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Il existe une polémique entre historiens autour de ce plan. Certains y voient un plan de nettoyage ethnique (ou la preuve de telles intentions à l'encontre des Palestiniens) que les instances dirigeantes du Yichouv auraient mis en œuvre. Selon d'autres, le plan Daleth sort absolument du contexte de l'exode palestinien et n'a qu'un caractère purement militaire.
La seconde phase qui débute en avril marque le tournant dans la politique de la Haganah qui passe d'une position défensive à l'offensive. Les groupes armés palestiniens sont vaincus. Le siège de Jérusalem est temporairement levé et la ville ravitaillée. Le Yichouv prend le contrôle des routes principales qui lient les différentes implantations ainsi que des localités mixtes et de Jaffa. La société palestinienne s'effondre. Un exode massif s'enclenche.
À ce moment, les forces arabes comptent environ 10 000 hommes dont 3 000 à 5 000 servant dans l'Armée de libération arabe,. Depuis l'ordre de mobilisation générale lancé par Ben Gourion en novembre, les effectifs de la Haganah ont constamment augmenté. Les forces juives alignent entre 15 000 et 20 000 hommes, mieux équipés, entraînés et organisés que les forces arabes palestiniennes,.
Fin mars, les troupes d'Abdel Kader Husseini empêchent les convois de ravitaillement d'atteindre Jérusalem. La ville est assiégée et la population juive est rationnée. Suivant le modus operandi recommandé par le plan Daleth, David Ben Gourion décide de lancer l'opération Nahshon pour désenclaver et ravitailler la ville. Du 5 au 20 avril, 1 500 hommes des brigades Guivati et Harel vont prendre le contrôle de la route et permettre à 3 (ou 4) convois de ravitailler Jérusalem.
L'opération est un succès militaire. Tous les villages arabes qui bloquaient la route ont été pris et détruits et les forces juives sont sorties victorieuses de tous les engagements. Tous les objectifs ne sont toutefois pas atteints car seules 1 800 tonnes sur les 3 000 prévues sont acheminées, soit de quoi « assumer deux mois d'un sévère rationnement ».
Abdel Kader al-Husseini est tué durant la nuit du 7 au 8 avril durant les combats qui prennent place à Qastel. La perte du leader charismatique palestinien, « bouleverse la stratégie et l'organisation arabes dans le secteur de Jérusalem ». Son successeur, Emil Ghuri, change de tactique pour bloquer la ville. Au lieu de provoquer une série d'embuscades tout au long du parcours, il fait ériger le 20 avril un « énorme » barrage à Bab-el-Oued : Jérusalem est à nouveau isolée.
L'opération Nahshon montre également la très mauvaise organisation des Arabes palestiniens face à la guerre. Faute de logistique, notamment pour l'approvisionnement en nourriture et munitions, ils sont incapables de maintenir des combats plus de quelques heures en dehors de leurs bases permanentes.
Face aux événements, le Haut Comité arabe demande au Commissaire Cunningham d'autoriser le retour du Mufti, seul capable de redresser la situation. Malgré l'autorisation donnée, ce dernier ne se rend pas à Jérusalem. Sa chute de prestige ouvre la voie à l'expansion de l'influence de l'Armée de libération arabe et d'al-Qawuqji dans le secteur de Jérusalem.
Deir Yassin est un village situé à 5 km à l'ouest de Jérusalem. Le 9 avril 1948, en dehors du cadre de l'opération Nahshon, 120 membres de l'Irgoun et du Lehi y massacrent entre 100 et 120 personnes, pour la plupart des civils non-combattants.
Ce massacre suscite l'indignation de la communauté internationale d'autant que la presse de l'époque rapporte le chiffre de 254 victimes. Ben Gourion le condamne ainsi que les principales autorités juives : la Haganah, le Grand Rabbinat et l'Agence juive qui envoie une lettre de condamnation, d'excuses et de condoléances au roi Abdullah. Selon Morris, « l'effet immédiat le plus important du massacre et de la campagne médiatique sur l'atrocité qui suivit fut de déclencher et de promouvoir la peur et plus tard la fuite panique des villages et villes de Palestine ». Une autre conséquence importante est la répercussion au sein de la population arabe des États voisins qui augmente encore la pression sur leurs dirigeants pour s'engager dans la bataille et venir à l'aide des Palestiniens,.
En représailles, le 13 avril, un convoi médical se dirigeant vers l'hôpital Hadassah du Mont Scopus à Jérusalem est attaqué par les Arabes. Quatre-vingts médecins et infirmières sont tués. Quelques soldats britanniques essayent d'intervenir pour arrêter le massacre, mais sans succès.
Mishmar Ha'emek est un kibboutz du Mapam fondé en 1930 dans la vallée de Jezreel près de la route Haïfa-Megido-Jénine. Il est situé sur ce que les officiers de la Haganah considèrent comme un des axes de pénétration les plus probables pour une « attaque arabe majeure » contre le Yichouv,.
Le 4 avril, l'Armée de libération arabe de Fawzi al-Qawuqji se lance à l'attaque du kibboutz avec le soutien de son artillerie (7 canons de 75 et 3 canons de 88). L'attaque est repoussée par les membres du kibboutz secondés par des soldats de la Haganah. Les tirs d'artillerie qui ont détruit la quasi-totalité du kibboutz sont arrêtés par une colonne britannique qui arrive sur les lieux sur les ordres du général Mac Millan et le 7 avril, Fawzi al-Qawuqji accepte un cessez-le-feu de 24 heures mais exige la reddition du kibboutz. Les habitants en évacuent les enfants et après avoir consulté Tel-Aviv refusent la reddition,.
Le 8 ou 9 avril, la Haganah a préparé la contre-offensive conformément aux directives du plan Daleth. Les opérations sont confiées à Yitzhak Sadeh avec ordre de « nettoyer » la région. La bataille dure jusqu'au 15 avril. Les hommes de Sadeh prennent tous les villages aux alentours et l'Armée de libération arabe doit se replier sur ses bases de Jabba. La plupart des habitants fuient mais quand ils n'ont pas fui, ils sont emprisonnés ou chassés de force vers Jénine. Les villages sont alors rasés aux explosifs. Des massacres et des pillages auraient également été commis par des kibboutznikim.
Selon Morris, les combattants de l'Armée de libération sont démoralisés par les rapports sur Deir Yassin et la mort d'Abdel Kader al-Husseini. Au cours des combats, ils se seraient généralement repliés en premier, abandonnant les villageois. Lapierre et Collins rapportent que Joshua Palmon, à la tête d'un commando de six hommes, aurait failli s'emparer des précieuses pièces d'artillerie et dépeignent les événements comme une débâcle pour laquelle Fawzi al-Qawuqji trouve des excuses extravagantes, déclarant notamment que les Juifs disposaient de 120 tanks, de 6 escadrilles de bombardiers et chasseurs et qu'ils étaient appuyés par un régiment de volontaires russes non juifs.
Alors que la bataille est terminée, les forces du Palmah continuent les opérations de nettoyage jusqu'au 19 avril, détruisant plusieurs villages et en chassant la population. Des villages sont également évacués sur instruction des autorités arabes.
En mai, l'Irgoun effectue plusieurs opérations dans la région, rasant plusieurs villages et commettant des massacres. Des contingents des brigades Golani et Alexandroni attaquent de même plusieurs villages et les rasent.
À la suite du « fiasco » de Mishmar Ha'emek, Fawzi al-Qawuqji ordonne au régiment druze de l'Armée de libération arabe, commandé par Shakib Wahab de mener des opérations de diversion pour le soulager. Ce dernier prend position avec ses hommes dans plusieurs villages arabes à dix kilomètres à l'est de Haïfa d'où il attaque sporadiquement le trafic et les implantations juives, dont Ramat Yohanan.
La Haganah et les kibboutzim repoussent facilement les assauts et rasent les villages d'où ils lançaient leurs attaques. Une fois leurs munitions épuisées, les Druzes de Wahab se replient sur leur base de Shafa'amr avec une centaine de blessés,.
Les Druzes avaient déjà été en contact à plusieurs reprises avec des agents du Yichouv. À la suite de cette défaite, les officiers druzes, à l'insu de leur chef, prennent contact avec Moshe Dayan pour offrir leur défection et rejoindre les rangs de la Haganah. Après en avoir référé à Yigal Yadin, il refuse la proposition mais leur propose de mener des opérations de sabotage sur les arrières des Arabes et de pousser leurs camarades à la désertion. Début mai, ce sont 212 soldats de Wahab qui ont déserté. Prenant conscience de l'attitude de ses hommes, Wahab rencontre à son tour des agents de liaison juifs le 9 mai et accepte de coopérer avec la Haganah. Les parties évitent de s'affronter et Wahad crée une enclave neutre dans le centre de la Galilée. Il ne répond pas aux appels à l'aide d'Acre et évite d'être présent quand la Haganah occupe la forteresse de police de Shafa'amr lors de son évacuation par les Britanniques.
Cette attitude influence le sort réservé aux Druzes après la guerre. Étant donné les bonnes relations qu'ils avaient entretenues avec le Yichouv depuis 1930 et malgré leur collaboration avec le Haut Comité arabe et la Ligue arabe, Ben Gourion insistera pour que les Druzes (ainsi que les Circassiens et les Maronites) bénéficient d'un statut particulier par rapport aux autres Arabes.
Le plan Daleth prévoit d'assurer la continuité territoriale dans les zones allouées aux Juifs par le plan de partage de l'ONU. Suivant cette stratégie, les centres urbains mixtes ou en bordure de cette zone doivent être attaqués ou assiégés par les Juifs. Tibériade est attaqué le 10 avril et tombe le 16. Haïfa tombe le 23 avril après une seule journée de combat. Jaffa est attaqué le 27 avril mais les Britanniques empêchent la prise de la ville qui ne tombe qu'après leur départ au cours de l'Opération Hametz. Safed tombe le 11 mai dans le cadre de l'opération Yiftah, Beit Shean le 13 mai et Acre le 17 mai dans le cadre de l'opération Ben Ami.
Les habitants fuient en masse ou sont chassés. Sur ces six villes, il ne reste fin mai qu'environ 13 000 habitants arabes sur les 177 000 initiaux. Le phénomène est équivalent dans les faubourgs et la plupart des villages arabes autour de ces villes.
Au nord-ouest de la Galilée, entre le lac de Tibériade et Metula (zone appelée aussi « doigt de Galilée »), se trouve la région sous contrôle juif la plus éloignée et la plus isolée des centres de la plaine côtière. La présence de la frontière libanaise au nord, de la frontière syrienne à l'est et la présence arabe dans le reste de la Galilée en font une cible probable de l'intervention des armées arabes. Dans le cadre du plan Daleth, Yigal Yadin confie à Yigal Allon la direction de l'opération Yiftah dont les objectifs sont le contrôle de toute la région et sa consolidation en vue de l'attaque arabe prévue pour le 15 mai.
Yigal Allon dispose de deux bataillons du Palmah en sous-effectif et doit faire face à la population de Safed et de plusieurs douzaines de villages arabes. La situation est également problématique du fait de la présence des Britanniques, bien que ceux-ci commencent leur évacuation de la région. Selon son analyse, il est indispensable de vider complètement la zone de la présence arabe pour couvrir ses arrières, tandis que l'exode encombrerait les routes par lesquelles doivent pénétrer les forces arabes.
Le 20 avril, il lance une campagne mêlant propagande, attaques, contrôle des places-fortes abandonnées par les Britanniques et destructions des villages arabes conquis. Le 1er mai, des miliciens arabes basés en Syrie et au Liban lancent une contre-offensive contre des implantations juives mais sans succès. Le 11 mai, Safed tombe et l'opération se termine le 24 mai par l'incendie des villages arabes de la vallée de Hula. Les forces syriennes échouent dans leur offensive sur la région et fin juin, la zone allant de Tibériade à Metula en passant par Safed aura été vidée de toute sa population arabe.
Dans la continuité de l'opération Nahshon et à la suite du nouveau blocage de la route Tel-Aviv - Jérusalem, Yigal Yadin donne l'ordre à la 5e brigade Guivati et à la 10e brigade Harel d'opérer dans le secteur ouest du couloir Tel-Aviv-Jérusalem afin de le sécuriser. Plusieurs villages changent de main à plusieurs reprises mais finissent par être contrôlés par les forces juives.
Le 15 mai au matin, une patrouille de la brigade Guivati pénètre dans l'enceinte du poste de police de Latroun. Toutefois, à la suite de l'avance de l'armée égyptienne, la brigade reçoit l'ordre de se redéployer plus au sud et les soldats abandonnent la position. Il s'agit d'une occasion manquée qui sera lourde de conséquence dans la bataille pour Jérusalem car la position de Latroun permet de contrôler la route entre Tel-Aviv et la Ville sainte. Les six assauts qui seront menés entre fin mai et mi-juillet contre Latroun échoueront tous et feront 168 victimes dans le camp israélien.
Le 10 mai, Golda Meyerson et Ezra Danin se rendent secrètement à Amman au palais d'Abdallah de Transjordanie pour discuter de la situation avec lui.
La position d'Abdallah est difficile. D'un côté, ses ambitions personnelles, les promesses faites au Yichouv en novembre et le feu vert britannique le poussent à envisager une annexion de la partie arabe de la Palestine sans intervention contre le futur État israélien. De l'autre, la pression de son peuple en réaction au massacre de Deir Yassin, l'exode palestinien et ses accords avec les autres membres de la Ligue arabe le poussent à s'impliquer plus fortement dans la guerre. Il dispose également d'une position de force, avec le soutien militaire britannique ainsi que celui de la Ligue arabe.
Dans son journal, David Ben Gourion relate l'entrevue rapportée par Golda Meyerson :
« La rencontre fut amicale. Il semblait tracassé et avait un air horrible. Il ne nia pas qu'il y avait eu discussion et compréhension entre nous autour d'un arrangement désirable, précisément qu'il prendrait la partie arabe de la Palestine. [...] Mais Abdallah dit qu'il ne pouvait, le 10 mai, offrir aux Juifs qu'une autonomie dans un royaume hachémite élargi. Il ajouta que même s'il n'était pas intéressé par l'invasion des zones allouées à l'état juif, la situation était volatile. Mais il avança l'espoir que la Jordanie et le Yichouv concluraient un accord de paix une fois que la poussière serait retombée. »
Les analyses concernant les motivations et les conclusions de cette réunion sont controversées.
Selon Dominique Lapierre et Larry Collins et l'historiographie israélienne, l'objectif des négociateurs du Yichouv est de « proposer un ultime accord de paix et éviter l'attaque des armées arabes ». À ce moment, la balance des forces ne leur est théoriquement pas favorable mais Meyerson ne parvient pas à convaincre le roi.
Selon Morris, Abdallah « revient sur ses promesses de novembre de ne pas s'opposer au plan de partage » en laissant toutefois à Meyerson l'impression qu'il ferait la paix avec l'État juif une fois la guerre en cours terminée.
Avi Shlaim parle lui d'un accord « tacite » pour empêcher le partage de la Palestine avec les Palestiniens. Il défend la thèse d'une collusion entre le Royaume hachémite et le Yichouv. L'historien Yoav Gelber rejette cette thèse et a consacré un ouvrage spécifique à la démonter.
Pierre Razoux indique que « la plupart des experts estiment qu'il est probable » que Ben Gourion et le roi Abdallah se soient entendus pour partager la Palestine et que ce n'est que sous la pression des pays arabes qu'Abdallah fut contraint de rompre sa promesse. Selon lui, cette thèse permet d'expliquer l'attitude des Britanniques qui suivant cette option auraient répondu à la fois aux promesses faites par Balfour au Yichouv et à celles faites aux Hachémites à l'époque de Lawrence d'Arabie. Il souligne que « la présence [...] de détachements de la Légion arabe [avant le 15 mai] près des positions stratégiques tenues par les Britanniques prend ainsi tout son sens ».
Ilan Pappé souligne que ni les ministres d'Abdallah, ni le monde arabe ne semblent être au courant des discussions entre le Yichouv et lui, même si ses ambitions sur la Palestine sont par contre connues. Il indique également que Sir Alek Kirkbride et Glubb Pacha pensent à l'époque qu'au moins le Secrétaire de la Ligue Arabe, Azzam Pacha, doit être au courant du double jeu du roi Abdallah.
Il est certain en tout cas que Golda Meyerson et Abdallah ne trouvent pas d'accord sur le statut de Jérusalem : le 13 mai, la Légion arabe prend Kfar Etzion situé à mi-chemin sur la route stratégique entre Hébron et Jérusalem. 127 des 131 défenseurs dont 21 femmes sont tués ou massacrés après leur reddition. Et le 17 mai, Abdallah ordonne à Glubb Pacha de lancer l'assaut contre la ville sainte.
Kfar Etzion est un bloc de quatre colonies établies sur la route stratégique entre Hébron et Jérusalem, en plein milieu du territoire arabe. Il comprend 400 habitants fin 1947. Dès l'adoption du plan de partage, il est l'objet d'attaques arabes. Ben Gourion l'a fait renforcer le 7 décembre par une section du Palmah mais a autorisé le 8 janvier l'évacuation des femmes et des enfants.
Depuis le 26 mars, date à laquelle le dernier convoi de ravitaillement a réussi à l'atteindre au prix de très lourdes pertes, il est complètement isolé.
Le 12 mai à l'aube, des unités de la Légion arabe l'attaquent lors de leur retrait du pays. Le commandant des opérations, Abdullah Tel, dispose de deux compagnies d'infanterie, d'une douzaine de blindés et d'une batterie de mortiers de 3 pouces. Ses forces sont également secondées par plusieurs centaines d'irréguliers locaux.
Les motivations avancées sont d'une part la protection d'un des derniers convois de ravitaillement dont pourrait bénéficier la Légion arabe avant l'embargo et qui doit arriver par cette route, d'autre part la gêne occasionnée par ce bloc pour déployer la Légion dans la zone d'Hébron qui est un des objectifs d'Abdallah. Ce dernier souhaite également, avant l'invasion projetée des territoires arabes à l'ouest du Jourdain, augmenter son prestige auprès de la population palestinienne.
Les défenses extérieures tombent rapidement. La Haganah ne dispose d'aucune arme pour répondre aux canons et aux mortiers de la Légion arabe. Le 13 mai, le kibboutz principal est capturé. Sur les 131 défenseurs, 127 parmi lesquels 21 femmes sont tués dans les combats ou massacrés après s'être rendus. Les trois autres implantations se rendent sur ces entrefaites et l'ensemble est ensuite pillé et rasé,.
Les événements de Kfar Etzion montrent les limites de la politique interdisant toute évacuation. Si elle est efficace en cas de guerre civile et face à des groupes armés, les implantations juives isolées ne peuvent résister à la puissance de feu d'une armée régulière ; une évacuation aurait permis d'éviter la mort ou la captivité des défenseurs.
Selon Yoav Gelber, la chute et le massacre de Kfar Eztion influencent aussi la décision de David Ben Gourion de lancer l'offensive à Jérusalem alors qu'il était initialement hésitant, craignant les réactions dans le monde chrétien. La bataille pour Jérusalem est engagée.
À Jérusalem, les Britanniques disposent de plusieurs bâtiments stratégiques, dont en son centre une zone de sécurité appelée Bevingrad. On y trouve notamment la station de radio, le central téléphonique, l'hôpital gouvernemental, des casernes ainsi que l'hostellerie de Notre-Dame qui domine toute la ville.
Le premier objectif de l'opération Kilshon est de prendre le contrôle de cette zone stratégique lors du retrait britannique. Le second est dans la foulée de former un front continu entre les différentes localités juives isolées. Pour cela, David Shealtiel a mobilisé 400 hommes de la Haganah et 600 miliciens supplémentaires. Emil Ghuri, le nouveau chef de la Jaysh al-Jihad al-Muqaddas, a prévu également de prendre ces quartiers et a mobilisé 600 hommes pour la mission ; mais il n'a préparé aucune opération.
Grâce à des complicités britanniques, les hommes de la Haganah ont obtenu l'horaire exact de l'évacuation. Le 15 mai à 4 h, ils prennent l'un après l'autre les bâtiments, suivant de quelques minutes l'évacuation britannique et prenant les forces arabes au dépourvu pour la première phase de l'opération.
La suite se passe tout aussi bien pour les troupes juives. Les forces arabes se montrent incapables d'opposer une quelconque résistance. Au nord, les forces juives s'emparent de Sheikh Jarrah, font la liaison avec le mont Scopus et prennent les voisinages de la colonie américaine. Au sud, elles assurent la jonction entre la colonie allemande, la colonie grecque, Talpiot et Ramat Rahel via la prise de la caserne Allenby. Une unité du Palmah reprend même contact avec le quartier juif de la Vieille Ville via la porte de Sion.
Face à cet assaut, les irréguliers arabes sont impuissants et cèdent à la panique, en appelant « désespérément » à la Légion arabe et annonçant la chute imminente de la ville.
Dans le cadre du plan Daleth, Yigal Yadin a prévu de réaliser une percée dans l'ouest de la Galilée où se trouvent plusieurs implantations juives isolées. Au-delà d'Acre et jusqu'à la frontière libanaise, cette zone se situe toutefois dans la partie attribuée aux Arabes par le plan de Partition et sur la route prévue pour l'entrée des forces libanaises en Palestine.
Le commandement est confié à Moshe Carmel à la tête de la brigade Carmeli. Celui-ci divise l'opération en deux phases. La première débute le 13 mai au soir avec l'avancée de long de la côte d'une colonne de véhicules blindés et de camions de la Haganah qui ne rencontrent aucune résistance. Les forces de l'Armée de libération arabe présentes dans la zone se replient sans combattre et l'opération se termine par la prise d'Acre le 18 mai. Dans une seconde phase, du 19 au 22 mai, les forces du 21e bataillon effectuent une percée jusqu'au kibboutz Yehi'am à la frontière libanaise. Plusieurs villages arabes sont conquis et détruits dans la foulée.
Sur l'ensemble de la seconde phase, les différentes offensives de la Haganah ont été accompagnées d'un exode massif de 250 000 à 300 000 réfugiés arabes, auxquels il ne faut pas oublier d'ajouter les 100 000 de la première vague. C'est généralement à tous ceux-ci que l'on fait référence quand on parle de l'exode palestinien de 1948, même si à cette heure ce dernier n'est pas terminé. Ces deux vagues furent aussi les plus largement médiatisées dans la presse de l'époque.
Les causes de cet exode et ses responsabilités sont un sujet controversé entre les commentateurs du conflit et même entre les historiens spécialistes de la période. Parmi les différentes causes possibles, l'historiographie israélienne a longtemps déclaré que les Palestiniens avaient fui à la suite des instructions des autorités arabes. Aujourd'hui deux thèses principales s'affrontent : pour certains, tels Ilan Pappé, ils ont fui dans le cadre d'une politique d'expulsion planifiée qui aurait été organisée par les autorités du Yichouv et mise en œuvre par la Haganah. La plupart des historiens reconnaissent l'existence d'expulsions décidées localement mais voient dans les événements l'effet cumulé de toutes les conséquences d'une guerre civile de cette ampleur.
Ces événements et la controverse sont détaillés dans l'article sur l'exode palestinien.
Lors de la dernière réunion de la Ligue arabe en février, les dirigeants arabes avaient foi en la capacité à l'Armée de libération arabe à seconder les Palestiniens et à faire renoncer la communauté internationale au plan de partition. Au sommet du Caire du 10 avril, la situation a nettement évolué, avec la mort Abdel Kader al-Husseini et la débâcle de Mishmar Ha'emek.
À nouveau, Ismail Safwat en appelle à l'envoi immédiat des armées arabes aux frontières de la Palestine et à la nécessité de passer d'une politique de raids limités à des opérations d'envergure. Pour la première fois, les dirigeants arabes vont discuter de l'éventualité de leur intervention en Palestine.
La Syrie et le Liban se déclarent prêts à intervenir immédiatement. Mais le roi Abdallah refuse que les forces de la Légion arabe à ce moment présentes en Palestine interviennent ouvertement en faveur des Palestiniens, ce qui énerve le Secrétaire Général de la Ligue, Azzam Pacha qui déclare qu'Abdallah ne fait là que céder au diktat britannique. Abdallah se déclare toutefois prêt à envoyer la Légion seconder les Palestiniens après le 15 mai. En réponse, la Syrie insiste pour que l'armée égyptienne participe également ; malgré l'opposition de son Premier Ministre, le roi Farouk répond favorablement à la demande syrienne, mais plus pour contrer les visées hégémoniques jordaniennes que pour venir en aide aux Palestiniens.
Plus tard, à la suite de la visite de plusieurs dignitaires palestiniens à Amman, et malgré l'opposition du Mufti Hadj Amin al-Husseini et de la Syrie, le Secrétaire général de la Ligue arabe Azzam Pacha accepte la proposition d'Abdallah et envoie Ismail Safwat à Amman pour organiser la coordination entre l'Armée de libération arabe et la Légion. Il est décidé que le commandement des opérations sera dévolu à Abdallah et que les Irakiens déploieront une brigade en Transjordanie pour préparer l'intervention du 15 mai. Abdallah aurait les mains libres en Palestine.
Le 26 avril, le roi annonce officiellement au parlement transjordanien « son intention d'occuper la Palestine » et appelle les Juifs à se placer sous sa juridiction. Il promet aussi de protéger leur vie. Le Yichouv perçoit cette annonce comme une déclaration de guerre et incite les Occidentaux par voie diplomatique à faire pression sur le roi pour en empêcher l'intervention.
Le 30 avril, Égyptiens, Irakiens et Jordaniens se disputent le commandement. Le roi Abdallah reçoit le titre honorifique de commandant en chef et le général irakien Nur al-Din Mahmud le titre de chef d'état-major, mais il est convenu que chaque armée agirait de manière indépendante sur son théâtre d'opération.
Le 4 mai, le corps expéditionnaire irakien arrive à Mafraq. Il comporte un régiment de blindés, un régiment d'infanterie mécanisée et 24 pièces d'artillerie, pour un total de 1500 hommes. Les Syriens n'ont pas pu mobiliser une force supérieure. De leur côté, les Égyptiens ont rassemblé dans le Sinaï deux brigades, soit environ 7000 hommes.
Ce n'est que le 8 mai que le Foreign Office est certain de l'invasion arabe, bien que le 10 mai les Libanais annoncent qu'ils ne participeront pas aux opérations militaires. Alors que les officiers britanniques qui étudient la situation voient les armées arabes, à l'exception de la Légion arabe, comme n'étant pas préparées aux combats à venir, les officiers égyptiens considèrent que leur avancée sera « une parade sans le moindre risque et que leur armée sera à Tel-Aviv en deux semaines ». L'état de préparation des soldats est pourtant tel que, selon Lapierre et Collins, ils ne disposent même pas de cartes de la Palestine. À ce moment, les plans définitifs d'invasion ne sont pas encore établis et les diplomates britanniques essaient en vain de faire revenir les dirigeants arabes sur leur décision.
Le 15 mai 1948, la Ligue arabe justifie la nécessité de l'intervention armée en Palestine pour garantir la sécurité et le droit à l'autodétermination de sa population. Le 13 mai, Ismaïl Safwat a démissionné dans l'indifférence générale.
Dès le lendemain du vote du plan de partition à l'ONU, les explosions de joie dans la communauté juive sont contrebalancées par l'expression de mécontentement au sein de la communauté arabe. Rapidement, la violence éclate et va croissant : des attentats, représailles et contre-représailles font que des dizaines de victimes se succèdent sans que personne ne parvienne à contrôler l'engrenage.
Sur la période de décembre 1947 et janvier 1948, on compte près de 1 000 morts et 2 000 blessés. Fin mars, un rapport fait état de plus de 2 000 morts et 4 000 blessés. Ces chiffres correspondent à une moyenne supérieure à 100 morts et 200 blessés chaque semaine, et ce sur un total de 2 000 000 d'habitants.
Dès janvier, sous l'œil indifférent des autorités britanniques, les opérations prennent une tournure plus militaire avec l'entrée en Palestine de plusieurs régiments de l'Armée de libération arabe qui se répartissent dans les différentes villes côtières et renforcent la Galilée et la Samarie. Abd al-Kader al-Husseini arrive également d'Égypte à la tête de plusieurs centaines d'hommes de la Jaysh al-Jihad al-Muqaddas et après en avoir recruté plusieurs milliers d'autres organise le blocus des 100 000 Juifs de Jérusalem. Les autorités du Yichouv tentent de ravitailler la ville via des convois regroupant jusqu'à une centaine de véhicules blindés pour forcer les barrages mais l'opération s'avère de plus en plus impraticable et coûteuse en vies. En mars, la tactique a payé. La quasi-totalité des véhicules de la Haganah ont été détruits, plusieurs centaines de combattants ont été tués et le blocus est efficace. La situation est d'autant plus critique que les implantations juives du Nord de la Galilée et du Néguev sont isolées. Tandis que la population juive a reçu des instructions strictes l'obligeant à tenir à tout prix sur tous les terrains, la population arabe est plus affectée par la situation d'insécurité que connaît le pays. Durant ces premiers mois, près de 100 000 Palestiniens, principalement des classes supérieures, vont quitter leurs maisons pour se réfugier en lieu sûr à l'étranger ou en Samarie.
Cette situation pousse les États-Unis à revenir sur leur soutien au plan de partition, mais rassure la Ligue arabe sur sa fausse analyse de la capacité des Palestiniens, renforcés par l'Armée de libération arabe, d'empêcher le partage. De leur côté, le 7 février 1948, les Britanniques optent définitivement pour l'option du soutien à l'annexion de la partie arabe de la Palestine par la Transjordanie.
Même si un certain doute s'installe dans le Yichouv, les défaites apparentes sont plus dues à une politique attentiste de la Haganah qu'à une réelle faiblesse. David Ben Gourion a réorganisé la Haganah et rendu la conscription obligatoire. Tous les hommes et femmes du pays reçoivent un entraînement militaire. Grâce aux fonds rassemblés par Golda Meyerson aux États-Unis et à la suite du soutien à la cause sioniste par Staline, les représentants juifs ont pu signer des contrats très importants d'armement dans les pays de l'Est. D'autres agents ont récupéré dans les stocks de la Seconde Guerre mondiale de quoi équiper l'armée dont le Yichouv a besoin. L'opération Balak permet l'acheminement des premières armes et équipements dès la fin du mois de mars. David Ben Gourion a également confié à Yigal Yadin le soin d'étudier un plan militaire permettant de préparer le Yichouv à l'intervention annoncée des États arabes. Il s'agit du plan Daleth qui est mis en application dès le début du mois d'avril.
En avril, la guerre entre dans une deuxième phase avec le passage de la Haganah à l'offensive.
La première opération, baptisée Nahshon, consiste à lever le blocus de Jérusalem. 1500 hommes des brigades Guivati de la Haganah et Harel du Palmah parviennent à libérer la route du 5 au 20 avril. Les denrées acheminées offrent deux mois de sursis à la population juive de Jérusalem. Ce succès se double de la mort du leader palestinien Abdel Kader al-Husseini au cours des combats. Durant ces événements, le 9 avril, des troupes de l'Irgoun et du Lehi perpètrent un massacre à Deir Yassin qui a un impact important sur la population palestinienne.
Dans le même temps, la première opération d'envergure de l'Armée de libération arabe se solde par une débâcle à Mishmar Ha'emek et par la défection des Druzes.
Dans le cadre de la réalisation de la continuité territoriale prévue par le plan Daleth, les forces de la Haganah, du Palmah et de l'Irgoun se lancent à la conquête des localités mixtes. La société palestinienne s'effondre. Tibériade, Haïfa, Safed, Beisan, Jaffa et Acre tombent, jetant sur les routes de l'exode plus de 250 000 Palestiniens.
Les Britanniques ont maintenant pour l'essentiel terminé leur retrait. La situation pousse les leaders des pays arabes voisins à intervenir mais leur préparation n'est pas au point et ils n'ont pas pu rassembler les forces qui auraient pu faire pencher la balance. La plupart des espoirs palestiniens résident dans la Légion arabe du roi Abdallah de Transjordanie mais ce dernier ambitionne d'annexer un maximum du territoire de la Palestine mandataire et joue sur les deux tableaux, étant en contact également avec les autorités juives.
En préparation à l'offensive, la Haganah lance avec succès les opérations Yiftah et Ben-'Ami pour sécuriser les implantations de Galilée et l'opération Kilshon, pour assurer un front continu dans le secteur de Jérusalem. La réunion du 10 mai entre Golda Meir et Abdallah suivie de la prise et du massacre de Kfar Etzion le 13 mai par la Légion arabe laissent prévoir que la bataille pour Jérusalem sera sans merci.
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l'indépendance de l'État d'Israël et la guerre de Palestine entre dans une deuxième phase avec l'entrée en guerre des pays arabes.
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Une polémique touche les Beatles en 1966, lorsque des propos de John Lennon sont diffusés aux États-Unis, puis dans la presse internationale. Lennon y évoque ses positions sur l'évolution du christianisme, expliquant que la religion dans les années 1960, et plus particulièrement au Royaume-Uni, n'a plus la même importance dans la vie des gens qu'auparavant, notant au passage : « Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus ».
Ces propos, adressés initialement par Lennon à une journaliste intime de l'artiste, Maureen Cleave, et publiés dans l'Evening Standard du 4 mars 1966 (dans un article titré Comment vit un Beatle ?) vont provoquer une polémique importante : aux États-Unis, particulièrement dans les États du Sud plus conservateurs, les disques du groupe sont brûlés en public par des foules d'anciens fans. Dans de nombreux pays à forte communauté chrétienne, comme le Mexique et l'Afrique du Sud, les chansons des Beatles sont interdites de diffusion radiophonique. À l'approche d'une tournée aux États-Unis, des menaces d'assassinat sont adressées à Lennon et au groupe en général, notamment de la part du Ku Klux Klan. À la demande du manager, Brian Epstein, John Lennon effectue une mise au point et replace ces propos dans leur contexte lors d'une conférence de presse tenue à Chicago, sans que les tensions ne s'apaisent pour autant. Finalement, cette polémique devient un argument pour pousser les Beatles à interrompre définitivement leurs tournées cet été-là.
John Lennon revient à plusieurs reprises sur cette malencontreuse histoire, souvent à mots voilés : il fait ainsi mention du Christ dans plusieurs de ses chansons, comme The Ballad of John and Yoko et God. Cette phrase est aussi un des motifs supposés de l'assassinat du musicien par Mark David Chapman en 1980. Quarante-et-un ans après, le journal officiel du Vatican, L'Osservatore Romano, considère avec indulgence ces propos.
Maureen Cleave est une journaliste très proche des Beatles, et particulièrement de John Lennon. Née en 1941, elle a à peine un an de moins que lui ; de plus, elle inspire à John Lennon un fort sentiment de confiance. Maureen Cleave devient l'un des rares représentants de la presse à qui Lennon se confie réellement. D'après le biographe Bob Spitz et son ami d'enfance Pete Shotton, ils auraient même eu une liaison, qui lui aurait inspiré la chanson Norwegian Wood (This Bird Has Flown) publiée en 1965 sur l'album Rubber Soul,. Le biographe Philip Norman certifie pour sa part qu'il s'agit d'une autre femme, l'épouse du photographe Robert Freeman, Cleave ayant déclaré que Lennon ne l'avait jamais draguée.
Comme l'explique Paul McCartney, « John la connaissait très bien. On se sentait attirés par tout journaliste un peu supérieur à la moyenne, parce qu'on pouvait lui parler. On estimait qu'on n'était pas d'imbéciles rock-stars. On s'intéressait à d'autres choses et on était considérés comme les porte-parole de la jeunesse. » Pour son journal, l'Evening Standard de Londres, Maureen Cleave décide de montrer le fondateur des Beatles dans son intimité, au milieu de sa famille (son épouse Cynthia et son fils Julian, alors âgé de 3 ans) dans sa maison de la verdoyante grande banlieue londonienne, à Weybridge, Surrey, où Lennon l'accueille en lui demandant « Quel jour sommes-nous ? ». L'ambiance dans laquelle se déroule l'interview est particulièrement détendue. Au premier trimestre 1966, au moment où est réalisée cette interview, les Fab Four vivent une période exceptionnellement longue de repos sans engagement, concert ou session d'enregistrement, leur toute première depuis les débuts de la Beatlemania. John Lennon explique d'ailleurs à son amie journaliste : « Avant ça, nous n'avons jamais eu le temps de faire autre chose qu'être les Beatles. »
L'article publié le 4 mars 1966 ne met pas en exergue les propos qui vont déclencher la polémique et qui, sous la forme d'un simple paragraphe au milieu d'un long texte, sont les suivants : « Le christianisme s'en ira. Il disparaîtra et décroîtra. Je ne veux pas discuter de cela. J'ai raison et l'avenir le prouvera. Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus. Je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier, le rock 'n' roll ou le christianisme. Jésus était un type bien, mais ses disciples étaient bêtes et ordinaires. Ils ont tout déformé et tout décrédibilisé à mes yeux. » À ce propos, Paul McCartney note encore : « Maureen a abordé la question de la religion avec John et il a dit quelque chose qu'on pensait tous sincèrement : que l'Église anglicane était depuis des années sur le déclin. Elle-même se plaignait du manque de fidèles. Maureen était intéressante et on lui parlait librement. On avait tous fait une interview « de fond » avec elle. Dans celle-là, il se trouve que John a parlé de religion parce que, même si nous n'étions pas croyants, c'était quelque chose qui nous intéressait. »
Cet article de Maureen Cleave est intitulé « Comment vit un Beatle ? — John Lennon vit comme cela », et sur-titré en lettres majuscules : « Sur une colline dans le Surrey, un jeune homme célèbre, riche, et dans l'attente de quelque chose ». Il décrit une star de 25 ans qui s'intéresse à tout, qui cherche encore sa voie, qui n'a trouvé aucune réponse dans la célébrité et la richesse, mais les appréciant toutefois, entouré de toutes sortes de gadgets dont il sait à peine se servir, lecteur boulimique, capable de « dormir indéfiniment », car il est « probablement la personne la plus paresseuse d'Angleterre ». Cette phrase est suivie d'une réponse lennonienne : « Physiquement paresseux. Je n'ai pas vraiment besoin d'écrire, de lire, de parler ou de regarder quoi que ce soit, et le sexe est la seule activité physique qui m'intéresse encore ». C'est d'ailleurs à cette époque que Lennon compose I'm Only Sleeping, une chanson célébrant les joies du sommeil et de la paresse.
L'encadré en caractères gras, sur une pleine colonne de l'article, met en exergue une citation de Lennon sans rapport avec ses paroles sur Jésus : « Ils me disent sans arrêt que tout va bien en ce qui concerne l'argent, mais je pense que je pourrais avoir tout dépensé d'ici mes 40 ans, alors je continue ». L'article que découvrent les lecteurs du périodique londonien n'est pas axé sur cette réflexion de Lennon à propos de la popularité comparée de son groupe et du Christ. Maureen Cleave souligne que Lennon « lit énormément d'ouvrages sur la religion », et décrit les objets fétiches qu'il lui présente : « Un énorme crucifix catholique romain d'autel avec IHS écrit dessus, une paire de béquilles offerte par George, une imposante Bible qu'il a achetée à Chester et son costume de gorille ». L'article se conclut sur ces ultimes paroles de John Lennon : « Voyez-vous, il y a autre chose que je vais faire, que je dois faire, mais je ne sais pas ce que c'est. C'est la raison pour laquelle je peins, j'enregistre, j'écris, je dessine, car ce sera peut-être une de ces choses. Tout ce que je sais, c'est que ce n'est pas pour moi ».
Dans l'Angleterre de 1966, les propos de Lennon ne choquent pas. L'Église anglicane est alors la cible de nombreux polémistes ou humoristes, comme Peter Sellers, au point que la phrase du Beatle en devient presque banale, ce qui explique qu'elle ne soit pas mise en exergue. L'article est même revendu à diverses publications (dont le New York Times) sans que nul ne proteste.
Il faut attendre le mois d'août pour que la situation s'envenime, comme le rapporte Neil Aspinall : « L'article de Maureen Cleave a d'abord été publié dans l'Evening Standard en mars, mais il sort en Amérique juste avant la tournée d'août de la même année. La réflexion de John à propos des Beatles plus célèbres que Jésus fait le gros titre d'un magazine pour adolescents intitulé Datebook ». C'est Danny Fields (en), un des éditeurs et plus tard imprésario des Ramones, qui fut l'instigateur, sans le vouloir, de cette polémique lorsqu'il publia des extraits d'interviews dans ce magazine pour jeunes ados et plaça deux phrases choc sur la couverture. Dans une Amérique très conservatrice et marquée par la crainte de Dieu, la réaction ne se fait pas attendre. Quelques heures à peine après la publication de l'article, l'animateur et polémiste de la station radio WAQY à Birmingham en Alabama, Tommy Charles, affirme, sans l'aval de Frank Lewis, son directeur de la programmation, que la station cesse de jouer les chansons du groupe. Un journaliste de l'Associated Press écrit un article au sujet de ce boycott et la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Un grand nombre de stations suivent son exemple dans des États où la prégnance d'une vision religieuse de la société est particulièrement marquée, notamment le Kentucky, l'Ohio, la Géorgie, la Caroline du Sud ou encore l'Utah. Les propos de John Lennon sont rapidement déformés et sortis de leur contexte. Ainsi, de ce « more popular than Jesus » prononcé dans un article où Lennon fustige plus ce qu'on a fait de la religion que la religion elle-même, et en aucun cas le Christ, la citation devient notamment « bigger than Jesus » (« plus grands que Jésus »). Certaines radios se démarquent cependant par une réaction inverse : aucune des radios de New York ne se joint au mouvement, et une station de Fort Knox qui n'avait jamais passé une seule chanson du groupe le fait pour « afficher son mépris envers l'hypocrisie incarnée ».
Ce ne sont pas là les réactions les plus flagrantes : en Alabama, des disques du groupe sont brûlés dans un grand autodafé, tandis que l'Afrique du Sud et le Mexique interdisent la vente de disques des Beatles. Les manifestations prennent de l'ampleur, donnant lieu à l'apparition de panneaux invitant à « déposer les ordures ici » pour un « bûcher de Beatles », ou encore de pancartes clamant : « Jésus est mort pour toi John Lennon ! ». Le brasier s'étend en Espagne, aux Pays-Bas, et même au Royaume-Uni où des propos jusque-là passés inaperçus font désormais réagir les foules. L'organe officiel du Vatican, L'Osservatore Romano, rétorque pour sa part que « certaines choses ne doivent pas être profanées, même dans le monde des beatniks ».
Cette polémique survient à une période particulièrement tendue pour les Beatles, qui ont déjà eu à affronter des menaces de mort au début de l'été, et ce à plusieurs reprises. Lors de leur tournée au Japon, fin juin, leurs concerts au Nippon Budokan ne sont pas du goût de tout le monde, comme le rappelle George Harrison : « Au Japon, il y avait des grèves étudiantes, plus des gens qui manifestaient parce que le Budokan (où on devait jouer) était censé être un lieu spirituel réservé aux arts martiaux. Au Budokan, on n'acceptait que la violence et la spiritualité, pas la musique pop ». Les Beatles, qui reçoivent les premières menaces de mort jamais proférées envers des artistes de rock, sont consignés dans leur hôtel par sécurité, et jouent devant autant, sinon plus, de policiers aux aguets que de spectateurs forcés à un calme relatif.
L'étape suivante de la tournée n'est pas plus tranquille puisque les Beatles doivent se produire à Manille, capitale des Philippines qui connaissent alors la dictature de Ferdinand Marcos. Son épouse Imelda invite le groupe à un dîner ; les Beatles, pensant qu'il s'agit là d'une rencontre privée, refusent, épuisés. Ce n'est qu'à l'heure du dîner prévu qu'ils découvrent qu'il s'agissait d'un dîner de bienfaisance donné pour quatre cents enfants de hauts gradés de l'armée. Les images des enfants déçus font le tour du pays, attirant l'opprobre sur le groupe. Insultés sur le chemin qui les mène à l'aéroport, molestés, ils connaissent de nouveaux soucis sur les lieux, où le manager Brian Epstein doit débarquer de l'avion pour rembourser l'intégralité des sommes récoltées aux Philippines. Un George Harrison choqué raconte, quelque vingt ans plus tard : « Tout le pays nous est tombé dessus. Les gens hurlaient et braillaient tandis qu'on essayait d'atteindre l'aéroport. [...] Les officiels et la police essayaient de nous taper dessus, nous insultaient et brandissaient le poing ». Cependant, aucun des Beatles n'avait voulu faire passer un message politique par ce geste, dont ils ont compris la portée par la suite, comme le raconte Paul McCartney : « Le bon côté de la chose, quand on a découvert ce que Marcos et Imelda avaient fait du peuple et l'arnaque qu'avait probablement été toute l'affaire, c'est qu'on a été contents d'avoir fait ce qu'on avait fait. Super ! On doit être les seules personnes qui aient jamais osé snober Marcos. Mais on n'a compris ce qu'on avait fait, politiquement, que des années plus tard ». Ce sont des Beatles particulièrement troublés qui doivent donc affronter cette nouvelle crise, à l'aube d'une tournée américaine qui s'annonce agitée.
La destination suivante du groupe est en effet les États-Unis, où il doit se produire dans plusieurs grands stades et importantes salles de concert. Pour Brian Epstein, la situation est risquée et il faut rapidement agir pour éviter de reproduire le désastre de Manille. Il réussit à obtenir de Maureen Cleave qu'elle ne se prononce pas sur les événements, pour ne pas ajouter au débat, et tente de convaincre Lennon de faire des excuses publiques. La chose est difficile, comme l'explique Ringo Starr : « John ne voulait pas s'excuser parce qu'il n'avait pas dit ce qu'on lui avait fait dire. Mais ce qui se passait tout autour de nous devenait trop violent et Brian lui a demandé et a insisté pour qu'il parle et, en fin de compte, John a compris qu'il fallait qu'il se montre et le fasse ». Tandis que George Harrison tente de désamorcer l'affaire avec une pointe d'humour (« Il faut bien qu'ils achètent nos disques avant de les brûler ! »), John Lennon se rend à l'évidence : « Ils ont commencé à brûler nos disques ! C'est un vrai choc. Je suis conscient que je viens de provoquer un peu de haine dans le monde. Je dois donc m'excuser ».
Après une première déclaration d'Epstein en conférence de presse à New York, Lennon prend lui-même la parole avant de quitter le sol anglais. À une journaliste qui lui demande s'il appréhende le voyage, il répond : « Ça m'inquiète. Mais j'espère que tout est bien qui finira bien, comme on dit ». De façon plus discrète, cependant, il avoue être « mort de trouille » et avoir voulu annuler la tournée. Arrivés aux États-Unis, les Beatles comprennent que la situation n'est pas calmée : le Ku Klux Klan va jusqu'à émettre des menaces. C'est un Lennon totalement désemparé qui donne une conférence de presse le 11 août à l'Astor Towers Hotel de Chicago, ville où a lieu le lendemain leur premier concert de la tournée américaine de 1966, pour prononcer un mea culpa, qu'il conclut en déclarant : « Les gens pensent que je suis contre la religion, mais ce n'est pas vrai. Je suis un gars tout ce qu'il y a de pieux... », après avoir expliqué le sens réel de ses propos. Lennon ajoute : « Je suppose que si j'avais dit que la télévision est plus populaire que le Christ, je m'en serais tiré sans dommages. Je ne suis pas anti-Dieu, anti-Christ ou anti-religion. Je n'étais pas en train de taper dessus ou de la déprécier. J'exposais juste un fait, et c'est plus vrai pour l'Angleterre qu'ici [aux États-Unis]. Je ne dis pas que nous sommes meilleurs, ou plus grands, je ne nous compare pas à Jésus-Christ en tant que personne, ou à Dieu en tant qu'entité ou quoi qu'il soit. J'ai juste dit ce que j'ai dit et j'ai eu tort. Ou cela a été pris à tort. Je suis désolé d'avoir ouvert ma gueule. »