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Si cette déclaration entraîne une accalmie dans la presse, ce n'est pas le cas dans les États de la Bible Belt. L'arrivée du groupe là-bas est accompagnée d'un important dispositif de sécurité : voitures blindées, leurres, arrivées dans des lieux isolés des aéroports pour éviter les tirs de snipers, et souvent de nuit. Malgré cela, plusieurs impacts de balle sont retrouvés dans le fuselage de leur avion. Un membre du Ku Klux Klan déclare ouvertement à la télévision qu'il y aura des « surprises » pour le groupe durant un concert à Memphis le 19 août. La surprise promise se révèle inoffensive, mais effrayante, comme le raconte par la suite Lennon : « Une nuit, pendant un concert quelque part dans le Sud, quelqu'un a lancé un pétard sur la scène. On avait menacé de nous abattre, le Klan brûlait les disques des Beatles à l'extérieur et un tas de mômes aux cheveux en brosse se ralliaient à lui. Quelqu'un a lancé un pétard et on s'est tous regardés parce que chacun de nous a cru qu'un des autres s'était fait tirer dessus. Une ambiance épouvantable ! »
Cet élément conforte un avis déjà bien ancré pour le groupe, en particulier pour Lennon : les Beatles ne sont plus un groupe de scène, et doivent arrêter les tournées. Se produire dans un brouhaha indescriptible au milieu d'un public qui vient plus pour hurler que pour écouter la musique (Lennon va jusqu'à parler de « foutus rites tribaux » et d'« exhibition de monstres ») ne satisfait plus aucun des Beatles, alors que la musique du groupe évolue avec de plus en plus d'innovations sonores en studio (chaque membre jouant en outre de plusieurs instruments) qui sont impossibles à recréer en direct. Bien que la chose ne soit jamais officialisée, le concert de Candelstick Park, à San Francisco, le 29 août 1966, est donc le dernier de la carrière des Beatles (si l'on excepte le concert privé donné sur le toit des bureaux d'Apple à Londres, le 30 janvier 1969). Pour Lennon, l'« affaire Jésus » est un déclencheur : « Je ne voulais plus tourner, surtout après avoir été accusé d'avoir crucifié Jésus, alors que je n'avais rien fait d'autre qu'une remarque désinvolte, et après avoir dû endurer le Klan à l'extérieur et les pétards à l'intérieur. Je ne pouvais pas en supporter plus. »
À la fin des années 1960, poussé par son mariage avec Yoko Ono et la naissance de ses engagements politiques, Lennon parle à nouveau de Jésus-Christ et de la religion, souvent de façon volontairement provocatrice. Au cours de ses Bed-in for Peace tout d'abord, il se revendique comme un héritier des méthodes du Christ : « Nous essayons de moderniser le message du Christ. Qu'aurait-il fait s'il y avait eu la publicité, les disques, les films, la télévision et les journaux ? Le Christ réalisait des miracles pour transmettre son message. Eh bien, le miracle, aujourd'hui, c'est la communication. Alors utilisons-la. » Quelques semaines plus tard, lorsqu'il enregistre The Ballad of John and Yoko, il y glisse un pied de nez envers tous ceux qui l'avaient attaqué en 1966, en s'adressant directement à Jésus : « Christ, you know it ain't easy. You know how hard it can be. The way things are going, they're gonna crucify me ! » (« Christ, tu sais que ce n'est pas facile. Tu sais à quel point ça peut être dur. Au train où vont les choses, ils vont me crucifier ! »).
Dans sa carrière solo, Lennon revient également à plusieurs reprises sur son rapport à la religion. En 1970, dans un album très personnel et introspectif, John Lennon/Plastic Ono Band, il compose la chanson God, qu'il commence en expliquant que « Dieu est un concept par lequel nous mesurons notre douleur » (« God is a concept by which we mesure our pain »). Cette chanson continue avec une phrase encore plus forte du chanteur, qui considère ne plus croire qu'en « Yoko et [lui] ». Il en va de même avec la chanson la plus célèbre de Lennon, Imagine, appelée à toucher des millions de personnes. Le chanteur y appelle en effet à imaginer un monde sans guerres, sans avarice, mais surtout sans paradis ou enfer, et même sans religion. Pourtant, comme il le redira en 1980 dans une interview au magazine Playboy, sa foi et son éducation chrétienne n'ont pas totalement disparu : « Je suis quelqu'un de très religieux. Je comprends seulement maintenant certaines des choses que le Christ a dites dans ses paraboles. » Toute sa vie, le rapport de Lennon à la religion reste en effet plein d'ambiguïtés. John se montrera toute sa vie adepte des valeurs pacifiques du christianisme, ou du bouddhisme, ou de la méditation transcendantale, mais se montrera en revanche très critique sur les croyances qui leur sont associées (voir la chanson Sexy Sadie). Ce mélange de critique et d'indulgence peut aussi rappeler dans le monde francophone les postures de Georges Brassens ou Jacques Brel, voire de Renaud dans leurs chansons.
Le 8 décembre 1980, John Lennon est assassiné à New York par Mark David Chapman. Si les raisons de son acte sont peu claires, un des motifs évoqués est cette citation de Lennon sur Jésus-Christ, que l'assassin aurait ressentie comme un blasphème, étant un fervent chrétien, devenu Born Again en 1970. Il aurait été de surcroît particulièrement outré par les paroles de la chanson God. Cependant, il est également souvent considéré que Chapman a surtout mal perçu le changement de vie de Lennon à la fin des années 1970. Que l'homme qui chantait dans Imagine qu'il fallait un monde sans possessions vive dans un appartement de luxe du Dakota Building aurait en effet été ressenti par le tueur comme une trahison. À ce propos Chapman avait changé les paroles de la chanson, fredonnant « Imagine John Lennon dead ».
La réponse officielle de l'Église catholique ne vient que beaucoup plus tard. En 2008, pour le quarantième anniversaire de l'album blanc des Beatles, L'Osservatore Romano, organe officiel du Vatican, a très officiellement pardonné les propos de Lennon, déclarant que « c'était un jeune Anglais de la classe ouvrière confronté à un problème inattendu. Ses propos ont dépassé sa pensée ». Deux ans plus tard, pour les quarante ans de la séparation du groupe, le même journal déclare en première page avoir totalement pardonné au groupe, qu'il qualifie de « joyau précieux », tout en disant que le groupe a « pu tenir des propos sataniques ». Ce pardon, intervenant à un moment où l'Église catholique souffre d'un fort scandale concernant des prêtres pédophiles, n'est pas du goût de Ringo Starr qui rétorque, dans une interview pour la promotion de son album Y Not : « Le Vatican n'a-t-il pas dit que nous étions sataniques ou peut-être sataniques... et ils nous ont tout de même pardonné ? Je pense que le Vatican, il y a plus à dire sur eux que sur les Beatles ».
Le Colobe roux de Zanzibar, Piliocolobus kirkii, ou Colobe bai de Kirk, est une espèce de primates, originaire de l'archipel de Zanzibar sur la côte de la Tanzanie. Les adultes ont le pelage du ventre blanc, le dos roux et la face et les pattes noires. C'est une espèce sociale formant des groupes comptant quelques dizaines d'individus. Les singes communiquent entre eux par cris, pour signaler une menace ou montrer leur dominance. Le Colobe roux de Zanzibar a un régime alimentaire essentiellement folivore, et consomme de jeunes pousses des arbres de son habitat, comme les badamiers. Les femelles font un ou deux petits tous les deux ans, après six mois de gestation.
Le Colobe roux de Zanzibar habite principalement la moitié sud d'Unguja, l'île principale de l'archipel, mais on en trouve aussi dans les îles environnantes. Il apprécie les zones sèches, mais aussi les mangroves selon les régions, et ne craint pas de s'approcher des zones d'habitation humaines pour bénéficier des ressources des terres agricoles. Reconnue comme espèce menacée, sa population décroit mais étant donné son aire de répartition restreinte, les scientifiques tentent de mettre en place avec l'aide de gouvernements locaux des stratégies de protection de la population et de ses habitats, ainsi que quelques plans de réintroduction. Seule la moitié de la population vit dans des aires protégées.
Le pelage de ce cercopithécidé se compose majoritairement de trois couleurs. Une bande noire court le long des épaules et des bras ; le ventre et le dessous des membres sont blancs. Son visage noir est couronné de longs poils blancs et présente une marque rose sur le nez et les lèvres. Le Colobe roux de Zanzibar a une longue queue non préhensile qu'il utilise uniquement pour maintenir son équilibre lors de ses déplacements dans la canopée. Le dimorphisme sexuel est peu marqué dans cette espèce, la taille et la couleur du corps des femelles ne différant presque pas de celles des mâles. Dans les groupes, les femelles sont généralement plus nombreuses que les mâles. Les traits du visage permettent de différencier facilement les individus au sein d'un groupe. Ces singes ont de petits crânes et la forme de leur corps est plutôt arrondie. Les mâles peuvent peser plus de douze kilogrammes et les femelles plus de dix.
Le mot « colobe » est un dérivé du mot grec signifiant « mutilé » car, contrairement aux autres singes, ces singes n'ont pas de pouce opposable et leurs mains ne sont donc pas préhensiles. Leurs quatre longs doigts leur servent de crochet afin de s'accrocher facilement aux branches des arbres.
À cause de la forte odeur corporelle des Colobes roux de Zanzibar, les habitants de l'île les ont surnommés kima punju, qui veut dire « singe poison » en swahili. Ceci a induit une mauvaise image des locaux qui pensent parfois que ce singe est maléfique et qu'il tue les arbres sur lesquels il vit.
Les groupes se composent en général de quatre mâles adultes et de nombreuses femelles ; le ratio habituel est d'un mâle pour deux femelles. Les jeunes de différents âges sont aussi présents dans le groupe. Le nombre de singes peut varier de 30 à 50 individus. L'espèce est très sociale et les singes peuvent être observés jouant et se toilettant pendant les périodes de repos entre les repas. À l'inverse des femelles, les groupes de mâles sont très soudés, n'hésitant pas à défendre ensemble leur groupe et même à se toiletter entre eux.
Comparé aux autres membres de la sous-famille des Colobinae, les espèces du genre Piliocolobus ont un larynx plus petit. Ainsi, contrairement au cri grave des mâles des espèces de colobes noirs et blancs, le cri des mâles Procolobus kirkii est plus alto ou soprano. N'étant pas un animal territorial, le Colobe roux de Zanzibar ne produit pas de forts cris d'intimidation. Parmi les cris de détresse et d'alarme on compte un aboiement, un son en « chist » et un en « wheet ». Les cris les plus forts se font entendre lorsque le mâle exprime sa dominance sur le groupe ou lorsqu'il vérifie le statut sexuel de ses femelles.
Dans la forêt de Jozani, le cri le plus souvent entendu est le « signal d'alerte » qui dérive du cri de déplacement. Ainsi des grognements sont émis par les singes lorsqu'ils perçoivent un changement climatique ou la présence d'un animal près du groupe. Par ailleurs, chez les animaux arboricoles, deux types de signaux existent, permettant de prévenir si le danger vient du sol ou du ciel. Cependant, l'absence de rapaces à Zanzibar justifie l'absence de cris signalant un danger aérien. Néanmoins, les jeunes, plus petits et plus vulnérables, peuvent souvent émettre ce type de cri lorsqu'ils voient des ombres.
Le colobe roux de Zanzibar étant très social, il possède un cri qu'il pousse lorsqu'il se trouve seul pendant un long moment et qu'il se sent menacé ou vulnérable. La plupart du temps, ce cri est poussé par les jeunes mais, lorsqu'ils en sentent la nécessité, les adultes l'utilisent aussi.
L'alimentation est une activité de groupe qui commence tôt le matin et se poursuit pendant les parties fraîches de la journée. Les mâles poussent de bruyants cris lorsqu'il est temps pour le groupe de se déplacer vers un autre arbre pour se nourrir.
Cette espèce est principalement folivore et les feuilles consommées sont en général de jeunes pousses. Les Colobes roux de Zanzibar mangent également des graines, des fleurs et des fruits non mûrs. Étonnamment, il peut leur arriver de consommer de l'écorce, du bois mort ou même de la terre ; la consommation du cycadophyte Encephalartos hildebrandtii a également été observée. Le colobe roux est l'une des rares espèces qui ne consomme pas de fruits mûrs. En effet, il a un estomac sacculé, divisé en quatre poches spécialement adaptées à la dégradation des matières végétales, mais il ne peut digérer les sucres contenus dans les fruits mûrs. Consommant de jeunes pousses, cette espèce ingère parfois du charbon, dont on pense qu'il aide à la digestion des toxines (probablement des composés phénoliques) que l'on retrouve dans les jeunes pousses des badamiers ou des manguiers. Cette consommation de charbon est un comportement probablement enseigné par la femelle à sa progéniture. Il est également à noter que toutes les populations de colobes roux ne s'adonnent pas à cette pratique. En effet, seuls certains groupes consommant des feuillages plus exotiques sont concernés.
Puisque certaines populations se nourrissent beaucoup dans les mangroves, elles consommes plus de chlorure de sodium que les autres. À cause de cela, elles ont été observées en train de lécher des feuilles ou de boire de l'eau en rétention dans certains arbres. Ce comportement montre les capacités d'adaptation de cette espèce aux nouvelles conditions environnementales et écologiques. Pendant la saison sèche, un des aliments de base du colobe roux, le badamier, perd ses feuilles. Cela oblige parfois les singes à sortir des limites de réserves naturelles pour se nourrir et les expose à de nombreux dangers.
Les mâles atteignent leur maturité sexuelle entre trois ans et trois ans et demi environ. Les femelles l'atteignent quant à elles vers deux ans. En chaleur elles sont facilement reconnaissables par le gonflement et la couleur rouge vif de leurs parties génitales. Ceci permet aux mâles de savoir que la femelle est prête pour l'accouplement. Par ailleurs, juste avant l'accouplement, les mâles utilisent leurs doigts pour sonder les organes génitaux des femelles. Ils reniflent ensuite la zone afin de détecter la présence d'œstrogène et de progestérone. Lorsqu'ils se sont assurés par ces méthodes que la femelle est vraiment en chaleur, l'accouplement commence.
Chez lez colobes, la gestation dure environ six mois et chaque femelle a entre un et deux nouveau-nés tous les deux ans. Les soins parentaux sont intenses et sont parfois partagés entre plusieurs femelles du groupe. 76 % de la progéniture naît entre septembre et décembre. Lorsque de nouveaux mâles rejoignent un groupe avec des nouveau-nés, des infanticides peuvent avoir lieu. Les recherches ont montré que la capacité d'expansion alimentaire, entraînée par la consommation de charbon, explique le haut taux de natalité et la haute densité des populations. D'ailleurs, le taux de natalité est supérieur au sein des populations vivant dans les mangroves car la nourriture y est plus abondante.
Il y a plus de naissances entre octobre et décembre chez les populations de l'île d'Uzi et entre janvier et février pour celles de Kiwengwa (localité se trouvant sur la partie orientale de l'île principale). La mortalité infantile est très élevée. Près de la moitié des jeunes n'atteint pas l'âge de 6 mois. Le taux de natalité a par ailleurs baissé comparativement aux populations du continent. Les intervalles entre chaque naissance ont également augmenté. Les recherches suggèrent que ceci est une conséquence des transformations de l'habitat de ces singes.
Le Colobe roux de Zanzibar ne vit plus que dans trois forêts de l'archipel de Zanzibar, et se trouve essentiellement dans la moitié sud de l'île principale, Unguja. Une petite population introduite se trouve également sur Pemba ; elle y survit depuis le milieu des années 1970 mais ne semble pas viable.
Bien qu'étant une espèce majoritairement arboricole, on le retrouve parfois au sol et notamment près des zones agricoles où les singes sont habitués au contact humain. Dans le parc national Jozani Chwaka Bay, ces singes préfèrent les zones sèches, mais aiment néanmoins se retrouver dans les mangroves où la nourriture est disponible toute l'année,. Sur Uzi au contraire, ils fréquentent beaucoup la mangrove dominée par Rhizophora mucronata, où ils se trouvent 85 % du temps d'observation. La nourriture salée les force cependant à rechercher de l'eau douce. Cela pourrait faire des mangroves de la petite île un habitat particulièrement précieux, la sous-espèce temminckii du colobe bai (Piliocolobus badius) ayant aussi développé cette adaptation pour survivre.
Cette espèce est décrite par John Edward Gray en 1868 sous le protonyme de Colobus kirkii, avant d'être déplacée dans le genre Procolobus puis Piliocolobus. Sa dénomination spécifique, kirkii, commémore Sir John Kirk (1832-1922), l'administrateur britannique de Zanzibar qui fut le premier à attirer l'attention de la zoologie sur cette espèce, et lui vaut son autre nom de Colobe bai de Kirk. Aucune sous-espèce n'est distinguée.
Il est généralement admis que la population de P. kirkii présente sur Zanzibar dérive d'une population de colobes roux s'étant retrouvée isolée sur l'île à la suite de la montée du niveau de la mer à la fin du Pléistocène. En outre, des analyses mitochondriales laissent à penser que les espèces du genre Piliocolobus étaient déjà isolées génétiquement, et ce depuis le Pliocène.
L'examen de la morphologie crânienne de Piliocolobus kirkii montre la distinction qu'a cette espèce avec les autres membres du genre Piliocolobus. Cet examen a mis en lumière une accélération significative de l'évolution morphologique de la taille crânienne. L'une des hypothèses est que cette évolution serait le résultat de l'insularité de l'espèce ainsi que des pressions environnementales (telles que la compétition, l'habitat, la prédation ou encore l'abondance des ressources) qu'elle subit. On ne peut affirmer que cette espèce a subi par le passé un goulot d'étranglement de population.
Le petit crâne de Piliocolobus kirkii (comparativement à ceux des colobes du continent) est cohérent avec la loi de Foster qui indique que l'animal rétrécit au fil du temps lorsque les ressources sont limitées,. Les mâles ont tendance à garder une certaine néoténie qui inclut notamment un visage court, de larges orbites et un neurocrâne élargi. Il n'est pas possible d'affirmer où et quand ce changement évolutif a eu lieu.
Des analyses moléculaires ont révélé que de toutes les espèces du genre Piliocolobus, P. kirkii est plus étroitement liée à Piliocolobus gordonorum. Cette analyse a aussi indiqué que la séparation entre ces deux espèces s'est produite il y a environ 600 000 ans.
Il y a entre 1 600 et 3 000 individus à l'état sauvage dont la moitié vivent en dehors des zones protégées,. La plus grande et importante zone de protection pour le colobe roux s'étend sur une surface de 25 km2 et se trouve au sein du Parc national Jozani Chwaka Bay. Cette zone est sur l'île principale et les individus qui s'y trouvent ont beaucoup été étudiés scientifiquement. Pourtant, les colobes ont aussi été trouvés proches de shambas (terme swahili pour « ferme ») jouxtant le parc, et il est à noter que près de ces shambas, les populations de colobes roux sont plus nombreuses que celles vivants à l'intérieur du parc. Ne vivant pas à l'intérieur de la zone protégée, ces populations sont soumises à des risques plus importants.
Sur Uzi et sur l'île Vundwe, les singes sont soumis à une destruction de leur habitat qui ne cesse d'augmenter. Les forêts à sol corallien sont les plus déforestées. En raison des déprédations de ces colobes sur les fruits de l'agriculture, on a également rapporté des cas d'empoisonnement, de capture et de disparition de singes sur ces îles.
Le Colobe roux de Zanzibar est actuellement considéré comme « Espèce en danger » (EN) sur la liste rouge de l'UICN. Le premier facteur ayant contribué à cela est une augmentation de la déforestation et donc une baisse significative des ressources pour ce singe. Il est de plus encore beaucoup chassé, aussi bien comme viande de brousse que pour son attrait comme animal de compagnie.
La Convention Africaine a mesuré la menace sur l'espèce et l'importance de sa conservation en la plaçant dans la catégorie Class A. Le document Convention Africaine sur la Conservation de la Nature et des Ressources Naturelles définit la catégorie Class A comme suit :
« Les espèces se trouvant dans la catégorie Class A devront être intégralement protégées sur tout le territoire des États contractants ; la chasse, l'abattage, la capture ou la collecte des spécimens ne seront permis que sur autorisation délivrée dans chaque cas par la plus haute autorité compétente et seulement si nécessaire dans l'intérêt national ou à des fins scientifiques. »
Pour remédier au déclin de la population, plusieurs essais ont eu lieu pour les protéger. En 1974, quinze spécimens (cinq mâles et dix femelles) provenant de la forêt de Ngezi ont ainsi été déplacés sur l'île Pemba. Néanmoins, 20 ans plus tard, seuls quelques individus ont été retrouvés sur cette île et les scientifiques en ont conclu que si le groupe avait survécu, le nombre de singes n'avait pas évolué. Certains habitants de Pemba sont persuadés que le singe est synonyme de malchance. Cette crainte est peut-être donc une des raisons pour lesquelles la population transférée n'a jamais augmenté. En 1977, 1978 et 1981 plusieurs introductions, au total de 36 colobes roux, dans la réserve naturelle de la forêt de Masingini sont couronnées de succès, avec 60 individus en 1994 et une population toujours observée en 2011.
Il a été adopté depuis le milieu des années 1990 comme espèce porte-drapeau de la conservation de Zanzibar. Il peut également servir d'indicateur d'un écosystème forestier en bonne santé. Quelques tentatives de conservation de l'espèce ont eu lieu sur certaines îles de l'archipel tel que l'île Uzi ou encore l'île Pemba. Ainsi, un projet en partenariat avec le WWF a été mis en place autour de la baie de Menai située à l'ouest de l'île Uzi. La Wildlife Conservation Society (WCS) a également financé plusieurs projets de conservation pour les colobes mais dans les deux cas, aucune action ne visait directement Piliocolobus kirkii.
Il a été suggéré que le meilleur moyen de promouvoir la conservation du Colobe roux de Zanzibar était tout simplement de le faire connaître du public. En effet, ce n'est pas un animal nuisible et il peut au contraire être bénéfique pour l'économie de la région car il attire le tourisme, comme sur l'île Unguja. En outre, il serait nécessaire de désigner et d'établir de vraies zones protégées.
Les Provinciales (titre complet : Lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux RR. PP. Jésuites sur le sujet de la morale et de la politique de ces Pères) est un ensemble de dix-huit lettres, en partie fictives, écrites par Blaise Pascal. Publiées entre janvier 1656 et mars 1657, elles ont d’abord eu pour but de défendre le théologien janséniste Antoine Arnauld, menacé d’être condamné par la Sorbonne, avant de s’orienter vers une critique de la Compagnie de Jésus et, en particulier, de la casuistique laxiste défendue par certains de ses membres.
Les Provinciales paraissent dans le cadre d’un débat de longue haleine entre jansénistes et jésuites au sein de l’Église catholique, portant principalement sur la grâce et les pratiques sacramentelles. Ces derniers semblent triompher quand le Saint-Siège condamne en 1653 un ensemble de propositions attribuées à Jansénius. Antoine Arnauld, plus importante figure du parti janséniste depuis plusieurs années, réagit en publiant plusieurs libelles apologétiques ; l’un d’entre eux est mis en cause devant la Sorbonne en novembre 1655, et la condamnation du théologien semble très rapidement certaine.
Pour faire face à une procédure perdue d’avance, les jansénistes prennent alors le parti de s’adresser à l’opinion publique. Ils font pour cela appel à Blaise Pascal : celui-ci, qui a récemment décidé de se consacrer à la religion, ne s’est jusqu’alors jamais essayé à ce genre d’ouvrages, bâtissant sa réputation sur ses travaux de mathématiques et de physique. Les Provinciales sont néanmoins un grand succès, immédiat et croissant, qui se justifie tant par la qualité d’écriture de l’auteur (emploi d’un style agréable, usage efficace du comique, « vulgarisation » réussie de la théologie), que par la solidité de son argumentation. Ce dernier choisit d’employer la fiction : un Parisien de la bonne société informerait par lettres un ami vivant en province du déroulement du procès d’Arnauld à la Sorbonne. La première lettre parait en janvier 1656, anonymement et clandestinement.
Après la troisième, le théologien ayant été condamné, Pascal change de cible : il s’attaque désormais exclusivement à la Compagnie de Jésus. Celle-ci est dès lors incarnée par un Père naïf et pédant, qui durant plusieurs entretiens expose au narrateur les plus coupables maximes morales défendues par les jésuites, sans en percevoir la gravité, ni l’indignation de son interlocuteur. Avec la onzième lettre, se produit un second tournant : l’auteur abandonne cette fois la fiction pour répliquer directement aux jésuites, qui ont entre-temps produit plusieurs réponses. Les Provinciales cessent de paraître en mars 1657, pour des raisons mal connues.
Malgré une forte répression des autorités politiques, l’œuvre a fait évoluer l’élite sociale qui constitue à l’époque l’opinion publique en faveur du jansénisme, tout en donnant une image négative de la Compagnie de Jésus en France. Les maximes morales laxistes dénoncées par Pascal font rapidement l’objet de la réprobation générale, et sont condamnées à plusieurs reprises par Rome. Néanmoins, les Provinciales n’ont pas eu le même succès quant à la défense du courant janséniste et de Port-Royal, l'abbaye qui l’incarne : dans les années qui suivent, les mesures de persécution provenant du roi de France et du Saint-Siège redoublent à leur égard. D’un point de vue littéraire, la réputation de l’œuvre n'a malgré tout jamais été remise en cause : celle-ci est aujourd’hui considérée comme un classique de la littérature française.
Fondée en 1539 par Ignace de Loyola et un groupe d'amis, la Compagnie de Jésus est approuvée en 1540 par le pape Paul III. Au milieu du XVIIe siècle, elle s’est imposée dans l’Église catholique comme, numériquement, le premier ordre religieux, avec environ quinze mille membres. Elle est présente dans presque tous les pays catholiques, et dans de nombreux 'pays de mission'. Elle dispose d’un grand prestige, ayant tenu un rôle important dans le mouvement de Réforme catholique. Comme les autres grands ordres religieux, les jésuites ne dépendent pas de l'autorité diocésaine. Seul le Saint-Siège, qui lui manifeste régulièrement sa bienveillance, a autorité sur la Compagnie. Celle-ci échappe aussi largement au contrôle des États. Ses membres sont soumis à une règle ferme et à une stricte hiérarchie, à la tête de laquelle se trouve un « Supérieur Général » disposant d'un pouvoir important. Il est par exemple nécessaire qu'un jésuite obtienne la permission de ses supérieurs avant de publier un ouvrage.
L'enseignement est une des principales activités de la Compagnie de Jésus. Au milieu du XVIIe siècle les jésuites dirigent certains des plus prestigieux établissements d'enseignement supérieur du monde chrétien, tel le collège de Clermont à Paris. Ils jouent également un grand rôle dans la propagation de la foi catholique, contribuant au recul de l'influence protestante dans certaines régions (comme la Flandre ou la Bohême), et évangélisant des populations alors considérées comme païennes en Asie, en Afrique, ainsi que dans le Nouveau Monde. Par ailleurs, ils disposent d'un important réseau d'influence, certains jésuites œuvrant dans l’entourage des puissants, notamment en tant que confesseurs ou précepteurs. Enfin, l'Ordre donne une solide formation spirituelle et intellectuelle à ses membres, ce qui fait que nombre de théologiens parmi les plus réputés sont jésuites. La Compagnie de Jésus a ainsi eu une certaine influence sur les orientations doctrinales et pastorales du concile de Trente.
Un problème théologique vivement débattu entre théologiens de l'époque - jésuites et autres - était la question de la grâce divine dans sa relation avec le libre-arbitre humain. En 1588, Luis Molina publie en effet De concordia liberi arbitrii cum divinae gratiae donis, ouvrage dans lequel il affirme que c’est à l’homme qu'il revient d’obtenir ou non le salut, en usant de son libre arbitre. Cette œuvre est l’aboutissement d’une tendance datant de plusieurs dizaines d’années, déjà visible dans les écrits des premières grandes figures de la Compagnie de Jésus, évolution sans doute influencée par leur spiritualité ignatienne et le mouvement humaniste et par le désir de s’opposer au protestantisme sur le sujet. La position de Molina est en contradiction avec la vision augustinienne et thomiste de la grâce, traditionnellement prévalente dans l’Église et adoptée par la majeure partie des protestants, suivant laquelle c’est Dieu seulement qui détermine celui qui sera sauvé ou non, en lui accordant ou pas la grâce. Le point de vue défendu par les jésuites est rapidement considéré par ses adversaires comme une hérésie, semblable au semi-pélagianisme : ceux-ci parlent de « molinisme ».
La casuistique déclarée est la part de la théologie étudiant les cas de conscience : il s’agit de déterminer la bonne décision à prendre en cas de choix moral difficile. En effet, s’il existe d’un point de vue chrétien des lois morales incontestables, car faisant partie de la vérité révélée, leur application pratique peut laisser place au doute ; le casuiste tente de remédier à ces incertitudes. De façon classique, un ouvrage de casuistique consiste en une compilation de cas problématiques exposés sous forme de questions, auxquelles l’auteur répond en se justifiant par le biais d’autorités (Saintes Écritures, conciles, Pères de l'Église, autres casuistes, etc.), par l’usage reçu, par le sentiment naturel, ou bien en mettant en avant son propre jugement ; il considère également la gravité du péché éventuellement commis, en suivant une nomenclature précise (péchés véniels, mortels, etc.).
La casuistique déclarée apparaît au Moyen Âge, à la suite du quatrième concile du Latran (1215), qui généralise le sacrement de réconciliation. Elle est fortement influencée par la philosophie aristotélicienne. Le but originel des casuistes médiévaux est d’aider les confesseurs à accomplir leur fonction : ceux-ci cherchent à indiquer la solution la plus « probable », ou la plus « sûre en conscience », en donnant une place essentielle au degré « d’ignorance » du coupable pour juger de l’importance de la faute. Les ouvrages de casuistique se présentent alors presque tous sous la forme de « Sommes » cataloguant les différents cas, le plus souvent dans l’ordre alphabétique. Différents ordres religieux mendiants, en particulier ceux de Saint-Dominique et de Saint-François, puis la Compagnie de Jésus à partir du XVIe siècle, se spécialisent en cette « science », qui connaît un succès grandissant.
On considère souvent que c’est aux XVIe et XVIIe siècles que la casuistique connaît son âge d’or. Celle-ci évolue de façon importante à cette époque avec la diffusion du « probabilisme », dont le dominicain Bartolomé de Medina est à la fin du XVIe siècle le premier à formuler nettement les principes. Pour lui, contrairement aux casuistes médiévaux, il n’existe pas en cas de dilemme moral une seule solution à suivre absolument, mais un ensemble d’opinions « probables », qui toutes peuvent être choisies ; une opinion devient probable à partir du moment où elle est professée par un docteur de grand crédit. Cette doctrine se répand et domine rapidement la pensée casuistique ; elle est en particulier défendue par les jésuites (sans qu'il s'agisse d'une position officielle de la Compagnie) et les dominicains. Les ouvrages tentant d’exposer l’ensemble des opinions probables se multiplient, en latin comme en langue vulgaire, rédigés par des spécialistes tel que Juan Caramuel, Antonino Diana, Antonio Escobar... Les Resolutiones morales de Diana traitent ainsi de près de vingt mille cas.
Dès la fin du XVIe siècle, les jésuites suscitent dans le monde catholique l'hostilité d'une partie de l'opinion, en particulier en France. On leur reproche principalement leur influence politique anti-gallicane, leur théologie morale, et leur vision de la grâce. Sur le plan théologique, les attaques proviennent généralement des universités, où prévaut le plus souvent une vision augustinienne de ce dernier concept. De concordia liberi arbitrii cum divinae gratiae donis est ainsi mis en cause devant le pape. De 1597 à 1607, une commission se tient pour juger l’ouvrage ; sans doute par crainte d’affaiblir la Compagnie de Jésus, celle-ci n’aboutit finalement à rien, alors que la condamnation a semblé un temps acquise. En 1611, le pape interdit de publier sur le sujet ; son décret, renouvelé en 1625, est néanmoins souvent violé.
De même, la Sorbonne condamne dans la première moitié du XVIIe siècle différents ouvrages de jésuites accusés de prôner une morale relâchée ; le plus important est sans doute Somme des péchés qui se commettent en tous états, d’Étienne Bauny, également mis à l’index par le Saint-Siège. Louvain est peut-être la faculté où l’opposition théologique à la Compagnie de Jésus est la plus importante : diverses propositions émanant d’auteurs jésuites portant sur la grâce et la morale y sont mises en cause à la fin du XVIe siècle et pendant la première moitié du XVIIe siècle. En 1567, les thèses d’un de ses enseignants, Michaël Baius, ont par ailleurs été condamnées par le pape pour avoir accordé une part trop réduite au rôle de l’homme dans son salut.
C’est dans ce contexte que Jansénius, étudiant puis professeur au sein de cette université, rédige l’Augustinus, important ouvrage dans lequel il prétend décrire la conception de la grâce de saint Augustin ; en réalité, il entend surtout prouver l’identité de point de vue entre jésuites et semi-pélagiens sur le sujet. Quand il meurt en 1638, son œuvre est presque achevée ; elle est publiée en 1640 à Louvain par ses amis. L'Augustinus provoque immédiatement une forte polémique, que n’apaise pas sa condamnation en 1642 par le pape, qui punit surtout une relance de la dispute. En France, où il est paru en 1641, l’ouvrage suscite des réactions contrastées : s’il est rapidement interdit par le cardinal de Richelieu, il est défendu par nombre de docteurs, le plus notable étant Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran.
Ce dernier a entrepris de réformer l’Église, en mettant fin aux pratiques et doctrines nouvelles qui la corrompent à ses yeux. C’est un ami de longue date de Jansénius, avec qui il entretenait une abondante correspondance depuis plusieurs dizaines d’années. Il partage ses positions sur la grâce, et est comme lui très hostile aux jésuites, critiquant en particulier leur conception des sacrements. Saint-Cyran s’oppose également au pouvoir royal, incarné par Richelieu, tant sur le plan politique, en mettant en cause sa politique d’alliance avec les protestants pour lutter contre les Habsbourgs, que sur le plan spirituel, le ministre-cardinal protégeant les jésuites et partageant la plupart de leurs idées théologiques. Cela lui vaut, à partir de 1638, d’être embastillé.
L’influence de Saint-Cyran s’est exercée en particulier au sein de l’Abbaye de Port-Royal, dont il est devenu directeur de conscience en 1635 ; celle-ci, depuis sa réforme par son abbesse Angélique Arnauld en 1608-1609, possède un grand prestige spirituel. En plus des religieuses, l’Abbaye accueille depuis 1638 une communauté d'hommes pieux retirés du monde, les Solitaires. Parmi eux, on trouve certains membres des plus importantes familles de la noblesse et de la bourgeoisie parisienne, souvent hostiles au pouvoir royal. Ainsi, Port-Royal incarne progressivement un véritable groupe social, composé de prêtres et religieux liés à l'Abbaye, et de leurs sympathisants ; son influence s'exerce à la cour, dans les académies littéraires ou scientifiques, et dans les salons. Elle s'étend même sur l'art et le comportement mondain : on parle alors de « goût de Port-Royal ».
En 1643, le jeune théologien Antoine Arnauld se fait connaitre en publiant De la fréquente communion, ouvrage dans lequel il défend des idées rigoristes concernant la pénitence et l’eucharistie, tout en critiquant la vision de ces sacrements qui prévaut parmi les jésuites ; c’est un grand succès d’estime et de librairie. Peu après, il attaque à nouveau la Compagnie de Jésus en faisant paraître une Théologie morale des Jésuites, première offensive d’ensemble contre le laxisme moral que prôneraient ses membres ; ce pamphlet a cependant cette fois peu d'impact.
Frère cadet d’Angélique Arnauld, membre des Solitaires, Arnauld est un disciple de Saint-Cyran ; c’est à lui principalement que ce dernier a confié la charge de défendre l’Augustinus. À cette fin, il publie en 1644 et 1645 deux apologies, qui obtiennent du succès. Il apparaît dès lors comme la figure la plus importante du parti « janséniste », expression péjorative qui date de cette époque.
Les écrits d’Arnauld déclenchent une forte polémique entre augustiniens et jésuites, alimentée par la mise au jour en 1644 de thèses laxistes sur l’homicide. Ces derniers se défendent avec de violents libelles, dans lesquels ils s’attaquent notamment aux mœurs des religieuses de Port-Royal et prétendent que les jansénistes sont des calvinistes déguisés ; les Pères Jacques Nouet et François Annat, futurs adversaires de Pascal, jouent dès cette époque un rôle important dans le débat. Celui-ci s’apaise toutefois durant trois ans à partir de 1646.
En 1649, le syndic de la Sorbonne Nicolas Cornet relance la polémique en demandant à la faculté de condamner sept propositions sur la grâce ; celles-ci, rédigées de façon ambiguë, peuvent être considérées comme orthodoxes ou hérétiques suivant l’interprétation qu’on en fait. De façon évidente, la procédure vise l’Augustinus et les défenseurs de cet ouvrage déploient une grande activité pour la faire échouer, Arnauld publiant notamment deux libelles dans ce but.
L’affaire ayant abouti à un compromis à la Sorbonne, un docteur hostile aux jansénistes soumet en 1650 au pape les cinq premières propositions. Après trois ans de lutte à Rome entre défenseurs de l’évêque d’Ypres et partisans des jésuites, ces propositions sont finalement condamnées par le Saint-Siège, et attribuées à Jansénius. La bulle est bien reçue en France, réduisant un temps les augustiniens au silence.
Il s’agit là d’une importante défaite pour Port-Royal, de plus en plus attaqué par libelles interposés, et d’autant plus dangereuse que, passant pour un lieu de retraite et de complot pour les anciens frondeurs, l’abbaye est une nouvelle fois en délicatesse avec le pouvoir politique. Ses partisans se défendent en distinguant sous l’inspiration d’Arnauld le « droit et le fait » : les propositions seraient bien hérétiques, mais on ne les retrouverait pas dans l’Augustinus. Cette position est renforcée par le consensus théologique suivant lequel, si le pape ne peut errer sur les questions de foi, il le peut sur les questions de faits.
Le débat se poursuit : Annat, devenu confesseur du roi, publie en 1654 un libelle qui obtient un certain succès, Les chicaneries des jansénistes, dans lequel il prétend que les propositions se trouvent mot à mot dans l’Augustinus. Plus grave pour les jansénistes, l’Assemblée des évêques vote la même année une résolution les attribuant également à Jansénius ; un projet de formulaire allant dans le même sens, que certains membres du clergé auraient été obligés de signer, échoue néanmoins.
En février 1655, un des plus notables soutiens de Port-Royal, Roger du Plessis-Liancourt, duc de La Roche-Guyon, est sommé par son confesseur de rompre ses relations avec les jansénistes. Comme il n’accepte pas, on lui refuse l’absolution. Cet événement provoque une vive controverse. Antoine Arnauld entreprend de le soutenir en publiant un billet intitulé Lettre à une personne de condition, dans lequel il réfute l’accusation d’hérésie subie par les défenseurs de Jansénius, en mettant en avant leur soumission à la bulle du pape condamnant les cinq propositions. Cet écrit est relativement bien accueilli par le Saint-Siège, mais provoque en France une nouvelle guerre de libelles ; dans l’un d’entre eux, Annat accuse les jansénistes d’être si hérétiques qu’il faudrait fuir leur conversation.
En juillet de la même année, Arnauld publie une seconde défense de 250 pages in quarto intitulée Seconde lettre à un duc et pair. Dans une première partie, il y rejette encore une fois l’accusation d’hérésie, en s’attaquant à la conduite du vicaire ayant refusé d’absoudre le duc de Liancourt ; dans une seconde partie, plus dogmatique, il tente de montrer que c’est saint Augustin qui est véritablement visé à travers Jansénius. Cette « lettre » obtient un grand succès. Elle donne toutefois l’occasion aux ennemis d’Arnauld d’engager contre lui une procédure à la Sorbonne, qui débute en novembre.
Le moment leur est favorable : le syndic de la faculté est très hostile aux jansénistes, et le pouvoir politique décidé à les soutenir, peut-être pour « faire oublier » au pape l'alliance de la France avec l'Angleterre contre l'Espagne ; ainsi, probablement sous l’influence de Mazarin, soixante-dix docteurs désirant faire annuler la procédure sont déboutés en appel. En décembre, une commission chargée d’examiner la Seconde lettre à un duc et pair en retient cinq propositions estimées condamnables. Celles-ci se rapportent plus précisément à deux passages, l’un affirmant que les propositions attribuées à Jansénius ne se trouvent pas dans son œuvre, l’autre touchant la grâce efficace.
L’affaire est dangereuse pour Port-Royal, dans la mesure où une condamnation par la Sorbonne aurait sans doute un impact important sur l’opinion. Par crainte d’une lettre de cachet, Arnauld se retire en octobre 1655 parmi les Solitaires. Face à des conditions qu’il juge inacceptables, il refuse de s’exprimer à la faculté, se défendant seulement par le biais d’écrits apologétiques. En fait, il semble avoir été pris à cette époque d’un certain découragement.
Une tentative d’accommodement ne donne rien. Les propositions sont condamnées « de fait » le 14 janvier 1656, la condamnation « de droit » semblant certaine à court terme. La procédure a été marquée de multiples irrégularités : les moines mendiants ont par exemple été beaucoup plus nombreux dans l’assemblée que ce permis par le règlement, et le temps de parole a été limité à une demi-heure. En réaction, soixante docteurs favorables à Arnauld se sont retirés des discussions.
Né en 1623, Blaise Pascal est célèbre dans le monde intellectuel grâce à ses travaux de physique et de mathématiques, produits à un très jeune âge. Il a en particulier obtenu sa renommée en prouvant l’existence du vide, jusqu’alors généralement rejetée. L’ensemble de sa famille est acquise aux idées jansénistes : sa sœur Jacqueline, à laquelle il est très attaché, est ainsi devenue religieuse à Port-Royal.
Constamment malade, Pascal a fréquenté entre 1651 et 1654 les milieux mondains, sur les conseils de ses médecins. Il s’en est détaché à la suite d’une « nuit de feu », à l’issue de laquelle il s’est promis de se consacrer à Dieu et à la défense de la religion. Il a fait depuis de nombreuses retraites parmi les Solitaires de Port-Royal, où il a rencontré certains des principaux défenseurs du jansénisme, tel Arnauld ou Lemaistre de Sacy. Ce dernier est devenu son directeur de conscience.
Les circonstances de la création des Provinciales sont mal éclaircies. On les connait principalement par deux récits : celui de Pierre Nicole dans sa préface à l’édition latine de l’œuvre, publiée en 1658, et celui de Marguerite Périer, nièce de Pascal, rédigé en marge du Nécrologue de Port-Royal à une date inconnue. Suivant le premier, alors que ses amis s’accordaient sur la nécessité d’expliquer la vanité de la procédure contre Arnauld au public, Pascal se serait offert de s’acquitter de cette tâche. Suivant le second, c’est Arnauld qui aurait eu l’initiative de rédiger une défense, mais son écrit aurait été mal reçu par les Solitaires ; il aurait dès lors offert à Pascal de s’en charger, dont le travail aurait cette fois soulevé l’enthousiasme. On a tendance à faire davantage confiance au témoignage de Nicole, Marguerite Perrier étant généralement considérée comme une source peu fiable.
Dans tous les cas, les Provinciales répondent probablement à un besoin prégnant à Port-Royal à partir de la fin 1655 de porter l’affaire devant l’opinion publique, la lutte à la Sorbonne contre la censure étant pratiquement vaine : celle-ci s’intéresse aux débats, mais est rebutée par leur complexité. Il s'agit sans doute également de mobiliser les milieux proches de l'abbaye, alors que ses soutiens traditionnels (Parlement, épiscopat...) l'abandonnent.
Pascal connaît sans doute déjà bien la théologie, et en particulier l’œuvre de saint Augustin. De plus, il sait le goût mondain, et ses qualités de polémistes sont reconnues ; il les avait notamment montrées lors d’un débat organisé à Port-Royal avec Lemaistre de Sacy, portant sur Épictète et Montaigne. Enfin, Pascal désire probablement depuis longtemps participer à la polémique.
Port-Royal n’a sans doute jamais jusqu’alors disposé d’un tel talent dans son camp : si Arnauld figure parmi les plus remarquables théologiens français (il connaît particulièrement bien la patristique), ses capacités de publiciste sont certainement trop limitées pour générer l'impact nécessaire auprès du public mondain. De même, les écrits des autres défenseurs de Port-Royal, tel Lemaistre de Sacy ou Martin de Barcos, sont le plus souvent considérés aujourd'hui comme plats et pénibles à lire.
Pascal rédige probablement la première lettre en quelques jours, après la première condamnation de fait. Après avoir sans doute été soumise aux Solitaires, et plus particulièrement à Arnauld, celle-ci est imprimée clandestinement ; elle est tirée à environ deux-mille exemplaires, chiffre relativement faible, ce qui laisse penser que la première Provinciale n'a pas été considérée tout d'abord comme une pièce majeure de la controverse.
23 janvier 1656
Pascal figure un rédacteur issu de la bonne société, sans partis pris, qui s’intéresse aux « disputes de Sorbonne » sans être savant sur le sujet. Il a constaté la condamnation d’Arnauld sur le « point de fait » : il s'agissait de déterminer si ce dernier avait été téméraire ou non d’affirmer dans sa Seconde lettre à un duc et pair que les propositions condamnées par le pape n’étaient pas de Jansénius. Toutefois, il s’intéresse davantage au « point de droit », qui porte sur un passage du libelle traitant de la grâce jugé hérétique par les accusateurs du théologien.
Pour en être éclairé, le narrateur tente de s’en informer auprès d’un docteur hostile à Port-Royal ; il lui demande en quoi la perception de la grâce par Arnauld, et plus généralement par les jansénistes, est hérétique. Celui-ci lui répond que leur erreur est de ne pas reconnaître que « tous les justes ont toujours le pouvoir d’accomplir les commandements ».
Le narrateur cherche ensuite à vérifier cette assertion auprès d’un ami janséniste, mais celui-ci dément fermement l’avoir jamais nié. Il retourne donc vers son premier docteur, qui précise que les partisans de Jansénius sont en réalité hérétiques en cela qu’ils ne tiennent pas ce pouvoir comme « prochain ». Ce terme obscur achève de le brouiller.
Le janséniste lui explique que l’expression de « pouvoir prochain » possède en réalité des sens différents selon les écoles de théologie. Le narrateur cherche d'abord à le vérifier en interrogeant un Jésuite moliniste, qui prétend que le pouvoir prochain consiste en « avoir tout le nécessaire pour faire quelque chose, de telle sorte qu’il ne manque rien pour agir », avant de se tourner vers un dominicain thomiste, qui lui affirme le contraire. Il parvient finalement à les confondre : les deux parties se sont entendues sur un terme vide de sens afin de pouvoir s’unir contre les jansénistes, malgré leurs divergences d’opinions.
29 janvier
Un ami du narrateur lui affirme que les jésuites et les dominicains n'ont pas la même vision de la grâce, en dépit de leur union. Les premiers croient à une « grâce suffisante », donnée à tous dès la naissance, alors que les seconds, s'ils reconnaissent l’existence de cette grâce suffisante, la doublent d’une « grâce efficace » que Dieu donne seulement à certains élus, indispensable pour obtenir le salut. Les jansénistes n’admettent quant à eux que cette grâce efficace.
La conception des dominicains n'a ainsi aucun sens, la grâce étant pour eux « suffisante sans l’être » ; en réalité, ces derniers ont admis la grâce suffisante dans le seul but de présenter une apparente convergence d’opinion avec les jésuites sur le sujet. La Compagnie de Jésus se contente de son côté de cette concession, qui fait croire au public que les dominicains ont une position semblable à la leur, pour concentrer ses attaques sur les jansénistes, devenus les véritables défenseurs de la grâce efficace.
Le rédacteur décide de rendre visite à un dominicain, accompagné d’un ami janséniste. Pressé par eux (il est notamment comparé à un médecin se rangeant à l’avis d’un mauvais confrère, qui flattait un mourant au sujet de son état, afin d’en chasser un bon ayant dit la vérité au malade) celui-ci reconnaît que la validité d’une de ces conceptions exclut de fait celle de l'autre. Il avoue ensuite que, après une longue lutte, son ordre n'a admis l'existence de la grâce suffisante que dans le but de faire la paix avec les jésuites, jugés trop puissants. Le janséniste lui reproche alors amèrement d'avoir abandonné la vérité pour des motifs politiques.
9 février
Le narrateur fait le récit de la condamnation de droit d’Arnauld par la Sorbonne. Tandis qu’on lui avait auparavant reproché les pires hérésies, et que de nombreux et savants docteurs très ennemis du théologien ont longtemps étudié son libelle, quatre propositions seulement issues de la Seconde lettre à un duc et pair ont été déclarées hérétiques, sans explications ; pourtant, de nombreux passages des Pères de l’Église cités par Arnauld semblaient assurer leur orthodoxie. Étonné par cela, peinant à démêler la vérité de l’erreur, le rédacteur s’adresse à un docteur de la Sorbonne neutre pour être éclairci.
Celui-ci lui répond que, devant l’impossibilité pour les ennemis d’Arnaud de trouver dans son œuvre des propos contraires à la religion (s’il en existait, ils se seraient empressés de justifier leur censure), ceux-ci ont décidé de condamner quatre passages sans commentaires. Ils espèrent ainsi que la censure en elle-même sera suffisante pour lui faire perdre son crédit, en faisant impression sur le peuple, qui n’entend pas les arguments théologiques qu’on peut facilement lui opposer.
Comme à leur habitude, les adversaires du théologien se contentent ainsi d’une victoire temporaire, en intriguant plutôt qu’en argumentant : peu importe qu’elle ait été obtenue grâce au vote d’une partie seulement des docteurs de la Sorbonne, en employant des moyens irréguliers, et sans présenter aucune argumentation. Finalement, pour ses opposants, l’hérésie d’Arnauld semble liée à sa personne et non à ses écrits : des propos orthodoxes chez les Pères deviennent hérétiques quand c’est lui qui les exprime.
15 février
Accompagné de son ami janséniste, le narrateur demande à un Père jésuite de définir ce qu’est la « grâce actuelle ». Celui-ci lui explique que ce terme signifie « qu’une action ne peut être imputée à péché, si Dieu ne nous donne, avant que de la commettre, la connaissance du mal qui y est, et une inspiration qui nous excite à l’éviter », ce que contestent les jansénistes. Il cite ensuite à son appui plusieurs casuistes et scolastiques modernes.
Le rédacteur s'exclame alors avec ironie qu'il est heureux d'apprendre que tous ceux qui s'abandonnent entièrement au péché, au point de n'en jamais ressentir aucuns remords, soient finalement assurés d'être sauvés. Le jésuite cherche à éviter la difficulté en affirmant que, suivant la Compagnie de Jésus, « Dieu n’a jamais laissé pêcher un homme sans lui donner auparavant la vue du mal qu’il va faire ».
Le narrateur répond que le simple bon sens permet de se rendre compte que c'est faux. Il est appuyé par son ami, qui cite plusieurs passages des Écritures contredisant formellement le point de vue du Père. Le janséniste démontre également par les textes sacrés que ce n'est pas vrai non plus pour les Justes, contrairement à ce qu'affirmait son contradicteur. Un dernier recours du jésuite à Aristote n’obtient pas plus de succès, celui-ci affirmant en réalité comme saint Augustin que l'ignorance n'excuse pas la faute.
20 mars
Son ami janséniste montre au rédacteur certains exemples de maximes morales relâchées des casuistes jésuites. Il lui explique que leur but n’est pas en soi de corrompre les mœurs, mais de satisfaire les chrétiens relâchés comme les chrétiens rigoureux, de façon à diriger toutes les consciences.
Le narrateur rend visite à un Père jésuite de sa connaissance afin de le mettre à l’épreuve. Il lui dit avoir difficultés à supporter le jeûne. Le Père tente de le rassurer en lui présentant un ouvrage récent portant sur la théologie morale, écrit par le casuiste jésuite Antonio Escobar y Mendoza. Il y trouve un passage qui le délivre de cette obligation si elle l’empêche de dormir ; il cite ensuite d’autres cas similaires, comme fêter sa majorité ce jour-là, ou faire la cour à une femme.
Le rédacteur s’étonne que des hommes d’Église puissent émettre des opinions si manifestement contraires à la foi. Le jésuite explique qu’il ne les partage pas lui-même, mais que la doctrine des probabilités permet à chacun de les professer en toute conscience ; pour qu’une opinion devienne probable, il suffit qu’elle soit émise par un « docteur bon et savant ». Dès lors, peu importe que ces docteurs soient souvent d'opinions contraires, ou que leurs maximes soient parfois en contradiction avec celles des Pères : elles sont inattaquables, et chaque clerc peut et doit y avoir recours, sous peine de pécher mortellement.
10 avril
Le jésuite instruit dans un premier temps le narrateur de la façon d'employer la doctrine des probabilités pour rendre moins rigoureuses « les décisions des Papes, des Conciles, et de l'Écriture », en jouant sur le sens de certains mots, et en se servant de circonstances favorables. Il s’étend ensuite sur la façon dont les opinions des nouveaux casuistes progressent en considération dans l’Église : après avoir été émise par un « docteur fort grave », elle compte parmi les opinions probables, si aucune autorité religieuse ne s’élève contre elle. Dès lors, elle possède autant de valeur qu’une décision du pape.
Le rédacteur demande au jésuite de lui décrire en détail ces nouvelles maximes morales. Celui-ci précise en préambule qu'elles ont pour but d’empêcher les hommes de s’abandonner entièrement au vice, en adoucissant les rigueurs de la religion. Les nouveaux casuistes en ont donc créées pour tous les types de gens, sans distinction d'aucune sorte.
Le Père aborde en premier lieu le clergé. En orientant leurs pensées de façon convenable, les clercs ne pratiqueront plus ce qui est ordinairement considéré comme de la simonie ; ils auront également la possibilité d'être payés plusieurs fois pour une seule messe, comme de la célébrer en ayant commis auparavant un péché mortel. Quant aux moines, ils ne seront plus tenus de toujours obéir à leur supérieur, et, après en avoir été chassés, pourront retourner dans leur monastère sans s’être corrigés moralement.
Le jésuite traite ensuite des valets. Il leur est désormais permis d’aider leurs maîtres dans leurs amours, et de les voler s’ils s’estiment mal payés. Mais le narrateur raconte à cette occasion une anecdote qui trouble son interlocuteur : un valet nommé Jean Alba, qui travaillait dans un collège jésuite, a été surpris à voler ses maîtres. Pour se défendre devant la justice, il a présenté cette maxime, à la confusion des Pères.
25 avril