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Ressortissante italienne, Mme Emilia Barbagallo habite Passopisciaro (Catane); elle perçoit une pension d'invalidité. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-27 de son rapport): "16. Le 18 novembre 1980, la requérante engagea une procédure d'exécution contre M. M., son ancien mari, en vue du recouvrement d'une créance de 2 708 800 lires italiennes. Dans le cadre de cette procédure, certains biens mobiliers, pour une valeur de 525 000 lires, furent saisis. Le 11 décembre 1980, Mme C., épouse de M. M., fit opposition à la saisie en alléguant qu'elle était propriétaire exclusive des biens qui en formaient l'objet. La première audience devant le juge d'instance adjoint (vice pretore) de Francavilla Sicilia eut lieu le 15 décembre 1980. L'instruction se poursuivit aux audiences des 27 avril 1981, 13 juillet 1981, 7 décembre 1981, 22 février 1982 et 8 mars 1982. A cette dernière audience, les parties présentèrent leurs conclusions et l'affaire fut renvoyée à l'audience du 26 avril 1982, date à laquelle la cause fut mise en délibéré. Par jugement du 19 juillet 1982, le juge d'instance adjoint déclara sa propre incompétence et la compétence du tribunal de Messine à juger sur le fond de l'opposition. Le texte de la décision fut déposé au greffe le jour même. Le 13 décembre 1982, la requérante assigna M. M. et Mme C. devant le tribunal de Messine. Des audiences eurent lieu devant le juge de la mise en état les 21 mars 1983, 4 juillet 1983, 7 novembre 1983, 6 mars 1984 et 5 juin 1984. A cette dernière audience, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état fixa au 16 octobre 1985 l'audience devant la chambre compétente du tribunal. A l'issue de cette audience, le tribunal ordonna un supplément d'instruction (l'audition de certains témoins). Le 3 mars 1986, trois témoins furent entendus par le juge de la mise en état, puis l'affaire fut remise à l'audience du 16 juin 1986 pour la présentation des conclusions. A cette dernière date, l'affaire était en état et le juge de la mise en état la renvoya à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci eut lieu le 20 janvier 1988. Le 27 janvier 1988, le tribunal constata que M. M. n'avait pas été dûment assigné et ordonna à la requérante de renouveler l'assignation, ce qu'elle fit le 9 mars 1988. Deux audiences eurent lieu devant le juge de la mise en état les 18 avril et 21 novembre 1988. A cette date, l'affaire fut renvoyée à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci, prévue pour le 21 décembre 1988, fut reportée au 15 mai 1990. Cependant, à la demande des parties, l'audience fut avancée au 10 mai 1989. Le 17 mai 1989, le tribunal constata que Mme C. était propriétaire exclusive d'un bien visé par la saisie et rejeta l'opposition pour le surplus. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 24 juillet 1989 (...)." Selon les renseignements fournis à la Cour par la requérante, ledit jugement devint définitif le 25 octobre 1989. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 27 juin 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13132/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-I de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Citoyen autrichien résidant à St Andrä, M. Schwabe était, à l’époque pertinente, président de la section des Jeunesses populaires autrichiennes (Junge Österreichische Volkspartei, ÖVP) du district de Wolfsberg, en Carinthie, et conseiller municipal (Gemeinderat) de St Andrä. A. Le communiqué de presse du requérant et son contexte En décembre 1984, M. Tomaschitz, bourgmestre de Maria Rain en Carinthie et membre de l’ÖVP, fut condamné à quatre mois d’emprisonnement pour coups et blessures involontaires (fahrlässige Körperverletzung) et non-assistance à personne blessée (Imstichlassen eines Verletzten), après avoir provoqué un accident de la route en état d’ivresse (taux d’alcoolémie de 1,75 % au moins). La question de savoir si cette décision devait l’amener à démissionner fit l’objet de discussions dans les milieux politiques et dans la presse de Carinthie. Le 13 août 1985 parut dans le journal carinthien Kleine Zeitung un article intitulé "Si Tomaschitz ne tire pas les conséquences qui s’imposent, nous le ferons". Il citait des passages d’une interview de M. Wagner, président du gouvernement provincial et de la fédération carinthienne du Parti socialiste d’Autriche (Sozialistische Partei Österreichs - SPÖ), sur le point de savoir si le bourgmestre devait ou non résigner ses fonctions. M. Wagner y déclarait qu’un tel accident pouvait arriver à chacun, mais que l’on ne pouvait accepter de voir une personne ayant agi de la sorte continuer d’occuper une charge publique. Et d’ajouter: "Je n’entends point participer à une chasse aux sorcières, mais après une période de réflexion il [Tomaschitz] devrait comprendre qu’il lui faut se démettre". D’après lui, toutefois, le problème relevait au premier chef de l’ÖVP. Il concluait cependant en disant que si M. Tomaschitz ne tirait pas les conséquences nécessaires, l’autorité régionale de contrôle des communes (Gemeindeaufsicht des Landes) le ferait pour lui. Le 19 août 1985, M. Schwabe rédigea un communiqué de presse en réponse à cet article et l’envoya à plusieurs journaux carinthiens. Le 20 août, la Kleine Zeitung en publia un résumé sous le titre "Cherchez la moralité au SPÖ". La Neue Volkszeitung, un journal de l’ÖVP, en donna le même jour, sous le titre "Deux poids et deux mesures?" (Zweierlei Maß?), le texte intégral, ainsi libellé: "Il va de soi que Josef Tomaschitz, bourgmestre ÖVP de Maria Rain, doit se retirer après sa condamnation pour délit de fuite, a déclaré dans une émission le conseiller municipal Karl Schwabe, président des Jeunesses ÖVP du district de Wolfsberg. M. Wagner, président du gouvernement de Carinthie, n’aurait pourtant pas le moindre droit, d’un point de vue moral, de reprocher au bourgmestre Tomaschitz son refus de démissionner. Il sait depuis des années que son adjoint Erwin Frühbauer a causé le 10 juillet 1966, près de Scheifling en Styrie et en conduisant sous l’empire d’un état alcoolique (im alkoholisierten Zustand), un accident de la route à la suite duquel deux enfants ont perdu leur père. On ne peut s’empêcher de penser [qu’il] applique à un ‘petit bourgmestre de village’, membre d’un autre parti, des critères plus stricts qu’à Frühbauer, son camarade de parti et adjoint. S’il se préoccupait d’assurer au sein du SPÖ la morale politique qu’il exige des autres, sa crédibilité y gagnerait, a conclu Schwabe." Le requérant avait fondé son communiqué de presse sur un article paru dans le magazine viennois Profil le 9 mars 1984. Celui-ci relatait les circonstances de l’accident de voiture survenu à M. Frühbauer en 1966 et qui avait fait un mort et plusieurs blessés. On pouvait y lire: "(...) On constata chez Erwin Frühbauer un taux d’alcoolémie de 0,8 %. La limite. Moins d’un an plus tard, le 31 mai 1967, le tribunal d’arrondissement de Leoben condamna Frühbauer, dont l’immunité parlementaire avait été levée, à six mois d’emprisonnement, assortis d’un sursis de trois ans, pour homicide par imprudence. Il ne le déclara pas coupable de conduite en état d’ivresse (Alkoholisierung). Les juristes se demandent toujours pourquoi: d’après l’article 5 par. 1 du code de la route de 1960, l’ivresse se présume dès que le taux d’alcoolémie atteint 0,8 %. Mais soit. Je ne veux pas (d’ailleurs la loi pénale me l’interdit) reprocher à Frühbauer sa condamnation d’alors. Après tout, nul n’est à l’abri d’un tel accident de la circulation. Mon reproche est d’ordre politique. Quand Kreisky le nomma ministre des Transports en 1970, Frühbauer passa sous silence sa condamnation, ou au moins le fait qu’à l’époque il gardait la qualité de condamné (noch vorbestraft war). Le 31 mai 1967, avec le prononcé du jugement, commença en effet une période de sursis de trois ans. Six semaines avant l’échéance, le 21 avril 1970, Frühbauer fut nommé ministre des Transports, mais son casier judiciaire conserva longtemps la trace de sa condamnation, en raison du délai applicable à l’époque en matière d’effacement de telles mentions. Il fut donc, à ma connaissance, le seul ministre de la Seconde République à ne pas avoir un casier judiciaire vierge." Le requérant avait contrôlé le contenu de l’article de Profil lors d’un entretien téléphonique avec l’auteur. En outre, il avait pris en compte le jugement rendu le 31 mai 1967 par le tribunal d’arrondissement (Kreisgericht) de Leoben. Pour fixer la peine, celui-ci avait considéré comme aggravante la circonstance que le prévenu conduisait après avoir absorbé de l’alcool (Alkoholisierung) en quantité telle qu’il approchait du seuil à partir duquel un conducteur était réputé ivre (0,8 %). B. Les poursuites pénales contre M. Schwabe Devant le tribunal régional de Klagenfurt Le 4 septembre 1985, M. Frühbauer invita le tribunal régional (Landesgericht) de Klagenfurt ("le tribunal régional") à ouvrir une instruction préliminaire contre M. Schwabe. Celle-ci terminée, il engagea une action privée au titre des articles 111 (paras. 1 et 2) et 113 du code pénal (paragraphes 18-19 ci-dessous). Le 26 septembre 1986, le tribunal infligea au requérant, pour diffamation (article 111 paras. 1 et 2 du code pénal) et pour avoir reproché à une personne une infraction pour laquelle elle avait déjà purgé sa peine (article 113), une amende de 3 000 schillings, convertible en trente jours d’emprisonnement à défaut de paiement. De plus, il ordonna la saisie du numéro litigieux de la Neue Volkszeitung, ainsi que la publication de son jugement, et accorda à M. Frühbauer une indemnité de 10 000 schillings, à la charge des propriétaires du journal. De surcroît, il déclara ces derniers conjointement et solidairement responsables du règlement de l’amende et des frais du plaignant. Après avoir exposé les faits pertinents, il conclut que M. Schwabe avait enfreint l’article 113 en reprochant à M. Frühbauer une condamnation vieille d’une vingtaine d’années et relative à un accident de la route. En outre, il avait commis une diffamation en parlant de conduite sous l’empire de l’alcool, en comparant l’accident à celui de M. Tomaschitz et en critiquant son adversaire pour son manque de morale politique. Selon le tribunal régional, l’article 113 avait pour but principal d’assurer la réinsertion des délinquants, mais il valait indépendamment du point de savoir si le reproche d’une condamnation antérieure nuisait à leur réintégration. M. Schwabe n’avait pas été forcé, au sens de l’article 114 par. 2 du code pénal (paragraphe 18 ci-dessous), de faire la déclaration incriminée. Qu’un parti éprouvât de l’embarras en raison d’un accident de voiture survenu à l’un de ses cadres n’excusait pas l’"exhumation" d’un accident très ancien, arrivé à un dirigeant de la formation concurrente. En outre, aucun "devoir de répondre" à un adversaire politique ne s’imposait au requérant, puisque M. Wagner avait critiqué le bourgmestre Tomaschitz et non lui-même. Plus particulièrement, M. Schwabe, président d’une petite organisation de district, n’avait pas besoin de réagir en diffamant un tiers. Toujours d’après le tribunal régional, le requérant ne pouvait exciper de la véracité de son allégation selon laquelle M. Frühbauer avait conduit sous l’empire de l’alcool. Semblable assertion devait avoir donné à penser à l’homme de la rue que l’intéressé - tout comme M. Tomaschitz - avait un taux d’alcoolémie dépassant 0,8 % au moment du sinistre. Or le législateur et le public toléraient un taux inférieur et le requérant n’avait pas précisé que le plaignant n’avait pas été condamné pour conduite en état d’ivresse (in alkoholbeeinträchtigtem Zustand). Il ne pouvait davantage prétendre avoir voulu se référer à un taux de moins de 0,8 %. Son communiqué de presse cherchait à présenter les deux accidents comme moralement équivalents et impliquant la même conséquence: la démission des deux responsables concernés. Cela, combiné avec le titre de l’article, "Deux poids et deux mesures?", pouvait amener le lecteur à croire que le plaignant avait lui aussi, au moment de l’accident, un taux d’alcoolémie supérieur à la limite permise. Pareillement, M. Schwabe ne pouvait soutenir que son communiqué de presse n’était pas dirigé contre M. Frühbauer mais contre M. Wagner. Certes, le reproche relatif au manque de morale politique ne visait pas au premier chef le second, responsable en principe de la morale politique au sein du SPÖ, mais le premier, qui n’avait pas résigné ses fonctions après son accident. Toutefois, il ne pouvait en soi constituer une diffamation car un homme politique devait se montrer tolérant à cet égard; ce qui importait en l’espèce était la comparaison des deux accidents d’un point de vue moral. Pour cette diffamation-là, le requérant ne pouvait pas non plus invoquer l’article 114 par. 2 du code pénal: ainsi qu’il le savait ou aurait dû le savoir, la déclaration litigieuse était incorrecte. De surcroît, la preuve de la bonne foi (article 111 par. 3, paragraphe 18 ci-dessous) n’entrait pas ici en ligne de compte car il s’agissait d’un délit commis par voie de publication; il en allait de même de celle de la diligence journalistique requise (article 29 de la loi sur les media, Mediengesetz; paragraphe 21 ci- dessous), le prévenu n’étant pas journaliste. Quant à la preuve de la vérité, le tribunal régional examina la déposition d’un témoin de l’accident de M. Frühbauer en 1966, ainsi que les opinions exprimées par les experts au cours de la procédure pénale de 1967; il conclut que M. Schwabe n’avait pas établi l’exactitude de ses allégations. Devant la cour d’appel de Graz Le 5 février 1987, le requérant attaqua sa condamnation devant la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Graz. Il affirmait notamment avoir écrit son communiqué de presse dans le contexte d’une discussion politique, en réponse à des critiques du président du gouvernement de Carinthie contre un membre de l’ÖVP et ce parti lui- même, et n’y avoir pas visé M. Frühbauer. Il s’était senti obligé de défendre son propre parti et de renseigner le public sur la moralité politique et les motifs apparents du président du gouvernement régional. Il s’était alors souvenu de l’article paru dans Profil en 1984 (paragraphe 10 ci-dessus) et avait constaté que les deux accidents posaient le même problème: était-il normal qu’une personne condamnée au pénal exerçât des fonctions officielles? La question lui avait semblé mériter un débat et il avait voulu signaler au public une éventuelle lacune dans l’information. Enfin, il estimait exacte sa déclaration selon laquelle le plaignant avait conduit sous l’empire d’un état alcoolique: elle s’appuyait sur les termes utilisés par le tribunal d’arrondissement de Leoben dans son jugement du 31 mai 1967 (paragraphe 10 ci-dessus); en outre, elle se justifiait dans le cadre d’une discussion politique. La cour rejeta l’appel (Berufung) le 29 avril 1987. Elle releva que le communiqué du requérant s’analysait clairement en un reproche concernant une infraction dont l’auteur avait déjà subi sa peine, au sens de l’article 113 du code pénal. D’après elle, rien n’obligeait M. Schwabe à répondre à M. Wagner. L’ÖVP ne l’avait pas mandaté pour le faire en son nom et il n’avait pas davantage été visé directement en qualité de président des Jeunesses populaires, ni de membre du bureau du parti. Une personne ayant prêté le flanc à la critique par son comportement devait accepter des attaques contre son honneur dans une plus large mesure qu’une autre. En outre, M. Frühbauer n’avait lui-même formulé aucune déclaration exigeant une réaction de la part de M. Schwabe. La cour confirma aussi le jugement du tribunal régional pour le surplus. Ayant reçu notification de l’arrêt le 4 septembre 1987, le requérant invita le procureur général (Generalprokurator) à introduire un pourvoi dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes), en invoquant notamment le droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention, et l’arrêt Lingens c. Autriche du 8 juillet 1986 (série A no 103-B). On l’informa le 27 octobre 1987 que le procureur général n’entendait pas déférer à sa demande. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les dispositions pertinentes du code pénal L’article 111 du code pénal est ainsi libellé: "1. Est puni d’une peine privative de liberté de six mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque, d’une manière telle qu’un tiers peut le remarquer, accuse une autre personne d’un trait de caractère ou d’une disposition d’esprit méprisables ou la déclare coupable d’une attitude contraire à l’honneur ou aux bonnes moeurs et de nature à la rendre méprisable aux yeux de l’opinion publique ou à la rabaisser devant celle-ci. Est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque commet l’acte dans un imprimé, par le moyen de la radiodiffusion ou d’une autre manière qui rend la diffamation accessible à un large public. L’auteur n’est pas puni si l’assertion est démontrée vraie. Dans le cas visé à l’alinéa 1, il ne l’est pas non plus si sont prouvées des circonstances lui ayant donné des raisons suffisantes de tenir l’assertion pour vraie." L’article 112 précise: "La preuve de la vérité et celle de la bonne foi ne sont admises que si l’auteur invoque l’exactitude de l’assertion ou sa bonne foi (...)" D’après le paragraphe 1 de l’article 114, "les actes visés à l’article 111 (...) sont légitimes s’il constituent l’accomplissement d’une obligation légale ou l’exercice d’un droit". Aux termes du paragraphe 2, "n’est pas punissable la personne que des raisons spéciales forcent à présenter, sous la forme et de la manière choisies par elle, une allégation tombant sous le coup de l’article 111 (...), sauf s’il s’agit d’une affirmation inexacte et que l’auteur eût pu s’en rendre compte en s’entourant des précautions voulues (...)". L’article 113 rend passible "d’une peine privative de liberté de trois mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque, d’une manière telle qu’un tiers peut le remarquer, reproche à une autre personne une infraction pour laquelle la peine a déjà été exécutée ou a fait l’objet, même à titre conditionnel, d’une remise totale ou partielle, ou bien pour laquelle le prononcé de la peine a été différé provisoirement." B. Les dispositions pertinentes de la loi sur les media Selon l’article 6 de la loi sur les media, l’éditeur assume une responsabilité objective en matière de diffamation; la victime peut donc lui réclamer des dommages-intérêts. En outre, il peut se voir déclarer conjointement et solidairement responsable, avec la personne condamnée pour une infraction à ladite loi, du paiement des amendes infligées et des frais de procédure (article 35). La personne diffamée peut demander la confiscation de la publication ayant servi à commettre l’infraction (article 33), ainsi que la publication du jugement pour autant qu’elle apparaisse nécessaire à l’information du public (article 34). L’article 29 dispose: "1. Le propriétaire (l’éditeur) ou collaborateur d’un medium, qui commet en matière de contenu des informations publiées une infraction pour laquelle est recevable la preuve de la vérité, n’est pas punissable, non seulement s’il fournit cette preuve, mais également s’il existait un intérêt supérieur du public à la diffusion de l’information et si, après avoir pris toutes les précautions d’usage pour un journaliste, l’intéressé a estimé avoir des motifs suffisants de tenir l’affirmation pour vraie. Toutefois, lorsque semblable infraction touche le domaine le plus intime de la vie privée, les personnes susvisées n’échappent à la répression que dans le cas d’une affirmation vraie et en rapport direct avec la vie publique. Ces preuves ne sont acceptées que si le prévenu les invoque. Dans les cas visés au paragraphe 1, première phrase, le tribunal accepte, lorsqu’elle est recevable, la preuve de la vérité proposée par le prévenu, même s’il estime observées les précautions requises des journalistes. Si le prévenu n’est acquitté qu’en raison de la réunion des conditions du paragraphe 1, première phrase, le tribunal, appliquant par analogie l’article 34, ordonne la publication de la constatation selon laquelle la preuve de la vérité n’a pas été offerte ou fournie; il laisse à la charge de l’intéressé les frais de la procédure pénale, y compris ceux qu’entraîne une telle publication. Les articles 111 par. 3 et 112 du code pénal ne trouvent pas à s’appliquer." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Schwabe a saisi la Commission le 1er février 1988; il invoquait l’article 10 (art. 10) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13704/88) le 11 octobre 1989. Dans son rapport du 8 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle relève une infraction à l’article 10 (art. 10) (dix voix contre six). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 24 février 1992, l’agent du Gouvernement a demandé à la Cour de "déclarer dans son arrêt que la condamnation du requérant à 3 000 schillings d’amende n’a pas méconnu le droit à la liberté d’opinion, garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention". Pour sa part, le requérant l’a invitée à dire "qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention et que la République d’Autriche doit dès lors [lui] verser 225 644 schillings 62 à titre de satisfaction équitable".
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A. Les poursuites et l'instruction Né à Ougrée (Belgique), M. Jean-Claude Boddaert se trouvait détenu au centre pénitentiaire de Lantin à l'époque des derniers renseignements fournis à la Cour. Le 1er juillet 1980, un meurtre fut commis devant le débit de boissons exploité par lui, "Le Troquet". Le procès qui s'ensuivit devant la cour d'assises de Liège, et pendant lequel il déposa comme témoin, se termina le 18 mars 1982 par la condamnation d'un nommé Demain. Le 18 juillet 1980, la gendarmerie découvrit dans l'une des caves de l'immeuble loué par le requérant le cadavre d'un certain Jehin, dont la mort remontait au 17. Les soupçons se portèrent aussitôt sur M. Boddaert et sur M. Piron, appréhendé le 19 juillet. Le même jour, un mandat d'arrêt fut délivré contre le requérant, qui avait fui la veille en Espagne de crainte de se voir accuser du meurtre de Jehin. Toutefois, le 22 juillet l'intéressé prit contact avec la police belge afin de donner sa version des faits et de "négocier" son retour. Il fut remis aux autorités belges le 30. L'instruction avait débuté le 18 juillet 1980. De juillet à décembre 1980, le juge d'instruction et les enquêteurs multiplièrent les actes de procédure, entendirent de nombreux témoins et interrogèrent plusieurs fois M. Boddaert et son coïnculpé Piron, qui se rejetaient mutuellement la responsabilité du meurtre de Jehin. Le crime aurait été perpétré lors d'une discussion qui avait eu lieu sans témoins dans le débit de boissons du requérant et qui portait sur des dettes contractées par Jehin auprès de ce dernier. Le rapport d'autopsie et celui de l'expert en balistique furent versés au dossier les 25 novembre et 15 décembre 1980, les rapports psychiatriques relatifs au requérant et à son coïnculpé les 23 et 28 septembre 1981. Le 10 mars 1981, le juge d'instruction avait invité la gendarmerie de Liège à lui transmettre les enquêtes de moralité de MM. Boddaert et Piron, car il "procéd[ait] aux dernières auditions et le dossier pourrait se terminer rapidement". Dans un rapport du 19 janvier 1982, l'expert en balistique et le médecin légiste conclurent que la description des faits fournie par le requérant correspondait mieux aux constatations médicales que celle de son coïnculpé. Le 2 février 1982, la chambre des mises en accusation de Liège élargit M. Boddaert et le 2 mars M. Piron. Le 11 mai 1982, le juge d'instruction pria la brigade spéciale de recherche ("B.S.R.") de gendarmerie de Seraing de rouvrir le dossier en collaboration avec celle de Liège et, en particulier, "d'examiner si le meurtre de Jehin n'[était] pas en rapport avec les recels et les vols qui [avaient] pu s'arranger au Troquet". Il s'agit apparemment de la seule mesure accomplie entre le 2 février 1982 et le 28 juin 1983. La B.S.R. communiqua les renseignements sollicités par un procès-verbal du 2 juin 1982. En août, octobre et novembre 1982, M. Piron fit l'objet de plusieurs plaintes pour coups, blessures et menaces. En avril 1983, il fut interrogé sur des menaces de mort qu'il aurait proférées contre M. Bustin, dernier témoin à avoir rencontré Jehin vivant et auquel il reprochait de l'avoir dénoncé pour ce meurtre. On l'entendit aussi au sujet de dégradations qu'il aurait commises sur huit bateaux dont un appartenait à M. Bustin. Des procédures s'ouvrirent devant le tribunal correctionnel de Liège, mais celui-ci les reporta sine die en raison de nouveaux faits mis à la charge de M. Piron. Le 1er juin 1983, M. Piron se vit placé à nouveau sous mandat d'arrêt et inculpé d'avoir, dans la nuit du 30 au 31 mai 1983, perpétré un meurtre sur la personne d'une certaine Thérèse Hemeleers, trouvée morte dans l'appartement de celui-ci. A partir de cette date, deux instructions furent menées conjointement contre Piron; l'une concernait le meurtre de Jehin, l'autre les infractions de 1982 et 1983. Le 28 juin 1983, le procureur du Roi demanda au juge d'instruction, dans l'affaire Jehin, un complément d'information dont ce magistrat s'acquitta par des procès-verbaux des 14, 20 et 24 février ainsi que des 12 (deux procès-verbaux), 15 et 19 mars 1984. A la demande du juge d'instruction, un neuropsychiatre lui donna, le 26 décembre 1983, quelques précisions relatives au rapport psychiatrique qu'il avait établi sur la responsabilité de M. Piron. L'instruction stagna du 19 mars 1984 au 10 mai 1985, date à laquelle le procureur du Roi exprima l'opinion qu'il y aurait lieu de renvoyer MM. Boddaert et Piron devant les assises. Entre temps, le 9 novembre 1984, ledit procureur avait invité le juge d'instruction chargé de l'affaire Hemeleers à effectuer un certain nombre de mesures complémentaires dont l'exécution dura jusqu'en janvier 1985. Le 12 novembre 1984, le même juge d'instruction communiqua à son collègue saisi de l'affaire Jehin une apostille ainsi libellée: "Procédant à la toilette du dossier, en vue de sa communication, j'y relève la présence en photocopie d'un document (mémoire) en cause [du requérant et de son coïnculpé] dont l'original a été remis de longue date au prévenu (...) J'ai estimé opportun de faire saisir les documents, considérant qu'ils pouvaient apporter des éléments notamment psychologiques à l'instruction du dossier en cause Hemeleers. A la relecture, je crois que ce mémoire n'est pas indispensable à l'éclairage de mon dossier." Une audience devait se tenir devant la chambre du conseil le 24 mai 1985, mais la défense en provoqua l'ajournement au 14, puis au 21 juin 1985. Le 24 juin, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège décida de communiquer le dossier au procureur général près la cour d'appel de Liège "pour que la procédure [fût] transmise par lui à la chambre des mises en accusation". Elle ordonna en outre la prise de corps des deux inculpés et leur conduite à une maison de sûreté à désigner par la cour d'assises, transfert qui se produisit la veille de la session de celle-ci (paragraphe 25 ci-dessous). Auparavant, elle avait rejeté un moyen tiré par M. Boddaert du dépassement du délai raisonnable dont l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect: "- (...) si des charges précises et importantes pèsent sur les deux inculpés depuis le début de l'instruction, l'affaire présente une complexité particulière procédant du fait que ceux-ci donnent des versions très différentes des faits, se chargeant mutuellement, ce qui a nécessité des actes d'instruction de nature à découvrir la vérité, lesquels furent effectués au cours des années 1983 et 1984; - (...) dès que la partie principale du dossier fut constituée, les inculpés furent mis en liberté, ce qui leur donna une chance peu commune, au vu de la gravité des faits mis à leur charge, de se reclasser et de comparaître sous un jour favorable devant la juridiction de fond qui aura, le cas échéant, à les sanctionner; - (...) c'est donc à tort que les inculpés se plaignent de la longueur du délai écoulé depuis les faits alors que ce sursis même est de nature, en l'espèce, à améliorer leur situation; - (...) il appartiendra, pour le surplus, à la juridiction du fond d'apprécier si la précision et la clarté des souvenirs des témoins lui permettent de dire, éventuellement, les faits établis et de les sanctionner;" Le 25 juin 1985, les deux accusés firent opposition à cette ordonnance. Le 2 juillet 1985, le procureur général déposa devant la chambre des mises en accusation de Liège un réquisitoire de renvoi en cour d'assises, qui se terminait ainsi: "(...) Attendu qu'en l'espèce, compte tenu des contradictions évidentes qui séparaient les deux 'thèses' et de la personnalité douteuse des intéressés, la plus grande vigilance était de rigueur avant de clôturer ce dossier; Que, par exemple, la conduite de Piron après sa mise en liberté pouvait inquiéter légitimement et [faire] craindre des révélations nouvelles quant à l'affaire restée assurément très trouble; Qu'ainsi, on allègue de 'points morts', dans l'instruction et les réquisitions qui [eussent dû] suivre (...), sans émettre de commentaire quant à la teneur infiniment complexe du dossier, complexité due au dossier lui-même et à la personnalité des inculpés; Attendu que Boddaert (...) avait été mêlé à un meurtre commis devant son établissement par Pierre Demain (...), quelques jours avant les faits [à] lui reprochés, le 1er juillet 1980; Que les deux personnes sortaient précisément de son établissement et qu'il a tout fait pour brouiller les pistes et induire en erreur les autorités de police puis les autorités judiciaires tant quant au déroulement des faits que de leurs prémices; que le mobile de ce meurtre dans lequel après les faits Boddaert eut une attitude équivoque resta toujours [mystérieux]; Attendu que cette affaire trouva son épilogue, Pierre Demain étant détenu, devant la cour d'assises de Liège, le 18 mars 1982; Attendu que de son côté Piron remis en liberté le 2 mars 1982 ne resta pas longtemps sans faire parler de lui (...) Qu'en août, octobre et novembre 1982, il fut mêlé à des scènes de violences et menaces, dossiers qui sont joints au dossier relatif au meurtre de la nuit du 30 au 31 mai 1983" - celui de Thérèse Hemeleers - "pour lequel il fut renvoyé devant la cour d'assises le 5 juin 1985; Attendu qu'en avril 1983, la gendarmerie le recherchait pour l'entendre quant à des menaces qu'il avait proférées à l'encontre de Bustin, le tenancier du Lion d'Or, rue Grétry, qu'il accusait précisément de l'avoir dénoncé dans 'l'affaire du Troquet'; Que la nuit du 5 au 6 avril 1983, il menaça par gestes un colocataire de l'immeuble qu'il occupait et brisa les vitres de l'appartement de ce dernier au moyen d'un pistolet à plomb; Attendu que cette conduite de Piron et notamment l'attitude qu'il eut en avril 1983 vis-à-vis de Bustin, le tenancier du Lion d'Or, un des derniers témoins à avoir vu Jehin en vie, indiquait que l'instruction dont il était l'objet ne soit pas clôturée immédiatement compte tenu des 'zones d'ombres' qui planaient dans le dossier et ce d'autant qu'il n'était plus, de même que Boddaert, en état de détention; Attendu qu'enfin la nuit du 30 au 31 mai 1983, une amie de rencontre, Thérèse Hemeleers, trouva la mort dans l'appartement de Piron; que mis sous mandat d'arrêt, il vient d'être renvoyé du chef du meurtre devant la cour d'assises; Attendu qu'il apparaissait évident que l'évolution du 'deuxième' dossier pouvait avoir une incidence sur le 'premier' et que les magistrats instructeurs devaient nécessairement confronter notamment les rapports psychiatriques; Attendu qu'ainsi, précisément, amené à saisir des documents dans le cadre du 'deuxième dossier', Monsieur le juge d'instruction Regibeau s'en dessaisit le 12 novembre dernier, cette pièce ayant trait au 'premier dossier' instruit par Monsieur le juge d'instruction Colemonts; cette pièce y fut jointe (...); Attendu en outre que dans l'exercice d'une saine justice et en application de l'article 62 du code pénal, qui prévoit qu'en cas de concours de plusieurs crimes, la peine la plus forte sera prononcée, il importe que ces deux dossiers soient confiés à la même session de cour d'assises; (...)" B. Le renvoi en cour d'assises Fixée au 18 juillet 1985, l'audience de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Liège fut reportée, à la demande de la défense, au 22 août. En raison de la durée annoncée des plaidoiries, elle s'interrompit et reprit le 3 septembre 1985. Le 6 septembre 1985, la chambre des mises en accusation renvoya le requérant et M. Piron devant la cour d'assises. Elle déclara irrecevables les oppositions formées le 25 juin 1985 (paragraphe 20 ci-dessus) et jugea, quant à l'allégation relative au dépassement du délai raisonnable, qu'il n'appartient pas à une juridiction d'instruction d'apprécier si ce dernier "est ou pourra être respecté". Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le requérant forma un pourvoi que la Cour de cassation rejeta le 13 novembre 1985, au motif que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s'appliquait aux juridictions de jugement et non aux juridictions d'instruction. C. Le procès devant la cour d'assises L'acte d'accusation dans l'affaire Jehin, dressé le 1er février 1986 par le procureur général près la cour d'appel de Liège, fut signifié à M. Boddaert le 7 février. Le 11 février, le président de la cour d'assises ordonna la jonction des affaires Jehin et Hemeleers et décida que les causes relatives aux deux meurtres feraient "l'objet d'un seul et même débat pour être statué sur le tout par un seul jugement". Le 3 mars 1986, premier jour du procès, le requérant - détenu depuis la veille en exécution de l'ordonnance de prise de corps du 24 juin 1985 (paragraphe 20 ci-dessus) - demanda à la cour d'assises, d'une part, de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Commission européenne des Droits de l'Homme se fût prononcée sur la requête introduite par lui et, d'autre part, de rapporter l'ordonnance du 11 février 1986 car elle lésait les droits de la défense et risquait de prolonger les débats et la détention. Statuant sans jury le 4 mars 1986, la cour d'assises rejeta les conclusions de M. Boddaert par les motifs suivants: "(...) la question de savoir si le délai dans lequel une cause est soumise à la juridiction de fond est `raisonnable' doit s'apprécier à la lumière des données de chaque affaire (...); (...) cette appréciation n'est possible qu'une fois que la cause tout entière a été exposée et examinée, que les témoins et experts ont été entendus et que tous les devoirs utiles à la manifestation de la vérité ont été exécutés; (...) le juge chargé de porter cette appréciation est celui qui doit trancher le bien-fondé de l'accusation; (...) il s'agit en l'espèce, en droit belge, du jury statuant seul sans la présence de la cour; (...) le jury pour se prononcer sur la culpabilité appréciera la valeur des déclarations et des témoignages, leur consistance, leur précision et le crédit qui peut encore leur être apporté compte tenu de l'écoulement du temps depuis la date des faits; (...) en tout état de cause, le doute doit [profiter] aux accusés;" Quant à la jonction des causes, la cour d'assises releva: "(...) la connexité visée aux articles 226 et 227 du code d'instruction criminelle résulte du lien qui existe entre deux ou plusieurs infractions et dont la nature est telle qu'une bonne administration de la justice commande qu'elles soient jugées ensemble et par le même juge; (...) Piron est poursuivi, notamment, du chef de deux faits qualifiés crimes par la loi, qui ont été commis à moins de trois années d'intervalle; (...) il existe entre les accusations dirigées contre Piron des interdépendances et rapports (nature des faits, identité d'accusé, système de défense adopté par celui- ci) qui justifient le maintien de la jonction ordonnée;" Le 14 mars 1986, le requérant invita la cour d'assises à poser au jury une question relative au respect du délai raisonnable, mais elle repoussa la demande, au motif que la question se trouvait comprise dans celle concernant la culpabilité des accusés. Toujours le 14 mars 1986, la cour d'assises jugea MM. Boddaert et Piron coupables, le premier comme auteur ou coauteur, de l'assassinat de Jehin, le second, comme auteur ou coauteur, de celui de Jehin et, comme auteur, de celui de Thérèse Hemeleers. Elle les condamna respectivement à dix ans de réclusion et à la peine de mort. D. L'instance en cassation MM. Boddaert et Piron se pourvurent en cassation contre les arrêts des 4 et 14 mars 1986 (paragraphes 26-27 ci-dessus). Le requérant soulignait, d'une part, qu'"aucune juridiction belge n'a[vait] accepté ou n'a[vait] été mise en mesure d'apprécier si le délai raisonnable était ou non dépassé" alors que six ans séparaient les faits du verdict. D'autre part, il estimait "parfaitement contradictoire" la motivation des deux arrêts, rendus à dix jours d'intervalle. La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 22 octobre 1986. Quant au moyen tiré du non-respect du "délai raisonnable", elle releva: "(...) I. Sur le pourvoi de Nicolas Piron (...) Attendu qu'il incombe aux juridictions de jugement d'apprécier, à la lumière des données de chaque affaire, si la cause est entendue dans un délai raisonnable et, dans la négative, de déterminer les conséquences qui pourraient en résulter; Attendu que ni l'article 6, par. 1er (art. 6-1), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni aucune autre disposition, soit de la Convention, soit de la loi nationale, ne précisent les conséquences que le juge du fond qui constaterait le dépassement du délai raisonnable devrait en déduire; que la Convention ne dispose pas que la sanction de ce dépassement consisterait dans l'irrecevabilité des poursuites motivée par la constatation expresse de la durée excessive de la procédure; Attendu que ces conséquences doivent être examinées sous l'angle de la preuve, d'une part, et sous l'angle de la sanction, d'autre part; qu'en effet, la durée anormale de la procédure peut avoir pour résultat la déperdition des preuves en sorte que le juge ne pourrait plus décider que les faits sont établis; que le dépassement du délai raisonnable peut aussi entraîner des conséquences dommageables pour le prévenu ou l'accusé; Attendu qu' (...) il incombe au jury seul d'apprécier si les preuves apportées devant lui suffisent à emporter sa conviction au sujet de la culpabilité (...); qu'ensuite, lorsque la réponse du jury aux questions relatives à la culpabilité est affirmative et que l'accusé a fait valoir que le dépassement du délai raisonnable a entraîné pour sa personne ou pour son patrimoine des conséquences dommageables, il appartient à la cour, réunie au jury, de décider des conséquences qu'il y a lieu, le cas échéant, de tirer d'un éventuel dépassement de ce délai, quant à l'appréciation de la peine; Attendu que, en l'espèce, dans ses conclusions déposées au cours de l'instruction de la cause avant que le président pose les questions résultant de l'acte d'accusation ou des débats, le demandeur a soutenu que le délai raisonnable était dépassé, mais n'en a tiré pour unique conséquence que le risque de la déperdition des preuves; Qu'en opposant à ces conclusions les considérations reprises dans le moyen, l'arrêt justifie légalement sa décision; Que le moyen ne peut être accueilli; (...) II. Sur le pourvoi de Jean-Claude Boddaert (...) Attendu qu'il résulte de la réponse donnée sur le pourvoi de Nicolas Piron en tant qu'il était dirigé contre l'arrêt sur incident rendu le 4 mars 1986 que le moyen ne peut être accueilli; (...)" La Cour de cassation ajouta qu'en condamnant M. Boddaert à dix ans de réclusion, la cour d'assises avait décidé "de manière implicite mais certaine, que les allégations de [celui- ci] relatives au dépassement du délai raisonnable étaient sans fondement, soit que ce délai n'était pas dépassé, soit que l'étant, il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour l'appréciation de la peine". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 février 1986 (n° 12919/87), M. Boddaert alléguait, à titre principal, que les poursuites pénales menées contre lui avaient duré au-delà du délai raisonnable dont l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. Il prétendait aussi n'avoir pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, au sens de l'article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b). Le 2 juillet 1990, la Commission a déclaré irrecevable le second grief; en revanche, elle a retenu le premier. Dans son rapport du 17 avril 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 235-D de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé lors de l'audience les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français né en 1963 à Saïgon, M. Tuan Tran Pham Hoang était au moment des faits domicilié à Aulnay-sous-Bois (France) et dépourvu d’emploi. Le 3 janvier 1984, il fut interpellé à Paris avec quatre autres personnes originaires de Hong Kong, du Cambodge et du Vietnam, MM. Cheng Man Ming, Fu Wing Kin, Ngo Pan et Tran Gia Quong. Il se trouvait au volant d’une voiture vers laquelle se dirigeaient MM. Cheng et Fu, lesquels sortaient d’un hôtel et portaient deux sacs contenant 2 750 grammes d’héroïne-base et 85 d’héroïne presque pure, ainsi qu’une balance dont un plateau portait des traces d’héroïne. Deux autres personnes, MM. Jip Quang Duong et Hanh Phuoc, furent arrêtées à la suite d’une perquisition dans un appartement où s’était rendu le requérant et où la police découvrit des armes et 5 kg de caféine. Depuis la fin de décembre 1983, des fonctionnaires de la brigade des stupéfiants et du proxénétisme menaient des opérations de surveillance et de filature; ils avaient eu vent de la préparation d’un trafic d’héroïne en relation avec des individus de Hong Kong. Le 7 janvier 1984, un juge d’instruction inculpa le requérant d’infraction à la législation sur les stupéfiants et le plaça en détention provisoire. L’intéressé fut remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984. A. La procédure devant le tribunal de grande instance de Paris Par une ordonnance du 25 mars 1984, le juge d’instruction renvoya en jugement le requérant et les six autres personnes susmentionnées, pour "avoir, à Paris, courant 1983-1984 et notamment jusqu’au 3 janvier, conclu une association ou entente dans le but de fabriquer, détenir et céder des produits stupéfiants, en l’espèce de l’héroïne". A l’audience du 2 mai 1985, le directeur général des douanes invita le tribunal à "Déclarer Cheng, Fu Wing, Ngo, Tran, Hanh, Jip et Pham coupables d’avoir du 1er décembre 1983 au 3 janvier 1984, sur le territoire douanier français, commis en tant que détenteurs ou intéressés à la fraude le délit douanier de 3e classe réputé contrebande de marchandises prohibées par véhicule autopropulsé et par une réunion de plus de six individus; Les condamner de ce chef, conjointement et solidairement, à payer à l’administration des douanes: - une somme de deux millions huit cent trente-cinq mille francs (2 835 000) pour tenir lieu de la confiscation de la marchandise qui sera détruite (art. 435 du C.D. [code des douanes]); - une amende de deux millions huit cent trente-cinq mille francs (2 835 000) égale à la valeur de la marchandise de fraude (art. 414 du C.D.); Prononcer la contrainte par corps et fixer sa durée au maximum; Ordonner le maintien en détention jusqu’au paiement des pénalités douanières (article 388 nouveau du code des douanes) des détenus dans la limite de la durée de la contrainte par corps; Le tout par application des articles 38, 215, 343, 373, 382, 388, 392, 399, 409, 416, 417, 419, 435 et 438 du code des douanes, de l’article 750 du code de procédure pénale et de l’arrêté du 11 décembre 1981 du ministre du Budget; Sans préjudice de la peine d’emprisonnement prévue par l’article 416 du code des douanes qu’il plaira au ministère public de requérir en application de l’article 343-1 dudit code." Les conclusions du directeur général indiquaient notamment: "Les déclarations des prévenus et la surveillance des enquêteurs permettaient de dire que: Cheng Man Ming et Fu Wing Kin ont quitté ensemble Bangkok le 26 décembre 1983 par avion, transportant une valise truquée qui contenait l’héroïne saisie. Arrivés à Athènes, Cheng a continué son voyage aérien jusqu’à Paris et chargeait Fu de transporter la valise par voie ferroviaire afin d’échapper aux contrôles minutieux opérés dans les aéroports parisiens. En France, Ngo Pan a accompagné Cheng pour opérer différents achats: celui de la bassine qui aurait servi au mélange de l’héroïne et de la caféine [et] celui du sécateur qui a permis de découper la cachette de la valise truquée. C’est dans la voiture automobile de Pham que devait être transportée l’héroïne saisie, et Tran devait convoyer cette marchandise chez Jip Quang Duong et Hanh Phuoc, au domicile desquels furent saisis les cinq kilogrammes de caféine. Il est donc établi que les sept prévenus ont formé une réunion d’individus (que tous aient détenu ou non la marchandise de fraude) en vue d’importer de l’héroïne-base, de la transformer, de la détenir, de la transporter et de la mélanger à de la caféine en vue d’obtenir une marchandise dont la valeur sur le marché illicite aurait triplé du fait de ce mélange. (...) En droit Attendu que les marchandises litigieuses sont nommément reprises à l’arrêté du 11 décembre 1981 du ministre du Budget fixant la liste des produits soumis aux dispositions de l’article 215 du code des douanes; Attendu que ceux qui détiennent ou transportent les marchandises spécialement désignées par des arrêtés du ministre de l’Economie et des Finances doivent, à première réquisition des agents des douanes, produire soit des quittances attestant que ces marchandises ont été régulièrement importées, soit des factures d’achat, bordereaux de fabrication ou toutes autres justifications d’origine émanant de personnes ou sociétés régulièrement établies à l’intérieur du territoire douanier; Attendu qu’à défaut des justifications d’origine ci- dessus, les marchandises en cause sont réputées avoir été importées en contrebande (art. 419 du C.D.); Attendu qu’ainsi est constitué le délit réputé importation en contrebande de marchandises prohibées, en l’espèce 2 835 grammes d’héroïne-base ou presque pure d’une valeur de 2 835 000 f., prévu et puni par les articles 38, 215, 373, 414, 417, 419 et 435 du code des douanes; avec les circonstances aggravantes suivantes: il s’agit de la marchandise la plus prohibée sur le plan douanier et la plus nocive au regard de la législation sanitaire; (...) le délit a été commis par une réunion de six individus ou plus (art. 416 du C.D.); (...) la marchandise allait être transportée par véhicule autopropulsé (art. 416 du C.D.). Particularité du droit douanier Art. 373 du C.D.: dans toute action sur une saisie, la preuve de non-contravention est à la charge du saisi. Les prévenus ne peuvent pas se décharger de leur responsabilité pénale en invoquant leur bonne foi; cette dernière est tout à fait inopérante au regard du droit douanier. Art. 409 du C.D.: toute tentative de délit est punissable comme le délit même. La marchandise de fraude allait être réceptionnée dans le véhicule de Pham, par ce dernier, Ngo et Tran. Responsabilités Attendu que le délit ci-dessus qualifié est imputable aux susnommés en tant que détenteurs - détenteurs juridiques - ou intéressés à la fraude; Attendu que le détenteur des marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude (art. 392 par. 1 du C.D.); Attendu que (art. 399 du C.D.) Ceux qui ont participé comme intéressés d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 du code des douanes; Sont réputés intéressés: a) les entrepreneurs, membres d’entreprises, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude; b) ceux qui ont coopéré d’une manière quelconque à un ensemble d’actes accomplis par un certain nombre d’individus agissant de concert, d’après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun; c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l’impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d’un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration. L’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’une erreur invincible; Attendu que les condamnations contre plusieurs personnes pour un même fait de fraude sont solidaires, tant pour les pénalités pécuniaires tenant lieu de confiscation que pour l’amende et les dépens (art. 406 par. 1 du C.D.); Attendu que les propriétaires des marchandises de fraude, ceux qui se sont chargés de les importer ou de les exporter [,] les intéressés à la fraude, les complices et adhérents sont tous solidaires et contraignables par corps pour le paiement de l’amende, des sommes tenant lieu de confiscation et des dépens (art. 407 du C.D.); (...)" Le 31 mai 1985, le tribunal de grande instance de Paris (16e chambre correctionnelle) relaxa, au bénéfice du doute, le requérant, ainsi que MM. Jip et Hanh, de tous les chefs de poursuite. En ce qui concerne la procédure relative au délit pénal simple (paragraphe 11 ci-dessus), il releva: "(...) rien ne prouve que Pham Hoang, dont l’intervention n’a été que ponctuelle, ait accepté en connaissance de cause de transporter dans sa voiture la marchandise et ses détenteurs; (...)" Au sujet de la procédure relative au délit douanier (paragraphe 12 ci-dessus), il nota: "(...) Attendu que sur le plan douanier, aucun acte matériel de complicité ou d’intéressement à la fraude ne peut être établi à l’encontre de Jip, Hanh et Pham; Qu’à cet égard, il convient d’observer que l’intervention de la police s’est située avant même que n’ait pu se produire, de leur part, le moindre acte de détention de la marchandise prohibée; que donc, la question de leur bonne foi éventuelle n’a même pas à être posée; (...)" En revanche, le tribunal infligea aux autres prévenus des peines de six à douze ans d’emprisonnement. B. La procédure devant la cour d’appel de Paris Le directeur général des douanes interjeta appel, quant au délit douanier, contre la décision prise en faveur du requérant et de MM. Jip et Hanh. En vue de l’audience du 23 septembre 1985, il déposa les conclusions ci-après: "Attendu qu’en ce qui concerne Pham il faut préciser que ce dernier a toujours affirmé ‘qu’il ignorait tout de l’opération à laquelle il a participé’; il ne peut pas être relaxé de ce fait puisque pour la constitution du délit douanier, le tribunal n’a pas à tenir compte de l’élément intentionnel (art. 373 du C.D.); Que c’est Pham qui conduisait le véhicule automobile dans lequel Tran puis Ngo avaient pris place; que les enquêteurs les ont vus à plusieurs reprises se rendre dans des magasins pour acheter de l’acide chlorhydrique - marchandise servant à transformer l’héroïne-base en héroïne soluble; Que les deux hommes, toujours pilotés par Pham, se sont rendus à l’hôtel de Cheng; que Cheng et Fu ont été capturés alors qu’ils allaient placer l’héroïne-base dans le véhicule de Pham; Attendu qu’ainsi est établi que Pham allait être ‘le détenteur juridique’ des 2 835 grammes d’héroïne-base; que cette détention a échoué pour une raison indépendante de sa volonté; Qu’en plus, le fait d’avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui d’une part allaient chercher un élément de la marchandise de fraude, l’acide chlorhydrique, et d’autre part étaient sur le point de réceptionner une marchandise prohibée à titre absolu, l’héroïne-base, permet de dire qu’il est intéressé à la fraude; En résumé: il est bien établi que Pham, Jip et Hanh ont bien formé une réunion d’individus avec les quatre autres en vue de détenir, de transporter, ou de tenter de transporter et de transformer de l’héroïne consommable et ce en tentant d’ajouter à de l’héroïne- base de l’acide chlorhydrique, puis au chlorhydrate d’héroïne ainsi obtenu de la caféine afin d’augmenter d’une part le poids de la marchandise à livrer sur le marché clandestin et d’autre part et surtout le bénéfice tiré du trafic; Attendu qu’ainsi en ce qui concerne les trois intimés le tribunal n’a pas tenu compte des articles 373, 392, 399 et 409 du code des douanes; Circonstances atténuantes Attendu que le tribunal pouvait toutefois, en application de l’article 369 du C.D. en ce qui concerne Pham, Hanh et Jip, les faire bénéficier des circonstances atténuantes d’une part en réduisant la somme tenant lieu de confiscation et l’amende jusqu’au tiers de la valeur des marchandises de fraude (2 835 000: 3 = 945 000 f.) et d’autre part en libérant Pham de la confiscation du moyen de transport; Particularité du droit douanier Attendu que les délits d’infractions à la législation sur les stupéfiants sont indivisibles des délits de contrebande; Que toutefois les délits douaniers sont des délits matériels prévus et punis par un droit exorbitant du droit commun, notamment par 369 par. 2: la bonne foi est strictement inopérante 373: en matière de saisie, la preuve de non- contravention est à charge du saisi 392: le détenteur 399: intéressement à la fraude (...)" Dans les conclusions qu’ils formulèrent par écrit pour l’audience du 2 décembre 1985, les deux conseils du requérant - Mes Lestourneaud et Pugliesi-Conti - avancèrent en particulier que les articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 par. 2 du code des douanes étaient "incompatibles avec les notions de procès équitable et de présomption d’innocence contenues dans l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme". Le 10 mars 1986, la cour d’appel de Paris déclara le requérant "coupable d’avoir, à Paris et sur le territoire douanier, du 1er décembre 1983 au 3 janvier 1984, commis en tant que détenteur ou intéressé à la fraude le délit douanier de deuxième classe réputé importation en contrebande de marchandises prohibées par véhicule autopropulsé et par une réunion de plus de trois individus". En répression, elle le condamna à "payer à l’administration des douanes, conjointement et solidairement avec Cheng Man Ming, Fu Wing Kin, Ngo Pan et Tran Gia Quong: - une somme de 2 835 000 francs pour tenir lieu de la confiscation de la marchandise qui sera[it] détruite, - une amende de 2 835 000 francs égale à la valeur de la marchandise de fraude, sa solidarité étant dans les deux cas limitée à la somme de 1 000 000 francs". Son arrêt contenait les motifs suivants: "A. Sur les conclusions de la défense concernant Pham Par des conclusions déposées devant la cour, les défenseurs de Pham Hoang Tuan Khanh demandent la confirmation de la décision de relaxe dont celui-ci a bénéficié et le débouté de l’administration des douanes, seule appelante contre ce prévenu, au motif que les articles 392-1, 373, 399-2 et 3 et 369 du code des douanes seraient incompatibles avec les dispositions des articles 6 (art. 6) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé à New York le 16 décembre 1966, ratifiés par la France, consacrant les principes du ‘procès équitable’ et de ‘la présomption d’innocence en matière pénale’. Ce moyen ne constitue pas une exception préjudicielle, dès lors que les conventions invoquées ne prévoient pas de recours préalable en interprétation devant les organismes juridictionnels créés pour leur application. Touchant à la légalité des poursuites, il y a lieu de l’examiner bien qu’il n’ait pas été soulevé avant toute défense au fond. Les conclusions de la défense ne relèvent aucune violation des règles concernant le déroulement de la procédure proprement dite suivie à l’instruction ou à l’audience, mais elles font valoir que les textes du code des douanes invoqués par la partie poursuivante réputent responsable de la fraude le détenteur de la marchandise et intéressés à la fraude ceux qui entrent dans des catégories déterminées, sans tenir compte de la bonne foi ou de l’élément intentionnel, et qu’ils édictent ainsi une présomption de culpabilité qui les rend incompatibles avec les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du Pacte international prescrivant que ‘toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement...’ et que ‘toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie’. Il est rappelé que la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg a jugé que la présomption d’innocence figure parmi les éléments du procès équitable et que l’application de textes dispensant la partie poursuivante de la charge de la preuve désavantage le prévenu, supprime à son détriment l’égalité des armes et, en définitive, le prive d’un procès équitable. Mais, s’il est vrai que l’administration des douanes n’a pas à rapporter la preuve de la mauvaise foi du détenteur de la marchandise de fraude ou de l’intéressé à la fraude, elle doit toutefois établir le fait matériel de la détention et démontrer que le prévenu a participé comme intéressé d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration ou qu’il appartient à l’une des catégories de ceux qui sont réputés avoir un intérêt direct à la fraude. C’est la spécificité des infractions douanières, commises en tous leurs éléments dès que la marchandise de fraude franchit la frontière, qui oblige le législateur à les définir comme des délits contraventionnels constitués dès que le fait matériel qui en révèle l’existence est constaté sur le territoire français. La nature particulière de ces infractions ne prive pourtant pas le contrevenant de toute possibilité de défense, dès lors que la loi prévoit que le détenteur peut s’exonérer par la preuve de la force majeure et que l’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’une erreur invincible. Il résulte des pièces de la procédure que Pham, qui a été placé en détention provisoire le 7 janvier 1984 et remis en liberté sous contrôle judiciaire le 6 mars 1984 et a été relaxé par les premiers juges, a constamment été traité comme présumé innocent et a eu toute possibilité de faire valoir les moyens que la loi lui laisse de s’exonérer. Dans ces conditions, il n’existe pas, en l’espèce, d’incompatibilité entre les textes critiqués et les principes définis par les conventions invoquées, dès lors que l’administration des douanes poursuit contre Pham un délit d’importation en contrebande de marchandises prohibées de manière absolue, s’agissant de 2 835 grammes d’héroïne-base ou presque pure, marchandise dont l’importation est strictement interdite en raison de sa nocivité pour la santé publique et de l’atteinte que sa consommation cause aussi bien à l’intégrité physique de ses usagers qu’à l’ordre social. En présence d’un fléau qui frappe plus particulièrement les jeunes et se propage de manière inquiétante, les textes du code des douanes critiqués, dont il a été fait application dans le respect des règles édictées par le code de procédure pénale, apparaissent comme la réponse donnée, dans le cadre constitutionnel et les limites de la souveraineté d’un État européen, à des infractions d’une particulière gravité réclamant une sanction appropriée et spécifique. Il n’y a donc pas lieu de déclarer ces textes inapplicables. B. Sur la culpabilité de Pham Il est constant que, dans l’après-midi du 3 janvier 1984, Pham a conduit dans son automobile Peugeot 104 le nommé Ngo, qui jouait un rôle important dans l’importation de l’héroïne et recherchait dans divers magasins de l’acide chlorhydrique pour mélanger l’héroïne pure introduite en France par Cheng et Fu. Il était présent à 13 heures dans l’appartement du 110 boulevard de la Chapelle quand les 5 kg de caféine y ont été livrés par un Asiatique présenté par les autres prévenus comme le chef du réseau de trafiquants. Il a accepté de conduire Tran et Ngo au rendez-vous pris par ceux-ci avec Cheng et Fu. Au moment où il a été interpellé, il attendait que Cheng prenne place dans son automobile pour le conduire dans l’appartement de Tran, boulevard de la Chapelle. Il était donc sur le point de détenir la marchandise de fraude qui n’a pas été placée dans son véhicule uniquement en raison de l’intervention des policiers. C’est donc à juste titre que l’administration des douanes fait valoir que la tentative est considérée comme le délit même, que c’est pour une raison indépendante de sa volonté que Pham n’a pas eu la détention matérielle de l’héroïne qui allait être placée dans son automobile et que le fait d’avoir piloté dans son propre véhicule deux trafiquants qui étaient sur le point de réceptionner la marchandise prohibée permet de dire qu’il était intéressé à la fraude. Il n’allègue pas avoir agi en état de nécessité et les circonstances dans lesquelles il a été impliqué dans l’action et interpellé ne lui permettent pas de soutenir qu’il a agi par suite d’une erreur invincible." C. La procédure devant la Cour de cassation Le jour même du prononcé de l’arrêt, M. Pham Hoang se pourvut en cassation. Son client n’étant pas en mesure d’assumer de nouvelles dépenses, Me Lestourneaud sollicita auprès du président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le 10 mars 1986, la commission d’un avocat d’office. Il écrivait: "Les principes dont [le requérant] entend se prévaloir devant la Cour sont complexes et les conseils d’un avocat à la Cour de cassation s’avèrent indispensables pour suivre la procédure." Il réitéra cette demande par une lettre du 21 mars 1986. Le 26 mars, le président de l’Ordre lui répondit en ces termes: "Il n’existe pas d’aide judiciaire en matière pénale, devant la Cour de cassation, au profit des condamnés, dont le nombre est infini. Dans certains cas exceptionnels, concernant les peines les plus graves, je commets gratuitement l’un de mes confrères aux fins d’examen. Mais M. Pham Hoang ne rentre pas dans cette catégorie et je ne peux faire droit à sa demande." Le 7 août 1986, le requérant adressa au greffe de la Cour de cassation une lettre recommandée; il signalait qu’il versait au dossier, à titre de mémoire en défense, une copie des conclusions d’appel déposées le 2 décembre 1985 par ses deux conseils (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi le 9 mars 1987, par les motifs ci-après: "Vu le mémoire personnel régulièrement produit et le mémoire en défense; Attendu que ce mémoire n’offre en lui-même à juger aucun point de droit et ne vise aucun texte dont la violation serait alléguée; qu’ainsi, ne répondant pas aux exigences de l’article 590 du (...) code [de procédure pénale], il n’est pas recevable; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La législation et la jurisprudence relatives aux infractions douanières Les infractions douanières constituent en France des infractions pénales présentant diverses particularités. Le code des douanes réprime pour l’essentiel la contrebande (articles 417 et 422) et les importations ou exportations sans déclaration (articles 423 à 429). Seule la première entre ici en ligne de compte. Elle "s’entend des importations ou exportations en dehors des bureaux ainsi que de toute violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier" (article 417 par. 1), par exemple - mais non exclusivement - s’il s’agit de marchandises prohibées à l’entrée (article 418 par. 1, à combiner avec l’article 38). Les principales dispositions du code des douanes mentionnées en l’espèce sont les suivantes: Article 369 par. 2 "Les tribunaux ne peuvent relaxer les contrevenants pour défaut d’intention." La loi no 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières a abrogé ce paragraphe, mais elle n’a pu jouer en l’espèce. Article 373 "Dans toute action sur une saisie, les preuves de non-contravention sont à la charge du saisi." Article 392 par. 1 "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude." Prise à la lettre, cette disposition semble édicter une présomption irréfragable. Une évolution jurisprudentielle en a cependant tempéré la rigueur: la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme désormais tant le pouvoir d’appréciation souveraine, par les juges du fond, des "éléments de conviction soumis au débat contradictoire" (voir par exemple l’arrêt Abadie du 11 octobre 1972, Bulletin (Bull. crim.), no 280, p. 723) que la possibilité, pour le prévenu, de s’exonérer en établissant l’existence d’un "cas de force majeure" résultant "d’un événement non imputable" à lui et qu’il "était dans l’impossibilité absolue d’éviter", telle "l’impossibilité absolue (...) de connaître le contenu [d’un] colis" (voir par exemple l’arrêt Massamba Mikissi et Dzekissa du 25 janvier 1982, Gazette du Palais, 1982, jurisprudence, pp. 404-405, et l’arrêt Salabiaku du 21 février 1983, dont des extraits se trouvent reproduits dans le volume no 141-A de la série A, p. 10, par. 15). Article 399 "1. Ceux qui ont participé comme intéressés d’une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d’importation ou d’exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l’infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 ci-après. Sont réputés intéressés: a) les entrepreneurs, membres d’entreprises, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude; b) ceux qui ont coopéré d’une manière quelconque à un ensemble d’actes accomplis par un certain nombre d’individus agissant de concert, d’après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun; c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l’impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d’un délit de contrebande ou d’importation sans déclaration. L’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’erreur invincible." Selon la jurisprudence française, l’intérêt se distingue de la complicité pénale définie par les articles 59 et 60 du code pénal, auxquels se réfère l’article 398 du code des douanes (27 avril 1967, Bull. crim., no 137). Par "erreur invincible", il faut entendre une erreur relative à un fait matériel, commise dans des conditions excluant, de la part de son auteur, toute faute ou négligence et qu’il ne pouvait pas éviter, même après les vérifications voulues; il ne s’agit pas d’une simple question de bonne foi (24 novembre 1980, Bull. crim., no 313). D’après un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, du 12 novembre 1985, "l’article 399 par. 2 du code des douanes exige, pour qu’une personne soit déclarée coupable d’intéressement à une fraude commise par des tiers, qu’il soit constaté par le juge que le prévenu a eu conscience de coopérer à une opération irrégulière pouvant aboutir à une fraude douanière, quand bien même il en eût ignoré les modalités" (Bull. crim., no 350). Article 409 "Toute tentative de délit douanier est considérée comme le délit même." B. Le pourvoi en cassation en matière pénale et l’aide judiciaire Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire pour se pourvoir en cassation en matière pénale. Un condamné peut former lui-même un tel pourvoi et exposer par écrit ses moyens (articles 568, 584 et 585 du code de procédure pénale). Toutefois, le droit de plaider est réservé aux membres de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ("les avocats aux Conseils"). Pendant de nombreuses années, aucun texte n’a réglé le problème de l’assistance aux personnes jouissant de ressources insuffisantes pour assurer l’exercice de leurs droits devant les juridictions répressives. L’article 4 de la loi no 72-11 du 3 janvier 1972 relative à l’aide judiciaire et à l’indemnisation des commissions et désignations d’office prévoyait seulement: "L’aide judiciaire est accordée tant en matière gracieuse qu’en matière contentieuse. Elle s’applique à: Toute instance portée, soit devant une juridiction relevant de l’ordre judiciaire à l’exclusion des juridictions pénales, soit devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel, les tribunaux administratifs ou le Tribunal des conflits; Toute action concernant une personne civilement responsable, exercée devant les juridictions de jugement; Toute action de partie civile devant les juridictions d’instruction et de jugement; Tout acte conservatoire; Toute voie d’exécution, soit d’une décision de justice, soit d’un acte quelconque." Selon l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la situation antérieure à la réforme de 1991 (paragraphe 25 ci-dessous) se présentait ainsi: "(...) A défaut de texte, la tradition des barreaux français a (...) toujours été d’assurer la défense en matière pénale au bénéfice des personnes ne pouvant assumer les frais de leur défense, sur commission d’office du bâtonnier; le défaut de ressources ne fait l’objet d’aucun contrôle et est, en la matière, présumé. S’il apparaît que l’intéressé auquel un défenseur a été commis d’office devant les juridictions du fond, généralement sur sa demande, mais, parfois, pour la régularité de la procédure, sur la demande d’un juge d’instruction ou du président de la juridiction (par exemple en ce qui concerne les assises), a des ressources, la commission d’office peut, sur sa demande, être transformée en désignation d’office, l’avocat initialement commis ayant alors le droit à des honoraires, sous le contrôle du bâtonnier. Les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ont, de tout temps, contribué de leur côté à une défense gratuite en matière pénale; cependant, compte tenu du petit nombre des avocats aux Conseils et du caractère ‘extraordinaire’ de la voie de recours qu’est le pourvoi en cassation, il a été nécessaire de procéder à une adaptation. Cette adaptation a été de deux ordres: D’une part, le président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation n’a jamais commis directement d’office un confrère; il désignait, dans le cas où une commission d’office était susceptible d’être accordée, un avocat pour examiner le dossier; celui-ci rendait compte au président et, pour le cas où il avait découvert un moyen de cassation, la désignation en vue de l’examen du dossier était transformée de manière informelle en commission d’office. Cet examen préalable correspondait à l’examen préalable par le Bureau d’aide judiciaire et avait les mêmes ressources. L’avocat désigné produisait, lorsqu’un moyen était susceptible d’être développé, un mémoire en tant qu’avocat bénévole. D’autre part, un avocat n’était pas désigné d’office sur toute demande. En fait, l’examen du dossier était ordonné de droit lorsqu’une condamnation avait été prononcée par une cour d’assises, ainsi qu’au cas de renvoi à une cour d’assises, et au cas de prononcé d’une peine d’emprisonnement par un tribunal correctionnel lorsque le demandeur était détenu. L’examen du dossier était également prescrit en faveur des condamnés par une juridiction correctionnelle, non détenus, dont la peine dépassait un certain seuil, ce seuil paraissant avoir varié dans le temps. Dans tous les cas, le président qui indiquait ne pouvoir désigner d’office un confrère ajoutait une réserve; il indiquait qu’il ferait examiner le dossier par un de ses confrères si son attention était attirée sur une question de droit susceptible d’être soumise au contrôle de la Cour de cassation. En fait, l’examen du dossier était ordonné assez libéralement dès lors qu’un avocat devant une juridiction du fond attirait l’attention du président de l’Ordre sur une question précise. Il faut noter que ces précautions étaient nécessaires, non seulement en raison du petit nombre d’avocats aux Conseils, mais en raison du caractère suspensif qui s’attache au pourvoi en cassation en matière pénale (sauf en ce qui concerne les condamnations civiles); il ne fallait pas, en effet, que, sous couleur d’accorder l’examen d’office du dossier (ou d’accorder une commission d’office), dans des cas où le pourvoi n’était pas soutenable, l’examen de celui-ci fût systématiquement retardé. Il ne faut pas perdre de vue en effet que lorsqu’un avocat est inscrit sur un dossier, un délai lui est accordé. Par ailleurs, lorsqu’un mémoire est produit, la Cour de cassation est obligée de rendre un arrêt motivé, après examen par un conseiller rapporteur, cependant que lorsqu’un pourvoi n’est pas soutenu, l’affaire est automatiquement portée à un rôle dit `rôle de forme’, parce que la Cour de cassation n’examine essentiellement que la régularité formelle de l’arrêt; elle s’assure, en réalité, également que le maximum légal de la peine n’a pas été dépassé. En 1985, le président de l’Ordre des avocats aux Conseils qui avait alors été élu s’est ému de l’augmentation du nombre des demandes de commissions d’office, dont il était saisi, et du nombre de désignations d’office pour examen qu’il était amené à ordonner, en suivant les critères précédents; on était en effet passé de 110 désignations pour examen en 1975 à 200 désignations d’office en 1985. Il a cru devoir, de sa propre initiative, modifier légèrement sinon véritablement les critères, tout du moins la lettre qui était précédemment adressée à ceux qui demandaient une commission d’office ou aux avocats qui la demandaient pour eux; il a cessé de mentionner systématiquement, sur la lettre envoyée en réponse aux demandes dont il était saisi, qu’un avocat serait chargé d’office de l’examen si un moyen de droit lui était signalé; il a, d’autre part, fait passer le critère de la désignation d’office, pour les demandeurs non détenus, à une condamnation à deux ans de prison (au lieu, semble-t-il, d’un an précédemment). En fait lorsqu’un moyen lui était signalé, il ordonnait, comme par le passé, l’examen d’office; il en était de même lorsque la situation morale du demandeur le justifiait. Ces mesures ont fait baisser le nombre des examens ordonnés de 200 en 1985 à 170 en 1986. Le président élu en 1988 a pris la décision d’ordonner, sans aucune distinction, l’examen de tous les dossiers dès lors qu’une demande de commission d’office lui était faite; on passa de 189 examens de dossiers en 1987 à 220 examens de dossiers prescrits en 1988, pour arriver à 342 examens de dossiers en 1990, avec une baisse à 315 dossiers en 1991. (...)" La loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose désormais: "L’aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense, devant toute juridiction. Elle peut être accordée pour tout ou partie de l’instance. Elle peut également être accordée à l’occasion de l’exécution d’une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire." Après accord entre la Cour de cassation et l’Ordre des avocats aux Conseils, un régime d’aide juridictionnelle en matière pénale a été mis en place. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Pham Hoang a saisi la Commission le 20 août 1987. Il se plaignait d’avoir été condamné sur la base de présomptions légales de culpabilité contraires à l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention parce qu’incompatibles avec les droits de la défense et avec la présomption d’innocence. Il invoquait aussi l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) dans la mesure où il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’examen de son pourvoi en cassation. La Commission a retenu la requête (no 13191/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 26 février 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) (sept voix contre cinq) et à la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le requérant a invité la Cour, d’une part, à rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement; d’autre part, à constater une violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3) de la Convention. Il a en outre sollicité l’octroi d’une satisfaction équitable. Quant à lui, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Il demandait à la Cour d’écarter le premier grief, tiré de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2), pour non-épuisement des voies de recours internes ou, subsidiairement, pour défaut de fondement et de repousser le second, relatif à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), par ce dernier motif.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen allemand, M. Klaus Croissant exerce à Berlin la profession d’avocat. A l’époque considérée, des poursuites pénales liées à ses activités de conseil de certains membres de la "Fraction Armée Rouge" (RAF) se trouvaient pendantes contre lui devant le tribunal régional (Landgericht) de Stuttgart. A. La nomination d’avocats commis d’office Défendu au début par deux avocats de son choix, Mes Baier et Kempf, exerçant à Mannheim et à Francfort respectivement, il obtint par la suite, le 2 août 1976, qu’on les lui commît d’office. Il avait en outre constitué trois autres avocats, dont deux Français; ils n’eurent pas à s’occuper des poursuites pénales dont il s’agit. Le 11 janvier 1978, le président du tribunal régional, sur les réquisitions du ministère public, désigna un troisième avocat d’office, Me Hauser, ayant son cabinet à Stuttgart. M. Croissant souleva des objections contre la nomination d’un troisième avocat en elle-même et contre le choix de ce dernier, auquel il reprochait entre autres sa qualité de membre du parti social-démocrate (S.P.D.), aux idées fondamentalement opposées aux siennes. Il réclamait soit l’annulation pure et simple de la décision ainsi prise, soit le remplacement de Me Hauser par Me Künzel, dont l’étude était sise elle aussi à Stuttgart. Me Hauser demanda de son côté à être déchargé du dossier. Le tribunal les débouta tous deux le 1er mars 1978. Sur le premier point, il estima que la commission d’un troisième avocat s’imposait pour garantir un déroulement du procès conforme aux principes du code de procédure pénale et, en toute occurrence, pour assurer à l’inculpé une défense adéquate tout au long de la procédure, eu égard à la durée possible de celle-ci, ainsi qu’à la complexité et à la difficulté de l’affaire. Sur le second, il reconnut qu’un juge ayant à nommer un avocat d’office devait, en principe, s’efforcer d’opter pour une personne jouissant de la confiance de l’accusé. Cette règle s’appliquait aux cas où, l’intéressé n’ayant pas de conseil, le tribunal devait lui en commettre un. Or, à sa demande, M. Croissant s’était déjà vu doter de deux avocats auxquels il faisait entièrement crédit. Néanmoins, pour choisir le troisième le président ne s’était pas borné à rechercher lequel offrirait les meilleures garanties d’une défense adéquate et efficace compte tenu de l’objet du procès, de la complexité des questions de fait et de droit en jeu et de la personnalité de l’accusé: il avait, de plus, essayé d’en désigner un en qui M. Croissant pût placer sa confiance. A la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes pour apprécier l’aptitude de Me Hauser à défendre M. Croissant, le tribunal considéra que les liens du premier avec la S.P.D. ne justifiaient pas le retrait de sa désignation: dans la mesure où l’accusé pouvait souhaiter que ses défenseurs se livrassent à une critique sévère de la politique de ce parti, les autres avocats d’office fournissaient toutes les garanties voulues. De son côté, Me Hauser s’était dit en mesure de comparaître pour l’accusé, en dépit de leurs divergences politiques. Enfin, Me Künzel défendait l’un des anciens employés de M. Croissant dans une autre instance et l’on ne pouvait exclure un conflit d’intérêts. La cour d’appel (Oberlandesgericht) de Stuttgart confirma cette décision le 6 mars 1978. Elle rappela que d’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), la désignation d’un avocat d’office ne devait être révoquée que si le but poursuivi - une défense adéquate de l’accusé et la bonne marche de la procédure - se trouvait gravement menacé. Par des motifs analogues à ceux du tribunal régional, elle estima non établi par M. Croissant que cette condition fût remplie dans le cas de la nomination de Me Hauser. Quant à la commission d’un troisième avocat d’office, elle ne prêtait pas à critique. Le choix d’un avocat supplémentaire exerçant dans le ressort du tribunal régional se justifiait objectivement par l’impossibilité de prévoir la durée exacte de la procédure, ainsi que par l’ampleur et la complexité de la cause. La cour jugea également non fondée la demande de Me Hauser: ni lui ni M. Croissant n’affirmaient, et rien ne démontrait, qu’il existât entre eux des rapports assez tendus, ou un dissentiment assez marqué, pour empêcher une bonne défense. Par la suite, M. Croissant s’efforça de s’assurer l’assistance de Me Künzel en le choisissant pour conseil, mais en vain: aux termes de l’article 137 par. 1 du code de procédure pénale, un accusé ne peut disposer de plus de trois avocats (paragraphe 20 ci-dessous); or il en avait déjà personnellement constitué trois (paragraphe 7 ci-dessus). Lors du procès, qui dura soixante-treize jours, il fut défendu par les trois avocats commis d’office. B. La condamnation aux frais et ses conséquences Le 16 février 1979, le tribunal régional de Stuttgart condamna le requérant, pour soutien à une association de malfaiteurs, à deux ans et six mois d’emprisonnement, avec interdiction d’exercer sa profession quatre ans durant, ainsi qu’au paiement des frais et dépens, y compris ceux nécessairement exposés par lui. La Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) rejeta le pourvoi de M. Croissant le 14 novembre 1979. Le 27 décembre 1979, le bureau de perception judiciaire (Gerichtskasse) du tribunal régional fixa les frais et dépens à 239 439 DM 30, dont 209 683 DM 20 pour frais et honoraires des trois avocats commis d’office. Par un décompte (Kostenrechnung) additionnel du 15 avril 1981, il les porta en définitive à 253 246 DM 16, dont 218 863 DM 17 pour lesdits frais et honoraires, la part de Me Hauser s’élevant à 63 012 DM 79. Le requérant attaqua ce calcul, le jugeant incompatible avec l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Selon lui, l’aide judiciaire gratuite lui avait été accordée une fois pour toutes, de sorte qu’il n’avait pas l’obligation de rémunérer les avocats commis d’office et notamment Me Hauser, qu’on lui avait imposé. Le 20 novembre 1986, le tribunal régional repoussa l’objection en se référant à l’opinion dominante de la jurisprudence et de la doctrine allemandes en la matière; la Commission y avait souscrit dans une décision du 6 mai 1982 (requête no 9365/81, Décisions et rapports 28, p. 232). M. Croissant saisit la cour d’appel de Stuttgart d’un recours (Beschwerde) fondé sur les mêmes arguments, qu’il trouvait particulièrement pertinents pour Me Hauser, désigné contre son gré. Le 30 avril 1987, la cour d’appel lui donna raison sur deux points mineurs (113 DM 70 au total), mais non quant à la question principale. Elle estima que la nomination d’un troisième avocat d’office avait répondu à un besoin impérieux - garantir une défense adéquate - en raison de l’importance et de la complexité de l’affaire, ainsi que de la durée prévisible des poursuites. Si en y procédant le tribunal avait voulu en outre assurer la progression normale de l’instance, on ne pouvait le lui reprocher car il s’agissait là aussi d’un intérêt légitime méritant d’être pris en compte. Quant aux arguments que le requérant tirait de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention, la cour adopta les motifs du tribunal régional. Elle ajouta que pour déterminer si un tribunal devait ou non commettre un avocat d’office, il ne fallait prêter aucune attention aux moyens financiers de l’accusé. La question de savoir si un condamné est en mesure de payer ne se posait qu’après la fin de la procédure pénale. Le 23 juin 1987, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois magistrats, rejeta le recours (Verfassungsbeschwerde) de M. Croissant parce que dénué de chances de succès. S’appuyant sur la jurisprudence de la Commission, elle considéra que l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) n’impliquait pas la gratuité définitive de la défense d’office. Selon elle, l’obligation, pour un condamné, de couvrir les frais et dépens découlait du fait d’avoir lui-même occasionné par son comportement l’ouverture de poursuites. Sans doute le principe de l’"État social" (Sozialstaatsprinzip) et le droit à un procès équitable garantissaient-ils à un inculpé indigent le bénéfice, au besoin, de l’assistance d’un défenseur, mais ils n’exigeaient pas de le dispenser une fois pour toutes de régler les frais encourus. La législation relative aux frais et dépens offrait d’autres possibilités (facilités de paiement, sursis à exécution) de tenir compte d’une manière effective des problèmes financiers du condamné. Enfin, la conclusion de la cour d’appel quant à la nécessité de nommer Me Hauser comme troisième avocat (paragraphe 15 ci-dessus) était cohérente et, en tout cas, n’avait rien d’arbitraire. Le requérant avait sollicité dès 1985 un délai de paiement (Stundung), mais il se le vit refuser par le président du tribunal cantonal (Amtsgericht) de Stuttgart le 8 février 1988. Après l’échec d’un premier recours (Beschwerde), son recours ultérieur (weitere Beschwerde) aboutit: le 18 août 1989, la cour d’appel de Stuttgart cassa les décisions antérieures, avec renvoi au tribunal cantonal. D’après elle, l’octroi de pareil délai tendait pour l’essentiel à faciliter la réhabilitation d’un débiteur ayant déjà purgé sa peine. Partant, il fallait prendre en considération la thèse du condamné selon laquelle une réponse négative l’obligerait à prêter un serment déclaratif d’insolvabilité (Offenbarungseid) et contrecarrerait ses efforts pour recommencer à exercer sa profession d’avocat. On ne devait pas non plus oublier que le requérant acceptait l’inspection de ses documents et livres comptables par un membre du barreau de Berlin, aux fins d’une évaluation de ses revenus, ni que le ministère fédéral de la Justice proposait de l’inviter à faire une déclaration confidentielle sous la foi du serment devant notaire, à la place d’un serment déclaratif d’insolvabilité. Même si accorder un délai signifiait en réalité qu’une grande partie de la dette resterait à jamais impayée, cela ne justifiait pas un refus; de toute manière, le montant global n’était probablement pas recouvrable. Il y avait donc lieu de réexaminer la question et de rechercher si l’on pouvait autoriser des versements échelonnés et modérés. En conséquence, le président du tribunal cantonal consentit plusieurs reports d’échéance, le dernier jusqu’à mars 1992. Cependant, depuis octobre 1989 M. Croissant paye de sa propre initiative 50 DM par mois, à condition que cette somme ne serve pas à rétribuer les avocats commis d’office. En 1985, 1987 et 1988, il avait en vain essayé d’obtenir une remise de sa dette. Une quatrième demande, du 1er octobre 1990, a débouché le 10 juillet 1991 sur une ordonnance du président de la cour d’appel: rejetant la requête pour le surplus, il a sursis à statuer, dans l’attente de l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, sur le règlement des frais et honoraires desdits avocats. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE Présentent un intérêt, en l’espèce, les dispositions suivantes du code de procédure pénale relatives à l’assistance d’un avocat: Article 137 "1. L’inculpé (Beschuldigter) peut recourir aux services d’un avocat en tout état de la cause. Il ne peut en choisir plus de trois. (...)" Article 140 "1. L’assistance d’un défenseur s’impose lorsque les débats de première instance se déroulent devant la cour d’appel ou le tribunal régional; (...)" Article 141 "1. Dans les cas prévus à l’article 140 paras. 1 et 2, le prévenu (Angeschuldigter) qui n’a pas encore de défenseur s’en voit désigner un dès qu’il est invité (...) à se prononcer sur l’acte d’accusation. Si la nécessité d’un défenseur n’apparaît que par la suite, il en est immédiatement désigné un. (...) (...)" D’après la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice et de la Cour constitutionnelle fédérale, l’article 141 par. 1 n’empêche pas un tribunal de commettre d’office, lorsqu’il l’estime nécessaire dans l’intérêt de la justice, un ou plusieurs avocats à un accusé déjà représenté par un ou plusieurs conseils de son choix. Article 142 "1. Dans la mesure du possible, le président du tribunal choisit le défenseur à désigner parmi les avocats agréés auprès d’un tribunal du même ressort judiciaire. L’inculpé doit se voir offrir l’occasion d’en indiquer un dans un délai à déterminer. Sauf si d’importantes raisons s’y opposent, le président désigne le défenseur indiqué par l’inculpé. (...)" Aux termes des articles 48 et 49 de l’ordonnance fédérale relative aux avocats (Bundesrechtsanwaltsordnung), un avocat commis d’office est tenu d’assurer la défense, mais peut, s’il a des motifs sérieux à invoquer, demander à être déchargé de sa mission. Article 465 "1. L’accusé supporte les frais dans la mesure où ils résultent d’une procédure engagée à raison d’un acte pour lequel il a été condamné (...)" La loi du Land de Bade-Wurtemberg sur les frais de justice, du 30 mars 1971, prévoit ce qui suit: Article 7 "1. Le paiement des frais de justice et autres dettes prévues à l’article 1 par. 1, nos 5 à 9, du règlement du 11 mars 1937 sur le recouvrement des frais (...) peut être différé lorsqu’un recouvrement immédiat serait d’une exceptionnelle dureté pour le débiteur, si l’ajournement ne met pas la créance en péril (...) Il peut y avoir remise partielle ou totale des dettes mentionnées au paragraphe 1: - 1. si la poursuite de buts d’intérêt public semble le recommander; - 2. si le recouvrement est d’une exceptionnelle dureté pour le débiteur; - 3. si d’autres raisons particulières rendent équitable une telle mesure. Il en va de même du remboursement ou de la bonification de sommes déjà payées. Le ministre compétent prend la décision prévue aux paragraphes 1 et 2. Dans certains types de cas, il peut déléguer ce pouvoir, en tout ou en partie, à des autorités subordonnées." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Croissant a saisi la Commission le 3 décembre 1987. Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait d’avoir été condamné à régler les frais et honoraires des trois avocats désignés d’office. La Commission a retenu la requête (no 13611/88) le 8 décembre 1989. Dans son rapport du 7 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation tant pour les frais et honoraires de Mes Baier et Kempf (unanimité) que pour ceux de Me Hauser (sept voix contre quatre). Le texte intégral de son avis, et des deux opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le requérant demande à la Cour de déclarer contraire à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) la mise à sa charge des frais des deux avocats désignés d’office avec son accord et d’un troisième qui le fut essentiellement dans l’intérêt de la procédure. Pour sa part, le Gouvernement invite la Cour à constater "(...) que la République fédérale d’Allemagne n’a pas enfreint l’article 6 (art. 6) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le 18 janvier 1983, M. Abdoella fut placé en garde à vue et inculpé d’incitation au meurtre. On le mit par la suite en détention provisoire. A l’issue de l’enquête, qui concernait aussi d’autres suspects, il fut cité le 14 avril à comparaître devant le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de La Haye. Le 17 mai 1983, celui-ci lui infligea douze ans d’emprisonnement, moins le temps déjà passé en garde à vue et en détention provisoire. L’intéressé saisit la cour d’appel (Gerechtshof) de La Haye, qui confirma le jugement le 29 août 1983. Il se pourvut alors devant la Cour de cassation (Hoge Raad), dans le délai de quatorze jours ouvert par le droit néerlandais (paragraphe 11 d) ci-dessous), au moyen d’une déclaration au greffe de la cour d’appel de La Haye. Ce dernier communiqua le dossier au greffe de la Cour de cassation, qui le reçut le 3 juillet 1984. Le procureur général conclut au rejet du recours, mais pour des motifs techniques la Cour de cassation, le 15 janvier 1985, censura la décision entreprise et renvoya l’affaire à la cour d’appel d’Amsterdam. Expédié par son greffe à celui de la cour d’Amsterdam le 1er février, le dossier y arriva le jour même. Le 31 mai 1985, le procureur général près la cour d’appel d’Amsterdam cita le condamné à comparaître devant ladite juridiction, qui entendit la cause le 28 juin. A cette occasion l’intéressé sollicita la suspension de sa détention provisoire, ainsi que l’ajournement de l’audience afin de faire interroger deux témoins défaillants, qui avaient été convoqués à la requête de la défense. La cour d’appel écarta la première demande, mais avec l’accord du conseil de M. Abdoella elle différa les débats jusqu’au 20 septembre 1985; pour expliquer l’ampleur du report (paragraphe 11 a) ci-dessous), elle précisa que son calendrier ne permettait pas une date plus proche. Le 20 septembre 1985, elle ouït les témoins mentionnés plus haut et refusa derechef de suspendre la détention provisoire de l’intéressé comme il l’y avait invitée. Le 4 octobre 1985, elle prononça contre lui une peine de dix ans d’emprisonnement, moins la période déjà passée en garde à vue et en détention provisoire. Dans le délai légal de deux semaines, M. Abdoella forma un second recours en cassation par déclaration au greffe de la cour d’appel d’Amsterdam. Parallèlement, il saisit celle-ci de plusieurs requêtes concernant sa détention provisoire. Si elle la suspendit pour deux semaines en avril 1986, puis en juillet, elle repoussa, le 29 octobre, une demande fondée notamment sur les articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention et tendant à la cessation ou, subsidiairement, à la suspension de la mesure. En avril 1987, elle accorda une nouvelle autorisation de sortie pour deux semaines mais ne consentit pas à pareille levée ou suspension. Le greffe de la cour d’appel d’Amsterdam envoya les pièces de la procédure à celui de la Cour de cassation, qui les reçut le 15 septembre 1986. En octobre 1986, le président de la chambre criminelle fixa l’audience au 10 février 1987. Par l’intermédiaire de son conseil, le requérant déposa par la suite ses moyens de cassation. Il y en avait cinq. Le premier - le seul à traiter de questions en jeu dans le présent litige - était tiré de la violation, entre autres, de l’article 5 par. 3 de la Convention, combiné avec les articles 5 par. 1 c) et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-1-c, art. 6-1). L’exposé des motifs soulignait que l’intéressé, détenu depuis le 18 janvier 1983, souffrait de troubles mentaux atteignant aussi les membres de sa famille. La détention provisoire n’avait été suspendue qu’à deux reprises pour ce motif, chaque fois pour deux semaines, la seconde remontant à juillet 1986. Bien que non complexe, l’affaire durait déjà depuis plus de quatre ans, de sorte que le "délai raisonnable" dont parle l’article 5 (art. 5) se trouvait dépassé. Une appréciation séparée des diverses phases de la procédure conduisait au même résultat; en particulier, les périodes imputables au premier pourvoi, à l’instance devant la cour d’appel d’Amsterdam et à l’instruction du second pourvoi ne cadraient pas avec lesdites dispositions. Sur les conclusions de son procureur général, formulées le 10 mars 1987, la Cour de cassation débouta le requérant le 19 mai. Il fallait considérer, jugea-t-elle notamment, que ni lui ni son avocat n’avaient soulevé la question de la longueur de la procédure devant la cour d’appel d’Amsterdam aux audiences des 28 juin et 20 septembre 1985. La simple circonstance que la préparation de la cause et son examen par le tribunal d’arrondissement, la cour d’appel de La Haye et la Cour de cassation avaient duré deux ans (moins quelques jours) n’obligeait pas en soi la cour d’appel d’Amsterdam à se prononcer sur le point de savoir s’il avait été statué en l’espèce dans un délai raisonnable. En outre, compte tenu du temps écoulé entre l’arrêt de la cour d’appel d’Amsterdam, du 4 octobre 1985, et les débats de 1987 devant la Cour de cassation, il n’y avait pas eu violation des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 6-3, art. 6-1). La situation personnelle du requérant n’y changeait rien. Le 4 juin 1987, M. Abdoella présenta un recours en grâce que le secrétaire d’État à la Justice rejeta le 12 novembre. Il introduisit alors, le 28 décembre 1987, un pourvoi en révision que la Cour de cassation déclara irrecevable le 6 décembre 1988. Il recouvra la liberté le 22 décembre 1989. II. DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions pertinentes du code de procédure pénale Une traduction du texte original des clauses pertinentes du code néerlandais de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering) figure ci-après. a) Article 277a "1. Si le prévenu se trouve en détention provisoire, les paragraphes suivants du présent article s’appliquent. Si le tribunal suspend l’instruction d’audience pour une durée déterminée, le délai qu’il fixe ne peut en principe excéder un mois. Pour des raisons impérieuses, à mentionner dans le procès-verbal, il peut opter pour un délai plus long, mais en aucun cas supérieur à trois mois. (...)" Aux fins de cette disposition, "un mois" signifie trente jours (article 136 par. 1). L’article 277a vaut aussi pour les cours d’appel (article 415). b) Article 365 "1. Le jugement est signé, dans un délai de deux fois vingt-quatre heures à partir de son prononcé, par les juges qui ont connu de l’affaire et par le greffier ayant assisté à la délibération. Si un ou plusieurs d’entre eux en sont empêchés, il en est fait mention à la fin du jugement. Dès la signature du jugement, et en tout cas après la fin du délai visé au paragraphe 1, le prévenu ou son conseil peut en prendre connaissance ainsi que du procès- verbal d’audience." Cet article s’applique également, lui aussi, aux arrêts des cours d’appel (article 415). c) Article 449 "1. L’opposition, l’appel ou le pourvoi en cassation se forment au moyen d’une déclaration que l’auteur du recours dépose au greffe de la juridiction par laquelle ou auprès de laquelle la décision a été rendue. (...) (...)" d) Article 408 "1. L’appel doit être interjeté: a. dans les deux semaines du prononcé du jugement définitif si la citation à comparaître a été signifiée au prévenu en personne ou si celui-ci a comparu; b. dans les autres cas, deux semaines au plus après l’apparition d’une circonstance d’où il ressort que l’intéressé a eu connaissance du jugement. (...)" e) Article 409 "1. Une fois l’appel formé, le greffier du tribunal envoie dès que possible les pièces de la procédure au greffier de la cour d’appel. (...)" f) Article 432 "1. Le pourvoi en cassation doit être formé: a. dans les deux semaines du prononcé de la décision définitive si la citation à comparaître a été signifiée au prévenu en personne ou si celui-ci a comparu; b. dans les autres cas, deux semaines au plus après l’apparition d’une circonstance d’où il ressort que l’intéressé a eu connaissance de la décision. (...)" g) Article 433 (tel qu’il s’appliquait à l’époque) "1. À peine d’irrecevabilité, le ministère public dépose au greffe de sa juridiction, en même temps que sa déclaration de recours ou dans les dix jours qui suivent, un mémoire contenant ses moyens de cassation. Le prévenu par qui ou au nom de qui a été formé un pourvoi en cassation peut déposer un tel mémoire auprès de la Cour de cassation, au plus tard le jour de l’audience. Le greffier de la juridiction qui a rendu la décision envoie les pièces de la procédure au greffier de la Cour de cassation trente jours au plus après l’expiration du délai dans lequel le ministère public peut déposer son mémoire ou après qu’il l’a fait. (...)" En pratique, on admettait d’ordinaire que le délai visé au paragraphe 3 de cet article était de cinquante-quatre jours après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel, que le parquet eût ou non introduit un pourvoi. Avant sa modification par la loi du 14 janvier 1976 (Staatsblad (Journal officiel) no 9), l’article 433 par. 3, tout comme l’article 409, se bornait à prescrire l’envoi du dossier "dès que possible". Le délai de trente jours fut introduit "pour assurer plus de promptitude" en la matière. Il a disparu avec la loi du 27 novembre 1991 (Staatsblad no 663), entrée en vigueur le 1er mai 1992; le paragraphe 3 de l’article 433 prévoit à nouveau que la communication des pièces doit avoir lieu "dès que possible". A l’origine de ce revirement figure d’abord la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphes 13-14 ci-dessous) d’après laquelle le non-respect de l’article 433 par. 3 ne constituait pas une cause de nullité et les droits du prévenu, en cas de retard déraisonnable dans l’instance en cassation, se trouvaient de toute manière protégés par les articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 14 par. 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il y avait un second motif: en réalité le délai en question n’était que rarement observé; on estima peu judicieux de conserver un texte qui, "quant au déroulement - rapide - de la procédure de cassation", suscitait "des espoirs qu’en pratique" on ne pouvait "pas ou guère exaucer". h) Article 436 "1. Une fois le dossier demeuré huit jours au greffe, le procureur général l’en retire contre accusé de réception et le transmet à la Cour de cassation en proposant une date d’audience. Le président fixe le jour de celle-ci et désigne un juge chargé d’y présenter un rapport." Si la Cour de cassation renvoie l’affaire, son greffe doit expédier les pièces de la procédure à celui de la juridiction compétente. Toutefois, le code de procédure pénale ne contenant aucune clause relative à la procédure après renvoi, il n’existe aucun texte comparable aux articles 409 et 433 qui s’y appliquerait. B. Jurisprudence pertinente D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, le non- respect des articles 409 par. 1 ou 433 par. 3 du code de procédure pénale ne constitue pas un motif de nullité: ces dispositions ne précisent pas le contraire et elles ne revêtent pas une importance assez grande pour que leur inobservation doive entraîner par elle-même pareille sanction. Leur méconnaissance entre pourtant en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la cause a été entendue dans un délai raisonnable comme l’exige l’article 6 (art. 6) de la Convention (voir par exemple les arrêts de la Cour de cassation des 23 septembre 1980 et 29 mars 1988, Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1981, no 116, et 1988, no 813). Quant à ladite exigence en général et, en particulier, aux conséquences attachées à la violation des articles 409 par. 1 et 433 par. 3 du code de procédure pénale, la jurisprudence de la Cour de cassation peut se résumer ainsi: a) Le dépassement de ce qu’il faut, dans les circonstances d’une espèce donnée, considérer comme un "délai raisonnable" peut amener à constater l’irrecevabilité des poursuites. Toutefois, le juge peut préférer adoucir la peine qu’il aurait prononcée en l’absence d’une telle atteinte aux droits du prévenu; s’il le fait, il doit avoir égard à l’ampleur du manquement et indiquer la mitigation qui lui a semblé appropriée (voir par exemple les arrêts des 29 janvier 1985, NJ 1985, no 690; 7 avril 1987, NJ 1987, no 587; 29 mars 1988, NJ 1988, no 813; 25 avril 1989, NJ 1989, no 705). b) Pour statuer sur l’existence de pareil dépassement, le juge doit examiner tant les différentes phases que la durée globale de la procédure et prendre en compte toutes les circonstances pertinentes, tels la complexité de la cause, le comportement de l’accusé et la manière dont les autorités compétentes ont conduit l’affaire (voir par exemple l’arrêt du 19 février 1985, NJ 1985, no 581). c) La décision à rendre en la matière dépendant ainsi, en partie, de l’appréciation de circonstances de fait, la Cour de cassation, qui pour l’essentiel connaît seulement du droit, ne peut se livrer qu’à un contrôle limité de celle du juge du fond; elle ne peut la censurer que du chef d’une conception erronée de la notion de délai raisonnable ou des critères énoncés au point b) ci-dessus, ou pour insuffisance de motivation (voir par exemple les arrêts des 5 janvier 1982, NJ 1982, no 339; 9 mars 1982, NJ 1982, no 409; 11 mai 1982, NJ 1983, no 280; 12 octobre 1982, NJ 1983, no 371; 3 janvier 1984, NJ 1984, no 403; 29 janvier 1985, NJ 1985, no 690; 10 décembre 1985, NJ 1986, no 480; 1er novembre 1988, NJ 1989, no 680; 31 octobre 1989, NJ 1990, no 257). La Cour de cassation a jugé que la stagnation d’une procédure pénale durant plus de deux ans ne permet pas nécessairement de conclure au dépassement du délai raisonnable (arrêt du 16 décembre 1986, NJ 1987, no 637). Néanmoins, on estime en général qu’elle applique, dans l’exercice de son contrôle restreint, une règle approximative empruntée par elle, croit-on, à l’avis de la Commission, du 12 mars 1984, sur la requête no 9193/80 de M. Marijnissen (Décisions et rapports 40, pp. 83-99), entériné par le Comité des Ministres par sa résolution DH (85) 4 du 25 janvier 1985. Ladite règle se ramène à ceci: en principe, le "délai raisonnable" se trouve transgressé si la procédure, dans l’une de ses phases, n’a pas progressé pendant plus de deux ans, à cause de circonstances non imputables à l’accusé; s’il en va ainsi et que la défense s’en plaigne, le rejet du grief exige une motivation des plus fortes. S’agissant d’une règle approximative, une période plus brève peut déjà, dans des cas particuliers, requérir une telle motivation; inversement, semble-t-il, il peut arriver qu’un dépassement du délai de deux ans se révèle acceptable au vu, peut-être, des circonstances de la cause. d) Au besoin, le juge du fond doit contrôler d’office le respect du délai raisonnable, mais sauf circonstances exceptionnelles sa décision n’a pas besoin de préciser qu’il l’a fait. Pour apprécier l’existence de pareilles circonstances, la Cour de cassation applique, mutatis mutandis, la règle générale visée au point c) ci-dessus. D’ordinaire, elle ne considère donc pas les juges du fond comme tenus de trancher d’office la question s’il ne ressort pas du dossier que, dans l’une de ses phases, la procédure n’a pas progressé pendant plus de deux ans à cause de circonstances non imputables à l’accusé. Toutefois, l’existence de circonstances spéciales oblige lesdits juges à traiter la question d’office même dans l’hypothèse d’une période plus brève de stagnation (voir par exemple les arrêts des 1er juillet 1981, NJ 1981, no 625, et 1er mai 1990, NJ 1990, no 641). e) La Cour de cassation applique ces règles à sa propre procédure: elle recherche, le cas échéant d’office, s’il s’avère que celle-ci a trop duré. Son abondante jurisprudence révèle que l’intervalle entre l’introduction du pourvoi et l’envoi des pièces au greffe de la Cour de cassation n’est pas sans importance: s’il revêt une ampleur telle que la haute juridiction aborde l’examen de l’affaire plus de deux ans après sa saisine, il y a en principe cassation avec renvoi et le juge du fond a le choix entre les deux possibilités indiquées au point a) ci- dessus: déclarer les poursuites irrecevables ou réduire la peine. Toutefois, la Cour de cassation peut elle-même conclure, au besoin d’office, à l’absence de toute autre solution que pareille irrecevabilité (voir par exemple les arrêts des 12 janvier 1988, NJ 1988, no 814; 29 mars 1988, NJ 1988, no 813; 12 avril 1988, NJ 1988, no 970; 25 avril 1989, NJ 1989, no 705; 6 juin 1989, NJ 1990, no 92; 13 février 1990, NJ 1990, no 633). Dans le cas d’une période de stagnation plus brève, la Cour de cassation se borne à préciser qu’elle la trouve d’une longueur excessive mais que l’on ne saurait pour autant considérer la décision comme non intervenue dans un délai raisonnable. Elle s’interroge alors, en appliquant la règle exposée au point précédent, sur l’existence de circonstances particulières de nature à justifier une autre décision (voir par exemple les arrêts des 13 janvier 1981, NJ 1981, no 240; 3 mars 1981, NJ 1981, no 367; 16 février 1982, NJ 1982, no 410; 4 juin 1985, NJ 1986, no 182; 16 septembre 1985, NJ 1986, no 495; 11 février 1986, NJ 1986, no 553; 11 février 1986, NJ 1986, no 644; 16 février 1988, NJ 1988, no 823). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Abdoella a saisi la Commission le 9 février 1987. Il se plaignait, entre autres, de la durée des poursuites pénales intentées contre lui et invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 10 avril 1991, la Commission a déclaré la requête (no 12728/87) recevable à cet égard et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 14 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Joseph Brincat, avocat maltais résidant à Marsa (Malte), siège au Parlement maltais ainsi qu’à l’Assemblée du Conseil de l’Europe. Le 19 novembre 1987, près de Maratea (Italie), un de ses clients fut grièvement blessé dans un accident de la route. Chargé par une compagnie d’assurance de constater les circonstances du sinistre, le requérant se rendit avec l’épouse de la victime, le 5 décembre 1987, à l’entrepôt de ferraille de Tortora (Cosenza) où l’on avait transporté le véhicule endommagé. Comme l’intéressée avait essayé de récupérer des biens personnels cachés dans le réservoir à essence, le propriétaire de l’établissement alerta la police, laquelle découvrit en la possession de celle-ci, entre autres, un billet de banque qui provenait de la rançon versée pour la libération d’une personne kidnappée. Là-dessus, la police les emmena au commissariat de Maratea, où elle les interrogea tous deux, puis les mit en état d’arrestation, à la disposition du procureur de la République. En outre, elle confisqua les objets retirés de la voiture. Le lendemain à trois heures du matin, M. Brincat fut transféré à la prison de Lagonegro (Potenza) et incarcéré dans une cellule d’isolement qu’il partageait avec un autre détenu. Le jour même, le procureur de Lagonegro informa son conseil qu’il entendrait le requérant le lundi 7 décembre, donc dans le délai de quarante-huit heures prévu à l’article 238 du code de procédure pénale alors en vigueur. A cette date, l’intéressé comparut assisté de deux avocats. Après l’interrogatoire, le substitut du procureur ordonna son maintien en détention (convalidó l’arresto). De retour à la prison de Lagonegro, le requérant quitta cependant le quartier d’isolement pour séjourner avec les autres détenus. Le procureur de Lagonegro mena l’enquête préliminaire (istruzione sommaria). Le 9 décembre, il ouït de nouveau M. Brincat, à sa demande, et vérifia ses dires auprès d’Interpol. Le 10, il reçut du procureur de Palerme un message télécopié confirmant l’origine de l’un des billets confisqués. Le jour même et le lendemain, il envoya des télégrammes aux ministères des Affaires étrangères et de la Justice pour se renseigner au sujet de l’immunité parlementaire du requérant. Enfin, après avoir entendu le commissaire de police de Maratea et un autre témoin le 14 décembre, le procureur de Lagonegro se déclara incompétent ratione loci. Il adressa le dossier par la poste au parquet compétent, celui de Paola, qui le reçut le 18. En outre, il révoqua l’autorisation accordée à M. Brincat de consulter ses avocats, de communiquer avec autrui et de recevoir des visites en prison, notamment de sa soeur qui s’était déplacée de Malte à cette fin. Entre temps, les conseils du requérant avaient tenté de contester le maintien en détention, mais en vain: le parquet de Lagonegro s’étant dessaisi et celui de Paola ne se trouvant pas encore en possession des pièces nécessaires, le tribunal de Cosenza n’avait pas le pouvoir de connaître de la question (article 76 du code de procédure pénale). Dès le 18 décembre, le procureur de Paola délivra contre M. Brincat un mandat d’arrêt (ordine di cattura) pour détention d’objets et de numéraire provenant d’une rançon; il ordonna de le transférer à la prison de Cosenza. Le requérant, à qui l’on avait communiqué cette décision le jour même, y fut conduit le samedi 19 au petit matin en fourgon cellulaire, menottes aux poignets. A son arrivée, on l’informa que le substitut du procureur de Paola avait levé les interdictions concernant sa correspondance, ses visites et ses contacts téléphoniques avec sa famille. Il saisit aussitôt le tribunal de Cosenza d’un recours tendant à l’examen du mandat d’arrêt, conformément à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention et aux dispositions pertinentes du code de procédure pénale; invoquant l’article 5 par. 3 (art. 5-3), il se plaignait en outre de ne pas avoir été "aussitôt [traduit] devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". Le procureur de Paola l’interrogea le mardi 22 décembre. Le lundi 28 décembre 1987, le tribunal de Cosenza annula le mandat d’arrêt du 18 et prescrivit l’élargissement immédiat de l’intéressé, faute d’éléments de preuve suffisants. Le procureur interjeta appel. Selon les renseignements fournis à la Cour, cette procédure et la procédure principale, réduite à des poursuites pour contrebande, demeurent pendantes. II. LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU DROIT ITALIEN Le code de procédure pénale en vigueur à l’époque comprenait les dispositions suivantes: Article 238 "(...) L’officier de police qui arrête une personne, ou reçoit une personne arrêtée, doit en informer immédiatement et en tout cas dans les quarante-huit heures (...), le procureur de la République (...) Il doit aussi lui communiquer dans les quarante-huit heures les résultats de son enquête. Le procureur de la République (...) doit procéder immédiatement à l’interrogatoire du détenu et, s’il estime l’arrestation fondée, en ordonner le maintien (convalida) par une décision motivée, au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la notification mentionnée ci-dessus. Cette ordonnance est communiquée à l’intéressé. (...)" Article 243 "Dans les cas prévus aux articles 235 et 236 (flagrant délit), le procureur de la République (...) peut ordonner l’arrestation. Si le mandat d’arrêt était oral, il doit aussitôt que possible être confirmé par écrit dans la forme habituelle." Article 244 "Les officiers de police qui, sans ordre ou mandat de l’autorité judiciaire, ont procédé à l’arrestation d’une personne ou ont reçu une personne arrêtée (...) doivent, dans les vingt-quatre heures, la mettre à la disposition du procureur de la République ou du juge d’instance (...), sauf si ces derniers, après avoir été informés de l’arrestation, estiment nécessaire une prolongation du délai susmentionné. Le procès-verbal de l’arrestation est également communiqué au procureur de la République ou au juge d’instance. (...)" Article 246 "(...) S’il ne doit pas ordonner la libération (...), le procureur de la République ou le juge d’instance décide, par ordonnance motivée, le maintien de l’accusé en état d’arrestation à la disposition de l’autorité compétente (...) (...)" Le nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 24 octobre 1989, n’habilite plus le parquet à ordonner la détention. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Brincat a saisi la Commission le 8 janvier 1988. Il s’appuyait sur les articles 3 et 5 par. 3 (art. 3, art. 5-3) de la Convention. Le 13 juillet 1990, la Commission a retenu le grief tiré de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) mais rejeté le restant de la requête (no 13867/88). Dans son rapport du 28 mai 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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M. Miguel Castells, citoyen espagnol, réside à Saint- Sébastien (Guipúzcoa) où il exerce la profession d'avocat. A l'époque, il était sénateur élu sur la liste de Herri Batasuna, formation politique prônant l'indépendance du Pays Basque. A. Les circonstances de l'espèce L'article en cause La semaine du 4 au 11 juin 1979, l'hebdomadaire Punto y Hora de Euskalherria publia l'article suivant, intitulé "Insultante Impunidad" (Outrageante impunité) et signé par le requérant: "Dans quelques jours, au moment des fêtes de San Fermín, un an se sera écoulé depuis les assassinats de Germán Rodríguez à Pampelune (Iruña/Pamplona) et de Joseba Barandiarán à Saint Sébastien (Donosti/San Sebastián). Les organismes officiels n'en ont pas identifié les auteurs. Ils n'ont même pas reconnu à quelles organisations ces derniers appartiennent. Ils n'ont pas non plus identifié les personnes qui ont tué, du 12 au 15 mai 1977, Gregorio Marichalar Ayestarán, âgé de 63 ans, et Rafael Gómez Jaúregui, âgé de 78 ans, à Rentería, José Luis Cano à Irun et Manuel Fuentes Mesa à Ortuella; le 14 mai, également de l'année 77, José Luis Aristizábal à Saint Sebastien, et, vers cette même date, dans la même ville, Isidro Susperregui Aldekoa, âgé de plus de soixante-dix ans; début juin, toujours en 77, Javier Núñez Fernández à Bilbao; Francisco Aznar Clemente, Pedro María Martínez Ocio, Romualdo Barroso Chaparro, Juan José Castillo et Bienvenido Pereda Moral, le 3 mars 76 à Gasteiz, et, cette même année, le 7 mars à Basauri, Vicente Antón Ferrero, le 9 mai à Montejurra, Aniano Jiménez et Ricardo Pellejero, au mois de juin Alberto Romero Soliño à Eibar, au mois de septembre Jesús María Zabala à Fontarabie (Fuenterrabía), en novembre Santiago Navas et José Javier Nuin à Saneban et le 10 juillet Normi Menchaka à Santurce; José Emilio Fernández Pérez, âgé de 16 ans, et Felipe Carro Flores, âgé de 15 ans, le 24 juillet et le 25 juillet 1978, l'un à Apatomonasterio et l'autre à Sestao. Je ne parle que des morts, et la liste est loin d'être exhaustive. Je ne cite que des exemples. Pas un seul, je dis bien: pas un seul des assassinats, parmi la liste interminable des assassinats fascistes au Pays Basque (Euzkadi), n'a le moins du monde été éclairci au niveau officiel. Les individus qui ont assassiné Emilia Larrea, Roberto Aramburu, Josemari Iturrioz, Agurtzane Arregui, Argala, José Ramon Ansa et Gladys del Estal, à savoir les assassinats les plus récents, seront-ils identifiés? Et lorsque je dis les plus récents, il convient de préciser la date - le 9 juin 1979 - car demain il y en aura d'autres. Et restent les centaines de cas - car ils se comptent par centaines - où des gens entrent, pistolets au poing, dans les bars des villages et des faubourgs (Amorebieta, Durango, Eguía, Loyola, etc.) ou parcourent tout simplement les rues en blessant et en maltraitant tout le monde sur leur passage; les bombes mises dans des locaux populaires (Punto y Hora, Bordatxo, bar Alay, bar Santi, Askatasuna, etc.) ou sur des voitures, les attentats dont les survivants gardent des séquelles à vie, etc. Les auteurs de ces crimes agissent, continuent à travailler et restent à des postes de responsabilité, en toute impunité. Il n'y a à leur encontre aucun mandat d'arrêt. Le signalement des responsables de ces agissements n'est ni relevé ni publié; il n'y a pas non plus de listes de suspects dans les journaux, ni de portraits robot, et encore moins de récompenses offertes au public, ni d'arrestations, ni de contrôles ou de perquisitions à domicile; la collaboration des gens n'est pas publiquement demandée, comme dans d'autres cas; de fait, il est significatif que cette collaboration ne soit même pas acceptée en l'occurrence. Aucun lien n'est établi, il n'y a pas de communiqués officiels pleins d'accusations catégoriques et d'anathèmes dans la presse, comme dans d'autres cas. La droite au pouvoir a tous les moyens (police, tribunaux et prisons) de découvrir et de punir les auteurs de tant de crimes. Mais n'ayez crainte: la droite ne va pas se découvrir elle-même. Des organisations d'extrême droite? Personne ne pensait au Pays Basque, avant la mort de Franco, que pût être arrêté ou condamné pour 'association illégale' un seul militant, et encore moins un dirigeant de la 'Triple A', du 'Batallón Vasco-Español', du 'Batallón Guezalaga', de l'ATE, du commando Adolf Hitler, du commando Francisco Franco, du commando Mussolini, d'Ordre Nouveau, d'Omega, du 'Movimiento Social Español', d''Acción Nacional Española', ou des 'Guerrilleros de Cristo Rey'. Personne ne peut non plus y croire actuellement. Des prisonniers 'de l'ETA'? Des centaines d'entre eux sont passés par la prison. Des personnes suspectées être de l'ETA? Des milliers d'entre elles sont passées par les commissariats. Des sympathisants? A quoi bon continuer... Mais pour ce qui est des dirigeants ou des adhérents de la Triple A, pas un seul. Les responsables de l'ordre et des poursuites pénales demeurent les mêmes aujourd'hui que jadis. Et ici, au Pays Basque, rien n'a changé pour ce qui est de l'impunité et des questions de responsabilité. La période d'Ibañez Freire en tant que directeur général de la Garde civile, lorsque Fraga était ministre de l'Intérieur, a également été au Pays Basque une époque de prolifération des actions dites d'extrême droite. La prolifération et les coïncidences reviennent. L'augmentation des activités des groupes échappant à tout contrôle va généralement de pair, au Pays Basque, avec l'augmentation des forces policières de répression. Ces commandos, car il faut bien leur donner un nom, ont l'air de se sentir comme un poisson dans l'eau au Pays Basque, alors qu'ils sont entourés d'une population qui leur est absolument hostile. Ceci est trop inexplicable pour ne pas avoir une explication évidente. Pour commettre leurs attentats, ils disposent d'informations précises, souvent plus détaillées que celles dont disposent les gens du pays. Ils ont d'importants fichiers, mis à jour. Ils disposent de matériel de guerre et de fonds importants. Disposant de matériel et de fonds illimités, ils jouissent d'une impunité totale. Compte tenu de la période et des conditions dans lesquelles ils opèrent, on peut dire que l'impunité légale leur est d'avance garantie. Il ne sert à rien d'interdire de le voir. Or cela compte pour le peuple. Et cela compte plus encore au Pays Basque que tous les systèmes provisoires d'autonomie, les consensus démocratiques et autres balivernes vides de sens ou formulées de façon abstraite, parce qu'il s'agit d'une réalité quotidienne visible et tangible. Je ne crois sincèrement pas que les associations fascistes dont j'ai cité les sigles ci-dessus aient une existence indépendante en dehors de l'appareil de l'État. En d'autres termes, je ne crois pas à leur existence réelle. Malgré la prolifération des sigles, ce sont toujours les mêmes. Derrière ces actions, il ne peut y avoir que le gouvernement, le parti du gouvernement et ses effectifs. Nous savons qu'ils vont de plus en plus utiliser, comme instrument politique, la chasse expéditive du dissident basque et son élimination physique. Libre à eux d'avoir cette absence de vision des réalités politiques! Mais, pour le prochain de nous qui tombera, il faut signaler les responsables, dès maintenant, avec le maximum de publicité." Les poursuites pénales contre le requérant a) L'instruction Le 3 juillet 1979, le parquet ouvrit des poursuites contre M. Castells pour injures au gouvernement (article 161 du code pénal, paragraphe 20 ci-dessous). La juridiction d'instruction compétente, le Tribunal suprême, pria le Sénat de lever l'immunité parlementaire de l'intéressé; il le fit à la majorité le 27 mai 1981. Le 7 juillet 1981, ledit tribunal inculpa le requérant d'injures graves au gouvernement et à des fonctionnaires de l'État (articles 161 par. 1 et 242 du code pénal). Il ordonna en outre sa détention provisoire, en ayant égard aux peines prévues pour les délits en question (six à douze ans d'emprisonnement, paragraphe 20 ci-dessous), mais lui accorda sa liberté sous caution, vu sa qualité de sénateur et le manque d'inquiétude (falta de alarma) provoquée par les délits en cause. Le 28 septembre 1981, le tribunal réforma sa décision précédente. Il subordonnait la liberté provisoire de l'intéressé à la seule obligation de se présenter au juge à des intervalles réguliers. Outre les circonstances déjà mentionnées, il soulignait que M. Castells, lors de son interrogatoire, avait montré une attitude coopérative et affirmé que son article formulait simplement une dénonciation politique et n'entendait pas injurier, ni menacer, le gouvernement ou ses membres. Le 12 décembre 1981, la défense du requérant récusa quatre des cinq membres de la chambre compétente du Tribunal suprême; d'après elle, leurs idées politiques et les fonctions exercées par eux sous le régime politique antérieur les disqualifiaient pour l'examen d'une affaire concernant la liberté d'opinion d'un individu qui, comme le requérant, avait été un opposant notoire à ce régime. Elle invoquait l'article 54 par. 9 du code de procédure pénale. Après plusieurs incidents de procédure, dont une décision du Tribunal constitutionnel lui enjoignant, le 12 juillet 1982, de déclarer recevable la demande de récusation, le Tribunal suprême, statuant en séance plénière, la rejeta au fond le 11 janvier 1983. Sans doute les magistrats mis en cause avaient-ils, à l'époque, siégé à la chambre criminelle du Tribunal suprême et l'un d'entre eux avait-il présidé, de 1966 à 1968, le Tribunal de l'ordre public, mais ils n'avaient fait alors qu'appliquer la législation en vigueur. Le 4 mai 1983, le Tribunal constitutionnel repoussa un recours d'amparo que M. Castells avait formé pour violation de l'article 24 par. 2 de la Constitution (droit à un tribunal impartial). Que lesdits magistrats pussent avoir des idées politiques différentes de celles du requérant ne pouvait passer pour avoir un lien direct ou indirect avec la solution du litige (interés directo o indirecto), au sens de l'article 54 par. 9 du code de procédure pénale. Entre-temps, l'instruction avait progressé. Le 3 février 1982, le ministère public avait estimé que les faits constituaient un délit d'injures graves au gouvernement; il avait requis une peine d'emprisonnement de six ans et un jour. Dans son mémoire (conclusiones provisionales) du 2 avril 1982, la défense soutint que l'article litigieux renfermait des informations exactes et n'exprimait pas une opinion personnelle de l'inculpé, mais les vues de l'opinion publique. Elle présentait des offres de preuve destinées à établir la véracité desdites informations, en particulier la production, par les autorités compétentes, de rapports sur des enquêtes de police, détentions, poursuites ou autres démarches entreprises contre les membres de groupes d'extrême droite responsables des attentats dénoncés dans l'article; la notoriété des faits relatés enlevait en effet à celui-ci tout caractère injurieux. En outre, la défense demandait l'audition de cinquante-deux témoins, dont des membres des Parlements belge, italien, français, anglais, irlandais et danois, ainsi que du Parlement européen, au sujet de la pratique parlementaire en matière de liberté de critique politique; selon elle, M. Castells avait agi dans le cadre de son mandat représentatif et des obligations correspondantes. Par une ordonnance (auto) du 19 mai 1982, le Tribunal suprême refusa de recueillir la plupart des preuves proposées par la défense car elles tendaient à démontrer l'exactitude des renseignements diffusés. Il existait dans la doctrine, et même dans sa propre jurisprudence, des divergences sur l'admissibilité de l'exception de vérité (exceptio veritatis) pour des injures visant les institutions de la nation, mais les réformes du code pénal alors en cours éclairaient la question: l'exception ne valait pas à l'encontre desdites institutions et l'article 461 du code pénal (paragraphe 21 ci-dessous) ne permettait de l'invoquer que dans le cas des fonctionnaires. Les preuves en question n'étaient donc pas recevables en l'espèce, sans préjudice de la possibilité pour le prévenu d'exercer les actions pénales qu'il estimerait opportunes. En réponse à un recours (recurso de súplica) de M. Castells, le Tribunal suprême confirma sa décision le 16 juin 1982: la véracité des informations n'avait pas une importance déterminante dans le cadre d'une inculpation d'injures au gouvernement. Saisi par l'intéressé d'un recours d'amparo fondé sur la méconnaissance des droits de la défense, le Tribunal constitutionnel le rejeta le 10 novembre 1982: le problème ne pouvait se résoudre qu'au vu de la procédure dans son ensemble et après la décision du juge du fond. b) Le jugement Après avoir tenu audience le 27 octobre 1983, la Chambre criminelle du Tribunal suprême statua le 31. Elle infligea au requérant une peine d'emprisonnement d'un an et un jour pour injures non graves (menos graves) au gouvernement, assortie d'une peine accessoire, la suspension du droit d'exercer toute fonction publique ou profession pendant cette période, et du paiement des frais et dépens. Elle relevait d'abord, en ce qui concerne l'élément objectif du délit, que les expressions utilisées dans l'article étaient assez fortes pour porter préjudice au crédit de l'offensé et impliquer un sentiment de mépris. Au sujet de l'élément subjectif, elle estimait que M. Castells avait, en tant que sénateur, des moyens d'expression très clairs, prévus par le règlement intérieur de son Assemblée, pour remplir ses fonctions de contrôle et de critique du gouvernement; faute de les avoir utilisés, il ne pouvait prétendre avoir agi au nom de ses électeurs. Le second argument de la défense, tiré du but de critique politique poursuivi (animus criticandi), n'éliminait pas l'existence d'un dessein diffamatoire (animus injuriandi) mais en diminuait l'importance. En l'occurrence, les injures proférées dans un esprit de critique politique avaient outrepassé les bornes de celle-ci et attenté à l'honneur du gouvernement. Aussi valait-il mieux appliquer l'article 162 du code pénal, qui réprime les injures non graves au gouvernement, que l'article 161. Quant au droit constitutionnel à la liberté d'expression (article 20 de la Constitution, paragraphe 19 ci-dessous), il comportait des limites, notamment par rapport au droit à l'honneur, à la vie privée et à son image. En outre, l'injure apparaissant dans un article de presse supposait une élaboration intellectuelle plus complexe et un certain raisonnement qui la rendait plus claire et précise. Enfin, le tribunal confirmait sa décision du 19 mai 1982 quant à l'admissibilité de l'exception de vérité. Le requérant manifesta derechef devant le Tribunal suprême l'intention d'introduire un recours d'amparo contre cet arrêt en invoquant les articles 14, 20, 23 et 24 de la Constitution; il la réalisa le 22 novembre 1983. Le 6 décembre 1983 le Tribunal suprême, eu égard aux circonstances de l'espèce, ordonna le sursis à exécution, pendant deux ans, de la peine de prison prononcée (article 93 du code pénal) mais laissa subsister la peine accessoire; le Tribunal constitutionnel en suspendit toutefois l'exécution le 22 février 1984. Le recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel Dans son recours d'amparo du 22 novembre 1983, M. Castells se plaignait de n'avoir pu faire examiner l'arrêt du Tribunal suprême par une juridiction supérieure, ainsi que de la durée de la procédure. Il reprochait aussi au tribunal d'avoir enfreint la présomption d'innocence en rejetant ses offres de preuve. Il estimait contraire au sens le plus élémentaire de la justice de condamner quelqu'un - en l'occurrence un sénateur - du chef d'affirmations exactes et assez importantes pour que la communauté dût les connaître d'urgence et en détail, sans lui avoir permis d'en démontrer la véracité. Le requérant alléguait en outre une atteinte à l'égalité devant la loi (article 14 de la Constitution), considérée en soi ou combinée avec le droit à la liberté d'expression (article 20), car d'autres personnes avaient publié sans encombre des articles semblables. Il aurait subi, de surcroît, une violation de son droit à formuler des critiques d'ordre politique, inhérent dans son cas - vu sa qualité de sénateur - à l'article 23. D'après lui, ce texte, qui garantit le droit de participer aux affaires publiques, l'habilitait à exercer ses fonctions parlementaires de contrôle par tout organe ou moyen ouvert à chacun. L'intéressé se référait aussi à l'article 20 de la Constitution dans le résumé de ses griefs (suplico). Dans ses observations du 22 mars 1984, le ministère public releva que l'article 14 protégeait l'égalité devant la loi et non contre elle. Quant au grief tiré de l'article 23, il coïncidait avec le précédent ou reposait sur une confusion: sans doute un parlementaire ne s'acquittait-il pas de sa tâche que dans l'hémicycle, mais en dehors de celui-ci il ne jouissait d'aucune immunité; s'il pouvait, comme tout citoyen, critiquer l'action du gouvernement, il ne devait pas oublier pour autant que la liberté d'expression a ses limites, fixées par la Constitution. Pour son compte, M. Castells, par un écrit du 21 mai 1984, offrait à nouveau de prouver l'exactitude de ses dires, car elle caractérisait "la violation par l'arrêt attaqué du droit à 'recevoir et communiquer des informations vraies par tout moyen de diffusion', visé à l'article 20 de la Constitution". Il mentionna aussi ce droit dans son recours (recurso de súplica) contre le rejet de cette offre par le Tribunal constitutionnel (20 juillet 1984) et dans ses observations du 21 février 1985. Le Tribunal constitutionnel rejeta le recours le 10 avril 1985. Résumant les griefs du requérant au point 2 de la partie "En droit" de son arrêt, il prit ensemble, à l'instar du ministère public, ceux qui avaient trait aux articles 14 et 23, sans mentionner l'article 20: violation alléguée du droit à l'égalité devant la loi, reconnu à l'article 14 considéré isolément ou combiné avec l'article 23, pour autant que la décision incriminée limitait les fonctions de contrôle, de surveillance et de critique d'un sénateur. Selon le point 6, les prérogatives parlementaires appelaient une interprétation stricte, sous peine de devenir des privilèges propres à léser les droits fondamentaux de tiers; elles s'effaçaient quand leur titulaire avait agi en simple citoyen, même en qualité d'homme politique. Les points 9 et 10 examinaient le problème central à trancher: le droit d'utiliser les moyens de preuve pertinents pour se défendre, et notamment d'invoquer l'exception de vérité dans le cas d'un délit du genre en question. Le tribunal relevait à cet égard: "La pertinence, conçue comme la constatation du lien entre les offres de preuve et le thema decidendi, suppose que celui-ci soit d'abord déterminé à la lumière des allégations des parties. Sauf dans l'hypothèse de faits manifestes et notoires, le tribunal ne doit pas intervenir à ces fins, sans quoi il préjuge son avis sur le fond, fût-ce en partie seulement (...) Mieux vaut que les juridictions évitent [pareille appréciation préalable]; elle ne viole pourtant pas en soi les droits constitutionnels si les autres moyens de défense ne sont pas méconnus. Quand bien même, en l'espèce, le tribunal n'aurait peut-être pas dû anticiper sur son opinion relative à l'exception de vérité en jugeant de la pertinence des preuves, [cette irrégularité] ne viole donc le droit constitutionnel de se servir des preuves pertinentes - surtout dans une affaire dans laquelle la décision se prend, comme ici, en une instance unique - que s'il y a méconnaissance d'un droit matériel en jeu. (...)" Or l'article 161 du code pénal avait suscité des critiques dans la doctrine parce que restreignant la liberté d'expression. De toute manière, il devait se lire avec l'article 20 de la Constitution qui garantit cette liberté. A ce propos, il fallait admettre que la législation pénale pouvait fournir un moyen adéquat de réglementer l'exercice des droits fondamentaux, à condition de respecter le contenu essentiel du droit en cause. Les libertés d'information et d'opinion trouvaient à coup sûr leur limite dans la sécurité de l'État, qui pouvait se voir menacée par le discrédit jeté sur des institutions démocratiques. En conclusion, la recevabilité de l'exception de vérité en ce domaine était une question de simple légalité et l'application précise de l'article 161 en l'espèce ressortissait à la compétence exclusive du Tribunal suprême. Le 1er avril 1986, ce dernier déclara la peine d'emprisonnement définitivement exécutée. Par la suite, l'inscription relative à la condamnation fut annulée en vertu de l'article 118 du code pénal. Elle n'apparaît donc plus dans les extraits du casier judiciaire, sauf si la demande émane de juges ou de tribunaux et se fonde sur les besoins d'une nouvelle enquête pénale. B. Législation pertinente Constitution de 1978 Les articles pertinents de la Constitution sont ainsi libellés: Article 14 "Tous les Espagnols sont égaux devant la loi. Aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, l'opinion ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale n'est admissible." Article 18 "1. Le droit à l'honneur, à la vie privée et familiale et à son image est garanti. (...)" Article 20 "1. Sont reconnus et protégés les droits suivants: a) à exprimer et diffuser librement les pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction; (...) d) à communiquer et recevoir librement des informations vraies par tous les moyens de diffusion. Le droit à la clause de conscience et au secret professionnel seront réglementés par la loi. L'exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable. (...) Ces libertés ont leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois d'application et particulièrement dans le droit à l'honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l'enfance." Article 23 "1. Les citoyens ont le droit de participer à la vie publique, directement ou à travers leurs représentants élus librement lors d'élections périodiques au suffrage universel. (...)" Code pénal La loi organique 8/1983 du 25 juin 1983 a réformé le code pénal. Pour les délits d'injures au gouvernement, elle prévoit les peines ci-après: Article 161 "Encourent une peine d'emprisonnement de longue durée [de six ans et un jour à douze ans - article 30 du code pénal]: Ceux qui injurient, insultent, calomnient ou menacent gravement (...) le gouvernement (...) (...)" Article 162 "Quand l'injure ou la menace visées à l'article précédent ne sont pas graves, le coupable encourt une peine d'emprisonnement de courte durée [de six mois et un jour à six ans - article 30 du code pénal]." Ces textes figurent dans un chapitre à part du code pénal. Fondé sur le principe d'autorité (ordonnance du Tribunal suprême, du 19 mai 1982, paragraphe 12 ci-dessus), il ménage une protection renforcée de la vie, de la liberté et de l'honneur des hauts responsables de l'État. Le délit de calomnie à l'égard du gouvernement n'est apparu qu'en 1983. Le titre X du livre II du code pénal définit l'injure et la calomnie. La seconde consiste à imputer à tort à quelqu'un une infraction entrant dans la catégorie de celles appelant des poursuites d'office (article 453 du code pénal). La première, elle, s'entend de toute expression ou action qui discrédite ou expose au mépris une personne, notamment en lui attribuant une infraction ne pouvant donner lieu à de telles poursuites (articles 457 et 458 du code pénal). L'intérêt pratique de la distinction tient à ce que l'on admet la preuve de la vérité pour la calomnie (article 456) mais non pour l'injure, sauf quand elle vise des fonctionnaires à raison de faits relatifs à l'exercice de leurs fonctions (article 461 du code pénal). Par son arrêt du 31 octobre 1983, le Tribunal suprême a précisé que l'exception de vérité ne vaut pas pour le délit d'injure à l'une des hautes institutions de l'État: aucun fonctionnaire n'est concerné en tant que tel; d'autre part, lesdites institutions jouissent d'une protection pénale renforcée dans ce domaine (paragraphes 12-13 ci-dessus). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 17 septembre 1985 à la Commission (no 11798/85), M. Castells invoquait les articles 6, 7, 10 et 14 (art. 6, art. 7, art. 10, art. 14) de la Convention. Par une décision partielle du 9 mai 1989, la Commission a déclaré irrecevables les griefs tirés des articles 6 et 7 (art. 6, art. 7); elle a retenu le restant de la requête le 7 novembre suivant. Dans son rapport du 8 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut par neuf voix contre trois à la violation de l'article 10 (art. 10) et considère à l'unanimité que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 14 (art. 14). Le texte intégral de son avis, ainsi que des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français, Me Raymond de Geouffre de la Pradelle exerce la profession d’avocat. Il habite à Paris où il a son cabinet. Il est propriétaire, dans le département de la Corrèze, d’un domaine d’environ 250 hectares traversé en partie par la rivière la Montane et situé sur le territoire des communes de Saint-Priest-de-Gimel et de Gimel. Afin d’alimenter en électricité le château de Saint-Priest, situé sur ses terres, il envisagea de transformer en micro-centrale autonome un barrage hydro-électrique désaffecté de longue date. Le 9 janvier 1976, Électricité de France émit un avis favorable. Le 21 janvier 1977, puis le 10 avril 1979, le Conseil général de la Corrèze donna son accord de principe. Le 3 avril 1980, le ministre de l’Environnement et du Cadre de vie décida d’ouvrir une procédure afin de classer les terrains de la vallée de la Montane comme site pittoresque d’intérêt général; l’opération couvrait une superficie de 80 hectares appartenant pour l’essentiel au requérant. Le préfet de la Corrèze informa l’intéressé de cette décision par une lettre du 12 mai 1980; en application de l’article 9 de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites (paragraphe 18 ci-dessous), qui interdit pendant douze mois toute modification de l’état des lieux d’un site en instance de classement, il rejeta aussi la demande d’autorisation d’aménagement hydro-électrique. Invité, avec les sept autres propriétaires concernés, à présenter des observations éventuelles sur le projet de classement (article 5-1 de la loi du 2 mai 1930, paragraphe 18 ci-dessous), le requérant exprima son opposition par une lettre du 22 mai 1980 au préfet de la Corrèze. Un arrêté préfectoral du 7 octobre 1980, communiqué personnellement aux intéressés (article 4 du décret no 69-607 du 13 juin 1969, paragraphe 19 ci-dessous), ouvrit une enquête publique. Dans ce cadre, M. de Geouffre de la Pradelle transmit au préfet un "mémoire d’opposition" par lequel il contestait l’utilité même du classement et suggérait l’organisation d’une "visite contradictoire du site". Le 4 juillet 1983, après un avis favorable de la commission supérieure des sites, le Premier ministre prononça le classement de la vallée de la Montane par décret en Conseil d’État (article 6 de la loi du 2 mai 1930 - paragraphe 18 ci- dessous). Le 12 juillet, le Journal officiel en publia l’extrait que voici: "Par décret en date du 4 juillet 1983, est classé parmi les sites pittoresques du département de la Corrèze l’ensemble formé par le site de la vallée de la Montane sur le territoire des communes de Gimel et de Saint- Priest-de-Gimel." Le présent décret sera notifié au préfet, commissaire de la République du département de la Corrèze, et aux maires des communes concernées. Le 13 septembre 1983, le préfet de la Corrèze signifia au domicile parisien du requérant l’intégralité du texte du décret ainsi qu’une lettre ainsi libellée: "(...) J’ai l’honneur de vous notifier par la présente lettre le décret en date du 4 juillet 1983 classant parmi les sites l’ensemble formé par la vallée de la Montane à Gimel et St Priest-de-Gimel, situé en partie sur votre propriété. Je crois devoir vous rappeler que dans la zone protégée, vous devez vous conformer aux obligations prévues par la loi modifiée du 2 mai 1930 relative à la protection des sites, notamment en ses articles 11, 12, 13 qui traitent de l’aliénation, de la modification et de l’établissement d’une servitude par convention qui viendraient à intéresser un site classé. (...)" Le 27 octobre 1983, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation du décret du 4 juillet 1983. En ordre principal, le ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports releva que le recours était "apparemment formé hors délai"; le décret de classement ne s’accompagnant pas "de prescriptions spéciales", le délai à observer "courait à compter de sa publication au Journal officiel". Dans sa réplique, l’intéressé commençait par contester l’interprétation donnée par l’administration aux articles 6 et 7 du décret du 13 juin 1969 (paragraphe 19 ci-dessous), selon laquelle, en l’absence de prescriptions particulières, le délai de recours se calculait à compter du jour de la publication de la décision de classement au Journal officiel. Il voyait dans "la solution invoquée par l’Administration (...) un facteur de troubles pour les administrés". "Peut-on raisonnablement exiger d’un citoyen", continuait-il, "qu’il puisse imaginer que des exceptions soient posées" à la solution normale, à savoir que le délai de recours a comme point de départ la publication dans le cas des décisions réglementaires et la notification dans celui des décisions individuelles ? "S’agissant des recours et de leurs modalités d’exercice, il convient que les choses soient simples. Et si, comme en l’espèce, aucune raison sérieuse ne milite en faveur d’une solution dérogatoire, le maintien d’une solution conforme au droit commun s’impose." M. de Geouffre de la Pradelle ajoutait qu’en toute hypothèse, si ladite interprétation devait prévaloir, il faudrait considérer comme illégaux les articles 6 et 7 parce que contraires au principe d’égalité: le propriétaire de biens faisant l’objet de pareille décision serait moins bien traité que les autres citoyens visés par des mesures individuelles. A titre subsidiaire, il dénonçait le caractère incomplet et irrégulier de la publication du 12 juillet 1983 (paragraphe 11 ci-dessus), qui ne permettait pas aux personnes concernées de connaître "l’étendue exacte de la mesure de classement". D’après lui, le délai de recours n’avait commencé à courir qu’une fois le texte complet du décret mis à la disposition des administrés à la préfecture de la Corrèze; or l’administration ne démontrait pas que la requête, enregistrée le 27 octobre 1983, l’eût été plus de deux mois après cette mise à disposition. M. de Geouffre de la Pradelle alléguait enfin que la mesure litigieuse constituait un véritable détournement de pouvoir, destiné à faire échec à son projet de modernisation (paragraphe 7 ci-dessus) et à l’exercice des droits d’eau liés à sa qualité d’ancien producteur d’électricité. Le 7 novembre 1986, le Conseil d’État, sur les conclusions du commissaire du gouvernement, déclara la requête irrecevable par les motifs suivants: "(...) Considérant qu’aux termes de l’article 49 de l’ordonnance du 31 juillet 1945, ‘sauf dispositions législatives contraires le recours ou la requête au Conseil d’État contre la décision d’une autorité ou d’une juridiction qui y ressortit, n’est recevable que dans un délai de deux mois; ce délai court de la date de publication de la décision attaquée à moins qu’elle ne doive être notifiée ou signifiée, auquel cas le délai court de la date de notification ou de signification’; Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 6 du décret du 13 juin 1969, les décisions portant classement d’un monument naturel ou d’un site sont publiées au Journal officiel; que si, d’après l’article 7 du même décret, ces décisions sont notifiées aux propriétaires intéressés lorsqu’elles comportent des prescriptions particulières tendant à modifier l’état ou l’utilisation des lieux et si, dans ce cas, le délai de recours contentieux ne court que de la notification du décret ou de l’arrêté de classement, cette dernière disposition n’est applicable que s’il y a lieu de mettre le propriétaire en demeure de modifier l’état ou l’utilisation des lieux; qu’en revanche, dans les autres cas le délai de recours contentieux court de la publication de la décision de classement au Journal officiel même si, postérieurement à cette publication, la décision a été notifiée au propriétaire; Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que le décret attaqué portant classement du site constitué par la vallée de la Montane, dans le département de la Corrèze, ne comportait aucune mise en demeure aux propriétaires de modifier l’état ou l’utilisation des lieux; qu’il suit de là que, conformément aux dispositions réglementaires sus rappelées, le délai de recours contentieux contre ledit décret a couru à compter de sa publication au Journal officiel; Considérant qu’un extrait dudit décret a été publié au Journal officiel le 12 juillet 1983 avec l’indication que le texte complet pourrait être consulté à la préfecture de la Corrèze; que, dans ces conditions, le requérant n’est pas fondé à soutenir que ladite publication serait incomplète ou irrégulière et, par suite, insusceptible de faire courir le délai du recours contentieux; que la requête contre le décret attaqué n’a été enregistrée que le 27 octobre 1983, c’est-à-dire après l’expiration du délai de recours résultant de l’application des dispositions sus analysées du décret du 13 juin 1969; Considérant, il est vrai, que, pour faire échec à la tardiveté de sa requête, M. de Geouffre de la Pradelle soutient que ces dispositions réglementaires seraient illégales au motif qu’elles créeraient une discrimination au détriment des propriétaires de sites classés dès lors que ces propriétaires ne disposeraient pas des mêmes délais de recours contre les décisions de classement que ceux dont peuvent bénéficier les autres destinataires de décisions individuelles; Mais considérant qu’une décision de classement d’un site pittoresque ne présente pas le caractère d’une décision individuelle; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué violerait les règles relatives à la notification des actes et décisions individuelles est inopérant; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requête sus analysée est tardive et, dès lors, irrecevable; (...)" En novembre et décembre 1986, M. de Geouffre de la Pradelle s’adressa au service départemental de l’architecture de la Corrèze; il en demandait le concours pour la remise en état du site ravagé par la grande tempête de novembre 1982. Sa démarche demeura sans succès. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque (modifiée par la loi de programme no 67-1174 du 28 décembre 1967, relative à la restauration des monuments historiques et à la protection des sites) Sous leur forme actuelle, les dispositions pertinentes de la loi du 2 mai 1930 prévoient: TITRE II - INVENTAIRE ET CLASSEMENT DES MONUMENTS NATURELS ET DES SITES Article 4 "Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général. (...) L’inscription sur la liste est prononcée par arrêté du ministre des affaires culturelles. Un décret en Conseil d’État fixe la procédure selon laquelle cette inscription est notifiée aux propriétaires ou fait l’objet d’une publicité. La publicité ne peut être substituée à la notification que dans les cas où celle-ci est rendue impossible du fait du nombre élevé de propriétaires d’un même site ou monument naturel, ou dans l’impossibilité pour l’administration de connaître l’identité ou le domicile du propriétaire. L’inscription entraîne, sur les terrains compris dans les limites fixées par l’arrêté, l’obligation pour les intéressés de ne pas procéder à des travaux autres que ceux d’exploitation courante en ce qui concerne les fonds ruraux et d’entretien normal en ce qui concerne les constructions, sans avoir avisé quatre mois d’avance, l’administration de leur intention." Article 5-1 "Lorsqu’un monument naturel ou un site appartenant en tout ou partie à des personnes autres que celles énumérées aux articles 6 et 7 fait l’objet d’un projet de classement, les intéressés sont invités à présenter leurs observations selon une procédure qui sera fixée par décret en Conseil d’État." Article 6 "Le monument naturel ou le site compris dans le domaine public ou privé de l’État est classé par arrêté du ministre des beaux-arts, en cas d’accord avec le ministre dans les attributions duquel le monument naturel ou le site se trouve placé ainsi qu’avec le ministre des finances. (...) Dans le cas contraire, le classement est prononcé par un décret en Conseil d’État." Article 7 "Le monument naturel ou le site compris dans le domaine public ou privé d’un département ou d’une commune ou appartenant à un établissement public est classé par arrêté du ministre des beaux-arts, s’il y a consentement de la personne publique propriétaire. Dans le cas contraire, le classement est prononcé, après avis de la commission supérieure des monuments naturels et des sites, par un décret en Conseil d’État." Article 8 "Le monument naturel ou le site appartenant à toute autre personne que celles énumérées aux articles 6 et 7 est classé par arrêté du ministre des affaires culturelles, après avis de la commission départementale des sites, perspectives et paysages, s’il y a consentement du propriétaire. L’arrêté détermine les conditions du classement. A défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé, après avis de la commission supérieure, par décret en Conseil d’État. Le classement peut donner droit à indemnité au profit du propriétaire s’il entraîne une modification à l’état ou à l’utilisation des lieux déterminant un préjudice direct, matériel et certain. (...)" Article 9 "A compter du jour où l’administration des affaires culturelles notifie au propriétaire d’un monument naturel ou d’un site son intention d’en poursuivre le classement, aucune modification ne peut être apportée à l’état des lieux ou à leur aspect pendant un délai de douze mois, sauf autorisation spéciale du ministre des affaires culturelles et sous réserve de l’exploitation courante des fonds ruraux et de l’entretien normal des constructions. (...)" Article 12 "Les monuments naturels ou les sites classés ne peuvent ni être détruits ni être modifiés dans leur état ou leur aspect ‘sauf autorisation spéciale’." B. Le décret no 69-607 du 13 juin 1969 portant application des articles 4 et 5-1 de la loi modifiée du 2 mai 1930 sur la protection des sites Le décret du 13 juin 1969 prévoit notamment: Article 2 "L’arrêté prononçant l’inscription sur la liste est notifié par le préfet aux propriétaires du monument naturel ou du site. Toutefois, lorsque le nombre de propriétaires intéressés par l’inscription d’un même site ou monument naturel est supérieur à cent, il peut être substitué à la procédure de notification individuelle une mesure générale de publicité dans les conditions fixées à l’article 3. Il est procédé également par voie de publicité lorsque l’administration est dans l’impossibilité de connaître l’identité ou le nombre des propriétaires." Article 3 "Les mesures de publicité prévues à l’article 2 (...) sont accomplies à la diligence du préfet, qui fait procéder à l’insertion de l’arrêté prononçant l’inscription dans deux journaux dont au moins un quotidien dont la distribution est assurée dans les communes intéressées. Cette insertion doit être renouvelée au plus tard le dernier jour du mois qui suit la première publication. L’arrêté prononçant l’inscription est en outre publié dans ces communes, pendant une durée qui ne peut être inférieure à un mois, par voie d’affichage à la mairie et tous autres endroits habituellement utilisés pour l’affichage des actes publics; (...) (...)" Article 4 "L’enquête prévue à l’article 5-1 de la loi du 2 mai 1930 préalablement à la décision de classement est organisée par un arrêté du préfet (...) Cet arrêté précise les heures et les lieux où le public peut prendre connaissance du projet de classement qui comporte: Une notice explicative indiquant l’objet de la mesure de protection, et éventuellement les prescriptions particulières de classement; Un plan de délimitation du site. Ce même arrêté est inséré dans deux journaux dont au moins un quotidien dont la distribution est assurée dans les communes intéressées. Il est en outre publié dans ces communes par voie d’affichage; l’accomplissement de ces mesures de publicité est certifié par le maire." Article 5 "Pendant un délai s’écoulant du premier jour de l’enquête au vingtième jour suivant sa clôture, toute personne intéressée peut adresser, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, des observations au préfet, qui en informe la commission départementale des sites (...) Pendant le même délai et selon les mêmes modalités, les propriétaires concernés font connaître au préfet, qui en informe la commission départementale des sites (...), leur opposition ou leur consentement au projet de classement. A l’expiration de ce délai, le silence du propriétaire équivaut à un défaut de consentement. Toutefois, lorsque l’arrêté mis à l’enquête a été personnellement notifié au propriétaire, son silence à l’expiration du délai équivaut à un accord tacite." Article 6 "La décision de classement fait l’objet d’une publication au Journal officiel." Article 7 "Lorsque la décision de classement comporte des prescriptions particulières tendant à modifier l’état ou l’utilisation des lieux, elle doit être notifiée au propriétaire. Cette notification s’accompagne de la mise en demeure d’avoir à mettre les lieux en conformité avec ces prescriptions particulières suivant les dispositions de l’article 8 (alinéa 3) de la loi du 2 mai 1930." C. La circulaire du 19 novembre 1969 relative à l’application du titre II de la loi no 67-1174 du 28 décembre 1967 modifiant la loi du 2 mai 1930 sur les sites Les dispositions pertinentes de la circulaire du 19 novembre 1969 se lisent ainsi: "(...) La loi du 28 décembre 1967 a apporté à la loi du 2 mai 1930 des modifications concernant les procédures d’inscription et de classement des sites, les droits et obligations des intéressés résultant des décisions d’inscription ou de classement et les sanctions des mesures de protection. Le décret no 69-607 du 13 juin 1969 a précisé les conditions d’application de certaines des nouvelles dispositions instaurées par cette loi. La présente circulaire tend à préciser la portée et les modalités d’application de la loi du 28 décembre 1967. I.- Procédure et effets de l’inscription à l’inventaire des sites (...) Une autre innovation est apportée par la loi du 28 décembre 1967 et le décret du 13 juin 1969: l’introduction de la publicité collective comme mode d’information des propriétaires d’un site inscrit. Deux procédures sont désormais possibles: - ou bien la notification individuelle, suivant les modalités en vigueur à l’heure actuelle dans tous les cas; - ou bien la publicité collective (affichage public et insertion dans deux journaux) mise en oeuvre par le préfet quand le nombre des propriétaires intéressés est supérieur à cent - cas des sites étendus - ou encore lorsqu’un ou plusieurs propriétaires ne sont pas connus. Cette publicité collective allégera les formalités auxquelles était jusqu’ici subordonné le plein effet de l’inscription sur l’inventaire des sites, ce qui sera particulièrement appréciable dans le cas de sites vastes. Elle aura l’avantage d’assurer une bonne information du public avant la mise en application de l’arrêté d’inscription. (...) II.- Procédure et effets du classement Le classement, en raison de l’importance des obligations qu’il fait peser sur les propriétaires, sera désormais précédé d’une enquête administrative préalable non seulement auprès du ou des propriétaires, mais encore auprès de tout citoyen intéressé. (...) Cette procédure d’enquête collective est mise en oeuvre pour toute instruction de projet de classement. Il demeure souhaitable de notifier le projet de classement personnellement aux propriétaires, quand ils sont connus et peu nombreux, ou lorsque des prescriptions particulières doivent leur être imposées. Ce n’est cependant pas obligatoire. (...) Enfin, il est important de noter que la notification individuelle de la décision de classement demeure obligatoire: 1) Pour rendre exécutoires les prescriptions particulières tendant à modifier l’état ou l’utilisation des lieux; 2) D’une manière générale, pour rendre applicables les sanctions prévues à l’article 21. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. de Geouffre de la Pradelle a saisi la Commission le 2 février 1987 (requête no 12964/87); il invoquait les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Au sujet de l’article 6 (art. 6), il dénonçait une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, au motif que l’administration ne lui avait notifié la décision de classement qu’après l’expiration du délai de recours contentieux. Le 5 octobre 1990, la Commission a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); en revanche, elle a retenu les allégations relatives aux articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention. Dans son rapport du 4 septembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par sept voix contre cinq, qu’il y a eu violation du droit d’accès du requérant à un tribunal et, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner la requête sous l’angle de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à "constater que la requête de M. de Geouffre de la Pradelle est irrecevable pour défaut d’épuisement des voies de recours internes au sens de l’article 26 (art. 26) de la Convention, et, à titre subsidiaire, à dire qu’en l’espèce il n’y a eu violation ni de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce qui concerne le droit d’accès à un tribunal, ni de l’article 13 (art. 13)".
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M. Jordi Drozd, citoyen espagnol, et M. Pavel Janousek, ressortissant tchécoslovaque, purgent en France une peine de quatorze ans d’emprisonnement qu’une juridiction de la Principauté d’Andorre leur a infligée pour un vol à main armée commis à Andorre-la-Vieille. Le premier se trouve à Muret (Haute-Garonne), le second à Yzeure (Allier). I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 6 mars 1986, R., représentant en joaillerie-bijouterie de la maison F. de Barcelone, logeait dans un hôtel d’Andorre-la-Vieille. Alors qu’il se trouvait dans sa chambre, deux individus l’attaquèrent et lui dérobèrent, selon ses déclarations, des bijoux d’une valeur de 65 000 000 pesetas et une somme de 33 000 pesetas. A. Faits non contestés Plusieurs faits ne prêtent pas à contestation entre gouvernements défendeurs et requérants. L’instruction R. porta plainte contre X pour vol à main armée, à la suite de quoi la police arrêta MM. Drozd et Janousek le 7 mars. L’un des bayles épiscopaux (paragraphe 49 ci-dessous) ouvrit alors une instruction. La police organisa dans ses locaux un premier "test de reconnaissance", lequel semble n’avoir pas abouti, puis un second au cours duquel R. identifia les requérants comme les auteurs du crime. La défense critiqua cependant les conditions de déroulement des "tests" en question. Le jugement Renvoyés en jugement, les requérants comparurent le 26 mars 1986 devant le Tribunal des Corts (paragraphe 51 ci-dessous). Il se composait du juge des appellations, H. P., conseiller honoraire à la cour d’appel de Toulouse, nommé par le coprince français, et de deux assesseurs, N. T., remplaçant le viguier français et désigné par celui-ci, conseiller honoraire à la cour d’appel de Montpellier, et F. B., viguier épiscopal, juriste espagnol choisi par l’évêque d’Urgel (paragraphe 52 ci-dessous). Le même jour, le tribunal prononça son jugement en langue catalane et en audience publique. La notification aux requérants du texte espagnol eut lieu le lendemain. Le tribunal condamna chacun des accusés à quatorze ans d’emprisonnement et ordonna leur expulsion du territoire de la Principauté. MM. Drozd et Janousek exercèrent le seul recours qui à l’époque s’ouvrît à eux, un recours en rétractation devant les mêmes juges. Le Tribunal des Corts les en débouta le 3 juillet 1986. Les intéressés choisirent tous deux de subir leur peine en France plutôt qu’en Espagne (paragraphe 56 ci-dessous) et reçurent sans doute de la viguerie française, selon l’usage, une traduction française de la décision de condamnation. Ils n’introduisirent pas un recours en "supplication" (recurs de suplicació) devant le Tribunal supérieur des Corts, une nouvelle voie de droit instituée par le décret du 13 juillet 1990 (paragraphe 54 ci-dessous) et empruntée parfois avec succès par d’autres condamnés, dont un autre client de leur avocat. Le texte en question, qui ne fut pas communiqué à MM. Drozd et Janousek ou à leur conseil, parut le 21 dans le Butlletí Oficial del Principat d’Andorra. B. Faits contestés Gouvernements défendeurs et requérants présentent des versions différentes pour certains faits. La présence d’un bayle épiscopal dans la chambre des délibérés Tout en admettant ne pas en posséder la preuve, car ils ne se trouvaient évidemment pas sur place pour le constater, les requérants affirment que le bayle épiscopal chargé de l’instruction assista au délibéré du Tribunal des Corts. Les gouvernements défendeurs répondent que tel ne fut pas et ne pouvait être le cas. L’insuffisance des connaissances linguistiques de l’un des membres de la juridiction Selon les requérants, l’assesseur français parlait insuffisamment l’espagnol, et encore moins le catalan, langue d’audience, ce qui le priva de la possibilité réelle d’intervenir dans les débats. Le gouvernement français précise que la connaissance du catalan et, au minimum, la compréhension de l’espagnol figurent parmi les critères de sélection des magistrats français appelés à exercer en Andorre des fonctions judiciaires. Il ajoute qu’en l’espèce les membres du tribunal étaient tous trois d’origine catalane et qu’ils parlaient et comprenaient parfaitement le catalan. Il affirme enfin qu’ils prirent la parole au cours de l’audience. Quant au gouvernement espagnol, il note que le Tribunal des Corts a pour pratique de formuler les questions et de recevoir les réponses en français ou en espagnol, si les accusés comprennent une de ces langues - ce qui était le cas de l’espagnol pour chacun des requérants - et n’exigent pas l’assistance d’un interprète - le contraire ne ressort pas du compte rendu de l’audience. A aucun moment MM. Drozd et Janousek n’auraient été interrogés en catalan. L’absence d’"isolement" des témoins et de la victime avant leur déposition Les requérants soutiennent que les témoins ne furent pas "isolés" avant de déposer et que la victime prétendue entendit les déclarations des accusés avant de venir à la barre. Les Gouvernements tiennent ces assertions pour inexactes, eu égard aux prescriptions de l’article 161 du code andorran de procédure pénale tel qu’il s’appliquait à l’époque. Le défaut d’assistance d’un interprète M. Janousek prétend n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un interprète au stade de l’instruction; quant à l’interprétation assurée à l’audience, elle aurait été incomplète, ce qui l’aurait empêché de prendre une part active aux débats et notamment de s’expliquer sur les témoignages. Selon les explications fournies à la Commission par les Gouvernements, un interprète désigné par les autorités espagnoles ne manqua pas de remplir son office tout au long de la procédure, et rien ne permet de taxer d’inexactes les traductions orales effectuées par lui. Devant la Cour, le gouvernement espagnol a produit des pièces attestant l’intervention d’une interprète germanophone puis de sa remplaçante au cours de l’instruction; il a néanmoins reconnu que le compte rendu du procès était muet à ce sujet. Le défaut d’assistance d’un avocat M. Janousek se plaint enfin de n’avoir pas reçu l’aide d’un avocat pendant l’instruction. Selon les Gouvernements, les requérants furent dès leur inculpation avertis de leur droit de nommer un avocat de leur choix pour la défense de leurs intérêts, droit dont ils usèrent. II. L’ORDRE JURIDIQUE ANDORRAN Le droit public andorran tire son origine de deux paréages, ou sentences arbitrales, de 1278 et 1288. Ils proclamaient le principe de l’égalité des droits des seigneurs féodaux, à savoir le comte de Foix - dont les droits furent par la suite transférés au roi de France puis au président de la République française - et l’évêque d’Urgel. Sur la base de ces paréages et au fil du temps, les seigneurs accordèrent des privilèges aux Andorrans et adoptèrent des décrets, complétés par le droit coutumier qui notamment délimita les compétences entre les organes de la Principauté. En matière civile, les juridictions andorranes appliquent le droit coutumier consigné dans le Manual digest (1748) et le Politar (1767), et à titre subsidiaire le droit romain, le droit catalan et le droit canon. Dans le domaine pénal, les sources pertinentes consistent dans certains décrets des viguiers et dans le droit coutumier, codifiés en 1984. Enfin, pour les affaires administratives entrent en jeu les textes édictés par les conseils de paroisse et le Conseil général des Vallées ainsi que les dispositions arrêtées par les délégués permanents (paragraphes 40, 42 et 44 ci-dessous). A. Les institutions Les coprinces Deux coprinces dirigent Andorre: le président de la République française et l’évêque d’Urgel (province de Lleida/Lerida, Espagne). Ce dernier se trouve dépourvu de toute fonction étatique en Espagne et sa nomination relève exclusivement du pape depuis l’accord du 19 août 1976 entre le Saint-Siège et le Royaume. Les règles canoniques n’imposent aucune condition de nationalité, et le prélat en question est très souvent un citoyen espagnol ou andorran. Selon la justice espagnole (Audiencia Nacional, arrêts des 3 octobre 1990 et 25 avril 1991), il jouit des privilèges et immunités que le droit international reconnaît aux chefs d’État étrangers. Les droits et prérogatives des coprinces se rattachent à la charge de ceux-ci; ils s’acquièrent et se perdent donc avec elle. a) Les pouvoirs i. Les pouvoirs conjoints Selon une pratique uniforme et constante, les coprinces exercent leurs pouvoirs conjointement. Cette règle générale se fonde sur la coutume et manifeste l’égalité entre les intéressés; elle ne souffre que des exceptions fort limitées. ii. Les pouvoirs propres Chaque coprince détient en outre des pouvoirs qui lui reviennent en propre. Il s’agit d’abord de la nomination du viguier et du délégué permanent ainsi que des membres de l’un des deux "sénats" du Tribunal supérieur (paragraphes 37, 39 et 66 ci-dessous); le Conseil général des Vallées a toutefois un droit de présentation des bayles (paragraphe 49 ci-dessous) et des notaires, qui limite la liberté du coprince épiscopal et celle du viguier français. Il s’agit ensuite du jugement des recours en queixa - survivances du "recours de supplique" féodal - introduits contre les règlements et actes du gouvernement et contre les lois du Conseil général des Vallées. b) Les représentants i. Les viguiers Représentants directs des coprinces en Andorre, où ils résident et dont ils ont la nationalité pendant leurs fonctions, les viguiers sont nommés pour une durée illimitée, le viguier français - un diplomate - par le coprince français, le viguier épiscopal - généralement un juriste, espagnol ou andorran - par le coprince épiscopal. Ils jouissent de pouvoirs de nature législative, qui se traduisent par des décrets et couvrent de multiples matières: organisation de la justice et de la procédure tant civiles que pénales; immigration; sûreté, ordre public, protection de la morale et des bonnes moeurs. En outre, ils s’acquittent de tâches de caractère exécutif: commandement de la milice, qui rassemble tous les hommes âgés de seize à soixante ans, et de la police andorranes; délivrance ou refus aux étrangers de permis de séjour de longue durée; validation des passeports andorrans; examen des demandes d’acquisition de nationalité. Enfin, ils remplissent un rôle de type juridictionnel: instruction des décisions des coprinces sur les recours en queixa (paragraphe 36 ci-dessus); possibilité de siéger au Tribunal des Corts (paragraphe 52 ci-dessous). ii. Les délégués permanents Institués à la fin du siècle dernier, les délégués permanents ne résident pas en Andorre. Le délégué permanent français est le préfet des Pyrénées-Orientales, secondé dans ses fonctions par une partie des services préfectoraux. Les fonctions de délégué permanent épiscopal incombent, par tradition, au vicaire général du diocèse d’Urgel. Tous deux possèdent des compétences législatives, judiciaires et administratives qu’ils exercent ensemble au nom des coprinces. En particulier, ils adoptent des décrets parfois fort importants dans les domaines "constitutionnel" (par exemple la création de la paroisse des "Escaldes Engordany" en 1978 et du tribunal des taxes en 1979) et "administratif" non économique (par exemple le code de la nationalité andorrane en 1977). Les organes "populaires" La Principauté compte aussi plusieurs institutions où siègent des personnes élues au suffrage universel. a) Les conseils de paroisse Le territoire andorran se divise en sept paroisses, chacune administrée par un conseil (comu). Ce dernier comprend de dix à quatorze personnes ayant un mandat de quatre ans et choisissant en leur sein un consol major et un consol minor. Gérant les affaires et les biens de la paroisse, il dispose aussi d’un pouvoir réglementaire. Ses décisions sont susceptibles d’appel devant le gouvernement. b) Les conseils de quart Le quart correspond à un village ou à un hameau et n’existe que dans quelques paroisses. Son conseil rassemble autant de membres que de maisons (casa), lesquels nomment un représentant (llevador). Il a parfois des compétences administratives. c) Le Conseil général des Vallées L’origine du Conseil général des Vallées remonte à la création du conseil de la terre en 1419. Restructuré en 1886 puis en 1981, il se qualifie désormais d’"assemblée politique la plus représentative du peuple andorran". Ses vingt-huit membres (quatre par paroisse) sont désignés pour quatre ans par tous les Andorrans de plus de dix-huit ans. Ils élisent un syndic général (président), ainsi qu’un sous-syndic (vice-président), et travaillent en juntes (commissions). Le Conseil général vote des lois, approuve le budget de la Principauté et contrôle l’action du gouvernement. En pratique, les coprinces n’interviennent pas dans ses domaines de compétence, sauf s’ils se trouvent appelés à statuer sur un recours en queixa (paragraphe 36 ci-dessus). En son sein ou au dehors, le Conseil général choisit le chef de l’exécutif, qui lui-même désigne les autres membres - quatre à six - du conseil exécutif, organe nouvellement instauré par les coprinces (décret du 15 juillet 1981 "sur le processus de réforme des institutions"). Le conseil exécutif a des tâches variées: mise en oeuvre des décisions du Conseil général; proposition de textes; préparation puis exécution du budget; direction et contrôle de l’administration et des services publics. Le Conseil général peut adopter par au moins dix-neuf voix une motion de censure à l’encontre du conseil exécutif. d) L’Assemblée Magna L’Assemblée Magna peut être convoquée quand il s’agit de prendre des décisions d’une importance exceptionnelle. Elle regroupe les conseillers généraux, les consols et quatre autres représentants - généralement élus lors d’une "réunion du peuple" - pour chaque paroisse. B. Le système judiciaire Sauf le tribunal de Visura, qui règle les conflits de voisinage et relève du Conseil général, les juridictions andorranes ont leur base légale dans le "droit de justice" historique des coprinces et dépendent donc directement de ces derniers. Leurs membres sont toujours de nationalité andorrane au niveau inférieur et souvent d’origine étrangère à l’échelon supérieur, en raison de l’exiguïté de la Principauté et du souci de préserver l’indépendance des intéressés. En règle générale, les nominations incombent aux coprinces. Le choix du coprince français se porte traditionnellement sur des magistrats français, honoraires ou détachés par le ministère de la Justice, et tient compte de la compétence personnelle, de la connaissance du droit andorran et de la langue catalane ainsi que de la compréhension de l’espagnol. Celui du coprince épiscopal retient comme critères la compétence, l’indépendance, l’absence d’intérêts personnels en Andorre et la disponibilité, les fonctions de magistrat en Espagne étant incompatibles avec celles de juge en Andorre, même à temps partiel et pour une durée déterminée. La justice pénale Un décret des viguiers, du 30 décembre 1975, a jeté les bases d’une nouvelle justice pénale, en prévoyant notamment l’intervention d’avocats et l’institution d’un ministère public; il a été suivi d’un décret de procédure pénale du 10 avril 1976. Fondé sur les décrets des viguiers et le droit coutumier, un code de procédure pénale a été promulgué en 1984 et amendé le 16 février 1989. a) Les institutions i. Les bayles Juges de première instance en matière pénale et civile, les bayles (battles) s’acquittent aussi d’autres tâches. Ils mènent l’instruction après l’accomplissement d’une infraction, veillent à l’exécution des décisions judiciaires rendues en Andorre et siègent comme assesseurs - sans voix délibérative - au Tribunal des Corts (paragraphe 52 ci-dessous). Depuis le décret des viguiers du 6 août 1977, leur nombre s’élève à quatre. Le viguier français et le coprince épiscopal en désignent chacun deux, sur une liste de sept noms dressée par le Conseil général des Vallées. Les intéressés doivent posséder la nationalité andorrane. ii. Le tribunal des délits mineurs Institué par les coprinces en 1988, le tribunal des délits mineurs examine en premier ressort les affaires pénales de peu de gravité. Ses jugements peuvent donner lieu à un appel devant le Tribunal des Corts. iii. Le Tribunal des Corts Jusqu’au 15 octobre 1990, le Tribunal des Corts constituait la juridiction pénale suprême. Il "connaît (...) de toutes les causes pour les délits commis sur le territoire des Vallées, sans différences ni distinctions de personnes, et pour les délits commis par les Andorrans à l’étranger" (article 2 du code andorran de procédure pénale). Il statue aussi sur les appels formés contre les jugements des bayles. Le Tribunal comprend trois membres: le juge des appellations et les deux viguiers. Le juge des appellations, qui préside, dirige les débats et rédige l’arrêt en qualité de rapporteur. Il se prononce seul sur les recours exercés en matière de détention provisoire. Magistrat français ou espagnol nommé pour cinq ans à tour de rôle par chaque coprince, il doit connaître le droit de la Principauté et la langue officielle de celle-ci, le catalan. Les viguiers (paragraphes 37-38 ci-dessus) ont le pouvoir de siéger mais renoncent en général à s’en prévaloir. Le viguier français - un diplomate désigné par le coprince français pour une durée indéterminée - se fait depuis 1981 remplacer par un magistrat français, honoraire ou détaché par le ministre de la Justice; quant au viguier épiscopal, il n’a plus siégé depuis le 22 avril 1988 et délègue désormais ses fonctions à un magistrat espagnol (paragraphe 16 ci-dessus). Les viguiers ou leurs suppléants n’ont pas l’obligation d’être andorrans et juristes, mais doivent parler le catalan. Ils sont assistés de deux bayles, de deux notaires faisant fonction de greffiers, d’un huissier et de deux rahonadors, membres du Conseil général des Vallées délégués par ce dernier. La charge du ministère public incombe à un fiscal general et à un fiscal general adjoint, choisis pour cinq ans par celui des coprinces qui n’a pas nommé le juge des appellations. iv. Le Tribunal supérieur des Corts Par un décret du 12 juillet 1990 - en voie de préparation depuis 1981 -, les viguiers ont créé une nouvelle juridiction, le Tribunal supérieur des Corts, qui se compose de quatre magistrats désignés pour cinq ans par les coprinces et se prononce sur les recours en "supplication" formés contre les arrêts du Tribunal des Corts. Le lendemain, ils ont adopté un autre décret relatif à la procédure, comportant des dispositions transitoires ainsi libellées: "1. Les condamnés qui, avant l’entrée en vigueur du présent décret, doivent exécuter ou" - tels les requérants - "sont en train d’exécuter des peines privatives de liberté en vertu d’arrêts du Tribunal des Corts pourront former un recours en ‘supplication’ contre ceux-ci devant le Tribunal supérieur, dans le délai de deux mois à partir de l’entrée en vigueur du présent décret. Le présent décret entrera en vigueur le 15 octobre 1990." b) L’exécution des peines L’article 234 du code andorran de procédure pénale prévoit deux régimes distincts pour l’exécution des peines privatives de liberté infligées en Andorre: le condamné subit sa peine dans un centre pénitentiaire de la Principauté si sa durée n’atteint pas trois mois, dans un établissement français ou espagnol s’il en va autrement. i. Le choix du pays de détention Dans la seconde hypothèse, le choix entre la France et l’Espagne relève de l’intéressé. Il revêt un caractère définitif et implique l’acceptation tacite du régime pénitentiaire du pays retenu. Il trouve son origine dans le droit coutumier, traditionnellement appliqué depuis le XIIe siècle. De 1979 à 1989, 32 condamnés ont demandé leur transfèrement en France et 134 en Espagne. En 1990 et 1991, les prisons françaises n’ont accueilli aucun détenu en provenance d’Andorre. ii. Le régime français Si, comme en l’espèce, le condamné opte pour la France, l’exécution de sa peine obéit aux dispositions du code français de procédure pénale (circulaire du ministre de la Justice, du 8 février 1983). Comme toute personne condamnée à l’étranger et transférée en France, il peut - selon le Gouvernement - bénéficier de réductions de peine, de permissions de sortie ou de la semi-liberté au même titre et dans les mêmes conditions que les détenus condamnés par une juridiction française (article D.505 du code de procédure pénale). Le juge de l’application des peines a seul compétence pour admettre le détenu au bénéfice de la libération conditionnelle ou - sans dépasser le plafond légal - d’une réduction de peine. Quand la période de détention excède trois ans, l’octroi d’une libération conditionnelle dépend du ministre de la Justice, lequel doit obtenir au préalable l’accord du Tribunal des Corts (article 253 du code andorran de procédure pénale). Aux termes de l’article 710 du code français de procédure pénale, les incidents contentieux relatifs à l’exécution des peines sont portés devant la juridiction qui a prononcé la sentence, à savoir en l’occurrence celle d’Andorre. iii. La grâce Une grâce individuelle ne peut être accordée que par les deux coprinces agissant de concert. Quant aux grâces collectives, elles ne profitent pas aux détenus condamnés par des juridictions andorranes et purgeant leur peine en France: un décret du président de la République française, de 1985, excluait expressément ces derniers. Les décrets présidentiels des 17 juin 1988 et 13 juin 1989, eux, autorisaient la mise en jeu de la grâce si les conventions internationales ratifiées par la France le permettaient, mais aucun arrangement particulier n’existe en la matière avec la Principauté. iv. L’amnistie Seules les autorités andorranes ont compétence pour décider une amnistie. En outre, le Tribunal des Corts peut rectifier sa propre sentence en allégeant la peine et accorder, sous l’expression de "liberté provisoire", une véritable libération conditionnelle. La justice civile En matière civile, il existe trois degrés de juridiction. Les bayles (paragraphe 49 ci-dessus) ont, comme dans le domaine pénal, compétence en première instance. Le juge des appellations (paragraphe 52 ci-dessus) connaît des recours formés contre les décisions des bayles. Statuant en dernier ressort, le Tribunal supérieur d’Andorre comporte deux "sénats": le tribunal supérieur de Perpignan et le tribunal supérieur de la Mitre. Le premier comprend deux membres de droit (le président du tribunal de grande instance de Perpignan et le viguier français, lequel ne siège plus depuis plusieurs années) et deux membres désignés pour quatre ans par le coprince français (un avocat au barreau de Perpignan et une personne connaissant la langue et les usages andorrans). Il n’applique pas le droit français et ne suit pas la procédure française; en particulier, il échappe au contrôle de la Cour de cassation. Le second se compose d’un président, d’un vice- président et de quatre juges (vocals), nommés par le coprince épiscopal. Les deux "sénats" ont leurs sièges respectifs à Perpignan et à Urgel, mais ils exercent leurs fonctions en Andorre. III. LE "STATUT" INTERNATIONAL D’ANDORRE La Principauté d’Andorre a en droit international public un "statut" qui frappe par son originalité et son ambiguïté, au point qu’elle passe souvent pour une entité sui generis. La pratique suivie ces dernières années laisse désormais conclure à l’existence d’un consensus entre les coprinces pour se considérer comme égaux dans l’exercice des compétences internationales d’Andorre. Celle-ci a noué en la matière un certain nombre de relations aussi bien bilatérales que multilatérales. A. Les relations bilatérales Les relations avec la France Les relations entre Andorre et la France ne correspondent pas au modèle des rapports entre États souverains et n’ont jamais pris la forme d’accords internationaux, le coprince français étant président de la République française et le gouvernement de celle-ci ayant toujours refusé de reconnaître un caractère étatique à la Principauté. Elles revêtent différentes modalités: actes unilatéraux français, tels que la création d’écoles françaises; arrangements administratifs, par exemple pour la sécurité sociale, les réseaux téléphoniques ou les régimes douaniers; rapports de fait, résultant tantôt de la coutume (il en va ainsi de l’exécution de certaines peines hors de la Principauté - paragraphes 55-62 ci-dessus), tantôt de la pratique administrative ou judiciaire (non soumises à l’exequatur, les décisions judiciaires andorranes possèdent en France l’autorité de la chose jugée). Par ailleurs, le gouvernement français met à la disposition d’Andorre une unité de la gendarmerie nationale. Enfin, la France n’a pas de consulat dans la Principauté; ses ressortissants y dépendent de la préfecture des Pyrénées-Orientales. Les relations avec l’Espagne Les relations entre Andorre et l’Espagne obéissent à un schéma analogue. Elles se manifestent par des actes unilatéraux espagnols, comme le décret royal du 10 octobre 1922 fixant le régime commercial entre la Principauté et le Royaume, et par des arrangements bilatéraux, tels les accords de type administratif en matière de sécurité sociale. Le gouvernement espagnol offre certains services à la Mitre. Ainsi, une unité de la garde civile stationne en Andorre: ses membres ne relèvent plus de leur administration d’origine et le viguier épiscopal peut s’opposer efficacement à leur nomination et à leur présence; les autorités espagnoles prennent en charge les soldes tandis que le budget andorran supporte les frais d’équipement et de fonctionnement liés aux activités administratives, notamment consulaires. Il n’existe pas de consulat d’Espagne en Andorre, le viguier épiscopal jouant de facto le rôle de consul pour les Espagnols. Les relations avec des États autres que la France et l’Espagne La Principauté n’entretient de relations diplomatiques avec aucun État. En revanche, elle a noué des rapports consulaires avec les huit pays suivants: Allemagne, Argentine, Belgique, États- Unis d’Amérique, Italie, Royaume-Uni, Suisse et Venezuela. Elle n’a pourtant pas de représentation consulaire propre, ses nationaux bénéficiant en la matière de la protection des autorités françaises et espagnoles. B. Les relations multilatérales Les organisations internationales Andorre n’est membre d’aucune organisation internationale intergouvernementale. Les 15-18 octobre 1990, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a "demandé au Secrétaire Général de prendre contact avec les deux coprinces pour définir les domaines susceptibles de se prêter à une coopération entre le Conseil de l’Europe et la Principauté d’Andorre". Il donnait ainsi une "réponse intérimaire" à la Recommandation 1127 (1990) relative à la Principauté d’Andorre, adoptée le 11 mai 1990 par l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe. Les conventions internationales Andorre a adhéré à deux accords internationaux: la Convention universelle sur les droits d’auteur (Genève, 1952) et la Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954). Les conférences internationales Depuis la Conférence universelle sur les droits d’auteur (Genève, 1952), Andorre participe régulièrement aux sessions de l’UNESCO. Elle a aussi envoyé une délégation à trois conférences: protection des biens culturels en cas de conflits armés (La Haye, 1954), révision de la Conférence universelle sur les droits d’auteur (Paris, 1971) et protection des phonogrammes (Genève, 1971). Depuis 1973 et sur ordre des coprinces, les viguiers désignent ensemble les représentants de la Principauté à ces réunions. Quatre membres du Conseil général des Vallées accompagnent désormais lesdits représentants. Le chef du gouvernement est le porte-parole de la délégation. Les Communautés européennes Pendant plusieurs décennies la Principauté n’a pas fait partie du territoire douanier communautaire. Le 20 mars 1989, le Conseil des Communautés européennes a adopté une directive invitant la Commission de Bruxelles à négocier avec Andorre un accord en vue de la création d’une union douanière pour les produits industriels. Intervenu le 28 juin 1990 sous la forme d’un échange de lettres, l’accord en question est entré en vigueur le 1er janvier 1991. La lettre de la Principauté porte la signature des représentants des coprinces et celle du chef du gouvernement. IV. LES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION L’évolution des institutions et du "statut" international de la Principauté d’Andorre donne lieu depuis un certain temps à des débats et projets. Le coprince français les a évoqués le 26 novembre 1991 dans un discours prononcé à Paris, au palais de l’Elysée, à l’occasion de la remise de la questia, somme d’argent symbolique qui lui est offerte les années impaires: "Nous voici de nouveau ensemble, selon un usage dont vous savez bien qu’il remonte à plusieurs siècles, pour exprimer la continuité et la force des liens qui unissent les Andorrans au coprince. Nous sommes très attachés à cette cérémonie qui me donne l’occasion - pour la sixième fois - de recevoir ici les représentants élus du peuple andorran et de traiter avec eux, directement, des affaires de la Principauté. Je suis particulièrement heureux d’accueillir, aujourd’hui, ceux d’entre eux que je n’ai pas encore eu le plaisir de rencontrer depuis qu’ils exercent leurs hautes fonctions. En venant pour la remise de la questia, vous montrez la fidélité profonde que vous portez à nos traditions. Attachement qui n’a rien de nostalgique, je le suppose, car vous êtes en même temps résolument tournés vers l’avenir; une volonté ferme vous anime de participer pleinement au mouvement du monde contemporain. L’essor économique remarquable des Vallées au cours des dernières décennies en témoigne, comme la modernisation de vos institutions. Entreprise il y a dix ans, celle-ci a pris un nouvel élan ces deux dernières années. Depuis notre dernière rencontre en 1989, une étape décisive a été franchie pour le futur de la Principauté. Il s’agit de la Constitution dont les élus andorrans ont souhaité qu’elle fût dotée. Lors de la précédente cérémonie de la questia, j’avais fait part de ma disposition à favoriser les évolutions dans l’ordre interne et dans l’ordre international dès lors qu’elles répondraient aux aspirations légitimes du peuple andorran. C’est dans cet esprit que j’ai naturellement approuvé et appuyé la demande unanime exprimée par le Conseil général des Vallées d’élaborer une Constitution en accord avec le coprince évêque et le concours actif des élus andorrans dont je tiens à saluer ici le sens élevé de l’intérêt général; un accord est intervenu sur la méthode de travail, sur les objectifs et sur l’architecture du projet constitutionnel. Ainsi sont déjà inscrits, dans le projet déjà très avancé, des principes aussi fondamentaux que l’instauration d’un État de droit démocratique et souverain, la reconnaissance de la souveraineté populaire, le respect de l’organisation territoriale des paroisses héritée de l’histoire, la garantie des droits et libertés, l’établissement d’un régime parlementaire assorti des règles assurant l’autorité du gouvernement et l’efficacité du contrôle du Conseil général des Vallées. Vous êtes également résolus à simplifier et à unifier l’organisation de la justice dans le respect très strict de son indépendance avec le souci de mieux assurer et de garantir les droits des justiciables en vous inspirant des principes et des règles définis par la Convention européenne des Droits de l’Homme. En attendant, sans doute, que la Principauté adhère à cette Convention. Je souscris pleinement à ces principes et je me réjouis des résultats importants déjà obtenus. Je tiens à vous en féliciter. Je suis confiant dans votre volonté, dans votre capacité de poursuivre les travaux de préparation de la Constitution au rythme où ils ont progressé jusqu’à présent grâce à l’excellent esprit de collaboration qui anime les réunions conjointes de votre délégation et de celles des deux coprinces. Je suis en effet convaincu que nous saurons mener à bien cette tâche en vue d’une mise en oeuvre rapide et démocratique du texte constitutionnel, élaboré de concert par le Conseil général des Vallées et les coprinces. Cette méthode de concertation permanente a montré son efficacité. La commission tripartite s’est réunie neuf fois depuis le mois d’avril 1991 chez vous, à la Maison des Vallées. Ses travaux toujours constructifs ont permis d’éviter les malentendus et de surmonter les difficultés de tout ordre. Nous ne dissimulons pas cependant les réalités. Vous êtes en vue de l’objectif, mais le chemin pour l’atteindre est encore difficile. Cela est inévitable, c’est même naturel. Toute oeuvre d’innovation, surtout dans le domaine politique, s’accompagne d’espérances, de craintes, stimule le nécessaire débat démocratique, tout comme les ambitions légitimes et la ferveur de l’engagement personnel. Je pense que rien ne viendra affaiblir votre détermination. Les hommes de la montagne que vous êtes savent accorder leur souffle et régler leur pas à la longueur ou à la difficulté de l’ascension. Vous êtes des hommes d’expérience, de patience. Vous savez, ce n’est pas moi qui vous l’apprendrai, qu’une fois décidée d’un commun accord, la course vers le sommet n’offre aucun autre choix que de réussir ou que d’échouer ensemble. Vous venez très récemment d’administrer la preuve de votre sens des responsabilités en vous rapprochant malgré vos divergences politiques pour mieux surmonter les obstacles et atteindre cet objectif que vous vous êtes fixé. Le peuple ambitieux et fier que vous représentez connaît le prix de l’effort et celui de la persévérance. Je ne saurais trop vous encourager à poursuivre, persuadé que je suis que vous saurez légiférer, gouverner, administrer, rendre la justice, en un mot assumer pleinement les responsabilités de la Principauté qui vous seront bientôt totalement dévolues. Sans doute vous faudra-t-il, au moins au début, agir avec audace, mais aussi avec le souci de préserver la richesse de vos traditions, l’identité des paroisses qui depuis l’origine se sont réunies pour constituer l’Andorre. Dans cette oeuvre désormais largement entamée, je suis à vos côtés pour que prévale la justice sociale, sans laquelle il ne peut y avoir de véritable progrès économique, et que les élus andorrans exercent pleinement la souveraineté interne d’Andorre, sans laquelle il n’y a pas de reconnaissance internationale. La France et sans doute l’Espagne, vos voisins, seront bien sûr les premières à établir avec le futur État d’Andorre des relations d’amitié et de coopération. La signature de l’accord d’association entre la CEE et Andorre a constitué le premier pas vers l’insertion de la Principauté dans l’espace économique européen. D’autres suivront. L’intérêt que vous portez en particulier à la réglementation de la profession bancaire et au contrôle des flux financiers internationaux témoigne de votre souci de ne pas rester à l’écart des solidarités nouvelles qui se mettent en place pour faire prévaloir dans l’ordre international le droit et l’équité. Vous serez, désormais, pleinement responsables de la Principauté. Les nouvelles institutions constitueront le ciment librement consenti de votre nation. Votre liberté, exprimée par le suffrage, viendra fortifier vos traditions et permettra à votre pays d’accéder à la communauté internationale tout en affirmant la force de son originalité, de son histoire et de sa culture. Voilà, Messieurs, ce que je souhaitais vous dire. Vous aurez l’obligeance de bien vouloir transmettre l’essentiel au peuple andorran et maintenant, il nous restera donc quelques moments à demeurer ensemble et à approfondir notre connaissance mutuelle et à passer des instants utiles, féconds et amicaux que requiert notre relation." (Ministère français des Affaires étrangères, Bulletin d’information du 27 novembre 1991 (231/91)) PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 26 novembre 1986 à la Commission (no 12747/87), MM. Drozd et Janousek formulaient deux séries de griefs. a) Les premiers, tirés de l’article 6 (art. 6) de la Convention, concernaient la France et l’Espagne, tenues pour responsables sur le plan international du comportement des autorités andorranes. i. Certaines doléances étaient communes aux deux requérants, qui invoquaient les paragraphes 1 et 3 d): ils n’auraient pas bénéficié d’un procès équitable devant le Tribunal des Corts car - deux des juges étaient les représentants des coprinces en Andorre et les supérieurs hiérarchiques de la police (paragraphe 16 ci-dessus); - le magistrat chargé de l’instruction se trouvait dans la chambre du conseil lors du délibéré (paragraphe 22 ci-dessus); - l’un des juges ne connaissait guère l’espagnol et encore moins le catalan, langue des débats (paragraphe 24 ci-dessus); - les témoins n’avaient pas été "isolés" avant leur audition et la victime du vol avait entendu les déclarations des accusés avant de déposer (paragraphe 26 ci-dessus). ii. Les autres plaintes étaient propres à M. Janousek, qui se fondait sur les alinéas b), d) et e) du paragraphe 3: il n’aurait reçu ni l’assistance d’un interprète et d’un avocat pendant l’instruction ni une traduction complète durant le procès (paragraphes 28 et 30 ci-dessus). b) Les griefs du second groupe, tirés de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention, visaient la France seule. Les deux requérants taxaient d’"irrégulière" leur détention dans cet État après condamnation par une juridiction andorrane, faute d’un texte légal français relatif à l’exécution de jugements de ce type. La Commission a retenu la requête le 12 décembre 1989. Dans son rapport du 11 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation de l’article 6 (art. 6), tant par la France (dix voix contre six) que par l’Espagne (douze voix contre quatre), et de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) par la France (huit voix contre huit, avec la voix prépondérante du président). Le texte intégral de son avis et des six opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le gouvernement français a demandé à la Cour "de bien vouloir déclarer la requête introduite par MM. Jordi Drozd et Pavel Janousek irrecevable et subsidiairement mal fondée". De son côté, le gouvernement espagnol a formulé les conclusions ci-après: "Ni l’Espagne ni la France ne peuvent être considérées comme des États responsables des actes des organes juridictionnels d’Andorre. Il n’est pas pertinent, par conséquent, d’examiner la question de la prétendue violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention. Il n’y a pas eu, finalement, de violation par l’Espagne ni par la France de l’article 6 (art. 6) de la Convention." Quant au délégué de la Commission, il invite la Cour, dans ses observations écrites, "à rejeter l’exception du gouvernement [français] tirée de l’article 26 (art. 26) de la Convention".
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Ressortissant italien, M. Armando Cormio réside en Australie. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-23 de son rapport): "17. Le 25 mai 1983, le requérant conclut avec M. B. un compromis de vente d'un immeuble, aux termes duquel les parties s'engageaient à conclure le contrat définitif avant le 15 juin 1983. M. B. obtint la possession de l'immeuble. Puis le requérant émigra en Australie, laissant une procuration générale à son frère V. Le 6 janvier 1984, ce dernier, face au refus de M. B. de conclure le contrat de vente ainsi que de restituer l'immeuble, l'assigna devant le tribunal civil de Rome, en demandant la résiliation du compromis et la restitution de l'immeuble. L'instruction débuta à l'audience du 21 février 1984, qui fut suivie des audiences des 26 juin 1984 et 13 décembre 1984. A cette date, deux témoins furent entendus et le juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 6 juin 1985 et un délai de cent jours lui fut assigné pour le dépôt de l'expertise. Toutefois, à l'audience du 21 novembre 1985, l'expertise n'avait pas encore été déposée au greffe et le juge de la mise en état décida de désigner un nouvel expert qui prêta serment à l'audience du 19 décembre 1985. Deux autres audiences eurent lieu les 7 mai et 2 octobre 1986. Puis, à l'audience du 28 mai 1987, l'instruction fut close et le juge de la mise en état fixa au 17 février 1989 la date de l'audience devant la chambre compétente du tribunal. A la suite d'un règlement hors procédure du litige, qui donna lieu à la stipulation d'un contrat de vente le 27 juillet 1989, les parties ne se présentèrent ni à l'audience du 17 février 1989 ni à la suivante, fixée au 27 octobre 1989. En raison de la non-comparution des parties, le même jour l'affaire fut rayée du rôle en application de l'article 309 du code de procédure civile." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 17 juillet 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13130/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-I de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Citoyen français né en 1963, M. Jean-Pierre Sainte- Marie réside à Lantabat, dans les Pyrénées-Atlantiques; il exerce la profession d’agriculteur. Le 30 janvier 1985, des gendarmes l’arrêtèrent et saisirent à son domicile divers objets et documents, notamment des armes et des munitions. Ils agissaient dans le cadre d’une enquête relative à un attentat à l’explosif, perpétré dans la nuit du 19 au 20 janvier contre la gendarmerie de Mauléon-Licharre et revendiqué ultérieurement par Iparretarrak, un mouvement clandestin séparatiste basque. Le lendemain, un juge d’instruction de Bayonne plaça l’intéressé en détention provisoire après l’avoir inculpé sous les deux chefs suivants: d’une part, détention sans autorisation d’une arme et de munitions de la première catégorie, transport sans motif légitime d’une arme et de munitions de la première catégorie et d’une arme de la sixième, détention sans motif légitime d’engins incendiaires et participation à une association de malfaiteurs; d’autre part, destruction du bien immobilier appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive, concernant un attentat antérieur contre une autre gendarmerie - alors en chantier -, celle de Lecumberry, dans la nuit du 24 au 25 novembre 1984. Les deux procédures cheminèrent parallèlement, tant pour le contrôle de la détention provisoire que pour l’instruction et le jugement. I. LA PROCÉDURE RELATIVE À LA DÉTENTION D’ARMES ET À LA PARTICIPATION À UNE ASSOCIATION DE MALFAITEURS A. La détention provisoire L’ordonnance du juge d’instruction de Bayonne, du 8 mars 1985 Le 8 mars 1985, le juge d’instruction de Bayonne rejeta une demande d’élargissement dont l’avait saisi M. Sainte-Marie. L’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau, du 5 avril 1985 Sur recours de ce dernier, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau confirma l’ordonnance, le 5 avril 1985, par les motifs suivants: "(...) (...) Jean-Pierre Sainte-Marie se disait membre d’Iparretarrak, revendiquait la propriété des armes, munitions et objets répréhensibles ou suspects découverts dans les voitures et à son domicile, précisait que les montages électriques devaient être utilisés par l’organisation dans la mise à feu d’explosifs sur des objectifs qu’il ignorait et reconnaissait même avoir participé en tant que chauffeur à l’expédition de la nuit du 24 au 25 novembre 1984 dont l’objectif avait été la caserne de gendarmerie en construction de Lecumberry, en partie détruite cette nuit-là par explosifs. C’est donc à bon droit que, présenté le 31 janvier 1985 au parquet de Bayonne, Jean-Pierre Sainte-Marie a été inculpé et placé sous mandat de dépôt dans deux informations ouvertes: - l’une du chef de destruction du bien immobilier appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive (visant à la destruction de la gendarmerie de Lecumberry); - l’autre, objet des présentes réquisitions, du chef de détention sans autorisation d’une arme et de munitions de la première catégorie, transport sans motif légitime d’une arme et de munitions de la première catégorie et d’une arme de la sixième catégorie, détention sans motif légitime d’engins incendiaires, participation à une association de malfaiteurs. (...) Entendu au fond le 6 février 1985, Jean-Pierre Sainte-Marie, qui avait reconnu les faits lors de sa première comparution, s’est refusé à faire de nouvelles déclarations. L’arme et les munitions saisies, du type de celles utilisées habituellement par le groupe révolutionnaire basque Iparretarrak, ont été expertisées. Les faits sont donc d’une évidente gravité et en l’état, le maintien de l’inculpé en détention provisoire se justifie pleinement eu égard aux nécessités d’éviter la fuite du prévenu qui pourrait se réfugier dans la clandestinité, à l’instar d’autres membres de l’organisation. La détention est aussi le seul moyen d’en prévenir, de sa part, le renouvellement." La chambre d’accusation se composait de M. Svahn, président, et de Mme Plantavit de la Pauze et M. Benhamou, conseillers, désignés le 22 mars 1983 par l’assemblée générale de la cour d’appel (article 191, 4e alinéa, du code de procédure pénale). B. L’instruction et le jugement Le jugement du tribunal correctionnel de Bayonne, du 4 juillet 1985 Le 4 juillet 1985, le tribunal correctionnel de Bayonne annula l’enquête de crime flagrant conduite contre M. Sainte-Marie, ainsi que toute la procédure ultérieure. Il estima en effet: "(...) La procédure de crime flagrant confère aux officiers de police judiciaire à titre exceptionnel certains des pouvoirs les plus importants du juge d’instruction, notamment ceux portant atteinte gravement aux libertés individuelles, parmi lesquelles l’inviolabilité du domicile. C’est pourquoi doivent être strictement interprétés les critères autorisant ces ‘véritables pouvoirs d’instruction’. (Stéfani et Levasseur, Droit pénal général et procédure pénale, édition 1966, tome II, no 259). Sans doute l’article 55 du code de procédure pénale, qui définit les conditions de l’enquête sur crime flagrant, n’indique-t-il aucun délai comme limite à cette procédure, si bien que l’étonnante durée pendant dix jours de celle diligentée après l’explosion criminelle de Mauléon ne suffit pas à la vicier, mais une telle continuation au-delà des termes habituels en pareille situation a exposé les gendarmes au risque de perdre de vue les conditions imposées par le texte de référence. C’est ainsi que les actes accomplis par eux à l’encontre de Sainte-Marie encourent les reproches ci-après: En premier lieu, il est vrai que pour la période du 27 janvier 17 h au 28 janvier 17 h 50, aucune diligence n’est mentionnée dans le rapport de synthèse et qu’aucun procès-verbal ne figure dans la procédure. Cette interruption pendant plus de vingt-quatre heures fait disparaître toute justification de la poursuite très prolongée de l’enquête selon les règles de la flagrance. En second lieu, l’attention des gendarmes a été finalement appelée sur Sainte-Marie, non seulement par ses sympathies connues pour les mouvements séparatistes basques, mais aussi par l’information reçue le 30 janvier selon laquelle ce nouveau suspect conduisait parfois une Renault 14 de la même couleur que celle d’une Simca ‘Horizon’ remarquée dans une rue de Mauléon la nuit de l’attentat. Or, c’est ‘dans un temps très voisin de l’action’ (art. 53 du C.P.P. [code de procédure pénale]) que la personne soupçonnée doit présenter des ‘traces ou indices’, et l’on ne peut tenir pour réalisée cette condition de temps lorsque l’indice qui a conduit chez Sainte-Marie les enquêteurs n’a été connu de ceux-ci que dix jours après les faits. Enfin, il n’est pas douteux que l’irrégularité procédurale justement dénoncée fait grief au prévenu. La défense est donc fondée à prétendre nulle la perquisition ayant permis de découvrir divers objets dont la détention est reprochée à Sainte-Marie et qui a provoqué les aveux retenus à la charge de celui-ci." Les arrêts de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Pau, des 14 août et 29 octobre 1985 a) L’arrêt du 14 août 1985 Le 14 août 1985, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Pau se prononça sur le recours du parquet contre le jugement dont il s’agit: "(...) Attendu que contrairement aux affirmations de la défense, reprises sans vérification par les premiers juges, l’enquête s’est poursuivie sans discontinuer, de jour et de nuit, jusqu’au 30 janvier (cf. notamment le P.V. [procès-verbal] du 28 janvier dont l’existence est, sans justification, méconnue par la défense, puisqu’il est mentionné au P.V. de synthèse de l’enquête unique portant sur l’attentat contre la gendarmerie et la détention d’armes faisant l’objet de la présente procédure) jusqu’à la découverte de la voiture aperçue sur les lieux et des perquisitions chez les utilisateurs de ce véhicule qui aboutiront à la découverte d’armes et engins incendiaires détenus par Jean-Pierre Sainte-Marie, lequel, interrogé, niera avoir participé à l’attentat contre la gendarmerie de Mauléon, mais reconnaîtra, étant membre du mouvement ‘Abertzale’, avoir participé à celui dirigé quelques semaines auparavant contre celle de Lecumberry; Attendu qu’il en résulte que les deux griefs de nullité invoqués par la défense et retenus par le tribunal ne résistent pas à l’examen et doivent être rejetés; Et attendu qu’il ressort de l’article 520 du code de procédure pénale que lorsque le jugement d’un tribunal qui n’a statué que sur une exception de procédure sans examiner la prévention s’est ainsi dessaisi de la poursuite, est annulé, la cour doit évoquer et statuer sur le fond; Attendu en conséquence qu’il convient de renvoyer la cause et les parties à une prochaine audience pour examen du bien ou mal-fondé des griefs retenus contre Jean-Pierre Sainte-Marie; PAR CES MOTIFS: Statuant publiquement et contradictoirement; Dit l’appel recevable et bien fondé; Dit qu’aucune nullité ne résulte de l’examen de la procédure de flagrant délit diligentée par la gendarmerie de Mauléon-Licharre contre Jean-Pierre Sainte-Marie; Réformant, Annule le jugement déféré et évoquant, conformément à l’article 520 du code de procédure pénale, Renvoie la cause et les parties à l’audience du 22 octobre 1985 pour examen de la prévention; Réserve les dépens." La chambre des appels correctionnels se composait de M. Svahn, président, et MM. Bataille et Biecher, conseillers, tous trois nommés le 20 mai 1985 par le premier président de la Cour (article 510 du code de procédure pénale). b) L’arrêt du 29 octobre 1985 Par un second arrêt, du 29 octobre 1985, ladite chambre infligea au requérant une peine de quatre ans d’emprisonnement, par les motifs suivants: "Attendu que l’affaire revient au fond devant la cour conformément à l’arrêt de la cour d’appel de céans en date du 14 août 1985. Attendu que la détention illégitime d’un pistolet automatique, arme de première catégorie, (...) de munitions correspondant à cette arme et de deux cocktails molotov, qui sont des engins incendiaires, [ainsi] que le transport dans un véhicule de ces matériels et d’un couteau à cran d’arrêt, résultent des constatations des gendarmes enquêteurs au cours des perquisitions effectuées et que ces faits sont d’ailleurs reconnus par le prévenu lui-même; qu’ils constituent bien les délits de détention d’armes et de munitions de la première catégorie sans autorisation et de transport sans motif légitime d’armes de première et sixième catégories et de munitions de première catégorie et le délit de détention sans motif légitime d’engins incendiaires, prévus et punis par les articles 28 et 32 de la loi du 18 avril 1939 et 3 de la loi du 19 juin 1971. Attendu que le prévenu reconnaît et même revendique son appartenance au groupe Iparretarrak; que ce groupe, formé en vue d’atteindre des objectifs politiques visant à l’indépendance et à l’unification des provinces basques du Nord et du Sud, a mis en oeuvre dans ce but des moyens, en particulier la lutte armée, qui en font une association ou une entente établie en vue de la préparation et de la commission de crimes contre les personnes ou les biens au sens de l’article 265 du code pénal. (...) Attendu que les armes, les munitions, les éléments électriques entrant dans la composition de montages en vue de la mise à feu d’explosifs trouvés en possession de Jean-Pierre Sainte-Marie et ses propres déclarations sur son appartenance au mouvement Iparretarrak et sur l’utilisation future à laquelle il destinait les armes et les matériels découverts ne laissent aucun doute sur la volonté du prévenu d’apporter son concours à ce mouvement dont les buts criminels sont bien connus de lui. (...)" La chambre des appels correctionnels comprenait M. Lassalle-Laplace, conseiller faisant fonction de président par suite de l’empêchement légitime du titulaire et désigné à cette fin le 10 décembre 1984 par le premier président, ainsi que MM. Bataille et Biecher, conseillers. L’arrêt de la Cour de cassation, du 6 novembre 1986 Contre les arrêts des 14 août et 29 octobre 1985, M. Sainte-Marie forma deux pourvois que la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta par un arrêt unique le 6 novembre 1986. Dans son mémoire ampliatif, il avait soulevé quatre moyens. Deux d’entre eux visaient l’arrêt du 14 août 1985, qui ne se trouve pas ici en cause (paragraphe 24 ci-dessous). Le premier concernait la composition de la chambre des appels correctionnels lorsqu’elle avait annulé le jugement du 4 juillet 1985 (paragraphes 14-15 ci-dessus). La chambre criminelle de la Cour de cassation l’écarta en ces termes: "Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 49 et 591 du code de procédure pénale et de l’article 6 (art. 6) de la Convention (...): ‘en ce qu’il résulte de l’arrêt avant dire droit du 14 août 1985 que la cour d’appel de Pau était composée de M. Svahn, siégeant en qualité de président, et de MM. Bataille et Biecher, conseillers; alors, d’une part, que ces magistrats étaient intervenus dans la même affaire comme membres de la chambre d’accusation qui, dans deux arrêts en date des 5 avril et 8 août 1985, avait confirmé des ordonnances de refus de mise en liberté du demandeur; qu’ayant ainsi connu de l’affaire au stade de l’instruction, ils ne pouvaient, en vertu des dispositions de l’article 49 du code de procédure pénale, être amenés par la suite à participer au jugement et statuer sur l’existence du délit et de la culpabilité; alors, d’autre part, que l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne pose que ‘toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi (...)’; que la Cour européenne a déjà jugé que l’impartialité devait être appréciée par une démarche objective permettant d’affirmer qu’un juge offre des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime; que tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque, ayant rendu à deux reprises, comme membres d’une chambre d’accusation, des arrêts confirmant des ordonnances de refus de mise en liberté, ces magistrats avaient nécessairement procédé à un examen préalable du fond et pris parti sur la valeur des preuves et indices retenus contre le prévenu, de sorte qu’ils ne pouvaient être amenés par la suite à participer au jugement et statuer sur l’existence du délit et de la culpabilité’; Attendu que le fait que des magistrats de la chambre correctionnelle qui a rendu les arrêts attaqués aient, dans la même affaire, comme membres de la chambre d’accusation, précédemment statué sur la détention provisoire du prévenu, ne saurait donner ouverture à cassation dès lors qu’aucune disposition légale prescrite à peine de nullité n’interdit aux membres de la chambre d’accusation, qui s’était prononcée en cette hypothèse, de faire ensuite partie de la chambre correctionnelle saisie de l’affaire et que, d’autre part, une telle participation n’est pas contraire à l’exigence d’impartialité énoncée par l’article 6 (art. 6) de la Convention (...); Qu’ainsi la Cour de cassation est en mesure de s’assurer de la légalité de la composition de la juridiction; Que dès lors le moyen doit être écarté." Le second moyen portait sur le défaut de motifs, le défaut de réponse à conclusions, le manque de base légale et la violation des droits de la défense (articles 53, 56, 57, 76 et 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention) (art. 6). Quant aux moyens restants, ils avaient trait à l’absence de constat du serment des trois témoins ayant déposé à l’audience d’appel du 22 octobre 1985 (articles 437, 446 et 454 du code de procédure pénale), ainsi qu’au défaut de motifs et au manque de base légale de l’arrêt du 29 octobre 1985 (articles 265 du code pénal et 593 du code de procédure pénale), et non à la régularité de la composition de la cour de Pau à ce stade de la procédure (paragraphe 17 ci-dessus). II. LA PROCÉDURE RELATIVE À LA DESTRUCTION D’UN BIEN IMMOBILIER A. La détention provisoire L’ordonnance du juge d’instruction de Bayonne, du 8 juillet 1985 Se prévalant du jugement du 4 juillet 1985 (paragraphe 14 ci-dessus) et alléguant la nullité de la procédure en cause, le requérant réclama son élargissement. Le magistrat instructeur le lui refusa le 8 juillet. L’arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau, du 8 août 1985 Le 8 août 1985, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Pau rejeta le recours de M. Sainte-Marie contre l’ordonnance. Elle se fondait sur les raisons ci-après: "Attendu que les faits ont déjà été examinés dans un précédent arrêt de cette chambre d’accusation en date du 5 avril 1985 [paragraphe 12 ci-dessus]; qu’il convient de s’y référer expressément. Attendu qu’au soutien de sa demande et de son appel, Sainte-Marie fait essentiellement valoir que cette procédure qui justifie la détention serait nulle car le tribunal de Bayonne a prononcé, par ailleurs, la nullité d’une autre affaire dont l’enquête initiale avait servi légalement de base à celle du présent dossier. Selon son défenseur, les aveux passés par Sainte-Marie ont été obtenus à la suite de son arrestation, jugée illégale par le tribunal en raison de la procédure de flagrance utilisée. Il ne serait donc pas possible de le maintenir en détention sur cette base. Mais attendu que cette décision du tribunal correctionnel de Bayonne a été immédiatement frappée d’appel par le procureur de la République et doit être examinée prochainement par la cour. Attendu que l’appel remettant la chose jugée en question devant la juridiction du second degré pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit, l’argumentation de l’inculpé qui se prétend détenu en raison d’une procédure annulée ne peut être retenue, outre [la question de] fait déjà jugée; qu’il n’appartient pas à la chambre d’accusation de se prononcer, en l’état, sur ce point. Attendu que la présente procédure doit donc être considérée comme parfaitement régulière jusqu’à ce qu’il en soit jugé définitivement autrement; Attendu qu’il convient de maintenir Sainte-Marie en détention à la disposition de la justice. Les autres arguments présentés par le prévenu dans son mémoire en défense n’étant pas de nature à prévaloir sur le fait qu’il a déjà montré sa dangerosité pour l’ordre public et contre les institutions de l’État et que l’on peut penser qu’il ne manquerait pas de rejoindre ses camarades ou complices dans la clandestinité s’il était remis en liberté." La chambre d’accusation comprenait M. Svahn, président, et MM. Bataille et Biecher, conseillers, nommés le 20 mai 1985 par l’assemblée générale de la cour d’appel (article 191, 4e alinéa, du code de procédure pénale). B. Le jugement Le 10 avril 1986, le tribunal correctionnel de Bayonne condamna M. Sainte-Marie à cinq ans d’emprisonnement. Son jugement fut confirmé le 8 juillet 1986 par la cour d’appel de Pau. Le requérant introduisit un pourvoi que la Cour de cassation écarta le 26 mai 1987. Ces diverses décisions ne se trouvent pas en cause. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Sainte-Marie a saisi la Commission le 29 avril 1987. Il alléguait une infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Pau n’aurait pas constitué un tribunal impartial quand elle le condamna le 29 octobre 1985, car deux de ses membres avaient auparavant statué sur une demande de mise en liberté. La Commission a retenu la requête (no 12981/87) le 3 décembre 1990. Dans son rapport du 10 juillet 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut par quatorze voix contre cinq à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "déclarer la requête (...) irrecevable et subsidiairement mal fondée". De son côté, le conseil du requérant a prié la Cour de "consacrer la violation de l’article 6 (art. 6) qui a été commise en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le procès Le 9 novembre 1984, la Crown Court de Sheffield reconnut le requérant coupable, notamment, d’un vol avec violence (robbery) et de deux cambriolages (burglary). Le jury se prononça par dix voix contre deux. L’intéressé se vit infliger dix ans d’emprisonnement pour le premier crime et huit pour chacun des deux délits, les trois peines étant confondues. Les preuves à la charge de M. Edwards consistaient en des aveux verbaux détaillés qu’il aurait faits à la police quant à sa participation aux trois infractions. D’après la police, elle l’avait interrogé à trois reprises et avait dressé simultanément un procès-verbal de ses dires, mais il avait refusé de le signer. Pendant les débats, il affirma pour sa défense que la police avait fabriqué ces déclarations. Il clama son innocence, soulignant qu’il n’avait pas nié ses nombreux méfaits antérieurs. Les seuls témoins cités par lui au cours du procès furent les deux officiers de police qui l’avaient questionné. Le 5 février 1985, un juge unique de la chambre pénale de la cour d’appel (Court of Appeal, Criminal Division) lui permit d’interjeter appel contre la peine, mais non contre le verdict de culpabilité. Le 21 mai 1985, la cour plénière écarta au fond le recours contre la peine. Le vol avec violence remontait au 14 avril 1984. La victime, Mlle Sizer, âgée alors de 82 ans, avait été réveillée dans son sommeil et avait trouvé un homme debout à côté d’elle. Elle eut le temps de l’entrevoir avant qu’il ne lui liât les mains derrière le dos et ne lui bandât les yeux. Elle resta ligotée jusqu’au moment où on la libéra, le lendemain matin. Entendue par la police, elle donna de l’homme une description correspondant au requérant et indiqua qu’elle reconnaîtrait probablement son agresseur. Elle ne fut pas invitée à comparaître à l’audience, mais sa déclaration écrite fut lue au jury. Quant aux deux chefs de cambriolage, ils concernaient des incidents distincts survenus les 19 avril et 10 juin 1984, eux aussi chez une femme âgée. A cette dernière occasion, la police appréhenda dans les parages le coïnculpé du requérant, dont les affirmations entraînèrent l’arrestation de ce dernier. Le 16 mai 1985, M. Edwards porta plainte, auprès du ministre de l’Intérieur, contre les policiers ayant instruit l’affaire et témoigné au procès. Le ministre ordonna une enquête de police indépendante, au cours de laquelle certains faits vinrent à la connaissance de l’intéressé (paragraphes 11-13 ci-dessous). Le 3 décembre 1985, il sollicita l’autorisation d’attaquer hors délai le verdict de culpabilité. Daté du 5 décembre 1985, le rapport de la police - le rapport Carmichael - fut remis à la Police Complaints Authority qui l’adressa au Director of Public Prosecutions. Les conseils de M. Edwards en réclamèrent la communication, mais on la leur refusa au nom de l’intérêt général (public interest immunity). En février 1986, le Director of Public Prosecutions estima qu’il n’y avait pas assez de preuves pour étayer des accusations pénales contre les policiers, mais recommanda des poursuites disciplinaires contre trois d’entre eux. Après avoir tenu audience du 13 au 15 juin 1988, la juridiction disciplinaire prononça un non-lieu. B. Saisine de la Court of Appeal par le ministre de l’Intérieur Le 21 mars 1986, le ministre de l’Intérieur saisit la Court of Appeal (Criminal Division), en vertu de l’article 17 par. 1 a) de la loi de 1968 sur les appels criminels (Criminal Appeal Act 1968, "la loi de 1968", paragraphes 19-20 ci-dessous). Elle examina l’affaire le 18 juillet 1986 et statua le même jour. Le requérant plaida devant elle qu’il fallait infirmer la condamnation, peu solide et peu convaincante en raison des lacunes de l’instruction et notamment de la rétention de certains renseignements par la police. A l’audience, l’un des policiers témoins avait déclaré, au cours d’un interrogatoire croisé, que l’on n’avait découvert sur les lieux aucune empreinte digitale. Or en réalité on en avait relevé deux; par la suite, ils s’avéra qu’il s’agissait de celles du voisin immédiat, qui fréquentait régulièrement la maison. L’accusation n’en avait pas informé le requérant avant son procès. M. Edwards allégua que le policier avait menti et que sa crédibilité quant aux prétendus aveux était donc sujette à caution. La Court of Appeal écarta l’argument en ces termes: "Nous n’admettons pas cette interprétation du témoignage du brigadier de police Hoyland. Nous pensons tout simplement qu’il indiquait par là, et voulait indiquer par là, que l’on n’avait trouvé sur place aucune empreinte digitale de l’un ou l’autre des deux cambrioleurs présumés, à savoir Rose et Edwards, le présent appelant. Nous ne pensons pas qu’un examen plus approfondi eût révélé en Hoyland une personne dont les propos méritaient si peu foi." Le requérant s’en prenait à un deuxième point faible. La police avait montré deux albums de photographies de cambrioleurs possibles (dont une de lui) à la vieille dame victime du vol avec violence, qui disait en avoir entraperçu l’auteur. D’après sa déclaration, dont il fut donné lecture au jury, Mlle Sizer s’estimait en mesure de reconnaître son agresseur; or elle ne distingua pas l’intéressé parmi les photographies. Ce fait ne fut pourtant pas mentionné par l’un des policiers dans sa déclaration écrite, qui fut lue au jury, ni signalé au requérant avant ou pendant le procès. Devant la Court of Appeal, l’avocat de la défense plaida que cette omission jetait un tel doute sur les preuves de l’accusation qu’elle aurait pu amener le jury à croire "fabriqués" par la police, comme le prétendait le requérant, les aveux consignés au dossier. La Court of Appeal repoussa également cette thèse: "Mlle Sizer a seulement entrevu son agresseur et l’identification à laquelle elle a pu procéder se fondait largement sur d’autres éléments que l’aspect physique. Nous pensons donc que le jury n’aurait pas abouti à une décision différente s’il avait eu connaissance de tous les détails relatifs aux photographies et à la manière dont l’agent de police Esdon avait agi à ce propos." Après examen, les autres insuffisances alléguées ne lui parurent pas remettre en cause le verdict: même si on les avait étudiées, cela n’eût rien changé au résultat. Et de conclure: "Il y a eu manifestement des négligences dans le travail de la police. Elle a sans doute estimé avoir affaire à un individu ayant pleinement reconnu ses infractions, de sorte qu’elle n’avait guère besoin de contrôler de plus près l’exactitude de ses dires. Cela dénote peut-être chez elle une certaine paresse ou oisiveté, mais en fin de compte nous n’apercevons dans le verdict rien de fragile ou qui laisse à désirer. Traitant la question au regard de l’article 17 de la loi, comme il y a lieu, nous jugeons donc l’appel non fondé et nous le rejetons." L’avocat du requérant n’invita pas la Court of Appeal à user de son pouvoir discrétionnaire de réentendre des témoins, en vertu de l’article 23 de la loi de 1968 (paragraphe 23 ci-dessous), en vue, par exemple, d’un interrogatoire croisé des policiers qui avaient déposé au procès: pareille demande lui semblait vouée à l’échec. Il ne pria pas davantage la cour d’ordonner la production du rapport Carmichael (paragraphe 9 ci-dessus). M. Edwards sollicita un avis juridique sur la possibilité de saisir la Chambre des Lords, mais son avocat lui répondit, le 8 septembre 1986, qu’aucun motif ne permettrait à un tel recours de prospérer. Il adressa en vain, le 3 juin 1987, une requête au ministre de l’Intérieur. Il purge actuellement une peine de deux ans d’emprisonnement que la Crown Court de Sheffield lui a infligée le 26 mars 1992 pour trois cambriolages. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Devoir de l’accusation de fournir certains renseignements à la défense Les directives de l’Attorney General, de décembre 1981, obligent l’accusation, sous réserve d’exceptions spécifiques relevant de son appréciation, à révéler à la défense "les éléments non utilisés"; ils comprennent toute déposition de témoin ne figurant pas dans le dossier fourni à la défense au moment où la Magistrates’ Court renvoie l’affaire devant la Crown Court. L’accusation a aussi le devoir de signaler à la défense toute déclaration écrite ou orale antérieure d’un témoin à charge et qui ne cadre pas avec ce qu’il a dit pendant le procès (R. v. Clarke, Criminal Appeal Reports 1930, no 22, p. 58). En conséquence, si le tribunal recueille la déposition d’un témoin à charge s’affirmant capable de reconnaître l’accusé, et si l’accusation sait que l’intéressé, placé devant une photo de ce dernier, ne l’a en réalité pas identifié, il lui incombe d’en informer la défense. Afin, notamment, d’assurer le respect de cette obligation, la Court of Appeal a précisé que toutes les déclarations enregistrées par la police doivent être communiquées au conseil de la Couronne et qu’il ne faut pas laisser à la police le soin d’opérer un tri parmi elles (R. v. Fellowes, 12 juillet 1985). B. Verdicts d’un jury Un jury peut statuer à l’unanimité ou à la majorité. L’unanimité constitue la règle, mais l’article 17 de la loi de 1974 sur les jurys (Juries Act 1974) habilite le juge de première instance à décider, après au moins deux heures de délibérations infructueuses du jury, d’accepter un verdict à la majorité. Ce dernier est effectif s’il obtient l’adhésion de dix jurés, quand il y en a onze ou davantage, ou de neuf quand il y en a dix. Si le jury n’arrive à aucun accord, unanime ou majoritaire, le juge peut le décharger de sa tâche mais pareille mesure n’équivaut pas à un acquittement et l’accusé pourra repasser en jugement devant un second jury. Si celui-ci ne réussit pas non plus à trancher, l’accusation ne présente d’habitude aucune preuve. C. Saisine de la Court of Appeal par le ministre de l’Intérieur L’article 17 par. 1 a) de la loi de 1968 est ainsi libellé: "Dans le cas d’une personne reconnue coupable après mise en accusation, ou jugée sur acte d’accusation (...), le ministre peut à tout moment, s’il le juge bon, soit: a) renvoyer toute l’affaire devant la Court of Appeal, qui la traite alors à tous égards comme s’il s’agissait d’un appel de l’accusé; (...)" D. Pouvoirs de la Court of Appeal Les pouvoirs de la Court of Appeal se trouvent définis à l’article 2 de la loi de 1968, aux termes duquel "1. Sauf disposition contraire de la présente loi, la Court of Appeal accueille l’appel formé contre un verdict de culpabilité si elle estime: a) que le verdict doit être rapporté au motif qu’au vu de toutes les circonstances de l’espèce, il apparaît peu solide ou peu convaincant; b) que la décision de la juridiction de jugement doit être annulée pour erreur sur un point de droit; ou c) qu’il y a eu irrégularité importante au cours du procès; elle rejette l’appel dans tous les autres cas. Néanmoins la Court of Appeal, tout en estimant que la question soulevée dans l’appel pourrait se trancher en faveur de l’appelant, peut rejeter l’appel si elle estime qu’il n’y a pas déni de justice. La Court of Appeal annule le verdict de culpabilité si elle accueille l’appel formé contre lui. Sauf s’il ordonne un nouveau procès en application de l’article 7 ci-dessous, l’arrêt de la Court of Appeal annulant un verdict de culpabilité vaut ordre, pour la juridiction de première instance, de substituer à la condamnation une sentence d’acquittement." L’article 7 de la loi de 1968 habilitait la Court of Appeal à ordonner un nouveau procès dans la seule hypothèse où le verdict de culpabilité était annulé à raison d’éléments de preuve produits, ou pouvant l’être, en vertu de l’article 23. Pour les appels postérieurs au 31 juillet 1989, il a été amendé de manière à élargir le pouvoir de la Court of Appeal en la matière. E. Nouveaux éléments de preuve en appel L’article 23 de la loi de 1968 dispose notamment ceci: "1. Aux fins de la présente partie de la présente loi, la Court of Appeal peut, si elle l’estime nécessaire ou opportun dans l’intérêt de la justice: a) ordonner la production de tout document, pièce à conviction ou autre élément lié à la procédure, si elle la juge nécessaire pour décider de l’affaire; b) ordonner à tout témoin, cité ou non en première instance mais que l’on aurait pu obliger à y déposer, de comparaître et être interrogé devant elle; c) (...) Sans préjudice de l’alinéa 1 ci-dessus, la Court of Appeal peut, si des preuves lui sont offertes en vertu de ce texte et sauf si elle se convainc de leur inaptitude à justifier le succès de l’appel, user de la faculté de les recueillir: a) s’il lui apparaît qu’elles seront probablement crédibles et auraient été recevables en première instance sur un point soulevé par l’appel; et b) si elle se convainc de l’existence d’une explication raisonnable de leur non-production en première instance. (...)" Il revient à la Court of Appeal de statuer, le cas échéant, sur la thèse de la Couronne selon laquelle un motif d’intérêt général milite contre la divulgation de pièces (voir, entre autres, R. v. Judith Ward, arrêt de la Court of Appeal, Criminal Division, du 8 juin 1992). La démarche à suivre par la Court of Appeal pour apprécier, en vertu de l’article 2 par. 1 a) de la loi de 1968, le caractère peu solide ou peu convaincant d’un verdict donna lieu à des discussions au sein de l’Appellate Committee (Comité d’appel) de la Chambre des Lords dans le contexte de la procédure de renvoi de l’affaire Stafford v. Director of Public Prosecutions sur la base de l’article 17 (Appeal Cases 1974, p. 878). Le Viscount Dilhorne, approuvé par les autres membres de l’Appellate Committee, s’exprima en ces termes: "En se prononçant sur le caractère peu solide ou peu convaincant d’un verdict, la Cour ne me semble pas se fourvoyer si elle se demande: ‘Ce nouvel élément de preuve aurait-il pu amener le jury à un constat de non- culpabilité?’ Si elle estime qu’il en serait allé ou aurait pu en aller ainsi, elle conclura sans doute au caractère peu solide ou peu convaincant du verdict. Selon moi, elle aurait tort de déclarer: ‘Cet élément de preuve ne soulève à nos yeux aucun doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé. Nous ne pensons pas, quant à nous, que le jury ait rendu un verdict peu solide ou peu convaincant, mais comme l’on conçoit que son opinion aurait pu différer de la nôtre, nous annulons la déclaration de culpabilité.’ En effet, le Parlement a précisé que la Cour peut annuler une telle déclaration dans une seule hypothèse: si, en l’absence de toute erreur de droit ou d’irrégularité importante lors du procès, ‘elle estime’ le verdict peu solide ou peu convaincant. Elle doit statuer et le Parlement ne lui a ni imposé ni permis d’annuler un verdict si elle estime concevable qu’un jury aboutisse à une conclusion différente de la sienne à elle. Si le verdict ne lui inspire aucun doute raisonnable, elle ne saurait estimer que le jury aurait pu en nourrir. Si au contraire elle déclare qu’au vu du nouvel élément de preuve le jury pourrait être saisi de pareil doute, c’est qu’elle-même en ressent un." La Court of Appeal considère que les prérogatives définies à l’article 23 englobent une nouvelle audition des témoins déjà entendus en première instance si cela se révèle nécessaire ou opportun dans l’intérêt de la justice. D’après elle, l’article 23 par. 1 lui attribue le pouvoir général d’examiner d’autres moyens de preuve, non limités aux cas énumérés à l’article 23 par. 2 (R. v. Lattimore and others, Criminal Appeal Reports 1976, no 62, p. 53). Elle n’en use pourtant guère car elle hésite à substituer sa propre appréciation des faits à celle du jury devant lequel le témoin en cause a déjà déposé. En pratique, elle l’exerce donc surtout pour ouïr des témoins apparus après le verdict du jury. Il n’existe pas de statistiques sur la fréquence du recours à ce pouvoir. En mars 1991, le ministre de l’Intérieur a annoncé la création d’une commission royale sur la justice pénale (Royal Commission on Criminal Justice) chargée d’examiner, entre autres, l’application générale de la loi de 1968. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 29 septembre 1986. Il se plaignait de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable, comme l’eût voulu l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, et en particulier de s’être vu dénier, au mépris de l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d), le droit de contre-interroger des policiers témoins, sur la base des nouveaux éléments de preuve. Il prétendait en outre que nul recours effectif, au sens de l’article 13 (art. 13), ne s’offrait à lui quant à ses griefs. La Commission a rejeté la requête (no 13071/87) le 7 décembre 1987, pour inobservation du délai de six mois fixé par l’article 26 (art. 26). Le 13 juillet 1988, son président a réinscrit l’affaire au rôle: l’intéressé avait démontré avoir adressé au secrétariat une lettre dont les autorités pénitentiaires avaient enregistré l’expédition mais qui n’arriva pas à bon port. La Commission a retenu la requête le 9 octobre 1990. Dans son rapport du 10 juillet 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut : - par huit voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d); - par douze voix contre deux, que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 24 juin 1992, le Gouvernement a invité la Cour à constater l’absence de tout manquement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE M. Niemietz réside à Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne; il y exerce la profession d’avocat. Le 9 décembre 1985, une lettre fut expédiée par télécopie du bureau de poste principal de Fribourg au juge Miosga, du tribunal cantonal (Amtsgericht) de Freising. Elle avait trait à des poursuites pénales pour insultes (Beleidigung) pendantes devant cette juridiction contre M. J., un employeur refusant de retenir sur le salaire de ses employés, puis de verser à l’administration fiscale, l’impôt ecclésial dont ils étaient redevables. Elle portait la signature d’un certain Klaus Wegner - peut-être une personne fictive - accompagnée des mots "au nom du groupe de travail anticlérical (Antiklerikaler Arbeitskreis) de la Bunte Liste (groupe multicolore) de Fribourg" et d’un numéro de boîte postale. En voici le texte: "Le 10.12.1985, vous présiderez le procès de M. [J.]. Nous, le groupe de travail anticlérical de la Bunte Liste de Fribourg, protestons avec véhémence contre ces poursuites. En RFA, l’Église jouit de très larges privilèges, sur la base du Concordat de Hitler et en violation du devoir de neutralité incombant à l’État. Dès lors, tout citoyen non chrétien de ce pays doit supporter des désavantages et des désagréments quotidiens. La RFA est notamment le seul État qui s’érige en collecteur de l’impôt ecclésial. Elle oblige les employeurs, chrétiens ou non, à verser l’impôt ecclésial pour le compte de leurs salariés chrétiens et à épargner de la sorte à l’Église du travail d’administration financière. Depuis des années, [J.] refuse avec courage et constance d’aider ainsi au financement de l’Église et s’arrange pour que ses salariés chrétiens paient l’impôt ecclésial sans son intervention. Cette tentative - dans un État qui range la séparation de l’Église et de l’État parmi ses principes fondamentaux - pour insister précisément sur cette séparation n’a pas seulement valu à [J.] des tracasseries et ingérences incessantes de la part des pouvoirs publics, qui ont atteint leur paroxysme avec le recours du fisc à des mesures de contrainte, telle la saisie, pour recouvrer auprès de lui l’impôt ecclésial versé depuis longtemps déjà par son personnel; elle lui a en outre attiré ces poursuites pour prétendues insultes lorsqu’il a appelé ces manigances par leur nom. Or s’il vous incombait, en votre qualité de juge compétent, d’examiner en toute impartialité ce ‘cas d’insultes’, vous n’avez pas accompli cette tâche. Bien plus: vous avez abusé de vos pouvoirs en essayant, par des moyens qui rappellent les chapitres les plus sombres de l’histoire du droit allemand, de casser les reins à un adversaire gênant de l’Église. C’est avec indignation que nous avons su l’examen psychiatrique forcé prescrit par vous et qu’entre-temps [J.] a dû subir. Nous profiterons de toutes les possibilités s’offrant à nous, et notamment de nos contacts au niveau international, pour rendre publics vos agissements, incompatibles avec les principes d’un État démocratique respectueux de la prééminence du droit. Nous observerons la marche de la procédure contre [J.] et nous attendons de vous l’abandon de la voie de terreur que vous avez empruntée et le prononcé de la seule décision appropriée en l’espèce, l’acquittement." En tant que conseiller municipal, le requérant avait présidé pendant quelques années la Bunte Liste de Fribourg, un parti politique local. Il s’était aussi beaucoup engagé - sans pourtant y avoir jamais adhéré - dans le groupe de travail anticlérical de celle-ci, lequel cherchait à réduire l’influence de l’Église. Jusqu’à la fin de 1985, le courrier destiné à la Bunte Liste - qui avait pour unique adresse postale le numéro de boîte indiqué dans la lettre au juge Miosga - avait parfois été distribué au cabinet (Bürogemeinschaft) du requérant et de l’un de ses confrères; ce dernier avait lui aussi milité pour le parti et l’avait défendu dans l’exercice de sa profession. Le 13 janvier 1986, le président du tribunal régional (Landgericht) de Munich I invita le parquet (Staatsanwaltschaft) de Munich à ouvrir des poursuites pénales contre Klaus Wegner pour insultes contrevenant à l’article 185 du code pénal. On chercha en vain à délivrer une citation à l’intéressé. L’associé du requérant refusa de fournir le moindre renseignement sur Klaus Wegner, ou sur son lieu de résidence, et les autres tentatives pour identifier le suspect échouèrent. Le 8 août 1986, dans le cadre de la procédure susmentionnée, le tribunal cantonal de Munich ordonna une perquisition au cabinet de Me Niemietz et de son confrère, ainsi qu’aux domiciles de Mmes D. et G., par un mandat ainsi libellé: "Enquête préliminaire contre Klaus Wegner pour infraction à l’article 185 du code pénal Ordonnance Il est ordonné de perquisitionner dans les locaux à usage d’habitation ou professionnel énumérés ci-après, afin de découvrir et saisir des documents pouvant révéler l’identité de ‘Klaus Wegener’ [sic]. Les bureaux du cabinet d’avocats de Mes Gottfried Niemietz et (...), Le domicile (y compris les dépendances et les véhicules) de Mme [D.] (...), Le domicile (y compris les dépendances et les véhicules) de Mme [G.] Motifs Le 9 décembre 1985, une lettre offensante pour le juge Miosga, du tribunal cantonal de Freising, a été envoyée par télécopie du bureau de poste principal de Fribourg. Expédiée par le groupe de travail anticlérical de la Bunte Liste de Fribourg, elle portait la signature d’un certain Klaus Wegener. On n’a pas réussi jusqu’ici à identifier le signataire. Le courrier destiné à la Bunte Liste de Fribourg ne peut l’atteindre que par l’intermédiaire d’une boîte postale. Transmis au cabinet de Mes Niemietz et (...), avocats, jusqu’à la fin de 1985, il l’est à Mme [D.] depuis le début de 1986. Cela donne à penser que se trouvent chez les prénommés des documents propres à nous éclairer sur l’identité de Klaus Wegener. Il faut supposer en outre la présence de tels documents au domicile de Mme [G.], présidente de la Bunte Liste de Fribourg. On peut donc s’attendre à découvrir des pièces à conviction en perquisitionnant dans les locaux visés dans le mandat." La perquisition au cabinet d’avocats, dont les autorités chargées de l’instruction avaient essayé de se passer en interrogeant un témoin, fut opérée le 13 novembre 1986 par des membres du parquet de Fribourg et de la police. D’après le rapport établi le lendemain par un officier de police, ils pénétrèrent dans les locaux à 9 h du matin environ et l’inspection se déroula en présence de deux collaborateurs du cabinet. La perquisition proprement dite débuta vers 9 h 15, lors de l’arrivée de l’associé du requérant, et se prolongea jusqu’à 10 h 30 à peu près. Me Niemietz vint lui-même à 9 h 30. Il refusa de communiquer le moindre renseignement sur l’identité de Klaus Wegner, au motif qu’il risquerait sans cela des poursuites pénales. Les personnes qui procédèrent à la perquisition examinèrent quatre classeurs renfermant des données sur des clients, trois dossiers marqués respectivement "BL", "C.W. - Tribunal cantonal de Fribourg (...)" et "G. - Tribunal régional de Hambourg" ainsi que trois dossiers de plaidoirie indiquant respectivement "K.W. - Tribunal cantonal de Karlsruhe (...)", "Niemietz et autres - Tribunal cantonal de Fribourg (...)" et "D. - Tribunal cantonal de Fribourg". Selon le requérant, elles regardèrent aussi le répertoire des clients tenu par le cabinet et l’un des dossiers dont il s’agit s’intitulait "dossier de plaidoirie Wegner". Elles ne trouvèrent aucun des documents qu’elles cherchaient et ne pratiquèrent aucune saisie. Devant la Commission, Me Niemietz a déclaré avoir pu dissimuler à temps des pièces révélant l’identité de Klaus Wegner et les avoir détruites par la suite. Les domiciles de Mme D. et de Mme G. furent visités eux aussi; on y découvrit des documents autorisant à soupçonner Mme D. d’avoir adressé la lettre au juge Miosga sous un nom d’emprunt. Le 10 décembre 1986, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Fribourg, informé de la descente par le confrère du requérant, envoya une protestation officielle au président du tribunal cantonal de Munich. Il en expédia une copie au ministre de la Justice de Bavière et à l’ordre des avocats de Munich, en invitant celui-ci à se solidariser avec la protestation. Le 27 janvier 1987, le président du tribunal cantonal de Munich répondit que la perquisition était proportionnée au but visé car la lettre en cause constituait une grave ingérence dans une affaire pendante; la protestation n’appelait donc aucune suite judiciaire. La procédure pénale dirigée contre "Klaus Wegner" s’acheva plus tard par un non-lieu, faute de preuves. Le 27 mars 1987, le tribunal régional de Munich I déclara irrecevable le recours (Beschwerde) exercé par Me Niemietz, en vertu de l’article 304 du code de procédure pénale, contre le mandat de perquisition, au motif que ce dernier avait déjà reçu exécution ("wegen prozessualer Überholung"). Il estima qu’en l’occurrence il n’y avait aucun intérêt juridique à constater l’illégalité dudit mandat. Ce dernier n’avait pas revêtu un caractère arbitraire car des éléments concrets permettaient d’escompter que l’on trouverait des objets précis. Rien n’autorisait à dire que l’article 97 du code de procédure pénale (paragraphe 21 ci-dessous) avait été tourné: le mandat reposait sur le fait que pendant un certain temps, la distribution du courrier destiné à la Bunte Liste de Fribourg avait eu lieu au cabinet du requérant et l’on ne pouvait penser qu’il s’agissait de correspondance concernant les rapports entre avocat et client. D’ailleurs, l’honneur personnel n’était pas un droit trop infime pour rendre la perquisition disproportionnée. On ne pouvait donc, en l’espèce, parler d’entrave au libre exercice de la profession d’avocat. Le 28 avril 1987, le requérant attaqua le mandat de perquisition, du 8 août 1986, et la décision du tribunal régional de Munich I, du 27 mars 1987, devant la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Le 18 août, un comité de trois membres de celle-ci écarta le recours (Verfassungsbeschwerde), l’estimant dépourvu de chances suffisantes d’aboutir. La Cour constitutionnelle ajouta que ladite décision du 27 mars 1987, déclarant irrecevable le recours du requérant, n’appelait aucune objection au regard du droit constitutionnel. Quant à l’exécution effective du mandat, Me Niemietz n’avait pas utilisé la voie de droit que lui ouvrait l’article 23 par. 1 de la loi introductive à la loi d’organisation judiciaire (Einführungsgesetz zum Gerichtsverfassungsgesetz). II. DROIT INTERNE PERTINENT La perquisition litigieuse se situait dans le cadre de poursuites pénales pour insultes, délit punissable, en l’absence de violence physique, d’un an d’emprisonnement au plus ou d’une amende (article 185 du code pénal). L’article 13 par. 1 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) garantit l’inviolabilité du domicile (Wohnung); la jurisprudence allemande l’a toujours interprété de manière large, y englobant les locaux professionnels (voir, en particulier, l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 13 octobre 1971, Entscheidungssammlung des Bundesverfassungsgerichts, vol. 32, p. 54). L’article 103 du code de procédure pénale interdit d’opérer une perquisition au domicile ou dans d’autres locaux (Wohnung und andere Räume) d’une personne non soupçonnée d’une infraction pénale, sauf aux fins d’y arrêter un inculpé, d’y rechercher des indices d’une infraction ou d’y saisir des objets précis, et cela seulement si des faits donnent à penser que l’on y découvrira cette personne, ces indices ou ces objets. La légalité et les modalités d’exécution d’un mandat de perquisition peuvent se contester au moyen du recours ménagé par l’article 304 du code de procédure pénale ou par l’article 23 par. 1 de la loi introductive à la loi d’organisation judiciaire, respectivement. En Allemagne, l’avocat est un libre auxiliaire de la justice, un conseil et un représentant indépendant pour toute question juridique. S’il rompt sans autorisation le secret professionnel, il s’expose à un emprisonnement d’un an au plus ou à une amende (article 203 par. 1, alinéa 3, du code pénal). Les alinéas 2 et 3 de l’article 53 par. 1 du code de procédure pénale lui permettent de refuser de témoigner sur ce dont il a eu connaissance à titre professionnel. Combinés avec l’article 97, ils prohibent à quelques exceptions près la saisie de la correspondance entre avocat et client. III. JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES En son arrêt du 21 septembre 1989 dans les affaires jointes 46/87 et 227/88, Hoechst c. Commission, la Cour de Justice des Communautés européennes s’est exprimée ainsi (Recueil 1989, p. 2924): "La requérante ayant invoqué également les exigences découlant du droit fondamental à l’inviolabilité du domicile, il convient d’observer que, si la reconnaissance d’un tel droit en ce qui concerne le domicile privé des personnes physiques s’impose dans l’ordre juridique communautaire en tant que principe commun aux droits des États membres, il n’en va pas de même en ce qui concerne les entreprises, car les systèmes juridiques des États membres présentent des divergences non négligeables en ce qui concerne la nature et le degré de protection des locaux commerciaux face aux interventions des autorités publiques. On ne saurait tirer une conclusion différente de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, dont le paragraphe 1 (art. 8-1) prévoit que ‘toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance’. L’objet de la protection de cet article (art. 8) concerne le domaine d’épanouissement de la liberté personnelle de l’homme et ne saurait donc être étendu aux locaux commerciaux. Par ailleurs, il y a lieu de constater l’absence d’une jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme à cet égard. Il n’en demeure pas moins que, dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu’avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées. L’exigence d’une telle protection doit donc être reconnue comme un principe général du droit communautaire. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a affirmé sa compétence de contrôle à l’égard du caractère éventuellement excessif des vérifications effectuées par la Commission dans le cadre du traité CECA (arrêt du 14 décembre 1962, San Michele e.a., 5 à 11 et 13 à 15/62, Recueil CJCE 1962, p. 449)." La Cour de Justice s’est prononcée dans le même sens par ses arrêts du 17 octobre 1989 en l’affaire 85/87, Dow Benelux c. Commission, et dans les affaires jointes 97 à 99/87, Dow Chemical Ibérica et autres c. Commission (Recueil 1989, pp. 3157 et 3185-3186). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Me Niemietz a saisi la Commission le 15 février 1988. D’après lui, la perquisition avait méconnu son droit au respect de son domicile et de sa correspondance, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention; elle avait aussi enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) en portant atteinte à la clientèle de son cabinet et à sa réputation d’avocat. Il prétendait en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13) de la Convention, aucun recours effectif ne s’offrait à lui devant les autorités allemandes pour ces griefs. Le 5 avril 1990, la Commission a retenu la requête (no 13710/88) quant aux articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 8, P1-1); elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 29 mai 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention et à l’absence de question distincte sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, l’agent du Gouvernement a invité la Cour à dire que la République fédérale d’Allemagne n’a pas transgressé l’article 8 (art. 8) en l’espèce. Pour son compte, le requérant l’a priée de déclarer contraire à la Convention la perquisition effectuée à son cabinet.
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Ressortissante italienne, Mme Silvana Nibbio habite Modène Grande et se trouve au chômage. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-19 de son rapport): "16. Le 20 octobre 1982, la requérante assigna l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d'invalidité. L'instruction débuta à l'audience du 22 février 1983, date à laquelle le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale et désigna l'expert d'office, le convoquant à l'audience du 21 juin 1983. Cette audience n'eut pas lieu. Les audiences des 3 avril et 2 octobre 1984 furent reportées en raison de la non-comparution de l'expert. A l'audience suivante (dont la date ne ressort pas des procès-verbaux), l'expert prêta serment et un délai de soixante jours, à compter du 10 juin 1985, lui fut imparti pour le dépôt de l'expertise. Le délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 6 novembre 1985 fut reportée. Le 30 novembre 1985, l'expertise médicale fut déposée au greffe et, à l'issue de l'audience du 12 février 1986, le juge d'instance condamna l'INPS au paiement de la pension requise. Il précisa, toutefois, que le droit de la requérante n'était né qu'à partir du 1er juin 1985 et prononça la compensation des frais de justice. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 15 février 1986. Le 20 octobre 1986, la requérante interjeta appel contre cette décision, pour autant qu'elle fixait la naissance de son droit à pension à une date postérieure à celle où sa demande avait été introduite et prononçait la compensation des frais de justice entre les parties. Le 23 octobre 1986, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 29 novembre 1988. Cependant, cette audience fut reportée au 1er juin 1989 en raison de la mutation du juge de la mise en état. (...) (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, le tribunal a débouté la requérante le 1er juin 1989. Son jugement, déposé au greffe le 7 octobre 1989, a fait l'objet d'un pourvoi en cassation; une audience a eu lieu le 27 septembre 1991, mais à la date de l'adoption du présent arrêt on ne savait pas encore si et dans quel sens la Cour suprême avait statué. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 3 avril 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12854/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyen allemand né en 1945, M. Hans-Dieter Hennings était fonctionnaire à l'époque des faits. Il habitait à Oberaudorf, en Allemagne, mais réside à présent au Tyrol, en Autriche. Le 15 avril 1984, à bord d'un train qui l'emmenait de Kufstein, en Autriche, à Munich, il eut une altercation avec une contrôleuse, Mme Huber. Celle-ci lui ayant pris sa carte d'employé des chemins de fer, il aurait couru après elle, l'aurait agrippée par l'épaule, lui aurait arraché des documents et les aurait éparpillés par terre pour récupérer son titre. Agé de six ans, son fils participa aussi à la querelle; il aurait frappé plusieurs fois Mme Huber à la tête avec un bâton, ce qui aurait causé chez elle une incapacité de travail de quelques jours. Le 25 avril 1984, la police des chemins de fer interrogea le requérant au sujet de l'incident. Il répondit qu'il ne voulait rien déclarer et qu'il souhaitait désigner un avocat. La police des frontières de Kiefersfelden soumit son rapport définitif sur l'affaire au parquet du tribunal régional (Landgericht) de Traunstein. Par une lettre type du 9 août 1984, ledit parquet informa l'intéressé qu'il l'accusait ("legt Ihnen zur Last") de voies de fait (Nötigung), en vertu de l'article 240 du code pénal allemand (Strafgesetzbuch). Il ajoutait qu'il n'exercerait pas l'action publique si M. Hennings payait, avant le 1er octobre 1984, une amende de 300 DM au Trésor, Bureau de perception judiciaire de Rosenheim. En annexe figurait un formulaire à retourner avant le 20 septembre 1984 en cas d'acceptation. Dans cette hypothèse, les choses en resteraient là et il n'y aurait aucune inscription au casier judiciaire. A défaut, des poursuites s'ouvriraient (Anklage erhoben) sans nouveau préavis. Le ministère public n'indiquait pas s'il engagerait une procédure sommaire, débouchant sur une ordonnance pénale, ou s'il lancerait une citation à comparaître devant le tribunal. Le requérant n'ayant ni renvoyé le formulaire ni réglé l'amende, le tribunal d'instance (Amtsgericht) de Rosenheim prononça contre lui, le 7 novembre 1984, une ordonnance pénale (Strafbefehl), au terme d'une procédure sommaire (paragraphe 19 ci-dessous). Il lui infligea une amende de 40 DM par jour pendant 25 jours pour voies de fait ainsi que pour coups et blessures dangereux (gefährliche Körperverletzung), infraction non mentionnée dans la lettre du 9 août 1984. Le facteur n'ayant trouvé personne chez M. Hennings, l'ordonnance fut notifiée à celui-ci, conformément à la législation applicable (paragraphe 20 ci-dessous), au moyen d'un avis laissé dans sa boîte aux lettres le 12 novembre 1984. Il l'invitait à retirer un pli confié au bureau de poste d'Oberaudorf en son absence. Le recto de l'avis signalait, en caractères gras, que le dépôt du document au bureau de poste pour retrait valait notification, indépendamment du point de savoir si et quand le destinataire en avait eu connaissance. Le verso précisait que le retrait de la lettre devait avoir lieu dès que possible, sans quoi il pourrait en résulter des conséquences juridiques préjudiciables car les délais couraient à partir de ce même dépôt. Le requérant n'ayant pas formé opposition dans le délai d'une semaine ouvert à l'époque par la loi et expressément rappelé dans l'ordonnance pénale, celle-ci acquit force de chose jugée le 20 novembre 1984. En droit allemand, peut être relevée de la forclusion une personne qui, de manière non fautive, n'a pas respecté certains délais. L'avocat du requérant présenta donc, le 26 novembre 1984, une demande à cet effet; elle arriva au greffe du tribunal d'instance de Rosenheim le lendemain, plus de deux semaines après le dépôt de l'avis dans la boîte aux lettres. Or, d'après l'article 45 du code de procédure pénale (paragraphe 19 ci- dessous), il eût fallu l'introduire une semaine au plus après la cessation de l'empêchement. A la requête du parquet, le bureau de poste d'Oberaudorf soumit une note, du 3 décembre 1984, attestant que Mme Hennings avait retiré l'ordonnance pénale le 19 novembre 1984 et non le Or elle avait déclaré sous serment, le 23, qu'absente de chez elle depuis le 6 novembre elle était rentrée le 20; dans l'intervalle, son époux était resté à Oberaudorf et avait travaillé comme d'habitude, mais il n'avait pas la clé de leur boîte aux lettres. Le 6 décembre 1984, le tribunal d'instance de Rosenheim débouta le requérant et le condamna aux frais, au motif que seule sa propre faute l'avait empêché de former opposition à temps: d'après les renseignements fournis par la poste, il avait reçu l'ordonnance pénale le 19 novembre 1984, date à laquelle il aurait encore pu agir valablement; en outre, sa demande de relevé de forclusion était tardive (paragraphe 13 ci-dessus). Le 14 décembre 1984, Mme Hennings fit une nouvelle déclaration sous serment: tout en reconnaissant avoir retiré l'ordonnance pénale au bureau de poste d'Oberaudorf dès le 19 novembre, elle affirma ne l'avoir passée à son mari que le lendemain, de peur de l'irriter après sa journée de travail. Le 24 janvier 1985, le tribunal régional de Traunstein rejeta un recours (Beschwerde) exercé par le requérant, qu'il condamna aux frais. Il nota les contradictions non seulement entre le témoignage du bureau de poste d'Oberaudorf et la première déclaration sous serment de Mme Hennings, du 23 novembre, mais aussi entre celle-ci et la seconde, du 14 décembre. Il conclut: "Il y a lieu de soupçonner l'épouse du requérant d'avoir fait une fausse déclaration sous serment pour que son mari obtienne une restitutio in integrum. On doit en déduire que le tribunal local a eu raison de repousser la demande de relevé de forclusion." Le 17 octobre 1985, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) écarta, comme dépourvu de chances de succès, le recours de M. Hennings contre le refus de rouvrir le délai. Elle jugea qu'en principe elle n'avait pas compétence pour rechercher si l'intéressé avait suffisamment étayé son allégation selon laquelle il ne savait rien de l'ordonnance pénale jusqu'au 20 novembre 1984. Si, comme l'avaient estimé les juridictions inférieures, il en avait eu connaissance dès le 19, il aurait encore pu agir aussitôt pour éviter la forclusion. Et d'ajouter: "Quand bien même il n'aurait plus pu former opposition le 19 novembre 1984, ce n'est pas sans aucune faute de sa part qu'il aurait été empêché d'observer le délai. En principe, il incombe au destinataire en personne d'adopter des mesures suffisantes pour que les notifications l'atteignent. L'intéressé s'en est manifestement dispensé. Bien que resté sur place pendant l'absence de sa femme, il ne s'est pas occupé du contenu de sa boîte aux lettres, ni soucié de la manière dont on pouvait ouvrir celle-ci malgré le manque de clé. S'il n'a pu prendre connaissance de l'ordonnance pénale que trop peu de temps avant l'expiration du délai pour pouvoir encore agir valablement, on ne doit donc pas présumer pour autant qu'il s'est laissé forclore de manière non fautive. On ne le devrait pas davantage même dans l'hypothèse où son épouse ne lui aurait délivré l'ordonnance que le 20 novembre 1984. Si quelqu'un confie à des tiers le retrait de sa correspondance, on peut exiger de lui qu'il veille, par des instructions ou arrangements appropriés dont il lui faut contrôler le respect, ou par d'autres moyens adéquats, que le courrier à l'arrivée lui soit communiqué en temps voulu et dans son intégralité. Là aussi, le requérant a nettement péché par négligence." II. Le droit interne pertinent Les articles 407 à 410 du code de procédure pénale, tels qu'ils s'appliquaient à l'époque, permettent de prononcer une ordonnance pénale, sans procès, dans le cas d'infractions mineures. Une fois le tribunal compétent saisi, le parquet peut l'inviter à en rendre une. Le juge accueille pareille requête, sauf si son appréciation juridique de la cause est autre ou s'il souhaite infliger une peine différente. L'ordonnance précise qu'elle deviendra définitive, contraignante et exécutoire si, une semaine au plus après sa signification, l'intéressé ne forme pas opposition par un écrit adressé au tribunal d'instance, ou en faisant consigner une déclaration au greffe de celui-ci. Une opposition introduite en temps utile provoque l'ouverture d'un procès. Entrée en vigueur le 1er avril 1987, la loi du 27 janvier 1987 modifiant la procédure pénale (Strafverfahren-sänderungsgesetz) a porté à deux semaines le délai à observer. Si toutefois l'intéressé a été empêché de le respecter "sans qu'il y ait eu faute de sa part" (ohne Verschulden verhindert), il peut présenter une demande de relevé de forclusion dans la semaine qui suit la disparition de l'obstacle (articles 44 et 45 du code de procédure pénale). D'après l'article 37, la signification de documents se trouve régie par les articles 181 et 182 du code de procédure civile (Zivilprozeßordnung). Une pièce peut être déposée, entre autres, au bureau de poste local en cas d'impossibilité de la signifier à personne. Il échet alors de délivrer un avis écrit de dépôt à l'adresse du destinataire, de la manière utilisée d'habitude pour les lettres ordinaires, ou, si cela n'est pas indiqué, de l'afficher sur la porte de sa maison ou de le confier à un voisin pour transmission à l'intéressé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Hennings a saisi la Commission le 16 avril 1986. Il dénonçait la brièveté du délai d'opposition, ainsi que le défaut de signification à personne de l'ordonnance pénale rendue contre lui; il invoquait l'article 6 (art. 6) de la Convention, pris isolément ou combiné avec l'article 14 (art. 14+6). La Commission a retenu la requête (n° 12129/86) le 4 septembre 1990. Dans son rapport du 30 mai 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'absence d'infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (neuf voix contre quatre) et à l'article 14 combiné avec lui (art. 14+6) (douze voix contre une). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 251-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire du 16 décembre 1991, le Gouvernement a invité la Cour à juger "que la République fédérale d'Allemagne n'a pas manqué aux obligations lui incombant au titre de la Convention".
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Ouvrier de nationalité italienne, M. Alberto Mastrantonio habite L'Aquila. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-19 de son rapport): "16. Le 21 août 1977, le requérant fut victime d'un accident de la circulation provoqué par M. W., ressortissant allemand. 17. Par acte du 15 mars 1978, il assigna l'Ufficio Centrale Italiano - qui répond des dommages issus des accidents de la circulation causés par les étrangers en Italie - devant le tribunal de Teramo, en demandant des dommages et intérêts. 18. L'instruction débuta le 7 juin 1978. Après cette date, des audiences eurent lieu les 29 novembre 1978, 16 mai, 25 juillet, 28 novembre 1979, 5 mars, 28 mai, 24 septembre, 17 décembre 1980, 1er avril, 9 décembre 1981, 21 avril, 13 octobre 1982, 23 février 1983 et 29 février 1984. 19. Puis, le juge de la mise en état fut muté et l'affaire fut par conséquent ajournée sine die. Son examen ne fut repris que le 3 novembre 1987. A cette date, le nouveau juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise et convoqua un expert à l'audience du 1er mars 1988. Le déroulement de l'instruction après cette date n'a pas été précisé (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le conseil du requérant, les parties devaient présenter leurs conclusions le 15 novembre 1991. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 17 mars 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12054/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Femme au foyer de nationalité italienne, Mme Paola Pierazzini habite Livourne. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Le 27 décembre 1983, la requérante assigna devant le tribunal de Tempio Pausania M. C. et Mmes X, Y et Z, en demandant la liquidation des quotes-parts des biens de deux sociétés dont elle aurait hérité à la suite du décès de son père, copropriétaire desdites sociétés. Après deux renvois d'office les 1er mars et 7 juin 1984, l'examen de la cause fut ajourné sine die à cause de la mutation du juge de la mise en état. En attendant qu'un nouveau juge de la mise en état fût nommé, la requérante demanda, le 21 octobre 1984, la saisie conservatoire des biens de M. C. à concurrence de 150 000 000 lires italiennes. La demande fut rejetée par le président du tribunal le 18 avril 1985, au motif qu'il n'avait plus compétence pour statuer, le nouveau juge de la mise en état ayant été nommé. L'instruction débuta à l'audience du 22 mai 1986, suivie des audiences des 13 novembre 1986, 18 décembre 1986, 12 janvier 1987 (reportée à cause de l'empêchement du conseil des défendeurs) et 22 janvier 1987. Après cette dernière date, l'examen de l'affaire fut à nouveau suspendu à cause de la mutation du juge de la mise en état. L'audience devant le nouveau juge de la mise en état n'eut lieu que le 9 juin 1988. A l'audience du 5 juillet 1988, la requérante renouvela la demande de saisie et demanda l'accomplissement d'une expertise en vue d'établir les biens des sociétés en question. Le juge de la mise en état sursit à statuer. Le 3 mars 1989, il rejeta la demande de saisie, mais ordonna l'accomplissement de l'expertise requise. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 20 avril 1989 et un délai de soixante jours lui fut imparti pour le dépôt de l'expertise. Ce délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 12 octobre 1989 fut reportée au 16 novembre 1989 (date à laquelle la requérante demanda et obtint l'autorisation de se procurer certains relevés bancaires), puis au 1er mars 1990 et enfin au 15 novembre 1990." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement et par la requérante, cette dernière audience n'eut pas lieu non plus, mais l'expert, qui entre-temps avait obtenu une prorogation, déposa son rapport ce jour-là. D'autre part, le 6 juin 1991, le juge de la mise en état suspendit le procès à cause de la mort de M. C. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 3 septembre 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13265/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Ignazio Serrentino habite Reggio de Calabre et se trouve au chômage. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-26 de son rapport): "17. Le 10 octobre 1983, le requérant fut victime d'un accident de la circulation et gravement blessé. Par acte notifié le 11 septembre 1984, le requérant assigna devant le tribunal de Reggio de Calabre le propriétaire et le conducteur de la voiture qui l'avait renversé, ainsi que la compagnie d'assurances X, en demandant des dommages et intérêts. L'instruction débuta à l'audience du 17 décembre 1984 qui fut suivie de l'audience du 18 février 1985. A cette date, les parties demandèrent l'accomplissement de certaines activités d'instruction sur lesquelles le juge se prononça par ordonnance du 7 mars 1985. L'audience suivante, prévue pour le 3 juin 1985, n'eut lieu que le 18 novembre 1985, date à laquelle le juge de la mise en état chargea un expert d'évaluer, dans un délai de soixante jours, le préjudice subi par le requérant. L'expertise médicale fut déposée au greffe le 20 janvier 1986. Elle établit que l'accident avait causé au requérant une incapacité de travail totale pendant 507 jours et partielle pendant 295 jours, ainsi qu'une réduction permanente de sa capacité de travail de 25 %. Les audiences des 17 mars et 12 mai 1986 furent reportées à la demande des parties. A l'audience du 7 juillet 1986, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal, en fixant au 25 novembre 1988 l'audience devant celle-ci. Le 8 juillet 1986 le requérant, faisant valoir ses conditions économiques précaires, présenta une demande afin que la date de l'audience fût avancée. Suite à cette demande, l'audience devant la chambre du tribunal eut lieu le 12 décembre 1986. Le 30 janvier 1987, le tribunal condamna solidairement les défendeurs à payer au requérant la somme de 64 467 590 lires italiennes, majorée des intérêts légaux à compter du 10 octobre 1983, ainsi qu'au paiement des frais de justice. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 27 mars 1987. Le 29 mai 1987, la compagnie d'assurances X interjeta appel de ce jugement. Le 8 juin 1987, le requérant releva lui aussi appel, demandant des dommages et intérêts plus importants. La première audience devant le conseiller de la mise en état eut lieu le 22 octobre 1987. Quatre autres audiences eurent lieu les 14 janvier 1988 (date à laquelle les parties demandèrent un renvoi pour présenter leurs conclusions), 25 février 1988, 14 avril 1988 (reportée à la demande de la partie appelante, le conseil du requérant n'étant pas présent) et 26 mai 1988. A cette date, l'affaire fut attribuée à la chambre compétente de la cour d'appel de Reggio de Calabre. A l'audience du 1er décembre 1988, les parties demandèrent un renvoi. L'audience suivante eut lieu le 13 avril 1989. Par ordonnance du 20 avril 1989, la cour d'appel constata que l'appel de la compagnie d'assurances X n'avait pas été notifié au propriétaire de la voiture, partie nécessaire pour le règlement du litige (litisconsorte necessario). Elle transmit dès lors l'affaire au conseiller de la mise en état. Devant celui-ci, quatre audiences eurent lieu les 12 octobre 1989, 25 janvier 1990, 22 mars 1990 et 28 juin 1990, date à laquelle les parties présentèrent leurs conclusions. Le 15 novembre 1990, la cour, se fondant sur des critères partiellement différents de ceux retenus par le tribunal, fixa les dommages subis par le requérant à 159 000 000 lires. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 6 décembre 1990. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le requérant, l'un des défendeurs a formé un pourvoi en cassation et la date de l'audience n'a pas encore été fixée. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 22 juillet 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12295/86) le 11 11 mai 1990. Dans son rapport du 6 mars 1991 (article 31) (art. 31) elle relève, par neuf voix contre une, une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis, ainsi que de l'opinion dissidente dont il s'accompagne, figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-F de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Luigi Ruotolo habite Montesilvano (Pescara). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-25 de son rapport): "16. En avril 1979, le requérant fut licencié par la société X. Le 18 octobre 1979, il saisit le juge d'instance (pretore) de Rome, en demandant la réintégration dans ses fonctions, ainsi que des dommages et intérêts. L'instruction de l'affaire se déroula au cours des audiences suivantes: 8 janvier 1980 (reportée à la demande des parties), 22 janvier 1980, 29 avril 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 13 mai 1980, 9 juillet 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 14 octobre 1980, 24 novembre 1980 (reportée à la demande de la partie défenderesse), 9 décembre 1980 (reportée en raison de l'absence des témoins cités à comparaître), 23 février 1981 et 28 avril 1981. A l'issue de cette dernière audience, le juge d'instance prononça son jugement rejetant le recours du requérant. Le texte fut déposé au greffe le 29 avril 1981. Le 19 novembre 1981, le requérant interjeta appel contre ce jugement. A l'issue de l'audience du 2 juillet 1982, le tribunal de Rome rejeta l'appel du requérant. Le texte de sa décision (treize pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 24 février 1983. Le 23 février 1984, le requérant se pourvut en cassation. Le 24 octobre 1985, à l'issue de l'audience devant elle, la Cour de cassation accueillit le pourvoi, annula le jugement du tribunal et renvoya l'affaire devant le tribunal de Frosinone. L'arrêt de la Cour de cassation (douze pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 27 mars 1986. Le 17 janvier 1987, le requérant reprit son action devant le tribunal de Frosinone. L'instruction, commencée à l'audience du 1er avril 1987, se poursuivit aux audiences des 22 octobre 1987 et 21 janvier 1988 (reportées à la demande des parties), 12 octobre 1988 (reportée à cause de l'absence du juge de la mise en état), 17 novembre 1988 (reportée à la demande des parties) et 19 janvier 1989. A l'issue de cette dernière audience, le tribunal rendit son jugement réformant la décision du juge d'instance de Rome et faisant droit à la demande de réintégration du requérant. Il lui accorda, en outre, une somme de 10 443 900 lires italiennes, réévaluée et majorée des intérêts. Le texte du jugement (quatorze pages dactylographiées) fut déposé au greffe le 18 juillet 1989. Le 21 décembre 1989, la société X forma un pourvoi en cassation. Le 30 janvier 1990, le requérant répondit à ce pourvoi et, à son tour, en forma un autre critiquant le montant des dommages et intérêts qui lui avaient été accordés." D'après les renseignements fournis depuis lors par le Gouvernement, la Cour de cassation a statué le 31 mai 1991, mais au 24 janvier 1992 son arrêt n'avait toujours pas été déposé à son greffe. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 15 septembre 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12460/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Citoyen autrichien, M. Josef Artner réside actuellement à Vienne (Autriche). Le 16 décembre 1986, le tribunal régional (Landesgericht) de cette ville lui infligea trois ans de prison du chef d'usure (Geldwucher) dans deux cas, d'escroquerie qualifiée (schwerer Betrug) et tentative, d'abus de confiance (Veruntreuung) et de vol qualifié (schwerer Diebstahl). Dans l'un des deux cas d'usure - le seul qui se trouve ici en cause -, le jugement estima établis les faits que voici. Sur la foi d'une annonce de presse, Mlle L. avait pris contact avec le requérant, au cours de l'été 1982, afin d'obtenir un prêt. Comme elle ne pouvait fournir aucune sûreté, elle abandonna l'idée jusqu'au moment où, par lettre, il lui réclama 2 350 schillings en raison de l'échec des pourparlers. Il la persuada ensuite de contracter conjointement avec un certain S., citoyen yougoslave inconnu d'elle, qui se porterait garant. Le 24 août 1982, ils signèrent tous deux, comme codébiteurs solidaires, une convention d'emprunt de 60 000 schillings auprès d'une banque qui leur versa l'argent sur-le-champ, en présence de M. Artner. Celui-ci se fit alors délivrer 10 000 schillings à titre de commission tandis que S. en toucha 30 000 et Mlle L. les 20 000 restants. La veille, le requérant l'avait amenée à s'engager à régler les mensualités dues par S. à partir de mars 1984. Ce dernier disparut peu après le paiement, la laissant répondre du remboursement intégral. Saisis d'une plainte de Mlle L., la police puis le juge d'instruction avaient ouï celle-ci les 5 mai et 4 juillet 1983 respectivement, sans toutefois la confronter avec le requérant. Comme ce dernier avait disparu à son tour, ledit magistrat prescrivit, le 29 juillet 1983, de le placer sur la liste des personnes recherchées. Les 2 janvier et 2 avril 1985, à la frontière, puis le 17 avril 1985, à Vienne, la police l'invita en vain à se présenter au tribunal de cette ville en raison des poursuites entamées contre lui. Finalement, il fut extradé d'Allemagne le 19 juin 1986. Le 9 octobre 1986, le tribunal convoqua Mlle L. à l'audience du 21 novembre en qualité de témoin à charge. Comme elle avait déménagé entre temps, il chargea la Direction de la police fédérale, de Vienne, de se renseigner sur son domicile actuel, où il lui envoya la citation le 6 novembre 1986. Le jour dit, l'intéressée ne comparut point. M. Artner n'avait pas demandé lui-même l'audition de celle-ci, mais il refusa d'y renoncer. Aussi le tribunal ajourna- t-il les débats au 16 décembre et ordonna-t-il à la police de déployer de nouveaux efforts pour joindre Mlle L. et l'y amener. Ils n'aboutirent pas, car elle avait derechef changé de résidence sans laisser d'adresse. Après en avoir informé le requérant à l'audience du 16, le tribunal y fit alors lire les déclarations de Mlle L. à la police et devant le juge d'instruction, comme le permet en pareil cas l'article 252, premier alinéa, n° 1, du code de procédure pénale. M. Artner protesta de son innocence, alléguant n'avoir reçu que 3 000 schillings à titre de commission. Il proposa comme témoins un employé de la banque prêteuse et un collaborateur de l'association de consommateurs que la victime avait consultée avant de porter plainte, mais le tribunal décida de ne pas les citer, au motif qu'ils n'avaient pas assisté à la répartition de l'argent. De l'avis du tribunal, la condamnation du requérant pouvait se fonder sur les affirmations crédibles de Mlle L. et sur les documents qu'elle avait produits à l'appui. Sans doute recelaient-elles une légère contradiction relative à la personne à qui la banque avait remis l'argent, mais cela ne tirait pas à conséquence puisque les trois avaient tous été présents à ce moment. Du reste, la description des faits ressemblait beaucoup à celle donnée par la victime (une certaine Mme S.) dans l'autre cas d'usure, où le prévenu aurait encaissé une commission de 15 000 schillings pour un prêt de 40 000 schillings. Eu égard aux huit condamnations antérieures de M. Artner, la plupart pour vol, le tribunal jugea non digne de foi sa version d'après laquelle il avait perçu seulement 3 000 schillings. D'après lui, le requérant avait plutôt abusé de la détresse et de l'inexpérience de Mlle L. pour obtenir une rémunération manifestement disproportionnée au service rendu. Contre le jugement du 16 décembre 1986, M. Artner saisit la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), le 18 février 1987, d'un appel (Berufung) et d'un recours en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde). Elle en rejeta, le 26 mai, les moyens relatifs à l'affaire d'usure. Selon elle, c'est à tort qu'il reprochait au tribunal d'avoir renoncé à entendre Mlle L., dont il n'avait d'ailleurs pas lui-même réclamé la comparution. Devant l'échec des investigations prescrites par deux fois pour retrouver la victime, l'article 252, premier alinéa, n° 1, autorisait la lecture à l'audience des déclarations litigieuses. La légère contradiction susmentionnée avait légitimement pu passer pour négligeable, l'intéressé ayant reconnu avoir touché une commission (Provision) des deux emprunteurs. Quant aux témoins à décharge, c'est à bon droit que le juge en avait refusé la déposition, pour défaut d'intérêt. En revanche, la Cour censura ledit jugement sur certains points étrangers au présent litige. Statuant sur renvoi le 20 novembre 1987, le tribunal régional réduisit à deux ans et demi d'emprisonnement le total de la peine infligée au requérant. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Artner a saisi la Commission le 6 juillet 1987. Il se plaignait d'avoir été condamné sur la seule foi des déclarations de Mlle L., que le tribunal régional n'avait pas entendue; il invoquait l'article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13161/87) le 5 mars 1990. Dans son rapport du 8 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'absence de violation par neuf voix contre sept. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 242-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissant italien, M. Giovanni Diana habite Rocchetta Di Cairo (Savone). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-25 de son rapport): "16. Par acte notifié les 12 et 14 avril 1978, le requérant assigna M. Z. et Mme V. devant le tribunal de Savone pour voir déclarer qu'il avait de manière légitime modifié les conditions d'exercice de la servitude de passage grevant sa propriété. 17. Le 5 juin 1981, la procédure ainsi engagée fut jointe à deux autres procédures - entamées l'une fin novembre/début décembre 1979, l'autre en mars 1981 - ayant respectivement pour objet la vérification de l'étendue de ladite servitude de passage et la vérification des abus commis par M. Z. et Mme V. dans l'exercice de leur droit de passage. 18. Entre temps, sept audiences avaient eu lieu les 26 mai 1978, 6 octobre 1978, 19 janvier 1979, 19 avril 1980, 30 mai 1980, 31 octobre 1980 et 12 décembre 1980. 19. Le 3 juillet 1981, le juge de la mise en état ordonna la comparution personnelle des parties en les convoquant à l'audience du 17 novembre 1981, date à laquelle il décida une descente sur les lieux. Celle-ci fut effectuée le 30 avril 1982. 20. Le 12 novembre 1982, le juge de la mise en état convoqua les parties à l'audience du 21 décembre 1982, date à laquelle il décida une nouvelle descente sur les lieux, en vue de rechercher une solution amiable de l'affaire. 21. La date du 26 mars 1983, initialement retenue, fut reportée au 16 avril 1983, conformément à la demande présentée par les parties le 25 mars 1983. Le jour prévu, compte tenu de ce qu'un règlement amiable de l'affaire ne pouvait être obtenu, le juge de la mise en état, faisant droit à la demande du requérant, révoqua l'inspection. 22. Deux autres audiences eurent lieu les 3 et 17 juin 1983. Puis le juge de la mise en état fut muté. L'audience suivante devant le nouveau juge n'eut lieu que le 23 novembre 1984. 23. Après les audiences des 1er et 29 mars 1985, le juge de la mise en état invita les parties à préciser leurs conclusions à l'audience du 12 juillet 1985. A cette date, il transmit l'affaire à la chambre compétente du tribunal. 24. L'audience devant la chambre du tribunal eut lieu le 8 mai 1987. Le jugement - qui reconnaît le bien-fondé de l'action du requérant - fut adopté le 28 mai et déposé au greffe le 12 août 1987. 25. Le 23 octobre 1987, M. Z. et Mme V. interjetèrent appel contre la décision du tribunal de Savone. A l'audience du 28 avril 1988, les parties précisèrent leurs conclusions et l'affaire fut attribuée à la chambre compétente de la cour d'appel de Gênes, devant laquelle une audience aurait eu lieu le 17 mars 1989. L'appel fut rejeté le 5 octobre 1989. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 30 octobre 1989. 26. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par le requérant, ledit arrêt devint définitif le 29 janvier 1990. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 3 octobre 1985. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 11898/85) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 1983, M. Frans Vidal était surveillant à la prison de Saint-Gilles (Bruxelles) après avoir travaillé à celle de Namur jusqu’en octobre 1982. A. La genèse de l’affaire Le 6 février 1983, M. Bosch Hernandez, détenu à Namur après avoir été condamné aux travaux forcés à perpétuité par la cour d’assises du Brabant, tenta de s’évader. Muni d’un revolver qu’il avait réussi à se procurer clandestinement, il prit le surveillant-chef en otage, mais un autre gardien parvint à le désarmer. On découvrit sur lui un billet signé par M. Vidal, non daté et ainsi libellé: "Par la présente, je m’engage à remettre une somme de dix mille francs pour la date du 1er ou 2 novembre 1982." Interrogé par la police judiciaire de Namur et un magistrat instructeur, il refusa de divulguer la provenance du revolver, puis déclara l’avoir reçu du requérant. Le juge d’instruction du tribunal de première instance de Namur inculpa ce dernier le lendemain. Arrêté le jour même, M. Vidal se défendit d’avoir fourni l’arme; s’il reconnut avoir rédigé et signé le document, il affirma l’avoir remis à un autre détenu, M. Bieseman, à qui il aurait emprunté 10 000 francs belges (FB) à la suite de dettes de jeux. Le mandat d’arrêt fut confirmé à plusieurs reprises en 1983. Souhaitant apporter de nouveaux éléments au dossier d’instruction, M. Derriks, directeur adjoint de la prison de Namur, fut entendu le 31 août 1983 par l’inspecteur de la police judiciaire chargé de l’enquête. Il déclara: "Depuis plusieurs mois, des rumeurs courent parmi les détenus de l’aile C, suivant lesquelles l’ancien surveillant Vidal Frans n’était pas la personne ayant introduit le revolver dont s’est servi Bosch Hernandez. Plus récemment, soit ce 29 août 1983, j’ai reçu dans un local de notre prison le détenu Scohy Alain à qui je devais faire part d’une décision de notre administration. A cette occasion, l’intéressé a souhaité me faire part de confidences qu’il aurait recueillies auprès d’autres détenus de l’aile C. Selon Scohy, l’arme utilisée par Bosch Hernandez aurait été introduite initialement à la prison au profit du détenu Omer Bieseman par une nommée Lhoir, visiteuse du détenu Castris Marcel. Après l’introduction de cette arme par l’intéressée et sa dissimulation dans les toilettes des visiteurs, Bieseman s’est évadé alors que le 10 janvier 1983, il avait été présenté à un examen de santé à la clinique Ste-Camille. Cette arme étant restée à la prison a finalement abouti entre les mains de Bosch Hernandez Juan qui avait projeté de s’évader avec Bieseman, en faisant usage de cette arme. Selon Scohy, l’arme fut dissimulée après son entrée dans nos bâtiments, au fond d’une poubelle que seul Bosch, en tant que servant, avait la possibilité d’utiliser comme cachette pendant au moins trois mois. (...) Je dois vous préciser que Scohy Alain a fait cette déclaration spontanément, mais dans le but de favoriser sa libération conditionnelle. J’ajouterai que Bieseman n’a toujours pas été repris depuis son évasion, le 10 janvier 1983, et que Castris Marcel, surnommé le ‘banquier de l’aile C’, a été libéré provisoirement, en vue d’expulsion, ce 19 août 1983. La visiteuse de ce dernier s’identifierait comme étant: Lhoir Dominique (...), ou sa soeur Lhoir Marie-Eve (...) Toujours selon Scohy, Vidal Frans serait totalement étranger à l’introduction de ces armes. (...)" Les enquêteurs tentèrent d’interroger les personnes ainsi mentionnées. Le 8 septembre 1983, devant le juge d’instruction, M. Bosch Hernandez réaffirma que l’arme lui avait été fournie par le requérant, moyennant le paiement de 100 000 FB. M. Scohy, entendu à la prison le 27 septembre 1983, refusa de s’exprimer, par crainte de frictions avec les autres détenus. Il ajouta qu’il se rendrait de sa propre initiative auprès du juge d’instruction une fois libéré sous condition, et qu’il témoignerait devant la cour d’assises si, à ce moment-là, il se trouvait dans sa famille pour la protéger d’éventuelles représailles de M. Castris. Le 3 octobre 1983, la police ouït Mlle Marie-Eve Lhoir. Celle-ci se défendit d’avoir introduit une arme au profit de M. Castris, ami intime de sa soeur Dominique. Selon ses dires, bien que domiciliés chez elle ils habitaient ailleurs. Convoqués pour le 4 octobre 1983, M. Castris et Mlle Dominique Lhoir signalèrent par téléphone aux enquêteurs, le même jour, que des raisons d’ordre personnel les empêchaient de se présenter dans l’immédiat mais qu’ils acceptaient de comparaître ultérieurement. Ils ne déférèrent pas à trois autres convocations. Le 14 octobre 1983, les enquêteurs indiquèrent au juge d’instruction que les intéressés avaient quitté leur résidence pour une destination inconnue; ils précisèrent que M. Castris, ressortissant étranger mis en liberté provisoire peu auparavant, faisait l’objet d’une mesure d’expulsion. Le 7 octobre 1983, la chambre du conseil de Namur leva le mandat d’arrêt décerné contre le requérant. La chambre des mises en accusation de Liège confirma l’ordonnance le 18 octobre 1983. B. La procédure de jugement Le jugement du tribunal correctionnel de Namur, du 9 août 1984 M. Vidal fut renvoyé en jugement devant le tribunal correctionnel de Namur pour avoir "A) le 6 février 1983, (...) en qualité de complice, (...) procuré des armes qui ont servi au crime ou au délit, sachant qu’elles devaient y servir, ou, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur du crime (...) dans les faits qui l’ont préparé ou facilité ou dans ceux qui l’ont consommé, tenté de commettre une prise d’otage, en arrêtant, détenant ou enlevant Frederick Roger, surveillant à l’administration pénitentiaire, pour (...) préparer ou faciliter [l’]évasion [de Bosch Hernandez], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de leurs auteurs. B) (...) entre le 1er octobre 1982 et le 6 février 1983, étant préposé à la garde d’un condamné du chef de crime, en l’espèce: Bosch Hernandez Juan Carlos, favorisé l’évasion de ce condamné par transmission d’arme, cette évasion ayant été tentée avec violences ou menaces. C) (...) en 1982, antérieurement au 1er novembre, durant une période indéterminée, détenu une arme à feu de défense sans l’avoir fait immatriculer. D) (...) E) (...) en octobre ou novembre 1982, à une date demeurée indéterminée, vendu une arme à feu de défense à une personne qui n’était ni fabricant, ni marchand d’armes, ni munie d’une autorisation de l’acquérir. (...)" Le tribunal l’acquitta le 9 août 1984, par les motifs suivants: "(...) Attendu que ni le dossier ni l’instruction d’audience ne permettent de former, hors de tout doute, une conviction sur la culpabilité du (...) prévenu; que les affirmations, certes formelles, [de Bosch Hernandez], ne peuvent, en fait, être vérifiées par aucun élément objectif certain du dossier; (...)" Par le même jugement, il condamna M. Bosch Hernandez à trois ans d’emprisonnement. A l’audience du 28 juin 1984, il les avait entendus tous les deux; il avait, en outre, recueilli les dépositions de deux gardiens de la prison et de trois officiers de police judiciaire. L’arrêt de la cour d’appel de Liège, du 26 octobre 1984 Sur appel du ministère public et de la partie civile, la cour d’appel de Liège, statuant à l’unanimité, infligea au requérant, le 26 octobre 1984, trois ans d’emprisonnement, avec un sursis de cinq ans pour la fraction de la peine excédant la détention préventive subie. Elle estima en effet: "(...) les accusations du coïnculpé demeurées constantes, lequel n’avait aucun intérêt à (...) accabler [le requérant], jointes aux autres renseignements du dossier relatifs à la situation financière et au comportement de l’inculpé, qui a reconnu avoir emprunté de l’argent à un détenu, constituent un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes, lesquelles établissent la réalité des préventions (...)" D’autre part, elle confirma la peine prononcée contre M. Bosch Hernandez en première instance. Sur pourvoi de M. Vidal, la Cour de cassation censura l’arrêt le 29 mai 1985: la cour d’appel avait siégé sous la présidence d’un magistrat qui, le 26 août 1983, présidait la chambre des mises en accusation lorsqu’elle confirma une ordonnance de la chambre du conseil refusant d’élargir le requérant; eu égard à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, invoqué par le demandeur, pareille circonstance pouvait inspirer à celui-ci "un doute légitime quant à l’aptitude de la cour d’appel (...) à juger la cause de manière impartiale". L’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, du 11 décembre 1985 Ainsi que l’y avait invité M. Vidal, le procureur général près la juridiction de renvoi, la cour d’appel de Bruxelles, adressa au procureur de la République de Créteil (Val-de-Marne), le 26 juillet 1985, une commission rogatoire tendant à l’audition de M. Bieseman, entre-temps arrêté en France et incarcéré à Fresnes. Interrogé par la police judiciaire française le 25 octobre 1985, celui-ci nia avoir prêté 10 000 FB au requérant. Le procès-verbal de ses déclarations fut versé au dossier de ce dernier. Le 11 décembre 1985, la cour d’appel de Bruxelles, statuant à l’unanimité, condamna M. Vidal à quatre ans d’emprisonnement ferme, par les motifs suivants: "(...) Attendu qu’un examen scrupuleux des pièces constituant le dossier de procédure joint à l’instruction faite à l’audience [a] permis à la Cour d’acquérir la conviction que le prévenu s’est rendu coupable des infractions qui lui sont reprochées; Que cette conviction repose sur deux éléments qui se complètent: 1) les déclarations de Bosch Hernandez; 2) la reconnaissance de dette signée par Vidal; 1) Quant aux déclarations de Bosch Hernandez Attendu que nonobstant la méfiance avec laquelle il convient d’accueillir les déclarations d’un personnage tel que Bosch Hernandez, la Cour ne peut que constater que les accusations qu’il a formulées à l’encontre de Vidal l’ont été de manière constante tout au long de l’instruction et que les déclarations qu’il a faites à de nombreuses reprises tant lors de ses interrogatoires par la police judiciaire qu’entre les mains du magistrat instructeur sont précises et cohérentes; Qu’il convient, en outre, de souligner que ne figure au dossier aucun élément accréditant la thèse selon laquelle il existait entre Vidal et Bosch Hernandez un sujet de conflit ou de mésentente susceptible d’expliquer ou de justifier les accusations portées par le second à l’égard du premier; Que Vidal lui-même ne fait valoir à cet égard aucun sujet d’animosité qui l’aurait opposé à son accusateur; Attendu que vainement le prévenu allègue en termes de conclusions que les déclarations de Bosch Hernandez contiendraient de nombreuses invraisemblances ainsi que des discordances; Que la Cour ne peut que constater que sur l’essentiel, à savoir la fourniture par Vidal à Bosch Hernandez de l’arme à feu ayant servi à perpétrer la tentative d’évasion, Bosch Hernandez n’a jamais varié dans ses déclarations; Qu’en un mot comme en cent, celles-ci ne revêtent à aucun moment un caractère d’invraisemblance ou d’incohérence; qu’elles sont tout au contraire hautement crédibles et propres à asseoir la conviction de la Cour; 2) Quant à la reconnaissance de dette signée par Vidal Attendu qu’il est constant qu’un document constituant une reconnaissance de dette d’une somme de 10 000 F., signé par Vidal, a été découvert lors de la fouille pratiquée sur Bosch Hernandez après sa tentative d’évasion avortée; Attendu que la Cour constate qu’existe dès lors, de par l’existence de ce document, un élément matériel qui corrobore les accusations de Bosch Hernandez et démontre qu’existaient entre les deux hommes des relations d’affaires dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles étaient inadmissibles dans le chef de Vidal en raison des fonctions de surveillant de prison qu’il exerçait et que ces relations étaient susceptibles de porter atteinte à son indépendance vis-à-vis des détenus; Attendu que si ce dernier ne peut contester la réalité de la dette qu’il avait contractée, c’est vainement qu’il allègue qu’il avait emprunté cette somme à un autre détenu; Que cette déclaration, d’une part, est formellement contestée tant par Bosch Hernandez que par l’autre détenu, le dénommé Bieseman, et, d’autre part, ne cadre en rien avec le fait que le document litigieux se trouvait entre les mains de Bosch Hernandez; Attendu que l’on n’aperçoit pas la raison pour laquelle la reconnaissance de dette se serait trouvée parmi les documents détenus par Bosch Hernandez si Vidal n’avait pas été son débiteur; Attendu que ces deux éléments objectifs de preuve, qui ne sont nullement incompatibles avec l’ensemble des éléments recueillis par ailleurs quant à la manière dont le prévenu se comportait avec les détenus (emprunts de sommes d’argent auprès de ceux-ci, familiarité anormale, abstentions graves dans la surveillance), suffisent à entraîner la conviction de la Cour; Attendu qu’à tort le premier juge a déclaré non établies les préventions A, B et E; qu’il a omis de statuer quant à la prévention C; Que ces quatre préventions [paragraphe 14 ci-dessus] sont établies; que les infractions qui y sont visées sont la manifestation d’une même intention délictueuse et justifient l’application d’une seule peine, la plus forte de celles applicables; (...) Attendu que les faits dont s’est rendu coupable le prévenu sont d’une extrême gravité; Qu’en favorisant, par transmission d’arme, l’évasion d’un détenu condamné aux travaux forcés à perpétuité, même si ce dernier a échoué en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, le prévenu Vidal a mis en péril la vie de certains de ses collègues préposés, comme lui, à la garde des prisonniers; Que de tels faits ne peuvent être sanctionnés que d’une peine à la mesure de leur gravité et que, partant, l’octroi de toute mesure de sursis est hors de propos; (...)" Dans des conclusions du 19 novembre 1985, l’avocat de la défense avait invité la cour: "(...) A titre principal [A] dire non établies toutes et chacune des préventions mises à charge de l’inculpé Vidal, [à] l’en acquitter et [à] le renvoyer des fins des poursuites. A titre subsidiaire [A] procéder à tout complément d’enquête approprié et, en tout cas, [à] ordonner, à toutes fins, l’audition des témoins Scohy Alain, Bodart Jules, Dauphin Gérard [et] Dausin Pierre, tous détenus à la prison de Namur au moment des faits (...)" Au sujet du premier nommé, la demande se fondait sur les considérations suivantes (pp. 3-4 et 21-23 desdites conclusions): "(...) Exposé succinct et rappel des faits (...) Incident d’instruction (...) Fin août 1983, à la suite de rumeurs qui circulent avec insistance, depuis plusieurs mois, dans l’aile C de la prison de Namur (prison dans laquelle Vidal n’a jamais séjourné depuis son arrestation le 7 février 1983, donc sans contact avec les détenus de cette aile), il s’avérerait, d’après ces rumeurs entre détenus, que Vidal n’était pas la personne ayant introduit le revolver dont ‘s’est servi Bosch Hernandez’ (...) Le 29 août 1983, le détenu Scohy Alain précise ces rumeurs et donne tous les détails relatifs au mode d’introduction de l’arme et les personnes impliquées - directement ou indirectement: Castris, autre servant l’aile C [sic] lors des visites de son amie Dominique Lhoir - dissimulation de l’arme, remise à Bieseman, parvenant finalement à Bosch Hernandez. Bieseman s’est évadé le 10 janvier 1983. Castris libéré conditionnellement est expulsé en octobre 1983. N.B. Aucune enquête approfondie n’a eu lieu concernant ces faits. Scohy n’a même pas été entendu par le magistrat instructeur alors qu’à la [police judiciaire] il s’engageait à témoigner (donc sous serment) à la cour d’assises, au besoin (...) (...) Examen et appréciation critique de l’instruction (...) (...) 1) C’est le directeur adjoint de la prison de Namur, M. Derriks, qui a estimé de son devoir de porter à la connaissance des autorités judiciaires certains faits (qu’il a donc considérés comme suffisamment sérieux), des rumeurs d’assez longue date et des confidences précisées par un détenu Scohy, le tout en rapport direct avec le dossier Vidal/Bosch Hernandez. 2) Des rumeurs (persistantes donc) depuis des mois courent parmi les détenus de l’aile C (l’aile de Bosch, servant, de Bieseman, souvent à la forge, de Castris, autre servant (...)) suivant lesquelles l’ancien surveillant Vidal Frans n’était pas la personne ayant introduit le revolver dont s’est servi Bosch Hernandez (...) Discussion Ce libellé textuel du début de la déclaration du directeur adjoint à lui seul démontre péremptoirement qu’il y a là un indice ‘sérieux’, à vérifier et à contrôler de manière exhaustive et approfondie s’entend, de l’introduction du revolver dans la prison par une tout autre personne que Vidal. Le dicton ‘pas de fumée sans feu’ applicable ici est une expression bien imagée de la sagesse populaire. 3) Confidences du détenu Scohy (le 29.8.83 à M. Derriks) Ces confidences sont assez précises quant aux modalités d’introduction de l’arme: a) par une visiteuse (...) par les toilettes b) Castris, le ‘financier’ expulsé c) Bieseman, évadé le 10 janvier 1983 (...) d) Bosch Hernandez ces deux derniers étant connus comme ayant projeté de s’évader (...) e) l’arme a été dissimulée au fond d’une poubelle. Discussion Ces trois seuls faits relevés ci-dessus mériteraient une enquête approfondie (le troisième fait paraît vraisemblable puisque Bosch Hernandez le précise lui- même). 4) Offre de Scohy de témoigner sous serment - éventuellement en assises, concernant la réalité de la teneur de ses confidences (...) Discussion Même si cette déclaration paraît, quant à lui, favoriser sa demande de libération conditionnelle, rien n’empêche que de telles confidences et une telle offre sous serment puissent, pour le moins, retenir l’attention d’un enquêteur impartial, toujours sur la brèche dans un tel dossier pour connaître l’une des modalités ou possibilités incontestables d’introduction d’une arme dans la prison (par une autre voie que celle d’un gardien ou surveillant de prison) comme le relevait très pertinemment M. Gouverneur, directeur faisant fonction de la prison (...) L’instruction nous paraît manifestement incomplète puisque, avant de la terminer, le magistrat instructeur n’a pas estimé devoir procéder à l’interrogatoire de Scohy, alors que maintes données du dossier conféraient aux confidences de Scohy une vraisemblance certaine - la possibilité d’introduction par une visiteuse, qui n’est pas fouillée et qui peut accéder aux toilettes; une possibilité sans doute de dissimuler l’arme dans cet endroit (exemple par adhésion spéciale, chasse d’eau ou ailleurs); à raison de ses fonctions à la forge, accès de Bieseman dans toute la prison, Castris, servant, Bosch Hernandez, servant, obsédé de liberté, ainsi que son codétenu Bieseman (projets d’évasion). Les grands contacts entre ces prisonniers de l’aile C, de 20 à 30, en contact tous les jours pendant un minimum de deux heures normalement ... de 12 h 30 à 13 h 30 et de 16 h 30 à 17 h 30 et ce depuis plus de dix mois. Attendu que de ce qui précède: rumeurs persistantes et précises depuis des mois (Vidal n’a pas introduit l’arme); confidences d’un détenu de l’aile C (un détenu sans doute parmi d’autres, vu les rumeurs); offre de prêter serment concernant ces confidences assez précises, grande vraisemblance partielle pour le moins de ces confidences, il en résulte qu’un complément d’instruction très fouillé s’imposait aux moments et dans les conditions les plus appropriés; que la défense doit regretter une telle carence du dossier, bien qu’actuellement elle apparaisse surabondante ou superfétatoire en regard des conclusions qui présentement s’imposent, après un examen méthodique de tous les faits soumis et de leur appréciation critique. (...)" La cour d’appel de Bruxelles repoussa implicitement cette offre de preuves, non mentionnée dans sa décision; elle n’ouït aucun témoin avant de se prononcer. Invoquant notamment l’article 6 paras. 1, 2 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-d) de la Convention, le requérant se pourvut en cassation. En un moyen divisé en six branches, il reprochait à la cour d’appel, pour l’essentiel, de n’avoir pas répondu à certaines de ses conclusions, dont sa demande d’audition de témoins, et d’avoir assis sa conviction sur les dires éminemment suspects de M. Bosch Hernandez ainsi que sur une reconnaissance de dette non probante. La Cour de cassation rejeta le recours le 12 février 1986, par les motifs suivants: "(...) Attendu que (...) l’arrêt énonce: ‘qu’un examen scrupuleux des pièces constituant le dossier de procédure joint à l’instruction faite à l’audience [a] permis à la cour [d’appel] d’acquérir la conviction que le [demandeur] s’est rendu coupable des infractions qui lui sont reprochées’ et précise les éléments de fait sur lesquels repose cette conviction; Qu’ainsi le juge ayant donné les raisons de sa conviction, n’était pas tenu d’indiquer les motifs pour lesquels il rejetait la demande d’instruction complémentaire considérée, de manière implicite mais certaine, par sa décision, comme inutile à la manifestation de la vérité; (...) Attendu que (...) le moyen, qui (...) n’indique ni en quoi la cour d’appel n’a pas motivé sa décision ni les défenses ou les demandes que faisait valoir le demandeur en ses conclusions et auxquelles l’arrêt n’aurait pas répondu, est irrecevable à défaut de précision; (...) Attendu que l’arrêt relève que les accusations formulées par le coprévenu Bosch Hernandez à l’encontre de Vidal l’ont été de manière constante tout au long de l’instruction et que les déclarations qu’il a faites à de nombreuses reprises tant lors de ses interrogatoires par la police judiciaire que devant le magistrat instructeur sont précises et cohérentes et considère qu’elles ne revêtent à aucun moment un caractère d’invraisemblance ou d’incohérence, qu’elles sont, tout au contraire, hautement crédibles et propres à asseoir la conviction de la cour d’appel et que les allégations du demandeur relatives au prêt qui lui a été consenti sont formellement contestées tant par Bosch Hernandez que par un autre détenu, le dénommé Bieseman, et, d’autre part, ne cadrent en rien avec le fait que le document litigieux se trouvait entre les mains de Bosch Hernandez; Attendu que, lorsque la loi, comme en l’espèce, n’établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie souverainement en fait, la valeur probante des éléments qui lui sont soumis et que les parties ont pu librement contredire; Que l’arrêt a pu, dès lors, sans violer les dispositions légales indiquées [par le demandeur], retenir les déclarations d’un coprévenu à titre d’élément de preuve contre le demandeur; (...) Attendu que, pour le surplus, le moyen, qui (...) revient à critiquer l’appréciation par les juges d’appel d’éléments de fait, est irrecevable; (...) Attendu [qu’il] n’est pas contradictoire de considérer qu’il convient d’accueillir certaines déclarations avec méfiance et de constater que les accusations que comportent ces déclarations ont été formulées de manière constante tout au long de l’instruction, qu’elles ont été faites à de nombreuses reprises, qu’elles sont précises, qu’elles ne revêtent à aucun moment un caractère d’invraisemblance ou d’incohérence et qu’elles sont, tout au contraire, hautement crédibles et propres à asseoir la conviction des juges; Attendu que (...) par ces considérations, l’arrêt, qui décide que ‘vainement le [demandeur] allègue en termes de conclusions que les déclarations de Bosch Hernandez contiendraient de nombreuses invraisemblances ainsi que des discordances’, répond aux conclusions indiquées dans cette branche du moyen; (...) Attendu que de la seule considération que l’arrêt attaqué n’a pas fondé sa décision sur un élément de fait qu’auraient relevé les décisions des juridictions d’instruction ou de jugement qui l’ont précédé, ne saurait se déduire une violation des dispositions légales indiquées dans le moyen; Qu’en se fondant, pour condamner le demandeur, sur les déclarations d’un coprévenu et sur la circonstance que le demandeur a signé une reconnaissance de dette, l’arrêt attaqué motive régulièrement et justifie légalement sa décision; (...)" II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS Aux termes de l’article 154 du code d’instruction criminelle, "Les contraventions seront prouvées soit par procès- verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui. Nul ne sera admis, à peine de nullité, à faire preuve par témoins outre ou contre le contenu aux procès- verbaux ou rapports des officiers de police ayant reçu de la loi le pouvoir de constater les délits ou les contraventions jusqu’à inscription de faux. Quant aux procès-verbaux et rapports faits par des agents, préposés ou officiers auxquels la loi n’a pas accordé le droit d’en être crus jusqu’à inscription de faux, ils pourront être débattus par des preuves contraires soit écrites, soit testimoniales, si le tribunal juge à propos de les admettre." Ce texte s’applique aussi aux délits correctionnels, en vertu de l’article 189 du même code. "Les procès-verbaux régulièrement dressés font foi des constatations matérielles faites par les verbalisateurs dans les limites de leurs attributions et, notamment, de la réalité des déclarations qu’ils constatent avoir été faites devant eux", mais "cette force probante ne concerne ni la sincérité de la déclaration ni l’exactitude des faits déclarés" (Cour de cassation (Cass.), 22 janvier 1980, De Rijcke, Pasicrisie (Pas.), 1980, I, p. 575). Les articles 154 et 189 précités "ne sont qu’énonciatifs" (Cass., 18 septembre 1950, De Bock et De Broe, Pas., 1951, I, p. 3). "Il[s] n’énumère[nt] pas les moyens de preuve des infractions de façon limitative" et "n’interdi[sen]t pas au juge du fond, lorsque la loi n’établit pas (...) un mode spécial de preuve, de fonder sa conviction sur tous les éléments de la cause régulièrement recueillis et que les parties ont pu contredire" (Cass., 17 août 1978, Segers, Pas., 1978, I, p. 1259; voir aussi Cass., 7 mai 1934, Sevrin c. Thill, Pas., 1934, I, p. 269, ainsi que l’arrêt De Bock et De Broe précité): il peut donc aussi "avoir égard à des éléments de preuve autres que des procès-verbaux, rapports ou témoignages" (arrêt De Bock et De Broe précité). Le juge peut s’appuyer sur des présomptions, c’est-à- dire sur ce que l’article 1349 du code civil définit comme des "conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu", mais, d’après l’article 1353 du même code, il "ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes". De telles présomptions peuvent légalement être retenues comme preuve d’une infraction et "le juge n’a pas à indiquer les raisons pour lesquelles il considère que les présomptions sur lesquelles il fonde sa conviction sont graves, précises et concordantes" (Cass., 25 mars 1981, Gueben c. Godefroid, Pas., 1981, I, p. 805); il apprécie souverainement si les éléments qu’il énumère ont bien ce caractère (Cass., 6 mai 1946, De Broyer, Pas., 1946, I, p. 171). Le juge décide tout aussi discrétionnairement de "la nécessité ou l’opportunité d’une mesure d’instruction ou de devoirs complémentaires" (Cass., 11 mars 1957, Sors et Mniszek, Pas., 1957, I, p. 826; voir aussi Cass., 15 avril 1981, De Buck, Pas., 1981, I, p. 919, et Cass., 6 mars 1973, Neyrinck, Pas., 1973, I, p. 624), notamment quant à l’audition de témoins (Cass., 13 juin 1907, Jolly, Pas., 1907, I, p. 273; voir aussi l’arrêt Neyrinck précité). Il "a le pouvoir d’apprécier souverainement si, eu égard aux éléments de preuve déjà recueillis, des témoins tant à charge qu’à décharge doivent encore être entendus pour former sa conviction" (Cass., 26 novembre 1962, Thomas, Pas., 1963, I, p. 395; voir aussi l’arrêt De Buck précité). "Lorsqu’il rejette une demande à cette fin au motif qu’il considère la mesure sollicitée comme superflue pour asseoir sa conviction, il ne viole pas les droits de la défense" (arrêt Neyrinck précité). Telle est la règle aussi bien en appel qu’en première instance (Cass., 4 mars 1912, Bonus, Pas., 1912, I, p. 141; Cass., 23 décembre 1912, Deckers, Pas., 1913, I, p. 42; Cass., 8 juillet 1940, De Smedt c. Bultinck et consorts, Pas., 1940, I, p. 188). Enfin, à moins que la loi n’impose "un mode spécial de preuve" (arrêts De Rijcke et Segers précités), le juge du fond "apprécie souverainement la valeur probante des éléments de fait de la cause": il s’agit là d’une "règle générale concernant l’administration de la preuve en matière répressive" (arrêt Neyrinck précité). Aux termes de l’article 211 bis du code d’instruction criminelle, la cour d’appel ne peut substituer un arrêt de condamnation à un jugement d’acquittement, ni aggraver les peines prononcées contre l’inculpé, qu’à l’unanimité de ses membres. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Vidal a saisi la Commission le 7 juillet 1986. Il se plaignait d’infractions aux paragraphes 1, 2 et 3 d) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-d) de la Convention: il n’aurait pu obtenir la convocation et l’interrogation de témoins à décharge et aurait été condamné sur la base d’un témoignage suspect. Le 14 mai 1990, la Commission a déclaré ce dernier grief irrecevable; elle a en revanche retenu la requête (no 12351/86) quant au premier. Dans son rapport du 14 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre une, à la violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE A. Introduction M. Stig et Mme Gun Olsson, mari et femme de nationalité suédoise, habitent dans leur pays à Angered, près de Göteborg. Trois enfants sont nés de leur union en juin 1971, décembre 1976 et janvier 1979: Stefan, Helena et Thomas. Relatif pour l'essentiel à Helena et Thomas, le présent litige est une séquelle de l'affaire sur laquelle la Cour a statué par un arrêt du 24 mars 1988 (série A n° 130, "Olsson I"). Elle concernait la période du 16 septembre 1980 - date de la prise en charge des trois enfants par l'assistance publique - au 18 juin 1987 - date de la levée de la mesure pour Helena et Thomas (paragraphe 10 ci-dessous). La question principale consistait à savoir si la décision de prise en charge, ses modalités de mise en oeuvre et les refus de la rapporter avaient violé l'article 8 (art. 8) de la Convention. Dans le contexte actuel, il importe de noter comment la Cour la trancha: d'après elle, "la mise en oeuvre de la décision de prise en charge, mais non cette décision en soi ni son maintien en vigueur, a[vait] enfreint l'article 8 (art. 8)" (Olsson I, p. 38, par. 84). Pour l'arrière-plan du nouveau différend, la Cour renvoie en premier lieu à la partie I d'Olsson I (pp. 9-19, paras. 8-32). B. Procédures relatives aux demandes des requérants en mainlevée de la prise en charge Le Conseil social de district n° 6 de Göteborg ("le Conseil") repoussa, le 1er juin 1982, une première demande des requérants en mainlevée de la prise en charge. Sa décision fut confirmée le 17 novembre par le tribunal administratif départemental (länsrätten), puis le 28 décembre par la cour administrative d'appel (kammarrätten). Les intéressés sollicitèrent en vain l'autorisation de se pourvoir devant la Cour administrative suprême (regeringsrätten). A l'automne 1983, ils introduisirent une deuxième demande que, d'après le Gouvernement, le Conseil rejeta le 6 décembre 1983. Ils semblent n'avoir exercé aucun recours. Une troisième demande, formée apparemment le 16 août 1984, fut écartée par le Conseil le 30 octobre pour Helena et Thomas puis, après de plus amples investigations, le 17 septembre 1985 pour Stefan. Les 3 octobre 1985 et 3 février 1986 respectivement, le tribunal administratif départemental débouta les parents de leur appel après avoir reçu, les 22 et 30 août 1985, des rapports d'expertise des médecins-chefs Per H. Jonsson et George Finney ainsi que du psychologue Göran Löthman et après avoir tenu, le 20 septembre 1985, une audience dans la première affaire. Saisie alors par les requérants, la cour administrative d'appel joignit les deux affaires. Le 12 février 1986, elle résolut de consulter la préfecture (länsstyrelsen) qui déposa son avis le 15 avril. Des débats, fixés d'abord au 21 août 1986, eurent lieu en définitive le 4 février 1987. Après y avoir entendu M. et Mme Olsson, la Cour statua le 16 février 1987: elle prononça la levée de la prise en charge de Stefan, mais non de ses frère et soeur. Sur pourvoi des parents, la Cour administrative suprême ordonna, le 18 juin 1987, la levée de la prise en charge d'Helena et de Thomas, aucune raison d'une gravité suffisante n'en justifiant le maintien. C. Interdiction de retrait et procédures y relatives Décision d'interdire le retrait et refus d'en suspendre la mise en oeuvre Dans son arrêt précité, la Cour administrative suprême souligna que pour décider de pareille levée, en vertu de l'article 5 de la loi de 1980 (arrêt Olsson I précité, pp. 25-26, par. 49), il fallait déterminer si la prise en charge restait nécessaire. Les problèmes liés au départ d'un enfant de son foyer d'accueil, à ses éventuelles répercussions négatives pour lui et son retour chez ses parents par le sang appelaient un examen non pas sous l'angle de l'article 5 mais dans le cadre d'une procédure distincte: une enquête au titre de l'article 28 de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620; paragraphe 57 ci-dessous). Le 23 juin 1987, le Conseil, sur la base dudit article 28, défendit aux requérants de retirer Helena et Thomas de leurs foyers d'accueil respectifs. Il se référait notamment aux rapports des médecins-chefs Jonsson et Finney (paragraphe 10 ci-dessus). Le second relevait que Thomas n'était plus dépressif, mais continuait à présenter des symptômes d'une enfance troublée: il accusait du retard dans son développement et les situations inhabituelles lui inspiraient de l'angoisse. L'interdiction tenait aussi compte de certaines autres circonstances. Depuis longtemps, les enfants ne vivaient pas sous la garde de leurs parents; ils n'avaient que de très rares contacts avec eux et avaient fini par s'attacher à leurs familles d'accueil et à leurs environnements respectifs. En outre, Thomas donnait des signes d'une plus grande stabilité, Helena avait exprimé le voeu de ne pas être transférée et le retour de Stefan avait placé M. et Mme Olsson devant des contraintes accrues. Il y avait donc un risque, non négligeable, de voir la santé physique et mentale d'Helena et Thomas se détériorer si on les arrachait à leurs foyers d'accueil. Le 25 juin 1987, le tribunal administratif départemental rejeta une demande des requérants en suspension (inhibition) de cette mesure. La cour administrative d'appel confirma le jugement le 2 juillet 1987; le 17 août, la Cour administrative suprême refusa aux parents l'autorisation de la saisir. Première série de procédures dirigées contre l'interdiction de retrait Dans l'intervalle, M. et Mme Olsson avaient attaqué l'interdiction de retrait, peu après son prononcé, devant le tribunal administratif départemental qui consulta les médecins-chefs Jonsson et Finney. Dans leurs rapports, datés des 14 juillet et 3 septembre 1987, ils formulèrent l'opinion que la mesure incriminée correspondait à l'intérêt d'Helena et Thomas, pour les raisons suivantes: a) Helena avait témoigné de l'anxiété à l'idée d'être forcée de réintégrer le domicile de ses parents biologiques. Ainsi, après avoir su la levée de la prise en charge, elle s'était cachée pendant deux jours; en outre, elle avait échafaudé avec Thomas des plans d'évasion pour l'éventualité d'un renvoi. Tandis qu'elle se sentait en sécurité auprès de ses parents nourriciers et de ses amis, elle se montrait extrêmement incertaine, critique et hésitante au sujet de ses parents par le sang. Sans doute avaient-ils réclamé son retour, mais selon elle ils n'avaient pas manifesté la volonté de bâtir une relation avec elle, ce qui la perturbait. La soustraire à son foyer d'accueil contre son gré risquait fort de nuire à son moral, ainsi qu'à sa santé physique si, de désespoir, elle réalisait son projet de s'enfuir de chez les requérants. b) Thomas avait connu des troubles infantiles; il s'agissait d'un enfant retardé. C'est surtout sur le plan émotionnel qu'il souffrait d'un handicap; très dépendant de sa mère nourricière, il traversait une phase délicate de son évolution. Un retrait aurait des effets désastreux sur son développement mental, aussi bien du point de vue affectif que sur le plan intellectuel. De son côté, le psychologue Löthman déclara, dans un avis soumis au tribunal le 3 septembre 1987, que Thomas avait intérêt à rester dans son foyer d'accueil. Il s'y était développé de manière favorable, bien que demeurant psychologiquement vulnérable et conservant de grands besoins affectifs. Il éprouvait à l'évidence pour sa famille d'accueil un attachement authentique et profond; il avait exclu l'idée, qui lui inspirait de la crainte et de l'anxiété, de rejoindre ses parents par le sang. Il comptait s'échapper si on lui imposait une telle mesure. Tant le Conseil que le curateur ad litem, M. Åberg, conclurent au rejet du recours. Les requérants ne réclamèrent pas de débats; le 3 novembre 1987, le tribunal les débouta sans en avoir tenu. Les requérants attaquèrent le jugement devant la cour administrative d'appel, l'invitant à lever l'interdiction de retrait ou, en ordre subsidiaire, à décider qu'elle ne vaudrait pas au-delà du 6 janvier 1988 au plus tard. Là encore, ils ne sollicitèrent pas d'audience. Statuant le 30 décembre 1987 sur la base du dossier, la cour écarta l'appel ainsi que l'y avaient engagée le Conseil et le curateur ad litem. M. et Mme Olsson s'adressèrent alors à la Cour administrative suprême, réitérant leur demande de mainlevée ou, à défaut, de fixation d'une date limite, à savoir le 15 mars 1988. Ils réclamèrent cette fois une audience. La haute juridiction leur accorda, le 4 février 1988, l'autorisation de la saisir. Le même jour, elle pria la direction nationale de la Santé et de la Protection sociale (socialstyrelsen, "la Direction") et le Conseil de présenter leurs observations sur le litige, ce qu'ils firent les 22 et 23 mars 1988 respectivement. Les deux organes insistèrent sur la nécessité d'interdire le retrait des enfants. Le Conseil exprima l'intention d'essayer d'obtenir le transfert de la garde aux parents nourriciers en cas de rejet du recours. Pour sa part, la Direction souligna que vu la longue durée du placement des enfants dans des foyers nourriciers et leur peu de rapports avec les requérants, il fallait organiser de nouveaux contacts dans des conditions propres à leur épargner toute angoisse et à prendre en compte leur attachement à leurs foyers d'accueil et leur sentiment de sécurité au sein de ceux- ci. Se référant à l'opinion précitée des psychiatres pour enfants et du psychologue, elle formula en substance les mêmes commentaires que ceux résumés plus haut (paragraphes 12 et 14). A propos de Thomas, elle ajouta qu'un enfant de son caractère aurait besoin de temps pour développer sa confiance dans les adultes, mais que sa mère nourricière avait réussi à le doter d'un environnement sécurisant. Quant à Helena, elle avait atteint une phase de puberté et d'émancipation dont le déroulement normal pourrait se trouver perturbé si on la forçait à quitter son foyer d'accueil. En outre, la relation entre parents par le sang et enfants revêtait une importance cruciale pour la question du retrait lorsque, comme en l'occurrence, ces derniers séjournaient depuis longtemps dans des foyers d'accueil. L'établissement de bons rapports exigeait une collaboration entre les parents biologiques d'un côté, les services sociaux et les parents nourriciers de l'autre. Or il ressortait du dossier que, malheureusement pour les enfants, le conseil des requérants n'avait pas favorisé une telle coopération. Entre les enfants et leurs parents n'avaient donc pu se nouer des liens qui eussent permis aux premiers de retourner vivre chez les seconds sans grand risque. La Direction préconisait l'examen, par le Conseil, de la possibilité d'un transfert de la garde aux parents nourriciers. La Cour administrative suprême refusa de tenir audience comme le souhaitaient les requérants. Statuant sur le fond le 30 mai 1988, elle rejeta leur demande en mainlevée de l'interdiction de retrait mais consentit à limiter au 30 juin 1989 la durée de validité de la mesure, réformant sur ce point la décision querellée. Son arrêt comportait les motifs suivants: "Pour appliquer l'article 28 (...) en l'espèce, il échet de peser, d'une part, le respect de la vie privée et familiale des époux Olsson et de leurs enfants, et notamment des droits parentaux des premiers tels que les définit le code parental, et, d'autre part, la nécessité de préserver la santé des seconds (voir le chapitre I, article 2, troisième paragraphe, de l''instrument de gouvernement' [regeringsformen] ainsi que les articles 1 et 12 de la loi sur les services sociaux; ces textes permettent d'assurer la protection de la vie privée et familiale, au sens de l'article 8 (art. 8) de la Convention (...)) (...) (...) En cas de levée de la prise en charge en vertu de l'article 5 de la loi de 1980, le regroupement doit normalement se produire dès que possible; (...) il faut le préparer activement et avec diligence. Il échet d'arrêter les dispositions adéquates aussitôt après la fin de la prise en charge, même si une interdiction a été prononcée au titre de l'article 28 (...). Leur nature et leur ampleur, ainsi que le délai requis, dépendent des circonstances de la cause; au moins une visite des enfants au domicile de leurs parents, apprêtée avec soin et couronnée de succès, doit avoir eu lieu. La nécessité d'une interdiction de retrait de nature plus permanente ne peut normalement s'apprécier qu'après la mise en oeuvre de mesures préparatoires appropriées, destinées à réunir enfants et parents une fois la prise en charge terminée. Leur choix relève du Conseil. Il incombe notamment à celui-ci de s'efforcer avec constance d'obtenir le concours actif des parents et de leur avocat, dans l'intérêt des enfants. Le fait qu'ils marquent leur désaccord avec les mesures adoptées par le Conseil ou par ses agents, soit en les attaquant soit d'une autre manière, ne suffit pas à le dégager de sa responsabilité. D'après l'article 68 de la loi sur les services sociaux, la préfecture doit l'assister par ses recommandations et veiller à ce qu'il s'acquitte correctement de ses tâches. Dans l'attente du début et de l'achèvement des préparatifs appropriés en vue du regroupement des parents et de leurs enfants, la question d'une interdiction de retrait moins durable, fondée sur l'article 28 (...), peut également surgir. Il faut considérer pareille interdiction comme une mesure transitoire, valable tant que l'enfant ne peut être arraché à son foyer d'accueil sans courir les risques énoncés audit article. (...) L'absence de tout préparatif [de ce type] ressort de l'examen du dossier. Le temps écoulé depuis que la Cour administrative suprême a levé la prise en charge semble avoir servi plutôt à des actions en justice. Pour étudier la nécessité d'une interdiction de retrait au titre de l'article 28 (...), on ne saurait donc ici tenir compte des effets de tels préparatifs. Dès lors, la décision de la Cour administrative suprême doit porter sur le genre d'interdictions provisoires de retrait qui, conformément à ce qui précède, peuvent être imposées dans l'attente de préparatifs plus appropriés. Les éléments recueillis - surtout l'avis de la Direction et les attestations médicales qu'il cite - révèlent nettement la présence actuelle - nulle mesure préparatoire n'ayant encore été mise en oeuvre - d'un risque non négligeable pour la santé physique et mentale d'Helena et de Thomas si on les sépare de leurs foyers d'accueil. Partant, il existe assez de raisons pour justifier une interdiction de retrait en vertu de l'article 28 (...) Au sujet de la durée de l'interdiction, la Cour administrative suprême a, dans un arrêt antérieur (Regeringsrättens Årsbok, RÅ 1984 2:78), déclaré notamment ce qui suit: si, dès le prononcé de l'interdiction, on peut estimer avec suffisamment de certitude que le risque aura disparu après un laps de temps déterminé - pendant lequel des mesures auront été prises ou auront pu produire leurs effets - l'interdiction ne peut valoir au-delà. Elle doit, au contraire, rester en vigueur jusqu'à nouvel ordre si l'on ignore quand l'enfant pourra retourner chez ses parents sans courir un risque non négligeable; en pareil cas la question du retrait doit être réexaminée plus tard, quand l'on pourra mieux apprécier le danger de nuire à la santé de l'enfant. En l'espèce, l'application de cette règle conduirait à interdire le retrait jusqu'à nouvel ordre. Toutefois, les circonstances de la cause diffèrent de celles de la précédente, car aucune mesure adéquate de préparation au regroupement n'a été prise, en raison du grave conflit opposant le Conseil aux parents et à leur représentante. De plus, il faut présumer en l'occurrence que seule la fixation d'un délai pourrait amener les parties, sans nouvelle action en justice, à coopérer à l'adoption de mesures préparatoires appropriées, dans l'intérêt des enfants. Si, à l'expiration d'un certain délai, de tels préparatifs n'ont pas eu lieu ou ont abouti à des résultats inacceptables, le Conseil pourra soulever la question d'une interdiction prolongée, fondée sur la situation régnant à ce moment-là. Dès lors, la Cour administrative suprême estime que la mesure d'interdiction de retrait doit rester en vigueur jusqu'au 30 juin 1989. Dans son arrêt du 24 mars 1988, la Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé que la Suède avait, sur un point, enfreint l'article 8 (art. 8) de la Convention. La violation concernait la mise en oeuvre de la décision de prise en charge, et notamment le fait que les enfants avaient été placés dans des foyers d'accueil trop éloignés de leurs parents. Ici se trouve en jeu une autre question; elle consiste à savoir quand et à quelles conditions les enfants pourront être réunis à leurs parents, eu égard à la mainlevée de la prise en charge, prononcée par notre Cour le 18 juin 1987. Une interdiction de retrait (...) ne se heurte donc pas à l'arrêt du 24 mars 1988." Demande de retrait des enfants, fondée sur le chapitre 21 du code parental Le 10 août 1987, M. et Mme Olsson avaient réclamé le retour d'Helena et de Thomas, en vertu de l'article 7 du chapitre 21 du code parental (föräldrabalken; paragraphe 71 ci- dessous). Après avoir tenu audience le 1er mars 1988, le tribunal administratif départemental de Gävleborg les avait déboutés par deux jugements du 15, concluant à l'existence d'un risque non négligeable de nuire à la santé mentale des enfants si on les séparait de leurs foyers d'accueil. La cour administrative d'appel rejeta le recours des requérants le 11 juillet 1988, après quoi la Cour administrative suprême leur refusa, le 23 septembre, l'autorisation de se pourvoir devant elle. Désignations d'un curateur ad litem Dans le cadre de la procédure relative à l'interdiction de retrait, le tribunal de première instance (tingsrätten) de Göteborg avait désigné, le 17 juillet 1987, M. Claes Åberg comme curateur ad litem d'Helena et de Thomas, à la demande du Conseil et sur la base de l'article 2 du chapitre 18 du code parental. Il n'avait pas entendu les requérants et sa décision ne leur fut pas notifiée; leur représentante n'en prit connaissance que le 4 août, après l'échéance du délai d'appel. M. et Mme Olsson invitèrent le même tribunal à révoquer le curateur ad litem. Il le fit le 26 octobre au motif que M. Åberg avait accompli sa mission en sollicitant auprès du tribunal administratif départemental, le 31 juillet, l'octroi de l'assistance judiciaire aux enfants. Le 27 octobre 1987, le Conseil pria derechef le tribunal de première instance de nommer M. Åberg curateur ad litem. A cette occasion, le tribunal consulta les requérants avant de statuer. Il accueillit la demande le 12 février 1988. M. et Mme Olsson s'en plaignirent à la cour d'appel (hovrätten) de Suède occidentale, qui les débouta le 23 août 1988. Le 8 novembre, la Cour suprême (högsta domstolen) leur refusa l'autorisation de la saisir. Deuxième série de procédures dirigées contre l'interdiction de retrait Le 28 septembre 1988, les intéressés réclamèrent une deuxième fois la mainlevée de l'interdiction de retrait. Ils invoquaient, à titre d'élément nouveau, l'avis de la Commission en l'affaire Eriksson c. Suède (annexé à l'arrêt de la Cour du 22 juin 1989, série A n° 156, pp. 38-55). Le Conseil rejeta leur requête. Ils attaquèrent cette décision devant le tribunal administratif départemental, lequel les débouta le 12 décembre 1988. S'appuyant sur le raisonnement de l'arrêt de la Cour administrative suprême du 30 mai 1988 (paragraphe 17 ci-dessus), il releva l'absence de toute mesure appropriée de préparation au regroupement. Il estima que les enfants risquaient toujours de subir un préjudice si l'on rapportait l'interdiction de retrait. La cour administrative d'appel rejeta le recours des requérants le 22 décembre 1988. Elle nota que M. Olsson avait rencontré les enfants les 11 et 12 octobre 1988, dans leurs foyers d'accueil et leurs écoles respectifs, et qu'en compagnie de leurs parents nourriciers ils avaient rendu visite aux requérants les 16 et 17 décembre. Elle se prononça néanmoins en faveur du maintien de l'interdiction, se ralliant aux motifs du jugement de première instance. Le 14 février 1989, la Cour administrative suprême refusa aux requérants l'autorisation de se pourvoir devant elle. Prorogation de l'interdiction de retrait et procédure y relative Le 27 juin 1989, quelques jours avant l'expiration de l'interdiction de retrait, le Conseil décida de la proroger jusqu'à nouvel ordre. Il repoussa en outre une demande des requérants tendant à ce que leurs enfants pussent passer leurs vacances d'été avec eux à Alingsås et venir les voir à la fin de chaque semaine sans leurs parents nourriciers (paragraphe 50 ci-dessous). Sur leur recours, le tribunal administratif départemental confirma l'interdiction de retrait le 4 septembre 1989, mais décida qu'elle arriverait à échéance le 31 mars 1990. Se fondant là aussi sur le raisonnement développé par la Cour administrative suprême dans son arrêt du 30 mai 1988, il constata en outre que peu de mesures avaient été adoptées en vue du retrait. Il jugea fort regrettable que deux ans après la décision de mettre fin à la prise en charge, les conditions de son exécution ne se trouvassent toujours pas remplies. D'après lui, il restait des raisons de maintenir l'interdiction; dès lors, les autorités judiciaires et administratives suédoises avaient manqué à leur devoir en la matière. Sans doute les requérants et leur représentante n'avaient-ils pas déployé assez d'efforts pour faciliter le regroupement de la famille, mais l'essentiel de la responsabilité pesait à cet égard sur le Conseil qui, le tribunal le souligna, avait aussi l'obligation d'exécuter les décisions de justice. Tant les requérants que le Conseil saisirent la cour administrative d'appel, les premiers pour obtenir d'elle la mainlevée de l'interdiction, le second pour faire proroger cette dernière jusqu'à nouvel ordre. Le 23 janvier 1990, elle confirma le jugement attaqué mais reporta la date limite au 1er août 1990. Le 8 mars 1990, la Cour administrative suprême refusa aux requérants l'autorisation de se pourvoir devant elle. Nouvelle prorogation de l'interdiction de retrait et procédure y relative Le 12 juillet 1990, le Conseil invita le tribunal administratif départemental à prononcer derechef une interdiction de retrait, valable jusqu'à nouvel ordre. Le 27 juillet, le tribunal renvoya au 28 février 1991 l'expiration de l'interdiction en vigueur. Il releva l'absence de toute mesure préparatoire de nature à favoriser le regroupement de la famille; or de telles mesures s'imposaient vu l'atmosphère d'hostilité, nuisible à Helena et Thomas, qui régnait entre les parties en cause. Le maintien de l'interdiction se justifiait donc pleinement. Sa nécessité ressortait aussi du fait que la question d'un transfert de la garde aux parents nourriciers devait se discuter devant le tribunal de première instance à l'automne (paragraphes 53-54 ci-dessous). Les requérants attaquèrent ce jugement devant la cour administrative d'appel. Ils paraissent avoir demandé à celle-ci de suspendre la procédure en attendant l'issue de celle relative au transfert de la garde. D. Contacts des requérants avec leurs enfants après l'entrée en vigueur de l'interdiction de retrait Avant la fin de leur prise en charge le 18 juin 1987, Helena et Thomas n'avaient eu guère de contacts avec leurs parents par le sang. Depuis février 1983, ceux-ci n'avaient le droit de les rencontrer qu'une fois par trimestre dans les foyers d'accueil. Toutefois, ils n'en usèrent pas de juin 1984 à avril 1987, date à laquelle M. Olsson, accompagné de son fils aîné Stefan, rendit visite à ses deux autres enfants (pour plus de précisions, voir l'arrêt Olsson I précité, pp. 15-16, paras. 21 et 24-26). Aucune décision officielle sur les possibilités de contacts ne semble avoir été adoptée en rapport avec celle du 23 juin 1987 interdisant aux requérants de retirer Helena et Thomas de leurs foyers d'accueil. Détails concernant les contacts des requérants avec Helena et Thomas Depuis le 23 juin 1987, les requérants ont eu avec Helena et Thomas les rencontres suivantes: a) le 22 juillet 1988: rencontre de quelques heures dans un parc de Göteborg, chaque enfant étant escorté de l'un de ses parents nourriciers; b) les 11 et 12 octobre 1988: visites de M. Olsson aux foyers d'accueil; c) les 16 et 17 décembre 1988: visites des enfants, avec leurs mères nourricières, au domicile des requérants; nuit passée à l'hôtel; d) les 8 et 9 avril 1989: visites des requérants aux foyers d'accueil; e) les 16 et 17 juin 1989: visites des enfants, accompagnés de leurs mères nourricières, au domicile des requérants; nuit passée à l'hôtel. Demandes et procédures relatives au droit de visite Peu après l'interdiction de retrait prononcée le 23 juin 1987, les requérants, par l'intermédiaire de leur conseil, avaient invité les services sociaux à faire en sorte qu'Helena et Thomas vinssent les voir chez eux à Göteborg. Par une lettre du 27 octobre 1987, l'agent desdits services les informa qu'il leur faudrait commencer par se rendre auprès des enfants afin de les mieux connaître et de préparer leur voyage à Göteborg, en compagnie des parents nourriciers. Sauf à se concerter au préalable avec ces derniers, il leur appartenait de fixer les modalités de leurs visites aux foyers d'accueil. La lettre mentionnait enfin la possibilité d'un remboursement de leurs frais de déplacement et de séjour. Durant l'automne 1987, la question des contacts fit l'objet d'une correspondance entre le conseil des requérants et les services sociaux, principalement le directeur régional. Les requérants insistaient pour recevoir leurs enfants à leur domicile sans les parents nourriciers. Le directeur régional, lui, se référant aux motifs de l'interdiction de retrait, soutenait que Mme Olsson n'ayant pas rencontré les enfants depuis 1984, elle et son mari devraient d'abord les rejoindre dans leurs foyers d'accueil respectifs; en outre, l'un au moins des parents nourriciers devrait assister à toute visite des enfants chez les requérants. Le 18 décembre 1987, la présidente du Conseil n'accepta pas de permettre à M. et Mme Olsson d'aller voir leurs enfants hors la présence des parents nourriciers; elle n'aperçut aucune raison d'amender la décision du directeur régional. Informé de son refus le 21 décembre, le Conseil en prit acte mais n'adopta aucune disposition particulière. Les requérants saisirent le tribunal administratif départemental; ils sollicitèrent l'octroi du droit de visite souhaité par eux. Il les débouta le 8 mars 1988, au motif que l'article 73 de la loi sur les services sociaux (paragraphe 60 ci-dessous) n'ouvrait aucun recours contre les dispositions arrêtées par le Conseil quant aux modalités, à la date et au lieu des visites. La cour administrative d'appel confirma ce jugement le 29 avril 1988: d'après elle, la décision de la présidente ne relevait pas de l'article 28 de la même loi et n'entrait dans aucune autre catégorie des mesures que l'on pouvait contester en vertu de l'article 73. Les requérants s'adressèrent alors à la Cour administrative suprême, alléguant que ladite décision, du 18 décembre 1987, était illégale et que l'impossibilité de l'attaquer violait l'article 13 (art. 13) de la Convention. La haute juridiction leur accorda l'autorisation de la saisir, puis rejeta le pourvoi par un arrêt (beslut) du 18 juillet 1988 où figurait le passage suivant: "Aux termes de l'article 16 de la [loi de 1980] (...), le Conseil peut restreindre le droit de visite à l'égard des enfants pris en charge par l'autorité au titre de cette loi. La législation pertinente ne l'investit d'aucun pouvoir similaire lorsqu'une interdiction de retrait se trouve en vigueur. Faute d'une disposition légale l'habilitant à limiter le droit de visite [en pareil cas], les instructions données par son président en vue de telles limitations restent sans effet juridique. Quant à un droit de recours, on ne saurait le tirer ni des principes généraux du droit administratif ni de la Convention européenne des Droits de l'Homme." Le 15 août 1988, les requérants introduisirent devant la cour administrative d'appel un recours municipal (kommunalbesvär; paragraphe 63 ci-dessous) contre la décision litigieuse du 18 décembre 1987. La cour estima que celle-ci ne se prêtait pas à un tel recours, lequel était en outre tardif dans la mesure où on pouvait le considérer comme dirigé contre l'absence de toute disposition adoptée par le Conseil une fois informé de ladite décision (paragraphe 31 ci-dessus). Elle débouta donc les intéressés le 10 octobre 1988. Dans l'intervalle, les 21 mars et 11 avril 1988, les services sociaux avaient repoussé des demandes du conseil des requérants tendant à voir permettre à Helena et Thomas d'assister à l'enterrement de leur grand-mère, ainsi qu'à une cérémonie funéraire spéciale, et de passer à cette occasion une nuit chez leurs parents. Ils avaient notamment souligné que les enfants connaissaient à peine leur grand-mère et que les contacts devaient se situer dans un environnement où ils pourraient se sentir en sécurité et en confiance. En juin et juillet 1988, l'agent des services sociaux entra en rapport avec les requérants et arrangea entre M. Olsson et les parents nourriciers des discussions destinées à organiser la rencontre du 22 juillet 1988 à Göteborg (paragraphe 29 ci-dessus). Mme Olsson n'y participa point car elle insistait pour des contacts conformes à sa propre volonté. Toutefois, sur la suggestion de l'agent des services sociaux, la mère nourricière d'Helena fut invitée au domicile des requérants après une réunion préparatoire. Un jour, ledit agent pria M. Olsson de lui indiquer leur numéro de téléphone afin de faciliter les contacts, mais il essuya un refus. Après la rencontre du 22 juillet 1988, M. Olsson témoigna de sa déception aux services sociaux: il avait eu l'impression d'être observé et surveillé et Helena avait appelé sa mère nourricière "maman". Le 8 août 1988, les services sociaux rejetèrent une demande présentée le 2 par les requérants et tendant à ce qu'Helena et Thomas fussent autorisés à les rejoindre, le 5 ou au plus tard le 8, pour le reste des vacances d'été; ils invoquèrent la nécessité d'aménager les rencontres de façon à ne pas nuire à la santé et au développement des enfants. Le 11 août 1988, le conseil des requérants réclama pour Helena et Thomas la permission de passer auprès de leurs parents tous les week-ends et jours de congés scolaires jusqu'au 30 juin 1989. Lors d'une rencontre avec deux travailleurs sociaux le 17 août 1988, M. Olsson montra de la compréhension pour l'opinion jugeant non indiquées de telles visites; il déclara qu'il préconiserait la souplesse dans les efforts déployés pour aboutir à des contacts adéquats. Suivant sa suggestion, les rencontres ultérieures furent programmées pour se dérouler en octobre dans les foyers d'accueil. Le 18 août, le Conseil repoussa la demande du 11 août. Le conseil des requérants la renouvela le lendemain pour les visites en fin de semaine. En réponse, l'agent des services sociaux l'informa de la discussion du 17 août avec M. Olsson (paragraphe 38 ci-dessus). Quelques jours après, celui-ci exprima son mécontentement à des travailleurs sociaux, leur reprochant de chercher à retarder les contacts au maximum. Ils lui rappelèrent qu'il avait lui-même proposé le mois d'octobre pour la prochaine réunion avec ses enfants. Les rencontres eurent lieu les 11 et 12 octobre (paragraphe 29 ci-dessus). A cette occasion, les services sociaux réservèrent et payèrent des billets d'avion et des chambres d'hôtel pour deux personnes, mais Mme Olsson ne voulut pas se déplacer. Programmation des visites Le 7 décembre 1988, le directeur régional saisit le Conseil d'un projet de programme de rencontres. Il s'y référait notamment à deux avis d'experts, datés des 10 et 12 octobre 1988. L'un d'entre eux émanait du médecin-chef Jonsson, l'autre du médecin-chef Finney et du psychologue Löthman; ils traitaient précisément des visites. Le premier relevait, quant à Helena, qu'il importait de mettre l'accent sur ses propres voeux, de lui donner de meilleures occasions de connaître ses parents par le sang et d'organiser les visites de manière à en faire des événements banals; il fallait qu'elle rencontrât les requérants en compagnie de ses parents nourriciers. Le second soulignait, à propos de Thomas, que les visites devaient reprendre seulement s'il le souhaitait - moyennant certaines mesures préparatoires destinées à le motiver - et en présence des parents nourriciers. Parents biologiques et parents nourriciers devaient à tout prix coopérer dans l'intérêt des enfants. Le programme de visites se présentait ainsi: a) les 16 et 17 décembre 1988: visite des enfants, avec leurs mères nourricières, au domicile des requérants; en cas de succès: b) visite des requérants aux foyers d'accueil pour deux jours en février 1989; en cas de succès: c) visite des requérants à Thomas dans son foyer d'accueil et à Helena, si elle le désirait, en avril 1989; en cas de succès: d) visite analogue à celle mentionnée au point a. ci-dessus, à organiser pour quelques jours de juin 1989, avec possibilité de laisser les enfants choisir de passer la nuit chez les requérants plutôt qu'à l'hôtel, mais en compagnie de leurs mères nourricières; e) en outre, les requérants devaient pouvoir arranger des visites en accord avec les parents nourriciers. M. et Mme Olsson rencontrèrent Helena et Thomas selon les modalités indiquées sous a. Le 20 décembre 1988, le Conseil approuva le programme. Il le communiqua aux requérants et à leur conseil pour observations, mais ils le contestèrent. Nouvelles demandes relatives au droit de visite En 1989 et 1990 M. et Mme Olsson, par l'intermédiaire de leur conseil, continuèrent à introduire nombre de demandes en la matière; en particulier, ils exigeaient la venue de leurs enfants à leur domicile et sans les parents nourriciers. Les services sociaux écartèrent plusieurs de ces demandes au motif, par exemple, que les enfants ne voulaient pas se rendre auprès de leurs parents et préféraient l'inverse (lettres des 27 septembre 1989 et 7 février 1990), ou que les requérants n'avaient pas annoncé assez tôt leur projet de visite (lettres des 28 mars et 13 septembre 1989), ou encore que M. Olsson avait déclaré vouloir donner aux enfants un certain délai de réflexion pendant lequel il ne revendiquerait pas son droit de visite (lettre du 11 octobre 1989). Les services sociaux rejetèrent de même, les 21 avril et 26 mai 1989, des requêtes tendant à ce qu'Helena et Thomas assistassent à la célébration de l'anniversaire de leur grand- père puis de leur frère Stefan. Dans le premier cas, ils tinrent compte du souhait contraire d'Helena; dans le second, de la circonstance que la date coïncidait avec le dernier jour de l'année scolaire. En outre, le 21 mars 1989, le Conseil refusa aux requérants le droit de rencontrer leurs enfants aux fins d'un examen médical, réclamé par eux pour se procurer un certificat qu'ils entendaient employer devant la Commission. La décision se fondait sur un avis de la Direction selon lequel un nouvel examen des enfants pouvait se révéler préjudiciable pour eux et n'offrirait aucune utilité dans la procédure en cause. Dans un rapport du 30 mai 1989 aux services sociaux, le médecin-chef Finney préconisa la poursuite de certains contacts entre les requérants et Thomas, dans le foyer d'accueil et non chez eux. Le psychologue Löthman exprima une opinion analogue dans un rapport du même jour. D'après un rapport du 13 juin, fourni aux services sociaux par le médecin-chef Jonsson, Helena regardait un voyage jusqu'au domicile de ses parents comme une expérience éprouvante et préférait recevoir leur visite. Selon le spécialiste, le rôle des contacts consistait à répondre au besoin de la fillette de rester informée au sujet de ses parents. Dans un rapport du 15 juin 1989, le directeur régional se prononça ainsi sur la question des contacts. Comme des visites chez les requérants méconnaîtraient le sentiment des experts mais aussi les voeux des enfants, les rencontres devaient pour l'essentiel se dérouler dans les foyers d'accueil. Si toutefois l'idée de se rendre auprès de leurs parents intéressait Helena et Thomas, les services sociaux prêteraient la main à de tels contacts. A la lumière de ces considérations, le directeur régional adopta un programme projetant des visites des parents aux enfants en août et octobre 1989, puis des seconds aux premiers en décembre 1989. Invités à prendre contact avec les services sociaux à ce propos, les requérants s'en abstinrent. M. Olsson attribua plus tard son attitude à la circonstance que le fonctionnaire chargé de leur dossier ne l'avait pas bien accueilli en une occasion antérieure. Par une lettre du 16 novembre 1989, les requérants réclamèrent derechef pour leurs enfants l'autorisation de passer chez eux tous les week-ends. Ils sollicitèrent aussi une double permission: pour eux-mêmes et leur fils Stefan, celle de leur rendre visite dans l'un des foyers d'accueil, mais en l'absence des parents nourriciers; pour leur conseil, celle de rencontrer Helena et Thomas afin de les informer de la situation des requérants et de Stefan, ainsi que de leur expliquer pourquoi on les avait confiés à l'assistance publique et pourquoi leurs parents ne souhaitaient pas les rencontrer dans leurs foyers d'accueil en présence de leurs parents nourriciers. Le chef du service social (socialförvaltningen) de Göteborg leur répondit, le 20 novembre 1989, que l'assistante sociale rechercherait dès que possible avec eux une formule appropriée pour leur prochaine rencontre avec les enfants. Le 21 novembre 1989, les services sociaux reçurent du conseil des requérants une lettre réitérant les demandes du 16. Une nouvelle missive leur parvint le 22 décembre; elle revendiquait le droit, pour les intéressés, d'aller voir les enfants dans un des foyers d'accueil en l'absence des parents nourriciers. Les services sociaux répondirent au conseil, le 27 décembre, qu'ils en discuteraient directement avec ces derniers. Le 21 décembre 1989, M. et Mme Olsson avaient porté plainte, auprès du parquet (åklagarmyndigheten) de Göteborg, contre l'assistante sociale chargée de leur dossier, réclamant son arrestation immédiate pour abus de pouvoir; ils lui reprochaient de ne pas avoir déféré à leur requête du 16 novembre 1989. Le parquet classa l'affaire sans suite le 30 janvier 1990; d'après lui, rien n'indiquait qu'une infraction eût été commise. Par une lettre du 25 janvier 1990, les services sociaux convièrent les requérants à des pourparlers destinés à trouver une solution au problème des visites, mais en retour le conseil des intéressés les informa, le 1er février, que pareils entretiens seraient vains. Ledit conseil leur ayant écrit, les 13 février et 2 mars 1990, en réitérant pour l'essentiel les demandes de novembre et décembre 1989, les services sociaux répondirent, le 8 mars, qu'ils ne s'opposaient pas à des rencontres; ils engageaient M. et Mme Olsson à prendre langue avec les parents nourriciers - faute de quoi ces derniers se mettraient en contact avec eux - afin de conclure des arrangements. Le 14 mai 1990, la représentante des requérants revendiqua pour eux l'autorisation de rencontrer leurs enfants à l'aéroport de Göteborg à diverses dates; le 5 juin, elle la réclama pour chaque week-end. Dans l'intervalle, le 17 mai, les services sociaux leur avaient fait savoir que la mère nourricière de Thomas leur écrirait; ils les avaient priés d'entrer en rapport par téléphone avec les parents nourriciers, puisque leur propre numéro demeurait secret. Le 6 juin, ladite représentante invita le Conseil à octroyer à ses clients, aussitôt après le 1er juillet (date d'entrée en vigueur de la loi de 1990; paragraphes 64 et 67 ci-dessous), le droit de recevoir chez eux leurs enfants à la fin de chaque semaine, en l'absence des parents nourriciers. Là-dessus, le directeur régional adressa au Conseil un rapport, du 2 juillet 1990, contenant des observations analogues à celles du 15 juin 1989 (paragraphe 43 ci-dessus); il concluait au rejet de la demande. Il relevait notamment que depuis la rencontre de juin 1989, les enfants étaient devenus fermement hostiles à l'idée de visites à leurs parents, mais acceptaient les leurs. Les exigences des requérants quant aux modalités des contacts avaient abouti à creuser le fossé entre eux et leurs enfants. Le 4 septembre 1990, le Conseil refusa aux Olsson le droit d'accueillir Helena et Thomas chez eux chaque week-end, estimant préférables des contacts dans les foyers nourriciers, conformément aux voeux des enfants. Procédure ultérieure relative au droit de visite En sa qualité d'administrée de la ville de Göteborg, la représentante des requérants, Mme Westerberg, saisit la cour administrative d'appel de deux recours municipaux (paragraphe 63 ci-dessous): l'un contre la décision du Conseil du 27 juin 1989 (paragraphe 24 ci-dessus), dans la mesure où elle concernait les visites, l'autre contre celle du 20 décembre 1988 approuvant un programme de rencontres (paragraphes 40-41 ci-dessus). Statuant sur le premier le 8 janvier 1990, ladite juridiction annula, pour cause d'illégalité, la partie contestée de la décision du 27 juin 1989. Quant au second, elle considéra, dans un autre arrêt du même jour, que l'adoption du programme figurait parmi les dispositions nécessaires, aux yeux du Conseil, pour permettre de retirer les enfants sans le moindre risque pour eux. Le programme ne constituait pas une décision formelle relative au droit de visite des requérants, d'autant qu'il leur ménageait la possibilité de se rendre auprès de leurs enfants selon les souhaits de ces derniers. Les 8 mars et 27 décembre 1990 respectivement, la Cour administrative suprême refusa à Mme Westerberg et au Conseil l'autorisation de la saisir de recours dirigés l'un contre le second arrêt, l'autre contre le premier. Les requérants s'adressèrent en outre, le 28 juillet 1989, au médiateur parlementaire (justitieombudsmannen). Il exprima son avis le 2 mai 1990. L'étude du dossier lui parut montrer que le Conseil avait agi dans le seul intérêt des enfants. Eu égard à ce fait et aux lacunes de la loi de 1980 sur les services sociaux dans le domaine de la réglementation du droit de visite (paragraphe 62 ci-dessous) - elles avaient conduit à modifier la législation en 1990 (paragraphes 64 et 67 ci-dessous) - il déclara close la question. Les requérants attaquèrent aussi, devant le tribunal administratif départemental, la décision du Conseil du 4 septembre 1990 (paragraphe 49 ci-dessus). Il les débouta le 12 décembre 1990. D'après lui, leur allégation selon laquelle les parents nourriciers avaient monté les enfants contre eux ne trouvait aucun appui dans les éléments recueillis; il en ressortait au contraire qu'Helena et Thomas désiraient rencontrer leurs parents par le sang, mais à leurs propres conditions. De plus, le type de contacts réclamé ne tenait aucun compte des intérêts des enfants et ne leur serait pas bénéfique. Il n'y avait dès lors aucune raison d'accorder aux requérants un droit de visite pendant les week-ends comme ils le voulaient. Le tribunal n'examina pas leur demande de contacts pendant les jours de congés scolaires, le Conseil n'ayant pas abordé la question. M. et Mme Olsson se pourvurent devant la cour administrative d'appel. Ils semblent l'avoir priée de laisser leur recours en suspens jusqu'à l'issue de la procédure relative au transfert de la garde (paragraphes 53-54 ci-dessous). E. Transfert de la garde Bien que le présent arrêt ne concerne pas ledit transfert, les décisions des autorités suédoises en la matière se trouvent décrites ci-dessous dans la mesure où elles peuvent éclairer l'affaire. Le 31 octobre 1989, le Conseil résolut d'inviter le tribunal de première instance d'Alingsås à transférer la garde d'Helena et de Thomas au profit de leurs parents nourriciers respectifs. Une audience préliminaire eut lieu le 27 février 1990, après quoi le tribunal se prononça en ce sens le 24 janvier 1991. Il ordonna que, chaque année, les requérants recevraient à leur domicile trois visites diurnes de leurs enfants et pourraient passer trois week-ends avec eux dans leurs foyers d'accueil. Les requérants attaquèrent le jugement devant la cour d'appel de Suède occidentale. Elle ouït deux travailleurs sociaux qui s'étaient occupés du dossier, les parents nourriciers respectifs des enfants, les médecins-chefs Jonsson et Finney, ainsi qu'Helena et un correspondant (kontaktman) de celle-ci au sein des services sociaux. M. et Mme Olsson plaidèrent notamment que les parents nourriciers ne convenaient pas comme gardiens. Ils alléguèrent en particulier avoir appris, après le jugement de première instance, que le père nourricier d'Helena, M. Larsson, avait été inculpé en 1986-1987 de voies de fait, atteinte à la pudeur et exploitation sexuelle de mineur sur la personne d'une autre fille, prénommée Birgitta, qu'on lui avait confiée. Le tribunal de première instance de Hudiksvall l'avait acquitté faute de preuves. Toutefois, l'intéressé avait reconnu, au cours de l'enquête de police, avoir agi d'une manière qui, selon M. et Mme Olsson, s'analysait en une atteinte à la pudeur, bien que non englobée dans l'inculpation. Le ministère public avait interjeté appel contre l'acquittement, mais s'était désisté par la suite. Le 24 janvier 1992, la cour d'appel confirma le jugement du tribunal de première instance d'Alingsås. Elle déclara notamment que compte tenu de l'âge et du degré de maturité d'Helena et de Thomas, leur avis sur les questions de la garde et des visites revêtait une grande importance. Or tous deux souhaitaient manifestement demeurer dans leurs foyers d'accueil. En outre, leurs contacts avec leurs parents avaient été très sporadiques, surtout au cours des dernières années. Les requérants prétendaient avoir été empêchés d'exercer leur droit de visite, en partie parce qu'ils s'étaient sentis importuns et que les parents nourriciers avaient manqué d'égards envers eux, et en partie parce que les services sociaux avaient refusé de leur fournir une aide financière pour les voyages liés aux visites. Toutefois, les agents des services sociaux et les parents nourriciers avaient réfuté ces assertions. Aux yeux de la cour, l'absence de contacts s'expliquait davantage par un défaut de volonté et d'initiative chez les requérants, qui de surcroît n'avaient pas divulgué leur numéro de téléphone. La thèse de l'inaptitude des parents nourriciers était principalement dirigée contre M. Larsson, le père nourricier d'Helena. Quand il avait témoigné devant la cour, il lui avait donné une impression de fiabilité et d'honnêteté, nonobstant la tension qu'il devait avoir ressentie en raison de la maladie de son épouse et de la manière dont l'avait interrogé le conseil des requérants. En outre, les conditions de vie au domicile des Larsson avaient été examinées avec soin à plusieurs reprises pendant la période considérée. Helena entretenait de bonnes relations avec son entourage et avait depuis peu un correspondant, que la cour avait entendu; de plus, en mars 1991 elle avait rendu visite aux requérants sans être accompagnée. Or elle n'avait jamais accusé M. Larsson de lui avoir infligé des sévices, et son comportement n'indiquait rien de tel. A l'audience, elle avait nié avec énergie qu'il se fût mal conduit envers elle. Rien n'étayait l'allégation selon laquelle il s'était livré, ou risquait de se livrer, à des agissements répréhensibles à son égard. Quant à l'état de santé de Mme Larsson, l'intéressée avait passé le plus clair de son temps chez elle; les dépositions respectives de son mari et d'Helena montraient que ses liens affectifs avec l'enfant ne s'étaient pas affaiblis, mais plutôt renforcés, depuis le début de la maladie. Celle-ci ne pouvait donc constituer un obstacle au transfert de la garde. Enfin, l'instruction n'avait nullement révélé que les parents nourriciers de Thomas, M. et Mme Bäckius, ne convinssent pas. Au contraire, il ressortait du dossier que les deux enfants étaient bien traités dans leurs foyers d'accueil, où ils trouvaient un environnement sécurisant et stimulant. Les requérants saisirent alors la Cour suprême d'un nouveau recours qui demeure pendant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi de 1960 sur la protection de l'enfance et la législation de 1980 qui l'a remplacée Les décisions concernant les enfants des requérants furent prises en vertu de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, "la loi de 1960"), de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620) et de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1980"). La loi de 1980 sur les services sociaux prévoit des mesures de soutien et de prévention adoptées avec l'accord des intéressés. La loi de 1980 (1980:621), qui permettait des mesures de prise en charge d'office, la complétait. A leur entrée en vigueur, le 1er janvier 1982, elles remplacèrent la loi de 1960. En principe, les décisions arrêtées en vertu de celle- ci et qui restaient valides au 31 décembre 1981 furent réputées se fonder sur la loi de 1980. La législation pertinente a été amendée à compter du 1er juillet 1990 (paragraphes 64-67 ci-dessous). Il incombe au premier chef à chaque municipalité de promouvoir un développement favorable chez les jeunes. A cette fin, elle est dotée d'un conseil social de district, composé de non-spécialistes assistés de travailleurs sociaux professionnels. Interdiction de retrait Après la levée de la prise en charge (au sujet de la législation suédoise relative à la prise en charge d'office, voir l'arrêt Olsson I, pp. 20-27, paras. 35-50), le conseil social pouvait prononcer une interdiction de retrait en vertu de l'article 28 de la loi sur les services sociaux, ainsi libellé: "Le conseil social peut, pour une période donnée ou jusqu'à nouvel ordre, interdire à la personne investie de la garde de retirer le mineur du foyer visé à l'article 25 [à savoir un foyer d'accueil] s'il existe un risque non négligeable de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant en le séparant de son foyer d'accueil. S'il y a des raisons plausibles de croire à pareil risque avant même l'achèvement de l'enquête nécessaire, une interdiction temporaire peut être prononcée pour quatre semaines au plus, dans l'attente de la décision définitive. Une interdiction prononcée en vertu du présent article n'empêche pas de retirer un enfant de son foyer d'accueil en application d'une décision rendue au titre du chapitre 21 du code parental." Les travaux préparatoires correspondants (Prop. 1979/80:1, p. 541) précisaient qu'une perturbation passagère ou tout autre inconvénient occasionnel pour l'enfant ne suffirait pas à justifier une interdiction de retrait. Ils ajoutaient que parmi les facteurs à considérer figureraient l'âge de l'enfant, son degré de développement, sa personnalité et ses liens affectifs, ses conditions de vie actuelles et futures, la durée de sa séparation d'avec ses parents et les contacts qu'il aurait eus alors avec eux. S'il avait quinze ans ou davantage, il faudrait de bonnes raisons pour aller à l'encontre de ses préférences, mais même celles d'enfants plus jeunes devraient compter. La commission parlementaire permanente des questions sociales déclara dans son rapport (Socialutskottets betänkande 1979/80:44, p. 78), notamment, que l'on pourrait prononcer une telle interdiction dans l'hypothèse où un retrait risquerait de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant, donc même en l'absence de critiques sérieuses contre le titulaire de la garde. Elle souligna en outre que la disposition en cause visait à protéger les intérêts de l'enfant, lesquels devaient prévaloir, en cas de conflit, sur ceux du titulaire de la garde quant au choix du domicile du premier. Elle partait aussi de l'idée qu'une séparation risquait en général de porter préjudice à l'enfant. Des transferts répétés ou intervenant après une longue période, quand l'enfant aurait noué des liens étroits avec la famille d'accueil, ne pouvaient donc être acceptés sans de solides raisons. Le besoin de sécurité de l'enfant dans ses relations et conditions de vie devait constituer l'élément déterminant. Tant qu'une interdiction de retrait reste en vigueur, il incombe au Conseil, d'après la jurisprudence de la Cour administrative suprême (RÅ 1984 2:78), de veiller à l'adoption sans retard de mesures appropriées visant à réunir parents et enfants. L'article 28 de la loi sur les services sociaux ne valait pas pour les enfants confiés à des familles d'accueil en vertu de l'article 1 de la loi de 1980. Le droit, pour le titulaire de la garde, de fixer le domicile de l'enfant se trouvait suspendu tout au long de pareil placement. Il renaissait en principe à la fin de ce dernier, mais les services sociaux pouvaient le suspendre à nouveau en application de l'article 28. D'après l'article 73 de la loi sur les services sociaux, une décision adoptée sur la base de l'article 28 pouvait être attaquée devant les juridictions administratives. Outre les parents par le sang, l'enfant et les parents nourriciers se voyaient en pratique autorisés à introduire un tel recours. La juridiction compétente pouvait désigner un curateur ad litem chargé de défendre les intérêts de l'enfant au cas où ils entreraient en conflit avec ceux du titulaire de la garde. Réglementation des visites Durant la prise en charge d'un enfant au titre de la loi de 1980, le Conseil pouvait imposer des restrictions aux visites des parents pour autant que les besoins de la mesure d'assistance l'exigeaient (article 16). Les parents comme l'enfant pouvaient contester pareille décision devant les juridictions administratives. Les restrictions édictées sous l'empire d'une interdiction de retrait obéissaient à un régime différent. Le 18 juillet 1988, la Cour administrative suprême avait déclaré sans effet juridique, et insusceptible de recours contentieux administratif, une décision du Conseil limitant le droit de visite des demandeurs, M. et Mme Olsson, pendant la période de validité d'une interdiction de retrait prononcée au titre de l'article 28 de la loi sur les services sociaux (paragraphe 33 ci-dessus). Recours municipal Par les articles 1 et 2 de son chapitre 7, la loi n° 179 de 1977 sur les communes (kommunallagen) permet à un administré (medlem, par exemple un résident) d'attaquer une décision municipale devant la cour administrative d'appel pour l'un des motifs suivants: inobservation des procédures légales, violation de la loi, excès de pouvoir, atteinte aux droits de l'appelant ou autre injustice. Il doit former son recours (kommunalbesvär) trois semaines au plus après l'annonce de l'approbation du procès-verbal de la décision sur le tableau d'affichage communal. Si la cour lui accorde gain de cause elle peut annuler la décision, mais non la remplacer par une nouvelle. B. La nouvelle législation Les règles de la loi sur les services sociaux relatives à l'interdiction de retrait figurent désormais, amendées, dans la loi de 1990 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1990:52 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1990"), entrée en vigueur le 1er juillet 1990. Homologue de l'ancien article 28 de la loi sur les services sociaux (paragraphe 57 ci-dessus), l'article 24 de la loi de 1990 habilite le tribunal administratif départemental à prononcer, sur demande du Conseil, une interdiction de retrait pour une période donnée ou jusqu'à nouvel ordre, à condition qu'existe "un risque apparent (påtaglig risk) de nuire à la santé et au développement de l'adolescent si on le sépare de son foyer d'accueil". Bien que différant du libellé de l'article 28 de la loi sur les services sociaux, ce texte n'a pas entendu introduire un nouveau critère; les travaux préparatoires le précisent (Prop. 1989/90:28, p. 83). Selon l'article 26 de la loi de 1990, le Conseil examine au moins tous les trois mois si l'interdiction reste nécessaire. Dans la négative, il la lève. D'après l'article 31, il peut réglementer le droit de visite des parents lorsque les objectifs de l'interdiction le commandent. L'article 41 permet d'attaquer pareille décision devant les juridictions administratives. C. Le code parental Le chapitre 21 du code parental régit l'exécution des jugements ou décisions relatifs à la garde et autres questions connexes. D'après l'article 1, le tribunal administratif départemental connaît des actions tendant à l'exécution des jugements ou décisions des juridictions ordinaires en matière de garde ou de restitution d'enfants ainsi que de visites à ces derniers. L'article 5 précise que l'exécution ne peut avoir lieu contre le gré d'un enfant de douze ans ou plus, sauf si le tribunal administratif départemental la croit nécessaire dans l'intérêt de celui-ci. Aux termes de l'article 7, si l'enfant habite chez un tiers la personne investie de la garde peut, même en l'absence de jugement ou de décision au sens de l'article 1, demander au tribunal administratif départemental de le lui confier. Pareille mesure peut être refusée si l'intérêt de l'enfant exige l'examen de la question de la garde par une juridiction ordinaire. Pour statuer en vertu de ce texte, le tribunal respecte aussi les conditions de l'article 5 (paragraphe 70 ci-dessus). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Olsson ont saisi la Commission le 23 octobre 1987. Ils alléguaient une série de violations de l'article 8 (art. 8) de la Convention; ils reprochaient notamment aux services sociaux suédois d'avoir entravé la réunion de leur famille et de les avoir empêchés d'avoir des contacts avec Helena et Thomas. Ils se plaignaient en outre de plusieurs infractions à l'article 6 (art. 6) et invoquaient de surcroît les articles 13 et 53 (art. 13, art. 53). La Commission a retenu la requête (n° 13441/87) le 7 mai 1990. Dans son rapport du 17 avril 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) en tant que les restrictions aux contacts n'étaient pas "prévues par la loi"; b) par dix-sept voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 8 (art. 8) quant à l'interdiction de retrait; c) à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) dans la mesure où les requérants n'ont pas eu accès à un tribunal pour contester les restrictions aux contacts avec leurs enfants; d) par quatorze voix contre six, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure relative à la levée de la prise en charge de Stefan, Helena et Thomas; e) par dix-neuf voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure menée au titre du chapitre 21 du code parental; f) par dix-neuf voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en tant que la Cour administrative suprême n'a pas tenu d'audience à la suite du recours des requérants contre la décision d'interdiction de retrait; g) à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la première désignation d'un curateur ad litem; h) à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à la durée de la procédure relative à la seconde désignation d'un curateur ad litem; i) à l'unanimité, qu'il ne s'impose pas de rechercher séparément s'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13) du fait des restrictions aux contacts; j) à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 (art. 13) quant à la première désignation d'un curateur ad litem. Le texte intégral de l'avis de la Commission et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 250 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 22 avril 1992, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire: il a reconnu des manquements aux exigences de la Convention en ce que, pendant une certaine période, les restrictions aux contacts décidées par le Conseil n'étaient pas "prévues par la loi" et que nul recours judiciaire ne s'ouvrait aux requérants pour les combattre; en revanche, il a invité la Cour à constater l'absence de toute autre infraction.
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M. Franco Cesarini habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-21 de son rapport): "15. Le 10 septembre 1982, le requérant assigna son employeur, la société O., devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir déclarer l'illégitimité de sa mise au chômage technique à partir du 14 juin 1982 et se faire reconnaître le droit à la rémunération à compter de cette date. L'instruction de l'affaire débuta à l'audience du 2 mars 1983. L'audience suivante, d'abord fixée au 18 mai 1983, fut reportée d'office au 10 juin 1983. Une troisième audience eut lieu le 13 octobre 1983. Le 9 février 1984, le juge d'instance débouta le requérant. Le texte du jugement avec ses motifs fut déposé au greffe le 5 avril 1984. Le 29 mars 1985, le requérant, qui avait entre temps été licencié, releva appel de ce jugement (...) Le 4 avril 1985, le président du tribunal de Rome fixa au 18 novembre 1986 l'audience devant ce tribunal, qui à l'issue de celle-ci débouta le requérant. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 21 avril 1987. Par un acte notifié le 25 mars 1988, le requérant se pourvut en cassation (...). Son recours fut déposé au greffe de la Cour de cassation le 12 avril 1988. L'audience devant cette Cour fut fixée au 22 février 1989. Le 19 janvier 1989, le requérant et la société O. parvinrent à un règlement amiable du litige. Le 7 février 1989, par suite de ce règlement, le requérant déclara renoncer à son pourvoi. Le 22 février 1989, la Cour de cassation constata le désistement du requérant et clôtura la procédure." Selon les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement, M. Cesarini avait demandé au juge d'instance de Rome, dès le 10 juin 1982 et à titre de mesure d'urgence (provvedimento d'urgenza - article 700 du code de procédure civile), d'ordonner à la société O. de lui verser le traitement dû entre le 14 juin 1982 et la date du jugement au fond. Les clauses du code de procédure civile applicables en l'espèce prévoient deux délais pour la présentation de l'appel. Le premier, dit "court" dans le jargon judiciaire, est en principe de trente jours à compter de la notification de la décision de première instance (article 434), laquelle a toujours lieu à la diligence de l'une des parties (article 285). A défaut de notification, l'appel peut être interjeté dans un second délai, dit "long", qui dure un an et commence avec la publication de la décision attaquée par son dépôt au greffe de la juridiction de première instance (articles 327 et 430). Le pourvoi en cassation obéit à des règles analogues, sauf que le délai "court" atteint soixante jours. En matière de litiges du travail, aucun de ces délais ne connaît de suspension pendant les vacances judiciaires. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 11 septembre 1985. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui. La Commission a retenu la requête (n° 11892/85) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 10 juillet 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, par quatorze voix contre cinq, une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 245-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissante italienne, Mme Fernanda Lestini habite Albano Laziale (Rome) et se trouve au chômage. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-20 de son rapport): "17. Le 11 mars 1985, la requérante assigna l'Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d'instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d'invalidité. L'instruction débuta à l'audience du 19 juin 1985, date à laquelle le juge d'instance ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 3 juillet 1985 et déposa l'expertise le 5 novembre 1985. A l'issue de l'audience du 27 novembre 1985, le juge d'instance rejeta la demande de la requérante. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 13 décembre 1985. Le 23 septembre 1986, la requérante interjeta appel contre cette décision et le 29 septembre 1986, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 25 octobre 1988. A cette date, la requérante demanda un renvoi et l'audience fut reportée au 2 mai 1989. Une audience eut lieu le 17 avril 1990, date à laquelle l'affaire fut mise en délibéré. A l'issue de cette audience le tribunal rendit son jugement. Le texte de celui-ci fut déposé au greffe le 13 décembre 1990. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, ledit jugement est devenu définitif le 13 décembre 1991, faute de pourvoi en cassation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 10 avril 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12859/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 mars 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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M. Vincenzo Salerno habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-24 de son rapport): "15. En juin 1973, le requérant assigna la Caisse des notaires (Cassa Nazionale di Notariato) devant le juge d'instance (pretore) de Rome. Il fit valoir qu'il avait exercé durant dix-neuf ans en tant que notaire remplaçant (notaio coadiutore) et avait versé à la Caisse des notaires des cotisations d'assurance vieillesse correspondant à 20 % des honoraires perçus dont la moitié, selon lui, lui revenait de droit. Il demanda que, de ce fait, lui fût reconnu le droit d'adhérer à cette caisse et d'en recevoir les prestations dues aux adhérents. La demande du requérant fut rejetée définitivement par arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 1980. Dans les motifs de cet arrêt, il est précisé que le notaire remplaçant agit pour le compte du notaire titulaire et que, conformément aux dispositions régissant la matière, il n'a aucun droit sur les honoraires qu'il perçoit au nom de celui-ci. Ainsi, les cotisations au titre de ces honoraires n'ouvrent de droits qu'au profit du notaire titulaire, qui, par l'entremise du remplaçant, les verse à la Caisse des notaires. Le 8 avril 1982, le requérant engagea une nouvelle action devant le juge d'instance de Rome, demandant à la Caisse des notaires le remboursement des cotisations d'assurance vieillesse qu'il avait versées au titre des honoraires perçus en tant que notaire remplaçant, honoraires dont la moitié, selon lui, lui revenait de droit. Il assigna, en même temps, le ministre de la Justice. Le 25 octobre 1982, la Caisse des notaires - en la personne du président de sa commission d'administration (...) - s'opposa à la demande du requérant et soutint, entre autres, que celle-ci se heurtait au prononcé de la Cour de cassation du 6 juin 1980. Le ministre de la Justice fit valoir qu'il n'avait pas qualité pour être cité. L'audience devant le juge d'instance eut lieu le 4 mars 1983. Le 12 mai 1983, le juge rejeta la demande du requérant. Il constata, d'une part, que le ministre de la Justice n'avait pas qualité pour être cité. Il releva, d'autre part, que les prétentions du requérant s'appuyaient sur l'allégation selon laquelle celui-ci avait droit à la moitié des honoraires perçus dans ses fonctions de notaire remplaçant. Or, dans son arrêt du 6 juin 1980, la Cour de cassation avait déjà constaté que le requérant n'avait aucun droit sur les honoraires perçus en tant que notaire remplaçant et que les cotisations litigieuses avaient été versées au profit du notaire titulaire, le seul à avoir un rapport juridique avec la Caisse des notaires. Le 21 juillet 1983, le requérant interjeta appel de cette décision. Le tribunal de Rome entendit la cause à l'audience du 14 novembre 1984 et débouta le requérant de son recours. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 22 janvier 1985. Le 10 avril 1985, le requérant se pourvut en cassation, contestant notamment la conclusion des juges du fond suivant laquelle sa demande se heurtait à la force de chose jugée de l'arrêt du 6 juin 1980. Le 26 octobre 1985, il sollicita l'examen de son affaire. Le 12 juin 1986, le pourvoi fut rejeté. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe de la Cour de cassation le 1er avril 1987. Dans son arrêt, la Cour de cassation constata, d'abord, que la demande du requérant était fondée sur l'allégation selon laquelle il aurait droit à la moitié des honoraires perçus en tant que notaire remplaçant et, de ce fait, à la moitié des cotisations versées au titre de ces honoraires. Elle releva, ensuite, qu'elle avait réfuté cette allégation par son arrêt du 6 juin 1980 qui, sur ce point, avait force de chose jugée (giudicato esterno). Cette allégation ne pouvait donc être valablement présentée une deuxième fois par le requérant. Par ailleurs, la Cour de cassation rejeta une demande du requérant visant la saisine à titre préjudiciel de la Cour de Justice des Communautés européennes. Par cette demande, présentée aussi au cours de la procédure d'appel mais sans résultat, le requérant faisait valoir l'illégitimité de la réglementation en matière de rémunération et d'assurance vieillesse des notaires par rapport aux règles communautaires concernant la libre circulation des services. La Cour de cassation déclara, à cet égard, ne pas apercevoir en quoi la réglementation en question aurait pu restreindre d'une façon quelconque la libre circulation des services dans l'espace communautaire." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 18 janvier 1986. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure engagée par lui le 8 avril 1982, ainsi que du défaut d'impartialité des juridictions ayant connu du litige. Le 5 mars 1990, la Commission a déclaré irrecevable le second grief mais retenu la requête (n° 11955/86) quant au premier. Dans son rapport du 5 septembre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, par seize voix contre quatre, une infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 245-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. Les circonstances de l'espèce A. La genèse de l'affaire M. Antero Rieme, citoyen finlandais né en 1940, réside à Tumba, en Suède. Ouvrier métallurgiste, il a une fille, Susanne, dont la mère, Mme J., vécut avec lui de janvier 1976 à mars 1977 et fut investie de la garde de l'enfant à partir de la naissance de celle-ci, le 28 octobre 1976. En 1980, il rencontra Mme Anita Mäkinen. Ils cohabitent depuis lors et se sont épousés au début de 1983; elle utilise désormais le nom d'Anita Rieme. Le 26 septembre 1977, le conseil social du district sud (södra sociala distriktsnämnden) de Södertälje ("le conseil") décida, en vertu des articles 25, alinéa a), et 29 de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, "la loi de 1960"), la prise en charge de Susanne - à l'époque âgée de onze mois - par l'autorité publique en raison de l'alcoolisme de la mère. Peu après, la petite fille fut placée dans un foyer d'accueil - la famille Forsberg - où elle demeura jusqu'à son transfert au domicile de son père, en août 1989 (paragraphes 23-24 ci-dessous). Elle retourna au foyer d'accueil aux environs de Noël 1989 (paragraphe 25 ci- dessous). En janvier 1978, le requérant invita le tribunal de première instance (tingsrätten) de Södertälje à lui attribuer la garde de Susanne. Dans un rapport du 21 septembre 1978 au tribunal, les services sociaux combattirent la demande mais préconisèrent la désignation d'un tuteur judiciaire. Ils indiquaient notamment que le requérant avait été signalé plusieurs fois pour ébriété. Ils relevaient aussi que Susanne s'était bien intégrée à la famille d'accueil et que les enfants Forsberg l'avaient acceptée comme leur propre soeur. M. et Mme Forsberg avaient assumé leur rôle de parents nourriciers en pleine conscience des réalités de la situation. Ils consentaient à s'occuper de Susanne aussi longtemps que nécessaire, en sachant que cela pouvait se prolonger jusqu'à l'âge adulte. M. Rieme retira sa requête, à l'en croire parce que les services sociaux l'avaient "menacé" de le priver de tout droit de visite à l'égard de sa fille. Le 30 novembre 1981, il réclama derechef la garde auprès du tribunal de première instance. Comme il ressort du procès-verbal de l'audience tenue devant lui le 17 mars 1982, le tribunal écarta la demande de M. Rieme tendant au transfert provisoire de la garde de Susanne, afin que les services sociaux pussent examiner promptement la question. Ils achevèrent leur rapport le 27 juin 1983. Ils y soulignaient en particulier que les parents nourriciers leur avaient déclaré ne pas considérer Susanne comme un "enfant placé", expression qui n'était pas même employée au foyer d'accueil; ils avaient ajouté avoir ignoré au départ combien durerait le placement de Susanne chez eux, mais qu'il était devenu permanent. Le rapport concluait que transférer la garde au requérant ne servirait pas les intérêts de la fillette au mieux; il proposait d'en investir un tiers. Par un jugement du 28 septembre 1983, le tribunal ordonna néanmoins de la transférer à M. Rieme. Il se fondait, entre autres, sur les motifs suivants. Sans doute le placement de Susanne dans le foyer d'accueil semblait-il compatible avec ses intérêts, mais son père avait manifesté une sollicitude active pour elle et cherché à maintenir le contact. Vus de l'extérieur, ses efforts pouvaient paraître imprudents et ne cadraient peut-être pas avec une conception moderne des besoins d'un enfant, mais on ne devait pas attacher trop d'importance au manque de discernement du requérant en la matière. Son désir de se charger de Susanne n'avait rien d'inhabituel et semblait naturel. D'ailleurs, le transfert de la garde ne mettrait pas fin au placement de Susanne dans la famille nourricière; en revanche, il donnerait à M. Rieme la possibilité de faire trancher la question en droit, à la lumière de tout changement dans leurs situations respectives. Il pourrait en outre favoriser un resserrement des liens, ce qui à long terme serait bénéfique à Susanne. Le conseil devait veiller à ce que les contacts n'allassent pas à l'encontre des intérêts de l'enfant. La mère de Susanne, Mme J., saisit la cour d'appel de Svea (Svea hovrätt), qui confirma toutefois le transfert par un arrêt du 21 juin 1984. B. Mainlevée de la prise en charge et interdiction de reprendre l'enfant Entre temps, le 11 octobre 1983, le requérant avait invité le conseil à lever la prise en charge de Susanne et à lui accorder le droit de rencontrer celle-ci à des intervalles réguliers. Les fonctionnaires sociaux compétents examinèrent la question du retrait éventuel de Susanne du foyer d'accueil; le 16 octobre 1984, après une audience à laquelle assistèrent le requérant, son avocat et son épouse - Mme Anita Rieme -, le conseil accueillit la première demande mais ne se prononça pas sur la seconde. En vertu de l'article 28 de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620), il décida parallèlement d'interdire au requérant de sortir Susanne du foyer d'accueil car il existait un risque, "non négligeable", de nuire ainsi à la santé mentale de l'enfant. Cette décision reposait sur le rapport des fonctionnaires sociaux et sur leur recommandation au conseil, datés du 28 septembre 1984. Le rapport, joint à la recommandation, dressait l'historique de l'affaire, analysait les liens entre le père et la fille et rendait compte d'entretiens que les travailleurs sociaux avaient eus avec les époux Rieme et Forsberg. Il mentionnait aussi la santé et le développement de Susanne, ainsi que la nécessité pour elle de demeurer dans la famille Forsberg. Il s'appuyait sur un avis psychiatrique du 7 juin 1984. Ce document, qui se trouvait reproduit en annexe, émanait de l'institut psychiatrique pour enfants et adolescents ("PBU") de Stockholm. Signé de M. Jarkko Rantanen, psychologue, et du Dr Sari Granström, médecin-chef, il formulait notamment les observations suivantes: Susanne vivait dans la famille d'accueil depuis l'âge de onze mois. Elle n'avait plus de contacts avec sa mère biologique, alors qu'elle conservait des rapports réguliers avec son père. Cependant, à ses yeux, les parents nourriciers jouaient le rôle de ses parents; elle n'avait pas noué avec le requérant et son épouse des liens affectifs aussi forts. De même, elle considérait les autres enfants (trois filles par le sang et un fils nourricier) de la famille Forsberg comme ses propres frère et soeurs. Retirer Susanne de ce foyer entraînerait pour elle trop de changements: non seulement elle perdrait le sentiment de sécurité dont elle avait grand besoin, le soutien psychologique que lui procurait la famille Forsberg, ses amis, son école et ses repères quotidiens, mais encore elle se heurterait à de difficiles problèmes d'adaptation à un nouvel environnement. Elle avait montré une tendance à réagir avec son corps à des changements importants. Elle souffrait de divers troubles psychosomatiques - énurésie et douleurs abdominales chroniques, entre autres - qui risqueraient de s'aggraver si on la sortait du foyer d'accueil. Elle pourrait en devenir plus dépressive et réservée encore. Pour pouvoir la reprendre au foyer, il fallait que ses relations avec son père et sa femme s'approfondissent. On ne devait pas discuter du retrait avec elle tant qu'elle n'aurait pas une maturité suffisante, ni lui faire subir d'autres examens à ce sujet dans les années à venir. Les contacts ultérieurs entre le requérant et Susanne devaient se développer en collaboration avec les parents nourriciers. Les liens déjà noués grâce à des rencontres régulières ne pouvaient se resserrer si l'on n'aidait pas beaucoup le père par le sang à les maintenir et renforcer en ayant dûment égard aux besoins de sa fille. C. Première série de procédures dirigées contre l'interdiction de reprendre l'enfant Le requérant attaqua l'interdiction de retrait devant le tribunal administratif départemental (länsrätten) de Stockholm. Celui-ci tint une audience à huis clos le 22 janvier 1985, en présence du requérant et de sa femme assistés de leur avocat. Il entendit comme témoins les parents nourriciers à la demande du requérant, le Dr Granström et M. Rantanen à celle du conseil. Dans son jugement du 25 janvier 1985, le tribunal rappela que la levée de la prise en charge de Susanne, décidée par le conseil, impliquait que la situation personnelle du requérant ne constituait pas en soi un obstacle à leur réunion. D'un autre côté, il considéra l'opinion du conseil, fondée sur l'avis psychiatrique précité (paragraphe 14 ci- dessus), et selon la meilleure solution, pour Susanne, consistait à rester dans le foyer d'accueil. Il s'agissait d'une fillette émotive, fragile et vulnérable qui perdrait son sentiment de sécurité et manifesterait certains symptômes psychosomatiques si on la retirait tout de suite du foyer d'accueil. Dans ces conditions, le tribunal estima que le retrait comporterait un risque, non négligeable, de nuire à la santé mentale de l'enfant. Mettant en balance les intérêts de Susanne et ceux du requérant, pour lequel il exprima une grande sympathie, il conclut à l'existence de raisons prépondérantes de la laisser au foyer d'accueil jusqu'à nouvel ordre. Il rejeta donc le recours. M. Rieme se pourvut devant la cour administrative d'appel (kammarrätten) de Stockholm, l'invitant à lever l'interdiction de retrait et, subsidiairement, à en limiter la durée. Elle le débouta par un arrêt du 2 août 1985 où l'on pouvait lire: "L'article 28 de la loi sur les services sociaux vise à protéger au mieux les intérêts de l'enfant. Parmi les facteurs à étudier dans ce contexte figurent l'âge de l'enfant, ses aptitudes et ses liens affectifs. Il faut de plus tenir compte, notamment, de ses propres voeux et du laps de temps pendant lequel il a séjourné dans la famille [d'accueil]. Susanne (...) se trouve dans sa famille d'accueil depuis octobre 1977; elle y a donc passé la majeure partie de sa vie. On la considère comme une enfant émotive et elle a présenté certains symptômes psychosomatiques. Depuis l'examen, par le tribunal administratif départemental, de la question du retrait de Susanne, les relations de celle-ci avec [son père] semblent avoir évolué favorablement. La cour administrative d'appel juge néanmoins qu'un retrait forcé comporterait encore un risque, non négligeable, de nuire à la santé mentale de Susanne. Aussi ne peut- elle accueillir la demande de levée de l'interdiction de retrait. La question de savoir quand une telle mesure sera possible dépend de la manière dont les relations entre [le requérant] et sa fille vont évoluer. La cour estime que l'interdiction ne peut pour le moment être limitée dans le temps." Le 23 septembre 1985, le requérant demanda à la Cour administrative suprême (regeringsrätten) l'autorisation de la saisir. Elle la lui refusa le 26 mars 1986. D. Précisions concernant les contacts du requérant avec sa fille Le rapport précité des fonctionnaires sociaux (paragraphes 13-14 ci-dessus) donnait les renseignements suivants sur les contacts du requérant avec Susanne: "Après la prise en charge de Susanne et son placement dans un foyer d'accueil en 1977, Antero Rieme conserva des contacts assez réguliers avec elle. Jusqu'au début de février 1978, il se rendit auprès d'elle environ une fois par semaine. La fréquence des visites diminua par la suite et, pendant un temps, il ne la rencontra pas du tout. Au cours de cette même période, [il] se tint informé du bien-être de sa fille par l'intermédiaire d'Esko Forsberg, un de ses collègues à l'époque. L'année d'après, les visites devinrent plus régulières [malgré] un rythme variable. Susanne reconnaissait [son père], qu'elle appelait 'mon deuxième papa'. [Il] manifestait de l'intérêt pour [elle]. En août 1981, [il] exprima le désir qu'[elle] vînt chez lui et Anita (...) passer quelques week-ends. Il projetait de demander la garde de l'enfant et souhaitait que [la charge] lui en fût transférée graduellement. Le fonctionnaire social alors responsable du dossier ne voulait pas aider à préparer le transfert de Susanne jusqu'au règlement de la question de la garde, mais il accepta que l'enfant rendît visite [au requérant] certains week-ends, en compagnie de l'un des époux Forsberg. Il fut aussi décidé que [le requérant] irait voir Susanne une fois par mois au foyer d'accueil. Dans le cadre de l'examen de la question de la garde, le [27 juin 1983], Yvonne Zäll, chef de service, étudia aussi le problème du droit à des contacts. Il fut convenu que toute la famille Forsberg devait se rendre chez les Rieme et, en outre, que Susanne irait les voir accompagnée de Minna Forsberg. Au début elle ne voulait pas le faire seule - sans Riita et Minna Forsberg -, mais passé un certain temps il lui devint plus facile de se trouver sans témoins avec les époux Rieme. Elle n'y passait que la journée, ne désirant pas y rester la nuit. Il ressort de l'examen de la question de la garde que Susanne était heureuse des visites de son père dans la famille [d'accueil] et que les parents nourriciers adoptaient une attitude positive à l'égard de celles-ci. A partir du moment où le tribunal de première instance décida d'investir Antero Rieme de la garde de Susanne, le conseil (...) reconsidéra la question du retrait de l'enfant du foyer d'accueil. Il convint avec Antero Rieme que, pendant l'instruction du dossier, les visites auraient lieu selon les modalités suivantes: Susanne rencontrerait Antero et Anita Rieme deux samedis par mois, l'un [chez les Forsberg] et l'autre (...) [chez] les Rieme. Les visites auraient lieu à condition que Susanne réagît de façon positive à [leur sujet]. Le père souhaitait leur extension de manière à recevoir Susanne à son domicile un week-end sur deux, du vendredi soir au dimanche soir, et une semaine aux alentours du Nouvel An. Comme il importait de ne pas perturber ou inquiéter Susanne, les services sociaux et [le requérant] conclurent un accord écrit: les visites ne subiraient aucun changement pendant l'instruction [du problème du retrait]. Les modalités en furent néanmoins modifiées en pratique: les travailleurs sociaux convinrent avec Antero Rieme et la famille Forsberg que Susanne passerait la nuit chez les Rieme si elle le voulait. Tel n'a pas été le cas jusqu'ici. Elle a indiqué clairement qu'elle ne souhaitait pas rester la nuit chez [eux]. Elle n'a pu en fournir aucune raison. Il est aussi arrivé aux époux Rieme d'aller au foyer d'accueil à seule fin de l'emmener [, sans véritablement lui rendre visite dans son environnement]." D'après le requérant, les services sociaux avaient accepté, sous réserve de plus amples précisions, que l'enfant passât la nuit chez lui en mai 1984. Le projet ne se serait pourtant pas réalisé, apparemment parce qu'ils auraient invité les parents nourriciers à ne pas en souffler mot à Susanne. Dans un mémoire du 14 juin 1985 à la cour administrative d'appel (pendant la procédure relative à l'interdiction de retrait), la fonctionnaire sociale chargée du dossier soulignait que les contacts entre Susanne et le requérant devaient évoluer lentement et graduellement. Les voeux de l'enfant à cet égard revêtaient une importance particulière. A sa demande, au cours des derniers mois elle avait à trois reprises passé la nuit au domicile de son père. Elle avait clairement exprimé le souhait de rester, pour l'instant, une seule nuit à la fois chez lui et de ne pas les accompagner, lui et son épouse, pour quinze jours de vacances en Finlande en été 1985. Le requérant, lui, affirme qu'elle avait manifesté le désir d'aller avec eux en Finlande pour les vacances. Lorsqu'il se mit en rapport avec la fonctionnaire sociale à ce sujet, elle soutint, dans une lettre du 24 juin 1985, que Susanne lui avait dit le contraire et qu'il fallait respecter son choix. Elle espérait que le requérant et sa fille apprendraient davantage à se connaître pour les vacances scolaires suivantes ou pour d'autres. De plus, l'article 28 de la loi sur les services sociaux habilitait le conseil à fixer le lieu de résidence de Susanne. Le requérant ne pouvait donc trancher la question. A partir de mai 1986, Susanne resta la nuit chez le requérant et sa femme un week-end sur deux. Elle passa une partie de ses vacances d'été avec eux en Finlande en 1986 et 1987, ainsi qu'une semaine environ à Noël 1987, Pâques 1988 et au Nouvel An 1988-1989. Dans une note du 15 décembre 1987 au ministère des Affaires étrangères, préparée - semble-t-il - à propos de la procédure devant la Commission, le conseil relevait que les mesures adoptées par les services sociaux pour resserrer les contacts entre le requérant et sa fille, avec pour conséquence éventuelle le retrait de celle-ci du foyer d'accueil, avaient consisté surtout à fournir un soutien à Susanne et à la famille nourricière d'une manière visant à rendre le plus naturelles possible les rencontres et les vacances de l'enfant avec le requérant. Les services sociaux avaient en outre appuyé les initiatives des parents nourriciers destinées à améliorer leurs rapports avec ce dernier. D'après cette note, depuis l'automne 1985 il refusait toutefois d'avoir affaire aux services sociaux, lesquels avaient donc plus de mal à oeuvrer pour de meilleures relations entre lui et les parents nourriciers. D'ailleurs, Susanne était mûre pour son âge et de plus en plus capable de donner son propre sentiment. Les services sociaux considéraient comme déterminants ses désirs quant aux modalités des contacts avec son père. Elle se trouvait au foyer d'accueil depuis l'âge d'un an et avait de forts liens affectifs avec les parents nourriciers. Les contacts entre son père et elle devaient donc évoluer à son rythme à elle et le retrait n'avoir lieu qu'au moment où elle le souhaiterait. E. Seconde série de procédures dirigées contre l'interdiction de reprendre l'enfant Le 1er septembre 1989, le requérant demanda derechef au conseil de lever l'interdiction de retrait. Susanne habitait chez lui depuis la rentrée scolaire, en août. Après examen, les services sociaux présentèrent un rapport au conseil; ils notaient que les symptômes psychosomatiques de Susanne avaient disparu quelques années auparavant, que ses contacts avec le requérant et sa femme étaient étroits et qu'ils n'avaient cessé de s'intensifier à son rythme. Les rapports entre le père et les parents nourriciers étaient fort tendus depuis des années et il n'y en avait pas eu du tout pendant de longues périodes. Susanne s'était trouvée ballottée entre les deux familles. Elle semblait cependant avoir su s'adapter à cette situation délicate et témoignait de l'attachement aux deux couples de parents, qui coopéraient désormais au mieux de ses intérêts. Depuis la fin d'août 1989, elle demeurait chez les Rieme, de son plein gré et avec l'accord des parents nourriciers, qu'elle voyait quand elle le voulait. Dès lors, les fonctionnaires sociaux recommandaient la levée de l'interdiction de retrait. Le conseil y mit fin le 20 novembre 1989. F. Faits récents Aux environs de Noël 1989, Susanne retourna chez les Forsberg où elle vit à présent conformément à ses voeux. En janvier 1990, les Forsberg, les Rieme et Susanne eurent une réunion avec les services sociaux de Södertälje. A cette occasion, le requérant ne parut pas prêt à accepter de voir sa fille habiter chez les Forsberg, tandis que ces derniers exprimèrent le désir de la garder auprès d'eux et déclarèrent qu'ils ne la forceraient pas à les quitter. Les services sociaux n'ont pas encore tranché formellement la question. Le requérant et sa fille demeurent en contact depuis le retour de celle-ci dans la famille Forsberg; par exemple, elle s'est rendue chez lui à Pâques 1991. II. Le droit interne pertinent Les décisions concernant l'enfant du requérant furent prises en vertu de la loi de 1960 sur la protection de l'enfance (barnavårdslagen 1960:97, "la loi de 1960"), de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980:620) et de la loi de 1980 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1980:621 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1980"). La loi de 1980 sur les services sociaux prévoit des mesures de soutien et de prévention adoptées avec l'accord des intéressés. La loi de 1980 (1980:621), qui permettait des mesures de prise en charge d'office, la complétait. A leur entrée en vigueur, le 1er janvier 1982, elles remplacèrent la loi de 1960. En principe, les décisions arrêtées en vertu de celle-ci et qui restaient valides au 31 décembre 1981, furent réputées se fonder sur la loi de 1980. La législation pertinente a été amendée à compter du 1er juillet 1990 (paragraphes 40-43 ci-dessous). A. Prise en charge d'office Aux termes de l'article 25, alinéa a), de la loi de 1960, l'autorité locale compétente en matière d'assistance à l'enfance - la Commission de protection de l'enfance (barnavårdsnämnden) ou, à Stockholm et Göteborg, le conseil social de district - devait intervenir "[si] une personne de moins de dix-huit ans [était] brutalisée dans son foyer ou y [recevait] d'autres traitements de nature à menacer sa santé physique ou mentale, ou si son développement se trouv[ait] compromis par l'inaptitude de ses parents ou de tiers chargés de l'éduquer, ou par leur incapacité à l'élever". Si la situation de l'enfant lui paraissait correspondre à celle que visait l'article 25 de la loi de 1960, la commission devait tenter d'y remédier par des mesures préventives (förebyggande åtgärder) avant de recourir à la prise en charge. Il pouvait s'agir d'un ou plusieurs des moyens suivants: conseils, aide matérielle, réprimande ou avertissement, ordonnances relatives aux conditions de vie de l'enfant ou surveillance (article 26). Quand de telles mesures se révélaient insuffisantes, ou lui semblaient vouées à l'échec, la commission devait ordonner la prise en charge de l'enfant par l'autorité (article 29). Les conditions d'une prise en charge d'office en vertu de la loi de 1980 se trouvaient énoncées à l'article 1, ainsi libellé: "Une personne de moins de dix-huit ans doit être prise en charge par l'autorité en vertu de la présente loi si l'on peut présumer que les soins nécessaires ne peuvent lui être assurés avec le consentement de la ou des personnes qui en ont la garde et, s'il s'agit d'un adolescent de quinze ans ou plus, avec le sien. Un jeune doit bénéficier d'une telle prise en charge si sa santé ou son développement se trouvent en danger faute de soins ou en raison d'une autre circonstance propre à sa famille; s'il compromet gravement sa santé ou son développement par l'abus d'agents formateurs d'habitudes, un comportement criminel ou toute autre attitude comparable. (...)" Il incombe au premier chef aux municipalités de promouvoir un développement favorable chez les jeunes. A cette fin, chacune d'elles est dotée d'un conseil social de district, composé de non-spécialistes assistés de travailleurs sociaux professionnels. D'après la loi de 1960, les décisions sur la prise en charge relevaient de la Commission de protection de l'enfance ou, à Stockholm et Göteborg, du conseil social de district. Celle de 1980 attribuait compétence en la matière au tribunal administratif départemental, saisi par le conseil. L'ordonnance de prise en charge une fois rendue, le conseil (la Commission de protection de l'enfance sous l'empire de la loi de 1960) devait l'exécuter et s'occuper des détails d'ordre pratique: lieu de placement de l'enfant, instruction et autres soins à lui dispenser, etc. (articles 35-36 et 38-41 de la loi de 1960 et 11-16 de celle de 1980). La loi de 1980 voulait que la prise en charge se déroulât de manière à permettre à l'enfant de conserver des contacts étroits avec sa famille et de lui rendre visite à son domicile. Cette exigence signifiait parfois qu'après une certaine période il retournerait chez lui pour y résider, bien que restant officiellement sous assistance (article 11 de la loi de 1980). Selon l'article 42 par. 1 de la loi de 1960, la prise en charge d'office devait cesser aussitôt réalisés les objectifs de la décision qui l'avait prononcée. La clause correspondante de la loi de 1980 obligeait le Conseil à surveiller de près la prise en charge et à y mettre fin lorsqu'elle n'était plus nécessaire (article 5). L'article 41 de l'ordonnance de 1981 sur les services sociaux (socialtjänstförordningen 1981:750) prévoyait à l'époque que le conseil devait réexaminer périodiquement, et au moins une fois l'an, une décision de prise en charge fondée sur une situation peu satisfaisante régnant au foyer de l'enfant. Avant comme après l'entrée en vigueur de la loi de 1980, un parent pouvait, en vertu des principes généraux du droit administratif suédois, réclamer à tout moment la mainlevée de la prise en charge d'office de son enfant. D'après le rapport d'une commission ad hoc des questions sociales (Betänkande av Socialberedningen - SOU 1986:20), les services sociaux d'un certain nombre de communes distinguent entre placement de soutien (stödplacering) et placement de substitution (ersättningsplacering), la seconde expression recouvrant une forme plus permanente de placement. B. Interdiction de reprendre l'enfant L'article 28 de la loi sur les services sociaux habilitait le conseil à interdire le retrait de l'enfant: "Le conseil social peut, pour une période donnée ou jusqu'à nouvel ordre, interdire à la personne investie de la garde de retirer un mineur du foyer visé à l'article 25 [c'est-à-dire un foyer d'accueil] s'il existe un risque non négligeable de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant en le séparant de son foyer d'accueil. S'il y a des raisons plausibles de croire à pareil risque avant même l'achèvement de l'enquête nécessaire, une interdiction temporaire peut être prononcée pour quatre semaines au plus, dans l'attente de la décision définitive. Une interdiction prononcée en vertu du présent article n'empêche pas de retirer un enfant de son foyer d'accueil en application d'une décision rendue au titre du chapitre 21 du code parental." Les travaux préparatoires correspondants (Prop. 1979/80:1, p. 541) précisaient qu'une perturbation passagère ou tout autre inconvénient occasionnel pour l'enfant ne suffirait pas à justifier une interdiction de retrait. Ils ajoutaient que parmi les facteurs à considérer figureraient l'âge de l'enfant, son degré de développement, sa personnalité et ses liens affectifs, ses conditions de vie actuelles et futures, la durée de sa séparation d'avec ses parents et les contacts qu'il aurait eus alors avec eux. S'il avait quinze ans ou davantage, il faudrait de bonnes raisons pour aller à l'encontre de ses préférences, mais même celles d'enfants plus jeunes devraient compter. La Commission parlementaire permanente des questions sociales déclara dans son rapport (SOU 1979/80:44, p. 78), notamment, que l'on pourrait prononcer une telle interdiction dans l'hypothèse où un retrait risquerait de nuire à la santé physique ou mentale de l'enfant, donc même en l'absence de critiques sérieuses contre le titulaire de la garde. Elle souligna en outre que la disposition en cause visait à protéger les intérêts de l'enfant, lesquels devaient prévaloir, en cas de conflit, sur ceux du titulaire de la garde quant au choix du domicile du premier. Elle partait aussi de l'idée qu'une séparation risquait en général de porter préjudice à l'enfant. Des transferts répétés ou intervenant après une longue période, quand l'enfant aurait noué des liens étroits avec la famille d'accueil, ne pouvaient donc être acceptés sans de solides raisons. Le besoin, pour l'enfant, de relations sereines et de conditions de vie sûres devait constituer l'élément déterminant. L'article 28 de la loi sur les services sociaux ne valait pas pour les enfants confiés à des familles d'accueil en vertu de l'article 1 de la loi de 1980. Le droit du titulaire de la garde à fixer le domicile de l'enfant se trouvait suspendu durant pareil placement. Il renaissait en principe à la fin de ce dernier, mais les services sociaux pouvaient le suspendre à nouveau en application de l'article 28. Selon l'article 73 de la loi sur les services sociaux, une décision adoptée sur la base de l'article 28 pouvait être attaquée devant les juridictions administratives. Outre les parents par le sang, l'enfant et les parents nourriciers se voyaient en pratique autorisés à introduire un tel recours. La juridiction compétente pouvait désigner un curateur ad litem chargé de défendre les intérêts de l'enfant au cas où ils entreraient en conflit avec ceux du titulaire de la garde. C. Réglementation du droit de visite Pendant une prise en charge d'office D'après la loi de 1960, la Commission de protection de l'enfance pouvait réglementer le droit de visite d'un parent dans la mesure où elle le jugeait raisonnable compte tenu des objectifs de la décision de prise en charge, de l'éducation de l'enfant ou d'autres circonstances (article 41). La loi de 1980 habilitait le conseil à imposer des restrictions aux visites pour autant que les buts de la décision de prise en charge l'exigeaient (article 16). Les parents comme l'enfant pouvaient attaquer pareille décision devant les juridictions administratives. Sous l'empire d'une interdiction de reprendre l'enfant Le 18 juillet 1988, la Cour administrative suprême a déclaré sans effet juridique, et insusceptible de recours contentieux administratif, une décision du conseil restreignant le droit de visite des requérants, M. et Mme Olsson, pendant la période de validité d'une interdiction de retrait prononcée en vertu de l'article 28 de la loi sur les services sociaux. Elle a relevé: "Aux termes de l'article 16 de la [loi de 1980] (...), un conseil peut limiter le droit de visite à l'égard d'enfants pris en charge par l'autorité publique en application de la loi. La législation pertinente ne lui attribue aucun pouvoir analogue sous l'empire d'une interdiction de retrait. Partant, (...) les instructions données par le président du conseil pour limiter le droit de visite n'ont aucun effet juridique et aucun droit de recours ne peut se déduire des principes généraux du droit administratif, ni de la Convention européenne des Droits de l'Homme." D. La nouvelle législation Les règles de la loi sur les services sociaux relatives à l'interdiction de retrait figurent désormais, amendées, dans la loi de 1990 portant dispositions spéciales sur l'assistance aux adolescents (lagen 1990:52 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1990"), entrée en vigueur le 1er juillet 1990. Homologue de l'ancien article 28 de la loi sur les services sociaux (paragraphe 35 ci-dessus), l'article 24 de la loi de 1990 habilite le tribunal administratif départemental, sur demande du conseil, à prononcer une interdiction de retrait pour une période donnée ou jusqu'à nouvel ordre, à condition qu'existe "un risque manifeste (påtaglig risk) de nuire à la santé ou au développement de l'adolescent si on le sépare de son foyer d'accueil". Bien que différant du libellé de l'article 28 de la loi sur les services sociaux, ce texte n'a pas entendu introduire un nouveau critère; les travaux préparatoires le précisent (Prop. 1989/90:28, p. 83). Selon l'article 26 de la loi de 1990, le conseil examine au moins tous les trois mois si l'interdiction reste nécessaire. Dans la négative, il la lève. D'après l'article 31, le conseil peut réglementer le droit de visite des parents lorsque les objectifs de l'interdiction le commandent. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 28 juillet 1986 à la Commission (n° 12366/86), M. Rieme alléguait que les juridictions suédoises n'avaient ni statué "dans un délai raisonnable", comme l'eût voulu l'article 6 (art. 6) de la Convention, sur ses demandes de transfert de la garde de sa fille et de mainlevée de l'interdiction de retrait, ni entendu sa cause équitablement au sens de la même disposition. Il avançait en outre que le maintien de l'interdiction pendant une si longue période et l'absence d'un droit de visite adéquat avaient méconnu son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l'article 8 (art. 8). Il invoquait de surcroît l'article 17 (art. 17). Le 5 juillet 1989, la Commission a déclaré irrecevables les griefs tirés de l'article 6 (art. 6) et retenu la requête pour le surplus. Dans son rapport du 2 octobre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, par huit voix contre cinq, à la violation de l'article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et des cinq opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons pratiques il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 226-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ La Cour note que la fille du requérant n'a pas pris part, en personne ou par l'intermédiaire d'un représentant, à la procédure devant les organes de la Convention. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 25 novembre 1991, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire invitant la Cour à dire que "les faits de la cause ne révèlent aucune infraction à la Convention".
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Retraité de nationalité italienne, M. Renzo Taiuti habite Florence. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-22 de son rapport): "16. Le 1er juin 1982, le requérant engagea une procédure de divorce devant le tribunal de Florence. 17. Le requérant et son épouse comparurent devant le président du tribunal, puis l'affaire fut confiée au juge de la mise en état. L'instruction débuta à l'audience du 16 novembre 1982, suivie par trois autres audiences les 1er février, 22 mars et 24 mai 1983. A l'audience du 13 octobre 1983, faisant droit à une demande du requérant, le juge de la mise en état nomma un expert, pour qu'il évaluât le degré d'aptitude au travail du requérant. 18. L'examen de l'affaire aurait dû reprendre le 24 mai 1984. Cependant, l'audience prévue pour cette date n'eut lieu que le 29 mars 1985 en raison de la mutation du juge de la mise en état. 19. A l'audience du 4 juin 1985, le juge de la mise en état rejeta une demande d'audition de témoin introduite par l'épouse du requérant. Les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience du 28 juin 1985 et le juge de la mise en état fixa au 11 décembre 1985 l'audience devant la chambre compétente du tribunal. 20. A cette date, le tribunal renvoya l'affaire devant le juge de la mise en état pour qu'il procédât à l'audition de témoin demandée par l'épouse du requérant. A l'audience suivante, qui eut lieu le 15 mai 1986, le témoin fit savoir qu'il lui était impossible d'être présent et l'audience fut reportée au 9 octobre 1986. A cette date, le témoin ne comparut pas, mais l'épouse du requérant déposa copie du procès-verbal relatant le témoignage rendu par ce même témoin au cours d'une procédure antérieure. 21. Les parties présentèrent leurs conclusions à l'audience du 30 octobre 1986. 22. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal, qui entendit les parties à l'audience du 17 février 1988. Puis l'affaire fut mise en délibéré. La date du jugement du tribunal de Florence n'a pas été communiquée, mais le texte de celui-ci fut déposé au greffe le 20 octobre 1988. 23. (...)." D'après le Gouvernement, ledit jugement serait devenu définitif le 1er décembre 1990. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 23 mai 1986. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12238/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-I de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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De nationalité italienne, Mme Serena Gana habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-23 de son rapport): "16. Le 14 juillet 1976, la requérante saisit le tribunal de Rome d'une procédure en séparation de corps. L'audience préliminaire devant le président du tribunal eut lieu le 18 décembre 1976. Les audiences devant le juge de la mise en état eurent lieu aux dates suivantes: 18 février 1977, 19 avril 1977, 6 mai 1977, 1er juillet 1977, 11 novembre 1977, 17 janvier 1978, 18 avril 1978, 27 juin 1978, 21 novembre 1978 (toutes reportées à la demande de la requérante), 16 février 1979 (reportée en raison de l'absence des parties), 8 mai 1979, 26 octobre 1979, 14 décembre 1979 (reportées à la demande de la requérante), 11 mars 1980 (reportée à cause de l'absence des parties), 30 mai 1980 (date à laquelle la requérante produisit certains documents) et 31 octobre 1980. A cette date, l'instruction fut close et le juge de la mise en état renvoya l'affaire à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci eut lieu le 13 avril 1981 et la séparation fut prononcée le 27 avril 1981. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 5 octobre 1981. Le 23 novembre 1981, M. C., époux de la requérante, interjeta appel, en demandant que les conditions de la séparation fussent modifiées. Trois audiences eurent lieu devant la cour d'appel de Rome les 21 janvier 1982 (reportée à la demande de l'appelant), 28 janvier 1982 et 25 mars 1982 (reportée à la demande des parties). A l'audience du 1er avril 1982, l'affaire fut transmise à la chambre compétente de la cour d'appel. L'audience devant celle-ci eut lieu le 15 avril 1983, date à laquelle l'affaire fut mise en délibéré. Le 6 mai 1983, la cour d'appel débouta M. C. de sa demande. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 3 octobre 1983. Le 13 novembre 1984, M. C. se pourvut en cassation. A l'issue de l'audience du 5 février 1988, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 15 juillet 1988." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 2 juin 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13024/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-H de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Commerçante de nationalité italienne, Mme Anna Aurora Manieri habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-18 de son rapport): "16. Par acte du 23 mars 1983, la requérante assigna M. P. devant le tribunal de Teramo. Elle demanda en son nom et au nom de ses frère et soeurs la restitution des immeubles qu'ils avaient hérités à la suite du décès de leur mère, puis de leur père, et que M. P. détenait en tant qu'administrateur. 17. L'instruction débuta à l'audience du 31 mai 1983. Après cette date, six autres audiences eurent lieu les 4 novembre 1983, 17 janvier, 15 mai, 6 novembre, 4 décembre 1984 et 12 mars 1985. Au cours de l'instruction, la deuxième épouse du père de la requérante intervint dans la procédure en revendiquant la propriété des biens litigieux, et ce conformément au droit américain des successions qu'elle affirmait être applicable en l'espèce en raison de la nationalité américaine du de cujus. Une documentation étoffée, dont une partie provenait des Etats-Unis, fut versée au dossier. 18. L'instruction de l'affaire fut close le 16 juillet 1985 et la cause fut transmise à la chambre compétente du tribunal. L'audience devant celle-ci, prévue pour le 25 novembre 1986, fut successivement reportée à six reprises jusqu'au 4 avril 1989 en raison de la mutation du juge de la mise en état. 19. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, à cette dernière date le tribunal de Teramo renvoya l'affaire au juge de la mise en état pour complément d'instruction. En raison de la mutation ultérieure de ce magistrat, l'audience qui devait avoir lieu le 9 janvier 1990 ne se tint que le 6 avril; les parties contestèrent alors la reddition des comptes et réclamèrent le remplacement de l'administrateur des biens. Réservant sa décision, le juge les invita à produire certains documents. Le 21 septembre 1990, M. Antonio Manieri (junior) intervint dans la procédure en sollicitant un délai pour régulariser son acte et déposer des pièces. Le 19 octobre 1990, les parties présentèrent leurs mémoires et réitérèrent leur demande de remplacement de M. P. Le juge y fit droit le 18 juillet 1991; il désigna M. Massimo Manieri et fixa les débats au 4 octobre 1991. La Cour ne dispose d'aucune indication sur la suite de l'instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 30 décembre 1985. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12053/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Ressortissant italien, M. Attilio Cifola habite Rome; il est entrepreneur de bâtiments. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-21 de son rapport): "16. Le 5 mars 1984, le requérant assigna devant le tribunal de Rome l'ensemble des copropriétaires d'un immeuble (condominio) sis à Rome pour voir reconnaître son droit de propriété sur une partie de l'immeuble et son droit à des dommages et intérêts. L'instruction débuta à l'audience du 29 mai 1984. Le juge de la mise en état constata que manquait au dossier la preuve de l'assignation de Mme P. et invita le requérant à fournir cette preuve ou à renouveler l'assignation en question. L'audience suivante, fixée au 6 décembre 1984, fut reportée d'office en raison de la mutation du juge de la mise en état. A l'audience du 26 mars 1985, le requérant présenta les pièces prouvant qu'il avait renouvelé l'assignation de Mme P. Le juge de la mise en état constata que cette assignation avait été effectuée tardivement et reporta l'audience au 16 juillet 1985. A cette date, le requérant demanda un renvoi pour renouveler l'assignation de Mme P. A l'audience du 7 janvier 1986, le juge de la mise en état constata que le contenu de la nouvelle assignation était insuffisant et renvoya encore l'examen de l'affaire. A l'audience du 14 avril 1986, le requérant prouva que la première assignation (celle du 5 mars 1984) avait été dûment effectuée. A l'audience du 8 juillet 1986, les parties présentèrent leurs conclusions et le juge de la mise en état fixa au 10 février 1988 l'audience devant la chambre compétente du tribunal. A cette date, l'affaire fut mise en délibéré. Par décision du 1er mars 1988, le tribunal établit le droit de propriété du requérant sur la partie litigieuse de l'immeuble et l'existence d'une servitude de passage la grevant au profit des autres copropriétaires. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 25 mars 1988. Il ne ressort pas du dossier que ce jugement ait été frappé d'appel." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 11 septembre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13216/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 231-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissante italienne, Mme Rosina Casciaroli habite Monticelli (Ascoli Piceno). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-22 de son rapport): "16. Le 3 décembre 1975, l'époux de la requérante décéda à la suite d'un accident de la circulation dans lequel plusieurs personnes furent impliquées. Deux actions civiles (affaires nos 1061/76 et 1081/77) furent engagées devant le tribunal de Venise respectivement par M. S. et M. P. contre M. F. et M. M., responsables présumés de l'accident, ainsi que leurs assureurs. 17. M. F. et M. M. firent également l'objet de poursuites - ce qui provoqua la suspension des procédures civiles contre eux. Le 4 mars 1976, la requérante se constitua partie civile dans la procédure pénale ouverte à leur charge en réclamant des dommages et intérêts. Ils furent renvoyés devant le tribunal de Venise le 9 avril 1977. 18. Les débats débutèrent à l'audience du 31 mai 1978. A cette date, une nouvelle infraction fut reprochée à M. M. Le tribunal ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale et transmit le dossier au juge d'instruction. 19. Le 29 août 1980, après avoir reçu les résultats de l'expertise, le juge d'instruction fixa au 10 décembre 1980 l'audience devant le tribunal de Venise. A l'issue de cette audience l'examen de l'affaire fut ajourné au 13 mars 1981. A cette date, le tribunal de Venise condamna les accusés pour homicide involontaire. Il ordonna, alors, le paiement à la requérante d'une somme à titre des dommages découlant du décès du mari, fixant provisoirement leur montant à 20 000 000 lires italiennes, cette décision étant exécutoire immédiatement. 20. Saisie de l'appel aussitôt relevé par les intéressés, la cour d'appel de Venise - à laquelle le dossier ne fut transmis que le 20 juillet 1981 - examina l'affaire à l'audience du 24 mars 1982 et, à son issue, confirma la décision du tribunal. 21. Deux jours plus tard les intéressés formèrent un pourvoi en cassation. Leurs moyens furent déposés les 12 et 15 mai 1982. L'audience devant la Cour de cassation n'eut lieu que le 24 avril 1986, date à laquelle le pourvoi fut rejeté. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 6 octobre 1986. 22. Le 13 mai 1986, M. S. et M. P. reprirent leur action au civil devant le tribunal de Venise et la requérante continua celle qu'elle avait commencée au pénal en intervenant dans cette procédure pour obtenir la liquidation de ses dommages et intérêts. 23. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, on compta non moins de sept audiences du 13 mai 1986 au 24 juin 1988; les parties y présentèrent de nombreuses demandes diverses (saisie conservatoire, jonction de causes, preuve testimoniale) et provoquèrent plusieurs reports. Le juge de la mise en état fut muté et la première audience devant son remplaçant se déroula le 24 février 1989. De là jusqu'au 19 avril 1991, il y en eut sept autres; les parties auraient sollicité six ajournements car elles souhaitaient examiner certaines pièces, dont le dossier pénal communiqué à la Cour de cassation; pendant cette période, mais à une date non précisée, le juge de la mise en état fut muté. Le 19 avril 1991, son successeur renvoya la cause devant la chambre compétente pour qu'elle se prononce sur les offres de preuves de la requérante. Les débats doivent avoir lieu le 29 janvier 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 24 décembre 1985. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 11973/86) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 229-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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La requérante est une société anonyme ayant son siège à Bologne. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-19 de son rapport): "16. Le 13 novembre 1981, l'intéressée assigna M. et Mme P. devant le tribunal de Modène, en demandant le paiement de 8 910 088 lires italiennes. L'instruction, commencée à l'audience du 21 janvier 1982, se poursuivit aux audiences des 8 avril 1982, 27 mai 1982, 21 octobre 1982, 13 janvier 1983, 7 avril 1983, 9 juin 1983, 27 octobre 1983 (date à laquelle le juge de la mise en état ordonna l'accomplissement d'une expertise graphologique), 16 novembre 1983 (renvoyée à cause de l'absence de l'expert), 22 décembre 1983, 7 juin 1984 (renvoyée à la demande des parties, l'expertise n'ayant été déposée que la veille), 10 juillet 1984, 18 juillet 1984, 13 décembre 1984, 18 avril 1985, 10 octobre 1985, 19 décembre 1985, 23 janvier 1986, 19 juin 1986 et 4 décembre 1986. A cette dernière date, l'affaire était en état et le juge de la mise en état la renvoya à la chambre compétente du tribunal afin qu'elle fût discutée à l'audience du 13 avril 1988. Le 14 avril 1988, le tribunal fit droit à la demande de la requérante. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 20 mai 1988. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, il n'y a pas eu d'appel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 27 janvier 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12825/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-G de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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Femme au foyer de nationalité italienne, Mme Maria Vorrasi habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-23 de son rapport): "16. Par acte notifié le 15 mars 1978, la requérante assigna sa mère, Mme L., et ses trois frères devant le tribunal de Melfi, en demandant la liquidation de la succession de son père. L'instruction débuta à l'audience du 10 mai 1978. A l'audience du 21 juin 1978, la requérante demanda qu'un expert fût nommé et chargé d'évaluer les biens composant l'héritage ainsi que de présenter un projet de partage. Le juge de la mise en état sursit à statuer sur cette demande. L'audience suivante n'eut lieu que le 19 février 1980, date à laquelle l'examen de l'affaire fut ajourné en raison d'un empêchement du représentant de Mme L. Puis les parties entamèrent des négociations en vue d'un règlement amiable, ce qui provoqua une série de renvois aux audiences suivantes: - 15 avril 1980 (reportée à la demande de Mme L.); - 17 juin 1980 (reportée à la demande des parties); - 31 mars 1981 (reportée à la demande de Mme L.); - 1er décembre 1981 (reportée à la demande des parties); - 16 mars 1982 (reportée à la demande des parties); - 23 novembre 1982 (reportée à la demande des parties); - 16 mars 1983 (reportée à la demande de Mme L.); - 1er juin 1983 (reportée à la demande de Mme L.); - 21 décembre 1983 (reportée à la demande de Mme L.); - 4 avril 1984 (reportée à la demande des parties); - 11 juillet 1984 (reportée à la demande de Mme L.). A l'audience du 12 mars 1985, la requérante réitéra sa demande d'expertise, mais, à la demande de Mme L., le juge de la mise en état ajourna l'examen de l'affaire d'abord au 4 juin 1985, puis au 10 décembre 1985. A cette date, la requérante renouvela sa demande d'expertise. Le 27 décembre 1985, le juge de la mise en état estima qu'une expertise n'était pas possible sur la base des documents produits par les parties et invita celles-ci à compléter le dossier. La requérante y pourvut à l'audience du 18 février 1986 et renouvela sa demande d'expertise. Mme L. demanda encore un renvoi. Le juge de la mise en état fixa l'audience suivante au 13 mai 1986. Cependant, cette audience n'eut lieu que le 10 mars 1988, date à laquelle le juge de la mise en état sursit à statuer sur la demande d'expertise. Le 6 avril 1988, il ordonna la convocation d'un expert. A l'audience du 30 juin 1988, l'expert prêta serment et un délai de cent vingt jours lui fut imparti pour le dépôt de son expertise. Le juge de la mise en état renvoya l'affaire à l'audience du 17 novembre 1988. Cependant, l'expertise ne fut pas déposée dans le délai imparti et l'audience fut reportée au 23 mars 1989. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par la requérante et le Gouvernement, le 23 mars 1989 les parties sollicitèrent un ajournement pour étudier le rapport d'expertise, dont le dépôt remontait au 22 novembre 1988. Prévue pour le 22 juin, l'audience suivante ne se tint que le 5 octobre. A cette occasion, l'avocat de Mme Vorrasi conclut, au vu dudit rapport, à ce que l'on attribuât la succession à un seul des cohéritiers; à cette fin, il invita le juge à ordonner leur comparution personnelle pour déterminer lequel d'entre eux s'intéressait à la quote-part des autres. L'un des avocats ayant réclamé un délai pour consulter ses clients, l'instruction, d'abord renvoyée au 23 novembre 1989, reprit en réalité le 24 mai 1990. La requérante ayant réitéré sa demande de comparution personnelle, le juge réserva sa décision jusqu'au 28 juin 1990. Le 25 juillet, il prononça la jonction de l'affaire avec une autre qui se trouvait elle aussi pendante devant lui et concernait les mêmes biens et personnes. A un moment non précisé, il prescrivit la comparution personnelle des héritiers pour le 31 janvier 1991, mais elle n'eut pas lieu à cette date car il avait été muté dans l'intervalle. Son remplaçant, désigné le 14 mai 1991, fixa au 24 septembre 1991 une audience sur le déroulement de laquelle la Cour ne dispose d'aucune indication. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressée a saisi la Commission le 31 octobre 1986. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12706/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 230-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Représentant de commerce et citoyen italien, M. Franco Imbrioscia résidait à Barletta (Italie) à l’époque considérée. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’arrestation du requérant Venant de Bangkok, il arriva à l’aéroport de Zurich le 2 février 1985. Les douaniers trouvèrent 1 kg 385 d’héroïne dans la valise d’un autre passager du même vol, M. Celui-ci, à qui l’on demanda s’il voyageait accompagné, indiqua le requérant du doigt. M. Imbrioscia expliqua qu’ils faisaient tous deux partie d’un groupe; on le relâcha après l’avoir fouillé sans résultat. Après un complément d’enquête, on le soupçonna cependant d’avoir des liens avec M., en conséquence de quoi on l’arrêta le jour même à Lugano, à bord du train qui le ramenait en Italie. B. L’instruction M. Imbrioscia sollicita aussitôt l’aide de Mme S. C., qui entra en rapport avec une avocate, Me B. G. Interrogé, le dimanche 3 février, par un procureur du district (Bezirksanwalt) de Zurich avec le concours d’un interprète, le requérant déclara avoir pris l’avion à Zurich parce qu’il s’agissait du moyen le moins onéreux de se rendre à Bangkok. Par simple coïncidence, une autre personne aurait elle aussi acheté à Barletta un billet pour le même vol, mais ils n’auraient jamais été assis côte à côte pendant le trajet. En outre, il se défendit d’avoir participé à l’importation de drogue en Suisse. Informé de sa mise en détention provisoire, il demanda qu’on le dotât d’un avocat, car il n’en connaissait aucun à Zurich. Il resta détenu dans le bâtiment du parquet du district de Bülach. Le 8 février, Me B. G. écrivit à l’intéressé, lui proposant de le représenter. Il lui retourna la procuration nécessaire après l’avoir signée. Les 13 et 15 février, la police l’interrogea en l’absence de son avocate. Questionné le 18 février 1985 par un procureur du district de Bülach, le requérant réclama une confrontation avec M., afin de prouver son innocence. Le 25 février, Me B. G. se déchargea de son mandat. Les pièces disponibles ne montrent pas dans quelle mesure elle avait participé à la défense de M. Imbrioscia, mais il ressort du registre de la prison qu’elle n’était jamais allée le voir. Le jour même, Me Fischer fut commis d’office puis, le 27, autorisé à rendre visite à son client, ce qu’il fit pour la première fois le 1er mars 1985. Le 4, il retourna au parquet de district le dossier de l’affaire, qu’on lui avait communiqué le 27 février pour consultation. Un nouvel interrogatoire eut lieu le 8 mars devant le procureur de district. Me Fischer n’avait pas été convoqué; il ne semble pas avoir demandé à assister à l’audition, dont il reçut toutefois le procès-verbal. Il alla voir le requérant le 15 mars. Les 2 et 3 avril 1985, le procureur et deux policiers se rendirent à Barletta pour ouïr plusieurs témoins, dont deux agents de voyages. Le 9 avril 1985, l’avocat de M. Imbrioscia eut avec le procureur un entretien dont l’objet prête à controverse. Selon l’arrêt de la cour d’appel (Obergericht) de Zurich, du 17 janvier 1986 (paragraphes 23-24 ci-dessous), son interlocuteur l’aurait averti que le requérant serait interrogé à nouveau le 11 avril. Me Fischer, lui, le nie et prétend que la conversation porta notamment sur la détention provisoire. En tout cas, il ne se trouvait pas présent le 11 avril, quand son client fut questionné sur les contradictions qui apparaissaient dans ses déclarations et contesta les résultats de l’enquête menée en Italie. Par une lettre du 17 avril 1985, Me Fischer accusa réception des procès-verbaux de l’audition des témoins à Barletta et de l’interrogatoire du 11 avril (paragraphes 16-17 ci-dessus); il se plaignit de ne pas avoir été invité à y assister. Il rendit visite à M. Imbrioscia le lendemain. Me Fischer était là en revanche le 6 juin 1985 quand on informa l’intéressé de la clôture de l’instruction et de son inculpation éventuelle pour trafic d’héroïne et faux. Le requérant déclara n’avoir rien à voir avec les faits qu’on lui imputait du premier chef et avoir agi de bonne foi quant au second. Son conseil ne prit pas la parole. C. La procédure de jugement Devant le tribunal de district de Bülach Le 10 juin 1985, le parquet renvoya M. Imbrioscia et M. en jugement devant le tribunal de district (Bezirksgericht) de Bülach pour trafic de drogue. Le 13, Me Fischer alla voir son client à la prison. A l’audience du 26 juin 1985, les deux prévenus furent à nouveau questionnés sur les faits; leurs avocats présentèrent leurs conclusions. Me Fischer interrogea aussi M. Le tribunal condamna le requérant à sept ans d’emprisonnement et quinze ans d’interdiction de séjour en Suisse, son coaccusé à six ans de réclusion pour infraction à la loi sur les stupéfiants (Betäubungsmittelgesetz). Il mit à la charge de chacun des accusés la moitié des frais et dépens de la procédure. Le tribunal releva que M. Imbrioscia s’était contredit à plusieurs reprises: sur le point de savoir s’il connaissait le prénom et le nom de famille de M., s’il était assis à côté de lui dans l’avion, etc. Compte tenu de ces incohérences, il estima ne plus pouvoir prendre au sérieux (nicht mehr ernstgenommen werden kann) les protestations d’innocence de l’intéressé. Analphabète, M. avait de son côté fait des déclarations si inconséquentes que des doutes surgissaient au sujet de ses facultés mentales; il ne pouvait donc passer pour l’organisateur du transport de la drogue. Lors de son dernier interrogatoire, le 15 mai 1985, il avait d’ailleurs affirmé que son coaccusé l’avait constamment accompagné et lui avait indiqué le moment où il devait se saisir de la valise. Le rôle de ce dernier avait donc consisté à aider et surveiller M. Le tribunal en conclut que le requérant avait sciemment et volontairement participé à l’accomplissement du délit. Devant la cour d’appel de Zurich Le 17 janvier 1986, la cour d’appel (Obergericht) de Zurich débouta M. Imbrioscia de son recours (Berufung) à l’issue d’une audience pendant laquelle les juges l’interrogèrent à nouveau en présence de Me Fischer. Elle confirma la condamnation prononcée par le tribunal de district (paragraphe 21 ci-dessus), et mit en outre à la charge de l’intéressé les frais et dépens de l’instance d’appel. En ce qui concerne l’absence de son conseil lors des interrogatoires, elle notait que celui-ci avait été informé de la date du 11 avril 1985, mais ne s’était pas présenté, et n’avait pas posé de questions lors du dernier, effectué le 6 juin 1985 (paragraphe 19 ci-dessus), auquel il avait assisté. En outre, l’appelant ne montrait pas en quoi sa défense en avait pâti. Sur le fond, la cour reprenait les motifs du jugement de première instance; elle estimait peu plausible que deux personnes ne se connaissant pas eussent voyagé ensemble, à l’aller et au retour, de Barletta à Bangkok, via Zurich, et séjourné en Thaïlande dans le même hôtel. Devant la Cour de cassation de Zurich Saisie par M. Imbrioscia d’un recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde), la Cour de cassation (Kassationsgericht) de Zurich le rejeta le 8 octobre 1986. Quant au grief tiré de l’absence d’avocat lors des interrogatoires, elle se référait à la jurisprudence du Tribunal fédéral (paragraphe 27 ci-dessous). Le requérant n’alléguait point avoir réclamé la présence de son défenseur et avoir essuyé un refus s’appuyant sur des motifs non fondés (unsachliche Gründe); d’ailleurs, Me Fischer avait assisté à l’interrogatoire du 6 juin 1985 puis à l’audience du 26 (paragraphes 19 et 21 ci-dessus). Devant le Tribunal fédéral Le 5 novembre 1987, le Tribunal fédéral repoussa le recours de droit public de l’intéressé contre les arrêts des 17 janvier et 8 octobre 1986 (paragraphes 23-25 ci-dessus). Renvoyant à sa jurisprudence relative à l’article 17 par. 2 du code de procédure pénale du canton de Zurich (paragraphe 27 ci-dessous), il soulignait que M. Imbrioscia ne se plaignait pas du rejet arbitraire d’une demande sollicitant la présence de son avocat, lequel avait assisté au dernier interrogatoire et reçu communication des procès-verbaux des précédents. Il n’y avait donc pas eu atteinte aux droits de la défense reconnus par la Constitution fédérale suisse et la Convention. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A l’époque considérée, l’article 17 du code de procédure pénale du canton de Zurich était ainsi libellé: "Pendant l’instruction, le défenseur doit se voir accorder l’accès au dossier dans la mesure où la finalité de l’instruction ne peut s’en trouver compromise. La consultation des comptes rendus d’expertise et des procès-verbaux des audiences auxquelles le défenseur est autorisé à assister, ne peut lui être refusée. Le magistrat instructeur peut autoriser le défenseur à assister aux interrogatoires personnels de l’inculpé. Une fois l’instruction terminée, le défenseur a accès au dossier sans restrictions." Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le deuxième alinéa autorise le parquet à refuser sans indication de motifs la présence de l’avocat au premier interrogatoire du suspect, mais l’oblige à fournir des raisons s’il entend exclure le conseil des auditions ultérieures. Dans la pratique zurichoise, l’avocat n’assiste en général pas aux interrogatoires de son client par la police, mais les procès-verbaux lui en sont d’ordinaire communiqués. Amendés le 1er septembre 1991, les deux premiers alinéas du texte précité prévoient désormais: "Pendant l’instruction, l’accès au dossier doit être accordé à l’inculpé et à son défenseur, à leur demande, dans la mesure où et dès lors que la finalité de l’instruction ne peut nullement s’en trouver compromise. La consultation des pièces déjà communiquées à l’inculpé, de même que celle des rapports d’expertise et des procès-verbaux des audiences d’instruction auxquelles le défenseur a été autorisé à assister, ne peut être refusée. Le magistrat instructeur doit accorder au défenseur la possibilité d’assister aux interrogatoires de l’inculpé lorsque celui-ci le souhaite et que la finalité de l’instruction ne risque pas de s’en trouver compromise. Les avocats inscrits dans le Canton doivent être admis aux interrogatoires dès que l’inculpé a fait ses premières déclarations au magistrat instructeur ou s’il se trouve en détention depuis quatorze jours. Enfin, le défenseur qui assiste à l’interrogatoire doit avoir la faculté de poser à l’inculpé des questions de nature à apporter des éclaircissements sur l’affaire." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Imbrioscia a saisi la Commission le 5 mai 1988. Il s’en prenait à l’absence de son avocat lors de la plupart de ses interrogatoires; il se plaignait en outre, notamment, de l’absence de ce dernier lors de l’audition de certains témoins en Italie, ainsi que de la partialité d’un juge d’appel. Il invoquait l’article 6 paras. 1, 2 et 3 b), c) et d) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d) de la Convention. Le 31 mai 1991, la Commission a retenu la requête (no 13972/88) quant au premier grief et a déclaré les autres irrecevables pour défaut manifeste de fondement. Dans son rapport du 14 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention. Le texte intégral de son avis, ainsi que des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour "à dire que les autorités suisses n’ont pas violé la Convention (...) à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Imbrioscia".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE A. Peter Brannigan Le premier requérant, M. Peter Brannigan, est né en 1964. Ouvrier non spécialisé, il réside à Downpatrick, en Irlande du Nord. Le 9 janvier 1989 à 6 h 30, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, "la loi de 1984"). On le conduisit au centre d’interrogatoire de la caserne de Gough, Armagh, où on lui délivra la "Note d’information destinée aux personnes en garde à vue" ("Notice to Persons in Police Custody"), qui renseigne le détenu sur ses droits (paragraphe 24 ci-dessous). Le ministre de l’Intérieur permit de prolonger la garde à vue de deux jours, le 10 janvier à 19 h 30, puis de trois le surlendemain à 21 h 32. L’intéressé recouvra la liberté le 15 à 21 h. Il demeura donc détenu six jours, quatorze heures et trente minutes au total. Pendant sa garde à vue, il subit quarante-trois interrogatoires; on lui refusa livres, journaux et de quoi écrire, ainsi que la radio et la télévision, et on lui interdit de rencontrer d’autres détenus. L’accès à un solicitor fut d’abord différé pendant quarante-huit heures, la police estimant que de tels contacts gêneraient l’enquête, mais M. Brannigan reçut par la suite, le 11 janvier 1989, la visite de son homme de loi. Un médecin l’examina dix-sept fois. B. Patrick McBride Le second requérant, M. Patrick McBride, est né en 1951. Le 5 janvier 1989 à 5 h 5, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984. On le conduisit au centre d’interrogatoire de Castlereagh où on lui délivra la "Note d’information destinée aux personnes en garde à vue". Le lendemain à 17 h 10, le ministre de l’Intérieur permit de prolonger la garde à vue de trois jours. L’intéressé recouvra la liberté le lundi 9 à 11 h 30. Il resta donc détenu quatre jours, six heures et vingt-cinq minutes au total. Pendant sa garde à vue, il subit vingt-deux interrogatoires et le même régime que M. Brannigan (paragraphe 10 ci-dessus). Il reçut deux visites de son solicitor, les 5 et 7 janvier 1989, et un médecin l’examina huit fois. M. McBride a été tué le 4 février 1992 par un policier devenu fou furieux et qui avait attaqué le quartier général du Sinn Fein à Belfast. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Introduction La situation critique qui régnait en Irlande du Nord au début des années 1970, et l’ampleur des menées terroristes dont elle s’accompagnait, se trouvent à l’origine de la loi de 1974 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme ("la loi de 1974"). De 1972 à 1992, on attribua au terrorisme en Irlande du Nord plus de trois milliers de morts. Au milieu des années 1980 on enregistra beaucoup moins de tués qu’au début de la décennie précédente, mais le terrorisme systématique persista. Depuis qu’elle sévit, la campagne terroriste a fait 35 104 blessés en Irlande du Nord, dont beaucoup de personnes mutilées ou frappées d’une invalidité à vie. Au cours de la même période, on a dénombré 41 859 explosions ou fusillades terroristes. D’autres parties du Royaume-Uni ont connu elles aussi une vague terroriste de grande envergure. La loi de 1974 entra en vigueur le 29 novembre 1974. Elle proscrivait l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army, "l’I.R.A."), déjà interdite en Irlande du Nord, et réprimait tout soutien ouvert à cette organisation en Grande- Bretagne. En outre, elle dotait la police de pouvoirs spéciaux en matière d’arrestation et de garde à vue pour lui permettre de lutter plus efficacement contre la menace du terrorisme (paragraphes 16-17 ci-dessous). Elle devait être reconduite tous les six mois par le Parlement afin qu’il pût contrôler, entre autres, la nécessité de maintenir les pouvoirs d’exception. Il en alla ainsi jusqu’en mars 1976, date à laquelle elle fut promulguée derechef moyennant certains amendements. D’après l’article 17 de la loi de 1976, il fallait que le Parlement confirmât les pouvoirs spéciaux tous les douze mois. A son tour, ladite loi fut renouvelée chaque année jusqu’en 1984, date à laquelle elle fut repromulguée sous une forme modifiée. La loi de 1984, entrée en vigueur en mars, prohiba l’Armée nationale irlandaise de libération (Irish National Liberation Army), en sus de l’I.R.A. Reconduite tous les ans, elle a été remplacée par la loi de 1989, entrée en vigueur le 27 mars 1989 et dont l’article 14 renferme des dispositions analogues à celles de l’article 12 de sa devancière. La loi de 1976 fit l’objet de rapports de Lord Shackleton et de Lord Jellicoe, publiés en juillet 1978 et janvier 1983 respectivement. Des rapports annuels sur celle de 1984 furent présentés au Parlement par Sir Cyril Philips (pour 1984 et 1985) et par le vicomte Colville (pour 1986-1991), qui réalisa aussi en 1987 une étude de plus grande ampleur sur le jeu de la loi de 1984. Ces diverses analyses furent demandées par le gouvernement et communiquées au Parlement pour aider à déterminer si la législation continuait à correspondre à un besoin. Leurs auteurs concluaient en particulier qu’eu égard aux problèmes inhérents à la prévention et à la détection du terrorisme, il se révélait indispensable de conserver les pouvoirs d’exception en matière d’arrestation et de garde à vue. Ils écartaient l’idée de confier aux tribunaux les décisions prolongeant la garde à vue, notamment parce qu’elles se fondaient sur des renseignements fort délicats que l’on ne pouvait divulguer aux détenus, ni à leurs conseils. Pour différentes raisons, pareille décision relevait bien du domaine de l’exécutif. Dans son rapport de 1987 passant au crible les clauses de l’article 12, le vicomte Colville estimait qu’il existait de bonnes raisons de faire durer la détention, dans certains cas, au-delà de quarante-huit heures et jusqu’à sept jours. Il relevait à ce sujet la fréquence, en Irlande du Nord, du phénomène suivant: la police possédait des renseignements lui permettant d’établir un lien entre certaines personnes et un acte de terrorisme, mais les intéressés, s’ils se trouvaient détenus, gardaient le silence et les témoins avaient peur de se présenter, en tout cas devant un tribunal. Dans ces conditions, l’accusation se fondait de plus en plus sur des éléments médico- légaux et le travail d’enquête gagnait en importance. L’auteur énumérait aussi les motifs qui, pris isolément ou, souvent, combinés entre eux, justifiaient de prolonger les différentes périodes pendant lesquelles, sinon, les personnes soupçonnées de menées terroristes auraient dû être inculpées ou renvoyées en jugement: contrôle des empreintes digitales; examens médico- légaux; confrontation des réponses du détenu avec les indices recueillis; nouvelles pistes d’enquête; données fournies par un ou plusieurs autres détenus dans la même affaire; recherche et audition d’autres témoins (Command Paper 264, paragraphes 5.1.5- 5.1.7, décembre 1987). B. Le pouvoir d’arrestation sans mandat prévu par la loi de1984 et par d’autres Les clauses pertinentes de l’article 12 de la loi de 1984, analogues à celles des lois de 1974 et 1976, sont les suivantes: "12. (1) (...) un agent de police peut arrêter sans mandat une personne qu’il a des motifs plausibles de soupçonner (...) b) d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi; (...) (3) Les actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi sont: a) les actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord; (...) (4) Une personne arrêtée en vertu du présent article ne demeure pas en garde à vue plus de quarante-huit heures après son arrestation; le ministre peut néanmoins prolonger ce délai d’une ou plusieurs périodes dont il précise la durée. (5) Cette ou ces périodes supplémentaires n’excèdent pas cinq jours au total. (6) Les dispositions ci-après (obligation de traduire l’inculpé en justice après son arrestation) ne s’appliquent pas aux personnes ainsi gardées à vue: (...) d) l’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord; (...) (8) Le présent article ne porte pas atteinte aux pouvoirs d’arrestation utilisables indépendamment de lui." L’article 14 par. 1 de la loi de 1984 définit le terrorisme comme "le recours à la violence à des fins politiques", y compris le dessein "d’inspirer de la peur à la population ou à une fraction de celle-ci". La Chambre des Lords a jugé libellée en "termes larges" une définition identique figurant dans la loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1978); elle a refusé de donner au mot "terroriste" une interprétation plus étroite que le sens évoqué par son usage courant aux yeux d’un membre de la police ou d’un simple citoyen (Lord Roskill dans l’affaire McKee v. Chief Constable for Northern Ireland, All England Law Reports 1985, vol. 1, pp. 3-4). C. La détention selon le droit pénal ordinaire L’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord, déclaré inapplicable par l’article 12 par. 6 d) de la loi de 1984 (paragraphe 16 ci- dessus), prévoyait qu’une personne arrêtée sans mandat et non relâchée dans les vingt-quatre heures devait être traduite devant un tel tribunal dans les meilleurs délais, en aucun cas plus de quarante-huit heures après son arrestation. Il a été abrogé par l’ordonnance de 1989 sur la police et les preuves en matière pénale en Irlande du Nord (Police and Criminal Evidence (Northern Ireland) Order 1989, Statutory Instrument 1989/1341 (Northern Ireland) 12). Selon celle-ci (homologue de la loi de 1984 sur le même objet, applicable en Angleterre et au pays de Galles), une personne arrêtée parce qu’on la soupçonne d’avoir trempé dans une infraction, ne peut d’abord rester en garde à vue plus de vingt-quatre heures sans inculpation (article 42 par. 1). Un policier du rang, pour le moins, de commissaire (Superintendent) peut décider de prolonger la détention d’une durée non supérieure à trente-six heures, à compter de l’arrestation ou de l’arrivée au commissariat après celle-ci, s’il a "(...) des motifs plausibles de croire a) qu’il s’impose de détenir l’intéressé sans inculpation afin de se procurer ou de préserver des éléments de preuve relatifs à une infraction pour laquelle il se trouve en état d’arrestation, ou de les recueillir en l’interrogeant; b) qu’une infraction pour laquelle il se trouve en état d’arrestation est grave et justifie une arrestation; c) que l’enquête est conduite avec diligence et célérité." (article 43 par. 1) L’article 44 par. 1 de l’ordonnance habilite une Magistrates’ Court, sur plainte écrite d’un policier, à prolonger la garde à vue si elle constate l’existence de motifs plausibles d’estimer légitime une telle mesure. Celle-ci ne se justifie en pareil cas que moyennant la réunion des conditions fixées aux alinéas a) à c) ci-dessus (article 44 par. 4). La personne visée par la plainte doit en recevoir une copie et être traduite devant le tribunal pour qu’il l’entende (article 44 par. 2); elle a le droit d’être représentée par un homme de loi à l’audience (article 44 par. 3). La détention supplémentaire autorisée par le mandat ne peut dépasser trente-six heures (article 44 par. 12). L’article 45 permet à une Magistrates’ Court, sur plainte écrite d’un policier, de prolonger la garde à vue aussi longtemps qu’elle le juge bon eu égard aux éléments de preuve dont elle dispose (article 45 paras. 1 et 2), mais cette nouvelle prolongation ne peut excéder trente-six heures, ni s’achever plus de quatre-vingt-seize heures après l’arrestation ou l’arrivée au commissariat après celle-ci (article 45 par. 3). D. Exercice du pouvoir d’arrestation prévu à l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 Pour opérer une arrestation régulière en vertu de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984, le policier doit avoir des raisons plausibles de soupçonner la personne en question d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme. En outre, une arrestation sans mandat obéit aux règles de common law énoncées par la Chambre des Lords dans l’affaire Christie v. Leachinsky (Appeal Cases 1947, pp. 587 et 600): l’intéressé doit être informé du motif exact de son arrestation, normalement dès sa mise en garde à vue ou, si des circonstances particulières le justifient, dès que possible par la suite. Il n’y a pas besoin d’employer à cette fin un langage technique ou précis; il suffit que l’individu appréhendé sache en substance pourquoi. La High Court d’Irlande du Nord a examiné l’article 12 par. 1 b) dans l’affaire Ex parte Lynch (Northern Ireland Reports 1980, p. 131), où la personne arrêtée sollicitait une ordonnance d’habeas corpus. Le policier qui avait appréhendé le demandeur lui avait déclaré s’appuyer sur l’article 12 de la loi de 1976 car il le soupçonnait de tremper dans des menées terroristes. La High Court en a déduit que la légalité de l’arrestation ne pouvait se contester à cet égard. Les soupçons du policier qui procède à l’arrestation doivent être raisonnables en l’occurrence; pour en juger, le tribunal doit disposer de certains renseignements sur leurs sources et leurs motifs (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout v. Chief Constable of the RUC and the Northern Ireland Office, décision de la High Court d’Irlande du Nord du 28 juin 1984). E. But de l’arrestation et de la garde à vue autorisées par l’article 12 de la loi de 1984 En droit commun, on ne saurait appréhender et garder à vue quelqu’un à seule fin d’enquêter à son sujet. Un interrogatoire motivé par des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis une infraction propre à justifier une arrestation constitue une cause légitime de privation de liberté sans mandat lorsqu’il a pour but de dissiper ou confirmer ces soupçons, à condition que le suspect soit traduit en justice dès que possible (R. v. Houghton, Criminal Appeal Reports 1979, vol. 68, p. 205, et Holgate-Mohammed v. Duke, All England Law Reports 1984, vol. 1, p. 1059). En revanche, dans l’affaire Ex parte Lynch (loc. cit., p. 131) le Lord Chief Justice Lowry a estimé que la régularité d’une arrestation effectuée au titre de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 ne dépend pas de l’existence du soupçon d’un crime ou délit déterminé. Il a ajouté: "(...)[I]l échet de noter en outre qu’une arrestation opérée en vertu de l’article 12 par. 1 débouche (...) sur une garde à vue autorisée sans inculpation. Il peut n’y avoir en fin de compte aucune inculpation; ainsi, une arrestation ne représente pas forcément (...) la première étape de poursuites pénales exercées contre un suspect sur la base d’un reproche devant donner lieu à un examen judiciaire." F. Prolongation de la garde à vue En Irlande du Nord, les demandes de prolongation de la garde à vue au-delà du délai initial de quarante-huit heures sont traitées au niveau des hauts fonctionnaires de la police à Belfast, puis soumises à l’agrément du ministre pour l’Irlande du Nord ou, à défaut, d’un secrétaire d’État. La loi de 1984 (comme ses devancières) ne fixe pas de conditions à observer en la matière, mais des critères précis se sont dégagés de la pratique; les rapports et études mentionnés ci-dessus (paragraphes 14-15 ci-dessus) en donnent la liste. D’après des statistiques fournies par le Gouvernement, furent arrêtées en 1990, au titre de la loi portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme, 1549 personnes au total dont 333 se virent finalement inculper. Subirent une détention de deux jours au plus 1140 d’entre elles, dont 17 % firent l’objet d’une inculpation, tandis que la proportion atteignit 39 % pour les 365 individus gardés à vue plus de deux jours et moins de cinq. En outre, 67 % des 45 personnes détenues plus de cinq jours furent inculpées d’infractions graves telles qu’assassinat, tentative d’assassinat et explosions; dans chaque cas, les preuves fondant l’accusation ne furent apportées ou révélées qu’au stade ultime de la détention. G. Droits pendant la détention Une personne détenue en vertu de l’article 12 de la loi de 1984 (aujourd’hui, l’article 14 de la loi de 1989) peut, à sa demande, faire signaler sa détention et le lieu de celle-ci à un ami, un parent ou une autre personne et consulter un solicitor sans témoin; elle doit être informée de ces droits dans les meilleurs délais. La demande doit recevoir dès que possible une suite favorable, qui peut toutefois être retardée de quarante- huit heures, au maximum, dans certaines circonstances déterminées (articles 44 et 45 de la loi de 1991 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1991) - anciennement, articles 14 et 15 de la loi de 1987). La décision de refuser l’accès à un solicitor dans les premières quarante-huit heures est susceptible d’un contrôle judiciaire. La jurisprudence de la High Court d’Irlande du Nord montre que d’après l’article 45 de la loi de 1991 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord, le fonctionnaire compétent ne peut différer pareil accès sans des motifs raisonnables de croire que l’exercice du droit en cause entraînerait une ou plusieurs des conséquences énoncées au paragraphe 8 de cet article. Il lui incombe de convaincre le tribunal de l’existence de tels motifs; à défaut, le tribunal ordonne d’autoriser immédiatement les contacts avec un solicitor (décisions de la High Court d’Irlande du Nord sur les demandes en contrôle judiciaire de Patrick Duffy (20 septembre 1991), de Dermot et Deirdre McKenna (10 février 1992) ainsi que de Francis Maher et autres (25 mars 1992)). Depuis 1979, on a coutume de ne pas interroger un détenu avant qu’un médecin légiste ne l’ait examiné. Par la suite, les dispositions prises lui permettent de voir un médecin, notamment le sien propre. Une consultation avec un médecin légiste a lieu chaque jour à une heure fixée d’avance. Les droits précités se trouvent brièvement énoncés dans une "Note d’information destinée aux personnes en garde à vue", que l’on délivre pendant leur détention aux individus arrêtés en vertu de l’article 12. H. Rôle de la justice dans les enquêtes sur les infractions terroristes Aux termes du paragraphe 2 de l’annexe 7 à la loi de 1989 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme, un justice of the peace peut, par mandat, habiliter un policier chargé d’une enquête en matière de terrorisme à perquisitionner dans des locaux et à saisir et conserver tout objet qu’il y découvrira et qu’il aura des motifs raisonnables d’estimer, notamment, de nature à favoriser l’enquête. Le paragraphe 5, alinéas 1 et 4, de l’annexe 7 investit d’un pouvoir analogue les circuit judges et les county court judges d’Irlande du Nord. Toutefois, selon l’alinéa 2 du paragraphe 8, le ministre peut attribuer à tout policier d’Irlande du Nord le pouvoir de perquisition visé aux paragraphes 2 et 5 dans les cas, entre autres, où la divulgation de renseignements, qui serait nécessaire pour formuler une demande au titre de ces textes, lui paraît propre à gêner des membres de la Royal Ulster Constabulary dans leurs investigations ou à nuire de quelque manière à la sécurité en Irlande du Nord ou à celle de personnes s’y trouvant. I. VOIES DE RECOURS Les principales voies de recours ouvertes aux personnes détenues en vertu de la loi de 1984 consistent à solliciter une ordonnance d’habeas corpus et à intenter au civil une action en dommages-intérêts pour détention illégale (false imprisonment). Habeas corpus La loi de 1984 permet d’arrêter quelqu’un et de le garder à vue pendant sept jours en tout (article 12 paras. 4 et 5 - paragraphe 16 ci-dessus). Le paragraphe 5 (2) de son annexe 3 précise qu’une telle personne "est réputée se trouver en garde à vue légale" (in legal custody), mais il n’exclut pas le recours de l’habeas corpus. Si l’arrestation initiale est illégale, il en va de même de la détention ultérieure (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout, loc. cit., p. 18). L’habeas corpus est une procédure par laquelle une personne privée de sa liberté peut demander d’urgence son élargissement en alléguant l’illégalité de sa détention. Le tribunal compétent ne connaît que de la régularité, et non du bien-fondé, de cette dernière. Son contrôle - dont l’ampleur n’a rien d’invariable mais dépend du contexte de la cause et, le cas échéant, des termes de la loi en vertu de laquelle s’exerce le pouvoir de détention - porte notamment sur le respect des exigences formelles de ladite loi et peut s’étendre, par exemple, au caractère raisonnable des soupçons sur lesquels repose l’arrestation (Ex parte Lynch, loc. cit., et Van Hout, loc. cit.). Une détention techniquement légale peut aussi donner lieu à un examen au motif qu’il y aurait eu abus de pouvoir car les autorités auraient agi de mauvaise foi, à la légère ou dans un but illicite (R. v. Governor of Brixton Prison, ex parte Sarno, King’s Bench Reports 1916, vol. 2, p. 742, et R. v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen, All England Law Reports 1962, vol. 3, p. 641). Le fardeau de la preuve pèse sur les autorités défenderesses: elles doivent justifier de la légalité de la décision de détenir, pourvu que le demandeur en habeas corpus ait fourni un commencement de preuve (Khawaja v. Secretary of State, All England Law Reports 1983, vol. 1, p. 765). Détention arbitraire Quiconque se prétend illégalement arrêté et détenu peut en outre introduire de ce chef une action en dommages-intérêts. Lorsque la légalité de l’arrestation se trouve subordonnée à l’existence d’un motif raisonnable de suspicion, il incombe à l’autorité défenderesse de démontrer celle-ci (Dallison v. Caffrey, Queen’s Bench Reports 1965, vol. 1, p. 348, et Van Hout, loc. cit., p. 15). Dans le cadre de pareille instance, le caractère raisonnable d’une arrestation peut être vérifié à partir des principes bien établis du contrôle juridictionnel de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (Holgate- Mohammed v. Duke, loc. cit.). III. LA DÉROGATION DU ROYAUME-UNI Dans son arrêt Brogan et autres c. Royaume-Uni du 29 novembre 1988 (série A no 145-B), la Cour a examiné des questions semblables à celles qui se posent en l’espèce. Elle a constaté une violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention dans le chef de chacun des requérants, qui tous avaient subi une garde à vue au titre de l’article 12 de la loi de 1984. Elle a jugé que même la plus brève des quatre détentions litigieuses - quatre jours et six heures - avait dépassé les limites de temps permises par la première partie de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Elle a relevé en outre une infraction à l’article 5 par. 5 (art. 5-5) dans le cas de chacun des requérants (série A no 145-B, pp. 30-35, paras. 55-62 et 66-67). A la suite de cet arrêt, le ministre de l’Intérieur a fait devant la Chambre des communes, le 22 décembre 1988, une déclaration où il expliquait les difficultés d’un contrôle judiciaire de la décision d’arrêter et détenir un terroriste présumé. Il a dit notamment ceci: "Nous devons bien prendre en compte les terribles pressions qui s’exercent déjà sur les autorités judiciaires, spécialement en Irlande du Nord où il faut examiner la plupart des affaires. Nous avons aussi le souci que les renseignements sur des projets terroristes, qui souvent militent pour le maintien en détention, ne se retrouvent pas en la possession de terroristes par le jeu des procédures judiciaires, lesquelles, au moins selon la tradition juridique du Royaume-Uni, obligent en principe à donner à l’accusé et à ses conseils connaissance des charges portées contre lui. (...) Dans l’intervalle, les choses ne peuvent rester en l’état. J’ai déjà précisé à la Chambre que nous ferons en sorte que la police conserve les pouvoirs nécessaires pour contrer le terrorisme, et elle continue d’en avoir besoin pour pouvoir garder à vue les suspects jusqu’à sept jours dans certains cas. Pour écarter tout doute sur l’aptitude de la police à traiter avec efficacité de tels cas, le gouvernement s’apprête à notifier un avis de dérogation en vertu de l’article 15 (art. 15) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il existe un danger public au sens de ces dispositions, eu égard au terrorisme lié à la situation de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni (...)" Le 23 décembre 1988, le Royaume-Uni a informé le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe que son gouvernement se prévalait du droit de dérogation prévu à l’article 15 par. 1 (art. 15-1) de la Convention, dans la mesure où l’exercice des pouvoirs définis à l’article 12 de la loi de 1984 ne cadrerait pas avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Un passage de cette déclaration est ainsi libellé: "(...) A la suite de [l’arrêt Brogan et autres], le Secretary of State for the Home Department a informé le Parlement, le 6 décembre 1988, que dans le contexte de la campagne terroriste et vu la nécessité absolue de traduire les terroristes en justice, le Gouvernement n’estimait pas que la durée maximale de garde à vue devait être réduite. Il a informé le Parlement que le Gouvernement examinait l’affaire en vue de fournir une réponse à l’arrêt. Le 22 décembre 1988, le Secretary of State a, à nouveau, informé le Parlement que le Gouvernement souhaitait toujours, si cela était possible, trouver une procédure judiciaire permettant un recours contre la prolongation de la garde à vue et, le cas échéant, l’autorisation de ladite prolongation par un juge ou un autre magistrat. Une nouvelle période de réflexion et de consultation était cependant nécessaire avant que le Gouvernement puisse exprimer une opinion ferme et définitive. Depuis l’arrêt du 29 novembre 1988, de même qu’avant cette date, le Gouvernement a estimé qu’il était nécessaire de poursuivre, en ce qui concerne le terrorisme lié à la situation en Irlande du Nord, l’exercice des pouvoirs exposés ci-dessus permettant une nouvelle garde à vue pour des périodes allant jusqu’à cinq jours, à la discrétion du Secretary of State, dans la mesure strictement requise par les exigences de la situation afin de permettre que les enquêtes et les investigations nécessaires soient menées correctement pour décider s’il est nécessaire d’engager des poursuites pénales. Pour autant que l’exercice de ces pouvoirs ne soit pas conforme aux obligations imposées par la Convention, le Gouvernement se prévaut du droit de dérogation prévu par l’article 15 par. 1 (art. 15-1) de la Convention et continuera à faire de même jusqu’à nouvelle notification (...)" Le Gouvernement a étudié la possibilité de confier aux juridictions ordinaires le pouvoir de prolonger la détention, mais il a conclu à l’inopportunité de les impliquer dans pareille décision. Le ministre, M. David Waddington, en a exposé les raisons dans une réponse écrite du 14 novembre 1989 à un parlementaire: "Les décisions autorisant la détention de terroristes présumés pour plus de quarante-huit heures peuvent se prendre, et se prennent souvent, sur la base de renseignements dont on ne peut dévoiler la nature et la source à un suspect ou à son conseil sans risquer sérieusement de perdre le concours d’individus aidant la police, ou la chance de se procurer d’autres informations précieuses. Toute nouvelle procédure évitant ces dangers en permettant à un tribunal de statuer sur la base d’éléments non divulgués au détenu ou à son conseil constituerait une grave entorse aux principes qui régissent la procédure judiciaire de notre pays et pourrait porter grandement atteinte à la confiance de l’opinion publique dans l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le Gouvernement répugnerait beaucoup à proposer une nouvelle procédure pouvant avoir cet effet." (Official Report, 14 novembre 1989, col. 210) Par une nouvelle notification, du 12 décembre 1989, le Royaume-Uni a informé le Secrétaire Général que l’on n’avait pu mettre au point aucune procédure satisfaisante de contrôle de la détention de terroristes présumés, avec participation des tribunaux, et que la dérogation demeurerait donc en vigueur tant que les circonstances l’exigeraient. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 19 janvier 1989 (requêtes nos 14553/89 et 14554/89). Ils se plaignaient de n’avoir pas été aussitôt traduits devant un juge comme l’eût voulu l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Ils prétendaient aussi ne pas avoir droit à réparation, en dépit de l’article 5 par. 5 (art. 5-5) et, au mépris de l’article 13 (art. 13), ne pas disposer d’un recours effectif quant à ces griefs. Ils ont ultérieurement retiré d’autres doléances qu’ils avaient formulées au titre des articles 3, 5 paras. 1 et 4, 8, 9 et 10 (art. 3, art. 5-1, art. 5-4, art. 8, art. 9, art. 10). Après avoir ordonné la jonction des requêtes le 5 octobre 1990, la Commission les a retenues le 28 février 1991. Dans son rapport du 3 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) par huit voix contre cinq, au défaut de violation de l’article 5 paras. 3 et 5 (art. 5-3, art. 5-5), en raison de la dérogation formulée par le Royaume-Uni le 23 décembre 1988 en vertu de l’article 15 (art. 15); b) à l’unanimité, à l’absence de toute question distincte sur le terrain de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis, ainsi que des opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour à dire que le Royaume-Uni n’a pas enfreint l’article 5 paras. 3 et 5 (art. 5-3, art. 5-5), ayant usé le 23 décembre 1988 de son droit de dérogation au titre de l’article 15 (art. 15), et qu’il n’a pas non plus manqué aux exigences de l’article 13 (art. 13) ou, en ordre subsidiaire, que nulle question distincte ne se pose au regard de ce texte.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Enrica Salesi habite Pomezia (province de Rome). En application de l’article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-17 de son rapport): "15. Le 28 février 1986, la requérante assigna le ministre de l’Intérieur devant le juge d’instance (pretore) de Rome" en sollicitant une allocation mensuelle d’invalidité que les services de la sécurité sociale du Latium lui avaient refusée. "16. L’instruction débuta à l’audience du 21 mai 1986, date à laquelle le juge d’instance ordonna l’accomplissement d’une expertise médicale. L’expert désigné prêta serment à l’audience du 17 juin 1986 et, à l’issue de l’audience du 2 décembre 1986, le juge d’instance condamna le ministre de l’Intérieur au paiement de l’allocation requise. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 16 décembre 1986. Le 21 avril 1987, le ministre de l’Intérieur interjeta appel de cette décision et, le 5 mai 1987, le président du tribunal de Rome fixa l’audience devant la chambre compétente du tribunal au 24 mai 1989. A cette date, le tribunal de Rome rejeta l’appel et confirma la décision attaquée." D’après les renseignements fournis à la Cour par la requérante, le jugement fut déposé au greffe le 27 janvier 1990; le ministre se pourvut en cassation le 20 juillet, mais la Cour suprême repoussa le recours par un arrêt du 5 juin 1991, déposé au greffe le 10 mars 1992. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La demande de la requérante se fondait sur la loi no 118 du 30 mars 1971 (loi no 118/71), prise en exécution de l’article 38 de la Constitution italienne aux termes duquel: "Tout citoyen inapte au travail et dépourvu des moyens élémentaires d’existence a droit aux moyens de subsistance et à l’assistance sociale. (...) L’accomplissement des tâches prévues dans le présent article incombe aux organismes et institutions établis ou secondés par l’État. (...)" D’après l’article 13 de la loi no 118/71, l’État octroie une allocation mensuelle (assegno mensile) d’invalidité aux mutilés et aux invalides civils âgés de dix-huit à soixante-quatre ans chez qui on a constaté une incapacité au travail de plus de deux tiers et qui se trouvent en état d’indigence. S’agissant d’une prestation d’assistance sociale obligatoire, les litiges relatifs à l’existence d’un droit à cette allocation relèvent de la compétence du pretore agissant à titre de juge du travail et le déroulement du procès obéit aux dispositions édictées en matière de contentieux du travail (articles 442 et 444 du code de procédure civile). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressée a saisi la Commission le 12 juin 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure engagée par elle et invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13023/87) le 2 juillet 1990. Dans son rapport du 20 février 1992 (article 31) (art. 31), elle relève, par treize voix contre huit, une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu’il n’y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ouvrier, M. Alessandro Padovani habite Bergame. Le 21 février 1987, la police judiciaire l’arrêta pour l’avoir trouvé en possession de matériel volé; elle le traduisit le même jour devant le juge d’instance (pretore) de Bergame qui, aussitôt après l’avoir interrogé, confirma l’arrestation. Le juge entendit aussi, les 21 et 23, deux autres inculpés, M. B. et Mme M. Le 26 février, ledit magistrat décerna un mandat d’arrêt contre le requérant - mais non contre M. B. et Mme M. - et engagea contre lui et ses coïnculpés la procédure accélérée de jugement (giudizio direttissimo). Fixant au 2 mars la date de l’audience, il relevait l’existence, à la charge de M. Padovani, d’indices suffisants de culpabilité, à savoir la découverte des objets litigieux à son domicile, ainsi que la gravité des faits, eu égard notamment aux antécédents de l’intéressé. Les débats durèrent une demi-heure environ. Le requérant affirma, comme déjà lors de son interrogatoire du 21 février 1987, avoir acheté lesdits objets à un inconnu qui lui avait déclaré avoir besoin d’argent pour payer une traite. Il avoua cependant n’avoir pas cru à cette thèse et avoir pensé plutôt que le vendeur les avait dérobés à son entourage afin de se procurer les moyens d’acheter de la drogue. Le juge ouït également M. B. et Mme M., de même que deux témoins. Représenté par un avocat comme l’article 72 du décret royal no 12 du 30 janvier 1941 sur l’organisation judiciaire le permet dans certains cas, le ministère public demanda contre M. Padovani une peine de huit mois d’emprisonnement. Estimant que le prévenu n’avait pas acquis de bonne foi le matériel en question, le juge d’instance lui infligea un an de prison avec sursis et 250 000 lires d’amende. Le jugement fut déposé au greffe le 9 mars 1987, soit sept jours plus tard. M. Padovani n’a pas interjeté appel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Relèvent de la compétence du juge d’instance les infractions passibles de trois années d’emprisonnement au plus, d’une peine pécuniaire ou des deux à la fois, ainsi qu’un certain nombre de délits expressément visés à l’article 31 du code de procédure pénale (C.P.P.) et pour lesquels "la personne arrêtée en flagrant délit est immédiatement conduite devant le juge afin d’être jugée". Sous la section "Procédure accélérée de jugement" (Giudizio direttissimo), l’article 505 de l’ancien code de procédure pénale, applicable à l’époque, disposait ce qui suit: "(...) s’il s’agit d’infractions relevant de la compétence du juge d’instance (pretore), les officiers de police judiciaire qui ont opéré l’arrestation en flagrant délit ou auxquels la personne arrêtée a été remise, la conduisent directement devant le juge d’instance, citent, sur ordre même verbal du juge, la victime et les témoins, et avertissent le défenseur choisi [par la personne arrêtée] ou commis d’office. Lorsque le juge ne tient pas audience, les officiers de police judiciaire qui ont opéré l’arrestation ou auxquels la personne arrêtée a été remise, informent immédiatement le juge d’instance de l’arrestation et présentent la personne arrêtée à l’audience que le juge fixe dans les quarante-huit heures de l’arrestation. Le juge devant lequel la personne arrêtée est amenée autorise l’officier de police judiciaire à faire un rapport verbal, puis interroge la personne arrêtée afin de confirmer l’arrestation. Si l’arrestation est confirmée et que le juge d’instance n’estime pas devoir élargir le requérant, il engage immédiatement la procédure accélérée de jugement. A la demande de l’accusé, le juge peut reporter l’audience d’un maximum de cinq jours pour permettre à celui-ci de préparer sa défense. (...) Le juge d’instance exerce les pouvoirs conférés au ministère public et au juge, conformément aux articles précédents." Sous le titre "Exercice de l’action publique par le ministère public ou le juge d’instance (pretore)", l’article 74 du C.P.P. précisait ce qui suit: "Le ministère public, ou le juge d’instance pour les infractions relevant de sa compétence, met en mouvement ou exerce l’action publique selon les formes prévues par la loi, conformément à l’article 1. (...) Le ministère public, lorsqu’il estime qu’il n’y a pas lieu de mettre en mouvement une action publique, demande au juge d’instruction de prononcer une ordonnance (decreto) [en ce sens] (...) Dans le but prévu à l’alinéa précédent, le juge d’instance rend une ordonnance [de non-lieu] et en informe le procureur de la République qui peut demander le dossier et décider de continuer les poursuites." L’article 231 disposait de son côté: "Lorsqu’il s’agit d’infractions relevant de sa compétence, le juge d’instance (pretore), avant de rendre une ordonnance de renvoi en jugement ou de procéder au jugement ‘direttissimo’ ou par ‘decreto’, prescrit ou accomplit les actes de police judiciaire ou d’instruction sommaire qu’il estime nécessaires (...)" III. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE La Cour constitutionnelle italienne a eu à se prononcer sur la compatibilité du cumul, par le juge d’instance, des fonctions d’enquête et de jugement avec diverses clauses de la Constitution. Par ses arrêts no 61 du 24 mai 1967 (Foro Italiano 1967, I, p. 1113) et no 123 du 9 juillet 1970 (Foro It. 1970, I, p. 1841), elle avait rejeté les exceptions d’inconstitutionnalité formulées à cet égard. Dans une décision plus récente, du 15 décembre 1986 (no 268, Foro It. 1988, I, p. 1117), ladite Cour a invité le législateur à tenir compte, dans le cadre de la réforme du code de procédure pénale, de l’évolution doctrinale tendant à distinguer nettement entre les deux types de fonctions susmentionnés. Elle précisait qu’en l’absence d’une intervention législative il lui faudrait réexaminer sa jurisprudence. La question se trouve désormais résolue puisque le nouveau code, entré en vigueur le 24 octobre 1989 et qui adopte le système accusatoire, établit une telle séparation pour les procédures qui se déroulent devant le juge d’instance: par ses articles 549 à 567, il institue auprès de chaque pretura un bureau du parquet. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressé a saisi la Commission le 1er juillet 1987. Il se plaignait du défaut d’impartialité du juge d’instance et invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13396/87) le 3 décembre 1990. Dans son rapport du 6 juin 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par seize voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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De nationalité suisse, M. Martin Kraska réside à Zurich. Il a obtenu son diplôme de médecin en 1981 et pratique depuis lors, notamment comme interne (Assistenzarzt), ce pour quoi il n’a pas besoin de permis dans le canton de Zurich. A. La procédure devant les autorités et juridictions zurichoises Le 19 octobre 1982, il reçut l’autorisation d’exercer la médecine à titre libéral dans le canton, mais la Direction de la santé (Gesundheitsdirektion) la lui retira le 26 avril 1983 au motif qu’ayant déménagé dans un autre canton, il n’en avait pas usé. Le requérant introduisit un recours administratif (Rekurs) que le gouvernement du canton (Regierungsrat) de Zurich rejeta le 17 août 1983 pour les raisons suivantes: l’éventualité de l’octroi d’une nouvelle autorisation, dès qu’il retournerait à Zurich, ne suffisait pas à lui conférer un intérêt juridiquement protégé; en tout cas, pareille autorisation n’avait pas une validité générale, mais visait plutôt une activité concrète; or M. Kraska n’habitait plus le canton. Du 6 août au 17 septembre 1984, le requérant travailla comme interne dans le service des urgences de l’Association des médecins du district de Zurich (Ärztlicher Notfalldienst des Ärzteverbandes des Bezirks Zürich). Le 28 août 1984, il alla chercher une malade, partiellement paralysée, dans une résidence privée pour personnes âgées et la ramena chez elle où il lui prodigua les soins dont elle avait besoin. Peu après, il établit sa note d’honoraires, s’élevant à 7 447 FS 80, sur un formulaire du service des urgences et l’envoya au curateur (gesetzlicher Vertreter) de la patiente, placée temporairement sous tutelle le 13 septembre 1984; la somme devait être versée directement au compte chèque postal du requérant et non de l’association des médecins. Là-dessus, M. Kraska fut poursuivi pour escroquerie et pour diverses infractions à la loi zurichoise de 1962 sur la santé publique; on lui reprochait en particulier d’avoir soigné ladite malade sans posséder l’autorisation de pratiquer la médecine à titre libéral comme l’exigeait l’article 7 par. 1 a). Le tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich le relaxa le 13 janvier 1986, entre autres parce que l’acte d’accusation n’avait pas indiqué avec assez de précision de quels soins médicaux il s’agissait. Dans l’intervalle, le 31 janvier 1985, le requérant avait essayé de recouvrer l’autorisation voulue. La Direction de la santé lui avait opposé un refus le 11 septembre 1985, ne le considérant pas comme "digne de confiance" au sens de l’article 8 par. 1 de ladite loi. Le 1er octobre 1986, le gouvernement du canton de Zurich rejeta le recours administratif de M. Kraska. Il estima que celui-ci avait violé l’article 7 par. 1 a) de la loi en rédigeant une note pour les soins en question et que son acquittement par le tribunal de district n’y changeait rien; il releva que l’intéressé avait lui-même, sur ladite note, qualifié les soins d’actes médicaux. Dans un appel (Beschwerde) au tribunal administratif de Zurich, le requérant réclama derechef l’autorisation d’exercer sa profession à titre libéral. Le tribunal le débouta le 11 mars 1987; il lui fixa en outre un délai d’attente jusqu’au début de 1988. B. La procédure devant le Tribunal fédéral Le recours de droit public Par un mémoire de soixante-treize pages, l’avocat de M. Kraska saisit le Tribunal fédéral d’un recours de droit public sur lequel cinq juges délibérèrent en public le 22 octobre 1987 (article 17 par. 1 de la loi fédérale sur l’organisation judiciaire). Il se trouvait dans la salle, mais ne pouvait prendre la parole. Le juge X présenta son rapport; le juge Y - qui n’avait pas la qualité de corapporteur comme l’indique le paragraphe 68 de l’avis de la Commission - déclara ne pouvoir en approuver les conclusions et proposa une solution contraire. Pendant la discussion qui suivit, un troisième juge formula une contre-proposition que la majorité adopta. Dans une lettre à son client, l’avocat retraça les délibérations. D’après lui, le juge X avait préconisé d’accueillir en entier le recours et d’accorder à l’intéressé l’autorisation sollicitée. Le juge Y, lui, s’était dit excédé par l’ampleur du mémoire, dont il n’avait pu lire qu’une trentaine de pages, et avait déploré de n’avoir pu étudier le dossier car, à cause d’une erreur du greffe, il ne l’avait reçu que la veille; sur quoi il avait conclu au rejet du recours en se fondant exclusivement sur les décisions précitées des 11 septembre 1985, 1er octobre 1986 et 11 mars 1987 (paragraphes 11-12 ci-dessus). Le Tribunal fédéral statua le même jour par quatre voix contre une, celle du juge X; il annula le délai d’attente imparti à M. Kraska, mais rejeta le recours pour le surplus. Il déclara d’abord irrecevables certains griefs du requérant. Il précisa cependant que dans des affaires de ce genre il pouvait exceptionnellement, en cas de succès du recours, ne pas se borner à casser la décision attaquée mais octroyer de surcroît l’autorisation réclamée, si toutes les autres conditions se trouvaient remplies. Le Tribunal rappela en second lieu que d’après sa jurisprudence, la liberté du commerce et de l’industrie, garantie par l’article 31 de la Constitution, englobait l’exercice de la médecine à titre professionnel. Après examen, il estima que deux au moins des griefs des autorités sanitaires semblaient pertinents pour apprécier l’honnêteté de M. Kraska: celui-ci avait effectué un acte médical sans permis; de plus, sur sa note d’honoraires il avait mélangé actes médicaux et non médicaux et pour l’établir il avait utilisé un formulaire du service des urgences, créant ainsi l’impression qu’elle portait uniquement sur les premiers. Le 8 décembre 1987, la Direction de la santé du canton de Zurich accueillit une troisième demande d’autorisation émanant de l’intéressé. Les recours en révision Le 6 novembre 1987, M. Kraska invita le Tribunal fédéral à réviser son arrêt du 22 octobre 1987, lui reprochant de l’avoir rendu sans connaître le dossier. Le Tribunal le débouta le 14 mars 1988 au motif, notamment, qu’il n’y avait pas là une cause légale de révision. Il résuma en ces termes la délibération critiquée: "Lors du délibéré public, un juge a exprimé son mécontentement pour ne pas avoir disposé assez longtemps du dossier (qui avait été envoyé auparavant à un juge suppléant), raison pour laquelle il n’avait pu lire de façon approfondie que les trente-cinq premières pages des soixante-treize que comptait le mémoire de recours - beaucoup trop long." M. Kraska introduisit ultérieurement trois autres recours en révision que le Tribunal fédéral rejeta les 5 mai 1988, 23 août 1988 et 6 juin 1989. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kraska a saisi la Commission le 2 avril 1988. Il invoquait l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention ainsi que l’article 3 (art. 3): un juge fédéral se serait prononcé sur son recours de droit public sans avoir étudié le dossier; le Tribunal fédéral aurait constaté une infraction à la loi zurichoise sur la santé publique malgré le jugement d’acquittement du 13 janvier 1986; la procédure suivie devant les autorités et juridictions compétentes aurait constitué un traitement inhumain et dégradant. Le 4 octobre 1990, la Commission a retenu le grief tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), mais déclaré la requête (no 13942/88) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut par quatorze voix contre cinq à la méconnaissance de cette disposition. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à dire que la Suisse n’a pas violé la Convention (...) à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Martin Kraska".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen autrichien, M. Otmar Chorherr réside actuellement à Vienne. Le 26 octobre 1985 se déroulait, sur la Rathausplatz de Vienne, une cérémonie militaire célébrant le trentième anniversaire de la neutralité autrichienne et le quarantième de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle commença à 11 h par la prestation de serment de quelque 1 200 conscrits et se poursuivit par un défilé qui se termina vers 13 h. Environ 50 000 personnes y assistèrent, outre de nombreux dignitaires présents dans la tribune officielle. Au même moment, le requérant et un ami distribuèrent, à cet endroit, des tracts réclamant un référendum contre l’achat d’avions de combat par l’armée autrichienne ("Volksbegehren für eine Volksabstimmung gegen Abfangjäger"). Ils portaient des sacs à dos auxquels étaient attachés des agrandissements du tract; mesurant à peu près 50 sur 70 cm, ceux-ci dépassaient la tête des intéressés d’approximativement 50 cm en hauteur et arboraient le slogan "l’Autriche n’a pas besoin de chasseurs d’interception" ("Österreich braucht keine Abfangjäger"). D’après l’arrêt que la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) devait rendre le 28 novembre 1986 sur la base du dossier de la police et des déclarations des parties (paragraphe 10 ci-dessous), le reste des événements peut se résumer ainsi. Le manège des deux hommes avait provoqué des remous parmi les spectateurs, dont la vue s’était trouvée masquée. Deux policiers informèrent alors les intéressés qu’ils troublaient l’ordre public et leur enjoignirent de cesser ce qu’il fallait considérer comme une manifestation. Ceux-ci refusèrent toutefois d’obtempérer, se prévalant de leur droit à la liberté d’expression. Comme ils persistaient malgré de nouvelles remontrances des forces de l’ordre et des protestations de plus en plus vives issues de la foule, ils furent appréhendés (festgenommen) à 11 h 15 et emmenés au poste de police du centre ville (Bezirkspolizeikommissariat Innere Stadt), où l’on ouvrit contre eux une procédure pénale administrative (Verwaltungsstrafverfahren). Au commissariat, le requérant fut placé en garde à vue (in den Arrest abgegeben) à 11 h 35. Après s’être renseigné sur son casier judiciaire, l’officier de police l’interrogea à partir de 14 h 15. M. Chorherr nia avoir été averti qu’il commettait des infractions administratives (Verwaltungsübertretungen); il aurait, sinon, immédiatement interrompu son action, disait-il. Il recouvra la liberté à 14 h 40. Le 4 avril 1986, il saisit la Cour constitutionnelle d’un recours (Beschwerde) contre son arrestation et l’interdiction de distribuer des tracts. S’appuyant notamment sur les articles 5 et 10 (art. 5, art. 10) de la Convention, il invoquait ses droits à la liberté individuelle (Recht auf persönliche Freiheit) et à la liberté d’expression (Freiheit der Meinungsäußerung). Il prétendait n’avoir nullement dérangé le public et n’avoir jamais été sommé par la police de renoncer à manifester davantage, mais la haute juridiction n’ajouta pas foi à ces affirmations: selon elle, la plupart des spectateurs étaient venus pour assister au défilé, ce en quoi l’intéressé avait gêné certains d’entre eux. Elle le débouta le 28 novembre 1986. Au sujet de l’arrestation litigieuse, elle releva que le comportement de M. Chorherr avait à bon droit pu passer pour une infraction administrative et que l’intéressé, pris en flagrant délit, avait persisté malgré les injonctions des forces de l’ordre. D’après elle, les exigences de l’article 4 de la loi sur la protection de la liberté individuelle (Gesetz zum Schutz der persönlichen Freiheit), de l’article 35, no 3, de la loi de 1950 sur les infractions administratives (Verwaltungsstrafgesetz) et de l’article IX par. 1, no 1, de la loi introductive des lois sur la procédure administrative (Einführungsgesetz zu den Verwaltungsverfahrensgesetzen, "loi introductive") avaient donc toutes été observées sur ce point (paragraphe 12 ci-dessous). Quant à la garde à vue (Anhaltung), la Cour constitutionnelle la jugea conforme à l’article 36 par. 1, 1re phrase, de la loi sur les infractions administratives, aucune circonstance particulière n’ayant autorisé les policiers à croire qu’une fois relâché, l’intéressé ne renouvellerait pas ses agissements punissables. Enfin, l’ordre d’enlever les affiches et d’arrêter la distribution de tracts n’avait porté aucune atteinte au droit constitutionnel à la liberté d’opinion, car il ne visait pas à empêcher le requérant d’exercer celui-ci mais plutôt à faire cesser un trouble à l’ordre public. A l’issue de la procédure pénale administrative, la Direction de Vienne de la police fédérale (Bundespolizeidirektion) rendit, le 29 avril 1987, une ordonnance pénale (Straferkenntnis) infligeant à M. Chorherr une amende de 1 000 schillings pour tapage et trouble à l’ordre public (articles VIII in fine et IX par. 1, no 1, de la loi introductive, paragraphe 12 ci-dessous). Sur appel de l’intéressé, la Direction de la sécurité publique (Sicherheitsdirektion) confirma le 3 mars 1988, en la modifiant, la condamnation de ce dernier chef et ramena la peine à 700 schillings; le 25 avril 1988, elle retira les charges relatives au tapage. Le requérant ne se pourvut point devant la Cour administrative ou la Cour constitutionnelle. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Des lois de procédure administrative, recodifiées le 23 mai 1950 par décision du gouvernement fédéral (Kundmachung der Bundesregierung vom 23. Mai 1950 über die Wiederverlautbarung von Rechtsvorschriften auf dem Gebiet des Verwaltungsstrafverfahrens), il échet de citer les dispositions suivantes. Loi introductive des lois sur la procédure administrative Article VIII in fine "Quiconque (...) méconnaît la bienséance ou se livre à un tapage commet une infraction administrative (...)" Article IX par. 1, no 1 "Quiconque trouble l’ordre public par un comportement de nature à causer le scandale (...) commet (...) une infraction administrative (...)" Loi sur les infractions administratives Arrestation (Festnahme) Article 35 "Sauf les cas spécialement régis par la loi, les organes du service de sécurité publique peuvent arrêter une personne prise en flagrant délit en vue d’assurer sa comparution devant les autorités, si (...) 3) malgré un avertissement, elle poursuit l’accomplissement de l’acte punissable ou tente de le répéter." Article 36 par. 1 "Toute personne arrêtée est conduite sans délai devant l’autorité compétente la plus proche ou libérée si le motif de l’arrestation disparaît avant la comparution (...)" III. LA RÉSERVE DE L’AUTRICHE À L’ARTICLE 5 (ART. 5) DE LA CONVENTION L’instrument de ratification de la Convention, déposé par le gouvernement autrichien le 3 septembre 1958, contient notamment une réserve ainsi libellée: "les dispositions de l’article 5 (art. 5) de la Convention seront appliquées sans préjudice des dispositions des lois de procédure administrative, BGBl. [Journal officiel fédéral] no 172/1950, concernant les mesures de privation de liberté qui resteront soumises au contrôle postérieur de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle, prévu par la Constitution fédérale autrichienne." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Chorherr a saisi la Commission le 14 juillet 1987; il invoquait les articles 5 et 10 (art. 5, art. 10) de la Convention. Le 1er mars 1991, la Commission a rejeté, pour non-épuisement des voies de recours internes (article 26) (art. 26), le grief relatif à l’ordonnance pénale (paragraphe 11 ci-dessus) et retenu la requête (no 13308/87) pour le surplus. Dans son rapport du 21 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut à la non-violation de l’article 5 (art. 5) (douze voix contre deux) et à la violation de l’article 10 (art. 10) (sept voix contre sept, avec la voix prépondérante du président en exercice). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Homme d’affaires suisse poursuivi, avec onze complices, pour une série d’infractions économiques, dont de multiples escroqueries dans la gestion d’une soixantaine de sociétés commerciales, le requérant fut arrêté le 27 mars 1985 et placé en détention provisoire avec six coïnculpés, au motif qu’il y avait danger de fuite, de collusion et de récidive. A. L’instruction Les premières plaintes le concernant étaient parvenues à la police judiciaire du canton de Berne en octobre 1982, à la suite notamment d’un certain nombre de faillites frauduleuses. Ayant chargé, en octobre 1984, les bureaux d’Interpol en Allemagne, aux États-Unis d’Amérique, au Royaume-Uni, à Monaco et dans plusieurs pays des Caraïbes d’enquêter sur l’intéressé, les autorités cantonales ouvrirent le 8 février 1985 une instruction préparatoire contre lui. Devant la complexité de l’affaire, elles créèrent, vers le milieu de l’année 1985, une sous-division de l’office du juge d’instruction (Untersuchungsrichteramt) du canton de Berne, composée de deux magistrats affectés exclusivement à la conduite de l’enquête, sous l’autorité d’un procureur près la cour d’appel (Obergericht) de Berne et de la chambre d’accusation (Anklagekammer) de celle-ci. Secondés par des officiers de police spécialisés, ils disposèrent aussi d’importants équipements (secrétariat, ordinateur, archives). De mars 1985 à juin 1986, leurs investigations, qui remontèrent jusqu’à l’année 1977, donnèrent lieu à dix-huit perquisitions, dont plusieurs au domicile de W. et au siège de sociétés contrôlées par lui. On y découvrit une grande quantité de documents, retrouvés pour la plupart dans un désordre total, certains dans la cave, dans la salle de bains et même, prêts à être détruits, dans des sacs à ordures. Il avait en effet altéré la comptabilité de ses compagnies, du reste partiellement fictives, pour déjouer d’éventuelles poursuites. Le 3 avril 1985, les autorités bloquèrent des avoirs dans dix-sept banques et délivrèrent des commissions rogatoires concernant d’autres institutions de crédit. Elles dénombrèrent un total d’environ deux cents comptes touchés par les malversations du requérant et de ses complices. En 1985 et 1987, des fonds et objets de valeurs de l’intéressé et de coïnculpés furent saisis à la suite d’ordonnances ou de perquisitions. Elles dataient des 27 et 28 mars, 3 avril, 4 mai, 2, 3 et 27 juin, 5 septembre, 3 octobre et 25 novembre 1985, puis des 16 et 19 janvier, 9 février, 5 mars, 14 mai, 2 juillet, 19 et 21 août et 1er décembre 1987. Les investigateurs durent recourir aussi à l’entraide judiciaire internationale, notamment celle du parquet de Munich. Celui-ci leur envoya un rapport, du 16 avril 1987, qui amena les autorités suisses à étendre leurs recherches à l’Allemagne et à reprendre des poursuites pénales ouvertes contre W. dans ce pays. Le 11 décembre 1987, les magistrats instructeurs invitèrent treize liquidateurs de faillites à fournir des documents relatifs à dix-sept sociétés. Les derniers leur parvinrent en décembre 1988 et janvier 1989. Vu l’urgence, ils disjoignirent, le 26 mai 1988, les procédures contre le requérant de celles relatives à deux complices. L’intéressé récusa par deux fois lesdits magistrats. En outre, il forma onze recours et deux plaintes contre des décisions de ceux-ci ayant limité l’accès au dossier au début de l’enquête. Finalement, les inculpés s’en virent communiquer les neuf dixièmes à partir de mai 1986 et l’intégralité après le 22 octobre de la même année; entre temps, W. avait réagi en décidant, le 11 avril 1986, de ne plus faire aucune déposition. Le 28 juin 1988, il allégua de nouveaux manquements: on lui aurait refusé des pièces et son avocat n’aurait pu en obtenir des photocopies gratuites; la chambre d’accusation le débouta le 27 juillet 1988. Après le renvoi en jugement (paragraphe 13 ci-dessous), les autorités consentirent, les 13 octobre, 30 novembre 1988 et 3 janvier 1989, à la consultation du dossier par la défense pendant neuf, sept et cinq demi-journées respectivement. Un autre incident éclata quand le requérant fut exclu de certains actes d’instruction. Le 27 janvier 1987, la chambre d’accusation décida qu’il avait en principe le droit d’y assister. Les 16 février et 19 mai 1988, cette même juridiction puis le Tribunal fédéral rejetèrent la demande de l’intéressé, du 18 décembre 1987, tendant à la suppression de toute surveillance lors des visites de son épouse. Pendant sa détention provisoire, W. accomplit de nouveaux délits qui lui valurent une condamnation supplémentaire du chef de faillite frauduleuse et d’abus de biens sociaux (paragraphe 24 ci-dessous): l’assemblée générale d’une société contrôlée par lui, siégeant en prison le 11 octobre 1985 en présence d’un avocat-notaire, avait permis à celui-ci d’établir sur procuration des titres de créances garantis sur le patrimoine de ladite compagnie et engagés à la sûreté de dettes personnelles du requérant. Une fois la documentation de base réunie et triée, les autorités ordonnèrent aussi, en octobre et juillet 1986, trois expertises, une psychiatrique et deux comptables, ces dernières à la suite d’une demande de preuve de la défense, la seule qu’elle ait présentée au cours de l’instruction, le 6 septembre 1985. Elles furent déposées le 22 décembre 1986 et en avril 1987. Le rapport psychiatrique conclut à la pleine responsabilité pénale de l’intéressé, qu’il qualifia d’imposteur (Hochstapler) et d’hédoniste débridé (hemmungsloser Hedonist) n’éprouvant aucun scrupule à nuire à autrui. Le 29 avril 1988, les magistrats annoncèrent, en vertu de l’article 98 du code bernois de procédure pénale (paragraphe 25 ci-dessous), qu’ils allaient demander au parquet de traduire W. devant le tribunal pénal économique (Wirtschaftsstrafgericht) du canton. Le renvoi en jugement (Überweisungsbeschluß) eut lieu le 2 septembre 1988. Au total, les enquêteurs avaient procédé à environ 350 interrogatoires. Du 11 avril 1986 au 12 juillet 1988, l’intéressé lui-même avait été entendu trente-six fois, mais il avait toujours refusé de répondre aux questions posées (paragraphe 10 ci-dessus); les procès-verbaux les reproduisant et prenant acte de son silence remplirent à peu près 700 pages. En septembre 1987, le dossier principal comportait environ 600 classeurs. Au moment du jugement il en comptait 711, auxquels s’ajoutaient les documents originaux qui à eux seuls couvraient plus de 120 mètres d’étagères. Le montant du préjudice était évalué à plus de cinquante millions de francs suisses. B. Les demandes d’élargissement du requérant Du 29 mars 1985 au 18 mai 1988, vingt-cinq demandes de mise en liberté furent présentées par les personnes incarcérées provisoirement dans cette affaire. Huit d’entre elles émanaient du requérant. Le 1er juillet 1985, la chambre d’accusation rejeta la première, formulée le 24 mai. Elle repoussa aussi, les 22 juillet et 28 août 1985, des plaintes des 8 juillet et 2 août, relatives respectivement à l’avocat d’office de W. et à son droit de visite. Le 13 septembre 1985, elle refusa d’accueillir une nouvelle requête, du 26 août 1985. Saisi d’un recours de droit public, le Tribunal fédéral confirma cette décision le 7 novembre 1985, estimant remplies toutes les conditions auxquelles l’article 111 du code bernois de procédure pénale soumet la détention provisoire (paragraphe 25 ci-dessous). Pour lui, les graves soupçons pesant sur l’inculpé trouvaient appui dans le dossier. En outre, M. W. avait transféré son domicile à Monte-Carlo et ses nombreux séjours en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis d’Amérique et sur l’île d’Anguilla autorisaient eux aussi à craindre qu’il ne tentât de se soustraire à la justice suisse. Quant au danger de collusion, bien réel, il provenait de l’enchevêtrement des diverses sociétés du requérant et du grand nombre de ses collaborateurs. Le Tribunal fédéral invita toutefois les enquêteurs à se montrer diligents et en particulier à entendre au plus tôt les personnes susceptibles d’être de connivence avec l’intéressé: d’après lui, la complexité des faits ne pouvait, à elle seule, légitimer plusieurs années d’incarcération. W. introduisit une troisième demande d’élargissement le 17 mars 1986. La chambre d’accusation la rejeta par une décision du 4 juin 1986 que le Tribunal fédéral, sur recours de droit public, confirma le 25 août. D’après la haute juridiction, la lecture sommaire de certains procès-verbaux d’interrogatoire suffisait à révéler des soupçons graves d’escroquerie multiple et de faillite frauduleuse à charge du requérant; c’est à tort qu’il en contestait le bien-fondé dans les cas nommément cités par la chambre d’accusation pour justifier la durée, déjà longue, de l’emprisonnement litigieux. De surcroît, tant le risque de fuite que celui de collusion persistaient: le premier en raison des bonnes relations de l’intéressé avec l’étranger et de son intention déclarée de refaire sa vie aux États-Unis, le second au vu de son comportement avant son arrestation et pendant l’instruction. Toutefois, comme le dernier coïnculpé venait d’être écroué et que les principaux témoins avaient déjà déposé, on ne pourrait plus, désormais, invoquer ce motif sans spécifier les actes de collusion redoutés. W. était du reste le principal responsable de la durée de sa détention: l’absence de toute comptabilité régulière de ses sociétés avait rendu très difficile l’identification des transferts financiers par lesquels il les avait grevées à des fins personnelles. Pourtant, les magistrats avaient développé une activité très intense. Au total, l’incarcération querellée ne paraissait pas encore trop longue. Il fallait néanmoins se préoccuper de ce que l’exploitation systématique des documents et la rédaction d’une synthèse destinée à la mise en accusation de l’intéressé n’avaient pas beaucoup progressé. D’autre part, un doute subsistait sur la nécessité d’expertises comptable et psychiatrique. Ces éléments devraient être surveillés de très près. Le 12 décembre 1986 suivit une quatrième demande de mise en liberté, que la chambre d’accusation écarta le 20 janvier 1987. Le requérant attaqua cette décision au moyen d’un recours de droit public; outre la durée de l’expertise comptable, il dénonçait la prétendue incapacité des autorités à mener à bien le dossier. Le Tribunal fédéral statua le 24 mars 1987. D’après lui, c’était en raison de la méconnaissance, par l’intéressé, des règles élémentaires de tenue des livres que ladite expertise n’avait pu s’achever plus tôt; or, on reprochait précisément à W. d’avoir mélangé les fonds de ses diverses sociétés. Depuis l’arrêt du 25 août 1986 (paragraphe 16 ci-dessus), les autorités avaient pris en compte ses remarques relatives au dépouillement des documents; de ce point de vue, l’instruction n’appelait donc aucun reproche, eu égard notamment aux très nombreuses pièces à classer. Que les autorités l’eussent confiée à une équipe de deux magistrats montrait du reste qu’elles lui attribuaient une grande importance. Quant aux rapports psychiatrique et comptables, d’ailleurs sur le point d’être déposés, leur préparation n’avait nullement tardé puisque W. refusait de répondre à la moindre question. En définitive, la détention litigieuse n’avait pas encore dépassé la durée maximale autorisée. Le Tribunal ajouta toutefois: " (...) méconnaîtrait le droit fondamental à la liberté individuelle la pratique consistant à garder en détention jusqu’au jugement définitif, en raison uniquement d’un danger général de fuite, un inculpé soupçonné de graves délits économiques mais non d’actes de violence. Il y a lieu de rappeler à cet égard qu’en général l’attrait de la fuite diminue à mesure que s’allonge la détention déjà subie. Aussi les juges d’instruction, le parquet et la chambre d’accusation devront-ils, après avoir accompli les quelques actes d’instruction pour lesquels un certain risque de collusion peut paraître subsister, mais au plus tard après deux ans et demi de détention, envisager l’élargissement du requérant, moyennant l’adoption de mesures de substitution au sens de l’article 111a du code bernois de procédure pénale. Il n’en irait autrement que si, dans l’intervalle, des indices concrets devaient révéler [chez W.] l’intention de prendre la fuite. En revanche, le danger de récidive (...) ne devrait pas jouer de rôle, le requérant n’ayant pas été condamné antérieurement." Le 3 août 1987, l’intéressé invita derechef la chambre d’accusation à mettre fin à son incarcération; elle s’y refusa par une décision du 4 septembre suivant. Le 29 octobre 1987, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public du requérant. A ses yeux, le ralentissement de l’instruction, observé depuis son dernier arrêt (paragraphe 17 ci-dessus), ne justifiait aucun reproche, car depuis lors les autorités suisses avaient repris à leur compte les poursuites menées contre W. par le parquet de Munich (paragraphe 9 ci-dessus), ce qui avait entraîné un surcroît de travail. A cet égard, on ne pouvait pas non plus blâmer les enquêteurs d’avoir souvent interrogé l’intéressé au sujet de celles-ci malgré son refus de déposer: elles avaient eu pour seul but de permettre à W. d’exercer ses droits de défense. Il n’en résultait aucune méconnaissance des impératifs de célérité; c’est plutôt l’attitude du requérant qui revenait à freiner les investigations par tous les moyens légaux. Eu égard au minimum de cinq ans d’emprisonnement qu’il encourait, les deux ans et sept mois de détention provisoire n’avaient, au demeurant, pas encore atteint le seuil critique. Le Tribunal fédéral invita en outre les juges d’instruction à reconsidérer d’ici à la fin de janvier 1988 la durée de l’incarcération litigieuse. Le 31 janvier 1988, ils décidèrent de la prolonger (Haftbelassungsbeschluß). Entre temps, la chambre d’accusation avait été saisie, le 2 décembre 1987, de la sixième demande d’élargissement du requérant. Elle l’avait repoussée le 9 décembre, au motif que rien n’avait changé depuis le dernier arrêt du Tribunal fédéral, du 29 octobre 1987 (paragraphe 18 ci-dessus); selon elle, les dangers de fuite et de collusion n’avaient pas disparu. W. ne se pourvut point contre cette décision. Le 1er février 1988, il sollicita derechef sa levée d’écrou. La chambre d’accusation l’ayant refusée le 18 février, il se tourna vers le Tribunal fédéral. Celui-ci le débouta le 25 avril 1988. D’après lui, la chambre d’accusation n’avait pas méconnu la Constitution, ni la Convention, en estimant que le danger de fuite persistait; dans sa demande du 1er février 1988, W. avait d’ailleurs exclu de verser une caution. Outre le requérant lui-même, les autorités portaient une part de responsabilité dans les retards de l’enquête; pour les expliquer, elles avaient avancé des raisons - notamment la reprise du dossier allemand (paragraphe 9 ci-dessus) et les divergences entre les chefs d’accusation retenus contre les coïnculpés - déjà connues d’elles le 13 août 1987, quand elles avaient annoncé pour le début de 1988 la fin de l’instruction. Ces ralentissements n’avaient certes pas entraîné une prolongation excessive de la privation de liberté litigieuse, mais selon le Tribunal fédéral il s’imposait de clôturer au plus vite les investigations. Le Tribunal précisa: "Le juge d’instruction ne peut proroger la détention provisoire que dans la mesure où elle ne se rapproche pas trop de la peine encourue en l’espèce; il ne peut pas, en particulier, se fonder sur le maximum de la peine. Cette limite revêt une grande importance en raison notamment du fait que le juge du fond pourrait avoir tendance à fixer la peine en fonction de la durée de la détention provisoire. Il existe donc en quelque sorte une durée maximale de la détention provisoire (...). Les organes de la Convention européenne admettent cependant eux aussi une incarcération de plusieurs années dans des cas à la fois très complexes et sévèrement réprimés par la loi (...)" En l’occurrence, la détention n’avait pas encore atteint le seuil critique, car la sanction globale attendue dépassait désormais de loin cinq ans d’emprisonnement. Le 18 mai 1988, le requérant présenta sa huitième demande de mise en liberté, qu’il compléta le 7 juin 1988 en offrant une caution de 30 000 francs suisses au maximum. La chambre d’accusation le débouta le 27 juin 1988, au motif notamment qu’il ne fournissait aucun renseignement sur le tiers qui verserait l’argent et que le montant apparaissait dérisoire au vu de l’importance de l’affaire comme de la personnalité du prévenu. Saisi par l’intéressé d’un recours de droit public, le Tribunal fédéral cassa cette décision pour violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention: W. n’avait pas eu l’occasion de répliquer aux thèses développées par le juge d’instruction et le procureur général devant la chambre d’accusation. Sur renvoi, ladite chambre refusa le 6 septembre 1988 d’élargir le requérant, lequel se pourvut derechef devant le Tribunal fédéral. Statuant le 15 novembre 1988, la haute juridiction estima qu’à ce stade de la procédure, après la fin de l’enquête et le renvoi en jugement (paragraphe 13 ci-dessus), la détention provisoire pour risque de collusion ne pouvait se fonder que sur des indices concrets, tels en l’occurrence la personnalité de l’intéressé ainsi que les nombreux faux et manipulations de témoins déjà à son actif dans certains dossiers précis. Elle cassa toutefois la décision entreprise au motif qu’en appréciant la durée maximale autorisée de la détention litigieuse, la chambre d’accusation avait omis de rechercher si, dans le cas de W., des circonstances particulières commandaient d’avoir égard à son éventuelle libération conditionnelle. Le 10 janvier 1989, la chambre d’accusation rejeta une troisième fois la demande du 18 mai 1988 (paragraphe 21 ci-dessus). Le Tribunal fédéral l’en approuva le 23 février 1989: eu égard au nombre des infractions reprochées à l’intéressé, à leur nature, au comportement de celui-ci pendant les investigations et aux résultats de l’expertise psychiatrique (paragraphe 12 ci-dessus), c’est à juste titre que la chambre d’accusation avait nié l’existence de raisons propres à rendre très vraisemblable une libération conditionnelle. C. Le jugement du requérant Commencée le 17 février 1989, la procédure devant le tribunal pénal économique (paragraphe 13 ci-dessus) se termina le 30 mars 1989 par un jugement condamnant le requérant à onze ans d’emprisonnement et 10 000 francs suisses d’amende du chef notamment d’escroquerie commise en professionnel (gewerbsmäßiger Betrug), de banqueroute frauduleuse (betrügerischer Konkurs), de faux en écritures (Urkundenfälschung) et d’abus qualifié de biens sociaux (qualifizierte ungetreue Geschäftsführung). Les 1 465 jours passés en détention provisoire furent imputés sur la peine principale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code de procédure pénale du canton de Berne (Gesetz über das Strafverfahren) dispose: Article 98 "Lorsque le juge estime l’instruction suffisamment complète, il en informe les parties dont la résidence est connue. Si le renvoi est de la compétence du juge d’instruction et du procureur d’arrondissement, le juge d’instruction indique s’il a l’intention de proposer la suspension ou le non-lieu ou encore le renvoi devant le tribunal de répression. Dans un délai fixé par le juge et commençant à courir dès cette communication, les parties peuvent présenter des propositions écrites brièvement motivées tendant à procéder à des actes d’instruction déterminés, à poser des questions complémentaires ou relatives à l’issue de la procédure. Si le juge ordonne les actes d’instruction requis, les parties ont la faculté d’assister à leur exécution." Article 111 "Pendant l’instruction, le prévenu demeure ordinairement en liberté. Néanmoins, le juge d’instruction a le droit d’ordonner son arrestation s’il existe contre lui des présomptions graves et précises de sa culpabilité comme auteur ou participant et si, en outre, on a des raisons de craindre a) qu’il n’existe un danger de fuite, ou b) que le prévenu n’abuse de sa liberté pour compromettre ou faire échouer l’établissement des faits, ou c) que le prévenu, s’il a de nouveau commis un crime ou un délit intentionnel en cours de procédure, ne commette d’autres crimes punissables. Le danger de fuite est présumé lorsque le prévenu n’a pas de domicile déterminé en Suisse. (...)" D’après le Tribunal fédéral suisse, le droit constitutionnel non écrit à la liberté individuelle doit s’interpréter à la lumière de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention et de la jurisprudence des organes de Strasbourg; il commande de ne pas prolonger outre mesure la détention provisoire. Chaque cas doit s’apprécier individuellement; il s’agit de mettre en balance le droit de l’inculpé à la liberté et celui de l’État à exercer les poursuites et exécuter les peines. En cas de durée excessive, l’élargissement du détenu doit être prononcé même s’il subsiste de sérieux soupçons et un danger de fuite (arrêts du Tribunal fédéral suisse 108 Ia 66; 107 Ia 257/258; 105 Ia 29/30). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. W. a saisi la Commission le 20 septembre 1988; il se plaignait de la durée de sa détention provisoire. La Commission a retenu la requête (no 14379/88) le 9 octobre 1990. Dans son rapport du 10 septembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-neuf voix contre une, à la violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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Né en 1929, le Dr Royce Darnell, requérant, se trouve au chômage depuis que l’autorité sanitaire de la région de Trent (Trent Regional Health Authority, "la RHA") l’a démis de ses fonctions de microbiologiste-conseil et de directeur du laboratoire de santé publique de Derby. L’affaire concerne la durée des procédures issues de cette décision. À la suite de changements administratifs au Service national de santé (National Health Service) en 1977, des problèmes de gestion surgirent au sein de nombreuses RHA, dont celle de Trent. En raison de différends sur le mode de désignation du personnel, l’Association des personnels scientifique, technique et d’encadrement (Association of Scientific, Technical and Managerial Staffs) saisit l’autorité sanitaire de district (Area Health Authority, "l’AHA"), en octobre 1979, de ses griefs contre le requérant. Le service juridique de l’Association médicale britannique (British Medical Association) estima que l’intéressé avait agi dans le cadre des directives gouvernementales figurant dans la circulaire (IS) 16 sur le service de santé; l’AHA approuva néanmoins le nouveau système de nomination. La persistance de désaccords amena l’AHA, en décembre 1980, à porter officiellement plainte auprès de la RHA de Trent, alléguant le non-respect des règles de désignation du personnel de laboratoire. Une lettre du 19 mars 1981 informa le Dr Darnell qu’une sous-commission avait été chargée d’examiner la question. Au terme de diverses enquêtes, la RHA de Trent ouvrit contre lui une procédure disciplinaire, en vertu de la circulaire HM (61) 112. Par une lettre du 25 juin 1982, elle le suspendit de ses fonctions en attendant. Après l’échec de tentatives de règlement amiable, une commission d’enquête siégea trente-deux jours entre juin et août 1983. En décembre, elle conclut à une faute de l’intéressé sur certains points. Là-dessus, la RHA de Trent constitua une sous-commission qui recommanda de mettre fin à l’emploi de celui-ci en qualité de microbiologiste-conseil. En conséquence, la RHA de Trent le licencia par une lettre du 16 mai 1984, moyennant un préavis de trois mois et avec effet au 19 août 1984. Le Dr Darnell attaqua cette décision devant le ministre le 23 mai 1984. Une commission paritaire fut formée en application du paragraphe 190 du statut des personnels médicaux et dentaires des établissements hospitaliers (Terms and Conditions of Service of Hospital Medical and Dental Staff). Une procédure introduite depuis lors pour remplacer celle dont il s’agit assortit de délais les différentes étapes d’un recours au ministre contre un licenciement. Après avoir tenu audience le 14 mai 1985, ladite commission adressa son rapport au ministre qui, en septembre 1985, sollicita un complément d’information. Le ministre prescrivit à la RHA de proposer à l’intéressé une nouvelle affectation dans la région, autre qu’un poste de direction. Il avait en effet noté que la commission avait beaucoup critiqué la manière dont l’affaire avait été traitée. La RHA souleva des objections. Le ministère de la santé et de la sécurité sociale (Department of Health and Social Security, "le DHSS") avisa le requérant que faute d’autres postes, la question avait été déférée au ministre; celui-ci, non lié par la recommandation - favorable au recours - de la commission paritaire, avait résolu de confirmer la cessation des fonctions du Dr Darnell suivant la procédure du paragraphe 190. Par la voie d’une demande de contrôle judiciaire dont il saisit la High Court le 24 avril 1986, le requérant contesta le caractère équitable de la procédure ayant débouché sur la décision du ministre. La High Court annula cette dernière et invita le ministre à reconsidérer le problème. Il n’interjeta pas appel. Le 25 octobre 1986, le requérant indiqua au DHSS qu’il réclamait une seconde audience selon le paragraphe 190. Il y eut entre eux un échange de lettres. Le DHSS essaya de convoquer une commission ad hoc, mais la réunion n’eut pas lieu car le Dr Darnell se refusait à un tel compromis. Le 29 février 1988, le ministre confirma le licenciement sur la base du dossier, où figuraient de nouvelles conclusions. Le 18 mars 1988, le DHSS écrivit donc à l’intéressé pour l’informer qu’eu égard au rapport de la commission paritaire, du 25 juillet 1985, et aux observations écrites du Dr Darnell et de la RHA de Trent, il n’était pas possible de le réemployer et que la cessation de ses fonctions devenait effective à la date de cette missive. Le requérant sollicita le contrôle judiciaire de la validité de la directive du ministre. Il fut débouté le 3 novembre 1988. Dans l’intervalle, il avait aussi réclamé devant le tribunal du travail (Industrial Tribunal) sa réintégration, son réengagement et des dommages-intérêts. Il l’avait saisi de deux requêtes, la première le 10 août 1984, après son licenciement en mai de la même année, la seconde en mai 1986 à la suite du rejet initial, par le ministre, de son recours contre cette mesure. Ces instances avaient connu plusieurs suspensions à la demande de l’intéressé, dans l’attente du résultat dudit recours et de la procédure de contrôle judiciaire. La seconde requête fut reprise en novembre 1988 et la première retirée ultérieurement. Un examen préliminaire eut lieu le 6 février 1989; le tribunal y décida qu’une audience pouvait se tenir sans entraîner de frais pour le requérant. Dans son jugement du 23 février 1990, le tribunal estima le licenciement non abusif. Il se déclara non persuadé que l’intéressé, qui avait perçu son salaire intégral jusqu’en mars 1988, eût subi le moindre préjudice du fait du délai écoulé avant la décision finale. La cour du travail (Employment Appeal Tribunal) repoussa l’appel du Dr Darnell le 8 avril 1993. Le requérant intenta devant la High Court une action en dommages-intérêts pour avoir été suspendu de ses fonctions en juin 1982 dans l’attente de l’issue de la procédure disciplinaire. Elle fut rayée du rôle en juin 1988, faute de laisser apparaître un motif raisonnable d’ester en justice. Un appel contre cette décision fut écarté en 1990. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le Dr Darnell a saisi la Commission le 2 décembre 1988. Sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée excessive des procédures engagées contre lui au sujet de ses droits de "caractère civil" et ayant abouti à son licenciement définitif; il reprochait aussi au ministre et à la RHA de n’avoir pas suivi une procédure équitable, ni publique, et au premier de n’être ni indépendant ni impartial. Il affirmait en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), aucun recours interne effectif ne s’offrait à lui pour ces diverses doléances. Le 10 avril 1991, la Commission a retenu la requête (no 15058/89) quant à la durée de la procédure et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 13 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Société commerciale en commandite simple (Kommandit- gesellschaft) à l’époque des faits, puis transformée en société à responsabilité limitée (Gesellschaft mit beschränkter Haftung), l’entreprise F.M. Zumtobel a son siège à Dornbirn (Autriche). M. Zumtobel en était le gérant et l’unique porteur de parts. L’affaire concerne une procédure d’expropriation préalable à la construction, dans le Vorarlberg, d’une route régionale, la L 52, qui devait permettre de contourner un secteur de la commune de Rankweil. Il semble que le projet en question existe depuis 1960, mais que sa réalisation se soit heurtée à la résistance des riverains. Les autorités examinèrent notamment la compatibilité de la route prévue avec les impératifs de protection de l’environnement (Landschaftsschutz). Le tracé envisagé fut publié (zur öffentlichen Einsichtnahme aufgelegt) et l’on put consulter le dossier à la mairie de Rankweil du 1er au 31 octobre 1984. En vertu de la loi relative aux routes régionales (Landesstraßengesetz) s’ouvrit le 28 février 1985, à l’initiative de l’administration des ponts et chaussées du gouvernement du Land (Landesstraßenverwaltung), une procédure d’expropriation qui visait une parcelle de 2 140 m2 appartenant à la Société Zumtobel. Son aboutissement aurait eu pour effet de scinder la propriété de l’intéressée, qui couvrait quelque 55 000 m2, en deux parcelles d’environ 20 000 m2 et 30 000 m2. Les autorités recoururent à plusieurs experts. De son côté, la requérante demanda maintes fois, mais en vain, à pouvoir étudier certaines pièces du dossier, à savoir un rapport de la Cour des comptes (Rechnungshof), une expertise sur les implications pour l’environnement, la décision prise par les municipalités de Feldkirch, Meiningen et Rankweil au sujet de la section de route proposée, ainsi qu’un avis du service de l’environnement du gouvernement du Land. Le 25 juin 1985 eut lieu, devant le Bureau dudit gouvernement (Amt der Landesregierung), une audience à laquelle assistèrent, outre son président et le conseil de la requérante, trois experts officiels (Amtssachverständige), spécialisés respectivement en protection de l’environnement, en voirie et en circulation routière. Ils présentèrent leurs rapports et formulèrent des observations complémentaires. Selon les deux derniers, la section de route proposée se révélait importante pour améliorer la circulation qui, entre Rankweil et Feldkirch, traversait des agglomérations très peuplées. Le 13 février 1986, le Bureau ordonna l’expropriation moyennant une indemnité de 620 schillings par mètre carré. Il repoussa en même temps deux demandes de l’intéressée, dont l’une cherchait à obtenir des renseignements complets sur la procédure de conception de la L 52, l’autre à charger un expert indépendant en circulation routière d’apprécier la nécessité de la route envisagée. Le Bureau jugea la première requête sans intérêt pour l’affaire; quant à la seconde, il considéra que l’expert officiel n’avait pas montré de préjugé favorable à l’administration et avait délivré un rapport convaincant. La Société Zumtobel saisit alors la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Elle prétendait que la procédure d’expropriation, soumise au contrôle ultime de la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) et de la Cour constitutionnelle, méconnaissait son droit, garanti notamment par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, à un tribunal doté de la plénitude de juridiction. Elle se plaignait en outre d’une atteinte au principe de l’égalité des armes: le Bureau avait ouï ses propres experts et refusé de consulter des experts indépendants. Le 27 novembre 1987, à l’issue d’une instance à huis clos, la Cour constitutionnelle décida de ne pas retenir le recours (article 144 par. 2 de la Constitution fédérale - Bundes- Verfassungsgesetz): eu égard tant à sa jurisprudence relative à l’article 6 (art. 6) de la Convention qu’au pouvoir discrétionnaire des autorités en matière de fixation du tracé des routes, il n’offrait pas assez de chances de succès. En outre, les violations alléguées résultaient tout au plus de l’application erronée d’une loi ordinaire (einfaches Gesetz) et leur examen n’appelait aucune considération d’ordre constitutionnel. Enfin, l’affaire n’échappait pas à la compétence de la Cour administrative. La requérante attaqua aussi la décision du 13 février 1986 (paragraphe 10 ci-dessus) devant la Cour administrative. Reprenant en substance les arguments qu’elle avait développés devant la Cour constitutionnelle, elle dénonçait cette fois des infractions au droit procédural et matériel; de plus, elle sollicitait la désignation d’un expert. La Cour administrative rejeta le recours le 22 septembre 1989, après une procédure purement écrite; les requérants ne l’avaient pas invitée à tenir une audience (paragraphe 20 ci-dessous). D’après elle, le grief tiré de l’absence de toute conception globale raisonnable à la base du projet litigieux ne suffisait pas à démontrer l’illégalité de la décision incriminée. Elle ajouta: "Eu égard aux fonctions de contrôle qui lui incombent en vertu de l’article 41 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofgesetz), celle-ci ne peut juger illicite le fait, pour l’autorité défenderesse, d’avoir pris en compte les intérêts de la circulation et fondé sa décision principalement sur l’impossibilité de trouver une solution plus appropriée que celle qui consiste à construire la L 52 à travers la parcelle litigieuse. Ainsi qu’il ressort des faits retenus dans la décision attaquée, l’autorité défenderesse a estimé conforme à l’intérêt de la circulation de détourner le trafic traversant l’agglomération de Rankweil-Brederis, ce qui en même temps compléterait utilement le réseau routier dans la zone de Feldkirch-Rankweil." Selon la Cour, la plaignante n’avait pas non plus réussi à jeter, sur les conclusions des experts officiels, un doute propre à révéler un défaut de procédure qui eût influé sur la décision. Le fait que le Bureau du gouvernement n’avait pas subordonné le début des travaux de construction de la L 52 à la fixation définitive de la longueur de celle-ci n’apparaissait pas incompatible avec la loi sur les routes régionales. Contrairement à ce qu’affirmait l’intéressée, le Bureau avait bel et bien tenu compte de la protection de l’environnement en appréciant les intérêts en jeu. L’ouverture de la procédure d’expropriation avant l’adoption d’une ordonnance (Einreihungsverordnung) arrêtant notamment le tracé et la longueur de la route, puis la non-audition des collectivités locales (Gemeindeverband) du Vorarlberg, n’entachaient pas davantage d’illégalité la décision attaquée. Quant à un dédommagement en nature (Naturalersatz) ou à un échange de terres (Tauschanbot), le dossier montrait qu’ils ne s’offraient pas comme solution de remplacement. Enfin, la circonstance que l’audience du 25 juin 1985 (paragraphe 9 ci-dessus) n’avait pas été annoncée au Journal officiel (Amtsblatt) n’avait pu porter atteinte aux droits de la requérante puisque celle-ci avait été personnellement convoquée. La Cour écarta aussi les griefs relatifs à l’audition des experts officiels. Elle constata d’abord que la loi générale de 1950 sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungs- verfahrensgesetz - "la loi de 1950") obligeait le Bureau à consulter ceux-ci. D’après elle, de simples réflexions générales sur l’indépendance d’un expert officiel ne suffisaient pas à justifier une suspicion légitime concrète au sens de l’article 7 par. 1, alinéa 4, de la loi de 1950. Sauf circonstances spéciales, la comparution d’un tel expert dans une procédure à laquelle le Land était partie ne constituait pas une raison sérieuse, au regard de la loi de 1950, de douter de l’entière impartialité de la personne en cause. En l’absence de toute exigence de forme, rien n’empêchait de dresser procès-verbal d’une expertise orale, sans que son auteur dût la compléter par écrit. Les autorités n’étaient pas non plus tenues de convoquer les parties pour assister à l’enquête (Beweisverfahren). Au sujet des doléances relatives au défaut d’accès au dossier, la Cour déclara ne pouvoir constater que le Bureau eût méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une autre décision. Comme la Société Zumtobel n’avait pas été partie à la procédure de sauvegarde de l’environnement (Landschaftsschutz- verfahren), elle ne pouvait réclamer un droit d’accès à ce dossier-là. Quant au rapport de la Cour des comptes, aux observations de la division de l’aménagement du territoire et de l’environnement (Raumplanungs- bzw. Umweltabteilung) et à celles des communes en cause, rien ne prouvait que ces pièces eussent pu concerner l’affaire de la requérante ni que le Bureau se fût fondé sur elles. Le rapport de l’expert B., lui, figurait au dossier de la procédure d’expropriation, mais en dépit des allégations de la requérante la loi n’obligeait pas les autorités à communiquer aux intéressés une photocopie du dossier entier ou de certaines de ses pièces. La Cour administrative conclut en outre à l’absence d’infraction à l’article 6 (art. 6) de la Convention et refusa de renvoyer l’affaire devant la Cour constitutionnelle. A propos de la demande tendant à voir désigner un expert neutre appelé à se prononcer notamment sur "le caractère économique, l’opportunité et donc la légalité" du tracé de la L 52, la Cour cita un arrêt rendu en 1978 par une chambre élargie et déclara: "[D’après cet arrêt,] la Cour administrative ne peut prendre, dans l’affaire traitée par l’autorité administrative défenderesse et à la place de celle-ci, des mesures d’instruction éventuellement omises par ladite autorité, ni compléter le dossier en recueillant elle-même des éléments de preuve. Elle peut néanmoins en recueillir afin de rechercher s’il existe un vice de procédure substantiel. Elle est donc habilitée à prendre des mesures d’instruction pour établir si un vice de procédure est substantiel ou si l’autorité défenderesse aurait pu arriver à une autre décision sans l’irrégularité considérée; elles peuvent servir aussi à contrôler l’appréciation des preuves. A la lumière de ces considérations relatives à la mise en balance, par ladite autorité, des intérêts en présence et aux faits sur lesquels celle-ci s’est appuyée, la Cour administrative n’aperçoit pourtant aucune raison d’ordonner la mesure d’instruction demandée." Entre-temps, la requérante avait invité le tribunal de district (Bezirksgericht) de Feldkirch à déterminer l’indemnité d’expropriation. Le 17 décembre 1987, il la fixa à 9 963 032,50 schillings autrichiens. Statuant en appel (Rekurs) le 28 mai 1988, le tribunal régional (Landesgericht) de Feldkirch la réduisit à 4 560 000 schillings. Le 6 octobre 1988, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) rejeta le pourvoi en cassation (Revisionsrekurs) de l’intéressée contre ce dernier arrêt. II. LA LÉGISLATION INTERNE PERTINENTE A. Expropriation en vue de la construction d’une route Au Vorarlberg, l’expropriation aux fins de la construction d’une route régionale ne peut s’opérer qu’une fois rendue par le gouvernement du Land une ordonnance décrivant brièvement le tracé de la route et en indiquant la longueur approximative (article 5 de la loi relative aux routes régionales). Les propriétaires touchés par la mesure peuvent contester devant les autorités administratives l’opportunité du projet dès sa publication, puis attaquer ladite ordonnance devant la Cour constitutionnelle. Pareille expropriation ne peut s’envisager que s’il s’avère impossible de construire ou maintenir une section de route plus appropriée sous l’angle des nécessités de la circulation, de la protection de l’environnement et des répercussions financières (article 44 par. 1). B. Le recours devant la Cour constitutionnelle La Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution, ou s’il a appliqué un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien (article 144 par. 1 de la Constitution fédérale). C. Le recours devant la Cour administrative Selon l’article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l’illégalité d’un acte administratif. L’article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofgesetz) est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l’incompétence de l’autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2 (2) et (3)) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l’angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l’une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l’un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." Aux termes de l’article 42 par. 2 de la même loi, "La Cour administrative annule la décision attaquée: si celle-ci est illégale par son contenu, [ou] en raison de l’incompétence de l’autorité défen- deresse, [ou] à cause d’un vice de procédure résultant de ce a) que l’autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point capital, se trouvent démentis par le dossier, b) ou qu’il échet de les compléter sur un tel point, c) ou que l’autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l’amener à prendre une décision différente." La procédure consiste pour l’essentiel en un échange de mémoires (article 36). Si l’une des parties le demande, la Cour administrative peut tenir une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). Si la Cour annule la décision incriminée, "l’administration est tenue (...), en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d’assurer sans délai, dans le cas d’espèce, la situation juridique correspondant à l’opinion (Rechtsansicht) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). D. Les experts Au cas où une expertise se révèle nécessaire dans le cadre d’une procédure d’expropriation, l’autorité recourt, d’après l’article 52 par. 1 de la loi générale sur la procédure administrative (paragraphe 14 ci-dessus), "aux experts officiels attachés à elle ou mis à sa disposition". Aux termes des articles 53 et 7 combinés de la même loi, ils doivent se faire remplacer "s’il existe (...) [des] raisons importantes propres à susciter des doutes sur leur totale impartialité". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 10 juin 1986. Ils se plaignaient de ne pas avoir eu accès, dans le cadre de la procédure d’expropriation, à un tribunal ayant pleine juridiction comme l’exigerait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Ils dénonçaient en outre une atteinte à leur droit de propriété, le refus des Cours administrative et constitutionnelle d’accorder un effet suspensif aux recours introduits devant elles et l’impossibilité d’attaquer par la voie administrative la décision d’expropriation; ils invoquaient les articles 6 par. 1, 13 et 14 (art. 6-1, art. 13, art. 14) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 15 octobre 1991, la Commission a retenu la requête (no 12235/86) quant au grief soulevé sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 30 juin 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, à des majorités variant selon les points litigieux, à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement invite la Cour "à dire que dans la procédure d’expropriation dont il s’agit, l’article 6 (art. 6) de la Convention n’a pas été violé".
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M. Paolo Trevisan habite à Padoue. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-18 de son rapport): "16. Le 18 juillet 1986, le requérant assigna la société AMP devant le juge d'instance (pretore) de Padoue. Il demandait qu'elle fût condamnée à lui payer les arriérés de salaires auxquels il estimait avoir droit, ainsi que des dommages et intérêts résultant d'une part de l'inexécution par la société des obligations issues du contrat de travail et d'autre part de la résolution anticipée de ce même contrat. L'affaire fut inscrite au rôle à une date non précisée. L'audience en vue de la tentative de conciliation fut fixée au 23 octobre 1986 par le juge d'instance de Padoue. La partie défenderesse ne se présenta pas à l'audience. Le magistrat fixa alors au 17 décembre 1986 l'audience suivante. Le 4 mai 1987, le juge d'instance de Padoue se déclara territorialement incompétent pour connaître de l'affaire. Le requérant assigna alors la société AMP devant le juge d'instance de Trévise le 9 juin 1987. L'affaire fut examinée successivement au cours des audiences des 12 janvier 1988 (comparution des parties), 5 février 1988 et 3 juin 1988 (audition des témoins). Une quatrième audience eut lieu le 31 janvier 1989 et fut consacrée à l'examen des preuves. Elle fut suivie, le 19 décembre 1989, d'une nouvelle audience pour entendre un dernier témoin. Une audience eut lieu le 1er juin 1990, au cours de laquelle la défenderesse fit des proposi-tions en vue d'une solution du litige. Une audience fut fixée au 26 juin 1990, mais dut être reportée en raison de l'absence de la défenderesse. L'audience suivante eut lieu le 11 juin 1991. Elle fut remise pour donner le temps aux parties d'examiner la possibilité de parvenir à une transaction. A l'audience du 26 juin 1991, les parties déposèrent leurs conclusions. Le même jour, le juge d'instance rendit son jugement qui fut déposé au greffe le 6 juillet 1991. Ce jugement faisait droit en partie aux demandes du requérant." Non frappé d'appel, ledit jugement est devenu définitif le 7 juillet 1992. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Trevisan a saisi la Commission le 2 février 1988. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui. Le 8 juillet 1991, la Commission a déclaré la requête (n° 13688/88) irrecevable pour tardiveté (article 26 in fine de la Convention) (art. 26), quant à la période antérieure au 9 juin 1987; elle en a retenu le restant. Dans son rapport du 9 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix voix contre une, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-F de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. Les circonstances de la cause M. Claude Monnet, médecin radiologue, épousa en mars 1969 Mlle C. Grosclaude. De leur union naquirent deux enfants, les 8 janvier 1971 et 2 août 1973. A. La procédure de première instance Les demandes en séparation de corps et en divorce Le 15 septembre 1981, la femme du requérant forma une demande en séparation de corps. Par une ordonnance de non-conciliation du 24 novembre 1981, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal de grande instance de Valence, statuant au provisoire comme juge de la mise en état, confia la garde des enfants à leur mère, fixa la part du père à leur entretien à 2 000 francs (f) par mois et condamna en outre M. Monnet à payer à son épouse elle-même une pension mensuelle de 1 500 f. Assigné par Mme Grosclaude le 30 décembre 1981, le requérant constitua avocat le 18 février 1982. Il en changera par trois fois en cours de procédure. Dans ses premières conclusions, du 24 mai 1982, il intenta une action reconventionnelle en divorce. Il formula de nouvelles conclusions le 6 janvier 1984. Le 21 septembre 1984, Mme Grosclaude déposa les siennes à la suite d'une injonction délivrée à son encontre. Elle communiqua ses pièces le 21 novembre. Les parties présentèrent des conclusions additionnelles les 11 et 12 décembre. Le 17 décembre, le juge de la mise en état rendit une ordonnance de clôture. L'audience eut lieu deux jours plus tard. Le 13 février 1985, le tribunal de grande instance de Valence prononça le divorce des époux à leurs torts partagés; il sursit à statuer, jusqu'au dépôt des rapports de contre-expertise sociale et du bilan psychologique des enfants (paragraphe 12 ci-dessous), sur la garde de ceux-ci et sur le montant des contributions alimentaires, en maintenant sur ces points les dispositions arrêtées par le juge de la mise en état. Il rejeta une demande d'expertise psychiatrique introduite par le requérant le 26 octobre 1984. Les mesures accessoires Entre temps, le 15 juin 1982, le juge avait estimé devoir recourir à une enquête sociale. Le compte rendu de la consultation d'orientation éducative fut versé au dossier le 2 février 1983, le rapport d'enquête sociale le 1O juin 1983. Sur la base de conclusions formulées par M. Monnet le 18 janvier 1984 et par son épouse en juin 1984, le même magistrat prescrivit, le 14 août, une contre-enquête sociale et un bilan psychologique des enfants. Le 19 novembre 1982, Mme Grosclaude réclama une augmentation de la contribution paternelle et de la pension alimentaire. Avant dire droit, le juge ordonna, le 1er février 1983, une expertise comptable des revenus du requérant, sous réserve de la consignation par celui-ci, avant le 1er mars, de la somme de 3 000 f. Le versement de ladite provision n'eut lieu que le 8 septembre, après un rappel adressé le 7 juin. Le 15 mai 1984, le juge, au vu du rapport d'expertise déposé le 2 février 1984, fixa à 8 000 f le montant mensuel global à payer. Le requérant attaqua en vain cette décision devant la cour d'appel de Grenoble, qui le débouta le 26 septembre 1984; la Cour de cassation repoussa son pourvoi le 28 avril 1986. B. La procédure d'appel Dans l'intervalle, le 18 mars 1985, l'intéressé avait relevé appel du jugement du 13 février 1985 et invité la cour de Grenoble à prononcer le divorce aux torts exclusifs de son épouse. Par voie d'incident, il sollicita, le 6 décembre 1985, la réduction de ses obligations alimentaires. Le 21 janvier 1986, le conseiller de la mise en état rejeta cette requête, combattue par Mme Grosclaude. Par appel incident de cette ordonnance, M. Monnet réclama, le 16 juin 1986, une nouvelle expertise financière. Le 18 septembre, le même conseiller le débouta de sa demande, à laquelle l'intimée avait déclaré s'opposer dans des conclusions du 11 septembre. Le 5 septembre 1985, ledit conseiller fixa la fin de l'instruction au 30 septembre 1986 et l'audience de plaidoiries au 25 novembre. L'ordonnance de clôture, renvoyée sur les instances de M. Monnet au 14 novembre 1986 puis au 22 février 1987, intervint le 27 février 1987 après l'échange de plusieurs jeux de conclusions, l'intéressé n'ayant conclu pour la première fois au fond que le 12 novembre 1986, après une injonction délivrée à la requête de l'épouse. Les débats se tinrent le 2 mars 1987. Le 16 mars 1987, la cour d'appel, infirmant le jugement attaqué, rejeta comme mal fondées les demandes en séparation de corps et en divorce. Statuant d'office en vertu de l'article 258 du code civil, elle confia la garde des enfants à la mère, autorisa celle-ci à résider séparément de son époux et le condamna à lui payer la somme de 8 000 f par mois au titre de sa contribution aux charges du mariage. C. La procédure en cassation M. Monnet se pourvut en cassation le 4 août 1987; il produisit son mémoire le 4 janvier 1988. Le conseiller chargé du dossier le 20 avril 1988 remit son rapport le 5 mai 1988. L'épouse du requérant communiqua ses observations le 17 mai 1988. La Cour de cassation (deuxième chambre civile) repoussa le pourvoi le 12 octobre 1988. II. La législation pertinente A. Le code civil Les dispositions suivantes du code civil entrent en ligne de compte en l'espèce: Article 248-1 "En cas de divorce pour faute, et à la demande des conjoints, le tribunal peut se limiter à constater dans les motifs du jugement qu'il existe des faits constituant une cause de divorce, sans avoir à énoncer les torts et griefs des parties." Article 251 "Quand le divorce est demandé pour rupture de la vie commune ou pour faute, une tentative de conciliation est obligatoire avant l'instance judiciaire. Elle peut être renouvelée pendant l'instance. Quand le divorce est demandé par consentement mutuel des époux, une conciliation peut être tentée en cours d'instance suivant les règles de procédures propres à ce cas de divorce." Article 258 "Lorsqu'il rejette définitivement la demande en divorce, le juge peut statuer sur la contribution aux charges du mariage, la résidence de la famille et la garde des enfants mineurs." Article 259 "Les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l'aveu." Article 259-3 "Les époux doivent se communiquer et communiquer au juge ainsi qu'aux experts désignés par lui, tous renseignements et documents utiles pour fixer les prestations et pensions et liquider le régime matrimonial. Le juge peut faire procéder à toutes recherches utiles auprès des débiteurs ou de ceux qui détiennent des valeurs pour le compte des époux sans que le secret professionnel puisse être opposé." Article 296 "La séparation de corps peut être prononcée à la demande de l'un des époux dans les mêmes cas et aux mêmes conditions que le divorce." B. Le nouveau code de procédure civile Il échet de citer aussi les articles ci-après du nouveau code de procédure civile: Article 2 "Les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis." Article 3 "Le juge veille au bon déroulement de l'instance; il a le pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires." Article 265 "La décision qui ordonne l'expertise: Expose les circonstances qui rendent nécessaire l'expertise et, s'il y a lieu, la nomination de plusieurs experts; Nomme l'expert ou les experts; Enonce les chefs de la mission de l'expert; Impartit le délai dans lequel l'expert devra donner son avis." Article 765 "Le juge de la mise en état peut inviter les avocats à répondre aux moyens sur lesquels ils n'auraient pas conclu. Il peut également les inviter à fournir les explications de fait et de droit nécessaires à la solution du litige. Il peut se faire communiquer l'original des pièces versées aux débats ou en demander la remise en copie." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Monnet a saisi la Commission le 26 novembre 1987. Invoquant l'article 6 (art. 6) de la Convention, il se plaignait de la longueur tant de la procédure en séparation de corps et en divorce que de poursuites pénales engagées contre lui pour abandon de famille. Il alléguait aussi n'avoir bénéficié d'un examen équitable de sa cause ni dans la première ni dans les secondes. Le 6 mars 1991, la Commission a retenu le grief relatif à la durée de la procédure civile et déclaré le surplus de la requête (n° 13675/88) irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Dans son rapport du 1er juillet 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par sept voix contre une, à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 273-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir rejeter la présente requête". De son côté, le requérant l'a priée de "[condamner] l'Etat français au motif que les juridictions françaises n'ont pas traité la demande en séparation de corps présentée par son épouse et sa demande reconventionnelle en divorce dans un délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. Les circonstances de l'affaire A. Les poursuites pénales ouvertes contre le requérant Inculpé, sur la foi du témoignage d'un accusé "repenti", d'association de malfaiteurs de type "mafieux" et d'infractions à la législation sur les stupéfiants, le requérant fut arrêté le 18 octobre 1985, en exécution d'un mandat décerné la veille par le juge d'instruction près le tribunal de Marsala et qui concernait également sept autres personnes. Le mandat mentionnait deux procédures distinctes. D'après le requérant, une instruction avait été ouverte le 16 janvier 1980 pour des poursuites enregistrées sous le n° 35/80 et le 7 septembre 1984 pour des poursuites répertoriées sous le n° 235/84. Dans ses observations du 30 novembre 1988 à la Commission, le Gouvernement a indiqué qu'il y avait eu jonction des deux procédures pour cause de connexité, mais que l'intéressé ne possédait pas la qualité d'accusé dans la seconde d'entre elles. Le 28 juin 1990, le procureur de la République près le tribunal de Marsala déposa ses conclusions relatives aux autres inculpés, mais ne se prononça pas sur le cas du requérant. L'instruction se trouve close depuis le 8 juillet 1992; l'affaire demeure pendante, semble-t-il, devant le tribunal de Marsala. B. La détention du requérant et le contrôle de la correspondance M. Messina resta en détention préventive jusqu'au 25 mai 1987. Le juge d'instruction l'interrogea le 23 octobre 1985, puis à la fin de février 1986. Le 18 avril 1987, le juge ordonna de l'élargir, le délai maximal de détention provisoire ayant expiré. Sa décision astreignait l'intéressé à verser une caution de cinquante millions de lires italiennes, à résider à Sciacca (Sicile) et à se présenter tous les jours à 17 heures au poste de police pour y émarger. Le requérant ayant affirmé ne pas disposer de la somme exigée, les vérifications qui s'ensuivirent amenèrent à prolonger d'un mois sa détention. Il recouvra la liberté le 25 mai 1987. L'exigence d'une caution fut levée. Les deux autres obligations subsistèrent d'abord, mais le juge d'instruction les supprima les 30 novembre 1987 (assignation à domicile) et 15 octobre 1988 (émargement quotidien). Au cours de sa détention, M. Messina avait rencontré certaines difficultés pour l'acheminement de sa correspondance. Il prétend n'avoir jamais reçu celle qu'on lui adressait en prison, à l'exception d'une lettre de son avocat; expédiée en décembre 1985, elle ne lui serait arrivée qu'en mars 1986. Parmi les envois interceptés figurerait un télégramme de sa femme, d'avril 1987. Le requérant aurait demandé plusieurs fois au juge d'instruction, en pure perte, la délivrance de son courrier. Le Gouvernement répond que ce dernier subissait le contrôle du juge d'instruction depuis le 4 novembre 1985. Sans pouvoir donner de plus amples précisions, il souligne que l'intéressé en fut officiellement informé, au plus tard, quand lui parvint la première lettre dûment visée. Selon le Gouvernement, neuf missives destinées au requérant ou émanant de lui furent soumises au visa: six pendant sa détention à Caltanissetta et trois pendant son séjour à la prison de Trapani. La Commission a déclaré recevables les griefs concernant les cinq objets suivants, dont la date ne ressort pas du dossier: - une lettre au requérant (n° 17655), envoyée pour visa au juge d'instruction de Marsala le 10 novembre 1985, visée à une date qui ne figure pas sur le document d'accompagnement fourni par le gouvernement italien et retournée à la prison de Caltanissetta le 29; - une lettre au requérant (n° 20356), envoyée au visa le 21 décembre 1985, visée le 28 et retournée à la prison de Caltanissetta le 2 janvier 1986; - une lettre au requérant (n° 6158), envoyée au visa le 5 avril 1986, parvenue au juge le 10, visée par lui le 12 et retournée à la prison de Caltanissetta le 17; - une carte postale destinée au requérant (n° 9217), envoyée au visa le 2 avril 1987, parvenue au juge le 6, visée par lui le 16 mai 1987 et retournée à la prison de Trapani le 19; - un télégramme au requérant (n° 11381), envoyé au visa le 24 avril 1987 et dont on ignore si et, le cas échéant, à quel moment il fut visé puis retourné à la prison de Marsala. Le Gouvernement affirme que toute la correspondance soumise au visa de censure fut délivrée à l'intéressé. Dans ses observations du 27 octobre 1989 à la Commission, il reconnaît que ce dernier se plaignit plusieurs fois par écrit de ne pas recevoir le courrier qu'on lui adressait en prison. II. Le droit interne pertinent Dans son rapport, la Commission donne un aperçu de la législation applicable en la matière: "32. Les questions relatives à la correspondance des détenus sont réglées par la loi n° 354 du 26 juillet 1975 portant règlement pénitentiaire. A son article 18, la loi prévoit que les détenus peuvent correspondre avec leur famille et d'autres personnes, même pour effectuer des actes juridiques. La correspondance des personnes condamnées peut être soumise au visa de contrôle du directeur de la prison ou d'un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire désigné par le directeur de la prison, sur décision motivée du juge de l'application des peines (magistrato di sorveglianza). Pour les accusés, la décision de soumettre leur correspondance au visa de contrôle appartient au juge de l'application des peines (en ce qui concerne les accusés renvoyés en jugement) ou au juge chargé de l'instruction du dossier tant que celle-ci n'est pas terminée. L'article 36 du règlement d'application de cette loi (décret n° 431 du Président de la République, du 29 avril 1976) précise que la correspondance sous pli fermé est soumise à une inspection visant à détecter la présence éventuelle de valeurs ou objets non autorisés. L'inspection doit se faire suivant des modalités propres à garantir l'absence de contrôle sur les écrits. Lorsque la Direction soupçonne la présence d'objets non autorisés, elle retient le pli et avise aussitôt le juge de l'application des peines ou l'autorité de poursuites, afin qu'ils prennent les mesures nécessaires. Les lettres soumises au visa de contrôle, sur indication des autorités pénitentiaires ou conformément aux dispositions des autorités judiciaires compétentes, peuvent soit être retenues par le magistrat, soit être transmises au détenu. Lorsque la correspondance envoyée par le détenu est retenue, ce dernier en est immédiatement informé. L'article 35 du règlement pénitentiaire prévoit en outre que pour ce qui a trait à l'application du règlement, les détenus peuvent adresser une réclamation (reclamo) sous pli fermé a) au directeur de l'établissement pénitentiaire ou/et aux inspecteurs et au directeur général des établissements pénitentiaires ou au ministre de la Justice, b) au juge de l'application des peines, c) aux autorités judiciaires et sanitaires en visite auprès de l'établissement, d) au président de la région, e) au Chef de l'Etat." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 27 octobre 1987. Invoquant les articles 5 par. 3, 6 par. 1 et 8 (art. 5-3, art. 6-1, art. 8) de la Convention, il se plaignait de la durée de sa détention provisoire, de celle de la procédure pénale engagée contre lui et d'atteintes à son droit au respect de sa correspondance. Le 4 mars 1991, la Commission a déclaré irrecevables, pour inobservation du délai de six mois (article 26 par. 1 in fine de la Convention) (art. 26-1): - le premier grief; - le troisième, dans la mesure où il avait trait à la décision du juge d'instruction, du 4 novembre 1985, plaçant sous contrôle le courrier de M. Messina (paragraphe 18 ci-dessus) et à l'acheminement tardif de la lettre adressée à celui-ci par son avocat en décembre 1985 (paragraphe 17 ci-dessus). En revanche, elle a retenu le deuxième et le restant du troisième (paragraphe 19 ci-dessus). Dans son rapport du 20 février 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation des articles 6 par. 1 et 8 (art. 6-1, art. 8). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 257-H de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Mme Antonia Scopelliti habite Reggio de Calabre. Le 10 décembre 1980, elle assigna l'A.N.A.S. (Azienda Nazionale Autonoma Strade - Entreprise nationale des ponts et chaussées) et le ministère des Travaux publics devant le tribunal de Catanzaro. Elle demandait la réparation de dommages résultant de l'occupation abusive, par l'A.N.A.S., d'environ 1000 m2 de terrain lui appartenant, utilisés pour améliorer une route nationale. L'affaire fut inscrite au rôle le 15 décembre 1980 et une première audience eut lieu le 27 janvier 1981. A cette date, le juge de la mise en état ordonna une expertise technique et fixa l'audience suivante au 17 février 1981. On dut reporter celle-ci - faute de notification de l'ordonnance à l'expert -, puis celle du 10 mars 1981. Le 24 mars 1981, l'expert prêta serment et se vit impartir un délai de quatre-vingt-dix jours pour déposer son rapport. Il ne respecta pas l'échéance, de sorte que l'affaire connut une série d'ajournements (7 juillet 1981, 12 janvier, 9 mars, 20 avril, 11 mai et 13 juillet 1982). L'expert présenta son rapport à une date non précisée, antérieure aux débats du 14 décembre 1982, lesquels furent différés comme ceux des 15 mars et 22 avril 1983. L'affaire fut renvoyée à la chambre compétente du tribunal le 3 mai 1983. L'A.N.A.S., partie défenderesse, déposa ses conclusions le 10 novembre 1983. Par la suite, les audiences prévues pour les 23 novembre 1983, 27 juin et 7 novembre 1984, 27 mars et 27 novembre 1985, 26 février, 16 avril, 2 juillet et 3 décembre 1986 furent toutes ajournées à la demande conjointe des parties. La requérante attribue ces retards aux changements continuels de la composition de la chambre compétente, mais le Gouvernement le conteste. Elle avait écrit entre-temps, le 24 septembre 1984, au président du tribunal de Catanzaro puis, le 22 janvier 1986, au procureur général près la cour d'appel de la même ville, pour solliciter un examen plus rapide de la cause. Mme Scopelliti présenta ses conclusions les 6 et 16 février 1987. Le 18 février, l'affaire fut mise en délibéré. Le 5 octobre 1987, le tribunal de Catanzaro accueillit les prétentions de l'intéressée et condamna l'A.N.A.S. à lui verser 212 517 000 lires, dont 17 460 000 pour la valeur vénale de la superficie occupée, 100 605 000 pour le préjudice causé au terrain attenant à la route et 94 452 000 au titre des dommages résultant de l'occupation abusive et de l'indisponibilité du bien en question. Il lui alloua en outre, pour frais et honoraires d'avocat, une somme globale de 5 085 000 lires. Déposé au greffe le 14 janvier 1988, le jugement devint définitif le 1er mars 1989. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Scopelliti a saisi la Commission le 6 avril 1989. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle devant le tribunal de Catanzaro et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 15511/89) le 1er avril 1991. Dans son rapport du 1er juillet 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 278 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. William Miailhe possède une double nationalité, française et philippine, et a son domicile à Malate (Grand Manille), aux Philippines. Administrateur de sociétés, il occupait aussi au début de 1983 le poste de consul honoraire de ce dernier pays à Bordeaux et venait de résigner ses fonctions de conseiller du commerce extérieur français à Manille. Mmes Victoria et Brigitte Miailhe, toutes deux Françaises, sont respectivement la mère et l’épouse du premier requérant. Elles n’exercent pas de profession. A. Les visites domiciliaires et saisies de documents Les 5 et 6 janvier 1983, des agents de l’administration des douanes de Bordeaux, accompagnés d’un officier de police judiciaire, effectuèrent deux visites domiciliaires dans les locaux qui abritaient, à Bordeaux, le siège des sociétés gérées par M. Miailhe et qui servaient de consulat des Philippines. Les requérants, qui en France résidaient au château Siran (Labarde, Gironde), y recevaient la correspondance privée qui ne leur était pas directement adressée à Manille. Les visites en question se déroulèrent de 9 h 15 à 15 h 50 le premier jour et de 9 h 15 à 12 h 50 le second, toujours en présence du requérant et de sa secrétaire. Les fonctionnaires dont il s’agit saisirent près de 15 000 documents. Ils les placèrent sans les trier dans huit cartons sur lesquels ils apposèrent les scellés et qu’ils emportèrent au siège de la direction régionale des douanes. Les opérations d’ouverture des scellés et de cotation des pièces y débutèrent le 21 janvier 1983, devant un officier de police judiciaire et M. Miailhe. Ce dernier réclama et obtint la photocopie de documents dont il déclarait avoir un besoin urgent pour son travail. Suspendues à la demande du requérant, les opérations reprirent le 28 janvier en présence de deux officiers de police judiciaire; l’avocat de M. Miailhe avait indiqué par téléphone que son client refusait de se déplacer. Au total, les services des douanes cotèrent 9 478 pièces. Ils jugèrent sans intérêt pour l’enquête les autres papiers et les restituèrent dans deux cartons scellés. Fondées sur les articles 64 et 454 du code des douanes (paragraphes 17-18 ci-dessous), les visites et saisies litigieuses s’inscrivaient dans le cadre d’une enquête portant sur le point de savoir si les requérants devaient passer pour résidant en France et s’ils avaient enfreint la législation sur les relations financières avec l’étranger. B. Les procédures judiciaires La procédure pénale engagée contre les requérants Sur plainte du directeur des enquêtes douanières, déposée le 29 janvier 1985, le parquet de Bordeaux ouvrit une information judiciaire contre les trois requérants le 19 février 1985. Un juge d’instruction de cette ville les inculpa le 20 juin 1985 d’infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger. Par un réquisitoire définitif du 18 juin 1991, le procureur de la République de Bordeaux invita le magistrat instructeur à renvoyer en jugement les époux Miailhe devant le tribunal correctionnel de cette ville et à prononcer un non-lieu en faveur de Mme Victoria Miailhe. Le 3 juillet 1991, le juge rendit des ordonnances en ce sens. Le procès devait s’ouvrir le 17 juin 1992, mais il fut renvoyé au 25 novembre 1992 à la demande des inculpés. Par un jugement du 2 décembre 1992, désormais définitif, le tribunal correctionnel a déclaré "l’action publique et l’action tendant à l’application des sanctions douanières éteintes par l’abrogation de la loi pénale à l’encontre des époux Miailhe"; il a ordonné en outre la restitution des pièces saisies. La procédure engagée par les requérants aux fins d’annulation des constats et saisies a) Devant le tribunal d’instance de Paris Le 11 août 1983, M. et Mmes Miailhe avaient assigné le directeur général des douanes et droits indirects devant le tribunal d’instance de Paris (1er arrondissement) aux fins de voir: "Dire et juger qu’au regard du droit interne, les agents des douanes ne peuvent procéder à des visites domiciliaires dans les conditions des articles 454 et 64 du code des douanes que pour la recherche de marchandises. Dire et juger que la saisie de documents par les agents des douanes ne saurait être considérée comme conforme aux prévisions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Dire et juger que la saisie de correspondance adressée par des avocats à leurs clients constitue une atteinte aux droits de la défense. En conséquence, Prononcer la nullité des saisies en date des 5 et 6 janvier 1983." Le 20 décembre 1983, le tribunal se déclara incompétent au bénéfice du tribunal de grande instance de Paris. b) Devant le tribunal de grande instance de Paris Saisi par les requérants, ce dernier se déclara lui aussi incompétent. Son jugement du 16 mai 1984 se fondait sur les raisons ci-après: "Attendu dès lors que, comme l’a décidé le jugement précité du 20 décembre 1983, l’appréciation de la régularité des actes en cause ne relève pas de la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire à moins qu’il n’y ait voie de fait; Attendu qu’à cet égard les agents des douanes ont procédé aux saisies en application de l’article 454 du code des douanes; Que ces dispositions, qui autorisent les agents habilités à constater les infractions à la réglementation des relations financières avec l’étranger, dans les conditions prévues par l’article 64 du code des douanes, instituent une règle qui s’applique non seulement à la recherche de marchandises détenues frauduleusement mais également à celle des documents de nature à constituer le corps ou la preuve de ces délits; Attendu que les saisies arguées de nullité ont donc été pratiquées par l’administration dans le cadre fixé par la loi pour la constatation des infractions à la réglementation financière avec l’étranger, et dont le tribunal n’a pas à apprécier la constitutionnalité; Attendu que si la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales précise, en son article 8 (art. 8), que ‘toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance’, l’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce droit est toutefois prévue, au même article (art. 8), lorsque ‘cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure ... nécessaire ... au bien-être économique du pays et ... à la prévention des infractions pénales ...’; que l’intervention du service des douanes s’inscrit dans ce cadre; Attendu que les dispositions de l’article 136 du code de procédure pénale relatives aux visites domiciliaires se rapportent aux opérations visées audit code et ne sont pas applicables aux recherches effectuées en application du code des douanes qui demeurent soumises à la législation particulière en cette matière; que la loi du 29 décembre 1977, qui prescrit l’intervention de l’autorité judiciaire concernant les visites domiciliaires pour la recherche et la constatation des infractions à la réglementation fiscale et économique, précise d’ailleurs en son article 17 que ‘les visites domiciliaires effectuées en application du code des douanes demeurent soumises à la législation existante’. Attendu que la décision du Conseil constitutionnel invoquée par les demandeurs ne concerne pas non plus cette législation; Attendu en conséquence que l’appréciation de la régularité des saisies exécutées chez les époux Miailhe ne saurait ressortir à la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire; qu’il y a lieu de se déclarer incompétent;" c) Devant la cour d’appel de Paris M. et Mmes Miailhe interjetèrent appel afin de voir prononcer la nullité des saisies pratiquées les 5 et 6 janvier 1983 et ordonner la restitution des documents détenus par l’administration. Le 23 octobre 1984, la cour d’appel de Paris confirma le jugement du 16 mai 1984 en ces termes: "Considérant que la régularité formelle des saisies litigieuses n’est pas contestée; Considérant que les premiers juges ont exactement énoncé que les pouvoirs conférés aux agents des douanes par les articles 64 et 454 du code des douanes, dispositions particulières auxquelles ne dérogent pas celles, plus générales, de l’article 136 C.P. [code de procédure] pénale et de la loi du 29 décembre 1977, s’étendent à la saisie des documents de nature à constituer le corps ou la preuve d’infractions à la réglementation des rapports financiers avec l’étranger; Que dans cette mesure les principes relatifs à la protection de la vie privée, du domicile ou de la correspondance ne peuvent faire obstacle à l’application de ces textes; Considérant toutefois que bien que se rattachant à l’application des articles 64 et 454 susvisés, pourrait constituer une voie de fait la saisie ou la rétention illégale de documents purement privés n’ayant manifestement aucun rapport avec les opérations financières ou commerciales qui ont motivé l’intervention de l’administration, une telle atteinte aux libertés publiques étant dès lors totalement détachable des pouvoirs de l’administration; Considérant, en l’espèce, qu’il ressort des procès- verbaux de perquisitions et saisies versés aux débats, que leurs auteurs ont procédé les 5 et 6 janvier 1983 à la mise sous scellés de très nombreux documents dans les bureaux de M. Miailhe et en présence de celui-ci, qui, tout en protestant contre le principe de cette saisie, n’a formulé aucune objection tirée de la nature de tel ou tel document; que le 21 janvier 1983 il a été procédé à l’ouverture des scellés et à la cotation de tous les documents, M. Miailhe et sa secrétaire usant de la faculté qui leur était offerte de prendre photocopie de ceux ‘qui leur étaient nécessaires les jours prochains pour leur travail’; que cette fois encore M. Miailhe n’a pas fait allusion à la présence, au milieu de ses documents d’affaire, de papiers ou correspondances purement privés; Que c’est le 28 janvier 1983 que les mêmes agents des douanes procédèrent au dépouillement et à la saisie des documents; que M. Miailhe avait été convoqué à cette opération mais fit savoir qu’il refusait d’y assister; que malgré cette absence de nombreux documents furent écartés de la saisie ‘comme sans intérêt pour l’enquête’, placés dans deux cartons scellés et restitués à M. Miailhe quelques jours plus tard; Considérant qu’il apparaît dans ces conditions que ces fonctionnaires ont pris les précautions les plus méticuleuses pour ne pas excéder les pouvoirs qu’ils tiennent de la loi, et que s’il se révèle ultérieurement qu’ils ont conservé par mégarde des documents purement privés et sans rapport avec leur enquête - documents sur lesquels les consorts Miailhe n’ont jamais fourni la moindre précision -, M. Miailhe doit en être tenu pour responsable en grande partie et qu’en tout cas il ne pourrait s’agir que d’une erreur involontaire, et non de la violation manifeste et délibérée d’une liberté individuelle;" d) Devant la Cour de cassation Les intéressés formèrent un pourvoi que la chambre commerciale de la Cour de cassation rejeta le 17 juin 1986. Son arrêt se lisait ainsi: "Sur le premier moyen: Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir statué ainsi qu’elle l’a fait, alors, selon le pourvoi, qu’en se bornant à constater que la saisie litigieuse était intervenue dans le cadre d’une enquête sur la qualité de résident français de M. Miailhe, consul des Philippines à Bordeaux, sans même rechercher si elle avait eu pour objet de saisir des documents de nature à constituer le corps ou la preuve d’une infraction à la réglementation des relations financières avec l’étranger, la cour d’appel a violé les articles 64 et 454 du code des douanes; Mais attendu qu’il résulte des motifs propres et adoptés de l’arrêt que les saisies litigieuses ont été opérées au cours d’une enquête tendant à rechercher si M. Miailhe avait, en tant que résident français, commis des infractions à la législation sur les relations financières avec l’étranger; que le moyen n’est pas fondé; Sur le deuxième moyen: Attendu qu’il est encore fait grief à la cour d’appel d’avoir statué ainsi qu’elle l’a fait, alors, selon le pourvoi, qu’elle ne pouvait sans violer l’article 455 du nouveau code de procédure civile, omettre de répondre au chef des conclusions des époux Miailhe qui, indépendamment de l’existence d’une voie de fait qui aurait pu être commise à leur encontre, avaient fait valoir que l’article 66 de la Constitution confie à l’autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects et notamment celui de l’inviolabilité du domicile; Mais attendu que l’arrêt a énoncé que, bien que se rattachant à l’application des articles 64 et 454 susvisés, pourrait constituer une voie de fait la saisie ou la rétention illégale de documents purement privés n’ayant manifestement aucun rapport avec les opérations qui ont motivé l’intervention de l’administration, une telle atteinte aux libertés publiques étant dès lors détachable des pouvoirs de l’administration; que l’arrêt a en outre retenu que les fonctionnaires des douanes ont pris les précautions les plus méticuleuses pour ne pas excéder leurs pouvoirs et qu’il n’existait aucune violation manifeste et délibérée d’une liberté individuelle; que, par ces énonciations, la cour d’appel a répondu aux conclusions invoquées, d’où il suit que le moyen n’est pas fondé; Sur le troisième moyen: Attendu qu’il est, enfin, fait grief à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, alors, selon le pourvoi, qu’en relevant d’office les moyens de pur fait selon lesquels les agents des douanes auraient procédé à la cotation des 15 000 documents saisis puis à leur dépouillement, ce qui aurait conduit à une restitution partielle à M. Miailhe de certains d’entre eux compte tenu de leur inutilité pour l’enquête, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé simultanément les articles 4, 7, 12 et 16 du nouveau code de procédure civile; Mais attendu que l’arrêt énonce que les faits qu’il retient résultent des procès-verbaux des perquisitions et saisies versés aux débats, qui sont produits; que la cour d’appel n’encourt donc pas les griefs du moyen;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions répressives du droit douanier passent en France pour former un droit pénal spécial. A. La constatation des infractions Les agents constateurs En ce qui concerne les agents constateurs, deux dispositions du code des douanes entrent en ligne de compte: Article 453 "Les agents ci-après désignés sont habilités à constater les infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger: Les agents des douanes; Les autres agents de l’administration des finances ayant au moins le grade d’inspecteur; Les officiers de police judiciaire. Les procès-verbaux de constatation dressés par les officiers de police judiciaire sont transmis au ministre de l’économie et des finances qui saisit le parquet s’il le juge à propos." Article 454 "Les agents visés à l’article précédent sont habilités à effectuer en tous lieux des visites domiciliaires dans les conditions prévues par l’article 64 du présent code." Les visites domiciliaires a) Le régime applicable Au moment des visites litigieuses (5 et 6 janvier 1983), l’article 64 du code des douanes était ainsi rédigé: "1. Pour la recherche des marchandises détenues frauduleusement dans le rayon des douanes, à l’exception des agglomérations dont la population s’élève au moins à 2 000 habitants, ainsi que pour la recherche en tous lieux des marchandises soumises aux dispositions de l’article 215 ci-après, les agents des douanes peuvent procéder à des visites domiciliaires en se faisant accompagner d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire. En aucun cas, ces visites ne peuvent être faites pendant la nuit. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier municipal du lieu ou d’un officier de police judiciaire." b) Le régime ultérieur Les lois de finances des 30 décembre 1986 (article 80-I et II) et 29 décembre 1989 (article 108-III, 1 à 3) ont modifié l’article 64, qui se lit désormais ainsi: "1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459 du présent code, les agents des douanes habilités à cet effet par le directeur général des douanes et droits indirects peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits sont susceptibles d’être détenus et procéder à leur saisie. Ils sont accompagnés d’un officier de police judiciaire. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du président du tribunal de grande instance du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, ou d’un juge délégué par lui. L’ordonnance n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale; ce pourvoi n’est pas suspensif. Les délais de pourvoi courent à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance. L’ordonnance comporte: - le cas échéant, mention de la délégation du président du tribunal de grande instance; - l’adresse des lieux à visiter; - le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l’autorisation de procéder aux opérations de visite. Le juge motive sa décision par l’indication des éléments de fait et de droit qu’il retient et qui laissent présumer, en l’espèce, l’existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Si, à l’occasion de la visite, les agents habilités découvrent l’existence d’un coffre dans un établissement de crédit dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces, documents, objets ou marchandises se rapportant aux agissements visés au 1. sont susceptibles de se trouver, ils peuvent, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l’ordonnance, procéder immédiatement à la visite de ce coffre. Mention de cette autorisation est portée au procès-verbal prévu au b) du 2. Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d’autorisation qui lui est soumise est bien fondée; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession de l’administration de nature à justifier la visite. Il désigne l’officier de police judiciaire chargé d’assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. La visite s’effectue sous le contrôle du juge qui l’a autorisée. Lorsqu’elle a lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire, pour exercer ce contrôle, au président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel s’effectue la visite. Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l’intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l’arrêt de la visite. L’ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l’occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal prévu au b) du 2. En l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, l’ordonnance est notifiée après la visite par lettre recommandée avec avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l’avis. A défaut de réception, il est procédé à la signification de l’ordonnance dans les conditions prévues par les articles 550 et suivants du code de procédure pénale. Les délais et modalités de la voie de recours sont mentionnés sur les actes de notification et de signification. b) La visite ne peut être commencée avant six heures ni après vingt et une heures. Elle est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant; en cas d’impossibilité, l’officier de police judiciaire requiert deux témoins choisis en dehors des personnes relevant de son autorité ou de celle de l’administration des douanes. Les agents des douanes mentionnés au 1. ci-dessus, l’occupant des lieux ou son représentant et l’officier de police judiciaire peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. L’officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 56 du code de procédure pénale; l’article 58 de ce code est applicable. Le procès-verbal, auquel est annexé un inventaire des marchandises et documents saisis, est signé par les agents des douanes, l’officier de police judiciaire et par les personnes mentionnées au premier alinéa du présent b); en cas de refus de signer, mention en est faite au procès-verbal. Si l’inventaire sur place présente des difficultés, les pièces et documents saisis sont placés sous scellés. L’occupant des lieux ou son représentant est avisé qu’il peut assister à l’ouverture des scellés qui a lieu en présence de l’officier de police judiciaire; l’inventaire est alors établi. Une copie du procès-verbal et de l’inventaire est remise à l’occupant des lieux ou à son représentant. Un exemplaire du procès-verbal et de l’inventaire est adressé au juge qui a délivré l’ordonnance dans les trois jours de son établissement. Les agents des douanes peuvent intervenir sans l’assistance d’un officier de police judiciaire: a) pour opérer les visites, recensements et contrôles à domicile chez les titulaires d’un compte ouvert d’animaux ou d’un titre de pacage; b) pour rechercher des marchandises qui, poursuivies à vue sans interruption dans les conditions prévues par l’article 332 ci-après, sont introduites dans une maison ou autre bâtiment même sis en dehors du rayon. S’il y a refus d’ouverture des portes, les agents des douanes peuvent les faire ouvrir en présence d’un officier de police judiciaire." B. La poursuite des infractions Aux termes de l’article 458 du code des douanes, "La poursuite des infractions à la législation et à la réglementation des relations financières avec l’étranger ne peut être exercée que sur la plainte du ministre de l’économie et des finances ou de l’un de ses représentants habilités à cet effet." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mmes Miailhe se sont adressés à la Commission le 11 décembre 1986. Ils dénonçaient les visites domiciliaires et saisies opérées dans l’un de leurs locaux par des agents des douanes. Ils invoquaient l’article 8 (art. 8) de la Convention, pour atteinte à leur droit au respect de leur vie privée, de leur domicile et de leur correspondance, ainsi que l’article 13 (art. 13), pour absence d’un recours effectif devant une instance nationale. La Commission a retenu la requête (no 12661/87) le 3 octobre 1990. Dans son rapport du 8 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation des articles 8 (art. 8) (onze voix contre sept) et 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "bien vouloir rejeter l’ensemble des griefs soulevés par les consorts Miailhe". Quant aux conseils des requérants, ils ont demandé à la Cour de "constater [que leurs clients] ont été victimes d’une violation, par les autorités de la République française, de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...); réserver l’application de l’article 50 (art. 50) de ladite Convention jusqu’à l’issue des poursuites pénales engagées en France contre William et Brigitte Miailhe pour infractions à la réglementation française des changes; allouer, à titre provisionnel, à William et Brigitte Miailhe, et, à titre définitif, à Mme Victoria Miailhe, en réparation de leur préjudice moral et des frais exposés pour la défense de leurs droits, les sommes dont le montant a été indiqué dans les motifs ci-dessus".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen islandais, M. Sigurdur A. Sigurjónsson exerce la profession de chauffeur de taxi et réside à Reykjavik. Le 24 octobre 1984, "le service émetteur de licences" (dénommé depuis lors comité de surveillance des taxis - "le comité"; paragraphes 18 et 20 ci-dessous) lui délivra une licence pour exploiter un taxi. Il en décida ainsi en vertu de la loi no 36/1970 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public ("la loi de 1970") et l’arrêté no 320/1983 ("l’arrêté de 1983") pris par le ministre des Transports en application de l’article 10 de la loi (paragraphe 18 ci-dessous). Le requérant avait sollicité une licence au moyen d’un formulaire imprimé, adressé à l’Association des conducteurs de véhicules automobiles Frami ("la Frami") et renfermant une déclaration aux termes de laquelle il avait connaissance de l’obligation de cotiser à la Frami en en devenant membre. Lors de l’octroi de la licence, l’intéressé s’engagea à respecter les conditions fixées par l’arrêté de 1983, étant entendu qu’un manquement pouvait entraîner une mesure de suspension ou de retrait. Parmi elles figurait celle de demander à s’affilier à la Frami (article 8 de l’arrêté de 1983), ce qu’il avait fait le 26 septembre 1984. Après son adhésion à la Frami, le requérant acquitta ses cotisations jusqu’en août 1985; il interrompit alors ses versements. La Frami l’avertit en conséquence, le 5 février 1986, qu’elle comptait les exclure, lui et son véhicule, des services de stations de taxis tant qu’il n’aurait pas réglé son dû (article 27 des statuts de la Frami). Par une lettre du 14 février 1986, il répondit qu’il ne souhaitait pas appartenir à la Frami; il se refusait à l’obligation d’en rester membre et de lui payer des cotisations. Il expliquait en outre avoir accepté la licence "sans se renseigner d’abord sur [sa] situation juridique quant à l’adhésion" parce qu’il n’avait pas assez d’argent pour mener les démarches nécessaires. De plus, il avait préféré s’épargner une longue procédure qui eût retardé la délivrance de la licence. Le 30 juin 1986, le comité prononça le retrait de celle-ci à la demande de la Frami, en particulier parce que le requérant avait cessé de cotiser. Le lendemain, M. Sigurdur A. Sigurjónsson écrivit au ministère des Transports ("le ministère") pour protester contre cette décision et réclamer un sursis jusqu’à l’issue d’une instance judiciaire qu’il voulait entamer. Dans sa réponse du 17 juillet 1986, le ministère confirma la révocation en se référant aux articles 7 et 12 de l’arrêté no 293/1985 (paragraphe 18 ci-dessous). Il communiqua au chef de la police de Reykjavik une copie de sa missive. Par une lettre du 28 juillet 1986 à ce dernier, l’avocat du requérant l’informa que son client estimait le retrait illégal, envisageait de saisir les tribunaux et priait la police de ne pas s’immiscer dans ses activités de chauffeur de taxi. Le 1er août, elle n’en intercepta pas moins le requérant, alors qu’il se trouvait au volant, et enleva les plaques signalant le véhicule comme une voiture de location à la disposition du public. Le 18 septembre 1986, le requérant assigna le comité et le ministère devant le tribunal civil de Reykjavik, l’invitant à constater la nullité du retrait. Le tribunal le débouta le 17 juillet 1987. L’intéressé se pourvut devant la Cour suprême. Siégeant le 15 décembre 1988 en formation plénière de sept juges, elle écarta à l’unanimité la thèse, fondée sur l’article 73 de la Constitution, selon laquelle on ne pouvait le contraindre à demeurer à la Frami. Selon elle, il ressortait des travaux préparatoires que cette disposition entendait garantir seulement le droit de "fonder des associations", et non de ne pas s’affilier. Le demandeur n’avait pas réussi à démontrer en quoi, interprété ainsi, l’article 73 se heurtait aux clauses pertinentes des instruments internationaux. Enfin, on ne pouvait déduire de ce texte qu’il était illégal de faire dépendre de l’adhésion à une association l’octroi d’une licence donnant accès à l’exercice d’une profession. A une majorité de quatre juges, la Cour annula pourtant le retrait de la licence de l’intéressé, au motif que l’arrêté de 1983 manquait de base légale dans la mesure où il érigeait l’appartenance à un syndicat en condition de délivrance d’une licence (paragraphe 8 ci-dessus). A la suite de l’arrêt de la Cour suprême, l’Althing (le Parlement islandais) adopta une nouvelle législation - la loi no 77/1989 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public ("la loi de 1989") - qui subordonne les licences d’exploitation à la qualité de membre d’un syndicat. Elle est entrée en vigueur le 1er juillet 1989 (paragraphe 18 ci-dessous). Le 4 juillet 1989, le requérant écrivit à la Frami une lettre dont il transmit une copie au ministère. Il déclarait qu’eu égard à la nouvelle législation, il n’avait pas d’autre choix que de s’affilier et consentait donc à verser des cotisations. En même temps, il soulignait que cette adhésion allait à l’encontre de ses voeux et intérêts; non seulement les statuts de la Frami renfermaient des clauses opposées à ses opinions politiques, mais elle utilisait les cotisations de ses membres pour oeuvrer au détriment de ses intérêts à lui. Il ajoutait que la nouvelle législation prévoyant l’affiliation obligatoire était incompatible avec la Convention et il exprimait l’intention de soulever le problème à Strasbourg. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Introduction À l’époque où le requérant en obtint une, les licences d’exploitation de taxi se trouvaient régies par la loi de 1970 et l’arrêté de 1983. Ce dernier fut modifié par l’arrêté no 293/1985 ("l’arrêté de 1985"): l’organisme dénommé à l’origine "service émetteur de licences" s’appela désormais comité de surveillance des taxis (paragraphe 20 ci-dessous). En 1989, la loi de 1989 sur les véhicules de location à moteur à la disposition du public et l’arrêté no 308/1989 ("l’arrêté de 1989") vinrent remplacer la loi de 1970 et l’arrêté de 1985. La requête initiale de l’intéressé à la Commission ne concernait que la situation postérieure au 1er juillet 1989, date de l’entrée en vigueur de la législation de 1989 (annexe II au rapport de la Commission, sous la rubrique "griefs"). B. Organisation et administration des licences d’exploitation de taxi L’article 4 de la loi de 1989 habilite le ministère à limiter, à la demande d’un syndicat (stéttarfélag) de conducteurs et sur recommandation des conseils municipal et régional compétents, le nombre des véhicules de location à moteur à la disposition du public dans le périmètre considéré. L’article 8 de l’arrêté de 1989 prévoit un tel plafonnement. Il précise notamment que dans le secteur de la Frami, à savoir Reykjavik et six communes avoisinantes, il ne peut y avoir plus de 570 taxis. Cette restriction s’opère au moyen de la délivrance de licences; chaque titulaire est tenu, entre autres conditions, de posséder un véhicule pour passagers et de l’exploiter en personne comme taxi à titre d’occupation professionnelle principale (articles 7 de la loi de 1989 et 8 de l’arrêté de 1989). Les services de taxi dans la zone en question devaient être assurés à partir d’une station agréée par le conseil municipal (article 2 de la loi de 1989). Dans tout secteur assujetti à une limitation du nombre de véhicules à la disposition du public, il est constitué un comité de surveillance des taxis. Il comprend trois membres désignés par le ministre des Transports, dont l’un sur proposition du syndicat concerné et un autre sur celle du conseil municipal; le troisième a la qualité de président (article 10 de la loi de 1989). Le comité établit son règlement intérieur, sous réserve de l’homologation du ministre; il adopte ses décisions à la majorité et adresse un rapport annuel au ministre (articles 10 de la loi de 1989 et 9 de l’arrêté de 1989). Sa tâche consiste à contrôler, dans le ressort du syndicat dont il s’agit, l’application des lois et règlements relatifs à l’exploitation des véhicules de location à moteur à la disposition du public, l’octroi et le retrait des licences ainsi que la manière dont les stations de taxis assurent leurs services (article 10 de la loi de 1989). La Frami, dénommée Hreyfill jusqu’en 1959, fut fondée en 1936 par les conducteurs automobiles professionnels de Reykjavik. Ses statuts, qu’elle peut modifier elle-même d’après leur article 32, ne sont pas soumis à l’approbation du Gouvernement. Selon l’article 2, elle a pour objet 1) de protéger les intérêts professionnels de ses membres et promouvoir la solidarité parmi les chauffeurs de taxi professionnels; 2) de déterminer et négocier les horaires de travail, les salaires et les tarifs de ses adhérents, ainsi que de formuler des revendications en la matière; 3) de chercher à maintenir le nombre des taxis dans certaines limites; 4) de représenter ses affiliés devant les pouvoirs publics. Les statuts sont en cours de révision. L’arrêté de 1989 attribue aux syndicats tels que la Frami certaines fonctions administratives, à savoir: a) suggérer des limitations du genre de celles que mentionne le paragraphe 19 ci-dessus (article 4 de la loi de 1989); b) jouer le rôle de dépositaires des licences (article 13 de l’arrêté de 1989); c) agréer les véhicules destinés à servir de taxis (article 14 de l’arrêté de 1989); d) dans la mesure restreinte que précise l’arrêté de 1989, réglementer les dérogations temporaires à l’obligation, pour le titulaire d’une licence, d’exploiter en personne son propre véhicule, et statuer sur les demandes de pareille dispense (articles 9 de la loi de 1989 et 16 de l’arrêté de 1989). D’après les renseignements fournis par le Gouvernement, la Frami exerce en outre les activités suivantes: a) elle supervise l’exécution des services de taxi; b) elle signale au comité les cas de manquement d’un titulaire aux conditions de sa licence; c) elle organise le fonctionnement des taxis de manière à garantir qu’ils puissent répondre aux besoins sensiblement plus élevés des fins de semaine; d) elle veille à ce que les titulaires de licence respectent leurs obligations en matière d’enregistrement, d’assurance et de frais à payer; e) elle fixe les tarifs des services de taxi, sous réserve de l’accord des autorités chargées du contrôle des prix. La Frami ne participe pas à des négociations collectives pour le compte de ses membres et n’est donc pas affiliée à la Fédération islandaise du Travail. C. Affiliation obligatoire Aux termes de l’article 5 de la loi de 1989, dans toute zone rattachée à un syndicat et soumise à une limitation du nombre des voitures de location à la disposition du public (paragraphe 19 ci-dessus), les exploitants de véhicules de même catégorie doivent être membres du même syndicat. Dans un secteur où il existe un syndicat de chauffeurs de taxi, on ne peut exploiter un taxi sans posséder une licence. D’après l’article 8 de la loi de 1989, seules peuvent en obtenir une les personnes ayant adhéré au syndicat concerné ou demandé à s’y inscrire. De l’article 8 de l’arrêté de 1989 (paragraphe 19 ci-dessus), il ressort que la Frami est l’association compétente pour les chauffeurs de taxi de Reykjavik. L’affiliation reste exigée après octroi d’une licence. Si le titulaire d’une licence enfreint les lois ou règlements relatifs aux véhicules de location à moteur à la disposition du public, le comité peut lui adresser un avertissement, suspendre sa licence ou, en cas de manquements graves ou répétés, la lui retirer et lui infliger une amende; dans l’hypothèse d’un retrait, l’intéressé peut solliciter une nouvelle licence, sous certaines conditions, au bout de cinq ans (articles 9 et 13 de la loi de 1989 et 18 de l’arrêté de 1989). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Sigurdur A. Sigurjónsson a saisi la Commission le 22 décembre 1989. Il invoquait l’article 11 (art. 11) de la Convention (droit à la liberté d’association) ou, en ordre subsidiaire, les articles 9 (art. 9) (droit à la liberté de pensée et de conscience), 10 (art. 10) (droit à la liberté d’expression) et 13 (art. 13) (droit à un recours effectif). La Commission a retenu la requête (no 16130/90) le 10 juillet 1991. Dans son rapport du 15 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle déclare estimer: a) par dix-sept voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 11 (art. 11); b) à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de rechercher séparément s’il y a eu violation des articles 9 et 10 (art. 9, art. 10); c) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 22 février 1993, le Gouvernement a invité la Cour à dire que, comme il l’avait soutenu dans son mémoire du 15 décembre 1992, il n’y a pas eu méconnaissance de la Convention en l’espèce.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En septembre 1985, Mme Costello-Roberts mit le requérant, alors âgé de sept ans, en pension dans un établissement privé d’enseignement primaire à Barnstaple, dans le Devon. L’école comptait environ 180 élèves dont les frais de scolarité étaient acquittés sans recours aux deniers publics; elle ne percevait aucune subvention directe de l’État. Le prospectus de l’école signalait qu’il y régnait une discipline très stricte, mais sans mentionner l’usage du châtiment corporel. Mme Costello-Roberts ne se renseigna pas sur le régime disciplinaire en vigueur et ne manifesta pas d’emblée son opposition à pareille sanction. Selon le système appliqué dans l’établissement, cette dernière était administrée au bout de cinq mauvais points. Le 3 octobre 1985, le requérant reçut le cinquième pour avoir bavardé dans le couloir. Il s’était attiré les quatre premiers par une conduite analogue et, en une occasion, en arrivant un peu en retard à l’heure du coucher. Après avoir examiné la question avec ses collègues, le directeur décida que la seule manière de combattre l’indiscipline du garçon, qui avait valu à celui-ci trois avertissements de sa part, consistait à lui infliger sur le postérieur, par-dessus son short, trois coups de chaussure de gymnastique à semelle de caoutchouc. Il en avisa l’intéressé le 8 octobre. Le directeur exécuta la sanction le 11, donc huit jours après que Jeremy eut écopé de son cinquième mauvais point. Personne d’autre n’assista à la scène. Devant les organes de Strasbourg, les conseils du requérant ont déclaré qu’on lui avait dit de ne pas informer ses parents, mais l’école le nie. En tout cas, dans une lettre de lui à sa mère, postée le 21 octobre 1985, on pouvait lire: "viens me chercher, j’ai eu une raclé [sic]"; il continua de lui écrire, avec affliction, au sujet de la "pantouflade" (slippering). Le 4 novembre 1985, l’établissement confirma à Mme Costello-Roberts que son fils avait subi sa punition. D’après elle, il avait d’abord démenti la chose, ce que le Gouvernement conteste également. Le lendemain, Mme Costello-Roberts envoya aux membres du conseil d’administration de l’école une missive où elle exprimait son "inquiétude" et sa "grave préoccupation" devant une telle "pratique barbare". Elle reconnaissait que les "problèmes grandissants" avaient commencé après la première semaine du trimestre et ajoutait: "nous avons précisé au personnel (...) qu’à nos yeux, le comportement [de Jeremy] reflétait un bouleversement (...)". Le directeur écrivit à son tour au président du conseil d’administration le 7 novembre, attribuant à un manque de discipline les ennuis du requérant: celui-ci refusait d’admettre l’autorité et sa conduite perturbait la vie de la communauté scolaire. Mme Costello-Roberts adressa aussi au directeur une lettre soulignant son opposition à tout châtiment corporel dans le cas de son fils. Le 16, il lui répondit ainsi: "eu égard à votre mécontentement patent de l’éducation offerte (...) à votre fils (...) et à votre désir de soustraire celui-ci au cadre disciplinaire, acceptable pour tous les autres parents des enfants de l’école, il semble préférable de le retirer de [l’établissement] à la fin du trimestre en cours." La mère du requérant porta plainte auprès de la police entre le 4 et le 16 novembre 1985; on lui indiqua toutefois que l’on ne pouvait rien entreprendre, faute de toute trace visible de contusion sur le postérieur du garçon. Elle saisit également la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (Association nationale pour la prévention de la cruauté envers les enfants), qui réagit de manière analogue. Le personnel aurait remarqué, après le châtiment corporel, une amélioration presque immédiate du comportement du jeune élève, mais il aurait estimé que les contacts ultérieurs de ce dernier avec ses parents pendant les vacances du milieu du trimestre l’avaient fait régresser. Le directeur de l’école pensait que Jeremy "menait ses parents en bateau" en rapportant chez lui des histoires de brutalité et autres, "manifestement inventées par lui mais que tout aussi manifestement ses parents croyaient". A Strasbourg, les conseils de l’intéressé ont prétendu que la punition subie l’avait perturbé à l’extrême: de confiant et extraverti, il serait devenu un enfant nerveux et peu sociable. Le Gouvernement soutient que d’après les éléments recueillis par lui, tout changement dans le caractère de l’enfant pendant le séjour de celui-ci à l’école résultait plus vraisemblablement de son incapacité à se plier aux contraintes de la vie en internat que des coups de chaussure reçus. Selon lui, la correspondance mentionnée plus haut entre la mère, les membres du conseil d’administration et le directeur reflète les difficultés d’adaptation du jeune garçon. Le requérant quitta Barnstaple en novembre 1985 et fut admis en janvier 1986 dans une nouvelle école. Elle relata, en juillet 1986, qu’il s’était "beaucoup calmé" depuis son arrivée, date à laquelle il était peu sociable, nerveux et très agressif. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’usage du châtiment corporel À l’époque considérée, il existait en droit anglais diverses infractions de voies de fait (assault) passibles de peines variant en fonction de leur gravité et du tribunal appelé à en connaître. La loi de 1988 sur la justice pénale (Criminal Justice Act) a modifié la législation depuis lors. Les poursuites pour "voies de fait simples" (common assault) - la forme la moins grave - étaient en principe engagées par la partie lésée ou pour son compte, conformément à l’article 42 de la loi (amendée) de 1861 sur les infractions contre les personnes (Offences against the Person Act 1861, "la loi de 1861"). L’article 45 empêchait toute autre action, civile ou pénale, fondée sur la même cause. En général, la Couronne n’entamait donc pas de poursuites pour voies de fait simples, laissant ainsi à la victime des sévices allégués le choix entre le civil et le pénal. Devant la Magistrates’ Court, la peine maximale encourue était une amende de 400 £ ou deux mois d’emprisonnement, pour les voies de fait simples, et une amende plus forte ou six mois d’emprisonnement pour les voies de fait "aggravées" ("aggravated" common assault), c’est-à-dire infligées à un garçon de moins de quatorze ans ou à toute personne de sexe féminin. Devant la Crown Court, elle passait à un an d’emprisonnement. Les voies de fait plus graves, "portant une réelle atteinte à l’intégrité physique" (assault occasioning actual bodily harm, "coups et blessures"), étaient et demeurent régies, en particulier, par l’article 47 de la loi de 1861. Les poursuites émanent en principe de la Couronne; la sanction peut aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. En outre, l’article 1 par. 1 de la loi de 1933 sur les enfants et adolescents (Children and Young Persons Act 1933) érige en infraction les voies de fait ou mauvais traitements sur un enfant, propres à lui causer des souffrances inutiles ou à nuire à sa santé. Il les rend passibles d’une amende ou de dix ans d’emprisonnement au plus. Au civil, et en l’absence de poursuites pénales pour voies de fait simples, des coups et blessures peuvent donner lieu, pour atteinte à l’intégrité de la personne, à une action de la victime en dommages-intérêts. Une action civile pour usage d’un châtiment corporel démesuré ou déraisonnable par un enseignant peut être intentée contre celui-ci ou son employeur, à savoir l’établissement ou les autorités de tutelle. Peuvent en connaître les County Courts tout comme la High Court; un recours s’ouvre devant la Court of Appeal contre leurs décisions. Sous réserve des exceptions résultant d’une modification législative (paragraphe 16 ci-dessous), pareille action pénale ou civile peut se heurter à un moyen de défense d’après lequel la personne mise en cause était un enseignant administrant un châtiment corporel raisonnable et modéré, à l’aide d’un instrument approprié et d’une manière convenable. L’enseignant est censé avoir ce droit parce qu’il se trouve in loco parentis, exerçant par délégation présumée un droit parental à infliger un tel traitement à des enfants. La législation régissant l’emploi de châtiments corporels par des enseignants repose donc sur le droit des parents d’user de ce type de punition sur leurs enfants. La loi ne protège parents et enseignants que si le châtiment est "raisonnable" en l’espèce. La notion de "caractère raisonnable" permet aux tribunaux d’appliquer des critères ayant cours dans la société contemporaine pour le châtiment corporel des enfants. Depuis le 15 août 1987, date de l’entrée en vigueur des articles 47 et 48 de la loi no 2 de 1986 sur l’éducation (Education (No. 2) Act 1986) - donc après les événements à l’origine du présent litige -, les enseignants ne peuvent plus invoquer le moyen de défense susmentionné dans les instances civiles engagées pour atteinte à la personne de certains élèves: ceux des écoles relevant de l’autorité locale de l’éducation et d’autres établissements subventionnés par l’État, ainsi que ceux des écoles privées (paragraphe 21 ci-dessous) où les frais de scolarité sont couverts par les deniers publics. B. Le système scolaire D’après la loi de 1944 sur l’éducation, il incombe aux parents, sous peine de sanctions pénales, d’assurer l’éducation de leurs enfants. Ils peuvent soit leur offrir une instruction appropriée à domicile, soit les inscrire dans des écoles privées ou publiques. La même loi charge le ministre de veiller au respect de certaines normes pédagogiques. Une école privée est un établissement qui dispense un enseignement à plein temps à, pour le moins, cinq élèves d’âge scolaire, et qui ne constitue pas une école spéciale au sens de l’article 114 par. 1 de la loi de 1944, c’est-à-dire organisée tout exprès pour l’instruction d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage, ni une école subventionnée par une autorité locale de l’éducation. Les écoles privées doivent demander leur immatriculation au conservateur des écoles privées, fonctionnaire du ministère de l’Éducation et de la Science. Elle dépend du respect de normes de sécurité, d’hygiène et de pédagogie. D’après le Gouvernement, il ressort clairement des articles 70 à 75 de la loi de 1944 que le ministre ne peut refuser d’inscrire une école privée au motif qu’on y pratique des châtiments corporels; l’école concernée pourrait attaquer pareil refus en justice. Une fois immatriculées, les écoles privées demeurent sujettes à des inspections et visites périodiques d’inspecteurs de l’État, mais ne sont pas soumises aux mêmes normes que les écoles publiques. L’article 71 par. 1 de la loi de 1944 habilite le ministre à engager une procédure de réclamation qui peut aboutir à la radiation d’une école privée. Sous réserve des exceptions mentionnées au paragraphe 16 ci-dessus, les écoles privées restent libres d’user du châtiment corporel à titre disciplinaire. Selon le Gouvernement: a) si le recours à un châtiment corporel excessif (entraînant une condamnation pénale) peut amener le ministre à exercer les pouvoirs que lui attribue l’article 71 par. 1, l’emploi d’un châtiment corporel mesuré et raisonnable ne justifierait pas le dépôt d’une réclamation contre une école ni sa radiation du registre; b) les plaintes pour usage trop fréquent de châtiments corporels seraient déférées aux inspecteurs de l’État, qui examineraient sans doute avec l’école sa politique en matière de discipline, mais la décision finale relèverait, dans les limites légales, de l’établissement concerné, les parents hostiles à cette politique ayant la faculté de choisir une autre école pour leurs enfants; c) aucune des onze réclamations formulées au cours des cinq dernières années ne portait sur le recours à des châtiments corporels. Le requérant prétend au contraire qu’une procédure de radiation a été entamée contre une école qui se servait beaucoup des châtiments corporels; les inspecteurs de l’État auraient exprimé leur préoccupation, notamment, devant le système appliqué; ils auraient recommandé à l’établissement de revoir sa pratique. D’après la loi de 1989 sur les enfants, non en vigueur à l’époque des faits, les écoles privées qui hébergent cinquante élèves au plus - mais non agréées, en vertu de la loi de 1981 sur l’éducation, comme aptes à recevoir des enfants à besoins éducatifs particuliers - doivent être immatriculées comme foyers pour enfants. Le règlement de 1991 sur ces foyers (Children’s Homes Regulations 1991) y interdit les châtiments corporels. En Angleterre et au pays de Galles, l’État finance directement trois des 2 341 écoles privées. Certains élèves de 295 d’entre elles bénéficient de l’aide budgétaire des pouvoirs publics dans le cadre du programme de places subventionnées, au titre de l’article 17 de la loi de 1980 sur l’éducation; pour l’exercice 1991-1992, on en a compté 28 303 sur un total de 550 000. Les autorités locales de l’éducation peuvent prendre en charge le coût de l’instruction des élèves des écoles privées de leur ressort ou les frais de scolarité de ceux qui se trouvent dans une situation difficile. Reconnues d’utilité publique, les écoles privées ont droit aux exonérations fiscales accordées de manière générale aux organismes jouissant de ce statut. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Costello-Roberts et son fils ont saisi la Commission le 17 janvier 1986 (requête no 13134/87). Ils prétendaient que le châtiment corporel infligé à Jeremy avait méconnu l’article 3 (art. 3) de la Convention et le droit de chacun d’eux au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 (art. 8). Ils alléguaient en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), nul recours effectif ne s’offrait à eux sur ces deux points. Ils ont retiré par la suite une doléance formulée sur le terrain de l’article 14 (art. 14). Le 13 décembre 1990, la Commission a déclaré irrecevables les griefs de la mère et retenu ceux du fils. Dans son rapport du 8 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, par neuf voix contre quatre, un manquement aux exigences de l’article 8 (droit au respect de la vie privée) (art. 8), mais non de l’article 3 (art. 3) et, par onze voix contre deux, à celles de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis, ainsi que des cinq opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions figurant dans son mémoire. Il invite la Cour à constater l’absence de violation des articles 3, 8 et 13 (art. 3, art. 8, art. 13).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen allemand résidant à Geeste, en Allemagne, le requérant est retraité. Du 17 au 27 janvier 1988, il loua une chambre à Mayrhofen, en Autriche. Pendant cette période, il dit à sa bailleresse, Mme Rosa Kröll, que sa femme était très malade et suivait un traitement dans un hôpital d’Innsbruck. Il lui déclara aussi qu’il attendait le versement d’une pension en provenance d’Allemagne. Là-dessus, elle lui remit 2 500 schillings et renonça au loyer de 1 500 schillings. Le 19 janvier, il ouvrit un compte auprès d’une banque à Mayrhofen, prétendument pour y faire virer sa pension; le 22, Mme Kröll lui donna 600 schillings de plus. Le 27 janvier 1988, elle se plaignit à la police. Le 8 février, le parquet (Staatsanwaltschaft) d’Innsbruck invita le juge d’instruction du tribunal régional (Landesgericht) de cette ville à informer au sujet du requérant, qu’il soupçonnait d’escroquerie aggravée de récidive, et à placer l’intéressé en détention provisoire pour parer au risque de fuite. Le juge accueillit ces demandes le lendemain. Le 10, il interrogea M. Fey qui se trouvait incarcéré depuis le 4 en vue de son extradition vers l’Allemagne. Le 12 février 1988, il envoya au tribunal de district (Bezirksgericht) de Zell am Ziller une commission rogatoire (Rechtshilfeersuchen) le priant d’entendre Mme Kröll comme témoin sur quelques points précis. L’audition eut lieu le 25 devant Mme Andrea Kohlegger, juge audit tribunal. Le 1er mars, le parquet d’Innsbruck abandonna l’une des charges d’escroquerie pesant sur le requérant. Le tribunal régional cessa ainsi d’avoir compétence. Aussi le procureur provoqua-t-il la transmission de l’affaire, désormais limitée à l’allégation d’escroquerie au détriment de Mme Kröll, au tribunal de district qui, aux termes de l’article 9 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung), connaît des contraventions, c’est-à-dire des infractions passibles d’amende ou d’un emprisonnement non supérieur à six mois. Le même jour il conclut, en vertu de l’article 451 par. 1, à la condamnation de l’intéressé pour escroquerie. À l’époque de la saisine du tribunal de district, le dossier renfermait pour l’essentiel: - la plainte déposée à la police de Mayrhofen; - les antécédents judiciaires du requérant en Allemagne; - l’ordonnance du juge d’instruction du tribunal régional plaçant M. Fey en détention provisoire; - le procès-verbal de l’interrogatoire de l’inculpé par ledit magistrat; - celui de l’audition de Mme Kröll par Mme Kohlegger, juge au tribunal de district; - des lettres adressées par le requérant au parquet afin qu’il classât l’affaire et au tribunal régional pour s’en prendre à sa détention provisoire; - une note indiquant que l’intéressé avait retiré ces derniers griefs. Au cours de la période qui suivit, Mme Kohlegger accomplit les actes ci-après: Par une lettre à la chambre de l’application des peines (Strafvollstreckungskammer) d’Osnabrück, en Allemagne, elle demanda les motifs de la suspension partielle d’une peine de prison précédemment infligée au requérant. Elle reçut une réponse le 1er avril 1988. Elle envoya le dossier au tribunal de district d’Innsbruck, avec une commission rogatoire l’invitant à interroger M. Fey pour établir s’il avait réellement pu s’attendre à toucher une pension en janvier 1988, et pour recueillir des précisions sur sa pension ou toute autre rentrée provenant de polices d’assurance. Le 17 mars 1988, elle téléphona à la banque de Mayrhofen pour déterminer si de l’argent avait déjà été versé sur le compte ouvert par l’intéressé (paragraphe 7 ci-dessus); le même jour, la banque lui écrivit que non. Elle téléphona de surcroît aux compagnies d’assurances provinciales de Hanovre et d’Oldenburg-Brême (Allemagne) pour savoir si l’intéressé avait jamais sollicité ou perçu une pension. D’après une note rédigée par elle le 18 mars 1988 pour figurer au dossier, la première de ces sociétés avait répondu que, sous le numéro de référence indiqué par le requérant, il n’avait jamais été ni réclamé ni payé de pension; la seconde avait déclaré que M. Fey n’en avait pas obtenu. Le 18 mars 1988, le juge Kohlegger fixa les débats au 24 mars (article 451 par. 4 du code de procédure pénale). Ils eurent lieu à cette dernière date devant le tribunal de district de Zell am Ziller, le juge Kohlegger y siégeant comme juge unique. Le procureur de district (Bezirksanwalt) était présent mais non l’avocat du requérant, pourtant convoqué. Le tribunal ouït d’abord le prévenu, qui protesta de son innocence. Il entendit ensuite Mme Kröll comme témoin, puis un agent de police remplaçant un collègue qui avait visité la maison de l’intéressée après l’arrestation de M. Fey. Plusieurs documents furent produits (dargetan), parmi lesquels: - la plainte à la police - les résultats de l’enquête de police; - un extrait du casier judiciaire du requérant; - le dossier du tribunal régional (paragraphe 11 ci-dessus); - les renseignements fournis par la banque de Mayrhofen et par les deux compagnies allemandes d’assurances, ainsi qu’une lettre émanant d’une troisième. Après les dépositions, le procureur conclut à la condamnation du requérant. Celui-ci invita le tribunal à établir que, le 9 avril 1987, il avait demandé une pension auprès d’une compagnie allemande d’assurances. Le tribunal écarta l’offre de preuve, estimant les faits suffisamment clairs. Le 24 mars 1988, le tribunal de district acquitta le requérant du chef des 600 schillings touchés de Mme Kröll le 22 janvier 1988, mais le reconnut coupable d’avoir frauduleusement amené celle-ci à lui remettre 2 500 schillings et à renoncer au loyer de 1 500 schillings; il lui infligea trois mois d’emprisonnement et lui enjoignit de rembourser 4 000 schillings à sa victime. Il déduisit de la peine les périodes passées en détention extraditionnelle et provisoire. Signé par Mme Kohlegger, le jugement s’appuyait notamment sur le témoignage de Mme Kröll et les renseignements donnés par la banque et les compagnies d’assurances. Le requérant l’attaqua devant le tribunal régional. Il se plaignait, entre autres, de ce qu’au tribunal de district la même personne avait instruit puis jugé l’affaire. Le 20 avril 1988, la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal régional repoussa des demandes d’élargissement présentées par lui les 6, 12 et 15 mars. Le tribunal régional, composé des trois membres qui avaient déjà statué le 20 avril, rejeta l’appel le 13 mai 1988. Quant au grief mentionné au paragraphe 15 ci-dessus, il déclara: "Cette thèse se heurte à l’opinion dominante, fondée sur les articles 451 et 452 du code de procédure pénale, selon laquelle, dans le cadre d’une instance pendante devant le tribunal de district, le juge du fond peut aussi se livrer à une enquête préliminaire sans se trouver pour autant exclu de la phase de jugement (...). Il en va également ainsi en cas de participation à une affaire pénale d’un juge agissant en vertu d’une commission rogatoire (...). En l’espèce, [le tribunal régional] n’a pas besoin d’étudier de près la question de savoir dans quelle mesure cette interprétation généralement retenue cadre avec l’article 6 (art. 6) de la Convention (...): l’accusé, qui a eu connaissance de la (prétendue) cause de nullité au plus tard lors de l’ouverture des débats, ne l’a pas invoquée d’emblée (...) devant le tribunal de district de Zell am Ziller." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Pour recueillir les éléments nécessaires au déclenchement de poursuites pénales ou au classement (Zurücklegung) de la plainte, le parquet peut faire mener une enquête préliminaire (Vorerhebungen) par le juge d’instruction, les tribunaux de district et les autorités de police (article 88 par. 1 du code de procédure pénale). S’il estime qu’il existe assez de raisons pour engager une procédure pénale, il requiert l’ouverture d’une instruction (Voruntersuchung) ou dépose un acte d’accusation (Anklageschrift, article 90 par. 1). Devant les tribunaux de district il n’y a cependant ni instruction formelle ni procédure spéciale de mise en accusation: il suffit d’une demande, écrite ou orale, du procureur de district, tendant à la condamnation de l’intéressé (Antrag auf gesetzliche Bestrafung, article 451 par. 1). Les paragraphes 1 et 4, combinés, de l’article 451 habilitent le tribunal de district à se livrer à une enquête préliminaire mais non, comme le tribunal régional, à une véritable instruction préparatoire. Pareille enquête préliminaire obéit en principe aux mêmes règles qu’une instruction préparatoire conduite par un magistrat du tribunal régional. Toutefois, d’après l’article 452, qui énonce des exceptions, le juge de tribunal de district ne jouit pas de pouvoirs aussi larges en matière de détention provisoire, d’arrestation et de perquisition. Aux termes de l’article 194 par. 1, il peut ordonner l’élargissement d’une personne en détention provisoire si le procureur et lui-même s’accordent à penser que l’incarcération ne se justifie plus. Il fixe la date de l’audience après, le cas échéant, l’achèvement de l’enquête préliminaire jugée nécessaire (article 451 par. 4). L’article 68 par. 2, qui empêche un juge d’instruction de participer ensuite au jugement de l’affaire, ne vaut pas pour les tribunaux de district. Conformément à une pratique judiciaire établie, les enquêtes préliminaires y sont effectuées par le juge du fond. Un juge ayant agi en vertu d’une commission rogatoire, mais non en qualité de juge d’instruction, ne se trouve pas pour autant exclu de la phase de jugement dans la même espèce (Recueil des décisions de la Cour suprême, SSt 30/50). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Fey a saisi la Commission le 10 novembre 1988 (requête no 14396/88). Il alléguait que sa cause n’avait pas été entendue par un "tribunal impartial", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), le juge du tribunal de district ayant mené une instruction préparatoire puis jugé l’affaire. Il se plaignait en outre de ce que les juges du tribunal régional qui avaient repoussé sa demande d’élargissement avaient ensuite statué sur son appel. Le 9 octobre 1990, la Commission a retenu le premier de ces griefs et déclaré le second irrecevable. Dans son rapport du 15 octobre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, par seize voix contre trois, une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 22 septembre 1992, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à juger que le droit du requérant à un tribunal impartial, garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1), n’a pas été méconnu dans la procédure devant le tribunal de district.
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M. Rolf Dobbertin possédait, à l’époque de son arrestation, la nationalité de la République démocratique allemande. Spécialiste en physique des plasmas, il travaillait à Paris comme assistant sous contrat au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Interpellé chez lui par la police judiciaire le 19 janvier 1979, il fut placé en garde à vue jusqu’au 25 janvier 1979. A cette date, il comparut devant le juge d’instruction près la Cour de sûreté de l’État qui l’inculpa d’intelligences avec des agents d’une puissance étrangère - en l’occurrence, la République démocratique allemande -, le plaça sous mandat de dépôt et délivra en outre une commission rogatoire. I. LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS D’EXCEPTION A. La Cour de sûreté de l’État Du 25 janvier 1979 au 20 mars 1980, le juge d’instruction interrogea dix-neuf fois le requérant; du 21 mars 1980 au 18 juin 1981, il chargea de plusieurs commissions rogatoires la Direction de surveillance du territoire (DST) et adopta des ordonnances de transport sur les lieux. Il procéda aussi à des interrogatoires récapitulatifs. Le 22 mai 1981, il transmit le dossier au procureur général. Le 18 juin, le Premier ministre prononça par décret la mise en accusation de M. Dobbertin. Peu après, la procédure fut toutefois déférée à la cour d’appel de Paris en vertu de la loi no 81-737 du 4 août 1981, qui portait suppression de la Cour de sûreté de l’État et disposait en son article 6: "(...) Les affaires dont la Cour de sûreté de l’État est saisie seront à la date d’entrée en vigueur de la présente loi" - le 15 août 1981 - "déférées aux juridictions de droit commun compétentes (...) (...)" Le 28 août 1981, le procureur général près la Cour de cassation invita celle-ci à renvoyer l’intéressé devant le tribunal permanent des forces armées (TPFA) de Paris. Le 19 septembre 1981, la chambre criminelle en décida ainsi sur la base de l’article 1er de la loi précitée, aux termes duquel "(...) (...) lorsque les faits poursuivis constituent un crime de trahison ou d’espionnage ou une autre atteinte à la défense nationale et qu’il existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale, le procureur général près la Cour de cassation demande (...) à la chambre criminelle de dessaisir la juridiction d’instruction ou de jugement et de renvoyer la connaissance de l’affaire à la juridiction de même nature et de même degré des forces armées territorialement compétente, qui procède dans les conditions et selon les modalités prévues par le code de justice militaire (...)" B. Le tribunal permanent des forces armées de Paris Le 14 janvier 1982, l’accusé reçut une citation à comparaître le 25 janvier 1982. L’audience fut cependant ajournée: par une ordonnance du 2 février, rendue sur les réquisitions du commissaire du Gouvernement, le président du TPFA prescrivit un supplément d’information. Le juge d’instruction chargé du dossier délivra plusieurs commissions rogatoires et correspondit avec différentes autorités civiles et militaires afin de déterminer l’importance et la valeur scientifique des documents fournis par M. Dobbertin aux services est-allemands. Le supplément d’information s’acheva le 25 novembre 1982. Toutefois, le dossier fut transmis de plein droit au parquet général près la cour d’appel de Paris: le 1er janvier 1983 était entrée en vigueur la loi no 82-621 du 21 juillet 1982 relative à l’instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l’État; par son article 1, premier alinéa, elle supprimait en temps de paix les tribunaux permanents des forces armées et précisait que les infractions ressortissant à leur compétence relèveraient désormais des juridictions de droit commun. Il s’agissait de permettre à la chambre d’accusation de ladite cour d’appel, après avoir statué sur la régularité de la procédure et procédé à la qualification légale des faits objet de l’accusation (article 215 du code de procédure pénale), de prononcer le renvoi du requérant devant la cour d’assises de Paris, spécialement composée d’un président et de six assesseurs, tous magistrats (articles 697 et 698-6). II. LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN A. L’instruction et la mise en accusation Devant la cour d’appel de Paris Le 3 mars 1983, le procureur général près la cour d’appel de Paris saisit la chambre d’accusation. Par un arrêt du 23 mars 1983, elle ordonna l’élargissement du requérant sous contrôle judiciaire après versement d’une caution de 150 000 francs français (f). L’intéressé ne put payer cette somme que le 9 mai 1983, date à laquelle il recouvra la liberté. Le 11 mars 1983, ses conseils avaient déposé un mémoire. Invoquant les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention, ils dénonçaient notamment l’irrégularité: - de la procédure suivie devant la Cour de sûreté de l’État, en raison de la durée de la garde à vue et du statut du juge d’instruction; - de l’instance menée devant le TPFA de Paris, à cause du manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction; - de la détention provisoire, du fait de sa durée. Par un second arrêt du 23 mars 1983, la chambre d’accusation se déclara incompétente pour ordonner le renvoi de M. Dobbertin devant la cour d’assises: l’acte de mise en accusation existait depuis le 18 juin 1981, date à laquelle le Premier ministre avait pris un décret relatif au requérant (paragraphe 11 ci-dessus), et il ne fallait pas le renouveler puisque le législateur avait expressément validé les actes et décisions antérieurs à l’entrée en vigueur des lois des 4 août 1981 et 21 juillet 1982. Elle aboutit à la même conclusion pour les exceptions de nullité fondées sur la Convention. Le 14 juin 1983, la chambre criminelle de la Cour de cassation, sur le pourvoi du procureur général près la cour d’appel de Paris, annula ledit arrêt par le motif suivant: "(...) si les articles 6 de la loi du 4 août 1981 et 14 de la loi du 21 juillet 1982 prescriv[ai]ent que les actes, formalités et décisions intervenus antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la présente loi demeure[raie]nt valables, ces dispositions de caractère transitoire ne modifi[ai]ent en rien les règles applicables devant les juridictions désormais compétentes." En revanche, elle jugea irrecevable le pourvoi du requérant. Celui-ci avait déposé un mémoire ampliatif qui reprenait les griefs soulevés devant la chambre d’accusation, mais il ne l’avait pas présenté par le ministère d’un avocat, lequel est obligatoire devant la Cour suprême sauf dans le cas d’un demandeur condamné au pénal. Elle renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, différemment composée. M. Dobbertin réitéra ses demandes d’annulation de la procédure, mais en vain. Un arrêt de la chambre d’accusation, du 9 décembre 1983, le mit en accusation devant la cour d’assises de Paris spécialement composée, et rejeta le moyen tiré de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le 6 mars 1984, la Cour de cassation confirma cette décision sur le point en question, mais la censura pour violation d’un texte "substantiel et d’ordre public", l’article 157 du code de procédure pénale; la chambre d’accusation avait négligé de constater la nullité d’une ordonnance du juge d’instruction, du 20 mai 1979, désignant des traducteurs sans en motiver le choix, opéré en dehors d’une liste d’experts officiels. La chambre d’accusation statua sur renvoi, le 20 juillet 1984, dans le même sens que le 9 décembre 1983. Elle estima, nonobstant les réquisitions contraires du ministère public, que les traductions établies par des personnes qualifiées ne constituaient pas des expertises, en dépit des termes utilisés par le magistrat instructeur, et que dès lors l’inobservation des règles relatives à l’expertise n’entraînait aucune nullité. En outre, elle renvoya le requérant devant la cour d’assises de Paris spécialement composée. Sur pourvoi de M. Dobbertin, la Cour de cassation se prononça en assemblée plénière le 19 octobre 1984: elle cassa l’arrêt de la cour de Paris et renvoya l’affaire devant celle de Versailles. Devant la cour d’appel de Versailles Le 14 mai 1985, la cour d’appel de Versailles annula l’ordonnance de commission d’experts du 20 mai 1979 (article 206 du code de procédure pénale), ainsi que divers actes de procédure, et ordonna le retrait d’un certain nombre de pièces; elle confia le dossier à l’un des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Versailles, le chargeant de poursuivre l’information. Sur pourvoi du requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation rendit, le 29 octobre 1985, un arrêt annulant celui de la cour d’appel de Versailles et renvoyant la cause devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Amiens; elle précisa que si celle-ci relevait des charges suffisantes à l’encontre de l’accusé, elle devrait le déférer à la cour d’assises de Paris spécialement composée. L’arrêt fut signifié à l’intéressé le 16 décembre 1985. Devant la cour d’appel d’Amiens Le 20 janvier 1986, le procureur général près la cour d’appel d’Amiens invita la chambre d’accusation à prononcer la nullité de pièces de la procédure (notamment des procès-verbaux d’interrogatoire de M. Dobbertin, des commissions rogatoires et leurs pièces d’exécution, divers rapports et réquisitions et surtout la quasi-totalité des traductions des documents en langue allemande communiqués le 3 avril 1979 par les fonctionnaires de la DST), à ordonner leur retrait du dossier et à désigner un juge d’instruction du ressort de la cour d’appel d’Amiens pour continuer l’information. Le 20 février 1986, M. Dobbertin déposa un mémoire tendant à voir annuler la procédure à raison de la violation des articles 10, 6 et 5 (art. 10, art. 6, art. 5) de la Convention, et déclarer que les charges retenues ne correspondaient pas au crime d’intelligences avec une puissance étrangère, réprimé par l’article 80 par. 3 du code pénal. Par un arrêt du 15 avril 1986, la chambre d’accusation annula l’essentiel de la procédure postérieure à l’ordonnance de commission d’experts, du 20 mai 1979, et décida de saisir du dossier le premier juge d’instruction du tribunal de grande instance d’Amiens. En réponse au mémoire du requérant, elle refusa de se pencher sur la qualification juridique des faits et l’existence des charges, au motif que seule l’information permettrait de les apprécier. Quant aux moyens tirés de la Convention, elle les écarta: la question de la violation de l’article 10 (art. 10) dépendait de l’issue de l’instruction; l’article 6 (art. 6) ne s’appliquait pas à la procédure suivie devant une chambre d’accusation; la Cour de cassation avait déjà rejeté, le 6 mars 1984, le moyen fondé sur l’article 5 par. 3 (art. 5-3). M. Dobbertin introduisit un pourvoi en cassation dont il sollicita l’examen immédiat. Par une ordonnance du 31 juillet 1986, le président de la chambre criminelle rejeta la requête, considérant que ni l’intérêt de l’ordre public ni celui d’une bonne administration de la justice ne commandaient un tel examen; il estima aussi qu’il n’y avait pas lieu d’accueillir, en l’état, le pourvoi. Le premier juge d’instruction d’Amiens fut donc saisi du dossier, le 22 décembre 1986. Les 13 février, 27 mars et 30 novembre 1987, il confia la traduction de 146 documents à un expert près la cour d’appel d’Amiens. Les 5 mars et 28 août 1987, il chargea un expert près la cour d’appel de Besançon d’en traduire 641 autres, ainsi que des rapports manuscrits. Il interrogea le requérant les 1er février, 22 mars et 18 avril 1988. Le 11 mai, il délivra une commission rogatoire à la DST. Le 24 avril 1988, M. Dobbertin invita la chambre d’accusation à exécuter certains actes d’information, restreindre le champ d’application du supplément d’information et annuler une commission rogatoire du 14 avril 1982 ainsi que le procès-verbal de l’interrogatoire du 1er février 1988. Le 6 septembre 1988, la chambre d’accusation déclara la requête irrecevable, estimant ne pouvoir en l’état rendre une décision juridictionnelle sur l’une ou l’autre des demandes présentées. Le 9 mai 1989, elle constata le dépôt au greffe de la procédure après supplément d’information; le 19 septembre 1989, elle renvoya le requérant devant la cour d’assises de Paris spécialement composée (paragraphe 23 ci-dessus). L’intéressé forma un pourvoi contre ces deux arrêts, mais la Cour de cassation l’en débouta le 4 janvier 1990. B. La procédure de jugement M. Dobbertin comparut les 13, 14 et 15 juin 1990 devant la cour d’assises qui, à cette dernière date, lui infligea douze ans de réclusion criminelle. Le 27 décembre 1990, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris décida de l’élargir sous contrôle judiciaire. Saisie par le condamné, la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononça le 6 mars 1991: elle cassa l’arrêt du 15 juin 1990 et renvoya la cause devant la cour d’assises de Paris, spécialement mais autrement composée. Le 29 novembre 1991, cette dernière acquitta le requérant. Le ministère public ne forma pas de pourvoi dans le délai de cinq jours prévu par l’article 568 du code de procédure pénale. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressé a saisi la Commission le 19 juin 1987. Il alléguait que la durée des poursuites engagées contre lui avait dépassé un "délai raisonnable", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention; qu’il n’avait pas bénéficié de la présomption d’innocence, consacrée par l’article 6 par. 2 (art. 6-2), ni des garanties d’un "procès équitable", prévues aux alinéas a) et d) du paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3-a, art. 6-3-d); enfin, qu’il avait subi une violation de son droit à la liberté d’expression, protégé par l’article 10 (art. 10). Le 12 juillet 1988, la Commission a déclaré la requête (no 13089/87) irrecevable, pour défaut manifeste de fondement (article 27 par. 2) (art. 27-2), à l’exception du premier grief. Le 1er octobre 1990, elle a retenu celui-ci et repoussé une nouvelle plainte présentée par M. Dobbertin sur le terrain de l’article 10 (art. 10). Dans son rapport du 10 septembre 1991 (article 31) (art. 31), elle relève à l’unanimité une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a prié la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Dobbertin". Celui-ci l’invite au contraire à "constater qu’il y a eu violation par la France de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français, M. Pierre-André Melin est rentier et réside à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Il a exercé jadis la profession d’avocat. Le 6 mai 1985, le tribunal correctionnel de Nanterre lui infligea, pour escroquerie, seize mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve comportant l’obligation de réparer le préjudice subi par la victime. Aussitôt saisie par le requérant, la cour d’appel de Versailles se prononça le 15 janvier 1986 en présence de ce dernier. Elle confirmait le jugement quant au constat de culpabilité. En revanche, elle ajournait le prononcé de la peine au 25 juin 1986, l’intéressé s’étant engagé devant elle à rembourser la victime dans les six mois si la cour le déclarait coupable; cet aspect des poursuites ne se trouve pas en cause. La minute dactylographiée de l’arrêt fut déposée au greffe le jour même du prononcé. Le surlendemain, M. Melin déposa au greffe de la cour d’appel un pourvoi en cassation contre ledit arrêt (article 576 du code de procédure pénale). Il précisait qu’il se réservait "tout autre moyen à prendre en considération dès réception de la copie certifiée conforme dudit arrêt". Le requérant prétend avoir sollicité une telle copie à cette occasion. Afin de lui en envoyer une contre un timbre fiscal de 40 francs, un fonctionnaire du greffe aurait noté son adresse et les références du dossier. D’après le Gouvernement, les choses ont pu se passer de deux façons: soit l’intéressé n’a pas demandé de copie, et alors il ne saurait s’étonner de ne pas en avoir reçu; soit il en a bien réclamé une, auquel cas on la lui a nécessairement expédiée. Le 14 février 1986, le dossier d’appel arriva au greffe de la Cour de cassation. Trois mois et demi plus tard, le 27 mai, la chambre criminelle rejeta le pourvoi aux motifs qu’aucun moyen n’avait été produit et que l’arrêt attaqué était régulier en la forme. Notifiée à M. Melin le 18 juin, sa décision relevait que la partie civile avait présenté un mémoire en défense. Dans une lettre du 23 juin au président de la chambre criminelle, le requérant expliqua que faute de posséder le texte de l’arrêt du 15 janvier 1986 il n’avait pu préparer un mémoire ampliatif personnel; en outre, il reprochait au conseiller rapporteur de ne pas lui avoir fixé un délai pour en déposer un. Le greffier en chef de la Cour de cassation lui répondit, le 4 juillet, que l’arrêt de celle-ci revêtant un caractère définitif, nul recours ne s’ouvrait contre lui. Tout au long de ces diverses procédures, M. Melin avait assuré lui-même sa défense, mais un avocat l’avait assisté en première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les principales dispositions du code de procédure pénale mentionnées en l’espèce sont les suivantes: Article 485 "Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables, ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles. Il est donné lecture du jugement par le président." Modifié par la loi no 85-1407 du 30 décembre 1985, entrée en vigueur le 1er février 1986, ce texte se lit désormais ainsi: "Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la base de la décision. Le dispositif énonce les infractions dont les personnes citées sont déclarées coupables ou responsables, ainsi que la peine, les textes de loi appliqués, et les condamnations civiles. Il est donné lecture du jugement par le président ou par l’un des juges; cette lecture peut être limitée au dispositif (...)" Article 486 "(...) Après avoir été signée par le président et le greffier, la minute est déposée au greffe du tribunal dans les trois jours au plus tard du prononcé du jugement. Ce dépôt est mentionné sur le registre spécialement tenu au greffe à cet effet. (...)" D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, les formalités prescrites par l’article 486 ne le sont pas à peine de nullité. Ainsi, le dépôt tardif de la minute d’un jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci lorsque le prévenu n’en a subi aucun préjudice (chambre criminelle, 27 novembre 1984, Bulletin criminel no 370). Article 512 "Les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d’appel sous réserve des dispositions suivantes." Article 554 "La signification des décisions, dans les cas où elle est nécessaire, est effectuée à la requête du ministère public ou de la partie civile." Article 568 "Le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation. (...)" Article 584 "Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu." Article 585 "Après expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation; les autres parties ne peuvent user du bénéfice de la présente disposition sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation. (...)" Article 588 "Si un ou plusieurs avocats se sont constitués, le conseiller rapporteur fixe un délai pour le dépôt des mémoires entre les mains du greffier de la chambre criminelle." Article 590 "Les mémoires contiennent les moyens de cassation et visent les textes de loi dont la violation est invoquée. Ils sont rédigés sur timbre, sauf si le demandeur est un condamné à une peine criminelle. Ils doivent être déposés dans le délai imparti. Aucun mémoire additionnel n’y peut être joint, postérieurement au dépôt de son rapport par le conseiller commis. Le dépôt tardif d’un mémoire proposant des moyens additionnels peut entraîner son irrecevabilité." Article 604 "La Cour de cassation, en toute affaire criminelle, correctionnelle ou de police, peut statuer sur le pourvoi, aussitôt après l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la réception du dossier à la Cour de cassation. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Melin a saisi la Commission le 21 novembre 1986. Invoquant les paragraphes 1 et 3 b) et c) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir reçu à temps une copie de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles et de n’avoir été averti ni du délai à observer pour présenter son mémoire ampliatif en cassation, ni de la date de l’audience consacrée à l’examen de son pourvoi. La Commission a retenu la requête (no 12914/87) le 11 avril 1991. Dans son rapport du 9 avril 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 b) et c) (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Melin". De son côté, le requérant l’a priée de "dire qu’en l’espèce, [il] a bien été victime d’une violation des dispositions de l’article 6 paras. 1, 3 b) et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire Économiste suédois domicilié à Täby, en Suède, M. Carl G. Holm était employé à la Fédération suédoise des industries (Sveriges Industriförbund) à l’époque des faits. En 1974, il institua avec d’autres une fondation du nom de Contra. D’après lui, elle avait pour but d’étudier de près les gouvernements communistes d’Europe de l’Est et le parti social-démocrate des travailleurs de Suède (Sveriges socialdemokratiska arbetareparti, "le SAP"). En 1985, les Éditions Tidens förlag AB publièrent un ouvrage intitulé "Till höger om neutraliteten" (à la droite de la neutralité). Passant en revue des organisations et personnalités de droite, il consacrait un chapitre de 52 pages au requérant et à ses liens avec Contra. L’auteur du livre, M. Sven Ove Hansson, était alors employé par cette maison; auparavant, il avait rempli les fonctions de conseiller en idéologie auprès du SAP. Créée en 1912, Tidens förlag AB appartint directement au SAP jusqu’au 1er janvier 1985. Depuis, 85 % de ses actions se trouvent entre les mains d’une société du SAP, l’AB Förenade Arebolagen; la Folkeparkernas Centralorganisation, contrôlée par le SAP aux dires du requérant, possède les 15 % restants. Tidens förlag AB est connue pour publier des ouvrages et articles reflétant les idées sociales-démocrates. B. L’introduction de poursuites pour diffamation Le 15 avril 1986, le requérant engagea devant le tribunal de première instance (tingsrätten) de Stockholm des poursuites privées contre M. Hansson pour diffamation aggravée (grovt förtal), en ordre subsidiaire pour diffamation (förtal), en vertu du chapitre 7, article 4, paragraphe 9, de la loi de 1949 sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen, élément de la Constitution suédoise) et du chapitre 5, articles 1 et 2, du code pénal (brottsbalken). Dans le cadre de la même procédure, il réclama en outre à l’auteur et à l’éditeur 200 000 couronnes suédoises de dommages-intérêts. Selon lui, l’ouvrage renfermait des allégations impliquant qu’il appartenait à certains groupes nazis ou fascistes et destinées à jeter le doute sur son honneur ainsi qu’à l’exposer au mépris; le livre étant largement diffusé et l’intéressé occupant une situation clé à la Fédération suédoise des industries, il y avait diffamation aggravée. Les passages incriminés du livre formulaient des affirmations qui peuvent se résumer ainsi: a) en 1973, le requérant aurait présidé la section Jeunesse de la Conférence de la Ligue mondiale anticommuniste à Londres, organisation qui comprenait, disait-on, une forte proportion de néo-nazis et d’anciens SS, tel le président, à l’époque, de l’Union nationale suédoise, de tendance nazie; b) en 1974, il aurait été exclu de l’Alliance démocratique et de l’Organisation des jeunes conservateurs, pour cause d’extrémisme de droite; on devait donc regretter qu’il conservât d’importantes fonctions à la Fédération suédoise des industries et à la Fédération suédoise des employeurs; c) on l’aurait dénoncé à la police pour détournement de fonds de l’Alliance démocratique; une enquête aurait montré qu’il avait viré 1 340 couronnes suédoises du compte de l’association à son propre compte; d) il n’aurait pas d’emblée désavoué un autre membre d’un groupe dissident de l’Alliance démocratique, qui avait fourni des grenades à deux activistes du Parti national nordique, les avait exhortés à poser l’une d’elles dans un bureau de l’Alliance démocratique et leur avait indiqué le moyen d’y accéder; les activistes auraient été reconnus coupables d’avoir placé les projectiles, l’associé du requérant d’avoir trempé comme complice dans des actes ayant causé des lésions corporelles; e) Contra aurait collaboré avec l’Union nationale suédoise à Lund et Malmö et le requérant aurait négocié avec cette dernière en vue de la création d’une section locale de Contra; f) des organisations comme Contra seraient noyautées jusqu’au plus haut niveau par des groupes néo-nazis, qui en sélectionneraient les membres les plus militants et les inciteraient à se livrer à des activités illégales. C. La constitution d’un jury devant le tribunal de première instance et la procédure ultérieure Le 10 novembre 1986, à l’occasion d’une audience, les défendeurs - mais non le requérant - demandèrent au tribunal de première instance d’examiner l’affaire avec un jury. En conséquence, la question de savoir si une infraction pénale se trouvait constituée devait, d’après la loi sur la liberté de la presse, être traitée par un jury formé à partir d’une liste de deux séries de noms (paragraphes 15, 18 et 19 ci-dessous). Celle-ci, publiée par le conseil général de Stockholm (Stockholms läns landsting), indiquait l’affiliation politique des jurés. Le premier groupe comprenait seize personnes, dont sept appartenaient au SAP, cinq au parti conservateur, deux au parti libéral, un au parti du centre et un au parti communiste; le second comptait huit personnes dont quatre adhérents du SAP, deux du parti conservateur et deux du parti libéral. Se référant à l’article 13 par. 9 du chapitre 4 du code de procédure judiciaire (rättegångsbalken), M. Holm invita le tribunal, en vertu du chapitre 12, article 8, de la loi sur la liberté de la presse, à récuser tous les jurés membres du SAP (paragraphe 21 ci-dessous). Il soulignait la situation régnant quant à la propriété de Tidens förlag AB (paragraphe 8 ci-dessus) et affirmait que l’éditeur était le porte-parole du mouvement social-démocrate. Le tribunal repoussa toutefois la requête le 10 novembre 1986: que l’on pût ou non considérer l’éditeur comme un porte-parole, les raisons invoquées ne justifiaient pas d’écarter les jurés en cause. L’intéressé attaqua cette décision devant la cour d’appel (hovrätt) de Svea; outre les arguments ci-dessus, il alléguait que le livre avait un contenu politique et l’affaire un arrière-plan politique. La cour le débouta le 4 décembre 1986 sans motiver son arrêt. Aucun autre recours ne s’ouvrait au requérant (chapitre 12, article 8, de la loi sur la liberté de la presse). Dans l’intervalle, toujours à l’audience du 10 novembre 1986, le tribunal de première instance avait constitué le jury conformément au chapitre 12 de la loi sur la liberté de la presse. Usant du droit que leur attribuait l’article 10, le requérant et la défense récusèrent chacun trois jurés du premier groupe et un du second. Tous ceux qu’ils éliminèrent appartenaient, respectivement, au SAP et au parti conservateur. Le tirage au sort eut lieu selon la procédure décrite au paragraphe 19 ci-dessous et un jury de neuf personnes fut établi. Y figuraient cinq membres du SAP - dont un fut remplacé par la suite par un autre adhérent du SAP -, deux du parti conservateur, un du parti libéral et un du parti communiste. D’après des renseignements fournis par le requérant et non contestés par le Gouvernement, les jurés du SAP étaient des militants actifs du parti; ils avaient exercé ou exerçaient, en son sein ou pour son compte, diverses fonctions au niveau local (pour plus de détails, voir le paragraphe 27 du rapport de la Commission). D. Le jugement sur le fond Le 14 octobre 1987, le tribunal, siégeant avec trois juges et un jury de neuf membres, examina le fond du litige. Dans son jugement du même jour, il releva que le jury avait répondu par la négative aux questions qui lui avaient été posées quant à l’illicéité prétendue des passages dénoncés du livre. En conséquence, il rejeta les accusations du requérant et ses demandes de dommages-intérêts. Vu les conclusions relatives au fond de l’affaire, il condamna l’intéressé aux dépens, chiffrés à 67 860 couronnes suédoises. Le droit suédois n’offrait au requérant aucun recours contre le verdict du jury (paragraphe 16 ci-dessous). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi sur la liberté de la presse En Suède, la liberté d’expression obéit, en ce qui concerne la chose imprimée, à la loi de 1949 sur la liberté de la presse, qui a rang constitutionnel. La première loi en la matière remonte à 1766. Le système du jury fut instauré en 1812, avec l’entrée en vigueur d’une version amendée de ce texte. On en examina de près l’opportunité lors de la révision qui déboucha sur la loi de 1949. L’opinion prévalut toutefois qu’il représentait une importante garantie de la liberté de la presse en Suède et qu’il fallait le maintenir. Pour des raisons analogues, des propositions plus récentes tendant à l’abolir ont elles aussi échoué. Organisation et compétence des juridictions suédoises en matière de liberté de la presse Le chapitre 12 de la loi renferme des règles spéciales sur les procédures judiciaires engagées pour établir une responsabilité civile ou pénale du chef de déclarations illicites imprimées (article 1). Ces affaires relèvent de la compétence du tribunal de première instance dans le ressort duquel se trouve l’administration départementale (chapitre 12, article 1). Il siège avec trois juges auxquels s’ajoute, dans les instances introduites en vertu de la loi, un jury de neuf membres pour statuer sur l’existence d’une infraction pénale ou d’une responsabilité civile, sauf si les deux parties acceptent de voir le tribunal se prononcer sans jury (articles 2 et 14). De toute manière, seuls les juges connaissent des problèmes de preuve, de condamnation, de dommages-intérêts et de dépens. Le tribunal est présidé par un juge même en cas d’examen par un jury. Si ce dernier conclut à l’absence d’infraction pénale ou de responsabilité civile, il y a lieu d’acquitter le défendeur ou de rejeter la demande. Si au contraire il répond par l’affirmative - ce qui exige une majorité d’au moins six membres -, les juges étudient eux aussi la question. Dans l’hypothèse d’un désaccord avec le jury, ils peuvent acquitter le défendeur, appliquer une disposition pénale fixant une peine moins sévère que celle infligée par le jury ou, dans un litige civil, débouter le demandeur (articles 2 et 14). Le jugement peut être attaqué devant la cour d’appel, dont le verdict du jury limite la compétence tout comme celle du tribunal (chapitre 12, article 2). Aux termes de l’article 4 du chapitre 1, quiconque est chargé de statuer sur des abus allégués de la liberté de la presse doit constamment garder à l’esprit le caractère fondamental de celle-ci dans une société libre; en appréciant la licéité d’un écrit, il doit se préoccuper du fond plutôt que de la forme, et de la fin poursuivie plutôt que de la manière dont elle a été traduite; en cas de doute, il doit acquitter et non condamner. Élection des jurés Les jurés sont élus dans chaque département par le conseil général, seul ou dans certains cas conjointement avec le conseil municipal, pour quatre ans (chapitre 12, article 4). Ils se répartissent en deux groupes, l’un de seize jurés et le second de huit; ce dernier se compose de personnes remplissant ou ayant rempli les fonctions d’assesseur-échevin dans des juridictions ordinaires ou administratives (article 3). Le nom des jurés figure sur une liste où chaque groupe apparaît séparément (article 9). Seuls sont éligibles les citoyens suédois résidant en Suède et réputés pour la sûreté de leur jugement, leur indépendance et leur équité. Divers groupes sociaux, courants d’opinions et régions géographiques doivent se trouver représentés (article 5). En pratique, les jurés sont d’ordinaire élus parmi des personnes ayant mené une activité politique. Composition d’un jury Dans une affaire à examiner par un jury, le tribunal de première instance soumet aux parties la liste susmentionnée et leur demande s’il existe des motifs de récuser l’un ou l’autre des jurés (chapitre 12, article 10; voir aussi le paragraphe 21 ci-dessous). Chacune d’elles peut en écarter trois du premier groupe et un du second. Le tribunal choisit alors les remplaçants, par tirage au sort, parmi les jurés restants jusqu’à ce qu’il y ait six jurés du premier groupe et trois du second; ces neuf personnes deviennent membres titulaires du jury (chapitre 12, article 10). B. Autre législation pertinente Selon le chapitre 11, article 2, de l’"instrument de gouvernement" (regeringsformen), élément de la Constitution suédoise, ni l’exécutif ni le Parlement ne sauraient décider comment un tribunal doit statuer ou appliquer la loi dans une affaire donnée. En outre, la puissance publique doit s’exercer dans le respect de la loi; en s’acquittant de leurs tâches, les juridictions et l’exécutif doivent veiller à l’égalité de tous devant la loi et demeurer objectifs et impartiaux (chapitre 1, articles 1 et 9). Ces principes fondamentaux valent aussi pour un jury qui connaît d’une affaire relevant de la loi sur la liberté de la presse. Les causes légales de récusation des juges s’étendent aux jurés (chapitre 12, article 10, de la loi sur la liberté de la presse). En son article 13, le chapitre 4 du code de procédure judiciaire en énumère plusieurs. Ainsi, ne peut siéger un juge partie au litige ou intéressé d’une autre manière à son objet; ou pouvant escompter de son issue un avantage ou un dommage particuliers; ou lié par naissance ou mariage à une telle personne; ou qui a été mêlé à l’affaire à titre de juge, avocat ou conseiller de l’une des parties, ou de témoin ou expert. Selon la dernière clause de ce texte, le paragraphe 9, invoqué par le requérant dans les procédures internes, un juge doit être écarté s’il existe une autre circonstance propre à inspirer des doutes sur son impartialité en l’espèce. Aux termes de l’article 5 de la loi de 1949 portant dispositions sur les procédures relatives à la liberté de la presse (lagen 1949:164 med vissa bestämmelser om rättegången i tryckfrihetsmål), les jurés prêtent le serment suivant avant de prendre part au procès: "Je, (...), jure solennellement et déclare, sur ma foi et mon honneur, que comme membre du présent jury je répondrai de mon mieux aux questions posées par le tribunal et garderai le secret sur tout ce qui se dira pendant les délibérations du jury et sur le vote des jurés. Je tiendrai scrupuleusement cet engagement avec l’honnêteté et la droiture exigées d’un juge." C. Partis politiques imposant des obligations d’allégeance au moyen de règles internes L’article 13 des statuts du SAP permet d’exclure un membre qui manque de loyauté envers lui, se livre à une propagande manifestement contraire à son objet et à son but généraux ou lui porte préjudice de toute autre manière. Les candidats du SAP à des fonctions publiques doivent contribuer, dans l’exercice de celles-ci, à la réalisation de son programme. D’autres partis ont adopté des règles similaires. En revanche, aucun des divers statuts communiqués aux organes de la Convention ne comporte de clause précisant comment les adhérents doivent remplir leurs fonctions de juré. Il ressort au contraire de la législation résumée aux paragraphes 20 à 22 ci-dessus et des travaux préparatoires de la loi de 1949 sur la liberté de la presse qu’on attend d’eux, en la matière, toute l’impartialité et l’indépendance d’un juge (Statens offentliga utredningar - "SOU" 1947:60, p. 194). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Holm a saisi la Commission le 24 janvier 1987. Il alléguait que son action contre M. Hansson et Tidens förlag AB n’avait pas été examinée par un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14191/88) le 9 janvier 1992. Dans son rapport du 13 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut par quatorze voix contre une à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 22 juin 1993, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire, invitant la Cour à dire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention en l’espèce.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Tous de nationalité grecque, les requérants sont propriétaires et copropriétaires de terrains dans la région d’Aghia Marina Loimikou, à Marathon d’Attique. Le 16 mars 1963, l’Office grec du tourisme donna son accord pour la construction sur le site d’un ensemble hôtelier; à la demande des intéressés, un cabinet d’architectes américain élabora un projet. A. Les actions en restitution des terrains litigieux Par une loi du 20 août 1967 (anagastikos nomos no 109, "la loi no 109/1967"), adoptée quelques mois après l’établissement de la dictature, l’État grec céda au Fonds de la marine nationale (Tameio Ethnikou Stolou) un domaine de 1 165 000 m2 à proximité de la plage d’Aghia Marina. Dix des requérants, propriétaires d’une partie du domaine (165 000 m2 environ), saisirent le procureur près le tribunal de grande instance (Eissageleas Protodikon) d’Athènes, l’invitant à prendre des mesures provisoires et "à rétablir la situation initiale". Par trois ordonnances du 30 juillet 1968, le procureur accueillit les demandes: les terrains litigieux ne relevaient pas du domaine public forestier, mais constituaient des terres agricoles cultivées par leurs propriétaires. L’une des trois ordonnances fut cependant rétractée pour "manque d’urgence" par le procureur près la cour d’appel d’Athènes, après l’opposition formée par le Fonds de la marine nationale. Le 12 avril 1969, le ministre de l’Agriculture avisa le Quartier général de la Marine nationale de l’impossibilité de disposer d’une partie du domaine cédé et de la nécessité de prendre des mesures adéquates pour "le rétablissement du droit". Toutefois, loin de restituer les terrains, la Marine nationale entreprit des travaux de construction d’une base navale et d’un lieu de villégiature pour officiers. Un décret royal du 12 novembre 1969 (publié au Journal officiel du 15 décembre 1969) classa toute la région d’Aghia Marina Loimikou comme "forteresse navale". Après la chute de la dictature en 1974, M. Petros Papamichalopoulos, père des requérants Ioannis et Pantelis Papamichalopoulos, saisit le tribunal de grande instance d’Athènes d’une action en revendication de la propriété de trois terrains. Le tribunal statua le 28 février 1976: aux termes de son jugement (no 3031/1976), le demandeur avait effectivement acquis, en 1964, la propriété d’une superficie de 2 500 m2 par acte notarié; il ne s’agissait pas d’éléments du domaine public forestier, mais de parcelles cultivées et possédées successivement de bonne foi depuis 1890 par plusieurs particuliers; dès lors, le Fonds de la marine nationale devait les restituer. La cour d’appel d’Athènes confirma ce jugement le 31 décembre 1976 (arrêt no 8011/1976). Elle estima qu’en 1967, l’État n’avait pas transféré la propriété des terrains litigieux car il ne possédait aucun titre et la présomption de propriété ne jouait qu’à l’égard des forêts et non des terres agricoles. Le Fonds de la marine nationale forma un pourvoi que la Cour de cassation (Areios Pagos) rejeta le 14 juin 1978 (arrêt no 775/1978): les ascendants de M. Petros Papamichalopoulos avaient acquis la propriété de ses terrains par usucapion et conformément au droit romano-byzantin applicable à l’époque (en 1860). Le 17 juillet 1978, M. Petros Papamichalopoulos signifia par huissier de justice les décisions susmentionnées au Fonds de la marine nationale, en vue de leur exécution. Suivi d’un huissier, il se présenta le 28 septembre à l’entrée de la base navale et demanda l’exécution des décisions judiciaires, mais le commandant de la base leur refusa l’accès au motif qu’il avait des ordres dans ce sens et qu’il faudrait une autorisation du Quartier général de la Marine nationale, lequel la refusa. Une démarche engagée auprès du procureur de la Cour de cassation n’aboutit pas non plus. En août 1977, M. Karayannis et les autres requérants introduisirent deux actions en revendication des terrains litigieux devant le tribunal de grande instance d’Athènes. L’État intervint dans la procédure en faveur du Fonds de la marine nationale. Par deux jugements avant dire droit de 1979 (nos 11903 et 11904/1979), le tribunal ordonna un complément d’instruction. Il estima en outre nécessaire de charger plusieurs experts d’examiner les titres de propriété possédés par les requérants et le Fonds de la marine nationale et de déposer, dans les cinq mois, un avis sur la question de savoir si lesdits terrains appartenaient aux plaignants ou relevaient du domaine forestier cédé par la loi no 109/1967. Toutefois, la procédure demeura pendante. B. La tentative de récupération en échange de terrains d’égale valeur Le 22 juillet 1980, le ministre de la Défense nationale informa les requérants que l’installation de la base navale empêchait la restitution des terrains litigieux mais qu’une procédure tendant à l’octroi d’autres terrains, en remplacement de ceux occupés par le Fonds de la marine nationale, se trouvait en cours. Le 16 octobre 1980, le ministre de l’Agriculture invita la préfecture d’Attique de l’Est à céder aux intéressés des terrains d’égale valeur, qui seraient situés dans cette région. Il précisait que même si les décisions judiciaires déjà rendues concernaient certains seulement des particuliers dépossédés en 1967, les actions en justice éventuelles ou pendantes, introduites par d’autres propriétaires, connaîtraient à coup sûr une issue identique. Nonobstant un décret du 19 juin 1981 réglementant la construction immobilière dans l’aire archéologique "Ramnoudos" de la vallée de Loimiko - qui comprenait les terrains litigieux -, le Fonds de la marine nationale poursuivit, dans l’enceinte de la base navale, la construction d’un complexe hôtelier. Par une décision conjointe du 9 septembre 1981, les ministres de l’Économie, de l’Agriculture et de la Défense nationale instituèrent une commission d’experts. Chargée de sélectionner certains terrains proposés en échange par le ministère de l’Agriculture et d’en estimer la valeur, dont une parcelle à Dionyssos d’Attique (paragraphe 27 ci-dessous), elle formula ses conclusions dans un rapport du 14 janvier 1982. Une loi no 1341/1983, publiée au Journal officiel du 30 mars 1983, reconnut expressément, dans son article 10 (paragraphe 29 ci-dessous), que les particuliers revendiquant la propriété des terrains occupés par le Fonds de la marine nationale pouvaient en demander d’autres en échange, suivant la procédure de l’article 263 du code rural (paragraphe 30 ci- dessous); elle prévoyait, à cette fin, la vérification des titres de propriété selon l’article 246 du même code. Dans l’exposé des motifs, on pouvait lire: "[L’]article [10] prévoit la possibilité de régler l’affaire des propriétés comprises dans le domaine (...) cédé par la loi no 109/1967 au Fonds de la marine nationale. Il s’agit d’une étendue de 165 000 m2 environ. Des particuliers la revendiquent. Certains d’entre eux ont engagé des actions devant les tribunaux civils et obtenu de la Cour de cassation une décision définitive qui les reconnaît comme propriétaires. Considérant que les autres affaires [pendantes] risquent d’aboutir au même résultat et que le paiement d’indemnités constituerait une solution désavantageuse pour l’administration, il faudrait adopter un texte permettant [au restant des particuliers] de remplacer leurs propriétés par d’autres, relevant du domaine public et disponibles, sauf à contrôler au préalable leur qualité de propriétaires. (...)" En vertu de ladite loi, les requérants saisirent la deuxième commission d’expropriation (Epitropi apallotriosseon) d’Athènes, composée du président du tribunal de grande instance d’Athènes et d’experts de l’administration. Par une décision no 17/1983, du 19 septembre 1983, elle reconnut leur droit de propriété sur une étendue de 104 018 m2. Elle releva ce qui suit: "(...) il ressort des débats devant [elle], des écrits et plaidoiries ainsi que des pièces du dossier, que les intéressés (...) possédaient de bonne foi et de manière continue et régulière, depuis des temps immémoriaux jusqu’en 1967, une superficie de [160 000 m2] environ, sise à Aghia Marina Loimikou (...); que la superficie précitée avait depuis longtemps reçu une affectation agricole, comme le prouv[aient] plusieurs éléments (...)" Le 8 décembre 1983, le Fonds de la marine nationale recourut contre cette décision devant le tribunal de grande instance d’Athènes; l’État grec se joignit à lui en intervenant dans la procédure le 25 janvier 1984. Par un jugement du 31 mai 1984 (no 1890), le tribunal de grande instance déclara le recours irrecevable; d’après lui, seuls l’État ou les intéressés avaient qualité pour agir contre ladite décision et non des tiers comme le Fonds de la marine nationale. La cour d’appel d’Athènes confirma le jugement le 29 décembre 1986. Le ministre de l’Économie introduisit un pourvoi que la Cour de cassation déclara irrecevable le 8 janvier 1988 (arrêt no 5/1988), par les motifs suivants: "(...) la loi no 1341/1983 a accordé à des tiers (...), qui invoquent des droits de propriété sur l’étendue comprise dans celle, plus grande, cédée au Fonds de la marine nationale, la possibilité de demander l’échange de celle qu’ils revendiquent avec une autre d’égale valeur (...). L’échange aura lieu conformément à la procédure prévue aux paragraphes 3, 4 et 5 de l’article 263 du code rural, c’est-à-dire par décision du ministre de l’Agriculture, après une procédure administrative devant une commission tripartite et conformément à l’article 263 du code rural. (...) Afin d’assurer la réalisation rapide et simple de cet échange, le législateur a donné aux intéressés la possibilité de suivre, pour faire reconnaître [leur qualité de propriétaire], la procédure simple et rapide de l’article 246 du code rural. En adoptant la disposition susmentionnée de l’article 10 de la loi no 1341/1983, il n’a pas entendu permettre la solution du différend qui risquerait de surgir si le Fonds de la marine nationale revendiquait contre des tiers la propriété sur l’étendue cédée par la loi no 109/1967, conformément à l’article 246 du code rural. Le Fonds de la marine nationale devra suivre à cette fin la procédure de droit commun. Cela ressort non seulement du libellé et de l’interprétation grammaticale de la disposition susmentionnée (...), mais aussi de l’objectif fixé par le législateur (...) (...) En accordant aux seuls ‘particuliers’ (personnes physiques et morales) propriétaires de [ces] terrains (...) le droit de faire reconnaître leur propriété (...), l’auteur de la loi n’a introduit aucune discrimination injustifiée à l’égard du Fonds de la marine nationale et ne l’a pas privé de la protection judiciaire, car ce dernier conserve la possibilité, en suivant la procédure de droit commun, d’obtenir la reconnaissance de son droit de propriété, qui ne lui servira pas cependant à recevoir d’autres terrains car telle n’a pas été la volonté du législateur (...)" Le 24 juin 1988, la Cour de cassation rejeta, par les mêmes motifs, le pourvoi que le Fonds de la marine nationale avait formé de son côté (arrêt no 1149/1988). Le 25 juillet 1984, un nouveau décret étendit les limites géographiques de la "forteresse navale". En application de l’article 10 de la loi no 1341/1983, la préfecture de l’Attique de l’Est informa, le 11 septembre 1985, le ministère de l’Agriculture et les requérants que certains des terrains proposés en échange faisaient l’objet d’un statut spécial de propriété; d’autres étaient déjà exploités, d’autres enfin protégés par la législation sur les forêts. En novembre 1987, le ministère de l’Agriculture suggéra aux intéressés d’accepter des terrains situés dans le département de Pierrie, à 450 km d’Aghia Marina; il invita la préfecture de ce département à prospecter à cette fin. Face au silence de l’administration, trois députés interrogèrent au Parlement, en novembre 1988, les ministres de la Défense nationale et de l’Agriculture sur les suites données à l’affaire. Par une lettre du 25 octobre 1990, la direction de l’Agriculture de Pierrie avoua son impuissance à trouver des terrains appropriés. C. Les actions en dommages-intérêts Le 2 décembre 1979, les requérants avaient engagé devant le tribunal de grande instance d’Athènes, contre le Fonds de la marine nationale et l’État grec représenté par le ministère de l’Économie, deux actions en dommages-intérêts pour la privation de l’usage de leur propriété. Par deux jugements du 21 juin 1985, le tribunal ajourna l’examen de l’affaire au motif que la vérification des titres de propriété des demandeurs, à l’exception de M. Petros Papamichalopoulos, n’était pas terminée. Auparavant, le Fonds de la marine nationale avait invité le Corps des experts jurés à établir la valeur des biens litigieux. L’expert nommé recueillit auprès du troisième requérant, M. Karayannis, l’avis de tous les propriétaires concernés sur les pièces et documents que lui avait communiqués le Fonds. Le 20 juin 1986, M. Karayannis pria ce dernier de le renseigner sur la nature des pièces mises à la disposition de l’expert. Le 10 mars 1987, le Fonds s’y refusa car "l’affaire revêtait le caractère d’une procédure interne, ce qui excluait l’intervention de tiers". Plusieurs autres actions en indemnité échelonnées jusqu’en 1991 furent ajournées par le tribunal de grande instance d’Athènes ou n’ont pas encore été entendues, selon le cas. D. Faits postérieurs à la décision de la Commission sur la recevabilité de la requête Le 29 octobre 1991, le ministère de l’Économie demanda par écrit à la Société foncière de l’État (Ktimatiki Etaireia tou Dimossiou) de trouver des terrains pouvant servir à l’échange proposé; il attira en outre son attention sur l’obligation, pour l’État, de verser aux intéressés des montants exorbitants en cas d’échec de cette transaction. Dans sa réponse, la Société foncière de l’État invoqua derechef le manque de terrains disponibles. Par un acte no 131 du Conseil des ministres, publié au Journal officiel du 17 octobre 1991, le conseil d’administration du Fonds de la Défense nationale avait cédé au ministère de l’Économie la propriété de 470 000 m2 appartenant au camp militaire désaffecté Dounis à Dionyssos d’Attique, proche des terrains litigieux (paragraphe 16 ci-dessus). Destinée à la vente, cette superficie fut incorporée au plan cadastral de Dionyssos et baptisée "quartier Semeli". Le 31 mai 1992, la Société foncière de l’État inséra des encarts publicitaires dans la presse. Le 21 juillet 1992, l’avocat des requérants écrivit à la Société foncière de l’État pour se renseigner sur la possibilité d’attribuer à ses clients le nouveau quartier; le lendemain, il adressa la même lettre à tous les ministres compétents, au président du Conseil juridique de l’État et au directeur du Fonds de la marine nationale. Jusqu’ici les intéressés n’ont pas reçu de réponse, sauf la copie d’une lettre de la direction du ministère de l’Économie chargée des biens publics à la Société foncière de l’État, la "(...) pri[ant] d’agir en raison de sa compétence et d’en informer le demandeur et les autres services publics qui s’occup[ai]ent de l’affaire". II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Aux termes de l’article 17 de la Constitution grecque de 1952, applicable à l’époque de l’adoption de la loi litigieuse: "1. Nul n’est privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable et complète. L’indemnité est toujours fixée par les juridictions civiles; en cas d’urgence, elle peut aussi être fixée provisoirement par voie judiciaire, après audition ou convocation de l’ayant droit, que le tribunal, à sa discrétion, peut obliger à fournir un cautionnement correspondant à celle-ci, selon les modalités prévues par la loi. Avant le paiement de l’indemnité fixée définitivement ou provisoirement, tous les droits du propriétaire restent intacts, l’occupation de la propriété n’étant pas permise. (...) Des lois spéciales règlent les matières concernant les réquisitions pour les besoins des forces armées en cas de guerre ou de mobilisation, ou pour parer à une nécessité sociale immédiate de nature à mettre en danger l’ordre public ou la santé publique." De son côté, l’article 17 de la Constitution de 1975, actuellement en vigueur, dispose: "1. La propriété est placée sous la protection de l’État. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s’exercer au détriment de l’intérêt général. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l’audience du tribunal sur cette demande. Il n’est pas tenu compte du changement éventuel de la valeur de la propriété expropriée survenu après la publication de l’acte d’expropriation et exclusivement en raison de celle-ci. L’indemnité est toujours fixée par les tribunaux civils; elle peut même être fixée provisoirement par voie judiciaire, après audition ou convocation de l’ayant droit, que le tribunal peut, à sa discrétion, obliger à fournir une caution analogue avant l’encaissement de l’indemnité, selon les dispositions de la loi. Jusqu’au versement de l’indemnité définitive ou provisoire, tous les droits du propriétaire restent intacts, l’occupation de sa propriété n’étant pas permise. L’indemnité fixée doit être versée au plus tard dans un délai d’un an et demi après la publication de la décision fixant l’indemnité provisoire; dans le cas d’une demande de fixation immédiate de l’indemnité définitive, celle-ci doit être versée au plus tard dans un délai d’un an et demi après la publication de la décision du tribunal fixant l’indemnité définitive, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. L’indemnité, en tant que telle, n’est soumise à aucune imposition, taxe ou retenue. La loi fixe les cas où il y a lieu d’accorder obligatoirement un dédommagement aux ayants droit, pour la perte de revenus provenant de la propriété immobilière expropriée, jusqu’au jour du paiement de l’indemnité. Dans les cas d’exécution de travaux d’utilité publique ou d’un intérêt plus général pour l’économie du pays, la loi peut permettre l’expropriation au profit de l’État de zones plus vastes, se trouvant en dehors des terrains nécessaires à l’exécution des travaux. Cette même loi fixe les conditions et les termes d’une telle expropriation ainsi que les modalités de la disposition ou de l’utilisation, aux fins publiques ou d’utilité publique en général, des terrains expropriés qui ne sont pas nécessaires pour l’exécution du travail envisagé. (...)" B. La loi no 1341/1983 du 30 mars 1983 D’après l’article 10 de la loi no 1341/1983, "Les terrains sur lesquels des tiers font valoir des droits de propriété et qui font partie de la superficie sise à Aghia Marina Loimikou - d’Attique, qui fut cédée au Fonds de la marine nationale en vertu de l’acte législatif 109/1967 (...), peuvent, sur demande des intéressés, faire l’objet d’un échange avec des terrains d’égale valeur, destinés à l’usage public (koinohristes) ou disponibles suivant la législation relative à l’occupation des sols, et conformément à la procédure prévue aux paragraphes 3, 4 et 5 de l’article 263 du code rural. Pour faire reconnaître leurs droits de propriété sur lesdits terrains, les intéressés peuvent suivre la procédure prévue à l’article 246 du code rural (...)" C. Le code rural Les paragraphes pertinents des articles 246 et 263 du code rural se lisent ainsi: Article 246 (modifié par l’article 27 de la loi no 3194/1955) "Reconnaissance de titre de propriété La Commission d’expropriation compétente, lorsqu’elle est saisie par les intéressés, se prononce sur les titres de propriété des terrains expropriés conformément à la loi 4857 et à l’article 242 du présent code. Dans un délai péremptoire de trois mois à compter de la notification de la décision, l’État, ainsi que les intéressés, peuvent attaquer celle-ci devant le tribunal de grande instance territorialement compétent, qui statue en dernier ressort selon la procédure prévue aux articles suivants. Les jugements rendus par les tribunaux de grande instance avant l’entrée en vigueur de la présente loi, et conformément à l’article 246 du code rural, sont susceptibles d’appel dans un délai péremptoire d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, devant la cour d’appel territorialement compétente (...) (...)" Article 263 "(...) Les personnes reconnues propriétaires de terrains expropriés sont invitées par le ministre de l’Agriculture (...) à déposer une attestation notariée par laquelle elles déclarent accepter l’échange de terrains opéré selon le paragraphe précédent et renoncer à toute demande d’indemnité. L’attribution susmentionnée de terrains publics, communaux ou coopératifs s’opérera par décision du ministre de l’Agriculture, tenant lieu de titre de propriété et sujette à inscription au registre foncier. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 7 novembre 1988. Ils invoquaient l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1): l’occupation de leurs terrains, depuis 1967, par le Fonds de la marine nationale serait illégale et ils n’auraient pu à ce jour ni disposer de leurs biens ni recevoir une indemnité. La Commission a retenu la requête (no 14556/89) le 5 mars 1991. Dans son rapport du 9 avril 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions concordantes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Les requérants demandent "que l’État grec soit obligé de reconnaître [leur] propriété ou copropriété sur la superficie mentionnée (...) et la part de chacun d’entre [eux], exprimée en m2; qu’il soit obligé de restituer à chacun d’entre [eux] cette terre, telle qu’elle est notée dans la décision no 17/1983 de la Commission d’expropriation d’Athènes. Autrement, que l’État grec soit obligé de [leur] verser, à titre d’indemnité, la somme de 11 639 547 000 drachmes, somme qui sera distribuée à chacun d’entre [eux] selon sa part en tant que propriétaire ou copropriétaire. Cette somme sera versée à intérêt légal, fixé par la loi grecque, à compter du jour où [la] décision [de la Cour] sera publiée et jusqu’au jour du paiement." Pour sa part, le Gouvernement invite la Cour à "rejeter en entier la requête de Ioannis Papamichalopoulos et des treize autres intéressés contre la République hellénique".
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De nationalité espagnole, M. José María Ruiz-Mateos, homme d’affaires, M. Zoilo Ruiz-Mateos, M. Rafael Ruiz-Mateos, M. Isidoro Ruiz-Mateos, M. Alfonso Ruiz-Mateos et Mme María Dolores Ruiz-Mateos sont frères et soeur. En 1983, ils possédaient 100 % des actions de RUMASA S.A., société mère du groupe RUMASA, comprenant plusieurs centaines d’entreprises dans lesquelles elle détenait une participation variable. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’expropriation du groupe RUMASA Par un décret-loi du 23 février 1983, le gouvernement ordonna l’expropriation pour cause d’utilité publique de la totalité des actions des sociétés constituant le groupe RUMASA, y compris celles de la société mère (article 1). Bénéficiaire de la mesure, l’État devait, par l’intermédiaire de la direction générale du Patrimoine, prendre aussitôt possession des biens expropriés (article 2). Entériné le 2 mars 1983 par la Chambre des députés, le décret-loi donna lieu à un recours devant le Tribunal constitutionnel (recurso de inconstitucionalidad, article 161 par. 1 a) de la Constitution, paragraphe 26 ci-dessous), un groupe de députés contestant sa constitutionnalité. La haute juridiction débouta les parlementaires par un arrêt du 2 décembre 1983, adopté avec la voix prépondérante du président; dans une opinion dissidente, six magistrats estimèrent que la procédure suivie pour réaliser l’expropriation enfreignait la Constitution. Entre-temps, la loi 7/1983 du 29 juin 1983, publiée le lendemain dans le Journal Officiel de l’État (Boletín Oficial del Estado), avait remplacé le décret-loi en question. Ses articles 1 et 2 ordonnaient l’expropriation et la prise de possession immédiates des sociétés concernées dans des termes similaires à ceux du décret-loi (paragraphe 9 ci-dessus). Lesdites mesures visaient un but d’utilité publique et d’intérêt social, car les banques du groupe avaient pris, pour financer les sociétés de celui-ci, des risques jugés disproportionnés par rapport à leur solvabilité, mettant ainsi en danger "la stabilité du système financier et les intérêts des déposants, salariés et tiers". B. L’action en restitution des biens expropriés La procédure en première instance Dans l’intervalle entre la publication du décret-loi et celle de la loi 7/1983, M. José María Ruiz-Mateos avait introduit le 8 avril 1983, tant pour son propre compte qu’au nom des autres requérants et de RUMASA S.A., une action sommaire en restitution (interdicto de recobrar) des biens expropriés. Le 11 avril, le tribunal de première instance (juzgado de primera instancia) no 18 de Madrid - composé d’un juge unique - la déclara irrecevable pour vices de forme: l’intéressé n’avait pas fourni la preuve de la spoliation dont il se plaignait, ni de la possession des biens en question avant celle-ci. Le 9 mai 1983, M. José María Ruiz-Mateos déposa une nouvelle demande portant sur 50 % des actions de RUMASA S.A. Les cinq autres requérants en firent autant le 27 mai pour le reste, à concurrence de 10 % chacun. Les deux affaires furent attribuées respectivement aux tribunaux de première instance no 18, qui rouvrit le dossier, et no 21 de Madrid. Les 4 et 5 juillet 1983, l’avocat de l’État (Abogado del Estado), représentant le gouvernement, obtint la suspension, pour trois mois, des deux procédures en vue de consulter ses supérieurs; les recours des requérants contre ces décisions furent rejetés les 16 et 18 juillet. Le 21 septembre, l’avocat de l’État demanda la jonction des deux procès. Le tribunal no 18 y consentit le 22 novembre après avoir recueilli, le 18, l’avis favorable de M. José María Ruiz-Mateos. Les cinq autres requérants ayant marqué leur accord le 23 mars 1984, le tribunal no 21 ordonna, le 27, la transmission du dossier au tribunal no 18 qui le reçut le 9 mai. Dès le 21 mars 1984, le premier requérant avait prié le tribunal no 18 de saisir le Tribunal constitutionnel d’une question relative à la conformité des articles 1 et 2 de la loi 7/1983 (paragraphe 10 ci-dessus) avec les articles 14, 24 et 33 de la Constitution (cuestión de inconstitucionalidad, paragraphes 25, 26 et 27 ci-dessous). Le tribunal tint des audiences les 18 juin et 17 septembre 1984. Le 19 septembre, il invita les parties à formuler leurs observations dans les dix jours (article 35 de la loi organique 2/1979 sur le Tribunal constitutionnel, "loi organique 2/1979", paragraphe 27 ci-dessous). L’avocat de l’État répondit, le 29 septembre, que la question n’était pas pertinente dans le cadre d’une procédure sommaire portant sur l’examen d’une action possessoire. Le ministère public s’y opposa lui aussi le 1er octobre. A la même date, les requérants présentèrent à l’appui de leurs prétentions deux mémoires longs respectivement de quatre-vingt-cinq et trente-sept pages. Par une décision (auto) du 5 octobre 1984, le tribunal no 18 déféra au Tribunal constitutionnel la question de la conformité desdits articles de la loi 7/1983 avec l’article 24 par. 1 de la Constitution: les intéressés n’avaient pu ni invoquer devant les tribunaux leur droit de propriété sur les biens soumis à expropriation par voie législative, ni contester la nécessité de les saisir. Le juge estimait que la décision sur le fond du litige dépendait de la validité des dispositions controversées. Le Tribunal constitutionnel retint la question le 17 octobre 1984, puis la porta à la connaissance de la Chambre des députés, du Sénat, du gouvernement et du procureur général de l’État (Fiscal General del Estado), qui pouvaient déposer des observations dans un délai commun de quinze jours (article 37 par. 2 de la loi organique 2/1979, paragraphe 27 ci-dessous). Le Tribunal reçut les observations du ministère public et de l’avocat de l’État les 5 et 6 novembre; le 12, le président de la Chambre des députés indiqua qu’elle n’en présenterait pas. Le 27 janvier 1986, M. José María Ruiz-Mateos se plaignit du retard de la procédure; il invoquait les articles 24 par. 2 de la Constitution (paragraphe 25 ci-dessous) et 6 par. 1 de la Convention. Le Tribunal joignit la requête (recurso de queja) au dossier le 30 janvier, mais n’y donna pas suite car le requérant n’avait pas qualité pour agir. Le 7 février, l’intéressé saisit derechef le Tribunal en alléguant que la décision du 30 janvier violait l’article 24 de la Constitution et en prétendant avoir qualité pour agir dans la procédure constitutionnelle, parce que partie à la procédure principale. Le 21 février, le Tribunal confirma sa décision antérieure. Après l’élection de six nouveaux magistrats au Tribunal constitutionnel, M. José María Ruiz-Mateos en récusa deux le 26 mars 1986 pour défaut d’impartialité: selon lui, l’un était un ami notoire du président du gouvernement; l’autre avait déjà connu de l’affaire en qualité de conseiller du ministre de la Justice et aurait, notamment, participé à la rédaction du discours au Parlement relatif à l’expropriation de RUMASA. Le 10 avril, le Tribunal écarta la demande au motif que le requérant n’avait pas qualité pour agir. Par un arrêt du 19 décembre 1986, il jugea les articles 1 et 2 de la loi 7/1983 conformes à l’article 24 de la Constitution. Les expropriations par voie législative - même au moyen d’une loi relative à un cas particulier - ne violaient pas la Constitution. Sans doute les intéressés subissaient-ils des limitations de la protection judiciaire de leurs droits, faute de pouvoir contester en justice la nécessité de la saisie de leurs biens, mais ils avaient tout loisir de s’opposer à la mesure auprès des tribunaux administratifs et de leur demander de soulever une question d’inconstitutionnalité; en outre, la dernière décision desdits tribunaux pouvait donner lieu à un recours d’amparo fondé sur le droit à l’égalité devant la loi. Enfin, la loi litigieuse n’avait nullement privé les propriétaires de leur droit à une indemnisation appropriée, qu’ils pouvaient invoquer devant le comité provincial d’expropriation (jurado provincial d’expropiación) - organe administratif compétent -, puis devant la juridiction administrative. Deux magistrats estimèrent, dans une opinion dissidente, que la procédure d’expropriation utilisée avait privé les requérants de leur droit d’accès aux tribunaux. Le tribunal no 18 reçut communication de cet arrêt le 22 décembre 1986 et, le lendemain, rejeta l’action en restitution. La procédure en appel Le 27 décembre 1986, les requérants saisirent l’Audiencia provincial de Madrid d’un appel qu’elle déclara recevable le 5 février 1987. L’examen du recours débuta le 26 juin 1988. La cour communiqua successivement le dossier aux parties pour dix jours. Initialement fixée au 21 octobre, l’audience fut cependant ajournée à la demande de l’avocat des requérants, empêché. Dès son ouverture le 28 novembre, les intéressés sollicitèrent la suspension de la procédure jusqu’à ce que la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme eussent eu l’occasion de se prononcer sur leur requête à Strasbourg. A titre subsidiaire, ils prièrent l’Audiencia provincial de poser au Tribunal constitutionnel une nouvelle question concernant la compatibilité des articles 1 et 2 de la loi 7/1983 avec les articles 14 et 33 par. 3 de la Constitution (paragraphe 25 ci-dessous). La cour leur accorda un renvoi pour leur permettre de produire des documents à l’appui de la première demande. Le 19 décembre 1988, ils fournirent une traduction des communications reçues du secrétariat de la Commission. Après une nouvelle audience le 13 février 1989, la cour refusa de suspendre la procédure. Le 7 juillet 1989, elle repoussa un recours des requérants contre sa décision. Le 14 février 1989, elle avait invité les parties et le ministère public à s’exprimer sur l’opportunité de soulever ladite question d’inconstitutionnalité (article 35 par. 2 de la loi organique 2/1979, paragraphes 21 ci-dessus et 27 ci-dessous). Après avoir reçu leurs remarques, l’Audiencia provincial saisit le Tribunal constitutionnel le 9 juillet 1989. Celui-ci retint la question le 31 octobre, puis la communiqua aux institutions de l’État prévues à l’article 37 par. 2 de la loi organique 2/1979 (paragraphe 27 ci-dessous). Le président de la Chambre des députés lui répondit le 17 novembre 1989 qu’elle n’entendait pas présenter des observations; le même jour et le lendemain respectivement, l’avocat de l’État et le ministère public déposèrent les leurs. Par un arrêt du 15 janvier 1991, le Tribunal constitutionnel estima les articles litigieux de la loi 7/1983 conformes aux articles 14 et 33 par. 3 de la Constitution. Deux magistrats exprimèrent une opinion dissidente. Informée le 25 janvier 1991, l’Audiencia provincial fixa des débats au 22 février. A cette occasion, les requérants renouvelèrent leur demande de suspension. La cour les débouta de leur appel par un arrêt du 25 février. Le 6 mars, les intéressés formulèrent une demande en interprétation dudit arrêt, qui fut rejetée le 11 mars 1991. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE La Constitution Les articles pertinents de la Constitution de 1978 prévoient ce qui suit: Article 14 "Les Espagnols sont égaux devant la loi; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale." Article 24 "1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas cette protection puisse lui être refusée. De même, tous ont droit au juge ordinaire déterminé préalablement par la loi, de se défendre et de se faire assister par un avocat, d’être informés de l’accusation portée contre eux, d’avoir un procès public sans délais indus et avec toutes les garanties, d’utiliser les preuves pertinentes pour leur défense, de ne pas déclarer contre eux-mêmes, de ne pas s’avouer coupables et d’être présumés innocents. (...)" Article 33 "1. Le droit à la propriété privée (...) est reconnu. (...) Nul ne peut être privé de ses biens et de ses droits, sauf pour une cause justifiée d’utilité publique ou d’intérêt social contre l’indemnité correspondante et conformément aux dispositions de la loi." La juridiction du Tribunal constitutionnel se définit ainsi: Article 161 par. 1 "Le Tribunal constitutionnel exerce sa juridiction sur tout le territoire espagnol et il est compétent pour connaître: a) du recours en inconstitutionnalité contre des lois et des dispositions ayant force de loi (...); b) du recours individuel de protection (recurso de amparo) pour violation des droits et des libertés visés à l’article 53 par. 2 de la Constitution, dans les cas et sous les formes prévus par la loi; c) des conflits de compétence entre l’État et les Communautés autonomes et des conflits de compétence entre les diverses communautés. (...)" Seuls les droits reconnus aux articles 14 à 29 de la Constitution peuvent faire l’objet de recours d’amparo; le droit de propriété garanti à l’article 33 est donc exclu. Article 163 "Lorsqu’un organe judiciaire considère au cours d’un procès qu’une disposition ayant rang de loi, s’appliquant en la matière et de la validité de laquelle dépend la décision judiciaire, pourrait être contraire à la Constitution, il saisit le Tribunal constitutionnel dans les conditions, sous la forme et avec les effets à établir par la loi, les effets ne pouvant être en aucun cas suspensifs." Article 164 "1. Les arrêts du Tribunal constitutionnel sont publiés au Journal Officiel, en même temps que les opinions dissidentes exprimées. Ils ont force de chose jugée à partir du jour qui suit leur publication et aucun recours ne peut être formé contre eux. Les arrêts qui déclarent inconstitutionnelle une loi ou une règle ayant rang de loi et tous ceux qui ne se limitent pas à reconnaître un droit subjectif, déploient leurs effets à l’égard de tous. Sauf dans les cas où l’arrêt en décide autrement, la partie de la loi qui n’est pas déclarée inconstitutionnelle reste en vigueur." La loi organique 2/1979 sur le Tribunal constitutionnel La loi organique sur le Tribunal constitutionnel comporte un chapitre III intitulé "Sur les questions d’inconstitutionnalité déférées par les juges et tribunaux" et dont voici le texte: Article 35 "1. Lorsqu’un juge ou tribunal, d’office ou à la demande d’une partie, considère qu’une disposition ayant rang de loi, applicable en la matière et de la validité de laquelle dépend la décision à rendre, peut être contraire à la Constitution, il défère la question au Tribunal constitutionnel conformément aux prescriptions de la présente loi. Un tel organe judiciaire ne soulève la question qu’une fois l’affaire en état et dans le délai fixé pour statuer. Il doit préciser la loi, ou disposition ayant rang de loi, dont la constitutionnalité est mise en cause, indiquer l’article de la Constitution que l’on estime violé et spécifier et justifier en quoi l’issue de la procédure dépend de la validité de ladite disposition. Avant d’adopter sa décision définitive sur la saisine du Tribunal constitutionnel, il doit entendre les parties et le ministère public afin qu’ils puissent formuler, dans un délai commun et non prorogeable de dix jours, les observations qu’ils souhaitent sur la pertinence de la question. Le juge se prononce ensuite sans autre démarche, dans les trois jours. Aucun recours ne s’ouvre contre cette décision. Toutefois, la question d’inconstitutionnalité peut être soulevée à nouveau pendant les instances ultérieures jusqu’à l’arrêt définitif." Article 36 "L’organe judiciaire défère la question d’inconstitutionnalité au Tribunal constitutionnel en joignant une copie certifiée conforme du dossier principal et, s’il y en a, des observations prévues à l’article précédent." Article 37 "1. Après réception du dossier, le Tribunal constitutionnel suit la procédure prévue au paragraphe 2 du présent article. Toutefois, il peut déclarer la question irrecevable par décision motivée après avoir entendu seulement le Procureur général de l’État, lorsque les conditions de procédure ne se trouvent pas remplies ou que la question est manifestement mal fondée. Le Tribunal constitutionnel donne connaissance de la question à la Chambre des députés et au Sénat par l’intermédiaire de leurs présidents respectifs, au Procureur général de l’État ainsi qu’au gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de la Justice; si elle met en cause une loi, ou une autre disposition ayant rang de loi, adoptée par une communauté autonome, il en donne aussi connaissance aux organes législatif et exécutif de celle-ci. Tous ces organes peuvent comparaître et formuler des observations sur la question déférée, dans un délai commun et non prorogeable de quinze jours. Ce délai expiré, le Tribunal statue dans les quinze jours sauf si, par une décision motivée, il estime nécessaire un délai plus long, lequel ne peut dépasser trente jours." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 5 mai 1987. Ils se plaignaient d’abord que leur cause n’eût pas été entendue équitablement et dans un délai raisonnable par un tribunal impartial (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1). Ils prétendaient en outre avoir été privés de leur droit d’accès aux tribunaux pour contester l’utilité publique de l’expropriation et la nécessité de la cession immédiate de leurs biens (articles 6 par. 1 et 13 de la Convention) (art. 6-1, art. 13). Ils dénonçaient enfin une discrimination par rapport aux autres citoyens espagnols, assujettis, eux, au droit commun en matière d’expropriation et pouvant donc saisir les juridictions administratives (article 14 combiné avec les articles 6 par. 1 et 13) (art. 14+6-1, art. 14+13). Le 6 novembre 1990, la Commission a retenu le premier grief et déclaré la requête (no 12952/87) irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 14 janvier 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), en ce que la cause des intéressés n’a pas été entendue équitablement (treize voix contre deux) et dans un délai raisonnable (onze voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Paul Navarra, agriculteur, habite Bastia, en Haute-Corse. Inculpé de vol à main armée, il fut placé sous mandat de dépôt le 22 novembre 1985. Pendant sa détention provisoire à la maison d’arrêt de Nice, il présenta six demandes de mise en liberté. A. Les deux premières demandes d’élargissement Les 2 décembre 1985 et 3 janvier 1986, un juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Nice rejeta les deux premières demandes, des 28 novembre et 30 décembre 1985. La chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne fut pas saisie de la première ordonnance et confirma la deuxième le 29 janvier 1986. B. La troisième demande d’élargissement Le 24 mars 1986, le magistrat instructeur repoussa aussi la troisième demande, datée du 19 mars. Le 23 avril 1986, la chambre d’accusation déclara irrecevable le recours exercé par le requérant, le 25 mars, contre cette décision, qu’elle annula pour avoir statué sur une demande irrégulière en la forme, parce que non présentée de la manière prescrite par le code de procédure pénale. M. Navarra introduisit un pourvoi le 28 mai 1986. La Cour de cassation reçut le dossier le 19 juin. Le 13 septembre 1986, elle censura l’arrêt ainsi rendu et renvoya la cause et les parties devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Montpellier. Après que le greffe eut reçu le dossier le 1er octobre 1986, le procureur général près ladite cour d’appel notifia à l’inculpé, le 9 octobre, la date de l’audience, fixée pour le 21 octobre. Dans un mémoire du 17 octobre 1986, le conseil de M. Navarra invoqua le non-respect du délai dans lequel, d’après l’article 194 du code de procédure pénale (paragraphe 18 ci-dessous), il eût fallu examiner l’appel du 25 mars 1986. Il allégua en outre le dépassement du "bref délai" visé à l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Le 24 octobre 1986, la chambre d’accusation de Montpellier déclara mal fondé l’appel du 25 mars 1986 et confirma l’ordonnance qui avait rejeté, la veille, la demande d’élargissement du 19 mars. Elle releva ce qui suit: "(...) La procédure s’est déroulée normalement et il n’apparaît pas dans ces conditions que les dispositions de l’article 194 du code de procédure pénale n’aient pas été respectées ainsi que l’indique le conseil de Paul Navarra dans son mémoire. (...)" Le 19 novembre 1986, le requérant se pourvut en cassation au motif que la chambre d’accusation n’avait pas répondu au moyen tiré de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. La Cour de cassation le débouta le 24 février 1987, par les motifs ci-après: "(...) la chambre d’accusation qui a, en outre à bon droit, constaté que l’arrêt cassé était intervenu dans le délai de l’article 194 du code de procédure pénale, a implicitement mais suffisamment répondu au chef péremptoire du mémoire déposé devant elle, et n’a pas encouru le grief de la seconde branche du moyen qui doit dès lors être écartée; (...)" C. Les trois dernières demandes d’élargissement Les 20 mars et 18 mai 1987, l’intéressé introduisit une quatrième et une cinquième demandes de mise en liberté. Le juge d’instruction de Nice les repoussa par des ordonnances des 25 mars et 22 mai que la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma les 21 avril et 17 juin 1987. Il accueillit en revanche, le 27 novembre 1987, la sixième et dernière, formée l’avant-veille. D. Le non-lieu Le 17 décembre 1987, le magistrat instructeur rendit une ordonnance de non-lieu en faveur de M. Navarra. Ce dernier réclama le 17 mars 1988, en vertu de l’article 149 du code de procédure pénale, une indemnité de 400 000 f du chef de la détention provisoire subie du 22 novembre 1985 au 27 novembre 1987. Le 26 mai 1989, la Commission d’indemnisation près la Cour de cassation déclara la requête recevable mais non fondée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Telles qu’elles s’appliquaient à l’époque des faits de la cause, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont les suivantes: Article 148 "En toute matière, la mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par l’inculpé ou son conseil (...) Le juge d’instruction communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Il avise en même temps, par tout moyen, la partie civile qui peut présenter des observations (...) Le juge d’instruction doit statuer, par ordonnance spécialement motivée (...), au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur de la République. (...) La mise en liberté, lorsqu’elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. (...)" Une loi du 6 juillet 1989 a ajouté au troisième alinéa une phrase ainsi libellée: "Toutefois, lorsqu’il n’a pas encore été statué sur une précédente demande de mise en liberté ou sur l’appel d’une précédente ordonnance de refus de mise en liberté, le délai de cinq jours ne commencera à courir qu’à compter de la décision rendue par la juridiction d’instruction." Article 148-2 "Toute juridiction appelée à statuer (...) sur une demande de mise en liberté se prononce après audition du ministère public, du prévenu ou de son conseil; le prévenu non détenu et son conseil sont convoqués, par lettre recommandée, quarante-huit heures au moins avant la date de l’audience. La juridiction saisie, selon qu’elle est du premier ou du second degré, rend sa décision dans les dix jours ou dans les vingt jours de la réception de la demande; (...) faute de décision à l’expiration de ce délai, il est mis fin (...) à la détention provisoire, le prévenu, s’il n’est pas détenu pour autre cause, étant mis d’office en liberté. La décision du tribunal est immédiatement exécutoire nonobstant appel; lorsque le prévenu est maintenu en détention, la cour se prononce dans les vingt jours de l’appel, faute de quoi le prévenu, s’il n’est pas détenu pour autre cause, est mis d’office en liberté." Article 149 "(...) une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité." Article 194 "Le procureur général [près la cour d’appel] met l’affaire en état dans les quarante-huit heures de la réception des pièces en matière de détention provisoire et dans les dix jours en toute autre matière; il la soumet, avec son réquisitoire, à la chambre d’accusation. Celle-ci doit, en matière de détention provisoire, se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les trente jours de l’appel prévu par l’article 186, faute de quoi l’inculpé est mis d’office en liberté, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées ou si des circonstances imprévisibles et insurmontables mettent obstacle au jugement de l’affaire dans le délai prévu au présent article." Une loi du 30 décembre 1987, entrée en vigueur le 1er octobre 1988, a ramené le délai de trente à quinze jours. Article 567-2 "La chambre criminelle saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la chambre d’accusation rendu en matière de détention provisoire doit statuer dans les trois mois qui suivent la réception du dossier à la Cour de cassation, faute de quoi l’inculpé est mis d’office en liberté. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Navarra a saisi la Commission le 31 juillet 1987. Il se plaignait de ce que son appel du 25 mars 1986 contre l’ordonnance prononcée la veille n’eût pas été examiné au fond "à bref délai" comme le prescrivait l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13190/87) le 1er mars 1991. Dans son rapport du 9 septembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre six, à l’absence de pareille violation. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 24 mai 1993, l’agent du Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour "à dire qu’en l’espèce la Convention n’a pas été violée et à rejeter la requête introduite par M. Navarra". De son côté, le conseil du requérant l’a priée de constater une violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention et d’octroyer à son client une satisfaction équitable.
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Le requérant est un homosexuel qui entretient actuellement une relation charnelle avec un autre adulte de sexe masculin. Président du "Mouvement de libération des homosexuels de Chypre", il affirme que les textes législatifs incriminant certains actes homosexuels sont pour lui source de grande tension, d’appréhension et de crainte de poursuites. A. Code pénal Les articles 171, 172 et 173 du code pénal cypriote, adopté avant la Constitution, disposent: "171. Se rend coupable d’un crime (felony) et passible de cinq années d’emprisonnement quiconque a) a des relations sexuelles contre nature avec une autre personne; b) permet à un autre homme d’avoir avec lui des relations sexuelles contre nature. 172. Se rend coupable d’un crime et passible de quatorze années d’emprisonnement quiconque commet, en recourant à la violence, l’une des infractions définies à l’article précédent. 173. Se rend coupable d’un crime et passible de trois années d’emprisonnement, ou de sept si la tentative s’accompagne de violences, quiconque tente de commettre l’une des infractions définies à l’article 171." Les 11 mai 1986, 16 juin 1988 et 29 juillet 1990, des journaux avaient publié des propos de plusieurs ministres de la Justice, défavorables à une modification des textes régissant l’homosexualité. Le 25 octobre 1992, le ministre de l’Intérieur a déclaré à un journal, notamment, que bien que ces textes ne fussent pas appliqués il n’en préconisait pas l’abrogation. B. Dispositions constitutionnelles Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Chypre, entrée en vigueur le 16 août 1960, énoncent: Article 15 "1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. Il ne peut y avoir ingérence dans l’exercice de ce droit que pour autant qu’elle est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure nécessaire à la sécurité de la République, à l’ordre constitutionnel, à la sûreté publique, à l’ordre public, à la santé publique, à la morale publique ou à la protection des droits et libertés garantis à chacun par la présente Constitution." Article 169 "1. (...) (...) Les traités, conventions et accords conclus conformément aux dispositions ci-dessus du présent article ont, dès leur publication au Journal officiel de la République, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque traité, convention ou accord, de son application par l’autre partie." Article 179 "1. La présente Constitution est la loi suprême de la République. Aucune loi ou décision de la Chambre des Représentants ou de l’une des Chambres de Communauté, aucun acte ou décision d’un organisme, d’une autorité ou d’une personne de la République exerçant le pouvoir exécutif ou accomplissant une fonction administrative ne sera, en aucune manière, contraire à une disposition quelconque de la présente Constitution ou incompatible avec elle." Article 188 "1. Sous réserve des dispositions de la présente Constitution et des dispositions ci-après du présent article, toute loi applicable à la date d’entrée en vigueur de la présente Constitution le restera par la suite et sera, à partir de cette date, interprétée et appliquée avec toute modification nécessaire pour la mettre en conformité avec la présente Constitution, jusqu’à son remaniement par voie d’amendement, addition ou abrogation, par une loi de la République ou d’une communauté, selon le cas, adoptée en vertu de la présente Constitution. (...) (...) Toute juridiction de la République appliquant les dispositions d’une loi restée en vigueur conformément au paragraphe 1 du présent article l’appliquera, relativement à une telle période, avec toute modification nécessaire pour la mettre en conformité avec les dispositions de la présente Constitution, y compris les clauses transitoires. Dans le présent article, le terme ‘loi’ comprend tout acte public adopté en vertu d’une loi avant l’entrée en vigueur de la présente Constitution; le terme ‘modifications’ comprend les amendements, adaptations et abrogations." C. Jurisprudence Dans l’affaire Costa v. The Republic (Cyprus Law Reports 1982, no 2, pp. 120-133), l’accusé - un soldat de 19 ans - fut condamné pour avoir permis à une autre personne de sexe masculin d’avoir avec lui des relations sexuelles réprimées par l’article 171 b) du code pénal. Le délit avait eu lieu sous une tente, en présence d’un autre soldat la partageant. L’accusé plaidait l’incompatibilité de l’article 171 b) avec l’article 15 de la Constitution, l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ou les deux. Dans sa décision du 8 juin 1982, la Cour suprême nota que l’infraction n’ayant pas été commise en privé et s’agissant d’un soldat alors âgé de 19 ans, les questions constitutionnelles et légales soulevées par la cause sortaient du cadre de l’interprétation donnée à l’article 8 (art. 8) par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans son arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981 (série A no 45). Elle ajouta néanmoins qu’elle ne pouvait s’aligner sur la majorité de la Cour européenne dans ladite affaire et marqua son accord avec l’opinion dissidente du juge Zekia. Elle déclara: "En souscrivant à l’opinion dissidente du juge Zekia, la Cour ne s’écarte pas de sa doctrine selon laquelle, pour interpréter la Convention, les juridictions internes doivent se tourner vers la jurisprudence des organes internationaux chargés d’en surveiller l’application: la Cour et la Commission européennes des Droits de l’Homme (...) En déterminant la nature et l’étendue de la morale, ainsi que le degré de nécessité de la protéger, ces deux organes ont déjà constaté que la notion de morale varie dans le temps et dans l’espace et qu’il n’en existe pas une version européenne uniforme; qu’en outre, les autorités de chaque État se trouvent mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les valeurs morales dominantes de leur pays. Eu égard à ces principes, notre Cour a résolu de ne pas suivre l’avis de la majorité dans l’affaire Dudgeon et d’adopter l’opinion dissidente du juge Zekia: elle s’estime en droit d’appliquer la Convention, et d’interpréter les clauses correspondantes de la Constitution, en fonction de sa conception des valeurs sociales et morales dominantes de notre pays. A la lumière desdits principes et eu égard aux réalités cypriotes, notre Cour ne peut donc pas conclure que l’article 171 b) de notre code pénal, en son état actuel, viole la Convention ou la Constitution et n’est pas nécessaire à la protection de la morale dans notre pays." D. La politique de l’Attorney-General en matière de poursuites Des actes homosexuels accomplis en privé entre adultes consentants avaient fait à Chypre l’objet de poursuites et de condamnations jusqu’à l’arrêt Dudgeon, précité, du 22 octobre 1981. Au moment où la Cour européenne s’apprêtait à statuer, l’Attorney-General invita la police à abandonner des poursuites engagées au titre de l’article 171, en raison du conflit apparent entre ce texte et l’article 8 (art. 8) de la Convention. Depuis lors, le parquet n’en a plus jamais autorisé ni entamé dans le cas de tels actes, pour ne pas se heurter à l’article 8 (art. 8) de la Convention ou à l’article 15 de la Constitution. D’après l’article 113 de la Constitution cypriote, l’Attorney-General a compétence pour introduire et retirer des poursuites pénales dans l’intérêt public. Il ne peut empêcher l’ouverture de poursuites privées, mais il peut en provoquer le classement. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 22 mai 1989. Il alléguait que l’interdiction d’actes homosexuels entre hommes portait une atteinte permanente à son droit au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 15070/89) le 6 décembre 1990. Dans son rapport du 3 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, unanime, à la méconnaissance de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT A l’audience du 27 octobre 1992, le Gouvernement a invité la Cour à constater l’absence de violation de l’article 8 (art. 8).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen néerlandais né le 13 mai 1972, le requérant avait quinze ans à l’époque des faits de la cause. Le 19 septembre 1987, il sortit d’un centre de détention pour jeunes délinquants où il avait purgé une peine pour viol. Soupçonné de tentative de viol, il fut à nouveau arrêté onze jours plus tard, le 30 septembre. Il avoua le crime à la police. Assisté de son avocat, il comparut le 2 octobre 1987 devant M. Meulenbroek, juge des enfants (kinderrechter) au tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) de Middelburg, qui siégeait en qualité de juge d’instruction (rechter-commissaris). L’association de droit privé assurant sa tutelle légale était représentée par deux travailleurs sociaux. Il renouvela ses aveux. A la demande du procureur (officier van justitie), M. Meulenbroek ordonna la mise en dépôt (bewaring) de l’intéressé. Il prescrivit en outre une instruction préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) aux fins d’expertise psychiatrique. Ni M. Nortier ni son défenseur ne protestèrent. Sur de nouvelles réquisitions du parquet, M. Meulenbroek, statuant le 8 octobre 1987 comme chambre du conseil (raadkamer), décida le maintien en détention (gevangenhouding) de l’adolescent; il prorogea la mesure lors de contrôles périodiques les 10 novembre et 10 décembre 1987. A aucun moment le requérant et son avocat n’élevèrent d’objections. Au cours de l’instruction préparatoire, M. Nortier subit un examen psychiatrique. Dans son rapport, l’expert formula une recommandation: si l’acte incriminé venait à être établi, il faudrait envoyer l’intéressé dans une institution de traitement psychiatrique (inrichting voor buitengewone behandeling), en vertu de l’article 77k du code pénal (Wetboek van Strafrecht), mais non le punir. Craignant que le requérant n’eût passé ses aveux initiaux sous la contrainte, la défense demanda l’audition, comme témoins, des deux policiers qui avaient enregistré ses premières déclarations après son arrestation. Le juge Meulenbroek en chargea le juge Witziers, vice-président du tribunal d’arrondissement de Middelburg et juge des enfants suppléant, lequel les entendit les 22 et 23 décembre 1987. Au vu de leurs déclarations, la défense ne sollicita pas leur convocation au procès. L’instruction préparatoire consista seulement dans l’interrogatoire desdits témoins et dans l’examen psychiatrique précité. En décembre 1987, M. Nortier reçut une assignation à comparaître le 6 janvier 1988 devant le juge des enfants Meulenbroek, afin d’être jugé. Par une lettre du 5 janvier 1988, la veille du jour fixé pour les débats son avocat récusa ledit magistrat pour défaut d’impartialité, au motif qu’il avait pris, pendant la phase préparatoire du procès, des décisions concernant la détention provisoire de son client. M. Meulenbroek rejeta la demande le lendemain, pour défaut de fondement. M. Nortier attaqua cette décision devant le tribunal d’arrondissement de Middelburg. Celui-ci la confirma le 22 janvier après avoir examiné en détail la pertinence de l’arrêt rendu le 26 octobre 1984 par la Cour européenne en l’affaire De Cubber c. Belgique (série A no 86). Il estima qu’il y avait une différence fondamentale entre le juge d’instruction belge et le juge des enfants néerlandais, notamment quant à leur indépendance respective. Il ajouta que l’arrêt De Cubber n’impliquait pas que le cumul des fonctions de juge d’instruction et de juge du fond dans la même affaire violait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en toute circonstance. Dans le cas de mineurs, la procédure pénale néerlandaise ménageait une exception à la règle générale interdisant pareil cumul (paragraphe 20 a) ci-dessous). Comme le juge des enfants l’avait souligné dans sa décision, il fallait en chercher la raison dans la prééminence du caractère éducationnel du droit pénal applicable aux enfants et dans l’importance d’une coordination optimale des diverses mesures adoptées à l’égard du mineur. Assisté de son avocat, le requérant fut finalement jugé le 25 janvier 1988, par le juge des enfants Meulenbroek. L’un des travailleurs sociaux représentant l’association de droit privé chargée de sa tutelle légale était également là et put s’exprimer. Confirmant ses déclarations antérieures, M. Nortier reconnut les faits, qui furent alors tenus pour prouvés à la lumière des éléments recueillis. Ainsi que l’avait recommandé le rapport psychiatrique (paragraphe 11 ci-dessus), on l’envoya dans une institution de traitement psychiatrique pour jeunes délinquants, en vertu de l’article 77k du code pénal. Le juge des enfants lui remémora qu’il avait le droit d’interjeter appel mais son avocat, seul habilité à l’exercer (paragraphe 22 ci-dessous), n’en usa pas. En mars 1990, M. Meulenbroek opéra le contrôle bisannuel voulu par l’article 77r du code pénal, afin de déterminer si le requérant avait ou non intérêt à demeurer interné. Ni M. Nortier ni son conseil ne paraissent avoir élevé d’objections contre la prorogation de la mesure. L’adolescent fut élargi sans condition le 9 août 1991. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Structure légale du droit pénal et de la procédure pénale applicables aux enfants Aux Pays-Bas, depuis 1901 droit pénal et procédure pénale ne s’appliquent pas, en principe, de la même manière aux jeunes délinquants et aux adultes. En ces matières, la loi introduit des exceptions pour les mineurs: les normes générales ne jouent à leur égard qu’en l’absence de dérogation expresse. Les enfants ne peuvent être poursuivis pour des actes commis avant l’âge de douze ans (article 77a du code pénal). On suit des règles de procédure pénale particulières si le suspect n’a pas encore dix-huit ans au moment de l’ouverture de poursuites contre lui (article 487 du code de procédure pénale, Wetboek van Strafvordering). En principe, la même limite d’âge vaut en droit pénal (article 77b du code pénal). Toutefois, sous certaines conditions le code pénal permet d’appliquer le droit pénal général à un suspect qui avait seize ou dix-sept ans à l’époque de l’infraction (article 77c) et, inversement, d’appliquer le droit pénal des enfants à un suspect qui, à l’époque de l’infraction, avait atteint l’âge de dix-huit ans mais pas encore celui de vingt et un ans (article 77d). Le droit pénal des enfants ne diffère de celui des adultes que par un ensemble de peines (straffen) et de mesures (maatregelen) curatives ou protectrices adaptées à ses finalités propres. Aux termes de l’exposé des motifs de la loi du 9 novembre 1961 (paragraphe 18 ci-dessous), il "a au premier chef un but pédagogique, les intérêts du mineur étant toujours pris en compte". Par conséquent, il vise pour l’essentiel à protéger et éduquer le mineur concerné. Les peines prévues pour les enfants sont le placement dans une école de discipline (tuchtschool), pour une période pouvant aller jusqu’à six mois, les "arrêts" (arrest), d’une durée de quatorze jours au plus, l’amende, d’un montant maximal de cinq cents florins, et la réprimande (berisping) (article 77g). Parmi les mesures figurent la mise sous surveillance (ondertoezichtstelling) - il s’agit en réalité d’une mesure de protection instaurée par le droit civil (articles 1:245 et suiv. du code civil (Burgerlijk Wetboek)) - et le placement dans une institution de traitement psychiatrique pour jeunes délinquants (article 77h). De nature curative, ce dernier n’est utilisé que pour les jeunes gens au développement mental déficient ou qui souffrent d’un trouble mental grave (article 77k). La procédure pénale applicable aux enfants cherche elle aussi à protéger et éduquer, mais ici les différences avec le droit commun sont considérables. Principe directeur en la matière: la procédure "doit être simple et compréhensible, à la fois pour les mineurs en cause et pour leurs parents. Il y a lieu de renoncer aux formalités présentant quelque intérêt pour les adultes, mais pratiquement dépourvues de sens pour les mineurs, tandis que des prescriptions spéciales doivent assurer un traitement adéquat des affaires de jeunes". (Extrait de l’exposé des motifs de la loi du 9 novembre 1961, entrée en vigueur en 1965, qui modernisa la procédure pénale applicable aux jeunes, laquelle datait de 1901 et avait subi une réforme complète en 1921). Cette idée de base, jointe à la nécessité d’améliorer la protection des mineurs en établissant des liens avec celle dont les dote le droit civil - où le juge des enfants est l’acteur central, habilité à ordonner diverses mesures de protection -, explique pourquoi le juge des enfants joue le même rôle essentiel dans la procédure pénale applicable aux jeunes. On crédite ce système de plusieurs avantages: - consulter au préalable le juge des enfants sur l’opportunité de poursuites pénales contribue à protéger le mineur, surtout s’il connaît déjà l’intéressé; il peut en aller ainsi, par exemple, si ledit juge a été associé à des mesures de protection ordonnées dans le cadre du droit civil, tel le placement du mineur sous surveillance judiciaire; - une relation de confiance peut se développer entre, d’un côté, le juge des enfants et, de l’autre, le mineur ainsi que ses parents, ou son tuteur, car les seconds (les parents, ou le tuteur, sont invités à comparaître lors de l’instruction préparatoire et du procès et ont le droit de s’exprimer) ont affaire à un seul et même magistrat tout au long de la procédure, laquelle en outre se déroule à huis clos et sans formalisme; - si le mineur est passé immédiatement aux aveux - chose habituelle chez de tels suspects -, on peut élaborer à un stade précoce un plan pour son avenir, y compris pendant l’instruction préparatoire; - le juge des enfants est en l’occurrence la personne la plus indiquée, grâce à sa grande compétence en la matière et à ses amples pouvoirs de décision. L’article 14a du code de procédure pénale illustre l’étroitesse du lien entre les mesures de protection du droit civil et les poursuites pénales: si une procédure civile relative à la protection du mineur - par exemple une demande visant à le placer sous contrôle judiciaire, ou tendant à retirer à ses parents leurs droits parentaux -chemine parallèlement aux poursuites pénales, ce texte autorise à suspendre les secondes jusqu’au moment où une décision définitive intervient dans la première. Le rôle central du juge des enfants ressort clairement du fait que celui-ci est associé à la décision de poursuivre ou non. D’après l’article 493 du code de procédure pénale, le parquet doit d’abord recueillir l’avis du juge des enfants s’il veut renoncer sans conditions aux poursuites dirigées contre un mineur; il ne peut les abandonner sous conditions qu’avec l’autorisation dudit magistrat. Sauf en cas de classement immédiat, il doit se renseigner sur la personnalité et les conditions de vie du mineur auprès du service de protection de l’enfance, lequel peut alors s’exprimer sur l’opportunité des poursuites (article 495). Aux fins d’une mise en oeuvre efficace de ces dispositions, juge des enfants, procureur et représentant du service de protection de l’enfance avaient coutume de se réunir à intervalles réguliers pour discuter des dossiers. Cette "concertation tripartite" (driehoeksoverleg) se déroulait en l’absence et à l’insu du mineur et de son représentant légal ou conseil. Le juge des enfants est également le personnage central de la phase d’instruction. a. A preuve, en premier lieu, l’article 494 du code de procédure pénale, qui l’investit des fonctions de juge d’instruction, et l’article 496, ainsi libellé: "1. L’instruction préparatoire relève du juge des enfants à moins que l’affaire ne concerne aussi un ou plusieurs suspects ayant atteint l’âge de dix-huit ans au moment de l’ouverture des poursuites contre eux et que, de prime abord, une disjonction ne semble pas possible au procureur et au juge des enfants. Dans les affaires où il prescrit une instruction préparatoire, le juge des enfants remplit l’office de magistrat chargé de celle-ci." En d’autres termes, il possède l’ensemble des pouvoirs de décision d’un juge d’instruction et il est responsable de l’information. Celle-ci peut comporter des mesures telles que le recours à des expertises, la production de preuves techniques, l’audition de témoins, des interceptions de courrier et de conversations téléphoniques, des transports sur les lieux et l’interrogatoire du suspect. D’après l’article 268 du code de procédure pénale, un juge ayant mené des investigations à titre de magistrat instructeur ne peut participer à la décision sur le fond de l’affaire, mais l’article 500d écarte le jeu de ce texte dans l’hypothèse de poursuites contre un mineur. b. C’est encore le juge des enfants qui prend toutes les décisions en matière de détention provisoire. Pour les adultes, la mise en dépôt est ordonnée par le juge d’instruction - pour six jours au plus, avec possibilité d’une seule prorogation pour six jours - et le maintien en détention par la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement - pour trente jours au maximum, avec possibilité de deux prorogations de trente jours chacune. Si les poursuites visent un mineur, le juge des enfants cumule ces deux fonctions: il agit non seulement comme juge d’instruction mais aussi, selon l’article 488, comme chambre du conseil. En conséquence, tandis que la chambre du conseil connaît des appels interjetés contre les décisions du juge d’instruction quand la poursuite concerne un adulte, le juge des enfants peut se trouver amené à statuer sur ceux qui se dirigent contre certaines de ses propres décisions dans la mesure où la procédure applicable aux jeunes autorise de tels recours. Confirmation supplémentaire de la place centrale du juge des enfants: en règle générale, c’est lui-même qui, siégeant comme juge unique, conduit en personne le procès et rend la décision (article 500 par. 1). Il lui appartient d’apprécier s’il y a lieu ou non de renvoyer l’affaire à une chambre comprenant deux autres juges en sus de lui (article 500 par. 2, combiné avec l’article 500e). Le juge des enfants joue enfin un rôle important dans l’exécution de la peine ou mesure imposée. Par exemple, on doit le consulter avant d’exécuter des "arrêts" qu’il a infligés (article 505) et il administre personnellement toute peine de réprimande qu’il a prononcée (article 506). Si le mineur en cause n’a pas encore atteint l’âge de seize ans, c’est son avocat qui jouit de tous les droits procéduraux accordés par le code de procédure pénale au suspect, à l’exception des droits que celui-ci peut exercer lui-même à l’audience (article 504 par. 1). Toutefois, le représentant légal (wettelijke vertegenwoordiger) du mineur peut, s’il en désapprouve l’usage ou le non-usage par l’avocat, adresser une note de protestation au président de la juridiction du fond devant laquelle l’intéressé est poursuivi ou l’a été en dernier lieu (article 504 par. 2). D’après l’article 56 de la loi sur l’organisation judiciaire (Wet op de Rechterlijke Organisatie), la sentence du juge des enfants peut donner lieu à un recours devant la cour d’appel (gerechtshof); il conduit à un réexamen complet de l’affaire par trois magistrats (article 422 du code de procédure pénale). B. Critique de la structure légale existante - répercussions sur la pratique observée en la matière Le système décrit plus haut suscite depuis longtemps des critiques. Aussi une commission pour la révision du droit pénal applicable aux mineurs fut-elle créée en 1979. Le rapport publié par elle en 1982, ainsi que les arrêts de la Cour européenne dans les affaires De Cubber c. Belgique (26 octobre 1984, série A no 86) et Hauschildt c. Danemark (24 mai 1989, série A no 154), entraînèrent un durcissement des attaques de la doctrine contre le système en vigueur, mais les avis restent partagés sur la question de savoir jusqu’à quel point il s’impose de le modifier. Ces éléments ont provoqué des changements non officiels dans la manière dont il fonctionne (paragraphe 24 ci-dessous) et un projet de réforme de la législation (paragraphe 25 ci-dessous). Il convient de signaler en outre à cet égard une évolution de la jurisprudence néerlandaise (paragraphe 26 ci-dessous). Tout d’abord, il existe aujourd’hui un arrangement non officiel en vertu duquel le juge des enfants, lorsqu’il se trouve face à un suspect niant les faits, confie l’audition des témoins à un autre juge des enfants et n’agit donc pas, dans cette mesure, comme juge d’instruction. Toutefois, même en pareil cas il continue à statuer en matière de détention provisoire. En second lieu,la plupart des tribunaux d’arrondissement ont abandonné la pratique des "concertations tripartites" (paragraphe 19 ci-dessus). En 1989, le Parlement a été saisi d’un projet de réforme de la législation; la procédure écrite n’a pas encore pris fin. Le texte suit pour l’essentiel les suggestions de la commission mentionnée au paragraphe 23, lesquelles visent en substance à enlever au juge des enfants les fonctions de juge d’instruction et de chambre du conseil. Il en diffère néanmoins en ce que le juge des enfants conserverait le pouvoir d’ordonner la mise en dépôt. Cette dernière caractéristique correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation (Hoge Raad), notamment à ses arrêts des 15 mars 1988 (NJ (Nederlandse Jurisprudentie) 1988, no 847) et 13 novembre 1990 (NJ 1991, no 219). Le premier a interprété l’article 268 du code de procédure pénale (paragraphe 20 ci-dessus) en ce sens qu’un magistrat instructeur n’ayant mené aucune investigation, mais ordonné la mise en dépôt, n’est pas exclu de la phase de jugement car son indépendance ne se trouve pas en cause. L’arrêt de 1990, lui, concernait un juge des enfants qui avait siégé au procès en vertu de l’article 500e (paragraphe 21 ci-dessus) après avoir ouvert une information en qualité de juge d’instruction. La Cour de cassation a estimé que, dès lors, l’un des juges appelés à connaître du fond de l’affaire manquait de l’impartialité voulue par l’article 6 (art. 6) de la Convention. D’après elle, il en irait toujours ainsi dans l’hypothèse où "l’un de ces juges [aurait] auparavant accompli dans la même affaire des diligences tendant à rassembler des preuves, soit comme juge d’instruction pendant l’instruction préparatoire, soit autrement pendant la mise en état de la cause". C. Dispositions relatives à la détention provisoire Quant aux conditions de la mise en dépôt et du maintien en détention, les mêmes règles de procédure pénale valent pour les mineurs et pour les adultes. Elles figurent aux articles 67 et 67a du code de procédure pénale. L’article 67 énumère les cas où une détention provisoire (voorlopige hechtenis) peut être ordonnée; pour les besoins du présent arrêt, ils peuvent se ramener à ceux où l’on soupçonne quelqu’un d’une infraction assez grave (paragraphes 1 et 2). En outre, aux termes du paragraphe 3, "Les paragraphes précédents (...) s’appliquent uniquement si certains faits ou circonstances fournissent des indices sérieux (ernstige bezwaren) contre le suspect." A cet égard, le mémoire en réponse (Memorie van Antwoord) accompagnant un projet d’amendement aux dispositions légales relatives à la détention provisoire précise qu’il existe de tels indices quand le juge d’instruction estime "à première vue plausible (aannemelijk) que le suspect ait commis l’infraction pour laquelle la détention provisoire est demandée". (Bijlagen Handelingen Tweede Kamer - annexes au compte rendu des séances de la deuxième chambre, 1972, 9994, no 8, p. 10) L’article 67a énumère les motifs permettant de prescrire une détention provisoire, à savoir, en résumé: un risque sérieux de fuite du suspect; la circonstance qu’en raison de sa gravité particulière, l’infraction a fortement perturbé l’ordre public; un danger sérieux de répétition de manquements graves; la nécessité de préserver les preuves. Le paragraphe 3 de l’article 67a ajoute cependant: "La détention provisoire n’est pas ordonnée s’il existe une possibilité réelle que le prévenu, en cas de verdict de culpabilité, ne se voie pas infliger une condamnation ferme à une peine d’emprisonnement, ou à une mesure privative de liberté, ou que l’exécution de l’ordonnance le prive de sa liberté pendant un temps supérieur à la durée de la peine ou de la mesure." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Nortier a saisi la Commission le 28 avril 1988. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un procès devant un tribunal impartial, car le juge des enfants qui statua sur sa cause avait auparavant agi en qualité de magistrat instructeur et, de surcroît, rendu plusieurs décisions relatives à la prolongation de sa détention provisoire. La Commission a retenu la requête (no 13924/88) le 9 octobre 1991. Dans son rapport du 9 juillet 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre trois, à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’ouverture de poursuites pénales contre le requérant M. Kremzow exerça les fonctions de juge en Autriche de 1964 à 1978, année où il prit sa retraite pour raisons de santé. Il servit alors de consultant à plusieurs avocats de la région de Vienne. Le 16 décembre 1982, il se présenta devant le tribunal d’arrondissement (Kreisgericht) de Korneuburg et avoua qu’il avait tué l’un d’eux, M. P. Après l’avoir arrêté, on l’interna dans un hôpital psychiatrique de Vienne, eu égard à son état mental et au risque de le voir se suicider. On le transféra par la suite dans l’établissement spécialisé pour délinquants aliénés de Mittersteig. Le 30 novembre 1983, le parquet déposa un réquisitoire l’accusant de meurtre (article 75 du code pénal - Strafgesetzbuch), de détention illégale d’arme à feu (article 36 de la loi sur les armes - Waffengesetz) et de plusieurs escroqueries. Poussé par des difficultés financières à escroquer M. P., l’intéressé l’aurait abattu de peur d’être découvert. Le parquet demandait son placement dans un établissement pour délinquants aliénés, en application de l’article 21 du code pénal. Le procès devant la cour d’assises (Geschworenengericht) Le procès s’ouvrit le 13 juin 1984 devant une cour d’assises du tribunal d’arrondissement de Korneuburg, siégeant avec un jury. M. Kremzow était représenté par un avocat d’office, la cour lui ayant refusé l’autorisation de se défendre lui-même. A l’audience il revint sur ses aveux, imputables d’après lui à une aberration psychotique, et affirma que M. P. s’était donné la mort devant lui. La cour suspendit les débats et renvoya l’affaire au juge d’instruction afin qu’il tirât au clair cette allégation nouvelle. Un nouveau procès commença le 5 novembre 1984 devant la cour d’assises. Le 18 décembre, le jury déclara l’intéressé coupable de meurtre et de détention illégale d’arme à feu. Le ministère public avait abandonné les accusations d’escroquerie, faute de preuve. Le jury estima M. Kremzow pénalement responsable et exprima l’opinion que "le mobile demeur[ait] inconnu, les possibilités étant trop nombreuses". Après en avoir délibéré avec le jury, la cour infligea au requérant vingt ans d’emprisonnement, la plus longue peine à temps prévue par le droit autrichien en matière de meurtre, et ordonna son internement dans un établissement pour délinquants aliénés. La procédure devant la Cour suprême a) Recours formés par les parties Le requérant introduisit un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde) devant la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Il se plaignait, notamment, de n’avoir pu se défendre lui-même et du caractère inéquitable du procès. Son épouse et sa mère formèrent elles aussi un pourvoi ainsi qu’un appel (Berufung) contre la durée de la peine et le placement dans un établissement spécial. De son côté, le parquet introduisit un appel contre la peine, réclamant une condamnation à perpétuité à raison de la préméditation et du caractère odieux du mode d’exécution du crime. Enfin, M. R.P., le fils de la victime, attaqua la décision renvoyant à la juridiction civile sa demande en dommages-intérêts. b) La consultation du parquet général Le 2 mai 1985, la Cour suprême informa le parquet général (Generalprokuratur) des recours exercés par M. Kremzow, ses proches, le procureur et la partie civile; elle lui communiqua le dossier où figuraient des pièces y relatives. Le bordereau mentionnait le nom du juge rapporteur, dont il portait la signature. Datées du 24 juillet 1985, les observations du procureur général sur les moyens de cassation ("croquis") parvinrent à la Cour suprême le 2 août. Longues de quarante-neuf pages, elles analysaient en détail les différents motifs de nullité invoqués par le requérant ainsi que par sa mère et sa femme. Le procureur général y concluait à la tenue d’une audience par la Cour suprême et au rejet des pourvois. Il ne se prononçait pas sur les appels formés contre la peine. Le 18 septembre 1985, le requérant pria la Cour suprême de lui communiquer ledit "croquis", en quoi son défenseur l’imita le 2 octobre 1985. Ces démarches restèrent sans effet. Il ne ressort d’aucun document de la Cour suprême que l’avocat de M. Kremzow ait cherché à consulter le dossier. Les observations en cause ne lui furent notifiées que le 9 juin 1986 (paragraphe 34 ci-dessous). c) Production de nouvelles pièces Le 31 décembre 1985, M. R.P., le fils de la victime, soumit à la Cour suprême un certain nombre de pages manquantes du journal de son père. Pendant les débats, le requérant avait plusieurs fois sollicité la production des parties manquantes de ce journal pour prouver que l’intéressé avait bien eu l’intention de se suicider. La cour d’assises avait refusé d’ordonner une perquisition au domicile de M. R.P. à cette fin. Par la suite, M. Kremzow avait en outre agi au civil contre ce dernier afin qu’il déposât les pièces dont il s’agissait. Informé, pendant cette procédure civile, que des parties du journal avaient été fournies à la Cour suprême, le requérant invita en vain le tribunal d’arrondissement de Korneuburg, le 22 janvier 1986, à prescrire une perquisition chez M. R.P., qu’il soupçonnait de garder par-devers lui d’autres documents pertinents. Il reçut ultérieurement, par le canal du tribunal d’arrondissement, une copie des pages communiquées à la Cour suprême. Selon lui, celle-ci recourut à un complément d’instruction concernant certains chèques falsifiés, mais le Gouvernement le conteste. d) Le projet d’arrêt élaboré par le juge rapporteur Avant la fixation de la date de l’audience de la Cour suprême, le juge rapporteur, conformément à la pratique habituelle devant cette juridiction, rédigea un projet d’arrêt qui fut versé au dossier officiel, apparemment après révision. Il y reprenait pour l’essentiel le raisonnement du "croquis" du procureur général et proposait le rejet des divers pourvois en cassation. Il traitait aussi de la question des pages du journal. Il semble que des membres de la chambre compétente de la Cour suprême aient pris part à des délibérations préliminaires (Vorberatungen) avant les débats et que les observations d’autres membres sur le projet d’arrêt aient été intégrées au dossier quelque temps avant l’audience. e) Convocation à l’audience devant la Cour suprême Le 4 juin 1986, la Cour suprême fixa au 2 juillet la date des débats relatifs aux pourvois et aux appels. Le requérant reçut sa convocation le 17 juin 1986. Elle précisait que son incarcération l’empêcherait, d’après les articles 286 par. 2 et 344 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung, "le code" - paragraphes 28-29 ci-dessous), de se présenter à l’audience consacrée aux pourvois en cassation, sauf par le truchement de son avocat d’office. Quant à celle concernant les appels, il ne pourrait pas davantage y assister, les conditions de l’article 296 par. 3 du code ne se trouvant pas remplies (paragraphe 31 ci-dessous). En outre, la Cour ordonna d’envoyer le "croquis" audit avocat ainsi qu’à celui de son épouse et de sa mère. f) Demande du requérant tendant à sa comparution personnelle devant la Cour suprême Invoquant les articles 6 et 14 (art. 6, art. 14) de la Convention, M. Kremzow invita la Cour suprême, le 19 juin 1986, à l’autoriser à comparaître en personne à l’audience consacrée aux pourvois en cassation, droit accordé aux accusés non détenus. Il se fondait sur le droit de se défendre soi-même, garanti par l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c); il soulignait qu’il n’avait cessé de combattre sa représentation par un avocat d’office et que l’article 296 par. 3 du code reconnaissait aux accusés détenus le droit de comparaître à une audience d’appel contre leur peine. En même temps, il relevait, notamment, que sa demande de délivrance d’une copie du "croquis" du procureur général n’avait encore donné lieu à aucune décision. La Cour suprême lui opposa un refus le 25 juin 1986. Dans sa décision, notifiée au conseil de M. Kremzow le jour des débats (le 2 juillet 1986), elle constatait que ce dernier n’avait pas sollicité sa comparution à l’audience relative aux appels, en vertu de l’article 296 par. 3 du code (paragraphe 31 ci-dessous). Elle ne doutait nullement de la constitutionnalité de l’article 286 par. 2 du code (paragraphe 29 ci-dessous), ni de sa compatibilité avec l’article 6 (art. 6) de la Convention. Enfin, le requérant lui-même n’avait aucun droit à une copie du "croquis" et l’article 6 (art. 6) avait été respecté puisque son avocat d’office en avait reçu une. g) Audience et arrêt de la Cour suprême Les débats de la Cour suprême concernant les pourvois en cassation et les appels se déroulèrent le 2 juillet 1986 en l’absence du requérant, représenté par son avocat d’office. Ils s’ouvrirent à 9 h pour s’achever à 11 h 25. La Cour entendit les conseils des parties et un membre du parquet général. Ses délibérations après l’audience durèrent une trentaine de minutes. Il y eut lecture d’un bref résumé de l’arrêt. La Cour rejeta tant les pourvois du requérant et de ses proches que l’appel de M. R.P. Elle accueillit l’appel du procureur et, en partie, celui des proches de M. Kremzow; elle condamna ce dernier à la réclusion à perpétuité. Elle annula en outre la décision de le placer dans un établissement psychiatrique, l’obligeant ainsi à subir sa peine dans une prison ordinaire. Appréciant les circonstances aggravantes de la cause, elle déclara: "Pour fixer la peine, (...) la juridiction du premier degré a trop peu pris en compte la particulière gravité de la culpabilité personnelle de l’accusé, jointe au poids objectif d’une infraction telle que l’homicide (intentionnel) commis dans les circonstances de l’espèce. Car ce crime perfide, qui équivalait en vérité à `liquider’ une victime ne se doutant de rien et faisant pleine confiance à l’accusé, et que celui- ciperpétra dans le dessein répréhensible d’empêcher la découverte de ses propres délits financiers, révèle une mentalité si négative (c’est-à-dire une telle vilenie), et donc un degré de culpabilité tel, que l’infliction d’une peine d’emprisonnement à temps (...) ne se justifie (plus) en l’occurrence. Le fait que l’accusé commit son crime sous l’empire d’un état mental anormal ne tire guère à conséquence et ne saurait donc contrebalancer les éléments à charge dans la détermination de la peine. Partant, la réclusion à perpétuité constitue l’unique sanction pénale adaptée au comportement de l’intéressé." Dans ses motifs, la Cour estima que la juridiction du fond n’avait pas lésé les droits de la défense en écartant l’offre de preuve relative aux pages du journal (paragraphe 16 ci-dessus). Elle précisa que les pages manquantes dont elle-même avait eu connaissance n’auraient "probablement pas eu la moindre incidence sur le verdict du jury". De la minute (Urschrift) de son arrêt, il ressort que le rejet des pourvois en cassation reposait presque mot pour mot sur le texte rédigé par le juge rapporteur avant l’audience (paragraphe 17 ci-dessus). Il appert que le requérant demeure interné dans l’établissement spécialisé pour délinquants aliénés de Mittersteig. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Pourvoi en cassation Les jugements rendus en première instance par les chambres des tribunaux d’arrondissement peuvent donner lieu à un pourvoi en cassation devant la Cour suprême dans des cas limitativement énumérés par le code de procédure pénale (articles 281 par. 1 et, pour les cours d’assises, 345 par. 1), en particulier pour vice de procédure ou pour fausse application de la loi pénale de fond dans la déclaration de culpabilité et la détermination de la peine. En principe, pareil recours ne peut viser l’appréciation des preuves par la juridiction inférieure, ni invoquer des faits ou éléments de preuve nouveaux. La Cour suprême se trouve liée par les faits et preuves retenus dans la décision de première instance, sauf si elle relève que celle-ci n’est pas motivée ou qu’elle s’appuie sur des motifs insuffisants, contradictoires ou nettement incompatibles avec le dossier. Toutefois, ces derniers principes concernant la motivation des jugements ne valent pas pour les pourvois dirigés contre les verdicts des jurys des cours d’assises. Il incombe alors à la Cour suprême, pour l’essentiel, de contrôler les actes des magistrats - dont le président - de la cour d’assises, en recherchant notamment si le procès s’est déroulé dans le respect des principes fondamentaux de la procédure, si le jury s’est entendu poser les bonnes questions et s’il a reçu les indications juridiques adéquates. Elle peut uniquement vérifier qu’il a répondu aux questions de manière claire, complète et cohérente. Comme dans les autres hypothèses, elle s’assure aussi de la bonne application de la loi pénale, mais les constatations de fait du jury la lient à cet égard. La Cour suprême peut parfois rejeter un pourvoi sans débats publics (article 285 c) du code), mais en règle générale elle doit, comme en l’espèce, tenir une audience qui peut porter en même temps sur les appels contre la peine. Pour ce qui est des audiences relatives aux pourvois en cassation, l’article 286 du code précise: "1. Une fois fixée la date de l’audience publique, l’accusé (...) est convoqué (...) S’il se trouve détenu, la notification de la date de l’audience lui signale qu’il ne peut comparaître en personne et doit se faire représenter. (...)" L’article 344 du code étend en principe l’application des textes précités aux pourvois concernant les procès devant jury. Toutefois, si l’audience a trait à la fois à un pourvoi en cassation et à un appel contre la peine, l’accusé présent à raison du second peut également user de ses droits pour le premier. B. Appel contre la peine Bien qu’un pourvoi en cassation puisse se diriger contre des violations de la loi dans la procédure d’infliction de la peine, on ne peut attaquer cette dernière, en tant que telle, que par la voie de l’appel (Berufung). Il peut porter aussi bien sur des points de droit (dont celui de savoir si le tribunal a dûment tenu compte de circonstances atténuantes ou aggravantes) que sur les éléments ayant contribué au choix de la peine. L’examen au fond d’un appel a normalement lieu en audience publique. Quant à la comparution personnelle de l’accusé aux débats, l’article 296 par. 3, deuxième phrase, du code, se lisait ainsi à l’époque considérée: "Les articles 286 et 287 s’appliquent, mutatis mutandis, à la fixation de la date et à la tenue de l’audience publique, étant entendu qu’il faut toujours convoquer l’accusé en liberté et que l’on doit aussi traduire devant la cour l’accusé détenu s’il le demande dans son acte d’appel ou son mémoire en défense, ou si sa présence semble nécessaire dans l’intérêt de la justice." C. Règlement intérieur de la Cour suprême La procédure devant la Cour suprême obéit à la loi fédérale relative à cette dernière (Bundesgesetz über den Obersten Gerichtshof) et au règlement intérieur (Geschäftsordnung) adopté en vertu de l’article 22. D’après les articles 5 et 6, paras. 1 et 2, de cette même loi, la Cour siège d’ordinaire en chambres composées de cinq membres; l’un d’entre eux assume la présidence et un autre, dont l’article 20 in fine interdit de révéler le nom aux parties, fait office de juge rapporteur. L’article 60 du règlement intérieur de la Cour suprême précise ce qui suit: "2) (...) le dossier doit être remis au juge rapporteur compétent d’après le système de répartition des affaires. 3) S’il doit être ultérieurement communiqué au procureur général pour observations ou réquisitions ou, à sa demande, pour examen avant décision, il échet d’en ôter, sauf ordonnance judiciaire en sens contraire, toute pièce dont on pourrait tirer des conclusions sur le contenu de la décision à rendre par la Cour ou sur l’évolution de ses délibérations (projet d’arrêt du juge rapporteur, observations de membres de la chambre et autres éléments analogues). 4) Une fois le dossier restitué par le parquet général, le rapporteur le transmet, accompagné du projet d’arrêt, au président de la chambre pour suite à donner. (...) 6) En cas de fixation d’une audience, seul le formulaire de convocation est adressé au parquet général pour information. Le dossier n’est communiqué à cette occasion qu’en vertu d’une ordonnance. 7) Si le parquet général a déposé des conclusions, des copies doivent en être notifiées aux autres parties à la procédure en cassation, au plus tard lors de la fixation de l’audience, sauf ordonnance judiciaire en sens contraire." L’article 65 par. 2 prescrit l’établissement d’un procès-verbal de toute délibération et de tout vote. La confidentialité peut en être imposée dans les cas prévus par la loi. Après le vote final, le juge rapporteur, ou le juge dont la chambre a adopté le projet, rédige les motifs de l’arrêt (article 65 par. 4). Le président de la chambre ou son suppléant, mais non le juge rapporteur, doit approuver le texte avant son expédition (article 65 par. 8). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 1er août 1986. Il formulait de nombreux griefs relatifs à son procès devant la cour d’assises, au sujet duquel il invoquait l’article 6 paras. 1, 2 et 3 c) et d) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c, art. 6-3-d) de la Convention. Il se plaignait aussi de n’avoir pu comparaître en personne devant la Cour suprême, au mépris de l’article 6 paras. 1 et 3 c) combiné avec l’article 14 (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c). Il soutenait de surcroît que la procédure suivie devant elle n’avait pas revêtu un caractère équitable (article 6 par. 1) (art. 6-1), l’arrêt ayant été rédigé et communiqué au procureur général avant l’audience, et qu’il n’avait pas eu assez de temps pour préparer sa défense (article 6 par. 3 b)) (art. 6-3-b). Enfin, il alléguait une violation de l’article 5, combiné avec l’article 14 (art. 14+5), quant à la peine prononcée par la Cour suprême, et de l’article 13 (art. 13) quant à la portée des recours s’ouvrant devant celle-ci pour redresser des infractions à l’article 6 (art. 6). La Commission a retenu la requête (no 12350/86) le 5 septembre 1990, mais seulement pour les doléances relatives à la procédure devant la Cour suprême. Dans son rapport du 20 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) en ce que le requérant n’a pas été autorisé à comparaître en personne devant la Cour suprême (onze voix contre trois); b) qu’il ne s’impose pas d’examiner le même grief sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 6 (art. 14+6) (onze voix contre trois); c) que la préparation d’un projet d’arrêt avant l’audience de la Cour suprême n’a pas méconnu l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité); d) qu’il y a eu violation de l’article 6 paras. 1 et 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b) en ce que le requérant n’a pas eu à un degré suffisant la possibilité de se procurer les observations du procureur général et de les commenter (huit voix contre six); e) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 (art. 6) quant au restant des griefs concernant le caractère équitable de la procédure devant la Cour suprême (unanimité); f) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13), ni de l’article 5 combiné avec l’article 14 (art. 14+5) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Le 28 janvier 1986 vers 19 h 30, la première requérante, travailleuse sociale, arrêta son automobile à l’entrée de l’arrière-cour de l’immeuble où elle habite à Lemgo. Elle se trouvait avec sa fille Monika, âgée de huit ans à l’époque. Après avoir ouvert la grille, elle fut interpellée par deux agents de police qui l’avaient suivie et se tenaient dans le passage. Ils l’accusèrent d’avoir brûlé un feu rouge et d’avoir tenté de s’enfuir, ce qu’elle nie. Ils affirmèrent qu’elle exhalait une forte odeur d’alcool quand ils contrôlèrent son permis. Elle accepta de subir un alcootest. Bien qu’ils lui eussent montré comment procéder, elle ne réussit pas à souffler dans l’instrument de manière satisfaisante; en conséquence, les policiers lui ordonnèrent de les accompagner à l’hôpital local en vue d’une prise de sang. Il en résulta une altercation pendant laquelle Mme Klaas fut appréhendée. Le cours précis des événements prête à controverse entre les intéressées et les agents de police (paragraphes 7 et 9 ci-dessous). Là-dessus, la première requérante fut amenée à l’hôpital aux fins de la prise de sang, qui révéla une alcoolémie de 0,82 g par litre, après quoi on la relâcha. D’après les requérantes, la première consentit à se prêter à une prise de sang, mais expliqua qu’elle voulait d’abord conduire sa fille chez une voisine. L’un des agents lui aurait opposé un refus et l’aurait traînée vers la voiture de police. Elle aurait été avertie qu’elle risquait une inculpation de résistance à la force publique (Widerstand gegen die Staatsgewalt). Au moment où elle appela sa fille, les policiers lui auraient dit qu’ils s’en occuperaient. Elle aurait alors saisi l’enfant par la main, se serait rendue à la porte de derrière et l’aurait ouverte après avoir appuyé sur la sonnette de sa voisine. Ce que voyant, l’un des agents l’aurait empoignée et lui aurait tordu le bras gauche derrière le dos; sa tête aurait heurté le coin d’un rebord de fenêtre. Les policiers auraient passé les menottes à Mme Klaas. Elle aurait perdu conscience pendant un bref laps de temps. Quand elle revint à elle, elle se trouvait près du véhicule de la police et ressentait une forte douleur à l’épaule gauche, qu’un des agents de police comprimait en arrière. Enfin, elle aurait pu monter à bord dudit véhicule, qui la transporta à l’hôpital. La première requérante consulta par deux fois un médecin. Le 11 février 1986, le Dr Schwering certifia l’avoir examinée le 29 janvier et avoir constaté des ecchymoses d’environ 10 cm sur le bras droit, des difficultés considérables à mouvoir l’épaule gauche et des meurtrissures sur celle-ci. Il ajouta que la patiente éprouverait des maux durables, en particulier à l’épaule gauche. Il la mit en congé de maladie jusqu’au 8 février 1986. Le 10, le Dr Krauspe, médecin-chef de l’hôpital local, certifia l’avoir vue le 30 janvier 1986 et être arrivé à un diagnostic presque identique. I. LES POURSUITES PÉNALES CONTRE LA PREMIÈRE REQUÉRANTE Le 29 janvier 1986, l’agent de police (Polizeimeister) Bolte porta plainte contre la première requérante. Il l’accusait de résistance à un membre de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, au sens de l’article 113 du code pénal allemand (Strafgesetzbuch), et de conduite sous l’empire de l’alcool, au mépris de l’article 316. Dans son rapport il affirmait que Mme Klaas, une fois avisée de la nécessité de subir une analyse de son sang, avait essayé de s’échapper dans l’obscurité de l’arrière-cour, sur quoi il l’avait agrippée par le bras et immobilisée. Elle aurait montré une grande agressivité. Les policiers l’ayant informée qu’ils allaient l’arrêter, elle se serait soudain calmée et aurait déclaré qu’elle les accompagnerait après avoir amené sa fille, à qui M. Bolte donnait douze ans, chez une voisine. Les agents de police auraient accepté afin que les choses ne s’envenimassent point. Ils auraient suivi les requérantes jusqu’à l’entrée arrière de la maison. La première d’entre elles se serait apprêtée à pénétrer dans la demeure après sa fille et aurait cherché à refermer la porte, mais l’agent de police Wildschut aurait bloqué celle-ci et M. Bolte aurait saisi le bras droit de l’intéressée qu’il aurait tirée à l’extérieur. L’enfant serait montée à l’étage. Selon le rapport, Mme Klaas se serait débattue, aurait commençé à frapper et aurait tenté de se libérer de l’emprise du policier. M. Wildschut se serait emparé du bras gauche et l’aurait tordu derrière le dos, tandis que son collègue Bolte tenait fermement le bras droit. Ils auraient eu beaucoup de mal à la maîtriser, car elle résistait. Ils lui auraient passé les menottes pour éviter de nouvelles infractions pénales, en particulier des dommages corporels. Tandis qu’ils se dirigeaient vers la voiture de police, elle aurait voulu se jeter à terre et ils auraient dû l’empoigner par les bras. Un autre véhicule se serait alors présenté, mais dans l’intervalle la voisine de la requérante aurait proposé de prendre soin de l’enfant. A leur arrivée à l’hôpital de Lemgo, les policiers auraient constaté une éraflure sur la tempe droite de Mme Klaas. Le 22 avril 1986, le parquet (Staatsanwaltschaft) près le tribunal régional (Landgericht) de Detmold classa l’affaire pour deux raisons différentes: l’infraction de conduite sous l’empire de l’alcool ne se trouvait pas établie; quant à la résistance aux agents de police, la culpabilité de la première requérante était insignifiante (gering) et aucun intérêt général n’exigeait des poursuites pénales. En novembre 1986, l’autorité administrative compétente condamna Mme Klaas à une amende de 500 DM pour l’"infraction administrative" (Ordnungswidrigkeit) de conduite avec une alcoolémie de 0,82 g par litre, la limite légale étant de 0,8 g. Il suspendit en outre son permis de conduire pour un mois. Le tribunal de district (Amtsgericht) de Lemgo confirma cette ordonnance et la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Hamm, puis la Cour constitutionnelle (Bundesverfassungsgericht) rejetèrent les recours ultérieurs de l’intéressée. II. PROCÉDURES ENGAGÉES PAR LA PREMIÈRE REQUÉRANTE CONTRE LES AGENTS DE POLICE Le 24 avril 1986, la première requérante dénonça les agents de police concernés, pour coups et blessures contraires aux articles 223 et 230 du code pénal. Dans ses observations des 24 avril et 13 mai 1986, elle leur reprochait d’avoir usé d’une force disproportionnée, lui causant des lésions à la tête, à l’épaule gauche et au bras droit. Sa plainte fut classée le 10 juillet 1986 après une conversation téléphonique entre son avocat et un fonctionnaire du parquet, au cours de laquelle Mme Klaas retira ses allégations; le parquet l’avait, selon elle, avertie que sans cela les poursuites pénales ouvertes contre elle se prolongeraient. Le 18 juillet 1986, la première requérante déposa auprès du chef de l’administration du district (Oberkreisdirektor) de Detmold un recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) contre les agents qui l’avaient appréhendée. Elle affirmait avoir voulu attendre la venue de sa voisine à la porte, mais n’en avoir pas eu le loisir car le policier barbu lui avait tordu le bras derrière le dos et sa tête avait heurté le rebord en brique d’une fenêtre. Sur quoi elle aurait été entraînée de force vers la voiture de police où on l’aurait maintenue le dos contre l’arrière du véhicule. Le barbu aurait continué à lui pousser à intervalles réguliers l’épaule gauche vers l’arrière. A un moment donné, elle aurait été commotionnée. La prise de sang aurait révélé un taux d’alcoolémie de 0,8 g. L’intéressée estimait incompréhensible la violence employée contre une femme désarmée, que l’on envisageât les choses de manière objective ou subjective; on aurait dû se servir du moyen le plus clément d’atteindre le but recherché. En sa qualité d’autorité de police (Kreispolizeibehörde), le chef de l’administration du district de Detmold rejeta le recours le 18 septembre 1986. Sa décision relevait notamment que Mme Klaas avait cherché à fuir une fois informée qu’elle devrait se soumettre à une prise de sang. Cependant, l’un des policiers lui aurait saisi le bras et lui aurait dit qu’elle se trouvait en état d’arrestation. Ils lui auraient permis d’amener d’abord sa fille chez une voisine comme elle le souhaitait. Quand elle ouvrit la porte et essaya d’entrer avec l’enfant, l’un d’eux l’aurait agrippée par le bras droit, sur quoi elle aurait commencé à donner des coups de pied et à frapper de la main gauche. Lorsque les agents la maîtrisèrent, elle tenta de fuir. Il fallut lui passer les menottes. Au cours de l’arrestation, sa tête n’avait jamais heurté le rebord d’une fenêtre. En conclusion, l’usage de la force se justifiait et n’avait pas été disproportionné à l’objectif poursuivi, à savoir une prise de sang. III. L’ACTION CIVILE EN DOMMAGES-INTÉRÊTS INTENTÉE PAR LA PREMIÈRE REQUÉRANTE En avril 1987, la première requérante assigna le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, ainsi que les agents de police concernés, en dommages-intérêts pour les lésions corporelles subies le 28 janvier 1986. Par une décision partielle du 10 juillet 1987, le tribunal régional de Detmold la débouta de sa demande, au motif qu’un fonctionnaire agissant dans l’exercice de ses attributions ne peut voir engager sa responsabilité personnelle. Les débats eurent lieu le 9 octobre 1987. La voisine de la requérante fut la première à déposer. Elle dit avoir remarqué, en dépit du faible éclairage, le visage très marbré et couvert de larmes de Mme Klaas, avoir vu le policier blond maintenir les bras de celle-ci derrière le dos et avoir craint qu’elle ne s’évanouît à tout moment car ses genoux avaient ployé et elle s’était courbée brusquement en avant plusieurs fois. Interrogé plus avant, le témoin déclara qu’à en juger par son comportement l’intéressée avait dû terriblement souffrir. Elle s’était plainte de douleurs à l’épaule gauche et avait prié les agents de police de lui ôter les menottes. La voisine avait réitéré la demande, qu’ils avaient néanmoins écartée. Le policier Bolte confirma les faits tels qu’il les avait relatés dans son rapport du 29 janvier 1986 (paragraphe 9 ci-dessus). Il ajouta ne pas trop savoir si la première requérante avait à dessein évité de souffler assez longtemps dans l’appareil ou si elle avait éprouvé de réelles difficultés. D’après lui, elle ne s’était pas cogné la tête contre le mur quand il l’avait tirée au dehors, mais il ne s’expliquait toujours pas la contusion à la joue droite qu’il avait mentionnée dans son rapport. En réponse à de nouvelles questions il corrobora la déposition de la voisine, selon laquelle Mme Klaas avait sollicité le retrait des menottes; il précisa qu’ils avaient refusé par peur de complications. Selon lui, en revanche, elle ne s’était pas plainte de douleurs à l’épaule et ne s’était certes pas cogné la tête contre le mur. Il reconnut cependant qu’elle n’avait pas de lésion à la tête avant son interpellation; il ignorait si elle s’était blessée à la joue droite au cours de l’altercation qui avait eu lieu au moment où on lui passa les menottes. Il ne se rappelait pas qui tenait l’intéressée jusqu’à sa montée à bord de la voiture de police, ni si elle s’était soudain courbée en avant, par exemple en raison d’une secousse imprimée à ses menottes et de la douleur en résultant. Entendu ensuite par le tribunal, l’agent Wildschut confirma les circonstances générales de l’arrestation de la première requérante telles que les avait décrites son collègue Bolte; il ne pouvait pourtant dire qu’elle se fût enfuie. Après avoir ouvert la porte de devant elle avait tenté de la fermer derrière elle, mais il l’avait bloquée tandis que son collègue tenait l’intéressée avec vigueur. Une obscurité totale régnant dans les parages, il ne pouvait exclure que Mme Klaas eût heurté de la tête le mur ou autre chose. En tout cas, il n’avait rien constaté de semblable et n’avait remarqué que plus tard la blessure à la tête. La requérante avait résisté avec énergie à son arrestation; voilà pourquoi il l’avait empoignée par le bras gauche, qu’il avait tordu en le ramenant derrière le dos, puis lui avait passé les menottes dans cette position. Il ne se souvenait pas s’ils avaient opéré dans la cour ou s’ils avaient d’abord emmené Mme Klaas dans la rue. Elle avait effectivement réclamé le retrait des menottes, mais il ne se rappelait pas qu’elle se fût plainte de douleurs, en particulier à l’épaule gauche. Elle avait essayé, en vain, de leur fausser compagnie, mais il ne savait pas avec certitude qui la tenait pendant qu’ils attendaient le second véhicule de police. A de nouvelles questions, M. Wildschut répondit ne pas se souvenir si elle s’était brusquement courbée en avant à un moment où elle avait encore les menottes aux poignets. Elle avait résisté à son arrestation et décoché des coups quand il lui avait tordu le bras en le lui ramenant derrière le dos, mais il présumait qu’elle n’avait voulu frapper ni son collègue ni lui-même. Il nia lui avoir cogné la tête contre le rebord de la fenêtre. La seconde requérante, Monika, déposa en dernier. Elle se rappelait l’incident entre sa mère et les policiers dans l’arrière-cour. Elle déclara notamment que sa mère avait sonné à la porte et l’avait ouverte en utilisant une clé. Là-dessus, Monika était entrée dans la maison et avait fermé derrière elle. Elle ne s’était pas aperçue qu’un des agents avait laissé de force la porte ouverte. Après avoir fermé celle-ci, elle avait pu voir, à travers la vitre en verre ordinaire, l’un d’eux - un blond - cogner la tête de sa mère contre le mur. Elle souligna qu’il l’avait fait à plusieurs reprises, à l’aide de la main et contre le mur à côté de la porte. Sa mère et lui étaient à un mètre environ de celle-ci. Elle-même ne se trouvait pas exactement devant la vitre. Elle était ensuite montée en courant chez leur voisine. Sa mère, expliqua-t-elle en outre, se tenait à sa droite au moment où elle avait sonné et ouvert. Elle avait à peine entrebâillé la porte; Monika avait eu tout juste l’espace nécessaire pour s’introduire. Elle avait aussitôt refermé derrière elle. Elle ne reconnut pas MM. Bolte et Wildschut, mais crut se souvenir que le policier brun portait la barbe. Elle confirma que l’obscurité régnait dans la cour, mais précisa que l’escalier était éclairé. Elle n’avait vu aucun des agents tordre le bras de sa mère en le lui ramenant derrière le dos. Le 30 octobre 1987, le tribunal régional de Detmold débouta la première requérante de son action contre le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. Il s’exprima ainsi: "La demanderesse ne peut réclamer au Land défendeur aucune indemnité en vertu des articles 839 et 847 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch), combinés avec l’article 34 de la Loi fondamentale, pour faute de service des policiers Bolte et Wildschut envers elle. Le tribunal a certes la conviction que les blessures dont elle se plaint ont été causées lorsqu’ils l’ont appréhendée. En toute hypothèse, elle s’est retrouvée avec une éraflure à la tempe, une contusion de l’épaule gauche et sans doute aussi un traumatisme crânien; les témoins Bolte et Wildschut l’ont confirmé en partie et le Land défendeur ne semble d’ailleurs pas le contester sérieusement. La demanderesse a fort bien pu subir ces lésions à l’occasion de son arrestation. Il ne s’ensuit pourtant pas qu’une obligation de réparer pèse sur le Land défendeur. L’arrestation n’était pas illégale en soi. Même si la demanderesse ne voulait nullement s’enfuir, les agents ont eu le sentiment contraire. Ils la soupçonnaient d’une infraction pénale - conduite sous l’empire de l’alcool, délit réprimé par l’article 316 du code pénal - car ils avaient trouvé que son haleine sentait l’alcool. Sur la foi des déclarations crédibles des témoins Bolte et Wildschut, le tribunal part aussi de l’idée que le comportement de la demanderesse après les tentatives infructueuses d’alcootest, puis à la porte de sa maison, a donné aux deux témoins l’impression qu’elle comptait se soustraire à de plus amples investigations, à savoir la prise de sang, en s’échappant. Il conçoit qu’ils aient craint de graves complications au cas où elle réussirait à pénétrer dans l’immeuble sans eux. Tout d’abord, ils ne pouvaient savoir si elle les laisserait entrer chez elle. En second lieu, elle aurait pu consommer davantage d’alcool, ou du moins prétendre l’avoir fait, ce qui eût empêché, ou rendu beaucoup plus malaisé, le contrôle de son alcoolémie. Cela étant, l’arrestation n’apparaît pas non plus disproportionnée; elle constituait au contraire un moyen raisonnable d’assurer l’enquête ultérieure. Il incombe à la plaignante de prouver que les policiers, dans l’exercice initialement légal de leurs fonctions, ont passé la mesure en s’emparant d’elle avec trop de rudesse, lui causant de la sorte des dommages corporels, ou l’ont même blessée de propos délibéré. Un agresseur doit démontrer que la personne attaquée par lui est allée au-delà de ce dont elle avait besoin pour se défendre (Cour fédérale de Justice - Bundesgerichtshof -, Versicherungsrecht 1971, pp. 629 et s.). Selon le tribunal, cela vaut aussi pour une affaire comme la présente: quiconque réclame une indemnité au titre de blessures subies au cours de son arrestation légale doit établir que la police a transgressé les limites de ce qui était nécessaire et a provoqué ainsi lesdites lésions. Or la demanderesse n’a pu fournir pareille preuve. Sur la base des éléments recueillis, le tribunal n’a pas la conviction que les agents aient occasionné les blessures de la demanderesse en franchissant les bornes au moment où ils l’ont appréhendée. Quant à l’origine de l’éraflure, les déclarations du témoin Monika Klaas, fille de la demanderesse, contredisent celles des témoins Bolte et Wildschut. La première allègue avoir vu l’un d’eux cogner plusieurs fois la tête de la demanderesse contre le mur près de la porte d’entrée, mais ils le nient tous deux. On ne peut considérer aucun des trois comme n’ayant nul intérêt à la procédure: les deux policiers devraient certainement s’attendre à une procédure disciplinaire et à la réouverture des poursuites pénales contre eux si ces faits se révélaient exacts et le témoin Klaas a un intérêt naturel à soutenir l’action et les allégations de sa mère. Le tribunal n’aperçoit pas laquelle des deux versions correspond à la réalité. Il ne saurait donc aboutir à des constatations certaines. Le témoin Krüger [la voisine], qui n’a guère d’intérêt à l’affaire, n’a pu, dans sa déposition, confirmer la thèse de la demanderesse selon laquelle le témoin Wildschut lui avait tiré les bras vers le haut pendant qu’on lui passait les menottes. On ne saurait pas davantage dégager pareille conclusion du simple fait que selon Mme Krüger, la demanderesse se courba plusieurs fois brusquement en avant pendant que le témoin Wildschut se tenait derrière elle. Ni les probabilités ni les leçons de l’expérience ne militent non plus pour le récit de la demanderesse. Le tribunal ne juge au contraire nullement invraisemblable qu’elle se soit causé toutes ces blessures elle-même en se débattant quand on lui passa les menottes. Ce faisant, elle a très bien pu se cogner la tête contre le mur; elle a pu aussi se meurtrir l’épaule en résistant à la police lorsque celle-ci se saisit d’elle et lui mit les menottes. Par ces motifs, il échet de rejeter la demande." Le 21 septembre 1988, la cour d’appel de Hamm, déboutant la première requérante, confirma le jugement du tribunal régional de Detmold: Mme Klaas n’avait pas démontré que les policiers eussent usé contre elle d’une force excessive. Le 8 février 1989, un comité de trois membres de la Cour constitutionnelle fédérale refusa de statuer sur le recours de la première requérante, l’estimant dénué de chances suffisantes de succès. Il releva notamment que l’appréciation des preuves par la cour d’appel ne semblait ni arbitraire ni incompatible d’une autre manière avec le droit constitutionnel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérantes ont saisi la Commission le 11 juillet 1989. La première d’entre elles, Mme Hildegard Klaas, soutenait qu’au moment de son arrestation en présence de sa fille, Monika, la police lui avait infligé un traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 (art. 3), et qui avait aussi méconnu son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 (art. 8). Monika Klaas, la seconde requérante, prétendait que ledit traitement, subi par sa mère devant elle, avait violé son propre droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8) (art. 8) et avait en outre représenté pour elle-même un traitement inhumain et dégradant (article 3) (art. 3). La Commission a retenu la requête (no 15473/89) le 9 juillet 1991. Dans son rapport du 21 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut: - par dix voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la première requérante; - par dix voix contre cinq, qu’à l’égard de celle-ci nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 8 (art. 8); - par quatorze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la seconde requérante; - par huit voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) dans le chef de cette dernière. Le texte intégral de son avis, ainsi que des diverses opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 12 novembre 1992, le Gouvernement invite la Cour à dire "que les requérantes n’ont pas subi d’atteinte aux droits que leur garantissent les articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention".
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M. Giuseppe Scuderi habite Santa Maria delle Mole (province de Rome). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 6-9 de son rapport): "6. Par décret du ministre des Finances du 14 avril 1980, à l'issue d'une série de procédures ayant duré au total vingt-cinq ans, le requérant, fonctionnaire au ministère des Finances en retraite depuis 1973, se vit reconnaître rétroactivement le droit à un reclassement et, en conséquence, le droit à percevoir la différence de rétribution correspondante. Le 23 novembre 1982, il assigna le ministère des Finances, le ministère du Trésor et l'Ente Nazionale di Previdenza e Assistenza per i Dipendenti Statali (ENPAS) devant le tribunal administratif régional (TAR) du Latium en demandant la réévaluation des salaires qui lui étaient dus (...) Le 24 mai 1984, l'avocat de l'Etat, en défense des trois administrations assignées, déposa son acte de constitution. Le 2 octobre 1984, le TAR ordonna aux parties défenderesses de procéder à des investigations concernant la plainte du requérant. Le 17 octobre 1985, l'avocat de l'Etat présenta ses conclusions (...) Le 29 octobre 1985, le TAR fit droit à la demande de M. Scuderi et condamna le ministère des Finances et l'ENPAS au versement d'une somme établie selon les modalités indiquées dans la même décision. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 3 mars 1987." Notifiée aux parties les 12 et 13 mars 1987, ladite décision devint définitive le 13 mai 1987, à l'échéance du délai pendant lequel l'avocat de l'Etat aurait pu interjeter appel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Scuderi a saisi la Commission le 14 février 1987. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée des procédures qu'il avait engagées pour voir reconnaître son droit à un reclassement, ainsi que de l'action entamée par lui en 1982 devant le TAR du Latium. Le 14 octobre 1991, la Commission a retenu la requête (n° 12986/87) quant à ce dernier grief; elle l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 8 avril 1992 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 265-A de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE A. Événements ayant conduit à la cessation de l’emploi du requérant À partir de novembre 1973, M. Sibson, né en 1929, travailla pour Courtaulds Northern Spinning Ltd, anciennement Courtaulds Northern Textiles Ltd ("CNS"), en tant que chauffeur de poids lourd. A l’instar de quarante à cinquante collègues, il était affecté à Greengate, dans le Lancashire, où la société a un dépôt. Ses prestations donnèrent constamment pleine satisfaction. Jusqu’aux événements à l’origine du présent litige, il appartenait à la Transport and General Workers Union ("la TGWU"); de 1981 à 1984, il fut le secrétaire de sa section locale. En 1985, tous les salariés non cadres de Greengate, sauf un, adhéraient à ce syndicat. A l’époque, ce dépôt ne constituait pourtant pas un "closed shop" (paragraphe 17 ci-dessous). La dernière de deux versions de ses conditions d’emploi précisait du reste au requérant qu’il pouvait ne s’affilier à aucun syndicat et qu’on l’avertirait si la conclusion d’un accord de closed shop venait modifier ce droit. En mars 1985, un autre conducteur, M. D., aurait accusé l’intéressé d’avoir volé des fonds du syndicat quand il était secrétaire de la section locale de la TGWU. Là-dessus, M. Sibson la saisit d’une plainte selon laquelle M. D. avait "diffusé de fausses informations tendant à le discréditer" en tant que l’un de ses responsables, mais la commission contentieuse de la section (branch adjudication panel) la rejeta le 20 juillet 1985. Mécontent de cette décision, M. Sibson se retira de la TGWU par une lettre du 24 juillet pour adhérer à la United Road Transport Union. Certains de ses collègues le mirent immédiatement en quarantaine et d’autres l’entravèrent dans l’exécution de sa tâche. Entre juillet et octobre 1985, CNS essaya en vain d’aplanir le différend. Après une période de "paix troublée", une forte majorité des membres de la TGWU à Greengate se prononça, le 12 octobre, en faveur d’un accord de closed shop avec CNS et d’une action collective si M. Sibson continuait à travailler à ce dépôt passé le 25 octobre. Le 21 octobre, M. Dear, chef du personnel de CNS, rencontra le comité exécutif de la section du syndicat (branch committee of the union); ils convinrent que la menace de grève serait levée si le requérant s’affiliait à la TGWU ou exerçait comme chauffeur ailleurs qu’à Greengate. Le 22 octobre, l’intéressé dit à M. Dear qu’il ne rejoindrait pas le syndicat sans des excuses de M. D. et qu’il ne consentirait pas à l’autre solution proposée par M. Dear, à savoir une mutation à Chadderton, dépôt situé à environ deux kilomètres de Greengate. Par une lettre du même jour au requérant, M. Dear résuma les discussions qui avaient eu lieu jusque-là; précisa que CNS avait, par contrat, le droit de muter M. Sibson à Chadderton, où sa rémunération serait analogue à celle de Greengate; niait que le transfert constituerait une rétrogradation; et formait le voeu que le requérant réfléchît sérieusement à sa situation car "[son] licenciement [était] une possibilité". Des réunions ultérieures se déroulèrent avec la participation d’un haut fonctionnaire de l’Advisory, Conciliation and Arbitration Service (Service de consultation, de conciliation et d’arbitrage). Le requérant ne voulut pas accepter comme excuse une déclaration que signerait M. D. Au sujet de sa mutation éventuelle, il exprima des préoccupations quant aux conditions qui seraient les siennes à Chadderton et en particulier la crainte - que M. Dear lui certifia non fondée - de perdre le camion qu’il conduisait à l’époque et des indemnités pour les nuits passées loin de son domicile; il déclara en outre ne pouvoir affronter l’hostilité des autres chauffeurs qui, à coup sûr selon lui, persisterait à ce dépôt. Au cours d’une dernière réunion, le 8 novembre 1985, le requérant écarta les deux branches de l’alternative - maintien à Greengate après réaffiliation à la TGWU ou transfert à Chadderton - et suggéra que la direction le licenciât. M. Dear s’y refusa et ajouta que si l’intéressé se présentait à Greengate pour travailler, on le renverrait chez lui sans le payer. Citant le conseil de son solicitor, d’après lequel il s’agirait là d’un licenciement "virtuel" (constructive dismissal, paragraphe 19 ci- dessous), M. Sibson annonça qu’il allait démissionner avec effet immédiat; il le fit par une lettre du même jour. Il déclina une nouvelle offre de M. Dear, datée du 14 novembre: un emploi à Chadderton avec des perspectives inchangées de salaire et de frais. B. Procédures internes engagées par le requérant Le requérant saisit alors le tribunal du travail (Industrial Tribunal) d’un recours pour licenciement abusif (paragraphe 18 ci-dessous) contre CNS et la TGWU. Dans les motifs de sa demande, il se disait victime "d’un licenciement `virtuel’ pour avoir refusé une `mesure en deçà d’un licenciement’" (action short of dismissal, paragraphe 20 ci-dessous). Son représentant dans cette procédure n’avait pas de qualification juridique, l’assistance judiciaire n’existant pas en la matière. CNS et la TGWU prétendirent qu’un accord de closed shop se trouvait en vigueur (ce qui eût rendu tout licenciement non abusif, paragraphe 18 ci-dessous). CNS contesta aussi qu’il y eût eu licenciement "virtuel" ou "mesure en deçà d’un licenciement". Au cours d’une confrontation, M. Dear admit que nul motif d’exploitation n’obligeait à muter le requérant à Chadderton, le seul objectif consistant à éviter une grève; en l’absence de menace de grève, CNS eût laissé M. Sibson à Greengate et n’eût exercé aucune pression pour qu’il se réaffiliât à la TGWU. Le 21 juillet 1986, le tribunal du travail unanime accueillit la plainte pour licenciement abusif; il n’examina pas le bien-fondé de l’allégation d’une "mesure en deçà d’un licenciement". Il estima que M. Sibson était en droit de refuser de se réinscrire à la TGWU, nul accord de closed shop ne se trouvant en vigueur; que la demande de mutation à Chadderton était déraisonnable, parce qu’inspirée non par d’authentiques motifs d’exploitation mais par le simple souci d’éviter une grève; que CNS n’avait point le droit de suspendre le requérant sans salaire; que l’intéressé pouvait donc à juste titre se considérer comme licencié; et qu’il s’agissait d’un licenciement abusif car tenant à cela seul que M. Sibson avait usé de son droit explicite de ne pas adhérer à un syndicat. Le tribunal réserva la question des modes de redressement, le requérant ayant opté pour son réengagement (paragraphe 18 ci-dessous). Le 16 janvier 1987, la cour du travail (Employment Appeal Tribunal) rejeta un pourvoi de CNS à la majorité. Selon elle, le tribunal du travail n’avait commis aucune erreur juridique, ni mal instruit le dossier, et n’avait pas abouti à une conclusion déraisonnable. Le 25 mars 1988, la Court of Appeal accueillit à l’unanimité un recours de CNS, limité à la question de savoir s’il y avait eu licenciement "virtuel". Elle jugea que le contrat du requérant renfermait une clause implicite permettant à l’employeur d’ordonner à l’intéressé - pour un motif quelconque - de travailler à tout endroit d’où il pût rejoindre chaque jour son domicile sans trop de peine; le tribunal du travail avait versé dans l’erreur en estimant que seul un ordre raisonnable pouvait autoriser l’exercice de ce droit, condition qui ne se trouverait pas remplie s’il ne se fondait pas sur d’authentiques motifs d’exploitation. Au sujet de cette clause implicite "de mobilité", le Lord Justice Slade s’exprima ainsi: "Je ne vois pas comment M. Sibson aurait pu raisonnablement s’opposer à une clause conférant au contrat ce degré limité de souplesse au moment de son embauche en 1973. Si les éléments recueillis avaient révélé des circonstances particulières telles qu’à l’époque il importait pour lui de rester basé [à ...] Greengate (...) plutôt qu’à Chadderton par exemple, le tribunal du travail l’aurait sans aucun doute relevé." La Court of Appeal conclut que CNS avait agi dans le cadre de ses droits contractuels en exigeant la mutation du requérant à un dépôt voisin et que l’intéressé ne pouvait passer pour avoir subi un licenciement "virtuel". Nulle question de licenciement abusif ne surgissait donc. Le 15 avril 1988, M. Sibson sollicita l’aide judiciaire pour saisir la Chambre des Lords. Il l’obtint le 30 juin pour consulter un avocat sur les chances de succès d’un recours, mais le 8 août son conseil l’informa qu’il n’y en avait guère et qu’on ne l’autoriserait pas à se pourvoir. Un complément d’aide judiciaire lui fut donc refusé le 19 août. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent en vigueur au moment des événements à l’origine du présent litige peut se résumer ainsi. A. Les closed shops Un closed shop est une entreprise ou un lieu de travail dans lesquels il existe un "accord d’appartenance syndicale", c’est-à-dire un accord ou arrangement entre un ou des syndicats et un ou des employeurs ou associations d’employeurs, en vertu duquel les salariés d’une catégorie déterminée sont en pratique obligés d’appartenir ou adhérer à un syndicat désigné (article 30 de la loi de 1974, modifiée, sur les syndicats et les relations du travail (Trade Union and Labour Relations Act)). B. Le licenciement abusif La loi de 1978 sur la protection de l’emploi (Employment Protection (Consolidation) Act, "la loi de 1978") prévoyait que sous réserve d’exceptions étrangères au cas d’espèce, "tout salarié a le droit de ne pas être abusivement licencié par son employeur" (article 54); le dédommagement offert à la victime d’un licenciement abusif consistait en une indemnité ou, si elle le voulait et si le tribunal du travail le jugeait bon, en sa réintégration ou son réengagement (article 68). Avant de prescrire une réintégration ou un réengagement, le tribunal devait rechercher notamment si l’employeur pouvait en pratique se conformer à pareil ordre (article 69). Aux termes de l’article 58 par. 1 c) de la loi de 1978, tel que l’a remplacé l’article 3 de la loi de 1982 sur l’emploi: "Sous réserve de l’alinéa 3, le licenciement d’un salarié par un employeur est, aux fins de la présente partie, réputé abusif si son motif (ou, s’il y en a plusieurs, le motif principal) est que le salarié (...) c) n’était pas syndiqué, ou membre d’un syndicat désigné, ou d’un syndicat parmi plusieurs désignés, ou avait refusé, ou se proposait de refuser d’en devenir ou d’en rester membre." A titre d’exception à ce qui précède, l’article 58 par. 3 de la loi de 1978 énonçait une règle fondamentale: le renvoi d’un salarié pour refus d’adhérer à un syndicat désigné ou d’y demeurer était réputé non abusif lorsqu’il existait un "accord d’appartenance syndicale" (c’est-à-dire un closed shop, paragraphe 17 ci-dessus). La loi de 1988 sur l’emploi a abrogé ce texte avec effet au 26 juillet 1988, donc après les événements à l’origine du présent litige. Pour apprécier le caractère abusif d’un licenciement, le tribunal du travail devait ne tenir aucun compte des pressions - une menace de grève par exemple - exercées sur l’employeur pour qu’il congédiât le salarié; si toutefois un tiers, un syndicat notamment, avait usé de telles pressions parce que le salarié n’y était pas affilié, il pouvait se voir mettre en cause et sommer de payer la totalité ou une fraction de l’indemnité octroyée au salarié (articles 63 et 76A de la loi de 1978). C. Le licenciement "virtuel" La notion de licenciement "virtuel" se trouvait englobée dans l’article 55 par. 2 c) de la loi de 1978, ainsi libellé: "(...) le salarié est traité comme s’il était licencié par son employeur lorsque (...) il résilie [son] contrat, avec ou sans préavis, dans des circonstances l’autorisant à le faire sans préavis en raison du comportement de l’employeur." Un comportement déraisonnable de l’employeur ne suffit pas à cet égard; il doit s’agir d’un manquement important, touchant à la substance même du contrat de travail ou montrant que l’employeur ne veut plus être lié par une ou plusieurs de ses clauses essentielles (Lord Denning, Master of the Rolls, dans Western Excavating (E.C.C.) Ltd v. Sharp, Industrial Cases Reports 1978, p. 221, interprétant une disposition antérieure mais identique). D. Mesure "en deçà d’un licenciement" L’article 23 par. 1 c) de la loi de 1978, tel que l’a modifié l’article 10 par. 4 de la loi de 1982 sur l’emploi, conférait au salarié (y compris, d’après l’article 153 par. 1 de la loi de 1978, une personne dont l’emploi avait cessé) le droit "à ne pas voir son employeur prendre contre lui, en tant qu’individu, une mesure (en deçà d’un licenciement) destinée à l’obliger à s’affilier à un syndicat quelconque ou à un syndicat désigné (...)". Les recours fondés aboutissaient à l’octroi d’une indemnité pouvant couvrir, outre le préjudice matériel, des éléments tels que l’atteinte à la réputation et aux sentiments, et s’élevant au montant que le tribunal estimait juste et équitable vu l’ensemble des circonstances. Des dispositions relatives à l’existence d’un closed shop et à l’exercice de pressions sur l’employeur, analogues à celles applicables dans l’hypothèse d’un licenciement abusif (paragraphe 18 ci-dessus), valaient aussi en la matière. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Sibson a saisi la Commission le 17 octobre 1988. Selon lui, l’obligation qui lui était faite de s’affilier à la TGWU, ou d’accepter sa mutation à un autre dépôt, violait les droits garantis par l’article 11 (art. 11) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14327/88) le 9 avril 1991. Dans son rapport du 10 décembre 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut, par huit voix contre six, à l’absence d’infraction à l’article 11 (art. 11). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 26 octobre 1992, l’intéressé a invité la Cour "à confirmer la recevabilité de la plainte, accueillir le grief tiré de l’article 11 (art. 11) et octroyer pleine réparation au titre de l’article 50 (art. 50) (...)". Le Gouvernement, quant à lui, a prié la Cour de dire "que la requête est irrecevable au regard de l’article 26 (art. 26) de la Convention ou, subsidiairement, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 (art. 11)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Pardo réside à Marseille. Il y a exploité jadis, en son nom personnel, un fonds de commerce à l’enseigne "Les Techniques du Son" en même temps qu’il dirigeait de fait la société anonyme Telec, et ce jusqu’à la mise en liquidation des deux entreprises, déclarée respectivement les 27 janvier 1982 et 28 octobre 1981. Saisi par le syndic de la liquidation des biens de la Telec, le tribunal de commerce de Marseille estima, le 27 juin 1983, qu’il y avait lieu d’appliquer à l’encontre du requérant l’article 99 de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (paragraphe 19 ci-dessous), fixant à 5 000 000 francs (f) le montant de la participation de l’intéressé à l’insuffisance d’actif. Le 26 juillet 1983, M. Pardo, suivi le 12 octobre par le syndic, interjeta appel; il déposa des conclusions le 7 février 1984. Le 26 octobre 1984, le conseiller de la mise en état prononça la clôture de l’instruction. Le 3O octobre 1984, le requérant invita la cour d’appel d’Aix-en-Provence à révoquer cette ordonnance et à surseoir à statuer dans l’attente de la solution d’une procédure pénale ouverte contre lui pour des délits de banqueroute. A l’audience du 9 novembre 1984 - dont le Gouvernement a produit devant la Cour le plumitif -, son avocat n’aurait plaidé que sur la demande de sursis. La cour d’appel prononça son arrêt en audience publique le 15 janvier 1985, sans tenir d’autres débats. Elle rejeta d’abord ladite demande au motif qu’il n’existait pas de lien entre les poursuites pénales mentionnées et les problèmes juridiques posés par l’application de l’article 99 précité: quel que dût être le résultat du procès répressif, il n’exercerait aucune influence sur la mise en jeu de la responsabilité du dirigeant social. Quant au fond, elle releva notamment, à l’instar du tribunal de Marseille, que la société en cause nourrissait l’ambition de conquérir le marché des télécommunications sans en avoir les moyens financiers et que l’intéressé avait déployé beaucoup d’énergie pour se procurer des crédits bancaires et avait poursuivi, de manière irréalisable et imprudente, une activité vouée à empirer la situation et à creuser le déficit. Considérant qu’il était fautif de maintenir aveuglément un objectif chimérique en l’absence du moindre espoir de redressement, elle confirma l’obligation de comblement partiel du passif de la société, imposée à M. Pardo. En outre, elle condamna le frère et la soeur de ce dernier à couvrir les dettes à concurrence respectivement de 1 000 000 et 1 500 000 f, les déclarant eux aussi responsables tandis que le jugement du 27 juin 1983 les avait exonérés. Par une lettre du 24 janvier 1985 au premier président de la cour d’appel, M. Pardo critiqua l’arrêt ainsi rendu. Il expliquait que lors de l’audience du 9 novembre, son avocat "avait demandé un sursis à statuer, sur lequel (...) le président de la 8e chambre avait accepté de délibérer, envisageant même, le cas échéant, de consacrer une journée ultérieurement pour que cette affaire revienne et puisse être plaidée au fond". Il le priait en conséquence de lui accorder une entrevue. Le magistrat lui répondit, par un courrier du 28 janvier 1985, que la procédure s’était déroulée régulièrement et qu’en tout cas la rencontre sollicitée n’apparaissait pas opportune. Le requérant recueillit alors le témoignage d’avocats présents à l’audience du 9 novembre. Le sien propre, Me de Chesse, lui écrivit le 25 mars 1985 pour attester que le président avait déclaré que le dossier serait renvoyé soit à une date lointaine, en cas d’octroi du sursis, soit à une date proche avec cette seule affaire au rôle, compte tenu de l’importance des pièces à examiner. Il précisait que la cour n’avait devant elle que ses deux jeux de conclusions alors que son dossier de plaidoirie comportait treize cotes épaisses de 14 cm. De son côté, Me Davin, conseil d’un des autres administrateurs de la société mis en cause, confirma, en répondant le 22 avril 1985 à une lettre que Me de Chesse lui avait adressée le 25 mars mais dont le requérant n’a pu produire une copie, que ladite audience s’était bien passée de la manière indiquée dans son courrier. Un autre avocat, Me Roussel, absent lors de l’appel des causes mais qui aurait dû plaider pour le requérant, certifia par missive du 29 avril 1985 que le 9 novembre 1984, vers 9 heures, son client lui avait téléphoné pour le dissuader de se déplacer, étant donné que l’affaire allait être renvoyée. Le requérant demanda par deux fois à recevoir une copie des documents d’audience (plumitif et rôle), mais en vain. M. Pardo se pourvut en cassation. Il reprochait à la cour de n’avoir pas répondu à ses conclusions concernant le fond de l’affaire; il alléguait en outre une violation des droits de la défense, pour la raison que les débats avaient porté uniquement sur le sursis à statuer. La chambre commerciale de la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 15 juillet 1986: en l’état des énonciations faites sur le fond du litige et sans méconnaître les droits de la défense, la cour d’appel, en appréciant la partie des dettes sociales à laisser à la charge des dirigeants, avait répondu aux conclusions invoquées; les deux moyens n’étaient donc pas fondés. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code de commerce L’article 99 de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes, en vigueur à l’époque considérée, se lisait ainsi: "Lorsque le règlement judiciaire ou la liquidation des biens d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut décider, à la requête du syndic, ou même d’office, que les dettes sociales seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants sociaux, de droit ou de fait, apparents ou occultes, rémunérés ou non, ou par certains d’entre eux. (...) Pour dégager leur responsabilité, les dirigeants impliqués doivent faire la preuve qu’ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l’activité et la diligence nécessaires." Tel que l’a modifié la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, ce texte, figurant sous le n° 180, dispose désormais: "Lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d’entre eux. (...)" B. Le nouveau code de procédure civile Les dispositions pertinentes du nouveau code de procédure civile, en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes: Article 542 "L’appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d’appel un jugement rendu par une juridiction du premier degré." Article 561 "L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit." Article 563 "Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves." Article 763 "L’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée. Celui-ci a pour mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces. Il peut entendre les avocats et leur faire toutes communications utiles. Il peut également, si besoin est, leur adresser des injonctions." Article 779 "Dès que l’état de l’instruction le permet, le juge de la mise en état renvoie l’affaire devant le tribunal pour être plaidée à la date fixée par le président ou par lui-même s’il a reçu délégation à cet effet. Le juge de la mise en état déclare l’instruction close. La date de la clôture doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries. Le juge de la mise en état demeure saisi jusqu’à l’ouverture des débats." Article 782 "La clôture de l’instruction (...) est prononcée par une ordonnance non motivée qui ne peut être frappée d’aucun recours. Copie de cette ordonnance est délivrée aux avocats." Article 783 "Après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office. Sont cependant recevables (...) les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture. (...)" Article 784 "L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue (...) (...) L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal." Article 899 "Les parties sont tenues, sauf dispositions contraires, de constituer avoués. La constitution de l’avoué emporte élection de domicile." Article 909 "Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées par l’avoué de chacune des parties à celui de l’autre partie; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avoués constitués. Copie des conclusions est remise au secrétariat-greffe avec la justification de leur notification." Article 910 "L’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 et par les dispositions qui suivent." Article 954 "Les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels ces prétentions sont fondées. La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. La partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 12 novembre 1986 (n° 13416/87), M. Pardo alléguait la violation de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: il n’aurait pas eu la possibilité de plaider sur le fond devant la cour d’appel, alors que le président avait annoncé une audience. Il se prétendait en outre victime d’une atteinte à la présomption d’innocence, consacrée par l’article 6 par. 2 (art. 6-2), en raison de l’application de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 en l’espèce. Le 1er mars 1991, la Commission a déclaré irrecevable le second grief, pour incompatibilité avec les dispositions de la Convention (article 27 par. 2) (art. 27-2); elle a en revanche retenu le premier. Dans son rapport du 1er avril 1992 (article 31) (art. 31), elle relève, à l’unanimité, une infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir déclarer mal fondée la requête". De son côté, le requérant a prié la Cour: "- de dire et juger qu’il y a bien eu violation par la France des dispositions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, à l’égard de M. Ernest Pardo notamment, - d’ordonner l’inscription de la décision à intervenir en marge de toutes celles inéquitables qui ont été rendues par les juridictions françaises internes, - d’apprécier le caractère intentionnel de cette violation au regard des faits exposés et au regard de la jurisprudence de la Cour, pour en tenir compte lors de la détermination en équité de la demande de satisfaction équitable."
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I. Les circonstances de l'espèce Avocat, M. Adolfo Katte Klitsche de la Grange habitait Rome jusqu'à son décès, le 31 décembre 1989. Il possédait une grande partie du parc de Cibona, situé sur le territoire des communes d'Allumiere et de Tolfa (province de Rome). La présente affaire ne concerne que les terrains situés dans cette dernière, à savoir 68,87 hectares de forêt, de terres agricoles et "stériles" et de prairies. Le 9 juillet 1966, le conseil municipal de Tolfa approuva, à l'unanimité, un projet de lotissement dudit parc, présenté par le requérant, ainsi que le texte d'une convention destinée à régler, notamment, la répartition des charges financières pour la réalisation des infrastructures nécessaires à l'opération. Le 18 novembre 1967, la Commission permanente pour l'agriculture, les forêts et l'économie de montagne de la Chambre de commerce de Rome autorisa le lotissement pour une superficie de 16 hectares en se réservant d'examiner une autre demande dès lors qu'elle porterait sur tout le reste de la propriété. Le 15 mars 1968, le ministère des Travaux publics informa la commune qu'il n'entendait pas soulever d'objections à l'encontre de la proposition de convention. Signée le 10 mai 1968, la convention exigeait "l'approbation de l'autorité forestière pour la partie boisée restante des fonds de l'intéressé" et "le respect des limitations découlant de toute autre disposition législative qui devait être considérée intégralement transcrite". Cette dernière réserve se référait notamment "à la loi d'urbanisme [n° 1150 du 17 août 1942] et à ses modifications et ajouts successifs", y compris la loi n° 765 du 6 août 1967 et l'arrêté (decreto) du ministre des Travaux publics du 2 avril 1968, ainsi qu'aux "lois en matière de protection des sites naturels et historiques". M. de la Grange était en outre tenu d'accepter tout "changement de la convention requis par la loi ou par des motifs raisonnables et non controuvés d'intérêt public". Le requérant entama alors la réalisation des infrastructures nécessaires au lotissement (routes, recherche et adduction d'eau potable, raccordement électrique, pose d'une ligne téléphonique, égouts, etc.) et la transformation du bois de taillis en bois d'arbres de haut fût. De nombreuses parcelles du parc furent vendues - 130 sur les 202 qu'il comptait - et les autorités compétentes accordèrent, entre 1968 et 1976, 61 permis de construire, dont 3 à M. de la Grange. Le 28 juin 1969, le conseil municipal de Tolfa adopta son plan d'occupation des sols (le "POS"), qui excluait une partie des biens du requérant de la zone dénommée RE1, destinée à la "construction résidentielle". Le 23 septembre 1974, M. de la Grange demanda au conseil régional du Latium de corriger les planimétries annexées au POS en y intégrant tous les terrains couverts par la convention de 1968. Le conseil refusa le 18 juillet 1975. Dans sa décision, publiée le 20 octobre 1975, il précisait que rien n'empêcherait la commune de Tolfa de prendre en considération une requête similaire lors de l'adoption d'une variante éventuelle audit plan. A. Les procédures devant les juridictions administratives La procédure au fond Le 14 février 1976, arguant du défaut de motifs d'intérêt public justifiant les nouveaux choix de l'administration locale par rapport à la convention de 1968, M. de la Grange s'adressa au tribunal administratif régional (le "TAR") du Latium qui, le 14 juillet 1976, annula le plan pour autant qu'il concernait la propriété du requérant. Saisi par la commune de Tolfa, le Conseil d'Etat confirma le jugement attaqué par un arrêt du 14 février 1978. La convention de lotissement était valable aux termes de la législation en vigueur et revêtait donc un caractère contraignant pour la commune. Celle-ci gardait certes, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière d'urbanisme, le droit de changer en tout ou en partie le POS, mais elle était tenue de spécifier les motifs qui l'avaient amenée à modifier ses choix antérieurs, choix qui avaient eu pour conséquence de "consolider des positions juridiques dans le chef de personnes privées". Or le plan litigieux était dépourvu d'une motivation idoine. Les planimétries ne furent pas corrigées. Le 15 mai 1979, en application de la loi régionale n° 43 du 2 septembre 1974 portant "Mesures pour la protection et le développement du patrimoine boisé", le conseil régional du Latium classa le parc de Cibona parmi les sites à protéger, interdisant notamment la chasse et la pêche, la coupe d'arbres, l'ouverture de carrières ainsi que toute construction. Le 12 février 1980, M. de la Grange et certains des propriétaires des terrains concernés par la décision susmentionnée en demandèrent l'annulation au TAR. Par un jugement du 19 janvier 1983, déposé au greffe le 2 février 1983, cet organe déclara le recours irrecevable par défaut d'intérêt: la décision contestée ne portait pas atteinte à la situation des propriétaires des terrains réputés boisés, puisqu'elle ne définissait pas précisément les parcelles visées; un préjudice ne pouvait découler pour les demandeurs que de mesures complémentaires refusant d'autoriser une certaine utilisation des fonds en raison des limitations prévues par la loi et après vérification de leurs caractéristiques. L'intéressé ne se pourvut pas contre cette décision devant le Conseil d'Etat. La procédure tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif régional du 14 juillet 1976 Le 14 juillet 1984, M. de la Grange saisit à nouveau le TAR. Il demandait que la commune de Tolfa fût "obligée de conformer à la convention de 1968 les planimétries annexées au POS (...), et de délivrer les permis de construire sur lesquels elle ne s'était pas encore prononcée". Il exigeait en outre la nomination d'un commissaire ad acta en cas de non-exécution du jugement du 14 juillet 1976. Le 28 novembre 1984, le tribunal déclara la requête "irrecevable par défaut d'intérêt": sa décision de 1976 était automatiquement exécutoire et avait rétabli "la situation juridique (...) antérieure à l'acte annulé"; l'administration défenderesse n'était donc pas tenue de corriger des documents qui n'avaient plus de valeur normative. Il précisa que la question relative aux permis de construire "n'était pas couverte par le jugement susmentionné", de sorte qu'il incombait au requérant d'entamer une autre procédure pour obtenir une réponse à ce sujet. Saisi par l'intéressé, le Conseil d'Etat confirma la décision du TAR le 25 février 1986. B. La procédure devant les juridictions civiles Le 9 mai 1978, M. de la Grange avait assigné la commune de Tolfa et la région Latium devant le tribunal de Rome. En ordre principal, il sollicitait la réparation des dommages résultant de ce qu'un acte illégal - le POS de 1969 - l'avait injustement privé du droit de bâtir sur une partie du parc de Cibona. A titre subsidiaire, il soutenait que, en supprimant également son droit de vendre les lots prévus, les mesures litigieuses constituaient une expropriation de fait et par conséquent indemnisable. Les défenderesses plaidèrent l'incompétence des juridictions civiles, le demandeur pouvant se prétendre titulaire non d'un "droit" mais d'un simple "intérêt légitime" dont l'examen est réservé aux juges administratifs. Saisie par le requérant, le 12 septembre 1979, de la question préjudicielle de compétence, la Cour de cassation rendit son arrêt le 29 janvier 1981; le texte fut déposé au greffe le 7 mai. Elle jugea que "même en présence d'une convention de lotissement, la réglementation du droit de bâtir n'affectait pas un droit du propriétaire, mais seulement un intérêt légitime de ce dernier". Les juridictions civiles ne pouvaient donc examiner la demande de l'intéressé qu'à une condition: affirmer que l'interdiction absolue de construire frappant ses terrains avait vidé de toute substance le droit de propriété et constituait une expropriation de fait ouvrant droit à indemnisation. Le 7 juillet 1981, M. de la Grange reprit l'instance devant le tribunal de Rome qui le débouta le 1er mars 1982. Son appel, du 15 juin 1982, et son pourvoi en cassation, du 21 décembre 1984, échouèrent les 4 juillet 1984 et 11 novembre 1985, respectivement. Dans son arrêt déposé le 13 mai 1986, la Cour de cassation rappela que les décisions de l'administration en matière d'urbanisme et de permis de construire n'affectaient pas des "droits" mais seulement des "intérêts légitimes" des propriétaires des terrains concernés. Hormis le cas où de tels actes pouvaient anéantir la "valeur économique d'usage ou d'échange d'un bien", les limitations au droit de propriété qui en découlaient ne pouvaient s'analyser en une expropriation et donner lieu à indemnisation. En l'espèce, la suppression totale du droit de bâtir résultant du POS avait dès le début une portée limitée dans le temps, conformément aux articles 7 et 40 de la loi d'urbanisme, tels que modifiés par la loi n° 1187 du 19 novembre 1968 (paragraphe 30 ci-dessous). Par conséquent, le requérant n'avait subi aucune expropriation de facto et ne pouvait prétendre à aucune indemnité, pour atteinte à un "droit". Quant à l'interdiction de construire découlant de la délibération du conseil régional du Latium du 15 mai 1979 (paragraphe 16 ci-dessus), elle ne pouvait donner lieu à une indemnité pour expropriation. Elle touchait en effet une catégorie de biens - une zone boisée ayant un intérêt particulier en raison de sa végétation - dont la propriété subit des limitations intrinsèques et qui est censée n'avoir jamais comporté un droit de bâtir. II. Le droit interne pertinent A. La jurisprudence relative à la réglementation du droit de bâtir L'arrêt rendu par la Cour de cassation dans la présente affaire le 11 novembre 1985 (Il Foro Italiano - "Foro It." - n° 3169/86, 1986, I, col. 3022) résume les principes, posés par sa jurisprudence et celle de la Cour constitutionnelle, s'appliquant en matière de réglementation du droit de bâtir. Il rappelle tout d'abord "que selon une jurisprudence bien établie (Cour de cassation n° 2951/81 [29 janvier 1981 - paragraphe 23 ci-dessus]), les propriétaires de terrains sont ab origine titulaires d'un simple intérêt légitime, face au pouvoir de l'administration d'utiliser le territoire à des fins de construction et d'urbanisme". La situation du particulier ne peut jamais s'élever au point de le rendre titulaire d'un droit subjectif sous l'angle de l'atteinte alléguée au droit de propriété comme droit de vendre (jus vendendi) et comme droit de bâtir (jus aedificandi). Par conséquent, la "réduction de l'un ou de l'autre" résultant de l'imposition par l'administration de limitations ou d'interdictions, n'ouvre jamais droit à réparation. Certes, le propriétaire peut subir des dommages parfois même importants, mais ceux-ci ne sauraient être indemnisés car il appartient à l'Etat d'harmoniser le droit de construire des particuliers avec l'intérêt général à un développement ordonné du territoire. La Cour constitutionnelle, elle, a créé une forme de protection de l'individu à l'égard des restrictions qui, y compris dans le domaine de l'urbanisme, vident de toute substance le droit de propriété, du moins pour la "faculté de bâtir" L'administration garde le pouvoir d'imposer des limitations jugées utiles, mais quand le droit de propriété se trouve anéanti, il y a place pour l'application du troisième alinéa de l'article 42 de la Constitution, qui prévoit une obligation d'indemnisation en cas d'expropriation. Les points saillants en la matière sont les suivants: a) La loi détermine les catégories de biens susceptibles de relever de la propriété privée et celles qui ne le sont pas (Cour constitutionnelle, arrêt n° 55/68, Foro It. 1968, I, col. 1361). Dans ce dernier cas, les propriétaires concernés peuvent ne pas être indemnisés ou dédommagés. b) Tout en admettant la propriété privée de certains biens, la loi peut restreindre l'usage de ceux-ci "afin d'en assurer la fonction sociale". Elle peut donc prévoir une interdiction totale de construire. Elle peut aussi limiter de façon importante la jouissance et même la vente de certains biens, par exemple les oeuvres d'art. Aucune indemnisation n'est prévue pour le particulier dont les biens ont été touchés (Cour constitutionnelle, arrêts n°s 56/68, Foro It. 1968, I, col. 1361, 202/74, Foro It. 1974, I, col. 2245, et 245/76, Foro It. 1977, I, col. 581). c) La loi admet l'expropriation à la double condition qu'elle soit justifiée par un motif d'intérêt général et que l'exproprié soit indemnisé. d) Si, à la suite d'un acte administratif visant un bien déterminé, l'intéressé garde la propriété mais avec des restrictions telles que la valeur économique, d'usage ou d'échange, dudit bien est pratiquement réduite à néant, on parle d'"expropriation de valeur" (espropriazione di valore). Celle-ci ouvre droit à une indemnisation. Cette hypothèse se réalise lorsque la limitation est très grave - interdiction absolue - et qu'elle est prévue pour une période indéterminée ou se prolonge au-delà des limites raisonnables. En revanche, il n'y a pas de dommage indemnisable lorsque la restriction est à durée illimitée mais n'a pas une incidence aussi profonde sur le droit en question, ou encore est appelée à disparaître dans un délai raisonnable, même si elle est qualitativement très sévère. Dans son arrêt du 29 janvier 1981 concernant le conflit de juridiction soulevé par M. de la Grange (paragraphe 23 ci-dessus), la Cour de cassation a déclaré ce qui suit: d'abord, le requérant ne pouvait se prévaloir d'aucun droit à réparation pour les dommages prétendument subis du fait de l'atteinte à son droit de propriété dans ses deux aspects du "jus aedificandi" et du "jus vendendi" par suite de l'illégalité du POS litigieux; ensuite, dans la mesure où M. de la Grange faisait valoir que ledit plan avait eu pour effet de vider de tout contenu son droit de propriété et constituait une "expropriation de valeur", il appartenait aux juridictions ordinaires de statuer sur le point en question et de fixer, le cas échéant, le montant de l'indemnité à accorder. Statuant au fond le 11 novembre 1985 (paragraphe 24 ci-dessus), la Cour suprême estima qu'en l'espèce on se trouvait bel et bien devant une interdiction absolue de bâtir. Toutefois elle constata que le POS avait une validité limitée dans le temps, conformément à la loi n° 1187 du 19 novembre 1968 (paragraphe 30 ci-dessous), de sorte que les restrictions y relatives étaient forcément temporaires et que leur durée apparaissait raisonnable. Par conséquent, les deux conditions nécessaires pour que l'on pût parler d'"expropriation de valeur" ne se trouvaient pas réunies, et le requérant ne pouvait prétendre de ce chef à une indemnité. B. La loi d'urbanisme La loi n° 1150 du 17 août 1942 réglemente le développement urbanistique du territoire. De nombreux amendements, dont les plus pertinents concernent la durée des POS, y ont été apportés. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle a constaté, dans son arrêt n° 56 du 29 mai 1968, l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de ladite loi en ce qu'elles ne prévoyaient aucune indemnisation pour les limitations aux biens ayant un effet immédiat, présentant une durée indéterminée et revêtant un caractère d'expropriation. Modifiés par la loi n° 1187 du 19 novembre 1968, les articles 7 et 40 de la loi d'urbanisme se lisent ainsi: Article 7 "Les dispositions du plan d'occupation des sols qui touchent des terrains donnés ou qui assujettissent ces mêmes biens à des limitations comportant l'interdiction de bâtir, perdent leur efficacité si, dans un délai de cinq ans de l'adoption, les plans détaillés ou les conventions de lotissement n'ont pas été approuvés." Article 40 "Aucune indemnisation n'est prévue pour les limitations et les interdictions découlant des plans d'occupation des sols (...)" En ce qui concerne le régime des autorisations forestières, il y a lieu de citer l'article 14 du décret royal du 16 mai 1926, aux termes duquel: "Les demandes visant la levée des limitations hydrogéologiques doivent être présentées aux chambres de commerce par l'intermédiaire des maires des communes intéressées. Après en avoir assuré la publication pendant 30 jours dans les registres municipaux, les maires les communiquent auxdites chambres (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. de la Grange a saisi la Commission le 10 novembre 1986. Il se plaignait: a) d'une atteinte à ses biens causée par l'interdiction de construire qui frappa ses terrains et de l'absence de réparation des dommages qu'il aurait subis (article 1 du Protocole n° 1) (P1-1); b) d'une discrimination par rapport aux propriétaires de fonds de nature différente ou autrement situés (articles 14 de la Convention et 1 du Protocole n° 1, combinés) (art. 14+P1-1); c) d'une violation de son droit à un procès équitable résultant de la non-exécution de l'arrêt du Conseil d'Etat ainsi que de la durée des procédures engagées devant les juridictions administratives et civiles (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1); d) de ce que les limitations imposées à son droit de propriété ne visaient pas l'intérêt général et le pénalisaient sans raison (article 18 de la Convention) (art. 18). Le 20 octobre 1992, la Commission a retenu la requête (n° 12539/86) quant au premier grief et à la deuxième partie du troisième; elle l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 6 avril 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (huit voix contre trois), à raison de l'absence de réparation des dommages résultant de l'interdiction de bâtir qui frappa les terrains du requérant jusqu'au 14 février 1978 et produisit ses effets jusqu'au 15 mai 1979, ainsi que de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention quant à la durée de la procédure civile engagée devant le tribunal de Rome le 9 mai 1978 (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 293-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 20 janvier 1994, le Gouvernement a prié la Cour "de bien vouloir dire et juger que le grief tiré de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) est irrecevable et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ou, subsidiairement, qu'il n'y a pas eu méconnaissance de ces deux dispositions".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Introduction Citoyen suédois, M. Göran Ravnsborg est chargé de cours à l’Université et réside à Lund, en Suède. Mandataire général de sa mère adoptive, Mme Karin Schieck, depuis la fin de 1981, il fut nommé curateur (god man) de l’amie de celle-ci, Mme Marie Åkerblom, le 19 novembre 1982. Devenues l’une et l’autre incapables de s’en sortir seules à cause de leur âge avancé, la municipalité de Göteborg les plaça dans un hospice qui leur factura des frais de soins médicaux; le requérant effectua les paiements correspondants. Quand par la suite il s’aperçut qu’il s’agissait d’une oeuvre de bienfaisance, il arrêta ses versements au motif qu’elle n’y avait pas droit. Un litige surgit entre lui et l’hospice, lequel engagea une action judiciaire. En cours d’instance, le Conseil supérieur des tutelles (Överförmyndarnämnden - "le Conseil") de Göteborg invita le tribunal de district (tingsrätten) de la même ville, le 6 avril 1987, à désigner un curateur pour Mme Schieck. Pour son propre compte et pour celui de l’intéressée, le requérant introduisit une demande reconventionnelle et sollicita la révocation immédiate des membres du Conseil. S’appuyant sur l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il réclama une audience publique. Par trois fois pendant les procédures qui s’ensuivirent, les juridictions compétentes lui enjoignirent, en vertu de l’article 5 du chapitre 9 du code de procédure judiciaire (rättegångsbalken; paragraphes 19-20 ci-dessous), de payer des amendes pour les déclarations malséantes (otillbörliga) figurant dans les observations écrites qu’il leur avait adressées. Elles se prononcèrent sous la forme de décisions (beslut). Il paraît s’être exécuté. B. La première amende Dans un mémoire du 4 mai 1987 au tribunal de district, M. Ravnsborg déclara notamment que l’on pouvait dépeindre le Conseil comme un "panier d’oeufs municipaux pourris de différentes couleurs ayant un dénominateur commun et une idéologie dominante: le fascisme". D’après lui, les droits et intérêts légitimes des administrés de la commune - à supposer que les autorités, intoxiquées par le pouvoir, y prêtassent le moins du monde attention - n’étaient jamais dûment pris en compte et il n’y avait donc jamais d’examen sérieux des besoins de la collectivité. En conséquence, ceux-ci étaient définis par des "tribunaux du peuple" élus de manière prétendument démocratique, dénommés "conseils" et "comités" de la municipalité de Göteborg où siégeraient, "dans une proportion étonnante, de la racaille publique locale" ou de "vrais oeufs pourris". Jugeant les affirmations du requérant "malséantes" au sens de l’article 5 du chapitre 9 du code de procédure judiciaire, le tribunal de district lui ordonna, le 18 mai 1987, de payer une amende de 1 000 couronnes suédoises. Il ne tint pas de débats et sursit à statuer sur le fond de l’affaire (paragraphe 15 ci-dessous). C. La deuxième amende Le 1er juin 1987, M. Ravnsborg attaqua cette décision devant la cour d’appel de Suède occidentale (Hovrätten för Västra Sverige). Il demanda une audience et se plaignit de ne pas avoir eu la possibilité de se défendre lui-même oralement devant le tribunal de district. Dans ses observations écrites, il avertit la cour que si elle le déboutait il exercerait un nouveau recours (sans doute devant la Cour suprême) afin de pouvoir présenter sa cause à la Commission de Strasbourg ou au Comité des Droits de l’Homme à Genève. Il se donnait fort peu de chances de recevoir l’autorisation de former son pourvoi, eu égard à l’attitude "généralement léthargique [,] (...) molle et allergique de la juridiction suprême", conséquence de "l’endoctrinement anti-droits de l’homme subi par ses membres durant leurs nombreuses années au service de l’administration publique". Le 4 novembre 1987, sans débats préalables, la cour d’appel confirma la décision du tribunal de district et enjoignit à l’intéressé de verser une deuxième amende de 1 000 couronnes, estimant que les observations écrites du 1er juin 1987 renfermaient, elles aussi, des remarques malséantes et préjudiciables au bon ordre des procédures judiciaires. Là-dessus, il sollicita auprès de la Cour suprême l’autorisation de la saisir, au motif que les juridictions du premier et du second degré avaient violé non seulement son droit à un procès équitable, mais en outre sa liberté d’expression. Il essuya un refus le 5 janvier 1988. D. La troisième amende Dans l’intervalle, le 17 juin 1987, le tribunal de district avait accueilli, sans audience, les objections de M. Ravnsborg et Mme Schieck contre la désignation d’un curateur, mais avait écarté la demande de révocation des membres du Conseil (paragraphe 8 ci-dessus). Le 2 juillet 1987, le requérant adressa à la cour d’appel, pour lui-même comme pour Mme Schieck, un recours tendant au renvoi de la cause devant le tribunal de district et à la tenue de débats devant ce dernier. A cette occasion, il réclamait le réexamen de l’affaire par un tribunal de district spécialement composé, car il souhaitait en récuser plusieurs membres. Selon lui, l’un d’eux, qu’il nommait, avait "une manière de présider profondément tendancieuse et fasciste" et témoignait "par son esprit tyrannique, son terrorisme et ses principes réactionnaires, d’une partialité grossière en faveur des intérêts municipaux, de la corruption collégiale et de l’abus d’autorité publique". Lorsqu’y avaient siégé ledit magistrat et certains autres, cités eux aussi par leur nom, le tribunal s’était en général montré autocratique et, en appliquant le droit, avait fait lourdement prévaloir les thèses des autorités municipales. La cour débouta M. Ravnsborg le 4 novembre 1987, par une décision distincte de celle que relate le paragraphe 13 ci-dessus. En outre, elle lui ordonna derechef de payer 1 000 couronnes pour ses remarques malséantes. Elle ne tint pas d’audience. Pour son propre compte et pour les héritiers de Mme Schieck, décédée le 7 juillet 1987, le requérant pria la Cour suprême de lui permettre de la saisir. Elle s’y refusa le 5 janvier 1988, par une décision distincte de celle que vise le paragraphe 14 ci-dessus. II. DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal Aux termes de l’article 1 du chapitre 1 du code pénal (brottsbalken), "Constitue une infraction (brott) tout acte pour lequel le présent code ou tout autre texte législatif prévoit l’une des peines (straff) mentionnées ci-dessous." D’après l’article 3, par répression des infractions (påföljd för brott) on entend les types ordinaires de peines, dont les amendes et l’emprisonnement. B. Atteintes au bon ordre des procédures judiciaires A l’époque des faits, l’article 5 du chapitre 9 du code de procédure judiciaire se lisait ainsi: "Quiconque, lors d’une audience, trouble les débats, prend des photos dans le prétoire ou néglige de se conformer aux instructions ou interdictions édictées au titre de l’article 9 du chapitre 5, se voit enjoindre de payer une amende. Encourt la même peine (straff) quiconque, dans ses observations orales ou écrites à la juridiction, s’exprime de manière malséante." D’après l’article 9 du chapitre 5, le président peut expulser du prétoire une personne qui trouble les débats ou se comporte de manière déplacée. Les amendes imposées en vertu de l’article 5 ne pouvaient excéder 1 000 couronnes suédoises (article 9 du chapitre 9, tel qu’il s’appliquait à l’époque), à la différence des amendes ordinaires du droit pénal, dont le montant dépendait du revenu. La question de la juridiction compétente en matière d’atteintes au bon ordre des procédures judiciaires (rättegångsförseelser) se trouve régie par l’article 5 du chapitre 19 - "Partie II. De la procédure en matière pénale" ("II. Om rättegangen i brottmål") - du code de procédure judiciaire. D’après ce texte, il appartient à la juridiction - civile, pénale ou autre - devant laquelle a eu lieu le comportement inconvenant de rechercher d’office s’il s’analyse en une telle atteinte. Aux termes de l’article 1 du chapitre 20 (Partie II du code), "Le tribunal ne peut examiner la question de la responsabilité pénale en l’absence d’accusation pénale. En revanche, il peut se prononcer sur des atteintes au bon ordre des procédures judiciaires même sans pareille accusation." En l’espèce, les juridictions internes ont suivi la procédure définie par la loi de 1946 sur le traitement des questions judiciaires (lagen om handläggning av domstolsärenden 1946:807 - "la loi de 1946"), dont l’article 1 énonce: "La présente loi s’applique aux questions d’administration de la justice dont les juridictions inférieures ordinaires doivent connaître d’office ou sur requête et qui, d’après les textes légaux ou réglementaires, ne doivent pas se traiter selon la procédure prévue en matière civile ou pénale; toutefois, elle ne s’applique pas à la question des peines ni aux autres conséquences attachées aux infractions pénales." Si la juridiction saisie constate qu’une personne a enfreint l’article 5 du chapitre 9, elle peut aussitôt lui enjoindre de payer une amende. Semblable mesure ne figure pas au casier judiciaire. C. Audiences dans les instances relatives aux atteintes au bon ordre des procédures judiciaires D’après le paragraphe 2 de l’article 4 de la loi de 1946, la juridiction compétente peut tenir audience si elle estime nécessaire d’entendre l’intéressé. Aux termes de l’article 5, les dispositions régissant les débats en matière civile trouvent à s’appliquer dans ce cas. D. Conversion des amendes Une amende infligée au titre de l’article 5 du chapitre 9 du code de procédure judiciaire peut être remplacée par une peine de prison, sous réserve des conditions définies dans la loi de 1979 sur le recouvrement des amendes (bötesverkställighetslagen 1979:189 - "la loi de 1979"), modifiée par la loi 1983:352. D’après les articles 15 et 16 de la loi de 1979, le tribunal de district doit, sur requête du procureur, convertir, par voie de décision (beslut), une amende non recouvrée en une peine d’emprisonnement s’il est manifeste que le débiteur a omis à dessein de la payer ou s’il existe d’autres raisons spéciales, tenant à l’intérêt public, d’opérer semblable conversion. Pareille peine ne peut être inférieure à quatorze jours, ni supérieure à trois mois. Lorsqu’il se trouve saisi d’une telle demande, le tribunal de district doit inviter à une audience le parquet et la personne mise en cause (article 17). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Ravnsborg a saisi la Commission le 2 juillet 1988. Il se plaignait d’abord de s’être vu dénier tout débat dans les procédures relatives aux amendes, au mépris de l’article 6 (art. 6) de la Convention, et de n’avoir pas eu l’occasion de combattre les accusations portées contre lui. Selon lui, la cour d’appel avait aussi enfreint ce même texte en refusant d’organiser une audience publique avant de trancher la question de la désignation d’un curateur. Il alléguait en outre que l’infliction des amendes avait méconnu l’article 10 (art. 10) de la Convention (droit à la liberté d’expression) et l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (droit de propriété). Il invoquait enfin l’article 7 (art. 7) de la Convention, affirmant que les mesures incriminées se fondaient sur des dispositions non valides. Le 10 octobre 1990, la Commission a déclaré le deuxième grief irrecevable. Le 9 janvier 1992, elle a retenu le premier mais rejeté la requête (no 14220/88) pour le surplus. Dans son rapport du 10 décembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par onze voix contre sept, à l’inapplicabilité et donc à la non-violation de l’article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Virgílio da Silva Pontes, ressortissant portugais né en 1917, était employé de banque au moment des faits. Il réside à Évora. Le 12 novembre 1975, alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture en compagnie de M. José Gonçalves Martins Moreira, il entra en collision avec un autre véhicule appartenant à M. António dos Reis et piloté par M. Francisco Techana. Blessé, il fut hospitalisé jusqu’au 31 mai 1976. Il subit plusieurs interventions chirurgicales, dont une à Londres en décembre 1978. Depuis l’accident, il a une jambe plus courte que l’autre de 5 cm et demeure frappé d’une invalidité permanente de 58 % qui l’a empêché de reprendre le travail. 9. Informé de l’accident par la police locale, le parquet près le tribunal de première instance d’Évora engagea des poursuites pénales contre les deux conducteurs pour dommages corporels involontaires. Un décret-loi d’amnistie entraîna le classement de l’affaire en 1976. La procédure de déclaration a) Devant le tribunal de première instance Le 20 décembre 1977, MM. Silva Pontes et Martins Moreira ("les demandeurs") assignèrent au civil, devant le tribunal de première instance d’Évora, M. Techana, M. dos Reis, la société Gestetner, pour le compte de laquelle le trajet s’effectuait, et la compagnie d’assurances "Imperio", dont la responsabilité était limitée par contrat à 200 000 escudos ("les défendeurs"). Le requérant réclamait une indemnité de 536 345 escudos, ainsi que les montants à liquider lors de la procédure d’exécution (liquidação em execução de sentença) pour tous les frais futurs résultant de la collision. En application de l’article 68 du code de la route, l’action devait être examinée selon la procédure sommaire, qui se caractérise par la réduction de certains délais (articles 783 à 792 du code de procédure civile et arrêt Guincho c. Portugal du 10 juillet 1984, série A no 81, p. 8, par. 10). A l’issue de la phase préparatoire et des débats (pour une description détaillée de la procédure, voir l’arrêt Martins Moreira c. Portugal du 26 octobre 1988, série A no 143, pp. 8-13, paras. 11-29), le tribunal de première instance d’Évora rendit son jugement le 1er octobre 1982. Déclarant partiellement fondée l’action de MM. Silva Pontes et Martins Moreira, il condamna solidairement les défendeurs à payer au requérant une indemnité de 540 000 escudos, dont 140 000 représentaient le montant réévalué du dommage matériel et 400 000 le préjudice moral. Il réserva pour la procédure ultérieure d’exécution, conformément à l’article 661 par. 2 du code de procédure civile (paragraphe 20 ci-dessous), la question du remboursement des frais de transport exposés par les demandeurs pour recevoir des soins après l’accident. b) Devant la cour d’appel d’Évora Le 13 octobre 1982, le requérant et M. Martins Moreira attaquèrent le jugement devant la cour d’appel d’Évora. Sans contester les faits établis en première instance, ils se plaignaient de l’insuffisance des sommes allouées. Après avoir déclaré recevables, le 19 octobre 1982, leur recours et celui de la société Gestetner, la cour d’appel débouta M. Silva Pontes le 30 mai 1985 tandis qu’elle augmenta l’indemnité à verser au codemandeur. c) Devant la Cour suprême Le 13 juin 1985, la société défenderesse Gestetner se pourvut devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça), que de leur côté les demandeurs saisirent le 11 juillet d’un recours "subordonné" ("recurso subordinado"). La Cour suprême rendit son arrêt le 5 février 1987. Vu l’invalidité permanente dont les demandeurs restaient frappés à la suite de l’accident, elle leur donna gain de cause sur ce point et leur accorda une indemnité supplémentaire, à déterminer lors de la procédure d’exécution, pour les dommages découlant de la réduction de leur capacité de travail et de locomotion, dont le montant n’avait pu être calculé en première instance. Son arrêt fut notifié au requérant le 9 février. La procédure d’exécution Le 28 octobre 1987, le requérant et M. Martins Moreira, en l’absence de paiement volontaire par les débiteurs, prièrent le tribunal d’Évora d’assurer le versement de la fraction déjà chiffrée de l’indemnité, "sans préjudice du surplus une fois recueillis les éléments nécessaires à sa liquidation (article 810 du code de procédure civile)"("sem prejuizo de logo que recolhidos os necessários elementos, deduzirem liquidação da restante (arto 810o do C.P. Civil)"). Ils énumérèrent les biens saisissables de la société Gestetner. La saisie, réclamée par commission rogatoire à Lisbonne, se révéla impossible: le 18 janvier 1988, le tribunal compétent constata que ladite société faisait l’objet d’une procédure de faillite. Le 23 décembre 1988, le requérant indiqua au juge du tribunal d’Évora les biens saisissables de M. dos Reis et demanda l’envoi d’une commission rogatoire destinée à placer sous la main de la justice ceux d’entre eux qui se trouvaient dans le ressort du tribunal de Vila Franca de Xira. Le 4 janvier 1989, ledit juge ordonna la saisie des meubles et d’un immeuble sis dans le ressort d’Évora; elle eut lieu les 8 et 17 mars 1989. Il délivra en outre la commission rogatoire sollicitée. Le 30 mars 1989, Mme dos Reis, mariée sous le régime de la communauté (comunhão geral de bens), invita le juge, en vertu de l’article 825 par. 3 du code de procédure civile (paragraphe 20 ci-dessous), à prononcer la séparation de son patrimoine de celui de son époux. Elle demanda en outre la suspension de l’instance jusqu’au partage des biens du couple. Le partage se poursuivit jusqu’au 19 décembre 1989, date à laquelle le requérant et M. Martins Moreira conclurent avec les défendeurs un règlement amiable en exécution duquel M. dos Reis leur versa 8 500 000 escudos à titre de dédommagement total. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT On trouvera ci-après une traduction des principales dispositions du code de procédure civile mentionnées en l’espèce: Article 2 (Correspondance entre le droit et l’action) "A tout droit, sauf lorsque la loi en décide autrement, correspond une action destinée à le faire reconnaître judiciairement ou à le réaliser par la contrainte, tout comme par les mesures nécessaires pour sauvegarder l’effet utile de l’action." Article 4 (Classification des actions selon leur fin) "1. Les actions tendent à une déclaration (declarativas) ou à une exécution (executivas). Les actions en déclaration peuvent tendre à une simple appréciation, à une condamnation ou à la constitution d’un droit (constitutivas). Elles visent: a) [les premières,] à voir uniquement déclarer qu’un droit ou un fait existe ou non; b) [les deuxièmes,] qui supposent ou préviennent la violation d’un droit, à exiger la remise d’une chose ou l’accomplissement d’un acte; c) [les troisièmes,] à autoriser la modification d’une situation juridique existante. Les actions en exécution sont celles dont l’auteur requiert les mesures adéquates à la réparation effective du droit violé." Article 661 (Limites de la condamnation) "1. (...) S’il n’y a pas d’éléments pour fixer la nature ou le montant [de la réparation], le tribunal condamne à une somme qui sera déterminée dans la procédure ultérieure d’exécution, sans préjudice d’une condamnation immédiate pour la partie déjà liquide." Article 806 (Liquidation par le tribunal) "1. Lorsque l’obligation n’est pas liquide et que sa liquidation ne dépend pas de simples opérations arithmétiques, le demandeur doit mentionner dans la requête introductive de la procédure d’exécution les sommes qu’il estime comprises dans la prestation due et conclure par une demande d’un montant déterminé. (...)" Article 810 (Règles applicables au cas où une partie est liquide et l’autre non) "1. Si une partie de l’obligation n’est pas liquide et l’autre l’est, la seconde peut être exécutée directement. Lorsque la procédure d’exécution porte uniquement sur la partie chiffrée, la liquidation de l’autre partie, si elle est requise pendant l’exécution, est demandée par incident; au cas où celui-ci ferait l’objet d’un recours, il y a lieu d’y joindre une copie certifiée du titre exécutif et, au cas où l’exécution se fonde sur un jugement, les mémoires et conclusions des parties." Article 825 (Saisie de la moitié des biens du couple) "1. (...) (...) les biens communs peuvent être immédiatement saisis à condition que le créancier les ait énumérés dans les biens saisissables et ait requis la citation du conjoint du débiteur aux fins d’une demande éventuelle en séparation de biens. Dans un délai de dix jours suivant cette citation, le conjoint doit demander la séparation ou joindre un certificat prouvant que dans le cadre d’une autre procédure pendante ladite séparation a déjà été requise, à défaut de quoi l’exécution se poursuit sur les biens saisis. Après le dépôt de la demande ou du certificat, l’exécution est suspendue jusqu’au partage (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 16 janvier 1989. Il s’en prenait à la durée de la procédure civile qu’il avait introduite le 20 décembre 1977 devant le tribunal de première instance d’Évora; il l’estimait contraire à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 14940/89) le 19 mai 1992. Dans son rapport du 1er décembre 1992 (article 31) (art. 31), elle relève, par dix-huit voix contre une, une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour de dire "1. que le requérant n’était pas en mesure de faire examiner la durée de la procédure de déclaration, du fait qu’il n’a pas respecté le délai fixé à l’article 26 (art. 26) de la Convention; que la procédure d’exécution n’a pas pour objet la décision des contestations sur les droits et obligations de caractère civil, tel qu’on doit interpréter la portée de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention; que de toute façon, il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention". De son côté, le requérant demande à la Cour, "conformément à l’avis de la Commission et à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Martins Moreira, dont les points en litige et les faits sont les mêmes qu’en l’espèce, (...) de conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissante autrichienne, Mme Ortenberg est propriétaire d'une maison d'habitation à Leonding, près de Linz (Haute-Autriche). A. Les procédures administratives Le 12 septembre 1980, le conseil municipal de Leonding adopta un plan d'occupation des sols (Flächenwidmungsplan) qui qualifia de constructible une zone comprenant cinq parcelles (725/3-7) jouxtant la propriété de la requérante. Le 30 janvier 1981, il se prononça en faveur d'un plan de réglementation des constructions (Bebauungsplan) qui autorisa l'édification de maisons en terrasses sur ce terrain. Par la suite, le maire de la ville accorda des permis de construire à chaque propriétaire de parcelle. Mme Ortenberg interjeta appel (Berufung) de ces décisions devant le conseil municipal, contestant notamment la légalité des plans d'occupation des sols et de réglementation des constructions et se plaignant des nuisances importantes qui résulteraient pour elle des bâtiments envisagés. Le conseil la débouta. La requérante formula alors des réclamations administratives (Vorstellungen) devant le gouvernement du Land de Haute-Autriche. Par des décisions (Bescheide) des 27 mai (parcelle 725/7), 8 juillet (parcelle 725/6), 3 septembre (parcelle 725/5), 14 octobre (parcelle 725/4) et 22 octobre 1982 (parcelle 725/3), ce dernier les rejeta, faute de violation des droits subjectifs de voisinage de Mme Ortenberg, prévus par les articles 23 par. 2 et 46 par. 3 de la loi de 1976 sur les normes de construction du Land de Haute-Autriche (Oberösterreichische Bauordnung - paragraphe 15 ci-dessous). Il précisa que, selon les experts, les nuisances provoquées par le bruit, la poussière et les odeurs ne dépasseraient pas les normes locales applicables et que les maisons envisagées se conformaient au plan de réglementation des constructions. B. Les procédures juridictionnelles Mme Ortenberg se pourvut devant la Cour constitutionnelle quant aux parcelles 725/6 et 725/7, alléguant la violation de ses droits constitutionnels et l'application de règlements illégaux (gesetzwidrige Verordnungen). Parallèlement, elle intenta trois recours (Beschwerden) devant la Cour administrative (parcelles 725/3, 725/4 et 725/5). Elle dénonçait une violation de ses droits subjectifs de voisinage, en raison des nuisances dues à la construction d'une voie d'accès attenant à sa propriété et qui n'auraient pas été correctement évaluées par les experts, mais aussi du non-respect de certaines normes en matière de construction. Le 2 octobre 1985, la Cour constitutionnelle, doutant de la conformité des plans d'occupation des sols et de réglementation des constructions à la loi d'aménagement du Land de Haute-Autriche (Oberösterreichisches Raumordnungsgesetz), suspendit la procédure engagée devant elle et décida de procéder à un examen de leur légalité. Elle indiqua notamment qu'aux termes de cette loi, un reclassement en terrain constructible de la zone verte en question ne pouvait s'envisager que s'il servait des intérêts publics prédominants, ce qui n'avait pas été le cas en l'espèce. Le 3 décembre 1985, la Cour administrative saisit également la Cour constitutionnelle, lui demandant d'annuler les règlements relatifs aux plans ci-dessus mentionnés, car ils valaient aussi pour les parcelles 725/3, 725/4 et 725/5. Le 19 mars 1986, la Cour constitutionnelle joignit l'ensemble des procédures dont il s'agit et, statuant sur le renvoi de la Cour administrative, conclut à la légalité des plans d'occupation des sols et de réglementation des constructions. D'après elle, le terrain jouxtant les parcelles en question, d'une superficie trois fois supérieure, ayant été classé zone constructible dès 1971 par le conseil municipal de Leonding, l'autorité administrative n'avait procédé qu'à un élargissement minime de l'espace constructible, ce qui n'allait pas à l'encontre de la loi d'aménagement du Land de Haute-Autriche. Simultanément, la cour rejeta les recours de Mme Ortenberg, faute de violation de ses droits constitutionnels, et la renvoya devant la Cour administrative (parcelles 725/6 et 725/7). Cette dernière débouta l'intéressée par des arrêts des 30 septembre (parcelle 725/5) et 14 octobre 1986 (parcelles 725/3 et 725/4), qui contenaient les motifs suivants: "(...) Le voisin disposant d'un droit subjectif fondé sur le droit public au respect de la disposition mentionnée ci-dessus [article 23 par. 2 de la loi de 1976 sur les normes de construction du Land de Haute-Autriche] et qui, par principe, doit être pris en compte lors de la procédure de délivrance du permis de construire, (...) vu les circonstances de l'espèce, il s'agissait de rechercher si l'intensification de la circulation automobile, causée par la construction envisagée, sur la voie d'accès devant longer le terrain de la requérante, allait constituer pour cette dernière une source de nuisance considérable (...) Il ressort des conclusions portant sur la question du bruit, figurant dans les observations de la sous-division du gouvernement du Land de Haute-Autriche (du 23 mai 1982), compétente en matière de protection contre les nuisances, que la voie reliant le garage à la jonction avec la route du Zaubertal a une longueur de 48 m, que la distance moyenne de cette voie à l'habitation de la requérante est d'environ 25 m, et qu'en présumant une vitesse moyenne de 5 km/h il faut environ 35 secondes pour parcourir la distance entre le garage et la jonction avec la voie publique (...) (...) (...) Compte tenu du fait que la requérante s'est abstenue de contester par des déclarations concrètes, pendant la procédure, les conclusions déjà exposées de l'expert, la cour ne saurait attacher une importance fondamentale - au sens de l'article 42 par. 2, alinéa 3 b) et c), de la loi sur la Cour administrative, et justifiant de ce fait l'annulation de la décision contestée - au fait que, contrairement à la demande exprimée par la requérante, l'intensité du bruit de fond n'ait pas été mesurée, ni aux insuffisances alléguées de l'expertise médicale, d'autant moins que la requérante n'a pas établi les raisons qui auraient amené les autorités compétentes, à supposer qu'il en fût allé autrement, à conclure que le surcroît de circulation automobile - dont la très faible importance est incontestée - aurait entraîné une nuisance considérable pour la requérante sur sa propriété (...) Compte tenu de l'interdiction de présenter des éléments nouveaux résultant de l'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative, la cour ne saurait se prononcer sur l'allégation de la requérante, selon laquelle la moyenne horaire estimée à 40 véhicules automobiles circulant de jour sur la route du Zaubertal est tout à fait surestimée. (...) Ni dans sa réclamation administrative contre cette décision [du conseil municipal de Leonding] ni dans son recours, la requérante n'a établi de manière concrète le bien-fondé de ses réclamations. Aussi, le caractère substantiel de la violation alléguée des règles de procédure, au sens de l'article 42 par. 2, alinéa 3, de la loi sur la Cour administrative, ne pouvant être décelé, le présent recours fondé sur une prétendue violation des règles de procédure (Verfahrensrüge) ne saurait entraîner l'annulation de la décision contestée. (...) En conséquence, le présent recours s'avère non fondé dans son ensemble et doit donc être rejeté, conformément à l'article 42 par. 1 de la loi sur la Cour administrative. (...)" Le 28 octobre 1986, la Cour administrative rejeta également les recours de Mme Ortenberg concernant les parcelles 725/6 et 725/7, qui lui avaient aussi été soumis par la Cour constitutionnelle, en reprenant les motifs exposés dans ses précédents arrêts (paragraphe 13 ci-dessus). II. Le droit interne pertinent A. La loi sur les normes de construction du Land de Haute- Autriche Deux dispositions de la loi de 1976 sur les normes de construction du Land de Haute-Autriche entrent en ligne de compte en l'espèce: Article 23 "(1) Tous les bâtiments doivent être planifiés et construits de manière à respecter, compte tenu de l'état des connaissances techniques, les exigences normales auxquelles de pareils bâtiments doivent correspondre en matière de sécurité, de solidité, de protection contre l'incendie, d'isolation calorifuge et sonore, de santé, d'hygiène, de protection de l'environnement et de la "Zivilisation", et de manière à ne pas porter atteinte à l'aspect des lieux et du paysage (...) (2) En particulier, tous les éléments d'une construction doivent être planifiés et construits de manière à éviter, dans la mesure du possible, toutes atteintes à l'environnement. Sont ainsi qualifiées celles qui sont de nature à (...) créer des nuisances considérables pour la collectivité et, en particulier, pour les utilisateurs des bâtiments et le voisinage, telles que (...) le bruit (...)" Article 46 "(1) (...) (2) Les voisins peuvent soulever des objections contre la délivrance d'un permis de construire au motif que le projet de construction est de nature à violer leurs droits subjectifs. Ceux-ci peuvent être fondés sur le droit privé (objections de droit privé) ou sur le droit public (objections de droit public). (3) Dans la procédure de délivrance du permis de construire, les objections de droit public soulevées par les voisins ne doivent être prises en compte que si elles reposent sur des dispositions du droit de la construction, d'un plan d'occupation des sols ou d'un plan de réglementation des constructions qui ne servent pas seulement l'intérêt public, mais aussi celui du voisinage. Elles incluent, en particulier, l'ensemble des dispositions concernant le type de construction, les utilisations possibles du terrain à bâtir, la situation du projet de construction, les distances par rapport aux parcelles limitrophes et bâtiments voisins, la hauteur des bâtiments, leur exposition à la lumière et leur aération ainsi que les dispositions concernant la protection de la santé et celle du voisinage contre les nuisances." B. Les recours devant la Cour constitutionnelle Sur requête (Beschwerde), la Cour constitutionnelle recherche si une décision administrative (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti par la Constitution, ou a appliqué un règlement (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien (article 144 par. 1 de la Constitution fédérale - Bundesverfassungsgesetz). C. Les recours devant la Cour administrative Selon l'article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît notamment des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte administratif. L'article 41 par. 1 de la loi sur la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshofsgesetz) est ainsi libellé: "Dans la mesure où elle ne relève aucune illégalité résultant de l'incompétence de l'autorité défenderesse ou de violations de règles de procédure (article 42 par. 2, alinéas 2 et 3) (...), la Cour administrative examine la décision attaquée en se fondant sur les faits constatés par ladite autorité et sous l'angle des griefs soulevés (...). Si elle estime que des motifs, non encore révélés à l'une des parties, peuvent être déterminants pour statuer [sur l'un de ces griefs] (...), elle entend les parties à ce sujet et, au besoin, suspend la procédure." Aux termes de l'article 42 par. 2 de la même loi, "La Cour administrative annule la décision attaquée, si celle-ci est illégale 1) par son contenu, [ou] 2) en raison de l'incompétence de l'autorité défenderesse, [ou] 3) à cause d'un vice de procédure résultant: a) de ce que l'autorité défenderesse a tenu pour établis des faits qui, sur un point essentiel, se trouvent démentis par le dossier, ou b) de ce qu'il échet de les compléter sur un tel point, ou c) de ce que l'autorité défenderesse a méconnu des règles de procédure dont le respect aurait pu l'amener à prendre une décision différente." La procédure consiste pour l'essentiel en un échange de mémoires (article 36). Si l'une des parties le demande, la Cour administrative peut tenir une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). Si la cour annule la décision incriminée, "l'administration est tenue (...) en utilisant les moyens légaux à sa disposition, d'assurer sans délai, dans le cas d'espèce, la situation juridique correspondant à l'opinion (Rechtsansicht) exprimée par la Cour administrative" (article 63 par. 1). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Ortenberg a saisi la Commission le 10 septembre 1986. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle se plaignait de ne pas avoir eu accès à un tribunal doté de la plénitude de juridiction et de ne pas avoir bénéficié d'un procès équitable. Elle dénonçait en outre une atteinte à son droit de propriété, tel qu'il est garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 29 juin 1992, la Commission a retenu la requête (n° 12884/87) quant au grief soulevé sur le terrain de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 14 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'absence de violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne l'accès à un tribunal (quinze voix contre une) et le caractère équitable de la procédure (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions concordantes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 295-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à dire "que l'article 6 (art. 6) de la Convention ne s'applique pas en l'espèce et, en ordre subsidiaire, qu'il n'y a pas eu violation du droit de la requérante à ce que sa cause fût entendue par un tribunal ni de son droit à un procès équitable garantis par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (...)". De son côté, la requérante prie la Cour "1) de constater que la requérante (...), dans la procédure concernant la construction de maisons d'habitation sur le terrain attenant à sa propriété et du fait des décisions rendues par la Cour constitutionnelle et la Cour administrative dans le cadre de cette procédure, a été lésée dans a) son droit à ce que sa cause fût entendue par un tribunal au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, appelé à décider sur ses droits de caractère civil, b) son droit à être entendue équitablement, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi que c) son droit au respect de ses biens, conformément à l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (...) 2) d'accorder à la requérante, conformément à l'article 50 (art. 50) de la Convention, un dédommagement approprié d'un montant de 1 140 000 schillings autrichiens, plus un montant correspondant aux frais de procédure, et de condamner la République d'Autriche à verser cette somme à la requérante (...)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Otto-Preminger-Institut für audiovisuelle Mediengestaltung (OPI), est une association de droit privé autrichien établie à Innsbruck. Ses statuts la désignent comme un organisme à but non lucratif dont l’objectif général est de promouvoir la créativité, la communication et le divertissement par les médias audiovisuels. Elle gère notamment un cinéma appelé "Cinematograph" à Innsbruck. Elle annonça une série de six projections, accessibles au grand public, du film Das Liebeskonzil ("Le Concile d’amour"), de Werner Schroeter (paragraphe 22 ci-dessous). La première était programmée pour le 13 mai 1985. Toutes devaient avoir lieu à 22 heures, sauf une fixée au 19 mai à 16 heures. Cet avis parut dans un périodique distribué par OPI à ses 2 700 membres et fut affiché dans diverses vitrines à Innsbruck, dont celle du Cinematograph lui-même. Il était ainsi libellé: "La tragédie satirique d’Oskar Panizza, qui se déroule au paradis, a été filmée par Werner Schroeter dans la représentation qu’en a donnée le Teatro Belli de Rome et replacée dans le cadre d’un récit retraçant le procès intenté pour blasphème contre l’écrivain, en 1895, et sa condamnation. Panizza part de l’idée que la syphilis est le châtiment de Dieu pour la fornication et le péché auxquels se laissait aller l’humanité sous la Renaissance, surtout à la cour du pape Borgia Alexandre VI. Dans le film de Schroeter, les représentants de Dieu sur terre, parés des insignes du pouvoir temporel, ressemblent à s’y méprendre aux protagonistes du paradis. Sur le mode de la caricature, l’auteur prend pour cibles les représentations figuratives simplistes et les excès de la foi chrétienne, et il analyse la relation entre les croyances religieuses et les mécanismes d’oppression temporels." En outre, le bulletin d’information indiquait qu’en vertu de la loi tyrolienne sur le cinéma (Tiroler Lichtspielgesetz), le film était interdit aux mineurs de dix-sept ans. Un journal régional publia également le titre du film ainsi que les lieu et date de sa projection, sans en préciser le contenu. Le 10 mai 1985, à la requête du diocèse d’Innsbruck de l’Eglise catholique romaine, le procureur intenta contre le gérant d’OPI, M. Dietmar Zingl, des poursuites du chef de "dénigrement de doctrines religieuses" (Herabwürdigung religiöser Lehren), infraction réprimée par l’article 188 du code pénal (Strafgesetzbuch; paragraphe 25 ci- dessous). Le 12 mai 1985, après que le film eut fait l’objet d’une projection à huis clos en présence d’un juge de garde (Journalrichter), le procureur en requit la saisie en vertu de l’article 36 de la loi sur les médias (Mediengesetz; paragraphe 29 ci-dessous). Le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck fit droit à la requête le même jour. En conséquence, les projections publiques annoncées par OPI, dont la première avait été programmée pour le lendemain, ne purent avoir lieu. En guise de remplacement, les gens qui se présentèrent à la séance prévue furent invités à entendre une lecture du scénario et à participer à une discussion. Comme M. Zingl avait renvoyé le film au distributeur, la société "Czerny" de Vienne, la saisie s’effectua en réalité dans les locaux de cette dernière, le 11 juin 1985. La cour d’appel (Oberlandesgericht) d’Innsbruck rejeta le 30 juillet 1985 un appel formé par M. Zingl contre l’ordonnance de saisie. Elle considéra que la liberté artistique était nécessairement limitée par les droits d’autrui à la liberté de religion et par le devoir de l’Etat de garantir une société fondée sur l’ordre et la tolérance. Elle précisa en outre qu’une indignation n’était "légitime", au sens de l’article 188 du code pénal, que si elle était de nature à blesser les sentiments religieux d’une personne moyenne dotée d’une sensibilité religieuse normale. Cette condition se trouvant remplie en l’espèce, la confiscation du film pouvait être ordonnée en principe, du moins dans le cadre d’une "procédure objective" (paragraphe 28 ci-dessous). Le persiflage massif de sentiments religieux pesait plus lourd que tout intérêt que le grand public pouvait avoir à être informé, ou que les intérêts financiers des personnes désireuses de projeter le film. Le 24 octobre 1985, le parquet abandonna les poursuites pénales contre M. Zingl et l’affaire continua sous la forme d’une "procédure objective", au sens de l’article 33 par. 2 de la loi sur les médias, visant à la suppression du film. Le 10 octobre 1986, un procès se déroula devant le tribunal régional d’Innsbruck. Le film fut derechef projeté à huis clos; son contenu fut décrit en détail dans le compte rendu officiel de l’audience. M. Zingl apparaît dans le compte rendu officiel de l’audience en qualité de témoin. Il déclara avoir renvoyé le film au distributeur à la suite de l’ordonnance de saisie, au motif qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec cette histoire. Du jugement rendu le même jour il ressort qu’il fut considéré comme "une partie dont la responsabilité pourrait être engagée" (Haftungsbeteiligter). Le tribunal régional tint pour établi que le distributeur du film avait renoncé à son droit d’être entendu et avait consenti à la destruction de sa copie du film. Dans son jugement, le tribunal régional ordonna la confiscation de celui-ci. Il déclara: "La projection publique, prévue pour le 13 mai 1985, du film Das Liebeskonzil, où texte et images présentent Dieu le Père comme un idiot sénile et impotent, le Christ comme un crétin et Marie Mère de Dieu comme une dévergondée au langage correspondant, et où l’Eucharistie est tournée en ridicule, répond à la définition du délit de dénigrement de doctrines religieuses au sens de l’article 188 du code pénal." Les motifs du jugement comportaient le passage suivant: "Les conditions de l’article 188 du code pénal sont objectivement remplies par le portrait ci-dessus établi des personnes divines - Dieu le Père, Marie Mère de Dieu et Jésus-Christ sont les personnages centraux de la doctrine et de la pratique catholiques et ils revêtent une importance essentielle, y compris pour la compréhension religieuse des croyants - ainsi que par les propos précités sur l’Eucharistie, qui est un des mystères les plus importants de la religion catholique, surtout si l’on tient compte du caractère général du film, qui est celui d’une attaque contre les religions chrétiennes (...) (...) D’après l’article 17a de la Loi fondamentale (Staatgrundgesetz), la création artistique, la diffusion de l’art et son enseignement sont libres. L’insertion de cette disposition a ainsi élargi la liberté artistique: toute forme de création artistique se trouve protégée, et la restriction de la liberté artistique ne peut plus découler d’une disposition légale expresse, mais seulement des limites inhérentes à cette liberté (...). La liberté artistique ne saurait se comprendre sans ces limites. On les trouve d’abord dans d’autres droits et libertés fondamentaux garantis par la Constitution (par exemple la liberté de croyance et de conscience), ensuite dans la nécessité d’une vie en société fondée sur l’ordre et la tolérance, et enfin dans les violations flagrantes et massives d’autres biens protégés par la loi (Verletzung anderer rechtlich geschützter Güter), étant entendu qu’il y a toujours lieu, lorsqu’il s’agit de mettre en balance toutes les considérations pertinentes, de tenir compte des circonstances concrètes de l’espèce (...) Le seul fait que l’infraction réprimée par l’article 188 du code pénal se trouve constituée ne signifie pas automatiquement que la limite de la liberté artistique garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale soit atteinte. Toutefois, eu égard aux considérations ci-dessus et à l’intensité particulière en l’espèce - il s’agit d’un film essentiellement provocateur et anticlérical - des violations répétées et opiniâtres de biens légalement protégés, le droit fondamental à la liberté artistique doit ici céder le pas. (...)" M. Zingl interjeta appel du jugement du tribunal régional. Il produisit une déclaration signée par 350 personnes se plaignant de s’être vu refuser le libre accès à une oeuvre d’art et soutenant que l’interprétation qui avait été donnée de l’article 188 du code pénal ne cadrait pas avec la liberté artistique garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale. La cour d’appel d’Innsbruck jugea le recours irrecevable le 25 mars 1987. Elle estima que, non propriétaire du copyright du film, M. Zingl n’avait pas de locus standi. L’arrêt fut notifié à OPI le 7 avril 1987. A l’instigation de l’avocat de l’association requérante, le ministre de l’Education, des Arts et des Sports de l’époque, Mme Hilde Hawlicek, adressa au procureur général (Generalprokurator) une lettre privée suggérant l’introduction d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes) auprès de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof). Datée du 18 mai 1987, la lettre mentionnait notamment l’article 10 (art. 10) de la Convention. Le 26 juillet 1988, le procureur général estima qu’il n’y avait pas matière à former semblable recours. Il précisa notamment que le parquet général (Generalprokuratur) considérait depuis longtemps que la liberté artistique était limitée par d’autres droits fondamentaux, et se référa à la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire concernant le film Das Gespenst ("Le Fantôme" - paragraphe 26 ci-dessous); dans cette espèce, d’après lui, la Cour suprême "n’avait, à tout le moins, pas désapprouvé" cette façon de voir ("Diese Auffassung ... wurde vom Obersten Gerichtshof ... zumindest nicht mißbilligt"). Depuis lors, des représentations de la pièce originale ont eu lieu en Autriche: à Vienne en novembre 1991 et à Innsbruck en octobre 1992. A Vienne, les autorités judiciaires s’abstinrent de toute intervention. A Innsbruck, plusieurs particuliers déposèrent plainte (Strafanzeigen); une enquête préliminaire eut lieu, à l’issue de laquelle les autorités de poursuite résolurent de classer l’affaire. II. LE FILM "DAS LIEBESKONZIL" La pièce dont le film est tiré fut écrite par Oskar Panizza et publiée en 1894. En 1895, la cour d’assises (Schwurgericht) de Munich jugea l’auteur coupable de "crimes contre la religion" et lui infligea une peine d’emprisonnement. Interdite en Allemagne, la pièce continua à être publiée ailleurs. Elle représente Dieu le Père comme un vieillard infirme et impotent, Jésus-Christ comme un "enfant à sa maman" doté d’une faible intelligence et la Vierge Marie, qui tire manifestement les ficelles, comme une dévergondée sans scrupules. Ensemble, ils décident que l’humanité doit être punie pour son immoralité. Ils écartent la possibilité d’une destruction complète au profit d’une forme de châtiment après lequel l’humanité aura toujours "besoin de salut" et sera toujours "capable de rédemption". Impuissants à trouver eux-mêmes pareil châtiment, ils décident d’appeler le diable à la rescousse. Celui-ci avance l’idée d’une maladie sexuellement transmissible, de sorte que les hommes et les femmes se contamineront les uns les autres sans s’en rendre compte; il engendre avec Salomé une fille qui répandra le fléau parmi l’humanité. Les symptômes décrits par lui sont ceux de la syphilis. A titre de récompense, il réclame la liberté de pensée; Marie dit qu’elle "y réfléchira". Il envoie alors sa fille accomplir sa besogne, d’abord parmi les représentants du pouvoir temporel, puis à la cour du pape, auprès des évêques, dans les couvents et monastères, et finalement parmi le commun des mortels. Mis en scène par Werner Schroeter, le film est sorti en 1981. Il commence et se termine par des scènes censées extraites du procès de Panizza en 1895. Dans l’intervalle, il montre une représentation de la pièce par le Teatro Belli de Rome. Le film dépeint le dieu des religions juive, chrétienne et islamique comme un vieil homme, apparemment sénile, qui se prosterne devant le diable, échange avec lui un baiser profond et l’appelle son ami. Il le présente également comme jurant par le diable. D’autres scènes montrent la Vierge Marie permettant qu’on lui lise une histoire obscène et la manifestation d’une certaine tension érotique entre elle et le diable. Jésus-Christ adulte est campé comme un débile mental profond et une scène l’exhibe tentant lascivement de caresser les seins de sa mère et d’y poser des baisers, ce qu’à l’évidence elle tolère. Le film montre Dieu, la Vierge Marie et le Christ en train d’applaudir le diable. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La liberté de religion est garantie par l’article 14 de la Loi fondamentale, qui énonce: "1. La liberté de croyance et de conscience est pleinement garantie à chacun. La jouissance des droits civils et politiques est indépendante de la confession; toutefois, celle-ci ne saurait justifier aucune dérogation aux devoirs civiques. Nul ne peut être contraint d’accomplir un acte religieux ou de participer à une fête religieuse, sauf en vertu d’un pouvoir conféré par la loi à une autre personne ayant autorité sur lui." La liberté artistique est garantie par l’article 17a de la Loi fondamentale, aux termes duquel: "La création artistique, la propagation de l’art et son enseignement sont libres." L’article 188 du code pénal est ainsi libellé: "Quiconque dénigre ou bafoue, dans des conditions de nature à provoquer une indignation légitime, une personne ou une chose faisant l’objet de la vénération d’une Eglise ou communauté religieuse établie dans le pays, ou une doctrine, une coutume autorisée par la loi ou une institution autorisée par la loi de cette Eglise ou communauté encourt une peine d’emprisonnement de six mois au plus ou une peine pécuniaire de 360 jours-amendes au plus." L’arrêt de principe de la Cour suprême sur la relation entre les deux dispositions précitées fut rendu sur un pourvoi dans l’intérêt de la loi introduit par le procureur général dans une espèce relative à la confiscation du film Das Gespenst ("Le Fantôme"), de Herbert Achternbusch. Bien que le recours ait été rejeté pour des motifs de pure forme, le fond n’ayant pas été tranché, il ressort indirectement de l’arrêt que si une oeuvre d’art empiète sur la liberté de culte garantie par l’article 14 de la Loi fondamentale, elle peut alors constituer un abus de la liberté d’expression artistique et se heurter ainsi à la loi (arrêt du 19 décembre 1985, Medien und Recht (Médias et Droit) 1986, no 2, p. 15). Une infraction en matière de contenu des médias (Medieninhaltsdelikt) est définie comme "un acte passible d’une sanction judiciaire, commis au travers du contenu d’un moyen de publication et consistant en une communication ou représentation visant un nombre relativement élevé de personnes" (article 1 par. 12 de la loi sur les médias). La responsabilité pénale pour de telles infractions est régie par le droit pénal général dans la mesure où il n’y est pas dérogé ou ajouté par des dispositions particulières de la loi sur les médias (article 28 de la loi). Celle-ci prévoit une sanction spécifique: la confiscation (Einziehung) de la publication concernée (article 33). Cette mesure peut être ordonnée en complément à toute sanction ordinaire prononcée en application du code pénal (article 33 par. 1). L’article 33 par. 2 de la loi sur les médias prévoit que s’il n’est pas possible de poursuivre ou condamner quelqu’un pour une infraction pénale, la confiscation peut également être ordonnée dans le cadre d’une procédure distincte, dite "objective", tendant à la suppression d’une publication. Il est ainsi libellé: "A la requête du parquet, la confiscation peut être prononcée dans le cadre d’une procédure indépendante si une publication dans un média constitue l’élément de fait objectif d’une infraction pénale, et si la poursuite d’une personne déterminée ne peut être assurée ou si sa condamnation est impossible pour des motifs excluant toute sanction pénale à son encontre (...)" La saisie (Beschlagnahme) d’une publication dans l’attente de la décision relative à la confiscation peut être opérée en vertu de l’article 36 de la loi sur les médias, qui dispose: "1. Le tribunal peut ordonner la saisie des copies destinées à la diffusion d’un ouvrage publié dans un média, s’il peut être supposé que la confiscation sera prononcée en vertu de l’article 33 et si les inconvénients découlant de la saisie ne sont pas disproportionnés par rapport à l’intérêt juridiquement protégé poursuivi par elle. La mesure ne peut de toute façon être prise dès lors que cet intérêt juridiquement protégé peut également être sauvegardé par la publication d’une information relative aux poursuites intentées. La saisie présuppose l’engagement antérieur ou concomitant d’une procédure pénale ou d’une procédure indépendante pour infraction en matière de contenu des médias et une demande expresse de saisie émanant du parquet ou du requérant dans la procédure indépendante. La décision ordonnant la saisie doit mentionner le passage ou la partie de l’ouvrage à l’origine de la mesure, ainsi que l’infraction soupçonnée (...) -5. (...)" Le droit commun de la procédure pénale s’applique à la poursuite des infractions en matière de contenu des médias et aux procédures objectives. Bien que dans le cadre de ces dernières, le propriétaire ou l’éditeur de l’ouvrage publié ne soit pas accusé d’une infraction pénale, il est traité comme une véritable partie, en vertu de l’article 41 par. 5, aux termes duquel: "[Dans une procédure pénale ou dans une procédure objective concernant une infraction en matière de contenu des médias,] le propriétaire (éditeur) doit être convoqué à l’audience. Il a les droits de l’accusé; en particulier, il peut présenter les mêmes moyens de défense que lui et former appel contre le jugement au fond (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’association requérante a saisi la Commission le 6 octobre 1987. Elle alléguait des violations de l’article 10 (art. 10) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 13470/87) le 12 avril 1991. Dans son rapport du 14 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 10 (art. 10): a) quant à la saisie du film (neuf voix contre cinq); b) en ce qui concerne sa confiscation (treize voix contre une). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à déclarer, ainsi que le prévoit l’article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention, la requête irrecevable pour non-respect du délai de six mois de l’article 26 (art. 26) de la Convention ou, à titre subsidiaire, à constater que ni la saisie du film ni sa confiscation ultérieure n’ont violé l’article 10 (art. 10) de la Convention". A l’audience, l’association requérante a demandé à la Cour de "statuer en sa faveur et de dire que la saisie puis la confiscation du film ont violé les obligations de la République d’Autriche au titre de l’article 10 (art. 10) de la Convention, et qu’il y a lieu de lui accorder la satisfaction équitable qu’elle revendique".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La première requérante Association viennoise, la première requérante publiait, à l’attention des soldats de l’armée autrichienne, le mensuel der Igel ("le hérisson"), contenant des informations et des reportages souvent critiques sur la vie militaire. Le 27 juillet 1987, elle invita le ministre fédéral de la Défense (Bundesminister für Landesverteidigung) à faire diffuser l’Igel dans les casernes de la même façon que les deux seuls autres magazines militaires édités par des groupements privés, Miliz-Impuls et Visier; l’armée avait en effet l’habitude de joindre ceux-ci en alternance, à ses frais, au bulletin officiel distribué à tous les appelés (Miliz-Information). Le ministre ne répondit point à la demande. Interrogé par des membres du parlement, il expliqua, dans une lettre du 10 mai 1989, qu’il n’autoriserait pas la diffusion de l’Igel dans les casernes. Selon lui, l’article 46 par. 3 de la loi militaire (Wehrgesetz, paragraphe 18 ci-dessous) conférait à tout militaire le droit de recevoir sans aucune restriction, par des sources accessibles au public, des informations sur l’actualité politique. A l’intérieur des installations toutefois, seules pouvaient être fournies des publications qui s’identifiaient au moins un peu avec les tâches constitutionnelles de l’armée, ne nuisaient pas à sa réputation et ne prêtaient pas leurs colonnes aux partis politiques. Même les périodiques critiques, tels que le journal Hallo des jeunesses syndicales, ne se verraient pas interdits s’ils respectaient ces critères. En revanche, l’Igel n’y satisfaisait pas. Le ministre fondait son pouvoir de décision en la matière sur les articles 79 de la Constitution (Bundes-Verfassungsgesetz), 44 par. 1 et 46 de la loi militaire, 116 du code pénal (Strafgesetzbuch) et 3 par. 1 du règlement général de l’armée (Allgemeine Dienstvorschriften für das Bundesheer, "le règlement général", paragraphes 17-20 ci-dessous). B. Le second requérant Membre de la VDSÖ, le second requérant commença son service militaire le 1er juillet 1987 à la caserne Schwarzenberg de Salzbourg. Le 29, il y prêta serment en protestant contre le président de la République. Dans les mois qui suivirent, il introduisit plusieurs plaintes, publia avec vingt et un autres appelés une lettre ouverte dénonçant le nombre de corvées qui lui furent imposées et fit circuler une pétition de soutien à un objecteur de conscience. Les 1er, 9 et 22 juillet, il fut personnellement informé du contenu du droit militaire applicable à sa situation. Le 29 décembre 1987, alors qu’il distribuait le no 3/87 de l’Igel dans la caserne, un officier lui ordonna d’arrêter. Dans son éditorial, le numéro en question mentionnait, parmi les buts de la VDSÖ, la collaboration entre les appelés et les membres de l’encadrement sur la base de leurs intérêts communs et du respect mutuel. Certains articles adoptaient un ton critique; ils traitaient notamment de l’entraînement militaire, de la procédure consécutive à une plainte de M. Gubi et des principes régissant le service militaire. Quant aux autres, ils commentaient successivement diverses contributions parues dans la presse, le congrès des jeunesses syndicales, les buts et l’action de la VDSÖ ainsi que la plainte d’un appelé qui avait vu sa solde réduite à la suite d’une perte alléguée de matériel. Le 12 janvier 1988, un autre officier informa l’intéressé du contenu des circulaires de 1975 et de 1987 ainsi que du règlement de la caserne Schwarzenberg, modifié le 4 janvier 1988, lequel interdisait, dans celle-ci, toute distribution ou envoi de publications sans l’autorisation du commandant (paragraphe 20 ci-dessous). Le 22 janvier 1988, M. Gubi dénonça cette prohibition et l’ordre du 29 décembre 1987 (paragraphe 10 ci-dessus) devant la Commission des plaintes militaires (Beschwerdekommission in militärischen Angelegenheiten) près le ministère fédéral de la Défense. Le 7 avril, la division des plaintes (Beschwerdeabteilung) près ce ministère débouta le requérant, conformément à la recommandation de la Commission des plaintes. D’après elle, l’ordre litigieux se fondait valablement sur une circulaire de 1987 du 2e corps d’armée (Korpskommando II) dont les stipulations relatives à la diffusion d’écrits imprimés trouvaient elles-mêmes appui dans les articles 5 de la loi fondamentale de 1867 (Staatsgrundgesetz über die allgemeinen Rechte der Staatsbürger), 19 du règlement général et 13 de la loi militaire (paragraphes 15 et 18-20 ci-dessous). La première de ces dispositions protège la propriété des personnes morales de droit public au même titre que celle des particuliers; aussi fallait-il considérer la caserne Schwarzenberg comme la propriété de l’Etat fédéral dont les droits se voyaient exercés par le commandant. Quant à la liberté d’expression garantie par l’article 13 de la loi fondamentale de 1867, elle se trouvait soumise à des "limites légales" (gesetzliche Schranken), dont celles qui étaient issues de l’obligation de discrétion et d’obéissance prévue par les articles 17 et 44 de la loi militaire et découlaient de la nature même de ces rapports particuliers d’autorité (besonderes Gewaltverhältnis). Les mesures litigieuses n’avaient donc aucunement méconnu la liberté en question. M. Gubi saisit alors la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Le 26 septembre, elle refusa d’examiner son recours au motif qu’il ne soulevait pas de questions proprement constitutionnelles et manquait de chances d’aboutir. Le même jour, elle annula toutefois la décision par laquelle le commandant du bataillon no 3 avait confirmé le 15 février 1988 les trois jours d’arrêt imposés à l’intéressé comme sanction disciplinaire pour avoir distribué l’Igel dans la caserne. D’après elle, les textes dont la méconnaissance avait été reprochée au requérant - les circulaires de 1975 et 1987 (paragraphe 20 ci-dessous) - ne liaient pas l’intéressé mais les autorités militaires; il n’en allait pas de même des dispositions pertinentes du règlement de la caserne Schwarzenberg, mais elles furent introduites le 4 janvier 1988 et n’étaient donc pas encore en vigueur à l’époque des faits. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les droits fondamentaux L’article 5 de la loi fondamentale du 21 décembre 1867 sur les droits généraux des citoyens protège la propriété. Quant à son article 13, il dispose: "Dans le respect des limites légales, toute personne a le droit d’exprimer librement son opinion par la parole, les écrits, l’impression ou l’expression graphique. La presse ne peut être censurée ni limitée par un système de concessions (...)" B. Le droit militaire L’article 79 de la Constitution fédérale décrit les tâches générales des forces armées autrichiennes. A l’époque des faits, les droits et obligations des militaires se trouvaient régis par les articles 44 à 46 de la loi militaire de 1978. Aux termes de celle-ci, les militaires ont l’obligation de soutenir l’armée dans l’accomplissement de ses missions et de s’abstenir de tout ce qui pourrait nuire à sa réputation (article 44 par. 1); ils ont le droit de formuler des demandes et des réclamations ainsi que d’introduire des plaintes (article 44 par. 4). Ils jouissent des mêmes droits politiques que les citoyens (article 46 par. 2); toutefois, l’armée ne peut faire l’objet d’aucune activité ou utilisation politicienne (article 46 par. 1); en conséquence, de telles activités pendant le service et dans les lieux de celui-ci sont interdites, à l’exception de celles qui consistent à s’informer personnellement, par des sources accessibles au public, de l’actualité politique (article 46 par. 3). Le règlement général, édicté par le ministre fédéral de la Défense, précise les obligations liées au service national. Il dispose notamment que le militaire doit être toujours prêt à assurer le mieux possible son service et s’abstenir de tout ce qui pourrait nuire à la réputation de l’armée et à la confiance de la population dans la défense du pays (article 3 par. 1). Le militaire entretient une relation particulière d’autorité envers la République autrichienne; elle exige de lui, outre la défense des institutions démocratiques, discipline, camaraderie, obéissance, vigilance, vaillance et discrétion (article 3 par. 2). L’article 19 par. 2 confie aux commandants de caserne le soin de prendre toutes les mesures nécessaires au maintien de l’ordre et de la sécurité militaires dans leurs lieux de service; à cet effet, ils sont tenus d’établir un règlement (Kasernordnung) régissant notamment l’accès à la caserne (article 19 par. 3). Par une circulaire du ministère fédéral de la Défense, du 14 mars 1975, l’état-major général (Armeekommando) a chargé les commandants de prendre à l’endroit de publications dénigrant l’armée (negatives wehrpolitisches Gedankengut) des mesures préventives; ils devaient notamment en interdire la diffusion et l’affichage dans les zones militaires. Une circulaire de l’état-major du 2e corps d’armée, du 17 décembre 1987, ordonnait aux mêmes officiers d’introduire dans les règlements de caserne l’interdiction de distribuer ou d’afficher, sans l’autorisation du commandant, toute publication non officielle. Le règlement de la caserne Schwarzenberg fut modifié en conséquence le 4 janvier 1988. C. Le recours devant la Cour constitutionnelle La Cour constitutionnelle recherche, sur requête (Beschwerde), si un acte administratif (Bescheid) a porté atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution, ou s’il a appliqué un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, une loi contraire à la Constitution ou un traité international incompatible avec le droit autrichien (article 144 par. 1 de la Constitution fédérale). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION La VDSÖ et M. Gubi ont saisi la Commission le 12 juin 1989. Invoquant l’article 10 (art. 10) de la Convention, ils se plaignaient de l’interdiction frappant l’Igel dans les casernes autrichiennes et, le second requérant, de l’ordre du 29 décembre 1987 lui imposant de cesser la distribution du no 3/87 dans la caserne Schwarzenberg. Ils prétendaient en outre n’avoir pas disposé d’un recours effectif au sens de l’article 13 (art. 13) et avoir été victimes d’une discrimination pour des motifs politiques, au mépris de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10). La Commission a retenu la requête (no 15153/89) le 6 juillet 1992. Dans son rapport du 30 juin 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) quant à la première requérante: - qu’il y a eu violation des articles 10 et 13 (art. 10, art. 13) (douze voix contre neuf); - qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10) (unanimité); b) quant au second requérant: - qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10) (douze voix contre neuf) mais pas de l’article 13 (art. 13) (unanimité); - qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant français né en 1964, M. Alain Vallée exerce la profession de contrôleur en électronique, perçoit un salaire d’environ 80 000 francs français (f) par an, mais doit fréquemment s’absenter en raison de sa maladie. Il a en effet été infecté par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) entre le 27 novembre 1984 et le 4 juin 1985: hémophile A sévère, il a subi de fréquentes transfusions sanguines. Dès le mois d’octobre 1987, il a été classé au stade IV et dernier de la contamination sur l’échelle du Centre de contrôle des maladies d’Atlanta. M. Vallée appartient à une fratrie de cinq frères, tous infectés par le VIH; dans l’ignorance de sa séropositivité, il a contaminé sa compagne. A. Les recours en réparation Le recours administratif Le 12 décembre 1989, le requérant adressa une demande préalable d’indemnisation - conformément à l’article R.102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (paragraphe 25 ci-dessous) - au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il réclamait une somme de 2 500 000 f, car, selon lui, sa contamination par le VIH résultait du retard fautif du ministre à mettre en oeuvre une réglementation adéquate de la délivrance des produits sanguins. Six cent quarante-neuf autres requêtes gracieuses furent envoyées au ministre, le nombre des hémophiles contaminés s’élevant à mille deux cent cinquante. Le 30 mars 1990, peu avant l’expiration du délai légal de quatre mois (paragraphe 25 ci-dessous), le directeur général de la santé rejeta celle du requérant. Le recours contentieux Le 31 mai 1990, M. Vallée saisit le tribunal administratif de Versailles d’un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle et à l’octroi par l’Etat d’une indemnité de 2 500 000 f, plus les intérêts légaux. Le 11 octobre, il adressa son mémoire complémentaire. Le ministre présenta son mémoire en défense le 22 avril 1991. Il y invitait le tribunal "à rejeter la demande du requérant", mais ajoutait: "Cependant, pour le cas où il vous paraîtrait que le principe d’une faute de l’Etat pourrait être retenu, je vous demande de bien vouloir procéder à la désignation d’un expert afin d’établir si le préjudice pour lequel le requérant demande une indemnisation est véritablement imputable à cette faute." Par une ordonnance de renvoi du 11 juillet 1991, prise en vertu des articles R.80 et suivants du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, l’affaire fut attribuée au tribunal administratif de Paris, juridiction désignée pour connaître de l’ensemble des requêtes introduites contre l’Etat par les hémophiles contaminés. a) L’instruction Le 2 janvier 1992, le tribunal administratif de Paris adressa au conseil du requérant une demande d’instruction l’invitant à indiquer la date de la révélation de sa séropositivité et son état de santé actuel. Bien qu’ayant déjà fourni une copie de son carnet de santé d’hémophile avec son mémoire complémentaire du 11 octobre 1990, M. Vallée lui envoya aussitôt un mémoire accompagné d’un certificat médical récapitulatif où l’on pouvait lire: "Sous réserve d’éléments nouveaux, une dernière sérologie négative a été notée en juin 1984 et une première sérologie positive a été notée en juin 1985. Ces résultats ayant été obtenus avec des tests de première génération, un contrôle sérologique sur tube de sérothèque en date [des] 18 septembre 1984, 27 novembre 1984 et 4 juin 1985 est en cours. Sur le plan clinique, le patient est en bon état général mais la survenue d’un zona en octobre 1987 le fait classer dans le groupe IV C II de la classification CDC. Lors du dernier bilan effectué en février 1992, on retrouvait par ailleurs une mycose cutanée. Sur le plan biologique le taux de lymphocytes CD4+ est à 274/mm3. Pour l’instant le patient ne bénéficie d’aucun traitement particulier et devrait être mis prochainement sous Rétrovir." Pour compléter le certificat médical, il précisait en outre dans son mémoire: "Le Centre Air et Soleil que dirige le docteur Congard n’a pas prescrit de perfusions sanguines de septembre 1984 au 23 novembre 1985. Mais, en dehors des accidents graves pour lesquels il était soigné dans ce centre, M. Vallée pratiquait l’autoperfusion à domicile, et il résulte de son carnet de santé d’hémophile (cf. production no 13 du mémoire complémentaire) qu’il a subi des perfusions de PPSB les 18 avril, 28 avril, 18 mai et 24 mai 1985. Il existe ainsi des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes pour que l’on puisse considérer que M. Alain Vallée a été contaminé entre le 12 mars et le 1er octobre 1985." L’affaire fut inscrite à l’audience du 16 mars 1992. Le 25, le tribunal rendit un jugement avant dire droit, ainsi rédigé: "(...) la responsabilité de l’Etat est engagée à l’égard des personnes atteintes d’hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l’occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985." D’autre part, il enjoignit au requérant de lui communiquer "les résultats des contrôles sérologiques effectués sur des prélèvements sanguins réalisés les 18 septembre 1984, 27 novembre 1984 et 4 juin 1985". Deux mois plus tard, M. Vallée reçut notification du jugement. Le 10 juin 1992, il déposa un mémoire auquel étaient annexés les documents demandés. Les débats se déroulèrent le 20 janvier 1993. Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement invita le tribunal à condamner l’Etat à payer au requérant une indemnité de 2 200 000 f avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 1989. Il s’agissait d’une somme supérieure aux 2 000 000 f ordinairement alloués aux personnes se trouvant au stade IV de la maladie, pour tenir compte du fait que tous les frères de M. Vallée avaient également été contaminés et que lui-même l’avait été très jeune. Le 15 avril 1993, le conseil du requérant écrivit au président du tribunal, s’inquiétant de ce qu’aucun jugement n’eût encore été notifié à son client. Une nouvelle audience eut lieu le 30 avril 1993. b) Le jugement du 28 mai 1993 Le 28 mai 1993,le tribunal administratif de Paris rendit le jugement suivant: "Sur la responsabilité de l’Etat: (...) Considérant qu’il résulte de l’instruction, qu’à la date du 27 novembre 1984, M. Vallée n’était pas porteur d’anticorps manifestant l’existence du virus de l’immunodéficience humaine et que sa séropositivité a été révélée le 4 juin 1985, après qu’il [eut] subi, en avril et en mai 1985, des transfusions de produits sanguins non chauffés; que, dès lors, la responsabilité de l’Etat est engagée à l’égard de l’intéressé en raison des conséquences dommageables des transfusions qu’il a reçues entre le 12 mars et le 1er octobre 1985; Considérant qu’il sera fait une exacte appréciation des troubles de [toute] nature subis par M. Vallée en lui allouant une indemnité de 2 000 000 f;" Par le même jugement, le tribunal sollicitait - en vertu de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1987 (paragraphe 26 ci-dessous) - l’avis du Conseil d’Etat sur une question de droit relative à l’action intentée parallèlement par le requérant devant le fonds d’indemnisation (paragraphe 24 ci-dessous). Il sursit donc à statuer jusqu’à l’avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la transmission du dossier au Conseil d’Etat. Le jugement fut notifié à M. Vallée le 11 juin 1993 et le dossier transmis au Conseil d’Etat le même jour. c) L’avis du Conseil d’Etat Le 25 juin 1993, le requérant présenta un mémoire. A titre principal, il concluait à l’irrecevabilité de la demande d’avis; en ordre subsidiaire, il estimait qu’il n’y avait pas lieu à avis, le Conseil d’Etat ayant déjà tranché la question. Le 16 septembre 1993, le Conseil d’Etat ne s’étant pas prononcé dans le délai légal, M. Vallée invita le tribunal administratif à statuer sans plus attendre. Le 15 octobre 1993, le Conseil d’Etat rendit l’avis ci-après: "1. Le décret du 12 juillet 1993 (...) applicable aux instances en cours à la date de sa publication (...) donne une solution au problème soulevé par la première question posée par le tribunal administratif. (...) il appartient au juge administratif à qui une telle condamnation est demandée, de soulever d’office, lorsque cela ressort des pièces du dossier, que le préjudice invoqué a déjà été, en tout ou partie, indemnisé par un tiers, alors même que celui-ci ne présente pas, par subrogation aux droits de la victime, de conclusions tendant au remboursement des sommes qu’il a versées en réparation du dommage subi par cette dernière. Dès lors, le juge administratif, saisi d’une demande de réparation du préjudice résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine, lorsqu’il est informé par l’une des parties au litige de ce que la victime ou ses ayants droit ont déjà été indemnisés du préjudice dont ils demandent réparation, doit, d’office, déduire la somme ainsi allouée du montant du préjudice indemnisable. (...) Lorsque la somme offerte par le fonds a été acceptée par les intéressés ou lorsque la somme a été fixée par un arrêt de la cour d’appel de Paris ne faisant pas l’objet d’un pourvoi en cassation ou, encore, lorsque le pourvoi contre l’arrêt de cette cour a été rejeté par la Cour de cassation, tout ou partie du préjudice dont il est demandé réparation est effectivement et définitivement indemnisé par le fonds. En conséquence, il appartient au juge administratif, informé de cette circonstance, de déduire d’office la somme dont le fonds est ainsi redevable, de l’indemnité qu’il condamne la personne publique responsable du dommage à verser à la victime." d) Le jugement du 5 janvier 1994 Après avoir tenu une audience le 8 décembre 1993, le tribunal administratif de Paris décida ce qui suit le 5 janvier 1994: "Article 1er: L’Etat est condamné à verser à M. Vallée la somme de 548 000 f. Article 2: Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 1989. La somme de 1 352 000 f versée à M. Vallée par le fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles portera intérêts au taux légal à compter de la même date et jusqu’au 27 novembre 1992. Article 3: Les intérêts de la somme de 548 000 f échus les 12 mars 1992 et 20 septembre 1993 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts. Les intérêts de la somme de 1 352 000 f échus le 12 mars 1992 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts jusqu’au 27 novembre 1992. Article 4: L’Etat est subrogé dans les droits de M. Vallée à l’encontre de toute personne reconnue coauteur du dommage réparé par le présent jugement. (...)" Le jugement fut notifié à M. Vallée le 4 mars 1994. Le délai d’appel expire le 4 mai 1994. A la date d’adoption du présent arrêt, le requérant n’a pas saisi la cour administrative d’appel de Paris. B. La demande présentée au fonds d’indemnisation Le 3 mars 1992, M. Vallée saisit le fonds d’indemnisation, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 24 ci-dessous). Le 15 juillet 1992, ce dernier lui proposa un montant de 1 452 000 f, payable en trois versements échelonnés sur trois ans, en réparation de son "préjudice de séropositivité", dont il faudrait déduire 100 000 f versés par le fonds privé de solidarité des hémophiles. L’intéressé devait en outre obtenir une somme de 484 000 f à verser dès la déclaration du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). Refusant l’offre, le requérant interjeta appel devant la cour de Paris, conformément à l’article 47 VIII de la loi du 31 décembre 1991. Par un arrêt du 27 novembre 1992, cette dernière décida qu’il fallait payer en une seule fois l’indemnité de séropositivité; elle confirma en revanche la décision du fonds de ne verser qu’ultérieurement la somme de 484 000 f au titre du "préjudice SIDA". Le 18 décembre 1992, le fonds envoya au requérant un chèque de 1 364 170 f 21. M. Vallée forma un pourvoi afin que soit déclarée illicite la réserve au titre du "préjudice SIDA". La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 20 juillet 1993. C. La plainte avec constitution de partie civile Enfin, M. Vallée se constitua partie civile devant le tribunal correctionnel de Paris le 22 juin 1992 dans le cadre du procès intenté contre certains responsables de la transfusion sanguine. Le 23 octobre 1992, le tribunal lui alloua la somme de 300 000 f en réparation du préjudice de tromperie sur la qualité des produits. M. Vallée interjeta appel de ce jugement, mais se désista ensuite de son recours. II. LE MÉCANISME D’INDEMNISATION La loi du 31 décembre 1991 "portant diverses dispositions d’ordre social" a créé un mécanisme spécifique d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d’injections de produits sanguins. Son article 47 dispose: "I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après. II. (...) III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d’indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d’indemnisation. (...) IV. Dans leur demande d’indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l’atteinte par le virus d’immunodéficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang. (...) Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d’information dont [ils] disposent. Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. (...) V. Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d’indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...) (...) VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds. VII. (...) VIII. La victime ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d’appel de Paris. IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute. Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d’appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive. X. Sauf disposition contraire, les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat. XI. (...) XII. L’alimentation du fonds d’indemnisation sera définie par une loi ultérieure. XIII. (...) XIV. (...)" III. LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT A. Le régime applicable en l’espèce A l’époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel contenait notamment les dispositions suivantes: Article R.102 "Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet. (...)" Article R.129 "Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou le magistrat que l’un d’eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d’une demande au fond, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie." Article R.142 "Immédiatement après l’enregistrement de la requête introductive d’instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur. Sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé, s’il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige." Article R.182 "Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d’instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre." La loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif comprend un article 12 ainsi libellé: "Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par un jugement (ou un arrêt) qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai." B. Le régime actuel Le décret no 93-906 du 12 juillet 1993 s’applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d’application de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 24 ci-dessus): "Titre II Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l’encontre des responsables des dommages définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée Article 15 Le fonds peut, pour exercer l’action subrogatoire prévue au IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d’appel devant toute juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi. Article 16 Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée. Article 17 Dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l’article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s’il a été ou non saisi d’une demande d’indemnisation ayant le même objet et, dans l’affirmative, l’état d’avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s’il entend ou non intervenir à l’instance. Lorsque la victime a accepté l’offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l’offre et l’acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l’état de la procédure engagée devant la cour d’appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s’il y a lieu, l’arrêt rendu par la cour. Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds. Article 18 Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n’est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe. Article 19 (...) Article 20 Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur du [présent] décret (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Vallée a saisi la Commission le 9 juin 1993. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect. La Commission a retenu la requête (no 22121/93) le 20 octobre 1993. Dans son rapport du 7 décembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir rejeter la requête de M. Vallée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Introduction Les six requérants appartiennent à la même famille. Les deux premiers, Mme Margaret Murray et M. Thomas Murray, sont mari et femme. Les quatre autres sont leurs enfants: leur fils, Mark Murray (né en 1964), leurs filles jumelles, Alana et Michaela Murray (nées en 1967), et leur fille cadette, Rossina Murray (née en 1970). A l’époque des faits, en 1982, ils habitaient tous ensemble dans la même maison à Belfast, en Irlande du Nord. Le 22 juin 1982, deux des frères de la première requérante furent condamnés aux Etats-Unis d’Amérique pour des infractions à la législation sur les armes liées à l’achat d’armes pour l’Armée républicaine irlandaise provisoire ("IRA provisoire"). Celle-ci fait partie des organisations prohibées en vertu de la législation spéciale adoptée au Royaume-Uni pour lutter contre le terrorisme en Irlande du Nord (paragraphe 35 ci-dessous). B. L’arrestation de la première requérante Le 26 juillet 1982 vers 6 h 30 du matin, le caporal D., membre du Women’s Royal Army Corps (Corps féminin de l’armée royale), assista à un briefing de l’armée au cours duquel on lui dit que la première requérante était soupçonnée de participer à la collecte de fonds pour l’achat, aux Etats-Unis d’Amérique, d’armes destinées à l’IRA, infraction réprimée par l’article 21 de la loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act; "la loi de 1978") et par l’article 10 de la loi de 1976 portant dispositions provisoires en matière de prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act). Le caporal reçut mission de se rendre au domicile de l’intéressée, de l’y arrêter en vertu de l’article 14 de la loi de 1978 (paragraphes 36-38 ci-dessous) et de l’amener au centre militaire d’interrogatoire situé Springfield Road à Belfast. A 7 heures du matin, non armé mais accompagné de cinq soldats qui l’étaient, il arriva en véhicule militaire à l’adresse désignée. Mme Murray ouvrit elle-même, et trois des soldats de sexe masculin pénétrèrent dans la maison avec le caporal D. Celui-ci établit l’identité de l’intéressée et lui demanda de s’habiller. Il monta à l’étage avec elle. Les autres requérants furent réveillés et sommés de se rassembler dans le salon. Les militaires ne fouillèrent pas la maison mais prirent des notes écrites quant à son intérieur et consignèrent des renseignements personnels au sujet des requérants. Vers 7 h 30, dans le vestibule, le caporal D., auquel un des soldats servait de témoin, déclara à Mme Murray: "En ma qualité de membre des Forces armées de Sa Majesté, je vous arrête." L’intéressée lui ayant demandé à deux reprises en vertu de quel article, il répondit: "L’article 14." C. L’interrogatoire de la première requérante Mme Murray fut alors emmenée au centre militaire d’interrogatoire situé Springfield Road à Belfast. Conduite sous escorte dans un bâtiment, elle fut priée de s’asseoir un moment dans une petite cabine. A 8 h 5 on l’amena devant le sergent B., qui lui posa des questions afin de compléter la partie 1 d’un formulaire type où devaient être consignés, notamment, les modalités de la procédure d’arrestation et d’interrogatoire ainsi que des renseignements personnels. L’intéressée refusa de répondre, sauf pour décliner son identité, et elle s’opposa à ce qu’on la photographiât. L’entretien se termina quatre minutes plus tard. Elle fut alors examinée par un infirmier, qui s’efforça d’établir si elle souffrait de certaines maladies, mais elle refusa à nouveau de coopérer et ne répondit à aucune question. A 8 h 20 on la conduisit dans une pièce réservée aux interrogatoires et un soldat en civil la questionna en présence du caporal D., au sujet notamment de ses frères et de ses contacts avec eux. Elle persista dans son mutisme. Après l’interrogatoire, qui se termina à 9 h 35, elle fut reconduite au bureau des entrées puis ramenée devant l’infirmier, qui lui demanda si elle avait des plaintes à formuler. Elle s’abstint de répondre. A un moment quelconque de son séjour au centre, on la photographia à son insu ou sans son consentement. Sa photo et les données concernant sa personne, sa famille et sa maison furent versées au dossier. Elle fut relâchée à 9 h 45 sans avoir été inculpée. Le formulaire type, appelé "formulaire de filtrage" ("screening proforma"), indiquait le nom de la première requérante, son adresse, sa nationalité, son état civil et sa qualité au regard de son logement, les précisions chronologiques relatives à son arrestation, les noms des militaires concernés, ceux des autres requérants et leurs relations avec Mme Murray, le physique de celle-ci et son attitude à l’égard de l’interrogatoire. Sous la rubrique "Informations complémentaires (...) sur la personne arrêtée (telles que rapportées par le militaire ayant procédé à l’arrestation)", on pouvait lire: "L’intéressée est la soeur de C... M..., appréhendé aux Etats-Unis. Interrogée à ce sujet." Rien n’avait été mentionné sous la rubrique "Délit présumé". Le document précisait que la requérante avait refusé de répondre aux questions et que l’interrogatoire n’avait permis de recueillir aucune information. D. La procédure devant la High Court Quelque dix-huit mois plus tard, le 9 février 1984, Mme Murray intenta contre le ministre de la Défense une action pour emprisonnement abusif et autres délits civils. L’un des principaux griefs formulés par elle dans cette procédure était que son arrestation et sa détention avaient été effectuées illégalement et dans un but illégitime. Ses allégations furent résumées dans la décision rendue le 25 octobre 1985 par le juge Murray: "Les conseils de la demanderesse ont lancé au sujet de la légalité de son arrestation et de sa détention une série d’attaques, tantôt très générales, tantôt très précises. Au titre des premières, ils ont fait valoir, par exemple, que le recours à l’article 14 de la [loi de 1978] en l’espèce constitue un exemple de ce qu’ils appellent ‘une forme institutionnalisée de filtrage illégal’ par les autorités militaires, visant à obtenir de la demanderesse ce qu’ils qualifient de ‘renseignements de médiocre intérêt’, et ce a) sans que ces autorités aient nourri le moindre soupçon authentique que l’intéressée avait commis une infraction pénale ou b) sans qu’ils aient eu véritablement l’intention de l’interroger au sujet d’une infraction pénale qu’elle aurait prétendument commise." A l’appui de leur argumentation, lesdits conseils appelèrent et interrogèrent leur cliente elle-même, mais en outre ils posèrent de nombreuses questions aux deux témoins cités pour les défendeurs, à savoir le caporal D. et le sergent B. Ce témoignage fourni par la première requérante figure dans une note rédigée par le juge, car en raison d’une panne du matériel d’enregistrement, les débats du premier jour du procès n’ont pas fait l’objet d’un compte rendu. La déposante expliqua la détresse que lui avaient causée les conditions de son arrestation et de sa détention. Elle s’était mise en colère mais avait surveillé ses paroles. Elle attesta qu’au centre militaire elle avait refusé d’être photographiée, d’être pesée par l’infirmier, de signer quelque document que ce fût, et, sauf pour décliner son identité, de répondre aux questions du sergent B., de l’infirmier et de la personne chargée de son interrogatoire. Elle avait indiqué clairement qu’elle ne répondrait à aucune question. Elle allégua que le sergent B. lui avait dit sans ambages que l’armée savait qu’elle n’avait commis aucune infraction et que, son dossier ayant été égaré, l’armée désirait le mettre à jour. Elle déclara qu’on l’avait interrogée au sujet de ses frères aux Etats-Unis et de leur lieu de résidence actuel, mais non à propos de l’achat d’armes pour l’IRA provisoire ni au sujet d’une quelconque infraction. Elle admit qu’elle avait été en contact avec ses frères et qu’elle s’était rendue aux Etats-Unis, y compris une fois cette année-là (1985). Elle pensait que l’armée avait voulu obtenir des informations concernant ses frères. En quittant le centre, elle avait dit aux militaires qu’elle les retrouverait au tribunal. Ainsi qu’il ressort du compte rendu de son témoignage, le caporal D. exposa le briefing qu’il avait eu le matin de l’arrestation. Il expliqua qu’on lui avait indiqué les nom et adresse de la première requérante, ainsi que les raisons pour lesquelles on souhaitait l’interroger, à savoir sa participation présumée à la collecte de fonds pour l’achat d’armes aux Etats-Unis. Il déclara: "Mes soupçons ont été éveillés par le briefing et j’avais la conviction que Mme Murray était soupçonnée de collecter des fonds pour acheter des armes." Interrogé par la partie adverse il certifia que le but d’une arrestation et d’une détention fondées sur l’article 14 de la loi de 1978 n’était pas de réunir des informations mais d’interroger un suspect au sujet d’une infraction. Il affirma que ses soupçons dirigés contre la première requérante s’étaient formés sur la base de tout ce qu’on lui avait dit au briefing et de ce qu’il avait lu dans un document qu’on lui avait remis à cette occasion. Il assura qu’il n’aurait pas procédé à l’arrestation si on ne lui avait pas fourni les raisons sur le fondement desquelles il était censé appréhender la personne en cause. Sous le feu des questions, il soutint qu’informé au briefing, il avait conçu le soupçon que la requérante avait participé à la collecte de fonds pour l’achat d’armes aux Etats-Unis. Questionné en outre au sujet de l’interrogatoire de Mme Murray à Springfield Road, le caporal D. déclara se rappeler que l’interrogateur avait posé des questions à l’intéressée et que celle-ci avait refusé d’y répondre. Il se souvenait que le premier avait quitté la pièce pendant un moment et avait posé quelques questions supplémentaires à son retour, mais il n’avait plus véritablement leur objet en mémoire. Les avocats de la défense revinrent à la question de l’interrogatoire de la requérante vers la fin de leur interrogatoire du caporal D. Les propos suivants furent échangés: Q. "(...) Bon, maintenant j’aimerais revenir un bref instant au moment de ce que je pourrais appeler l’interrogatoire - c’est-à-dire lorsque vous étiez tous trois dans la pièce - et aux deux reprises auxquelles, selon vous, elle a dû quitter la pièce, vous l’avez accompagnée, elle voulait se rendre aux toilettes. N’avez-vous absolument aucun souvenir des questions qui lui ont été posées?" R. "Je ne me souviens pas des questions telles qu’elles ont été posées. L’une d’elles concernait des fonds, une autre l’Amérique." Les avocats de Mme Murray ne posèrent à la partie adverse aucune question au sujet de cette réponse du témoin. Le sergent B. fut interrogé et contre-interrogé sur ce qu’il avait noté dans la partie 1 du formulaire type alors qu’il se trouvait au bureau des entrées. Il déclara que la première requérante avait décliné son nom mais refusé d’indiquer son adresse, sa date de naissance ou toute autre information. Il dénia expressément l’allégation de Mme Murray selon laquelle il lui avait dit savoir qu’elle n’était pas une délinquante et vouloir simplement mettre à jour son dossier, qui avait été égaré. Il signala que les informations consignées en 1980, à l’occasion d’une arrestation précédente de l’intéressée, n’avaient en tout cas pas été perdues, puisqu’elles avaient servi à remplir les rubriques de la première page du formulaire une fois que la requérante avait refusé de répondre à la moindre question. Interrogé par la partie adverse, il nia que l’interrogatoire de Mme Murray visât essentiellement à rassembler des éléments généraux concernant les antécédents de l’intéressée, sa famille et ses relations. D’après lui, une personne n’était arrêtée et détenue que si elle était soupçonnée d’avoir participé à une infraction. L’avocat de la défense traita expressément de la question de l’interrogatoire de la première requérante dans ses conclusions, dont le compte rendu contient le passage suivant: "M. CAMPBELL: M. le Juge, (...) vous avez connaissance des motifs pour lesquels l’agent procédant à l’arrestation exécute (inaudible) elle dépose ensuite et est présente pendant toute la durée de l’interrogatoire (...) je parle maintenant de l’interrogatoire à son tout dernier stade. LE JUGE: A la table? M. CAMPBELL: A la table, et elle a déclaré qu’au cours de l’interrogatoire, des questions avaient été soulevées concernant de l’argent et des armes, je ne peux (...) hésiter à utiliser le (inaudible); ça c’est une chose. D’autre part, il s’agissait d’une femme qui, de son propre aveu, ne voulait répondre à aucune question. Lors de son interrogatoire par les autorités militaires, elle a reconnu que c’était là son attitude; on constate donc qu’il s’agit d’un interrogatoire de quelqu’un qui n’est disposé à répondre à aucune question, mais au moins les questions sont soulevées avec elle en ce qui concerne le motif de son arrestation. LE JUGE: Cela signifie-t-il en substance qu’en raison de son refus, assez catégorique diriez-vous, de répondre à la moindre question, l’intéressée ne fut jamais interrogée de manière insistante sur le point de savoir si elle collectait de l’argent, par exemple? M. CAMPBELL: Non M. le Juge, parce qu’elle avait dit qu’elle ne répondrait à aucune question." Dans sa décision du 25 octobre 1985, le juge Murray examina de manière approfondie les dépositions du caporal D. et du sergent B., d’une part, et celle de la première requérante, de l’autre. Il dit "ne [pouvoir] accepter l’assertion de [la première requérante]" selon laquelle le sergent B. lui avait déclaré qu’on ne la soupçonnait d’aucune infraction, et qu’il entendait simplement mettre son dossier à jour. Il rejeta également l’allégation de l’intéressée d’après laquelle le caporal D. ne l’avait à aucun moment véritablement soupçonnée d’avoir commis une infraction. A la lumière du témoignage du caporal lui-même, décrit comme un "témoin manifestement honnête", il s’estima "parfaitement convaincu que, sur la base du briefing auquel il avait assisté à Musgrave Park, le caporal soupçonnait sincèrement la [première requérante] d’avoir participé à l’infraction de collecte de fonds en Irlande du Nord pour l’achat d’armes". Le juge rejeta également le grief de Mme Murray selon lequel l’article 14 de la loi de 1978 avait été utilisé aux fins d’un interrogatoire destiné à recueillir des renseignements de médiocre intérêt: il admit les déclarations - vérifiées au cours du contre-interrogatoire - du caporal D. et du sergent B. d’après lesquelles l’arrestation et la détention de la requérante fondées sur ledit texte avaient eu pour objectif d’établir des faits concernant l’infraction dont on la soupçonnait. Il ajouta également foi aux dires du caporal D. selon lesquels des questions avaient été posées concernant ce dont la requérante était soupçonnée. Il déclara: "Quant à l’interrogateur, la demanderesse a reconnu qu’il s’était intéressé aux activités de ses frères, qui, peu avant la date de l’interrogatoire, avaient été condamnés aux Etats-Unis pour des infractions à la législation sur les armes liées à l’IRA provisoire, mais, apparemment bien au courant de ses droits, elle avait manifestement décidé de ne pas coopérer avec le personnel militaire du centre. En particulier, elle avait résolu (semble-t-il) de ne répondre à aucune de leurs questions et, dans cette situation, compte tenu de la brièveté de la période de détention qu’autorise cet article, l’interrogateur et les autres membres du personnel du centre ne pouvaient pas faire grand-chose pour vérifier le bien-fondé de leurs soupçons." Le juge Murray écarta de même la plainte de la première requérante tirée du fait qu’on l’avait photographiée. D’après lui, la loi n’interdisait pas de prendre une personne en photo, même contre son gré, pourvu qu’il n’y eût ni atteinte à l’intégrité physique ni diffamation de la personne. Mme Murray fut donc déboutée de son action devant la High Court. E. La procédure devant la cour d’appel L’intéressée saisit donc la cour d’appel. Elle contesta derechef la légalité de son arrestation, faisant valoir notamment "1) que la personne qui avait procédé à son arrestation n’avait pas les soupçons requis, ou qu’il était insuffisamment établi qu’elle les avait; 2) qu’elle n’avait pas une connaissance ou une compréhension suffisamment précise de ce qui était reproché à la demanderesse pour fonder la conclusion qu’il s’agissait d’une infraction justifiant une arrestation". Dans son arrêt du 20 février 1987, la cour d’appel rejeta ces deux moyens à l’unanimité. Le juge Gibson releva: "[Le juge de première instance a] estimé, et sa conclusion est amplement justifiée par les preuves fournies, que [le caporal D.] soupçonnait sincèrement la demanderesse d’avoir participé à l’infraction de collecte, en Irlande du Nord, de fonds devant servir à l’achat, aux Etats-Unis, d’armes destinées à une organisation prohibée." A propos du second moyen, en particulier, il fit observer: "Qui dit soupçons ne dit pas preuves de culpabilité. Les soupçons peuvent exister sans éléments de preuve, même s’ils ne peuvent être dépourvus de raisons." La cour d’appel repoussa également à l’unanimité le grief de la première requérante selon lequel son arrestation, sa détention et son interrogatoire s’étaient inscrits dans le cadre d’une simple recherche exploratoire, sans rapport avec les infractions dont on la soupçonnait, et destinée à recueillir des renseignements de médiocre intérêt sur elle et sur d’autres. Pour ce faire, elle tint compte des témoignages produits de chaque côté: "Le caporal D., qui assista à l’interrogatoire, ne se souvenait guère de la succession des questions. Le seul autre témoin pour ce qui est de la conduite de cet interrogatoire était la [première requérante]. Son exposé en est également incomplet, bien qu’un peu plus détaillé. Ce qui ressort clairement des deux dépositions c’est que la [première requérante] s’est délibérément montrée peu coopérative et a refusé de répondre à la plupart des questions. Il est certain qu’elle a été interrogée au sujet de ses frères (...) qui, le mois précédent, avaient été condamnés [à des peines d’emprisonnement de deux et trois ans] pour des infractions liées à l’achat, aux Etats-Unis, d’armes à feu destinées à l’IRA. Il est clair que c’est pour semblable achat qu’elle était soupçonnée d’avoir collecté des fonds, puisqu’elle a déclaré que l’interrogateur lui avait demandé si elle avait des contacts avec ses frères. Il n’est donc pas douteux que celui-ci a cherché à vérifier le bien-fondé des soupçons à l’origine de l’arrestation mais qu’il a été incapable de progresser en ce sens." L’appel formé par la première requérante concernait aussi certaines questions connexes, telle la légalité de la perquisition à son domicile, que la cour d’appel jugea trouver une base suffisante dans l’article 14 par. 3 de la loi de 1978 (paragraphes 36 et 38 d) ci-dessous). Elle considéra que le pouvoir implicite conféré à l’armée au titre de l’article 14 comprenait la faculté d’interroger une personne détenue et, pour des raisons de nécessité pratique, celle de consigner des renseignements personnels et des détails concernant l’arrestation et la détention. Elle estima en outre que le formulaire type connu sous le nom de "formulaire de filtrage" ne contenait aucune information qui aurait pu ne pas être pertinente pour la vérification des soupçons. Au sujet de la plainte de Mme Murray tirée du fait qu’on l’avait photographiée à son insu, la cour d’appel s’exprima ainsi: "La prise de la photographie n’avait rien d’une voie de fait. La question de savoir si un acte de cette nature constitue une intrusion dans la vie privée propre à justifier une action aux Etats-Unis est dépourvue de pertinence car la [première requérante] ne peut être indemnisée que s’il s’agit d’un acte dommageable relevant de l’une des branches reconnues du droit en la matière. La common law ne prévoit aucune voie de droit pour le cas où une personne en photographie une autre contre sa volonté. L’avocat de la [première requérante] a invoqué l’article 11 par. 4 de la loi [de 1978] (...). Cette disposition habilite la police à ordonner [outre la prise d’une photographie] la prise d’empreintes digitales sans qu’il soit nécessaire d’inculper la personne en cause et de solliciter du juge une ordonnance au titre de l’article 61 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates Courts en Irlande du Nord (Magistrates Courts (Northern Ireland) Order), qui ne prévoit aucune disposition comparable en ce qui concerne la prise de photographies. Une prise d’empreintes digitales effectuée hors du consentement de la personne doit s’analyser en une voie de fait, et j’ai la conviction que l’article 11 par. 4 a été adopté non en vue de la légalisation de la prise de photographies sans le consentement des intéressés, mais pour légaliser la prise de photographies ou d’empreintes digitales là où autrement il y aurait eu voie de fait illégale. Cela ne signifie pas que la prise d’une photographie sans violence et sans le consentement de la personne puisse donner lieu à des poursuites." F. La procédure devant la Chambre des lords La première requérante reçut de la cour d’appel l’autorisation de saisir la Chambre des lords. Celle-ci la débouta de son recours le 25 mai 1988 (Murray v. Ministry of Defence, Weekly Law Reports 1988, p. 692). Devant la Chambre des lords, Mme Murray ne maintint pas son allégation selon laquelle on ne l’avait pas arrêtée parce qu’on la soupçonnait véritablement et sincèrement d’avoir commis une infraction. En revanche, elle persista à soutenir, comme devant la cour d’appel, que puisqu’elle n’avait été légalement arrêtée qu’à 7 h 30 du matin, elle avait été illégalement détenue entre 7 heures et 7 h 30. La Chambre des lords considéra qu’une personne est arrêtée à partir du moment où elle est soumise à une contrainte et que, par conséquent, Mme Murray s’était trouvée en état d’arrestation dès l’instant où le caporal D. l’avait identifiée, en pénétrant dans la maison à 7 heures. Peu importait que les termes formels de l’arrestation eussent été prononcés devant l’intéressée à 7 h 30. A cet égard, Lord Griffiths déclara (pp. 698 H - 699 A): "Si on l’avait informée qu’elle était en état d’arrestation au moment où elle déclina son identité, cela n’aurait pas eu la moindre incidence sur la suite des événements qui se sont déroulés avant qu’elle ne quitte la maison. Il eût été parfaitement déraisonnable de l’amener à demi vêtue au centre militaire, et la même demi-heure se serait écoulée pendant qu’elle faisait sa toilette et s’habillait. Il serait assez étrange que la réponse à la question de savoir si, dans ces circonstances, l’intéressée était fondée ou non à intenter une action pour emprisonnement illégal dépendît de celle de savoir si les termes de l’arrestation ont été prononcés dès l’entrée dans la maison ou au départ de celle-ci, alors que l’effet pratique de la différence sur la demanderesse est inexistant." La première requérante maintint également son point de vue selon lequel le fait qu’on ne l’eût pas informée qu’elle se trouvait en état d’arrestation avant que les soldats fussent sur le point de quitter la maison rendait l’arrestation illégale. La Chambre des lords écarta aussi cette thèse. Lord Griffiths s’exprima ainsi à son sujet (pp. 699 H - 701 A): "Il est caractéristique du pouvoir très restreint d’arrestation prévu à l’article 14 qu’un membre des forces armées n’est pas tenu d’informer la personne arrêtée de l’infraction dont on la soupçonne, car le paragraphe 2 de cette disposition l’autorise expressément à se contenter de déclarer qu’il procède à l’arrestation en sa qualité de membre des forces de Sa Majesté. Le caporal D. effectuait cette arrestation conformément aux procédures qu’il avait été chargé d’appliquer pour réaliser une arrestation à domicile fondée sur l’article 14. Cette procédure me paraît conçue de manière à ce que l’arrestation présente un minimum de risques de dommages corporels pour les personnes concernées, notamment les militaires et les occupants de l’habitation. Lorsque des arrestations sont opérées sur la base de soupçons de participation aux activités de l’IRA, ce serait refuser l’évidence que de ne pas reconnaître le risque d’une résistance par la force. La manœuvre suivie par l’armée consiste à pénétrer dans le logement et à fouiller chaque pièce à la recherche d’occupants. Ceux-ci sont sommés de se rassembler dans une pièce et, lorsque la personne à arrêter a été identifiée et est prête à partir, les termes officiels de l’arrestation sont prononcés, juste avant que le groupe ne quitte la maison. En perquisitionnant, l’armée ne cherche pas à découvrir des objets et, d’après moi, elle ne serait pas fondée à le faire. Le pouvoir de perquisitionner est conféré ‘aux fins de l’arrestation d’une personne’ et non aux fins de la recherche de pièces à conviction. Néanmoins, il est normal que dans l’exercice de leur pouvoir de perquisition aux fins d’arrestation, les membres des forces armées fouillent chaque pièce à la recherche d’autres occupants de la maison, pour le cas où certains seraient prêts à résister à l’arrestation. La perquisition ne saurait se limiter exclusivement à la recherche de la personne à arrêter; elle doit comprendre également une fouille dont l’objet est de veiller à ce que l’arrestation se déroule pacifiquement. J’estime également qu’il est tout à fait sage de prendre la précaution de prier tous les occupants de la maison de se rassembler dans une pièce. Ainsi que le caporal D. l’a expliqué dans sa déposition, si l’on procède de la sorte c’est que l’attention des militaires risque d’être détournée par d’autres occupants de la maison se précipitant d’une pièce à l’autre, soit dans un état de panique, soit afin de donner l’alarme et de résister à l’arrestation. En pareil cas, un tragique accident de tir risque trop aisément de se produire, car ces opérations sont souvent menées par des militaires armés, jeunes et souvent assez inexpérimentés, qui agissent dans des conditions d’extrême tension. Vous avez été informés que le mari et les enfants de la demanderesse, soit avaient engagé, soit envisageaient d’engager des actions pour emprisonnement illégal, au motif qu’on les avait priés de se réunir dans le salon pendant un bref moment, avant que la demanderesse ne fût emmenée. Cette brève période de contrainte constituait une étape normale et nécessaire de la procédure d’exécution pacifique de l’arrestation de la demanderesse. C’était une contrainte provisoire, de très courte durée, imposée non seulement dans l’intérêt des personnes procédant à l’arrestation, mais aussi pour la protection des occupants de la maison, et elle ne suffirait absolument pas à fonder une action pour emprisonnement illégal. A mon sens, il était parfaitement raisonnable de retarder le prononcé de la formule d’arrestation jusqu’au moment où le groupe était sur le point de partir. Prononcer la formule dès l’entrée dans la maison, avant de prendre la précaution de fouiller celle-ci afin de découvrir d’autres occupants, c’est, me semble-t-il, courir un risque véritable que l’alerte soit donnée et qu’une tentative de résistance soit opposée à l’arrestation, non seulement par les occupants de la maison, mais également sous forme d’un appel à l’aide aux personnes se trouvant dans le voisinage immédiat. Lorsque des militaires ont la tâche difficile et potentiellement dangereuse d’arrêter à domicile une personne soupçonnée d’une infraction liée à l’IRA, il est selon moi indispensable qu’ils aient été formés à la manoeuvre qu’ils doivent exécuter. Il serait irréalisable et, d’après moi, potentiellement dangereux de laisser le militaire chargé de l’arrestation libre de concevoir ses propres techniques d’exécution de cette tâche militaire peu habituelle. Il est de l’intérêt de chacun que l’arrestation s’effectue pacifiquement, et je suis convaincu que les procédures adoptées par l’armée sont sensées, raisonnables et conçues de manière que l’arrestation soit réalisée avec un minimum de risques et de détresse pour toutes les personnes concernées. Je tiens à ajouter ce correctif: si, pour une raison quelconque, le suspect refuse d’accepter la contrainte exercée dans la maison, il faut l’informer immédiatement qu’il se trouve en état d’arrestation." La première requérante persista aussi à faire valoir devant la Chambre des lords que sa période de détention avait excédé ce qui était normalement nécessaire pour décider s’il fallait la libérer ou la remettre à la police. Elle invoqua à cet égard le fait que le formulaire type ("screening proforma") constituait une base illicite pour interroger un suspect, au motif qu’il comportait des questions non directement pertinentes pour l’infraction présumée; en outre, d’après elle, il ne ressortait pas des témoignages que son interrogatoire avait porté sur les agissements dont on la soupçonnait. La Chambre des lords rejeta l’allégation à l’unanimité. Lord Griffiths fit observer à son sujet (pp. 703 F - 704 C): "Le militaire qui a procédé à l’interrogatoire entre 8 h 20 et 9 h 35 du matin n’a pas été cité comme témoin pour le ministère de la Défense. Il peut y avoir eu, à la base de cette décision, de bonnes raisons liées à la préservation du caractère confidentiel des techniques d’interrogatoire et de l’identité de l’interrogateur mais, quoi qu’il en soit, les seuls témoignages concernant ce qui s’est passé au cours de l’interrogatoire émanent du caporal D. et de la [première requérante]. Celle-ci prétend qu’ils ne suffisent pas à établir que l’interrogatoire visait à vérifier les soupçons à l’origine de son arrestation. Le caporal D. a assisté à l’interrogatoire; il n’était pas extrêmement attentif mais il a déclaré dans sa déposition qu’il se souvenait de questions concernant des fonds, qui avaient manifestement un lien avec les infractions dont on soupçonnait la [requérante]. Celle-ci a également déclaré qu’on l’avait interrogée au sujet de ses frères. Le juge avait aussi devant lui un questionnaire complété par l’interrogateur. (...) On n’y trouve aucune question que l’armée ne serait pas raisonnablement fondée à poser au suspect conjointement avec les questions particulières appropriées au cas d’espèce (...)" La Chambre des lords tint pour justifiée, au vu des témoignages, la conclusion du juge de première instance selon laquelle on n’avait pas posé à la requérante de questions inutiles ou déraisonnables, ainsi que celle de la cour d’appel d’après laquelle l’interrogateur avait cherché, avec l’intéressée, à vérifier les soupçons qui avaient motivé son arrestation, mais avait été incapable de progresser en ce sens. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Introduction La population de l’Irlande du Nord - un million et demi d’âmes - subit depuis plus de vingt ans une campagne de terrorisme qui s’est traduite par des milliers de tués, mutilés ou blessés et a fini par s’étendre au reste du Royaume-Uni et au continent européen. La loi de 1978 fait partie de la législation spéciale adoptée au fil des ans afin d’aider les forces de sécurité à combattre efficacement le danger de violence terroriste. B. Entrée et perquisition; arrestation et détention La première requérante fut arrêtée en vertu de l’article 14 de la loi de 1978 qui, à l’époque des faits, était ainsi libellé: "1. Tout membre en service des forces de Sa Majesté est autorisé à arrêter sans mandat et à détenir pendant quatre heures au plus une personne qu’il soupçonne de commettre, d’avoir commis, ou d’être sur le point de commettre une infraction, quelle qu’elle soit. Quiconque procède à une arrestation au titre du présent article se conforme à toute règle de droit l’obligeant à préciser le motif de l’arrestation s’il déclare qu’il y procède en sa qualité de membre des forces de Sa Majesté. Aux fins de l’arrestation d’une personne au titre du présent article, tout membre des forces de Sa Majesté est autorisé à pénétrer et perquisitionner dans tous locaux et autres lieux a) où cette personne se trouve, ou b) si elle est soupçonnée d’être un terroriste ou d’avoir commis une infraction comportant l’usage ou la possession d’un explosif, d’une substance explosive ou d’une arme à feu, où on la soupçonne d’être." Une disposition analogue était en vigueur depuis 1973 et avait été jugée nécessaire à la lutte contre le terrorisme dans deux études indépendantes (le rapport de la commission Diplock de 1972, qui préconisait semblable pouvoir, et celui d’un comité présidé par Lord Gardiner en 1974/1975). En 1983, le gouvernement invita Sir George Baker, haut magistrat à la retraite, à étudier le jeu de la loi de 1978 afin de déterminer si elle ménageait un juste équilibre entre les nécessités, d’une part, de maintenir les libertés individuelles dans la mesure la plus large possible et, de l’autre, d’octroyer aux forces de sécurité et aux tribunaux des pouvoirs suffisants pour leur permettre de protéger la population des répercussions actuelles et prévisibles des menées terroristes. Le rapport qui s’ensuivit prêta une attention particulière, notamment, au besoin d’inclure à l’article 14 de la loi de 1978 une condition aux termes de laquelle une arrestation devrait se fonder sur des soupçons plausibles. Tout en reconnaissant l’existence d’un risque, celui que les faits motivant les soupçons aient été signalés par une source confidentielle que l’on ne puisse dévoiler devant un tribunal dans une instance civile pour arrestation arbitraire, Sir George Baker conclut que l’adjonction d’une exigence de plausibilité ne changeait rien, en pratique, aux actions des militaires, et il recommanda donc l’adoption d’un amendement en ce sens à la loi de 1978. Cette recommandation fut traduite dans les faits en juin 1987. Les tribunaux internes ont examiné la portée et l’exercice des pouvoirs conférés par l’article 14 à l’occasion des procédures engagées en l’espèce. D’après le droit applicable, tel que précisé dans les décisions rendues dans le cadre de celles-ci, lorsque la légalité d’une arrestation ou d’une détention fondée sur l’article 14 est contestée (que ce soit par la voie de l’habeas corpus ou par celle d’une action en dommages-intérêts pour arrestation arbitraire ou emprisonnement illégal), il incombe aux militaires de justifier leurs actes, et en particulier d’établir: a) le respect des conditions de forme de l’arrestation, b) la sincérité des soupçons à l’origine de celle-ci; c) que les pouvoirs d’arrestation et de détention n’ont pas été utilisés dans un but illégitime, par exemple pour réunir des informations; d) que le pouvoir de perquisition a été employé uniquement pour faciliter l’arrestation et non pour recueillir des preuves à charge; e) que les responsables de l’arrestation et de la détention n’ont pas dépassé le temps raisonnablement requis pour décider de l’opportunité de relâcher le détenu ou de le remettre à la police. C. Photographie L’article 11 de la loi de 1978, qui concerne les arrestations effectuées par la police, dispose en son paragraphe 4: "Lorsqu’une personne est arrêtée au titre de cet article, un membre de la police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary) possédant au moins le grade d’inspecteur en chef (chief inspector) peut ordonner à un agent de la photographier et de prendre ses empreintes digitales et palmaires, et l’agent en question peut, de manière raisonnable, faire usage de la force nécessaire à cet effet." Le droit commun de l’Irlande du Nord, comme le droit anglais, permet de photographier une personne à son insu ou sans son consentement, à condition de ne pas recourir à la force et de ne pas exploiter la photographie d’une manière qui porte atteinte à l’honneur de l’intéressé (paragraphes 26 et 30 in fine ci-dessus). La règle de common law habilitant l’armée à prendre une photographie fournit également la base juridique pour sa conservation. D. Formulaire type Ainsi que l’ont confirmé notamment la cour d’appel et la Chambre des lords en l’espèce, le formulaire type (appelé formulaire de filtrage, "screening proforma") faisait partie intégrante de l’interrogatoire de la première requérante consécutif à son arrestation, et la justification légale de l’enregistrement dans ce formulaire de données personnelles la concernant procédait de la légalité de son arrestation, de sa détention et de son interrogatoire au titre de l’article 14 de la loi de 1978 (paragraphes 30, premier alinéa in fine, et 34 ci-dessus). La justification légale implicite conférée par ce texte à l’enregistrement d’informations au sujet de la première requérante fournissait également la base légale pour leur conservation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission de leur requête (no 14310/88) le 28 septembre 1988. Mme Murray alléguait que son arrestation et sa détention pendant deux heures aux fins d’interrogatoire étaient constitutives d’une violation de l’article 5 paras. 1 et 2 (art. 5-1, art. 5-2) pour laquelle elle ne pouvait faire valoir aucun droit à réparation au sens de l’article 5 par. 5 (art. 5-5); elle soutenait en outre que la prise et la conservation d’une photographie et de renseignements personnels à son sujet étaient contraires au droit au respect de sa vie privée qu’elle puisait dans l’article 8 (art. 8). Les cinq autres requérants voyaient une violation de l’article 5 paras. 1, 2 et 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-5) dans le fait qu’on les avait obligés à se rassembler pendant une demi-heure dans une pièce de leur maison tandis que Mme Murray se préparait à quitter celle-ci avec l’armée. De surcroît, d’après eux, la consignation et la conservation de certaines données personnelles les concernant, tels leurs noms et leurs liens avec la première requérante, se heurtaient à leur droit à la vie privée au sens de l’article 8 (art. 8). Pour l’ensemble des six requérants, la pénétration dans leur maison et sa fouille par l’armée avaient violé le droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile que leur garantissait l’article 8 (art. 8) de la Convention, et l’absence de recours effectif en droit interne pour leurs doléances précitées avait enfreint l’article 13 (art. 13). Ils formulaient également, sur le terrain des articles 3 et 5 par. 3 (art. 3, art. 5-3), diverses plaintes dont ils se désistèrent le 11 avril 1990. Le 10 décembre 1991, la Commission a retenu l’ensemble des griefs de Mme Murray et la doléance énoncée par les autres requérants sous l’angle de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne l’entrée et la perquisition dans leur domicile familial. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 17 février 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis a) que, dans le cas de la première requérante, il y a eu violation du paragraphe 1 (art. 5-1) (onze voix contre trois), du paragraphe 2 (art. 5-2) (dix voix contre quatre) et du paragraphe 5 (art. 5-5) (onze voix contre trois) de l’article 5; b) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) (treize voix contre une); c) qu’il ne s’impose pas d’examiner en outre la plainte fondée par la première requérante sur l’article 13 (art. 13) à propos de l’absence de recours pour son arrestation et sa détention et du manque d’information au sujet des raisons de son arrestation; d) que, dans le cas de la première requérante, il n’y a eu violation de l’article 13 (art. 13) ni en ce qui concerne l’entrée et la perquisition dans sa maison (unanimité) ni quant à la prise et la conservation d’une photographie et de renseignements personnels à son sujet (dix voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et des trois opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 24 janvier 1994, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions de son mémoire; elles invitaient la Cour à juger "1) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 paras. 1, 2 et 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-5) de la Convention dans le cas de la [première] requérante; 2) qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) ni dans le cas de la [première] requérante ni dans celui des autres requérants; 3) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) en ce qui concerne les griefs de la [première] requérante portant sur l’entrée et la perquisition dans sa maison et sur la prise et la conservation d’une photographie et de renseignements personnels; 4) qu’il n’y a pas eu violation de cette clause en ce qui concerne les griefs de la [première] requérante relatifs à son arrestation; à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour constaterait une violation de l’article 5 par. 5 (art. 5-5), qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 (art. 13)". Les requérants y ont pareillement maintenu en substance les conclusions et demandes formulées à la fin de leur mémoire et invitant la Cour "à décider et déclarer: 1) que les faits révèlent des violations des paragraphes 1, 2 et 5 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-5) de la Convention; 2) qu’ils révèlent une violation de l’article 8 (art. 8); 3) qu’ils révèlent une violation de l’article 13 (art. 13)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité danoise, M. Jens Olaf Jersild est journaliste et réside à Copenhague. Il était, au moment des événements à l’origine de la présente affaire, et est toujours employé à la Danmarks Radio (Société danoise de diffusion, qui émet des programmes non seulement de radio, mais aussi de télévision); il y est affecté au magazine d’actualités dominical (Søndagsavisen). Il s’agit d’une émission réputée sérieuse, destinée à un public bien informé; elle traite d’un large éventail de questions sociales et politiques, parmi lesquelles la xénophobie, l’immigration et les réfugiés. A. Le reportage sur les blousons verts Le 31 mai 1985, le journal Information publia un article rendant compte des attitudes racistes de membres d’un groupe de jeunes, s’appelant eux-mêmes "les blousons verts" (grønjakkerne), à Østerbro (Copenhague). A la lecture de cet article, les rédacteurs du magazine d’actualités dominical décidèrent de produire un documentaire sur les blousons verts. Le requérant prit par la suite contact avec des représentants de ceux-ci, invitant trois des leurs, ainsi que M. Per Axholt, travailleur social au centre local de la jeunesse, à participer à un entretien télévisé. Au cours de celui-ci, qui fut conduit par le requérant, les trois blousons verts s’exprimèrent de manière injurieuse et méprisante à l’égard des immigrés et des groupes ethniques établis au Danemark. L’entretien dura de cinq à six heures, ce qui a donné un enregistrement sur bande de deux heures à deux heures et demie. Danmarks Radio versa des appointements aux participants, conformément à sa pratique habituelle. Le requérant mit alors l’entretien en forme et procéda à des coupures pour le ramener à un film de quelques minutes. Le 21 juillet 1985, Danmarks Radio diffusa celui-ci dans le cadre du magazine d’actualités dominical. L’émission traita de divers sujets, par exemple la loi martiale en Afrique du Sud, le débat sur la participation aux bénéfices au Danemark et l’écrivain allemand Heinrich Böll, qui venait de mourir. La transcription du reportage sur les blousons verts est la suivante [(I): le présentateur de la télévision; (A): le requérant; (G): l’un ou l’autre des trois blousons verts]: (I) "Au cours des dernières années, on a beaucoup parlé du racisme au Danemark. Les journaux publient actuellement des récits au sujet de la défiance et du ressentiment à l’égard des minorités. Qui sont-ils, ceux qui haïssent les minorités? D’où viennent-ils? Quelle est leur mentalité? M. Jens Olaf Jersild a rencontré un groupe de jeunes extrémistes à Østerbro, à Copenhague. (A) Le drapeau fiché dans le mur est celui des Etats sudistes à l’époque de la guerre civile américaine, mais aujourd’hui il est également le symbole du racisme, celui du mouvement américain, le Ku Klux Klan, et il est révélateur de ce que sont Lille Steen, Henrik et Nisse. Es-tu un raciste? (G) Oui, je me considère comme tel. C’est bien d’être raciste. Pour nous, le Danemark aux Danois. (A) Henrik, Lille Steen et tous les autres sont membres d’un groupe de jeunes gens qui vivent à Studsgårdsgade, dénommé STUDSEN, à Østerbro (Copenhague). C’est un complexe de logements sociaux dont un grand nombre des habitants sont au chômage et vivent de la sécurité sociale; le taux de délinquance est élevé. Certains des jeunes gens de ce voisinage ont déjà été impliqués dans des activités délictueuses et ont déjà été condamnés. (G) Il s’agissait d’un vol à main armée ordinaire dans une station d’essence. (A) Qu’as-tu fait? (G) Rien. Je me suis simplement pointé dans une station d’essence avec un ... pistolet et les ai obligés à me donner de l’argent. Ensuite je me suis tiré. C’est tout. (A) Et, en ce qui te concerne, qu’est-il arrivé? (G) Je n’ai pas envie d’en dire plus. (A) Mais, y a-t-il eu de la violence? (G) Oui. (A) Tu viens juste de sortir de ... tu as été arrêté, pourquoi as-tu été arrêté? (G) Violence dans la rue. (A) Qu’est-il arrivé? (G) J’ai eu une petite bagarre avec la police en compagnie de quelques amis. (A) Cela arrive-t-il souvent? (G) Oui, par ici cela arrive souvent. (A) En tout, de 20 à 25 jeunes gens de STUDSEN font partie du même groupe. Ils se rencontrent non loin de la zone des logements sociaux près de quelques vieilles maisons qui doivent être abattues. Là, ils se rencontrent pour réaffirmer notamment leurs convictions racistes, leur haine des immigrés et leur soutien au Ku Klux Klan. (G) Le Ku Klux Klan, c’est quelque chose qui vient des Etats [-Unis] autrefois pendant - tu sais - la guerre civile et des choses comme ça, parce que les Etats nordistes voulaient que les nègres soient des êtres humains libres, mon pote, ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des bêtes, juste, ça a tout à fait mal tourné, mon pote. Les gens devraient être autorisés à avoir des esclaves, c’est ce que je pense en tout cas. (A) Parce que les Noirs ne sont pas des êtres humains? (G) Non, tu peux également le voir à la structure de leur corps, mon pote, de gros nez écrasés, avec des oreilles en chou-fleur, etc., mon pote. De larges têtes et de très larges corps, mon pote, poilus, tu regardes un gorille et tu compares avec un singe, mon pote, c’est le même [comportement], mon pote, ce sont les mêmes mouvements, de longs bras, mon pote, de longs doigts, etc., de longs pieds. (A) Beaucoup de gens parlent autrement. Il y a beaucoup de gens qui disent, mais ... (G) Prends simplement un gorille en photo, mon pote, et regarde ensuite un nègre, c’est la même structure physique et tout, mon pote, un front plat et tout est comme ça. (A) Il y a de nombreux Noirs, aux Etats-Unis par exemple, qui ont des jobs importants. (G) Naturellement, il y en a toujours un qui veut faire de l’épate, comme s’ils étaient mieux que l’homme blanc, mais, à la longue, c’est l’homme blanc qui est meilleur. (A) Que signifie le Ku Klux Klan pour toi? (G) Cela signifie beaucoup, parce que je pense que ce qu’ils font est juste. Un nègre, c’est pas un être humain, c’est une bête, et c’est pareil pour tous les autres travailleurs étrangers, les Turcs, les Yougoslaves et compagnie. (A) Henrik a 19 ans et il vit de la sécurité sociale. Il habite une pièce louée au Studsgårdsgade. Il est un des partisans les plus acharnés du Klan, et il hait les travailleurs étrangers, les ‘Perkere’ [un terme danois très péjoratif désignant les travailleurs immigrés]. (G) Ils arrivent ici, mon pote, et vivent aux crochets de notre société. Mais nous, on a déjà suffisamment de mal à recevoir nos prestations sociales, mon pote, eux ils les ont tout de suite. Merde, nous pouvons nous quereller avec ces crétins du bureau de la sécurité sociale pour avoir notre argent, mais eux ils le reçoivent tout de suite, ils sont les premiers sur la liste des logements, ils reçoivent de meilleurs appartements que nous, mon pote, et certains de nos amis qui ont des enfants vivent dans les pires taudis, mon pote, ils ne peuvent même pas avoir de douche dans leur appartement, mon pote, alors ces familles ‘Perkere’, mon pote, elles débarquent avec sept mômes, mon pote, et obtiennent un appartement cher, tout de suite. Tout leur est payé et des choses comme ça, c’est vraiment pas normal, le Danemark aux Danois, non? C’est le fait qu’ils sont des ‘Perkere’, c’est ça ce que nous on n’aime pas, d’accord, et nous on n’aime pas leur mentalité - je veux dire, on s’en fout bien qu’ils, je veux dire ... ce qui s’appelle ... je veux dire que s’ils veulent parler russe chez eux, bien, d’accord, mais ce que nous on n’aime pas, c’est quand ils se promènent dans ces frusques Zimbabwe et baragouinent ensuite dans la rue, et si tu leur demandes quelque chose ou si tu vas dans un de leurs taxis, ils te disent: je ne sais pas où c’est, et c’est toi qui les renseignes. (A) Est-ce que ce n’est pas peut-être que tu les jalouses un petit peu parce que certains des ‘Perkere’ comme tu les appelles, ont leurs propres magasins et voitures, ils peuvent joindre les deux bouts ... (G) C’est de la drogue qu’ils vendent, mon pote, la moitié des gens en prison à ‘Vestre’ y est à cause de la drogue, mon pote, la moitié des prisonniers de Vestre en tout cas, ce sont des gens qui sont en tôle parce qu’ils se sont occupés de drogue ou quelque chose de ce genre. Ils y sont, tous les ‘Perkere’, à cause de la drogue, d’accord. [Ça] suffit, comme on dit, il ne devrait pas y avoir de la drogue dans ce pays, mais si elle doit vraiment entrer en contrebande ici, je pense que c’est à nous à le faire, je veux dire que pour moi c’est injuste que ces étrangers s’amènent ici pour ... comment ça s’appelle ... rendre le Danemark plus esclave de la drogue et des choses comme ça. On a peint leurs portes, on espérait qu’ils en auraient marre, comme ça ils partiraient rapidement, on a sauté sur leurs voitures et on leur a jeté de la peinture dans la figure, lorsqu’ils dormaient dans leurs lits. (A) Qu’est-ce que vous avez fait avec cette peinture - pourquoi de la peinture? (G) Parce que c’était de la peinture blanche, je crois que ça leur convenait bien, c’était l’effet recherché. (A) Vous avez jeté de la peinture par les fenêtres d’une famille immigrée? (G) Oui. (A) Que s’est-il passé? (G) Il l’a reçue en plein dans la figure, c’est tout. Bien, je crois qu’il s’est réveillé et il est sorti ensuite et a crié quelque chose dans son baragouin. (A) L’a-t-il signalé à la police? (G) Je ne sais pas s’il l’a fait, de toute façon je crois que ça n’aurait servi à rien. (A) Pourquoi pas? (G) Je ne sais pas, c’est juste une bêtise de gosses, comme d’autres personnes qui jettent de l’eau à la figure des gens, il a reçu de la peinture dans la sienne. Il n’y a pas de quoi en faire un plat. --- (A) Per Axholt, dénommé ‘Pax’ [(P)], travaille dans le centre de jeunesse de Studsgårdsgade. Il y travaille depuis plusieurs années, mais de nombreuses personnes y renoncent bien avant en raison de la dureté du milieu. Per Axholt estime que les adolescents persécutent les immigrés parce qu’eux-mêmes sont impuissants et frustrés. Selon vous, si vous les interrogiez, de quoi diraient-ils avoir besoin? (P) La même chose que vous et moi. Une certaine maîtrise de leur vie, un travail qu’on pourrait considérer comme décent et qu’ils aiment, une situation économique satisfaisante, une famille fonctionnant normalement, une femme ou un mari et des enfants, une vie normale de type classe moyenne comme vous et moi. (A) Ils font beaucoup de choses qui les empêchent certainement d’y arriver. (P) Exact. (A) Pourquoi pensez-vous qu’ils agissent ainsi? (P) Parce qu’ils n’ont rien de mieux à faire. On leur dit depuis très longtemps qu’ils ne peuvent réussir que par l’argent. Ils sont incapables d’obtenir de l’argent par des voies légitimes, donc, fréquemment, ils cherchent à l’obtenir par des activités délictueuses. Quelquefois ils y réussissent, quelquefois non, et c’est pourquoi nous voyons de nombreux adolescents dans cette situation aller en prison, parce que cela ne marche pas. --- (A) Quel âge avais-tu quand tu as commencé tes activités délictueuses? (G) Je ne sais pas, environ 14 ans, je crois. (A) Qu’est-ce que tu as fait? (G) La première fois, je ne me rappelle pas, je ne sais pas, cambriolage. (A) As-tu ce qu’on peut appeler un passé de délinquant? (G) Je ne sais pas si on peut l’appeler comme ça. (A) Tu as commis ton premier délit alors que tu avais 14 ans. (G) Eh bien tu peux le présenter comme ça, je veux dire, si c’est ça un passé de délinquant. Si tu as été impliqué dans des infractions depuis l’âge de 15 ans, je crois que tu peux dire que j’ai un passé de délinquant. (A) Peux-tu me parler de certaines choses que tu as faites? (G) Non, pas vraiment. Ça a toujours et toujours été la même chose. Il y avait le chapardage de vidéos, alors les ‘Perkere’ étaient nos clients, ils ont du fric. Si des gens veulent venir ici et avoir du bon temps et être racistes et boire de la bière et s’amuser, alors, c’est tout à fait clair tu ne veux pas aller en tôle. (A) Mais est-ce la menace de la prison qui dissuade vraiment les gens de faire quelque chose d’illégal? (G) Non, ce n’est pas la prison, cela n’effraie pas les gens. (A) C’est pourquoi tu entends des histoires au sujet de gens d’ici se battant au couteau, etc., nuit après nuit. Est-ce que c’est parce qu’ils n’ont pas peur que la police s’empare d’eux? (G) Oui, ça ne donne pas grand-chose, je veux dire, il n’y a pas de mauvaises conséquences, c’est probablement la raison. Par exemple, la bagarre, et les coups de poignard et casser des trucs ... Si vraiment tu vas en tôle, ce serait une peine ridiculement faible, ce serait donc je veux dire ... généralement on est libéré le lendemain. La dernière fois qu’on a fait du chambard dans un pub, mon pote, on a été relâchés le lendemain matin. Il n’en sort vraiment rien. Cela ne nous décourage pas, mais on était cinq, on venait de sortir et on a fêté le dernier type qui est sorti hier, ils ne veulent probablement pas y retourner pendant un certain temps, de sorte que, les grosses infractions, ils n’en feront probablement pas de nouvelles. (A) Tu aimerais retourner à Studsgårdsgade, où tu as grandi, mais on est certain que c’est un milieu avec un taux élevé de délinquance. Tu aimerais que ton enfant grandisse comme toi? (G) Non et je ne crois pas que ce sera son cas. D’abord, parce que c’est une fille, les statistiques montrent que le risque n’est pas aussi élevé, je crois que, probablement, elles ne le font pas, mais on n’est pas forcément un délinquant parce qu’on vit dans un milieu à taux de délinquance élevé. Je ne pourrais pas supporter qu’elle s’attaque à des femmes âgées et vole leur sac à main. (A) Et si elle était de ces gens qui battent les immigrés, etc., alors qu’en dirais-tu? (G) Ce serait normal. Je n’aurais rien contre. --- (I) Nous devrons examiner si la mentalité de cette famille évolue au cours de la prochaine génération. Enfin, nous tenons à dire que des groupes d’adolescents tels que celui-ci au STUDSEN à Østerbro se sont constitués dans d’autres quartiers de Copenhague." B. La procédure devant le tribunal de Copenhague L’émission ne valut aucune plainte au Conseil de la radio, compétent en la matière, ni à Danmarks Radio, mais l’évêque d’Ålborg en adressa une au ministre de la Justice. Après l’instruction, le procureur général engagea devant le tribunal de Copenhague (Københavns Byret) des poursuites contre les trois jeunes interrogés par le requérant au motif qu’ils avaient enfreint l’article 266 b) du code pénal (straffeloven) (paragraphe 19 ci-dessous) pour avoir fait les déclarations suivantes: "(...) les Etats nordistes voulaient que les nègres soient des êtres humains libres, mon pote, ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des bêtes." "Prends simplement un gorille en photo, mon pote, et regarde ensuite un nègre, c’est la même structure physique et tout, mon pote, un front plat et tout est comme ça." "Un nègre, c’est pas un être humain, c’est une bête, et c’est pareil pour tous les autres travailleurs étrangers, les Turcs, les Yougoslaves et compagnie." "C’est le fait qu’ils sont des ‘Perkere’, c’est ça ce que nous on n’aime pas, d’accord, et nous on n’aime pas leur mentalité (...) ce que nous on n’aime pas, c’est quand ils se promènent dans ces frusques Zimbabwe et baragouinent ensuite dans la rue (...)" "C’est de la drogue qu’ils vendent, mon pote, la moitié des gens en prison à ‘Vestre’ y est à cause de la drogue (...) ce sont des gens qui sont en tôle parce qu’ils se sont occupés de drogue (...)" "[T]ous les ‘Perkere’ [sont en tôle] à cause de la drogue." Le requérant fut inculpé, en vertu de l’article 266 b) combiné avec l’article 23 (paragraphe 19 ci-dessous), de complicité avec les trois adolescents; le chef du service des actualités de Danmarks Radio, M. Lasse Jensen, fit l’objet de la même inculpation. Devant le tribunal de Copenhague, l’avocat du requérant et de M. Jensen demanda leur acquittement. Il soutint que leur comportement ne pouvait absolument pas se comparer avec celui des trois autres inculpés, dont les vues ne leur inspiraient aucune sympathie. Ils auraient simplement voulu rendre compte d’un fait social d’une manière réaliste et, d’ailleurs, l’émission n’aurait suscité que du dégoût et inspiré de la compassion à l’égard des trois autres inculpés, qui se seraient exposés au ridicule à leurs risques et périls. Ainsi, Danmarks Radio n’aurait aucunement eu l’intention de gagner d’autres personnes aux opinions des blousons verts, au contraire. Selon le droit pertinent, il faudrait distinguer entre les personnes formulant les déclarations et les responsables d’une émission, ces derniers jouissant d’une liberté d’expression particulière. Alors titulaire d’un monopole, Danmarks Radio aurait eu le devoir de diffuser toutes les opinions présentant un intérêt général sous une forme qui reflétât la manière dont leurs auteurs s’expriment. Le public aussi aurait un intérêt à être informé d’attitudes sociales notoirement mauvaises, même celles qui sont désagréables. L’émission aurait été diffusée dans le contexte d’un débat public qui aurait donné lieu à des articles de presse, entre autres dans Information, et se serait bornée à rendre fidèlement compte des réalités des jeunes en question. Se référant notamment à l’article d’Information précité, l’avocat releva aussi qu’il n’y avait pas de pratique systématique pour ce qui est des poursuites dans des cas de ce genre. Le 24 avril 1987, le tribunal de Copenhague reconnut les trois jeunes coupables, l’un d’eux pour avoir dit que les "nègres" et les "travailleurs étrangers" étaient des bêtes, et les deux autres pour leurs assertions relatives à la drogue et aux "Perkere". Le requérant fut convaincu de complicité, de même que M. Jensen en sa qualité de responsable des programmes; ils se virent infliger des jours-amendes (dagsbøder) pour un total de 1 000 et 2 000 couronnes danoises respectivement, ou en ordre subsidiaire une peine de cinq jours d’emprisonnement (hæfte). S’agissant du requérant, le tribunal constata qu’à la suite de la publication de l’article d’Information du 31 mai 1985, il avait rendu visite aux blousons verts et qu’après s’être entretenu avec M. Axholt, entre autres, était convenu que les trois jeunes participeraient à une émission télévisée. Cette émission avait pour objet de montrer les attitudes des blousons verts à l’égard du racisme à Østerbro, que l’article d’Information avait exposées précédemment, ainsi que leur contexte social. Donc, selon le tribunal, le requérant avait été lui-même à l’origine de l’émission télévisée et, en outre, il savait à l’avance que des déclarations discriminatoires de caractère raciste seraient selon toute vraisemblance formulées au cours de l’entretien. Celui-ci avait duré plusieurs heures au cours desquelles on avait consommé de la bière, en partie aux frais de Danmarks Radio. A ce propos, le requérant aurait encouragé les blousons verts à exprimer leurs opinions racistes dont la diffusion à la télévision constitue en soi une infraction à l’article 266 b) du code pénal. Les déclarations auraient été diffusées sans aucun contre-commentaire pour rétablir l’équilibre, à partir du découpage des enregistrements effectués par M. Jersild. Celui-ci serait donc coupable de complicité d’infraction à l’article 266 b). C. La procédure devant la cour d’appel du Danemark oriental Le requérant et M. Jensen, mais non les trois blousons verts, attaquèrent devant la cour d’appel du Danemark oriental (Østre Landsret) le jugement du tribunal de Copenhague. Ils reprirent pour l’essentiel les arguments exposés devant celui-ci, et M. Jersild expliqua en outre que, s’il se doutait que les déclarations des blousons verts tombaient sous le coup de la loi, il avait décidé de ne pas les censurer car il estimait de la plus haute importance de rendre compte de l’attitude réelle de ces jeunes. Il aurait présumé qu’ils connaissaient le risque encouru de poursuites pénales en faisant ces déclarations, et ne les aurait donc pas mis en garde. Le 16 juin 1988, la cour d’appel écarta le recours par cinq voix contre une. Le membre dissident estima que, si les déclarations des blousons verts constituaient des infractions au regard de l’article 266 b) du code pénal, le requérant et M. Jensen n’avaient pas transgressé les limites de la liberté d’expression dont doivent jouir la télévision et les autres médias, au motif que l’émission visait à informer d’un débat public sur les attitudes racistes et la situation sociale particulière du groupe de jeunes en question et à nourrir ledit débat. D. La procédure devant la Cour suprême Après y avoir été autorisés, le requérant et M. Jensen se pourvurent contre l’arrêt de la cour d’appel devant la Cour suprême (Højesteret). Celle-ci les débouta par quatre voix contre une le 13 février 1989. La majorité dit: "Les inculpés ont été à l’origine de la diffusion des déclarations racistes formulées par un cercle restreint de personnes, ce qui rendait celles-ci punissables et ils ont donc, ainsi qu’en ont jugé le tribunal de Copenhague puis la cour d’appel, violé l’article 266 b) combiné avec l’article 23 du code pénal. [Nous] n’estim[ons] pas que la protection de la liberté d’expression sur des questions d’intérêt général, par opposition avec la protection contre la discrimination raciale, justifierait l’acquittement des inculpés. [Nous nous prononçons] donc en faveur de la confirmation de l’arrêt [attaqué]." Dans son opinion dissidente, le juge Pontoppidan s’exprima en ces termes: "L’émission tendait à contribuer à informer sur un thème - l’attitude envers les étrangers - qui donnait lieu à un débat public approfondi et quelquefois passionné. Elle doit passer pour avoir rendu compte clairement des vues des blousons verts, au sujet desquels le public a eu la possibilité d’être informé et de se forger une opinion. Eu égard à la nature de ces idées, toute contradiction apportée au cours du débat ou immédiatement avant ou après n’aurait pas servi un objectif raisonnable. Même s’il s’agissait d’un groupe relativement réduit de personnes aux idées extrémistes, l’émission présentait une certaine valeur sur le plan de l’actualité et de l’information. Quant à l’appréciation du comportement des inculpés, le fait qu’ils ont pris l’initiative de diffuser ces vues ne revêt pas une importance primordiale. Dans ces conditions et indépendamment de ce que les déclarations aient à juste titre été tenues pour contraires à l’article 266 b), je doute qu’il soit opportun de juger les inculpés coupables de complicité de manquement à cette disposition. Je me prononce donc en faveur de leur acquittement." Lorsque la Cour suprême rend un arrêt dans une affaire soulevant d’importantes questions de principe, un membre de la majorité publie d’habitude un exposé des motifs détaillé et autorisé. Conformément à cette pratique, le juge Hermann en publia un le 20 janvier 1990 dans la Revue juridique hebdomadaire (Ugeskrift for Retsvæsen 1989, p. 399). En ce qui concerne la condamnation du requérant et de M. Jensen, la majorité avait accordé du poids au fait que c’était eux qui s’étaient employés à ce que les déclarations racistes fussent publiées. M. Jersild n’aurait pas rendu compte en direct d’une réunion, mais aurait lui-même pris contact avec les trois jeunes qu’il aurait amenés à faire des déclarations comme celles auparavant formulées dans Information, et dont il aurait su et aurait probablement escompté qu’ils les répéteraient. Il aurait ensuite réduit lui-même les nombreuses heures d’enregistrement à quelques minutes, celles contenant les observations crues. Ces mêmes déclarations, qui ne seraient guère tombées sous le coup de l’article 266 b) du code pénal si elles n’avaient pas été diffusées à un large cercle ("videre kreds") de gens, seraient devenues manifestement délictueuses dès lors qu’elles avaient été transmises par la télévision à l’initiative du requérant et avec l’approbation de M. Jensen. Il était donc hors de doute qu’ils avaient été complices de leur diffusion. Pour acquitter le requérant et M. Jensen, il eût fallu des raisons pesant nettement plus que le caractère dommageable de leurs actes. A cet égard, on devrait mettre en balance l’intérêt d’une protection des personnes grossièrement insultées par les déclarations et l’intérêt d’informer le public de celles-ci. S’il était souhaitable d’assurer à la presse les conditions les plus favorables possible pour rendre compte des problèmes de société, sa liberté ne saurait être illimitée car la liberté d’expression s’accompagnerait de responsabilités. En recherchant un équilibre entre les divers intérêts en jeu, la majorité aurait considéré le fait que les déclarations, diffusées à un large public, n’étaient rien d’autre qu’une suite d’observations et d’injures incohérentes et diffamatoires proférées par les représentants d’un groupe minime dont les opinions ne pouvaient guère intéresser un grand nombre de gens. Elles n’auraient pas eu une valeur d’actualité ou d’information propre à justifier leur diffusion et donc l’acquittement des inculpés. Non que la presse ne pût signaler des opinions extrémistes, mais elle devrait les rapporter d’une manière plus équilibrée et globale que cela n’avait été le cas dans l’émission télévisée en cause. Elle devrait également pouvoir rendre compte en direct de réunions offrant un intérêt général. La minorité aurait estimé en revanche que le droit à l’information l’emportait sur les intérêts protégés par l’article 266 b) du code pénal. Le juge Hermann releva enfin que la question de la compatibilité des mesures dénoncées avec l’article 10 (art. 10) de la Convention n’avait pas été soulevée au cours du procès. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal A l’époque des faits, l’article 266 b) du code pénal disposait: "Quiconque, publiquement ou avec l’intention de la diffuser à un large cercle ("videre kreds") de gens, émet une déclaration ou une autre communication menaçant, insultant ou humiliant un groupe de personnes, en raison de leur race, de leur couleur, de leur origine nationale ou ethnique ou de leurs croyances, encourt une amende ou une peine de détention ou de réclusion ne pouvant excéder deux ans." Aux termes de l’article 23 par. 1: "La peine sanctionnant une infraction frappe quiconque a contribué à l’accomplissement de l’acte délictueux par des incitations, des conseils ou des actes. La peine peut être réduite dans le cas d’une personne qui ne se proposait que d’apporter un concours accessoire ou de renforcer une intention déjà arrêtée, dans le cas où l’infraction n’a pas été commise ou encore si une assistance délibérée n’a pas atteint son but." B. La loi de 1991 sur la responsabilité des médias La loi de 1991 sur la responsabilité des médias (Medieansvarsloven, 1991:348), entrée en vigueur le 1er janvier 1992, donc après les événements à l’origine de la présente affaire, renferme des dispositions notamment sur la responsabilité pénale du fait d’émissions de télévision. L’article 18 est ainsi libellé: "Toute personne qui formule une déclaration au cours d’une émission non diffusée en direct (forskudt udsendelse) en est responsable conformément aux dispositions légales de droit commun, sauf si: son identité ne ressort pas de l’émission; ou [elle] n’a pas consenti à la diffusion de la déclaration; ou [elle] a reçu l’assurance qu’elle peut prêter son concours [à l’émission] sans que son identité soit révélée et si les précautions nécessaires ont été prises à cet effet. Dans les cas visés au paragraphe 1, alinéas 1 à 3 ci-dessus, le rédacteur est responsable du contenu des déclarations même s’il y a eu infraction à la loi en l’absence d’une intention ou d’une négligence de sa part (...)" Aux termes de l’article 22: "Quiconque lit ou communique de toute autre manière un texte ou une déclaration, n’est pas responsable du contenu desdits texte ou déclaration." III. INSTRUMENTS DES NATIONS UNIES Plusieurs instruments internationaux contiennent des dispositions prohibant la discrimination raciale et tendant à prévenir la propagande pour des opinions et idées racistes: la Charte des Nations Unies de 1945 (paragraphe 2 du Préambule, articles 1 par. 3, 13 par. 1 b), 55 c) et 76 c)), la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (articles 1, 2 et 7) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (articles 2 par. 1, 20 par. 2 et 26). Le traité portant le plus directement sur la question est la Convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ("la Convention des Nations Unies"), qu’une grande majorité des Etats parties à la Convention européenne, dont le Danemark (le 9 décembre 1971), ont ratifiée. Ses articles 4 et 5 sont ainsi libellés: Article 4 "Les Etats parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales; ils s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des droits expressément énoncés à l’article 5 de la présente Convention, ils s’engagent notamment: a) à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement; (...)" Article 5 "Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l’article 2 de la (...) Convention, les Etats parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants: (...) d) (...) viii. droit à la liberté d’opinion et d’expression; (...)" Les termes "tenant dûment compte" figurant à l’article 4 donnent lieu à diverses interprétations et le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale ("le Comité des Nations Unies" - chargé de surveiller la mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies) fut divisé dans ses commentaires sur la condamnation du requérant. Le gouvernement danois avait présenté le cas d’espèce dans un rapport au Comité des Nations Unies. Certains membres y ont vu "l’affirmation la plus claire jamais faite dans un pays de la primauté du droit à la protection contre la discrimination raciale sur le droit à la liberté d’expression"; d’autres, en revanche, ont estimé qu’"en pareil cas, il fallait examiner les faits par rapport aux deux droits" (rapport du Comité à l’Assemblée générale, Documents officiels, Quarante-cinquième session, supplément no 18 (A/45/18), p. 26, par. 56). PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 15890/89) du 25 juillet 1989 à la Commission, M. Jersild affirmait que sa condamnation méconnaissait son droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention. Le 8 septembre 1992, la Commission a retenu la requête. Dans son rapport du 8 juillet 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 10 (art. 10) (douze voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 20 avril 1994, le Gouvernement a invité la Cour à dire que, comme il le soutenait dans son mémoire, il n’y a pas eu violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention.
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M. Giovanni Muti habite Bergame. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 6-10 de son rapport): "6. Le requérant, à la suite d'un examen par la Commission médico-sanitaire de Bergame le 21 mars 1975, fut déclaré inapte à continuer l'exercice de ses fonctions au greffe du parquet de Bergame, en raison de son invalidité physique. Par un arrêté (decreto) du 10 avril 1975, enregistré à la Cour des comptes le 2 mai 1977, le ministère de la Justice lui reconnut le droit à une pension à partir du 8 avril 1975. Le 27 août 1975, le requérant présenta une demande de pension privilégiée ordinaire, au motif que son invalidité était due à l'exercice de ses fonctions. Il se soumit à des examens, effectués par la Commission médico-militaire qui rendit son avis le 30 novembre 1978. A la suite de cet avis, par un arrêté du 2 mars 1979, le ministère rejeta la demande: il arguait du fait que, selon le rapport médical de 1978, une partie des troubles dont souffrait l'intéressé ne découlaient pas de l'exercice de ses fonctions et que d'autres, s'ils pouvaient en résulter, ne suffisaient pas à le rendre inapte au travail. Le 1er juin 1979, le requérant saisit la Cour des comptes d'un recours contre ladite décision. Le 24 octobre 1979, le secrétariat de cette cour invita le ministère de la Justice à lui transmettre le dossier du requérant, ce qui fut fait le 15 novembre 1979. Le 3 décembre 1979, le dossier fut communiqué au procureur général près la Cour des comptes (Procuratore Generale presso la Corte dei Conti) pour instruction et pour le dépôt de ses conclusions. Le procureur général demanda le 3 avril 1984 à la Commission médico-légale du ministère de la Défense de se prononcer, après avoir examiné le requérant, sur l'origine et l'étendue des troubles. Le rapport médical parvint au parquet le 2 décembre 1986. Le 20 janvier 1987, le procureur général déposa ses conclusions et demanda le rejet du recours. Le 22 mai 1987, le président de la troisième chambre juridictionnelle fixa les débats au 16 septembre 1987. Le 7 septembre 1987, le requérant déposa, pour sa part, une expertise médicale privée. Après l'audience, la Cour adopta une décision qui accueillait partiellement la demande du requérant en lui reconnaissant le droit à une pension privilégiée ordinaire pour les troubles tirant leur origine de l'exercice de ses fonctions. Cette décision, prononcée en dernier ressort, fut déposée au greffe le 8 janvier 1988 et communiquée à l'avocat du requérant le 22 avril 1988." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 15 juin 1988. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de l'examen de son action devant la Cour des comptes. La Commission a retenu la requête (n° 14146/88) le 12 janvier 1993. Dans son rapport du 5 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle relève à l'unanimité une violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt**. _______________ ** Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 281-C de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen portugais né en 1936 et domicilié à Oeiras, M. Otelo Saraiva de Carvalho était lieutenant-colonel de l’armée portugaise au moment des faits. Le 10 juin 1984, il fut arrêté puis placé en détention provisoire du chef de création et direction d’une organisation terroriste, infraction prévue à l’article 288 du code pénal; on le soupçonnait de figurer parmi les fondateurs et meneurs des "FP 25 de Abril" (Forces populaires 25 avril), groupement qui avait revendiqué plusieurs attentats, attaques à main armée et meurtres. A. La procédure d’instruction Le 30 décembre 1984, celui des juges du tribunal d’instruction criminelle (tribunal de instrução criminal) de Lisbonne à qui l’affaire avait été confiée, clôtura l’instruction contradictoire et transmit le dossier au ministère public. Le 7 janvier 1985, le parquet formula ses réquisitions (acusação). Il reprochait au requérant et à plusieurs de ses coïnculpés d’avoir conçu le "projet global" visant, par l’action des "FP 25 de Abril", à prendre le pouvoir par les armes et à renverser les institutions de l’Etat. Il soulignait que M. Saraiva de Carvalho se trouvait à l’origine du projet. Conformément aux articles 59 de la loi no 82/77 du 6 décembre 1977 sur l’organisation judiciaire, 8 du décret-loi no 269/78 du 1er septembre 1978 et 365 du code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous), le dossier fut adressé, avec les réquisitions du ministère public, au tribunal criminel (tribunal criminal) de Lisbonne afin que le membre de celui-ci chargé de l’affaire, M. Antonio Salvado, prît le despacho de pronúncia ou de não pronúncia. Le 22 janvier 1985, ledit magistrat rendit un despacho de pronúncia. Après avoir constaté l’absence tant d’irrégularités entachant l’instruction que de toute autre cause propre à empêcher un examen au fond, il rejeta les réquisitions du ministère public quant à quatre des coïnculpés, au motif que les indices rassemblés ne suffisaient pas pour permettre de formuler un jugement sérieux de probabilité de culpabilité ("a prova indiciária recolhida (...) é insuficiente para (...) permitir a formulação de um sério juizo de probabilidade sobre a sua culpabilidade"). En revanche, il les accueillit dans la mesure où elles concernaient M. Saraiva de Carvalho et soixante-douze autres prévenus et décida, sauf pour trois d’entre eux, de les maintenir en détention provisoire. Le requérant n’interjeta pas appel de cette ordonnance en vertu de l’article 371 du code précité (paragraphe 26 ci-dessous). B. La procédure de jugement Devant le tribunal criminel de Lisbonne Les débats s’ouvrirent le 7 octobre 1985 devant la quatrième chambre du tribunal criminel de Lisbonne, composée de trois juges et siégeant sous la présidence de M. Salvado. Ils s’étalèrent sur non moins de 263 séances. A l’audience du 8 octobre, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Lisbonne pour contester la compatibilité des textes précités (paragraphe 11 ci-dessus), attribuant à un même juge compétence pour rendre tant le despacho de pronúncia que le jugement, avec l’article 32 par. 5 de la Constitution portugaise et l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Selon lui, en prenant une telle ordonnance ledit magistrat se formait sur la culpabilité du prévenu une opinion préalable qui risquait de l’influencer au moment de statuer sur le fond. Le même jour, le tribunal déclara le recours recevable et décida de le communiquer à la juridiction supérieure conjointement avec un éventuel appel contre sa propre sentence à venir. Le 20 mai 1987, le tribunal, estimant que le requérant était un membre dirigeant des "FP 25 de Abril" mais non un de leurs fondateurs, lui infligea quinze ans d’emprisonnement militaire (presídio militar), dont un an, dix mois et quinze jours immédiatement amnistiés. Il acquitta seize des coaccusés et condamna solidairement M. Saraiva de Carvalho et les autres à payer à l’Etat 1 000 000 000 escudos. Devant la cour d’appel de Lisbonne Le 25 novembre 1987, la cour d’appel (tribunal de relação) de Lisbonne rejeta les recours exercés devant elle par le ministère public et trente-sept des accusés, dont M. Saraiva de Carvalho. Contrairement au tribunal criminel, elle aboutit à la conclusion que le requérant comptait aussi au nombre des fondateurs des "FP 25 de Abril". En conséquence, elle porta la peine à dix-huit ans d’emprisonnement militaire, dont deux ans et trois mois amnistiés sur-le-champ. Elle confirma le montant à verser. Au sujet du grief tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (paragraphe 14 ci-dessus), elle souligna que les travaux préparatoires révélaient le but de l’article 59 de la loi no 82/77, précitée; il consistait précisément à empêcher le juge d’instruction de se prononcer sur les infractions soumises à son examen; voilà pourquoi le législateur avait conféré au juge du fond, et non au magistrat instructeur, compétence pour prendre le despacho de pronúncia, lequel impliquait une appréciation et une qualification des faits incriminés. Devant la Cour suprême Saisie par M. Saraiva de Carvalho, la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) rejeta le recours le 22 juin 1988. Renvoyant à sa jurisprudence, elle déclara qu’il n’y avait pas incompatibilité entre les textes critiqués par le requérant et l’article 32 par. 5 de la Constitution. D’après elle, le juge qui rendait le despacho de pronúncia n’était pas lié par la position adoptée à ce stade de la procédure et jouissait d’une entière liberté quand il statuait sur le fond, de sorte que son impartialité ne se trouvait nullement menacée. D’autre part, la Cour suprême, considérant que le requérant était uniquement l’un des dirigeants des "FP 25 de Abril", ramena la peine à dix-sept ans d’emprisonnement. Devant la Cour constitutionnelle L’intéressé s’adressa enfin à la Cour constitutionnelle (Tribunal constitucional). Répétant l’argumentation développée par lui devant les juridictions de recours, il souligna notamment que le despacho de pronúncia représentait l’acte capital de l’accusation. Selon lui, la circonstance que cette décision émanait d’un magistrat siégeant ensuite au tribunal de jugement violait l’article 32 par. 5 de la Constitution, lequel consacrait la séparation absolue entre l’instruction, l’accusation et le jugement; elle portait en outre atteinte à l’impartialité de la juridiction, car ledit magistrat abordait l’examen du fond avec un préjugé défavorable au prévenu. Dans son arrêt du 15 février 1989, la Cour constitutionnelle insista sur la nécessité de distinguer entre l’accusation, qui relevait du ministère public, et le despacho de pronúncia. Ce dernier visait, sans plus, à contrôler la probabilité de la culpabilité afin d’éviter un jugement en l’absence d’indices suffisants. Il s’analysait donc en une décision sur la viabilité de l’accusation et n’entraînait aucun préjugé dans le chef du magistrat lors de l’examen au fond. Il remplissait par conséquent une fonction sélective et de garantie. Même en donnant aux faits une qualification différente, le juge n’agissait pas en accusateur. En l’espèce, on ne pouvait taxer M. Salvado de partialité pour la simple raison qu’il avait rendu le despacho de pronúncia. Il en fût allé autrement si sa décision avait débordé le cadre du réquisitoire et y avait apporté des modifications substantielles. Dans cette hypothèse, non réalisée en l’occurrence, la distinction entre l’acte d’accusation et le despacho de pronúncia se serait effacée car le juge eût empiété sur les attributions du parquet. En revanche, la Cour constitutionnelle accueillit un autre moyen, non soumis à l’appréciation de la Cour européenne des Droits de l’Homme et relatif à un défaut de motivation du jugement de première instance (paragraphes 27 et 28 ci-dessous). En conséquence, elle renvoya la procédure devant la Cour suprême afin que celle-ci prît les mesures adéquates. Le 23 février 1989, le ministère public sollicita des éclaircissements sur certains passages de l’arrêt, ainsi que la rectification d’erreurs matérielles y figurant. Le 12 avril, la Cour constitutionnelle ordonna la correction de ces dernières, accéda sur un point à la demande d’éclaircissement et fournit les précisions voulues. La procédure ultérieure Statuant sur renvoi le 17 mai 1989, la Cour suprême cassa l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, du 25 novembre 1987, et renvoya l’affaire à celle-ci pour une nouvelle appréciation des faits. Le jour même, le requérant fut mis en liberté provisoire. Le 13 septembre 1989, la cour d’appel de Lisbonne rendit un nouvel arrêt contre lequel le ministère public et plusieurs accusés, dont le requérant, se pourvurent devant la Cour suprême. Le 19 décembre 1990, cette dernière accueillit partiellement les recours et modifia en conséquence la décision querellée. M. Saraiva de Carvalho et sept de ses coaccusés attaquèrent l’arrêt de la Cour suprême devant la Cour constitutionnelle. L’issue de la procédure n’est pas connue. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Aux termes de l’article 32 par. 5 de la Constitution, "La procédure pénale a un caractère accusatoire, l’audience du procès et les actes d’instruction que la loi détermine étant assujettis au principe du contradictoire." B. Le code pénal Selon l’article 288 du code pénal, "1. Celui qui promeut ou fonde un groupe, organisation ou association terroriste sera puni d’un emprisonnement de cinq à quinze ans. Est considéré comme groupe, organisation ou association terroriste tout groupement de deux personnes ou plus qui, agissant de concert, visent à porter atteinte à l’intégrité et à l’indépendance nationales ou à empêcher, modifier ou altérer le fonctionnement des institutions de l’Etat, telles qu’elles sont établies par la Constitution, ou à forcer l’autorité publique à accomplir un acte, s’abstenir de le faire ou le tolérer, ou encore à intimider certaines personnes, certains groupes ou la population entière en commettant des infractions: (...) e) qui impliquent l’emploi de bombes, grenades, armes à feu, substances ou engins explosifs, matières incendiaires de toute nature, paquets ou lettres piégés. (...) Lorsque [les membres d’] un groupe, organisation ou association (...) se trouvent en possession d’un des moyens mentionnés à l’alinéa e) du paragraphe 2 en vue de réaliser ses fins criminelles, la peine est aggravée d’un tiers dans ses limites minimale et maximale." C. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale - un nouveau texte s’applique depuis le 1er janvier 1988 - étaient les suivantes: Article 349 "Si de l’instruction ressortent des indices suffisants de l’existence d’un fait punissable, de l’identité de son auteur et de sa responsabilité, le ministère public, s’il a qualité (legitimidade) pour le faire, formule ses réquisitions." Article 365 "Si l’action pénale est exercée par le ministère public ou, le cas échéant, par l’assistente, le dossier est immédiatement soumis au juge afin que ce dernier, dans un délai de huit jours, prononce son despacho de pronúncia ou de não pronúncia." Article 366 "Le despacho de pronúncia contient: les nom, profession et adresse, s’ils sont connus, des accusés ou les éléments nécessaires pour identifier ceux-ci; l’exposé précis des faits dont ils passent pour responsables et la qualité dans laquelle ils ont agi; les circonstances aggravantes ou atténuantes, particulières ou générales; l’indication de la loi qui interdit et punit les faits; la décision sur la liberté provisoire de l’accusé, maintenant ou modifiant, conformément à la loi, la situation antérieure; les précisions exigées par les articles 354, 356 et 357, si elles sont nécessaires, et l’ordre de transmission au casier judiciaire des bulletins concernant les accusés; la date et la signature du juge. (...)" Article 371 "Le ministère public, l’accusation privée ou les accusés peuvent interjeter appel du despacho de pronúncia. Le ministère public et l’accusation privée peuvent interjeter appel du despacho de não pronúncia (...)" Aux termes de l’article 59 de la loi no 82/77 du 6 septembre 1977 sur l’organisation judiciaire, "Les tribunaux criminels sont compétents pour la pronúncia, le jugement et les étapes ultérieures concernant les affaires pénales, sous réserve des articles 63, 67 et 70." L’article 8 du décret-loi no 269/78 du 1er septembre 1978, mettant en application la loi précitée, dispose: "Les juges des tribunaux criminels sont compétents pour la pronúncia ou ce qui y équivaut, le jugement et les étapes ultérieures concernant les affaires à examiner selon la procédure dite de querela ou dans lesquelles doit intervenir le tribunal collégial." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Saraiva de Carvalho a saisi la Commission le 10 octobre 1989 (requête no 15651/89). Il se plaignait d’une atteinte à son droit à un examen de sa cause par un "tribunal impartial", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce que le même magistrat avait d’abord rendu le despacho de pronúncia puis présidé le tribunal criminel. Il alléguait aussi n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable en raison d’un défaut de motivation du jugement de première instance. Le 17 mai 1990, la Commission a déclaré le second grief irrecevable; elle a retenu le premier le 19 mai 1992. Dans son rapport du 14 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre huit, à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour "de dire qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DES ESPÈCES A. M. Schouten M. Schouten est un citoyen néerlandais résidant à Zoetermeer. Il a introduit sa requête en qualité de directeur général unique de Praktijk mevrouw Breevaart B.V. ("Breevaart"), société à responsabilité limitée de droit néerlandais ayant son siège à Hendrik Ido Ambacht. Le Gouvernement, la Commission et la société Breevaart ayant apparemment accepté que, pour les besoins de la présente procédure, M. Schouten soit identifié à la société, la Cour ne se référera, d’une manière générale, qu’à M. Schouten dans la suite du texte. Breevaart était propriétaire d’un cabinet de kinésithérapie, y compris de ses locaux et de son équipement. Lorsqu’en 1984 le directeur général et actionnaire alors unique de Breevaart décéda, l’activité du cabinet fut poursuivie par trois kinésithérapeutes associés de l’intéressé. Apparemment devenu directeur général de la société, M. Schouten conclut avec les kinésithérapeutes un accord aux termes duquel c’était lui qui concluait les contrats avec les diverses caisses d’assurance-maladie (ziekenfondsen), mais c’étaient les kinésithérapeutes eux-mêmes qui facturaient leurs prestations auxdites caisses. M. Schouten avait droit à 35 % de chaque note d’honoraires pour le service consistant à mettre à la disposition des kinésithérapeutes l’immeuble et son équipement. Les kinésithérapeutes pouvaient isoler une rémunération pour la gestion journalière du cabinet; les caisses effectuaient leurs paiements au profit de M. Schouten, qui ristournait aux kinésithérapeutes les sommes qui leur étaient dues. En mars 1987, ceux-ci rachetèrent à Breevaart le cabinet, y compris l’immeuble et le matériel. Ils constituèrent entre eux une société en juin 1987. Les deux conventions reçurent effet rétroactif au 1er janvier de la même année. L’accord décrit ci-dessus devint ainsi caduc. En mars 1987, l’Association professionnelle pour la santé et le bien-être mental et social (Bedrijfsvereniging voor de Gezondheid, Geestelijke en Maatschappelijke Belangen - "la BVG") réclama à M. Schouten le versement de cotisations pour les kinésithérapeutes, au titre des lois sur l’assurance-maladie (Ziektewet), sur les caisses d’assurance-maladie (Ziekenfondswet), sur l’assurance-chômage (Werkloosheidswet) et sur l’assurance-invalidité professionnelle (Wet op de arbeidsongeschiktheidsverzekering) pour les années 1984, 1985, 1986 et 1987. Le 27 mars 1987, M. Schouten adressa à la BVG une protestation contre son appel de cotisations et lui demanda confirmation formelle (voor beroep vatbare beschikking) de sa décision, dans la perspective d’un recours. La BVG la lui fit parvenir le 9 décembre 1988, avec les motifs de sa décision. Se basant sur les circonstances décrites au paragraphe 8 ci-dessus, elle jugea que si la relation contractuelle entre les kinésithérapeutes et M. Schouten ne pouvait passer pour un contrat de travail, elle en constituait "l’équivalent social" (maatschappelijk gelijkgesteld). Les kinésithérapeutes étaient donc considérés non pas comme des praticiens indépendants, mais comme des salariés de M. Schouten, lequel avait l’obligation légale de verser pour eux des cotisations de sécurité sociale. En ce qui concerne l’année 1987, la BVG ne s’estimait pas tenue par l’effet rétroactif des deux conventions. M. Schouten saisit, le 21 décembre 1988, la commission de recours (Raad van Beroep) de Rotterdam. N’ayant articulé aucun moyen dans son acte d’appel, il sollicita une prorogation du délai pour ce faire jusqu’au 1er juin 1989. Il justifia cette demande par deux motifs: premièrement, compte tenu des congés de décembre, il ne lui serait pas possible de préparer les documents requis et, deuxièmement, la commission centrale de recours (Centrale Raad van Beroep) se trouvait saisie d’une procédure dans laquelle des questions très similaires devaient être tranchées, et il souhaitait pouvoir modifier son raisonnement à la lumière de la décision qui serait rendue dans cette affaire. Le délai fut prorogé jusqu’au 15 septembre 1989. Par une lettre du 10 juillet 1989, la BVG retira ses revendications concernant l’année 1987. M. Schouten compléta son acte d’appel par un exposé de ses moyens le 11 septembre 1989. Outre la formulation d’observations relatives à l’indépendance des kinésithérapeutes, il fit valoir que la décision de la BVG était viciée, au motif que l’article 6 (art. 6) de la Convention avait été violé: premièrement, le laps de temps - un an et neuf mois - qui s’était écoulé entre la demande de confirmation formelle de la décision initiale de la BVG et l’intervention de cette confirmation était plus long que ce que l’on pouvait estimer "raisonnable" et, deuxièmement, le fait qu’en ne délivrant pas une confirmation formelle, une association professionnelle (bedrijfsvereniging) pouvait retarder indéfiniment l’accès d’un appelant à un tribunal constituait une violation du principe de "fair-play". La commission de recours tint une audience le 13 décembre 1989 et rendit sa décision le même jour. Elle jugea que même si la relation contractuelle entre M. Schouten et les kinésithérapeutes ne pouvait passer pour un "contrat de travail", elle devait, eu égard à la jurisprudence de la commission centrale de recours, en être considérée comme l’"équivalent social"; les kinésithérapeutes devaient donc être assimilés à des "salariés" de M. Schouten aux fins de la législation pertinente en matière de sécurité sociale, et celui-ci avait donc l’obligation de verser des cotisations pour eux. En ce qui concerne les arguments de l’intéressé fondés sur l’article 6 (art. 6) de la Convention, la commission de recours estima qu’il n’était pas correct pour une autorité administrative de priver sans juste motif un administré d’une confirmation formelle, surtout pendant une très longue période, comme la BVG l’avait fait en l’espèce. Néanmoins, quand bien même l’article 6 (art. 6) serait applicable et aurait été violé, le requérant ne pouvait y puiser des droits ne s’accordant pas avec des dispositions impératives de droit néerlandais (dwingend recht). Le 15 janvier 1990, M. Schouten saisit la commission centrale de recours d’un acte d’appel et sollicita une prorogation du délai pour soumettre ses arguments; il justifiait sa demande par la nécessité d’obtenir et examiner une copie d’une décision de la commission centrale de recours elle-même, qui avait été citée dans la décision de la commission de recours. M. Schouten présenta ses arguments écrits à la commission centrale de recours le 25 avril 1990. Il fit valoir notamment que la commission de recours s’était trompée en n’examinant pas l’affaire sous l’angle de l’article 6 (art. 6); la Convention était directement applicable aux Pays-Bas, primait le droit national et, non seulement une confirmation formelle n’était pas intervenue dans un "délai raisonnable", mais le fait que les appelants étaient soumis à des délais stricts pour demander une confirmation formelle, alors que les associations professionnelles ne devaient en respecter aucun pour répondre, avait pour conséquence une inégalité procédurale manifeste. Prêtant le flanc à la critique, le comportement de la BVG devait être sanctionné, et la sanction évidente était l’annulation de sa décision. La commission centrale de recours statua le 10 juillet 1991. Elle estima qu’à l’époque considérée les kinésithérapeutes pouvaient à bon droit passer pour des "salariés" aux fins de la législation pertinente en matière de sécurité sociale. Se référant à sa jurisprudence antérieure, elle jugea en outre que la question de l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) de la Convention n’appelait pas de réponse. Elle n’apercevait aucune indication dans le libellé de la clause et n’avait connaissance "d’aucune décision pertinente de la Cour européenne des Droits de l’Homme". En tout état de cause, dans les cas où la confirmation formelle d’une décision était intervenue avec retard, elle avait égard, principalement, aux principes généraux de bonne administration (algemene beginselen van behoorlijk bestuur) et, le cas échéant, au principe du "fair-play". Avec M. Schouten, elle considérait que la BVG avait mis très longtemps à confirmer formellement sa décision. Les excuses avancées par celle-ci - une enquête concernant le cabinet de M. Schouten et, d’une manière générale, un nombre excessif de cas concernant des cabinets de kinésithérapeutes - n’étaient pas suffisantes en soi; comme la loi sur les recours (Beroepswet) ne prévoyait ni mesures provisoires ni appel dans l’hypothèse d’une omission de réagir dans un délai raisonnable, pareil retard constituait un obstacle sérieux à l’accès à un tribunal. Toutefois, il ne ressortait pas du dossier que M. Schouten eût demandé à obtenir plus tôt la confirmation formelle litigieuse. Il n’avait pas mentionné dans son recours un intérêt général à la sécurité juridique ou un intérêt financier découlant du fait que la BVG réclamait des intérêts (rente) sur les sommes dues; toutefois, tandis que celles-ci demeuraient impayées, les intérêts dus à la BVG se trouvaient compensés dans une certaine mesure par les intérêts - sans conteste inférieurs - que M. Schouten pouvait obtenir dans l’intervalle. Le droit d’accès à un tribunal n’avait d’importance que pour les litiges relatifs à la fixation des cotisations de sécurité sociale. Il "ne pouvait pas automatiquement être transposé" de manière à priver la BVG du droit de fixer ces cotisations. Dès lors, la demande de M. Schouten tendant à l’annulation de la décision en question bien que les cotisations elles-mêmes eussent été fixées en temps utile devait être écartée. Enfin, la commission centrale de recours ne constata aucune violation des principes de "fair-play" et d’"égalité des armes", dès lors qu’il n’apparaissait pas que M. Schouten n’eût pas eu suffisamment l’occasion de présenter ses arguments pendant que la BVG préparait sa décision ou dans le courant de la procédure. L’inégalité quant aux délais ne constituait pas en soi semblable violation, car dans de tels cas les décisions devaient être prises avec beaucoup de précaution. L’appel fut donc rejeté. B. M. Meldrum Citoyen néerlandais né en 1947, M. Meldrum réside à Dordrecht, où il travaille comme kinésithérapeute. Jusqu’au 1er décembre 1986, il était lié à un certain nombre d’autres kinésithérapeutes par un accord qui, pour l’essentiel, était identique à celui de M. Schouten (paragraphe 8 ci-dessus). Le 1er décembre 1986, un contrat de travail entra en vigueur entre M. Meldrum et les autres kinésithérapeutes, et l’accord ci-dessus prit fin. En octobre 1987, la BVG adressa à M. Meldrum un appel de cotisations pour les autres kinésithérapeutes, au titre des lois sur l’assurance-maladie, sur les caisses d’assurance-maladie, sur l’assurance-chômage et sur l’assurance-invalidité professionnelle, pour les années 1984, 1985 et 1986. Par une lettre du 4 décembre 1987, M. Meldrum adressa à la BVG une protestation contre son appel de cotisations et lui demanda confirmation formelle de sa décision, dans la perspective d’un recours. La BVG la lui envoya le 1er mai 1989. Son raisonnement ne différait pas en substance de celui développé dans le cas de M. Schouten (paragraphe 11 ci-dessus). M. Meldrum saisit la commission de recours de Rotterdam le 18 mai 1989 et demanda à pouvoir compléter son acte d’appel jusqu’au 15 septembre 1989. Il justifiait cette requête par deux motifs: premièrement, il souhaitait soumettre des calculs effectués par un comptable et se référer à une décision devant intervenir dans une affaire qui se trouvait pendante devant la commission centrale de recours et dans laquelle des questions analogues devaient être tranchées et, deuxièmement, les vacances d’été approchaient. Sa demande accueillie, il compléta son acte d’appel le 11 septembre 1989. La BVG présenta sa réponse le 16 novembre 1989. A l’audience devant la commission de recours (dont la date n’est pas connue), le requérant déclara envisager une saisine de la Cour européenne des Droits de l’Homme et il invita la commission de recours à rendre une décision aussi détaillée que possible. Celle-ci statua le 2 juillet 1990. Se référant à la jurisprudence de la commission centrale de recours, elle jugea qu’en vertu de la législation pertinente en matière de sécurité sociale, M. Meldrum avait l’obligation de verser des cotisations pour les autres kinésithérapeutes. Le retard litigieux n’avait, selon elle, causé aucun préjudice au requérant; les principes de "fair-play" et de "procès équitable" n’avaient donc pas été violés. En ce qui concerne les arguments de M. Meldrum relatifs à la détermination de ses droits dans un "délai raisonnable", la commission de recours en déduisit que l’intéressé présumait apparemment que, dans le cadre de l’article 6 (art. 6), les délais étaient "absolus". Or il ressortait de la jurisprudence de la Cour européenne que c’est la situation de fait qui était pertinente pour juger si une décision donnée avait été rendue dans un délai raisonnable. Le fait, pour une autorité administrative respectant les délais légaux, d’excéder ce qui, d’une manière générale, pourrait être considéré comme un délai raisonnable pour statuer sur un litige ne pouvait lui faire perdre son droit de réclamer des cotisations de sécurité sociale. Quoi qu’il en soit, et bien qu’une décision prise dans un délai plus bref eût été préférable, la période en question ne dépassait pas la mesure du raisonnable aux fins de l’article 6 (art. 6). La commission de recours ajouta que la manière de procéder de la BVG dans les cas de cette nature avait donné lieu à un nombre inutile d’appels, partiellement dus à "l’attitude obstinée des intéressés", mais qu’il n’apparaissait ni dans cette espèce ni dans d’autres que la BVG avait fait des déclarations ou agi d’une manière propres à créer des attentes légitimes sur la base desquelles la commission de recours pouvait décider que les droits de réclamer le paiement de cotisations de sécurité sociale pour la période considérée avaient pris fin. L’appel fut donc rejeté. M. Meldrum saisit alors la commission centrale de recours le 26 juillet 1990. Il combattit la thèse selon laquelle le retard mis par la BVG à lui confirmer formellement sa décision ne lui avait causé aucun préjudice. Il soutint qu’au moment où il s’était finalement vu autoriser l’accès à la commission de recours, la jurisprudence relative aux kinésithérapeutes s’était déjà formée et était devenue difficile à changer; elle aurait pu prendre un visage différent si les bons arguments avaient été avancés à un stade antérieur; s’il avait été l’un des premiers à faire appel, ses arguments auraient été examinés au fond, et il n’y aurait pas été répondu par une formule standardisée. Enfin, il réitéra ses arguments fondés sur le principe du "fair-play". Vu qu’un appelant disposait d’un délai de deux mois seulement, alors que l’autorité administrative défenderesse pouvait retarder indéfiniment une procédure, il était possible à cette dernière de choisir des "affaires pilotes" qui formeraient alors la base d’une jurisprudence favorable à l’autorité administrative défenderesse et qui servirait de précédent pour d’autres affaires. Après une audience tenue le 6 février 1991 et à laquelle M. Meldrum n’était pas représenté, la commission centrale de recours statua le 13 mars 1991. Elle rejeta les arguments de M. Meldrum concernant la question de l’indépendance des autres kinésithérapeutes et estima que la relation entre eux et M. Meldrum était de nature à obliger ce dernier à verser des cotisations de sécurité sociale pour eux. En ce qui concerne les arguments de l’intéressé fondés sur l’article 6 (art. 6), elle laissa ouverte la question de savoir si l’affaire concernait des "droits et obligations de caractère civil": dans les affaires de cette nature, l’exigence d’une décision rendue dans un délai raisonnable ne s’appliquait pas à la phase précédant le recours à une juridiction administrative en vertu de la loi sur les recours. Elle admit que la procrastination d’une autorité administrative pouvait éventuellement constituer un obstacle à l’accès d’un appelant à un tribunal, mais elle ne s’exprima pas sur la question de savoir si pareil droit d’accès découlait directement de l’article 6 (art. 6). Rien dans le dossier ne donnait à penser que le requérant avait accompli quelque démarche que ce fût pour hâter l’envoi de la confirmation formelle. Tenant compte, notamment, de la nécessité d’un complément d’investigation et de correspondance, et du fait qu’il apparaissait que le retard était lié au grand nombre de demandes de confirmation formelle, la commission centrale de recours aboutit à la conclusion qu’en ne délivrant pareille confirmation que le 1er mai 1989 - beaucoup trop longtemps après la demande du requérant - la BVG ne pouvait pas réellement passer pour avoir entravé les efforts éventuellement déployés par le requérant pour avoir accès plus tôt à un tribunal. Quant à l’argument selon lequel le retard mis à donner la confirmation formelle avait porté préjudice à la situation procédurale de M. Meldrum, la commission centrale de recours releva que la cause de l’intéressé ne soulevait aucune question qui n’eût été traitée dans des affaires antérieures. En outre, dès lors qu’ils se fondaient sur des dispositions légales impératives, les appels de cotisations émanant de la BVG pour les années 1984, 1985 et 1986 ne violaient aucun principe général de bonne administration d’une manière telle que la BVG aurait dû se départir de son obligation légale de réclamer les sommes en cause. Le recours fut donc rejeté. Toutefois, la décision de la commission de recours avait été basée sur des chiffres que la BVG avait corrigés de son propre chef dans le courant de la procédure devant la commission centrale de recours, de sorte que, pour des motifs de forme, la décision de la commission de recours devait être partiellement annulée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les associations professionnelles En vertu de l’article 2 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale (Organisatiewet sociale verzekeringen), il appartient aux associations professionnelles de mettre en oeuvre la loi sur l’assurance-maladie, la loi sur les caisses d’assurance-maladie, la loi sur l’assurance-chômage et la loi sur l’assurance-invalidité professionnelle. Il existe une association professionnelle pour chacun des différents secteurs de la vie économique. Il s’agit d’associations (verenigingen) de droit privé créées par les organisations d’employeurs et de salariés considérées comme suffisamment représentatives du secteur concerné par le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi (Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid); institutions à but obligatoirement non lucratif, elles doivent avoir pour objet de mettre en oeuvre la législation pertinente en matière de sécurité sociale et leurs statuts doivent remplir certaines conditions (article 4 par. 1 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). Tout employeur est automatiquement membre de l’association professionnelle correspondant au secteur de la vie économique auquel se rapporte le travail accompli par ses salariés (article 7 par. 1 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). Les associations professionnelles sont contrôlées par le Conseil de l’assurance sociale (Sociale Verzekeringsraad). Cet organe est doté de la personnalité morale de droit public (article 35 par. 1 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). Son président et un tiers de ses membres sont désignés directement par le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi pour une période de trois ans; les deuxième et troisième tiers sont désignés pour la même période par les organisations d’employeurs et les organisations de salariés jugées suffisamment représentatives par le ministre (article 35 paras. 2-6 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale). Le Conseil de l’assurance sociale a le pouvoir d’édicter des règles pour coordonner la mise en oeuvre de la législation relative à la sécurité sociale (article 48 de la loi sur l’organisation de la sécurité sociale); il peut aussi recommander au ministre des Affaires sociales et de l’Emploi la suspension ou l’annulation des décisions des associations professionnelles (article 49). Il est responsable devant le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi et doit se conformer aux instructions de ce dernier (article 41). Les employeurs doivent fournir aux associations professionnelles les informations relatives aux rémunérations (loon) versées à leurs salariés; celles-ci fixent alors les cotisations à payer pour chaque salarié au titre de la législation pertinente en matière de sécurité sociale. Ces cotisations sont versées par les employeurs à leurs associations professionnelles respectives (article 11 de la loi sur la coordination des assurances sociales - Coördinatiewet Sociale Verzekeringen). L’article 4 de cette loi donne des "rémunérations" la définition suivante: "1. Tout ce qui est reçu en vertu d’un contrat de travail (dienstbetrekking)) constitue une rémunération. La rémunération inclut les droits - qu’ils soient conditionnels ou qu’ils viennent à existence au fil du temps - à une ou plusieurs indemnités ou prestations (uitkeringen of verstrekkingen), dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des contributions payées par le salarié." Cette définition est pratiquement identique à celle donnée au paragraphe 10 de la loi sur l’imposition des rémunérations (Wet op de loonbelasting), la seule différence étant que cette dernière inclut aussi dans sa définition tout ce qui est reçu en vertu d’un contrat de travail qui n’existe plus. Si, pour une raison quelconque, l’employeur ne verse pas les cotisations dans un délai fixé par les associations professionnelles, celles-ci peuvent appliquer un intérêt aux montants en souffrance. Cet intérêt est calculé au taux légal qui, ces dernières années, a fluctué entre 8 et 12 % (article 14 de la loi sur la coordination des assurances sociales). D’après la jurisprudence de la commission centrale de recours, il doit être calculé à partir de la date à laquelle l’association professionnelle a fixé le montant à payer, et non à compter du jour où ce montant a été notifié à l’employeur (décision de la commission centrale de recours du 5 janvier 1976, Rechtspraak sociaal verzekeringsrecht, Jurisprudence en matière de sécurité sociale - RSV 1976, no 184). A l’époque pertinente, l’article 5 d) de la loi sur l’assurance-maladie, l’article 5 d) de la loi sur l’assurance-chômage, l’article 5 d) de la loi sur l’assurance-invalidité professionnelle et l’article 3 par. 1 de la loi sur les caisses d’assurance-maladie combiné avec l’article 5 d) de la loi sur l’assurance-maladie habilitaient le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi à définir, par voie de règlement, comme des contrats de travail divers types de relations de travail pouvant en passer pour "l’équivalent social". Conformément à ces dispositions, le ministre réputait contrat de travail la relation dans le cadre de laquelle quelqu’un accomplissait régulièrement et en personne un travail, pendant au moins deux jours par semaine, pour un revenu brut excédant une proportion donnée du salaire minimum légal (article 2 par. 1 du décret royal du 14 décembre 1973, Staatsblad - Journal officiel - 627). B. La législation en matière de sécurité sociale La loi sur l’assurance-maladie établit une assurance (verzekering) obligatoire pour tous les salariés (article 20). En vertu de son régime, chaque salarié a droit à des indemnités de maladie (ziekengeld) lorsqu’il est incapable d’accomplir son travail en raison d’une maladie, d’une grossesse ou d’une invalidité (article 19). Il peut être indemnisé pendant cinquante-deux semaines (article 29 par. 2) ou pendant seize semaines (qui ne comptent pas pour ladite période de cinquante-deux semaines) en cas de grossesse (article 29 par. 7). Le régime d’assurance institué par la loi sur les caisses d’assurance-maladie est obligatoire pour tous les salariés dont la rémunération n’excède pas un certain chiffre annuel (article 3); le bénéfice en est étendu aux conjoint et personnes à la charge des intéressés (article 4). Pour avoir droit aux prestations, le salarié doit demander son inscription auprès d’une caisse d’assurance-maladie qui a l’obligation de l’accepter (article 5 par. 1). Les caisses d’assurance-maladie paient les soins médicaux dispensés par les médecins, les hôpitaux et certaines institutions privées, certains médicaments prescrits par les médecins et le transport par ambulance (articles 8 - 8i), dans la mesure où ces frais ne sont pas supportés par d’autres organes au titre d’une autre législation. Le régime d’assurance institué par la loi sur l’assurance-chômage, auquel les personnes employées aux Pays-Bas appartiennent de droit, confère un droit à des indemnités de chômage à tout salarié qui, pour une raison étrangère à des phénomènes naturels exceptionnels tels une inondation ou un froid extrême, perd son emploi ou une partie significative de celui-ci en même temps que son droit à rémunération correspondant, et qui est disponible sur le marché de l’emploi (articles 15, 16 et 18). La loi sur l’assurance-invalidité professionnelle prévoit une assurance obligatoire pour les salariés qui, du fait d’une maladie ou d’une invalidité, sont totalement ou partiellement incapables de se procurer par le travail un revenu comparable à celui que des personnes en bonne santé et dotées d’une formation et d’une expérience similaires pourraient obtenir à l’endroit, ou au dernier endroit, où le salarié travaillait, ou à proximité (article 18 par. 1). Le droit à indemnités s’ouvre cinquante-deux semaines après la survenance de l’incapacité (article 19 par. 1), les paiements pendant la période intermédiaire étant normalement effectués au titre de la loi sur l’assurance-maladie (paragraphe 33 ci-dessus). Les cotisations à l’ensemble des régimes ci-dessus sont fixées par et payées aux associations professionnelles. Bien que certaines des lois en question prévoient que les cotisations sont dues, en tout ou en partie, par les salariés, dans tous les cas c’est l’employeur qui est responsable des paiements devant l’association professionnelle (et qui doit donc déduire la part du salarié de la rémunération de ce dernier). C. Dispositions procédurales A l’époque des faits, une règle commune à toutes les législations en matière de sécurité sociale décrites ci-dessus prévoyait que tout intéressé désireux de contester une décision d’une association professionnelle concernant des cotisations devait en demander confirmation formelle par écrit. Pareille confirmation, qui comportait notamment les motifs sur lesquels la décision était assise, constituait une condition pour la recevabilité d’un recours à un tribunal. Aucune de ces lois ne prévoyait de délai pour demander une confirmation formelle. Toutefois, la commission centrale de recours avait jugé que semblable demande devait intervenir dans un "délai raisonnable", ce que cette juridiction interprétait comme signifiant généralement dans les deux mois (voir, notamment, sa décision du 19 mars 1974, RSV 1974, no 288). Une association professionnelle pouvait déclarer pareille requête irrecevable si elle était tardive. Une décision d’une association professionnelle déclarant irrecevable une demande de confirmation formelle constituait elle-même une décision dont confirmation formelle pouvait être demandée dans la perspective d’un recours. Il n’y avait aucun délai légal dans lequel une confirmation formelle devait être donnée. Dans une affaire concernant la loi sur les ateliers sociaux (Wet op de sociale werkplaatsen), aux termes de laquelle les décisions sur certaines requêtes devaient intervenir dans un délai de cinq semaines, le demandeur avait engagé une procédure en référé deux mois après l’expiration dudit délai, l’administration communale d’Amsterdam n’ayant toujours pas statué. Son objectif était d’obtenir un jugement ordonnant à celle-ci de se prononcer sur sa requête. L’action fut finalement rejetée en appel. Par un arrêt du 21 juin 1985, la Cour de cassation confirma le rejet, au motif que le simple dépassement du délai ne suffisait pas pour engager la responsabilité quasi délictuelle de l’administration communale. En outre, celle-ci était fondée à invoquer ses contraintes financières et l’insuffisance de ses effectifs pour justifier son incapacité à instruire la requête du réclamant. Auteur d’une note sur l’arrêt tel que reproduit dans la Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de la jurisprudence néerlandaise - NJ) 1986, no 526, le professeur M. Scheltema observa que la Cour de cassation avait beaucoup réduit l’efficacité du référé comme recours contre l’inertie d’une autorité publique dans un cas où la loi sur les recours trouvait à s’appliquer. Une fois la confirmation formelle intervenue, un recours pouvait être formé auprès de la commission de recours. Il devait être introduit dans le délai d’un mois (article 83 de la loi sur les recours). La décision rendue sur le recours pouvait alors être déférée à la commission centrale de recours (article 145 de la loi sur les recours); cet appel devait lui aussi être introduit dans le délai d’un mois. D. Changements apportés ultérieurement à la procédure applicable Le 1er janvier 1994 est entré en vigueur le code administratif général (voir l’arrêt Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, série A no 288, p. 15, par. 39). Il fixe de nouvelles règles uniformes de procédure administrative qui s’appliquent aussi aux affaires telles que celles-ci. Toute personne souhaitant attaquer une décision d’une association professionnelle concernant des cotisations à un régime de sécurité sociale peut adresser une réclamation (bezwaarschrift) à cette association, pourvu qu’elle accomplisse cette démarche dans les six semaines (article 6:7). Si l’association professionnelle ne décide pas dans un délai raisonnable ou refuse de se prononcer, le réclamant peut adresser un recours au tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) sans attendre plus longtemps une décision (articles 6:2, 6:12 et 8.1.1.1). Il n’est donc plus nécessaire de demander confirmation formelle d’une décision d’une association professionnelle. La décision du tribunal d’arrondissement est susceptible d’appel devant la commission centrale de recours (article 18 de la loi sur les recours). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Schouten et M. Meldrum ont chacun saisi la Commission d’une requête (nos 19005/91 et 19006/91 respectivement) le 4 septembre 1991. Ils s’y plaignaient d’une double méconnaissance de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Premièrement, ils auraient été victimes d’une violation du principe de l’"égalité des armes" consacré à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), dès lors que la BVG pouvait retarder indéfiniment l’engagement d’une procédure judiciaire. Deuxièmement, il n’aurait pas été statué sur leurs causes dans un "délai raisonnable", eu égard au caractère excessif du laps de temps écoulé avant que la BVG ne confirmât formellement ses décisions. La Commission a retenu les requêtes le 9 décembre 1992. Dans ses rapports du 12 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par dix-huit voix contre une dans l’affaire de M. Schouten, à l’unanimité dans celle de M. Meldrum, qu’il n’a pas été statué dans un "délai raisonnable" sur les causes des requérants et, par onze voix contre huit dans l’affaire de M. Schouten et onze voix contre sept dans celle de M. Meldrum, qu’il y a eu violation du principe de l’"égalité des armes". Le texte intégral des avis de la Commission dans les deux affaires et des opinions séparées dont ils s’accompagnent figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans ses mémoires déposés dans chacune des deux espèces, le Gouvernement conclut que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne peut être jugé s’appliquer en l’occurrence et - pour le cas où la Cour aboutirait à une conclusion différente - qu’il n’a pas été violé.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Rosa Tripodi, commerçante, habite Reggio de Calabre. En 1975, un avocat, Me M. F., lui vendit une parcelle limitrophe de sa propriété, sise à Riace. De nombreuses altercations les opposèrent. Le 5 novembre 1982, il porta plainte contre elle auprès du procureur de la République de Reggio de Calabre. La gendarmerie (carabinieri) de la même ville procéda, le 15 novembre, à l’interrogatoire de la requérante au sujet des faits qu’il lui reprochait. Le 7 février 1983, un avis de poursuites fut notifié à l’intéressée, que le procureur de la République entendit le 26 avril 1983. Entre-temps, elle avait de son côté dénoncé Me M. F. pour tentative d’extorsion. D’autres incidents amenèrent Me M. F. à porter contre elle de nouvelles accusations les 11 avril, 10 mai, 10 et 28 juin 1983. Appréhendée le 8 juillet 1983 en vertu d’un mandat décerné le 5 par le juge d’instruction, elle fut interrogée le 12. Elle recouvra la liberté le jour même, mais une décision (decreto di citazione) du 7 octobre 1983 l’assigna à comparaître devant le tribunal de Reggio de Calabre sous l’inculpation, notamment, de menaces contre l’intégrité physique de Me M. F. et de son fils (articles 610 et 612 du code pénal), menaces destinées à obtenir de faux témoignages (article 611), harcèlement par téléphone (article 660), atteinte à l’honneur et à la réputation au moyen d’injures et de diffamation (articles 594-595) ainsi que de détérioration de biens d’autrui (article 635). A l’ouverture du procès le 8 novembre 1983, le ministère public demanda que Mme Tripodi fût également poursuivie pour délit continu de calomnie (calunnia continuata - articles 81 et 368), sur quoi le tribunal ajourna les débats. Saisi d’un nouvel acte de citation, il condamna la requérante, le 9 mai 1984, à un an et dix mois d’emprisonnement avec sursis, sans mention au casier judiciaire, ainsi qu’à une amende de 150 000 lires et à des dommages-intérêts. Sur recours de l’intéressée la cour d’appel de Reggio de Calabre, statuant le 4 février 1985, l’acquitta sur un point et réduisit de deux mois la peine infligée. Mme Tripodi et le ministère public se pourvurent en cassation. La première présenta ses moyens par un mémoire du 11 mars 1985. Le 26 mars, le greffier avisa le conseil nommé par elle (difensore di fiducia) de la réception du dossier. Le 2 octobre 1985, l’avocat reçut l’avis fixant le jour de l’audience. Le 18 novembre 1985, il pria la Cour de reporter l’audience prévue pour le 6 décembre, son état de santé ne lui permettant pas d’y assister: il avait subi une intervention chirurgicale et à sa sortie de la clinique, le 15 novembre, son médecin lui avait prescrit trente jours de repos absolu. La lettre parvint au greffe le 25 novembre 1985. Les débats devant la Cour de cassation se tinrent néanmoins le 6 décembre 1985. A cette date, le ministère public s’opposa au renvoi. Après avoir rejeté la demande de l’avocat, la Cour examina l’affaire en l’absence de celui-ci. Par un arrêt du même jour, déposé au greffe le 14 mars 1986, elle débouta chacune des parties de son pourvoi. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Il échet de reproduire les principales dispositions du code de procédure pénale en vigueur à l’époque en matière de cassation, ainsi que plusieurs articles relatifs au remplacement du conseil et au renvoi des débats. La procédure de cassation Article 529 "(...) Si les moyens [à l’appui du pourvoi] ont été présentés en temps utile, il peut leur en être ajouté d’autres dans le délai indiqué à l’article 533." Article 533 "Dès réception du dossier au greffe, le greffier de la Cour de cassation avise le défenseur que, pendant une période de quinze jours à compter de la notification de l’avis, il peut examiner le dossier au greffe, en extraire des copies et présenter de nouvelles pièces." Article 536 "(...) Les parties privées ne peuvent comparaître que par leurs défenseurs, inscrits au tableau spécial de la Cour de cassation; elles ont la faculté de déposer au greffe, au plus tard huit jours avant l’audience fixée pour les débats, des mémoires (...) développant les moyens légalement articulés. (...) A l’audience, le président ou le conseiller délégué par lui donne lecture du rapport. Il n’est pas nécessaire que les défenseurs des parties soient présents et concluent. Un autre avocat que celui désigné dans l’acte de pourvoi ou dans un acte ultérieur peut s’exprimer (...) pourvu qu’il ait reçu à cet effet un mandat spécial." Le choix d’un défenseur Article 125 "(...) L’accusé ne peut être assisté par plus de deux défenseurs." Article 127 "Pour se faire remplacer en cas d’empêchement légitime, le ou les défenseurs nommés par les parties peuvent désigner chacun leur remplaçant; celui-ci ne sera autorisé à intervenir dans les débats qu’aussi longtemps que le remplacement sera nécessaire. (...)" Le renvoi des débats Article 432 "Quand la loi l’autorise expressément, ou si l’absolue nécessité s’en fait sentir, la cour, le tribunal ou le juge d’instance ("pretore") peuvent décider par ordonnance de renvoyer les débats." L’article 486 du nouveau code de procédure pénale, entré en vigueur le 24 octobre 1989, prévoit désormais qu’"en cas d’absence du défenseur due à l’impossibilité absolue de comparaître à cause d’un empêchement légitime, le juge suspend ou renvoie les débats". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Tripodi a saisi la Commission le 9 juillet 1986 (requête no 13743/88). Elle alléguait que sa cause n’avait pas été entendue par un "tribunal impartial" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle s’en prenait aussi à son arrestation et à sa détention, contraires selon elle à l’article 5 (art. 5). Elle se plaignait enfin de ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de l’examen de son pourvoi en cassation, au mépris de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le 2 juillet 1990, la Commission a déclaré les deux premiers griefs irrecevables. Elle a retenu le troisième le 13 janvier 1992. Dans son rapport du 14 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 30 mars 1988, le requérant, M. Bryan Stanford, fut mis en accusation devant la Crown Court de Norwich pour sept infractions liées à ses relations avec une mineure: un attentat à la pudeur, deux viols, des rapports sexuels illégaux, un enlèvement et des menaces de mort par deux fois. Le procès se déroula devant un juge à la High Court et un jury pendant six jours ouvrables entre les 8 et 15 juin 1988. Assis au banc des accusés devant lequel on avait fixé une vitre, l’intéressé fut constamment représenté par un solicitor et un conseil. Ce dernier, spécialisé dans les affaires pénales, exerçait depuis treize ans. Le 15 juin 1988, M. Stanford se vit déclarer coupable d’attentat à la pudeur, de l’un des chefs de viol, d’enlèvement et de l’un des chefs de menaces de mort; condamné à dix ans de détention au total, il purge actuellement sa peine à la prison de Long Lartin, dans le Worcestershire. Devant le tribunal avaient déposé, entre autres, la victime présumée, Mlle M., alors âgée de quinze ans, ainsi que sa mère et sa soeur. Quand elle avait commencé de parler, le juge l’avait invitée à se rapprocher de lui-même et du jury car il était difficile de saisir ses propos. Le 27 juillet 1988, le requérant sollicita auprès d’un juge unique de la chambre pénale (Criminal Division) de la Court of Appeal ("la Court of Appeal") l’autorisation d’en appeler du verdict; il alléguait, notamment, n’avoir pu entendre les débats. Il essuya, le 13 septembre 1988, un refus motivé par le défaut de fondement de ses divers moyens. Le 6 octobre 1988, il présenta une nouvelle demande afin de se pourvoir devant la Court of Appeal en formation collégiale. Il prétendait en particulier n’avoir pu suivre le procès en première instance, l’acoustique dans le prétoire n’étant pas bonne. Il produisait aussi une lettre dans laquelle le gardien de prison chargé de le surveiller durant les audiences confirmait qu’à plusieurs reprises M. Stanford s’était plaint à lui de ne pouvoir ouïr les témoins. Y figurait un passage ainsi libellé: "J’ai attiré au moins trois fois l’attention de son solicitor sur le problème. A l’une de ces occasions, il a dit au [requérant] de ne pas s’inquiéter car son avocat faisait du bon travail. Je dois avouer que je ne percevais pas les paroles des témoins." Nul ne conteste que le requérant ne put entendre certains témoignages et qu’il avisa son solicitor, son conseil et son gardien. Il ressort du compte rendu des débats qu’il put en revanche saisir l’acte d’accusation, lu à l’ouverture du procès, et qu’il plaida "non coupable" pour chacun des sept chefs articulés contre lui. A aucun moment des audiences, l’intéressé ou ses représentants ne formulèrent auprès du tribunal, ou de l’un quelconque de ses agents, des doléances ou observations sur le point considéré. Le requérant s’adressa au Solicitors’ Complaints Bureau pour reprocher à son solicitor, notamment, de n’avoir pas tenté de remédier à ses difficultés à ouïr les dépositions. Dans une lettre du 19 décembre 1988 au Bureau, ledit solicitor commenta ainsi les allégations de son client: "La cause de M. Stanford était apparemment la première à se plaider dans les nouveaux locaux de la Crown Court de Norwich. Tout au long du procès, il demeura assis en silence au banc des accusés. Il me signala qu’il avait des problèmes d’oreille; je présume que son incapacité à entendre ce qui fut déclaré concerne surtout le témoignage à charge de la plaignante (M.). D’après le ministère public, M. Stanford avait maltraité [celle-ci], l’avait violée, enlevée et menacée de mort et ce comportement avait duré deux années environ. Elle affirmait n’en avoir soufflé mot à personne parce qu’elle redoutait des sévices de M. Stanford et qu’il l’avait menacée de leur faire du mal, à elle et à sa famille. Comme elle parlait d’une voix faible, le juge décida qu’elle témoignerait assise à une table située entre le conseil et lui. Elle se rapprocha ainsi du jury; le haut de son corps était visible pour lui et non point caché par la barre des témoins. Elle n’en déposa pas moins la tête penchée, répondant souvent d’un seul mot et d’une voix faible aux questions. J’étais plus près d’elle que l’accusé; je percevais ce qu’elle disait. Il est clair que le jury, le juge et le conseil le pouvaient eux aussi. A cause de l’agencement de la salle, M. Stanford aurait certes eu de la peine à entendre, mais ce n’eût pas été impossible si son ouïe n’avait pas laissé à désirer. J’avais obtenu de lui toutes les instructions relatives à son renvoi en jugement, sous la forme d’une déclaration de vingt-deux pages. A mon avis, le conseil en maîtrisait tous les détails et posa à la plaignante toutes les questions appropriées. Je reconnais que M. Stanford nous signala qu’il ne pouvait saisir tout ce qui se disait. Son conseil estima inutile, et moi avec elle, de faire quoi que ce fût car elle-même et le jury pouvaient suivre les débats et elle aurait eu sans nul doute la possibilité de demander des instructions sur tout point ne figurant pas dans son dossier. Selon moi, si M. Stanford avait été placé près de la plaignante, et face à elle pendant qu’elle témoignait, le jury y aurait vu une preuve du comportement intimidant dont elle se plaignait." Le 6 octobre 1989, un collège de la Court of Appeal débouta le requérant de sa nouvelle demande d’autorisation d’attaquer le verdict. Il releva notamment ceci: "Nous avons pris connaissance des griefs qu’il cherche à invoquer. Aucun d’eux ne résiste à l’examen. Nous mentionnerons pourtant l’un d’eux: l’intéressé n’aurait pas bénéficié d’un procès équitable en raison, d’après lui, d’une ‘acoustique médiocre’ qui l’aurait empêché d’entendre les débats, et aussi parce que son représentant - son solicitor - n’y aurait pas remédié. Nous avons vu à ce sujet une lettre d’un gardien de prison. Il semble y avoir quelque vérité dans la doléance du requérant, à savoir qu’il n’a pu bien entendre à tout moment ce qui se passait. Nous estimons cependant hors de doute que son solicitor et son conseil n’ont pas eu le moindre mal à suivre les débats et à le représenter d’une manière ne méritant aucune critique de sa part." Le 10 novembre 1989, le Registrar of Criminal Appeals informa l’intéressé qu’il ne pouvait saisir la Chambre des Lords, la Court of Appeal n’ayant pas rendu un arrêt négatif sur le fond. Plus d’un an après fut déposée, dans une autre affaire, une plainte similaire relative à l’acoustique de la salle où s’était déroulé le procès du requérant et que l’on n’avait cessé d’utiliser depuis son ouverture en 1988. Là-dessus, les propriétaires des locaux demandèrent un rapport à une société spécialisée en la matière. Daté du 8 février 1990, il releva qu’en 1988, avant que le bâtiment commençât à servir de tribunal, des essais avaient démontré le respect des normes d’acoustique à observer. Il concluait qu’une personne parlant à la barre des témoins était intelligible du premier rang du box des accusés, même avec la vitre en place. Il ajoutait que l’on n’attribuait pas à celle-ci une perte importante d’audibilité. Il fut néanmoins décidé par la suite d’installer un réflecteur de son au-dessus du banc des accusés pour compenser la très légère baisse du niveau phonique causée par la vitre. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En Angleterre et au pays de Galles, le droit, pour l’accusé, d’assister à son procès relève de la common law. Dans l’affaire R. c. Lee Kun, le Lord Chief Justice Reading en a ainsi énoncé le principe (Kings Bench Reports 1916, 1, p. 341): "Seules des circonstances fort exceptionnelles peuvent justifier un procès en l’absence de l’accusé. La présence de l’intéressé à son procès s’impose afin qu’il puisse ouïr les arguments avancés contre lui et ait l’occasion (...) d’y répondre. Il ne s’agit pas uniquement de présence physique: l’accusé doit aussi pouvoir comprendre la nature des débats." S’il estime que, de sa place, l’accusé risque d’intimider un témoin, le juge du fond peut le mettre hors de vue, mais non hors de portée de voix, de ce dernier (R. c. Smellie, Criminal Appeal Reports 1919, 14, p. 128). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le requérant a saisi la Commission le 8 janvier 1990. Il prétendait n’avoir pas bénéficié du procès équitable voulu par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, faute d’avoir pu entendre les débats qui débouchèrent sur sa condamnation. La Commission a retenu la requête (no 16757/90) le 10 février 1992. Dans son rapport du 21 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par onze voix contre sept, à l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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De nationalité française, M. Michel Kemmache purge actuellement à Draguignan (Var) une peine de neuf ans de réclusion criminelle. Domicilié auparavant à Pantin, il y occupait un emploi de réceptionniste dans un hôtel. Jadis, il en avait été le gérant après avoir exploité plusieurs sociétés dont il possédait des actions: entreprises de jeux de hasard, hôtels et restaurants. I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE La détention de M. Kemmache du 11 juin au 10 août 1990 s’inscrit dans le cadre d’une procédure criminelle qui s’est déroulée devant les juridictions françaises du 16 février 1983 (inculpation et arrestation) au 6 février 1993 (rejet du pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de condamnation) et durant laquelle le requérant fut détenu à quatre reprises avant d’être jugé (du 16 février au 29 mars 1983, du 22 mars 1984 au 19 décembre 1986, du 11 juin au 10 août 1990 et du 14 mars au 25 avril 1991). Par un arrêt du 27 novembre 1991, la Cour a constaté une violation des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention (série A no 218). A. La procédure devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes La mise en accusation et la prise de corps Le 13 août 1985, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon mit le requérant en accusation des chefs de complicité avec connaissance par aide et assistance de "l’introduction et l’exposition sur le territoire français de billets de banque étrangers contrefaits" ainsi que de "la circulation irrégulière de ces faux billets dans le rayon douanier", délit connexe. Elle renvoya l’accusé devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes et rendit une ordonnance de prise de corps aux termes de laquelle l’accusé "sera conduit ou retenu à la maison d’arrêt" près cette cour. Alors qu’il était libre depuis le 19 décembre 1986 et exempt de contrôle judiciaire depuis le 4 octobre 1988, M. Kemmache se constitua prisonnier à la maison d’arrêt de Nice le 11 juin 1990. Il obéissait ainsi à l’ordonnance de prise de corps du 13 août 1985 et à l’article 215-1 du code de procédure pénale ("CPP"), l’audience devant la cour d’assises étant fixée aux 12, 13 et 14 juin 1990. Le renvoi de l’affaire L’un de ses deux coaccusés, M. Klaushofer, demanda le renvoi de l’affaire au motif que son conseil, désigné d’office le 8 juin 1990, n’avait pas pu prendre connaissance du dossier. Le requérant s’associa à cette demande, tandis que le troisième coaccusé, M. Ceccio, préférait être jugé sur-le-champ. Accueillant ces demandes par un arrêt du 12 juin, la cour d’assises prononça la disjonction des cas. M. Ceccio fut ainsi le seul à être jugé les 12 et 13 juin 1990. Le rejet de la demande d’élargissement Le 12 juin 1990, M. Kemmache sollicita sa mise en liberté auprès de la cour d’assises qui la lui refusa le 13, par les motifs suivants: "(...) Attendu que la demande de renvoi de l’affaire émane de Klaushofer Stephan mais aussi de Kemmache Michel; Que l’ordre de prise de corps mis en exécution dès le 11 juin 1990 doit recevoir effet en instance de jugement; Que compte tenu de la peine encourue, l’accusé n’offre pas de garanties suffisantes de représentation; Qu’une simple mesure de contrôle judiciaire même assortie du versement d’une caution paraît, en cet état de la procédure, insuffisante pour garantir la représentation de l’accusé Kemmache devant la cour; Attendu par ailleurs que le risque de pression sur les témoins n’est pas exclu. (...)" B. La procédure devant la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence La mise en liberté sous contrôle judiciaire Le 18 juin 1990, le requérant présenta une nouvelle demande d’élargissement auprès de la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence; il invoquait notamment l’article 5 paras. 1, 2, 3 et 4 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-3, art. 5-4), ainsi que l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention. Par un arrêt du 4 juillet 1990, la chambre d’accusation ordonna sa mise en liberté sous contrôle judiciaire avec obligation de verser un cautionnement de 800 000 francs français (f) garantissant pour 400 000 f sa représentation aux actes de procédure et, pour le reste, les frais et amendes susceptibles de lui être imposés. Elle considéra notamment: "(...) Attendu que Kemmache Michel a été renvoyé devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes par arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Lyon du 13 août 1985; Qu’il est détenu en vertu de l’ordonnance de prise de corps décernée par ledit arrêt; (...) Attendu que Kemmache Michel avait été remis en liberté le 8 décembre 1986 et qu’il n’apparaît donc pas que sa détention soit nécessaire, en l’absence d’éléments nouveaux justifiant une telle procédure; Attendu toutefois que l’affaire apparaît en état d’être jugée à une prochaine session d’assises; Qu’il importe, compte tenu des nombreuses vicissitudes connues par cette procédure, en raison de l’utilisation, par les inculpés, de tous les moyens pour en retarder le jugement, de s’assurer de la représentation de l’inculpé Kemmache; Qu’il convient, à cet effet, d’assortir sa mise en liberté, d’une mesure de contrôle judiciaire avec obligation de verser un cautionnement; Attendu que Kemmache avait précédemment réglé deux cautionnements, pour un montant global de 800 000 francs, dans le cadre de son placement sous contrôle judiciaire; Que par arrêt du 4 octobre 1988, la cour d’assises des Alpes-Maritimes a donné mainlevée du contrôle judiciaire et ordonné la restitution des cautions, au motif, de pur droit, que le délai pour statuer étant expiré, il devait être mis fin d’office, au contrôle judiciaire; Attendu que dans son mémoire, Michel Kemmache indique qu’aucun changement notable n’est intervenu dans les garanties de représentations qu’il offrait; Qu’il est toujours salarié de la Sté ‘Nouvelle Hôtelière de Pantin’ dont il est porteur de parts et que seul un changement est intervenu sur le plan familial; Qu’il convient donc de fixer le montant du cautionnement à 800 000 francs, somme qu’il avait été précédemment en mesure de verser et qui correspond à ses ressources provenant de son salaire, mais surtout de sa qualité d’associé; (...)" L’aménagement du contrôle judiciaire Le 26 juillet 1990, la chambre d’accusation aménagea le versement de cette somme par tranches mensuelles de 100 000 f. Les demandes de mainlevée du contrôle judiciaire et l’élargissement Le 30 juillet 1990, le requérant présenta à la chambre d’accusation une demande de mise en liberté, qu’elle rejeta le 8 août 1990 dans les termes suivants: "(...) Attendu que Kemmache qui était libre et non soumis à un contrôle judiciaire s’est constitué prisonnier la veille de sa comparution devant la cour d’assises en application des dispositions de l’article 215-1 du code de procédure pénale; qu’en vertu de ce texte l’ordonnance de prise de corps ainsi mise à exécution continue à produire ses effets jusqu’au jugement définitif des faits, objet de l’accusation; Attendu que Kemmache a été mis en liberté par arrêt du 4 juillet 1990; qu’il n’est, en conséquence, plus détenu en exécution de l’ordonnance de prise de corps mais pour ne pas avoir satisfait aux obligations du contrôle judiciaire lui imposant de se libérer de la première fraction du cautionnement préalablement à sa mise en liberté; Attendu que l’affaire est en état d’être jugée à une prochaine session d’assises; qu’il importe en raison des nombreuses vicissitudes connues de cette procédure et en particulier de l’utilisation par les inculpés de tous les moyens pour retarder le jugement de s’assurer de la représentation de Kemmache; qu’il convient à cet effet de maintenir la mesure de contrôle judiciaire avec obligation de verser un cautionnement; Attendu, ainsi qu’il est relevé dans l’arrêt du 4 juillet 1990, que le montant du cautionnement correspond aux ressources de Kemmache et surtout à sa qualité d’associé de la ‘Sté Nouvelle Hôtelière de Pantin’; qu’il ne démontre pas que ses sociétés ont périclité, ainsi qu’il l’affirme dans son mémoire, ni que ses ressources ne lui permettent pas de se libérer du montant de la caution, tel que fixé; (...)" Le 10 août 1990, après versement de la première tranche du cautionnement, soit 100 000 f, M. Kemmache fut élargi. Le 5 septembre 1990, la chambre d’accusation refusa une seconde fois de prononcer la mainlevée du contrôle judiciaire. L’intéressé versa une deuxième tranche de cautionnement le 10 septembre 1990. Se présentant devant le procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, il se déclara incapable de payer les échéances suivantes et prêt à se constituer prisonnier. C. La procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation Par trois arrêts du 22 novembre 1990, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois formés par M. Kemmache contre la décision de la cour d’assises du 13 juin 1990, et celles de la chambre d’accusation des 4 juillet et 8 août 1990. Dans le premier, elle considéra notamment: "(...) Attendu que (...) l’ordonnance de prise de corps, régulièrement mise à exécution, constitue un titre de détention qui demeure valable jusqu’au jugement définitif des faits, objet de l’accusation, sans qu’il soit besoin d’en maintenir les effets en cas de disjonction de la cause de l’accusé et de son renvoi à une session ultérieure; (...)" Dans les deuxième et troisième, elle estima: "(...) Attendu que (...) Michel Kemmache étant régulièrement détenu, sa mise en liberté, prononcée par l’arrêt attaqué, pouvait être assortie d’une mesure de contrôle judiciaire en application des dispositions combinées des articles 138 et 148 du code de procédure pénale (...) [et] (...) qu’aux termes de l’article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention (...), la mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience; (...)" D. Les événements ultérieurs Le 25 avril 1991, la cour d’assises des Alpes-Maritimes infligea au requérant une amende de 2 600 000 f et onze ans de réclusion criminelle, peine ramenée à neuf ans le 21 mai 1992 par la cour d’assises du Var statuant sur renvoi. Le pourvoi formé contre ce dernier arrêt fut rejeté le 3 février 1993 par la Cour de cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’ordonnance de prise de corps En matière criminelle, "[l’arrêt de mise en accusation] décerne (...) ordonnance de prise de corps contre l’accusé (...)" (article 215 CPP). Aux termes de l’article 215-1 CPP, "L’accusé qui se trouve en liberté doit se constituer prisonnier au plus tard la veille de l’audience de la cour d’assises. (...) L’ordonnance de prise de corps est exécutée si, dûment convoqué par la voie administrative au greffe de la cour d’assises et sans motif légitime d’excuse, l’accusé ne se présente pas au jour fixé pour être interrogé par le président de la cour d’assises. Il en est de même dans le cas prévu à l’article 141-2 [, c’est-à-dire s’il se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire]." Selon la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus), l’ordonnance de prise de corps, régulièrement mise à exécution, constitue un titre de détention qui demeure valable jusqu’au jugement définitif des faits, objet de l’accusation. B. La demande de mise en liberté Tout accusé peut demander sa mise en liberté "en tout état de cause" et "en toute période de la procédure", y compris donc durant les audiences de jugement. Lorsqu’une juridiction de jugement est saisie, il lui appartient de statuer sur la liberté provisoire; avant le renvoi en cour d’assises et dans l’intervalle des sessions d’assises, ce pouvoir appartient à la chambre d’accusation (article 148-1 CPP). En pareil cas, la décision de rejet d’une demande de mise en liberté doit être spécialement motivée dans les conditions prévues à l’article 145 CPP (crim. 16 décembre 1971, Recueil Dalloz (D.) 1972, p. 318; 15 septembre 1979, Bulletin criminel no 258; 7 août 1990, ibidem no 296, D. 1991, sommaires, p. 210), c’est-à-dire "comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent [son] fondement (...) par référence aux dispositions de l’article 144". L’article 144 CPP dispose qu’en matière criminelle, la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue: 1o lorsqu’elle "est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices"; 2o lorsqu’elle "est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice". Elle peut également être ordonnée, dans les conditions prévues par l’article 141-2, "lorsque l’inculpé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire". C. Le contrôle judiciaire Les pouvoirs conférés au juge d’instruction par les articles 139 et 140 appartiennent, en tout état de cause, à la juridiction compétente selon les distinctions de l’article 148-1 (article 141-1 CPP). Ladite juridiction peut ainsi placer l’accusé sous contrôle judiciaire et, à tout moment, lui imposer une ou plusieurs obligations nouvelles, supprimer tout ou partie des obligations comprises dans le contrôle, modifier une ou plusieurs de ces obligations ou accorder une dispense occasionnelle ou temporaire d’observer certaines d’entre elles (article 139 CPP). Elle peut également, à tout moment, ordonner la mainlevée du contrôle judiciaire (article 140 CPP). Le contrôle judiciaire peut astreindre l’accusé à fournir un cautionnement dont le montant et les délais de versement, en une ou plusieurs fois, sont fixés compte tenu notamment de ses ressources (article 138 CPP). Ce cautionnement vise à garantir (article 142 CPP): 1o la représentation de l’intéressé à tous les actes de la procédure et pour l’exécution du jugement, ainsi que, le cas échéant, l’exécution des autres obligations qui lui sont imposées; 2o le paiement dans l’ordre suivant: a) des frais avancés par la partie civile, de la réparation des dommages causés par l’infraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque l’intéressé est poursuivi pour le défaut de paiement de cette dette; b) des frais avancés par la partie publique; c) des amendes. Si l’accusé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, la juridiction compétente peut, quelle que soit la durée de la peine d’emprisonnement encourue, décider de le placer en détention provisoire. L’ordonnance de prise de corps est alors exécutée sur l’ordre du président de la cour d’assises ou, dans l’intervalle des sessions d’assises, du président de la chambre d’accusation (article 141-2 CPP). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kemmache a saisi la Commission le 28 décembre 1990. Il alléguait que son maintien en détention après la décision de renvoi de la cour d’assises des Alpes-Maritimes, du 12 juin 1990, enfreignait les articles 5 par. 1 (art. 5-1) et 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention. Le 8 février 1993, la Commission a retenu la requête (no 17621/91) quant au grief tiré de l’article 5 par. 1 (art. 5-1), et l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 21 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion concordante qui l’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour "de bien vouloir conclure à l’absence de violation de la Convention". De son côté, le requérant invite la Cour à déclarer "que les dispositions de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention (...) ont été violées par la France".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen britannique né en 1960, le requérant, M. Anthony Boner, réside à Glasgow, en Écosse. Le 14 décembre 1989, trois hommes masqués, armés d’un fusil de chasse et d’un couteau, commirent dans un bureau de poste de Glen Village, Falkirk, en Écosse, un vol à main armée au cours duquel ils exercèrent des voies de fait sur trois employés. Ils endommagèrent aussi une voiture. Après une enquête, M. Boner et deux autres hommes furent arrêtés et placés en détention provisoire. Le premier fut inculpé sous un chef de voie de fait et d’attaque à main armée, un chef de dommage volontaire et trois chefs relatifs à des armes à feu. Son procès se déroula du 29 mars au 10 avril 1990 devant la High Court of Justiciary, siégeant à Edimbourg. Il bénéficia de l’aide judiciaire pour la préparation de sa défense et pour sa représentation par un avocat au procès. Au cours de celui-ci, un témoin à charge, Mme G., pénétra dans le prétoire avant de témoigner et parla à un des coaccusés de M. Boner contre lequel les poursuites avaient été abandonnées. Lorsque Mme G. fut appelée à déposer, l’avocat du requérant protesta en raison de sa présence antérieure dans la salle d’audience. Le juge ajourna l’affaire et donna instruction au ministère public d’enquêter au sujet de l’incident, de manière à déterminer si la présence de Mme G. était due à une négligence ou à une faute de la Couronne. Le procureur l’informa que l’enquête n’avait révélé aucune faute commise par une personne en relevant. Cela ne fut pas contesté par l’avocat de M. Boner qui, de surcroît, se montra incapable de préciser comment le témoignage de Mme G. aurait pu être affecté par sa présence antérieure dans le prétoire. Aussi le juge estima-t-il qu’aucune injustice ne serait commise si l’on appelait l’intéressée à témoigner. Constatant que les conditions légales pertinentes étaient satisfaites (paragraphe 17 ci-dessous), il usa donc de son pouvoir discrétionnaire pour l’autoriser à déposer. Par la suite, l’avocat du requérant put interroger Mme G. au sujet de sa présence dans la salle d’audience. Dans sa déposition, celle-ci déclara que M. Boner s’était trouvé chez elle le soir précédant les faits et qu’il avait parlé de dévaliser le bureau de poste; le matin suivant, il avait quitté la maison, pour y revenir plus tard, nerveux et muni d’un sac. Parmi les autres preuves contre l’accusé figurait le fait qu’un fusil de chasse et divers objets dérobés au bureau de poste avaient été retrouvés à son domicile; de plus, un autre témoin l’avait identifié comme étant l’un des agresseurs, et le témoignage de Mme G. fut confirmé par sa fille de neuf ans. Le jury reconnut le requérant coupable sous tous les chefs d’accusation. Au vu de ses nombreuses condamnations antérieures, le juge lui infligea huit ans d’emprisonnement. Le 17 avril 1990, par l’intermédiaire de son solicitor, M. Boner notifia son intention de former appel de sa condamnation. Il mandata alors de nouveaux solicitors, qui invitèrent un autre avocat à rendre un avis sur les chances de succès d’un recours et à rédiger un acte d’appel. Dans son avis, daté du 10 juin 1990, l’avocat déclara estimer que le seul moyen d’appel possible se rapportait à la "recevabilité du témoignage de Mme G." et au fait "que le juge de première instance avait mésusé de son pouvoir discrétionnaire en autorisant l’intéressée à être présente". Toutefois, il avoua ne pas avoir reçu suffisamment d’informations pour émettre un avis éclairé ou pour esquisser des moyens d’appel. Il n’en rédigea pas moins un acte d’appel qui comportait six moyens, dont les deux premiers concernaient la décision du juge d’admettre le témoin. Cet acte d’appel fut déposé par les solicitors du requérant le 13 juin 1990. Jusque-là, tout le travail avait été couvert par l’aide judiciaire accordée pour le procès. Une demande visant à l’extension de son bénéfice à la procédure d’appel avait été soumise en mai 1990. Le 25 juillet 1990, le Comité écossais d’aide judiciaire (Scottish Legal Aid Board, "le Comité") invita M. Boner à produire un avis de son avocat sur les chances de succès du recours. Daté du 10 juin 1990, le premier avis lui fut donc communiqué, accompagné d’un avis supplémentaire du même conseil daté du 6 septembre 1990. Dans celui-ci, l’avocat réaffirmait que le recours reposait sur la question de la recevabilité du témoignage de Mme G. Toutefois, il répéta qu’il n’avait pas reçu suffisamment d’éléments pour pouvoir évaluer le bien-fondé du recours. "Je regrette, mais je ne puis, à ce stade, répondre à la question fondamentale en l’espèce", concluait-il. Le 27 septembre 1990, les solicitors de l’intéressé informèrent le Comité par téléphone que l’avocat avait finalement estimé ne pouvoir appuyer ni la demande d’aide judiciaire ni le recours. Partageant son avis, ils ne pouvaient donc plus agir pour le requérant. Les termes de cet entretien téléphonique furent confirmés dans une lettre du 2 novembre adressée par les solicitors au Comité. Le 14 novembre 1990, celui-ci les informa qu’il avait rejeté la demande d’aide judiciaire au motif qu’il n’était pas convaincu, comme il devait l’être en vertu de la législation pertinente (paragraphe 26 ci-dessous), que M. Boner pouvait fonder son appel sur des moyens sérieux et qu’il était raisonnable de lui accorder le bénéfice de l’aide judiciaire. Dans une lettre du 11 décembre 1990 adressée personnellement au requérant, il ajouta que le recours lui paraissait dépourvu de tout fondement. Nonobstant l’avis de ses solicitors et de son avocat, M. Boner décida d’interjeter appel. L’intéressé, qui n’avait ni connaissances ni assistance juridiques, plaida lui-même sa cause, le 24 janvier 1991, devant la High Court of Justiciary officiant comme cour d’appel et siégeant à Edimbourg. La Couronne était représentée par un conseil. Rien dans le compte rendu n’indique que la juridiction invita ce dernier à prendre la parole. Examinant les deux premiers moyens d’appel relatifs à Mme G., elle les estima dépourvus de fondement et considéra que le juge de première instance avait correctement traité la question. M. Boner ne s’étant pas exprimé devant elle sur le restant des moyens d’appel, elle ne les prit pas en considération. Elle se pencha cependant sur d’autres points soulevés par le requérant, pour aboutir à "la conclusion claire qu’il n’y a[vait] pas eu en l’espèce mauvaise administration de la justice". L’appel contre la condamnation fut rejeté à l’unanimité. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Présence d’un témoin dans la salle d’audience En droit écossais, un témoin qui s’est trouvé dans la salle d’audience sans l’autorisation du tribunal et sans que la partie adverse y ait consenti peut néanmoins se voir admettre à déposer "s’il apparaît au tribunal que sa présence ne résultait pas d’une négligence coupable ou d’une intention délictueuse et que sa déposition n’est pas indûment influencée ou dictée par ce qui s’est déroulé devant lui ou que son interrogatoire ne peut aboutir à une injustice" (article 140 de la loi de 1975 sur la procédure pénale écossaise (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975 - "la loi de 1975")). B. Recours en matière pénale Les précisions ci-après ne concernent que la "procédure solennelle", selon laquelle se déroule un procès sur la base d’un acte d’accusation et devant un juge siégeant avec jury. L’article 228 de la loi de 1975 reconnaît à tout condamné le droit, sans avoir besoin d’autorisation préalable, d’attaquer la déclaration de culpabilité. Un recours contre le verdict de culpabilité permet à l’appelant de se plaindre de toute mauvaise administration de la justice dans la procédure au cours de laquelle il a été reconnu coupable (article 228 par. 2 de la loi de 1975). Non définie par la loi, la notion de mauvaise administration de la justice (miscarriage of justice) englobe des hypothèses telles que des indications inexactes du juge au jury, des décisions erronées sur la recevabilité des preuves ou des violations des principes de la justice naturelle. Pour tout recours, l’appelant doit indiquer la nature de l’irrégularité alléguée dans les moyens d’appel figurant dans une déclaration écrite d’appel, qu’il doit formuler dans les huit semaines suivant le prononcé de la peine (article 233 paras. 1 et 2 de la loi de 1975). A l’audience, l’appelant ne peut fonder aucun aspect de son recours sur un moyen qui n’y figure pas, à moins que la cour ne l’y autorise, à titre exceptionnel et s’il y a des raisons valables (article 233 par. 3 de la loi de 1975). Le recours est examiné par un collège de trois juges au moins. A l’audience, l’appelant ou son conseil, s’il en a un, présente ses conclusions à la cour à l’appui de ses moyens d’appel. Les appelants n’ayant pas de conseil ne sont pas tenus de faire un exposé oral; ils sont toutefois autorisés à lire les pièces qu’ils ont pu rédiger ou rassembler. L’accusation est toujours représentée en appel par des conseils. Ils ont pour mission d’agir seulement dans l’intérêt public, non de rechercher la confirmation d’une décision erronée. En conséquence, ils ne prennent la parole devant la cour que si elle les y invite ou s’il y a lieu d’attirer son attention sur un élément pertinent pour le recours, qu’il aille ou non dans le sens de l’accusation. Lorsqu’elle se prononce sur un appel contre la condamnation, la cour peut l’écarter et confirmer le verdict de la juridiction du fond; elle peut annuler le verdict soit en cassant la condamnation, soit en lui substituant un verdict modifié; elle peut encore annuler le verdict et autoriser l’ouverture d’un nouveau procès (article 254 de la loi de 1975). C. Représentation des appelants par un conseil En Écosse, les conseils sont investis de la charge publique d’advocate, qui leur impose un certain nombre d’obligations dont celle de refuser de s’occuper d’un appel si, en hommes de l’art, ils en constatent le défaut manifeste de fondement, même dans le cas où le client a les moyens d’assumer cette représentation. Cette règle de déontologie repose sur le principe qu’un conseil ne peut employer à bon escient le temps d’un tribunal en lui présentant des arguments qu’il sait dénués de fondement. D. Aide judiciaire pour les appels en matière pénale La gestion de l’aide judiciaire en Écosse relève du Comité écossais d’aide judiciaire, organe indépendant composé d’avocats, de solicitors et d’autres personnes au courant de la pratique judiciaire, désignés par le ministre pour l’Écosse. L’aide judiciaire accordée dans un procès sur acte d’accusation s’étend, en cas de verdict de culpabilité, à l’examen de la question de l’appel par le solicitor et aux indications de celui-ci à ce sujet. Un avis sur les chances de succès de l’appel peut aussi être obtenu du conseil qui a assisté l’intéressé au procès. Des dispositions spéciales prévoient également une aide judiciaire pour permettre au solicitor de préparer et déposer la notification de l’intention d’interjeter appel - exigée par la loi - et, le cas échéant, d’obtenir l’avis d’un conseil sur les perspectives du recours ainsi que pour la rédaction et la remise d’un acte d’appel indiquant les moyens. Le solicitor doit adresser une demande complémentaire au Comité pour que l’aide judiciaire aille au-delà. Cette demande doit confirmer que le solicitor est prêt à assurer la représentation de l’intéressé et indiquer les arguments à l’appui des moyens d’appel comme les raisons qu’a le solicitor de croire que les moyens sont solides et qu’il y a lieu d’accorder l’aide judiciaire. Pour approuver une demande, le Comité doit avoir la conviction qu’elle est justifiée par la situation financière de son auteur, que celui-ci "a des motifs sérieux d’introduire un recours et que l’octroi de l’aide judiciaire semble raisonnable en l’espèce" (article 25 par. 2 de la loi de 1986 sur l’aide judiciaire en Écosse - Legal Aid (Scotland) Act 1986). Le Comité statue à l’aide des documents en sa possession - d’habitude, la déclaration d’appel énonçant les moyens invoqués, les indications du juge au jury et le rapport dudit juge sur l’affaire. Il examine aussi les vues exprimées par le solicitor et le conseil du requérant. Bien que la législation ne prévoie pas un recours formel, dans la pratique le Comité, s’il y est invité, reconsidère une demande qui a été écartée. A cette fin, il défère la demande à un rapporteur extérieur qui n’a pas pris part à sa décision antérieure, et qui lui rend compte du bien-fondé de la demande. Sinon, les décisions du Comité sont susceptibles du contrôle judiciaire ordinaire. Dans le cas où l’appelant persiste dans son appel sans l’aide judiciaire et où la juridiction d’appel estime qu’à première vue, il peut avoir des motifs sérieux d’interjeter appel et que l’intérêt de la justice exige qu’il ait un représentant légal pour les développer, elle sursoit immédiatement à statuer et recommande le réexamen de la décision du Comité. La pratique de la juridiction d’appel à cet égard a été officialisée à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Granger c. Royaume-Uni du 28 mars 1990 (série A no 174) par une note pratique à cet effet adressée le 4 décembre 1990 par le Lord Justice General à tous les présidents et greffiers des juridictions d’appel: "Pour tout appel où l’aide judiciaire a été refusée et où la cour estime qu’à première vue, l’appelant peut avoir des motifs sérieux d’interjeter appel et qu’il est de l’intérêt de la justice qu’il soit représenté pour les faire valoir, la cour sursoit immédiatement à statuer et recommande le réexamen de la décision de refuser l’aide judiciaire." Dans l’hypothèse d’une telle recommandation, l’octroi de l’aide judiciaire est automatique. A cette fin, le manuel de procédure du Comité écossais d’aide judiciaire dispose en son paragraphe 6.12: "Dans ce cas, le Comité reçoit de la High Court of Justiciary une lettre exposant les circonstances de l’affaire pour laquelle elle recommande le réexamen de la décision de refus. Si nous sommes invités à réexaminer une décision en pareil cas, la demande doit être accueillie de plein droit. Il est inutile de la confier à un rapporteur ou à un solicitor membre du Comité, mais il y a lieu de la déférer à l’Assistant Manager qui lui donnera la suite voulue." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Boner a saisi la Commission le 4 avril 1991. Invoquant l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait de s’être vu refuser l’aide judiciaire. La Commission a déclaré la requête (no 18711/91) recevable le 9 décembre 1992. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-sept voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 18 avril 1993, le requérant a invité la Cour "à constater et déclarer qu’il y a eu violation des droits à lui garantis par l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) et qu’en l’occurrence il y aurait lieu de lui accorder au titre de l’article 50 (art. 50) une satisfaction équitable d’un montant jugé approprié par la Cour". Le Gouvernement, pour sa part, a prié la Cour de juger qu’il n’y a pas eu infraction aux droits garantis au requérant par l’article 6 (art. 6).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen britannique né en 1944, le requérant, M. Peter Maxwell, réside à Perth, en Écosse. Le 14 ou 15 février 1990, deux hommes masqués entrèrent par effraction dans une maison particulière sise à Stevenston, en Écosse. Ils en agressèrent l’occupant, lui causant de graves blessures et le défigurant de façon permanente. Le 19 février 1990, M. Maxwell fut arrêté en même temps qu’un autre homme. Ils furent inculpés de voies de fait. Ils furent placés en détention provisoire jusqu’au début du procès, qui commença le 28 mai 1990 devant la High Court of Justiciary de Kilmarnock, en Écosse. Le 29 mai 1990, le jury estima le requérant coupable de l’infraction. Au vu de ses condamnations antérieures, le juge le condamna à cinq ans d’emprisonnement. Le requérant avait bénéficié de l’aide judiciaire pour la préparation de sa défense et pour être représenté par un conseil au procès. Après sa condamnation, M. Maxwell retint les services d’un nouveau cabinet de solicitors; ceux-ci demandèrent à l’avocat qui l’avait représenté au procès de donner son avis sur les perspectives de succès d’un appel. Après avoir reçu cet avis, les solicitors firent savoir au requérant qu’ils ne pouvaient s’occuper de son affaire, faute de trouver un motif d’appel. En agissant ainsi, ils se conformaient au code de déontologie de leur profession (paragraphe 20 ci-dessous). Le requérant tenta ensuite de mandater un autre cabinet de solicitors, mais ils refusèrent à leur tour d’agir en son nom. Le 31 juillet 1990, nonobstant les conseils qu’il avait reçus, le requérant déposa un acte d’appel indiquant les moyens formulés par lui-même. Ils peuvent se résumer ainsi: a) il n’aurait pu étayer sa thèse selon laquelle un témoin d’importance capitale avait fait un faux témoignage contre lui parce qu’il aurait alors révélé au jury une condamnation antérieure; b) plusieurs témoins n’auraient pas été cités par l’accusation ou la défense; c) des témoignages capitaux auraient été forgés de toutes pièces; d) le verdict du jury ne se serait pas appuyé sur des éléments de preuve; e) les conseils de l’intéressé auraient méconnu les instructions qu’il leur avait données et ne l’auraient pas défendu en conséquence; f) les preuves n’auraient pas suffi pour établir que les voies de fait avaient eu pour résultat de défigurer la victime de manière permanente. M. Maxwell prit par la suite d’autres solicitors et obtint un ajournement de l’audience d’appel. Toutefois, peu avant la nouvelle date fixée pour celle-ci, ils l’informèrent qu’ils ne pouvaient plus se charger de son affaire, ni trouver d’avocat acceptant de présenter l’appel. Ce refus était conforme à la règle déontologique pertinente (paragraphe 20 ci-dessous). L’intéressé se vit accorder un nouvel ajournement de l’audience d’appel. Le requérant mandata encore un autre cabinet de solicitors. Le 17 décembre 1990, ils réclamèrent l’aide judiciaire auprès du Comité écossais d’aide judiciaire (Scottish Legal Aid Board, "le Comité") aux fins de la représentation à l’audience d’appel. Sur l’invitation du Comité, ils demandèrent à un nouvel avocat de se prononcer sur les chances de succès du recours. Dans un avis du 10 janvier 1991, cet avocat, après avoir étudié les moyens d’appel articulés par le requérant, conclut que celui-ci "n’avait pas de motif d’appel contre le verdict de culpabilité ni de chances qu’un appel contre la peine infligée aboutisse". Les solicitors de M. Maxwell firent valoir au Comité qu’il y avait néanmoins lieu d’accorder l’aide judiciaire à leur client, vu la longue peine infligée. Le 25 janvier 1991, le Comité informa M. Maxwell qu’il avait rejeté sa demande au motif qu’il n’était pas convaincu - comme il devait l’être en vertu de la législation pertinente (paragraphe 23 ci-dessous) - que l’intéressé pouvait fonder son appel sur des moyens sérieux et qu’il était raisonnable de lui accorder le bénéfice de l’aide judiciaire. Ses solicitors conseillèrent à l’intéressé de renoncer à son appel, mais il choisit de ne pas les suivre. Après le refus de l’aide judiciaire, les solicitors ne voulurent plus s’occuper de l’affaire du requérant. Un nouveau report de l’audience fut alors octroyé. M. Maxwell décida de maintenir personnellement son appel. Le 21 mars 1991, il prit la parole devant la High Court of Justiciary sur ses moyens d’appel. L’accusation était représentée par un conseil, mais rien n’indique qu’il soit intervenu à l’audience. Le collège de trois juges était présidé par le Lord Justice Clerk, l’un des deux magistrats les plus élevés dans la hiérarchie écossaise. Le même jour, la cour débouta l’intéressé. Dans son arrêt, le Lord Justice Clerk nota que le requérant avait articulé des moyens détaillés et les avait longuement développés devant la cour. Il examina successivement chacun des moyens d’appel, mais exprima la conviction qu’ils étaient sans fondement et qu’il n’y avait pas eu mauvaise administration de la justice. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Recours en matière pénale Les précisions ci-après ne concernent que la "procédure solennelle", selon laquelle se déroule un procès sur la base d’un acte d’accusation et devant un juge siégeant avec jury. L’article 228 de la loi de 1975 sur la procédure pénale écossaise (Criminal Procedure (Scotland) Act 1975 - "la loi de 1975") reconnaît à tout condamné le droit, sans avoir besoin d’autorisation préalable, d’attaquer la déclaration de culpabilité. Un recours contre le verdict de culpabilité permet à l’appelant de se plaindre de toute mauvaise administration de la justice dans la procédure au cours de laquelle il a été reconnu coupable (article 228 par. 2 de la loi de 1975). Non définie par la loi, la notion de mauvaise administration de la justice (miscarriage of justice) englobe des hypothèses telles que des indications inexactes du juge au jury, des décisions erronées sur la recevabilité des preuves ou des violations des principes de la justice naturelle. Pour tout recours, l’appelant doit indiquer la nature de l’irrégularité alléguée dans les moyens d’appel figurant dans une déclaration écrite d’appel, qu’il doit formuler dans les huit semaines suivant le prononcé de la peine (article 233 paras. 1 et 2 de la loi de 1975). A l’audience, l’appelant ne peut fonder aucun aspect de son recours sur un moyen qui n’y figure pas, à moins que la cour ne l’y autorise, à titre exceptionnel et s’il y a des raisons valables (article 233 par. 3 de la loi de 1975). Le recours est examiné par un collège de trois juges au moins. A l’audience, l’appelant ou son conseil, s’il en a un, présente ses conclusions à la cour à l’appui de ses moyens d’appel. Les appelants n’ayant pas de conseil ne sont pas tenus de faire un exposé oral; ils sont toutefois autorisés à lire les pièces qu’ils ont pu rédiger ou rassembler. L’accusation est toujours représentée en appel par des conseils. Ils ont pour mission d’agir seulement dans l’intérêt public, non de rechercher la confirmation d’une décision erronée. En conséquence, ils ne prennent la parole devant la cour que si elle les y invite ou s’il y a lieu d’attirer son attention sur un élément pertinent pour le recours, qu’il aille ou non dans le sens de l’accusation. Lorsqu’elle se prononce sur un appel contre la condamnation, la cour peut l’écarter et confirmer le verdict de la juridiction du fond; elle peut annuler le verdict soit en cassant la condamnation, soit en lui substituant un verdict modifié; elle peut encore annuler le verdict et autoriser l’ouverture d’un nouveau procès (article 254 de la loi de 1975). B. Représentation des appelants par un conseil En Écosse, les conseils sont investis de la charge publique d’advocate, qui leur impose un certain nombre d’obligations, dont celle de refuser de s’occuper d’un appel si, en hommes de l’art, ils en constatent le défaut manifeste de fondement, même dans le cas où le client a les moyens d’assumer cette représentation. Cette règle de déontologie repose sur le principe qu’un conseil ne peut employer à bon escient le temps d’un tribunal en lui présentant des arguments qu’il sait dénués de fondement. C. Aide judiciaire pour les appels en matière pénale La gestion de l’aide judiciaire en Écosse relève du Comité écossais d’aide judiciaire, organe indépendant composé d’avocats, de solicitors et d’autres personnes au courant de la pratique judiciaire, désignés par le ministre pour l’Écosse. L’aide judiciaire accordée dans un procès sur acte d’accusation s’étend, en cas de verdict de culpabilité, à l’examen de la question de l’appel par le solicitor et aux indications de celui-ci à ce sujet. Un avis sur les chances de succès de l’appel peut aussi être obtenu du conseil qui a assisté l’intéressé au procès. Des dispositions spéciales prévoient également une aide judiciaire pour permettre au solicitor de préparer et déposer la notification de l’intention d’interjeter appel - exigée par loi - et, le cas échéant, d’obtenir l’avis d’un conseil sur les perspectives du recours ainsi que pour la rédaction et la remise d’un acte d’appel indiquant les moyens. Le solicitor doit adresser une demande complémentaire au Comité pour que l’aide judiciaire aille au-delà. Cette demande doit confirmer que le solicitor est prêt à assurer la représentation de l’intéressé et indiquer les arguments à l’appui des moyens d’appel comme les raisons qu’a le solicitor de croire que les moyens sont solides et qu’il y a lieu d’accorder l’aide judiciaire. Pour approuver une demande, le Comité doit avoir la conviction qu’elle est justifiée par la situation financière de son auteur, que celui-ci "a des motifs sérieux d’introduire un recours et que l’octroi de l’aide judiciaire semble raisonnable en l’espèce" (article 25 par. 2 de la loi de 1986 sur l’aide judiciaire en Écosse - Legal Aid (Scotland) Act 1986). Le Comité statue à l’aide des documents en sa possession - d’habitude, la déclaration d’appel énonçant les moyens invoqués, les indications du juge au jury et le rapport dudit juge sur l’affaire. Il examine aussi les vues exprimées par le solicitor et le conseil du requérant. Bien que la législation ne prévoie pas un recours formel, dans la pratique le Comité, s’il y est invité, reconsidère une demande qui a été écartée. A cette fin, il défère la demande à un rapporteur extérieur qui n’a pas pris part à sa décision antérieure, et qui lui rend compte du bien-fondé de la demande. Sinon, les décisions du Comité sont susceptibles du contrôle judiciaire ordinaire. Dans le cas où l’appelant persiste dans son appel sans l’aide judiciaire et où la juridiction d’appel estime qu’à première vue, il peut avoir des motifs sérieux d’interjeter appel et que l’intérêt de la justice exige qu’il ait un représentant légal pour les développer, elle sursoit immédiatement à statuer et recommande le réexamen de la décision du Comité. La pratique de la juridiction d’appel à cet égard a été officialisée à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Granger c. Royaume-Uni du 28 mars 1990 (série A no 174) par une note pratique à cet effet adressée le 4 décembre 1990 par le Lord Justice General à tous les présidents et greffiers des juridictions d’appel: "Pour tout appel où l’aide judiciaire a été refusée et où la cour estime qu’à première vue, l’appelant peut avoir des motifs sérieux d’interjeter appel et qu’il est de l’intérêt de la justice qu’il soit représenté pour les faire valoir, la cour sursoit immédiatement à statuer et recommande le réexamen de la décision de refuser l’aide judiciaire." Dans l’hypothèse d’une telle recommandation, l’octroi de l’aide judiciaire est automatique. A cette fin, le manuel de procédure du Comité écossais d’aide judiciaire dispose en son paragraphe 6.12: "Dans ce cas, le Comité reçoit de la High Court of Justiciary une lettre exposant les circonstances de l’affaire pour laquelle elle recommande le réexamen de la décision de refus. Si nous sommes invités à réexaminer une décision en pareil cas, la demande doit être accueillie de plein droit. Il est inutile de la confier à un rapporteur ou à un solicitor membre du Comité, mais il y a lieu de la déférer à l’Assistant Manager qui lui donnera la suite voulue." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Maxwell a saisi la Commission le 25 mars 1991 (requête no 18949/91). Invoquant l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention, il se plaignait de s’être vu refuser le bénéfice de l’aide judiciaire. Il dénonçait aussi la manière dont ses représentants avaient assuré sa défense et plusieurs autres questions soulevées par le procès. Il formulait d’autres allégations au titre de l’article 13 (art. 13). Le 2 avril 1992, la Commission a écarté tous les griefs à l’exception du premier, qu’elle a retenu le 9 décembre 1992. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-sept voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 18 avril 1993, le Gouvernement a invité la Cour à dire qu’il n’y avait pas eu infraction aux droits garantis au requérant par l’article 6 (art. 6).
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M. Manfred Jacubowski réside à Bonn et exerce la profession de journaliste. A l’époque, il travaillait comme rédacteur en chef d’une agence de presse exploitée par une société commerciale, la Deutsche Depeschendienst GmbH, dont il était associé, cofondateur et gérant. Elle déposa son bilan (Eröffnung des Konkursverfahrens) le 31 mars 1983. Une nouvelle société, la Deutsche Depeschendienst AG ("la ddp"), fut ensuite créée; le 3 mai 1983, il en devint administrateur (Vorstand) unique et rédacteur en chef. Peu de temps après, il engagea deux séries de procédures. Par la première (A), il dénonçait son licenciement et par la seconde (B), il réclamait le droit de répondre à un communiqué de presse de son employeur. Presque au même moment, il fit l’objet d’une troisième instance (C) introduite en vertu de la loi du 7 juin 1909 contre la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb - "la loi de 1909"). A. Le licenciement du requérant Pour des raisons tenant à la gestion financière du requérant, le conseil de surveillance (Aufsichtsrat) de la ddp le démit sans préavis de toutes ses fonctions le 17 juillet 1984. Le 25 août, il lui adressa une nouvelle lettre de licenciement au motif qu’il aurait fourni des renseignements confidentiels à des tiers. M. Jacubowski contesta la validité de ce dernier congédiement, lequel fut confirmé le 12 octobre. Une autre lettre de licenciement lui fut expédiée le 28 octobre, après qu’il eut envoyé aux milieux professionnels, le 25 septembre, une lettre circulaire accompagnée d’articles de journaux (paragraphe 14 ci-dessous). Un dernier avis de licenciement, reposant sur de nouveaux motifs, lui fut adressé le 12 février 1985. Au terme d’une procédure judiciaire engagée par l’intéressé, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Cologne constata le 11 octobre 1988 qu’il avait été valablement licencié le 28 octobre 1984. D’après elle, il fallait voir dans la diffusion de la lettre circulaire et des coupures de presse un manquement si grave au devoir de loyauté de M. Jacubowski qu’il était impossible pour l’employeur de maintenir son contrat; on ne pouvait d’ailleurs pas raisonnablement l’escompter. En envoyant à un grand nombre de confrères influents des articles de journaux et en endossant dans la lettre circulaire les propos objectivement négatifs qu’ils renfermaient sur la compétence et la situation commerciale de la ddp, M. Jacubowski avait sciemment couru le risque de nuire sévèrement à la société; de tels agissements étaient inacceptables de la part d’un cadre supérieur et ne pouvaient donc pas s’autoriser du droit constitutionnel à la liberté d’expression. De surcroît, il ne ressortait pas de la lettre circulaire qu’elle eût pour principal objectif de défendre la réputation et l’honneur du requérant; elle ne renvoyait nullement aux allégations de la ddp et n’avançait aucun argument tendant à disculper M. Jacubowski. Son dernier paragraphe montrait clairement que cet envoi avait eu pour seule finalité de diffuser des remarques défavorables sur l’ancien employeur de l’intéressé et d’établir des contacts avec les destinataires. M. Jacubowski attaqua cet arrêt devant la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) et la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), mais elles écartèrent ses recours respectivement les 26 juin et 25 octobre 1989 au motif qu’ils n’avaient aucune chance d’aboutir. B. La réponse du requérant au communiqué de presse de son employeur Entre-temps, l’agence avait publié le 16 août 1984 un communiqué de presse relatif à sa propre restructuration. Elle y critiquait aussi en ces termes la gestion du requérant: "(...) après que la S.A.R.L. [société à responsabilité limitée] (...) eut déposé son bilan le 31 mars 1983, la S.A. [société anonyme] D. - toujours dirigée par Manfred Jacubowski - démarra le 20 avril 1983 avec un capital d’un million de marks allemands. Les pratiques commerciales inchangées de Jacubowski et son comportement inadéquat envers la clientèle, d’une part, ainsi que l’absence de direction efficace et fiable de la rédaction, de l’autre, compromirent les chances de relance et provoquèrent même la perte de clients. Jusqu’au printemps dernier, Jacubowski trompa le conseil de surveillance sur des éléments essentiels de cette évolution. Par exemple, des dettes du temps de la S.A.R.L. furent imputées à la S.A., ce qui précipita l’agence D. dans de nouvelles difficultés financières. Seule l’intervention rapide de l’ancien responsable de la trésorerie et de la comptabilité, l’actuel directeur K., put limiter les dégâts, en sorte qu’aujourd’hui D. a retrouvé des bases économiques solides. Le 17 juillet - date de l’assemblée générale - Jacubowski fut licencié sans préavis en raison de son incompétence économique (...) K. fut nommé administrateur unique (...)" Les 29 août et 4 septembre 1984, l’intéressé invita la ddp à publier sa réponse (Gegendarstellung) au communiqué, mais en vain. Il sollicita alors une ordonnance de référé (einstweilige Verfügung) du tribunal régional (Landgericht) de Bonn qui la lui refusa le 17 septembre 1984 au motif que la réponse envisagée ne se bornait pas à répliquer aux allégations de fait (gegenteilige Tatsachenbehauptung) figurant dans le communiqué, mais donnait une version totalement nouvelle de la chronologie des événements (Auflistung), laquelle n’avait pas été abordée par celui-ci. Le 11 octobre, la cour d’appel de Cologne réforma ce jugement et enjoignit à l’agence de donner suite à la demande de M. Jacubowski, ce qu’elle fit un mois plus tard. Dans sa réponse alors publiée, le requérant rétorqua point par point aux principales accusations portées dans le communiqué de presse de la ddp. C. La procédure en vertu de la loi contre la concurrence déloyale Entre-temps, le 25 septembre 1984, M. Jacubowski avait adressé à quarante éditeurs et rédacteurs de la presse écrite et audiovisuelle, qui avaient reçu, comme clients de la ddp, le communiqué du 16 août (paragraphe 12 ci-dessus), une compilation de treize articles de journaux à grand tirage. Ils jetaient un regard critique sur son congédiement, les circonstances de celui-ci et l’activité de la ddp en général. On pouvait y lire en particulier que la situation financière de cette dernière s’était encore détériorée depuis la faillite en avril 1983 (paragraphe 7 ci-dessus) et qu’une partie de la clientèle s’apprêtait à renoncer à ses services, en raison notamment de leur qualité médiocre et de l’absence de certains équipements techniques. Il y avait annexé une lettre circulaire ainsi rédigée: "La sélection ci-jointe - nécessairement incomplète - d’articles concernant l’affaire Jacubowski c. D. pourra sans doute éclairer certains aspects demeurés dans l’ombre, même au cas où vous connaîtriez déjà l’une ou l’autre description des faits. Il est vrai que certains faits ne sont pas relatés correctement, mais ils ne peuvent guère modifier l’impression d’ensemble. Les actions judiciaires encore pendantes, intentées par des membres du personnel de D. concernés par son évolution actuelle ainsi que par moi-même, apporteront toute la lumière sur les détails de l’affaire. Je serais heureux de pouvoir bientôt m’entretenir personnellement avec vous, non seulement du passé, mais aussi des évolutions à venir sur le ‘marché de l’information’ allemand. Je solliciterai en temps utile un rendez-vous à cet effet." Peu de temps après, le 11 mars 1985, le requérant fonda une agence dite de relations publiques. Dans l’intervalle, la société E., qui avait acquis 25 % du capital de la ddp, avait intenté une procédure en "cessation" (Unterlassung) contre M. Jacubowski. Le 29 janvier 1986, le tribunal régional de Düsseldorf la débouta pour manque d’intérêt (rechtliches Interesse) à agir. Statuant le 11 décembre 1986 sur l’appel de E., à laquelle l’agence s’était jointe (Eintritt in den Rechtsstreit), la cour de Düsseldorf écarta une demande tendant à voir interdire à l’intéressé toute critique systématique de la ddp, mais ordonna qu’il s’abstînt, sous peine d’amende, de poursuivre la diffusion du courrier en question; elle décida ensuite qu’il aurait à "indemniser la [société E.] de tout le dommage que les agissements [litigieux avaient] fait et [feraient] subir à la [ddp]". La cour s’appuyait sur l’article 1 de la loi de 1909, ainsi libellé: "Une action en cessation et en dommages-intérêts peut être introduite contre quiconque accomplit en affaires, à des fins de concurrence, des actes contraires aux bonnes moeurs." D’après elle, le défendeur avait, dans sa circulaire, repris à son compte les allégations des articles envoyés. Il avait certes voulu corriger d’éventuelles fausses affirmations du communiqué à son sujet, mais avait surtout opéré à des fins de concurrence dans le cadre de relations d’affaires. La cour déclara notamment: "Le défendeur a envoyé (...) sa lettre circulaire du 25 septembre 1984 dans le but d’exercer une concurrence dans le cadre de relations d’affaires. Un acte poursuit un but de concurrence lorsqu’il apparaît propre à promouvoir les ventes d’une personne au détriment de celles d’une autre et lorsqu’il s’accomplit dans cette intention, sans que cela doive être son seul ou principal mobile (jurisprudence constante; voir Cour fédérale de Justice dans GRUR 1952, p. 410 - Constanze I; Baumbach- Hefermehl, Wettbewerbsrecht, 14e édition, introduction à la loi contre la concurrence déloyale, notes marginales 209 et suiv., avec d’autres références). Des propos que, selon le témoin Leisner, l’intimé a tenus à plusieurs reprises, il ressort que celui-ci envisageait, avant même l’envoi de sa lettre circulaire, de fonder sa propre agence de presse une fois qu’il aurait quitté la [ddp]. La diffusion, aux clients effectifs de la [ddp] et/ou aux clients potentiels de celle-ci et de l’agence de presse projetée par l’intimé, de la lettre circulaire renvoyant aux coupures de presse dépréciatives qui y étaient jointes et se rapportaient entre autres à l’activité de la [ddp] comme agence de presse, était de nature à favoriser la position concurrentielle de l’intimé et à nuire à celle de la [ddp]. Certes, la société de l’intimé n’existait pas encore à l’époque. Toutefois, pour pouvoir conclure à l’existence de rapports de concurrence, il suffit que les commerçants aient, ne fût-ce que pour l’avenir, la même clientèle potentielle. Il en va bien ainsi de la société de l’intimé et de la [ddp] (...) Le comportement de celui-ci fut inspiré aussi par une (...) intention concurrentielle. L’expérience montre que le fait pour une activité d’être objectivement de nature à favoriser la position concurrentielle de son auteur aux dépens de celle d’une autre personne n’est pas le seul élément permettant de présumer une intention concurrentielle (...) En l’espèce, cette intention ressort aussi des autres circonstances apparues au cours de la procédure. D’après ce qu’il a dit au témoin Leisner, l’intimé envisageait depuis longtemps déjà de fonder sa propre agence au cas où il quitterait le service de la [ddp]. A la mi-juillet 1984, celle-ci l’avait démis de ses fonctions d’administrateur et, à la mi-août, avait résilié son contrat de travail. Environ un mois plus tard, il a envoyé sa circulaire et les coupures de journaux à des destinataires sélectionnés, parmi lesquels - et cela ne prête pas à controverse - d’importants clients de la [ddp]. Quelques mois après, la nouvelle agence de presse de l’intimé fut créée. Cette chronologie des événements fournit un indice supplémentaire de l’intention de l’intimé de dénigrer la [ddp] aux yeux de clients potentiels des deux parties et de faciliter ainsi l’implantation de sa propre agence sur le marché, en prévision de la concurrence de la [ddp]. L’intention de l’intimé de livrer concurrence ressort aussi du dernier paragraphe de la circulaire. Celui-ci montre qu’en sollicitant une entrevue, l’intéressé entendait non seulement corriger d’éventuelles fausses affirmations à son sujet mais à tout le moins aussi promouvoir ses activités futures en tant que concurrent de la [ddp]. On voit mal ce que l’intimé aurait pu vouloir dire d’autre lorsqu’il a écrit qu’il serait heureux de s’entretenir ‘non seulement du passé’, mais aussi ‘des évolutions à venir sur le marché de l’information allemand’. En reprenant ces déclarations défavorables sur la [ddp] et en les diffusant comme ses propres affirmations et appréciations, il a inutilement entravé la concurrence de la [ddp]. Que ses affirmations factuelles défavorables sur les activités de la [ddp] soient vraies ou fausses et qu’elles justifient ou non les appréciations défavorables les accompagnant, n’y change rien. En effet, des déclarations véridiques peuvent servir à dénigrer un concurrent seulement lorsque leur auteur a des raisons suffisantes de lier sa propre position concurrentielle au dénigrement du concurrent et à condition que, par sa nature ou son degré, la critique n’excède pas la mesure nécessaire (Cour fédérale de Justice dans GRUR 1968, pp. 262 et 265 - Fälschung). Une telle raison de dénigrer la [ddp] en reprenant les observations défavorables sur les activités de celle-ci dans l’article d’Horizont n’apparaît pas." Bref, M. Jacubowski avait gêné inutilement (behinderte unnötig) un concurrent et, partant, enfreint l’article 1 de la loi de 1909. Le 26 novembre 1987, la Cour fédérale de Justice écarta le pourvoi en cassation (Revision) de l’intéressé, au motif qu’il n’avait aucune chance d’aboutir. Là-dessus, M. Jacubowski saisit la Cour constitutionnelle fédérale en dénonçant notamment une atteinte à la liberté d’expression (article 5 par. 1, 1re phrase, de la Loi fondamentale). Le 4 octobre 1988, elle écarta le recours au motif qu’il manquait de fondement. Elle releva d’abord que l’interdiction litigieuse portait uniquement sur la forme choisie par le requérant pour diffuser son information, laquelle revêtait de surcroît un caractère économique. Celle-ci ne perdait pas pour autant le caractère d’une opinion dont l’article 5 par. 1, 1re phrase, de la Loi fondamentale protège l’expression. Il fallait donc mettre en balance cette disposition et l’article 1 de la loi de 1909, qui avait servi de fondement à ladite interdiction. La Cour s’exprima en ces termes: "D’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans les affaires d’appel au boycott (décisions de la Cour constitutionnelle [vol.] 62, pp. 230, 244 et suiv., avec d’autres références), les éléments suivants sont déterminants dans la recherche du lien à établir entre [la liberté d’expression et la concurrence loyale] en cas de remarques préjudiciables d’un concurrent. Sont essentielles, d’abord, les motivations de l’intéressé et, liés à celles-ci, le but et l’objectif de ses déclarations. Si ces dernières sont dictées, non par des intérêts personnels d’ordre économique, mais par le souci des intérêts politiques, économiques, sociaux ou culturels de la collectivité, si elles servent à influencer l’opinion publique, l’on peut considérer que l’appel en question bénéficie de la protection de l’article 5 par. 1 de la Loi fondamentale, même s’il a pour effet de nuire à des intérêts privés et, plus particulièrement, économiques. Inversement, moins les propos contribuent à un débat public sur une question majeure d’intérêt général et plus ils sont directement dirigés contre lesdits intérêts privés dans le cadre de relations d’affaires et dans la recherche d’un objectif égoïste (voir les décisions de la Cour constitutionnelle [vol.] 66, pp. 116, 139) tel que l’amélioration de sa propre position concurrentielle, plus il importe de protéger ces intérêts (...) (...) A la lumière de ces faits, l’envoi de la lettre circulaire du demandeur ne peut guère passer pour une tentative d’influencer l’opinion publique. Ce fut au contraire un moyen par lequel celui-ci entendait promouvoir presque exclusivement ses intérêts commerciaux personnels et assurer ou améliorer sa position concurrentielle sur le marché de l’information. Il s’ensuit (...) que le préjudice (Beeinträchtigungen) causé aux plaignantes par la diffusion de la lettre circulaire était disproportionné au but que le demandeur y disait rechercher, à savoir élucider ses relations avec la [ddp] ainsi que l’’évolution actuelle’ de celle-ci. En principe, la liberté d’expression l’emporte sur les droits (Rechtsgüter) protégés par des lois ordinaires, pour autant qu’une déclaration participe du débat permanent sur des questions d’intérêt général, lequel constitue une pierre angulaire de tout régime libéral et démocratique. Cette condition ne se trouve pas remplie lorsqu’il s’agit de faire triompher certains intérêts commerciaux sur d’autres dans le cadre de la concurrence commerciale. Le recours, pour faire triompher l’un d’eux, à des moyens jouissant en principe de la protection de l’article 5 par. 1 de la Loi fondamentale ne saurait donc justifier de mettre au second plan l’autre intérêt, protégé de son côté par une loi ordinaire imposant des restrictions à la liberté d’expression, en l’espèce l’article 1 de la loi contre la concurrence déloyale (décisions de la Cour constitutionnelle [vol.] 62, pp. 230, 247 et suiv.). Aussi la cour d’appel n’a-t-elle pas méconnu l’article 5 par. 1 de la Loi fondamentale en qualifiant de contraire aux bonnes moeurs la diffusion par le demandeur de sa circulaire." Toujours d’après la Cour constitutionnelle, la circonstance que la circulaire faisait suite à un communiqué de la ddp dirigé contre lui (paragraphe 12 ci-dessus) n’infirmait pas cette conclusion, car pour bénéficier de la protection constitutionnelle, sa réaction aurait dû avoir pour but d’influencer l’opinion publique, quod non. Le 30 novembre 1988, le tribunal régional de Düsseldorf rejeta une demande en dommages-intérêts introduite par la ddp sur la base de l’arrêt de la cour d’appel du 11 décembre 1986 (paragraphe 17 ci-dessus). Il estima que la ddp n’avait pas suffisamment motivé ses prétentions, ni apporté la preuve d’un lien de causalité entre le dommage allégué et la diffusion de la circulaire de M. Jacubowski. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Jacubowski a saisi la Commission le 11 avril 1989. Invoquant l’article 10 (art. 10) de la Convention, il se plaignait d’une atteinte à son droit à la liberté d’expression. La Commission a retenu la requête (no 15088/89) le 3 décembre 1991. Dans son rapport du 7 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis unanime qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La procédure devant le conseil de l’Ordre des médecins de la province du Brabant Médecin urologue de nationalité belge, le docteur Georges Debled réside et exerce à Paris. Les 10 septembre et 5 novembre 1982, 17 mars 1983 et 13 août 1984, à une époque où il pratiquait son art en Belgique, certains de ses patients se plaignirent auprès de l’Ordre des médecins de la province du Brabant du montant exagéré d’honoraires réclamés par l’intéressé. Après avoir examiné ces plaintes, le conseil invita ce dernier à comparaître devant lui le 5 mars 1985. Sa lettre recommandée du 11 février 1985 lui notifiait en même temps les charges suivantes: "1o avoir à des multiples reprises au cours des dernières années, malgré les avertissements, recommandations et mises en garde du conseil de l’Ordre, réclamé et persisté à réclamer à ses patients des honoraires excessifs au mépris des principes de modération et de discrétion qui s’imposent aux médecins (...) 2o avoir refusé, suite à diverses plaintes du chef d’honoraires excessifs, déposées par des patients, de soumettre leur cas à la Commission des litiges d’honoraires du conseil de l’Ordre ainsi que celui-ci le lui proposait; 3o avoir marqué par son attitude, un mépris total des avertissements du conseil de l’Ordre, en faisant preuve par ses explications, d’un véritable esprit de lucre, dans sa pratique médicale; 4o avoir omis, sans motifs valables, de participer aux élections [du conseil de l’Ordre] de mars 1982." L’avocat de l’intéressé obtint le renvoi de l’audience au 2 avril 1985. Dans ses conclusions déposées le jour de l’audience, le Dr Debled, se référant notamment à certaines dispositions du code judiciaire et de l’arrêté royal du 29 mai 1970, récusa à titre principal "le conseil de l’Ordre dans son entier" et à titre subsidiaire cinq médecins membres du conseil pour avoir, avant même les débats contradictoires, "exprimé individuellement leur opinion à propos du comportement du concluant et avoir qualifié celui-ci d’une façon négative"; il se réservait en outre le droit de contester tant la recevabilité que le bien-fondé des poursuites. Par des conclusions additionnelles prises en cours d’audience, il demanda que la "cause [fût] suspendue (...) jusqu’à ce que [fût] vidé l’appel qu’[il] se propos[ait] d’interjeter contre la décision du conseil de l’Ordre". Enfin, il refusa de plaider sur le fond malgré l’invitation du conseil et quitta la salle d’audience. Le conseil de l’Ordre rendit sa sentence le 2 avril 1985. Il estima d’abord que les dispositions législatives invoquées par le requérant étaient étrangères aux circonstances de la cause et ne pouvaient donc servir de fondement à sa demande de récusation. Il nota ensuite qu’aucun des membres de l’Ordre auxquels l’intéressé reprochait "un comportement négatif à son égard" ne faisait partie du conseil appelé à juger de l’action disciplinaire. Il releva enfin que quatre des membres récusés ne siégaient pas dans l’affaire litigieuse et que le cinquième n’avait qu’une voix consultative et n’intervenait pas dans les délibérations. Par conséquent, il rejeta la demande de récusation du conseil en son entier et déclara irrecevable et non fondée celle des cinq médecins. Au sujet de la demande de suspension, le conseil de l’Ordre s’exprima en ces termes: "(...) indépendamment des références inexactes à des textes législatifs sans rapport avec la cause (...), [les] conclusions [additionnelles] mentionnent, de manière curieusement fantaisiste et contradictoire, que `refusant de statuer sur ces récusations, le conseil de l’Ordre a pris une décision qui rejette les récusations’; (...) à aucun moment, le Conseil n’a refusé de statuer sur les récusations; (...) il s’est borné à informer les concluants qu’il statuerait par une même décision, sur les récusations et sur le fond; (...) il n’a pris, en cours d’audience, aucune décision quelle qu’elle soit, sur les récusations, et (...) c’est dès lors, de manière téméraire et en préjugeant d’une décision non intervenue, que le docteur Debled déclare son intention de l’attaquer par la voie de l’appel et sollicite la suspension de la cause jusqu’à ce que cet appel hypothétique soit vidé; (...) il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande." Sur le fond, statuant par défaut, il jugea établis la plupart des faits reprochés au Dr Debled et prononça "à [sa] charge, la sanction de la suspension du droit d’exercer l’art de guérir pendant un an". B. La procédure devant le conseil d’appel de l’Ordre des médecins L’appel Le 11 avril 1985, le Dr Debled fit appel de la sentence du 2 avril 1985 devant le conseil d’appel d’expression française de l’Ordre des médecins. Le 2 octobre 1986, il fut invité à comparaître à l’audience du 20 octobre. A cette date, il sollicita un renvoi de trois mois afin de permettre à ses nouveaux avocats de préparer sa défense. Après en avoir délibéré, le conseil d’appel lui accorda, semble-t-il, une remise jusqu’au 4 novembre 1986. Le 21 octobre 1986, il porta plainte pour faux et usage de faux contre les membres du bureau du conseil de l’Ordre des médecins (les docteurs Remion, Govaerts, Roose, Farber et Brihaye); il contestait certaines mentions figurant aux procès-verbaux des séances des 14 juin 1983 et 9 octobre 1984 consacrées à l’examen des plaintes portées contre lui. Par la suite, il déposa aussi les plaintes suivantes: - le 31 octobre 1986, contre les magistrats (Mme Beaupain et Mme Couturier) ayant siégé au bureau et au conseil de l’Ordre pendant les séances précitées; - le 14 novembre 1986, contre le vice-président de l’Ordre des médecins, le Dr Farber, pour des déclarations faites à la presse le 5 novembre 1986; - le 25 novembre 1986 contre cette même personne pour déclaration abusive et violation de secret professionnel. Aucune indication n’a été fournie quant à la suite réservée à ces plaintes. La requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime Entre temps, le 3 novembre 1986, le Dr Debled avait introduit devant la Cour de cassation une requête en dessaisissement pour cause de suspicion légitime du conseil d’appel. Il mettait en cause deux des cinq membres effectifs, les docteurs Raickman et Vossen, ainsi que trois des cinq suppléants, les docteurs Beernaerts, Daxhelet et Gelin, administrateurs ou anciens administrateurs des chambres syndicales des médecins. Il soutenait d’abord, "de façon générale", que les chambres syndicales avaient investi progressivement les différents organes de l’Ordre des médecins de sorte que la politique suivie par ce dernier ne constituait en réalité que le reflet de la politique desdites chambres tendant à la protection exclusive des intérêts des membres syndiqués; par conséquent, ceux qui s’opposaient par leur pratique et l’expression de leurs convictions à cette politique pouvaient légitimement craindre que, dans le jugement de leur cause, les membres des chambres syndicales ne témoignassent pas de l’impartialité à laquelle tout justiciable avait droit. Il alléguait en outre que les membres du conseil d’appel lui en voulaient personnellement en raison de ses prises de position: sa dénonciation en 1981 de la collusion entre l’Ordre des médecins et les chambres syndicales et son adhésion à "l’appel des 300" médecins indignés de l’appui que les autorités ordinales avaient accordé à une grève des soins organisée par les chambres syndicales. Enfin, il rappelait que l’aptitude des organes disciplinaires de l’Ordre des médecins à juger d’une manière objective et impartiale avait été mise en cause à de multiples reprises, entre autres par la presse, spécialement dans la mesure où il n’y avait pas incompatibilité entre l’appartenance aux organes disciplinaires de l’Ordre et aux organes des chambres syndicales. Par un arrêt du 21 mai 1987, la Cour de cassation jugea irrecevable la requête en dessaisissement. Elle estima que l’article 12 par. 1 de l’arrêté royal du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins (paragraphe 22 ci-dessous) instituait un seul conseil d’appel d’expression française et qu’en conséquence le renvoi à un autre conseil d’appel d’expression française serait légalement impossible; le dessaisissement sans renvoi équivaudrait en outre à un déni de justice. La décision du conseil d’appel, du 29 septembre 1987 Le 29 septembre 1987, le conseil d’appel statua par défaut, le Dr Debled n’ayant plus comparu devant lui après l’audience du 20 octobre 1986 (paragraphe 12 ci-dessus). Il annula la sentence du 2 avril 1985 - au motif que six médecins qui avaient conduit l’instruction préparatoire avaient pris part au délibéré - et infligea à l’intéressé une suspension de trois mois de l’exercice de l’art de guérir. Il rejeta en même temps les demandes de récusation et de suspension au motif que "dans sa requête d’appel, le docteur Debled [était] resté en défaut d’établir la justification, tant en fait qu’en droit, de [ses] demandes". L’opposition contre la décision du conseil d’appel Le 20 octobre 1987, le requérant fit opposition à la décision du conseil d’appel du 29 septembre 1987, en vertu de l’article 34 de l’arrêté royal du 6 février 1970 (paragraphe 25 ci-dessous). Il alléguait, entre autres, que les arrêtés royaux no 79 relatif à l’Ordre des médecins (paragraphe 22 ci-dessous) et no 78 relatif à l’art de guérir, à exercer des professions qui s’y rattachent et aux commissions médicales, se trouvaient entachés d’une illégalité flagrante pour non-respect, avant leur adoption, de certaines conditions de forme substantielles. Dans ses conclusions, il invitait le conseil d’appel à: "En ordre principal, Déclarer que le conseil d’appel n’a pas d’existence légale ou, à tout le moins, qu’il est composé illégalement, ainsi que celle du conseil provincial du Brabant de l’Ordre des médecins et dès lors constater l’illégalité de la sentence prononcée par ce dernier à l’égard de l’opposant; renvoyer l’opposant des poursuites à sa charge et, à tout le moins, surseoir à statuer jusqu’à ce qu’un nouveau conseil mixte d’appel d’expression française soit constitué conformément à la loi du 25 juillet 1938 et plus particulièrement conformément à l’article 11 de cette loi, En ordre subsidiaire, Surseoir à statuer en raison du fait que diverses plaintes, avec constitution de partie civile, ont été déposées par l’opposant et que ces plaintes doivent connaître leur aboutissement pénal; que le criminel tient en effet le civil en état, En ordre plus subsidiaire, Dire que le conseil d’appel, qui a déclaré la sentence dont appel nulle, ne peut en aucun cas s’appuyer sur aucune des pièces évoquées devant le conseil provincial puisque ces pièces sont frappées de nullité, En ordre plus subsidiaire encore, (...) acquitter (...) l’opposant de toute prévention ou de tout grief mis à sa charge." La décision du conseil d’appel, du 15 mars 1988 Le 12 novembre 1987, le Dr Debled fut invité à comparaître devant le conseil d’appel le 19 janvier 1988. A l’audience, il récusa d’emblée les docteurs Cattiez, Andri et Raickman; il soutenait que ceux-ci étaient des membres influents des chambres syndicales auxquelles il s’était toujours opposé - notamment en dénonçant la collusion entre l’Ordre et les chambres syndicales et en participant à "l’appel des 300". Il récusa également le juge Thiry, au motif que son fils était un des avocats des chambres syndicales. Après avoir entendu le Dr Debled, le conseil d’appel se retira pour délibérer; il décida alors de renvoyer l’examen de l’affaire au 2 février 1988 afin de pouvoir entre temps "compléter son siège". A l’audience du 2 février 1988, le requérant déposa un acte de récusation supplémentaire concernant le juge Thiry et récusa de plus les docteurs Fagnart et Lange - ce dernier au motif que son fils était membre de la chambre syndicale des médecins des provinces de Liège et de Luxembourg. Il déclara en outre vouloir maintenir les actes déposés à l’audience du 19 janvier. Après avoir ouï le Dr Debled le conseil d’appel décida de joindre l’incident au fond, sur quoi l’intéressé demanda d’acter qu’il faisait toutes réserves contre l’absence de décision immédiate sur les récusations et leur jonction au fond. Le 15 mars 1988, le conseil d’appel, statuant en audience publique, rejeta l’exception tirée de la prétendue illégalité des arrêtés royaux nos 78 et 79 et déclara non fondée l’opposition du 20 octobre 1987 (paragraphe 16 ci-dessus). Il constata la nullité de la sentence du conseil provincial du 2 avril 1985 (paragraphe 10 ci-dessus) et confirma la décision du 29 septembre 1987 (paragraphe 15 ci-dessus) infligeant au Dr Debled la suspension du droit d’exercer l’art de guérir pour une durée de trois mois. Au sujet des actes de récusation, il statua ainsi: "(...) le président a informé chacun des membres récusés de la récusation et a soumis le cas de chacun au conseil qui en a décidé, à la majorité des voix, chaque fois hors la présence du membre récusé mais après avoir entendu celui-ci; (...) en ce qui concerne les actes de récusation dirigés contre les docteurs Fagnart et Lange, le conseil constate que ces actes ne sont ni datés, ni signés et sont dès lors irréguliers et partant irrecevables; (...) en ce qui concerne les actes de récusation dirigés contre les docteurs Cattiez, Andri et Raickman, ainsi que les actes de récusation dirigés contre le magistrat Thiry, le conseil constate qu’ils sont tous fondés sur l’article 828, 11o, du code judiciaire et que l’on ne trouve pas la moindre trace dans les pièces produites par le docteur Debled de l’existence d’une quelconque inimitié a fortiori capitale, de sorte que ces actes de récusation manquent de tout fondement." C. La procédure devant la Cour de cassation Le 18 avril 1988, le Dr Debled se pourvut en cassation contre la décision du 15 mars 1988. Deux de ses cinq moyens se fondaient sur l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et le principe général du droit consacrant l’impartialité du juge. Dans le premier, il alléguait aussi la violation de l’article 43 de l’arrêté royal du 6 février 1970 réglant l’organisation et le fonctionnement des conseils de l’Ordre des médecins, ainsi que des articles 2 et 837 du code judiciaire (paragraphes 25 et 26 ci-dessous). D’une part, la décision de joindre au fond les demandes de récusation n’était pas légalement justifiée; d’autre part, les membres dont l’impartialité était suspectée ne pouvaient participer à la décision de surseoir à statuer sur la demande de récusation formulée contre eux sans susciter un doute légitime quant à l’impartialité de la juridiction appelée à se prononcer sur le bien-fondé de ces récusations et des poursuites. Dans le second moyen, il dénonçait le fait que les récusations contre les docteurs Cattiez, Andri et Raickman et contre le juge Thiry avaient été jugées non fondées, "sans doute en dehors de la présence du membre récusé mais chaque fois en présence des autres membres également récusés, alors que le fondement des demandes de récusation [avait été] identique". Par un arrêt du 13 avril 1989, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva notamment ce qui suit: "(...) les membres du conseil récusés n’ayant pas participé à la décision rendue sur la récusation dirigée contre eux, le seul fait qu’ils aient pris part aux décisions rendues sur les autres récusations faites pour les motifs reproduits au moyen ne constitue pas une violation de la disposition légale ni du principe général du droit visés par le demandeur." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins L’Ordre des médecins se trouve actuellement régi par l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967 pris en vertu d’une loi du 31 mars 1967 "attribuant certains pouvoirs au Roi en vue d’assurer la relance économique, l’accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l’équilibre budgétaire". Ledit arrêté prévoit notamment: Article 12 "1. Le conseil d’appel utilisant la langue française et le conseil d’appel utilisant la langue néerlandaise sont composés chacun: 1o de cinq membres effectifs et de cinq membres suppléants médecins élus pour une durée de six ans et rééligibles. Chaque conseil provincial élit un des cinq membres du conseil d’appel de son régime linguistique. Ce conseil provincial élit celui-ci parmi les médecins de nationalité belge, inscrits à son tableau depuis un an au moins au moment de l’élection (...) 2o de cinq membres effectifs et de cinq membres suppléants, conseillers à la cour d’appel, nommés par le Roi pour une durée de six ans; (...) Le Roi nomme parmi les membres magistrats le président et les rapporteurs de chacun des conseils. (...)" Article 25 "(...) Les conseils d’appel connaissent de l’ensemble de la cause, même sur le seul appel du médecin. Le conseil d’appel ne peut appliquer une sanction alors que le conseil provincial n’en a prononcé aucune, ou aggraver la sanction prononcée par ce conseil, qu’à la majorité des deux tiers." B. L’arrêté royal du 6 février 1970 réglant l’organisation et le fonctionnement des conseils de l’Ordre des médecins En exécution de l’arrêté no 79, l’arrêté royal du 6 février 1970, modifié les 9 août 1971 et 3 décembre 1979, règle l’organisation et le fonctionnement des conseils de l’Ordre. Les conseils de l’Ordre, à qui il incombe de "veiller au respect des règles de la déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des membres de l’Ordre", sont chargés de "réprimer disciplinairement les fautes des membres inscrits à leur tableau, commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de la profession ainsi que les fautes graves commises en dehors de l’activité professionnelle, lorsque ces fautes sont de nature à entacher l’honneur ou la dignité de la profession" (article 6, 2o, de l’arrêté royal no 79). Outre l’avertissement, la censure et la réprimande, les sanctions dont ils disposent, sont "la suspension du droit d’exercer l’art médical pendant un terme qui ne peut excéder deux années et la radiation du tableau de l’Ordre" (article 16). Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes: Article 12 "Les conseils d’appel ne délibèrent et ne décident valablement que si, outre le greffier, trois membres élus et trois membres nommés au moins sont présents. Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 32 du présent arrêté, les décisions des conseils d’appel sont prises à la majorité des voix." Article 34 "L’opposition contre une décision rendue par défaut, est faite par lettre recommandée adressée au président du conseil d’appel qui a pris la décision." Article 40 "Le médecin peut exercer son droit de récusation contre les membres du conseil provincial et du conseil d’appel appelés à statuer à son sujet." Article 41 "Tout membre du conseil provincial ou du conseil d’appel peut être récusé pour les causes prévues à l’article 828 du Code judiciaire." Article 42 "Le médecin doit, à peine de déchéance, adresser au président du conseil appelé à statuer sur l’affaire, au plus tard avant la plaidoirie, un écrit daté et signé mentionnant les noms des membres qu’il récuse, ainsi que les motifs de la récusation." Article 43 "Le président du conseil informe immédiatement le membre visé par la récusation; il soumet l’affaire au conseil qui en décide, à la majorité des voix, hors la présence du membre récusé mais après avoir entendu celui-ci. La décision motivée est notifiée sans retard au médecin. Appel peut être interjeté contre la décision du conseil provincial rejetant la récusation, dans les huit jours de la notification de la décision." C. Le code judiciaire Les dispositions pertinentes du code judiciaire se lisent ainsi: Article 2 "Les règles énoncées dans le présent Code s’appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non-expressément abrogées ou par des principes de droit dont l’application n’est pas compatible avec celle des dispositions dudit Code." Article 828 "Tout juge peut être récusé pour les causes ci-après: (...) 7o si le juge est tuteur, subrogé tuteur ou curateur, administrateur provisoire ou conseil judiciaire (...) de l’une des parties; s’il est administrateur ou commissaire de quelque établissement, société ou association, partie dans la cause; (...) 11o s’il y a inimitié capitale entre lui et l’une des parties; s’il y a eu, de sa part, agressions, injures ou menaces, verbalement ou par écrit, depuis l’instance, ou dans les six mois précédant la récusation proposée." Article 837 "A compter du jour de la communication au juge, tous jugements et opérations sont suspendus. Si, néanmoins, l’une des parties prétend que l’opération est urgente et qu’il y ait péril dans le retard, elle peut demander au président du tribunal ou au premier président de la cour que l’incident soit porté à l’audience; (...) Le premier président ou le président, en faisant droit à la demande, ordonne qu’il sera procédé par un autre juge." Selon la doctrine, "l’inimitié capitale suppose des faits qui révèlent avec netteté et avec un caractère suffisant de gravité qu’il existe chez le juge, une véritable haine ou tout au moins une animosité telle que son jugement serait oblitéré ou faussé" (Fettweis, Manuel de procédure civile, 1987, p. 429, note 1). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Le Dr Debled a saisi la Commission le 17 novembre 1988 (requête no 13839/88). Il alléguait une violation u droit à un tribunal impartial et du droit à un procès équitable, garantis par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 3 septembre 1991, la Commission a retenu le grief tiré du manque d’impartialité du conseil d’appel de l’Ordre des médecins dans l’examen des demandes en récusation; elle a déclaré les autres griefs irrecevables. Dans son rapport du 16 février 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement prie la Cour "de dire pour droit que les faits de la présente cause ne révèlent de la part de l’Etat belge aucune violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et, par voie de conséquence, de déclarer non avenu l’octroi d’une satisfaction équitable".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité suisse, les requérants résident tous deux à Bâle depuis 1975. Ils se marièrent en 1984 en Allemagne, Etat dont Mme Burghartz possède aussi la citoyenneté. En vertu du droit de ce pays (article 1355 du code civil), ils choisirent pour nom de famille celui de l’épouse, Burghartz; le mari usa du droit de le faire précéder du sien propre pour s’appeler "Schnyder Burghartz". L’état civil suisse (Zivilstandsamt) ayant enregistré "Schnyder" comme patronyme commun aux époux, ils sollicitèrent l’autorisation d’y substituer les noms de "Burghartz" pour la famille et de "Schnyder Burghartz" pour le second requérant. Le 6 novembre 1984, le gouvernement (Regierungsrat) du canton de Bâle-Campagne la leur refusa. Le 26 octobre 1988, les intéressés réitérèrent leur demande auprès du Département de la justice (Justizdepartement) du canton de Bâle-Ville, à la suite de la modification du code civil quant aux effets du mariage, intervenue le 5 octobre 1984 et entrée en vigueur le 1er janvier 1988 (paragraphe 12 ci-dessous). Ils se virent derechef déboutés le 12 décembre 1988, au motif qu’ils n’avaient invoqué aucun inconvénient sérieux découlant de l’emploi du patronyme "Schnyder". De surcroît, le nouvel article 30, alinéa 2, du code civil ne pouvait, faute de clauses transitoires, valoir pour des couples mariés avant le 1er janvier 1988. Enfin, aux termes du nouvel article 160, alinéa 2, seule l’épouse pouvait placer son propre nom devant celui de la famille (paragraphe 12 ci-dessous). Les requérants saisirent alors le Tribunal fédéral d’un recours en réforme (Berufung) dans lequel ils dénonçaient notamment une violation des articles 30 et 160, alinéa 2, nouveaux du code civil et 4, alinéa 2, de la Constitution fédérale (paragraphes 11 et 12 ci-dessous). Le 8 juin 1989, cette juridiction l’accueillit pour partie. Refusant d’appliquer l’alinéa 2 de l’article 30, réservé aux fiancés et dépourvu de rétroactivité, elle estima néanmoins qu’en l’espèce des raisons importantes justifiaient le recours à l’alinéa 1 pour autoriser les intéressés à s’appeler Burghartz: outre l’âge et la profession des époux, il fallait prendre en compte les divergences entre les régimes suisse et allemand en la matière, renforcées par la situation frontalière de Bâle. Quant à la demande de M. Burghartz tendant à pouvoir porter le nom "Schnyder Burghartz", elle ne trouvait aucun appui dans l’article 160, alinéa 2, du code civil: les travaux préparatoires montraient que le Parlement suisse, soucieux de préserver l’unité de la famille et d’éviter une rupture avec la tradition, n’avait jamais consenti à introduire l’égalité absolue entre les époux dans le choix du nom, et avait ainsi délibérément limité à la femme le droit d’ajouter le sien à celui de son mari. Cette règle ne pouvait donc profiter par analogie à l’époux dans les familles appelées du patronyme de la femme. Toutefois, rien n’empêchait M. Burghartz de se servir d’un nom composé (paragraphe 13 ci-dessous), voire de placer, à usage privé, son nom avant celui de son épouse. D’après le requérant, un grand nombre de documents officiels, en particulier son diplôme de docteur en histoire, ne mentionnent plus, depuis lors, la composante "Schnyder" de son nom. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En son article 4, alinéa 2, la Constitution fédérale suisse dispose: "L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité, en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail (...)" Les nouveaux textes pertinents du code civil, entrés en vigueur le 1er janvier 1988, se lisent ainsi: Article 30 "(1) Le gouvernement du canton de domicile peut, s’il existe de justes motifs, autoriser une personne à changer de nom. (2) Il y a lieu d’autoriser les fiancés, à leur requête et s’ils font valoir des intérêts légitimes, à porter, dès la célébration du mariage, le nom de la femme comme nom de famille. (...)" Article 160 "(1) Le nom de famille des époux est le nom du mari. (2) La fiancée peut toutefois déclarer à l’officier de l’état civil vouloir conserver le nom qu’elle portait jusqu’alors, suivi du nom de famille. (...)" Article 270 "(1) L’enfant de conjoints porte leur nom de famille. (...)" Article 8a du Titre final "Dans le délai d’une année à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la femme qui s’est mariée sous l’ancien droit peut déclarer à l’officier de l’état civil vouloir faire précéder le nom de famille du nom qu’elle portait avant le mariage." Selon un usage reconnu par la jurisprudence, les époux peuvent aussi faire suivre le patronyme du mari de celui de la femme, lui-même relié au premier par un trait d’union. Toutefois, ce nom composé (Allianzname) n’est pas considéré comme nom de famille légal (arrêt du Tribunal fédéral, du 29 mai 1984, Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 110, II, p. 99). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les époux Burghartz ont saisi la Commission le 26 janvier 1990; ils invoquaient les articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 16213/90) le 19 février 1992. Dans son rapport du 21 octobre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix-huit voix contre une, à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) et considère, par treize voix contre six, qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 8 (art. 8) pris isolément. Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen belge né en 1930, M. Jérôme De Moor fit carrière dans l’armée belge; en 1981, il prit sa retraite avec le grade de capitaine-commandant. Le 7 juillet 1983, il obtint le diplôme de licencié en droit. A. Les demandes d’inscription au tableau de l’Ordre des avocats de Hasselt Le 27 mai 1983, M. De Moor informa le bâtonnier du barreau de Hasselt, qui le reçut le 15 juin, de son intention de solliciter son inscription sur la liste des avocats stagiaires. Avisé de ce projet au cours de sa séance du 23 juin 1983, le conseil de l’Ordre des avocats de Hasselt réagit plutôt négativement, mais estima qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer en l’absence d’une demande formelle. Le 27 juin, lors d’une conversation téléphonique, le bâtonnier aurait confié au requérant que le conseil avait décidé de ne pas l’inscrire, au motif qu’il avait accompli une carrière complète et que le barreau de Hasselt comptait déjà plus de deux cents membres. M. De Moor introduisit une demande en bonne et due forme par une lettre du 25 août 1983. Réuni le 8 septembre, le conseil de l’Ordre résolut de consulter le doyen de l’Ordre national des avocats. Le 6 octobre, après avoir pris connaissance de l’opinion ainsi exprimée, d’après laquelle rien n’empêchait d’inscrire le requérant ("er geen argumenten zijn om de Heer De Moor te weigeren"), le conseil désigna en son sein deux rapporteurs. Le 17 novembre, le bâtonnier donna lecture de l’avis, défavorable, du premier d’entre eux, et le second présenta un rapport exhaustif sur la question. Pendant les délibérations, d’aucuns relevèrent que M. De Moor n’avait pas prêté serment et n’avait donc pu solliciter son inscription. Le même jour, le conseil repoussa la demande. Le bâtonnier informa le requérant de cette décision par une lettre du 23 novembre 1983. Il précisait qu’elle suivait la pratique des conseils de l’Ordre, selon laquelle les personnes ayant effectué une carrière complète en dehors du barreau n’étaient pas admises sur la liste des stagiaires. B. La procédure devant le Conseil d’Etat Le 29 novembre 1983, M. De Moor introduisit devant le Conseil d’Etat un recours en annulation, alléguant que le conseil de l’Ordre des avocats de Hasselt ne constituait pas un "tribunal indépendant et impartial" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 16 février 1984, le conseil de l’Ordre produisit son mémoire en réponse. Il y excipait de l’incompétence du Conseil d’Etat et du défaut d’intérêt dans le chef du candidat, qui n’avait pas prêté serment et dès lors ne pouvait figurer sur la liste des stagiaires. Sur le fond, il soulignait que pour refuser une inscription point n’était besoin de raisons propres à légitimer des sanctions disciplinaires. La circonstance que le requérant avait derrière lui une carrière complète justifiait la décision litigieuse, d’autant plus qu’il avait déclaré que, jouissant de revenus suffisants, il souhaitait exercer à temps partiel une activité captivante. M. De Moor répliqua le 24 avril 1984. D’après lui, l’hypothèque pesant sur son accès au barreau l’empêchait de trouver un avocat qui acceptât de le présenter à la prestation de serment; seule la désignation d’un maître de stage ad hoc lui permettrait de lever l’obstacle. Les 15 septembre, 24 octobre et 5 décembre 1986, le membre de l’auditorat chargé d’instruire l’affaire demanda certaines pièces au conseil de l’Ordre, lequel les lui expédia le 11 décembre. Le 20 février 1987, l’auditeur déposa son rapport, communiqué au requérant le 20 mars. Il y concluait à la compétence du Conseil d’Etat. Selon lui, M. De Moor avait intérêt à l’annulation de la décision du conseil de l’Ordre. La loi n’exigeait pas que le licencié en droit prêtât serment avant de demander son inscription sur la liste des stagiaires. Le texte de la décision de refus ne tirait pas argument de la circonstance, mentionnée oralement le 27 juin 1983 (paragraphe 10 ci-dessus), que le barreau de Hasselt comptait déjà un nombre élevé d’avocats, mais uniquement du fait que l’intéressé avait accompli une carrière complète en dehors du barreau. Or, à la lumière de l’arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1952 (paragraphe 36 ci- dessous), pareil refus d’inscrire devait se fonder soit sur le non- respect des conditions énoncées à l’article 428 du code judiciaire, soit sur l’indignité de l’impétrant ou son inaptitude à exercer la profession d’avocat. Partant, le motif retenu par le conseil de l’Ordre de Hasselt ne justifiait pas légalement la décision du 17 novembre 1983, qu’il y avait donc lieu d’annuler. Le 13 mai 1987, le conseil de l’Ordre présenta un dernier mémoire, rappelant les deux exceptions d’irrecevabilité déjà soulevées (paragraphe 16 ci-dessus) et ajoutant que le motif incriminé ressortissait à l’ample marge d’appréciation dont il s’estimait doté en la matière. Le 21 août 1987, le premier président du Conseil d’Etat, M. Vermeulen, déchargea la chambre saisie de l’affaire, qu’il renvoya devant l’assemblée générale de la section d’administration. Le 14 septembre, il reporta l’audience publique au 12 octobre 1987, certains membres du Conseil d’Etat ne pouvant siéger le 8, date initialement fixée. Le 16 septembre 1987, l’Ordre national des avocats déposa une demande d’intervention. Il estimait le recours irrecevable: comme M. De Moor n’avait pas prêté serment et ne remplissait donc pas l’une des conditions légales d’inscription, le conseil de l’Ordre n’avait pu rendre qu’un avis non susceptible d’un recours en annulation. Il concluait également à l’incompétence du Conseil d’Etat: d’après lui, le législateur avait voulu que seules les juridictions judiciaires, et non le Conseil d’Etat, puissent connaître des contestations relatives aux actes des conseils de l’Ordre des avocats. Le 12 octobre 1987, l’assemblée générale autorisa cette intervention et entendit les parties, après quoi le premier président mit l’affaire en délibéré. Le 28 novembre 1988, le requérant dénonça la longueur de la procédure auprès du premier président, qui ne lui aurait pas répondu. Le 28 novembre 1989, il porta plainte devant le procureur du Roi de Bruxelles pour déni de justice. Le 7 mai 1990, il apprit le classement de l’affaire sans suite. Dans un arrêt du 24 septembre 1991, l’assemblée générale, présidée par M. Baeteman, président du Conseil d’Etat, constata que la formation qui avait connu du litige jusque-là n’avait pas vidé son délibéré et ne pouvait plus siéger valablement à cause du décès du conseiller-rapporteur, de la nomination de l’un des conseillers à un autre poste et de l’admission de M. Vermeulen à l’éméritat le 23 mai 1991. En conséquence, elle décida de rouvrir les débats devant l’assemblée générale autrement constituée et fixa l’affaire à l’audience du 15 octobre 1991. Le 31 octobre 1991, ladite assemblée, statuant sur avis contraire de l’auditeur De Wolf, déclara fondée l’exception tirée de l’incompétence matérielle du Conseil d’Etat. Elle considéra notamment: "que, compte tenu des rapports existant entre les barreaux et l’ordre judiciaire et du souci de sauvegarder l’indépendance des avocats, le législateur a entendu soustraire les actes des organes de l’Ordre des avocats au contrôle du juge administratif; que, dès lors, les actes de l’Ordre des avocats ne relèvent pas de la compétence d’annulation du Conseil d’Etat; que le droit à l’instruction de sa cause par un tribunal national indépendant et impartial, que le requérant infère de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) [de la Convention européenne des Droits de l’Homme], n’a pas pour effet que le Conseil d’Etat devrait statuer dans une matière qui n’est pas de sa compétence;" Elle rejeta donc le recours. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. Le conseil de l’Ordre des avocats Pour chacun des barreaux, le conseil de l’Ordre des avocats est, avec le bâtonnier et l’assemblée générale, un organe d’administration de la profession d’avocat. Il se compose d’un bâtonnier et de deux à seize autres membres, selon le nombre des avocats inscrits au barreau de l’Ordre des avocats et sur la liste des stagiaires; celui de Hasselt en compte quatorze en sus du bâtonnier. Les membres sont élus directement par l’assemblée de l’Ordre, à laquelle se voient convoquer tous les avocats inscrits au tableau (article 450 du code judiciaire). Le vote a lieu avant la fin de chaque année judiciaire. Le conseil exerce de multiples fonctions de nature administrative, réglementaire, contentieuse, consultative ou disciplinaire selon le cas. Il suffit en l’espèce de mentionner qu’il lui appartient de dresser le tableau de l’Ordre et la liste des stagiaires. A l’époque des faits, l’article 432 du code judiciaire accordait au conseil de l’Ordre une prérogative souveraine: "Les inscriptions au tableau et au stage sont décidées sans appel par le conseil de l’Ordre, maître du tableau et de la liste des stagiaires." Une loi du 19 novembre 1992 l’a modifié en exigeant que tout refus d’inscription soit motivé. En outre, aux termes de l’article 469 bis nouveau, pareille décision peut faire l’objet d’un recours devant le conseil de discipline d’appel, sans préjudice d’un pourvoi ultérieur en cassation. Une autre modification législative concerne la publicité. Désormais, l’article 467, alinéa 2, du code judiciaire prévoit que "le conseil de l’Ordre, siégeant en matière disciplinaire ou comme en matière disciplinaire, traite l’affaire en audience publique, à moins que l’avocat inculpé ou la personne qui sollicite son inscription ou sa réinscription ne demande le huis clos". B. L’inscription sur la liste des stagiaires ou au tableau L’inscription d’un avocat sur la liste des stagiaires ou au tableau se trouvait et se trouve régie par l’article 428 du code judiciaire: "Nul ne peut porter le titre d’avocat ni en exercer la profession s’il n’est Belge ou ressortissant d’un Etat membre de la Communauté économique européenne, porteur du diplôme de docteur en droit, s’il n’a prêté le serment déterminé par la loi et s’il n’est inscrit au tableau de l’Ordre ou sur la liste des stagiaires. (...) Sauf les dérogations prévues par la loi, aucune qualification complémentaire ne peut être ajoutée au titre d’avocat." Au sujet de la prestation de serment, formalité indépendante de l’admission au stage, l’article 429 précise ce qui suit: "La réception a lieu à l’audience publique de la cour d’appel, sur présentation d’un avocat inscrit au tableau d’un barreau du ressort depuis dix ans au moins, en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats au siège de la cour d’appel et sur les réquisitions du ministère public. Le récipiendaire prête serment en ces termes: ‘Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge, de ne point m’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques, de ne conseiller ou défendre aucune cause que je ne croirai pas juste en mon âme et conscience.’ Le greffier dresse du tout procès-verbal et il certifie, au dos du diplôme, l’accomplissement des formalités." Pour être inscrit sur la liste des stagiaires, le licencié (ou le docteur) en droit, qui habituellement a déjà prêté serment, dépose au secrétariat de l’Ordre sa demande d’inscription et son diplôme, sur lequel est apposée la mention de la prestation de serment. En principe, une demande d’admission au stage contiendra les renseignements qui permettront au conseil de l’Ordre de se prononcer sur l’honorabilité et la dignité de l’impétrant. Le conseil de l’Ordre recherche si le candidat présente toutes les conditions de moralité voulues pour porter le titre d’avocat et s’il ne tombe sous le coup d’aucune des incapacités ou incompatibilités légales énumérées à l’article 437 du code judiciaire, ainsi libellé: "La profession d’avocat est incompatible: 1o avec la profession de magistrat effectif, de greffier et d’agent de l’Etat; 2o avec les fonctions de notaire et d’huissier de justice; 3o avec l’exercice d’une industrie ou d’un négoce; 4o avec les emplois et activités rémunérés, publics ou privés, à moins qu’ils ne mettent en péril ni l’indépendance de l’avocat ni la dignité du barreau. (...)" Son pouvoir de juger des admissions au barreau est très large; il doit néanmoins s’exercer dans les limites fixées par la loi. Pour définir celles-ci, l’auditeur Lemmens a, dans son rapport (paragraphe 19 ci-dessus), pris appui sur un arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1952 relatif à une décision prise par le conseil de l’Ordre des pharmaciens. Sous l’empire de la loi du 19 mai 1949 instituant l’Ordre des pharmaciens, ce dernier disposait, en matière d’inscription sur la liste, d’un pouvoir semblable à celui du conseil de l’Ordre des avocats. L’attendu pertinent de l’arrêt en question est le suivant: "Attendu que l’alinéa 3 [de l’article 2 de la loi du 19 mai 1949] organisant la procédure de recours en cas de rejet de la demande d’inscription, il s’en déduit, eu égard à l’objet de ce texte et aux travaux législatifs dont il procède, que les conseils de l’Ordre, appelés à dresser le tableau de l’Ordre, ne peuvent fonder le rejet de la demande d’inscription que soit sur l’irrégularité du titre sur lequel se fonde la demande, soit sur l’indignité actuelle du requérant, ou son incapacité professionnelle." (Pasicrisie, I, p. 578) PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. De Moor a saisi la Commission le 26 juin 1990. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il mettait en cause l’impartialité du conseil de l’Ordre des avocats de Hasselt et du conseil de discipline d’appel, se plaignait du manque d’équité et de publicité de la procédure suivie devant le premier de ces organes, ainsi que du caractère excessif de la durée de l’instance menée devant le Conseil d’Etat. La Commission a retenu la requête (no 16997/90) le 6 janvier 1992, à l’exception du grief relatif au conseil de discipline d’appel. Dans son rapport du 8 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sur chacun des points litigieux. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande "que la requête soit déclarée irrecevable et, à titre subsidiaire, mal fondée".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité française, Mme Liliane Hentrich réside à Strasbourg. Le 11 mai 1979, elle et son époux, M. Wolfgang Peukert, achetèrent à Strasbourg pour un prix global de 150 000 francs français (f) un terrain non constructible d’une superficie de 67,66 ares, cadastré sur différentes parcelles: 21,26 ares de terre, 4,06 ares de sol, maison et bâtiments accessoires, 1,30 ares de sol et étable, 23,53 ares de jardin, sol et hangar, et 17,51 ares de jardin. La vente était conclue sous la condition suspensive du non-exercice par la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) d’Alsace de son droit de préemption sur l’immeuble dans un délai de deux mois. La recette principale des impôts de Molsheim enregistra l’acte contre le paiement des droits, d’abord le 28 mai 1979 puis le 13 août 1979, la vente étant définitive à cette date en raison de l’expiration du délai légal, la SAFER n’ayant pas fait usage de sa prérogative. A. La mesure de préemption Le 5 février 1980, Mme Hentrich et son mari se virent notifier par huissier la décision suivante: "(...) [le directeur général des impôts] estimant insuffisant le prix de cession déclaré dans l’acte (...) exerce au profit du Trésor, avec tous les effets qui y sont attachés, le droit de préemption prévu par l’article 668 du code général des impôts sur l’ensemble des biens et droits immobiliers [acquis par eux]; (...) [le directeur général des impôts] offre de verser aux époux (...) ou à tous autres ayants droit: a) le montant du prix stipulé dans l’acte, b) la majoration du dixième prévue par la loi, c) au vu de toutes les justifications utiles les frais et loyaux coûts du contrat." B. La contestation judiciaire de la mesure de préemption La procédure devant le tribunal de grande instance de Strasbourg Le 31 mars 1980, la requérante et son époux assignèrent le directeur des services fiscaux du Bas-Rhin devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. Ils réclamaient l’annulation de la mesure de préemption pour non-respect du délai d’exercice du droit, nullité de la notification - ils y renoncèrent à l’audience -, détournement de pouvoir et violation de la Convention et du Protocole no 1 (P1). Subsidiairement, ils demandaient une expertise judiciaire de la valeur vénale des biens litigieux et l’audition des vendeurs. Le tribunal de grande instance les débouta le 16 décembre 1980. Fixant au 13 août 1979 le point de départ du délai d’exercice du droit de préemption, il déclara "que l’on ne saurait faire grief à l’Etat de ne pas avoir exercé son droit de préemption tant que l’acte n’était pas devenu définitif et restait soumis à la condition suspensive". Il écarta en ces termes les griefs tirés de la Convention: "Sur la violation de la Convention (...) que constituerait le droit de préemption de l’art. 668 du CGI [code général des impôts]: (...) Attendu que si le tribunal en arrivait à considérer que l’article 668 CGI est en opposition avec les dispositions de la Convention des Droits de l’Homme, ce serait donc à bon droit que les époux (...) soutiennent que les juridictions françaises doivent dorénavant refuser d’appliquer l’article 668 CGI; (...) Attendu que les époux (...) commencent par soutenir que l’article 668 du code général des impôts serait en contradiction flagrante avec l’article 1 par. 1 du Protocole additionnel à la Convention (P1-1) qui stipule que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique; Mais attendu que l’article (P1-1) ainsi invoqué comporte un second alinéa qui prévoit que ‘les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires (...) pour assurer le paiement des impôts (...)’; Que précisément l’Etat français, face à une fraude fiscale de plus en plus importante, a estimé devoir édicter les dispositions de l’article 668 du code général des impôts; Que c’est grâce à cet article que l’Etat espère assurer le paiement régulier des droits prélevés sur les actes de vente; Que le texte litigieux ne se trouve donc pas en contradiction avec les dispositions invoquées; Attendu que les époux (...) ont soutenu ensuite que l’article 668 se heurte à l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention (...) qui prévoit que toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie; Que l’exercice du droit de préemption par l’administration des impôts constitue une sanction contre le ‘présumé délit de fraude fiscale’; Qu’ils sont donc considérés par le fait même de l’exercice du droit de préemption comme des fraudeurs avec tout ce que cela comporte de déshonorant et sans qu’ils aient une quelconque possibilité de se disculper; Mais attendu que l’article 668 dit que le service des impôts peut exercer un droit de préemption sur les immeubles dont il estime le prix de vente insuffisant; Que ce texte n’exige donc pas pour son application la preuve d’une fraude fiscale; Qu’il suffit que le prix apparaisse à l’administration comme insuffisant sans que l’administration ait à rechercher le motif de cette insuffisance qui en réalité sera peut-être tout autre que de frauder le fisc (ignorance de la valeur réelle, bienveillance, etc.); Que certes le texte a été promulgué uniquement pour parer aux fraudes fiscales, mais qu’il n’en reste pas moins que ceux à l’encontre desquels il est appliqué ne sont pas nécessairement des fraudeurs, qu’ils ne sauraient être considérés comme tels, qu’aucune sanction n’est prise à leur égard et que l’Etat leur verse même 10 % du prix en sus de celui qu’ils ont payé; Que cette prime de 10 % a été prévue précisément parce qu’il se pourra que par mégarde le droit de préemption sera appliqué en des cas où il n’y avait aucune tentative de fraude fiscale chez les intéressés; Que c’est donc à tort que les époux (...) se considèrent comme déshonorés et comme faisant l’objet d’une sanction pour avoir commis une fraude fiscale; Attendu que les époux (...) soutiennent aussi l’existence d’une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (...) qui veut qu’une sanction ne peut intervenir qu’après audition de celui dont les droits sont contestés ou qui est accusé d’une infraction pénale; Mais attendu que l’article 668 CGI ne conteste en rien les droits de celui qui a acquis un bien et que cet acquéreur n’est accusé d’aucune infraction; Que le texte se borne à attribuer à l’Etat un privilège dans le but d’assurer le paiement des impôts; Que point n’est donc besoin comme le voudraient les époux (...) de les autoriser à justifier du juste prix qu’ils ont payé et de l’absence de toute dissimulation de prix de leur part; Attendu enfin que les époux (...) affirment qu’ils seraient victimes d’une mesure discriminatoire interdite par l’article 14 (art. 14) de la Convention (...) Que la mesure serait discriminatoire par rapport à d’autres acheteurs de propriétés voisines à un prix quasiment identique et à l’égard desquels l’administration fiscale n’a pas recouru à l’exercice de son droit de préemption; Mais attendu que les services fiscaux ont liberté totale d’exercer leur droit de préemption comme ils l’entendent; Qu’aucun élément du dossier ne permet de prétendre que l’Etat se serait laissé guider par des considérations de race, de nationalité, de langue, d’opinion politique ou encore par les autres critères prévus par l’article 14 (art. 14) de la Convention; (...)" La procédure devant la cour d’appel de Colmar Le 23 janvier 1981, Mme Hentrich et son époux interjetèrent appel devant la cour de Colmar. Le 4 décembre 1981, le conseiller de la mise en état leur enjoignit de conclure pour le 5 février 1982. Après avoir obtenu une prorogation jusqu’au 7 mai, les intéressés soumirent le 29 avril 1982 des conclusions reprenant l’argumentation développée en première instance. Ils complétaient leur grief de traitement discriminatoire en signalant l’existence d’un autre terrain qui aurait pu selon eux faire l’objet d’une préemption, et en reprochant à l’administration des impôts d’avoir choisi la procédure exceptionnelle de préemption au lieu de la procédure de droit commun de redressement fiscal. Ils faisaient aussi valoir que la décision d’exercer le droit de préemption ne comportait pas la motivation exigée par l’article 3 de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 (paragraphe 22 ci-dessous). L’administration déposa son mémoire le 3 février 1983; le conseiller de la mise en état l’y avait invitée le 5 novembre 1982. Le délai de réplique fixé au 5 mai 1983 pour les époux fut reporté au 3 juin puis au 7 octobre. Ils formulèrent leurs conclusions le 19 septembre 1983. La clôture de la procédure d’appel fut prononcée le 6 janvier 1984. La cour d’appel de Colmar tint une audience le 21 janvier 1985 et rendit son arrêt le 19 février 1985. Confirmant la date fixée par les premiers juges comme point de départ du délai d’exercice du droit de préemption, elle débouta les appelants pour les raisons ci-après: "Attendu qu’il y a lieu de rejeter le moyen tenant à l’illégalité de l’acte du 5 février 1980 pour absence de la motivation exigée par l’article 3 de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979, compte tenu de ce que ce moyen n’apparaît pas suffisamment sérieux pour constituer une question préjudicielle de nature administrative, alors qu’apparemment ledit acte énonce le fondement juridique et la raison de fait qui ont déterminé l’administration à exercer la préemption; Attendu que, pour le surplus, la cour entend adopter sans la moindre réserve les excellents motifs par lesquels les premiers juges ont écarté les moyens relatifs d’une part à l’abus de pouvoir dont se serait rendu coupable l’administration en agissant dans un but spéculatif et d’autre part à la violation par l’article 668 du code général des impôts de plusieurs principes fondamentaux définis par la Convention (...)" La procédure devant la Cour de cassation La requérante et son époux formèrent un pourvoi en cassation le 13 juin 1985, et déposèrent un mémoire ampliatif le 13 novembre suivant. Ils formulaient deux moyens, tirés le premier du non-respect du délai d’exercice du droit de préemption et le second de la violation des articles 1 du Protocole no 1 et 6 paras. 1 et 2 de la Convention (P1-1, art. 6-1, art. 6-2). A l’appui du second moyen - le seul qui présente de l’intérêt en l’occurrence -, ils soutenaient d’abord: "(...) (...) qu’il résulte de la combinaison de ces textes [articles 1 du Protocole no 1 et 6 par. 1 de la Convention (P1-1, art. 6-1)] que nul ne saurait se voir priver de sa propriété, fût-ce par une loi fiscale, sans pouvoir se défendre en justice; qu’il est cependant constant que le droit de préemption de l’article 668 du CGI (devenu l’article L.18 du livre des procédures fiscales) est discrétionnairement exercé par l’Etat qui n’a pas à justifier de l’insuffisance de prix alléguée, et que ce texte n’autorise pas l’acquéreur évincé à démontrer sa bonne foi ou le caractère normal dudit prix; qu’en l’espèce, la cour [d’appel], qui relève le caractère discrétionnaire du droit de l’Etat et l’impossibilité pour la partie expropriée d’être entendue en sa défense et conclut cependant à la conformité de l’article 668 du CGI aux dispositions des articles 1er du Premier protocole additionnel (P1-1) et 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) (...), n’a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient et a ainsi violé les textes susvisés;" Ils affirmaient ensuite: "(...) qu’il résulte de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention (...) que ‘toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie’; qu’il est de principe constant que l’article 668 du CGI a pour finalité la lutte contre la fraude fiscale et édicte une sanction à l’égard des fraudeurs; qu’en l’espèce, la cour [d’appel], qui dénie cette finalité et cette nature à la préemption de l’Etat pour ne pas lui faire application des dispositions de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, a méconnu le sens et la portée de l’article 668 du CGI (devenu l’article L.18 du livre des procédures fiscales) et, partant, a violé ce texte; et alors, enfin, que la cour [d’appel], qui relève que l’administration fiscale peut exercer son droit de préemption sans avoir à démontrer la culpabilité de la partie expropriée et sans que cette dernière puisse justifier de son innocence, mais qui estime cependant qu’une telle mesure ne contrevient pas à l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention, a violé ce texte par refus d’application." Le mémoire en défense des services fiscaux fut enregistré le 7 mars 1986. Le conseiller rapporteur, désigné le 18 avril 1986, déposa son rapport le 18 novembre 1986. L’avocat général fut choisi le 2 janvier 1987. L’affaire, initialement audiencée au 31 mars 1987, fut renvoyée au 19 mai 1987 devant l’assemblée plénière de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Le 16 juin 1987, la Cour de cassation (chambre commerciale) rendit quatre arrêts de principe dont un arrêt rejetant le pourvoi de Mme Hentrich et de son époux. Au sujet du moyen relatif à la violation des dispositions de la Convention, elle s’exprima en ces termes: "(...) attendu, en premier lieu, que lorsque l’administration des impôts use des pouvoirs qu’elle tient de l’article 668 du code général des impôts, l’acquéreur évincé peut demander à un tribunal de se prononcer sur sa contestation tendant à établir que les conditions d’application du texte susvisé n’étaient pas réunies; Attendu, en second lieu, que l’exercice du droit de préemption de l’Etat dans les conditions prévues par l’article 668 susvisé n’implique pas que l’acquéreur évincé ait commis une infraction pénale, d’où il suit que cet exercice n’entre pas dans les prévisions de l’article 6, alinéa 2 (art. 6-2), de la Convention (...) Que le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches." Le terrain est devenu constructible sous condition depuis 1981; il n’a pas été revendu mais laissé à la disposition d’un maraîcher voisin. Sa valeur est actuellement de l’ordre de 33 000 f l’are. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit de préemption de l’administration fiscale A l’époque de la préemption litigieuse, l’article 668 du code général des impôts se lisait ainsi: "Sans préjudice des dispositions de l’article 1649 quinquies A et pendant un délai de six mois à compter du jour de l’accomplissement de la formalité d’enregistrement ou de la formalité fusionnée [de l’enregistrement et de la publicité foncière] le service des impôts peut exercer au profit du Trésor un droit de préemption sur les immeubles, droits immobiliers, fonds de commerce ou clientèles, droit à un bail ou au bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble, dont il estime le prix de vente insuffisant, en offrant de verser aux ayants droit le montant de ce prix majoré d’un dixième. Le délai de six mois est ramené à trois mois lorsque la formalité a eu lieu au bureau de la situation des biens. La décision d’exercer le droit de préemption est notifiée par exploit d’huissier." Le 1er janvier 1982, l’article 668 est devenu l’article L.18 du livre des procédures fiscales et a désormais le libellé suivant: "Pendant un délai de six mois à compter de la date de l’enregistrement ou de l’accomplissement de la formalité fusionnée [de l’enregistrement et de la publicité foncière], l’Etat, représenté par l’administration des impôts, peut exercer un droit de préemption sur les immeubles, droits immobiliers, fonds de commerce ou clientèles, droit à un bail ou au bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble, dont l’administration estime le prix de vente insuffisant, en offrant de verser à l’acquéreur ou à ses ayants droit le montant de ce prix majoré d’un dixième. Le délai de six mois est ramené à trois mois lorsque la formalité a eu lieu au bureau de la situation des biens. La décision d’exercer le droit de préemption est notifiée à l’acquéreur, au vendeur ou à leurs ayants droit par un acte d’huissier de justice. L’exercice de ce droit ne fait pas obstacle à la possibilité pour l’administration d’engager, s’il y a lieu, la procédure de redressement contradictoire prévue à l’art. L.55." La décision administrative d’exercer le droit de préemption prévu par ce texte doit - la circulaire du Premier ministre du 10 janvier 1980 le précise - être motivée conformément à la loi no 79-587 du 11 juillet 1979, qui est entrée en vigueur le 11 janvier 1980 et dont les articles pertinents se lisent ainsi: Article 1 "Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui: - restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police; - infligent une sanction; - subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions; - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits; - opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance; - refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir." Article 3 "La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision." B. L’étendue du contrôle juridictionnel Le recours contre une décision de préemption au titre de l’article 668 du code général des impôts relève de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. D’une part, dans un arrêt du 22 décembre 1950 (Dalloz 1951, jurisprudence, p. 547), le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent en considérant "qu’en raison de l’atteinte grave que la faculté accordée à l’administration (...) d’exercer un droit de préemption sur l’immeuble vendu porte au droit de propriété, (...), c’est aux tribunaux de l’ordre judiciaire (...) qu’il appartient de connaître des litiges relatifs au droit de préemption". D’autre part, les juridictions de l’ordre judiciaire ont accepté de statuer sur des contestations de décisions de préemption. Elles ont d’abord examiné la seule régularité formelle de la préemption (cour d’appel de Lyon, arrêt du 14 avril 1947, Gazette du Palais 1947, 2, 48). Elles ont par la suite approfondi leur contrôle en s’assurant que ladite mesure ne poursuivait pas un but spéculatif et ne révélait aucun détournement de pouvoir (Cour de cassation, chambre commerciale, arrêts Lucan du 5 février 1957, Juris-Classeur périodique 1957, I, 9875, 9876). Se fondant sur le caractère discrétionnaire du droit de préemption, la Cour de cassation estimait toutefois que le juge ne pouvait contrôler l’appréciation faite par l’administration de l’insuffisance du prix déclaré. Par ses quatre arrêts de principe du 16 juin 1987 (paragraphe 18 ci-dessus), la Cour de cassation a considérablement élargi le contrôle judiciaire. Se déjugeant explicitement quant au caractère discrétionnaire du droit de préemption, elle a déclaré que la motivation de la décision d’exercice de ce droit doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle en a déduit qu’était déficiente, parce que "trop sommaire et trop générale", la seule motivation selon laquelle "l’administration estime le prix de vente insuffisant", "alors que [celle-ci] était tenue de préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour estimer insuffisant le prix de vente stipulé (...) en vue de permettre à l’acquéreur évincé de contester cette appréciation et d’établir que le prix convenu correspond à la valeur vénale réelle du bien". Dans deux de ces affaires la Cour de cassation accueillit le pourvoi pour violation des textes ainsi interprétés; dans les deux autres, dont celle de Mme Hentrich et son époux, elle le rejeta. Ces derniers furent les seuls acquéreurs évincés qui n’obtinrent pas gain de cause devant la Cour suprême. C. La pratique de la préemption En 1980, l’administration a exercé son droit de préemption une seule fois dans le département du Bas-Rhin - à l’égard de la requérante et son mari - et à vingt-cinq reprises dans le reste de la France. Entre 1980 et 1986, elle a procédé à quatre-vingt-huit opérations de ce type. Depuis les arrêts de 1987 (paragraphe 18 ci-dessus), elle s’est abstenue de recourir à cette pratique. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Hentrich a saisi la Commission le 14 décembre 1987. Selon elle, l’exercice du droit de préemption avait constitué une ingérence injustifiée dans son droit de propriété, en violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Il aurait fait peser sur elle une présomption de fraude fiscale, contraire à l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Le bénéfice du droit d’accès à un tribunal lui assurant un procès équitable dans un délai raisonnable lui aurait été refusé, au mépris des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13) de la Convention. Enfin, il y aurait eu traitement discriminatoire, contraire à l’article 14 (art. 14) de la Convention, dans la jouissance des droits reconnus par les dispositions précitées. La Commission a retenu la requête (no 13616/88) le 5 décembre 1991. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut a) qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (douze voix contre une); b) qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce qui concerne l’équité et la durée de la procédure (douze voix contre une); c) qu’il n’y a pas eu violation des articles 6 par. 2 et 14 (art. 6-2, art. 14) de la Convention (douze voix contre une); d) qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 (art. 13) de la Convention (unanimité). Le texte intégral de son avis et des quatre opinions partiellement dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire le Gouvernement invite la Cour à "bien vouloir rejeter la requête introduite par Mme Hentrich en jugeant que les griefs tirés de la violation des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1) ne sont pas recevables pour défaut d’épuisement des voies de recours internes et subsidiairement qu’ils ne sont pas fondés, que l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention n’est pas applicable à l’espèce et subsidiairement que le grief s’y rapportant est mal fondé, que le grief tiré du dépassement du délai raisonnable de la procédure n’est pas fondé et enfin que les griefs tirés de la violation des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14) de la Convention ne sont pas fondés".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les requérants Les trois requérants, MM. Mohamed Al Fayed, Ali Fayed et Salah Fayed, sont frères et hommes d’affaires. B. Le rachat de House of Fraser PLC En mars 1985, les requérants acquirent au comptant, pour quelque 600 millions de livres, la House of Fraser PLC ("HOF"), société anonyme qui était alors, et reste, un des groupes de grands magasins les plus importants d’Europe et englobe un magasin londonien fort célèbre, Harrods. Les intéressés en devinrent propriétaires par l’intermédiaire d’une société anonyme, la House of Fraser Holdings PLC ("HOFH"), en leur possession pendant toute la période en cause. Connue auparavant sous le nom d’Al Fayed Investment Trust (UK) Limited, HOFH a adopté son nom actuel en décembre 1985. Avant le rachat de HOF, vers le début de novembre 1984, les requérants engagèrent des experts en relations publiques et, avec leur aide, eux et leurs conseillers directs firent en sorte que la presse reçût et présentât une image positive de leurs origines, fortune, intérêts commerciaux et ressources. Grâce à cette image qu’ils avaient contribué à former, ils jouirent, pendant un temps, d’une estime ou d’une réputation qui leur fut très précieuse. Entre le 2 et le 10 novembre 1984, le premier requérant donna des interviews particulières à l’Observer, au Sunday Telegraph et au Daily Mail. Un autre entretien avec les frères eut lieu le 10 mars 1985. Au cours de ces interviews, les Fayed décrivirent un milieu familial fortuné, distingué et solide. Ils donnèrent une image similaire à leur banquier d’affaires, qui l’accepta. Agissant pour leur compte, il la diffusa par le biais d’un communiqué de presse en novembre 1984 et d’un entretien télévisé au début de mars 1985. A l’instigation des intéressés, d’autres interviews concernant leur milieu familial parurent dans la presse. Ainsi, les trois frères participèrent activement à la promotion de leur propre réputation sur la scène publique. L’accueil favorable que la Cité de Londres et le gouvernement leur ont réservé a été considéré par la suite comme capital pour comprendre les événements ayant entouré leur reprise de HOF. Ce rachat fut vigoureusement combattu, mais en vain, par Lonrho PLC ("Lonrho"), et notamment son président-directeur général, M. Rowland, ancien associé en affaires des requérants devenu leur rival. Depuis 1981 environ, sinon plus tôt, Lonrho souhaitait acquérir HOF. En décembre 1981, à la suite d’un rapport de la commission des monopoles et fusions (Monopolies and Mergers Commission), le ministre du Commerce et de l’Industrie ("le ministre") avait sollicité et obtenu de Lonrho l’engagement de ne pas acquérir ou contrôler d’autres actions de HOF que les 29,9 % d’ores et déjà en sa possession. Lonrho chercha ultérieurement à se faire relever de cet engagement. En 1984, Lonrho avait vendu aux requérants son portefeuille d’actions de HOF, mais lorsque les directeurs représentant ses intérêts se virent obligés de démissionner du conseil d’administration de HOF et que les Fayed offrirent de racheter HOF dans sa totalité, les relations se dégradèrent entre eux et Lonrho. Celle-ci déclencha une campagne virulente à leur encontre. En s’opposant à leur offre concernant HOF, Lonrho avait fait valoir auprès des ministres l’existence d’une concurrence déloyale et souligné qu’il n’était pas souhaitable de voir tomber HOF dans des mains étrangères. Elle avait allégué que les requérants prétendaient frauduleusement que les fonds nécessaires à l’acquisition leur appartenaient en propre, qu’ils mentaient à propos de leur argent et d’eux-mêmes, et que l’on ne devait pas leur permettre d’acquérir HOF sans une enquête approfondie. Cependant, l’offre des requérants fut agréée par le ministère du Commerce et de l’Industrie (Department of Trade and Industry; le "DTI") et acceptée par le conseil d’administration de HOF. En mars 1985, sur la recommandation du directeur général de la concurrence (Director General of Fair Trading), le ministre décida de ne pas saisir la commission des monopoles et fusions du projet d’acquisition des requérants, comme cela avait été le cas pour l’offre antérieure de Lonrho. Le DTI indiqua expressément à l’époque que le gouvernement avait donné son agrément parce que les déclarations et assurances émanant des frères Fayed - ou formulées en leur nom - à propos de leur offre l’avaient influencé. Lonrho n’en poursuivit pas moins sa campagne à travers les médias et d’autres publications, en particulier par le truchement de l’Observer, journal dont elle était propriétaire. Les requérants donnèrent mandat à leurs solicitors d’agiter la menace d’une action en diffamation et, au besoin, d’engager pareille procédure, si on venait à publier quoi que ce fût qui révoquât en doute ce qu’ils affirmaient, à savoir qu’ils étaient les propriétaires authentiques des fonds ayant servi à l’achat de HOF. Cette politique toucha plusieurs journaux, dont l’Observer. Le spectre d’une action en diffamation conduisit presque chaque fois à la publication d’un démenti. En 1985 et 1986, les requérants intentèrent trois actions en diffamation contre l’Observer à propos d’articles qui leur étaient consacrés. L’un des points litigieux majeurs de ces instances avait trait à la véracité de l’allégation de l’Observer selon laquelle les fonds qui avaient servi au rachat de HOF n’appartenaient pas en propre aux intéressés. En mars 1987, Lonrho entama des poursuites judiciaires contre les requérants et leurs banquiers, les accusant d’immixtion illicite dans ses affaires ainsi que de complot et de négligence dans le cadre de l’acquisition de HOF par HOFH. En particulier, par de fausses déclarations sur leur capacité financière à acquérir le capital en actions et à développer les affaires de HOF, les requérants auraient persuadé le conseil d’administration de HOF d’accepter leur offre et convaincu le ministre de ne pas en saisir la commission des monopoles et fusions. Ils auraient ainsi illicitement porté atteinte au droit de Lonrho de faire une offre pour les parts, ou bien ils auraient comploté contre Lonrho. Lonrho sollicita en vain de la justice l’autorisation de demander le contrôle judiciaire du refus du ministre de porter l’acquisition de HOF par les intéressés devant la commission des monopoles et fusions. C. Nomination et enquête des inspecteurs Le 9 avril 1987, après deux années durant lesquelles Lonrho exerça sans relâche une pression sur le gouvernement, le ministre désigna deux inspecteurs pour mener une enquête sur les affaires de HOFH, notamment sur les circonstances entourant l’acquisition d’actions de HOF en 1984 et 1985. Il agissait sur la base de l’article 432 par. 2 de la loi de 1985 sur les sociétés (Companies Act 1985, "la loi de 1985" - paragraphe 36 ci-dessous). Les inspecteurs furent avisés à l’époque, et le dirent aux requérants, que le ministre se préoccupait particulièrement de la validité des assurances données par les Fayed et leurs conseillers en mars 1985 (rapport des inspecteurs, paragraphes 1.10, 23.1.9 et 26.19). Dans leur rapport ultérieur, les inspecteurs qualifièrent d’inhabituelle l’offre de rachat des requérants et ce, surtout parce qu’elle portait sur des montants considérables et émanait de trois particuliers et que, les auteurs de l’offre étant précisément des particuliers, les bilans et autres pièces comptables disponibles d’ordinaire en pareil cas, faisaient totalement défaut (rapport des inspecteurs, paragraphe 21.1.1). Afin de déterminer ce qui s’était passé lors du rachat, ils s’étaient vus contraints de se prononcer sur des points de fait fort contestés (rapport des inspecteurs, paragraphe 1.7). Les principales questions qu’ils se posèrent au cours de leur enquête sur les affaires de HOFH furent les suivantes: "(i) Les Fayed étaient-ils ceux qu’ils prétendaient être, et, sinon, qui étaient-ils? (ii) Ont-ils acquis HOF avec leurs fonds propres sans engagements hypothécaires ou autres? (iii) Ont-ils délibérément induit en erreur, directement ou indirectement, ceux qui les représentaient devant les autorités et le public? (iv) Dans l’affirmative, ont-ils cherché à empêcher ceux qui tentaient d’établir les faits exacts d’y parvenir, et si oui, de quelle manière? (v) Quelles mesures le conseil d’administration de HOF et ses conseillers prirent-ils avant de donner les assurances qu’ils semblent avoir données à ceux qui se sont fiés à leurs paroles ou à leurs actes? (vi) Les autorités - fonctionnaires du [bureau de la concurrence (Office of Fair Trading)] et du DTI et, pour finir, les ministres - ou le public ont-ils été trompés sur le compte des Fayed? Si oui, comment et pourquoi?" (rapport des inspecteurs, paragraphe 1.11) Les inspecteurs indiquèrent également que, tout au long de leur enquête, ils ne s’étaient pas limités aux simples questions relatives au contrôle direct de l’argent utilisé pour l’achat de HOF. Ils s’étaient aussi intéressés à l’authenticité des déclarations des requérants, ou d’autres personnes autorisées à les faire en leur nom, qui avaient eu pour effet d’inciter les gens à agir favorablement à leur égard (rapport des inspecteurs, paragraphe 1.12; et aussi chapitre 9). Au cours de l’enquête, les inspecteurs dégagèrent des points sur lesquels ils désiraient obtenir des preuves. Si des doutes ou des problèmes surgissaient lors de la production de celles-ci, ils donnaient lieu à une discussion lors de réunions ou dans le cadre de la correspondance échangée entre les collaborateurs des inspecteurs et les solicitors des requérants. Par la suite, les inspecteurs reçurent des informations sous forme de mémoires et de documents. En outre, ils recueillirent sous serment les dépositions orales de témoins. MM. Mohamed Al et Ali Fayed furent interrogés, en présence de leurs avocats, le 14 octobre 1987 puis, de nouveau, les 8 et 9 mars 1988. Toute cette procédure se déroula à huis clos. Les requérants n’eurent point l’occasion d’être confrontés à des témoins ou de les contre-interroger en vertu d’un principe bien établi du droit anglais selon lequel les inspecteurs ne sont nullement tenus de reconnaître à quiconque une telle possibilité. Les inspecteurs et les requérants convinrent qu’après avoir étudié les informations factuelles fournies, les premiers communiqueraient aux seconds leurs conclusions provisoires ainsi que les éléments sur lesquels elles reposaient. Les inspecteurs examineraient alors toutes les observations que les intéressés formuleraient à cet égard. On savait que les trois frères tenaient tout particulièrement au respect de leur vie privée. La position des inspecteurs sur les questions de vie privée et de confidentialité se trouve ainsi résumée dans leur rapport (paragraphes 26.44 et 26.45): "(...) si des personnes privées créent une société dont elles deviennent directeurs et qui fait des déclarations publiques de leurs affaires, les inspecteurs désignés aux fins de vérifier la véracité de cette image doivent mettre en balance leur souci de préserver la vie privée des directeurs dans toute la mesure du possible (...) avec leur devoir d’effectuer la tâche pour l’accomplissement de laquelle ils ont été nommés. Si les Fayed avaient choisi de ne rien dire, nous aurions pu avoir du mal à rassembler des preuves. Mais leur désir de nous voir aboutir à des conclusions qui leur soient favorables les a amenés à nous envoyer des témoins (...) et à nous fournir quant à leurs affaires privées des témoignages qu’il était alors de notre devoir de vérifier." Au début de l’enquête, les requérants admirent explicitement que les inspecteurs avaient le droit de vérifier l’exactitude de déclarations faites par eux ou en leur nom à la fin de 1984 et au début de 1985. Ces déclarations étaient au coeur de l’enquête. Ce n’est que tout près du terme de celle-ci, quand les inspecteurs leur produisirent des "preuves accablantes" qu’ils avaient menti, qu’ils modifièrent leur position et contestèrent le droit desdits inspecteurs à enquêter sur certains aspects de leur vie privée (rapport des inspecteurs, paragraphe 26.28). Les inspecteurs réfutèrent cette contestation de leur pouvoir et donnèrent les motifs de leur décision (voir, d’une manière générale, le chapitre 16 de leur rapport). Selon eux, ils avaient le droit de chercher à obtenir des informations confidentielles auprès de tiers mais, auparavant, ils auraient donné aux requérants l’occasion de les convaincre de la véracité des déclarations "de la manière risquant le moins de porter atteinte au respect de leur vie privée" (rapport des inspecteurs, paragraphes 16.2.5 et 16.6.2). La loi ne leur aurait pas permis de forcer les requérants à produire des relevés bancaires personnels (qui auraient contribué largement à accréditer ou réfuter la véracité des déclarations) et les trois frères n’auraient pas davantage consenti à le faire si ce n’était dans une mesure très limitée. Pour les inspecteurs, les requérants auraient manqué à leur devoir de fournir toute l’assistance que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux. En vertu de l’article 436 de la loi de 1985, les inspecteurs auraient eu la faculté de l’attester devant un tribunal. Celui-ci aurait pu alors prendre des sanctions contre les intéressés si, après audition des témoignages, il était convaincu d’un manquement à leur devoir (paragraphe 38 ci-dessous). Les inspecteurs auraient toutefois estimé pouvoir accomplir leur mission sans avoir à recourir à une mesure aussi grave et décidé de continuer leur travail sans donner cette attestation. Ils précisèrent que si les requérants choisissaient de ne pas déposer, ils pourraient en tirer certaines conclusions. En octobre 1987 et au-delà, Lonrho critiqua publiquement la manière dont les inspecteurs menaient l’enquête et demanda un délai supplémentaire de deux mois afin de pouvoir réunir des preuves et les leur remettre. Par l’intermédiaire de ses avocats, Lonrho soutint que l’équité voulait que les inspecteurs lui permissent de se voir communiquer les informations qu’ils avaient reçues des requérants au motif que sa réputation commerciale souffrirait si lesdits inspecteurs rejetaient les griefs qu’elle avait soulevés aussi publiquement. Les inspecteurs rejetèrent la demande d’accès aux preuves produites par les Fayed, mais consentirent à Lonrho un délai plus long afin de les compléter par des éléments portant essentiellement sur les antécédents des requérants et de leur famille. Cette dernière décision souleva de vigoureuses protestations des solicitors des intéressés auprès des inspecteurs. Les pièces fournies par Lonrho à ceux-ci comptaient des milliers de pages. Les inspecteurs reconnurent que Lonrho et ses directeurs avaient poursuivi leurs fins d’une manière incroyablement obstinée et qualifièrent les requérants et Lonrho de "parties férocement antagonistes" (rapport des inspecteurs, paragraphe 26.71). D. Le rapport des inspecteurs et ses suites, y compris la perspective de procédures pénales et civiles Les conclusions provisoires des inspecteurs, lesquelles dépassaient les 500 pages et étaient en majeure partie défavorables aux requérants, furent remises à ces derniers le 12 avril 1988. Les inspecteurs les avaient au préalable informés de la teneur des éléments de preuve contraires recueillis et des conclusions qu’ils étaient prêts à en tirer. Entre le 12 avril et le 17 juin, les intéressés n’eurent aucune réaction notable. A cette dernière date, leurs solicitors avisèrent les inspecteurs qu’ils ne se trouvaient pas même en mesure de discuter de l’état procédural de l’enquête. Les inspecteurs signalèrent auxdits solicitors le 20 juin qu’au 15 juillet, ils considéreraient que les trois frères avaient eu amplement le temps de répondre aux conclusions provisoires. A cette date, les requérants déposèrent 571 pages d’observations détaillées renfermant un mélange d’analyse factuelle et d’argumentation juridique ainsi que, très souvent, de nouvelles preuves. L’argumentation tendait à limiter de manière drastique la portée de l’enquête. Les solicitors des intéressés invitèrent les inspecteurs, "minimum exigé par l’équité", à examiner certaines questions soulevées et, dans le cas où ils rejetteraient telle ou telle de leurs thèses principales, à en indiquer les raisons avant de publier un rapport (rapport des inspecteurs, paragraphe 1.23 et chapitre 17). Le 23 juillet 1988, les inspecteurs adressèrent au ministre leur rapport, qui reprenait, en gros, les termes des conclusions provisoires. Ils expliquèrent qu’ils n’avaient pas accédé à la toute dernière demande procédurale des requérants parce qu’ils avaient jugé que, sinon, ils ne pourraient jamais terminer leur rapport: "Il nous a paru indiqué d’examiner les arguments écrits que nous avions reçus et d’exprimer nos vues à leur sujet lorsque nous soumettrions notre rapport au ministre. Nos conclusions n’emporteraient aucune décision; nous avions accordé à HOFH, à HOF, aux Fayed et à leurs conseillers amplement le temps de formuler leur argumentation qu’ils ont choisi d’énoncer de cette manière à ce stade extrêmement avancé et nous avons estimé qu’il y allait de l’intérêt public de mener notre tâche à son terme et de soumettre notre rapport." Les inspecteurs concluaient que les requérants, violant les règles de l’honnêteté, avaient menti sur leurs origines, fortune, intérêts commerciaux et ressources au ministre, au bureau de la concurrence, à la presse, au conseil d’administration et aux actionnaires de HOF ainsi qu’à leurs propres conseillers; au cours de l’enquête, ils avaient présenté, lors de dépositions solennelles et dans des mémoires, des éléments de preuve faux, ce qu’ils n’ignoraient point; en outre, ils avaient produit une série de documents qu’ils savaient faux; ces éléments de preuve se rapportaient pour l’essentiel, mais non exclusivement, à leur milieu, à leurs activités commerciales passées et aux circonstances dans lesquelles ils étaient parvenus à détenir des fonds considérables à l’automne 1984 et au printemps 1985 (voir en particulier le rapport des inspecteurs, chapitre 2). Pour les inspecteurs, il ne faisait pas de doute que l’essentiel des attaques de Lonrho contre les requérants trouvait une base solide dans des faits établis (rapport des inspecteurs, paragraphe 1.20). Les inspecteurs ne rejetaient toutefois pas l’ensemble des preuves présentées par les intéressés et louaient une partie de leur travail. Ainsi le rapport affirmait notamment que "(...) le départ des directeurs de Lonrho et leur remplacement par les Fayed avaient apporté de l’harmonie là où, auparavant, régnait la discorde" (rapport des inspecteurs, paragraphe 6.6.9) et "la remarquable capacité des Fayed à repérer les affaires offrant des perspectives d’augmentation du capital avait à coup sûr joué un rôle de premier plan dans leur succès en affaires" (rapport des inspecteurs, paragraphe 12.6.10). Dans le dernier chapitre de leur rapport, les inspecteurs procédaient à des constatations de fait flatteuses et formulaient des remarques favorables à HOFH. Ils estimaient qu’à quelques réserves près, la gestion de HOF depuis son acquisition avait été "conforme à la loi, correcte et régulière". Le ministre transmit le rapport au Director of Public Prosecutions et au directeur du service de répression des fraudes graves (Serious Fraud Office). Le 29 septembre 1988, le DTI annonça l’ajournement de la publication du rapport jusqu’à ce que ce service ait mené son enquête à terme. Au cours de l’été 1988, le ministre adressa également copie du rapport à la Banque d’Angleterre, au comité de la Cité sur les rachats et fusions (City Panel on Takeovers and Mergers) - partie intégrante du système de régulation des affaires au Royaume-Uni -, au fisc (Inland Revenue), au bureau de la concurrence et à la commission des monopoles et fusions. Le 9 novembre 1988, le ministre indiqua que, conformément à l’avis du directeur général de la concurrence, il s’était prononcé contre la saisine de la commission des monopoles et fusions de l’acquisition de HOF par HOFH, même si le rapport révélait de nouveaux faits pertinents. C’est également en novembre 1988 que Lonrho demanda à pouvoir solliciter le contrôle judiciaire des décisions du ministre i. de ne pas procéder à la publication immédiate du rapport, ii. de ne pas saisir, au vu du rapport, la commission des monopoles et fusions de l’acquisition. Dans le cadre de cette procédure, le directeur du service de répression des fraudes graves et le Director of Public Prosecutions déposèrent en décembre 1988 des déclarations écrites; ils y exprimaient l’avis que la publication du rapport nuirait à l’instruction criminelle et risquerait d’empêcher un procès pénal dans le cas où des poursuites seraient engagées contre les requérants. La Chambre des lords rejeta finalement la demande de Lonrho en mai 1989. Le 30 mars 1989, l’Observer publia une édition spéciale de milieu de semaine de seize pages, exclusivement consacrée à des extraits d’une copie du rapport résultant d’une fuite et de commentaires sur celui-ci. Le même jour, Lonrho envoya de 2 000 à 3 000 exemplaires de l’édition spéciale à des personnes figurant sur une liste d’adresses et auxquelles elle avait régulièrement communiqué des textes hostiles aux requérants. La High Court, saisie par le ministre et HOFH, prit immédiatement des ordonnances interdisant toute autre révélation du rapport ou de son contenu. Au cours d’un entretien diffusé à la radio le 4 avril 1989, le ministre déclara, avant la publication du rapport des inspecteurs, que celui-ci "faisait clairement apparaître des agissements répréhensibles", ce qui eut un grand retentissement dans la presse. Le 1er mars 1990, le directeur du service de répression des fraudes graves et le Director of Public Prosecutions annoncèrent qu’ils avaient terminé leurs enquêtes en l’espèce (paragraphe 23 ci-dessus) et qu’ils n’intenteraient pas d’autre action. Dans un communiqué commun publié à cette date, ils déclarèrent: "Les directeurs ont désormais la conviction que l’enquête a été menée dans toutes les voies possibles et que les preuves disponibles ne suffisent pas pour envisager de manière réaliste un constat de culpabilité de telle ou telle infraction pénale liée aux questions de fond soulevées dans le rapport." L’Attorney General se dit persuadé, au vu des éléments de preuve recueillis et recevables en l’espèce, de la justesse de la conclusion à laquelle étaient parvenus les deux directeurs. Le 12 mars 1990, en réponse à une question (Hansard, House of Commons, 12 mars 1990, colonne 14), il déclara à la Chambre des communes: "Si les inspecteurs étaient libres de tenir compte des preuves par ouï-dire dès lors qu’ils les estimaient dignes de foi - et c’était bien entendu à eux de décider que tel était le cas -, un jury statuant au pénal, lui, n’aurait pas pu aboutir à un constat de culpabilité reposant sur ce genre de preuves. Les inspecteurs ont le droit de prendre en considération des moyens de preuve plus étendus que ne le peut un tribunal anglais statuant au pénal (...). Des enquêtes avaient été menées dans toutes les parties du monde mentionnées au rapport des inspecteurs mais le [directeur du service de répression des fraudes graves et le Director of Public Prosecutions] devaient conclure, comme ils l’ont dit dans leur communiqué conjoint du 1er mars, que les preuves réunies en l’espèce ne suffisaient pas à justifier des poursuites pénales devant un tribunal anglais selon la procédure pénale anglaise sur aucune des questions de fond soulevées dans le rapport des inspecteurs." E. Publication du rapport des inspecteurs Le 1er mars 1990, le ministre avait annoncé son intention de publier le rapport le 7 mars 1990. De manière générale, on publie des rapports sur les sociétés anonymes - HOFH en était une - (paragraphe 41 ci-dessous). En l’espèce, le gouvernement estimait que cette publication était justifiée pour des raisons spécifiques d’intérêt public. Dans ses plaidoiries devant la Commission, il les a énoncées en ces termes: "L’enquête avait été longue et complexe et le public avait le droit d’en connaître le résultat, sauf si des raisons impérieuses s’y opposaient. Pour les personnes intéressées par des rachats d’entreprises, l’étude de ce rapport était riche d’enseignements. (...) Le rapport recommandait un réexamen de certains aspects de la partie XIV de la loi de 1985 (consacrée aux enquêtes sur les sociétés et leurs affaires) au vu des difficultés rencontrées par les inspecteurs (...). Il convenait de reconnaître que le ministre, [le bureau de la concurrence], le DTI, certains journalistes et certains organes de presse, le conseil d’administration de HOF, les autorités administratives et les conseillers spécialisés des requérants avaient été abusés par ceux-ci. Lonrho estimait qu’on avait gravement porté atteinte à ses intérêts et à sa réputation du fait que le ministre s’était montré disposé à autoriser HOFH à maintenir son offre en mars 1985 sans saisir la [commission des monopoles et fusions]. Lonrho aurait pu légitimement se plaindre du refus de donner des explications à cet égard si aucune raison impérieuse ne venait le justifier. Il était nécessaire de dissiper les spéculations permanentes quant aux faits ayant conduit à l’enquête. Les rumeurs et les conjectures allaient bon train. La publication du rapport permettrait aux salariés et créanciers d’être informés de la manière dont HOF et Harrods avaient été gérés et le seraient probablement à l’avenir. (Les inspecteurs étaient largement prêts à accepter la sincérité des assurances pour l’avenir données par les trois frères.) Devant les inspecteurs, les [Fayed] avaient été prêts à tenter de discréditer Lonrho, M. Rowland, l’Observer et son directeur, d’autres encore. L’intérêt public, estimait-on, voulait que l’on fît connaître tant l’existence de ces tentatives que la conclusion des inspecteurs estimant qu’elles ne reposaient sur rien." Le 2 mars 1990, les requérants reçurent, à titre confidentiel, des copies du rapport avant sa publication afin de pouvoir définir leur position. Tout au long de la période entre la soumission du rapport au ministre, en juillet 1988, et sa publication, le 7 mars 1990, les solicitors des intéressés avaient adopté, dans leur abondante correspondance avec le DTI et le Treasury Solicitor, la position suivante: il était probable qu’une procédure de contrôle judiciaire ou autre serait entamée notamment parce que le rapport des inspecteurs n’était pas conforme à la loi de 1985 sur les sociétés en raison de l’étendue de l’enquête et du caractère prétendument inéquitable de la procédure (y compris des manquements à ce que les intéressés disaient être la procédure convenue). Dans une lettre du 1er mars 1990, le DTI affirma que si les requérants demandaient le contrôle judiciaire pour contester la validité du rapport, la publication serait suspendue tant que les tribunaux n’auraient pas statué de manière définitive sur la requête. Au bout du compte, aucune action de cette nature ne fut engagée. D’après les requérants, eux-mêmes et leurs conseillers continuèrent d’analyser la possibilité de demander un contrôle judiciaire afin d’empêcher la publication, mais à chaque fois, tous s’accordèrent pour estimer cette procédure vouée à l’échec. Le 7 mars 1990, jour où le rapport fut publié, le ministre déclara devant la Chambre des communes (Hansard, House of Commons, 7 mars 1990, colonne 873): "Je tiens à exposer à la Chambre qu’en l’espèce, trois responsabilités essentielles pèsent sur moi en ma qualité de ministre: premièrement, décider de publier le rapport. C’est ce que je viens de faire dans les plus brefs délais après que les autorités de poursuite m’eurent informé du retrait de leur opposition à cette publication. Deuxièmement, je devais examiner la possibilité de saisir le tribunal d’une demande visant à faire interdire aux directeurs d’exercer leurs fonctions en application de l’article 8 de la loi de 1986 sur la déchéance des directeurs de société (Company Directors Disqualification Act). Je suis arrivé à la conclusion qu’il ne serait pas de l’intérêt public d’agir ainsi. Toute personne lisant le rapport peut se faire sa propre idée de la conduite de ceux qui sont en cause. Troisièmement, c’est également à moi qu’incombe la décision de saisir ou non des fusions la commission des monopoles et fusions. Mon prédécesseur a accompli cette tâche. A partir de juillet 1988, il disposait de six mois pour examiner les conclusions du rapport des inspecteurs et dire s’il fallait porter l’affaire devant la commission des monopoles et fusions, ce qu’il n’a pas estimé opportun en novembre 1988 (...) Je n’ai aucune obligation d’agir sur d’autres points. J’ai transmis le rapport à toutes les autorités d’exécution ou de réglementation et il leur revient donc d’envisager les mesures éventuelles à prendre au titre des différents pouvoirs qu’elles détiennent." Pour le ministre, la publication et la publicité qui s’ensuivrait permettraient aux personnes pouvant avoir affaire aux requérants en leur qualité de directeurs d’apprécier le risque que le style de comportement décrit dans le rapport pourrait présenter pour leurs intérêts (ibidem, colonne 878). Le ministre fit connaître aussi publiquement son sentiment sur la justesse des conclusions des inspecteurs. Le 28 mars 1990, il déclara à une commission parlementaire restreinte (rapport de la commission du commerce et de l’industrie de la Chambre des communes relatif aux enquêtes sur les sociétés, 2 mai 1990, HC 36, annexe 6, p. 183, paras. 938 et 940 A): "(...) les allégations du rapport n’ont pas été établies devant un tribunal. Chacun de nous est libre de les apprécier et, pour moi, leur véracité est plus que probable encore que rien ne le prouve. (...) Il ne m’appartient pas de constater l’exactitude de chaque fait ou opinion mentionnés dans le rapport. Ce sont des inspecteurs externes qui ont été désignés pour enquêter sur ces questions et ils ont publié leur rapport. Je n’ai pas les moyens de vérifier celui-ci mot par mot. Pour ma part, et j’imagine que beaucoup de gens ont le même sentiment que moi, je tends à estimer corrects les faits révélés sans pour autant disposer de preuves en ce sens - c’est tout ce que je veux dire. (...) [Question:] Il semble que [les requérants] ont même raconté toute une série de mensonges aux inspecteurs eux-mêmes qui enquêtaient alors sur les mensonges qu’ils avaient déjà racontés. Est-ce exact? [Le ministre:] A ce qu’il semble." La commission restreinte jugea solidement fondées les conclusions des inspecteurs et se référa dans son rapport ultérieur à "la désinformation sur la situation financière des frères Fayed" dont le rapport des inspecteurs faisait état (rapport de la commission du commerce et de l’industrie, loc. cit., p. xxvi, par. 126). Le jour de la publication du rapport, les requérants diffusèrent, par l’intermédiaire de HOFH, un communiqué dans lequel ils présentaient leurs observations notamment sur le contenu du rapport et le comportement des inspecteurs. On y lisait les remarques suivantes: "Nous sommes atterrés de constater que deux personnes occupant une position aussi élevée aient pu dérailler à ce point dans la conduite de l’enquête. (...) Les inspecteurs nous ont abusés. Ils ont abusé nos avocats. Ils ont même manqué d’honnêteté à leur égard. Ils ont témoigné de parti pris à notre égard et ne nous ont pas traités de manière équitable. Ils ont failli aux accords pris avec nous. Ils ont employé un langage déplacé dans un tel document. Ils ont abouti à des conclusions sans les étayer par des faits. Ils se sont déshonorés et ils ont déshonoré toute la procédure d’enquête du ministère du Commerce. Ces inspecteurs ont largement outrepassé leurs pouvoirs légaux, enquêtant dans des domaines dont ils ne pouvaient légitimement connaître. Ils ont affiché un mépris total des principes de la justice naturelle. Pour parler franc, ils ne nous ont pas offert un procès équitable. Ils ont renversé la charge de la preuve au mépris du principe fondamental de la justice britannique. Ils nous ont tenus pour coupables tant que notre innocence n’aurait pas été prouvée." Le 28 mars 1990, lors d’un débat à la Chambre des lords, le secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Industrie déclara (Hansard, House of Lords, 28 mars 1990, colonnes 946-947): "Si les inspecteurs ont conclu que les Fayed avaient menti devant les autorités de la concurrence à l’époque de la fusion - je n’ai aucune raison de penser qu’ils étaient dans l’erreur encore qu’il appartienne à chacun de se faire sa propre idée après lecture du rapport -, ils n’ont pas critiqué la façon dont les Fayed ont géré la House of Fraser qu’ils détenaient déjà et qu’on ne peut leur retirer. Dans ces conditions, (le ministre) a estimé que la publication du rapport, permettant aux personnes de juger par elles-mêmes si elles souhaitaient avoir des relations commerciales avec les Fayed, porterait un coup sévère à leur réputation, les faits l’ont prouvé à mon avis." F. Les suites de la publication Le rapport et ses conclusions furent largement diffusés par la télévision, la radio et la presse nationale. Les requérants prétendent que leur réputation tant personnelle que commerciale en a beaucoup pâti, ainsi que l’avait prédit le secrétaire d’Etat. En août 1990, ils se désistèrent de leurs actions en diffamation contre l’Observer, auquel ils versèrent 500 000 £ de frais de justice. A l’époque, la Court of Appeal s’apprêtait à examiner un recours intenté par eux et portant sur une question préliminaire de procédure. En cas d’échec, ils auraient été tenus de divulguer plusieurs documents essentiels portant sur la question de savoir si l’acquisition de HOF avait été financée au moyen de fonds appartenant à des tiers. Les intéressés ont d’après eux renoncé à leurs actions en diffamation car leurs conseillers juridiques leur avaient dit que la publication du rapport des inspecteurs les avait privés de tout recours effectif (paragraphe 11 ci-dessus). Un mois après la publication du rapport, la Banque d’Angleterre notifia des restrictions à la Harrods Bank Ltd compte tenu de la position des requérants au sein de cette société. La commission parlementaire restreinte estima que le ministre n’avait pas pris de mesures suffisantes à l’encontre des Fayed (rapport de la commission du commerce et de l’industrie relatif aux enquêtes sur les sociétés, loc. cit., pp. xxv-xxvii, paras. 118-140). Le comité des rachats de la Cité infligea par la suite une sanction disciplinaire aux Fayed en s’appuyant sur le rapport. Comme il l’a précisé, il ne cherchait pas à procéder à sa propre enquête, mais se fondait sur le rapport des inspecteurs. La sanction imposée fut l’opprobre public. Lonrho persista dans ses attaques. En mai 1990, elle demanda le contrôle judiciaire du refus, par le ministre, d’inviter la High Court à rendre une ordonnance interdisant aux trois requérants d’exercer les fonctions de directeurs. Elle fut déboutée le 21 octobre 1991. En octobre 1993, il fut annoncé qu’entre les frères requérants et Lonrho avait été conclu un règlement dont l’une des clauses était l’abandon de toutes les procédures entre les deux parties. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Base et portée d’une enquête en vertu de l’article 432 par. 2 L’enquête sur HOFH a été menée sur la base de l’article 432 par. 2 de la loi de 1985 sur les sociétés et a porté sur les circonstances entourant l’acquisition d’actions de HOF en 1984 et 1985. L’article 432 par. 2 habilite le ministre à désigner des inspecteurs pour enquêter sur les affaires d’une société et lui en rendre compte de la manière prescrite par lui si, à son sens, des éléments donnent à croire à l’existence d’une faute relevant d’une des catégories ainsi définies: "a) la gestion des affaires de la société est ou a été conduite dans l’intention de frauder ses créanciers ou les créanciers de toute autre personne, ou dans tout autre but frauduleux ou illégal, ou d’une manière portant préjudice de façon déloyale à certains de ses associés, ou b) un acte ou une omission réels ou envisagés de la société (y compris l’acte ou l’omission intervenus en son nom) porte ou porterait ainsi préjudice, ou la société a été créée dans un but frauduleux ou illégal, ou c) des personnes liées à la création de la société ou à la gestion de ses affaires se sont, dans ce cadre, rendues coupables de fraude, d’abus d’autorité ou d’une autre infraction à son égard ou à celui de ses associés, ou d) les associés n’ont pas reçu quant aux affaires de la société toutes les informations qu’ils étaient raisonnablement en droit d’attendre." Aucune disposition légale n’impose au ministre de révéler à la société en cause les motifs de la désignation d’inspecteurs chargés d’enquêter sur ses affaires (Norwest Holst Limited v. Secretary of State, Weekly Law Reports 1978, vol. 3, p. 73 (Court of Appeal)), et il ne le fait en général point. En l’espèce, lorsque, dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire présentées par Lonrho, la Chambre des lords l’y a invité, le conseil du gouvernement a déclaré qu’en nommant les inspecteurs, le ministre avait agi sur la base de l’article 432 par. 2 a). B. Pouvoirs des inspecteurs de recueillir des informations L’article 434 confère aux inspecteurs de larges pouvoirs de recueillir des informations, par la contrainte si nécessaire, auprès des responsables et mandataires de la société objet de l’enquête. Une réponse donnée par une personne à une question qui lui est posée dans l’exercice des pouvoirs visés à l’article 434 peut être retenue comme preuve contre elle (article 434 par. 5). En vertu de l’article 436, les inspecteurs peuvent attester devant un tribunal toute entrave à leur action; il peut, après enquête, la traiter comme un mépris du tribunal (contempt of court) passible d’une peine d’emprisonnement ou d’une amende. C. Obligation des inspecteurs d’agir de manière équitable Les inspecteurs sont liés par les règles de la justice naturelle, tenus d’agir de manière équitable et de donner à toute personne qu’ils se proposent de critiquer dans leur rapport une possibilité équitable de répondre aux allégations formulées à son encontre (In re Pergamon Press Ltd, Chancery 1971, vol. 1, p. 388 (Court of Appeal)). En l’espèce, les inspecteurs ont admis comme s’appliquant à eux le principe de la justice naturelle selon lequel une personne qui accomplit une mission d’enquête doit fonder ses conclusions sur des éléments ayant valeur probante (rapport des inspecteurs, paragraphes 26.23 et 26.25 - citant Mahon v. Air New Zealand, Appeal Cases 1985, (Privy Council), pp. 820-821). Toutefois, la procédure devant les inspecteurs revêt un caractère administratif, non judiciaire; ils ne forment pas un tribunal; ils sont maîtres de leur propre procédure (In re Pergamon Press Ltd, loc. cit., pp. 399-400, per Lord Denning MR; pp. 406-407, per Lord Justice Buckley). Mis à part l’obligation d’agir de manière équitable, ils ne sont pas liés par des règles de procédure déterminées et peuvent agir à leur gré. Une personne exposée à leurs critiques n’a pas droit à contre-interroger les témoins (ibidem, p. 400B, per Lord Denning MR). Les inspecteurs n’ont pas à soumettre leurs conclusions provisoires aux témoins afin qu’ils puissent les réfuter. Il suffit en droit qu’ils exposent à ceux-ci les déclarations à leur encontre émanant d’autres personnes ou contenues dans des documents afin de leur donner la possibilité de répondre à ces critiques au cours de l’enquête (Maxwell v. Department of Trade and Industry, Queen’s Bench 1974, vol. 1, p. 523 (Court of Appeal)). D. Publication du rapport d’enquête L’article 437 par. 3 c) habilite le ministre à déterminer s’il y a lieu d’imprimer et de publier le rapport des inspecteurs. Tout en jouissant d’un large pouvoir discrétionnaire pour dire s’il faut publier le rapport dans son intégralité ou non, il ne peut décider, aux termes de l’article 437 par. 3 c), de n’en publier que des parties ou un résumé. La publication peut toutefois être repoussée dans le cas où des poursuites pénales risquent de se voir engagées, afin de ne pas nuire à celles-ci. La question de la publication ou non du rapport des inspecteurs s’apprécie au cas par cas. Le DTI a pour politique générale de publier les rapports sur les sociétés faisant publiquement appel à l’épargne chaque fois que c’est possible, car il y voit une question d’intérêt public. Les actionnaires d’une société anonyme ont une position juridique privilégiée en raison de leur responsabilité limitée. Du fait de ce privilège, quand le ministre a décidé de soumettre à enquête l’activité d’une grande société anonyme sur la base de l’article 432 de la loi de 1985, estimant les circonstances suffisamment préoccupantes pour justifier le coût élevé d’une telle enquête, la publication du rapport des inspecteurs expliquant les faits de l’espèce et les conclusions qu’ils en ont tirées s’impose sauf si des raisons impérieuses y font obstacle. E. La responsabilité des inspecteurs pour diffamation L’exception d’immunité dans les affaires de diffamation se fonde sur l’idée qu’un comportement pouvant d’ordinaire donner lieu à une instance judiciaire n’engage pas la responsabilité parce que le défendeur poursuit un intérêt d’importance sociale digne de protection, même au prix d’une atteinte non réparée à la réputation du plaignant. S’il s’agit d’un intérêt de la plus haute importance, des considérations de principe peuvent exiger que l’immunité du défendeur pour fausses déclarations soit absolue, indépendamment de ses objectifs, de ses mobiles ou du caractère raisonnable de son comportement. Telle est la nature de la protection absolue reconnue à la procédure judiciaire et parlementaire. Des raisons d’ordre public peuvent militer également en faveur d’une immunité relative (qualified privilege) lorsque l’auteur de la publication agit de bonne foi et dans l’exercice d’une mission privée ou publique. La reconnaissance de cette immunité relative suppose qu’elle s’exerce de manière raisonnable et dans un but légitime. L’auteur d’une publication animé d’une intention malveillante la perdra. Dans l’affaire Pergamon Press Ltd (loc. cit., p. 400G), Lord Denning MR a déclaré: "Les inspecteurs devraient rédiger leur rapport avec courage et franchise, en ne négligeant rien. L’intérêt public le veut ainsi. Ils n’ont rien à craindre car, pour autant que je puisse en juger, leur rapport est protégé par une immunité absolue (...)" Même si, contrairement à ce qu’affirme Lord Denning, le rapport des inspecteurs bénéficie d’une immunité non absolue mais relative, ni eux ni le ministre ne pourraient être poursuivis en diffamation avec succès pour avoir publié le rapport sauf si on pouvait prouver une intention de nuire manifeste (c’est-à-dire si la publication diffamatoire avait surtout pour finalité de porter préjudice: Horrocks v. Lowe, Appeal Cases 1975 (House of Lords), p. 149, per Lord Diplock). F. Contrôle judiciaire Les cas de contrôle judiciaire d’un acte de l’administration (telle la décision du ministre de publier le rapport) sont les trois cas traditionnels énoncés par Lord Diplock dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service (Appeal Cases 1985 (House of Lords), pp. 410-411). Ce sont l’illégalité, l’irrationalité et l’irrégularité procédurale. "Illégalité" signifie que le décideur doit interpréter correctement les normes juridiques régissant son pouvoir de décision et leur donner effet. L’"irrationalité" - ou ce que l’on désigne souvent par l’expression "attitude déraisonnable selon Wednesbury" ("Wednesbury unreasonableness"; Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench 1947, vol. 1, p. 223 (Court of Appeal)) - vaut pour une décision qui défie de manière si flagrante la logique ou les principes moraux communément admis que nulle personne sensée n’aurait pu la prendre après avoir réfléchi au problème. "‘L’irrationalité’ ou ‘l’attitude déraisonnable selon Wednesbury’ est un moyen de contrôle judiciaire d’une décision administrative étroitement limité. Lorsque l’existence ou la non-existence d’un fait est laissée à l’appréciation et à la discrétion d’une autorité publique et que ce fait peut donner lieu à un large éventail de qualificatifs allant de l’évident au contestable ou au simplement concevable, le tribunal est tenu de laisser la décision de fait à l’autorité publique investie par le Parlement du pouvoir de décision sauf si, de toute évidence, consciemment ou non, cette autorité agit de façon aberrante" (Lord Brightman, dans R. v. Hillingdon LBC, ex parte Puhlhofer, Appeal Cases 1986 (House of Lords), p. 528). L’"irrégularité procédurale" couvre l’inobservation des règles fondamentales de la justice naturelle ou le défaut d’équité, en matière de procédure, envers la personne que concernera la décision, de même que l’inobservation de règles de procédure expressément énoncées, même lorsque pareil manquement n’implique aucun déni de justice naturelle. Le contrôle judiciaire fournirait, par exemple, un recours si les inspecteurs désignés en vertu de la loi sur les sociétés avaient été partiaux ou prévenus à l’encontre des personnes objet de leur rapport (Franklin v. Minister of Town and County Planning, Appeal Cases 1948 (House of Lords), p. 87); si les inspecteurs étaient parvenus à des conclusions que ne venait étayer aucun fait, avaient pris en compte des considérations sans pertinence ou omis de prendre en compte des considérations pertinentes, ou étaient parvenus à des conclusions auxquelles aucune personne sensée dans leur position n’aurait pu aboutir (affaire Wednesbury, loc. cit.); si leurs conclusions ne reposent pas suffisamment sur des éléments ayant valeur probante (Mahon v. Air New Zealand, loc. cit.); si les inspecteurs avaient été malhonnêtes ou avaient agi de mauvaise foi (affaire Wednesbury, loc. cit.); s’ils avaient commis un abus ou un détournement de pouvoir (affaire Wednesbury, loc. cit.); s’ils avaient agi à l’encontre des espérances légitimes des intéressés (Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, loc. cit.); s’ils avaient agi au mépris des règles de la justice naturelle (Wiseman v. Borneman, Appeal Cases 1971 (House of Lords), p. 297); ou s’ils avaient fait preuve d’un manque d’équité (In re Pergamon Press, loc. cit.; Maxwell v. Department of Trade, loc. cit.; R. v. Panel on Takeovers and Mergers, ex parte Guinness PLC, Queen’s Bench 1990, vol. 1, p. 146 (Court of Appeal)). Toutefois, une erreur de fait ne pourrait constituer la base sur laquelle attaquer une décision administrative des inspecteurs ou du ministre que si le fait était le préalable à l’exercice d’une compétence ou le seul élément de preuve sur lequel fonder une décision, ou encore se rattachait à une question à prendre en compte, expressément ou implicitement (R. v. London Residuary Body, ex parte Inner London Education Authority, Times Law Reports, 24 juillet 1987 (Divisional Court)). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les trois frères requérants et HOFH ont saisi la Commission (requête no 17101/90) le 30 août 1990. Ils alléguaient que, au mépris de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, le rapport des inspecteurs emportait décision sur leur droit de caractère civil à l’honneur et à la réputation et les avait privés d’un accès effectif à un tribunal qui statuerait sur ce droit. Ils alléguaient aussi n’avoir pas disposé d’un recours interne effectif pour contester les conclusions des inspecteurs, ce qui contreviendrait à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) comme à l’article 13 (art. 13) de la Convention. Ils affirmaient en outre que la rédaction et la publication du rapport des inspecteurs constituaient une décision sur des accusations en matière pénale dirigées contre eux et avaient méconnu le principe de la présomption d’innocence, au mépris de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2), et avaient porté une atteinte injustifiée à leur honneur et à leur réputation, protégés par l’article 8 (art. 8) de la Convention comme éléments de leur droit au respect de leur vie privée, et également une atteinte à leur droit au respect de leurs biens, garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 15 mai 1992, la Commission a retenu le grief des trois frères requérants tiré de la branche "civile" de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 13 (art. 13). Elle a écarté la requête pour le surplus, y compris la plainte de la quatrième requérante, la société HOFH. Dans son rapport du 7 avril 1993 (article 31) (art. 31), elle exprime l’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) du fait de la rédaction et de la publication du rapport des inspecteurs (douze voix contre une) ou s’agissant du droit d’accès des frères requérants à un tribunal pour intenter une action contre les inspecteurs et le ministre (dix voix contre trois) ou une action contre d’autres (douze voix contre une). Elle conclut aussi qu’aucun problème distinct ne se pose sous l’angle de l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 23 mars 1994, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions figurant dans son mémoire, par lesquelles il invitait la Cour à dire "1. que la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes; en ordre subsidiaire, a) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et b) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention ou qu’il n’y a pas lieu à un examen séparé de l’affaire sur le terrain de l’article 13 (art. 13)". A la même occasion, les requérants ont eux aussi réitéré en substance les conclusions formulées à la fin de leur mémoire et par lesquelles ils priaient la Cour "de dire et déclarer qu’ils sont victimes de violations de l’article 6 (art. 6), et leur accorder une satisfaction équitable en application de l’article 50 (art. 50) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La première requérante, Catharina Kroon, est une ressortissante néerlandaise née en 1954. Le second requérant, Ali Zerrouk, né en 1961, était citoyen marocain à l’époque des faits incriminés; il a obtenu par la suite la nationalité néerlandaise. Bien qu’ils ne vécussent pas ensemble à l’époque, ils entretenaient une relation stable, dont naquit en 1987 le troisième requérant, Samir M’Hallem-Driss; celui-ci a les nationalités marocaine et néerlandaise. Tous trois résident à Amsterdam. En 1979, Mme Kroon avait épousé M. Omar M’Hallem-Driss, citoyen marocain. Le mariage se brisa vers la fin de 1980. Après quoi Mme Kroon vécut séparée de son mari et perdit le contact avec lui. Il ressort des registres officiels que celui-ci quitta Amsterdam en janvier 1986. On ignore depuis lors où il se trouve. Samir est né le 18 octobre 1987. Il fut inscrit au registre des naissances comme fils de Mme Kroon et de M. M’Hallem-Driss. Mme Kroon intenta une action en divorce devant le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam, un mois après la naissance de Samir. Il n’y eut pas de défendeur à l’action et le divorce devint définitif le 4 juillet 1988, date à laquelle le jugement du tribunal fut inscrit au registre des mariages. Le 13 octobre 1988, s’appuyant sur l’article 1:198 par. 1 du code civil (Burgerlijk Wetboek - "CC"; paragraphe 19 ci-dessous), Mme Kroon et M. Zerrouk demandèrent à l’officier de l’état civil (ambtenaar van de burgerlijke stand) d’Amsterdam d’inviter Mme Kroon à déclarer devant lui que M. M’Hallem-Driss n’était pas le père de Samir et de permettre à M. Zerrouk de reconnaître l’enfant. L’officier de l’état civil les débouta le 21 octobre 1988. Tout en exprimant sa sympathie, il releva que Samir était né à une époque où Mme Kroon était toujours mariée à M. M’Hallem-Driss, de sorte que, en application du droit néerlandais tel qu’il se présentait alors, un autre homme ne pouvait agir en reconnaissance tant que M. M’Hallem-Driss n’agissait pas en désaveu de paternité (paragraphes 18 et 21 ci-dessous). Le 9 janvier 1989, Mme Kroon et M. Zerrouk saisirent le tribunal d’arrondissement d’Amsterdam d’une demande tendant à faire enjoindre à l’officier de l’état civil d’ajouter au registre des naissances la déclaration de Mme Kroon selon laquelle M. M’Hallem-Driss n’était pas le père de Samir, ainsi que la reconnaissance de ce dernier par M. Zerrouk. Invoquant l’article 8 (art. 8) de la Convention, considéré isolément et combiné avec l’article 14 (art. 14+8), ils faisaient observer que l’ex-mari de Mme Kroon eût pu contester la paternité de Samir, alors qu’elle-même ne disposait pas d’une possibilité équivalente. Le tribunal rejeta la demande le 13 juin 1989. Il estima que nonobstant le souhait justifié de Mme Kroon et de M. Zerrouk de voir les réalités biologiques officiellement reconnues, ils devaient être déboutés de leur action dès lors qu’en vertu de la loi, dans sa rédaction de l’époque, Samir était l’enfant légitime de M. M’Hallem-Driss. La règle selon laquelle le père d’un enfant né pendant le mariage est le mari de la mère n’autorisait que des exceptions limitées. Ainsi le voulaient les intérêts de la sécurité juridique, très importants dans ce domaine, et la nécessité de protéger les droits et libertés d’autrui. La loi telle qu’elle se présentait n’était donc pas incompatible avec les articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention. Se prévalant derechef des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14), Mme Kroon et M. Zerrouk saisirent la cour d’appel (gerechtshof) d’Amsterdam. Celle-ci écarta leur recours le 8 novembre 1989. Jugeant l’article 8 (art. 8) applicable, elle conclut à sa non-violation. Les restrictions imposées à la possibilité pour la mère de contester la paternité de son mari étaient conformes aux conditions de l’article 8 par. 2 (art. 8-2). En revanche, il y avait eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8), vu l’absence de toute justification raisonnable pour la différence que la loi établissait entre mari et femme en n’octroyant pas à celle-ci la possibilité reconnue à celui-là de contester la paternité du mari. Néanmoins, le recours ne pouvait être accueilli: il n’appartenait pas au pouvoir judiciaire de faire droit à la demande des requérants, dès lors que cela nécessitait une création de droit néerlandais, y compris de procédure administrative, allant au-delà des limites des pouvoirs créateurs des cours et tribunaux. Seul le pouvoir législatif pouvait décider de la meilleure manière de se conformer à l’article 14 (art. 14) de la Convention en ce qui concerne la possibilité de contester la paternité d’un enfant né pendant le mariage. Mme Kroon et M. Zerrouk formèrent alors un pourvoi devant la Cour de cassation (Hoge Raad). Ils faisaient valoir, premièrement, que la cour d’appel avait violé l’article 8 (art. 8) de la Convention en estimant que les limitations imposées par l’article 1:198 CC à la possibilité pour la mère de contester la paternité du mari - plus particulièrement le fait qu’elle ne pouvait le faire qu’à l’égard d’un enfant né après la dissolution du mariage - remplissaient les conditions de l’article 8 par. 2 (art. 8-2). La cour n’avait pas convenablement pesé les intérêts en cause. Elle aurait dû considérer le poids relatif, d’une part, des intérêts du père biologique et de son enfant, et, de l’autre, des intérêts protégés par la législation, et elle aurait dû donner la priorité aux premiers, qui, dans l’espèce dont elle avait à connaître, étaient mieux servis par une rupture des liens légaux entre Samir et M. M’Hallem-Driss et par l’établissement de semblables liens entre Samir et M. Zerrouk, auxquels l’article 8 (art. 8) de la Convention garantissait le droit de voir reconnue leur relation familiale. De plus, il leur paraissait découler du constat de violation de l’article 14 (art. 14) de la cour d’appel que l’ingérence en cause ne pouvait en aucune circonstance être couverte par l’article 8 par. 2 (art. 8-2). Deuxièmement, ils soutenaient que la cour d’appel avait méconnu les articles 14 et 8 (art. 14+8) combinés en s’estimant non habilitée à accueillir la demande des requérants au motif que cela eût impliqué une création de droit néerlandais. A leurs yeux, il n’y avait aucun motif de considérer que seul le pouvoir législatif pouvait éliminer la discrimination que la cour d’appel avait justement constatée; il suffisait d’ignorer la condition selon laquelle l’enfant doit être né après la dissolution du mariage de la mère. Suivant les conclusions de l’avocat général, la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 16 novembre 1990. Elle ne se prononça pas sur la question de savoir si l’article 1:198 CC violait l’article 8 (art. 8) ou l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8). Elle n’en voyait pas la nécessité car elle admettait, avec la cour d’appel, que même à reconnaître l’existence de semblable violation, la résolution du problème de savoir ce qui devait remplacer l’article 1:198 CC dépassait les limites des pouvoirs de création du droit des cours et tribunaux. Ce constat se fondait sur le raisonnement suivant: "A cet égard, il convient de ne pas perdre de vue que si l’on devait créer une possibilité pour la mère de contester la paternité [de son mari à l’égard d’un enfant né] pendant le mariage, la question se poserait immédiatement de savoir quelles autres limitations appliquer pour ne pas compromettre l’intérêt qu’a généralement l’enfant et qui fait partie de la base du système actuel, à voir préserver la sécurité de sa filiation légitime. Aussi pareilles limitations ont-elles été inscrites dans le projet de loi portant réforme du droit de la filiation (Wetsvoorstel Herziening Afstammingsrecht; Bijlagebij de Handelingen van de Tweede Kamer der Staten-Generaal- Annexe aux comptes rendus de la Chambre basse du Parlement -, 1987-1988, 20626, articles 201 et suivants) qui est en cours de discussion au Parlement (...) [O]n ne sait si[ces limitations] seront maintenues, amplifiées ou supprimées dans la suite des débats parlementaires, de nombreuses modifications étant envisageables, du point de vue notamment de l’égalité de traitement du père et de la mère, dans lamesure, en tout état de cause, où une inégalité de traitement n’est pas justifiée." L’arrêt de la Cour suprême fut publié dans la Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de la jurisprudence néerlandaise - "NJ") 1991, no 475. Trois enfants supplémentaires naquirent de l’union de Mme Kroon et de M. Zerrouk, après la naissance de Samir: une fille, Nadia, en 1989, et des jumeaux, Jamal et Jamila, en 1992. Tous furent reconnus par M. Zerrouk. Mme Kroon et M. Zerrouk ne cohabitent pas. Les requérants soutiennent toutefois que M. Zerrouk contribue à la garde et à l’éducation de leurs enfants. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le registre des naissances Chaque municipalité a un registre distinct pour les naissances (article 1:16 par. 1 CC), tenu par un ou plusieurs officiers de l’état civil (article 1:16 par. 2). Une inscription au registre des naissances ou un certificat de naissance mentionne le mari de la mère comme étant le père si la mère était mariée à l’époque de la naissance ou dans la période de 306 jours précédant immédiatement celle-ci; dans tous les autres cas, le nom du père n’est mentionné que s’il a reconnu l’enfant avant la déclaration de naissance ou au moment où elle est intervenue (article 1:17 par. 1 c) CC). Tout intéressé ou le ministère public (officier van justitie) peut saisir le tribunal d’arrondissement dans le ressort duquel le registre en cause est tenu afin d’obtenir une ordonnance portant injonction de corriger ou compléter celui-ci. La décision du tribunal est transmise à l’officier de l’état civil et la correction ou l’ajout s’opèrent sous la forme d’une note en marge ou au bas du certificat (article 1:29 paras. 1-3 CC). B. Établissement de la paternité et reconnaissance L’article 1:197 CC est ainsi libellé: "L’enfant né pendant le mariage a pour père le mari.L’enfant né avant le 307e jour suivant la dissolution du mariage a pour père l’ancien mari, à moins que la mère ne soit remariée." L’article 1:197 CC crée donc deux présomptions légales. Premièrement, un enfant né pendant le mariage est présumé avoir été conçu par le mari de la mère; deuxièmement, un enfant né dans la période de 306 jours suivant la dissolution du mariage de la mère est présumé avoir été conçu par l’ancien mari de celle-ci. La première présomption peut être combattue par la preuve contraire fournie par le mari de la mère (articles 1:199-200 CC; paragraphe 21 ci-dessous). La seconde peut l’être soit par la mère, soit par son ex-mari; celui-ci devra toutefois prouver son allégation, tandis que la mère peut se contenter d’une déclaration (article 1:198 CC; voir le paragraphe suivant). Aux termes de l’article 1:198 CC, "1. La mère peut, par déclaration faite devant l’officier de l’état civil, contester que l’enfant issu d’elle dans les 306jours de la dissolution du mariage soit celui de son mari, à condition qu’un autre homme reconnaisse l’enfant dans l’actequi est dressé de cette déclaration (...) La déclaration de la mère et la reconnaissance doivent avoir lieu dans l’année de la naissance de l’enfant. La déclaration [de la mère] et la reconnaissance n’ont d’effet que si la mère et l’homme qui reconnaît l’enfant semarient ensemble dans l’année de la naissance de l’enfant(...) Le passage en force de chose jugée d’un jugement annulant la reconnaissance à la demande de l’ex-époux emporte caducité de la déclaration de la mère. (...)" Dans son arrêt du 17 septembre 1993 (NJ 1994, no 373), la Cour suprême a privé l’article 1:198 par. 3 CC de son effet. Dans le cas en question - il s’agissait d’un enfant né dans la période de 306 jours suivant la dissolution du mariage de sa mère -, il fut établi, premièrement, qu’il existait entre l’enfant et son père biologique une relation entrant dans la notion de "vie familiale" de l’article 8 (art. 8) de la Convention et, deuxièmement, que la mère et le père biologique souhaitaient voir la paternité de l’ex-mari de la mère déniée et l’enfant reconnu par son père biologique, mais ne désiraient pas se marier. La Cour de cassation conclut que l’article 1:198 par. 3 CC constituait une "ingérence" au sens de l’article 8 (art. 8), dès lors qu’il faisait obstacle à l’émergence de liens légaux de parenté, sauf mariage de la mère et du père biologique. Pour décider si semblable immixtion était admissible au regard de l’article 8 par. 2 (art. 8-2), la Cour de cassation considéra qu’au moment de l’adoption de l’article 1:198 par. 3 CC, on avait jugé plus important d’empêcher qu’un enfant puisse perdre sa condition légitime plutôt que de lui permettre d’établir des liens avec son père biologique. Depuis lors, toutefois, l’importance relative de ces deux intérêts opposés avait changé; en particulier, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour européenne dans l’affaire Marckx c. Belgique (13 juin 1979, série A no 31), les différences légales entre enfants légitimes et enfants naturels avaient, dans une large mesure, disparu. Compte tenu de cette évolution, on ne pouvait plus dire que dans le cas où, aux fins de l’article 8 (art. 8) de la Convention, il y avait "vie familiale" entre l’enfant et son père biologique, le maintien de la condition d’enfant légitime l’emportait sur l’intérêt protégé par l’article 1:198 par. 3 CC. Aux termes de l’article 1:199 CC, "Le mari ne peut désavouer l’enfant que par une action en désaveu de paternité intentée contre la mère et contre l’enfant, lequel, sauf s’il est majeur, est représenté en la cause par un curateur ad litem, nommé par le juge de canton (kantonrechter)." L’article 1:200 CC dispose: "1. Le juge accueille l’action en désaveu de paternité si le mari ne peut pas être le père de l’enfant. Si, pendant la période légale de conception, le mari n’a pas eu de rapports avec la mère, ou si pendant cette période ils ont vécu séparés, le juge accueille également l’action, sauf si des faits sont établis qui rendent possible la paternité du mari." Pareille action doit être intentée dans les six mois du jour où le père a eu connaissance de la naissance de l’enfant; toutefois, si la mère a fait la déclaration prévue à l’article 1:198 CC (paragraphe 19 ci-dessus), ce délai n’expire que dix-huit mois après la naissance de l’enfant (article 1:203 CC). D’après l’article 1:205 CC, l’état d’enfant légitime résulte de la preuve de la filiation (afstamming) et du mariage des parents. A défaut d’acte de naissance, la filiation d’un enfant légitime se prouve par la possession paisible de l’état d’enfant légitime. Aux termes de l’article 1:221 par. 1 CC, "L’enfant illégitime a l’état d’enfant naturel (natuurlijkkind) de sa mère. Il obtient par reconnaissance l’état d’enfant naturel de son père." D’après l’article 1:222 CC, "L’enfant illégitime et ses descendants ont des liens légaux de parenté (familierechtelijke betrekkingen) avec la mère et ses parents par le sang, de même que, après reconnaissance de l’enfant, avec le père et ses parents par le sang." L’article 1:223 CC se lit ainsi: "La reconnaissance peut se faire: a) dans l’acte de naissance de l’enfant; b) par un acte de reconnaissance dressé par un officierde l’état civil; c) par tout acte notarié (notariële akte)." La loi n’exige pas que l’homme reconnaissant un enfant "illégitime" en soit le père biologique. De même, il n’est pas possible pour un homme de reconnaître un enfant "légitime", même s’il en est le père biologique. Une reconnaissance effectuée conformément à l’article 1:198 CC (paragraphe 19 ci-dessus) peut être annulée sur requête de l’ex-mari de la mère, si l’homme qui a reconnu l’enfant n’est pas celui qui l’a conçu (article 1:225 par. 3 CC). C. Adoption par un parent et un beau-parent de l’enfant (stiefouderadoptie) L’article 1:227 CC dispose: "1. L’adoption est prononcée par le tribunal à la requête d’un couple marié désireux d’adopter un enfant. La requête ne peut être accueillie que si, tant du point de vue de la rupture des liens avec les parents [naturels] que du point de vue de la confirmation des liens avec les adoptants ou - en cas d’adoption d’un enfant légitime ou naturel d’un des adoptants - tant du point de vue de la rupture des liens avec l’autre parent que du point de vue de la confirmation des liens avec le beau-parent, l’adoption est manifestement conforme à l’intérêt de l’enfant, et s’il a été satisfait aux conditions posées par l’article suivant. (...) (...)" L’article 1:228 CC énonce: "1. L’adoption est soumise aux conditions suivantes: a) (...) b) l’enfant ne doit pas être un enfant légitime ou naturel d’un enfant légitime ou naturel d’un des adoptants; c) chacun des adoptants doit avoir au moins dix-huit ans et au plus cinquante ans de plus que l’enfant; d) aucun des parents ayant avec l’enfant des liens légaux de parenté ne doit s’opposer à la demande. Néanmoins, le juge n’est pas tenu de rejeter celle-ci en cas d’opposition d’un parent déjà invité il y a plus de deux ans à s’exprimer sur une demande identique des mêmes époux qui a été rejetée alors cependant que les conditions fixées aux alinéas e) à g) étaient remplies; e) (...) f) (...) g) les parents adoptifs doivent s’être mariés au plus tard cinq ans avant le jour où la requête a été introduite. En cas d’adoption d’un enfant légitime ou naturel d’un des adoptants, les conditions visées sous les alinéas c) et g)du paragraphe précédent sont inapplicables. En cas d’adoption d’un enfant légitime d’un des adoptants, l’exigence de l’alinéa d) est remplacée par la condition que l’ex-époux quia avec l’enfant des liens légaux de parenté et dont le mariage avec l’époux du beau-parent a pris fin [par divorce ou dissolution après séparation judiciaire], ne s’oppose pas à la requête. (...)" Aux termes de l’article 1:229 par. 1 CC, "L’adoption confère à l’adopté l’état d’enfant légitime des parents adoptifs. Toutefois, lorsque l’adopté possédait déjà l’état d’enfant légitime à l’égard de l’un des époux qui l’ont adopté, il conserve cet état et l’adoption lui confère l’état d’enfant légitime de l’autre époux." PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Kroon, M. Zerrouk et Samir M’Hallem-Driss ont saisi la Commission le 15 mai 1991. Ils se plaignaient que le droit néerlandais ne leur permettait pas d’obtenir la reconnaissance de la paternité de M. Zerrouk à l’égard de Samir et qu’un homme marié pouvait désavouer un enfant né pendant le mariage, alors qu’une femme mariée n’avait pas de possibilité équivalente; ils invoquaient l’article 8 (art. 8) de la Convention considéré isolément et combiné avec l’article 14 (art. 14+8). S’appuyant sur l’article 13 (art. 13), ils prétendaient en outre qu’en ne constatant pas ces violations, la Cour de cassation les avait privés d’un recours effectif. Le 31 août 1992, la Commission a déclaré la requête (no 18535/91) recevable en ce qui concerne les griefs relatifs aux articles 8 et 14 (art. 8, art. 14), et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 7 avril 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis, par douze voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) pris isolément et, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu méconnaissance de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRÉSENTÉES À LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement conclut "qu’en l’espèce: - l’article 8 (art. 8) n’est pas applicable, ou- il n’a pas été violé, ou- la restriction aux droits consacrés par l’article 8 par. 1 (art. 8-1) était justifiée au regard de l’article 8 par. 2 (art. 8-2), et que- l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) n’a pas été violé".
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Citoyen espagnol, Me Pablo Casado Coca a son domicile à Valldoreitx, près de Barcelone, et son cabinet d’avocat dans cette dernière ville. Après son installation en 1979, il passa régulièrement des annonces publicitaires dans les pages "divers" de plusieurs journaux de Barcelone, ainsi que dans la Revue allemande d’Espagne (Revista alemana de España); en outre, il adressa à diverses entreprises des lettres proposant ses services. Le conseil de l’Ordre des avocats (Junta de Govern del Col.legi d’Advocats) de Barcelone engagea contre lui de ce fait, à quatre reprises, des poursuites disciplinaires qui débouchèrent en 1981 et 1982 sur des sanctions, à savoir deux blâmes et deux avertissements. Le requérant les attaqua par des recours internes, mais ne saisit pas les juridictions compétentes. A. La procédure ordinale A partir d’octobre 1982, des annonces concernant le cabinet de l’intéressé parurent dans le bulletin de l’Association de résidents et de propriétaires de Valldoreitx. Elles occupaient environ le tiers d’une page et indiquaient le nom du requérant, accompagné de la mention "juriste" (letrado), ainsi que ses adresse et numéro de téléphone professionnels. Le conseil de l’Ordre des avocats de Barcelone entama de ce chef une nouvelle instance disciplinaire contre Me Casado Coca qui reçut à nouveau, le 6 avril 1983, un avertissement écrit pour avoir enfreint l’interdiction de la publicité professionnelle (article 31 du décret royal no 2090/82 du 24 juillet 1982 portant statut général des avocats, paragraphe 22 ci-dessous). A la suite d’un recours hiérarchique du requérant, le conseil général des Ordres des avocats (Consejo general de la Abogacía) d’Espagne confirma la sanction le 3 juin 1983. Se référant à l’article 31 du statut général des avocats, tel que l’ont développé les règles pertinentes adoptées par l’Ordre des avocats de Barcelone (paragraphes 22, 24 et 27 ci-dessous), il estimait que, par leurs caractéristiques, les annonces en question débordaient les limites fixées. Il rappelait aussi que le requérant avait déjà fait l’objet récemment, pour le même motif, d’autres sanctions disciplinaires dont il fallait tenir compte pour se prononcer sur le recours. B. La procédure devant les juridictions compétentes L’intéressé saisit alors l’Audiencia Territorial de Barcelone. Il alléguait notamment que son annonce visait à informer le public et que l’avertissement violait l’article 20 de la Constitution, garantissant le droit à la liberté d’expression. Il dénonçait en outre une atteinte au principe de la légalité des délits et des peines, car les dispositions prohibant la publicité des avocats et prévoyant à cet égard des sanctions disciplinaires revêtaient un caractère réglementaire. Le tribunal le débouta le 11 mai 1987, estimant que l’annonce litigieuse constituait un moyen publicitaire et non une simple communication d’informations. Elle figurait à côté de messages similaires d’une auto-école et d’une résidence du troisième âge; elle sortait du cadre tracé par les normes ordinales, qui autorisent des annonces destinées, sans plus, à signaler une nouvelle installation ou un changement d’adresse, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le 23 septembre 1988, le Tribunal suprême rejeta le pourvoi de Me Casado Coca, refusant par la même occasion de saisir le Tribunal constitutionnel d’un recours d’inconstitutionnalité. Il écarta le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité en se référant à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel selon laquelle l’article 36 de la Constitution (paragraphe 18 ci-dessous) permet que la loi renvoie à un règlement la question du statut juridique des ordres professionnels et de l’exercice des professions. Il estima que l’article 20 ne protégeait pas la diffusion de messages publicitaires en tant que droit fondamental, car il ne s’agissait pas là d’exprimer des pensées, idées ou opinions, mais de signaler l’existence d’une activité professionnelle à but lucratif. Au surplus, l’interdiction de la publicité professionnelle des avocats visait des buts légitimes: la défense de la libre concurrence et des intérêts des clients. En pareil cas, le droit dont il s’agit pouvait subir des restrictions. C. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Le requérant introduisit ensuite un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Il alléguait à nouveau que l’établissement de sanctions administratives par la voie d’un décret constituait un manquement au principe de légalité consacré par la Constitution et que comme son annonce rapportait des informations véridiques (ses nom, domicile et numéro de téléphone), la sanction imposée violait l’article 20 de la Constitution. Le 17 avril 1989, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable. D’après lui, la sanction incriminée ne violait point le droit fondamental à communiquer des informations véridiques. Le but recherché par la publicité se rattachait à l’"exercice d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou professionnelle"; il consistait à "promouvoir directement ou indirectement la conclusion de contrats sur des biens meubles ou immeubles, des services, des droits ou obligations", tandis que le droit fondamental défini à l’article 20 par. 1 d) devait permettre aux citoyens de "former leurs convictions en pesant des opinions différentes et même opposées et en participant ainsi à la discussion sur des affaires publiques". L’interdiction de la publicité relative à des services professionnels ne méconnaissait pas le droit fondamental dont il s’agit. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions générales La Constitution de 1978 L’article 20 de la Constitution garantit le droit à la liberté d’expression: "1. Sont reconnus et protégés les droits a) à exprimer et diffuser librement les pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction; (...) d) à communiquer et recevoir librement des informations véridiques par tous les moyens de diffusion. Les droits à la clause de conscience et au secret professionnel sont réglementés par la loi. L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable. (...) Ces libertés trouvent leur limite dans le respect des droits reconnus dans le présent Titre, dans les dispositions des lois d’application et particulièrement dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance." L’article 25 consacre le principe de la légalité des délits et des peines: "1. Nul ne peut être condamné ou sanctionné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles se sont produites, ne constituaient pas un délit, une contravention ou une infraction administrative selon la législation alors en vigueur. (...)" L’article 36 traite des ordres professionnels: "La loi réglemente les particularités propres du statut juridique des ordres professionnels et l’exercice des professions exigeant un diplôme. La structure interne et le fonctionnement des ordres doivent être démocratiques." Selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, cet article n’interdit pas que la loi renvoie à un règlement administratif la fixation du statut juridique des ordres professionnels et l’exercice des professions (arrêts des 20 février et 24 septembre 1984). La Constitution déclare abrogées toutes les dispositions antérieures contraires. La loi 2/1974 sur les ordres professionnels Publiée au Journal officiel de l’État le 15 février 1974, la loi 2/1974 régit le fonctionnement et l’organisation des ordres des professions libérales. Son article 1er dispose: "Les Ordres professionnels sont des corporations de droit public, protégées par la loi et reconnues par l’État, dotées de la personnalité juridique et de la pleine capacité d’agir pour atteindre leurs objectifs." L’article 5 i) réserve aux ordres le soin de réglementer l’activité professionnelle de leurs membres, de veiller à l’éthique et à la dignité professionnelles et au respect des droits des particuliers, ainsi que d’exercer des pouvoirs disciplinaires dans les domaines professionnel et interne. A ces fins, les conseils généraux compétents adoptent les statuts généraux de chaque profession, qui sont approuvés par le gouvernement. Ces statuts définissent les droits et devoirs des membres et le régime disciplinaire. B. Dispositions particulières aux barreaux Le statut général des avocats d’Espagne a) Le régime applicable en l’espèce Le décret royal no 2090/82 portant statut général des avocats d’Espagne (Estatuto general de la Abogacía Española) fut publié au Journal officiel de l’État le 2 septembre 1982. Article 31 "Il est interdit aux avocats a) d’annoncer ou diffuser des renseignements sur leurs services, directement ou par le biais de moyens publicitaires, (...) ou d’émettre des avis gratuits dans des revues professionnelles ou autres moyens de diffusion, sans l’autorisation du conseil de l’Ordre; (...)" Les articles 107 à 112 régissent les pouvoirs disciplinaires des conseils des Ordres. Les sanctions peuvent faire l’objet de recours devant le conseil général des Ordres des avocats (article 96 par. 1), puis devant les juridictions compétentes (article 99). b) Le nouveau régime envisagé Lors de ses sessions des 5-6 mars, 21-22 mai et 25 juin 1993, l’Assemblée des bâtonniers d’Espagne a adopté un projet de nouveau statut général, soumis à l’approbation du gouvernement. En son article 31, il dispose: "1. Les avocats peuvent faire la publicité de leurs services et cabinets conformément à la législation en vigueur, au présent statut général et aux autres règles et décisions ordinales. La publicité, directe ou indirecte, des avocats et de leurs services, ainsi que la participation des premiers à des émissions de consultation juridique dans les media, sont soumises à certaines conditions. Les avocats doivent a) observer, outre la législation en vigueur sur la publicité, les dispositions spécifiques applicables à la profession d’avocat; b) avoir le souci de la vérité, de la rigueur et de l’exactitude, sans nuire à la publicité des autres avocats en l’imitant ou en prêtant à confusion avec elle, sans verser dans l’autodithyrambe, la comparaison avec leurs confrères ou leur dénigrement, sans faire état de leurs propres succès professionnels, de leur clientèle ni des conditions financières de leurs prestations; c) solliciter du conseil de l’Ordre des avocats compétent son autorisation préalable à la publicité envisagée, en précisant le contenu et les modalités de celle-ci. Le conseil de l’Ordre peut accorder l’autorisation, la subordonner à certaines modifications ou la refuser, dans tous les cas par une décision motivée pouvant être attaquée selon la procédure prévue aux articles 130 et suivants du présent statut et devant être communiquée à l’avocat demandeur trente jours au plus après sa demande, faute de quoi il y a accord tacite. Nonobstant ce qui précède, les avocats peuvent, sans communication préalable, a) utiliser un papier à en-tête indiquant leurs nom, profession et titres universitaires ou ceux de leurs associés, l’adresse, le numéro de téléphone et autres renseignements relatifs à leur cabinet, sous la forme habituelle au sein du barreau; b) apposer à l’extérieur de l’immeuble où le cabinet est installé ou bien qu’ils habitent, de même qu’à la porte de celui-ci ou à proximité, une enseigne ou une plaque signalant leur cabinet et ayant les dimensions et caractéristiques habituelles dans le ressort de l’Ordre; c) faire inscrire leur qualité d’avocat dans les annuaires de téléphone, télécopie, télex et autres; d) communiquer par lettre ou par voie de presse les changements d’adresse, de numéro de téléphone et autres données relatives à leur cabinet, toujours sous la forme habituelle au sein de l’Ordre dont ils relèvent; e) participer, en signalant leur qualité d’avocat, à des conférences et colloques, publier des articles dans la presse, spécialisée ou non, et faire des déclarations à la radio ou à la télévision. Les avocats qui prêtent leurs services, à titre permanent ou occasionnel, à des particuliers ou à des sociétés, doivent exiger de ceux-ci qu’ils s’abstiennent de toute publicité qui ne respecterait pas les dispositions du présent statut général. Le conseil de l’Ordre se prononce sur les cas prétendument douteux ou imprévus, ainsi que sur ceux d’infraction à une disposition régissant la publicité ou d’abus du droit découlant d’une règle du présent statut, et peut expressément interdire les pratiques qu’il juge contraires à l’esprit de celui-ci et sanctionner toute transgression de pareille interdiction." Les règles propres au barreau de Barcelone a) Le régime applicable en l’espèce i. Les statuts de l’Ordre des avocats de Barcelone, de 1947 A l’époque de la sanction infligée au requérant, les statuts de l’Ordre des avocats de Barcelone de 1947 (Estatutos del Colegio de Abogados de Barcelona) se trouvaient encore en vigueur. Leur article 18 interdisait purement et simplement toute publicité aux avocats en ces termes: Article 18 "Il est interdit aux avocats de publier des annonces relatives à l’exercice de leur profession comme moyen de publicité ou de propagande." ii. La décision du 24 février 1981 Considérant l’interdiction de la publicité comme une importante disposition de la déontologie professionnelle, le conseil de l’Ordre des avocats de Barcelone adopta le 24 février 1981 une décision sur "les avocats et la publicité" (Acord sobre "Els advocats i la publicitat"). Elle prévoyait notamment: "1. Principe général Toute activité publicitaire personnelle, directe ou indirecte, visant à attirer la clientèle est interdite aux avocats. (...) Annonces autorisées Les avocats peuvent publier des annonces de dimensions modestes dans la presse quotidienne locale pour faire part de l’installation de leur cabinet ou de modifications de composition, adresse, numéro de téléphone ou de télex. Les dimensions et le contenu des annonces doivent être approuvés préalablement par le conseil de l’Ordre. Elles ne peuvent paraître plus de trois fois pendant une période maximale de deux mois. (...) Annuaires professionnels Les avocats peuvent procéder à la publication de leurs nom, domicile, numéro de téléphone et de télex, avec une brève indication du type de services professionnels proposés, dans des annuaires professionnels à condition que tous les avocats aient les mêmes possibilités d’accès à ceux-ci. (...)" b) Le régime ultérieur i. Les statuts de l’Ordre des avocats de Barcelone, de 1985 De nouveaux statuts de l’Ordre des avocats de Barcelone (Estatuts del Il.lustre Col.legi d’Advocats de Barcelona) ont paru au Journal officiel de Catalogne le 5 juin 1985. D’après leur article 19, "1. Toute activité publicitaire personnelle visant à obtenir directement ou indirectement de la clientèle est interdite aux avocats. Il leur est également interdit de donner leur consentement exprès ou tacite à toute forme de publicité qui leur serait proposée. L’interdiction porte aussi bien sur la publicité orale que sur la publicité écrite ou graphique sous toutes ses formes et modalités. Elle porte également sur la publicité par le biais d’émissions de radio ou de télévision. (...) Le conseil de l’Ordre peut adopter des normes destinées à compléter la matière couverte par le présent article." Le manquement aux dispositions des statuts constitue une faute grave ou légère, selon les cas, et peut faire l’objet de sanctions (articles 94-96 des statuts). ii. La décision du conseil de l’Ordre des avocats de Barcelone, de 1985 Le 5 février 1985, le conseil de l’Ordre modifia les règles prévues dans sa décision de 1981 (paragraphe 25 ci- dessus), en interdisant aux avocats d’adresser aux media des communiqués de presse impliquant une publicité personnelle. iii. Les normes adoptées en 1991 par le conseil des Ordres des avocats de Catalogne Le 4 juillet 1991, le conseil des Ordres des avocats de Catalogne (Consell dels Col.legis d’Advocats de Catalunya) a adopté de nouvelles normes sur la publicité. Elles abrogent les dispositions antérieures figurant dans les statuts et les décisions des Ordres des avocats de la région (article 6). Leur exposé des motifs indique: "La publicité par les avocats est traditionnellement considérée comme peu compatible avec l’éthique professionnelle. Toutefois, il est évident que la publicité, à condition de ne pas dépasser certaines limites, ne porte point atteinte aux principes essentiels de la déontologie de la profession: probité et indépendance. Aujourd’hui l’information est l’un des fondements des pays démocratiques et un droit des usagers. (...)" Leurs articles 2 et 3 opèrent une distinction en la matière: "Article 2 Publicité autorisée Un avocat peut: (...) b) publier des documents, circulaires ou articles sur des sujets juridiques y compris dans la presse non spécialisée en droit, en les signant et en indiquant sa qualité d’avocat; c) avoir accès aux media en donnant son avis personnel sur des sujets présentant un intérêt pour l’opinion publique ou sur des affaires dans lesquelles il intervient en tant qu’avocat, en veillant toujours à sauvegarder le secret professionnel; d) éditer des brochures explicatives concernant les caractéristiques du cabinet, les avocats qui y travaillent et les matières traitées. Cette publicité doit être préalablement approuvée par le conseil de l’Ordre. Un avocat peut éditer aussi des circulaires d’information sur des matières juridiques. Les brochures et circulaires visées au présent paragraphe peuvent être diffusées seulement parmi les clients de l’avocat et non parmi les tiers; (...)." "Article 3 Publicité non autorisée L’avocat ne peut faire un autre type de publicité que celui autorisé par l’article précédent. Il ne peut en particulier: a) faire la publicité de ses services en signalant ses succès professionnels, en citant le nom de ses clients, en se comparant à d’autres avocats ou en permettant que d’autres personnes agissent de la sorte sans s’y opposer; b) envoyer des brochures, circulaires ou autres documents ou proposer ses services en dehors de sa clientèle; (...) e) faire de la publicité dans la presse, la radio ou la télévision à l’exception de celle autorisée par l’article 2." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Me Casado Coca a saisi la Commission le 25 mai 1989. Il alléguait plusieurs violations de la Convention: a) de l’article 7 (art. 7), en ce que le régime disciplinaire des barreaux d’Espagne obéissait à un décret et non à une loi; b) de l’article 10 (art. 10), car le conseil de l’Ordre des avocats de Barcelone lui avait infligé un avertissement pour avoir publié une annonce dans un bulletin d’information locale; c) de l’article 4 par. 2 (art. 4-2), faute pour les avocats espagnols de pouvoir choisir une spécialisation professionnelle; d) de l’article 14 combiné avec l’article 10 (art. 14+10), dans la mesure où les membres d’autres professions libérales jouiraient de possibilités plus larges en matière de publicité professionnelle. Le 2 décembre 1991, la Commission a retenu la requête (no 15450/89) quant au grief relatif à l’article 10 (art. 10); elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 1er décembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut par neuf voix contre neuf, avec la voix prépondérante du président, à la violation de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis, ainsi que des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 13 juillet 1993, le Gouvernement invite la Cour à juger "- que la présente affaire n’entre pas dans le champ d’application de l’article 10 (art. 10); - et que, si l’on applique l’article 10 (art. 10) dans la présente affaire, le Royaume d’Espagne n’a pas manqué à ses obligations découlant de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité finlandaise, M. Stjerna réside à Helsinki. Le 28 mars 1989, il demanda à la préfecture (lääninhallitus, länsstyrelsen) d’Uusimaa l’autorisation de changer son nom de famille Stjerna (prononcé "Cherna") en celui de "Tawaststjerna". Il affirmait que ses ancêtres avaient employé le patronyme envisagé et que lui et d’autres membres de la famille Stjerna avaient toujours ressenti comme une injustice d’avoir à porter la moitié du nom original. En outre, l’usage de son patronyme créerait des difficultés pratiques car, ancienne forme suédoise, il serait peu courant et difficile à prononcer, de sorte qu’il serait souvent mal orthographié (par exemple, "Stjärna", "Säärna", "Saarna", "Seerna", "Sierna", "Tierna" et "Stjerba"). Dans un avis du 19 avril 1989 soumis à la préfecture, le comité consultatif sur les noms (nimilautakunta, nämnden för namnärenden) s’opposa à ce changement. Le requérant n’aurait pas démontré que le nom qu’il souhaitait adopter eût été porté par ses aïeux, car celui en question, M. Fredrik Stjerna, était né hors mariage. Les ancêtres cités étaient trop éloignés dans le temps pour répondre aux conditions de l’article 10 par. 2 de la loi de 1985 sur les patronymes (sukunimilaki 694/85, släktnamnslagen 694/85, paragraphe 17 ci-dessous). Au cours d’un échange de vues avec le comité consultatif sur les noms, le 14 juin 1989, le requérant fit savoir que son nom lui avait valu d’être affublé du sobriquet "kirnu" en finnois, dérivé du mot suédois "kärna" ("baratte"). En outre, selon lui, son lien de parenté éloignée avec ces ancêtres ne pouvait constituer un motif de refuser le changement de son patronyme. Renvoyant à un rapport généalogique, il contestait l’allégation selon laquelle M. Magnus Fredrik Tawaststjerna n’était pas le père de M. Fredrik Stjerna. Le 25 octobre 1989, le comité consultatif sur les noms préconisa une fin de non-recevoir à la demande; il jugeait le nom envisagé inopportun. Bien que M. Stjerna eût avancé à l’appui de sa requête un argument valable - le caractère obscur de son nom - et descendît d’un certain Tavaststjerna, son ancêtre, décédé en 1773, était très éloigné et le nom proposé pouvait entraîner des inconvénients analogues à ceux de son nom actuel. Le 21 novembre 1989, l’intéressé signala au comité consultatif sur les noms que son patronyme étant mal orthographié, la remise de son courrier se trouvait retardée. Afin de se conformer à l’orthographe recommandée par un membre du comité, il demanda que son nom fût changé en "Tavaststjerna" (et non plus Tawaststjerna). Le 12 février 1990, la préfecture écarta, par application de l’article 10 par. 2 de la loi sur les patronymes, la demande du requérant. Elle n’était pas convaincue que le nom proposé eût été porté par les ancêtres de l’intéressé de façon "constante", car le premier à avoir répondu à son nom actuel était né hors mariage. Comme le nom souhaité avait été employé par des ancêtres très éloignés, il ne serait pas opportun que l’intéressé changeât son patronyme pour le leur. Le requérant attaqua la décision de la préfecture devant la Cour suprême administrative (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen); le 14 novembre 1990, celle-ci la confirma par quatre voix contre une. Elle nota que, d’après les pièces du dossier, l’ancêtre du requérant, M. Fredrik Stjerna, né en 1764, était le fils illégitime de M. Magnus Fredrik Tavaststjerna. Rien que pour cette raison, le nom envisagé ne pouvait être considéré comme ayant appartenu aux ancêtres du demandeur de manière "constante" comme le voulait l’article 10 par. 2 de la loi sur les patronymes. Cela étant et compte tenu des motifs indiqués par la préfecture, il n’y avait aucune raison de modifier la décision de celle-ci. Pour la minorité, le nom Tavaststjerna avait appartenu de manière "constante" aux ancêtres de l’intéressé. Le fait que Fredrik Stjerna, le premier de ses ancêtres à s’appeler Stjerna, était né hors mariage n’entrait pas en ligne de compte. Eu égard aux désagréments que son nom de famille actuel causait à l’intéressé, il y avait lieu de casser la décision de la préfecture et de renvoyer l’affaire à celle-ci. D’après le Gouvernement, un guide des patronymes finlandais paru en 1984 dresse la liste de quelque 7 000 noms tombés en désuétude et, en outre, de quelque 2 000 noms tirés de substantifs et noms de lieux finlandais. II. LÉGISLATION INTERNE PERTINENTE ET DROIT COMPARÉ A. La législation finlandaise Changements de nom L’article 10 de la loi sur les patronymes disposait qu’une personne pouvait être autorisée à changer de nom de famille si elle était en mesure de démontrer: "1. que l’usage de son nom patronymique actuel lui caus[ait] des désagréments en raison de son origine étrangère, de sa signification dans le langage courant, de son usage courant ou pour toute autre raison; que le nom de famille proposé [avait] été porté antérieurement par elle-même ou, de manière constante (vakiintuneesti, hävdvunnen), par ses ancêtres, et sous réserve que le changement [pût] être considéré comme opportun; ou que le changement de nom de famille [pouvait] passer pour justifié du fait que la situation [avait] évolué ou pour toute autre raison particulière." L’article 11 de la loi de 1985 renfermait des dispositions sur les obstacles d’ordre général aux changements de patronyme. Ne pouvait être admis comme nouveau nom un patronyme qui aurait été déplacé ou qui, à l’usage, aurait pu être source de désagréments évidents. Sauf circonstances particulières, il ne pouvait s’agir d’un nom qui, en raison de sa forme ou de son orthographe, était incompatible avec la pratique nationale en matière de nom (paragraphe 1); d’un nom très souvent porté comme patronyme (paragraphe 2) ou d’un nom servant couramment de prénom (paragraphe 3). Ne pouvait être admis comme nouveau patronyme un nom notoirement porté par une famille finlandaise ou étrangère déterminée, sauf motifs particuliers (article 12 par. 1). En vertu de l’article 13 par. 2, alinéa 1 (qui renfermait des dispositions sur "les motifs particuliers pour autoriser l’adoption d’un nouveau patronyme"), l’adoption d’un nouveau patronyme ne remplissant pas les conditions énoncées aux articles 11 par. 2 ou 12 pouvait néanmoins être autorisée si le demandeur pouvait prouver que le patronyme envisagé avait été légalement porté auparavant par lui ou ses ancêtres. Si, après avoir recueilli l’avis du comité consultatif sur les noms, la préfecture ne constatait aucun motif au regard des articles 10 à 13 d’écarter une demande de changement de patronyme, la demande était publiée au Journal officiel (article 18). Quiconque prétendait qu’un changement de nom de famille serait incompatible avec l’article 12 et porterait atteinte à ses droits pouvait, en vertu de l’article 19, faire opposition à la demande devant la préfecture dans les trente jours de la publication susvisée. Une opposition formée au-delà de ce délai pouvait, sauf si la question était déjà tranchée, être prise en compte lors de l’examen de la requête. En cas de rejet de la demande, la préfecture devait motiver sa décision (article 20 par. 2). La décision relative à une demande de changement de patronyme devait être notifiée au demandeur et à quiconque avait formé opposition en application de l’article 19 (article 21) et l’un comme l’autre pouvaient l’attaquer (article 22) devant la Cour suprême administrative. En 1991, la loi 253/91 a incorporé les dispositions relatives aux prénoms à la loi de 1985 sur les patronymes, qui s’intitule désormais la loi sur les noms (nimilaki, namnlagen). Enregistrement de la population L’enregistrement de la population s’opérait au niveau national et local. Il était géré, au niveau national, par le service central de l’état civil (chapitre 3, article 8, de la loi de 1970 sur les registres d’état civil - västökirjalaki 141/69, lag 141/69 om befolkningsböcker) et, au niveau de la commune, par les paroisses évangéliques-luthériennes et orthodoxes ou, lorsque l’intéressé n’était membre d’aucune de ces paroisses, par le bureau local de l’état civil (chapitre 2, articles 3, 6 et 26). Sur le registre d’état civil national, mis à jour cinq fois par semaine, figuraient les nom et numéro d’identité personnel de chaque individu ainsi que d’autres données qui permettaient de retrouver les nom et adresse d’une personne à l’aide de l’informatique, même si son nom ou son numéro d’identité n’étaient pas consignés au registre. Seuls les pouvoirs publics y avaient un accès direct (voir Le système d’information de l’état civil finlandais, Journée internationale de l’état civil, publié en 1992 par la Commission internationale de l’état civil). Le centre attribuait un numéro d’identité personnel à toute personne enregistrée; ce numéro se composait de la date de naissance de l’intéressé, d’un numéro individuel et d’un numéro de contrôle (articles 4 et 5 du décret de 1970 sur les registres d’état civil - väestökirja- asetus 198/70, förordning 198/70 om befolkningsböcker). Dès que la préfecture ou, en appel, la Cour suprême administrative autorisaient un changement de nom, elles communiquaient le nouveau nom au centre (article 8 par. 1 du décret de 1991 sur les noms (nimiasetus 254/91, namnförordning 254/91)). L’autorité qui avait permis le changement de nom devait être précisée dans le registre (article 7 par. 4 du décret de 1970). Depuis le 1er novembre 1993, la loi de 1970 et le décret de 1970 sont remplacés par la loi de 1993 sur les données démographiques (väestötietolaki 507/1993, befolkningsdatalag 507/1993) et le décret de 1993 sur les données démographiques (väestötietoasetus 886/1993, befolkningsdataförordning 886/1993). B. Droit comparé Les législations régissant les noms dans les douze Etats membres de la Commission internationale de l’état civil, tous membres du Conseil de l’Europe, soumettent à plusieurs conditions la possibilité pour une personne de changer de nom. En Belgique, au Portugal et en Turquie, n’importe quel motif peut être avancé à l’appui d’une demande de changement de nom. En France, en Allemagne, au Luxembourg et en Suisse, il faut des motifs convaincants. Dans certains pays, il faut des raisons précises: par exemple, le nom actuel est difficile à prononcer ou à orthographier (Autriche), cause à l’intéressé des difficultés d’ordre juridique ou social (Autriche et Grèce); il est contraire à la bienséance (Pays-Bas et Espagne), est ridicule (Autriche, Italie et Pays-Bas) ou est par ailleurs contraire à la dignité de la personne concernée (Espagne) (Guide pratique international de l’état civil, Paris). Le changement de nom est transcrit dans les registres d’état civil, à la demande de l’intéressé (Belgique et France) ou d’une autorité publique (France), ou automatiquement (dans les dix autres Etats membres de la Commission internationale). Le droit anglais autorise chacun à choisir le nom qu’il veut et à l’utiliser sans aucune restriction ou formalité, sauf pour l’exercice de quelques professions (Halsbury’s Laws of England, 4e édition, vol. 35, paras. 1173-1176). Le nouveau nom est valable aux fins de l’identité juridique, on peut s’en servir dans des documents officiels et il figure sur la liste électorale (arrêt Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990, série A no 184, p. 9, par. 16). Les extraits d’état civil ou des papiers d’identité équivalents ne sont ni en usage ni exigés au Royaume-Uni (ibidem, par. 17). La quasi-absence en droit anglais de formalités régissant les changements de nom ne s’est toutefois pas traduite par un grand nombre de changements de la sorte (Margaret Killerby, "Précisions sur le droit anglais du nom", pp. 183-184, dans La nouvelle loi sur le nom, Paris, 1988). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 11 mars 1991 (no 18131/91) à la Commission, M. Stjerna alléguait que le refus opposé par les autorités finlandaises à sa demande de changement de patronyme portait atteinte au droit au respect de sa vie privée garanti par l’article 8 (art. 8) de la Convention. Il invoquait aussi l’article 14 (art. 14) (droit à la non-discrimination). La Commission a retenu la requête le 29 juin 1992. Dans son rapport du 8 juillet 1993 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis qu’il n’y a eu violation ni de l’article 8 (art. 8) (douze voix contre neuf) ni de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 25 mai 1994, le Gouvernement a invité la Cour à dire que, comme il l’avait soutenu dans son mémoire, il n’y a pas eu violation de la Convention en l’espèce. Le requérant a confirmé les arguments exposés dans son mémoire, à savoir que les faits de la cause emportent violation de l’article 8 (art. 8) pris isolément et combiné avec l’article 14 (art. 14+8). Il a aussi réitéré sa demande de réparation au titre de l’article 50 (art. 50).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen français, M. Michel Bendenoun a son domicile à Zurich (Suisse) et exerce la profession de courtier-numismate. Le 1er juillet 1973, il créa une société anonyme de droit français, ARTSBY 1881, dont le siège se trouvait à Strasbourg et qui entendait se livrer au commerce de monnaies anciennes, d’objets d’art et de pierres précieuses. Il en possédait l’essentiel du capital social (993 actions sur 1 000) et y remplissait les fonctions de président-directeur général. Ses activités lui valurent trois procédures - douanière, fiscale et pénale - qui cheminèrent plus ou moins parallèlement. A. La procédure douanière Entre le 3 juin et le 26 septembre 1975, la Direction nationale des enquêtes douanières (rayon de Belfort) effectua un contrôle des importations d’ARTSBY 1881; elle agissait au vu de renseignements fournis par un informateur anonyme. L’enquête comporta principalement des interrogatoires de M. Bendenoun et des saisies de documents (3-6 juin), l’interrogatoire de clients (6 juin), l’audition des salariés et anciens salariés ainsi que d’un expert (8-17 septembre) et l’interpellation de l’intéressé à Metz (26 septembre). Les éléments ainsi recueillis entraînèrent l’ouverture de poursuites contre le requérant pour diverses infractions douanières et de change. Une transaction intervint cependant le 6 janvier 1978: M. Bendenoun reconnaissait lesdites infractions et payait une amende de 300 000 francs français (f) tandis que les douanes lui restituaient les objets saisis. Au cours de la procédure en cause, le requérant eut accès à toutes les pièces du dossier douanier, soit vingt-quatre procès-verbaux et trois cent cinquante-trois documents. La liste des procès-verbaux s’établissait ainsi: - no 73/1: interpellation de M. Bendenoun (Strasbourg, 3 juin 1975); - no 73/2: visites dans les locaux d’ARTSBY 1881 et au domicile de M. Bendenoun, avec audition de ce dernier (Strasbourg, 3 juin); - no 73/3: interpellation d’un salarié d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin); - no 73/4: interpellation d’un salarié d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin); - no 73/5: pose de scellés sur un coffre bancaire (Strasbourg, 3 juin); - no 73/6: interpellation d’une salariée d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 3 juin); - no 73/7: ouverture du coffre bancaire (Strasbourg, 4 juin); - no 73/8: saisie de monnaies anciennes, d’espèces et d’une voiture (Strasbourg, 4 juin); - no 73/9: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 4 juin); - no 73/10: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 6 juin); - no 73/11: audition de M. Bendenoun (Strasbourg, 6 juin); - no 73/12: audition d’un client d’ARTSBY 1881 (Pfastatt, 6 juin); - no 73/13: audition d’un client d’ARTSBY 1881 (Colmar, 6 juin); - no 73/14: audition d’une salariée d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 8 septembre); - no 73/15: audition d’un client d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 8 septembre); - no 73/16: audition d’une ancienne salariée d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 10 septembre); - no 73/17: audition d’une ancienne salariée d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 10 septembre); - no 73/18: audition d’un expert-numismate (Paris, 15 septembre); - no 73/19: audition d’un ancien représentant d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 17 septembre); - no 73/20: audition d’un ancien président d’ARTSBY 1881 (Strasbourg, 24 septembre); - no 73/21: interpellation et audition de M. Bendenoun (Metz, 26 septembre); - no 73/22: audition d’un représentant d’ARTSBY 1881 (Metz, 26 septembre); - no 73/23: audition de M. Bendenoun (Metz, 26 septembre); - no 73/24: audition d’un témoin (Metz, 26 septembre). M. Bendenoun avait reçu une copie de huit d’entre eux (nos 73/1, 73/2, 73/8, 73/9, 73/10, 73/11, 73/21 et 73/23). Quant aux trois cent cinquante-trois documents, ils se composaient d’un cahier intitulé "Contrôle des factures" (scellé no 1), saisi le 3 juin 1975 dans les locaux d’ARTSBY 1881, et de factures et certificats d’expertise (scellés nos 2 à 353), saisis le même jour au domicile du requérant. A une date antérieure, selon le Gouvernement, au 31 août 1976, les douanes communiquèrent au fisc leur dossier par application de l’article 1987 du code général des impôts (devenu, le 1er janvier 1982, l’article L 83 du livre des procédures fiscales). B. La procédure fiscale Devant l’administration des impôts Du 31 août au 28 septembre 1976, la direction des services fiscaux du Bas-Rhin procéda au contrôle de la comptabilité d’ARTSBY 1881. Le 30 novembre 1976, le vérificateur envoya au président-directeur général de la société deux notifications de redressement, l’une pour l’impôt sur les sociétés et l’autre pour la taxe sur la valeur ajoutée. Elles décrivaient en détail sa méthode de reconstitution des recettes non comptabilisées; il les confirma le 4 avril 1977 après avoir reçu les observations de l’intéressé. Le même jour, il expédia en outre à ce dernier une notification de redressement relative à l’impôt sur le revenu; il la confirma le 11 mai 1977. Le redressement se montait, pour le requérant, à 841 366 f, dont 422 534 f de pénalités. Pour la société, les impositions supplémentaires et les pénalités s’élevaient à 157 752 f et 309 738 f du chef de la taxe sur la valeur ajoutée, à 270 312 f et 260 660 f en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés. Le vérificateur établit alors un rapport de dix-neuf pages en conclusion duquel il demandait l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant, lesquelles furent engagées le 30 novembre 1977 (paragraphe 25 ci-dessous). Le 6 décembre 1977, ARTSBY 1881, représentée par son président-directeur général, formula deux réclamations auprès du directeur régional des impôts de Strasbourg, au titre de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée. M. Bendenoun en introduisit une troisième, en son nom propre, relative à l’impôt sur le revenu. Le directeur régional rejeta les deux premières le 20 avril 1978 et la troisième le 3 avril 1979. Devant les juridictions administratives a) Le tribunal administratif de Strasbourg Le 16 juin 1978, M. Bendenoun adressa au tribunal administratif de Strasbourg, pour le compte d’ARTSBY 1881, deux requêtes concernant l’impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée. Le 7 juin 1979, il saisit la même juridiction, en son nom propre cette fois, d’une autre requête contestant l’imposition supplémentaire de son revenu. En annexe à ses deux mémoires du 5 avril 1979, le directeur régional des impôts produisit quatre procès-verbaux établis par les douanes (nos 73/9, 73/10, 73/16 et 73/17 - paragraphe 10 ci-dessus) et deux lettres d’ARTSBY 1881, du 30 mai 1975 et de juin 1976. Le 29 mai 1979, le conseil du requérant envoya au président du tribunal deux lettres rédigées en termes identiques: "Par notification du 17 avril 1979, vous avez bien voulu me transmettre le mémoire en défense de M. le directeur régional des impôts, du 5 avril 1979. Ce mémoire se réfère à plusieurs reprises à un dossier ouvert à l’encontre de M. Michel Bendenoun, P.-D.G. [président- directeur général] de la société ARTSBY, par l’administration des douanes. Il est produit en annexe au mémoire de l’administration six documents issus de ce dossier. Or, il apparaît indispensable que la totalité du dossier soit communiquée au tribunal et au soussigné. En effet, l’enquête des douanes a été extrêmement volumineuse, et un certain nombre de procès-verbaux, dont l’administration s’abstient d’évoquer l’existence, ont un intérêt direct pour le présent litige. (...)" Le 29 juin 1979, le président du tribunal écrivit en ce sens au procureur de la République de Strasbourg: "Pour les besoins de l’instruction de dossiers fiscaux concernant la S.A. [société anonyme] ARTSBY, je vous serais obligé de bien vouloir produire au tribunal administratif le dossier ouvert à l’encontre de M. Bendenoun, président- directeur général de ladite société. Un certain nombre de procès-verbaux ont en effet un intérêt direct [pour] le présent litige. Or la Direction nationale des enquêtes douanières m’informe que le dossier en question vous a été communiqué le 15 avril 1978 (...)" Par un courrier du 11 juillet 1979, le procureur répondit ainsi: "(...) il ne m’est pas possible de vous transmettre le dossier d’information ouvert à l’encontre de Michel Bendenoun du chef de fraudes fiscales. Je me permets de vous indiquer que l’administration fiscale s’est constituée partie civile et qu’ayant ainsi accès à la procédure, elle peut, si elle l’estime opportun, en solliciter la copie. (...)" Le 19 juillet 1979, l’avocat de l’intéressé écrivit derechef au président du tribunal: "(...) (...) [ma] demande tendait à obtenir communication non point du dossier de fraude fiscale, mais d’un dossier douanier, qui ne fait l’objet d’aucune information au niveau du parquet de Strasbourg, puisqu’une transaction est intervenue entre M. Bendenoun et l’administration des douanes. (...) J’ajoute que la demande de communication est faite à ma requête et non à celle de l’administration des impôts, puisque précisément celle-ci invoque des passages de l’enquête douanière, alors que seule la communication de l’intégralité du dossier douanier serait de nature à permettre à M. Bendenoun de formuler utilement des observations." Le 9 décembre 1980, l’avocat de M. Bendenoun adressa une nouvelle lettre au président du tribunal: "(...) A ce jour, il ne m’a pas (...) été possible de prendre connaissance du dossier douanier. Or, l’administration évoque certains procès-verbaux, dans une masse importante de procès-verbaux. Je vous serais donc obligé de me faire savoir dans quelles conditions il m’est possible de prendre connaissance du dossier intégral de l’administration des douanes. Et de bien vouloir, par ailleurs, prolonger le délai qui m’a été accordé pour présenter des observations jusqu’à ce que le dossier douanier ait pu être mis à ma disposition, ainsi que cela avait été demandé dès 1979." Le président du tribunal envoya au procureur de la République un courrier daté du 30 décembre 1980 et ainsi rédigé: "Pour les besoins de l’instruction de dossiers fiscaux concernant la S.A. ARTSBY, je vous serais obligé de bien vouloir produire au tribunal administratif les pièces relatives au dossier douanier contenu dans l’information ouverte à l’encontre de M. Bendenoun, président-directeur général de ladite société. Ce dossier douanier a, en effet, un intérêt direct [pour] le litige d’ordre fiscal dont la juridiction administrative est également saisie." La demande demeura sans suite. Le 30 novembre 1981, le tribunal administratif rendit trois jugements par lesquels il rejetait les requêtes introduites par ARTSBY 1881 et M. Bendenoun. Il ne mentionnait pas les décisions rendues en l’espèce par les juridictions répressives (paragraphes 28 et 30 ci-dessous). b) Le Conseil d’État Le 1er mars 1982, M. Bendenoun interjeta appel des trois jugements devant le Conseil d’État; il agissait en son nom propre et au nom d’ARTSBY 1881. Dans des mémoires complémentaires déposés le 1er juillet 1982, il formula le grief suivant: "L’administration fiscale, bien qu’elle ait largement utilisé les éléments du dossier douanier qui lui paraissaient démontrer le bien-fondé des redressements litigieux tout en laissant de côté ceux qui d’évidence auraient permis leur annulation, a sciemment décidé de ne pas répondre aux demandes de l’exposant tendant à la communication de l’intégralité de ce dossier douanier. (...) Le respect du principe de la contradiction exclut que soit admise une argumentation qui ne peut pas être connue de l’adversaire et qui dès lors ne peut être utilement discutée par lui." Le Conseil d’État repoussa les recours par trois arrêts du 28 mai 1986. Celui d’entre eux qui concernait la taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er juillet 1973 au 31 décembre 1975 (no 40482) était ainsi motivé: "Sur la régularité du jugement attaqué: Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société requérante a été mise à même de prendre connaissance de toutes les pièces figurant au dossier et de nature à avoir une influence sur la solution du litige, y compris les procès-verbaux de constat du service des douanes établissant l’existence de recettes dissimulées; que, dès lors, le moyen tiré de ce que faute pour la société anonyme ‘ARTSBY 1881’ d’avoir pu prendre connaissance, au cours de la procédure de première instance, de l’ensemble des pièces du dossier établi par le service des douanes, le jugement attaqué serait irrégulier, doit être écarté; Sur la régularité de la procédure d’imposition et la charge de la preuve: Considérant qu’il résulte de l’instruction que le service des douanes a saisi en juin 1975 au domicile de M. Bendenoun, président-directeur général et, à partir de 1974, détenteur de la quasi-totalité du capital social de la société anonyme ‘ARTSBY 1881’ dont l’objet est le commerce de pièces de monnaies anciennes, des factures d’un montant de 1 676 710 f; qu’il ressort des constatations matérielles faites par la cour d’appel de Colmar, dans un arrêt en date du 13 mai 1981, rendu en matière pénale et devenu définitif, constatations auxquelles s’attache l’autorité absolue de la chose jugée, que M. Bendenoun, ‘qui ne disposait pas de moyens financiers suffisants pour effectuer à titre personnel’ les transactions retracées par les factures saisies à son domicile, a ‘dans le but même de soustraire une partie des recettes de la société à l’impôt, délibérément décidé d’occulter environ 25 % du chiffre d’affaires de la personne morale en omettant de le passer dans la comptabilité sociale et en prenant soin de conserver les copies des factures correspondantes à son domicile (...)’; que ces constatations établissent que la comptabilité de la société anonyme ‘ARTSBY 1881’ n’était pas probante; que, dès lors, l’administration a pu légalement rectifier d’office le montant du chiffre d’affaires de la société anonyme ‘ARTSBY 1881’ pour la période du 1er juillet 1973 au 31 décembre 1974; qu’il appartient, par suite, à la société d’apporter la preuve que les bases retenues par l’administration pour l’établissement des impositions contestées ont été surévaluées; Sur le montant des impositions: (...) Sur les pénalités: Considérant que la société requérante a entendu se soustraire, par l’organisation systématique de dissimulations, au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée sur des opérations auxquelles elle s’est livrée en 1974 et 1975; que c’est, dès lors, à bon droit que l’administration l’a regardée comme s’étant rendue coupable de manoeuvres frauduleuses et a, par suite, appliqué au principal des droits la majoration de 200 % prévue par les dispositions combinées des articles 1729 et 1731 du code général des impôts." Les deux autres arrêts (nos 40480 et 40481) reposaient sur les mêmes motifs. C. La procédure pénale L’instruction Par deux requêtes du 30 novembre 1977, la direction des services fiscaux du Bas-Rhin porta plainte contre M. Bendenoun auprès du parquet de Strasbourg. Elle versait à l’appui une série de pièces. Le 3 mars 1978, le juge d’instruction chargea la police judiciaire de lui procurer le dossier douanier. Reçu le 19 avril 1978, ce dernier comprenait les copies des vingt-quatre procès-verbaux, le scellé no 1 établi par les fonctionnaires de la Direction nationale des enquêtes douanières et les 352 autres scellés placés dans un classeur cartonné. Il resta au tribunal pendant toute l’instruction et le conseil du prévenu y eut accès lors de chaque interrogatoire (12 janvier 1978, 8 février 1978 et 12 février 1980), puis avant les débats. Le 21 mai 1980, le procureur de la République requit le renvoi en jugement de M. Bendenoun. La procédure de jugement a) Le tribunal correctionnel de Strasbourg Le 21 novembre 1980, le tribunal correctionnel de Strasbourg rendit deux jugements (nos 6776/80 et 6780a/80) à l’encontre de l’inculpé, l’un en sa qualité de président-directeur général d’ARTSBY 1881 (impôt sur les sociétés et taxe sur la valeur ajoutée) et l’autre en son nom propre (impôt sur le revenu). Chacun d’eux lui infligeait pour fraude fiscale quinze mois d’emprisonnement avec sursis, les deux peines étant confondues et assorties d’une contrainte par corps d’un an. b) La cour d’appel de Colmar Le condamné attaqua lesdits jugements devant la cour d’appel de Colmar. Dans ses observations, il se plaignit de ce que les pièces relatives à la procédure douanière ne figuraient plus au dossier. Par deux arrêts du 13 mai 1981 (nos 615/81 et 616/81), la cour, statuant en chambre correctionnelle, confirma les décisions entreprises et condamna en outre M. Bendenoun à 30 000 f d’amende. Dans le premier d’entre eux, elle rejeta le grief tiré des lacunes du dossier: "(...) - (...) [la] connaissance [des pièces du dossier douanier] ne se révèle en rien nécessaire voire utile à la manifestation de la vérité, les déclarations du prévenu régulièrement recueillies dans le cadre de la présente procédure et les documents que lui-même verse aux débats constituant des éléments d’appréciation largement suffisants au regard de la difficulté unique dont dépend sa culpabilité; - (...) ainsi les droits de la défense n’ont en rien été compromis." c) La Cour de cassation M. Bendenoun se pourvut en cassation contre les deux arrêts. Il alléguait notamment une violation des droits de la défense en ce que le dossier douanier n’avait pas été soumis aux juges d’appel. La Cour de cassation le débouta par deux arrêts du 24 mai 1982. Elle écarta le grief en des termes identiques: "(...) Attendu que, pour déclarer Bendenoun coupable de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement des impôts, l’arrêt énonce que le prévenu ‘ne conteste pas l’existence des factures découvertes’; qu’ainsi, ‘la connaissance de l’ensemble des documents de la procédure douanière s’avère superfétatoire’; qu’il résulte des faits établis par l’information que Bendenoun a soustrait la société ARTSBY 1881 à l’impôt sur les sociétés, par dissimulation de sommes imposables, pour des montants excédant les tolérances légales; que les explications du prévenu selon lesquelles les opérations en cause auraient été réalisées au titre d’une entreprise personnelle, non enregistrée, de courtier-numismate, étaient, en raison des circonstances que les juges décrivent et analysent, inadmissibles; Attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, qui relèvent à la charge de Bendenoun, sans insuffisance ni contradiction, la réunion de tous les éléments constitutifs, tant matériels qu’intentionnels, du délit de fraude fiscale et alors d’ailleurs qu’il en résulte que les juges n’ont fondé leur décision que sur des preuves qui leur ont été apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant eux, conformément aux dispositions de l’article 427 du code de procédure pénale, et n’ont nullement violé les droits de la défense, les moyens, qui se bornent à tenter de remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des éléments de ces preuves, ne sauraient être accueillis;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le chapitre II du code général des impôts s’intitule "Pénalités". Il comprend une section I ("Dispositions communes") consacrée d’une part aux "sanctions fiscales", de l’autre aux "sanctions pénales". A. Les sanctions fiscales Le régime applicable en l’espèce Le régime de sanctions fiscales issu de la loi du 27 décembre 1963 et appliqué au requérant comportait de nombreux taux qui variaient selon l’impôt concerné, la nature et la gravité de l’infraction ainsi que la procédure de redressement suivie. Il suffit de citer ici trois dispositions du code général des impôts: Article 1728 "Lorsqu’une personne physique ou morale ou une association tenue de souscrire une déclaration ou un acte contenant l’indication de bases ou éléments à retenir pour l’assiette, la liquidation ou le paiement de l’un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques établis ou recouvrés par la direction générale des impôts déclare ou fait apparaître une base ou des éléments d’imposition insuffisants, inexacts ou incomplets ou effectue un versement insuffisant, le montant des droits éludés est majoré soit de l’indemnité de retard prévue à l’article 1727 s’il s’agit des versements, impôts ou taxes énumérés audit article, soit d’un intérêt de retard calculé dans les conditions fixées à l’article 1734. (...)" Article 1729 par. 1 "(...) lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, les droits correspondant aux infractions définies à l’article 1728 sont majorés de: - 30 % si le montant des droits n’excède pas la moitié du montant des droits réellement dus; - 50 % si le montant des droits est supérieur à la moitié des droits réellement dus; - 100 % quelle que soit l’importance de ces droits, si le redevable s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses." Article 1731 "En ce qui concerne les taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées, les droits d’enregistrement, de timbre, la taxe de publicité foncière et les taxes assimilées à ces droits et taxes, la taxe sur les salaires, la taxe d’apprentissage, la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue, ainsi que les retenues opérées au titre de l’impôt sur le revenu, les insuffisances, les inexactitudes ou omissions mentionnées à l’article 1728 donnent lieu, lorsque la bonne foi du redevable ne peut être admise, à l’application d’une amende fiscale égale au double des majorations prévues à l’article 1729 et déterminée, dans les mêmes conditions que ces majorations, en fonction du montant des droits éludés. Le montant de ces droits est apprécié, en matière de taxes sur le chiffre d’affaires et de taxes assimilées, en considérant d’une façon distincte chacune des périodes retenues pour l’assiette des impôts sur le revenu et, le cas échéant, la partie vérifiée de l’exercice en cours." La contrainte par corps peut s’appliquer en cas de non-paiement. L’article 1845 bis du code général des impôts - devenu, le 1er janvier 1982, l’article L 271 du livre des procédures fiscales - précise en effet: "Le défaut de paiement des impositions visées à l’article 1844 bis peut, nonobstant toutes réclamations contentieuses ou demandes en remise ou modération gracieuse, donner lieu à l’exercice de la contrainte par corps dans les conditions fixées par le titre VI du livre V du code de procédure pénale. Le président du tribunal de grande instance décide, s’il y a lieu, d’appliquer cette contrainte et en fixe la durée. La contrainte par corps est immédiatement applicable. (...)" Le régime actuel La loi no 87-502 du 8 juillet 1987, postérieure aux faits de la cause, a institué un nouveau système qui s’applique aux infractions communes à tous les impôts et cumule deux éléments: un intérêt de retard au taux unique de 0,75 % par mois, dû indépendamment de toute sanction; des majorations spécifiques, visant à réprimer les principales infractions liées à l’assiette ou au recouvrement de l’impôt. L’article 1729 par. 1 du code général des impôts a désormais le libellé suivant: "Lorsque la déclaration ou l’acte (...) font apparaître une base d’imposition ou des éléments servant à la liquidation de l’impôt insuffisants, inexacts ou incomplets, le montant des droits mis à la charge du contribuable est assorti de l’intérêt de retard (...) et d’une majoration de 40 % si la mauvaise foi de l’intéressé est établie ou de 80 % s’il s’est rendu coupable de manœuvres frauduleuses ou d’abus de droits (...)" Quant à l’article 1731, il se lit ainsi: "1. Tout retard dans le paiement des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques qui doivent être versés aux comptables de la direction générale des impôts ou le paiement tardif aux comptables directs du Trésor des sommes dues au titre de la taxe sur les salaires mentionnée à l’article 1679 ou au titre de la retenue à la source mentionnée à l’article 1671 B donne lieu au versement de l’intérêt de retard visé à l’article 1727 et d’une majoration de 5 % du montant des sommes dont le versement a été différé. L’intérêt de retard est calculé à compter du premier jour du mois qui suit le dépôt de la déclaration ou de l’acte comportant reconnaissance par le contribuable de sa dette ou, à défaut, la réception de l’avis de mise en recouvrement émis par le comptable. La majoration visée au 1 n’est pas applicable lorsque le dépôt tardif de la déclaration ou de l’acte visés à l’article 1728 est accompagné du paiement des droits. Pour toute somme devant être acquittée sans déclaration préalable, l’intérêt est calculé à partir du premier jour du mois suivant celui au cours duquel le principal aurait dû être acquitté jusqu’au dernier jour du mois du paiement." B. Les sanctions pénales Le régime applicable en l’espèce Deux dispositions du code général des impôts ont joué à l’encontre du requérant, dans leur version applicable avant le 1er juillet 1978: Article 1741 "(...) quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d’une amende de 5 000 f à 30 000 f et d’un emprisonnement d’un an à cinq ans ou de l’une de ces deux peines seulement (...) (...)" Article 1743 "Est également puni des peines prévues à l’article 1741: 1o Quiconque a sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures ou a passé ou fait passer des écritures inexactes ou fictives au livre-journal et au livre d’inventaire, (...) ou dans les documents qui en tiennent lieu. (...)" Le régime actuel L’article 1741 n’a subi aucune modification, à l’exception du relèvement à 500 000 f du taux maximal de l’amende. Quant à l’article 1743, il est demeuré inchangé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bendenoun a saisi la Commission le 9 septembre 1986. Invoquant son droit à un procès équitable (article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1) devant les juridictions pénales et administratives, il se plaignait de ne pas avoir eu accès à la totalité du dossier douanier alors que le fisc avait transmis aux secondes certaines pièces à conviction. Il alléguait aussi une atteinte à son droit au respect de ses biens (article 1 du Protocole no 1) (P1-1) en ce que les diverses décisions internes l’avaient amené à verser des sommes considérables à l’État français. Le 6 juillet 1990, la Commission a déclaré irrecevable le grief relatif à la procédure suivie devant le juge répressif et a retenu le restant de la requête (no 12547/86). Dans son rapport du 10 décembre 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut, par dix voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et, à l’unanimité, qu’il ne s’impose pas de se placer de surcroît sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à "bien vouloir juger: - que les dispositions de l’article 6 (art. 6) de la Convention (...) sont inapplicables à la présente espèce; - subsidiairement, que la France n’a pas enfreint le principe de l’égalité des armes à raison des faits qui ont donné lieu à la requête de M. Bendenoun". De leur côté, les conseils du requérant ont prié la Cour de " - constater qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention; - constater dès lors que le requérant n’a pas eu droit à un procès équitable; - sur pied de l’article 50 (art. 50) de la Convention et à titre de satisfaction équitable, dire qu’il y a lieu pour le gouvernement français d’abandonner le recouvrement des impôts (droits et pénalités) repris dans la lettre du 23 octobre 1984 de la direction générale des impôts (...) et dire qu’il y a lieu pour le gouvernement français de rembourser au requérant toutes sommes qu’il a payées directement ou indirectement au Trésor français sur base des impositions précitées; - dire qu’à titre de satisfaction équitable au titre de dommage moral, il y a lieu pour le gouvernement français de payer au requérant la somme de 100 000 f et à titre de frais et dépens la somme de 141 500 f".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 1964, M. Wynne fut reconnu coupable de l’assassinat d’une femme qu’il avait violemment agressée. Il se vit infliger une peine obligatoire d’emprisonnement perpétuel. A l’époque, le médecin chargé de l’examiner ne décela aucun signe de maladie ou d’anomalie mentales. En mai 1980, l’intéressé fut libéré sous condition après une recommandation positive de la commission de libération conditionnelle (Parole Board). En juin 1981, il tua une vieille dame de 75 ans qui déposait des fleurs sur une tombe familiale dans un cimetière de Londres; il lui trancha la gorge avec un couteau. En décembre 1981, il plaida non coupable d’assassinat, mais coupable d’homicide du fait d’une responsabilité atténuée. Le tribunal admit ce moyen de défense et en janvier 1982 condamna M. Wynne à une peine perpétuelle discrétionnaire (paragraphe 12 ci-dessous). Il estima qu’une peine perpétuelle s’imposait en raison de l’extrême danger que le requérant représentait pour le public. Il révoqua parallèlement la liberté sous condition, en application de l’article 62 par. 7 de la loi de 1967 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1967, "la loi de 1967"; paragraphes 14 et 15 ci-dessous). Selon le condamné, des gardiens de la prison de Wormwood Scrubs l’avisèrent en 1983 qu’il se trouvait soumis au régime des peines perpétuelles discrétionnaires. En décembre 1985, M. Wynne fut transféré à l’hôpital de la prison de Parkhurst. Depuis lors, il a été transféré à celle de Gartree où il appartient à la catégorie A ("détenus à haut risque"). En janvier 1989, la commission de libération conditionnelle rechercha s’il y avait lieu de le libérer sous condition. Elle recommanda que le comité local de contrôle (local review committee) réétudiât le cas en 1994. Par une lettre du 14 août 1989 au député de l’intéressé, le ministère de l’Intérieur fournit les renseignements suivants: "Après consultation du juge dont émanait la sentence et du Lord Chief Justice en septembre 1987, conformément au paragraphe 4 [de l’article 61 de la loi de 1967], il a été décidé de soumettre le cas [du requérant] au comité local de contrôle en juin 1988, à titre d’étape préalable au contrôle officiel de la commission. Le comité local examina l’affaire au moment prévu [juin 1988], la commission en janvier 1989. Cette dernière estima ne pouvoir recommander l’élargissement [de l’intéressé] et préconisa de soumettre le cas au comité local en janvier 1994 (à titre d’étape préalable à un contrôle officiel ultérieur). Cette recommandation fut suivie et [le requérant] en fut informé. Il aurait dû l’être en février, mais par suite d’une négligence à Gartree, je crains qu’il l’ait été le mois dernier seulement. Vous comprendrez que je ne puisse prévoir le résultat du prochain contrôle, ni dire quand [le requérant] pourrait être libéré. Lorsque la commission de libération conditionnelle examinera le cas en 1994, le ‘tarif’ sera purgé et toute l’attention portera sur le facteur ‘risque’. D’ailleurs, la commission aura tenu compte de cet élément pour formuler sa recommandation quant à la date du prochain contrôle. La sécurité du public est primordiale, vous le savez, et aucun détenu condamné à l’emprisonnement à vie ne sera libéré si un quelconque danger demeure, et ce quelle que soit la durée de la détention jusque-là." M. Wynne apprit par la suite que le "tarif" fixé par le juge dont émanait la sentence pour la seconde infraction, expirait en juin 1991 (sur la question du "tarif", voir le paragraphe 17 ci-dessous). Par une note du 5 juin 1992, le ministère de l’Intérieur informa le requérant que le "tarif" pour la condamnation infligée en 1964 était purgé et qu’on le maintenait en détention en raison du risque qu’il représentait. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les peines perpétuelles La loi de 1965 sur l’abolition de la peine capitale pour assassinat (Murder (Abolition of Death Penalty) Act 1965) prévoit une peine perpétuelle obligatoire en cas d’assassinat. Le tribunal peut aussi en infliger une, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, à une personne convaincue d’homicide. Une peine perpétuelle discrétionnaire peut aussi être prononcée dans certains autres cas en présence d’une infraction grave et de circonstances exceptionnelles montrant que le délinquant représente un danger pour le public et qu’il n’est pas possible de dire quand ce danger disparaîtra (voir, à cet égard, l’arrêt Thynne, Wilson et Gunnell c. Royaume-Uni du 25 octobre 1990, série A no 190-A, pp. 19-20, paras. 50-53). B. Mise en liberté conditionnelle et révocation Aux termes de l’article 61 de la loi de 1967, le ministre de l’Intérieur ne peut relâcher sous condition une personne condamnée à la réclusion à vie que si la commission de libération conditionnelle l’y a engagé et après avoir consulté le Lord Chief Justice of England plus, si possible, le tribunal dont émanait la sentence. L’article 62 par. 1 l’habilite à révoquer la libération conditionnelle d’un individu que ladite commission préconise de réincarcérer. Selon l’article 62 par. 7 de la loi de 1967, si une personne bénéficiant d’une libération conditionnelle est reconnue coupable d’une infraction grave, le tribunal peut, qu’il prononce ou non une autre peine, révoquer la libération. La révocation de la liberté conditionnelle, qu’elle soit décidée par le ministre ou un tribunal, a pour effet que l’intéressé peut être incarcéré pour purger sa peine (article 62 par. 9 de la loi de 1967). La commission de libération conditionnelle conseille le ministre en ce qui concerne notamment la libération conditionnelle, en vertu de l’article 61, et la réintégration, en application de l’article 62, des personnes du dossier desquelles le ministre la saisit (article 59 de la loi de 1967; voir aussi l’arrêt Thynne, Wilson et Gunnell précité, pp. 21-22, paras. 57-58). C. Procédures de contrôle des peines perpétuelles Avant 1992, pour les peines perpétuelles obligatoires comme discrétionnaires, le ministre de l’Intérieur invitait les autorités judiciaires (le tribunal dont émanait la sentence et le Lord Chief Justice) à donner leur avis sur le laps de temps nécessaire pour satisfaire aux impératifs de la répression et de la dissuasion (le "tarif"), et la commission de libération conditionnelle le sien au sujet du risque. Après quoi il décidait si et quand il convenait de libérer le détenu sous condition. Pour les peines perpétuelles discrétionnaires, il suivait les autorités judiciaires quant à la durée du tarif. Pour les peines perpétuelles obligatoires, en revanche, il se formait sa propre opinion en tenant compte de l’avis desdites autorités (pour la distinction entre peines perpétuelles obligatoires et peines perpétuelles discrétionnaires, voir l’arrêt Thynne, Wilson et Gunnell précité, pp. 19-20, paras. 50-53). A la suite de l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Thynne, Wilson et Gunnell (loc. cit.), la loi de 1991 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1991, "la loi de 1991") a apporté des amendements aux procédures d’élargissement des détenus condamnés à une peine perpétuelle discrétionnaire. Le Parlement a toutefois décidé de ne pas étendre ces modifications aux cas de peine perpétuelle obligatoire. En vertu de l’article 34 de cette loi, le tribunal prononçant la sentence précise désormais, en audience publique, le tarif adéquat pour l’infraction. Passé cette période, le détenu peut prétendre à son élargissement sous condition si et quand la commission de libération conditionnelle décide qu’il n’y a pas de risque à y consentir. Le détenu a le droit de comparaître en personne devant la commission, de prendre connaissance de tous les rapports en sa possession, de citer des témoins et de produire des preuves écrites. Lorsque la commission estime qu’il faut élargir le détenu, le ministre a l’obligation de le libérer (article 34 par. 3 de la loi de 1991). L’article 34 par. 7 a) de la loi de 1991 exclut expressément pour un détenu condamné à une peine perpétuelle discrétionnaire purgeant aussi une peine obligatoire le droit à un contrôle selon les nouvelles modalités. Lors du débat du 16 juillet 1991 à la Chambre des communes sur cette législation, le ministre de l’Intérieur fit, en ce qui concerne les différences entre peines perpétuelles obligatoires et peines perpétuelles discrétionnaires, la déclaration suivante: "Les cas de peine perpétuelle obligatoire soulèvent (...) des problèmes fort différents et le gouvernement n’estime pas approprié de leur étendre une procédure analogue. S’agissant d’une peine discrétionnaire, la décision d’élargissement se fonde uniquement sur le point de savoir si le délinquant demeure un danger pour le public. On part de l’idée qu’une fois écoulée la période répondant aux impératifs de la rétribution, il faut relâcher le détenu s’il n’y a pas de risque à le faire. La peine obligatoire revêt un tout autre caractère. Le risque n’est pas le facteur déterminant pour le prononcé d’une peine perpétuelle. D’après la justice, le délinquant a commis un crime si grave qu’il abandonne sa liberté à l’Etat pour le restant de ses jours. Au besoin, il peut être détenu à vie sans qu’une intervention judiciaire ultérieure ne soit nécessaire. On part donc de l’hypothèse que le délinquant doit demeurer en prison jusqu’à ce que ou à moins que le ministre conclue que sa libération servira mieux l’intérêt public que son maintien en détention. En continuant à exercer son pouvoir discrétionnaire en la matière, le ministre ne doit pas considérer seulement le risque, mais encore la manière dont la société tout entière ressentirait la libération à ce moment-là. Le ministre tient compte de la recommandation des autorités judiciaires, mais c’est à lui que revient la décision finale." Pour les détenus condamnés à une peine perpétuelle obligatoire, le ministre continue de décider de l’ampleur du tarif après avoir examiné l’avis des autorités judiciaires et les observations que l’intéressé pourrait souhaiter formuler. Une fois le tarif expiré, il est habilité à relâcher le détenu sous condition si la commission de libération conditionnelle l’y engage. Cette décision lui incombe totalement. Le 27 juillet 1993, le ministre de l’Intérieur expliqua devant le Parlement la pratique suivie par lui au sujet des détenus subissant une peine perpétuelle obligatoire. Il souligna qu’avant de libérer pareil détenu sous condition, le ministre "doit rechercher non seulement a) si la période purgée par le détenu suffit pour satisfaire aux exigences de rétribution et de dissuasion et b) s’il n’y a pas de risque à libérer l’intéressé, mais encore c) si une libération anticipée sera acceptable pour le public. Autrement dit, [il] n’exercer[a] [s]on pouvoir discrétionnaire d’élargir que [s’il a] la conviction que semblable décision ne va pas compromettre la confiance du public dans la justice pénale". Pour définir les principes d’équité applicables aux procédures régissant le contrôle des peines perpétuelles obligatoires, les juridictions anglaises reconnaissent que celles-ci, comme les peines discrétionnaires, comportent une période rétributive (le "tarif") et une période de sécurité. S’agissant de cette dernière, la détention traduit l’appréciation du danger que le détenu représente pour le public une fois le "tarif" purgé (R. v. Parole Board, ex parte Bradley (Divisional Court), Weekly Law Reports 1991, vol. 1, p. 135; R. v. Parole Board, ex parte Wilson (Court of Appeal), All England Reports 1992, vol. 2, p. 576; R.v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Cox (jugement de la Divisional Court du 4 septembre 1992); R. v. Parole Board, ex parte Creamer and Scholey (jugement de la Divisional Court du 21 octobre 1992)). En l’affaire R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Doody (All England Reports 1993, vol. 3, p. 92), la Chambre des lords releva que, si elles concordent pour les peines perpétuelles discrétionnaires, la théorie et la pratique divergent en matière de peines perpétuelles obligatoires. Lord Mustill, rejoint par les autres Law Lords, expliqua que le principe selon lequel un assassinat passe pour un crime si grave que le juste élément répressif de la peine consiste en la réclusion perpétuelle, ne se concilie pas avec la pratique des ministres successifs, pour lesquels une peine perpétuelle obligatoire comprend une période "tarifée" satisfaisant aux impératifs de la rétribution et de la dissuasion. Un condamné sous le coup d’une peine perpétuelle obligatoire saurait que, une fois subi l’élément pénal de sa sanction, les conséquences pénales de son crime se trouvent éteintes. Néanmoins, le ministre n’a pas l’obligation de souscrire à l’opinion des autorités judiciaires sur le "tarif" et c’est à lui qu’incombe la décision de relâcher ou non le détenu. Il peut s’écarter de l’avis du juge et prendre en compte des considérations plus larges, de caractère général, que celles valant pour la fonction ordinaire de prononcé d’une peine. Lord Mustill ajouta (loc. cit., p. 105): "Les peines perpétuelles discrétionnaires et obligatoires, qui ont évolué séparément par le passé, peuvent désormais se rapprocher. Néanmoins, il subsiste entre elles un fossé notable, tenant au cadre légal, à la théorie qui les sous-tend et à la pratique en vigueur. Il se peut - je n’exprime aucune opinion - que vienne bientôt le moment d’assimiler davantage l’effet des deux types de peine perpétuelle. Mais cette tâche relève du Parlement et il est à mon sens impossible que les cours et tribunaux modifient radicalement les rapports entre l’assassin condamné et l’Etat par le biais du contrôle judiciaire." Lord Mustill estima que, eu égard aux droits des détenus purgeant une peine perpétuelle discrétionnaire, le ministre devait respecter certaines exigences aux fins de l’équité de la procédure quand il fixe la composante pénale d’une peine perpétuelle obligatoire: informer l’intéressé de l’avis des autorités judiciaires sur l’ampleur du "tarif" et lui accorder la faculté appropriée de présenter des observations écrites sur la question avant de déterminer le nombre d’années à purger. Si le ministre s’écarte dudit avis, il doit motiver sa décision. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Wynne a saisi la Commission (requête no 15484/89) le 15 juin 1989. Il se plaignait de n’avoir pu faire contrôler par un tribunal la légalité de son maintien en détention comme l’eût voulu l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Il dénonçait aussi, entre autres, son agression prétendue par un gardien en juin 1985 et son transfert de l’hôpital à la prison après décembre 1985. Il affirmait de plus qu’on l’avait empêché de se défendre et qu’aucune voie de recours interne ne s’ouvrait à lui quant à ses diverses doléances. Il invoquait à ces propos les articles 6, 8, 10 et 13 (art. 6, art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 15 octobre 1992, la Commission a retenu la requête dans la mesure où elle soulevait des questions sur le terrain de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention. Elle l’a écartée pour le surplus. Dans son rapport du 4 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (dix voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Rita Hiro Balani, ressortissante de l’Inde à l’époque des faits, a obtenu par la suite la nationalité espagnole. Elle réside à Madrid. En 1985, la société japonaise "Orient Watch Co. Ltd" - spécialisée dans la fabrication et la distribution d’horloges - présenta devant le tribunal de première instance no 8 de Madrid une demande tendant à la radiation de la marque commerciale espagnole "Orient H.W. Balani Málaga" (no 544.606) du registre de la propriété industrielle. Ayant pour objet "toutes sortes d’horloges", ladite marque avait été enregistrée par le mari de la requérante en 1970, puis transférée sous le nom de celle-ci. La société demanderesse alléguait qu’en vertu de la Convention d’Union de Paris (paragraphe 14 ci-dessous), l’enregistrement au Japon en 1951 de son nom commercial lui conférait la propriété de cette dénomination dans tous les pays parties à ladite Convention - dont l’Espagne - et la protégeait donc contre tout dépôt ultérieur d’une marque identique ou semblable. Mme Hiro Balani opposa à la demande plusieurs moyens tirés du dépassement du délai de trois ans pour réclamer la radiation de la marque no 544.606, qui emporterait sa "consolidation"; de la prescription générale de toute action; de la non-authenticité du nom commercial invoqué par la société demanderesse; et de la priorité d’une certaine marque, dénommée "Creacions Orient", pour des articles en toc, enregistrée en 1934 sous le no 97.541 et transférée sous le nom de la requérante en 1984. Par un arrêt du 9 mai 1988, l’Audiencia Territorial de Madrid, juridiction compétente pour connaître de ce type de litiges (paragraphe 15 ci-dessous), accueillit l’exception de "consolidation" et débouta la société demanderesse. Elle ne se prononça pas sur le bien-fondé des autres moyens de Mme Hiro Balani. La société demanderesse se pourvut alors en cassation. Par un arrêt du 30 avril 1990, le Tribunal suprême (Tribunal Supremo) estima qu’il n’y avait pas eu "consolidation" de la marque attaquée car son enregistrement était entaché de nullité, et cassa le jugement de l’Audiencia Territorial. Statuant sur le fond du litige (paragraphe 18 ci-dessous), il rejeta explicitement les moyens tirés de l’inauthenticité du nom commercial et de la prescription de toute action et il accueillit la demande. Toutefois, il ne fit aucune référence au moyen de la requérante d’après lequel la marque "Creacions Orient", enregistrée en Espagne en 1934, devait avoir priorité sur le nom commercial "Orient" enregistré au Japon en 1951. Saisi d’un recours d’amparo (paragraphe 19 ci-dessous) formé par Mme Hiro Balani, le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) le déclara irrecevable le 29 octobre 1990 au motif que les différents griefs présentés ne relevaient pas de la protection constitutionnelle. Au sujet de l’exception tirée de l’antériorité de la marque "Creacions Orient", il s’exprima ainsi: "(...) cette question n’ayant pas été articulée comme moyen de cassation, on [peut] difficilement exiger de la Chambre [du Tribunal suprême] une réponse expresse. Au surplus, il convient de rappeler l’abondante jurisprudence de ce Tribunal selon laquelle la Constitution exige des juges une réponse précise non pas à toutes les allégations des parties mais seulement à leurs prétentions. Or, en l’espèce, celle de la [requérante] a été rejetée au moment où le pourvoi en cassation formé par la demanderesse contre le jugement de première instance a été accueilli." Les décisions d’irrecevabilité du Tribunal constitutionnel ne pouvant être réexaminées qu’à la demande du ministère public, un recours postérieur de Mme Hiro Balani fut lui aussi déclaré irrecevable le 8 novembre 1990. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La réglementation des marques et des noms commerciaux en vigueur à l’époque se trouvait dans le Statut de la propriété industrielle (Estatuto de la Propiedad Industrial, "EPI") du 26 juillet 1929, texte approuvé par le décret-loi royal du 30 avril 1930. La promulgation en 1988 d’une nouvelle loi sur les marques n’affecta pas l’applicabilité en l’espèce dudit statut. A. La protection des marques et des noms commerciaux La priorité d’enregistrement L’enregistrement en Espagne d’une marque ou d’un nom commercial donne à son titulaire qualité pour agir en justice devant les juridictions civile et pénale contre ceux qui portent atteinte à son droit (articles 6 et 7 EPI). La priorité des droits découlant d’une marque ou d’un nom commercial commence à partir du dépôt de la demande d’enregistrement au registre de la propriété industrielle (article 12 EPI). Le titulaire d’un nom commercial enregistré a les mêmes droits que ceux reconnus à celui d’une marque (article 207 EPI): il peut, notamment, demander la radiation de toute marque (article 268 EPI) dont la ressemblance avec le nom commercial pourrait susciter une erreur ou prêter à confusion sur le marché (article 124 par. 1 EPI). Pour se prononcer sur une telle incompatibilité, le juge n’examine pas seulement la similitude phonétique ou graphique entre les deux dénominations en conflit; il recherche aussi si les produits protégés relèvent du même secteur commercial. La Convention d’Union de Paris La Convention d’Union de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883, dans sa version de Stockholm du 14 juillet 1967 - que l’Espagne a ratifiée le 13 décembre 1971 -, dispose que le nom commercial enregistré dans un Etat de l’Union est protégé dans tous les autres sans obligation de dépôt ou d’enregistrement (article 8). Un tel nom commercial recevant la même protection que s’il avait été enregistré en Espagne, son titulaire peut demander la radiation de toute marque espagnole postérieure et incompatible avec ledit nom commercial. B. La procédure de radiation d’une marque Devant les juridictions du fond L’article 270 EPI prévoit une procédure spéciale pour demander la radiation d’une marque du registre officiel. Le tribunal de première instance constitue le dossier et l’adresse à l’Audiencia Territorial, qui recueille l’avis du service juridique du registre de la propriété industrielle et tient une audience. Devant le Tribunal suprême Les jugements rendus en première instance par l’Audiencia Territorial en matière de radiation de marques commerciales ne peuvent faire l’objet que d’un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême (article 270 par. 12 EPI). Les griefs visant le jugement attaqué doivent s’articuler comme des moyens de cassation (motivos de casación - article 1707 du code de procédure civile) qui sont limités et comprennent, notamment, la violation des formes substantielles de la procédure et l’infraction à la loi (article 1692, nos 3 et 4 du code de procédure civile). Les moyens déclarés recevables donnent lieu à un débat qui peut se tenir en audience publique si toutes les parties le demandent ou si la Cour le juge nécessaire. Le défendeur peut comparaître et plaider le rejet du pourvoi et la confirmation du jugement litigieux (articles 1711 in fine et 1713 du code de procédure civile). Sauf lorsqu’il s’agit de questions purement formelles ou procédurales, la chambre qui accueille un moyen ne se borne pas à casser le jugement: elle doit statuer sur le fond du litige, en tenant compte de la totalité des arguments formulés par les parties au cours de la procédure (article 1715 par. 1, alinéa 3, du code de procédure civile). C. L’obligation de motiver les jugements Selon l’article 120 par. 3 de la Constitution, "les jugements sont toujours motivés et prononcés en audience publique". En tant qu’élément de la protection effective de l’individu par les juges et tribunaux, reconnue comme droit fondamental par l’article 24 par. 1 de la Constitution, l’obligation de motiver les décisions judiciaires peut donner lieu à un recours individuel devant le Tribunal constitutionnel (recurso de amparo). Aux termes de l’article 359 du code de procédure civile: "Les jugements doivent être clairs, précis, et répondre, par des déclarations pertinentes, aux demandes et autres prétentions articulées au cours de la procédure; ils doivent condamner ou absoudre le défendeur et statuer sur tous les points litigieux qui ont fait l’objet du débat. Ceux-ci doivent être traités de façon séparée dans le jugement." Dès lors, quand il statue sur le fond, le juge doit se prononcer sur tous les moyens formulés par les parties, sans quoi le jugement pécherait par défaut de motifs (incongruencia omisiva). Cependant, d’après la jurisprudence, il n’est pas tenu de répondre de manière expresse à chacun des moyens formulés par les parties lorsque l’acceptation de l’une des prétentions entraîne le rejet implicite du moyen. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme Hiro Balani a saisi la Commission le 30 janvier 1991. Invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, elle se plaignait de ce que sa cause n’avait pas été entendue équitablement dans la mesure où le Tribunal suprême n’avait pas examiné tous les moyens soulevés par elle lors de la procédure au fond. Le 30 mars 1993, la Commission a retenu la requête (no 18064/91). Dans son rapport du 15 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à dire que "le Royaume d’Espagne a respecté ses obligations découlant de la Convention". De son côté, la requérante a prié la Cour de "déclarer que l’Etat espagnol a violé le paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Le contexte historique général La formation du patrimoine monastique Fondés entre le IXe et le XIIIe siècle de notre ère, les monastères requérants accumulèrent un patrimoine considérable, notamment grâce à des donations antérieures à la création de l'Etat grec en 1829, dont une grande partie fut expropriée lors des premières années de l'existence dudit Etat. De plus, ils en offrirent eux-mêmes des pans entiers à ce dernier ou à des personnes ne possédant pas de terres. A l'époque de l'Empire byzantin et de l'Empire ottoman, les monastères et, d'une manière générale, les institutions religieuses étaient pratiquement les seuls à assumer des fonctions sociales, culturelles et éducatives importantes; même pendant le XIXe siècle, après la création de l'Etat grec moderne, ils remplissaient encore certaines de ces fonctions. L'Etat ne contesta jamais leurs droits de propriété. Les monastères invoquèrent toujours l'usucapion comme moyen subsidiaire de les établir, surtout lorsque les titres de propriété byzantins ou ottomans faisaient défaut ou avaient été détruits. A plusieurs occasions, l'Etat publia au Journal officiel des décrets reconnaissant ces mêmes droits (décrets des 25 janvier, 28 et 31 mars, 14 juin, 4 et 18 août 1933, etc.). Outre le patrimoine amassé ainsi au fil des siècles, les monastères acquirent, plus récemment, de nombreux terrains et bâtiments par voie de donation, de succession ou d'achat. La loi no 4684/1930 classait leurs biens fonciers en deux catégories: patrimoine "à liquider" (ekpiitea perioussia) et patrimoine "à conserver" (diatiritea perioussia). Entraient dans la seconde ceux que l'on jugeait nécessaires pour les besoins d'un monastère déterminé, eu égard notamment à ses effectifs et à sa valeur historique de lieu de pèlerinage, et dont la liste figurait chaque fois dans un décret adopté sur proposition du ministre de l'Education et des Cultes. L'administration du patrimoine à conserver incombait aux saints monastères; elle se trouvait régie par un décret du 5 mars 1932. Il prévoyait entre autres que les recettes provenant de cette gestion devaient servir au comblement du déficit des monastères, à la réparation et à l'entretien des bâtiments, ainsi qu'à des contributions à des fins éducatives et caritatives. L'administration du patrimoine à liquider, elle, était confiée à l'Office d'administration des biens de l'Eglise (Organismos diikissis ekklissiastikis perioussias). La Constitution de 1952 autorisait le gouvernement à procéder, dans un délai de trois ans à compter de son entrée en vigueur, à des expropriations de terres au profit des agriculteurs et éleveurs démunis. En exécution de cette clause transitoire (article 104), l'Eglise orthodoxe de Grèce et l'Etat conclurent un accord que le second ratifia par un décret (no 2185) du 8 octobre 1952 dont l'article 36 par. 5 précisait en substance que l'Etat renonçait désormais à se prévaloir des droits dérivant de l'article 104 de la Constitution et concernant l'expropriation ou le bail obligatoire de la propriété de l'Eglise. Aux termes de l'accord, qui portait sur "le rachat par l'Etat des terrains de l'Eglise orthodoxe de Grèce aux fins de la réintégration d'agriculteurs et éleveurs démunis", l'Eglise et les monastères céderaient à l'Etat les quatre cinquièmes de leurs terres agricoles et les deux tiers de leurs pâturages et recevraient en contrepartie un tiers de la valeur réelle de ces biens. Figuraient en annexe des listes indiquant la nature, la situation et la superficie des terrains vendus de la sorte à l'Etat ou au contraire conservés par les monastères. D'après l'article 8 a), échappaient à l'application de l'accord les terres agricoles et pâturages relevant du "patrimoine à conserver" des monastères Aghia Lavra et Mega Spileo Kalavryton. L'Office d'administration des biens de l'Eglise Institué par la loi no 4684/1930, l'Office d'administration des biens de l'Eglise ("l'ODEP"), personne morale de droit public soumise à la tutelle du ministre de l'Education et des Cultes, a remplacé le Fonds ecclésiastique général qui existait depuis 1909. L'article 7 lui attribuait la gestion et l'administration de tout le patrimoine mobilier et immobilier des saints monastères, duquel fut soustrait après un certain temps le patrimoine à conserver. Le but de l'ODEP consistait, selon l'article 2, à 1) liquider le patrimoine monastique, 2) administrer et gérer le patrimoine ecclésiastique autre que celui des églises et 3) exploiter les revenus. L'ODEP était dirigé par un conseil d'administration où siégeaient à l'origine l'archevêque d'Athènes, deux hauts dignitaires de l'Eglise, un conseiller d'Etat, un conseiller juridique, le directeur du Trésor public, un représentant de la Banque de Grèce et un représentant d'une banque commerciale. Le décret no 2631/1953 réduisit le nombre des membres à sept, dont trois laïcs nommés par le ministre de l'Education et des Cultes. Un règlement de 1981, toujours en vigueur, a porté à quatre l'effectif des laïcs. Selon son article 12, les recettes de l'ODEP doivent concourir à l'oeuvre de l'Eglise, notamment par le financement de manifestations d'ordre missionnaire et éducatif et par la rémunération de certains membres du clergé. Le statut juridique de l'Eglise orthodoxe de Grèce et des saints monastères Les liens qui unissent la nation hellénique - et plus tard l'Etat grec - à l'Eglise orthodoxe remontent à plusieurs siècles. L'interdépendance de l'Etat et de l'Eglise apparaissait déjà dans la réorganisation administrative de cette dernière, qui avait suivi la restructuration de l'Etat byzantin. Le rôle historique de l'Eglise gagna en importance après l'effondrement de l'Empire byzantin. Le patriarche oecuménique de Constantinople fut reconnu comme millet basi, à la fois chef spirituel et responsable, envers la Sublime Porte, de la communauté orthodoxe, laquelle s'intégrait aux rouages administratifs de l'Empire ottoman par l'intermédiaire de l'Eglise. Proclamée "autocéphale" par un décret royal du 23 juillet 1833, l'Eglise orthodoxe de Grèce se vit en même temps doter de sa première charte statutaire, imprégnée d'un esprit étatique très prononcé; elle ne maintenait son autonomie à l'égard de l'Etat qu'en matière de dogme. L'article 3 de la Constitution du 11 juin 1975, par sa double référence au Tome patriarcal de 1850 et à l'Acte synodique de 1928, d'une part, et au saint-synode de la hiérarchie ("synode des métropolites en exercice") en tant qu'autorité ecclésiastique suprême, d'autre part, manifeste la volonté de rompre avec la vieille tradition étatique. Toutefois, l'autonomie ecclésiale ainsi proclamée trouve ses limites dans le fait que l'Eglise orthodoxe de Grèce est celle de la "religion dominante" et qu'elle incarne la religion de l'Etat lui-même. La loi des 27/31 mai 1977 (loi no 590/1977) relative à la "Charte statutaire de l'Eglise de Grèce" consacre aussi un rapport d'interdépendance entre l'Eglise et l'Etat. L'article 1 par. 4 attribue à l'Eglise, ainsi qu'à un certain nombre de ses institutions dont les monastères, la personnalité morale de droit public "en ce qui concerne leurs rapports juridiques". Selon l'article 2, l'Eglise collabore avec l'Etat dans les domaines d'intérêt commun, tels l'éducation chrétienne de la jeunesse, la mise en valeur de l'institution du mariage et de la famille, les soins à apporter à ceux qui ont besoin de protection, ainsi que la sauvegarde des reliques sacrées et des monuments ecclésiastiques. Une présence plus marquée de l'Eglise dans la vie publique se traduit par la participation du ministre de l'Education et des Cultes aux séances consacrées à l'élection de l'archevêque d'Athènes et par celle des autorités ecclésiales à toutes les manifestations officielles de l'Etat. Les dispositions relatives aux finances et au personnel de l'Eglise témoignent encore plus de cette interdépendance. Sur le premier point, la loi prévoit que l'Etat contribue aux dépenses de l'Eglise (article 46 par. 1), que les modalités d'administration et de gestion des ressources de l'Eglise sont déterminées par décision du saint-synode permanent, approuvée par le saint-synode de la hiérarchie (article 46 par. 2), et que les actes de gestion sont placés sous le contrôle financier de l'Etat (article 46 par. 4). Quant au second point, les textes applicables aux fonctionnaires valent aussi, par analogie, pour le personnel des personnes morales ecclésiales de droit public. L'article 39 par. 1 de la loi qualifie les saints monastères d'institutions religieuses d'ascétisme dont les occupants vivent selon les principes monastiques, les règles sacrées de l'ascétisme et les traditions de l'Eglise orthodoxe du Christ. Les saints monastères relèvent de la tutelle spirituelle de l'archevêque du lieu où ils se trouvent situés (article 39 par. 2). L'organisation et la promotion de la vie spirituelle à l'intérieur de ceux-ci, ainsi que leur administration incombent au conseil monastique et obéissent aux règles sacrées et aux traditions monacales (article 39 par. 4). Les saints monastères constituent des personnes morales de droit public (article 1 par. 4). Leur établissement, leur fusion et leur dissolution s'opèrent au moyen d'un décret présidentiel, adopté sur proposition du ministre de l'Education et des Cultes, après avis de l'archevêque du lieu où ils se trouvent et avec l'approbation du saint-synode permanent (article 39 par. 3). Les décisions du conseil monastique revêtent un caractère préparatoire: elles n'entrent en vigueur qu'une fois ratifiées par l'autorité ecclésiastique supérieure. Seuls les actes de cette dernière peuvent faire l'objet d'un recours en annulation. Autorité ecclésiastique suprême, le saint-synode de la hiérarchie a compétence pour réglementer l'organisation et l'administration internes de l'Eglise et des monastères; il surveille les actes du saint-synode permanent, des archevêques et des autres personnes morales ecclésiastiques, dont les monastères (article 4 e) et g)), à l'égard desquels l'Etat n'exerce aucun pouvoir de contrôle. Les personnes morales ecclésiastiques qui forment l'Eglise de Grèce, au sens large, constituent une entité distincte de l'administration et jouissent d'une autonomie complète. B. Le patrimoine des monastères requérants Le saint monastère Ano Xenia Le monastère Ano Xenia, fondé au IXe siècle sur le mont Othrys en Thessalie, possède notamment une forêt de 278,70 hectares qui entoure les bâtiments du monastère, des oliveraies, des vignobles et autres terrains agricoles englobant divers bâtiments annexes, une maison et des appartements dans la ville de Volos. Selon lui, la valeur de ses biens fonciers dépasse 180 000 000 drachmes. Le saint monastère Ossios Loucas Fondé en 947 dans le département de Béotie, le monastère Ossios Loucas formait un grand centre culturel à l'époque byzantine. Le complexe du monastère et ses mosaïques sont considérés comme des oeuvres importantes de l'art byzantin. Sa propriété immobilière comprend un hôtel à Athènes, une ferme et plusieurs terrains agricoles situés autour du monastère. Un décret ministériel du 25 janvier 1933 donne la liste détaillée des biens en question. Le monastère estime à plus de 130 000 000 drachmes la valeur des biens immobiliers commercialement exploitables, compte non tenu de l'ensemble des bâtiments du monastère lui-même et de son trésor, ni des terrains agricoles adjacents. Le saint monastère Aghia Lavra Kalavryton Le monastère Aghia Lavra Kalavryton, fondé en 961 dans le département d'Achaïe, fut lui aussi un grand centre culturel du Péloponnèse. Détruit pendant la révolution de 1826, il fut réédifié en 1830. Parmi ses propriétés figurent, en sus du complexe du monastère, un certain nombre d'églises et de bâtiments annexes et la zone avoisinante, plusieurs terrains agricoles, une forêt, des installations de traitement du pétrole et une multitude d'appartements, bureaux et magasins à Athènes et à Patras. Leur valeur excéderait 485 000 000 drachmes, complexe du monastère et églises non inclus. Le saint monastère Metamorphossis Sotiros Erigé aux Météores en 1344, le monastère Metamorphossis Sotiros jouissait d'un énorme prestige tant par sa situation que comme centre artistique. Ses biens fonciers comprennent de vastes zones boisées, une ferme, un appartement et des magasins dans les villes de Trikala et Kalambaka. Un décret ministériel du 16 octobre 1933 énumère les terres agricoles du monastère, lequel évalue ses biens à plus de 465 000 000 drachmes. Le saint monastère Assomaton Petraki La fondation du monastère Assomaton Petraki remonte à l'an 1000. Il s'est particulièrement développé aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il possède un patrimoine important qui consiste en plusieurs bâtiments à Athènes, de vastes zones agricoles et forestières, des installations touristiques et des terrains urbains - et qu'il évalue à 43 230 000 000 drachmes -, à quoi s'ajoutent des carrières de marbre au mont Parnasse. Un décret ministériel du 14 février 1933 donne le détail des propriétés du monastère. Le saint monastère Chryssoleontissa Eginis Fondé au XIIIe siècle sur l'île d'Egine, le monastère Chryssoleontissa signale que beaucoup de ses biens fonciers - notamment des îles désertes - furent expropriés au début du XXe siècle. Outre le complexe monastique lui-même, ses biens immobiliers comportent des terrains agricoles, des oliveraies, des maisons et appartements à Egine, ainsi que divers magasins, bureaux et appartements à Athènes. Il estime sa fortune à plus de 880 000 000 drachmes. Le saint monastère Phlamourion Volou Le monastère Phlamourion Volou se dresse sur le versant ouest du mont Pelion, dans le département de Magnésie. Son patrimoine comprend deux forêts de 8 241 et 1 049 hectares, des terrains agricoles et des immeubles dans la ville de Volos. Le saint monastère Mega Spileo Kalavryton Situé dans le département d'Achaïe, le monastère Mega Spileo Kalavryton fut détruit en 840 et restauré en 1280. Ses biens englobent, outre le complexe du monastère et la zone boisée qui l'entoure, plusieurs terrains agricoles, des zones forestières et des bureaux à Athènes; leur valeur dépasserait 950 000 000 drachmes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi du 5 mai 1987 réglementant des questions du patrimoine ecclésiastique ("la loi no 1700/1987") Publiée au Journal officiel du 6 mai 1987, la loi no 1700/1987 modifie les règles d'administration, de gestion et de représentation des biens monastiques relevant de l'ODEP, dont la majorité des membres seront dorénavant désignés par l'Etat. Elle prévoit en outre que dans les six mois de sa publication, l'Etat devient propriétaire de tous les biens monastiques, à moins que les monastères ne prouvent l'existence d'un droit de propriété (kyriotita) ressortant soit d'un titre légal dûment enregistré (metegrammeno), soit d'une disposition législative, soit d'une décision judiciaire définitive à l'encontre de l'Etat. A cet égard, il échet de noter que seules les transactions immobilières postérieures à 1856 doivent être enregistrées (article 9 de la loi du 30 octobre 1856 sur l'enregistrement d'immeubles et des droits réels portant sur eux); de même, le code civil n'exige l'enregistrement des legs et successions que depuis 1946. A l'exception du Dodécanèse, la Grèce ne dispose pas d'un plan cadastral. Les raisons qui ont amené l'Etat à édicter une nouvelle réglementation du patrimoine ecclésiastique figurent dans l'exposé des motifs du projet de loi. Il y a lieu de citer les passages suivants: "Ce projet de loi règle la question du patrimoine immobilier que possède aujourd'hui l'Eglise, question qui constitue, depuis les débuts de l'Etat hellénique moderne, un point de friction non seulement entre l'Etat et l'Eglise mais aussi entre cette dernière et (...) le peuple; sous le régime actuel restent inexploitées nombre de richesses nationales. (...) Le patrimoine ecclésiastique actuel est en grande partie le reliquat d'une époque pendant laquelle l'existence de l'Eglise dépendait exclusivement de ses propres biens et même de sa propre main-d'oeuvre. Depuis lors, les conditions de son fonctionnement ont changé radicalement. L'Etat couvre la quasi-totalité de ses besoins. Parallèlement aux dispositions du présent projet de loi, il est institué pour la première fois des subventions du budget de l'Etat au profit des saints monastères et de l'Eglise en général, afin qu'ils développent leur mission spirituelle si indispensable pour la Nation et l'Orthodoxie, en Grèce et à l'étranger (...) Une partie importante de cette propriété immobilière avait été gaspillée au moyen de transactions illégales et désavantageuses, ou usurpée par des exploiteurs habiles, tandis que le reste demeure dans une large mesure abandonné ou se trouve exploité de manière préjudiciable par des tiers. Ce patrimoine national rétrécit continuellement et tend à disparaître comme source productive de richesses pour l'agriculture, l'élevage et la sylviculture du pays. En outre, les terres que possède aujourd'hui l'Eglise appartiennent en majorité à l'Etat. Elles sont occupées sans titres légaux et avec la tolérance de ce dernier. Ce patrimoine national se réduit constamment par des ventes illégales et des empiétements qui aboutissent à des usurpations de terrains et à une exploitation incontrôlée; il s'agit d'une situation qui porte atteinte à l'autorité de l'Eglise. Il est rappelé que depuis 1952, l'Etat a légiféré pour rendre obligatoire le transfert des quatre cinquièmes du patrimoine monastique à l'Etat, au profit de ceux qui ne possédaient pas de terres (décret no 2185/1952). Cette obligation législative n'a pas été exécutée jusqu'ici." Entrent en ligne de compte les dispositions ci-après: "Article 1 Dès l'entrée en vigueur de la présente loi, l'Office d'administration des biens de l'Eglise (l'ODEP) se voit attribuer de plein droit l'administration, la gestion et la représentation exclusives de tous les biens immobiliers des saints monastères à l'égard desquels il possède dès à présent une légitimation active et passive, que ces biens relèvent, conformément à la législation en vigueur, de la catégorie 'patrimoine à conserver' ou de celle 'patrimoine à liquider'. (...) (...) Les conditions et procédures de vente, location, concession d'usage et mise en valeur par l'ODEP (...) des biens monastiques mobiliers et immobiliers, ainsi que toute autre question liée à l'administration et à la gestion desdits biens seront réglées par décret présidentiel adopté sur proposition des ministres de l'Education et des Cultes, de l'Economie et de l'Agriculture. Ce même décret peut habiliter d'autres organes administratifs à fixer les détails de son application par décision réglementaire. Pour le cas spécifique de vente de biens immobiliers urbains appartenant aux monastères ou de concession de tout droit réel s'y rapportant, l'accord du monastère intéressé est requis, sous peine de nullité du contrat. Article 2 L'usage de tout le patrimoine immobilier monastique qui, à l'entrée en vigueur de la présente loi, fait partie des propriétés (kyriotita) ou se trouve en la possession (katokhi) [de l'ODEP] ou des saints monastères ou de tiers peut être cédé par l'ODEP (...), aux fins de mise en valeur et d'exploitation (...), de préférence soit à des agriculteurs déjà membres de coopératives agricoles - ou le devenant du fait de la concession -, soit à des coopératives agricoles et organismes publics. En échange de cette concession, l'ODEP verse au monastère concerné 5 % du revenu brut de la concession pour les besoins du monastère. Sont considérés comme patrimoine immobilier, au sens de la présente disposition, les terrains agricoles et les terrains susceptibles d'exploitation agricole, les forêts et les zones forestières en général, les pâtures, les prairies (...) ainsi que les carrières, les mines et les viviers. Dans les six mois de l'entrée en vigueur de la présente loi, l'ODEP (...) peut transférer à l'Etat grec, par contrat à signer entre celui-ci en tant que représentant des saints monastères d'une part, et les ministres de l'Education et des Cultes, de l'Economie et de l'Agriculture en tant que représentants de l'Etat grec d'autre part, la propriété des biens immobiliers monastiques, ainsi que ceux des terrains appartenant aux saints monastères qui ont été inscrits au plan d'urbanisme après 1952. Ce transfert de propriété à l'Etat grec ne porte pas atteinte à la validité d'une concession d'usage accordée conformément aux conditions énoncées au paragraphe précédent, à l'exception de la condition visant le paiement d'un pourcentage des revenus, lequel sera versé à la personne morale prévue à l'article 9 de la présente loi et sera utilisé à des fins éducatives. Jusqu'à la création de cette personne morale, le pourcentage sera versé à un compte spécial de la Banque de Grèce au nom du ministre de l'Education et des Cultes. Les biens immobiliers appartenant aux saints monastères et destinés exclusivement à la culture par les moines eux-mêmes échappent aux dispositions du présent article; ils sont déterminés pour chaque monastère en fonction du nombre des moines qui y résident et des considérations de protection de l'environnement. Y échappent aussi les terrains destinés à servir de colonies de vacances ou à satisfaire aux besoins d'autres établissements ecclésiastiques. Ces biens sont désignés par décision des ministres de l'Education et des Cultes, de l'Agriculture et des Travaux publics et de l'Environnement, après avis de l'ODEP (...) pour chaque saint monastère, chaque colonie de vacances et chaque établissement ecclésiastique. Article 3 Si rien ne s'est produit à l'expiration du délai de six mois prévu au paragraphe 2 de l'article 2, les droits de propriété du patrimoine monastique sont réglés conformément aux dispositions suivantes: A. Les biens immobiliers dont l'usage (nomi) ou la possession (katokhi) relèvent des saints monastères au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont considérés comme propriété de l'Etat grec indépendamment de leur mode d'administration, de gestion et d'exploitation, sauf si le droit de propriété du monastère a) résulte d'un titre légal de propriété antérieur au jour du dépôt du projet de loi et déjà enregistré, ou qui le sera dans un délai péremptoire de six mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, b) a été reconnu par une disposition de la loi ou par une décision judiciaire définitive à l'encontre de l'Etat. Il en va de même des immeubles appartenant à des monastères, ou possédés par eux, mais occupés par des tiers. B. L'usage et la possession des saints monastères et des tiers sur les biens immobiliers considérés comme appartenant à l'Etat conformément au paragraphe précédent et dont la propriété n'a pas été transférée à l'Etat selon l'article 2, prennent fin et passent d'office à l'Etat grec. Toute forme d'administration, de gestion et d'exploitation de ces immeubles prend fin quelle que soit la catégorie dont relève le bien d'après la législation en vigueur. A partir de cette date, l'Etat exerce à l'égard des tiers, des saints monastères et des organismes chargés de gérer le patrimoine de ceux-ci, les droits dérivant de la propriété, l'usage et la possession de ces biens. Le ministère de l'Agriculture assure désormais l'administration et la gestion de ces derniers conformément aux dispositions de la législation déjà en vigueur et de la présente loi. Cette modification ne porte pas atteinte à la validité d'une concession d'usage accordée en vertu du paragraphe 1 de l'article 2, à l'exception de la condition relative au pourcentage des revenus à verser à la personne morale prévue à l'article 9 qui sera désormais affecté à l'Education nationale (...) Aux fins du présent article, sont considérés comme biens immobiliers les terrains agricoles et les terrains susceptibles d'une exploitation agricole, les forêts et les zones forestières en général, les pâtures, les prairies (...), ainsi que les carrières, les mines et les viviers. Sont considérés aussi comme biens immobiliers les terrains à bâtir, même s'ils figurent au plan d'urbanisme mais à condition que l'inscription soit postérieure à 1952. Les saints monastères qui ne sont pas propriétaires de biens immobiliers suffisants peuvent se voir concéder, sans contrepartie, des terrains déjà en leur possession d'après le paragraphe 1 du présent article, mais exclusivement aux fins de culture par les moines eux-mêmes. Ces terrains sont déterminés en fonction du nombre de moines qui y résident et des considérations de protection de l'environnement. Cette concession a lieu dans un délai péremptoire d'un an à compter de l'échéance prévue au paragraphe 1 du présent article, par contrat passé entre l'Etat (...) d'une part, et la personne morale chargée (...) d'administrer le patrimoine monastique, d'autre part." L'article 4 prévoit que dans les deux mois de l'échéance du délai de six mois de l'article 3 par. 1 A), toute personne morale ou physique possédant un des immeubles "censés appartenir à l'Etat" doit le "livrer" au chef du service agricole ou forestier compétent, sans quoi celui-ci décerne un "protocole d'expulsion administrative" exécutoire dans les quinze jours de la signification. Contre ce protocole, l'expulsé peut introduire un recours, non suspensif, en annulation (paragraphe 4); de plus, il lui est loisible, s'il fait valoir des droits réels sur l'immeuble, de saisir les juridictions civiles en vertu des articles 1094 à 1112 du code civil (paragraphe 7). Un décret présidentiel, à adopter sur proposition des ministres de l'Education et des Cultes, de l'Economie et de l'Agriculture, doit préciser les modalités d'application des articles 3 et 4. A la connaissance de la Cour, il n'a pas encore paru. Aux termes de l'article 8, le conseil d'administration de l'ODEP se compose d'un président et d'un vice-président, nommés par le conseil des ministres sur proposition du ministre de l'Education et des Cultes, ainsi que de six autres membres et de leurs suppléants, nommés pour moitié par le saint-synode permanent et pour moitié par le ministre de l'Education et des Cultes. L'article 9 annonce la création, sur proposition du ministre de l'Education et des Cultes et du ministre de l'Economie, d'une personne morale de droit privé chargée de mettre en oeuvre les programmes éducatifs à établir par le ministère de l'Education et des Cultes. De son côté, l'article 10 prévoit l'inscription, au budget de l'Etat, d'un crédit destiné au soutien financier et à l'entretien des monastères, ainsi qu'au renforcement de l'oeuvre culturelle de l'Eglise. Le ministre de l'Education et des Cultes allouera les sommes disponibles à ce titre, aux fins de l'exécution d'un programme spécial qu'il élaborera tous les ans sur recommandation du saint-synode permanent. Enfin, la loi no 1700/1987 exclut de son champ d'application le patrimoine des saints monastères dépendant du patriarcat oecuménique de Constantinople, ainsi que des patriarcats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, du Saint-Sépulcre et du saint monastère du Sinaï. B. L'arrêt du Conseil d'Etat, du 7 décembre 1987 Le président et les autres membres du conseil d'administration de l'ODEP furent désignés par le ministre de l'Education et des Cultes les 10 et 16 juillet 1987 (article 8 de la loi no 1700/1987). Le 20 juillet, l'Eglise de Grèce contesta la légalité de leur nomination devant le Conseil d'Etat (Symvoulio tis Epikrateias) au moyen d'un recours en annulation doublé d'une demande de sursis à exécution. Le 19 août 1987, la commission des sursis du Conseil d'Etat jugea que toute tentative, de la part du nouveau conseil d'administration de l'ODEP, d'exercer les compétences que lui attribuait la loi no 1700/1987 risquerait de compromettre les relations entre l'Eglise et l'Etat; elle accueillit par conséquent la demande jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se prononçât au fond. Certains monastères, dont trois des requérants et leurs archimandrites, attaquèrent aussi lesdites décisions le 11 septembre 1987; ils alléguaient, entre autres, que la loi no 1700/1987 enfreignait la Constitution grecque (articles 3 par. 1, 13 par. 1 et 17) et la Convention européenne. Le Conseil d'Etat statua le 7 décembre 1987 (arrêt no 5057/1987) en ces termes: " (...) Les dispositions de l'article 3 par. 1 de la Constitution garantissent les saints canons et les traditions de l'Eglise orthodoxe. Toutefois, on ne saurait considérer que cette garantie (...) s'étend aux saints canons et aux traditions relatifs à des questions de nature purement administrative. Ces questions, sur lesquelles influent l'écoulement du temps et les conceptions modernes, se prêtent nécessairement à des modifications destinées à promouvoir l'intérêt commun de l'Eglise et de l'Etat; le législateur ordinaire les règle, selon les besoins de la société, conformément à l'article 72 par. 1 de la Constitution grecque. Il ne peut pourtant pas (...), par le biais de la Charte statutaire de l'Eglise ou d'autres dispositions législatives, procéder à une réforme fondamentale des institutions administratives de base qui se sont établies depuis longtemps et solidement au sein de l'Eglise orthodoxe (...). En outre, les mêmes dispositions garantissent aussi l'autonomie de l'Eglise, qui comprend le pouvoir de décider de ses affaires par ses propres organes constitués conformément à la loi et d'être administrée par le saint-synode de la hiérarchie et le saint-synode permanent organisés conformément à la loi et aux dispositions du Tome patriarcal du 29 juin 1850 et de l'Acte synodique du 4 septembre 1929 qui concernent la composition de ces organes. Selon l'avis qui l'a emporté au sein du Conseil d'Etat, les dispositions de la loi no 1700/1987 qui confient à l'ODEP, personne morale de droit public intégrée dans le cadre administratif de l'Eglise et dont la majorité des membres du conseil d'administration sont désignés par l'Etat, l'administration, la gestion et la représentation du patrimoine des saints monastères, ne sont pas contraires à l'autonomie - constitutionnellement garantie - de l'Eglise, ni à la liberté de religion et aux articles 9 et 11 de la Convention de Rome (...), ni à la Charte des Nations Unies (...) et à l'Acte final d'Helsinki (...), car ces questions, non liées au dogme ou au culte, sont de nature purement administrative et ne se rattachent pas aux institutions ecclésiastiques administratives de base; par conséquent, elles doivent être réglées librement par le législateur ordinaire (...). En outre, les dispositions de la loi no 1700/1987 ne modifient pas substantiellement ces institutions car l'administration et la gestion du patrimoine monastique et ecclésiastique avaient été confiées depuis toujours à l'ODEP dont le conseil d'administration - dans sa première formation selon la loi no 4684/1930 - se composait majoritairement de laïcs nommés par l'Etat (...). Les moyens de nullité litigieux sont dès lors mal fondés et il convient de les rejeter. Toutefois, un des conseillers d'Etat a formulé l'opinion suivante, à laquelle s'est rallié un des assesseurs (paredroi): l'article 3 de la Constitution, qui dispose que l'Eglise de Grèce est administrée par 'le synode des métropolites en exercice', ne lui garantit pas seulement l'autonomie en ce sens qu'elle est administrée par les métropolites élus par elle, mais aussi le droit d'administrer, gérer et aliéner à sa discrétion (...) les biens mobiliers et immobiliers de toute nature qui lui appartiennent afin d'atteindre ses objectifs non lucratifs, à savoir le maintien et la promotion de la foi orthodoxe de ses fidèles. La vie monacale et les communautés monastiques, qui forment des éléments essentiels de cette Eglise (...) et qui, malgré leur qualité de personnes morales de droit public, proviennent comme l'Eglise elle-même d'un domaine se situant en dehors de la juridiction de l'Etat, avaient constitué depuis toujours un mode fondamental de culte de Dieu. Par conséquent, priver tous les monastères de l'administration, de la gestion et de la représentation de tous leurs biens (...) existants et futurs et attribuer ces pouvoirs à l'ODEP sans leur consentement (...) limite de manière inacceptable leur autonomie et celle de l'Eglise (...). Ces dispositions entraînent, en premier lieu, une violation de l'article susmentionné de la Constitution qui ne permet pas de modifier les institutions administratives de l'Eglise au point de bouleverser son autonomie et, deuxièmement, entravent gravement l'exercice du culte par le biais de la vie monacale, puisqu'elles empêchent l'exercice 'sans restriction' du culte monastique, tel que le garantit l'article 13 par. 2 de la Constitution. Enfin, il convient d'observer qu'à partir de 1953, l'ODEP était dirigé par un conseil d'administration désigné dans sa majorité par l'Eglise et présidé par l'archevêque d'Athènes (...); la jurisprudence contraire invoquée par les tenants de l'opinion majoritaire porte sur des cas isolés et spécifiques et non sur l'ensemble du patrimoine monastique. Par conséquent, la minorité estime fondés les moyens de nullité. Les requérants soutiennent en outre que les dispositions de la loi no 1700/1987, qui confient à l'ODEP, entité étrangère à l'Eglise et non contrôlée par elle, l'administration, la gestion et la représentation du patrimoine monastique et qui autorisent le transfert de celui-ci à l'Etat sans aucune contrepartie, sont contraires aux articles 17 et 7 par. 3 a) de la Constitution, puisqu'elles imposent une aliénation inacceptable de ce patrimoine, privent les saints monastères de leur propriété et introduisent des limitations inconstitutionnelles à des droits de propriété. L'article 7 par. 3 a) de la Constitution interdit toute confiscation générale. L'article 17 (...) dispose que la propriété est placée sous la protection de l'Etat, mais les droits qui en dérivent ne peuvent s'exercer au détriment de l'intérêt général (...). Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure prévus par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable et complète (...). Cette dernière disposition constitutionnelle interdit de priver quelqu'un de ses biens sans que se trouvent remplies les conditions susmentionnées; toutefois, rien n'empêche le législateur de prévoir des limitations au droit de propriété sur la base de critères objectifs et dans l'intérêt général, à condition qu'elles n'anéantissent pas ce droit et ne le rendent pas inopérant (...) Selon l'avis qui l'a emporté au sein du Conseil d'Etat, les dispositions de la loi no 1700/1987 (...), qui prévoient le transfert à l'Etat grec de la propriété des terres monastiques agricoles et d'autres biens immobiliers possédés par les saints monastères sans titre légal de propriété, ne sont pas contraires à l'article 17 de la Constitution car elles ne privent pas les saints monastères de leur propriété (idioktissia); en fait, la loi implique que ces biens immobiliers ne leur appartiennent pas. De plus, les dispositions de la loi qui concernent la vente des immeubles urbains des saints monastères ou la concession des droits réels y afférents, par décision de l'ODEP (...), ne portent pas atteinte au droit de propriété des saints monastères dans la mesure où leur application reste subordonnée à l'accord du saint monastère qui possède le bien immobilier, à défaut de quoi le contrat est nul. Enfin, les dispositions relatives à la mise en valeur (...) par l'ODEP des immeubles urbains, mines, carrières et viviers appartenant aux saints monastères ou à toute autre institution ecclésiastique, ainsi que celles relatives à l'administration, la gestion et la représentation de la propriété agricole (...) et la mise en valeur, actuelle et future, des immeubles urbains, n'entraînent pas de privation de propriété, puisque la propriété comme telle reste aux mains des saints monastères et, en tout cas, les revenus de la gestion de ces biens par l'ODEP sont utilisés à des fins ecclésiastiques (...); elles établissent des restrictions constitutionnelles à la propriété, destinées à servir simultanément l'intérêt de ces monastères et l'intérêt général. En conséquence, le moyen de nullité sous examen, ainsi que les griefs relatifs aux articles 12 paras. 5 et 6, et 20 par. 1 de la Constitution et à l'article 1 du Protocole additionnel de Paris du 20 mars 1952 (...), sont mal fondés et doivent être rejetés (...) Deux conseillers d'Etat, auxquels s'est rallié un des assesseurs, ont formulé l'opinion suivante: l'attribution, dans les conditions susmentionnées, de l'administration, la gestion et la représentation de l'ensemble du patrimoine monastique à l'ODEP, même 'en modification des dispositions légales en vigueur' (article 1 par. 3 de la loi no 1700/1987), ne s'analyse pas en une limitation de propriété, admise par la Constitution, mais touche de manière inacceptable et sans indemnisation complète l'essence même du droit de propriété. Cela est d'autant plus évident que la seule possibilité laissée aux monastères consiste à consentir ou s'opposer à la vente de leur propriété urbaine et à la concession d'un droit réel y afférent par l'ODEP, sans pouvoir en décider eux-mêmes: pareille décision relève exclusivement de l'ODEP qui se prononce souverainement, sans même en référer aux monastères, sur la vente des terrains agricoles et `la mise en valeur actuelle et future' de leur propriété immobilière prévue à l'article 7 de la loi no 1700/1987. Quant aux biens mobiliers des monastères, dont certains ont une grande valeur (icônes des musées des monastères, reliques précieuses, actions, etc.), ils sont gérés sans aucune limitation par l'ODEP. En outre, il convient de noter que la loi no 1700/1987 ne précise pas l'affectation des revenus du patrimoine monastique; en revanche, il ressort des articles 2 par. 2, 3 par. 1 B) et 9 de la loi no 1700/1987 que les revenus de l'Etat provenant `de la mise en valeur ou de la concession de l'usage du patrimoine monastique et ecclésiastique' sont transférés à une personne morale de droit privé créée au titre de l'article 9 et ne poursuivant pas d'objectifs ecclésiastiques. Ainsi, les dispositions de la loi no 1700/1987 contredisent pleinement non seulement l'article 17 de la Constitution, mais aussi (...) les dispositions de la convention de Rome (article 1 du Protocole additionnel) et le traité instituant la Communauté économique européenne, et mettent en cause la responsabilité internationale de l'Etat grec. Par conséquent, la minorité estime fondé ce moyen de nullité. (...) Quant à l'allégation selon laquelle les dispositions de la loi no 1700/1987 violent l'article 4 par. 1 de la Constitution car elles établissent une discrimination entre l'Eglise orthodoxe de Grèce et les monastères relevant du patriarcat oecuménique, le patriarcat oecuménique lui-même, les patriarcats d'Alexandrie, de Jérusalem, du Saint-Sépulcre, du saint monastère du Sinaï, et les monastères d'autres confessions ou religions, le grief est mal fondé car l'Eglise orthodoxe de Grèce, en tant qu'instrument et expression de la religion dominante selon les termes de l'article 3 par. 1 de la Constitution, n'occupe pas la même position que les autres églises orthodoxes, confessions ou religions, de sorte que les dispositions législatives litigieuses n'enfreignent pas le principe constitutionnel du traitement égal des situations juridiques analogues. (...) De plus, il est allégué que les dispositions de la loi no 1700/1987 violent l'article 5 par. 1 de la Constitution, en ce que les citoyens orthodoxes qui souhaiteraient apporter un soutien financier aux monastères se trouveraient entravés dans le libre épanouissement de leur personnalité puisque, à l'encontre de leur volonté, l'administration et la gestion des dons ne seraient pas confiées aux monastères mais à l'ODEP. D'autre part, il est allégué que ces dispositions portent atteinte à la liberté individuelle de religion des membres des communautés monastiques et de ceux qui souhaiteraient fonder un monastère en y consacrant leur patrimoine. La première branche du moyen est mal fondée car le droit individuel du libre épanouissement de sa personnalité, garanti par l'article 5 par. 1 de la Constitution, n'est pas un droit absolu; il est subordonné aux limitations apportées par la Constitution et par la loi. En l'espèce, les limitations résultant des dispositions susmentionnées de la loi no 1700/1987 (...) ne violent pas l'article 5 par. 1 de la Constitution. Le moyen est aussi mal fondé en sa seconde branche car il se réfère, de manière vague, à un dommage éventuel et futur des requérants. (...)" Le Conseil d'Etat annula néanmoins la décision du ministre de l'Education et des Cultes, du 16 juillet 1987 (paragraphe 30 ci-dessus), au motif que la composition du conseil d'administration de l'ODEP ne répondait pas aux exigences de l'article 8 de la loi no 1700/1987. C. La loi du 6 octobre 1988 "ratifiant la convention de cession à l'Etat du patrimoine forestier et agricole des saints monastères de l'Eglise de Grèce qui y adhèrent" ("la loi no 1811/1988") L'adoption de la loi no 1700/1987 avait provoqué une vive réaction de l'Eglise de Grèce. Dans un but d'apaisement, le gouvernement et le saint-synode de la hiérarchie passèrent, après des rencontres successives, un accord préalable selon lequel les monastères consentiraient, au moyen d'une convention, à céder à l'Etat une partie de leur patrimoine. L'accord posait comme condition essentielle l'obligation, pour l'Eglise de Grèce, de se munir, en vue de la signature de ladite convention, des pleins pouvoirs du conseil monastique de chaque monastère. Le 11 mai 1988, le saint-synode permanent conclut effectivement avec l'Etat une convention aux termes de laquelle cent quarante-neuf monastères, dont les monastères requérants Assomaton Petraki, Ossios Loucas et Phlamourion Volou, cédaient leur patrimoine forestier et agricole à l'Etat; quarante-sept monastères déclarèrent ne pas se sentir visés par elle, faute de disposer d'un tel patrimoine substantiel. Le Parlement la ratifia par l'article 1 de la loi no 1811/1988, dont l'article 2 par. 3 précisait: "Dès la publication de la présente loi, l'administration et la gestion du patrimoine urbain des saints monastères qui n'adhèrent pas à la convention reviennent au saint-synode permanent de l'Eglise de Grèce. Les dispositions de la loi no 1700/1987 s'appliquent au restant du patrimoine de ces monastères." Le paragraphe 1 du même article permettait aux monastères non contractants d'adhérer à la convention dans un délai, renouvelable, d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi; toutefois, ce délai ne suspendait pas l'application de la loi no 1700/1987. D'après l'article 2 de la convention, les monastères contractants abandonnent à l'Etat tout leur patrimoine agricole et forestier, sauf les terrains les entourant dans un rayon de 200 mètres; l'avis de chaque monastère est requis pour l'installation à sa proximité et le fonctionnement de locaux d'agrément, restaurants et entreprises. De plus, les monastères contractants sont autorisés à soustraire à l'opération un pourcentage de leur patrimoine foncier originel - pour autant que la superficie totale des terrains conservés n'excède pas 500 000 m² de forêts ou 200 000 m² de terres agricoles -, ainsi que 20 % des terrains "exploitables touristiquement"; l'Eglise de Grèce se voit attribuer, quant à elle, 40 % des terrains inclus dans le plan d'urbanisme après 1952. Enfin, se trouvent exclues du transfert les terres que les monastères possèdent en vertu d'un titre légal de propriété ou d'un titre successoral et testamentaire ou de donation. Le tri entre les terrains à céder à l'Etat et ceux qui restent à chaque monastère incombe à un comité spécial, constitué dans chaque département par décision du préfet. En échange du transfert de propriété, l'Etat s'engage à verser un salaire à quatre-vingt-cinq prédicateurs et à consacrer au soutien financier des monastères contractants 1 % des crédits budgétaires destinés à l'Eglise (article 4). Aux termes de l'article 3 de la convention, l'ODEP devait disparaître une fois les opérations achevées; en réalité, l'ODEP fut dissous après la ratification de la convention par le Parlement et son personnel fut affecté à d'autres organismes de l'Etat conformément à l'article 3 de la loi no 1811/1988. La gestion et l'administration du patrimoine urbain et de la partie du patrimoine forestier et agricole demeurant la propriété des monastères contractants relèveront d'eux-mêmes; celles du patrimoine à liquider, de l'Eglise de Grèce, subrogée aux droits et obligations de l'ODEP et seule investie de la qualité pour agir. Le saint-synode permanent fixera par des décisions canoniques, publiées au Journal officiel, le mode de gestion et d'exploitation du patrimoine de l'ODEP, qui, après l'abolition de celui-ci, sera dévolu à l'Eglise de Grèce. Enfin, les monastères contractants ont qualité pour ester en justice dans tout litige concernant le patrimoine qu'ils conservent conformément à la convention (article 5). Certains des monastères - dont Phlamourion Volou - qui avaient donné procuration à l'Eglise de Grèce pour négocier et signer la convention avec l'Etat, saisirent les tribunaux en alléguant la nullité de celle-ci. Ils soutenaient notamment que: 1) la convention avait été conclue par le saint-synode permanent, simple organe administratif de l'Eglise de Grèce dépourvu de personnalité juridique propre et de capacité juridique; 2) les archevêques et métropolites ayant siégé pendant son élaboration n'étaient pas les représentants légaux du saint-synode permanent; 3) les terrains que les monastères s'étaient engagés à céder n'étaient pas déterminés de manière précise et nulle mention ne figurait dans la convention au sujet de leur situation, de leur superficie et de leurs limites; 4) l'Etat grec n'avait pas agi par les soins de son représentant légal; 5) à l'époque de la conclusion de la convention, l'administration et la représentation du patrimoine monastique relevaient de l'ODEP et la propriété de ce patrimoine était déjà transférée à l'Etat en vertu de l'article 3 de la loi no 1700; 6) les procurations délivrées par les monastères au saint-synode permanent n'avaient pas revêtu la forme d'un acte notarié comme la loi l'exigeait; 7) les conditions posées par les monastères pour la conclusion de la convention et figurant dans les procurations ne se trouvaient pas reprises dans le texte même de celle-ci. Le 26 janvier 1990, le tribunal de grande instance d'Athènes débouta le monastère Phlamourion Volou. Le 4 décembre 1990, la cour d'appel d'Athènes rejeta le recours de ce dernier contre le jugement ainsi rendu. Elle releva notamment, comme les premiers juges mais de manière plus détaillée, que par la loi no 1811/1988 le pouvoir législatif avait exprimé la volonté de valider l'ensemble du contenu de la convention même si elle comportait des vices de forme ou de fond propres à l'entacher de nullité au regard des textes en vigueur à l'époque de sa conclusion. Quant au grief no 5, la cour d'appel l'écarta au motif que le monastère Phlamourion Volou n'étant plus à l'époque de la conclusion de la convention propriétaire de ces terrains, il n'avait pas qualité pour agir. En ce qui concerne les griefs nos 3 et 7, elle estima qu'en raison du grand nombre des monastères contractants, la convention ne pouvait distinguer que de manière générale les terrains à céder de ceux à conserver et confiait la tâche de la délimitation précise à un comité à constituer dans chaque département. D'autre part, le seul libellé de l'article 2 de la convention ne suffisait pas à démontrer un dépassement des limites des pleins pouvoirs accordés au saint-synode permanent ni un abus de la part des archevêques ayant signé la convention; si tel était le cas et si des terrains non visés par la procuration avaient été transférés à l'Etat, il s'agirait d'une privation de propriété incompatible avec l'article 17 de la Constitution, vice non susceptible d'être couvert par la ratification. Il était cependant impossible de déterminer si un tel dépassement avait eu lieu car l'appelant ne précisait pas si le comité compétent s'était déjà acquitté de sa tâche. Enfin, la convention litigieuse revêtait un caractère onéreux car l'Etat s'engageait à soutenir financièrement les monastères adhérents, en leur versant 1 % des crédits budgétaires destinés à l'Eglise, et à prendre en charge la rémunération de quatre-vingt-cinq prédicateurs. D. L'application des lois nos 1700/1987 et 1811/1988 Par une circulaire du 5 janvier 1989, le ministère de l'Agriculture invita les préfectures à établir les comités prévus à l'article 2 de la convention du 11 mai 1988 (paragraphe 34 ci-dessus). Toutefois, aucune mesure n'a encore été prise à cette fin. Une autre circulaire, du 20 février 1989, attirait l'attention des autorités sur le fait que la propriété des biens immobiliers des monastères non contractants avait été transférée à l'Etat conformément à la loi no 1700/1987. Elle leur rappelait en outre la possibilité de céder certains de ces biens à des coopératives agricoles et d'utiliser la procédure d'expulsion prévue à l'article 4 de la loi no 1700/1987 (paragraphe 26 ci-dessus). Dans la pratique, les opérations de transfert restent inachevées, en particulier quant à la définition des biens devant passer à l'Etat au titre tant de la loi no 1700/1987 que de la loi no 1811/1988. Devant la Commission, puis la Cour, les monastères requérants ont invoqué plusieurs jugements qui interrompaient la procédure engagée par des monastères, non requérants, contre l'Etat (jugements no 455/1987 du tribunal de grande instance de Ioannina et no 175/1988 du tribunal de grande instance de Halkis) et déclaraient irrecevable le recours d'un autre (jugement no 335/1987 du tribunal de grande instance de Lassithi), au motif que lesdits monastères n'avaient plus qualité pour agir depuis l'entrée en vigueur de la loi no 1700/1987. Il en fut ainsi notamment d'une action en déclaration visant à faire reconnaître le droit de propriété d'un monastère non requérant, qui découlerait, selon ce monastère, de l'usucapion abrégée; le tribunal de grande instance de Patras (jugement no 35/1991) jugea en outre que la propriété, la possession et l'usage des terrains litigieux avaient été transférés d'office à l'Etat en vertu de l'article 3 par. 1 A) et B) de la loi no 1700/1987 et releva que ledit monastère ne figurait pas parmi ceux qui avaient adhéré à la convention du 11 mai 1988. Par une lettre du 7 février 1992, le ministère de l'Agriculture a répondu ainsi à une demande de renseignements que l'agent du Gouvernement lui avait adressée au sujet de l'application des lois nos 1700/1987 et 1811/1988: "(...) les lois nos 1700/1987 et 1811/1988, qui règlent des questions de la propriété ecclésiastique, n'ont pas trouvé à s'appliquer car les procédures prévues par elles pour transférer à l'Etat les terrains lui revenant, ainsi que pour les distinguer de ceux qui doivent rester aux monastères, n'ont pas encore reçu exécution. (...) Un problème a surgi quant à la gestion du domaine forestier monastique (...), parce que les procédures de prise de possession des terrains par l'Etat n'ont pas été mises en oeuvre (...) mais aussi à cause des divergences entre ce dernier et les saints monastères au sujet de l'interprétation desdites lois. (...) Il ressort du document no 147224/21.12.1991 de la Direction de l'aménagement du territoire de notre ministère, (...) ainsi que de la constitution par le ministre de l'Education d'une équipe pour étudier le problème de la propriété ecclésiastique, que l'Etat a l'intention d'approfondir à nouveau la question afin de la résoudre." Le conseil des monastères requérants a affirmé qu'à la date de l'audience devant la Cour aucun des terrains litigieux n'avait encore été transféré à des coopératives agricoles ou à l'Etat. Il a cependant soutenu que depuis l'entrée en vigueur de la loi no 1700/1987, les autorités administratives refusent d'accorder les autorisations nécessaires à l'accomplissement de certains actes d'exploitation courants. A cet égard, il invoque et produit un courrier échangé entre d'un côté l'autorité forestière de Kalambaka et de l'autre la coopérative de Vlakhava et le monastère Metamorphossis Sotiros; la première a empêché la seconde de procéder à l'abattage des arbres dans des forêts appartenant audit monastère en vertu du décret no 2185 de 1952 (paragraphe 9 ci-dessus), alors que la coopérative avait déjà payé au monastère, depuis 1985, le prix de l'abattage. De même, l'autorité forestière d'Almyros en Magnésie n'a pas voulu approuver le plan d'exploitation quadriennal d'une forêt appartenant au monastère Ano Xenia, en se prévalant de l'incertitude qui subsistait quant au statut patrimonial de ladite forêt. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les monastères requérants ont saisi la Commission dans l'ordre suivant: Ano Xenia, Ossios Loucas, Aghia Lavra Kalavryton, Metamorphossis Sotiros et Assomaton Petraki, ainsi que six moines de ces monastères, le 16 juillet 1987 (requête no 13092/87); Chryssoleontissa Eginis, Phlamourion Volou et Mega Spileo Kalavryton, ainsi que quatre moines et ecclésiastiques, le 15 mai 1988 (requête no 13984/88). Ils invoquaient les articles 6, 9, 11, 13 et 14 (art. 6, art. 9, art. 11, art. 13, art. 14) de la Convention ainsi que l'article 1 du Protocole no 1 (P1-1). La Commission a ordonné la jonction des deux requêtes le 4 décembre 1989. Elle les a retenues le 5 juin 1990, mais seulement dans la mesure où elles émanaient des saints monastères; elle les a déclarées irrecevables pour le surplus. Dans son rapport du 14 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion: a) quant à l'ensemble des monastères requérants, - que le transfert de propriété prévu par la loi no 1700/1987 ne viole pas l'article 1 du Protocole no 1 (P1-1) (unanimité); - que les dispositions de la loi no 1700/1987, telle que l'a modifiée la loi no 1811/1988, ne violent pas ce même article (P1-1) (unanimité); - qu'il n'y a pas eu violation des articles 9, 11 et 13 (art. 9, art. 11, art. 13) de la Convention (unanimité), ni du droit des monastères requérants à un procès équitable, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité), ni de l'article 14 combiné avec les articles 6, 9 et 11 (art. 14+6, art. 14+9, art. 14+11) de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (unanimité); b) quant aux monastères Ano Xenia, Aghia Lavra Kalavryton, Metamorphossis Sotiros, Chryssoleontissa Eginis et Mega Spileo Kalavryton, qu'il n'y a pas eu violation du droit d'accès à un tribunal, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (onze voix contre deux); c) quant aux monastères Assomaton Petraki, Phlamourion Volou et Ossios Loucas, qu'il n'y a pas eu violation du droit d'accès à un tribunal, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à rejeter dans leur ensemble les deux requêtes des saints monastères". De leur côté, les monastères requérants ont prié la Cour "(...) de déclarer que les dispositions des lois 1700/1987 et 1811/1988 et les actes ultérieurs de la République hellénique sont contraires à l'article 1 du Protocole no 1 (P1-1), à l'article 6 (art. 6) et, subsidiairement, aux articles 13, 14, 9 et 11 (art. 13, art. 14, art. 9, art. 11) de la Convention; (...) de déclarer que les violations ci-dessus ont été commises contre l'ensemble des requérants; (...) d'accorder une réparation (...)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen allemand né en 1939, M. Karlheinz Schmidt réside à Tettnang, dans le Land de Bade-Wurtemberg. Le 30 avril 1982, le service compétent de la ville lui réclama une contribution de sapeur-pompier (Feuerwehrabgabe) de 75 marks allemands (DM) pour l’année 1982. Se fondant sur l’article 43 de la loi du Land sur les corps de sapeurs-pompiers dans sa version du 27 novembre 1978 (Feuerwehrgesetz, paragraphe 14 ci-dessous - "la loi de 1978") et sur l’arrêté municipal (Satzung) du 5 décembre 1979, il précisait qu’en était redevable toute personne de sexe masculin résidant à Tettnang au début de l’année budgétaire (1er janvier). Cette décision lui paraissant contraire, notamment, au principe constitutionnel de l’égalité devant la loi (article 3 de la Loi fondamentale - Grundgesetz), le requérant forma contre elle une opposition que l’autorité administrative (Landratsamt) du district du lac de Constance (Bodenseekreis) repoussa le 20 juillet. Le 16 août 1982, il saisit le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Sigmaringen. Celui-ci le débouta le 18 août 1983: se référant à la jurisprudence tant de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) que de la cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) du Land, il estima compatible avec la Constitution l’obligation pour les hommes, et non pour les femmes, de servir dans les corps de sapeurs-pompiers ou verser une contribution financière. La cour administrative rejeta l’appel que M. Schmidt avait introduit contre la décision du tribunal; elle n’autorisa pas l’intéressé à se pourvoir en cassation. Elle rappela qu’à l’instar de la Cour constitutionnelle, elle avait toujours jugé conciliable avec la Constitution la législation exigeant des seuls habitants de sexe masculin d’une commune le paiement d’une contribution de sapeur-pompier. Les arguments du requérant ne pouvaient l’amener à réexaminer sa jurisprudence ni à déférer à nouveau la question à la Cour constitutionnelle: celle-ci ne se trouverait ni devant des faits nouveaux, ni en présence d’un changement fondamental des conceptions juridiques en la matière. La cour déclara se rallier à un arrêt de la Cour constitutionnelle, du 5 juillet 1983, qui avait précisé qu’eu égard aux dangers inhérents au service de sapeur-pompier, des raisons objectives demeuraient pour l’imposer aux hommes et non aux femmes. Le requérant attaqua cet arrêt, rendu le 25 mars 1986, pour autant qu’il refusait l’autorisation de se pourvoir en cassation, mais la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) le débouta le 6 octobre 1986. Selon elle, l’affaire ne soulevait aucune question de principe (grundlegende Bedeutung). Quant au point de savoir si l’exigence d’une contribution de sapeur-pompier enfreignait la Constitution, elle y avait répondu par la négative en conformité avec un arrêt de la Cour constitutionnelle, du 17 octobre 1961. Une nouvelle saisine de cette haute juridiction n’était possible que s’il existait des faits nouveaux ou un changement fondamental des conceptions juridiques. Or la cour administrative du Land n’avait constaté rien de tel. M. Schmidt s’adressa enfin, le 11 novembre 1986, à la Cour constitutionnelle fédérale. Statuant en comité de trois membres, elle décida le 31 janvier 1987 de ne pas retenir le recours, dénué selon elle de chances suffisantes de succès. Elle releva notamment: "(...) La Cour constitutionnelle fédérale a déjà jugé, dans son arrêt du 17 octobre 1961 (...), relatif à la disposition qui correspond à l’actuel article 43 par. 2, première phrase, de la loi du Bade-Wurtemberg sur les corps de sapeurs-pompiers, qu’il n’y avait pas violation du principe d’égalité. Dans des décisions ultérieures rendues (...) les 6 décembre 1978 (1 BvR 722/77), 13 novembre 1979 (1 BvR 768/79), 5 juillet 1983 (1 BvR 210/83), 19 novembre 1985 (1 BvR 609/85) et 11 décembre 1985 (1 BvR 1277/85), elle a précisé que sous l’angle de l’article 3 par. 2 de la Loi fondamentale [qui consacre le principe de l’égalité des sexes], il n’était pas davantage intervenu entre-temps de changement général des conceptions juridiques; la limitation aux habitants masculins d’une commune de l’obligation de servir dans les corps de sapeurs-pompiers demeurait aujourd’hui encore objectivement justifiée en raison des dangers inhérents aux missions des sapeurs-pompiers, même si certaines tâches dans ce domaine étaient assumées par des femmes, et même s’il existait depuis peu des corps de sapeurs-pompiers féminins recrutés sur une base volontaire. Ne constitue pas davantage un motif d’abandonner cette conception, le fait que les Länder de Basse-Saxe (article 14 par. 3 de la loi de Basse-Saxe sur la protection contre l’incendie) et de Rhénanie-Palatinat (article 10 par. 2 de la loi de Rhénanie-Palatinat sur la protection contre l’incendie) prévoient une obligation de servir dans les corps de sapeurs-pompiers sans considération de sexe. Ce qui seul est déterminant, c’est qu’il existe encore de nos jours des raisons objectives (Anknüpfungspunkte) permettant au législateur de traiter différemment à cet égard les hommes et les femmes. Il ne doit pas en découler une obligation de prévoir une réglementation différenciée. (...)" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi du Bade-Wurtemberg sur les corps de sapeurs-pompiers date du 1er avril 1956; elle a été modifiée à plusieurs reprises, la dernière fois le 10 février 1987. La version du 27 novembre 1978 s’appliquait à l’époque des faits de la présente cause. La loi oblige les communes à instituer des corps de sapeurs-pompiers performants qui peuvent se composer de volontaires ou de professionnels (articles 4 par. 1 et 8 par. 1). Ils doivent notamment intervenir lors d’incendies, de catastrophes naturelles, d’effondrements d’immeubles, mais peuvent également être amenés à assurer la sécurité dans les théâtres, réunions et expositions, ainsi que sur les marchés (article 2 paras. 1 et 2). Tous les habitants de la commune âgés de dix-huit à cinquante ans et de sexe masculin sont astreints au service de sapeur-pompier, à moins de démontrer leur inaptitude pour raisons de santé (article 13 par. 1). Si le nombre des volontaires se révèle insuffisant, les communes peuvent faire appel auxdits habitants (article 13 par. 2), mais ce n’est jamais arrivé jusqu’ici dans le Bade-Wurtemberg. Comme la loi ne reconnaît pas un droit au service actif, les communes peuvent refuser son admission à celui qui la demande (article 12 par. 3). Les communes peuvent prévoir une contribution de sapeur-pompier qui peut atteindre 200 DM et qui est fixée par arrêté municipal; elles ne peuvent l’utiliser que pour les besoins du service dont il s’agit (article 43 paras. 1 et 4). Quiconque doit servir comme sapeur-pompier (article 13) et a son domicile dans la commune au début de l’année budgétaire, est redevable d’une telle contribution (article 43 par. 2). Certaines personnes en sont toutefois exemptées, tels les membres des corps de sapeurs-pompiers communaux (article 43 par. 3). Le système applicable en la matière dans le Bade-Wurtemberg a été contesté dès l’entrée en vigueur de la loi du 1er avril 1956. Le 17 octobre 1961, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé la contribution de sapeur-pompier compatible avec la Loi fondamentale et notamment avec le principe général de l’égalité devant la loi, en ce qu’elle constitue une "contribution compensatoire" (Ausgleichsabgabe) découlant directement de l’obligation de service. Dans treize des seize Länder de la République fédérale d’Allemagne - y compris le Bade-Wurtemberg -, la loi impose aux habitants des communes d’accomplir un service actif dans les corps de sapeurs-pompiers si le nombre des volontaires ne suffit pas. Neuf Länder prévoient pareil service pour les seuls résidents de sexe masculin. Outre le Bade-Wurtemberg, la Bavière, la Saxe et la Thuringe connaissent elles aussi l’obligation de verser une contribution aux corps de sapeurs-pompiers ou aux services de protection contre l’incendie. Là où les habitants des deux sexes se trouvent soumis au service obligatoire, la contribution frappe aussi bien les hommes que les femmes. Par ailleurs, selon les indications fournies par le requérant et non contestées, au 31 décembre 1991, 68 612 femmes servaient dans les corps de sapeurs-pompiers en Allemagne. Au Bade-Wurtemberg, ces derniers avaient été ouverts aux femmes en 1978. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Karlheinz Schmidt a saisi la Commission le 11 août 1987. Invoquant l’article 14 combiné avec l’article 4 par. 3 d) de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+4-3-d, art. 14+P1-1), il alléguait une atteinte au principe de l’égalité des sexes dans la mesure où seuls les hommes sont tenus, dans le Land du Bade-Wurtemberg, d’effectuer le service de sapeur-pompier ou, à défaut, de payer une contribution financière. La Commission a retenu la requête (no 13580/88) le 8 janvier 1992. Dans son rapport du 14 janvier 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, par quatorze voix contre trois, à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 et avec l’article 4 par. 3 d) (art. 14+4-3-d, art. 14+P1-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu’il n’y a pas eu violation des droits du requérant au titre de l’article 14 combiné avec l’article 4 par. 3 d) de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+4-3-d, art. 14+P1-1)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Procola est une laiterie constituée sous la forme d'une association agricole de droit luxembourgeois; elle a son siège social à Ingeldorf. A. La genèse de l'affaire A la suite de l'introduction, dans les Etats membres de la Communauté européenne, du régime dit des "quotas laitiers" par les règlements CEE 856/84 et 857/84 du 31 mars 1984, le Luxembourg adopta, par un règlement grand-ducal du 3 octobre 1984, les dispositions transposant en droit national ledit régime. Par plusieurs arrêtés ministériels du 10 octobre 1984, il assigna aux quatre acheteurs établis dans le Grand-Duché, c'est-à-dire aux laiteries achetant du lait aux producteurs - dont la requérante -, des quantités de référence de lait, soit des quantités au-delà desquelles on doit acquitter un prélèvement supplémentaire, en fondant sa répartition sur la collecte de l'année 1981. La requérante et deux autres acheteurs attaquèrent les décisions de fixation des quantités de référence devant le comité du contentieux du Conseil d'Etat. En application de l'article 177 du Traité instituant la Communauté économique européenne ("le Traité CEE"), cette juridiction saisit d'un certain nombre de questions préjudicielles la Cour de justice des Communautés européennes ("la Cour de justice"), laquelle statua par un arrêt du 25 novembre 1986. Au vu des réponses de la Cour de justice, le Conseil d'Etat considéra, dans un arrêt du 26 février 1987, que le choix de l'année 1981 comme année de référence avait entraîné une discrimination entre acheteurs, contraire à l'article 40 par. 3 du Traité CEE. En conséquence, il annula les décisions attaquées et renvoya l'affaire devant le secrétaire d'Etat à l'Agriculture afin de répartir de façon plus équitable, par voie de règlement grand-ducal, les quantités de référence entre les quatre laiteries luxembourgeoises. Le 27 mai 1987, le secrétaire d'Etat présenta un nouveau projet de règlement grand-ducal répartissant, cette fois, les quotas entre les quatre acheteurs sur la base des collectes effectuées au cours de l'année 1983. Pour satisfaire aux obligations communautaires, le texte proposait de rendre le nouveau système des quantités de référence applicable non seulement pour l'avenir, mais également aux campagnes laitières précédentes, à partir d'avril 1984. Il fut soumis au Conseil d'Etat pour avis. Par une lettre du 24 juin 1987, le président du Conseil d'Etat rendit le président du gouvernement attentif au fait qu'un tel effet rétroactif ne pouvait s'opérer que par la voie législative et non par la voie réglementaire. A l'issue de délibérations le 2 juillet 1987, le Conseil d'Etat proposa certains amendements et un projet de loi, comportant un seul article, qui donnait au règlement à intervenir un effet rétroactif au 2 avril 1984, date d'entrée en vigueur, dans la Communauté, du régime des quotas laitiers. Après avoir subi certaines modifications, le projet de règlement du secrétaire d'Etat du 27 mai 1987 devint le règlement grand-ducal du 7 juillet 1987 et le projet de loi du Conseil d'Etat du 2 juillet 1987 devint la loi du 27 août 1987. Cette dernière rendait le règlement applicable avec effet rétroactif "aux périodes de 12 mois d'application du prélèvement supplémentaire sur le lait ayant débuté respectivement le 2 avril 1984, le 1er avril 1985 et le 1er avril 1986". Pour ces périodes, précisait le deuxième alinéa de l'article unique de la loi, "les quantités de référence des acheteurs sont réallouées sur la base des dispositions de l'article 3 du règlement grand-ducal du 7 juillet 1987 susvisé et les quantités de référence individuelles de base et supplémentaires sont recalculées sur la base des dispositions y relatives du même règlement". Le 21 septembre 1987, le secrétaire d'Etat prit quatre arrêtés ministériels fixant pour chacune des quatre périodes annuelles de campagnes laitières, allant du 2 avril 1984 au 31 mars 1988, les quotas laitiers attribués à la requérante. B. Le recours en annulation devant le Conseil d'Etat Le 24 novembre 1987, Procola introduisit devant le comité du contentieux du Conseil d'Etat quatre requêtes en annulation visant chacun des arrêtés en question. Elle faisait valoir qu'elle-même et ses fournisseurs se trouvaient lésés en ce que les quantités de référence pour les campagnes laitières en cause étaient insuffisantes. Dans ses mémoires, outre divers moyens tirés de l'irrégularité du règlement grand-ducal du 7 juillet 1987 et de la violation de plusieurs de ses dispositions, elle critiquait l'application rétroactive dudit règlement aux campagnes laitières antérieures à celle débutant le 1er avril 1987. A titre subsidiaire, elle demandait au comité du contentieux de saisir la Cour de justice de différentes questions préjudicielles, dont une portait sur le principe de non-rétroactivité. Par un arrêt du 6 juillet 1988, le comité du contentieux repoussa les recours dans les termes suivants: "Considérant que s'il est vrai qu'en règle générale une loi ne dispose que pour l'avenir, il est loisible au législateur de donner un effet rétroactif à un acte législatif, dans la mesure où la Constitution ne l'interdit pas; qu'eu égard à l'annulation par l'arrêt du comité du contentieux du 26 février 1987, le Luxembourg était obligé de combler le vide juridique créé par cet arrêt pour éviter d'être en infraction avec les obligations contraignantes résultant du Traité de Rome; Qu'en effet, les règlements communautaires sont applicables de plein droit en vertu de l'article 189 du Traité; qu'en conséquence, le Luxembourg était obligé de légiférer dans la matière des prélèvements laitiers pour les périodes du 2 avril 1984 au 31 mars 1987; que seul le législateur national, d'ailleurs approuvé par les autorités communautaires, avait le pouvoir de ce faire; Considérant au demeurant que les pénalités qui sont attachées à un non-respect éventuel par les acheteurs des quotas pendant les première, deuxième et troisième périodes ne sont pas supérieures à celles qui auraient été dues selon l'ancienne législation; que la différence s'élevant à environ 35 millions est prise en charge par l'Etat, de l'accord des autorités communautaires, de sorte que l'effet rétroactif des quotas laitiers, loin de léser la requérante, lui est au contraire bénéfique; Considérant qu'une exception d'illégalité ne saurait valoir à l'encontre d'un acte législatif et que le moyen est dès lors à rejeter;" Quatre des cinq membres dudit comité avaient auparavant pris part à la rédaction de l'avis du Conseil d'Etat sur le projet de règlement et à l'élaboration du projet de loi en cause. II. LE DROIT PERTINENT A. Le droit communautaire et sa mise en oeuvre au Luxembourg Afin de régulariser et de stabiliser le marché laitier caractérisé par une situation de surproduction, le Conseil des ministres de la Communauté économique européenne adopta les règlements CEE 856/84 et 857/84 du 31 mars 1984. Ils introduisaient dans les Etats membres de la Communauté, pour une période de cinq ans avec effet au 2 avril 1984, le régime du prélèvement supplémentaire sur les quantités de lait collectées au-delà d'un certain seuil de garantie, appelé aussi "quantité de référence". Chaque Etat membre se voyait attribuer une quantité de référence globale qu'il devait ensuite répartir, selon la formule A, entre les producteurs ou, selon la formule B, entre les acheteurs de lait (laiteries). La quantité de référence des acheteurs ou producteurs était fixée en fonction de leur collecte ou de leur production lors de l'année 1981 ou des années 1982 ou 1983, affectées d'un pourcentage établi de manière à ne pas dépasser la quantité garantie. Le prélèvement supplémentaire, égal à un certain pourcentage du prix indicatif du lait, était dû, selon le cas, par les producteurs ou les acheteurs sur toutes les quantités de lait produites ou collectées dépassant la quantité de référence. En cas de choix de la formule B par un Etat membre, les acheteurs devaient répercuter la charge des prélèvements sur les seuls producteurs en dépassement. Le Luxembourg opta pour la formule B et, par un règlement grand-ducal du 3 octobre 1984 et plusieurs arrêtés ministériels du 10 octobre 1984, fixa les mesures d'exécution de la réglementation communautaire (paragraphe 8 ci-dessus). B. Le Conseil d'Etat A l'époque où l'arrêt critiqué par la requérante a été rendu, l'article 76, deuxième et troisième alinéas, de la Constitution, régissant la matière, disposait: "Il y aura, à côté du Gouvernement, un conseil appelé à délibérer sur les projets de loi et les amendements qui pourraient y être proposés, à régler les questions du contentieux administratif et à donner son avis sur toutes les autres questions qui lui seront déférées par le Grand-Duc ou par les lois. L'organisation de ce conseil et la manière d'exercer ses attributions sont réglées par la loi." La composition La loi du 8 février 1961, modifiée le 26 juillet 1972, organise le Conseil d'Etat. Aux termes de son article 1er: "Le Conseil d'Etat est composé de vingt et un conseillers, dont onze forment le comité du contentieux. Ce nombre ne comprend pas les membres de la Famille régnante qui font partie du Conseil d'Etat." Pour la désignation des membres du Conseil d'Etat (article 4), la loi ne distingue pas entre le comité du contentieux et le Conseil d'Etat proprement dit. Les conseillers d'Etat sont tous nommés par le Grand-Duc qui les choisit directement ou sur une liste de candidats, présentée soit par la Chambre des députés, soit par le Conseil d'Etat. Les membres du comité du contentieux sont choisis parmi les membres du Conseil d'Etat (article 5). L'article 9 définit les conditions à remplir pour devenir conseiller d'Etat. Elles sont les mêmes pour le comité du contentieux, sauf que, pour être membre de ce dernier, il faut en outre être docteur en droit ou posséder les droits attachés à ce titre. Les fonctions de conseiller d'Etat sont exercées à titre accessoire et ne sont incompatibles qu'avec celles de membre du gouvernement, de conseiller de gouvernement et de député. La loi organique prévoit (article 22, deuxième alinéa) que "les membres du comité du contentieux ne peuvent prendre part aux délibérations sur les affaires dont ils ont déjà connu dans une qualité autre que celle de membre du Conseil d'Etat". Elle admet ainsi que le fait d'avoir, en tant que membre du Conseil d'Etat, connu d'une affaire, n'empêche pas l'intéressé d'en connaître à nouveau au cas où elle serait soumise au comité du contentieux. Un mandat de conseiller d'Etat ne prend fin, en principe, qu'à la limite d'âge, actuellement fixée à soixante-douze ans. Les attributions Le Conseil d'Etat exerce principalement des fonctions de nature consultative et juridictionnelle (articles 7 et 8). En ce qui concerne les attributions consultatives (article 27), le Conseil d'Etat donne son avis sur tout projet et proposition de loi. Il en est de même de tout projet de règlement d'administration ou de police générales et de tout projet de règlement ou d'arrêté nécessaires pour l'exécution des traités. En tant qu'organe juridictionnel, le Conseil d'Etat, dans la formation du comité du contentieux, est juge de premier et dernier ressort du contentieux administratif. Ses fonctions juridictionnelles sont restreintes à deux titres il ne peut juger que de la légalité des actes administratifs individuels, à l'exclusion donc des actes de nature réglementaire; sauf disposition législative expresse (article 29), le seul recours ouvert contre ces actes est le recours en annulation, fondé sur les moyens d'incompétence, d'excès et de détournement de pouvoir, de violation de la loi ou des formes protégeant des intérêts privés (article 31). Projet de réforme En 1989, l'article 76 de la Constitution a été amendé. Un projet de loi, actuellement à l'étude, vise une profonde modification de la matière. Il envisage de séparer les fonctions consultatives et les fonctions juridictionnelles. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Procola et soixante-trois de ses adhérents, tous agriculteurs, saisirent la Commission le 22 novembre 1988. Ils se plaignaient d'une violation de leur droit à un tribunal indépendant et impartial, garanti par l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, au motif que certains membres du comité du contentieux, ayant statué sur le recours en annulation de Procola, avaient auparavant donné leur avis sur la légalité des dispositions attaquées. Ils alléguaient également que l'application rétroactive des décisions fixant les quotas laitiers enfreignait l'article 7 (art. 7) de la Convention. Ils prétendaient enfin que les prélèvements supplémentaires portaient atteinte au droit au respect de leurs biens, au mépris de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 1er juillet 1993, la Commission a retenu la requête (n° 14570/89) de Procola - mais non de ses adhérents, faute d'épuisement des voies de recours internes - quant au premier grief, et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 6 juillet 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, par neuf voix contre six, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt . CONCLUSIONS PRESENTEES DEVANT LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour de "décider que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'est pas applicable à l'espèce à elle soumise, sinon que cette disposition (art. 6-1) n'a pas été violée". Quant au conseil de la requérante, il invite la Cour à "dire, quant au fond, qu'il y a violation de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, quant à l'article 6 par. 1 (art. 6-1), dire que le préjudice de la requérante s'élève en principal à 4 456 453 [francs luxembourgeois (LUF)], augmentés des intérêts de 568 290 [LUF], soit en tout 5 024 743 [LUF]".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Physicien de formation et possédant une double nationalité, hellénique et canadienne, M. Kampanis fut le président-directeur général d’ "Industrie grecque d’armement" (Elliniki Viomikhania Oplon - "EVO"), une entreprise publique. A. La première inculpation du requérant Saisi d’une plainte pénale déposée le 8 novembre 1988 par le ministre adjoint de la Défense nationale, le procureur du tribunal correctionnel (Eissageleas Protodikon) d’Athènes requit le 21 novembre 1988 l’ouverture d’une information à l’encontre du requérant des chefs d’abus de confiance, de fraudes répétées au détriment d’EVO, de fausses déclarations ainsi que d’instigation à l’abus de confiance et à la fraude. Par un réquisitoire complémentaire du 16 décembre 1988, le procureur demanda l’élargissement de l’information à certains délits d’abus de confiance dans l’exercice de la fonction publique. Le 19 décembre 1988, le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Athènes, après avoir interrogé l’intéressé, l’inculpa d’abus de confiance qualifiés dans l’exercice de la fonction publique et de fausses déclarations. Le 23 décembre 1988, il ordonna la mise en détention provisoire de M. Kampanis à compter du 21 décembre, date de l’arrestation, et sur la base des éléments suivants (ordonnance no 24/1988): les indices de culpabilité s’avéraient suffisants et il y avait lieu de l’empêcher de fuir et de perpétrer de nouvelles infractions. Le 3 juillet 1989, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel (symvoulio plimmeleiodikon) d’Athènes décida le maintien de la détention provisoire. Le 18 juillet 1989, le requérant sollicita sa libération sous caution. Un mois plus tard, le juge d’instruction rejeta la demande en raison de la gravité des accusations portées contre l’intéressé, des peines encourues ainsi que du risque de dissimulation des preuves non encore portées à la connaissance des autorités de poursuite. A cet égard, il releva que l’accusé avait occupé un poste influent au sommet de la hiérarchie d’une entreprise étatique et avait entretenu des relations avec des fonctionnaires, lesquels pourraient, à son incitation, soustraire des documents et établir de fausses attestations ou déclarations. Au surplus, M. Kampanis avait conservé sa nationalité canadienne et il pouvait ainsi à tout moment se rendre au Canada. Enfin, le niveau de ses études, ses connaissances linguistiques et son expérience professionnelle lui permettaient de s’établir facilement dans un pays étranger. Dès lors, on pouvait craindre la fuite du requérant. B. Les deuxième et troisième inculpations du requérant Le 31 juillet 1989, le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Athènes inculpa l’intéressé, dans le cadre de la même instruction, d’abus de confiance et de fraudes relatives à certaines dépenses qu’il avait engagées et à plusieurs contrats qu’il avait conclus pour le compte d’EVO avec une société canadienne. Il rendit alors une deuxième ordonnance de mise en détention provisoire (no 6/1989) à l’encontre de M. Kampanis. Le 3 octobre 1989, toujours dans le cadre de ladite instruction, le même magistrat inculpa le requérant d’abus de confiance qualifiés au détriment d’EVO, liés notamment au versement de commissions pendant des négociations portant sur des contrats de vente d’armes. C. L’attribution de l’instruction à un juge d’instruction spécial de la cour d’appel d’Athènes et la quatrième inculpation du requérant Le 9 janvier 1990, la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation plénière (olomeleia efeteiou), décida, en vertu de l’article 29 du code de procédure pénale, de confier à un magistrat de la cour d’appel l’instruction des trois affaires appelées "affaires EVO", afin de diligenter l’instruction "dans les meilleurs délais possibles". Le 24 mai 1990, le juge d’instruction spécial de la cour d’appel inculpa l’intéressé, ainsi qu’un grand nombre de ses anciens collaborateurs, de divers actes d’abus de confiance dans l’exercice de la fonction publique; il prit en outre contre lui une nouvelle ordonnance de mise en détention provisoire (no 1/1990), exécutée le 26. Le 5 juin 1990, M. Kampanis recourut contre cette ordonnance devant la chambre d’accusation de la cour d’appel (symvoulio efeton) d’Athènes; il alléguait que son maintien en détention enfreignait l’article 6 par. 4 de la Constitution (paragraphe 31 ci-dessous) et que ladite ordonnance manquait d’une motivation adéquate. Par un arrêt (voulevma) du 28 juin 1990, la chambre d’accusation rejeta le recours comme tardif, car formé après l’expiration du délai des cinq jours prévu à l’article 285 par. 1 du code de procédure pénale. D. La clôture de l’instruction et les demandes d’élargissement présentées jusqu’au 30 janvier 1991 Le 11 juin 1990, le juge d’instruction informa le requérant, conformément à l’article 308 par. 6 du code de procédure pénale, de la clôture de l’instruction. Le 5 septembre 1990, le procureur transmit le dossier à la chambre d’accusation pour que celle-ci se prononce sur le renvoi en jugement (paragraphe 23 ci-dessous). Le 13 juin 1990, l’intéressé réclama, sans succès, sa mise en liberté sous caution. La chambre d’accusation - devant laquelle il demandait aussi à être entendu afin de pouvoir répliquer aux conclusions du procureur - rejeta son recours le 6 juillet 1990, considérant que la décision du juge d’instruction était suffisamment motivée et fondée en droit. Entre-temps, le 27 juin 1990, le procureur général près la cour d’appel avait invité la chambre d’accusation à prolonger la détention de M. Kampanis pour une période supplémentaire de six mois. Le 5 juillet 1990, le requérant pria la chambre d’accusation de l’autoriser à comparaître devant elle afin d’étayer sa demande de mise en liberté. Il soulignait que la législation en vigueur ne prévoyait pas la comparution des parties, et en particulier celle de l’accusé ou de son défenseur, pendant la procédure devant le juge d’instruction ou la chambre d’accusation; cela constituait une lacune et une imperfection de la législation, dues à l’application du système inquisitoire et au principe de la confidentialité, lequel allait souvent à l’encontre non seulement des droits de la défense de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la justice. Tout en reconnaissant que le paragraphe 2 de l’article 287 du code de procédure pénale - applicable à ce stade de la procédure - ne contenait pas de disposition semblable à celle de son premier paragraphe (paragraphes 32-33 ci-dessous), il se prévalait de ce dernier par analogie ainsi que de la prolongation de sa détention provisoire au-delà de la limite constitutionnelle de douze mois (paragraphe 31 ci-dessous), pour affirmer que sa comparution devant la chambre d’accusation s’imposait. Par un arrêt du 16 juillet 1990, la chambre d’accusation entérina les conclusions du procureur - qu’elle avait entendu le 10 juillet en l’absence de l’accusé - et confirma le maintien en détention provisoire de l’intéressé. Ni le procureur ni la chambre d’accusation ne répondirent aux arguments de celui-ci relatifs à la demande de comparution. Les 18 et 19 juillet 1990, M. Kampanis se plaignit de la durée de sa détention provisoire auprès du procureur près le tribunal correctionnel du Pirée et du procureur général près la Cour de cassation. Le 18 septembre 1990, il sollicita derechef son élargissement. A l’appui de sa demande, il soutenait que la qualification juridique correcte des infractions dont il était soupçonné imposait de calculer la durée de la détention provisoire pour les actes mentionnés dans les deux dernières ordonnances (paragraphes 10 et 13 ci-dessus) à partir de la date de sa réclusion en vertu de la première ordonnance du 21 décembre 1988 (paragraphe 8 ci-dessus); son maintien en détention depuis le 21 juin 1990 était donc illégal. Par un arrêt (no 2648/90) du 13 novembre 1990, la chambre d’accusation rejeta la demande au motif qu’il y avait concours réel des infractions mentionnées dans les deuxième et troisième ordonnances de mise en détention (paragraphes 10 et 13 ci-dessus). E. La demande d’élargissement du 30 janvier 1991 Le 30 janvier 1991, le requérant présenta à la chambre d’accusation, devant laquelle la question de son renvoi en jugement se trouvait en délibéré, une nouvelle demande d’élargissement. Il alléguait que sa détention se fondait sur les ordonnances successives des 23 décembre 1988, 31 juillet 1989 et 24 mai 1990 dont chacune fixait un point de départ différent pour le calcul de la durée de la détention, ce qui avait entraîné son maintien en prison, sans qu’il soit renvoyé en jugement, pendant vingt-cinq mois et dix jours, alors que la durée maximale autorisée par l’article 6 par. 4 de la Constitution était de douze mois et, en cas de circonstances exceptionnelles, de dix-huit mois. Une telle durée, due selon lui à la lenteur du déroulement de l’instruction, au découpage de l’accusation en plusieurs actes et à l’adoption de mandats successifs, violait la Constitution et l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention tel qu’interprété par la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme. Il reprochait du reste à la chambre d’accusation de ne pas s’être encore prononcée sur le grief tiré de la violation de la Convention alors qu’il l’avait déjà soulevé à plusieurs reprises. Enfin, il sollicitait l’autorisation de comparaître avec son avocat afin de pouvoir exposer ses arguments. Le 6 février 1991, la chambre d’accusation entendit le procureur qui développa ses conclusions déposées par écrit la veille. Le 13 février 1991, la chambre d’accusation rejeta les requêtes de l’intéressé (arrêt no 553/91). Selon elle, l’article 5 (art. 5) de la Convention ne fixait ni la durée raisonnable de la détention provisoire d’un accusé ni la procédure de contrôle de sa mise en liberté; celles-ci se trouvaient en revanche précisées dans les articles 282 et 287 du code de procédure pénale et 6 par. 4 de la Constitution. Elle releva que l’accusé, en vertu de l’ordonnance no 24/1988 du 23 décembre 1988, avait été initialement détenu pendant dix-huit mois à l’issue desquels il avait été "libéré mais fictivement" car dans l’intervalle deux autres ordonnances avaient été prises à son encontre: celle du 31 juillet 1989 (no 6/1989), prolongée en vertu de l’article 287 par. 2 jusqu’au 31 janvier 1991 (et à l’égard de laquelle la demande litigieuse n’avait plus d’objet), et celle du 24 mai 1990 (no 1/1990), qui demeurait valide. Considérant l’ensemble de la procédure suivie jusqu’alors et se référant notamment à son arrêt du 13 novembre 1990 (paragraphe 19 ci-dessus), elle estima que les allégations de M. Kampanis - selon lui, certaines infractions dont il était accusé constituaient en réalité une seule et unique infraction, et, subsidiairement, il y avait concours idéal d’infractions - concernaient le bien-fondé de l’accusation et la qualification juridique desdites infractions. Or la chambre d’accusation - qui, en vertu de l’article 29 par. 3 du code de procédure pénale, se prononce en premier et dernier degré sur la légalité et le bien-fondé de l’accusation - trancherait définitivement ces questions après avoir apprécié la totalité des éléments de preuve; elle déciderait alors en même temps de prolonger ou lever la détention (article 315 par. 1 du code de procédure pénale - paragraphe 38 ci-dessous). La demande d’élargissement du 30 janvier 1991, ayant le même objet et s’appuyant sur les mêmes éléments de preuve que celle du 18 septembre 1990, était par conséquent intempestive et devait être déclarée irrecevable. Enfin, la chambre d’accusation jugea non fondée la demande de comparution personnelle de l’intéressé: elle accueillit sur ce point le raisonnement du procureur qui, dans ses conclusions du 5 février 1991, avait souligné qu’une telle comparution "se concevait seulement lorsque la chambre d’accusation se prononçait sur le fond de l’affaire ou dans les cas spécialement prévus par la loi (cour d’appel d’Athènes, arrêt no 334/1982, Poinika Chronika, vol. 52, p. 685)" (paragraphe 39 ci-dessous). F. Le renvoi du requérant en jugement devant la cour d’appel criminelle Entre-temps, le 17 septembre 1990, saisie de la question du renvoi de M. Kampanis en jugement (paragraphe 15 ci-dessus), la chambre d’accusation avait ouï le procureur, lequel s’était retiré après avoir exposé ses conclusions. Dans un écrit du 5 septembre, il avait requis ledit renvoi ainsi que la prolongation de la détention fondée sur l’ordonnance no 1/1990 (paragraphe 15 ci-dessus). Le 18 décembre 1990, le requérant demanda à comparaître devant la chambre d’accusation. Par un arrêt (no 763/91) du 26 février 1991, long de 314 pages, la chambre d’accusation, après en avoir délibéré les 19 décembre 1990 et 15 février 1991, renvoya le requérant et quatorze de ses coïnculpés en jugement devant la cour d’appel d’Athènes siégeant en matière criminelle et composée de trois juges (Trimeles efeteio kakourgimaton). A l’encontre de l’intéressé, en tant que président-directeur général d’une entreprise publique, elle retint plusieurs préventions d’abus de confiance qualifiés et de fraude, actes constitutifs de crimes continus. Elle lui reprocha également de fausses déclarations faites en sa qualité de fonctionnaire. Elle estima de surcroît que les circonstances dans lesquelles ces crimes avaient été commis indiquaient que M. Kampanis était particulièrement dangereux, et ordonna par conséquent son maintien en détention. Quant aux demandes de comparution du requérant et de ses coïnculpés, la chambre d’accusation releva que leurs argumentations écrites étaient tellement exhaustives que des éclaircissements oraux ne s’imposaient pas; en outre, ceux de leurs mémoires déposés postérieurement aux conclusions du procureur n’apportaient aucun élément nouveau et ne modifiaient pas l’appréciation des preuves. Plus particulièrement, au sujet de l’intéressé, la chambre d’accusation estima qu’elle pouvait - sans violer l’article 309 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 37 ci-dessous) - refuser d’examiner sa demande au motif que celle-ci avait été présentée le 18 décembre 1990, donc postérieurement à la séance du 17 septembre 1990 (paragraphe 23 ci-dessus). G. La demande de mise en liberté du 29 mars 1991 Le 29 mars 1991, M. Kampanis forma une nouvelle demande de mise en liberté et de comparution personnelle; il réitéra que la durée de sa détention provisoire violait la Constitution et le code de procédure pénale. Il soulignait que le point de départ de cette durée remontait au jour de sa première incarcération pour l’un des actes constitutifs du crime continu; par conséquent, une telle durée dépassait largement la limite de dix-huit mois prévue par la Constitution et sa mise en liberté s’imposait. A titre subsidiaire, il sollicitait son placement sous contrôle judiciaire conformément à l’article 291 par. 1 du code de procédure pénale (paragraphe 34 ci-dessous). Le 2 avril 1991, la chambre d’accusation entendit le procureur qui déposa le dossier et ses conclusions datées de la veille. Le 16 avril 1991, elle tint une audience pendant laquelle le requérant, en présence du procureur, prit lui-même la parole: il ressort du compte rendu de l’audience qu’il répéta pour l’essentiel les arguments développés dans son mémoire du 15 avril 1991. Il obtint un délai jusqu’au 23 avril pour déposer des observations complémentaires. Par un arrêt (no 1488/91) du 9 mai 1991, la chambre d’accusation repoussa la demande. Les deux ordonnances de mise en détention de l’intéressé, adoptées les 23 décembre 1988 et 31 juillet 1989 par le juge d’instruction du tribunal correctionnel d’Athènes (paragraphes 8 et 10 ci-dessus), étaient caduques depuis les 21 juin 1990 et 31 janvier 1991 respectivement. Seule celle du 24 mai 1990 prise par le juge d’instruction spécial de la cour d’appel d’Athènes (paragraphe 13 ci-dessus) réglait la situation de M. Kampanis. En conséquence, la durée de la détention devait être calculée à partir de cette date et non de la première incarcération du requérant. Pour justifier sa décision, la chambre d’accusation se fonda sur le fait qu’il y avait cumul réel des infractions, sur la nécessité des deux phases de l’instruction, sur le refus de l’intéressé de coopérer ainsi que sur la complexité de l’affaire dont l’élucidation avait exigé, outre l’enquête judiciaire, de nombreux contrôles de comptabilité. Par un nouvel arrêt (no 1549/91) du 17 mai 1991, la même chambre d’accusation décida de prolonger la détention provisoire du requérant pour une période supplémentaire de six mois. Les 27 août et 20 septembre 1991, la Cour de cassation rejeta les pourvois de M. Kampanis contre les arrêts des 9 et 17 mai 1991 au motif qu’ils n’étaient pas susceptibles d’un tel recours (articles 287 par. 2, 291 et 482 du code de procédure pénale). H. La mise en liberté du requérant et la procédure de jugement Le requérant recouvra la liberté le 24 novembre 1991. Dans l’intervalle, la procédure de jugement avait débuté le 13 septembre 1991 devant la cour d’appel criminelle d’Athènes composée de trois juges. Le 30 janvier 1992 (arrêt no 232/92), à l’issue de débats qui s’étalèrent sur quatre mois, ladite juridiction déclara l’intéressé coupable d’abus de confiance qualifiés et le condamna à sept ans de réclusion criminelle; elle en déduisit la période de deux ans, onze mois et trois jours de détention provisoire et fixa à quatre ans et vingt-sept jours le restant de la durée de l’emprisonnement. Le 1er juillet 1994, la cour d’appel d’Athènes composée de cinq juges - statuant sur l’appel formé par M. Kampanis contre l’arrêt no 232/92 - qualifia de délits les infractions et réduisit la peine à deux ans et six mois d’emprisonnement, sur laquelle elle imputa la durée de la détention provisoire et de l’emprisonnement subi jusqu’alors (30 janvier - 5 mai 1992). Enfin, elle jugea que l’Etat n’était pas tenu de dédommager le requérant pour la période excédentaire pendant laquelle il avait été privé de sa liberté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Aux termes de l’article 6 par. 4 de la Constitution de 1975, "La loi fixe la durée maximale de la détention provisoire, qui ne doit pas excéder un an pour les crimes et six mois pour les délits. Dans des cas tout à fait exceptionnels, ces durées maximales peuvent être prolongées de six et trois mois espectivement par décision de la chambre d’accusation compétente." B. Le code de procédure pénale Les dispositions relatives à la durée de la détention provisoire A l’époque des faits, l’article 287 du code de procédure pénale, qui traite des limites maximales de la détention provisoire, disposait: "1. Si pendant l’instruction, la détention provisoire dure six mois en cas de crime, ou trois mois en cas de délit, le juge d’instruction doit notifier, dans les cinq jours suivants et dans un rapport motivé, au procureur général près la cour d’appel les raisons pour lesquelles l’instruction n’a pas pris fin. Ce dernier transmet le dossier au procureur de la République qui le défère à la chambre d’accusation. Après avoir entendu les parties ou leurs conseils - convoqués vingt-quatre heures au moins avant la délibération -, la chambre se prononce par un arrêt motivé et définitif sur la prolongation de la détention ou sur l’élargissement de l’accusé. Dans tous les cas et après la fin de l’instruction et jusqu’à l’adoption de la décision définitive, la durée maximale de la détention provisoire ne peut dépasser, pour une même infraction, un an pour les crimes et six mois pour les délits. En cas de circonstances exceptionnelles, la chambre d’accusation, par un arrêt motivé et non susceptible d’appel, peut prolonger lesdits délais, d’une seule traite ou successivement, de six ou trois mois respectivement (...) Si l’affaire est pendante devant le juge d’instruction et la détention provisoire se poursuit, conformément au paragraphe 1 du présent article, le juge d’instruction doit, trente jours avant l’échéance du délai maximal de celle-ci prévu dans le présent paragraphe, transmettre au procureur de la République le dossier avec un rapport indiquant les raisons pour lesquelles la prolongation de la détention provisoire s’impose; le procureur renvoie le dossier et ledit rapport avec sa proposition à la chambre d’accusation. Dans tous les autres cas, le procureur compétent doit, vingt-cinq jours au moins avant l’échéance de la durée maximale de la détention provisoire prévue dans ce paragraphe ou avant la fin de la prolongation déjà ordonnée, soumettre à la chambre d’accusation une proposition de maintien ou de levée de la détention. (...) Toute incertitude et toute contestation relatives aux durées maximales de la détention provisoire mentionnées aux premier et deuxième paragraphes du présent article sont tranchées par la chambre d’accusation compétente (...) qui doit avoir convoqué l’accusé quarante-huit heures à l’avance. L’arrêt de la chambre d’accusation est susceptible d’un pourvoi en cassation de la part de l’accusé ou du procureur." Ce dernier paragraphe fut ajouté par la loi no 1897/90 dont l’article 14 donnait audit paragraphe un effet rétroactif à partir du 24 juillet 1974. L’article 287 paras. 1 et 2, tel que modifié par la loi no 2207/94 de 1994, dispose désormais: "1. Si la détention provisoire dure six mois en cas de crime, ou trois mois en cas de délit, la chambre d’accusation décide, par un arrêt définitif et motivé, si l’accusé doit être maintenu en détention ou libéré. Pour cela: a) Si l’instruction se poursuit, le juge d’instruction doit notifier, dans les cinq jours avant l’échéance des délais susmentionnés et dans un rapport motivé, au procureur général près la cour d’appel les raisons pour lesquelles l’instruction n’a pas pris fin et transmettre le dossier au procureur près le tribunal de grande instance, qui le communique dans un délai de dix jours à la chambre d’accusation. Cinq jours aumoins avant la délibération de celle-ci, l’accusé doit être cité à comparaître en personne ou par l’intermédiaire de son avocat qu’il désigne par simple lettre visée par le directeur de la prison. La chambre d’accusation se prononce après avoir entendu l’accusé ou son avocat, si ceux-ci sont présents, et le procureur. Si l’instruction est menée par un juge de la cour d’appel en vertu de l’article 29, la chambre d’accusation de la cour d’appel est compétente pour se prononcer. b) Après la fin de l’instruction et dans les cinq jours précédant l’échéance du délai susmentionné, le procureur près le tribunal devant lequel l’affaire doit être jugée ou le procureur près la cour d’appel (...) doit transmettre à la chambre d’accusation compétente selon le paragraphe suivant, le dossier avec une proposition motivée. Pour le restant, l’alinéa a) demeure applicable. Dans tous les cas et jusqu’à l’adoption de la décision définitive, la durée maximale de la détention provisoire pour une même infraction ne peut dépasser un an pour les crimes et six mois pour les délits. En cas de circonstances exceptionnelles, ces délais peuvent être prolongés de six et trois mois respectivement par un jugement ou arrêt motivé et non susceptible d’appel: a) de la chambre d’accusation de la cour d’appel (...) b) de la chambre d’accusation du tribunal de grande instance (...) Si l’instruction est pendante devant le juge d’instruction et la détention provisoire se poursuit en vertu du premier paragraphe, le juge d’instruction doit, trente jours avant l’échéance du délai maximal de celle-ci, conformément à ce paragraphe, transmettre le dossier au procureur qui le communique dans un délai de quinze jours et avec une proposition motivée à la chambre d’accusation. Dans tous les autres cas, le procureur compétent doit, vingt-cinq jours au moins avant l’échéance du délai maximal de la détention provisoire, conformément à ce paragraphe ou avant la fin d’une prolongation déjà ordonnée, soumettre à la chambre d’accusation compétente une proposition de maintien ou de levée de la détention. Pour le surplus, les dispositions du paragraphe précédent relatives à la citation à comparaître de l’accusé, à son audition ainsi qu’à celle du procureur s’appliquent." Lorsqu’il y a cumul idéal entre plusieurs infractions ou lorsqu’une infraction a été commise de manière continue, les délais prévus à l’article 287 sont calculés à partir de la date de la première détention de l’accusé pour l’une des infractions cumulées ou pour l’un des actes constitutifs de l’infraction continue (article 288). En revanche, en cas de cumul réel le délai de la détention pour chacune des infractions est spécifique et l’article 288 ne s’applique pas. Quand la détention provisoire est prolongée au-delà de son renvoi en jugement, la chambre d’accusation compétente peut, à la demande de l’accusé ou du procureur ou même d’office, placer l’intéressé sous le régime du contrôle judiciaire (article 291 par. 1). Les dispositions relatives à la procédure devant les chambres d’accusation Conformément à l’article 306 du code de procédure pénale, les délibérations de la chambre d’accusation ne sont pas publiques; les décisions sont prises à la majorité, après que le procureur a été entendu et s’est retiré (article 138). Le juge d’instruction doit informer les parties de la clôture de l’instruction et transmettre le dossier au procureur. Les parties peuvent alors prier ce dernier - même oralement - de leur fournir une copie des conclusions qu’il entend soumettre à la chambre d’accusation; si elles formulent une telle demande, le procureur les convoque à cette fin dans un délai de vingt-quatre heures. Dès ce moment, les parties peuvent demander à comparaître en personne devant la chambre d’accusation. Si, en revanche, elles ne souhaitent pas recevoir une copie, le procureur se trouve délié de toute obligation de notification; ses conclusions se trouvent cependant déposées au greffe du parquet et les parties peuvent en prendre connaissance même si elles ont été envoyées entre-temps à la chambre d’accusation (article 308). La Cour de cassation a jugé que la demande de comparution personnelle doit être présentée au plus tard à la délibération de la chambre d’accusation au cours de laquelle le procureur expose ses conclusions (Cour de cassation, arrêts nos 187/81 et 1813/81). La compétence de la chambre d’accusation, après la fin de l’instruction, se trouve régie par l’article 309, ainsi libellé: "1. La chambre d’accusation peut: a) décider de ne pas maintenir l’accusation; b) arrêter définitivement la poursuite pénale; c) suspendre la poursuite pénale mais seulement pour les crimes d’homicide volontaire, de vol avec violence, d’exaction, de vol (...) et d’incendie volontaire; d) ordonner un complément d’instruction et e) renvoyer l’accusé en jugement devant le tribunal compétent. La chambre saisie de la demande de l’une des parties doit ordonner la comparution de celles-ci afin qu’elles fournissent, en présence du procureur, toute précision. Elle peut de surcroît autoriser les conseils à présenter oralement des observations relatives à l’affaire. La chambre peut aussi ordonner d’office les actes susmentionnés. Elle ne peut rejeter une demande de comparution que pour des motifs précis qui doivent être expressément mentionnés dans son arrêt. Lorsqu’elle ordonne la comparution de l’une des parties, la chambre est tenue de convoquer et d’entendre aussi l’autre (...)" Les motifs par lesquels la chambre d’accusation rejette une demande de comparution relèvent du pouvoir discrétionnaire de celle-ci et se dégagent de la jurisprudence. A titre d’exemple, le Gouvernement mentionne dans son mémoire le danger de perturbation de l’ordre, le risque d’évasion ou de mauvais traitement de l’accusé par la foule, l’impossibilité d’un transfert rapide, etc. Toutefois, la majorité des demandes de comparution (99 % selon certaines estimations) est rejetée au motif que l’accusé a eu l’occasion de développer suffisamment ses arguments en défense dans son mémoire. Néanmoins, il est admis qu’un rejet non motivé ou tacite entraîne sa nullité absolue selon l’article 171 par. 1 d). La chambre d’accusation renvoie le prévenu en jugement quand elle estime qu’il existe des indices suffisamment sérieux, permettant d’étayer une inculpation pour une infraction déterminée (article 313). Elle se prononce en même temps sur la nécessité de prolonger ou de lever la détention, au cas où le prévenu serait encore incarcéré (article 315 par. 1). L’arrêt no 334/1982 de la cour d’appel d’Athènes Dans son arrêt no 334/1982, auquel s’est référé le procureur dans ses réquisitions du 5 février 1991, rejetant la demande de comparution du requérant (paragraphe 22 ci-dessus), la cour d’appel a jugé: "(...) le droit de l’accusé de solliciter sa comparution devant la chambre d’accusation afin de donner des éclaircissements existe (...), après la fin de l’instruction et jusqu’à l’adoption de la décision définitive, seulement dans les cas spécialement prévus par la loi comme dans celui du contrôle de la durée de la détention provisoire (article 287 du code de procédure pénale). En conséquence, une demande de comparution personnelle de l’accusé qui tend à la levée de sa détention provisoire ou à son placement sous le régime du contrôle judiciaire n’est pas recevable; elle n’était d’ailleurs pas autorisée sous la législation préexistante (...) lorsque la chambre d’accusation se prononçait sur une demande d’élargissement (...). Cela ressort plus particulièrement a) du titre sous lequel l’article 309 du code de procédure pénale se trouve placé, à savoir `Compétence de la chambre d’accusation après la fin de l’instruction’, b) de la position du paragraphe 2 de cet article juste après le paragraphe 1 qui énumère les cas dans lesquels la chambre d’accusation se prononce sur le fond de l’affaire, c) du fait qu’alors que la comparution des accusés ou de leurs conseils est prévue par l’article 287 - qui régit les questions des durées maximales de la détention provisoire -, elle n’est pas prévue par les articles 284, 285, 286 et 291 (...), et d) de la finalité de l’article 309 par. 2 (...) qui accorde la possibilité aux parties de présenter de manière contradictoire devant la chambre d’accusation des éclaircissements et des précisions sur l’affaire litigieuse; or cette possibilité se conçoit seulement lorsque la chambre d’accusation est appelée à se prononcer sur le fond de l’affaire; une discussion contradictoire devant celle-ci au sujet d’une demande de remplacement de la détention provisoire par la mise sous contrôle judiciaire est du reste inconcevable (...). Dans ces conditions, l’appel litigieux n’est pas légal et doit être rejeté comme irrecevable." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kampanis a saisi la Commission (requête no 17977/91) le 7 mars 1991. Invoquant l’article 5 paras. 1 et 3 (art. 5-1, art. 5-3) de la Convention, il prétendait que sa détention provisoire était illégale et avait dépassé un "délai raisonnable". Il alléguait en outre une méconnaissance du principe de l’égalité des armes devant la chambre d’accusation de la cour d’appel, ce qui aurait porté atteinte à son droit de recours devant un tribunal, garanti par l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Le 5 mai 1993, la Commission a retenu ce dernier grief, pour autant qu’il concernait les procédures devant la chambre d’accusation ayant pris fin après le 7 septembre 1990, et écarté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 11 janvier 1994 (article 31) (art. 31), elle relève, à l’unanimité, une violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), uniquement quant à la procédure relative à la demande de mise en liberté du 30 janvier 1991. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement invite la Cour à "rejeter la requête de M. S. Kampanis (...) et juger que le requérant n’a pas été victime d’une violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen finlandais né en 1924, M. Erkki Kerojärvi est retraité et vit à Helsinki. Le 5 septembre 1985, le fonds national d’indemnisation des accidents (tapaturmavirasto, olycksfallsverket - "le fonds d’indemnisation") statua sur une demande du requérant, qui sollicitait de l’Etat finlandais, en vertu de la loi de 1948 sur les blessures de guerre (sotilasvammalaki, lag om skada, ådragen i militärtjänst, 28.5.1948/404 - "la loi de 1948"), une indemnité à raison de certaines affections résultant, d’après lui, du service accompli pendant les guerres de 1939 à 1945 entre la Finlande et l’Union soviétique. Le fonds d’indemnisation admit qu’une blessure causée dans le dos par un éclat d’obus était une blessure de guerre, mais rejeta les réclamations de M. Kerojärvi quant à une hernie inguinale, une prostatite chronique, une amygdalite aiguë et plusieurs autres affections. Estimant le taux d’incapacité à moins de 10 %, minimum requis pour pouvoir prétendre à une rente viagère (elinkorko, livränta) en application de l’article 8 de la loi de 1948 (paragraphe 19 ci-dessous), le fonds d’indemnisation refusa une telle prestation au requérant. En appel, le tribunal des assurances (vakuutusoikeus, försäkringsdomstolen) reconnut que l’intéressé souffrait en outre d’une amygdalite lui ouvrant droit en principe à indemnité, mais considéra que le taux d’incapacité n’en demeurait pas moins inférieur à 10 %. Le 4 septembre 1986, il débouta donc M. Kerojärvi de sa demande d’indemnisation. La Cour suprême confirma ce jugement le 15 décembre 1987. En janvier 1988, le requérant invita le fonds d’indemnisation à réajuster son taux d’incapacité. Il invoquait un rapport médical du 3 juin 1987 pour établir qu’il souffrait des affections précitées. En mai 1988, il produisit un nouveau rapport. Le fonds d’indemnisation écarta la requête le 23 août 1988 au motif que l’intéressé n’avait pas démontré un changement radical des circonstances d’après lesquelles son incapacité avait d’abord été évaluée. Le requérant attaqua cette décision devant le tribunal des assurances. Il déposa de nouvelles pièces, parmi lesquelles des radiographies et des résultats d’examens de laboratoire du 17 avril 1989; il réitéra sa demande d’indemnité pour autant qu’elle avait été écartée dans l’instance visée au paragraphe 7 ci-dessus. Au cours de la procédure, le tribunal des assurances recueillit l’avis du fonds d’indemnisation, daté du 24 octobre 1988, qui, sans être motivé, recommandait le rejet de l’appel. Il obtint aussi copie du dossier administratif concernant le requérant et d’un dossier médical où se trouvaient consignés les examens médicaux subis en temps de guerre, auprès de l’état-major du district militaire de l’Uusimaa occidental (Länsi-Uudenmaan sotilaspiirin esikunta, staben för Västra Nylands militärdistrikt). Il ressortait de ces documents, notamment, qu’en 1940 l’intéressé avait été traité dans un hôpital militaire pour une hernie inguinale et qu’en 1943, il avait subi une intervention à cause de celle-ci. Le tribunal des assurances ne communiqua pas au requérant une copie de l’avis ou des dossiers précités. Ils figuraient toutefois dans le dossier du tribunal, accessible à l’intéressé pendant toute la procédure devant celui-ci (article 19 de la loi de 1951 sur l’accès aux documents publics - laki yleisten asiakirjain julkisuudesta, lagen om allmänna handlingars offentlighet, 9.2.1951/83). Le 19 octobre 1989, le tribunal des assurances débouta le requérant quant à la question du taux d’incapacité, estimant que les blessures dues à l’éclat d’obus et l’amygdalite aiguë représentaient toujours une incapacité de moins de 10 %. Il rejeta également la demande de réparation, au motif que cette question avait été tranchée par l’arrêt de la Cour suprême du 15 décembre 1987 (paragraphe 7 ci-dessus) qui avait force exécutoire (paragraphe 21 ci-dessous). Le jugement indiquait que le tribunal avait obtenu l’avis du fonds d’indemnisation et les dossiers de l’état-major du district militaire. Il précisait en outre que le tribunal des assurances retournerait à l’état-major le dossier administratif et celui relatif aux examens subis par M. Kerojärvi pendant la guerre; il signalait aussi que la Cour suprême pouvait être saisie "si l’affaire [concernait] le droit à indemnisation". Le 31 décembre 1989, le requérant se pourvut devant la Cour suprême; il dénonçait la décision du tribunal des assurances d’après laquelle la Cour suprême avait rendu le 15 décembre 1987 un arrêt définitif sur sa demande d’indemnisation. Il demandait un traitement de consolidation sur une base annuelle et le remboursement de certains frais de subsistance. Il affirmait que ses blessures de guerre étaient incurables. Il n’indiquait pas dans son recours que les pièces recueillies par le tribunal des assurances ne lui avaient pas été communiquées. Le tribunal des assurances transmit le dossier à la Cour suprême; l’avis du fonds d’indemnisation y figurait, mais non les dossiers administratif et médical, qui avaient été retournés à l’état-major du district militaire (paragraphe 11 ci-dessus). D’après le Gouvernement, des copies du dossier administratif avaient été déposées dans la première procédure devant la Cour suprême. Le Gouvernement signale en outre que, dans la seconde, le tribunal des assurances et la Cour suprême fondèrent leurs décisions du moins en partie sur lesdits dossiers. A l’audience publique du 22 février 1995, l’agent du Gouvernement a déclaré qu’à l’époque des faits, le tribunal des assurances et la Cour suprême avaient pour pratique bien établie de ne pas communiquer le type de pièces dont il s’agit même s’ils les avaient sollicitées d’office et que la question à examiner portât sur la recevabilité ou le fond. Le 7 juin 1990, la Cour suprême confirma la décision du tribunal des assurances du 19 octobre 1989. Aux termes de son arrêt: "RECOURS A LA COUR SUPREME M. Kerojärvi a demandé une indemnité pour [certaines affections alléguées]. ARRÊT DE LA COUR SUPREME La décision du tribunal des assurances est confirmée. (...)" Le requérant ne fut représenté par un conseil ni devant le tribunal des assurances ni devant la Cour suprême. Il ne consulta le dossier à aucun moment de la procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Un régime d’indemnisation, entièrement financé par l’Etat finlandais, des blessures et maladies subies ou contractées au service militaire, a été instauré par la loi de 1948. Aux termes de l’article 1 de la loi de 1956 portant prorogation de l’application de la loi sur les blessures de guerre (laki sotilasvammalain soveltamisalan laajentamisesta, lag angående utvidgad tillämpning av lagen om skada, ådragen i militärtjänst, 15.6.1956/390), la loi de 1948 s’applique entre autres aux soldats finlandais blessés au cours des guerres entre la Finlande et l’Union soviétique de 1939 à 1945. La disposition générale de l’article 1 par. 1 de la loi de 1948 prévoit qu’au titre de la loi "seront dédommagés" les individus ayant subi des blessures ou contracté une maladie pendant le service, notamment en qualité d’appelés. Les articles 2 et 3 renferment des règles détaillées sur le type de blessures ou de maladies pouvant passer pour causées par le service militaire aux fins d’une indemnisation en vertu de la loi. 19. L’article 8 par. 1 du "Chapitre 2. De l’indemnisation" (Korvaukset, Ersättingar) est ainsi libellé: "Une personne blessée ou malade (...) dont le taux d’incapacité est d’au moins 10 % a droit à une rente viagère. Le chiffre représentant le taux d’incapacité correspond au degré où la blessure ou la maladie en question réduit la capacité de la personne concernée de subvenir à ses propres besoins." Tel qu’il était applicable à l’époque des faits, l’article 29 par. 2 prévoyait qu’une décision du tribunal des assurances sur le droit à réparation en vertu de la loi de 1948 pouvait être attaquée devant la Cour suprême. La décision du tribunal des assurances était toutefois définitive pour certaines questions. La Cour suprême interprète la disposition précitée comme signifiant que la personne concernée peut interjeter appel sur le droit à indemnité mais non sur le taux d’incapacité, de sorte qu’un recours afférent à celui-ci est irrecevable. D’après un principe général de droit en Finlande, une décision de la Cour suprême rejetant en tout ou partie la demande d’une personne qui sollicite une prestation d’une autorité publique a force exécutoire (lainvoima, laga kraft), en ce sens qu’elle n’est pas susceptible d’un autre recours, mais elle n’a pas force de chose jugée (oikeusvoima, rättskraft). Le demandeur peut donc à tout moment, au moyen d’une nouvelle requête, prier l’autorité compétente de reconsidérer la revendication (voir, entre autres, Jaakko Uotila, Seppo Laakso, Teuvo Pohjolainen, Jarmo Vuorinen, pp. 186-189, dans Yleishallinto-oikeus pääpiirteittäin, Tampere 1989). Ce principe vaut aussi pour une demande d’indemnisation en vertu de la loi de 1948. Selon la nouvelle version de l’article 29 par. 2 telle qu’elle a été modifiée avec effet au 1er janvier 1994 (par la loi no 1225/93), les décisions du tribunal des assurances en application de la loi sont définitives. Toutefois, sous réserve de conditions strictes, l’article 25 (lui aussi modifié) permet de rouvrir la procédure devant le fonds d’indemnisation ou le tribunal des assurances. Le cas échéant, les dispositions régissant la procédure devant les juridictions ordinaires s’appliquent à celle se déroulant devant le tribunal des assurances (article 9 par. 4 de la loi de 1958 sur le tribunal des assurances - laki vakuutusoikeudesta, lag om försäkringsdomstolen, 17.1.1958/14).D’après le chapitre 26, article 6, du code de procédure judiciaire (oikeudenkäymiskaari, rättegångsbalken), si la cour d’appel (hovioikeus, hovrätten) recueille de sa propre initiative un avis ou une autre déclaration écrite pouvant influer sur sa décision, elle doit, à moins que ce ne soit à l’évidence superflu, inviter les parties à les commenter par écrit. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 17506/90) du 25 août 1990 à la Commission, le requérant formulait plusieurs griefs concernant l’examen de sa demande aux fins de se voir reconnaître un taux plus élevé d’incapacité; il alléguait des violations des articles 6 par. 1 et 14 (art. 6-1, art. 14) de la Convention. Le 7 avril 1993, la Commission a retenu le grief tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et relatif à la non-communication de documents dans la procédure devant la Cour suprême; elle a rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 11 janvier 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 22 février 1995, le Gouvernement a invité la Cour à dire, comme il l’en avait priée dans son mémoire, qu’il n’y avait pas eu violation de la Convention en l’espèce. A la même occasion, le requérant a maintenu les demandes formulées dans son mémoire et par lesquelles il invitait la Cour 1) à constater que la procédure devant la Cour suprême avait méconnu son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 (art. 6) de la Convention; et 2) à lui octroyer une satisfaction équitable en application de l’article 50 (art. 50).
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I. Les circonstances de l'espèce Journaliste et médecin, MM. Yagci et Sargin étaient, respectivement, les secrétaires généraux du Parti ouvrier turc et du Parti communiste turc. En octobre 1987, lors d'une conférence de presse tenue à Bruxelles, ils annoncèrent leur intention de rentrer en Turquie pour y fonder le Parti communiste unifié turc (TBKP) et en développer l'organisation et l'action politique tout en se conformant à la loi. Arrivés à Ankara le 16 novembre 1987, ils furent arrêtés à leur descente d'avion et placés en garde à vue. Le 4 décembre, le parquet demanda à la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara leur mise en détention provisoire. Le 5 décembre, le juge assesseur rendit une ordonnance dans ce sens sur la base de forts indices de culpabilité et après avoir entendu les intéressés. Il leur reprochait d'avoir dirigé une organisation visant à asseoir la domination d'une classe sociale et fait de la propagande à cette fin et avec l'intention de supprimer les droits garantis par la Constitution; d'avoir suscité parmi la population un sentiment d'hostilité et de haine; d'avoir nui à l'honneur de la République turque et à sa réputation ainsi qu'à celle du président et du gouvernement (articles 140, 141/1, 142/1-6, 142/3-6, 158, 159, 311 et 312 du code pénal turc). Ces infractions constituaient également une atteinte à l'autorité du gouvernement et pouvaient être qualifiées de crimes. Le 10 décembre 1987, les conseils des requérants attaquèrent ladite décision qui fut toutefois confirmée à l'unanimité par la cour de sûreté de l'Etat le 16. Le 11 mars 1988, le parquet engagea des poursuites à l'encontre de MM. Yagci et Sargin et quatorze autres personnes. Le procès s'ouvrit le 8 juin 1988, et comporta quarante-huit audiences. Le dossier se composait de quarante classeurs. Le nombre des représentants des accusés, mandatés avant et lors des débats, s'éleva à 400. Les deux premières audiences furent consacrées à la lecture de l'acte d'accusation, long de 229 pages. Puis la cour interrogea les requérants et écouta leurs plaidoiries durant six audiences (du 4 juillet au 24 août 1988). Cette activité ainsi que le contenu du dossier et la nature des faits à l'origine de l'affaire justifiaient, selon la juridiction, le maintien en détention des accusés. A l'audience du 29 août 1988, l'un des conseils de MM. Yagci et Sargin formula pour la première fois une demande de mise en liberté provisoire. Il avançait les arguments suivants: ses clients se trouvaient en détention depuis neuf mois et demi, la période de garde à vue étant comprise dans ce laps de temps; bien que la nature des infractions reprochées pût faire craindre la fuite des requérants en cas de mise en liberté, ce danger était exclu en l'occurrence car ceux-ci avaient déclaré publiquement qu'ils retourneraient en Turquie pour asseoir la légalité de leur parti; les divergences d'opinions politiques entre les intéressés et le régime au pouvoir ne pouvaient passer pour une atteinte à l'autorité du gouvernement et de l'Etat. La cour rejeta la requête, estimant que les raisons indiquées dans l'ordonnance du 5 décembre 1987 (paragraphe 8 ci-dessus) demeuraient valables. Le 21 septembre 1988, un autre représentant des requérants réitéra la demande, repoussée le même jour par la cour sur la base du contenu du dossier, de la nature des infractions et des motifs indiqués dans l'ordonnance litigieuse. Les 14 octobre et 4 novembre 1988, la cour de sûreté de l'Etat ordonna le maintien en détention de MM. Yagci et Sargin, en se fondant toujours sur le contenu du dossier. Elle examina également les problèmes d'organisation posés par les audiences en raison du nombre élevé des personnes désirant y assister. Les avocats avaient quitté la salle pour obtenir la levée des mesures de sécurité appliquées durant les débats. Une nouvelle requête de mise en liberté provisoire fut déposée le 2 décembre 1988 par l'un des avocats des requérants. Elle mettait l'accent, entre autres, sur les déclarations de hauts responsables du monde politique et judiciaire, favorables à des modifications de la législation afin d'autoriser la constitution d'un parti communiste. A l'issue de l'audience, la cour opposa un refus eu égard au contenu du dossier. Le même sort fut réservé à une demande identique formulée le 30 décembre par M. Sargin, ainsi qu'à celles des avocats datées des 27 janvier, 22 février, 24 mars, 21 avril et 18 mai 1989. Les motifs à l'appui du rejet furent encore les mêmes: la nature des infractions reprochées, le contenu du dossier, la durée de la détention et le fait que l'état des preuves n'avait pas changé. Le 21 avril 1989, lors de la dix-huitième audience, la cour ordonna la lecture des documents renfermant les éléments de preuve, conformément au souhait exprimé par les avocats des intéressés. Dans une nouvelle demande de mise en liberté, le 3 juillet 1989, lesdits conseils invoquèrent la Convention. Ils soutenaient que les articles 141 et 142 du code pénal contredisaient les dispositions de cet instrument et allaient être abrogés sous peu. La cour les débouta en s'appuyant sur le contenu du dossier ainsi que sur la date et les raisons de la mise en détention. La tentative de M. Yagci, du 2 août 1989, n'eut pas plus de succès. Reprochant à la cour le caractère répétitif de ses ordonnances, il l'exhorta à les motiver de façon plus précise. Il fit observer en outre que l'intervalle d'un mois entre deux audiences contribuait à prolonger sa détention. La cour lui répondit qu'aucun changement justifiant sa libération n'était intervenu. Les 25 août et 18 septembre 1989, la cour de sûreté de l'Etat rejeta deux nouvelles requêtes du même ordre; les motifs de ses décisions demeuraient inchangés. Le 18 octobre 1989, l'un des conseils des requérants invoqua la notion de "délai raisonnable" visée aux articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention et affirma que la durée de la détention de ses clients constituait une violation de ces dispositions. Il contesta notamment le caractère itératif des raisons avancées par la cour pour rejeter leurs demandes de mise en liberté. La juridiction ordonna le maintien de la détention en s'appuyant encore une fois sur la nature des infractions et le contenu du dossier. L'applicabilité directe de la Convention en droit turc fut à nouveau soulignée à l'audience du 17 novembre 1989. Cependant, la cour de sûreté de l'Etat rejeta la demande d'élargissement ainsi que celles formulées les 15 décembre 1989 et 6 avril 1990. Les 8 février et 9 mars 1990, elle avait respectivement examiné la possibilité de joindre l'affaire avec d'autres procès et poursuivi la lecture des éléments de preuve. Lors de ces deux audiences, elle avait également considéré d'office la question du maintien en détention. La mise en liberté provisoire de MM. Yagci et Sargin intervint finalement le 4 mai 1990 et fut assortie de l'interdiction de quitter le territoire national. Dans sa décision, adoptée à l'unanimité, la cour de sûreté de l'Etat prit en considération l'évolution législative en cours qui pouvait "modifier en faveur des intéressés les lois ayant donné lieu à leur mise en accusation". Le 11 septembre 1990, la cour rejeta une demande de sursis à statuer, datée du 11 juillet 1990 et fondée sur le fait qu'il était opportun d'attendre l'issue de la procédure engagée devant la Cour constitutionnelle et relative à la dissolution du Parti communiste turc. Le 10 juin 1991, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi antiterroriste du 12 avril 1991 qui abrogeait les articles 141, 142 et 143 du code pénal, la cour décida d'interrompre la lecture des éléments de preuve concernant ces dispositions et de la poursuivre pour tout ce qui se rapportait aux autres accusations. Cette activité s'acheva le 10 juillet, lors de la quarante-cinquième audience. Le 26 juillet 1991, le procureur prononça son réquisitoire; puis les 9 et 26 août, les requérants présentèrent leur défense. Le 9 octobre 1991, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara acquitta MM. Yagci et Sargin des accusations portées contre eux au titre des articles 140, 141 et 142 du code pénal, car ceux-ci avaient été abrogés, ainsi que de celles formulées au titre des articles 311 et 312, réprimant l'incitation à la haine. Elle se déclara incompétente au profit de la sixième cour d'assises d'Ankara quant à l'atteinte à la réputation de la République turque, de son président et du gouvernement. Le 27 janvier 1992, cette dernière juridiction déclina sa compétence en faveur de la deuxième cour d'assises d'Ankara qui, par un arrêt du 9 juillet 1992, acquitta les intéressés. Aucun pourvoi ne fut formé contre cette décision, qui devint définitive le 16. II. Le droit interne pertinent A. La Constitution L'article 19 par. 7 de la Constitution dispose: "Toute personne privée de sa liberté pour quelque motif que ce soit a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'il statue à bref délai sur son sort et, au cas où cette privation de liberté serait illégale, qu'il ordonne sa libération." B. Le code pénal Telles qu'elles s'appliquaient à l'époque des faits de la cause, les dispositions du code pénal étaient les suivantes: Article 140 "Le citoyen qui, dans un pays étranger, donne et publie des nouvelles mensongères exagérées dans un but subversif, ou déploie une activité contraire aux intérêts nationaux, de façon à ce qu'elle lèse la considération ou le respect que l'on a de la Turquie à l'étranger, sera puni de cinq ans d'emprisonnement au moins." Article 141 "Quiconque essaie d'établir la domination d'une classe sur les autres classes sociales, de faire disparaître une classe sociale, de créer des associations de quelque manière et sous quelque nom que ce soit pour renverser l'ordre fondamental social ou économique du pays ou qui crée de telles associations, en réglemente, en dirige, en administre ou en guide l'activité, sera puni de huit à quinze ans d'emprisonnement. Quiconque réglemente, dirige ou administre plusieurs ou toutes les associations de ce genre, sera puni de la peine de mort. (...)" Article 142 "Quiconque fait, de quelque manière et sous quelque nom que ce soit, de la propagande pour établir la domination d'une classe sur les autres classes sociales, pour faire disparaître une classe sociale, pour renverser l'ordre fondamental social ou économique du pays, ou pour anéantir totalement l'ordre politique ou juridique de l'Etat, sera puni de cinq à dix ans d'emprisonnement. (...) Quiconque fait, de quelque manière que ce soit, de la propagande pour des raisons racistes ou dans l'intention d'abolir totalement ou partiellement les droits garantis par la Constitution, ou dans le but d'affaiblir le sentiment national, sera puni d'un à trois ans d'emprisonnement. Quiconque fait l'apologie des actes énoncés aux premier et deuxième alinéas précédents sera puni de cinq ans de réclusion au plus, et en ce qui concerne les actes énoncés au troisième alinéa, de six mois à deux ans d'emprisonnement. Quiconque a commis les actes énoncés aux alinéas précédents, dans les organisations et avec les personnes prévues au sixième alinéa de l'article 141, verra sa peine augmentée d'un tiers au plus. Si les actes énoncés aux alinéas précédents ont été commis au moyen de publications, la peine sera augmentée de moitié." Article 158 "Quiconque profère des injures à l'égard du président de la République et des injures en sa présence sera puni de trois ans d'emprisonnement au moins. Si l'insulte et l'injure sont commises en l'absence du président de la République, l'auteur sera puni d'un à trois ans d'emprisonnement. Même si l'offense est faite à mots couverts ou par allusion, sans que soit clairement mentionné le nom du président de la République, mais s'il existe des présomptions ne laissant aucun doute que l'offense est dirigée contre la personne du président de la République, elle sera considérée comme ayant été expressément faite. Si l'infraction est causée par voie de presse, la peine est augmentée d'un tiers jusqu'à la moitié." Article 159 "Quiconque insulte ou vilipende publiquement la nation, la République, la Grande Assemblée nationale, l'autorité morale du Gouvernement, les ministères, les forces militaires ou bien de défense et de sûreté de l'Etat, ou l'autorité morale du pouvoir judiciaire, sera puni d'un à six ans d'emprisonnement. Même si dans l'exécution de l'infraction prévue au premier alinéa le nom de la personne outragée ou insultée n'est pas mentionné ouvertement, mais s'il existe des présomptions qui ne laissent aucun doute que l'offense et l'insulte étaient dirigées contre l'une des personnes mentionnées au premier alinéa, l'offense sera considérée comme ayant été commise explicitement contre elle. Quiconque injurie publiquement les lois de la République turque ou les décisions de la Grande Assemblée nationale, sera puni de quinze jours à six mois d'emprisonnement et d'une amende de 100 à 500 livres. Si l'insulte contre la nation turque est commise par un Turc dans un pays étranger, la peine applicable sera aggravée d'un tiers jusqu'à la moitié." Article 311 "Quiconque provoque publiquement à commettre une infraction sera puni comme suit: de trois à cinq ans de réclusion, s'il s'agit d'une infraction pour laquelle une peine supérieure à l'emprisonnement à temps est prévue; de trois ans d'emprisonnement au plus, selon la nature de l'infraction, si la peine prévue est la réclusion ou l'emprisonnement à temps; d'une amende de 500 livres au plus dans les autres cas. Si la provocation se fait par des journaux ou des revues ou d'autres écrits imprimés répandus ou par des écrits manuscrits qu'on diffuse en les polycopiant et en apposant des pancartes ou des affiches dans les lieux publics, les peines de réclusion et d'emprisonnement prévues aux alinéas précédents seront doublées. Dans les cas où une amende est prévue, cette peine consistera en une amende de 25 à 1 000 livres, selon la nature de l'infraction. Dans les cas prévus aux deuxième et troisième alinéas, la peine ne pourra dépasser le maximum de la peine prévue pour l'infraction à laquelle se rapporte la provocation. Si la provocation publique a eu pour conséquence la commission de l'infraction ou sa tentative, les provocateurs seront punis comme les auteurs." Article 312 "Quiconque, publiquement, loue ou fait l'apologie d'un acte que la loi punit comme une infraction, ou pousse la population à la désobéissance à la loi, ou suscite la haine entre les différentes classes de la société, d'une manière qui met en péril la sécurité publique, sera puni de trois mois à un an d'emprisonnement et d'une amende de 50 à 500 livres. Si les actes énoncés à l'alinéa précédent ont été commis par voie de publication, les peines seront doublées." C. Le code de procédure pénale Le code de procédure pénale, lui, contenait à l'époque des faits de l'espèce les clauses ci-après: Article 112 "Pendant l'enquête préliminaire, aussi longtemps que dure la détention provisoire de l'accusé et à un intervalle de trente jours au maximum, le juge de paix examine, à la requête du procureur, s'il est ou non nécessaire de maintenir l'intéressé en détention. L'accusé peut aussi demander, dans le délai prévu au paragraphe précédent, que le tribunal se penche sur la question de sa détention provisoire. Pendant le procès d'un accusé en détention provisoire, le tribunal décide d'office, lors de chaque audience ou, si les circonstances l'exigent, entre les audiences, s'il est nécessaire de proroger la détention provisoire de l'intéressé." Article 219 "L'audience se poursuit sans intervalle en présence des parties. (...)" Article 222 "On ne peut interrompre une audience pendant plus de huit jours, sauf en cas de nécessité. Lorsque les accusés sont en détention provisoire, l'interruption ne peut dépasser trente jours, même s'il existe un cas de nécessité." Article 299 "(...) l'examen des oppositions introduites à l'encontre des décisions et ordonnances rendues par ce tribunal [cour d'assises] incombe à la cour d'assises la plus proche (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Yagci et Sargin ont saisi la Commission le 6 février 1990. Ils se plaignaient de la durée de leur détention provisoire (article 5 par. 3 de la Convention) (art. 5-3) et de celle de la procédure pénale engagée contre eux (article 6 par. 1) (art. 6-1). La Commission a retenu les requêtes (nos 16419/90 et 16426/90) le 10 juillet 1991. Dans son rapport du 30 novembre 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation des ces deux dispositions (art. 5-3, art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt (1). _______________ Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 319-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement demande à la Cour "d'accepter [ses] exceptions préliminaires présentées (...) aussi bien dans le cadre de la compétence de la Cour que de la recevabilité de l'affaire à la fois devant la Commission et la Cour. A titre subsidiaire, (...) de statuer sur la non-violation des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention".
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