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Toujours en citant les casuistes, le jésuite présente cette fois la morale nouvelle relative à la noblesse, et plus précisément à la défense de l'honneur. Les Saintes Écritures rendant celle-ci difficile, seule la méthode qui consiste à « diriger l’intention » en donne la possibilité au gentilhomme en respectant la religion ; au moment de commettre un péché, il s'agit de changer ses mauvaises intentions en bonnes.
En appliquant cette méthode, un homme de guerre peut désormais poursuivre un fuyard qui l'a blessé, se battre après avoir reçu un soufflet, ou espérer la mort d’un individu qui se dispose à le persécuter. Il est en droit d’accepter ou d’offrir le duel ; il peut également tenter de l'éviter en tuant son ennemi en cachette. De la même façon, il est dorénavant acceptable de faire mourir les faux témoins et les juges iniques.
À la demande de son interlocuteur, le Père précise ensuite jusqu’où la religion permet désormais d’aller pour se venger d’un soufflet : jusqu’à tuer. De même, cela est possible pour éviter d’en recevoir, pour punir un faux démenti, des calomnies, ou un geste de mépris, les casuistes n’émettant qu’une seule réserve à ce propos : le respect de l’autorité de l’État oblige dans la pratique à ne pas tuer trop souvent. On peut également donner la mort pour un vol, pourvu que les biens dérobés ne soient pas d’une valeur trop faible. Par ailleurs, les hommes d’Église disposent dorénavant de ce droit comme les laïcs.
28 mai
Le rédacteur affirme en préambule que personne n'a réussi à deviner qui il était. Le dialogue avec le jésuite reprend alors. Le Père annonce qu'il va traiter des maximes concernant diverses professions et conditions sociales dont il n'a pas encore parlé.
Ainsi, les juges peuvent désormais émettre un jugement contre leur propre opinion, et recevoir des cadeaux des parties en présence, en particulier pour traiter une affaire plus vite qu’une autre. Quant aux gens d’affaires, ils sont désormais libres de garder de quoi vivre avec honneur en cas de banqueroute, tout comme de prêter de l’argent avec intérêt sans tomber dans le pêché d'usure : il leur suffit pour cela de réciter avec le débiteur une formule avant l’emprunt, d’exiger le payement des intérêts comme une faveur, ou encore de pratiquer le contrat Mohatra. Mais les casuistes ont également veillé à aider les nécessiteux : dans ce but, si un voleur se dispose à dérober une personne pauvre, il est dorénavant permis de lui indiquer plutôt un individu riche ; voler est également autorisé en cas de nécessité grave.
De façon générale, il n’est plus nécessaire de rendre les biens acquis par des voies illégitimes, tels l’adultère, le meurtre, la justice inique, ou la sorcellerie. Les casuistes introduisent toutefois des nuances à ce sujet : par exemple, un sorcier ne peut conserver ces biens que s’il a véritablement exercé son art avec l’aide du diable, et un juge seulement s’il a rendu un jugement injuste, car c’est ce pourquoi ils ont été payés.
Le jésuite conclut fièrement avec une anecdote prouvant incontestablement l’utilité de la casuistique : un homme, qui devait restituer une somme d’argent par ordre de son confesseur, a lu par hasard un ouvrage de casuistique. Dès lors, il a décidé de conserver la somme, l’esprit allégé de tous scrupules.
3 juillet
Le Père accueille son interlocuteur en lisant un passage d’un ouvrage du Père Barry, jésuite ; l’auteur y promet un accès assuré au Paradis, au prix seulement de quelques dévotions aisées à la Vierge. Il n’est pas nécessaire pour cela d’aller jusqu’à lui donner son cœur ou de changer de vie, contrairement à ce que pensait le narrateur : porter des objets pieux suffit. Cette assurance de Barry ne peut être remise en cause, car tous les ouvrages des jésuites sont vérifiés par leurs supérieurs, comme la loi les y oblige. Un autre jésuite cité par le Père, nommé Le Moyne, confirme d'ailleurs dans ses Dévotions aisées qu’être dévot n’est pas si pénible qu’on le croit : il dresse ainsi un portrait critique des individus dont le comportement austère se rapproche de celui des saints, qu’il juge ridicules.
Toujours dans le but de rendre la dévotion plus facile, certains casuistes se sont également appliqués à redéfinir certains péchés. Ainsi, l’ambition n’est désormais péché mortel que si on cherche à s’élever dans le but de nuire à la religion ou à l’État, et l’avarice seulement si on désire les possessions spirituelles de son prochain. De même, la paresse n’est plus selon Escobar qu'« une tristesse de ce que les choses spirituelles sont spirituelles », tandis que la gourmandise n’est condamnable que si elle nuit à la santé. Quant à l'envie et la vanité, elles sont de trop petite importance aux yeux de Dieu pour constituer des fautes vraiment graves.
Autre péché traité par les Pères jésuites : le mensonge. Il est dorénavant possible de les éviter en démentant, soit à voix basse, soit simplement en pensée, les propos que l’on tient ; ce principe vaut aussi pour les promesses. Certains casuistes ont également pensé aux femmes : celles-ci peuvent selon eux disposer de leur virginité sans le consentement de leurs parents, se parer comme elles l’entendent, et voler de l’argent à leur mari pour s’adonner à des activités frivoles. Enfin, ils ont veillé à rendre l’assistance à la messe plus facile, en permettant d’y être présent sans l’écouter, d’y aller pour observer une femme, ou de se rendre pendant un bref instant à plusieurs messes qui, mises bout à bout, feront une messe entière.
2 août
Le narrateur annonce que le Père lui a parlé cette fois des maximes prônées par les jésuites afin d’adoucir la confession ; il juge qu’il s’agit là d’un des éléments majeurs de la politique de la Compagnie de Jésus, qui vise à contrôler les consciences.
Le jésuite affirme en préambule qu’il s’agit là du parachèvement de l’œuvre des casuistes, car les péchés qu'ils n'ont pas excusés autrement sont ainsi facilement lavés. Désormais, il est possible de posséder deux confesseurs, si on veut éviter d’avoir à avouer à l’un d’eux ses péchés mortels. On peut également tenter de réduire la gravité de sa faute, en en changeant les circonstances, ou en ne mentionnant pas qu’elle est fréquente ; la pénitence exigée, si elle trop sévère, peut aussi être refusée.
Dans le même esprit, les casuistes établissent de façon unanime que le confesseur doit accorder l’absolution à tout homme qui promet de s’amender, même s’il n’y a aucune apparence qu’il le fasse réellement ; peu importe si cette assurance le conduit à pécher plus souvent. Le confesseur ne peut pas non plus exiger de lui de changer radicalement de vie pour ne plus succomber à la tentation, et peut lui-même chercher une occasion de pécher s’il vise le bien spirituel de son prochain.
En outre, les casuistes ne jugent plus la contrition nécessaire pour obtenir le salut : l’attrition suffit. Enfin, couronnement de toute leur morale et de tous leurs raisonnements, ils considèrent finalement comme dispensable d’aimer Dieu. À la fin de l’entretien, le narrateur laisse éclater sa colère, qu’il retenait depuis le début de ses rencontres avec le Père : il juge avoir entendu le comble du blasphème et de l’impiété.
18 août
Pascal abandonne la fiction pour répliquer directement aux réponses des Pères jésuites à ses Lettres. Ceux-ci l’ont notamment accusé de « tourner les choses saintes en railleries ». Pascal se défend en affirmant que si la vérité divine exige le respect, les idées humaines qui la corrompent méritent le mépris. Il prend exemple des moqueries de Dieu envers Adam après sa chute, de celles Jésus-Christ envers le pharisien Nicodème, et de celles de nombreux Pères de l’Église envers les hérétiques. Il ajoute que ce sont les maximes des casuistes jésuites qui portent en soi à rire, tant elles choquent le sens commun.
Ce n’est pas non plus manquer de charité que de s’en moquer. Il convient d’exposer le mal quand on le voit, justement par charité pour ceux qu’il met en danger. Pascal cite quatre marques, déterminées par les Pères de l’Église, montrant que des critiques proviennent d’un esprit de charité et de piété, et non d’impiété : la première est d’employer toujours la vérité, en excluant tous mensonges ; la seconde, de ne pas dire de vérités blessant inutilement ; la troisième, de ne pas user de raillerie à propos de choses saintes ; la dernière, d’agir par désir du salut de celui qui la subit.
Pascal montre enfin que les jésuites ont contrevenu à toutes ces règles dans leurs écrits : le Père Le Moyne a tourné en dérision la religion dans des poèmes galants ; ils ont lancé des calomnies délirantes envers les religieuses de Port-Royal ; certains d’entre eux ont souhaité l’enfer aux jansénistes.
9 septembre
Pascal répond au reproche d’« imposture » fait par les jésuites ; selon eux, il aurait déformé les propos des casuistes. Il affirme d’abord que, étant seul contre une puissante compagnie, la vérité est la seule arme qu’il puisse employer avec efficacité. Il cherche ensuite à prouver, en reprenant chaque citation qu’il aurait mal retranscrite selon les jésuites et en citant plusieurs casuistes partageant son interprétation, qu’il a bien pris ces auteurs dans leur sens, avant d'opposer à leurs maximes les Saintes Écritures et les Pères de l’Église. Il accuse par ailleurs ses adversaires d’employer des arguties techniques afin d’embrouiller le débat, de jouer sur des subtilités de langage, et plus généralement d’utiliser des arguments de mauvaise foi.
Ainsi, Vasquez dispense bien les riches de donner l’aumône aux pauvres, en considérant que ceux-ci ne possèdent pratiquement jamais de « superflu », dont ils seraient forcés de faire don suivant l’Évangile. De même, Pascal n’a pas menti en affirmant que certains auteurs jésuites autorisent de fait la simonie en donnant à ce terme un sens inepte, et permettent aux banqueroutiers de garder leur argent pour vivre avec honneur. Il conclut en prétendant que son combat est celui de la vérité contre la violence : la violence peut prévaloir un temps, mais c’est la vérité qui finit toujours par triompher, car elle est l’esprit de Dieu même.
30 septembre
Pascal se défend des autres « impostures » dont il est accusé, qui concernent le sentiment des casuistes sur le meurtre. Comme dans sa lettre précédente, il montre par plusieurs citations de casuistes qu’il n’a pas déformé les propos qu’il a rapportés : Lessius affirme bien que l’on peut tuer pour un soufflet, et plusieurs auteurs jésuites prétendent vraiment qu’il est possible de mettre à mort un calomniateur.
Par la même occasion, il critique la distinction opérée par les casuistes entre spéculation et pratique, qui consiste à rejeter l’application d’une maxime admise en théorie par respect pour l’autorité de l’État. Pour Pascal, il n’y a aucune raison que ce qui est permis dans la pratique ne le soit pas dans la spéculation, la première étant la conséquence de la seconde. De ce fait, il s’agit seulement à ses yeux d’un procédé pour échapper aux poursuites judiciaires, montrant que les casuistes craignent plus les juges que Dieu.
Il dénonce de la même façon le probabilisme. Celui-ci est selon lui utilisé dans un but politique : permettre à la Compagnie de Jésus de satisfaire tous les esprits, en ayant un auteur de chaque opinion. Ainsi, quand les jésuites mettent en avant des casuistes ayant des sentiments chrétiens, cela ne témoigne pas de l'innocence de la Compagnie, mais au contraire de sa duplicité.
23 octobre
Pascal annonce en préambule qu'il ne répondra pas seulement aux dernières « impostures » des jésuites, mais dénoncera plus généralement le sentiment des casuistes sur le meurtre, en montrant à quel point il est contraire aux lois de l'Église. L'interdiction de tuer est une constante de tout temps, depuis Noé. Cette défense se retrouve dans toutes les sociétés, y compris païennes. Seul possède légitiment ce droit l'État, généralement incarné par un monarque, pour punir les criminels, car c’est Dieu qui agit par son biais ; on peut également tuer pour se défendre, quand sa vie est menacée.
Pourtant, les casuistes autorisent l'homicide dans de nombreux autres cas, violant par là la loi civile, l'Ancien Testament et l'évangile. Ainsi, Pascal montre qu'ils le permettent pour défendre un bien, ou l'honneur. Il réfute par la même occasion trois autres « impostures » dont il est accusé : Molina permet réellement de tuer pour de faibles vols, et Layman admet le duel pour défendre l’honneur.
À ces maximes morales relâchées, Pascal oppose les lois civiles et ecclésiastiques. L’Église a toujours puni l'homicide, imposant de très sévères pénitences aux meurtriers ; dans son horreur du sang, cette dernière interdit même aux clercs de prendre part aux procès criminels. De même, la loi civile établit de nombreuses précautions avant la mise à mort : l'accusé doit être condamné par sept juges neutres et probes, à la demande d’une personne publique.
Pascal conclut en constatant que les jésuites sont animés par l'esprit du diable, et non par celui de Dieu, entre lesquels chaque homme a à choisir. Il leur conseille de changer de sentiments, ne serait-ce que parce que leurs maximes sont de plus en plus connues et haïes.
25 novembre
Afin que plus personne n'attache foi aux calomnies des jésuites, Pascal entend cette fois montrer leurs procédés pour mentir en toute bonne conscience. Ainsi, il ne veut pas seulement prouver que les jésuites mentent, mais également qu’ils le font volontairement.
L'idée que mentir pour se défendre de calomniateurs ne serait qu'un péché véniel est enseignée dans un grand nombre des universités contrôlées par les jésuites, et considérée par les casuistes comme l'une des opinions probables les mieux établies. Grâce à cette doctrine morale, ces derniers, qui considèrent chaque attaque contre la Compagnie comme diffamatoire par essence, peuvent calomnier sans risquer leur Salut.
Pascal cite ensuite deux exemples montrant leur duplicité. Après avoir écrit un ouvrage qui semblait attaquer la Compagnie de Jésus, M. Puys a été fortement pris à partie par un jésuite ; il a fallu que Puys nie s'en être pris à son ordre, pour que le jésuite se rétracte. De même, on a fortement reproché au casuiste Bauny l’une de ses maximes morales ; alors que l'existence de cette maxime est déniée par le jésuite Caussin en 1644, celle-ci est admise et défendue comme orthodoxe par les accusateurs de Pascal après que ce dernier l’a évoquée dans ses Lettres. Il est dès lors évident que le but des jésuites en ces occasions n’a pas été d’établir la vérité, auquel cas leurs attitudes ne seraient pas si contradictoires, mais seulement de défendre leur compagnie.
De façon générale, face aux calomnies des jésuites, forgeant des écrits qu'ils attribuent à leurs adversaires, ou lançant des accusations sans preuves ni témoins, Pascal invite à adopter l'attitude d’un capucin qu'ils avaient diffamés : il s'agit de leur demander de faire paraître leurs témoins et leurs preuves, sous peine de montrer qu’ils ont « menti très impudemment ». Pascal termine sa lettre en affirmant qu'on ne doit pas lui reprocher d'avoir détruit la réputation des jésuites, dans la mesure où il était beaucoup plus important de rétablir celle de ceux qu’ils ont calomniés.
4 décembre
Pascal continue de démentir les médisances des jésuites : Jansénius n'a jamais volé d'argent à son collège, un prêtre a été accusé à tort d'avoir dérobé le contenu du tronc d'une église, et le directeur spirituel de Port-Royal Singlin ne s'est pas enrichi dans une affaire de succession. Toutefois, c'est à une calomnie contre les religieuses de Port-Royal qu’il doit surtout faire justice, dans la mesure où celles-ci ont été accusées de ne pas croire à la transsubstantiation ni à la présence réelle, comme les calvinistes. Il peut d'autant mieux les défendre qu'il n’est pas de Port-Royal, contrairement à ce que les jésuites affirment.
Le caractère fallacieux des accusations des jésuites est ainsi évident, l’eucharistie étant le principal objet de piété des religieuses : elles ont pris le nom de filles du Saint-Sacrement, et lui consacrent tous les jeudis une dévotion spéciale. De même, les ouvrages dits « de Port-Royal » sont inattaquables sur ce point : Pascal prouve leur orthodoxie par de nombreuses citations. Il est facile de déterminer l’origine de ces attaques, dans la mesure où Saint-Cyran et Arnauld ont critiqué les pratiques eucharistiques des jésuites, qui accordent la communion aux pécheurs les plus abominables.
L'argumentation des jésuites pour qualifier Saint-Cyran d'hérétique est également ridicule, ceux-ci interprétant certains passages de ses ouvrages dans un sens absurde. Ils en viennent même à déformer les canons du concile de Trente pour servir leur but, altérant par la même occasion la parole des papes et des Pères. Autre calomnie contre Port-Royal, plus invraisemblable que toutes les autres : ils ont prétendu qu’on y comploterait « d’exterminer la religion chrétienne, et d’élever le déisme sur les ruines du christianisme ».
Le manque de crédibilité de ces médisances prouve que les jésuites sont animés par la haine plutôt que la foi, ne croyant sans doute pas eux-mêmes à ce qu’ils écrivent. D'ailleurs, leurs maximes morales les trahissent, les empêchant de s’assurer la réputation de sincérité qui fait les bons menteurs. Pascal les défie de montrer des témoins et des preuves de ce qu’ils avancent : le silence serait la preuve de leur culpabilité. Plus généralement, le fait que les jésuites aient recours au mensonge montre en soi que leur cause est injuste ; si elle était juste, la vérité combattrait pour eux.
23 janvier 1657
Puisque le Père Annat, et l'ensemble des jésuites à travers lui, l'ont à nouveau attaqué, c'est l'occasion pour Pascal de démentir leur plus importante accusation, celle d'hérésie. Au-delà de son propre cas (et rien de ce qu'il a dit ou fait ne peut prouver qu'il soit un hérétique), comme il se trouve engagé avec Port-Royal et ceux qui en sont proches, c’est son devoir de les défendre, et de mettre fin au bruit répandu par les jésuites que « l’Église est divisée par une nouvelle hérésie ».
Les jésuites affirment que l’hérésie des jansénistes est résumée dans les cinq propositions condamnées par le pape. Pourtant, ceux-ci les rejettent eux-mêmes, et se plaignent qu’on les leur attribue ; on ne peut pas non plus dire qu’ils ne les condamnent qu’extérieurement, car l’Église défend de douter d’une confession de foi catholique. De plus, leur conception de la grâce est orthodoxe : c’est la grâce efficace telle que saint Augustin la conçoit. Il s’agit dès lors d’une question de peu d’importance pour l’Église, dans la mesure où elle porte seulement sur le fait et non la foi : décider si les propositions retranscrivent fidèlement la pensée de Jansénius ou pas.
De ce fait, les défenseurs de l'évêque d’Ypres ne peuvent être hérétiques, car si l'Église ne peut pas se tromper sur les points de foi, elle le peut sur les points de fait. On en trouve de nombreux exemples dans l'histoire ecclésiastique, et il s'agit là d'un point de vue partagé par tous les théologiens, y compris jésuites. Il en ressort que ces derniers ne peuvent prétendre que, puisque le pape a attribué les propositions à Jansénius, on devient hérétique en le niant : dans ce cas, leurs propres théologiens devraient être condamnés, et on pourrait en arriver à ce que des propos orthodoxes chez le pape soient hérétiques chez Jansénius.
En réalité, la position du pape n'est pas étonnante, dans la mesure où les jésuites ont prétendu que les propositions se trouvaient mot pour mot dans l'Augustinus, même s'ils n’ont jamais pu le prouver. Par ailleurs, il n'est pas question de faire signer aux ecclésiastiques un formulaire les forçant à condamner le sens de Jansénius, comme les jésuites le voudraient, car ce serait faire leur jeu : ils pourraient en profiter pour faire condamner la grâce efficace. Car c'est là en effet leur véritable objectif en s'attaquant à Jansénius : imposer la conception de la grâce de Molina, aux dépens de la grâce efficace défendue par saint Augustin.
24 mars
Face aux accusations de Pascal, le Père Annat a été forcé de préciser l'hérésie reprochée aux défenseurs de Jansénius : ils seraient coupables de prendre l'expression « grâce efficace » au sens hérétique de Calvin, plutôt qu'au sens orthodoxe de saint Thomas. Pourtant, ceux-ci ont toujours condamné la conception de Calvin, en affirmant que l'homme peut résister à la grâce mais que, du fait d’un dégoût du monde inspiré par Dieu, il se trouve qu’il n'y résiste jamais. C’est là également le point de vue de saint Augustin et de saint Thomas, comme le montrent de nombreux passages de leurs œuvres.
De même, en citant son œuvre, il est facile de prouver que Jansénius a toujours rejeté la conception calviniste de la grâce. Toutefois, si les jésuites n'en sont pas d'accord, ils n'en seront pas hérétiques pour autant : il ne s'agit là que d'un point de fait. Dès lors, puisque les jésuites et les défenseurs de Jansénius s'accordent sur tout, mis à part le sens à donner aux propos de l'évêque d’Ypres, les persécutions exercées par les jésuites à l'encontre de leurs adversaires prouvent qu'ils en veulent plus aux personnes qu'aux erreurs.
Si le pape a à nouveau condamné les cinq propositions, c'est parce que son entourage est favorable aux jésuites. Ce n'est pas manquer de respect au Saint-Siège que de dire qu’il s'est trompé : saint Grégoire et saint Bernard ont admis cette possibilité sur un point de fait. Par ailleurs, le pape ne doit pas gouverner de façon autoritaire, mais par la douceur et la persuasion.
En réalité, ce ne sont pas les bulles qui prouvent la vérité des faits, mais la vérité des faits qui les rend recevables ; suivant saint Thomas et saint Augustin, on la reconnait par le témoignage de nos sens. Il en résulte que sur les points de faits, ce sont ses sens qu'il faut consulter ; c’est également vrai au sujet des bulles. Pascal conclut en s'étonnant du silence de ceux que les jésuites attaquent injustement ; il ne doute pas que leur mutisme s’explique par leur patience et leur piété, mais quand l'Église souffre, cette attitude ne se justifie pas.
En écrivant les Provinciales, la volonté de Pascal est d'abord de participer à une controverse : il s'agit donc avant tout d'une œuvre polémique. Mal considérée par les Anciens, la littérature polémique a mauvaise réputation au milieu du XVIIe siècle. Instrument de toutes les controverses intellectuelles (théologie, science, littérature...), elle est pourtant très diffusée, et appréciée par le public cultivé. Elle induit un schéma répétitif : un premier libelle lance la polémique, puis des réponses apparaissent, auxquelles l'initiateur du débat réagit directement ou par le biais d'alliés ; celui-ci se termine par un accommodement, ou faute de combattants. La polémique est l'un des fondements de l'œuvre de Pascal : il a déjà participé à plusieurs controverses scientifiques, notamment au sujet de l'existence du vide.
Toutefois, contrairement aux autres pièces de la polémique entre jésuites et jansénistes, les différentes Provinciales ne se réduisent pas à des dissertations déguisées. Elles possèdent la particularité d'être à la fois une véritable œuvre littéraire et un dialogue d'idées : cette association originale leur valent sans doute en partie leur succès. Les deux formes de littérature desquelles les Provinciales se rapprochent le plus sont sans doute la comédie (Jean Racine les a par exemple perçues de cette manière) et le roman (Pascal a ainsi été accusé d'être un romancier par les jésuites) : la comédie est alors un genre peu prestigieux en France, mais le roman est en vogue, Madeleine de Scudéry ou encore Honoré d'Urfé comptant parmi les auteurs les plus populaires ; Pascal a cependant nié en avoir lu, et les Provinciales s'éloignent considérablement du modèle romanesque dominant à cette époque, l'usage de la forme épistolaire étant encore rare. Le dialogue d’idée remonte quant à lui à l’antiquité, illustré en ce temps par des philosophes tels que Platon, qui a peut-être eu une influence directe sur Pascal ; il s’agit d’une forme souvent adoptée alors.
Les Anciens n'ont jamais employé la forme épistolaire dans les ouvrages polémiques ; cet usage, illustré notamment par Guez de Balzac, remonte à la seconde moitié du XVIe siècle. Au milieu du XVIIe siècle, il est très répandu en Europe occidentale, en théologie comme dans les autres domaines intellectuels : ainsi, sur un échantillon de cent-soixante-trois textes polémiques à propos de la théologie morale des Jésuites, quarante-trois sont des lettres.
Au XVIIe siècle, les controverses religieuses font de plus en plus l'objet d'un large débat, nécessitant de s'acquérir la bienveillance de l'opinion publique, ce que les progrès de l'imprimerie rendent possible. Dans ce but, l'usage massif de la forme épistolaire par les auteurs de libelles s'explique par deux raisons proches. Il s'agit d'abord d’échapper à la censure qui frapperait un ouvrage « standard », ceux-ci nécessitant une approbation royale : une lettre prétendument publiée sans que l'auteur le sache est un bon moyen d'aborder un sujet interdit. Second motif, dissimuler le caractère polémique de l'œuvre : exposer au grand public une question religieuse étant mal considéré, l'auteur évite ainsi de donner une mauvaise image, à lui-même comme à la cause qu'il défend. En fait, celui-ci prétend généralement respecter un modèle ancien et légitime de relation épistolaire, dans lequel le contenu des lettres s’apparente à une conversation entre deux amis, qui s’opposerait à la démagogie d’un pamphlet public.
Plusieurs procédés sont employés pour rendre le caractère épistolaire de l’œuvre vraisemblable : les formes propres à la lettre sont respectées (formules de politesses, datation, etc.), des remarques personnelles sont souvent glissées, la publication du libelle est rarement mentionnée, et son impression pratiquement jamais. L’auteur et le destinataire peuvent être fictifs ou pas, anonymes ou non. Ces derniers ont souvent une relation de maître à élève (un théologien transmet son savoir à un « honnête homme »), mais l’échange entre deux théologiens, ou deux évêques, est également fréquent. Le public n’étant jamais dupe du fait que la lettre qu’il lit s’adresse en réalité à lui, l’auteur ne cesse de justifier envers lui son intervention dans la controverse, le plus souvent en invoquant le danger des doctrines de l’adversaire, ou le désir de correction fraternelle envers ce dernier.
Par rapport à ce tableau, l'originalité principale des Provinciales quant à la forme est d'observer dans les dix premières lettres les codes des relations épistolaires mondaines, qui visent moins alors à transmettre un contenu qu'à distraire leurs lecteurs et à mettre en avant le talent d'écriture des correspondants ; au milieu du XVIIe siècle, Vincent Voiture est sans doute l'auteur illustrant le mieux cette pratique, qui est au comble de sa popularité. Ainsi, la correspondance entre le Provincial et le narrateur se rapproche de celle entretenue entre membres d'un salon, destinée à être lue en public dans un milieu aristocratique.
Les Provinciales ont été très tôt perçues et traitées comme une œuvre à part entière, et non comme un ensemble de libelles à considérer séparément. Pourtant, elles présentent de nombreux éléments de discontinuité. Ainsi, de façon générale, ce sont les circonstances de la polémique entre jésuites et jansénistes qui mènent l’œuvre : Pascal réagit aux décisions du pouvoir public comme à celles du Saint-Siège, aux réponses de ses adversaires, à l’accueil du public... De même, ce sont ces circonstances qui déterminent son commencement et sa fin, ainsi que les intervalles de temps entre chaque lettre. Enfin, toutes les lettres n’ont pas non plus le même destinataire affiché : un provincial fictionnel, puis les pères jésuites, et enfin François Annat. À cause de ces caractéristiques, ainsi que de leur format, on considère souvent aujourd'hui que les Provinciales constituent la première grande œuvre journalistique.
Toutefois, justifiant que l'œuvre soit considérée comme un ensemble uni, on y trouve également un grand nombre de traits de continuité. Outre des caractéristiques évidentes (même auteur, écrites dans un laps de temps relativement court, format semblable, même public...), il existe ainsi dans les dix premières lettres une intrigue continue, usant des mêmes personnages. De même, Pascal aborde ses différents thèmes en suivant une progression logique au sein des lettres quatre à dix (la plupart des maximes fautives des casuistes jésuites sont dénoncées, dans un ordre croissant d’importance) et onze à seize (sous prétexte de répondre aux accusations des jésuites, leur façon de mentir est progressivement mise en avant). Par ailleurs, on trouve dans chaque lettre de nombreuses références aux précédentes, tandis qu'est généralement annoncé en fin de lettre le contenu de celle qui suit. Ainsi Pascal échappe à la discontinuité dans laquelle aimeraient l’entraîner les polémistes jésuites. Face au caractère épars de leurs réponses, les éléments de continuité présents dans l'œuvre constituent également une force.
Au moment de leur parution, le style des Provinciales a suscité chez ses lecteurs à la fois surprise et admiration, comme en rendent compte plusieurs témoignages, tel celui de la marquise de Sévigné. Dans cette œuvre, ainsi que dans toutes celles qu’il a produites, Pascal rompt en effet avec la manière d’écrire qui prévaut à l’époque : plutôt que de tenter d'imiter la prose latine des auteurs antiques, il cherche en effet à pratiquer un style « naturel », meilleur moyen selon lui de faire impression sur l'esprit du lecteur. La phrase naturelle possède pour principales caractéristiques la brièveté (aboutissant à un « style coupé », très rarement employé à l'époque) et la simplicité : cela permet à Pascal de rendre ses raisonnements plus clairs et son style plus vivant. Ainsi, dans les Provinciales, ce dernier fait preuve d’une grande vivacité d’écriture : les entrées en matière comme les conclusions y sont rapides, les phrases y sont courtes et souvent exclamatives, les questions nombreuses et pressantes.
À l’opposé, Pascal méprise les « mots d’enflures », tout comme les procédés rhétoriques issus des Anciens employés en son temps : ceux-ci seraient artificiels, gêneraient la compréhension et refléterait seulement l’orgueil de leur auteur. Sa rhétorique s'écarte de même de l'esthétique « baroque », observée alors par les jésuites dans le but de faire entrer la religion dans les cœurs par le charme et la sensibilité ; il lui préfère une esthétique naturelle, en faveur dans les milieux proches de Port-Royal, qui s’appuierait sur la seule force de la vérité. Ainsi, le style d'un auteur devrait selon Pascal le montrer aux lecteurs tel qu'il est, et non tel qu'il veut paraître.
Dans les Pensées, Pascal vante « la manière d’écrire de Montaigne, d'Épictète et de Salomon de Tultie [un de ses pseudonymes] ». Il a également pu trouver son inspiration dans la rhétorique biblique, alors rarement imitée, mais considérée par lui comme le modèle le plus légitime pour un chrétien. À cause de cela, contre la tendance de l’époque, l’auteur des Provinciales use de nombreuses répétitions, produisant un effet de martèlement. De même, il emploie souvent l’hyperbole, nuançant rarement ses jugements : on relève ainsi dans les Provinciales un usage fréquent d’adjectifs tels que « plein », « seul », « unique », « nul »... Enfin, Pascal tend parfois à imiter le langage des prophètes, en brusquant ses adversaires : il les apostrophe et les questionne impérieusement, s’érigeant en voix de la vérité contre le mensonge et le mal. Cette vision tranchée du monde s'exprime également par l'emploi régulier d'antithèses.
D'autres procédés rhétoriques sont utilisés de façon naturelle par Pascal afin de rendre son œuvre plus plaisante, discréditer ses adversaires, ou souligner ses propos. Dans la partie fictionnelle, il fait en particulier un usage régulier de l’ironie sous diverses formes (fausse naïveté, litote etc.), ; après avoir abandonné la fiction, il emploie davantage le sarcasme et l'invective, et quitte parfois le « style coupé » au bénéfice du « style sublime », caractérisé par des phrases longues et une tendance au lyrisme,.
Pour Pascal, plaire au lecteur n’est pas une fin, mais un moyen, le seul possible pour atteindre le grand public ; suivant Marguerite Perier, il aurait ainsi dit au sujet des Provinciales : « J’ai vu qu’il fallait écrire d’une manière qui pût être lue avec plaisir par les femmes et par les gens du monde ». À ce titre, on peut considérer qu'il ne s'agit pas d'une œuvre artistique. En strict augustinien, Pascal croit que, à l’exception de certains élus auxquels Dieu accorde sa grâce, les hommes sont dominés par la concupiscence depuis la Chute, et par là avant-tout voués à la recherche du plaisir ; dès lors, il considère qu’on les convainc beaucoup mieux par l’agrément que par le raisonnement, comme il l’indique dans De l'Esprit géométrique et de l'Art de persuader : « ... tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l’agrément. ». Suivant les catégories de saint Augustin, si l'auteur des Provinciales s'abstient d'employer la concupiscence liée à la chair et celle liée aux yeux, il utilise donc celle liée à l'orgueil.
Une des principales façons pour Pascal de plaire au lecteur est d’user du comique ; en cela, il fait preuve d'audace, car ce registre est généralement mal perçu dans les milieux auxquels il s'adresse. La partie fictionnelle des Provinciales se rapproche ainsi des comédies de théâtres, avec notamment une situation de double énonciation, des dialogues entre personnages fictifs, divers « jeux de scènes » et jeux de mots. Pascal définit lui-même dans la onzième lettre la cause du rire comme « une disproportion surprenante entre ce qu’on attend et ce qu’on voit ». Les maximes grotesques des casuistes jésuites provoquent d’elles-mêmes le rire, étant inattendues venant de sérieux docteurs. En employant l'ironie, il crée de même une complicité avec le lecteur, qui connait le vrai sens des propos du narrateur, contrairement au naïf Père jésuite. Cette méthode aboutit également à une situation « cathartique » dans laquelle une figure d’autorité est humiliée, fréquente dans la comédie.
Toujours pour rendre son œuvre plaisante, Pascal utilise dans les dix premières lettres divers autres procédés propres à la littérature. Il présente ainsi des personnages diversifiés, ayant chacun un caractère particulier, notamment perceptible grâce à leurs façons de s’exprimer. De la même façon, il alterne sans cesse dialogue et narration, en ajoutant nombre de détails inutiles à l'argument. Enfin, Pascal introduit une forme de progression narrative en partant d’une situation d’ignorance du personnage principal (méconnaissance reflétant celle du lecteur), que celui-ci comble à mesure que le récit progresse ; le narrateur annonce toutefois en filigrane au début de chaque lettre ce qu’il en est vraiment, produisant un effet de suspense.
Toutefois, l’usage de la fiction dans les Provinciales n’induit pas seulement une volonté de rendre la lecture de l'œuvre agréable : il porte en soi une stratégie de persuasion, qui vise à ce que le public s’identifie à la figure préparée pour lui, et soit révulsé par celle de son antagoniste. Celui-ci a d’abord tendance à se reconnaître dans le destinataire des lettres, le Provincial ; conséquence de la forme épistolaire de l’œuvre, le lecteur est amené à se considérer comme « mit dans la confidence ». Ce dernier en vient ensuite aisément à s’identifier au narrateur, Montalte, dont la personnalité favorise ce glissement : il s’agit d’un « honnête homme », sans partis-pris (il joue dans un premier temps un rôle d’arbitre) ni traits de caractère trop affirmés, faisant preuve tout à la fois de modestie (une trop grande assurance pourrait irriter le lecteur) et d’esprit pour mettre en défaut et ridiculiser ses interlocuteurs. Alors que ce rôle échoit d’abord au « janséniste », c’est Montalte qui défend à partir de la cinquième lettre l’opinion de l’auteur. Il devient dès lors le double de Pascal, qui peu à peu « jette le masque » à partir de la onzième lettre, en mettant de côté son personnage fictif pour répondre directement à ses adversaires ; il s’agit là de l’achèvement de sa stratégie de persuasion, le lecteur s’étant progressivement identifié à l’auteur lui-même, et ayant adopté du même coup ses opinions « jansénistes ».
Cet usage de la fiction et cette volonté de plaire dans une visée polémique a suscité des opinions contrastées, à l’époque de Pascal comme aujourd’hui. Certains analystes considèrent de nos jours que la dimension littéraire de l’œuvre nuit fortement à sa véracité : Roger Duchêne, en particulier, a prétendu que cet aspect entraînerait en son sein une déformation inévitable de la réalité. Toutefois, pour la majorité d'entre eux, celle-ci est conciliable avec la vérité. Pascal lui-même a jugé que « il faut de l’agréable et du réel, mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai ».
Si Pascal estime dans De l'art de persuader qu’il est impossible de définir une méthode pour convaincre les hommes par l’agrément, leurs goûts étant trop divers, il établit dans ce traité le procédé pour les convaincre par l’entendement, en leur découvrant la vérité. Celui-ci revient à respecter trois séries de règles, qui se rapprochent de celles des mathématiques : concernant les définitions, « N'admettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques sans définition » et « N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués » ; concernant les axiomes, « Ne demander en axiome que des choses parfaitement évidentes » ; concernant les démonstrations, n'employer « que des axiomes très évidents d'eux-mêmes ou des propositions déjà démontrées... » et « de n'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent. ». Dans les Provinciales, c’est sur ces règles que Pascal bâtit son argumentation, en prouvant en particulier que ses adversaires y contreviennent ; au terme de sa démonstration, le lecteur doit finalement se rallier à celui qui lui assure la supériorité intellectuelle.
Bien définir les termes en débat permet ainsi de dénoncer les équivoques des jésuites, qui dans leur théologie morale rompent le lien entre l’intention et l’action, le signifiant et le signifié, comme l'illustre le contrat Mohatra dans la huitième lettre : chez eux, les paroles en viennent à acquérir un pouvoir par elles-mêmes, devenant de ce fait presque magiques. Pascal substitue aux expressions complexes employées par les jésuites, usés pour égarer l’esprit, des termes simples et biens définis, qui aboutissent à des raisonnements sans ambigüités. Ce faisant, il obtient également la sympathie du lecteur, qui tend à prendre le parti de celui qui l'a éclairé. Ce désir est pareillement visible dans la dispositio de chaque lettre : le thème est généralement annoncé en préambule, et les idées évoquées résumées après coup. L'auteur illustre de la même façon les raisonnements ardus par des exemples ou des paraboles.
De même, Pascal part sans cesse des principes moraux les plus simples et les plus généralement admis, prouvant par la suite que les maximes des jésuites sont en contradiction avec ceux-ci ; grâce à cela, Pascal atteint tous les publics, y compris les libertins hostiles à la religion. Celles-ci sont non seulement montrées comme contraire à la foi catholique, mais également comme extravagantes d’un point de vue rationnel. En effet, en plus d’être désapprouvées par les autorités religieuses, elles sont contraires à la loi civile, et même réprouvées par certains auteurs païens, comme Pascal le montre dans la quatorzième lettre avec l'homicide.
Enfin, l’auteur des Provinciales met en avant les failles dans les raisonnements de ses adversaires. En refusant les démonstrations claires, en se contredisant sans cesse entre eux, et en utilisant les citations des Pères de l'Église et des Saintes Écritures à mauvais escient, ceux-ci montrent qu’ils défendent une cause injuste et appuient celle de Pascal. De ce point de vue, on peut dire que c’est dans les écrits des jésuites que celui-ci trouve ses meilleurs arguments.
Néanmoins, au-delà de l’argumentation proprement dite, il est également nécessaire à Pascal de s’appuyer sur des citations. Pour justifie ses démonstrations théologiques, celui-ci cite ainsi nombre de sources faisant autorité en matière spirituelle, tels les Saintes Écritures, les œuvres des Pères et des docteurs de l’Église, ou encore, dans une moindre mesure, les décisions des papes et des conciles ; les théologiens les plus souvent mentionnés sont saint Augustin (trente-sept fois) et, à un degré moindre, saint Thomas (vingt-trois fois). Cela s'explique par l'autorité dont disposent alors ces deux derniers au sein de l'Église ; l'évêque d'Hippone est particulièrement lu et apprécié au XVIIe siècle, son influence s'étendant jusqu'à la littérature. De même, pour appuyer ses attaques contre les jésuites, Pascal cite de nombreux casuistes : il s’agit en particulier d’Escobar, dont le Liber théologiae moralis, même s'il n’est ni particulièrement laxiste ni particulièrement célèbre avant la parution des Provinciales, a le mérite de constituer une compilation synthétique et facile d’accès. Six autres casuistes sont cités plus d’une fois ; les citations employées ont généralement déjà été usées auparavant dans la controverse. Ces derniers ne sont pas tous des membres de la Compagnie de Jésus, mais en sont toujours proches idéologiquement.
La question de la grâce est fondamentale dans le conflit ayant mené à la publication des Provinciales : c’est sur ce point qu’Arnauld est condamné par la Sorbonne. Toutefois il n’en est traité de façon directe que dans les trois premières et les trois dernières lettres ; les questions théologiques ne sont d’ailleurs jamais abordées dans l’œuvre pour elles-mêmes, sans que la polémique avec les adversaires d’Arnauld ou les jésuites ne le justifie. Pascal n’est pas sans connaissance sur le sujet (il a ainsi rédigé des Écrits sur la grâce, dont la rédaction a probablement débuté peu avant la publication des Provinciales) mais il doit sans doute l’essentiel de son argumentation au « parti de Port-Royal » qui le publie, et plus particulièrement à Arnauld et Nicole.
Ainsi, Pascal prétend défendre la vision de la grâce de saint Augustin (grâce efficace), dont la prévalence dans l’Église serait mise en danger par un complot jésuite visant à l’abattre en abattant Jansénius, ; celle-ci serait en accord avec celle de saint Thomas, qui n’aurait fait que la compléter. Pour lui, les conceptions de l’évêque d’Hippone s’identifient donc à celles des jansénistes : le théologien étant inattaquable, il est impossible que les jansénistes soient hérétiques. Aux arguments des théologiens molinistes mettant en avant la liberté humaine, il répond par la doctrine de la double délectation, formulée par saint Augustin dans ses travaux contre les pélagiens et les semi-pélagiens, et mis en avant par Jansénius : si l’homme ayant obtenu la grâce de Dieu n’y résiste jamais, ce n’est pas parce qu’il ne possède pas la liberté de le faire, mais parce que la délectation des choses célestes prend chez lui le pas sur celle du monde, ce sentiment le menant infailliblement vers le salut ; cette conception ne serait pas la même que celle des calvinistes, qui nieraient à l’homme toute forme de liberté en la matière.
D’autre part, afin de s’adresser au plus grand nombre (il cesse de viser les docteurs au moins à partir de la troisième lettre), et pour s’attirer sa bienveillance, Pascal « vulgarise » la théologie : cette entreprise a été considérée le plus souvent comme très réussie. En conséquence, Pascal prend une position anti-scholastique, comme l’illustre son rejet du terme de « pouvoir prochain » dans la deuxième lettre ; il suit en cela un mouvement spirituel prônant un retour vers la simplicité biblique, prégnant à l’époque. Sa présentation des différentes doctrines en présence est généralement jugée comme juste, même s’il tendrait à forcer le trait ; sa manière de dénoncer la conception des thomistes de la grâce a en particulier été critiquée : pour dénoncer la « grâce suffisante », il joue par exemple sur le sens du mot « suffisant », perçu comme ayant son sens le plus répandu alors qu'il signifie en réalité « inférieur » dans cette expression,.
De la quatrième à la dixième lettre, Pascal fait de la casuistique pratiquée par les jésuites sa cible principale. Ce sujet est lié à celui de la grâce, les conceptions « semi-pélagiennes » des jésuites les menant à une théologie morale déréglée. La quatrième lettre constitue ainsi une transition entre les deux thèmes : le narrateur y réagit aux idées d'un Jésuite, qui prétend que l’homme ne fait réellement le mal que s’il est conscient de sa mauvaise action. Pour Pascal, l’homme est toujours responsable du mal qu’il commet car, sans la grâce, son esprit corrompu par le péché originel le porte à pécher naturellement. La pratique de la casuistique, au moins dans le cas des Jésuites, revient à user de cette raison viciée pour juger du bien ou du mal ; elle tend par conséquent à accommoder la morale à la nature corrompue de l’être humain. L’auteur des Provinciales refuse quant à lui toutes possibilités de manquement instituées et déclarées aux prescriptions morales des Écritures et de l’Église, qui aboutiraient à les rendre progressivement obsolètes en les affaiblissant, processus déjà observable en comparant les chrétiens des premiers temps à ceux d'aujourd'hui ; il est peut-être influencé en cela par le stoïcisme, à travers Épictète. Ces règles morales constituent pour lui un absolu, comme la vérité révélé dont elles sont issues, vérité dont les casuistes se rendent injustement maîtres ; l'application des lois morales et l'expression de la vérité doivent toutefois être inspirées par la charité, auxquelles elles sont liées, leur dureté étant ainsi atténuée.
Pascal distingue cinq procédés casuistiques employés par les Jésuites. Il cite d'abord dans la cinquième lettre le probabilisme, considéré comme le plus important : c’est le seul à posséder une existence formelle dans les traités de casuistique[réf. nécessaire]. Son usage n’aboutirait pas selon lui à déterminer la vérité morale, mais à ce que chacun se complaise dans sa propre conception de la morale : en donnant la première place à l’opinion d’une grande diversité d’auteurs modernes (multiplicité qui s’oppose au petit nombre de textes inspirés), le probabilisme s’éloignerait des sources de la foi, c’est-à-dire de la bible et des Pères de l’Église ; son emploi reviendrait en effet à innover, chose souhaitable dans le cadre des sciences, mais détestable en théologie. Autres procédés, utilisé par les casuistes pour justifier les « opinions probables » qu’ils ont émises, Pascal pointe dans la sixième lettre l’emploi de « circonstances favorables », ainsi que d’interprétations tendancieuses des termes des Écritures et des lois canoniques : pour Pascal, c'est seulement quand le pécheur n'en est pas responsable que les circonstances peuvent changer la nature d’un péché[réf. nécessaire] ; de même, pratiquer des interprétations fallacieuses revient à utiliser les apparences plutôt que la réalité, ce qui est caractéristique du mensonge. Enfin, derniers procédés exposés, la direction d’intention (de la septième à la dixième lettre) et les restrictions mentales (dans la neuvième lettre) : après saint Augustin (traité Du mensonge), l’auteur des Provinciales les rejette en affirmant que la fin ne justifie jamais les moyens, l’extériorité de l’action tendant à définir si celle-ci est morale ou non.
Les thèmes politiques possèdent une importance particulière dans les Provinciales, religion et politique étant alors intimement liées. Dans le cadre de la polémique avec les jésuites, et en contraste avec leurs pratiques, Pascal en vient en effet à définir un modèle de bon gouvernement, ainsi que les rapports entre l’État et les particuliers, entre l’Église et l’État. Ces sujets font alors l’objet d’un fort intérêt intellectuel en Europe, une vision donnant la priorité aux intérêts de l’Etat par rapport à ceux de l’Église (Hobbes, Machiavel) s’opposant à une perception subordonnant la politique aux impératifs religieux (mouvement « augustiniste »).
La Compagnie de Jésus semble dans les Provinciales prôner un contre-modèle politique absolu. Elle encourage ainsi la rébellion : contre l’Église d’abord, en détournant les décisions des papes et des conciles (telle l’interdiction d’assassiner, dans la septième lettre), contre l’État ensuite, en établissant des maximes séditieuses violant ses lois (telle la permission de voler). Elle met par la même occasion en danger les fondements de la société (famille, serment, propriété...), en s’opposant aux simples lois naturelles, que pourtant même les païens respectent. Le but des jésuites n’est pourtant pas en soi de corrompre la morale, mais d’assurer leur domination sur la sphère politique comme sur la sphère religieuse : pour cela, ils font en sorte que les lois de l’État soient désormais régies par une autorité spirituelle (la leur), et agissent dans l’Église comme s’il s’agissait d’une société temporelle (comme le montre leurs manœuvres pour faire condamner Arnauld à la Sorbonne). Cette confusion des deux ordres ne peut toutefois aboutir qu’à leurs annihilations respectives, leur coexistence étant nécessaire pour éviter le chaos.
À cette « anomie », que défendraient les jésuites, Pascal oppose ses propres conceptions, en particulier dans les lettres directement adressées aux Jésuites ; il en traite également dans ses Trois discours sur la condition des grands et dans les Pensées. Il défend ainsi la nécessité d’établir des lois du fait du péché originel : l’homme, même sans la religion, perçoit ce qui est bien ou mal, mais sa nature corrompue le mène à faire le mal sans la grâce. Pour éviter le chaos entrainé par cet état de fait, l’existence d’un État est nécessaire ; sa tâche est d'instituer des lois interdisant aux hommes de suivre leur nature, et de les faire respecter, en employant la force au besoin, comme Pascal le montre dans sa quatorzième lettre. La charge de l’Église est quant à elle de pratiquer la charité et de défendre la vérité. Cette dernière n’est pas une société politique ordinaire : elle possède en effet une durée éternelle, transcende les frontières entre États, et n’a jamais besoin de changer. L’Église en soi est ainsi parfaite : les conciles œcuméniques et les papes, quand leurs décisions portent sur un point de foi, sont de ce fait infaillibles. Celle-ci n’a jamais non plus besoin de la violence, s’imposant par la seule force de la vérité,. Toutefois, l’Église pérégrine, insérée dans le monde, est quant à elle sujette à se corrompre, par le biais de ceux qui la composent (comme les jésuites, qui en constituent un membre malade).
Ces conceptions de Pascal sont largement partagées à son époque, où domine le pessimisme à propos de la nature humaine. Elles rejoignent également celles de saint Augustin, exprimées en particulier dans la Cité de Dieu. Pascal se distingue toutefois de « l’augustinisme politique », en refusant au pape le pouvoir de juger des affaires temporelles ; pour lui, obéir au monarque est un commandement divin, et se rebeller, même contre un roi hérétique, est toujours injustifié. De même, il s’oppose à l’étatisme de Machiavel ou de Hobbes, au refusant au roi le pouvoir de diriger les affaires spirituelles.
Si la première lettre a sans doute déjà un réel impact dans l'opinion, et ulcère les adversaires des jansénistes (le chancelier de France, Pierre Séguier, se serait trouvé mal après l'avoir lue), elle n'a pas d'effet sur la procédure contre Arnauld ; celle-ci est même accélérée. La censure « de droit » est ainsi votée le 29 janvier, le jour même de la parution de la seconde Lettre. Mesure exceptionnelle, Arnauld est expulsé de la Sorbonne avec un certain nombre de docteurs qui lui sont favorables.
La troisième lettre parait le 12 février ; elle vise surtout à minimiser la censure. Par la suite, la nécessité de défendre le théologien n'étant plus aussi pressante, il est possible que Port-Royal ait songé à arrêter la publication. Néanmoins, Pascal continue finalement son œuvre, en passant de la défense à l'attaque : il concentre désormais ses critiques sur la Compagnie de Jésus, qui n'était jusqu'alors qu'une cible parmi d'autres, en dénonçant à partir de la cinquième lettre la morale relâchée que prôneraient ses membres. Il abandonne du même coup le thème de la grâce. Ce tournant a été attribué à une suggestion du chevalier de Méré, ou encore à lecture d'Escobar par Pascal ; il est probablement lié à la nécessité de trouver un nouveau sujet, la condamnation d'Arnauld étant consommée.
Le 20 mars, au moment où commence sans doute l'impression de la cinquième lettre, se produit un épisode qui renforce les positions des jansénistes, ainsi que la conviction de Pascal de contribuer à une cause juste. Marguerite Périer, jeune nièce de Pascal, pensionnaire à Port-Royal, guérit miraculeusement d'une fistule lacrymale après un contact avec une relique, la Sainte Épine. L'événement est rendu public quelques jours plus tard, et reconnu par l'Église : il suscite un grand enthousiasme autour de l'abbaye, qui donne l'impression d'avoir été bénie par Dieu. Auparavant exposée aux mesures les plus sévères du pouvoir (les Solitaires ont ainsi été dispersés en mars, et certains parlementaires proches de l'abbaye ont été embastillés), Port-Royal voit le danger s'éloigner, malgré les efforts des jésuites pour contester le miracle.
À partir de février 1656, les premières réponses aux Provinciales apparaissent. Parmi elles, on peut citer Lettre de Philarque à l'un de ses amis, ou encore Lettre d'un Provincial au secrétaire de Port-Royal, dans lesquels Pascal est pour la première fois accusé de railler les choses saintes, ainsi que de collusion avec les protestants. Ces libelles, tous anonymes, sont alors attribués aux jésuites, mais il n'existe pas de certitude à ce sujet ; dans tous les cas, il ne s'agit pas de réponses officielles de la Compagnie. Ils sont généralement considérées comme médiocres, consistant surtout en une suite d'attaques ad hominem.
Violemment pris à partie par les Provinciales, dont le succès est vif et croissant, la Compagnie de Jésus se voit dans l'obligation de réagir fermement. Elle le fait tout d'abord en encourageant les efforts visant à empêcher leur parution, des pressions en ce sens étant probablement exercées sur le syndic des libraires. Dans un second temps, les Jésuites répondent officiellement, par l'intermédiaire de leurs polémistes habituels.
En août, parait ainsi une Réponse aux lettres que les jansénistes publient contre les Jésuites, première apologie ouvertement issue de la Compagnie de Jésus. Le libelle, anonyme, est sans doute rédigé par Jacques Nouet, probablement en collaboration avec d'autres jésuites, dont François Annat. Cette réponse, associée à sa suite publiée en octobre, se subdivisent en vingt-neuf « Impostures » dans lesquels Nouet tente de montrer que les propos des casuistes cités dans les Provinciales ont été déformés. La plupart des Impostures sont suivies d’un « Avertissement », constitué de menaces, d'insinuations malveillantes et d'attaques personnelles. L'ensemble de l'œuvre est le plus souvent considéré comme de faible qualité, du point de vue du style comme de l’argumentation.
À partir de la onzième lettre, imprimée en août, Pascal abandonne la fiction pour répondre directement aux Jésuites : ce nouveau tournant s'explique probablement par la nécessité de contrer les premières répliques officielles de la Compagnie (suivant Nicole, il aurait même sans ces réponses cessé la polémique), et par l'épuisement du sujet casuistique. Dans la douzième, l'auteur des Provinciales se défend ainsi des trois premières Impostures, dans la suivante de huit autres, avant de traiter des trois Impostures portant sur l’homicide dans la quatorzième. Nouet continue de polémiquer à travers plusieurs nouveaux libelles, tel une Réponse à la douzième lettre, mais l’auteur des Provinciales refuse de s’enliser dans le débat : Nicole et Arnauld se chargent d’y répliquer.
Début janvier 1657, après une période d’un mois sans publication qui laisse penser à une « trêve » entre les deux parties, le Père Annat prend le relais de Nouet. Il publie sous son nom La bonne foi des jansénistes, libelle dans lequel il emploie peu d’arguments nouveaux, reprenant seulement l'accusation d'interprétations malveillantes. Le contexte est favorable, car une ordonnance du lieutenant civil interdit depuis le 23 décembre de rien publier sans privilège et nom d’auteur, mesure visant sans doute les Provinciales. Pascal réplique en janvier à cette nouvelle attaque avec la dix-septième lettre, mise en circulation en février, mais sans plus se soucier de justifier ses citations : il saisit cette occasion pour défendre Port-Royal et les jansénistes du reproche d’hérésie, pourtant secondaire dans le libelle d’Annat.
Celle-ci semble avoir un temps été conçu comme la dernière à Port-Royal ; toutefois, un nouveau libelle du confesseur du roi (Réponse à la plainte des jansénistes de ce qu’on les appelle hérétiques) provoque en avril la parution d’une ultime lettre. Au-delà de la nécessité de répliquer à Annat, il s’agit pour Pascal de réagir à une bulle du pape réaffirmant que les cinq propositions se trouvent bien dans l’Augustinus, et à la décision de l’assemblée du clergé de forcer les ecclésiastiques à signer un formulaire allant dans le même sens. La lettre a ainsi été dans un premier temps tenue en réserve dans l’espoir d’un accommodement obtenu par l’intermédiaire de l’archevêque de Rouen, projet qui échoue, sans doute à cause de Mazarin. Cette fois, les jésuites n'y répliquent pas.
Le plus souvent, ces derniers n'ont pas cherché à rivaliser sur le plan littéraire avec Pascal, mais à s'ériger en savants rétablissant la vérité face à un publiciste ignorant la théologie, et utilisant son talent d'écrivain pour répandre des impostures. Quatre accusations contre l'auteur des Provinciales apparaissent de façon fréquente dans les apologies des jésuites : celle de renversement (c'est Port-Royal qui devrait être accusé), de concentration (on a réunis en un seul ouvrage des maximes provenant d’œuvres éparts), de ravaudage (on a repris d'anciennes accusations dépassées), et de sophisme (on reproche à toute la compagnie les erreurs de quelques membres). Également récurrents, les reproches d'hérésie, de manque de charité, et de railler les choses saintes.
Néanmoins, de façon générale, les réponses des jésuites ne sont pas considérées comme étant à la hauteur de l’œuvre de Pascal. Au lieu de défendre la Compagnie de Jésus dans sa globalité, ces derniers se sont limités à disputer du détail des textes cités, débats dont on considère qu’ils sont ressortis perdants ; plutôt que des arguments moraux et spirituels comme Pascal, ils ont avant tout utilisé des arguments juridiques et techniques, moins susceptibles d'influencer les lecteurs. Par ailleurs, au-delà de ces insuffisances, ils ont employé des médisances et des calomnies dont la fausseté était facile à démontrer. On estime souvent que les jésuites n'ont pas trouvés d'auteurs capables de correctement les défendre.
Les motifs expliquant la fin de la parution des Provinciales sont mal éclaircis. Pascal a entamé la rédaction d’une dix-neuvième lettre, qui aurait probablement traité de la soumission de Port-Royal à la bulle ; il a sans doute également projeté d’évoquer l’infidélité de la Compagnie de Jésus à son esprit premier, et ses exactions contre les Bénédictins d’Alsace et de Bavière. Il a pu céder au « parti du silence » présent à Port-Royal ; toutefois, le fait qu’il ait continué ensuite à participer au débat à travers les Écrits des curées de Paris tend à infirmer cette hypothèse. Il s’agirait plutôt d’un changement de stratégie, mais il est difficile d’en expliquer les motivations.
Les Provinciales sont un succès immédiat et croissant, beaucoup plus important que n’importe quelle autre pièce de la controverse entre jésuites et jansénistes. Elles sont lues, appréciées et attendues parmi le public qui fait l’opinion à l’époque : la noblesse et la bourgeoisie instruite. Elles sont diffusées à Paris comme en province, dans les cercles de la cour comme dans ceux du parlement. Des personnalités telles que la marquise de Sévigné ou Guy Patin témoignent à l’époque de leur goût pour l’œuvre, tandis que Louis XIV et Mazarin se seraient fait lire la septième lettre. Une Réponse du provincial, imprimée avec la troisième lettre, où figurent les propos élogieux d’une précieuse (sans doute Madeleine de Scudéry) et d’un académicien (peut-être Marin Le Roy de Gomberville ou Jean Chapelain), fait écho à ce succès.
Comme tendent à le montrer les lettres envoyées à Port-Royal à propos des Provinciales, celles-ci parviennent certainement à influencer l’opinion publique en faveur de la cause janséniste. De même, la critique de la casuistique effectuée dans les Provinciales fait réagir une partie du clergé paroissial. Le 28 août 1656, les curés de Rouen envoient ainsi une requête à leur archevêque pour que les maximes morales répréhensibles soient condamnées. De façon parallèle, le 13 septembre, les curés de Paris publient un Avis dans lequel ils exposent leur désapprobation de la morale relâchée : celui-ci a un impact important, et le mouvement s’étend en province. Toutefois, des démarches pour obtenir une condamnation par l’assemblée du clergé n’aboutissent pas.
Des efforts ont également été faits pour s’attirer la bienveillance du monde politique. Les douze premières lettres ont ainsi été dédiées à la reine Christine de Suède lors de son passage en France ; de même, la primeur de certaines d’entre elles a été réservée à des personnalités influentes à la cour (par exemple à la comtesse du Plessis-Guénegaud), ou à des membres du parlement de Paris (comme la dix-huitième lettre). Ceux-ci ont toutefois été vains : l’œuvre et ce qu’elle défendait n'ont pas cessé d’être en butte à l’hostilité de l’Église et du pouvoir royal, dont le parti contre les jansénistes était pris.
Produites et diffusées illégalement, sans privilège ni nom d’auteur, les Provinciales font ainsi immédiatement l’objet de mesures de police visant à en découvrir le rédacteur et à en arrêter l’impression. De ce point de vue, trois périodes se distinguent : jusqu'à la huitième lettre, la répression est très forte ; celle-ci s'apaise ensuite, sans doute du fait du miracle de la Sainte-Épine et du succès de l'œuvre ; puis, après la quatorzième, les autorités se raffermissent. Port-Royal est ainsi perquisitionné le 30 mars 1656 dans l'espoir de découvrir une imprimerie clandestine. De même, le 9 février 1657, les Provinciales sont officiellement condamnées pour la première fois, un exemplaire en étant publiquement mis au bûché par le parlement d’Aix. Trois ans plus tard, le pouvoir royal les condamne également. Toutefois, toutes ces mesures ont peu d'influence sur leur popularité.