie psychiatrique en était accru. Mme J.L. signala aussi les sévices allégués à la police. Celle-ci l’interrogea ainsi que son père, mais en septembre 1991 elle décida de ne pas entamer de poursuites. Informée de cette décision, Mme J.L. fit une nouvelle tentative de suicide. A la suite de l’arrêt de la Chambre des lords dans l’affaire Stubbings v. Webb (paragraphe 15 ci-dessus), la requérante suspendit l’instance civile contre son père, un avocat l’ayant avisée que l’action était prescrite depuis 1986, soit six ans après le dix-huitième anniversaire de l’intéressée. Mme J.P. Mme J.P. est née en 1958. De cinq à sept ans, elle fréquenta une école primaire publique à Highgate, à Londres, mais ses parents l’en retirèrent en 1966, la trouvant renfermée, déprimée et sujette à des cauchemars. Il se révéla que le directeur adjoint, un certain M. P., faisait sortir l’enfant de classe, prétendument pour garder sa propre fille de deux ans. A partir de cette époque, Mme J.P. a eu des difficultés relationnelles et s’est sentie "différente" et isolée. Après le décès de son père, en 1985, elle ressentit très cruellement le deuil; elle finit par consulter un psychiatre. Elle suivit une thérapie qui, en février 1989, l’amena à se souvenir brutalement des sévices sexuels infligés par M. P. Elle se remémora par la suite d’autres violences de sa part, y compris plusieurs viols. En octobre 1991, elle chargea des solicitors d’engager une action en dommages-intérêts contre M. P. et un acte introductif d’instance fut déposé le 10 février 1992. Toutefois, l’assistance judiciaire fut retirée et l’action suspendue à la suite de l’arrêt de la Chambre des lords dans l’affaire Stubbings v. Webb (paragraphe 15 ci-dessus), l’action étant prescrite depuis janvier 1982. Mme D.S. Mme D.S. est née en 1962. Entre 1968 et 1977, elle aurait fait l’objet à plusieurs reprises de sévices sexuels, notamment de viols, de la part de son père. Elle allègue qu’à la suite desdits sévices elle a éprouvé désespoir, dépression, peur et culpabilité et a eu des difficultés relationnelles. Le 15 mars 1991, le père de Mme D.S. plaida coupable d’attentat à la pudeur sur la personne de sa fille. Il fut condamné à une année de mise à l’épreuve. Estimant cette sanction trop légère, la requérante engagea le 14 août 1992 contre son père une action au civil. Selon le rapport d’un psychologue, elle n’aurait pu entreprendre cette démarche plus tôt car, pour survivre, elle avait en grande partie inhibé ses souvenirs. L’affaire fut suspendue le 24 mai 1993 à la suite de l’arrêt de la Chambre des lords dans l’affaire Stubbings v. Webb (paragraphe 15 cidessus), la demande de l’intéressée ayant été introduite en dehors du délai de six ans que cet arrêt avait jugé applicable. II. Le droit et la pratique internes pertinents Antécédents de la loi de 1980 sur la prescription De 1936 à 1974, pas moins de six organes officiels réexaminèrent le droit anglais de la prescription et rendirent compte de leurs conclusions au Parlement. Le premier d’entre eux, le Law Revision Committee on Statutes of Limitation (comité de réforme du droit de la prescription), recommanda en décembre 1936 un délai préfix de six ans pour toutes les actions en responsabilité, à l’exception des cas où le défendeur était une autorité publique - le délai serait alors d’un an seulement. Dans ces deux hypothèses, le délai commencerait à courir à la date où s’étaient produits les faits litigieux. La loi de 1939 sur la prescription donna suite à ces recommandations. Le Departmental Committee on Alternative Remedies (comité ministériel sur les voies de recours de substitution) ("le comité Monckton") fut invité à réexaminer le droit à réparation en cas de dommages corporels à la lumière de la toute nouvelle législation sur la sécurité sociale. Dans son rapport final de juillet 1946, il fut le premier à préconiser un délai de prescription plus bref pour ce type de dommages. Il estimait que le délai de six ans était trop long dans ce cas et suggérait de le ramener à trois ans. En juillet 1949, le Committee on the Limitation of Actions (comité sur la prescription des actions) ("le comité Tucker") recommanda d’appliquer le même délai de prescription que le défendeur fût une autorité publique ou un particulier, et de fixer un délai de deux ans, prorogeable à six ans dans des cas exceptionnels, pour les actions concernant des dommages corporels. Pour les autres actions en responsabilité, y compris les atteintes à l’intégrité de la personne et l’emprisonnement abusif, il fallait maintenir le délai à six ans. La loi de 1954 portant réforme de la législation sur la prescription des actions suivit les propositions du comité, à cette exception près qu’elle substitua au délai de deux ans prorogeable préconisé celui, préfix, de trois ans pour toute "action en dommages-intérêts pour faute quasi délictuelle, abus de droits ou manquement à un devoir (...) lorsque la réparation réclamée par le demandeur (...) se compose, en tout ou partie, d’une réparation pour dommage corporel". Si le demandeur était incapable, le délai ne commencerait à courir qu’à la fin de l’incapacité: dans le cas d’un mineur, lorsque celui-ci atteindrait la majorité (vingt et un ans à l’époque de la promulgation de la loi et dix-huit après le 1er janvier 1970). La Cour d’appel examina en l’affaire Letang v. Cooper (Queen’s Bench Reports 1965, vol. 1, p. 232) les termes "action en dommages-intérêts pour faute quasi délictuelle, abus de droit ou manquement à un devoir" figurant dans la loi de 1954 (et repris dans l’article 11 par. 1 de la loi de 1980; paragraphe 35 ci-dessous). Dans cette affaire, la demanderesse prenait un bain de soleil sur le parking d’un hôtel lorsque la voiture du défendeur lui roula sur les jambes. Elle n’entama une procédure que trois ans après l’accident. La Cour d’appel estima que la cause de l’action était la faute quasi délictuelle et qu’il y avait donc forclusion. Les trois juges exprimèrent l’avis qu’il fallait, dans la loi de 1954, interpréter les mots "manquement à un devoir" comme s’appliquant à toute cause d’action donnant lieu à une demande de réparation pour dommages corporels. Au début des années 60, il apparut que le délai préfix de trois ans pour les actions relatives à des dommages corporels était source d’injustice pour certains plaignants, notamment les travailleurs qui contractaient des maladies professionnelles si insidieuses qu’ils ne pouvaient les déceler qu’après expiration du délai de prescription. La loi de 1963 sur la prescription accorda donc au tribunal la latitude de proroger le délai dans les cas où l’on ne pouvait raisonnablement escompter du demandeur qu’il découvrît plus tôt l’existence ou la cause de son dommage. Cette disposition se révéla toutefois par trop compliquée et difficile à mettre en oeuvre. En mai 1974 fut publié le rapport provisoire du comité de réforme du droit sur la prescription des actions pour dommages corporels. Il envisagea la finalité d’un délai de prescription et releva: "En premier lieu, [ce délai] tend à empêcher que les défendeurs ne soient ennuyés par des plaintes tardives relatives à des incidents anciens dont ils peuvent ne plus avoir la trace et dont les témoins, même s’ils sont toujours de ce monde, peuvent n’avoir aucun souvenir précis. En deuxième lieu, nous comprenons que le droit de la prescription est censé encourager les demandeurs à ne pas s’endormir sur leurs droits, mais à engager une instance dès qu’une possibilité raisonnable s’offre à eux (...). Troisièmement, la loi tend à ce qu’une personne puisse en confiance, passé un certain délai, considérer comme définitivement clos un incident qui aurait pu être à l’origine d’une plainte à son encontre (...). Mais si la législation sur la prescription est censée profiter essentiellement aux défendeurs, ce serait toutefois une erreur que d’oublier les intérêts des personnes lésées. Un plaignant ayant perdu le droit de réclamer des dommages-intérêts avant de pouvoir connaître l’existence de ce droit ne manquera pas, à notre sens, d’éprouver un sentiment d’injustice." Tentant de ménager un équilibre entre ces intérêts, le comité recommanda de maintenir le délai de trois ans pour les actions relatives à des dommages corporels, mais préconisa de faire courir le délai seulement à partir du moment où la personne lésée avait eu connaissance, ou aurait pu raisonnablement s’assurer, de la nature du dommage subi par elle et de l’imputabilité dudit dommage à un acte ou une omission du défendeur. En outre, le tribunal devait avoir la faculté de déroger au délai. La loi de 1975 sur la prescription édicta ces propositions; elles furent conservées dans celle de 1980, loi de synthèse. La loi de 1980 sur la prescription Le droit actuel en matière de prescription des actions civiles en Angleterre et au pays de Galles, se trouve consigné dans la loi de 1980 sur la prescription (Limitation Act 1980, "la loi de 1980"). Les articles pertinents en sont ainsi libellés: "Actions fondées sur la responsabilité civile Une action fondée sur la responsabilité civile ne pourra être intentée après expiration du délai de six ans à partir de la date où est survenue la cause de l’action. (...) Actions fondées sur des quasi-délits entraînant des dommages corporels ou la mort 1) Le présent article est applicable à toute action en dommages-intérêts pour faute quasi délictuelle, abus de droits ou manquement à un devoir (que ce devoir existe en vertu d’un contrat, d’une disposition législative ou indépendamment de l’un et l’autre) lorsque la réparation réclamée par le plaignant pour faute, abus de droit ou manquement à un devoir se compose, en totalité ou en partie, d’une réparation pour dommages corporels infligés au plaignant ou à toute autre personne. 2) Aucun des délais de prescription indiqués dans les dispositions précédentes de la loi ne s’applique à une action visée par le présent article. 3) Une action visée par le présent article ne peut être introduite après l’expiration de la période applicable en vertu des paragraphes 4) ou 5) ci-après. 4) Sauf dans les cas où le paragraphe 5) ci-après est applicable, le délai de prescription applicable est de trois ans à partir: a) de la date où s’est produite la cause de l’action; ou b) de la date de connaissance (si elle est postérieure) de la personne lésée. (...) 1) Aux articles 11 et 12 de la présente loi, "la date de connaissance" d’une personne s’entend de la date à laquelle l’intéressé a eu connaissance des faits suivants: a) le préjudice incriminé est important; b) le préjudice est imputable en tout ou partie à l’acte ou à l’omission qui serait une faute, un abus de droit ou un manquement à un devoir; c) l’identité du défendeur; d) au cas où l’acte ou l’omission serait déclaré imputable à une personne autre que le défendeur, l’identité de cette personne et les faits supplémentaires justifiant les poursuites contre le défendeur; et la connaissance de ce que tout acte ou toute omission impliquant ou non, de jure, une faute, un abus de droit ou un manquement à un devoir, serait alors sans objet. 2) Aux fins du présent article, un préjudice est important si la personne dont la date de la connaissance est concernée aurait pensé que la gravité en serait suffisante pour justifier d’entamer une action en dommages-intérêts contre un défendeur qui ne contesterait pas la responsabilité et serait apte à se conformer au jugement. 3) Aux fins du présent article, la connaissance d’une personne est celle dont on peut raisonnablement attendre que celle-ci l’a acquise: a) à partir de faits observables ou vérifiables par elle; b) à partir de faits vérifiables par elle, avec l’aide d’un médecin ou d’un autre spécialiste qu’elle peut légitimement consulter; mais, aux fins du présent article, une personne ne sera pas tenue de connaître un fait que seul un avis d’expert lui aurait indiqué si elle a entrepris toutes les démarches raisonnables pour obtenir cet avis (et, le cas échéant, agir en conséquence). (...) Prorogation du délai habituel de prescription: incapacité de la personne 1) Sous réserve des dispositions ci-après du présent article si, à la date où un droit d’ester en justice soumis à un délai de prescription en vertu de la présente loi est acquis, la personne à qui il revient se trouve en état d’incapacité, l’action peut être introduite à tout moment avant l’expiration d’une période de six ans à compter de la date de cessation de l’incapacité ou du décès (selon ce qui survient d’abord) même si le délai de prescription est expiré. (...) Exclusion discrétionnaire du délai de prescription pour des actions relatives à des dommages corporels ou à la mort 1) Si le tribunal estime qu’il serait équitable de laisser une action se poursuivre, compte tenu du degré auquel: a) les dispositions des articles 11 et 12 de la présente loi portent préjudice au demandeur ou à toute personne qu’il représente; et b) toute décision du tribunal en vertu du présent paragraphe porterait préjudice au défendeur ou à toute personne qu’il représente; le tribunal peut dire que ces dispositions ne s’appliquent pas à l’action ou à toute cause déterminée de l’action à laquelle se réfère cette dernière. (...) 3) Lorsqu’il agit en vertu du présent article, le tribunal prend dûment en considération toutes les circonstances de l’affaire et, en particulier: a) la longueur et les motifs du retard de la part du demandeur; b) la mesure où, compte tenu de ce retard, les preuves produites ou susceptibles d’être produites par le demandeur ou le défendeur sont, ou paraissent devoir être, moins concluantes que si l’action avait été introduite durant le délai autorisé par l’article 11 ou (le cas échéant) l’article 2; c) le comportement du défendeur après que s’est produite la cause de l’action (...) d) la durée de toute incapacité du demandeur survenue après la date où s’est produite la cause de l’action; e) la mesure dans laquelle le demandeur a agi promptement et raisonnablement une fois qu’il a su si l’acte ou l’omission du défendeur, auquel le préjudice est imputable, pouvait ou non, à l’époque, donner lieu à une action en dommages-intérêts; f) les démarches entreprises, le cas échéant, par le demandeur pour obtenir un avis médical, juridique ou autre, et la nature de l’avis qu’il aurait pu ainsi recevoir (...) (...) 2) Aux fins de la présente loi, la personne est considérée comme étant incapable, s’il s’agit d’un mineur ou d’une personne mentalement déficiente." L’arrêt de la Chambre des lords dans l’affaire Stubbings v. Webb En l’affaire Stubbings v. Webb (Appeal Cases 1993, p. 498), la Chambre des lords a estimé que les actions en dommages-intérêts pour atteinte délibérée à la personne relevaient de l’article 2 de la loi de 1980, contrairement aux actions pour lésions dues à une faute quasi délictuelle, auxquelles l’article 11 par. 1 de la même loi s’applique (voir le paragraphe 15 ci-dessus pour un compte rendu plus détaillé de cette affaire). Changements éventuels de la loi 37. En juin 1995, la Law Commission, l’organe chargé par le Parlement de la réforme des lois en Angleterre et au pays de Galles, a annoncé son intention de procéder à une révision exhaustive de la législation sur la prescription (Sixième programme de réforme du droit, rapport de la Law Commission no 234, point 3). Les sanctions du droit pénal Constituent une infraction punissable de l’emprisonnement à vie le fait ou la tentative d’avoir des relations sexuelles avec une femme ou une jeune fille sans son consentement, ou avec une jeune fille de moins de treize ans. Les attentats à la pudeur sur la personne d’une femme ou d’une jeune fille constituent eux aussi une infraction passible d’une peine maximale de dix ans d’emprisonnement (articles 1, 5, 14 et annexe II, partie I, de la loi de 1956 sur les infractions sexuelles et article 1 de la loi de 1976 sur les infractions sexuelles). Les poursuites pour infractions graves ne sont soumises à aucun délai de prescription en droit anglais. La principale autorité de poursuite en Angleterre et au pays de Galles est le Crown Prosecution Service ("le CPS"), avec à sa tête le Director of Public Prosecutions ("le DPP"). Le CPS n’engage des poursuites pénales que s’il existe des preuves suffisantes et si l’intérêt public commande de le faire (loi de 1985 sur la poursuite des délinquants (Prosecution of Offenders Act 1985) et code des procureurs (Code for Crown Prosecutors)). Les particuliers peuvent eux aussi engager des poursuites pénales (article 6 de la loi de 1985 sur la poursuite des délinquants). Le DPP peut toutefois reprendre la conduite de ces poursuites à son compte puis les suspendre en l’absence de preuves suffisantes, dans le cas où pareilles poursuites seraient contraires à l’intérêt public ou pour toute autre raison valable (R. v. Bow Street Stipendiary Magistrate, ex parte South Coast Shipping Co. Ltd, Queen’s Bench Reports 1993, p. 650F-G). En Angleterre et au pays de Galles, pour qu’il y ait condamnation pénale, il faut des preuves au-delà de tout doute raisonnable, alors que pour avoir gain de cause dans une instance civile, il suffit de prouver la probabilité des faits. Un tribunal peut condamner à réparation une personne convaincue d’une infraction, l’obligeant à verser une indemnité pour toute atteinte à la personne, perte ou dommage résultant de ladite infraction (article 35 de la loi de 1973 sur les pouvoirs des juridictions pénales (Powers of Criminal Courts Act 1973) tel que modifié par l’article 104 de la loi de 1988 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1988)). Cette procédure ne peut être employée que pour faire droit à des demandes dans des affaires absolument claires et les tribunaux doivent s’abstenir d’accorder une réparation lorsque pareille décision impliquerait un versement hebdomadaire pendant plusieurs années (R. v. Daly, All England Reports 1974, vol. 1, p. 290). En outre, une personne à même de démontrer en toute vraisemblance avoir subi une atteinte à sa personne à raison d’une conduite constituant une infraction pénale telle que le viol ou des violences, peut solliciter une réparation auprès d’un organe administratif, le fonds d’indemnisation des dommages résultant d’infractions pénales (Criminal Injuries Compensation Authority) (articles 110 et 111 de la loi de 1988 sur la justice pénale). Ce fonds n’accorde toutefois aucune réparation pour les dommages infligés avant octobre 1979 par un membre de la famille de la victime prétendue vivant sous le même toit qu’elle. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leurs requêtes des 14 mai 1993 (no 22083/93) et 14 juin 1993 (no 22095/93) à la Commission, les requérantes se plaignaient toutes de ce que le jeu de la loi de 1980 sur la prescription les eût privées, au mépris de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), de l’accès à un tribunal quant à leurs demandes en réparation du préjudice psychologique que leur avaient causé les sévices sexuels subis dans l’enfance; selon elles, la différence entre les règles appliquées à elles-mêmes et à d’autres types de plaignants était discriminatoire, donc contraire à l’article 14 de la Convention (art. 14). En outre, Mmes Stubbings, J.L. et J.P. alléguaient que faute de leur avoir assuré une voie de recours au civil pour les sévices subis dans l’enfance, l’Etat avait failli à son obligation positive de protéger le droit au respect de leur vie privée, au mépris de l’article 8 de la Convention pris isolément et aussi combiné avec l’article 14 (art. 8, art. 14+8). La Commission a retenu les requêtes le 6 septembre 1994. Dans ses rapports du 22 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 par. 1 (art. 14+6-1) et qu’il ne s’impose pas d’examiner les griefs tirés de l’article 6 par. 1 lu isolément (art. 6-1), ou de l’article 8 seul ou combiné avec l’article 14 (art. 8, art. 14+8). Le texte intégral de ses avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à conclure à la non-violation de la Convention. Les requérantes, quant à elles, ont prié la Cour d’accueillir leurs griefs et de leur accorder une satisfaction équitable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant turc né en 1950, M. Cevat Gaygusuz a habité à Hörsching (Haute-Autriche) de 1973 jusqu’en septembre 1987. Depuis lors, il réside à Izmir (Turquie). Le requérant a travaillé en Autriche, avec des périodes d’interruption, de 1973 jusqu’en octobre 1984. Depuis cette date et jusqu’au 1er juillet 1986, il a été tantôt au chômage, tantôt en congé de maladie et percevait les allocations correspondantes. Du 1er juillet 1986 au 15 mars 1987, il perçut une avance sur sa pension de retraite sous forme d’allocation de chômage. Arrivé en fin de droit, il sollicita le 6 juillet 1987 l’attribution d’une avance sur pension sous forme d’allocation d’urgence (Antrag auf Gewährung eines Pensionsvorschusses in Form der Notstandshilfe) auprès de l’agence pour l’emploi (Arbeitsamt) de Linz. Le 8 juillet 1987, l’agence rejeta la demande de l’intéressé, au motif qu’il n’avait pas la nationalité autrichienne, l’une des conditions requises en vertu de l’article 33 par. 2 a) de la loi sur l’assurance chômage (Arbeitslosenversicherungsgesetz - paragraphe 20 ci-dessous) de 1977 pour bénéficier d’une allocation de ce type. M. Gaygusuz interjeta appel de cette décision auprès de l’agence régionale pour l’emploi (Landesarbeitsamt) de Haute-Autriche. Il faisait notamment valoir que la distinction opérée par ledit article entre citoyens autrichiens et ressortissants étrangers ne se justifiait pas, qu’elle était anticonstitutionnelle et contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Le 16 septembre 1987, l’agence régionale pour l’emploi débouta le requérant et confirma la décision contestée. Elle souligna que non seulement celui-ci n’avait pas la nationalité autrichienne, mais que, par ailleurs, il n’était pas un cas d’exception où cette condition n’était pas exigée (paragraphe 20 ci-dessous). Le 2 novembre 1987, l’intéressé saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), alléguant une violation de l’article 5 de la Loi fondamentale (Staatsgrundgesetz), des articles 6 par. 1 et 8 de la Convention (art. 6-1, art. 8)), ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 26 février 1988, à l’issue d’un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - paragraphe 23 ci-dessous) et statua en ces termes: "Le requérant allègue la violation de droits garantis par la Constitution conformément à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, à l’article 5 de la Loi fondamentale ou à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (P1-1), ainsi qu’à l’article 8 (art. 8) de celle-ci. Eu égard à la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle au sujet de ces droits, la requête fait apparaître tellement peu plausibles les violations alléguées, mais aussi la méconnaissance d’un autre droit garanti par la Constitution ou une atteinte à un autre droit résultant de l’application d’une norme générale illégale, que, du point de vue des prétendues violations à examiner par la Cour constitutionnelle, elle ne présente pas suffisamment de chances de succès. L’affaire n’échappe pas davantage à la compétence de la Cour administrative [Verwaltungsgerichtshof]." La Cour constitutionnelle déféra donc celle-ci à la Cour administrative (article 144 par. 3 de la Constitution fédérale - paragraphe 23 ci-dessous). Le 16 mai 1988, la Cour administrative demanda à M. Gaygusuz de compléter sa requête. Le 7 juillet 1988, le requérant y donna suite, dénonçant une atteinte à son droit légal à l’obtention d’une avance sur pension sous forme d’allocation d’urgence, conformément aux dispositions pertinentes de la loi sur l’assurance chômage. Il demanda à la Cour administrative d’annuler la décision de l’agence régionale pour l’emploi de Haute-Autriche du 16 septembre 1987, en raison de l’illégalité de son contenu (article 42 par. 2, premier alinéa, de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz) - paragraphe 27 ci-dessous), ainsi que de suspendre la procédure et de renvoyer l’affaire à la Cour constitutionnelle pour examen de la constitutionnalité de l’article 33 par. 2 a) de la loi sur l’assurance chômage. Le 19 septembre 1989, la Cour administrative, siégeant à huis clos, se déclara incompétente pour connaître d’un tel recours et le rejeta (article 34 par. 1 de la loi sur la Cour administrative - paragraphe 25 ci-dessous). Elle releva que la requête, telle que l’intéressé l’avait complétée, se référait uniquement à la constitutionnalité de l’article 33 par. 2 a) de la loi sur l’assurance chômage et que le requérant avait par ailleurs demandé à la Cour administrative de renvoyer l’affaire à la Cour constitutionnelle pour examen de la constitutionnalité d’une loi; or, selon elle, il était établi que de telles questions relevaient de la compétence de la Cour constitutionnelle (article 144 par. 1, alinéa premier, de la Constitution fédérale - paragraphe 23 ci-dessous) qui, d’ailleurs, s’était déjà prononcée à ce sujet. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit matériel A l’époque des faits Dans la version de 1977, applicable à l’époque des faits, les dispositions pertinentes de la loi sur l’assurance chômage (Arbeitslosenversicherungsgesetz) étaient ainsi rédigées: Article 23 "(1) Les chômeurs ayant sollicité l’attribution de prestations (...) dans le cadre de l’assurance invalidité (...) peuvent percevoir une avance sous forme d’allocation de chômage ou d’urgence (...), du moment qu’outre le fait d’être apte au travail et disposé à travailler, les autres conditions pour l’obtention de ces prestations sont réunies (...)" Article 33 "(1) Le chômeur ayant épuisé ses droits aux allocations de chômage ou de congé de maternité peut se voir octroyer, sur demande, une allocation d’urgence. (2) Il lui faut pour cela remplir les conditions suivantes: a) posséder la nationalité autrichienne; b) être apte au travail et disposé à travailler; c) se trouver en situation d’urgence. (3) L’exigence de la nationalité autrichienne n’est pas applicable aux personnes qui, de manière ininterrompue depuis le 1er janvier 1930, séjournent sur le territoire actuel de la République d’Autriche; elle ne l’est pas davantage à celles qui sont nées après ladite date sur le territoire actuel de la République d’Autriche et qui y séjournent depuis de manière ininterrompue. (4) Il y a situation d’urgence lorsque le chômeur est dans l’incapacité de pourvoir à ses besoins essentiels. (5) L’allocation d’urgence ne peut être octroyée que si le chômeur la sollicite dans un délai de trois ans après l’épuisement de ses droits aux allocations de chômage ou de congé de maternité." Article 34 "(1) Si la situation sur le marché de l’emploi est durablement favorable pour des groupes déterminés de chômeurs ou pour des régions déterminées, le ministre fédéral des Affaires sociales peut, après consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés, exclure lesdits groupes de chômeurs ou régions du bénéfice de l’allocation d’urgence. (2) Le ministre fédéral des Affaires sociales peut autoriser l’octroi de l’allocation d’urgence à des chômeurs ressortissants d’un autre Etat lorsque celui-ci connaît une institution équivalente à l’allocation d’urgence autrichienne et dont il accorde le bénéfice aux citoyens autrichiens de la même manière qu’à ses propres nationaux. (3) Le ministre fédéral des Affaires sociales peut, après consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés, autoriser l’octroi de l’allocation d’urgence à des chômeurs qui ne possèdent pas la nationalité autrichienne et qui n’ont pas bénéficié d’une décision au sens du paragraphe 2, à condition qu’au cours des cinq années précédant le jour de la revendication du droit à l’allocation d’urgence, les intéressés aient été occupés en Autriche pendant au moins 156 semaines, avec obligation de cotiser à l’assurance chômage; pour le calcul de ladite période de cinq ans, il est fait abstraction des périodes de perception des allocations de chômage (ou d’urgence). L’autorisation peut être prononcée pour une période déterminée et pour des groupes de chômeurs déterminés." L’allocation d’urgence constitue une aide versée aux personnes n’ayant plus droit aux allocations de chômage afin de leur assurer un revenu minimum vital. Le droit à l’attribution de l’allocation d’urgence existe aussi longtemps que la personne concernée se trouve dans le besoin, même si le versement lui-même est accordé pour une durée ne pouvant excéder trente-neuf semaines et qui doit être renouvelée. Son montant ne saurait être supérieur à celui des allocations de chômage auxquelles la personne pourrait prétendre, ni inférieur à 75 % du montant de ces allocations. Quant aux allocations de chômage, leur montant est établi en fonction du revenu et leur financement assuré en partie par les cotisations à l’assurance chômage, que tout salarié doit verser (article 1 de la loi sur l’assurance chômage), et en partie par diverses sources gouvernementales. Postérieurement aux faits Depuis 1992, après amendement du texte et changement de numérotation, les articles 33 paras. 3 et 4 et 34 paras. 3 et 4 sont libellés comme suit: Article 33 "(...) (3) Il y a situation d’urgence lorsque le chômeur est dans l’incapacité de pourvoir à ses besoins essentiels. (4) L’allocation d’urgence ne peut être octroyée que si le chômeur la sollicite dans un délai de trois ans après l’épuisement de ses droits aux allocations de chômage ou de congé de maternité. Le délai est augmenté des périodes de repos au sens de l’article 16 par. 1 et des périodes d’activité indépendante, de travail salarié non couvert par l’assurance chômage ou de formation ayant occupé une partie prépondérante du temps du chômeur." Article 34 "(...) (3) Peuvent prétendre à l’allocation d’urgence dans les mêmes conditions que les chômeurs qui possèdent la nationalité autrichienne: les réfugiés au sens de l’article 1 de la Convention relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951; les apatrides au sens de l’article 1 de la Convention relative au statut des apatrides signée à New York le 28 septembre 1954; les personnes qui sont nées sur le territoire actuel de la République d’Autriche et qui y ont depuis, de manière ininterrompue, leur domicile; les personnes qui, de manière ininterrompue depuis le 1er janvier 1930, ont leur domicile sur le territoire actuel de la République d’Autriche; les ressortissants étrangers, pour autant que cela soit prévu par des accords bilatéraux ou des traités internationaux; les titulaires de certificats d’exonération ou les personnes assimilées, au sens du paragraphe 4; les personnes déplacées qui sont en possession d’une pièce d’identité émise par une autorité autrichienne; les personnes transférées du Tyrol du Sud et du Val Canale [Südtiroler- und Canaltaler-Umsiedler]. (4) Après épuisement des droits aux allocations de chômage ou de congé de maternité, sont admises au bénéfice de l’allocation d’urgence, pour une durée de cinquante-deux semaines, ou de l’allocation d’urgence spéciale, pour la durée prévue à l’article 39 par. 1: les personnes qui, au moment de la demande d’allocation d’urgence, peuvent produire un certificat d’exonération valide, au sens de la loi sur l’emploi des étrangers, émis dans la version en vigueur à l’époque de sa délivrance; les personnes qui ne possèdent pas la nationalité autrichienne mais qui, au moment de la demande d’allocation d’urgence, remplissent néanmoins les conditions pour un certificat d’exonération, et auxquelles on n’a pas délivré pareil certificat au seul motif que leur occupation ne relève pas de la loi sur l’emploi des étrangers." B. Le droit procédural Le recours devant la Cour constitutionnelle Aux termes de l’article 144 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le paragraphe 2 de l’article 144 prévoit: "Jusqu’à l’audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d’une décision [Beschluß], refuser l’examen d’un recours s’il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l’on ne peut attendre de l’arrêt qu’il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l’examen d’une affaire que l’article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative." Le paragraphe 3 de l’article 144 est ainsi libellé: "Si la Cour constitutionnelle estime que l’acte administratif attaqué n’a pas violé un droit au sens du paragraphe 1 et s’il ne s’agit pas d’une affaire que l’article 133 soustrait à la compétence de la Cour administrative, la Cour constitutionnelle, sur demande du requérant, doit renvoyer la requête à la Cour administrative afin que celle-ci dise si ledit acte a violé un autre droit du requérant." Le recours devant la Cour administrative Selon l’article 130 par. 1 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif. Aux termes de l’article 34 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz): "Les requêtes qui (...) eu égard à une incompétence manifeste de la Cour administrative, n’appellent pas de débats ou auxquelles on peut manifestement opposer l’exception de chose jugée ou une fin de non-recevoir, doivent être rejetées, sans autre procédure, par une décision prise en chambre du conseil." L’article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l’incompétence de l’autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l’angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l’une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l’un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." L’article 42 par. 1 de la même loi prévoit que, sauf disposition contraire, la Cour administrative soit rejette la demande pour manque de fondement, soit annule la décision attaquée. Aux termes du paragraphe 2 du même article: "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l’incompétence de l’autorité défenderesse, [ou] à cause d’un vice de procédure résultant: a) de ce que l’autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu’il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l’autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une décision différente." Si la Cour administrative annule la décision incriminée, "l’administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d’assurer sans délai, dans le cas d’espèce, la situation juridique correspondant à l’opinion [Rechtsanschauung] exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Gaygusuz a saisi la Commission le 17 mai 1990. Invoquant les articles 6 par. 1 et 8 de la Convention (art. 6-1, art. 8), ainsi que l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1), il se plaignait d’une atteinte à son droit à un procès équitable, à son droit au respect de sa vie privée et à son droit de propriété. La Commission a retenu la requête (no 17371/90) le 11 janvier 1994. Dans son rapport du 11 janvier 1995, elle conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (douze voix contre une), qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (unanimité) et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 8 de la Convention (art. 8) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le gouvernement autrichien invite la Cour à dire "1. que l’article 6 de la Convention (art. 6) ne s’applique pas à la présente espèce; que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (P1-1) ne s’applique pas; ou, à titre subsidiaire, que l’article 6 de la Convention (art. 6) n’a pas été enfreint dans la procédure litigieuse; que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1) n’a pas été violé". De son côté, le requérant prie la Cour "a) de constater que le refus par l’agence pour l’emploi de Linz (...) de lui accorder une allocation d’urgence conformément à la loi sur l’assurance chômage a porté atteinte à son droit (...) à un procès équitable dans une affaire civile (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1), au respect de sa vie privée et familiale (article 8 de la Convention) (art. 8) et à son droit de propriété et à un traitement non discriminatoire (article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 de la Convention) (art. 14+P1-1), et b) de lui accorder une satisfaction équitable conformément à l’article 50 de la Convention (art. 50)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE M. William Goodwin, de nationalité britannique, est un journaliste résidant à Londres. Le 3 août 1989, il commença un stage de journaliste à The Engineer, journal édité par Morgan-Grampian (Publishers) Ltd ("l’éditeur"). Il était employé par Morgan Grampian PLC ("l’employeur"). Le 2 novembre 1989, il reçut un appel téléphonique d’une personne qui, selon ses dires, lui avait déjà communiqué des informations sur les activités de diverses sociétés. Cette personne lui fournit des renseignements sur Tetra Ltd ("Tetra"): la société était à la recherche d’un emprunt de 5 millions de livres sterling (£) et se trouvait confrontée à des problèmes financiers résultant d’une perte prévue de 2,1 millions £ pour 1989, sur un chiffre d’affaires de 20,3 millions £. L’intéressé n’avait pas sollicité ces informations, qu’il n’échangea pas contre paiement. Elles étaient fournies contre promesse de ne pas en révéler la source. D’après le requérant, il n’avait aucune raison de croire que l’information provenait d’un document volé ou confidentiel. Les 6 et 7 novembre 1989, il appela Tetra pour vérifier les faits et obtenir des commentaires sur les renseignements en question, car il avait l’intention d’écrire un article sur cette société. Les informations provenaient d’un projet de plan de développement confidentiel de Tetra. Le 1er novembre 1989, il existait huit exemplaires numérotés de la version la plus récente du projet. Cinq se trouvaient en la possession de cadres de la société, l’un chez ses comptables, un dans une banque et un chez un consultant externe. Chaque exemplaire était rangé dans un classeur à anneaux et portait la mention "strictement confidentiel". L’exemplaire confié aux comptables avait été vu pour la dernière fois le 1er novembre à 15 heures environ, dans une pièce dont ils avaient l’usage dans les locaux de Tetra. Cette pièce était restée inoccupée entre 15 heures et 16 heures, intervalle de temps pendant lequel le document disparut. A. Injonction et ordonnances de divulgation de l’identité de l’informateur et de production des documents Le 7 novembre 1989, le juge Hoffmann de la High Court of Justice (Chancery Division) accéda à la demande présentée le jour même par Tetra, visant à obtenir une injonction provisoire non contradictoire interdisant à l’éditeur de The Engineer de publier toute information provenant du plan de développement. Le 16 novembre, la société informa de cette injonction tous les journaux britanniques et revues concernées. Dans une déclaration écrite sous serment du 8 novembre 1989 adressée à la High Court, Tetra déclara que si le plan était rendu public, elle risquait d’être totalement discréditée aux yeux de ses créanciers actuels et potentiels, de ses clients et en particulier de ses fournisseurs, ce qui risquait de lui faire perdre des commandes et de lui valoir le refus de se faire fournir en biens et services. Cela rendrait difficiles les négociations qu’elle menait pour obtenir des crédits. Si la société était mise en liquidation, cela entraînerait le licenciement de quatre cents personnes environ. Le 14 novembre 1989, à la demande de Tetra, le juge Hoffmann somma l’éditeur, en vertu de l’article 10 de la loi de 1981 sur le contempt of court ("la loi de 1981"; paragraphe 20 ci-dessous), de produire avant le lendemain 15 heures les notes prises par le requérant pendant sa conversation téléphonique avec son informateur, qui révélaient l’identité de ce dernier. Le 15 novembre, l’éditeur n’ayant pas obtempéré, le juge Hoffmann accorda à Tetra l’autorisation d’appeler en cause l’employeur du requérant et le requérant lui-même; il accorda aux défendeurs jusqu’au lendemain 15 heures pour remettre les notes en question. Le 17 novembre 1989, la High Court prit une nouvelle ordonnance précisant que le requérant représentait toutes les personnes qui avaient reçu sans autorisation le plan ou des informations tirées de celui-ci et que ces personnes devaient restituer tous les exemplaires du plan en leur possession. L’assignation fut prorogée pour permettre au requérant de porter l’ordonnance à la connaissance de son informateur. Le requérant refusa néanmoins de s’exécuter. Le 22 novembre 1989, le juge Hoffmann somma à nouveau le requérant de produire ses notes avant le 23 novembre à 15 heures, au motif qu’il était nécessaire "dans l’intérêt de la justice", au sens de l’article 10 de la loi de 1981 (paragraphe 20 ci-dessous), de connaître l’identité de l’informateur afin de permettre à Tetra d’engager contre lui une procédure pour rentrer en possession du document, obtenir une injonction interdisant toute autre publication et demander des dommages-intérêts pour les frais auxquels elle avait dû faire face. Le juge conclut: "Il existe un commencement de preuve que Tetra a subi unpréjudice grave en raison du vol de son dossier confidentiel etsubirait des dommages commerciaux importants en cas dedivulgation dans un avenir proche des informations figurant dansce dossier. L’informateur pourrait certes ne pas être la mêmepersonne que le voleur. Il a pu recevoir les renseignements d’unintermédiaire, même si cela est peu probable. Dans les deux cas,cependant, il essayait d’obtenir la publication, préjudiciableà la société, d’informations dont le caractère sensible etconfidentiel n’avait pas dû lui échapper. D’après le défendeur,son informateur l’a rappelé quelques jours après lui avoircommuniqué les renseignements pour lui demander où il en étaitdans la rédaction de son article. La société plaignante souhaiteintenter une procédure à l’encontre de l’informateur afin derécupérer le document en cause, obtenir une injonctioninterdisant toute autre publication ainsi que desdommages-intérêts pour les dépenses encourues. Or elle ne peutuser d’aucun de ces moyens car elle ne sait pas contre quidiriger les poursuites. Vu l’urgence, en l’espèce, d’intenterun recours contre l’informateur, j’estime qu’il est nécessaire,dans l’intérêt de la justice, de divulguer son identité. (...) Les preuves révèlent, sans doute aucun, que le requéranta reçu les renseignements en cause en toute innocence, maisl’affaire Norwich Pharmacal montre que cela n’entre pas en lignede compte. La question est de savoir s’il s’est trouvé impliquédans le méfait (...) Dans une déclaration écrite certifiée sous serment, le défendeur a exprimé l’avis que l’intérêt public commande depublier les informations commerciales confidentielles de laplaignante. L’avocat du défendeur déclare que les résultats dela plaignante précédemment publiés la présentaient comme unesociété prospère et en expansion; le public a donc le droitd’apprendre qu’elle connaît désormais des difficultés. Jerejette ce point de vue. Rien ne donne à penser que lesrenseignements contenus dans le projet de plan de développementprouvent la fausseté de ceux rendus publics en de précédentesoccasions, ni que la plaignante était tenue, que ce soit par laloi ou la morale commerciale, de communiquer ces renseignementsà ses clients, fournisseurs et concurrents. Au contraire, il mesemble qu’une société ne peut fonctionner correctement s’il estimpossible de garder secret ce type d’information." Le même jour, la cour d’appel débouta le requérant de sa demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance de la High Court, mais la remplaça par une ordonnance le sommant soit de communiquer ses notes à Tetra, soit de les remettre à elle-même sous enveloppe cachetée avec déclaration sous serment concomitante. Le requérant n’obtempéra pas. B. Recours devant la cour d’appel et la Chambre des lords Le 23 novembre 1989, le requérant interjeta appel de l’ordonnance rendue la veille par le juge Hoffmann, aux motifs que la divulgation de ses notes n’était pas "nécessaire dans l’intérêt de la justice" au sens de l’article 10 de la loi de 1981, et que l’intérêt public que présentait la parution de l’information l’emportait sur celui de protéger la confidentialité; de plus, étant donné qu’il n’avait pas facilité la divulgation d’informations confidentielles, une ordonnance rendue à son encontre n’avait aucune valeur. Le 12 décembre 1989, la cour d’appel débouta le requérant. Lord Donaldson déclara: "L’existence d’une personne ayant accès à des informationshautement confidentielles appartenant aux plaignants, personneprête à faillir ainsi à son devoir de respect de laconfidentialité, constitue une menace permanente pour lesplaignants; la seule façon de supprimer la menace est de donnerl’identité de cette personne. Les injonctions auront assurémentpour résultat d’empêcher la publication dans la presse, mais nonla diffusion aux clients et concurrents des plaignants. (...) Dans un jugement prononcé en audience publique, j’hésiteà expliquer en détail les raisons pour lesquelles il s’agit d’uneaffaire où, si tous les faits étaient connus et les tribunauxdevaient dire qu’ils ne peuvent être d’aucun secours auxplaignants, il y aurait à mon avis une baisse sensible de laconfiance du public en l’administration de la justice en général.Il suffit de dire que la plaignante est une des premièressociétés, sinon la première, dans son secteur d’activité, trèsimportant, que j’omettrai délibérément de nommer, avec desclients et concurrents nationaux et internationaux. Cettesociété se trouve dans une situation qui résulte en partie de sonpropre succès. Elle est parvenue à un stade où elle doit trouverde nouveaux financements pour s’agrandir ou bien faire faillite,ce qui impliquerait non seulement des pertes financières maisaussi un grand nombre de licenciements. Ce n’est pas unesituation dans laquelle le tribunal doit rester ou se montrerimpuissant s’il n’existe pas de raisons impérieuses pour cela.La plaignante poursuit ses négociations financières alors quel’informateur (ou la source de l’informateur) les menace commeune bombe à retardement. A première vue, elle semble avoir droità une aide en vue de démasquer, localiser et neutraliser cettemenace. Ma conclusion selon laquelle la divulgation de l’identité dela source de M. Goodwin est nécessaire dans l’intérêt de lajustice n’est pas déterminante pour l’issue du présent appel.En revanche, elle implique que je dois me livrer à un exercicede mise en balance des intérêts en présence. Il existe d’unepart un intérêt public général à voir protéger la confidentialité des sources journalistiques, raison d’être de l’article 10. Faceà cela, je vois d’autre part l’intérêt général d’une bonneadministration de la justice qui appelle, en l’occurrence, ladivulgation. Si ces deux facteurs seuls entraient en ligne decompte, la balance pencherait clairement en faveur de ladivulgation car l’intention du législateur devait être que,toutes choses demeurant égales par ailleurs, la nécessité de ladivulgation pour l’un quelconque des quatre motifs indiquésl’emporte. Sinon, ces ouvertures n’auraient aucune utilité. Cependant, les choses ne resteront pas égales par ailleurs si,dans une affaire donnée, il existe d’autres motifs de protégerla confidentialité d’une source journalistique. Il se pourrait,par exemple, que l’information dévoile ce que les precedents nomment bizarrement une "iniquité". La plaignante pourrait aussiêtre une société anonyme qui maintient abusivement sesactionnaires dans l’ignorance d’informations qui leur seraientindispensables pour décider en connaissance de cause de vendreou non leurs actions. De telles circonstances réduiraientl’intérêt général qu’il y aurait à protéger la confidentialitédes informations ayant transpiré et accroîtraient d’autant cemême intérêt à protéger le secret des sources journalistiques.De même, s’il se révélait dans certains cas nécessaire d’identifier la source pour corroborer ou réfuter un alibi dansune affaire pénale d’importance, la nécessité de la divulgation"dans l’intérêt de la justice" pourrait se trouver accrue etdépasser le seuil fixé dans la disposition légale selon laquelle cette nécessité ne peut être contrebalancée que par un besointrès élevé de protection de la source. C’est lorsque [laplaignante] peut utiliser une ouverture qu’il convient de se livrer à cet exercice de mise en balance des intérêts. En l’occurrence, aucun élément ne vient s’ajouter sur l’un oul’autre des plateaux de la balance. Il y a bien une nécessitéde divulgation dans l’intérêt de la justice, mais elle ne pèse pas excessivement lourd. De même, il existe bien aussi unintérêt public général à protéger la confidentialité des sources journalistiques, mais les faits de la cause ne le renforcent enaucune manière. Il n’y a eu aucune "iniquité", ni aucunerétention d’information à l’égard des actionnaires. Le public n’ad’ailleurs aucun intérêt légitime dans les affaires de laplaignante puisque, même s’il s’agit formellement d’une société,elle se classe plutôt parmi les personnes privées. Cette affairese résume en réalité à une intrusion totalement injustifiée dansla vie privée. C’est pourquoi je n’ai pas le moindre doute que, en dépit dela nécessité de protéger les sources journalistiques en général,il s’agit d’une affaire où la balance penche en faveur de ladivulgation. Je rejette en conséquence les appels. Jen’aperçois aucun motif de justice pour conclure différemmentquant aux appels de M. Goodwin." Le juge McCowan déclara que le requérant devait s’être montré "incroyablement naïf" s’il ne lui était pas venu à l’esprit que l’informateur était au moins coupable de divulgation d’informations confidentielles. La cour d’appel autorisa le requérant à se pourvoir devant la Chambre des lords. Le 4 avril 1990, la Chambre des lords confirma la décision de la cour d’appel, appliquant le principe exposé par Lord Reid dans un arrêt de principe antérieur, Norwich Pharmacal Co. v. Customs and Excise Commissioners, Appeal Cases 1974, p. 133: "si une personne se trouve impliquée, sans aucune faute de sa part, dans les actes délictueux d’autrui au point de les faciliter, elle pourra ne pas en répondre personnellement, maiselle aura le devoir d’assister la personne lésée en luifournissant toute information et en révélant l’identité desmalfaiteurs." Lord Bridge, dans la première des cinq interventions distinctes qu’il fit en l’espèce, souligna que, pour appliquer l’article 10, il est nécessaire de mettre en balance, d’une part, la nécessité de protéger les sources d’information, et d’autre part, "l’intérêt de la justice" notamment. Il mentionna un certain nombre d’autres affaires pour illustrer la façon dont cet exercice doit être mené (en particulier Secretary of State for Defence v. Guardian Newspapers Ltd, Appeal Cases 1985, p. 339), et poursuivit: "(...) la question de savoir si la divulgation est nécessairedans l’intérêt de la justice soulève un problème plus délicat,car il faut mettre deux intérêts publics en balance. La Chambredes lords n’a pas encore eu à trancher de questions se posant surle terrain de cette partie de l’article 10. Commentant cetarticle en général, Lord Diplock a déclaré dans l’affaireSecretary of State for Defence v. Guardian Newspapers Ltd, AppealCases 1985, p. 350: "Les exceptions ne se réfèrent pas à "l’intérêt public" engénéral et j’ajouterais même que, selon moi, l’expression de"justice" dont l’intérêt mérite protection n’est pas utilisée ausens général de contraire d’"injustice" mais au sens techniqued’administration de la justice lors d’une procédure suivie devantun tribunal ou, en vertu de la définition élargie donnée au terme"tribunal" (court) par l’article 19 de la loi de 1981, devant unecommission ou un organe exerçant des fonctions judiciaires." Je souscris entièrement à la première partie de cettedéclaration. Interpréter le terme "justice" comme le contraired’"injustice" à l’article 10 serait en effet lui donner un sensbeaucoup trop large. Cependant, le limiter au "sens techniqued’administration de la justice lors d’une procédure suivie devantun tribunal" me semble trop étroit, avec tout le respect dû àtoute déclaration de feu Lord Diplock. Il est, selon moi, de"l’intérêt de la justice", au sens que revêt cette expression àl’article 10, que des personnes puissent exercer des droitsprotégés par la loi et parer à de graves préjudices au regard dela loi, qu’il faille ou non recourir à une procédure devant untribunal. Pour prendre un exemple évident, si une personneemployant un personnel nombreux subit un préjudice important parsuite des agissements d’un employé déloyal non identifié, il estsans aucun doute dans l’intérêt de la justice qu’elle puissel’identifier pour mettre fin à son contrat de travail, même s’iln’est pas nécessaire pour cela d’intenter une action en justice. Interpréter de la sorte l’expression "dans l’intérêt de lajustice" fait immédiatement ressortir l’importance de l’exercicede mise en balance. Pour établir la nécessité de la divulgation,il ne suffit pas, en soi, qu’une partie désireuse d’obtenir ladivulgation de l’identité d’une source relevant de la protectionde l’article 10 se contente de montrer que, faute d’une tellemesure, elle ne pourra pas exercer le droit protégé par la loini éviter le dommage qui la menace du fait de la violation de laloi qui est à l’origine de sa plainte. Le juge aura toujourspour tâche de peser, d’une part, l’intérêt qu’il y a à ce quejustice soit faite dans une affaire donnée et, d’autre part,l’importance de protéger la source. Dans cet exercice, le degrévoulu de nécessité ne sera atteint que lorsque le juge seraconvaincu que la divulgation dans l’intérêt de la justice estd’une importance si prépondérante qu’elle l’emporte sur laconfidentialité prévue par la loi. La question de savoir si la nécessité de la divulgation, ainsidéfinie, est établie, relève du domaine des faits plutôt que dela marge d’appréciation du juge; cependant, comme beaucoupd’autres questions de fait, telles que celle de savoir si unepersonne a agi raisonnablement dans des circonstances données,elle demande de porter avec discernement un jugement de valeurauquel il est parfois difficile de parvenir. Par ailleurs, pour estimer le poids que l’on doit attacher à la nécessité de la divulgation pour répondre à l’esprit de l’article 10, il faut prendre en compte de nombreux facteurs sur les deux plateaux dela balance. Il serait stupide de tenter de donner des directives détailléessur la façon de mener cet exercice, mais il ne serait pas déplacéd’indiquer le genre de facteurs qui méritent réflexion. Enévaluant le poids à accorder aux arguments en faveur de ladivulgation, l’on devra situer l’affaire en cause à l’intérieurd’un large spectre. Si la partie demandant la divulgation démontre, par exemple, que ses moyens d’existence mêmes endépendent, cela situera l’affaire à l’une des extrémités du spectre. Si au contraire il apparaît qu’elle ne cherche qu’àprotéger un intérêt patrimonial mineur, cela situera l’affaireà l’autre bout du spectre, ou presque. Par ailleurs,l’importance de protéger un informateur de la divulgation,conformément à l’esprit de la législation, variera aussi trèslargement. Un facteur important sera la nature de l’informationobtenue de la source. Plus l’intérêt légitime de l’informationfournie par la source à l’éditeur réel ou souhaité sera grand etplus il importera de protéger l’informateur. Mais il est unautre facteur, plus significatif peut-être, qui influeragrandement sur l’importance de protéger la source, à savoir lamanière dont l’informateur s’est lui-même procuré lerenseignement. S’il apparaît au tribunal que l’information a étéobtenue de façon légitime, cela renforcera l’importance d’enprotéger la source. A l’inverse, s’il apparaît que l’informationa été obtenue illégalement, cela diminuera l’importance deprotéger la source, à moins, bien sûr, que ce facteur ne soitcontrebalancé par un intérêt général évident à voir publier cetteinformation, comme dans le cas, classique, où l’informateur a agipour dénoncer une injustice. Je ne signale ces considérationsqu’à titre d’exemple, et souligne à nouveau qu’il ne faut enaucun cas y voir un code de conduite (...) En l’espèce, il ne fait pour moi aucun doute que [la HighCourt] et la cour d’appel ont eu raison de conclure que lanécessité de divulguer les notes de M. Goodwin dans l’intérêt dela justice était établie. L’importance pour la plaignanted’obtenir la divulgation réside dans la menace de gravespréjudices pesant sur ses affaires et, par conséquent, sur lesmoyens d’existence de ses salariés, qui résulteraient de ladivulgation de l’information contenue dans son plan dedéveloppement, alors qu’elle mène des négociations pour trouverde nouvelles sources de financement. Cette menace (...) ne peutêtre levée que si la plaignante peut identifier l’informateur- qui soit sera reconnu comme le voleur de l’exemplaire du plandérobé, soit conduira à identifier le voleur - et se mettre ainsien mesure d’engager une procédure pour récupérer le documentdisparu. L’importance de protéger l’informateur se trouve parailleurs sérieusement diminuée du fait de la complicité del’informateur, à tout le moins dans une grave divulgationd’informations confidentielles, qui n’est compensée par aucunintérêt légitime à voir publier ces informations. Il est clair,de ce point de vue, que la divulgation dans l’intérêt de lajustice est d’une telle importance qu’elle l’emporte sur lesprincipes qui sous-tendent la protection légale des sources; ilest ainsi satisfait au critère de nécessité de la divulgation(...)" Lord Templeman ajouta que le requérant aurait dû "reconnaître que [l’information] était à la fois confidentielle et préjudiciable". C. Amende pour contempt of court Dans l’intervalle, le 23 novembre 1989, le requérant s’était vu signifier une demande de renvoi en jugement pour contempt of court, infraction passible d’une amende non plafonnée ou d’une peine d’emprisonnement pouvant atteindre deux ans (article 14 de la loi de 1981). Le 24 novembre, lors d’une audience devant la High Court, l’avocat du requérant reconnut que ce dernier était coupable de contempt, mais l’assignation fut prorogée dans l’attente du résultat de l’appel. La Chambre des lords ayant débouté le requérant, la High Court infligea au requérant le 10 avril 1990 une amende de 5 000 £ pour contempt. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 10 de la loi de 1981 sur le contempt of court dispose: "Aucun tribunal ne peut demander à une personne de divulguer,et nul n’est coupable de contempt of court s’il refuse dedivulguer la source de l’information contenue dans la publicationdont il est responsable, à moins que le tribunal ne considèrecomme établi que la divulgation est nécessaire dans l’intérêt dela justice ou de la sécurité nationale ou pour la défense del’ordre et la prévention des infractions pénales." L’article 14 par. 1 prévoit: "Chaque fois qu’un tribunal a compétence pour condamner unepersonne à une peine d’emprisonnement pour contempt of court etqu’aucune disposition (hormis la présente clause) ne limite ladurée de la détention, celle-ci devra (sans préjudice du pouvoirdu tribunal à ordonner une libération anticipée), revêtir uncaractère fixe et ne dépasser en aucun cas deux ans si la peineest infligée par une juridiction supérieure ou un mois si ellel’est par une juridiction inférieure." Dans l’affaire Secretary of State for Defence v. Guardian Newspapers, Lord Diplock a interprété comme suit l’expression "l’intérêt de la justice" figurant à l’article 10 de la loi de 1981: "Les exceptions ne se réfèrent pas à l’"intérêt public" engénéral et j’ajouterais même que, selon moi, l’expression de"justice" dont l’intérêt mérite protection n’est pas utilisée ausens général de contraire d’"injustice" mais au sens techniqued’administration de la justice lors d’une procédure suivie devantun tribunal (...) [L’expression "l’intérêt de la justice"] (...) renvoie àl’administration de la justice dans le cadre d’une procédureparticulière en cours ou, s’agissant du genre d’affaires relevantde la "loi sur la divulgation" dont l’affaire Norwich PharmacalCo. v. Customs and Excise Commissioners offre un exemple (...),d’une action civile précise qu’on se propose d’intenter contrel’auteur d’un dommage dont l’identité n’a pas encore été établie.Je n’arrive pas à imaginer une action civile se fondant surl’article 10 de la loi [de 1981] autre qu’une action endiffamation ou pour détention de biens lorsque ceux-ci, comme enl’espèce et en l’affaire British Steel Corporation v. GranadaTelevision (...), sont ou incluent des documents remis au médiapar divulgation d’informations confidentielles." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 17488/90) du 27 septembre 1990 à la Commission, M. Goodwin alléguait que l’ordonnance le sommant de révéler l’identité de son informateur constituait une atteinte au droit à la liberté d’expression que lui reconnaît l’article 10 (art. 10) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 7 septembre 1993. Dans son rapport du 1er mars 1994 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) (onze voix contre six). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 24 avril 1995, le Gouvernement a invité la Cour, comme dans son mémoire, à dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention. A cette même occasion, le requérant a réitéré la demande qu’il avait déjà exprimée dans son mémoire et prié la Cour de constater une violation de l’article 10 (art. 10) et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 (art. 50) de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce M. Kamel Boughanemi est né le 23 novembre 1960 en Tunisie et a la nationalité de ce pays. Arrivé en France en 1968, il y a toujours résidé jusqu’à son expulsion. Ses parents et ses dix frères et soeurs y sont installés et huit de ces derniers y sont nés. Il affirme avoir vécu maritalement avec une femme de nationalité française - Mlle S. - dont, le 5 avril 1994, il a reconnu l’enfant venu au monde le 19 juin 1993. A. Le passé judiciaire du requérant Le requérant fut condamné à plusieurs reprises: le 21 décembre 1981 à dix mois d’emprisonnement - dont quatre mois avec sursis - pour vol avec effraction; le 22 septembre 1983 à deux mois d’emprisonnement pour coups et blessures volontaires ayant entraîné une interruption temporaire de travail de plus de huit jours; le 25 septembre 1986 au paiement d’une amende de 1 500 francs pour conduite sans permis et défaut d’assurance, et, le 24 mars 1987, à trois ans d’emprisonnement pour proxénétisme aggravé. B. La procédure d’expulsion L’arrêté d’expulsion Le 8 mars 1988, le ministre de l’Intérieur prit à l’encontre de M. Boughanemi un arrêté d’expulsion ainsi libellé: "(...) Vu les articles 23 et 24 de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée etde séjour des étrangers en France; Vu le décret no 82-440 du 26 mai 1982; Considérant que le nommé Boughanemi Kamel (...) a commis le21 août 1981 un vol à l’aide d’une effraction, le21 novembre 1981 des faits de coups et blessures volontairessur un citoyen chargé d’un ministère de service public dansl’exercice de ses fonctions, le 25 janvier 1983 des faits decoups et blessures volontaires, du 26 septembre 1986 au10 octobre 1986 des faits de proxénétisme aggravé; Considérant qu’en raison de son comportement la présence de cet étranger sur le territoire français constitue une menace pour l’ordre public; (...) ARRETE Article 1er: Il est enjoint au susnommé de sortir duterritoire français; Article 2: Le préfet de police et les préfets sont chargésde la notification et de l’exécution du présent arrêté. (...)" L’arrêté d’expulsion fut exécuté le 12 novembre 1988, mais l’intéressé revint en France et y séjourna clandestinement. Le 16 mars 1989, le tribunal administratif de Lyon rejeta le recours pour excès de pouvoir présenté par M. Boughanemi contre l’arrêté d’expulsion. La demande d’abrogation Le 21 mars 1990, le requérant sollicita l’abrogation de l’arrêté d’expulsion auprès du ministre de l’Intérieur. Ce dernier rejeta cette demande le 10 août 1990, aux motifs suivants: "(...) J’ai l’honneur de vous faire connaître que cette mesure d’éloignement a été prononcée par l’administration compte tenu de la nature et de la gravité croissante des faits commis par l’intéressé. La menace pour l’ordre public a également été appréciée par le comportement général deM. Boughanemi comme le stipulait la circulaire d’applicationde la loi du 9 septembre 1986. En outre, le tribunal [administratif] de Lyon a confirmé le16 mars 1989 l’arrêté d’expulsion. Il ne m’est pas possible de réserver une suite favorable à votre demande. L’arrêté d’expulsion du 8 mars 1988 est donc maintenu. (...)" Le recours en annulation a) Devant le tribunal administratif de Lyon Le 9 octobre 1990, M. Boughanemi déposa une requête en annulation de la décision ministérielle de refus devant le tribunal administratif de Lyon qui la rejeta par un jugement du 26 février 1991, ainsi motivé: "(...) Considérant qu’aux termes de l’article 23 de l’ordonnancedu 2 novembre 1945 modifiée, dans sa rédaction issue de laloi du 2 août 1989, ‘sous réserve des dispositions del’article 25, l’expulsion peut être prononcée par arrêté duministre de l’Intérieur si la présence sur le territoirefrançais d’un étranger constitue une menace grave pourl’ordre public. L’arrêté d’expulsion peut à tout moment êtreabrogé par le ministre de l’Intérieur ...’; que sil’article 25 de l’ordonnance, tel qu’il résulte de la mêmeloi, interdit au ministre, sauf le cas d’urgence absolueprévue à l’article 26, de prononcer l’expulsion de certainescatégories d’étrangers, cette disposition ne saurait êtreutilement invoquée à l’appui d’une demande tendant àl’abrogation d’une mesure d’expulsion antérieurement prise;qu’il appartient seulement au ministre, saisi d’une telledemande, d’apprécier en vertu de l’article 23 précité si laprésence de l’intéressé sur le territoire français constitue,à la date à laquelle il se prononce, une menace grave àl’ordre public; Considérant, d’une part, qu’il résulte de ce qui précèdeque le moyen tiré de ce que M. Boughanemi réside en Francehabituellement depuis l’âge de huit ans et n’aurait pu, de cefait, en vertu de l’article 25 nouveau de l’ordonnance du2 novembre 1945, faire l’objet d’une mesure d’expulsion aprèsl’entrée en vigueur de la loi du 2 août 1989, est sans valeurà l’encontre de la décision refusant de prononcerl’abrogation de l’arrêté d’expulsion pris à son encontre le8 mars 1988; qu’il ne peut davantage se prévaloir du principetiré de l’application rétroactive de la loi pénale plusdouce; Considérant, d’autre part, que la décision d’expulsion en date du 8 mars 1988 a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir rejeté comme non fondé le 16 mars 1989 par jugementdu tribunal de céans; que l’autorité de la chose jugée quis’attache à ladite décision s’oppose à ce que M. Boughanemiinvoque l’illégalité de cette mesure d’expulsion à l’appui deses conclusions dirigée contre le refus d’abrogation de ladite mesure; Considérant, enfin, qu’il résulte des pièces versées audossier que le ministre, qui a pris sa décision en vue del’ensemble des circonstances de l’affaire, n’a pas commisd’erreur manifeste d’appréciation en estimant, au vu desfaits qui avaient motivé contre l’intéressé diversesinterpellations et procédures pénales entre 1981 et 1988 etdes éléments caractérisant le comportement de M. Boughanemi,que la présence de celui-ci sur le territoire français constituait une menace grave pour l’ordre public, et en refusant, pour ce motif, d’abroger l’arrêté d’expulsion prisà son encontre; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que lerequérant n’est pas fondé à soutenir que la décisionlitigieuse est entachée d’excès de pouvoir et à en demanderl’annulation pour ce motif;" b) Devant le Conseil d’Etat Le 7 décembre 1992, le Conseil d’Etat rejeta la requête en appel présentée le 23 octobre 1991 par M. Boughanemi. Il retint notamment les motifs suivants: "(...) Considérant que si la rédaction de l’article 25 del’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 a été modifiée parl’intervention de la loi du 2 août 1989, M. Boughanemi nesaurait utilement se prévaloir de ce changement dans lescirconstances de droit pour soutenir que le ministre del’Intérieur avait l’obligation d’abroger l’arrêté d’expulsionpris à son encontre sous l’empire d’un état antérieur de lalégislation relative à la police des étrangers; qu’ilappartenait seulement au ministre, saisi d’une demande d’abrogation, de déterminer, si, en vertu de l’article 23 del’ordonnance du 2 novembre 1945 dans sa rédaction en vigueurà la date de la demande d’abrogation, la présence de l’intéressé sur le territoire français présentait une menace grave pour l’ordre public; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le ministre, qui a pris sa décision au vu de l’ensemble des éléments de l’affaire, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant la présence en France de l’intéressé, qui s’était rendu coupable de délits répétés et de gravité croissante, parmi lesquels le délit de proxénétisme aggravé, présentait toujours, à la date du10 août 1990, une menace grave pour l’ordre public; qu’ainsi,c’est à bon droit qu’il a refusé d’abroger l’arrêté d’expulsion qui frappait M. Boughanemi; Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, le refus du ministre de l’Intérieur d’abroger l’arrêtéd’expulsion pris à l’encontre de M. Boughanemi, qui estrevenu en France et s’y est maintenu de façon clandestineaprès l’exécution de cet arrêté d’expulsion, n’a pas porté audroit de l’intéressé au respect de sa vie familiale uneatteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense del’ordre public; qu’ainsi le moyen tiré de ce que le refusd’abroger l’arrêté d’expulsion du 8 mars 1988 aurait méconnule droit au respect de la vie familiale garanti parl’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droitsde l’Homme doit être rejeté; (...)" L’expulsion M. Boughanemi fut arrêté, le 28 juillet 1994, pour infraction à l’arrêté d’expulsion, puis condamné à trois mois d’emprisonnement. Le 12 octobre 1994, il fut expulsé vers la Tunisie. C. Les déclarations de Mlle S. Le 20 juin 1994, la Commission avait reçu de Mlle S. (paragraphe 7 ci-dessus) la lettre suivante, datée du 15 juin 1994: "En tant que concubine et mère de l’enfant deM. Boughanemi Kamel, je viens par ce courrier vous demander toute votre attention. En effet, devant la difficulté que pose la restitution de ses papiers, nous nous retrouvons dans l’impossibilité d’avoir une vie normale. J’inclus aussi le fait qu’étant moi-même sans travail, ma situation financière ne me permet pas de l’aider que ce soit moralement [ou] financièrement. De plus, étant sa concubine,devant tous les efforts qu’il peut faire pour être reconnu comme un citoyen normal, il nous est malheureusement impossible de vivre ensemble. Donc, devant les problèmes que pose sa reconnaissance administrative, je me permets de vous écrire en espérant que vous tiendrez compte de sa bonne foi ainsi que de la mienne. (...)" Le 6 décembre 1994, Mlle S. déclara devant un officier de police judiciaire (extraits du procès-verbal): "(...) Je connais effectivement Boughanemi Kameledine. Cela fait trois ans environ que je le connais. J’ai vécu avec lui de fin 1992 jusqu’à Noël 1993, date à laquelle nous nous sommes séparés pour cause de mésentente. Lorsque nous étions ensemble, il ne travaillait pas et il logeait chez moi (...) C’est moi qui subvenais à ses besoins. Il ne m’a jamais donné d’argent car il n’en avait pas. Il n’a reconnu mon fils qu’en avril 1994 car, au départ, je n’y tenais pas trop. Il ne m’a pas envoyé d’argent jusqu’à présent pour notre enfant. Il m’appelle de temps à autre pour savoir s’il y a des nouvelles au sujet de sa demande devant la Cour européenne. Je n’envisage pas de me remettre avec lui s’il revient. Je n’ai rien d’autre à dire dans cette affaire. (...)" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’expulsion est régie par l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, modifiée notamment par les lois no 81-973 du 29 octobre 1981, no 86-1025 du 9 septembre 1986, no 89-548 du 2 août 1989, no 91-1383 du 31 décembre 1991 et no 93-1027 du 24 août 1993. A. Le régime de l’expulsion Le régime normal a) Principes et procédure Aux termes du premier alinéa de l’article 23 de l’ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986, "sous réserve des dispositions de l’article 25, l’expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur si la présence sur le territoire français d’un étranger constitue une menace pour l’ordre public". La loi du 2 août 1989 a rétabli la rédaction antérieure à la loi du 9 septembre 1986: l’expulsion doit être motivée par l’existence d’une menace "grave" pour l’ordre public. L’article 24, dans sa rédaction issue des lois des 29 octobre 1981 et 9 septembre 1986, précisait: "L’expulsion prévue à l’article 23 ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes: 1o L’étranger doit en être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat; 2o L’étranger est convoqué pour être entendu par une commission siégeant sur convocation du préfet et composée: Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d’un juge délégué par lui, président; D’un magistrat désigné par l’assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département; D’un conseiller de tribunal administratif. Le chef du service des étrangers à la préfecture assure les fonctions de rapporteur; le directeur départemental de l’action sanitaire et sociale ou son représentant est entendu par la commission; ils n’assistent pas à la délibération dela commission. La convocation, qui doit être remise à l’étranger huitjours au moins avant la réunion de la commission, précise quecelui-ci a le droit d’être assisté d’un conseil ou de toutepersonne de son choix et d’être entendu avec un interprète. L’étranger peut demander le bénéfice de l’aide judiciairedans les conditions prévues par la loi no 72-11 du3 janvier 1972. Cette faculté est indiquée dans laconvocation. L’admission provisoire à l’aide judiciaire peutêtre prononcée par le président de la commission. Les débats de la commission sont publics. Le président veille à l’ordre de la séance. Tout ce qu’il ordonne pourl’assurer doit être immédiatement exécuté. Devant lacommission, l’étranger peut faire valoir toutes les raisonsqui militent contre son expulsion. Un procès-verbal enregistrant les explications de l’étranger est transmis,avec l’avis de la commission, au ministre de l’Intérieur quistatue. L’avis de la commission est également communiqué àl’intéressé." La loi du 2 août 1989 ajoutait notamment: "3o Si la commission émet un avis défavorable àl’expulsion, celle-ci ne peut être prononcée." Cette dernière disposition fut toutefois supprimée par la loi du 24 août 1993. b) Etrangers protégés L’article 25 de l’ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 octobre 1981 modifiée par la loi du 9 septembre 1986, disposait: "Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion, en application de l’article 23: 1o L’étranger mineur de dix-huit ans, sauf si les personnes qui subviennent effectivement à ses besoins font elles-mêmes l’objet d’une mesure d’expulsion ou de reconduite à la frontière et si aucune autre personne résidant régulièrement en France n’est susceptible de subvenir à ses besoins; pour l’étranger mineur de seize ans, l’avis de la commission départementale d’expulsion doit être conforme; 2o L’étranger, marié depuis au moins un an, dont leconjoint est de nationalité française, à la condition que lacommunauté de vie des deux époux soit effective; 3o L’étranger qui est père ou mère d’un enfant françaisrésidant en France, à la condition qu’il exerce, mêmepartiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfantou qu’il subvienne effectivement à ses besoins; 4o L’étranger qui justifie par tous les moyens avoir sarésidence habituelle en France depuis qu’il a atteint au plusl’âge de dix ans ou depuis plus de dix ans et qui n’a pas étécondamné définitivement pour crime ou délit à une peine aumoins égale à six mois d’emprisonnement sans sursis ou un anavec sursis ou à plusieurs peines d’emprisonnement au moinségales, au total, à ces mêmes durées; 5o L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travailservie par un organisme français et dont le taux d’incapacitépermanente et partielle est égal ou supérieur à 20 %." La loi du 2 août 1989 a modifié ledit article 25, rétablissant en grande partie la rédaction antérieure à la loi du 9 septembre 1986: "Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion, enapplication de l’article 23: 1o L’étranger mineur de dix-huit ans; 2o L’étranger qui justifie, par tous moyens, résider enFrance habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge dedix ans; 3o L’étranger qui justifie, par tous moyens, résider enFrance habituellement depuis plus de quinze ans ainsi quel’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus dedix ans; 4o L’étranger, marié depuis au moins six mois, dont leconjoint est de nationalité française; 5o L’étranger qui est père ou mère d’un enfant françaisrésidant en France, à la condition qu’il exerce, mêmepartiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfantou qu’il subvienne effectivement à ses besoins; 6o L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organismefrançais et dont le taux d’incapacité permanente est égal ousupérieur à 20 %; 7o L’étranger résidant régulièrement en France sous couvertde l’un des titres de séjour prévus par la présenteordonnance ou les conventions internationales qui n’a pas étécondamné définitivement à une peine au moins égale à un and’emprisonnement sans sursis. (...)" Cette même loi a ajouté un alinéa, ainsi rédigé: "Les étrangers mentionnés aux 1o à 6o ne peuvent fairel’objet d’une mesure de reconduite à la frontière enapplication de l’article 22 de la présente ordonnance oud’une mesure judiciaire d’interdiction du territoire enapplication de l’article 19 de la même ordonnance." L’article 25 a encore été modifié et complété par les lois des 31 décembre 1991 et 24 août 1993: "Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion, en application de l’article 23: 1o L’étranger mineur de dix-huit ans; 2o L’étranger qui justifie par tous moyens résider enFrance habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge desix ans; 3o L’étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi quel’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus dedix ans sauf s’il a été, pendant toute cette période,titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention’étudiant’; 4o L’étranger, marié depuis au moins un an avec un conjointde nationalité française, à condition que la communauté devie n’ait pas cessé et que le conjoint ait conservé lanationalité française; 5o L’étranger qui est père ou mère d’un enfant françaisrésidant en France, à la condition qu’il exerce, mêmepartiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfantou qu’il subvienne effectivement à ses besoins; 6o L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travailou de maladie professionnelle servie par un organismefrançais et dont le taux d’incapacité permanente est égal ousupérieur à 20 %; 7o L’étranger résidant régulièrement en France sous couvertde l’un des titres de séjour prévus par la présenteordonnance ou les conventions internationales qui n’a pas étécondamné définitivement à une peine au moins égale à un and’emprisonnement sans sursis. (...) Les étrangers mentionnés aux 1o à 6o ne peuvent faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière enapplication de l’article 22 de la présente ordonnance. Par dérogation aux dispositions du présent article,l’étranger entrant dans l’un des cas énumérés aux 3o, 4o, 5oet 6o peut faire l’objet d’un arrêté d’expulsion enapplication des articles 23 et 24 s’il a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans." Le régime d’urgence L’article 26 de l’ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986, disposait: "En cas d’urgence absolue et par dérogation aux articles 23à 25, l’expulsion peut être prononcée lorsque la présence de l’étranger sur le territoire français constitue pour l’ordre public une menace présentant un caractère de particulière gravité. Cette procédure ne peut toutefois être appliquée auxmineurs de dix-huit ans." Modifié par la loi du 2 août 1989 puis par celle du 24 août 1993, l’article 26 se lit désormais ainsi: "L’expulsion peut être prononcée: a) En cas d’urgence absolue, par dérogation au 2o del’article 24; b) Lorsqu’elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique, par dérogation à l’article 25. En cas d’urgence absolue et lorsqu’elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécuritépublique, l’expulsion peut être prononcée par dérogation aux articles 24 (2o) et 25. Les procédures prévues par le présent article ne peuventêtre appliquées à l’étranger mineur de dix-huit ans." B. L’abrogation de l’arrêté d’expulsion Le deuxième alinéa de l’article 23 de l’ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986, prévoyait: "L’arrêté d’expulsion peut, à tout moment, être abrogé parle ministre de l’Intérieur. Lorsque la demande d’abrogationest présentée à l’expiration d’un délai de cinq ans à compterde l’exécution effective de l’arrêté d’expulsion, elle nepeut être rejetée qu’après avis de la commission prévue àl’article 24, devant laquelle l’intéressé peut se fairereprésenter." La rédaction antérieure à la loi du 9 septembre 1986 fut rétablie par la loi du 2 août 1989: l’avis conforme de la commission était exigé. Cette disposition fut toutefois à nouveau modifiée par la loi du 24 août 1993: l’avis de la commission doit obligatoirement être recueilli, mais il ne lie plus le ministre. C. Les sanctions L’article 27 de l’ordonnance, dans sa rédaction issue de la loi du 9 septembre 1986, disposait: "Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’un arrêté d’expulsion ou d’une mesure de reconduite à la frontière ou qui, expulsé ou ayan tfait l’objet d’une interdiction du territoire, aura pénétréde nouveau sans autorisation sur le territoire national, sera puni d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement. Le tribunal pourra, en outre, prononcer à l’encontre du condamné l’interdiction du territoire pour une durée n’excédant pas dix ans. L’interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa peine d’emprisonnement." La loi du 31 décembre 1991 précise que la même peine est applicable à "tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France" (premier alinéa complété) ou "qui n’aura pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa ou qui, à défaut de ceux-ci, n’aura pas communiqué les renseignements permettant cette exécution" (nouvel alinéa inséré entre le premier et le deuxième). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Boughanemi a saisi la Commission le 3 juin 1993. Il alléguait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention. La Commission a déclaré la requête (no 22070/93) recevable le 29 août 1994. Dans son rapport du 10 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par vingt et une voix contre cinq, à la violation de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête de M. Boughanemi".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Les requérants Les quatre requérants, sikhs, appartiennent à la même famille. Le premier requérant, Karamjit Singh Chahal, est un citoyen indien né en 1948. En 1971, il entra clandestinement au Royaume-Uni pour y chercher un emploi. En 1974, il adressa au ministère de l'Intérieur une demande en vue de régulariser sa situation et obtint le 10 décembre 1974 un permis de séjour illimité en vertu d'une amnistie touchant les clandestins arrivés avant le 1er janvier 1973. Il est détenu depuis le 16 août 1990 à la prison de Bedford dans l'attente de son expulsion. La seconde requérante, Darshan Kaur Chahal, également de nationalité indienne, est née en 1956. Elle arriva en Angleterre le 12 septembre 1975 après son mariage avec le premier requérant en Inde et vit actuellement à Luton avec leurs deux enfants, Kiranpreet Kaur Chahal (née en 1977) et Bikaramjit Singh Chahal (né en 1978), respectivement les troisième et quatrième requérants. Nés au Royaume-Uni, les deux enfants ont la nationalité britannique. Les deux premiers requérants sollicitèrent la nationalité britannique en décembre 1987. La demande de M. Chahal fut rejetée le 4 avril 1989, tandis que celle de Mme Chahal reste pendante. B. Contexte: le conflit au Pendjab Depuis la partition de l'Inde en 1947, de nombreux sikhs se sont lancés dans une campagne politique en faveur d'une patrie sikhe indépendante, le Khalistan, équivalant à peu près à la province indienne du Pendjab. A la fin des années 70 apparut un groupe important, dirigé par Sant Jarnail Singh Bhindranwale, dont la base était le Temple d'or d'Amritsar, le lieu saint le plus vénéré des sikhs. Le Gouvernement affirme que Sant Bhindranwale utilisait le Temple d'or non seulement pour prêcher la doctrine sikhe orthodoxe, mais également pour y stocker des armes et qu'il appelait à utiliser la violence pour instaurer un Khalistan indépendant. La situation au Pendjab se dégrada après l'assassinat d'un policier de haut rang dans le Temple d'or en 1983. Le 6 juin 1984, l'armée indienne prit le temple d'assaut au cours d'un festival religieux et tua Sant Bhindranwale ainsi qu'un millier de sikhs. Quatre mois plus tard, Mme Indira Gandhi, premier ministre indien, fut abattue à coups de feu par deux de ses gardes du corps sikhs. La riposte hindoue entraîna la mort de plus de 2 000 sikhs au cours d'émeutes à Delhi. Depuis 1984, le conflit au Pendjab aurait coûté la vie à plus de 20 000 personnes; il a culminé en 1992, année où, d'après des articles parus dans la presse indienne rassemblés par le ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, 4 000 personnes environ ont trouvé la mort au cours d'incidents survenus au Pendjab et ailleurs. Divers éléments donnent à penser que tant les séparatistes sikhs que les forces de sécurité ont perpétré des violences et des actes contraires aux droits de l'homme (paragraphes 45-56 ci-dessous). C. Visite de M. Chahal en Inde en 1984 Le 1er janvier 1984, M. Chahal partit pour le Pendjab avec sa femme et ses enfants afin d'y rendre visite à leur famille. Il affirme que, pendant son séjour, il est allé à maintes reprises au Temple d'or, où il a écouté une dizaine de fois les prêches de Sant Bhindranwale. Lors d'une visite, sa femme, son fils et lui ont été reçus en audience privée par le Sant. C'est à cette époque que M. Chahal se fit baptiser et commença à suivre les préceptes de l'orthodoxie sikhe. Il participa également à l'organisation de la résistance passive destinée à défendre l'autonomie du Pendjab. La police du Pendjab l'arrêta le 30 mars 1984. Il fut détenu pendant vingt et un jours. Il affirma être resté menottes aux poignets dans des conditions insalubres et avoir été battu jusqu'à tomber dans le coma, avoir reçu des décharges électriques sur diverses parties du corps et subi un simulacre d'exécution. Il fut ensuite libéré sans qu'aucune charge soit retenue contre lui. Il regagna le Royaume-Uni le 27 mai 1984 et n'est pas retourné en Inde depuis. D. Activités politiques et religieuses de M. Chahal au Royaume-Uni Depuis son retour au Royaume-Uni, M. Chahal occupe une place importante dans la communauté sikhe, laquelle fut horrifiée par l'attaque du Temple d'or. Il prit part à l'organisation d'une manifestation à Londres pour protester contre l'attitude du gouvernement indien, devint membre à plein temps du comité du temple sikh (gurdwara) de Belvedere (Erith, Kent) et parcourut Londres pour persuader les jeunes sikhs de se faire baptiser. M. Jasbir Singh Rode entra au Royaume-Uni en août 1984. Il s'agissait du neveu de Sant Bhindranwale, reconnu par les sikhs comme son successeur en tant que chef spirituel. M. Chahal le rencontra à son arrivée puis l'accompagna dans la tournée qu'il effectua au Royaume-Uni, l'aidant à accomplir les baptêmes. M. Rode joua un rôle décisif dans la création au Royaume-Uni d'antennes de la Fédération internationale de la jeunesse sikhe (International Sikh Youth Federation - "ISYF"), l'organisation en étant en grande partie assumée par M. Chahal. L'ISYF devait jouer le rôle de section britannique de la Fédération panindienne des étudiants sikhs (All India Sikh Students' Federation). Cette dernière fut interdite par le gouvernement indien jusqu'à la mi-1985 et il semblerait que les autorités indiennes la considèrent toujours comme militante. M. Rode fut expulsé du Royaume-Uni en décembre 1984 pour incitation publique à la violence dans le cadre de la campagne séparatiste. A son arrivée en Inde, il fut emprisonné sans jugement jusque vers la fin de l'année 1988. Peu après sa sortie de prison, il apparut que ses opinions politiques s'étaient modifiées. Il déclarait désormais que les sikhs devaient défendre leur cause en adoptant des méthodes constitutionnelles, ce que nombre de sikhs jugeaient inadmissible au dire des requérants. Il se produisit de ce fait une scission parmi les anciens partisans de M. Rode. Au Royaume-Uni, selon le Gouvernement, cela se traduisit par une fracture de l'ISYF le long d'une ligne coupant l'île en deux. Au nord de cette ligne, la plupart des antennes de l'ISYF restèrent fidèles à M. Rode, alors qu'au sud, l'ISYF se lia avec un autre activiste politique du Pendjab, le Dr Sohan Singh, qui continuait à soutenir la création d'une patrie indépendante. M. Chahal ainsi que, selon lui, toutes les grandes figures spirituelles et intellectuelles de la communauté sikhe au Royaume-Uni appartenaient à la faction du sud. E. Infractions pénales présumées de M. Chahal En octobre 1985, M. Chahal fut placé en détention en vertu de la loi de 1984 sur la prévention du terrorisme (dispositions temporaires) (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984 - "la PTA"), car soupçonné d'avoir participé à un complot visant à assassiner le premier ministre indien, M. Rajiv Gandhi, lors d'une visite officielle au Royaume-Uni. Il fut libéré faute de preuve. En 1986, il fut arrêté et soumis à deux interrogatoires (l'un en vertu de la PTA), la police le croyant impliqué dans un complot de l'ISYF destiné à assassiner des sikhs modérés au Royaume-Uni. Il fut dans les deux cas libéré sans que l'on retienne de charge contre lui. M. Chahal a nié toute participation à ces divers complots. En mars 1986, M. Chahal fut accusé d'avoir provoqué une rixe et commis des voies de fait à la suite de troubles survenus au temple sikh de East Ham, à Londres. Pendant son procès, qui se déroula en mai 1987, des échauffourées se produisirent au temple sikh de Belvedere, dont la presse nationale se fit largement l'écho. M. Chahal fut arrêté en raison de ces incidents et conduit dans le prétoire les menottes aux mains le dernier jour de son procès. Il fut reconnu coupable sur les deux chefs d'accusation en rapport avec les troubles d'East Ham et condamné à purger des peines non cumulables de six et neuf mois. Il fut ensuite acquitté des charges retenues contre lui à l'occasion des troubles survenus au temple de Belvedere. Le 27 juillet 1992, la Cour d'appel annula les deux condamnations au motif que la comparution de M. Chahal à l'audience menottes aux poignets lui avait causé un grave préjudice. F. Les procédures d'expulsion et d'asile La notification de l'avis d'expulsion Le 14 août 1990, le ministre de l'Intérieur (M. Hurd) décida qu'il fallait expulser M. Chahal car sa présence sur le sol britannique était jugée contraire au bien public pour des raisons de sécurité nationale et d'autres motifs politiques, à savoir la lutte internationale contre le terrorisme. M. Chahal reçut notification de l'avis d'expulsion le 16 août 1990. Ecroué dans cette perspective conformément à l'article 2 par. 2 de l'annexe III à la loi de 1971 sur l'immigration (Immigration Act 1971 -paragraphe 64 ci-dessous), il se trouve depuis lors en détention. Demande d'asile de M. Chahal S'il est renvoyé en Inde, M. Chahal affirme avoir de bonnes raisons de craindre des persécutions au sens de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés ("la Convention de 1951" - paragraphe 61 ci-dessous). Il demanda en conséquence l'asile politique le 16 août 1990. Le 11 septembre 1990, des fonctionnaires de la division "asile" du ministère de l'Intérieur l'interrogèrent et ses conseils soumirent des observations écrites pour son compte. Il affirme qu'en cas d'expulsion vers l'Inde, il y serait soumis à la torture et à des persécutions et avance notamment à l'appui de ses dires les éléments suivants: a) sa détention au Pendjab en 1984 et les tortures qu'il a subies alors (paragraphe 18 ci-dessus); b) ses activités politiques au Royaume-Uni et son dévouement à la cause de la renaissance de la religion sikhe et à la campagne en faveur d'un Etat sikh indépendant (paragraphes 19-22 ci-dessus); c) ses liens avec Sant Bhindranwale et Jasbir Singh Rode (paragraphes 17 et 20 ci-dessus); d) des preuves que ses parents, d'autres membres de sa famille et des connaissances ont été placés en détention, torturés et interrogés en octobre 1989 au sujet de ses activités au Royaume-Uni et que d'autres, qui étaient en relation avec lui, sont morts en garde à vue; e) l'intérêt manifesté par la presse indienne au sujet de sa participation présumée au militantisme sikh et la décision de l'expulser du Royaume-Uni; f) des preuves concordantes, y compris celles citées dans les rapports d'Amnesty International, au sujet de la torture et de l'assassinat de personnes considérées comme des militants sikhs par les autorités indiennes, notamment la police du Pendjab (paragraphes 55 et 56 ci-dessous). Le 27 mars 1991, le ministre de l'Intérieur rejeta la demande d'asile. Dans une lettre adressée au requérant, il indiquait que la position connue de ce dernier en faveur du séparatisme sikh était peu susceptible d'amener les autorités indiennes à s'intéresser à lui, sauf si cela le conduisait à commettre des actes de violence contre l'Inde. Il poursuivait en disant qu'il n'était "pas au courant de l'existence d'accusations soit en Inde soit ailleurs contre [M. Chahal]; compte tenu de ce que [M. Chahal] a révélé sur ses activités politiques, le ministre estime peu vraisemblable qu'il subisse des persécutions s'il est renvoyé en Inde. Les autorités indiennes savent certainement que les médias s'intéressent à son affaire et, compte tenu de sa participation à la branche extrémiste de l'ISYF, qu'il a lui-même reconnue, le ministre jugerait légitime que le gouvernement indien porte de l'intérêt à ses activités". Le ministre estima que ce que M. Chahal a vécu en Inde en 1984 n'était plus pertinent car il régnait à cette époque une très grande tension au Pendjab. Les conseils de M. Chahal informèrent le ministre de l'Intérieur que leur client avait l'intention de solliciter le contrôle juridictionnel de la décision de lui refuser l'asile, mais qu'il attendrait pour ce faire que le comité consultatif ait examiné les charges pesant contre lui dans le domaine de la sécurité nationale. Comité consultatif L'affaire touchant à la sécurité nationale, l'arrêté d'expulsion n'était pas susceptible d'appel (paragraphes 58 et 60 ci-dessous). La question fut toutefois examinée le 10 juin 1991 par un comité consultatif présidé par un juge de la Cour d'appel, le juge Lloyd, et comprenant un ancien président de la Commission de recours en matière d'immigration (Immigration Appeal Tribunal). Le ministère de l'Intérieur avait préparé des déclarations, datées des 5 avril et 23 mai 1991 et envoyées au requérant, présentant sommairement les raisons pour lesquelles avait été prise la décision de l'expulser. Ces documents contenaient les principaux points suivants: a) M. Chahal avait joué un rôle central dans la direction des opérations de soutien au terrorisme menées par la branche de l'ISYF de Londres, qui avait des liens étroits avec des terroristes sikhs vivant au Pendjab; b) il avait joué un rôle prépondérant dans le programme d'intimidation lancé par cette branche à l'encontre de membres d'autres groupes de la communauté sikhe au Royaume-Uni; c) depuis 1985, il avait été impliqué dans l'approvisionnement des terroristes du Pendjab en fonds et en matériel; d) il était notoirement connu pour sa participation à de violents actes de terrorisme menés par les sikhs, comme en témoignent les condamnations prononcées contre lui en 1986 et sa participation aux troubles du temple sikh de Belvedere (paragraphe 24 ci-dessus). Ces troubles étaient liés à la lutte pour le contrôle des fonds des temples sikhs afin de financer le soutien et l'aide aux actes de terrorisme au Pendjab; e) il avait participé à la préparation et à la direction d'attentats terroristes en Inde, au Royaume-Uni et ailleurs. M. Chahal ne fut pas informé de l'origine de ces opinions soumises au comité consultatif, ni des preuves sur lesquelles elles se fondaient. Dans une lettre du 7 juin 1991, les conseils de M. Chahal préparèrent un argumentaire écrit destiné au comité consultatif et comportant notamment les points suivants: a) la branche sud de l'ISYF comprenait moins de deux cents membres et était non violente, tant dans ses objectifs que dans les faits; b) l'ISYF n'a pas tenté de contrôler les temples sikhs dans le but d'en diriger les fonds sur le terrorisme; il s'agissait d'une lutte purement idéologique menée par de jeunes sikhs pour amener les temples à fonctionner selon les aleurs de la religion sikhe; c) M. Chahal a nié toute participation aux troubles survenus dans les temples de East Ham et Belvedere (paragraphe 24 ci-dessus) ou à toute autre action violente ou terroriste au Royaume-Uni ou ailleurs. Il comparut en personne devant le comité et fut autorisé à citer des témoins à décharge mais non à se faire représenter par un avocat ni à être informé de la teneur de l'avis communiqué par le comité au ministre de l'Intérieur (paragraphe 60 ci-dessous). Le 25 juillet 1991, le ministre de l'Intérieur (M. Baker) signa un arrêté aux fins d'expulser M. Chahal, qui fut notifié à l'intéressé le 29 juillet. Contrôle juridictionnel Le 9 août 1991, M. Chahal sollicita l'autorisation de faire contrôler par le juge les décisions des ministres de l'Intérieur successifs de lui refuser l'asile et de prendre un arrêté d'expulsion. La High Court la lui accorda le 2 septembre 1991. La décision de refus d'asile fut annulée le 2 décembre 1991 et l'affaire renvoyée au ministre de l'Intérieur. La High Court estima que le raisonnement sous-tendant cette décision était insuffisant, principalement du fait que le ministre de l'Intérieur avait omis d'indiquer s'il ajoutait foi aux preuves présentées par Amnesty International au sujet de la situation au Pendjab et, dans la négative, pour quelles raisons. Elle ne se prononça pas sur la validité de l'arrêté d'expulsion. Le juge Popplewell se déclara "extrêmement préoccupé" par cette affaire. Le 1er juin 1992, après examen, le ministre de l'Intérieur (M. Clarke) décida de nouveau de refuser l'asile. Il considérait que les désordres survenus au Pendjab étaient dus aux menées terroristes des sikhs et ne constituaient pas la preuve de persécutions au sens de la Convention de 1951. De plus, s'appuyant sur les articles 32 et 33 de cette Convention (paragraphe 61 ci-dessous), il estimait que, même si M. Chahal risquait de subir des persécutions, il ne pourrait bénéficier de la protection de la Convention de 1951 en raison des risques qu'il représentait pour la sécurité nationale. M. Chahal demanda le contrôle juridictionnel de cette décision puis, le 4 juin 1992, sollicita un report qui lui fut accordé. Par une lettre du 2 juillet 1992, le ministre de l'Intérieur informa M. Chahal qu'il refusait d'interrompre la procédure d'expulsion, que l'intéressé pouvait être reconduit vers tout aéroport international de son choix sur le sol indien et qu'il avait demandé au gouvernement des assurances, que celui-ci lui avait fournies (puis renouvelées en décembre 1995), rédigées en ces termes: "Nous avons pris note de votre requête visant à recevoir des assurances formelles garantissant que, si M. Karamjit Singh Chahal doit être expulsé vers l'Inde, il jouira de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu'il n'a aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d'aucune sorte par les autorités indiennes. J'ai l'honneur de confirmer que tel est bien le cas." Le 16 juillet 1992, la High Court accorda l'autorisation de solliciter le contrôle par le juge de la décision du 1er juin 1992 confirmant le refus d'asile et de celle du 2 juillet 1992 visant à poursuivre la procédure d'expulsion. Elle rejeta le 23 juillet une demande de libération sous caution (la Cour européenne des Droits de l'Homme n'a pas reçu de précisions au sujet de ce jugement). Le 27 juillet 1992, la chambre criminelle de la Cour d'appel annula les condamnations prononcées contre M. Chahal en 1987 (paragraphe 24 ci-dessus). Le ministre de l'Intérieur réexamina l'affaire à la lumière de cette nouvelle décision, mais conclut qu'il était juste de poursuivre la procédure d'expulsion. La High Court examina du 18 au 21 janvier 1993 la demande de contrôle juridictionnel. Le juge Potts, de la High Court, la rejeta, le 12 février, de même qu'une nouvelle demande de libération sous caution (la Cour européenne des Droits de l'Homme n'a pas non plus reçu de détails concernant ce jugement). M. Chahal saisit la Cour d'appel, qui tint une audience le 28 juillet 1993 et le débouta le 22 octobre 1993 (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Chahal, Immigration Appeal Reports 1994, p. 107). La Cour d'appel estima que la Convention de 1951, combinée à la réglementation sur l'immigration (paragraphes 61 et 62 ci-dessous), avait pour effet d'imposer au ministre de l'Intérieur de mettre en balance la menace pesant sur la vie ou la liberté de M. Chahal en cas d'expulsion et le danger qu'il représentait pour la sécurité nationale s'il restait. Selon le juge Nolan: "La thèse selon laquelle le ministre doit décider si l'expulsion d'un individu est favorable à l'intérêt public en ne tenant aucun compte du fait que cette personne a établi qu'elle avait de bonnes raisons de craindre des persécutions dans le pays où elle doit être renvoyée, me semble surprenante et inadmissible. Il peut naturellement se trouver que l'individu en question représente pour ce pays et ses habitants une menace telle que sa sécurité et son bien-être personnels ne comptent pratiquement plus. On attend toutefois du ministre qu'il mette en balance les risques pour son pays et ceux qu'encourt l'intéressé, même s'il s'avère que les premiers pèsent à juste titre plus lourd." Il semblerait que le ministre de l'Intérieur ait tenu compte des éléments prouvant que le requérant pourrait subir des persécutions; la Cour d'appel n'a pas été en mesure de juger si la décision d'expulser le requérant revêtait un caractère irrationnel ou arbitraire étant donné qu'elle n'a pas pu consulter les preuves se rapportant au risque que M. Chahal représentait pour la sécurité nationale. Comme Lord Neill l'a fait remarquer: "Le juge est habilité à examiner une allégation selon laquelle un individu doit être expulsé dans l'intérêt de la sécurité nationale, mais en pratique, il se peut que cet examen soit imparfait ou lacunaire lorsqu'il n'a pas connaissance de tous les faits pertinents." Lorsque le caractère irrationnel ou arbitraire de la décision du ministre n'est pas prouvé, le droit anglais ne permet pas de l'annuler (paragraphe 66 ci-dessous). La Cour d'appel refusa l'autorisation de saisir la Chambre des lords; celle-ci fit de même le 3 mars 1994. 43. Après la parution du rapport de la Commission, le requérant demanda sa mise en liberté temporaire, dans l'attente de la décision de la Cour européenne des Droits de l'Homme, en engageant des procédures d'habeas corpus et de contrôle juridictionnel devant la Divisional Court (paragraphe 65 ci-dessous). Le ministre s'opposa à cette demande par les motifs suivants: "Le requérant a été placé en détention en août 1990 et a reçu notification de l'avis d'expulsion car le ministre de l'époque était persuadé qu'il constituait une menace importante pour la sécurité nationale. Nous restons convaincus de l'existence d'une telle menace. (...) Etant donné les raisons motivant l'expulsion du requérant, nous continuons de penser qu'il ne se justifie pas de libérer l'intéressé à titre temporaire et concluons qu'il ne serait pas sûr de le libérer sous condition vu la nature de la menace que l'intéressé représente." Le jugement fut rendu le 10 novembre 1995 (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Chahal, non publié). Le juge MacPherson, de la Divisional Court, rejeta la demande d'habeas corpus au motif que "la détention en soi est à l'évidence légale puisque le ministre a compétence pour ordonner la mise en détention d'un individu au sujet duquel on a décidé de prendre un arrêté d'expulsion". Quant à la demande de contrôle juridictionnel de la décision du ministre d'écrouer M. Chahal, le juge fit observer: "Je dois examiner la décision du ministre et juger si, compte tenu de l'ensemble des circonstances et des informations dont il disposait, il a commis une irrégularité ou un vice de procédure ou agi arbitrairement de manière confinant à l'irrationnel. Je ne suis aucunement en mesure de dire si cette décision était fondée, étant donné notamment que je ne connais pas la totalité des éléments y ayant conduit. (...) Dans certains cas, il est évident, et juste, que l'exécutif puisse garder secrets des éléments qu'il estime ne pas devoir divulguer. (...) A mon sens, il n'y a aucune raison de dire, ni même de soupçonner, que le ministre n'avait pas à l'esprit des éléments de ce genre qui l'habilitaient à agir (...)" G. Situation actuelle en Inde et au Pendjab Les parties ne s'accordent pas sur l'état actuel des choses en ce qui concerne la protection des droits de l'homme en Inde en général et au Pendjab en particulier. Elles ont présenté à la Cour de très nombreux éléments à ce sujet, dont certains sont repris dans le résumé qui suit. Preuves soumises par le Gouvernement Selon le Gouvernement, des articles de la presse indienne rassemblés par le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth montrent que le nombre de morts par terrorisme au Pendjab a considérablement baissé. En effet, il s'élevait à 4 000 en 1992, à 394 en 1993 et n'était plus que de 51 en 1994. Mis à part l'assassinat de l'ancien premier ministre du Pendjab, M. Beant Singh, en août 1995, le mouvement terroriste a été peu actif et seules quatre personnes ont trouvé la mort dans la région du fait de terrorisme en 1995. En outre, la démocratie règne à nouveau dans cet Etat; presque toutes les factions du parti Akali Dal, le principal parti politique sikh, se sont unies et ont l'intention de présenter un front commun aux prochaines élections générales; les élections législatives partielles de Gidderbaha se sont déroulées dans le calme et ont connu un taux de participation de 88 %. La Haute Commission du Royaume-Uni (United Kingdom High Commission) en Inde continue à recevoir des plaintes au sujet de la police du Pendjab. Au cours des derniers mois, cependant, ces plaintes portaient plutôt sur des extorsions de fonds que sur des abus motivés par des raisons politiques. La Haute Commission entend constamment répéter que la police ne se livre actuellement au Pendjab qu'à très peu, voire aucune action dictée par la politique. Les autorités indiennes ont pris des mesures pour mettre un terme définitif à la corruption et aux abus de pouvoir au Pendjab. Les tribunaux ont par exemple rendu nombre de décisions condamnant des policiers, un Lok Pal (médiateur) a été nommé et le nouveau premier ministre a promis d'"assurer la transparence et l'obligation de rendre compte". La Commission nationale indienne pour les droits de l'homme (National Human Rights Commission - "NHRC"), qui a rédigé des rapports sur le Pendjab (voir ci-dessous), continue de se renforcer et de se développer. Rapports de la Commission nationale indienne pour les droits de l'homme La NHRC a effectué au Pendjab, en avril 1994, une visite, dont elle a rendu compte en ces termes: "Les allégations de violation des droits de l'homme soumises à la Commission relèvent essentiellement de trois catégories. Il y a tout d'abord les accusations portées contre la police pour arrestations arbitraires, disparitions, morts en garde à vue et simulacres d'accrochages organisés pour perpétrer des assassinats (...) L'ensemble de la population a jugé à la quasi-unanimité que le terrorisme était jugulé. (...) Elle estime de plus en plus qu'il est temps que la police cesse de s'abriter derrière des lois d'exception. Elle souhaite fortement que le rôle et le fonctionnement de la police se normalisent et que l'autorité des magistrats de district sur la police soit rétablie. La Commission a eu l'impression que (...) les magistrats de district ne sont pas actuellement en mesure d'enquêter sur les allégations de violation des droits de l'homme portées contre la police. La population considère dans sa majorité que la police est au-dessus des lois, qu'elle agit de sa propre initiative et ne rend de comptes à personne. (...) La Commission recommande au gouvernement d'examiner sérieusement cette question et de veiller à ce que la situation revienne à la normale (...)" Dans son rapport annuel pour l'année 1994-1995, la NHRC recommande en outre, en tant que priorité, de soumettre la police, dans l'Inde tout entière, à une réforme systématique, à une nouvelle formation et à une réorganisation. Elle formule le commentaire suivant: "La question de la mort et du viol en garde à vue, que la Commission considérait déjà comme l'une de ses priorités, se situe dans le contexte général des mauvais traitements couramment infligés aux prisonniers du fait de pratiques ne pouvant être qualifiées autrement que de cruelles, inhumaines ou dégradantes." Rapports des Nations unies Les rapports présentés en 1994 et 1995 aux Nations unies par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et en 1994 par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le Groupe de travail sur les disparitions forcées, révèlent que les violations des droits de l'homme de la part des forces de sécurité sont courantes en Inde. Dans son rapport 1995, par exemple, le Rapporteur spécial sur la torture s'exprime ainsi au sujet des tortures infligées par la police pendant la garde à vue: "Il apparaît que rares sont les incidents qui, dans ce qui semble vraisemblablement constituer un phénomène général, sinon endémique, donnent lieu à des poursuites et encore plus rares sont les cas de condamnation des coupables. Il convient aussi de noter que très nombreux parmi les cas portés à l'attention du Rapporteur spécial sont ceux qui entraînent la mort, autrement dit ceux pour lesquels la torture a peut-être été appliquée avec les résultats les plus extrêmes. Il s'agit certainement là d'une minorité des cas de torture dans le pays [Inde]." Rapports du département d'Etat américain Le rapport rédigé en 1995 par le département d'Etat américain sur l'Inde fait état de violations des droits de l'homme perpétrées par la police du Pendjab en dehors de cet Etat: "Les commandos de la police du Pendjab ont continué en 1994 à pourchasser les militants sikhs dans d'autres régions de l'Inde. Le 24 juin, la police du Pendjab a tué par balles au Bengale occidental Karnail Singh Kaili, qu'elle avait identifié comme terroriste sikh (...). Le gouvernement de cet Etat a déclaré ne pas avoir été informé de la présence de policiers du Pendjab sur son territoire, a saisi la dépouille de Kaili et ses armes et empêché le commando de police de partir jusqu'à ce que le premier ministre du Pendjab ait présenté ses excuses." En revanche, le dernier rapport du département d'Etat (datant de mars 1996) révèle que les soulèvements violents ont pratiquement cessé au Pendjab et que des progrès ont visiblement été faits quant à la correction des pratiques abusives de la police du Pendjab. Il indique ensuite: "Il semblerait que la police ait pratiquement cessé d'organiser des accrochages armés pour assassiner des militants sikhs. Au cours des huit premiers mois [de 1995], deux personnes seulement ont trouvé la mort lors de heurts avec la police. Des articles de presse attiraient particulièrement l'attention sur les abus intervenus par le passé au Pendjab: des centaines de corps - nombre d'entre eux seraient ceux de personnes qui seraient mortes en garde à vue alors que la police refusait de reconnaître leur présence - ont été brûlés parce qu'ils n'avaient pas été réclamés entre 1991 et 1993 ou découverts au fond de canaux récemment vidés." Commission de recours en matière d'immigration La Commission britannique de recours en matière d'immigration a tenu compte des allégations concernant les activités extra-territoriales de la police du Pendjab présentées dans l'affaire Charan Singh Gill v. Secretary of State for the Home Department (14 novembre 1994, non publiée), laquelle concerne le recours intenté par un activiste sikh contre le refus du ministre de lui accorder l'asile politique. L'intéressé attira l'attention de la commission sur une histoire parue dans le Punjab Times du 10 mai 1994, selon laquelle la police du Pendjab aurait tué deux combattants sikhs au Bengale occidental. Le président de la commission fit remarquer: "Précisons que nous n'acceptons pas le point de vue [du représentant du ministère de l'Intérieur] sur ce document, selon lequel ce dernier serait plutôt inspiré par la fiction que par les faits. Selon moi, ce document est précieux car il confirme a posteriori les éléments présentés précédemment, à savoir que la police du Pendjab est quasiment un Etat dans l'Etat et qu'elle est prête à pourchasser dans l'Inde entière toute personne qu'elle juge subversive quand l'envie lui en prend et comme elle l'entend." Rapports d'Amnesty International Dans son rapport de mai 1995 intitulé "La police du Pendjab transgresse les lois", Amnesty International allègue également que la police du Pendjab serait connue pour avoir enlevé et exécuté des sikhs soupçonnés de militantisme dans d'autres Etats indiens, en dehors de sa juridiction. La Cour suprême à New Delhi aurait sérieusement pris note du comportement illégal de la police du Pendjab, l'accusant publiquement d'arbitraire et de tyrannie, et a ordonné l'ouverture de plusieurs enquêtes sur ses activités entre 1993 et 1994. Après l'assassinat d'un sikh à Calcutta en mai 1994, qui a provoqué une réaction de colère du gouvernement du Bengale occidental, le ministre indien de l'Intérieur a convoqué tous les directeurs généraux de la police à une réunion le 5 juillet 1994 pour examiner les préoccupations exprimées par certains Etats à la suite de l'intrusion de la police du Pendjab sur leur territoire. Cette réunion visait notamment à tenter d'élaborer une formule qui permettrait à la police du Pendjab de mener ses opérations en collaboration avec les gouvernements des Etats concernés. Dans son rapport d'octobre 1995, "Inde: qu'est-il advenu des personnes disparues au Pendjab?", Amnesty International affirme que des personnalités connues continuent de "disparaître" pendant leur garde à vue. Cette organisation cite entre autres l'exemple du secrétaire général de l'aile chargée des droits de l'homme du parti politique sikh, l'Akali Dal, qui aurait été arrêté le 6 septembre 1995 et n'a pas reparu depuis. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Expulsion L'article 3 par. 5 b) de la loi de 1971 sur l'immigration (Immigration Act 1971 - "la loi de 1971") habilite le ministre de l'Intérieur à décider notamment d'expulser une personne ne possédant pas la nationalité britannique lorsqu'il juge cette mesure "favorable au bien public". B. Appel de la décision d'expulsion et procédure devant le comité consultatif La loi ménage le droit de recours à un arbitre puis à une commission d'appel contre une décision de prendre un arrêté d'expulsion (article 15 par. 1 de la loi de 1971), sauf dans les cas où cette décision a été prise au motif que l'expulsion serait favorable au bien public parce que conforme à l'intérêt de la sécurité nationale ou des relations entre le Royaume-Uni et tout autre pays, ou pour d'autres raisons de nature politique (article 15 par. 3 de la loi de 1971). Cette dérogation a été maintenue dans la loi de 1993 sur les recours en matière d'asile et d'immigration (Asylum and Immigration Appeals Act 1993), entrée en vigueur en juillet 1993. Les affaires dans lesquelles un arrêté d'expulsion a été pris pour des motifs liés à la sécurité nationale ou de nature politique sont soumises à une procédure consultative officieuse, prévue au paragraphe 157 du texte portant amendement à la réglementation sur l'immigration (Statement of Changes in Immigration Rules repris dans le House of Commons Paper 251 de 1990). L'intéressé a la possibilité de soumettre des observations écrites et/ou orales à un comité consultatif, de citer des témoins à décharge, et de se faire assister par un ami mais non représenter par un avocat. Le ministre de l'Intérieur décide de la mesure dans laquelle les renseignements étayant les charges qui pèsent sur l'intéressé peuvent lui être communiqués. L'avis que le comité transmet au ministre est confidentiel et ce dernier n'est pas tenu de s'y conformer. C. Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés Le Royaume-Uni est partie à la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés ("Convention de 1951"). Celle-ci définit en son article premier un "réfugié" comme une personne se trouvant hors du pays dont elle a la nationalité car elle "crai[nt] avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". L'article 32 de la Convention de 1951 dispose: "1. Les Etats contractants n'expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public. L'expulsion de ce réfugié n'aura lieu qu'en exécution d'une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi (...)" Aux termes de l'article 33: "1. Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays." L'article 161 de la réglementation sur l'immigration (House of Commons Paper 251 de 1990) est ainsi libellé: "Lorsqu'une personne a le statut de réfugié, il convient de tenir pleinement compte des dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés et du protocole y afférent (...)" Lorsqu'un individu devant être expulsé pour des raisons de sécurité nationale demande l'asile, le ministre doit peser, d'une part, l'intérêt de cette personne en tant que réfugié et, d'autre part, le risque qu'il fait courir à la sécurité nationale (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Chahal, Immigration Appeal Reports 1994, p. 107 - paragraphe 41 ci-dessus). D. Détention dans l'attente de l'expulsion Une personne peut être incarcérée sur ordre du ministre après avoir reçu notification de l'avis d'expulsion et dans l'attente de la prise de l'arrêté d'expulsion ainsi qu'entre la sortie d'un tel arrêté et son expulsion ou son départ du pays (article 2 paras. 2 et 3 de l'annexe III à la loi de 1971). Tout détenu est en droit de contester la légalité de sa détention en sollicitant une ordonnance d'habeas corpus. Celle-ci est émise par la High Court, pour assurer la comparution de l'intéressé en vue d'enquêter sur les circonstances de sa détention. Le détenu doit être libéré si sa détention est illégale (loi de 1679 sur l'habeas corpus - Habeas Corpus Act 1679 - et article 1 de la loi de 1816 sur l'habeas corpus - Habeas Corpus Act 1816). La personne détenue ne peut présenter plus d'une demande d'habeas corpus pour les mêmes motifs, sauf à produire de nouveaux éléments (article 14 par. 2, loi de 1960 sur l'administration de la justice - Administration of Justice Act 1960). Le détenu peut, en outre, solliciter le contrôle juridictionnel de la décision de le placer en détention (paragraphes 43 ci-dessus et 66-67 ci-dessous). Parallèlement à une demande d'habeas corpus ou de contrôle juridictionnel, il peut également demander sa libération sous caution (c'est-à-dire temporaire) dans l'attente de la décision du tribunal. E. Contrôle juridictionnel Les décisions du ministre de l'Intérieur visant à refuser l'asile, à prendre un arrêté d'expulsion ou à placer un individu en détention en vue de son expulsion sont susceptibles de contestation par la voie du contrôle juridictionnel et peuvent être annulées en invoquant les principes élémentaires du droit public anglais. Ces principes n'autorisent pas les tribunaux à établir des constatations de fait sur des questions relevant de la compétence du ministre ni à substituer leur décision à celle du ministre. Les tribunaux ne peuvent annuler la décision du ministre que lorsque celui-ci n'a pas interprété ou appliqué correctement le droit anglais, s'il a laissé de côté des questions dont la loi lui imposait de tenir compte, ou encore si sa décision était irrationnelle ou arbitraire au point qu'aucun ministre raisonnable n'aurait pu y arriver (Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation, King's Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223). Lorsque des questions de sécurité nationale entrent en jeu, le juge conserve un certain pouvoir de contrôle, limité toutefois parce que: "il appartient au Gouvernement et non aux tribunaux de décider si les exigences de la sécurité nationale l'emportent dans une affaire particulière sur le devoir d'équité; seul le Gouvernement a accès aux informations requises et, en tout état de cause, la procédure judiciaire n'est pas indiquée pour parvenir à des décisions concernant la sécurité nationale" (Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, Appeal Cases 1985, p. 402). Voir également R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cheblak (All England Reports 1991, vol. 2, p. 9), dans lequel la Cour d'appel a adopté une ligne de conduite analogue. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans la requête (n° 22414/93) soumise le 27 juillet 1993 à la Commission (telle que celle-ci l'a retenue), le premier requérant se plaignait de ce que son expulsion vers l'Inde lui ferait courir des risques réels de torture ou de traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la Convention (art. 3). Il dénonçait également la durée excessive de sa détention et l'inefficacité et la lenteur du contrôle de cette mesure par les tribunaux, ce qui enfreint l'article 5 paras. 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4). Enfin, en violation de l'article 13 (art. 13), il n'aurait pu se prévaloir d'aucun recours interne effectif pour exposer ses griefs au regard de la Convention car son affaire toucherait à la sécurité nationale. L'ensemble des requérants se plaignaient par ailleurs de ce que l'expulsion du premier porterait atteinte au droit au respect de leur vie familiale, garanti par l'article 8 (art. 8), grief pour lequel ils n'ont pu faire usage d'aucun recours interne effectif, au mépris de l'article 13 (art. 13). La Commission a retenu la requête le 1er septembre 1994. Dans son rapport du 27 juin 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'avis qu'il y aurait violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) si le premier requérant était expulsé vers l'Inde, qu'il y a eu violation de l'article 5 par. 1 (art. 5-1) en raison de la durée de la détention du premier requérant et qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13). La Commission conclut également qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés de l'article 5 par. 4 (art. 5-4) (seize voix contre une). Le texte intégral de l'avis de la Commission ainsi que de l'opinion partiellement dissidente qui l'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 25 mars 1996, le Gouvernement, comme dans son mémoire, a invité la Cour à dire que la mise à exécution de l'arrêté d'expulsion ne serait pas contraire aux articles 3 et 8 de la Convention (art. 3, art. 8), et qu'il n'y a pas eu violation des articles 5 et 13 (art. 5, art. 13). A cette même occasion, les requérants ont réitéré la demande qu'ils avaient déjà exprimée dans leur mémoire, priant la Cour de conclure à la violation des articles 3, 5, 8 et 13 (art. 3, art. 5, art. 8, art. 13) et de leur accorder une satisfaction équitable au titre de l'article 50 (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyen français né en 1947, M. Michel Cantoni dirigeait à Sens (Yonne) un supermarché de la chaîne Euromarché. A. La procédure devant le tribunal correctionnel de Sens Comme d’autres gérants de grandes surfaces de la région, il fit l’objet en 1988, à l’initiative de l’association syndicale des pharmaciens de l’Yonne et de plusieurs pharmaciens, de poursuites pour exercice illégal de la pharmacie: il avait vendu dans son magasin de l’éosine aqueuse à 1 %, de l’alcool à 70o modifié, de l’eau oxygénée à 10 volumes, de la vitamine C (en comprimés de 500 mg et en sachets de poudre de 1000 mg), des inhalations aux essences végétales, des inhalateurs de poche, des sprays antibactériens et des oligo-éléments. Pour leur défense, le requérant et ses coprévenus soutenaient que les produits incriminés n’étaient pas des médicaments au sens de l’article L. 511 du code de la santé publique (paragraphe 18 ci-dessous) et, partant, ne relevaient pas du monopole des pharmaciens. Le 30 septembre 1988, le tribunal correctionnel de Sens jugea l’intéressé coupable des faits reprochés et le condamna à 10 000 francs d’amende ainsi qu’à 1 franc de dommages-intérêts au bénéfice de chacune des parties civiles. Ayant examiné un à un les produits en cause, il estima qu’il s’agissait de médicaments tantôt par fonction, tantôt par présentation (paragraphe 19 ci-dessous). B. La procédure devant la cour d’appel de Paris Le 18 mai 1989, la cour d’appel de Paris confirma le jugement, aux motifs suivants: "Considérant qu’il échet d’examiner chacun des produits commercialisés ci-dessus énumérés pour déterminer s’il s’agit ou non de médicaments (...): 1o) BIO-OLIGO aux oligo-éléments Le cartonnage support des flacons contenant 36 gélules porte en bas l’indication "Levure enrichie en oligo-éléments" "complément alimentaire". Au verso du carton figure la mention: "Introduction: Des recherches récentes démontrent que la terre s’appauvrit en oligo-éléments alors que notre organisme réclame plus qu’hier ces "nouvelles vitamines" du vingtième siècle. Le laboratoire [C.] propose une gamme de produits spécialement enrichis en oligo-éléments pour combler ces carences alimentaires." L’analyse en g pour 100 g fait apparaître: Protéines 50 Lipides 6 Glucides 36 Vitamines B1 30 Vitamines B6 4 Valeur énergétique 398 Kcal/1667 KJ Selon le cas, apparaît en outre dans l’analyse: le cuivre, le zinc ou le calcium. Pour le flacon de gélules de zinc, on lit Zinc 3000 " " " " " de cuivre, on lit Cuivre 4 " " " " " de calcium, on lit Calcium 50 Par ailleurs, le rôle supposé de chacun de ces éléments pour l’organisme humain est indiqué avec précision: - le zinc participe aux fonctions de reproduction et au développement sexuel; "il permet à l’organisme de lutter plus efficacement contre les maladies infectieuses"; - le cuivre "active nos systèmes de défense contre l’infection - Il participe à la lutte contre les inflammations"; - le calcium "capital dans l’ossification - Il agit ainsi sur le système nerveux sanguin". Suit également une posologie variable selon qu’il s’agit de zinc, de cuivre ou de calcium, sous la rubrique: "Conseil d’utilisation". A la fin du verso du carton de présentation, il est indiqué "laboratoires [C.] PARIS" étant auparavant précisé que ces laboratoires ont "recueilli les conseils du Dr P.W." (sic) oligothérapeute. Ainsi ces compositions dans lesquelles ont été amalgamées un certain nombre de substances sont-elles présentées comme possédant des propriétés préventives ou curatives à l’égard des maladies humaines. Elles constituent des médicaments au sens de la législation ci-dessus rappelée. 2o) L’ALCOOL à 70o MODIFIE 120 ML est présenté en flacon de cette contenance doté d’une étiquette comportant ces indications suivies sur fond bleu et vert en bas à gauche de 4 petits carreaux blancs disposés en croix éveillant irrésistiblement l’emblème de la pharmacie avec à droite et en grosses lettres blanches sur le même fond bleu et vert le nom des "Laboratoires [V.] PARIS" et l’adresse en lettres plus petites dudit laboratoire. Il faut ajouter que le produit vendu a également une forte odeur de camphre. Ainsi par le flacon et par la présence de cette croix accolée au nom des "Laboratoires [V.]" la présentation de cette composition suggère-t-elle qu’il s’agit du produit pharmaceutique bien connu sous ce nom employé comme antiseptique et notamment en chirurgie. Il s’agit donc là encore d’un médicament en raison de sa présentation et non d’un simple produit d’hygiène ou de beauté. 3o) LE FLACON D’EAU OXYGENEE 10 volumes 120 ML porte les mentions "ne pas avaler" et "en cas de contact avec les yeux les rincer immédiatement"; il porte sur fond bleu clair et bleu plus foncé la même croix blanche et les mêmes indications "Laboratoires [V.] PARIS" que l’alcool précité. Pour les mêmes raisons, il évoque le médicament connu sous cette appellation. Il s’agit là encore d’un médicament par présentation, ladite présentation le distinguant d’un simple produit d’hygiène ou de beauté. 4o) "LA VITAMINE (500)" est présentée sous emballage cartonné de 24 comprimés à croquer comportant: - sur fond jaune et orange la croix blanche ci-dessus décrite et le nom des "Laboratoires [V.] PARIS" - une posologie précisant qu’il faut éviter de prendre de la vitamine C en fin de journée - la composition par comprimé soit: - acide ascorbique enrobé - ascorbate de sodium (avec indication des quantités) et l’excipient formé de plusieurs produits. Considérant que là encore il s’agit à tout le moins d’un médicament par présentation, rien ne permettant de le distinguer d’un véritable produit pharmaceutique offrant les garanties de dosage, de contrôle, de fabrication exigées, sachant qu’il importe peu que l’action supposée du médicament soit réelle et que, par contre, l’usage immodéré de vitamine C comporte des contre-indications connues." C. La procédure devant la Cour de cassation M. Cantoni se pourvut devant la Cour de cassation, dénonçant en particulier la violation des articles 7 par. 1 de la Convention (art. 7-1) ainsi que L. 511, L. 512 et L. 517 du code de la santé publique (paragraphe 18 cidessous). Il soutenait qu’appliquée notamment au domaine de la parapharmacie, la notion de médicament, telle qu’elle ressortait des textes ayant fondé sa condamnation, ne présentait pas une clarté permettant d’identifier avec précision les actes de nature à engager sa responsabilité pénale. Le 29 mai 1990, la chambre criminelle de la haute juridiction rejeta le pourvoi en ces termes: "Attendu que (...) la juridiction du second degré énonce, en se référant aux mentions portées sur les cartonnages et sur les flacons contenant les produits précités, que ceuxci sont présentés comme possédant des propriétés curatives et préventives à l’égard des maladies humaines et qu’ils constituent donc des médicaments au sens de l’article L. 511 du code de la santé publique; Attendu qu’en l’état de ces motifs, la cour d’appel a justifié légalement sa décision, sans encourir les griefs allégués; que (...) les dispositions de l’article L. 511 du code de la santé publique (...) ne sont pas contraires au principe de la légalité des délits et des peines et ne sont pas incompatibles avec les textes visés au moyen (...)" II. Le droit communautaire et national pertinent A. Le droit communautaire La directive 65/65 du 26 janvier 1965 En son article 1er, la directive du 26 janvier 1965 du Conseil des ministres de la Communauté économique européenne (directive CEE 65/65, JOCE no L. 369 du 9 février 1965), modifiée plusieurs fois, définit ainsi le médicament: "Il faut entendre par (...) Médicament: toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales. Toute substance ou composition pouvant être administrée à l’homme ou à l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques chez l’homme ou l’animal est également considérée comme médicament." La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes La Cour de justice des Communautés européennes a été saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation de cette définition. Dans son arrêt Van Bennekom du 30 novembre 1983 (227/82, Rec. p. 3883), elle a considéré à propos des préparations vitaminées: "(...) il y a lieu de considérer qu’un produit est "présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives" au sens de la directive 65/65 non seulement lorsqu’il est "décrit" ou "recommandé" expressément comme tel, éventuellement au moyen d’étiquettes, de notices ou d’une présentation orale, mais également chaque fois qu’il apparaît, de manière même implicite mais certaine, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que ledit produit devrait - eu égard à sa présentation - avoir un effet tel que décrit par la première définition communautaire. En particulier, la forme extérieure donnée au produit en cause - telle que tablettes, pilules ou cachets - peut constituer à cet égard un indice sérieux de l’intention du vendeur ou du fabricant de commercialiser celui-ci en tant que médicament. Cet indice ne saurait cependant être exclusif et déterminant, sous peine d’englober certains produits d’alimentation traditionnellement présentés sous des formes similaires à celles des produits pharmaceutiques. (...) des substances telles que les préparations vitaminées litigieuses, qui ne seraient pas "décrites ou recommandées" expressément comme étant propres à guérir, soigner ou prévenir une affection, peuvent néanmoins être des substances "présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales" au sens de la définition communautaire du médicament résultant de la directive 65/65. (...) Il apparaît (...) du dossier et de l’ensemble des observations déposées devant la Cour qu’il est impossible, dans l’état actuel de la science, d’indiquer si le critère de la concentration peut, à lui seul, toujours suffire à considérer qu’une préparation vitaminée constitue un médicament, ni a fortiori de préciser à partir de quel degré de concentration une telle préparation vitaminée tomberait sous la définition communautaire du médicament. Il y a, dès lors, lieu de répondre au juge national que la qualification d’une vitamine comme médicament au sens de la deuxième définition de la directive 65/65 doit être effectuée cas par cas, eu égard aux propriétés pharmacologiques de chacune d’entre elles, telles qu’elles sont établies en l’état actuel de la connaissance scientifique." (points 18-20 et 28-29) La Cour de justice a plusieurs fois confirmé cette jurisprudence en y apportant des précisions. Ainsi dans son arrêt Delattre du 21 mars 1991 (C369/88, Rec. p. 1487), relatif à onze produits différents, parmi lesquels des amincissants et des préparations contre la fatigue, elle a estimé: "(...) un produit peut être considéré comme un médicament par présentation dès lors que sa forme et son conditionnement le font suffisamment ressembler à un médicament et que, en particulier, son emballage et la notice qui l’accompagne font état de recherches de laboratoires pharmaceutiques, de méthodes ou de substances mises au point par des médecins ou même de certains témoignages de médecins en faveur des qualités de ce produit. La mention que le produit n’est pas un médicament est une indication utile dont le juge national peut tenir compte, mais elle n’est pas, en elle-même, déterminante." (point 41) Dans son arrêt Monteil et Samanni (60/89, Rec. p. 1547), rendu le 21 mars 1991 à propos de l’éosine à 2 % et de l’alcool à 70 % modifié, la Cour de justice a indiqué: "(...) la notion de "présentation" d’un produit doit être interprétée de façon extensive et (...) il y a donc lieu de considérer qu’un produit est "présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives" au sens de la directive 65/65 non seulement lorsqu’il est "décrit" ou "recommandé" expressément comme tel, éventuellement au moyen d’étiquettes, de notices ou d’une présentation orale, mais, également, chaque fois qu’il apparaît, de manière même implicite mais certaine, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que ledit produit devrait, eu égard à sa présentation, avoir les propriétés dont il s’agit. Si (...) la forme extérieure donnée au produit en cause peut constituer, à cet égard, un indice sérieux sans être, toutefois, exclusif ni déterminant, il y a lieu de préciser que cette "forme" doit s’entendre non seulement de celle du produit lui-même, mais aussi de son conditionnement, qui peut tendre, pour des raisons de politique commerciale, à le faire ressembler à un médicament, et qu’il faut tenir compte de l’attitude d’un consommateur moyennement avisé auquel la forme donnée à un produit peut inspirer une confiance particulière, du type de celle qu’inspirent normalement les spécialités pharmaceutiques compte tenu des garanties qui entourent leur fabrication comme leur commercialisation. (...) (...) il appartient aux autorités nationales de déterminer, sous le contrôle du juge, si l’éosine à 2 % et l’alcool à 70 % modifié constituent ou non des médicaments par fonction au sens de l’article 1er, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 65/65. A cet égard, il y a lieu de tenir compte des adjuvants complétant la composition du produit, de ses modalités d’emploi, de l’ampleur de sa diffusion, de la connaissance qu’en ont les consommateurs et des risques que peut entraîner son utilisation. (...) (...) si, en principe, les Etats membres peuvent réserver la vente au détail des produits qui entrent dans la définition communautaire du médicament aux pharmaciens et si, dans ces conditions, leur monopole peut, pour ces produits, être présumé constituer une forme adaptée de protection de la santé publique, la preuve contraire peut être rapportée pour certains médicaments, dont l’utilisation ne ferait pas courir de dangers sérieux à la santé publique et pour lesquels la soumission au monopole des pharmaciens apparaîtrait manifestement disproportionnée, c’est-à-dire contraire aux principes définis par la Cour pour l’interprétation des articles 30 et 36 du traité. En ce qui concerne les autres produits, comme ceux dits de "parapharmacie", qui peuvent être très divers, si un monopole est conféré aux pharmaciens pour leur commercialisation, la nécessité de ce monopole, pour la protection de la santé publique ou des consommateurs doit, quelle que soit, d’ailleurs, la qualification des produits en droit national, être établie dans chaque cas et ces deux objectifs ne doivent pas pouvoir être atteints par des mesures moins restrictives du commerce intracommunautaire. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, au regard de ces critères, le bien-fondé des poursuites dont elle est saisie." (points 23-24, 29 et 43-45) Dans son arrêt Upjohn du 16 avril 1991 (C-112/89, Rec. p. 1703), la Cour de justice a considéré: "(...) il appartient au juge national de procéder au cas par cas aux qualifications nécessaires en tenant compte des propriétés pharmacologiques du produit considéré, telles qu’elles peuvent être établies en l’état actuel de la connaissance scientifique, de ses modalités d’emploi, de l’ampleur de sa diffusion et de la connaissance qu’en ont les consommateurs." (point 23) Enfin, dans son arrêt Ter Voort du 28 octobre 1992 (C-219/91, Rec. p. 5485), la Cour de justice a énoncé: "(...) un produit recommandé ou décrit comme ayant des propriétés préventives ou curatives est un médicament au sens des dispositions de l’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 65/65, même s’il est généralement considéré comme un produit alimentaire et même s’il n’a aucun effet thérapeutique connu en l’état actuel des connaissances scientifiques. (...) Les comportements, les initiatives et les démarches du fabricant ou du vendeur qui révèlent son intention de faire apparaître le produit qu’il commercialise comme un médicament aux yeux d’un consommateur moyennement avisé peuvent donc être déterminants pour décider si un produit doit être considéré comme un médicament par présentation." (points 21 et 26) B. Le droit national Le code de la santé publique A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code de la santé publique se lisaient ainsi: Article L. 511 "On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques. Sont notamment considérés comme des médicaments: Les produits visés à l’article L. 658-1 du présent livre: Contenant une substance ayant une action thérapeutique au sens de l’alinéa 1er ci-dessus; Ou contenant des substances vénéneuses à des doses et concentrations supérieures à celles fixées par la liste prévue par l’article L. 658-5 du présent livre ou ne figurant pas sur cette même liste; Les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits, soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d’épreuve. (...)" Article L. 512 "Sont réservés aux pharmaciens (...): 1o La préparation des médicaments destinés à l’usage de la médecine humaine; (...) 3o La vente en gros, la vente au détail et toute délivrance au public des mêmes produits ou objets; (...)" Article L. 517 "Quiconque se sera livré sciemment à des opérations réservées aux pharmaciens sans réunir les conditions exigées pour l’exercice de la pharmacie sera puni d’une amende de 2 400 F à 12 000 F et, en cas de récidive, d’une amende de 4 800 F à 24 000 F et d’un emprisonnement de six jours à six mois ou d’une de ces deux peines seulement." La jurisprudence En s’appuyant sur ces textes, les cours et tribunaux distinguent les médicaments par fonction, les médicaments par présentation et les médicaments par composition. D’après les renseignements fournis à la Cour, les juridictions du fond sont divisées quant à la question de savoir si les produits pour la vente desquels le requérant a été condamné sont des médicaments au sens de l’article L. 511 du code de la santé publique. Ainsi, la vitamine C a été qualifiée de médicament par les cours d’appel de Douai (9 avril 1987), de Poitiers (17 décembre 1987), d’Angers (5 mai 1988) et de Versailles (22 janvier 1996, chambres réunies), mais non par celles de Douai (20 février 1988, 28 octobre 1988 et 23 mars 1989), d’Angers (30 janvier 1989), de Colmar (23 mars 1988), de Dijon (15 décembre 1988) et de Paris (23 mai 1995). L’alcool à 70o a été désigné comme médicament par les cours d’appel de Poitiers (4 décembre 1986 et 28 janvier 1987), d’Aix-en-Provence (17 novembre 1987) et de Colmar (23 mars 1988), mais non par celles de Dijon (18 mai 1988 - quatre arrêts - et 15 décembre 1988), de Limoges (18 novembre 1988), de Paris (14 décembre 1988 et 21 février 1995) et de Douai (23 mars 1989). Les oligo-éléments passent pour des médicaments auprès des cours d’appel de Poitiers (17 décembre 1987) et d’Angers (5 mai 1988), mais non auprès de celles de Colmar (23 mars 1988), de Dijon (18 mai et 15 décembre 1988), d’Angers (30 janvier 1989) et de Douai (23 mars 1989). Quant à l’eau oxygénée 10 volumes et l’éosine à 1 % ou 2 %, la plupart des juridictions du fond les considèrent comme de simples produits d’hygiène; ainsi, pour l’eau oxygénée, les cours d’appel de Colmar (23 mars et 18 mai 1988), de Douai (28 octobre 1988) et de Paris (14 décembre 1988) et, pour l’éosine, les cours d’appel de Dijon (18 mai 1988) et de Paris (14 décembre 1988 et 21 février 1995). A ce jour, la Cour de cassation a toujours soit confirmé les décisions qualifiant de médicament un produit de type parapharmaceutique (arrêts des 4 avril 1957, 19 février 1959, 24 juillet 1967, 23 novembre 1967, 28 mai 1968, 13 avril 1976, 5 mai 1981, 6 décembre 1988 - deux arrêts -, 29 mai 1990 - paragraphe 11 ci-dessus - et 25 mai 1994), soit censuré les décisions refusant cette appellation à pareil produit (arrêts des 19 décembre 1989 - trois arrêts -, 8 mars 1990, 6 mars 1992 - assemblée plénière -, 25 mai 1994 - deux arrêts). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Cantoni a saisi la Commission (requête no 17862/91) le 26 novembre 1990. Il se plaignait de ce que la définition légale du médicament ne remplissait pas les conditions de clarté et de précision voulues par l’article 7 par. 1 de la Convention (art. 7-1). La Commission a retenu la requête le 10 janvier 1994. Dans son rapport du 12 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par quinze voix contre neuf, à la violation de la disposition invoquée (art. 7-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "conclut au rejet de la requête". De leur côté, les avocats du requérant ont invité la Cour, à l’audience, à dire que l’article L. 511 du code de la santé publique "n’est pas suffisamment précis pour que les droits du justiciable soient préservés en France".
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I. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE LA CAUSE Citoyen belge, M. Vermeulen réside à Dixmude (Flandre occidentale). Le 6 mai 1987, le tribunal de commerce de Furnes prononça, sans débat contradictoire, sa faillite d’office et celle de sa société, le "Bureau d’affaires Vermeulen & Verstraete s.p.r.l." (Zakenkantoor Vermeulen & Verstraete p.v.b.a.). Il avait entendu le substitut du procureur du Roi en son avis mais pas l’intéressé lui-même, qui se trouvait incarcéré à la prison de Gand en raison de poursuites pour faux et usage de faux, escroquerie et abus de confiance. Le requérant fit opposition à ce jugement. Le 4 mai 1988, la même juridiction déclara l’opposition recevable, ordonna la réouverture des débats et renvoya l’affaire au rôle spécial dans l’attente de l’issue de l’instruction pénale en cours contre M. Vermeulen. Dans son avis écrit lu à l’audience du 6 avril 1988, le substitut du procureur du Roi avait estimé que l’opposition était recevable mais non fondée. Sur appel de l’intéressé contre le jugement du 4 mai 1988, qui n’avait pas annulé sa mise en faillite, la cour de Gand, statuant sur évocation, confirma le 29 juin 1989 le jugement du 6 mai 1987 (paragraphe 10 ci-dessus), après avoir entendu les conclusions conformes du substitut du procureur général, lues lors des débats du 27 avril 1989. Le requérant introduisit contre cet arrêt un pourvoi que la Cour de cassation rejeta le 10 mai 1991. Le même jour, elle avait, à l’audience, ouï consécutivement le conseiller rapporteur Caenepeel, l’avocat de M. Vermeulen et l’avocat général du Jardin. Celui-ci prononça des conclusions orales; il participa ensuite à la délibération de la Cour. Le 17 mars 1995, la cour d’appel d’Anvers acquitta l’intéressé de toutes les charges pénales retenues contre lui (paragraphe 10 ci-dessus). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La faillite d’office Les articles pertinents du code de commerce se lisent ainsi: Article 437 "Tout commerçant qui cesse ses payements et dont le crédit se trouve ébranlé est en état de faillite. (...)" Article 442 "La faillite est déclarée par jugement du tribunal de commerce, rendu, soit sur l’aveu du failli, soit à la requête d’un ou de plusieurs créanciers, soit d’office. (...)" La procédure de faillite d’office s’ouvre à l’initiative du tribunal de commerce. Le ministère public y rend un avis, conformément à l’article 764, 9o, du code judiciaire (paragraphe 18 ci-dessous). B. Le ministère public L’article 138 du code judiciaire prévoit: "Sous réserve des dispositions de l’article 141, le ministère public exerce l’action publique selon les modalités déterminées par la loi. Dans les matières civiles, il intervient par voie d’action, de réquisition ou d’avis. Il agit d’office dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque fois que l’ordre public exige son intervention." L’article 764 du code judiciaire énumère les causes qui, sauf devant le juge de paix, sont à communiquer au ministère public, à peine de nullité. Parmi elles figurent, en 9o, celles qui concernent la faillite, le concordat et le sursis de paiement. Aux termes de l’article 141 du code judiciaire, "Le procureur général près la Cour de cassation n’exerce pas l’action publique, sauf lorsqu’il intente une action dont le jugement est attribué à la Cour de cassation." Parmi les cas - plutôt rares - où la Cour de cassation statue au fond figurent le jugement des ministres (article 90 de la Constitution), la prise à partie (articles 613, 2o, et 1140 à 1147 du code judiciaire) et les poursuites disciplinaires contre certains magistrats (articles 409, 410 et 615 du même code). En dehors de ces hypothèses, le parquet de cassation exerce, en toute indépendance, les fonctions de conseiller de la Cour. S’agissant de la hiérarchie disciplinaire du parquet, il y a lieu de citer les dispositions suivantes du code judiciaire: Article 400 "Le Ministre de la justice exerce sa surveillance sur tous les officiers du ministère public, le procureur général près la Cour de cassation sur les procureurs généraux près les cours d’appel et ces derniers sur les membres du parquet général et de l’auditorat général, sur les procureurs du Roi, les auditeurs du travail et leurs substituts." Article 414 "Le procureur général près la cour d’appel peut appliquer aux magistrats du ministère public qui lui sont subordonnés les peines de l’avertissement, de la censure simple et de la censure avec réprimande. Le procureur général près la Cour de cassation exerce les mêmes pouvoirs à l’égard des avocats généraux près cette Cour et des procureurs généraux près les cours d’appel. Le Ministre de la justice peut de même avertir et censurer tous les officiers du ministère public ou proposer au Roi leur suspension ou leur révocation." C. La procédure devant la Cour de cassation Au sujet de la procédure, tant civile que pénale, devant la Cour de cassation, le code judiciaire prévoit: Article 1107 "Après le rapport, les avocats présents à l’audience sont entendus. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi. Le ministère public donne ensuite ses conclusions, après quoi aucune note ne sera reçue." Article 1109 "Le ministère public a le droit d’assister à la délibération à moins qu’il se soit lui-même pourvu en cassation; il n’a pas voix délibérative." Un pourvoi émane du parquet général quand celui-ci l’introduit dans l’intérêt de la loi (articles 1089 et 1090 du code judiciaire et 442 du code d’instruction criminelle), ou sur la dénonciation du ministre de la Justice (articles 1088 du code judiciaire et 441 du code d’instruction criminelle). Depuis le 30 octobre 1991, jour du prononcé de l’arrêt Borgers précité, le demandeur en cassation peut, au moins dans les affaires pénales, prendre la parole après le représentant du parquet, lequel s’abstient ensuite d’assister au délibéré de la Cour. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 6 novembre 1991 à la Commission (no 19075/91), M. Vermeulen se plaignait de ce que le tribunal de commerce de Furnes ne l’avait pas entendu avant de prononcer sa faillite d’office et de ce que le représentant du ministère public avait assisté au délibéré de la Cour de cassation; il invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Par des décisions des 29 juin 1992 et 19 octobre 1993, la Commission a retenu le grief relatif à la procédure devant la Cour de cassation et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 11 octobre 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par onze voix contre cinq, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "conclut qu’il plaise à la Cour de dire pour droit que ni de manière générale dans les affaires civiles, ni en l’espèce, la présence du ministère public au délibéré de la Cour ne peut constituer une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention". De son côté, le requérant demande "que la Cour constate la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et accorde une satisfaction équitable en application de l’article 50 (art. 50) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’arrestation et la détention du requérant Le requérant fut arrêté par des policiers le 7 janvier 1990 à 17 h 40 en vertu de l’article 14 de la loi de 1989 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1989). Conformément à l’article 3 de l’ordonnance de 1988 sur les preuves en matière pénale en Irlande du Nord (Criminal Evidence (Northern Ireland) Order 1988) (l’"ordonnance") (paragraphe 27 ci-dessous), la police l’avertit en ces termes: "Vous n’êtes pas tenu de dire quoi que ce soit sauf si vous le souhaitez; mais je dois vous avertir que si vous omettez de mentionner un fait quelconque que vous invoquerez pour votre défense devant le tribunal, cette omission de vous prévaloir de cette possibilité peut être retenue par le tribunal comme corroborant un élément de preuve à charge. Si vous souhaitez dire quelque chose, votre déclaration pourra être produite comme preuve." En réponse à l’avertissement de la police, le requérant indiqua qu’il n’avait rien à dire. A son arrivée au commissariat de police de Castlereagh vers 19 heures, le requérant refusa de décliner son identité à l’officier de police chargé d’ouvrir le dossier de garde à vue. A 19 h 5, il fut informé de son droit de prévenir un ami ou un parent de sa détention, mais il indiqua qu’il y renonçait. A 19 h 6, il fit savoir qu’il souhaitait s’entretenir avec un solicitor. A 19 h 30, la possibilité pour le requérant de consulter un avocat fut ajournée sur l’ordre d’un commissaire principal faisant application de l’article 15 par. 1 de la loi de 1987 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1987) ("la loi de 1987"). L’ajournement fut fixé à quarante-huit heures à compter du début de la détention (soit le 7 janvier à partir de 17 h 40), le commissaire principal s’estimant fondé à croire que l’exercice du droit de consulter un avocat, notamment, entraverait l’enquête sur les actes de terrorisme commis, ou compliquerait les opérations visant à prévenir un autre acte de cette nature (paragraphe 33 ci-dessous). Le 7 janvier à 21 h 27, un policier prévint le requérant, conformément à l’article 6 de l’ordonnance, et l’invita notamment à expliquer sa présence dans la maison où il avait été arrêté. Il avertit l’intéressé que s’il ne le faisait pas ou s’il s’y refusait, un tribunal, un juge ou un jury pourrait en tirer les conclusions qui paraîtraient légitimes. Le requérant reçut également un exemplaire écrit de l’article 6 de l’ordonnance (paragraphe 27 ci-dessous). En réponse à cet avertissement, le requérant déclara: "Rien à dire." A 22 h 40, le requérant se vit rappeler qu’il avait le droit d’avertir un ami ou un parent de sa détention, mais il déclara ne vouloir avertir personne. Il apprit également que la possibilité pour lui de consulter un avocat avait été ajournée. Il exprima alors le souhait de consulter d’autres solicitors. Un inspecteur examina derechef les motifs de retarder la consultation et les trouva toujours valables. Les 8 et 9 janvier, le requérant fut interrogé à douze reprises par des inspecteurs de police au commissariat de Castlereagh, soit au total pendant 21 heures et 39 minutes. Au début de ces interrogatoires, il reçut l’avertissement prévu à l’article 3 de l’ordonnance ou s’en vit rappeler les termes. Pendant les dix premiers interrogatoires, les 8 et 9 janvier 1990, le requérant ne répondit à aucune des questions posées. Il eut pour la première fois l’autorisation de s’entretenir avec son solicitor le 9 janvier à 18 h 33. A 19 h 10, eut lieu un nouvel interrogatoire avec rappel de l’avertissement prévu à l’article 3. L’intéressé déclara: "Mon solicitor m’a conseillé de ne répondre à aucune de vos questions." Un dernier interrogatoire, au cours duquel le requérant demeura silencieux, eut lieu le 9 janvier 1990 entre 21 h 40 et 23 h 45. Le solicitor ne fut autorisé à assister à aucun de ces interrogatoires. B. Le procès En mai 1991, le Lord Chief Justice d’Irlande du Nord, juge unique siégeant sans jury, statua sur plusieurs chefs d’accusation, notamment complot d’assassinat et, conjointement avec sept autres personnes, complicité dans la séquestration d’un certain M. L. ainsi qu’appartenance à une organisation interdite, l’Armée républicaine irlandaise provisoire (Provisional Irish Republican Army, "IRA"). Selon l’accusation, M. L. était membre de l’IRA mais donnait en même temps des informations sur les activités de cette organisation à la Royal Ulster Constabulary. Découvrant que M. L. était un indicateur, l’IRA lui tendit un piège en l’attirant le 5 janvier 1990 dans une maison de Belfast. Il fut séquestré dans l’une des chambres situées à l’arrière de la maison et interrogé par l’IRA jusqu’à l’arrivée de la police et de l’armée le 7 janvier 1990. L’accusation prétendait aussi qu’un complot d’assassinat avait été ourdi contre M. L. pour le punir d’être un indicateur de police. Au cours du procès, un témoin déclara qu’à l’arrivée de la police dans la maison le 7 janvier, un agent de police aperçut le requérant, portant un imperméable par-dessus ses vêtements, qui descendait l’escalier et fut arrêté dans l’entrée. M. L. témoigna ensuite que ses ravisseurs, usant de menaces de mort, l’avaient contraint à avouer qu’il était un indicateur et avaient enregistré ses aveux. Il ajouta que le 7 janvier dans la soirée, il entendit une cavalcade et quelqu’un lui dit d’enlever son bandeau; ce qu’il fit, puis il ouvrit la porte de la chambre d’ami. Il aperçut alors le requérant en haut de l’escalier. M. Murray lui signala que la police se trouvait dehors et lui dit de descendre et de regarder la télévision. Tout en lui parlant, le requérant retira la bande d’une cassette. En fouillant la maison, les policiers découvrirent ensuite dans la chambre d’ami des vêtements de M. L., dans une salle de bains du premier étage une bande magnétique toute enchevêtrée. Les parties intactes de la bande révélaient des aveux de M. L. d’après lesquels il avait accepté de travailler pour la police qui l’avait rémunéré. A aucun moment, ni lors de son arrestation ni pendant le procès, le requérant n’expliqua sa présence dans la maison. A l’issue des réquisitions du procureur, le juge, conformément à l’article 4 de l’ordonnance, appela chacun des huit accusés pour qu’il déposât pour sa défense. Il leur dit notamment ceci: "La loi me fait aussi obligation de vous dire que si vous refusez de venir à la barre pour y prêter serment ou si, après avoir prêté serment, vous refusez, sans raison valable, de répondre à telle ou telle question, lorsque le tribunal décidera de votre culpabilité ou de votre innocence, il pourra s’il le juge approprié retenir contre vous ce refus de déposer ou de répondre aux questions." Sur la recommandation de son solicitor et de son conseil, le requérant choisit de ne pas déposer et ne cita aucun témoin à décharge. La défense, s’appuyant sur le témoignage d’un des coaccusés, D.M., soutint notamment qu’à l’arrivée de la police, le requérant se trouvait depuis peu dans la maison, et que sa présence n’avait rien de répréhensible. Le 8 mai 1991, le requérant fut reconnu coupable de complicité dans la séquestration de M. L. et condamné à huit ans d’emprisonnement. Il fut acquitté sur les autres chefs. Le juge du fond écarta comme mensonger le témoignage de D.M. (paragraphe 21 ci-dessus). Il estima: "Les circonstances, y compris la découverte de la bande enchevêtrée à côté de la cassette brisée dans la salle de bains et le fait qu’en pénétrant dans la maison un certain temps après son arrivée sur les lieux et un certain temps après avoir frappé à la porte une première fois, la police vit Murray descendre l’escalier à un moment où tous les autres occupants de la maison étaient dans la salle de séjour, confirment le témoignage de L. selon lequel, après que la police eut frappé à la porte, Murray se trouvait en haut de l’escalier en train de sortir la bande de la cassette." Rejetant un moyen du requérant d’après lequel les articles 4 et 6 de l’ordonnance ne permettaient pas au tribunal de tirer des conclusions contre lui puisque, au terme du réquisitoire, il existait une explication à la conduite de l’accusé raisonnablement plausible et se conciliant avec son innocence, le premier juge s’exprima en ces termes: "On peut discuter du point de savoir dans quelle mesure, avant l’ordonnance de 1988 sur les preuves en matière pénale en Irlande du Nord, un tribunal appelé à considérer les faits dans ce ressort pouvait tirer des conclusions défavorables à l’accusé de ce que celui-ci n’eût pas déposé pour sa défense, ou n’eût pas expliqué sa présence en un endroit déterminé, ou mentionné tel ou tel fait lorsque la police l’avait interrogé. mais j’estime que l’article 4 et les articles 3 et 6 de l’ordonnance de 1988 ont pour finalité de préciser que, quel qu’ait été l’effet des dispositions légales antérieures, un juge appelé à statuer sur une affaire pénale sans jury, ou un jury dans une affaire pénale, a le droit d’user de bon sens pour tirer des conclusions défavorables à l’accusé dans les circonstances précisées à l’article 4, ainsi qu’aux articles 3 et 6 (...) (...) Il est clair selon moi que l’article 4 tend à permettre au juge du fond de déduire du fait que l’accusé ne dépose pas pour sa défense les conclusions que le bon sens commande. Les conclusions auxquelles on peut à juste titre aboutir contre un accusé varient selon l’affaire en fonction de ses circonstances particulières et, bien entendu, le fait que l’accusé n’a pas déposé pour sa défense n’est pas en soi un indice de culpabilité. Le fait de n’avoir pas mentionné des éléments particuliers lorsqu’on l’a interrogé, ou de n’avoir pas expliqué sa présence en un endroit déterminé, ne révèle pas non plus sa culpabilité. mais j’estime que (...) l’article 4, comme l’article 6, entendent permettre au juge du fond de faire usage du sens commun pour tirer des déductions défavorables à l’accusé (...) Lorsque j’en viens à examiner les charges pesant sur l’accusé (...) je me propose donc, en vertu des articles 4 et 6, de tirer à son encontre les conclusions que me dicte le bon sens." En concluant que le requérant était coupable de complicité de séquestration, le juge du fond tira des conclusions défavorables au requérant en vertu des articles 4 et 6 de l’ordonnance. Il ajouta que, dans les circonstances de la cause, il n’entendait pas faire des déductions à l’encontre de l’intéressé sur la base de l’article 3 de celle-ci. Il ajouta: "Ainsi que l’a fait observer l’avocat de la défense, j’admets que M. L., comme le laissent supposer ses réponses lors du contre-interrogatoire, est un homme qui serait tout disposé à se parjurer s’il y trouvait un intérêt, et dont la valeur morale est plus que douteuse. En conséquence, j’estime comme la défense qu’à moins que d’autres moyens de preuve ne viennent corroborer ses dires, le tribunal ne saurait fonder sa décision sur son seul témoignage, à plus forte raison si celui-ci est défavorable à des personnes passibles de sanctions pénales (...) Considérons à présent le cinquième chef d’accusation [contre le requérant], celui de séquestration sur la personne de M. L. Pour les raisons que j’ai déjà indiquées, j’ai la certitude qu’ainsi que le décrit M. L. dans ses déclarations, [le requérant] se trouvait en haut de l’escalier et retirait la bande magnétique de la cassette alors que la police encerclait la maison. J’ai également la conviction, pour les mêmes raisons, que [le requérant] était dans la maison depuis plus longtemps que ne le dit son coaccusé, [D.M.]. En outre, je suis inévitablement amené à conclure que [le requérant], alors qu’il se trouvait dans la maison, était en contact avec les hommes qui détenaient M. L. et qu’il savait que celui-ci était séquestré. Au regard des articles 6 et 4 de l’ordonnance de 1988, je parviens également à des conclusions formelles et défavorables au [requérant], fondées d’une part sur le fait qu’il n’a pas donné d’explication de sa présence dans la maison quand les policiers l’ont informé de ses droits le 7 janvier 1990 au soir, et d’autre part sur son refus de déposer lorsque la Cour l’y a invité. Considérant que [le requérant] se trouvait dans la maison au moment où M. L. y était maintenu en captivité et qu’il était au fait de cette séquestration, je le déclare coupable de complicité dans la séquestration de M. L. Ainsi que l’a déclaré le juge Vaughan dans l’affaire R. v. Young (...) [le requérant] était "(...) assez près pour apporter [son] aide et prêter [son] appui et [son] assistance." C. La procédure d’appel Le requérant interjeta appel de la condamnation auprès de la cour d’appel d’Irlande du Nord. Dans un arrêt du 7 juillet 1992, la cour le débouta; elle déclara notamment: "(...) suggérer à cet égard que [le requérant] est entré dans la maison au moment où la police arrivait sur les lieux, est immédiatement monté au premier étage, a tenté de détruire une bande magnétique, puis a redescendu l’escalier, et que c’est là toute son activité dans cette maison et tout le temps qu’il y a passé, est un défi au bon sens (...) Nous avons la conviction que l’on peut raisonnablement déduire que [le requérant] savait, avant d’arriver à la maison, que [L.] y était séquestré. Sachant cela, il a aidé à la séquestration en le faisant sortir de la chambre dans laquelle il avait été retenu et en lui donnant les instructions et les avertissements rapportés par [L.]. Par conséquent, [le requérant] était complice du délit. Nous n’admettons pas que [L.] aurait pu quitter librement la maison si la police et l’armée avaient cru à la mise en scène du match à la télévision et étaient parties en ne procédant à aucune arrestation. Il ne fait aucun doute pour nous que c’est sous la contrainte que [L.] est resté dans la salle de séjour lorsque la police était présente et que, si elle était partie, sa détention se serait poursuivie jusqu’à ce que ses gardiens décident de son sort. Nous considérons que les charges établies par l’accusation sont écrasantes. [Le requérant] est la seule personne parmi les accusés que [M. L.] a pu observer et identifier comme ayant un rôle effectif dans les activités touchant à sa captivité. En conséquence, le témoignage de [L.] appelait une réponse. mais le requérant n’en a donné aucune à la police ou à quiconque tout au long de son procès. Il était donc inévitable que le juge en vienne à tirer des "conclusions formelles" et défavorables au [requérant]. Les réquisitions de l’accusation ont fortement impliqué [le requérant] dans la séquestration de [L.]." II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Ordonnance de 1988 sur les preuves en matière pénale en Irlande du Nord Les passages pertinents de l’ordonnance de 1988 sont ainsi libellés: Article 2 paras. 4 et 7 "4. Nul ne sera renvoyé en jugement, ne sera sous le coup de charges sérieuses ou reconnu coupable d’une infraction pénale à partir des seules conclusions tirées d’une omission ou d’un refus tel que mentionné aux articles 3 par. 2, 4 par. 4, 5 par. 2 ou 6 par. 2. (...) Rien dans la présente ordonnance n’empêche le juge, dans une quelconque procédure, d’écarter en toute souveraineté un témoignage (soit en interdisant de poser des questions au témoin, soit autrement)." Article 3 "Conditions dans lesquelles des conclusions peuvent être tirées de l’omission par une personne accusée d’une infraction de mentionner certains faits lors de son interrogatoire, de son inculpation, etc. Il sera fait application du paragraphe 2 dans tous les cas où, au cours d’une procédure diligentée à l’encontre d’une personne accusée d’une infraction, il est démontré que cette personne: a) a omis, au cours de la période précédant son inculpation, de mentionner lors de son interrogatoire par un policier tentant d’établir l’existence de l’infraction ou l’identité de son auteur, tout fait qui viendrait à l’appui de sa défense au cours de cette procédure; ou b) a omis, lorsqu’elle a été inculpée d’une infraction ou officiellement avisée qu’elle risquait des poursuites pénales, de mentionner un fait de cette nature, qu’elle aurait dû en toute logique signaler au vu des conditions dans lesquelles elle a été ainsi interrogée, inculpée ou avisée. Dans les cas d’application du présent paragraphe: a) le tribunal chargé de déterminer s’il y a lieu de renvoyer l’affaire en jugement, ou s’il existe des charges sérieuses contre l’accusé, et b) (...) c) le tribunal ou le jury chargé de déterminer si l’accusé est coupable des faits qui lui sont reprochés peuvent i. tirer de cette omission les conclusions qui semblent légitimes; ii. considérer sur la base de ces conclusions que cette omission vient corroborer, ou équivaut à corroborer, tout élément de preuve à charge en fonction duquel l’omission prend une signification. Sur décision du tribunal, tout élément de preuve de nature à établir une telle omission peut être présenté avant ou après un élément tendant à prouver le fait que l’accusé aurait omis de mentionner. (...)" Article 4 "Invitation faite à l’accusé de déposer lors du procès Il sera fait application des paragraphes 2 à 7 lors du procès de toute personne (à l’exception des mineurs) accusée d’une infraction, hormis les cas suivants: a) il ne s’agit pas de déterminer la culpabilité de l’accusé, ou b) il semble au tribunal qu’en raison de l’état physique ou mental de l’accusé, il n’est pas souhaitable de l’inviter à déposer; cependant, le paragraphe 2 ne s’appliquera pas si l’accusé, son conseil ou son solicitor informe le tribunal, avant que les témoins à décharge ne soient invités à déposer, que l’accusé fera une déposition. Avant que les témoins à décharge ne soient invités à déposer, le tribunal a) informera l’accusé qu’il l’invitera à déposer pour sa défense, et b) l’informera en des termes courants des effets du présent article dans le cas où i. il refuse de prêter serment quand il y est invité; ii. il refuse sans motif sérieux de répondre aux questions après avoir prêté serment; le tribunal invitera ensuite l’accusé à déposer. Il sera fait application du paragraphe 4 si l’accusé a) refuse de prêter serment après avoir été invité par le tribunal à déposer en vertu du présent article, ou après que lui-même, son conseil ou son solicitor a informé le tribunal de son intention de déposer, ou b) refuse sans motif sérieux de répondre aux questions après avoir prêté serment. Le tribunal ou le jury chargé de déterminer si l’accusé est coupable des faits qui lui sont reprochés, peut a) tirer de ce refus de déposer les conclusions qui semblent légitimes; b) considérer sur la base de ces conclusions que ce refus vient corroborer, ou équivaut à corroborer, tout élément de preuve à charge en fonction duquel le refus de déposer prend une signification. Le présent article n’oblige pas l’accusé à témoigner à sa décharge, lequel ne commet dès lors pas d’outrage à la justice s’il se refuse à prêter serment. (...)" Article 6 "Conclusions pouvant être tirées de l’omission ou du refus d’expliquer sa présence en un endroit donné Il sera fait application du paragraphe 2 du présent article dans les cas où, au cours d’une procédure diligentée contre une personne accusée d’une infraction, il est démontré que: a) cette personne a été arrêtée par un policier à l’endroit, ou à peu près au moment, où l’infraction pour laquelle cette personne a été appréhendée aurait été commise, et b) le policier peut raisonnablement penser que la présence de cette personne en cet endroit et à ce moment précis peut être imputée au fait qu’elle a contribué à perpétrer cette infraction, et c) le policier informe la personne de ses soupçons, et lui demande d’expliquer sa présence, et d) la personne omet ou refuse de fournir des explications. Dans les cas d’application de ce paragraphe, a) le tribunal chargé de déterminer s’il y a lieu de renvoyer l’affaire en jugement ou s’il existe des charges sérieuses contre l’accusé, et b) le tribunal ou le jury chargé de déterminer si l’accusé est coupable des faits qui lui sont reprochés, peuvent i. tirer de l’omission ou du refus de l’accusé les conclusions qui semblent légitimes; ii. considérer sur la base de ces conclusions que cette omission ou ce refus vient corroborer, ou équivaut à corroborer, tout élément de preuve à charge en fonction duquel l’omission ou le refus de l’accusé prend une signification. Il ne pourra être fait application des paragraphes 1 et 2 si le policier, en demandant à l’accusé d’expliquer sa présence ainsi que le prévoit le paragraphe 1 c), n’a pas indiqué en des termes ordinaires quels seraient les effets du présent article s’il omettait ou refusait de fournir des explications. Le présent article n’exclut pas la possibilité de tirer des conclusions qui, en dehors des cas prévus par lui, pourraient être fondées sur l’omission ou le refus d’une personne d’expliquer sa présence en un endroit donné. (...)" Dans l’affaire R. v. Kevin Sean Murray (sub nom. Murray v. Director of Public Prosecutions), la Chambre des lords a envisagé l’effet de l’article 4 de l’ordonnance (Criminal Appeal Reports 1993, vol. 97, p. 151). Dans un arrêt de principe, Lord Slynn dit ceci: "- en common law, les vues divergent sur le point de savoir si et, dans l’affirmative, quand et de quelle manière un juge peut formuler des observations sur le fait que l’accusé n’a pas déposé; - l’ordonnance entendait changer le droit et la pratique et édicter de nouvelles règles quant aux observations pouvant être formulées et aux conclusions pouvant être tirées du fait que l’accusé n’aurait pas déposé à son procès; - au regard de l’ordonnance, l’accusé ne peut être contraint de témoigner, mais s’expose aux conséquences s’il ne le fait pas; et - parmi les conclusions pouvant être tirées du fait que l’accusé n’a pas déposé pour sa défense figure celle, le cas échéant, que l’intéressé est coupable des infractions dont il est accusé." Il ajoute: "(...) Cela ne signifie pas que le tribunal peut conclure à la culpabilité de l’accusé simplement parce qu’il refuse de déposer. Le procureur doit en premier lieu établir un commencement de preuve (prima facie case), appelant une réponse de l’accusé. En second lieu, le juge ou le jury chargé de déterminer la culpabilité de l’accusé peuvent seulement tirer "de ce refus les conclusions qui semblent légitimes". Ainsi que le déclare Lord Diplock dans l’affaire Haw Tua Tau v. Public Prosecutor (p. 153B): "Les conclusions pouvant être légitimement tirées du refus d’un accusé de déposer dépendent des circonstances de l’espèce, et cette question doit être examinée sous l’angle du bon sens." Ainsi, il doit être possible de trouver dans les circonstances de l’espèce un fondement justifiant la conclusion. Si le procureur n’a pas établi de commencement de preuve (prima facie case), l’accusé n’a pas à répondre. De même, si certains éléments de l’accusation ont une valeur probante tellement faible qu’ils n’appellent pas de réponse, le fait pour l’accusé de ne pas tenter de réfuter ces éléments ne justifie pas de conclure à sa culpabilité. En revanche, si certains éléments de preuve, seuls ou en combinaison avec d’autres faits, appellent clairement une explication que l’accusé devrait être en mesure de donner, si elle existe, alors l’absence d’explication peut permettre de conclure, par un simple raisonnement de bon sens, qu’il n’existe aucune explication possible et que l’accusé est coupable (...)" Dans l’affaire R. v. Kevin Sean Murray (citée plus haut), Lord Mustill précise que l’expression "commencement de preuve (prima facie case)" "vise à qualifier des charges suffisantes pour renvoyer devant un jury, c’est-à-dire des charges reposant sur des preuves directes qui, s’il y ajoute foi et les associe à des conclusions en découlant légitimement, peuvent amener un jury ayant reçu des instructions convenables à l’intime conviction (...) de l’existence de chacun des éléments constitutifs de l’infraction". Même si un commencement de preuve est établi, le juge du fond a la faculté discrétionnaire de tirer ou non des conclusions des faits de la cause. En l’espèce, la cour d’appel a indiqué que lorsque le juge admet que l’accusé n’a pas compris l’avertissement qui lui a été donné dans la mise en garde requise par l’article 6, et qu’il a des doutes à ce sujet, "nous sommes sûrs qu’il ne fera pas jouer l’article 6 à son détriment". Dans l’affaire R. v. Director of Serious Fraud Office, ex parte Smith (Weekly Law Reports 1992, vol. 3, p. 66), Lord Mustill déclare qu’il faut analyser lequel des aspects du droit de garder le silence est en jeu dans une situation donnée car "(...) A la vérité, il ne s’agit pas d’un droit unique mais plutôt d’un ensemble disparate d’immunités qui diffèrent par leur nature, origine, incidence et importance et aussi par les accrocs que la loi y a déjà faits." Dans ce groupe d’immunités que recouvre l’expression "droit de garder le silence", Lord Mustill identifie notamment: "1. L’immunité générale, que possède toute personne physique ou morale, contre le fait d’être obligée, à peine de sanction, de répondre aux questions posées par d’autres personnes ou organismes. L’immunité générale, que possède toute personne physique ou morale, contre l’obligation, à peine de sanction, de répondre à des questions lorsque la réponse peut les incriminer. L’immunité spécifique, que possède toute personne soupçonnée d’être pénalement responsable lors des interrogatoires menés par des policiers ou d’autres personnes en position analogue d’autorité, contre le fait d’être obligée, à peine de sanction, de répondre à des questions de toutes sortes. L’immunité spécifique, que possède l’accusé dans son procès, contre le fait d’être obligé de témoigner ou de répondre aux questions qui lui sont posées lorsqu’il est au banc des accusés. L’immunité spécifique, que possède tout accusé d’une infraction pénale, contre le fait de se voir poser des questions concernant l’infraction par des policiers ou des personnes en situation analogue d’autorité. L’immunité particulière (...), que possède l’accusé pendant son procès, contre les conclusions défavorables que le juge pourrait tirer du fait de n’avoir pas a) répondu aux questions avant le procès ou b) déposé lors du procès." B. Dispositions relatives au droit de consulter un solicitor L’article 15 de la loi de 1987 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord prévoit notamment: "15. Droit à une assistance juridique 1) Toute personne détenue en vertu des dispositions sur le terrorisme et gardée à vue par la police doit avoir la possibilité, si elle le demande, de s’entretenir en privé avec un solicitor. 2) Cette personne doit être informée du droit que lui confère le paragraphe 1 ci-dessus, dès que possible à partir du moment où ce paragraphe lui est applicable. 3) La demande introduite en vertu du paragraphe 1 ci- dessus ainsi que l’heure de celle-ci sont consignées par écrit, sauf si la demande est formulée lorsque l’auteur est renvoyé en jugement et accusé d’une infraction pénale. 4) Dans ce cas, elle doit être autorisée à s’entretenir avec un solicitor dès qu’il est possible d’accéder à sa demande, sauf dans les cas d’ajournement prévus par le présent article. (...) 8) Un policier ne peut retarder la possibilité prévue au paragraphe 1 de bénéficier d’une assistance juridique que lorsqu’il s’estime fondé à croire que l’exercice dudit droit, au moment où l’individu désire en user: d) entraverait l’enquête sur la commission, la préparation ou l’instigation d’actes terroristes; ou e) compliquerait, en permettant d’alerter toute personne intéressée, i. la prévention d’un acte terroriste, ou ii. l’arrestation, la poursuite ou la condamnation de toute personne qui serait liée à la commission, la préparation ou l’instigation d’un acte terroriste (...)" Cet ajournement doit être autorisé par un policier ayant au moins le grade de commissaire principal (article 15 par. 5 a)), et le motif doit en être communiqué au détenu (paragraphe 9 a)). La durée maximale de l’ajournement est de quarante-huit heures. Les tribunaux d’Irlande du Nord estiment que les dispositions de l’ordonnance de 1988 ne doivent pas être interprétées en fonction de l’article 15 de la loi de 1987, ci- dessus mentionné. Dans l’affaire R. v. Dermot Quinn (jugement de la Crown Court de Belfast, du 23 décembre 1991), le juge a rejeté l’argument selon lequel il était impossible de parvenir à des conclusions défavorables à l’accusé en vertu de l’article 3 de l’ordonnance de 1988, dans le cas où l’intéressé avait demandé à s’entretenir avec son solicitor, mais avait été interrogé par la police avant l’arrivée de celui-ci. Le magistrat a fait remarquer que l’ordonnance de 1988 était entrée en vigueur après l’article 15 de la loi de 1987, et a estimé qu’il n’était pas dans les intentions du parlement d’interdire les conclusions dictées par le bon sens prévues à l’article 3 de l’ordonnance de 1988 en raison du droit à une assistance juridique fondé sur l’article 15 de la loi de 1987. Dans son arrêt du 17 septembre 1993, la cour d’appel d’Irlande du Nord a confirmé la décision de première instance, estimant qu’une conclusion défavorable à l’accusé fondée sur le fait que ce dernier n’avait pas répondu aux questions des policiers avant de pouvoir bénéficier de l’avis de son solicitor, ne constituait pas en l’espèce une injustice. Elle releva cependant qu’une violation de l’article 15 pouvait dans certains cas permettre au juge du fond de décider en toute souveraineté qu’il n’y a pas lieu de tirer des conclusions défavorables à l’accusé en vertu de l’article 3 de l’ordonnance de 1988. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission (requête no 18731/91) le 16 août 1991. Il alléguait, sur le terrain de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention, avoir été privé du droit de garder le silence dans la procédure pénale dirigée contre lui. Invoquant l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3- c), il se plaignait en outre de n’avoir pu consulter un solicitor au cours de sa détention; il s’en prenait aussi à la pratique relative à l’accès aux solicitors, différente en Irlande du Nord de celle de l’Angleterre et du pays de Galles, ce qu’il estime contraire à l’article 14 (art. 14) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 18 janvier 1994. Dans son rapport du 27 juin 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6- 1, art. 6-2) (quinze voix contre deux), mais à la violation de l’article 6 par. 1 combiné avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6- 1+6-3-c) (treize voix contre quatre); elle estime aussi qu’il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6) (quatorze voix contre trois). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a invité la Cour à conclure que les griefs du requérant quant à une violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) et de l’article 6 paras. 1 et 3 c) combiné avec l’article 14 (art. 6-1, art. 6-3-c+14) ne révèlent aucune méconnaissance de la Convention. Le requérant a fait valoir, quant à lui, que les dispositions de l’ordonnance de 1988 autorisant à tirer des conclusions défavorables à l’accusé du fait que celui-ci n’a pas répondu aux questions de la police ou n’a pas déposé et l’utilisation de ces conclusions pour décider de sa culpabilité, sont contraires à l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention. Ensuite, le fait de pouvoir tirer des conclusions défavorables et les restrictions imposées par l’ordonnance à la conduite de la défense sont également contraires à ces dispositions. Troisièmement, le requérant a invité la Cour à dire que le refus de consulter un solicitor pendant la garde à vue constituait une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le requérant était propriétaire du restaurant d’été Ihrebaden situé à Ihreviken, Tingstäde, sur l’île de Gotland, de l’été 1987 jusqu’à la fin de l’été 1990. Il possédait en outre, et possède toujours, l’auberge de jeunesse Lummelunda se trouvant à Nyhamn, Visby, sur la même île. Le restaurant employait moins de dix personnes, engagées sur une base saisonnière mais pouvant être réembauchées d’une année sur l’autre. Le requérant était directement propriétaire du restaurant et de l’auberge de jeunesse et tenu aux dettes de l’entreprise sur son patrimoine propre (enskild firma). Le requérant n’était adhérent d’aucun des deux syndicats patronaux de la restauration, à savoir le syndicat patronal suédois de l’hôtellerie et de la restauration (Hotell- och Restaurangarbetsgivareföreningen - "le HRAF", affilié à la Confédération patronale suédoise (Svenska Arbetsgivareföreningen - "la SAF") et l’Union patronale du syndicat suédois des restaurateurs (Svenska Restauratörsförbundets Arbetsgivareförening - "la SRA"). Il n’était donc lié par aucune des conventions collectives (kollektivavtal) conclues entre ces deux syndicats et le syndicat du personnel de l’hôtellerie et de la restauration (Hotell- och Restauranganställdas Förbund - "le HRF"). Il n’était pas non plus tenu de souscrire à l’un des régimes d’assurances du marché du travail (Arbetsmarknadsförsäkring) élaborés par voie d’accord entre la SAF et la Confédération suédoise des syndicats (Landsorganisationen). Le requérant avait cependant la possibilité d’adhérer à une convention collective en signant un accord de remplacement (hängavtal). Il pouvait également souscrire aux régimes d’assurances proposés par les Assurances du marché du travail ou l’une des quelque dix compagnies d’assurances opérant dans ce secteur. Fin juin ou début juillet 1987, il refusa de signer un accord de remplacement distinct avec le HRF. Il fit valoir qu’il était hostile par principe au système de la négociation collective. Il souligna en outre que ses salariés étaient mieux rémunérés qu’ils ne le seraient dans le cadre d’une convention collective et qu’eux-mêmes ne souhaitaient pas qu’il souscrive un accord de remplacement pour leur compte. L’accord de remplacement proposé au requérant comportait les clauses suivantes: "Parties: [le requérant] et [le HRF] Durée de validité: du 1er juillet 1987 au 31 décembre 1988 inclus, reconductible par périodes d’un an, sauf préavis deuxmois avant expiration de [l’accord]. (...) A partir de la date [ci-dessus], le dernier accord en date entre [le syndicat patronal] et [le HRF] s’applique entre [lerequérant et le HRF]. Si [le syndicat patronal] et [le HRF]concluent ultérieurement un nouvel accord ou décident d’amenderou de compléter le [présent] accord, [le nouvel accord, lesamendements ou avenants] s’appliquent automatiquement à partirdu jour où [il ou ils] [a ou ont] été [conclu(s)]. (...) [L’employeur] souscrit [pour le compte de ses employés][cinq] polices d’assurances [différentes] auprès des Assurancesdu marché du travail dont il paie les primes, (...) et,éventuellement, d’autres polices d’assurances qui pourraientfaire ultérieurement l’objet d’un accord entre [le syndicatpatronal et le HRF]. [L’employeur] délivre des certificats de travail sur unformulaire spécial (...), dont copie est adressée au [HRF]. [L’employeur] n’embauche que [des travailleurs qui sontaffiliés] au [HRF] ou [qui y ont] demandé leur affiliation. Encas de réemploi, les dispositions de l’article 25 de la loi surla protection de l’emploi (lag (1982:80) om anställnings-skydd)s’appliquent. Tous les mois, [l’employeur] déduit du salaire des salariésmembres du [HRF] un montant correspondant à leur cotisationsyndicale qu’il verse au [HRF]. (...)" Le 16 juillet 1987, à l’occasion de nouvelles négociations avec le requérant, le HRF lui soumit un autre accord de remplacement, qu’il refusa également de signer: "Objet: signature d’une convention collective concernant [lerestaurant] Ihrebaden (...) et l’auberge de jeunesse Lummelunda. Compte tenu de la fin prochaine de la [saison 1987], lesparties conviennent des dispositions suivantes, qui remplacentla signature d’une convention collective. L’entreprise accepte de se conformer, durant la saison (...),à la convention collective ("convention nationale verte") concluepar [le HRAF] et [le HRF], notamment à l’obligation de souscrireà [certains] régimes d’assurances (avtalsförsäkringar) auprès desAssurances du marché du travail. L’entreprise accepte également de [se conformer à] [la]convention collective (...) durant la saison à venir (...), ens’affiliant au syndicat patronal ou en signant un (...) accord de remplacement (...)" Si le requérant avait souscrit un accord de remplacement, celui-ci aurait été applicable non seulement à ses salariés syndiqués mais aussi à ceux non affiliés à un syndicat. Au cours de l’été 1986, le requérant employait un adhérent du HRF et, en 1987, un autre membre de ce syndicat ainsi que deux personnes inscrites respectivement au syndicat des employés de commerce (Handelsanställdas Förbund) et au syndicat des agents municipaux (Kommunalarbetareförbundet). En 1989, un adhérent de ce dernier syndicat travaillait pour le requérant. A la suite du refus du requérant de signer tout accord de remplacement, le HRF imposa en juillet 1987 un blocus à son restaurant et en décréta la mise à l’index. Au cours du même mois, le syndicat des employés de commerce et le syndicat suédois des employés de l’industrie alimentaire (Svenska Livsmedelsarbetareförbundet) prirent des mesures de rétorsion par solidarité. Le syndicat suédois des employés des transports (Svenska transportarbetareförbundet) et le syndicat des employés municipaux (Kommunaltjenestemannaförbundet) en firent de même pendant l’été 1988. En conséquence, les livraisons au restaurant furent interrompues. L’une des personnes employées par le requérant au restaurant Ihrebaden, adhérente du HRF, avait déclaré publiquement que les mesures de rétorsion étaient selon elle inutiles, puisque les salaires et conditions de travail appliqués au restaurant ne méritaient aucune critique. D’après le Gouvernement, le syndicat a déclenché son action à la suite de la demande d’aide formulée en 1986 par un adhérent du HRF employé par le requérant. Selon le syndicat, le requérant versait à ses employés un salaire mensuel inférieur de 900 couronnes suédoises (SEK) environ à la rémunération qu’ils auraient touchée en vertu d’une convention collective. Il ne versait pas à son personnel d’indemnités de congés payés, comme cela est prévu dans la loi de 1977 sur les congés annuels (semesterlagen 1977:480), ni de salaire pour les jours chômés en raison du mauvais temps, ainsi que l’exige la loi de 1982 sur la protection de l’emploi, et il n’a pas non plus souscrit d’assurance du marché du travail avant 1988. En août 1988, invoquant la Convention, le requérant demanda au gouvernement d’interdire au HRF de poursuivre le blocus et aux autres syndicats de continuer à se livrer à leurs actions de solidarité; il demanda également au gouvernement d’ordonner à tous les syndicats de lui verser des dommages-intérêts. A titre subsidiaire, il réclamait une indemnisation de la part de l’Etat. Le gouvernement (ministère de la Justice) rejeta la demande du requérant par une décision du 12 janvier 1989, déclarant: "La demande visant à faire interdire le blocus et les mesuresde solidarité ainsi que la demande d’indemnisation par lessyndicats concernent un litige entre particuliers. Conformémentau chapitre 11, article 3 de l’Instrument de gouvernement[Regeringsformen, partie intégrante de la Constitution], pareilslitiges ne peuvent être tranchés par une instance publique autrequ’un tribunal, sauf si la loi en dispose autrement. Aucunedisposition de loi n’autorisant le gouvernement à connaître detels litiges, il ne procédera donc pas à un examen au fond de cesdemandes. La demande en réparation est rejetée." Le requérant saisit la Cour administrative suprême (Regeringsrätten) d’une demande de contrôle en vertu de la loi de 1988 sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lag (1988:205) om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut - "la loi de 1988"). Le 29 juin 1989, la Cour administrative suprême débouta le requérant au motif que la décision du gouvernement ne concernait pas une question administrative touchant à l’exercice de la puissance publique, condition nécessaire pour procéder à un contrôle en vertu de l’article 1 de la loi précitée. Le 15 septembre 1989, l’Association suédoise du tourisme (Svenska turistföreningen - "la STF"), association sans but lucratif chargée de promouvoir le tourisme en Suède, résilia le contrat de l’auberge de jeunesse du requérant en invoquant un manque de coopération du requérant et son attitude négative envers elle. L’auberge de jeunesse disparut donc du catalogue des auberges de jeunesse suédoises publié par la STF. En 1989, la moitié environ des auberges de jeunesse suédoises faisaient partie de cette association. Le requérant intenta une action devant le tribunal de district (tingsrätten) de Stockholm. Il dénonçait ce qu’il considérait comme une mesure personnelle d’exclusion de la STF, alléguant qu’elle résultait de ce que le HRF avait menacé de prendre des mesures de rétorsion à l’encontre d’autres auberges de jeunesse affiliées à la STF si son auberge n’en était pas exclue. Il contestait également la résiliation du contrat de son auberge de jeunesse par la STF. La STF reconnut notamment que, même s’il n’avait pas provoqué la résiliation du contrat avec l’auberge de jeunesse du requérant, le conflit opposant ce dernier et les syndicats avait pu l’accélérer. La STF se réclama également d’un avis du médiateur en matière de concurrence (ombudsmannen för näringsfrihet) du 14 novembre 1989, selon lequel la résiliation de ce contrat n’aurait qu’un très faible impact sur les établissements du requérant. Par un jugement du 8 mai 1991, le tribunal de district débouta le requérant sur les deux points. Il conclut notamment que le requérant n’avait pas prouvé que la résiliation du contrat de son auberge de jeunesse avec la STF fût la cause de son exclusion personnelle de cette association. S’appuyant sur les conclusions du médiateur en matière de concurrence, il estima également que le requérant n’avait pas démontré que le contrat ait eu des incidences financières notables sur ses activités. Le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Svea (Svea hovrätt), laquelle confirma le 6 mars 1992 le jugement du tribunal de district. La cour d’appel estima notamment que la résiliation du contrat relatif à l’auberge de jeunesse avait entraîné l’expiration de l’affiliation personnelle du requérant à la STF. Toutefois, cela n’équivalait pas à son exclusion, puisqu’il aurait pu maintenir ou renouveler son adhésion. En outre, malgré l’importance réelle du contrat pour les établissements du requérant, sa résiliation par la STF ne pouvait être considérée comme abusive. Au début de 1991, le requérant vendit son restaurant en raison de ses difficultés à le faire fonctionner, dues selon lui aux mesures de rétorsion. Le restaurant fut acheté par une personne qui souscrivit une convention collective avec le HRF. L’intéressé continua à gérer l’auberge de jeunesse de Lummelunda avec l’aide de membres de sa famille. Sur ces entrefaites, le syndicat mit fin à ses actions. Le 9 novembre 1991, le requérant demanda au gouvernement d’appuyer sa requête à la Commission. Le 12 décembre 1991, le gouvernement décida de s’abstenir de toute mesure concernant cette demande. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Liberté d’association L’article 1 du chapitre 2 de l’Instrument de gouvernement dispose: "Tout citoyen, dans ses relations avec les pouvoirs publics,est assuré de disposer de: La liberté d’expression, à savoir la liberté de communiquerdes informations et d’exprimer des idées, des opinions et dessentiments par la parole, par l’écrit ou par l’image, ou de touteautre manière que ce soit; (...) la liberté d’association, à savoir la liberté de s’allieravec d’autres personnes à des fins d’intérêt général ou privé;(...)" L’article 2 du chapitre 2 prévoit: "Tout citoyen, dans ses relations avec les pouvoirs publics,est protégé contre toute forme de contrainte l’obligeant àexprimer ses opinions en matière politique, religieuse,culturelle ou autre. Cette protection joue également contretoute pression visant à forcer sa participation à des réunionsdestinées à orienter l’opinion, à des manifestations ou autresévénements similaires, ou l’appartenance à une organisationpolitique, à une communauté religieuse ou à un autre groupeprofessant des idées visées dans la phrase précédente." L’article 12 paras. 1 et 2 du chapitre 2 est ainsi libellé: "Les libertés et droits visés à l’article 1 paras. 1 à 5 (...)peuvent, dans la limite définie aux articles 13 à 16, être soumisà des restrictions prévues par la loi. (...) Les restrictions visées à l’alinéa précédent ne peuvent êtreimposées que dans un but acceptable dans une sociétédémocratique. Elles ne peuvent jamais excéder ce qui estnécessaire pour atteindre le but recherché, ni s’étendre au pointde constituer une menace pour la liberté de l’opinion en tant quepilier de la démocratie. Aucune restriction ne peut être imposéeuniquement pour des motifs politiques, religieux, culturels ouautres." L’article 14 par. 2 du chapitre 2 dispose: "La liberté d’association peut uniquement faire l’objet derestrictions dans le cas d’organisations dont l’activité est denature militaire ou analogue, ou implique la persécution d’ungroupe caractérisé par une race, une couleur de peau ou uneorigine ethnique particulière." Aux termes de l’article 17 du chapitre 2: "Tout syndicat, tout employeur ou toute association patronalepeut, sauf législation ou convention contraire, prendre desmesures de rétorsion." B. Liberté syndicale L’article 7 de la loi de 1976 sur la co-décision dans l’entreprise se lit ainsi: "On entend par liberté syndicale le droit, pour employeurs et salariés, d’appartenir à une organisation patronale ou salariale,de profiter des avantages que leur confère leur adhésion et detravailler pour un tel syndicat ou pour en créer un." L’article 8 est ainsi libellé: "La liberté syndicale est inviolable. Elle (...) est tenuepour violée si des employeurs ou des salariés prennent desmesures portant préjudice à un travailleur ou à un employeur aumotif que celui-ci a exercé sa liberté syndicale, ou si desemployeurs ou des salariés prennent des mesures tendant à inciterun salarié ou un employeur à ne pas exercer sa liberté syndicale.Il y a violation même si la mesure vise à faire exécuter uneobligation à l’égard des salariés ou des employeurs. Les organisations patronales ou salariales ne doivent toléreraucune violation de leur liberté syndicale empiétant sur leursactivités. Lorsqu’il existe à la fois un syndicat local et unecentrale nationale, les présentes dispositions s’appliquent à lacentrale. Si la dénonciation d’un accord ou d’un autre acte juridique ouune disposition d’une convention collective ou d’un autre contratemportent violation de la liberté syndicale, ladite violationentraîne nullité de l’acte ou de la disposition en question." L’article 10 énonce: "Une organisation salariale bénéficie du droit de négocier avecun employeur sur toute question touchant les relations entrel’employeur et tout membre du syndicat qui est ou a été employépar lui. Le même droit de négocier avec une organisationsalariale est reconnu à l’employeur. L’organisation salariale jouit également du droit de négocieravec toute organisation patronale à laquelle appartient unemployeur, et cette dernière jouit du même droit à l’égard del’organisation salariale." C. Recours judiciaires L’article 3 du chapitre 11 de l’Instrument de gouvernement est ainsi libellé: "Les litiges entre particuliers ne peuvent être tranchés quepar un tribunal, sauf si la loi en dispose autrement (...)" Un employeur ayant fait l’objet de mesures de rétorsion peut en principe demander qu’il y soit mis un terme par voie d’ordonnance judiciaire, et exiger des dommages-intérêts. Le tribunal compétent peut émettre de telles ordonnances si les mesures de rétorsion sont illégales ou enfreignent une convention collective en vigueur. Si les mesures de rétorsion constituent une infraction pénale, une action en réparation peut être intentée en vertu de l’article 4 du chapitre 2 de la loi de 1972 sur l’indemnisation (skadeståndslag 1972:207). Aux termes de l’article 1 de la loi de 1988, quiconque a été partie à une procédure administrative devant le gouvernement ou une autre autorité publique peut, à défaut d’autre recours, inviter la Cour administrative suprême, statuant en premier et dernier ressort, à contrôler les décisions prises en l’espèce et impliquant l’exercice d’une prérogative de puissance publique à l’égard d’une personne privée. Le genre de décision administrative couvert par la loi se trouve précisé au chapitre 8, articles 2 et 3, de l’Instrument de gouvernement, auquel renvoie l’article 1 de la loi de 1988. Selon ces dispositions, la loi énonce des mesures régissant, notamment, les relations personnelles et d’ordre économique entre les particuliers d’une part, et entre ceux-ci et l’Etat, d’autre part. L’article 2 de la loi énumère plusieurs types de décisions échappant à son empire; aucun d’eux n’entre en jeu ici. Dans une instance engagée en vertu de la loi de 1988, la Cour administrative suprême recherche si la décision contestée "contrevient à une règle légale" (article 1 de la loi de 1988). Si ladite Cour déclare illégale la décision attaquée, elle l’annule et, au besoin, renvoie la cause à l’autorité administrative compétente (article 5 de la loi de 1988). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 1er juillet 1989 à la Commission (no 15573/89), M. Gustafsson dénonçait une violation du droit à la liberté d’association que lui garantit l’article 11 (art. 11) de la Convention et du droit au respect de ses biens, consacré par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention, du fait que l’Etat ne l’a pas protégé contre les mesures de rétorsion visant son restaurant. Il se plaignait en outre d’atteintes aux droits que lui reconnaissent l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable) et l’article 13 (art. 13) (droit à un recours effectif), faisant valoir que les voies de recours judiciaires qu’il aurait pu utiliser pour contester les mesures de rétorsion n’auraient pas été effectives, puisque ces mesures étaient conformes à la loi suédoise. La Commission a retenu la requête le 8 avril 1994. Dans son rapport du 10 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis: a) qu’il y a eu violation de l’article 11 (art. 11) (treize voix contre quatre); b) qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention (onze voix contre six); c) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (seize voix contre une); d) qu’il y a eu violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention (quatorze voix contre trois). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 22 novembre 1995, le Gouvernement, comme dans son mémoire, a invité la Cour à dire qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de la Convention. A cette même occasion, le requérant a réitéré la demande qu’il avait déjà exprimée dans son mémoire, priant la Cour de conclure à la violation des articles 6, 11 et 13 (art. 6, art. 11, art. 13) de la Convention, et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) combiné avec l’article 17 (art. 17) de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espèce M. Phocas est né en 1918 et a son domicile à Montpellier. Il possédait depuis 1956 et exploitait un immeuble de 275 m2 à usage commercial situé à Castelnau-le-Lez (département de l'Hérault), au point d'intersection d'une route nationale (RN 113) et du chemin départemental 21 (CD 21). Par une décision du 20 mai 1960, le ministre des Travaux publics et des Transports retint le projet d'amélioration de ce carrefour. En 1962, le requérant, croyant l'expropriation imminente, transféra dans d'autres locaux son activité de commerçant en fruits et légumes. A. La procédure relative au permis de construire Les demandes de permis de construire Son immeuble n'ayant pas été exproprié, M. Phocas résolut d'y aménager huit appartements en le surélevant de deux étages. A cette fin, il déposa, le 1er mars 1965, une demande de permis de construire. a) La première décision de sursis à statuer Par un arrêté du 31 juillet 1965, le préfet de l'Hérault décida de surseoir à statuer sur la demande "jusqu'à publication de l'acte portant approbation du plan directeur d'urbanisme de la commune de Castelnau-le-Lez", au motif "qu'en l'état des études entreprises, il apparaît que le projet présenté [par le requérant] est de nature à compromettre la réalisation de l'amélioration du carrefour (...), projet retenu par M. le ministre des Travaux publics et des Transports (...)". Cette décision fut confirmée le 30 mars 1967 par le directeur départemental de l'équipement qui répondait ainsi à une nouvelle demande du requérant. Le 31 juillet 1967, ce dernier pria le préfet de prendre une décision définitive, le terme du sursis étant échu. N'obtenant pas de réponse, il saisit, le 2 décembre 1967, le tribunal administratif de Montpellier d'une requête en annulation des décisions des 31 juillet 1965 et 30 mars 1967 et de la décision implicite de rejet de sa demande du 31 juillet 1967. Le secrétaire-greffier lui envoya la lettre suivante, datée du 1er septembre 1971: "J'ai l'honneur de vous rappeler qu'à la date du 11 mars 1968 un mémoire du ministre de l'Equipement et du Logement vous a été communiqué (...). Par note du 29 mai 1970 vous nous avez fait savoir que vous attendiez une décision de l'administration qui devait intervenir avant mai 1971. (...) Aucun mémoire n'ayant encore été adressé par vos soins au greffe, je me permets de souligner l'intérêt qu'il y aurait à me le faire parvenir le plus tôt possible ou à faire connaître au tribunal que vous n'avez pas l'intention de répliquer." Par une lettre du 13 octobre 1971, M. Phocas informa le préfet qu'il ne renonçait pas à cette procédure. Le 22 septembre 1972, il déclara néanmoins se désister de l'instance, ce dont le tribunal prit acte par un jugement du 16 octobre 1972. b) La deuxième décision de sursis à statuer Le plan d'urbanisme directeur de Castelnau-le-Lez fut publié le 20 mars 1968: il comportait une emprise du domaine public pour l'aménagement du carrefour sur une fraction de la propriété du requérant et incluait le reste dans une zone non aedificandi. Par un arrêté du 9 octobre 1969, le préfet de l'Hérault, saisi le 13 mai 1969 par M. Phocas d'une nouvelle demande de permis de construire, sursit à statuer jusqu'à la publication de l'acte portant approbation du plan directeur d'urbanisme de la commune de Castelnau-le-Lez au motif "qu'en l'état des études entreprises, il apparaît que le projet présenté [par le requérant] est de nature à compromettre la réalisation du plan d'urbanisme directeur (...) publié le 20 mars 1968 (construction projetée sur un terrain affecté par l'aménagement d'un carrefour formé par la RN 113 et le CD 21 et la création de zones non aedificandi)". Ledit plan fut approuvé le même jour par le préfet. Le 2 janvier 1970, le ministère de l'Equipement informa le requérant que la décision de sursis était maintenue, mais qu'en application de l'article 28 du décret n° 58-146 du 31 décembre 1958 (paragraphe 36 ci-dessous), il avait la possibilité de réclamer de la collectivité bénéficiaire de l'opération d'aménagement qu'elle procédât, avant l'expiration d'un délai de trois ans, à l'acquisition de la partie réservée du terrain. Par une lettre du 13 octobre 1971 au préfet, M. Phocas sollicita une décision sur sa demande de permis enregistrée le 13 mai 1969 (paragraphe 11 ci-dessus), le sursis à statuer ayant expiré. c) La troisième décision de sursis à statuer La procédure de délaissement de son immeuble ayant échoué (paragraphes 18 à 26 ci-dessous), le requérant déposa, le 17 juillet 1976, une nouvelle demande de permis de construire sur laquelle le préfet décida de surseoir à statuer par un arrêté du 21 septembre 1976: le plan d'occupation des sols (POS) de Castelnau-le-Lez - en cours d'élaboration, il avait été prescrit par un arrêté préfectoral du 1er juin 1973 - incluait en effet l'immeuble litigieux dans une zone réservée à l'aménagement du carrefour. Le 15 novembre 1976, M. Phocas déposa une requête en annulation devant le tribunal administratif de Montpellier. Le ministre de l'Equipement produit ses observations le 16 juin 1977 et des documents le 29 juin 1977. L'audience eut lieu le 15 décembre 1978. Le 8 janvier 1979, le tribunal rejeta ladite requête: "Considérant qu'en vertu de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme l'autorité administrative peut, lorsque l'établissement d'un projet de plan d'occupation des sols est prescrit, surseoir à statuer sur les demandes d'autorisation concernant des constructions qui seraient de nature à compromettre l'exécution du plan; qu'il est constant que l'arrêté préfectoral en date du 1er juin 1973 a ordonné l'établissement d'un plan d'occupation des sols pour la commune de Castelnau-le-Lez; qu'il résulte des pièces versées au dossier que, parmi les opérations de voirie prévues audit plan, figure l'élargissement de la route nationale 113 et du chemin départemental 21, à l'emplacement même occupé par la propriété de M. Phocas intéressée par le projet de construction visé par la demande de permis de construire du 15 juillet 1976; que ledit projet était susceptible de compromettre la réalisation de cette opération de voirie; qu'il suit de là que M. Phocas qui invoque vainement, dès lors que le plan d'urbanisme approuvé le 9 septembre 1969 n'a pas servi de base à l'arrêté litigieux, la décision du juge de l'expropriation en date du 19 mars 1976 [paragraphe 26 ci-dessous] qui déclarait sa propriété libre de toute réserve au regard dudit plan, n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 21 septembre 1976 par lequel le préfet de l'Hérault a sursis à statuer sur sa demande de permis de construire serait illégal;" L'obtention d'un permis de construire tacite A l'échéance du sursis décidé le 21 septembre 1976, M. Phocas envoya au maire de Castelnau-le-Lez une lettre confirmant sa demande de permis de construire. Le maire reçut ladite lettre le 12 octobre 1978 et rejeta la demande par un arrêté du 12 décembre 1978, notifié à l'intéressé le 14 décembre. Saisi par le requérant le 9 février 1979, le tribunal administratif de Montpellier annula cette décision le 7 février 1980, aux motifs ci-après: "Considérant qu'il résulte des pièces versées au dossier que M. Phocas a confirmé auprès du maire de la commune de Castelnau-le-Lez sa demande de permis de construire à l'expiration du délai de validité du sursis à statuer décidé par le préfet; que le maire a reçu cette lettre confirmative le 12 octobre 1978; que faute pour cette autorité d'avoir notifié à l'intéressé sa décision avant l'expiration du délai de deux mois qui lui était imparti par les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'urbanisme, ce dernier s'est trouvé titulaire, le 13 décembre 1978, d'un permis tacite; que l'arrêté du maire de Castelnau-le-Lez du 12 décembre 1978, notifié à M. Phocas le 14 décembre 1978, doit être regardé comme valant retrait de cette autorisation tacite; Mais considérant que le permis tacite dont bénéficiait le requérant ne pouvait légalement être retiré dans le délai du recours contentieux qu'à la condition d'être lui-même illégal; que si les articles R. 111-3-1 et R. 111-4 du code précité permettent à l'autorité compétente de refuser le permis ou de l'accorder, s'agissant des cas visés audit article R. 111-3-1 et à l'alinéa 2 de l'article R. 111-4 sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales, il appartenait à l'administration, au cours de l'instruction de la demande de permis, rouverte par la confirmation du 12 octobre 1978, d'examiner si (...) la construction sur laquelle étaient prévus les travaux d'aménagement (...) était susceptible d'être exposée à des nuisances graves au sens de l'article R. 111-3-1 précité et d'apprécier si la desserte du terrain intéressé par le projet était insuffisante au sens dudit article R. 111-4, et si les accès de l'immeuble présentaient un risque pour la sécurité des usagers; qu'en s'abstenant de notifier une décision de rejet dans le délai prévu à l'article L. 111-8 du code de l'urbanisme, l'administration doit être réputée avoir estimé qu'il n'y avait pas lieu, en l'espèce, de refuser le permis en application des articles R. 111-3-1 et R. 111-4 de ce code; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette appréciation soit entachée d'erreur manifeste; que, dès lors, l'autorisation accordée tacitement à M. Phocas n'était pas illégale; qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté du maire de Castelnau en date du 12 décembre 1978, valant retrait de ladite autorisation, est illégal et doit être annulé; (...)" Le 19 mai 1983, le Conseil d'Etat rejeta le pourvoi formé le 14 avril 1980 par le ministre de l'Environnement et du Cadre de vie: "Sur l'existence d'un permis de construire tacite: Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'urbanisme, "(...) à l'expiration du délai de validité du sursis à statuer, une décision doit, sur simple confirmation par l'intéressé de sa demande, être prise par l'autorité administrative chargée de la délivrance de l'autorisation, dans le délai de deux mois suivant cette confirmation. A défaut de notification de la décision dans ce dernier délai, l'autorisation est considérée comme accordée dans les termes où elle avait été demandée"; que la date de notification est celle du cachet apposé par le service des postes sur la demande d'avis de réception que doit signer le pétitionnaire, lorsqu'il reçoit notification de la réponse de l'administration à sa demande de permis de construire; Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'expiration du délai de sursis à statuer décidé par le préfet de l'Hérault, M. Phocas a confirmé, par lettre notifiée le 12 octobre 1978 au maire de Castelnau-le-Lez, sa demande de permis de construire; qu'à défaut de notification d'une décision du maire de ladite commune dans le délai d'instruction de deux mois prévu à l'article suscité du code de l'urbanisme, M. Phocas était devenu titulaire d'une autorisation de construire; qu'à la date du 14 décembre 1978 à laquelle M. Phocas a reçu notification de l'arrêté du 12 décembre 1978 de refus de permis de construire du maire de Castelnau-le-Lez, ledit arrêté devait être regardé comme rapportant cette autorisation tacite; Sur la légalité de l'arrêté attaqué: Considérant qu'aux termes du 2e alinéa de l'article R. 111-4 du code de l'urbanisme, le permis de construire "peut légalement être refusé si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers de la voie publique ou les personnes utilisant ces accès"; qu'il appartenait à l'administration au cours de l'instruction de la demande de permis rouverte par la confirmation du 12 octobre 1978 d'estimer si l'accès de l'immeuble de huit logements prévu par M. Phocas présentait un risque pour les usagers des voies publiques; qu'en s'abstenant de notifier une décision de rejet, l'administration a estimé qu'il n'y avait pas lieu, en l'espèce, de refuser le permis en application de l'article R. 111-4 du code précité; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'appréciation de l'administration soit entachée d'une erreur manifeste; qu'ainsi le permis initial n'était entaché d'aucune illégalité et que par suite, il n'a pas pu être légalement rapporté; que, dès lors, le ministre requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 12 décembre 1978 par lequel le maire de Castelnau-le-Lez retirait l'autorisation tacite de construire accordée à M. Phocas;" Le requérant se trouvait ainsi rétroactivement titulaire d'un permis de construire tacite depuis le 12 décembre 1978. B. La procédure de délaissement Les demandes du requérant tendant à l'achat de sa propriété Faisant suite à la lettre du ministère de l'Equipement du 2 janvier 1970 (paragraphe 12 ci-dessus), M. Phocas demanda par écrit, le 27 mai 1970, au directeur départemental de l'équipement "qu'il soit instamment procédé à l'achat de [s]a propriété dans le plus bref délai". Il rappela ce dernier courrier au préfet dans sa lettre du 13 octobre 1971 (paragraphe 13 ci-dessus) et, le 13 mai 1972, lui adressa la lettre suivante: "J'ai l'honneur en application de l'article 28 du décret 58.146 du 31 décembre 1958 de vous confirmer ma lettre du 27 mai 1970 (...) En tant que de besoin je forme à nouveau cette demande par la présente lettre en précisant qu'elle vous est adressée en votre qualité de représentant de l'Etat et aussi en votre qualité de représentant du département de l'Hérault. Je suis à la disposition de vos services pour rechercher un accord amiable sur le prix d'acquisition. (...)" Le 17 juillet 1972, au cours d'un entretien téléphonique, un responsable du service des Domaines aurait convoqué le requérant en vue de fixer à l'amiable le prix du délaissement. Une rencontre aurait eu lieu le 26 janvier 1973 et plusieurs conversations téléphoniques auraient suivi, sans succès. Le 2 juin 1973, M. Phocas adressa au préfet de l'Hérault la lettre suivante: "(...) Après l'entrevue dans vos bureaux du mardi 29 mai dernier, au cours de laquelle promesse a été faite que les opérations d'achat concernant mon immeuble situé à Castelnau-le-Lez (...) allaient se dérouler très rapidement, je crois de mon devoir, pour le meilleur déroulement de cette malheureuse affaire, de vous assurer n'avoir pas changé d'avis. Je rappelle ainsi, à l'adresse de vos services, qu'en référence à ma lettre du 27 mai 1970 demandant à l'appui de mes droits que soit procédé très rapidement à l'achat de ma propriété, je renouvelle instamment cette demande, le délai de trois ans prévu par la loi étant maintenant écoulé. (...)" L'offre d'achat formulée par l'administration Le 7 novembre 1974, le directeur départemental de l'équipement notifia à l'intéressé une offre d'acquisition pour un montant de 142 500 francs français (FRF). Le 20 janvier 1975, M. Phocas adressa au directeur départemental de l'équipement la lettre suivante: "Bien reçu avec un grand retard votre lettre du 7 novembre 1974 répondant après plus de quatre années et demi d'attente à celle envoyée par mes soins le 27 mai 1970 demandant que soit procédé à l'acquisition de mon immeuble. Les services des Domaines ayant commencé leur procédure le 17 juillet 1972 (lettres vous ayant été adressées de leur part le 18 mai 1972 et le 13 septembre 1972, restées d'ailleurs sans réponse), il est quand même fort surprenant que votre proposition n'ait pu être faite dans un laps de temps plus normal. Tout aussi surprenante est la modicité de ladite proposition car comment pouvez-vous penser qu'avec la somme dérisoire de 142 500 francs, je puisse acquérir une parcelle bâtie à peu près égale à celle faisant l'objet d'aussi regrettables dissensions. Victime depuis de si longues années d'une situation inadmissible, je ne peux évidemment que maintenir ma demande primitive. Qu'il me soit permis enfin de rappeler qu'interrogé sur la valeur de ma propriété vers le milieu de l'année 1962 par Monsieur Pélissier, ingénieur à l'Equipement, je lui fournissais quelques jours après en présence de Monsieur Miguel, secrétaire de Monsieur l'ingénieur, la réponse chiffrée qui était de 300 000 francs. Dans l'attente d'une juste appréciation, je vous prie, Monsieur le Directeur, de bien vouloir agréer mes salutations distinguées." Le directeur départemental de l'équipement répondit le 4 février 1975 en ces termes: "J'ai l'honneur d'accuser réception de votre lettre du [illisible] janvier par laquelle, d'une part vous refusez la proposition de l'indemnisation de l'immeuble vous appartenant sis à Castelnau-le-Lez, et d'autre part vous demandez l'établissement d'une proposition plus élevée en vous référant à votre propre [illisible] de 1962. Je suis au regret de vous faire connaître que l'opération justifiant l'acquisition de votre immeuble concerne le réaménagement de la route nationale [illisible], pour ce [illisible], l'indemnisation des immeubles est exclusivement de la compétence de M. le Directeur des Services fiscaux. C'est pourquoi, dans ma lettre du 7 novembre, je me référais à l'opinion de ce chef de service. En tant que service acquéreur éventuellement, je n'ai aucune possibilité de modifier les propositions [illisibles] par la Direction des Services fiscaux. Si donc, vous maintenez votre mise en demeure, [illisible] à l'acquisition par l'Etat, il vous appartient, conformément aux dispositions législatives (article [illisible] du code de l'urbanisme) de saisir M. le Juge de l'expropriation aux fins de la fixation de l'indemnité vous revenant." Le 16 mai 1975, le directeur départemental de l'équipement envoya à M. Phocas la lettre suivante: "J'ai l'honneur de vous confirmer ma lettre du 4 février, par laquelle je vous informais, d'abord de la décision prise par la Direction des Services fiscaux, et ensuite des possibilités qui vous sont offertes par la législation existante pour obtenir la modification de l'indemnité de dépossession que je vous avais proposée pour votre immeuble (...) Il ne me semble pas que vous ayez, à ce jour, saisi la juridiction compétente. Je suis donc en droit de penser que vous avez renoncé à exiger, de l'Administration, l'acquisition dudit immeuble. Je vous serais très obligé de me faire savoir si ce point de vue est exact, ou bien si vous maintenez toujours la mise en demeure déjà notifiée. Sans réponse de votre part sous huit jours, je considérerai que vous avez abandonné votre projet et remettrai dans ce cas, à la disposition de l'Administration supérieure, l'autorisation de programme qui m'avait été ouverte pour faire face à la dépense d'acquisition prévue." L'avocat de M. Phocas adressa à son client le courrier suivant, daté du 22 mai 1975: "J'ai pris connaissance de la lettre de l'Equipement du 16 mai. Je vous conseille d'adresser aussitôt à Monsieur le Directeur départemental de l'Equipement (...) une lettre recommandée avec accusé de réception conçue: "En réponse à votre lettre (...) du 16 mai, je vous informe que je n'ai pas renoncé à exiger mon expropriation. Je réunis actuellement les éléments pour me permettre de justifier l'indemnité d'expropriation que je réclamerai." La saisine du juge de l'expropriation Le 20 octobre 1975, le requérant saisit le juge de l'expropriation de l'Hérault aux fins de fixer le prix du délaissement. Le 8 décembre 1975, le directeur départemental de l'équipement écrivit à M. Phocas: "J'ai l'honneur de vous notifier le mémoire ci-joint portant détail et justification de l'indemnité de dépossession offerte par l'Administration expropriante pour la parcelle (...) et pour laquelle une ordonnance d'expropriation est susceptible d'intervenir. L'offre amicale d'acquisition à laquelle vous n'avez à ce jour donné aucune suite, vous a été notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception le 7 novembre 1974. (...) P.S. Par même courrier, je transmets à M. le juge de l'expropriation la photocopie en double exemplaire du mémoire ainsi que de la présente lettre." Après un transport sur les lieux le 15 décembre 1975 et une audience le 29 janvier 1976, le juge de l'expropriation prononça le jugement suivant le 19 mars 1976: "(...) Attendu que le rôle du juge de l'expropriation se borne à la fixation de l'indemnité d'expropriation; Qu'en l'espèce le sieur Phocas n'ayant pas obtenu le permis de construire a demandé par lettre du 27 mai 1970 à M. le Directeur de l'Equipement qu'il soit procédé à l'achat de [l'] immeuble, demande réitérée le 13 mai 1972 par lettre à M. le Préfet de l'Hérault; Que la direction de l'Equipement ayant offert un prix de 142 500 francs, ce prix n'a pas été accepté, que le sieur Phocas a sollicité alors, par mémoire (...) en date du 16 octobre 1975, la fixation du prix de l'immeuble; Attendu que n'étant plus frappé de la servitude du plan d'urbanisme approuvé le 9 juin 1969, n'ayant pas été acquis ni exproprié dans les trois ans à dater du jour de la demande, conformément aux dispositions du décret du 31 décembre 1958, le propriétaire a repris la libre disposition de son terrain; Attendu qu'il ressort par ailleurs des circonstances de la cause, notamment de la lettre de M. le maire de Castelnau du 15 mars 1976, que le plan d'occupation des sols de la commune de Castelnau-le-Lez n'est pas à l'heure actuelle publié ni appliqué; Que dans ces conditions le juge de l'expropriation ne peut être valablement saisi de la demande d'évaluation du terrain encore moins de l'immeuble qui s'y trouve implanté, l'article 123-9 du code de l'urbanisme n'étant pas applicable en l'espèce; Par ces motifs Nous (...) juge de l'expropriation du département de l'Hérault (...) Nous déclarons incompétent; (...)" C. La procédure d'expropriation Le 7 mars 1980, le préfet de l'Hérault prescrivit l'enquête publique préalable à l'expropriation puis, le 25 septembre 1980, déclara le projet d'aménagement du carrefour d'utilité publique et urgent. Le 23 février 1981, il déclara la propriété de M. Phocas cessible. L'ordonnance d'expropriation fut prise le 2 mars 1981. Alors que le requérant réclamait 2 903 000 FRF, son indemnité d'expropriation fut fixée, le 19 juin 1981, par le juge de l'expropriation de l'Hérault - saisi le 15 décembre 1980 - à 385 000 FRF puis en appel, le 22 janvier 1982, par la chambre des expropriations de l'Hérault à 394 440 FRF. Par une ordonnance du 23 juin 1982, le premier président de la Cour de cassation constata le désistement de M. Phocas du pourvoi qu'il avait formé contre l'arrêt d'appel. D. Les procédures en réparation La première procédure en réparation a) Devant le ministre de l'Urbanisme et du Logement Le 8 janvier 1982, le requérant adressa une demande préalable d'indemnisation au ministre de l'Urbanisme et du Logement, que ce dernier rejeta le 18 mai 1982: "(...) vous avez sollicité l'attribution d'une indemnité de 2 750 000 F en réparation du préjudice qui résulterait d'agissements de l'administration constituant entrave à vos projets de construction. Il convient de rappeler que l'indemnisation des administrés en matière d'urbanisme est subordonnée à l'existence d'une faute résultant d'une illégalité et d'un préjudice direct, matériel et certain. En ce qui concerne le premier point il apparaît qu'entre le 1er mars 1965 et le 8 janvier 1979, les décisions qui vous ont été opposées sont toutes devenues définitives, soit qu'elles n'aient pas été contestées, soit que leur légalité ait été confirmée par le juge administratif. Le seul chef de préjudice dont vous pourriez éventuellement vous prévaloir résulterait de la confirmation par le Conseil d'Etat du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 7 février 1980. Or cette affaire est toujours pendante devant la haute assemblée que j'ai saisie d'un pourvoi contre ledit jugement le 14 avril 1980. Sur le second point, j'observe que la faute qui résulterait éventuellement de l'illégalité du refus de permis de construire du 12 décembre 1978 ne serait susceptible de produire des conséquences qu'en cas de préjudice direct, matériel et certain. Or le décompte que vous avez produit est fondé sur la perte du capital immobilier et du revenu immobilier escompté ainsi que des intérêts de ce revenu. Il s'agit d'un préjudice purement éventuel qui ne peut, en application d'une jurisprudence constante, donner lieu à indemnisation. Enfin, j'observe qu'en ce qui concerne l'immeuble existant vous avez perçu une indemnité d'expropriation de 394 440 F. Il résulte de ce qui précède que je ne peux donner une suite favorable à votre demande." b) Devant le tribunal administratif de Montpellier M. Phocas saisit, le 16 juin 1982, le tribunal administratif de Montpellier: il soutenait que, par son attitude, l'administration avait indûment porté atteinte à son droit de propriété et lui avait causé un préjudice qu'il évaluait à 3 212 235 FRF. Le tribunal reçut des observations du ministre de l'Urbanisme et du Logement le 10 octobre 1983 et des mémoires en réplique du requérant les 20 et 22 novembre 1984. Il tint une audience le 23 novembre et décida le 27 novembre de rouvrir l'instruction: "Considérant (...) que le requérant a fait parvenir au tribunal deux mémoires enregistrés les 20 et 22 novembre 1984 auxquels l'administration compte tenu de leur dépôt tardif, n'a pu répondre; que dans le dernier état de ses écritures, M. Phocas invoque notamment à l'appui de ses conclusions en indemnité, les "agissements dolosifs" dont il a été victime dela part de l'administration qui a constamment paralysé les demandes réitérées qu'il a présentées depuis 1962 en vue d'obtenir le permis de construire; que leur caractère définitif ne fait pas obstacle à ce que l'illégalité des décisions prises par l'administration sur ces demandes soit utilement invoquée à l'appui d'une demande d'indemnité; qu'il y a lieu dès lors d'ordonner un supplément d'instruction à fin de permettre à l'administration de répondre aux moyens développés dans les mémoires précités;" A la suite de ce jugement, le tribunal enregistra des mémoires du ministre les 21 janvier et 23 juillet 1985 ainsi que du requérant les 23 mai, 12 août et 25 septembre 1985. Il tint une audience le 21 mars 1986 et, le 3 juin 1986, rendit son jugement, ainsi motivé: "Considérant que M. Phocas demande réparation des divers préjudices qu'il aurait subis à la suite de décisions successives et illégales prises par l'administration depuis 1968 et qui auraient eu pour effet de l'empêcher de construire sur une parcelle qui a fait l'objet d'une expropriation dont l'indemnité a été fixée par jugement du 19 juin 1981; Considérant, en premier lieu, que dans la mesure où M. Phocas a entendu contester devant la juridiction administrative le montant de l'indemnité d'expropriation qui lui a été accordée (...) au motif que le juge n'aurait pas tenu compte du droit qu'il estimait avoir à construire sur la parcelle en cause, de telles conclusions ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître; qu'il ne saurait non plus obtenir une indemnisation sur le fondement des dispositions de l'article L. 160 deuxième alinéa du code de l'urbanisme dès lors qu'en l'absence d'un permis de construire ou d'un accord préalable, il ne pouvait se prévaloir d'un droit acquis antérieur à l'établissement de la servitude dont a été frappé son terrain; Considérant, en second lieu, que si le projet de construction présenté par M. Phocas a fait l'objet de trois décisions successives de sursis, il ne ressort pas de l'instruction que ces décisions (...) aient été illégales; que l'intérêt public de l'opération d'aménagement projetée sur le terrain de M. Phocas ne saurait être sérieusement contesté; que, toutefois, M. Phocas avait obtenu le 12 décembre 1978 un permis de construire qui lui a été illégalement retiré ainsi qu'il a été décidé par jugement du tribunal de céans en date du 7 février 1980; qu'une telle irrégularité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat; Sur le préjudice: Considérant que M. Phocas ne saurait être indemnisé pour l'augmentation du coût de la construction alors même qu'il n'a jamais construit, ni pour la perte, purement éventuelle, des revenus qu'il escomptait tirer de la location des futurs logements, pas plus d'ailleurs que pour les frais qu'il a dû engager en raison de son implantation au marché d'intérêt national de Montpellier et qui sont sans lien avec la décision illégale; Considérant, toutefois, que M. Phocas a inutilement engagé des frais pour la constitution du dossier de permis qui lui a été illégalement retiré et notamment des honoraires d'architecte; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ces frais en les fixant, au cas de l'espèce, à la somme de 10 000 F; qu'il y a lieu dès lors de condamner l'Etat à payer à M. Phocas la somme de 10 000 F tous intérêts confondus à la date du présent jugement;" c) Devant le Conseil d'Etat Le 11 août 1986, M. Phocas saisit en appel le Conseil d'Etat. Il déposa un mémoire ampliatif qui fut enregistré le 10 décembre 1986. Il produit également un mémoire en réplique à des observations en défense du ministre de l'Equipement. Le Conseil d'Etat tint une audience le 11 mai 1990 et, le 25 mai 1990, confirma le jugement du 3 juin 1986 dans les termes ci-après: "(...) Considérant que la demande d'indemnité présentée par M. Phocas tend à obtenir réparation des préjudices qui lui auraient été causés par les décisions successives de l'administration en réponse à ses demandes de permis de construire déposées depuis 1965, en vue de l'extension et de l'élevation d'un immeuble lui appartenant, situé au carrefour de la route nationale 113 et du chemin départemental 21 à Castelnau-le-Lez; Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'opération projetée d'aménagement d'un carrefour en raison de laquelle ont été opposées à M. Phocas des décisions de refus présentait un intérêt public; que les décisions de sursis à statuer du 31 juillet 1965 et du 9 octobre 1969 ont été légalement prises sur le fondement de l'article 18 du décret (...) du 30 décembre 1958 alors en vigueur; Considérant, il est vrai, que M. Phocas avait obtenu le 12 décembre 1978 un permis de construire qui lui a été illégalement retiré; que si cette irrégularité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, M. Phocas n'apporte au soutien de ses conclusions aucun élément de fait permettant de retenir les préjudices écartés par le tribunal administratif comme purement éventuels et résultant du manque à gagner subi du fait de l'impossibilité où s'est trouvé le requérant de procéder aux travaux d'extension de son immeuble; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le tribunal administratif ait fait une inexacte appréciation des circonstances de l'affaire en fixant à 10 000 F le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat; (...)" La seconde procédure en réparation a) Devant le tribunal administratif de Montpellier Le 12 décembre 1990, le requérant introduisit devant le tribunal administratif de Montpellier une requête tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 2 998 000 FRF en réparation des pertes causées par les décisions administratives prises à son encontre en matière d'autorisation de construire et d'expropriation: les pertes du capital immobilier, du revenu immobilier et de ses intérêts; la perte du droit au bail; les pertes résultant du transfert du fonds de commerce. Le tribunal rejeta la requête le 4 novembre 1992, par les motifs suivants: "(...) Sur les demandes de condamnation dirigées contre l'Etat: Considérant que les conclusions (...) de M. Phocas ont notamment pour cause les décisions qu'il estime illégales portant sursis à statuer sur ses demandes de permis de construire ou portant refus de permis; qu'à cet égard, le tribunal, dans l'instance précédente (...) s'est déjà prononcé par un jugement du 3 juin 1986 confirmé par le Conseil d'Etat le 25 mai 1990, et a rejeté les demandes de réparation reposant sur les mêmes causes juridiques présentées au titre des préjudices de même nature que ceux allégués dans le présent recours (...) Considérant en conséquence que le préfet est fondé à soutenir que les présentes conclusions en tant qu'elles sont dirigées contre l'Etat à raison de décisions administratives prises par ses services se heurtent à l'autorité de la chose jugée et doivent en conséquence être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de la violation des articles 1 et 6 (art. 1, art. 6) de la Convention européenne des Droits de l'Homme; Sur les conclusions dirigées contre le département de l'Hérault: (...) Considérant (...) que M. Phocas fonde les conclusions susvisées dirigées contre le département précité sur la lenteur selon lui constitutive d'une faute mise par les services à instruire sa demande d'acquisition de sa propriété formulée le 27 mai 1970 et confirmée le 13 mai 1972; qu'à cet égard, il résulte des dispositions de l'article 28 du décret du 31 décembre 1958 que "le propriétaire d'un terrain réservé peut demander à la collectivité publique au profit de laquelle ce terrain a été réservé de procéder à l'acquisition dudit terrain avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter du jour de la demande. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé comme en matière d'expropriation, le terrain étant considéré comme ayant cessé d'être frappé de réserve. S'il n'a pas été procédé à l'acquisition dans ledit délai, le propriétaire reprend la libre disposition de son terrain"; que, par ailleurs, l'article 18 du code de l'urbanisme et de l'habitation, dans sa rédaction issue de la loi n° 67-1253 du 30 décembre 1967, précise que "le propriétaire d'un terrain réservé par un plan d'occupation des sols, pour une voie ou un ouvrage public, (...) peut, à compter du jour où le plan a été rendu public, (...), exiger de la collectivité (...) au bénéfice de laquelle ce terrain a été réservé qu'il soit procédé à l'acquisition dudit terrain dans un délai maximum de trois ans à compter du jour de la demande (...). A défaut d'accord amiable à l'expiration du délai mentionné (...) le juge de l'expropriation, saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain (...)"; qu'il appartenait ainsi à M. Phocas de prendre l'initiative de saisir le juge de l'expropriation dans les délais prévus après l'échec des tentatives amiables d'évaluation du prix d'acquisition de sa propriété qui a été constaté à l'issue de l'entretien du 24 janvier 1973; qu'il résulte des pièces du dossier que ce dernier n'a saisi le juge de l'expropriation que le 20 octobre 1975; que M. Phocas n'est donc pas fondé à soutenir que le département de l'Hérault aurait commis une faute en ne donnant pas suite, dans les meilleurs délais, à la demande d'acquisition de son terrain; que la loi ayant elle-même organisé par la procédure prévue aux articles précités l'indemnisation des propriétaires concernés par une réserve prévue au profit d'une collectivité publique, M. Phocas ne peut en tout cas pas réclamer au département de l'Hérault une indemnité sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Considérant, par ailleurs, qu'il n'est établi à l'encontre du département de l'Hérault, autorité expropriante, aucun fait révélateur d'un détournement de pouvoir ou susceptible de constituer une entrave au déroulement correct de la procédure d'expropriation engagée au mois d'avril 1980, laquelle a abouti à l'ordonnance d'expropriation du 22 avril 1981 et a donné lieu, au sens des articles 1er et 6 (art. 1, art. 6) de la Convention européenne des Droits de l'Homme, à la saisine du juge d'appel qui a augmenté l'indemnité d'expropriation fixée par le juge de l'expropriation; (...)" b) Devant la cour administrative d'appel de Bordeaux Le 6 janvier 1993, le requérant attaqua ce jugement devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Le 6 février 1995, il l'invita à surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Par un arrêt du 9 mars 1995, la cour administrative d'appel rejeta sa demande et le condamna à payer 3 000 FRF au département de l'Hérault au titre des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (frais exposés par le département et non compris dans les dépens). Elle se prononça en ces termes sur les conclusions dirigées contre le département: "Considérant qu'il résulte de l'instruction que le projet d'aménagement du carrefour de la RN 113 et du CD 21 à Castelnau-le-Lez a été retenu le 10 mai 1960 par le ministère des Transports; qu'à ce titre fut opposé le 1er mars 1965 un premier sursis à statuer à une demande de permis de construire déposée par M. Phocas; que le projet fut abandonné en 1970, puis repris par le département de l'Hérault en 1971, que par la suite deux autres sursis à statuer ainsi que des décisions de refus de permis de construire furent opposés au requérant en raison de l'emplacement réservé porté dans les divers documents d'urbanisme pour la réalisation de l'aménagement du carrefour; que M. Phocas a demandé dès le 27 mai 1970 l'achat de sa propriété, demande confirmée le 13 mai 1972, le 2 juin 1973 et le 7 novembre 1974; que s'il a lui-même tardé à saisir le juge de l'expropriation en application des dispositions de l'article 28 du décret du 21 décembre 1958, suite au défaut d'accord amiable sur un prix de cession, il n'en reste pas moins que l'expropriation n'est finalement intervenue que le 2 mars 1981, que si un tel délai est par lui-même susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité publique expropriante sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, en tout état de cause, il appartient au requérant de justifier de l'existence d'un préjudice anormal et spécial; Considérant à cet égard que M. Phocas ne saurait être indemnisé pour le coût d'une construction qui n'a jamais été réalisée; que s'agissant de la perte des revenus qu'il escomptait tirer de la location des futurs logements, M. Phocas n'apporte au soutien de sa demande chiffrée aucun élément de fait tenant en particulier à l'état d'avancement du projet d'extension et à ses moyens de financement, qui permettrait d'établir le caractère certain et direct du préjudice; Considérant qu'il n'apparaît pas, enfin, que les frais que M. Phocas a dû engager en raison du transfert de son activité commerciale dès 1962 au marché d'intérêt national de Montpellier aient un lien direct avec la procédure d'expropriation, laquelle à cette dernière date n'avait pas été entamée; que, dans ces conditions, M. Phocas qui n'a à aucun moment été privé de la jouissance de son immeuble au cours de la phase administrative de l'expropriation ne justifie pas d'un préjudice anormal et spécial susceptible de lui ouvrir droit à réparation; (...)" II. Le droit interne pertinent On trouvera ci-après les principales règles relatives aux plans d'urbanisme directeurs et aux plans d'occupation des sols, et applicables en l'espèce. A. Plans d'urbanisme directeurs Les plans d'urbanisme étaient régis par le décret n° 58-146 du 31 décembre 1958, dont les dispositions pertinentes en l'espèce sont les suivantes: "Article 1er Le plan directeur d'urbanisme trace le cadre général de l'aménagement et en fixe les éléments essentiels. (...) Les plans d'urbanisme directeurs (...) s'appliquent soit à des communes, soit à des parties de communes, soit à des ensembles de communes ou de parties de communes que réunissent des intérêts communs. (...) Chapitre I - Objet des plans d'urbanisme Article 2 Le plan d'urbanisme directeur comporte: d'une part, La répartition du sol en zones suivant leur affectation; Le tracé des principales voies de grande circulation à conserver, à modifier ou à créer avec leur largeur et leurs caractéristiques; Les emplacements réservés aux principales installations d'intérêt général et aux espaces libres; (...) d'autre part, (Décret n° 62-460 du 13 avril 1962) "Un règlement qui fixe les règles et servitudes relatives à l'utilisation du sol justifiées par le caractère de la région ou de l'agglomération ou les nécessités générales ou locales, ainsi que par les nécessités de la protection civile ou du fonctionnement des services publics." Ces servitudes peuvent, le cas échéant, comporter l'interdiction de construire. (...) Chapitre II - Etablissement des plans d'urbanisme (...) Article 8 La liste des ensembles de communes, des communes ou des parties de communes dans lesquels l'établissement de plans d'urbanisme a été prescrit est établie, dans chaque département, par arrêté du préfet. Cette liste (...) [est publiée] au recueil des actes administratifs du département. (...) Section I - Plans d'urbanisme directeurs Article 10 Le plan d'urbanisme directeur est, après consultation des collectivités intéressées, soumis à une conférence entre services intéressés. Il est ensuite rendu public soit par décision du préfet lorsque les services intéressés ont fait connaître leur accord, soit par décision du ministre de la construction dans les autres cas. (...) Article 12 Le plan d'urbanisme est soumis à une enquête publique dans les formes prévues en matière d'expropriation. (...) Article 13 L'approbation des plans d'urbanisme est prononcée: Par le préfet, lorsque le plan d'urbanisme intéresse une commune ou un ensemble de communes comptant moins de 50 000 habitants et qu'en outre les conclusions du rapport d'enquête, les avis des services intéressés et des collectivités publiques ne sont pas défavorables; (...) Section II - Plans d'urbanisme de détail (...) Section III - Plans sommaires d'urbanisme (...) Chapitre III - Mesures de sauvegarde et d'exécution Section I - Mesures de sauvegarde antérieures à l'approbation des plans d'urbanisme Article 17 Les mesures de sauvegarde prévues à la présente section sont applicables pour les plans d'urbanisme directeurs à partir de la publication visée à l'article 8 ci-dessus jusqu'à la publication des actes d'approbation de ces plans. (...) Article 18 (...) Dans le cas où une construction est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du plan d'urbanisme, le préfet, par un arrêté motivé, notifié au pétitionnaire et au maire dans les délais et dans les conditions prévus à l'article 87 du code de l'urbanisme et de l'habitation, peut décider qu'il sera sursis à statuer sur la demande [de permis de construire]. (...) Article 23 (...) A dater de la décision par laquelle le plan d'urbanisme directeur a été rendu public, par application de l'article 10 précédent, les décisions de sursis ne peuvent être motivées que par des dispositions inscrites au plan. Les décisions de sursis peuvent dans les deux mois de leur notification être déférées au ministre de la construction qui peut, soit confirmer le sursis, soit accorder l'autorisation demandée. Article 24 En aucun cas, le sursis à statuer ne peut excéder deux ans. A l'issue de ce délai, une décision définitive doit, sur simple réquisition de l'intéressé par lettre recommandée, être prise par l'autorité chargée de la délivrance de l'autorisation dans les formes et délais requis en la matière. L'autorisation ne peut être refusée pour des motifs tirés des prévisions du plan d'urbanisme non encore approuvé, à moins que celui-ci ait été rendu public et comporte des dispositions qui s'opposent expressément à la réalisation du projet envisagé. (...) Section II - Mesures d'exécution des plans d'urbanisme Article 26 Aucun travail public ou privé à entreprendre dans le périmètre auquel s'applique le plan d'urbanisme ne peut être réalisé que s'il est compatible avec ce plan. (...) Article 27 (...) Dans le cas où une construction doit être édifiée sur un emplacement réservé, par un plan d'urbanisme approuvé, pour une voie, un espace libre ou un service public, le permis de construire est refusé. Article 28 Le propriétaire d'un terrain réservé peut demander à la collectivité ou à l'établissement public au profit duquel ce terrain a été réservé de procéder à l'acquisition dudit terrain avant l'expiration d'un délai de trois ans à compter du jour de la demande. A défaut d'accord amiable, le prix est fixé comme en matière d'expropriation, le terrain étant considéré comme ayant cessé d'être frappé de la réserve. S'il n'a pas été procédé à l'acquisition dans ledit délai, le propriétaire reprend la libre disposition de son terrain. (...)" B. Plans d'occupation des sols Les plans d'urbanisme directeurs ont été progressivement remplacés, en vertu de la loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967, par les plans d'occupation des sols (POS). Ces derniers contiennent au minimum un plan de zonage et les règles de localisation des constructions et peuvent en outre, notamment, fixer les emplacements réservés aux voies et ouvrages publics et aux installations d'intérêt général (voir en particulier les articles L. 123-1, et L. 124-1 - dispositions transitoires -, du code de l'urbanisme). Lorsque l'établissement d'un POS est prescrit, l'autorité compétente peut, par une décision motivée et pour un délai n'excédant pas deux ans, décider de surseoir à statuer sur les demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan (article L. 123-5 du code de l'urbanisme). A l'expiration du délai de validité du sursis à statuer, si l'intéressé confirme dans les deux mois sa demande, l'autorité compétente chargée de la délivrance de l'autorisation doit prendre une décision définitive dans le délai de deux mois suivant ladite confirmation. A défaut de notification de la décision dans ce dernier délai, l'autorisation est considérée comme accordée dans les termes où elle avait été demandée (article L. 111-8, quatrième alinéa, du code de l'urbanisme). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Devant la Commission, qu'il avait saisie le 19 novembre 1990, M. Phocas se plaignait d'une atteinte à son droit de propriété (article 1 du Protocole n° 1) (P1-1) ainsi que de la lenteur des procédures devant les juridictions administratives françaises (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1). La Commission a retenu la requête (n° 17869/91) le 29 novembre 1993. Dans son rapport du 4 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) et qu'il ne s'impose pas d'examiner le grief tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions, 1996) mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le requérant sollicite "la sanction de l'Etat français et sa condamnation à des dommages et intérêts". De son côté, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE A. Le contexte Né en 1945 au Maroc, M. Salah Ahmut a acquis la nationalité néerlandaise le 22 février 1990 tout en conservant sa nationalité marocaine d’origine. Il réside actuellement à Rotterdam, aux Pays-Bas, où il est commerçant. Souffiane (ou Soufiane) Ahmut est le fils de Salah Ahmut. Né le 27 novembre 1980 au Maroc, il a la nationalité marocaine. Il réside actuellement à Tanger. Salah Ahmut épousa en 1967 une certaine Mme F.A. Cinq enfants naquirent de leur union: Hamid (le 6 février 1969), Fouad (le 2 juin 1970), Chaouki Dayaf (le 24 juin 1971), Souad (le 28 juillet 1972) et Souffiane. D’après les requérants, ledit mariage fut dissous en 1984. Toutefois, cette déclaration n’est corroborée par aucune preuve documentaire. En tout état de cause, les enfants restèrent avec leur mère après le départ de Salah Ahmut pour les Pays-Bas. Salah Ahmut émigra aux Pays-Bas en septembre 1986. En novembre 1986, il épousa une ressortissante néerlandaise, Mme K.A., qui avait déjà trois enfants d’un mariage antérieur. Aucun enfant n’est issu de leur union. Le dossier de la Commission comporte une traduction anglaise, établie par une personne assermentée, d’un certificat de décès de Mme F.A. dont il ressort que l’intéressée est décédée des suites d’un accident de la route survenu le 27 mars 1987. Il contient aussi une traduction française, établie par une personne assermentée, d’un acte notarié, daté du 8 mars 1991 et contresigné par un juge, d’après lequel Hamid, Fouad, Chaouki Dayaf, Souad et Souffiane sont effectivement issus du mariage de Salah Ahmut et de Mme F.A., et que Salah Ahmut est leur tuteur légal au regard du droit musulman et marocain. Après le décès de leur mère, les enfants furent pris en charge par la mère de Salah Ahmut, Mme C.A.M. Le fils aîné de Salah Ahmut, Hamid, entra aux Pays-Bas sans autorisation de séjour provisoire (machtiging tot voorlopig verblijf - paragraphe 42 ci-dessous) en 1987. Il en fut expulsé en 1989 après s’être vu refuser un permis de séjour (vergunning tot verblijf -paragraphe 44 cidessous). Il réside depuis lors au Maroc où il est commerçant. Le dossier de la Commission comporte un document en français émanant d’une banque de Tanger et dont il ressort que, d’avril 1986 à octobre 1990, Mme C.A.M. a reçu un soutien financier d’un montant de 80 000 dirhams marocains par an. Bien que ces sommes lui aient été versées sur un compte ouvert auprès d’une banque de Tanger au nom d’une personne ayant le même nom de famille que la deuxième épouse de M. Salah Ahmut, il n’est pas contesté que l’argent provenait de M. Salah Ahmut. Toutefois, celui-ci ne sollicita jamais, auprès de l’Etat néerlandais, d’allocations familiales (kinderbijslag) pour Souffiane. Salah Ahmut et sa seconde épouse, Mme K.A., se séparèrent en février 1990. A la suite de la procédure de divorce, leur mariage fut dissous le 21 décembre de la même année. Le 11 mars 1991, Salah Ahmut épousa aux Pays-Bas une certaine Mme S.Y., de nationalité marocaine. Celle-ci résidait aux Pays-Bas depuis le 9 décembre 1990. On lui accorda, le 12 mars 1991, un permis de séjour afin de lui permettre d’habiter avec son mari. Les second et troisième fils de Salah Ahmut, Fouad et Chaouki Dayaf, entrèrent aux Pays-Bas en 1989 et 1990 respectivement. En octobre 1990, on leur accorda des permis de séjour afin de leur permettre de se préparer aux examens d’entrée à l’université technique de Delft. Le dossier de la Commission comporte un document en français qui serait une traduction, établie par une personne assermentée, d’une déclaration d’un médecin de Tanger datée du 7 novembre 1990 et d’après laquelle, à cette date, Mme C.A.M., qui était alors âgée de quatre-vingts ans, souffrait de problèmes respiratoires et d’insuffisance rénale et était soignée comme patiente ambulatoire. Les requérants affirment qu’entre le 28 septembre 1986 (date à laquelle Salah Ahmut émigra aux Pays-Bas - paragraphe 10 ci-dessus) et le 26 mars 1990 (date d’arrivée de Souffiane aux Pays-Bas - paragraphe 19 cidessous), Souffiane se rendit à quatre reprises aux Pays-Bas, chaque fois pour une période d’un mois. B. Evénements postérieurs à l’arrivée de Souffiane aux Pays-Bas Souffiane arriva aux Pays-Bas le 26 mars 1990, en compagnie de sa soeur Souad. Ni l’un ni l’autre n’étaient en possession d’une autorisation de séjour provisoire. Souffiane fut inscrit dans une école primaire de Rotterdam, qu’il fréquenta jusqu’à son retour définitif au Maroc en septembre 1991 (paragraphe 32 ci-dessous). Le 3 mai 1990, Salah Ahmut, Souad et Souffiane comparurent devant le fonctionnaire de police d’Amsterdam chargé des questions relatives aux étrangers. En tant que représentant légal de Souffiane, M. Salah Ahmut sollicita auprès de la police de Rotterdam un permis de séjour pour Souffiane. Souad introduisit une requête analogue pour elle-même. Le but déclaré des deux demandes était de permettre à Souad et Souffiane d’habiter avec leur père qui, à cette époque, avait obtenu la nationalité néerlandaise (paragraphe 7 ci-dessus). Le même jour, la police de Rotterdam transmit les requêtes au secrétaire d’Etat à la Justice (Staatssecretaris van Justitie) avec une note d’accompagnement. D’après la police, ni le décès de Mme F.A. ni son divorce d’avec Salah Ahmut n’avaient été prouvés au moyen de preuves documentaires. En outre, Salah Ahmut ne pouvait démontrer qu’il était le tuteur légal des enfants. Aussi la police recommandait-elle au secrétaire d’Etat de rejeter comme irrecevable la demande introduite au nom de Souffiane. Elle préconisait aussi le rejet de la demande de Souad pour des raisons de fond, à savoir que l’intéressée ne faisait plus partie de la famille de Salah Ahmut depuis 1986, qu’elle ne recevait apparemment aucune aide financière de son père et qu’il y avait d’autres parents susceptibles de s’occuper d’elle au Maroc. Le 26 juin 1990, le secrétaire d’Etat rendit des décisions motivées rejetant les demandes pour des raisons de fond. Il estima que les liens familiaux réels entre Salah Ahmut, d’une part, et Souad et Souffiane, de l’autre, avaient été rompus plusieurs années auparavant, qu’il n’avait pas été établi que Salah Ahmut assumât une responsabilité morale ou financière pour Souad et Souffiane, et qu’il n’avait pas été démontré que la grand-mère ou d’autres parents de ces derniers ne fussent pas en mesure de s’occuper d’eux. Il précisa que sa décision ne constituait pas une violation de la vie familiale des requérants au sens de l’article 8 de la Convention (art. 8): dans la mesure où pareille vie familiale existait, l’adhésion à une politique restrictive en matière d’immigration était nécessaire, dans une société démocratique, au bien-être économique du pays. Dans la même décision, il ordonna l’expulsion de Souad et Souffiane. Le 13 novembre 1990, Salah Ahmut, Souad et Souffiane saisirent le secrétaire d’Etat de demandes de révision (herziening) de sa décision, se réservant le droit d’énoncer à un stade ultérieur leurs motifs pour ce faire. Le 4 janvier 1991, le secrétaire d’Etat accusa réception de ces demandes et décida de leur conférer effet suspensif en ce qui concerne l’expulsion de Souad et de Souffiane (paragraphe 53 ci-dessous). Le 18 janvier, Salah Ahmut, Souad et Souffiane déposèrent des mémoires énonçant les motifs sous-tendant leurs demandes de révision. D’après eux, le secrétaire d’Etat n’avait pas correctement établi les faits; à l’appui de leur position ils produisaient des copies des documents mentionnés aux paragraphes 14 et 17 ci-dessus. Ils faisaient également observer que deux des frères de Souad et Souffiane, Fouad et Chaouki Dayaf, se trouvaient aux Pays-Bas pour y étudier et soumettaient des déclarations émanant de l’université technique de Delft d’après lesquelles les intéressés avaient sollicité leur admission dans cette université. Le secrétaire d’Etat saisit la Commission consultative des étrangers (Adviescomissie voor vreemdelingenzaken - paragraphe 54 ci-dessous) pour avis le 31 janvier 1991. Le secrétaire d’Etat n’ayant pas statué dans un délai de trois mois, Salah Ahmut, Souad et Souffiane, agissant sur la base d’une présomption légale selon laquelle leurs demandes avaient été rejetées, formèrent un recours devant le Conseil d’Etat (Raad van State) le 6 mars 1991. Ils le fondaient sur les motifs énoncés à l’appui de leurs demandes de révision, auxquelles le secrétaire d’Etat n’avait pas répondu. Au vu de ce recours, le secrétaire d’Etat s’abstint de donner suite aux demandes de révision de sa décision initiale, tout en ne retirant pas sa demande d’avis adressée à la Commission consultative. La Commission consultative des étrangers tint, le 20 mars 1991, une audience au cours de laquelle tant Salah Ahmut - en sa qualité de représentant légal de Souffiane - que Souad furent entendus. Il s’en dégagea notamment que Salah Ahmut avait deux frères habitant au Maroc et que Souad se trouvait enceinte des oeuvres d’un commerçant qui, bien que vivant au Maroc, se rendait fréquemment aux Pays-Bas. La Commission consultative soumit son avis au secrétaire d’Etat dans un document daté du même jour. N’estimant pas établi que Salah Ahmut eût divorcé d’avec Mme F.A., elle conclut que Souad et Souffiane n’avaient jamais appartenu à la famille que Salah Ahmut avait établie aux Pays-Bas avec Mme K.A. Vu son âge, Souad n’avait plus besoin qu’on s’occupe d’elle et pouvait, en cas de nécessité, prendre soin de Souffiane. Dans la mesure où Souad et Souffiane auraient besoin d’une assistance complémentaire, celle-ci pourrait leur être fournie, sinon par la mère de Salah Ahmut, du moins par Hamid ou par leurs deux oncles. Salah Ahmut pourrait, au besoin, continuer à fournir une aide financière à partir des PaysBas. D’après la Commission consultative, une décision de rejet des demandes de permis de séjour ne violerait pas l’article 8 de la Convention (art. 8). Même si le lien entre Salah Ahmut, d’une part, et Souad et Souffiane, de l’autre, s’analysait en une "vie familiale", il n’y aurait pas "ingérence" dans celle-ci puisqu’elle pourrait continuer comme avant. De plus, une "ingérence", quelle qu’elle fût, pourrait être jugée "nécessaire, dans une société démocratique," au bien-être économique du pays. Le 19 avril 1991, le secrétaire d’Etat fit savoir à la police de Rotterdam que Salah Ahmut, Souad et Souffiane avaient saisi le Conseil d’Etat d’un recours dont ils seraient autorisés à attendre l’issue aux PaysBas. Le secrétaire d’Etat déposa, le 1er octobre 1991, un mémoire en réponse devant la chambre à juge unique du Conseil d’Etat. Ses arguments correspondaient aux motifs sur lesquels la Commission consultative avait fondé son avis (paragraphe 28 ci-dessus). A la suite d’une audience tenue le 10 août 1992, la chambre à juge unique du Conseil d’Etat rejeta les recours par une décision verbale du 24 août. Les motifs sous-tendant sa décision étaient essentiellement les mêmes que ceux avancés par le secrétaire d’Etat. La chambre notait de surcroît qu’il ne pesait pas sur les Pays-Bas une obligation positive d’accorder à Souad ou Souffiane un permis de séjour, dès lors que les intérêts de ces derniers devaient être mis en balance avec l’intérêt général servi par la mise en oeuvre d’une politique restrictive en matière d’immigration. Ses motifs comportaient le passage suivant: "[La décision de ne pas admettre Souffiane] ne viole pas l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. On ne peut dire qu’il y ait atteinte à la vie familiale [familie- of gezinsleven], puisque Souffiane n’est pas privé du titre de séjour [verblijfstitel] qui lui permettait formellement de poursuivre sa vie de famille avec l’appelant, son père. On ne peut davantage inférer de l’article 8 (art. 8) une obligation positive qui aurait pesé sur le défendeur de lui accorder un droit de séjour, car les circonstances, ci-dessus décrites, le cas de Souffiane doivent être mises en balance avec l’intérêt général qu’il incombe au défendeur de préserver, qui exige le maintien d’une politique d’immigration restrictive." Souffiane quitta les Pays-Bas le 30 septembre 1991. A compter de cette date, son nom fut rayé du registre de la population (bevolkingsregister) de la commune de Rotterdam. Depuis lors, il est interne dans une école au Maroc. D’après les requérants, il rend souvent visite à son père aux Pays-Bas et ce dernier lui a rendu visite au Maroc. Déposée le 23 février 1993, la requête introductive d’instance devant la Commission indique Tanger comme lieu de résidence de Souffiane et Souad à cette date. D’autres membres de la famille Ahmut vivent à l’heure actuelle au Maroc: le fils aîné de Salah Ahmut, Hamid, et deux des frères de Salah Ahmut. On ignore si la mère de celui-ci est toujours en vie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Généralités Les paragraphes qui suivent constituent une description du régime d’admission des étrangers sur le territoire néerlandais qui s’appliquait, à l’époque des événements incriminés, aux étrangers en général. Des règles contraignantes se trouvaient et se trouvent toujours inscrites dans la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet), l’arrêté relatif aux étrangers (Vreemdelingenbesluit) et l’instruction relative aux étrangers (Voorschrift Vreemdelingen). Jusqu’au 1er janvier 1994, la politique du gouvernement se trouvait définie dans la circulaire de 1982 relative aux étrangers (Vreemdelingencirculaire 1982) et dans la circulaire de 1984 relative à la surveillance des frontières (Grensbewakingscirculaire). D’après une jurisprudence constante des tribunaux compétents, il était incompatible avec les principes généraux de bonne administration (algemene beginselen van behoorlijk bestuur) de s’écarter au détriment d’un étranger des règles de conduite énoncées dans ces documents. Des régimes spéciaux, non pertinents pour la présente espèce, s’appliquaient aux citoyens de l’Union européenne ou des Etats membres du Benelux, à ceux de certains autres Etats (parmi lesquels ne figurait pas le Maroc) en vertu de traités bilatéraux, et aux réfugiés tels qu’ils étaient définis à l’article 1 A de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Recueil des Traités des Nations unies - RTNU - no 2545, vol. 198, pp. 137 et suiv.) et à l’article 1 du Protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés (RTNU no 8791, vol. 606, pp. 267 et suiv.). Aux termes de l’article 6 par. 1 de la loi sur les étrangers, pour être autorisé à pénétrer sur le territoire néerlandais, un étranger devait satisfaire aux conditions d’admission - c’est-à-dire soit remplir les exigences de l’article 8 de la loi sur les étrangers (paragraphe 40 cidessous), soit être en possession d’un permis de séjour ou d’établissement (paragraphes 44 et 49 ci-dessous) - et être titulaire d’un passeport ou d’une pièce d’identité équivalente valides contenant un visa quand pareil visa était exigé (paragraphes 41 et 42 ci-dessous). Un étranger auquel on avait refusé l’accès au territoire néerlandais devait quitter le pays aussitôt que possible (article 7 de la loi sur les étrangers). Un étranger qui s’était vu accorder l’accès, mais ne remplissait pas ou plus les conditions d’admission, pouvait être expulsé (article 22 de la loi sur les étrangers). B. Exigences en matière de visa En vertu de l’article 8 de la loi sur les étrangers, combiné avec l’article 46 de l’arrêté relatif aux étrangers, les étrangers qui, au moment de pénétrer sur le territoire, avaient satisfait aux formalités relatives au franchissement de la frontière, étaient admis si et aussi longtemps qu’ils se conformaient à la loi sur les étrangers et à ses normes d’application, s’ils disposaient des moyens nécessaires pour couvrir les frais relatifs à leur subsistance aux PaysBas et à leur voyage de retour et s’ils ne représentaient pas une menace pour la paix ou l’ordre publics ou la sécurité nationale. Le droit d’admission tiré de l’article 8 était un droit temporaire fondé directement sur la loi et n’était donc pas tributaire de l’octroi d’un quelconque permis. Toutefois, un visa était en principe requis (paragraphe 41 ci-dessous) et la durée du droit était limitée: à la période de validité du visa, ou à trois mois dans le cas des étrangers non soumis aux conditions de visa. Sous réserve de certaines exceptions non pertinentes en l’espèce, les étrangers devaient, pour pouvoir entrer aux Pays-Bas, être en possession d’un passeport valide contenant un visa de transit (transitvisum), valable pour une durée maximale de trois jours, ou d’un visa de voyage (reisvisum), valable pour une période maximale de trois mois (article 41 par. 1 de l’arrêté relatif aux étrangers). Pour pouvoir entrer aux Pays-Bas en vue d’y demeurer plus de trois mois, les étrangers qui n’avaient pas déjà obtenu un permis de séjour devaient être en possession d’un passeport valide contenant une autorisation de séjour provisoire (article 41 par. 1 de l’arrêté relatif aux étrangers). Pareille autorisation était valable pour une période maximale de six mois (article 8 de la loi sur les étrangers). Une autorisation de séjour provisoire pouvait être demandée à l’étranger, par l’intermédiaire d’un représentant consulaire ou diplomatique, ou aux Pays-Bas, par l’intermédiaire du chef de la police locale. C’est le ministre des Affaires étrangères qui statuait sur les demandes (article 1 de l’arrêté relatif aux étrangers et article 7 de l’arrêté du Souverain (Souverein Besluit) du 12 décembre 1813), après consultation du ministre de la Justice (Minister van Justitie). Il les examinait selon les mêmes critères que ceux applicables aux demandes de permis de séjour, dès lors que pareille autorisation de séjour n’était accordée que si l’on présumait que l’étranger concerné obtiendrait un permis de séjour. C. Le permis de séjour Les étrangers désireux de séjourner aux Pays-Bas pour une période supérieure à trois mois (paragraphe 40 ci-dessus) devaient être en possession d’un permis de séjour (article 9 de la loi sur les étrangers). Semblable permis devait être sollicité auprès du ministre de la Justice (article 11 par. 1 de la loi sur les étrangers), compétent pour les accorder. Il était valable pour une période maximale d’un an et renouvelable (article 24 de l’instruction relative aux étrangers). Un permis de séjour pouvait être sollicité soit aux Pays-Bas (par l’intermédiaire du chef de la police locale - article 52 de l’arrêté relatif aux étrangers), soit à l’étranger (par l’intermédiaire d’un représentant diplomatique ou consulaire). La demande devait être soumise par l’étranger lui-même ou, s’il était mineur, par son représentant légal (article 28 par. 4 de l’instruction relative aux étrangers). L’octroi d’un permis de séjour était délégué par le ministre de la Justice au chef de la police locale dans certains cas, notamment lorsque l’étranger demandeur était déjà titulaire d’une autorisation de séjour provisoire. En principe, un permis de séjour n’était pas accordé à un étranger non déjà titulaire d’une autorisation de séjour provisoire (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre A4, par. 3.3). Le permis de séjour pouvait être soumis à des restrictions (article 11 par. 2 de la loi sur les étrangers). L’étranger titulaire d’un permis de séjour valide était autorisé à réintégrer le territoire néerlandais après l’avoir quitté. D. Le permis d’établissement Le ministre de la Justice était habilité à accorder un permis d’établissement (vergunning tot vestiging - article 13 de la loi sur les étrangers) ; semblable permis n’était normalement octroyé qu’après que l’étranger avait été légalement résident aux Pays-Bas pendant cinq années consécutives. Après cette période initiale, un permis d’établissement pouvait être accordé, sauf s’il n’y avait aucune certitude raisonnable que l’étranger serait en mesure d’assumer ses frais de subsistance ou s’il avait commis des infractions graves à la paix ou à l’ordre publics, ou s’il représentait une menace grave pour la sécurité nationale. E. Politique pertinente Eu égard à la situation prévalant aux Pays-Bas en ce qui concerne l’ampleur de la population et l’emploi, la politique du gouvernement tendait, et tend toujours, à restreindre le nombre des étrangers admis aux Pays-Bas. En général, ceux-ci n’admettaient des étrangers à séjourner sur leur territoire que si: a) ils y étaient tenus en vertu du droit international comme dans le cas des citoyens de l’Union européenne et des Etats membres du Benelux et des réfugiés couverts par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés; b) cela servait "des intérêts essentiels des Pays-Bas" (wezenlijk Nederlands belang), tels des intérêts économiques ou culturels; c) cela était justifié par des "raisons impérieuses d’ordre humanitaire". En outre, les étrangers qui, au regard de cette politique, remplissaient les conditions d’admission, étaient en principe présumés disposer des moyens suffisants pour couvrir leurs frais de subsistance et ne pas menacer la paix ou l’ordre publics ou la sécurité nationale. Il s’agissait là de règles générales qui ne s’appliquaient pas de la même manière à toutes les catégories d’étrangers, des critères particuliers ayant été déclarés applicables à des catégories déterminées (chapitre A4, par. 5.1.1.1, de la circulaire de 1982 sur les étrangers). Des critères particuliers s’appliquaient à l’admission d’étrangers dans le cadre du regroupement ou de l’établissement de familles comprenant les conjoints, les partenaires ou les proches parents de ressortissants néerlandais ou d’étrangers titulaires d’un permis de séjour ou d’un permis d’établissement. D’après ces critères, il était possible d’accorder l’admission aux fins de regroupement ou d’établissement d’une famille, même si les conditions applicables ne se trouvaient pas toutes remplies, en cas de "raisons impérieuses d’ordre humanitaire" (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre B19, par. 1.1). La politique gouvernementale relative à l’admission des étrangers aux fins de leur permettre de maintenir ou d’établir une vie familiale aux Pays-Bas (gezinshereniging) était définie au chapitre B19 de la circulaire. Ce chapitre contenait une référence explicite à l’article 8 de la Convention (art. 8). Il y était dit, au paragraphe 1.2, que le refus d’un permis de séjour ne s’analysait pas en une "ingérence" dans le droit à la vie familiale si le parent avec lequel l’étranger souhaitait maintenir ou établir une vie familiale pouvait raisonnablement être supposé suivre l’étranger dans un endroit situé en dehors des Pays-Bas. Il pouvait toutefois peser sur les autorités néerlandaises une obligation positive d’accorder un permis de séjour. Pour déterminer si tel était le cas, les intérêts de l’Etat à refuser pareil permis devaient être mis en balance avec les intérêts de l’individu, et il fallait prendre en considération l’âge des personnes concernées, leur situation dans leur pays d’origine, leur degré de dépendance par rapport à des parents aux Pays-Bas et, le cas échéant, la nationalité néerlandaise des personnes concernées. Si un permis de séjour était refusé après un examen du respect des exigences de l’article 8 (art. 8), ce fait devait être mentionné dans la décision. Les enfants mineurs - la minorité étant déterminée d’après le droit néerlandais (chapitre B19, par. 2.1.2.1) - qui "appartenaient de fait à la famille" (feitelijk behoren tot het gezin), tels les enfants d’un mariage précédent d’une personne légalement résidente aux Pays-Bas, se voyaient accorder un permis de séjour (chapitre B19, par. 2.1.2). F. Voies de recours Jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, de la loi générale sur le droit administratif, l’étranger qui s’était vu refuser un permis de séjour pouvait saisir le ministre de la Justice d’une demande écrite de révision de sa décision (article 29 par. 1 de la loi sur les étrangers). A défaut de décision dans les six mois, la requête était réputée rejetée (article 29 par. 2). Pareille demande de révision ne suspendait pas l’expulsion de l’étranger, à moins qu’elle n’eût été introduite plus d’un mois avant l’expiration de la période pour laquelle l’étranger avait été autorisé à demeurer aux Pays-Bas (article 32 par. 2). Le ministre avait toutefois la faculté de conférer "un effet suspensif" à la demande. L’avis de la Commission consultative des étrangers devait être recueilli en cas d’introduction d’une demande de révision d’une décision d’expulsion d’un étranger qui, pendant trois mois ou plus, avait eu aux PaysBas son lieu de résidence principal, et qui avait accompli les formalités requises par la loi sur les étrangers (article 31 par. 1 c) combiné avec l’article 29 par. 1 g) de la loi sur les étrangers). Il pouvait être interjeté appel d’une décision de rejet - explicite ou implicite - du ministre devant la section juridictionnelle du Conseil d’Etat (article 34 par. 1 de la loi sur les étrangers). En revanche, le président de ladite section ne pouvait être saisi d’une demande de mesure provisoire, ou d’accélération de la procédure (article 34 par. 3). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Salah Ahmut, Souad et Souffiane ont saisi la Commission le 23 février 1993. Invoquant l’article 8 de la Convention (art. 8), ils voyaient dans le refus, par les autorités néerlandaises, d’accorder à Souad et Souffiane des permis de séjour leur permettant de vivre auprès de leur père, une violation de leur droit au respect de leur vie familiale. Le 12 octobre 1994, la Commission a déclaré la requête (no 21702/93) recevable dans la mesure où elle concernait Salah Ahmut et Souffiane et irrecevable dans la mesure où elle concernait Souad. Dans son rapport du 17 mai 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par neuf voix contre quatre, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Les requérants concluent leur mémoire en exprimant l’opinion que la Commission a "jugé à bon droit qu’il y avait eu violation de l’article 8 (art. 8)". Le Gouvernement conclut à l’absence d’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie familiale; à titre subsidiaire, qu’il ne pesait sur lui aucune obligation positive d’accorder à Souffiane l’autorisation de demeurer aux Pays-Bas; à titre plus subsidiaire encore, que toute ingérence pouvant être constatée par la Cour était justifiée au regard de l’article 8 par. 2 (art. 8-2).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE A. Introduction Francine Nsona et Bata Nsona sont deux ressortissantes zaïroises. La seconde est née le 26 septembre 1960, la première le 15 mars 1984. A l’époque des événements incriminés, Bata Nsona vivait à Vlaardingen (à côté de Rotterdam) avec son fils, qui, d’après le passeport de sa mère, était né dans cette localité en mars 1992. L’intéressée a déménagé depuis à Rotterdam. Elle était arrivée aux Pays-Bas en juin 1989, et y avait demandé le statut de réfugiée. Les autorités néerlandaises ne le lui avaient pas accordé, mais lui avaient finalement délivré, le 17 novembre 1992, un permis de séjour (vergunning tot verblijf; paragraphe 58 ci-dessous) pour "raisons impérieuses d’ordre humanitaire" (klemmende redenen van humanitaire aard). Ce permis valait aussi pour son fils. B. Les liens familiaux allégués unissant Francine à Bata Nsona et à d’autres personnes Un certificat de naissance émis par le commissaire de zone et officier de l’état civil de la zone de Kalamu à Kinshasa indique que Francine est née le 15 mars 1984 de M. Mbemba (sans indication de prénom) et de Mme Ndombe Nsona. Les comparants admettent tous que les parents de Francine sont décédés. Bien que la date n’en ait pas été communiquée à la Cour, le décès du père semble être intervenu quelque temps avant les événements incriminés. Le Gouvernement croit que la mère de Francine est décédée à Brazzaville, au Congo, au printemps de 1993. Toutefois, aucun certificat de décès ne fut produit, ni devant la Commission, ni devant la Cour, ni, apparemment, devant les autorités judiciaires ou administratives néerlandaises. Les requérantes prétendent que Bata Nsona est la soeur de la mère de Francine. Lorsque les services de l’immigration l’interrogèrent à propos de sa demande de statut de réfugiée, en septembre 1989, Bata Nsona déclara qu’elle avait une soeur appelée Ndombe Nsona qui était âgée d’environ vingt-cinq ans. Le dossier de la Commission contient une photocopie d’une note dans laquelle, d’après les requérantes, la mère de Francine demande à Bata Nsona de s’occuper de l’enfant. Ecrite à la main en lingala sur une feuille apparemment arrachée d’un cahier d’école, cette note est intitulée Testament. Elle est ainsi libellée: "Moi, NSONA NDOMBE, Si aujourd’hui je meurs, veuillez confier ma fille du nom de NSONA FRANCINE dans les mains de ma petite soeur qui s’appelle NSONA BATA. Merci. Brazzaville, le 24.09.92." On ne sait pas avec certitude si, hormis ses liens allégués avec Bata Nsona, Francine a d’autres parents en vie. D’après les informations obtenues par le Gouvernement, avant son voyage aux Pays-Bas (paragraphe 14 ci-dessous) Francine habitait chez M. Albert Mbemba et Mme Célestine Bakangadio, à Kinshasa. Mme Bakangadio serait la soeur d’un partenaire commercial du père de Francine qui aurait veillé sur la fillette après le décès de sa mère et l’aurait par la suite confiée à Mme Bakangadio et sa famille. Le Gouvernement affirme en outre que M. Mbemba et Mme Bakangadio n’ont connaissance d’aucun parent vivant de Francine, qu’ils ne connaissent pas Bata Nsona, et qu’ils ignorent tout de la note datée du 24 septembre 1992 qu’aurait écrite la mère de Francine. Un ouvrage intitulé "Haal de was maar binnen" (Rentrez la lessive) et publié par C. de Stoop en janvier 1995 suggère que M. Mbemba et Mme Bakangadio pourraient tout simplement être les parents de Francine. C. Evénements postérieurs à l’arrivée de Francine et de Bata Nsona aux Pays-Bas Francine, Bata Nsona et le fils de cette dernière arrivèrent à l’aéroport de Schiphol le 29 décembre 1993 à bord du vol Swissair SR 794 parti de Genève. Le passeport de Bata Nsona - qui avait été délivré à Kinshasa le jour précédent - mentionnait Francine parmi les enfants de l’intéressée. Toutefois, après une inspection menée par les gardes frontière de la maréchaussée royale (Koninklijke marechaussee), on découvrit que le passeport avait été altéré: le nom et la photographie de Francine n’y avaient pas été insérés par l’autorité compétente. Confrontée à ce constat, Bata Nsona soutint que Francine était sa nièce mais elle ne produisit aucune preuve documentaire de son assertion. Il apparaît que, soupçonnée de faux, Bata Nsona fut arrêtée, puis relâchée. Parmi les autres ressortissants zaïrois arrivés par le même vol figurait une certaine Mme M.M. D’après une note établie par un membre de la maréchaussée royale, des copies de documents relatifs à cette dame furent trouvés dans les bagages de Bata Nsona. Il fut constaté que Mme M.M. était en possession de documents d’identité libellés au nom de différentes personnes. Titulaires de permis de séjour valides, Bata Nsona et son fils furent autorisés à entrer aux Pays-Bas le 30 décembre 1993. Comme Francine n’avait ni autorisation de séjour provisoire (machtiging tot voorlopig verblijf) ni visa de voyage (reisvisum; paragraphes 55-56 ci-dessous), on lui refusa l’entrée sur le territoire et on la conduisit à l’hôtel de l’aéroport de Schiphol, où elle demeura sous la surveillance de la maréchaussée royale. Celle-ci informa Bata Nsona qu’elle devrait raccompagner Francine au Zaïre, chose à laquelle l’intéressée consentit, si l’on en croit une note établie par un membre de la maréchaussée. Des sièges pour elle-même et Francine avaient déjà été réservés sur un vol du 3 janvier 1994 à destination de Zurich, d’où elles devaient s’envoler le lendemain pour Kinshasa, des billets ayant été délivrés par Swissair. Le 31 décembre 1993, Bata Nsona saisit, au nom de Francine, le chef de la police locale de Vlaardingen d’une demande de permis de séjour en tant qu’enfant placée et pour des raisons impérieuses d’ordre humanitaire. Elle invita également le juge cantonal (kantonrechter) de Schiedam à la désigner comme tuteur temporaire (tijdelijk voogdes) de Francine et à désigner une autre personne comme subrogé tuteur temporaire (tijdelijk toeziend voogd). Il n’est pas contesté que le juge cantonal, ayant été informé que Francine avait pour l’heure été éloignée du territoire, suspendit sa décision sur la requête. Le même jour, Bata Nsona retourna à l’aéroport de Schiphol pour demander que Francine fût autorisée à l’accompagner chez elle, à Vlaardingen, au motif que personne, au Zaïre, ne pourrait s’occuper de l’enfant. Elle déclara également qu’elle ne raccompagnerait pas Francine dans son pays. Le 31 décembre 1993 encore, vers 12 h 30, l’avocat des requérantes, cherchant à obtenir une injonction interdisant à l’Etat de renvoyer Francine, sollicita la fixation d’une audience en référé (kort geding) devant le président du tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye. Le président fixa l’audience au 11 janvier 1994. Vers 13 heures, l’avocat des requérantes communiqua cette date à l’avocat représentant l’Etat (Landsadvocaat), qui à son tour en informa le ministre de la Justice. Le fonctionnaire responsable du ministère de la Justice décida que Francine ne serait pas autorisée à attendre aux Pays-Bas l’issue de la procédure en référé. Le 31 décembre 1993, vers 14 h 30, l’avocat des requérantes reçut d’un gendarme un appel téléphonique l’informant que Francine était en train d’embarquer sur un vol de Swissair à destination de Zurich. L’avocat avisa le gendarme de la date fixée pour l’audience en référé devant le président du tribunal d’arrondissement. Le gendarme lui rétorqua qu’il était tenu de refouler Francine, sauf instruction contraire du ministère de la Justice. L’avion décolla vers 14 h 45. D’après le Gouvernement, la maréchaussée royale, supposant que les requérantes et Mme M.M. avaient voyagé ensemble (dès lors que des documents se rapportant à Mme M.M. avaient été trouvés dans les bagages de Bata Nsona - paragraphe 16 ci-dessus), avait confié Francine à Mme M.M., qui faisait elle-même l’objet d’une mesure de refoulement et avait consenti à raccompagner l’enfant. L’une et l’autre se virent réserver des places sur un vol de Zurich à Kinshasa programmé pour le 4 janvier 1994. Les requérantes soutinrent plus tard devant les juridictions néerlandaises que la personne en compagnie de laquelle Francine était arrivée à Zurich n’était pas Mme M.M., mais quelqu’un d’autre. Quoi qu’il en soit, il n’est pas contesté que cette personne quitta l’aéroport de Zurich avant Francine. Les requérantes ont déclaré devant la Cour qu’elle s’était éclipsée dès le 1er janvier. Le 3 janvier 1994, cherchant à éviter que Francine ne fût mise dans un avion en partance de Zurich, l’avocat des requérantes invita le président du tribunal d’arrondissement de La Haye à avancer la date de l’audience. Celle-ci eut lieu le jour même à 14 h 30. Dès lors qu’il ne servait plus à rien d’obtenir une injonction interdisant le refoulement de Francine, l’avocat sollicita une ordonnance enjoignant à l’Etat d’autoriser Francine à revenir aux Pays-Bas et à y demeurer en attendant une décision des autorités administratives sur une demande de permis de séjour. Le 4 janvier 1994, à la suite d’une demande de l’avocat des requérantes tendant à ce que l’on ne renvoyât pas Francine au Zaïre, les autorités suisses décidèrent de différer le départ de l’enfant de Zurich. Le même jour, le président du tribunal d’arrondissement de La Haye rendit un jugement aux termes duquel les requérantes n’avaient pas de locus standi. Francine étant mineure, elle devait être représentée par un tuteur, qualité dont Bata Nsona était dépourvue. Notant qu’aucun certificat de décès de la mère de Francine n’avait été produit, le magistrat estima que le document du 24 septembre 1992 contenant prétendument les dernières volontés de la mère de Francine relatives à la garde de sa fille (paragraphe 12 ci-dessus) ne comportait aucune indication concrète que Bata Nsona eût été chargée de la garde de la fillette. De surcroît, Bata Nsona aurait pu, avant le 31 décembre 1993, inviter le tribunal cantonal à la désigner comme tuteur temporaire; il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles sur la base desquelles les demandes des requérantes devraient être jugées recevables. Dans un obiter dictum, le président analysa dans le détail la substance des griefs énoncés par les requérantes. Il ne jugea pas illégal le refoulement de Francine, dès lors que la demande de permis de séjour introduite en son nom ne présentait de toute manière aucune chance raisonnable de succès. Il n’estima pas non plus établi qu’on eût contraint l’enfant à voyager seule. Dans la mesure où les requérantes avaient invoqué l’article 3 de la Convention (art. 3), il n’y avait aucun motif sérieux justifiant l’admission de l’existence d’un risque réel et personnel de subir des traitements inhumains au Zaïre. Nul n’avait prétendu et il n’apparaissait pas que les requérantes fussent en mesure de se prévaloir de la politique du gouvernement concernant les enfants étrangers placés. Enfin, le président ne considéra pas que le refoulement de Francine témoignât d’une rigueur disproportionnée. Après la mort de sa mère et jusqu’à son départ pour les Pays-Bas, Francine avait apparemment été capable de s’en sortir, tant au Congo qu’au Zaïre. N’estimant pas établi que personne ne pourrait s’occuper d’elle dans ces pays, le président ne décela aucune raison impérieuse d’ordre humanitaire propre à justifier qu’on autorisât l’intéressée à séjourner aux Pays-Bas. Le 18 janvier 1994, les requérantes saisirent la cour d’appel (gerechtshof) de La Haye d’un recours contre ce jugement. Le 5 janvier 1994, l’avocat des requérantes fut informé par la police des frontières suisse que le départ de Francine était programmé pour le 6 janvier 1994 et qu’il ne serait annulé que s’il était prouvé que personne ne viendrait accueillir la fillette à son arrivée au Zaïre ou s’il était communiqué qu’on l’autoriserait à pénétrer aux Pays-Bas. Le 6 janvier 1994, Francine, qui jusque-là avait séjourné dans une garderie de Swissair, s’envola de Zurich à bord d’un avion de ladite compagnie à destination de Kinshasa, où elle arriva le 7 janvier 1994. Il apparaît qu’elle voyagea seule. Le même jour, l’ambassade des Pays-Bas à Kinshasa demanda au Comité international de la Croix-Rouge de venir accueillir la fillette à l’aéroport de Kinshasa. Cette requête fut ultérieurement retirée, les autorités néerlandaises ayant été informées que Francine serait accueillie sur place par un certain Monsieur Monga, directeur des relations extérieures de la Banque du Zaïre et relation d’affaires de Swissair, que la compagnie aérienne avait contactée apparemment de son propre chef. Francine atterrit à Kinshasa le 7 janvier 1994, vers 6 h 45. La suite des événements se trouve décrite dans une lettre en date du 31 janvier 1994 adressée au ministre de la Justice (Minister van Justitie) par le ministre des Affaires étrangères (Minister voor Buitenlandse Zaken). Celui-ci y expliquait qu’en raison de problèmes de communication avec l’ambassade à Kinshasa, il n’avait pas été possible d’informer celle-ci à temps de l’arrivée de Francine à Kinshasa. En conséquence, aucun employé de l’ambassade n’était venu accueillir la fillette, mais M. Monga avait assumé cette mission. Dès lors que celui-ci n’avait pu joindre la famille de Francine ni aucune de ses connaissances, il avait confié l’enfant aux services de l’immigration zaïrois. Dans l’après-midi du 7 janvier 1994, le directeur du Bureau de l’immigration zaïrois avait invité un membre de son personnel à emmener Francine à l’adresse donnée par elle, aucun membre de sa famille n’ayant pris contact avec les services de l’immigration. Après avoir passé la nuit au domicile du fonctionnaire en question, Francine avait été conduite à l’adresse de M. Mbemba et Mme Bakangadio (paragraphe 13 ci-dessus), où elle résidait depuis lors. Le ministre ajoutait que Francine séjournait aussi de temps en temps chez sa grand-mère. Toujours le 7 janvier 1994, le chef de la police locale de Vlaardingen informa Bata Nsona du rejet de la demande de permis de séjour formée par elle au nom de Francine. Cette demande n’avait pu être prise en considération au motif, notamment, que le formulaire n’avait pas été signé par Francine elle-même ou par son représentant légal, la question de la garde de l’enfant étant toujours pendante devant le juge cantonal. Bata Nsona saisit le secrétaire d’Etat à la Justice (Staatssecretaris van Justitie) d’un recours hiérarchique (administratief beroep - paragraphe 71 ci-dessous) contre cette décision le 13 janvier 1994. Dans sa lettre au ministre de la Justice (paragraphe 32 ci-dessus), le ministre des Affaires étrangères déclarait qu’une rencontre avait eu lieu le 28 janvier 1994, à l’ambassade des Pays-Bas à Kinshasa, entre des agents de l’ambassade et Francine. La fillette était accompagnée par M. Albert Mbemba et Mme Célestine Bakangadio. D’après le compte rendu de l’entretien, elle était en bonne santé et allait à l’école. Entre-temps l’affaire avait été abondamment commentée dans la presse. Par un acte notarié du 15 février 1994, trois citoyens néerlandais créèrent la Stichting Francine terug ("Fondation pour le retour de Francine"), dont l’objet était de "promouvoir les intérêts" de Francine, notamment en "favorisant son immigration aux Pays-Bas". Le 3 mars 1994, s’appuyant sur l’article 8:21 par. 3 de la loi générale sur le droit administratif (Algemene Wet Bestuursrecht), les requérantes et la fondation invitèrent le président du tribunal d’arrondissement de La Haye à ordonner des mesures provisoires, parmi lesquelles une ordonnance portant injonction de conférer à Francine un accès provisoire immédiat aux Pays-Bas. Le 25 mars 1994, le président faisant fonction du tribunal d’arrondissement jugea que la fondation n’avait pas de locus standi, mais il retint la demande des requérantes. Il la rejeta néanmoins pour défaut de fondement. Il jugea que Francine ou son représentant légal devait solliciter un permis de séjour selon les voies ordinaires et n’estima pas établi qu’il fût déraisonnable d’imposer à Francine d’attendre au Zaïre la décision sur sa requête. Le 31 mars 1994, Bata Nsona sollicita auprès du ministre des Affaires étrangères, par l’intermédiaire du chef de la police locale, un permis de séjour pour Francine (article 1 de l’arrêté relatif aux étrangers et article 7 de l’arrêté du Souverain (Souverein Besluit) du 12 décembre 1813 - paragraphe 57 ci-dessous). Le 17 août 1994, le secrétaire d’Etat accueillit le recours administratif dirigé contre le rejet de la demande de permis de séjour formée par Bata Nsona au nom de Francine (paragraphe 34 ci-dessus) et annula la décision du chef de la police. Bata Nsona se vit impartir un délai de trois mois pour prendre les dispositions nécessaires à la désignation d’un tuteur pour Francine; cela fait, la demande serait réexaminée. Le 30 août 1994, un agent de l’ambassade des Pays-Bas rendit visite à Francine au domicile de M. Mbemba et Mme Bakangadio, où elle résidait toujours, et la trouva en bonne santé et plus gaie qu’en janvier. Le 5 septembre 1994, l’avocat des requérantes saisit la section administrative (Sector Bestuursrecht) du tribunal d’arrondissement de La Haye d’un recours contre la décision prise le 17 août par le secrétaire d’Etat à la Justice (paragraphe 39 ci-dessus), cherchant à obtenir une décision aux termes de laquelle Francine devait être autorisée à attendre aux Pays-Bas l’issue de la procédure relative à la demande de permis de séjour. La demande d’autorisation de séjour provisoire formée par Bata Nsona au nom de Francine (paragraphe 38 ci-dessus) fut rejetée le 29 septembre 1994. Le cas de Francine continua de susciter un intérêt considérable dans la presse tout au long de 1994. Des questions à son sujet furent posées au Parlement à plusieurs reprises. D. Développements ultérieurs Francine arriva derechef aux Pays-Bas le 12 janvier 1995, une nouvelle fois sans autorisation de séjour provisoire. Le Gouvernement affirme qu’il mena des investigations au sujet de la situation de la fillette au Zaïre. Celleci fut autorisée à en attendre les résultats aux Pays-Bas. Il n’est pas contesté que, le 24 janvier 1995, le juge cantonal de Schiedam transmit à celui de Rotterdam, dans le ressort duquel Francine vivait à présent, la demande de Bata Nsona tendant à ce qu’on la désignât comme tuteur temporaire de l’enfant et à ce qu’on désignât une autre personne comme subrogé tuteur temporaire (paragraphe 20 ci-dessus). Le juge cantonal de Rotterdam accueillit la requête le 27 juin 1995. Le Gouvernement affirme que, le 21 septembre 1995, le secrétaire d’Etat à la Justice décida, en partie dans l’intérêt de Francine, de ne plus s’opposer à ce qu’elle séjournât aux Pays-Bas, et d’enjoindre au chef de la police de Rotterdam d’inviter l’intéressée à solliciter un permis de séjour aux fins de "séjour dans la famille d’accueil de Bata Nsona". Un tel permis fut sollicité le 15 novembre, accordé le 1er décembre et délivré le 15 décembre. Le 5 février 1996, les requérantes se désistèrent quant au fond de leur recours contre la décision du président du tribunal d’arrondissement (paragraphe 29 ci-dessus), maintenant seulement leur demande de remboursement de leurs frais. Le même jour elles se désistèrent de leur recours contre la décision du secrétaire d’Etat à la Justice (paragraphe 41 cidessus). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’admission des étrangers et les droits de séjour Généralités Les paragraphes qui suivent constituent une description du régime régissant l’admission des étrangers sur le territoire néerlandais qui s’appliquait, à l’époque des événements incriminés, aux étrangers en général. Des règles contraignantes se trouvaient et se trouvent toujours inscrites dans la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet), l’arrêté relatif aux étrangers (Vreemdelingenbesluit) et l’instruction relative aux étrangers (Voorschrift Vreemdelingen). Jusqu’au 1er janvier 1994, la politique du gouvernement se trouvait définie dans la circulaire de 1982 relative aux étrangers (Vreemdelingencirculaire 1982) et dans la circulaire de 1984 relative à la surveillance des frontières (Grensbewakingscirculaire). D’après une jurisprudence constante des tribunaux compétents (paragraphes 69-72 cidessous), il est incompatible avec les principes généraux de bonne administration (algemene beginselen van behoorlijk bestuur) de s’écarter au détriment d’un étranger des règles de conduite énoncées dans ces documents. La loi sur les étrangers fut considérablement modifiée par la loi du 23 décembre 1993 (Staatsblad (Journal officiel) 1993, no 707), entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Une nouvelle circulaire relative aux étrangers tenant compte des modifications apportées par ladite loi fut édictée: la circulaire de 1994 relative aux étrangers (Vreemdelingencirculaire 1994). Des régimes spéciaux, non pertinents pour la présente espèce, s’appliquaient aux citoyens de l’Union européenne ou des Etats membres du Benelux, à ceux de certains autres Etats (parmi lesquels ne figurait pas le Zaïre) en vertu de traités bilatéraux, et aux réfugiés tels qu’ils étaient définis à l’article 1 A de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (Recueil des Traités des Nations unies - RTNU - no 2545, vol. 198, pp. 137 et suiv.) et à l’article 1 du Protocole du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés (RTNU no 8791, vol. 606, pp. 267 et suiv.). Aux termes de l’article 6 par. 1 de la loi sur les étrangers, pour être autorisé à pénétrer sur le territoire néerlandais, un étranger devait satisfaire aux conditions d’admission - c’est-à-dire soit remplir les exigences de l’article 8 de la loi sur les étrangers (paragraphe 54 ci-dessous), soit être en possession d’un permis de séjour ou d’établissement (paragraphes 58 et 63 ci-dessous) - et être titulaire d’un passeport ou d’une pièce d’identité équivalente valides contenant un visa quand pareil visa était exigé (paragraphe 55 ci-dessous). Un étranger auquel on avait refusé l’accès au territoire néerlandais devait quitter le pays aussitôt que possible et pouvait, au besoin, être refoulé de force. S’il était arrivé à bord d’un bateau ou d’un avion, les autorités compétentes pouvaient le refouler en le plaçant à bord d’un bateau ou d’un avion de la même compagnie faisant le trajet inverse (article 7 de la loi sur les étrangers). Exigences en matière de visa En vertu de l’article 8 de la loi sur les étrangers, combiné avec l’article 46 de l’arrêté relatif aux étrangers, les étrangers qui, au moment de pénétrer sur le territoire, avaient satisfait aux formalités relatives au franchissement de la frontière, étaient admis si et aussi longtemps qu’ils se conformaient à la loi sur les étrangers et à ses normes d’application, s’ils disposaient des moyens nécessaires pour couvrir les frais relatifs à leur subsistance aux Pays-Bas et à leur voyage de retour et s’ils ne représentaient pas une menace pour la paix ou l’ordre publics ou la sécurité nationale. Le droit d’entrée tiré de l’article 8 était un droit temporaire fondé directement sur la loi et n’était donc pas tributaire de l’octroi d’un quelconque permis. Toutefois, un visa était en principe requis (paragraphe 55 ci-dessous) et la durée du droit était limitée: à la période de validité du visa, ou à trois mois dans le cas des étrangers non soumis aux conditions de visa. Sous réserve de certaines exceptions non pertinentes en l’espèce, les étrangers devaient, pour pouvoir entrer aux Pays-Bas, être en possession d’un passeport valide contenant un visa de transit (transitvisum), valable pour une durée maximale de trois jours, ou d’un visa de voyage, valable pour une période maximale de trois mois (article 41 par. 1 de l’arrêté relatif aux étrangers). Pour pouvoir entrer aux Pays-Bas en vue d’y demeurer plus de trois mois, les étrangers qui n’avaient pas déjà obtenu un permis de séjour devaient être en possession d’un passeport valide contenant une autorisation de séjour provisoire (article 41 par. 1 de l’arrêté relatif aux étrangers). Pareille autorisation était valable pour une période maximale de six mois (article 8 de la loi sur les étrangers). Une autorisation de séjour provisoire pouvait être demandée à l’étranger, par l’intermédiaire d’un représentant consulaire ou diplomatique, ou aux Pays-Bas, par l’intermédiaire du chef de la police locale. C’est le ministre des Affaires étrangères qui statuait sur les demandes (article 1 de l’arrêté relatif aux étrangers et article 7 de l’arrêté du Souverain du 12 décembre 1813), après consultation du ministre de la Justice. Il les examinait selon les mêmes critères que ceux applicables aux demandes de permis de séjour, dès lors que pareille autorisation de séjour n’était accordée que si l’on présumait que l’étranger concerné obtiendrait un permis de séjour. Le permis de séjour Les étrangers désireux de séjourner aux Pays-Bas pour une période supérieure à trois mois (paragraphe 54 ci-dessus) devaient être en possession d’un permis de séjour (article 9 de la loi sur les étrangers). Semblable permis devait être sollicité auprès du ministre de la Justice (article 11 par. 1 de la loi sur les étrangers), compétent pour les accorder. Il était valable pour une période maximale d’un an et renouvelable (article 24 de l’instruction relative aux étrangers). Un permis de séjour pouvait être sollicité soit aux Pays-Bas (par l’intermédiaire du chef de la police locale - article 52 de l’arrêté relatif aux étrangers), soit à l’étranger (par l’intermédiaire d’un représentant diplomatique ou consulaire). La demande devait être soumise par l’étranger lui-même ou, s’il était mineur, par son représentant légal (article 28 par. 4 de l’instruction relative aux étrangers). L’octroi d’un permis de séjour était délégué par le ministre de la Justice au chef de la police locale dans certains cas, notamment lorsque l’étranger demandeur était déjà titulaire d’une autorisation de séjour provisoire. En principe, un permis de séjour n’était pas accordé à un étranger non déjà titulaire d’une autorisation de séjour provisoire (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre A4, par. 3.3; circulaire de 1994 relative aux étrangers, chapitre A4, par. 5.3). Le permis de séjour pouvait être soumis à des restrictions (article 11 par. 2 de la loi sur les étrangers). L’étranger titulaire d’un permis de séjour valide était autorisé à réintégrer le territoire néerlandais après l’avoir quitté. Le permis d’établissement Le ministre de la Justice était habilité à accorder un permis d’établissement (vergunning tot vestiging) - (article 13 de la loi sur les étrangers); semblable permis n’était normalement octroyé qu’après que l’étranger avait été légalement résident aux Pays-Bas pendant cinq années consécutives. Après cette période initiale, un permis d’établissement était accordé, sauf s’il n’y avait aucune certitude raisonnable que l’étranger serait en mesure d’assumer ses frais de subsistance ou s’il avait commis des infractions graves à la paix ou à l’ordre publics, ou s’il représentait une menace grave pour la sécurité nationale. Politique pertinente Eu égard à la situation prévalant aux Pays-Bas en ce qui concerne l’ampleur de la population et l’emploi, la politique du gouvernement tendait, et tend toujours, à restreindre le nombre d’étrangers admis aux Pays-Bas. En général, ceux-ci n’admettaient des étrangers à séjourner sur leur territoire que si: a) ils y étaient tenus en vertu du droit international, comme dans le cas des citoyens de l’Union européenne et des Etats membres du Benelux et des réfugiés couverts par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés; b) cela servait "des intérêts essentiels des Pays-Bas" (wezenlijk Nederlands belang), tels des intérêts économiques ou culturels; ou c) cela était justifié par des "raisons impérieuses d’ordre humanitaire". En outre, les étrangers qui, au regard de cette politique, remplissaient les conditions d’admission, étaient en principe présumés disposer des moyens suffisants pour couvrir leurs frais de subsistance et ne pas menacer la paix ou l’ordre publics ou la sécurité nationale. Il s’agissait là de règles générales qui ne s’appliquaient pas de la même manière à toutes les catégories d’étrangers, des critères particuliers ayant été déclarés applicables à des catégories déterminées (chapitre A4, par. 5.1.1.1, de la circulaire de 1982 sur les étrangers; chapitre A4, paras. 4.1.2 à 4.1.4, de la circulaire de 1994 relative aux étrangers). Des critères particuliers s’appliquaient à l’admission d’étrangers dans le cadre du regroupement ou de l’établissement de familles comprenant les conjoints, les partenaires ou les proches parents de ressortissants néerlandais ou d’étrangers titulaires d’un permis de séjour ou d’établissement. D’après ces critères, il était possible d’accorder l’admission aux fins de regroupement ou d’établissement d’une famille, même si les conditions applicables ne se trouvaient pas toutes remplies, en cas de "raisons impérieuses d’ordre humanitaire" (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre B19, paras. 1.1 et 2.5; circulaire de 1994 relative aux étrangers, chapitre B1, par. 1.3). Des conditions particulières s’appliquaient aussi à l’admission d’enfants étrangers placés, c’est-à-dire des mineurs de moins de dix-huit ans ne possédant pas la nationalité néerlandaise et qui avaient été confiés, ou dont il était prévu qu’ils le soient, à une famille autre que celle de leurs parents, de manière telle que les parents d’accueil remplaçaient en fait les parents biologiques. Les règles applicables distinguaient deux catégories, à savoir les enfants accueillis dans une famille dans la perspective d’une adoption et les autres. La présente espèce concerne la seconde catégorie (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre B18, par. 3.1; circulaire de 1994 relative aux étrangers, chapitre B3, par. 3.1). Le motif reconnu d’accueillir un enfant de cette manière était une obligation morale des futurs parents d’accueil à l’égard de l’enfant, les intéressés étant normalement des proches parents de celui-ci (grandsparents, frères, soeurs, tantes, oncles). Il y avait d’autres conditions, parmi lesquelles on peut mentionner les suivantes: a) en principe, les parents d’accueil désignés devaient former un couple marié; b) les circonstances devaient être telles que l’enfant ne pouvait être pris en charge par de proches parents vivant dans son pays d’origine, sauf au prix de graves difficultés. En principe, cette condition ne se trouvait pas remplie si l’enfant résidait avec ses parents dans son pays d’origine dans des conditions qui, même si elles reflétaient un bien-être moindre que celui constaté aux Pays-Bas, pouvaient être réputées normales eu égard au niveau de vie dans le pays en question; c) les parents d’accueil désignés devaient prouver qu’ils étaient capables d’assumer de manière convenable la garde et l’éducation de l’enfant et de garantir les frais afférents à son séjour et, au besoin, à son voyage de retour; d) il fallait démontrer par des preuves documentaires que les parents ou le représentant légal de l’enfant et, au besoin, les autorités nationales du pays d’origine de celui-ci, consentaient à ce qu’il séjourne chez les parents d’accueil désignés; e) il fallait produire un certificat médical faisant apparaître que l’enfant ne souffrait ni d’une maladie infectieuse dangereuse ni d’une maladie ou d’une déficience physiques ou mentales de nature à produire des effets à long terme; f) le transfert de l’enfant aux Pays-Bas devait avoir été organisé d’une manière responsable, et une autorisation de séjour provisoire, si elle était requise, devait avoir été accordée. Toutefois, même si ces conditions étaient remplies, la possibilité en question n’était pas normalement ouverte. Jusqu’au 1er janvier 1994, une demande de permis de séjour pour un mineur pouvait être présentée par les candidats parents d’accueil ou adoptifs, qu’ils fussent ou non les représentants légaux de l’intéressé (circulaire de 1982 relative aux étrangers, chapitre B18, par. 2.3.1). A compter de cette date, la personne introduisant pareille demande pour un mineur devait être le représentant légal de celui-ci. Si la personne sollicitant un permis de séjour au nom d’un mineur n’était pas le représentant légal de l’intéressé, un délai de trois mois était imparti afin de pourvoir à la représentation légale du mineur. Cela fait, la demande de permis de séjour était examinée (circulaire de 1994 relative aux étrangers, chapitre A4, par. 6.1.2.2). La politique du gouvernement relative aux enfants arrivés à l’aéroport de Schiphol puis s’étant vu refuser l’accès au territoire se dégage d’une réponse fournie par M. A. Kosto, à l’époque secrétaire d’Etat à la Justice, à des questions posées par des députés au sujet de la présente espèce (paragraphe 43 ci-dessus). Si le statut de réfugié était demandé, l’enfant était logé aux Pays-Bas et autorisé à y attendre l’issue de la procédure. S’il ne revendiquait pas ce statut, des arrangements étaient pris pour son renvoi. S’il était arrivé en compagnie d’un adulte, on offrait à ce dernier l’occasion de le raccompagner. A défaut, le ministère de la Justice, agissant au besoin après consultation du ministère des Affaires étrangères, prenait des dispositions afin que l’enfant fût raccompagné dans son pays d’origine et que quelqu’un vînt l’y accueillir. Si l’enfant ne pouvait être renvoyé immédiatement, il était placé sous la garde de la maréchaussée royale et logé à l’hôtel de l’aéroport de Schiphol. Il ressort de la même réponse qu’au cours de la deuxième moitié de 1993 l’accès au territoire néerlandais fut initialement refusé à vingt-trois mineurs, dont quinze furent renvoyés là d’où ils venaient. Les huit autres furent ultérieurement admis. Voies de recours a) Refus d’un visa de transit, d’un visa de voyage ou d’une autorisation de séjour provisoire Le ministre des Affaires étrangères peut être saisi d’un recours hiérarchique (articles 31 et 33d de la loi sur les étrangers). Sa décision peut être contestée devant la section administrative du tribunal d’arrondissement de La Haye (article 8:1 de la loi générale sur le droit administratif, article 33a de la loi sur les étrangers), dont la décision n’est pas susceptible de recours (article 33e de la loi sur les étrangers). Si le demandeur est un mineur, il doit être représenté par un représentant légal (wettelijke vertegenwoordiger - paragraphes 73 et 76 cidessous). b) Refus d’un permis de séjour Le ministre de la Justice peut être saisi d’un recours hiérarchique contre un refus de permis de séjour ou contre l’imposition de conditions restrictives (article 31 de la loi sur les étrangers). Sa décision peut être attaquée devant la section administrative du tribunal d’arrondissement de La Haye (article 8:1 de la loi générale sur le droit administratif, article 33a de la loi sur les étrangers). La procédure est la même que celle décrite aux paragraphes 69 et 70 ci-dessus. c) Refus à la frontière de l’accès au territoire néerlandais L’étranger qui s’était vu refuser l’accès au territoire, soit à la frontière, soit, en cas d’arrivée par mer ou par air, à un port ou un aéroport, pouvait intenter une procédure en référé contre l’Etat, devant le président du tribunal d’arrondissement. La demande devait se fonder sur la prémisse selon laquelle le refus constituait un acte illégitime (onrechtmatige daad). Si le président du tribunal d’arrondissement acceptait la prémisse, il pouvait, à titre provisoire, prescrire l’accès de l’étranger au territoire, dans l’attente d’une décision des autorités administratives compétentes sur une demande d’autorisation de séjour provisoire, ou d’un permis de séjour. Le président fixait une date pour l’audience, sur demande de l’avocat de l’étranger. L’engagement de la procédure en référé n’avait pas en soi d’effet suspensif, et le demandeur n’était pas, normalement, autorisé à attendre aux Pays-Bas l’issue de la procédure (circulaire de 1984 relative à la surveillance aux frontières, chapitre A6, par. 4.5.5). B. Représentation légale des mineurs Le code civil Le droit néerlandais définit les mineurs comme des personnes qui n’ont pas encore atteint l’âge de dix-huit ans et qui ne sont pas mariées et ne l’ont jamais été (article 1:233 du code civil). Ils ne peuvent accomplir seuls des actes juridiques (rechtshandelingen), sauf si la loi en décide autrement (article 1:234 par. 1); ils doivent normalement pour cela être représentés par un représentant légal. On détermine habituellement par référence au droit national de l’intéressé si le ressortissant étranger est ou non mineur (voir l’arrêt de la Cour de cassation du 1er mai 1963, Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise - NJ) 1964, no 287). Les représentants légaux d’un mineur sont normalement ses parents (article 247 par. 1). Si, pour une raison quelconque, les parents ne peuvent agir comme tels, un tuteur et un subrogé tuteur (toeziende voogd) doivent être désignés (articles 1:279 et 1:295 du code civil). Dans les cas étrangers au divorce des parents du mineur, à l’annulation de leur mariage et au retrait, pour des raisons d’incompétence ou d’abus, de l’autorité à un parent ou à un tuteur, la juridiction compétente est le juge cantonal (articles 1:295, 1:307 par. 1 et 1:309). Le juge cantonal désigne un tuteur et un subrogé tuteur d’office ou sur demande des proches du mineur, du Conseil de la protection de l’enfance (Raad voor de Kinderbescherming), des débiteurs de l’enfant, ou d’autres personnes intéressées (article 1:299). On détermine normalement par référence au droit de l’Etat de la résidence habituelle de l’intéressé si un mineur de nationalité étrangère est légalement représenté (article 2 de la Convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs (paragraphe 81 ci-dessous), appliqué par analogie). Un tuteur et un subrogé tuteur temporaires peuvent être désignés, notamment, si l’on ne sait pas avec certitude si les parents du mineur sont en vie ou s’il a un tuteur, ou si l’on ignore où les intéressés se trouvent (article 1:297). Dans les cas ci-dessus, le juge cantonal compétent est celui dans le ressort duquel le mineur a son domicile ou sa résidence habituelle, ou, si le mineur ne réside pas habituellement aux Pays-Bas, le juge cantonal de La Haye (articles 957 et 966a du code de procédure civile - Wetboek van Burgerlijke Regtsvordering). Toutefois, si le mineur ne possède pas la nationalité néerlandaise, les juridictions néerlandaises doivent décliner leur compétence si l’affaire présente des liens insuffisants avec l’ordre juridique néerlandais (onvoldoende aanknoping met de rechtssfeer van Nederland - à l’époque pertinente, article 429c par. 11 du code de procédure civile). La Convention concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs La Convention de La Haye du 5 octobre 1961 concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs (RTNU no 9431, vol. 658, pp. 143 et suiv.) - à laquelle les PaysBas sont parties - définit le terme "mineur" comme "toute personne qui a cette qualité tant selon la loi interne de l’Etat dont elle est ressortissante que selon la loi interne de sa résidence habituelle" (article 12). L’article 1 de la Convention prévoit que les autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’Etat de la résidence habituelle d’un mineur sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. Ce faisant, elles appliquent leur propre droit (article 2). Toutefois, l’article 3 dispose qu’un rapport d’autorité résultant de plein droit de la loi interne de l’Etat dont le mineur est ressortissant est reconnu dans tous les Etats contractants, c’est-à-dire y compris l’Etat de la résidence habituelle du mineur. La Cour de cassation (Hoge Raad) des Pays-Bas interprète ledit article 3 de manière telle qu’il n’empêche pas les autorités néerlandaises - si les Pays-Bas sont l’Etat de la résidence habituelle du mineur - de prendre toutes mesures nécessaires pour la protection de celui-ci et d’appliquer leur droit interne (voir les arrêts des 1er juillet 1982, NJ 1983, no 201, et 18 novembre 1983, NJ 1984, no 343). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Bata Nsona et Francine Nsona ont saisi la Commission le 25 janvier 1994. Invoquant les articles 3, 8 et 13 de la Convention (art. 3, art. 8, art. 10), elles alléguaient que le refoulement de Francine et les conditions dans lesquelles il avait eu lieu constituaient un traitement inhumain et avaient violé leur droit au respect de leur vie familiale, et qu’elles n’avaient disposé d’aucun recours effectif devant une autorité nationale. Elles se plaignaient également, sur le terrain de l’article 6 (art. 6), de s’être vu refuser l’accès à un tribunal. Le 6 juillet 1994, la Commission a déclaré la requête (no 23366/94) recevable pour autant qu’elle concernait les articles 3, 8 et 13 (art. 3, art. 8, art. 13), et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 2 mars 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut qu’il n’y a eu violation ni de l’article 3 (art. 3) à l’endroit de la première requérante (vingt voix contre quatre), ni de l’article 8 (art. 8) (vingt-deux voix contre deux), ni de l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience devant la Cour, le représentant des requérantes a conclu que les articles 3 et 8 de la Convention (art. 3, art. 8) avaient été violés. Au sujet de l’article 13 (art. 13), il déclara ne pas avoir de remarques complémentaires à formuler et s’en remettre à la décision de la Cour. Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’avis qu’il n’y a eu aucune violation de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyens autrichiens, les requérants possèdent une ferme à Niederthalheim, en Haute-Autriche. A. Les mesures de remembrement La procédure de remembrement agricole (Zusammenlegungs-verfahren) prévue par la loi de Haute-Autriche sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetz; paragraphe 20 ci-dessous) fut engagée d’office en 1972 par l’autorité agricole de district (Agrarbezirksbehörde - "l’Autorité de district") de Gmunden. Elle concernait 153 propriétaires de quelque 606 hectares de terres. Le plan d’évaluation (Bewertungsplan; paragraphe 23 ci-dessous) fut adopté en décembre 1978 sans opposition des parties intéressées. Le 7 octobre 1980, l’Autorité de district ordonna le transfert provisoire des terrains cédés à titre compensatoire (Grundabfindungen) sur la base d’un projet de redistribution des terres (Neuenteilungsplan; paragraphe 25 ci-dessous). Les requérants formèrent contre cette décision un recours que la Commission de la réforme agraire de Haute-Autriche (Landesagrarsenat - "la Commission de HauteAutriche") rejeta le 24 avril 1981. Le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan; paragraphe 26 cidessous) fut publié en octobre 1983. Pour l’essentiel, il confirmait la situation créée par les ordonnances de transfert provisoire. Le 24 mai 1984, sur recours des intéressés, la Commission de HauteAutriche déclara que les parcelles allouées avaient une valeur approximativement identique à celle des anciennes. Elle souligna qu’elle ne partageait pas l’avis de l’expert appelé par les requérants, selon lequel le rendement de leurs terres compensatoires était inférieur à celui de leur précédente propriété. Elle déclara au contraire que, dans l’ensemble, les rendements agricoles dans la nouvelle situation étaient au moins aussi bons qu’avant et elle rejeta la majeure partie des arguments de M. et Mme Prötsch. Toutefois, se référant à une parcelle de 2,2 hectares (lot no4738), elle déclara que tout en n’étant pas contraire à la loi, la configuration pouvait être rendue plus fonctionnelle (zweckmäßiger). Elle annula donc la partie du plan de remembrement concernant ce terrain et ordonna à l’Autorité de district de réexaminer la question. Les époux Prötsch interjetèrent appel de cette décision. Le 3 avril 1985, la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat - "la Commission suprême") cassa la décision du 24 mai 1984 et renvoya l’affaire devant la Commission de Haute-Autriche, les requérants ayant fait valoir que leur recours ne pouvait être rejeté partiellement puisque les attributions compensatoires de terres constituaient un tout indivisible. Elle déclara notamment que sous la question de la légalité (Gesetzmäßigkeit) figuraient aussi des considérations sur le caractère fonctionnel. Le 11 juillet 1985, conformément à la décision de la Commission suprême, la Commission de Haute-Autriche abrogea le plan de remembrement. Elle souligna derechef ne pas partager l’opinion de l’expert privé produite par les requérants. Elle indiqua que les parcelles compensatoires qui leur avaient été attribuées étaient avantageuses dans l’ensemble, mais qu’elles comportaient aussi des aspects négatifs. Les avantages étaient a) des parcelles moins morcelées et, en conséquence, une augmentation de leur dimension moyenne; b) la réduction de la longueur de clôture et la suppression concomitante des terres improductives; c) un meilleur équilibre entre la longueur et la largeur des parcelles; et d) un meilleur accès. Les inconvénients étaient e) une diminution de la valeur comparative moyenne des terrains (de 2,3 %); f) une augmentation de 2 % de la distance moyenne entre les parcelles et la ferme; g) une légère augmentation de la surface boisée en lisière; h) une configuration inadéquate de la parcelle no 4733; et i) la forme incurvée de la parcelle no 4738 qui, en outre, était en partie incultivable en raison de la présence de pylônes. La Commission de Haute-Autriche conclut qu’en définitive la légalité des mesures compensatoires n’était pas établie. Le dossier fut transmis à l’Autorité de district aux fins d’adoption d’un nouveau projet. En janvier 1986, l’Autorité de district publia un nouveau plan de remembrement, que les requérants contestèrent aussi. Tout en étant cette fois d’accord sur la nouvelle répartition des terres, ils exigèrent que soit redressée la bordure d’une de leurs parcelles (Grenzbegradigung) et que leur participation aux frais des mesures et installations communes - 95 000 schillings autrichiens (ATS) - (paragraphe 24 ci-dessous) soit supprimée ou réduite au minimum. Le 18 septembre 1986, la Commission de Haute-Autriche rejeta le recours. Elle fit observer que le nombre de parcelles détenues par M. et Mme Prötsch était tombé de dix-sept à neuf alors que la différence de valeur entre les anciennes et les nouvelles terres n’atteignait même pas 1 %, chiffre bien inférieur au maximum légal de 20 %. Dans l’ensemble, les mesures de remembrement avaient conduit à un accroissement de la productivité qui compensait certains inconvénients mineurs. Les requérants saisirent la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) qui, lors d’une procédure simplifiée, refusa d’examiner le grief et renvoya l’affaire à la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof), laquelle décida, pour des raisons de procédure, de la classer en février 1988. B. La demande d’indemnisation Le 26 janvier 1988, M. et Mme Prötsch avaient réclamé une indemnisation pour le préjudice qu’ils disaient avoir subi du fait de l’insuffisance de la compensation en parcelles résultant du transfert provisoire, toujours en vigueur à l’époque. Ils avaient présenté une expertise faisant apparaître une perte de récoltes de quelque 210 000 ATS pour la période de 1980 à 1987. Le 22 février 1988, l’Autorité de district déclara leur demande irrecevable. Elle fit observer que la loi sur l’aménagement des terres agricoles ne prévoyait pas la réparation du préjudice subi entre le transfert provisoire et l’attribution, en vertu du plan de remembrement définitif, de la compensation en terres prévue par la loi (paragraphe 27 ci-dessous). Au surplus, les autorités agricoles n’avaient compétence que pour trancher sur des faits concernant la mise en oeuvre du remembrement. Le 7 juillet 1988, la Commission de Haute-Autriche débouta les requérants au motif que leur demande d’indemnisation n’était fondée ni en fait ni en droit. A cet égard, elle souligna avoir déjà examiné l’expertise soumise par eux et l’avoir rejetée dans sa décision du 11 juillet 1985 (paragraphe 11 ci-dessus). Même si le premier plan de remembrement avait dû être annulé à la suite du recours des intéressés, il n’en résultait pas que ces derniers eussent subi un préjudice. En l’espèce, la commission avait estimé, dans sa décision antérieure, que sur un total de 17 hectares de terres alloués aux requérants à titre compensatoire, seule la configuration d’une parcelle de 2,2 hectares (no 4738) pouvait donner lieu à contestation. En revanche, M. et Mme Prötsch y avaient gagné certains avantages. Partant, la commission s’en tint à l’avis émis par elle dans ses précédentes décisions, selon lequel les requérants n’avaient subi aucun préjudice quant au rendement et aux conditions d’exploitation. Les intéressés attaquèrent cette décision devant la Cour administrative, faisant valoir qu’il incombait aux autorités d’appliquer les dispositions du droit civil. La cour estima toutefois que les autorités concernées n’avaient pas compétence pour statuer sur des demandes d’indemnisation relevant du droit civil et rejeta le recours le 27 septembre 1988. Les requérants saisirent la Cour constitutionnelle en invoquant les articles 6 de la Convention (art. 6) et 1 du Protocole no 1 (P1-1). Cette juridiction, estimant qu’à la lumière de sa jurisprudence constante le pourvoi n’avait aucune chance de réussir, refusa d’en connaître le 28 février 1989. Dans une procédure simplifiée, elle releva notamment que les faits de l’espèce différaient de ceux de l’affaire Erkner et Hofauer c. Autriche (arrêt du 23 avril 1987, série A no 117 - paragraphe 38 ci-dessous) en ce que le plan de remembrement avait déjà été publié et que M. et Mme Prötsch ne s’étaient jamais plaints de la durée déraisonnable de la procédure. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. La législation agricole Le remembrement des terres agricoles En matière de remembrement des terres agricoles, les normes de base, applicables en l’espèce, figurent dans la loi fédérale sur les principes régissant l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951), amendée en 1977. Chaque Land a adopté sa propre législation sur l’aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetze), aux fins de régler les matières relevant de sa compétence dans le cadre fédéral. En Haute-Autriche, le remembrement fait l’objet de la loi de 1979 sur l’aménagement des terres agricoles ("la loi de 1979"). Destiné à améliorer la structure de la propriété agricole et l’infrastructure de la zone concernée (article 1 par. 1 de la loi de 1979), le remembrement comprend l’adoption de mesures et installations communes ainsi qu’une redistribution des terres. Il comporte les phases suivantes: - ouverture des opérations; - établissement de l’état d’occupation des sols en cause et évaluation de ceux-ci; - détermination des mesures et installations communes; - le cas échéant, transfert provisoire de terres; - adoption du plan de remembrement. Aucune d’elles ne peut commencer avant qu’une décision définitive n’ait clôturé la précédente. Décidée d’office, l’ouverture de la procédure sert à délimiter la zone de remembrement qui peut englober, outre des terres agricoles et forestières, d’autres parcelles offertes en vue de leur inclusion dans l’opération et le terrain nécessaire aux installations communes (articles 2 et 3). Les propriétaires forment une association (Zusammenlegungsgemeinschaft), personne morale de droit public. L’ouverture a pour effet de créer, pour toute la durée de la procédure, des restrictions à l’usage des terres ; tout changement d’affectation exige l’approbation de l’autorité agricole concernée, qui seule a compétence pour connaître, entre autres, des litiges relatifs à la propriété et à la location des terres de la zone de remembrement (article 102). Une fois la décision d’ouverture devenue définitive, l’autorité agricole dresse l’état d’occupation des sols et évalue ces derniers (articles 11 et 12). Sa décision (Besitzstandsausweis und Bewertungsplan) arrête leur valeur selon des critères précis (article 13). Chacun des propriétaires en cause peut contester l’évaluation non seulement de ses propres biens-fonds, mais aussi de ceux des autres. Sitôt définitive, la décision de l’autorité agricole les lie tous. Au besoin, des mesures communes telles que l’amendement des sols et la modification du terrain ou du paysage, et des installations communes comme des chemins privés, des ponts et fossés, des canaux de drainage ou d’irrigation sont ordonnées par une décision spécifique de l’autorité compétente (Plan der gemeinsamen Maßnahmen und Anlagen), laquelle doit également régler la question des frais, partagés en général entre les propriétaires. L’article 22 de la loi de 1979 autorise un transfert provisoire de terres avant l’adoption du plan de remembrement, même si quelques propriétaires s’y opposent. Aucun recours ne s’ouvre contre une décision de transfert provisoire prise par l’autorité compétente. L’article 7 de la loi fédérale de 1950 sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz, amendée en 1974 - "la loi fédérale de 1950/1974") précise cependant que la Commission régionale (Landesagrarsenat) statue en dernière instance sauf dans les cas où l’on peut saisir la Commission suprême (Oberster Agrarsenat; paragraphe 30 cidessous). Le transfert provisoire a pour but essentiel d’assurer une exploitation rationnelle de la zone remembrée pendant la période intermédiaire. Les attributaires acquièrent la propriété des parcelles transférées, sous condition résolutoire: ils la perdent si le plan définitif de remembrement ne leur en confirme pas l’attribution (Eigentum unter auflösender Bedingung, article 22 par. 2). En principe, un tel transfert provisoire et sous condition ne donne pas lieu à une inscription au cadastre, car les parties peuvent se voir attribuer d’autres parcelles au terme de la procédure. Toute inscription requiert l’accord de l’Autorité de district (articles 94 et suivants). A l’issue de la procédure, l’autorité agricole compétente adopte le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan, article 21). Depuis 1977, il doit être publié au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles (article 7a par. 4 de la loi fédérale de 1950/1974), sans quoi l’intéressé peut inviter l’autorité supérieure à évoquer l’affaire. Il s’agit d’un acte administratif qui s’accompagne de cartes et d’autres renseignements techniques et qui vise principalement à déterminer la compensation due aux propriétaires parties à la procédure. A cet égard, la loi de 1979 prévoit notamment les règles suivantes: - en fixant les diverses compensations en terres, il échet de tenir compte des désirs des personnes directement concernées, dans la mesure où on le peut sans enfreindre la loi ni porter atteinte aux intérêts publics majeurs auxquels doit répondre le remembrement; - tout propriétaire dont les terres se trouvent incluses dans l’opération de remembrement a droit soit à une compensation en terres de valeur équivalente soumises à cette même opération, soit, en cas d’impossibilité, à la restitution de ses parcelles antérieures, y compris des terrains à bâtir (article 19); - si la valeur des terres change au cours de l’opération, même après le transfert provisoire, il faut en tenir compte en fixant l’attribution définitive dans le cadre du remembrement (article 14 par. 1); - le dépôt des demandes d’indemnisation doit se faire dans les six mois à compter de la date à laquelle le plan de remembrement devient définitif (article 20 par. 6). A l’époque des faits, la législation des Länder ne prévoyait pas d’indemnisation pour le préjudice subi, avant l’entrée en vigueur d’un plan définitif de remembrement, par les propriétaires qui avaient contesté avec succès la légalité de la compensation reçue en nature. Après les arrêts rendus par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 23 avril 1987 dans les affaires Erkner et Hofauer, précitée, et Poiss c. Autriche (série A no 117), la législation autrichienne a été modifiée pour que, notamment, une fois constatée l’irrégularité de l’attribution des parcelles compensatoires, les parties concernées puissent réclamer une indemnisation (article 10 paras. 5-7 de la loi fédérale sur les principes régissant l’aménagement des terres agricoles). La nouvelle législation est entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Les autorités agricoles En Haute-Autriche, l’organe appelé à se prononcer en première instance est l’Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung), puis la Commission suprême, créée au sein du ministère fédéral de l’Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft). Constituant en quelque sorte des "tribunaux administratifs spécialisés", elles comptent des juges parmi leurs membres. Les décisions de l’Autorité de district peuvent donner lieu à un appel devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne l’une des questions énumérées à l’article 7 par. 2 de la loi fédérale de 1950/1974, telle la légalité de la compensation dans l’hypothèse d’un remembrement; en pareil cas un recours s’ouvre devant la Commission suprême. L’administration ne peut ni annuler ni amender ces décisions, mais on peut les attaquer devant la Cour administrative (articles 8 de la loi fédérale de 1950/1974 et 12 par. 2 de la Constitution fédérale). La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale de 1950/1974, dont l’article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s’applique, sauf un article sans pertinence en l’espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par ladite loi. Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l’article 9 paras. 1 et 2 de la loi fédérale de 1950/1974, elles statuent après une audience non publique. Elles doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 par. 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision dans ce délai, elles peuvent s’adresser à l’autorité supérieure, à laquelle il incombe alors de trancher (article 73 par. 2). Au cas où cette dernière ne le fait pas dans le délai légal, la compétence échoit, sur demande de l’intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative). B. Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être attaquées devant la Cour constitutionnelle, qui recherche s’il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution (article 144 de la Constitution fédérale). Par dérogation à la règle de principe de l’article 133 par. 4 de la Constitution fédérale, l’article 8 de la loi fédérale de 1950/1974 ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l’affaire si le requérant l’y invite et si elle conclut à l’absence de violation du droit invoqué (article 144 par. 3 de la Constitution fédérale). Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif ou un manquement de l’autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre, lorsque la loi l’y habilite, les recours introduits contre les décisions d’organes comprenant des juges parmi leurs membres, par exemple les commissions de la réforme agraire (paragraphe 29 ci-dessus). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Prötsch ont saisi la Commission le 12 juin 1989. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), ils se plaignaient de l’impossibilité d’obtenir réparation pour les inconvénients temporaires qu’ils disaient avoir subis en raison de la procédure de remembrement. Ils alléguaient en outre l’absence d’impartialité des commissions de la réforme agraire, contraire à l’article 6 de la Convention (art. 6). La Commission a retenu la requête (no 15508/89) le 31 août 1994 pour ce qui concerne le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Dans son rapport du 5 avril 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre deux, à une violation de cette disposition (P1-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, les requérants ont prié la Cour de dire qu’en l’espèce, l’Autriche a agi au mépris de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). De son côté, le Gouvernement a demandé à la Cour de conclure que l’ingérence dans le droit de propriété des requérants ne peut être qualifiée de déraisonnable à la lumière des exigences de l’intérêt général sur lesquelles se fondent les procédures de remembrement et que, dès lors, il n’y a aucune raison de constater une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
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I. Les circonstances de la cause Le requérant, M. Robert Pullar, est un citoyen britannique né le 9 octobre 1949. Avant sa condamnation, intervenue le 17 juillet 1992, il était membre élu du conseil régional de Tayside, collectivité locale écossaise. A. Le procès Le 13 juillet 1992, M. Pullar et un autre membre du conseil régional furent traduits devant le tribunal local (Sheriff Court) de Perth pour infraction à l'article 1 par. 1 de la loi de 1889 sur la corruption des organismes publics (Public Bodies Corrupt Practices Act 1889). Ils auraient proposé contre de l'argent à M. John McLaren, associé dans un cabinet d'architecture, et à M. Alastair Cormack, associé dans une entreprise de métrage, d'exercer leur influence sur le conseil pour appuyer leur demande de permis de construire, et de voter en leur faveur. MM. McLaren et Cormack étaient les principaux témoins à charge. Parmi les citoyens convoqués comme jurés potentiels au tribunal local de Perth le jour du procès de M. Pullar se trouvait M. Brian Forsyth, employé subalterne du cabinet de M. McLaren, qui comptait au total quinze salariés. Il avait été engagé le 30 avril 1990 et informé le 10 juillet 1992 qu'il serait licencié à partir du 7 août suivant. MM. Forsyth et McLaren pénétrèrent ensemble dans le tribunal. Aucun d'eux ne savait que M. Forsyth risquait d'être tiré au sort pour faire partie du jury siégeant au procès de M. Pullar, mais tous deux avaient connaissance du fait que M. McLaren devait y témoigner. Lorsque M. Forsyth se rendit compte qu'il se trouvait dans le groupe de citoyens parmi lesquels les jurés au procès allaient être désignés, il informa le greffier qu'il travaillait pour le cabinet de M. McLaren. Le greffier lui demanda s'il connaissait M. Pullar ou son coprévenu, ou les circonstances de l'affaire. M. Forsyth ayant répondu par la négative, le greffier laissa son nom sur la liste des jurés potentiels et n'informa de sa conversation avec M. Forsyth ni le juge qui devait présider le procès (sheriff), ni le procureur (procurator- fiscal) qui devait conduire l'accusation, ni les avocats de la défense. M. Pullar et son coprévenu plaidèrent non coupables. Le greffier procéda donc à la désignation des jurés par tirage au sort public (paragraphe 19 ci-dessous). Son nom ayant été tiré, M. Forsyth prêta serment avec les autres membres du jury. La défense reçut une liste mentionnant le nom, l'adresse et la profession des jurés, mais pas les coordonnées de leurs employeurs (paragraphe 19 ci-dessous). Le juge ne demanda pas aux jurés retenus s'ils avaient une quelconque raison de ne pas participer au procès. Il n'existait en 1992 aucune règle générale incitant les juges à procéder de la sorte (paragraphe 21 ci-dessous). Une heure environ après le début du procès, M. McLaren regarda dans la salle d'audience et aperçut M. Forsyth parmi les jurés. Il informa alors le greffier de ses rapports avec ce dernier. Le greffier lui apprit que celui-ci avait déjà indiqué ne pas connaître les prévenus ou les circonstances de l'espèce. Il regagna ensuite le prétoire, en omettant à nouveau d'en référer au juge, au procureur ou aux avocats de la défense. MM. McLaren et Cormack indiquèrent tous deux dans leur déposition que les deux prévenus leur avaient réclamé de l'argent. Ce furent les seuls témoignages en ce sens. Dans son intervention à la fin de l'audience, l'avocat du coprévenu de M. Pullar demanda aux jurés d'indiquer au tribunal s'ils connaissaient personnellement M. McLaren ou M. Cormack, mais M. Forsyth ne dit mot. A la fin du procès, le juge donna aux jurés les instructions suivantes: ils devaient apprécier sans passion la crédibilité de tous les témoins qu'ils avaient entendus; tout accusé étant présumé innocent, l'accusation doit prouver la culpabilité de l'intéressé au-delà de tout doute raisonnable; il leur précisa en outre que, pour prononcer une condamnation, il fallait des preuves convaincantes provenant de deux sources au moins. Le 17 juillet 1992, les deux prévenus furent reconnus coupables par la majorité des quinze jurés. Le 6 août 1992, ils furent condamnés à douze mois d'emprisonnement et déchus de leur droit d'exercer une fonction publique pendant une période de cinq ans à compter du 17 juillet 1992. B. L'appel Les avocats de M. Pullar apprirent après la conclusion du procès le lien unissant M. Forsyth à M. McLaren. Le 22 juillet 1992, ils écrivirent à ce sujet au ministère public, puis firent appel de la condamnation et de la peine auprès de la High Court of Justiciary ("la High Court"), aux motifs notamment que le juge aurait dû signaler aux jurés, dès le début du procès, qu'ils devaient indiquer au tribunal s'ils connaissaient personnellement l'une des personnes citées dans l'acte d'accusation et que la participation de M. Forsyth aux délibérations et au vote du jury constituait une erreur judiciaire. A la réception de la lettre des avocats, le ministère public obtint une déclaration de M. McLaren, dont est extrait le passage suivant: "Je suis en mesure de confirmer que Brian Forsyth n'a pas travaillé sur le projet d'aménagement relatif à l'A85 (c'est-à-dire l'objet du procès) et que je n'avais aucun motif d'en parler avec lui. (...) J'ai discuté du travail avec mes collègues, mais il n'y avait aucune raison qu'ils consultent Brian Forsyth, qui était un employé subalterne dans mon cabinet. Je n'ai pas non plus débattu avec Brian Forsyth de ce que je savais des allégations portées contre [M. Pullar et son coprévenu], bien que les journaux en aient fait état et que je sois sûr que cette question a alimenté les conversations au bureau." Le ministère public n'avait pas initialement l'intention de produire cette déclaration devant la High Court. Toutefois, le premier jour de l'audience en appel, il apparut que ce texte renfermait plus de précisions que ce que savait l'avocat de M. Pullar. Il fut dès lors décidé de remettre la déclaration aux magistrats de la High Court. Le parquet en adressa aussi une copie aux avocats de M. Pullar et de son coprévenu ce même premier jour. Ces derniers n'ont pas eu l'occasion de contre-interroger M. McLaren pendant la procédure d'appel, mais ne se sont pas opposés à l'utilisation de cette déclaration et n'en ont pas non plus contesté l'exactitude (paragraphe 23 ci-dessous). L'appel fut entendu les 5 et 12 février 1993 et rejeté le 26 février 1993. Lord Hope, président de la section pénale de la High Court, fit observer que le greffier aurait dû informer le juge du lien unissant M. McLaren et M. Forsyth, ce qui aurait probablement conduit à récuser le juré en application de l'article 133 de la loi de 1975 sur la procédure pénale en Ecosse (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975); en effet, la défense aurait pu soulever à cet égard une objection au titre de l'article 130 par. 4 de la même loi (paragraphe 20 ci-dessous). Cependant, un simple soupçon de prévention de la part d'un juré ne suffit pas à justifier l'annulation d'un verdict; il faut pour cela prouver qu'il y a bien eu erreur judiciaire. Or rien ne démontrait que M. Forsyth eût quelque connaissance que ce fût des circonstances des infractions alléguées; quoi qu'il en soit, l'on ne pouvait présumer qu'il n'aurait tenu aucun compte des preuves et des instructions du juge et aurait voté en suivant ses préjugés personnels, au mépris de son serment de juré. Lord Hope émit néanmoins plusieurs recommandations pratiques afin qu'une telle situation ne se reproduisît plus (Pullar v. Her Majesty's Advocate, Scots Criminal Case Reports 1993, p. 514; paragraphe 21 ci-dessous). M. Pullar fut immédiatement incarcéré à la prison de Saughton et dut se démettre de ses fonctions au conseil régional. Il fut libéré le 1er octobre 1993. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le jury Dans tout procès pénal en Ecosse, c'est un jury composé de quinze hommes et femmes sans qualifications juridiques qui décide de toutes les questions de fait, y compris la crédibilité et la fiabilité des témoignages. Le premier devoir du juge est d'instruire le jury quant au droit applicable à l'affaire. Le jury peut rendre son verdict à la majorité simple. L'article 3 de la loi de 1825 sur les jurés en Ecosse (Jurors (Scotland) Act 1825) prévoit l'établissement de listes d'hommes et de femmes semblant présenter les qualités requises pour être juré. Chaque fois qu'un procès est prévu devant le tribunal local, le greffier dresse à partir de ces listes une "liste d'assises" mentionnant le nom, l'adresse et la profession des jurés potentiels. Les personnes figurant sur cette liste sont ensuite convoquées au tribunal au début de la session. A ce stade, le greffier tape sur des bulletins le nom de chacune des personnes citées sur la liste d'assises et présentes dans le prétoire, conformément à l'article 129 de la loi de 1975 sur la procédure pénale en Ecosse (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975, "la loi de 1975"). Il place ensuite les bulletins dans un bocal ou une boîte et, si l'accusé plaide non coupable, désigne les jurés en tirant quinze bulletins au sort. Cette procédure se déroule publiquement, en présence de l'accusé ainsi que des avocats de la défense et de l'accusation. Les renseignements relatifs à chaque juré mentionnés sur la liste d'assises sont communiqués à la défense. L'article 130 par. 1 de la loi de 1975 autorise la défense et l'accusation, dans tout procès et au moment de la constitution du jury, à récuser trois jurés sans indiquer de motif. En outre, les parties peuvent récuser un juré en justifiant d'un motif particulier, le tribunal de son côté pouvant écarter un juré de sa propre initiative à tout stade du procès (article 133 de la loi de 1975). La High Court a décidé qu'un juré ne peut être exclu que pour des raisons personnelles bien précises, par exemple s'il est lui-même impliqué dans l'affaire ou s'il a des liens étroits avec une partie au procès ou avec un témoin (M. v. Her Majesty's Advocate, Scots Law Times 1974 (Notes), p. 25). En vertu de l'article 134 de la loi de 1975, un procès peut se poursuivre avec un nombre de jurés inférieur à quinze, mais non à douze. Avant que M. Pullar ne fît appel, le droit et la pratique écossais ne comportaient aucune règle permettant d'établir l'existence de motifs de récuser un juré potentiel. Dans sa décision relative à l'affaire Pullar v. Her Majesty's Advocate (Scots Criminal Case Reports 1993, p. 514), la High Court a émis des directives quant aux mesures à prendre à l'avenir pour éviter tout risque de préjugé envers l'accusé. Elle a notamment formulé les suggestions suivantes: à leur arrivée au tribunal, les jurés potentiels doivent être informés de l'identité de l'accusé, du plaignant et de toute autre personne citée dans l'acte d'accusation; le juge du fond peut, s'il le souhaite, demander aux jurés de lui dire si une raison particulière les empêche de faire partie du jury; tout membre du personnel judiciaire apprenant l'existence de faits laissant supposer qu'un juré connaît personnellement l'affaire ou risque d'être soupçonné de partialité doit en informer immédiatement le juge. B. L'interdiction de chercher à connaître les délibérations du jury L'article 8 par. 1 de la loi de 1980 portant réforme du droit en Ecosse (dispositions diverses) (Law Reform (Miscellaneous Provisions) (Scotland) Act 1980) est ainsi libellé: "(...) constitue un outrage à la justice le fait de se procurer, de divulguer ou de demander des précisions sur des déclarations, opinions, arguments ou votes exprimés par les jurés pendant les délibérations de toute instance judiciaire (...)" C. La recevabilité de témoignages écrits Selon un principe général du droit pénal écossais, la déclaration écrite reproduisant la déposition d'un témoin ("interrogatoire préliminaire de témoin") étant une preuve par ouï-dire, est irrecevable comme preuve de ce témoignage, sauf exceptions dont aucune ne s'applique en l'espèce. En revanche, dans le cadre d'un appel devant la High Court, la Cour peut s'appuyer sur une déclaration écrite se rapportant aux faits, lorsque la teneur n'en est contestée par aucune des parties à l'appel et qu'elle est de nature à éclairer l'objet de l'appel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 26 mai 1993 (n° 22399/93) à la Commission, M. Pullar se plaignait de n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable devant un tribunal impartial, au mépris de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), et de n'avoir pas pu contester les témoignages soumis à la High Court of Justiciary, ce qui contreviendrait à l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d). Le 29 juin 1994, la Commission a retenu la requête. Dans son rapport du 11 janvier 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (unanimité) et qu'il ne s'impose pas de rechercher s'il y a eu violation de l'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) (douze voix contre une). Le texte intégral de l'avis de la Commission et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. (1) _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-III), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 22 janvier 1996, le Gouvernement, comme il l'avait fait dans son mémoire, a invité la Cour à dire qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 6 par. 1 ou 6 par. 3 d) de la Convention (art. 6-1, art. 6-3-d). Le même jour, le requérant a réitéré la demande qu'il avait exposée dans son mémoire, à savoir que la Cour constate une violation de l'article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) et lui accorde une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce M. Scott est un citoyen britannique né en 1958. Il est actuellement détenu à la prison d’Etat de Leicester. Le 5 mars 1990, une ressortissante finlandaise, Mme T., fit à la police de Puerto de la Cruz, Ténériffe (îles Canaries), une déclaration dans laquelle elle alléguait avoir été violée la veille au soir par le requérant. Selon Mme T., celui-ci l’avait menacée et battue, la forçant à se dévêtir et à avoir avec lui des rapports sexuels. L’intéressée subit un examen médical et repartit en avion pour la Finlande le 9 mars 1990. Dans la soirée du 5 mars 1990, grâce à la description donnée par Mme T., la police repéra le requérant. Celui-ci essaya de s’enfuir mais fut finalement arrêté. Il détenait un faux passeport et présentait les symptômes d’un éthylisme nécessitant un suivi médical. Le 7 mars 1990, assisté d’un avocat et d’un interprète, il fit à la police une déclaration dans laquelle il démentait les allégations de viol. L’enquête judiciaire révéla qu’il s’était enfui de la prison de Sudbury, West Midlands, le 22 décembre 1989 et qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour parricide, lancé le 31 janvier 1990 par un juge de la Crown Court de Birmingham. Dans la soirée du 7 mars 1990, il fut amené devant le juge d’instruction (juez de instrucción). Le 8 mars 1990, toujours assisté d’un avocat et d’un interprète, le requérant s’opposa aux allégations de viol devant le juge d’instruction no 1 de Puerto de la Cruz. Dans une ordonnance (auto de prisión) rendue le même jour, le juge dit, sur la base des articles 503 et 504 du code de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal - paragraphes 35 et 36 ci-dessous), qu’il y avait des motifs suffisants de penser que le requérant avait commis une infraction punie d’une importante peine de prison (paragraphe 33 ci-dessous). Vu les circonstances de l’affaire et l’existence d’un mandat d’arrêt international (paragraphe 8 ci-dessus), le juge d’instruction ordonna la mise en détention provisoire de M. Scott. Le 23 mars 1990, l’autorité judiciaire compétente en matière d’extradition - le juge central d’instruction (juez central de instrucción) no 4 de l’Audiencia Nacional à Madrid - ordonna lui aussi le placement du requérant en détention sur la base du mandat international et de l’engagement pris par les autorités du Royaume-Uni de déposer une demande d’extradition (article 8 de la loi sur l’extradition - paragraphe 38 cidessous). Il invoqua pour ce faire les articles 503 et 504 du code de procédure pénale (paragraphes 35 et 36 ci-dessous) et tint compte de la gravité de l’infraction et de la peine de prison prévue en droit espagnol (paragraphe 34 ci-dessous). Une demande formelle d’extradition fut déposée le 27 avril 1990, assortie d’abondants éléments incriminant le requérant. Le 25 juin 1990, une demande internationale d’entraide judiciaire fut adressée aux autorités finlandaises compétentes afin d’obtenir une nouvelle déposition de la victime présumée du viol, ainsi que des éléments médicaux complémentaires. Le 26 novembre 1990, le procureur (Ministerio Fiscal) recommanda l’extradition. Le gouvernement britannique fut invité à donner des assurances: si l’extradition était accordée et le requérant condamné en Angleterre, la peine définitive n’excéderait pas trente ans d’emprisonnement (peine maximale prévue par la législation espagnole). Le 2 janvier 1991, l’ambassade du Royaume-Uni à Madrid écrivit à l’Audiencia Nacional que, dans le cas du requérant, la peine effectivement purgée après condamnation pour parricide ne dépasserait sans doute pas dix ans. Une audience eut lieu devant l’Audiencia Nacional, au cours de laquelle le requérant démentit les allégations de parricide et s’opposa à l’extradition. Par une décision (auto) du 22 février 1991, une section de la chambre pénale de l’Audiencia Nacional accepta les assurances fournies par les autorités britanniques et ordonna l’extradition pour que le requérant soit jugé pour le meurtre de son père. L’extradition ne devait intervenir qu’une fois que l’intéressé aurait purgé le reliquat de la peine éventuellement infligée en Espagne pour viol (paragraphe 41 ci-dessous). En outre, le temps passé par le prévenu sous écrou extraditionnel serait déduit de la peine susceptible d’être prononcée par les juridictions anglaises dans l’affaire du parricide (paragraphe 42 ci-dessous). Le requérant déposa un recours (recurso de súplica) devant la chambre pénale, réunie en plénière, de l’Audiencia Nacional. Il fut débouté par une décision du 28 mai 1991. Le 28 juin 1991, le conseil des ministres (Consejo de Ministros) décida de ne pas faire usage de son pouvoir discrétionnaire de ne pas exécuter l’ordonnance d’extradition. Dans l’intervalle, le 7 mars 1991, le juge d’instruction de Puerto de la Cruz avait décidé, conformément à l’article 504 du code de procédure pénale, de prolonger la détention provisoire du requérant dans l’attente du procès pour viol (paragraphe 36 ci-dessous), en tenant compte aussi du fait qu’une procédure d’extradition était en cours. En mai 1991, M. Scott écrivit à l’Audiencia Nacional pour indiquer qu’il voulait bien être extradé pour se faire soigner au Royaume-Uni, mais il semble qu’il renonçât par la suite à cette idée. Le 24 juin 1991, le procureur recommanda de maintenir le requérant en détention en attendant le procès pour viol, sauf à le remettre à titre temporaire aux autorités britanniques. Le 6 mars 1992, l’ambassade du Royaume-Uni à Madrid écrivit à l’Audiencia Nacional pour indiquer qu’en cas de remise temporaire du requérant à ce pays, les autorités britanniques ne pourraient pas garantir sa réextradition vers l’Espagne. A la même date, soit environ deux ans après la mise en détention de M. Scott (paragraphe 9 ci-dessus), le juge d’instruction de Puerto de la Cruz ordonna, en vertu de l’article 504 du code de procédure pénale (paragraphe 36 ci-dessous), sa mise en liberté provisoire (libertad provisional) dans l’affaire de viol. L’intéressé fut cependant maintenu en prison sur la base des ordonnances rendues pendant la procédure d’extradition. Le 17 mars 1992, considérant que le requérant était sous écrou extraditionnel depuis le 23 mars 1990 (paragraphe 10 ci-dessus), l’Audiencia Nacional décida de prolonger son incarcération pour une période de deux ans au maximum, soit jusqu’au 23 mars 1994; elle le fit en application de l’article 504 du code de procédure pénale et de l’article 10 par. 3 de la loi sur l’extradition (paragraphes 36, 37 et 40 ci-dessous). L’Audiencia Nacional avait auparavant entendu le procureur et le requérant, le premier ayant fait valoir que vu l’impossibilité d’une remise à titre temporaire de M. Scott aux autorités britanniques, l’extradition ne devait pas intervenir "avant que sa responsabilité pénale soit établie en Espagne" dans l’affaire de viol. Le requérant recourut (recurso de súplica) contre cette décision mais, le 18 juin 1992, la chambre pénale de l’Audiencia Nacional, statuant en plénière, le débouta au motif qu’il avait été placé sous écrou extraditionnel le 23 mars 1990, indépendamment de sa détention antérieure pour une affaire différente, et que le risque de le voir se soustraire à la justice était considérable. Dans ses réquisitions, le procureur avait évoqué derechef la procédure en instance à Puerto de la Cruz. Le requérant déposa le 7 septembre 1992 une nouvelle demande de mise en liberté que l’Audiencia Nacional rejeta en des termes analogues le 5 octobre 1992. Tout en s’adressant à l’Audiencia Nacional, il fit amplement référence à la procédure engagée devant le juge d’instruction de Puerto de la Cruz. Le 6 décembre 1992, à la suite d’une nouvelle requête de M. Scott, l’Audiencia Nacional demanda au juge d’instruction de Puerto de la Cruz des informations sur la possibilité d’extrader le requérant. Aucune réponse ne figure dans le dossier remis à la Cour. Le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo (paragraphe 32 ci-dessous) contre les décisions rendues par l’Audiencia Nacional les 17 mars et 18 juin 1992 sur son écrou extraditionnel. Il fut débouté, à l’issue d’une procédure simplifiée, par une décision (auto) du 6 mai 1993. Sur le fond, le Tribunal constitutionnel déclara que l’intéressé ayant été placé sous écrou extraditionnel le 23 mars 1990, la décision prise par l’Audiencia Nacional le 17 mars 1992 de prolonger la détention pour une durée de deux ans à partir de cette date était régulière, car l’emprisonnement antérieur n’avait aucun rapport avec la nouvelle incarcération. Dans l’intervalle, par un acte (auto de procesamiento) du 2 février 1993, le juge d’instruction de Puerto de la Cruz avait formellement inculpé le requérant, de viol et de faux en écritures notamment. Le 8 février 1993, le juge d’instruction renouvela sa demande d’obtention d’une nouvelle déposition de la victime par la voie de l’entraide judiciaire internationale (paragraphe 11 ci-dessus). Le document requis et les deux certificats médicaux dont il était assorti, libellés en finnois, parvinrent à Puerto de la Cruz le 29 avril 1993. La traduction espagnole ne fut disponible que deux mois plus tard. La déposition - recueillie le 14 décembre 1992 lors d’une audience d’un tribunal de Tuusula, en Finlande - confirmait les premières allégations de Mme T. (paragraphe 7 ci-dessus). Les certificats médicaux attestaient que celle-ci avait suivi un traitement psychiatrique de longue durée à son retour de Ténériffe. Le 25 août 1993, un nouveau mandat de dépôt fut émis à l’encontre du requérant dans l’affaire de viol. L’intéressé fut ensuite renvoyé en jugement. Le 26 novembre 1993, le procureur déposa ses réquisitions provisoires (conclusiones provisionales). Sur la foi des éléments médicaux produits, il réclama une peine de seize ans d’emprisonnement pour le viol et une peine complémentaire de quatre mois, plus une amende de 100 000 pesetas pour le faux en écritures. Une audience eut lieu au cours de laquelle déposèrent Mme T. et des médecins désignés pour une expertise par le tribunal. Par un jugement du 21 mars 1994, l’Audiencia Provincial de Santa Cruz de Ténériffe acquitta le requérant du chef de viol, au motif que l’unique preuve l’incriminant était constituée des déclarations de Mme T., lesquelles contenaient de nombreuses contradictions. L’Audiencia Provincial adopta l’avis des experts présents à l’audience selon lequel les éléments médicaux produits ne corroboraient pas l’allégation de rapports sexuels forcés. En ce qui concerne l’infraction de faux en écritures, le requérant fut reconnu coupable et condamné conformément à l’acte d’accusation. Le 16 mars 1994, comme la détention du requérant approchait du maximum légal de quatre ans (paragraphe 36 ci-dessous), l’Audiencia Nacional avait ordonné la levée de l’écrou extraditionnel. Apprenant toutefois que M. Scott avait été acquitté dans le procès pour viol et qu’il allait être libéré, elle décida immédiatement de le maintenir sous écrou extraditionnel. Le 27 mars 1994, le requérant fut remis aux autorités britanniques en exécution du mandat d’arrêt international décerné contre lui et de l’ordonnance d’extradition émise le 22 février 1991 par l’Audiencia Nacional (paragraphe 13 ci-dessus). Au total, en vertu des différentes ordonnances, le requérant avait passé deux ans, six mois et vingt-neuf jours en détention dans l’attente d’être jugé pour viol et exactement quatre ans sous écrou extraditionnel. Le 9 novembre 1995, après un procès devant la Crown Court de Birmingham, M. Scott fut reconnu coupable du meurtre de son père et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Le juge recommanda une période punitive (tariff period - paragraphe 43 ci-dessous) de douze ans. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution L’article 17 de la Constitution garantit le droit de la personne à la liberté et à la sûreté, et énonce les conditions dans lesquelles peuvent intervenir des mesures privatives de liberté. En application du paragraphe 4 de cette disposition, la loi définit une procédure d’habeas corpus et fixe la durée maximale de la détention provisoire. En raison de leur caractère fondamental, les droits protégés par l’article 17 peuvent faire l’objet d’un recours individuel auprès du Tribunal constitutionnel (recurso de amparo). B. Le code pénal L’article 429 du code pénal, en vigueur à l’époque des faits, punissait le viol d’une peine de réclusion allant de douze ans et un jour à vingt ans (reclusión menor). Aux termes de l’article 405 dudit code, le parricide était puni d’une peine de réclusion allant de vingt ans et un jour à trente ans (reclusión mayor). C. Le code de procédure pénale Aux termes de l’article 503 du code de procédure pénale, "Le juge ne peut ordonner la détention provisoire que si les conditions suivantes sont remplies: Il doit être établi qu’un acte pouvant constituer un délit [delito] a été commis. Le délit doit être punissable de plus de six ans d’emprisonnement [prisión menor] ou, si la peine prévue est plus courte, le juge doit estimer nécessaire de placer le prévenu en détention compte tenu de ses antécédents judiciaires, des circonstances du délit, d’un trouble causé à l’ordre public ou de la fréquence des actes analogues commis par lui (...) Il doit y avoir des motifs suffisants de considérer l’inculpé comme pénalement responsable du délit." Selon l’article 504 du même code, la détention provisoire ne dépasse pas un an s’il s’agit d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement de six mois et un jour à six ans (prisión menor) et n’excède pas deux ans si la peine encourue est plus lourde. L’article 504 prévoit toutefois la possibilité de prolonger la détention jusqu’à deux et quatre ans respectivement si l’affaire ne peut être jugée dans ce délai et que l’inculpé risque de se soustraire à la justice. Une décision motivée (auto) en ce sens ne peut être rendue qu’après audition de l’inculpé et du procureur par le tribunal compétent. Suivant l’article 528 par. 1 du code de procédure pénale, la détention provisoire peut se poursuivre aussi longtemps que les motifs initiaux restent valables. D. Réglementation de l’écrou extraditionnel La procédure d’extradition relève de l’Audiencia Nacional à Madrid, indépendamment du lieu de détention de la personne à extrader (article 65 par. 4 de la loi sur l’organisation judiciaire - Ley Orgánica del Poder Judicial). L’instruction préliminaire de ce type d’affaire incombe au juge central d’instruction (juez central de instrucción) près l’Audiencia Nacional, à Madrid également (article 88 de la loi sur l’organisation judiciaire et article 8 par. 2 de la loi de 1985 sur l’extradition). Selon l’article 8 de cette dernière loi, un Etat peut, dans certaines conditions, réclamer la mise sous écrou extraditionnel d’un individu avant même l’introduction d’une demande formelle d’extradition, s’il s’engage à présenter ladite demande dans les quarante jours. Le détenu doit être amené devant le juge central d’instruction dans les vingt-quatre heures de son arrestation. Aux termes de l’article 10 par. 3 de cette même loi, "sous réserve des prescriptions de la présente loi, sont régis par les dispositions pertinentes du code de procédure pénale la durée maximale pendant laquelle une personne peut être écrouée en vue de son extradition, ainsi que les droits qui lui sont garantis en tant que détenu". Selon l’article 19 par. 2 de ladite loi, "si la personne à extrader fait l’objet d’une instruction ou a été reconnue coupable par une juridiction espagnole (...), l’extradition peut être reportée jusqu’à ce que sa responsabilité pénale soit établie en Espagne ou que la remise, temporaire ou définitive, puisse intervenir conformément aux conditions convenues avec l’Etat demandeur". L’article 18 du Traité d’extradition du 22 juillet 1985 entre le RoyaumeUni et le Royaume d’Espagne renferme une disposition analogue. Le traité est entré en vigueur le 1er juillet 1986. L’article 18 par. 1 (2) exige, notamment, que l’extradition soit subordonnée à la condition que le temps passé par l’intéressé sous écrou extraditionnel soit déduit de la peine que lui infligera, le cas échéant, l’Etat demandeur. E. Peines perpétuelles en Angleterre Le droit anglais prévoit pour le meurtrier une peine perpétuelle obligatoire (loi de 1965 sur le meurtre (abolition de la peine de mort)). Cette peine est laissée à l’appréciation discrétionnaire du juge du fond s’il s’agit d’un homicide. Dans les deux cas, la libération sous condition ne peut être accordée qu’après un temps minimum jugé nécessaire pour répondre aux impératifs de répression et de dissuasion ("période punitive"). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Scott a saisi la Commission le 2 septembre 1992. Invoquant l’article 5 paras. 1 c) et 3) de la Convention (art. 5-1-c, art. 5-3), il se plaignait d’avoir été irrégulièrement détenu pendant une durée excessive. Il dénonçait aussi des violations des articles 5 par. 4, 6, 8 et 13 de la Convention (art. 5-4, art. 6, art. 8, art. 13). La Commission a retenu la requête (no 21335/93) le 22 février 1995, pour ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 paras. 1 c) et 3 (art. 5-1-c, art. 5-3). Dans son rapport du 4 juillet 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) (dix voix contre trois) et qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3) (douze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le requérant a invité la Cour à dire qu’il y a eu violation de l’article 5 paras. 1 et 3 (art. 5-1, art. 5-3). Le Gouvernement, de son côté, a soutenu que, dans les circonstances de la cause, la durée de la détention du requérant ne saurait passer pour déraisonnable.
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I. Les circonstances de l’espèce Le 17 août 1978, l’anse de Palma, située à l’est de l’île de Cavallo au sein de l’archipel des îles Lavezzi en Corse-du-Sud, abritait les quatre navires suivants, dont les trois premiers étaient mouillés à couple: le Cocke, le Master, le Mapagia et l’Aniram, propriété du prince Victor-Emmanuel de Savoie, résidant à Genève. Dans la nuit du 17 au 18 août 1978, au sortir d’un restaurant où il avait passé la soirée, le prince Victor-Emmanuel constatait qu’un canot pneumatique lui appartenant se trouvait amarré sans raison à l’arrière du Cocke. Muni d’un fusil appartenant à la catégorie des armes de guerre, dont le chargeur était garni de trente et une cartouches, il abordait le Cocke pour tenter de reprendre son bien. Prenant à partie un passager du bateau réveillé par la manoeuvre, le prince Victor-Emmanuel fit feu à deux reprises. Ayant pu esquiver les tirs, le passager du Cocke se jeta sur son agresseur et les deux hommes tombèrent à l’eau. Cependant, l’une des balles blessa très grièvement un jeune Allemand de dix-neuf ans, M. Dirk Hamer, qui dormait sur le pont du Mapagia. Le prince Victor-Emmanuel ayant prévenu les secours, M. Hamer parvint à la clinique de Porto-Vecchio vers 6 heures du matin, dans un état de coma aréactif, sans pouls ni tension, alors que l’incident avait eu lieu environ 4 heures auparavant. Dès le 19 août 1978, on le transféra à l’hôpital Nord de Marseille, dans un état très alarmant. Le 30 août, contre l’avis des médecins de l’hôpital, M. Hamer, dont les parents étaient aussi médecins, fut transporté à la clinique de l’université de Heidelberg. En dépit de soins intensifs, M. Hamer décédait le 7 décembre 1978, sans avoir jamais pu être entendu. Une autopsie réalisée le 11 décembre 1978 révéla que la blessure par balle était la cause de la mort. Ressortissante allemande, Mme Birgit Hamer est la soeur du jeune homme décédé. A l’époque des faits, elle résidait avec sa famille à Rome, puis en Allemagne. A. La procédure d’instruction (19 août 1978 - 2 février 1987) Première période (M. le juge Breton) Dès le 18 août 1978 à 7 heures du matin, le prince VictorEmmanuel fut placé en garde à vue. Le 19 août 1978, M. Breton, juge d’instruction à Ajaccio, l’inculpa de coups et blessures volontaires, détention et port d’arme de la première catégorie, et le plaça en détention provisoire au terme de la première comparution. Entre le 20 et le 29 août 1978, le magistrat instructeur entendit l’inculpé à deux reprises, procéda à l’audition de témoins et nomma des experts aux fins d’examen médical de la victime et d’étude technique de l’arme. Il lança également des commissions rogatoires aux fins d’audition de témoins et de la victime. Dans une lettre du 28 août 1978, le prince Victor-Emmanuel reconnaissait sa responsabilité civile dans l’accident dont M. Hamer fut victime le 18 août 1978. Le 5 septembre 1978, l’inculpé versa 500 000 francs français (FRF) à la famille de la victime. Le 6 septembre 1978, le procureur de la République d’Ajaccio prit un réquisitoire supplétif aux fins de nouvelles mesures d’instruction. Les 8 septembre et 12 décembre 1978, le juge d’instruction ordonna des expertises aux fins d’examen médico-psychologique de l’inculpé et d’étude du projectile extrait du corps de la victime. Les 11 septembre, 10 novembre, 7 et 8 décembre 1978, il délivra des commissions rogatoires, dont deux internationales, aux fins d’audition de la victime et de remise de la balle extraite de son corps, puis, après son décès le 7 décembre 1978, d’autopsie de son cadavre. Le 4 octobre 1978, le magistrat instructeur entendit à nouveau l’inculpé, qui fut libéré sous contrôle judiciaire le lendemain. De nouveaux interrogatoires se déroulèrent les 12 octobre et 4 décembre 1979. Les 10 janvier, 14 février, 1er et 11 juin 1979, le juge commit des experts aux fins de traduire des documents rédigés en allemand et en italien. Une nouvelle audition du prince Victor-Emmanuel eut lieu le 26 février 1979. Les 17 mai et 25 juin 1979, le juge d’instruction émit des commissions rogatoires internationales aux fins de recueillir la constitution de partie civile de la famille de M. Hamer et d’entendre des témoins. Les 20 juin et 10 juillet, il entendit des témoins. Le 25 juin 1979, il rendit une ordonnance de soit-communiqué au procureur de la République au vu du certificat de décès de la victime. Le 29 juin, le juge d’instruction entendit l’inculpé. Les 20 juillet et 12 décembre 1979, le magistrat instructeur nomma des experts aux fins de traduction de documents rédigés en allemand et en italien. Le 26 octobre 1979, il ordonna la nomination de nouveaux experts, à la suite du complément d’expertise balistique réclamé par la défense le 28 septembre 1979; le même jour, il lança une commission rogatoire internationale aux fins d’obtenir le rapport de conclusion établi à l’issue de l’autopsie et sollicité par la défense. Le 26 novembre 1979, Mme Hamer, son père, sa mère et sa sœur se constituèrent partie civile par intervention. Le 1er février 1980, l’avocat du prince Victor-Emmanuel demanda à M. Breton d’ordonner une mission complémentaire aux experts en balistique. Le 21 février 1980, le magistrat instructeur demanda aux experts commis à quelles conditions le complément d’expertise sollicité par la défense pouvait être réalisé. Un procès-verbal du 28 février 1980 constata la non-comparution de la requérante et de sa famille en tant que parties civiles. Le 20 mars 1980, M. Breton entendit le père de la victime et les 15 avril et 10 septembre 1980, il commit des experts aux fins de traduction de documents rédigés en italien et en anglais. Le 3 juin 1980, le procureur de la République adressa un rappel aux autorités judiciaires allemandes concernant la commission rogatoire internationale du 26 octobre 1979. Le 22 septembre 1980, le juge d’instruction rendit une ordonnance de soit-communiqué au procureur de la République portant sur la demande d’expertise complémentaire présentée par la défense; le 8 novembre 1980, celui-ci prit des réquisitions aux fins de faire droit à la demande. Les 19 et 25 novembre 1980 ainsi que le 21 janvier 1981, M. Breton adressa des courriers à l’avocat de l’inculpé, au directeur du laboratoire de l’identité judiciaire et à des experts susceptibles de procéder à l’authentification d’une pièce de bateau déposée par la défense. Ceux-ci se déclarèrent incompétents les 29 janvier et 4 février 1981. Le 6 mars 1981, le procureur de la République prit un réquisitoire supplétif. Le 10 mars 1981, le magistrat instructeur inculpa le prince VictorEmmanuel de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Un procès-verbal du 11 mars 1981 constata la non-comparution de la requérante et de sa famille en tant que parties civiles. Le 31 mars 1981, l’avocat de l’inculpé déposa un avis critique sur le rapport d’autopsie et sollicita la désignation de trois nouveaux experts aux fins de déterminer les causes de la mort de M. Hamer. Les 15 mai et 2 juin 1981, le juge d’instruction émit des commissions rogatoires aux fins de remise du dossier médical de la victime et d’audition de témoins. Le 12 octobre, il rendit deux ordonnances refusant le complément d’expertise balistique et la contre-expertise au sujet du rapport d’autopsie, sollicités par la défense respectivement les 1er février 1980 et 31 mars 1981. Le 14 octobre 1981, l’inculpé interjeta appel de ces ordonnances, que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bastia confirma le 17 décembre 1981. Le 18 mai 1982, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le prince Victor-Emmanuel. Le 5 avril 1982, le magistrat instructeur nomma des experts aux fins de traduction de documents rédigés en allemand et entendit un nouveau témoin le 27 septembre 1982. Le 27 décembre 1982, il rendit une ordonnance rejetant la demande de non-lieu de l’inculpé ainsi que celle d’une nouvelle expertise balistique du 8 octobre 1982. Sur appel de ce dernier, la chambre d’accusation tint une audience le 24 février 1983. Le 28 avril 1983, elle ordonna la réouverture des débats en raison d’un changement de magistrat. Par un arrêt du 30 juin 1983, elle confirma l’ordonnance entreprise. Le 17 octobre 1983, le premier président de la Cour de cassation rendit une ordonnance disant n’y avoir lieu à admettre, en l’état, le pourvoi formé par l’inculpé contre l’arrêt en question et ordonnant la continuation de la procédure. Le 6 août 1983, le procureur de la République prit des réquisitions aux fins de nouvelles mesures d’instruction. Le juge d’instruction entendit l’inculpé le 6 octobre 1983 et, à la demande de la défense, ordonna une nouvelle expertise médicale le 7 octobre 1983. Les 25 et 29 novembre 1983, il émit des commissions rogatoires aux fins d’établir le curriculum vitae de l’inculpé et d’entendre la soeur de ce dernier. Deuxième période (Mme le juge de Valon) La charge du dossier échut à un autre juge d’instruction, Mme de Valon, à compter du 2 juillet 1984. Un procès-verbal du 18 juillet 1984 constata la non-comparution de la requérante et de sa famille en tant que parties civiles. Le juge d’instruction entendit l’inculpé le 16 août 1984. Le 21 novembre 1984, il rendit une ordonnance rejetant la demande de contreexpertise de la défense. Le 15 janvier 1985, il rendit une ordonnance de soit-communiqué. Les 27 mars, 25 juin, 7 et 27 novembre 1985 et 22 avril 1986, le magistrat instructeur délivra des commissions rogatoires, dont une internationale, aux fins d’audition de témoins et diverses recherches. Le 23 mars 1986, la commission rogatoire du 27 novembre 1985 fut exécutée en Italie et une reconstitution des faits sur papiers et dessins eut lieu le même jour. Le 24 juin 1986, le juge d’instruction entendit trois témoins, et le 30 juin 1986, il nomma un expert aux fins de traduction des pièces afférentes à l’exécution de la commission rogatoire internationale du 27 novembre 1985. Troisième période (Mme le juge Tissot) La charge du dossier échut à un troisième juge d’instruction, Mme Tissot, à compter du 7 janvier 1987. Le 28 janvier 1987, celle-ci rendit une ordonnance de soit-communiqué. Le 30 janvier 1987, le procureur de la République d’Ajaccio prit un réquisitoire définitif de transmission des pièces au procureur général près la cour d’appel de Bastia. Le 2 février 1987, le juge d’instruction rendit une ordonnance de transmission des pièces à ce dernier. B. La procédure de jugement (30 septembre 1988 - 2 juillet 1992) Le renvoi en jugement a) Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bastia Le 30 septembre 1988, le procureur général près la cour d’appel de Bastia transmit à son homologue près la cour d’appel de Rome un avertissement aux parties civiles notifiant la date d’audience de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bastia, fixée au 30 novembre 1988. Les avocats de l’inculpé en obtinrent également notification. Les 21 et 29 novembre 1988 respectivement, la défense et les parties civiles demandèrent le renvoi de l’audience prévue le 30 novembre 1988, l’inculpé n’ayant pas reçu le dossier et la requérante et sa famille, résidant en Allemagne, n’ayant pas reçu d’avis pour l’audience. Le 30 novembre 1988, la chambre d’accusation renvoya la cause à l’audience du 25 janvier 1989. Le 23 janvier 1989, les parties civiles indiquèrent à la présidente de la chambre d’accusation qu’elles n’avaient pas été avisées de l’audience du 25 janvier 1989, dont la date fut donc reportée au 19 avril 1989. Le 19 avril 1989, l’audience fut renvoyée à une date ultérieure en raison d’une grève générale des services administratifs en Corse. Le 28 juin 1989, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bastia rendit un arrêt incident rejetant les incidents d’audience soulevés par la défense. Le 11 octobre 1989, elle prononça la mise en accusation du prince Victor-Emmanuel pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et pour infraction à la législation sur les armes, et le renvoya devant la cour d’assises de Corse-du-Sud. b) Devant la Cour de cassation Le 23 janvier 1990, la chambre criminelle de la Cour de cassation accueillit le pourvoi introduit le 9 novembre 1989 par l’accusé, aux motifs exposés ci-après: "Mais attendu qu’en l’état de ces énonciations qui ne caractérisent pas de façon certaine la volonté délibérée de porter des coups ou d’exercer des violences sur une personne, la chambre d’accusation n’a pu, sans se contredire, considérer qu’il y avait charges suffisantes contre Victor-Emmanuel de Savoie d’avoir commis le crime prévu par l’article 311 alinéa 1 du code pénal; qu’elle n’a ainsi pas donné de base légale à sa décision et que la cassation est encourue;" Elle renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris. c) Devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris Le 8 juin 1990, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris reporta l’audience au 26 septembre 1990; celle-ci se déroula finalement le 25 septembre 1990. Le 12 octobre 1990, la chambre d’accusation de Paris renvoya le prince Victor-Emmanuel devant la cour d’assises de Paris des mêmes chefs d’accusation. Les 23 octobre et 14 novembre 1990, le procureur général près la cour d’appel de Paris commit des experts aux fins de traduire l’arrêt et sa signification aux parties civiles en langue allemande. d) Devant la Cour de cassation Le 5 février 1991, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par l’accusé contre l’arrêt de la chambre d’accusation de Paris du 12 octobre 1990, pour les raisons exposées ci-dessous: "Que la chambre d’accusation déduit de ces énonciations le caractère volontaire des violences qui auraient été commises par l’inculpé à l’encontre de Nicolas Pende [passager du Cocke] ainsi que l’existence d’un lien de cause à effet entre ces violences et la mort de Dirk Hamer; Attendu qu’en cet état les juges qui ont, sans insuffisance, répondu aux articulations essentielles du mémoire déposé ont apprécié la valeur des éléments de preuve qui leur étaient soumis; qu’ils ont caractérisé l’existence de charges suffisantes contre VictorEmmanuel de Savoie d’avoir commis, à supposer les faits établis, le crime défini tant par le dernier alinéa de l’ancien article 309 du code pénal, applicable au moment des faits, que par le premier alinéa de l’article 311 du même code, tel que résultant de la loi du 2 février 1981;" Le procès devant la cour d’assises de Paris Entre le 3 juin et le 4 novembre 1991, dix experts, vingt-huit témoins et les quatre membres de la famille de la victime, parties civiles, furent cités. Le 18 novembre 1991, la cour d’assises de Paris condamna le prince Victor-Emmanuel à six mois d’emprisonnement avec sursis pour détention et transport sans autorisation d’une carabine US30MI, matériel de guerre de la première catégorie, et ordonna la confiscation de cette arme; elle constata également l’existence de circonstances atténuantes en faveur du prince. Par ailleurs, la cour d’assises l’acquitta des faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et d’homicide involontaire, considérant qu’il n’avait pas "par maladresse, imprudence, inattention ou négligence, involontairement donné la mort à M. Dirk Hamer". Après l’arrêt rendu au pénal, les magistrats de la cour d’assises ne tinrent pas d’audience civile. L’avocate de la requérante soutient que la clôture des débats l’avait empêchée de déposer ses conclusions tendant à l’allocation de dommages et intérêts, qu’elle avait préparées; elle aurait alors téléphoné à l’avocat général, qui lui aurait indiqué qu’elle ne pouvait pas mettre en cause la responsabilité civile de l’accusé. D’après le Gouvernement, l’absence d’audience civile résultait de l’absence de toute demande en ce sens, qui aurait dû être déposée au greffe de la cour d’assises. L’arrêt de la Cour de cassation Le 2 juillet 1992, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclara irrecevable le pourvoi formé par les parties civiles, à l’exception de la requérante, aux motifs suivants: "Attendu que la déclaration de pourvoi vise "toutes les dispositions civiles" de l’arrêt criminel qui a été prononcé dans la procédure suivie contre Victor-Emmanuel de Savoie; que cette décision ne comporte aucune disposition d’ordre civil; qu’en cet état et en l’absence de tout autre arrêt qui serait intervenu sur les conclusions des parties civiles, ces dernières sont, par application de l’article 567 du code de procédure pénale, sans qualité pour contester le bien-fondé de la décision rendue sur l’action publique et sur les frais envers l’Etat;" Le 10 juillet 1992, l’arrêt fut notifié aux parties civiles ainsi qu’au prince Victor-Emmanuel. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Les principes de la constitution de partie civile L’article 2 du code de procédure pénale (CPP) dispose: "L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. La renonciation à l’action civile ne peut arrêter, ni suspendre l’exercice de l’action publique, sous réserve des cas visés à l’alinéa 3 de l’article 6 [CPP]." Toutefois, en matière de contraventions, le ministère public conserve le monopole de la mise en mouvement de l’action publique. Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 6 CPP, "[L’action publique] peut, en outre, s’éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément; il en est de même, en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite." En droit français, la victime d’une infraction peut se constituer partie civile soit par voie d’intervention devant le juge d’instruction, la chambre d’accusation ou la juridiction de jugement, lorsque des poursuites sont déjà en cours, soit par voie d’action, en citant directement le prévenu devant la juridiction de jugement ou en déposant plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, lorsque l’action publique n’a pas été mise en mouvement. La constitution de partie civile, qui a pour effet de suspendre l’action devant les juridictions civiles, peut être contestée par le ministère public, par la personne mise en examen - la loi no 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a substitué l’expression "mise en examen" à celle "d’inculpation" - ou par une autre partie civile, ou déclarée d’office irrecevable par une ordonnance du juge d’instruction, motivée et susceptible d’appel (article 87 CPP). La décision de la juridiction d’instruction accueillant une constitution de partie civile n’acquiert aucune autorité de chose jugée quant à la recevabilité de l’action civile devant la juridiction de jugement. L’intervention d’une partie civile peut n’être motivée que par le souci de corroborer l’action publique et d’obtenir que soit établie la culpabilité du prévenu. De ce fait, la jurisprudence admet la recevabilité d’une constitution de partie civile même si aucune prétention à l’allocation de dommagesintérêts ne peut être envisagée. Le droit de demander réparation de son préjudice est une simple faculté accordée à la victime, dont celle-ci est libre de ne pas user (Cour de cassation, chambre criminelle ("Cass. crim.") 10 octobre 1968, Bulletin ("Bull.") no 249; Cass. crim. 15 octobre 1970, Dalloz ("D.") 1970). "L’analyse juridique d’aujourd’hui, effet conjugué de la loi et de la jurisprudence, commande de distinguer constitution de partie civile et action civile, ou plutôt, pour éviter toute équivoque, action en réparation. L’on ne peut plus traiter, sans risque de confusion, recevabilité de la constitution de partie civile et recevabilité, et bienfondé[,] de l’action en réparation, en englobant ces deux actes sous le vocable d’action civile, sauf à entendre celui-ci au sens large de concours de la partie civile à la procédure répressive. Comment en effet considérer que la partie lésée exerce une quelconque "action civile" lorsqu’elle se borne, comme elle y est expressément autorisée, à réclamer sinon le châtiment du coupable, mais au moins la reconnaissance de sa culpabilité. Elle pourra peut-être, par la suite, devant d’autres tribunaux, tirer profit du jugement pénal, mais devant la juridiction répressive, elle n’aura rien demandé de nature civile. Sur le plan doctrinal enfin, une telle analyse rend obsolète la controverse sur la nature de l’action civile qui, selon certains commentateurs, présenterait un double aspect (...), et, pour d’autres, serait unique (...). Au vrai, la constitution de partie civile est vindicative, et l’action en réparation, indemnitaire." (Extraits des Juris-Classeurs de procédure pénale 1990, fascicule 10, paras. 25-27) La constitution de partie civile attribue à la victime la qualité de partie au procès pénal: elle est renseignée sur les opérations de l’instruction, elle a accès au dossier de l’information dans les mêmes conditions que la personne mise en examen, elle peut interjeter appel des ordonnances du juge d’instruction lui faisant grief et user des voies de recours contre les décisions juridictionnelles portant sur ses intérêts civils. B. La décision de la cour d’assises sur l’action civile Le code de procédure pénale contient les dispositions pertinentes ciaprès: Article 371 "Après que la cour d’assises s’est prononcée sur l’action publique, la cour, sans l’assistance du jury, statue sur les demandes en dommages-intérêts formées soit par la partie civile contre l’accusé, soit par l’accusé acquitté contre la partie civile, après que les parties et le ministère public ont été entendus. La cour peut commettre l’un de ses membres pour entendre les parties, prendre connaissance des pièces et faire son rapport à l’audience, où les parties peuvent encore présenter leurs observations et où le ministère public est ensuite entendu." Article 372 "La partie civile, dans le cas d’acquittement comme dans celui d’absolution, peut demander réparation du dommage résultant de la faute de l’accusé, telle qu’elle résulte des faits qui sont l’objet de l’accusation." La cour d’assises est compétente aux termes de l’article 372 du code de procédure pénale pour statuer sur la demande de dommages-intérêts formée par la partie civile, contre un accusé acquitté, tant sur la question principale de coups mortels, que sur celle subsidiaire d’homicide par imprudence. La déclaration non motivée de la Cour et du jury portant que l’accusé n’est pas coupable n’exclut en effet ni l’existence du fait matériel objet de l’accusation ni l’éventualité d’un quasi-délit ayant été la cause du décès de la victime (Cass. crim. 3 décembre 1959, Bull. 531). La cour d’assises doit, après l’acquittement de l’accusé et sur les conclusions de la partie civile qui maintient sa demande de dommagesintérêts, rechercher si, en raison du fait poursuivi dégagé de tout caractère criminel, l’accusé a commis une faute distincte de la culpabilité sur laquelle il a été statué (Cass. crim. 14 janvier 1981, Bull. 24). La cour d’assises peut, après l’acquittement de l’accusé, le condamner à des dommages-intérêts, pourvu que sa décision soit fondée sur les faits qui ont été l’objet de l’accusation, qu’elle puisse se concilier avec la déclaration de non-culpabilité et qu’elle précise la faute, distincte du crime définitivement écarté, qui sert de base à la condamnation (Cass. crim. 26 février 1969, Bull. 97; Cass. crim. 11 mars 1987, Bull. 121). Le verdict négatif et l’arrêt d’acquittement ne font pas obstacle à ce que la cour d’assises examine si le même fait, dépouillé des circonstances qui lui imprimaient le caractère d’un crime, ne constitue pas tout au moins un fait dommageable de nature à engager, en cas de faute constatée à la charge de l’accusé, la responsabilité civile de celui-ci (Cass. crim. 15 décembre 1982, Bull. 293; Cass. crim. 7 octobre 1987, Bull. 341). Saisie sur intérêts civils après acquittement de l’accusé, la cour d’assises n’est pas tenue de rechercher si celui-ci a commis une faute distincte du crime définitivement écarté, dès lors que la partie civile ne lui a pas demandé de le faire (Cass. crim. 13 avril 1988, Bull. 157). La Cour de cassation a reconnu la recevabilité de conclusions chiffrant les dommages-intérêts déposées après l’arrêt rendu au pénal dans la mesure où la constitution de partie civile avait eu lieu auparavant (Cass. crim. 19 octobre 1950, Bull. 50 no 238; Cass. crim. 24 octobre 1952, Bull. 52 no 232). C. Le fondement de l’action civile Le code civil contient les dispositions pertinentes ci-après: Article 1382 "Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer." Article 1384 "On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Hamer a saisi la Commission le 10 mars 1992. Elle alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) exige le respect. La Commission a retenu la requête (no 19953/92) le 9 mars 1994. Dans son rapport du 21 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre dix, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour "de bien vouloir juger que la requête introduite par Mme Hamer est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, et subsidiairement qu’elle est mal fondée".
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Employée comme puéricultrice par la province de Bénévent (Campanie), Mme Maria Rosaria Lapalorcia habite Bénévent. Le 20 octobre 1980, l'administration provinciale (Giunta Provinciale) de Bénévent autorisa son président à demander le détachement de la requérante qui, à l'époque, était fonctionnaire auprès d'un office sanitaire (Ente Antitracomatoso) de l'administration provinciale de Foggia (Pouilles). Le 25 février 1981, l'office accepta le détachement de l'intéressée. Le 31 mars 1981, l'administration provinciale de Bénévent prit acte de la nouvelle affectation de Mme Lapalorcia à compter du 4 mars 1981 et s'engagea à rembourser à l'office les salaires qu'il verserait à la requérante pendant toute la période du détachement. Le 1er juin 1981, l'unité sanitaire locale (USL) de Foggia reprit les attributions exercées par l'office, lequel avait continué à rémunérer la requérante jusqu'au 31 mai. Le 16 juin 1982, Mme Lapalorcia, qui était en congé de maternité, demanda à l'administration provinciale de Bénévent le versement des salaires qu'elle ne percevait pas depuis un an. Le 27 septembre 1982, l'administration informa l'USL de Foggia de sa décision de procéder au paiement litigieux et sollicita les renseignements nécessaires à l'opération. Le 22 octobre 1983, elle ordonna le paiement des salaires dus du 1er juin 1981 au 31 juillet 1982 ainsi que de ceux à venir. Toutefois, la requérante ne reçut qu'une partie des sommes qui lui revenaient de droit (12 817 232 lires italiennes). Le 22 novembre 1988, Mme Lapalorcia saisit le tribunal administratif régional (« TAR ») de Campanie afin d'obtenir la condamnation de l'administration provinciale de Bénévent au paiement intégral desdites sommes réévaluées et majorées des intérêts légaux. Le 7 décembre 1988, elle déposa au greffe du TAR une demande de fixation de la date d'audience, et le 28 avril 1994, une demande de fixation urgente. Par un jugement du 8 novembre 1994, déposé au greffe le 24 novembre 1994 et devenu définitif le 19 janvier 1995, le TAR accueillit le recours. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Lapalorcia a saisi la Commission le 12 mai 1994. Elle se plaignait de la durée d'une procédure suivie devant le tribunal administratif régional de Campanie et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. Le 6 juillet 1995, la Commission a retenu la requête (n° 25586/94). Dans son rapport du 28 novembre 1995 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6. Le texte de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement demande à la Cour de juger que l'article 6 § 1 n'a pas été violé.
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I. Les circonstances de l'espèce De juillet à novembre 1988, plusieurs attaques à main armée d'agences bancaires furent commises dans l'Est de la France. Cinq instructions furent parallèlement ouvertes, à Colmar le 25 août, à Montbéliard le 23 septembre, à Mulhouse le 28 octobre, puis à nouveau à Colmar le 31 octobre. Le 13 décembre 1988, le service régional de la police judiciaire de Mulhouse arrêta le requérant et son frère, et les plaça en garde à vue. Ils reconnurent immédiatement les faits de vols avec arme, tentatives de vols avec arme, vols et association de malfaiteurs qui leur étaient reprochés. Le 15 décembre, le juge d'instruction de Colmar les inculpa et les plaça sous mandat de dépôt. Il inculpa cinq autres personnes, pour association de malfaiteurs, complicité de vol ou de tentative de vol à main armée, recel ou recel de vol à main armée et détention d'arme, et ordonna la mise en détention de l'une d'entre elles. M. Muller fut maintenu en détention provisoire pendant toute la durée de l'instruction (paragraphes 21 à 28 ci-dessous). A. La procédure pénale La procédure d'instruction a) Les commissions rogatoires Dans les différentes instructions ouvertes sur poursuites contre X, des surveillances par filatures et écoutes téléphoniques avaient déjà été ordonnées avant les arrestations. De nouvelles commissions rogatoires furent délivrées le 14 février 1989 aux gendarmeries d'Antibes, de Barr et de Saverne, le 15 décembre 1989 à celle de Montbéliard, le 28 septembre 1990 à la police judiciaire de Strasbourg, et le 28 novembre 1990 aux gendarmeries de Saverne, Strasbourg, Mulhouse et Wintzenheim. b) Le regroupement des procédures et le remplacement de juges d'instruction Les procédures furent regroupées par la jonction, le 15 décembre 1988, des deux instructions ouvertes à Colmar et par le dessaisissement, le 2 février 1989, du juge d'instruction de Montbéliard et, le 28 décembre 1989, de celui de Mulhouse au profit de leur homologue à Colmar. A trois reprises, les 11 avril 1989, 1er février 1990 et 18 avril 1990, le magistrat qui instruisait l'affaire fut remplacé. c) Les inculpations En mars 1989, le juge prononça trois nouvelles inculpations à l'encontre de personnes déjà poursuivies, dont le requérant. Le 10 octobre 1990, il inculpa une nouvelle personne de complicité de vol à main armée et la mit en détention provisoire pour un an, renouvelé à l'échéance du mandat. Il organisa avec celle-ci une confrontation entre coïnculpés à laquelle M. Muller refusa de se rendre. De ce fait, une nouvelle confrontation fut fixée le 11 juin 1991, entre le requérant et quatre coïnculpés. Le juge procéda encore à trois autres inculpations, les 27 novembre 1990, 5 février 1991 et 10 juillet 1991. L'inculpation prononcée le 5 février avait été requise par le procureur de la République de Colmar le 30 octobre 1990. d) Les interrogatoires et autres mesures d'instruction En 1989, le juge d'instruction interrogea M. Muller les 2 et 13 février, 30 juin, 27 octobre ainsi que les 8 et 29 novembre. Il entendit son frère, également poursuivi comme auteur principal, les 27 janvier, 24 octobre, 27 octobre, 8 novembre et 30 novembre, et des coïnculpés les 5 juin et 26 octobre. Les expertises psychiatriques et médicosociologiques du requérant et de son frère, qu'il avait ordonnées le 14 février 1989, furent déposées le 15 mars suivant. Le 3 mars, il avait reçu des pièces, demandées le 13 février 1989 au juge de l'application des peines de Strasbourg. Craignant l'évasion du requérant, il le fit transférer, le 28 avril, de la maison d'arrêt de Colmar à celle de Strasbourg. Le 11 juillet, il mit fin à la détention provisoire d'un coïnculpé ordonnée le 15 décembre 1988 et la remplaça par une mesure de contrôle judiciaire qu'il aménagea ultérieurement. En 1990, il interrogea les auteurs principaux, ensemble, les 1er mars et 2 juillet, et des coïnculpés, les 12 mars et 18 octobre. Le 3 novembre, les expertises psychiatriques de deux coïnculpés principaux, ordonnées le 28 septembre précédent, furent déposées. Le 4 janvier 1991, le juge obtint celle demandée le 28 novembre 1990 et concernant la personne qu'il avait inculpée le 27 novembre 1990. Le 14 juin 1991, il ordonna l'expertise psychiatrique de l'inculpé qu'il avait mis en détention provisoire le 10 octobre 1990. Elle lui parvint le 30 juin suivant, en même temps que les renseignements de personnalité se rapportant à celui-ci, et sollicités le 4 avril 1991 auprès du juge d'instruction de Lure. e) La clôture de l'instruction et le renvoi en jugement Le 8 août 1991, le juge communiqua le dossier au procureur de la République qui prit, le 24 septembre suivant, un réquisitoire de disjonction et de renvoi partiel devant le tribunal correctionnel, de non-lieu partiel et de transmission des pièces au procureur général. Le 7 novembre 1991, le juge ordonna la transmission des pièces au procureur général pour les faits constitutifs de crimes de vol à main armée, tentative, complicité et recel de vol à main armée, et de délits de vols, association de malfaiteurs, détention d'armes et de munitions, connexes à ces crimes. En particulier, il estima qu'il existait contre le requérant des charges suffisantes l'accusant d'avoir commis quatre vols à main armée et trois tentatives et participé à une association en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes et commis divers vols de véhicules. Il rendit un non-lieu partiel en faveur de trois coïnculpés. Le 12 décembre 1991, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar renvoya sept personnes, dont M. Muller, devant la cour d'assises du Haut-Rhin, et ordonna leur prise de corps et incarcération à la maison d'arrêt établie près la cour d'assises. Elle se prononça comme suit sur la durée de la détention provisoire du requérant: "Attendu, s'agissant du délai raisonnable édicté par l'article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3), dont l'inobservation ne serait sanctionnée que par la mise en liberté de l'inculpé, laquelle n'est pas sollicitée, que M. Patrick Muller incarcéré depuis le 15 décembre 1988, se voit reprocher des vols à main armée multiples perpétrés dans trois ressorts de tribunaux de grande instance différents, et est actuellement le principal protagoniste d'une information unique alourdie par des dessaisissements et jonctions qui regroupait douze inculpés, coauteurs, complices, membres de la même association de malfaiteurs; que si, en effet, les investigations entreprises n'ont peut-être pas bénéficié de toute la diligence désirable, le récapitulatif des actes d'instruction accomplis inséré dans une ordonnance du premier juge en date du 9 août 1991 portant rejet de l'unique demande de mise en liberté formée par l'intéressé, permet de se convaincre que la durée de sa détention ne dépasse pas à ce jour les limites autorisées." Examinant les renseignements sur la personnalité du requérant, elle releva encore que " sa conduite en détention, tout comme celle de son frère, s'est avérée déplorable en raison de l'emprise exercée sur la population carcérale par un mouvement de contestation systématique". Par des arrêts du 14 avril 1992, la Cour de cassation déclara M. Muller, son frère et un coaccusé déchus de leurs pourvois formés le 17 janvier 1992 contre l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises. La procédure de jugement En raison du caractère suspensif desdits pourvois, l'affaire ne put être audiencée devant la cour d'assises qu'à l'issue de la procédure en cassation. En août et septembre 1992, les experts, témoins et parties civiles furent cités à comparaître à l'audience fixée au 21 septembre 1992 devant la cour d'assises du Haut-Rhin. Son président entendit les accusés le 7 septembre 1992. Le 18 septembre 1992, les avocats de la défense demandèrent le renvoi de l'audience au motif qu'ils n'avaient pu communiquer avec leurs clients depuis le 12 septembre, du fait de la grève des gardiens de prison. Le 21 septembre, la cour d'assises fit droit à leurs demandes et l'audience fut reportée à la session de décembre. Les nouvelles citations à comparaître furent délivrées en novembre et l'audience se tint les 7, 8 et 9 décembre 1992. Par un arrêt du 9 décembre 1992, la cour d'assises du Haut-Rhin condamna M. Muller et son frère à dix ans de réclusion criminelle pour vols avec arme, tentatives de vols avec arme, vols et association de malfaiteurs, quatre autres personnes à deux ans d'emprisonnement avec sursis, et la cinquième à la peine de trois ans avec sursis. M. Muller a été libéré le 13 juillet 1996, l'intégralité de sa détention provisoire ayant été imputée sur sa peine. B. La procédure relative à la détention provisoire Au cours de sa détention avant jugement, le requérant fut sanctionné, en novembre 1989 par une amende de 25 francs, pour avoir présenté une pièce d'identité dépourvue de la photo qu'il avait laissée à son épouse lors d'une visite de parloir, en avril 1990 par une punition de cellule de quatre jours avec sursis, pour avoir refusé d'être fouillé à la sortie du parloir, et en juillet 1990 il fut mis à l'isolement pendant deux jours, pour "troubles à l'ordre public ou à la discipline dans l'établissement". Le 24 octobre 1989, le directeur de la maison d'arrêt de Strasbourg avait fait un rapport au juge d'instruction sur le comportement en détention du requérant et de son frère. La première prolongation de la détention provisoire (12 décembre 1989) Le 12 décembre 1989, après un débat contradictoire sur la détention en présence de l'intéressé, comme la loi l'y obligeait, le juge d'instruction de Colmar prolongea la détention provisoire de M. Muller, à compter du 15 décembre 1989 et pour un an, aux motifs ci-après: "que les faits reprochés à l'inculpé sont d'une particulière gravité, s'agissant de trois vols à main armée et d'une tentative de vol à main armée, commis en l'espace de trois mois; que l'auteur n'a pas hésité à se servir de son arme et a ligoté sous la menace le gérant d'une banque; qu'en outre, il a été condamné à six reprises, qu'il convient donc durant la poursuite de l'instruction de le maintenir en détention afin d'éviter le renouvellement des faits et qu'il ne tente d'échapper aux pénalités encourues". La seconde prolongation de la détention provisoire (4 décembre 1990) Le 4 décembre 1990, le juge d'instruction prolongea la détention provisoire à compter du 15 décembre 1990 et pour un an, par une ordonnance ainsi motivée: "Attendu que l'inculpé reconnaît avoir commis plusieurs vols aggravés, qu'il a déjà été condamné pour des faits similaires, que des investigations se poursuivent pour préciser le rôle de chacun des coïnculpés; qu'eu égard à la peine encourue, l'inculpé Patrick Muller, offre peu de garantie de représentation." La première demande de mise en liberté (6 août 1991) Le 6 août 1991, le requérant sollicita sa mise en liberté immédiate par une demande qu'il justifia comme suit: " - à aucun moment de l'instruction mon comportement n'a fait obstruction à une administration normale du cours de la justice; - les faits ont été reconnus avant même que je ne sois présenté au magistrat chargé d'instruire l'affaire me concernant; - l'instruction de cette affaire menée par des magistrats successifs ne cesse de perdurer par le seul fait que ces derniers n'ont cessé de démontrer la culpabilité de personnes étrangères aux crimes qui me sont reprochés; - je suis détenu depuis plus de trente-trois mois; - si j'avais été jugé dans le délai dit raisonnable, j'aurais bénéficié des remises de peine suivantes: - neuf mois de grâce pour le bicentenaire de la Révolution de 1789; - neuf mois de grâce présidentielle pour le 14 juillet 1991; - trois fois trois mois de remises de peine normales; - si j'avais bénéficié des remises de peine, j'aurais effectué une peine de cinq années révolues; - il n'est nullement établi que la condamnation que rendra la cour d'assises du Haut-Rhin sera supérieure à la détention préventive déjà effectuée." Le procureur de la République s'opposa à sa libération dans les termes suivants: "L'inculpé est impliqué dans plusieurs vols à main armée; il a déjà été condamné pour des faits similaires, ce qui traduit une délinquance d'habitude; il offre peu de garantie de représentation compte tenu de la peine encourue." Par une ordonnance du 9 août 1991, le juge d'instruction rejeta la demande: "Pour apprécier si [la durée de la détention provisoire ordonnée le 15 décembre 1988 a excédé le délai raisonnable de l'article 5 par. 3 (art. 5-3)], il convient de tenir compte de la complexité de la procédure et du comportement de l'inculpé au cours de l'instruction. A cet égard, il convient de souligner que Patrick Muller se voit reprocher six vols à main armée et tentatives commis avec son frère (...). Si les deux inculpés ont reconnu les faits, ils ont constamment persisté à mettre hors de cause leurs complices ainsi que leurs comparses inculpés d'association de malfaiteurs. Ce comportement a nécessité de nombreuses investigations, interrogatoires et confrontations afin de préciser le rôle respectif de chacun des douze inculpés de cette procédure, particulièrement complexe, compte tenu de la multiplicité des faits reprochés aux inculpés. Par ailleurs, Patrick Muller a refusé d'être extrait pour se rendre à la confrontation du 29 octobre 1990, qui de ce fait a dû être refaite le 11 juin 1991, en présence de l'inculpé. En outre, il a été nécessaire d'ordonner le 30 octobre 1990, un mandat d'arrêt à l'encontre de L., qui n'a permis son arrestation que le 5 février 1991. En outre, il est à relever que Patrick Muller n'a jamais présenté de demande de mise en liberté. Enfin, la chronologie des principaux actes d'instruction [qu'il exposa], permet de considérer que le déroulement de l'instruction n'a pas souffert de discontinuité. (...) Il convient de rejeter la demande de mise en liberté de Patrick Muller dont le maintien en détention s'impose compte tenu d'une part de la nécessité de garantir la représentation de Patrick Muller, qui au regard de la peine encourue, risque de prendre la fuite, et d'autre part, du risque de renouvellement de l'infraction dans la mesure où l'inculpé a déjà été condamné pour des faits similaires." Le 29 août 1991, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar confirma le refus de mise en liberté: "Attendu que l'intéressé a reconnu, dès ses premières comparutions devant les juges d'instruction chargés des affaires le concernant, avoir participé à trois vols à main armée et deux tentatives de vols de même nature commis entre le 1er juillet et le 28 octobre 1988, dans différentes agences bancaires de la région colmarienne; Attendu qu'il a également reconnu le vol d'un certain nombre de voitures ayant servi à la commission de ces hold-up ainsi qu'à la détention des armes utilisées à cette occasion; Attendu qu'il est dans la procédure en cause l'un des douze inculpés dont les agissements ont donné lieu à instruction; Attendu que les divers actes d'instruction sont récapitulés dans l'ordonnance attaquée à laquelle il est sur ce point renvoyé; Qu'il est à relever, non seulement que la procédure a été alourdie par des jonctions et dessaisissements, mais encore qu'afin de faire la lumière sur le rôle exact et l'implication de divers coïnculpés dans les faits reprochés à Patrick Muller, le maintien en détention de ce dernier, qui risquait d'exercer des pressions sur les intéressés ou d'orienter leurs dépositions, s'imposait de manière indiscutable; Attendu que la dernière confrontation a eu lieu dans le cabinet du juge d'instruction le 11 juin 1991 et a, au préalable nécessité la détermination, complexe, du rôle précis des divers inculpés; Attendu que la procédure a été communiquée par le juge d'instruction au ministère public pour règlement le 8 août 1991; Attendu que Patrick Muller, dont la détention se justifiait jusqu'à l'élucidation totale du rôle de l'ensemble des inculpés qui sont impliqués dans les hold-up et dans les faits qui les ont entourés, ne saurait prétendre dès lors que la durée de la détention provisoire est déraisonnable et en prendre argument pour solliciter sa mise en liberté; Attendu qu'en considération de la nécessité de garantir la représentation de Patrick Muller qui, compte tenu de la peine encourue, risque de prendre la fuite, ainsi que du risque de renouvellement de l'infraction d'autant plus grand que l'intéressé a déjà été condamné pour des faits similaires, le premier juge a dans ces conditions rejeté à juste titre la demande de mise en liberté." Le 18 décembre 1991, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant contre cette décision. Son arrêt était ainsi motivé: "Attendu que l'arrêt attaqué relève que Patrick Muller est impliqué dans une série de trois vols à main armée, de deux tentatives de vols de même nature, commis entre le 1er juillet et le 28 octobre 1988 dans différentes agences bancaires de la région de Colmar; que par ailleurs sont inculpés, pour les mêmes faits, douze autres individus; Attendu que pour répondre à l'argumentation, reprise au moyen, développée par Muller qui comparaissait devant eux, assisté de son conseil et qui arguait d'une violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention européenne, les juges énoncent que la procédure a été alourdie par les jonctions et dessaisissements, par la nécessité de faire la lumière sur le rôle exact et l'implication des divers coïnculpés dans les faits reprochés à Patrick Muller; qu'ils ajoutent que la dernière confrontation a eu lieu le 11 juin 1991 et la communication de la procédure au parquet pour règlement le 8 août 1991; que, pour ces motifs, ils estiment que l'inculpé Muller ne saurait prétendre que la durée de sa détention est déraisonnable; Attendu qu'en cet état, la chambre d'accusation a légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen qui, remettant en cause l'appréciation souveraine des juges du fond sur la durée de la détention, ne peut être accueilli." La seconde demande de mise en liberté (18 septembre 1992) Le 18 septembre 1992, M. Muller présenta devant la cour d'assises sa dernière demande de mise en liberté en même temps qu'une demande de renvoi de l'audience de jugement (paragraphe 18 ci-dessus). Il faisait valoir qu'il offrait toutes facultés de représentation, ayant une famille et pouvant demeurer chez sa mère, et se plaignait du non-respect du délai raisonnable des articles 5 et 6 de la Convention (art. 5, art. 6). La cour d'assises repoussa sa demande le 21 septembre 1992. Le 23 mars 1993, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant contre cette décision en ces termes: "Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que, par arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Colmar, en date du 12 décembre 1991, devenu définitif, Patrick Muller a été renvoyé devant la cour d'assises du Haut-Rhin sous l'accusation [paragraphe 14 ci-dessus]; que l'affaire a été fixée à l'audience du 21 septembre 1992; qu'à cette date, le conseil de l'accusé, faisant valoir qu'il n'avait pu communiquer avec son client, a demandé le renvoi de l'affaire et la mise en liberté de l'accusé; Attendu que, pour répondre aux conclusions arguant d'une violation de l'article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3) au motif que la détention provisoire aurait excédé un délai raisonnable, les juges énoncent "qu'en l'espèce, ce délai raisonnable n'a pas été dépassé, au vu de la complexité de l'affaire et de la multiplicité des faits reprochés à l'accusé"; Que cette appréciation de fait échappe au contrôle de la Cour de cassation." II. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale en matière de détention provisoire sont les suivantes: Article 144 "En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d'emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d'emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l'article 137, la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue: 1° lorsque la détention provisoire de l'inculpé est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices; 2° lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction ou pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l'inculpé à la disposition de la justice. La détention provisoire peut également être ordonnée, dans les conditions prévues par l'article 141-2, lorsque l'inculpé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire." Article 145 "En matière correctionnelle, le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance qui peut être rendue en tout état de l'information et doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l'article 144; cette ordonnance est notifiée verbalement à l'inculpé qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure. Les dispositions de l'alinéa qui précède sont applicables en matière criminelle. En toute matière, le juge d'instruction qui envisage de placer l'inculpé en détention provisoire informe celui-ci qu'il a droit à l'assistance d'un conseil de son choix ou commis d'office. Il l'avise également de son droit de disposer d'un délai pour préparer sa défense. L'avocat choisi ou, dans le cas d'une demande de commission d'office, le bâtonnier de l'ordre des avocats en est informé par tout moyen et sans délai; mention de cette formalité est faite au procès-verbal. L'avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et communiquer librement avec l'inculpé. Le juge d'instruction statue en audience de cabinet, après un débat contradictoire au cours duquel il entend les réquisitions du ministère public, puis les observations de l'inculpé et, le cas échéant, celles de son conseil. Toutefois, le juge d'instruction ne peut ordonner immédiatement le placement en détention lorsque l'inculpé ou son avocat sollicite un délai pour préparer sa défense. Dans ce cas, il peut, au moyen d'une ordonnance motivée par référence aux dispositions de l'alinéa précédent et non susceptible d'appel, prescrire l'incarcération de l'inculpé pour une durée déterminée, qui ne peut en aucun cas excéder cinq jours. Dans ce délai, il fait comparaître à nouveau l'inculpé et, que celui-ci soit ou non assisté d'un conseil, il procède comme il est dit aux quatrième et cinquième alinéas. S'il n'ordonne pas le placement de l'inculpé en détention provisoire, celui-ci est mis en liberté d'office. L'incarcération provisoire est, le cas échéant, imputée sur la durée de la détention provisoire pour l'application de l'article 145-1. Elle est assimilée à une détention provisoire au sens de l'article 149 du présent code et de l'article 24 du code pénal." Article 145-2 "En matière criminelle, l'inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà d'un an. Toutefois, le juge d'instruction peut, à l'expiration de ce délai, décider de prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à un an par une ordonnance rendue conformément aux dispositions de l'article 145, cinquième alinéa, qui peut être renouvelée selon la même procédure; cette ordonnance doit comporter, par référence aux dispositions des 1° et 2° de l'article 144, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. Les dispositions du présent article sont applicables jusqu'à l'ordonnance de règlement." Article 147 "En toute matière, la mise en liberté assortie ou non du contrôle judiciaire peut être ordonnée d'office par le juge d'instruction après avis du procureur de la République, à charge pour l'inculpé de prendre l'engagement de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu'il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements. Le procureur de la République peut également la requérir à tout moment. Le juge d'instruction statue dans le délai de cinq jours à compter de la date de ces réquisitions." Article 148 "En toute matière, la mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d'instruction par l'inculpé ou son conseil, sous les obligations prévues à l'article précédent. Le juge d'instruction communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Il avise en même temps, par tout moyen, la partie civile qui peut présenter des observations. Mention est portée au dossier par le greffier de la date de l'avis prescrit par le présent alinéa ainsi que des formes utilisées. Le juge d'instruction doit statuer, par ordonnance spécialement motivée ainsi qu'il est dit à l'article 145, premier et deuxième alinéas, au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur de la République. Toutefois, lorsqu'il n'a pas encore été statué sur une précédente demande de mise en liberté ou sur l'appel d'une précédente ordonnance de refus de mise en liberté, le délai de cinq jours ne commencera à courir qu'à compter de la décision rendue par la juridiction d'instruction. La mise en liberté, lorsqu'elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. Lorsqu'il y a une partie civile en cause, l'ordonnance du juge d'instruction ne peut intervenir que quarante-huit heures après l'avis donné à cette partie. Faute par le juge d'instruction d'avoir statué dans le délai fixé au troisième alinéa, l'inculpé peut saisir directement de sa demande la chambre d'accusation qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi l'inculpé est mis d'office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées. Le droit de saisir dans les mêmes conditions la chambre d'accusation appartient également au procureur de la République." Article 148-2 "Toute juridiction appelée à statuer, en application des articles 141-1 et 148-1, sur une demande de mainlevée totale ou partielle du contrôle judiciaire ou sur une demande de mise en liberté se prononce après audition du ministère public, du prévenu ou de son conseil; le prévenu non détenu et son conseil sont convoqués, par lettre recommandée, quarante-huit heures au moins avant la date de l'audience. La juridiction saisie, selon qu'elle est du premier ou du second degré, rend sa décision dans les dix jours ou dans les vingt jours de la réception de la demande. Toutefois, lorsqu'au jour de la réception de cette demande, il n'a pas encore été statué sur une précédente demande de mise en liberté ou sur l'appel d'une précédente décision de refus de mise en liberté, le délai de dix ou vingt jours ne commence à courir qu'à compter de la décision rendue par la juridiction compétente; faute de décision à l'expiration de ce délai, il est mis fin au contrôle judiciaire ou à la détention provisoire, le prévenu, s'il n'est pas détenu pour autre cause, étant mis d'office en liberté. La décision du tribunal est immédiatement exécutoire nonobstant appel; lorsque le prévenu est maintenu en détention, la cour se prononce dans les vingt jours de l'appel, faute de quoi le prévenu, s'il n'est pas détenu pour autre cause, est mis d'office en liberté." Article 148-4 "A l'expiration d'un délai de quatre mois depuis sa dernière comparution devant le juge d'instruction ou le magistrat par lui délégué et tant que l'ordonnance de règlement n'a pas été rendue, l'inculpé détenu ou son conseil peut saisir directement d'une demande de mise en liberté la chambre d'accusation qui statue dans les conditions prévues à l'article 148 (dernier alinéa)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Muller a saisi la Commission le 8 mars 1993. Il se plaignait de la durée de sa détention provisoire (article 5 par. 3) (art. 5-3) et de celle de la procédure pénale engagée contre lui (article 6 par. 1) (art. 6-1) ainsi que d'une violation de son droit à un procès équitable. Le 22 février 1995, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 21802/93) quant au seul grief relatif à la durée de la détention provisoire et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 6 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "bien vouloir rejeter la requête introduite par M. Muller pour défaut manifeste de fondement, en son grief tiré de l'article 5 par. 3 de la Convention (art. 5-3)".
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I. Les circonstances de l’espÈce L’église catholique de la Vierge Marie (Tis Panaghias) de La Canée est la cathédrale du diocèse catholique de Crète. Bâtie au XIIIe siècle et attenante à un ancien couvent de capucins, elle est utilisée comme lieu de culte sans interruption depuis 1879 au moins. L’immeuble qu’elle occupe lui a été dévolu par usucapion (ektakti khrissiktissia). En juin 1987, deux voisins de l’église, M. I.N. et M. A.K., démolirent un de ses murs d’enceinte, d’une hauteur de 1,20 mètre, et percèrent, dans le mur de leur propre bâtiment, une fenêtre donnant sur l’église. A. La procédure devant le juge de paix de La Canée Le 2 février 1988, l’église susmentionnée, représentée par l'abbé Giorgios Roussos, saisit le juge de paix de La Canée : elle demandait qu’elle soit reconnue propriétaire du mur en question, que les défendeurs soient obligés de cesser le trouble et remettre les choses en leur état antérieur, que le jugement rendu soit déclaré provisoirement exécutoire et que les défendeurs soient menacés d’une amende de 100 000 drachmes et six mois de détention au cas où ils ne se conformeraient pas au jugement. Les défendeurs soulevèrent une exception d’irrecevabilité tenant à l’absence de personnalité juridique des églises catholiques en Grèce, ce qui les empêcherait d’ester en justice. La demanderesse combattit l’exception en alléguant qu’elle constituait une église-cloître, fondée et agréée avant 1830 et reconnue par le Protocole de Londres du 3 février 1830. Plus particulièrement, elle souligna qu’elle était un cloître de capucins, agréé avant 1830 et appartenant au diocèse de Syros et de Thira qui, lui, bénéficiait d’une indépendance (aftotelia) juridique. Le 18 octobre 1988, le juge de paix reconnut l’église comme propriétaire du mur et ordonna aux défendeurs la reconstruction de celui-ci jusqu’à sa hauteur d’origine. Quant à l’exception d’irrecevabilité, il l’estima non fondée : en effet, il accueillit les arguments de l’église demanderesse, dont le bien-fondé – constata-t-il – résultait du sceau pontifical du 20 juin 1974 versé au dossier ; en outre, il releva que l’abbé était le gérant de sa fortune et avait alors le droit de la représenter en justice. B. La procédure devant le tribunal de grande instance de La Canée statuant en appel Les défendeurs interjetèrent appel de ce jugement devant le tribunal de grande instance de La Canée, le 8 décembre 1988. Le 18 mai 1989, le tribunal de grande instance, retenant l’argumentation des appelants, annula le jugement par les motifs suivants : « (…) Les dispositions du Traité de Sèvres du 10 août 1920, qui a été maintenu en vigueur par le protocole n° 16 annexé au Traité de Lausanne du 24 juillet 1923, obligent la Grèce à assurer la liberté religieuse, la liberté du culte et l’égalité des Hellènes devant la loi indépendamment de la confession, libertés qui sont du reste garanties par les articles 4, 5 et 13 de la Constitution en vigueur –, mais ne prévoient pas que les établissements religieux ou autres qui sont fondés par une certaine minorité religieuse peuvent acquérir la personnalité juridique sans observer les lois de l’Etat relatives à l’acquisition de cette personnalité. En outre, par le troisième protocole du 3 février 1830 des puissances protectrices, adopté à Londres et ratifié en Grèce par le mémorandum du 10 avril 1830 du Sénat hellénique, (…) il n’a pas été reconnu aux évêques de l’Eglise occidentale une juridiction autre que spirituelle et administrative, c’est-à-dire se rapportant à l’ordre intérieur de cette Eglise, et les dispositions du droit canon qui régit l’Eglise catholique romaine, lesquelles accordent la personnalité juridique aux couvents et autres établissements ecclésiastiques fondés par acte des évêques de cette Eglise, n’ont pas été introduites. En l’occurrence, la sainte église et le saint couvent des capucins, dont la date de fondation ne ressort pas du dossier, n’ont pas acquis la personnalité juridique de par le fait de leur seule fondation par l’évêque compétent en Grèce, sans le respect des formalités des lois grecques relatives à l’acquisition de cette personnalité. Par conséquent, ce sont des personnes inexistantes et leur action devait être rejetée par ce motif et conformément à l’article 62 du code de procédure civile. La non-observation des lois de l’Etat relatives à l’acquisition de la personnalité juridique est avouée par les intéressés eux-mêmes. Il échet de noter que même si cette église a été fondée avant 1830, elle n’a pas acquis, conformément à ce qui précède, la personnalité juridique, n'ayant pas respecté les lois de l’Etat. (…) » C. La procédure devant la Cour de cassation Le 14 décembre 1990, l’église se pourvut en cassation, en alléguant la violation du Protocole de Londres du 3 février 1830, combiné avec le mémorandum du 10 avril 1830 du Sénat hellénique, des articles 8 du Traité de Sèvres de 1920, 13 du code civil, 13 et 20 de la Constitution, ainsi que de l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Dans son avis du 10 décembre 1992, le juge rapporteur de la Cour de cassation se prononça en faveur de la cassation de l’arrêt du 18 mai 1989 : il rappela que, d’après l’article 13 § 2 de la Constitution et de l’article 8 du Traité de Sèvres, les ressortissants grecs appartenant à des minorités religieuses jouissent de la même protection en droit et en fait et des mêmes garanties que les autres ressortissants grecs et notamment disposent d’un droit égal d’établir des fondations religieuses et de pratiquer librement leur religion ; en outre, conformément au droit canon de l’Eglise catholique romaine, les églises et cloîtres établis avec l’approbation du Saint-Siège disposent de la personnalité juridique sans qu’il soit nécessaire à cet égard de respecter les formalités prévues par les lois grecques ; une telle limitation serait contraire aux articles 13 de la Constitution et 8 du Traité de Sèvres. Par un arrêt du 2 mars 1994, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en ces termes : « (…) [Le Traité de Sèvres], ayant été ratifié par une loi, fut maintenu comme droit interne, mais dans la mesure où son contenu est couvert par la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, qui est beaucoup plus vaste, il faut considérer que ce traité a été abrogé par le texte postérieur de cette Convention qui poursuit le même objectif. Toutefois, les dispositions spéciales du traité qui ne se répètent pas dans la Convention de Rome et ne se trouvent pas en contradiction avec cette dernière, doivent être considérées comme restant en vigueur. Par cette Convention, la Grèce sauvegarde, entre autres, la liberté religieuse non seulement des minorités mais de toute personne relevant de sa juridiction, indépendamment de sa religion, de son origine nationale, de son appartenance à une minorité ethnique, etc. L’article 13 § 2 de la Constitution, qui proclame la liberté de toute religion « connue » et l’exercice sans entrave des devoirs religieux, est aussi conforme au contenu [de cette Convention]. Eu égard à ce qui précède, il est clair que les dispositions susmentionnées assurent aux minorités religieuses la liberté religieuse, la liberté du culte et l’égalité religieuse et par extension le droit de fonder des associations et établissements religieux, qui acquièrent la personnalité juridique de plein droit, mais seulement après avoir respecté les lois de l’Etat relatives à cette acquisition (…). Il est même stipulé (article 13 § 4 de la Constitution) que les convictions religieuses des minorités ne peuvent pas constituer un motif légal les dispensant de se conformer aux lois susmentionnées pour l’acquisition de la personnalité juridique qui est une condition de la capacité d’ester en justice, en vertu de l’article 62 alinéa a) du code de procédure civile (…). Par conséquent, pour que l’article 20 de la Constitution, aux termes duquel chacun a droit à trouver une protection juridique auprès des tribunaux, s’applique, la réunion des conditions légales susmentionnées est nécessaire. En outre, puisque l’article 13 de la loi d’accompagnement du code civil (…) dispose que seules les personnes morales « légalement constituées » à la date de l’adoption du code civil, continuent à exister, le tribunal du fond a, à juste titre, conclu à la non-applicabilité de l'article 20 en l’espèce, compte tenu du fait que les formalités exigées par les lois grecques pour l’acquisition de la personnalité juridique n’avaient pas été respectées par ceux qui ont formé le pourvoi. » II. le droit ET LA PRATIQUE INTERNES pertinentS A. Les dispositions légales La Constitution Les articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi : Article 3 « 1. La religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ. L’Eglise orthodoxe de Grèce, reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ, est indissolublement unie, quant au dogme, à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de la même foi (homodoxi), observant immuablement, comme les autres églises, les saints canons apostoliques et synodiques ainsi que les saintes traditions. Elle est autocéphale et administrée par le saint-synode, composé de tous les évêques en fonctions, et par le saint-synode permanent qui, dérivant de celui-ci, est constitué comme il est prescrit par la Charte statutaire de l’Eglise et conformément aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l’Acte synodique du 4 septembre 1928. Le régime ecclésiastique établi dans certaines régions de l’Etat n’est pas contraire aux dispositions du paragraphe précédent. Le texte des Saintes Ecritures est inaltérable. Sa traduction officielle en une autre forme de langage, sans le consentement préalable de l’Eglise autocéphale de Grèce et de la Grande Eglise du Christ à Constantinople, est interdite. » Article 13 « 1. La liberté de la conscience religieuse est inviolable. La jouissance des droits individuels et politiques ne dépend pas des croyances religieuses de chacun. Toute religion connue est libre ; les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. L’exercice du culte ne peut pas porter atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante. Nul ne peut être dispensé de l’accomplissement de ses devoirs envers l’Etat, ou refuser de se conformer aux lois, en raison de ses convictions religieuses. Aucun serment ne peut être imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule. » Le code civil L’article 13 de la loi d’accompagnement du code civil dispose : « Les personnes morales légalement constituées à la date de l’adoption du code civil [le 23 février 1946], continuent d’exister. Pour ce qui est de leur capacité, leur administration ou leur fonctionnement, sont valables à leur égard les dispositions du code y afférentes. » L’article 61 du code civil donne la définition suivante de la personne juridique en général : « Une union de personnes, en vue de poursuivre un but déterminé, de même qu’un ensemble de biens affectés au service d’un but déterminé, peuvent acquérir la personnalité (personne juridique), si les conditions inscrites dans la loi sont observées. » Les personnes morales consacrées par le code civil sont les associations (articles 78 et suivants), les fondations (articles 108 et suivants), et les comités de quête (articles 122 et suivants). Quant aux sociétés civiles, elles n’acquièrent la personnalité morale qu’après avoir observé les mesures de publicité fixées par la loi pour les sociétés en nom collectif (articles 741 et suivants, article 784). Il faut également noter que le code civil applique les dispositions relatives aux sociétés aux unions de personnes créées en vue de la poursuite d’un but, sans pour autant être des associations (article 107). Le code de procédure civile Selon l’article 62 du code de procédure civile, « celui qui a la capacité d’avoir des droits et obligations a également la capacité d’ester en justice. Les unions de personnes qui poursuivent un certain but sans être des associations, ainsi que les sociétés qui n’ont pas la personnalité juridique, peuvent ester en justice. » Cette notion d’union de personnes semble rejoindre celle de groupement d’intérêt commun en droit grec, puisque la jurisprudence a retenu cette notion pour la copropriété d’un navire, pour un parti politique ou pour l’union des copropriétaires d’un immeuble. La loi n° 590/1977 relative à la Charte statutaire de l’Eglise de Grèce L’article 1 § 4 de la loi n° 590/1977 relative à la Charte statutaire de l’Eglise de Grèce attribue à l’Eglise orthodoxe, ainsi qu’à un certain nombre de ses institutions, la personnalité morale de droit public, tout au moins en ce qui concerne « leurs rapports juridiques ». Le Traité de Sèvres du 10 août 1920 L’article 8 du Traité de Sèvres du 10 août 1920 dispose : « Les ressortissants grecs appartenant à des minorités ethniques, religieuses et linguistiques jouiront de la même protection et des mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants grecs ; ils auront notamment un droit égal à créer, diriger et contrôler, à leurs frais, des institutions charitables, religieuses ou sociales, des écoles ou autres établissements éducatifs, avec le droit d’y faire librement usage de leur propre langue et d'y pratiquer librement leur religion. » B. La jurisprudence A son mémoire à la Cour, la requérante a annexé une série d’arrêts rendus par les plus hautes juridictions du pays et qui fonderaient son allégation selon laquelle ni la personnalité morale de l’Eglise catholique en Grèce ni sa capacité d’ester en justice n’ont jamais été mises en cause. Il s’agit des décisions suivantes : – l'arrêt n° 142/1889 de la Cour de cassation, d’après lequel l'évêque catholique compétent représente en justice la personne morale de l'Eglise catholique et de ses églises paroissiales, pour la protection de leur patrimoine, et cela aux termes du droit canonique catholique, entièrement applicable en Grèce, dans la mesure où celui-ci n'entre pas en conflit avec des dispositions du droit national ; – l'arrêt n° 1437/1896 de la cour d'appel d'Athènes, statuant dans le même sens et selon lequel le droit canonique de l'Eglise catholique a été reconnu par le protocole du 3 février 1830 « comme ayant force de loi » en Grèce ; – l'arrêt n° 256/1902 de la cour d'appel d'Athènes, jugeant qu'il appartient au pape de nommer les administrateurs du patrimoine ecclésiastique de l'Eglise catholique au niveau local et, de surcroît, qu'il n'est nullement besoin que les églises paroissiales catholiques « une fois établies et ayant une existence légale, obtiennent une autorisation par les autorités de l'Etat pour acquérir [leur] personnalité morale » ; – l'arrêt n° 45/1931 de la cour d'appel d'Egée, d’après lequel les églises paroissiales catholiques sont représentées par des personnes nommées par le pape, selon le droit canonique ; – l'arrêt n° 1885/1946 de la cour d'appel d'Athènes – premier en date à être émis en la matière après l'entrée en vigueur du code civil de la même année –, selon lequel les personnes morales constituées avant 1946 sont pleinement reconnues en vertu de l'article 13 de la loi d'accompagnement du code civil ; en ce qui concerne, plus précisément, les fondations de l'Eglise catholique en Grèce, d'après ce même arrêt, les évêques catholiques ont le pouvoir « particulier » de les constituer par un acte unilatéral, sans qu'il soit nécessaire que ce dernier revête une quelque forme que ce soit ou qu'il soit soumis à une autorisation préalable quelconque ; – l'arrêt n° 2716/1973 de la deuxième chambre du Conseil d'Etat, qui a reconnu la personnalité juridique du couvent catholique des Sœurs Ursulines de l'île de Tinos, créé légalement en 1865, auquel était rattachée l'école catholique fonctionnant sous le même nom à Athènes ; – l'arrêt n° 1292/1977 de l'assemblée plénière du Conseil d'Etat, reconnaissant la personnalité juridique de l'église paroissiale Saint-Jean-Baptiste de l'île de Thira dans une affaire d'expropriation pour utilité publique ; – l'arrêt n° 101/1979 de la cour d'appel d'Egée, rendu dans une affaire d'ingérence illégale dans les droits de possession et de propriété de la même église paroissiale de l'île de Thira, dont la capacité d'ester en justice a été formellement confirmée. En revanche, à la suite de l'arrêt n° 360/1994 rendu par la Cour de cassation dans le cadre de la présente affaire, la cour d'appel de Crète a rejeté une action intentée conjointement par l'église catholique épiscopale de Crète et la requérante visant la restitution d'un immeuble loué, et cela en invoquant l'incapacité d'ester en justice des demanderesses, par manque de personnalité juridique (arrêt n° 408/1995). De son côté, le Gouvernement a cité un arrêt du Conseil d’Etat (n° 239/1966) qui affirmait qu’un monastère fondé en 1963 par un acte de l’évêque catholique de Grèce, n’avait pas acquis de ce seul fait la personnalité juridique. Le Conseil d’Etat s’exprima ainsi : « Le troisième protocole du 3 février 1830 des puissances protectrices, adopté à Londres et ratifié en Grèce par le mémorandum du 10 avril 1830 du Sénat hellénique (...) visait à assurer la liberté de religion et le libre exercice du culte des catholiques installés en Grèce et ne reconnaissait pas aux évêques de l'Eglise occidentale une juridiction autre que spirituelle et administrative, c'est-à-dire se rapportant à l'ordre intérieur de cette Eglise, et les dispositions du droit canon qui régit l'Eglise catholique romaine, lesquelles accordent la personnalité juridique aux couvents et autres établissements ecclésiastiques fondés par acte des évêques, de cette Eglise, n'ont pas été introduites. La personnalité juridique des établissements ecclésiastiques est une question qui ne se rapporte pas au culte et à l'ordre interne de l'église, mais qui concerne en premier lieu l'ordre juridique de l'Etat et, par conséquent, elle ne peut exister que si elle est reconnue par la loi. ». Enfin, par un arrêt (n° 1099/1985) de 1985, la Cour de cassation a jugé que l'abbé d'un établissement monastique de l'Eglise catholique romaine est habilité à représenter celui-ci en justice pour les questions concernant son patrimoine, sans l'autorisation écrite de l'évêque local prévue par le canon 1526. C. La pratique administrative et notariale Selon l'église requérante, de nombreux actes notariaux, auxquels l'Eglise catholique de Grèce et/ou des églises catholiques paroissiales étaient parties, dûment représentées par des fondés de pouvoir selon le droit canonique catholique, attestent sans équivoque qu'en ce qui concerne le patrimoine de celles-ci, leur personnalité juridique n'a jamais été contestée. A titre d'exemple, elle produit les pièces suivantes : – le contrat de vente n° 17955/1915 en vertu duquel la cathédrale catholique d'Athènes, dûment représentée par l'archevêque des catholiques hellènes, a acheté un terrain de 12 500 mètres carrés situé dans la banlieue d'Athènes à Irakleion. A ce contrat est joint un certificat du Bureau des hypothèques d'Athènes daté du 13 juin 1997, confirmant son enregistrement selon les normes en vigueur ; – le contrat de vente n° 5027/1936 en vertu duquel l'église requérante, dûment représentée, a acheté un magasin au centre de la ville de La Canée ; – le contrat de vente n° 271/1955 en vertu duquel la cathédrale catholique d'Athènes, dûment représentée, a acheté un bâtiment de quatre étages au centre de la ville d'Athènes, et auquel est joint un certificat du Bureau des hypothèques d'Athènes daté du 13 juin 1997, confirmant son enregistrement selon les normes en vigueur ; – le contrat de vente n° 2084/1981 en vertu duquel l'église requérante a vendu à la municipalité de La Canée un terrain de 4 231,75 mètres carrés au centre de la ville ; l'église de La Canée a été représentée dans cet acte par son évêque, nommé par décret pontifical ; – le contrat de vente n° 53844/1981 en vertu duquel l'église requérante – qualifiée expressément de personne morale de droit privé et de fondation religieuse de l'Eglise catholique – a acheté un appartement situé à Maroussi, dans la banlieue d'Athènes ; – le contrat de vente n° 1817/1992 en vertu duquel la cathédrale catholique d'Athènes a vendu un appartement situé à Athènes, dont elle avait obtenu la propriété par donation en 1980. Cet acte notarial fait mention a) de la création de la cathédrale vendeuse en 1865 par acte unilatéral de l'évêque de Syros et b) de la bulle pontificale de 1973, en vertu de laquelle son représentant a été nommé selon les règles du droit canonique catholique. A ce contrat est joint un certificat du Bureau des hypothèques d'Athènes, daté du 13 juin 1997, confirmant son enregistrement selon les normes en vigueur. Dans tous ces contrats il est fait expressément mention que la taxe de transfert correspondante a été dûment perçue ; de surcroît, ces contrats ont été tous enregistrés auprès des Bureaux des hypothèques compétents. En outre, comme il ressort des déclarations fiscales, dûment remplies et soumises par l'église requérante pour les années 1994, 1995 et 1996, ses revenus tirés de la location des immeubles lui appartenant, dont certains des immeubles susmentionnés, ont été soustraits de l'impôt sur le revenu, en vue de la qualité du propriétaire comme personne morale religieuse. En outre, deux certificats d'héritier, émis par le secrétaire du tribunal de grande instance d'Athènes à la demande de la cathédrale catholique d'Athènes (le premier) et de l'église paroissiale catholique de Phira de l'île de Thira (le deuxième), attestent que ces églises ont été reconnues seules héritières de personnes décédées en 1988 et 1990 respectivement. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mgr Franghiskos Papamanolis a saisi la Commission le 2 août 1994. Il se plaignait du refus des juridictions grecques de reconnaître à l’église catholique de la Vierge Marie de La Canée la personnalité juridique, refus constitutif d’une atteinte discriminatoire à son droit d’accès à un tribunal, à son droit au respect de sa liberté de religion et à son droit au respect de ses biens ; il invoquait les articles 6 § 1, 9 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole n° 1. La Commission a retenu la requête (n° 25528/94) le 15 janvier 1996. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle constate que le requérant n’agit qu’en tant que représentant de l’église catholique de la Vierge Marie de La Canée, et elle estime dès lors utile de traiter la requête comme si elle était présentée par ladite église elle-même. Elle arrive à la conclusion : a) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention pris isolément (unanimité) ; b) qu’il y a eu violation de l’article 9 combiné avec l’article 14 de la Convention (dix-huit voix contre dix) ; c) qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 6 tant pris isolément que combiné avec l’article 14 de la Convention (dix-sept voix contre onze) ; d) qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1 tant pris isolément que combiné avec l’article 14 de la Convention (vingt et une voix contre sept). Le texte intégral de son avis et des six opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à « rejeter la requête ». A l'audience, l'église requérante a demandé à la Cour d'« accepter sa requête et de constater qu'il y a eu violation des articles invoqués ».
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I. Les circonstances de l'espèce Les requérants sont agriculteurs. M. et Mme Stallinger résident à Rohrbach, en Haute-Autriche, M. et Mme Kuso à Au am Leithagebirge, en Basse-Autriche. Leurs terres ont fait l'objet d'une procédure de remembrement agricole (Zusammenlegungsverfahren). A. Le cas de M. et Mme Stallinger En décembre 1980, l'Autorité agricole du district de Linz (Agrarbezirksbehörde - "l'Autorité de district") publia un plan de remembrement concernant la zone de Harrau-Rohrbach. A la suite de divers recours intentés par les requérants, celui-ci fut modifié à deux reprises. Les plans amendés furent publiés en septembre 1983 et février 1986. Le 16 octobre 1986, la Commission de la réforme agraire du Land de Haute-Autriche (Landesagrarsenat - "la Commission régionale"), composée de cinq fonctionnaires et de trois magistrats (paragraphe 24 ci-dessous), rejeta un nouveau recours formé par les requérants contre le troisième plan de remembrement. La décision fut rendue après des débats oraux tenus en chambre du conseil. Les requérants, assistés par un avocat, ainsi que d'autres parties intéressées dont le maire de Rohrbach, comparurent. Se fondant sur un rapport d'expertise officiel et un rapport d'expertise privé soumis par les requérants, ainsi que sur d'autres preuves, parmi lesquelles le résultat des investigations menées sur place par ses membres experts en l'absence des parties, la Commission régionale estima que les parcelles attribuées aux requérants constituaient une compensation adéquate pour celles qu'ils avaient dû céder. L'allégation des intéressés selon laquelle certaines de leurs anciennes parcelles avaient une valeur supérieure, compte tenu des possibilités de construction future qu'elles recélaient, fut jugée non prouvée, les terres en question étant classées agricoles et utilisées comme telles. De surcroît, il résultait de déclarations faites par des responsables locaux qu'aucun changement n'était prévu pour l'avenir. Aussi le fait qu'un certain K., cité comme témoin par les requérants, s'était montré disposé à payer un prix plus élevé pour les parcelles en question fut-il considéré comme dépourvu de pertinence. Le 24 septembre 1987, la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), estimant que la plainte des intéressés ne présentait pas suffisamment de chances de succès, refusa d'en connaître et renvoya l'affaire à la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). Elle se référa à l'arrêt Ettl et autres c. Autriche rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme le 23 avril 1987 (série A n° 117). Le 3 mai 1988, la Cour administrative débouta les requérants, rejetant par la même occasion leur demande de débats oraux, conformément à l'article 39 par. 2, alinéa 6, de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 28 ci-dessous). Répondant à l'argument des intéressés selon lequel les membres experts de la Commission régionale avaient des préjugés dus à leur propre rapport d'expertise lorsque, comme en l'espèce, celle-ci annulait un plan de remembrement puis connaissait d'un recours dirigé contre le nouveau, la Cour administrative renvoya à sa propre jurisprudence et à celle de la Cour constitutionnelle, ainsi qu'à l'arrêt Ettl et autres précité, dont il ressortait que la participation de membres experts aux décisions des Commissions régionales ne prêtait pas à critique sur le plan juridique. Au sujet du grief des requérants selon lequel des membres experts de la Commission régionale avaient effectué des investigations sur place en leur absence, elle déclara que la procédure suivie était conforme aux règles applicables. Elle releva également que dans le même temps qu'ils avaient été cités à comparaître à l'audience d'appel les requérants s'étaient vu notifier les résultats de l'enquête et que, partant, ils auraient pu formuler leurs observations à cette audience. La Cour administrative jugea également qu'était inattaquable l'appréciation portée par la Commission régionale sur la question de savoir si certaines des anciennes parcelles des requérants avaient des chances d'être déclarées constructibles. B. Le cas de M. et Mme Kuso En mai 1974, l'Autorité agricole de district de Basse-Autriche (Agrarbezirksbehörde - "l'Autorité de district") publia un plan de remembrement provisoire concernant la zone de Au am Leithagebirge. A la suite d'un recours intenté par les requérants, le plan fut amendé. Le 9 septembre 1975, l'Autorité de district édicta un nouveau plan de remembrement. Le 31 janvier 1979, après une série de recours, la Commission de la réforme agraire du Land de Basse-Autriche (Landesagrarsenat - "la Commission régionale") accueillit en partie l'appel dont l'avait saisie les requérants, mais rejeta leur grief selon lequel les parcelles qui leur avaient été attribuées étaient insuffisantes et la compensation reçue par eux inadéquate de ce fait. Le 5 novembre 1980, statuant sur le pourvoi formé par les intéressés, la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat) annula la décision de la Commission régionale et renvoya l'affaire à l'Autorité de district, au motif que certaines des parcelles attribuées aux requérants à titre compensatoire paraissaient insuffisantes. Le 30 janvier 1984, l'Autorité de district publia un nouveau plan, qui fut confirmé par la Commission régionale le 18 décembre 1984. Celle-ci jugea suffisantes les parcelles attribuées aux requérants à titre compensatoire. Le 26 novembre 1985, la Cour administrative annula partiellement la décision du 18 décembre 1984 pour violation de dispositions procédurales. Le 17 février 1987, la Commission régionale, après avoir tenu une audience à huis clos, mais sans avoir procédé à des investigations complémentaires, rejeta le recours intenté par les intéressés contre le plan de remembrement du 30 janvier 1984. Le 24 septembre 1987, la Cour constitutionnelle, jugeant que le recours dont l'avaient saisie les requérants ne présentait aucune chance de succès, refusa de l'examiner et renvoya l'affaire à la Cour administrative. Le 19 avril 1988, la Cour administrative débouta les intéressés, rejetant par la même occasion leur demande de débats oraux, conformément à l'article 39 par. 2, alinéa 6, de la loi sur la Cour administrative (paragraphe 28 ci-dessous). Statuant sur leur grief selon lequel l'audience devant la Commission régionale n'avait pas été publique, elle renvoya à l'arrêt Ettl et autres précité, et jugea que pareilles audiences étaient couvertes par la réserve autrichienne relative à l'article 6 de la Convention (art. 6). Elle écarta en outre l'allégation selon laquelle la Commission régionale, qui avait eu à connaître de deux recours consécutifs à propos de la même question, ne pouvait plus être considérée, pour ce motif, comme un tribunal impartial au sens de l'article 6 (art. 6). La Cour administrative considéra en outre que la Commission régionale avait remédié aux vices de procédure qui avaient justifié l'annulation de sa décision antérieure. De fait, la décision de la Commission régionale contenait à présent une estimation détaillée et ne prêtant pas à critique de la valeur respective des anciennes parcelles des requérants et de celles leur ayant été attribuées à titre compensatoire. La Cour administrative estima également que la Commission régionale avait rejeté à bon droit comme dépourvues de pertinence les preuves complémentaires présentées par les intéressés à cet égard. Les requérants ayant soutenu que leur cause n'avait pas suffisamment été débattue à l'audience et que les membres suppléants (Ersatzmitglieder) de la Commission régionale n'avaient, en conséquence, pas été suffisamment informés de l'ensemble des questions, la Cour administrative fit d'abord observer qu'un seul des membres de la Commission régionale à avoir participé à l'audience consacrée au recours des requérants était suppléant, et qu'en tout état de cause, tous les membres, de même que les parties, avaient eu l'occasion de poser les questions nécessaires à un établissement exhaustif et correct des faits. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Article 90 par. 1 de la Constitution fédérale L'article 90 par. 1 de la Constitution fédérale est ainsi libellé: "Les débats judiciaires en matière civile et pénale sont oraux et publics. La loi prévoit les exceptions à cette règle." B. Composition des Commissions régionales de la réforme agraire Les Commissions régionales de la réforme agraire comptent huit membres, tous nommés par le gouvernement du Land de la Fédération autrichienne dans lequel elles exercent leur juridiction (article 5 paras. 2 et 4 de la loi fédérale de 1950 sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz), telle qu'amendée en 1974). En voici la répartition: - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique (rechtskundig), lequel agit comme président; - trois magistrats; - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, lequel agit comme rapporteur; - un haut fonctionnaire du Land (Landesbeamter des höheren Dienstes) ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du Land ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz). Pour chacun des membres ci-dessus, il y a lieu de nommer un membre suppléant (article 5 par. 3 de la loi fédérale sur les autorités agricoles). C. Débats devant les commissions de la réforme agraire L'article 9 par. 1 de la loi fédérale sur la procédure en matière agricole (Agrarverfahrensgesetz) est ainsi libellé: "Les commissions de la réforme agraire statuent après des débats oraux tenus en présence des parties." Les autorités administratives ont pour pratique constante de tenir les débats oraux en chambre du conseil si la loi n'en dispose pas autrement. En vertu d'un texte adopté en décembre 1993 (Bundesgesetzblatt n° 901, p. 7160), les débats devant les commissions de la réforme agraire sont maintenant publics. D. Débats devant la Cour administrative Selon l'article 36 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofgesetz), la procédure consiste essentiellement dans un échange d'observations écrites. Si l'une des parties le demande, la Cour administrative peut tenir une audience, en principe publique (articles 39 par. 1, alinéa 1, et 40 par. 4). L'article 39 par. 1 de la loi sur la Cour administrative fait obligation à celle-ci de tenir une audience après son examen préliminaire de l'affaire si une partie en fait la demande dans le délai prescrit. Toutefois, l'article 39 par. 2, alinéa 6, ajouté à la loi en 1982, énonce: "Nonobstant la demande d'une partie (...), la Cour administrative peut renoncer à tenir une audience si (...) il ressort des mémoires soumis par les parties à la procédure devant elle et des dossiers des procédures antérieures qu'une audience ne contribuera sans doute pas à éclaircir l'affaire." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Stallinger ont saisi la Commission le 16 novembre 1988, M. et Mme Kuso le 27 février 1989. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), ils alléguaient que les commissions de la réforme agraire ne pouvaient passer pour des tribunaux indépendants et impartiaux établis par la loi, et se plaignaient de n'avoir pu s'exprimer dans le cadre d'une audience publique. S'appuyant sur l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), ils soutenaient en outre que les parcelles de terre qui leur avaient été attribuées au titre du remembrement avaient un rendement moindre que celles qu'ils possédaient auparavant. Le 17 octobre 1991, la Commission a joint les requêtes (nos 14696/89 et 14697/89). Le 29 mars 1993, elle les a déclarées recevables dans la mesure où elles concernaient les griefs fondés sur l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Dans son rapport du 7 décembre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l'avis unanime a) qu'il n'y a pas eu violation du droit des requérants à voir statuer sur leurs droits et obligations de caractère civil par "un tribunal indépendant et impartial établi par la loi"; b) qu'il y a eu violation du droit des intéressés à une audience publique; c) qu'il n'y a pas eu violation du droit de M. et Mme Stallinger à un procès équitable. Le texte intégral de l'avis de la Commission figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-II), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Les requérants invitent la Cour à juger que l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) a été violé à leur endroit eu égard à la composition des commissions de la réforme agraire et à la procédure appliquée devant elles. Le Gouvernement demande à la Cour de dire que l'article 6 de la Convention (art. 6) n'a pas été violé en l'espèce.
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissante suédoise née en 1951, Mme M.S. réside en Suède. Avant les événements litigieux, elle travaillait comme enseignante de maternelle. Alors qu'elle avait quatorze ans, on lui diagnostiqua une ylolisthésis, affection touchant la colonne vertébrale et pouvant donner des maux de dos chroniques. Le 9 octobre 1981, elle se blessa au dos sur son lieu de travail, à l'occasion d'une chute provoquée par une glissade. L'après-midi même, elle se fit examiner par un médecin du service de gynécologie de l'hôpital où, enceinte à l'époque, elle se rendait régulièrement. Ayant repris son activité professionnelle, Mme M.S. fut fréquemment contrainte de l'interrompre, en raison de sévères maux de dos. Après s'être trouvée en congé de maladie pendant une certaine période, elle se vit accorder une pension d'invalidité temporaire (sjukbidrag) et, à compter d'octobre 1994, une pension d'invalidité (förtidspension). Le 13 mars 1991, elle saisit la Caisse de sécurité sociale (Försäkringskassan ; "« la Caisse ») d'une demande d'indemnisation au titre de la loi sur l'assurance invalidité professionnelle (Lagen om arbetsskadeförsäkring, 1976:380). Quelque temps après, comme elle le fait systématiquement, son avocate sollicita et obtint de la Caisse une copie du dossier établi par celle-ci aux fins de la demande de l'intéressée. En lisant les pièces du dossier, elle découvrit que, le 25 mars 1992, la Caisse avait écrit au service de gynécologie précité une lettre comportant le passage suivant : « [La requérante] déclare avoir été victime d'un accident du travail le 9 octobre 1981. Etant alors enceinte, elle s'est adressée à votre service. La Caisse de sécurité sociale vous prie de bien vouloir lui faire parvenir une copie du dossier médical établi à cette époque. Nous vous saurions gré de répondre à notre demande dans les meilleurs délais, car l'affaire est en souffrance depuis un certain temps et ne peut être instruite sans ledit dossier. » De la copie reçue il ressortait également que, le 30 mars 1992, le chef du service de gynécologie avait fait parvenir à la Caisse des copies de pièces du dossier médical de l'intéressée qui contenaient des informations sur les soins qui lui avaient été prodigués en octobre 1981, en mars 1982 et entre octobre 1985 et février 1986. Mme M.S. n'avait pas été consultée avant la divulgation de ces documents. Du dossier établi en octobre 1985 il ressortait notamment que Mme M.S. s'était plainte de douleurs aux hanches et au dos, mais non qu'elle eût affirmé s'être blessée à son travail. Les pièces datant de la période d'octobre 1985 à février 1986 contenaient des renseignements concernant un avortement qui avait été demandé par elle au motif que sa grossesse exacerbait ses maux de dos, et qui avait été pratiqué en octobre 1985. A cet égard, une mention portée le 22 octobre 1985 était ainsi libellée : « L'avortement est principalement motivé par les terribles maux de dos éprouvés par l'intéressée, surtout pendant sa dernière grossesse. » Le 19 mai 1992, estimant que le congé de maladie de l'intéressée n'était pas dû à un accident du travail, la Caisse rejeta la demande d'indemnisation présentée par Mme M.S. au titre de la loi sur l'assurance invalidité professionnelle. La requérante saisit successivement la Commission de la sécurité sociale (Socialförsäkringsnämnden), le tribunal administratif local (Länsrätten) et la cour administrative d'appel (Kammarrätten) compétente, mais à chaque stade son recours fut rejeté. Le 26 février 1996, la Cour administrative suprême (Regeringsrätten) lui refusa l'autorisation de la saisir. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le principe général de la liberté de l'information D'après les articles 1 et 2 du chapitre 2 de la loi sur la liberté de la presse (Tryckfrihetsförordningen), qui fait partie de la Constitution suédoise, l'accès aux documents publics est, sauf les exceptions prévues par la loi sur le secret (Sekretesslagen, 1980:100), garanti à toute personne. B. Confidentialité des informations médicales Une des exceptions à cette règle générale concerne la confidentialité des informations dans le domaine de la santé et des soins médicaux ; elle est énoncée à l'article 1 du chapitre 7 de la loi sur le secret, aux termes duquel : « Le secret s'applique (...), en matière de santé et de soins médicaux, aux informations touchant l'état de santé de la personne ou tout autre aspect de sa vie privée, sauf s'il est manifeste qu'elles peuvent être divulguées sans nuire à l'intéressé ou à ses proches. (...) » C. L'obligation d'informer Nonobstant ladite règle de confidentialité, les autorités sanitaires et médicales sont tenues, dans certaines circonstances, de soumettre des informations à une autre autorité. C'est ainsi que l'article 1 du chapitre 14 de la loi sur le secret énonce : « Le secret n'empêche pas (...) la divulgation d'informations à une autre autorité publique, si cette divulgation est obligatoire en vertu d'une loi ou d'un décret gouvernemental. » Pareille obligation résulte de l'article 7 du chapitre 8 de la loi sur l'assurance invalidité professionnelle, qui dispose : « Toute autorité publique (...) est tenue de communiquer, sur demande, aux tribunaux, au Service national de la sécurité sociale [Riksförsäkringsverket] [ou] à la Caisse de sécurité sociale (...), les informations relatives à une personne nommément désignée qui portent sur des éléments pertinents aux fins de l'application de la présente loi. (...) » A cet égard, un médecin employé (comme en l'espèce) par un hôpital public est considéré comme le représentant d'une autorité publique. En outre, la personne qui demande à être indemnisée au titre de la loi sur l'assurance invalidité professionnelle doit fournir à la Caisse de sécurité sociale toute information pertinente pour la demande (article 6 du chapitre 8 de la loi sur l'assurance invalidité professionnelle). La Caisse de sécurité sociale a l'obligation corrélative de recueillir l'avis d'un médecin au sujet de tout accident du travail qui fait l'objet d'une déclaration (article 13 du décret sur l'assurance invalidité professionnelle et le Fonds national d'indemnisation des victimes d'accidents du travail – Förordning om arbetsskadeförsäkring och statligt personskadeskydd, 1977:284). La confidentialité des informations communiquées à la Caisse de sécurité sociale est protégée par la règle énoncée à l'article 7 du chapitre 7 de la loi sur le secret : « La Caisse de sécurité sociale, le Service national de la sécurité sociale et les tribunaux sont tenus au secret en ce qui concerne les questions pouvant se poser sur le terrain de la législation relative à (...) l'assurance invalidité professionnelle (...), à l'égard des informations touchant l'état de santé d'une personne ou tout autre aspect de sa vie privée, s'il y a des raisons de croire que la divulgation des informations en cause nuira à l'intéressé ou à ses proches. (...) » D. Recours La loi sur la liberté de la presse et la loi sur le secret prévoient un droit de recours contre toute décision refusant l'accès à des documents officiels. En revanche, les décisions accordant l'accès à des informations contenues dans des documents publics ne sont pas susceptibles de recours. De plus, la personne concernée n'a droit ni à être consultée préalablement à la divulgation de telles informations ni à en être informée après coup. En vertu de l'article 3 du chapitre 20 du code pénal (Brottsbalken), un médecin qui, intentionnellement ou par négligence, divulgue des informations dont la loi protège la confidentialité se rend coupable de violation du secret professionnel. Le ministère public ou, si celui-ci décide de ne pas poursuivre, la personne lésée peut engager une procédure devant les juridictions de droit commun. Pareille violation du secret professionnel peut également fonder une action en réparation au titre de l'article 1 du chapitre 2 ou de l'article 1 du chapitre 3 de la loi sur la responsabilité civile (Skadeståndslagen, 1972:207). La personne lésée peut attaquer indifféremment le médecin ou l'employeur de celui-ci. Les autorités publiques et leur personnel sont en outre soumis au contrôle du Chancelier de la Justice (Justitiekanslern) et du médiateur parlementaire (Justitieombudsmannen). Ces derniers vérifient si les personnes qui exercent des fonctions publiques respectent les lois et les instructions applicables, et ils peuvent poursuivre un individu ou déférer l'affaire à l'autorité compétente en vue d'une action disciplinaire. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme M.S. a saisi la Commission de sa requête (n° 20837/92) le 23 septembre 1992. S'appuyant sur l'article 8 de la Convention, elle alléguait que la communication de son dossier médical à la Caisse de sécurité sociale était constitutive d'une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée, et, invoquant les articles 6 et 13, elle se plaignait de n'avoir disposé d'aucun recours pour attaquer cette mesure. La Commission a retenu la requête le 22 mai 1995. Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31), elle formule l'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention (vingt-deux voix contre cinq), qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention (vingt-quatre voix contre trois) et qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 13 de la Convention (vingt voix contre sept). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR A l'audience du 18 mars 1997, le Gouvernement, comme il l'avait fait dans son mémoire, a invité la Cour à conclure à l'absence de violation de la Convention en l'espèce. Réitérant elle aussi la demande contenue dans son mémoire, la requérante a prié la Cour de constater qu'il y a eu violation des articles 6, 8 et 13 et de lui allouer une satisfaction équitable au titre de l'article 50.
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I. Les circonstances de l’espèce A. La genèse de l’affaire Les requérants, tous trois citoyens suisses domiciliés dans le canton de Zurich, sont respectivement la veuve et les fils de feu M. P., décédé le 28 février 1984. M. P. était l’unique actionnaire d’une société de construction. Les requérants sont ses seuls héritiers. L’entreprise que possède la société est gérée par les fils de M. P. Le 8 mai 1984, les autorités municipales dressèrent un inventaire de la succession de M. P. Copie de ce document a été versée au dossier de la Commission ; elle porte la date du 17 mai 1984. Le délai de trois mois dans lequel les requérants auraient pu répudier la succession (articles 566 § 1 et 567 § 1 du code civil suisse – paragraphe 24 ci-dessous) expira, semble-t-il, le 28 mai 1984. Entre le 1er et le 3 octobre 1985, le fisc examina les registres de la société. Il en ressortait que, sur plusieurs années, M. P. s’était approprié certains arriérés de paiement dus à la société et ne les avait pas déclarés comme revenus, se soustrayant ainsi à l’impôt à la fois cantonal et fédéral. Les services fiscaux cantonaux et fédéraux engagèrent chacun contre les requérants une procédure en recouvrement de l’impôt impayé, et leur imposèrent simultanément des amendes pour fraude fiscale. 12. Il semble que les requérants aient coopéré avec ces services en leur fournissant les informations nécessaires à une évaluation exacte des sommes dues. Ils s’opposèrent cependant aux amendes infligées et se pourvurent devant les tribunaux compétents, se déclarant innocents de l’infraction fiscale commise par M. P. La procédure cantonale prit fin le 2 novembre 1989 avec un jugement du tribunal administratif du canton de Zurich. Cette juridiction estima que c’était un principe de droit pénal dans un Etat de droit que de ne pas punir l’innocent et - renversant sa jurisprudence - elle déclara qu’il était dès lors illégal d’imposer des amendes aux héritiers pour une fraude fiscale commise par le de cujus. B. La procédure au niveau fédéral Le 16 janvier 1990, la Direction de l’impôt fédéral direct de l’Office cantonal des impôts de Zurich, se prononçant sur la réclamation déposée par les requérants, procéda à l’évaluation de l’impôt fédéral direct illégalement soustrait par M. P. pour les exercices 1981-1982 et 1983-1984, et infligea aux requérants des amendes s’élevant à 3 875,85 francs suisses (CHF) pour 1981–1982 et 2 882,90 CHF pour 1983-1984. Elle motiva ainsi sa décision : « En procédant à une déclaration inexacte, le contribuable a retenu à son profit des impôts dus à l’Etat et s’est ainsi rendu coupable de soustraction fiscale. En vertu des articles 130 § 1 et 129 § 1 de l’arrêté du Conseil fédéral concernant la perception d’un impôt fédéral direct – « l’arrêté » –, ses héritiers doivent donc payer, outre les impôts ainsi retenus, une amende pouvant atteindre le quadruple du montant de ceux-ci. Pour l’exercice fiscal 1981-1982, au cours duquel la soustraction a porté sur plus de 5/10e de l’impôt dû, l’amende est fixée à 1,5 fois la somme détournée. Pour l’exercice 1983-1984, au cours duquel plus de 3/10e de l’impôt dû ont été soustraits, l’amende est fixée à 1,3 fois la somme détournée. Toutefois, comme on peut constater que les héritiers ont fait tout leur possible pour redresser la déclaration inexacte, l’amende est ramenée à un quart de la somme due. » L’Office cantonal des impôts refusa de suivre le précédent de l’arrêt rendu par le tribunal administratif du canton de Zurich le 2 novembre 1989 (paragraphe 13 ci-dessus), au motif qu’il ne pouvait pas s’écarter des dispositions très claires d’une loi fédérale tant que leur inconstitutionnalité n’avait pas été établie. Les requérants attaquèrent cette décision devant la commission fédérale de recours en matière fiscale du canton de Zurich, en invoquant notamment l’article 6 § 2 de la Convention. La commission se prononça le 19 septembre 1990. Elle annula l’évaluation faite pour l’exercice 1981-1982 au motif qu’elle n’avait pas été légalement communiquée aux requérants dans le délai de prescription de cinq ans (article 134 de l’arrêté). Elle confirma en revanche l’évaluation faite pour 1983-1984. Dans ce contexte, la commission de recours déclara que l’on ne pouvait directement invoquer l’article 6 § 2 que dans la mesure où il fournissait des garanties complémentaires à celles de la Constitution fédérale - ce qui n’était pas le cas. Dans un obiter dictum, la commission fédérale de recours fit une distinction entre la présomption d’innocence et le principe que seul le coupable doit être puni. L’obligation pour les héritiers d’acquitter les amendes encourues par le contribuable, qui ne heurtait pas ce dernier principe - tel que l’interprète le droit interne et qu’il a été appliqué au défunt - n’était pas non plus nécessairement contraire à la présomption d’innocence. Le 21 décembre 1990, les requérants déposèrent devant le Tribunal fédéral un recours de droit administratif. Réitérant leur opposition aux amendes, ils prétendaient en outre avoir droit, en vertu de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, à faire entendre publiquement leur cause et à se voir reconnaître les droits de la défense. La commission fédérale de recours en matière fiscale à Zurich, et l’Administration fédérale des contributions, invitées à soumettre des observations écrites conformément à l’article 110 de la loi fédérale d’organisation judiciaire (paragraphe 28 ci-dessous), exprimèrent l’avis qu’il fallait rejeter le recours. La Direction de l’impôt fédéral direct de l’Office cantonal des impôts de Zurich, également priée de présenter des observations, déclina l’invitation. Le Tribunal fédéral rejeta le recours sans tenir d’audience (article 109 de la loi fédérale d’organisation judiciaire - paragraphe 29 ci-dessous) par un arrêt rendu le 5 juillet 1991 et signifié aux requérants le 16 octobre. Ses motifs étaient notamment les suivants : « Contrairement aux arriérés d’imposition, l’amende pour soustraction fiscale (sauf dans la mesure où elle peut englober l’intérêt moratoire), prévue à l’article 129 de l’arrêté concernant la perception d’un impôt fédéral direct, est de nature pénale (...). Au surplus, la définition de la soustraction fiscale exige que le débiteur soit coupable, soit par commission soit par omission, de manquement à ses obligations ayant conduit à une taxation insuffisante. Toutefois, eu égard au principe de transmission aux héritiers des obligations fiscales (...), ceux-ci, aux termes de l’article 130 § 1 de l’arrêté précité, répondent de l’impôt soustrait et des amendes encourues par le défunt jusqu’à concurrence de leur part successorale, même si aucune faute ne leur est imputable. En effet, la disposition applicable de l’arrêté énonce expressément que les héritiers, indépendamment de toute faute de leur part, se substituent au défunt, y compris quant aux amendes fiscales. Les requérants ne sauraient donc invoquer, pour s’exonérer de leur responsabilité en tant qu’héritiers, la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 de la Convention, laquelle ne s’applique qu’aux personnes accusées d’une infraction (...). De même, dans les circonstances de l’espèce, les requérants ne sauraient se prévaloir des principes généraux de droit pénal qu’ils invoquent. » Le Tribunal fédéral ne se prononça pas sur les griefs tirés par les requérants de l’article 6 §§ 1 et 3. II. Le droit interne pertinent A. L’arrêté concernant la perception d’un impôt fédéral direct A l’époque des faits, la fraude fiscale était sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’au quadruple du montant soustrait à l’impôt et s’ajoutant à la somme due (article 129 § 1 de l’arrêté). L’article 130 § 1 disposait notamment : « Si la soustraction n’est découverte qu’après la mort du contribuable, la procédure est engagée et poursuivie contre ses héritiers et ceux-ci répondent solidairement de l’impôt soustrait et des amendes encourues par le défunt jusqu’à concurrence du montant de leur part héréditaire, même si aucune faute ne leur est imputable. » B. Le code civil suisse Selon l’article 537 § 1 du code civil suisse, la succession s’ouvre par la mort du de cujus. Les parties pertinentes de l’article 560 sont ainsi libellées : « 1. Les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession dès que celle-ci est ouverte. Ils sont saisis des créances et actions, des droits de propriété et autres droits réels, ainsi que des biens qui se trouvaient en la possession du défunt, et ils sont personnellement tenus de ses dettes ; le tout sous réserve des exceptions prévues par la loi. » Aux termes de l’article 566 § 1, les héritiers ont la faculté de répudier la succession. Le délai pour le faire est de trois mois (article 567 § 1). C. La procédure Le contribuable avait la faculté de présenter une réclamation sur l’évaluation d’un impôt fédéral direct auprès de l’autorité de taxation (article 105 de l’arrêté). 26. La décision rendue dans la procédure de réclamation était susceptible d’appel devant la commission cantonale de recours en matière fiscale (article 106 de l’arrêté). L’Administration cantonale de l’impôt fédéral direct et l’Administration fédérale des contributions pouvaient également former un recours (article 107). La décision de la commission fédérale de recours peut être attaquée par un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral (article 98 e) de la loi fédérale d’organisation judiciaire). Ledit recours pouvait à l’époque être formé tant par le contribuable que par l’Administration fédérale des contributions (article 112 de l’arrêté). Si le Tribunal fédéral ordonne un échange d’écritures, il invite l’autorité qui a pris la décision à lui communiquer le dossier (article 110 § 2 de la loi fédérale d’organisation judiciaire), et demande simultanément qu’elle soumette des observations écrites (article 110 § 1). L’autorité cantonale de dernière instance est, elle aussi, invitée à présenter des observations (article 110 § 3), ainsi que l’Administration fédérale qui aurait pu de même former un recours (article 110 § 1). A l’époque des événements litigieux, l’article 109 § 1 de la loi fédérale d’organisation judiciaire permettait à une chambre du Tribunal fédéral composée de trois juges de rejeter sans audience un recours de droit administratif manifestement mal fondé, à condition de prendre cette décision à l’unanimité. D. Le code pénal suisse Aux termes de l’article 333 § 1 du code pénal suisse, les dispositions générales de ce code s’appliquent aux infractions interdites par d’autres lois fédérales, sauf à celles-ci à en disposer autrement. Selon l’article 48 § 3 du même code, l’amende est éteinte par la mort du condamné. Cependant, conformément à l’article 333 § 1 du même code, l’article 130 § 1 de l’arrêté (paragraphe 21 ci-dessus) déroge à ce principe en tant que lex specialis. E. Développements ultérieurs L’article 179 § 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990, en vigueur depuis le 1er janvier 1995, dispose que les héritiers répondent notamment des amendes devenues définitives. En vertu de l’article 179 § 2, si la procédure pour fraude fiscale a été close après le décès du contribuable, les héritiers ne sont pas tenus de payer l’amende, pour autant qu’ils ne soient en rien responsables, et doivent faire leur possible pour permettre au fisc de procéder avec exactitude à la taxation. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme A.P., M. M.P. et M. T.P. ont introduit leur requête devant la Commission le 13 mars 1992. Ils invoquaient l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention en se plaignant de leur condamnation, indépendamment de toute faute de leur part, pour une infraction qu’aurait commise M. P., ainsi que de l’absence de débats publics et équitables devant un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. La Commission a retenu la requête (no 19958/92) le 16 octobre 1995. Dans son rapport du 18 avril 1996 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention faute d’une audience publique (vingt voix contre huit), mais qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 (dix-sept voix contre onze). Le texte intégral de son avis et des huit opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience, l’agent du Gouvernement a prié la Cour de conclure à l’absence de violation de l’article 6.
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I. Les circonstances de l'espèce Né le 25 février 1970 à Bechloul (Algérie), M. Hadi Bouchelkia est arrivé en France en 1972, en compagnie de sa mère et de son frère aîné, dans le cadre d'un regroupement familial. Sa mère ainsi que ses neuf frères et soeurs résident en France. En 1986, il fit la connaissance d'une femme de nationalité française qu'il épousa le 29 mars 1996. De leur union naquit une fille le 22 février 1993, qu'il reconnut le 3 décembre 1993. A. La procédure criminelle Alors qu'il était mineur, le requérant fut inculpé de viol avec violences et vol simple, des faits commis le 18 mars 1987. Incarcéré le 23 mars 1987 à la prison de Colmar, il s'en évada avec un autre détenu le 14 avril 1987, ce qui lui valut une condamnation à quatre mois d'emprisonnement. Le 31 mai 1988, la cour d'assises des mineurs du Haut-Rhin le déclara coupable des faits criminels reprochés et, lui accordant le bénéfice de circonstances atténuantes, elle lui infligea une peine de cinq années de réclusion criminelle. M. Bouchelkia recouvra la liberté le 2 mai 1990 après avoir bénéficié de réductions de peine. B. La procédure d'expulsion L'arrêté d'expulsion Saisi le 27 avril 1990 par la préfecture de la Meurthe-et-Moselle, le ministre de l'Intérieur prit le 11 juin 1990 l'arrêté suivant à l'encontre du requérant: "Vu l'article 26 de l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, Considérant que le nommé Bouchelkia Hadi ou El Hadi né le 25 février 1970 à Bechloul (Algérie) a commis le 18 mars 1987 un viol sous la menace d'une arme, Considérant qu'en raison de son comportement l'expulsion de cet étranger constitue une nécessité impérieuse pour la sécurité publique, Considérant que sa libération vient d'intervenir, Considérant qu'il y a en conséquence urgence absolue à l'éloigner du territoire français, Sur la proposition du Préfet de Meurthe-et-Moselle, ARRÊTE Article 1er: il est enjoint au susnommé de sortir du territoire français, Article 2: le préfet de police, et les préfets sont chargés de la notification et de l'exécution du présent arrêté." Notifiée le 9 juillet 1990, cette décision fut mise à exécution le jour même, et le requérant, alors âgé de vingt ans et célibataire sans enfant, fut expulsé vers l'Algérie. Le 17 juillet 1990, le conseil de M. Bouchelkia saisit le tribunal administratif de Strasbourg d'un recours en annulation de la mesure d'expulsion et, le 31 juillet, d'une requête tendant au sursis à exécution de celle-ci. Il y soutenait que l'urgence absolue et la nécessité impérieuse de l'expulsion pour la sécurité publique n'étaient pas établies en l'espèce puisque la décision intervenait deux mois après la sortie de prison du requérant et que les faits commis ne pouvaient passer pour des actes d'une particulière gravité au sens de l'esprit du texte. Il invoquait également l'article 8 de la Convention (art. 8). La demande de sursis à exécution Le 16 octobre 1990, le tribunal rejeta la demande de sursis à exécution comme suit: "(...) Considérant qu'aucun des moyens invoqués par M. Bouchelkia à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a présenté contre l'arrêté en date du 11 juin 1990 par lequel le ministre de l'Intérieur a ordonné son expulsion ne paraît de nature, en l'état du dossier soumis au tribunal, à justifier l'annulation de cet arrêté; que par suite, le requérant n'est pas fondé à demander qu'il soit sursis à son exécution; (...)" Le 31 mai 1991, le Conseil d'Etat confirma, dans les mêmes termes, le rejet de la requête. Le recours en annulation a) Devant le tribunal administratif de Strasbourg Le 21 octobre 1990, le tribunal rendit un jugement de rejet ainsi motivé: "Sur le moyen tiré de l'erreur de droit: Considérant que les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent en aucun cas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public; Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'Intérieur n'ait pas examiné l'ensemble des éléments relatifs au comportement du requérant et aux différents aspects de sa situation, afin de déterminer, si sa présence sur le territoire français constituait ou non une menace grave pour l'ordre public; que, par suite, ce premier moyen, tiré de l'erreur de droit, doit être écarté; Sur le moyen tiré de l'article 8 de la Convention (art. 8) (...): Considérant qu'aux termes de l'article 8 (art. 8) de la Convention européenne susvisée: "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance"; Considérant que le requérant se prévaut de l'article 8 de la Convention (art. 8) pour soutenir que la décision attaquée ne respecte pas les dispositions susvisées; que les principes généraux du droit à une vie familiale normale ne font pas obstacle à l'exercice du pouvoir conféré au ministre de l'Intérieur par l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée; que, par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté; Sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation: Considérant qu'aux termes de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée: "En cas d'urgence absolue et par dérogation aux articles 23 à 25, l'expulsion peut être prononcée lorsqu'elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique"; Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. El Hadi Bouchelkia a été condamné à cinq ans de prison pour viol perpétré sous la menace d'une arme; que la circonstance que l'arrêté ait été édicté deux mois après la sortie de prison du requérant n'est pas, à elle seule, de nature à ôter tout caractère d'urgence à cette expulsion, compte tenu de la gravité des faits reprochés à M. Bouchelkia; qu'ainsi le ministre de l'Intérieur a pu estimer, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, que l'expulsion de l'intéressé constituait une nécessité impérieuse pour la sécurité publique et qu'elle présentait un caractère d'urgence absolue; que, par suite, ce moyen tiré de l'erreur manifeste doit être écarté; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par M. Bouchelkia doit être rejetée." b) Devant le Conseil d'Etat Le 23 juin 1993, le Conseil d'Etat confirma ainsi le jugement: "(...) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Bouchelkia s'est rendu coupable de viol sous la menace d'une arme; qu'il a été condamné, à ce titre, à cinq ans d'emprisonnement; que, par suite, le ministre a pu légalement estimer que l'expulsion de M. Bouchelkia constituait une nécessité impérieuse pour la sécurité publique; que, compte tenu de la récente libération de l'intéressé, elle présentait également un caractère d'urgence absolue à la date de l'arrêté attaqué; Considérant que cette mesure n'a pas porté, eu égard à la gravité de l'acte commis par le requérant, une atteinte excessive à sa vie familiale; que, dans ces conditions, elle n'a pas été prise en violation de l'article 8 (art. 8) précité; Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour prononcer l'expulsion de M. Bouchelkia par l'arrêté attaqué, qui énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, le ministre n'ait pas procédé à un examen de l'ensemble des circonstances de l'affaire; Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Bouchelkia n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 juin 1990 par lequel le ministre de l'Intérieur lui a enjoint de quitter le territoire français; (...)" Les demandes d'abrogation Par deux fois, le requérant sollicita du ministre de l'Intérieur l'abrogation de l'arrêté d'expulsion du 11 juin 1990. Le 12 décembre 1991, le ministre rejeta la première demande du 21 octobre 1991 en ces termes: "(...) Je relève que dans son arrêt du 31 mai 1991, le Conseil d'Etat a rejeté la requête tendant à l'annulation du jugement en date du 16 octobre 1990 du tribunal administratif de Strasbourg, rejetant [la] demande de sursis à exécution de l'arrêté ministériel d'expulsion prononcé à l'encontre de [M. Bouchelkia]. En outre, compte tenu de la gravité des faits dont s'est rendu coupable l'intéressé et de son comportement en détention, ne m'est pas possible de réserver une suite favorable à [sa]. L'arrêté d'expulsion du 11 juin 1990 est maintenu. (...)" La deuxième demande, datée du 3 novembre 1995, est actuellement pendante devant une commission constituée conformément à l'article 24 modifié de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (paragraphe 22 ci-dessous). C. La procédure correctionnelle pour outrage à officier ministériel et séjour irrégulier en France M. Bouchelkia, qui était revenu clandestinement en France en 1992, fut arrêté le 6 avril 1993 à Colmar pour outrages à gardiens de police, rébellion et entrée et séjour irréguliers en France. Le 13 avril, le tribunal correctionnel de Colmar le condamna à une peine de cinq mois d'emprisonnement ainsi qu'à l'interdiction du territoire pour trois ans. Il ordonna son maintien en détention. Saisi des appels du requérant et du ministère public, la cour d'appel de Colmar infirma le jugement quant à la peine. Sur ce point, elle motiva son arrêt rendu le 11 août 1993 comme suit: "Sur l'application de la peine La peine d'emprisonnement infligée par les premiers juges constitue une sanction proportionnée à la gravité des faits, tenu des circonstances atténuantes qui existent en faveur du prévenu, adaptée à sa personnalité et conforme aux exigences de la défense de l'ordre public. En revanche, eu égard aux circonstances dans lesquelles les faits ont été commis et à la personnalité du prévenu, la peine complémentaire d'interdiction du territoire français prononcée constitue une sanction d'une excessive sévérité. En effet, sans pouvoir ni vouloir remettre en cause l'opportunité de l'arrêté d'expulsion du 11 juin 1990, contre lequel le recours pour excès de pouvoir introduit par le prévenu a été rejeté par arrêt du Conseil d'Etat du 23 juin 1993, il convient d'observer que le prévenu est entré en France à l'âge de deux ans et y vit avec sa mère et ses neuf frères et soeurs, que lors de son incarcération dans l'affaire criminelle ayant abouti à l'arrêt de la Cour d'assises des mineurs du Haut-Rhin, il a suivi une formation professionnelle, qu'il a passé deux ans en Algérie où il est sans attaches ni repères et que sa concubine a mis au monde un enfant. Le prévenu ayant introduit un recours en abrogation de l'arrêté d'expulsion, il serait inopportun de prononcer à son égard la mesure facultative de l'interdiction du territoire français." D. L'évolution ultérieure de la situation du requérant Arrêté et placé en rétention administrative le 14 décembre 1996, en vue de son éloignement vers l'Algérie sur la base de l'arrêté d'expulsion du 11 juin 1990, M. Bouchelkia refusa d'embarquer et fut assigné à résidence. Le 20 décembre 1996, le tribunal correctionnel de Strasbourg le déclara coupable de délit de refus d'embarquement mais ajourna sa décision quant à la peine, dans l'attente de l'arrêt de la Cour européenne. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. En matière d'expulsion En droit français, l'expulsion s'analyse en une mesure de police et non en une sanction pénale (Conseil constitutionnel, décision no 79-109, Droit constitutionnel, 9 janvier 1980, Recueil Dalloz Sirey 1980, p. 249, Conseil d'Etat ("CE") 20 janvier 1988, Elfenzi, Actualité juridique Droit administratif 1989, p. 223, et Cour de cassation, chambre criminelle, 1er février 1995, Juris-Classeur périodique 1995, édition générale, II, 22463). Elle vise l'étranger qui réside en France sous couvert d'un titre de séjour, et non celui qui y est présent irrégulièrement et qui ne peut être frappé que d'un arrêté de reconduite à la frontière. L'expulsion des étrangers obéit aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance, "sont considérés comme étrangers tous les individus qui n'ont pas la nationalité française, soit qu'ils aient une nationalité étrangère, soit qu'ils n'aient pas de nationalité." Le texte de base de l'ordonnance a été remanié, notamment par les lois no 80-9 du 10 janvier 1980, no 81-82 du 2 février 1981, no 81-973 du 29 octobre 1981, no 86-1025 du 9 septembre 1986, no 89-548 du 2 août 1989, no 91-1383 du 31 décembre 1991, no 93-1027 du 24 août 1993 et no 93-1417 du 30 décembre 1993. La loi du 10 janvier 1980 institua six motifs d'expulsion et modifia profondément l'institution de l'expulsion: destinée à prévenir la menace pour l'ordre public, l'expulsion servit aussi à sanctionner certaines situations irrégulières. Ce texte fut rapidement remplacé par la loi no 81-973 du 29 octobre 1981 qui maintint les deux cas d'expulsion suivants: - l'un, selon une procédure de droit commun, lorsque "la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public" (articles 23 à 25), - l'autre, selon une procédure dérogatoire, "en cas d'urgence absolue [et de] nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique" (article 26). Cette loi institua également des catégories d'étrangers ne pouvant être expulsés selon la première procédure et protégés en raison de leur âge, de l'ancienneté de leur séjour en France, des attaches familiales qu'ils y ont, des services professionnels qu'ils ont rendus, et de l'absence d'antécédents judiciaires. Les dispositions relatives à la définition des catégories protégées, aux conditions de fond et aux garanties offertes par la procédure de droit commun ont été tour à tour modifiées puis rétablies par les législations ultérieures. En 1990, la procédure de droit commun relevant des articles 23 à 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 requérait que "la présence sur le territoire français de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public". Quant à la procédure dérogatoire appliquée en l'espèce, elle exigeait une urgence absolue et une "nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique". La procédure de droit commun Il s'agit d'une véritable procédure contradictoire applicable quand "l'étranger justifie être entré en France dans des conditions régulières et être régulièrement titulaire d'une carte de séjour" (article 24). Une commission départementale composée du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département et d'un conseiller du tribunal administratif, est obligatoirement consultée et ses débats sont publics. En 1990, le pouvoir d'appréciation du ministre de l'Intérieur fut réduit. Depuis la loi no 93-1027 du 24 août 1993, l'avis de la commission ne s'impose plus au ministre. La procédure dérogatoire en cas d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique L'expulsion prononcée pour des motifs tirés des nécessités de l'ordre public vise à prévenir - et non à sanctionner - les atteintes à l'ordre public. A la seule exception des mineurs, aucune catégorie d'étranger n'est protégée. Cette procédure se caractérise par la disparition de toutes les garanties dont est assortie la procédure de droit commun: l'étranger n'est pas avisé préalablement qu'une mesure d'expulsion est envisagée à son encontre, ne reçoit pas de bulletin spécial de notification, n'est pas invité à présenter d'observations, et ne comparaît pas devant la commission, laquelle n'est pas réunie, même hors la présence de l'intéressé. L'arrêté d'expulsion n'est soumis à aucune formalité préalable et n'a pas à être motivé. La condition relative à la nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique est apparue avec la loi du 29 octobre 1981. Remplacée, dans la loi du 6 septembre 1986, par celle de "menace pour l'ordre public présentant un caractère de particulière gravité", elle fut réintroduite par la loi du 2 août 1989. Selon le ministre de la Solidarité nationale, coauteur du projet de loi de 1981, ce type d'expulsion ne devait viser que trois catégories d'étrangers: les terroristes, les espions et les trafiquants de drogue. Ni le ministre de l'Intérieur ni le Conseil d'Etat ne se sont alignés sur cette position; ils ont entendu cette condition dans un sens beaucoup plus large. De fait, l'article 26 recouvre également les hypothèses d'attitude violente et asociale de l'intéressé depuis l'âge de dix ans et pendant une longue période (CE 23 décembre 1987, Tahraoui, Recueil des arrêts du Conseil d'Etat ("Rec.") p. 430) et de viol et attentat à la pudeur avec violence ou surprise, CE 24 mai 1993, Igartúa Amondaraín, Rec. p. 163, et CE 23 juin 1993, Bouchelkia, Droit administratif 1993, no 412). La condition de l'urgence absolue, posée dès 1945, fut couplée, en 1981, avec la condition de "nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique". L'urgence absolue est en pratique invoquée afin d'assurer, dès leur libération, l'expulsion des délinquants étrangers condamnés par les juridictions pénales et en train de purger leur peine. Son contenu est apprécié au cas par cas par le ministre, sous le contrôle du juge administratif. Le Conseil d'Etat a longtemps considéré que l'existence même de l'urgence relevait du seul pouvoir discrétionnaire du ministre. A partir de 1970, il interpréta la condition en en limitant l'application aux seuls cas où l'expulsion devait être réalisée dans un très bref délai (CE 16 janvier 1970, Mihoubi Tayeb, Rec. p. 25). Il justifia ensuite l'urgence par l'imminence de la libération de l'intéressé (CE 13 novembre 1985, ministère de l'Intérieur c. Barrutiabengoa Zabarte, Rec. p. 321), puis admit le recours à cette procédure à l'égard d'un étranger sorti de prison depuis plusieurs mois à la date de l'arrêté d'expulsion (CE 24 juin 1988, Hamade, Rec., tables, p. 933, et 8 avril 1994, Zehar, Dalloz 1994), ou qui bénéficiait depuis sept mois, à la date de l'arrêté attaqué, d'une mesure de libération anticipée (CE 3 février 1995, Kaouche, requête no 145404, Droit administratif, mai 1995, p. 10). Il accepta encore que le ministre recoure à la procédure d'urgence absolue lorsque, dans la procédure d'expulsion de droit commun initialement engagée, la commission avait émis un avis défavorable à l'expulsion: le Conseil d'Etat estima cette pratique légale "dès lors que les conditions posées par l'article 26 étaient remplies lorsque l'arrêté a été pris" (CE 24 mai 1993, Igartúa Amondaraín, Rec. p. 163). L'exécution et les effets de l'arrêté d'expulsion L'arrêté d'expulsion, adopté par le ministre de l'Intérieur, demeure en vigueur sans limite de temps. Depuis 1986, il vaut en lui-même titre exécutoire et peut être exécuté d'office, au besoin par la force. En général, l'expulsion est exécutée sans délai; cependant ses effets ne sont pas épuisés du fait de son exécution. Ainsi, l'expulsion s'oppose à ce que l'intéressé revienne sur le sol français tant que l'arrêté d'expulsion n'a pas été abrogé. Il s'y trouverait exposé aux sanctions appliquées en cas de soustraction ou tentative de soustraction à l'exécution d'un arrêté d'expulsion et de retour en France sans autorisation. Par ailleurs, la circulaire du ministre de l'Intérieur du 8 février 1994 relative à l'application des lois des 24 août et 30 décembre 1993 précise que si la célébration du mariage d'un étranger sur le territoire français n'est subordonnée à aucune condition de régularité du séjour, les préfets avisés de l'irrégularité de la situation d'un étranger candidat au mariage peuvent, avant la célébration, prononcer à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière dans les conditions prévues à l'article 22 de l'ordonnance de 1945 et, après celle-ci, décider d'éloigner l'étranger du territoire en application de la même disposition. Le Conseil d'Etat a jugé qu'un arrêté de reconduite à la frontière pouvait légalement être pris à l'encontre d'un étranger sur le point d'épouser une personne de nationalité française (CE, section du contentieux, 26 juillet 1991, Lazaar, requête no 121849). Les recours contre l'arrêté d'expulsion L'arrêté d'expulsion n'étant soumis à aucun régime spécifique, il peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif territorialement compétent selon les règles de droit commun. Ce recours n'étant pas suspensif, il peut être assorti de conclusions de sursis à exécution, même lorsque l'arrêté a été exécuté et que l'intéressé se trouve à l'étranger. Le 31 juillet 1996 (requête no 149765), le Conseil d'Etat a annulé un arrêté d'expulsion frappant un Algérien né en France où il avait toujours résidé, en considérant: "(...) que les membres de sa famille proche demeurent en France et que certains possèdent la nationalité française; qu'à la date de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, il était père d'un enfant de nationalité française et marié à une personne de nationalité française; que dans les circonstances de l'espèce, s'il est établi qu'il s'est rendu coupable d'infractions lui ayant valu des condamnations à plusieurs peines d'emprisonnement, dont en dernier lieu une peine de douze ans de réclusion criminelle pour vol avec port d'armes, à l'aide d'une effraction commis soit la nuit, soit en réunion et vol simple, la décision attaquée a néanmoins, compte tenu tant du comportement [du requérant], postérieurement aux condamnations prononcées à raison de ces faits que de son absence de tout lien avec un pays autre que la France, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise". L'abrogation de l'arrêté d'expulsion L'étranger visé peut à tout moment, et autant de fois qu'il le désire, en solliciter l'abrogation. Lorsque la demande est présentée moins de cinq ans "à compter de l'exécution définitive de l'arrêté d'expulsion", le ministre de l'Intérieur statue sans aucune règle de forme particulière. Si la demande est présentée "à l'expiration d'un délai de cinq ans (...), elle ne peut être rejetée qu'après l'avis de la commission [départementale des expulsions] devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter". Cette consultation s'impose même si l'expulsion a été prononcée en urgence absolue. Depuis la loi du 24 août 1993, l'avis de la commission ne lie plus le ministre. Le Conseil d'Etat avait estimé qu'un arrêté d'expulsion est exécuté au jour où l'étranger quitte le territoire français et qu'en conséquence, même s'il est ultérieurement rentré irrégulièrement en France, c'est à compter de cette date que court le délai de cinq ans (CE 18 novembre 1988, Higoun, Rec. p. 415). Cependant, l'article 28 bis, inséré par la loi du 24 août 1993 dans l'ordonnance de 1945, s'oppose désormais à ce que l'abrogation d'un arrêté d'expulsion soit prononcée si l'intéressé n'a pas quitté le territoire français ou s'il y est revenu clandestinement: "Il ne peut être fait droit à une demande (...) d'abrogation d'un arrêté d'expulsion (...) présentée après l'expiration du délai d'un recours administratif que si le ressortissant étranger réside hors de France." La demande demeurée sans réponse au terme d'un délai de quatre mois est considérée comme implicitement rejetée par le ministre de l'Intérieur. Lorsque celui-ci renonce à faire exécuter un arrêté d'expulsion tout en se refusant à l'abroger, l'étranger est assigné à résidence. S'il continue à troubler l'ordre public, il peut se voir expulser. Il s'agit alors d'une décision nouvelle, détachable de l'arrêté et attaquable en elle-même devant le juge administratif. S'il est saisi, le juge s'interroge sur le comportement de l'intéressé pendant le laps de temps où l'on a toléré sa présence sur le sol français. Pour apprécier la légalité de la mesure, il se place donc à la date à laquelle il statue, et le moyen tiré de ce que l'intéressé s'est amendé postérieurement à la prise de l'arrêté est inopérant (CE 27 novembre 1985, Hamza, Rec. p. 712). L'abrogation d'un arrêté d'expulsion ne confère pas un titre de séjour régulier. S'il est à nouveau sollicité, celui-ci peut être légalement refusé. B. En matière d'acquisition de la nationalité française L'article 21-27 du code civil, pertinent en l'espèce, dispose: "Sous réserve des dispositions prévues aux articles 21-7, 21-8 [concernant les étrangers nés en France de parents étrangers] et 22-1 [concernant les enfants mineurs de parents ayant acquis la nationalité française], nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s'il a été l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, soit, que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, assortie d'une mesure de sursis. (L. no 93-1417, 30 décembre 1993) Il en est de même de celui qui a fait l'objet soit d'un arrêté d'expulsion non expressément rapporté ou abrogé ou d'une interdiction du territoire français non entièrement exécutée. (L. no 93-1027, 24 août 1993) Il en est de même de celui dont le séjour en France est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour des étrangers en France." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bouchelkia a saisi la Commission le 25 octobre 1993. Il alléguait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention (art. 8). Le 22 février 1995, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (no 23078/93). Dans son rapport du 6 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre quatre, à la non-violation de l'article 8 de la Convention (art. 8). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement "conclut au rejet de la requête de M. Bouchelkia". Le requérant demande à la Cour de "constater la violation de l'article 8 de la Convention" (art. 8).
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I. Les circonstances de l’espèce A. Introduction La requérante, ressortissante finlandaise, habite en Finlande. A l’époque des événements à l’origine de ses griefs au regard de la Convention, elle était mariée à X, qui n’est pas citoyen finlandais. Ils divorcèrent le 22 septembre 1995. Ils sont tous deux contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Le 10 mars 1992, le tribunal d’Helsinki (raastuvanoikeus, rådstuvurätten) reconnut X coupable du viol de O., commis le 12 décembre 1991, et le condamna à une peine d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal siégea à huis clos et ordonna que les pièces versées au dossier de l’affaire demeurent confidentielles pendant une période donnée. Le 19 mars 1992, X fut informé des résultats d’un test de dépistage effectué le 6 mars, indiquant qu’il était séropositif. B. Les autres plaintes pour infractions sexuelles dirigées contre X Au début du mois de mars 1992, à la suite d’une plainte pour agression sexuelle déposée par M., la police ouvrit une enquête pour tentative d’homicide car elle soupçonnait X d’avoir délibérément soumis M. au risque d’infection par le VIH le 1er mars. Selon les faits établis par la Commission, le 5 mars 1992, lors d’un interrogatoire de police, M. identifia X comme son agresseur et la police l’informa que l’épouse de X, la requérante, était contaminée par le VIH. Le 10 avril 1992, la police apprit à M. que X était lui aussi contaminé. A l’audience devant la Cour, le Gouvernement a contesté la constatation de la Commission selon laquelle la police avait informé M. que la requérante était séropositive. Le délégué répondit que cette constatation se fondait sur des éléments en ce sens contenus dans le dossier de l’enquête menée par la police et les procès-verbaux de la procédure devant le tribunal d’Helsinki (paragraphe 19 ci-dessous). T., l’ami de M., rencontra la requérante vers la mi-mars 1992 et lui demanda si son mari était séropositif. Le 6 avril 1992, T. téléphona à Z et lui cita des passages de documents confidentiels produits au cours du procès mentionné au paragraphe 10 ci-dessus. Le 14 avril, la police interrogea T. au sujet de la teneur de cette conversation. Le 7 avril 1992, la police tenta d’interroger la requérante mais celle-ci, étant mariée à X, se retrancha derrière le droit que lui conférait la loi finlandaise de ne pas témoigner contre son époux (chapitre 17, article 20 par. 1, du code de procédure judiciaire - oikeudenkäymiskaari, rättegångsbalk). Le 22 avril 1992, le ministère public accusa X de violences sexuelles sur M. Le 20 mai . déposa contre X une plainte pour tentative d’homicide. Le 10 septembre 1992, P.-L. et P. ayant porté plainte contre lui pour viol, X fut arrêté et placé en détention provisoire; il était soupçonné de tentative d’homicide du fait qu’en violant les plaignantes, au début du mois de septembre, il les avait délibérément exposées au risque d’une contamination par le VIH. Le 14 septembre 1992, la police interrogea la requérante, qui refusa à nouveau de témoigner contre son époux. Elle craignait que des pièces du dossier, notamment les déclarations qu’elle avait faites, ne soient rendues publiques. Le 18 septembre 1992, R. porta plainte auprès de la police contre X, l’accusant de l’avoir violée le 19 décembre 1991. Le policier qui enregistra sa plainte y ajouta que la requérante avait été reconnue séropositive dès 1990. Le Gouvernement a affirmé à l’audience que c’est R. qui avait donné cette information à la police. La police ouvrit là aussi une enquête pour tentative d’homicide. Lors des audiences des 7 octobre et 2 décembre 1992 et du 24 mars 1993, le ministère public prononça contre X des accusations de tentative d’homicide pour les infractions commises sur M. le 1er mars 1992, sur P. le 10 septembre 1992 et sur P.-L. les 5 et 6 septembre 1992. P.-L. et R. portèrent la même accusation les 16 décembre 1992 et 19 mai 1993 pour les infractions commises respectivement le 31 août 1992 et le 19 décembre 1991. C. Les ordonnances obligeant les médecins et le psychiatre de la requérante à témoigner Le 22 avril 1992, lors de la première audience publique du tribunal d’Helsinki, X refusa de répondre à l’avocat de M., qui lui demandait si la requérante était elle aussi séropositive. Le 6 mai 1992, lors d’une nouvelle audience, le tribunal décida de siéger à huis clos à la demande des parties. M. confirma avoir appris la séropositivité de la requérante par la police et T. fit une déposition au sujet de la teneur de sa conversation téléphonique du 6 avril 1992 avec la requérante (paragraphe 13 ci-dessus). Le 18 mai ., médecin-chef de l’hôpital où X et la requérante avaient été soignés, transmit au ministère public copie du dossier médical de X avec le consentement de celui-ci. Toute référence à la requérante en avait été supprimée. Le tribunal cita la requérante à comparaître comme témoin le 20 mai 1992, mais celle-ci invoqua une nouvelle fois son droit de ne pas déposer dans une affaire concernant son mari. Le 27 mai 1992, l’avocat de M. informa le ministère public que la copie du dossier médical de X semblait incomplète. Le même jour, le parquet demanda à la police d’interroger le médecin-chef L. et, éventuellement, d’autres médecins qui auraient soigné X, soit en tant qu’experts soit comme témoins, en vue d’obtenir des informations permettant d’établir à quelle date X avait appris qu’il était contaminé par le VIH. Le 12 août 1992, le tribunal d’Helsinki ordonna au médecin-chef L. de témoigner malgré ses objections. Il divulgua des informations médicales concernant la requérante qui ne figuraient pas dans la copie du dossier de X mentionné au paragraphe 20 ci-dessus. Le tribunal ordonna à titre de mesure provisoire que le dossier de l’affaire, y compris le procès-verbal de la déposition du médecin-chef L., reste confidentiel. Lors des audiences des 23 septembre et 18 novembre 1992 devant le tribunal d’Helsinki, l’avocat des plaignantes (M., P.-L., P. et R.) demanda à X si la requérante était séropositive. Le 30 décembre 1992, l’avocat lui demanda quand il avait appris qu’elle était contaminée. X refusa de répondre dans les deux cas. Le 23 septembre 1992, le médecin-chef L. déposa une plainte auprès du médiateur parlementaire (eduskunnan oikeusasiamies, riksdagens justitieombudsman) au sujet de l’obligation qui lui avait été faite de témoigner, mais celui-ci déclara dans un avis du 5 février 1993 que la loi n’avait pas été enfreinte et que le tribunal avait correctement mis en balance l’intérêt public à enquêter sur une affaire pénale et celui de la requérante, qui souhaitait empêcher la divulgation d’informations confidentielles la concernant. A l’audience du 27 janvier 1993, le Dr K., qui avait également soigné la requérante, fut lui aussi, malgré ses objections, obligé de témoigner à charge et de divulguer des informations au sujet de la requérante. Interrogé par la police le 6 février 1993 en qualité d’expert, le Dr S.V. fournit des informations à caractère général sur l’infection et la contamination par le VIH. Le 10 février 1993, le ministère public demanda à la police d’entendre les médecins de la requérante à titre de témoins dans le cadre de l’enquête sur les accusations de tentative d’homicide portées contre X (paragraphe 18 ci-dessus). Toutefois, tous les médecins concernés ayant refusé, l’affaire dut être déférée au tribunal d’Helsinki. Malgré ses objections réitérées, le médecin-chef L. fut de nouveau entendu comme témoin à charge lors de l’audience du 3 mars 1993 devant le tribunal d’Helsinki. Il divulgua encore des renseignements sur de déposer, il donna lecture d’une lettre que celle-ci lui avait adressée le 23 février 1993, rédigée en ces termes: "(...) Cette affaire concerne des accusations pénales portées contre mon mari, qui sont jugées plus importantes que l’obligation et le droit du médecin de respecter le secret professionnel. Il me semble que vous avez été cité comme témoin parce que j’ai moi-même fait valoir mon droit (...) de refuser de déposer. En votre qualité de médecin, on vous posera donc probablement des questions auxquelles j’ai moi-même, en tant qu’épouse de X, le droit de refuser de répondre. Or c’est moi qui vous ai fourni les informations dont vous disposez, parce que j’avais cru comprendre qu’elles resteraient confidentielles (...). J’étais loin d’imaginer que ces informations pourraient être utilisées dans le cadre d’une procédure pénale relative à des accusations dirigées contre mon mari. Selon moi, votre audition comme témoin a pour seul but de contourner le droit d’une épouse de ne pas déposer contre son mari (...) (...) Je vous demande donc d’invoquer ces arguments lorsque vous serez appelé à témoigner sur des questions qui ne concernent que moi. A mon sens, vous ne devriez pas être obligé d’apporter votre témoignage sur ces questions et les charges devraient être examinées de sorte que je ne sois aucunement forcée de participer à l’établissement des faits. Je ne suis nullement tenue de le faire (...)" Lors de trois audiences tenues les 17 mars, 7 avril et 5 mai 1993, le tribunal d’Helsinki entendit le psychiatre de la requérante, le Dr K.R., ainsi que plusieurs médecins l’ayant suivie, à savoir les Drs V., S.-H., S., K., T., R. et, semble-t-il, également le Dr J.S. Il entendit aussi le Dr S.V., qui avait interrogé Z dans le cadre de recherches. L’accusation les avait cités comme témoins et le tribunal les avait contraints de déposer, en dépit de leurs objections. A l’audience du 17 mars, le Dr D. confirma qu’un test de dépistage effectué en août 1990 avait montré que la requérante était séropositive. A l’audience du 5 mai 1993, la requérante accepta de témoigner puisque le tribunal avait déjà eu connaissance par d’autres moyens des aspects de l’affaire déclara notamment qu’elle n’avait pas été contaminée par X. D. La saisie des dossiers médicaux et leur adjonction au dossier d’enquête Les 8 et 9 mars 1993, la police effectua une perquisition à l’hôpital où la requérante et X avaient occasionnellement été traités. Elle saisit tous les documents concernant l’intéressée et en annexa copies au rapport d’enquête établi sur les tentatives d’homicide dont X était accusé, toutes mesures ordonnées par le ministère public. Après les avoir photocopiés, la police restitua les dossiers à l’hôpital. Au nombre des pièces saisies se trouvaient quelque trente documents comportant notamment les indications suivantes: "(...) 25 septembre l990: La séropositivité [de la requérante] a été diagnostiquée au début de l’automne 1990. La malade pense avoir été contaminée fin 1989 (...) [Elle] est mariée à un ressortissant [étranger] qu’elle croit [séro]négatif. (...) 5 juin 1991: (...) [L’époux de la requérante] nie catégoriquement être porteur du VIH (...) 7 juin 1991: (...) Selon [la requérante], [son] mari est probablement aussi contaminé, mais [il] n’a subi aucun test de dépistage (...) 23 décembre 1991: (...) [Le mari de la requérante] n’a subi aucun test de dépistage et pense qu’il n’est pas porteur du virus (...)" La police saisit également les résultats d’un grand nombre de tests de laboratoire et d’examens effectués à d’autres fins que le dépistage du VIH chez la requérante, dont des informations sur ses maladies antérieures, sa santé mentale et une analyse de la qualité de sa vie fondée sur une auto-évaluation. Le 10 mars 1993, le tribunal décida de verser au dossier judiciaire des copies des documents saisis. Il entendit le même jour le Dr S.V., cité par l’accusation en qualité d’expert. E. La condamnation de X par le tribunal d’Helsinki et le recours devant la cour d’appel d’Helsinki Le 19 mai 1993, le tribunal déclara X coupable, notamment, de trois tentatives d’homicide commises le 1er mars, le 31 août et le 10 septembre 1992. Quant aux faits du 19 décembre 1991, il l’acquitta du chef de tentative d’homicide mais le reconnut coupable de viol. Il fut condamné en tout à sept ans d’emprisonnement. Le tribunal publia le dispositif du jugement, un résumé des motifs et une référence succincte à la législation appliquée en l’espèce. Quant à la version complète de la motivation et aux pièces du dossier, il les déclara confidentiels pour une durée de dix ans. Les plaignantes et X avaient demandé un délai de confidentialité plus long. Les plaignantes, X et le ministère public attaquèrent le jugement devant la cour d’appel (hovioikeus, hovrätten) d’Helsinki. Le 14 octobre 1993, la cour d’appel tint une audience à huis clos au cours de laquelle tous les appelants demandèrent l’allongement du délai de confidentialité; on évoqua une période de trente ans. L’avocat de X informa également la cour du souhait de la requérante de voir ce délai prolongé. Par un arrêt du 10 décembre 1993, dont une copie fut communiquée à la presse (paragraphe 43 ci-dessous), la cour d’appel confirma notamment la condamnation de X pour les trois tentatives d’homicide. Elle le déclara en outre coupable sur deux autres chefs de tentative d’homicide, au titre des infractions commises les 19 décembre 1991 et 6 septembre 1992. X fut ainsi condamné en tout à onze ans, six mois et vingt jours d’emprisonnement. Au sujet de la condamnation de X pour deux autres tentatives d’homicide, la cour déclara: "(...) Selon [X, désigné par ses prénoms et nom], il apprit le 19 mars 1992 qu’il était contaminé par le VIH. (...) Il nie avoir subi un autre test de dépistage après celui pratiqué au Kenya en janvier 1990, dont le résultat était d’après lui négatif. (...) On ne peut donc considérer qu’[il] ait su avec certitude qu’il était porteur du VIH avant d’avoir reçu les résultats du test du l9 mars 1992. [X] et [la requérante, désignée par ses prénoms et nom] se sont mariés le 12 avril 1990. La séropositivité de [la requérante] a été diagnostiquée le 31 août 1990. Au cours de sa déposition devant le tribunal d’Helsinki, [elle] a déclaré en avoir informé X fin 1990. Devant la cour d’appel, X a déclaré que la requérante l’avait mis au courant de sa maladie avant qu’il n’arrive en Finlande, en janvier 1991. [Il] a ajouté que lorsqu’ils vivaient en Afrique, [la requérante] avait souffert d’une maladie non définie. [Elle] avait alors (...) commencé à avoir des soupçons, mais sa séropositivité n’a été diagnostiquée qu’après son retour en Finlande. Eu égard aux déclarations des époux (...) il y a lieu de tenir pour établi que [X], considérant la séropositivité de son épouse, avait des raisons particulières de penser que le virus avait été transmis au cours de leurs rapports sexuels. Selon [le Dr J.S.], entendu comme témoin par le tribunal d’Helsinki, il faut considérer que X, vu les symptômes de sa maladie, a été contaminé un an au moins avant le test de dépistage sanguin effectué en mars 1992. (...) D’après [le Dr S.V.], la fièvre dont [la requérante] souffrait d’après son dossier depuis janvier 1990 et qui avait été traitée comme paludisme, était due probablement à une primo-infection par le VIH. Considérant qu’au moment où elle a contracté cette fièvre, à la fin de 1989 ou au début de 1990, [la requérante] résidait à Mombasa, où elle rencontra [X], la cour juge crédible l’avis du Dr S.V. concernant la primo-infection par le VIH. Vu le moment où la séropositivité de [la requérante] a été diagnostiquée, la cour considère comme probable qu’elle ait été contaminée par [X]. Cela étant, la cour d’appel estime que [X] a dû avoir connaissance de sa séropositivité au plus tard en décembre 1991. Le fait qu’[il] n’ait cependant jamais décidé de subir de test de dépistage autre que celui mentionné ci-dessus, prouve que le risque qu’il contamine autrui [par le VIH] le laissait pour le moins indifférent. Eu égard à la question de l’intention, pareille attitude doit être considérée de la même manière que si l’accusé avait été parfaitement au courant de sa maladie. Pour apprécier l’intention [de X], il faut donc juger son comportement de la même manière pour toutes les tentatives d’homicide dont il est accusé. (...) Il a été démontré en l’espèce que, dans l’état actuel des connaissances, une contamination par le VIH est mortelle. [X] a admis qu’il était informé avant même son arrivée en Finlande de la nature de [cette] maladie et de ses modes de transmission. Considérant en outre que [X] a déclaré qu’il avait [auparavant] séjourné en Ouganda, au Kenya et au Rwanda (la maladie étant particulièrement répandue en Ouganda), qu’il est notoire que [la maladie] a une issue fatale, et que l’épouse [de X] avait également contracté [cette maladie], [la cour d’appel] estime que [X] était probablement au courant de l’ampleur du risque de contamination et de l’issue fatale [de cette maladie]. Selon [le médecin-chef L.] et [le Dr S.V.], entendus comme témoins, un seul rapport sexuel peut suffire à transmettre la maladie (...). X devait donc savoir qu’il risquait, par ses agissements, d’exposer [les plaignantes] à une contamination par le VIH. Etant donné qu’il s’est malgré tout comporté de la manière qui a été établie, il faut considérer que ses actes étaient intentionnels. A cet égard, la cour d’appel a également tenu compte du fait que [X] n’a pas informé les plaignantes des risques de contamination. (...) (...) Dès lors, il convient de considérer que [X] s’est également rendu coupable de tentatives d’homicide (...) les 19 décembre 1991 et 6 septembre 1992 (...)" En outre, la cour d’appel confirma la décision du tribunal d’Helsinki selon laquelle le dossier judiciaire devait demeurer confidentiel pendant dix ans. Le 26 septembre 1994, la Cour suprême (korkein oikeus, högsta domstolen) refusa à X l’autorisation de former un pourvoi. F. Le pourvoi en cassation ou en infirmation de l’arrêt de la cour d’appel devant la Cour suprême Le 19 mai 1995, la requérante demanda à la Cour suprême de rendre une ordonnance de cassation (poistaa, undanröja) de l’arrêt de la cour d’appel pour autant que celle-ci avait décidé que les informations et documents la concernant seraient rendus publics à partir de 2002. Selon elle, le fait que la cour d’appel n’ait pas entendu sa défense avant de se prononcer sur la nécessité de protéger la confidentialité des dossiers médicaux pertinents et sur la durée de la période de confidentialité constituait un vice de procédure. Elle déclara que cette partie de l’arrêt lui avait porté préjudice. A titre subsidiaire, elle demanda à la Cour suprême de rendre une ordonnance infirmant (purkaa, återbryta) l’arrêt de la cour d’appel, au motif qu’il était manifestement fondé sur une application erronée de la loi et incompatible avec l’article 8 de la Convention (art. 8), car il n’était ni "prévu par la loi" ni "nécessaire dans une société démocratique". En cas de cassation ou d’infirmation de l’arrêt de la cour d’appel, la requérante demandait le renvoi de l’affaire devant cette dernière afin de pouvoir présenter des observations. Le 22 mai 1995, la requérante demanda à la police d’Helsinki de rechercher qui avait appris aux policiers qu’elle était séropositive (paragraphe 12 ci-dessus). Elle retira sa demande le mois suivant. Le 1er septembre 1995, la Cour suprême rejeta les pourvois en cassation et en infirmation de l’arrêt de la cour d’appel formés par la requérante: celle-ci avait soumis le premier tardivement et n’avait pas qualité pour présenter le second. G. La couverture de l’affaire dans la presse Le 15 juin 1992, le quotidien du soir à grand tirage Ilta-Sanomat rendit compte du procès de X, indiquant que celui-ci était porteur du VIH et qu’on ne savait pas encore avec certitude si la requérante était elle aussi contaminée, car elle avait refusé de témoigner. Le 9 avril 1993, le grand quotidien Helsingin Sanomat relata la saisie du dossier médical de la requérante dans un article intitulé "Le parquet se procure le dossier médical de l’épouse de l’individu séropositif accusé de viol". On y apprenait que l’épouse de X, dont les nom et prénom apparaissaient en toutes lettres, était suivie dans un service hospitalier qui traitait les malades contaminés par le VIH. L’arrêt de la cour d’appel du 10 décembre 1993 fut rapporté dans différents journaux, dont le Helsingin Sanomat, qui publia un article le 16 décembre 1993 après que la cour d’appel lui eut envoyé par télécopie le texte de l’arrêt. Cet article indiquait que la condamnation se fondait sur la déposition de "l’épouse finlandaise de [X]" - le nom de ce dernier figurait en toutes lettres - et reprenait en outre la constatation de la cour d’appel selon laquelle la requérante était séropositive. II. Le droit interne pertinent A. Obligation de signaler les maladies contagieuses et confidentialité des dossiers médicaux En vertu de la loi de 1986 sur les maladies contagieuses (tartuntatautilaki 583/86 ja -asetus 786/86, lag 583/86 och förordning 786/86 om smittsamma sjukdomar), toute personne qui souffre d’une maladie telle que l’infection par le VIH, ou dont on a des raisons de croire qu’elle a contracté une telle maladie doit, sur demande, indiquer à son médecin traitant l’origine probable de la contamination (article 22 par. 2 de la loi et article 2 du décret d’application). Aux termes de la loi de 1992 sur la condition et les droits des patients (laki potilaan asemasta ja oikeuksista, lag om patientens ställning och rättigheter 785/92), entrée en vigueur le 1er mai 1993, les dossiers médicaux doivent rester confidentiels. Leur contenu ne peut être divulgué à un tiers qu’avec le consentement écrit du patient. Il peut toutefois être porté à la connaissance, notamment, d’une juridiction, d’une autre autorité ou d’une association habilitée par la loi à les obtenir (article 13). B. Droits et devoirs du médecin s’agissant du respect de la confidentialité lors de sa comparution en tant que témoin En vertu de l’article 23 par. 1, alinéa 3, du chapitre 17 du code de procédure judiciaire, un médecin ne peut divulguer, en tant que témoin, des informations qu’il a obtenues dans l’exercice de sa profession et qui doivent rester secrètes de par leur nature, à moins que son patient n’y consente. Le paragraphe 3 dudit article prévoit néanmoins la possibilité d’ordonner à un médecin de témoigner lorsque le chef d’accusation est une infraction punie d’au moins six ans d’emprisonnement (telle que l’homicide ou la tentative d’homicide). En ce cas, l’article 27 par. 2 de la loi de 1987 sur les enquêtes préliminaires (esitutkintalaki, förundersökningslag 449/87) autorise les médecins à témoigner même à ce stade. L’article 28 par. 1 de ladite loi est ainsi libellé: "Si un témoin a manifestement connaissance d’un élément important pour l’établissement de la culpabilité ou de l’innocence d’un [suspect] et s’il refuse de le révéler alors qu’il est tenu de le faire ou qu’il y est autorisé en vertu de l’article 27 par. 2, le tribunal peut, à la demande du policier chargé de l’enquête, exiger du [témoin] qu’il révèle ce qu’il sait. Dans ce cas, l’interrogatoire du témoin peut se dérouler, en tout ou en partie, devant le tribunal." Toute personne concernée par une enquête préliminaire peut, de même que son avocat, assister à la procédure relative à une telle demande formulée par le policier chargé de l’enquête ainsi qu’à l’audition du témoin proprement dite (article 28 par. 2). C. Saisie de documents confidentiels L’article 2 par. 2 du chapitre 4 de la loi de 1987 sur les moyens coercitifs employés dans les enquêtes pénales (pakkokinolaki, tvångsmedelslagen 450/87) dispose: "Un document ne peut être saisi comme pièce à conviction s’il est permis de présumer qu’il contient des informations sur lesquelles toute personne visée à l’article 23 du chapitre 17 du code de procédure judiciaire n’est pas autorisée à témoigner dans un procès (...), et [si] le document concerné est en possession de cette personne ou de celle dans l’intérêt de laquelle l’obligation de secret a été prescrite. Pareil document peut néanmoins être saisi si, en vertu de l’article 27 par. 2 de la loi sur les enquêtes préliminaires, les personnes [visées par la disposition précitée du code de procédure judiciaire] auraient pu ou dû témoigner durant l’enquête préliminaire sur le contenu de ce document." L’article 13 du chapitre 4 de ladite loi est ainsi libellé: "Si une personne impliquée dans l’affaire le demande, le tribunal reconsidérera la question du maintien de demande en ce sens soumise au tribunal avant qu’il n’examine les chefs d’accusation est étudiée dans un délai d’une semaine à compter de sa réception au tribunal. L’examen de pareille demande est régi par les dispositions pertinentes des articles 9 et 12 du chapitre 1 portant sur l’examen des demandes en détention provisoire. Le tribunal ménagera aux personnes ayant un intérêt dans l’affaire la possibilité de déposer, mais l’absence de quiconque n’empêchera pas le tribunal de prendre une décision." D. Accès du public à des documents officiels Selon la loi de 1951 sur la publicité des documents officiels (laki yleisten asiakirjain julkisuudesta, lag om allmänna handlingars offentlighet 83/51), les documents officiels sont en principe publics (article 1). Il s’agit non seulement des documents rédigés et émis par une autorité, mais aussi de ceux soumis à une autorité et se trouvant en sa possession (article 2 par. 1). Un dossier d’enquête préliminaire ne peut cependant pas être rendu public avant que l’affaire ne soit déférée au tribunal ou l’enquête de police close sans qu’aucune accusation n’ait été formulée (article 4). Chacun peut avoir accès à un document officiel public (article 6, tel que modifié par la loi no 739/88), exception faite, toutefois, des rapports médicaux, qui ne sont accessibles au public qu’avec le consentement de la personne qu’ils concernent (article 17). Néanmoins, en l’absence d’un tel consentement, une partie à une procédure pénale peut avoir accès à ce type de document si l’issue de l’affaire peut en être affectée (article 19 par. 1, tel que modifié par la loi no 601/82). Les documents rassemblés durant l’enquête préliminaire sont conservés dans un dossier d’enquête, si cette mesure est jugée nécessaire pour poursuivre l’examen de l’affaire. Le dossier doit contenir tous les documents jugés importants et indiquer si d’autres pièces ont été recueillies sans y avoir été versées (article 40 de la loi sur les enquêtes préliminaires). Si une audience a été tenue à huis clos en tout ou en partie ou si, durant une telle audience, une pièce ou une information confidentielle a été présentée, le tribunal peut décider quels éléments du dossier de l’affaire resteront confidentiels pendant une durée maximale de quarante ans. Le dispositif du jugement et les prescriptions légales invoquées sont toujours publiés (article 9 de la loi de 1984 sur la publicité des débats judiciaires - laki oikeudenkäynnin julkisuudesta, lag om offentlighet vid rättegång 945/84). Une décision relative à la publicité des débats n’est pas susceptible d’un recours distinct (article 11). La décision doit donc être contestée dans le cadre d’un appel ordinaire formé par l’une des parties à la procédure. E. Divulgation d’informations confidentielles Selon le code pénal de 1889 (rikoslaki, strafflag 39/1889), la divulgation d’informations confidentielles par un fonctionnaire ou un employé d’un service public constitue une infraction pénale (chapitre 40, remanié depuis). En vertu de la Constitution (Suomen hallitusmuoto, Regeringsform för Finland 94/19), quiconque subit une violation de ses droits ou un préjudice par suite d’un acte illégal ou d’une faute commise par un fonctionnaire est fondé à engager une action contre ce dernier ou à exiger qu’il soit poursuivi, et à réclamer des dommages-intérêts (article 93 par. 2). Selon la loi de 1974 sur la réparation des dommages (vahingonkorvauslaki, skadeståndslag 412/74), une action peut également être engagée contre l’Etat pour les actes commis par des fonctionnaires (chapitres 3 et 4). Une personne impliquée dans une enquête préliminaire peut se voir interdire, sous peine d’une amende ou d’un emprisonnement de six mois au maximum, de révéler des informations concernant des tiers, qu’elle ignorait auparavant et liées à l’enquête. Pareille interdiction peut aussi être prononcée lorsque la divulgation de ces informations pendant l’enquête pourrait compromettre celle-ci ou causer un inconvénient ou un dommage à l’une des parties ou à un tiers. Une peine plus lourde est applicable si la divulgation constitue une infraction distincte (article 48 de la loi sur les enquêtes préliminaires). Selon la loi de 1951 sur la publicité des documents officiels, ni les parties ni leurs représentants ne sont autorisés à divulguer à des personnes étrangères à la procédure les données confidentielles dont ils ont eu connaissance en leur qualité de parties (article 19a). Toute infraction à cette disposition est punie d’une amende (article 27). PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 21 mai 1993 à la Commission (no 22009/93), Mme Z se plaignait d’atteintes dans son chef au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention (art. 8) du fait, en particulier: 1) des ordonnances ayant sommé ses médecins et son psychiatre de témoigner et divulguer des informations la concernant au cours de la procédure pénale dirigée contre son mari; 2) de la saisie de ses dossiers médicaux à l’hôpital où elle était suivie et de leur adjonction en intégralité au dossier d’enquête; 3) des décisions des tribunaux compétents visant à limiter à dix ans la confidentialité du dossier judiciaire; et 4) de la divulgation de son identité et de données médicales la concernant dans l’arrêt de la cour d’appel. Elle alléguait en outre qu’au mépris de l’article 13 de la Convention (art. 13), elle n’avait pas disposé d’un recours effectif pour exposer ses griefs au titre de l’article 8 (art. 8). La Commission a retenu la requête le 28 février 1995. Dans son rapport du 2 décembre 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (art. 8) et qu’il ne s’impose pas d’examiner s’il y a eu aussi violation de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience du 29 août 1996, le Gouvernement, comme dans son mémoire, a invité la Cour à dire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention. A cette même occasion, la requérante a réitéré la demande qu’elle avait déjà exprimée dans son mémoire, priant la Cour de conclure à la violation des articles 8 et 13 (art. 8, art. 13) et de lui accorder une réparation équitable en vertu de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce A. La genèse de l’affaire Le 27 janvier 1981, la fille des requérants, Jocelyne Mantovanelli, alors âgée de vingt ans, fut hospitalisée à la clinique de traumatologie et d’orthopédie de Nancy et opérée d’un panaris au pouce de la main gauche. Le même jour, elle fut transférée au service de chirurgie de l’hôpital Jeanne d’Arc (Centre hospitalier régional de Nancy - "CHRN") à Dommartin-lès-Toul où, le lendemain, elle fut opérée une deuxième fois. Elle fut suivie pendant une année dans ce service, et y subit sept interventions chirurgicales consistant en reprises opératoires et greffes, ainsi qu’une exploration vasculaire artérielle. En raison d’une complication septique apparue en février 1982, Mlle Mantovanelli fut opérée une nouvelle fois et, une semaine après, amputée de la seconde phalange du pouce. Le 13 mars 1982, à la suite d’un ictère (jaunisse), Mlle Mantovanelli fut transférée au service des maladies du système digestif de l’hôpital de Brabois (CHRN) à Vandoeuvre-lès-Nancy. Son état dégénéra en coma hépatique et, le 27 mars, elle fut transférée au service des maladies infectieuses et de réanimation neuro-respiratoire; elle y décéda deux jours plus tard. Les actes chirurgicaux susmentionnés et l’exploration vasculaire artérielle que subit Mlle Mantovanelli furent pratiqués sous anesthésie générale, obtenue par l’association de sept composants variables dont, constamment, de l’halothane. B. La procédure devant les juridictions administratives Convaincus que le décès de leur fille avait été provoqué par une administration excessive d’halothane, les époux Mantovanelli s’adressèrent aux juridictions administratives afin qu’elles désignent le CHRN responsable dudit décès. Devant le tribunal administratif de Nancy Les requérants obtinrent l’aide judiciaire le 29 novembre 1982 et leur avocat fut désigné le 11 janvier 1983. Le 26 avril 1983, ils saisirent le tribunal administratif de Nancy d’une requête en référé tendant à la nomination d’un expert, ainsi que d’un recours tendant à la reconnaissance de la responsabilité du CHRN. a) La requête en référé en nomination d’expert Dans leur requête, les époux Mantovanelli demandèrent que l’expert soit chargé de la mission suivante: "1o Rechercher tous éléments d’information sur les conditions dans lesquelles Mlle Jocelyne Mantovanelli a été hospitalisée, traitée et opérée dans différents services du CHRN entre le mois de février 1981 et la date de son décès; Consulter tout document et entendre tout sachant à cet effet; 2o Etablir les circonstances et les causes de ce décès; A cet égard, fournir au tribunal administratif de céans les éléments éthiques et autres de nature à lui permettre de déterminer les responsabilités encourues en recherchant les éventuels manquements aux règles de l’art médical et du bon fonctionnement du service; 3o Du tout, dresser un rapport et le déposer au greffe de ce tribunal dans le délai qui lui sera imparti." Par une ordonnance du 28 avril 1983, le président du tribunal administratif rejeta la requête aux motifs notamment que l’accueillir ferait préjudice au principal et que l’urgence indispensable à la prescription d’une mesure de référé manquait, la requête à cette fin n’ayant été déposée que le 26 avril 1983 alors que le conseil des requérants avait été désigné le 11 janvier 1983. b) Le recours en responsabilité contre le CHRN Dans leur mémoire introductif, les époux Mantovanelli exposèrent: "(...) [Le décès de Mlle Mantovanelli], à ce qu’il ressort tant du rapport du professeur Dureux [chef du service de réanimation du CHRN] que du rapport d’autopsie (...) est consécutif à une hépatite à l’halothane. L’halothane est un produit anesthésiant dont il a été fait usage pour les anesthésies pratiquées à l’occasion des opérations chirurgicales subies. Il est connu qu’il est très dangereux de répéter à brève échéance une anesthésie à l’halothane, le risque étant fort grave de provoquer des lésions hépatiques graves et parfois mortelles. Or Mlle Mantovanelli a subi plusieurs anesthésies à l’halothane, dont les deux dernières à bref intervalle, à la suite desquelles est apparue l’hépatoxicité qui devait l’emporter. Il y a donc faute lourde du service dans la méconnaissance grave des prescriptions élémentaires d’usage de l’halothane, engageant la responsabilité du CHRN à l’égard des requérants pour le préjudice qu’ils ont subi du fait du décès de leur fille. C’est pourquoi les exposants requièrent ici que la responsabilité du CHRN soit reconnue et que cet établissement public soit condamné à leur verser à chacun la somme de 50 000 FRF en réparation des différents préjudices subis par eux. (...)" Le CHRN produisit un mémoire en défense le 21 septembre 1983; les requérants répliquèrent le 11 octobre 1983 et réitérèrent leur demande d’expertise. Le 28 mars 1985, le tribunal administratif rendit, avant dire droit, le jugement suivant: "(...) Considérant que les parties sont contraires en fait et que le tribunal ne trouve pas au dossier les éléments lui permettant de statuer au fond; qu’il y a lieu, en conséquence, d’ordonner une expertise contradictoire à laquelle il sera procédé par un seul expert, lequel aura la mission (...) [de]: (...) - prendre connaissance de l’entier dossier médical de Mlle Jocelyne Mantovanelli, et notamment du rapport d’autopsie et du rapport du professeur Dureux; - décrire les soins donnés à l’intéressée, en précisant le caractère banal ou au contraire peu fréquent de l’affection dont elle souffrait ainsi que le niveau de complexité des interventions pratiquées; - indiquer, si possible, les chances qu’avait normalement la malade de guérir, compte tenu de son état général et des caractéristiques de son affection; - dire si l’halothane a été utilisé et dans quelles conditions; si l’utilisation, telle qu’elle a été faite, est ou non conforme aux règles de l’art, si les complications apparues sont liées à cette utilisation; en cas de réponse positive à cette dernière question, si de telles complications sont courantes et, si possible, (...) en indiquer la fréquence statistique; - faire toutes constatations et entendre toutes personnes utiles, et, d’une façon générale, apporter toutes les informations permettant au tribunal de se prononcer sur le fond. (...)" L’expert désigné par le tribunal - le professeur Guilmet - prêta serment le 4 avril 1985. Il examina divers dossiers médicaux et entendit cinq membres du personnel médical du CHRN, dont le chirurgien qui avait opéré Mlle Mantovanelli en dernier lieu et l’anesthésiste. Son rapport - déposé au tribunal le 8 juillet 1985 et communiqué aux parties le 19 juillet - conclut comme suit: "Bien qu’il s’agisse dans la majorité des cas d’une affection banale, le panaris présenté par Mlle Mantovanelli s’est avéré d’emblée d’une gravité inhabituelle, gravité que l’on doit rapporter essentiellement au retard d’un traitement médical et surtout chirurgical efficace. Il n’a pas été retrouvé, par ailleurs, d’altération contemporaine de l’état général ou de maladie évolutive dans les antécédents du sujet, non plus que de particularité du germe local en cause pouvant interférer dans l’intensité du tableau initial. A partir du 27 janvier 1981, les soins distribués à Mlle Mantovanelli ont été diligents et conformes aux données actuelles de la science. Leur complexité et leur durée particulières furent liées à l’importance des lésions et des destructions tissulaires qui retardèrent la cicatrisation, la réparation des pertes de substance et la correction des séquelles: la reprise d’un processus infectieux ayant finalement abouti à un échec total. L’apparition d’un ictère, quatorze mois après le début du panaris en cause, amena le transfert de la malade dans deux services spécialisés où les soins appropriés ne purent enrayer une aggravation rapide. Avant l’interférence inattendue de cette complication qui s’avéra mortelle, les chances de Mlle Mantovanelli de guérir de sa lésion locale étaient prévisibles bien qu’à long terme encore. Il n’apparaît pas qu’alors son état général pouvait mettre en cause son pronostic vital en dépit des caractéristiques de l’affection initiale. L’halothane fut utilisé lors de chaque anesthésie comme l’un de ses composants, et à titre d’appoint, de façon logique, conformément aux règles de l’art et sans réaction anormale. Il n’y a pas de certitude absolue permettant de rattacher de façon immédiate l’apparition de l’hépatite et le décès de la malade à l’utilisation de l’halothane seul. L’existence d’un terrain atopique (c’est-à-dire prédisposé à une sensibilisation médicamenteuse sans signes actuels révélateurs) a dû cependant intervenir, d’abord en fonction de l’épontol qui fut abandonné, puis en fonction de l’halothane, aggravé au plan enzymatique par un troisième produit, le Nesdonal. Il s’agit d’une hypothèse diagnostique vraisemblable, établie a posteriori, et qui ne peut, à l’évidence, remettre en question le choix ou le rejet d’un anesthésique plutôt que d’un autre en l’absence de signe d’alerte d’intolérance. Un phénomène d’idiosyncrasie, c’est-à-dire de réaction individuelle, serait ainsi à l’origine du décès de Mlle Mantovanelli, par un processus auto-immunitaire particulièrement intense (...). Il n’existe pas de fréquence chiffrée de tels cas d’exception. (La toxicité propre de l’halothane ne paraît pas en cause et demeure du reste aujourd’hui contestée de façon générale. Toutefois, dans la mesure où la survenue d’une nécrose hépatique lui serait encore rapportée, son taux d’apparition statistique ne dépasse pas 1/10 000.)" Dans un mémoire enregistré le 30 juillet 1985, les requérants alléguèrent que ni eux-mêmes ni leur avocat n’avaient été informés de la date des opérations d’expertises et que le rapport faisait état de documents dont ils n’avaient pas eu connaissance. Ils voyaient là une violation du principe du contradictoire justifiant que soit annulée l’expertise et ordonnée une nouvelle. Le CHRN déposa un mémoire en défense le 3 octobre 1985. Le tribunal administratif tint une audience le 8 novembre 1988 et rendit, le 29 novembre 1988, le jugement suivant: "(...) Considérant que si les époux Mantovanelli sont fondés à soutenir que l’expertise effectuée sur le dossier médical de leur fille décédée au [CHRN] est irrégulière, dès lors qu’ils n’ont pas été avertis de la date des opérations d’expertise ainsi qu’en fait obligation l’article R. 123 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ils ne contestent cependant pas les faits qui ressortent tant des pièces produites par eux-mêmes que du rapport d’expertise; qu’il doit ainsi être regardé comme établi que l’hépatite à laquelle a succombé Mlle Mantovanelli ne peut être imputée avec certitude à l’administration d’halothane au cours des onze anesthésies qu’elle a subies et, qu’en tout état de cause, l’intéressée ne présentait aucun signe clinique de contre-indication à l’emploi de ce produit qui a été utilisé dans les règles de l’art et qui ne provoque que très rarement des lésions hépatiques; qu’ainsi aucune faute lourde médicale n’est imputable au [CHRN]; qu’il suit de là que la requête doit être rejetée; (...)" Devant la cour administrative d’appel de Nancy Les époux Mantovanelli saisirent la cour administrative d’appel de Nancy le 4 janvier 1989. Ils précisaient que le déroulement des faits n’était pas controversé et que l’objet du litige était de déterminer, à l’issue d’un examen contradictoire de tous les éléments du dossier, la cause de l’hépatite qui avait entraîné le décès de leur fille, afin d’établir si une faute lourde était imputable au service public hospitalier. Ils soutenaient qu’ils avaient été irrégulièrement privés de la possibilité de faire valoir auprès de l’expert leur argumentation sur ce point, concluaient à l’annulation du jugement du tribunal administratif et de l’expertise du professeur Guilmet et demandaient à la cour d’appel d’ordonner que le rapport soit retiré du dossier et qu’une nouvelle expertise soit prescrite. Le CHRN produisit un mémoire en défense le 17 mai 1990, auquel les requérants répliquèrent le 12 décembre 1991. La cour administrative d’appel de Nancy tint une audience le 13 février 1992 et prononça, le 5 mars 1992, l’arrêt suivant: "(...) Considérant, d’une part, qu’aucune disposition légale ni aucun principe général du droit ne font obligation au juge, lorsqu’il constate l’irrégularité d’une expertise, de prononcer son retrait du dossier et d’ordonner une nouvelle expertise; que par suite, la circonstance que l’expertise qu’ils ont ordonnée ait été dépourvue de caractère contradictoire à l’égard d’une partie au litige ne pouvait faire obstacle à ce que les premiers juges utilisent, pour se prononcer au fond, les éléments de fait contenus dans le rapport d’expertise qu’ils estimaient non contestés par les requérants ou non sérieusement contestables; Considérant, d’autre part, que les époux Mantovanelli, qui ont eu communication du rapport de l’expert, lequel fait mention de l’ensemble des pièces au vu desquelles il a été établi, et avaient ainsi la possibilité de le critiquer, ne contestent pas utilement les constatations effectuées et appréciations portées par ledit rapport; que si ce rapport leur paraissait insuffisant, il leur appartenait de préciser les points sur lesquels ils estimaient qu’un supplément d’information serait nécessaire; qu’à défaut d’une telle contestation, c’est à bon droit que le tribunal administratif a estimé, au vu des énonciations non contredites de ce rapport, qu’aucune faute lourde n’était imputable au centre hospitalier; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme Mantovanelli ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur requête; (...)" Devant le Conseil d’Etat Le 14 avril 1992, les requérants déposèrent une demande d’aide juridictionnelle devant le bureau d’aide juridictionnelle du Conseil d’Etat, qui la rejeta le 16 décembre 1992 au motif que les moyens de cassation n’étaient pas sérieux. Cette décision fut notifiée aux intéressés le 20 janvier 1993. Ceux-ci ne se pourvurent pas en cassation. II. Le droit et la jurisprudence internes pertinents L’ancien article R. 123 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (devenu l’article R. 164 du même code) dispose: "Les parties doivent être averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l’expertise; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l’avance, par lettre recommandée. (...) Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, doivent être consignées dans le rapport." Dans l’arrêt Autunes c. Commune de Decazeville du 1er juillet 1991 (Gazette du Palais, 8-9 avril 1992, p. 41), le Conseil d’Etat a précisé: "Considérant que l’expert chargé (...) d’examiner Mme Autunes a procédé à cet examen médical sans que la Commune de Decazeville ait été préalablement avisée, privant ainsi cette dernière de la faculté de présenter des observations dans le cours des opérations d’expertises; que, dans ces conditions, ces opérations sont irrégulières; que toutefois, cette irrégularité ne fait pas obstacle à ce que le rapport d’expertise soit retenu à titre d’élément d’information et à ce que, la Commune ayant pu présenter ses observations au cours de la procédure écrite qui a suivi le dépôt du rapport et le conseil d’Etat disposant maintenant des éléments d’informations nécessaires à la solution du litige, il soit statué au fond sans qu’il soit besoin d’ordonner la nouvelle expertise demandée par la Commune; (...)" Une telle irrégularité constitue toutefois une cause d’annulation du jugement lorsque l’expertise litigieuse a servi de base à celui-ci (Conseil d’Etat, 28 novembre 1988, Bruno Pierre Guy, Recueil Dalloz Sirey 1989, no 129). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les époux Mantovanelli ont saisi la Commission le 26 février 1993. Ils se plaignaient de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en raison de la façon non contradictoire dont les opérations d’expertise s’étaient déroulées. Le 17 mai 1995, la Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête (no 21497/93) recevable. Dans son rapport du 29 novembre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix voix contre trois, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans leur mémoire, les requérants invitent la Cour à "déclarer bien fondée [leur] requête (...)". Quant au Gouvernement, il demande à la Cour "de bien vouloir rejeter comme mal fondée la requête des époux Mantovanelli".
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I. Les circonstances de l’espèce A. Le requérant Le requérant est né à Saint-Kitts, où il semble avoir passé la majeure partie de sa vie. Il a six frères et soeurs. Deux d’entre eux s’installèrent aux Etats-Unis dans les années 70 et le reste de la famille semble les y avoir rejoints à des dates non précisées. Le requérant se rendit aux Etats-Unis en 1989 pour tenter d’y retrouver sa famille. Il y fut arrêté le 5 septembre 1991 car il se trouvait en possession de cocaïne, puis condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans. Au bout d’un an, il fut libéré sous condition pour bonne conduite et expulsé le 8 janvier 1993 vers Saint-Kitts. B. L’arrivée du requérant au Royaume-Uni et son emprisonnement Le 21 janvier 1993, le requérant arriva à l’aéroport de Gatwick, à Londres, où il demanda un visa de tourisme de deux semaines. Au terminal de l’aéroport, il fut trouvé en possession d’une grande quantité de cocaïne, d’une valeur de 120 000 livres sterling (GBP) environ à la revente dans la rue. Les services de l’immigration lui refusèrent l’autorisation d’entrer sur le territoire au motif que cette interdiction serait favorable au bien public et l’informèrent qu’il serait refoulé vers Saint-Kitts sous quelques jours. Il fut néanmoins placé en détention provisoire après son arrestation et son inculpation, puis traduit en justice pour avoir sciemment enfreint l’interdiction d’importer des drogues illicites appartenant à la catégorie la plus dangereuse. Le 19 avril 1993, il plaida coupable devant la Crown Court de Croydon et fut condamné le 10 mai 1993 à six ans d’emprisonnement. S’étant apparemment bien conduit à la prison d’Etat de Wayland il fut libéré sous condition le 24 janvier 1996. Il fut placé en rétention dans l’attente de son refoulement vers Saint-Kitts. Il fut libéré sous caution par décision de justice le 31 octobre 1996, après la publication du rapport de la Commission. C. Diagnostic du sida En août 1994, alors qu’il purgeait sa peine d’emprisonnement, le requérant fut atteint de pneumonie à pneumocystis carinii ("PPC") et fut déclaré porteur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et atteint du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida). Sa contamination semble s’être produite quelque temps avant son arrivée au Royaume-Uni. Le 3 mars 1995, le requérant se vit accorder une permission de sortie exceptionnelle pour voir sa mère, dont le billet d’avion, afin qu’elle puisse lui rendre visite au Royaume-Uni, avait été financé par des dons. Le 20 janvier 1996, juste avant sa libération conditionnelle, les services de l’immigration donnèrent des instructions pour que le requérant soit expulsé vers Saint-Kitts. D. Demande de permis de séjour du requérant Par un courrier du 23 janvier 1996, les solicitors du requérant demandèrent au ministre d’accorder à ce dernier un permis de séjour au Royaume-Uni pour des raisons d’humanité, étant donné que son expulsion vers Saint-Kitts lui ferait perdre le bénéfice du traitement médical qui lui était prodigué, ce qui réduirait son espérance de vie (paragraphes 13 et 14 ci-dessous). Le chef des services de l’immigration rejeta la demande le 25 janvier 1996. Dans la lettre adressée aux solicitors du requérant pour leur signifier son refus, il indiquait: "Cette décision a été prise en tenant dûment compte du paragraphe 4 des instructions de la division B des services de l’immigration et de la nationalité, relatives aux personnes atteintes du sida et séropositives. Comme vous le savez, ce paragraphe, applicable aux personnes ayant fait une demande de permis d’entrée, dispose [paragraphe 27 de l’arrêt ci-dessous] (...) Nous apprenons avec tristesse l’état de santé de M. D[...] mais ne pensons pas, conformément à la politique définie par les services de l’immigration, qu’il soit juste, de manière générale ou dans le cas d’espèce, de permettre à une personne souffrant du sida de rester sur le territoire à titre exceptionnel lorsque, comme c’est le cas en l’occurrence, le traitement au RoyaumeUni est financé sur fonds publics par le Service national de santé. Il ne serait pas non plus juste que les malades du sida bénéficient d’un régime différent de celui d’autres malades (...)" E. Procédure de contrôle juridictionnel Le 2 février 1996, le requérant sollicita en vain auprès de la High Court l’autorisation de faire contrôler par le juge la décision de lui refuser un permis d’entrée. Le 15 février 1996, la Cour d’appel (Court of Appeal) rejeta sa nouvelle demande d’autorisation, estimant que l’article 3 de la loi de 1971 sur l’immigration établissait une distinction entre permis d’entrée et permis de séjour. Elle jugea que le chef des services de l’immigration avait eu raison de considérer que la demande de D. se rapportait à un permis d’entrée et qu’il n’était pas tenu de prendre en considération le paragraphe 5 des directives du ministère de l’Intérieur, qui s’appliquait aux demandes de permis de séjour (paragraphes 27 et 28 ci-dessous). Au sujet de l’argument du requérant selon lequel le ministère de l’Intérieur aurait agi de manière déraisonnable ou irrationnelle en méconnaissant le caractère d’humanité de sa requête, Sir Iain Glidewell déclara: "On ne peut que compatir à la situation critique dans laquelle se trouve le requérant. S’il doit retourner à Saint-Kitts, il semble qu’il ne pourra pas travailler en raison de sa maladie. Son espérance de vie, si les renseignements médicaux sont exacts, risque bien d’y être plus courte que s’il continuait à bénéficier du traitement qui lui est prodigué au Royaume-Uni et sa situation sera à bien des égards désespérée. Par ailleurs, il ne serait pas ici s’il n’y était pas venu en 1993 pour un trafic de cocaïne; s’il n’avait pas été emprisonné, il serait retourné à Saint-Kitts, à supposer qu’il soit jamais venu au Royaume-Uni, bien avant que son sida ne soit diagnostiqué. Même en tenant compte de ce que la Cour d’appel doit soumettre à l’examen le plus minutieux une décision mettant en jeu en particulier l’espérance de vie, comme il semble que cela soit le cas en l’espèce, je ne pense pas qu’un argument faisant valoir que la décision prise en l’occurrence par le chef des services de l’immigration était irrationnelle, ait une quelconque chance de convaincre. Autrement dit, il me semble que cette décision relevait parfaitement de sa compétence et que la Cour ne saurait en conséquence la revoir." F. Rapports sur l’état de santé du requérant, son traitement et le pronostic Depuis août 1995, le nombre de "CD4" du requérant est inférieur à 10. D. se trouve à un stade avancé de la maladie et souffre d’anémie chronique, d’infections pulmonaires d’origine bactérienne, de malaises et d’éruptions cutanées; très amaigri, il passe par des périodes d’asthénie. Par une lettre du 15 janvier 1996, le Dr Evans, médecin spécialiste, déclara: "Son traitement actuel comporte 250 mg d’AZT par jour, ainsi que des aérosols de pentamidine à prendre mensuellement et, de temps en temps, des comprimés de mystatine et des adoucissants cutanés. Considérant que [le requérant] est atteint du sida depuis plus de dix-huit mois et que cette maladie se caractérise par une aggravation constante, le pronostic est extrêmement défavorable. En tant que médecin, je considère que l’espérance de vie [du requérant] serait considérablement raccourcie s’il devait être renvoyé à Saint-Kitts où il ne disposerait d’aucun médicament; il importe que lui soit administré de la pentamidine contre la PPC et qu’il reçoive sans retard un traitement antibiotique pour toute nouvelle infection dont il sera vraisemblablement atteint (...)" Dans son rapport médical du 13 juin 1996, le Pr Pinching, professeur d’immunologie dans un hôpital londonien, déclara que le système immunitaire du requérant avait subi des dommages graves et irréparables et que l’intéressé était extrêmement vulnérable à une large gamme d’infections spécifiques ainsi qu’à des tumeurs. Le requérant approchait de la fin de la durée moyenne d’efficacité des médicaments qu’il recevait. Le pronostic était très défavorable, l’espérance de vie étant estimée entre huit et douze mois avec le traitement actuel. La suppression de thérapies dont l’efficacité était démontrée et de soins médicaux convenables réduirait de plus de la moitié la durée de vie prévisible. G. Centres médicaux à Saint-Kitts Par une lettre du 20 avril 1995, la Haute Commission des Etats des Caraïbes orientales fit savoir au médecin traitant le requérant en prison que les centres médicaux de Saint-Kitts n’étaient pas équipés pour prodiguer le traitement nécessaire à l’intéressé. Cette lettre répondait à une demande à ce sujet envoyée le même jour par télécopie par le Dr Hewitt, médecin-chef de la prison britannique de Wayland. Par un courrier du 24 octobre 1995, le Dr Hewitt communiqua au ministère de l’Intérieur la teneur de la lettre de la Haute Commission, qui avait également été transmise le 1er mai 1995 au comité des libérations conditionnelles. Le Dr Hewitt précisait que le traitement nécessaire ne pouvait pas être obtenu à Saint-Kitts, mais était largement et librement disponible au Royaume-Uni et demandait qu’il soit, en conséquence, envisagé d’annuler l’arrêté d’expulsion frappant le requérant. Par une lettre du 1er août 1996, la Haute Commission confirma que la situation à Saint-Kitts n’avait pas évolué. Dans un courrier du 5 février 1996, la Croix-Rouge d’AntiguaetBarbuda informa les représentants du requérant que son délégué à Saint-Kitts, consulté, avait déclaré qu’aucun centre de soins n’y dispensait de médicaments pour traiter le sida. D’après des renseignements pris par le Gouvernement auprès des autorités de Saint-Kitts, cette île serait équipée de deux hôpitaux à même de traiter les infections opportunistes dont sont atteints les malades du sida jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment rétablis pour sortir, et un nombre croissant de personnes souffrant du sida y vivraient chez des parents. H. Situation familiale du requérant à Saint-Kitts Hormis un cousin, ainsi que le Gouvernement l’a signalé, le requérant n’a ni famille proche ni domicile familial à Saint-Kitts. Sa mère, qui vit actuellement aux Etats-Unis, a déclaré que son âge, sa mauvaise santé et son manque de ressources l’empêcheraient de retourner à SaintKitts pour s’occuper de son fils s’il devait y être expulsé. Elle a également déclaré qu’elle ne connaissait aucun parent qui pourrait se charger de lui à Saint-Kitts. I. Situation du requérant depuis l’adoption du rapport de la Commission A sa libération sous caution le 31 octobre 1996 (paragraphe 7 cidessus), le requérant a été autorisé à vivre dans un logement spécialement aménagé pour recevoir les malades du sida et mis à leur disposition par une organisation caritative s’occupant de personnes sans domicile. Le requérant y est logé et nourri et y reçoit certaines prestations, le tout gratuitement. Il bénéficie également de l’aide et du soutien affectif d’un volontaire formé par le Terrence Higgins Trust, principale organisation caritative britannique fournissant une aide, un soutien psychologique et des conseils juridiques et autres aux personnes atteintes du sida ou séropositives ou à celles qui le demandent. Dans un rapport médical du 9 décembre 1996, le Dr J.M. Parkin, spécialiste en immunologie clinique ayant traité le requérant dans un hôpital londonien, a constaté que celui-ci se trouvait à un stade avancé de l’infection par le VIH et que son système immunitaire était gravement atteint. Le pronostic médical était mauvais. On lui administrait actuellement un traitement antirétroviral associé à du "D4T" et du "3TC" pour réduire le risque d’infections opportunistes et on continuait à lui prescrire des aérosols de pentamidine pour éviter une rechute de pneumonie. On envisageait également un traitement préventif d’autres infections opportunistes. Le Dr Parkin a indiqué que l’absence de traitement anti-VIH et de thérapie prophylactique contre les maladies opportunistes hâterait la fin de l’intéressé s’il devait être expulsé vers Saint-Kitts. Vers la mi-janvier 1997, le requérant fut transféré dans un établissement pour malades du sida afin d’y recevoir des soins palliatifs. Début février, son état se détériora subitement et il dut entrer à l’hôpital le 7 février pour examens. Lors de l’audience de la Cour du 20 février 1997, l’on déclara que la santé du requérant suscitait des inquiétudes et que les médecins réservaient leur pronostic. D’après son conseil, il semblerait que D. approche du terme de son existence, comme les experts l’avaient prévu (paragraphe 15 ci-dessus). II. Le droit et la pratique internes pertinents Les dispositions régissant l’entrée et le séjour au Royaume-Uni se trouvent à la partie 1 de la loi de 1971 sur l’immigration (Immigration Act 1971). Les modalités de mise en oeuvre de ladite loi en matière de contrôle de l’entrée sur le territoire et de séjour sont exposées dans des règles soumises par le ministre au Parlement ("règles sur l’immigration"). Aux termes de l’article 3 par. 1, une personne ne possédant pas la nationalité britannique ne peut entrer au Royaume-Uni que si elle en a reçu l’autorisation conformément aux dispositions de la loi. Le permis d’entrée peut être accordé pour une période déterminée ou illimitée. L’article 4 par. 1 de la loi investit les agents des services de l’immigration du pouvoir d’accorder ou refuser le permis d’entrée et le ministre de celui de délivrer les permis de séjour au Royaume-Uni. Notification écrite des décisions doit être faite aux intéressés. Une personne qui, comme le requérant, s’est vu refuser l’autorisation d’entrer sur le territoire du Royaume-Uni mais s’y trouve en réalité dans l’attente de son expulsion et sollicite l’autorisation d’y rester, n’est pas considérée comme demandant un permis de séjour. Etant donné qu’aucun permis d’entrée n’a été accordé au requérant, Sir Iain Glidewell, en l’affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte D. (Cour d’appel, 15 février 1996), a jugé que le fonctionnaire des services de l’immigration était fondé à considérer la requête de l’intéressé comme une demande de permis d’entrée et non de permis de séjour. A. Directives sur la façon de procéder lorsque les personnes demandant un permis d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni sont atteintes du sida ou séropositives Les services de l’immigration et de la nationalité du ministère de l’Intérieur ont émis un document (BDI 3/95) à ce sujet en août 1995. Le paragraphe 2 de ces directives précise que le fait qu’une personne souffre du sida ou est séropositive ne constitue pas un motif pour lui refuser un permis d’entrée ou de séjour si ladite personne satisfait par ailleurs aux règles sur l’immigration. De même, ce facteur ne constitue pas une raison suffisante pour exercer une clémence particulière envers les personnes ne répondant pas à ces règles. Les directives font une distinction entre les demandes de permis d’entrée et celles de permis de séjour. En ce qui concerne les demandes de permis d’entrée (paragraphe 4 des directives), lorsque la personne est atteinte du sida, il convient d’appliquer normalement les règles sur l’immigration. Si la personne ne répond pas aux critères énoncés, elle se voit refuser l’entrée. Quant aux demandes de permis de séjour (paragraphe 5 des directives), leur bien-fondé doit être examiné en appliquant normalement les règles pertinentes. Toutefois, il est prévu, parallèlement à ces règles, une certaine souplesse pour des raisons d’humanité. Le paragraphe 5.4 indique: "(...) il peut y avoir des cas où il apparaît qu’il n’existe aucun centre susceptible de traiter le demandeur dans son pays d’origine. Lorsque des éléments donnent à penser que, faute de traitement, la durée de vie de l’intéressé sera sérieusement raccourcie, il convient normalement d’accorder le permis de séjour." B. Autres éléments pertinents Le requérant a notamment soumis les documents cités ci-dessous. Déclarations internationales sur les droits de l’homme et le sida Les préoccupations suscitées dans le monde entier par le sida ont conduit à l’élaboration de plusieurs textes internationaux traitant notamment de la protection des droits de l’homme des victimes de cette maladie. La Commission des Droits de l’Homme des Nations unies a ainsi adopté le 9 mars 1993 une résolution sur la protection des droits fondamentaux des personnes infectées par le VIH ou atteintes du sida; elle y engage "tous les Etats à veiller à ce que les lois, politiques et pratiques qu’ils ont adoptées pour lutter contre le sida respectent les normes relatives aux droits de l’homme". Un sommet de quarante-deux chefs d’Etat et de gouvernement qui se tint à Paris le 1er décembre 1994 vit l’adoption d’une déclaration par laquelle les Etats participants affirmèrent solennellement leur devoir "d’agir avec compassion et solidarité envers les personnes contaminées par le VIH ou risquant de l’être, au sein de [leur] société et dans la communauté internationale". Extrait du rapport de l’OMS sur les "Conditions sanitaires dans les Amériques" (1994, volume II), relatif à Saint-Kitts et Nevis "Conditions de vie et situation sanitaire (...) il existe de graves problèmes d’environnement, par exemple, l’évacuation dans de mauvaises conditions des déchets solides et liquides - notamment d’eaux usées non traitées - dans les terres et eaux côtières, qui provoque la dégradation des régions côtières, la mort des poissons et des problèmes sanitaires (gastroentérites) (...)" Selon ce document, Saint-Kitts est équipé de deux hôpitaux généraux, l’un de 174 lits et l’autre de 38 lits. Il existe également une villa aménagée en hôpital, d’une capacité de 10 lits, et deux centres de soins pour personnes âgées. "Questions relatives au traitement - manuel de base concernant les possibilités de traitement médical des personnes séropositives et atteintes du sida", publié en avril 1996 par le Terrence Higgins Trust Ce manuel décrit les trois stratégies médicales actuellement retenues pour traiter l’infection par le VIH et le sida: emploi de médicaments antiVIH qui s’attaquent au virus lui-même afin de retarder ou d’empêcher les dommages au système immunitaire, traitement ou prévention des infections opportunistes qui profitent des déficiences du système immunitaire, et renforcement et rétablissement de celui-ci. Pour la première catégorie, plusieurs médicaments peuvent être utilisés, dont l’AZT (connu aussi sous le nom de zidovudine ou sous la marque Retrovir). Ce médicament fait partie de la famille des analogues des nucléosides, inhibitrices d’une enzyme produite par le VIH et dénommée transcriptase inverse (TI). Si la TI est inhibée, le VIH ne peut plus infecter de nouvelles cellules et la dissémination du virus dans l’organisme est ralentie. Toutefois, les médicaments existants ne sont que partiellement efficaces et, au mieux, ne peuvent que retarder l’aggravation de la maladie liée au VIH et non l’empêcher de se déclarer. En ce qui concerne la deuxième catégorie, les personnes dont le système immunitaire a subi des dommages importants sont vulnérables à toute une gamme d’infections et de tumeurs dénommées maladies opportunistes. Il s’agit le plus souvent d’infections à cytomégalovirus (virus de l’herpès), de sarcome de Kaposi, d’anémie, de tuberculose, de toxoplasmose et de la PPC. Celle-ci est une forme de pneumonie qui, chez les personnes séropositives, s’attaque aux ganglions lymphatiques, à la moelle osseuse, à la rate et au foie ainsi qu’aux poumons. Pour prévenir ces infections, il faut notamment faire appel à une hygiène alimentaire et à un traitement prophylactique. En présence de PPC, qui était l’une des grandes causes de décès pendant les premières années de l’épidémie et demeure l’une des maladies les plus communément liées au sida, les mesures à prendre comprennent l’administration à long terme d’antibiotiques tels que la cotrimoxazole ainsi que l’emploi d’aérosols de pentamidine destinés à protéger les poumons. Quant à la troisième catégorie, à savoir les traitements visant à renforcer ou régénérer le système immunitaire, les recherches n’ont jusqu’à présent abouti à aucun résultat probant. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 15 février 1996 à la Commission (no 30240/96), D. alléguait que l’expulsion vers Saint-Kitts envisagée à son égard serait contraire aux articles 2, 3 et 8 de la Convention (art. 2, art. 3, art. 8) et qu’il n’avait pas disposé d’un recours effectif pour contester l’arrêté d’expulsion, au mépris de l’article 13 (art. 13). La Commission a retenu la requête le 26 juin 1996. Dans son rapport du 15 octobre 1996 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il y aurait violation de l’article 3 (art. 3) si le requérant était expulsé vers Saint-Kitts (onze voix contre sept), qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 2 (art. 2) (unanimité), qu’aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 8 (art. 8) (unanimité) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) (treize voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire et à l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire que les faits de la cause ne révèlent aucune violation des droits du requérant au titre des articles 2, 3, 8 ou 13 de la Convention (art. 2, art. 3, art. 8, art. 13). Le requérant a pour sa part demandé à la Cour, dans son mémoire et lors de l’audience, de constater que s’il était expulsé du Royaume-Uni comme les autorités britanniques envisagent de le faire, il y aurait violation des articles 2, 3 et 8 de la Convention (art. 2, art. 3, art. 8), et qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif quant à ses griefs, au mépris de l’article 13 (art. 13).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’arrestation et la garde à vue Les requérants sont des anciens membres de la Grande Assemblée nationale élus aux élections législatives du 20 octobre 1991. A cette époque, ils étaient membres du Parti du travail du peuple (Halkın Emeği Partisi), fondé en juin 1990 puis, le 14 août 1993, interdit et dissous par la Cour constitutionnelle en raison d’activités dites séparatistes. Entre-temps, ils avaient adhéré au Parti de la démocratie (Demokrasi Partisi), fondé dans l’intervalle. Le 2 mars 1994, la Grande Assemblée nationale prononça la levée de leur immunité parlementaire, à la suite d’une demande présentée dès le mois de novembre 1992 et renouvelée plusieurs fois par le procureur général près la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara (Ankara Devlet Güvenlik Mahkemesi Cumhuriyet savcısı, « le procureur général »). Le magistrat les accusait d’avoir commis des infractions visées à l’article 125 du code pénal (paragraphe 20 ci-dessous), lesquelles étaient qualifiées de crimes terroristes par la loi anti-terrorisme n° 3713 (paragraphe 21 ci-dessous) et relevaient dès lors de la compétence des cours de sûreté de l’Etat (paragraphe 22 ci-dessous). Le même jour, à leur sortie du parlement, MM. Dicle et Doğan se virent, sur ordre du procureur général, arrêtés puis placés en garde à vue dans les locaux de la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d’Ankara. Le lendemain, leurs avocats demandèrent la comparution immédiate de leurs clients devant un juge et sollicitèrent du procureur général de pouvoir s’entretenir avec eux. L’autorisation délivrée à cet effet par le parquet précisait que l’entretien – à mener sous surveillance – devrait porter sur la préparation du recours en annulation que les intéressés projetaient de former contre la levée de leur immunité parlementaire. De leur côté, les quatre autres requérants avaient refusé de quitter l’enceinte du parlement, mais, le 4 mars, ils subirent le même sort que leurs deux collègues. Ce jour-là, le procureur général prolongea jusqu’au 16 mars 1994 la garde à vue des six intéressés, au motif qu’il y avait lieu de compléter l’enquête ; sa décision se fondait sur l’article 30 de la loi n° 3842 régissant la durée de la garde à vue dans la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat (paragraphe 23 ci-dessous). Pendant leur garde à vue, les intéressés se refusèrent à toute déposition. Rappelant sa demande de comparution immédiate du 3 mars (paragraphe 8 ci-dessus), l’avocat de MM. Dicle et Doğan la renouvela le 11 mars ; il invoquait notamment les articles 5 et 6 de la Convention. Le 21 mars 1994, la Cour constitutionnelle rejeta les recours introduits par les requérants contre la levée de leur immunité parlementaire. B. La détention provisoire Entre-temps, le 17 mars 1994, un juge unique, appelé juge consulaire, de la cour de sûreté de l’Etat avait ordonné la mise en détention provisoire des parlementaires, motif pris du « caractère et [de] la nature du délit » en cause ainsi que de « l’état des preuves ». Sur recours des intéressés, un collège de trois juges de cette même juridiction confirma la mesure le 22 mars 1994, l’estimant nécessaire « en raison de la qualification et de la nature des délits [en cause], de l’état présent des charges, de la durée de [la] détention [des requérants] et du fait que le dossier n’en [était] encore qu’au stade de l’instruction ». Le 12 avril, les intéressés présentèrent une nouvelle demande de mise en liberté, que la cour de sûreté de l’Etat rejeta le 13 mai, considérant que le dossier en était encore « au stade de l’instruction et qu’à ce jour, aucun changement en faveur des députés détenus » n’était intervenu. C. Le procès devant la cour de sûreté de l’Etat d’Ankara Le 21 juin 1994, le procureur général déposa des réquisitions dans lesquelles il accusa les requérants de séparatisme et d’atteinte à l’intégrité de l’Etat, crimes passibles de la peine capitale aux termes de l’article 125 du code pénal (paragraphes 7 ci-dessus et 20 ci-dessous). 16. La cour de sûreté de l’Etat statua le 8 décembre 1994. Appliquant l’article 8 de la loi anti-terrorisme n° 3713 (paragraphe 21 ci-dessous), elle condamna MM. Sakık et Alınak à trois ans et six mois d’emprisonnement pour propagande séparatiste ; à M. Türk, M. Dicle, M. Doğan et Mme Zana, elle infligea, en vertu de l’article 168 du code pénal (paragraphe 20 ci-dessous), quinze ans d’emprisonnement pour appartenance à une bande armée. Sur pourvoi des intéressés et du procureur général, la Cour de cassation cassa le 26 octobre 1995 la condamnation de M. Türk et ordonna sa mise en liberté, au motif qu’il avait enfreint l’article 8 de la loi anti-terrorisme n° 3713 mais pas l’article 168 du code pénal ; elle confirma la condamnation des autres requérants. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 19 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté individuelle. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et dans le respect des formes et conditions définies par la loi : (...) La personne arrêtée ou détenue doit être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures et, dans le cas d’infractions collectives, dans les quinze jours (...). Ces délais peuvent être prolongés pendant l’état d’urgence (...) (...) Toute personne privée de sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d’introduire un recours devant une autorité judiciaire compétente afin qu’elle statue à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation serait illégale, ordonne sa libération. Les dommages subis par ceux qui ont été victimes d’un traitement contraire à ces dispositions doivent être réparés par l’Etat, conformément à la loi. » En son article 90 § 5, la Constitution prévoit que « les traités internationaux régulièrement mis en vigueur ont valeur de loi (...) ». Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 125 « Sera passible de la peine capitale, quiconque commettra un acte tendant à soumettre une partie ou la totalité du territoire de l’Etat à la domination d’un Etat étranger, à amoindrir l’indépendance de l’Etat ou à soustraire à son administration une partie du territoire sous son contrôle. » Article 168 « Sera condamné à une peine de quinze ans d’emprisonnement minimum, quiconque, en vue de commettre les infractions énoncées aux articles 125 (...), créera une bande ou organisation armée ou se chargera de la direction, (...) du commandement ou d’une responsabilité particulière dans une telle bande ou organisation. Les autres membres de la bande ou de l’organisation seront condamnés à une peine de cinq à quinze ans d’emprisonnement. » L’article 3 de la loi anti-terrorisme n° 3713 qualifie de crimes terroristes les infractions visées aux articles 125 et 168 du code pénal. Avant sa modification du 27 octobre 1995, l’article 8 § 1 de la même loi prévoyait : « La propagande écrite et orale, les réunions, les assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à son unité nationale sont prohibées, quels qu’en soient la méthode ou le but. Quiconque poursuivra une telle activité sera condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques (...) » Aux termes de l’article 9 de la loi n° 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, celles-ci peuvent seules connaître des infractions visées aux articles 125 et 168 du code pénal. A l’époque des faits, l’article 30 de la loi n° 3842 du 18 novembre 1992 portant modification de la législation relative aux procédures pénales prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’Etat (paragraphe 22 ci-dessus), que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les provinces où l’état d’urgence était en vigueur, ces délais étaient susceptibles d’être prolongés jusqu’à quatre et trente jours respectivement. L’article 1 de la loi n° 466 sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues prévoit : « Seront compensés par l’Etat les dommages subis par toute personne : arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ; à laquelle les griefs à l’origine de son arrestation ou détention n’auront pas été immédiatement communiqués ; qui n’aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ; dont les proches n’auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ; qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d’un non-lieu (...), d’un acquittement ou d’un jugement la dispensant d’une peine ; qui aura été condamnée à une peine d’emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement (...) » III. LA NOTIFICATION DE DÉROGATION DU 6 AOÛT 1990 ET SES MODIFICATIONS ULTÉRIEURES Le 6 août 1990, le Représentant permanent de la Turquie auprès du Conseil de l’Europe a transmis au Secrétaire général du Conseil de l’Europe la notification de dérogation suivante : « 1. La République de Turquie est exposée à des menaces pour sa sécurité nationale dans le Sud-Est de l’Anatolie, dont l’ampleur et l’intensité sont allées croissant au cours des derniers mois au point de représenter une menace pour la vie de la nation au sens de l’article 15 de la Convention. En 1989, 136 civils et 153 membres des forces de sécurité ont été tués à la suite d’actes de terrorisme, dont les auteurs agissaient parfois à partir de bases étrangères. Rien que depuis le début de 1990, le nombre des victimes s’élève à 125 civils et 96 membres des forces de sécurité. La sécurité nationale est principalement menacée dans les provinces de l’Anatolie du sud-est et partiellement aussi dans les provinces adjacentes. En raison de l’intensité et de la diversité des actions terroristes, et afin de les réprimer, le gouvernement a dû non seulement faire intervenir ses forces de sécurité, mais aussi prendre les mesures appropriées pour neutraliser une campagne de désinformation tendancieuse auprès du public, lancée notamment à partir d’autres régions de la République de Turquie ou même de l’étranger et accompagnée d’une utilisation abusive des droits syndicaux. A cette fin, le Gouvernement de la Turquie, agissant conformément à l’article 121 de la Constitution turque, a promulgué, le 10 mai 1990, les décrets-lois n° 424 et n° 425. Ces décrets pourront entraîner une dérogation aux obligations inscrites dans les dispositions ci-après de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales : à savoir dans les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13. Une description sommaire des nouvelles mesures est jointe à la présente (...) » La description sommaire des décrets-lois nos 424 et 425 annexée à cette notification est libellée comme suit : « A. En vertu des décrets-lois nos 424 et 425 dans la région visée par l’état d’urgence, le gouvernement de cette région a été doté des pouvoirs supplémentaires ci-après. Le ministre de l’Intérieur, sur proposition du gouverneur de la région visée par l’état d’urgence, pourra interdire temporairement ou de manière permanente toute publication (indépendamment du lieu de son impression) qui serait de nature à perturber gravement l’ordre public de la région ou à exciter les esprits dans la population locale, ou à gêner les forces de sécurité dans l’accomplissement de leur mission en donnant une interprétation fausse des activités menées dans la région. La mesure d’interdiction pourra s’étendre, le cas échéant, à la fermeture de la maison d’édition en question. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner aux personnes portant atteinte de manière continue à la sécurité générale et à l’ordre public de s’établir dans un lieu spécifié par le ministre de l’Intérieur et situé en dehors de la région visée par l’état d’urgence pour une période qui ne devra pas excéder la durée de l’état d’urgence. A leur demande, les intéressés pourront recevoir une aide financière du Fonds de développement et de soutien. Les modalités de la fourniture de cette aide seront fixées par le ministère de l’Intérieur. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence (ou le gouverneur provincial délégué) pourra suspendre (pour une durée de 3 mois maximum) ou subordonner à une autorisation préalable certaines activités en relation avec des conflits de travail telles que grèves et « lock-out ». Le gouverneur pourra également interdire, ou prendre des mesures préventives à leur encontre, certaines activités telles que destructions, pillages, boycottages, ralentissements du travail, restrictions à la liberté du travail et fermetures d’entreprises. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner à titre temporaire ou permanent l’évacuation, le déplacement, le regroupement de villages, de zones de pâturages et de zones résidentielles pour des raisons de sécurité publique. Le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence pourra ordonner aux institutions publiques appropriées dans la région visée par l’état d’urgence, de muter à titre permanent ou temporaire à d’autres postes leurs fonctionnaires dont elles considèrent qu’ils portent atteinte à la sécurité générale et à l’ordre public. Les fonctionnaires intéressés resteront astreints aux dispositions de la loi spéciale sur la fonction publique qui leur sont applicables. B. Aucune plainte de nature criminelle, pécuniaire ou juridique ne pourra être déposée, ni aucune démarche juridique ne pourra être effectuée à cette fin auprès de l’autorité judiciaire à propos de décisions prises ou d’actes effectués par le ministre de l’Intérieur, le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence et les autres gouverneurs dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont reconnus par le décret-loi n° 424. C. Aucune décision intérimaire à effet suspensif ne pourra être prise à l’encontre d’une décision administrative durant l’examen d’une plainte administrative déposée contre ladite décision si celle-ci a été prise par le ministre de l’Intérieur, le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence et les gouverneurs provinciaux dans l’exercice des pouvoirs que leur reconnaît la Loi sur l’état d’urgence n° 2935. D. Un recours en nullité ne pourra être formé contre des décisions administratives prises par le gouverneur de la région visée par l’état d’urgence dans l’exercice des pouvoirs que lui reconnaît le décret-loi n° 285. » Dans une note, la dérogation précise que « la sécurité nationale est principalement menacée » dans les provinces de Elazığ, Bingöl, Tunceli, Van, Diyarbakır, Mardin, Siirt, Hakkâri, Batman et Şırnak (paragraphe 28 ci-dessous). Par une lettre du 3 janvier 1991, le Représentant permanent de la Turquie a informé le Secrétaire général que le décret-loi n° 424 avait été remplacé par le décret-loi n° 430 promulgué le 16 décembre 1990. Une description sommaire de celui-ci figurait en annexe ; il se lit ainsi : « 1. Les pouvoirs du gouverneur de l’état d’urgence en vertu du décret-loi n° 425 sont limités à la région visée par l’état d’urgence. Les provinces adjacentes sont, de ce fait, exclues de la compétence du gouverneur. Les pouvoirs spéciaux accordés au gouverneur de l’état d’urgence par le décret-loi n° 425 sont limités aux mesures relatives aux activités terroristes visant à porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Le pouvoir du ministre de l’Intérieur d’interdire toute publication ou d’ordonner la fermeture d’une imprimerie (indépendamment de son emplacement) est limité. Selon le nouveau décret-loi, le ministre de l’Intérieur doit d’abord adresser un avertissement au propriétaire ou à l’éditeur de la publication. Si celui-ci continue d’imprimer ou de diffuser le numéro controversé, le ministre concerné peut interdire la publication temporairement ou définitivement et, si nécessaire, ordonner également la fermeture de l’imprimerie pour une période maximale de 10 jours, qui peut toutefois être étendue à un mois en cas de récidive. Aucune période maximale de fermeture de l’imprimerie n’était prévue par le décret-loi n° 424 (abrogé) (voir le § A (1) de la description sommaire jointe à la notification de dérogation du 6 août 1990). Le nouveau décret-loi limite le pouvoir du gouverneur de l’état d’urgence d’ordonner à des personnes de s’établir dans un lieu spécifié situé en dehors de la région visée par l’état d’urgence. Les personnes expulsées de la région visée par l’état d’urgence ne sont pas obligées de s’établir en un lieu spécifié. Elles seront donc libres de choisir leur résidence en dehors de la région, sauf si elles demandent une aide financière. Dans ce cas, elles devront s’établir dans un lieu spécifié (voir le § A (2) de la description sommaire précédente). En ce qui concerne [les] dispositions concernées dans les paragraphes A (3, 4, 5 et 6) de la description sommaire du 6 août 1990 (qui concernent les grèves, le « lock-out » et certaines autres activités syndicales, l’évacuation et le regroupement de villages, la mutation de fonctionnaires à d’autres postes ou emplois), il faut noter que les provinces adjacentes à la province visée par l’état d’urgence en sont exclues par le nouveau décret-loi. Pour ce qui est du paragraphe 8 de la description sommaire précédente, le nouveau décret-loi comporte une nouvelle clause sauvegardant le droit d’introduire une requête contre l’administration (l’Etat) pour une perte ou des dommages subis du fait de décisions prises en vertu de l’état d’urgence. » Le 12 mai 1992, le Représentant permanent de la Turquie a communiqué au Secrétaire général une lettre libellée comme suit : « (...) Comme la plupart des mesures énoncées dans les décrets-lois nos 425 et 430 qui pourraient entraîner une dérogation aux droits garantis par les articles 5, 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention ne sont plus appliquées, je vous informe par la présente que la République de Turquie limite, pour l’avenir, la portée de sa notification de dérogation au seul article 5 de la Convention. La dérogation relative aux articles 6, 8, 10, 11 et 13 de la Convention n’est plus en vigueur ; par conséquent, la référence relative à ces articles est, par la présente, supprimée de ladite notification de dérogation. » Le 6 avril 1993, le Représentant permanent de la Turquie a informé le Secrétaire général de ce que par des décrets-lois du 9 mars 1993, entrés en vigueur le 19 mars, l’état d’urgence avait été levé dans la province d’Elazığ et décrété dans la province de Bitlis. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 11 mars 1994. Ils se plaignaient : 1) quant à leur garde à vue : de son irrégularité, de sa durée excessive, de l’absence de voies de recours leur permettant de mettre en cause sa légalité, de l’absence d’un droit à réparation pour sa durée excessive (article 5 §§ 1, 3, 4 et 5 de la Convention) ainsi que de l’absence d’assistance par un avocat pendant leur garde à vue (article 6 § 3 c)) ; 2) quant à la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat : de manquements aux exigences du procès équitable et du manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction (article 6 § 1) ; 3) quant au rejet par la Cour constitutionnelle de leur demande en annulation de la levée de leur immunité parlementaire : de ce qu’ils n’ont pas pu prendre connaissance des motifs de cette décision, seul le dispositif leur ayant été notifié (article 6 § 1) ; 4) d’une atteinte à leur liberté d’expression (article 10). Le 25 mai 1995, la Commission a retenu les griefs relatifs à la légalité et la durée de la garde à vue des requérants, ainsi qu’à l’absence de contrôle judiciaire et de droit à réparation ; elle a rejeté les requêtes (nos 23878/94 à 23883/94) pour le surplus. Dans son rapport du 23 mai 1996 (article 31), elle conclut, à l’unanimité, à la non-violation du paragraphe 1 mais à la violation des paragraphes 3, 4 et 5 de l’article 5. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « prie respectueusement la Cour de déclarer, à titre principal, que la dérogation turque est applicable aux faits de la cause et qu’en vertu de celle-ci aucune violation des dispositions de l’article 5 n’a eu lieu et, à titre subsidiaire, que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées s’agissant de l’article 5 et qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 5 §§ 1, 3, 4 et 5 ». Les requérants ont pour leur part sollicité « qu’il plaise à la Cour de rendre une décision conforme aux conclusions de la Commission » et réclamé une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce M. Laskey, ressortissant britannique né en 1943, est décédé le 14 mai 1996. MM. Jaggard et Brown, également de nationalité britannique, sont nés en 1947 et 1935 respectivement. En 1987, plusieurs vidéocassettes enregistrées lors de réunions à caractère sadomasochiste impliquant les requérants et quarante-quatre autres homosexuels tombèrent entre les mains de la police alors que celle-ci procédait à des enquêtes de routine sur d’autres questions. Les requérants, avec plusieurs autres hommes, furent en conséquence inculpés de différentes infractions, notamment de coups et blessures intervenus lors de pratiques sadomasochistes qui s’étaient déroulées sur une dizaine d’années. L’un des chefs d’inculpation concernait un accusé mineur de vingt et un ans, âge fixé à l’époque pour le consentement à des pratiques d’homosexualité masculine. Malgré l’existence de très nombreuses voies de fait, le ministère public limita les chefs d’accusation à quelques charges exemplaires. Ces actes consistaient essentiellement en mauvais traitements infligés sur les parties génitales (à l’aide de cire chaude, de papier de verre, d’hameçons et d’aiguilles par exemple) et en rituels de flagellation soit à mains nues soit au moyen de divers objets tels que des orties, des ceintures à pointes ou des martinets. Dans certains cas, le marquage au fer rouge ou les lésions infligées provoquèrent des saignements et laissèrent des cicatrices. Ces activités étaient librement consenties et menées en privé, apparemment sans autre but que la recherche du plaisir sexuel. Les souffrances étaient infligées selon certaines règles, dont un mot de code qui permettait à la "victime" de mettre un terme à l’"agression", et ne donnèrent lieu en aucun cas à des infections ou à des lésions permanentes ni ne nécessitèrent l’assistance d’un médecin. Ces pratiques se déroulèrent en divers lieux, dont des locaux aménagés en chambres de torture. Les séances étaient enregistrées à l’aide de caméras vidéo; les cassettes étaient copiées et distribuées aux membres du groupe. Les poursuites se fondèrent essentiellement sur la teneur de ces vidéocassettes. Nul ne prétendit qu’elles avaient été vendues ou utilisées par d’autres personnes que les membres du groupe. Les requérants plaidèrent coupables des chefs de coups et blessures après que le juge du fond eut déclaré qu’ils ne pouvaient invoquer le consentement des "victimes" comme moyen de défense. Le 19 décembre 1990, les requérants furent reconnus coupables et condamnés à diverses peines d’emprisonnement. En rendant le verdict, le juge du fond déclara: "(...) le comportement illégal dont ce tribunal est saisi serait pareillement traité dans le cadre de poursuites dirigées contre des hétérosexuels ou des bisexuels qui s’y seraient livrés. L’homosexualité des prévenus constitue seulement la toile de fond de l’affaire." M. Laskey fut condamné à quatre ans et six mois d’emprisonnement, dont quatre ans pour complicité de tenue d’un lieu de débauche et tenue d’un tel lieu (paragraphe 31 ci-dessous), cumulés à six mois pour détention d’une photographie indécente d’enfant. Lui fut également infligée une peine, confondue avec les précédentes, de douze mois d’emprisonnement pour divers chefs de coups et blessures et complicité de coups et blessures, en vertu de l’article 47 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes ("la loi de 1861" - paragraphe 27 ci-dessous). M. Jaggard fut condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, dont deux pour complicité de blessures illégales, en infraction à l’article 20 de la loi de 1861 précitée (paragraphe 25 ci-dessous), plus douze mois pour coups et blessures, complicité de coups et blessures, et blessures illégales. M. Brown fut condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et neuf mois, dont douze mois pour complicité de coups et blessures, neuf mois pour coups et blessures et douze mois pour d’autres chefs de coups et blessures. Les requérants interjetèrent appel contre leur condamnation et les peines prononcées. Le 19 février 1992, la chambre criminelle de la Cour d’appel (Court of Appeal, Criminal Division) n’infirma pas la condamnation des requérants, mais, considérant qu’ils ignoraient le caractère délictueux de leurs pratiques d’infliger des blessures, elle adoucit leurs peines. Elle réduisit ainsi la peine de M. Laskey à dix-huit mois d’emprisonnement pour le chef de complicité de tenue d’un lieu de débauche. Elle prononça également une peine, confondue avec la précédente, de trois mois d’emprisonnement pour les divers chefs de coups et blessures, ainsi qu’une peine cumulée de six mois d’emprisonnement pour détention d’une photographie indécente d’enfant, ce qui correspond à un total de deux ans. Elle réduisit les peines de M. Jaggard et de M. Brown à six mois et trois mois d’emprisonnement respectivement. Les requérants saisirent la Chambre des lords du point de droit d’intérêt général suivant: "Dans l’hypothèse où A, au cours de rencontres à caractère sadomasochiste, inflige à B des coups ou des blessures, provoquant ainsi une atteinte réelle à son intégrité physique, le ministère public doit-il prouver le défaut de consentement de B avant de pouvoir établir la culpabilité de A en vertu des articles 20 ou 47 de la loi de 1861?" Le 11 mars 1993, la Chambre des lords rejeta le pourvoi, enregistré sous le nom R. v. Brown (All England Law Reports 1993, vol. 2, p. 75), deux des cinq law lords ne partageant pas l’avis de la majorité. Lord Templeman, appartenant à la majorité, déclara après un examen de la jurisprudence: "(...) les précédents traitant de la question des atteintes intentionnelles à l’intégrité physique n’établissent pas que le consentement soit un moyen de défense contre des charges fondées sur la loi de 1861. D’après eux, le consentement constitue un moyen de défense lorsque les atteintes à l’intégrité physique surviennent lors d’activités légales. La question est de savoir si ce moyen de défense peut aussi être invoqué dans le cas d’atteintes de cette nature, causées au cours de rencontres sadomasochistes (...) Les avocats des appelants ont fait valoir que le consentement devrait constituer un moyen de défense (...) car tout individu a le droit de disposer librement de son corps. Je ne pense pas que cette formule suffise à fonder la décision de principe qu’il s’agit maintenant de prendre. Une personne commet une infraction lorsqu’elle maltraite son corps et son esprit en consommant des drogues. La législation pénale, certes souvent enfreinte, impose des restrictions à une pratique qui est considérée comme dangereuse et pernicieuse pour les individus et qui, si elle était tolérée et généralisée, porterait préjudice à l’ensemble de la société. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, les appelants n’ont pas mutilé leur corps mais porté atteinte à l’intégrité physique de victimes consentantes (...) En principe, on distingue la violence fortuite de la violence infligée par cruauté. La violence sadomasochiste suppose une certaine cruauté de la part de sadiques ainsi que l’humiliation des victimes. Cette violence est nocive pour les participants et présente des risques imprévisibles. Je ne suis pas disposé à concevoir un moyen de défense fondé sur le consentement, s’agissant de rencontres à caractère sadomasochiste qui engendrent et exaltent la cruauté (...) La société a le droit et le devoir de se protéger contre le culte de la violence. Il est pervers de tirer du plaisir de la souffrance d’autrui. La cruauté est barbare." Lord Jauncey of Tullichettle estima: "Selon moi, il convient de tracer une frontière entre les voies de fait en common law et l’infraction de coups et blessures définie à l’article 47 de la loi de 1861. Il en résulte que le consentement de la victime ne peut servir de moyen de défense à quiconque est inculpé de cette dernière infraction (...) Hormis les cas relevant de l’une des exceptions bien connues, telles les compétitions sportives ou jeux organisés, les châtiments corporels infligés par les parents ou les actes chirurgicaux justifiés (...), les atteintes réelles ou graves à l’intégrité physique constituent des actes illégaux que le consentement n’excuse pas. (...) Nonobstant les conclusions auxquelles je suis parvenu, je crois qu’il convient de répondre aux arguments selon lesquels le consentement aux pratiques auxquelles se livraient les appelants ne serait pas préjudiciable à l’intérêt général. Les appelants ont beaucoup insisté sur l’organisation et le secret entourant ces pratiques et sur le fait que celles-ci n’ont causé aucune lésion nécessitant des soins médicaux. Ils ont soutenu qu’on ne pouvait pas les taxer de prosélytisme. Cette affirmation ne concorde pas avec le passage suivant de la décision du Lord Chief Justice: "Ils [MM. Laskey et Cadman] recrutaient de nouveaux participants; ils organisaient ensemble le déroulement des séances dans la maison où avaient lieu la plupart d’entre elles et où une grande partie des instruments de torture était entreposée. M. Cadman était plus voyeur que sadomasochiste mais M. Laskey et lui sont en partie responsables, du fait des séances qu’ils organisaient dans les locaux d’Horwich, de la corruption du jeune "K", qui semble à présent entretenir une relation hétérosexuelle normale stable." Quoi qu’il en soit, ce serait une erreur, eu égard à l’intérêt général, de considérer isolément les actes des appelants car, de toute évidence, eux et leurs partenaires ne sont pas les seuls adeptes de rencontres à caractère sadomasochiste entre homosexuels en Angleterre et au pays de Galles. La Chambre des lords doit donc envisager la possibilité que d’autres se livrent à ce type de pratiques sans être aussi disciplinés ou responsables que les appelants prétendent l’être. Sans entrer dans les détails de toutes les pratiques pour le moins curieuses auxquelles se livraient les appelants, il semble que l’absence d’accidents graves soit due à la chance plus qu’au discernement. Les blessures peuvent facilement s’infecter faute de soins appropriés, les saignements d’une personne séropositive ou atteinte du sida peuvent entraîner la contamination d’un autre individu, et un sadique emporté par l’excitation sexuelle, la boisson ou la drogue peut très facilement provoquer une souffrance ou des lésions dépassant le seuil que la "victime" a accepté. La Chambre ne sait pas si cela s’est produit dans le cas d’autres sadomasochistes. Ce sont certainement ces risques qui ont incité Lady Mallalieu à limiter ses propositions concernant l’intérêt général au résultat réel plutôt qu’éventuel des pratiques litigieuses. A mon sens, cette restriction est tout à fait injustifiée. S’agissant de l’intérêt général, le préjudice potentiel est tout aussi pertinent que le préjudice réel. Comme l’a dit le juge Mathew dans l’affaire Coney (Queen’s Bench, vol. 8, p. 547): "Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle le consentement ne saurait rendre inoffensif ce qui est, en réalité, dangereux." En outre, le risque de prosélytisme et de corruption de jeunes gens constitue un danger réel même dans la présente affaire, et l’enregistrement sur vidéocassettes de ces actes porte à croire que le secret n’est peut-être pas aussi absolu que les appelants l’ont prétendu devant la Chambre." Lord Mustill et Lord Slynn of Hadley ne souscrivirent pas à ce point de vue. Pour le premier, il ne fallait pas considérer l’affaire sous l’angle de la législation pénale relative à la violence mais plutôt au regard des dispositions pénales concernant les relations sexuelles privées. Il jugea importants les arguments des appelants au titre de l’article 8 de la Convention (art. 8), estimant que les décisions des institutions européennes défendaient clairement le droit des intéressés à mener leur vie privée sans ingérence du droit pénal. Après un examen de la jurisprudence pertinente, il estima que la Chambre des lords devait de nouveau rechercher si l’intérêt général appelait des sanctions pénales lorsqu’un préjudice de cette gravité était infligé en privé à une personne consentante, à la recherche, non du profit, mais du plaisir sexuel. Il ne jugea pas convaincants les arguments relatifs à la santé (risque allégué d’infections ou de propagation du sida), le danger que ces pratiques conduisent à des abus ni le risque de corruption de jeunes gens, qui pourraient appeler une application de la loi de 1861 à ce type de comportement. Lord Slynn of Hadley estima que, dans l’état actuel du droit, les adultes pouvaient consentir à des actes commis en privé n’entraînant pas d’atteinte grave à l’intégrité physique. Il admit qu’il s’agissait en dernier ressort d’une question d’ordre public dans un domaine où les facteurs sociaux et moraux étaient extrêmement importants et où les mentalités pouvaient évoluer. Selon lui, il appartenait cependant au législateur de décider si ce type de comportement relevait du droit pénal, et non pas aux tribunaux, par souci "paternaliste", de faire entrer dans les infractions contre les personnes définis par la loi des concepts n’y correspondant pas vraiment. La procédure fut largement commentée dans la presse. Les requérants perdirent tous leur emploi et M. Jaggard dut subir un traitement psychiatrique prolongé. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Infractions contre les personnes Loi de 1861 sur les infractions contre les personnes L’article 20 de la loi de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861 - "la loi de 1861") dispose: "Quiconque cause à autrui une blessure ou une atteinte grave à son intégrité physique, volontairement et illégalement, à l’aide ou non d’une arme ou d’un instrument (...) est passible (...) [d’une peine d’emprisonnement] n’excédant pas cinq ans." Selon la jurisprudence, pour qu’il y ait blessure au sens de cette disposition, il faut une entaille profonde dans les chairs, et non pas seulement dans la couche superficielle de la peau ou épiderme. Aux termes de l’article 47 de la loi de 1861: "Quiconque est reconnu coupable de coups et blessures encourt (...) une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans." L’expression "coups et blessures" désigne "toute lésion ou atteinte à l’intégrité physique infligée dans le but de nuire à la santé ou au bien-être d’autrui" (juge Liksey dans R. v. Miller, Queen’s Bench Reports 1954, vol. 2, p. 292). Jurisprudence antérieure à R. v. Brown Dans l’affaire R. v. Donovan (King’s Bench Reports 1934, vol. 2, p. 498), l’accusé avait frappé une jeune fille consentante avec une canne à des fins de jouissance sexuelle. Le juge Swift déclara: "Il est illégal de frapper autrui avec une violence telle qu’il en découlera probablement une atteinte réelle à son intégrité physique; dès lors que pareil acte est prouvé, le consentement n’entre pas en ligne de compte." Dans l’affaire Attorney-General’s Reference (6e saisine en 1980) (Queen’s Bench Reports 1980, p. 715), où deux hommes, à la suite d’une querelle, avaient décidé de se battre, Lord Lane déclara devant la Cour d’appel: "Il est contraire à l’intérêt général que des individus tentent de se porter ou se portent effectivement des coups et blessures sans raison valable. Je ne pense évidemment pas aux rixes mineures. Ainsi, à notre avis, il importe peu que l’acte ait lieu en privé ou en public; il s’agit de coups et blessures dès lors qu’une atteinte réelle à l’intégrité physique est voulue et/ou causée. Il en résulte que la plupart des rixes sont illégales, qu’il y ait ou non consentement. Bien entendu, rien de ce qui précède ne remet en question la légalité reconnue des jeux et sports correctement organisés, des corrections ou châtiments légaux, des interventions chirurgicales justifiées, des spectacles dangereux, etc. Ces exceptions apparentes peuvent se justifier par l’exercice d’un droit dans le cas des châtiments ou corrections et, dans les autres cas, par leur caractère nécessaire à l’intérêt général." Jurisprudence postérieure à R. v. Brown En l’affaire R. v. Wilson (Weekly Law Reports 1996, vol. 3, p. 125), dans laquelle un homme a été condamné pour coups et blessures pour avoir marqué de ses initiales les fesses de sa femme consentante au moyen d’un couteau chauffé, la chambre criminelle de la Cour d’appel a autorisé l’intéressé à soumettre un recours. Dans l’arrêt de celle-ci, Lord Justice Russell déclara: "(...) il n’y a pas de comparaison possible entre les circonstances de l’espèce et celles des affaires Donovan ou Brown; en effet, Mme Wilson a non seulement consenti aux actes commis par l’appelant, mais elle en a été l’instigatrice. L’appelant n’avait aucune intention agressive (...) (...) Nous ne pensons pas être en droit de supposer que les pratiques de l’appelant et de sa femme étaient en quelque façon plus dangereuses ou douloureuses que le tatouage (...) Des pratiques suivies en privé au domicile conjugal, de leur plein gré, par mari et femme ne constituent pas selon nous matière à enquête pénale, et encore moins à poursuites pénales." B. Outrages publics à la pudeur Tenir un "lieu de débauche" constitue une infraction selon la common law. Un lieu de débauche est défini comme "un lieu d’où sont absents les freins de la morale, tenu d’une manière contraire à la loi et à l’ordre public. Il doit être dans une certaine mesure "ouvert", mais pas nécessairement à tout le monde. (...) Lorsque l’on allègue que des actes indécents sont commis ou donnés à voir dans des locaux de façon à en faire un lieu de débauche, l’on doit prouver que les actes pratiqués ou montrés sont tels que s’ils l’étaient en public: a) ils seraient constitutifs d’un outrage public à la pudeur, ou b) tendraient à corrompre, ou c) viseraient d’une autre manière à nuire à l’intérêt général, appelant ainsi condamnation et sanction" (Archbold’s Criminal Pleading, Evidence and Practice 1996, chap. 20, p. 224). PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Laskey, Jaggard et Brown ont saisi la Commission le 14 décembre 1992. Invoquant les articles 7 et 8 de la Convention (art. 7, art. 8), ils se plaignaient de ce que leur condamnation résultait d’une application du droit pénal qu’ils ne pouvaient prévoir et qui, en tout état de cause, constituait une ingérence illégale et injustifiable dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée. Le 18 janvier 1995, la Commission a retenu les requêtes (nos 21627/93, 21826/93 et 21974/93) quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention (art. 8). Dans son rapport du 26 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis, par onze voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition (art. 8). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à se rallier à l’avis de la majorité de la Commission, pour laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de la Convention. Les requérants, de leur côté, ont prié la Cour d’examiner la situation de chacun d’entre eux en se fondant sur les faits reconnus et les charges correspondantes et de conclure à la violation du droit au respect de leur vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention (art. 8), qui comprend l’expression de la personnalité sur le plan sexuel.
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I. Les circonstances de l’espèce Le 7 octobre 1982, un arrêté préfectoral de l’Essonne déclara d’utilité publique l’acquisition de terrains nécessaires à l’aménagement d’une zone pavillonnaire dans la commune de Saint-Michel-sur-Orge, dit projet de la fontaine de l’Orme. Un terrain bâti, qui appartenait à la requérante et qui servait de résidence secondaire à un membre de sa famille, figurait parmi eux. A. La procédure d’expropriation Saisi le 10 septembre 1982 par le maire de la commune, le juge de l’expropriation de l’Essonne prononça le transfert du terrain de la requérante à la commune, par une ordonnance du 6 décembre 1982, et fixa le montant de l’indemnité d’expropriation à verser à celle-ci. La requérante forma appel le 28 mars 1983. Le 28 juillet 1983, l’établissement public d’aménagement de la ville nouvelle d’Evry (EPEVRY) chargé de la réalisation du projet avisa Mme Guillemin qu’il lui incombait, depuis le 14 juillet précédent, de libérer les lieux. Ce même mois, la commune procéda à la destruction de la clôture, des bâtiments, des équipements de viabilité, du jardin potager et du verger qui se trouvaient sur le terrain. Le 14 octobre 1983, la chambre des expropriations de la cour d’appel de Paris, saisie par la requérante expropriée, porta à 221 858 francs français (FRF) le montant de l’indemnité d’expropriation qui est aujourd’hui consigné à la Caisse des dépôts et consignations (Trésorerie de l’Essonne). B. L’annulation de la déclaration d’utilité publique Le 19 novembre 1982, Mme Guillemin avait introduit un recours devant le tribunal administratif de Versailles. Le 24 octobre 1985, celui-ci annula pour excès de pouvoir la déclaration d’utilité publique. Il considéra que l’utilité publique aurait dû être déclarée par décret en Conseil d’Etat et non par arrêté préfectoral (paragraphe 23 ci-dessous). En effet, le commissaire chargé de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique avait exprimé l’avis selon lequel il fallait exclure du périmètre de l’opération les habitations existantes qui possédaient une surface suffisante pour constituer un jardin à usage familial, ce qui était le cas de l’immeuble de la requérante. La commune interjeta appel le 26 décembre 1985 et déposa un mémoire le 28 avril 1986. Par un arrêt du 13 mars 1989, le Conseil d’Etat confirma le jugement. Il rejeta les conclusions de Mme Guillemin tendant à ce qu’il soit donné acte d’un désistement d’office de la commune pour défaut de production dans les délais d’un mémoire complémentaire, ainsi que celles à fins d’indemnité, présentées pour la première fois en appel. C. L’annulation des opérations d’expropriation La requérante saisit la Cour de cassation de deux pourvois, le premier, à l’encontre de l’ordonnance d’expropriation du 6 décembre 1982, et le second, en cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 octobre 1983. Par deux arrêts du 4 janvier 1990, la Cour de cassation (troisième chambre civile) annula l’ordonnance d’expropriation qui avait prononcé le transfert de propriété, puis, "par voie de conséquence", elle constata l’annulation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait statué sur l’indemnité d’expropriation. Ils furent signifiés le 22 mai 1990 à la commune. D. Les recours en indemnisation Auprès de la commune expropriante Le 20 juin 1990, la requérante demanda à la commune, en vain, à être soit rétablie dans ses droits, soit indemnisée par le versement de 4 194 655,65 FRF. Devant les juridictions Les 10 novembre et 17 décembre 1990, Mme Guillemin saisit le procureur de la République d’Evry. Celui-ci classa l’affaire le 11 mars 1991. Le 23 décembre 1991, elle attaqua devant le tribunal administratif de Versailles la décision implicite de rejet de la commune, en complétant sa demande de remise en état par une requête en indemnisation pour préjudice moral et privation de jouissance, qu’elle évaluait à 1 971 795 FRF. Le 13 janvier 1992, elle assigna le maire de la commune de Saint-Michel-sur-Orge et EPEVRY devant le tribunal de grande instance d’Evry, afin d’obtenir la démolition, sous astreinte, des bâtiments édifiés par la commune sur son terrain, et l’allocation de dommages et intérêts. Dans des conclusions communes, les défendeurs firent valoir que la restitution du bien immobilier était impossible. Il avait été cédé à EPEVRY en vue de la création d’un lotissement, et les lots, eux-mêmes vendus à différents acquéreurs, étaient à présent construits et habités. Le 1er février 1993, le juge judiciaire d’Evry sursit à statuer jusqu’à ce que le tribunal administratif de Versailles ait rendu sa décision, et renvoya l’affaire à l’audience du 10 juin 1993 devant le juge de la mise en état. Le tribunal administratif tint audience le 10 mai 1994 et statua le 24. Il jugea irrecevables les conclusions tendant à la remise en état, au motif "qu’il n’appartient pas au juge administratif d’adresser des injonctions à l’administration", et se prononça en ces termes sur les conclusions à fin indemnitaire: "Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’expropriation pour cause d’utilité publique [du] 7 octobre 1982 (...) s’est effectuée dans des conditions irrégulières; qu’ainsi, la dépossession dont [Mme Guillemin a] été victime présente le caractère d’une emprise irrégulière sur une propriété privée immobilière; qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire, gardiens de la propriété privée, de connaître de [son] action tendant à obtenir réparation du préjudice [qu’elle aurait] subi du fait de cette dépossession ainsi que de ceux qui en sont la conséquence directe." Entre temps, le 3 mars 1994, la requête de Mme Guillemin avait été radiée du rôle du tribunal de grande instance d’Evry. Elle y fut réinscrite le 25 novembre 1994. Le 5 janvier 1995, la requérante déposa de nouvelles conclusions en indemnisation. Par un jugement du 23 octobre 1995, le tribunal de grande instance d’Evry observa que Mme Guillemin avait implicitement renoncé à solliciter la démolition des édifices situés sur son terrain, et constata son droit à indemnisation par la commune expropriante. Il sursit à statuer sur la demande en indemnisation et ordonna une expertise de la valeur de la parcelle expropriée, dans l’état où elle se trouvait en décembre 1982, et du préjudice résultant de la privation du terrain ou du prix correspondant depuis cette date, et mit à la charge de la commune la consignation des frais de l’expertise. Saisi du dossier le 27 novembre suivant, l’expert convoqua les parties pour un transport sur les lieux le 12 mars 1996, et déposa son rapport le 29 juillet 1996. Il fixa la valeur d’ensemble à 1 602 805 FRF, qu’il décomposa comme suit: 462 139 FRF pour la valeur de la propriété, indemnité de remploi comprise, 746 338 FRF pour le montant des intérêts en principal couvrant la période comprise entre le 14 juillet 1983 et le 30 septembre 1996, et 394 328 FRF au titre de l’indemnité pour perte de jouissance sur la propriété, calculée sur cette même période, en retenant pour ce dernier poste un taux de rentabilité de 6,50 % sur la valeur de la propriété, sans tenir compte de l’indemnité de remploi. La procédure est actuellement pendante devant le tribunal de grande instance d’Evry. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Les étapes de la procédure d’expropriation La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique comporte deux phases, indépendantes l’une de l’autre. La première est de nature administrative. Elle débute par une enquête préalable ouverte par arrêté préfectoral, et qui recueille les informations sur la justification de l’expropriation. Le commissaire enquêteur dispose d’un mois à compter de la fin de l’enquête pour examiner les observations du public, rédiger ses conclusions puis transmettre le dossier à l’autorité administrative. Si son avis est défavorable, ou favorable mais assorti de réserves que l’expropriant n’entend pas lever, la déclaration d’utilité publique doit être prononcée par décret en Conseil d’Etat, et non plus par arrêté préfectoral. Cette déclaration constate l’intérêt général de l’opération. L’arrêté préfectoral de cessibilité qui lui succède identifie les immeubles visés par l’expropriation et clôt la phase administrative de l’expropriation. L’expropriant poursuit alors la procédure en transmettant l’arrêté de cessibilité au juge de l’expropriation, le juge judiciaire, dans les six mois de la publication, sous peine de caducité. La seconde phase se déroule devant le juge de l’expropriation. Il est seul habilité à prononcer l’expropriation et à fixer l’indemnité correspondante, mais n’a aucune qualité pour apprécier la régularité des actes de l’autorité administrative. Au vu de l’arrêté de cessibilité qui lui a été transmis, il rend une ordonnance d’expropriation qui réalise le transfert de la propriété au bénéfice de la collectivité expropriante et prive l’ancien propriétaire de la disposition de son bien. L’ancien propriétaire en conserve cependant la jouissance en tant qu’occupant précaire jusqu’à paiement - ou consignation en cas de litige - de l’indemnité pour perte de jouissance. La procédure en vue de l’intervention de l’ordonnance d’expropriation est distincte de celle qui aboutit au jugement en fixation de l’indemnité d’expropriation; elle est en général conduite entièrement par l’autorité administrative expropriante. Cette seconde procédure peut débuter dès l’intervention de l’arrêté préfectoral ouvrant l’enquête publique. Le calcul de l’indemnité d’expropriation tient compte de la valeur du bien exproprié, de l’ensemble des frais nécessaires pour l’acquisition d’un bien de remplacement et, au titre des indemnités accessoires, de la dépréciation de la propriété restante en cas d’expropriation partielle. L’indemnité peut toujours être convenue amiablement, même après l’intervention de l’ordonnance d’expropriation. B. Les recours ouverts Devant les juridictions administratives Toute personne intéressée par l’expropriation nécessaire à la réalisation d’une opération d’intérêt général peut contester, devant le tribunal administratif, la validité de la déclaration d’utilité publique, dans les deux mois de sa publication. Le recours contre un arrêté de cessibilité doit s’exercer dans un délai identique. L’arrêté préfectoral portant ouverture de l’enquête d’utilité publique étant considéré comme une simple mesure d’instruction, sa légalité ne peut être discutée qu’à l’occasion de l’un ou l’autre de ces recours. Une requête de sursis à exécution peut accompagner toute demande au fond, mais en toute hypothèse, les recours portés devant les juridictions administratives ne sont pas suspensifs et n’empêchent pas la poursuite de la procédure d’expropriation devant le juge judiciaire. Devant les juridictions judiciaires L’ordonnance d’expropriation peut être attaquée par le seul moyen d’un pourvoi en cassation introduit dans les quinze jours de sa notification. L’appel contre le jugement fixant l’indemnité est ouvert dans les quinze jours de la notification de la décision et le recours en cassation doit ensuite être exercé dans les deux mois de la notification de l’arrêt de la cour d’appel. Non suspensifs, ces recours ne font pas obstacle à la prise de possession du bien exproprié. Enfin, si l’indemnité n’a été ni versée ni consignée par l’expropriant dans l’année suivant la décision qui l’a définitivement fixée, l’exproprié peut en demander la révision auprès du juge de l’expropriation. C. Les conséquences de l’annulation d’un acte administratif intervenu L’annulation d’une déclaration d’utilité publique prive l’ordonnance d’expropriation de sa base légale. Toutefois, si l’annulation intervient alors que l’ordonnance a acquis un caractère définitif, l’expropriation ne peut pas être légalement contestée. Il est admis qu’une nouvelle enquête publique peut être organisée en vue de la régularisation de la situation. En tout état de cause, l’adage suivant lequel "l’ouvrage public mal implanté ne se démolit pas" s’applique. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Guillemin a saisi la Commission le 28 novembre 1991. Invoquant les articles 6 par. 1 et 8 de la Convention (art. 6-1, art. 8), et 1 du Protocole no 1 (P1-1), elle se plaignait de la durée de la procédure en contestation de l’expropriation, de l’inexécution subséquente des décisions judiciaires prises en sa faveur, de la privation de son bien et de la notification tardive de l’obligation de quitter les lieux. Le 12 octobre 1994, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (no 19632/92) quant aux griefs relatifs aux articles 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et 1 du Protocole no 1 (P1-1) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 18 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation des articles 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de: "- Constater que la requérante ne peut se prévaloir de la qualité de victime et n’a en tout état de cause pas épuisé les voies de recours internes, en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 1 du Protocole additionnel no 1 (P1-1). - Juger que les deux griefs tirés de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) sont mal fondés". Quant à la requérante, elle invite la Cour à "juger qu’il y a eu violation des articles 1 du Protocole no 1 (P1-1) et 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)".
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Professeur dans deux établissements d'enseignement secondaire calabrais, M. Francesco Abenavoli habite Reggio de Calabre. Le 19 février 1982, il déposa un recours devant le tribunal administratif régional (« TAR ») de Calabre afin d'obtenir l'annulation de deux réductions, par l'Inspection académique, du traitement dû pour les mois de février et mai 1981 ainsi que le remboursement des sommes non versées, réévaluées et majorées des intérêts légaux. Le 9 mars 1982, il demanda la fixation de la date d'audience. Les 13 juin 1988 et 7 avril 1992, il présenta une demande de fixation urgente. D'après les renseignements fournis par le requérant, au 4 juin 1996, la procédure était toujours pendante. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Abenavoli a saisi la Commission le 3 juin 1993. Il se plaignait de la durée de la procédure suivie devant le tribunal administratif régional de Calabre et invoquait l'article 6 § 1 de la Convention. Le 6 juillet 1995, la Commission a retenu la requête (n° 25587/94). Dans son rapport du 28 novembre 1995 (article 31), elle conclut, par vingt-quatre voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6. Le texte de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement demande à la Cour de juger que l'article 6 § 1 n'a pas été violé.
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I. Les circonstances de l'espèce Le 5 décembre 1991, la section de surveillance des radiocommunications de la direction générale des PTT localisa sur une bande de fréquence réservée à l'aviation civile et militaire une communication téléphonique privée émise au moyen d'un téléphone non agréé. Elle enregistra la communication localisée sur la ligne de M. Camenzind – un juriste résidant à Fribourg – et en informa les autorités compétentes des PTT. Le requérant fut soupçonné de contravention au sens de l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique ». Le 11 décembre 1991, la direction des télécommunications (Fernmeldekreisdirektion) du canton de Berne ouvrit une information contre lui, conformément à la loi fédérale de 1974 sur le droit pénal administratif. Le 13 décembre 1991, le directeur d'arrondissement des PTT de Berne délivra un mandat de perquisition du domicile de M. Camenzind, en vertu des articles 48 et suivants de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. Selon le mandat, la perquisition visait à retrouver et saisir le téléphone sans fil non agréé. Le 21 janvier 1992, à 9 h 50, deux fonctionnaires des PTT se présentèrent au domicile du requérant. Ce dernier reconnut avoir déjà essayé un téléphone sans fil par le passé, mais dit qu'il n'en possédait plus. Au vu du mandat de perquisition, il permit aux agents des PTT d'entrer dans le vestibule de l'appartement dont il n'occupait en fait qu'une pièce, les cinq autres étant louées. Informé des aspects juridiques de la perquisition, il consulta le dossier de son affaire et téléphona à un avocat ainsi qu'à un responsable de la direction des PTT à Berne. La perquisition fut effectuée par un seul fonctionnaire des PTT, sur demande de M. Camenzind et en sa présence. L'agent perquisitionna chacune des pièces des deux étages de la maison, y compris la cave. Il se borna à vérifier la conformité des téléphones et des téléviseurs, ne toucha à rien, n'ouvrit aucun tiroir et ne consulta aucun document. Aucun appareil du type de celui qui était recherché ne fut trouvé. A 11 h 55, un procès-verbal fut établi et signé par le requérant et l'auteur de la perquisition. Il indiquait notamment que la perquisition pouvait faire l'objet d'une plainte, conformément aux articles 26 à 28 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. A. Le recours en annulation de la perquisition devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral Le 24 janvier 1992, M. Camenzind saisit la chambre d'accusation du Tribunal fédéral d'un recours en annulation de la perquisition pour illégalité fondé sur l'article 26 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif. La direction générale des PTT conclut à l'irrecevabilité du recours. Le 27 mars 1992, le Tribunal fédéral rendit un arrêt de rejet ainsi libellé (traduction de l’allemand) : « 1. a) La chambre d'accusation du Tribunal fédéral peut être saisie d'une plainte contre les mesures de contrainte (articles 45 et suivants de la [loi fédérale sur le droit pénal administratif]) et les actes administratifs s'y rapportant (article 26 § 1 de la [même loi]). D'après l'article 28 § 1 de cette loi, a qualité pour déposer plainte quiconque est atteint par l'acte d'enquête qu'il attaque et a un intérêt digne de protection qu'il y ait annulation ou modification. b) Le requérant ne conteste pas avoir eu un appareil téléphonique non agréé en Suisse ; à l'occasion de la perquisition, il a même expressément indiqué en avoir fait usage ; l'appareil se serait toutefois révélé inutilisable et aurait en conséquence été détruit (…). Il n'a donc pas pu être procédé à une saisie puisque l'appareil n'a pas été retrouvé. La plainte n'est donc pas dirigée contre la saisie (non effectuée) mais contre la perquisition ainsi que l'écoute d'entretiens téléphoniques (…) c) Pour autant que la plainte dénonce la perquisition en tant que telle (« perquisition illégale [violation de domicile] », « perquisition forcée », « menace de recours à la force ») et l'écoute ainsi que l'enregistrement de conversations téléphoniques, il n'y a pas lieu de l'examiner, faute d'un intérêt légitime actuel (aktuelles Rechtsschutzbedürfnis), ces mesures ayant pris fin et le requérant n'étant plus actuellement atteint par celles-ci (BGE [Bundesgerichtsentscheidungen – Arrêts du Tribunal fédéral] 103 IV 117 E. 1a). d) Cela vaut en principe aussi pour le repérage et l'enregistrement des communications téléphoniques en cause ici, qui se trouvent en relation étroite avec la perquisition. Le Tribunal fédéral renonce cependant, à titre exceptionnel, à l'exigence d'un intérêt actuel en pratique, lorsque le manquement à la loi dénoncé est susceptible de se reproduire à tout moment, lorsqu'un examen juridictionnel ne pourrait être exercé à temps dans le cas d'espèce, lorsque les questions qui se posent pourraient à tout moment se reposer dans des conditions semblables ou comparables et sont de celles dont la réponse, en raison de son importance de principe, présente un intérêt public suffisant (BGE 116 Ia 150 E. 2a ; 116 II 729 E. 6 ; Ib 59 E. 2b). Ces conditions se trouvent ici remplies car la perquisition suppose que, dans un premier temps, l'utilisateur de l'appareil téléphonique non agréé ait été repéré par les moyens de détection appropriés. Cette investigation est cependant close au moment où l'on procède à la perquisition et, le cas échéant, à la saisie. C'est pourquoi la plainte doit être retenue pour autant que le requérant s'en prend à l'écoute et à l'enregistrement des communications qu'il a passées à l'aide de son appareil non agréé. (...) Par ces motifs, la chambre d'accusation dit : Pour autant qu'elle a été déclarée recevable, la plainte est rejetée ; (...) » B. Le « prononcé pénal » de l’Office fédéral de la communication Par des actes des 14 août et 26 septembre 1995, l'Office fédéral de la communication infligea à l'intéressé une amende de 150 francs suisses pour contravention, au sens de l'article 42 de la loi fédérale « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique », et le condamna aux frais et dépens. Le 11 octobre 1995, M. Camenzind engagea une procédure de contrôle juridictionnel du « prononcé pénal » susmentionné devant le tribunal d'arrondissement (Bezirksgericht) de la Sarine. Celui-ci décida, le 18 décembre 1995, de clore la procédure pour cause de prescription (absolute Verjährung) de l’infraction litigieuse. II. Le droit interne pertinent A. La loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » A l’époque des faits, l'article 42 de la loi fédérale de 1922 « réglant la correspondance télégraphique et téléphonique » disposait : « 1. Celui qui établit, exploite ou utilise, sans concession ni autorisation ou d'une manière contraire aux dispositions de la concession ou de l'autorisation, des installations expéditrices ou réceptrices ou des installations quelconques soumises à concession ou autorisation et servant à la transmission électrique ou radioélectrique de signaux, d'images ou de sons, (...) est puni des arrêts ou d'une amende de 10 000 francs suisses au plus, à moins que, selon l'article 151 du code pénal suisse, il n'encoure une peine plus grave. La peine est une amende de 5 000 francs suisses au plus si l'auteur agit par négligence. » B. La loi fédérale sur le droit pénal administratif Les procédures pénales administratives sont régies par la loi fédérale sur le droit pénal administratif (« DPA ») du 22 mars 1974 modifiée. L'enquête L'administration fédérale est chargée de poursuivre et juger certaines infractions au droit fédéral. Elle est également compétente pour procéder aux enquêtes relatives à celles-ci. Les auditions, qui sont l'objet de procès-verbaux, les inspections locales et les mesures de contrainte sont alors confiées à des fonctionnaires formés spécialement à cet effet (article 20 § 1 DPA). Les fonctionnaires appelés à procéder à une enquête ou à prendre une décision ou à la préparer sont tenus de se récuser s'ils ont un intérêt personnel à l'affaire, s'ils sont parents ou alliés de l'« inculpé » en ligne directe ou collatérale jusqu'au troisième degré ou s'ils lui sont liés par mariage, fiançailles ou adoption, et s'il existe des circonstances de nature à leur donner l'apparence de prévention dans l'affaire (article 29). L'« inculpé » peut, en tout état de la cause, se prévaloir d'un défenseur (article 32). Tous deux peuvent en principe être autorisés par le fonctionnaire enquêteur à participer à l'administration des preuves (article 35). Le fonctionnaire enquêteur peut procéder à l'audition de l'« inculpé » (article 39), de personnes « à titre de renseignement » (article 40) et – en présence de l'« inculpé » et de son défenseur – de témoins (article 41). Il peut également ordonner une expertise – en consultation avec l'« inculpé » (article 43) – et une « inspection locale », à laquelle l'« inculpé » et son défenseur ont alors le droit d'assister (article 44). Il a également le pouvoir de procéder « avec les égards dus à la personne concernée et à sa propriété » à des séquestres, perquisitions et arrestations provisoires (articles 45 et suivants ; de telles mesures, dites « de contrainte », ne peuvent être prises en cas d’« inobservation de prescriptions d’ordre » (est réputée telle la contravention que la loi administrative spéciale désigne sous ces termes et la contravention passible d’une amende d’ordre ; article 3). Les perquisitions en particulier sont régies par les dispositions suivantes de la loi fédérale sur le droit pénal administratif : Article 48 « 1. Une perquisition pourra être opérée dans des logements et autres locaux ainsi que sur des fonds clos attenants à une maison seulement s'il est probable que l'inculpé s'y dissimule ou s'il s'y trouve des objets ou valeurs soumis au séquestre ou des traces de l'infraction. L'inculpé peut être fouillé au besoin. La fouille doit être opérée par une personne du même sexe ou par un médecin. La perquisition a lieu en vertu d'un mandat écrit du directeur ou chef de l'administration ou, si l'enquête est de son ressort, du directeur d'arrondissement des douanes ou d'arrondissement des PTT. S'il y a péril en la demeure et qu'un mandat de perquisition ne puisse être obtenu à temps, le fonctionnaire enquêteur peut lui-même ordonner une perquisition ou y procéder. Cette mesure doit être motivée dans le dossier. » Article 49 « 1. Au début de la perquisition, le fonctionnaire enquêteur doit justifier de sa qualité. L'occupant des locaux doit être informé du motif de la perquisition et appelé à y assister s'il est présent ; s'il est absent, il est fait appel à un parent ou à une personne du ménage. Est en outre appelé à assister à la perquisition l'officier public désigné par l'autorité cantonale compétente ou, si le fonctionnaire enquêteur perquisitionne de son propre chef, un membre de l'autorité communale ou un fonctionnaire du canton, du district ou de la commune, qui veille à ce que l'opération ne s'écarte pas de son but. S'il y a péril en la demeure ou si l'occupant des locaux y consent, la perquisition peut avoir lieu sans l'assistance d'officiers publics, de personnes du ménage ou de parents. La perquisition ne peut en général être opérée le dimanche, les jours de fêtes générales et de nuit que pour des affaires importantes et en cas de danger imminent. Le procès-verbal de perquisition est dressé immédiatement en présence de ceux qui ont assisté à l'opération ; à leur requête, il leur est remis une copie du mandat de perquisition et du procès-verbal. » Article 50 « 1. La perquisition visant des papiers doit être opérée avec les plus grands égards pour les secrets privés ; en particulier, les papiers ne seront examinés que s'ils contiennent apparemment des écrits importants pour l'enquête. La perquisition doit être opérée de manière à sauvegarder le secret de la fonction, ainsi que les secrets confiés aux ecclésiastiques, avocats, notaires, médecins, pharmaciens, sages-femmes et aux auxiliaires, en vertu de leur ministère ou de leur profession. Avant la perquisition, le détenteur des papiers est, chaque fois que cela est possible, mis en mesure d'en indiquer le contenu. S'il s'oppose à la perquisition, les papiers sont mis sous scellés et déposés en lieu sûr ; la Chambre d'accusation du Tribunal fédéral statue sur l'admissibilité de la perquisition (...) » Les recours a) Le contrôle judiciaire des mesures de contrainte Les mesures de contrainte – dont la perquisition – (articles 45 et suivants DPA) et les actes ou omissions qui s'y rapportent peuvent être l'objet d'une plainte devant la chambre d'accusation du Tribunal fédéral (article 26). La plainte est recevable pour violation du droit fédéral – ou de la Convention (arrêt du Tribunal fédéral du 17 août 1989, X c. Caisse de pensions de l’Etat de Neuchâtel et tribunal administratif du Canton de Neuchâtel, Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 115, Ve partie, p. 253) –, pour constatation inexacte ou incomplète de faits pertinents ou pour inopportunité. A qualité pour déposer plainte quiconque est atteint par l'acte d'enquête qu'il attaque, l'omission qu'il dénonce ou la décision sur plainte, et a un intérêt digne de protection à ce qu'il y ait annulation ou modification de celui-ci ou celles-là (article 28). La chambre d'accusation du Tribunal fédéral a précisé (X. gegen Generaldirektion PTT, 23 juin 1977, Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 103, IVe partie, p. 115 ; traduction de l’allemand) : « N'a qualité pour déposer plainte que celui qui est (encore) atteint au moins partiellement par la décision attaquée et qui de ce fait possède un intérêt à ce qu'elle soit modifiée. » b) L'obtention d'un jugement judiciaire L'administration est compétente pour juger les infractions au droit pénal administratif. Toutefois, lorsque le département auquel elle est subordonnée estime qu'une peine ou une mesure privative de liberté doit être envisagée, le tribunal est compétent. La personne touchée par un prononcé pénal de l'administration peut, dans les dix jours suivant la notification, demander à être jugée par le tribunal ; à défaut, le prononcé pénal est « assimilé à un jugement passé en force » (articles 21 et 72). c) L'indemnisation en cas de non-lieu L'inculpé qui bénéficie d'un non-lieu a la faculté de demander une indemnité à l'administration pour la détention préventive et les autres préjudices qu'il a subis. Cette indemnité peut lui être refusée en tout ou en partie s'il a provoqué l'instruction par sa faute ou s'il a, sans raison, entravé ou prolongé la procédure. La décision de l'administration sur cette question peut être attaquée par la voie de la plainte à la chambre d'accusation du Tribunal fédéral (articles 99 et 100). PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 2 octobre 1992 à la Commission (n° 21353/93), M. Camenzind alléguait que la perquisition effectuée à son domicile constituait une violation de l'article 8 de la Convention et qu'il n'avait bénéficié ni d'un procès équitable au sens de l'article 6 ni d'un recours effectif devant une instance nationale, au mépris de l'article 13. Les 27 février et 27 novembre 1995, la Commission a retenu la requête quant aux seuls griefs relatifs aux articles 8 et 13. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle formule à l'unanimité l'avis qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8, mais qu'il y a eu méconnaissance de l'article 13. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour « à confirmer l'avis de la Commission selon lequel la présente affaire ne révèle aucune violation de l'article 8 de la Convention et, d'autre part, à examiner si le requérant a disposé, en ce qui concerne la perquisition à son domicile, d'un recours effectif devant une instance nationale, au sens de l'article 13 de la Convention ». De son côté, le requérant prie la Cour de « confirmer l'avis de la Commission selon lequel la présente affaire révèle une violation de l'article 13 de la Convention [et de] constater une violation de l'article 8 § 2 de la Convention ».
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyenne néerlandaise née en 1966, la requérante, Mme Klaziena Wilhelmina de Haan, réside à Oude Pekela. En 1987, elle commença à travailler dans une teinturerie. Au printemps de 1989 apparurent chez elle des troubles physiques qui l’obligèrent à se faire mettre en congé de maladie à plusieurs reprises, chaque fois pour plusieurs mois. D’après l’intéressée, ces troubles étaient dus à des substances chimiques utilisées dans le nettoyage à sec. Absente de son travail Mme de Haan percevait, conformément à la loi sur l’assurance maladie (ziektewet), des indemnités de l’Association professionnelle de l’industrie chimique (Bedrijfsvereniging voor de Chemische Industrie). Par une lettre du 14 mai 1990, celle-ci l’avisa que, d’après les informations en sa possession, elle n’était plus inapte au travail et qu’en conséquence son droit à indemnités de maladie prendrait fin, avec effet rétroactif, à compter du 10 mai. La requérante saisit la commission de recours (Raad van Beroep) de Groningue le 22 mai 1990. Le 20 juin, elle déposa un document additionnel exposant ses moyens d’appel. La commission de recours suivit la procédure simplifiée connue sous le nom de procédure de l’expert médical permanent (vaste deskundige procedure – paragraphes 25–28 ci-dessous). Le 17 août 1990, Mme de Haan fut examinée par un médecin généraliste, expert médical permanent (vaste deskundige) près la commission de recours. Le 11 septembre 1990, le juge S., président faisant fonction de la commission de recours, la débouta. Dactylographiée sur un formulaire pré-imprimé, sa décision comportait les motifs suivants : « Dans son avis parvenu au greffe de la commission de recours le 6 septembre 1990, l’expert a conclu que tant à la date à laquelle se rapporte la décision incriminée que postérieurement à celle-ci, la requérante n’était pas inapte au travail (...) La commission de recours estime devoir se ranger à cet avis. Eu égard à celui-ci ainsi qu’aux autres documents contenus dans le dossier, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que soutient Mme De Haan, l’autorité défenderesse a agi correctement en décidant de mettre fin aux indemnités de maladie de l’intéressée. » Le 26 septembre 1990, la requérante forma opposition (verzet), ce qui eut pour effet de rendre caduque la décision du président (article 142 § 3 de la loi sur les recours – paragraphe 29 ci-dessous). Le 19 novembre 1990, elle déposa un document exposant ses moyens d’opposition. Ils concernaient le fond de l’affaire. Mme de Haan fut invitée à participer à une audience fixée au 8 août 1991. Par une lettre du 24 juillet adressée au juge S., son avocat déclara qu’il avait appris que ledit magistrat officierait comme président de la chambre de la commission de recours constituée pour examiner l’affaire et annonça son intention de le récuser. A l’audience, il soumit une note écrite datée de la veille, dans laquelle il demandait au juge S. de se déporter et, à titre subsidiaire, le récusait. Il ne mettait pas en cause l’impartialité subjective du magistrat mais exprimait des doutes relativement à son impartialité objective, l’intéressé ayant, à un stade antérieur de la cause, rendu une décision fondée sur les preuves contenues dans le dossier. La chambre de la commission de recours se retira pour examiner à huis clos la demande de récusation. La discussion fut présidée par un juge qui ne faisait pas partie de la chambre (article 62 de la loi sur les recours –paragraphe 33 ci-dessous). Le juge S. ne se déporta pas. Il fut décidé de rejeter la demande de récusation, conformément à la pratique interne de la commission de recours de Groningue (paragraphe 34 ci-dessous). La chambre de la commission de recours reprit ensuite les débats, dans la même composition. Le 21 août 1991, elle repoussa l’opposition. La requérante interjeta appel (hoger beroep) devant la commission centrale de recours (Centrale Raad van Beroep) le 6 septembre 1991. Se fondant en particulier sur l’article 6 de la Convention, elle se plaignait du rejet par la commission de recours de sa demande de récusation du juge S., mettant en cause l’impartialité objective de ce dernier. Elle demanda que la cause fût renvoyée à la commission de recours pour y être réexaminée (paragraphe 36 ci-dessous) sous la présidence d’un autre juge. A titre subsidiaire, elle sollicita la reconnaissance de son droit à indemnités de maladie pour la période postérieure au 10 mai 1990. La commission centrale de recours rejeta l’appel le 26 avril 1993. Pour autant que sa décision concernait la récusation du juge S., elle se référa à une autre décision rendue par elle le même jour et dans laquelle était examiné le même problème d’impartialité fonctionnelle. Cette décision comportait les motifs suivants : « La commission centrale de recours interprète la jurisprudence [pertinente] de la Cour européenne des Droits de l’Homme (...) en ce sens que la possibilité d’une violation de la garantie de l’impartialité judiciaire est admise si le juge participant à la décision sur la question juridique à trancher au principal [hoofdgeding] a été associé, dans la phase antérieure, à des décisions préparatoires possédant un caractère indépendant et une portée propre, lesquelles doivent, le plus souvent, être prises sur la base d’une appréciation globale ou provisoire de la question au centre de la procédure au principal et ne peuvent, en général, être réexaminées lorsqu’il s’agit de statuer sur cette question. La procédure prévue par la loi sur les recours, telle qu’elle est mise en cause par la requérante, concerne quant à elle un juge qui, dans une même instance de recours et dans le cadre d’un même exercice d’appréciation juridique [rechtsvinding] aux stades tant antérieur que postérieur à l’opposition – laquelle, dès lors qu’elle est formée dans les délais, frappe de caducité la décision qui précède, conformément à l’article 129 [de la loi sur les recours] –, prend part à une décision ayant le même objet, rendue à propos de la même question juridique et sur la base des mêmes critères. Eu égard à ces différences fondamentales, la commission centrale de recours estime qu’aucune violation de l’impartialité judiciaire ne peut être constatée sur la base des critères qui se dégagent de la jurisprudence (...) de la Cour européenne des Droits de l’Homme. La commission centrale de recours ne se penchera pas sur la question de savoir si la jurisprudence de la Cour européenne, qui s’est formée dans la sphère du droit pénal, peut être transposée telle quelle à d’autres domaines juridiques. » II. Le droit et la pratique internes pertinents Les paragraphes qui suivent exposent ce qu’étaient le droit et la pratique internes pertinents à l’époque des événements incriminés. A. La législation pertinente en matière de sécurité sociale La loi sur l’assurance maladie établit un régime d’assurance obligatoire pour tous les salariés (article 20). En vertu de celui-ci, chaque salarié a droit à des indemnités de maladie lorsqu’il est incapable d’accomplir son travail en raison d’une maladie, d’une grossesse ou d’une invalidité (article 19). En cas de maladie ou d’invalidité, il peut percevoir des indemnités pendant une période pouvant aller jusqu’à cinquante-deux semaines (article 29 § 2). Une autre loi, sur l’assurance invalidité professionnelle (Wet op de arbeidsongeschiktheidsverzekering), non pertinente en l’espèce, régissait la situation des personnes atteintes d’une maladie ou d’une invalidité se prolongeant au-delà de ladite période. En vertu de l’article 2 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale (Organisatiewet sociale verzekeringen), il appartient aux associations professionnelles de mettre en œuvre certains textes législatifs en matière de sécurité sociale, dont la loi sur l’assurance maladie. Il existe une association professionnelle pour chacun des différents secteurs de la vie économique. Il s’agit d’associations (verenigingen) de droit privé établies par les organisations d’employeurs et de salariés considérées comme suffisamment représentatives du secteur concerné par le ministère des Affaires sociales et de l’Emploi (Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid) ; institutions à but obligatoirement non lucratif, elles doivent avoir pour objet de mettre en œuvre la législation pertinente en matière de sécurité sociale et leurs statuts doivent remplir certaines conditions (article 4 § 1 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). Tout employeur est automatiquement membre de l’association professionnelle correspondant au secteur de la vie économique auquel se rapporte le travail accompli par ses salariés (article 7 § 1 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). B. Les commissions de recours Les commissions de recours – qui ont entre temps été supprimées (paragraphe 38 ci-dessous) – étaient les organes judiciaires compétents pour statuer en première instance sur les litiges concernant la plupart des textes en matière de sécurité sociale, y compris la loi sur l’assurance maladie (à l’époque pertinente, article 75 de ladite loi). Les chambres des commissions de recours comportaient trois membres. Leur président respectif était toujours un juge nommé à vie : le président de la commission de recours concernée, un vice-président ou un président faisant fonction (articles 5 et 116 § 1 de la loi sur les recours). Les deux autres membres étaient nommés pour six ans par le ministre de la Justice, à partir de listes de personnes présentées par les organisations d’employeurs et de salariés (articles 9 et 10). En outre, toute commission de recours avait à sa disposition un certain nombre d’experts médicaux permanents, médecins de leur état (article 131 de la loi sur les recours). Ils étaient nommés chaque fois pour un an par le ministre de la Justice (article 132 § 1). Lors de leur nomination, ils juraient d’accomplir leur tâche en leur âme et conscience (article 133). Il ne leur était pas permis d’avoir des liens avec quelque organisation que ce fût œuvrant dans le domaine de la sécurité sociale, ni d’agir en tant qu’experts médicaux permanents dans les affaires où ils étaient intervenus antérieurement en une autre qualité (article 134). C. La procédure de l’expert médical permanent En cas de litige entre une association professionnelle et un salarié à propos de l’aptitude au travail de ce dernier, c’était la procédure de l’expert médical permanent prévue par la loi sur les recours qui était suivie (article 75 § 2 de la loi sur l’assurance maladie). Lorsqu’un recours était formé contre une décision prise par une association professionnelle à propos de l’aptitude au travail d’un salarié, le président de la commission de recours désignait un expert médical permanent (article 135 de la loi sur les recours). La commission de recours une fois saisie, son greffe portait le dépôt du recours à la connaissance de l’association professionnelle concernée, qui devait soumettre les documents pertinents en sa possession, en principe dans un délai de trois jours (article 136). Ces documents étaient versés au dossier, qui était alors communiqué à l’expert médical permanent. Ce dernier était tenu de consulter le médecin qui avait examiné le plaignant pour le compte de l’association professionnelle, ainsi que le médecin traitant de l’intéressé, sauf s’il ressortait du dossier que leur avis correspondait au sien ; lui aussi examinait le plaignant (article 137). Il rédigeait alors un avis qu’il soumettait au président de la commission de recours (article 140). Le président de la commission de recours ou un président faisant fonction, selon le cas, rendait une décision motivée, qui était prononcée en audience publique (article 141). D. Les oppositions devant les commissions de recours Tant le plaignant que l’association professionnelle pouvaient soumettre à la commission de recours une opposition à la décision du président (article 142 § 2 de la loi sur les recours). Conséquence du dépôt de pareille opposition, la décision incriminée devenait caduque, sauf si l’opposition était finalement jugée irrecevable ou dépourvue de fondement (article 142 § 3). Avant l’arrêt rendu par la Cour le 29 mai 1986 dans l’affaire Feldbrugge c. Pays-Bas (série A no 99), semblable opposition ne pouvait se fonder que sur certains motifs de forme (ibidem, p. 10, § 19). A la suite dudit arrêt, les présidents des commissions de recours établirent une directive prévoyant que les plaignants devaient être avisés qu’ils pouvaient former opposition sans limitation de motifs (Nederlands Juristenblad – Revue de droit néerlandais – 1986, p. 869). La procédure d’opposition comportait une audience à huis clos devant une chambre de la commission de recours (article 142 §§ 2 et 6). Les décisions de rejet devaient être motivées (article 142 § 7). E. Les récusations de membres des chambres des commissions de recours En vertu de l’article 61 § 1 de la loi sur les recours, toute partie à une procédure devant une commission de recours avait le droit de récuser un membre de la chambre appelé à examiner l’affaire « sur la base de faits ou circonstances de nature à empêcher [le membre concerné de se former] un avis impartial » (die een onpartijdig oordeel zouden kunnen belemmeren). Les membres de la chambre pouvaient se déporter pour le même motif (article 61 § 2). Après une audition de la partie concernée, il était statué à huis clos sur la récusation par les autres membres de la chambre, présidée par le président de la commission de recours ou par son suppléant. La décision sur la récusation n’était pas susceptible de recours (article 62 § 1 de la loi sur les recours). Il ressort de la décision rendue en l’espèce (paragraphe 15 ci-dessus) que la commission de recours de Groningue avait une politique interne en vertu de laquelle les oppositions aux décisions qui devenaient caduques du fait du dépôt de l’opposition étaient normalement examinées sous la présidence du président faisant fonction qui avait rendu la décision originaire, sauf si aucun recours ultérieur n’était possible. F. La commission centrale de recours La commission centrale de recours était et est toujours composée entièrement de juges nommés à vie (article 32 de la loi sur les recours). A l’époque pertinente, elle siégeait toujours en chambre de trois membres (article 39). Ses audiences sont publiques (article 64). G. Les appels devant la commission centrale de recours Sauf disposition contraire de la loi, il était possible d’interjeter appel de la décision ou du jugement de la commission de recours devant la commission centrale de recours (article 145 de la loi sur les recours). La procédure comportait normalement un réexamen complet de l’affaire, avec une audience (article 148). La commission centrale de recours pouvait confirmer la décision de la commission de recours, au besoin en la motivant différemment, ou faire ce que la commission de recours aurait dû faire (article 149) ; elle pouvait également renvoyer l’affaire à la commission de recours si elle le jugeait à propos (article 150). Toutefois, d’après l’article 75 § 2 de la loi sur l’assurance maladie, une décision rendue par une commission de recours dans une procédure d’opposition telle celle incriminée en l’espèce n’était pas susceptible de recours. Dans son arrêt du 24 juillet 1958 (Rechtspraak Sociaal Verzekeringsrecht – Jurisprudence en matière de sécurité sociale (RSV) 1958, no 102), la commission centrale de recours n’en ouvrit pas moins la possibilité d’interjeter appel dans de tels cas s’il apparaissait que des règles de forme avaient été enfreintes, si des critères erronés avaient été appliqués, ou dans la mesure où la décision contestée était déraisonnable. H. Evolution juridique subséquente La loi générale sur le droit administratif est entrée en vigueur le 1er janvier 1994. Elle a remplacé les commissions de recours par les sections de droit administratif des tribunaux d’arrondissement (arrondissementsrechtbanken). Un salarié qui n’entend pas accepter la décision prise par une association professionnelle à propos de son aptitude au travail peut saisir cette association d’une réclamation (bezwaarschrift ; article 7:1 de la loi générale sur le droit administratif). Un recours est ouvert devant le tribunal d’arrondissement (article 8:1). Celui-ci peut désigner un expert médical aux fins d’examiner le plaignant (article 8:47 § 1). Il doit tenir une audience, sauf si les parties renoncent à leur droit d’être entendues (articles 8:56 et 8:57). La décision du tribunal d’arrondissement est susceptible de recours devant la commission centrale de recours (article 18 de la loi sur les recours telle qu’amendée). Les restrictions exposées au paragraphe 37 ci-dessus ne sont plus applicables. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme de Haan a déposé sa requête devant la Commission le 5 août 1993. Elle se plaignait de ce que son cas n`ait pas été entendu par un tribunal impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 22839/93) le 18 mai 1995. Dans son rapport du 15 mai 1996 (article 31), elle formule l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Le Gouvernement conclut son mémoire en formulant l’opinion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention. A l’audience, l’avocat de la requérante a demandé à la Cour de juger qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention et d’allouer à sa cliente la satisfaction équitable sollicitée par elle.
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyen turc né en 1940, M. Mehdi Zana est un ancien maire de Diyarbakır, où il réside actuellement. A. La situation dans le Sud-Est de la Turquie Depuis 1985 environ, de graves troubles font rage dans le Sud-Est de la Turquie, entre les forces de sécurité et les membres du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ce conflit a, d'après le Gouvernement, coûté jusqu'ici la vie à 4 036 civils et 3 884 membres des forces de sécurité. A l'époque où la Cour a examiné l'affaire, dix des onze provinces du Sud-Est de la Turquie se trouvaient soumises, depuis 1987, au régime de l'état d'urgence. B. La déclaration du requérant à des journalistes En août 1987, alors qu'il purgeait plusieurs peines d'emprisonnement à la prison militaire de Diyarbakır, le requérant tint les propos suivants au cours d'un entretien avec des journalistes : « Je soutiens le mouvement de libération nationale du PKK ; en revanche, je ne suis pas en faveur des massacres. Tout le monde peut commettre des erreurs et c'est par erreur que le PKK tue des femmes et des enfants. (…) » « (...) PKK'nın ulusal kurtuluş hareketini destekliyorum. Katliamlardan yana değiliz, yanlış şeyler her yerde olur. Kadın ve çocukları yanlışlıkla öldürüyorlar. (...) » Cette déclaration fut publiée le 30 août 1987 dans le quotidien national Cumhuriyet. C. Le déroulement de la procédure pénale Le 30 août 1987, le bureau des « infractions commises par voie de presse » du parquet d'Istanbul ouvrit une enquête préliminaire notamment à l'encontre de l'intéressé, au motif que ce dernier avait fait « l'apologie d'un acte que la loi punit comme un crime », infraction prévue par l'article 312 du code pénal (paragraphe 31 ci-dessous). Le 28 septembre 1987, le parquet d'Istanbul prononça un non-lieu à l'égard des journalistes et se déclara incompétent ratione loci pour connaître de l'affaire de M. Zana. Il renvoya le dossier devant le procureur de la République de Diyarbakır. Par une ordonnance du 22 octobre 1987, le procureur de la République de Diyarbakır se déclara incompétent, au motif que l'infraction commise par le requérant relevait de l'article 142 §§ 3-6 du code pénal (disposition qui réprime la propagande raciste ou visant à affaiblir les sentiments nationaux). Il renvoya le dossier devant le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır. Le 4 novembre 1987, ce dernier se déclara à son tour incompétent, au motif que l'intéressé, au moment où il avait fait sa déclaration aux journalistes, était détenu dans une prison militaire et disposait donc, d'après la loi, d'un statut de militaire. Il renvoya le dossier au parquet militaire de Diyarbakır. Par un acte d'accusation du 19 novembre 1987, le parquet militaire de Diyarbakır intenta des poursuites, notamment contre M. Zana, devant le tribunal militaire de Diyarbakır, en vertu de l'article 312 du code pénal. Il reprochait au requérant d'avoir soutenu les activités d'un groupe armé, le PKK, qui visait à démembrer le territoire national turc. Le 15 décembre 1987, à l'audience devant le tribunal militaire de Diyarbakır, l'intéressé soutint que cette juridiction était incompétente et refusa de se défendre sur le fond. A l'audience du 1er mars 1988, l'avocat de M. Zana demanda au tribunal militaire de se déclarer incompétent, l'infraction reprochée à son client ne revêtant pas un caractère militaire et une prison militaire ne pouvant être considérée comme un bâtiment militaire. Le même jour, le tribunal rejeta cette demande. Le 28 juillet 1988, le requérant fut transféré de la prison militaire de Diyarbakır à la prison civile d’Eskişehir. Sur commission rogatoire du tribunal militaire de Diyarbakır, le tribunal des forces aériennes d’Eskişehir invita l'intéressé à présenter sa défense. Ce dernier, qui faisait une grève de la faim, ne comparut pas lors de l'audience du 2 novembre 1988. Il comparut à celle du 7 décembre 1988, mais refusa de s'adresser au tribunal, estimant que celui-ci était incompétent en l'espèce. Par une décision du 18 avril 1989, le tribunal militaire de Diyarbakır se déclara incompétent dans cette affaire et renvoya le dossier devant la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır. Le 2 août 1989, M. Zana fut transféré à la prison civile de haute sécurité d’Aydın. 24. Lors de l'audience du 20 juin 1990 devant la cour d'assises d’Aydın, agissant sur commission rogatoire de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, le requérant refusa de s'exprimer en turc et indiqua, en kurde, qu'il désirait assurer sa défense dans sa langue maternelle. La cour d'assises lui rappela que s'il persistait à ne pas vouloir se défendre, il serait considéré comme ayant renoncé à assurer sa défense. M. Zana ayant continué à s'exprimer en kurde, la cour indiqua dans le compte rendu de l'audience qu'il ne s'était pas défendu. D. L'arrêt de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır Le procès se poursuivit alors devant la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır et le requérant y fut représenté par ses avocats. Par un arrêt du 26 mars 1991, la cour de sûreté de l'Etat infligea à l'accusé une peine de douze mois d'emprisonnement pour « avoir fait l'apologie d'un acte que la loi punit comme un crime » et « mettant en péril la sécurité publique ». Conformément à la loi du 12 avril 1991, le condamné devait purger un cinquième de la peine (deux mois et douze jours) en détention et les quatre cinquièmes sous liberté conditionnelle. La cour de sûreté de l'Etat considéra que le profil du PKK correspondait à celui d'une « organisation armée », conformément à l'article 168 du code pénal, que cette organisation visait à la sécession d'une partie du territoire turc et qu'elle commettait des actes de violence tels que homicides volontaires, enlèvements et vols à main armée. Elle estima que la déclaration faite par M. Zana aux journalistes, dont les termes exacts avaient été établis lors de l'instruction, était constitutive de l'infraction prévue par l'article 312 du code pénal. Sur pourvoi du requérant du 3 avril 1991, la Cour de cassation, par un arrêt du 19 juin 1991, notifié au représentant de l'intéressé le 18 juillet 1991, confirma l'arrêt de la cour de sûreté de l'Etat. Entre-temps, le 16 avril 1991, M. Zana, qui venait de purger les peines qui lui avaient été infligées précédemment, avait été mis en liberté. Le 26 février 1992, le procureur de la République de Diyarbakır invita le requérant à se présenter à la prison de Diyarbakır afin d'y purger la dernière peine prononcée à son encontre, soit un cinquième de la peine d'emprisonnement, le reste étant purgé sous liberté conditionnelle. II. Le droit interne pertinent A. Droit matériel Les dispositions pertinentes du code pénal à l'époque des faits étaient ainsi rédigées : Article 168 « Quiconque, en vue de commettre les infractions énoncées aux articles 125 (...), constitue une bande ou organisation armée ou prend la direction et le commandement ou acquiert une responsabilité particulière dans une telle bande ou organisation, sera condamné à une peine minimum de quinze ans d'emprisonnement. Les divers membres de la bande ou de l'organisation seront condamnés à une peine de cinq à quinze ans d'emprisonnement. » Article 312 « Quiconque, publiquement, loue ou fait l'apologie d'un acte que la loi punit comme un crime ou incite la population à la désobéissance à la loi, sera puni de six mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende « lourde » [ağır] de 6 000 à 30 000 livres. Quiconque, publiquement, attise la haine et l'hostilité entre les différentes couches de la société, créant ainsi une discrimination fondée sur l'appartenance à une classe sociale, à une race, une religion, une secte ou une région, sera puni d'un an à trois ans d'emprisonnement et d'une amende lourde de 9 000 à 36 000 livres. Si cette incitation met en péril la sécurité publique, la peine sera augmentée d'un tiers à la moitié. (...) » B. Droit procédural L'article 226 § 4 du code de procédure pénale à l'époque des faits était ainsi libellé : « Une personne détenue dans une prison qui se situe en dehors du ressort de la cour qui doit le juger, peut être entendue par d'autres cours. » III. La déclaration de la Turquie, du 22 Janvier 1990, AU TITRE DE l'article 46 de la Convention Le 22 janvier 1990, le ministre turc des Affaires étrangères déposa auprès du Secrétaire général du Conseil de l'Europe la déclaration suivante, au titre de l'article 46 de la Convention : « Au nom du Gouvernement de la République de Turquie et conformément à l'article 46 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, je déclare par la présente ce qui suit : Le Gouvernement de la République de Turquie, conformément à l'article 46 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, reconnaît par la présente comme obligatoire et de plein droit et sans convention spéciale la juridiction de la Cour européenne des Droits de l'Homme sur toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de la Convention qui relèvent de l'exercice de sa juridiction au sens de l'article 1 de la Convention, accompli à l'intérieur des frontières du territoire national de la République de Turquie et à condition en outre que de telles affaires aient été préalablement examinées par la Commission dans le cadre du pouvoir qui lui a été conféré par la Turquie. Cette déclaration est faite sous condition de réciprocité, incluant la réciprocité des obligations acceptées dans le cadre de la Convention. Elle est valable pour une période de trois ans à compter de la date de son dépôt et s'étend à toutes les affaires concernant des faits, incluant des jugements qui reposent sur ces faits, s'étant déroulés après la date du dépôt de la présente déclaration. » Cette déclaration a été renouvelée le 22 janvier 1993, pour une période de trois ans, puis, en des termes un peu différents, le 22 janvier 1996, pour deux années. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Zana a saisi la Commission le 30 septembre 1991. Invoquant l'article 6 §§ 1 et 3 et les articles 9 et 10 de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure pénale, d'une atteinte à son droit à un procès équitable faute d'avoir pu comparaître devant le tribunal qui l'a condamné et d'avoir pu se défendre dans sa langue maternelle, le kurde, ainsi que d'une atteinte à sa liberté de pensée et d'expression. La Commission a retenu la requête (n° 18954/91) le 21 octobre 1993 quant aux griefs relatifs à la durée de la procédure pénale, à l'absence de comparution du requérant à l'audience, ainsi qu'à l'atteinte à sa liberté de pensée et d'expression, et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 10 avril 1996 (article 31), elle formule l'avis : a) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 de la Convention (quatorze voix contre quatorze, avec la voix prépondérante du président) ; b) qu'il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention en raison de l'absence du requérant à son procès (unanimité) ; c) qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce que sa cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable (vingt-trois voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour : « à titre principal, – de se déclarer incompétente ratione temporis en ce qui concerne le grief [relatif à] l'article 10 de la Convention ; – de déclarer que les voies de recours internes n'ont pas été dûment épuisées en ce qui concerne les griefs relatifs à l'article 6 de la Convention ; à titre subsidiaire, – de déclarer que les voies de recours internes n'ont pas été dûment épuisées en ce qui concerne les griefs relatifs à l'article 10 de la Convention ; – de déclarer qu'il n'y a pas eu violation en ce qui concerne les griefs relatifs à l'article 6 de la Convention ; à titre très subsidiaire, – de déclarer qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 de la Convention ». A l'audience, le conseil du requérant a invité la Cour à rejeter toutes les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement et à conclure à la violation de l'article 10 et de l'article 6 §§ 1 et 3 c).
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I. Les circonstances de l'espèce A. Le contexte A l'époque des faits, le requérant effectuait son service militaire en qualité d'élève officier de réserve avec le grade de sous-lieutenant. Il affirma un jour avoir découvert une série d'abus dont étaient victimes des appelés, ce qui le mit en conflit avec ses supérieurs. Une procédure pénale et une action disciplinaire furent intentées contre lui. La première se conclut par son acquittement. En revanche, on lui infligea à l'issue de la seconde une sanction disciplinaire en conséquence de laquelle son temps de service fut prolongé. Le 30 avril 1989, il obtint un congé de vingt-quatre heures. A l'expiration de celui-ci, il ne réintégra pas son unité. Le 6 mai 1989, il fut déclaré déserteur et des poursuites pénales furent entamées à son encontre. Le 10 mai 1989, il adressa une lettre au commandant de son unité par l'intermédiaire d'un chauffeur de taxi. La lettre était ainsi libellée : «DÉCLARATION PERSONNELLE Après avoir servi deux années complètes en tant qu'élève officier de réserve, je me vois dans l'obligation de vous informer que je m'oppose à la prolongation de mon service militaire résultant d'une sanction dont j'ai écopé pour avoir défendu les droits des appelés. L'expérience que j'ai acquise à ce jour me fait penser que l'imposition de cette sanction participe d'une démarche générale visant à supprimer à la fois la liberté de la personnalité et la revendication de droits constitutionnels et de la liberté personnelle. Indépendamment de mon sort personnel, je considère de façon générale qu'infliger des sanctions à des jeunes soldats est inadmissible et inconstitutionnel, surtout lorsque ces sanctions sont liées au combat que mènent des jeunes gens pour faire respecter les droits fondamentaux idéologiques et sociaux de l'individu et pour défendre leur personnalité face aux humiliations que leur inflige la machine militaire. Après avoir, pendant vingt-quatre mois, conservé une attitude combative et consciente sur ce sujet, je me réserve le droit – qui est également un devoir – d'établir la justice sociale et la paix, aujourd'hui plus que jamais, et de DÉNONCER ici, en étant pleinement conscient de mes actes, lesquels s'imposent à moi dans l'intérêt de la société : le fait que l'armée est une machine tournée contre l'homme et la société et, par nature, contraire à la paix. Je suis à présent absolument certain que le service militaire est responsable des crimes et de l'agressivité que connaît la société, car il engendre une psychologie de la violence, anéantissant ainsi toute résistance morale et psychologique à la violence. L'armée demeure une machine criminelle et terroriste qui, en créant un climat d'intimidation et en réduisant à néant le bien-être spirituel de la jeunesse radicale, vise clairement à faire des individus de simples rouages d'un mécanisme de domination qui détruit la nature humaine et transforme les relations humaines : de relations d'amitié et d'amour, celles-ci dégénèrent en des rapports de dépendance par l'effet d'une hiérarchie fondée sur la peur et inspirée par un règlement militaire (n° 20-1) oppressif et intolérant, par le fichage des convictions politiques, etc. En vérité, les conditions de vie dans l'armée sont inacceptables au point d'être destructrices, et toute forme saine de résistance comme tout effort de dialogue se heurtent à la persécution et valent à leur auteur d'être traduit, sans défense, devant la justice militaire, institution dangereuse qu'il faudrait abolir. Tout cela se passe en dépit des déclarations électorales du ministère de la Défense nationale quant au respect de la personnalité des soldats ; en réalité, le ministère participe à ces processus d'oppression et les encourage. Par ce moyen de protestation, moi-même et tous les jeunes gens qui ressentent un profond sentiment d'injustice parce que leur vie a été ruinée livrons un COMBAT : pour mettre fin à toutes les formes de persécution de ceux qui participent à des actions visant à promouvoir la justice sociale, la paix et le droit d'avoir une opinion sur les questions touchant à notre vie ; pour que le ministère ait la volonté politique de contrôler sérieusement le pouvoir militaire et de poursuivre les vrais responsables de cet autoritarisme au lieu de les couvrir systématiquement ; pour que l'Etat garantisse une fois pour toutes le respect des initiatives et des options sociales des jeunes en éliminant toute forme de sanction pour la promotion de tels idéaux. Il ne doit pas se contenter de « parler socialiste » et suivre ensuite une pratique d'extermination ; pour déclarer que l'élimination de ces institutions autoritaires s'insère dans une lutte longue et diversifiée aux niveaux individuel, social et politique ; et pour mettre fin à la discrimination, au favoritisme et à la dépendance, toutes méthodes employées par des organes corrompus. Ainsi, cette expérience que je viens de vivre m'a fait acquérir une liberté de conscience qui m'empêche d'être un acteur et un complice de ce processus criminel, tant dans son fonctionnement que dans sa structure, et je refuse désormais de porter l'uniforme dans ces conditions. J'ai le sentiment que si je le portais cela provoquerait chez moi une crise de conscience [car ce serait] contraire à ma nature et à mes convictions d'homme élevé dans les idées libérales. Nous, la jeune génération, résisterons à tous ceux qui tenteraient de nous imposer les faiblesses de l'établissement militaire et de nous en faire devenir les instruments. C'est pourquoi mon attitude ne saurait légalement être qualifiée de désertion ou d'insubordination, puisqu'elle procède des droits fondamentaux de la personne humaine et est conforme aux dispositions de la Constitution grecque. A mes yeux, je reste un citoyen et un homme libre qui a essayé de demeurer fidèle à sa conscience et au libre arbitre qui en découle. J'estime également que mon attitude et ma protestation contre cette humiliation constituent l'expression la plus authentique de ma solidarité avec les objecteurs de conscience et du soutien que je leur apporte, car je crois fermement que c'est ainsi que l'on poursuit la lutte pour la paix et la libération sociale. » 15. Un autre élève officier de réserve déclara sous serment devant le tribunal militaire permanent de Ioannina (paragraphe 18 ci-dessous) que le requérant lui avait remis une copie de la lettre le 10 mai 1989. Il n'a pas été allégué que d'autres copies eussent été distribuées. B. La procédure pénale dirigée contre le requérant Considérant que le contenu de la lettre s'analysait en une insulte à l'armée, le commandant de l'unité engagea une nouvelle procédure pénale contre le requérant, sur le fondement de l'article 74 du code pénal militaire (paragraphe 26 ci-dessous). Le 12 mai 1989, l'intéressé comparut devant l'officier instructeur, membre du corps judiciaire de l'armée, qui le plaça en détention provisoire après l'avoir inculpé de désertion. Procédure devant le tribunal militaire permanent Le requérant fut traduit le 27 juin 1989 devant le tribunal militaire permanent de Ioannina pour désertion et insulte à l'armée. La défense contesta in limine litis la constitutionnalité du deuxième chef d'inculpation, au motif que la disposition pénale en cause n'était pas lex certa et que l'expression d'une critique ne pouvait passer pour une insulte. Cette exception préliminaire fut rejetée. A l'issue de l'audience, le président formula une série de questions dont les membres du tribunal devaient débattre avant de statuer sur la culpabilité du requérant. Les questions relatives au chef d'insulte étaient les suivantes : « a) L'accusé a-t-il commis le délit d'insulte à l'armée grecque lorsque, le 10 mai 1989, alors qu'il était élève officier de réserve, il a adressé au commandant de l'unité X, qui en a pris connaissance le même jour, une déclaration dactylographiée de deux pages qui contenait, entre autres, les termes suivants, pleins de mépris pour l'armée et son autorité : « (...) l'armée est une machine tournée contre l'homme et la société (...) l'armée demeure une machine criminelle et terroriste qui, en créant un climat d'intimidation et en réduisant à néant le bien-être spirituel de la jeunesse radicale, vise clairement à faire des individus de simples rouages d'un mécanisme de domination qui détruit la nature humaine et transforme les relations humaines : de relations d'amitié et d'amour, celles-ci dégénèrent en des rapports de dépendance par l'effet d'une hiérarchie fondée sur la peur et inspirée par un règlement militaire (n° 20-1) oppressif et intolérant, par le fichage des convictions politiques, etc. (...) » L'accusé a-t-il, de cette façon, délibérément insulté l'armée grecque en tant qu'institution de la Nation consacrée par la Constitution ? b) (...) [le requérant a-t-il agi] en croyant, à tort mais de bonne foi, qu'il se livrait à une critique admissible au sens de l'article 14 de la Constitution actuellement en vigueur ? » Par un jugement rendu le même jour, le tribunal, unanime, répondit à la première question par l'affirmative et à la seconde par la négative. Le requérant fut déclaré coupable de désertion et d'insulte à l'armée. Considérant qu'il n'avait pas d'antécédents judiciaires, le tribunal le condamna à un an et huit mois d'emprisonnement pour la première infraction et à trois mois pour la seconde. Il lui infligea une peine globale d'un an et dix mois. Procédure devant la cour d'appel militaire Le requérant forma devant la cour d'appel militaire un recours qui fut examiné le 5 septembre 1989. Dans un arrêt rendu le même jour, la cour annula la condamnation pour désertion. En revanche, elle confirma, par trois voix contre deux, la condamnation pour insulte à l'armée, après avoir écarté l'exception d'inconstitutionnalité de la disposition pertinente, et, considérant que le requérant n'avait jamais été condamné auparavant, elle le condamna à trois mois d'emprisonnement. L'intéressé fut immédiatement libéré, le temps passé par lui en détention provisoire ayant été imputé sur sa peine. Procédure devant la Cour de cassation Le 20 septembre 1989, le requérant saisit la Cour de cassation (Arios Pagos) d'un pourvoi dans lequel il soutenait que l'article 74 du code pénal militaire n'avait pas été correctement interprété et appliqué. Il estimait notamment que la formulation d'une critique générale des forces armées ne pouvait passer pour une insulte. Il affirmait de surcroît que la disposition en cause violait la Constitution du fait de son manque de précision et ne pouvait donc passer pour lex certa, et que, par ailleurs, elle imposait des restrictions injustifiées au droit à la liberté d'expression. Le pourvoi fut examiné le 12 mars 1991 par une chambre de la Cour de cassation. Le 26 juin 1991, celle-ci décida de soumettre l'affaire à l'assemblée plénière après avoir déclaré, par trois voix contre deux, que l'article 74 du code pénal militaire ne violait pas la Constitution et qu'il avait été correctement appliqué à l'égard du requérant. Dans un arrêt rendu le 22 septembre 1993, l'assemblée plénière de la Cour de cassation considéra que l'article 74 du code décrivait de façon suffisamment précise les éléments constitutifs de l'infraction, à savoir l'insulte et l'intention de l'auteur. S'étendant sur ce point, elle déclara : « La notion d'insulte vise toute démonstration de mépris portant atteinte à l'estime, au respect et à la réputation dont jouit la valeur protégée. Pour emporter la qualification d'insulte, les termes utilisés doivent comporter une dose de mépris, de persiflage et de dénigrement ; le simple fait de mettre en cause la valeur protégée ne suffit pas. La valeur incriminée en l'espèce est l'armée : non pas seulement l'armée de terre, l'armée de l'air ou la marine prises individuellement, mais l'armée dans son ensemble, en tant qu'idée et institution chargée de la défense de la liberté et de l'indépendance du pays, ainsi que de l'indispensable formation des Grecs aptes à porter les armes. L'article 74 du code pénal militaire ne précise pas la nature de l'insulte ni la manière et les moyens par lesquels celle-ci est proférée, car le législateur n'a pas eu l'intention de limiter l'incrimination aux insultes d'une certaine nature ou à celles commises d'une certaine manière ou par certains moyens. Toute insulte à l'armée commise par un membre des forces armées relève de l'article 74 du code pénal militaire. Cela ne crée aucune incertitude quant aux éléments constitutifs de l'infraction. Toute précision supplémentaire aurait limité la portée de l'interdiction légale. Or telle n'était pas l'intention du législateur. L'article 14 de la Constitution, qui protège le droit à la liberté d'opinion, n'empêche en aucune manière le législateur d'incriminer toute forme d'insulte à l'armée commise par un membre des forces armées. La protection conférée par l'article 14 est soumise à des limitations prévues par la loi. (…) » Par ces motifs, l'assemblée plénière de la Cour de cassation confirma la condamnation du requérant. II. LE Droit interne pertinent L'article 14 § 1 de la Constitution est ainsi libellé : « Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées par la parole, par écrit et par la voie de la presse en observant les lois de l'Etat. » L'article 74 du code pénal militaire énonce : « Insultes au drapeau ou aux forces armées Encourt une peine d'emprisonnement d'au moins six mois tout membre des forces armées qui insulte le drapeau, les forces armées ou un emblème de leur commandement. S'il s'agit d'un officier, il est également privé de son grade. » L'infraction correspondante de droit commun se trouve définie à l'article 181 du code pénal, qui dispose : « Insultes aux autorités et aux symboles de l’autorité Est punie d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans toute personne qui : a) insulte publiquement le premier ministre du pays, le gouvernement, le parlement, le président du parlement, les chefs de partis reconnus par le règlement du parlement et les autorités judiciaires ; b) insulte ou, en signe de haine ou de mépris, enlève, endommage ou altère un emblème ou un symbole de la souveraineté de l'Etat ou du président de la République. 2. La critique en soi n'est jamais constitutive d'insulte à une autorité. » Un nouveau code pénal militaire est entré en vigueur en 1995. L'article 58 en est ainsi libellé : « Est puni d'un emprisonnement d'au moins trois mois tout membre des forces armées qui, par la parole, par des actes ou par tout autre moyen, exprime publiquement son mépris pour le drapeau, les forces armées ou un symbole de leur autorité. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Grigoriades a saisi la Commission le 17 mars 1994. Il dénonçait une violation du droit à la liberté d'expression consacré par l'article 10 de la Convention. Il affirmait aussi avoir été condamné sur la base d'une disposition pénale imprécise, au mépris de l'article 7 de la Convention. La Commission a déclaré la requête (n° 24348/94) recevable le 4 septembre 1995. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention (vingt-huit voix contre une) mais non de l'article 7 (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. Conclusions présentées à la Cour par le Gouvernement Le Gouvernement conclut son mémoire en exprimant l’opinion que les allégations de violation des articles 7 et 10 de la Convention formulées par le requérant sont dépourvues de fondement.
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant, Alexander Findlay, est un ressortissant britannique né en 1961 à Kilmarnock, en Ecosse, et habitant actuellement Windsor, en Angleterre. En 1980, il entra dans l’armée britannique, dans les Scots Guards. Il devait terminer ses années de service vers octobre ou novembre 1992 et percevoir alors une prime de réinsertion puis, à l’âge de soixante ans, une pension militaire. En 1982, il prit part à la campagne des Malouines. Pendant la bataille du mont Tumbledown, il assista à la mort et à la mutilation de plusieurs de ses compagnons et fut lui-même blessé au poignet par un éclat d’obus. Selon les attestations des médecins données pour son jugement en cour martiale (paragraphes 11-13 ci-dessous), l’intéressé souffrait, à la suite de ces expériences, de troubles psychiques post-traumatiques (post-traumatic stress disorder - "PTSD"), se manifestant par des flash-back, cauchemars, angoisses, insomnies et accès de colère. Ces dérèglements ne furent diagnostiqués qu’après les événements du 29 juillet 1990 (paragraphe 10 cidessous). En 1987, au cours d’un entraînement en vue d’une affectation en Irlande du Nord, la corde à laquelle montait M. Findlay se rompit, il tomba et se blessa gravement au dos. Cette blessure fut extrêmement douloureuse et rejaillit sur sa capacité à remplir sa mission, ce qui provoqua chez lui, selon des attestations médicales, stress, sentiment de culpabilité et dépression. Vers 1990, le requérant, qui avait atteint le grade de lance-sergeant, fut affecté avec son régiment en Irlande du Nord. Le 29 juillet 1990, après une beuverie, il mit en joue des membres de sa section et menaça de se donner la mort et de tuer certains de ses collègues. Il tira à deux reprises sans viser quiconque mais en cassant un téléviseur, puis se laissa désarmer. Il fut ensuite arrêté. Les rapports médicaux Le 31 juillet 1990, un ancien psychiatre de la marine, le Dr McKinnon, examina M. Findlay et déclara qu’il était responsable de ses actes au moment de l’incident. Selon lui, toutefois, ce fut la conjonction de situations stressantes (dont la blessure au dos et l’affectation en Irlande du Nord) et l’absorption d’une grande quantité d’alcool pendant la journée qui avaient conduit à cet acte "quasi inéluctable". Le Dr McKinnon recommanda d’infliger à l’intéressé "la sanction minimale appropriée". A la suite de ce rapport, il fut décidé d’inculper le requérant de plusieurs infractions en raison de l’incident du 29 juillet (paragraphe 14 ci-dessous). Pour établir si M. Findlay pouvait supporter le procès, l’armée demanda qu’il fût examiné à deux reprises par un autre psychiatre, le Dr Blunden, consultant civil auprès du ministère de la Défense depuis 1980. Dans son rapport de janvier 1991, ce médecin confirma que le requérant était en état de comparaître et qu’il savait ce qu’il faisait à l’époque de l’incident. Toutefois, ses problèmes chroniques de dos (qui, en l’empêchant de remplir correctement sa mission en Irlande du Nord, avaient engendré chez lui dépression et frustrations), ajoutés au "stress subi auparavant au combat et à une très forte consommation d’alcool (...) avaient provoqué ce comportement dangereux". Dans son deuxième rapport, de mars 1991, elle expliqua que si le requérant avait réagi au stress provoqué par ses problèmes de dos comme il l’avait fait le 29 juillet 1990, c’était en raison de ce qu’il avait vécu pendant la guerre des Malouines. Elle ne déclara pas explicitement que l’intéressé souffrait de PTSD, mais confirma que, souvent, des signes d’un comportement analogue se manifestaient tardivement chez ceux qui avaient pâti de pareils troubles. Elle confirma que l’absorption d’alcool le jour de l’incident était la conséquence et non la cause de l’état du requérant. A la demande de son solicitor, M. Findlay fut également examiné par le Dr Reid. Ce médecin diagnostiqua des PTSD, conséquence de ses états de service aux Malouines. La composition de la cour martiale La fonction d’"officier convocateur" (convening officer; paragraphes 36-41 ci-dessous) devant la cour martiale qui jugea le requérant fut assumée par l’officier général commandant le district de Londres, le Major General Corbett. Il plaça le requérant en détention provisoire pour huit chefs d’inculpation nés de l’incident du 29 juillet 1990 et décida de le traduire devant une cour martiale générale. Par une décision du 31 octobre 1991, l’officier convocateur convoqua la cour martiale générale et désigna le personnel militaire devant servir d’officier procureur, d’officier procureur assistant et d’officier défenseur adjoint (pour représenter le requérant en sus du solicitor), ainsi que les juges de la cour martiale (paragraphe 37 ci-dessous). La cour martiale se composait d’un président et de quatre autres membres: 1) le président, le colonel Godbold, membre de l’état-major du district de Londres (sous l’autorité hiérarchique de l’officier convocateur; paragraphe 14 ci-dessus). Désigné personnellement par ce dernier, il n’était pas président à titre permanent; 2) le lieutenant-colonel Swallow était président à titre permanent des cours martiales, où il siégeait en qualité de juge titulaire. Il avait son bureau au siège du district de Londres. L’officier convocateur le désigna personnellement; 3) le capitaine Tubbs faisait partie des Coldstream Guards, stationnés dans le district de Londres. Il répondait de ses actes successivement devant son supérieur immédiat, son chef de corps et le commandant de la brigade et, exceptionnellement, devant l’officier convocateur. Il était membre d’une unité d’infanterie de la garde, et l’officier convocateur, en sa qualité de commandant en chef, était responsable de toutes les unités d’infanterie de la garde. Il fut désigné par son chef de corps; 4) le major Bolitho appartenait aux Grenadier Guards, une autre unité d’infanterie de la garde, également stationnée dans le district de Londres. L’officier convocateur était son deuxième supérieur hiérarchique. Il fut désigné pour la cour martiale par son chef de corps; 5) le capitaine O’Connor faisait partie du Postal and Courier Department, des Royal Engineers (Women’s Royal Army Corps), relevant directement du ministère de la Défense et géré par le district de Londres. Elle fut nommée par son chef de corps. En résumé, tous les membres de la cour martiale étaient hiérarchiquement subordonnés à l’officier convocateur et servaient dans des unités stationnées dans le district de Londres. Aucun d’eux n’avait de formation juridique. Le procureur assistant et l’officier défenseur étaient tous deux membres des deuxièmes Scots Guards basés dans le district de Londres et avaient les mêmes supérieurs hiérarchiques que le capitaine Tubbs (paragraphe 16, alinéa 3), ci-dessus). Le judge advocate ou rapporteur fut désigné pour la cour martiale par le Judge Advocate General ou avocat général (paragraphes 42-45 cidessous). Il était avocat et suppléant du judge advocate au Bureau du Judge Advocate General. Le procès devant la cour martiale Le 11 novembre 1991, M. Findlay comparut devant la cour martiale générale, dans la caserne de Regent’s Park à Londres. Il fut représenté par un solicitor. Il plaida coupable sur trois chefs de voies de fait (infraction civile), deux chefs de comportement contraire à l’ordre et à la discipline militaire (infraction militaire) et deux chefs de menaces de mort (infraction civile). Le 2 novembre 1991, son représentant adressa aux autorités de poursuites une demande écrite visant à entendre le Dr Blunden devant la cour martiale et, le 5 novembre 1991, l’officier procureur cita ce médecin à comparaître. Cependant, la défense fut informée le matin de l’audience que le Dr Blunden ne comparaîtrait pas. M. Findlay soutient que cette absence l’a convaincu de plaider coupable sur les chefs d’accusation précités. Toutefois, son conseil ne demanda pas d’ajournement ni n’objecta au déroulement de l’audience. La défense soumit à la cour martiale les rapports médicaux susmentionnés (paragraphes 11-13) et invita le Dr Reid à témoigner. Ce dernier confirma que, selon lui, M. Findlay souffrait de PTSD, que c’était là l’explication principale de son comportement, qu’il n’était pas responsable de ses actes et qu’il devait être suivi par un spécialiste. Lors du contreinterrogatoire, le Dr Reid déclara que c’était la première fois qu’il avait affaire à un cas de PTSD liés au combat. L’accusation ne cita aucun médecin pour réfuter ou appuyer l’un des avis médicaux établis par les psychiatres de l’armée, les docteurs McKinnon et Blunden (paragraphes 11-13 ci-dessus). Invoquant des circonstances atténuantes, le représentant de M. Findlay pria instamment la cour martiale de considérer que, celui-ci souffrant de PTSD au moment de l’incident et les risques de récidive étant minimes, son client devait être autorisé à achever les quelques mois de services qu’il lui restait à accomplir et à quitter l’armée avec sa pension complète et un blâme minimum dans son dossier. Après avoir entendu les témoignages et les plaidoiries, la cour martiale se retira, en compagnie du judge advocate, pour envisager sa décision sur la peine. A son retour, elle condamna le requérant à deux ans d’emprisonnement, à la dégradation et au renvoi de l’armée (ce qui entraîna une réduction de ses droits à pension). Aucun motif ne fut donné pour justifier la peine (paragraphe 46 ci-dessous). La confirmation de la peine et le processus de recours Selon la loi de 1955 sur l’armée, la décision de la cour martiale n’avait pas d’effet tant qu’elle n’était pas entérinée par l’"officier confirmateur" (paragraphe 48 ci-dessous). En l’espèce, comme c’est l’usage, l’officier confirmateur était la même personne que l’officier convocateur. M. Findlay lui demanda une réduction de peine. Après avoir pris conseil du Bureau du Judge Advocate General, l’officier confirmateur informa le requérant, le 16 décembre 1991, que la peine avait été confirmée. M. Findlay, qui était aux arrêts de rigueur depuis le matin précédant le procès, fut transféré le 18 novembre 1991 dans une prison militaire puis, le 21 décembre 1991, dans un établissement pénitentiaire civil. Il forma un recours auprès du premier organe de contrôle (paragraphe 49 ci-dessous), le directeur général adjoint des services du personnel, en sa qualité de délégué de la commission ad hoc de l’armée (Army Board), officier sans qualification juridique, qui prit conseil du Bureau du Judge Advocate General. Par une lettre du 22 janvier 1992, le requérant fut informé du rejet de sa demande. M. Findlay saisit ensuite le deuxième organe de contrôle, un membre du Conseil de défense (Defence Council), également dépourvu de qualification juridique, et lui aussi conseillé par le Bureau du Judge Advocate General. L’intéressé fut débouté le 10 mars 1992. Le requérant ne fut pas informé des conseils donnés par le Bureau du Judge Advocate General à chacune des trois étapes de ce contrôle ni de la motivation des décisions de confirmer sa peine ou de rejeter ses demandes. Le 10 mars 1992, M. Findlay demanda à la Divisional Court l’autorisation de contester, par la voie du contrôle juridictionnel, la validité des conclusions de la cour martiale. Il soutenait que la peine infligée était excessive, que la procédure n’avait pas été conforme aux principes de la justice naturelle et que le judge advocate s’était montré hostile à son égard pendant le procès. Le 14 décembre 1992, la Divisional Court refusa l’autorisation, estimant que la conduite de la cour martiale avait été pleinement conforme à la loi de 1955 sur l’armée et qu’il n’y avait pas de preuves de l’attitude déplacée ou hostile du judge advocate (R. v. General Court Martial (Regent’s Park Barracks), ex parte Alexander Findlay, CO/1092/92, décision non publiée). Procédure civile M. Findlay entama contre les autorités militaires une action civile pour faute et réclama des dommages-intérêts pour sa blessure dorsale et ses PTSD. Dans un rapport du 16 janvier 1994 établi dans ce cadre, le Dr Blunden réitéra sa précédente opinion (paragraphe 12 ci-dessus) et diagnostiqua clairement un cas de PTSD. En mars 1994, l’action civile fit l’objet d’un règlement amiable avec le ministre de la Défense, qui versa au requérant une indemnité de 100 000 livres sterling (GBP), plus les frais et dépens, sans reconnaître aucune responsabilité. Le règlement n’établissait aucune distinction entre les griefs relatifs aux PTSD et ceux liés à la blessure au dos. II. Le droit et la pratique internes pertinents La législation en vigueur lors du passage de M. Findlay en cour martiale a) Généralités Les règles et procédures applicables à la comparution du requérant devant la cour martiale figuraient dans la loi de 1955 sur l’armée de terre (Army Act; "la loi de 1955"), le code de procédure militaire de 1972 (Rules of Procedure (Army); "le code de 1972") et les décrets royaux de 1975 (Queen’s Regulations). Depuis l’examen de l’affaire par la Commission, certaines dispositions de la loi de 1955 ont été modifiées par la loi de 1996 sur les forces armées (Armed Forces Act; "la loi de 1996"), qui entrera en vigueur le 1er avril 1997 (paragraphes 52-57 ci-dessous). De nombreuses infractions de droit commun sont également des infractions au regard de la loi de 1955 (article 70 par. 1). Si la décision finale en matière de compétence incombe aux autorités civiles, les militaires accusés de telles infractions sont généralement jugés par les autorités militaires à moins que, par exemple, un incident n’implique des civils. En fonction de leur gravité, les infractions à la loi sur l’armée peuvent être portées devant une cour martiale de district, de campagne ou générale. Une telle juridiction n’a pas un caractère permanent: elle n’existe que pour juger une infraction précise ou un groupe d’infractions. A l’époque des événements en question, une cour martiale générale se composait d’un président (en principe un général de brigade ou un colonel), désigné personnellement par l’officier convocateur (paragraphes 36-41 ci-dessous), et d’au moins quatre autres officiers, désignés soit par l’officier convocateur, soit, à la demande de ce dernier, par leur chef de corps. Tout membre de la cour martiale devait prêter le serment suivant: "Je jure devant Dieu tout-puissant de juger le prévenu qui comparaît devant la présente cour en mon âme et conscience, en me fondant sur les preuves, et d’administrer dûment la justice en respectant la loi de 1955 sur l’armée, sans partialité ni distinction de personnes. Je jure en outre de ne divulguer en aucune manière ni à aucun moment le vote ou l’avis du président ou de tout membre de la présente cour, sauf si la loi m’y oblige." b) L’officier convocateur Avant l’entrée en vigueur de la loi de 1996, un officier convocateur (à savoir au moins un officier de rang analogue ou supérieur, chargé du commandement d’un corps des forces régulières ou appartenant au groupe d’unités dont relevait le prévenu) avait la responsabilité de toute affaire à juger par une cour martiale. Il devait décider de la nature et du détail des accusations dont le prévenu devrait répondre et du type de cour martiale requis, qu’il était aussi chargé de convoquer. L’officier convocateur établissait un ordre de convocation, précisant notamment la date, le lieu et l’heure du procès, le nom du président et l’identité des autres membres susceptibles d’être tous désignés par lui (paragraphe 15 ci-dessus). Il veillait à la nomination d’un judge advocate (paragraphe 43 ci-dessous) par le Bureau du Judge Advocate General ou, à défaut, le désignait lui-même. Il nommait également ou donnait instruction à un chef de corps de désigner l’officier procureur. Avant l’audience, l’officier convocateur envoyait un résumé des dépositions à l’officier procureur et au judge advocate, et pouvait indiquer les passages susceptibles d’être déclarés irrecevables. Il veillait à la comparution à l’audience de tous les témoins à charge. Il donnait d’ordinaire son consentement à l’abandon de certaines charges, encore que ce ne fût pas toujours nécessaire, et, lorsque le prévenu sollicitait le bénéfice de circonstances atténuantes, cette demande ne pouvait être accueillie sans le consentement de l’officier convocateur. Celui-ci devait aussi faire en sorte que le prévenu pût convenablement préparer sa défense, avoir un représentant au besoin et prendre contact avec les témoins à décharge. Il devait veiller à ordonner la comparution de tous les témoins lorsqu’elle était "raisonnablement requise" par la défense. L’officier convocateur pouvait dissoudre la cour martiale avant ou pendant le procès, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (article 95 de la loi de 1955). En outre, il pouvait formuler des observations sur la "procédure d’une cour martiale devant faire l’objet d’une confirmation". Ces observations n’étaient pas versées au dossier mais généralement communiquées à part aux membres de la cour sauf dans le cas exceptionnel "d’une instruction plus publique nécessaire dans l’intérêt de la discipline", où elles pouvaient être diffusées dans les consignes de la circonscription militaire (décrets royaux, paragraphe 6.129). D’ordinaire, l’officier convocateur remplissait également la fonction d’officier confirmateur (paragraphe 48 ci-dessous). c) Le Judge Advocate General et les judge advocates L’actuel Judge Advocate General a été nommé pour cinq ans en février 1991 par la Reine dont il relève et qui peut le destituer pour incompétence ou faute. A l’époque des événements en question, le Judge Advocate General conseillait le ministre de la Défense sur toutes les questions touchant ou concernant ses fonctions, y compris les avis sur le droit militaire ainsi que sur les procédures militaires et le fonctionnement des cours martiales. Il était également chargé de conseiller les organes de confirmation et de contrôle après un procès en cour martiale (paragraphe 49 ci-dessous). Les judge advocates sont nommés auprès du Bureau du Judge Advocate General par le ministre de la Justice (Lord Chancellor). Ils doivent être inscrits au barreau depuis respectivement sept et cinq ans au moins. Au moment des événements litigieux, chaque cour martiale disposait d’un judge advocate, nommé soit par le Bureau du Judge Advocate General, soit par l’officier convocateur. Il était chargé de conseiller la cour martiale sur toutes les questions juridiques ou procédurales soulevées pendant le procès, avis que la cour devait accepter sauf motifs sérieux. En outre, le judge advocate (en collaboration avec le président) avait l’obligation de veiller à ce que le prévenu ne fût pas placé pendant le procès en position désavantageuse. Par exemple, si ce dernier plaidait coupable, le judge advocate devait s’assurer qu’il comprenait bien les conséquences de sa décision et que son aveu portait sur tous les éléments de l’accusation. A l’issue du procès, le judge advocate rappelait brièvement le droit et les éléments de preuve pertinents. Avant l’entrée en vigueur de la loi de 1996, le judge advocate ne participait pas aux délibérations de la cour martiale sur la condamnation ou sur l’acquittement, mais pouvait cependant conseiller à huis clos les membres de la cour sur les principes généraux régissant le prononcé des peines. Il n’était pas membre de la cour martiale et ne participait pas au vote sur la condamnation et sur la peine. d) Procédure sur la base de l’aveu de culpabilité A l’époque des événements en cause, s’il fondait sa plaidoirie sur l’aveu, l’officier procureur énonçait les faits et mettait en évidence toute circonstance pouvant expliquer la commission de l’infraction par le prévenu. La défense plaidait ensuite les circonstances atténuantes et pouvait citer des témoins (articles 71 par. 3 a) et 71 par. 5 a) du code de 1972). Les membres de la cour martiale se retiraient alors avec le judge advocate pour délibérer puis prononçaient la sentence en salle d’audience. Aucune disposition n’obligeait la cour à motiver sa décision. Au moment du procès du requérant, une cour martiale ne pouvait pas infliger certains types de peine, même pour des infractions civiles. Ainsi, elle ne pouvait pas prononcer de peine d’emprisonnement avec sursis, de mise en liberté sous probation ni de peine de travail d’intérêt général. e) Organes de confirmation et de contrôle Jusqu’aux amendements introduits par la loi de 1996, les conclusions d’une cour martiale ne prenaient effet qu’une fois entérinées par un "officier confirmateur". Auparavant, l’officier confirmateur devait consulter le Bureau du Judge Advocate General, qui désignait un autre judge advocate que celui qui avait siégé. L’officier confirmateur pouvait ne pas entériner la décision, prononcer une autre sentence, reporter l’application d’une peine ou la remettre en tout ou en partie. Une fois la peine confirmée, le condamné pouvait déposer une demande auprès des "organes de contrôle". Il s’agissait de la Reine, du Conseil de défense (qui pouvait déléguer ce pouvoir à la commission ad hoc de l’armée), et de tout officier chargé d’un commandement supérieur à celui de l’officier confirmateur (article 113 de la loi de 1955). Les organes de contrôle pouvaient demander son avis au Bureau du Judge Advocate General. Ils étaient habilités à infirmer une conclusion et à exercer les mêmes pouvoirs que l’officier confirmateur concernant le remplacement, la remise ou la commutation de la peine. L’appelant n’était pas informé de l’identité de l’officier confirmateur ni de celle des membres des organes de contrôle. Il n’existait aucune procédure légale ou formelle concernant le contrôle après le procès, et les décisions prononcées au terme dudit contrôle n’étaient pas motivées. Le demandeur n’était pas informé non plus du fait que ces organes avaient reçu un avis du Bureau du Judge Advocate General, ni de la teneur de cet avis. Une cour martiale d’appel (composée de juges civils) pouvait connaître de l’appel d’un jugement rendu par une cour martiale, mais ce recours était impossible lorsque le prévenu avait plaidé coupable. La loi de 1996 sur les forces armées Avec la loi de 1996 prendra fin le rôle de l’officier convocateur, et les diverses fonctions qu’il exerçait auparavant seront réparties entre trois organes différents: l’"autorité supérieure", l’autorité de poursuite et les officiers administrateurs à la cour (annexe I à la loi de 1996). L’autorité supérieure - un officier supérieur - décidera si une affaire dont l’a saisie le chef de corps du prévenu doit être traitée selon une procédure simplifiée, renvoyée à la nouvelle autorité de poursuite, ou classée définitivement. Une fois sa décision prise, elle n’aura plus à intervenir dans l’affaire. L’autorité de poursuite sera le service juridique des forces armées. A la suite de la décision de l’autorité supérieure de lui déférer une affaire, l’autorité de poursuite aura toute latitude, en appliquant des critères analogues à ceux dont le parquet fait usage au civil, de décider d’entamer ou non des poursuites, de choisir le type de cour martiale approprié et de préciser les chefs d’accusation. C’est elle qui mènera alors les poursuites (annexe I à la loi de 1996, partie II). Les officiers administrateurs à la cour seront désignés dans chaque arme et ne dépendront ni de l’autorité supérieure ni de l’autorité d’instruction. Ils seront chargés de prendre les dispositions nécessaires pour les cours martiales, notamment fixer les lieu et date du procès, s’assurer de la disponibilité d’un judge advocate et de tout agent de la cour dont la présence serait nécessaire, veiller à la comparution des témoins et choisir les membres des cours martiales. Ne seront pas choisis pour en faire partie les officiers se trouvant sous le commandement de l’autorité supérieure (annexe I à la loi de 1996, partie III, article 19). Chaque cour martiale inclura à l’avenir parmi ses membres un judge advocate, dont l’avis sur les points de droit liera la cour et qui prendra désormais part au vote sur la peine (mais pas sur la condamnation). Si une voix prépondérante est requise, ce sera celle du président de la cour martiale. Celui-ci énoncera en public les raisons du choix de la peine. Le Judge Advocate General ne fournira plus d’avis juridique au ministre de la Défense (annexe I à la loi de 1996, partie III, articles 19, 25 et 27). Les conclusions d’une cour martiale ne seront plus soumises à confirmation ou révision par un officier confirmateur (dont le rôle sera supprimé). Dans chaque arme, une autorité de contrôle sera instituée pour procéder à un examen unique de chaque affaire. Elle motivera sa décision. Dans le cadre de ce processus, le prévenu se verra communiquer l’avis postérieur au procès que l’autorité de contrôle recevra d’un judge advocate (autre que celui ayant siégé à la cour martiale). Sera ajouté au droit existant de recours contre la condamnation un droit d’appel de la peine auprès de la cour martiale d’appel (composée de civils) (article 17 de la loi de 1996 et annexe V à celle-ci). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête à la Commission (no 22107/93) du 28 mai 1993, M. Findlay formulait plusieurs griefs tirés de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), notamment que la cour martiale n’avait pas entendu équitablement sa cause et qu’elle n’était pas un tribunal indépendant et impartial. La Commission a retenu la requête le 23 février 1995. Dans son rapport du 5 septembre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’avis qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en ce que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, et qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs de l’intéressé relatifs à l’équité de la procédure devant la cour martiale et devant les organes de contrôle, ni les griefs relatifs au caractère raisonnable des décisions rendues et à l’éventail des peines possibles. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a dit qu’il ne contestait pas les conclusions de la Commission, mais invitait la Cour à prendre acte des modifications que la loi de 1996 sur les forces armées va apporter au système des cours martiales et qui, selon lui, donnent une réponse plus que satisfaisante aux interrogations de la Commission. A la même occasion, le requérant a prié la Cour de constater une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. le contexte général Durant toute la période à considérer, les requérantes étaient des building societies au sens de la loi de 1986 sur les building societies. Celles-ci ont, en droit anglais, le statut de « caisses mutuelles de dépôts » et non de sociétés. Les membres en sont les investisseurs qui déposent des fonds auprès d’elles et perçoivent en retour des intérêts ou des dividendes, ainsi que les emprunteurs qui en obtiennent des prêts moyennant intérêt, dans la grande majorité des cas pour acheter des logements. A. L’assujettissement des investisseurs à l’impôt sur le revenu Les investisseurs d’une building society sont assujettis à l’impôt sur le revenu au titre des intérêts que portent leurs dépôts. L’impôt sur le revenu à verser à l’administration fiscale au titre de l’exercice fiscal commençant le 6 avril d’une année pour se terminer le 5 avril de l’année suivante se calculait ou se mesurait en pratique par référence à une période d’égale longueur précédant l’exercice fiscal réel. Le « principe de la mesure » voulait que la période mesurée fût égale à la période de taxation. Le contribuable n’était en fait pas imposé sur le revenu de l’année précédente, mais sur le revenu perçu pendant l’exercice en cours, ce montant étant artificiellement calculé par référence au revenu de l’exercice antérieur. En conséquence, les différents investisseurs des building societies étaient d’ordinaire tenus de déclarer au titre de l’impôt sur le revenu pour l’exercice fiscal donné le montant des intérêts ou dividendes perçus à raison de leurs dépôts au cours d’une période de référence antérieure de même longueur que l’exercice fiscal ; l’administration fiscale devait calculer l’assiette de l’impôt sur la foi des informations fournies par eux. B. Les conventions passées pour le versement de l’impôt dû par les investisseurs Toutefois, compte tenu du très grand nombre d’investisseurs des building societies, aux revenus modestes pour la plupart et donc redevables d’un très faible montant d’impôt sur le revenu ou non imposables, pendant maintes années et jusqu’à l’année fiscale 1985–1986 inclusivement, le fisc passait avec les building societies des conventions aux termes desquelles chacune d’elles avait à s’acquitter d’un versement annuel forfaitaire à un taux négocié. Chaque building society déchargeait ainsi ses investisseurs de l’obligation de payer l’impôt au taux de base sur les intérêts acquis par eux. Ces conventions, qui s’appliquèrent de nombreuses années en l’absence de textes, se virent à l’époque reconnaître force de loi par l’article 343 § 1 de la loi de 1970 relative à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés (Income and Corporation Taxes Act 1970, « la loi de 1970 »). Le montant de ce versement à taux négocié était calculé, pour chaque exercice fiscal, par référence au montant total des intérêts que la société avait versés à ses investisseurs ; il y était toutefois appliqué un taux d’imposition réduit afin de tenir compte du fait qu’un certain nombre d’investisseurs n’auraient été redevables d’aucun impôt, vu le montant modeste de leur épargne (paragraphe 8 ci-dessus). C’est pourquoi les versements annuels effectués en vertu de ces conventions étaient appelés « impôt à taux réduit » (« reduced-rate tax ») ou « impôt à taux négocié » (« composite-rate tax ») ou « CRT ». Le montant des intérêts versés aux investisseurs tenait compte du fait que c’était la building society qui, en versant le CRT au fisc, s’acquittait de l’impôt sur le revenu dont ils étaient redevables. Les investisseurs percevaient donc des intérêts nets d’impôt. C. Fixation du taux du CRT et principe de la neutralité du revenu Conformément au principe de la « neutralité du revenu », énoncé à l’article 26 de la loi de finances de 1984, le paiement du CRT correspondait uniquement au montant que les investisseurs eux-mêmes auraient acquitté s’ils avaient eu à déclarer et à verser l’impôt sur les intérêts produits par leurs dépôts. A cette fin, l’administration fiscale fixait chaque année, par voie réglementaire, le taux du CRT, à l’issue de négociations avec l’Association des building societies. Ce faisant, elle était tenue de tendre, pour l’impôt levé à la source auprès des building societies pour un exercice fiscal donné, au même résultat que si les différents contribuables avaient été imposés directement sur les intérêts perçus par eux au cours d’une période de référence antérieure (paragraphes 7 ci-dessus et 13 ci-dessous). D. Le système de l’« avance » et l’exercice comptable Jusqu’en 1985–1986, le CRT était collecté selon le principe de l’« avance ». Le montant des impôts à payer, au titre du CRT, par chaque building society pour l’exercice fiscal considéré (paragraphe 12 ci-dessus) était calculé en prenant comme référence les intérêts versés par elle à ses investisseurs, non pas pendant l’année réelle d’imposition, mais pendant les douze mois correspondant à l’exercice comptable de la building society s’achevant au cours de l’exercice fiscal considéré. L’impôt était versé dans tous les cas le 1er janvier de l’année d’imposition ou aux environs de cette date. Comme indiqué plus haut (paragraphe 8 ci-dessus), ce paiement représentant l’impôt sur le revenu avait pour effet juridique de libérer les investisseurs de leur obligation d’acquitter l’impôt au taux de base sur les intérêts perçus au cours de l’année d’imposition considérée. La loi n’exigeait nullement l’harmonisation des exercices comptables. Les building societies avaient toutes des calendriers différents, mais dans tous les cas, ceux-ci représentaient une période de durée égale à l’exercice fiscal, compte tenu des exigences du principe de la mesure (paragraphe 7 ci-dessus). Les sociétés requérantes prenaient les périodes suivantes comme exercice comptable : – la Leeds : du 1er octobre au 30 septembre ; – la National & Provincial : du 1er janvier au 31 décembre ; – la Yorkshire : du 1er janvier au 31 décembre. Ainsi, le 1er janvier 1986 ou vers cette date, pour libérer leurs investisseurs de l’impôt sur le revenu au taux de base dont ils auraient été redevables pour l’exercice fiscal du 6 avril 1985 au 5 avril 1986, les trois requérantes avaient versé au fisc des montants calculés par référence aux intérêts payés par elles à leurs investisseurs au cours de leurs exercices comptables clos le 30 septembre 1985 (pour la Leeds) et le 31 décembre 1985 (pour la National & Provincial et pour la Yorkshire). En vertu des conventions passées (paragraphe 8 ci-dessus), ces versements avaient entièrement libéré les investisseurs de leurs obligations fiscales au titre des intérêts que leur avaient versés les requérantes respectives pour l’exercice fiscal du 6 avril 1985 au 5 avril 1986. A partir de quoi les requérantes versèrent à l’administration fiscale les montants suivants au titre du CRT : – la Leeds : 144 500 000 livres (GBP), somme calculée par référence aux intérêts versés à ses investisseurs au cours de son exercice comptable se terminant le 30 septembre 1985 ; – la National & Provincial : 125 926 662 GBP, somme calculée par référence aux intérêts versés à ses investisseurs au cours de son exercice comptable se terminant le 31 décembre 1985 ; – la Yorkshire : 34 001 214 GBP, somme calculée par référence aux intérêts versés à ses investisseurs au cours de son exercice comptable se terminant le 31 décembre 1985. E. La finalité et l’effet de la nouvelle législation : l’article 40 de la loi de finances de 1985 Afin d’aligner l’imposition des intérêts versés par les building societies aux investisseurs sur le système que la loi de finances de 1984 avait introduit pour les banques, le gouvernement proposa de mettre en place un régime obligatoire pour la collecte de l’impôt sur les intérêts des investisseurs et le paiement de cet impôt sur une base trimestrielle, les derniers jours de février, mai, août et novembre, et non plus annuelle, en janvier. Le 19 mars 1985, dans sa présentation du budget à l’occasion de laquelle il annonça l’introduction du nouveau système, le ministre des Finances déclara que celui-ci n’engendrerait pas de recettes supplémentaires. Le Parlement adopta la proposition, qui devint l’article 40 de la loi de finances de 1985. L’article 40 modifia l’article 343 de la loi de 1970 (paragraphe 8 ci-dessus) par l’ajout d’un paragraphe 1A visant à supprimer, à compter du 6 avril 1986, les conventions en vigueur de longue date et à habiliter l’administration fiscale à édicter des règlements introduisant un nouveau système de calcul à partir de l’exercice fiscal 1986–1987. Selon le règlement de 1986 relatif à l’imposition des building societies (Income Tax (Building Society) Regulations 1986, « le règlement de 1986 »), entré en vigueur le 6 avril 1986, l’impôt devait être calculé trimestriellement sur la base des intérêts effectivement versés au cours de l’année réelle d’imposition, et non plus selon le système de l’« avance ». F. Le problème de la « période de décalage » La suppression des anciennes conventions donna toutefois lieu à un décalage (la « période de décalage ») entre la clôture des exercices comptables des sociétés requérantes pour 1985–1986 (paragraphe 14 ci-dessus) et le début du premier trimestre inaugurant le nouveau régime. Pour la Leeds, la période de décalage allait du 1er octobre 1985 au 5 avril 1986, pour la National & Provincial et la Yorkshire, du 1er janvier 1986 au 5 avril 1986. Pour que chaque versement d’intérêts entre dans l’assiette de l’impôt, des dispositions transitoires furent prises selon lesquelles les versements effectués au cours de la « période de décalage » étaient réputés avoir été opérés au cours d’un exercice comptable ultérieur, avec pour résultat qu’ils constituaient l’assiette de l’impôt en vertu des nouvelles modalités de « l’année réelle ». Selon le gouvernement, le législateur entendait garantir que le montant de l’impôt ainsi levé serait égal à celui qui aurait été collecté si les modalités précédentes étaient demeurées en vigueur et que les building societies ne percevraient pas une manne indue en raison de la période de décalage. Dans ces conditions, l’article 11 (combiné avec l’article 3) du règlement de 1986 visait à exiger des building societies qu’elles acquittent l’impôt relatif aux intérêts versés à leurs investisseurs durant la période de décalage s’appliquant à chacune d’elles. L’article 11 § 4 stipulait que les impôts dus au titre des intérêts versés au cours de la période de décalage seraient calculés au taux applicable pour 1985–1986, soit 25,25 %, le taux de base de l’impôt sur le revenu étant de 30 % pour cette année-là. II. Les circonstances de la cause Chacune des sociétés requérantes estima que les dispositions transitoires allaient à l’encontre de ce que le gouvernement avait déclaré être son intention, à savoir que le nouveau régime introduit par la loi de finances de 1985 ne devait pas engendrer de recettes fiscales supplémentaires (paragraphe 15 ci-dessus), position réaffirmée au cours des débats parlementaires sur l’article 40 de ladite loi. Elles considérèrent que les articles 3 et 11 avaient pour effet de taxer à nouveau les intérêts versés en 1985–1986, exercice fiscal pour lequel les investisseurs se trouvaient déjà libérés de toute obligation fiscale sur les intérêts (paragraphe 14 ci-dessus). Pour elles, il en résultait que pour vingt-quatre mois d’intérêts payés à ses investisseurs au cours des deux exercices fiscaux 1986–1987 et 1987–1988, une building society comme la Leeds, dont l’exercice comptable se terminait le 30 septembre, devait verser un impôt portant sur trente mois d’intérêts. Quant à la National & Provincial et à la Yorkshire, elles auraient à verser un impôt sur vingt-sept mois d’intérêts pour les vingt-quatre mois des exercices fiscaux de 1986–1987 et 1987–1988. Selon les requérantes, ces conséquences allaient à l’encontre du principe de la mesure d’après lequel la période de mesure pour l’assiette de l’impôt ne doit jamais dépasser la durée de l’exercice fiscal (paragraphe 7 ci-dessus). Les requérantes s’acquittèrent en fait toutes trois de l’impôt dont elles étaient redevables en vertu des dispositions transitoires du règlement, à savoir : – la National & Provincial : 15 873 945 GBP ; – la Leeds : 56 973 690 GBP ; – la Yorkshire : 8 902 620 GBP. Le Gouvernement souligne qu’elles s’exécutèrent « sans protester officiellement ». Les requérantes affirment au contraire avoir précisé d’emblée qu’elles discutaient la légalité de l’impôt et qu’elles s’associaient à la procédure engagée par la Woolwich Equitable Building Society (« la Woolwich ») pour contester la légalité des dispositions transitoires de l’article 11 du règlement. Pour sa part, la Leeds publia un communiqué de presse alors que le règlement n’en était encore qu’au stade de projet, pour appeler l’attention entre autres sur ce qu’elle dénonçait comme l’effet inacceptable de la soumission des building societies à une double imposition. La déclaration écrite sous serment du directeur général adjoint de la Woolwich faisait état du soutien de la Leeds à la décision de celle-ci d’entamer une instance judiciaire contre les dispositions transitoires. La National & Provincial comme la Yorkshire sollicitèrent le remboursement des sommes versées par elles au fisc. A. La procédure Woolwich 1 en contrôle juridictionnel Le 18 juin 1986, la Woolwich engagea une procédure de contrôle juridictionnel en vue de faire annuler l’article 11 au motif qu’il sortait du champ d’application de la législation d’habilitation ; elle alléguait en outre que les dispositions transitoires transgressaient les principes fondamentaux du droit constitutionnel et du droit fiscal et que le dispositif mis en place par le règlement de 1986 pour introduire le changement de régime induisait une double imposition au titre de la période de décalage. B. La réaction du législateur à l’engagement de la procédure Woolwich 1 : l’article 47 de la loi de finances de 1986 Le 4 juillet 1986, le gouvernement présenta au Parlement une mesure devant valider rétroactivement les dispositions attaquées et donner effet à ce qui était selon lui l’intention initiale du Parlement lors de leur adoption (paragraphes 15 et 17 ci-dessus). Le ministre responsable informa le Parlement que le règlement n’avait pas d’incidence sur le montant de l’impôt levé et n’affectait que le calendrier des versements ; il réaffirma que cela n’engendrerait pas de recettes fiscales supplémentaires. Le 25 juillet 1986, la loi de finances de 1986 (« la loi de 1986 ») reçut donc la sanction royale. Son article 47 modifiait rétroactivement l’article 343 § 1A de la loi de 1970 (paragraphe 16 ci-dessus), afin d’habiliter l’administration fiscale à procéder, par voie réglementaire, à la mise en recouvrement, pour l’année 1986–1987 et les années d’imposition suivantes, de l’impôt sur les sommes versées aux investisseurs pendant la période de décalage et qui n’avaient pas été prises en compte antérieurement. C. La procédure Woolwich 2 en restitution Le 15 juillet 1987, la Woolwich assigna l’administration fiscale en justice, demandant le remboursement des sommes versées au titre de l’impôt en vertu des dispositions transitoires du règlement, ainsi que des intérêts pour la période écoulée depuis la date de leur versement. D. La décision de la High Court dans la procédure Woolwich 1 Le 31 juillet 1987, le juge Nolan fit droit à la demande dans l’affaire Woolwich 1 (paragraphe 21 ci-dessus). Il annula l’article 11 dans son intégralité et invalida les autres dispositions pour autant qu’elles entendaient s’appliquer aux versements effectués aux investisseurs avant le 6 avril 1986. Il parvint aux conclusions suivantes : a) rien dans la législation d’habilitation n’indiquait que le Parlement envisageait d’autoriser une dérogation au principe selon lequel l’impôt sur le revenu ne doit être levé que sur les revenus d’une seule année ; b) le pouvoir d’édicter des règlements, conféré par l’article 343 § 1A, devait être exercé uniquement pour l’année 1986–1987 et les années suivantes, et rien dans cette disposition n’autorisait l’administration fiscale à revenir sur les conventions passées avec les building societies et à mettre en recouvrement des impôts supplémentaires sur les intérêts que ces dernières avaient versés à leurs membres au cours de la période de décalage ; c) le fait que l’article 11 § 4 du règlement énonçait que l’impôt serait calculé aux taux applicables pour 1985–1986 (plus élevés que ceux qui avaient été arrêtés pour 1986–1987), indiquait clairement en soi que le règlement excédait les pouvoirs conférés à l’administration fiscale par l’article 343 § 1A ; d) la modification de l’article 47 § 1 de la loi de 1986 ne changeait rien à la situation : quelles qu’aient été les intentions du législateur, le pouvoir conféré par l’article 343 § 1A pouvait être exercé uniquement pour les années 1986–1987 et suivantes. L’administration fiscale forma un recours contre cette décision. Sans contester la nullité du paragraphe 4 de l’article 11, elle fit valoir que celle-ci n’invalidait pas le reste de l’article. Vers la fin de l’année 1987, l’administration fiscale remboursa à la Woolwich la somme de 57 millions de livres, assortie d’intérêts à compter du 31 juillet 1987 (date de l’ordonnance rendue par le juge Nolan), mais refusa de verser des intérêts pour la période antérieure à cette date. Ainsi, dans l’affaire Woolwich 2 (paragraphe 23 ci-dessus), seule restait en suspens la question de savoir si la Woolwich était fondée à demander des intérêts sur les sommes versées par elle pour la période allant jusqu’au 31 juillet 1987. E. La décision de la High Court dans la procédure Woolwich 2 Le 12 juillet 1988, le juge Nolan rejeta le recours dans l’affaire Woolwich 2, déclarant que la plaignante n’était pas fondée à recouvrer les sommes demandées au titre d’un quelconque principe général de restitution ou au motif qu’elles auraient été versées sous la contrainte. Le juge estima que ces sommes avaient été payées en application d’un accord tacite selon lequel elles seraient remboursées si le litige concernant la validité du règlement de 1986 était résolu en faveur de la demanderesse : celle-ci n’avait dès lors aucune cause pour agir en vue du recouvrement des sommes versées jusqu’à la date de l’ordonnance que lui-même avait rendue le 31 juillet 1987. La Woolwich interjeta appel de cette décision et de l’ordonnance. F. La décision de la Cour d’appel dans la procédure Woolwich 1 Le 12 avril 1989, la Cour d’appel accueillit le recours de l’administration fiscale dans l’affaire Woolwich 1 (paragraphe 25 ci-dessus). Elle conclut que : a) les termes de l’article 47 de la loi de 1986, pris dans leur acception ordinaire, étaient clairs et habilitaient l’administration fiscale à intégrer dans l’assiette de l’impôt les intérêts versés par les building societies au cours de la période de décalage et à mettre cet impôt en recouvrement ; et b) excepté le paragraphe 4, dont la nullité avait été reconnue par l’administration fiscale, l’article 11 était valable. G. La décision de la Chambre des lords dans la procédure Woolwich 1 Le 25 octobre 1990, la Chambre des lords fit droit au recours de la Woolwich dans la procédure Woolwich 1. Elle déclara, à l’exception de Lord Lowry, que les dispositions transitoires du règlement de 1986 constituaient un excès de pouvoir aux motifs que l’article 11 § 4, comme l’administration fiscale l’avait admis précédemment, et l’article 3, pour autant qu’il avait trait à la période postérieure à février et antérieure au 6 avril 1986, excédaient les pouvoirs conférés par la loi d’habilitation. La Chambre des lords considéra que l’article 11 § 4 ne pouvait se dissocier du surplus de l’article 11 et que les dispositions transitoires du règlement de 1986 étaient donc frappées de nullité dans leur intégralité. Lord Oliver, prononçant l’arrêt de la majorité, conclut : « (...) Je dois dire qu’à mon sens, on ne peut que souscrire à la conclusion selon laquelle le Parlement entendait par ces termes [l’article 47 de la loi de 1986] habiliter l’administration fiscale à prendre en compte et à assujettir à l’impôt des montants que cette dernière considérait, à tort ou à raison, comme une véritable manne pour les building societies. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les faits. Le règlement de 1986 a été pris et a été contesté. Il a été directement mis en cause dans le cadre d’une procédure judiciaire, et les preuves apportées à l’appui de cette action esquissaient clairement les arguments présentés au juge et à la Cour d’appel. L’idée que le Parlement prendrait la peine de voter une modification ayant un effet expressément rétroactif pour autoriser, sans nécessité aucune, l’utilisation de ces montants comme référence pour le calcul de l’impôt – point qui, même de loin, n’a jamais été invoqué – ne tient pas debout (...) (...) Force m’est de dire que, selon moi, l’administration fiscale, par l’intermédiaire du Parlement, a fait preuve de maladresse en optant, par la voie de la « législation déléguée » plutôt que par l’adoption d’une loi, pour la position très inhabituelle consistant à chercher à imposer au cours d’une année d’imposition plus que les revenus d’une seule année ; toutefois, l’article 47 de la loi de finances de 1986 comporte, sous quelque angle qu’on l’analyse, des dispositions des plus inhabituelles et, in fine, je n’ai pu que me rendre à la conclusion que telle était l’intention du Parlement. Il se peut – je l’ignore – que le législateur n’ait pas apprécié à sa juste valeur le fait que les conventions passées en 1985 avaient pour conséquence de dégager de toute obligation fiscale tous les intérêts versés au cours de l’année d’imposition 1985–1986, y compris les intérêts payés après la clôture de l’exercice comptable d’une building society, et qu’en conséquence, imposer ces montants à nouveau au cours de l’année suivante revenait, en quelque sorte, à pratiquer une double imposition. Cependant, même dans ce cas de figure, cela revient à dire que le pouvoir législatif n’aurait pas dû avoir l’intention de faire ce qu’il a clairement entrepris de faire. C’est pourquoi, pour ma part, je rejetterais l’argument présenté à titre principal par la société Woolwich. » Cette décision invalidant pour vices d’ordre technique l’article 11 § 4 du règlement signifiait qu’il n’existait aucun dispositif permettant de concrétiser ce qui, selon le gouvernement, était l’intention initiale du Parlement, à savoir que les intérêts versés pendant la période de décalage devaient entrer dans l’assiette de l’impôt. Ce qui amena le gouvernement à introduire de nouvelles dispositions législatives. Un projet de communiqué de presse fut diffusé dès le 7 mars 1991 en vue de l’approbation du ministre des Finances. Ce projet indiquait que lorsqu’il présenterait son budget le 19 mars 1991, le ministre annoncerait une législation devant valider rétroactivement le règlement annulé dans l’affaire Woolwich 1 (paragraphe 33 ci-dessous). H. Les procédures Leeds 1 et National & Provincial 1 en restitution Après la décision de la Chambre des lords dans Woolwich 1, et après avoir demandé le remboursement à plusieurs reprises, la Leeds intenta, le 15 mars 1991, à l’encontre de l’administration fiscale une action en restitution du montant de 56 973 690 GBP qu’elle avait versé en application du règlement de 1986 annulé dans la procédure Woolwich 1. Le 17 mars 1991, la National & Provincial, qui avait elle aussi réclamé un remboursement, mais en vain, engagea à son tour à l’encontre de l’administration fiscale une action en restitution de la somme de 15 873 945 GBP qu’elle avait versée en application du règlement frappé de nullité I. La réaction du législateur à la décision Woolwich 1 : adoption de l’article 53 de la loi de finances de 1991 Le 19 mars 1991, dans sa présentation du budget, le ministre des Finances annonça l’introduction de dispositions législatives visant à corriger les « vices d’ordre technique qui affectaient le règlement ». Ces dispositions devinrent l’article 53 de la loi de finances de 1991 (« la loi de 1991 »), qui entra en vigueur le 25 juillet 1991. L’article 53 déclarait notamment ceci : « L’article 343 § 1A de [la loi de 1970] (...) est réputé avoir conféré le pouvoir de prendre toutes les dispositions contenues en fait dans [le règlement de 1986]. » L’effet rétroactif attaché à cette disposition ne jouait pas, aux termes de son paragraphe 4, dans le cas d’une « building society ayant intenté une action en justice avant le 18 juillet 1986 pour contester la validité du règlement ». La Woolwich était la seule building society à remplir cette condition. Par une lettre du 21 mars 1991, le directeur général des Building Societies Associations informa le secrétaire au Trésor pour les affaires financières que la décision du gouvernement « ne constitu[ait] pas une grande surprise, encore qu’elle [dût] causer une vive déception aux building societies concernées ». La mesure eut pour effet concret de mettre un terme aux procédures Leeds 1 et National & Provincial 1 (paragraphes 31 et 32 ci-dessus). Bien qu’elles eussent manifesté leur soutien à la procédure judiciaire de la Woolwich (paragraphe 20 ci-dessus), ces deux building societies n’engagèrent ni l’une ni l’autre formellement d’action en justice avant le 18 juillet 1986. A l’audience sur les frais, le gouvernement admit que, n’était l’article 53 de la loi de 1991, il n’aurait aucun moyen de défense à opposer à l’instance introduite par la Leeds et la National & Provincial. L’Etat fut condamné aux dépens. J. La procédure Woolwich 2 devant la Cour d’appel Le 22 mai 1991, la Cour d’appel, à la majorité, accueillit le recours de la Woolwich dans l’affaire Woolwich 2, et accorda à la plaignante les intérêts demandés. La majorité de la Cour d’appel fit droit au moyen invoqué à titre principal par la Woolwich selon lequel, lorsque des sommes d’argent sont versées en vertu de la mise en recouvrement illégale d’un impôt par un organe de l’Etat, le payeur, en principe, a un droit immédiat à en obtenir la restitution. K. Les procédures Leeds 2, National & Provincial 2 et Yorkshire 1 contestant la validité des circulaires du ministère des Finances par la voie d’un contrôle juridictionnel Le 10 juillet 1991, la Leeds sollicita l’autorisation d’engager une procédure en contrôle juridictionnel afin que les circulaires du ministère des Finances établissant le régime de l’impôt à taux négocié pour 1986–1987 et les exercices ultérieurs fussent déclarées illégales (« procédure Leeds 2 »). La Leeds exposait les arguments suivants : a) en procédant aux estimations pour les exercices postérieurs à 1986–1987, et en se fondant sur ces estimations pour fixer les taux de l’impôt à taux négocié, le ministère des Finances était manifestement parti du principe que la position de l’Etat selon laquelle le règlement n’entraînait la collecte d’aucun impôt « en sus » était correcte ; b) les décisions judiciaires dans l’affaire Woolwich 1 avaient démontré que tel n’était pas le cas ; le ministère des Finances avait donc sous-estimé le montant de l’impôt recouvré au titre de l’impôt à taux négocié et, en conséquence, avait fixé le taux de celui-ci pour les exercices considérés à un niveau beaucoup trop élevé ; c) les conséquences étaient minimes tant que le règlement était considéré comme nul, puisque les trop-perçus étaient, légalement, remboursables aux building societies ; or, en validant rétroactivement ce règlement, le gouvernement avait automatiquement invalidé les fondements des textes réglementaires qui fixaient les taux d’imposition ; d) cela signifiait, en principe, que tous les impôts recouvrés au titre de l’impôt à taux négocié au cours des exercices considérés devaient être remboursés, mais la Leeds, dans sa procédure, s’était engagée formellement à ne pas tenter de récupérer plus que les 57 millions de livres d’excédent versés initialement. Le 6 novembre 1991, la National & Provincial fut autorisée à engager une procédure en contrôle juridictionnel analogue à celle intentée dans la procédure Leeds 2 en vue d’obtenir que les circulaires (Treasury Orders) du ministère des Finances fixant les modalités de l’impôt à taux négocié pour 1986–1987 et les exercices suivants fussent déclarées illégales, en raison de la validation rétroactive du règlement de 1986 (« procédure National & Provincial 2 »). Cette demande fut jointe à la procédure Leeds 2 et à une demande similaire introduite par Bradford and Bingley Building Society. Le 3 mars 1992, la Yorkshire sollicita l’autorisation d’engager une procédure en contrôle juridictionnel similaire en vue d’obtenir que les circulaires du ministère des Finances fixant les modalités de l’impôt à taux négocié pour 1986–1987 et les exercices suivants fussent déclarées illégales (« procédure Yorkshire 1 »). L. Les procédures Leeds 3, National & Provincial 3 et Yorkshire 2 en restitution D’autres actions furent ensuite intentées par la Yorkshire le 11 mai 1992 (« procédure Yorkshire 2 »), par la Leeds le 1er juin 1992 (« procédure Leeds 3 ») et par la National & Provincial le 12 juin 1992 (« procédure National & Provincial 3 »). Dans ces actions, les plaignantes demandaient le remboursement des sommes qui leur seraient dues en cas de succès des procédures en contrôle juridictionnel (« procédures Leeds 2, National & Provincial 2 et Yorkshire 1 ») (paragraphes 38 à 40 ci-dessus). M. La réaction du législateur aux procédures des requérantes en contrôle juridictionnel et en restitution : l’article 64 de la loi de finances (no 2) de 1992 Le 16 juillet 1992, l’article 64 de la loi de finances (no 2) de 1992 (« la loi de 1992 ») entra en vigueur. Cette législation était attendue depuis le 7 mai 1992, date à laquelle le secrétaire pour les affaires financières avait relevé, en réponse à une question parlementaire, que son gouvernement entendait introduire une législation qui validerait rétroactivement les circulaires attaquées du ministère des Finances. Aux termes de l’article 64, qui avait effet rétroactif, les circulaires du ministère des Finances « [étaient] réputées être et avoir toujours été applicables ». Au cours des débats parlementaires sur l’article 64, le gouvernement reconnut que cette mesure était destinée à court-circuiter les procédures judiciaires engagées par les requérantes pour contester la validité des circulaires, avec pour résultat que la Woolwich bénéficierait d’un traitement plus favorable. Il releva néanmoins que la contestation du taux négocié fixé pour les exercices fiscaux de 1986–1987 à 1989–1990 jetait le doute sur la légalité de la levée de toutes les sommes perçues des building societies, banques et autres établissements de dépôts au cours des périodes en question. Si la légalité de la levée de ces sommes ne faisait aucun doute pour la grande majorité de celles-ci, la contestation des taux fixés aurait entaché d’illégalité la perception de l’ensemble de ces sommes. Le montant en jeu était de l’ordre de quinze milliards de livres. L’article 64 avait pour effet d’éteindre les procédures pendantes introduites par les requérantes aux fins du contrôle juridictionnel de la validité des circulaires du ministère des Finances et de la restitution des sommes litigieuses (paragraphes 39–41 ci-dessus). N. Le dénouement de la procédure Woolwich 2 Le 20 juillet 1992, la Chambre des lords, à la majorité, rejeta le pourvoi de l’administration fiscale dans la procédure Woolwich 2. Eu égard aux faits de la procédure Woolwich 2, elle refusa de reconnaître l’existence d’une quelconque acceptation tacite du remboursement des sommes versées en application du règlement annulé au cas et au moment où le litige serait résolu en faveur du contribuable. Toutefois, la Chambre des lords, à la majorité, statua ainsi : a) un citoyen qui a versé des impôts ou d’autres taxes à un organe public a, en principe, droit au remboursement des sommes versées dès lors que cet organe a excédé ses pouvoirs ; b) en conséquence, considérant que les prétentions de la building society ne relevaient pas du cadre législatif régissant le remboursement des trop-perçus en matière d’impôts, la building society était fondée, au regard de la common law, à obtenir le remboursement de ces sommes ainsi que des intérêts sur ces dernières à compter de la date où elle les avait versées. III. Le droit interne pertinent L’article 343 § 1A de la loi de 1970 (introduit par l’article 40 de la loi de finances de 1985, et tel que modifié par l’article 47 de la loi de finances de 1986) est ainsi libellé : « L’administration fiscale peut, par voie réglementaire, arrêter des dispositions pour l’exercice 1986–1987 et toute année ultérieure d’imposition visant à assujettir les building societies à l’impôt sur le revenu qu’elles auront à acquitter, pour toute somme définie conformément aux règlements (y compris les montants payés ou crédités avant le début de l’exercice, mais n’ayant pas été pris en compte en application du paragraphe 1 (...) ou du présent paragraphe) (...) et ces règlements peuvent contenir toutes dispositions incidentes et dérivées que l’administration fiscale jugera bon d’y inclure, y compris des dispositions prévoyant l’établissement de déclarations d’impôt. » [Le passage en gras est un ajout de la loi de 1986.] L’article 53 de la loi de finances de 1991, en ses dispositions pertinentes, est ainsi libellé : « 1) L’article 343 § 1A de la loi de 1970 relative à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés (...) est réputé conférer le pouvoir de prendre toutes les dispositions contenues en fait dans le règlement de 1986 relatif à l’impôt sur le revenu des building societies (...) 4) Le présent article ne s’applique pas aux building societies ayant intenté avant le 18 juillet 1986 une action en justice en vue de contester la validité du règlement pour autant que celui-ci s’applique (ou vise à s’appliquer) aux paiements ou avances effectués avant le 6 avril 1986. » L’article 64 de la loi de finances (no 2) de 1992 est ainsi libellé : « 1) Aux fins du présent article, chacun des textes ci-après est applicable : a) Circulaire de 1985 relative à l’impôt sur le revenu (taux réduit ou taux négocié) (...) b) Circulaire de 1986 relative à l’impôt sur le revenu (taux réduit ou taux négocié) (...) c) Circulaire de 1987 relative à l’impôt sur le revenu (taux réduit ou taux négocié) (...) d) Circulaire de 1988 relative à l’impôt sur le revenu (taux réduit ou taux négocié) (...) 2) En l’absence de toute autre disposition pertinente, le présent article est réputé être et avoir toujours été applicable à la détermination du taux réduit ou taux négocié fixé dans la circulaire pour l’année d’imposition considérée. » PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leurs requêtes (nos 21319/93, 21449/93 et 21675/93) introduites devant la Commission les 15 janvier 1993, 21 décembre 1992 et 11 janvier 1993, les requérantes alléguaient des violations de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention. Le 30 août 1994, la Commission a joint la requête de la National & Provincial à celle de la Yorkshire puis, le 10 janvier 1995, celle de la Leeds aux deux autres. Elle les a retenues le 13 janvier 1995. Dans son rapport du 25 juin 1996 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (treize voix contre trois), qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 de la Convention (quatorze voix contre deux), qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (neuf voix contre sept) et qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 de la Convention (quatorze voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Les requérantes invitent la Cour à dire que les faits révèlent des violations de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 de la Convention, pris isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention, et à leur octroyer une satisfaction équitable. Pour sa part, le Gouvernement prie la Cour de dire que les faits n’ont pas emporté violation de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce Citoyen turc né en 1939, M. Faruk Kalaç fit carrière, comme magistrat, dans l’armée de l’air. En 1990, avec le grade de colonel, il exerçait la fonction de directeur des affaires juridiques auprès du commandement. Par un arrêté du 1er août 1990, le Conseil supérieur militaire (Yüksek Askeri Sûrasi) (composé du premier ministre, du ministre de la Défense, du chef d’état-major et des onze généraux les plus élevés dans la hiérarchie des forces armées) décida la mise à la retraite d’office de trois officiers - dont M. Kalaç - et de vingt-huit sous-officiers pour actes d’indiscipline et conduite immorale. La décision, fondée sur les articles 50 c) de la loi sur le personnel militaire, 22 c) de la loi sur les magistrats militaires et 99 e) du règlement sur la notation des officiers et sous-officiers, retenait plus particulièrement à l’encontre du requérant que son comportement et ses agissements "révélaient que celui-ci avait adopté des opinions intégristes illégales". Par une ordonnance du 22 août 1990, le président de la République, le premier ministre et le ministre de la Défense approuvèrent cet arrêté, notifié à l’intéressé le 3 septembre. Le ministre de la Défense retira à ce dernier le bénéfice de ses cartes de sécurité sociale (assurance santé) et d’identité militaire ainsi que son permis de port d’arme. Le 21 septembre 1990, M. Kalaç demanda devant la Haute Cour administrative militaire (Askeri Yüksek idare Mahkemesi) l’annulation de l’arrêté du 1er août 1990 et des mesures imposées par le ministère de la Défense. Le 30 mai 1991, la Haute Cour administrative militaire, par quatre voix contre trois, se déclara incompétente pour connaître de la demande d’annulation de l’arrêté du 1er août 1990 au motif que, selon l’article 125 de la Constitution, les décisions du Conseil supérieur militaire sont définitives et ne peuvent être soumises à un contrôle judiciaire. A cet égard, elle rappela que la loi sur les magistrats militaires prévoit que ces derniers relèvent du statut du personnel militaire. Quant à leur mise à la retraite d’office pour actes d’indiscipline, elle est réglementée de la même manière que celle des autres officiers de l’armée. Dans leur opinion dissidente, les trois membres de la minorité tinrent compte du principe de l’indépendance des magistrats énoncé à l’article 139 de la Constitution. Ils estimèrent que l’inamovibilité des magistrats, tant civils que militaires, protégée par ledit article, constituait une lex specialis par rapport aux autres dispositions constitutionnelles et que, par conséquent, les décisions du Conseil supérieur militaire qui porteraient atteinte à ce principe devaient être soumises au contrôle de la Haute Cour administrative militaire. En revanche, la Haute Cour annula la décision relative au refus de délivrer au requérant et à sa famille des cartes de sécurité sociale. Le 9 janvier 1992, la même juridiction rejeta le recours en rectification introduit par M. Kalaç. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Les dispositions de la Constitution pertinentes en l’espèce sont les suivantes: Article 14 par. 1 "Aucun des droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de porter atteinte à l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et sa nation, de mettre en péril l’existence de l’Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l’Etat à un seul individu ou à un groupe ou d’assurer l’hégémonie d’une classe sociale sur d’autres classes sociales, ou d’établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou la secte religieuse, ou d’instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions." Article 24 "Chacun a droit à la liberté de conscience, de croyance et de conviction religieuse. Les prières, les rites et les cérémonies religieux sont libres à condition de ne pas violer les dispositions de l’article 14. Nul ne peut être contraint de participer à des prières ou à des cérémonies et rites religieux ni de divulguer ses croyances et ses convictions religieuses; nul ne peut être blâmé ni inculpé à cause de ses croyances ou convictions religieuses. (...) Nul ne doit, de quelque manière que ce soit, se servir ni abuser de la religion, des sentiments religieux ou des choses considérées comme sacrées par la religion dans le but de faire reposer, fût-ce partiellement, l’ordre social, économique, politique ou juridique de l’Etat sur des préceptes religieux ou d’en retirer un profit ou une influence politiques ou personnels." Article 125 "Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) Les actes du président de la République relevant de sa seule compétence et les décisions du Conseil supérieur militaire échappent au contrôle judiciaire. (...)" Article 139 "Les juges et procureurs sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge prévu par la Constitution, à moins qu’ils n’en manifestent le désir; ils ne peuvent, même en cas de suppression d’un tribunal ou d’un poste, être privés de leurs traitements, indemnités et autres droits liés à leur statut. Les exceptions prévues par la loi concernant ceux qui sont condamnés pour un délit entraînant la révocation, ceux dont l’inaptitude à remplir leur charge pour raison de santé est définitivement établie et ceux dont le maintien dans la profession a été jugé indésirable sont réservées." Article 144 "Le contrôle des juges et procureurs quant à l’exécution de leurs tâches conformément aux lois, aux règlements d’administration publique, aux règlements et aux circulaires (pour les juges aux circulaires de caractère administratif), les enquêtes portant sur d’éventuelles infractions commises par eux en raison ou dans l’exercice de leurs fonctions et sur la conformité de leur attitude et de leurs actes aux obligations liées à leur qualité et à leurs fonctions et, en cas de besoin, les enquêtes et investigations à leur sujet, sont effectués par les inspecteurs judiciaires avec l’autorisation du ministère de la Justice. Le ministre de la Justice peut également confier les actes d’enquête et d’investigation à un juge ou à un procureur de rang plus élevé que l’intéressé." Article 145, quatrième alinéa "L’organisation et le fonctionnement des organes de justice militaire, le statut personnel des juges militaires et les relations des juges exerçant les fonctions de procureur militaire avec le commandement dont ils relèvent sont définis par la loi dans le respect de l’indépendance des tribunaux, des garanties reconnues aux juges et des impératifs du service armé. La loi détermine en outre les relations des juges militaires avec le commandement dont ils relèvent, compte tenu des exigences du service armé, en ce qui concerne leurs tâches autres que la fonction judiciaire." B. La loi no 357 sur les magistrats militaires Aux termes de l’article 22 c) de la loi no 357 sur les magistrats militaires, " Nonobstant l’ancienneté dans le service, les militaires dont le maintien dans les forces armées est jugé inapproprié à la suite de leur indiscipline ou de leur conduite immorale, fondée sur l’un des motifs cités ci-dessous, tel qu’établi dans un ou plusieurs documents relatifs au dernier grade de l’intéressé, se voient appliquer la loi sur la caisse de retraite turque. (...) Lorsque leurs comportements et agissements révèlent qu’ils ont adopté des opinions illégales." C. La loi no 926 sur le personnel militaire L’article 50 c) de la loi no 926 sur le personnel militaire dispose: "Nonobstant l’ancienneté dans le service, les militaires dont le maintien dans les forces armées est jugé inapproprié à la suite d’indiscipline et de conduite immorale sont soumis à la loi sur la caisse de retraite turque. Les autorités compétentes pour engager la procédure, examiner les dossiers de notation, faire leur suivi, en tirer des conclusions et accomplir tout autre acte ainsi que toute formalité de cette procédure sont établies par le règlement sur le personnel militaire. Les officiers dont les cas sont soumis, par l’état-major, à l’examen du Conseil supérieur militaire, sont écartés de l’armée par une décision du Conseil supérieur militaire." D. Le règlement sur la notation des officiers et des sous-officiers L’article 99 du règlement sur la notation des officiers et des sousofficiers est ainsi libellé: "Nonobstant l’ancienneté dans le service, la procédure de mise à la retraite sera appliquée à tous ceux dont le maintien au sein de forces armées est jugé inapproprié à la suite de leur indiscipline ou de leur conduite immorale, fondée sur l’un des motifs cités ci-dessous, tel qu’établi dans un ou plusieurs documents relatifs au dernier grade de l’intéressé: (...) e) lorsque leurs comportements et agissements révèlent qu’ils ont adopté des opinions politiques illégales, subversives, séparatistes, intégristes et idéologiques ou qu’ils ont participé à la propagation de telles opinions." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kalaç a saisi la Commission le 13 juillet 1992. Invoquant l’article 9 de la Convention (art. 9), il se plaignait d’avoir été évincé de son poste de magistrat militaire en raison de ses convictions religieuses. La Commission a retenu la requête (no 20704/92) le 10 janvier 1995. Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 9 de la Convention (art. 9). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissant allemand né en 1933, M. Friedrich Wilhelm Pammel est retraité de la fonction publique et vit actuellement à Hanovre. En 1971, il hérita d'un terrain de 85 457 m2 donné à bail à la ville de Höxter en 1949 pour servir de jardins familiaux. Le contrat de bail initial allait jusqu'au 30 septembre 1958. Un avenant au contrat le prorogea jusqu'au 30 septembre 1978. A compter du 1er octobre 1955, le loyer (Pachtzins) s'éleva à 0,04 mark allemand (DEM) le mètre carré par an. La ville de Höxter donna le terrain à bail à l'association des jardins familiaux (Kleingartenverein) de Höxter qui, à son tour, le sous-loua à des particuliers. Le gouvernement du Land fixa le loyer à 0,08 DEM le mètre carré à compter du 1er janvier 1977. A. La procédure devant les juridictions administratives Le 18 septembre 1978, le requérant saisit le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Minden. Il contestait la fixation du loyer par le gouvernement du Land et demandait au tribunal administratif de soumettre la question de la constitutionnalité des dispositions de la loi sur les jardins familiaux (Kleingartenordnung) de 1919, réglementant les prix des baux, à la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Le 31 janvier 1980, le tribunal administratif renvoya l'affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale, conformément à l'article 100 par. 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz - paragraphe 34 ci-dessous). Par une lettre du 15 mai 1985, la Cour constitutionnelle fédérale invita le tribunal administratif à réexaminer sa décision de renvoi (Vorlagebeschluß), à la compléter le cas échéant ou à l'annuler. Le 22 mai 1985, le tribunal administratif retira sa demande de renvoi et débouta l'intéressé. Celui-ci interjeta appel de ce jugement devant la cour administrative (Oberverwaltungsgericht) de Münster. Par un arrêt du 16 mai 1988, la cour administrative annula le jugement du tribunal administratif ainsi que la fixation litigieuse du loyer par le gouvernement du Land. B. La procédure devant les juridictions civiles Par une lettre du 16 mars 1976, le requérant résilia le contrat de bail avec effet au 30 septembre 1978. Il renouvela cette résiliation à plusieurs reprises par la suite. Le 23 mai 1980, l'intéressé demanda l'éviction (Räumung) de la ville de Höxter et de l'association des jardins familiaux devant le tribunal régional (Landgericht) de Paderborn. Le 14 août 1980, le tribunal régional décida de surseoir à statuer (das Verfahren auszusetzen) à la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 12 juin 1979 constatant que certaines dispositions de la loi sur les jardins familiaux relatives à la résiliation des baux étaient inconstitutionnelles. La nouvelle loi fédérale sur les jardins familiaux (Bundeskleingartengesetz), du 28 février 1983, entra en vigueur le 1er avril 1983, et la procédure devant le tribunal régional reprit à la demande du requérant le 17 mars 1983. Du 6 juin 1983 au 20 août 1985, le tribunal régional suspendit l'instance (das Verfahren ruhen lassen) au motif que la ville de Höxter prévoyait d'arrêter un plan d'occupation des sols (Bebauungsplan), qualifiant le terrain en question de "terrain pour jardins familiaux permanents" (Fläche für Dauerkleingärten - article 16 par. 4 de la loi fédérale sur les jardins familiaux - paragraphe 30 ci-dessous). Le 7 novembre 1985, le tribunal régional, après avoir tenu une audience à la requête de M. Pammel, fit droit en partie à sa demande. Il ordonna la restitution de l'ensemble du terrain, non pas immédiate, mais au 31 mars 1987, conformément à l'article 16 par. 3 de la loi fédérale sur les jardins familiaux (paragraphe 30 ci-dessous). De plus, il estima que cette disposition était conforme à l'article 14 de la Loi fondamentale (paragraphe 29 ci-dessous) et ne renvoya pas l'affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale, contrairement à la demande de l'intéressé. Les défendeurs, à savoir la ville de Höxter et l'association des jardins familiaux, interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Hamm. Le 18 décembre 1986, la ville de Höxter arrêta le plan d'occupation des sols annoncé (paragraphe 19 ci-dessus). L'autorisation de ce plan par l'autorité administrative fut publiée le 14 mars 1987. Le 20 mai 1987, la cour d'appel décida de surseoir à statuer et de renvoyer l'affaire devant la Cour constitutionnelle fédérale en lui soumettant les deux questions suivantes: "1. Est-il conforme à l'article 14 de la Loi fondamentale qu'un contrat de bail, conclu avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les jardins familiaux du 28 février 1983 par un bailleur privé, pour une durée déterminée expirant avant l'entrée en vigueur de cette loi, et portant sur des jardins familiaux qui ne revêtent pas un caractère permanent, n'expire que le 31 mars 1987 d'après l'article 16 par. 3 de cette même loi? et, dans l'affirmative, Est-il conforme dans ce cas à l'article 14 de la Loi fondamentale que le contrat de bail visé à l'article 16 par. 4, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux soit prorogé pour une durée indéterminée lorsque la commune arrête un plan d'occupation des sols fixant la surface des "jardins familiaux permanents" avant l'expiration du délai prévu à l'article 16 par. 3 de cette loi?" En effet, la cour d'appel estimait que la question de la constitutionnalité de l'article 16 par. 3 et, si ce dernier s'avérait conforme à la Loi fondamentale, celle de la constitutionnalité de l'article 16 par. 4 de la loi fédérale sur les jardins familiaux, étaient décisives pour l'issue du litige. La relation contractuelle entre demandeur et défendeurs persisterait, malgré la résiliation du bail au 30 septembre 1978, si elle avait été prolongée: - dans un premier temps jusqu'au 31 mars 1987, conformément à l'article 16 par. 3 de la loi fédérale sur les jardins familiaux, - dans un second temps sous l'effet du plan d'occupation des sols du 18 décembre 1986 pour une durée indéterminée, conformément à l'article 16 par. 4, première phrase, de cette loi. C. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 26 juin 1987, la cour d'appel déféra l'affaire à la Cour constitutionnelle fédérale, conformément à l'article 100 par. 1, première phrase, de la Loi fondamentale (paragraphe 34 ci-dessous). Parallèlement, le 24 mai 1985, la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) avait soumis pour examen à la Cour constitutionnelle fédérale la question de la constitutionnalité de l'article 16 par. 3 de la loi fédérale sur les jardins familiaux, soulevée dans l'affaire Probstmeier (arrêt Probstmeier c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV). Celle-ci décida de joindre les deux affaires. Par une lettre du 16 novembre 1990, la Cour constitutionnelle fédérale informa le requérant qu'eu égard à sa charge de travail, qui avait augmenté à la suite de la réunification allemande, l'arrêt portant sur la question de la constitutionnalité des dispositions de la loi fédérale sur les jardins familiaux ne serait pas rendu avant 1991. Après avoir reçu les observations du ministère pour l'aménagement du territoire (Raumordnung, Bauwesen und Städtebau) au nom du gouvernement fédéral, celles de l'organisation des villes allemandes (Deutscher Städtetag), de quatre autres organisations non gouvernementales, ainsi que des parties et de la Cour fédérale de justice, la Cour constitutionnelle fédérale décida d'élargir l'examen de constitutionnalité à l'article 5 par. 1, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux (paragraphe 30 ci-dessous). Le 23 septembre 1992, la première chambre (Erster Senat) de la Cour constitutionnelle fédérale rendit son arrêt (Recueil des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale, BVerfGE, vol. 87, pp. 114-151). Elle estima qu'en vertu des dispositions transitoires de l'article 16 de cette loi, la limitation du loyer s'appliquait également pendant la durée de prorogation des anciens contrats de bail à durée déterminée. La Cour constitutionnelle fédérale conclut à la constitutionnalité de l'article 16 paras. 3 et 4, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux, tout en soulignant que l'article 16 par. 3 nécessitait une interprétation conforme à la Loi fondamentale. En revanche, elle décida que la limitation du loyer prévu à l'article 5 par. 1, première phrase, de la loi fédérale sur les jardins familiaux, était contraire à l'article 14 par. 1, première phrase, de la Loi fondamentale, pour autant qu'elle concernait des contrats de bail conclus avec des bailleurs privés, car elle imposait une charge excessive et disproportionnée aux bailleurs. II. Le droit interne pertinent A. Le droit matériel L'article 14 par. 1 de la Loi fondamentale dispose: "La propriété et le droit de succession sont garantis. Leur contenu et leurs limites sont fixés par les lois." Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les jardins familiaux du 28 février 1983, entrée en vigueur le 1er avril 1983, sont ainsi rédigées: Article 5 par. 1 "Le loyer devra au maximum s'élever au double de celui d'un bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, en fonction de la superficie totale du jardin familial. Les surfaces destinées aux installations communes sont prises en compte lors de la fixation du montant du bail de chaque jardin familial." Article 16 "1) Les baux contractés pour des jardins familiaux et non échus au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont régis par cette nouvelle loi à partir de son entrée en vigueur. 2) Les baux contractés avant l'entrée en vigueur de la présente loi, pour des jardins qui, au moment de l'entrée en vigueur de cette loi, n'étaient pas des jardins "permanents", doivent être considérés comme des baux relatifs à des jardins "permanents", dès lors que la commune est propriétaire du terrain. 3) Dès lors que les baux décrits au paragraphe 2 portent sur des terrains dont la commune n'est pas propriétaire, les contrats parviennent à échéance le 31 mars 1987, dès lors qu'ils ont été conclus pour une durée déterminée et qu'ils ont pris fin avant cette date; pour le reste, le contrat respecte la durée convenue. 4) Si la surface d'un jardin familial a été définie comme terrain pour jardins familiaux "permanents" dans le plan d'occupation des sols et ce, avant l'expiration de la durée du bail comme indiqué au paragraphe 3, le contrat de bail est prolongé pour une durée indéterminée. Si la commune a décidé, avant le 31 mars 1987, de dresser un plan d'occupation des sols en vue de définir les surfaces destinées aux jardins familiaux "permanents", et a rendu publique sa décision conformément à l'article 2 par. 1, 2e alinéa, du code de l'urbanisme (Baugesetzbuch), le contrat de bail est prolongé pour une durée de quatre ans à partir de la publication de cette décision; la période entre la date convenue par l'expiration du contrat et le 31 mars 1987 devant être prise en compte. Les dispositions relatives aux jardins familiaux "permanents" doivent s'appliquer à partir du moment où le plan d'occupation des sols devient définitif." A la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 23 septembre 1992, une nouvelle loi amendant la loi fédérale sur les jardins familiaux (Bundeskleingartenänderungsgesetz) est entrée en vigueur le 1er avril 1994. L'article 5 par. 1 de cette nouvelle loi est ainsi rédigé: "Le loyer devra au maximum s'élever au quadruple de celui d'un bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, en fonction de la superficie totale du jardin familial. Les surfaces destinées aux installations communes sont prises en compte lors de la fixation du montant du bail de chaque jardin familial." Les dispositions transitoires de ladite loi prévoient que pour toutes les instances en cours au 1er novembre 1992, en l'absence de jugement définitif fixant le montant des loyers, les bailleurs privés peuvent réclamer à titre rétroactif le quadruple du bail pratiqué localement dans le domaine de la culture fruitière et maraîchère professionnelle, et ce à compter du premier jour du mois suivant l'introduction de ladite instance. B. Le droit procédural La Loi fondamentale L'article 100 par. 1 de la Loi fondamentale est ainsi libellé: "Si un tribunal estime qu'une loi dont la validité conditionne sa décision est inconstitutionnelle, il doit surseoir à statuer et soumettre la question (...) à la décision de la Cour constitutionnelle fédérale s'il s'agit de la violation de la présente Loi fondamentale (...)" La loi sur la Cour constitutionnelle fédérale La composition et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale sont régis par la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (Gesetz über das Bundesverfassungsgericht). L'article 2 de cette loi dispose que la Cour constitutionnelle fédérale est constituée de deux chambres, chacune composée de huit juges. Les articles 80 à 82 de cette loi ont trait au contrôle "concret" de la constitutionnalité des lois (Konkrete Normenkontrolle): Article 80 "1. Dès lors que sont remplies les conditions énoncées à l'article 100, alinéa 1, de la Loi fondamentale, les tribunaux saisissent directement la Cour constitutionnelle fédérale afin que celle-ci rende une décision. La motivation du renvoi doit préciser dans quelle mesure la décision du tribunal dépend de la validité de la disposition législative et avec quelle norme de droit supérieure une telle décision est incompatible. Le dossier doit être joint au renvoi. Le renvoi par le tribunal est indépendant de toute objection soulevée par l'une des parties au procès invoquant la nullité de la disposition légale." Article 81 "La Cour constitutionnelle fédérale statue uniquement en droit." Article 82 "1. Les dispositions des articles 77 à 79 sont applicables mutatis mutandis. Les organes constitutionnels cités à l'article 77 peuvent se joindre à la procédure à n'importe quel moment. La Cour constitutionnelle fédérale permet également aux parties au procès devant le tribunal qui l'a saisie de s'exprimer; elle les invite à participer à l'audience et accorde la parole aux représentants légaux présents. La Cour constitutionnelle fédérale peut demander à des cours suprêmes de la Fédération ou à des cours d'appel du Land de lui faire part, premièrement, de la manière dont elles ont interprété jusqu'à présent la Loi fondamentale au regard de la question litigieuse, ainsi que sur la base de quelles considérations, puis de la manière dont elles ont, le cas échéant, appliqué la disposition légale contestée dans leur jurisprudence, et enfin des questions de droit connexes qui, selon elles, doivent faire l'objet d'une décision. Elle peut en outre leur demander d'exposer leurs considérations au sujet d'une question de droit importante pour la décision. La Cour constitutionnelle fédérale communique ces avis aux instances autorisées à se prononcer." Les articles 77 à 79, auxquels renvoie l'article 82, sont ainsi rédigés: Article 77 "La Cour constitutionnelle fédérale doit permettre au Bundestag, au Bundesrat, au gouvernement fédéral et, s'il existe des divergences d'opinion sur la validité du droit fédéral, aux gouvernements des Länder, et, s'il existe des divergences d'opinion sur la validité d'une norme du droit du Land, au parlement et au gouvernement du Land, dans lequel la norme a été promulguée, de se prononcer [sur la question] dans un délai qui reste à déterminer." Article 78 "Si la Cour constitutionnelle fédérale acquiert la conviction qu'une norme fédérale est incompatible avec la Loi fondamentale, ou qu'une norme d'un Land est incompatible avec la Loi fondamentale ou toute autre norme fédérale, elle annule cette loi. Si d'autres dispositions de cette même loi sont, pour des raisons similaires, incompatibles avec la Loi fondamentale ou toute autre norme fédérale, la Cour constitutionnelle fédérale peut également les annuler." Article 79 "(...) 2) Pour le reste, les décisions qui, fondées sur une norme déclarée nulle en vertu de l'article 78, ne sont plus attaquables, restent inchangées, sous réserve de la prescription énoncée à l'article 95, alinéa 2, ou d'une disposition légale particulière. Leur exécution n'est pas autorisée (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pammel a saisi la Commission le 15 août 1990. Invoquant l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), il se plaignait de la durée de la procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale. Le 10 janvier 1995, la Commission a déclaré la requête (n° 17820/91) recevable. Dans son rapport du 25 janvier 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997-IV), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation du droit du requérant à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, garanti par l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1)". De son côté, le requérant prie la Cour "de conclure à la violation de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) et de dire que l'Allemagne devra verser 413 044,25 DEM à titre de réparation du préjudice matériel et 80 950 DEM au titre des frais et dépens".
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I. Les circonstances de l’espèce La requérante, Mme Anne-Marie Andersson, était ressortissante suédoise. Née en 1943, elle est décédée en 1996 (paragraphe 6 ci-dessus). Elle habitait Göteborg, où elle exerçait la profession de chauffeur de taxi. A l’époque des événements en cause, Mme Andersson, divorcée, vivait avec son fils cadet, né en 1981. A partir de mai 1988, elle se trouva dans l’incapacité de travailler à cause de problèmes dentaires, qui lui provoquaient de vives douleurs, et de l’angoisse qu’engendrait un différend avec son propriétaire. En avril 1989, elle prit contact avec un établissement psychiatrique à Göteborg afin d’obtenir un certificat médical qui lui permettrait de percevoir des prestations de la caisse d’assurance maladie. A compter du 20 août 1991, elle fut suivie par la psychiatre en chef qui attira son attention sur l’effet néfaste que son état pouvait avoir sur son fils et lui recommanda de demander un soutien au service de consultations pédopsychiatriques ou aux services sociaux. Mme Andersson estima toutefois que son fils était un enfant normal et n’avait besoin d’aucune aide particulière. En janvier 1992, la psychiatre informa Mme Andersson que la santé de l’enfant pouvant être mise en péril, elle-même était tenue, de par la loi, de prendre contact avec les services sociaux (paragraphes 16-17 ci-dessous). Elle téléphona en conséquence à un agent du conseil social (socialnämnden), qu’elle informa des problèmes de santé de la requérante. A la demande de cet agent, la psychiatre lui adressa le 16 janvier 1992 une déclaration, ainsi libellée : « Anne-Marie Andersson fait l’objet d’un suivi polyclinique assuré par un psychiatre à [la clinique] depuis le 19 avril 1989, et par la soussignée depuis le 20 août 1991, en raison de douleurs liées à des problèmes dentaires, qui sont à l’origine du congé de maladie dont elle bénéficie depuis mai 1988. La patiente ne se considère pas comme une malade mentale. Elle a accepté de nous consulter uniquement parce qu’elle souhaitait obtenir un arrêt-maladie. A mon sens, elle a une personnalité excessive et, pendant nos entretiens, elle est obnubilée par les vives douleurs qu’elle ressent et le traitement prescrit dont elle n’est pas satisfaite. Son fils, qui l’a quelquefois accompagnée, semble calme et sensible. La soussignée, à l’instar d’autres personnes du service médical avec lesquelles la patiente a été en relation, s’inquiète des conséquences que les douleurs intenses qu’elle ressent risquent d’avoir sur son fils, dont elle s’occupe seule. J’ai attiré à plusieurs reprises son attention sur ce point, notamment dans des courriers (voir copie ci-jointe), et lui ai demandé de prendre contact avec [le service de consultations pédopsychiatriques] ou les services sociaux. La patiente n’en ayant apparemment rien fait, je vous adresse, ainsi que nous en sommes convenus aujourd’hui par téléphone, un rapport écrit sur son cas. Je ne pense pas qu’il soit possible, d’un point de vue psychiatrique, de faire grand-chose de plus pour la patiente, qui ne se considère pas comme une malade mentale. Aussi l’ai-je adressée au médecin de district ; elle n’aura donc plus aucune relation avec moi. » Par une lettre du même jour, la psychiatre avisa la requérante des informations communiquées au conseil. Le passage pertinent de la lettre dit ceci : « Comme vous le savez, je vous ai conseillé à plusieurs reprises de demander un soutien pour votre fils qui, naturellement, ne saurait demeurer insensible aux vives douleurs que vous ressentez. N’ayant pas réussi à vous convaincre de la nécessité de cette démarche, j’ai pris contact avec [un] agent des services sociaux pour lui faire part de mes préoccupations. Malheureusement, je suis légalement tenue de prendre cette initiative pour tenter d’atténuer les problèmes que votre fils (et vous-même) pourriez avoir à l’avenir. » Le directeur et un enseignant de l’école que fréquentait le fils de la requérante partageaient les craintes de la psychiatre au sujet de l’enfant. En octobre 1991, ils avaient exprimé au conseil social leur inquiétude au sujet de ses difficultés scolaires et de son état de santé général. Le conseil avait alors ouvert une enquête qui, le 2 mars 1992, aboutit, avec le consentement de Mme Andersson, au placement de l’enfant dans un externat spécialisé. II. Le droit et la pratique internes pertinents A. Le principe général de la liberté de l’information D’après les articles 1 et 2 du chapitre 2 de la loi sur la liberté de la presse (Tryckfrihetsförordningen), qui fait partie de la Constitution suédoise, l’accès aux documents publics est, sauf les exceptions prévues par la loi sur le secret (Sekretesslagen, 1980:100), garanti à toute personne. B. La confidentialité des informations médicales L’une des exceptions à cette règle générale concerne la confidentialité des informations dans le domaine de la santé et des soins médicaux ; elle est énoncée à l’article 1 du chapitre 7 de la loi sur le secret, aux termes duquel : « Le secret s’applique (...), en matière de santé et de soins médicaux, aux informations touchant l’état de santé de la personne ou tout autre aspect de sa vie privée, sauf s’il est manifeste qu’elles peuvent être divulguées sans nuire à l’intéressé ou à ses proches. (...) » C. L’obligation d’avertir le conseil social Nonobstant cette règle de confidentialité, les autorités sanitaires et médicales sont tenues, dans certaines circonstances, de soumettre des informations à une autre autorité. C’est ainsi que l’article 1 du chapitre 14 de la loi sur le secret énonce : « Le secret n’empêche pas (...) la divulgation d’informations à une autre autorité publique, si cette divulgation est obligatoire en vertu d’une loi ou d’un décret gouvernemental. » Pareille obligation résulte de l’article 71 de la loi de 1980 sur les services sociaux (Socialtjänstlagen, 1980 : 620), dont les paragraphes 2 et 4 disposent : « Les services publics en relation avec les enfants et adolescents, ainsi que les services sociaux et d’autres services dans le domaine de la santé et des soins médicaux sont tenus de signaler immédiatement au conseil social tout fait porté à leur connaissance dans l’exercice de leurs activités, laissant supposer que la protection d’un mineur nécessite une intervention du conseil social. Cette obligation s’applique également aux employés des services susmentionnés et aux médecins, enseignants, infirmières et sages-femmes qui n’y sont pas rattachés. (...) Les services, employés et praticiens visés au paragraphe 2 sont tenus de communiquer au conseil social toute information pouvant se révéler importante pour une enquête visant à déterminer le besoin de protection d’un mineur. » Lors de l’adoption de la loi sur les services sociaux, la commission parlementaire permanente de la santé et des affaires sociales (Riksdagens socialutskott) précisa que l’obligation de signalement ne se limitait pas aux cas où la nécessité d’une intervention du conseil social était manifeste. Les informations non confirmées ou difficiles à apprécier devaient également être rapportées, lorsqu’elles laissaient supposer qu’un enfant pouvait avoir besoin d’un soutien ou d’une assistance de la part du conseil. Il appartiendrait alors à ce dernier de rechercher si les informations en question reposaient sur des faits et si des mesures particulières s’imposaient (voir le rapport de la commission permanente de la santé et des affaires sociales, SoU 1979/80:44, p. 113). L’obligation de signalement porte uniquement sur les éléments qui présentent un intérêt pour l’enquête du conseil social. Elle ne s’applique pas aux autres informations se rapportant aux personnes en question (voir projet de loi 1989/90:28, p. 132). Il incombe au service ou au praticien concerné de décider quelles informations relèvent de cette obligation. Toute information communiquée au conseil social est protégée par le principe de la confidentialité énoncé à l’article 4 du chapitre 7 de la loi sur le secret, ainsi libellé : « Le secret s’applique au sein des services sociaux aux informations touchant la vie privée de la personne, sauf s’il est manifeste qu’elles peuvent être divulguées sans nuire à l’intéressé ou à ses proches. (...) » D. Recours La loi sur la liberté de la presse et la loi sur le secret prévoient un droit de recours contre toute décision refusant l’accès à des documents officiels. En revanche, les décisions accordant l’accès à des informations contenues dans des documents publics ne sont pas susceptibles de recours. De plus, la personne concernée n’a droit ni à être consultée préalablement à la divulgation de telles informations ni à en être informée après coup. En vertu de l’article 3 du chapitre 20 du code pénal (Brottsbalken), un médecin qui, intentionnellement ou par négligence, divulgue des informations dont la loi protège la confidentialité se rend coupable de violation du secret professionnel. Le ministère public ou, si celui-ci décide de ne pas poursuivre, la personne lésée peut engager une procédure devant les juridictions de droit commun. Pareille violation du secret professionnel peut également fonder une action en réparation au titre de l’article 1 du chapitre 2 ou de l’article 1 du chapitre 3 de la loi sur la réparation des dommages (Skadeståndslagen, 1972:207). La personne lésée peut attaquer indifféremment le médecin ou l’employeur de celui-ci. Les autorités publiques et leur personnel sont en outre soumis au contrôle du Chancelier de la Justice (Justitiekanslern) et du médiateur parlementaire (Justitieombudsmannen). Ces derniers vérifient si les personnes qui exercent des fonctions publiques respectent les lois et les instructions applicables, et ils peuvent poursuivre un individu ou déférer l’affaire à l’autorité compétente en vue d’une action disciplinaire. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Anne-Marie Andersson a saisi la Commission de sa requête (no 20022/92) le 11 février 1992. Elle alléguait que la communication, par la psychiatre, des informations au conseil social à son insu et sans son consentement portait atteinte à son droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention. Elle se plaignait en outre, en s’appuyant sur les articles 6 et 13 de la Convention, de n’avoir pu attaquer devant un tribunal la décision de sa psychiatre de communiquer lesdites informations. Le 22 mai 1995, la Commission a retenu les griefs formulés par la requérante sur le terrain des articles 6 et 13 et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 11 avril 1996 (article 31), elle formule l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (unanimité) et qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 de la Convention (vingt voix contre sept). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR A l’audience du 18 mars 1997, le Gouvernement, comme il l’avait fait dans son mémoire, a invité la Cour à conclure à l’absence de violation de la Convention en l’espèce. Dans l’intervalle, ayant appris le décès de la requérante et que le fils de celle-ci, M. Stive Andersson, souhaitait poursuivre la procédure en son nom, il a élevé des objections contre une autorisation en ce sens (paragraphe 6 ci-dessus). Dans son mémoire à la Cour, l’avocate de la requérante alléguait des manquements aux articles 6, 8 et 13 et invitait la Cour à accorder à l’intéressée une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. A l’audience, elle a maintenu qu’il y avait eu des violations de la Convention.
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I. Les circonstances de l’espèce Le requérant est un ressortissant suédois domicilié à Stockholm. Depuis 1973, il a passé au total huit ans en prison pour délits économiques graves. En octobre 1996, il a été condamné à un an d’emprisonnement pour faux en écritures. Il prétend avoir été à deux reprises, en avril-juin et en juin-juillet 1991, victime d’un enlèvement et d’une extorsion de fonds commis par trois personnes. Selon lui, l’un des auteurs, un certain M. L., lui aurait réclamé de l’argent pour certains délits économiques qu’ils avaient commis ensemble. Le 25 mars 1993, le procureur inculpa L. d’un enlèvement commis le 17 avril 1991, d’une extorsion de fonds qualifiée commise entre le 17 avril 1991 et juin 1991, ainsi que d’un enlèvement et d’une extorsion de fonds qualifiée, commis entre le 27 juin et le 3 juillet 1991. Aucune poursuite ne fut engagée contre les deux autres personnes, dont l’une, toujours selon le requérant, serait un certain M. P. (paragraphe 17 cidessous). A. Procédure devant le tribunal de première instance de Stockholm Dans la procédure pénale engagée contre L. devant le tribunal de première instance (tingsrätt) de Stockholm, le requérant demanda à celui-ci, conformément aux dispositions du chapitre 22 du code de procédure judiciaire (Rättegångsbalken - paragraphe 20 ci-dessous), d’ordonner à L. de lui verser, à titre d’indemnisation, une somme de 169 350 couronnes suédoises (SEK) ainsi fractionnée: a) 9 350 SEK pour les dommages matériels à ses vêtements; b) 10 000 SEK pour le préjudice moral dû à sa blessure à la tête; c) 50 000 SEK pour les souffrances dues à sa blessure à un oeil; d) 100 000 SEK pour le préjudice moral résultant des souffrances mentales causées par les deux enlèvements allégués (paragraphe 9 cidessus). Le requérant se réserva le droit de soumettre des prétentions complémentaires au titre de tout autre préjudice qui pourrait se déclarer ultérieurement. B. Demande d’indemnisation présentée par le requérant à l’Office d’indemnisation des victimes d’infractions Le 15 avril 1993, l’intéressé présenta à l’Office d’indemnisation des victimes d’infractions (Brottsskadenämnden -"l’Office") une demande en réparation, conformément à la loi de 1978 sur les préjudices résultant d’infractions (brottsskadelagen 1978:413 - "la loi de 1978"; paragraphes 2029 ci-dessous). Dans sa demande, il précisait avoir réclamé dans la procédure engagée contre L. une somme de 160 000 SEK pour préjudice causé à sa personne et s’être réservé le droit d’élever des prétentions complémentaires pour tout préjudice pouvant se déclarer ultérieurement. Vu les règles sur la prescription des demandes d’indemnisation, il présenta alors à l’Office une demande de 160 000 SEK, comme indiqué plus haut. Il y joignit copie de l’acte d’inculpation de L. C. Jugement du tribunal de première instance de Stockholm Le 28 avril 1993, le tribunal de première instance de Stockholm reconnut L. coupable, le condamna à six ans d’emprisonnement et lui enjoignit de verser au requérant 144 350 SEK à titre de dommages-intérêts. Il estima notamment que, d’une manière générale, M. Gustafson ne pouvait pas être considéré comme une personne particulièrement digne de foi puisqu’il avait été reconnu coupable de plusieurs délits économiques (paragraphe 8 ci-dessus). Il déclara cependant que cela ne signifiait pas en soi que les allégations de l’intéressé relatives aux enlèvements et aux extorsions fussent mensongères, et jugea que les éléments du dossier corroboraient en partie les réquisitions du ministère public. D. Arrêt de la cour d’appel de Svea Le 2 juillet 1993, la cour d’appel de Svea (Svea hovrätt) infirma le jugement du tribunal de première instance au motif que les charges pesant sur L. n’avaient pas été prouvées, elle relaxa le prévenu et rejeta la demande d’indemnisation soumise par le requérant. Elle estima que ce dernier ne pouvait pas être considéré comme une personne digne de foi, vu ses antécédents judiciaires. Par conséquent, bien que les informations soumises par lui sur les événements à l’origine de l’inculpation de L. (åtalade händelserna) eussent été confirmées par d’autres personnes à qui il avait fait part de ses ennuis, elles ne justifiaient pas de condamner L. faute de se trouver corroborées par de solides éléments de preuve. Le requérant ne demanda pas l’autorisation de saisir la Cour suprême (Högsta domstolen). E. Examen par l’Office de la demande du requérant Le 12 août 1993, le requérant, se référant à sa demande d’indemnisation du 15 avril 1993 (paragraphe 12 ci-dessus), pria l’Office de poursuivre son examen, en précisant qu’il n’avait aucune assurance pour couvrir le dommage en question. Il fournit à l’Office copie des décisions rendues en première instance et en appel. Le 26 août 1993, l’Office rejeta en ces termes la demande d’indemnisation du requérant: "Pour qu’une indemnisation puisse être accordée, il faut que le préjudice ait été effectivement causé par une infraction. Or l’Office (...) ne peut considérer comme établi que [le requérant] ait subi un préjudice résultant d’une infraction. Par conséquent, [le requérant] ne peut être indemnisé au titre d’un tel préjudice." F. Réexamen de la demande par l’Office Le 11 novembre 1993, le requérant demanda à l’Office de revoir sa décision. Selon lui, il ressortait clairement des décisions rendues par le tribunal de première instance et la cour d’appel qu’il avait été victime d’une infraction et qu’il avait subi le préjudice dont il demandait réparation. Il avait identifié deux des trois suspects en l’espèce; la circonstance que la cour d’appel n’avait pas estimé établi que L., seul inculpé, fût effectivement coupable ne remettait nullement en question le fait que le requérant avait été victime d’une infraction. A l’appui de sa demande de réexamen, M. Gustafson présenta une copie du rapport d’enquête relatif aux enlèvements et extorsions allégués, notamment un certificat médical établi le 25 février 1993 par le Dr Lennart Berglin, médecin-chef adjoint. Selon ce document, le requérant s’était présenté aux urgences le 4 juillet 1991, en raison d’une blessure à l’oeil droit provenant, à ses dires, d’un coup de poing. Il avait été opéré par le Dr Berglin le 5 juillet 1991 et était resté hospitalisé jusqu’au 15 juillet 1991. Le 26 février 1992, il avait subi une nouvelle intervention. Le Dr Berglin concluait qu’un coup de poing pouvait être à l’origine de la blessure. L’intéressé joignit également à sa demande la déposition que l’inspecteur de la brigade criminelle S. avait faite devant le tribunal de première instance dans le cadre de la procédure pénale engagée contre L. L’inspecteur S. avait été le principal enquêteur dans l’affaire des délits économiques pour lesquels le requérant avait déjà été condamné. Il avait donc interrogé M. Gustafson et L. à plusieurs reprises. Devant le tribunal de première instance, il avait notamment fait les déclarations suivantes: "Je pense que c’est le 4 juillet 1991 que j’ai été informé [du prétendu enlèvement du requérant]. Un collègue (...) m’a téléphoné pour me dire qu’il avait appris que [le requérant] avait été enlevé (...), que l’enlèvement avait été organisé par [L.], qui s’était fait aider de deux "gorilles", (...) et qu’on avait tenté d’extorquer cinq millions de SEK [au requérant]. (...) J’ai alors (...) téléphoné au [requérant], qui (...) a nié avoir été enlevé. (...) (...) J’ai vu [le requérant] en août [1991], dans le cadre de (...) la procédure pénale engagée contre lui (...) et j’ai remarqué que l’[un de ses yeux] était tuméfié. Je lui ai demandé ce qui s’était passé, et il a déclaré avoir été victime d’un vol qualifié commis par certaines personnes. (...) (...) Je pense que c’est en mai 1992 que [le requérant] a évoqué les enlèvements, alors qu’il était entendu comme suspect dans une autre affaire (...). Il a déclaré que [ces enlèvements avaient été perpétrés] par deux hommes noirs, accompagnés d’un troisième, dont il préférait taire le nom (...). Il a répété plusieurs fois que l’un des enlèvements avait eu lieu en avril [1991] et que [l’autre] avait duré de la fin de juin [1991] au début de juillet [1991]. (...) Nous avons pris [les déclarations du requérant] au sérieux (...). Je connais désormais si bien [le requérant] que je sais en quelque sorte quand il ment et quand il dit la vérité. (...) Interrogé à plusieurs reprises sur l’identité de ses ravisseurs, [le requérant] déclara qu’il révélerait leurs noms, mais pas dans l’immédiat. (...) A l’automne [1991], il donna le nom de l’un des complices [qui avait participé aux enlèvements], [P.]. (...) [La description faite par le requérant du lieu où il avait été détenu par ses ravisseurs et des alentours] était, à bien des égards, d’une grande précision. (...)" Tant le certificat du Dr Berglin que la déposition de l’inspecteur S. avaient en substance été reproduits dans le jugement du tribunal de première instance. L’inspecteur S. avait également été entendu par la cour d’appel, devant laquelle il avait plus ou moins répété les déclarations faites par lui en première instance. Le 1er juin 1994, l’Office rejeta en ces termes la demande présentée par le requérant: "Les éléments soumis en l’espèce à l’appui de la demande de réexamen ne justifient pas que l’Office revienne sur sa décision. Il n’a pas par ailleurs d’autre raison de la modifier." II. Le droit et la pratique internes pertinents Aux termes de l’article 1 du chapitre 22 du code de procédure judiciaire, un particulier peut, à la suite d’une infraction, intenter une action privée contre le suspect ou un tiers. S’il s’agit d’une infraction poursuivie par le ministère public, le procureur est tenu de préparer et de présenter les prétentions que la victime souhaite éventuellement formuler, à condition qu’il n’y ait pas des inconvénients graves à le faire et que la demande ne soit pas manifestement dénuée de fondement (article 2). Dans ce cas, le juge du fond se prononcera en principe sur la demande d’indemnisation en même temps que sur la culpabilité et la peine. C’est là la méthode le plus souvent utilisée pour obtenir une réparation à raison de dommages dus à une infraction. Un particulier peut également engager contre le suspect une action civile selon les règles régissant la responsabilité civile et figurant dans la loi de 1972 sur la responsabilité civile. Pour le reste, et à l’époque pertinente, une indemnisation aurait pu être demandée à l’Etat sur le fondement des dispositions de la loi de 1978 sur les préjudices résultant d’infractions, laquelle a été amendée à compter du 1er juillet 1994. Cette loi fut promulguée précisément pour permettre aux victimes d’infractions d’obtenir réparation lorsque l’identité de l’auteur est inconnue, lorsque ce dernier ne dispose pas de moyens suffisants pour indemniser la victime ou encore lorsque la couverture par l’assurance est insuffisante. Le passage pertinent de l’article 1 de la loi de 1978 se lisait ainsi: "La présente loi réglemente l’indemnisation par l’Etat des personnes victimes de préjudices résultant d’infractions. Elle s’applique si l’infraction a été commise en Suède.(...)" Le passage pertinent de l’article 2 de l’ordonnance sur les préjudices résultant d’infractions (brottsskadeförordningen 1978:653) était, à l’époque pertinente, ainsi libellé: "(...) La demande [d’indemnisation pour préjudice résultant d’une infraction] est présentée à l’Office d’indemnisation des victimes d’infractions. La demande est assortie d’un rapport de police, d’un certificat médical et d’autres documents utiles aux fins de l’examen [par l’Office]. Si une personne a été reconnue coupable de l’infraction dont il est fait état dans la demande ou condamnée à verser des dommages-intérêts, copie de la décision [rendue à cet effet] est également jointe à la demande. En l’absence d’enquête policière, tout autre élément relatif à l’origine du préjudice doit être soumis à l’Office." L’article 14 de la loi de 1978 énonçait: "La demande d’indemnisation pour préjudice résultant d’une infraction doit être déposée dans les deux ans suivant la date de l’infraction. Dans des circonstances exceptionnelles, une demande déposée après l’expiration dudit délai pourra tout de même être examinée. La demande n’est examinée que si l’infraction a été signalée au parquet ou à la police ou si le demandeur avait une raison valable de ne pas effectuer cette démarche." Si, pour obtenir une indemnisation au titre de la loi de 1978, il n’était pas nécessaire que l’auteur de l’infraction eût été condamné, il fallait cependant que le préjudice eût été causé par un comportement délictueux et que fussent remplies les conditions subjectives et objectives nécessaires pour que l’infraction fût constituée. L’Office décidait en toute indépendance du point de savoir si les conditions de l’indemnisation prévues par la loi de 1978 étaient réunies, notamment quant à l’existence d’une infraction. Ainsi, il est arrivé que l’Office les estime réunies, malgré la décision du parquet de ne pas inculper le suspect faute de preuves. Dans de rares cas, l’Office a accordé une indemnité alors même que le juge du fond, en raison de l’insuffisance des preuves, avait relaxé le prévenu ou rejeté la demande d’indemnisation. D’une manière générale, les règles de la preuve appliquées par l’Office étaient moins rigoureuses que celles dont tenait compte le juge du fond. L’indemnisation accordée en vertu de la loi de 1978 couvrait les préjudices corporels subis par la victime, mais pouvait également, dans certaines conditions, s’étendre aux dommages causés aux biens. D’autres types de préjudices pouvaient être indemnisés, dans une certaine mesure (articles 2 à 5 de la loi de 1978). Les décisions rendues par l’Office étaient non susceptibles de recours (article 12 de la loi de 1978). De même, il était impossible de solliciter à leur égard un contrôle du juge sur le fondement des dispositions de la loi de 1988 sur le contrôle juridictionnel de certaines décisions administratives (Rättsprövningslagen 1988:205). L’Office institué par la loi de 1978 se composait d’un président, de deux vice-présidents et de trois autres membres, tous nommés par le gouvernement pour une durée déterminée (article 15 de l’ordonnance portant instructions à l’Office - Förordningen 1988:984 med instruktion för brottsskadenämnden). Le président, les vice-présidents et leurs suppléants devaient être juristes ("vara lagfarna") et justifier d’une expérience de la magistrature (article 13 de la loi de 1978). Les trois autres membres n’avaient pas besoin d’être des juristes, mais l’un d’eux devait être un représentant des compagnies d’assurances. L’indépendance de l’Office était garantie par l’article 7 du chapitre 11 de l’Instrument de gouvernement (Regeringsformen): ni le gouvernement ni le parlement ne pouvaient intervenir ou influencer l’Office dans la manière de traiter un dossier. Les règles de la procédure devant l’Office étaient analogues à celles prescrites par le code de procédure judiciaire (Rättegångsbalken) et par la loi de 1971 sur la procédure administrative (Förvaltningsprocesslagen 1971:291). Ainsi, les dispositions selon lesquelles certaines personnes n’avaient pas qualité pour connaître d’une affaire (articles 11 et 12 de la loi 1986:223 sur l’administration - Förvaltningslagen) étaient identiques à celles qui s’appliquent aux membres des tribunaux ordinaires (article 13 du chapitre 4 du code de procédure judiciaire) et à ceux des juridictions administratives (article 41 de la loi sur la procédure administrative). L’Office se prononçait en principe sur examen du dossier, mais les parties pouvaient faire devant lui une déclaration orale s’il le jugeait opportun (article 14 de la loi de 1986 sur l’administration). Les parties avaient accès à toutes les pièces versées au dossier, à moins qu’un intérêt public ou privé supérieur ne justifiât de garder secrets des faits tombant sous le coup de la loi de 1980 sur le secret (Sekretesslagen 1980:100). Dans ce cas, il fallait informer la partie concernée de la nature de ces faits pour lui permettre de défendre ses droits, sous réserve que cela ne portât pas atteinte aux intérêts protégés par le secret. Aucune décision ne pouvait être prise avant que les parties n’eussent été informées de tous les éléments pertinents et n’eussent eu la possibilité de présenter leurs observations en réponse. Sous réserve des dispositions de la loi de 1980 sur le secret, tous les documents soumis à l’Office étaient accessibles au public. En vertu de la nouvelle législation adoptée le 1er juillet 1994 (paragraphe 20 ci-dessus), un nouvel organisme public, l’Office d’aide aux victimes d’infractions (Brottsoffermyndigheten), a été créé, avec pour mission d’examiner les demandes d’indemnisation. En son sein, une commission étudie les dossiers présentant un intérêt particulier ou revêtant à d’autres égards une importance spéciale. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 23196/94) adressée à la Commission le 5 novembre 1993, le requérant se plaignait d’une violation de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) en ce qu’il n’avait pas pu faire valoir devant un tribunal le droit à réparation, de caractère civil, que lui conférait la loi de 1978 sur les préjudices résultant d’infractions. La Commission (deuxième chambre) a retenu la requête à l’unanimité le 22 février 1995. Dans son rapport du 18 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis unanime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans ses mémoires, le Gouvernement invite la Cour à dire que l’article 6 de la Convention (art. 6) ne s’applique pas en l’espèce et qu’en tout état de cause il n’a pas été méconnu. De son côté, le requérant demande à la Cour de constater que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) est applicable et qu’il a été violé, et de lui accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce A. Genèse de l’affaire Le requérant est Norvégien. Il eut en 1965 un accident de la route qui provoqua chez lui des lésions cérébrales graves. Il manifesta par la suite une nette tendance à l’agressivité. En 1967, il se vit condamné à un internement de sûreté (sikring) de cinq ans au maximum, en vertu de l’article 39 par. 1 e) du code pénal norvégien, pour infraction aux articles 227, 228 et 292 (menaces ainsi que coups et blessures) (paragraphe 53 ci-dessous). Une expertise psychiatrique, recueillie à l’époque, le déclara malade mental (sinnssyk) et il séjourna de mai 1967 à juillet 1972 dans des établissements psychiatriques. De 1973 à 1978, il demeura détenu quatre ans environ, soit à l’hôpital central du Telemark, soit à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet, au titre de la loi de 1961 sur la santé mentale (lov om psykisk helsevern). Ayant agressé son père, M. Eriksen fut placé en 1978 sous "observation judiciaire" (judisiell observasjon). Cette fois, l’expert conclut qu’il ne s’agissait pas d’un malade mental, mais d’un individu aux facultés mentales insuffisamment développées et durablement altérées (mangelfullt utviklede og varig svekkede sjelsevner), chez qui existait un risque évident de nouvelles infractions pénales. Le 26 juin 1978, le tribunal d’arrondissement (herredsrett) de Kragerø infligea au requérant soixante jours de prison pour infraction à l’article 228 du code pénal; il autorisa aussi l’application des mesures de sûreté énumérées à l’article 39 par. 1 a) à f) du même code, pour un maximum de cinq ans. Le 3 juillet 1978, le parquet résolut d’interner l’intéressé, conformément à l’article 39 par. 1 e), dans un pavillon de sécurité à l’établissement national de détention pénale et de sûreté d’Ila ("Ila"). Le 21 janvier 1980, le ministère de la Justice décida, en vertu de l’article 39 par. 1 a) à c), de libérer le requérant à la condition, entre autres, qu’il résidât chez ses parents. En raison de plusieurs incidents violents, M. Eriksen fut pourtant arrêté derechef; le 15 juin 1980, le tribunal d’arrondissement de Kragerø le condamna à quatre-vingt-dix jours d’emprisonnement, peine qui fut considérée comme purgée pendant la détention provisoire. Le 24 juillet 1980, le ministère résolut de réinterner le requérant à Ila sur la base de l’article 39 par. 1 e). Le 2 juin 1981, l’intéressé fut renvoyé chez ses parents, sous tutelle de sûreté, en application de l’article 39 par. 1 a) à c). Plusieurs incidents malheureux conduisirent le ministère à recourir une fois encore à l’article 39 par. 1 e). M. Eriksen réintégra donc Ila le 17 juillet 1981. Le 5 février 1982, le ministère de la Justice se prévalut de l’article 39 par. 1 f) du code pénal; le 16, le requérant fut incarcéré à la prison d’arrondissement d’Oslo puis, le 4 novembre, au pénitencier national d’Ullersmo ("Ullersmo"). Alors que l’intéressé se trouvait ainsi détenu, le tribunal d’arrondissement d’Asker et Bærum lui infligea, le 18 mars 1983, six mois d’emprisonnement pour avoir, par trois fois, agressé des gardiens à Ila et Ullersmo. L’expertise psychiatrique établie pour le procès concluait, comme auparavant, qu’il ne s’agissait pas d’un malade mental mais d’un individu aux facultés mentales insuffisamment développées et durablement altérées. Quant aux mesures de sûreté, le tribunal souligna que, d’après les renseignements recueillis, la détention dans une prison ou un établissement analogue se révélait contre-indiquée et avait un effet destructeur sur le requérant. Constatant que celui-ci était manifestement justiciable d’un traitement psychiatrique, il recommandait de ne rien négliger pour lui dispenser des soins adéquats. Dès lors, il autorisa le parquet à prendre des mesures de sûreté en vertu de l’article 39 par. 1, à l’exception toutefois de celles que prévoient les alinéas e) et f), à savoir la détention dans un pavillon de sécurité ou une prison. Après avoir purgé sa peine, le requérant recouvra la liberté le 18 novembre 1983 et fut placé dans un appartement à Kragerø sous la surveillance de la police locale. B. Nouvelles condamnations du requérant pour menaces et voies de fait, assorties de l’autorisation de recourir à des mesures de sûreté, y compris l’internement de sûreté Le 19 décembre 1983, M. Eriksen fut arrêté, placé en détention provisoire et inculpé derechef d’infractions aux articles 227 et 228 du code pénal. Une nouvelle expertise psychiatrique aboutit à la même conclusion que les deux précédentes. Le 20 septembre 1984, le tribunal d’arrondissement de Kragerø déclara le requérant coupable sur la plupart des points et le condamna à cent vingt jours d’emprisonnement. Il habilita en outre le parquet à utiliser l’une quelconque des mesures de sûreté mentionnées à l’article 39 par. 1 du code pénal, pendant une période de cinq ans au maximum. Il estima ne pouvoir interdire aux autorités compétentes de recourir, s’il le fallait, à un internement de sûreté dans une prison ou un pavillon de sécurité, conformément à l’article 39 par. 1 e) et f), eu égard à la force physique de M. Eriksen et à son absence presque complète de maîtrise de soi dans certaines situations. Elles en eurent apparemment besoin car l’intéressé demeura à Ila. Le requérant attaqua devant la Cour suprême (Høyesterett) la décision relative à l’internement de sûreté. Dans une décision (kjennelse) du 12 janvier 1985, le juge Røstad déclara au nom de la cour unanime: "Il me semble sans nul doute nécessaire d’élargir la portée des mesures de sûreté ainsi que le prévoit le jugement litigieux. Avec le tribunal d’arrondissement, j’estime réunies les conditions d’un internement de sûreté. [Le requérant], que l’on doit considérer comme une personnalité déviante - condition exigée par l’article 39 [du code pénal] -, risque fort de commettre de nouvelles infractions y compris des menaces (article 227). J’ajoute que l’on ne saurait trouver disproportionné d’imposer des mesures de sûreté à un délinquant aussi nettement dangereux. Selon moi, la protection de la société demande que les autorités puissent ordonner les mesures de sûreté voulues pour empêcher [le requérant] d’accomplir de nouvelles infractions graves. A la suite du résumé donné par l’avocat de la défense, je soulignerai que je n’aperçois pas sur quelle base on irait se fonder pour prétendre contraire à [l’article 3] de la Convention (art. 3) (...) la décision d’un tribunal norvégien autorisant l’emploi de mesures de sûreté en pareil cas. Il appartient aux organes de mise en oeuvre de veiller à donner à la mesure de sûreté une forme qui, tout en sauvegardant les intérêts de la société, essaie aussi de servir ceux du [requérant], y compris son besoin d’un traitement psychiatrique." Le 7 novembre 1985, le requérant fut transféré d’Ila à Ullersmo sur décision du ministère de la Justice, prise en vertu de l’article 39 par. 1 f) du code pénal. Le 29 octobre 1986, le tribunal d’arrondissement d’Asker et Bærum lui infligea quarante-cinq jours d’emprisonnement avec sursis pour avoir agressé un gardien. Le 12 janvier 1987, le requérant quitta Ullersmo pour le centre de réinsertion de Sunnås, près d’Oslo, afin d’y suivre pendant deux semaines un traitement psychologique. Il y subit certains examens, mais fut renvoyé à Ullersmo après avoir attaqué l’une des infirmières. Le 24 février 1987, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique de Reitgjerdet où l’on constata qu’il était devenu psychotique. Remplissant ainsi les conditions d’un placement forcé, il séjourna dans cet établissement jusqu’au 4 décembre 1987; à cette date, l’hôpital conclut qu’il n’était plus psychotique. M. Eriksen y resta cependant de son plein gré, mais au bout de quelques semaines il témoigna de l’agressivité envers les autres malades et le personnel. Comme il refusait son admission au pavillon réservé aux patients difficiles, il fut renvoyé à Ullersmo, toujours sur l’autorisation du ministère de la Justice, accordée en vertu de l’article 39 par. 1 f) du code pénal. Les mesures de sûreté furent modifiées à compter du 8 février 1988. En application de l’article 39 par. 1 a) à c), le ministère décida que l’intéressé sortirait d’Ullersmo pour résider dans une maison à Skien, en liberté mais sous le contrôle du service de probation et d’aide postpénitentiaire (kriminalomsorg i frihet). Le 19 avril 1988, le requérant attaqua les travailleurs sociaux qui le surveillaient; le même jour, le ministère résolut de substituer à la tutelle de sûreté prévue à l’article 39 par. 1 a) à c) un internement dans un établissement fermé, au moins pour une courte période, sur la base de l’article 39 par. 1 f). L’intéressé fut transféré à la prison d’arrondissement d’Arendal. Le 19 mai 1988, remis en liberté, il revint à la maison de Skien. Après plusieurs incidents violents, le ministère de la Justice prescrivit le 21 juillet 1988, sur recommandation du service de probation et d’aide postpénitentiaire, de mettre fin à la tutelle de sûreté à Skien et de transférer le requérant à Ila en vertu de l’article 39 par. 1 e). Le 21 octobre 1988, le ministère ordonna d’élargir le requérant et de le placer sous tutelle de sûreté en vertu de l’article 39 par. 1 a) à c) du code pénal. Ramené chez lui à Skien, l’intéressé méconnut plusieurs fois les restrictions imposées, en conséquence de quoi le ministère résolut, en décembre 1988, de le réinterner à Ila conformément à l’article 39 par. 1 e). Le 11 janvier 1989, le tribunal d’arrondissement de Kragerø le reconnut coupable d’infractions à l’article 227 du code pénal et à l’article 228 combiné avec l’article 230 (menaces et voies de fait), infractions commises à l’encontre de deux travailleurs sociaux, d’un membre de sa famille, d’un voisin de ses parents et de membres de la famille du voisin. M. Eriksen fut condamné à une peine de cent vingt jours d’emprisonnement, considérée comme purgée pendant la détention provisoire. Il resta cependant détenu à Ila au titre de l’article 39 par. 1 e), selon l’autorisation accordée par le tribunal d’arrondissement le 20 septembre 1984 et confirmée par la Cour suprême le 12 janvier 1985 (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Le contrôle que le droit norvégien permettait d’opérer sur la légalité des périodes répétées de détention du requérant au pavillon de sécurité ou en prison (au titre de l’article 39 par. 1 e) ou f) du code pénal) a fait l’objet de l’arrêt E. c. Norvège du 29 août 1990 (série A no 181-A). La Cour y concluait à l’absence de violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) quant à la portée du contrôle juridictionnel offert, mais à une violation de cette même disposition (art. 5-4) en raison du dépassement du "bref délai" dans certaines procédures de contrôle. C. Expiration de l’autorisation de recourir à des mesures de sûreté et internement préventif en attendant l’issue de la procédure engagée pour faire proroger l’autorisation Pendant la détention du requérant à Ila, les autorités poursuivirent leurs efforts pour résoudre la question de son placement. Le 22 juin 1989, M. Odd Gunnar Heitun, psychiatre, soumit au directeur d’Ila une expertise relative à l’application de mesures de sûreté. Le docteur Heitun affirmait que l’état d’esprit et le comportement du requérant ne s’étaient pas sensiblement modifiés au fil des ans depuis 1965. L’expert recommandait un vaste programme qui laisserait l’intéressé vivre dans sa maison de Skien, sous la surveillance de quatre travailleurs sociaux pendant le jour et moyennant la consultation périodique d’un psychologue ou d’un psychiatre, l’ensemble devant être supervisé par un chef de programme. Il chiffrait la gestion de ce programme à un peu moins de deux millions de couronnes norvégiennes par an. En septembre 1989, se réunirent à Ila des représentants de l’hôpital psychiatrique du Telemark, du médecin du comté du Telemark (fylkeslegen), du service de probation et d’aide postpénitentiaire du Telemark, l’avocat du requérant, des travailleurs sociaux et le psychiatre, le docteur Heitun. Ils n’adoptèrent cependant aucune proposition concrète car certaines questions nécessitaient des éclaircissements. Le 26 octobre 1989, la commission d’établissement (anstaltrådet) d’Ila examina la question du prolongement des mesures de sûreté, considérant que l’autorisation du tribunal venait à expiration le 25 février 1990. A l’issue de cette réunion, la majorité de la commission décida de recommander au procureur du Vestfold et Telemark (Statsadvokaten i Vestfold og Telemark) de requérir la prolongation de l’autorisation d’appliquer des mesures de sûreté conformément à l’article 39 par. 1 a)-f) du code pénal. Cette recommandation fut adressée au procureur de l’Etat par courrier du 11 janvier 1990 dans lequel le directeur par intérim d’Ila écrivait notamment: "[Le requérant] est maintenu, depuis un an environ, en internement de sûreté en milieu fermé [lukket sikring] à Ila. Pendant cette période, il a à plusieurs reprises commis des agressions à l’égard du personnel pénitentiaire. Lors de séjours précédents dans l’établissement, il avait attaqué des employés et montré que ses menaces devaient être prises au sérieux. Le 23 décembre 1988, il a été placé en cellule individuelle dans la section G car, pour des raisons de sécurité, on ne pouvait lui assigner une place dans un pavillon ouvert. Au surplus, [le requérant] n’a pas obtenu d’autorisation de sortie car, vu son comportement en prison, je crains que des incidents similaires ne se produisent durant ces permissions. Je rappellerai qu’il a été condamné plusieurs fois pour voies de fait et menaces d’agression, très récemment par un jugement du [11] janvier 1989 en raison d’infractions de ce type perpétrées lors de permissions en 1988. (...) [Le requérant] a manifesté dès son plus jeune âge un comportement anormal. Ce comportement et sa conduite n’ont pas, semble-t-il, réellement changé depuis 1965, date à laquelle il a souffert de lésions cérébrales. En 1988, il a été à trois reprises transféré à Skien sous tutelle de sûreté mais, à chaque fois, cette mesure a été levée pour faits liés à l’intéressé. A mon avis, il est dès lors probable - et même très probable - qu’il commette de nouvelles infractions avec violence s’il recouvre sa liberté lorsqu’expirera l’autorisation d’appliquer des mesures de sûreté. Il est également possible qu’il commette alors des délits beaucoup plus graves que ceux pour lesquels il a déjà été condamné. Il s’est avéré impossible de prendre d’autres dispositions que [le requérant] soit prêt à accepter également. Les 9 mars et 23 mai 1989, le ministère de la Justice a rejeté les demandes [du requérant] tendant à remplacer l’internement par une tutelle de sûreté. La proposition du psychiatre, le docteur Heitun, semble plus sûre, mais beaucoup plus onéreuse que les malencontreuses mesures antérieures (...) En tout état de cause, il n’y a aujourd’hui pas d’autre solution valable que la poursuite de l’internement à Ila. En conséquence, je recommande de renouveler cet internement de sûreté à l’expiration, le [25] février 1990, de l’autorisation d’appliquer des mesures de sûreté (...)" Sur la base de cette recommandation, le procureur du Vestfold et Telemark "mit en cause" (satte under tiltale) le requérant par un "acte" (tiltalebeslutning) du 2 février 1990 afin d’obtenir du tribunal d’arrondissement de Kragerø l’autorisation, conformément à l’article 39 par. 3, deuxième alinéa, du code pénal, de prolonger de trois ans la période d’application des mesures de sûreté. Le 7 février 1990, le chef de la police demanda au tribunal d’arrondissement de placer le requérant en détention provisoire durant quatre semaines, en vertu de l’article 171 du code de procédure pénale de 1981 (Straffeprosessloven), afin de recueillir une expertise médicale à soumettre lors de l’audience à venir sur la question de la prolongation de l’autorisation d’appliquer des mesures de sûreté. Il était précisé que l’autorisation antérieure allait expirer le 25 février 1990. Le 12 février 1990, le tribunal d’arrondissement examina la question de la détention provisoire. Le requérant fit valoir qu’une telle détention après le 25 février 1990 serait illégale et équivaudrait à le sanctionner deux fois pour les mêmes infractions. Il allégua en outre que les autorités réclamaient sa détention provisoire au seul motif qu’elles avaient négligé de prendre les mesures de procédure nécessaires, alors qu’elles connaissaient, depuis cinq ans, la date d’expiration de l’autorisation en question. A cette occasion, le tribunal d’arrondissement décida de recueillir deux expertises et l’avis de la commission médico-légale (Den rettsmedisinske kommisjon), en dépit du fait que le requérant et l’accusation s’accordaient pour estimer que l’avis du docteur Heitun serait suffisant. Le 12 février 1990, le tribunal d’arrondissement de Kragerø décida de placer le requérant en détention durant quatre semaines au-delà du 25 février 1990. Il déclara: "Conformément au droit norvégien, le parquet examine la question de la prolongation de la période d’application des mesures de sûreté et, le cas échéant, se prononce à cet égard, même si l’intéressé n’a pas commis de nouvelles infractions (article 39 par. 3 du code pénal). (...) Par ailleurs, l’article 171 par. 2 in fine du code de procédure pénale autorise la détention provisoire lorsque celle-ci s’impose jusqu’à ce que soit prise une nouvelle décision relative aux mesures de sûreté. Il faut nécessairement que le maintien de pareilles mesures constitue l’issue la plus probable de l’affaire et que l’une des conditions propres à la détention prévue à l’article 171 par. 1 soit remplie. En l’occurrence, il s’agit de la condition no 3 de l’article 171 par. 1 - risque d’accomplissement de nouvelles infractions punies de plus de six mois d’emprisonnement. (...) La question des mesures de sûreté ne peut être examinée avant le 25 février 1990. En effet, l’expertise requise ne sera pas prête avant cette date. (...) Le tribunal estime qu’il y a lieu d’accéder à la demande du procureur, voir [les dispositions susmentionnées du code de procédure pénale]. Selon le tribunal, s’il est élargi dans deux semaines, [le requérant] commettra très probablement des infractions telles que menaces (article 227 du code pénal) et voies de fait (article 228). Il présente incontestablement de graves troubles de la personnalité, fait preuve d’un manque de tolérance, profère facilement des menaces et agresse autrui. Il rejette désormais toute proposition de tutelle. Dans son appréciation, le tribunal rappelle d’abord la genèse des événements. La décision rendue par la Cour suprême en 1985 expose en détail la période antérieure. Depuis 1985, M. Eriksen a été condamné deux fois pour avoir enfreint les articles 227 et 228. Il faut aussi considérer que pour le psychiatre, le docteur Heitun, [le requérant], qui maîtrise difficilement ses impulsions et a du mal à se contrôler, se trouvera, s’il est élargi, dans des situations où il réagira par la menace verbale et, malgré ses bonnes intentions, les choses tourneront mal. En outre, il est probable que l’instance dont le tribunal d’arrondissement sera saisi se terminera par l’autorisation d’user à l’encontre du [requérant], durant une ou plusieurs années, de l’une ou de plusieurs des mesures prévues à l’article 39 par. l a) à f) du code pénal. Il suffit de rappeler que l’administration pénitentiaire d’Ila va dans ce sens et que le docteur Heitun a élaboré un nouveau programme de mesures de sûreté. En l’état actuel des choses, le tribunal ne saurait considérer que la détention soit une mesure disproportionnée. Certes, le cas est triste, voire tragique, mais le tribunal ne peut pas considérer que le seul intérêt de M. Eriksen; il doit aussi prendre en compte l’angoisse et le danger auxquels celui-ci pourrait exposer autrui. D’après les documents en sa possession, le tribunal estime que l’affaire se terminera par l’application de mesures de sûreté à Skien. Celles-ci devraient donner de meilleurs résultats que le dernier programme et [le requérant] aura une vie bien meilleure que durant les quatorze derniers mois." Le requérant saisit la cour d’appel d’Agder (Agder Lagmannsrett) d’un recours contre cette décision. Le 23 février 1990, entérinant la décision de la juridiction inférieure, la cour ajouta: "A n’en pas douter, on a toujours admis jusqu’ici en droit norvégien la possibilité de prolonger la période pendant laquelle peuvent être appliquées des mesures de sûreté, même en l’absence de nouvelle infraction. (...) Selon la cour, pareille mesure n’est pas contraire à l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention (P7-4) relatif à la double incrimination. L’obligation légale, pour le tribunal, d’assigner aux mesures de sûreté une limite de durée répond, entre autres, à un souci favorable au condamné: passé un certain temps, celui-ci doit bénéficier d’un nouveau contrôle judiciaire de la nécessité de telles mesures (...) La cour n’a pas de motif particulier de mettre en doute l’imminence du risque de voir [le requérant] perpétrer de nouvelles infractions s’il est libéré à l’issue de la période d’internement de sûreté, sans contrôle de l’administration pénitentiaire ou du parquet. (...) Pour empêcher tout nouvel acte de violence, il faut que M. Eriksen soit pris en charge après l’expiration de la période d’application des mesures de sûreté. En conséquence, la détention provisoire s’impose et il est fort probable que la prorogation des mesures de sûreté sera à nouveau autorisée (...) Pour la cour, la détention provisoire ne semble pas disproportionnée. L’intérêt qu’il y a à protéger la société l’emporte sur l’intérêt qu’a [le requérant] à être élargi. Le fait que la demande de placement en détention provisoire posée le [7] février 1990 (...) avait pour motif qu’il fallait du temps pour obtenir une autre expertise n’a, selon la cour, aucun rapport avec la détention. L’audience à laquelle sera examinée la prolongation des mesures de sûreté ne peut se tenir avant la présentation d’une expertise psychiatrique, autre que celle du docteur Heitun. Jusqu’à la tenue de cette audience, il est nécessaire de surveiller [le requérant] en raison des risques de récidive. La cour comprend l’inquiétude exprimée par l’avocat [du requérant] du fait qu’aucun programme n’a encore été établi pour [l’intéressé]. Toutefois, on ne saurait soutenir que la détention provisoire constitue - vu les circonstances de l’espèce et compte tenu même du traitement antérieur [du requérant] - une violation de l’article 3 de la Convention (art. 3)." Le requérant attaqua cette décision devant la Cour suprême. Le 16 mars 1990, le comité de sélection des recours devant la Cour suprême (Høyesteretts kjæremålsutvalg) le débouta. Dans son arrêt, la cour déclara: "Conformément au deuxième alinéa de l’article 39 par. 3 [du code pénal], le tribunal doit, dans les affaires relatives à des mesures de sûreté, fixer une période maximale au-delà de laquelle aucune mesure ne peut être imposée sans autorisation du tribunal. La décision de prolonger une autorisation ne signifie pas que l’intéressé soit à nouveau condamné ou sanctionné pour les infractions qui ont motivé le jugement autorisant le recours à des mesures de sûreté. Ledit jugement a déjà tranché la question de savoir si ces infractions motivent l’application de ces mesures. Pour déterminer si celles-ci doivent être prolongées au-delà de la période maximale initialement fixée, il faut évaluer les autres circonstances motivant leur application, la condition mentale de la personne et le risque de la voir commettre de nouvelles infractions. La possibilité de prolonger la période d’application des mesures de sûreté s’il y a des raisons de le faire après une telle évaluation se fonde sur le jugement autorisant le recours à ces mesures, interprété à la lumière du deuxième alinéa de l’article 39 par. 3. Cela étant, il ne semble pas que la cour d’appel ait fondé sa décision sur une interprétation erronée de l’article 4 par. 1 du Protocole no 7 à la Convention (P7-4-1) en estimant qu’une prolongation de la période d’application des mesures de sûreté, conformément au deuxième alinéa de l’article 39 par. 3 du code pénal, ne serait pas contraire à la disposition susmentionnée de la Convention (P7-4-1). La Cour suprême estime, elle aussi, que la décision de la cour d’appel ne se fonde pas sur une interprétation erronée des articles 3 ou 6 de la Convention (art. 3, art. 6)." Le requérant fut donc maintenu en détention à Ila après l’expiration, le 25 février 1990, de l’autorisation délivrée le 12 janvier 1985 par la Cour suprême. Le 20 mars 1990, le tribunal d’arrondissement prolongea la détention jusqu’au 23 avril 1990. Il déclara: "Le fondement, en fait comme en droit, du maintien en détention est le même qu’au moment où le tribunal a examiné la question de cette détention, le 12 février 1990 - voir aussi les arrêts de la cour d’appel et du comité de sélection des pourvois devant la Cour suprême. De même, le tribunal n’estime pas que la prolongation soit disproportionnée. Considérant notamment la recommandation de la commission d’établissement d’Ila et le point de vue exprimé par le psychiatre, le docteur Heitun, au cours de l’audience du 12 février 1990, il est probable que l’on aboutira à une prolongation de l’autorisation d’appliquer les mesures de sûreté. On ne saurait élargir l’intéressé au seul motif qu’il aurait fallu décider de la prolongation de ces mesures avant l’expiration de la période d’autorisation (...)" Le requérant recourut contre cette décision devant la cour d’appel d’Agder. Le 22 mars 1990, les experts, les docteurs Heitun et Johannesen, soumirent leur avis au tribunal d’arrondissement. Leur conclusion était la suivante: "1. Il est douteux que [le requérant] puisse être considéré comme un individu aux facultés mentales insuffisamment développées. Les facultés mentales [du requérant] sont durablement altérées. [Le requérant] n’était pas en état d’aliénation durant l’examen et ne montrait aucun signe de conscience amoindrie. L’autorisation de prolonger l’application des mesures de sûreté ne devrait pas être accordée; si toutefois elle l’était, il faudrait exclure la détention en prison ou dans un pavillon de sécurité." Le 30 mars 1990, la cour d’appel d’Agder confirma la décision rendue le 20 mars 1990 par le tribunal d’arrondissement. Elle déclara: "La cour estime qu’il existe un grand risque de voir [le requérant] commettre des infractions punies d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois s’il était libéré maintenant. Par conséquent, son maintien en détention provisoire s’impose jusqu’à ce que la question de la prolongation de l’autorisation des mesures de sûreté puisse être examinée en justice. La cour ne partage pas le point de vue de l’avocat [du requérant] selon lequel pareille prolongation est peu probable. Une mise en liberté sans examen de la question d’une prolongation de l’autorisation de recourir à des mesures de sûreté paraît si hasardeuse face au risque de récidive que la détention jusqu’à l’examen de l’affaire ne paraît pas disproportionnée. Elle ne semble pas non plus être contraire à l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La cour rappelle aussi que la prolongation de la détention provisoire se fonde sur la nécessité de renvoyer l’affaire puisqu’il faudra remplacer le juge (...)" Le 19 avril 1990, le comité de sélection des recours devant la Cour suprême rejeta le recours formé par M. Eriksen contre l’arrêt précité de la cour d’appel. Le 20 avril 1990, le tribunal d’arrondissement prolongea la détention de quatre semaines, jusqu’au 21 mai 1990. Il invoqua en substance ses décisions antérieures des 12 février et 20 mars 1990. Le 25 avril 1990, la commission médico-légale rejeta l’expertise médicale du 22 mars 1990 et en demanda une nouvelle. Le 14 mai 1990, le procureur général (Riksadvokaten) retira sa demande visant à proroger l’autorisation de soumettre M. Eriksen à des mesures de sûreté. L’intéressé fut libéré en conséquence le 15 mai 1990. Pendant sa détention du 25 février au 15 mai 1990, le requérant fut maintenu en isolement cellulaire, comme il l’était déjà depuis décembre 1988. D. Evolution ultérieure Au cours des mois de juillet, août et septembre 1990, le requérant commit plusieurs infractions. Il fut arrêté le 24 septembre 1990 et placé en détention provisoire jusqu’au 15 novembre 1990. Par un jugement du 13 février 1991, il fut condamné, notamment pour infraction aux articles 227 et 228 du code pénal (menaces et voies de fait), à sept mois d’emprisonnement. Par ailleurs, le tribunal d’arrondissement autorisa l’application de mesures de sûreté, conformément à l’article 39 par. 1 a) à f) du code pénal, pendant une période de trois ans. Ce jugement fut confirmé le 1er novembre 1991 par la Cour suprême, laquelle n’écarta que la mesure prévue à l’alinéa c) de ladite disposition. Entre-temps, le 16 mai 1991, le requérant avait de nouveau été arrêté et placé en détention provisoire. Par un jugement du 11 juillet 1991, il se vit infliger une nouvelle peine d’emprisonnement de quatre-vingt-dix jours pour de nouvelles infractions, notamment aux articles 227 et 228 du code pénal. Il fut libéré le 13 juillet 1991 et purgea le reliquat de sa peine du 14 janvier au 16 avril 1993. Par un jugement du 29 juin 1994, le tribunal d’arrondissement de Kragerø le condamna à dix mois d’emprisonnement des chefs de voies de fait et de menaces, commises à trente-deux reprises entre décembre 1991 et avril 1994. L’intéressé fit appel de ce jugement mais le comité de sélection des recours devant la Cour suprême lui refusa l’autorisation nécessaire. Le requérant purgea sa peine. Le 21 avril 1995, le tribunal d’arrondissement condamna M. Eriksen à soixante-quinze jours d’emprisonnement pour avoir agressé un gardien de prison. Le 3 septembre 1996, il le condamna à six mois d’emprisonnement d’un chef de menaces, de deux chefs de voies de fait et de quatre chefs d’atteinte à la vie privée. La cour d’appel débouta l’intéressé de son recours le 18 octobre 1996. Saisie à son tour, la Cour suprême ramena la peine à quatre-vingt-dix jours, le 21 février 1997. Le procureur général décida, sur les conseils de la direction de la police à Kragerø et du procureur du Vestfold et Telemark, de ne pas inviter le tribunal à proroger les mesures de sûreté (paragraphe 50 ci-dessus), qui expirèrent le 16 avril 1996. II. Le droit interne pertinent A. Le code pénal Le passage pertinent de l’article 39 du code pénal est ainsi libellé: "1. Si un acte par ailleurs punissable est commis alors que son auteur se trouvait en état d’aliénation mentale ou avait perdu la maîtrise de soi en raison d’une intoxication volontaire, ou avait subi une diminution passagère de la maîtrise de ses actes, ou si pareil acte est le fait d’une personne aux facultés mentales insuffisamment développées ou durablement altérées et s’il existe un risque, en raison de son état, de la voir récidiver, le tribunal peut décider que le ministère public, à des fins de sécurité, a. lui assignera ou interdira un lieu de séjour donné; b. la placera sous le contrôle de la police ou d’un agent de probation désigné à cet effet, et lui enjoindra de se présenter à la police ou audit agent à des intervalles déterminés; c. lui interdira de consommer des boissons alcoolisées; d. la confiera aux soins de particuliers offrant toutes garanties; e. la placera, si possible, dans un hôpital psychiatrique, un sanatorium, un établissement de cure ou un pavillon de sécurité, conformément aux dispositions générales édictées par le Roi; f. la détiendra à titre d’internement de sûreté. Si, en raison des états susmentionnés, il existe un risque de voir l’intéressé commettre des actes relevant des articles 148, 149, 152 (deuxième paragraphe), 153 (premier, deuxième ou troisième paragraphe), 154, 155, 159, 160, 161, 192 à 198, 200, 206, 212, 217, 224, 225, 227, 230, 231, 233, 245 (premier paragraphe), 258, 266, 267, 268 ou 292, le tribunal devra décider d’appliquer les mesures de sûreté précitées. Ces mesures sont levées dès qu’elles ne sont plus jugées nécessaires, mais peuvent être rétablies le cas échéant. Les mesures de sûreté énumérées de a) à d) peuvent s’appliquer cumulativement. Le tribunal fixe la période maximale durant laquelle des mesures de sûreté pourront être appliquées sans nouvelle approbation de sa part. Sauf pour le tribunal à en décider autrement, le ministère public a le choix entre les mesures de sûreté énumérées. La décision de lever, rétablir ou remplacer pareille mesure appartient au ministère. Le rapport d’un médecin expert est en principe requis avant toute décision relative à des mesures de sûreté ou à leur levée. Il en va de même, à des intervalles réguliers, pendant la période d’application de telles mesures. (...)" B. Le code de procédure pénale L’article 171 du code de procédure pénale est ainsi libellé: "Quiconque est, à juste titre, soupçonné d’un ou plusieurs actes punis par la loi d’un emprisonnement de plus de six mois peut être arrêté lorsque: 1) il y a lieu de craindre qu’il ne se soustraie aux poursuites ou à l’exécution d’une peine ou à d’autres mesures; 2) il existe un risque immédiat de le voir altérer des éléments de preuve relatifs à l’affaire, par exemple en supprimant des indices ou en influençant des témoins ou des complices; 3) l’arrestation est jugée nécessaire pour empêcher l’intéressé de commettre à nouveau une infraction pénale punie d’un emprisonnement de plus de six mois; et 4) l’intéressé réclame lui-même l’arrestation pour des raisons jugées valables. Lorsqu’une procédure relative à des mesures de sûreté est engagée ou va probablement l’être, il est possible de procéder à l’arrestation, indépendamment du point de savoir si une peine sera infligée, lorsque les conditions énumérées au paragraphe l sont remplies. Il en va de même lorsqu’un jugement favorable à l’application de mesures de sûreté a été prononcé ou s’il est question de prolonger la période maximale d’application de mesures de sûreté." L’arrestation et la détention peuvent être ordonnées en vertu de l’article 171 par. 2 si la demande a été faite d’autoriser le recours aux mesures de sûreté prévues à l’article 39 du code pénal, ou si un jugement a été rendu à cet effet, ou s’il est question de proroger la période maximale d’une autorisation donnée en vertu de l’article 39. La détention provisoire prévue à l’article 171 par. 2 peut en pareil cas servir de mesure provisoire à appliquer jusqu’à ce que l’autorisation puisse être mise en oeuvre (Andenæs, Norks straffeprosess, vol. II, première édition 1985, p. 111, et deuxième édition 1994, pp. 154-155). Le requérant a soumis copie d’une décision prise le 28 avril 1931 par le comité de sélection des recours devant la Cour suprême, qui annulait la décision d’un tribunal de première instance prolongeant une autorisation d’appliquer des mesures de sûreté conformément à l’article 39 du code pénal. Pareille prolongation devrait, après une audience au principal (hovedforhandling), être décidée par jugement du tribunal de première instance auteur de l’autorisation initiale et siégeant non pas avec un juge unique (forhørsrett), mais avec des assesseurs échevins (domsmenn). Le 26 janvier 1996, la Cour suprême rendit un arrêt (Norsk Retstidende 1996, p. 93), qui comporte les développements suivants sur l’interprétation de l’article 171 par. 2: "Le lien entre les infractions qui ont justifié la mesure de sûreté et la nouvelle autorisation - prorogée - de cette mesure est capital pour la question de savoir si le paragraphe 2 de l’article 171 (par comparaison avec le premier paragraphe) du code de procédure pénale exige que l’on ait des raisons de soupçonner un nouvel acte délictueux punissable d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois. La Cour suprême ne constate nullement une telle condition dans cette disposition. L’infraction pénale initiale pouvant être celle qui justifie le maintien des mesures de sûreté, elle doit pouvoir aussi servir de préalable à une détention provisoire en vertu de ladite disposition, laquelle exige de surcroît en l’occurrence que soient remplies les conditions générales de la détention provisoire, par exemple le risque de récidive (Norks Retstidende 1992, p. 136). Les travaux préparatoires de cette disposition confirment cette interprétation. Avant le code de procédure pénale de 1981, c’était l’article 39 par. 1 b), point 4, du code pénal qui prévoyait la détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’application d’une mesure de sûreté. Cette disposition ne posait nullement un nouvel acte délictueux comme condition à la détention provisoire dans le cadre d’une procédure de prorogation des mesures de sûreté. Les travaux préparatoires concernant l’insertion de cette disposition parmi celles du code de procédure pénale relatives à la détention n’indiquent nullement une volonté d’introduire une modification sur ce point. Aucune considération d’ordre politique ne milite davantage en sa faveur. On conçoit que le besoin de proroger les mesures de sûreté apparaîtra à l’approche de l’expiration de leur période d’application, sans qu’il y ait lieu de reprocher à l’autorité de poursuite de n’avoir pas soulevé la question plus tôt, et sans que ce besoin nouveau soit causé par un nouvel acte délictueux punissable d’un emprisonnement de plus de six mois. En pareille hypothèse, il peut s’avérer absolument nécessaire, afin de prévenir de nouveaux actes délictueux graves, de détenir le délinquant en attendant une nouvelle autorisation exécutoire de recourir à des mesures de sûreté. La Cour suprême n’aperçoit pas en quoi cette interprétation du paragraphe 2 de l’article 171 (par comparaison avec le paragraphe 1) du code de procédure pénale - d’après laquelle il n’est pas nécessaire que se soit produit un nouvel acte punissable d’un emprisonnement de plus de six mois - serait contraire aux normes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La disposition de celle-ci qui pourrait être applicable est assurément l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c). La Cour européenne des Droits de l’Homme a en effet interprété cet article (art. 5-1-c) en ce sens: cette disposition (art. 5-1-c) "permet exclusivement des privations de liberté ordonnées dans le cadre d’une procédure pénale" (voir, entre autres, l’arrêt rendu par la Cour le 22 février 1989 dans l’affaire Ciulla). Le principe doit être le suivant: une personne reconnue coupable d’une infraction pénale ne peut, une fois sa peine purgée, être de nouveau placée en détention sur la base des faits qui ont été jugés au motif qu’il y aurait un risque de la voir récidiver. Dans le cas de mesures de sûreté en revanche - comme l’a dit la cour - une autorisation de durée limitée permet d’appliquer des mesures préventives précises pouvant être prorogées si les conditions persistent. Cette prorogation relève du système répressif - voir l’article 5 par. 1 a) de la Convention (art. 5-1-a). Lorsqu’il est décidé de placer un délinquant en détention provisoire dans le cadre d’une procédure de prorogation des mesures de sûreté, parce que l’intéressé est dangereux et qu’il faut protéger des personnes vulnérables - en l’occurrence mettre des enfants à l’abri d’abus sexuels -, la Cour suprême ne peut rien dire d’autre que ceci: ici, la détention provisoire, au même titre que la détention provisoire à laquelle on a recours dans d’autres cas en attendant qu’une condamnation acquière force de chose jugée, présente le lien voulu avec les actes délictueux commis et les poursuites légales y afférentes. La Cour suprême estime pareillement nécessaire d’examiner la restriction que la Cour européenne des Droits de l’Homme a vue dans l’article 5 par. 1 c) de la Convention (art. 5-1-c), s’agissant de la "nécessité" (d’)empêcher [l’intéressé] de commettre une infraction", à savoir qu’une détention provisoire doit viser à "empêcher une infraction concrète et déterminée" (voir notamment l’arrêt rendu par la Cour le 6 novembre 1980 dans l’affaire Guzzardi). Ce besoin de concrétisation est important et un risque plus général d’infractions punissables ne serait pas suffisant. (...) De l’avis de la Cour suprême, le risque d’acte délictueux [en l’espèce] était concret et déterminé aux fins de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) (...)" Selon l’article 174 du code de procédure pénale, la détention ne doit pas constituer une mesure disproportionnée. C. La loi sur la santé mentale D’après l’article 3 du chapitre 2 de la loi sur la santé mentale, quiconque, en raison de son état mental, ne peut veiller lui-même à son suivi médical et à recevoir le traitement psychiatrique nécessaire, et si ses proches parents ne peuvent y veiller à sa place, peut faire l’objet d’un examen médical forcé et, au besoin, être placé sans son consentement, pour trois semaines au maximum, dans un hôpital ou autre lieu approprié pour y être traité. Selon l’article 5 toutefois, quiconque est atteint d’une maladie mentale grave peut être interné sans son consentement si ses proches parents ou les pouvoirs publics le désirent et si le médecin-chef de l’hôpital estime l’internement nécessaire, vu l’état de santé du patient, pour l’empêcher de se nuire à lui-même, si la perspective d’une guérison ou d’une amélioration importante se trouve compromise ou si le malade présente un risque grave pour lui-même ou pour autrui. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête à la Commission du 17 septembre 1990 (no 17391/90), M. Eriksen alléguait que les conditions de sa détention, notamment le fait d’avoir été détenu en isolement cellulaire, de décembre 1988 jusqu’à sa libération en mai 1990, enfreignaient l’article 3 de la Convention (art. 3). Il prétendait en outre que sa détention du 25 février au 15 mai 1990 ne remplissait aucune des conditions énoncées par l’article 5 de la Convention (art. 5). Au surplus, il se plaignait, en invoquant l’article 6 (art. 6), de l’absence d’équité de certaines procédures ayant conduit à sa condamnation pour agression d’un gardien de prison. Enfin, il alléguait que du fait qu’il avait été détenu du 25 février au 15 mai 1990, il avait été victime d’une double incrimination, au mépris de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention (P7-4). La Commission (deuxième chambre) a déclaré la requête irrecevable le 2 décembre 1992 quant aux griefs tirés des articles 3 et 6 de la Convention (art. 3, art. 6) et de l’article 4 du Protocole no 7 (P7-4). Elle a retenu la requête le 31 août 1994 s’agissant du grief tiré de l’article 5 de la Convention (art. 5). Dans son rapport du 18 octobre 1995 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 de la Convention (art. 5-1) (douze voix contre une) mais non de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité). Le texte intégral de son avis ainsi que de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR A l’audience du 23 octobre 1996, le Gouvernement, comme il l’avait fait dans son mémoire, a prié la Cour de conclure à l’absence de violation de l’article 5 paras. 1 et 3 de la Convention (art. 5-1, art. 5-3). A la même occasion, le requérant a réitéré la demande faite à la Cour dans son mémoire de constater l’existence de violations de l’article 5 paras. 1 et 3 de la Convention (art. 5-1, art. 5-3) et de lui octroyer une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention (art. 50).
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I. Les circonstances de l’espèce Ressortissant autrichien né en 1941, M. Dietmar Pauger est professeur de droit public et de sciences politiques à l’université de Graz (Styrie) et réside dans cette ville. Sa femme, enseignante dans la fonction publique du Land de Styrie, décéda le 23 juin 1984. A. La procédure antérieure à la modification de la loi de 1965 sur les pensions Devant les autorités administratives Le 24 août 1984, le requérant sollicita l’attribution d’une pension de veuf auprès du conseil régional d’éducation (Landesschulrat). Le 30 août 1984, celui-ci rejeta la demande de l’intéressé, au motif que l’article 14 par. 1 de la loi de 1965 sur les pensions (Pensionsgesetz 1965 - paragraphe 30 ci-dessous) prévoyait sous certaines conditions le versement d’une pension à la veuve d’un fonctionnaire, mais non au veuf d’une fonctionnaire. M. Pauger interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land de Styrie (Steiermärkische Landesregierung), qui confirma cette dernière le 21 septembre 1984. Devant la Cour constitutionnelle et la Cour administrative Le 15 octobre 1984, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) et, le 22 octobre, la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). Parallèlement, le 4 octobre 1984, après avoir tenu une audience publique, la Cour constitutionnelle avait abrogé l’article 14 par. 1 de la loi sur les pensions de 1965, avec effet au 28 février 1985, au motif que la différence de traitement entre un veuf et une veuve quant à l’attribution d’une pension violait le principe d’égalité (Gleichheitsgebot). Le 13 février 1985, la Cour administrative débouta l’intéressé. Elle estima qu’indépendamment de l’abrogation de la disposition législative en question, sa demande de pension de veuf manquait de base légale. Le 23 février 1985, à l’issue d’un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz - paragraphe 32 cidessous), au motif qu’il ne présentait pas de chances suffisantes de succès. Elle estima qu’elle avait déjà abrogé l’article 14 par. 1 de la loi sur les pensions et qu’elle ne pouvait statuer à nouveau sur cette même question. Le 26 septembre 1985, le parlement adopta le huitième amendement à la loi sur les pensions (Achte Pensionsgesetznovelle - paragraphe 31 cidessous) de 1965 avec effet rétroactif au 1er mars 1985. B. La procédure postérieure à la modification de la loi sur les pensions Devant les autorités administratives Le 13 mai 1985, M. Pauger réitéra sa demande d’obtention d’une pension de veuf auprès du conseil régional d’éducation. Le 18 novembre 1985, celui-ci lui accorda une pension d’un montant de 2 441,70 schillings autrichiens (ATS), avec effet au 1er mars 1985, correspondant au tiers de ses droits à pension, conformément aux dispositions transitoires prévues à la section II, paragraphe 2, de la loi sur les pensions dans la version amendée (paragraphe 31 ci-dessous). Le 28 novembre 1985, le requérant interjeta appel de cette décision auprès du gouvernement du Land de Styrie. Il fit valoir que le conseil régional n’avait pas statué sur la question de la suspension éventuelle de sa pension, qui le concernait dans la mesure où il exerçait une activité en tant que professeur d’université (article 40 a) par. 1 de la loi sur les pensions dans la version amendée - paragraphe 31 ci-dessous). Il ajouta qu’aussi bien les dispositions transitoires prévues à l’article II, paragraphe 2, de la loi sur les pensions dans la version amendée que l’article 40 a) par. 1 de ladite loi méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et étaient inconstitutionnels. Le 7 janvier 1986, le gouvernement du Land confirma le montant de la pension dû à l’intéressé, mais décida d’en suspendre le versement en raison de son activité salariée. Devant la Cour constitutionnelle Le 22 février 1986, M. Pauger saisit la Cour constitutionnelle, alléguant l’inconstitutionnalité, d’une part, des dispositions transitoires de la loi sur les pensions, dans la version amendée, d’après lesquelles il n’avait droit qu’à une pension réduite jusqu’au 1er janvier 1995, d’autre part, de l’article 40 a) par. 1 de ladite loi, d’après lequel ses droits à pension étaient suspendus. Le 1er juillet 1987, la Cour constitutionnelle décida d’entamer une procédure en vue d’examiner la constitutionnalité de l’article 40 a) de la loi sur les pensions (article 140 par. 1 de la Constitution fédérale – paragraphe 32 ci-dessous). Elle ne statua pas sur la question de la constitutionnalité des dispositions transitoires de ladite loi. Le 9 décembre 1987, la Cour constitutionnelle tint une audience au cours de laquelle elle entendit notamment le représentant du gouvernement et le requérant. Le 16 mars 1988, elle abrogea l’article 40 a) de la loi sur les pensions avec effet au 30 juin 1988, au motif que celui-ci violait le principe d’égalité. D’après la Cour constitutionnelle, aucune raison convaincante n’avait été avancée pour justifier la différence de traitement entre, d’un côté, un fonctionnaire à la retraite, ou le conjoint survivant d’un fonctionnaire, disposant de sources de revenus supplémentaires, et, de l’autre, un fonctionnaire encore en activité disposant également de sources de revenus supplémentaires. Le 17 mars 1988, la Cour constitutionnelle annula également la décision du gouvernement du Land du 7 janvier 1986 (paragraphe 18 cidessus). Le 21 juin 1988, le gouvernement du Land statua à nouveau et confirma la décision du conseil régional du 18 novembre 1985 (paragraphe 16 ci-dessus) accordant au requérant une pension d’un montant de 2 441,70 ATS, avec effet au 1er mars 1985, payable immédiatement. Le 11 août 1988, l’intéressé saisit derechef la Cour constitutionnelle, alléguant l’inconstitutionnalité des dispositions transitoires de la loi sur les pensions qui limitaient ses droits à pension jusqu’au 1er janvier 1995 (article 40 a) par. 1 de la loi sur les pensions - paragraphe 31 ci-dessous). Il ne sollicita pas la tenue d’une audience. Le 3 octobre 1989, à l’issue d’un examen à huis clos, la Cour constitutionnelle rejeta le recours de M. Pauger (article 19 par. 4 de la loi sur la Cour constitutionnelle - Verfassungsgerichtshofsgesetz – paragraphe 33 ci-dessous). D’après elle, les dispositions transitoires en question reflétaient l’évolution continue des mentalités en matière d’égalité des sexes et n’étaient donc pas contraires au principe d’égalité. Devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies Le 5 juin 1990, le requérant saisit le Comité des droits de l’homme des Nations unies sur la base des mêmes faits que ceux exposés dans sa requête à la Commission. Il alléguait la violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux termes duquel "toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection par la loi." Le 30 mars 1993, le Comité des droits de l’homme conclut à la violation de cet article. II. Le droit interne pertinent A. Le droit matériel Les dispositions pertinentes de la loi de 1965 sur les pensions sont ainsi libellées: Article 2 par. 1 "Tout fonctionnaire acquiert des droits à pension pour lui-même et les membres de sa famille à partir du jour de son entrée en fonction (...)" Article 3 par. 1 "Tout fonctionnaire à la retraite a droit à une pension mensuelle, si les années de fonction comptabilisées pour sa retraite totalisent au moins dix ans." Article 4 par. 1 "[Le montant de] la pension de retraite est déterminé en fonction du traitement mensuel de référence et de la somme des années de service comptabilisées pour la retraite." Dans la version de 1965, l’article 14 par. 1 de la loi sur les pensions était ainsi rédigé: "La veuve d’un fonctionnaire a droit à une pension de veuve mensuelle si le fonctionnaire lui-même avait droit à une pension de retraite au moment de son décès, ou s’il y aurait eu droit au moment de sa cessation de fonction." Depuis le 1er mars 1985, date d’entrée en vigueur du huitième amendement à la loi sur les pensions de 1965, les dispositions pertinentes de ladite loi sont les suivantes: Article 14 par. 1 "Le conjoint survivant d’un fonctionnaire a droit à une pension de veuf/veuve mensuelle si le fonctionnaire lui-même avait droit à une pension de retraite au moment de son décès, ou s’il y aurait eu droit au moment de sa cessation de fonction." Article 15 par. 1 [disposition déjà amendée en 1984] "La pension de veuf/veuve s’élève à 60% de la pension de retraite calculée sur la base des années de service comptabilisées pour la retraite du fonctionnaire et de son grade au moment de sa cessation de fonction (...)" Article 40 a) par. 1 "Dès lors que le fonctionnaire ou son conjoint survivant perçoivent un revenu du fait d’une activité exercée parallèlement, la pension de retraite ou de veuf/veuve est suspendue (...)" Section II, article 2 (dispositions transitoires) "Les mensualités auxquelles le veuf ou l’ex-conjoint peuvent prétendre s’élèvent à: - un tiers de la pension à compter du 1er mars 1985; - deux tiers de la pension à compter du 1er janvier 1989; - la totalité de la pension à compter du 1er janvier 1995. Cette restriction ne s’applique pas lorsque le veuf ou l’ex-conjoint sont dans l’incapacité de travailler et dans le besoin." B. Le droit procédural La Constitution fédérale Les dispositions pertinentes de la Constitution fédérale sont ainsi libellées: Article 90 par. 1 "En matière civile et pénale, les débats de la juridiction du fond sont oraux et publics. Les exceptions sont prévues par la loi." Article 140 "1. (...) La Cour constitutionnelle se prononce en outre sur l’inconstitutionnalité de lois, lorsqu’elle est saisie par un particulier qui prétend que ses droits ont été méconnus par cette inconstitutionnalité (...) (...) Si une loi est abrogée pour inconstitutionnalité, ou si la Cour, en vertu du paragraphe 4, a jugé qu’une loi était inconstitutionnelle, cette décision s’impose à toutes les juridictions et autorités administratives. A l’exception du cas d’espèce, la loi est applicable aux faits antérieurs à son abrogation, à moins que l’arrêt n’en dispose autrement. Si la Cour, dans sa décision d’abrogation, a fixé un délai en vertu du paragraphe 5 [délai qui ne saurait excéder un an], la loi s’applique aux faits qui surviennent jusqu’à l’expiration du délai, à l’exception des faits ayant trait au cas d’espèce." Article 144 "1. La Cour constitutionnelle connaît des recours contre les décisions des autorités administratives, y compris celles des chambres administratives indépendantes, si le requérant prétend que ladite décision a porté atteinte à un droit qui lui est garanti par la Constitution ou que ses droits ont été violés par l’application d’un règlement contraire à la loi, d’une loi contraire à la Constitution ou d’un traité international incompatible avec le droit autrichien. Le recours ne peut être exercé qu’après épuisement des voies de recours. Jusqu’à l’audience, la Cour constitutionnelle peut, au moyen d’une décision, refuser l’examen d’un recours s’il ne présente pas suffisamment de chances de succès ou si l’on ne peut attendre de l’arrêt qu’il résolve une question de droit constitutionnel. La Cour ne peut refuser l’examen d’une affaire que l’article 133 soustrait à la compétence de la cour administrative." La loi sur la Cour constitutionnelle Les dispositions pertinentes de la loi sur la Cour constitutionnelle sont ainsi rédigées: Article 19 "1. Les arrêts de la Cour constitutionnelle, à l’exception de ceux mentionnés aux articles 10 et 36 c), sont rendus à l’issue d’une audience publique, à laquelle doivent être conviés le demandeur, la partie adverse et toute autre partie à la procédure. (...) La Cour constitutionnelle peut, sur proposition du rapporteur et sans autre procédure ni audience, décider à huis clos de: 1) refuser d’examiner un recours conformément à l’article 144 par. 2 de la Constitution fédérale; 2) rejeter un recours pour: a) défaut manifeste de compétence de la Cour constitutionnelle, b) inobservation d’un délai légal, c) défaut de régularisation d’un vice de forme, d) autorité de chose jugée, e) défaut de qualité; 3) rayer l’affaire du rôle après retrait d’une requête ou règlement de l’affaire. (paragraphe 86) [paragraphe amendé par la loi du 26 juin 1984] La Cour constitutionnelle peut renoncer à tenir une audience lorsqu’il ressort des mémoires qui lui sont soumis par les parties et des dossiers des procédures antérieures qu’une audience ne contribuera sans doute pas à éclaircir l’affaire. Sur proposition du rapporteur, elle peut également décider sans audience, en siégeant à huis clos: 1) de rejeter un recours en l’absence manifeste de violation d’un droit constitutionnel; 2) d’affaires soulevant une question de droit qui a été suffisamment précisée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle; 3) d’accueillir un recours ayant entraîné l’annulation d’un règlement contraire à la loi, d’une loi contraire à la Constitution ou d’un traité international incompatible avec le droit autrichien. (...)" Article 82 par. 1 "Les recours au titre de l’article 144 par. 1 de la Constitution ne peuvent être exercés qu’après épuisement des voies de recours administratives et dans un délai de six semaines après notification au demandeur de la décision prise en dernière instance." Article 83 par. 1 "Le recours, accompagné de ses annexes, doit être porté à la connaissance de l’autorité qui a rendu la décision contestée, en l’informant qu’elle peut soumettre des observations en réponse dans un délai d’au moins trois semaines." Article 84 "1. Après réception des observations en réponse ou expiration du délai imparti (...) le président de la Cour constitutionnelle fixe la date de l’audience. L’audience doit se tenir en présence du requérant, de l’autorité concernée (article 83 par. 1) et de toute autre partie à la procédure." III. La réserve de l’Autriche à l’article 6 de la Convention (art. 6) L’instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "Les dispositions de l’article 6 de la Convention (art. 6) seront appliquées dans la mesure où elles ne portent atteinte, en aucune façon, aux principes relatifs à la publicité de la procédure juridique énoncés à l’article 90 de la loi fédérale constitutionnelle dans sa version de 1929." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pauger a saisi la Commission le 14 février 1990. Invoquant l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), il se plaignait de n’avoir ni eu accès à un tribunal ni bénéficié d’un procès équitable devant la Cour constitutionnelle - qui, notamment, n’avait pas tenu d’audience -, et dénonçait la durée globale de la procédure. Le 9 janvier 1995, la Commission a retenu la requête (no 16717/90) quant au grief relatif à l’absence d’audience devant la Cour constitutionnelle et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 27 février 1996 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (dix-sept voix contre onze). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à "dire que l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) n’a pas été violé en l’espèce".
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I. Les circonstances de l’espèce Ressortissant hongrois né en 1971, M. Soltan Szücs réside à Halaszetelek (Hongrie). A. La détention provisoire Le 8 octobre 1990, le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement (Kreisgericht) de Wiener Neustadt ouvrit une enquête préliminaire et émit un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant et de trois autres personnes, soupçonnés d’avoir frauduleusement utilisé la carte de crédit d’une tierce personne lors d’achats effectués dans différents magasins en Autriche pour une valeur d’environ 200 000 schillings autrichiens (ATS). Le 25 février 1991, la police arrêta l’intéressé à la frontière austro-hongroise, alors qu’il s’apprêtait à entrer en Autriche. Le 26 février 1991, le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement d’Eisenstadt entendit M. Szücs et le plaça en détention provisoire. Le 4 avril 1991, il entendit de nouveau le requérant. B. L’arrêt des poursuites Le 11 mai 1991, à la requête du parquet, le juge d’instruction décida d’abandonner les poursuites, à la suite des conclusions d’un expert en graphologie d’après lesquelles il était peu probable que les signatures figurant sur les reçus de la carte de crédit volée fussent de la main de l’intéressé. Le même jour, ce dernier fut remis en liberté. C. Les demandes d’indemnité pour la détention subie La demande d’indemnité en vertu de l’article 2 § 1 b) de la loi de 1969 sur l’indemnisation en matière pénale Le 6 mai 1991, le requérant sollicita de la part de l’Etat un dédommagement pour le préjudice matériel causé par son maintien en détention. Le 8 mai 1991, la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal d’arrondissement de Wiener Neustadt rejeta sa demande d’indemnité, au motif que, contrairement aux exigences de l’article 2 § 1 b) de la loi de 1969 sur l’indemnisation en matière pénale (Strafrechtliches Entschädigungsgesetz – « loi de 1969 » – paragraphe 20 ci-dessous), les soupçons à son égard n’avaient pas été dissipés. Le 27 mai 1991, le requérant interjeta appel de cette décision auprès de la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne. Le 9 janvier 1992, cette dernière, siégeant à huis clos, débouta l’intéressé. Elle statua en ces termes : « La cour concède à l’intéressé que la décision de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Wiener Neustadt se limite, pour l’essentiel, à mentionner les textes applicables et à exposer les faits, et qu’elle n’exploite pas certains éléments concrets qui se dégagent du dossier. De fait, il pèse sur le demandeur, entre temps condamné et emprisonné en Autriche pour recel, au sens de l’article 164 §§ 1, deuxième alinéa, et 2 du code pénal, le soupçon d’avoir obtenu des marchandises de manière frauduleuse, en utilisant de manière illégale une carte de crédit établie au nom d’une autre personne. A cet égard, on ne peut exclure qu’il ait signé des reçus en utilisant une carte établie au nom d’une femme, grâce au port d’une perruque. Cette tentative d’éclaircissement s’est avérée nécessaire, le tribunal de première instance n’ayant pu s’emparer des autres auteurs. A une éventuelle supposition que les signatures émanent de lui l’intéressé ne peut opposer que son affirmation selon laquelle il n’a apposé aucune signature sur les reçus et qu’il n’a pas l’air d’une fille non plus. Pour autant qu’il souhaite voir admettre comme preuve véritable de son innocence la déclaration de l’expert selon laquelle les signatures apposées sur les reçus ne proviennent vraisemblablement pas de lui, il y a lieu de tenir compte de l’échelle de probabilité dressée par l’expert, laquelle n’exclut nullement qu’il puisse être l’auteur des signatures, et il échet de faire remarquer que cet argument du demandeur est inapte à réfuter la thèse selon laquelle il a participé aux actes d’escroquerie en effectuant les transports nécessaires vers les différents lieux où les infractions ont été commises et en enlevant les butins, alors qu’il connaissait le caractère répréhensible des actes commis par les autres auteurs. Au contraire, la multitude des achats frauduleux effectués, tant en Autriche qu’en Italie, plaide en faveur de l’idée que l’intéressé était tout à fait conscient du caractère répréhensible des opérations et que c’est en parfaite connaissance de cause qu’il a aidé les auteurs des infractions à accomplir leurs actes délictueux en effectuant de nouveaux transports (article 12 du code pénal). Contrairement à ce que soutient le demandeur, une indemnisation au titre de l’article 2 § 1 b) de la loi sur l’indemnisation en matière pénale est tributaire d’une condition : l’innocence de la personne placée en détention doit pouvoir être considérée comme démontrée, c’est-à-dire qu’il doit être prouvé que cette personne n’est pas punissable et ne peut être poursuivie pour le comportement à l’origine de sa détention. Si cela demeure seulement incertain, la dissipation des soupçons n’est pas acquise et la condition mise à l’indemnisation n’est pas remplie (voir Mayerhofer-Rieder, deuxième éd., E.11a et 12a, à propos de l’article 2 de la loi sur l’indemnisation en matière pénale). On ne peut, en l’espèce, parler d’une telle dissipation des soupçons. Dépourvue de fondement, la demande ne peut donc être accueillie. » La demande d’indemnité en vertu de l’article 2 § 1 a) de la loi de 1969 sur l’indemnisation en matière pénale Dans ses écritures du 27 mai 1991 (paragraphe 15 ci-dessus), M. Szücs se plaignait également de la durée excessive de la détention provisoire et sollicita à cet égard l’attribution d’une indemnité pour détention illégale au titre de l’article 2 § 1 a) de la loi de 1969 (paragraphe 20 ci-dessous). Le 9 janvier 1992, dans une décision séparée, la cour d’appel, siégeant en première instance et à huis clos, débouta le requérant, au motif que ni son arrestation ni sa mise en détention provisoire ou son maintien en détention n’avaient été illégaux. La cour d’appel renvoya également à la motivation de son autre arrêt rendu le même jour (paragraphe 16 ci-dessus). II. Le droit interne pertinent A. Oralité et publicité des débats judiciaires L’article 90 § 1 de la Constitution fédérale dispose : « Les débats judiciaires en matière civile et pénale sont oraux et publics. La loi prévoit les exceptions à cette règle. » B. Indemnité au titre de la détention provisoire Les dispositions pertinentes de la loi de 1969 sont ainsi libellées : Article 2 § 1 a) et b) « 1) A droit à une indemnité : a) la victime dont la mise ou le maintien en détention provisoire a été ordonnée d’une manière illégale par une juridiction nationale (...) b) la victime qui, mise en garde à vue ou en détention provisoire par une juridiction nationale (...), parce que soupçonnée d’une infraction passible de poursuites en Autriche, a été ultérieurement acquittée de ce chef d’inculpation ou autrement mise hors de cause, si les soupçons pesant sur elle ont été dissipés ou si la poursuite se trouve exclue pour d’autres raisons qui existaient déjà à l’époque de l’arrestation ; (...) » Article 6 « 1) (...) 2) Le tribunal qui acquitte une personne ou la met autrement hors de cause (...) (article 2 § 1 b) ou c)) doit décider, d’office ou sur demande de la personne concernée ou du parquet, si les conditions d’indemnisation prévues à l’article 2 §§ 1 b) ou c), 2 et 3 se trouvent réunies ou s’il existe un des motifs d’exclusion énumérés à l’article 3. (...) Si les poursuites sont abandonnées sur décision du juge d’instruction, c’est la chambre du conseil qui statue. 3) Avant de statuer, la juridiction doit entendre la personne arrêtée ou condamnée et recueillir les preuves nécessaires à sa décision, pour autant que celles-ci n’ont pas déjà été produites dans la procédure pénale (...) 4) La décision, qu’il n’y a pas lieu de publier, doit, dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 2, une fois la décision au pénal passée en force de chose jugée, être signifiée à la personne arrêtée ou condamnée, et ce par remise en mains propres, ainsi qu’au procureur (...) 5) La personne arrêtée ou condamnée et le procureur peuvent interjeter appel de la décision devant la juridiction supérieure ; ils ont quatorze jours pour ce faire. 6) La juridiction compétente pour statuer sur le recours doit ordonner à la juridiction pénale de première instance d’effectuer des investigations complémentaires, pour autant que cela soit nécessaire pour la décision. Si c’est le tribunal de première instance qui est appelé à statuer, les investigations doivent être effectuées par le juge d’instruction. 7) Dès lors qu’elle est passée en force de chose jugée, la décision lie les juridictions pour la suite de la procédure. » Si les juridictions estiment que les conditions des articles 2 et 3 sont remplies, l’intéressé doit saisir le département des finances (Finanzprokuratur) pour que sa demande soit accueillie. Si aucune décision n’est prise sur sa demande dans un délai de six mois, ou si sa demande est partiellement ou entièrement refusée, le demandeur peut engager une action civile contre la République d’Autriche (articles 7 et 8 de ladite loi). En règle générale, il n’y a pas d’audience publique devant la chambre du conseil et devant la cour d’appel dans les procédures de recours (Beschwerden) contre une décision de la chambre du conseil. Ces deux juridictions statuent à huis clos, après avoir entendu, respectivement, le représentant du parquet et celui du parquet général (article 32 § 1 et article 35 § 2 du code de procédure pénale – Strafprozeßordnung). Accès au dossier pénal L’article 82 du code de procédure pénale dispose : « Les tribunaux apprécient librement si une partie ou son représentant dûment mandaté peuvent être autorisés, en dehors des cas expressément prévus par le code de procédure pénale, à consulter des pièces du dossier ou si des copies peuvent leur en être délivrées, pour autant que les intéressés démontrent de manière plausible que ces copies leur sont nécessaires pour pouvoir demander une indemnisation, pour étayer leur demande de révision ou pour d’autres motifs. » D. Accès du public aux arrêts des plus hautes juridictions La Cour constitutionnelle et la Cour administrative ont pour pratique de mettre à disposition leurs arrêts sur simple demande adressée au greffe. Elles publient en outre annuellement une sélection de leurs décisions. A la suite d’une modification apportée en 1991 à la loi sur la Cour suprême, les arrêts de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) sont également à la disposition du public, sur simple demande. La Cour suprême publie également chaque année une sélection de ses arrêts. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Szücs a saisi la Commission le 24 août 1992. Invoquant l’article 5 §§ 3 et 5, il se plaignait de la durée de sa détention provisoire ainsi que du refus des juridictions autrichiennes de lui accorder une indemnité pour la détention subie. Invoquant l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention, il se plaignait également de ce que les juridictions autrichiennes n’avaient pas rendu leurs jugements publiquement et de ce qu’il n’avait pu faire interroger des témoins ; enfin il alléguait la violation du principe de la présomption d’innocence. Les 29 juin 1994 et 23 octobre 1995, la Commission a retenu la requête (no 20602/92) quant au grief relatif à l’absence de prononcé public des arrêts rendus par la cour d’appel de Vienne, et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle conclut à la violation de l’article 6 § 1 (vingt-sept voix contre deux). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire commun à la présente affaire et à l’affaire Werner c. Autriche (arrêt du 24 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII), le Gouvernement demande à la Cour : « 1. De déclarer les présentes requêtes irrecevables au regard de l’article 27 § 2 de la Convention, pour défaut manifeste de fondement en l’absence des violations de la Convention alléguées par les requérants dans la mesure où lesdites requêtes ne doivent pas être rejetées pour défaut d’épuisement des voies de recours internes au regard de l’article 27 § 3 de la Convention ; ou De dire qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans les procédures engagées en vertu de la loi sur l’indemnisation pénale. » Le requérant, de son côté, invite la Cour à constater « la violation de son droit, protégé par l’article 6 § 1 de la Convention, à un prononcé public des décisions rendues par les juridictions saisies de sa demande d’indemnité ». L’intéressé prie aussi la Cour de condamner l’Autriche à lui verser les frais et dépens encourus ainsi qu’une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissant autrichien né en 1963, M. Johannes Werner réside à Vienne. A. La détention provisoire Le 15 mai 1991, la police arrêta M. et Mme Hauser (paragraphe 25 ci-dessous), soupçonnés d'avoir frauduleusement utilisé la carte de crédit d'une tierce personne lors d'achats effectués dans différents magasins de Vienne pour une valeur d'environ 200 000 schillings autrichiens (ATS). Le 17 mai, ils furent placés en détention provisoire. Le 1er juillet 1991, la police arrêta également le requérant, soupçonné d'avoir été le complice des époux Hauser en falsifiant la signature sur la carte de crédit. Le 3 juillet, il fut placé en détention provisoire. Le 8 juillet 1991, les époux Hauser furent remis en liberté, et, le 19 juillet, l'intéressé. B. L'arrêt des poursuites Le 24 février 1992, le juge d'instruction près le tribunal régional (Landesgericht) de Vienne décida d'abandonner les poursuites à la suite des conclusions d'un expert en graphologie, d'après lesquelles il était peu probable que les signatures figurant sur les reçus de la carte de crédit volée fussent de la main de M. Werner, ainsi qu'au fait que les témoins cités par le procureur n'avaient pas de souvenirs assez précis. C. La demande d'indemnité pour la détention subie Entre-temps, le 4 février 1992, le parquet (Staatsanwaltschaft) avait demandé au tribunal régional de dire que le requérant et les époux Hauser n'avaient pas droit au versement d'une indemnité pour la détention subie, conformément à l'article 2 § 1 b) de la loi de 1969 sur l'indemnisation en matière pénale (Strafrechtliches Entschädigungsgesetz, « loi de 1969 » – paragraphe 19 ci-dessous), au motif que les soupçons à leur égard n'avaient pas été dissipés. Le 21 avril 1992, le juge d'instruction entendit l'intéressé et les époux Hauser et les informa de la démarche du parquet. Ceux-ci sollicitèrent de l'Etat un dédommagement pour le préjudice matériel causé par leur maintien en détention. Le 3 juin 1992, la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal régional de Vienne, siégeant à huis clos, rejeta leurs demandes d'indemnité, au motif que, contrairement aux exigences de l'article 2 § 1 b) de la loi de 1969, les soupçons à leur égard n'avaient pas été dissipés. Aucun représentant du parquet n'assista aux délibérations. Le 15 juin 1992, M. Werner et les époux Hauser interjetèrent appel de cette décision auprès de la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Vienne. Ils demandèrent à la cour d'appel de recueillir de nouvelles preuves et notamment d'entendre des témoins. Le 2 septembre 1992, le parquet général (Oberstaatsanwaltschaft) soumit ses observations écrites. Il demanda à la cour d'appel de débouter les demandeurs et de ne pas recueillir de nouvelles preuves, étant donné que les déclarations des témoins n'étaient pas susceptibles d'innocenter les premiers. Ces observations ne furent pas communiquées au requérant et aux époux Hauser. Le 29 octobre 1992, la cour d'appel de Vienne, siégeant à huis clos, débouta les demandeurs. Elle statua en ces termes : « Il y a d'abord lieu de répondre aux demandeurs que leur thèse selon laquelle les soupçons ne doivent pas être entièrement dissipés pour que puisse être accordée une indemnité sur le fondement de l'article 2 § 1 b) de la loi sur l'indemnisation en matière pénale se trouve contredite par la jurisprudence constante des tribunaux autrichiens. Uniforme, celle-ci prévoit en effet que les soupçons doivent être dissipés à un degré tel qu'il soit prouvé que l'intéressé n'est pas punissable et ne peut être poursuivi pour le comportement à l'origine de sa détention. Si cela demeure seulement incertain, les soupçons ne sont pas dissipés au sens de l'article 2 § 1 b) de la loi. Le reproche des demandeurs selon lequel cette jurisprudence opère un renversement de la charge de la preuve ne correspond pas à la réalité car des preuves concluantes doivent être produites pour que puisse être admise la dissipation des soupçons. A cet égard, il ne se justifie pas d'ouvrir aux demandeurs, comme ils l'exigent, la possibilité de prouver leur innocence dans le cadre d'une nouvelle instruction, car les preuves offertes ne sauraient être considérées comme propres à conduire audit résultat. Dès lors en effet que les soupçons pesant sur les demandeurs reposent essentiellement sur les observations des témoins en date du 16 mars 1991 et que, de surcroît, il n'est pas possible de déterminer à quel moment les autres faits ont eu lieu, on ne peut escompter des résultats concluants d'une nouvelle instruction où seraient produits, pour les 18 et 19 mars, le relevé des heures et des itinéraires du demandeur Johannes Werner, ainsi que les disques de son tachygraphe, car les faits incriminés peuvent avoir eu lieu pendant les pauses effectuées au cours des trajets, ou encore avant ou après ceux-ci, d'autant que les relevés horaires soumis par l'intéressé présentent des trous. Les témoins cités ont déjà été entendus par la police et ont déjà été confrontés aux demandeurs en l'espèce. Si les poursuites ont été abandonnées, c'est essentiellement en raison du fait qu'avec le temps la mémoire desdits témoins est devenue hésitante. Toutefois, si elle s'est montrée à ce point défaillante qu'elle ne pouvait plus être considérée comme suffisante pour établir la culpabilité, elle ne saurait non plus constituer, dans la présente procédure, une base suffisante pour une indemnisation. Les demandeurs ne contestent pas que l'enquête de la police avait fait naître contre eux des soupçons concrets. Dès lors que ceux-ci n'ont pu être dissipés par la suite mais que, compte tenu des doutes subsistants, ils n'ont simplement pas suffi pour prononcer un verdict de culpabilité, les conditions auxquelles, en vertu de l'article 2 § 1 b) de la loi sur l'indemnisation en matière pénale, il y a lieu de satisfaire pour pouvoir prétendre à une indemnité ne sont pas remplies. Les demandes ne peuvent donc être accueillies. » Aucun représentant du parquet général n'assista aux délibérations. II. Le droit interne pertinent A. Oralité et publicité des débats judiciaires L'article 90 § 1 de la Constitution fédérale dispose : « Les débats judiciaires en matière civile et pénale sont oraux et publics. La loi prévoit les exceptions à cette règle. » B. Indemnité au titre de la détention provisoire Les dispositions pertinentes de la loi de 1969 sont ainsi libellées : Article 2 § 1 b) « 1) A droit à une indemnité : a) (...) b) la victime qui, mise en garde à vue ou en détention provisoire par une juridiction nationale (...), parce que soupçonnée d'une infraction passible de poursuites en Autriche, a été ultérieurement acquittée de ce chef d'inculpation ou autrement mise hors de cause, si les soupçons pesant sur elle ont été dissipés ou si la poursuite se trouve exclue pour d'autres raisons qui existaient déjà à l'époque de l'arrestation ; (...) » Article 6 « 1) (...) 2) Le tribunal qui acquitte une personne ou la met autrement hors de cause (…) (article 2 § 1 b) ou c)) doit décider, d'office ou sur demande de la personne concernée ou du parquet, si les conditions d'indemnisation prévues à l'article 2 §§ 1 b) ou c), 2 et 3 se trouvent réunies ou s'il existe un des motifs d'exclusion énumérés à l'article 3. (...) Si les poursuites sont abandonnées sur décision du juge d'instruction, c'est la chambre du conseil qui statue. 3) Avant de statuer, la juridiction doit entendre la personne arrêtée ou condamnée et recueillir les preuves nécessaires à sa décision, pour autant que celles-ci n'ont pas déjà été produites dans la procédure pénale (...) 4) La décision, qu'il n'y a pas lieu de publier, doit, dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 2, une fois la décision au pénal passée en force de chose jugée, être signifiée à la personne arrêtée ou condamnée, et ce par remise en mains propres, ainsi qu'au procureur (...) 5) La personne arrêtée ou condamnée et le procureur peuvent interjeter appel de la décision devant la juridiction supérieure ; ils ont quatorze jours pour ce faire. 6) La juridiction compétente pour statuer sur le recours doit ordonner à la juridiction pénale de première instance d'effectuer des investigations complémentaires, pour autant que cela soit nécessaire pour la décision. Si c'est le tribunal de première instance qui est appelé à statuer, les investigations doivent être effectuées par le juge d'instruction. 7) Dès lors qu'elle est passée en force de chose jugée, la décision lie les juridictions pour la suite de la procédure. » Si les juridictions estiment que les conditions des articles 2 et 3 sont remplies, l'intéressé doit saisir le département des finances (Finanzprokuratur) pour que sa demande soit accueillie. Si aucune décision n'est prise sur sa demande dans un délai de six mois, ou si sa demande est partiellement ou entièrement refusée, le demandeur peut engager une action civile contre la République d'Autriche (articles 7 et 8 de ladite loi). En règle générale, il n'y a pas d'audience publique devant la chambre du conseil et devant la cour d'appel dans les procédures de recours (Beschwerden) contre une décision de la chambre du conseil. Ces deux juridictions statuent à huis clos, après avoir entendu, respectivement, le représentant du parquet et celui du parquet général (article 32 § 1 et article 35 § 2 du code de procédure pénale – Strafprozeßordnung). A l'époque des faits, l'article 35 § 2 du code de procédure pénale était ainsi rédigé : « [Les procureurs] peuvent assister aux délibérations de la Cour, pour autant qu'elles n'ont pas pour objet une décision qui doit être rendue lors de l'audience principale [Hauptverhandlung], ou lors du « jour d'audience » [Gerichtstag] fixé pour statuer sur un appel ou un recours en nullité ; ils ne peuvent cependant être présents lors du vote et de la prise de décision [Beschlußfassung]. » Depuis le 1er janvier 1994, ledit article se lit ainsi : « Lorsque le procureur près une juridiction d'appel formule des observations au sujet d'un pourvoi en cassation ou d'un appel contre un jugement ou contre une autre décision de justice, la juridiction d'appel doit communiquer ces observations à l'accusé (l'intéressé) et lui signaler qu'il peut s'exprimer à leur propos dans un délai qui doit être fixé de manière raisonnable. Cette communication n'est pas nécessaire si le procureur se borne à conclure au rejet du recours sans autre argumentation, s'il se borne à conclure à l'accueil du recours ou si la juridiction d'appel fait droit au recours de l'accusé. » C. Accès au dossier pénal L'article 82 du code de procédure pénale dispose : « Les tribunaux apprécient librement si une partie ou son représentant dûment mandaté peuvent être autorisés, en dehors des cas expressément prévus par le code de procédure pénale, à consulter des pièces du dossier ou si des copies peuvent leur en être délivrées, pour autant que les intéressés démontrent de manière plausible que ces copies leur sont nécessaires pour pouvoir demander une indemnisation, pour étayer leur demande de révision ou pour d'autres motifs. » D. Accès du public aux arrêts des plus hautes juridictions La Cour constitutionnelle et la Cour administrative ont pour pratique de mettre à disposition leurs arrêts sur simple demande adressée au greffe. Elles publient en outre annuellement une sélection de leurs décisions. A la suite d'une modification apportée en 1991 à la loi sur la Cour suprême, les arrêts de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) sont également à la disposition du public, sur simple demande. La Cour suprême publie également chaque année une sélection de ses arrêts. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Werner a saisi la Commission le 16 mars 1993, en même temps que M. et Mme Hauser, co-requérants qui ont par la suite retiré leur requête. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, M. Werner se plaignait de ce que le tribunal régional et la cour d'appel de Vienne, statuant sur sa demande d'indemnité pour la détention subie, n'avaient pas tenu d'audience publique et n'avaient pas rendu leurs jugements publiquement. Il soutenait également qu'il n'avait pas bénéficié d'un procès équitable devant la cour d'appel de Vienne, car il n'avait pu répliquer aux observations du procureur général, ni faire interroger des témoins. Enfin, invoquant l'article 6 § 2 de la Convention, il alléguait la violation du principe de la présomption d'innocence. Les 2 septembre 1994 et 23 octobre 1995, la Commission a retenu la requête (n° 21835/93) quant aux griefs relatifs à l'absence d'audience publique et de prononcé public des jugement et arrêt rendus par le tribunal régional et la cour d'appel de Vienne, de même quant à celui relatif à l'absence de procès équitable devant la cour d'appel, faute pour le requérant d'avoir pu répondre aux observations du procureur général. Elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 3 septembre 1996 (article 31), elle conclut à la violation de l'article 6 § 1 en ce qui concerne l'absence d'audience publique (vingt-cinq voix contre quatre) et de prononcé public des jugements (vingt-sept voix contre deux) par les juridictions autrichiennes, ainsi qu'en ce qui concerne l'absence de procès équitable devant la cour d'appel de Vienne (vingt-six voix contre trois). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire commun à la présente affaire et à l'affaire Szücs c. Autriche (arrêt du 24 novembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII), le Gouvernement demande à la Cour : « 1. De déclarer les présentes requêtes irrecevables au regard de l'article 27 § 2 de la Convention, pour défaut manifeste de fondement en l'absence des violations de la Convention alléguées par les requérants dans la mesure où lesdites requêtes ne doivent pas être rejetées pour défaut d'épuisement des voies de recours internes au regard de l'article 27 § 3 de la Convention ; ou De dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention dans les procédures engagées en vertu de la loi sur l'indemnisation pénale ». Le requérant, de son côté, invite la Cour à constater la violation de ses droits, garantis par l'article 6 § 1 de la Convention, à : « a) une audience publique dans la procédure relative à sa demande d'indemnité en vertu de la loi sur l'indemnisation pénale ; b) un prononcé public des décisions des juridictions saisies de cette demande ; c) l'égalité des armes (procès équitable) ». L'intéressé prie aussi la Cour de condamner l'Autriche à lui verser les frais et dépens encourus ainsi qu'une satisfaction équitable au titre de l'article 50 de la Convention.
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I. Les circonstances de l'espÈce M. Driss Boujlifa est né en 1962 au Maroc. Il est entré en France à l'âge de cinq ans pour rejoindre son père dans le cadre d'une procédure de regroupement familial. Trois de ses huit frères et sœurs ont la nationalité française. Alors qu'il avait vingt ans, le requérant commit plusieurs infractions. Le 10 mai 1985, la cour d'assises des mineurs de Bourg-en-Bresse le condamna à six ans de réclusion criminelle, pour vol avec port d'arme. Le 29 novembre 1985, la cour d'appel de Lyon lui infligea dix-huit mois d'emprisonnement, pour vol avec violence. Ayant purgé ses peines, il fut ensuite extradé vers la Suisse en exécution d'un décret de 1984, pour y purger, du 5 mai 1987 au 5 août 1988, une peine d'emprisonnement pour vol. A l'issue de cette période, il revint en France, pour habiter chez ses parents. Il affirme avoir travaillé entre juin 1989 et janvier 1991. Démuni de titre de séjour depuis février 1983, M. Boujlifa se présenta à la préfecture des Alpes-Maritimes le 2 janvier 1990 afin de régulariser sa situation. Le 21 novembre 1990, il fut informé de l'engagement, à son encontre, d'une procédure d'expulsion motivée par les condamnations prononcées les 10 mai et 29 novembre 1985. A. L'arrêté d'expulsion Le 8 avril 1991, le ministre de l'Intérieur prit l'arrêté suivant à l'encontre du requérant : « Vu les articles 23 à 25 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, Vu le décret n° 82-440 du 26 mai 1982, Considérant que le nommé BOUJLIFA Driss, né le 6 juin 1962 à Casablanca (Maroc), a commis en 1982, une tentative de vol avec violences, un vol avec port d'arme, des faits de recel d'objet enlevé, détourné ou obtenu à l'aide d'un crime ou délit, Considérant qu'en raison de son comportement la présence de cet étranger sur le territoire français constitue une menace grave pour l'ordre public, Vu l'avis favorable émis par la commission prévue à l'article 24 de l'ordonnance précitée, en date du 13 décembre 1990. Sur la proposition du Préfet des Alpes-Maritimes, ARRÊTE Article 1er – Il est enjoint au susnommé de sortir du territoire français. Article 2 – Le préfet de police et les préfets sont chargés de la notification et de l'exécution du présent arrêté. » B. Les demandes en annulation et en sursis à exécution Devant le tribunal administratif de Nice Les 21 et 24 mai 1991, le requérant saisit le tribunal administratif de Nice d'un recours en annulation de l'arrêté d'expulsion et d'une requête de sursis à exécution de la décision attaquée. Il invoquait notamment son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Le 20 décembre 1991, le tribunal administratif de Nice rendit un jugement de rejet ainsi motivé : « Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée : Considérant que si le ministre de l'Intérieur a motivé sa décision en faisant état des infractions commises par M. Driss Boujlifa, il a également fait état de son comportement et de l'avis favorable émis par la commission ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, ledit arrêté doit être regardé comme suffisamment motivé ; Sur le moyen tiré de l'erreur de droit alléguée dans l'application de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : (...) Considérant que si M. Driss Boujlifa allègue qu'il a séjourné régulièrement sur le territoire français depuis 1967 et qu'il était à l'époque de son entrée sur le territoire âgé de cinq ans, il ressort des pièces du dossier qu'il a fait l'objet d'une mesure d'extradition, a dû quitter le territoire le 5 mai 1987 et a été détenu en Suisse jusqu'en août 1988 ; qu'alors même que cette sortie du territoire national n'aurait pas été volontaire, le requérant a cessé d'avoir sa résidence habituelle en France au sens du deuxième alinéa de l'article 25 de l'ordonnance précitée ; que, par la suite il est revenu en France et s'y est maintenu de façon irrégulière ; que la circonstance qu'il ait alors sollicité un titre de séjour et celle, alléguée, qu'il n'aurait pas eu de réponse expresse à la demande de titre de séjour formulée en 1982, sont sans incidence sur le caractère irrégulier de son maintien sur le territoire national ; qu'ainsi, le moyen tiré d'une violation des dispositions du deuxième alinéa de l'article 25 de l'ordonnance précitée manque en fait ; Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation : Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission spéciale prévue à l'article 25 de l'ordonnance précitée et le ministre de l'Intérieur n'aient pas examiné l'ensemble des éléments relatifs au comportement du requérant et aux différents aspects de sa situation afin de déterminer si, après s'être rendu coupable d'infractions pénales et avoir été condamné tant en France qu'en Suisse à plusieurs peines d'emprisonnement, sa présence sur le territoire français, alors qu'il y séjournait irrégulièrement, constituait une menace grave pour l'ordre public ; que si M. Driss Boujlifa fait valoir qu'il a mené à terme ses études en France, qu'il y travaille régulièrement et acquitte un loyer, que certains de ses frères et sœurs ont acquis la nationalité française, qu'il n'a plus commis d'actes répréhensibles après avoir effectué les peines sus-évoquées, qu'il s'est parfaitement intégré à la société française et n'a conservé aucune attache avec le Maroc, ces circonstances ne suffisent pas à établir que le ministre de l'Intérieur ait commis une erreur manifeste d'appréciation ; Sur le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales : (...) Considérant que si M. Driss Boujlifa fait valoir, à l'appui de ses allégations selon lesquelles la décision attaquée porterait à sa vie familiale une atteinte d'une gravité excédant ce qui est nécessaire à la défense de l'ordre public, le fait qu'il ne possède plus aucune attache familiale avec le pays dont il possède la nationalité, qu'il n'en parle pas la langue et qu'il n'y a pas vécu depuis l'âge de cinq ans, que toute sa famille réside en France et que ses plus jeunes frères et sœurs ont acquis la nationalité française, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée, fondée sur la défense de l'ordre public, était, eu égard au comportement du requérant et à la gravité des actes commis par lui, nécessaire pour la défense de cet ordre ; que, dans ces conditions, elle n'a pas été prise en violation de l'article 8 précité. » Devant le Conseil d'Etat Saisi en appel par M. Boujlifa, le Conseil d'Etat rendit un arrêt le 18 février 1994. Il confirmait en ces termes le jugement du tribunal administratif : « (...) Considérant que M. Boujlifa s'est rendu coupable de vol à main armée, de recel de vol et d'agression avec une bombe à gaz lacrymogène et a été condamné pénalement pour ces faits ; que la mesure d'expulsion attaquée était, eu égard à la gravité des actes commis par le requérant, nécessaire pour la défense de l'ordre public et compte tenu notamment de ce que M. Boujlifa est célibataire sans enfant, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ; que, dans ces conditions, elle n'a pas été prise en violation de l'article 8 de [la] Convention ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Boujlifa n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 avril 1991 du ministre de l'Intérieur prononçant son expulsion. » Depuis août 1988, le requérant réside en France sans avoir ni titre de séjour ni carte de travail, et, depuis janvier 1991, il vit en concubinage avec Mlle V., ressortissante française. II. Le droit interne pertinent A. En matière d'expulsion En droit français, l'expulsion s'analyse en une mesure de police et non en une sanction pénale (Conseil constitutionnel, décision n° 79-109, Droit constitutionnel, 9 janvier 1980, Recueil Dalloz Sirey 1980, p. 249, Conseil d'Etat (« CE ») 20 janvier 1988, Elfenzi, Actualité juridique, Droit administratif 1989, p. 223, et Cour de cassation, chambre criminelle, 1er février 1995, Juris-Classeur périodique 1995, édition générale, II, 22463). Elle vise l'étranger qui réside en France sous couvert d'un titre de séjour, et non celui qui y est présent irrégulièrement et qui ne peut être frappé que d'un arrêté de reconduite à la frontière. L'expulsion des étrangers obéit aux dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance, « sont considérés comme étrangers tous les individus qui n'ont pas la nationalité française, soit qu'ils aient une nationalité étrangère, soit qu'ils n'aient pas de nationalité ». Le texte de base de l'ordonnance a été remanié, notamment par les lois n° 80-9 du 10 janvier 1980, n° 81-82 du 2 février 1981, n° 81-973 du 29 octobre 1981, n° 86-1025 du 9 septembre 1986, n° 89-548 du 2 août 1989, n° 91-1383 du 31 décembre 1991, n° 93-1027 du 24 août 1993 et n° 93-1417 du 30 décembre 1993. La loi du 10 janvier 1980 institua six motifs d'expulsion et modifia profondément l'institution de l'expulsion : destinée à prévenir la menace pour l'ordre public, l'expulsion servit aussi à sanctionner certaines situations irrégulières. Ce texte fut rapidement remplacé par la loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 qui maintint les deux cas d'expulsion suivants : – l'un, selon une procédure de droit commun, lorsque « la présence sur le territoire français d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public » (articles 23 à 25), – l'autre, selon une procédure dérogatoire, « en cas d'urgence absolue (et de) nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique » (article 26). Cette loi institua également des catégories d'étrangers ne pouvant être expulsés selon la première procédure et protégés en raison de leur âge, de l'ancienneté de leur séjour en France, des attaches familiales qu'ils y ont, des services professionnels qu'ils ont rendus, et de l'absence d'antécédents judiciaires. Les dispositions relatives à la définition des catégories protégées, aux conditions de fond et aux garanties offertes par la procédure de droit commun ont été tour à tour modifiées puis rétablies par les législations ultérieures. En 1991, la procédure de droit commun relevant des articles 23 à 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 requérait que « la présence sur le territoire français de l'étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ». Quant à la procédure dérogatoire, elle exigeait une urgence absolue et une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ». La procédure de droit commun Il s'agit d'une véritable procédure contradictoire applicable quand « l'étranger justifie être entré en France dans des conditions régulières et être régulièrement titulaire d'une carte de séjour » (article 24). Une commission départementale composée du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, d'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département et d'un conseiller du tribunal administratif, est obligatoirement consultée et ses débats sont publics. En 1991, le pouvoir d'appréciation du ministre de l'Intérieur était plus réduit. Depuis la loi n° 93-1027 du 24 août 1993, l'avis de la commission ne s'impose plus au ministre. La procédure dérogatoire en cas d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique L'expulsion prononcée pour des motifs tirés des nécessités de l'ordre public vise à prévenir – et non à sanctionner – les atteintes à l'ordre public. A la seule exception des mineurs, aucune catégorie d'étranger n'est protégée. Cette procédure se caractérise par la disparition de toutes les garanties dont est assortie la procédure de droit commun : l'étranger n'est pas avisé préalablement qu'une mesure d'expulsion est envisagée à son encontre, ne reçoit pas de bulletin spécial de notification, n'est pas invité à présenter d'observations, et ne comparaît pas devant la commission, laquelle n'est pas réunie, même hors la présence de l'intéressé. L'arrêté d'expulsion n'est soumis à aucune formalité préalable et n'a pas à être motivé. La condition relative à la nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique est apparue avec la loi du 29 octobre 1981. Remplacée, dans la loi du 6 septembre 1986, par celle de « menace pour l'ordre public présentant un caractère de particulière gravité », elle fut réintroduite par la loi du 2 août 1989. L'article 26 recouvre également les hypothèses d'attitude violente et asociale de l'intéressé depuis l'âge de dix ans et pendant une longue période (CE 23 décembre 1987, Tahraoui, Recueil des arrêts du Conseil d'Etat (« Rec. ») p. 430) et de viol et attentat à la pudeur avec violence ou surprise, CE 24 mai 1993, Igartúa Amondaraín, Rec. p. 163, et CE 23 juin 1993, Bouchelkia, Droit administratif 1993, n° 412). La condition de l'urgence absolue, posée dès 1945, fut couplée, en 1981, avec la condition de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique ». L'urgence absolue est en pratique invoquée afin d'assurer, dès leur libération, l'expulsion des délinquants étrangers condamnés par les juridictions pénales et en train de purger leur peine. Son contenu est apprécié au cas par cas par le ministre, sous le contrôle du juge administratif. Le Conseil d'Etat a longtemps considéré que l'existence même de l'urgence relevait du seul pouvoir discrétionnaire du ministre. A partir de 1970, il interpréta la condition en en limitant l'application aux seuls cas où l'expulsion devait être réalisée dans un très bref délai (CE 16 janvier 1970, Mihoubi Tayeb, Rec. p. 25). Il justifia ensuite l'urgence par l'imminence de la libération de l'intéressé (CE 13 novembre 1985, ministère de l'Intérieur c. Barrutiabengoa Zabarte, Rec. p. 321), puis admit le recours à cette procédure à l'égard d'un étranger sorti de prison depuis plusieurs mois à la date de l'arrêté d'expulsion (CE 24 juin 1988, Hamade, Rec., tables, p. 933, et 8 avril 1994, Zehar, Dalloz 1994), ou qui bénéficiait depuis sept mois, à la date de l'arrêté attaqué, d'une mesure de libération anticipée (CE 3 février 1995, Kaouche, requête n° 145404, Droit administratif, mai 1995, p. 10). Il accepta encore que le ministre recoure à la procédure d'urgence absolue lorsque, dans la procédure d'expulsion de droit commun initialement engagée, la commission avait émis un avis défavorable à l'expulsion : le Conseil d'Etat estima cette pratique légale « dès lors que les conditions posées par l'article 26 étaient remplies lorsque l'arrêté a été pris » (CE 24 mai 1993, Igartúa Amondaraín, Rec. p. 163). L'exécution et les effets de l'arrêté d'expulsion L'arrêté d'expulsion, adopté par le ministre de l'Intérieur, demeure en vigueur sans limite de temps. Depuis 1986, il vaut en lui-même titre exécutoire et peut être exécuté d'office, au besoin par la force. 22. En général, l'expulsion est exécutée sans délai ; cependant ses effets ne sont pas épuisés du fait de son exécution. Ainsi, l'expulsion s'oppose à ce que l'intéressé revienne sur le sol français tant que l'arrêté d'expulsion n'a pas été abrogé. Il s'y trouverait exposé aux sanctions appliquées en cas de soustraction ou tentative de soustraction à l'exécution d'un arrêté d'expulsion et de retour en France sans autorisation. Par ailleurs, la circulaire du ministre de l'Intérieur du 8 février 1994 relative à l'application des lois des 24 août et 30 décembre 1993 précise que si la célébration du mariage d'un étranger sur le territoire français n'est subordonnée à aucune condition de régularité du séjour, les préfets avisés de l'irrégularité de la situation d'un étranger candidat au mariage peuvent, avant la célébration, prononcer à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière dans les conditions prévues à l'article 22 de l'ordonnance de 1945 et, après celle-ci, décider d'éloigner l'étranger du territoire en application de la même disposition. Le Conseil d'Etat a jugé qu'un arrêté de reconduite à la frontière pouvait légalement être pris à l'encontre d'un étranger sur le point d'épouser une personne de nationalité française (CE, section du contentieux, 26 juillet 1991, Lazaar, requête n° 121849). Les recours contre l'arrêté d'expulsion L'arrêté d'expulsion n'étant soumis à aucun régime spécifique, il peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif territorialement compétent selon les règles de droit commun. Ce recours n'étant pas suspensif, il peut être assorti de conclusions de sursis à exécution, même lorsque l'arrêté a été exécuté et que l'intéressé se trouve à l'étranger. Le 31 juillet 1996 (requête n° 149765), le Conseil d'Etat a annulé un arrêté d'expulsion frappant un Algérien né en France où il avait toujours résidé, en considérant : « (...) que les membres de sa famille proche demeurent en France et que certains possèdent la nationalité française ; qu'à la date de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre, il était père d'un enfant de nationalité française et marié à une personne de nationalité française ; que dans les circonstances de l'espèce, s'il est établi qu'il s'est rendu coupable d'infractions lui ayant valu des condamnations à plusieurs peines d'emprisonnement, dont en dernier lieu une peine de douze ans de réclusion criminelle pour vol avec port d'armes, vol à l'aide d'une effraction commis soit la nuit, soit en réunion et vol simple, la décision attaquée a néanmoins, compte tenu tant du comportement [du requérant], postérieurement aux condamnations prononcées à raison de ces faits que de son absence de tout lien avec un pays autre que la France, porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. » L'abrogation de l'arrêté d'expulsion L'étranger visé peut à tout moment, et autant de fois qu'il le désire, en solliciter l'abrogation. Lorsque la demande est présentée moins de cinq ans « à compter de l'exécution définitive de l'arrêté d'expulsion », le ministre de l'Intérieur statue sans aucune règle de forme particulière. Si la demande est présentée « à l'expiration d'un délai de cinq ans (...), elle ne peut être rejetée qu'après l'avis de la commission [départementale des expulsions] devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter ». Cette consultation s'impose même si l'expulsion a été prononcée en urgence absolue. Depuis la loi du 24 août 1993, l'avis de la commission ne lie plus le ministre. Le Conseil d'Etat avait estimé qu'un arrêté d'expulsion est exécuté au jour où l'étranger quitte le territoire français et qu'en conséquence, même s'il est ultérieurement rentré irrégulièrement en France, c'est à compter de cette date que court le délai de cinq ans (CE 18 novembre 1988, Higoun, Rec. p. 415). Cependant, l'article 28 bis, inséré par la loi du 24 août 1993 dans l'ordonnance de 1945, s'oppose désormais à ce que l'abrogation d'un arrêté d'expulsion soit prononcée si l'intéressé n'a pas quitté le territoire français ou s'il y est revenu clandestinement : « Il ne peut être fait droit à une demande (...) d'abrogation d'un arrêté d'expulsion (...) présentée après l'expiration du délai d'un recours administratif que si le ressortissant étranger réside hors de France. » La demande demeurée sans réponse au terme d'un délai de quatre mois est considérée comme implicitement rejetée par le ministre de l'Intérieur. Lorsque celui-ci renonce à faire exécuter un arrêté d'expulsion tout en se refusant à l'abroger, l'étranger est assigné à résidence. S'il continue à troubler l'ordre public, il peut se voir expulser. Il s'agit alors d'une décision nouvelle, détachable de l'arrêté et attaquable en elle-même devant le juge administratif. S'il est saisi, le juge s'interroge sur le comportement de l'intéressé pendant le laps de temps où l'on a toléré sa présence sur le sol français. Pour apprécier la légalité de la mesure, il se place donc à la date à laquelle il statue, et le moyen tiré de ce que l'intéressé s'est amendé postérieurement à la prise de l'arrêté est inopérant (CE 27 novembre 1985, Hamza, Rec. p. 712). L'abrogation d'un arrêté d'expulsion ne confère pas un titre de séjour régulier. S'il est à nouveau sollicité, celui-ci peut être légalement refusé. B. En matière d'acquisition de la nationalité française L'article 21-27 du code civil, pertinent en l'espèce, dispose : « Sous réserve des dispositions prévues aux articles 21-7, 21-8 [concernant les étrangers nés en France de parents étrangers] et 22-1 [concernant les enfants mineurs de parents ayant acquis la nationalité française], nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s'il a été l'objet soit d'une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l'infraction considérée, s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement, non assortie d'une mesure de sursis. (L. n° 93-1417, 30 décembre 1993) Il en est de même de celui qui a fait l'objet soit d'un arrêté d'expulsion non expressément rapporté ou abrogé ou d'une interdiction du territoire français non entièrement exécutée. (L. n° 93-1027, 24 août 1993) Il en est de même de celui dont le séjour en France est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour des étrangers en France. » PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION M. Boujlifa a saisi la Commission le 22 juin 1994. Il alléguait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention. Le 17 janvier 1996, la Commission (deuxième chambre) a retenu la requête (n° 25404/94). Dans son rapport du 26 juin 1996 (article 31), elle conclut, par onze voix contre deux, à la non-violation de l'article 8 de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement « conclut au rejet de la requête de M. Boujlifa ». A l'audience, l'avocat du requérant a demandé à la Cour de juger qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention et d'allouer à son client une satisfaction équitable.
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I. Les circonstances de l'espèce A. La procédure devant le tribunal de paix d'Athènes Le 23 décembre 1987, M. Papageorgiou et cent neuf autres personnes saisirent le tribunal de paix (Eirinodikeio) d'Athènes, d'une action contre l'Entreprise publique d'électricité (Dimossia Epikheirissi Ilektrismou, « la DEI »), dont ils étaient salariés, en vue d'obtenir chacun 268 800 drachmes (GRD). Cette somme correspondait à celle que la DEI, se fondant sur les dispositions de la loi n° 1483/1984, avait retenu sur leurs salaires, entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1987, au profit de l'Organisme pour l'emploi de la main-d'œuvre (Organismos Apascholissis Ergatikou Dynamikou, « l'OAED »). L'audience devant le tribunal de paix fut fixée au 8 février 1988. Le 4 février 1988, la DEI saisit le tribunal de paix d'une demande tendant à assigner l'OAED en intervention forcée (anakoinossi dikis meta prosepiklisseos is paremvassi). Elle soutenait en particulier qu'au cas où elle perdrait le procès, elle aurait le droit d'exiger un dédommagement par l'OAED au profit duquel elle avait retenu les sommes revendiquées. L'audience fut fixée au 16 mars 1988. Le 8 février 1988, l'audience relative à la première action fut reportée au 16 mars 1988, afin que les deux instances soient jointes. Toutefois, le 16 mars 1988, elle fut annulée car les avocats des parties ne s'étaient pas présentés. Souhaitant poursuivre seul désormais l'action introduite le 23 décembre 1987, le requérant invita, le 26 octobre 1988, le tribunal de paix à tenir une nouvelle audience qui fut fixée au 14 décembre 1988. Le 12 décembre 1988, la DEI saisit derechef le tribunal de paix d'une demande tendant à assigner l'OAED en intervention forcée. L'audience fut fixée au 7 février 1989. Le 14 décembre 1988, les débats furent ajournés jusqu'au 7 février 1989, afin que les deux instances soient jointes. Par un jugement (n° 749/1989) du 20 avril 1989, le tribunal de paix accueillit en partie la demande du requérant et ordonna à la DEI de verser à celui-ci la somme de 190 383 GRD ; il enjoignit en outre à l'OAED de rembourser la DEI pour cette somme. B. La procédure devant le tribunal de grande instance d'Athènes Les 26 juin et 10 juillet 1989 respectivement, la DEI et l'OAED interjetèrent appel de ce jugement auprès du tribunal de grande instance (Polymeles protodikeio) d'Athènes. A la demande du requérant, l'audience fut fixée au 12 janvier 1990. A cette date, le tribunal de grande instance releva que la tenue des débats avait été accélérée par le requérant lui-même, lequel n'avait pas cependant cité à comparaître la DEI estimant que l'appel de l'OAED était irrecevable dans la mesure où il visait aussi la DEI. Il décida alors, d'une part, de déclarer l'appel irrecevable dans la mesure où celui-ci se dirigeait contre la DEI et, d'autre part, de reporter les débats en ce qui concernait M. Papageorgiou, afin d'éviter le risque de rendre deux décisions contradictoires, (arrêt n° 2371/1990). Le 3 avril 1990, le requérant, ayant assigné à la fois l'OAED et la DEI, demanda une nouvelle audience devant le tribunal de grande instance, qui eut lieu le 28 septembre 1990. Par un arrêt (n° 9189/1990) du 30 novembre 1990, le tribunal de grande instance réduisit la somme accordée au requérant par le tribunal de paix à 117 213 GRD. C. La procédure devant la Cour de cassation Le 13 mars 1991, la DEI se pourvut en cassation ; l'OAED intervint pour appuyer les prétentions de celle-ci. Dans l'un de ses moyens, la DEI contestait la compétence du tribunal de grande instance ; selon elle, la question de l'obligation de cotiser relèverait du contentieux des assurances et devrait donc être soumise aux juridictions administratives. Toutefois, l'audience, fixée initialement au 29 septembre 1992, dut être ajournée en raison de la grève des avocats du barreau d'Athènes, qui dura jusqu'en avril 1993. Le 21 octobre 1992, le requérant demanda la tenue d'une nouvelle audience qui fut fixée au 19 octobre 1993. Le 23 novembre 1993, la Cour de cassation, se fondant sur les dispositions de l'article 26 de la loi n° 2020/1992 – adopté par le Parlement le 28 février 1992 (paragraphe 25 ci-dessous) –, cassa l'arrêt attaqué, par les motifs suivants (arrêt n° 1120/1993) : « (...) 3. Il résulte du principe de la séparation des pouvoirs (...) que le pouvoir législatif n'est pas empêché de supprimer en se fondant sur de nouvelles règles de droit – par voie de prescription – des droits qui ont été acquis conformément à des règles juridiques en vigueur dans le passé, même si ces droits ont été reconnus par des décisions judiciaires définitives. Il en va, toutefois, autrement si la nouvelle réglementation n'a pas un caractère général et méconnaît par conséquent le principe d'égalité (article 4 § 1 de la Constitution) ou le droit de propriété (article 17 de la Constitution) ; dans ce cas, elle ne peut pas être appliquée par les tribunaux (...). En l'occurrence, après le prononcé de l'arrêt attaqué (30.11.1990) et l'introduction du pourvoi en cassation (14.3.1991), fut votée et adoptée la loi n° 2020 du 28 février 1992 dont l'article 26 dispose (...). Ainsi qu'il ressort de l'arrêt attaqué (9189/1990), le tribunal de grande instance qui s'est prononcé en appel, a reconnu que [le requérant] était un employé titulaire de la DEI, lié à celle-ci par un contrat de travail et rémunéré par un salaire mensuel ; entre le 8 octobre 1984 et le 31 décembre 1987, les organes compétents de la DEI ont illégalement prélevé (puisque l'assurance complémentaire des employés de la DEI est incompatible en ce qui concerne les branches d'assurance susmentionnées (...) ) sur ses revenus mensuels et au profit de l'OAED 1 % pour le chômage et 1 % pour le DLOEM, soit au total 117 213 drachmes qui furent versées à l'OAED. [Le tribunal de grande instance] a adjugé par la suite cette somme au [requérant]. Toutefois, après l'entrée en vigueur de l'article 26 § 2 de la loi n° 2020/1992, qui n'est pas contraire aux dispositions des articles 4 et 17 de la Constitution, l'arrêt attaqué doit être cassé et la procédure doit être déclarée abrogée. (...) » Il semblerait que cet arrêt ne fut jamais notifié au requérant qui allègue en avoir pris connaissance le 22 décembre 1993. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution Aux termes de l'article 74 § 5 de la Constitution, « Un projet ou une proposition de loi contenant des dispositions sans rapport avec son objet principal n'est pas mis en discussion. Aucune disposition additionnelle et aucun amendement n'est mis en discussion s'il est sans rapport avec l'objet principal du projet ou de la proposition de loi. En cas de contestation, c'est à la Chambre des députés de trancher. » B. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisent ainsi : Article 108 « Les actes de procédure sont effectués à l'initiative et à la diligence des parties, sauf si la loi en dispose autrement. » Article 310 « 1. Les arrêts sont notifiés à la diligence des parties. Lorsque les arrêts ne sont pas définitifs, la présence pendant le prononcé des parties ou de leurs représentants légaux (...) ou de leurs avocats équivaut à une notification. » C. Les dispositions relatives aux cotisations de salariés au profit de l'OAED L'article 18 § 4 de la loi n° 1346 des 13–14 avril 1983 est ainsi libellé : « Les salariés soumis aux dispositions du décret législatif 3868/1958 (...) et qui perçoivent un salaire mensuel, n'ont pas droit aux allocations familiales susmentionnées, si et pour aussi longtemps qu'ils reçoivent de leur employeur – sur le fondement des dispositions de lois ou de conventions collectives, de décisions arbitrales, règlements d'entreprises ou d'autres dispositions (...) – des allocations pour enfants à charge supérieures à celles versées par l'OAED. (...) » Les cotisations à l'OAED font l'objet de l'article 20 de la loi n° 1483/1984, aux termes duquel : « 1. Les cotisations des employeurs et des travailleurs à l'OAED (...) constituent un prélèvement social au profit des organismes susmentionnés qui exercent une politique sociale, et continuent à être versées même si les travailleurs bénéficiaires ont droit à des allocations similaires de la part de leurs employeurs ou d'autres institutions. Les cotisations mentionnées au paragraphe précédent, qui ont été versées à l'OAED (...), jusqu'à la publication de la présente loi, ne peuvent en aucun cas être revendiquées. Toute procédure éventuellement pendante devant les tribunaux afin de revendiquer ces cotisations est annulée. (...) » Le 28 février 1992, le Parlement adopta une loi (n° 2020/1992) intitulée « réglementation de l'impôt spécial unique de consommation de produits pétroliers et autres dispositions » et dont l'article 26 dispose : « 1. Les cotisations des employeurs et des travailleurs aux branches d'assurance relevant de la compétence de l'OAED (...) sont considérées comme un prélèvement social au profit de ces organismes et sont versées même si les assurés ont droit à des allocations similaires de la part de leurs employeurs ou d'autres institutions. Les cotisations mentionnées au paragraphe précédent, qui ont été versées à l'OAED (...), jusqu'à la publication de la présente loi, ne peuvent pas être revendiquées, toute prétention y relative est prescrite et toute procédure judiciaire pendante devant toute juridiction que ce soit afin de revendiquer ces cotisations est annulée. (...) » Le rapport explicatif à cette disposition précisait que celle-ci avait pour but de lever la contestation existante sur le point de savoir si les cotisations au profit de l'OAED (en particulier celles versées au titre des allocations pour enfants à charge) constituaient un « prélèvement social », c'est-à-dire une cotisation qui s'imposait à ceux qui en étaient redevables même au cas où le risque couvert par l'assurance ne devait jamais se réaliser. D. La jurisprudence de la Cour de cassation Par deux arrêts des 30 juin 1988 (n° 1288/1988) et 17 décembre 1990 (n° 1989/1990) – à l'occasion des deux litiges opposant respectivement les Postes helléniques (« l'ELTA ») et l'Organisme des chemins de fer de Grèce (« l'OSE ») à leurs salariés –, la Cour de cassation a clarifié le sens de l'article 20 de la loi n° 1483/1984 et notamment des termes « continuent à être versées» qui figurent au paragraphe 1 de cet article. Par là même, elle a confirmé les décisions des juridictions du fond qui condamnaient l'OSE et l'ELTA à accorder à certains de leurs salariés une indemnité pour avoir retenu une partie des salaires de ceux-ci au profit de l'OAED. Plus particulièrement, dans l'arrêt du 30 juin 1988, la Cour de cassation s'exprima ainsi : « (...) Il ressort des dispositions susmentionnées et compte tenu du fait que le personnel de l'ELTA bénéficie d'une retraite et d'une couverture médicale par l’Etat (...), que l'assurance complémentaire de ce personnel à l'OAED pour le chômage et pour l'attribution d'une allocation familiale n'est ni concevable ni voulue par le législateur (...). Avant l'adoption de la loi n° 1483/1984, et comme la formation plénière de la Cour de cassation a jugé dans son arrêt n° 403/1981, les salariés de l'ELTA n'avaient pas l'obligation, par la loi, de cotiser à l'OAED ; l'article 20 de la loi précitée, et ainsi qu'il en résulte des termes « continuent à être versées », n'impose pas une telle obligation aux travailleurs. Par conséquent, cet article ne s'applique pas lorsqu'il n'existe pas d'obligation de cotiser, comme c'est le cas du personnel de l'ELTA (...) » Dans l'arrêt du 12 décembre 1990, la Cour de cassation souligna qu'aucune obligation de cotiser n'a été créée à partir de l'entrée en vigueur de l'article 20 de la loi n° 1483/1984. En effet, ledit article précisait que les cotisations continuaient à être versées, ce qui signifiait que s'il n'y avait pas jusqu'alors de versement, la loi précitée n'introduisait pas une telle obligation. PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION M. Papageorgiou a saisi la Commission le 24 mai 1994. Il soutenait que l'adoption et l'application à son encontre de la loi n° 2020/1992, alors que les procédures judiciaires qu'il avait engagées étaient encore pendantes, enfreignaient les articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, ainsi que l'article 1 du Protocole n° 1. Le 24 octobre 1995, la Commission (première chambre) a retenu la requête (n° 24628/94) quant aux articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention ; elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 mai 1996 (article 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le caractère équitable et la durée de la procédure et qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle des articles 6 § 1, combiné avec l'article 14, et 13 de la Convention. CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour « à rejeter la requête de M. Christos Papageorgiou dans son ensemble ». De son côté, le requérant prie la Cour de déclarer que la République hellénique a « 1. transgressé le principe de la prééminence du droit ; transgressé l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit à un procès équitable et, plus particulièrement, a) le droit à ne pas être soustrait aux juges que la loi a assignés, b) la règle imposant l'égalité des armes des justiciables devant la justice, c) le principe de l'impartialité fonctionnelle de la justice et d) l'obligation de motivation complète et explicite des arrêts ; transgressé l'article 6 § 1 en ce qui concerne le droit à une protection judiciaire dans un délai raisonnable (...) »
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