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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 ; il purge actuellement une peine d’emprisonnement. Il a travaillé pendant plusieurs années dans diverses organisations politiques et organisations non gouvernementales locales et internationales. En 2009, il cofonda une organisation politique appelée Mouvement civique pour une alternative républicaine (Respublikaçı Alternativ Hərəkatı ; le « REAL »), qui avait au départ pour objectif de s’opposer aux projets de modification de la Constitution, notamment à celui qui envisageait de supprimer les limitations à la réélection du président, sur lesquels la population devait se prononcer dans le cadre du référendum constitutionnel du 18 mars 2009. En 2012, il fut élu à la présidence du REAL. Dans cette fonction, il exprima des opinions opposées au gouvernement en place (pour plus de précisions, voir l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan, no 15172/13, §§ 6 et 7, 22 mai 2014). D’après le requérant, le REAL devint rapidement l’une des principales forces politiques d’opposition au gouvernement en place. En 2014, ce mouvement annonça ainsi qu’il mettait en marche la procédure au terme de laquelle il devait devenir un parti politique. Alors que le requérant avait l’intention de se porter candidat aux élections présidentielles de novembre 2013, il en fut empêché par les événements à l’origine de la présente affaire, qui amenèrent les autorités électorales à rejeter sa désignation en tant que candidat (pour plus de précisions, voir Ilgar Mammadov, précité, §§ 8 et 62-67). Au cours des événements susmentionnés, il tenta également, sans succès, de s’enregistrer en tant que candidat aux nouvelles élections législatives qui se tinrent dans la circonscription no 90 d’Agdash en juin 2016. Après l’arrestation du requérant décrite ci-dessous, M. Rasul Jafarov, également membre du comité du REAL, fut arrêté sur la base d’accusations d’exploitation d’entreprise illégale, de fraude fiscale et d’abus de pouvoir (pour plus de précisions, voir Rasul Jafarov c. Azerbaïdjan, no 69981/14, 17 mars 2016). D’après le requérant, quatre autres membres actuels ou anciens membres du comité du REAL furent contraints de quitter le pays à cause de « pressions du gouvernement ». Dans la procédure pénale décrite ci-dessous, l’un des coaccusés du requérant était M. Tofig Yagublu, vice-président du parti Musavat, qui travaillait également en qualité de chroniqueur pour le journal Yeni Musavat (Yagublu c. Azerbaïdjan, no 31709/13, 5 novembre 2015). En vertu d’un décret présidentiel de grâce du 17 mars 2016, M. Yagublu fut dispensé de purger le restant de sa peine d’emprisonnement. A. Les événements survenus à Ismayilli les 23 et 24 janvier 2013 et la visite faite par le requérant à Ismayilli le 24 janvier 2013 Les circonstances des événements d’Ismayilli et de la visite du requérant à Ismayilli sont décrites comme suit dans l’arrêt Ilgar Mammadov (précité, §§ 9-12) : « B. Les événements survenus à Ismayilli en janvier 2013 Le 23 janvier 2013, des émeutes éclatèrent dans la ville d’Ismayilli, au nord-ouest de Bakou. D’après les comptes rendus dans les médias, reprenant les propos d’habitants de la ville, ces émeutes furent déclenchées par un incident impliquant V.A., le fils du ministre du Travail et de la Protection sociale et neveu du directeur de l’Autorité exécutive du district d’Ismayilli (« AEDI »). Il fut rapporté qu’après avoir été impliqué dans un accident de la circulation, V.A. avait insulté et agressé physiquement les occupants de l’autre véhicule, qui habitaient à proximité. Lorsqu’ils apprirent l’incident, plusieurs centaines (voire milliers) d’habitants de la ville descendirent dans les rues et détruisirent des établissements commerciaux (dont l’hôtel Chirag) et d’autres immeubles d’Ismayilli qui étaient réputés appartenir à la famille de V.A. Le 24 janvier 2013, le ministère de l’Intérieur et le parquet général publièrent un communiqué de presse commun, dans lequel la responsabilité des émeutes était attribuée à E.S., un directeur de l’hôtel, et [El.M.], un membre de sa famille, qui étaient prétendument ivres et qui, aux termes du communiqué, avaient commis des actes de vandalisme en endommageant des biens d’habitants de la ville et en incitant les habitants à se livrer à des émeutes. Entre-temps, [N.A.], le directeur de l’AEDI et oncle de V.A., avait démenti publiquement que l’hôtel Chirag appartînt à sa famille. C. Le rôle du requérant dans les événements d’Ismayilli Le 24 janvier 2013, le requérant se rendit à Ismayilli pour mieux comprendre les événements susdécrits. Le 25 janvier 2013, il décrivit ses impressions sur son blog. L’article intégral était rédigé comme suit : « Hier après-midi, j’ai passé un peu plus de deux heures à Ismayilli avec [un autre membre] de notre mouvement [REAL] et notre coordinateur des médias (...) Tout d’abord, voici [en résumé] ce que j’ai écrit sur Facebook avec mon portable pendant ce temps : – Nous sommes arrivés dans la ville. – Un grand nombre de policiers sont déployés et leur présence ne cesse de se renforcer. Les manifestants se rassemblent toutes les heures ou toutes les deux heures pour prononcer des discours. Nous nous trouvons devant le siège de l’Autorité exécutive [du district d’Ismayilli]. Il y a environ 500 policiers dans le secteur. – La cause des événements est la tension générale provoquée par la corruption et l’insolence des [responsables publics]. En résumé, les citoyens en ont assez. Nous discutons avec les habitants de la ville. – Les Russes [ethniques] du village d’Ivanovka aussi en ont marre ; ils ont essayé de gagner [Ismayilli] pour soutenir la manifestation, mais la route était barrée et on les a forcés à faire demi-tour. – Tout le monde se prépare pour la nuit. – Nous quittons Ismayilli pour retourner à Bakou. La situation est limpide à nos yeux. Quba a été le premier pas. Ismayilli est le deuxième. Au troisième, les choses sérieuses vont commencer. Nous sommes rentrés après avoir analysé tous les tenants et aboutissants de la situation à Ismayilli. J’ai écrit que des affrontements auraient à nouveau lieu le soir lorsque j’ai publié [sur Facebook] que « tout le monde se prépare pour la nuit ». Sur place, la foule clamait : « On va leur flanquer une raclée ce soir, on s’est ravitaillés » (autrement dit, les participants avaient acheté le combustible pour les cocktails Molotov). Les citoyens sont en colère. Certains ne souhaitent pas se mêler de ce genre de choses et ont peur, mais ceux qui n’ont pas peur sont au bout du rouleau et continueront à manifester cette nuit. Ce n’est plus une situation politique dans laquelle on peut garder l’essentiel et tenter de changer certaines choses ; c’est déjà une situation de crise chaotique, qui nécessite que l’État adopte des mesures de conciliation pour la surmonter. Il ne faut ni se leurrer, ni prétendre tromper nos interlocuteurs. Les événements d’Ismayilli n’étaient pas et ne sont pas une manifestation pacifique organisée dans le calme. Il s’agit d’une protestation extrêmement violente, mais juste, et la responsabilité en incombe à Ilham Aliyev. Comme dans tout mouvement révolutionnaire, l’initiative politique demeure dans un premier temps entre les mains du président mais, par son immobilisme, celui-ci perd progressivement ce pouvoir d’initiative. Lorsque [les dirigeants de ce type] commencent à réagir à la situation, il est généralement trop tard et leur intervention est dénuée d’effet. Moubarak, le shah d’Iran et tous les autres ont périclité de cette manière. » Le 24 janvier 2013, la veille donc de la publication de l’article précité sur son blog, le requérant, qui regagnait Bakou en voiture, accorda entre 17 h 41 et 17 h 46 une interview en direct par téléphone à la radio Azadliq. Il y déclara notamment ce qui suit (selon la citation incluse dans les décisions des juridictions nationales) : « Nous avons le sentiment qu’après les événements de Quba, c’est l’avertissement le plus sérieux adressé au pouvoir azerbaïdjanais pour lui signifier que l’État ne peut plus être dirigé de cette façon. Nous avons vu beaucoup de policiers. Et nous avons aussi vu pas moins de 500 membres de différentes forces, la police et les forces de sécurité intérieure, devant [le bâtiment de l’AEDI]. Les gens discutaient par petits groupes et, de temps à autre, des petits groupes se réunissaient et scandaient des slogans, par exemple. Leur principale revendication était que [le directeur de l’AEDI] présente ses excuses pour les événements survenus. Ce serait en effet un membre de sa famille qui serait à l’origine de l’incident initial [à l’origine des émeutes]. Mais les représentants du gouvernement estiment que l’État n’est pas responsable [des événements en question]. Ensuite, nous avons parlé à de nombreuses personnes parmi la population locale. Toutes étaient mécontentes, et la principale raison en était bien entendu les événements de la nuit dernière, c’est-à-dire apparemment l’accident de la route [qui a déclenché les émeutes]. En réalité, toutefois, l’incident prend ses racines dans de graves problèmes économiques et sociaux. Une poignée de familles, de petits groupes, contrôlent l’ensemble de l’économie dans la région tout entière, ils sont tous parents les uns avec les autres, il n’est absolument pas question de concurrence, simplement d’économie. Les infrastructures sociales sont inexistantes, les citoyens attendent constamment leurs prochaines allocations. Alors, les sujets d’insatisfaction sont nombreux. De simples citoyens racontent par exemple que, quand un fourgon bancaire amène l’argent liquide pour le paiement des pensions [dans la région], l’argent est placé dans les distributeurs automatiques et il ne peut être retiré qu’une semaine plus tard. Les gens pensent que cet argent est investi pour produire des intérêts pendant cette semaine et que les responsables de la manœuvre empochent un bénéfice sur les intérêts récoltés à partir du financement social de toute la région. » Les circonstances ultérieures sont décrites comme suit dans l’arrêt Ilgar Mammadov (précité, §§ 13-15) : « 13. Le 28 janvier 2013, le requérant publia sur son blog davantage d’informations sur les événements, en y insérant des extraits des sites web officiels du ministère de la Culture et du Tourisme et du ministère de la Fiscalité et en publiant des captures d’écran de ces sites. En particulier, il fit remarquer que, d’après ces sources et des informations publiées sur le compte Facebook de V.A., l’hôtel Chirag appartenait bel et bien à V.A. Cette annonce contredisait directement le démenti antérieur du directeur de l’AEDI. Les informations citées par le requérant furent supprimées des sites gouvernementaux précités et de la page Facebook de V.A. dans l’heure qui suivit la publication de l’article du requérant sur son blog. Cet article fut toutefois lui-même abondamment commenté dans les médias. Le 29 janvier 2013, le parquet général et le ministère de l’Intérieur publièrent un nouveau communiqué de presse commun sur les événements survenus à Ismayilli. Il y était indiqué que dix personnes avaient été inculpées d’infractions pénales dans le cadre des événements du 23 janvier 2013 et placées en détention dans l’attente de leur procès. De plus, 52 personnes avaient été arrêtées dans le cadre de leur participation à des « actes constitutifs d’une atteinte grave à l’ordre public » et, parmi elles, certaines avaient été reconnues coupables d’« infractions administratives » et condamnées à une « détention administrative » de quelques jours ou à une amende, tandis que d’autres avaient été relâchées. Le communiqué de presse ajoutait que « des informations biaisées et partiales ont récemment été diffusées délibérément, donnant une image erronée de la nature réelle des événements en question, qui étaient le fruit de vandalisme », y compris des informations évoquant un grand nombre de personnes blessées et la disparition d’une personne. Il démentait ces informations, précisant que quatre blessés seulement avaient été admis à l’hôpital régional et que personne n’avait disparu. Il contenait par ailleurs, entre autres, l’affirmation suivante : « À la lumière des enquêtes diligentées, il a été établi que le 24 janvier 2013, Tofig Yagublu, vice-président du parti Musavat, et Ilgar Mammadov, coprésident du mouvement REAL, se sont rendus à Ismayilli et ont lancé des appels aux habitants de la ville dans un but de déstabilisation sociale et politique, les incitant notamment à résister à la police, à ne pas obéir aux agents de la force publique et à bloquer les routes. Leurs actes illégaux, fomentés pour enflammer la situation dans le pays, feront l’objet d’une enquête détaillée et approfondie et d’un examen judiciaire. » Le 30 janvier 2013, le requérant commenta ce communiqué de presse sur son blog, affirmant que le gouvernement avait pris une décision destinée à le « punir » et à l’« effrayer » et que plusieurs motifs l’expliquaient : premièrement, l’article publié par le requérant sur son blog le 28 janvier 2013, qui aurait révélé des faits embarrassants pour le gouvernement ; deuxièmement, le fait que le REAL avait suscité un débat public sur les amendements législatifs de juin 2012 visant à faire en sorte que les informations sur les actionnaires des entreprises restent secrètes, mettant ainsi en place « un environnement plus clandestin pour voler l’argent du pétrole » ; troisièmement, les critiques exprimées antérieurement par le requérant à l’égard de l’Assemblée nationale, qu’il avait comparée à un « zoo » après l’adoption de textes qui imposaient des « limitations strictes à la liberté de réunion » en « instaurant des sanctions pécuniaires injustifiables pour la participation à une manifestation non autorisée » ; et, enfin, la « montée en puissance rapide » du mouvement REAL à l’approche de l’élection présidentielle, ce mouvement devenant ainsi un « obstacle sérieux aux yeux des acteurs [politiques] traditionnels » et menaçant de « perturber le déroulement du simulacre d’élection reproduit d’année en année ». B. Les accusations pénales dirigées contre le requérant, son placement en détention provisoire et l’instruction préliminaire Le 4 février 2013, le parquet général accusa le requérant d’infractions réprimées par les articles 233 (organisation d’actions entraînant un trouble à l’ordre public ou participation active à de telles actions) et 315.2 (résistance à agents publics ou violences contre agents publics constitutives de menaces pour la vie ou l’intégrité physique des intéressés) du code pénal à raison de son implication alléguée dans des émeutes survenues dans la ville d’Ismayilli le 24 janvier 2013. Le 30 avril 2013, le requérant fut inculpé au titre des articles 220.1 (organisation de troubles de grande ampleur) et 315.2 du code pénal, ces charges remplaçant les chefs d’accusation initiaux. Le requérant, Tofig Yagublu et deux autres accusés, E.I. et M.A., qui étaient inculpés exclusivement en rapport avec les événements du 24 janvier 2013 (paragraphe 20 b) et c) ci-dessous), furent mis en cause en qualité d’accusés dans la procédure pénale qui avait été ouverte au sujet des événements du 23 janvier 2013. Les actes spécifiques attribués au requérant étaient décrits comme suit : « Le 24 janvier 2013, à partir d’environ 15 heures, Ilgar Eldar oglu Mammadov profitant du fait que le 23 janvier 2013 à partir d’environ 21 h 30, un groupe de personnes avait, dans la ville d’Ismayilli, commis des actes de vandalisme caractérisé générateurs d’un grave trouble à l’ordre public, délibérément brûlé, d’une manière dangereuse pour le public, des biens appartenant à différentes personnes [dont] l’hôtel Chirag, quatre voitures, cinq motocyclettes et scooters et un bâtiment annexe situé dans le jardin d’une maison d’habitation privée, et commis des actes de violence à l’encontre d’agents publics ; considérant, selon un raisonnement erroné, que [les événements précités] constituaient une « rébellion » ; souhaitant que les actes précités se multiplient et acquièrent un caractère permanent afin de créer une tension artificielle et d’ébranler la stabilité sociale et politique du pays ; alors qu’il résidait à Bakou, se rendit à Ismayilli et, accompagné de Tofig Rashid oglu Yagublu et avec la participation active d’autres individus, [commit les actes suivants :] il organisa, en tant que participant actif, des actes à l’origine d’un grave trouble à l’ordre public en ce qu’il incita de façon ouverte et répétée les habitants de la ville [E.I.], [M.A.] et d’autres, qui s’étaient rassemblés sur la place située à proximité du bâtiment administratif du Département régional de l’éducation, sis rue Nariman Narimanov, en face du siège administratif de [l’AEDI], [à faire ce qui suit :] [i] s’installer en masse devant le bâtiment de [l’AEDI], qui est l’organisme compétent exerçant le pouvoir exécutif de la République d’Azerbaïdjan et, ce faisant, entraver la circulation automobile et les déplacements des piétons ; [ii] désobéir aux appels licites à la dispersion émis par les fonctionnaires du gouvernement qui souhaitaient faire cesser leur comportement illégal ; [iii] résister aux agents de police en uniforme protégeant l’ordre public en se livrant à des actes violents mettant en danger la vie et l’intégrité physique [des policiers] au moyen de divers objets ; [iv] perturber le bon fonctionnement de [l’AEDI], des entreprises et des organismes publics ainsi que des infrastructures de restauration publique, de commerce et de services publics en refusant, pendant une durée prolongée, de quitter les zones dans lesquelles les actes entraînant un grave trouble à l’ordre public étaient commis ; et [v] immobiliser la circulation automobile en bloquant l’avenue centrale et la rue Nariman Narimanov ; et il parvint finalement à faire en sorte qu’aux environs de 17 heures le même jour, dans la ville d’Ismayilli, un groupe de personnes composé de [E.I.], [M.A.] et d’autres se déplaçât en masse de la place précitée en direction du bâtiment administratif de [l’AEDI] et lançât des pierres sur des agents des organismes compétents du ministère de l’Intérieur qui s’employaient à empêcher [cette marche] conformément aux prescriptions de la loi. Par ces actes, Ilgar Eldar oglu Mammadov a commis les infractions pénales visées aux articles 233 [remplacé ultérieurement par l’article 220.1] et 315.2 du code pénal de la République d’Azerbaïdjan. » Les circonstances relatives à la détention provisoire du requérant et à l’instruction préliminaire sont décrites en détail dans l’arrêt Ilgar Mammadov (précité, §§ 16-55). Dans cet arrêt, la Cour a constaté que, au mépris des dispositions de l’article 5 § 1 c) de la Convention, le requérant avait été privé de sa liberté avant le procès alors qu’il n’y avait pas de « raisons plausibles » de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale (ibidem, §§ 87-101), que contrairement aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention il n’avait pas bénéficié d’un contrôle judiciaire approprié de la légalité de sa détention (ibidem, §§ 111-119), que le droit à la présomption d’innocence que lui garantissait l’article 6 § 2 de la Convention avait été violé à raison de déclarations préjudiciables faites par les autorités de poursuite avant que sa culpabilité eût été légalement établie (ibidem, §§ 125-128), et que, en violation de l’article 18 de la Convention combiné avec l’article 5, sa liberté avait été restreinte dans un but autre que de le conduire devant l’autorité judiciaire compétente sur la base de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction (ibidem, §§ 137-144). C. Le procès Une fois l’enquête préliminaire terminée, l’affaire du requérant fut renvoyée en jugement devant le tribunal des infractions graves de Shaki. Le requérant devait être jugé, en même temps que 17 autres personnes, en rapport avec les événements d’Ismayilli. Il apparaît que l’acte d’accusation formel du requérant adressé par le parquet au tribunal répétait pour l’essentiel les accusations qui avaient été formulées initialement à l’encontre de l’intéressé (paragraphe 15 ci-dessus). Il ajoutait toutefois qu’à la suite des actes constitutifs de troubles de grande ampleur qui avaient été commis le 24 janvier 2013 aux alentours de 17 heures, six policiers nommément désignés avaient été la cible de violences qui avaient mis leur vie et leur intégrité physique en danger (paragraphe 48 ci-dessous). Des 17 autres prévenus, a) 14 étaient accusés d’avoir participé aux émeutes du 23 janvier 2013 (comprenant des faits de troubles à l’ordre public, l’incendie de biens privés et des actes de violence à l’encontre d’agents publics). On leur reprochait des infractions réprimées par les articles 186.2.1, 186.2.2, 220.1 et 315.2 du code pénal ; b) un prévenu, M. Tofig Yagublu, également opposant politique, était accusé, à l’instar du requérant, d’avoir « organisé » des troubles publics le 24 janvier 2013 et d’y avoir participé activement en incitant les habitants de la ville à commettre des actes contraires à l’ordre public et des actes de violence. Comme au requérant, on lui reprochait d’avoir enfreint les articles 220.1 et 315.2 du code pénal ; et c) deux prévenus, E.I. et M.A., étaient accusés d’avoir participé, avec le requérant et Tofig Yagublu, à la poursuite des émeutes du 24 janvier 2013 (comprenant des faits de troubles à l’ordre public et des actes de violence à l’encontre d’agents publics). À eux aussi on leur reprochait d’avoir enfreint les articles 220.1 et 315.2 du code pénal. Requêtes soumises par la défense à l’audience préliminaire Le 4 novembre 2013, le tribunal des infractions graves de Shaki tint une audience préliminaire, durant laquelle il examina une série de requêtes soumises par le requérant et les autres accusés. En particulier, le requérant avait demandé à cette juridiction, premièrement, de tenir ses audiences dans une salle plus grande pouvant accueillir des représentants des médias et, deuxièmement, d’autoriser l’enregistrement audio et vidéo des audiences. Le tribunal rejeta la première requête, faisant remarquer qu’aucun représentant d’un quelconque média n’avait demandé à assister aux audiences. Il rejeta également la deuxième requête, considérant que les victimes des infractions pénales participant à l’audience préliminaire s’étaient opposées à la possibilité d’être enregistrées pendant le procès. Après une suspension de l’audience préliminaire, la défense déposa une objection à la composition du tribunal, au motif qu’il avait rejeté les deux requêtes précédentes. Le tribunal refusa d’examiner cette objection, estimant qu’elle était infondée et destinée à retarder le procès. Il nota à ce sujet que la majeure partie du texte de l’objection avait été imprimée préalablement à l’audience, ce qui témoignait selon lui de l’intention de la défense de contester la composition du tribunal quel qu’eût été le déroulement de l’audience. La défense demanda ensuite au tribunal : a) de mettre fin à la détention du requérant, conformément à l’article 5 de la Convention et à plusieurs dispositions du droit national ; b) d’abandonner la procédure contre le requérant en raison de l’absence de corpus delicti et au motif que les accusations à son encontre étaient fausses ; et c) de déclarer irrecevables les preuves contre le requérant obtenues préalablement au procès, notamment les déclarations d’un certain nombre de témoins à charge (parmi lesquelles celles mentionnées aux paragraphes 48 et 52-56 ci-dessous), au motif qu’elles avaient été obtenues de façon illégale, et de pareillement déclarer irrecevables les lettres du commissariat régional d’Ismayilli et du ministère de la Sécurité nationale (paragraphe 73 ci-dessous), au motif qu’elles contenaient des informations qui n’avaient pas été vérifiées de façon indépendante par l’accusation. Par une décision avant dire droit du 5 novembre 2013, rendue après l’audience préliminaire, le tribunal des infractions graves de Shaki décida de rejeter les demandes de la défense au motif qu’elles n’étaient pas fondées et de « maintenir inchangée » la mesure préventive de détention provisoire. Preuves examinées lors du procès Le procès s’étendit sur une trentaine d’audiences. Durant ces audiences, le tribunal des infractions graves de Shaki examina des preuves testimoniales ainsi que des enregistrements vidéo et d’autres éléments. Au moment où la requête fut communiquée au gouvernement défendeur, la Cour pria les parties de lui fournir, entre autres, « les procès-verbaux des audiences devant les juridictions de première instance et de recours, dans leurs parties concernant le requérant ». Le requérant ne détenait pas de copies des procès-verbaux des procès car seule leur consultation lui avait été autorisée. Le Gouvernement n’a pas transmis de copies intégrales des procès-verbaux des audiences de première instance dans leurs parties concernant le requérant et s’est limité à fournir une sélection restreinte de procès-verbaux de l’audience préliminaire et de procès-verbaux des audiences des 29 novembre et 29 décembre 2013 et du 13 janvier 2014, durant lesquelles la juridiction de première instance s’était penchée sur différentes questions de procédure. Les parties des procès-verbaux contenant les déclarations complètes des témoins et leur contre-interrogatoire n’ont pas été communiquées. Le Gouvernement a également transmis une sélection de procès-verbaux d’audiences des juridictions d’appel et de cassation. Les preuves examinées par le tribunal, telles que décrites dans son jugement, ainsi que, dans la mesure pertinente, dans l’acte d’accusation et dans les mémoires des parties, sont résumées succinctement ci-dessous. a) Déclarations des accusés Les déclarations des 14 prévenus accusés d’avoir participé aux événements du 23 janvier 2013 (paragraphe 20 a) ci-dessus) ne concernaient que les événements du 23 janvier 2013 et ne comprenaient aucune information pertinente sur les événements du 24 janvier 2013. Le tribunal examina à la fois les déclarations qu’ils avaient faites lors du procès et leurs déclarations antérieures au procès. Lorsqu’ils furent entendus lors du procès, treize des quatorze accusés précités plaidèrent non coupables et exprimèrent des déclarations différentes de celles faites avant le procès. Dix d’entre eux alléguèrent qu’ils avaient effectué leurs déclarations antérieures au procès sous la contrainte, sous la forme soit de pressions psychologiques, soit de mauvais traitements physiques. À la fin du procès, deux d’entre eux retirèrent leurs allégations de mauvais traitements en détention provisoire. L’un des quatorze accusés précités admit sa culpabilité et confirma ses déclarations antérieures au procès dans lesquelles il avait reconnu sa participation aux troubles à l’ordre public du 23 janvier 2013. E.I. et M.A., les prévenus accusés d’avoir participé à des affrontements avec la police dans la matinée (vers 10 h 30) et l’après-midi (vers 17 heures) du 24 janvier 2013 (prétendument sur incitation du requérant ; paragraphe 20 c) ci-dessus), ne citèrent ni le requérant ni Tofig Yagublu dans leurs déclarations. Lors du procès, E.I. plaida non coupable et allégua que les enquêteurs l’avaient battu et torturé au stade de l’enquête préliminaire dans le but d’obtenir une déclaration favorable à l’accusation. Il déclara que le matin du 24 janvier 2013 entre 10 heures et 11 heures environ, une foule d’une centaine de personnes s’était déplacée dans la direction du bâtiment de l’AEDI. La police avait selon lui utilisé du gaz lacrymogène et des balles de caoutchouc pour disperser la foule et, en réaction, les manifestants auraient jeté des pierres sur les agents de police. E.I. déclara en outre que dans l’après-midi du 24 janvier 2013, et plus précisément entre 16 heures et 17 heures, il ne se trouvait même pas dans la ville, mais avait assisté à un enterrement dans un village voisin. Plusieurs autres témoins firent des dépositions, dont certaines corroboraient sa version des faits (paragraphe 46 ci-dessous). Dans ses déclarations antérieures au procès, E.I. avait affirmé qu’il se trouvait dans la ville le 24 janvier 2013 après-midi et qu’il avait participé aux affrontements avec la police, mais il n’avait pas précisé l’heure exacte. Lors du procès, M.A. plaida non coupable et allégua que les enquêteurs l’avaient frappé durant la phase préalable au procès dans le but d’obtenir une déclaration favorable à l’accusation. De plus, les enquêteurs lui auraient réclamé un pot-de-vin d’un montant de 2 000 dollars des ÉtatsUnis. S’agissant des événements du 24 janvier 2013, M.A. déclara qu’il se trouvait dans la ville entre 10 heures et 11 heures environ et qu’il y avait beaucoup de monde dans le centre-ville. Il ajouta que l’après-midi, il avait quitté Ismayilli pour se rendre dans une autre ville. D’après le requérant, M.A. avait demandé au tribunal, pour prouver cet état de fait, d’examiner les relevés des appels passés à partir de son téléphone portable durant l’après-midi du 24 janvier 2013 mais le tribunal s’y était refusé. Dans ses déclarations antérieures au procès, M.A. avait affirmé que, le 24 janvier 2013, il s’était joint à la foule des manifestants et avait jeté des pierres sur la police, mais il n’avait pas précisé l’heure exacte. Enfin, Tofig Yagublu et le requérant présentèrent les témoignages décrits ci-dessous. Lors du procès, Tofig Yagublu déclara qu’il était arrivé à Ismayilli le 24 janvier 2013 à 16 heures ou peu après 16 heures, accompagné des journalistes M.K. et Q.M. (paragraphes 61 et 64 ci-dessous) et d’un autre journaliste. Ils s’étaient garés près d’un bâtiment Unibank situé à proximité du bâtiment de l’AEDI. Ils avaient vu un grand nombre de policiers dans le quartier. De nombreux journalistes étaient également présents, attendant de pouvoir interroger le directeur de l’AEDI. Tofig Yagublu s’était entretenu avec ces journalistes pendant deux minutes. Il avait ensuite reçu un appel sur son téléphone portable et, pendant qu’il parlait au téléphone, il avait vu le requérant en compagnie d’un membre du REAL, N.C. (paragraphe 58 cidessous). Il s’était interrompu cinq à dix secondes pour saluer rapidement le requérant. La situation dans le quartier était calme. Il était ensuite allé voir l’hôtel incendié, où il avait été interpellé par deux ou trois policiers, qui lui avaient demandé de les accompagner jusqu’à un poste de police. Au poste de police, il avait été conduit auprès de S.K., officier supérieur de police du commissariat régional d’Ismayilli (paragraphe 45 ci-dessous), qui l’avait interrogé sur les raisons de sa présence à Ismayilli. Un peu plus tard, il avait également été demandé à M.K., par téléphone, de se rendre au poste de police. Tous deux s’étaient vu enjoindre de quitter Ismayilli et de rapporter à Bakou que la situation sur place s’était apaisée. Ils avaient ensuite été autorisés à quitter le poste de police. D’après Tofig Yagublu, en dehors du temps qu’il avait passé au poste de police, il était resté environ dix minutes au total à Ismayilli et, pendant ce temps, il n’avait pas vu d’attroupements ni d’affrontements et il n’avait entendu personne crier de slogans. Il avait quitté Ismayilli aux alentours de 17 heures. Les déclarations faites par Tofig Yagublu lors du procès étaient légèrement différentes de celles qu’ils avaient faites auparavant. En particulier, dans ses déclarations antérieures au procès, Tofig Yagublu avait affirmé qu’il était arrivé à Ismayilli aux alentours de 15 heures, qu’une fois sur place il avait vu un petit groupe de huit à dix jeunes de la ville et qu’il les avait abordés et interrogés de façon très succincte sur les événements de la nuit précédente. Dans les déclarations qu’il fit lors du procès, le requérant prétendit que son arrestation reposait sur une motivation politique. Au sujet des événements en question, il affirma qu’après avoir entendu parler des événements du 23 janvier 2013 dans les nouvelles, il s’était rendu à Ismayilli en voiture le lendemain avec N.C. (paragraphe 58 ci-dessous). Les deux hommes étaient arrivés dans la région d’Ismayilli le 24 janvier 2013 aux environs de 15 h 30 et ils avaient atteint le centre-ville d’Ismayilli vers 16 heures. Sur leur chemin vers le centre-ville, ils s’étaient arrêtés de temps à autre pour parler aux habitants, sans descendre de la voiture, afin de recueillir des informations sur les événements qui s’étaient produits jusqu’alors. Une fois dans le centre-ville, ils s’étaient garés sur la place principale, où se trouvait un groupe de journalistes. Le requérant avait parlé aux journalistes, qui lui avaient dit que, même si la situation était calme à ce moment, il régnait une atmosphère tendue dans la ville. Il avait ensuite publié quelques commentaires sur sa page Facebook en continuant de se tenir à proximité des journalistes. À cet instant précis, il avait vu passer Tofig Yagublu, qui était en pleine conversation sur son téléphone portable. Les deux hommes s’étaient salués. Après cela, le requérant, N.C. et l’un des journalistes s’étaient rendus dans un salon de thé tout proche. Aucun rassemblement de manifestants et aucun affrontement violent n’avait eu lieu pendant qu’ils se trouvaient à Ismayilli. Après environ trente minutes passées dans le salon de thé, ils avaient quitté la ville. Sur le chemin du retour à Bakou, il avait accordé un entretien téléphonique à la radio Azadliq. b) Déclarations des victimes et des témoins Une centaine de témoins, dont une majorité à charge, furent entendus au procès. 23 d’entre eux avaient le statut de victimes d’infractions pénales et il s’agissait pour la plupart de policiers qui disaient avoir subi des blessures légères ou de propriétaires de biens endommagés ou détruits. i. Déclarations des témoins au sujet des événements du 23 janvier 2013 La majorité des témoins et des victimes d’infractions pénales firent des déclarations qui concernaient exclusivement les événements du 23 janvier 2013. D’après ces déclarations, les habitants de la ville s’étaient livrés dans la soirée du 23 janvier 2013 à une émeute spontanée, déclenchée par le comportement violent du directeur de l’hôtel Chirag (E.S.) et de la personne qui l’accompagnait (El.M.), tous deux étant dans un état d’ébriété avancé, après un accident de la circulation dans lequel ils avaient été impliqués. E.S. et El.M. avaient à plusieurs reprises insulté et agressé physiquement le conducteur de l’autre véhicule et plusieurs habitants de la ville qui se trouvaient à proximité de l’accident. Il s’en était suivi une bagarre, dans laquelle E.S. et El.M. avaient été roués de coups et, à mesure que d’autres personnes s’étaient mêlées à la bagarre, les faits avaient fini par prendre les proportions d’une émeute. L’émeute s’était prolongée jusque tard dans la nuit, entraînant des blessures chez un certain nombre de personnes, parmi lesquelles plusieurs policiers, et la destruction de divers biens. Les victimes comprenaient le propriétaire, des employés et clients de l’hôtel et quelques passants qui avaient perdu des biens, ainsi qu’un certain nombre de policiers blessés. À titre d’exemple, l’une des victimes, V.Az., une serveuse employée par l’hôtel, déclara que certains de ses effets personnels avaient été détruits lors des événements du 23 janvier 2013. ii. Déclarations des témoins au sujet des événements du 24 janvier 2013 α) Témoins n’ayant pas déclaré avoir vu personnellement le requérant Deux policiers déclarèrent que des troubles à l’ordre public s’étaient produits dans la matinée du 24 janvier 2013 (aux dires de l’un, entre environ 10 heures et 11 heures et, aux dires de l’autre, entre environ 11 heures et midi). Une foule s’était déplacée depuis le quartier proche du bâtiment administratif du Département régional de l’éducation en direction du bâtiment de l’AEDI, en lançant des pierres sur la police. L’un des deux policiers, E.A., déclara qu’entre environ 10 heures et 11 heures, il avait été blessé par une pierre qui l’avait heurté et avait immédiatement été emmené à l’hôpital. S.K., un officier supérieur de police du commissariat régional d’Ismayilli, fit une longue déclaration sur les événements du 23 janvier 2013. À propos de ce qui s’était passé le 24 janvier 2013, il affirma que Tofig Yagublu avait été placé en détention et lui avait été amené au poste de police et qu’il avait appris à ce moment que le requérant se trouvait également à Ismayilli, mais qu’il « s’était fondu dans la foule et avait disparu ». S.K. avait parlé à Tofig Yagublu pendant environ une demi-heure, puis celui-ci avait été relâché. D’après S.K., des épisodes d’agitation s’étaient succédé tout au long de la journée du 24 janvier 2013. Treize habitants d’Ismayilli ou de villages voisins effectuèrent des déclarations, pour la plupart extrêmement sommaires, fournissant différents types d’informations sur les événements du 24 janvier 2013. Aucune des déclarations de ces témoins ne concernait directement les accusations retenues contre le requérant ou Tofig Yagublu. Sept de ces personnes affirmèrent que l’après-midi du 24 janvier 2013, elles s’étaient rendues d’un des villages de la région d’Ismayilli à la ville d’Ismayilli dans le même bus qu’E.I. (paragraphe 33 ci-dessus) et qu’elles étaient arrivées à destination dans la soirée, à un moment où la ville était en proie à des agitations. Trois d’entre elles précisèrent qu’elles étaient arrivées dans la ville entre 17 heures et 18 heures, tandis que trois autres indiquèrent qu’elles étaient arrivées entre 19 heures et 20 heures ou quand « la nuit était déjà tombée ». Une personne ne donna pas d’indication sur l’heure d’arrivée. β) Policiers Dix policiers avaient indiqué dans leurs déclarations antérieures au procès qu’ils avaient vu le requérant le 24 janvier 2013. Certains d’entre eux avaient affirmé que des troubles s’étaient produits le 24 janvier 2013 entre environ 10 heures et 11 heures. Ils avaient en outre déclaré que, dans l’aprèsmidi du 24 janvier 2013 (d’après trois policiers vers 16 heures, d’après deux policiers vers 17 heures, et d’après quatre policiers entre 16 heures et 17 heures, le dernier n’ayant pas précisé l’heure exacte), ils avaient constaté qu’un attroupement se formait près du bâtiment du Département régional de l’éducation (seuls deux policiers avaient précisé la taille de l’attroupement, qui comptait 20 personnes d’après l’un et 200 personnes d’après l’autre). Ainsi que cela ressort des pièces du dossier, au moins trois de ces policiers avaient déclaré que les personnes attroupées s’étaient rendues dans la zone proche du Département régional de l’éducation en empruntant la « route de l’hôpital », ce qui correspond à l’appellation informelle par laquelle les habitants désignent la rue M.F. Akhundov. Les dix policiers avaient par ailleurs déclaré qu’ils avaient également vu parmi l’attroupement le requérant et Tofig Yagublu, qui incitaient les gens à commettre des actes illégaux en les exhortant à « bloquer la route, désobéir aux ordres, lancer des pierres, faire marche en direction du bâtiment de l’AEDI », et qu’après cela, la foule s’était dirigée vers ledit bâtiment et avait lancé des pierres sur les policiers. D’après leurs propres déclarations antérieures au procès (telles que résumées dans le jugement de la juridiction de première instance), six des policiers précités avaient été heurtés par des jets de pierre provenant de la foule dans l’après-midi du 24 janvier 2013. Tous les six furent reconnus en tant que « victimes d’infractions ». Deux d’entre eux avaient déclaré qu’ils n’avaient pas subi de blessures parce qu’ils portaient des manteaux d’hiver épais, tandis que les autres avaient affirmé qu’ils n’avaient subi que des blessures légères ou n’avaient fait état d’aucune blessure. L’un d’entre eux était le policier qui revint ultérieurement sur ses déclarations antérieures au procès (paragraphe 49 ci-dessous), notamment sur l’allégation selon laquelle il avait été touché par une pierre. Aucun dossier médical ou autre élément de preuve ne fut soumis au sujet de quelconques blessures de ces policiers. D’après le requérant, les six policiers précités furent interrogés pour la toute première fois sur les événements du 24 janvier 2013 cinq mois plus tard, entre le 24 et le 27 juin 2013, et c’est à ce moment qu’il aurait été allégué pour la première fois qu’ils avaient été la cible de jets de pierres dans l’après-midi du 24 janvier 2013. Le Gouvernement n’a pas réagi à ces allégations spécifiques du requérant et il n’a communiqué aucune preuve documentaire pertinente susceptible de les réfuter. Le Gouvernement n’a pas fourni non plus de copies intégrales des déclarations faites par ces policiers avant le procès ni d’extraits pertinents des procès-verbaux du procès contenant les déclarations faites par eux lors du procès. L’un des six policiers précités fit une déclaration différente lors du procès, soutenant qu’il était resté au poste de police toute la journée le 24 janvier 2013. Il affirma qu’il n’avait vu aucun des accusés commettre ou inciter d’autres personnes à commettre des actes constitutifs de troubles. Il expliqua qu’il avait signé sa déclaration antérieure au procès sans la lire. D’après le requérant, trois mois après que le tribunal de première instance eut prononcé son jugement, ce policier fut licencié des services de police. Selon le requérant, un autre policier revint lui aussi dans un premier temps sur sa déclaration antérieure au procès, invoquant une explication similaire à celle du policier précité, mais après une suspension d’audience il aurait demandé à être à nouveau entendu et aurait signifié au tribunal qu’il confirmait la teneur de sa déclaration antérieure au procès. Le Gouvernement n’a pas fourni les procès-verbaux contenant les déclarations de ce témoin au procès et il n’a pas fait d’autres commentaires sur l’allégation précitée du requérant. Il ressort du dossier que les déclarations faites par les autres policiers lors du procès confirmaient celles qu’ils avaient faites avant le procès. γ) Autres témoins D’après le jugement du tribunal de première instance, deux habitants d’Ismayilli, R.N. et I.M., affirmèrent que le 24 janvier 2013 entre environ 17 heures et 18 heures, ils avaient vu un attroupement de personnes près du bâtiment administratif du Département régional de l’éducation. Ils avaient également vu le requérant et Tofig Yagublu inciter ces personnes à l’émeute, après quoi l’attroupement s’était déplacé dans la direction du bâtiment de l’AEDI en commettant des actes constitutifs de troubles de grande ampleur. Tant R.N. que I.M. précisèrent que l’attroupement s’était déplacé dans la direction du bâtiment du Département régional de l’éducation et, à partir de cet endroit, dans la direction du bâtiment de l’AEDI, par la « route de l’hôpital » (rue M.F. Akhundov). D’après le requérant, au cours du contre-interrogatoire de la défense, qui ne fut pas repris dans le jugement du tribunal de première instance, les deux témoins précités, et spécialement R.N., donnèrent des réponses qui contredisaient leurs déclarations antérieures. En particulier, le requérant soutint dans son recours (paragraphe 117 ci-dessous) que R.N. avait déclaré dans son témoignage que le 24 janvier 2013 à partir d’environ 15 heures, il s’était trouvé au domicile d’un parent pour le déjeuner. Après le déjeuner, un peu avant 17 heures, il se serait rendu dans le quartier proche du Département régional de l’éducation, où il aurait vu le requérant et Tofig Yagublu inciter une foule importante à l’émeute, et la foule aurait ensuite attaqué la police par des jets de pierres. Au cours du contre-interrogatoire mené lors du procès, il affirma, en réponse à une question posée par la défense, que, dans le cadre de ce dossier pénal, il avait participé en qualité de témoin à l’interrogatoire réalisé par l’accusation deux jours seulement après les événements d’Ismayilli et qu’il n’avait participé à aucune autre mesure d’enquête ni signé aucun autre document de procédure se rapportant à ce dossier. Après cette réponse, la défense produisit une copie du compte rendu de l’inspection des dommages à l’hôtel Chirag et à la maison de N.A., qui avait eu lieu le 24 janvier 2013 de 10 heures à 16 h 10 (paragraphe 65 ci-dessous). D’après ce compte rendu, R.N. avait assisté à l’inspection en qualité de témoin instrumentaire et avait signé le compte rendu d’inspection. Bien qu’une incohérence flagrante eût ainsi été révélée entre, d’une part, le compte rendu et, d’autre part, le témoignage de R.N. et ses réponses aux questions de la défense, soulevant une série d’interrogations quant à l’intégrité du témoin et à la véracité de ses déclarations, le juge qui présidait l’audience libéra précipitamment le témoin, sans donner à la défense l’occasion de poser d’autres questions. De même, d’après le requérant, le témoignage d’I.M. contenait des détails contradictoires et ce témoin s’était montré incapable de répondre aux questions de la défense cherchant à obtenir des éclaircissements. De surcroît, la défense aurait découvert que le fils de ce témoin était un salarié de l’hôtel qui avait été incendié et qui appartenait à V.A. Le Gouvernement est resté muet au sujet des allégations précitées du requérant concernant les déclarations contradictoires de R.N. et I.M. et il n’a communiqué aucune preuve documentaire susceptible de les réfuter. Il n’a pas non plus fourni de copies intégrales des déclarations faites par ces témoins avant le procès ni d’extraits pertinents des procès-verbaux d’audience contenant les déclarations faites par eux lors du procès. R.B., un habitant d’un village voisin qui s’était trouvé dans la ville le 24 janvier 2013, déclara en termes succincts que des troubles s’étaient produits dans le centre-ville entre environ 16 heures et 17 heures et qu’il avait vu le requérant et Tofig Yagublu parmi la foule. R.B. précisa que les manifestants s’étaient déplacés en direction du centre-ville par la « route de l’hôpital » (rue M.F. Akhundov). D’après le requérant, R.B. avait également déclaré ne pas avoir entendu clairement ce que le requérant et Tofig Yagublu avaient dit aux personnes qui les entouraient (voir, pour plus de précisions, le paragraphe 116 ci-dessous). N.M., journaliste, affirma qu’il était arrivé à Ismayilli entre environ 15 heures et 16 heures, accompagné de N.C. Il avait vu plusieurs autres journalistes dans le centre-ville. Il n’y avait pas d’émeutes ni d’affrontements avec la police à ce moment. Le requérant n’avait pas adressé de déclarations séditieuses aux habitants de la ville. Après un certain temps, le témoin s’était rendu dans un salon de thé avec le requérant. N.C., le collègue du requérant membre du REAL qui s’était rendu à Ismayilli avec le requérant et N.M., déclara qu’ils étaient arrivés dans la ville vers 16 heures. Il n’y avait pas d’émeutes ni d’affrontements avec la police à ce moment. Après être restés sur la place proche du bâtiment de l’AEDI pendant vingt-cinq à trente minutes, ils s’étaient rendus dans un salon de thé. Vers 17 heures, ils avaient quitté la ville. I.A., journaliste, affirma que quelques perturbations s’étaient produites dans la ville entre environ 10 heures et 11 heures et que la police avait utilisé des canons à eau et des balles en caoutchouc contre les manifestants. Aux environs de 16 heures, d’autres journalistes étaient arrivés depuis Bakou. Le requérant et Tofig Yagublu étaient arrivés avec eux. À ce moment, il n’y avait pas d’émeutes ni d’affrontements avec la police. Le requérant avait invité I.A. à prendre un thé, mais il avait refusé. Aux alentours de 17 heures, le requérant avait quitté la ville avec N.M. et N.C. Après leur départ, dans la soirée, des affrontements étaient survenus entre des manifestants et la police et s’étaient poursuivis jusqu’à environ 23 heures. M.R., journaliste, déclara qu’elle avait contacté le requérant par téléphone depuis Bakou pendant qu’il se trouvait à Ismayilli le 24 janvier 2013. M.K., journaliste, déclara qu’il s’était rendu à Ismayilli avec Tofig Yagublu. Ils étaient arrivés peu après 16 heures. Très peu de temps après leur arrivée, Tofig Yagublu avait été emmené au poste de police par des personnes en tenue civile. Quelques minutes plus tard, il s’était rendu à son tour au même poste de police, où il leur avait été dit à tous les deux que la situation dans la ville était calme à ce moment et il leur avait été demandé de retourner à Bakou. Tofig Yagublu n’avait prononcé aucune déclaration séditieuse pendant qu’ils se trouvaient à Ismayilli. R.C., journaliste, déclara qu’entre environ 15 heures et 16 heures, il avait vu Tofig Yagublu à Ismayilli. Un peu plus tard, entre 16 heures et 17 heures, il avait vu le requérant et N.C. et leur avait parlé pendant quelques minutes. Aux environs de ce moment, des individus en tenue civile avaient emmené Tofig Yagublu au poste de police. Après que le requérant et Tofig Yagublu eurent quitté la ville, entre environ 20 heures et 21 heures, il y avait eu une nouvelle vague d’affrontements entre les manifestants et la police. E.M., journaliste, déclara qu’il avait vu que Tofig Yagublu était emmené au poste de police, sans préciser l’heure. Il avait également vu le requérant. Dans la soirée, après que le requérant et Tofig Yagublu eurent quitté la ville, des affrontements étaient survenus entre les manifestants et la police. Q.M., journaliste, déclara qu’il était arrivé à Ismayilli vers 16 heures avec M.K. et Tofig Yagublu. Ce dernier avait été emmené au poste de police quelques minutes plus tard. Il n’y avait pas d’émeutes ni d’affrontements avec la police à ce moment. Il n’avait vu le requérant à aucun moment pendant qu’il se trouvait à Ismayilli. c) Autres preuves Le tribunal examina également diverses preuves matérielles, dont des enregistrements vidéo et des photographies des événements ; des rapports d’inspection sur les dommages subis par l’hôtel Chirag, une maison appartenant au directeur de l’AEDI, plusieurs véhicules et scooters incendiés, des supports d’éclairage public et d’autres biens publics et privés ; ainsi que des documents immobiliers attestant, entre autres, que V.A. détenait des droits de propriété sur l’hôtel. Il apparut que l’une des inspections formelles des biens endommagés avait été exécutée de 10 heures à 16 h 10 le 24 janvier 2013, en présence de R.N. (paragraphe 53 ci-dessus) officiant en qualité de témoin instrumentaire. En ce qui concerne les blessures infligées à des policiers au cours des événements des 23 et 24 janvier 2013, le tribunal prit acte de six rapports de médecine légale datés du 24 au 26 janvier 2013 attestant différentes blessures subies par six policiers le 23 ou le 24 janvier 2013 et d’un rapport daté du 25 février 2013 indiquant qu’un policier blessé supplémentaire avait été admis à l’hôpital le 24 janvier 2013. Aucun de ces sept policiers blessés ne figurait parmi les six qui disaient avoir été heurtés par des jets de pierres durant l’après-midi du 24 janvier 2013 (paragraphe 48 ci-dessus). Le tribunal ordonna des examens de médecine légale au sujet des allégations de mauvais traitements émises par plusieurs accusés, parmi lesquels E.I. et M.A. (paragraphes 30, 33 et 35 ci-dessus). D’après les rapports de médecine légale rendus le 25 janvier 2014 (un an après les événements en question), aucune lésion n’avait été constatée sur les accusés. Le tribunal interrogea quatre policiers désignés par les accusés dans le cadre des mauvais traitements allégués et tous nièrent que les accusés eussent été maltraités. Le tribunal nota qu’aucun des accusés, excepté un seul, ne s’était plaint de mauvais traitements avant d’être entendu lors du procès. Une plainte pénale introduite par l’un des accusés avait été examinée par le parquet du district de Sabunchu et rejetée. Compte tenu de ces circonstances, le tribunal conclut que les allégations de mauvais traitements des accusés étaient infondées. Le tribunal examina dans la mesure de leur pertinence pour les accusations spécifiques retenues contre le requérant les preuves décrites cidessous. D’après la description donnée dans le jugement du tribunal, un enregistrement vidéo du 24 janvier 2013 montrait le requérant et Tofig Yagublu qui « se tenaient debout dans le centre-ville d’Ismayilli, en face du bâtiment administratif du Département de l’éducation, à un endroit où des troubles de grande ampleur [avaient] été commis ». La description ne précisait pas le moment de la journée auquel la scène avait été filmée. Une autre série d’enregistrements vidéo des événements du 24 janvier 2013 montraient un groupe d’habitants locaux dans le centreville, dans la rue N. Narimanov et la rue M.F. Akhundov, qui bloquaient les routes, criaient des slogans et désobéissaient aux ordres de dispersion répétés par la police. La même vidéo comprenait des scènes dans lesquelles E.I. et M.A. jetaient des pierres sur la police et encourageaient les autres à en faire de même et à désobéir à la police. Une autre scène montrait un policier (qui n’était pas l’un des agents qui disaient avoir été blessés pendant l’après-midi du 24 janvier 2013, paragraphes 44 et 48 ci-dessus) qui était blessé par une pierre et quittait les lieux en boitant. Enfin, la vidéo montrait la police qui utilisait un canon à eau sur la foule et les manifestants qui se dispersaient dans différentes directions. La description des enregistrements précités ne précisait pas le moment de la journée auquel ces scènes avaient été filmées. Le tribunal examina également les relevés de géolocalisation du téléphone portable du requérant du 24 janvier 2013. Ils indiquaient qu’à 14 h 41 il se trouvait dans la zone de l’antenne installée dans la ville de Gobustan, à 15 h 39 dans la zone de l’antenne du village de Diyalli dans la région d’Ismayilli, à 15 h 46, 15 h 59, 16 h 27, 16 h 40 et 16 h 58 dans la zone de l’antenne de la rue Javanshir dans la ville d’Ismayilli, à 18 h 9 dans la zone de l’antenne du village de Bizlan dans la région d’Ismayilli, à 19 h 25 dans la zone de l’antenne de Gobustan, et à 20 h 41 dans la zone d’une antenne de Bakou. Le tribunal examina par ailleurs le contenu de l’article de blog du requérant (paragraphe 10 ci-dessus) et le contenu de l’interview téléphonique qu’il avait accordée à la radio Azadliq entre 17 h 41 et 17 h 46 le 24 janvier 2013 (paragraphe 11 ci-dessus). Le tribunal examina en outre des informations fournies par le commissariat régional d’Ismayilli et le ministère de la Sécurité nationale, décrites comme suit dans le jugement : « D’après la lettre no 2/117 du commissariat du district d’Ismayilli datée du 1er avril 2013, le 24 janvier 2013, à des endroits où une foule dense s’était rassemblée devant le Département de l’éducation d’Ismayilli, [Tofig Yagublu], accompagné [du requérant], a incité les personnes présentes à s’exprimer contre l’État et les organismes gouvernementaux et contre leurs activités. D’après la lettre no 6/2274 du ministère de la Sécurité nationale datée du 20 avril 2013, le 24 janvier 2013, [Tofig Yagublu et le requérant] se trouvaient à Ismayilli et appelaient les habitants à résister à la police, à barrer les routes (...) et à commettre d’autres actes similaires destinés à mettre à mal la stabilité sociale et politique. » Requêtes et objections présentées par la défense lors du procès Le 18 novembre 2013, les avocats du requérant saisirent le tribunal d’une série de requêtes, lui demandant en particulier : a) de mettre fin à la détention provisoire du requérant, conformément à l’article 5 de la Convention et à plusieurs dispositions du droit national (cette requête était similaire à celle soumise à l’audience préliminaire) ; b) de déclarer irrecevables plusieurs éléments de preuve contre le requérant obtenus au stade préalable au procès, dont des déclarations faites par plusieurs témoins à charge (y compris celles mentionnées aux paragraphes 48 et 52-56 ci-dessus) au motif qu’elles avaient été obtenues illégalement, et les lettres du commissariat régional d’Ismayilli et du ministère de la Sécurité nationale (paragraphe 73 ci-dessus) au motif qu’elles contenaient des informations qui n’avaient pas été vérifiées indépendamment par l’accusation (cette requête était également similaire à celle soumise à l’audience préliminaire) ; c) d’entendre des témoins à décharge supplémentaires [dont I.A., R.C. et E.M. (paragraphes 59, 62 et 63 ci-dessus)] et d’examiner des preuves complémentaires (entre autres, des articles sur les événements du 24 janvier 2013 parus dans les médias au moment des faits) ; et d) de tenir les audiences dans une salle plus grande, capable d’accueillir des représentants des médias. Le tribunal examina ces requêtes lors de l’audience du 29 novembre 2013 et décida : a) de rejeter la demande de libération au motif que les circonstances du requérant n’avaient pas changé ; b) de rejeter pour défaut de fondement la requête plaidant l’irrecevabilité des preuves produites par l’accusation ; c) de surseoir à examiner la requête relative à l’admission de preuves supplémentaires au motif qu’elle n’était pas suffisamment motivée ; et d) de rejeter la requête relative au changement de lieu des audiences au motif que des représentants des médias pouvaient assister aux audiences dans la salle d’origine. Il ressort du procès-verbal de l’audience du 29 novembre 2013 qu’une altercation verbale éclata entre, d’une part, le requérant et Tofig Yagublu et, d’autre part, plusieurs témoins à charge et que le juge présidant le procès rappela les accusés à l’ordre à plusieurs reprises. Le juge adressa également un avertissement à l’un des avocats du requérant, M. F. Agayev, parce qu’il avait protesté bruyamment contre les décisions du tribunal de rejeter les requêtes de la défense. Le 2 décembre 2013, après avoir consulté le procès-verbal de l’audience préliminaire, les avocats du requérant saisirent le tribunal pour faire modifier une partie de la formulation employée dans le document pour décrire les déclarations faites par le requérant au cours de l’audience préliminaire selon lesquelles il considérait que le procès était un simulacre et ne reconnaissait pas au tribunal la qualité d’une juridiction équitable. Le 13 décembre 2013, le tribunal affirma que le procès-verbal était correct et que les modifications proposées étaient destinées à justifier l’attitude irrespectueuse que le requérant et ses avocats avaient eue à l’égard du tribunal au cours de l’audience préliminaire. Le 29 décembre 2013, le requérant sollicita l’accès aux procès-verbaux des audiences du procès au motif que, conformément au code de procédure pénale, le procès-verbal de chaque audience devait être rédigé dans les trois jours suivant l’audience et mis à la disposition des parties dans les trois jours suivants. Le tribunal rejeta cette demande, jugeant que les procès-verbaux devaient être mis à la disposition des parties non pas après chaque audience d’un procès, mais après la clôture du procès. Le 13 janvier 2014, le tribunal confirma sa position à ce sujet. Le 11 janvier 2013, l’un des avocats du requérant demanda au tribunal à ce que six policiers qui disaient avoir été heurtés par des jets de pierre pendant l’après-midi du 24 janvier 2013 (paragraphe 48 ci-dessus) ne participent plus au procès en qualité de « victimes d’infractions ». Il faisait valoir que la décision qui leur avait accordé le statut de victimes n’avait pas été motivée. À l’appui de sa requête, il soutenait que tous ces policiers avaient été interrogés pour la première fois cinq mois après les événements et par le même enquêteur. Il ajoutait qu’il n’avait pas été établi que ces policiers eussent subi de quelconques blessures et qu’il n’existait aucun rapport de médecine légale à ce sujet. De surcroît, bénéficiant du statut de victimes, à la différence de témoins ordinaires, ces personnes avaient été présentes dans la salle d’audience pendant toute la durée du procès, ce qui leur avait procuré une possibilité de coordonner leurs déclarations, non seulement entre elles, mais aussi avec les autres témoins à charge. Il apparaît que la demande précitée fut rejetée par le tribunal. À l’audience du 13 janvier 2014, l’un des avocats du requérant, M. F. Agayev, introduisit une deuxième objection à la composition du tribunal, soutenant, entre autres, que le tribunal manquait d’impartialité : il avait rejeté toutes les requêtes de la défense et érigé des obstacles à un interrogatoire approprié de « faux témoins » par la défense. Le tribunal rejeta cette objection, considérant notamment qu’elle était infondée, que les raisons de son introduction étaient artificielles et non motivées et qu’elle avait apparemment été introduite dans le but de retarder le procès. Le tribunal infligea également une amende d’un montant de 220 manats azerbaïdjanais (AZN) à l’avocat, au titre de l’article 107.4 du code de procédure pénale, pour obstruction à la procédure judiciaire. En février 2013, les avocats du requérant demandèrent au tribunal de recevoir et d’examiner en qualité de preuves des articles datant de l’époque des faits émanant de plusieurs agences de presse, dont l’Agence de presse azerbaïdjanaise (« l’APA ») et Trend, dont il ressortait d’après eux qu’aucun affrontement n’avait été signalé à Ismayilli au moment où le requérant s’y trouvait. Il apparaît que cette requête fut rejetée. Après que le tribunal des infractions graves de Shaki eut rendu son jugement (paragraphes 85 et suivants ci-dessous), les avocats du requérant puis le requérant lui-même sollicitèrent, les premiers le 17 mars, le second le 19 mars 2014, l’accès aux procès-verbaux des audiences du tribunal. Les 4, 10, 16 et 22 avril 2014, le requérant put accéder aux procès-verbaux pendant une durée totale de dix-sept heures et trente minutes. Il apparaît que l’accès aux procès-verbaux fut refusé à l’un des avocats du requérant, M. F. Agayev, parce qu’il avait refusé de se conformer à la demande formulée par un employé du tribunal de lui remettre tous les dispositifs techniques en sa possession (téléphone portable, tablette, etc.) qui auraient pu être utilisés pour photographier des pages des procès-verbaux. L’avocat avait refusé cette demande au motif qu’il y avait plus de dix volumes de procès-verbaux (2 000 à 3 000 pages au total) et que le temps n’était pas suffisant pour les consulter correctement sans recourir à des dispositifs techniques. Il ressort des documents du dossier que l’autre avocat du requérant, M. K. Bagirov, put accéder aux procès-verbaux pendant une durée non spécifiée. Il ne fut toutefois pas autorisé à réaliser des copies des procès-verbaux. Le 28 avril 2014, le requérant adressa au tribunal des infractions graves de Shaki ses observations relatives aux procès-verbaux des audiences du procès, dont il avait eu le temps de lire environ 500 pages. Il allégua que, dans plusieurs cas, différentes déclarations de témoins avaient dans les procès-verbaux été déformées ou dénaturées d’une manière qui lui était défavorable. Par une décision du 12 mai 2014, le tribunal refusa d’accepter les observations du requérant, considérant que les procès-verbaux étaient corrects. Les conclusions et le verdict du tribunal dans son jugement du 17 mars 2014 Le 17 mars 2014, le tribunal des infractions graves de Shaki rendit son jugement, qui comportait les décisions ci-dessous. En ce qui concerne les accusés dont les allégations de mauvais traitements furent jugées infondées (paragraphe 67 ci-dessus), le tribunal décida de prendre en considération leurs déclarations antérieures au procès, dans lesquelles ils avaient admis les accusations matérielles à leur charge, en tant que déclarations plus conformes à la réalité que celles qu’ils avaient faites lors du procès, où ils avaient plaidé non coupables et affirmé qu’ils avaient subi des mauvais traitements durant la phase préliminaire au procès. En ce qui concerne les autres accusés et témoins qui avaient effectué des déclarations différentes durant la phase préliminaire au procès et durant les audiences du procès, notamment le policier qui était revenu sur sa déclaration antérieure au procès (paragraphe 49 ci-dessus) et les accusés E.I. et M.A., le tribunal décida de prendre en considération les déclarations antérieures au procès au motif qu’elles étaient plus « conformes à la réalité et objectives », considérant que les déclarations qu’ils avaient effectuées ultérieurement, durant les audiences du procès, qui étaient plus favorables aux accusés, n’étaient pas cohérentes avec les autres preuves et avaient été imaginées pour aider les accusés à « échapper à leur responsabilité pénale ». Pour ce qui est des accusations contre le requérant en particulier, le tribunal arrêta les décisions ci-dessous. Les déclarations des témoins à charge, les enregistrements vidéo et les autres preuves démontraient que des troubles de grande ampleur s’étaient produits à Ismayilli entre environ 16 heures et 17 heures le 24 janvier 2013, que le requérant se trouvait à Ismayilli à ce moment et qu’avec Tofig Yagublu il avait incité les habitants locaux, parmi lesquels E.I. et M.A., à commettre des actes violents de troubles de grande ampleur, qui avaient mis en péril la vie et l’intégrité physique de six policiers. Le tribunal jugea en outre que les déclarations faites par le requérant sur son blog (paragraphe 10 ci-dessus) et dans son interview à la radio Azadliq (paragraphe 11 ci-dessus) prouvaient également que, même avant de se rendre à Ismayilli, il avait eu l’« intention d’organiser des troubles de grande ampleur » et qu’à Ismayilli il s’était rendu coupable d’incitation d’autrui à commettre des actes constitutifs de troubles et à désobéir à la police. En ce qui concerne les témoins Q.M, E.M., R.C., M.K., I.A., N.C. et N.M., qui avaient déclaré qu’aucun affrontement entre les manifestants et la police ne s’était produit à ce moment dans la ville et que ni le requérant, ni Tofig Yagublu n’avaient incité quiconque à la violence ou à la désobéissance, le tribunal estima que leurs déclarations contenaient des incohérences. En particulier, le tribunal constata ce qui suit : « Cependant, [Q.M.] a déclaré qu’après avoir salué [le requérant], il était allé dormir dans la voiture. En réalité, il ne savait pas ce que [le requérant et Tofig Yagublu] avaient fait pendant cette période. [M.K.] a déclaré qu’après être descendu de la voiture, Tofig Yagublu s’était rendu à pied jusqu’au bâtiment de l’AEDI, tandis qu’au cours de l’enquête préliminaire [M.K.] avait déclaré que [Q.M.] les avait quittés, qu’il avait lui-même souvent changé d’endroit pour enregistrer les personnes qui se déplaçaient sur la place, qu’il avait été séparé de Tofig Yagublu, que Tofig Yagublu s’était rendu à un autre endroit, qu’[un autre journaliste] prenait des photos, que [N.A., le directeur de l’AEDI] avait commencé à ce moment à donner une interview, et qu’alors qu’il se rendait à l’interview, Tofig Yagublu (...) avait été arrêté et emmené par des individus en tenue civile. [E.M.] a déclaré que Tofig Yagublu avait été arrêté avant l’interview donnée par [le directeur de l’AEDI], tandis que [R.C.] a déclaré que l’interview (...) avait duré environ vingt minutes au maximum et que, pendant cette période, il ne savait pas ce que [le requérant] et Tofig Yagublu avaient fait. Ainsi qu’on peut le remarquer à la lumière de ce qui précède, les témoins qui ont déclaré qu’ils s’étaient trouvés de manière ininterrompue aux côtés [du requérant] et de Tofig Yagublu ont dissimulé l’essence des faits en livrant des déclarations contradictoires. » Le tribunal jugea que si les déclarations de ces témoins étaient favorables au requérant et à Tofig Yagublu, c’était parce que ces témoins connaissaient personnellement les accusés et souhaitaient « les aider à échapper à leur responsabilité pénale ». Il refusa de reconnaître leurs déclarations comme « objectives, sincères et conformes à la réalité », estimant qu’elles étaient « incompatibles avec les faits de la cause et contredisaient les preuves irréfutables » de la culpabilité du requérant. Le tribunal jugea en outre que, de la même manière, les déclarations faites par le requérant et Tofig Yagublu lors du procès selon lesquelles il n’y avait pas eu de troubles de grande ampleur lorsqu’ils se trouvaient à Ismayilli ne reflétaient pas les circonstances réelles et avaient été effectuées pour permettre aux intéressés d’« échapper à leur responsabilité pénale ». Le tribunal des infractions graves de Shaki déclara le requérant coupable d’infractions aux articles 220.1 et 315.2 du code pénal et le condamna à une peine d’emprisonnement de sept ans. Les autres prévenus furent également reconnus coupables des accusations retenues à leur encontre et écopèrent de peines d’emprisonnement allant de deux ans et six mois à huit ans, assorties pour certaines d’un sursis. D. Le recours du requérant contre le jugement du 17 mars 2014 Le 14 avril 2014, l’un des avocats du requérant, M. F. Agayev, forma un recours contre le jugement rendu par le tribunal des infractions graves de Shaki le 17 mars 2014. L’avocat y soulignait d’emblée qu’au moment de la formation de ce recours, ni une copie intégrale du texte du jugement du 17 mars 2014 ni les procès-verbaux des audiences du procès n’avaient encore été mis à sa disposition. Il alléguait que le requérant avait été condamné à l’issue d’un simulacre de procès par un tribunal qui l’avait jugé sur la base d’une « présomption de culpabilité » tout au long de la procédure. Le Gouvernement avait selon lui utilisé la visite du requérant à Ismayilli, que l’intéressé avait effectuée, en qualité de personnalité politique d’opposition, pour découvrir les éléments à l’origine des événements du 23 janvier 2013, comme prétexte pour le sanctionner pour ses critiques politiques selon lui légitimes, décision qu’il estimait avoir été prise longtemps avant les événements d’Ismayilli. Pour l’avocat, les droits de la défense avaient été gravement restreints en ce que la majorité de ses requêtes et objections dûment fondées avaient été sommairement rejetées ; la défense n’avait pu obtenir un accès approprié aux procès-verbaux du procès et à certaines preuves (parmi lesquelles certains enregistrements vidéo) ; les avocats de la défense n’avaient pas été autorisés à utiliser différents dispositifs techniques, comme un ordinateur portable et une tablette, pendant les audiences du procès, etc. 100. Les accusations formelles contre le requérant (paragraphes 15 et 19 ci-dessus) avaient été rédigées d’une manière qui ne respectait pas les normes de la langue azerbaïdjanaise, de sorte qu’il était difficile de comprendre ce qu’il était exactement reproché au requérant. Les allégations factuelles émises à son encontre étaient floues et ne correspondaient pas aux éléments des infractions pénales réprimées par les articles 220.1 et 315.2 du code pénal. Étant donné que le requérant n’était resté à Ismayilli que pendant une durée approximative d’une heure et qu’il n’avait aucune relation personnelle avec l’une quelconque des personnes impliquées dans les émeutes de la nuit précédente, il était extrêmement improbable – et même physiquement impossible – qu’il eût « organisé » des troubles de grande ampleur dans un aussi bref délai que celui indiqué dans les accusations formelles. 101. Le requérant avait été accusé et reconnu coupable d’avoir organisé l’éclatement de troubles de grande ampleur qui ne s’étaient jamais produits. Toutes les preuves pertinentes et fiables présentées au procès avaient clairement montré qu’il n’y avait pas eu d’actes constitutifs de troubles de grande ampleur dans l’après-midi du 24 janvier 2013 lorsque le requérant se trouvait dans la ville. 102. Premièrement, tous les enregistrements vidéo et les autres éléments de preuve matériels pertinents montraient qu’il ne s’était pas produit d’affrontements avec la police dans l’après-midi du 24 janvier 2013 et que le requérant n’avait incité personne à la violence ou à la désobéissance. 103. En particulier, un enregistrement vidéo extrait à l’origine du site web d’Obyektiv TV, géré par une ONG appelée « Institute for Reporters Freedom and Safety » (Institut pour la liberté et la sécurité des reporters, « IFRS »), avait fait l’objet d’un montage avant d’être examinée par le tribunal (paragraphes 69 et 70 ci-dessus). En ce qui concerne les passages de la vidéo montrant des affrontements entre des manifestants et la police (il apparaît que l’avocat faisait référence à ce sujet aux scènes décrites au paragraphe 70 ci-dessus), la taille et l’orientation des ombres projetées par les bâtiments, les individus et les autres objets montraient clairement que la vidéo avait été tournée dans la matinée. Ce constat avait également été confirmé par le président de l’IFRS dans une lettre datée du 24 janvier 2014. La version complète, sans montage, de la vidéo jointe à cette lettre contenait des scènes tournées dans l’après-midi du 24 janvier 2013 qui montraient de nombreux véhicules de police circulant dans la rue M.F. Akhundov en direction du bâtiment de l’AEDI, aucun manifestant n’étant présent. Elle montrait ensuite le requérant, N.C. et N.M. debout près du Département de l’éducation et discutant entre eux dans le calme, aucune autre personne ne se trouvant à proximité. Après cela, on pouvait voir Tofig Yagublu parler à R.C. et à deux autres personnes (il apparaît que ces passages correspondent aux scènes décrites au paragraphe 69 ci-dessus), puis être conduit jusqu’à une voiture par des policiers et emmené. Une interview avec le directeur de l’AEDI suivait. Tout au long de la vidéo, la situation dans la ville au cours de l’après-midi du 24 janvier 2013 était calme et sous le contrôle de la police. 104. Une vidéo fournie par le journal Yeni Musavat montrait l’absence de tout affrontement entre les manifestants et la police durant l’après-midi du 24 janvier 2013. D’après l’avocat du requérant, le tribunal de première instance avait versé cette vidéo au dossier mais, pour des raisons inexpliquées, avait décidé de ne pas l’utiliser en tant que preuve. 105. Une troisième vidéo avait été examinée durant le procès. Elle avait été enregistrée par une caméra installée sur le bâtiment d’Unibank et orientée vers la zone de la rue M.F. Akhundov, près du bâtiment du Département régional de l’éducation. Sous cet angle, si un quelconque groupe de personnes était passé à proximité du Département de l’éducation en direction du bâtiment de l’AEDI, il serait certainement apparu dans l’enregistrement. Les parties de la vidéo correspondant à la période comprise entre 16 heures et 17 heures le 24 janvier 2013 ne montraient toutefois aucune foule ni même aucun petit groupe de manifestants dans cette zone. 106. Les relevés de géolocalisation du téléphone portable du requérant indiquaient qu’il avait quitté la ville d’Ismayilli à 16 h 58. De même, les relevés de géolocalisation du téléphone portable de Tofig Yagublu indiquaient qu’il avait quitté la ville à 17 h 17. 107. À plusieurs occasions, la défense avait demandé au tribunal d’examiner une série d’articles de presse et de reportages datant de la période des faits émanant de différentes agences d’information, chaînes de radio et de télévision et autres sources de médias grand public qui avaient suivi de près les événements d’Ismayilli. Aucun d’entre eux ne faisait état d’une quelconque agitation à Ismayilli dans l’après-midi du 24 janvier 2013 ; ils mentionnaient seulement des affrontements survenus dans la soirée, à partir d’environ 20 heures. Le tribunal avait toutefois rejeté les demandes d’examen de ces éléments qui avaient été soumises par la défense. 108. Deuxièmement, la version des faits donnée par le requérant était puissamment corroborée par les déclarations de Tofig Yagublu, N.C., N.M., M.K., R.C., I.A., Q.M., E.M. et d’autres. Tous avaient affirmé qu’aucun affrontement ne s’était produit dans l’après-midi du 24 janvier 2013 et que le requérant n’avait incité personne à commettre le moindre acte constitutif de troubles. Ces affirmations étaient cohérentes entre elles et elles étaient également corroborées par l’ensemble des preuves matérielles telles que décrites ci-dessus. 109. Deux des accusés, E.I. et M.A., avaient déclaré à l’unisson que des agitations s’étaient produites à Ismayilli dans la matinée du 24 janvier 2013, mais qu’ils n’étaient pas dans la ville l’après-midi. Ni les autorités d’enquête, ni le tribunal n’avaient pris la peine de vérifier leurs alibis. Leurs déclarations corroboraient en outre indirectement la version des faits donnée par le requérant, selon laquelle il n’y avait pas eu d’agitations au cours de l’après-midi du 24 janvier 2013. De surcroît, tous deux avaient affirmé devant le tribunal que les autorités d’enquête leur avaient infligé des mauvais traitements dans le but d’obtenir des déclarations incriminant le requérant. 110. Trois policiers avaient mentionné dans leurs déclarations qu’il n’y avait pas eu d’agitations dans l’après-midi du 24 janvier 2013. Un policier avait témoigné qu’il avait été blessé par un jet de pierre dans la matinée. Leurs déclarations corroboraient également la version des faits donnée par le requérant. 111. En ce qui concerne les témoins qui avaient déposé contre le requérant, la majorité d’entre eux étaient des policiers. Leurs déclarations étaient contradictoires, fausses, incohérentes sur plusieurs points de détail (l’heure et l’endroit exact où ils étaient censés avoir vu le requérant et Tofig Yagublu, par exemple) et incompatibles avec l’ensemble des enregistrements vidéo et des autres preuves matérielles. 112. En particulier, l’allégation selon laquelle six policiers avaient été heurtés par des jets de pierre dans l’après-midi du 24 janvier 2013 était fausse. Aucun de ces policiers n’avait signalé qu’il avait été blessé ou heurté par des jets de pierre immédiatement ou peu de temps après le prétendu incident. Tous avaient été reconnus comme « victimes d’infractions » et interrogés par l’accusation pour la première fois entre le 24 et le 27 juin 2013 seulement, soit cinq mois après les événements. Aucune preuve médicale de leurs blessures n’avait été présentée. En revanche, les blessures subies par sept policiers le 23 janvier et aux premières heures du 24 janvier 2013 avaient été documentées rapidement, le jour même ou quelques jours plus tard. Dans ces circonstances, il ne faisait aucun doute que les six policiers précités avaient fabriqué des faux témoignages contre le requérant. Le requérant avait demandé formellement au tribunal de les exclure du procès en tant que « victimes d’infractions », mais sans succès. 113. Lors de son contre-interrogatoire par la défense au cours d’une audience du procès, l’un des six policiers précités s’était montré incapable, avant d’y être aidé par un procureur, de citer les noms des membres de l’unité de police dans laquelle il avait été déployé et de situer avec précision l’endroit où il se trouvait à Ismayilli au moment où il était censé avoir vu le requérant. Lorsque l’avocat de la défense avait souhaité l’inviter à désigner, sur un plan officiel d’Ismayilli, l’endroit exact où il avait vu le requérant et Tofig Yagublu haranguer la foule, le juge présidant le procès avait interdit l’utilisation du plan. Lorsqu’ensuite l’avocat de la défense avait invité le policier à décrire sa localisation par référence à divers repères à proximité du Département régional de l’éducation, le juge présidant le procès avait écarté la question. L’avocat de la défense avait alors soulevé une deuxième objection à la composition du tribunal. En réponse, le juge présidant le procès avait décidé, premièrement, de ne pas examiner cette objection et, deuxièmement, d’infliger une amende d’un montant de 220 AZN à l’avocat au motif qu’il avait déposé une objection non fondée dans le but de retarder l’audience. Par la suite, les avocats de tous les accusés, estimant qu’il leur avait été démontré sans ambiguïté qu’une telle mesure n’aurait aucune utilité, avaient renoncé à formuler de nouvelles objections. 114. De même, les autres policiers s’étaient montrés incapables de répondre aux questions de la défense cherchant à obtenir des éclaircissements ou avaient fait des déclarations qui s’écartaient sensiblement de leurs déclarations originelles, avant d’opérer un revirement pour revenir de plus belle à leurs déclarations antérieures au procès dès la reprise de l’audience après une suspension imposée par le tribunal. Dans certains cas, le tribunal avait renvoyé les policiers qui témoignaient à la barre avant que la défense eût pu terminer le contre-interrogatoire. 115. Lors du procès, l’un des policiers (paragraphe 50 ci-dessus) avait en outre rétracté la déclaration écrite qu’il avait signée avant le procès, affirmant que tout ce qu’elle contenait était le fruit de l’imagination d’un enquêteur. 116. L’avocat du requérant expliquait que, lors du procès, le témoin R.B. (paragraphe 56 ci-dessus) avait déclaré que le 24 janvier 2013 entre environ 16 heures et 17 heures il n’avait vu qu’une vingtaine de personnes dans le centre-ville et que, bien qu’il eût vu le requérant et Tofig Yagublu parmi ces personnes, il n’avait pas entendu le contenu de leurs conversations avec les personnes qui les entouraient. 117. L’avocat alléguait en outre que R.N. était un « faux témoin » qui avait été engagé par la police et que les deux témoins R.N. et I.M. avaient sciemment fait des déclarations fausses et contradictoires (paragraphes 53 et 54 ci-dessus). 118. En conclusion, l’avocat du requérant soutenait qu’un examen adéquat des preuves disponibles montrait clairement que, contrairement à la version des faits donnée par l’accusation, aucun acte constitutif de troubles de grande ampleur ne s’était produit au moment où le requérant se trouvait dans la ville (entre 16 heures et 17 heures environ), que quelques affrontements entre des manifestants et la police étaient survenus plusieurs heures avant l’arrivée de l’intéressé dans la ville (entre environ 10 heures et 11 heures) et plusieurs heures après son départ de la ville (intervenu vers 20 heures). Il avait été démontré que les affirmations contraires des témoins à charge étaient contradictoires, non fiables ou fausses et qu’elles n’étaient pas corroborées par les preuves matérielles disponibles. En conséquence, il n’existait aucun corpus delicti relativement aux infractions pénales dont le requérant avait été jugé coupable. E. Examen du recours du requérant, recours ultérieurs et suite de la procédure 119. Avant l’examen du recours, le 2 juin 2014 le requérant saisit la cour d’appel de Shaki d’une demande de consultation de la partie des procèsverbaux des audiences du procès à laquelle il n’avait pas encore eu accès. Sa demande fut accueillie, et la date de consultation des procès-verbaux fut fixée au 9 juin 2014. Les 6 et 9 juin 2014, le requérant notifia à la cour d’appel par voie de requête qu’il se désistait de sa requête antérieure et qu’il demandait à la place un examen diligent de son recours. 120. Au cours de l’instruction du recours par la cour d’appel de Shaki, les avocats du requérant déposèrent une série de requêtes réitérant les demandes qu’ils avaient adressées au tribunal de première instance. Il apparaît qu’elles furent toutes rejetées. 121. Par un arrêt du 24 septembre 2014, la cour d’appel de Shaki confirma la condamnation et la peine du requérant, reproduisant en substance le raisonnement du tribunal de première instance en ce qui concerne les charges retenues à son encontre. Cet arrêt ne répondait à aucun des arguments que le requérant avait formulés dans son recours. 122. En novembre 2014, les avocats du requérant émirent un certain nombre d’observations sur le procès-verbal des audiences de l’appel et demandèrent des modifications. La cour d’appel de Shaki refusa de modifier ces procès-verbaux. 123. Le 14 novembre 2014, les avocats du requérant, répétant les arguments avancés dans le recours précédent, formèrent un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. 124. Le 19 novembre 2014, un juge de la Cour suprême demanda tous les éléments du dossier au tribunal des infractions graves de Shaki. Lors de la première audience, tenue le 13 janvier 2015, la Cour suprême décida, en l’absence de toute objection, de reporter la suite des audiences sur l’affaire sine die au motif qu’il lui fallait davantage de temps pour examiner le dossier. Les audiences reprirent le 13 octobre 2015. 125. Par une décision du 13 octobre 2015, la Cour suprême annula l’arrêt de la cour d’appel de Shaki du 24 septembre 2014 au motif que le rejet, par cette juridiction inférieure, des demandes de la défense tendant à faire entendre des témoins à décharge supplémentaires (en particulier, deux membres du REAL et un directeur d’une ONG) et à faire examiner d’autres preuves (en particulier, des articles de presse de différentes agences de médias datant de l’époque des faits, des relevés de téléphonie mobile supplémentaires, des enregistrements vidéo supplémentaires, etc.) n’avait pas été suffisamment motivé et avait enfreint les règles de procédure nationales et les exigences de l’article 6 de la Convention. L’affaire fut donc renvoyée devant la cour d’appel pour un nouvel examen. F. Nouvel examen par la cour d’appel de Shaki 126. Avant le nouvel examen de l’affaire par la cour d’appel de Shaki, le requérant, qui purgeait alors sa peine au centre pénitentiaire no 2 de Bakou, écrivit à plusieurs reprises à cette juridiction de deuxième instance pour renoncer à son droit d’assister personnellement aux audiences d’appel qui devaient se tenir à Shaki, se disant persuadé que ses avocats assureraient dûment sa défense en son absence. La cour d’appel de Shaki répondit à chaque fois en expliquant que, conformément au droit national, la présence de l’accusé aux audiences était obligatoire en appel et en l’invitant à y comparaître. Le 20 avril 2016, la cour décida finalement que le requérant devait être amené à Shaki pour les audiences d’appel. 127. Au cours des audiences devant la cour d’appel de Shaki, les avocats du requérant déposèrent une série de demandes, qui tendaient notamment à faire libérer le requérant, à faire déclarer irrecevables les déclarations des témoins à charge qui auraient été recueillies illégalement (notamment celles mentionnées aux paragraphes 48 et 52-56 ci-dessus) ainsi que d’autres preuves produites par l’accusation (notamment les lettres du commissariat régional d’Ismayilli et du ministère de la Sécurité nationale), à faire entendre d’autres témoins de la défense, à faire admettre et examiner des articles de presse datant de l’époque des faits qui émanaient de différentes agences d’information et à faire examiner la vidéo enregistrée par la caméra installée sur le bâtiment d’Unibank. Il apparaît que toutes ces requêtes, excepté les deux premières, furent acceptées. 128. La juridiction d’appel réexamina les éléments du dossier du procès tenu en première instance et, en complément, elle examina de nouvelles preuves. En particulier, elle entendit deux nouveaux témoins à décharge (tous deux membres du REAL). Il ressort du dossier que leurs déclarations ne contenaient pas de précisions significatives au sujet des accusations portées à l’encontre de requérant. Le tribunal examina également plusieurs articles de presse datant de l’époque des faits et la « vidéo d’Unibank ». 129. Par un arrêt du 29 avril 2016, la cour d’appel de Shaki confirma la condamnation et la peine du requérant. Ci-dessous figure le résumé du raisonnement exposé par la cour d’appel dans son arrêt. 130. L’appréciation par la cour d’appel des preuves examinées au cours des audiences de première instance et d’appel commençait dans les termes suivants : « Ayant visionné l’enregistrement de la caméra de vidéosurveillance installée au niveau du distributeur automatique de billets Unibank dans la ville d’Ismayilli, caméra orientée vers la rue M.F. Akhundov, qui mène aux bâtiments administratifs de l’AEDI et du Département de l’éducation, la cour a constaté que le 24 janvier 2013 entre 16 heures et 17 heures, [la situation] était relativement calme dans cette rue. Ayant examiné [les articles] de l’APA, de Trend et d’autres médias grand public (...), la cour a noté que les médias avaient annoncé que, dans le prolongement des événements qui avaient débuté le 23 janvier 2013, il régnait une situation générale de confrontation et de tension dans le centre d’Ismayilli le 24 janvier 2013 entre 16 heures et 18 heures [et qu’ils avaient également fait état d’un] nombre croissant de personnes réunies dans les rues à proximité des bâtiments des organismes gouvernementaux. (...) Il est indiqué dans l’édition du 25 janvier 2013 du journal Yeni Musavat Online (...) que [E.M.], le correspondant du journal dépêché à Ismayilli, avait signalé le 24 janvier 2013 à 16 h 5 ce qui suit : « En ce moment, de nombreux véhicules – autobus, canons à eau et autres véhicules, dont il se dit qu’ils viennent de Bakou – pénètrent dans la ville. La foule grandit autour de la zone où sont installés les organismes gouvernementaux et la tension persiste. » À 17 heures, il avait ajouté : « (...) malgré la mobilisation de forces supplémentaires, la foule grossit dans les rues où sont situés les organismes gouvernementaux et aux alentours. D’après des rumeurs locales, la manifestation, qui a débuté hier dans le centre-ville, devrait se poursuivre après la tombée de la nuit. » » 131. La cour d’appel fit également référence, à titre de preuves, aux lettres du commissariat régional d’Ismayilli et du ministère de la Sécurité nationale, telles que décrites dans le jugement en première instance (paragraphe 73 ci-dessus). 132. L’arrêt se poursuivait dans les termes suivants : « La cour n’admet comme preuves ni les déclarations des témoins [Q.M., E.M., R.C., M.K., I.A., N.C. et N.M.] selon lesquelles il n’y a pas eu d’émeutes le 24 janvier 2013 entre 16 heures et 17 heures, ni les déclarations [du requérant et de Tofig Yagublu] selon lesquelles ils n’ont pas incité le public à se révolter ou à résister à la police, il n’y a pas eu d’émeutes le 24 janvier 2013 entre 16 heures et 17 heures et ils n’ont passé que cinq à dix minutes à Ismayilli. En particulier, [Q.M.] a déclaré qu’après avoir salué [le requérant], il était allé dormir dans la voiture et ignorait en réalité ce que [le requérant et Tofig Yagublu] avaient fait pendant ce temps. [M.K.] a déclaré qu’après être descendu de la voiture, Tofig Yagublu s’était rendu à pied jusqu’au bâtiment de l’AEDI, tandis qu’au cours de l’enquête préliminaire, [M.K.] avait déclaré que [Q.M.] les avait quittés, qu’il avait lui-même souvent changé d’endroit pour enregistrer les personnes qui se déplaçaient sur la place, qu’il avait été séparé de Tofig Yagublu, que Tofig Yagublu s’était rendu à un autre endroit, qu’[un autre journaliste] avait pris des photos, que [le directeur de l’AEDI] avait commencé à ce moment à donner une interview, et qu’alors qu’il se rendait à l’interview, Tofig Yagublu (...) avait été arrêté et emmené par des individus en tenue civile. [E.M.] a déclaré que Tofig Yagublu avait été arrêté avant l’interview donnée par [le directeur de l’AEDI], tandis que [R.C.] a déclaré que l’interview (...) avait duré environ vingt minutes au maximum et que, pendant cette période, il ne savait pas ce que [le requérant] et Tofig Yagublu avaient fait. Ainsi qu’on peut le remarquer à la lumière de ce qui précède, les témoins qui ont déclaré qu’ils s’étaient trouvés de manière ininterrompue aux côtés [du requérant] et de Tofig Yagublu ont dissimulé l’essence des faits en livrant des déclarations contradictoires. De plus, dans l’interview qu’il a donnée à (...) la radio Azadliq le 24 janvier 2013 de 17 h 41 à 17 h 46, Tofig Yagublu a déclaré qu’« [il avait été] détenu au poste de police pendant une quarantaine de minutes (...) [Il avait été] conduit dans le bureau [de S.K.] au poste de police [qui avait prétendu que Tofig Yagublu] s’était rendu sur place pour organiser un sabotage et préparer le public à davantage de manifestations. [La police avait alors acquis la conviction que Tofig Yagublu était bel et bien chroniqueur pour un journal.] C’est pourquoi [il avait été] relâché. » Cette interview prouve que Tofig Yagublu n’avait pas été emmené au poste de police sans raison, mais qu’il avait été arrêté (...) à cause de ses actions cherchant les perturbations et le sabotage. » 133. La cour releva ensuite que les déclarations de dix policiers, dont cinq des six agents qui se disaient victimes d’infractions (paragraphes 47 et 48 ci-dessus), et des témoins R.N., I.M. et R.B. (paragraphes 52-56 cidessus) indiquaient que le 24 janvier 2013 entre environ 16 heures et 17 heures, des troubles de grande ampleur s’étaient produits devant le bâtiment du Département régional de l’éducation et que le requérant et Tofig Yagublu avaient incité les personnes présentes à se révolter et à résister à la police. 134. La cour fit référence à l’interview donnée par le requérant à la radio Azadliq (paragraphe 11 ci-dessus). D’après l’interprétation de la cour, et contrairement à ce que le requérant avait affirmé dans la procédure judiciaire, le contenu de cette interview montrait que la situation n’était pas calme à Ismayilli pendant sa visite. 135. En ce qui concerne les témoignages favorables au requérant, la cour conclut comme suit : « Étant arrivée à la même conclusion que la juridiction de première instance, la cour considère que (...) les témoins [Q.M., E.M., R.C., M.K., I.A., N.C. et N.M.] ont souhaité aider [le requérant et Tofig Yagublu], qu’ils connaissaient et auxquels ils étaient liés, à échapper à leur responsabilité pénale. Les circonstances spécifiques décrites dans leurs déclarations ne sauraient être reconnues comme objectives, sincères et authentiques car elles ne concordent pas avec les circonstances factuelles de l’affaire et s’opposent à d’autres preuves, qui sont irréfutables. » 136. Pour ce qui est de la vidéo enregistrée par la caméra installée sur le bâtiment d’Unibank, la cour en donna l’analyse suivante : « La cour observe que les déclarations [du requérant et de Tofig Yagublu] (...) ne concordent pas avec les circonstances réelles de l’affaire. [Leurs] déclarations (...) revêtent un caractère d’autodéfense et sont destinées à permettre aux intéressés d’échapper à leur responsabilité pénale. À titre de preuve principale censé étayer leurs affirmations, ils s’appuient sur l’enregistrement du 24 janvier 2013 de la caméra de vidéosurveillance installée au distributeur automatique de billets d’Unibank, qui est orientée vers la rue M.F. Akhundov, qui conduit aux bâtiments administratifs de l’AEDI et du Département de l’éducation. Bien que cet enregistrement montre qu’entre environ 16 heures et 17 heures la situation était relativement calme dans cette rue, il ne s’agit pas de l’unique rue menant au centre (à [l’immeuble de] l’AEDI) ; de plus, il ne saurait être exclu que des personnes aient pu circuler une par une dans cette rue en direction du bâtiment de [l’AEDI] et se rassembler [plus tard] à cet endroit ou qu’elles aient pu arriver au centre depuis d’autres directions (...) » 137. En ce qui concerne les preuves vidéo examinées initialement par la juridiction de première instance, la cour d’appel de Shaki mentionna l’enregistrement montrant le requérant et Tofig Yagublu « dans le centreville d’Ismayilli, en face du bâtiment administratif du Département de l’éducation, à un endroit où des troubles de grande ampleur [avaient] eu lieu », sans préciser le moment de la journée auquel la scène avait été filmée (paragraphes 69 et 103 ci-dessus). La cour d’appel de Shaki ne mentionna toutefois aucun des autres enregistrements vidéo du 24 janvier 2013 sur lesquels la juridiction de première instance s’était appuyée, qui montraient des affrontements entre des manifestants et la police (paragraphes 70 et 103 ci-dessus). 138. La cour d’appel fit par ailleurs remarquer que, d’après les informations communiquées par la juridiction de première instance, 44 personnes avaient été arrêtées sur le fondement du code des infractions administratives au cours de la journée du 24 janvier 2013, dont neuf personnes entre 16 heures et 19 heures. Elle y vit un élément attestant que la situation dans la ville n’était pas calme au moment où le requérant s’y trouvait. 139. L’arrêt se poursuivait ainsi : « [Le requérant et Tofig Yagublu] prétendent que les preuves recueillies à leur encontre par l’accusation étaient fausses. À titre d’exemple, ils évoquent le témoignage de [R.N.], qui avait participé en qualité de témoin instrumentaire à l’inspection de la scène des événements [de la nuit précédente] le 24 janvier 2013 de 10 heures à 16 h 10 et qui avait ensuite témoigné qu’aux environs de 17 heures le même jour, il avait vu [le requérant et Tofig Yagublu inciter les personnes présentes à commettre des actes constitutifs de troubles]. [Ils] affirment que [R.N.] est un collaborateur de la police et que la police lui avait donné l’ordre de témoigner contre eux. La cour estime toutefois que la présence de [R.N.] en qualité de témoin instrumentaire pendant l’inspection de la scène des événements n’implique pas qu’il lui aurait été impossible d’observer un événement s’étant déroulé une heure plus tard et d’en être témoin. » 140. La cour d’appel fit ensuite une digression relativement longue au sujet de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Ilgar Mammadov (précité). 141. Puis elle poursuivit ainsi : « Loin de prétendre émettre une appréciation sur le jugement émis par la Cour européenne dans son arrêt précité, la cour estime que les actes illicites [du requérant et de Tofig Yagublu] doivent avant tout être analysés à travers le prisme des événements qui se sont produits à Ismayilli les 23 et 24 janvier 2013. Ce sont en effet ces événements qui ont constitué le fondement et le motif de l’ouverture de la procédure pénale et des poursuites pénales contre [le requérant, Tofig Yagublu] et d’autres. Ainsi que nous l’avons déjà expliqué, les 23 et 24 janvier 2013 à Ismayilli, sous la houlette des accusés et avec leur participation active, une foule constituée d’un grand nombre d’habitants s’est rassemblée spontanément et elle a détruit en l’incendiant et partiellement pillé le bâtiment de l’hôtel Chirag, détruisant des aménagements et des articles se trouvant à l’intérieur du bâtiment ainsi que des effets personnels des clients et du personnel de l’hôtel ; [la foule a également détruit, en les incendiant,] trois véhicules se trouvant dans l’enceinte de l’hôtel, endommagé au moyen de pierres des maisons et des voitures se trouvant dans les rues [et également détruit, en les incendiant,] des biens privés de personnes n’ayant aucun lien avec les événements, et elle a finalement infligé des lésions corporelles à un certain nombre de personnes, dont de nombreux policiers qui accomplissaient leur devoir officiel de rétablissement de l’ordre public. Dans la foulée de ces événements, une procédure pénale a été ouverte le 23 janvier 2013 au titre des articles 186.2.2, 221.2.1, 233 et 315.2 du code pénal de la République d’Azerbaïdjan et dix-huit personnes ont été inculpées [dans le cadre de cette procédure], plus de cinquante personnes ont vu leur responsabilité administrative engagée et vingt-quatre personnes ont été reconnues en tant que victimes. Les événements délictueux qui ont eu lieu à Ismayilli ont pendant plusieurs jours constitué le sujet d’actualité qui a fait l’objet de la plus large couverture à la fois dans des médias locaux et dans les médias grand public étrangers réputés. Autrement dit, ce ne sont pas des événements ordinaires qui se sont produits à Ismayilli. Concernant la participation [du requérant] à ces événements et les infractions pénales commises par lui, ainsi que les preuves relatives à ces infractions, il apparaît indispensable à la cour de répéter une nouvelle fois ce qui suit. Bien que [le requérant] affirme qu’il est arrivé à Ismayilli le 24 janvier 2013 à 15 h 46 et qu’il en est reparti avant 17 heures, l’examen de la facture détaillée des appels entrants et sortants sur son téléphone portable et de son article de blog du 25 janvier 2013, dans lequel il a partagé ses impressions sur son déplacement en écrivant : « Hier, j’ai passé un peu plus de deux heures à Ismayilli avec un autre membre de notre mouvement [REAL] et un coordinateur des médias », démontre que le 24 janvier 2013, [le requérant] est resté à Ismayilli de 15 h 46 à 18 heures. [Le requérant] affirme avec force qu’il n’y a pas eu de troubles de grande ampleur à Ismayilli pendant qu’il s’y trouvait. Cette affirmation est toutefois totalement réfutée par les éléments du dossier. » 142. À cet égard, la cour d’appel ajouta : « Des victimes [en particulier, cinq policiers (parmi les six mentionnés au paragraphe 48 ci-dessus), E.A. (paragraphe 44 ci-dessus) et V.Az. (paragraphe 43 cidessus)] ainsi que des témoins [en particulier, R.N., I.M. et R.B. (paragraphes 52-56 ci-dessus), mais aussi S.K. (paragraphe 45 ci-dessus) et quatre autres policiers (paragraphe 47 ci-dessus)] ont déclaré tant au cours de l’enquête préliminaire que lors du procès en première instance que, tout au long de la journée du 24 janvier 2013, y compris entre 16 heures et 18 heures, les émeutes de masse s’étaient poursuivies et des personnes réunies en bandes avaient attaqué le bâtiment [de l’AEDI] et jeté des pierres sur des policiers. Ils ont également témoigné qu’ils avaient vu, à distance l’un de l’autre, [le requérant et Tofig Yagublu] lever les mains, parler aux personnes qui les entouraient et leur dire : « N’ayez peur de rien, entrez dans le bâtiment de l’AEDI, caillassez les policiers ». À leur instigation, un groupe de personnes, auxquelles ils s’étaient joints, s’était mis en marche en direction du bâtiment de l’AEDI. La police avait tenté d’isoler [le requérant et Tofig Yagublu] de la foule en leur demandant de [s’écarter du groupe], mais ils avaient refuser d’obtempérer et rejoint l’arrière du groupe. Une autre circonstance qui mérite d’être relevée est que [deux policiers] ont fait ces déclarations le 28 janvier 2013 et que [R.N. et I.M.] ont fait leurs déclarations le 2 février 2013, c’est-à-dire avant l’arrestation [du requérant]. [R.N. et I.M.] ont par ailleurs confirmé leurs déclarations à l’occasion de confrontations directes avec [le requérant]. » 143. La cour d’appel fit ensuite une nouvelle fois référence aux informations publiées par le journal Yeni Musavat Online (paragraphe 130 ci-dessus) et aux informations publiées par le requérant sur sa page Facebook (paragraphe 10 ci-dessus). Puis elle répéta que neuf personnes avaient été arrêtées le 24 janvier 2013 entre 16 heures et 19 heures. 144. L’arrêt poursuivait ainsi : « Les circonstances précitées attestent que le 24 janvier 2013, alors que [le requérant et Tofig Yagublu] se trouvaient à Ismayilli, les événements battaient leur plein et la foule a attaqué le bâtiment de l’AEDI et commis des actes de violence à l’encontre de la police. » 145. La cour d’appel observa ensuite qu’il n’était pas « crédible » que le requérant se fût rendu à Ismayilli simplement pour recueillir des « informations de visu », considérant entre autres que ses publications sur Facebook visaient à « promouvoir la désobéissance ». 146. La cour considéra également que les publications postées par le requérant sur Facebook l’après-midi du 24 janvier 2013 et l’article publié par lui sur son blog le 25 janvier 2013 (paragraphe 10 ci-dessus) constituaient une preuve de son intention d’organiser des troubles de grande ampleur. Elle s’exprima ainsi à ce sujet : « Les [publications] précitées démontrent à nouveau qu’avant de se rendre à Ismayilli le requérant avait l’intention d’organiser des troubles de grande ampleur dans le but de défendre les aspirations du mouvement REAL en créant les conditions d’une révolte, et qu’une fois arrivé à Ismayilli il a mis son intention à exécution. » 147. La cour d’appel conclut son analyse comme suit : « Les circonstances précitées de l’affaire prouvent indubitablement que, le 24 janvier 2013, [le requérant] s’est rendu à Ismayilli et y a organisé des troubles de grande ampleur en compagnie de [Tofig Yagublu]. De surcroît, le même jour vers 17 heures, les intéressés sont parvenus, en tant que participants actifs, à faire en sorte qu’un groupe constitué de [E.I.], [M.A.] et d’autres personnes fasse route en masse en direction du bâtiment administratif de [l’AEDI] et jette des pierres sur les policiers qui faisaient barrage à [ce déplacement] conformément aux exigences de la loi, ce qui a entraîné un recours à la violence représentant un danger pour la vie et l’intégrité physique de [six policiers désignés nommément]. S’agissant de la possibilité que [le requérant et Tofig Yagublu] soient arrivés de Bakou et aient réussi, en l’espace de deux heures, à transformer des émeutes non organisées en des actes organisés de subversion, la cour considère qu’il n’est certes guère possible que les choses puissent se passer comme cela dans des circonstances normales, mais qu’il faut garder ici à l’esprit que [les émeutiers] tenaient [N.A.], le directeur de [l’AEDI], pour responsable des événements, qu’ils étaient furieux et que, comme [le requérant] lui-même l’a indiqué, « la situation était explosive ». [Le requérant et Tofig Yagublu] ont profité de ce facteur et, au moyen de slogans hostiles au gouvernement, ils ont attiré l’attention [des émeutiers], excité leur colère et commis ensuite les infractions pénales décrites cidessus. » G. Le pourvoi en cassation et la décision finale de la Cour suprême 148. Le 21 juin 2016, l’avocat du requérant, M. F. Agayev, forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Shaki du 29 avril 2016, réitérant les points soulevés dans ses recours précédents et soutenant en complément que la juridiction d’appel avait analysé les preuves d’une manière manifestement arbitraire. À titre d’exemple, il reprochait à cette juridiction de ne pas avoir dûment pris en considération les images qui avaient été filmées par la caméra d’Unibank, qu’il estimait contredire sans ambiguïté la version des faits donnée par l’accusation, selon laquelle la foule qui se trouvait dans la rue M.F. Akhundov s’était clairement dirigée vers les forces de police qui étaient stationnées à proximité du bâtiment de l’AEDI. Il ajoutait que c’était à tort que la cour avait conclu que le requérant avait quitté Ismayilli à 18 heures, indiquant que les relevés de géolocalisation de son téléphone portable montraient que son téléphone avait capté un signal dans le centre-ville pour la dernière fois à 16 h 58. 149. Par une décision du 18 novembre 2016, la Cour suprême confirma l’arrêt de la cour d’appel de Shaki du 29 avril 2016, considérant que la juridiction inférieure avait analysé correctement les preuves et appliqué correctement les dispositions du droit pénal et de la procédure pénale. H. Mesures prises à l’égard des avocats du requérant 150. Après le procès en première instance devant le tribunal des infractions graves de Shaki, le juge qui avait présidé le procès écrivit au barreau le 17 mars 2014 pour demander des mesures disciplinaires à l’encontre des avocats du requérant, M. F. Agayev et M. K. Bagirov. Il indiquait que les intéressés avaient enfreint des règles de procédure et les règles de bonne conduite des avocats à de multiples occasions tout au long du procès en soulevant des objections non autorisées, en formulant des remarques offensantes et irrespectueuses au sujet de plusieurs parties et du tribunal et en refusant de porter des toges d’avocat malgré ses demandes répétées. 151. Après la procédure menée devant la cour d’appel de Shaki, le juge qui avait présidé cette instance écrivit lui aussi, le 25 septembre 2014, au barreau pour l’inviter à prendre des mesures disciplinaires contre les deux avocats, indiquant qu’ils avaient adopté un comportement similaire tout au long de la procédure en appel. 152. Le 10 décembre 2014, le barreau conclut que M. K. Bagirov avait enfreint les règles d’éthique applicables aux avocats. Il décida de renvoyer son dossier devant un tribunal en vue de le faire radier du barreau et d’obtenir sa suspension dans l’attente de la décision du tribunal. Le 10 juillet 2015, le tribunal de district de Nizami rendit un jugement ordonnant la radiation du barreau de M. K. Bagirov. Ce jugement fut confirmé par les juridictions supérieures. M. K. Bagirov a déposé une requête auprès de la Cour à ce sujet (Bagirov c. Azerbaïdjan, no 28198/15, communiquée au gouvernement défendeur le 24 juin 2016). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal 153. L’article 220.1 du code pénal dispose ce qui suit : Article 220. Organisation de troubles de grande ampleur « 220.1. L’organisation de troubles de grande ampleur ou la participation à de tels troubles, lorsqu’ils s’accompagnent de faits de violence, de pillages, d’incendies criminels, de la destruction de biens, de l’usage d’armes à feu ou de substances ou dispositifs explosifs ou de la résistance armée à des agents publics (...) est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de quatre à douze ans. (...) » 154. L’article 315 du code pénal dispose ce qui suit : Article 315. Résistance à agents publics ou violences contre agents publics « 315.1. L’usage de la violence contre un agent public ou la résistance violente à un agent public dans le cadre de l’exercice par ledit agent de ses fonctions officielles, ou la commission, à l’égard des parents proches d’un tel agent public, d’actes de violence ne constituant pas un danger pour leur vie ou leur intégrité physique, ou la menace de la commission de tels actes de violence (...) est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de trois ans. 315.2. La commission, à l’égard des personnes citées à l’article 315.1 du présent code, d’actes de violence constituant un danger pour leur vie ou leur intégrité physique (...) est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de trois à sept ans. » B. Le code de procédure pénale 155. L’article 137 du code de procédure pénale (« le CPP ») dispose ce qui suit : Article 137. Utilisation comme preuves d’éléments obtenus à l’occasion de perquisitions « Si les éléments obtenus à l’issue d’une perquisition ont été obtenus conformément à la loi de la République d’Azerbaïdjan relative aux perquisitions et sont présentés et vérifiés conformément aux exigences du présent code, ils peuvent être admis comme preuves aux fins de poursuites pénales. » 156. L’article 419 du CPP dispose ce qui suit : Article 419. Examen au fond d’un pourvoi en cassation (kassasiya şikayəti) ou d’une « protestation » en cassation (kassasiya protesti) « 419.1. Lors de l’examen au fond d’un pourvoi en cassation ou d’une « protestation » en cassation, la Cour suprême s’intéresse exclusivement aux points de droit et vérifie si les règles du droit pénal et du présent code ont été dûment appliquées. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965. Lors de l’introduction de sa requête, il se trouvait en détention, en exécution d’une condamnation pour des infractions à caractère économique. A. La détention du requérant et ses demandes d’interruption de peine pour des raisons de santé En 2002, le parquet national de lutte contre la corruption ouvrit des poursuites à l’encontre du requérant, qui était accusé d’avoir participé à un vaste réseau criminel opérant dans le domaine économique, et impliquant plusieurs dizaines de personnes et une centaine de sociétés commerciales. Avec la complicité de fonctionnaires bancaires, des crédits frauduleux étaient accordés à ces sociétés, l’argent étant ensuite détourné au profit des accusés. Par un arrêt définitif du 28 février 2013, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant du chef d’association de malfaiteurs à une peine de trois ans et quatre mois de prison. Entre-temps, en novembre 2012, le requérant avait été diagnostiqué comme souffrant d’un cancer de la prostate. À cette date, la maladie se trouvait déjà à un stade avancé et le requérant présentait des métastases osseuses, des hématomes au niveau du cerveau et des hémorragies oculaires. Le 27 novembre 2012, le requérant avait été admis à l’institut d’oncologie de Bucarest, qu’il avait quitté le 11 janvier 2013. Du 14 au 18 janvier 2013, il avait été à nouveau hospitalisé. Il avait subi une intervention chirurgicale de la prostate et commencé une chimiothérapie. Il avait par la suite été hospitalisé plusieurs fois pour de courtes durées. Dès le mois de janvier, le diagnostic établi par le médecin oncologue avait attesté du caractère grave de l’état de l’intéressé. Ce pronostic était une issue fatale à court terme en raison de la dissémination osseuse de la maladie, contre laquelle les ressources thérapeutiques étaient insuffisantes. Le 26 février 2013, une commission médicale avait examiné le requérant et lui avait délivré un certificat attestant qu’il souffrait d’un handicap sévère. Le 28 février 2013, le requérant fut hospitalisé au service d’oncologie de l’hôpital de Bacău. Son état s’était dégradé et il souffrait de douleurs osseuses. Le requérant continua la chimiothérapie et resta hospitalisé jusqu’au 4 mars 2013, date à laquelle il fut remis aux policiers venus l’emmener à la prison de Bacău pour qu’il commençât l’exécution de sa peine. Le même jour, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, demanda au tribunal départemental de Bacău d’interrompre l’exécution de sa peine pour raisons de santé. Il indiqua que, dès lors que son traitement ne pouvait pas lui être administré en prison, sa vie était en danger. Le 27 mars 2013, il fut transféré à l’hôpital de la prison de Rahova. Le 5 avril 2013, il retourna à la prison de Bacău. Le 15 avril 2013, il fut de nouveau admis à l’hôpital de la prison de Rahova, avant d’être transféré, le 28 mai 2013, à la prison de Bacău. Le tribunal demanda à une commission de l’institut national de médecine légale un rapport concernant l’état du requérant. À la demande de la commission, le requérant subit plusieurs examens médicaux qui indiquèrent que son état nécessitait des séances de radiothérapie et la poursuite de la chimiothérapie. Il ressortait par ailleurs des documents médicaux mis à la disposition de la commission que le requérant avait bénéficié de séances de chimiothérapie le 12 avril 2013 à l’hôpital de Bacău et les 10 et 17 mai 2013 à l’institut d’oncologie de Bucarest. Dans son rapport du 19 juin 2013, la commission concluait que la survie du requérant dépendait de la surveillance médicale dont celui-ci faisait l’objet et d’un traitement complexe qui ne pouvait lui être administré que dans des établissements spécialisés relevant du ministère de la Santé. Par conséquent, elle estimait que le tribunal devait décider soit d’interrompre l’exécution de la peine du requérant soit d’hospitaliser l’intéressé, sous surveillance, dans l’un des établissements susmentionnés. Le 25 juin 2013, le tribunal accueillit la demande du requérant et ordonna l’interruption de l’exécution de la peine pour une période de trois mois. Il estima, eu égard à la gravité de la maladie du requérant, que l’hospitalisation sous surveillance réduisait considérablement les chances de survie et de guérison en raison du stress et de la souffrance psychique induits par la poursuite de l’exécution de la peine. Par ailleurs, il souligna que le requérant ne présentait pas de menace pour l’ordre public, que la peine, dont un tiers avait déjà été exécutée, était relativement faible et que l’intéressé avait fait preuve d’une bonne conduite tout au long du procès pénal. Le parquet interjeta appel. Le requérant fut libéré le même jour. Les 4 et 19 juillet 2013, il effectua des séances de chimiothérapie à l’hôpital de Bacău et poursuivit le traitement les 1er et 16 août 2013 à l’institut d’oncologie de Bucarest. Le 29 août 2013, la cour d’appel de Bacău examina l’appel du parquet. Par un arrêt définitif rendu le même jour, elle accueillit l’appel et rejeta la demande du requérant. Se fondant sur les articles 455 et 453 du code de procédure pénale (ci-après, le « CPP » - voir paragraphe 34 ci-après), la cour d’appel jugea que l’interruption de l’exécution de la peine n’était pas justifiée tant que le traitement pouvait se poursuivre, sous surveillance, dans un hôpital civil. Dans une opinion dissidente, l’un des juges de la formation de jugement estimait quant à lui que des motifs humanitaires militaient en faveur de l’interruption de la peine ; par conséquent, eu égard à l’état du requérant, il considérait que le maintien en détention de l’intéressé ne respectait pas le principe de proportionnalité et amenuisait les chances de survie de ce dernier. Le 31 août 2013, le requérant fut écroué à la prison de Bacău pour exécuter sa peine. Le 24 septembre 2013, il fut transféré à la prison de Vaslui. Le 27 septembre 2013, il fut admis à l’hôpital de la prison de Rahova. Le 3 octobre 2013, il retourna à la prison de Vaslui. Le 4 octobre 2013, le requérant fut admis à l’hôpital de la prison de Târgu Ocna, avec un diagnostic de « néoplasie de la prostate avec métastases osseuses et cérébrales ». Le même jour, constatant la dégradation de l’état général du requérant, une équipe pluridisciplinaire de l’hôpital de la prison de Târgu Ocna nomma un détenu pour assister le requérant de manière permanente dans sa vie quotidienne. Ce détenu aurait accompagné le requérant jusqu’à la date de son dernier transfert à l’hôpital de Bacău (paragraphe 28 ci-dessous). Le 9 octobre 2013, le requérant fut à nouveau transféré à la prison de Bacău d’où il fut hospitalisé, le même jour, dans un état grave au service d’oncologie de l’hôpital de Bacău. Il était dans l’impossibilité de se déplacer, souffrait de douleurs osseuses très vives et avait quasiment perdu la vue et l’ouïe. Par ailleurs, il présentait également un syndrome dépressif. Son état, fortement dégradé, ne permettait plus la poursuite de la chimiothérapie, qui fut remplacée par des soins palliatifs. Le requérant demeura au service d’oncologie de l’hôpital de Bacău jusqu’au 24 octobre 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison de Iaşi. Le 28 octobre 2013, il fut hospitalisé à l’institut régional d’oncologie de Iaşi pour y bénéficier de cinq séances de radiothérapie palliative visant à diminuer ses douleurs osseuses. Il y demeura jusqu’au 1er novembre 2013. Il perdit complètement la vue et présentait toujours un syndrome dépressif. Le 5 novembre 2013, il fut transféré à la prison de Vaslui. Le 6 novembre 2013, il fut admis à l’hôpital de la prison de Târgu Ocna où il resta jusqu’au 12 novembre 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison de Bacău. Le 22 novembre 2013, le juge délégué à la prison de Bacău octroya au requérant le bénéfice du régime de détention le plus favorable, lui permettant de se déplacer à l’intérieur de la prison et de participer à des activités extérieures sans surveillance. Toujours le 22 novembre 2013, le requérant fut hospitalisé au service d’oncologie de l’hôpital de Bacău. Le médecin-chef du service indiqua que l’état du requérant pouvait se dégrader brusquement et que, par conséquent, celui-ci avait besoin de soins médicaux permanents. Du 25 au 27 novembre 2013, le requérant reçut des soins palliatifs dans le même hôpital avant d’être ensuite transféré à la prison de Bacău, puis à l’hôpital de la prison de Târgu Ocna. En réponse à une demande du requérant qui sollicitait sa libération conditionnelle, la direction de la prison informa l’intéressé que sa demande serait examinée en 2015. Le requérant écrivit au président de la République et au directeur de la prison de Târgu Ocna pour leur demander de l’aide concernant sa libération. Il exposa qu’il allait mourir et qu’il souhaitait être entouré des membres de sa famille. Il précisa qu’il était désormais immobilisé au lit, aveugle et sourd, et que, en prison, personne ne pouvait l’aider pour les gestes quotidiens. Il ajouta que les médecins étaient réticents à le soigner compte tenu du fait qu’il était maintenu sous surveillance et menotté. La direction de l’administration nationale des prisons lui répondit que seul le tribunal pouvait ordonner sa libération. Le 4 décembre 2013, le requérant fut transféré à la prison de Bacău, puis à l’hôpital de Bacău, où il demeura jusqu’au 7 décembre 2013. À cette date, il fut transféré à l’hôpital de la prison de Târgu Ocna. Le 19 décembre 2013, il retourna à la prison de Bacău et, le même jour, il fut admis dans le service d’oncologie de l’hôpital de Bacău. Il y décéda le 24 décembre 2013. B. Les rapports médicaux fournis par les hôpitaux Il ressort des fiches médicales versées au dossier qu’entre le 24 janvier 2013 et le 24 décembre 2013, date de son décès, le requérant fut admis dix-huit fois à l’hôpital de Bacău, dont plusieurs hospitalisations de plusieurs jours. Il y bénéficia d’environ quinze séances de chimiothérapie, généralement espacées de quatorze jours : avant le 24 octobre 2013 dans le cadre du traitement pour le cancer et, après cette date, à titre de soins palliatifs. Il y reçut également divers traitements pour les maladies provoquées par la progression des métastases de son cancer de la prostate. Dans un rapport dressé à la demande de l’agente du Gouvernement, le médecin-chef du service d’oncologie de l’hôpital de Bacău soulignait certains dysfonctionnements dans l’administration du traitement. S’appuyant sur les fiches médicales afférentes aux hospitalisations du requérant dans cet hôpital, il indiquait que, le 14 mars 2013, le requérant avait commencé la chimiothérapie sans avoir effectué la radiothérapie recommandée par les médecins de son service. Il ajoutait que la séance de chimiothérapie programmée entre le 28 et le 30 mars 2013 n’avait pas eu lieu en raison de l’absence du requérant, qui se trouvait à l’institut d’oncologie de Bucarest pour des examens. Enfin, il relevait que, le 18 septembre 2013, le requérant avait été hospitalisé avec retard pour la poursuite de la chimiothérapie. Il précisait également que, quand le requérant était hospitalisé, il était gardé par deux policiers et menotté au lit en permanence, y compris après être devenu aveugle et sourd et souffrir de douleurs osseuses extrêmement fortes. Dans un rapport du 21 septembre 2015, l’institut régional d’oncologie de Iaşi indiquait que le requérant avait effectué, entre le 28 octobre et le 1er novembre 2013, cinq séances de radiothérapie, qu’il était venu aux rendez-vous médicaux selon le calendrier prévu et que, au cours de ces séances, il n’avait été ni menotté ni immobilisé. Dans un rapport du 22 septembre 2015, l’institut d’oncologie de Bucarest précisait que le requérant avait été hospitalisé plusieurs fois dans cet établissement entre le 27 novembre 2012 et le 24 mai 2013, principalement afin de bénéficier d’une chimiothérapie. Le médecin-chef de cet institut indiquait dans le rapport que le requérant s’était rendu aux rendez-vous médicaux selon le calendrier prévu et que, pendant ses périodes d’hospitalisation, il n’avait pas été immobilisé, mais placé sous la surveillance d’agents de l’administration pénitentiaire. C. Les conditions de détention du requérant Selon les informations fournies par l’administration pénitentiaire, le requérant avait été détenu à la prison de Bacău dans une cellule de 33 m2, qu’il aurait partagée avec six autres détenus. À l’hôpital de la prison de Rahova, il aurait partagé une cellule de 38 m2 avec quatre codétenus. À la prison de Vaslui, où il demeura du 24 au 27 septembre, du 3 au 4 octobre et du 5 au 6 novembre 2013, il aurait cohabité dans une cellule de 14,75 m2 avec six autres détenus. À l’hôpital de la prison de Târgu Ocna, il aurait été détenu dans une cellule de 48 m2 avec 8 codétenus. À la prison de Iaşi, il aurait occupé, entre le 24 octobre et le 5 novembre 2013, une cellule de 15,92 m2 avec trois autres détenus. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le CPP Dans leurs parties pertinentes, les articles 453 et 455 du CPP se lisent comme suit : Article 453 « 1. L’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à vie peut être suspendue dans les cas suivants : a) lorsqu’il est constaté, sur la base d’une expertise médicale, que le condamné souffre d’une maladie qui le place dans l’impossibilité d’exécuter la peine. Dans ce cas, l’exécution de la peine est suspendue jusqu’à ce que le condamné se trouve en situation de pouvoir exécuter la peine ; (...) La demande de suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à vie peut être formée par le procureur [ou] par le condamné (...). » Article 455 « L’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à vie peut être interrompue dans les cas et les conditions prévus par l’article 453 (...). » B. La loi no 275 du 20 juillet 2006 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté Les dispositions internes pertinentes concernant le recours ouvert aux détenus pour défendre leurs droits, y compris le droit à un traitement médical, réglementé par la loi no 275, entrée en vigueur le 20 octobre 2006, relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 »), sont décrites dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 115 et 116, 24 juillet 2012). Ces dispositions permettent aux intéressés de s’adresser directement au juge d’application des peines délégué auprès de la prison (« le juge délégué ») pour dénoncer une absence de traitement médical adéquat et obtenir des autorités de la prison qu’elles mettent à leur disposition ledit traitement. La décision du juge délégué peut faire l’objet d’une contestation auprès du tribunal de première instance de l’arrondissement dans lequel se trouve la prison. L’article 159 § 3 du règlement d’application de la loi no 275/2006 prévoit que : « Les menottes métalliques ne peuvent pas être utilisées pour immobiliser les personnes privées de liberté qui se trouvent dans une unité sanitaire. Le modèle et le mode d’utilisation des moyens d’immobilisation utilisés dans les unités sanitaires sont établis par décision du directeur général de l’administration nationale des prisons. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant est un ressortissant français né, en 1970 et résidant à Mouroux. Il est le frère de la victime, M.B. né en 1968. Les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième requérants, nés respectivement en 1977, 1973, 1972, 1939 et 1951, sont les sœur, veuve, frère, père et mère de la victime. Ils résident respectivement à Mouroux, Massy, Valentigney et Thulay. Le 12 novembre 2009, vers 16 h 30, M.B., mesurant 1 m 80 et pesant environ 100 kilos, se rendit dans une pharmacie à Valentigney. Il était connu du personnel de cette officine où il se procurait le traitement qui lui était prescrit pour ses troubles psychiatriques. M.B. voulait procéder à l’échange de médicaments délivrés sans ordonnance dont il n’était pas satisfait. Une préparatrice en pharmacie, Mme R., et le propriétaire de la pharmacie, M. F., lui expliquèrent que l’effet de ces médicaments s’était estompé en raison d’un phénomène d’accoutumance. M.B. commença à s’énerver, jetant les boites de médicaments, haussa le ton et tint des propos incohérents : « J’en ai marre de vos visites la nuit, de votre assistante et de vous-même ! » M.B. informa M. F. qu’il entendait porter plainte contre lui. Le pharmacien demanda à Mme R. de contacter les services de police. M.B. s’assit sur une des chaises mises à disposition de la clientèle de la pharmacie. À 16 h 53, quatre fonctionnaires de police arrivèrent sur place, après avoir été informés par le centre d’information et de commandement (CIC) qu’ils devaient intervenir pour un perturbateur présentant des troubles psychiatriques. Le sous-brigadier L. et le gardien de la paix M. demandèrent à M.B. de sortir de l’officine à plusieurs reprises. Devant son refus véhément, le sous-brigadier L. et le gardien de la paix D. saisirent alors M.B. par le bras afin de le faire sortir de la pharmacie. Le gardien de la paix M. prit le mollet droit de l’intéressé. M.B. se débattit et appela au secours. Arrivé sur le perron de la pharmacie, l’intéressé se retrouva au sol. Le gardien de la paix M. tenta de le menotter dans le dos alors qu’il continuait à se débattre et à appeler la police à l’aide. Le gardien de la paix M. asséna deux coups de poing sur le plexus de M.B. sans que cela permette de le menotter. M.B. fut alors tourné sur le flanc droit et le gardien de la paix D. put le menotter par devant à l’aide de deux paires de menottes liées entre elles. Le sous-brigadier P. alla chercher le véhicule de police afin de le rapprocher. Deux policiers saisirent M.B. par le bras afin de le faire pénétrer dans le fourgon. Malgré sa résistance, M.B. fut monté de force à l’intérieur du fourgon de police. Dans le fourgon de police, M.B., continua de se débattre et de crier et projeta un policier contre le porte bagage situé en hauteur et un autre contre une tablette avant de chuter à plat ventre. Le sous-brigadier L. se plaça au-dessus de ses épaules afin de fixer une autre paire de menottes permettant de l’attacher à la partie fixe de la banquette du fourgon. Les gardiens de la paix D. et M. se placèrent sur lui, sur les mollets et les fesses. À 16 h 58, soit exactement cinq minutes après leur arrivée, les trois fonctionnaires de police présents dans le véhicule demandèrent à leur centrale l’assistance des sapeurs-pompiers et du service d’aide médicale urgente (SAMU). Arrivés à 17 h 07, selon la retranscription des appels du CIC, les sapeurs-pompiers demandèrent aux policiers de transférer M.B. dans leur véhicule. Le sous-brigadier L. s’y refusa en raison de l’état d’extrême excitation de M.B. Les pompiers établirent alors un bilan de l’état de M.B. Si ce dernier s’était calmé, son rythme cardiaque ne put être mesuré à l’aide du saturomètre dont les capteurs ne fonctionnaient pas. Un des sapeurs-pompiers contrôla constamment sa ventilation. À un moment, la respiration s’arrêta. Un pompier constata l’absence de circulation sanguine. L’équipe de sapeurs-pompiers transporta M.B. à l’intérieur de la pharmacie. Un de ses membres prévint le SAMU par radio. Les pompiers posèrent un défibrillateur semi-automatique et procédèrent à un massage cardiaque. Un médecin urgentiste du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), appelé par les pompiers, procéda à une réanimation cardiopulmonaire spécialisée. Il constata le décès de M.B. à 18 h 02. Une enquête sur les causes de la mort de M.B. fut immédiatement diligentée. Sur les trois pharmaciens entendus le jour même, 12 novembre 2009, deux étaient présents lorsque les policiers avaient demandé à M.B. de quitter les lieux. Ils confirmèrent que devant le refus de l’intéressé, les policiers s’étaient approchés de ce dernier et l’avaient saisi. Ils indiquèrent que M.B. avait commencé à crier et à se débattre à compter de ce moment, et qu’il était monté dans le fourgon, menotté, hurlant et se débattant. Aucun des trois témoins n’avait vu ce qui s’était passé dans le fourgon. L’un d’eux insista sur le fait que M.B. fréquentait la pharmacie depuis un an et demi et qu’il s’était toujours montré très aimable à chacune de ses visites mensuelles pour retirer son traitement de neuroleptiques. Le même jour, M.S., adjudant pompier volontaire, fut également interrogé. Il indiqua qu’à son arrivée, M.B. était toujours très agité, ventre au sol dans le fourgon, des policiers le maîtrisant : l’un était assis ou à genoux sur les fesses de la victime, l’autre maintenait les jambes ; ses mains étaient en croix et attachées par plusieurs menottes aux pieds de la banquette du fourgon ; la tête de la victime se trouvait côté conducteur, la joue droite posée à plat sur le sol. Il expliqua qu’il avait sollicité le renfort d’un médecin puis que, constatant l’arrêt cardiaque, les pompiers avaient décidé de le transporter dans la pharmacie pour continuer à faire des massages cardiaques. Le 13 novembre 2009, un des pharmaciens fut interrogé une seconde fois. Il déclara que M.B. était un client régulier de la pharmacie. Il indiqua que les policiers n’avaient pas porté de coup à M.B. Le même jour, le gardien de la paix M. fut interrogé. Il déclara que le sous-brigadier L. s’était présenté à M.B. et lui avait demandé de sortir « pour expliquer le problème car dans ce genre d’intervention le but est de séparer les parties ». Il expliqua que l’intéressé avait refusé à plusieurs reprises de sortir malgré les demandes réitérées des fonctionnaires de police qui l’avaient finalement traîné vers la sortie. Il indiqua qu’il avait alors saisi la jambe droite de M.B. et que, juste devant l’entrée de l’officine, ce dernier, en déséquilibre, s’était laissé tomber. Il ajouta que les policiers avaient alors tenté de le menotter. Face à sa résistance à entrer dans le fourgon, il indiqua que le gardien de la paix D. avait alors tiré sur les jambes de l’intéressé, ce qui lui avait fait perdre son équilibre et entraîné leur chute ainsi que celle du sous-brigadier L. dans le fourgon. Il indiqua que L. était parvenu, « je ne sais pas comment à le replaquer au sol ». Il précisa encore qu’afin d’achever le menottage, le sous-brigadier L. s’était accroupi sur les épaules de M.B. alors que le gardien de la paix D. était au niveau de ses jambes ; l’intéressé continuant de se débattre, lui-même s’était mis debout sur ses fesses. Il déclara qu’ils étaient restés « comme ceci un petit moment, mais je ne peux pas vous dire combien, cela m’a paru très long, moi sur ses fesses, le collègue sur ses épaules et la troisième fonctionnaire sur ses pieds, aidés par la collègue P. qui avait mis ses jambes en croix pour éviter qu’il bouge. À ce moment, les pompiers sont arrivés ». Également le 13 novembre 2009, le sous-brigadier L. fut interrogé. Il déclara avoir été sollicité par sa centrale pour se rendre dans une pharmacie et qu’il avait été informé que M.B. « était sujet à des troubles psychiatriques ». Il confirma que ce dernier s’était violemment débattu avant de se laisser glisser au sol devant l’entrée de l’officine. Il expliqua que le gardien de la paix M. lui avait porté deux coups de poing dans les abdominaux, faisant usage de la technique dite des « coups de diversion ». Pour le reste, il confirma les conditions précitées de menottage dans le fourgon. Le 13 novembre 2009, une autopsie fut pratiquée. Le médecin légiste décrit et expliqua les lésions traumatiques observées : la plaie de l’arcade sourcilière gauche et la tuméfaction associée n’évoquaient pas des blessures consécutives à un coup porté mais étaient en rapport avec un impact de cette partie de la face sur un élément présentant une arrête. Les autres lésions de la face évoquaient un contact appuyé sur une surface rugueuse. Les lésions présentées sur les poignets étaient caractéristiques du menottage. Les lésions de la partie basse du thorax et dans le creux épigastrique pouvaient faire suite à deux coups violents portés à cet endroit. Le médecin légiste précisa que ces blessures n’avaient entrainé ni hémorragie interne, ni fracture. Il releva essentiellement des taches sur les poumons et une sténose à 70% sur une artère du cœur. Le rapport du Dr H. établi le 16 novembre 2009 se conclut comme suit : « Le décès est vraisemblablement consécutif à la survenue d’une défaillance cardiaque. L’atteinte athéromateuse observée sur une artère du cœur de l’intéressé l’a exposé à un risque accru de troubles du rythme et de mort subite. D’autre part, cette défaillance du cœur a potentiellement été favorisée par l’état de stress et d’agitation présentée par l’intéressé lors de son interpellation. Une éventuelle contrainte à l’ampliation du thorax lors de la contention de l’intéressé peut également être envisagée, mais l’on ne peut affirmer qu’une asphyxie mécanique est la cause du décès. (...) Des lésions traumatiques récentes évoquant l’action de tiers ont été repérées. En tout état de cause, ces différentes lésions n’ont pas participé directement à la survenue du décès et il n’y a pas, en outre, de blessure caractéristique de coups de poing portés sur la face. » Les 14 et 23 novembre 2009, Mme S., une commerçante, fut interrogée et déclara avoir entendu des cris depuis son magasin situé en face de la pharmacie. Elle indiqua avoir vu quatre policiers avec un homme couché sur le ventre avec les bras derrière le dos qui recevait des coups de poing et de pied. D’une fenêtre latérale du fourgon de police, elle affirma avoir vu une policière et un policier piétiner sur place en s’accrochant au plafond du fourgon, l’un portant trois coups de poing vers le sol et levant son genou très haut avant de l’abattre d’un coup sec. Le 23 novembre 2009, le fils mineur de la commerçante interrogée déclara que deux policiers piétinaient M.B. sur la voie publique et qu’une policière lui avait asséné plusieurs coups de matraque dans le ventre, ainsi que des coups au dos et au visage. Le 3 décembre 2009, une information judiciaire, confiée à deux magistrats instructeurs, fut ouverte contre personne non dénommée du chef d’homicide involontaire. Les requérants se portèrent parties civiles à une date inconnue. Le 7 janvier 2010, Mme C., voisine de la pharmacie, déclara avoir vu M.B. se débattre ventre au sol à l’extérieur de l’officine. Elle expliqua que les policiers l’avaient « jeté dans le fourgon » et qu’elle était partie après que les portes de celui-ci furent fermées. Elle affirma que les policiers n’avaient pas frappé M.B. Le 21 janvier 2010, M. D., brigadier chef de police, formateur dans les domaines de techniques de défense et d’interpellation, ainsi qu’en aspect psychologique et comportemental d’intervention, fut entendu comme témoin. Il déclara qu’en cas de différend entre personnes, « il faut dans la mesure du possible séparer les antagonistes » : les policiers, en cherchant à faire sortir l’intéressé de l’officine, voulaient éviter une bagarre dans la pharmacie. Il fit valoir que les coups portés par le gardien de la paix M. et décrits comme « deux coups de poing au niveau de l’abdomen du mis en cause dans le but de détourner son attention et finir le menottage font partie des zones à privilégier pour rechercher l’amoindrissement de la résistance de l’individu. Ils [les policiers] n’ont pas versé dans l’acharnement et ont terminé le menottage par l’avant. Ces fonctionnaires ont agi aussi dans l’urgence. La technique employée par le gardien M. semble la plus adaptée dans le contexte de l’intervention ». Il ajouta que toutes les techniques enseignées ont pour objet d’amoindrir une résistance en vue de l’interpellation. Il précisa que, s’agissant de l’immobilisation de M.B. dans le fourgon, se placer debout sur les fesses d’un individu n’est pas une action enseignée et que, se positionner latéralement sur les épaules de M.B., comme l’avait fait le gardien de la paix L., fait partie des procédures enseignées. Cette technique permettrait de bloquer la mobilité de l’interpellé tout en évitant l’asphyxie posturale. Il conclut que les fonctionnaires intervenants, compte tenu du contexte d’intervention, avaient fait preuve de pragmatisme et de discernement. Plusieurs experts désignés par un des juges d’instruction rendirent leurs rapports. Le 23 juin 2010, le Dr L., professeur de médecine légale et le Dr R., maître de conférences en médecine légale, rendirent un rapport d’autopsie médico-légale après avoir examiné le corps de M.B. le 18 décembre 2009. Ils indiquèrent que leurs examens avaient révélé « un ensemble de lésions cutanées ne pouvant avoir contribué au décès ». Ils ne mirent en évidence aucun « élément en faveur d’un décès par compression thoracique ». Il n’a ainsi pas été mis en évidence de lésions sous-conjonctivales pétéchiales ni de lésions pétéchiales au niveau de la face ». Ils firent valoir que : « l’exploitation des scellés ne permet pas de retrouver des éléments précisant les causes du décès de [M.B.]. Ces scellés permettent de retenir un suivi psychiatrique pour une psychose avec plusieurs épisodes d’hallucinations nécessitant la prise de médicaments antipsychotiques de façon régulière. (...) Aux concentrations mesurées, cette imprégnation médicamenteuse psychoactive révélée par les investigations toxicologiques n’apparaît pas susceptible d’expliquer le décès de l’intéressé par un mécanisme de toxicité directe. (...) En conclusion, le décès de [M.B.] (...) est selon toute vraisemblance la conséquence d’un infarctus du myocarde. Le décès est d’origine naturelle. » Le 10 décembre 2010, les Drs T. et F. rendirent leur rapport d’expertise anatomo-pathologique après avoir examiné la copie du rapport d’autopsie du 16 novembre 2009, la copie des auditions des membres de l’équipage de la patrouille de police ayant interpellé M.B., la copie de l’audition de deux témoins, plusieurs scellés prélevés par le Dr H. d’une part et par le professeur L. et le Dr R. d’autre part : « [M.B] est décédé subitement de troubles du rythme cardiaque par un spasme coronaire déclenché dans le contexte d’un stress émotionnel et physique intense et prolongé. (...) En conclusion, le stress aigu émotionnel prolongé et intense, ainsi que l’agitation prolongée et importante, qui ont débuté dans la pharmacie et qui se sont prolongés au cours de l’interpellation expliquent l’enchaînement des phénomènes physiopathologiques qui ont provoqué le décès : (1) stimulation intense du système nerveux sympathique (système neuro-hormonal adrénergique), (2) spasme coronaire-ischémie, (3) troubles du rythme cardiaque mortels. » Les 14 et 16 décembre 2010, ainsi que le 19 janvier 2011, les quatre policiers comparurent pour la première fois en tant que témoins assistés. Le 8 avril 2011, une reconstitution fut organisée, par les deux magistrats instructeurs co-saisis, en présence des avocats des parties civiles et des témoins assistés. Au cours de ce transport sur les lieux, le médecin légiste rappela qu’il n’avait relevé aucune lésion traumatique susceptible de refléter la violence décrite par le témoin Mme S, les seules lésions évoquant l’action directe d’un tiers étant celles correspondant aux coups de poing dans le ventre. Le 5 juillet 2011, le Dr C., professeur des universités, neurologue et psychiatre, chef d’un service de médecine légale, examina le dossier médical de M.B. chez son médecin psychiatre, le dossier médical auprès du service des urgences du centre hospitalier de Montbéliard, ainsi que le dossier médical conservé par le médecin traitant de M.B. Il indiqua que M.B., suivi depuis de nombreuses années sur le plan psychiatrique, avait été hospitalisé à plusieurs reprises en établissement psychiatrique et présentait une affection psychotique caractérisée par des idées délirantes à type d’envoûtement, de tonalité persécutive, de mécanisme interprétatif. Le diagnostic posé lors de la dernière hospitalisation était celui de psychose paranoïde, ce qui fait référence à la schizophrénie. Le Dr C. conclut ainsi son rapport : « [M.B.] présentait une affection psychiatrique grave à savoir une psychose délirante, ce qui rend compte de l’altercation initiale avec le pharmacien puis du déclenchement d’un état d’agitation extrême lorsque les policiers ont tenté de le faire sortir de l’officine. Il est en outre possible que l’intervention de la police ait été interprétée de manière délirante. Lors de l’intervention du SMUR, le critère de gravité était (...) le fait que [M.B.] se trouvait en arrêt cardio-respiratoire depuis une vingtaine de minutes. Les lésions superficielles observées à l’autopsie sur l’hémiface droite et à la face antérieure des genoux [lui paraissent] compatibles avec la contention sur le plancher du fourgon et les lésions pétéchiales de l’épigastre et de la région basithoracique sont compatibles avec les coups de poing portés comme indiqué dans le rapport d’autopsie. » Le 25 novembre 2011, le Défenseur des droits, institution indépendante de l’Etat, chargé notamment de veiller au respect de la déontologie des policiers, saisi par un parlementaire, rendit un rapport. Il indiqua que si les policiers avaient demandé très rapidement l’intervention des pompiers et du service d’aide médicale urgente, il était regrettable que le CIC ait décrit de manière erronée la situation aux pompiers préalablement à leur intervention (ces derniers ayant été informés de « l’état de manque » de M.B.). Il considéra qu’il n’y avait pas de péril imminent pour les personnes ou les biens dans la pharmacie et donc aucune urgence n’imposait de faire sortir M.B. au plus vite. Il indiqua que les gestes de maintien et de compression pratiqués dans le fourgon étaient dangereux et disproportionnés. Il considéra comme « constitutifs d’une grave atteinte à la dignité humaine et d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 », les gestes par lesquels les gardiens de la paix D. et M. maintinrent M.B. sur le plancher du fourgon de police. Le Défenseur des droits nota également des contradictions entre les déclarations des policiers sur l’existence de violences physiques autres que les deux coups de poing de diversion et indiqua qu’aucun témoin n’avait assisté à l’intégralité de la scène. Le Défenseur des droits conclut que la précipitation avec laquelle les actes des policiers s’étaient enchaînés les avaient conduits à faire une appréciation erronée de la situation de M.B. et à réagir de façon stéréotypée, sans adapter leur comportement au cours de l’intervention, et ce alors qu’ils savaient que M.B. était suivi pour des troubles psychiatriques et qu’ils avaient pu constater son comportement anormal. Il préconisa le renforcement de la formation initiale et continue des fonctionnaires de police quant à la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Il recommanda enfin que les quatre policiers ayant interpellé M.B. fassent l’objet d’une procédure disciplinaire pour « avoir fait un usage disproportionné de la force ou n’avoir pas tenté de mettre fin à cet usage ». Le 18 janvier 2012, les Drs T. et F. complétèrent leur expertise du 10 décembre 2010. Ils confirmèrent la conclusion de leur précédent rapport et exclurent une asphyxie mécanique : « M.B. est décédé subitement de troubles du rythme cardiaque, sans contexte d’asphyxie mécanique. » Ils rappelèrent le rôle du stress aigu dans la survenance du décès en affirmant que « cette stimulation adrénergique a été en rapport avec le stress aigu émotionnel et physique intense et prolongé. Le stress a duré environ une heure trente ayant débuté dans la pharmacie et s’étant prolongé au cours de l’interpellation ». Le 26 mars 2012, les quatre policiers ayant interpellé M.B. furent mis en examen du chef d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Le 5 novembre 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montbéliard rendit un réquisitoire de non-lieu. Le 21 décembre 2012, les juges d’instruction rendirent une ordonnance de non-lieu à statuer. Ils considérèrent que s’il était vrai que M.B. était dans un état de relatif apaisement, il n’en demeurait pas moins que son comportement avait été jugé suffisamment inquiétant par le pharmacien pour qu’il signale à la police la présence dans son établissement d’une personne agitée et souffrant de troubles psychiatriques. Ils indiquèrent que les policiers n’avaient pas usé immédiatement de la force et, qu’informés de la pathologie psychiatrique dont souffrait M.B., ils avaient appelé le SAMU. Les juges considérèrent que le témoignage effectué par Mme S. était invalidé par les constations effectuées durant la reconstitution, par les témoignages des pharmaciens ainsi que par les conclusions du médecin légiste. Les magistrats instructeurs notèrent que : « (...) le maintien au sol n’a pas été identifié par les experts médicaux comme étant la cause directe du décès ; si l’intervention des fonctionnaires de la police a nécessairement généré du stress, la victime l’était bien avant leur intervention ; les policiers n’ayant pas connaissance de la pathologie cardiaque de [M.B.] qui l’ignorait luimême, ils ne pouvaient envisager que l’accumulation de ces deux facteurs [stress et problème cardiaque] pouvait présenter un risque pour la victime. » Les juges estimèrent que la force utilisée par les policiers était nécessaire et proportionnée « même si le maintien au sol dans le fourgon, par L. et P. ainsi que le positionnement de M. – debout sur les mollets – peuvent apparaître critiquables dans l’absolu ». Les requérants interjetèrent appel de cette ordonnance. Le 16 octobre 2013, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Besançon confirma l’ordonnance de non-lieu pour les motifs suivants : « [Le décès de M.B. est dû] selon le médecin-légiste ayant pratiqué une première autopsie (...) à une défaillance survenue dans un contexte de stress et d’effort sur un terrain cardiaque prédisposant ; que la contre-expertise médico-légale a permis de conclure à l’existence de lésions cutanées ne pouvant avoir contribué au décès et d’exclure une mort par compression thoracique ; que les experts ont indiqué que le décès de [M.B.] était, selon toute vraisemblance, la conséquence d’un infarctus du myocarde et d’origine naturelle ; que l’expertise anatomo-pathologique (...) [a conduit] les experts à conclure que [M.B.] était décédé subitement des troubles du rythme cardiaque par un spasme coronaire déclenché dans le contexte d’un stress émotionnel et physique prolongé et a écarté formellement tout phénomène d’asphyxies mécanique ; qu’enfin, l’expert légiste et psychiatre (...) a conclu que [M.B.] présentait une affection psychiatrique grave (...) ce qui rendait compte de l’altercation initiale avec le pharmacien puis du déclenchement d’un état d’agitation extrême lorsque les policiers ont tenté de le faire sortir de l’officine, leur intervention pouvant être interprétée de manière délirante ». S’agissant des conditions d’interpellation, la chambre de l’instruction considéra que l’état d’excitation et l’attitude « récalcitrante, voire violente, de [M.B.] ont contraint les policiers à employer la force et les gestes techniques d’intervention qui leur ont été enseignés pour le maîtriser » dont les deux coups de poing portés par le gardien de la paix M. « qui a expliqué avoir exécuté un geste technique enseigné aux fonctionnaires de police dans le but de favoriser le menottage en créant un effet de surprise, explication confirmée par ses collègues et le formateur ». La chambre de l’instruction considéra que M.B. avait été maintenu sur le plancher du fourgon dans des conditions « certes inhabituelles, voire critiquables », mais que celles-ci préservaient les capacités respiratoires et la ventilation d’une personne qui « opposait toujours une forte résistance aux policiers ». Elle conclut qu’« aucune maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ni aucune faute caractérisée ne peut leur être imputée [aux policiers] dans le décès de [M.B.] ». Les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Le 18 novembre 2014, la Cour de cassation rejeta ce pourvoi au motif que : « (...) les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits qui lui étaient déférés et répondu aux articulations essentielles des mémoires dont elle était saisie, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, que l’information était complète et qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre les personnes mises en examen d’avoir commis le délit d’homicide involontaire qui leur était reproché, ni toute autre infraction (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions pertinentes du code pénal Article 121-3 « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. (...) » Article 221-6 « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 1213, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75000 euros d’amende. » B. Les textes encadrant le recours à la force des fonctionnaires de police Textes en vigueur au moment des faits a) Décret no 86-592 du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale Article 10 « Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant. Le fonctionnaire de police qui serait témoin d’agissements prohibés par le présent article engage sa responsabilité disciplinaire s’il n’entreprend rien pour les faire cesser ou néglige de les porter à la connaissance de l’autorité compétente. Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne. » b) Note du 8 octobre 2008 énonçant les prescriptions de l’inspection générale de la police nationale relatives à l’usage de la force « (...) Lorsque dans le cadre des missions de police le recours à la force s’avère nécessaire, toute la difficulté d’action réside dans la conciliation d’une triple exigence : celle de la réactivité immédiate, conjuguée avec le discernement permanent et la proportionnalité de la mesure prise. Les conditions d’usage légitime de la force sont clairement définies par les textes, qui rappellent que lorsque son emploi est rendu nécessaire, elle doit être utilisée avec discernement et proportionnellement à la gravité du danger encouru. Ainsi il convient de rappeler avec fermeté que dès son interpellation, et quelle que soit la gravité des infractions pouvant lui être reprochées, toute personne se trouve sous la responsabilité et la protection des policiers intervenants. Dans ce cadre, lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire, la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens règlementaires et adaptés. Ainsi, comme le soulignent régulièrement les services médicaux, l’immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible, surtout si elle est accompagnée du menottage dans le dos de la personne allongée. Il en est de même, a fortiori, pendant le transport des personnes interpellées. Le cas échéant, toutes dispositions doivent être prises afin qu’un examen médical puisse être rapidement pratiqué. Préalablement à toute intervention estimée périlleuse, mettant notamment en cause une personne dangereuse pour elle ou pour autrui, l’information d’un médecin régulateur (centre 15) doit être systématique. C’est à lui qu’il reviendra de décider de la pertinence de l’envoi d’une équipe médicale sur place. (...) » Textes entrés en vigueur postérieurement aux faits de l’espèce a) Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale (codifié au livre IV, titre 3 , chapitre 4 de la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure et entré en vigueur le 1er janvier 2014) Article R. 434-10 « Le policier ou le gendarme fait, dans l’exercice de ses fonctions, preuve de discernement. Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu’il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à lui apporter. » Article R. 434-17 « Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant. Nul ne peut être intégralement dévêtu, hors le cas et dans les conditions prévus par l’article 63-7 du code de procédure pénale visant la recherche des preuves d’un crime ou d’un délit. Le policier ou le gendarme ayant la garde d’une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne. L’utilisation du port des menottes ou des entraves n’est justifiée que lorsque la personne appréhendée est considérée soit comme dangereuse pour autrui ou pour elle-même, soit comme susceptible de tenter de s’enfuir. » Article R. 434-18 « Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas. Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut. » b) Note du 4 novembre 2015 du directeur général de la police nationale sur les principes d’emploi de la force ou de la contrainte pour la maîtrise d’une personne en état de forte agitation en vue de son interpellation ou de son transport « I. L’emploi de la force pour s’assurer d’un individu difficilement maîtrisable (...) Dans la plupart des situations auxquelles le policier est confronté, les techniques de dissuasion et de négociation dispensées au cours des formations initiale ou continue suffisent à obtenir l’assentiment de la personne à son interpellation. Cependant, l’emploi de la force s’impose aux forces de l’ordre en cas d’opposition violente d’un individu à sa maîtrise, soit parce qu’il refuse délibérément de se soumettre à l’autorité publique, soit parce qu’il est privé de l’entendement nécessaire à la compréhension de l’opération de police. C’est notamment le cas lorsqu’il présente des troubles psychiatriques ou psychologiques, ou se trouve sous l’empire de produits stupéfiants, médicamenteux ou alcooliques. Si la protection de toute personne appréhendée, parfois contre sa volonté, notamment en cas de tentative de suicide, constitue une priorité expressément rappelée par le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale (article R. 434-17 du code de la sécurité intérieure), il n’existe aucune méthode ou protocole permettant d’assurer ou de garantir l’étape préalable constituée de la nécessaire maîtrise de la personne. Il s’agit donc pour les policiers de prendre les mesures qui limitent le risque d’incident ou de blessure sans pouvoir garantir de l’éviter. Ce risque est considérablement accru lorsque la personne est dans un état d’excitation extrême tel qu’elle ne craint plus de mettre sa vie – ou celle de tiers – en péril par son acte de résistance ou encore qu’elle est inaccessible aux injonctions des policiers du fait de son état. Dans ces circonstances, souvent marquées par le caractère d’urgence, il revient au policier intervenant d’apprécier la nécessité de recourir à la force et, des modalités de ce recours. Il prend en compte les éléments du contexte de l’intervention et l’ensemble des moyens matériels dont il dispose. Ces situations, même si elles sont peu nombreuses, doivent faire l’objet d’une attention plus particulière. La personne en état de surexcitation devient en effet physiquement plus fragile et donc plus sujette à une détresse cardio-respiratoire. II. Les règles d’emploi des moyens de contention (...) Lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire pour parvenir à sa maîtrise, la compression, tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen, doit être la plus courte possible. Cette exigence est particulièrement prégnante lorsque la personne est maintenue allongée en position ventrale, lors de son menottage dans le dos. (...) L’obligation de protection de la personne interpellée ou maîtrisée, impose lorsque la force aura été utilisée pour contenir son état d’extrême agitation, un examen médical pratiqué le plus rapidement possible. Il incombe alors aux policiers intervenants de préciser aux autorités médicales les techniques ou les moyens de force ou de contrainte employés. En outre, lorsque les policiers intervenants ou le Centre d’Information et de Commandement ont connaissance préalablement à une intervention qu’une personne mise en cause présente des troubles psychiques susceptibles de compliquer sa maîtrise, il convient de procéder systématiquement à l’information d’un médecin régulateur (centre 15 ou 112) ou du centre d’appel des pompiers (18) à qui il reviendra de décider de la pertinence de l’envoi d’une équipe médicale sur place. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’origine de l’affaire Le requérant et la requérante sont nés respectivement en 1976 et en 1978 et résident à Bâle. Le requérant, né en Turquie, immigra en Suisse à l’âge de 10 ans. Après avoir achevé une formation dans le commerce à Bâle, il retourna temporairement en Turquie pour étudier les sciences de l’islam et y rencontra la requérante, qui devint son épouse. Celle-ci vint en Suisse en 1999 dans le cadre du regroupement familial. Au moment de l’introduction de la présente requête, elle suivait une formation pour devenir animatrice de groupes de jeux pour les enfants (Spielgruppenleiterin). Le requérant parle couramment le suisse allemand. Les requérants eurent trois filles, nées le 8 juillet 1999, le 22 juin 2001 et le 7 juillet 2006. La présente requête ne concerne que les deux premières filles. Dans un premier temps, celles-ci furent inscrites à l’école primaire « Vogelsang », à Bâle. Par la suite, l’aînée suivit les cours en cycle d’orientation (Orientierungsschule – enseignement secondaire). Les cours de natation font partie des cours obligatoires et, selon la législation applicable au canton de Bâle-Ville, une dispense ne peut être accordée à des élèves qu’à partir de leur puberté (paragraphe 27 ci-dessous). Ce fait fut porté à la connaissance des requérants le 11 août 2008 par une directive intitulée « Note sur le traitement à réserver aux questions religieuses à l’école » (paragraphe 27 ci-dessous). Les requérants, fervents pratiquants de la religion musulmane, refusèrent d’envoyer leurs filles aux cours de natation au motif que leur croyance leur interdisait de laisser leurs enfants participer à des cours de natation mixtes. Ils indiquèrent que, même si le Coran ne prescrivait de couvrir le corps féminin qu’à partir de la puberté, leur croyance leur commandait de préparer leurs filles aux préceptes qui leur seraient appliqués à partir de leur puberté. En tant que détenteurs de l’autorité parentale sur leurs filles, les requérants dénoncèrent une violation de leurs propres droits. Par une lettre du 13 août 2008, le département de l’instruction publique du canton de Bâle-Ville (Erziehungsdepartement des Kantons Basel-Stadt) avertit les requérants que, en vertu du paragraphe 91, alinéa 9, de la loi scolaire du canton de Bâle-Ville (paragraphe 24 ci-dessous), ils encouraient une amende maximale de 1 000 francs suisses (CHF) (environ 923 euros (EUR)) chacun si leurs filles ne respectaient pas l’obligation de fréquenter l’école. Le 30 mars 2010, la directrice de l’école eut un entretien avec les requérants afin de trouver une solution. Les requérants continuèrent cependant à ne pas envoyer leurs filles aux cours de natation. Par des lettres du 30 mars et du 4 mai 2010, les requérants furent à nouveau invités à envoyer leurs filles aux cours de natation. En dépit de ces tentatives de la part de l’école, les filles des requérants continuèrent à ne pas se rendre aux cours de natation. Le 4 mai et le 14 juin 2010, la direction de l’école demanda au chef du département de l’instruction publique de soumettre les requérants à la procédure d’amende d’ordre. Le 17 juin 2010, ces derniers furent invités à s’exprimer encore dans le cadre de cette procédure. Par une lettre du 28 juillet 2010, les autorités scolaires infligèrent une amende de 350 CHF (environ 323 EUR) par parent et par enfant (soit, au total, 1 400 CHF – environ 1 292 EUR) pour manquement à leurs responsabilités parentales (paragraphe 91, alinéas 8 et 9, de la loi scolaire du canton de Bâle-Ville) (paragraphe 24 ci-dessous). Le recours des requérants contre cette décision fut rejeté par la cour d’appel du canton de Bâle-Ville (Appellationsgericht des Kantons BaselStadt) le 30 mai 2011. B. L’arrêt du Tribunal fédéral du 7 mars 2012 S’inspirant de sa décision de principe du 24 octobre 2008 (ATF [arrêt du Tribunal fédéral] 135 I 79 ; paragraphe 29 ci-dessous), le Tribunal fédéral, par un arrêt du 7 mars 2012, rejeta le pourvoi des requérants, estimant que le refus des autorités de dispenser leurs filles des cours de natation mixtes à l’école primaire n’avait pas violé le droit des requérants à la liberté de conscience et de croyance. Il admit que ce refus représentait une atteinte à la liberté de religion. Néanmoins, il considéra que les cours de natation faisaient partie des programmes scolaires obligatoires dans le canton de Bâle-Ville et que cette obligation se fondait sur une base juridique suffisamment solide. Il cita d’abord le paragraphe 22 de la loi scolaire du canton de Bâle-Ville, selon lequel la gymnastique était l’un des cours obligatoires de l’école primaire, et le paragraphe 139 de la même loi énonçant que, dans l’emploi du temps des élèves, au moins trois heures devaient être consacrées chaque semaine à l’éducation physique. Il indiqua également que, en vertu du paragraphe 17 de la loi, les garçons et les filles de l’école primaire suivaient en principe les cours ensemble. Il indiqua en outre que, selon le paragraphe 68 de la loi, la configuration exacte, en particulier les différents cours et le nombre d’heures affectées à ceux-ci, ressortait du plan d’études, lequel prévoyait, au chiffre 9.2.4, que la natation faisait partie de l’enseignement obligatoire de la gymnastique et du sport. Le Tribunal fédéral rappela ensuite que les élèves pouvaient être dispensés de l’enseignement ou de certains cours, une telle décision devant être prise par la direction de l’école sur demande des enseignants ou des personnes en charge de l’éducation des enfants (§ 66, alinéas 5 et 6, de la loi scolaire, paragraphe 24 ci-dessous). Il précisa que les détails concernant les dispenses étaient régis par le paragraphe 34 de l’ordonnance sur les écoles (Schulordnung) du canton de Bâle-Ville, et que les modalités de traitement des questions religieuses dans le cadre de l’école figuraient dans une directive (Handreichung) du département de l’instruction du canton de Bâle-Ville de septembre 2007. Il ajouta que, selon le chiffre 5.1 de cette directive, des dispenses de cours de natation ne pouvaient être accordées qu’à des élèves ayant atteint l’âge de la puberté. Il indiqua encore que, à partir de la sixième année (soit généralement lorsque les élèves atteignent l’âge de 12 ans), les filles et les garçons suivent de manière séparée les cours d’éducation physique et les cours de natation (chiffre 5.3 de la directive). Le Tribunal fédéral estima par ailleurs que l’argument des requérants selon lequel la directive n’avait pas de valeur juridique n’était pas pertinent en l’espèce, dans la mesure où, selon lui, la directive n’était de toute façon qu’une aide dans la pondération des intérêts lorsqu’il s’agissait de prendre une décision relativement à une demande de dispense. Il estima que n’était pas pertinent non plus pour l’examen de la base légale le fait que la natation n’était pas enseignée dans toutes les écoles du canton et que le patinage, figurant également comme cours au plan d’études, n’était dans la pratique pas enseigné du tout. Dès lors, le Tribunal fédéral conclut que la mesure se fondait sur une base légale valable. Quant à l’intérêt public et à la proportionnalité de l’ingérence, le Tribunal confirma le jugement de l’instance inférieure selon laquelle l’intégration des enfants, indépendamment de leurs origines, cultures ou religions, était primordiale. Il considéra par ailleurs que l’ingérence était diminuée par le fait que les cours de natation n’étaient mixtes que jusqu’à l’âge de la puberté, et que les conséquences de la mesure étaient atténuées par les mesures d’accompagnement (vestiaires et douches séparés, et port du burkini). Le Tribunal fédéral ne considéra pas non plus comme pertinent l’argument des requérants selon lequel leurs enfants apprenaient à nager dans le cadre de cours privés, estimant qu’il ne s’agissait pas pour les enfants de simplement apprendre à nager, mais aussi de se soumettre aux conditions périphériques à l’enseignement lui-même (äussere Bedingungen des Unterrichts). Il exposa que la fonction d’intégration sociale de l’école, valable pour tous les élèves, exigeait que les dispenses de cours de natation ne fussent accordées qu’avec parcimonie. Il indiqua que le refus d’octroyer une dispense en l’espèce correspondait dès lors à sa nouvelle pratique selon laquelle il fallait reconnaître, en principe, la primauté des obligations scolaires sur le respect des commandements religieux (religiöse Gebote) d’une partie de la population. Pour cette raison, la comparaison avec les dispenses acceptées pour raisons médicales n’était pas pertinente non plus. Eu égard aux éléments qui précèdent, le Tribunal fédéral conclut que le refus d’accorder une dispense pour les cours de natation mixtes n’avait pas porté atteinte au droit des requérants à la liberté de religion. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes de la Constitution fédérale sont libellées comme suit : Article 15 – Liberté de conscience et de croyance « 1. La liberté de conscience et de croyance est garantie. Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté. Toute personne a le droit d’adhérer à une communauté religieuse ou d’y appartenir et de suivre un enseignement religieux. Nul ne peut être contraint d’adhérer à une communauté religieuse ou d’y appartenir, d’accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux. » Article 36 – Restriction des droits fondamentaux « 1. Toute restriction d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les cas de danger sérieux, direct et imminent sont réservés. Toute restriction d’un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. Toute restriction d’un droit fondamental doit être proportionnée au but visé. L’essence des droits fondamentaux est inviolable. » Article 62 – Instruction publique « L’instruction publique est du ressort des cantons. Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques. (...) » L’article 303 du code civil du 10 décembre 1907, qui porte sur l’éducation religieuse de l’enfant, est ainsi libellé : Article 303 – Éducation religieuse « Les père et mère disposent de l’éducation religieuse de l’enfant. Sont nulles toutes conventions qui limiteraient leur liberté à cet égard. L’enfant âgé de 16 ans révolus a le droit de choisir lui-même sa confession. » Les dispositions de la loi scolaire du canton de Bâle-Ville du 4 avril 1929, dans sa version du 10 août 2009, étaient libellées comme suit à l’époque des faits (traduction de la Cour) : Paragraphe 17 « L’école primaire comprend quatre années scolaires. Garçons et filles sont, en règle générale, instruits ensemble. » Paragraphe 22 « Les cours obligatoires à l’école primaire sont : les langues, la lecture, les mathématiques, l’histoire du patrimoine, l’écriture, le dessin, la gymnastique (Turnen), (...) » Paragraphe 66 « 1. Tous les élèves fréquentent les cours obligatoires. Une dispense de cours ou de certaines disciplines ne peut être accordée que sous réserve du respect de certaines conditions ayant fait l’objet d’un règlement particulier en la matière. » Paragraphe 91 « (...) Les obligations incombant aux personnes en charge d’enfants sont définies comme suit : a) [les personnes en charge d’enfants] sont tenues de veiller à ce que leurs enfants assistent aux cours obligatoires et facultatifs sur une base régulière et qu’ils soient suffisamment reposés ; b) elles ne doivent pas tenir sciemment leurs enfants éloignés de l’école ; c) elles participent aux séances d’information pour les parents et aux entretiens avec les instituteurs qui sont organisés par un enseignant ou par la direction de l’école ; d) elles demandent à leurs enfants de respecter toutes les règles et directives de l’école. Celles qui contreviennent à plusieurs reprises aux obligations énumérées à l’alinéa 8 sont susceptibles de se voir infliger, à la demande de la direction de l’école, une amende d’ordre pouvant atteindre 1 000 francs [suisses]. (...) » Paragraphe 139 « Au moins trois heures sont consacrées chaque semaine à l’exercice et à l’éducation physique dans le cadre du plan d’études. » Les paragraphes 34 et suivants de l’ordonnance sur les écoles (Schulordnung) du canton de Bâle-Ville régissaient les conditions et la procédure applicable à une demande de dispense pour certains cours (traduction de la Cour) : Paragraphe 34 « La direction de l’école prend la décision d’accorder ou non la dispense de certains cours. Pour pouvoir dûment s’informer, elle est en droit de demander des justificatifs. » Paragraphe 35 « Des dispenses sont accordées pour une durée déterminée, qui ne peut dépasser la durée du semestre en cours. Une nouvelle demande est exigée pour toute demande de prolongation. » Le plan d’études du canton de Bâle-Ville, établi par le Conseil de l’éducation (Erziehungsrat) et approuvé par le Conseil d’État, prévoit au chiffre 9.2.4 que la natation fait partie de l’enseignement obligatoire de la gymnastique et de l’éducation physique, et, au point 9.2.5, que le patinage en fait partie. Une directive (Handreichung) du département de l’instruction du canton de Bâle-Ville de septembre 2007, intitulée Merkblatt zum Umgang mit religiösen Fragen an der Schule (Note sur le traitement à réserver aux questions religieuses à l’école), précise les modalités de prise en compte des questions religieuses dans le cadre de l’école. En vertu du chiffre 5.1 de cette directive, des dispenses de cours de natation ne peuvent être accordées qu’à des élèves qui ont atteint l’âge de la puberté. À partir de la sixième année, l’enseignement de l’éducation physique et de la natation se fait de toute façon de manière séparée pour les filles et les garçons (chiffre 5.3 de la directive). De plus, la directive énonce que, pour qu’il soit tenu compte de la manière dont l’islam conçoit la morale, les élèves doivent avoir la possibilité de couvrir leurs corps si leurs parents le souhaitent, qu’ils doivent pouvoir se changer à l’écart des autres élèves de la classe, qu’ils doivent pouvoir se doucher à l’abri des regards ou avec les seuls élèves de leur sexe et qu’ils doivent, dans la mesure du possible, recevoir l’enseignement de professeurs du même sexe (chiffre 5.3 de la directive). Cette directive est régulièrement mise à jour et accessible sur Internet. B. La pratique interne pertinente En 1993, le Tribunal fédéral s’est penché pour la première fois sur la question d’une dispense de cours de natation à l’école primaire pour motifs religieux (ATF 119 Ia 178). Il a estimé, à la lumière du principe de proportionnalité, qu’une éducation des enfants conforme aux convictions religieuses des parents primait en l’espèce sur le caractère obligatoire des cours de natation. Il a considéré qu’il ne fallait privilégier l’intérêt de l’élève par rapport aux intérêts religieux de ses parents que lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant était concrètement et sérieusement compromis par l’adhésion stricte aux règles religieuses, par exemple si la santé de l’enfant était menacée ou si l’égalité des chances – y compris celle entre hommes et femmes – était en jeu. Or, d’après le tribunal, de telles valeurs n’étaient pas mises en question dans l’affaire considérée, au motif que les cours de natation ne représentaient qu’une petite partie de l’enseignement du sport et que, dès lors, la mission de formation de l’école n’était pas sérieusement menacée par une dispense individuelle des cours de natation. En d’autres termes, selon le tribunal, même si la requérante n’apprenait pas à nager, ses chances de mener à bien sa formation scolaire ou de réussir sa vie professionnelle n’étaient pas sérieusement menacées. Le Tribunal fédéral a également observé que le plan d’études du canton de Zurich n’obligeait pas les communes à offrir la natation comme cours obligatoire mais qu’il se bornait à le leur recommander. Il a noté qu’il n’était pas exclu qu’il existât dans ce canton des écoles primaires dans lesquelles la natation n’était pas enseignée. Par ailleurs, le tribunal n’a vu aucune raison de douter du sérieux de l’allégation des requérants selon laquelle leurs filles suivaient des cours de natation privés. Le Tribunal fédéral a ensuite estimé qu’il ne fallait pas s’attendre à un nombre élevé de demandes de dispense dont la gestion aurait impliqué pour les écoles une surcharge de travail ou des problèmes d’organisation. Enfin, quant à l’argument de l’instance inférieure selon lequel les élèves étrangers devaient s’adapter aux conditions et coutumes du pays d’accueil, le Tribunal fédéral a considéré que les étrangers devaient certes respecter les lois suisses, mais qu’il n’existait aucun devoir, au sens d’une règle contraignante, d’adapter toutes leurs coutumes et manières de vivre aux pratiques locales. En d’autres termes, selon le Tribunal fédéral, on ne pouvait déduire du principe d’intégration une règle juridique imposant à des élèves d’origine étrangère une restriction disproportionnée de leurs idées et de leurs convictions religieuses et culturelles. Quinze ans plus tard, le 24 octobre 2008, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence eu égard à l’augmentation rapide de la population musulmane en Suisse. Par une décision de principe (ATF 135 I 79), il a indiqué que l’intérêt de l’intégration et le respect des valeurs de la culture locale devaient se voir attribuer davantage de poids. Il a constaté l’existence d’un intérêt public important à ce que tous les élèves pussent suivre les cours de natation, pour des raisons de socialisation, de sécurité des enfants et d’égalité des chances entre filles et garçons. Par conséquent, il a estimé que le refus de dispense des cours de natation était justifié et donc conforme aux obligations de la Convention. Depuis lors, le Tribunal fédéral a confirmé cette nouvelle jurisprudence. L’une des affaires (arrêt du Tribunal fédéral du 7 mars 2012, 2C_666/2011) concerne la décision qui fait l’objet de la présente requête devant la Cour. Dans une autre affaire (arrêt du 11 avril 2013, 2C_1079/2012), le Tribunal fédéral a été confronté pour la première fois à une demande de dispense du cours de natation obligatoire concernant une élève pubère, âgée de 14 ans. La haute juridiction suisse a rejeté le recours. La jeune fille, de religion chiite, arguait en particulier que, d’une part, le cours en question était donné par un enseignant de sexe masculin et que, d’autre part, des hommes pouvaient la voir à travers les fenêtres de la piscine. Le Tribunal fédéral a estimé que l’intérêt privé de la jeune fille devait céder le pas devant l’intérêt public à l’éducation intégrale de tous les élèves quelle que fût leur religion. Par ailleurs, l’ingérence dans la liberté de la religion de la requérante a semblé au Tribunal fédéral moins significative dans cette affaire au motif que le cours de natation était donné séparément aux filles et aux garçons, et que l’intéressée pouvait se changer et prendre une douche à l’écart des autres élèves et porter un burkini. III. LA PRATIQUE DANS D’AUTRES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE Dans un arrêt du 29 octobre 2012, la Cour constitutionnelle (Staatsgerichtshof) du Liechtenstein a admis le recours de parents membres de l’Église palmarienne (Palmarianische Kirche) qui se plaignaient d’une violation de leur droit à la liberté de religion en raison du refus des instances inférieures d’exempter leurs trois enfants (deux filles et un garçon) des cours de natation obligatoires. La Cour constitutionnelle a distingué l’affaire, en particulier, de l’arrêt de principe prononcé par le Tribunal fédéral le 24 octobre 2008 (paragraphe 29 ci-dessus), dans la mesure où, la dispense en question n’ayant pas été requise par des parents musulmans, l’intérêt public à l’intégration des élèves étrangers dans la société suisse aurait fait défaut. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a considéré que la menace d’excommunication par l’Église palmarienne – argument avancé par les requérants – était sérieuse et qu’elle devait être prise en compte. Compte tenu des particularités de l’affaire et à la lumière de l’intérêt supérieur des enfants, elle a donné suite au recours des parents et a renvoyé la cause devant l’instance inférieure. Par un arrêt du 11 septembre 2013, la Cour administrative fédérale allemande (Bundesverwaltungsgericht) a rejeté une demande de révision (Revisionsgesuch) émanant d’une élève musulmane qui, alors âgée de 11 ans, s’était vu refuser une dispense des cours de natation mixtes dans le gymnase de Francfort, où la proportion d’élèves musulmans était élevée. La Cour administrative fédérale a conclu que la plaignante n’avait pas démontré dans quelle mesure les codes vestimentaires de sa religion auraient été mis en cause par le port d’un burkini, autorisé par l’administration de l’école. Elle a écarté l’objection de la plaignante selon laquelle le burkini n’effaçait pas les contours de son corps. Elle a également estimé que l’école n’était pas obligée d’exclure du programme scolaire des pratiques qui se rencontraient et qui étaient tolérées dans la société en dehors de l’école, pour la seule raison qu’elles n’étaient pas acceptables aux yeux de certains à la lumière de leurs concepts religieux individuels. Concernant l’argument de la plaignante selon lequel elle risquait d’être touchée par hasard par des garçons pendant les cours de natation, la Cour administrative fédérale a estimé que ce risque pouvait être largement réduit par une organisation attentive des cours par l’enseignant et par des précautions prises par la plaignante elle-même. Elle a en outre souligné que l’une des missions centrales de l’école était sa fonction intégrative, incluant d’après elle la nécessité de promouvoir auprès des enfants la confrontation avec et l’acceptation des mœurs, opinons et idées religieuses et culturelles de tiers qui ne correspondaient pas nécessairement à leurs propres convictions. Selon les informations dont dispose la Cour, cette affaire était pendante devant la Cour constitutionnelle allemande à la date de l’adoption du présent arrêt (6 décembre 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1988 et réside à Zagreb. A. La genèse de l’affaire Le 9 juin 2013, la police de Zagreb (Policijska uprava Zagrebačka, « la police ») reçut un appel d’urgence l’informant que deux hommes étaient en train d’agresser un homme et une femme d’origine rom. La police se rendit immédiatement sur les lieux, où elle trouva la requérante et son compagnon, Š.Š., ainsi qu’un autre individu, I.M., avec lequel les deux premiers s’étaient disputés et battus. Tous trois présentaient des blessures visibles. Peu de temps après, la police trouva et arrêta à proximité un autre homme, S.K., qui avait aussi participé à la rixe. Selon un rapport préliminaire préparé par la police, la requérante et son compagnon avaient d’abord eu une dispute avec I.M. et S.K., au cours de laquelle S.K. avait dit : « il faut tuer tous les Tsiganes, nous vous exterminerons ». S.K. et I.M. avaient ensuite agressé le compagnon de la requérante. Celle-ci avait tenté de s’échapper avec son compagnon, mais I.M. et S.K. avaient réussi à les rattraper. S.K. avait saisi la requérante par son tee-shirt, il l’avait fait tomber et lui avait donné des coups de pied à la tête. Puis, I.M. et S.K. avaient recommencé à rouer de coups le compagnon de la requérante, dont les mains avaient été tailladées par S.K. D’après le rapport de police, la requérante présentait une contusion visible sous l’œil gauche. Les services médicaux d’urgence se rendirent aussi sur les lieux. Un médecin constata les blessures de la requérante, qu’il qualifia de lésions corporelles légères. Le même jour, la requérante fut examinée à l’hôpital, où le constat de ses blessures fut confirmé. On lui recommanda de se reposer et de prendre des antalgiques. La police procéda à une inspection des lieux de l’agression, ainsi qu’à une nouvelle analyse des éléments dont elle disposait. Elle interrogea en outre la requérante, son compagnon et les deux agresseurs. Lorsqu’il fut entendu par la police le 9 juin 2013, Š.Š., le compagnon de la requérante, déclara qu’il était d’origine rom. Il fit le récit suivant des événements. Le jour de l’incident, il était à un marché aux puces avec la requérante, lorsque des passants l’auraient poussée. Il s’était rendu compte qu’il s’agissait de deux jeunes hommes et avait dit à la requérante de les ignorer, pensant qu’ils étaient ivres (« bourrés »). L’un des deux hommes l’avait entendu et, s’adressant à Š.Š., lui avait dit : « Nique ta Tsigane de mère ! Qui est ivre ? Tu te prends pour qui pour me parler ainsi ? Vous devriez tous être exterminés, j’emmerde ta Tsigane de mère » (Jebem ti mater cigansku, tko je urokan, šta ti meni imaš govoriti, sve vas treba istrijebiti mamu vam cigansku jebem). L’autre homme s’était également tourné vers Š.Š. et lui avait dit : « Nique ta mère, vous devriez tous être exterminés, je te tuerai » (Jebem vam majku, treba vas istrijebiti, ubit ću te). Š.Š. avait alors paniqué et avait sorti un couteau pour leur faire peur. Cela n’avait toutefois fait qu’attiser la colère des deux hommes, dont l’un avait sorti un couteau, et tous les deux avaient commencé à poursuivre Š.Š. Comme celui-ci s’enfuyait, la requérante avait fait de même et ils avaient tous deux pris la fuite, cherchant de l’aide. Mais les agresseurs étaient parvenus à empoigner Š.Š. et avaient commencé à le rouer de coups. La requérante avait tenté de lui porter secours et avait aussi été frappée. Les deux hommes avaient continué à frapper Š.Š., lui disant qu’il était rom et qu’on devrait le tuer. Lorsqu’elle fut entendue par la police le 9 juin 2013, la requérante déclara qu’elle habitait avec Š.Š., avec qui elle avait eu deux enfants. Elle confirma la version des faits donnée par Š.Š., affirmant qu’elle avait été poussée par les deux hommes. Elle fit aussi les déclarations suivantes. Lorsque Š.Š. avait réagi en disant à la requérante qu’il fallait laisser ces deux hommes tranquilles parce qu’ils étaient ivres, l’un d’eux avait dit : « Qui est ivre ? Nique ta Tsigane de mère, vous devriez tous être exterminés, la Croatie sera à nouveau blanche, vous êtes des saletés » (Tko je pijan, jebem ti mater cigansku, vas treba istrijebiti, ovo će ponovno biti bijela Hrvatska, smeće jedno). Les deux hommes avaient alors agressé Š.Š. La requérante avait tenté de s’approcher pour venir à son secours, mais une autre femme l’en avait empêchée. Au bout d’un moment, elle était toutefois parvenue à rejoindre Š.Š., avec lequel elle avait pris la fuite. Les deux hommes les avaient rattrapés et l’un d’entre eux l’avait saisie par le tee-shirt et lui avait dit : « Que vas-tu faire maintenant, garce ? Maintenant, je vais te frapper. » (Što ćeš sad kujo jedna, sad ću te prebiti). Cet homme lui avait alors donné des coups de pied à la tête. Les deux hommes avaient continué à battre Š.Š., tandis qu’elle s’était enfuie pour trouver de l’aide. Lors de leurs interrogatoires du 9 juin 2013, les deux agresseurs expliquèrent que la dispute avait éclaté au motif que, selon eux, Š.Š. les avait insultés en disant qu’ils étaient ivres. Ils soutenaient que la rixe n’avait eu aucune connotation raciale. Le 10 juin 2013, la police saisit le parquet de Zagreb (Općinsko državno odvjetništvo u Zagrebu) d’une plainte pénale contre S.K. et I.M., qui étaient accusés d’avoir commis un délit de haine en tentant d’infliger des lésions corporelles graves à Š.Š. en raison de son origine rom. La requérante était mentionnée dans la plainte pénale en tant que témoin. Au cours de l’enquête, le parquet de Zagreb entendit les deux suspects et, le 17 juin et le 31 juillet 2013, il chargea la police de mener une procédure d’identification et un interrogatoire formel de la requérante et de Š.Š. en tant que témoins. Lorsqu’il fut entendu comme témoin, Š.Š. réitéra les déclarations qu’il avait faites lors de sa première audition par la police. Il expliqua que les deux hommes avaient poussé la requérante et que l’un d’eux s’était ensuite tourné vers lui et avait proféré des insultes concernant son origine rom (paragraphe 11 ci-dessus). Š.Š. indiqua aussi que la requérante avait été agressée dès qu’elle était venue à son secours alors que les deux hommes étaient en train de le rouer de coups. Interrogée comme témoin, la requérante répéta ce qu’elle avait dit lors de sa première audition par la police (paragraphe 12 ci-dessus). B. La procédure pénale relative à l’agression du compagnon de la requérante Une fois l’enquête achevée, le 30 octobre 2013, le parquet de Zagreb inculpa S.K. et I.M. devant le tribunal pénal de la même ville (Općinski kazneni sud u Zagrebu) pour menaces graves à l’égard de Š.Š. et infliction de lésions corporelles, associées à un élément relevant du délit de haine. L’acte d’inculpation se référait aussi à l’agression de la requérante, mentionnant les coups de pied qu’elle avait reçus à la tête alors qu’elle tentait de protéger Š.Š. contre les coups qui lui étaient portés. (...) Le 13 octobre 2014, le tribunal pénal de Zagreb reconnut S.K. et I.M. coupables des faits qui leur étaient reprochés et il les condamna à un an et six mois d’emprisonnement. C. La plainte pénale déposée par la requérante Parallèlement, le 29 juillet 2013, la requérante et son compagnon, représentés par un avocat, Me L.K., déposèrent une plainte pénale auprès du parquet de Zagreb contre deux suspects non identifiés impliqués dans l’incident du 9 juin 2013 (paragraphes 6-13 ci-dessus). D’après la plainte pénale, l’un des suspects avait d’abord poussé la requérante, puis il l’avait traitée de « garce » (kuja) entretenant une relation avec un Rom et il avait menacé de la frapper. On aurait saisi la requérante par son tee-shirt et on l’aurait poussée à terre de telle sorte qu’elle se serait cogné la tête. Les agresseurs auraient alors continué à battre Š.Š., menaçant de le tuer ainsi que la requérante. Ils auraient aussi au même moment volé deux téléphones portables à Š.Š. (...) Le 31 octobre 2014, le parquet de Zagreb rejeta la plainte pénale de la requérante après avoir examiné les éléments recueillis au cours de l’enquête menée sur les faits du 9 juin 2013 et ceux provenant de la procédure pénale dirigée contre S.K. et I.M. (paragraphes 10-22 ci-dessus). Le passage pertinent de la décision se lit comme suit : « Compte tenu de ce qui précède, il est établi sans aucun doute que, le jour en question, il y a eu une rixe entre S.K., I.M. et Š.Š., au cours de laquelle [S.K. et I.M.] ont infligé des blessures corporelles à Š.Š. et l’ont menacé, et que ces infractions étaient principalement motivées par leur haine à l’égard des Roms. Cependant, les déclarations des témoins Š.Š. et Maja Škorjanec montrent que [S.K. et I.M.] ont poussé celle-ci dans le dos, la faisant tomber sur un étal [du marché aux puces], non pas parce qu’elle était la compagne de Š.Š., qui est d’origine rom, mais parce qu’ils étaient ivres et qu’ils l’ont accidentellement poussée vers les étals. En outre, il ressort indubitablement des éléments médicaux concernant Maja Škorjanec, ainsi que des procès-verbaux des auditions des témoins Š.Š. et Maja Škorjanec, tout comme des déclarations faites en défense par S.K. et I.M. au cours de la procédure devant le tribunal pénal de Zagreb que S.K. a donné des coups de pied à Maja Škorjanec sur la face gauche du visage, lui causant ainsi des blessures légères. Étant donné que rien n’indique que S.K. et I.M. aient blessé Maja Škorjanec parce qu’ils haïssaient les Roms, puisqu’elle n’est pas d’origine rom, la commission de l’infraction prévue par l’article 117 § 2 combiné avec l’article 87 § 21 du code pénal n’a pas été établie. En particulier, la blessure causée à Maja Škorjanec correspond, par sa nature, à celle définie à l’article 177 § 1 du code pénal. (...) Les poursuites pénales pour l’infraction prévue à l’article 177 § 1 du code pénal sont engagées à titre privé. Par conséquent, la plainte pénale (...) doit être rejetée (...) au motif que l’infraction reprochée ne peut faire l’objet de poursuites ouvertes d’office par le procureur. Quant à l’infraction énoncée à l’article 139 § 2 combiné avec l’article 87 § 21 du code pénal, il convient de souligner qu’il est évident que S.K. et I.M. ont menacé Š.Š. et non Maja Škorjanec (...) De plus, (...) l’examen du procès-verbal de l’audition de Maja Škorjanec en tant que témoin amène à conclure que ce n’est pas elle mais Š.Š. que S.K. et I.M. ont menacé. Par conséquent, la plainte pénale (...) doit être rejetée au motif que l’infraction reprochée n’est pas susceptible d’être poursuivie d’office par le procureur. » La requérante fut informée qu’elle pouvait reprendre les poursuites dirigées contre S.K. et I.M. en tant que procureur subsidiaire, comme le prévoyait le droit interne pertinent (paragraphe 30 ci-dessous). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Le code pénal Les dispositions pertinentes du code pénal (Kazneni zakon, Journal officiel no 125/2011, tel que modifié) sont ainsi libellées : Article 87 « 21) Le délit de haine est une infraction pénale dont la commission est motivée par la race, la couleur de la peau, la religion, l’origine nationale ou ethnique, le handicap, l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle d’une autre personne. Pareil comportement est considéré comme une circonstance aggravante si une peine plus sévère n’est pas expressément prévue par le présent code. » Blessures corporelles Article 117 « 1) Quiconque inflige une blessure corporelle à autrui ou porte atteinte à sa santé est puni d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée ne dépassant pas un an. 2) Quiconque commet un acte réprimé par le paragraphe 1 en étant motivé par la haine (...) est puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée ne dépassant pas trois ans. 3) Une infraction pénale réprimée par le paragraphe 1 fait l’objet de poursuites privées. » Menaces Article 139 « 2) Quiconque menace sérieusement une autre personne de la tuer ou de lui infliger des blessures corporelles graves (...) est puni d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée ne dépassant pas trois ans. (...) 4) (...) [Une] infraction pénale réprimée par le paragraphe 2 du présent article est poursuivie à la demande [de la victime], sauf si elle relève en outre de l’incrimination du délit de haine (...), auquel cas elle est poursuivie d’office par le procureur]. » Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (Zakon o kaznenom postupku, Journal officiel, nos 152/2008, 76/2009, 80/2011, 121/2011, 91/2012, 143/2012, 56/2013, 145/2013 et 152/2014) se lisent ainsi : Article 2 « 1) Les poursuites pénales ne sont engagées et menées qu’à la demande du procureur compétent. (...) 2) En ce qui concerne les infractions pénales passibles de poursuites publiques, l’autorité compétente est le procureur général ; en ce qui concerne les infractions pénales susceptibles de donner lieu à des poursuites privées, le procureur compétent est le procureur privé. (...) (...) 4) Si le procureur général constate l’absence de motif justifiant l’ouverture ou la conduite de poursuites pénales, la victime peut se substituer à lui en tant que procureur subsidiaire dans les conditions énoncées dans la présente loi. » Les articles 55 à 63 régissent les droits et obligations des procureurs privés et des victimes agissant en tant que procureurs subsidiaires. Le procureur privé (privatni tužitelj) est une victime qui engage des poursuites privées concernant des infractions pénales pour lesquelles de telles poursuites sont expressément autorisées par le code pénal (à savoir des infractions moins graves). Une victime agissant en tant que procureur subsidiaire (oštećeni kao tužitelj) est une personne qui reprend des poursuites pénales concernant des infractions passibles de poursuites, mais pour lesquelles, pour quelque motif que ce soit, l’autorité compétente a décidé de ne pas poursuivre. En tant que procureur subsidiaire, la victime a tous les droits procéduraux dont le parquet jouit en tant qu’autorité publique de poursuites, à l’exception de ceux qui lui sont conférés en tant qu’organe de l’État. En vertu de l’article 58 § 2, le parquet dispose du pouvoir discrétionnaire de se substituer à un procureur subsidiaire pour reprendre les poursuites à tout stade de la procédure avant la fin du procès. B. Pratique et documents internes pertinents en matière de discrimination La pratique interne pertinente et d’autres documents en matière de discrimination en général sont exposés dans l’arrêt Guberina c. Croatie (no 23682/13, §§ 27 et 29-31, CEDH 2016). (...)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les trois requérants sont nés respectivement en 1974, 1984 et 1977. Les premier et troisième requérants résident à Moscou et le deuxième requérant réside à Gryazy, dans la région de Lipetsk. Les requérants sont des militants des droits homosexuels. Ils furent tous trois reconnus coupables de l’infraction administrative d’« activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs » (публичные действия, направленные на пропаганду гомосексуализма среди несовершеннолетних). A. Les infractions administratives commises par les requérants Le 3 avril 2006, la Douma régionale de Riazan adopta la loi sur la protection de la moralité des enfants dans l’oblast de Riazan, qui interdisait les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs. Le 4 décembre 2008, ce même organe adopta la loi sur les infractions administratives, qui érigeait en infraction administrative les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs. Le 30 mars 2009, le premier requérant manifesta statiquement (selon la méthode du « piquet », пикетирование) devant un établissement d’enseignement secondaire à Riazan en brandissant deux banderoles sur lesquelles on pouvait lire « L’homosexualité, c’est normal » et « Je suis fier de mon homosexualité ». Il fut accusé d’avoir ainsi commis une infraction administrative. Le 6 avril 2009, le juge de paix du dix-huitième circuit du district Oktyabrskiy de Riazan déclara le premier requérant coupable de violation de l’article 3.10 de la loi sur les infractions administratives en vigueur à Riazan. L’intéressé fut condamné à payer une amende de 1 500 roubles russes (RUB, soit l’équivalent d’environ 34 euros (EUR)). Le 14 mai 2009, le tribunal du district Oktyabrskiy rejeta le recours formé par le premier requérant. Le 30 septembre 2011, l’assemblée régionale des députés d’Arkhangelsk adopta des modifications à la loi sur les mesures distinctes de protection de la moralité et de la santé des enfants dans l’oblast d’Arkhangelsk. La version modifiée de cette loi interdisait les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs. Le 21 novembre 2011, ce même organe adopta des modifications à la loi régionale sur les infractions administratives. Furent érigées en infraction administrative les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs. Le 11 janvier 2012, les deuxième et troisième requérants manifestèrent statiquement devant la bibliothèque pour enfants d’Arkhangelsk. Le deuxième requérant portait une banderole sur laquelle on pouvait lire « La Russie affiche le taux le plus élevé au monde de suicide chez les adolescents. Une grande proportion d’homosexuels figurent parmi eux. Ils en arrivent là faute d’informations sur leur nature. Les députés sont des tueurs d’enfants. L’homosexualité, c’est bien ! » Le troisième requérant brandissait une banderole sur laquelle on pouvait lire « Les enfants ont le droit de savoir. Des personnes formidables sont parfois aussi des homosexuels ; les homosexuels deviennent eux aussi formidables. L’homosexualité est naturelle et normale » ; cette banderole énumérait ensuite les noms de personnes célèbres qui avaient contribué au patrimoine culturel de la Russie et qui passaient pour être des homosexuels. Ces deux requérants furent arrêtés et conduits au poste de police, où l’on dressa des procès-verbaux d’infraction administrative. Le 3 février 2012, le juge de paix du sixième circuit du district Oktyabrskiy d’Arkhangelsk déclara les deuxième et troisième requérants coupables d’une violation de l’article 2.13 § 1 de la loi sur les infractions administratives en vigueur à Arkhangelsk. Le deuxième requérant fut condamné à payer une amende de 1 800 RUB (environ 45 EUR) et le troisième requérant, une amende de 2 000 RUB (environ 50 EUR). Le 22 mars 2012, le tribunal du district Oktyabrskiy d’Arkhangelsk rejeta les recours formés par les deux requérants. Le 7 mars 2012, l’assemblée législative de Saint-Pétersbourg adopta des modifications à la loi sur les infractions administratives en vigueur à Saint-Pétersbourg. Furent érigées en infraction administrative les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité, la bisexualité et/ou le transsexualisme auprès des mineurs ; cette même loi punissait d’une amende administrative la promotion de la pédophilie. Le 12 avril 2012, le troisième requérant manifesta devant le bâtiment de l’administration municipale de Saint-Pétersbourg en brandissant une banderole sur laquelle on pouvait lire une citation bien connue d’une célèbre actrice de l’ère soviétique, Faina Ranevskaya : « L’homosexualité n’est pas une perversion, contrairement au hockey sur gazon et au patinage artistique ». Il fut arrêté par la police et conduit au poste de police où un procès-verbal d’infraction administrative fut établi. Le 5 mai 2012, le juge de paix du deux-cent-huitième circuit de Saint-Pétersbourg reconnut le troisième requérant coupable d’une violation de l’article 7.1 de la loi sur les infractions administratives en vigueur à Saint-Pétersbourg. Il fut condamné à payer une amende de 5 000 RUB (environ 130 EUR). Le 6 juin 2012, le tribunal du district Smolninskiy de Saint-Pétersbourg rejeta le recours formé par le requérant. B. Évolution de la législation et arrêts de la Cour constitutionnelle À une date non communiquée, les premier et troisième requérants saisirent la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Ils contestaient la compatibilité de l’article 4 de la loi sur la protection de la moralité et de la santé des enfants dans l’oblast de Riazan avec les dispositions de la Constitution, et en particulier avec les principes de l’égalité de traitement et de la liberté d’expression consacrés par ses articles 19 et 29, ainsi qu’avec les dispositions de l’article 55 § 3, qui énonce les conditions dans lesquelles il est possible de restreindre les droits et libertés garantis par la Constitution. Le 19 janvier 2010, la Cour constitutionnelle déclara le grief irrecevable pour les raisons suivantes : « L’article 14 § 1 de la loi fédérale énonce clairement la responsabilité qui incombe aux organes d’État de la Fédération de Russie de prendre des mesures visant à protéger les enfants contre les informations, la propagande et le militantisme qui sont dangereux pour leur santé ainsi que pour leur développement moral et spirituel. (...) Les textes législatifs adoptés dans l’oblast de Riazan concernant la protection de la moralité des enfants dans cet oblast et les infractions administratives ne viennent pas renforcer des mesures interdisant l’homosexualité ou prévoyant sa censure officielle ; ils ne renferment pas d’indices de discrimination et rien dans leur but n’indique d’actions superflues de la part des organes de l’État. Il s’ensuit que les dispositions contestées par les appelants ne peuvent s’analyser en une restriction disproportionnée de la liberté d’expression. » À une date non communiquée, le troisième requérant saisit la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Il contestait la compatibilité de l’article 7 de la loi sur les infractions administratives en vigueur à SaintPétersbourg avec la Constitution. Le 24 octobre 2013, la Cour constitutionnelle déclara ce grief irrecevable pour les raisons suivantes : « (...) Il s’ensuit que l’interdiction donnée, déterminée par le fait que pareille promotion est susceptible de porter préjudice aux mineurs en raison des particularités du développement intellectuel et psychologique qui sont propres à leur âge, ne saurait être considérée comme autorisant une limitation des droits et des libertés des citoyens sur la seule base de l’orientation sexuelle. (...) Cependant, cela n’exclut pas la nécessité de définir – sur la base d’un exercice de mise en balance des valeurs constitutionnelles concurrentes – les limites touchant la pratique effective de ses droits et libertés par tel ou tel individu, de manière à ne pas porter atteinte aux droit et libertés d’autrui. (...) Étant donné qu’elle est liée à l’enquête sur les circonstances factuelles de l’affaire, la question de savoir si les actes de l’appelant concernant la diffusion ciblée, en l’absence de tout contrôle, d’informations accessibles à tous étaient susceptibles de porter préjudice à la santé ainsi qu’au développement moral et spirituel de mineurs, notamment en créant une impression fausse d’équivalence sociale entre les relations maritales traditionnelles et les relations maritales non traditionnelles, ne relève pas de la compétence de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, pas plus que le contrôle de la légalité et de la validité des décisions judiciaires rendues dans l’affaire de l’appelant. » Le 29 juin 2013, le code des infractions administratives de la Fédération de Russie fut modifié : la promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs fut érigée en infraction administrative par l’article 6.21. À une date non communiquée, le troisième requérant ainsi que deux autres personnes saisirent la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie. Ils contestaient la compatibilité de l’article 6.21 du code des infractions administratives avec les dispositions de la Constitution. Le 23 septembre 2014, la Cour constitutionnelle examina le grief sur le fond et le rejeta pour les raisons suivantes : « (...) L’exercice par les citoyens du droit de diffuser des informations sur la question de l’autodétermination sexuelle d’un individu ne devrait pas porter atteinte aux droits et libertés d’autrui ; lorsque l’on encadre ce droit par la voie législative, il est nécessaire de veiller à ménager un équilibre entre les valeurs protégées par la Constitution. Par conséquent, gardant à l’esprit le caractère sensible de ces questions, puisqu’elles relèvent de la sphère de l’autonomie individuelle, et sans empiéter sur son essence même, l’État est en droit d’introduire, sur la base des exigences susmentionnées découlant de la Constitution de la Fédération de Russie, des restrictions spécifiques aux activités liées à la diffusion de pareilles informations si celle-ci prend un caractère agressif [et] importun et est susceptible de porter atteinte aux droits et aux intérêts juridiques d’autrui, au premier rang desquels les mineurs, et qu’elle revêt une forme choquante. (...) Pour autant que l’un des rôles de la famille est de donner naissance à des enfants et de les élever, la conception du mariage comme l’union d’un homme et d’une femme forme le socle de l’approche retenue par la législation pour résoudre les problèmes démographiques et sociaux dans le domaine des relations familiales dans la Fédération de Russie (...) La réglementation de la liberté d’expression et de la liberté de diffuser des informations ne présuppose ni l’instauration de conditions qui seraient de nature à faciliter la formation d’autres interprétations de la famille en tant qu’institution ainsi que des institutions sociales et juridiques qui lui sont associées et qui différeraient des interprétations qui sont généralement admises, ni leur approbation par la société comme étant de valeur équivalente (...) Ces buts déterminent également la nécessité de protéger l’enfant contre l’influence des informations qui sont susceptibles de porter préjudice à sa santé ou à son développement, et en particulier des informations qui s’accompagnent de l’imposition agressive de modèles spécifiques de comportement sexuel de nature à susciter des représentations faussées des modèles de relations familiales qui sont socialement admis et qui correspondent aux valeurs morales généralement acceptées dans la société russe telles qu’elles sont exprimées dans la Constitution et dans la législation. (...) Pour veiller à son bon développement, les États sont tenus, en particulier, de protéger l’enfant de toutes les formes d’exploitation sexuelle et de perversion sexuelle. (...) Le but qui était poursuivi par le législateur fédéral lorsqu’il a instauré la norme en question était de protéger les enfants contre l’impact d’informations susceptibles de les inciter à opter pour des relations sexuelles non traditionnelles, préférence qui les empêcherait de construire des relations familiales telles qu’elles sont traditionnellement conçues en Russie et exprimées dans la Constitution de la Fédération de Russie. La Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie reconnaît que l’impact éventuel sur la vie à venir de l’enfant produit par les informations en question, même lorsqu’elles sont délivrées de manière répétée, n’a pas été prouvé au-delà de tout doute. Néanmoins, lorsqu’il apprécie la nécessité d’introduire l’une ou l’autre restriction, le législateur fédéral est en droit de recourir à des critères reposant sur l’hypothèse qu’il existe une menace pour les intérêts de l’enfant, en particulier lorsque les restrictions qu’il introduit ne concernent que la tendance des informations en question à cibler des personnes d’une tranche d’âge donnée et ne peuvent donc passer pour exclure la possibilité d’exercer le droit constitutionnel à la liberté d’information reconnu à chacun dans ce domaine (...) L’interdiction d’activités publiques en relation avec des mineurs vise à empêcher que l’attention de ceux-ci ne se porte de plus en plus sur des questions relatives aux relations sexuelles qui peuvent, dans des circonstances défavorables, déformer de manière importante la conception qu’a l’enfant des valeurs constitutionnelles que sont la famille, la maternité, la paternité et l’enfance, et nuire non seulement à sa santé et à son développement psychologiques, mais aussi à son adaptation sociale. Le fait que cette interdiction ne s’étend pas aux situations relatives à la promotion d’un comportement immoral dans le contexte de relations sexuelles traditionnelles, domaine qui peut également appeler une réglementation par l’État, y compris par le biais [de l’existence] d’infractions administratives, ne constitue pas un motif permettant de conclure que la norme en question est incompatible avec la Constitution de la Fédération de Russie en ce qu’elle méconnaîtrait les principes d’égalité qui s’appliquent à la protection des valeurs constitutionnelles, lesquelles assurent le renouvellement ininterrompu des générations (...) L’imposition à des mineurs d’un ensemble de valeurs sociales différant de celles qui sont généralement admises dans la société russe et qui ne sont pas partagées par les parents, qui les perçoivent d’ailleurs souvent comme inacceptables – sachant que ce sont les parents qui portent la responsabilité première du développement et de l’éducation de leurs enfants et qui sont tenus de veiller à leur santé ainsi qu’à leur développement physique, psychologique, spirituel et moral – (...) peut se traduire par la marginalisation sociale de l’enfant et faire obstacle à son développement au sein de la famille, en particulier si l’on considère que l’égalité des droits tels qu’énoncée dans la Constitution, qui présuppose également l’égalité des droits indépendamment de l’orientation sexuelle, ne garantit pas encore que les personnes ayant une orientation sexuelle différente soient effectivement considérées comme égales aux autres par l’opinion publique ; pareille situation peut entraîner des difficultés objectives lorsqu’il s’agit d’éviter l’attitude négative de membres de la société à l’égard de ces personnes au quotidien. Cela vaut également dans les cas où l’information dont la diffusion est interdite aux mineurs peut être destinée, du point de vue de celui qui la diffuse, à contribuer à surmonter les attitudes négatives à l’endroit des personnes qui ont une orientation sexuelle différente (...) L’interdiction de la promotion des relations sexuelles non traditionnelles n’exclut pas en elle-même que l’information en question puisse être présentée dans un contexte (éducatif, artistique, historique) neutre. Si elle est exempte de signes indiquant une volonté de promotion, c’est-à-dire si elle n’est pas destinée à engendrer des préférences s’agissant du choix de formes non traditionnelles d’identité sexuelle et si elle suit une approche individualisée tenant compte des spécificités du développement psychologique et physiologique des enfants d’une tranche d’âge donnée ainsi que de la nature de la question précise qui se trouve ainsi explicitée, la transmission de telles informations peut s’opérer avec l’aide d’experts comme par exemple des enseignants, des médecins ou des psychologues. (...) ne signifie pas que l’État fait une appréciation négative des relations sexuelles non traditionnelles en tant que telles, et n’a pas vocation à rabaisser l’honneur et la dignité des citoyens qui s’adonnent à ce type de relations (...) (...) ne peut être considéré comme impliquant une censure officielle des relations sexuelles non traditionnelles, en particulier de l’homosexualité, et encore moins leur interdiction (...) (...) la personne [qui diffuse les informations] doit comprendre que ce qui lui apparaît comme la simple communication d’informations peut, dans une situation donnée, ressembler à du militantisme (de la promotion), s’il est démontré que le but était de diffuser (ou en particulier d’imposer) des informations présentant le contenu susmentionné. Parallèlement, seule la mise en œuvre intentionnelle par une personne des activités publiques correspondantes, visant directement à promouvoir les relations sexuelles non traditionnelles auprès de mineurs, ou la commission intentionnelle de telles actions par une personne qui savait parfaitement qu’il pouvait y avoir des mineurs parmi les destinataires de ces informations, est répréhensible (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Constitution russe garantit l’égalité en matière de droits et de libertés à tous les citoyens indépendamment, en particulier, de leur sexe, de leur statut social ou de leur situation professionnelle (article 19). Elle garantit également le droit à la liberté de pensée et d’expression, ainsi que la liberté de rechercher, de recevoir, de transmettre et de diffuser des informations par tout moyen légal (article 29). Elle prévoit que les droits et libertés peuvent être restreints par des lois fédérales aux fins de la protection des principes constitutionnels, de la morale publique, de la santé ainsi que des droits et intérêts légitimes d’autrui, et aux fins d’assurer la défense et la sécurité de l’État (article 55). La loi no 172-22-OZ de l’oblast d’Arkhangelsk du 3 juin 2003 sur les infractions administratives dispose notamment ce qui suit : Article 2.13 – Activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs « 1. Les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs sont passibles d’une amende administrative de 1 500 à 2 000 roubles pour les particuliers, de 2 000 à 5 000 roubles pour les fonctionnaires et de 10 000 à 20 000 roubles pour les personnes morales. En cas de récidive dans l’année, les activités visées au paragraphe 1 du présent article sont passibles d’une amende administrative de 2 000 à 5 000 roubles pour les particuliers, de 5 000 à 10 000 roubles pour les fonctionnaires et de 20 000 à 25 000 roubles pour les personnes morales. (nouvel article adopté sur la base de la loi de l’oblast no 386-26-OZ du 21 novembre 2011) » La loi no 41-OZ de l’oblast de Riazan du 3 avril 2006 sur la protection de la moralité des enfants dans l’oblast de Riazan dispose notamment ce qui suit : Article 4 – Interdiction des activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs « Les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité (sodomie et saphisme) ne sont pas autorisées. » La loi no 182-OZ de l’oblast de Riazan du 4 décembre 2008 sur les infractions administratives dispose notamment ce qui suit : Article 3.10 – Activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité (sodomie et saphisme) auprès des mineurs « Les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité (sodomie et saphisme) auprès des mineurs sont passibles d’une amende administrative de 1 500 à 2 000 roubles pour les particuliers, de 2 000 à 4 000 roubles pour les fonctionnaires et de 10 000 à 20 000 roubles pour les personnes morales. » La loi no 113-9-OZ de l’oblast d’Arkhangelsk du 15 décembre 2009 sur les mesures distinctes pour la protection de la moralité et de la santé des enfants dans l’oblast d’Arkhangelsk dispose notamment ce qui suit : Article 10 – Mesures visant à empêcher les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs (introduit par la loi no 336-24-OZ de l’oblast d’Arkhangelsk du 30 septembre 2011) « Les activités publiques destinées à promouvoir l’homosexualité auprès des mineurs ne sont pas tolérées. » La loi no 273-70 de Saint-Pétersbourg du 31 mai 2010 sur les infractions administratives à Saint-Pétersbourg dispose notamment ce qui suit : Article 7-1 – Activités publiques destinées à promouvoir la sodomie, le saphisme, la bisexualité et/ou le transsexualisme auprès des mineurs (article introduit à compter du 30 mars 2012 par la loi no 108-18 de Saint-Pétersbourg du 7 mars 2012) « Les activités publiques destinées à promouvoir la sodomie, le saphisme, la bisexualité et/ou le transsexualisme auprès des mineurs sont passibles d’une amende administrative de 5 000 roubles pour les particuliers, de 15 000 roubles pour les fonctionnaires et de 250 000 à 500 000 roubles pour les personnes morales. Mention en marge : Aux fins du présent article, par activités publiques destinées à promouvoir la sodomie, le saphisme, la bisexualité et/ou le transsexualisme on entend les activités visant la diffusion ciblée, en l’absence de tout contrôle et d’une manière accessible à tous, d’informations susceptibles de nuire à la santé, à la moralité et au développement spirituel des mineurs, et de susciter chez eux une image faussée de l’équivalence sociale entre relations maritales traditionnelles et relations maritales non traditionnelles. » La loi fédérale no 436-F3 du 29 décembre 2010 sur la protection des enfants contre les informations susceptibles de nuire à leur santé et à leur développement dispose notamment ce qui suit : Article 5 – Types d’informations néfastes pour la santé et (ou) le développement des enfants « (...) Il est interdit de diffuser auprès d’enfants des informations qui : 1) les incitent à se livrer à des actes qui représentent une menace pour leur vie et (ou) leur santé, y compris par la mise en danger de leur propre santé et le suicide ; 2) sont susceptibles de faire naître chez eux un désir de consommer des produits narcotiques, des substances psychotropes et (ou) des stupéfiants, des produits à base de tabac, de l’alcool et des produits à base d’alcool ainsi que de la bière et des boissons à base de bière, de prendre part à des jeux d’argent ou de se livrer à la prostitution, au vagabondage ou à la mendicité ; 3) justifient la violence et (ou) la cruauté ou les présentent comme acceptables ou incitent à commettre des actes violents à l’encontre de personnes ou d’animaux, à l’exception des cas précisés dans la présente loi fédérale ; 4) nient les valeurs de la famille, font la promotion des relations sexuelles non traditionnelles et engendrent de l’irrespect à l’égard des parents et (ou) d’autres membres de la famille (...) (tel que libellé dans la loi fédérale no 135-FZ du 29 juin 2013). » Article 16 – Exigences supplémentaires concernant la diffusion de produits d’information qui sont interdits aux enfants « 3. Les produits d’information qui sont interdits aux enfants ne doivent pas être distribués dans les établissements scolaires, les établissements pédiatriques, les stations climatiques, les associations sportives, les associations culturelles pour enfants et les associations sanitaires ou de loisirs pour enfants, ou à une distance inférieure à 100 mètres de l’emplacement desdites organisations. » La loi fédérale no 124-FZ du 24 juillet 1998 sur les principales garanties en matière de droits de l’enfant dans la Fédération de Russie dispose notamment ce qui suit : Article 14 – Protection des enfants contre l’information, la propagande et le militantisme qui sont nocifs pour leur santé et leur développement moral et spirituel « 1. Les autorités de la Fédération de Russie doivent prendre des mesures visant à protéger les enfants contre l’information, la propagande et le militantisme qui sont nocifs pour leur santé et leur développement moral et spirituel, y compris contre l’intolérance fondée sur des motifs de nationalité, de classe ou de situation sociale ; contre la publicité pour les produits à base d’alcool et de tabac ; contre [les matériels faisant] la promotion des inégalités sociales, raciales, nationales et religieuses ; contre l’information à caractère pornographique ; contre l’information faisant la promotion des relations sexuelles non traditionnelles ainsi que contre la diffusion de matériel imprimé, audio et vidéo faisant la promotion de la violence et de la cruauté, de l’addiction aux stupéfiants ou aux drogues ; [ou] des incivilités (...) (tel que libellé dans les lois fédérales no 252-FZ du 21 juillet 2013 et no 135-FZ du 29 juin 2013 » Le code des infractions administratives de la Fédération de Russie dispose notamment ce qui suit : Article 6.21 – Promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs (introduit par la loi fédérale no 135-FZ du 29 juin 2013) « 1. La promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs par la diffusion d’informations destinées à susciter chez eux une orientation sexuelle non traditionnelle, à promouvoir l’attrait des relations sexuelles non traditionnelles, à créer une image faussée d’équivalence sociale entre relations sexuelles traditionnelles et relations sexuelles non traditionnelles ou à imposer des informations sur les relations sexuelles non traditionnelles, à susciter de l’intérêt pour pareilles relations, si ces activités n’impliquent pas des actes réprimés par le droit pénal, – sera passible d’une amende administrative de 4 000 à 5 000 roubles pour les particuliers, de 40 000 à 50 000 roubles pour les fonctionnaires et, pour les personnes morales, d’une amende de 800 000 à 1 000 000 roubles ou d’une suspension administrative de leurs activités pendant 90 jours au maximum. » III. DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe La Résolution 1948 (2013) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), adoptée le 27 juin 2013 et intitulée « Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre », contient notamment les déclarations suivantes : « 7. L’Assemblée déplore tout particulièrement l’approbation unanime par la Douma russe du projet de loi sur la prétendue « propagande pour des relations sexuelles non traditionnelles auprès de mineurs » qui, s’il est aussi approuvé par le Conseil de la Fédération, sera la première disposition législative sur l’interdiction de la propagande homosexuelle instaurée au niveau national en Europe. Dans ce contexte, l’Assemblée prend acte de l’Avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la question de l’interdiction de la prétendue « propagande homosexuelle » au vu de la législation récente élaborée dans certains États membres du Conseil de l’Europe ; elle partage son analyse et approuve ses conclusions selon lesquelles notamment « les mesures en question paraissent incompatibles avec les valeurs fondamentales de la [Convention européenne des droits de l’homme] », outre qu’elles ne répondent pas aux conditions justifiant les restrictions énoncées aux articles 10, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. » B. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) Dans son avis sur l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » à la lumière de la législation récente dans certains États membres du Conseil de l’Europe adopté lors de sa 95e session plénière (Venise, 14-15 juin 2013), la Commission de Venise a examiné les dispositions législatives contenant des interdictions de la « propagande de l’homosexualité » qui avaient été adoptées ou proposées en République de Moldova, dans la Fédération de Russie et en Ukraine. Cet avis comporte notamment les passages suivants : « 28. (...) la portée de termes tels que « propagande » et « promotion », qui sont fondamentaux dans ces textes de lois semble non seulement être très large, mais leur sens semble aussi plutôt ambigu et vague étant donné l’application des dispositions dans la jurisprudence (...). Certaines de ces dispositions emploient aussi des termes pas clairs comme « parmi les mineurs » / visant les mineurs » (...) (...) En dépit des tentatives [de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle russes] de donner dans leurs décisions précitées une définition précise de la notion de « propagande de l’homosexualité », la notion reste vague dans la mesure où la Cour constitutionnelle et la Cour suprême n’ont pas indiqué davantage ce qui devait être considéré comme une « information propre à nuire au développement moral et spirituel ou à la santé des mineurs » ou « le fait de dicter un mode de vie homosexuel à des mineurs » pour l’application des dispositions en question. (...) Il n’est donc pas clair dans la jurisprudence qui applique ces dispositions si l’expression « interdiction de la propagande de l’homosexualité » est d’interprétation stricte ou si elle couvre toute information ou opinion en faveur de l’homosexualité, toute volonté de changer l’attitude homophobe d’une partie de la population envers les gays et les lesbiennes, et toute tentative de contrebalancer des préjugés profondément enracinés parfois, en diffusant des informations impartiales et factuelles sur l’orientation sexuelle. (...) De plus, selon le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la loi de la Région de Riazan est ambigüe, car elle ne précise pas si l’expression « homosexualité (acte sexuel entre hommes ou lesbianisme) » concerne l’identité ou l’activité sexuelles ou les deux en même temps. » (...) Selon la Commission de Venise, les dispositions en question concernant l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » (...) ne sont pas formulées avec une précision suffisante pour satisfaire à l’exigence d’être « prévues par la loi », contenue au paragraphe 2 des articles 10 et 11 de la CEDH respectivement et les juridictions internes ont échoué à remédier à cette situation par une interprétation cohérente. (...) Il convient de noter d’emblée que l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » est manifestement liée à la question de l’orientation sexuelle. D’abord, l’interdiction en question limite le discours visant à répandre ou à promouvoir les idées liées à l’orientation homosexuelle / lesbienne. Ensuite, il semble que l’interdiction toucherait davantage, mais pas nécessairement, les personnes ayant une orientation homosexuelle / lesbienne, qui ont personnellement intérêt à plaider en faveur de la tolérance envers l’orientation homosexuelle / lesbienne et de son acceptation par la majorité. (...) C’est pourquoi, les mesures qui sont destinées à interdire du domaine public la promotion d’autres identités sexuelles, à l’exception des relations hétérosexuelles, touchent aux bases mêmes d’une société démocratique, caractérisée par le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture, ainsi qu’un traitement équitable et approprié des minorités. En conséquence, de telles mesures doivent être justifiées par des raisons impérieuses. (...) La première justification de l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » est la protection de la morale (...) (...) L’exercice [du droit à la liberté d’expression] par les minorités sexuelles ne dépend pas de l’attitude positive / négative de certains des membres de la majorité hétérosexuelle. Ainsi que l’a énoncé le Comité des droits de l’homme dans son observation générale sur l’article 19 du PIDCP, « le concept de morale dérive d’un grand nombre de traditions sociales, philosophiques et religieuses ». Toute limitation imposée « aux fins de protéger la morale doit être fondée sur des principes qui ne découlent pas d’une tradition unique ». (...) (...) Selon la Commission de Venise, l’attitude négative d’une partie même importante de l’opinion publique envers l’homosexualité en tant que telle ne peut pas justifier une restriction du droit au respect de la vie privée des gays et des lesbiennes, ni de leur liberté d’exprimer publiquement leur orientation sexuelle, de défendre des idées positives concernant l’homosexualité et de promouvoir la tolérance envers les homosexuels. À cet égard, la Commission de Venise rappelle que dans sa Recommandation CM/Rec(2010)5, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a estimé que ni les valeurs culturelles, traditionnelles ou religieuses, ni les règles d’une « culture dominante » ne peuvent être invoquées pour justifier le discours de haine ni toute autre forme de discrimination, y compris pour des motifs d’orientation sexuelle ou d’identité de genre (...) (...) Étant donné que les dispositions examinées concernent la « propagande de l’homosexualité » (...), ou « la promotion de l’homosexualité » (...) en tant que telles, sans que l’interdiction soit limitée à la présentation obscène ou pornographique de l’homosexualité, ou à la présentation de la nudité ou de comportements ou de matériels sexuellement explicites ou provocants, les dispositions ne peuvent être considérées comme justifiées parce qu’elles seraient nécessaires dans une société démocratique pour la protection de la morale (...) Le second argument avancé pour justifier l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » est la protection des enfants (...). Les dispositions examinées soulignent qu’il convient de protéger les mineurs contre la propagande de l’homosexualité étant donné leur manque de maturité, leur état de dépendance et dans certains cas, leur handicap mental. Il convient à nouveau de souligner que les incriminations des dispositions examinées ne se limitent pas à des obscénités, à des incitations provocantes à des relations intimes avec des personnes de même sexe, ou à ce que la Cour constitutionnelle russe a qualifié de « fait de dicter un mode de vie homosexuel », mais elles semblent s’appliquer également à la diffusion de simples informations ou idées défendant une attitude plus positive envers l’homosexualité. (...) En ce qui concerne l’exposé des motifs qui accompagne respectivement le projet de loi fédérale russe et le projet de loi ukrainienne no 8711 (no 0945), la Commission de Venise relève que ces textes ne donnent aucune preuve de l’impact négatif qui pourrait résulter pour les mineurs. De même, dans l’affaire Fedotova [citée au paragraphe 40 ci-dessous], le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a dûment distingué « les actions visant à associer des mineurs à une activité sexuelle particulière » du fait « d’exprimer son identité sexuelle » et de « rechercher une certaine compréhension pour celle-ci ». En l’espèce, le Comité a fait observer que l’État partie n’avait pas montré pourquoi il était nécessaire pour la protection des mineurs de restreindre le droit de l’auteur à la liberté d’exprimer son identité sexuelle même si elle avait l’intention d’entamer un débat avec des enfants sur les questions liées à l’homosexualité. De fait, on ne peut considérer qu’il soit dans l’intérêt des mineurs de les protéger contre des informations pertinentes et appropriées sur la sexualité, y compris l’homosexualité. La Commission de Venise relève que la pratique internationale en matière de droits de l’homme défend le droit de recevoir des informations adaptées en fonction de l’âge sur la sexualité (...) (...) Selon la Commission de Venise, la diffusion d’informations et d’idées pour présenter sous un jour positif l’homosexualité et pour promouvoir la tolérance envers les homosexuels n’empêche pas de diffuser et de renforcer les valeurs familiales traditionnelles et l’importance de relations maritales traditionnelles. (...) Les restrictions étendues de la liberté d’expression qui sont ciblées seulement sur certains types spécifiques de contenu (par ex. des contenus sexuellement explicites comme dans l’arrêt Müller c. Suisse), mais qui s’appliquent à toutes les catégories d’expression depuis la discussion politique et l’expression artistique jusqu’au discours commercial, auront certainement un effet réel sur le débat public concernant des questions sociales importantes, alors qu’un tel débat est essentiel dans une société démocratique. C’est pourquoi, l’interdiction ne peut être considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour la protection de la famille au sens traditionnel. (...) En conclusion, (...) la Commission de Venise estime que l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité », à l’inverse de « campagnes en faveur de l’hétérosexualité » ou de la sexualité en général parmi les mineurs équivaut à une discrimination, car la différence de traitement est fondée sur le contenu du discours sur l’orientation sexuelle et les auteurs des dispositions examinées n’ont pas avancé de critère raisonnable et objectif pour justifier l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » par opposition à une « campagne en faveur de l’hétérosexualité ». (...) Ensuite, la « morale publique », les valeurs, les traditions, y compris la religion de la majorité de la population, et la « protection des mineurs », tous motifs avancés pour justifier l’interdiction de la « propagande de l’homosexualité » ne satisfont pas aux critères essentiels de nécessité et de proportionnalité requis par la [Convention]. Là encore, les interdictions examinées ne se limitent pas à un contenu sexuellement explicite ou à des obscénités, mais ce sont des interdictions générales visant l’expression légitime d’une orientation sexuelle. La Commission de Venise rappelle que l’homosexualité en tant qu’autre orientation sexuelle est protégée par la [Convention] et qu’elle ne peut en tant que telle être considérée comme étant contraire à la morale par les pouvoirs publics au sens de l’article 10 § 2 de la [Convention]. Par ailleurs, rien ne permet de penser que les expressions relatives à l’orientation sexuelle pourraient nuire à des mineurs dont l’intérêt est de recevoir des informations pertinentes, appropriées et objectives sur la sexualité, y compris l’orientation sexuelle. Enfin, l’interdiction concerne uniquement la « propagande de l’homosexualité » à l’inverse de « campagnes en faveur de l’hétérosexualité ». Prenant aussi en considération l’exigence démocratique d’un traitement juste et approprié des minorités, l’absence de critères raisonnables et objectifs pour justifier la différence de traitement en matière d’application du droit à la liberté d’expression et de réunion constitue une discrimination sur la base du contenu du discours sur l’orientation sexuelle. Il semble que dans l’ensemble ces mesures visent non pas tant à faire progresser et à promouvoir les valeurs et attitudes traditionnelles à l’égard de la famille et de la sexualité, mais plutôt de réprimer celles qui ne sont pas traditionnelles en punissant leur expression et leur promotion. En tant que telles, ces mesures semblent bien être incompatibles avec « les valeurs sous-jacentes à la CEDH », outre le fait qu’elles ne satisfont pas aux conditions des restrictions prévues aux articles 10, 11 et 14 de la Convention. Étant donné ce qui précède, la Commission de Venise estime que les dispositions légales interdisant la « propagande de l’homosexualité » sont incompatibles avec la [Convention] et les normes internationales relatives aux droits de l’homme. Elle recommande donc d’abroger ces dispositions (...) » C. Le Comité des Ministres La Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, adoptée le 31 mars 2010, couvre un large éventail de domaines dans lesquels les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres peuvent être victimes de discrimination. Dans ses parties pertinentes, la section consacrée à la « Liberté d’expression et de réunion pacifique » est ainsi libellée : « 13. Les États membres devraient prendre les mesures appropriées pour garantir, conformément à l’article 10 de la Convention, la jouissance effective du droit à la liberté d’expression sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, notamment à l’égard de la liberté de recevoir et de transmettre des informations et des idées concernant l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. (...) Les États membres devraient prendre les mesures appropriées pour éviter les restrictions à la jouissance effective des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique résultant de l’abus de dispositions juridiques et administratives telles que celles visant la santé publique, la morale publique et l’ordre public. Les autorités publiques, à tous les niveaux, devraient être encouragées à condamner publiquement – notamment dans les médias – toute ingérence illégale dans les droits de l’homme d’un individu ou d’un groupe d’individus d’exercer sa liberté d’expression et de réunion pacifique, en particulier en relation avec les droits de l’homme des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres. » Cette même recommandation contient également, dans la section consacrée à l’« Éducation », les déclarations suivantes : « 31. En tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, les États membres devraient prendre les mesures appropriées, législatives et autres, visant le personnel enseignant et les élèves, afin de garantir la jouissance effective du droit à l’éducation, sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ; cela comprend, en particulier, la protection du droit des enfants et des jeunes gens à l’éducation dans un environnement sûr, à l’abri de la violence, des brimades, de l’exclusion sociale ou d’autres formes de traitements discriminatoires et dégradants liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre. En tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, des mesures appropriées devraient être prises à cette fin à tous les niveaux pour promouvoir la tolérance et le respect mutuels à l’école, quelle que soit l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Cela devrait comprendre la fourniture d’informations objectives concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre, par exemple dans les programmes scolaires et le matériel pédagogique ; les États membres devraient également fournir à tous les élèves et étudiants l’information, la protection et le soutien requis pour leur permettre de vivre en accord avec leur orientation sexuelle et leur identité de genre. En outre, les États membres pourraient concevoir et mettre en œuvre des politiques scolaires et des plans d’action pour l’égalité et la sécurité, et garantir l’accès à des formations ou soutiens et des outils d’aide pédagogiques appropriés pour lutter contre la discrimination. Ces mesures devraient tenir compte des droits des parents concernant l’éducation de leurs enfants. » À la date d’adoption du présent arrêt, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe poursuit la surveillance de l’exécution de l’arrêt rendu dans l’affaire Alekseyev c. Russie (nos 4916/07 et 2 autres, 21 octobre 2010), qui appelle selon lui une procédure de surveillance soutenue. Plus récemment, lors de la 1273e réunion du Comité des Ministres (décembre 2016, DH) a été adoptée une décision () dans laquelle les Délégués des Ministres expriment leur sérieuse préoccupation quant au fait qu’en dépit des mesures présentées par les autorités russes, la situation n’atteste d’aucune amélioration, puisque le nombre d’événements LGBT publics autorisés continue d’être très limité. Le Comité y invite instamment les autorités à adopter toutes les mesures supplémentaires nécessaires pour veiller à ce que la pratique des autorités locales et des tribunaux évolue afin de garantir le respect du droit à la liberté de réunion et la protection contre la discrimination, y compris en veillant à ce que la loi sur la « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles » auprès des mineurs ne constitue pas un obstacle abusif à l’exercice effectif de ces droits. Le Comité des Ministres y invite les autorités russes à poursuivre leur action afin de régler les questions en suspens en vue d’aboutir à des résultats concrets, et notamment à prendre des mesures supplémentaires afin de répondre aux attitudes négatives envers les personnes LGBT qui continuent d’être répandues. IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a examiné une plainte relative à une sanction administrative imposée en application de la loi no 41-OZ de l’oblast de Riazan (Fedotova c. Fédération de Russie, communication no 1932/2010, doc. CCPR/C/106/D/1932/2010, 30 novembre 2012) et a formulé les constatations suivantes : « 2.2 Le 30 mars 2009, l’auteur a exposé des affiches portant les slogans « L’homosexualité est normale » et « Je suis fière de mon homosexualité » près d’un établissement d’enseignement secondaire de Riazan. Selon elle, le but de cette action était de promouvoir la tolérance à l’égard des gays et des lesbiennes en Fédération de Russie. 3 L’auteur a été interrompue dans son action par la police et, le 6 avril 2009, elle a été reconnue coupable par le juge de paix d’une infraction administrative [et a été] condamnée à une amende [administrative] (...) (...) 8 Le Comité relève les arguments de l’État partie qui affirme que l’auteur avait l’intention de discuter des questions objet de ses actions avec des enfants ; que c’est exclusivement du fait de l’auteur elle-même que ses opinions ont été rendues publiques ; que ses actions comportaient dès le début un « élément de provocation » et que sa vie privée n’intéressait ni la société ni les mineurs et n’avait pas fait l’objet d’immixtions de la part des autorités (...) Le Comité reconnaît le rôle des autorités dans la protection des mineurs, mais il note que l’État partie n’a pas montré pourquoi, au vu des faits de la cause, il était nécessaire aux fins de l’un des buts légitimes (...) de restreindre le droit à la liberté d’expression de l’auteur (...) pour avoir exprimé son identité sexuelle et cherché à la faire comprendre même si, comme le fait valoir l’État partie, elle avait l’intention de discuter avec des enfants de la question de l’homosexualité. Par conséquent le Comité conclut que la condamnation administrative de l’auteur pour « propagande en faveur de l’homosexualité auprès de mineurs », en application des dispositions ambiguës et discriminatoires de l’article 3.10 de la loi de la Région de Riazan, a constitué une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte [droit à la liberté d’expression], lu conjointement avec l’article 26 [protection contre la discrimination] du [Pacte international relatif aux droits civils et politiques]. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE À la date d’introduction des requêtes, les requérants étaient civilement reconnus comme étant de sexe masculin. Pour cette raison, il est fait usage du terme « requérant » pour les désigner, sans que cette désignation ne puisse s’entendre comme les excluant de la catégorie sexuelle à laquelle ils s’identifient. A. Requête no 79885/12 Le premier requérant est né en 1983 et réside à Paris. Le premier requérant indique qu’inscrit à sa naissance sur les registres d’état civil comme étant de sexe masculin, il s’est cependant toujours comporté comme une fille, et son apparence physique a toujours été très féminine. Il ajoute qu’au long de son adolescence et de sa vie de jeune adulte, il a été victime de graves troubles de l’identité du genre, son identité de naissance masculine ne correspondant pas à son identité psychique et sociale féminine. Il précise qu’en 2006, plusieurs médecins ayant diagnostiqué un syndrome de transsexualisme, dit « syndrome de Benjamin », il débuta une phase de transition en se présentant socialement comme une femme et entreprit un traitement hormonal suivi par un endocrinologue, le docteur H., et un neuropsychiatre, le docteur Bo. Le premier requérant produit trois certificats médicaux établis par ces médecins durant cette période. Dans les deux premiers, datés du 12 avril 2007, le docteur Bo. certifiait le suivre depuis le 27 avril 2005 « pour un syndrome typique de transsexualisme » ; il indiquait qu’« il exist[ait] donc une différence observable entre son habitus actuel et sa photographie de carte d’identité », et qu’« il n’exist[ait] pas de contre-indication médico-psychologique pour [une] intervention (...) sur la pomme d’Adam ». Dans le troisième, daté du 16 janvier 2008, le docteur H. indiquait suivre le premier requérant sur le plan hormonal pour « transsexualisme primaire typique depuis le 1er juin 2006, conjointement avec le docteur B. », et précisait qu’ « après un bilan endocrino-métabolique, avec caryotype, [il était] traité par anti-androgènes et œstrogènes » et que « la prégnance, la plausibilité et l’authenticité de sa dysphorie de genre, ainsi que le « real life test », [le rendaient] éligible pour la réassignation chirurgicale, qu’[il attendait] légitimement ». Le premier requérant produit également un certificat médical établi le 3 avril 2008 par un autre psychiatre, le docteur Ba., qui certifie qu’il présente « un syndrome de Benjamin typique » et qu’ « il n’existe actuellement aucune contre-indication aux traitements médicaux et/ou chirurgicaux nécessités pour la réassignation de genre demandée par le sujet ». Le premier requérant souligne qu’il n’entendait pas initialement recourir à une opération mutilante de réassignation sexuelle ; il s’y est résigné parce que la jurisprudence française en avait fait une condition du changement d’état civil. Le premier requérant décida de se faire opérer en Thaïlande, par un médecin qu’il qualifie de « spécialiste mondialement reconnu », le docteur S. L’opération eut lieu le 3 juillet 2008. Le docteur S. établit le certificat médical suivant : « (...) après une période de diagnostic par des spécialistes qualifiés en psycho-sexualité et une période appropriée de vie à plein temps sous une identité féminine, la personne ci-dessus mentionnée a été diagnostiquée comme souffrant d’un désordre d’identité sexuelle (F64.0) défini comme DSM IV, ICD-10. Elle a été accueillie pour le traitement chirurgical approprié, soit la chirurgie de réassignation sexuelle (CRS). (...) L’opération réalisée a combiné une orchiectomie, une vaginoplastie, une clitoroplastie et une labiaplastie effectuées en une seule et même opération. À la fin de cette opération, les organes sexuels mâles (...) ont été remplacés par des organes d’apparence et de fonctionnement féminins, à l’exception des organes reproducteurs. Cela a impliqué d’enlever les organes mâles reproducteurs de telle façon que le patient est irrémédiablement infertile. Dans le respect de toutes les définitions médicales et légales connues, l’opération est irréversible et change de manière permanente l’identité sexuelle masculine de M. [A. P.] pour une identité sexuelle féminine. » Dans un certificat signé le 10 septembre 2008, le docteur H. confirma que le premier requérant « [avait] subi une intervention de réassignation chirurgicale de féminisation irréversible », et souligna que « la demande de changement d’état civil [était] impérative et recevable[, et faisait] partie intégrante de sa prise en charge ». Le premier requérant produit quatre autres certificats. Le premier, daté du 26 mai 2009, émane du docteur W., chirurgienne ; il indique que le premier requérant a subi « une laryngoplastie cosmétique dans le cadre de la chirurgie de féminisation, la chirurgie de réassignation des organes génitaux externes ayant été réalisée et étant irréversible ». Dans le deuxième, daté du 27 mai 2009, une orthophoniste signale avoir « fait pendant deux ans avec [A.P.] un travail de la féminisation de la voix » et précise qu’actuellement, sa voix et son apparence sont parfaitement féminins et concordantes ». Le troisième, signé le 23 juillet 2009 par le docteur B., psychiatre, est ainsi libellé : « (...) [A. P.] est suivie pour un syndrome de Benjamin typique, pour lequel une procédure de réassignation de genre est entreprise depuis plusieurs années. Elle a suivi un traitement hormonal et les interventions chirurgicales nécessaires pour que son aspect et son comportement soient désormais féminins. Il est donc légitime qu’elle puisse obtenir, pour son insertion sociale et professionnelle, la mise en concordance de son état civil avec son apparence et son souhait. (...) » Dans le quatrième certificat, daté du 16 mars 2010, le docteur P., docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyse et psychothérapeute, indique avoir engagé une démarche psychothérapeutique avec le premier requérant et avoir notamment « pu constater (...) la cohérence entre les propos de Mlle [A.P.] et son identité de genre revendiquée ». Les jugements du tribunal de grande instance de Paris des 17 février 2009 et 10 novembre 2009 Le 11 septembre 2008, le premier requérant assigna le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir dire qu’il était désormais de sexe féminin et se prénommait A. (un prénom féminin). Il produisit notamment les certificats médicaux des 12 avril 2007, 16 janvier 2008 et 10 septembre 2008, ainsi que le certificat établi par le docteur S. Le 16 octobre 2008, le procureur de la république demanda qu’une expertise pluridisciplinaire soit réalisée, au motif que le requérant avait été opéré à l’étranger. a) Le jugement avant dire droit du 17 février 2009 Le 17 févier 2009, dans un jugement avant-dire droit, le tribunal de grande instance de Paris souligna que, « lorsqu’est rigoureusement diagnostiqué » un transsexualisme et que l’intéressé a subi, dans un but thérapeutique, des transformations corporelles irréversibles, force est de considérer que, même si son nouvel état sexuel est imparfait, la formule chromosomique restant inchangée, le sujet se rapproche davantage, par son apparence physique, son psychisme et son insertion sociale, du sexe revendiqué que de son sexe initial ». Il jugea cependant que, « quelle que soit la qualité des rédacteurs des certificats médicaux produits à l’appui de la demande, la nécessité de poser un diagnostic certain, impos[ait] de recourir à une expertise pluridisciplinaire afin d’apprécier l’état présent de l’intéressé sur les plans physiologique, biologique et psychologique et de rechercher dans son passé la persistance du syndrome allégué ». Il désigna trois experts – un psychiatre, un endocrinologue et un gynécologue – et leur donna pour mission, après avoir entendu et examiné le premier requérant et pris connaissance des certificats médicaux et comptes rendus opératoires produits, de : « (a) décrire son état physique actuel (...) et constater la présence ou l’absence de tous organes génitaux externes ou internes de l’un ou l’autre sexe ; faire procéder, avec le consentement de l’intéressé à tous les prélèvements et examens de laboratoires susceptibles d’établir les caractéristiques biologiques et génétiques de son sexe ; dire s’il a pu se produire une erreur sur le sexe physique lors de la déclaration de la naissance, ou un développement organique ou biologique ultérieur ; constater les traces d’éventuelles interventions chirurgicales pratiquées pour provoquer ou compléter une transformation des organes génitaux ou des caractères sexuels secondaires ; dire si le sujet a subi un traitement par substances médicamenteuses ou hormonales ; dire si les interventions chirurgicales ou traitements hormonaux ont été motivés soit par des anomalies physiques préexistantes, soit par l’état psychologique du sujet, exclusif de la volonté délibérée de celui-ci ; (b) décrire l’état psychique et le comportement [du premier requérant] relativement à son sexe et dans toute la mesure du possible, en indiquer l’origine et retracer l’évolution ; rendre compte de toute éventuelle psychothérapie effectuée, en préciser la durée et les résultats ; dire si le sujet est atteint de troubles mentaux et dans l’affirmative, préciser la nature de ces troubles ; (c) se prononcer sur l’existence éventuelle d’un syndrome de transsexualisme en précisant les raisons qui conduisent à en poser ou à en écarter le diagnostic ; dire si, au vu de toutes les données médicales (d’ordre physiologique, biologique et psychique) recueillies sur cette personne, celle-ci doit être considérée comme de sexe masculin ou féminin. » Le tribunal mit l’avance des frais d’expertise à la charge du premier requérant et lui ordonna à cette fin de consigner 1 524 euros (EUR). Le premier requérant refusa de se soumettre à l’expertise. Il indique que son refus était fondé sur le fait que ce type d’expertise était non seulement très onéreux mais aussi irrespectueuse de l’intégrité physique et morale de la personne. Il estimait que les pièces qu’il produisait, qui émanaient de médecins spécialistes et faisaient état de la réalité de son changement de genre, étaient largement suffisantes, et qu’il n’était pas nécessaire de lui imposer à nouveau une batterie de tests traumatisants. Par une ordonnance du 13 mars 2009, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris refusa d’accorder au premier requérant l’autorisation d’interjeter appel de ce jugement avant dire droit. b) Le jugement du 10 novembre 2009 Le 10 novembre 2009, le tribunal de grande instance de Paris débouta le premier requérant de sa demande. Il souligna que les certificats produits par le premier requérant, pour informateurs qu’ils fussent, ne répondaient pas à ses interrogations sur l’origine, la nature, la persistance et les conséquences du syndrome constaté, et que les médecins consultés ne pouvaient, en quelques lignes destinées à permettre l’intervention chirurgicale, accomplir le travail de trois experts sollicités dans le cadre d’une mission très large et très complète. Il nota en particulier que les certificats n’évoquaient pas l’état psychique et le comportement du premier requérant relativement à son sexe, ne se prononçaient pas sur l’origine du syndrome et son évolution, ne précisaient pas si le premier requérant était atteint de troubles mentaux et s’il avait suivi une psychothérapie et, antérieurs à la réassignation de genre, ne fournissaient aucun renseignement sur l’état actuel de l’intéressé. Il ajouta que les patients opérés en France produisaient un dossier complet dans toutes les disciplines concernées – un tel dossier étant exigé avant l’intervention de réassignation –, ce que le médecin qui avait opéré le premier requérant en Thaïlande ne paraissait pas exiger, et que lorsqu’ils étaient pris en charge par la sécurité sociale, ils étaient soumis à des examens préalables nombreux et rigoureux. Il jugea que, dans l’état du dossier, il appartenait au premier requérant de se soumettre avec bonne volonté à l’expertise ordonnée. Faisant application de l’article 11 du code de procédure civile, qui autorise le juge à tirer toutes conséquences de la carence d’une partie pour apporter son concours à une mesure d’instruction, il conclut qu’en l’absence d’expertise pluridisciplinaire, la demande du premier requérant n’était pas suffisamment étayée. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 septembre 2010 Saisie par le premier requérant, la cour d’appel de Paris, par un arrêt du 23 septembre 2010, confirma le jugement du 10 novembre 2009 en ce qu’il rejetait la demande de rectification de la mention de sexe figurant sur l’acte de naissance. La cour d’appel déduisit tout d’abord de l’article 8 de la Convention que, « lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique », une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect de la vie privé justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. Elle jugea cependant, au vu des pièces produites par le premier requérant, qu’il n’était « pas établi qu’il ne présent[ait] plus tous les caractères du sexe masculin ». Elle souligna à cet égard que, si les psychiatres Bo. et Ba. avaient posé un diagnostic de transsexualisme dans leurs certificats des 12 avril 2007 et 3 avril 2008, ils n’avaient pas évoqué « l’absence d’affection mentale ». Elle releva en outre que le traitement endocrinien dont il était fait état dans les certificats du docteur H. des 16 janvier 2008 et 10 septembre 2008 était ancien. Elle jugea par ailleurs que le certificat établi par le médecin qui avait opéré le premier requérant le 3 juillet 2008 en Thaïlande, le docteur S., était « extrêmement lapidaire » et se résumait à une énumération d’éléments d’ordre médical qui ne permettaient pas de constater que la réassignation sexuelle était effective. Elle estima de plus que la documentation sur la clinique tirée de l’Internet que produisait le premier requérant ne suffisait à établir ni la notoriété scientifique et chirurgicale du chirurgien qui l’avait opéré, ni la pertinence de l’intervention pratiquée au regard des pratiques de la communauté médicale, laquelle, « faute de toute précision », n’était pas davantage démontrée par le certificat du 26 mai 2009 du docteur W. La cour d’appel observa ensuite que le premier requérant opposait par principe un refus obstiné à l’expertise et qu’il n’avait pas déféré à celle qui avait été ordonnée par les premiers juges « au prétexte non pertinent de la protection de sa vie privée alors qu’il s’agi[ssait] d’établir que la personne qui présente le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractère de son sexe d’origine ». Elle souligna que « l’atteinte à la vie privée qui pourrait y être portée [était] proportionnée à l’exigence du constat de l’identité sexuelle, laquelle est une composante de l’état de la personne soumise au principe d’ordre public de l’indisponibilité ». La cour d’appel jugea toutefois que le fait que le premier requérant était connu sous un prénom féminin – ce qui résultait de nombreuses attestations de proches –, le fait qu’il avait la conviction d’appartenir au sexe féminin et le fait qu’il avait suivi divers traitements médico-chirurgicaux, ainsi que « la réalité de sa vie sociale », justifiaient de son intérêt légitime à changer ses prénoms masculins en prénoms féminins. Elle ordonna donc la rectification de ses prénoms sur son acte de naissance. L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 juin 2012 a) Le moyen de cassation Le premier requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 23 septembre 2010. Il soutenait, premièrement, que le droit au respect de la vie privée commandait que le changement de sexe d’une personne soit autorisé dès lors que l’apparence physique de l’intéressée la rapprochait de l’autre sexe, auquel correspondait son comportement social. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de changement de sexe au motif qu’il avait refusé de déférer à une expertise dont l’objet était de définir l’origine du syndrome de transsexualisme et son évolution et d’établir qu’il ne présentait plus tous les caractères du sexe masculin. Selon lui, en statuant ainsi après avoir relevé qu’il était connu sous un prénom féminin, qu’il avait la conviction d’appartenir au sexe féminin, qu’il avait suivi divers traitements médico-chirurgicaux et que la réalité de sa vie sociale était celle d’une femme, la cour d’appel avait violé l’article 8 de la Convention. Il s’appuyait notamment sur la position du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Droits de l’Homme et identité de genre, document thématique ; octobre 2009) et sur la résolution 1728 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, relative à la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et l’identité de genre (paragraphes 73 et 75 ci-dessous). Deuxièmement, il soutenait que les certificats médiaux qu’il avait produits établissaient pleinement qu’il présentait le syndrome de transsexualisme, qu’il avait subi un traitement chirurgical faisant de lui une femme, que son apparence physique comme son comportement social étaient féminins, de sorte qu’en jugeant que ces pièces étaient insuffisantes pour prouver les conditions nécessaires au changement de sexe et en lui faisant grief de ne pas avoir déféré à l’expertise judiciaire, la cour d’appel avait dénaturé celles-ci. Troisièmement, il dénonçait une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, estimant que la cour d’appel s’était fondée sur des motifs discriminatoires, à savoir qu’il s’était fait opérer par un médecin exerçant hors de France, pour dire qu’il aurait dû se soumettre à l’expertise judiciaire et rejeter sa demande. b) L’arrêt Le 7 juin 2012, la Cour de cassation (première chambre civile ; Bulletin 2012, I, no 123) rejeta le pourvoi par un arrêt ainsi motivé : « (...) attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ; qu’après avoir examiné, sans les dénaturer, les documents produits, et relevé, d’une part, que le certificat faisant état d’une opération chirurgicale effectuée en Thaïlande était lapidaire, se bornant à une énumération d’éléments médicaux sans constater l’effectivité de l’intervention, d’autre part, que [le premier requérant] opposait un refus de principe à l’expertise ordonnée par les premiers juges, la cour d’appel a pu rejeter sa demande de rectification de la mention du sexe dans son acte de naissance (...) » B. Requête no 52471/12 Le deuxième requérant est né en 1958 et réside au PerreuxSurMarne. Il expose qu’inscrit à sa naissance sur les registres d’état civil comme étant de sexe masculin, il a, dès son plus jeune âge, eu conscience d’appartenir au genre féminin. Il ajoute que, sous la pression sociale, il a tenté de dissimuler sa vraie nature et de vivre deux unions maritales sous l’identité masculine portée sur son acte de naissance, mais que ces unions, dont sont nés des enfants, se sont terminées par des divorces. Il expose qu’il s’habille conformément à son genre féminin, qu’il apparaît aux yeux des tiers comme appartenant à ce genre, qu’il suit depuis 2004 un traitement hormonal féminisant et qu’il a subi une opération ayant pour objet la construction d’un nouvel organe génital. Le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 9 février 2010 Le 17 mars 2009, le deuxième requérant assigna le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Créteil aux fins de voir ordonner que soit rectifié son acte de naissance de telle sorte que la mention « sexe masculin » soit remplacée par la mention « sexe féminin », et la mention de ses prénoms (masculins), par la mention « Emilie ». Il renvoyait notamment à une attestation établie en 2004 par le docteur B., psychiatre et spécialiste du transsexualisme, certifiant qu’il était une personne transgenre. Le tribunal de grande instance rendit son jugement le 9 février 2010. Il constata que le deuxième requérant n’avait versé aux débats que quelques factures datées de 2008 établies au nom d’ « Emilie » Garçon, quatre attestations émanant de témoins déclarant en 2008 le connaître depuis quelques années, savoir qu’il s’agissait d’une personne « transgenre » selon certains, « transsexuelle » selon un autre, et le voir « évoluer dans sa vie de femme sans difficulté apparente », et un certificat daté du 23 avril 2009, signé d’un endocrinologue, le docteur T., attestant le suivre pour une dysphorie de genre notamment depuis 2006 et précisant qu’il était sous traitement hormonal féminisant depuis 2004 et que le traitement était bien supporté et efficace. Notant par ailleurs que le deuxième requérant n’avait pas produit le certificat du docteur B., le tribunal jugea que le deuxième requérant n’avait pas « [établi] la réalité du transsexualisme qu’il invoqu[ait] ». Il jugea que, faute d’avoir démontré le syndrome allégué, le deuxième requérant ne pouvait qu’être débouté de sa demande, un changement de la mention relative au sexe à l’état civil « ne pouvant intervenir que pour officialiser une situation de fait avérée ». Il conclut qu’il ne pouvait que rejeter la demande relative au changement de prénom pour les mêmes raisons, cette demande n’étant en l’espèce que l’accessoire de la demande en modification d’état. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 janvier 2011 Saisie par le deuxième requérant, la cour d’appel de Paris, le 27 janvier 2011, confirma le jugement du 9 février 2010 par un arrêt ainsi motivé : « (...) Considérant que si le principe de l’indisponibilité de l’état s’oppose à ce que le droit tienne compte d’un changement volontairement obtenu par un individu, il n’implique pas, pour autant, l’immuabilité de l’état des personnes ; Que, lorsqu’un transsexualisme authentique, syndrome médicalement reconnu, et insusceptible de traitement, est rigoureusement diagnostiqué et que le transsexuel a subi, dans un but thérapeutique, des transformations corporelles irréversibles, il convient de considérer que, même si son nouvel état sexuel est imparfait, la formule chromosomique restant quant à elle inchangée, le sujet se rapproche davantage, par son apparence physique, son psychisme et son insertion sociale, du sexe revendiqué que de son sexe initial ; que, dans ces conditions, et dès lors que l’acte de naissance doit obligatoirement, aux termes de l’article 57 du code civil, mentionner le sexe de l’intéressé, il y a lieu d’admettre le principe du changement ; Considérant qu’en l’espèce, Emile Maurice Jean Marc Garçon (...) a été inscrit sur les registres de l’état civil comme étant de sexe masculin ; Considérant qu’il lui appartient de justifier, en particulier au vu d’éléments médicaux, qu’il doit être considéré comme de sexe féminin ainsi qu’il le sollicite ; Considérant que l’appelant soutint être une personne transgenre assumant depuis plusieurs années son identité de genre féminine et que l’inadéquation entre le genre affiché et le genre attribué à la naissance suffit à justifier son changement d’état civil sans avoir à démontrer préalablement une opération de réassignation sexuelle ; Considérant qu’il se borne à produire sur le plan médical, ainsi qu’il l’avait fait devant les premiers juges, un certificat du Dr [T.] du 23 avril 2009, établi sur un papier à entête du Dr [D. S.-B.], aux termes duquel ce médecin « certifie que le Dr [S.-B.], endocrinologue, suit M. Emile (Emilie) Garçon pour une dysphorie de genre (...) depuis 2006 » précisant que celui-ci est sous traitement hormonal féminisant depuis 2004, le traitement étant bien supporté et efficace ; Que ce seul certificat médical qui établit le suivi d’un traitement hormonal féminisant de 2004 à 2009 ne permet pas de justifier d’une transformation physique ou physiologique définitive et ainsi de l’irréversibilité du processus de changement de sexe sollicité ; Qu’une expertise apparaît vaine, puisqu’en effet, l’appelant, qui se défend d’avoir à subir une opération chirurgicale de transformation des organes génitaux, n’invoque aucune opération de chirurgie plastique associée à une hormonothérapie actuelle et ne produit aucun avis d’un psychiatre de nature à établir l’existence et la persistance du syndrome allégué alors même que l’acte de naissance d’Emile Garçon mentionne qu’il s’est marié à deux reprises (..) et a divorcé également à deux reprises (...) » L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 février 2013 a) Le moyen de cassation Le deuxième requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 27 janvier 2011. Il soutenait notamment qu’en le déboutant de ses demandes au prétexte qu’il n’était justifié ni d’une « transformation physique ou physiologique définitive et ainsi de l’irréversibilité du processus de changement de sexe sollicité », ni de « l’existence et la persistance du syndrome allégué », la cour d’appel avait violé l’article 8 de la Convention, dès lors que le droit au respect de la vie privé impliquait le droit de définir son appartenance sexuelle et le droit d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre choisie, sans devoir présenter un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie de genre, ni devoir préalablement subir un processus irréversible de changement de sexe. Affirmant que subordonner le droit à la modification des actes d’état civil à la preuve d’avoir subi un processus irréversible de changement de sexe revenait à imposer la stérilisation à la personne titulaire de ce droit afin de pouvoir l’exercer, et donc à porter atteinte à sa dignité comme au respect dû à son corps et à l’intimité de sa vie privée, il déduisait une violation de ce même article du fait que la cour d’appel avait exigé qu’il apporte la preuve d’un tel processus. Il ajoutait qu’il était discriminatoire et contraire à l’article 14 de la Convention de subordonner ce droit à une telle preuve et à celle d’un syndrome de transsexualisme ou de dysphorie du genre. b) L’arrêt du 13 février 2013 Le 13 février 2013, la Cour de cassation (première chambre civile) rejeta le pourvoir par un arrêt ainsi motivé : « (...) attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ; Et attendu qu’ayant relevé que [le deuxième requérant] se bornait à produire un certificat d’un médecin du 23 avril 2009 établi sur papier à entête d’un autre médecin, aux termes duquel le premier certifiait que le second, endocrinologue, suivait [le deuxième requérant] pour une dysphorie de genre et précisait que le patient était sous traitement hormonal féminisant depuis 2004, la cour d’appel a estimé que ce seul certificat médical ne permettait de justifier ni de l’existence et de la persistance d’un syndrome transsexuel, ni de l’irréversibilité du processus de changement de sexe, qui ne constituent pas des conditions discriminatoires ou portant atteinte aux principes posés par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, 16 et 16-1 du code civil, dès lors qu’elles se fondent sur un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes d’une part, de protection de la vie privée et de respect dû au corps humain d’autre part (...) » C. Requête no 52471/12 Le troisième requérant est né en 1952 et réside à Essey-les-Nancy. Il expose qu’inscrit à sa naissance sur les registres d’état civil comme étant de sexe masculin, il a, dès son plus jeune âge, eu conscience d’appartenir au genre féminin. Il précise qu’il a vécu avec une femme de 1975 à 1991 et qu’une enfant est née de cette relation en 1978. Le troisième requérant indique qu’il a longtemps dissimulé sa vraie nature, par crainte des brimades, puis par peur de perdre la garde de sa fille, et que lorsque cette dernière est devenue majeure, il a adopté une apparence et un comportement social conforme à son identité de genre féminin. Il ajoute que, si la plupart des documents de la vie courante respectent son identité de genre, ce n’est pas le cas des actes de l’état civil, de son passeport, de son permis de conduire, de sa carte grise et de son numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, ce qui l’oblige constamment à faire état de sa trans-identité, au mépris de sa vie privée. Les jugements du tribunal de grande instance de Nancy des 7 novembre 2008 et 13 mars 2009 Le 13 juin 2007, le troisième requérant assigna le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins de voir ordonner que son acte de naissance soit rectifié en ce sens que la mention « sexe masculin » soit remplacée par la mention « sexe féminin » et que la mention de ses prénoms soit remplacée par la mention « Stéphanie ». a) Le jugement du 7 novembre 2008 Le tribunal de grande instance de Nancy rendit un premier jugement le 7 novembre 2008. Il rappela qu’il était « désormais unanimement reconnu tant par la jurisprudence interne que par la jurisprudence européenne qu’un transsexuel [avait] droit au respect de sa vie privée », et qu’il avait donc le droit d’obtenir la modification de la mention de son sexe et de ses prénoms sur les actes d’état civil. Il souligna toutefois que cela supposait que plusieurs conditions soient réunies : « le syndrome de transsexualisme [doit] non seulement être constaté médicalement (ce constat se [faisant] généralement par une équipe pluridisciplinaire, médecins, chirurgiens, endocrinologue, psychologue et psychiatre), mais également constaté judiciairement, ce qui implique soit une expertise (le tribunal n’étant toutefois pas obligé de l’ordonner), soit la production de certificats médicaux par l’intéressé justifiant de façon certaine le traitement médical et chirurgical subi pour parvenir à cette conversion sexuelle ». Il ajouta ce qui suit : « En effet, la personne souhaitant changer de sexe à l’état civil doit justifier d’un traitement médico-chirurgical dans un but thérapeutique et d’une réalisation préalable d’interventions chirurgicales de nature à éliminer les caractères externes du sexe qu’elle veut quitter. Ainsi, le changement de sexe à l’état civil ne peut profiter qu’à la personne transsexuelle « vraie », c’est-à-dire à la personne qui a déjà subi une opération de conversion sexuelle irréversible. En d’autres termes, un tribunal ne peut ordonner la modification de la mention à l’état civil du nouveau sexe revendiqué par l’intéressé qu’après que ce dernier ait véritablement changé son anatomie sexuelle pour le rendre aussi conforme que possible à celui qu’il revendique. Ces conditions d’ordre médico-chirurgical s’expliquent par le fait que le transsexualisme véritable, qui se caractérise par « le sentiment profond et inébranlable d’appartenir au sexe opposé à celui qui est génétiquement, anatomiquement et juridiquement le sien, accompagné du besoin intense et constant de changer de sexe et d’état civil », doit être distingué d’autres notions qui lui sont voisines mais différentes, notamment du travestissement, qui repose sur une simple apparence extérieure réversible et n’implique pas le changement anatomique du sexe. En l’espèce, si S. Nicot se présente sous l’apparence d’une personne de sexe féminin et justifie que certains organismes lui adressent des documents ou factures au nom de Madame Stéphanie Nicot, il ne met toutefois pas le tribunal en mesure d’apprécier s’il a véritablement changé de sexe. En effet, lors de l’audience, sur l’interrogation du président concernant le traitement éventuellement subi, S. Nicot, dans un esprit militant – ce qui est son droit le plus légitime – s’est retranché derrière le secret de sa vie privée (...) » En conséquence, le tribunal sursit à statuer sur les demandes du troisième requérant et lui ordonna de « verser aux débats tous documents médicaux relatifs au traitement médical et chirurgical subi, de nature à justifier de l’effectivité de son changement de sexe ». b) Le jugement du 13 mars 2009 Estimant avoir suffisamment démontré que son physique et son psychique relevaient du genre féminin et qu’il était intégré socialement dans ce genre, le troisième requérant refusa de produire des documents médicaux. Il se borna à indiquer que son médecin généraliste lui avait prescrit un traitement hormonal lui permettant de présenter les caractères sexuels secondaires féminins tels que la poitrine. Le Ministère public conclut qu’une rectification de l’état civil n’était pas possible en l’absence de justification d’une réassignation sexuelle par intervention chirurgicale. Par un jugement du 13 mars 2009, le tribunal de grande instance de Nancy constata que le troisième requérant ne produisait pas la preuve médico-chirugicale d’un changement de sexe et rejeta en conséquence sa demande. Le jugement reprend les motifs du jugement du 7 novembre 2008. Il précise que le changement de sexe à l’état civil ne peut profiter qu’à « la personne transsexuelle « vraie » », c’est-à-dire à la personne qui a déjà subi une opération de conversion sexuelle irréversible, et non à la personne qui revendique seulement un état de « transgenre », au motif que, socialement, [elle] est considéré[e] comme appartenant au sexe dont [elle] a l’apparence extérieure, mais qui s’oppose à toute opération chirurgicale de conversion sexuelle ou qui refuse d’apporter la preuve médico-chirurgicale de ce changement par traitement médical et acte chirurgical ». Il ajouta notamment ceci : « Faire droit à la demande de S. Nicot aboutirait en fait à la création prétorienne d’un « troisième genre » : à savoir une personne d’apparence féminine conservant toutefois un sexe anatomique externe masculin et pouvant se marier avec un homme ; dans le cas inverse, une personne d’apparence masculine conserverait les organes génitaux féminins pouvant donner, dans cette hypothèse, naissance à un enfant !!! Cette situation est en l’état de la jurisprudence totalement prohibée. » L’arrêt de la cour d’appel de Nancy du 3 janvier 2011 La cour d’appel de Nancy confirma le jugement du 13 mars 2009 par un arrêt du 3 janvier 2011. Elle souligna en particulier que « la demande de changement d’état civil n’impos[ait] pas nécessairement que soient avérées des modifications de nature chirurgicale, telle que l’ablation ou la modification des organes génitaux, ou encore de la chirurgie plastique », mais qu’elle impliquait « que soit préalablement établie le caractère irréversible du processus de changement de sexe ». Elle constata ensuite que le troisième requérant « ne rapport[ait] pas une telle preuve de nature intrinsèque et qui en aucun cas ne saurait résulter du fait qu’il appart[enait] au sexe féminin aux yeux des tiers ». Elle jugea en outre que le respect de la vie privée ne pouvait avoir pour effet d’exonérer le troisième requérant de cette « obligation probatoire qui ne tend[ait] pas à confondre le transgenre et le transsexualisme, mais qui, outre l’indisponibilité de l’état des personnes, a[vait] pour finalité d’assurer la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ». Elle ajouta que, légitime et ne présentant aucun caractère discriminatoire, cette exigence ne violait pas l’article 14 de la Convention, et qu’il ne lui appartenait pas de pallier à la carence du troisième requérant dans l’administration de la preuve. L’arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2013 a) Le moyen de cassation Le troisième requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 3 janvier 2011. Il soutenait que le droit au respect de la vie privée impliquait le droit de définir son appartenance sexuelle et d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en administrer la preuve. Il en déduisait qu’en retenant qu’il aurait dû apporter la preuve d’un tel processus irréversible, la cour d’appel avait violé l’article 8 de la Convention, d’autant plus que ni le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, ni la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil n’imposaient à une personne de subir un processus irréversible de changement de sexe et d’en rapporter la preuve pour obtenir la modification des actes de l’état civil. Il ajoutait qu’il était discriminatoire et contraire à l’article 14 de la Convention de subordonner le droit d’une personne d’obtenir la modification des actes de l’état civil de façon qu’ils reflètent l’identité de genre qu’elle avait choisie à la preuve d’avoir subi un processus irréversible de changement de sexe. b) L’arrêt du 13 février 2013 Le pourvoi du troisième requérant fut examiné en même temps que celui du deuxième requérant. Le 13 février 2013, la Cour de cassation (première chambre civile) rejeta le pourvoir par un arrêt ainsi motivé : « (...) attendu que, pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ; Et attendu qu’ayant relevé que [le troisième requérant] ne rapportait pas la preuve, de nature intrinsèque à sa personne, du caractère irréversible du processus de changement de sexe, qui ne pouvait résulter du seul fait qu’il appartenait au sexe féminin aux yeux des tiers, c’est sans porter atteinte aux principes posés par les articles 8 et 14 de la Convention (...), mais par un juste équilibre entre les impératifs de sécurité juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes d’une part, de protection de la vie privée d’autre part, que la cour d’appel a rejeté sa demande (...) » II. RAPPORT DE LA HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ La haute autorité de santé a publié en novembre 2009 un rapport intitulé « situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge médicale du transsexualisme en France ». Ce rapport préconise notamment un « parcours de soins » en plusieurs étapes. La première consiste en un diagnostic du « trouble de l’identité sexuelle » et en son évaluation ; elle vise à essayer d’« éviter autant que faire se peut des transformations irréversibles injustifiées ». La deuxième étape consiste en une « expérience en vie réelle », dont l’objet est d’étudier la capacité à vivre dans le rôle désiré : le patient vit en permanence dans le rôle du sexe désiré dans les activités quotidiennes, sociales et professionnelles et montre son intégration sociale dans ce rôle, choisit un nouveau prénom et informe les membres de sa famille du changement prévu. La troisième étape consiste en une hormonosubstitution : des hormones exogènes sont fournies « afin de supprimer les caractères sexuels secondaires du sexe d’origine et induire ceux du sexe opposé le plus complètement possible ». La quatrième étape consiste en une chirurgie de réassignation. Le rapport précise à cet égard que, si la plupart des personnes transsexuelles souhaitent bénéficier d’une chirurgie de réassignation, certains patients présentent des contre-indications médicales aux interventions ou estiment que cette étape ne leur est pas nécessaire et que, par exemple, l’hormonosubstitution, la chirurgie « périphérique », la rééducation orthophonique suffisent à leur assurer une apparence conforme à l’autre sexe en leur permettant d’être reconnus comme tels par la société. Il observe en outre que le souhait de ne pas poursuivre l’étape chirurgicale peut aussi avoir pour origine la grande difficulté technique et les effets secondaires des interventions. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure civile Les dispositions pertinentes du code de procédure civile sont les suivantes : Article 11 « Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. (...) » Article 143 « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. » Article 144 « Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer. » Article 147 « Le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux. » Article 232 « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. » Article 263 « L’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge. » B. La jurisprudence de la Cour de cassation Dans deux arrêts du 11 décembre 1992 (nos 91-11900 et 91-12373 ; Bulletin 1992 AP no 13), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que, « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence », soulignant « que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ». Elle a en conséquence cassé les arrêts attaqués par les pourvois, qui avaient rejeté les demandes de personnes transsexuelles tendant à la rectification de la mention de leur sexe sur leur acte de naissance. Dans la seconde de ces affaires, le requérant avait vainement demandé au juge d’appel d’ordonner une expertise médicale afin d’établir le processus de féminisation qu’il avait suivi et de constater son transsexualisme. La Cour de cassation a relevé que, si l’appartenance du requérant au sexe féminin était attestée par un certificat du chirurgien ayant pratiqué l’intervention et l’avis officieux d’un médecin consulté par l’intéressée, la réalité du syndrome transsexuel ne pouvait être établie que par une expertise judiciaire. Elle a en conséquence censuré l’arrêt déféré en ce qu’il rejetait cette demande. L’assemblé plénière de la Cour de cassation a ainsi posé en 1992 cinq conditions à la modification de la mention du sexe inscrite sur l’acte de naissance : 1o présenter le syndrome de transsexualisme ; 2o avoir subi un traitement médico-chirurgical dans un but thérapeutique ; 3o n’avoir plus tous les caractères de son sexe d’origine ; 4o avoir pris une apparence physique proche de l’autre sexe ; 5o avoir adopté le comportement social correspondant à ce dernier. Cependant, dans deux arrêts rendus 7 juin 2012 (Bulletin 2012, I, nos 123 et 124), dont un en la cause du premier requérant, la première chambre civile a jugé que, « pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». La première chambre civile a confirmé cette jurisprudence le 13 février 2013 (paragraphes 40 et 52 ci-dessus). C. Le décret no 2010-125 du 8 février 2010 Le décret no 2010-125 du 8 février 2010 a supprimé les « troubles précoces de l’identité de genre » de l’annexe à l’article D. 322-1 du code de la sécurité sociale, relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l’affection de longue durée « affections psychiatriques de longue durée ». D. La circulaire no CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changements de sexe à l’état civil La circulaire no CIV/07/10 du garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, invite le procureur général près la Cour de cassation, les procureurs généraux près les cours d’appel et les procureurs près les tribunaux supérieurs d’appel, à « donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil [des personnes transsexuelles ou transgenres] dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage...), ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux ». Elle leur demande également « de ne solliciter d’expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur ». E. La réponse de la ministre de la justice et des libertés à la question écrite no 14524 (JO Sénat ; 30 décembre 2010) La question écrite no 14524 (JO Sénat, 22 juillet 2010, p. 1904) invitait la ministre de la justice et des libertés à préciser ce que signifiait le terme « irréversible » figurant dans la circulaire no CIV/07/10 du 14 mai 2010. La ministre de la justice et des libertés a répondu ce qui suit (JO Sénat du 30 décembre 2010, p. 3373) : « La notion de changement de sexe irréversible évoquée dans la circulaire du 14 mai 2010 fait référence à la recommandation no 1117 du Conseil de l’Europe relative à la condition des transsexuels, citée par le rapport de la Haute autorité de santé « Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge du transsexualisme en France » de novembre 2009. Cette notion est d’ordre médical et non juridique et, selon certains spécialistes, le caractère irréversible peut résulter de l’hormonosubstitution, ce traitement gommant certains aspects physiologiques, notamment la fécondité, qui peut être irréversible. Il appartient aux personnes concernées d’en rapporter la preuve, notamment par la production d’attestations de médecins reconnus comme spécialistes en la matière (psychiatre, endocrinologue et, le cas échéant, chirurgien) et qui les ont suivies dans le processus de conversion sexuelle. Le procureur fonde ensuite son avis, au cas par cas, sur les pièces médicales produites par le demandeur. » F. L’avis de la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 27 juin 2013 En janvier 2013, la garde des Sceaux et la ministre aux droits des femmes ont saisi la commission nationale consultative des droits de l’homme de deux questions, relatives à la définition et à la place de l’« identité de genre » dans le droit français, et aux conditions de modification de la mention du sexe dans l’état civil. La commission a procédé à des auditions de chercheurs, de professeurs de droit, de représentants associatifs et de membres du Sénat, et a pris en compte des contributions écrites d’organisations non gouvernementales, de médecins, de chercheurs en sciences sociales, et du défenseur des droits. Dans son avis du 27 juin 2013, la CNCDH note que les arrêts de la Cour de cassation des 7 juin 2012 et 13 février 2013 précités posent deux conditions au changement de la mention du sexe à l’état civil : le diagnostic du transsexualisme et l’irréversibilité de la transformation de l’apparence physique. Elle observe que, « si l’intervention chirurgicale n’est pas exigée, le droit demande en revanche un traitement médical irréversible, qui implique notamment une obligation de stérilisation ». Elle observe également que cette notion d’irréversibilité, « mal définie et difficile à prouver, (...) entraîne de manière très fréquente une demande d’expertise médicale », et que, la jurisprudence fluctuant sur ce point d’une juridiction à l’autre, la situation des personnes transidentitaires se caractérise à cet égard par une grande inégalité. Elle ajoute que les expertises sont vécues comme intrusives et humiliantes par les personnes concernées et contribuent à rallonger la durée du processus de changement de sexe à l’état civil, et que la somme des preuves imposées par la jurisprudence et la fréquence des demandes d’expertise posent le problème du soupçon qui pèse trop souvent sur les personnes transidentitaires, ce qu’elles ressentent comme une forme de déni d’identité. La CNCDH se prononce ensuite en faveur de la suppression des conditions médicales. À cet égard, elle estime que, placée dans le cadre judiciaire, l’exigence d’une attestation de « syndrome de dysphorie de genre » est problématique dans la mesure où « la formulation même paraît valider une pathologisation de la transidentité, bien que les troubles de l’identité de genre aient été retirés de la liste des affections psychiatriques [par le décret no 2010-125 du 8 février 2010] ». Selon elle, une telle condition, qui est requise en tant que diagnostic différentiel dans le strict cadre des démarches médicales entreprises par les personnes transsexuelles, contribue, dans le cadre judiciaire, à la stigmatisation de ces personnes et à l’incompréhension de ce qu’est la réalité de la transidentité. S’agissant de la preuve de l’irréversibilité de l’apparence physique, elle souligne ce qui suit : « 23. (...) Cette condition contraint les personnes concernées à suivre des traitements médicaux aux conséquences très lourdes, qui impliquent une obligation de stérilisation. Cette obligation ne passe pas forcément par des opérations chirurgicales de réassignation sexuelles, mais peut être obtenue par des traitements hormonaux, dont la Haute Autorité de santé indique que, pris sur le long terme, ils sont susceptibles d’entraîner des modifications irréversibles du métabolisme. Or, il apparaît que la réaction aux traitements hormonaux diffère selon les patients, avec des effets (dont la stérilité) qui sont obtenus à plus ou moins long terme. Autrement dit, la procédure judiciaire dépend de l’avancée, aléatoire, de la procédure médicale, ce qui contribue à créer des situations de fortes inégalités entre les personnes concernées. Par ailleurs, l’irréversibilité de l’apparence physique est difficile à prouver, et justifie très fréquemment, aux yeux des juges, une demande d’expertise médicale et ce, en dépit de ce que recommandait la circulaire du 14 mai 2010, qui invitait les magistrats à « ne solliciter d’expertises que si les éléments fournis révèlent un doute sérieux sur la réalité du transsexualisme du demandeur ». Car l’expertise, outre le coût qu’elle entraîne pour le requérant, contribue à allonger la durée de la procédure de manière inacceptable. Par ailleurs, quand les traitements hormonaux ne suffisent pas à prouver l’irréversibilité de l’apparence physique, les personnes demandant à changer la mention du sexe sur leur état civil sont bien souvent contraintes, en dernier recours, à accepter des opérations chirurgicales (pénectomie ou mastectomie notamment). Les conditions médicales imposées par le droit posent donc problème, dans la mesure où certaines personnes ne souhaitant pas avoir recours à ces traitements et à ces opérations en acceptent néanmoins la contrainte dans l’espoir de voir aboutir la procédure judiciaire dans laquelle elles sont engagées. Par conséquent, la CNCDH demande que soit mis fin à toute demande de réassignation sexuelle, que celle-ci passe par un traitement hormonal entraînant la stérilité ou qu’elle signifie le recours à des opérations chirurgicales. (...) » G. Propositions de loi Une proposition de « loi visant à protéger l’identité de genre » (no 216) a été enregistrée à la présidence du Sénat le 11 décembre 2013. Elle tend à définir une procédure permettant aux personnes transgenres d’obtenir, dans des délais raisonnables et sans que puisse leur être imposé aucun traitement médical ou chirurgical, la modification de la mention de leur sexe à l’état civil ainsi que le changement corrélatif de leur prénom. L’exposé des motifs contient notamment le passage suivant : « Quatre arrêts de la Cour de cassation rendus [les 7 juin 2012 et 13 février 2013] posent le principe selon lequel « pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence ». Deux conditions sont donc posées : le diagnostic du transsexualisme et l’irréversibilité de la transformation de l’apparence physique. Si le droit n’exige pas d’intervention chirurgicale, il demande en revanche un traitement médical irréversible qui implique la stérilisation. » Une autre proposition de loi, « sur l’identité de genre », rédigée par l’association nationale transgenre en mai 2014, vise à permettre aux personnes transgenres d’obtenir un changement d’état civil sans conditions médicales et en dehors de toute procédure judiciaire. Renvoyant aux arrêts de la Cour de cassation des 7 juin 2012 et 13 février 2013, l’exposé des motifs souligne que, « si la Cour de cassation n’exige pas explicitement d’intervention chirurgicale, elle demande en revanche, à travers le critère nébuleux de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence, un traitement médical qui implique la stérilisation », ajoutant que « l’interprétation faite par la plupart des tribunaux de ce critère aboutit à l’exigence d’une opération chirurgicale rendant la personne transgenre stérile ». H. La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle L’article 56 de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle (adoptée le 12 octobre 2016) insère dans le code civil les articles suivants, relatifs à la modification de la mention du sexe à l’état civil : Article 61-5 « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être : 1o Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; 2o Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; 3o Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué. » Article 61-6 « La demande est présentée devant le tribunal de grande instance. Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa demande. Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande. Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à l’article 61-5 et ordonne la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l’état civil. » Article 61-7 « Mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms est portée en marge de l’acte de naissance de l’intéressé, à la requête du procureur de la République, dans les quinze jours suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de chose jugée. Par dérogation à l’article 61-4, les modifications de prénoms corrélatives à une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de l’état civil des conjoints et enfants qu’avec le consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux. Les articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe. » Article 61-8 « La modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard de tiers ni sur les filiations établies avant cette modification. » Le 17 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 56 de la loi conforme à la Constitution (décision no 2016-739 DC). Il a en particulier souligné qu’« en permettant à une personne d’obtenir la modification de la mention de son sexe à l’état civil sans lui imposer des traitements médicaux, des interventions chirurgicales ou une stérilisation, les dispositions ne portent aucune atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ Il ressort d’un document intitulé Trans Rights Europe Map 2016 publié le 22 avril 2016 par l’organisation non gouvernementale Transgender Europe (voir aussi « La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe », éditions du Conseil de l’Europe, décembre 2011, ainsi que les éléments de droit comparé exposés dans l’arrêt Y.Y. c. Turquie (no 14793/08, §§ 35-43, CEDH 2015 (extraits)) qu’à cette date, la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres était impossible dans sept États membres du Conseil de l’Europe : l’Albanie, Andorre, Chypre, le Liechtenstein, Monaco, la République de Saint-Marin et « L’ex-République yougoslave de Macédoine ». Il en résulte également que cette reconnaissance était subordonnée en droit à la stérilisation du demandeur dans vingt-quatre États membres du Conseil de l’Europe : l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Fédération de Russie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Monténégro, la Norvège, la République tchèque, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine. Elle était possible dans seize États membres sans que la stérilisation soit requise en droit : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Estonie, l’Espagne, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, Malte, la Moldavie, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. La France (paragraphe 68 ci-dessus) et la Norvège (par une loi du 17 juin 2016) ont depuis lors rejoint ce second groupe. Le nombre d’États membres dans lesquels la reconnaissance n’est pas subordonnée en droit à la stérilisation est donc passé à dix-huit (s’y ajoute, en Europe, le Belarus), pour vingt-deux États dans lesquels elle l’est. Dans plusieurs de ces États, l’abandon de cette condition résulte d’une évolution récente du droit : un arrêt de la haute Cour administrative du 27 février 2009 en Autriche ; une loi du 15 mars 2010 au Portugal ; un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 11 janvier 2011 en Allemagne ; une loi du 22 mai 2013 en Suède ; une loi du 18 décembre 2013 aux Pays-Bas ; une loi du 11 juin 2014 au Danemark ; une loi du 1er avril 2015 à Malte ; une loi du 15 juillet 2015 en Irlande ; un arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 2015 en Italie ; une loi du 17 juin 2016 en Norvège ; une loi du 12 octobre 2016 en France. Il apparaît en outre que plusieurs États membres sont en train de réévaluer ou ont l’intention de réévaluer les conditions de la reconnaissance légale de l’identité des personnes transgenres afin de lever celles qui seraient abusives (Comité des droits de l’homme du Conseil de l’Europe : rapport sur la mise en œuvre de la recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité de ministres sur les mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ; CDDH(2013)R77 Addendum VI, 21 mars 2013). Il ressort de plus de ce document notamment, qu’un psychodiagnostic figure parmi les conditions préalables à la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres dans trente-six États européens, et que seuls le Danemark, l’Islande, Malte et la Norvège ont adopté une législation mettant en place une procédure de reconnaissance qui exclut un tel diagnostic (s’y ajoutent, en Espagne, deux des dix-sept communautés autonomes). V. DOCUMENTS DE SOURCE INTERNATIONALE A. Dans le cadre du Conseil de l’Europe Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe En octobre 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a publié un « document thématique » intitulé « droits de l’homme et identité de genre », dans lequel il prend notamment position contre le fait de subordonner la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres à la réalisation d’une opération de stérilisation irréversible. Il souligne ce qui suit : « (...) Il est à noter que les conditions à remplir pour faire rectifier le sexe indiqué dans les documents officiels varient énormément d’un pays à l’autre en Europe. En gros, on peut distinguer trois catégories de pays. Dans la première, la reconnaissance officielle n’est pas prévue du tout, ce qui constitue clairement une violation de la jurisprudence constante de la Cour de Strasbourg. Dans la deuxième, qui compte moins de pays, il n’est pas nécessaire de suivre un traitement hormonal ou de subir une quelconque intervention chirurgicale pour obtenir la reconnaissance officielle du genre souhaité. Il est possible d’obtenir la reconnaissance juridique de son genre en apportant la preuve d’une dysphorie de genre devant une autorité compétente comme les experts du ministère de la Santé (en Hongrie), un comité chargé de la rectification du genre à l’état civil (au Royaume-Uni) ou encore un médecin ou un psychologue clinicien. Dans la troisième catégorie de pays, qui comprend la plupart des États membres du Conseil de l’Europe, la personne doit remplir une ou plusieurs des conditions suivantes : 1. avoir suivi un processus de conversion sexuelle sous contrôle médical – en général exclusivement auprès de certains médecins ou institutions agréés par l’État ; 2. avoir subi une opération de stérilisation irréversible ; 3. Avoir suivi une autre procédure médicale – un traitement hormonal, par exemple. Ces conditions sont de toute évidence contraires au respect de l’intégrité physique de la personne. Le fait d’exiger comme préalable à la reconnaissance officielle du genre la stérilisation ou tout autre opération chirurgicale, c’est oublier que les personnes transgenres ne souhaitent pas toutes subir de telles interventions. De plus, ces opérations ne sont pas toujours médicalement possibles, accessibles ou abordables sans un financement de l’assurance maladie. Il se peut que le traitement ne corresponde pas aux souhaits et aux besoins du patient ou que le médecin spécialiste ne le prescrive pas. L’impossibilité d’accéder à la reconnaissance officielle de l’identité de genre sans ces traitements place les personnes transgenres dans une impasse. On ne peut que s’alarmer du fait que ces dernières semblent former le seul groupe en Europe soumis à une stérilisation prescrite légalement et imposée en pratique par l’État. Il faut aussi noter que beaucoup de personnes transgenres et, probablement, la plupart des transsexuels, choisissent de suivre ce traitement qui comprend souvent la suppression des organes reproducteurs et qui leur semble généralement indispensable. Cela étant, un traitement médical doit toujours être administré dans l’intérêt supérieur de l’individu et adapté à ses besoins et à sa situation. La prescription par l’État d’un traitement identique pour tous revêt un caractère disproportionné. Du point de vue des droits de l’homme, l’enjeu est de savoir dans quelle mesure une ingérence aussi forte de l’État dans la vie privée de chacun se justifie et si la stérilisation ou d’autres interventions médicales sont nécessaires pour décider de l’appartenance d’une personne à un sexe ou à l’autre. (...) Les États qui imposent des procédures physiquement inopportunes aux personnes transgenres portent de fait atteinte au droit de celles-ci à fonder une famille. (...) » Le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté le 31 mars 2010 une recommandation « sur les mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre » (CM/Rec(2010)5). Elle énonce en particulier que « les conditions préalables, y compris les modifications d’ordre physique, à la reconnaissance juridique d’un changement de genre devraient être régulièrement réévaluées afin de lever celles qui seraient abusives », et que « les États membres devraient prendre les mesures appropriées pour garantir la reconnaissance juridique intégrale du changement de sexe d’une personne dans tous les domaines de la vie, en particulier en permettant de changer le nom et le genre de l’intéressé dans les documents officiels de manière rapide, transparente et accessible » (annexe, points 20 et 21). Dans sa résolution 1728 (2010), adoptée le 29 avril 2010, relative à la « discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre », l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe appelle les États « à garantir dans la législation et la pratique, les droits [des personnes transgenres] (...) à des documents officiels reflétant l’identité de genre choisie, sans obligation préalable de subir une stérilisation ou d’autres procédures médicales comme une opération de conversion sexuelle ou une thérapie hormonale » (point 16.11.2). L’Assemblée parlementaire a également adopté, le 26 juin 2013, une résolution intitulée « mettre fin aux stérilisations et castrations forcées » (résolution 1945(2013)), dans laquelle elle note qu’« un nombre certes réduit – mais significatif – de stérilisations et de castrations a été « imposé » (coerced), cet adjectif ayant reçu de multiples définitions ; elles ont visé avant tout les personnes transgenres, les femmes roms et les délinquants sexuels condamnés ; les stérilisations et les castrations forcées ou imposées ne peuvent se justifier d’aucune manière au XXIe siècle : il faut qu’elles cessent » (point 4). Elle invite donc les États membres « à réviser si nécessaire leur législation et leur politique pour faire en sorte que nul ne soit contraint, de quelque manière et pour quelque motif que ce soit, de subir une stérilisation ou une castration » (point 7.1). Le 22 avril 2015, l’Assemblée parlementaire a adopté une résolution intitulée « la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe » (résolution 2048(2015). Elle appelle notamment les États membres à abolir, en matière de reconnaissance d’identité de genre, l’obligation légale de stérilisation et de soumission à d’autres traitements médicaux, y compris le diagnostic de troubles mentaux, dans les lois encadrant la procédure de changement de nom et de genre, et à modifier les classifications des maladies utilisées au niveau national et à prôner la modification des classifications internationales afin de garantir que les personnes transgenres, y compris les enfants, ne soient pas considérées comme malades mentaux, tout en assurant un accès aux traitements médicaux nécessaires sans stigmatisations. B. Dans le cadre de l’organisation des Nations unies Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Dans son rapport au Conseil des droits de l’homme du 17 novembre 2011 intitulé « lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre » (A/HRC/19/41), la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme relève en particulier que la réglementation en vigueur dans les pays qui reconnaissent le changement de genre conditionne souvent, implicitement ou explicitement, cette reconnaissance à la stérilisation (§ 72). Elle recommande notamment aux États (§ 84 h)) : « De faciliter la reconnaissance juridique du genre de préférence des personnes transgenres et de prendre des mesures pour permettre la délivrance de nouveaux documents d’identité faisant mention du genre de préférence et du nom choisi, sans qu’il soit porté atteinte aux autres droits de l’homme. » Le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants Dans son rapport du 1er février 2013 au Conseil des droits de l’homme des Nations unies (A/HRC/22/53), le rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants souligne ce qui suit (§ 78): « (...) Dans de nombreux pays les personnes transgenres sont tenues de subir une stérilisation souvent non désirée pour obtenir la reconnaissance juridique du sexe dont elles se sentent le plus proche. En Europe, 29 États exigent la stérilisation avant de reconnaître le sexe légal d’une personne transgenre. Dans 11 États qui n’ont pas encore de législation relative à la reconnaissance juridique du sexe, la stérilisation forcée est encore pratiquée. En 2008, aux États-Unis d’Amérique, 20 États exigeaient qu’une personne transgenre subisse une « chirurgie de confirmation du sexe » ou une « chirurgie de changement de sexe » comme préalable à la reconnaissance de leur sexe légal. Au Canada, seule la province de l’Ontario n’exige pas de « chirurgie transsexuelle » avant de rectifier le sexe enregistré sur le certificat de naissance. Certaines juridictions nationales ont estimé que la chirurgie forcée, outre qu’elle provoquait une stérilité définitive et des modifications corporelles irréversibles et qu’elle constituait une immixtion dans la vie de famille et la sphère de la procréation, constituait également une atteinte grave et irrémédiable à l’intégrité physique de la personne. En 2012, la Cour d’appel administrative suédoise a déclaré que l’exigence de stérilisation constituait une atteinte à l’intégrité physique et qu’une telle intervention ne pouvait être considérée comme volontaire. En 2011, la Cour constitutionnelle allemande a déclaré que l’exigence de chirurgie de réassignation sexuelle constituait une violation du droit à l’intégrité physique et à l’autodétermination. En 2009, la Haute Cour administrative autrichienne a également considéré que la réassignation sexuelle obligatoire comme condition de la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle était illégale. En 2009, l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a fait observer que le fait d’exiger comme préalable la stérilisation était de toute évidence contraire au respect de l’intégrité physique de la personne. » Dans ses conclusions et recommandations, il demande instamment à tous les États (§ 88) : « d’abroger toute loi qui autorise les traitements médicaux invasifs ou irréversibles, notamment la chirurgie normalisatrice de l’appareil génital imposée, la stérilisation involontaire, ainsi que les expérimentations non conformes à l’éthique, les atteintes à la confidentialité des patients et les « thérapies réparatrices » ou « thérapies de conversion » pratiquées sans le consentement libre et éclairé de la personne concernée. Il les engage également à prohiber la stérilisation forcée ou obligatoire dans toutes les circonstances et à assurer une protection spéciale aux membres de groupes marginalisés. » L’organisation mondiale de la santé (OMS), le fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ONU Femmes, ONU Sida, le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le fonds des Nations unies pour la population En mai 2014, L’OMS, l’UNICEF, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ONU Femmes, ONU Sida, le PNUD et le Fonds des Nations unies pour la population ont publié une déclaration commune appelant à l’élimination de la stérilisation forcée, contrainte ou autrement involontaire (Eliminating forced, coercive and otherwise involuntary sterilization). Ils observent notamment que, dans de nombreux pays, les personnes transgenres ne peuvent obtenir la modification de l’indication du sexe sur leurs papiers que si elles ont préalablement subi une opération de stérilisation que, souvent, elles ne désirent pas. Ils constatent par ailleurs que, selon des organes internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme et certaines juridictions constitutionnelles, et comme cela ressort de l’évolution du droit dans certains pays, cette exigence de stérilisation est contraire au respect de l’intégrité physique, à l’autodétermination et à la dignité humaine, et peut causer ou pérenniser la discrimination des personnes transgenres et intersexuées. Ils demandent qu’il soit fait en sorte que la reconnaissance légale du sexe ou du genre préféré ne soit pas subordonnée à une stérilisation préalable ou à des procédures causant l’infertilité.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Houten. A. Introduction Le requérant était employé par l’AIVD en qualité de monteur son et d’interprète. Dans l’exercice de ses fonctions, il avait accès à des informations classifiées (gerubriceerde informatie), qu’il lui était interdit de divulguer aux personnes non autorisées à en avoir connaissance. Il fut soupçonné d’avoir transmis des copies de documents classifiés à des personnes extérieures au service, dont certaines faisaient l’objet d’une enquête secrète de l’AIVD en lien avec de possibles activités terroristes. Le 30 septembre 2004, le requérant fut arrêté. Accusé d’avoir révélé des secrets d’État à des personnes non autorisées, il fut placé en détention provisoire (voorlopige hechtenis). L’AIVD l’avisa par écrit qu’il était toujours soumis à son obligation de secret et qu’il se rendrait coupable d’une infraction pénale distincte s’il discutait d’informations couvertes par le secret avec quiconque, y compris avec ses défenseurs. Les avocats du requérant furent également avertis qu’ils s’exposaient à des poursuites s’ils venaient à divulguer des secrets d’État à des tiers. B. La procédure devant le tribunal d’arrondissement Le procès s’ouvrit devant le tribunal d’arrondissement (rechtbank) de Rotterdam le 10 janvier 2005. Il fut suspendu à plusieurs reprises. Les avocats du requérant protestèrent contre les restrictions touchant leurs communications avec le requérant, qui, selon eux, portaient atteinte à l’effectivité de leur défense. Ils demandèrent également le versement au dossier de certaines pièces, notamment le rapport de l’enquête interne de l’AIVD sur lequel se fondaient les poursuites et qui ne figurait pas dans le dossier, ainsi que les documents que le requérant était accusé d’avoir divulgués et qui avaient été versés au dossier dans une version expurgée. Ils réitérèrent également la demande qu’ils avaient présentée auparavant par écrit, à savoir que le requérant fût relevé sans condition de son obligation de secret afin qu’il pût assurer sa défense (vrijwaring). Le parquet (officier van justitie) accepta que certaines pièces, mais non toutes, demandées par la défense fussent versées au dossier, mais refusa de relever sans condition le requérant de son obligation de secret. Le 24 janvier 2005, le tribunal d’arrondissement renvoya l’affaire devant le juge d’instruction auquel il demanda de mener ses enquêtes de manière à réduire les obstacles qui entravaient le travail de la défense et à les compenser autant que possible. Le 4 mars 2005, la direction de l’AIVD informa le requérant par écrit qu’il pouvait communiquer des informations couvertes par son obligation de secret dans les conditions suivantes : Il ne pouvait discuter de ces éléments qu’avec ses avocats, Mes Böhler et Pestman. Il n’était pas autorisé à révéler l’identité de membres du personnel ou d’informateurs de l’AIVD. Il ne pouvait discuter que de ce qui était « contenu dans le dossier de l’affaire ». Cette exemption ne s’appliquait qu’aux informations strictement nécessaires à sa défense. Elle n’était valable que jusqu’à l’adoption d’une décision définitive dans la procédure interne. (...) Le 15 avril 2005, le tribunal d’arrondissement, suivant l’avis du parquet, refusa de relever sans condition le requérant de son obligation de secret. Il estima qu’autoriser le requérant à divulguer à ses avocats l’identité de membres du personnel ou d’informateurs de l’AIVD ne présentait pas la moindre utilité en ce que les intérêts du requérant étaient suffisamment protégés par l’exemption qui s’appliquait aux informations strictement nécessaires à sa défense. Il ordonna au juge d’instruction d’entendre treize témoins désignés par leur nom et sept témoins désignés par un nom de code ou un numéro. Il refusa d’ordonner immédiatement l’audition de quinze autres témoins désignés par un numéro et d’un témoin nommément désigné, laissant au juge d’instruction le soin de prendre cette décision après avoir entendu un témoin particulier, membre de l’AIVD et dénommé B. Quant aux documents partiellement expurgés, le tribunal d’arrondissement observa que même si cela l’empêchait lui aussi d’apprécier le caractère secret des informations qu’ils contenaient au sens des articles 98 et 98a du code pénal (Wetboek van Strafrecht, voir ci-dessous), l’intérêt de l’accusation à la préservation du secret prévalait. Le témoin dénommé B. fut entendu le 23 mai et le 6 juin 2005. Il ressort de sa déposition qu’il invoqua l’obligation de secret à laquelle il était tenu pour refuser de répondre à certaines questions. Il apparaît que le 9 juin 2005, le juge d’instruction refusa, par manque de temps (agendatechnische redenen), d’entendre le seizième témoin dont l’audition avait été demandée par la défense. Le 17 juin 2005, le juge d’instruction décida que les témoins non nommément désignés dont l’audition avait été autorisée seraient entendus dans un lieu secret, qu’ils seraient déguisés et que leur voix serait modifiée. Il autorisa également un représentant de l’AIVD et un avocat de l’État à assister à l’audition aux côtés de l’accusation et de la défense. La défense forma devant le tribunal d’arrondissement une opposition contre la décision rendue le 17 juin 2005 par le juge d’instruction, déclarant qu’elle ne coopérerait à aucune audition de témoin qui se déroulerait dans un lieu secret. Elle demanda également que les témoins nommément désignés qui avaient déjà été entendus fussent relevés de leur obligation de secret et entendus à nouveau. Le tribunal d’arrondissement tint une audience à huis clos le 5 juillet 2005. La défense exposa sa stratégie provisoire, qui visait à disculper le requérant en identifiant d’autres sources potentielles de divulgation des informations et en démontrant que les documents divulgués ne contenaient aucun secret d’État à proprement parler, ainsi qu’à établir l’attitude du requérant à l’égard de son travail pour l’AIVD. Elle argua que cette stratégie exigeait l’audition des anciens collègues directs du requérant et la consultation, par la défense et le tribunal, de copies non censurées des documents en cause. Le 8 juillet 2005, le tribunal d’arrondissement ordonna l’audition de deux autres témoins nommément désignés mais rejeta l’opposition de la défense pour le surplus. Le 14 juillet 2005, la défense demanda le dessaisissement de deux juges de la formation de jugement qui avaient également pris part à la décision du 8 juillet 2005, arguant que les positions adoptées dans cette dernière décision préjugeaient de l’issue du procès. Le lendemain, le 15 juillet 2005, la demande de dessaisissement des juges fut rejetée et le procès reprit. La défense demanda que des pièces fussent versées au dossier, dont tous les documents qui avaient été trouvés dans le bureau du requérant. Le tribunal d’arrondissement renvoya l’affaire au juge d’instruction pour qu’il entendît les témoins dont l’audition avait été autorisée, pour autant qu’ils n’eussent pas déjà été entendus, et il demanda au parquet de verser des pièces au dossier, dont une description – qui devait être préparée par l’AIVD – des documents trouvés dans le bureau du requérant. Les témoins furent entendus à différentes dates. Les membres du personnel de l’AIVD non nommément désignés furent identifiés par un numéro, ils furent déguisés, placés dans un box qui ne permettait de voir que la partie supérieure de leur corps, et leur voix fut modifiée. Le requérant se plaignit de ne pouvoir discerner ni leur langage corporel ni l’expression de leur visage. Il reprocha également au juge d’instruction d’avoir autorisé un responsable de l’AIVD à assister au procès et de lui avoir permis d’empêcher les témoins, nommément désignés ou non, de répondre à certaines des questions posées par la défense. Le procès reprit le 30 août 2005. N’ayant trouvé aucun élément indiquant que les informations de l’AIVD avaient pu être divulguées par quelqu’un d’autre, le tribunal d’arrondissement refusa à nouveau d’entendre le témoin nommément désigné et les quinze témoins non nommément désignés. Quant aux membres du personnel de l’AIVD qui avaient refusé de divulguer certaines informations en raison de l’obligation de secret à laquelle ils étaient tenus, il considéra que la décision finale d’admettre ce refus appartenait à la formation de jugement mais estima qu’il n’était pas possible de fixer des limites précises comme le souhaitait l’accusation. Le procès se poursuivit les 6 et 7 octobre 2005. Le requérant ne fit aucune déposition. Le 30 novembre 2005, le procès reprit. L’accusation et la défense présentèrent leurs conclusions. Le tribunal d’arrondissement rendit son jugement le 14 décembre 2005. Il déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à quatre ans et six mois d’emprisonnement. C. La procédure devant la cour d’appel Le requérant saisit la cour d’appel (gerechtshof) de La Haye. L’audience d’appel s’ouvrit le 28 septembre 2006. Les avocats de la défense contestèrent notamment le refus, opposé au cours de la procédure de première instance, de relever le requérant sans condition de son obligation de secret pour lui permettre de communiquer librement avec ses avocats. Ils se plaignirent également de ce que les témoins non nommément désignés avaient été déguisés lors de leur audition, qu’ils avaient été placés dans un box qui les cachait partiellement et que leur voix avait été modifiée, alors même qu’il s’agissait des anciens collègues directs du requérant. Ils critiquèrent enfin la rétention d’informations de la part des témoins en raison de l’obligation de secret qui leur était imposée en leur qualité de membres du personnel de l’AIVD et la non-divulgation de certains documents dont la production avait été demandée par la défense. L’avocat général (advocaat-generaal) fit part de la proposition de l’AIVD d’autoriser un expert indépendant à examiner les documents non censurés de l’AIVD et à rendre compte de leur teneur. L’expert proposé était un ancien membre d’une commission chargée d’enquêter sur le fonctionnement interne de l’AIVD. La défense plaida que cet expert ne pouvait être considéré comme indépendant précisément pour cette raison. La cour d’appel rendit un jugement avant dire droit le 12 octobre 2006. (...) Elle releva la « tension particulière entre des intérêts fondamentalement opposés », à savoir l’intérêt du requérant en tant qu’accusé dans un procès pénal et l’intérêt de l’État à la préservation du caractère secret des informations de l’AIVD, mais elle rejeta les griefs soulevés pour le compte du requérant. Dans sa décision, la cour d’appel prit note d’une promesse de l’avocat général de ne pas engager de poursuites pour violation de l’obligation de secret si cette violation était justifiée par les exigences de l’article 6 de la Convention (gerechtvaardigd is door een beroep op artikel 6 EVRM). Elle demanda à l’accusation de produire certains rapports officiels, mais non les documents non expurgés de l’AIVD qui avaient été demandés par la défense. L’audience devant la cour d’appel reprit le 12 février 2007. Le requérant déclara qu’il risquait d’être amené à révéler des secrets d’État pour assurer sa propre défense, ce qui incita la cour d’appel à exclure le public lors de la déposition du requérant, malgré les protestations de celuici. Au cours de son interrogatoire par ses avocats, le requérant mentionna le nom de certains membres du personnel de l’AIVD, noms qui ne sont pas consignés dans le procès-verbal officiel de l’audience. L’avocat général s’opposa à la mention des noms qui ne figuraient pas déjà dans le dossier, et il estima qu’elle n’était pas nécessaire au regard de l’article 6 de la Convention. Il fit part de son intention de poursuivre le requérant si celui-ci devait « transgresser ces limites » (mocht hij die grenzen overschrijden). Les avocats du requérant répliquèrent que la défense avait besoin de ces noms pour décider s’il fallait citer les personnes concernées en qualité de témoin de la défense et ils soulignèrent que le public avait été exclu. Le président ayant décidé que l’avocat général avait le droit d’exprimer son opinion sur l’acceptabilité des questions posées au requérant par ses avocats, le requérant déclara qu’il respecterait son obligation de secret pendant le reste de l’audience, qui fut alors rouverte au public. Le 14 février 2007, Me Pestman, avocat du requérant, envoya par télécopie à l’avocat général la liste des questions que lui-même et Me Böhler souhaitaient poser à leur client à l’appui de la thèse de la défense. Ces questions concernaient les méthodes de travail, les procédures et les membres de l’AIVD. Dans une question, il était demandé au requérant de désigner par leur nom certains membres de l’AIVD sur un organigramme écrit à la main et anonymisé. D’autres questions portaient sur les noms des membres de l’AIVD qui, à part lui, avaient eu accès aux documents qui avaient été divulgués. L’audience se poursuivit le 15 février 2007. L’avocat général annonça son intention de poursuivre le requérant s’il répondait aux questions lui demandant de nommer des sources de l’AIVD, de fournir des informations sur les méthodes de travail de l’AIVD ou concernant les parties censurées des documents expurgés. En réponse aux protestations de la défense, la cour d’appel renvoya à son jugement avant dire droit du 12 octobre 2006 (paragraphe 34 ci-dessus), dans lequel elle avait jugé que si le requérant considérait qu’un manquement à son obligation de secret était dans l’intérêt de la défense, il pourrait, en cas de poursuites, se justifier en invoquant le droit de se défendre garanti par l’article 6 de la Convention. Elle ajouta que la décision de poursuivre revenait toutefois au parquet, et non au juge. La cour d’appel rendit un arrêt le 1er mars 2007. Elle annula le jugement du tribunal d’arrondissement au motif qu’il lui était impossible de simplement confirmer la décision de ce dernier, reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine de quatre ans d’emprisonnement. Elle s’appuya sur les éléments suivants : (...) Procès-verbal de vérification par le procureur national en charge de la lutte contre le terrorisme, 29 décembre 2006. Le procureur a personnellement examiné les documents en cause dans leur version non expurgée et confirmé que les parties non censurées des documents expurgés étaient identiques aux parties correspondantes des documents non expurgés. (...) D. La procédure devant la Cour suprême Le requérant forma un pourvoi sur des points de droit (cassatie) devant la Cour suprême (Hoge Raad). La haute juridiction statua le 7 juillet 2009 (ECLI:NL:HR:BG7232). Elle estima que, devant elle, la durée de la procédure avait été excessive et que le requérant avait droit à une réparation sous la forme d’une réduction de peine. Elle annula donc l’arrêt de la cour d’appel pour des motifs procéduraux afin de modifier la peine qu’elle réduisit de deux mois pour la ramener à trois ans et dix mois. Elle jugea toutefois le pourvoi non fondé. Les motifs de sa décision comportaient le passage suivant : « 5.5. Aucune disposition ne prévoit d’exception à l’obligation de secret imposée par l’article 85 de la loi de 2002 sur les services de renseignement et de sécurité dans le cas où l’agent concerné est un suspect. Même dans ce cas, l’agent est lié par son obligation de secret et il ne peut être autorisé à divulguer des informations en violation de cette obligation. Si, toutefois, la juridiction de jugement, en réponse ou non à une demande ou à un argument juridique (verweer) avancé par la défense, est d’avis que l’intérêt de la défense exige que des informations couvertes par le secret soient divulguées par le suspect, elle devra apprécier les intérêts contradictoires en présence. Elle doit être guidée (richtsnoer) en cela par la question de savoir si, dans le cas où ces informations ne peuvent en définitive pas être divulguées, il peut tout de même y avoir un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention. Si la formation de jugement parvient à la conclusion qu’il est nécessaire, du point de vue de cette garantie conventionnelle, de prendre connaissance de ces informations secrètes et que l’inconvénient pour la défense [qui résulte de l’impossibilité pour elle de les révéler] n’est pas suffisamment compensé par la procédure suivie, elle devra déterminer – par exemple en entendant sur ce point l’agent ou les agents de l’AIVD appropriés – si l’obligation de secret doit être maintenue relativement à ces informations. Si tel est le cas, la conclusion sera que le procès ne peut être équitable et les poursuites devront être déclarées irrecevables (zal de officier van justitie niet-ontvankelijk moeten worden verklaard in de vervolging). 6. La cour d’appel a mal interprété la loi (heeft het blijk gegeven van een onjuiste rechtsopvatting) en ce qu’elle a été guidée par un cadre procédural différent de celui exposé ci-dessus. Cela ne doit toutefois pas nécessairement conduire à l’annulation de l’arrêt [de la cour d’appel] pour les raisons suivantes. (...) » La Cour suprême ajouta que les mesures compensatoires avaient été suffisantes dans les circonstances de l’espèce : les agents de l’AIVD avaient pu être entendus en qualité de témoins sans que leur identité ne fût révélée et les informations contenues dans le dossier – les parties non censurées des documents, les documents explicatifs officiels fournis par l’AIVD et la vérification effectuée par le procureur national en charge de la lutte contre le terrorisme concernant la position de l’AIVD – avaient été suffisantes pour permettre à la cour d’appel d’apprécier si les documents en cause étaient à juste titre classifiés comme secrets d’État. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code pénal Les dispositions du code pénal pertinentes en l’espèce se lisent comme suit : Article 98 « 1. Quiconque livre ou communique délibérément à une personne ou à un organisme non autorisé à en prendre connaissance une information (inlichting) dont le secret est requis dans l’intérêt de l’État ou de ses alliés, un objet dont il est possible d’extraire ladite information ou toute donnée de cette nature (gegevens) encourt, s’il sait ou doit raisonnablement soupçonner qu’il s’agit d’une information, d’un objet ou d’une donnée de cette nature, une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de six ans ou une amende de cinquième catégorie [jusqu’à 74 000 euros (EUR)]. (...) » Article 98c « 1. Encourt une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de six ans ou une amende de cinquième catégorie : i) quiconque prend ou garde en sa possession, délibérément et sans y avoir été dûment autorisé, une information, un objet ou une donnée visés à l’article 98 ; ii) quiconque entreprend, sans y avoir été dûment autorisé, une action quelle qu’elle soit dans le but d’obtenir une information, un objet ou une donnée visés à l’article 98 ; (...) » B. Le code de procédure pénale Au moment des faits litigieux, les dispositions du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering) pertinentes en l’espèce se lisaient ainsi : Article 190 « 1. Le juge d’instruction demande aux suspects, témoins et experts de décliner leurs noms et prénoms, âge, profession et lieu de résidence ou domicile ; le suspect doit également indiquer son lieu de naissance. Si le suspect est connu, le juge d’instruction demande aux témoins et experts s’ils sont parents ou alliés du suspect et, dans l’affirmative, leur degré de parenté avec lui. Le juge d’instruction peut, d’office ou à la demande (vordering) du ministère public, du suspect ou du témoin, décider de ne pas demander les informations particulières visées au premier paragraphe lorsqu’il y a des raisons de soupçonner (vermoeden) que la déposition du témoin pourrait lui porter préjudice ou entraver l’exercice de sa profession. Le juge d’instruction prend toute mesure raisonnablement nécessaire pour éviter la divulgation de ces informations. Le juge d’instruction indique dans le procès-verbal les raisons pour lesquelles le deuxième paragraphe a été appliqué. (...) » C. La loi de 2002 sur les services de renseignement et de sécurité Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi de 2002 sur les services de renseignement et de sécurité sont ainsi libellées : Article 6 « 1. Un service général de renseignement et de sécurité [l’AIVD] est instauré. Il [l’AIVD] est chargé d’assurer, dans l’intérêt de la sécurité nationale, les missions suivantes : a) mener des enquêtes sur des organisations et des personnes qui, en raison des objectifs poursuivis ou des activités déployées par elles, donnent sérieusement à penser (het ernstige vermoeden) qu’elles constituent un danger pour le maintien de la légalité démocratique, pour la sécurité ou pour d’autres intérêts importants de l’État ; b) (...) c) promouvoir des mesures (het bevorderen van maatregelen) pour la protection des intérêts mentionnés à l’alinéa a), notamment des mesures visant à empêcher la divulgation d’informations qui doivent rester secrètes dans l’intérêt de la sécurité nationale ou des services de l’État et entreprises privées (bedrijfsleven) qui, selon les ministres compétents en la matière, sont d’une importance cruciale pour la préservation de la vie sociale (de instandhouding van het maatschappelijk leven) ; d) mener des enquêtes concernant d’autres pays sur les questions indiquées par le Premier ministre, ministre des Affaires générales (Minister-President, Minister van Algemene Zaken [le Premier ministre étant les deux à la fois]), en accord avec les autres ministres concernés ; (...) » Article 9 « 1. Les agents des services [de renseignement et de sécurité] ne sont pas investis de pouvoirs d’enquête en matière pénale (bezitten geen bevoegdheid tot het opsporen van strafbare feiten). (...) » Article 12 « 1. Les services [de renseignement et de sécurité] sont habilités (bevoegd) à traiter les données en tenant compte des contraintes (eisen) définies par la présente loi (...) Les données ne peuvent être traitées que dans un but déterminé et pour autant que cela soit nécessaire pour une bonne mise en œuvre de la présente loi (...) Les données sont traitées conformément à la loi, de manière appropriée et avec le soin requis. » Article 15 « Les chefs des services [de renseignement et de sécurité] doivent veiller : a) à ce que demeurent effectivement secrètes les données censées être couvertes par le secret (daarvoor in aanmerking komende gegevens) ; b) à ce que demeurent secrètes les sources censées être couvertes par le secret ; c) à ce que la sécurité des personnes qui coopèrent à la collecte des données soit assurée. » Article 16 « Les chefs des services [de renseignement et de sécurité] doivent également veiller à : a) prendre les dispositions nécessaires pour garantir l’exactitude et l’exhaustivité des données à traiter ; b) prendre les dispositions techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la sécurité du traitement des données contre le risque de perte, de dommage ou de traitement non autorisé ; c) désigner les personnes autorisées, à l’exclusion de toute autre personne, à exécuter les tâches définies dans le cadre du traitement des données. » Article 85 « 1. Sans préjudice des articles 98-98c du code pénal, quiconque prend part à l’exécution de la présente loi et entre ainsi en possession d’informations dont il connaît le caractère confidentiel ou devrait raisonnablement le soupçonner (en daarbij de beschikking krijgt over gegevens waarvan hij het vertrouwelijke karakter kent of redelijkerwijs moet vermoeden) a l’obligation de préserver le secret de ces informations, sauf si des dispositions légales lui imposent de les divulguer (...) » Article 86 « L’obligation de secret à laquelle est tenu tout agent qui prend part à l’exécution de la présente loi ne s’impose pas à la personne à laquelle l’agent est directement ou indirectement subordonné. Elle ne s’applique pas non plus à l’agent concerné s’il a été libéré de cette obligation par un supérieur. Si l’agent visé au premier paragraphe est contraint par une disposition légale de comparaître en qualité de témoin ou d’expert, sa déposition ne peut porter sur les questions couvertes par son obligation de secret que dans la mesure où le ministre concerné et le ministre de la Justice l’ont ensemble libéré de cette obligation par écrit (...) » D. La loi sur la protection des secrets d’État Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur la protection des secrets d’État (Wet bescherming staatsgeheimen) sont ainsi libellées : Article 1 « L’accès à tout lieu utilisé par l’État ou par une entreprise publique (staatsbedrijf) peut être interdit par Nous [c’est-à-dire le monarque, en fait le ministre de l’Intérieur et des Relations au sein du Royaume (Minister van Binnenlandse Zaken en Koninkrijksrelaties)] (kan door Ons als verboden plaats worden aangewezen) aux fins de la protection des informations qui doivent être tenues secrètes dans l’intérêt de la sécurité de l’État (waarvan de geheimhouding door het belang van de veiligheid van de Staat wordt geboden). » Les lieux dont l’accès est interdit par arrêté royal (koninklijk besluit) en vertu de cette disposition incluent les bâtiments utilisés par l’AIVD. E. L’ordonnance relative aux informations propres au service (de sécurité) de l’État Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordonnance relative aux informations propres au service (de sécurité) de l’État (Voorschrift informatiebeveiliging rijksdienst-bijzondere informatie, également appelée « Vir-bi » au niveau interne) sont ainsi libellées : Article 1 « Aux fins de la présente ordonnance : – l’expression « secret d’État » désigne une information spécifique qui doit être tenue secrète dans l’intérêt de l’État ou de ses alliés ; – le terme « classifier » signifie établir et indiquer que certaines données (een gegeven) constituent une information spécifique, et déterminer et indiquer le niveau de sécurité à leur assigner. » Article 5 « Les secrets d’État sont classifiés comme suit : a) Secret d’État TOP SECRET (Stg. ZEER GEHEIM), lorsque les intérêts de l’État ou de ses alliés pourraient être très gravement lésés si des personnes non autorisées en avaient connaissance ; b) Secret d’État SECRET (Stg. GEHEIM), lorsque les intérêts de l’État ou de ses alliés pourraient être gravement lésés si des personnes non autorisées en avaient connaissance ; c) Secret d’État CONFIDENTIEL (Stg. CONFIDENTIEEL), lorsque les intérêts de l’État ou de ses alliés pourraient être lésés si des personnes non autorisées en avaient connaissance. » F. Classification de l’identité des membres du personnel de l’AIVD Il ressort des travaux préparatoires de la loi de 2002 sur les services de renseignement et de sécurité (documents parlementaires, chambre basse du Parlement (Kamerstukken II) 1997-98, 25877, no 3 (rapport explicatif (Memorie van Toelichting), page 93) que l’identité des membres du personnel de l’AIVD peut, selon les circonstances, constituer un secret d’État.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1945 ; elle réside à Bobadela. A. La genèse de l’affaire En décembre 1993, la requérante fut hospitalisée dans le service de gynécologie de la maternité Alfredo da Costa (rebaptisée depuis Centre hospitalier de Lisbonne centre – Centro Hospitalar de Lisboa Central, le « CHLC »). Le 9 décembre 1993, on lui diagnostiqua une pathologie gynécologique, appelée bartholinite, sur le côté gauche du vagin (bartholinite à esquerda). Elle entama un traitement, qui consistait notamment en des drainages (drenagens). Chaque drainage provoquait un gonflement de la glande de Bartholin, lequel s’accompagnait de douleurs intenses et rendait nécessaires la réalisation d’un nouveau drainage et la prise d’antalgiques. Début 1995, lors d’une consultation, on lui proposa une intervention chirurgicale pour traiter cette pathologie. Le 21 mai 1995, elle fut admise au CHLC pour une opération consistant en l’ablation chirurgicale de la glande de Bartholin du côté gauche. Le 22 mai 1995, elle subit une exérèse des deux glandes, situées de part et d’autre du vagin. À une date inconnue, postérieure à sa sortie de l’hôpital, elle commença à ressentir des douleurs intenses et une perte de sensibilité au niveau du vagin. Elle souffrait également d’incontinence urinaire, éprouvait des difficultés à s’asseoir et à marcher, et ne pouvait plus avoir de relations sexuelles. À une date inconnue, elle apprit à l’occasion d’un examen dans une clinique privée que le nerf pudendal gauche (nervo pudenda do lado esquerdo) avait été endommagé au cours de l’opération. B. La procédure interne dirigée contre l’hôpital Le 26 avril 2000, la requérante introduisit devant le tribunal administratif de Lisbonne (Tribunal Administrativo do Círculo de Lisboa) une procédure civile contre le CHLC. Invoquant la loi sur la responsabilité de l’État (ação de responsabilidade civil extracontratual por facto ilícito), elle réclamait à titre de dommages et intérêts la somme de 70 579 779 escudos (PTE) — soit 325 050,02 euros (EUR) —, dont 50 millions de PTE (249 399 EUR) en réparation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi du fait du handicap physique causé par l’opération. Le 4 octobre 2013, le tribunal administratif de Lisbonne statua en partie en faveur de la requérante, établissant, entre autres, les faits suivants : i) la requérante présentait depuis 1995 une déficience physique causée par l’incision du nerf pudendal gauche, correspondant à un taux d’invalidité permanente totale de 73 % ; ii) après sa sortie de l’hôpital, elle s’était plainte de douleurs et d’une insensibilité au niveau de la partie du corps qui avait fait l’objet de l’intervention et qui avait gonflé ; iii) le nerf pudendal gauche avait été endommagé au cours de l’opération, ce qui avait causé à l’intéressée des douleurs, une perte de sensibilité et un gonflement au niveau du vagin ; iv) la requérante souffrait d’une perte de sensibilité vaginale causée par l’incision partielle du nerf pudendal gauche. Sur le fond, le tribunal administratif de Lisbonne conclut qu’en violation des règles de l’art le chirurgien avait agi de manière négligente, méconnaissant son devoir objectif de vigilance, et qu’il avait par conséquent commis une faute. Il établit en outre l’existence d’un lien de causalité entre les actes du chirurgien et la lésion causée au nerf pudendal gauche de la requérante, laquelle avait provoqué chez celle-ci des douleurs et une perte de sensibilité vaginale ainsi qu’une incontinence urinaire. Il releva qu’en raison de ces troubles la requérante éprouvait des difficultés à marcher, à s’asseoir et à avoir des relations sexuelles et qu’en conséquence, elle se sentait diminuée en tant que femme, souffrait de dépression, avait des pensées suicidaires et évitait les contacts avec sa famille et ses amis. Pour ces motifs, il considéra qu’il y avait lieu d’octroyer à l’intéressée 80 000 EUR en réparation du préjudice moral qu’elle avait subi. Il lui accorda également 92 000 EUR pour dommage matériel, dont 16 000 EUR au titre des frais engagés pour les services de l’employée de maison qu’elle avait dû embaucher pour se faire aider dans l’accomplissement des tâches ménagères. À une date inconnue, le CHLC saisit la Cour administrative suprême (Supremo Tribunal Administrativo) pour contester la décision du tribunal administratif de Lisbonne. La requérante introduisit un appel incident (recurso subordinado). Elle plaida qu’elle aurait dû percevoir 249 399 EUR à titre de dommages et intérêts et que le recours formé par le CHLC devait être déclaré irrecevable. Le parquet général près la Cour administrative suprême (Procuradora Geral Adjunta junto do Supremo Tribunal Administrativo) soumit une opinion dans laquelle il se disait favorable au rejet du recours du CHLC aux motifs qu’une violation des règles de l’art avait été établie, que l’obligation d’indemnisation avait de ce fait été confirmée et que la juridiction de première instance avait évalué le montant des dommages et intérêts de manière équitable et appropriée. Le 9 octobre 2014, la Cour administrative suprême confirma sur le fond la décision rendue en première instance, mais elle ramena entre autres de 16 000 EUR à 6 000 EUR le montant qui avait été accordé à la requérante au titre des frais engagés pour les services d’une employée de maison, et de 80 000 EUR à 50 000 EUR le montant qui lui avait été alloué pour préjudice moral. L’arrêt rendu par la Cour administrative suprême était ainsi libellé en ses parties pertinentes : « (...) en ce qui concerne l’indemnité liée aux frais engagés pour l’employée de maison (...) [la demanderesse] n’a pas pu apporter la preuve des sommes versées à ce titre. Par ailleurs (...) nous jugeons manifestement excessive la somme de 16 000 EUR octroyée à cet égard. En effet, 1) il n’a pas été établi que la demanderesse n’était plus en mesure de s’occuper des tâches ménagères ; 2) l’activité professionnelle hors du domicile est une chose, les tâches ménagères en sont une autre ; et 3) compte tenu de l’âge de ses enfants, elle [la demanderesse] n’avait probablement à s’occuper que de son époux, ce qui nous amène à conclure qu’elle n’avait pas besoin d’engager une employée de maison à temps plein (...). Enfin, en ce qui concerne le préjudice moral, il est important de fixer une réparation qui tienne compte des douleurs ressenties par la demanderesse, de sa perte de sensibilité vaginale, du gonflement constaté au niveau du vagin et de ses difficultés à s’asseoir et à marcher, qui lui causent des souffrances psychologiques, l’empêchent de vivre normalement, l’obligent à utiliser quotidiennement des serviettes hygiéniques pour dissimuler son incontinence urinaire et fécale, limitent son activité sexuelle, et lui donnent le sentiment d’être diminuée en tant que femme. De surcroît, il n’existe aucun traitement pour cette pathologie. Cette situation a plongé la demanderesse dans un état dépressif sévère, qui se manifeste par de l’anxiété et divers symptômes somatiques, dont des troubles du sommeil, un profond sentiment de dégoût et une grande frustration quant à son état, et qui la rend très malheureuse, l’empêche de nouer des liens avec d’autres personnes, l’a conduite à renoncer à voir sa famille et ses amis et à aller à la plage et au théâtre, et lui donne des idées suicidaires. Il convient de noter, toutefois, que la demanderesse souffre de troubles gynécologiques depuis longtemps (depuis 1993 au moins), qu’elle avait déjà suivi plusieurs traitements sans résultats satisfaisants, et que l’intervention chirurgicale était motivée par l’absence de résultats et le fait qu’on ne parvenait pas à la soigner. Elle avait déjà éprouvé des douleurs insupportables et présenté des symptômes de dépression avant [son opération]. Ses problèmes ne sont donc pas nouveaux : l’intervention chirurgicale a uniquement eu pour effet d’aggraver une situation déjà difficile, ce dont il faut tenir compte aux fins de l’évaluation des dommages et intérêts. En outre, il ne faut pas oublier que, à la date de l’opération, la demanderesse était mère de deux enfants et déjà âgée de 50 ans et que, à cet âge-là, le sexe ne revêt plus autant d’importance que lorsqu’on est jeune, l’intérêt pour la chose diminuant avec l’âge. En conséquence, au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, nous estimons que les dommages et intérêts accordés en première instance dépassent ce qui peut être considéré comme raisonnable et que la demanderesse doit se voir accorder 50 000 EUR à titre d’indemnisation [pour dommage moral]. » Le 29 octobre 2014, le parquet général près la Cour administrative suprême saisit la Cour administrative suprême en vue de faire annuler (nulidade do acórdão), en sa partie relative au montant de l’indemnité allouée pour préjudice moral, le jugement rendu le 9 octobre 2014. Il estimait contradictoires le raisonnement suivi dans l’arrêt et la décision relative au montant de l’indemnisation. Il considérait de surcroît qu’aux fins du calcul de l’indemnité, la Cour administrative suprême n’aurait pas dû tenir compte des symptômes antérieurs à l’intervention médicale et faire comme s’il était uniquement question d’une aggravation de ces symptômes. La requête était ainsi libellée en ses parties pertinentes : « (...) III – En l’espèce, nous avons affaire à une intervention chirurgicale dont le seul but était l’ablation des glandes de Bartholin. (...) Au cours de cette intervention, le nerf pudendal gauche de la demanderesse fut partiellement endommagé. Le nerf pudendal (...) n’était pas l’organe qui devait faire l’objet de l’intervention chirurgicale. À la suite de l’ablation des glandes, la demanderesse a subi un préjudice qui a été considéré comme établi et qui résultait précisément de la lésion en question. IV – Au vu du fondement factuel du jugement et eu égard au fait que, « en l’absence d’événement fortuit et inattendu, la demanderesse aurait guéri et pu reprendre une vie normale », la Cour administrative suprême, aux fins du calcul du montant devant être accordé à la demanderesse pour préjudice moral, n’aurait pas dû tenir compte des douleurs et symptômes dépressifs antérieurs à l’opération et conclure à une simple dégradation de l’état de santé de l’intéressée. En effet, il ressort de l’arrêt que ces symptômes auraient disparu une fois les glandes de Bartholin retirées et que l’intervention chirurgicale aurait permis une guérison. V – Le raisonnement de la Cour administrative suprême conduit donc logiquement à une décision différente. Il convient en effet de fixer la somme accordée pour préjudice moral en tenant compte du fait que la demanderesse aurait guéri si le nerf pudendal n’avait pas été endommagé. » Le 4 novembre 2014, plaidant que l’arrêt du 9 octobre 2014 devait être annulé en sa partie relative au montant qui lui avait été accordé pour dommage moral, la requérante saisit la Cour administrative suprême en vue de se joindre au recours formé par le parquet général le 29 octobre 2014. Le 29 janvier 2015, la Cour administrative suprême rejeta les recours du parquet général et de la requérante et confirma l’arrêt qu’elle avait rendu le 9 octobre 2014. Elle estima que le lien de causalité entre la lésion provoquée au nerf pudendal de la requérante et le dommage allégué était certes établi, mais que cette lésion n’était pas la seule cause du dommage subi par l’intéressée. Les juges de la Cour administrative suprême considérèrent en effet que les problèmes de santé antérieurs à l’opération qu’avait subie la requérante, et plus particulièrement les symptômes gynécologiques et psychologiques qu’elle avait présentés, ne pouvaient être ignorés et qu’ils avaient été aggravés par l’intervention. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution de la République portugaise Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées : Article 13 – Principe de l’égalité « 1. Tous les citoyens ont la même dignité sociale et sont égaux devant la loi. Nul ne peut être privilégié, avantagé, lésé, privé d’un droit ou dispensé d’un devoir pour des motifs fondés sur l’ascendance, le sexe, la race, la langue, le territoire d’origine, la religion, les convictions politiques ou idéologiques, l’instruction, la situation économique, la condition sociale ou l’orientation sexuelle. » Article 16 – Portée et interprétation des droits fondamentaux « 1. Les droits fondamentaux consacrés par la Constitution n’excluent aucun autre droit garanti par les lois et règles de droit international applicables. Les normes constitutionnelles se rapportant aux droits fondamentaux doivent être interprétées et appliquées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme. » Article 18 – Force juridique « 1. Les normes constitutionnelles relatives aux droits, aux libertés et aux garanties sont directement applicables et s’imposent aux organismes publics et privés. La loi ne peut restreindre les droits, les libertés et les garanties que dans certains cas expressément prévus par la Constitution. Les restrictions devront se limiter à ce qui est nécessaire à la sauvegarde d’autres droits ou intérêts protégés par la Constitution. Les lois qui restreignent les droits, les libertés et les garanties doivent revêtir un caractère général et abstrait. Elles ne peuvent avoir d’effet rétroactif, ni restreindre l’étendue ou la portée du contenu essentiel des préceptes constitutionnels. » Article 25 – Droit à l’intégrité de la personne « 1. L’intégrité morale et physique des personnes est inviolable. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » B. Le code civil portugais Les dispositions pertinentes du code sont ainsi libellées : Article 70 – Protection de la personnalité « 1. La loi protège les individus contre toute atteinte ou menace d’atteinte à leur intégrité physique ou morale. Indépendamment de toute responsabilité civile potentielle, une personne menacée ou victime d’une atteinte à son intégrité physique ou morale peut solliciter des mesures adaptées aux circonstances de la cause afin d’éviter la concrétisation de la menace pesant sur elle, ou d’atténuer les effets d’une atteinte déjà commise. » Article 483 « 1. Quiconque, intentionnellement ou par négligence (mera culpa), viole illégalement les droits d’autrui ou une disposition légale visant à protéger les intérêts d’autrui est tenu d’indemniser la partie lésée pour le préjudice causé par cette violation. » Article 487 « 1. Il incombe à la partie ayant subi le préjudice de prouver la responsabilité pour faute [culpa], à moins que celle-ci ne fasse l’objet d’une présomption légale. En l’absence de tout autre critère juridique, la faute s’apprécie par référence à la diligence que l’on peut attendre d’un bon père de famille, au vu des circonstances de la cause. » C. Le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967 Le décret-loi no 48051, qui était en vigueur à l’époque où la requérante engagea la procédure, régissait la responsabilité civile non contractuelle de l’État. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisaient ainsi : Article 2 § 1 « L’État et les autres personnes collectives publiques sont civilement responsables envers les tiers des atteintes aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts qui résultent d’actes illicites fautivement (culpa) commis par leurs organes ou agents administratifs dans l’exercice de leurs fonctions ou en lien avec pareil exercice. » Article 4 « 1. La faute (culpa) des membres d’un organe public ou des agents administratifs concernés s’apprécie sur le fondement de l’article 487 du code civil. » Article 6 « Aux fins du présent décret-loi, sont réputés illicites les actes juridiques qui enfreignent les lois et règlements ou les principes généraux pertinents ainsi que les actes matériels qui enfreignent lesdits textes et principes, les règles techniques ou les principes relatifs à la prudence requise qui doivent être observés. D’après la jurisprudence relative à la responsabilité civile extracontractuelle de l’État, celui-ci n’est tenu à réparation que lorsqu’un acte illicite a été fautivement commis et qu’il existe un lien de causalité entre l’acte et le dommage allégué. » D. La jurisprudence Dans un arrêt rendu le 4 mars 2008, la Cour suprême de justice examina des allégations de faute médicale et dut déterminer si la somme accordée au demandeur à titre de préjudice moral était excessive. Le demandeur soutenait qu’une prostatectomie radicale (prostatectomia radical) au cours de laquelle il avait subi une ablation de la prostate l’avait rendu impuissant et incontinent. La Cour suprême de justice conclut qu’il y avait eu une erreur médicale et accorda au demandeur 224 459,05 EUR au titre du préjudice moral subi. Elle justifia ainsi sa décision concernant le montant de l’indemnité accordée : « Il est incontestable que le défendeur a causé un préjudice moral au demandeur. Ses actes ont eu pour conséquence funeste et irréversible une prostatectomie totale, à la suite de laquelle le demandeur est devenu impuissant et incontinent. L’intervention médicale n’était même pas nécessaire, étant donné que le demandeur souffrait uniquement d’une inflammation de la prostate. (...) Il apparaît clairement qu’à cause des actes du défendeur, le demandeur, qui à l’époque avait presque 59 ans, a subi un changement radical dans sa vie sociale, familiale et personnelle du fait de son impuissance et de son incontinence et du fait qu’il ne pourra plus jamais vivre comme avant. Il mène désormais une vie douloureuse sur les plans physique et psychologique, et il a donc subi un préjudice irréversible. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer que son état a fortement entamé son estime de soi. » Le 26 juin 2014, la Cour suprême de justice examina une autre affaire concernant une faute médicale alléguée et ses conséquences. Dans cette affaire, on avait diagnostiqué à tort un cancer chez le demandeur, qui avait en conséquence subi une prostatectomie. La Cour suprême de justice jugea que l’indemnité qui avait été accordée au demandeur par la cour d’appel de Lisbonne pour préjudice moral (100 000 EUR) n’était pas excessive étant donné que l’intéressé, qui était alors âgé de 55 ans, avait subi pendant deux mois un grave traumatisme psychique causé par le diagnostic de cancer posé à tort par le défendeur, que cette erreur de diagnostic lui avait également causé des souffrances physiques importantes, et que la prostatectomie qu’il avait subie avait eu des conséquences irrémédiables sur sa vie sexuelle. III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT A. La Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes Les articles pertinents en l’espèce de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée en 1979 et ratifiée par le Portugal le 30 juillet 1980, sont ainsi libellés : Article premier « Aux fins de la présente Convention, l’expression « discrimination à l’égard des femmes » vise toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. » Article 2 « Les États parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s’engagent à : a) Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes, si ce n’est déjà fait, et à assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés, l’application effective dudit principe ; b) Adopter des mesures législatives et d’autres mesures appropriées assorties, y compris des sanctions en cas de besoin, interdisant toute discrimination à l’égard des femmes ; c) Instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire ; d) S’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation (...). » Article 5 « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour : a) Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. » Dans ses Observations finales concernant les huitième et neuvième rapports périodiques du Portugal présentés en un seul document, adoptées à ses 1337e et 1338e séances le 28 octobre 2015 (CEDAW/C/PRT/CO/8-9), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes déclara notamment ce qui suit : « (...) Stéréotypes Le Comité se félicite des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre les stéréotypes sexistes grâce à l’éducation dans les écoles, à des supports promotionnels et à une législation interdisant la discrimination à l’égard des femmes et la discrimination sexiste dans les médias. Il note avec préoccupation toutefois que les stéréotypes sexistes persistent dans tous les domaines de la vie, ainsi que dans les médias, et que l’État partie ne dispose pas d’une stratégie globale pour faire face aux stéréotypes discriminatoires. Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour remédier aux comportements stéréotypés à l’égard des rôles et des responsabilités des femmes et des hommes au sein de la famille et dans la société en adoptant une stratégie globale à ce sujet et en continuant à appliquer des mesures visant à éliminer les stéréotypes sexistes discriminatoires, à informer le public et à instaurer, dès que possible, un mécanisme qui règlemente le recours à des stéréotypes sexistes discriminatoires dans les médias. » B. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) Le 5 mai 2011, le Conseil de l’Europe adopta la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui fut ratifiée par le Portugal le 5 février 2013 et entra en vigueur le 1er août 2014. En ses parties pertinentes en l’espèce, cette Convention énonce : Article 1 – Buts de la Convention La présente Convention a pour buts : (...) b) de contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, y compris par l’autonomisation des femmes. » Article 12 – Obligations générales « 1. Les Parties prennent les mesures nécessaires pour promouvoir les changements dans les modes de comportement socioculturels des femmes et des hommes en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions et toute autre pratique fondés sur l’idée de l’infériorité des femmes ou sur un rôle stéréotypé des femmes et des hommes. » C. Le Rapport de la Rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats Les parties pertinentes du rapport sur l’indépendance des juges et des avocats préparé par Gabriela Knaul, Rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à la suite de sa visite au Portugal du 27 janvier au 3 février 2015 (Conseil des droits de l’homme des Nations unies, document A/HRC/29/26/add4 en date du 29 juin 2015), se lisent ainsi : « 72. La Rapporteuse spéciale note qu’une formation et une sensibilisation appropriées des juges et procureurs sont essentielles à un meilleur traitement par les acteurs judiciaires de toutes les victimes d’infractions. Pareilles mesures sont particulièrement nécessaires en ce qu’elles contribuent à éviter de reproduire des préjugés dans des décisions de justice ou d’adopter des mesures contradictoires – en matière de détention par exemple – qui pourraient donner à des agresseurs connus la possibilité d’approcher plus facilement leurs victimes. La Rapporteuse spéciale se félicite des efforts déployés par le Centre d’études judiciaires pour dispenser des formations dans lesquelles les droits de l’homme et les groupes vulnérables occupent une place importante. » IV. LE RAPPORT DE l’OBSERVATOIRE PERMANENT DE LA JUSTICE PORTUGAISE En novembre 2016, l’Observatoire permanent de la justice portugaise (Observatório permanente da justiça portuguesa), à la demande de la Commission pour la citoyenneté et l’égalité entre les hommes et les femmes (Comissão para a Cidadania e Igualdade de Género), publia un rapport sur le traitement par les autorités judiciaires des affaires de violences domestiques. Il y expliquait que la façon dont les magistrats traitaient ces affaires variait souvent en fonction de la situation économique et du milieu culturel et social de l’accusé. Il s’y inquiétait par ailleurs du sexisme juridique et institutionnel ambiant. À titre d’exemple, il faisait référence à une affaire dans laquelle un homme qui avait agressé physiquement son épouse avait bénéficié de circonstances atténuantes au motif que celle-ci avait eu des relations sexuelles avec d’autres hommes (pp. 231 et 232 du rapport).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est journaliste pour DN.no, l’édition en ligne du quotidien norvégien Dagens Næringsliv (« DN »), qui est publié par la société DN Nye Medier AS. Le 23 juin 2010, M. X fut accusé de manipulation de marché et de délit d’initié en application de la loi de 1997 relative aux opérations sur les valeurs mobilières (verdipapirhandelloven). Il lui était reproché d’avoir demandé à M. Y, avocat, de rédiger une lettre au sujet de la compagnie pétrolière norvégienne (« DNO »), une société à responsabilité limitée cotée en Bourse. Cette lettre, qui s’adressait à une société fiduciaire représentant les intérêts de porteurs d’obligations DNO (« la société fiduciaire »), donnait l’impression d’avoir été rédigée au nom d’un certain nombre de porteurs d’obligations qui s’inquiétaient sérieusement pour la trésorerie, la situation financière et l’avenir de la compagnie pétrolière. En réalité, elle n’avait été écrite que pour le compte de M. X. Celui-ci n’avait détenu qu’une seule obligation, qu’il avait acquise le jour où il avait demandé à l’avocat Y de rédiger la lettre. M. X avait transmis cette lettre par télécopie à la requérante le vendredi 24 août 2007 et il avait eu avec elle à ce sujet une conversation téléphonique. Le lendemain, le samedi 25 août 2007, la requérante avait rédigé un article intitulé « DNO : on craint l’effondrement » (« Frykter at DNO rakner ») dans lequel elle faisait part des vives préoccupations que suscitait le contenu de la lettre de l’avocat Y., qui était au centre de son article. Le lundi 27 août 2007, lors de la première séance boursière qui avait suivi la révélation dans la presse du contenu de la lettre, le cours de l’action DNO avait cédé 4,1 %. Le même jour, un nouvel article sur ce sujet était paru dans DN. D’autres médias avaient également rendu compte du premier article, y compris un journal en ligne (Hegnar online) qui avait rapporté le 28 août 2007 qu’un analyste avait déclaré qu’il ne serait pas surpris s’il apprenait que la lettre avait été envoyée par une personne qui détenait une position vendeuse à découvert (short position) ou qui voulait voir le cours de l’action baisser. La Bourse d’Oslo (Oslo børs), pressentant une manipulation de marché, avait examiné la question et saisi l’autorité de surveillance financière (Kredittilsynet) en lui indiquant qu’elle soupçonnait M. X d’avoir enfreint la loi relative aux opérations sur les valeurs mobilières. Lorsque M. X avait ultérieurement été entendu par l’autorité de surveillance financière, il avait confirmé qu’il était à l’origine de la lettre et qu’il était la source des informations qui avaient été publiées dans l’article paru dans DN. La requérante avait été interrogée par la police le 19 juin 2008. La police l’avait informée que M. X avait avoué lui avoir transmis la lettre. On avait présenté à la requérante une déposition signée de M. X dans laquelle celui-ci confirmait ce point. La requérante s’était déclarée prête à révéler qu’elle avait reçu par télécopie le vendredi 24 août 2007 à 17 h 35 la lettre sur laquelle l’article se fondait. Elle avait ajouté que l’article avait été publié sur DN.no le 25 août 2007 à 3 h 00. La requérante avait en outre expliqué qu’elle avait estimé que les informations contenues dans la lettre étaient susceptibles d’influer sur les cours de Bourse. Elle avait dit ne pas avoir d’idée précise du nombre de personnes qui se trouvaient derrière cette lettre, au-delà du fait qu’elle avait été signée au nom de plusieurs porteurs d’obligations. La requérante avait refusé de livrer davantage d’informations, invoquant le principe journalistique de la protection des sources. A. L’injonction de témoigner adressée à la requérante Pendant la procédure pénale ouverte contre M. X en février 2011 devant le tribunal (tingrett) d’Oslo, la requérante fut convoquée en qualité de témoin. Elle refusa de répondre aux questions sur ses éventuels contacts avec M. X. ainsi qu’avec d’autres sources, le cas échéant, en lien avec la publication faite par DN.no le 25 août 2007. Invoquant l’article 125 du code de procédure pénale et l’article 10 de la Convention, elle argua qu’elle n’était pas tenue de témoigner sur ces points. Le procureur demanda au tribunal d’enjoindre à la requérante de témoigner. Dans les procès-verbaux judiciaires (« rettsboken »), la retranscription des arguments qu’il a avancés en faveur de la délivrance d’une injonction de témoigner comporte notamment le passage suivant : « Le procureur se leva et prit la parole ; il indiqua que le témoin était dans l’obligation de s’exprimer au sujet de ses contacts avec le prévenu concernant la lettre adressée [à la société fiduciaire] le 24 août 2007 et demanda au tribunal de statuer sur la question. Le procureur justifia en outre l’existence à l’égard du témoin d’une obligation de déposer et argua qu’il ne faisait aucun doute que dans cette affaire il était souhaitable d’entendre les explications qu’elle avait à donner, même si les autorités de poursuite estimaient que le dossier était suffisamment solide (fullgodt opplyst) sans sa déposition. Il ajouta que des investisseurs manipulaient parfois la presse afin qu’elle se livrât à des actes susceptibles d’influer sur les cours de Bourse. Il indiqua que dans une affaire comme celle-ci, du fait de l’existence d’une manipulation, on pouvait penser que la presse avait elle aussi intérêt à faire une déposition de manière à se prémunir contre ce type d’abus. Il précisa que le point de savoir si la source avait ou non autorisé le témoin à déposer n’avait aucune incidence sur l’obligation de témoigner qui s’imposait à la journaliste (...) » Au vu de ces mêmes procès-verbaux, il apparaît que M. X, par l’intermédiaire de son avocat principal et de son deuxième avocat, avait fait savoir qu’il avait donné une description de ses contacts avec la requérante et ajouté que celle-ci ne pouvait plus rien livrer d’intéressant. Par une décision du 15 février 2011, le tribunal d’Oslo dit que la requérante était dans l’obligation de témoigner à propos de ses contacts avec M. X au sujet de la lettre du 24 août 2007 qui avait été adressée par l’avocat Y à la société fiduciaire. En ce qui concerne l’étendue de cette obligation, le tribunal d’Oslo déclarait : « L’obligation de faire une déposition se limite toutefois à ses contacts avec le prévenu considéré comme une source et non à ses communications avec d’autres sources inconnues éventuelles avec lesquelles elle aurait été en contact et qui pourraient bénéficier de la protection des sources. » Selon le procès-verbal de l’audience, le procureur déclara alors « qu’il ne demanderait pas le report de l’affaire car l’accusation considérait que le dossier était suffisamment solide (« tilstrekkelig opplyst ») même sans la déposition du témoin [la requérante] ». Il fut ensuite expliqué que le recours formé par la requérante contre l’injonction ne serait transmis à la cour d’appel qu’après que le tribunal d’Oslo eut rendu son jugement dans l’affaire dirigée contre M. X. B. La condamnation de M. X en première instance Le 3 mars 2011, le tribunal d’Oslo déclara M. X coupable des charges qui avaient été retenues contre lui et le condamna à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement, assortie d’un sursis de neuf mois avec deux ans de mise à l’épreuve. Le jugement contenait le paragraphe suivant : « L’un des témoins, une journaliste, plaida la protection des sources en vertu de l’article 125 du code de procédure pénale et refusa de décrire ses contacts potentiels avec le prévenu. Le tribunal déclara que ce témoin était tenu de s’expliquer au sujet de ses contacts avec le prévenu puisque ce dernier, qui était la source des informations contenues dans l’article paru sur DN.no, était connu et le tribunal ordonna au témoin de déposer. Le témoin fit immédiatement appel de cette décision. Aucune demande de suspension de l’instance (dans l’attente d’une décision définitive) ne fut présentée car de l’avis du procureur, le dossier était suffisamment solide (tilstrekkelig opplyst) même sans la déposition de [la requérante] et le tribunal s’appuya sur ce point. » Le 28 mars 2011, M. X saisit la cour d’appel (lagmannsrett) de Borgarting d’un recours contre l’appréciation des éléments de preuve effectuée par le tribunal d’Oslo et contre son application du droit interne à la question de la culpabilité, ainsi que contre la procédure et la condamnation (paragraphes 34-36 ci-dessous). C. L’appel de la requérante contre l’injonction de témoigner La requérante saisit de son côté la cour d’appel de Borgarting d’un recours contre l’injonction qui avait été prise par le tribunal d’Oslo le 15 février 2011. La cour d’appel rejeta son recours par une décision du 28 avril 2011, considérant que le point de savoir si la source était connue était d’une manière générale décisif. Elle estima qu’en l’occurrence, il avait été établi au-delà de tout doute raisonnable que M. X était la source de la requérante. Un pourvoi formé par la requérante devant la Cour suprême fut rejeté par trois voix contre deux le 30 septembre 2011 (Norsk Retstidende (Rt.) 2011, page 1266). Ce pourvoi était dirigé contre l’appréciation des éléments de preuve effectuée par la cour d’appel et contre son application du droit. Le débat au sein de la Cour suprême porta principalement sur l’interprétation du paragraphe premier de l’article 125 du code de procédure pénale qui, entre autres, autorisait les journalistes à refuser de répondre aux questions sur l’identité de la source des informations qui leur avaient été confiées à des fins professionnelles (paragraphe 37 ci-dessous). Au sein de la Cour suprême, les deux camps s’opposèrent en particulier sur le point de savoir si cette disposition s’appliquait lorsque la source s’était elle-même dévoilée ou lorsque l’identité de la source avait été établie par un autre moyen. La majorité La majorité observa qu’au vu du libellé de l’article 125 § 1 du code de procédure pénale, peu importait que la source eût elle-même révélé son rôle ou que ce rôle eût été dévoilé par un autre moyen. Elle ajouta qu’il ne fallait toutefois pas accorder à ce libellé un poids décisif. Selon la majorité, il ressortait des travaux préparatoires que le législateur n’avait pas, avec la formulation retenue, pris position sur la question en cause. Pour la majorité, il se justifiait donc davantage de rechercher s’il fallait accorder un poids significatif à la logique sous-tendant la règle générale, à savoir le droit de ne pas répondre aux questions portant sur l’identité de la source, lorsque la personne qui avait été la source de l’information avait témoigné à propos du rôle qu’elle avait joué et l’avait confirmé. La majorité estima difficile de penser que cela pourrait être le cas. La majorité considéra que si une obligation de témoigner ne s’imposait à la presse que lorsque la source s’était dévoilée, celui qui envisageait de livrer des informations à la presse saurait que c’était lui qui déterminerait si le destinataire des informations serait obligé de témoigner. Pour la majorité, aucune raison impérieuse ne justifiait que cette obligation conditionnelle se traduisît par un surcroît de scepticisme pour quiconque envisagerait de livrer des informations à la presse. De l’avis de la majorité, il en serait dans une large mesure allé de même si l’obligation de témoigner s’était aussi appliquée lorsque l’identité de la source avait été révélée par un autre moyen. Pour la majorité, si la possibilité que l’identité de la source pût être révélée pouvait parfaitement exercer un effet dissuasif, qu’une information déjà connue fût aussi confirmée par le destinataire de l’information n’aurait en revanche guère fait de différence. La majorité ne considéra pas que faire obligation à la presse de témoigner dans ce type de cas fût de nature à éroder la confiance que le public plaçait généralement dans la protection que la presse assurait à ses sources. De l’avis de la majorité, la situation examinée ne concernait pas la divulgation des sources mais plutôt le point de savoir si le rôle qu’avait joué l’intéressé avait été mis au jour par d’autres moyens. La majorité ne partageait pas non plus l’opinion de la requérante selon laquelle il n’existait aucune raison de traiter une situation dans laquelle l’informateur s’était lui-même désigné comme la source différemment des cas dans lesquels la source avait consenti à être nommée. Pour la majorité, une personne qui acceptait d’être nommément désignée pouvait être certaine que le destinataire de l’information respecterait le principe de la protection des sources tant que l’identité de la source resterait inconnue. Aux yeux de la majorité, dès lors qu’un informateur avait confirmé être la source, ce fait deviendrait connu. La majorité considéra que si le destinataire de l’information refusait alors de témoigner, ce refus apparaîtrait normalement comme vain. Elle ajouta qu’en pareille situation, une exonération de l’obligation de témoigner ne conférerait en réalité pas de protection contre l’obligation de révéler sa source mais plutôt un droit d’éviter de contribuer à l’élucidation d’une affaire pénale. Interprétant l’article 125 § 1 du code de procédure pénale à la lumière de certaines assertions contenues dans les travaux préparatoires (Ot.prp. no 55 (1997-1998), pp. 17 et 18) que la jurisprudence de la Cour suprême avait suivies (Rt. 1995, page 1166, et 2003, page 28), la majorité dit que cette disposition ne trouvait pas à s’appliquer lorsque la source s’était elle-même dévoilée et avait confirmé le rôle qu’elle avait joué. Elle ajouta qu’il devait probablement en être de même lorsque l’identité de la source avait été établie au-delà de tout doute raisonnable par d’autres moyens. De l’avis de la majorité, si le contenu du dossier était tel qu’on ne pouvait pas dire qu’une confirmation par le journaliste de l’identité de la source serait de nature à contribuer à l’identification de la source, il semblait indiscutable de maintenir l’obligation de témoigner. Pour déterminer si une protection plus étendue des sources journalistiques découlait de l’article 10 de la Convention, la majorité se pencha sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et notamment sur les arrêts Goodwin c. Royaume-Uni (27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996II), Financial Times Ltd et autres c. Royaume-Uni (no 821/03, 15 décembre 2009) et sur l’arrêt de chambre dans l’affaire Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas (no 38224/03, 31 mars 2009 – notant que la Grande Chambre s’était fondée sur un terrain différent pour statuer dans cette dernière affaire). Elle observa que dans les deux affaires britanniques, une violation avait été constatée au regard du critère de nécessité alors même qu’il existait de solides arguments contraires. La majorité releva de plus que la Cour n’avait jamais statué sur une situation dans laquelle la source s’était dévoilée elle-même et dans laquelle il n’y avait pas dans ce sens de source à protéger (« ingen kilde å beskytte »). La majorité expliqua que, comme la Cour l’avait défini dans sa jurisprudence, la protection des sources se justifiait principalement par les conséquences que la divulgation de l’identité d’une source pourrait avoir sur la libre circulation de l’information. La majorité ajouta que ces considérations ne s’appliquaient toutefois pas lorsque la source avait confirmé sa participation. Selon la majorité, dans ces conditions, on pouvait sans risque supposer que l’on ne s’exposait pas à une violation de la Convention dans les cas où une source s’était dévoilée et que l’obligation de déposer faite au témoin avait été expressément limitée de manière à ne pas inclure de questions susceptibles de conduire à la divulgation d’autres sources. La majorité ajouta que l’accusation dans cette affaire reposait sur le fait que la journaliste s’était laissé instrumentaliser par la source qui cherchait à manipuler le marché obligataire de manière répréhensible. Pour la majorité, il s’agissait d’une affaire pénale grave où il paraissait probable que le témoignage de la requérante pût contribuer de manière significative à faire la lumière sur les circonstances concrètes dans lesquelles le prévenu avait été en contact avec elle. La minorité La minorité observa que si l’on devait ordonner à la requérante de témoigner à propos de ses éventuels contacts avec M. X au sujet de la lettre envoyée par l’avocat Y le 24 août 2007 à la société fiduciaire, l’intéressée devrait soit confirmer soit nier que M. X était la source de l’article qu’elle avait publié sur DN.no le 25 août 2007. La minorité ajouta que si elle déposait ainsi sur cette question, la journaliste risquerait aussi de révéler par inadvertance d’autres sources potentielles. Pour la minorité, la question juridique à trancher consistait à savoir si un journaliste pouvait s’appuyer sur le principe de la protection des sources dans le cas où la source, sans avoir été dévoilée par le journaliste, était susceptible d’être identifiée avec plus ou moins de certitude grâce à d’autres preuves. La minorité indiqua que l’article 125 du code de procédure pénale était formulé en termes absolus et qu’il accordait aux membres de la presse, de l’audiovisuel ainsi que d’autres médias le droit de « refuser de répondre aux questions (...) sur l’identité de la source ». Elle ajouta que cette disposition ne prévoyait pas d’exception pour les cas où l’identité pouvait être établie avec plus ou moins de certitude d’une autre manière. La minorité argua que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la protection des sources par les journalistes constituait « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (Goodwin, précité, § 39) dont la finalité, selon elle, n’était pas de protéger la source, mais plutôt l’intérêt de la société à la liberté de communiquer des nouvelles et des opinions (Rt. 2010, page 1381). Pour la minorité, quand les journalistes étaient autorisés à protéger leurs sources, ils obtenaient des informations leur permettant plus facilement que dans le cas contraire de mettre au jour des faits appelant la critique de l’opinion publique. La minorité estimait que le fait que c’était au journaliste qu’il appartenait de décider dans quelle mesure il devait recourir à pareille protection montrait que ce n’était pas la source qui était protégée. Elle pensait en effet que si le journaliste voulait révéler sa source, celle-ci ne pouvait pas l’en empêcher. Selon la minorité, si les sources journalistiques ne pouvaient être protégées qu’à la condition préalable qu’aucune autre preuve de leur identité n’eût été présentée, cette protection s’en trouverait amoindrie. La minorité expliqua qu’il serait alors possible de remonter jusqu’à la source même si pour pouvoir déroger à la règle de la protection des sources, il fallait que la source fût identifiée par une preuve répondant aux exigences requises en matière pénale. La minorité considérait que si l’on devait autoriser les témoignages sur l’identité d’une source, les conditions de travail des médias s’en trouveraient considérablement compliquées et l’intérêt de la société à la liberté de communication des informations et des opinions en pâtirait. La minorité indiqua que si, lorsqu’une source potentielle consentait à être dévoilée, cela devait avoir pour effet de lever la protection des sources, il serait alors facile d’identifier la véritable source, ce qui porterait atteinte à la protection des sources. Elle rappela qu’en l’espèce, M. X avait révélé qu’il était la source. Pour la minorité, une situation dans laquelle une personne avait revendiqué sa qualité de source devait recevoir le même traitement qu’une situation dans laquelle la source avait consenti à ce que son identité fût divulguée. Elle ajouta que l’on pouvait imaginer qu’une personne revendiquât à tort être la source de manière à ce que la véritable source pût être identifiée par élimination. Elle précisa que de surcroît, quand bien même cette personne serait véritablement la source, le droit des journalistes de protéger les sources s’en trouverait érodé si la source même était en mesure d’annihiler ce droit revenant au journaliste. Selon la minorité, il était par ailleurs fréquent que les journalistes eussent plusieurs sources et s’il était possible de sommer un journaliste de décrire ses contacts avec une personne se revendiquant comme source, alors, ses contacts avec d’autres sources risqueraient également d’être révélés. La minorité exposa que de la même manière, ce n’était pas parce quelqu’un revendiquait sa qualité de source et que d’autres éléments la confirmaient que la protection des sources devait pour autant être levée. La minorité estimait qu’une protection effective des sources était nécessaire à la liberté de la communication de l’information et des opinions. Aux yeux de la minorité, il ne devait pas être permis aux journalistes de presse de confirmer ou de réfuter qu’une personne se revendiquant comme source l’était véritablement, même en présence de preuves solides allant dans ce sens. Comme indiqué ci-dessus, la minorité considérait que ce n’était pas la source, mais l’intérêt de la société à la liberté de communication des informations et des opinions, qui devait être protégé. La minorité indiqua que le procureur avait avancé que M. X avait instrumentalisé la requérante afin de commettre des infractions graves et que ce point aurait pu constituer un argument pertinent si l’affaire avait concerné une possible exception individuelle au droit à la confidentialité des sources telle que visée au troisième paragraphe de l’article 125. Elle ajouta que cependant, le procureur n’avait pas invoqué ledit paragraphe de cette disposition et que la motivation de la source ne pouvait entraîner l’inapplicabilité du principe de la protection des sources en tant que tel. Elle précisa que dans le champ d’application de l’article 10 de la Convention, la liberté d’expression ne protégeait pas uniquement les informations ou idées accueillies avec faveur, mais aussi celles qui heurtaient, choquaient ou inquiétaient l’État ou des fractions de la population. Partant, pour la minorité, le droit fondamental de protéger leurs sources consenti aux journalistes ne pouvait être tributaire de la motivation desdites sources. D. La procédure d’appel dans le procès pénal dirigé contre M. X La cour d’appel examina l’appel formé par M. X contre le jugement rendu par le tribunal d’Oslo le 3 mars 2011 (paragraphe 17 ci-dessus) et convoqua puis entendit la requérante en qualité de témoin le 13 janvier 2012. La requérante répondit à certaines questions mais persista à refuser de répondre aux questions concernant ses contacts avec M. X. Le procès-verbal judiciaire contient le passage suivant : « Lorsqu’elle a déposé en qualité de témoin [la requérante] a déclaré qu’elle avait reçu la lettre de l’avocat [Y] par télécopie le 24 août 2007 à 17 h 35. Elle ne souhaite pas répondre aux questions concernant l’émetteur de la lettre ou les éventuels contacts qu’elle aurait eus avec M. [X] pendant la période qui a précédé ou suivi ce moment. Le président de la chambre a fait observer au témoin que la Cour suprême ayant rendu une décision exécutoire, [la requérante] était obligée de parler de ses contacts avec M. [X]. Le président de la chambre a précisé qu’une absence de réponse à ces questions pouvait lui valoir une amende pour entrave à l’exercice de la justice [« rettergangsbot »]. Il a ajouté que l’obligation de répondre pesait sur le témoin personnellement et que l’amende, le cas échéant, lui serait infligée à elle personnellement. » Face au refus d’obtempérer opposé par la requérante, la cour d’appel prononça le 25 janvier 2012 une décision la condamnant à payer une amende de 30 000 couronnes norvégiennes (NOK), soit environ 3 700 euros (EUR), pour entrave à l’exercice de la justice, faute de quoi elle serait passible d’une peine de dix jours d’emprisonnement. La requérante ne fit pas appel de cette décision. Par un arrêt rendu à cette même date, la cour d’appel déclara M. X coupable des charges qui avaient été retenues contre lui et le condamna à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement. II. LE DROIT INTERNE ET LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne Les articles pertinents du code de procédure pénale du 22 mai 1981 (straffeprosessloven) sont ainsi libellés : « Article 108. Sauf disposition légale contraire, toute personne convoquée en qualité de témoin est tenue de comparaître et de déposer devant le tribunal. » « Article 125. Le directeur de la rédaction d’une publication imprimée est en droit de refuser de répondre aux questions portant sur l’identité de l’auteur d’un article ou d’un reportage paru dans la publication ou sur l’identité de la source de toute information qui y est mentionnée. Le directeur de la rédaction est également en droit de refuser de répondre aux questions portant sur l’identité de la source de toute autre information qui lui a été confiée à des fins professionnelles. Les autres personnes qui ont eu connaissance de l’identité de l’auteur ou de la source dans le cadre du travail qu’ils accomplissent pour les éditeurs, directeurs de rédaction, agences de presse ou imprimeurs en question disposent du même droit que le directeur de la rédaction. Lorsque des intérêts sociaux importants commandent que l’information soit livrée et que celle-ci revêt une importance substantielle pour l’éclaircissement de l’affaire, le tribunal peut toutefois, à la lumière d’une appréciation d’ensemble, ordonner au témoin de dévoiler l’identité [de l’auteur ou de la source]. Si l’auteur ou la source a révélé des informations dont la divulgation sert un intérêt social important, il n’est possible d’ordonner au témoin d’en dévoiler l’identité que lorsque cette information est réputée particulièrement nécessaire. Lorsqu’une réponse est donnée, le tribunal peut décider qu’elle sera exclusivement communiquée, en séance à huis clos, au tribunal et aux parties, lesquels devront respecter un devoir de silence. Les dispositions du présent article s’appliquent en conséquence aux dirigeants ou salariés d’une agence de radio et télédiffusion. » La Cour suprême a produit une jurisprudence abondante sur la règle principale énoncée à l’article 125 § 1 concernant la protection des sources des journalistes ainsi que sur la clause d’exception figurant à l’article 125 § 3 (voir, par exemple, le paragraphe 24 ci-dessus). Cette haute juridiction interprète cette disposition à la lumière de l’article 10 de la Convention. L’article 205 § 1 de la loi du 13 août 1915 sur l’administration de la justice (domstolloven) est ainsi libellé : « Lorsqu’un témoin refuse de déposer ou de faire une déclaration mais n’indique aucun motif pour ce refus ou n’indique que des motifs qui se trouvent écartés par une décision légalement exécutoire, ledit témoin peut être sanctionné par des amendes et être condamné à rembourser, totalement ou en partie, les frais engagés. Une partie peut aussi être sanctionnée par des amendes dans des affaires de saisie ou de saisie-arrêt sur salaire lorsqu’elle s’abstient délibérément de livrer à l’autorité d’exécution les informations qu’elle est tenue de livrer en vertu de la loi sur les voies d’exécution, §§ 7-12. » B. Éléments de droit international En 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a adopté l’Observation générale no 34 concernant l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR/C/GC/34), laquelle contient le passage suivant (note de bas de page omise) : « Les États parties devraient reconnaître et respecter l’élément du droit à la liberté d’expression qui recouvre le privilège limité qu’a tout journaliste de ne pas révéler ses sources d’information. » Le 8 septembre 2015, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a soumis à l’Assemblée générale des Nations unies un rapport (A/70/361) contenant les passages suivants (notes de bas de page omises) : « C. Nature et portée de la protection Certaines autorités parlent de « privilège » journalistique à propos de la non-divulgation de l’identité des sources, mais aussi bien le reporter que la source jouissent de droits qui ne peuvent être limités qu’en vertu de l’article 19 (3). Le fait de révéler ou de forcer quelqu’un à révéler l’identité d’une source décourage la divulgation de faits, tarit d’autres sources qui permettraient de relater un fait avec exactitude et porte atteinte à un outil important de mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes. Eu égard à l’importance attachée à la confidentialité des sources, toute restriction doit être véritablement exceptionnelle et assujettie aux normes les plus strictes, appliquées par les seules autorités judiciaires. De telles situations doivent se limiter aux enquêtes sur les infractions les plus graves ou à la nécessité de protéger la vie d’autrui. Les législations nationales doivent garantir la stricte application des mesures de protection, les exceptions étant extrêmement limitées. Selon la législation belge, les journalistes et les personnels des rédactions ne peuvent être contraints par un juge à divulguer leurs sources d’information que si cela est de nature à prévenir des infractions constituant une menace sérieuse pour l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes et que si les deux conditions suivantes sont réunies : a) l’information est d’une importance primordiale pour prévenir de telles infractions et b) l’information ne peut être obtenue par aucun autre moyen. Les mêmes conditions s’appliquent aux mesures prises dans le cadre d’enquêtes, telles que fouilles, saisies et écoutes téléphoniques, à l’égard de sources journalistiques. » Parmi les autres instruments internationaux traitant de la protection des sources journalistiques figurent la Résolution sur les libertés journalistiques et les droits de l’homme, adoptée dans le cadre de la 4e Conférence européenne des ministres responsables de la politique des communications de masse, qui s’est tenue à Prague les 7 et 8 décembre 1994, et la Recommandation no R(2000)7 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, adoptée le 8 mars 2000. Les parties pertinentes de la recommandation et de l’exposé des motifs sont citées dans l’arrêt Voskuil c. Pays-Bas (no 64752/01, §§ 43-44, 22 novembre 2007), notamment, et sont ainsi libellées : « Principe 3 (Limites au droit de non-divulgation) a. Le droit des journalistes de ne pas divulguer les informations identifiant une source ne doit faire l’objet d’autres restrictions que celles mentionnées à l’article 10, paragraphe 2 de la Convention. En déterminant si un intérêt légitime à la divulgation entrant dans le champ de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention l’emporte sur l’intérêt public à ne pas divulguer les informations identifiant une source, les autorités compétentes des États membres porteront une attention particulière à l’importance du droit de non-divulgation et à la prééminence qui lui est donnée dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, et ne peuvent ordonner la divulgation que si, sous réserve des dispositions du paragraphe b, existe un impératif prépondérant d’intérêt public et si les circonstances présentent un caractère suffisamment vital et grave. b. La divulgation des informations identifiant une source ne devrait être jugée nécessaire que s’il peut être établi de manière convaincante : i. que des mesures raisonnables alternatives à la divulgation n’existent pas ou ont été épuisées par les personnes ou les autorités publiques qui cherchent à obtenir la divulgation, et ii. que l’intérêt légitime à la divulgation l’emporte clairement sur l’intérêt public à la non-divulgation, en conservant à l’esprit que : - un impératif prépondérant quant à la nécessité de la divulgation est prouvé ; - les circonstances présentent un caractère suffisamment vital et grave ; - la nécessité de la divulgation est considérée comme répondant à un besoin social impérieux, et - les États membres jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de cette nécessité, mais cette marge est sujette au contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme. c. Les exigences précitées devraient s’appliquer à tous les stades de toute procédure où le droit à la non-divulgation peut être invoqué. » En l’espèce, les paragraphes ci-après du rapport explicatif se révèlent également pertinents : « d. Information identifiant une source Pour protéger adéquatement l’identité d’une source, il est nécessaire de protéger toutes les formes d’information qui sont susceptibles de conduire à l’identification de cette source. Le potentiel d’identification de la source détermine donc le type d’informations protégées et l’ampleur de cette protection. Dans la mesure où sa révélation peut conduire à l’identification d’une source, l’information suivante est protégée par la présente Recommandation : i. le nom d’une source et son adresse, son numéro de téléphone et de télécopie, le nom de son employeur et autres données personnelles, ainsi que la voix de la source et les photographies sur lesquelles elle figure ; ii. « les circonstances concrètes de l’obtention d’informations », par exemple l’heure et le lieu d’une rencontre avec une source, le moyen de correspondance utilisé ou les particularités convenues entre une source et un journaliste ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Informations d’ordre général Les requérants tirent différents griefs de l’attentat terroriste, du siège et de l’assaut de l’école no 1 de Beslan, en Ossétie du Nord (Russie), qui se sont produits du 1er au 3 septembre 2004. Certains d’eux ont été pris en otage ou blessés, tandis que d’autres ont des membres de leurs familles qui figurent parmi les otages tués ou blessés. Des informations détaillées sur chaque requérant sont données en annexe. Si la plupart des événements revêtent la même pertinence aux yeux de tous les requérants, les positions que ceux-ci ont adoptées lors des procès internes différaient quelque peu. Cela dit, vu le nombre de requérants, l’ampleur des procès internes et les difficultés associées à la définition du rôle de chacun des requérants dans ces procès, le présent arrêt les appellera collectivement « les requérants ». En effet, il sera supposé que leurs positions dans le cadre des procès internes étaient relativement similaires, qu’ils aient ou non été associés à tel ou tel stade de la procédure, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants (Abuyeva et autres c. Russie, no 27065/05, § 181, 2 décembre 2010). L’opération antiterroriste qui a été conduite du 1er au 4 septembre 2004 a fait intervenir un certain nombre de services de l’État. Les pièces du dossier font mention de la police, de forces internes du ministère de l’Intérieur, de militaires du ministère de la Défense et de membres du service Fédéral de sécurité (Федеральная Служба Безопасности (ФСБ) – ci-après le « FSB »). Sauf mention contraire, les expressions « personnel de sécurité » ou « forces de sécurité » employées dans le présent arrêt s’appliquent à n’importe lesquels de ces agents de l’État. De la même manière, les expressions « opération antiterroriste » et « opération de sécurité » sont employées pour désigner l’opération conduite du 1er au 4 septembre 2004. Dans le volumineux dossier constitué des pièces que les requérants et le Gouvernement ont produites figurent des éléments tirés de quatre enquêtes pénales, de trois procès pénaux et de trois actions civiles en réparation, deux rapports de groupes parlementaires et le texte d’une opinion dissidente à ce sujet, des ouvrages et articles rédigés au lendemain des événements, des rapports d’expertise médico-légale et autres concernant chacun des requérants et/ou leurs proches, des dépositions faites par les requérants eux-mêmes devant la Cour ainsi que des rapports d’experts indépendants. L’exposé des faits ci-dessous est un résumé succinct des pièces susmentionnées et d’autres éléments d’accès public. B. Les événements survenus du 1er au 4 septembre 2004 La situation antérieure à la prise d’otages du 1er septembre 2004 a. Les attentats terroristes de 2004 L’année 2004 connut une recrudescence d’attentats terroristes en Russie, qui causèrent de nombreuses victimes civiles. M. Shamil Basayev, le chef clandestin du mouvement séparatiste tchétchène, en revendiqua la responsabilité ou en fut tenu pour responsable. Le 6 février, un kamikaze fit exploser une bombe dans un métro de Moscou, tuant plus de 40 personnes et en blessant plus de 250 autres. En février et mars, plusieurs explosions dans la région de Moscou endommagèrent des gazoducs, une centrale de chauffage et des pylônes électriques. Le 9 mai, M. Akhmat Kadyrov, le président tchétchène, et plusieurs hauts fonctionnaires, furent tués par l’explosion d’une bombe dans un stade à Grozny. Les 21 et 22 juin, un important groupe de combattants rebelles armés attaquèrent Nazran, la plus grande ville d’Ingouchie. Ils s’en prirent principalement à des postes de police et à d’autres locaux des forces de sécurité ; plus de 90 personnes furent tuées et un entrepôt de munitions fut pillé. Le 24 août, deux avions civils partis de l’aéroport de Moscou-Domodedovo explosèrent simultanément en vol, tuant 90 personnes. Le 31 août, un attentat-suicide à la bombe à l’entrée d’une station de métro à Moscou tua dix personnes et en blessa une cinquantaine d’autres. b. L’analyse de la menace terroriste en Ossétie du Nord Le 18 août 2004, le ministère nord-ossète de l’Intérieur adressa le télex suivant (no 1751) à tous ses services locaux : « [Le ministère nord-ossète de l’Intérieur] a reçu des renseignements faisant état de mouvements de membres de [groupes illégaux armés] depuis les plaines d’[Ingouchie] et de [Tchétchénie] vers la région montagneuse et forestière bordant la frontière séparant l’[Ingouchie] de l’[Ossétie du Nord]. Un rassemblement des combattants serait vraisemblablement prévu pour le milieu du mois d’août de cette année, à la suite de quoi ils auraient l’intention de commettre en [Ossétie du Nord] un acte terroriste similaire à celui de Budennovsk. Selon les renseignements disponibles, les combattants projettent de capturer un lieu civil avec des otages sur le territoire de l’[Ossétie du Nord], puis d’exiger des dirigeants du pays le retrait des troupes de [Tchétchénie]. Une grosse somme d’argent en devises [étrangères] aurait apparemment été virée depuis la Turquie. [Ces renseignements sont] communiqués aux fins de l’adoption de mesures préventives. » Le 27 août 2004, le ministère nord-ossète de l’Intérieur prit le décret no 500 relatif à la protection de l’ordre public et de la sécurité à l’occasion de la Journée de la connaissance dans les établissements d’enseignement nord-ossètes et le communiqua à tous les postes de police locaux. Le plan prévoyait une signalisation du renforcement de la sécurité et une augmentation du nombre de postes de police mobiles et de policiers à proximité des lieux de rassemblement publics, ainsi qu’une série de mesures visant à la prévention des actes terroristes et des prises d’otages au cours des rassemblements publics organisés à l’occasion de la Journée de la connaissance dans les localités situées le long de la frontière administrative avec l’Ingouchie. Il ajoutait que chaque directeur de district des services du ministère de l’intérieur devait en informer les administrations des établissements d’enseignement, mettre en place des plans de travail pour chacun de ces rassemblements et aviser personnellement de ses fonctions le personnel de la police, faire une mise à jour horaire de la situation concernant les rassemblements publics, rendre immédiatement compte au ministère nord-ossète de l’Intérieur et doter chaque service de police de personnel supplémentaire en cas d’imprévu. Les 25, 27 et 28 août 2004, le ministère nord-ossète de l’Intérieur adressa trois autres télex aux services locaux au sujet des mesures de sécurité à prendre pendant la Journée de la connaissance, l’aggravation des menaces terroristes dans la région et la prévention d’éventuels attentats. Le personnel du ministère de l’Intérieur fut placé en état d’alerte avancé (усиленный режим несения службы). c. Les préparatifs de la prise d’otages à Beslan Comme le révéleront les investigations ultérieures, vers la fin du mois d’août 2004, un groupe assez important de terroristes (au moins une trentaine de personnes) campaient et s’entraînaient entre les villages de Psedakh et Sagopshi, dans le district de Malgobek, en Ingouchie. Le 1er septembre 2004, au petit matin, le groupe franchit la frontière administrative séparant l’Ingouchie de l’Ossétie du Nord à bord d’un véhicule utilitaire de modèle GAZ-66. Ce même jour, à 7 h 30, le commandant S.G., du ministère nord-ossète de l’Intérieur, arrêta ce véhicule à Khurikau, près de la frontière administrative. Les terroristes le désarmèrent, le firent s’asseoir sur le siège arrière de sa propre Lada VAZ-2107 de couleur blanche et prirent la direction de Beslan. Le major S.G. s’échappa et témoignera ultérieurement au sujet de ces événements. La prise d’otages Le 1er septembre 2004, à 9 heures, l’école no 1 de Beslan, en Ossétie du Nord, organisait la cérémonie traditionnelle de la Journée de la connaissance pour marquer l’ouverture de l’année scolaire. Plus de 1 200 personnes s’étaient rassemblées dans la cour de l’immeuble de deux étages en forme de E situé rue du Komintern, au centre de la ville, laquelle comptait environ 35 000 habitants. L’école est située juste à côté du poste de police du district Pravoberezhny (Правобережный районный отдел внутренних дел (РОВД) – ci-après « le ROVD de Pravoberezhny ». Le rassemblement comprenait 859 élèves, 60 enseignants et membres du personnel de l’école ainsi que des membres de leur famille. Des dizaines d’enfants âgés de moins de six ans se trouvaient dans la foule avec leurs parents puisque plusieurs maternelles à Beslan étaient fermées ce jour-là pour différentes raisons. Une policière non armée, Mme Fatima D, assistait à la cérémonie. Selon certaines sources, le 1er septembre 2004 au matin, la police de la circulation de Beslan fut mobilisée pour assurer le passage en ville de M. Dzasokhov, le président nord-ossète. Les requérants se réfèrent aux témoignages des policiers de la circulation et des militaires du ROVD de Pravoberezhny, lesquels avaient déclaré avoir reçu pour instruction de se positionner à certains endroits du trajet suivi par le convoi de M. Dzasokhov, et donc de laisser l’école sans protection. Vers 9 h 05, lors des premières minutes de la cérémonie, un groupe d’au moins 32 personnes (le nombre de terroristes est contesté – voir ci-dessous) munies de différentes armes, dont des fusils-mitrailleurs, des explosifs et des armes de poing, cernèrent les personnes se trouvant dans la cour de l’école, tirèrent des coups de feu en l’air puis leur ordonnèrent d’entrer dans le bâtiment par la porte principale et par des fenêtres brisées au rez-de-chaussée. Un véhicule de modèle GAZ-66 entra dans la Cour par le portail principal et un groupe de terroristes en sortit. Selon certains témoins, d’autres terroristes entrèrent par l’arrière de l’école et un autre groupe se trouvait déjà dans le bâtiment. Les terroristes dans la cour principale tirèrent en l’air et il y eut un échange de tirs avec les habitants locaux et la police. Au moins deux habitants furent tués (MM. R. Gappoyev et F. Frayev) et d’autres furent blessés pendant la fusillade. Deux terroristes apparaissent également avoir été blessés. Une centaine de personnes, surtout des adultes et des élèves du secondaire, parvinrent à s’échapper. Une quinzaine de personnes se cachèrent dans la salle de la chaudière, d’où elles furent secourues plus tard dans la journée. Malgré le chaos initial, les terroristes parvinrent à rassembler la majorité des personnes dans la cour – 1 128 personnes (leur nombre exact varie selon les sources), dont environ 800 enfants âgés de quelques mois à 18 ans. Plusieurs groupes d’otages avaient cherché au départ à se cacher à l’intérieur de l’école ou à s’échapper par les sorties de secours mais les terroristes contrôlaient fermement le bâtiment et conduisirent tout le monde dans le gymnase. Les otages furent rassemblés dans un gymnase, d’une superficie d’environ 250 m², situé au rez-de-chaussée de la partie centrale du bâtiment. Les terroristes leur annoncèrent qu’il s’agissait d’un acte terroriste et qu’ils devaient leur obéir. Les effets personnels des otages, les téléphones portables et les appareils photos furent confisqués et ils furent sommés de s’asseoir sur le sol. Les terroristes mirent ensuite en place un système d’engins explosifs artisanaux (« EEA ») autour du gymnase en les fixant à l’aide de panneaux de basket-ball et d’échelles du gymnase. Les otages de sexe masculin furent contraints de les aider dans cette tâche, accomplie au bout d’environ deux heures. Une seule chaîne reliait plusieurs EEA qui pendaient au-dessus de la tête des otages, deux gros EEA étaient attachés aux panneaux de basket-ball sur les murs opposés du gymnase et plusieurs autres étaient installés sur le sol. Certains EEA étaient remplis de matériaux tels que des boules, des vis et des écrous métalliques. Ils étaient reliés par un câble à des détonateurs à pédalier (aussi appelés « levier d’homme mort »), que deux des terroristes se reliaient pour tenir. Deux femmes qui portaient d’amples vêtements noirs cachant des ceintures d’explosifs – des kamikazes – restèrent dans le gymnase parmi les otages. Les terroristes brisèrent les fenêtres du gymnase afin d’aérer celui-ci et probablement de prévenir l’emploi du gaz comme moyen d’attaque. Ils convertirent plusieurs salles du bâtiment en postes de tir en y brisant les vitres et en y installant des stocks de vivres, d’eau et de munitions. Pendant la journée, ils firent sans cesse feu depuis les fenêtres de l’école en direction des forces de sécurité et des civils qui étaient rassemblés à l’extérieur. À 9 h 25, le ministère de l’Intérieur à Vladikavkaz reçut au sujet de la prise de l’école des informations qui furent aussitôt transmises à M. Dzasokhov et au FSB. Les événements du 1er au 2 septembre 2004 a. La situation des otages Les otages furent contraints de s’asseoir serrés les uns contre les autres sur le sol du gymnase. Certaines familles qui étaient restées séparées au cours des premières heures de captivité furent cependant autorisées à se réunir plus tard dans la journée. Il fut ordonné aux otages de se tenir tranquilles et de ne pas s’exprimer en une langue autre que le russe. M. Ruslan Betrozov, dont les deux fils se trouvaient dans le gymnase, répéta en langue ossète les ordres des ravisseurs. L’un des terroristes se dirigea vers lui et l’exécuta au vu de toutes les personnes dans le gymnase en lui tirant dessus à bout portant ; son corps ne fut retiré que quelques heures plus tard. Les fils de M. Betrozov, Alan (né en 1988) et Aslan (né en 1990) assistèrent à l’exécution et tous deux périrent le 3 septembre 2004 pendant l’assaut. M. Vadim Bolloyev, père de trois enfants, reçut une balle à l’épaule lors des premières heures de la crise apparemment parce qu’il avait refusé d’obéir aux ordres des terroristes. À la fin de la journée du 1er septembre, il mourut dans le gymnase. Son fils cadet, Sarmat (né en 1998) survécut à l’attentat mais ses deux filles Zarina (née en 1993) et Madina (née en 1995) périrent au cours de l’assaut. Le 1er septembre 2004, pendant la journée, les terroristes autorisèrent des groupes d’enfants, sous leur escorte et accompagnés par des adultes, à aller aux toilettes situées à l’extérieur du gymnase et à boire de l’eau du robinet. Ils ordonnèrent également aux élèves plus âgés d’amener des seaux d’eau dans la salle et d’en distribuer en petites quantités parmi les otages. Ils placèrent également un grand téléviseur dans le gymnase et, à plusieurs reprises, ils allumèrent la radio de manière à ce que les otages puissent écouter les nouvelles au sujet des événements. Le 1er septembre, les terroristes autorisèrent les personnes âgées et les otages malades ainsi que certaines mères d’enfants en bas âge à rester dans des salles d’haltérophilie adjacentes plus petites où ils pouvaient s’allonger par terre. Ces personnes furent ensuite conduites dans la salle de sport. À partir du 2 septembre, les terroristes cessèrent de donner de l’eau aux otages et leur ordonnèrent d’utiliser des seaux pour faire leurs besoins et de boire leur propre urine. Ils annoncèrent aux otages que l’eau du robinet était empoisonnée et que ceux-ci devaient entamer une « grève de la faim et de la soif » pour soutenir leurs ravisseurs dans leurs revendications. Certains otages mâchèrent les feuilles de plantes d’intérieur pour soulager leur soif. Certains survivants se plaindront ultérieurement d’avoir gravement souffert de la soif et de la chaleur le 2 et surtout le 3 septembre 2004. b. Exécution d’otages de sexe masculin Dès le départ, les terroristes séparèrent la plupart des hommes et les forcèrent à accomplir diverses tâches afin de fortifier le bâtiment ou d’installer des EEA. Ils furent avertis qu’en cas de désobéissance, des femmes et des enfants seraient exécutés dans la salle. Le 1er septembre au matin, deux hommes furent sommés de soulever des parties du plancher de la bibliothèque. D’autres planches furent également ôtées dans les coins du gymnase. D’autres hommes furent contraints de déplacer des meubles et des tableaux noirs aux fenêtres de différents couloirs et salles des classes. Le 1er septembre, dans l’après-midi, plusieurs hommes furent alignés dans le couloir du rez-de-chaussée. Une explosion y survint à 16 h 05, tuant ou blessant plusieurs otages de sexe masculin. Une (ou deux) femme(s) kamikaze(s) et un terroriste d’origine arabe succombèrent à cette explosion. Plusieurs explications furent données à cette explosion et il fut admis lors de l’enquête pénale que le terroriste à la tête de l’opération, M. Khuchbarov, alias « Polkovnik » (colonel), avait exécuté les otages de sexe masculin dont les terroristes n’avaient plus besoin, tout en activant la ceinture d’explosifs de l’une des kamikazes parce qu’elle s’opposait à la manière dont étaient traités les enfants. Certains des otages survivants témoignèrent qu’il y avait eu une attaque depuis l’extérieur, à cause de laquelle la ceinture d’explosifs s’était mise en marche, tuant la femme kamikaze, le terroriste arabe et plusieurs otages. Les hommes qui survécurent à l’explosion dans le couloir furent achevés à coups de pistolet-mitrailleur. Karen Mdinaradze survécut à l’explosion et aux exécutions consécutives. Lorsque les terroristes s’aperçurent qu’il était toujours en vie, il fut autorisé à retourner au gymnase, où il s’évanouit. Il témoignera ultérieurement au sujet de ces événements. Le 1er septembre, vers 16 h 30, les terroristes forcèrent deux hommes à jeter des cadavres du haut d’une fenêtre du premier étage. L’un de ces hommes, Aslan Kudzayev, sauta par la fenêtre et se blessa, mais survécut. Son épouse, l’une des requérantes, fut libérée le 2 septembre avec sa fille en bas âge ; leur autre fille resta dans le gymnase et fut blessée lors de l’assaut. Selon l’enquête, les terroristes tuèrent seize hommes le 1er septembre et en blessèrent seize autres par balle. Le 2 septembre, vers 15 heures, les terroristes tirèrent plusieurs coups à l’aide d’armes automatiques depuis les fenêtres de l’école mais personne apparemment ne fut blessé ni ne riposta. c. Tentatives de négociation Le 1er septembre, vers 11 heures, les terroristes transmirent une note aux autorités par l’intermédiaire de l’une des otages. Mme Larisa Mamitova, une ambulancière, franchit le portail de l’école, remit la note à un homme qui s’était approché d’elle puis repartit ; pendant ce temps, son jeune fils se trouvait sous la menace d’une arme à l’intérieur du bâtiment. Sur la note étaient inscrits un numéro de téléphone portable et les noms des personnes avec lesquelles les terroristes voulaient négocier : le président nord-ossète, M. Dzasokhov, le président ingouche, M. Zyazikov, et un pédiatre, le Dr Roshal. Il y était indiqué aussi que le bâtiment de l’école était miné et exploserait si l’assaut venait à y être donné, et que les terroristes abattraient 50 otages pour chacun d’eux qui viendrait à être tué. Cependant, le numéro de téléphone portable se révéla être soit mal noté soit déconnecté, aucun contact téléphonique n’ayant pu être établi à ce moment-là. Le 1er septembre, à 13 heures, « Vesti », une émission de la télévision russe, annonça que les terroristes avaient transmis aux autorités une vidéocassette sur laquelle ils avaient filmé leurs revendications et des images de l’intérieur de l’école. Une heure après, il fut annoncé que la vidéocassette était vierge. Par la suite, son existence même demeura contestée. Le 1er septembre, à 16 heures, Mme Mamitova remit une seconde note sur laquelle étaient inscrits le numéro de téléphone portable corrigé et le nom d’un éventuel négociateur, M. Aslakhanov, un conseiller du président russe. Elle dit également à la personne qui recueillit la note qu’il y avait plus d’un millier d’otages à l’intérieur du bâtiment. Les autorités prirent contact avec les terroristes par l’intermédiaire d’un négociateur professionnel, M. Z., membre du FSB. Ce dernier chercha à discuter de propositions visant à améliorer la situation des otages et des possibilités de sortie, de remise ou d’enlèvement des corps de la cour de l’école, mais en vain. Le Dr Roshal arriva à Beslan l’après-midi du 1er septembre 2004. Lorsqu’il téléphona aux preneurs d’otages les 1er et 2 décembre, ceux-ci se montrèrent hostiles et lui dirent qu’ils n’entameraient les négociations que si toutes les quatre personnes réclamées par eux venaient à l’école. Ils ajoutèrent que s’il tentait d’entrer seul, il serait tué. Ils refusèrent également des vivres, de l’eau ou des médicaments, et ils interdirent au Dr Roshal d’entrer dans le bâtiment pour examiner les malades et les blessés. Le 2 septembre, l’ancien président ingouche, M. Ruslan Aushev, arriva à Beslan à la demande du centre de commandement (« le CC »). Il apparaît que, vers 15 heures, il téléphona à M. Akhmed Zakayev, chef du gouvernement séparatiste tchétchène autoproclamé, qui habitait à Londres. Il informa M. Zakayev du siège et lui dit qu’il y avait plus d’un millier d’otages. Le 2 septembre à 15 h 30, à la suite d’un contact téléphonique avec les terroristes, M. Aushev fut autorisé à entrer dans l’école. Il sera la seule personne que les terroristes accepteront de faire entrer pendant le siège. M. Aushev fut conduit dans le gymnase et eut un entretien avec le chef des terroristes, M. Khuchbarov (« Polkovnik »). À la suite de négociations, M. Aushev fut autorisé à partir avec 26 personnes (ou 24 selon certaines sources) – des mères d’enfants en bas âge et leurs nourrissons. Toutes les autres femmes qui avaient des enfants plus âgés dans le bâtiment furent contraintes d’y rester. M. Aushev prit un message de Shamil Basayev adressé au président russe, M. Vladimir Poutine. M. Basayev exigeait le retrait des troupes de Tchétchénie et la reconnaissance officielle de celle-ci comme État indépendant. En contrepartie, il promettait la cessation des activités terroristes en Russie « pour les dix ou quinze prochaines années ». Il ne faisait aucune mention du siège de l’école. Il apparaît que les terroristes remirent également à M. Aushev une vidéocassette sur laquelle avaient été filmés une partie de sa visite, le gymnase avec les otages, les engins explosifs et l’un des terroristes le pied sur un « levier d’homme mort ». On y voyait aussi M. Khuchbarov déclarer que les négociations devaient faire intervenir M. Aslan Maskhadov, le président de l’État tchétchène indépendant autoproclamé, qui à l’époque se trouvait dans la clandestinité. Le 2 septembre, et le 3 septembre au matin, les terroristes tentèrent de joindre les autorités nord-ossètes avec l’aide de la directrice de l’école, Mme Tsaliyeva. Deux otages – des enfants du président du parlement nord-ossète, M. Mamsurov – furent autorisés à appeler leur père sur son téléphone portable et à lui dire qu’ils souffraient du manque d’eau et de nourriture. Il apparaît que des membres des familles d’autres contacts potentiels parmi les autorités et les personnalités publiques (un procureur de district, un sportif connu) furent repérés par les terroristes mais qu’aucun contact ne fut établi. Le 2 septembre, parallèlement aux négociations que conduisait M. Z., un contact direct fut établi avec les terroristes par l’intermédiaire de M. Gutseriyev, un homme d’affaires influent d’origine ingouche. Ce dernier fournit à M. Aushev les bons numéros de téléphone, prit part à des conversations avec M. Akhmed Zakayev et chercha enfin à établir le contact avec M. Maskhadov. Ainsi qu’il ressort de diverses sources d’information, le 2 septembre vers 17 heures, MM. Aushev, Dzasokhov et Zakayev eurent une conversation téléphonique au cours de laquelle M. Zakayev promit de faire participer M. Maskhadov aux négociations (paragraphes 129, 321, 331 et 339 ci-dessous). Selon certaines sources, à la suite de ces discussions, M. Maskhadov accepta de se rendre à Beslan. d. Coordination de l’action des autorités et participation de l’armée et d’autres forces de sécurité Le 1er septembre 2004, vers 10 h 30, le CC commença à opérer depuis les locaux de l’administration municipale de Beslan. La composition, l’encadrement et les pouvoirs exacts de cette structure demeurent contestés. D’après la plupart des sources, le CC avait initialement à sa tête M. Dzasokhov, le président nord-ossète, et, à partir du 2 septembre, le général V. Andreyev, chef du FSB en Ossétie du Nord. Il fut ultérieurement établi que le CC avait en son sein le directeur adjoint de la commission nord-ossète de lutte contre le terrorisme, M. Tsyban, le ministre nord-ossète des Situations d’urgence (« Emercom »), M. Dzgoyev, la ministre nord-ossète de l’Éducation, Mme Levitskaya, le directeur adjoint du service des programmes d’information de la société publique de télévision Rossiya, M. Vasilyev, et le commandant de la 58e armée du ministère de la Défense, le général Sobolev (paragraphes 130, 158, 183 et 312-333 ci-dessous). Des détachements de la 58e armée commencèrent à arriver à Beslan l’après-midi du 1er septembre. Le 2 septembre 2004, huit véhicules blindés de transport de troupes (« VBTT ») et plusieurs chars de la 58e armée arrivèrent. Ils furent placés sous le commandement des unités spéciales du FSB et positionnés autour de l’école hors de la vue des terroristes. Le 3 septembre, au petit matin, les unités spéciales du FSB se rendirent à Vladikavkaz pour des exercices conjoints avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense afin de préparer un éventuel assaut. e. La situation des proches des otages à l’extérieur de l’école Des milliers de personnes à Beslan furent directement touchées par cette crise. Malgré les mesures que les autorités avaient prises pour dégager la zone, des habitants de Beslan et des Ossètes de l’extérieur de la ville, dont certains étaient armés, restèrent à l’extérieur du bâtiment de l’école tout au long du siège. Pendant l’après-midi du 1er septembre, des proches des otages furent invités à se rassembler dans le centre culturel de la ville. Jusqu’à la fin du siège, ce lieu servira de centre pour communiquer avec les proches et leur apporter une assistance médicale et psychologique. Le 1er septembre à 19 heures, le président nord-ossète, M. Dzasokhov, le vice-président du parlement nord-ossète, M. Kesayev, et le ministre adjoint nord-ossète de l’Intérieur, M. Sikoyev, s’entretinrent dans le centre culturel avec des proches des otages. Au cours de ces entretiens, M. Sikoyev les informa que les terroristes n’avaient formulé aucune revendication et avaient refusé des vivres, de l’eau ou des médicaments pour les otages. Le 1er septembre, vers 21 h 30, le Dr Roshal se joignit à la réunion au centre culturel. Il assura aux personnes présentes que les conditions dans l’école étaient « acceptables » et que les otages pourraient survivre plusieurs jours sans eau ni nourriture. Il ajouta que les terroristes n’avaient présenté aucune revendication aux autorités. Le 2 septembre, une cellule d’aide psychologique fut mise en place dans le centre culturel. Tard dans la soirée du 2 septembre, M. Dzasokhov s’entretint de nouveau avec les proches des otages au centre culturel. Le 3 septembre, à 11 h 15, il leur annonça qu’il n’y aurait pas d’assaut et que de « nouvelles personnalités publiques » avaient été associées au processus de négociation. Certains des requérants figuraient parmi les proches qui s’étaient rassemblés à l’extérieur du bâtiment de l’école ou étaient restés au centre culturel, et ils ont décrit les événements dans leurs observations écrites. f. Informations concernant la crise Dès le début, les informations sur la prise d’otages furent strictement contrôlées par les autorités. M. Vasilyev, membre du CC et cadre dirigeant de la chaîne Rossiya, fut chargé des liaisons avec les journalistes. Le 1er septembre, dans l’après-midi, les médias annoncèrent, citant des sources officielles, qu’environ 250 personnes avaient été prises en otage. Plus tard ce jour-là, ils relatèrent que le nombre d’otages avait été « corrigé » et s’élevait à 354 personnes. Selon certains otages, ces nouvelles enragèrent les terroristes et les poussèrent à exécuter des hommes ou à jeter leurs corps par les fenêtres. Il ressort également des déclarations des otages que, après ces annonces, les terroristes refusèrent de les autoriser à boire ou à aller aux toilettes, disant qu’« il ne devrait pas rester plus de 350 d’entre vous de toute façon » (paragraphe 285 ci-dessous). Pendant la soirée du 2 septembre, le Dr Roshal donna une conférence de presse. Il déclara qu’il avait parlé au téléphone avec un terroriste surnommé « Gorets » (le montagnard), qui n’avait formulé aucune revendication. Le 3 septembre, à 13 heures, la télévision publique montra des images de proches de terroristes d’origine ingouche, qui demandaient à ces derniers de libérer les otages. Une femme, épouse d’un preneur d’otages présumé, déclara qu’elle et ses enfants étaient détenus quelque part « contre leur gré » et demanda à son époux de tout faire « pour éviter de faire du mal aux enfants ». L’assaut et l’opération de sauvetage a. La matinée du 3 septembre 2004 Les otages dans le gymnase se trouvaient dans un état d’épuisement extrême et souffraient de la soif et de la faim. Ils étaient resté deux jours sans dormir à l’étroit et l’état physique de bon nombre d’entre eux s’était aggravé : certains commençaient à perdre conscience et des enfants avaient des hallucinations ou des crises et vomissaient. Au petit matin, les terroristes déplacèrent les EEA du plafond du gymnase pour les pendre aux murs. À 11 h 10, à la demande de MM. Aushev et Gutseriyev, les terroristes permirent à Emercom de recueillir les corps dans la cour de l’école. Vers midi, M. Dzasokhov informa le CC qu’il avait conclu une sorte d’accord avec M. Zakayev (paragraphe 331 ci-dessous). Selon certaines sources, cet accord aurait pu prévoir la venue de M. Maskhadov à Beslan. À 12 h 55, un camion d’Emercom et quatre secouristes entrèrent dans la cour de l’école. Ces hommes disposaient du téléphone de M. Gutseriyev afin de communiquer avec les terroristes. L’un de ces derniers sortit et supervisa leur travail. Les explosions survenues à l’intérieur du gymnase à 13 h 03 prirent le groupe au dépourvu. La fusillade qui s’ensuivit se solda par la mort de deux de ces hommes. b. Les trois premières explosions dans le gymnase À 13 h 03, une puissante explosion retentit dans la partie la plus à l’est du gymnase. Une partie du toit fut détruite, le matériau d’isolation prit feu et des fragments du plafond et du toit en feu tombèrent dans le gymnase, tuant et blessant les personnes qui étaient assises dessous. De nombreux otages qui ont survécu déclarèrent que la première explosion était une « boule de feu » ou une « colonne de feu » et qu’une poudre blanche argentée était ensuite tombée du plafond. L’explosion apparaît avoir mis le feu aux combles sous le toit du gymnase (paragraphe 288 ci-dessous). Vingt secondes après, une autre explosion souffla la partie inférieure du mur sous la première fenêtre du coin nord-est. La nature et l’origine de ces explosions sont contestées (voir les documents cités ci-dessous). Les deux explosions tuèrent chacun des terroristes qui tenaient les détonateurs, même si la plupart des EEA demeurèrent intactes (paragraphe 307 ci-dessous). Des dizaines de personnes furent tuées, d’autres furent blessées ou brûlées à différents degrés, et presque tout le monde était en état de choc. De nombreux requérants témoignèrent au sujet de ces événements. Ceux qui pouvaient se déplacer et parvenir à la brèche dans le mur du côté nord commencèrent à s’y engouffrer et à se ruer dehors. Les terroristes ouvrirent le feu sur eux depuis l’étage supérieur, déclenchant une fusillade entre eux et les forces de sécurité. À ce moment-là, le général Andreyev donna l’ordre de prendre le bâtiment d’assaut, de lancer l’opération de sauvetage et de neutraliser les terroristes. Plusieurs terroristes furent tués ou blessés au cours des deux premières explosions mais la majorité d’entre survécurent, dont « Polkovnik ». Ils rassemblèrent les survivants dans le gymnase (environ 300 personnes) et les forcèrent à se rendre dans d’autres parties du bâtiment principal, surtout dans l’aile sud : la cantine, la cuisine, une salle de réunion et des salles de travaux manuels. Certains otages restèrent dans les salles adjacentes au gymnase, c’est-à-dire la salle d’haltérophilie et les vestiaires. Les personnes mortes, blessées ou en état de choc restèrent dans le gymnase, où l’incendie dans les combles continuait de se propager. Vers 13 h 30, une troisième explosion puissante retentit dans la partie sud du gymnase, apparemment causée par l’un des gros EEA qui avait pris feu. Peu après, le feu se propagea dans le gymnase, au plafond et aux murs. Il y avait encore des otages qui continuaient de s’échapper par les brèches dans les murs. Entre 13 h 30 et 14 h 50, des membres des services de sécurité et des habitants de la ville brisèrent le mur ouest du gymnase et pénétrèrent dans la salle. Ils aidèrent les survivants à sortir. Ils étaient couverts dans leur action par un VBTT qui s’était rapproché de l’école. Aucun terroriste ne s’y trouvait mais des coups de feu étaient tirés en direction du gymnase, probablement par des terroristes postés au premier étage. Vers 13 h 40, une partie du plafond en feu s’écroula. Des centaines d’otages et de militaires blessés furent conduits à l’hôpital de Beslan dans des voitures de particuliers et des ambulances. Emercom mit en place un hôpital de campagne dans la cour de l’hôpital de manière à trier les blessés et à remédier à l’afflux de victimes. La plupart des blessés furent emmenés dans des hôpitaux à Vladikavkaz. Les proches des otages ne furent pas autorisés à entrer à l’hôpital. Plus de 750 civils et plus d’une cinquantaine de militaires furent soignés le 3 septembre 2004 (paragraphes 242 et suiv. ci-dessous). c. Les otages dans l’aile sud Plus de 300 otages qui avaient survécu aux explosions et à l’incendie du gymnase furent conduits par les terroristes dans la cantine et la cuisine au rez-de-chaussée de l’aile sud. D’autres furent emmenés dans la salle de réunion principale située au-dessus de la cantine au premier étage. Ils y trouvèrent des stocks d’eau et de vivres et purent assouvir leur soif pour la première fois depuis deux jours et demi. Les femmes et enfants dans la cantine et la salle de réunion furent forcés par les terroristes à se tenir debout aux fenêtres sous la menace d’une arme et à faire flotter leurs vêtements, pour servir de boucliers humains ; certains d’entre eux furent tués ou blessés par des tirs ou des explosions. d. L’affrontement consécutif Comme l’ont déclaré de nombreux témoins – sans que les résultats de l’enquête pénale ne l’aient toutefois confirmé –, après 14 heures, un char portant le numéro 320 entra dans la cour de l’école et tira plusieurs fois en direction de la cantine. Il apparaît qu’un autre char portant le numéro 325 ou 328 fit feu lui aussi en direction de l’école à 20 ou 30 m de distance. Certains des projectiles tirés comportaient probablement des explosifs, et d’autres non (paragraphes 293, 294, 298, 303, 411 ci-dessous). Deux VBTT entrèrent dans la cour de l’école et prirent part au combat en faisant feu à l’aide de mitrailleuses de gros calibre. Les troupes d’assaut de l’armée et du FSB étaient postées sur les toits des 37, 39 et 41, avenue Shkolny, des immeubles résidentiels de cinq étages situés du côté est de l’école. Ils firent feu en direction de l’école à l’aide de lance-grenades portables et de lance-flammes, même si le moment exact en est contesté (paragraphes 142, 293, 300, 408 et 410 ci-dessous). Deux hélicoptères MI24 volaient en boucle au-dessus de l’école. Selon certaines sources, qui n’ont toutefois pas été confirmées par l’enquête officielle, au moins un missile a été tiré depuis un hélicoptère en direction du plafond de l’école (paragraphe 410 ci-dessous). À 15 h 10, le CC ordonna à cinq brigades dotées de lances à incendie d’intervenir, alors que le gymnase ainsi que d’autres parties du bâtiment étaient en feu (paragraphes 150, 199, 304 ci-dessous). Au même moment, le chef du CC ordonna aux membres du FSB des unités de forces spéciales Alpha et Vympel d’entrer dans le bâtiment. Vers 15 h 30, le toit du gymnase s’effondra complètement. À 16 h 30, l’incendie était jugulé ; les membres des forces spéciales et les pompiers entrèrent dans le gymnase mais n’y trouvèrent aucun survivant. Les membres des forces spéciales apparaissent être entrées dans la cantine vers 16 heures par les brèches dans les murs et par les fenêtres dont les cadres métalliques avaient été délogés par l’effet des explosions ou par un VBTT. Au milieu de violents combats, ils firent sortir les otages qui avaient survécu. De nombreux cadavres de terroristes et d’otages furent retrouvés dans la cantine, la salle de réunion, et les salles et couloirs de l’aile sud. Vers 17 heures, un périmètre de sécurité strict fut mis en place autour de l’école. L’ensemble des civils, des membres d’Emercom, des pompiers et des militaires furent sommés de partir, ne laissant que les unités spéciales du FSB à l’intérieur. Vers 17 h 25, ces unités organisèrent une minute de silence dans le couloir de l’aile sud à la mémoire de leurs camarades : dix membres des unités d’élite Vympel et Alpha, dont trois chefs de groupe, avaient perdu la vie et une trentaine avaient été blessés – les plus lourdes pertes jamais subies par ces unités en une seule opération. Après 18 heures, des coups furent tirés en direction de l’aile sud du bâtiment à l’aide de missiles anti-char et de lance-flammes. Vers 21 heures, deux chars tirèrent en direction de l’école. Plusieurs explosions puissantes s’ensuivirent, lesquelles détruisirent complètement les murs et le plafond des salles de travaux manuels dans l’aile sud. Les tirs et les explosions continuèrent jusqu’après minuit. Un terroriste, Nurpashi Kulayev, fut capturé vivant. Les autres furent apparemment tués au cours de l’assaut. Selon certaines rumeurs concordantes, certains terroristes s’échappèrent ou furent capturés en secret. Les événements du 4 septembre 2004, l’identification des corps et les enterrements La nuit du 4 septembre, le président Poutine arriva à Beslan et y resta plusieurs heures. Il se rendit à l’hôpital et dans le bâtiment de l’administration de la ville. Le bâtiment de l’école resta cerné par les soldats pendant toute la journée. 100. À 7 heures, le personnel d’Emercom commença à ramasser les corps et à ôter les débris. Il y avait entre 112 et 116 cadavres carbonisés dans le gymnase et environ 80 autres dans les vestiaires et la salle d’haltérophilie adjacente. Il apparaît qu’entre 106 et 110 corps se trouvaient dans l’aile sud du bâtiment et à d’autres endroits, bien qu’aucune information exacte n’ait été consignée à ce sujet (paragraphes 119-122 ci-dessous). Dix-huit corps d’hommes furent ramassés dans la cour de l’école. Environ 330 cadavres (dont plus de 180 enfants) furent rassemblés dans la cour de l’école puis transportés dans la morgue de Vladikavkaz. 101. Plus tard ce même jour, des bulldozers et des camions arrivèrent à l’école. Le reste des débris fut chargé dans des camions puis jeté dans la déchetterie municipale. Les victimes alléguèrent qu’eux et d’autres habitants avaient retrouvé par la suite un nombre important d’éléments de preuve dans ces déchets, y compris des effets personnels de terroristes tels que des sacs à dos et des lames de rasoir, ainsi que des restes humains, des vêtements d’otages et des morceaux d’EEA. 102. Le 4 septembre, à 18 heures, les cordons de sécurité à Beslan furent levés. Après 20 heures, les unités de la 58e armée se retirèrent de la ville. 103. Le 5 septembre 2004 eurent lieu les premières obsèques. Les jours suivants, plus d’une centaine de personnes furent enterrées collectivement. Le cimetière local, qui était trop petit, dut être étendu. Un monument aux victimes y fut érigé (paragraphe 422 ci-dessous). 104. De nombreux corps étaient trop carbonisés pour pouvoir être identifiés. Le 17 septembre, 73 corps furent transportés au laboratoire de médecine légale de Rostov-sur-le-Don afin qu’ils soient identifiés à l’aide de leurs empreintes génétiques. Les identifications et les enterrements se poursuivirent tout au long du mois de décembre 2004 (paragraphes 340 et 341 ci-dessous). 105. Après avoir décrété les 5 et 6 septembre 2004 jours de deuil national, le président Poutine prononça le 6 septembre 2004 un message télévisé à la nation, annonçant l’adoption future de mesures en vue d’améliorer l’action entre services dans la lutte contre le terrorisme. Il qualifiait l’attentat d’« intervention directe du terrorisme international contre la Russie ». La revendication de l’attentat terroriste 106. Le 5 septembre 2004, le site Internet Chechenpress.org publia un message signé par le « président d’Ichkérie », M. Aslan Maskhadov, condamnant la prise d’otages et les attentats terroristes contre les civils mais imputant aux autorités russes la radicalisation des Tchétchènes. 107. Le 17 septembre 2004, le site Internet Kavkazcenter.com fit suivre un e-mail, présenté comme ayant été rédigé par M. Shamil Basayev, un leader de la frange radicale du mouvement séparatiste tchétchène qui se présentait sous les titres d’« émir de la brigade des martyrs Riyadus Saliheen » et de « chef de la haute madjlisul shura militaire des moudjahidines unis du Caucase », et affirmait que son « bataillon de martyrs » était l’auteur de l’attentat à Beslan ainsi que des attentats à la bombe à Moscou et des explosions d’avions en août 2004. 108. Il était allégué dans l’e-mail que c’était d’abord les forces spéciales qui avaient donné l’assaut et que les EEA installés par les terroristes dans le gymnase n’avaient pas explosé. Il y était affirmé en outre que les revendications suivantes avaient été communiquées aux autorités : l’action militaire en Tchétchénie devait cesser, les troupes devaient être retirées et le président Poutine devait se démettre de ses fonctions. Il ajoutait que tous les otages, y compris les enfants, s’étaient mis en « grève de la faim et de la soif » jusqu’à ce que ces revendications fussent satisfaites. L’e-mail donnait des détails sur le nombre et les types d’EEA utilisés, précisait l’origine ethnique de trente-trois « moudjahidines » qui avaient pris part à l’« opération nord-ouest » (le nom donné à l’attaque de l’école) et disait que le groupe s’était rassemblé et entraîné les dix jours précédents sous la direction personnelle de M. Basayev dans le village de Batako-Yurt [à proximité de Psedakh en Ingouchie]. Il faisait mention aussi du message du président Poutine, qui avait été transmis par l’intermédiaire de M. Aushev, et en reproduisait le texte intégral. M. Basayev alléguait que le seul terroriste survivant, M. Nurpashi Kulayev, avait été intégré au groupe la nuit qui avait précédé l’opération. Il ajoutait que le chef de l’opération, « Polkovnik », l’avait appelé après le début de l’assaut et lui avait dit qu’ils avaient contre-attaqué, et que le dernier appel en provenance de ce dernier avait été reçu à 14 heures [le 4 septembre]. Enfin, l’e-mail exposait les coûts qu’auraient occasionnés les attentats terroristes d’août et septembre 2004 : 8 000 euros (EUR) pour l’« opération nord-ouest », 7 000 dollars des États-Unis (USD) pour les attentats à la bombe à Moscou et 4 000 USD pour les explosions d’avions. 109. En août 2005, le même site Internet publia un autre message présenté comme ayant été signé par M. Shamil Basayev, dans lequel il était indiqué qu’un membre du groupe qui avait investi l’école, M. Vladimir Khodov, était un agent double qui travaillait pour le FSB et M. Basayev, et avait assuré la « couverture » du groupe pendant les préparatifs de l’attentat et leur passage sans encombre en Ossétie du Nord. 110. Le 10 juillet 2006, M. Basayev fut tué par une explosion en Ingouchie. Il fut annoncé que son décès était le résultat d’une opération spéciale conduite par les forces de sécurité russes. Il fut également relaté que l’explosion avait eu pour origine une mauvaise manipulation d’explosifs. C. Les enquêtes pénales L’enquête pénale no 20/849 111. Le 1er septembre 2004, le procureur d’Ossétie du Nord ouvrit une enquête pénale, portant le no 20/849, sur l’attaque terroriste de l’école par un groupe armé et le meurtre de douze otages de sexe masculin. 112. Le 2 septembre 2004, le procureur général adjoint, M. Fridinskiy, ordonna le transfert au parquet général du Nord-Caucase de l’instruction sur la prise d’otages de plus de 600 personnes. Le même jour, il désigna et chargea de l’instruction un groupe de plus de 60 investigateurs des parquets du ressort fédéral du Sud, sous la direction d’un investigateur spécial du parquet général du Nord-Caucase. 113. Prolongée à plusieurs reprises, l’instruction est toujours en cours (ajournée). 114. De nombreuses mesures d’instruction importantes visant à établir les circonstances exactes des préparatifs et de la conduite de l’attentat terroriste, ainsi que des explosions dans le gymnase et de l’assaut consécutif, ont été prises dans le cadre de cette procédure. Les requérants disent qu’ils n’ont pas été autorisés dans ce même cadre à accéder à l’intégralité des pièces du dossier et qu’ils s’en sont plaints. À la demande de la Cour, le Gouvernement a produit la liste des pièces du dossier pénal. Selon cette liste, le dossier en 2012 comportait 235 volumes, dont chacun faisait entre 200 et 350 pages. Les informations pertinentes peuvent être résumées comme suit. a. La reconstitution des événements antérieurs à la prise d’otages et l’identification des commanditaires du crime 115. L’instruction conclut que le groupe auteur de l’acte terroriste avait été mis en place par M. Aslan Maskhadov, M. Shamil Basayev, un « mercenaire d’origine arabe » appelé Taufik-al-Jedani (AbuDzeyt), et par leur entourage. Le groupe aurait eu pour but de « troubler la paix publique et [d’]effrayer la population afin de faire pression sur les autorités de l’État et d’obtenir ainsi le retrait des troupes de Tchétchénie ». En juillet et août 2004, ces hommes auraient conçu un plan visant à prendre en otage un grand nombre d’élèves et de parents de l’école no 1 de Beslan et à assassiner des civils, des policiers et des militaires. 116. Pendant la seconde moitié du mois d’août 2004, les mêmes hommes auraient rassemblé une bande criminelle organisée composée de plus d’une trentaine de personnes. Parmi celles-ci auraient figuré des gens originaires de Tchétchénie, d’Ingouchie ou d’autres régions de la Russie, ainsi que des mercenaires étrangers. Les organisateurs de l’attentat terroriste auraient confié le commandement de l’opération à un membre actif de la bande, M. Khuchbarov, originaire d’Ingouchie, qui aurait eu pour surnom « Rasul » et comme pseudonyme « Polkovnik » (le colonel). Vingt-quatre terroristes auraient été identifiés, tandis que six autres seraient restés non identifiés. 117. Le 31 août 2004, la bande se serait rassemblée à proximité de Psedakh, dans le district de Malgobek, en Ingouchie. Elle aurait été équipée des armes et munitions suivantes (obtenues en partie lors des attentats commis en Ingouchie les 21 et 22 juin 2004) : au moins vingt fusils-mitrailleurs Kalashnikov, quatre mitrailleuses Kalashnikov (RPK-74 et PKM), une mitrailleuse de char (PKT), deux lance-missiles antichars portatifs (RPG-7V), quatre pistolets et des munitions correspondantes, dont des cartouches de différents calibres et des grenades de divers types. De plus, elle aurait disposé de deux EEA identiques à base de plastic et d’hexogène, remplis de morceaux de métal et de détonateurs électriques (d’un rayon d’action minimal de 200 m), de six EEA créés à l’aide de mines à fragmentation circulaires antipersonnel OZM-72, et de « ceintures explosives de kamikaze » – des EEA à base de plastic et de projectiles fabriqués à l’aide de feuilles et de fils métalliques coupés. Il aurait également fait usage de téléphones portables et de transmetteurs radio portatifs. Ses membres auraient été dotés de tenues de camouflage, de passe-montagnes et de masques à gaz. Ils auraient utilisé un camion de modèle GAZ-66. 118. Le 31 août 2004, M. Khuchbarov aurait informé les membres de la bande de l’attaque à venir et réparti les tâches entre chacun. Le 1er septembre 2004, au petit matin, ils auraient voyagé en direction de Beslan. Alors qu’ils traversaient le village de Khurikau, ils auraient capturé un policier local, S.G., s’emparant de son arme de poing et de son véhicule. b. L’inspection des lieux du crime 119. Le 4 septembre 2004, entre 7 heures et 18 h 25, un groupe d’investigateurs et d’experts, en la présence de douze témoins instrumentaires, dressa un procès-verbal de l’état du bâtiment de l’école et de la cour de celle-ci. L’inspection des lieux fut conduite alors que l’enlèvement des débris et l’opération de sauvetage étaient en cours. Le procès-verbal fait 43 pages et il est accompagné de matériaux vidéo et photographiques (plus de 150 pages). 120. Le procès-verbal décrivait principalement les éléments qui avaient été recueillis à l’école – par exemple des effets personnels des otages et des documents leur appartenant, le matériel et les munitions des terroristes –, les dommages causés à la structure du bâtiment et les cadavres des terroristes. Très peu d’informations étaient données sur l’emplacement et l’état des cadavres des otages. Surtout, la page 24 du procès-verbal comportait le passage suivant : « [dans le gymnase,] du plancher jusqu’à une hauteur de 40 à 50 cm, il y avait des centaines de cadavres calcinés de femmes, d’enfants et d’hommes, sur environ la moitié de la superficie du bâtiment. » Seuls trois cadavres d’otages étaient décrits individuellement. Il était noté à la page 13 que le corps d’un garçon âgé de 12 à 14 ans avait été découvert près du cadavre d’un terroriste dans une salle de classe du rez-de-chaussée et, à la page 25, que les corps d’un homme et d’une femme âgés avaient été découverts dans une remise adjacente au gymnase. Il était relevé dans le rapport que le personnel d’Emercom avait transporté les corps dans la cour de l’école. Parmi les éléments pertinents « retrouvés dans les décombres du gymnase » et déplacés par les sapeurs et le personnel d’Emercom dans la cour de l’école, il y avait des morceaux de charges explosives de lance-grenades, des tubes de lance-grenades, une casquette de sécurité pour un lance-flamme de modèle RPO-A Shmel, des morceaux de grenades, des mines antipersonnel, des armes à feu automatiques, des pistolets, des cartouches, des munitions et des morceaux d’EEA. D’autres objets similaires étaient simplement énumérés parmi ceux « recueillis sur les lieux », sans préciser à quel endroit de l’école ils avaient été trouvés. 121. La description de la cantine à la page 15 ne précisait pas l’état de ses deux fenêtres faisant face à la ligne ferroviaire ni la nature et l’étendue des dégâts sur ses murs, si ce n’est des « signes de dégâts de tirs d’armes à feu (...) [ayant fait tomber] de la chaux ». A la page 21 étaient décrits les dégâts dans la salle de réunion principale, notamment la destruction partielle d’un mur de briques extérieur et deux brèches de 15 à 20 cm dans le mur en face de la ligne ferroviaire. Le couloir adjacent portait des traces de nombreux impacts et était encombré de morceaux de mur et de meubles détruits. 122. La description de l’aile sud à la page 23 était limitée : « l’aile est presque détruite et les membres d’Emercom enlèvent les débris, si bien qu’aucune inspection de ce lieu n’est conduite ». 123. Des rapports d’expertise ultérieurs feront état d’inspections complémentaires des lieux. Plusieurs mentionneront des inspections conduites le 2 février 2005, le 14 septembre 2005 et le 21 février 2007. Les comptes-rendus de ces inspections décrivent de manière beaucoup plus détaillée la structure, les éléments relevés et les traces d’impact. Ils sont accompagnés d’un recueil d’échantillons, ramassés ou prélevés, aux fins d’une analyse chimique. Les pièces indiquent que la plupart des échantillons n’ont pas permis de produire des résultats utiles. c. Le rapport d’expertise no 1 124. À la suite de demandes que les investigateurs avaient formulées en octobre et novembre 2004, un « rapport d’expertise criminalistique globale no 1 » (комплексная судебная экспертиза ci-après « le rapport d’expertise no 1 ») fut produit le 23 décembre 2005. Il avait été demandé d’analyser l’action du CC et de divers services de l’armée et des forces de sécurité du 1er au 3 septembre 2004. Les experts s’étaient rendus sur les lieux à Beslan et avaient examiné de nombreux éléments, y compris des dépositions de militaires et d’autres témoins, des photographies, des graphiques et des retranscriptions de conversations au téléphone et par radio. Le rapport faisait plus de 70 pages. Il concluait que les mesures que les responsables avaient prises étaient légales et raisonnables au vu des circonstances. Il disait en particulier que les membres du CC et les forces du ministère de l’Intérieur, les forces internes, le FSB et Emercom « n’avaient commis aucune infraction susceptible d’avoir un lien de causalité avec les conséquences négatives de l’acte terroriste perpétré du 1er au 3 septembre 2004 ». 125. Ce document a été amplement cité et invoqué dans le cadre des procédures qui ont été ultérieurement conduites, bien qu’il ait été invalidé par la suite (paragraphe 156 ci-dessous). 126. Il se focalisait sur plusieurs questions. i) L’action du centre de commandement (CC) 127. Tout d’abord, le rapport relevait que l’action du CC avait surtout consisté à négocier avec les terroristes afin d’obtenir la libération et de garantir la sécurité d’un maximum de personnes. Selon lui, les revendications des terroristes communiquées par l’intermédiaire de M. Aushev n’étaient pas négociables puisque ces derniers menaçaient dans son fondement l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale de la Russie. 128. La participation de MM. Aushev et M. Gutseriyev comme négociateurs, que le CC avait suggérée au FSB, et le succès de la mission de M. Aushev, qui avait fait sortir 26 personnes, aurait permis de prévenir l’escalade du conflit entre Ossètes et Ingouches de souche. 129. S’agissant de l’intervention de M. Maskhadov dans les négociations, le rapport relevait que MM. Dzasokhov et Aushev avaient parlé à M. Zakayev le matin du 3 septembre. Ce dernier leur aurait dit qu’il avait gardé un contact indirect avec M. Maskhadov. Ils auraient suggéré à M. Zakayev de prendre contact avec M. Shamil Basayev, mais il aurait refusé en raison d’anciens différends. 130. Le rapport examinait aussi la question de l’action de M. Dzasokhov au sein du CC. Il disait que, le matin du 1er septembre 2004, M. Dzasokhov avait activement participé aux activités du CC. Les forces sous son commandement auraient assuré un périmètre de sécurité autour de l’école, informé le public des mesures adoptées, fourni à la population locale les provisions nécessaires au centre culturel, et mis en place un hôpital de campagne. Les habitants auraient été informés toutes les heures par l’intermédiaire de M. Dzugayev, l’attaché de presse du président nord-ossète. M. Dzasokhov aurait pourvu aux besoins immédiats lors du premier jour de siège, coordonnant les différents services impliqués et renforçant la sécurité d’autres éléments vitaux pour la République. Lorsque les terroristes l’auraient désigné comme négociateur, M. Dzasokhov aurait été disposé à exercer cette fonction mais le CC le lui aurait formellement interdit. 131. Après avoir analysé les conversations qui avaient été enregistrées entre les preneurs d’otages et le CC ainsi qu’entre les terroristes à l’intérieur du bâtiment et leurs collaborateurs à l’extérieur (c’est-à-dire plusieurs conversations postérieures au lancement de l’assaut avec un individu surnommé « Magas »), les experts concluaient que les terroristes avaient catégoriquement refusé d’envisager toute mesure visant à améliorer la situation des otages ou toute solution autre que leurs revendications politiques concernant la situation en Tchétchénie, et qu’ils avait insisté pour que les otages se joignent volontairement à eux en déclarant une « grève de la fin et de la soif ». Les terroristes auraient souvent mis un terme aux conversations téléphoniques de manière agressive et sans raison apparente. De plus, ils auraient anticipé et planifié leur propre décès, ainsi que la mise à mort de nombreux otages, comme l’auraient montré les mots d’encouragement et de soutien que leur aurait adressés « Magas » une fois l’assaut lancé. Au cours de ces dernières conversations, les protagonistes auraient parlé de « se rejoindre au paradis », d’« accomplir le devoir » et de devenir des martyrs (shahid), puis ils auraient salué la mise à mort d’un fidèle et dit que l’assaut « se déroulait normalement ». ii) Prévention de l’acte de terrorisme 132. Le rapport citait de nombreux télex, ordres et arrêtés pris par le ministère de l’Intérieur et le FSB en juillet et août 2004, faisant état de l’aggravation de la menace terroriste dans le Nord-Caucase et ordonnant à la police locale et aux forces de sécurité de prendre différentes mesures. Au 22 août, toutes les forces du ministère de l’Intérieur du ressort fédéral du Sud auraient été mises en alerte (усиленный вариант несения службы). Les 24 et 31 août, les postes de polices locaux auraient été priés de prendre des mesures spéciales tendant à la prévention des actes de terrorisme pendant la Journée de la connaissance, le 1er septembre. 133. S’agissant du ROVD de Pravoberezhny de Beslan (situé à côté du bâtiment de l’école), le rapport concluait que le commandement n’avait pas pris certaines mesures préventives. En particulier, le personnel du ROVD n’aurait pas été prévenu des mesures qu’il fallait prendre en cas d’urgence, aucun plan n’aurait été mis en place pour améliorer la sécurité pendant les cérémonies dans les écoles. Le seul agent de police dans l’école no 1, Mme Fatima D., n’aurait pas été armé. Les deux autres policiers qui étaient censés surveiller l’école pendant la cérémonie auraient été absents. Deux agents de patrouille de la police de la circulation auraient été postés ailleurs de manière à sécuriser le passage du convoi de M. Dzasokhov sur l’autoroute fédérale du Caucase. De ce fait, les terroristes auraient accédé sans encombre à l’école et pu mettre la main sur un grand nombre d’otages à l’intérieur. Les forces de l’ordre locales n’auraient absolument pas réagi au cours des quinze premières minutes de l’attaque. 134. Faute d’avoir reçu des instructions au préalable et d’avoir disposé d’un plan d’action préliminaire en cas d’acte terroriste, les membres du ROVD de Pravoberezhny auraient reçu des armes et munitions au ROVD et, à 10 heures, ils auraient mis en place un cordon de sécurité autour de l’école. Des informations sur le siège de l’école auraient été immédiatement transmises au ministère nord-ossète de l’Intérieur. Le rapport concluait que l’action des hauts responsables du ROVD de Pravoberezhny était constitutive d’une faute professionnelle. 135. Pour ce qui est de la situation dans le district de Malgobek, en Ingouchie, le rapport concluait que la police locale n’avait pas empêché les membres de la bande de s’y rassembler et de s’y entraîner à la fin du mois d’août. Il se référait au procès pénal, alors en cours, de hauts responsables du ROVD de Malgobek (paragraphe 363 ci-dessous). iii) Action des forces internes du ministère de l’Intérieur 136. Le rapport constatait que les membres des forces internes n’avaient été déployés qu’à l’extérieur du périmètre de sécurité autour de l’école, tandis que les forces spéciales du FSB y auraient été déployées à l’intérieur. Les forces internes n’auraient pris aucune part aux combats ; leur action et leur équipement auraient été pleinement conformes aux règles en vigueur et à leur mission. iv) Action des unités spéciales du FSB 137. Le rapport relevait que des membres des forces spéciales du FSB avaient pris part à l’opération. Les forces auraient été dotées des armes habituelles et d’équipement spécial, par exemple des lance-grenades portatifs RPG-26 et des lance-flammes portatifs RPOA Shmel. 138. En ce qui concerne les événements du 3 septembre 2004, le rapport établissait la chronologie suivante. À 13 heures, aucun plan n’aurait été prévu pour le lancement de l’opération d’assaut. Deux groupes de forces spéciales se seraient entraînés à l’extérieur de Beslan ; les tireurs d’élite et des groupes de renseignements auraient surveillé la situation depuis leurs positions désignées ; un groupe d’urgence de 32 personnes aurait été posté derrière les immeubles d’habitation ; et les autres forces seraient restées au point de rassemblement. 139. Les explosions survenues à 13 h 05 auraient eu pour origine deux EEA. Aucun coup de feu n’aurait été tiré à ce moment-là puisque des membres d’Emercom auraient opéré dans la Cour face à l’école. De toute manière, l’endroit des explosions se serait trouvé hors de la vue des tireurs d’élite. 140. Selon le rapport, aucune flamme n’avait pu être aperçue dans le gymnase après les deux explosions. Les otages auraient commencé à se ruer par les brèches dans les murs. Les terroristes auraient ouvert le feu sur les fuyards avec leurs fusils automatiques et leurs mitrailleuses. Sur ordre du chef du CC, les membres des forces spéciales auraient reçu pour instruction de sauver les otages. Les terroristes auraient été visés par le groupe d’appui et par trois VBTT. 141. Un groupe de militaires aurait pénétré dans la salle d’haltérophilie et en aurait sorti plusieurs femmes et des enfants en bas âge. Ils seraient ensuite entrés dans le gymnase et auraient commencé à en évacuer les otages. Les terroristes auraient ouvert le feu sur eux. Deux militaires auraient pris position sur le plancher et riposté, tandis que les autres auraient continué à conduire les otages à l’extérieur. Entre 13 h 40 et 13 h 50, les terroristes auraient tiré plusieurs coups de lance-grenades portatifs (RPG18 Mukha) en direction du gymnase, tuant et blessant plusieurs otages, blessant deux membres des forces spéciales et déclenchant un début d’incendie dans le bâtiment. 142. L’opération de sauvetage se serait poursuivie jusqu’à 14 h 40, heure à laquelle toutes les forces disponibles du FSB se seraient regroupées conformément à un plan préétabli. À 15 heures, sur ordre du commandant, ils auraient donné l’assaut au bâtiment. Leurs mouvements à l’intérieur auraient été ralentis par la faible visibilité due à la fumée et à la chaux ainsi que par la présence d’otages dont les terroristes se seraient servis comme boucliers humains. Les terroristes auraient fait usage d’armes automatiques, de grenades et de lance-grenades portatifs, tandis que les forces du FSB auraient été forcées de tirer un coup après l’autre, afin de ne pas trop toucher les otages. À 18 heures, il n’aurait resté plus aucun otage dans le bâtiment. Ce serait seulement à ce moment-là que les forces du FSB auraient utilisé des armes lourdes contre les terroristes qui refusaient de se rendre. Il aurait été fait usage pour la première fois de grenades, de lance-grenades portatifs RPG20 et de lance-flammes Shmel après 18 heures. À 21 heures, un char T-72 aurait servi à faire des brèches dans les murs et à fixer les postes de tir ennemis, aucun autre mouvement dans le bâtiment n’étant possible en raison des mines posées par les terroristes. Les procès-verbaux des inspections des lieux et les matériaux vidéo auraient montré qu’aucun corps d’otage n’avait été retrouvé là où les terroristes avaient été tués à l’aide d’armes lourdes et d’armes frappant sans discrimination. 143. Dix membres des forces spéciales auraient été tués au cours de l’opération, et onze blessés. Parmi les morts, il y aurait deux lieutenants-colonels (chef de peloton), dont l’un aurait succombé pendant les premières minutes de l’assaut alors qu’il se ruait vers l’école en cherchant à protéger les otages en fuite et le second dans la salle de réunion principale alors qu’il cherchait à libérer les otages qui s’y trouvaient. 144. Le rapport analysait aussi les circonstances des décès et blessures de chaque membre des forces spéciales qui étaient survenus entre 13 h 20 et 15 heures le 3 septembre. Il concluait que leurs actions étaient légales et adéquates et qu’ils avaient fait preuve d’un grand professionnalisme, de courage et d’abnégation. v) Action de l’armée 145. Selon le rapport, le commandant de la 58e armée du ministère de la Défense, le général Sobolev, fut informé de la prise d’otages le 1er septembre à 9 h 38. À 13 h 30, des membres de la 58e armée auraient mis en place le troisième cordon du périmètre de sécurité autour de l’école. Les soldats auraient été équipés de différentes armes automatiques, de lance-grenades portatifs et de mortiers, mais ils n’en auraient pas fait usage car leur mission se serait limitée au maintien du cordon de sécurité. 146. Quant aux véhicules militaires utilisés, le rapport constatait, sur la base de divers comptes-rendus, plans, journaux de bord et témoignages de militaires que, le 2 septembre, trois chars T-72 portant les numéros 320, 325 et 328 avaient été mis à la disposition des membres du FSB. Les chars portant les numéros 320 et 328 auraient manœuvré autour de l’école en suivant les ordres des membres du FSB mais n’auraient pas ouvert le feu. Le char portant le numéro 325 aurait tiré sept obus à forte fragmentation (calibre 225 mm) en direction de la cantine située dans l’aile droite de l’école, sur les instructions du commandant du FSB. Les coups auraient été tirés le 3 septembre 2004 entre 9 heures et 9 h 30. Le rapport concluait que l’usage du char était postérieur à l’opération de sauvetage, qui aurait pris fin à 18 heures, lorsqu’aucun dommage ne pouvait être causé aux otages et que le but était de juguler le feu ennemi le plus efficacement possible. 147. Plusieurs autres véhicules militaires auraient été employés pendant l’opération, là encore sous le commandement du FSB. Huit véhicules blindés BTR-80 auraient été postés à différents endroits autour de l’école à partir du 1er ou du 2 septembre 2004. Deux d’entre eux, portant le numéro 823 et 824, auraient pris part à l’opération d’assaut. Le VBTT portant le numéro 823 aurait fait usage d’une mitrailleuse lourde (calibre 7,62 mm) entre 14 heures et 14 h 20 pour fixer les positions de tir des terroristes sur le toit de l’école. Parallèlement, un VBTT portant le numéro 824 aurait tiré plusieurs fois à l’aide de sa mitrailleuse lourde en direction des fenêtres du premier étage pour couvrir l’entrée dans le bâtiment des membres de l’unité Alpha. Les autres véhicules militaires n’auraient pris aucune part active au combat. Les experts concluaient que l’usage des mitrailleuses était tout à fait indiqué au vu des circonstances et ne pouvait avoir été à l’origine des blessures ou des décès parmi les otages. vi) L’action d’Emercom 148. Selon le rapport, le 1er septembre, à partir de 9 h 35, différents services d’Emercom en provenance d’Ossétie du Nord et de régions limitrophes arrivèrent à l’école no 1. Il y aurait notamment eu des brigades spécialisées dans l’extinction de gros incendies ainsi que des autopompes dotées de réserves ou de citernes d’eau. Des secouristes seraient arrivés avec du matériel spécial et des chiens de recherche. Le 1er septembre 2004, à 17 heures, une cellule de quatorze psychologues aurait été ouverte pour les proches des otages et, le 4 septembre 2004, cinquante-et-un psychologues auraient été dépêchés à Beslan. La cellule d’assistance psychologique se serait installée dans le centre culturel, où les ambulanciers auraient été appelés au besoin. Au total, entre le 1er et le 4 septembre 2004, 254 secouristes et 70 véhicules d’Emercom auraient été déployés à Beslan. 149. Le 3 septembre, à 12 h 40, quatre secouristes d’Emercom auraient reçu pour instruction de récupérer les corps qui se trouvaient dans la cour de l’école. Ils auraient reçu des garanties pour leur sécurité ainsi qu’un téléphone portable pour communiquer avec les terroristes dans le bâtiment. Des coups de feu aléatoires, tirés par les terroristes depuis l’étage supérieur et le toit à la suite des explosions survenues dans le gymnase, auraient tué deux secouristes et en auraient blessé deux autres. 150. Le rapport examinait ensuite l’action des brigades de pompiers le 3 septembre. À 14 h 51, l’alerte incendie aurait été donnée chez les pompiers. Entre 15 h 20 et 15 h 25 environ, des brigades de pompiers seraient arrivées sur les lieux. Leur arrivée tardive se serait expliquée par l’ordre du général Andreyev, qui aurait estimé que les pompiers et leurs engins pouvaient être attaqués par les terroristes, ce qui aurait compliqué l’opération de sauvetage. À 15 h 26, deux brigades auraient déroulé les lances à incendie et commencé à éteindre le feu. Chaque citerne pleine, d’une capacité de 2 000 litres d’eau, aurait été utilisée pendant trois à cinq minutes. La bouche d’incendie de l’école n’aurait pas été utilisable parce qu’elle aurait été située dans la zone de combat. À 15 h 35, deux autres unités seraient arrivées et auraient été postées dans les côtés nord et est du gymnase. Le ministre adjoint nord-ossète des Situations d’urgence, le colonel Romanov, aurait assumé le rôle de commandant d’intervention. Cinq lances à incendie auraient été déployées. Une bouche d’incendie située à environ 200 m aurait fourni de l’eau et les pompiers se seraient aussi servis de l’eau de citernes nouvellement arrivées. 151. Le feu aurait été jugulé, puis éteint à 21 h 09. L’opération aurait pris du temps parce que, à deux reprises, les pompiers auraient été évacués de l’école à la demande des forces spéciales. 152. Parallèlement, des secouristes d’Emercom auraient fait sortir des otages du bâtiment de l’école : environ 300 personnes en tout à 16 heures, dont une centaine d’enfants. Une fois l’incendie éteint, des équipes de secouristes auraient commencé à fouiller les débris dans le gymnase. Ils auraient arrêté à 22 h 25 parce qu’ils auraient découvert des EEA qui n’avaient pas explosé puis ils auraient fait venir des sapeurs. 153. Le 4 septembre, immédiatement après minuit, un incendie se serait déclenché dans l’aile sud du bâtiment de l’école, là où se trouvaient la cantine, les salles de travaux manuels, la bibliothèque et la salle de réunion. Quatre brigades seraient arrivées sur les lieux et le feu aurait été éteint à 3 h 10. 154. Le 4 septembre à 7 heures, des secouristes et des militaires auraient commencé à ôter les débris et à rechercher des corps. Au total, 323 cadavres auraient été recueillis et envoyés à l’unité médico-légale de Vladikavkaz. À 19 heures, l’opération de recherche et de sauvetage dans l’école aurait pris fin. 155. S’appuyant sur les pièces du dossier, le rapport concluait que 112 personnes dont les cadavres avaient été recueillis dans le gymnase étaient mortes des suites d’explosions d’EEA. Les corps y retrouvés auraient été carbonisés de 70 à 100 %, postérieurement à la mort. Le rapport ajoutait que les pompiers avaient été contraints d’agir dans des conditions extrêmes, dangereuses pour leur vie, et que leur organisation et l’équipement fourni avaient suffi à l’accomplissement de leur mission. vii) La contestation des conclusions du rapport 156. Le 9 novembre 2006, saisi par les requérants, le tribunal du district Lénine de Vladikavkaz, invalida le rapport d’expertise no 1 au motif qu’il y avait eu plusieurs manquements graves aux règles procédurales régissant la désignation d’experts et la conduite d’expertises. d. Chronologie de l’action du CC 157. L’enquête dressa la chronologie suivante de l’action du CC (exposée dans le rapport d’expertise no 1 et dans d’autres documents) : i) 1er septembre 2004 158. Vers 10 h 30, le CC aurait été mis en place, conformément au plan d’action en cas de menace terroriste publié le 30 juillet 2004. Il aurait eu à sa tête au départ le président nord-ossète, M. Dzasokhov, le directeur du FSB en Ossétie du Nord, le général Andreyev, puis le ministre nord-ossète de l’Intérieur, M. Dzantiyev. Avant d’être désigné chef du CC le 2 septembre 2004, le général Andreyev aurait été chargé de coordonner l’action des différentes structures répressives et militaires, y compris les unités du FSB dépêchées à Beslan. Deux directeurs adjoints du FSB, MM. Pronichev et Anisimov, arrivés à Beslan le 2 septembre, auraient fait fonction de consultants sans intervenir dans la direction de l’opération. 159. Entre 11 heures et 14 heures, le CC aurait assuré l’évacuation des locaux adjacents de leurs résidents et mis en place un cordon de sécurité autour de l’école. La police et les forces de sécurité auraient fouillé les sous-sols et les combles des bâtiments à proximité, enlevé les véhicules garés dans les rues aux alentours et fermé celles-ci à la circulation, barré la ligne ferroviaire locale et pris d’autres mesures nécessaires. Afin de ne pas faire de mal aux otages et à d’autres civils, elles auraient également reçu pour ordre de ne pas riposter aux tirs aléatoires des terroristes. Le ministère de l’Intérieur, le FSB et l’armée auraient surveillé les fréquences radio à proximité de l’école. 160. À 11 h 05, les terroristes auraient remis leur première note, sur laquelle auraient été indiqués un numéro de téléphone et le nom d’éventuels négociateurs. Cependant, le numéro aurait été mal rédigé et aucun contact n’aurait été établi. 161. Entre 11 h 30 et 13 h 30, deux périmètres de sécurité auraient été mis en place autour de l’école, assurés par des policiers et par des militaires dotés de dix-sept VBTT. À midi, ces véhicules auraient été déplacés hors de la vue des terroristes de manière à éviter toute provocation. 162. À 11 h 40, le CC aurait commencé à dresser la liste des otages. 163. À 12 h 35, il aurait invité le mufti d’Ossétie du Nord à prendre part aux pourparlers, mais les terroristes auraient ouvert le feu sur ce dernier lorsqu’il aurait cherché à s’approcher du bâtiment investi. 164. À 13 h 55, toutes les forces de réserve de la police nord-ossète auraient été mises en état d’alerte avancé, y compris les policiers locaux des villes et villages situés le long de la frontière administrative avec l’Ingouchie et les élèves de l’académie de la police. 165. À 16 h 05, Mme Mamitova, une otage, aurait remis une seconde note sur laquelle était indiqué le bon numéro de téléphone. 166. Entre 16 h 05 et 17 heures, une série de coups de feu et d’explosions auraient retenti à l’intérieur de l’école. Le CC aurait chargé M. Z., un négociateur professionnel du FSB d’Ossétie du Nord, de joindre les terroristes par la voie téléphonique. Le preneur d’otages se serait présenté comme « Shahid » et aurait affirmé avoir exécuté dix personnes et en avoir fait exploser vingt autres parce que les autorités auraient tardé à joindre son groupe. Il aurait souligné ensuite que les hommes désignés nommément dans la note (MM. Zyazikov, Dzasokhov, Aslakhanov et le Dr Roshal) devaient se rendre ensemble à l’école. M. Z. aurait demandé un peu de temps pour faire venir les quatre hommes à Beslan. Les terroristes auraient dit que le gymnase était miné et qu’il exploserait si l’assaut venait à être donné. 167. À 16 h 30, M. Kudzayev se serait enfui de l’école en sautant par une fenêtre du premier étage. Il aurait identifié à partir d’une photographie l’un des terroristes originaire d’Ingouchie ; le même jour, le FSB aurait fait venir les proches de ce dernier d’Ingouchie. Il serait toutefois apparu que l’identification était erronée : cet homme aurait ultérieurement été tué par la suite en Ingouchie alors qu’il aurait résisté énergiquement aux autorités. 168. Pendant la journée, le CC aurait recueilli des renseignements sur les preneurs d’otages et sur leurs proches, de manière à faire intervenir ces derniers dans les négociations. 169. À 17 heures, les terroristes auraient tiré au hasard à l’aide d’armes automatiques et de lance-grenades portatifs. Une douzaine de corps auraient été jetés par la fenêtre. Le CC aurait pris des mesures afin de préparer le transfert des blessés dans les établissements de santé locaux et une aide psychologique aurait été assurée aux proches des otages. 170. À 17 h 45, afin d’empêcher la diffusion de fausses informations, il aurait été décidé que tout contact avec les médias serait assuré par le général Andreyev, M. Dzantiyev et M. Dzugayev. M. Peskov, de l’administration du président russe, aurait été chargé de la liaison avec les journalistes. 171. À 18 heures, le ministère nord-ossète de la Santé aurait désigné les hôpitaux à mettre en alerte, et 28 ambulances auraient été déployées. 172. À 18 h 30, les forces spéciales du FSB (подразделения центра Специального назначения (ЦСН) ФСБ России) seraient arrivées à Beslan et auraient installé leur siège. Elles auraient d’abord envisagé les différents moyens de libérer les otages et de neutraliser les agresseurs. 173. À 17 h 20, elles auraient stocké des centaines de bouteilles d’eau et de jus, et de rations alimentaires pour les éventuels besoins des otages. 174. À 21 h 30, le Dr Roshal serait arrivé à Beslan. Les terroristes auraient refusé l’eau et la nourriture qu’il avait proposées. Ils n’auraient cessé d’insister pour que tous les quatre hommes désignés par eux se rendent à l’école. Le Dr Roshal aurait été autorisé à parler au téléphone avec le directeur de l’école, lequel lui aurait décrit la situation à l’intérieur. 175. À 21 h 36, le CC aurait poursuivi les pourparlers avec les agresseurs. Il aurait cherché à faire intervenir dans le processus de négociation des journalistes d’une chaîne de télévision arabe mais les terroristes auraient refusé. Parallèlement, il aurait joint l’ancien président ingouche, M. Aushev, et un homme d’affaires influent, M. Gutseriyev. 176. À 22 h 20, le CC aurait cherché à faire libérer les otages en échange d’argent et d’un libre passage vers la Tchétchénie ou l’Ingouchie. Vingt autocars auraient été sollicités au cas où les terroristes auraient accepté. 177. À la fin de la journée, six otages se seraient échappés de l’école et auraient été interrogés afin de recueillir des renseignements sur le nombre et l’emplacement des terroristes et des otages à l’intérieur de l’école, et d’établir un schéma du dispositif des EEA. ii) Le 2 septembre 2004 178. À 9 h 30, certains otages auraient été autorisés à joindre leurs proches afin de faire pression sur les autorités. 179. À 10 heures, le CC aurait autorisé la participation de M. Gutseriyev aux négociations. Ce dernier aurait proposé de l’argent et des garanties de libre passage que les preneurs d’otages auraient refusés. 180. À 13 heures, le général Andreyev se serait entretenu avec les proches des otages et leur aurait assuré qu’aucun assaut ne serait lancé. Il aurait donné cette assurance en raison de rumeurs qui circulaient parmi la population locale et de l’idée proposée par des civils de former un « cercle de vie » autour de l’école. 181. À 13 h 50, des notables musulmans de Tchétchénie, d’Ingouchie et d’Ossétie du Nord auraient prononcé à la télévision un discours appelant à la paix et à la cessation d’autres conflits ethniques. 182. À 14 h 40, M. Aslakhanov aurait joint les terroristes au téléphone : il leur aurait assuré que leurs revendications seraient personnellement transmises au président russe. Les terroristes auraient insisté pour qu’il se rende personnellement à Beslan avec M. Aushev. 183. À 14 h 45, le FSB de Russie aurait nommé le général Andreyev à la tête du CC et en aurait désigné les membres par messages codés. Le rapport d’expertise no 1 en recensait treize membres, dont deux chefs adjoints : le général Tikhonov, commandant du Centre des services spéciaux du FSB, et M. Dzantiyev, le ministre nord-ossète de l’Intérieur. Il énumérait aussi les membres suivants : le président nord-ossète, M. Dzasokhov, le directeur du FSB en Ingouchie, le général Koryakov, le commandant de la 58ème armée, le général Sobolev, le commandant adjoint des forces internes du ministère de l’Intérieur, le général Vnukov, le directeur du groupe de gestion des opérations du ministère nord-ossète de l’Intérieur, le Lieutenant-colonel Tsyban, le ministre nord-ossète de la Santé, M. Soplevenko, la ministre nord-ossète de l’éducation, Mme Levitskaya, le ministre nord-ossète des Situations d’urgence, M. Dzgoyev, le directeur du Centre panrusse de médecine d’urgence au ministère de la Santé publique (« le centre Zashchita »), M. Goncharov, et le directeur adjoint du service des programmes d’information de Rossiya. Tous les membres du CC auraient été informés de leurs fonctions. 184. À 15 h 23, M. Aushev aurait été autorisé à entrer dans l’école. Entre 16 heures et 16 h 30, il aurait négocié avec les terroristes ; à l’issue de sa mission, vingt-six personnes auraient été libérées (deux enfants âgés de moins de deux ans et leurs mères). Il aurait également pris une lettre signée par M. Shamil Basayev exigeant le retrait des soldats de Tchétchénie. 185. À 15 h 30, d’anciens otages furent interrogés de nouveau de manière à recueillir davantage de renseignements sur les positions des otages et des terroristes et l’emplacement des EEA. 186. À 17 h 40, le CC aurait ordonné des mesures visant à identifier et à neutraliser d’éventuels complices des terroristes à l’extérieur de l’école. 187. À 18 h 05, M. Aushev aurait proposé aux terroristes de recueillir des corps. Ils auraient accepté de réfléchir à cette proposition. 188. À 17 h 20, les terroristes auraient dit au Dr Roshal, à M. Gutseriyev et à M. Z. que les otages avaient refusé d’accepter des vivres, de l’eau et des médicaments. 189. À 20 heures, les terroristes auraient ouvert le feu au hasard à l’aide de fusils automatiques et de lance-grenades portatifs par les fenêtres de l’école. Le CC aurait ordonné de vider de la zone environnante les véhicules en stationnement. iii) Le 3 septembre 2004 190. Le matin, un accord aurait été conclu par l’intermédiaire de MM. Aushev et Gutseriyev prévoyant de dégager les corps de la cour de l’école. 191. À midi, des membres d’Emercom auraient été désignés et des dispositions prises pour le transport. Ils auraient reçu des instructions et des moyens de communication. À 12 h 40, ces personnes auraient commencé à recueillir les corps. Un terroriste serait descendu dans la cour pour surveiller leur travail. 192. À 13 h 05, deux puissantes explosions auraient retenti dans le gymnase. Une partie du mur se serait effondrée et les otages auraient commencé à paniquer et à sortir par la brèche. Les terroristes auraient ouvert le feu sur eux à l’aide d’armes automatiques et de lance-grenades portatifs RPG18 à partir des fenêtres du premier étage. Vingt-neuf personnes auraient été tuées par balles. 193. À 13 h 10, le chef du CC, le général Andreyev, aurait donné aux unités des forces spéciales du FSB l’ordre écrit de lancer l’opération de sauvetage des otages et de neutralisation des terroristes. 194. À 13 h 15, les premiers otages auraient été conduits dans des hôpitaux à Beslan et Vladikavkaz. 195. À 13 h 20, un terroriste, M. Kulayev, aurait été maîtrisé puis remis aux investigateurs. 196. Au moins 250 otages aurait péri à cause des explosions et des coups de feu consécutifs ; les autres auraient été contraints par les terroristes à se rendre dans la salle de réunion et à d’autres endroits de l’école. 197. À 14 h 50, un incendie se serait déclenché dans le gymnase. Le rapport de l’expert en incendie et en explosion établit que la source de l’incendie avait été localisée dans le toit du gymnase, au-dessus de la sortie. 198. M. Andreyev aurait ordonné aux pompiers de ne pas intervenir immédiatement, étant donné que la fusillade se poursuivait, que la vie des pompiers était en danger et que l’opération de sauvetage risquait d’être retardée, ce qui aurait causé d’autres victimes. 199. Le CC aurait ordonné aux pompiers d’intervenir à 15 h 10. Ces derniers seraient arrivés à 15 h 20 et auraient commencé à éteindre l’incendie. 200. À 18 heures, l’opération de sauvetage aurait pris fin. Le CC aurait ordonné le déploiement d’armes lourdes afin de neutraliser les terroristes. 201. À 12 h 30, le 4 septembre, le nettoyage du bâtiment de l’école aurait été terminé et un cordon de sécurité mis en place. À 13 heures le déminage aurait été entamé. e. Les renseignements sur l’action du FSB et les interrogatoires de hauts responsables du FSB 202. Deux directeurs adjoints du FSB, MM. Pronichev et Anisimov, se trouvaient à Beslan pendant la crise. 203. Plusieurs hauts responsables du FSB furent interrogés au cours de l’enquête, notamment le général Andreyev (le 29 septembre 2004), le général Koryakov (le 30 septembre 2004) et les généraux Anisimov et Pronichev (octobre 2005). Les pièces du dossier de l’enquête pénale produites par le Gouvernement ne comprennent pas le procès-verbal de l’interrogatoire du général Tikhonov, le commandant du Centre des services spéciaux du FSB, qui était chargé de l’assaut. Son nom ne figure pas sur la liste des témoins/membres du CC dans le volume 124 du dossier no 20/849. Sa déposition n’est pas non plus mentionnée dans la liste des documents examinés par les auteurs du rapport d’expertise no 1. 204. En juillet 2007, les requérants adressèrent au directeur du FSB une lettre dans laquelle ils évoquaient un entretien qu’ils auraient eu avec le procureur général adjoint chargé du dossier, qui leur aurait dit que les matériaux vidéo et audio pertinents n’avaient pas pu être retrouvés. En décembre 2006, la télévision publique avait diffusé un film intitulé « La dernière mission », qui reprenait des matériaux vidéo et audio produits par les forces spéciales à Beslan du 1er au 3 septembre 2004. Les requérants voulaient s’assurer que ces matériaux seraient remis au parquet général. Ils demandèrent également que les membres des forces spéciales fussent interrogés au cours de l’enquête. En septembre 2007, le FSB les informa qu’une telle mesure ne serait prise que si le parquet en faisait la demande et conformément à la législation. f. Les renseignements sur les armes, munitions et explosifs utilisés et le rapport de l’expert en incendie et en balistique 205. Le dossier de l’enquête renferme un certain nombre de pièces relatives aux armes et munitions employés par divers services de l’État, tandis que d’autres sont évoquées dans d’autres documents (voir ci-dessous). Les investigateurs ordonnèrent des dizaines d’expertises sur les armes à feu (pistolets, fusils et armes automatiques), les munitions et les EEA utilisés par les terroristes, ainsi que sur les armes et munitions utilisées par les forces de sécurité. Les experts indiquèrent que certaines cartouches avaient permis d’identifier les armes (par exemple, l’expertise no 263 du 4 octobre 2004 signala qu’une cinquantaine de douilles de fusil automatique Kalashnikov avaient permis d’identifier l’arme). Ces expertises ont été communiquées à la Cour par le Gouvernement, et les plus pertinentes sont résumées ci-dessous. Les victimes contestèrent certains actes de procédure ordonnant des expertises, se plaignant de ne pas avoir été autorisées à en recevoir des exemplaires et de n’avoir pu les lire que dans les locaux du parquet et pendant un laps de temps limité. 206. Selon un document daté du 9 septembre 2004 (acte no 3), une unité militaire de la 58ème armée du ministère de la Défense déployée à Beslan utilisa environ 6 500 cartouches d’armes automatiques et de mitrailleuses (calibre 5,45 et 7,62 mm), 340 balles traçantes (5,45 mm T), 450 cartouches incendiaires perforantes pour mitrailleuses de gros calibre (14,5 mm BZT et B-32) et dix grenades (RGD-5). 207. Entre septembre 2004 et août 2007, les investigateurs recueillirent des dizaines de dépositions de témoins parmi les membres de l’armée de la police, d’Emercom, des pompiers et du CC. Les témoins nièrent systématiquement et en détail tout usage de lance-grenades, de lance-flammes et de canons de char antérieurement au 3 septembre 2004, à 18 heures. (i) Les expertises sur les armes explosives et thermobariques 208. Les investigateurs firent expertiser des éléments de charges explosives et de tubes lanceurs d’explosifs et d’armes thermobariques et perforantes retrouvés à l’école et dans les zones avoisinantes. Il y avait notamment les tubes de douze lance-flammes RPOA Shmel, avec numéros de lots et numéros de série individuels, des morceaux d’obus d’artillerie, des grenades à fragmentation ou fumigènes, des douilles de différents calibres, ainsi que des tubes et des charges de lance-grenades. Les rapports d’expertise renfermaient les éléments pertinents suivants décrivant les armes utilisées. α) Lance-flammes 209. Deux experts examinèrent les tubes de cinq lance-flammes RPOA Shmel qui avaient des numéros de lots et de série différents (expertise SI-76 du 10 septembre 2005 : lot 3-02, nos 115, 171 ; lot 795, no 896 ; lot 13, nos 51 et 52) et de sept RPOA Shmel (expertise SI132 du 11 octobre 2005 : lot 3-02, nos 109-13 et 116 ; lot 103, no 13). Ils décrivaient ainsi les RPOA Shmel : « [L]ance-flammes portatif antipersonnel, le RPOA Shmel est conçu pour attaquer les positions de feu fortifiées de l’ennemi (...), les blindés légers et autres véhicules, le personnel protégé et exposé (...) Caractéristiques techniques : - portée de tir direct 200 m ; - portée effective 600 m ; - portée maximale 1 000 m ; - température du matériau de combustion enflammé 1 800˚ C ; - rayon des dégâts dans une structure fermée 80 m² ; - rayon des dégâts causés au personnel 50 m² » Le rapport des experts en incendie du 22 décembre 2005 mentionnait une autre expertise (SI–92, 20 septembre 2004) concernant plusieurs éléments de charges usagées de RPO-A. 210. Outre la mention des douze tubes de RPOA dont les lots et les numéros de série avaient été identifiés, le dossier renfermait un document daté du 25 septembre 2004, signé par le lieutenant-colonel Vasilyev de la 58e armée. Ce document disait que les unités du FSB avaient reçu sept lance-flammes RPOA (lot 4-96, nos 945-48, 486-88) des arsenaux militaires. Après l’opération, deux lance-flammes dont les numéros étaient indiqués, ainsi qu’un autre dont le lot et le numéro de série étaient différents (lot 1-0, no 12), auraient été rendus aux arsenaux. Les cinq appareils RPOA restants du lot 4-96 n’apparaissent pas avoir été identifiés et examinés par les experts. 211. Trois expertises étaient consacrées à plus de quarante capsules usagées aux numéros de série lisibles, que les experts avaient été au départ incapables d’identifier ou de décrire autrement que par l’appellation « munitions spéciales », et dont les experts du ministère de l’Intérieur ne disposaient ni de leur description ni de leurs caractéristiques techniques (rapports d’expertise SI83 du 15 septembre 2004, SI85 du 16 septembre 2004 et SI90 du 17 septembre 2004). En avril 2007, ces capsules usagées furent identifiées comme étant des charges d’un lance-flamme d’infanterie léger LPO97 (expertises nos 750/17 et 757/17 du 25 avril 2007). Ce dernier rapport d’expertise contenait aussi des informations détaillées sur la charge thermobarique du LPO-97. À l’explosion, un impact serait créé par une « sphère de feu » dont la température irait d’environ 2 300o C au centre à environ 630o C et 80o C à des distances respectives d’1 m et de 3 m, et produirait des effets secondaires. En raison de la très brève « durée de la sphère de feu » (moins de 4 millisecondes), l’explosion ne pourrait pas provoquer la combustion de structures en bois. Elle pourrait causer des brûlures thermiques aux personnes se trouvant à moins d’un mètre sur les parties exposées de leurs corps et diverses blessures à celles se trouvant à moins de 1 m 60, par exemple une perforation du tympan. 212. Le 31 janvier 2005, B., colonel d’une unité de la 58e armée, rédigea une note qui disait ceci : « l’usage des lance-flammes propulsés d’infanterie RPOA et des lance-flammes d’infanterie légers LPO97 n’est pas interdit par les conventions internationales. Ils ont été communément utilisés pendant des opérations de combat en Afghanistan et en Tchétchénie ». 213. Le 4 février 2005, une unité militaire postée à Vladikavkaz communiqua au parquet militaire les caractéristiques techniques des lance-flammes RPOA et LPO97. La fonctionnalité du RPO-A était ainsi décrite : « [la] destruction du personnel dans des positions de tir fortifiées, des bâtiments, des véhicules, [et] la création d’îlots de feu dans les objets susmentionnés et au sol ». La fonctionnalité du LPO-97 (mis en service en 2002) était ainsi décrite : « [la] destruction du personnel à l’intérieur de bâtiments au moyen d’un champ de haute température et d’un champ de haute pression ». β) Lance-grenades 214. Le rapport d’expertise no SI-75 du 10 septembre 2004 examina cinq tubes de lance-grenades antichars à usage unique RPG26 Aglen, dont les numéros de lot et de série étaient identifiables. 215. Le rapport d’expertise no SI81 du 17 septembre 2004 examina les objets suivants retrouvés dans le gymnase : une grenade de type VOG17M pour un lance-grenades automatique monté AGS17 dont le numéro de lot était identifiable ; une grenade de type VOG25 pour un lance-grenades amovible GP25 avec un numéro de lot ; une grenade RGD5 ; une grenade F1 ; une grenade RGN ; une grenade fumigène RDG2B ; une grenade paralysante GSZ-F ; et le cran de sûreté d’un RPOA Shmel. 216. Le rapport d’expertise no SI98 du 8 octobre 2004 examina une grenade antichars usagée de type PG7L dont le numéro de lot et le numéro de série étaient identifiés, propulsée à l’aide d’un lance-grenades portatif rechargeable de type RPG7, ainsi que ses modifications ; quatre parties usagées de lance-roquettes antichars à usage unique RPG-26, dont les numéros de lot étaient identifiés ; et la partie usagée d’une grenade antichars (lance-grenades à usage unique RPG-27), avec un numéro de lot. 217. Le 10 novembre 2004, en réponse à une question du parquet militaire, l’unité militaire postée à Vladikavkaz produisit un tableau sur lequel étaient indiquées les caractéristiques techniques de quatre types de lance-grenades : les RPG7 et GP25, rechargeables, et les RPG18 et RPG22, à usage unique. (ii) Le rapport des experts en incendie du 22 décembre 2005 218. Le 22 décembre 2005, le Centre fédéral russe d’expertise criminalistique produisit le rapport d’expertise incendie (заключение пожаро-технической судебной экспертизы) no 2576/17, 320328/1817. Ce volumineux rapport comportait 217 pages. Il examinait tout d’abord un certain nombre d’éléments pertinents, notamment des extraits de dépositions de témoins, des rapports d’experts, des informations sur les armes et munitions utilisées, ainsi que les matériaux de construction et les matériaux photographiques et vidéo disponibles. 219. En particulier, ce rapport citait un « procès-verbal conjoint », daté du 10 septembre 2004, des armes et munitions utilisées par les militaires, notamment 7 000 cartouches d’armes automatiques et de mitrailleuses (5,45 mm PS, 7,62 mm LPS), 2 160 balles traçantes (5,45 mm T), dix lance-roquettes antichars à usage unique (RPG26 Aglen), 18 obus perforants pour lance-grenades antichars (PG7VL), huit ogives à forte fragmentation pour canon de char de calibre 125 millimètres (125 mm OF) et 90 grenades fumigènes (81 mm ZD6) (page 128 du rapport d’expertise). Il comportait des références à des expertises de plusieurs fragments de lance-flammes RPOA Shmel utilisés (rapport SI 92 du 20 septembre 2004) et une liste des six tubes de RPOA Shmel récupérés par les membres de la commission parlementaire et indiquant leur numéro de série (lot 302, nos 10913 et 116) (paragraphe 409 ci-dessous). Il mentionnait aussi un document daté du 25 septembre 2004, signé par le lieutenant-colonel Vasilyev de la 58e armée, concernant l’utilisation de cinq lance-flammes RPO-A du lot no 496 (paragraphe 210 ci-dessus). Le 25 septembre 2004, le lieutenant-colonel Vasilyev de la 58e armée aurait été interrogé et déclaré qu’il avait récupéré deux lance-flammes du lot no 496, et un autre d’un autre lot, qui ne provenait pas de cet arsenal (lot 1–03, no 12) ; le commandant Ts., de l’unité Vympel du FSB, aurait indiqué que les autres avaient été utilisés (pages 129130 du rapport). 220. Le rapport mentionnait par ailleurs la déposition d’un témoin, le colonel K., qui aurait déclaré avoir commandé un groupe qui avait participé à l’assaut du bâtiment de l’école. Le groupe aurait fait usage de lance-grenades RPG26 et de lance-flammes RPOA, mais pas aux endroits où se trouvaient les otages (page 131 du rapport). Un témoin, M.K., membre d’un groupe d’assaut, aurait déclaré le 23 novembre 2004 qu’il avait fait usage de lance-grenades RPG26 et de lance-flammes RPOA contre « des postes de tirs ennemis désignés à l’avance et repérés pendant assaut ». Les postes de tir désignés à l’avance auraient été situés à la fenêtre des combles et à la troisième fenêtre du premier étage du bâtiment principal. Aucun otage ne s’y serait alors trouvé. Le lance-flamme aurait été utilisé pour la seconde fois pendant la nuit, vers minuit, contre un groupe de terroristes dans les salles de travaux manuels au rez-de-chaussée. À ce moment-là, le reste du bâtiment aurait été fermement contrôlé par les forces de sécurité et le personnel d’Emercom aurait été sur le point de finir de transporter les cadavres hors du gymnase (page 183 du rapport). Le rapport énumérait les caractéristiques principales du RPOA Shmel : une charge thermobarique de plus de 2 kg créerait à l’explosion une puissante zone de combustion (une sphère de feu de 5 à 7 m de diamètre) d’une température d’environ 1 800o C, accompagnée d’une onde de choc extrêmement puissante provoquée par la combustion complète de l’oxygène dans la zone de détonation. Selon un expert, l’onde de choc provoquée cette arme a notamment pour effet, sur les personnes, de causer des fractures et des affaissements pulmonaires, et sur les bâtiments d’entraîner l’« explosion » des murs extérieurs et l’écroulement des structures. Le rapport se référait au compte-rendu de deux expériences conduites le 13 octobre 2005 au cours desquelles des coups à l’aide de lance-flammes RPOA auraient été tirés contre des immeubles désaffectés, entraînant la destruction des bâtiments mais sans déclencher d’incendie (page 183 du rapport). Se fondant sur les témoignages de membres de la sécurité, sur la typologie des destructions causées au toit de la partie principale du bâtiment, sur les morceaux de charge de RPO-A récupérés dans les combles de l’« aile gauche » de l’école et sur l’absence de morceaux de ce type dans le gymnase, il estimait qu’il n’y avait eu dans cette zone aucune explosion de charge thermobarique de RPO-A. Il concluait ceci sur l’emploi de lance-flammes (pages 185 et 217 du rapport) : « Des RPOA Shmel ont été utilisés au cours de l’opération spéciale visant à libérer les otages. Le dossier pénal no 20/849 ne renferme aucun élément permettant de conclure que des coups de lance-flammes RPOA Shmel ont été tirés en direction du toit et de la charpente du gymnase de l’école no 1. Des tirs de lance-flamme RPOA Shmel en direction du toit du gymnase n’auraient pas déclenché un incendie dans ses parties en bois ». 221. Pour ce qui est des premières explosions, le rapport concluait que celles qui s’étaient produites dans le gymnase le 3 septembre 2004 à 13 h 05 à quelques secondes d’intervalle avaient pour origine les EEA attachés à un panneau de basket-ball près du mur ouest (équivalent à environ 1,2-1,3 kg de TNT) et posés sur une chaise placée à environ 50 cm du mur nord près de la fenêtre (équivalent à environ 5,2 kg de TNT). Chacun des EEA aurait été rempli de nombreux objets de métal de petite taille. La troisième explosion aurait été causée par la combustion d’un EEA placé sous un panneau de basket-ball près du mur nord, dont les morceaux de métal y ajoutés étaient tombés sur le sol, et par l’explosion d’une petite quantité d’explosifs (équivalant à environ 100 g de TNT) qui aurait eu pour origine une exposition à la chaleur (pages 170-173 du rapport). 222. Les experts jugaient « probable » l’hypothèse selon laquelle l’incendie dans le gymnase avait été déclenché par des munitions perforantes et incendiaires que les terroristes avaient pu tirer (page 185 du rapport). Quant au lieu de départ du feu, après avoir analysé l’étendue et l’étendue des dommages dans diverses parties du gymnase, ils concluaient que l’incendie avait le plus vraisemblablement commencé dans la zone des combles située plus ou moins au-dessus du panneau de basket-ball dans la partie nord de la salle. Le sol n’aurait commencé à brûler qu’après la chute de parties incendiées du plafond et du toit. L’étendue des dégâts causés par l’incendie et par les explosions aurait empêché toute analyse détaillée du nombre d’endroits d’où le feu serait parti ainsi que sa cause exacte et sa propagation dans le bâtiment (pages 215-217 du rapport). (iii) Le rapport d’expertise no 4-106 223. Le 30 décembre 2005, l’Institut criminalistique du FSB (Институт Криминалистики ФСБ РФ) produisit le rapport d’expertise no 4/106. Ce rapport s’attachait surtout à analyser les EEA utilisés par les terroristes dans le gymnase. Il concluait que ces derniers y avaient placé au moins seize EEA, reliés par des câbles et détonateurs électriques formant une seule chaîne. Le 3 septembre, au moins trois EEA auraient explosé dans la partie nord-ouest du gymnase : l’un accroché au panneau de basket-ball du mur ouest (fabriqué à l’aide d’une mine antipersonnel OZM72, équivalant à environ 0,66 kg de TNT), le deuxième fixé du côté droit de la porte donnant accès au gymnase par le mur ouest (un EEA de forme sphérique équivalant à au moins 0,5 kg de TNT), et le troisième fixé à la vitre de la première fenêtre du mur nord-ouest (un EEA dans une bouteille de plastique équivalant à au moins 1 kg de TNT). La puissance des explosions était estimée à au moins 2 kg de TNT au total ; il n’était toutefois pas possible de confirmer exactement à quel moment et dans quel ordre les EEA avaient explosé. Selon le rapport, la cause la plus probable des explosions était la mise en marche, intentionnelle ou non, du pédalier du détonateur et les raisons pour lesquelles toute la chaîne n’avait pas été déclenchée étaient inconnues mais il pouvait s’agir d’un dommage causé par les premières explosions aux câbles électriques qui reliaient le reste des EEA (pages 18-29 du rapport). (iv Rapport d’expertise no 16/1 224. Le 25 octobre 2006, un rapport d’expertise global sur les explosions (комплексная криминалистическая экспертиза математического моделирования взрывов) fut demandé à des experts de la société publique scientifique Bazalt (ФГУП ГНПП “Базальт”) et de l’Institut central de recherche et d’expérimentation, named after Karbyshev of the Ministry of Defence (Центральный Научно-исследовательский испытательный институт им. Карбышева Министерства Обороны РФ). Les requérants disent qu’ils n’avaient pas eu accès à l’intégralité du document avant que les parties n’échangent leurs observations en 2012. 225. En janvier 2007, Mme Tagayeva demanda au parquet la récusation des experts de Bazalt, car selon elle ils dépendaient administrativement du ministère de la Défense. Sa demande fut rejetée le 30 janvier 2007 au motif qu’aucun parti pris subjectif ne pouvait être décelé chez les experts et que, sur le plan objectif, le ministère de la Défense n’était pas partie au procès pénal. 226. Produit le 14 septembre 2007, le rapport d’expertise no 16/1 comportait plus de 300 pages, ainsi que des schémas et photographies détaillés en annexe. Il apparaissait lever les doutes exprimés notamment par un membre de la commission d’enquête de la Douma d’État et par un expert renommé en matière d’explosions, M. Savelyev, sur les causes extérieures des deux premières explosions dans le gymnase (paragraphes 406, 408 et 410 ci-dessous). Ses conclusions sont exposées dans ses pages 264 à 273. Elles peuvent se résumer comme suit. La première explosion aurait été causée par la mise à feu d’un gros EEA, d’une puissance allant de 3 à 6 kg de TNT. Cette explosion aurait été déclenchée non pas à l’aide des câbles et détonateurs électriques, mais très probablement en raison d’une mauvaise manipulation de l’engin par les terroristes qui l’avaient entre les mains. Cet engin aurait explosé dans la partie nord-est du gymnase, à un endroit situé à environ 1 m du mur nord et à 5 m du mur est. La seconde explosion se serait produite environ 20 secondes après et aurait consisté en la détonation simultanée de plusieurs EEA (entre cinq et dix) de plus petite taille dans la partie nord-ouest de la salle. Elle aurait été déclenchée le plus probablement par les terroristes qui auraient activé intentionnellement ou non le pédalier de détonation. Le rapport concluait qu’elle n’aurait pas pu être causée par plusieurs charges explosives tirées depuis l’extérieur et que, parmi tous les dégâts relevés sur les murs extérieurs, seuls deux marques avaient pu avoir pour origine soit une charge thermobarique soit une charge explosive projetée depuis l’extérieur. Il estimait que ces projectiles n’auraient pas pu être tirés depuis les toits des maisons sises au 37, 39 ou 41, avenue Shkolny (contrairement à ce qu’auraient allégué certains experts). Il ajoutait que les dégâts à l’aile gauche du bâtiment avaient pu être causés par l’usage de divers armes et explosifs, par exemple le canon d’un char, un lance-flamme ou un lance-grenades, mais que l’ampleur des destructions excluait la possibilité de toute reconstitution détaillée des événements. Il estimait improbable le jet d’une charge thermobarique depuis un hélicoptère, soulignant qu’il aurait pu se solder par la destruction de l’hélicoptère et par le décès de son équipage. Enfin, il énumérait les types d’armes suivants utilisés par les membres de l’opération antiterroriste, à partir des matériaux vidéo et des documents versés au dossier pénal no 20/849: « - lance-grenades portatifs RPG-7V modifiés pour des obus antichars PG-7VL, PG-7VM, PG-7VS, et une ogive fragmentaire OG-7V ; - lance-roquettes antichars à usage unique RPG-26, RPG-27 ; - roquettes RShG1 à charge thermobarique ; - lance-flammes RPOA Shmel à charge thermobarique ; - lance-flammes d’infanterie légers LPO97 à charge thermobarique (probablement) ; - armes à feu et lance-grenades portatifs ». Sur la base des mêmes sources, le rapport concluait que les terroristes avaient fait usage d’un lance-grenade portatif RPG-7V muni d’obus antichars de type PG7VL ; de lance-roquettes antichars à usage unique RPG-26, peut-être d’un lance-grenade à charge thermobarique ; d’au moins dix EEA de type « bouteille », d’au moins deux EEA fabriqués à l’aide de mines antipersonnel MON90 et d’au moins quatre EEA fabriqués à l’aide de mines antipersonnel OZM-72 ; ainsi que d’armes à feu et de lance-grenades portatifs (pages 263-73 du rapport). 227. À la suite de ce rapport, le 14 octobre 2007, le laboratoire d’expertise du ministère nord-ossète de l’Intérieur examina les traces d’explosion sur les murs sud du gymnase et confirma les conclusions ci-dessus quant à la trajectoire possible des charges tirées depuis le premier étage de l’aile sud de l’école, selon lesquelles elles n’auraient pas pu être tirées depuis les maisons sises au 37, 39 et 41, avenue Shkolny, ni depuis le toit du garage (rapport no SI63, page 12). (v) Le rapport d’expertise no 16/2 228. Le rapport d’expertise no 16/2 fut ordonné en avril 2007 afin de réfuter les allégations de M. Savelyev concernant les origines de la seconde explosion dans le gymnase qui avait causé la destruction d’une partie du mur sous la fenêtre du côté nord. Il fut achevé le 11 décembre 2009 (paragraphe 406 ci-dessous). À l’instar du rapport 16/1, il est l’œuvre des experts de Bazalt. Ces derniers auraient fait des tests pour toutes les possibilités évoquées par M. Savelyev, notamment l’usage de différents types de lance-grenades et de lance-flammes contre un bâtiment similaire, et ils ont dit que l’impact de ces armes n’aurait pas été compatible avec les dégâts subis par le gymnase. Comportant plus de 130 pages, le rapport concluait que « la brèche dans le mur nord-ouest du gymnase avait pour origine (...) l’explosion d’un EEA d’une puissance équivalente à 6 kg de TNT, placé à une hauteur d’environ 500 mm du sol, près du radiateur (...) La puissance de l’impact de cette explosion aurait été augmentée par l’explosion quasi-simultanée de plusieurs autres EEA situés dans la partie nord-ouest du gymnase, encore plus éloignés de la première explosion » (pages 99-100 du rapport). g. La décision de ne pas inculper les forces de sécurité 229. Par une décision du 3 décembre 2004, le procureur militaire adjoint de Vladikavkaz refusa de poursuivre les membres non désignés nommément de la 58e armée du ministère de la Défense et des forces internes du ministère de l’Intérieur. La décision précisait que l’enquête avait établi que le personnel de l’armée et du ministère de l’Intérieur avait fait usage d’armes automatiques, de lance-grenades RPG25, de lance-flammes RPOA Shmel et de chars T72. Elle exposait ensuite la chronologie du siège et de l’assaut, conformément à la déposition du général Sobolev de la 58e armée. Elle indiquait en particulier que, le 1er septembre 2004, au cours de la première réunion du CC, il avait été décidé que la participation de M. Dzasokhov aux négociations était « sans objet » (нецелесообразно) puisqu’il risquait lui aussi d’être pris en otage. Elle ajoutait que, si la décision de sortir les civils et les « volontaires » armés de la zone autour de l’école avaient été prise le 1er septembre vers midi, elle n’avait été mise en œuvre qu’à partir du 3 septembre. Elle disait également que, le 2 septembre, les terroristes avaient exigé que M. Dzasokhov, M. Zyazikov, M. Aslakhanov et le Dr Roshal viennent négocier, mais que le CC avait estimé que de tels pourparlers étaient eux aussi « sans objet ». À 13 h 10, après les premières explosions, les terroristes auraient ouvert le feu en direction des otages qui se ruaient hors du gymnase, à la suite de quoi les forces du second périmètre de sécurité auraient riposté. À 14 heures, un groupe de sapeurs sous le commandement du colonel Nabiyev aurait commencé à déminer le gymnase et cet officier aurait dans le même temps demandé aux pompiers d’éteindre l’incendie. La première autopompe, avec une citerne de 2 000 l d’eau, serait arrivée à 14 h 45 ; la seconde serait arrivée à 15 h 45 et aurait procédé à l’extinction de l’incendie. À 21 heures, l’assaut du bâtiment aurait pris fin, tandis que la recherche et l’élimination des terroristes se seraient poursuivies jusqu’au 4 septembre 2004, à 12 h 30. 230. La décision résumait ensuite la déposition du lieutenant-colonel Tsyban, qui aurait dit que le CC avait été officiellement mis en place le 2 septembre 2004 vers 12 heures, sous le commandement du général Andreyev. Le CC aurait décidé que la participation de M. Dzasokhov aux négociations ne pouvait être autorisée puisqu’il risquait d’être pris en otage. 231. La décision reprenait ensuite les dépositions d’une douzaine de membres de la 58e armée – sapeurs et chefs de chars et de VBTT. Ils auraient déclaré que les chars avaient tiré sept coups le soir du 3 septembre 2004 et qu’aucun d’entre eux n’avait tiré en direction de l’école pendant la journée. 232. La décision citait les noms de plusieurs centaines de militaires déployés à l’intérieur du périmètre de sécurité. Les déclarations de ces derniers étaient ainsi résumées : « (...) lorsque la zone a été sécurisée, aucune perte ni aucun vol d’armes ou de munitions n’ont été constatés et les terroristes n’ont pas tenté de forcer le passage ou de s’enfuir. Les commandants ayant donné pour ordre de n’ouvrir le feu que si les terroristes cherchaient ouvertement à percer, aucun coup de feu n’a été tiré et l’usage des armes à feu était régi par l’article 11 du [manuel pratique de l’armée]. Aucun cas de manquement aux ordres ou d’usage non autorisé d’armes à feu n’a été relevé. Aucune munition n’a été utilisée. » 233. La décision concluait que les forces du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Défense avaient fait usage « d’armes légères personnelles autorisées, de matériel d’ingénierie et d’armes chimiques destinés à causer des dégâts aux personnes mais que ces munitions [avaient] été utilisées conformément à la réglementation [applicable] et compte tenu de l’impossibilité d’empêcher l’action des terroristes par d’autres moyens » et que « l’utilisation des armes ci-dessus [avait] conduit à l’élimination ou à l’incarcération des terroristes ». Elle ajoutait que l’enquête n’avait permis de recueillir aucun élément établissant que l’usage des armes énumérées ci-dessus avait entraîné la mort de l’un quelconque des otages. Elle estimait dès lors que rien ne prouvait qu’une infraction eût été commise. 234. La décision du 3 décembre 2004 fut annulée le 12 septembre 2005 pour certains vices de forme. On ignore quelle suite y a été donnée. h. Les résultats des enquêtes internes et des décisions de ne pas inculper les autorités (i) Le personnel d’Emercom 235. Le 29 octobre 2004, une commission du ministère nord-ossète des Situations d’urgence conduisit une enquête interne sur l’action du personnel d’Emercom au cours de cette crise. Selon ses conclusions, les pompiers connaissaient à l’avance l’emplacement des bouches d’incendie à proximité de l’école mais n’avaient pas pu les utiliser parce que les terroristes pouvaient leur tirer dessus. Ce serait pour cette raison qu’ils auraient d’abord recouru à leurs citernes mobiles. Les pompiers chargés de la mission aurait établi un plan d’accès à l’école pour les autopompes mais ils n’auraient pas eu pour attribution d’assurer l’accessibilité de ces itinéraires (une coordination par le CC basée sur ce plan aurait été nécessaire). L’absence d’intervention au stade initial se serait expliquée par les instructions du CC. Enfin, le recours à des lances hydrauliques plus puissantes n’aurait pas été possible en raison du choix limité des endroits où elles auraient pu être placées, de la distance par rapport à la source de l’incendie (environ 60 m), de l’étroitesse de l’accès à l’incendie et du danger de « vapeurs chaudes » pour les personnes qui pouvaient encore être vivantes à l’intérieur du bâtiment en feu. La commission conclut que l’action du personnel d’Emercom avait été adéquate et justifiée. 236. Par une décision du 10 décembre 2004, un investigateur du parquet général du Nord-Caucase refusa d’inculper le ministre nord-ossète des Situations d’urgence, M. Dzgoyev, de même que son adjoint et le directeur du service des pompiers, le colonel Romanov, de négligence criminelle, infraction réprimée par l’article 293 du code pénal. La décision citait les dépositions du colonel Romanov, de M. Dzgoyev et de plusieurs pompiers et membres du service. Ces témoins avaient confirmé que les renseignements concernant l’incendie leur étaient d’abord parvenus après les premières explosions, peu après 13 heures, mais que le CC n’avait permis aux pompiers d’intervenir qu’à partir de 15 h 20. Selon eux, sept autopompes avaient été préparées pour participer à l’opération mais les routes d’accès vers l’école étaient restées encombrées par des voitures et des gens. Les deux bouches d’incendie les plus proches n’auraient pas été accessibles et au départ les pompiers auraient utilisé les citernes pour éteindre l’incendie à l’aide de deux lances, avant que l’accès vers la bouche la plus proche ne soit ouvert. La décision analysait la question de savoir si les pompiers auraient pu faire usage d’une lance à incendie hydraulique plus puissante mais, selon ces derniers, ce procédé n’aurait pu produire les effets voulus que si la distance par rapport à la source de l’incendie avait été inférieure à 30 m, ce qui selon eux ne pouvait être garanti en raison des hostilités qui se poursuivaient. Elle concluait que, au moment où les pompiers étaient intervenus, la direction générale des opérations avait été assumée par le CC, dirigé par le FSB, sans la permission duquel aucune mesure ne pouvait selon elle être prise. Elle ajoutait que le FSB n’avait permis aux pompiers d’intervenir qu’au bout de deux heures environ, puisque ces derniers n’étaient pas dotés d’équipement spécial et qu’ils risquaient donc d’être blessés ou tués. Dans ces conditions, elle estimait que rien dans l’action des membres d’Emercom ne permettait de conclure qu’une infraction eût été commise. On ignore si les requérants ont été informés de cette décision et s’ils ont formé un recours contre elle. 237. En mars 2006, les victimes présentèrent une demande tendant à ce que les autorités compétentes, dont M. Dzasokhov, le général Andreyev, M. Popov et le colonel Romanov, soient inculpés de négligence criminelle et de rétention d’informations ayant mis en danger la vie et l’intégrité physique d’autrui avec de graves conséquences (articles 293 § 2 et 237 § 2 du code pénal). Elles soutenaient en particulier qu’aucune mesure préventive nécessaire n’avait été prise avant l’acte terroriste ; que le CC était demeuré passif et n’avait pas engagé de véritables négociations avec les preneurs d’otages ; qu’à cause de l’inaction du CC, la situation des otages s’était détériorée du 1er au 3 septembre 2004, de sorte qu’ils auraient été affaiblis au moment de l’assaut ; que l’absence de MM. Dzasokhov, Zyazikov et Aslakhanov au cours des négociations avait exclu toute possibilité de dialogue ; que le périmètre de sécurité mis en place autour de l’école n’avait pas été convenablement assuré ; et que l’opération d’assaut n’avait pas été préparée avec minutie. Elles alléguaient en outre que les militaires et les forces de sécurité avaient agi en l’absence d’un plan et avaient fait usage d’armes trop puissantes et frappant sans discrimination le 3 septembre après 13 heures. À l’appui de cette assertion, elles se référaient à plusieurs dizaines de dépositions de témoins recueillies au cours du procès de M. Nurpashi Kulayev, qui attestaient de l’usage de lance-flammes, de lance-grenades, de chars et de VBTT. Elles soutenaient par ailleurs qu’il y avait eu un délai d’une heure et demi entre le déclenchement de l’incendie dans le gymnase et le commencement de l’opération d’extinction du feu, et que les pompiers n’étaient pas préparés puisqu’ils ne disposaient pas des ressources en eau nécessaires. En conséquence, selon elles, des dizaines d’otages, y compris des enfants, avaient été brûlés vifs parce que, blessés, choqués, désorientés ou trop affaiblis, ils n’avaient pas pu s’enfuir par leurs propres moyens. 238. Le 14 mars 2006, le procureur général adjoint rejeta la demande au motif que les décisions des investigateurs étaient conformes à la loi et que les mesures sollicitées par les victimes n’étaient pas nécessaires puisque les faits pertinents avaient été établis par d’autres moyens. Le 26 juin 2007, le tribunal du district Promyshlenny de Vladikavkaz accueillit le recours formé par les victimes contre cette décision et ordonna au procureur général adjoint d’examiner en détail leurs demandes et d’apporter une réponse motivée à chacun de leurs arguments. Le 15 août 2007, la Cour suprême d’Ossétie du Nord annula la décision du tribunal de district et renvoya l’affaire devant ce dernier. Le 24 août 2007, le tribunal de district confirma la validité de la décision du 14 mars 2006, laquelle fut ensuite entérinée par la Cour suprême d’Ossétie du Nord le 3 octobre 2007. Les demandes de recours en supervision ultérieurement formées par les victimes furent rejetées. 239. Entre-temps, par une décision du 20 avril 2006 prise parallèlement aux procédures susmentionnées, le chef de l’équipe d’investigation, un investigateur du parquet général du ressort fédéral du Sud, refusa d’ouvrir une instruction pénale sur la base des mêmes dispositions du code pénal concernant le chef et les membres du CC. Il constata dans l’action des responsables l’absence d’éléments constitutifs d’une infraction. Il s’appuya dans une large mesure sur les conclusions du rapport d’expertise no 1, précisant que l’action du CC était conforme aux lois et règlements pertinents. Les victimes attaquèrent cette décision et, le 3 avril 2007, un juge du tribunal du district Leninskiy de Vladikavkaz l’annula, jugeant ce rapport illégal. Le 2 mai 2007, la Cour suprême d’Ossétie du Nord infirma cette annulation et renvoya l’affaire devant le tribunal de district au motif que la décision d’annulation n’était pas fondée sur tous les éléments du dossier. Le 6 juin 2007, dans le cadre d’une nouvelle instance, le tribunal du district Leninskiy rejeta toutes les prétentions et conclut que, si le rapport d’expertise no 1 avait été invalidé, les éléments sur lesquels il s’appuyait demeuraient valables et appelaient des conclusions similaires. Le 15 août 2007, la Cour suprême d’Ossétie du Nord confirma cette décision. 240. Par une décision distincte datée elle aussi du 20 avril 2006, le même investigateur refusa d’ouvrir une procédure pénale contre le ministre adjoint nord-ossète des Situations d’urgence et directeur du service des pompiers, le colonel Romanov, et le directeur du service des pompiers du district Pravoberezhny, M. Kharkov. La décision visait l’article 293 § 2 du code pénal, qui réprimait la négligence criminelle, et renvoyait à des dépositions de témoins qui confirmaient que les premiers renseignements concernant les explosions et l’incendie dans le gymnase avaient été reçus le 3 septembre, peu après 13 heures, ainsi qu’au fait qu’à plusieurs reprises entre 13 h 20 et 15 h 20 le colonel Romanov avait ordonné aux pompiers d’intervenir avant de revenir sur ces ordres faute d’autorisation du chef du CC. Elle précisait qu’à 15 h 25, deux autopompes étaient arrivées à l’école avec une pleine cargaison d’eau, pour environ 3 à 5 minutes d’usage. Une fois vide, deux autres autopompes auraient été appelées et de l’eau aurait été pompée grâce à une bouche d’incendie car les autres arrivées d’eau n’étaient pas utilisables. La décision se référait au rapport d’expertise no 1 et au rapport d’expertise incendie no 2576/17, 320-328/18-17 (paragraphes 218 et suiv.) (ii) Les agents du ministère de la Santé 241. Le 30 septembre 2005, le ministère russe de la Santé fit part au parquet général des résultats de son enquête interne sur les mesures que ses agents avaient prises du 1er au 3 septembre. Il admit que l’ampleur et les circonstances des événements étaient sans précédent, même pour ses agents les plus expérimentés, et que la situation avait été « aggravée par l’insuffisance de renseignements vérifiables sur le nombre d’otages, par l’imprévisibilité des événements et par la difficulté à prévoir les types de blessures ». Il releva que la situation sur les lieux de l’hôpital pédiatrique de campagne qui avait été mis en place à Beslan le 2 septembre 2004 avait été aggravée par la présence d’un grand nombre d’habitants, « qui se pressaient parfois en une foule manifestant des signes d’instabilité émotionnelle et psychologique ». Le travail d’une cellule psychologique mobile aurait aidé à réduire les tensions et à créer les conditions nécessaires à l’administration de soins médicaux. La contribution globale du centre Zashchita était qualifiée de vitale. 242. Dans ses observations de septembre 2013, le Gouvernement résume comme suit les pièces du dossier 20/849 concernant le travail du personnel médical. 243. Le 1er septembre 2004, le ministère de la Santé aurait mis en place une cellule de coordination qui aurait regroupé les forces des ministères locaux et fédéraux de la Santé et des Situations d’urgence, du centre Zashchita et du bureau d’expertise médico-légale (Бюро Судебномедицинской экспертизы (БСМЭ) – « le bureau d’expertise médico-légale ») d’Ossétie du Nord. À partir du 1er septembre au soir, des unités spécialisées d’aide psychologique auraient été mises en place pour les proches. Un certain nombre d’autres mesures d’urgence auraient été prises, par exemple la désignation de personnel médical de garde dans plusieurs hôpitaux locaux, le ravitaillement en équipement et matériel nécessaires, notamment du sang pour les transfusions, afin que les unités de chirurgie et de soins intensifs soient prêtes. 244. Le 2 septembre, un hôpital de campagne pédiatrique d’urgence aurait été installé à Beslan. Le « centre de commandement fédéral et local » serait parvenu à trouver un accès à l’école et des itinéraires d’évacuation, et aurait instruit les conducteurs et le personnel médical et paramédical intervenant. 245. Le 3 septembre, un autre hôpital aurait été mis en place à Beslan, équipé pour conduire des interventions chirurgicales et d’autres types de soins d’urgence. Des mesures auraient été prises afin d’aider un grand nombre de personnes blessées. Au total, 1 300 lits auraient été réservés dans différents hôpitaux de la région. Avant comme après l’assaut, des équipes médicales auraient été mobilisées en provenance d’autres régions, notamment des médecins éminemment qualifiés de Moscou. 246. Au moment des premières explosions, environ 200 médecins, 307 auxiliaires et 70 ambulances se seraient trouvés à Beslan, soit 94 équipes médicales mobiles, dont 14 de réserve. 247. Le 3 septembre 2004, entre 13 h 15 et 18 h 30, 556 personnes blessées, dont 311 enfants, auraient été conduites dans des hôpitaux locaux. À 19 heures, tous les patients auraient été admis dans des hôpitaux à Beslan et Vladikavkaz et 47 opérations d’urgence auraient été pratiquées. 248. Plus d’un millier de personnes auraient reçu une aide psychologique. 249. À partir du 4 septembre 2004, des équipes médicales spécialisées se seraient rendues auprès des familles pour aider les otages et les membres de leur famille revenus à leur domicile. Entre le 5 et le 15 septembre, plus de 200 patients (dont 137 enfants) auraient été transférés à Moscou par des vols spéciaux pour y être soignés. 250. Entre le 3 septembre et le 16 décembre 2004, environ 800 patients auraient reçu des soins médicaux. 305 personnes au total seraient mortes à l’école, et 26 à l’hôpital. Au 16 décembre 2004, 26 patients (dont 7 enfants) auraient toujours été hospitalisés, tandis que les autres auraient été autorisés à sortir. L’Ossétie du Nord aurait reçu 26 tonnes de matériel et fournitures médicaux à l’occasion de cette crise. (iii) Autres agents publics et membres du OH 251. En mai 2007, les requérants demandèrent au parquet général du ressort fédéral du Sud d’inculper M. Dzantiyev, le ministre nord-ossète de l’Intérieur, de négligence criminelle. Par une décision du 1er juin 2007, cette demande fut rejetée. Les 18 février et 27 mars 2008, saisis par les victimes, le tribunal du district Promyshlenny de Vladikavkaz et la Cour suprême d’Ossétie du Nord confirmèrent cette décision. 252. En juillet 2007, les requérants prièrent le parquet d’« évaluer » les actions des hauts fonctionnaires nord-ossètes qui, selon eux, n’étaient pas parvenus à empêcher l’attentat terroriste et à informer la population de la menace imminente, ni à sécuriser convenablement le périmètre autour de l’école. Ils lui demandèrent aussi de vérifier la légalité des actions des membres du CC qui, selon eux, avaient autorisé l’emploi d’armes frappant sans discrimination et n’avaient pas réussi à faire promptement éteindre l’incendie. Ils s’appuyaient sur des éléments tirés du rapport de l’Assemblée fédérale (paragraphes 398 et suiv.), demandant également à ce que les fonctionnaires en question et les victimes soient interrogés. Le 2 août 2007, l’investigateur fit partiellement droit à cette demande, relevant que les questions soulevées par les victimes faisaient l’objet d’une enquête pénale en cours. i. L’établissement de la cause des décès et blessures 253. Sur la base des pièces médicales et des expertises médico-légales, les causes des décès furent établies pour 215 personnes, tandis que les causes exactes des décès de 116 autres ne purent l’être en raison de graves brûlures survenues après la mort. S’agissant des blessures, 79 personnes auraient été blessées par balles, 91 auraient reçu des éclats d’obus, 302 auraient subi les séquelles de l’explosion, 10 auraient subi un traumatisme crânien, 83 auraient eu des fractures et des hématomes, 36 auraient reçu des brûlures et 109 auraient souffert de problèmes psychologiques et neurologiques. 254. L’enquête conclut que les décès et blessures des victimes étaient sans rapport avec une quelconque action ou omission de la part d’agents de l’État, en ce qui concerne en particulier l’usage d’armes à feu. 255. Dans les nombreux griefs qu’ils exposent, les requérants soulignent que les expertises médico-légales avaient été conduites sans avoir extrait de balles, d’éclats d’obus et d’autres objets des corps. Ils ajoutent que, pour de nombreuses personnes, ces expertises n’ont pas permis d’établir la moindre cause de décès, en raison de la gravité des brûlures. j. Les démarches et plaintes des victimes 256. Dans le cadre des procès internes, les victimes saisirent plusieurs centaines de fois le parquet, lui demandant l’adoption de différents actes de procédure. Elles contestèrent la plupart des décisions que les tribunaux de district avaient rendues. Les requérants ont produit devant la Cour copie de ces demandes et plaintes, ainsi que des actes des autorités qui y faisaient suite, ou ils en ont fait un exposé dans leurs observations. 257. En juillet 2006, les victimes prièrent l’investigateur chargé du dossier de déterminer qui avait refusé de faire venir les quatre hommes sollicités par les terroristes pour les négociations ; d’organiser des confrontations entre, d’un côté, les témoins civils et les témoins de la police et, d’un autre côté, les membres de l’armée ; et de faire la lumière sur l’usage de chars et de lance-flammes le 3 septembre 2004 pendant l’après-midi. Par une décision du 27 juillet 2006, l’investigateur rejeta cette demande, indiquant que le CC avait décidé d’employer le bon armement et que des confrontations entre les témoins n’auraient pas été utiles aux investigations. 258. En janvier 2007, les requérants demandèrent à l’investigateur chargé du dossier de déterminer qui avait décidé que les quatre hommes sollicités par les terroristes ne devaient pas participer aux pourparlers et qui avait autorisé l’usage des chars et des lance-flammes au cours de l’assaut. Le 30 janvier 2007, l’investigateur fit droit à cette demande et informa les requérants qu’ils seraient tenus informés du résultat des investigations. 259. En août 2007, les requérants demandèrent à l’investigateur de déterminer quel était le nombre d’otages que le CC avait communiqué au FSB, au ministère de l’Intérieur et au président russe à chacun des jours de la crise et d’interroger les responsables en question. Le 14 août 2007, cette demande fut acceptée. 260. En novembre 2007, se référant aux résultats des expertises et aux dépositions de témoins qui avaient été recueillies lors du procès de Nurpashi Kulayev (paragraphes 269 et suiv.), les victimes constatèrent que les corps de 116 personnes avaient été gravement brûlés, ce qui rendait impossible dans la plupart des cas l’établissement de la cause du décès, mais que selon plusieurs rapports d’expertise, les graves brûlures étaient à l’origine des décès. Elles demandèrent qui avait ordonné de retarder l’intervention des pompiers dans le gymnase et si ces derniers étaient dotés du bon matériel à leur arrivée. Le 16 novembre 2007, se référant à l’enquête en cours, l’investigateur rejeta la demande tendant à inculper plusieurs autorités. 261. Le 23 novembre 2007, à la demande des victimes, l’investigateur versa au dossier les procès-verbaux des audiences du procès des membres des ROVD Pravoberezhny et de Malgobek. 262. En décembre 2007, l’investigateur fit droit aux demandes des victimes, fondées sur des informations recueillies au cours du procès de M. Kulayev, tendant à interroger plusieurs hauts fonctionnaires concernant les mesures prises en août 2004 en vue d’empêcher l’attentat terroriste, afin de faire la lumière sur l’ampleur de l’intervention de la police locale en vue de permettre le passage de M. Dzasokhov le 1er septembre au matin, et de déterminer comment le CC était parvenu au chiffre de 354 otages qui avait été diffusé pendant la crise. Il fit également droit à la demande des victimes tendant à interroger le commandant du Centre des services spéciaux du FSB (ЦCН ФСБ России), le général Tikhonov, afin d’apporter des éclaircissements sur l’emploi dans l’école d’armes frappant sans discrimination. 263. Le 10 mai 2007, à la demande des requérants, le tribunal du district Promyshlenny de Vladikavkaz examina environ 120 demandes dont ils avaient saisi l’investigateur entre décembre 2005 et mars 2007 et qui selon eux n’avaient pas connu de suite satisfaisante. Les plaintes portaient surtout sur les points suivants : leurs démarches visant à obtenir des éléments supplémentaires sur la cause exacte du décès et des blessures de leurs proches ; des éléments sur les origines des trois premières explosions dans le gymnase ; des précisions sur la participation de diverses unités de l’armée et forces de sécurité au cours de l’assaut ; des éléments sur les types et les résultats des examens des armes retrouvées à l’école ainsi que sur les mesures prises par le CC ; des informations sur l’action des pompiers immédiatement après les premières explosions ; la part de responsabilité des autorités dans le dénouement de la crise ; et la prise de connaissance de diverses pièces du dossier. Le tribunal de district rejeta en intégralité les différentes demandes des requérants au motif que les investigateurs avaient agi légalement et dans les limites de leurs attributions professionnelles. Il releva également que la procédure était toujours en cours. Les requérants attaquèrent contre cette décision mais, le 13 juin 2007, celle-ci fut confirmée par la Cour suprême d’Ossétie du nord. 264. Le 23 octobre 2007, le tribunal du district Promyshlenny de Vladikavkaz rejeta un recours formé par les victimes contre les décisions des investigateurs rejetant sept demandes qu’ils avaient formées afin de déterminer les causes des premières explosions et la provenance des armes à feu qui avaient servi à tuer et blesser les otages, d’en savoir plus sur les échanges avec les terroristes, d’identifier la personne qui avait ordonné le déploiement de chars, de véhicules blindés, de lance-flammes et de lance-grenades, et de déterminer pourquoi 116 corps avaient été carbonisés. Il rejeta également les griefs tirés par les victimes d’une inefficacité et de lenteurs de la part du parquet. Le 8 février 2008, la Cour suprême d’Ossétie du Nord confirma cette décision. 265. Par une décision du 10 janvier 2008, le tribunal du district Promyshlenny rejeta un autre recours par lesquels les victimes avaient saisi l’investigateur de cinq griefs qui concernaient l’accès des victimes au rapport d’expertise sur les explosions, aux rapports balistiques et aux documents antérieurs au 1er septembre faisant état d’une menace réelle d’attentat terroriste. Se référant à l’article 161 § 3 du code de procédure pénale, il conclut que les restrictions de l’accès des victimes au dossier étaient justifiées et que les autres mesures prises par les investigateurs étaient légales. Cette décision fut confirmée le 27 février 2008. 266. Le parquet général puis le tribunal du district Promyshlenny furent saisis par 62 victimes et leurs représentants qui se plaignaient du rejet par les investigateurs de douze demandes qui avaient été introduites entre décembre 2007 et janvier 2008. Les demandeurs voulaient notamment : connaître les raisons exactes du décès des victimes dont les autopsies présentaient des conclusions incomplètes ; déterminer si la carbonisation des corps était antérieure ou postérieure à la mort ; savoir pourquoi les conclusions sur la cause du décès de six des proches des victimes étaient basées sur un examen externe sans autopsie ; établir le lien de causalité entre l’emploi des lance-flammes, des lance-grenades, des chars et des véhicules blindés au cours de l’assaut et le décès des otages ; faire réinterroger les membres du ROVD de Malgobek et d’une unité militaire postée dans le district de Malgobek concernant la prévention de l’attentat terroriste ; faire la lumière sur les raisons de la désignation du général Andreyev à la tête du CC le 2 septembre 2004 ; et obtenir l’accès intégral aux pièces du dossier et copie des rapports d’expertise complexes (avec notamment les calculs mathématiques relatifs aux explosions, ainsi que l’analyse balistique et les examens des explosions). Ils soutenaient en outre que leurs démarches et demandes n’avaient connu aucune suite en temps voulu, que l’enquête s’éternisait et manquait d’objectivité, et en particulier qu’ils n’avaient pas eu accès aux pièces du dossier des plus importantes. Par une décision du 13 mars 2008, le tribunal du district Promyshlenny rejeta tous ces recours, au motif que les investigateurs avaient donné une suite satisfaisante aux prétentions des victimes ou que celles-ci n’étaient pas fondées au regard de la législation pertinente. Le 23 avril 2008, la cour d’appel d’Ossétie du Nord confirma cette décision. 267. Le 10 décembre 2008, le tribunal du district Promyshlenny rejeta un autre recours qu’un groupe de victimes avait formé contre les décisions prises à la suite de plaintes dont elles avaient saisi les investigateurs. Ces onze plaintes, formées entre juillet et septembre 2008, portaient sur l’accès des victimes aux rapports balistiques et aux pièces concernant les négociations avec les terroristes, la production de copie de certains éléments du dossier et les décisions ordonnant les expertises. Les victimes soutenaient également que l’enquête se prolongeait inutilement, l’adoption d’importantes mesures ayant été selon elles retardée, ce qui risquait ainsi d’entraîner la perte de preuves et de nuire à l’examen du dossier par les juges. Elles demandaient l’invalidation des mesures prises par les investigateurs qui, d’après elles, n’avaient pas conduit d’enquête effective, avaient refusé de leur donner accès aux pièces du dossier et n’avaient pas établi la part de responsabilité des autorités. Le tribunal jugea que certains des documents sollicités par elles étaient confidentiels, tandis que l’accès à d’autres était régi par l’article 161 § 3 du code de procédure pénale. Le 11 février 2009, la Cour suprême d’Ossétie du Nord confirma la décision. 268. Les victimes cherchèrent ultérieurement à former un recours en supervision contre ces décisions, mais en vain. En septembre 2015, un groupe de requérants demanda au chef de l’équipe d’enquête les derniers éléments sur l’avancement des investigations. Ils rappelèrent n’avoir reçu aucune information sur l’état de la procédure depuis 2013, en ce qui concerne en particulier les mesures que les militaires et le CC avaient prises. L’enquête pénale dirigée contre M. Nurpashi Kulayev 269. Les requérants ont produit de volumineux documents concernant l’enquête pénale dirigée contre M. Nurpashi Kulayev, le seul terroriste capturé en vie, et son procès. Ils ont communiqué en particulier quatre volumes de procès-verbaux (près de 2 000 pages), copie du jugement (319 pages) et de la décision de cassation ainsi que de leurs recours devant les juridictions de cassation et de supervision. Les documents les plus pertinents et les observations des requérants peuvent être résumés comme suit. a. Instruction et procès devant la Cour suprême d’Ossétie du Nord 270. Le 19 janvier 2005, l’instruction pénale visant le seul terroriste qui avait survécu, M. Kulayev, fut disjointe du dossier pénal no 20/849 et la cote 20/870 lui fut attribuée. 271. À partir du 17 mai 2005, M. Kulayev passa en jugement devant la Cour suprême d’Ossétie du Nord. Il était inculpé de meurtre aggravé, de terrorisme, de prise d’otages, d’association de malfaiteurs, de port d’armes illégal et de tentative d’homicide sur des membres des forces de l’ordre (articles 105, 205, 206, 209, 222 et 317 du code pénal). Entre mai 2005 et février 2006, la juridiction de jugement 61 tint audiences. b. Déclarations de M. Nurpashi Kulayev 272. Au prétoire, M. Kulayev déclara qu’il s’était joint au groupe le 31 août 2004. Il affirma que son frère, M. Khanpash Kulayev, était un combattant clandestin depuis le début des années 1990 mais qu’il avait perdu un bras et habité ces derniers temps à Psedakh, leur village d’origine. Le 31 août 2004, un groupe d’hommes armés serait arrivé à bord d’une voiture VAZ-2110 et aurait accusé son frère de travailler pour le FSB. Les deux frères ainsi que deux de leurs amis seraient partis avec les hommes armés dans un camp situé à environ 300 m de la route. Tard dans la nuit du 31 août 2004, l’homme en charge du camp, « Polkovnik », aurait dit à toutes les personnes présentes de monter dans un camion GAZ-66. Il y aurait eu environ 32 personnes, dont deux femmes masquées. Des explosifs et des armes à l’intérieur de sacs à dos auraient été posés sous les banquettes et les hommes se seraient assis dans la remorque du camion. En réponse à des questions des victimes, M. Kulayev déclara n’avoir vu aucune des boîtes en bois remplies de cartouches qui seront ultérieurement retrouvées dans la cantine de l’école. 273. M. Kulayev déclara que tout le monde avait passé la nuit dans la vallée et était reparti au petit matin. L’arrière du camion aurait été bâché, de sorte que personne ne pouvait voir ce qui se passait à l’extérieur. À un moment donné, le véhicule se serait arrêté et M. Kulayev aurait entendu quelqu’un demander les papiers du conducteur. On lui aurait dit qu’un policier avait été capturé et ils auraient poursuivi leur route. Le policier aurait été relâché par la suite parce qu’il aurait été un proche de l’un des combattants. Le voyage aurait duré environ deux heures et demi. Pendant que l’école était investie, l’un des combattants aurait été mortellement blessé et « Polkovnik » aurait ordonné l’exécution de vingt otages de sexe masculin. À l’intérieur de l’école, M. Kulayev aurait été posté dans la cantine. Le 1er septembre, une querelle serait née parmi les combattants et « Polkovnik » aurait mis en marche l’engin explosif porté par une femme kamikaze. Cette explosion aurait mortellement blessé une autre femme et un autre combattant d’origine arabe. De nombreux membres du groupe, dont M. Kulayev lui-même et son frère, auraient ignoré la nature de leur mission mais « Polkovnik » se serait conformé aux ordres de Basayev et aurait exécuté quiconque aurait tenté de s’y opposer. Les terroristes auraient conversé entre en langue ingouche et « Polkovnik » aurait appelé quelqu’un pour qu’il reçoive des instructions en langue russe. 274. S’agissant des conversations entre les terroristes, M. Kulayev déclara que « Polkovnik » avait dit à M. Aushev que si les quatre hommes désignés par eux se rendaient à l’école, ils relâcheraient 150 otages pour chacun des quatre. Il aurait également cru comprendre que certains des otages et des combattants auraient pu regagner la Tchétchénie en autocar si les soldats russes s’étaient retirés des régions montagneuses. 275. Concernant les premières explosions dans le gymnase, M. Kulayev déclara que « Polkovnik » avait dit qu’un tireur d’élite avait « tué l’homme [qui tenait le levier] » et avait ensuite hurlé à quelqu’un au téléphone « qu’est-ce que vous avez fait ? » avant de casser celui-ci puis d’encourager les terroristes à se battre jusqu’au bout. M. Kulayev aurait sauté du haut de la fenêtre de la cantine et hurlé aux soldats qu’ils ne devaient pas tirer dans cette direction parce qu’il y avait des femmes et des enfants. Il nia avoir utilisé son fusil-mitrailleur et affirma avoir marché jusqu’au gymnase pendant que les otages y étaient détenus. 276. Deux personnes qui seront ultérieurement condamnées pour des activités terroristes témoignèrent qu’elles savaient que M. Khanpash Kulayev, le frère de l’accusé, était un membre actif d’un mouvement terroriste clandestin et que, en 2003, les deux frères et plusieurs autres membres du groupe armé, avec leurs familles, habitaient dans une maison de location en Ingouchie (Ganiyev R., vol. 4, page 1562 des procès-verbaux d’audience, Muzhakhoyeva Z., vol. 4, p. 1611). c. La reconstitution des faits antérieurs à prise d’otages et l’identification des chefs 277. Certains habitants locaux déclarèrent au prétoire qu’ils avaient vu des inconnus et des caisses suspectes à l’école avant le 1er septembre 2004 (Tomayev V. vol. 1, pp. 360-363 ; Gutnova L. vol. 1, p. 458 ; Levina Z. vol. 1, p. 474 ; Kokova R. vol. 3, p. 1243 ; Rubayev K. vol. 3, p. 1305). Au mois d’août 2004, le bâtiment de l’école aurait été partiellement rénové, mais les enseignants et le directeur nièrent que des personnes autres que le personnel de l’école et leurs familles y eussent participé (Guriyeva N., vol. 2, p. 542 ; Ganiyeva Ye. vol. 3, p. 1157 ; Digurova Z. vol. 3, p. 1238). Certains enseignants témoignèrent qu’ils avaient inspecté l’école le 1er septembre au petit matin et qu’ils n’y avaient rien vu (Tsagolov A. vol. 1, p. 265 ; Avdonina Ye. vol. 2, p. 871 ; KomayevaGadzhinova R. vol. 2, p. 874 ; Shcherbinina O. vol. 2, p. 931). 278. Le policier qui avait été capturé par les terroristes à la frontière administrative le matin du 1er septembre 2004 témoigna qu’il avait interpellé le véhicule GAZ-66 entre 7 et 8 heures. Les hommes armés se seraient emparés de son arme de service, de son véhicule VAZ et de sa casquette de police, avant de prendre la direction de Beslan. Le policier se serait enfui dès le début de la fusillade. Il nia connaître l’un quelconque des terroristes et confirma que ces derniers conversaient entre eux et lui avait parlé en langue ingouche (G.S., vol. 4, p. 1546). 279. En ce qui concerne la prévention de l’attentat terroriste, un haut fonctionnaire de police du ROVD de Pravoberezhny déclara à la barre, en novembre 2005, que le 1er septembre 2004, vers 8 heures, l’école avait été inspectée, peut-être avec l’aide d’un chien de service. Il reconnut que, contrairement aux années précédentes, aucune patrouille de police n’avait été déployée à l’école (Khachirov Ch. vol. 3, p. 1215). M. M. Aydarov, l’ancien directeur du ROVD de Pravoberezhny, dit qu’il savait que l’école avait été inspectée avec l’aide de chiens de service le 1er septembre au matin mais qu’il n’en avait pas été dûment acté (vol. 3, p. 1410). 280. La juridiction de jugement constata que les organisateurs de l’attentat terroriste faisaient l’objet de poursuites pénales distinctes (no 20/849, voir ci-dessus). Elle se référa à des déclarations et des documents tirés du dossier d’enquête no 20/849. Elle identifia dix-neuf terroristes (dont M. Kulayev) et en cita treize autres non identifiés (dont « Abu-Radiy » et « Abu-Farukh »). d. Interrogatoires des otages et octroi à eux de la qualité de victime 281. Entre octobre et décembre 2004, de nombreux otages et proches des victimes apparaissent avoir été interrogés et bénéficié de la qualité de victime. À l’ouverture des débats, plusieurs centaines de personnes s’étaient vu attribuer cette qualité dans le cadre de la procédure. Plus de 230 victimes furent interrogées pendant les débats, tandis qu’il fut donné lecture de dépositions que d’autres avaient livrées au cours de l’instruction. 282. Les victimes qui furent interrogées au prétoire nièrent pour la plupart avoir vu M. Kulayev dans le gymnase, alors que plusieurs otages déclarèrent l’avoir effectivement vu là-bas, dans le couloir, entre le 1er et le 3 septembre, et dans la cantine au dernier stade de l’assaut. La plupart des otages affirmèrent ne pas avoir vu Khanpash, le frère de M. Kulayev, qui avait perdu son bras droit. Plusieurs d’entre eux évoquèrent également un terroriste en particulier : un homme rasé avec une grosse cicatrice au cou, qui se serait montré particulièrement cruel vis-à-vis des otages et qu’ils n’auraient pas pu identifier une fois le siège terminé (témoin Mitdziyeva I. vol. 2, p. 520). La plupart des otages déclarèrent avoir vu deux femmes kamikazes, même si certains d’eux affirmèrent avoir vu une autre femme d’apparence slave au premier étage de l’école le 2 septembre et peut-être une quatrième aussi le 2 septembre (Mitdziyeva I. vol. 2, p. 518 ; Misikov K. vol. 2, p. 571 ; Scherbinina O. vol. 2, p. 935). Une femme déclara au prétoire que, le 2 septembre, le terroriste « Abdulla » lui avait demandé si elle était ingouche et il lui avait dit qu’ils laisseraient partir les membres de sa famille si elle acceptait de devenir kamikaze puisque « ses deux filles avaient été tuées par des coups de feu » tirés depuis l’extérieur (Kudziyeva L. vol. 2, p. 525). L’estimation du nombre de terroristes par les otages variait entre 30 et 70. 283. En ce qui concerne la prise de contrôle de l’école, de nombreux otages témoignèrent que, dès que les combattants avaient encerclé les gens rassemblés dans la Cour et commencé à tirer en l’air, un autre groupe de combattants avait tiré des coups de feu depuis le haut du bâtiment. Certains témoins déclarèrent que lorsque les tirs avaient commencé, des enfants avaient cherché à s’échapper par l’avenue Shkolny, mais qu’il y avait là-bas des combattants qui les auraient forcés à revenir. Beaucoup aperçurent des combattants qui se ruaient vers l’école depuis la ligne ferroviaire (Kusayeva R. c. 1 p.147 ; Misikov Yu. c. 1 p. 471 ; Daurova M. c. 2 p.574). D’autres affirmèrent que lorsqu’ils étaient entrés dans l’école, il y avait déjà des combattants armés qui gardaient les escaliers du premier étage. Un garçon qui était âgé à l’époque de neuf ans témoigna que, le 2 septembre, lui et une dizaine de garçons plus âgés avait été contraints de porter des caisses de grenades et de mines par une ouverture sous la scène de la salle de conférences (Khudalov S. c. 2 p. 866), mais aucun autre membre de ce groupe ne put être identifié. Une femme témoigna que, lorsque les combattants avaient cassé le plancher du gymnase le 1er septembre, ils avaient emmené un long tube qu’elle supposait être un lance-grenades (Tsakhilova A. c. 2 p. 896). 284. La policière Fatima D. livra une déposition détaillée sur la prise d’otages et les événements ultérieurs. Selon elle, il manquait à l’école un second agent de police. Vers 8 h 50, une mère lui dit qu’un camion étrange était garé à proximité. Lorsque la policière était allée vérifier, elle aurait entendu un bruit suspect. Elle aurait couru vers la salle du personnel au premier étage pour alerter la police mais dès qu’elle avait pris le téléphone, elle aurait été encerclée par plusieurs combattants en tenue de camouflage. Ils lui auraient dit « ça va être sérieux cette fois », avant de la conduire au gymnase. La policière estima leur nombre à environ 70 (vol. 1, p. 365). 285. Le 1er septembre, les enseignants auraient, sur ordre des terroristes, dressé des listes des enfants âgés de moins de sept ans, bien que celles-ci n’eussent jamais été utilisées (Levina Z. c. 1 p. 475 ; Shcherbinina O. vol. 2, p. 937). De nombreux otages déclarèrent au prétoire que les terroristes étaient extrêmement irrités par les informations relatives au nombre de personnes détenues dans l’école et que leur attitude s’était encore durcie une fois qu’avait été annoncé le nombre de 354 personnes. Ils déclarèrent que les terroristes avaient refusé de les autoriser à boire ou à aller aux toilettes puisque « personne n’avait besoin d’eux de toute façon et qu’il ne resterait que 350 d’entre eux » (Kokayeva I. vol. 1, p. 413 ; Kaloyeva F. vol. 1, p. 448 ; Pukhayeva Z. vol. 1, p. 461 ; Daurova Z. vol. 1, p. 481). Les otages dirent avoir fait l’objet de railleries, d’insultes et de mauvais traitements, et indiquèrent que les terroristes frappaient les personnes âgées et les enfants, les soumettaient à des simulacres d’exécution, braquaient une arme devant les yeux des enfants en direction de leurs parents et grands-parents et tiraient en l’air pour qu’ils se tiennent tranquille. 286. Les otages constatèrent que l’attitude des terroristes s’était encore détériorée le 2 septembre une fois M. Aushev parti de l’école. Plusieurs d’entre eux affirmèrent que, les 2 et 3 septembre, les terroristes avaient cherché en vain à joindre les autorités par l’intermédiaire des personnes qui avaient des responsables ou des personnalités publiques parmi leurs proches. 287. La directrice de l’école, Mme Tsaliyeva, avait été prise en otage avec des membres de sa famille. Elle déclara que, le matin du 1er septembre, elle avait inspecté l’école et repoussa les allégations selon lesquelles seuls les membres du personnel et leurs proches avaient participé à la rénovation du bâtiment. Elle aurait été sollicitée par les combattants pour négocier et l’absence de contact avec les autorités les aurait agacés. Le 3 septembre, elle aurait cherché à faire intervenir dans les négociations les enfants de M. Taymuraz Mamsurov et la mère d’un procureur, mais en vain (Tsaliyeva L., c. 1 p. 432). 288. De nombreux otages témoignèrent au sujet des explosions dans le gymnase. Ils affirmèrent qu’avant les explosions, les combattants se comportaient de manière tranquille et préparaient leur déjeuner. D’autres firent état d’une agitation qui avait probablement pour origine des problèmes électriques dans le gymnase. Certains déclarèrent avoir vu exploser un EEA qui avait été fixé à un panneau de basket-ball (Dzarasov K. c. 1 p. 213 ; Archinov B. c. 1 p.274). D’autres assurèrent que, lorsqu’ils avaient quitté le gymnase, ils pouvaient encore voir de gros EEA intacts fixés à des panneaux de basketball (Sidakova Z. c. 1 p. 315) ou que seule la troisième explosion avait été provoquée par un de ces EEA (Bekuzariva I. c. 2 p. 962). Certains qualifièrent la première explosion de « boule de feu » (Dzestelova A. c. 2 p. 538). Beaucoup mentionnèrent les flammes et la chaleur qui émanaient des explosions et avaient mis le feu à leurs vêtements et à leurs cheveux et leur avaient causé des brûlures (Agayeva Z. c. 2 p. 600 ; Dzheriyeva S. c. 2 p. 614 ; Kochiyeva F. c. 2 p. 631 ; Tsgoyev A. c. 2 p. 748 ; Bugulova F. c. 2 p. 764 ; Makiyev V., c. 2 p. 826 ; Khanikayev Sh. c. 2 p. 831 ; Kokova T., c. 2 p. 884). Beaucoup précisèrent que le feu avait pu tuer, blesser et étourdir des personnes qui n’avaient pas pu quitter le gymnase par leurs propres moyens (Tomayeva L. c. 1 p. 357 ; Gagiyeva I. c. 1 p. 444 ; Kudziyeva L. c. 2 p. 526 ; Fidarova S., c. 2 p. 584 ; Skayeva T. c. 3 p. 1001 ; Mitdziyeva Z., c. 3 p. 1043 ; Alikova F. c. 4 p. 1577). Certains expliquèrent de quelle façon des civils locaux les avaient fait sortir du gymnase et des lieux adjacents après les explosions (Gagiyeva I. c. 1 p. 444). De nombreux témoins dirent également que lorsque les otages avaient commencé à se ruer hors du gymnase par la brèche dans le mur, ils se faisaient tirer dessus depuis le premier étage de l’école, et que bon nombre d’entre eux avaient été blessés. 289. Les otages qui avaient été conduits par les combattants dans la cantine et la salle de réunion relatèrent les violents combats qui y avaient eu lieu. Ils déclarèrent que les combattants cherchaient à contraindre les otages – hommes et femmes – à se positionner aux fenêtres et à faire flotter leurs vêtements, et que certains d’eux avaient été tués par des tirs venant de l’extérieur et par de puissantes explosions (Kusayeva R., c. 1 p. 152 ; Sidakova Z., c. 1 p. 313 ; Urmanov S. c. 1 p. 426 ; Daurova Z., c. 1 p. 483 ; Badoyeva N. c. 2 p. 823 ; Makiyev V. c. 2 p. 826 ; Svetlova T. c. 2 p. 956 ; Katuyeva V. c. 2 p. 971). 290. De nombreux d’entre eux ajoutèrent qu’ils n’étaient pas satisfaits des résultats de l’instruction pénale et qu’ils n’entendaient pas demander réparation à l’accusé puisqu’ils estimaient que les agents de l’État devaient porter la responsabilité des décès et blessures. e. Témoignages des policiers du ROVD de Pravoberezhny 291. M. M. Aydarov, l’ancien directeur du ROVD de Pravoberezhny, fut interrogé à la barre (vol. 3, pp. 1394-4014) alors qu’il était l’objet d’une enquête pour négligence criminelle dans le dossier pénal portant la cote 20/852 (paragraphe 355 ci-dessous). Il expliqua qu’il n’avait été désigné à cette fonction qu’au milieu du mois d’août 2004. Il ajouta que la frontière administrative avec l’Ingouchie faisait 57 km de long et qu’une bonne partie de celle-ci n’était pas gardée. De nombreuses petites routes traversant les champs auraient été fermées et barrées en raison de la menace terroriste aggravée, ce qui n’aurait toutefois pas plu aux habitants locaux, qui très souvent auraient ôté les barrières. En août 2004, des renseignements auraient été recueillis concernant un rassemblement de groupes armés près de Psedakh, en Ingouchie, et un certain nombre de mesures aurait été prises des deux côtés de la frontière administrative, mais elles n’auraient alors produit aucun résultat tangible. 292. M. Aydarov expliqua également que, sur les 53 agents du ROVD qui étaient présents le 1er septembre, plus de 40 étaient des femmes. Il aurait été difficile de maintenir le personnel en alerte pendant longtemps. Vers 9 h 15, dès que des coups de feu avaient pu être entendus en provenance de l’école, il aurait ordonné à son personnel de maintenir la sécurité autour du bâtiment. Deux membres du ROVD auraient assisté à la prise d’otages et échangé des tirs avec les terroristes. 293. M. T. Murtazov, directeur adjoint du ROVD de Pravoberezhny, faisait lui aussi l’objet, à la date de son interrogatoire, d’une enquête pour négligence criminelle. Il livra une déposition détaillée sur l’utilisation des lance-flammes Shmel contre l’école par trois tireurs d’élite postés sur les toits d’un bâtiment technique situé rue Lermontov, un bâtiment d’habitation de cinq étages situé à l’angle de l’avenue Shkolny et de la rue Batagov, et de la maison du concierge (vol. 3, p. 1418). Il déclara ignorer d’où venaient ces tireurs. Entre 14 heures et 16 heures, il aurait vu un char faire feu en direction de l’école et des militaires faire usage de lance-grenades. Il fit remarquer que pas une seule balle n’avait été extraite des corps des otages décédés qui aurait permis d’identifier des agents du ministère de l’Intérieur (v. 3 p. 1424). 294. M. Dryayev, un autre responsable du ROVD, déclara que, aussitôt après les premières explosions le 3 septembre, il avait vu des soldats (de l’armée ou des forces internes) tirer à l’aide d’armes automatiques en direction de l’école en riposte au feu ennemi. Peu après 15 heures, il aurait aperçu un char posté rue du Komintern en train de tirer une dizaine d’obus en direction de l’école à environ 30 m de distance. Ces obus, peut-être non explosifs, auraient endommagé le mur et le toit (vol. 3, p. 1428). 295. Des policiers du ROVD de Pravoberezhny témoignèrent que, au soir du 1er septembre, ils avaient inspecté le quartier maison par maison et recueilli les noms de 900 otages qu’ils auraient communiqués à l’officier de permanence (Khachirov Ch. c. 3 p. 1212 ; Friyev S. c. 3 p. 1217). 296. Les policiers ajoutèrent que deux hommes avaient été agressés par la foule le 2 septembre et incarcérés au ROVD parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir aidé les terroristes. Il s’agissait en réalité de civils d’une ville avoisinante, qui furent l’un et l’autre identifiés et témoignèrent au tribunal au sujet de cet incident. f. Déposition de civils et de policiers qui avaient participé à l’opération de sauvetage 297. Le tribunal interrogea plusieurs civils qui avaient aidé à évacuer les otages du gymnase. M. Dudiyev témoigna qu’il était entré dans le gymnase après les premières explosions, avec les unités des forces spéciales, afin d’y rechercher sa femme et ses trois enfants. Il aurait fait sortir sa femme blessée et le corps de sa fille, tandis que son frère aurait évacué son fils blessé ; son fils aîné aurait également été tué (Dudiyev A. vol. 1, p. 251). D’autres témoins, des civils comme des policiers, déclarèrent à la barre qu’ils étaient entrés plusieurs fois dans le gymnase en flammes pour en faire sortir des femmes et des enfants blessés avant que le toit ne s’effondre (Adayev E., vol. 2, p. 659, Totoonti I., vol. 4, p. 1595). Un policier déclara que l’incendie s’était propagé très rapidement sur le toit de l’école, ajoutant que les pompiers n’étaient pas intervenus (Badoyev R. vol. 3, p. 1295). 298. Certains témoins affirmèrent avoir vu des chars tirer en direction de l’école peu après les explosions (Khosonov Z. vol. 3, p. 1110) et un homme blessé par une explosion alors qu’il faisait sortir un enfant du gymnase (Gasiyev T. vol. 2, p. 676). Un témoin, E. Tetov, déclara qu’il avait servi dans l’armée comme tankiste et connaissait bien les blindés et les munitions utilisées par ceux-ci. Il dit que, le 3 septembre, peu après 13 heures, il avait compté entre 9 et 11 tirs par un char d’obus non explosifs. Selon lui, les premières explosions et l’incendie étaient d’origine extérieure et avaient été déclenchés soit par un lance-flammes soit par une balle traçante (vol. 2 pp. 729730). Un témoin civil déclara qu’il était à l’époque opérateur de lance-grenades dans l’armée et qu’il avait constaté qu’au moins deux coups avaient été tirés à l’aide d’un lance-grenades ou d’un lance-flamme entre la deuxième et la troisième des principales explosions dans le gymnase (Totoonti I., vol. 4, p. 1603). 299. Plusieurs policiers témoignèrent que l’assaut du bâtiment avait débuté subitement, ce qui selon eux expliquait les pertes. Certains d’entre eux n’auraient pas eu le temps de mettre un équipement de protection et se seraient rués vers l’école dès qu’ils avaient entendu la fusillade. Certains soldats qualifièrent de « chaotique » la situation après les premières explosions, lorsque différentes forces tiraient en direction du bâtiment de l’école à l’aide d’armes automatiques et autres (Khosonov Z., vol. 3, p. 1109). Ils ajoutèrent que les terroristes étaient très bien entraînés et préparés, ce qui leur aurait permis d’opposer une résistance aux unités d’élite russes (Akulov O., vol. 1, p. 492). 300. Un agent du ROVD de Pravoberezhny témoigna que, le 3 septembre vers 9 heures, alors qu’il était affecté au cordon de sécurité autour de l’école, il avait vu deux cargaisons entières de lance-grenades portatifs (RPG) et de lance-flammes (RPOA Shmel) livrées par des membres du ministère de l’Intérieur à bord d’un véhicule Gazel de couleur blanche. Selon lui, au moins 20 lance-flammes avaient été déchargés et transportés dans les positions de tir, situées à environ 200 m de l’école. Les tireurs d’élite et les forces du ministère de l’Intérieur se seraient servis de ces lance-flammes après les explosions dans les écoles, en riposte aux coups tirés par les ennemis à l’aide de lance-grenades et de fusils-mitrailleurs (Khachirov Ch. vol. 3, p. 1212). Un autre policier aurait compté dix coups de lance-flammes tirés en direction du toit du gymnase vers 14 heures (R. Bidzheov, vol. 3, p. 1222). D’autres policiers témoignèrent que, entre 15 heures et 17 heures, ils avaient vu un char faire feu en direction de l’école (Friyev S. vol. 3, p. 1218 ; Khadikov A. vol. 3, p. 1224 ; Khayev A. vol. 3, p. 1227 ; Karayev A. vol. 3, p. 1231) et que des coups avaient été tirés à l’aide de lance-grenades (Karayev A. vol. 3, p. 1231 ; Aydarov M. vol. 3, p. 1400). g. Dépositions d’habitants locaux 301. De nombreux habitants locaux avaient été témoins de la prise d’otages et des événements ultérieurs et certains d’eux déposèrent à la barre. Plusieurs passagers de véhicules qui s’étaient retrouvés dans la rue devant l’école le 1er septembre au matin déclarèrent avoir vu un camion GAZ-66 arriver à l’école. Selon certains, trois ou quatre femmes en sortirent. M. K. Torchinov était enseignant à l’école no 1 et auparavant investigateur pour le parquet ; il habitait dans la maison en face de l’école et regardait la cérémonie depuis sa fenêtre, à une distance d’environ 200 m. Il livra un récit détaillé de la prise d’otages. En particulier, il aurait vu combien d’hommes étaient sortis du véhicule GAZ66 et évalué leur nombre à 27. Il aurait vu également deux autres combattants dans la cour de l’école et sept ou huit autres qui seraient venus en courant de la ligne ferroviaire ; il aurait aussi entendu en même temps des coups de feu tirés depuis le toit et le premier étage de l’école. Il estimait donc le nombre total de combattants à au moins 40 ou 45. Il ajouta que, du 1er au 3 septembre, aucun soldat ni aucun policier n’entourait la cour de l’école et qu’il était possible d’y aller depuis sa maison et d’en revenir (vol. 2, pp. 847-859). 302. De nombreux habitants locaux dont les proches avaient été séquestrés à l’école déclarèrent avoir été consternés par l’annonce du nombre d’otages. Ils affirmèrent que l’école accueillait environ 900 élèves – dont les listes pouvaient selon eux être obtenues auprès des services de l’éducation locaux – et que de nombreux parents et proches des élèves avaient également été capturés. Les fonctionnaires des services de l’éducation locaux témoignèrent que, le 1er septembre au matin, le nombre d’élèves (830) avait été communiqué à l’administration en précisant que de nombreux proches avaient peut-être assisté à la cérémonie (Dzukayeva B. vol. 3, p. 1334 ; Burgalova Z. vol. 3, p. 1349). En outre, le 1er septembre, des volontaires et la police auraient dressé des listes comportant plus d’un millier d’otages, de sorte qu’ils ne pouvaient pas expliquer comment les responsables avaient conclu au nombre de 350 (Khosonov Z. vol. 3, p. 1107). 303. De nombreux habitants locaux témoignèrent avoir vu ou entendu un char tirer en direction de l’école après les explosions (Duarov O. vol. 3, p. 1083 ; Pliyev V. vol. 3, p. 1085 ; Dzutsev Yu. c. 3 p. 1121 ; Gagiyev E. vol. 3, p. 1300 ; Malikiyev A. vol. 3, p. 1308 ; Savkuyev T. vol. 3, p. 135 ; Ilyin B. vol. 1, p. 1453). Mme E. Kesayeva serait restée à l’extérieur de l’école, où quatre membres de sa famille auraient été pris en otage. Elle déclara qu’un char posté rue du Komintern avait tiré plusieurs obus entre 13 heures et 16 heures (vol. 1, p. 325). Une habitante aurait vu un char entrer dans une cour située rue du 1er mai et l’aurait entendu tirer en direction de l’école avant 15 heures le 3 septembre. Elle se serait trouvée à une cinquantaine de mètres du char (Khabayeva A. vol. 3, p. 1289). Tous ces témoins précisèrent que les coups tirés par les chars étaient particulièrement bruyants et clairement identifiables malgré le bruit impressionnant des violents combats. 304. Plusieurs habitants évoquèrent l’action des pompiers. Ils affirmèrent en particulier que ces derniers avaient perdu du temps avant d’intervenir dans le gymnase et qu’une fois les autopompes arrivées, celles-ci n’étaient guère utiles puisque les quantités d’eau dans les citernes s’étaient rapidement épuisées. Ils ajoutèrent que la pression des lances à incendie était faible et que les pompiers n’avaient pas pu parvenir au gymnase, là où les machines auraient pu être installées. Certains témoins déplorèrent le manque de préparation des pompiers, qui n’auraient pas su au préalable où trouver de l’eau localement à proximité de l’école, au lieu d’en apporter dans des citernes (Tetov E. vol. 2, p. 729 ; Katsanov M. vol. 2, p. 802). D’autres témoins dirent avoir vu une autopompe coincée dans la cour et cherchant à trouver de l’eau pour la citerne (Pliyev V. vol. 3, p. 1086). h. Déclarations des membres des forces internes, de l’armée et du FSB 305. Le colonel Bocharov, commandant de brigade des forces internes déployées à Beslan du 1er au 4 septembre, témoigna en novembre 2005 que des forces sous son commandement avaient assuré un cordon de sécurité. Leur mission aurait consisté à empêcher les terroristes de faire une percée. Quatre VBTT de sa brigade auraient été transférés aux forces du FSB le 2 septembre (v. 3 p. 1209). 306. Des membres de la 58e armée témoignèrent qu’ils avaient eu pour mission d’assurer le « troisième cordon » de sécurité autour de l’école. L’un d’eux expliqua que le général Sobolev, commandant de la 58e armée, lui avait enjoint de suivre les ordres des membres du FSB. Chaque véhicule de l’armée déployé à Beslan aurait reçu le renfort d’un membre du FSB qui donnait les ordres et coordonnait les actions des équipages (Isakov A. vol. 3, p. 1260 ; Zhogin V. vol. 3, p. 1265). Les officiers nièrent avoir vu ou entendu des lance-grenades, des lance-flammes ou des chars utilisés avant le 3 septembre, tard dans la soirée. Le commandant de l’unité de chars déclara que, entre 20 h 56 et 21 h 30, un char avait tiré sept obus à forte fragmentation en direction de l’école (bien que le septième n’eût pas explosé selon lui), sur ordre de l’officier commandant du FSB. Les chars n’auraient tiré aucun obus antérieurement ou postérieurement (Kindeyev V. vol. 3, p. 1277). 307. L’un des membres de ces forces, un sapeur, témoigna qu’il était entré dans le gymnase le 3 septembre vers 14 h 40 et qu’il avait désactivé un EEA qui était attaché un panneau de basket-ball. Il dit que la plupart des EEA n’avaient pas explosé et avaient été désactivés le lendemain. Il déclara qu’il était entré dans le gymnase avec un groupe de sept agents et vingt civils qui auraient évacué les otages pendant environ une heure. Au début, aucun coup de feu n’y aurait été tiré mais le bâtiment aurait été attaqué depuis sa partie nord. Peu après, il aurait constaté un début d’incendie sur le toit au-dessus de l’entrée du gymnase du côté de la salle d’haltérophilie (Gagloyev A. vol. 4, pp. 1715 et 1733). 308. M. Z., un négociateur professionnel du FSB d’Ossétie du Nord, aurait été appelé à Beslan le 1er septembre à 9 h 30. Il se serait entretenu avec le général Andreyev, l’informant de l’état des négociations et recevant ses instructions. Il aurait été installé dans une salle séparée, avec un psychologue, et serait resté en contact téléphonique avec les terroristes toutes les 30 ou 35 minutes. Ses tentatives de prise de contact psychologique avec son interlocuteur (qui disait s’appeler « Shahid ») auraient été vaines et il n’aurait obtenu aucune concession en vue d’améliorer la situation des otages. Le ton des conversations aurait été brutal : les malfaiteurs l’auraient insulté, lui et le Dr Roshal. Les terroristes auraient répété qu’ils ne parleraient qu’aux quatre hommes désignés par eux et ils n’auraient présenté aucune autre revendication. Ils n’auraient pas précisé le nombre d’otages qu’ils détenaient, se contentant de dire qu’il y en avait « suffisamment ». Ils auraient dit avoir abattu une vingtaine de personnes le premier jour et ajouté que les autorités avaient trois jours pour faire venir tous les quatre hommes. Lorsque la question leur aurait été posée, ils auraient refusé que M. Dzasokhov vienne seul. La première conversation téléphonique aurait eu lieu le 1er septembre à 16 heures et la dernière le 3 septembre 13 heures, immédiatement après la première explosion. Le témoin se serait souvenu avoir dit « qu’est-ce que vous avez fait ?! » et avoir entendu « Shahid » répondre « nous avons fait notre devoir ». En réponse à des questions posées par les victimes, M. Z. admit que les négociations faisant intervenir MM. Aushev et Gutseriyev s’étaient déroulées sans lui et qu’il n’en avait été informé que postérieurement (vol. 4, pp. 1819-1843). 309. Le directeur du FSB à Beslan de l’époque déclara à la barre en janvier 2006 qu’il n’avait pas été informé des renseignements et des télex adressés par le ministère de l’Intérieur en août 2004 faisant état d’une menace terroriste accrue pendant la Journée de la connaissance. Le FSB n’aurait pas été associé à la protection de la frontière administrative mais ses services auraient collaboré avec le ministère de l’Intérieur pour examiner la zone frontalière (Gaydenko O. c. 4 pp. 1847-1854). Il n’aurait eu aucune information sur la fuite éventuelle de terroristes après l’assaut. 310. L’ancien directeur du FSB en Ingouchie, le général Koryakov, confirma qu’il y avait suffisamment de renseignements précis sur les activités des groupes terroristes en Ingouchie en été 2004 car un certain nombre d’opérations spéciales avaient été conduites avec succès, mais ajouta qu’il n’y avait aucun renseignement sur le groupe armé qui avait été rassemblé près du district de Malgobek. Il témoigna qu’il était arrivé à Beslan le 1er septembre au matin et qu’il y était resté trois jours, travaillant en étroite collaboration avec le général Andreyev. Il déclara qu’il n’était pas certain d’avoir été membre du CC, mais qu’il connaissait parfaitement le travail de celui-ci. Le 1er septembre au matin, il aurait téléphoné au président ingouche, M. Zyazikov, et l’aurait informé de l’attentat terroriste. À ce moment-là, aucune revendication tendant à faire intervenir M. Zyazikov dans les négociations n’aurait été formulée. Le général Koryakov n’aurait pas été en mesure de contacter M. Zyazikov ultérieurement parce que le téléphone portable de celui-ci était éteint. Le témoin et ses collègues auraient interrogé les otages qui s’étaient enfuis afin d’identifier les terroristes originaires d’Ingouchie et d’associer les proches de ces derniers aux négociations. Ainsi, ils auraient fait venir l’épouse et les enfants d’un terroriste présumé mais l’appel lancé par celle-ci n’aurait eu aucun effet. Le témoin aurait tout ignoré de la note remise à M. Aushev (v. 4 pp. 1841-1890). 311. La plupart des membres de l’armée et des forces internes ne comparurent pas et il fut donné lecture de leurs dépositions qui avaient été recueillies lors de l’instruction du dossier pénal no 20/849 (paragraphe 207 ci-dessus). (i) Dépositions des membres du CC et d’autres hauts fonctionnaires (i) Le lieutenant-colonel Tsyban 312. Le 15 novembre 2005, le tribunal interrogea le lieutenant-colonel Tsyban (v. 3 pp. 1192-1203), qui à l’époque des faits était à la tête du Groupe de gestion des opérations du ministère nord-ossète de l’Intérieur (начальник группы оперативного управления по РСО при МВД РФ). Créé le 11 août 2004 par un arrêté du ministère de l’Intérieur, ce groupe avait pour mission de prévenir les actes terroristes, de planifier et de conduire des opérations spéciales, et de contrôler et administrer les ressources affectées aux activités de lutte contre le terrorisme. Interrogé sur les réunions, les fonctions et l’action du groupe avant le 1er septembre 2004, le témoin déclara ne se souvenir d’aucun détail. 313. Le lieutenant-colonel Tsyban dit qu’il avait été avisé de la prise d’otages le 1er septembre à 9 h 30 et qu’il s’était rendu à Beslan. À la fin de la matinée, il aurait mis en place le périmètre de sécurité autour de l’école. Le 1er septembre, à midi, il aurait rendu compte au commandant adjoint des forces internes du ministère de l’Intérieur, le général Vnukov. Il déclara que, bien que membre du CC, sa participation s’était limitée à la mise en place d’un deuxième périmètre de sécurité. Il n’aurait pas été informé du nombre d’otages, de la nature des revendications des terroristes ni des tentatives de négociation. Il n’aurait participé à aucune réunion ou discussion au sein du CC. Quant à l’opération de sauvetage, il affirma que les forces internes n’avaient pas fait usage d’armes, ne s’étaient pas approchées de l’école et n’avaient pas pris part à cette opération. Il ajouta que, le 3 septembre, il ne se trouvait pas à l’école. Il refusa de répondre à la question de savoir si les terroristes avaient pu franchir le périmètre de sécurité. (ii) Le général Sobolev 314. Le général Sobolev, commandant de la 58e armée du ministère de la Défense, fut interrogé en novembre 2005 (vol. 3, pp. 1316-1330). Au sein du CC, il était le plus haut représentant du ministère de la Défense. Il relata la principale stratégie de négociation du CC avec les preneurs d’otages et ajouta que les tentatives étaient futiles car les terroristes n’étaient selon lui disposés à parler que si les quatre personnes désignées par eux arrivaient. Il dit que le Dr Roshal avait cherché à joindre les terroristes mais que ceux-ci avaient refusé de lui parler ; que le CC avait empêché M. Dzasokhov de se rendre à l’école, et qu’aucun contact n’avait été établi avec M. Zyazikov. Il estima que le risque pour la vie des quatre hommes était trop élevé en l’absence de bonne volonté de la part des terroristes. Selon lui, aucune négociation n’était possible au vu des circonstances et l’assaut de l’école aurait dû être lancé immédiatement, avant l’installation des EEA. Le général Sobolev affirma que les terroristes étaient soutenus et financés par des services étrangers, notamment la CIA (Central Intelligence Agency des États-Unis d’Amérique). Sa tâche aurait surtout consisté à assurer le périmètre de sécurité autour de l’école et à fournir l’équipement nécessaire. Il n’aurait pas été au fait du nombre d’otages, des stratégies de négociation ni du reste du plan établi par le CC. 315. Il exposa les forces et le matériel que l’armée aurait apportés : huit VBTT et trois chars auraient été transférés sous le commandement du FSB afin qu’ils servent de couverture en cas d’assaut. Un groupe de sapeurs aurait déminé le gymnase le 3 septembre dans l’après-midi ; il aurait trouvé quatre mines et dix EEA de plus petite taille reliés par une « double chaîne » qui permettait de les activer tous d’un coup ou l’un après l’autre. Trois EEA auraient explosé avant le déminage : pour l’un d’eux, seul le détonateur aurait été mis en marche, pas la charge principale. 316. Quant à l’assaut, le général Sobolev affirma qu’il avait débuté inopinément. Des membres de l’unité Alpha du FSB se seraient entraînés à Vladikavkaz et auraient été ramenés d’urgence ; bon nombre d’entre eux n’aurait pas eu le temps de se préparer. C’est ce qui aurait expliqué les pertes extrêmement élevées : un tiers des soldats d’élites qui avaient pris d’assaut le bâtiment aurait été blessés ou tués. Le char aurait tiré sept obus après 21 heures. Le témoin estimait que l’armée s’était acquittée avec succès de sa mission. (iii) M. Dzantiyev 317. M. Dzantiyev déclara en novembre 2005 que, à l’époque des faits, il était le ministre nord-ossète de l’Intérieur. Il serait arrivé à Beslan le 1er septembre vers 10 heures et se serait retrouvé sous les ordres de M. Dzasokhov. Le 1er septembre, à 15 heures, le général Andreyev, directeur du FSB pour l’Ossétie du Nord, aurait pris la tête de l’opération. M. Dzantiyev aurait eu pour tâche d’assurer la sécurité autour de l’école et d’évacuer les civils du périmètre. Les victimes ayant évoqué le décret du 2 septembre 2004 par lequel le premier ministre russe aurait désigné M. Dzantiyev directeur adjoint du CC, ce dernier affirma qu’il n’en avait pas été informé, qu’il n’avait pas exercé de telles responsabilités et qu’il avait été exclu des réunions du CC. Il aurait reçu ses ordres du ministre de l’Intérieur russe et de son adjoint, M. Pankov, lequel se serait rendu à Beslan, et à deux reprises le directeur adjoint du FSB, M. Anisimov, lui aurait demandé de vérifier la situation dans deux villages. À partir des listes établies par la police locale, il aurait su dès le soir du 1er septembre que le nombre d’otages s’élevait à environ 700. Il dit ignorer d’où était tiré le nombre de 354. Il déclara ne rien savoir de l’usage d’armes lourdes au cours de l’assaut mais qu’il savait que, par la suite, un certain nombre de tubes vides de lance-flammes Shmel avaient été retrouvés sur des toits dans les environs (vol. 3, pp. 13711394). (iv) M. Dzugayev 318. En novembre 2005, le tribunal interrogea M. Dzugayev (v. 3 pp. 14301445). À l’époque des faits, M. Dzugayev était le directeur du département d’information et d’analyse de l’administration du président nord-ossète. Il témoigna qu’il était arrivé à Beslan le 1er septembre 2004, vers 10 heures. Il aurait reçu pour instruction de M. Dzasokhov et du général Andreyev de servir de liaison avec la presse, mais il n’aurait pas été au fait des travaux, de la composition et de la stratégie du CC. Interrogé plusieurs fois sur le nombre de 354 otages qu’il avait constamment annoncé à la presse entre le 1er et le 3 septembre, il déclara que ce nombre lui avait été communiqué par le général Andreyev, lequel aurait évoqué l’absence de toute liste exacte. Il aurait toujours précisé que cette information avait un caractère préliminaire. (v) Le général Andreyev 319. Le général Andreyev, qui à l’époque des faits était le directeur du FSB d’Ossétie du Nord et le chef du CC, fut interrogé à la barre en décembre 2005 (vol. 3-4, pp. 1487-1523). Il livra un récit détaillé de son action et des travaux du CC pendant la crise. Il déclara que personne n’avait formellement pris la tête de l’opération avant le 2 septembre à 14 heures mais que, informellement, tous les responsables – membres du groupe de gestion des opérations – s’étaient acquittés de leurs tâches sous sa conduite et sous celle de M. Dzasokhov. Il dit que, à compter du 2 septembre, le CC comportait sept membres : lui-même à la tête du CC, le lieutenant-colonel Tsyban comme chef adjoint, M. Sobolev, M. Dzgoyev, M. Goncharov, Mme Levitskaya – la ministre nord-ossète de l’éducation –, et M. Vasilyev, de la société de télévision publique. 320. Le général Andreyev déclara que M. Pronichev, directeur adjoint du FSB, avait aidé le CC en sa qualité personnelle mais sans assumer la moindre fonction formelle. Il cita la loi de lutte contre le terrorisme, qui aurait prévu la marche à suivre en cas de revendications politiques formulées dans une prise d’otages et aurait exclu de toute négociation les questions politiques. Il pensait que le principal but des terroristes était de rallumer le conflit ethnique entre Ossètes et Ingouches, ce qui selon lui constituait une réelle menace. Dès les premières heures de la crise, les travaux auraient été conduits en étroite collaboration avec le chef du FSB en Ingouchie. 321. Le général Andreyev livra des détails sur les vaines démarches que les autorités avaient entreprises pour négocier avec les terroristes : leur téléphone portable aurait été initialement coupé et le téléphone de l’école déconnecté. Les terroristes auraient souvent mis fin aux contacts en précisant qu’ils rappelleraient. Ils se seraient comportés de manière agressive et hostile et auraient refusé toute proposition sauf si les quatre hommes désignés par eux se rendaient à Beslan. Le général Andreyev insista sur le fait que M. Zyazikov, le président ingouche, n’avait pas pu être joint, tandis que les trois autres hommes auraient été en contact avec le CC (M. Aslakhanov se serait entretenu avec les terroristes par la voie téléphonique et serait arrivé à Beslan le 3 septembre dans l’après-midi). Le CC aurait invité deux hommes influents d’origine ingouche, MM. Aushev et Gutseriyev, à participer aux négociations. Les terroristes se seraient montrés inflexibles et auraient refusé d’examiner toute proposition tendant à aider les otages ou les possibilités d’une sortie moyennant rançon. Aucune revendication écrite n’aurait été émise et plusieurs revendications politiques auraient été présentées verbalement à M. Aushev. Interrogé sur le nombre d’otages, le général Andreyev insista sur le fait qu’il n’y avait pas de liste exacte autre que celle des 354 noms et que le CC ne voulait pas diffuser d’informations non fiables. Répondant à des questions posées par les victimes, il rappela qu’au cours des négociations les terroristes n’avaient pas évoqué le nombre d’otages et que, à son avis, ils n’étaient pas particulièrement intéressés par le nombre annoncé. Il témoigna que, le soir du 2 septembre, M. Gutseriyev avait discuté avec M. Zakayev à Londres et que ce dernier avait promis d’établir un contact avec M. Maskhadov. Cependant, aucune ligne directe de communication avec ce dernier n’aurait été mise en place. 322. Le général Andreyev affirma que le CC avait eu pour stratégie de négocier et qu’aucun plan consistant à régler la situation par la force n’avait été envisagé. Il expliqua que l’intervention des forces spéciales n’était prévue qu’en cas de massacre d’otages. 323. S’agissant des forces spéciales du FSB, le général Andreyev précisa que le Centre des services spéciaux du FSB, sous le commandement du général Tikhonov, avait installé son propre centre de commandement temporaire au troisième étage du bâtiment de l’administration de Beslan, dans les bureaux du département local du FSB. Les questions se rapportant à l’usage des armes spéciales telles que les lance-flammes auraient relevé de la compétence de ce centre. Le général Andreyev dit avoir donné l’ordre de lancer l’opération visant à libérer les otages et à neutraliser les terroristes dès que ceux-ci avaient commencé à tirer sur les otages en fuite. Il admit qu’au début de l’opération, d’autres forces avaient tiré et que celles du FSB avaient été exposées à des tirs fratricides. Il insista sur ce que les chars et les lance-flammes n’avaient été utilisés que le 3 septembre après 21 heures, lorsqu’il ne restait plus aucun otage encore vivant dans l’école. Il dit que deux terroristes avaient été capturés vivants mais que l’un d’eux avait été lynché par les habitants locaux. 324. Au cours de l’interrogatoire, les victimes accusèrent ouvertement le général Andreyev d’avoir été incompétent, d’avoir dissimulé la vérité et d’être responsable des pertes. Le président de la formation de jugement les réprimanda. (vi) M. Dzgoyev 325. Le tribunal auditionna le ministre nord-ossète des Situations d’urgence, M. Dzgoyev (v. 4 pp. 1523-1544). Ce dernier déclara qu’il avait été informé le soir du 2 septembre qu’il était membre du CC mais que, antérieurement et postérieurement, il avait travaillé de manière semi-autonome. Il avait estimé le nombre d’otages à environ 800 et, le 2 septembre, M. Aushev l’aurait personnellement avisé qu’il y en avait plus d’un millier. Ce renseignement aurait été suffisant pour préparer l’opération de sauvetage. 326. M. Dzgoyev répondit à de nombreuses questions relatives à l’extinction de l’incendie dans le gymnase. Il déclara que son service avait été prévenu le 3 septembre à 13 h 05 d’un incendie dans l’école (mais pas dans le gymnase). Le message selon lequel le toit du gymnase commençait à s’effondrer aurait été relevé à 14 h 40. À 15 h 10, le général Tikhonov, le commandant du Centre des services spéciaux, aurait autorisé les pompiers à se déplacer et, à 15 h 20, ces derniers seraient arrivés sur les lieux. M. Dzgoyev aurait été prévenu qu’à ce moment-là il n’y avait plus aucun otage encore vivant dans le gymnase et ce renseignement aurait été ultérieurement confirmé par les expertises scientifiques. Cinq brigades de pompiers seraient intervenues. À 16 heures, l’incendie aurait été maîtrisé. Par la suite, le FSB aurait ordonné aux pompiers de quitter le gymnase. Ces derniers y seraient revenus avant de repartir à 18 heures. 327. M. Dzgoyev ajouta qu’un proche de l’un des otages avait fait venir une autre autopompe d’une usine avoisinante, que de nombreux témoins l’auraient aperçue mais qu’il ne s’agissait pas d’un véhicule d’Emercom. Il affirma énergiquement que les véhicules et citernes avaient été intégralement préparées, que les lances avaient été alimentées à l’aide des bouches d’incendie les plus proches et que les pompiers avaient été suffisamment équipés. 328. Le 4 septembre à 7 heures, des équipes d’Emercom auraient entamé l’opération de nettoyage. Elles auraient travaillé en parallèle avec le personnel du FSB, les sapeurs de l’armée et le parquet. Elles auraient recueilli les dépouilles de 323 otages, dont 112 auraient été retrouvées dans le gymnase et les locaux adjacents, ainsi que les corps de 31 terroristes. Pendant la journée, le personnel d’Emercom aurait ôté les débris à l’aide de grues, de bulldozers et de pelleteuses ; les débris auraient d’abord été déplacés manuellement afin de recueillir les dépouilles humaines et d’autres objets importants. Ce serait seulement après ce tri que les gravats auraient été chargés dans des camions fournis par l’administration locale. M. Dzgoyev aurait personnellement inspecté l’aile détruite de l’école, où deux étages se seraient effondrés jusque dans la cave. Il aurait aperçu les corps des terroristes mais pas les dépouilles des otages. Emercom aurait terminé le travail de nettoyage le 4 septembre à 19 heures, à la suite de quoi le bâtiment aurait été remis entre les mains de l’administration locale. (vii) M. Dzasokhov 329. M. Dzasokhov, l’ancien président nord-ossète, fut interrogé le 27 décembre 2005 (v. 4 pp. 15621690). Il déclara que, le 1er septembre vers midi, le général Andreyev avait reçu pour instruction verbale du FSB, avec visa du gouvernement russe, de prendre la tête du CC. M. Dzasokhov précisa qu’il n’en était pas membre, ce en quoi il disait voir une erreur. Il aurait cependant fait tout ce qui selon lui était juste et conforme à ses attributions. Il aurait été disposé à partir négocier avec les terroristes mais on lui aurait dit que, s’il le faisait, il serait placé en état d’arrestation. Il ne se serait pas entretenu au téléphone avec les terroristes puisqu’un négociateur professionnel s’en serait chargé. Il aurait participé à une réunion avec les proches des otages dans le centre culturel les 1er et 2 septembre. Il aurait également eu plusieurs entretiens avec le général Tikhonov, le commandant du Centre des services spéciaux du FSB, qui lui aurait fait part de ses préoccupations concernant l’usage de la force. 330. M. Dzasokhov estimait que de trop nombreux renseignements de faible qualité sur l’opération avaient été diffusés avant l’attentat terroriste, de sorte qu’il aurait été plus difficile d’y réagir. En particulier, il n’y aurait pas eu assez d’éléments clairs concernant les projets des terroristes en été 2004, alors que l’aggravation de la menace pour la sécurité aurait été évidente. 331. S’agissant des négociations, M. Dzasokhov témoigna qu’il avait vu la note écrite que M. Basayev aurait signée et que M. Aushev aurait obtenue à l’école. Il expliqua en outre que, le 2 septembre, il s’était entretenu avec M. Zakayev à Londres. Le 3 septembre à midi, ce dernier aurait confirmé que la demande d’association aux négociations avait été transmise à M. Maskhadov. M. Dzasokhov en aurait avisé le CC. (viii)Autres autorités 332. M. Ogoyev, un ancien membre de la Commission nord-ossète de lutte contre le terrorisme et secrétaire du conseil de sécurité de cet organe, témoigna que le CC qui avait été mis en place le 2 septembre avait exclu de ses réunions toutes les personnes qui n’en étaient pas membres. Il n’aurait pas eu accès au CC et MM. Dzasokhov et Mamsurov n’auraient été invités à ses réunions qu’à deux reprises (Ogoyev U. vol. 3, p. 1362). Il déclara ne pas se souvenir des travaux de cette commission qui aurait été créée le 23 août 2004. 333. Mme Levitskaya était ministre nord-ossète de l’éducation à l’époque des faits. Elle témoigna qu’elle s’était rendue à Beslan les 1er, 2 et 3 septembre. Elle aurait travaillé dans le bâtiment de l’administration municipale et aurait eu un certain nombre de discussions avec M. Dzasokhov et plusieurs autres responsables ossètes. Elle n’aurait participé à aucune séance ou réunion du CC. Elle n’aurait appris que le 10 septembre 2004, au cours d’une séance du parlement nord-ossète, qu’elle avait été membre du CC (vol. 4, p. 1696). Elle aurait été informée le 1er septembre par les services locaux de l’éducation du nombre d’élèves dans l’école et on lui aurait dit aussi que ce renseignement avait déjà été communiqué aux autorités du district. 334. Le ministre adjoint nord-ossète de l’Intérieur admit que les ressources étaient insuffisantes pour contrôler les points de passage de la frontière avec l’Ingouchie. Il aurait également été prévenu des mesures de blocage des petites routes dans le district Pravoberezhny et des problèmes qui auraient été rencontrés en août 2004 : manque de personnel, sabotage par les locaux et absence de fonds pour financer les ouvrages (Popov V., vol. 4, p. 1807). j. L’interrogatoire des médecins 335. Le directeur du centre Zashchita, M. Goncharov (vol. 3, pp. 11661178) témoigna que, le 2 septembre, il avait été prévenu de la prise en otage de 300 personnes et qu’une assistance médicale avait été planifiée en conséquence. Ce serait seulement après sa rencontre avec M. Aushev, le 2 septembre, qu’il se serait rendu compte que le nombre d’otages était en réalité bien plus élevé. Ce soir-là, il aurait mis en place des équipes d’urgences pédiatriques, fait venir des ambulances de la région, assuré une formation et préparé l’arrivée des patients. Les services se seraient surtout attendus à des victimes de blessures : la probabilité d’empoisonnement au gaz aurait été jugée faible. M. Goncharov témoigna que, bien qu’il fût membre du CC en sa qualité de représentant du ministère de la Santé publique, il n’avait pris part à aucune de ses réunions et discussions. Il n’aurait reçu aucune information du CC car, à ses yeux, le nombre d’otages était le seul élément pertinent, et M. Aushev l’en aurait avisé personnellement. Il jugea suffisantes sa propre expérience et les ressources disponibles. Disant bien connaître l’administration de soins d’urgence pour un grand nombre de victimes, il aurait travaillé relativement indépendamment du reste du CC. De plus, son expérience antérieure aurait montré que les « structures de sécurité » n’auraient pas communiqué leur plan aux médecins puisqu’il aurait été nécessaire de préserver le secret. 336. S’agissant de l’organisation des soins médicaux, M. Goncharov indiqua que, le 3 septembre au matin, il y avait environ 500 personnes de garde à Beslan, dont 183 médecins, plus de 70 ambulances, un hôpital pédiatrique de campagne et plusieurs unités de soins intensifs. Des « brancardiers » munis de civières auraient été regroupés à environ 700 m de l’école, avec des ambulances et des véhicules médicaux placés à plusieurs endroits autour du bâtiment. L’idée aurait été de conduire les blessés à l’hôpital de Beslan, où ils seraient triés : les opérations d’urgence et les mesures de sauvetage seraient conduites dans l’hôpital pédiatrique de campagne et à l’hôpital de Beslan pour les adultes, tandis que les personnes transportables seraient emmenées à Vladikavkaz (à une vingtaine de kilomètres). 337. Le 3 septembre à 13 heures, aussitôt après les explosions, le CC aurait appelé M. Goncharov afin qu’il fasse venir l’équipe médicale de sauvetage. Le 1er septembre, pendant quatre heures, le centre de tri à l’hôpital de Beslan aurait traité 546 patients et pratiqué 76 interventions d’urgence. Cinq personnes agonisantes auraient été hospitalisées et seraient mortes quelques heures plus tard, et 14 patients seraient décédés dans les 24 heures. Au total, 199 adultes auraient été conduits dans d’autres établissements après des soins d’urgence ; 55 enfants se seraient trouvés dans un état critique, ce qui aurait nécessité qu’on les soigne sur les lieux, tandis que sept enfants auraient été opérés d’urgence. La nuit du 3 septembre, six enfants qui se seraient trouvés dans un état critique auraient été transportés à Moscou à bord d’un aéronef spécialement équipé. Il aurait été difficile de maintenir le niveau de sécurité nécessaire autour de l’école, et plus tard autour de l’hôpital, de manière à empêcher les proches de gêner les services. 338. M. Soplevenko, qui était à l’époque le ministre nord-ossète de la Santé publique, fut auditionné par le tribunal le 15 novembre 2005 (vol. 3, pp. 1179-1191). Il témoigna que, entre le 1er et le 3 septembre, il avait reçu de M. Dzasokhov non pas des instructions particulières mais plutôt des indications générales selon lesquelles des « soins médicaux adéquats » devaient être dispensés. Il n’aurait pas été membre du CC ni d’aucun autre organe pendant la crise. Il aurait appris des mères d’enfants en bas âge qui étaient sorties avec M. Aushev le 2 septembre que plus d’un millier de personnes étaient séquestrées dans l’école. En coopération avec M. Goncharov, il aurait alerté les hôpitaux de Vladikavkaz qu’il fallait admettre des patients : des lits auraient été libérés dans cinq hôpitaux, des équipes de chirurgies et de soins intensifs auraient été affectées et des matériaux de bandage auraient été réservés. 339. Le Dr Roshal, directeur de l’Institut moscovite de chirurgie pédiatrique d’urgence, fut interrogé en février 2006. Il déclara qu’il avait été informé de la prise d’otages le 1er septembre par des journalistes et qu’il s’était aussitôt rendu à Beslan. Il aurait été emmené dans le bâtiment de l’administration municipale, où le CC et d’autres responsables s’étaient installés. Il aurait été conduit dans une salle avec M. Z. où celui-ci lui aurait communiqué de brèves instructions. À plusieurs reprises, il aurait téléphoné aux terroristes et à chaque fois ceux-ci auraient réagi avec hostilité et auraient refusé de discuter de quoi que ce soit tant que les quatre hommes sollicités par eux ne seraient pas présents. Ses démarches tendant à les convaincre d’accepter de l’eau, de la nourriture et des médicaments ou de lui permettre d’examiner et de soigner les personnes blessées ou malades auraient été fermement rejetées ; de plus, les terroristes auraient dit que les otages entameraient une « grève de la faim et de la soif » pour appuyer leurs revendications. Le 2 septembre vers 11 heures, les terroristes auraient appelé le Dr Roshal et l’auraient laissé parler avec le directeur de l’école, qui lui aurait imploré d’intervenir car la situation était effroyable selon ce dernier. Le 2 septembre, le Dr Roshal aurait personnellement téléphoné à M. Zakayev à Londres et aurait laissé M. Dzasokhov lui parler (v. 4 pp. 1900-1925). k. Éléments d’information relatifs aux rapports d’expertise scientifique 340. En décembre 2005, à la demande des victimes, le tribunal auditionna M. Korniyenko, un expert chevronné du laboratoire de médecine légale de Rostov-sur-le-Don qui, le 13 septembre 2004, avait été désigné chef de l’équipe chargée d’identifier les dépouilles à partir d’empreintes génétiques. L’expert expliqua que leur laboratoire était le mieux équipé et que l’analyse génétique prendrait entre trois jours et cinq semaines, selon la qualité des matériaux examinés. Tous les travaux concernant l’affaire de Beslan auraient été accomplis en un mois et demi. Les résultats obtenus par combinaisons génétiques auraient été définitifs et non susceptibles de contestations fondées sur une éventuelle méprise. M. Korniyenko reconnut que de nombreux proches des victimes refusaient de croire que celles-ci avaient trépassé et que parfois ils avaient fait faire une seconde série de tests avec les empreintes génétiques de leurs proches, surtout par respect. Il fit état de difficultés à identifier les dépouilles qui avaient été « réduites en cendres » et certains morceaux de corps, un processus qui aurait duré jusqu’en été 2005. Le même groupe d’experts aurait été chargé des dépouilles des terroristes : vingt-trois d’entre eux auraient été identifiés, tandis que huit seraient restés non identifiés (v. 3, p. 1469). 341. Le tribunal examina des centaines de rapports d’expertise relatifs aux victimes : il étudia en particulier les corps, les résultats de l’identification des dépouilles grâce aux empreintes génétiques, les conclusions des experts sur les dommages pour la santé des otages survivants, ainsi que d’autres documents. Plus de 110 rapports d’expertise concluaient que la cause du décès ne pouvait être établie puisque de nombreuses dépouilles étaient extrêmement carbonisées et brûlées et ne présentaient pas d’autres blessures. D’autres rapports firent état de graves brûlures, de blessures par balles, d’amputations traumatiques des extrémités et de lésions à la tête et au corps comme causes des décès. Pour les otages survivants, il se serait agi de blessures causées par des tirs et des explosions, de brûlures et de traumatismes psychologiques. l. Demandes et requêtes supplémentaires introduites par les victimes 342. Au cours de la procédure, les victimes formulèrent plusieurs centaines de demandes. Les tribunaux de district de Vladikavkaz furent saisis de certaines d’entre elles, alors que l’instruction était en cours, tandis que d’autres furent directement présentées à la Cour suprême d’Ossétie du Nord. Certaines d’entre elles ont été évoquées devant la Cour, tandis que d’autres sont mentionnées dans l’exposé des faits ou dans les procès-verbaux d’audience. 343. Le 29 septembre 2005, les victimes demandèrent la révocation de M. Shepel, le procureur général adjoint, de ses fonctions de chef de l’équipe d’investigateurs. Elles soutenaient que l’instruction était lacunaire et ne tenait pas compte de tous les éléments pertinents relatifs à l’infraction en cause. Elles ajoutaient que copie de nombreux rapports d’expertise ne leur avait pas été communiquée, que le parquet avait négligé bon nombre de faits et déclarations qui s’écartaient des éléments « sélectionnés » à la base de l’acte d’accusation de M. Kulayev, et que la lumière n’avait pas été faite sur le rôle de différentes autorités dans le décès des otages. Cette demande fut rejetée. 344. En janvier 2006, les victimes demandèrent la révocation du procureur et du juge qui étaient chargés du dossier parce qu’ils estimaient que l’instruction était lacunaire et que le juge avait plusieurs fois rejeté leurs demandes. Elles s’interrogeaient aussi sur la logique consistant à scinder l’instruction concernant l’attentat terroriste et ses conséquences en plusieurs instances pénales. Ces demandes furent rejetées elles aussi (vol. 4, p. 1801). 345. En novembre et décembre 2005 et en janvier 2006, les victimes demandèrent à la juridiction de jugement l’autorisation de convoquer et d’interroger des témoins supplémentaires : des membres du CC, de hauts fonctionnaires civils et des membres du FSB qui étaient présents à Beslan au cours de l’opération, les membres de la commission d’enquête du parlement nord-ossète concernant Beslan, et les personnes qui avaient négocié avec les terroristes, notamment M. Gutseriyev, le Dr Roshal, M. Z. et M. Aslakhanov. Le tribunal accepta d’interroger plusieurs fonctionnaires ossètes qui avaient été membres du CC mais refusa d’auditionner d’autres responsables, les négociateurs et les membres du parlement nord-ossète. Il refusa également de verser au dossier les résultats de l’enquête de la commission parlementaire nord-ossète (v. 3 pp. 1311-1312, c. 4 pp. 1570, 1589, 1651, 1778-783, 1796, 1929). En janvier 2006, il fit droit à la demande des victimes tendant à auditionner M. Z., le Dr Roshal ainsi que certains hauts responsables du FSB. 346. En février 2006, les victimes demandèrent une nouvelle fois la révocation du procureur chargé du dossier. S’appuyant sur la Convention européenne des droits de l’homme, elles soutenaient que l’enquête était ineffective et incomplète pour ce qui est de faire la lumière sur les éléments les plus importants du crime. Elles sollicitaient la désignation d’experts indépendants afin d’élucider des questions essentielles sur la préparation de l’attentat terroriste, la composition et les attributions du CC, les causes des premières explosions, l’usage de lance-flammes, de lance-roquettes et de canons de chars, et l’arrivée tardive des pompiers. Cette demande fut rejetée (v. 4 p. 1936). 347. En juillet 2006, les victimes demandèrent à prendre connaissance de l’ensemble des pièces du dossier pénal et à pouvoir en faire la copie. Des demandes similaires furent introduites en mars et juillet 2007, apparemment en vain. m. Le jugement du 16 mai 2006 348. Dans le réquisitoire qu’il présenta en février 2006, le procureur demanda au tribunal d’appliquer la peine de mort à l’accusé. Les victimes plaidèrent que l’enquête et le procès n’avaient pas permis d’élucider de nombreux éléments de fait essentiels et que les autorités responsables devaient être poursuivies pour leurs actions à l’origine de la tragédie. 349. Le 16 mai 2006, la Cour suprême d’Ossétie du Nord jugea M. Nurpashi Kulayev coupable d’un certain nombre d’infractions, notamment d’association de malfaiteurs, de manipulation d’armes et d’explosifs illégaux, de prise d’otages aggravée, de meurtre, et de tentative de meurtre sur des agents des forces de l’ordre. Le jugement de 319 pages résumait les dépositions des témoins et des victimes et s’appuyait sur les rapports d’expertise scientifique, les certificats de décès, les expertises et autres moyens de preuve. Le tribunal conclut que 317 otages, un civil de Beslan et deux membres d’Emercom avaient été tués, que 728 otages avaient été blessés à différents degrés (151 avaient reçu de graves blessures, 530 des blessures de moyenne gravité et 102 des blessures légères) et que dix membres du FSB avaient été tués et 55 membres de l’armée des forces de sécurité blessés. Il ajouta que les agissements du groupe de malfaiteurs avaient par ailleurs gravement endommagé l’école ainsi que des propriétés privées à Beslan. M. Kulayev fut condamné à la réclusion à perpétuité. n. Pourvoi en cassation devant la Cour suprême 350. Les victimes formèrent un pourvoi en cassation contre le jugement. Dans leurs mémoires détaillés du 30 août et du 8 septembre 2006, elles soutenaient que le tribunal n’avait pas conduit d’enquête approfondie et effective, et que ses conclusions n’étaient pas confirmées par les faits. Elles estimaient que le tribunal n’avait pas recherché si les autorités avaient manqué à prévenir l’attentat terroriste, imputé les responsabilités s’agissant des décisions prises par le CC, établi les emplacements et circonstances exacts des premières explosions dans le gymnase ni analysé la légalité de l’usage par les forces de sécurité d’armes frappant sans discrimination. Elles se plaignaient en outre de ce que le tribunal ne leur eût pas accordé l’accès intégral aux pièces du dossier. Leurs moyens étaient étayés par des renvois aux dépositions et pièces pertinentes. 351. Le 26 décembre 2006, la Cour suprême tint une audience en cassation et entendit quatre victimes, l’avocat des accusés et le procureur. Elle modifia légèrement la qualification de l’une des infractions dont M. Kulayev était accusé, tandis que les parties demanderesses furent déboutées pour le reste. En particulier, elle conclut que les questions que les victimes soulevaient n’avaient aucune incidence sur la qualification des actions de M. Kulayev et que les victimes avaient bénéficié d’un accès intégral aux pièces du dossier à l’issue de l’instruction. 352. Le même jour, la Cour suprême rendit une décision distincte (частное определение) concernant M. Shepel, le procureur général adjoint, qui avait fait fonction de procureur public au cours du procès. Elle constata que la demande qu’il avait formulée tendant à ce que la juridiction de jugement applique la peine de mort à M. Kulayev était contraire à la législation applicable et en conclut qu’il avait incité ladite juridiction à rendre une décision manifestement illégale. o. La thèse des requérants concernant l’instruction 353. Les auteurs de la requête no 26562/07 soutiennent qu’au cours du procès ils ont entendu des témoignages et examiné d’autres moyens de preuve qui leur auraient permis de tirer au sujet des actions du CC et d’autres responsables des conclusions qui ne pouvaient être élucidées dans le cadre de la procédure. S’agissant des pièces du dossier et d’autres preuves, ils tirent les déductions suivantes : (i) du 1er au 3 septembre, les otages auraient été détenus dans des conditions inhumaines et soumis à de graves sévices physiques et émotionnels, notamment des privations d’eau et de nourriture, des humiliations, l’obligation d’assister aux souffrances et au décès de membres de leur famille, en ressentant de surcroît un sentiment d’impuissance parce qu’il n’y aurait eu aucune tentative de négociations réelles en provenance du monde extérieur ; (ii) la conclusion que les EEA étaient à l’origine des premières explosions ne serait pas étayée par les dépositions des otages et par l’état du gymnase ; (iii) après les premières explosions, les membres de l’armée et du FSB auraient fait usage d’armes lourdes frappant sans discrimination, notamment des canons de chars, des mitrailleuses de VBTT, des lance-flammes et des lance-grenades ; (iv) le CC n’aurait pas fait du sauvetage des otages une priorité et aurait autorisé le recours aux armes lourdes pendant l’assaut ; (v) l’intervention des pompiers aurait été notablement retardée, entraînant des pertes supplémentaires dans le gymnase. Les poursuites pénales dirigées contre des policiers 354. Parallèlement à la procédure dans le dossier pénal no 20/849 et à celle relative aux agissements de M. Kulayev, deux enquêtes pénales additionnelles furent conduites contre des policiers pour faute professionnelle. a. Les poursuites pénales dirigées contre les membres du ROVD de Pravoberezhny 355. Le 20 septembre 2004, le procureur général adjoint, M. Kolesnikov, ordonna l’ouverture de poursuites pénales séparées pour négligence contre le directeur du ROVD de Pravoberezhny, M. Aydarov, contre son adjoint aux questions de sûreté publique, M. Murtazov, et contre le directeur du personnel du ROVD, M. Dryayev. À ce dossier pénal fut attribuée la cote 20/852. 356. Les policiers furent inculpés de négligence ayant entraîné de graves conséquences et le décès de plusieurs personnes (article 293 §§ 2 et 3 du code pénal). Ils furent également accusés de ne pas avoir correctement organisé la défense contre le terrorisme malgré la grave menace terroriste qui pesait et les messages et instructions que le ministère nord-ossète de l’Intérieur avait envoyés. 357. Plus de 180 personnes se virent attribuer la qualité de victime dans la procédure. Bien qu’aucun acte de procédure n’ait été produit, il ressort du recours en cassation formé par les victimes que seules les personnes dont les proches avaient péri avaient cette qualité, laquelle fut refusée aux autres otages. 358. Le 20 mars 2006, le tribunal du district Pravoberezhny d’Ossétie du Nord entama l’examen de l’affaire. Les requérants ont produit quatre volumes de procès-verbaux d’audience, soit 1 500 pages représentant 69 audiences. 359. Le 29 mai 2007, en application des dispositions de la loi d’amnistie du 22 septembre 2006, le tribunal prononça la clôture du procès pénal des trois fonctionnaires. Les intéressés acceptèrent l’application de cette loi, qui les exonérait de toute responsabilité pénale à raison des faits perpétrés pendant la période fixée par la loi (paragraphe 464 ci-dessous). Le parquet approuva l’application de l’amnistie, tandis que les victimes s’y opposèrent. Indignées par le verdict, les victimes présentes au prétoire saccagèrent les locaux. 360. Entre les 5 et 8 juin 2007, 75 victimes firent appel de cette décision. Elles contestaient l’applicabilité de la loi d’amnistie aux circonstances de l’espèce, soutenant en particulier que l’opération antiterroriste qui avait été conduite à Beslan avait débuté postérieurement à la commission de l’infraction en question. Elles dénonçaient également le refus par le tribunal de connaître en même temps de leurs prétentions à caractère civil, le refus d’octroi de la qualité de victime dans le procès à de nombreux autres otages et proches de personnes blessées, le classement confidentiel par le tribunal de l’un des volumes du dossier d’instruction (no 43), qui aurait fermé son accès aux victimes, l’absence d’audition d’un certain nombre de témoins essentiels et le refus par le tribunal de tenir compte d’éléments supplémentaires tels que le rapport du parlement nord-ossète concernant l’enquête relative à l’attentat terroriste. 361. Le 2 août 2007, la Cour suprême d’Ossétie du Nord, en dernière instance, confirma le jugement du 29 mai 2007. Elle estima sans pertinence au regard des conclusions les vices de forme que les victimes alléguaient et confirma l’applicabilité de la loi d’amnistie. 362. Les victimes demandèrent le contrôle en supervision des décisions ci-dessus, mais en vain. b. Le procès pénal des membres du ROVD de Malgobek 363. Le 7 octobre 2004, une instruction pénale distincte fut dirigée contre le directeur du ROVD de Malgobek, M. Yevloyev, et son adjoint, M. Kotiyev, pour négligence ayant entraîné de graves conséquences (article 293 §§ 2 et 3 du code pénal). Au moins une centaine d’anciens otages ou leurs proches apparaissent s’être vu attribuer la qualité de victime dans ce procès. 364. Les requérants ont produit différents documents concernant ce procès, notamment environ 200 pages de procès-verbaux d’audience, avec les corrections apportées par les victimes à ces pièces, ainsi que copie de leur recours et d’autres actes. Il ressort de ces documents que les responsables du ROVD de Malgobek étaient accusés de ne pas avoir repéré les terroristes qui s’étaient rassemblés et entraînés dans le secteur avant de se rendre en Ossétie du Nord le 1er septembre 2004. L’instruction permit de recueillir un certain nombre de pièces qui renfermaient des informations suffisamment claires et précises sur l’éventualité d’une menace terroriste et sur les mesures qui avaient été prises en réaction. En particulier, le 22 août 2004, le ministère ingouche de l’intérieur avait pris l’arrêté no 611 concernant une menace terroriste pour la sûreté publique, qui avaient mis tout le personnel du ministère en état d’alerte élevé jusqu’à nouvel avis. Cet acte avait donné pour instruction à tous les directeurs des départements de l’intérieur pour le district de contacter les mairies locales, les chasseurs et les ouvriers forestiers afin de suivre les déplacements de toute personne suspecte et de contrôler, au besoin à l’aide de chiens, tous les camions et autres véhicules susceptibles de transporter des cargaisons illicites. Le 23 août 2004, M. Yevloyev rédigea une instruction similaire sur les mesures à prendre dans le district de Malgobek. 365. Le 25 août 2004, le ministère ingouche de l’intérieur prit l’arrêté no 617 portant adoption de mesures de sécurité dans les écoles et les établissements d’enseignement. Ce texte appelait la police à prendre des mesures spéciales en vue de protéger les établissements d’enseignement d’éventuels actes terroristes. Le 28 août 2008, M. Yevloyev rédigea un acte similaire pour le district de Malgobek. 366. Le 31 août 2004, le ministère ingouche de l’intérieur adressa à tous les départements de district une directive qui évoquait des renseignements faisant état de l’éventualité d’un attentat terroriste dans des établissements d’enseignement à l’ouverture de l’année scolaire. Là encore, il était recommandé d’adopter un certain nombre de mesures d’urgence faisant intervenir les collectivités locales et les directeurs d’établissements. 367. Le procès eut lieu à huis clos devant la Cour suprême d’Ingouchie siégeant à Nalchik, en Kabardino-Balkarie. Les accusés optèrent pour un procès devant un jury. Le 5 octobre 2007, le jury les déclara non coupables. À cette même date, la Cour suprême d’Ingouchie acquitta les accusés sur tous les points et rejeta les prétentions à caractère civil que les victimes avaient présentées dans le cadre de la même instance. 368. Les victimes firent appel et, le 6 mars 2008, la Cour suprême confirma le jugement. Elles formèrent des demandes de recours en supervision qui furent ultérieurement rejetées. D. Procédures civiles engagées par les victimes Premier groupe de demandeurs 369. En novembre 2007, un groupe de victimes forma une action au civil contre le ministère de l’Intérieur, demandant réparation pour le préjudice que l’acte terroriste leur aurait causé. Les victimes s’appuyèrent sur le jugement que le tribunal du district Pravoberezhny avait rendu le 29 mai 2007 concernant les responsables du ROVD de Pravoberezhny de Beslan. Elles soutenaient que l’application de la loi d’amnistie n’excluait pas la possibilité d’une réparation au civil. Estimant que le ministère de l’Intérieur n’avait rien fait pour prévenir l’acte terroriste, elles réclamaient une indemnité pour chacun des membres de leur famille qui était décédé ou avait été pris en otage. 370. À plusieurs reprises, le tribunal du district Pravoberezhny demanda aux requérants de compléter leurs prétentions. Le 22 mai 2008, il ordonna le transfert du dossier au tribunal du district Leninskiy de Vladikavkaz, auquel était rattaché territorialement le ministère nord-ossète de l’Intérieur. Le 26 septembre 2008, le tribunal du district Leninskiy ordonna le transfert du dossier au tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, auquel était rattaché territorialement le ministère russe de l’Intérieur. Le 21 octobre 2008, la Cour suprême d’Ossétie du Nord, sur requête des parties demanderesses, annula une décision du tribunal du district Zamoskvoretskiy et renvoya l’affaire devant le tribunal du district Leninskiy. 371. Le 10 décembre 2008, le tribunal du district Leninskiy de Vladikavkaz rejeta l’action au civil que les requérants avait formée contre le ministère de l’Intérieur au motif que la loi de lutte contre le terrorisme, que les parties demanderesses avait invoquée, ne prévoyait pas la réparation du préjudice moral causé par un organe de l’État ayant participé à une opération de lutte contre le terrorisme. Quant à la demande des requérants tendant à rattacher l’action en réparation à la décision de ne pas engager de poursuites contre les responsables du ROVD de Pravoberezhny, il la rejeta au motif qu’elle concernait un autre accusé. 372. Le 24 février 2009, la Cour suprême d’Ossétie du Nord rejeta un recours formé par les requérants contre la décision ci-dessus. Ces derniers tentèrent ensuite de former un recours en supervision contre ces décisions, mais en vain. Second groupe de demandeurs 373. Dans le cadre d’une action distincte, un autre groupe de victimes chercha à assigner les ministères russe et nord-ossète de l’Intérieur en réparation du préjudice que l’attentat terroriste leur aurait causé. Le 9 décembre 2009, le tribunal du district Leninskiy de Vladikavkaz les débouta, retenant un raisonnement similaire. Le 17 mars 2009, la Cour suprême d’Ossétie du Nord confirma définitivement cette décision. E. Enquêtes parlementaires Le rapport du parlement nord-ossète 374. Le 10 septembre 2004, le parlement nord-ossète mit sur pied une commission chargée d’examiner et d’analyser les événements survenus à Beslan du 1er au 3 septembre 2004. Dans ses travaux, la commission s’appuya sur les éléments disponibles, notamment des documents officiels, des photographies, des matériaux audio et vidéo, des articles de presse, des dépositions de témoins ainsi que ses propres sources d’information. Son rapport fut publié le 29 novembre 2005. D’une longueur de 42 pages, il comportait des chapitres consacrés à la chronologie de l’attentat terroriste, un exposé des faits et un examen des événements antérieurs à la prise d’otages, des actions du CC et des différents services de l’État intervenus, une analyse des premières explosions dans le gymnase, des renseignements détaillés sur les combattants et différentes données statistiques relatives à l’attentat. Il formulait en conclusion certaines recommandations à l’attention des autorités. a. Prévention de l’attentat terroriste 375. Dans son rapport, la commission critiquait vivement la police locale et les services du FSB en Ingouchie et en Ossétie du Nord. Elle se déclarait particulièrement consternée par le fait que, malgré la « menace accrue pour la sécurité », le groupe terroriste avait pu se rassembler et s’entraîner sans être remarqué à proximité d’un village et d’une route locale importante, et se rendre à l’école sans encombre en passant par le centre d’une ville le long de la frontière administrative, qui était censée faire l’objet d’une protection spéciale. Elle disait que l’attention de la police avait été détournée par l’élection présidentielle en Tchétchénie qui avait eu lieu le 29 août 2004 et en raison de laquelle les autres menaces pour la sécurité avaient moins retenu l’attention. b. Les travaux et la composition du CC 376. S’agissant des travaux du CC, le rapport en critiquait vivement la composition et le fonctionnement. Il relevait que « le premier CC, soi-disant « républicain » » avait été créé le 1er septembre 2004 à 10 h 30 en conformité avec la loi de lutte contre le terrorisme, le plan préétabli remontant au 30 juillet 2004. Il précisait que le CC se composait de 11 personnes sous le commandement de M. Dzasokhov et qu’il avait en son sein le directeur du FSB pour l’Ossétie du Nord, ainsi que des membres du ministère nord-ossète de l’Intérieur et d’autres responsables de cette région. Il disait que, en la présence des membres du CC, du Dr Roshal et d’un certain nombre d’autres personnalités publiques, M. Dzasokhov avait annoncé qu’il était disposé à se rendre dans l’école, mais que le ministre adjoint russe de l’Intérieur, M. Pankov, avait répondu qu’il serait alors autorisé à l’arrêter. Il notait que M. Dzasokhov lui-même avait confirmé qu’il avait été informé par de hauts responsables à Moscou qu’il ne devait prendre « aucune mesure qui compliquerait davantage l’opération visant à libérer les otages ». Il exposait que ce CC « républicain » avait continué tout au long de la crise à envisager d’éventuelles stratégies visant à faire libérer les otages et songé à l’éventualité d’inviter M. Maskhadov aux négociations. 377. Le rapport disait que, parallèlement, pendant l’après-midi du 1er septembre 2004, le président russe, conformément à un ordre secret du gouvernement russe (no 1146-rs), avait fixé la composition du CC sous le commandement du général V. Andreyev, le directeur du FSB pour l’Ossétie du Nord. Il précisait que le CC était composé de sept personnes : le lieutenant-colonel Tsyban, directeur adjoint de la commission antiterroriste nord-ossète, le général V. Sobolev, commandant de la 58e armée du ministère de la Défense, M. Dzgoyev, ministre nord-ossète des Situations d’urgence, Mme Levitskaya, ministre nord-ossète de l’Éducation, M. Goncharov, directeur du centre Zashchita, et M. Vasilyev, directeur adjoint du service des programmes d’information de la chaîne Rossiya. Il critiquait la composition du CC, qui aurait exclu non seulement M. Dzasokhov – le président nord-ossète – mais aussi un certain nombre d’autres hauts responsables d’Ossétie du Nord. Il notait également que deux directeurs adjoints du FSB qui étaient arrivés à Beslan, MM. Anisimov et Pronichev, n’avaient été officiellement chargés d’aucune tâche au sein du CC. Il en résultait selon lui une situation qui se caractérisait par une multitude de « leaderships ». 378. Le rapport décrivait ainsi la situation : « Le manque d’unité frappant au sein du commandement ressort également des lieux où il se réunissait. Les organes et responsables étaient répartis comme suit dans le bâtiment de l’administration de Beslan. Dans l’aile gauche du rez-de-chaussée se trouvaient les généraux V. Andreyev et T. Kaloyev, du FSB et, dans le bureau à côté d’eux, MM. Pronichev et Anisimov. Au troisième étage de l’aile gauche, il y avait le président nord-ossète, le président du parlement, M. Mamsurov, le représentant plénipotentiaire de la Fédération de Russie dans le ressort fédéral du Sud, M. V. Yakovlev, et un groupe de députés de la Douma avec à leur tête M. D. Rogozin. Au troisième étage de l’aile droite travaillaient les commandants des unités des forces spéciales Alpha et Vympel, sous la direction du général Tikhonov. Cependant, la structure la plus hermétique et la plus mystérieuse se trouvait au rez-de-chaussée de l’aile sud du [bâtiment de l’administration], dont les travaux étaient secrets pour tous les membres susmentionnés du CC. Au sein de ces structures œuvraient des gens qui ne relevaient d’aucune structure officielle : MM. Anisimov et Pronichev, M. Pankov, le général Kaloyev et d’autres. Il y avait une autre structure secrète au deuxième étage du bâtiment, au centre. Il s’agissait d’une sorte de « centre de commandement idéologique », où toutes les informations destinées au public étaient vérifiées et corrigées avant leur diffusion. C’est très vraisemblablement là que l’annonce du nombre de 354 otages avait été décidée. En outre, le commandant de la 58e armée, M. Sobolev, avait installé son centre de commandement à l’extérieur du bâtiment de l’administration. M. Dzgoyev, qui selon ses propos se tenait « en réserve », était lui aussi posté à l’extérieur du bâtiment, tout comme le ministre nord-ossète de l’Intérieur (...) Le caractère officiel de la désignation du [général] Andreyev à la tête du CC est confirmé par des faits avérés. Cet homme, directeur du FSB pour l’Ossétie du Nord, a quitté le CC à de nombreuses reprises, de sorte qu’il avait perdu le contrôle de la situation : il discutait avec les habitants de Beslan hors du CC, il s’entretenait avec des journalistes [et] il avait accompagné M. Aushev à l’école le 2 septembre ainsi que le groupe d’Emercom le 3 septembre. Comment donc le général, des décisions duquel dépendait la vie de centaines de personnes, a-t-il pu se comporter ainsi ? Il faut soit l’exclure soit, au contraire, l’admettre volontiers à partir du moment où, en réalité, les décisions du [général] Andreyev étaient prises par ses supérieurs immédiats – M. Pronichev, M. Anisimov et, probablement, le directeur du département du FSB pour le Nord-Caucase, M. Kaloyev. Il y a des raisons de croire que les ordres et instructions qui étaient donnés au [général] Andreyev n’ont pas été formellement actés, qu’il n’y a eu aucune réunion du CC et que tout était décidé verbalement dans le cadre de discussions de travail avec différents services (...) On a l’impression que le CC, avec à sa tête le [général] Andreyev, oscillait entre deux extrêmes : d’un côté, sans rendre publiques les revendications des terroristes, il recherchait (ou prétendait rechercher) des négociateurs à même de participer à ces pourparlers ; d’un autre côté, il ne cessait d’évoquer l’impossibilité d’une solution par la force, tout en étant obligé dans le même temps non seulement d’envisager cette solution mais aussi de prendre des mesures tendant à son exécution (...) À la fin de la deuxième journée, pas un seul fonctionnaire fédéral qui aurait pu au moins dans une certaine mesure discuter avec les terroristes de leurs revendications n’a contacté ces derniers en vue de négocier. De plus en plus convaincus que leurs revendications n’étaient pas examinées et que les sujets de négociation demeuraient le ravitaillement des otages en vivres et en eau, la libération des enfants et des personnes âgées, une « porte de sortie » vers la Tchétchénie, etc., les terroristes ont durci les conditions de vie des otages. Quant à l’accord pour retirer les deux dizaines de corps de la cour de l’école, les terroristes l’avaient probablement donné parce qu’ils voulaient effrayer la population et rendre le CC plus conciliant puisqu’on pouvait facilement prévoir l’impression que ferait sur les proches des victimes un camion d’Emercom chargé de cadavres. En raison de l’insuffisance des informations sur le déroulement et la teneur des négociations, et du manque de clarté concernant la cassette vidéo transmise au CC, de nombreuses questions restent sans réponse (...) Sans remettre en cause le principe consistant à ne faire aucune concession face aux revendications des terroristes, et même si la loi de lutte contre le terrorisme parle de concessions minimales à ces derniers, il apparaît qu’il eût été bien plus raisonnable que les autorités fédérales, auxquelles les revendications des terroristes étaient adressées, s’occupent de ce problème au lieu de le déléguer aux autorités régionales voire à un pédiatre. Il est évident que les promesses que les autorités régionales ont faites sans garanties adéquates de la part des plus hauts représentants de l’État n’ont pas permis de gagner la confiance des combattants et que ceux-ci ne pouvaient donc pas prendre au sérieux la soi-disant « porte de sortie » ». c. Les premières explosions 379. Le rapport expliquait que les deux premières explosions ne pouvaient pas avoir été causées par les EEA. La première explosion, selon le témoignage des otages, avait eu lieu dans la partie nord des combles du gymnase, détruisant une partie du plafond et faisant naître un nuage de fumée en forme de champignon. Le rapport disait qu’il ne pouvait s’agir du résultat d’une explosion d’un EEA pour plusieurs raisons : les terroristes n’auraient pas miné le toit ou les combles du gymnase, si bien qu’aucun câble électrique n’y aurait été relié ; une mine dans le gymnase ne pourrait avoir détruit le plafond et le toit à 6 m de hauteur ; il y aurait eu plusieurs explosions simultanées parce que les EEA étaient reliés par une seule chaîne ; l’explosion d’un EEA à l’intérieur du gymnase n’aurait pas pu provoquer un nuage en forme de champignon en quelques secondes à une quinzaine de mètres au-dessus du toit ; les dommages causés au panneau de basket-ball et au mur de briques du gymnase prouveraient qu’ils avaient été causés par un engin tiré depuis l’extérieur. La seconde explosion, qui aurait créé un orifice d’un mètre de largeur dans le mur de briques fenêtre, n’aurait pas non plus eu pour origine un EEA puisque le plancher juste à côté de l’orifice n’aurait pas été endommagé, contrairement au plancher sous le panneau de basket-ball auquel aurait été accroché l’EEA ultérieurement déclenché. 380. Le rapport indiquait que l’enregistrement vidéo des événements avait saisi non seulement le nuage de fumée de la première explosion mais aussi les sons des deux explosions, ce qui permettait de conclure selon lui que les coups avaient été tirés à l’aide d’un lance-grenades ou d’un lance-flamme. La nature des dommages aurait confirmé cette version. Le choix des cibles intérieures du gymnase aurait été déterminé par la présence là-bas des combattants munis de détonateurs à pédalier : ceux-ci étant hors d’atteinte des tireurs d’élite, une grenade aurait remédié à cette situation. 381. Le rapport estimait que la troisième explosion avait le plus vraisemblablement pour origine un EEA touché par l’incendie qui aurait progressé, à la suite de quoi celui-ci se serait propagé du plafond jusqu’au toit du gymnase. 382. Le rapport concluait que l’instruction pénale aurait dû procéder à une analyse adéquate des premières explosions. Il déplorait le nettoyage à la hâte du site, qui aurait été ouvert au public dès le 5 septembre 2004. Il évoquait les « centaines de personnes ayant trouvé des objets qui auraient été utiles à l’instruction ». Plusieurs objets avaient apparemment été rassemblés en provenance de la déchetterie municipale, où les débris auraient été jetés le 4 septembre par des camions. 383. Dans une conclusion séparée, le rapport indiquait que la participation active de volontaires civils immédiatement après les explosions avait sauvé la vie de nombreux otages. L’évacuation aurait été conduite par des personnes qui avaient assumé « les fonctions de la police, des pompiers et des secouristes ». d. L’action des secouristes et des forces de sécurité 384. Le rapport évaluait à 1 750 le nombre de militaires et de policiers (à l’exclusion des membres du FSB) qui avaient été déployés dans le périmètre de sécurité autour de l’école. Il estimait que les trois cordons de sécurité n’avaient guère eu d’effet et s’étaient véritablement volatilisés dès que l’opération avait commencé. Des centaines de civils et des dizaines de véhicules privés auraient franchi sans encombre les cordons, tandis que les groupes de filtrage, formés à l’avance et composés de membres des forces spéciales de la police (Отдел милиции особого назначения (ОМОН)) et du ROVD de Pravoberezhny, n’auraient interpellé pour un contrôle d’identité aucun des volontaires qui avaient aidé à évacuer les otages. De plus, plusieurs hommes en provenance d’un autre lieu en Ossétie seraient restés deux jours autour de l’école et ces hommes, souvent mal rasés, maculés de taches de sang et de suie, n’auraient pas pu être distingués des terroristes. 385. Le rapport évoquait ensuite le problème de l’accès à l’école pour les ambulances et les véhicules des pompiers, indiquant qu’il avait été entravé par des véhicules garés dans les rues adjacentes qui n’avaient pas été enlevés. La première autopompe, arrivée à l’école vers 14 heures, n’aurait pas transporté une pleine cargaison d’eau dans sa citerne. D’autres brigades de pompiers arrivées plus tard auraient même permis à des volontaires civils de manier les lances à incendie. 386. Le rapport jugeait établi que, le 3 septembre, entre 14 heures et 14 h 30, un char qui portait le numéro 328 avait tiré plusieurs obus non explosifs en direction de la cantine et de la cuisine, tandis que vers 16 h 30 un char qui portait le numéro 325 et se trouvait dans la rue du Komintern avait fait feu en direction de la cantine à une faible distance, en pointant son canon vers la zone située juste au-dessus de l’entrée de la cave. Les membres de la commission divergeaient sur le point de savoir si faire tirer un char en direction de la cantine avant 17 heures se justifiait compte tenu de la présence probable du dernier groupe d’otages avec les terroristes. Ils s’étaient rendus dans la cave et avaient constaté qu’elle était entièrement intacte et ne portait aucune trace de la présence des terroristes en ce lieu. Aucune information complète n’avait pu être obtenue concernant de recours aux chars, aux hélicoptères, aux lance-flammes ou à d’autres armes lourdes. 387. Le rapport constatait séparément l’existence d’une multitude de chaînes de responsabilité au sein des différents services qui étaient intervenus. Selon les informations que détenait la commission, le commandant de la 58e armée rendait régulièrement compte au directeur du cabinet du ministre de la Défense à Moscou et recevait en retour des instructions de ce dernier. Le ministère de l’Intérieur aurait commandé le plus important contingent à Beslan et aurait initialement suivi les ordres de son propre centre de commandement installé dans le bâtiment de l’administration avant de suivre ensuite les instructions du FSB. 388. Quant au rôle du FSB, le rapport indiquait ceci : « Le FSB de Russie demeure la structure la plus hermétique parce que la commission a cherché à recueillir des informations concernant les actions qu’il avait entreprises entre le 1er et le 3 septembre 2004. Il est donc très difficile d’accepter, sans autre forme de vérification, la déclaration des groupes d’opérations du Centre des services spéciaux selon laquelle, à 18 heures, les terroristes ne détenaient plus aucun otage vivant (dans les salles de classe, dans la cave et dans les combles) ». e. L’identité des combattants 389. Le rapport consacrait certains développements au nombre de combattants et à leur identité. Il relevait parmi les pièces que le parquet avait produites dans le cadre de l’instruction du dossier pénal no 20/849 des disparités dans les noms et le nombre des terroristes identifiés et non identifiés. S’appuyant sur les informations communiquées par le parquet, il énumérait trente-huit noms ou surnoms de personnes, dont vingt-deux (y compris M. N. Kulayev) auraient été identifiées par leur nom complet, leur date de naissance, leur origine ethnique et leur lieu de résidence, tandis que quatorze n’auraient été identifiées qu’à titre provisoire. Au moins neuf des trente-huit personnes énumérées auraient été incarcérées auparavant par les forces de l’ordre et certaines auraient été libérées pour des raisons inconnues. Selon le rapport, M. Iliyev avait été détenu en 2003 en Ingouchie pour port illégal d’armes et détention de munitions, mais l’affaire aurait été classée sans suite deux mois après ; Khanpash Kulayev aurait été condamné à neuf mois de prison en 2000 ; M. Shebikhanov aurait été accusé d’avoir attaqué un convoi militaire en août 2003 avant d’être relaxé par un jury en juillet 2004 ; M. Tarshkhoyev aurait été condamné au moins à trois reprises à des peines d’emprisonnement avec sursis pour port illégal d’armes et vol, le plus récemment en mars 2001 ; M. Khochubarov (« Polkovnik ») aurait été jugé pour port illégal d’armes ; et M. Khodov aurait été recherché pour un certain nombre d’infractions graves, notamment des actes de terrorisme, et il aurait été incarcéré en 2002 puis cependant remis en liberté. La plupart des autres terroristes identifiés auraient été connus des forces de l’ordre, qui auraient relevé leurs empreintes digitales, ce qui aurait permis d’identifier leurs corps. Bon nombre d’entre eux auraient figuré sur des listes de personnes recherchées pour différentes infractions. 390. Certaines des personnes mortes qui, selon le parquet, avaient été initialement identifiées à Beslan auraient été tuées à d’autres endroits. Le décès de M. Gorchkhanov aurait été prononcé à Beslan mais, en octobre 2005, le procureur général adjoint, M. Shepel, aurait une nouvelle fois annoncé qu’il figurait parmi les organisateurs de l’attentat commis à Nalchik, en KabardinoBalkarie, qui avaient été tués. M. Kodzoyev aurait tout d’abord été identifié comme étant l’un des terroristes de Beslan et il aurait apparemment eu une conversation téléphonique avec son épouse, que les autorités auraient emmenée à l’école le 2 septembre. Son décès aurait été prononcé par la suite à l’occasion d’une opération antiterroriste en Ingouchie en août 2005. Le rapport déplorait le manque de clarté d’un élément aussi important de l’instruction et priait le parquet de publier des informations claires et complètes à cet égard. f. Données statistiques 391. Dans ce rapport figurait un tableau qui avait été établi sur la base des informations fournies par le parquet et qui comportait notamment différents chiffres relatifs au nombre total d’otages et au nombre de personnes tuées, blessées et libérées dans le cadre de l’opération antiterroriste. La commission relevait que les causes des décès de 31 personnes étaient les suivantes : 20 seraient décédées à l’hôpital ; 51 auraient été tuées par balles (dont 21 le 1er septembre) ; 150 auraient succombé à des blessures causées par des obus ; 10 seraient mortes des suites de brûlures et quatre des suites de chocs physiques. Dans 116 cas, la cause du décès n’aurait pas pu être établie parce que les corps avaient été gravement brûlés. 83 cadavres auraient été identifiés en procédant à des correspondances d’empreintes génétiques et, dans six cas, une exhumation et un prélèvement d’empreintes génétiques se seraient imposés. Ces procédures auraient duré jusqu’en avril 2005. Le rapport concluait que les causes réelles du décès et des blessures de nombreuses victimes n’avaient pas été établies : des balles et des fragments d’obus n’auraient pas été extraits des corps, et aucun rapport balistique n’aurait été pratiqué afin d’analyser les balles et cartouches retrouvées sur les lieux. g. La publication du rapport, les réactions et autres informations 392. Le rapport de la commission fut publié en décembre 2005. M. Torshin déclara que ce document soulevait plus de questions qu’il n’en réglait et que ses constats et conclusions n’étaient pas mentionnés dans le rapport de l’Assemblée fédérale (voir ci-dessous). 393. En 2007, le rapport fit l’objet d’une publication distincte. Entre-temps, les auteurs avaient recueilli des données statistiques supplémentaires. Le rapport comportait une liste complète des otages, précisant leurs blessures et la date de leur décès, ainsi que d’autres conclusions importantes. La plupart des chiffres que ses auteurs avaient retenus différaient de ceux que le parquet avait avancés. 394. En particulier, les auteurs du rapport disaient que 1 116 personnes (et non 1 127 comme l’avait annoncé le parquet) avaient été prises en otage ; que trois personnes s’étaient échappées le 1er septembre ; que 17 (et non 21) hommes avaient été abattus le 1er septembre ; et que M. Aushev avait évacué 24 (et non 26) personnes le 2 septembre. Au 1er septembre à 13 heures, il y aurait eu encore 1 072 otages en vie dans l’école ; 284 personnes auraient été tuées au cours de l’assaut ; dix seraient mortes à l’hôpital dans les deux mois qui avaient suivi et jusqu’en 2006 il y aurait eu trois décès de plus. Dix membres des forces spéciales, deux membres d’Emercom et sept civils auraient été tués : trois civils auraient été exécutés le 1er septembre par les assaillants et quatre autres auraient péri lors de l’assaut, pendant l’évacuation des otages. Trente-cinq civils auraient été blessés, dont la majorité l’aurait été alors que les otages étaient évacués de l’école. 395. Le rapport publié énumérait les membres du FSB, et des ministères de l’Intérieur et des Situations d’urgence qui auraient été tués (12) et blessés (52) au cours de l’attentat terroriste. 396. S’agissant des causes des décès, le rapport précisait que la commission avait examiné plus de 300 décisions que le parquet avait prises les 3 et 4 septembre 2004 ordonnant des expertises scientifiques ainsi que les rapports produits par le service médico-légal. Il serait ressorti de ces décisions que les experts devaient pratiquer des examens externes des corps et ne devaient faire des autopsies complètes que « si nécessaire ». Ainsi, seuls quelques cas auraient requis un examen complet : un rapport d’expertise sur trois aurait conclu que « la cause du décès n’a[vait] pas pu être établie ». Le rapport indiquait que, au total, 159 corps sur 333 portaient des traces de brûlures, tout en précisant que dans la plupart des cas la carbonisation était le plus vraisemblablement postérieure à la mort. Il ajoutait qu’un nombre excessivement disproportionné de victimes avait succombé à des blessures par balles – 44 civils, dont 11 femmes et 9 enfants – tandis que sept des onze membres des forces de l’ordre avaient péri ainsi. 397. Le rapport notait enfin que neuf exhumations (et non six comme l’avaient indiqué les documents officiels) avaient été pratiquées afin de réexaminer des dépouilles. Ces cas y étaient énumérés. Le rapport établi par l’Assemblée fédérale a. Le rapport rédigé par la commission 398. Les 20 et 22 septembre 2004, les deux chambres de l’Assemblée fédérale (le parlement russe) – la Douma d’État et le Conseil de la Fédération – décidèrent de créer une commission mixte afin de faire la lumière sur les raisons et circonstances de l’attentat terroriste de Beslan. Une vingtaine de membres des deux chambres furent nommés membres de cette commission, présidée par M. Aleksandr Torshin, vice-président du Conseil de la Fédération. La commission prit un certain nombre de mesures d’enquête, organisant notamment des visites à Beslan, en Ingouchie, en Tchétchénie et à Rostov-sur-le-Don. 399. La commission auditionna 45 hauts fonctionnaires, notamment le Premier ministre ; plusieurs ministres fédéraux, M. Aslakhanov, un conseiller du président russe ; MM. Patrushev, Pronichev et Anisimov, le directeur du FSB et ses deux adjoints ; le général Tikhonov, commandant du Centre des services spéciaux du FSB ; plusieurs responsables du parquet général, notamment quatre substituts du procureur général ; des responsables nord-ossètes et ingouches, dont MM. Dzasokhov et Zyazikov ; et des personnes qui avaient négocié avec les terroristes : M. Aushev, M. Gutseriyev et le Dr Roshal. Elle reçut plusieurs centaines de lettres et d’appels téléphoniques passés depuis une ligne spéciale. 400. Le 22 décembre 2006, le rapport de la commission fut présenté à l’Assemblée fédérale. D’une longueur de 240 pages, il comportait une chronologie de l’attentat terroriste, ainsi que des parties consacrées à l’action des autorités de l’État, livrant une analyse historique et politique du terrorisme dans le Nord-Caucase et formulant un certain nombre de recommandations législatives. Deux membres de la commission refusèrent de la signer. L’un d’entre eux, M. Savelyev, rédigea un rapport parallèle (voir ci-dessous). 401. Les principales conclusions du rapport allaient essentiellement dans le sens de celles de l’instruction pénale. En particulier : (i) antérieurement à l’attentat terroriste, l’administration locale et les forces de police en Ossétie du Nord et en Ingouchie n’auraient pas pris certaines mesures de sécurité. Le comportement de la police dans le district de Malgobek était qualifié de faute professionnelle et il était précisé que l’action de la police en Ingouchie en général avait consisté à « garder les distances » par rapport aux ordres du ministère de l’Intérieur (pages 107-108 du rapport). La police d’Ossétie du Nord ne se serait pas conformée à certaines mesures de précaution, ce qui aurait facilité l’attentat terroriste à l’école ; (ii) les autorités fédérales auraient agi de manière adéquate et correcte ; (iii) l’action du CC visant à négocier avec les terroristes auraient été fondée, bien qu’il y eût un certain nombre de points faibles dans sa composition et dans sa manière de travailler et d’informer la population de l’évolution de la situation (pages 84 et 94 du rapport) ; (iv) deux EEA auraient été à l’origine des premières explosions dans le gymnase (page 87) ; et (v) l’usage de lance-flammes et de chars contre l’école aurait été autorisé par le commandant du Centre des services spéciaux du FSB le 3 septembre après 18 heures et n’aurait causé aucun dommage aux otages qui à ce moment-là auraient été évacués (page 89). b. Le rapport parallèle établi par M. Yuriy Savelyev (i) Le rapport 402. M. Yuriy Savelyev, un membre du parti Rodina qui avait été élu député à la Douma d’État en 2003, était membre de la commission présidée par M. Torshin. Ingénieur en astronautique de profession, docteur en sciences techniques, il était à la tête de l’Institut de mécanique militaire de Saint-Pétersbourg et auteur de nombreux travaux scientifiques et manuels de formation sur la construction des fusées, la balistique, la thermodynamique et autres domaines connexes. 403. En été 2006, M. Savelyev se déclara en profond désaccord avec le rapport que la commission avait rédigé. Plus tard cette même année, il publia un rapport séparé, fondé sur les éléments auxquels il avait eu accès en qualité de membre de la commission. Intitulé « Beslan : la vérité des otages » (« Беслан: Правда Заложников »), le rapport comportait sept parties : (i) « les premières explosions dans le gymnase », 259 pages avec 58 photographies (« Partie 1 ») ; (ii) « l’origine et la propagation de l’incendie dans le gymnase », 133 pages avec 43 photographies (« Partie 2 ») ; (iii) « l’usage de lance-flammes et de lance-grenades portatifs », 97 pages avec 49 photographies (« Partie 3 ») ; (iv) « l’usage de chars T-72 et de véhicules VBTT-80 », 140 pages avec 52 photographies (« Partie 4 ») ; (v) « les femmes au sein du groupe de terroristes », 69 pages avec 12 photographies (« Partie 5 ») ; (vi) « les pertes subies par les otages à l’extérieur du gymnase », 145 pages avec 54 photographies (« Partie 6 ») ; et (vii) « les circonstances de la prise d’otages », 296 pages avec 21 photographies (« Partie 7 »). 404. Ce rapport a été communiqué à la Cour et son contenu a été mis en ligne en intégralité sur le site . 405. Bien que fondé sur les mêmes éléments de fait, le rapport parallèle s’appuyait aussi sur l’expertise technique de l’auteur lui-même. Son plan et ses conclusions diffèrent nettement de ceux du document que la majorité de la commission parlementaire avait signé, et donc des conclusions que l’instruction pénale avait alors tirées. 406. Pour résumer les différences les plus importantes, M. Savelyev concluait dans la partie 1 que la première explosion avait pour origine la détonation, dans les combles qui surplombaient la partie nord-est du gymnase, d’une grenade thermobarique qui avait été propulsée à l’aide d’un lance-grenades portatif depuis le toit d’une maison sise au 37, avenue Shkolny. Le terroriste qui tenait le « levier de l’homme mort » juste en dessous de la détonation aurait été instantanément tué. L’explosion aurait créé une zone de combustion fumigène puissante qui aurait touché le parquet et le matériau d’isolation, lesquels auraient ensuite pris feu. La seconde explosion serait survenue 32 secondes plus tard, sous la première fenêtre de la partie nord du gymnase, détruisant le mur de briques et projetant des briques vers l’extérieur, tandis que la fenêtre située juste au-dessus de l’orifice serait restée intacte. M. Savelyev en concluait que la nature et l’ampleur de la destruction de cet endroit particulier infirmait la thèse de l’explosion d’un EEA à l’intérieur du gymnase. Il soutenait que l’explosion avait probablement pour origine un missile antichar portable tiré depuis le toit d’une maison sise au 41, avenue Shkolny. Le projectile aurait pénétré dans le gymnase par la fenêtre opposée et créé la brèche dans le mur sous la fenêtre. 407. M. Savelyev affirmait aussi, dans la partie 2, que l’incendie que la première explosion avait déclenché dans les combles avait continué de se propager sans encombre jusqu’à 15 h 20. Les fenêtres brisées du gymnase et l’orifice apparu dans le toit à cause de l’explosion auraient créé un puissant appel d’air qui aurait nourri en oxygène le matériau d’isolation en flammes. L’incendie aurait fait rage dans les combles, avec suffisamment de force pour détruire les poutres en bois tenant les tuiles du toit, qui se seraient finalement effondrées vers 15 h 20, écrasant sous les fragments enflammés les otages qui n’avaient pas pu s’enfuir. Les pompiers seraient intervenus après 15 h 20, au moment où l’incendie parti du toit effondré se serait propagé au sol et au mur du gymnase. 408. La partie 3 du rapport comportait des éléments détaillés et une analyse sur le type et le nombre d’armes et de munitions utilisés entre le 1er et le 4 septembre 2004. La commission avait eu accès à ces renseignements, mais pas les victimes directement. Selon le rapport, le volume 1 du dossier d’instruction pénale no 20/849 contenait un « procès-verbal conjoint sur l’utilisation des armes et munitions au cours de l’opération militaire » (cводный акт об израсходовании боеприпасов при выполнении соответствующей боевой задачи) daté du 10 septembre 2004 et portant le no 27. Selon cette pièce, différentes unités militaires avaient fait usage de plus de 9 000 cartouches d’armes automatiques (5,45 mm PS, 7,62 mm LPS et 5,45 mm T), de dix lance-roquettes antichars à usage unique (RPG26), de 18 obus antichars (PG7VL), de huit ogives à forte fragmentation pour canon de char de calibre 125 mm (125 mm OF) et de 90 grenades fumigènes (81 mm ZD6) (paragraphes 219 et 220 ci-dessus). 409. Le rapport notait également que, le 20 septembre 2004, des membres de la commission parlementaire avaient découvert dans les combles du 39, avenue Shkolny six tubes vides de lance-flammes RPO-A et trois tubes vides de lance-roquettes antichars à usage unique RPG26, dont les numéros de série auraient été relevés par les membres en question dans un procès-verbal en bonne et due forme daté du 22 septembre 2004. Ces tubes auraient été remis à l’équipe du parquet qui était chargée de l’instruction pénale. Selon le rapport, le volume 2 du dossier d’instruction pénale no 20/849 renfermait un document daté du 25 septembre 2004, signé par le lieutenant-colonel Vasilyev de l’unité no 77078 de la 58e armée, qui mentionnait que les unités du FSB avaient reçu sept lance-flammes RPOA des arsenaux militaires et en avaient énuméré les numéros de série. Après l’opération, deux lance-flammes dont les numéros de série étaient indiqués, et un autre avec un numéro de série différent, auraient été rendus aux arsenaux (paragraphe 219 ci-dessus). M. Savelyev constata néanmoins que les numéros de série des lance-flammes mentionnés dans le procès-verbal de la commission du 22 septembre 2004 et dans le document du lieutenant-colonel Vasilyev en date du 25 septembre 2004 étaient différents. Il mit en avant d’autres contradictions dans les dépositions des forces de l’ordre et du procureur général adjoint concernant l’usage des lance-flammes, concluant qu’au moins neuf lance-flammes à usage unique RPOA avaient été utilisés par les forces spéciales. M. Savelyev évoqua aussi les dépositions qu’un membre du FSB avait livrées au cours de l’instruction (volume 5 p. 38 du dossier no 20/849), selon lesquelles des lance-grenades RPG26 et des lance-flammes RPOA avaient été employés au cours de l’assaut, pendant la journée (paragraphe 220 ci-dessus), ainsi que la déposition que le général Tikhonov, du FSB, avait faite devant la commission le 28 octobre 2004, selon laquelle des lance-grenades RPG et des lance-flammes RPO-A avaient été utilisés à 15 heures. 410. M. Savelyev énuméra les caractéristiques détaillées de chaque type de projectile. Selon ses conclusions, après les deux premières explosions qui avaient retenti à 13 h 03, le bâtiment de l’école avait subi l’assaut suivant : entre 13 h 30 et 14 heures, des coups auraient été tirés en direction des fenêtres du premier étage de l’aile sud à l’aide de lance-grenades portables, probablement de type RPG26 et RShG2 ; entre 14 h 50 et 15 h 05, des coups de lance-flammes (RPO-A) auraient été tirés en direction du toit du bâtiment principal, des lance-grenades RPG26 et RShG2 auraient fait feu en direction des fenêtres orientées vers le sud du premier étage de l’aile sud et un lance-flamme RPO-A aurait fait feu en direction du toit de l’aile sud à sa jonction avec le bâtiment principal. Il ajouta qu’au moins une grenade thermobarique avait été propulsée depuis un hélicoptère MI-24 en direction d’une cible située dans la partie centrale du toit du bâtiment principal qui surplombait la salle d’enseignement de la langue ossète, un tireur terroriste qui n’aurait pas pu être neutralisé par d’autres moyens. 411. La partie 4 se focalisait sur l’usage des chars et des VBTT au cours de l’assaut. Après avoir analysé bon nombre de dépositions de témoins et de preuves matérielles, le rapport tirait les conclusions suivantes : trois chars portant les numéros 320, 325 et 328 se seraient positionnés autour de l’école ; les chars portant les numéros 325 et 328 auraient été postés près d’une maison au 101, rue du Komintern ; ces deux engins auraient fait feu plusieurs fois en direction du bâtiment de l’école le 3 septembre à 14 h 25, puis entre 15 heures et 16 heures ; et le char no 325 aurait tiré plusieurs autres coups en direction des fenêtres de la cantine ainsi que du mur et de la cage d’escalier de l’aile sud. 412. La partie 5 du rapport était consacrée à l’analyse des dépositions de témoins et des autres preuves concernant les femmes au sein du groupe terroriste. M. Savelyev conclut que le groupe comprenait cinq femmes : quatre kamikazes qui auraient alterné leurs positions de manière à ce qu’il y en ait toujours deux dans le gymnase à tout moment, la cinquième femme étant probablement un tireur qui était resté sur le toit le plus élevé de l’école. 413. La partie 6 du rapport examinait la situation des otages que les terroristes avaient déplacés du gymnase par la force après les premières explosions. M. Savelyev conclut des photographies et des vidéos des événements ainsi que des récits des témoins que, entre 13 h 05 et 14 h 20, les terroristes avaient fait sortir environ 300 personnes de l’aile sud. Les otages auraient été répartis en nombres plus ou moins égaux entre la cantine et la cuisine au rez-de-chaussée et la salle de réunion principale au premier étage. L’aile sud du bâtiment aurait été devenue une zone de violents combats entre les terroristes et les forces d’assaut : huit des dix membres d’élite du FSB y auraient péri. La présence d’otages dans cette partie du bâtiment n’aurait pas été prise en compte par les forces d’assaut, qui auraient fait usage d’armes frappant sans discrimination. M. Savelyev constata l’absence de toute description détaillée des endroits où se trouvaient les corps des otages, alors que cet élément aurait permis d’établir les circonstances de leur décès dans l’aile sud. Il affirmait que les corps dans le gymnase avaient été exposés au feu, tandis que le nombre de personnes retrouvées mortes près du gymnase était connu. Il estimait donc à environ 110 le nombre d’otages ayant trouvé la mort au cours des combats dans l’aile sud. 414. Était jointe à la partie 6 une « étude de cas », un document rédigé par plusieurs auteurs, dont le directeur du bureau de criminalistique, relatant leurs expériences concernant l’attentat terroriste de Beslan. Le document énumérait plusieurs problèmes se rapportant à la collecte, au transport et à la conservation des dépouilles, à la mise en place du processus d’identification et à la compilation des rapports d’expertise. Compte tenu du grand nombre de dépouilles, dont certaines auraient été gravement endommagées et difficiles à identifier, et de la présence de nombreux proches mécontents, le parquet aurait décidé le 4 septembre de permettre tout d’abord aux proches d’identifier les corps, puis de les faire expertiser. C’est ce qui aurait expliqué l’inexactitude de certaines identifications qu’il aurait fallu rectifier ultérieurement. De plus, en raison de ces contraintes, la plupart des corps n’auraient fait l’objet que d’un examen externe. La cause exacte du décès aurait été établie dans 213 cas : blessures par balles dans 51 cas (15,5 %), blessures causées par des obus dans 148 cas (45%), brûlures dans 10 cas (3%) et chocs physiques dans 4 cas (1,2%). La cause du décès n’aurait pas été établie dans 116 cas (35,6 %) parce que les corps auraient été carbonisés. Le rapport formulait ensuite un certain nombre un certain nombre de recommandations pour l’avenir, notamment la mise en place d’un centre d’information unique et le respect minutieux de différentes étapes procédurales, désignant des personnes compétentes pour chacune d’elles. 415. La partie 7 du rapport relatait les premiers instants de la prise de l’école le 1er septembre. Sur la base des témoignages, M. Savelyev conclut qu’un petit groupe de terroristes – entre cinq et sept personnes – s’était mélangé à la foule à 9 heures. L’un d’eux aurait lancé un signal en tirant en l’air, à la suite de quoi un autre groupe de 10 à 12 personnes aurait pénétré dans le bâtiment de l’école depuis l’avenue Shkolny et d’autres endroits. Certains d’entre eux se seraient rués vers le premier étage tandis que d’autres auraient cassé les vitres et enfoncé les portes du rez-de-chaussée de manière à permettre aux otages d’entrer dans le bâtiment. À ce moment-là, le véhicule GAZ-66 stationné dans la rue du Komintern à proximité du grillage de l’école se serait approché de l’entrée principale et une quinzaine de personnes en seraient sorties. Ce véhicule serait parti une fois que les combattants en seraient descendus. Enfin, un second véhicule GAZ-66 avec une plaque d’immatriculation différente serait allé de la rue Lermontov jusqu’à la rue du Komintern à grande vitesse, soulevant une grande colonne de poussière comme l’auraient relaté de nombreux témoins. Plus d’une vingtaine de combattants, dont quatre femmes, en seraient descendus et se seraient rués vers l’école ; le véhicule aurait ensuite enfoncé les portails de l’école et se serait arrêté dans la cour. Il y aurait eu au total entre 56 et 78 terroristes à l’école. (ii) Réaction officielle et réaction publique 416. Le parquet ordonna des expertises en réponse aux thèses que M. Savelyev défendait sur les origines des premières explosions et l’usage d’armes frappant sans discrimination dans le gymnase. En 2007 et 2008, des experts de la société publique scientifique Bazalt et de l’Institut central de recherche et d’expérimentation, named after Karbyshev of the Ministry of Defence produisirent deux rapport d’expertise concernant les explosions (paragraphes 224 et 228 ci-dessus). Les résultats ne furent pas publiés mais furent cités par plusieurs sources et par M. Savelyev. Les rapports excluaient l’idée que les premières explosions eussent pour origine des coups tirés depuis l’extérieur par des engins tels que des grenades ou des projectiles thermobariques. 417. En mars 2008, M. Savelyev publia dans le journal Novaya Gazeta un long article qui comportait des diagrammes indiquant quatre lieux et origines différents pour les premières explosions dans le gymnase : trois étaient tirés des rapports d’expertise que l’instruction avait ordonnés et le dernier était le sien. Il soutenait que les résultats des trois rapports d’expertise étaient si différents qu’il était impossible de les concilier. Il ajoutait que les conclusions concernant les origines et les conséquences des explosions qui figuraient dans les rapports d’expertise les plus récents ne cadraient pas avec les dépositions des témoins et les preuves matérielles. Enfin, il signalait que l’instruction n’avait donné aucune suite aux parties de son rapport consacrées à des questions autres que les premières explosions. F. Autres développements pertinents Secours humanitaire 418. En application de l’arrêté du gouvernement russe no 1338-r du 11 septembre 2004, les victimes de l’attentat terroriste reçurent les indemnités suivantes : 100 000 roubles russes (RUB ; soit environ 2 700 euros (EUR) courants) pour chaque personne décédée, 50 000 RUB pour chaque personne ayant subi des blessures graves ou de moyenne gravité, et 25 000 RUB pour chaque personne légèrement blessée. Les personnes qui s’étaient trouvées parmi les otages mais avaient pu s’enfuir indemnes reçurent 15 000 RUB chacune. En outre, les familles reçurent 18 000 RUB pour chaque personne décédée au titre des frais d’obsèques. 419. Les 6 et 15 septembre 2004, le président nord-ossète ordonna (décrets nos 58-rpa et 62-rp) le versement de 25 000 RUB au titre des frais d’obsèques pour chaque personne décédée, 100 000 RUB pour chaque personne décédée, 50 000 RUB pour chaque personne ayant subi des blessures graves ou de moyenne gravité, et 25 000 RUB pour chaque personne légèrement blessée. 420. L’attentat terroriste de Beslan donna lieu à une importante réaction humanitaire, notamment la collecte de grosses sommes d’argent. 421. n application du décret du gouvernement nord-ossète no 240 du 17 novembre 2004, le ministère nord-ossète du Travail et du Développement social versa aux victimes les sommes suivantes tirées de ses crédits affectés à l’aide humanitaire : 1 000 000 RUB pour chaque personne décédée (soit 27 000 EUR courants) ; 700 000 RUB pour chaque personne ayant subi des blessures graves, 500 000 RUB pour chaque personne ayant subi des blessures de moyenne gravité, et 350 000 RUB pour chaque personne légèrement blessée ou s’étant retrouvée parmi les otages. En outre, chaque enfant ayant perdu ses parents reçut 350 000 EUR et les autres personnes qui avaient été brièvement séquestrées mais ne s’étaient pas retrouvées parmi les otages reçurent 75 000 RUB chacune. Des sommes similaires furent attribuées aux membres blessés du FSB et d’Emercom ainsi qu’aux familles des membres tués. 422. En 2005, un mémorial appelé « Cité des anges » fut inauguré dans le cimetière de la ville de Beslan. Il comportait un monument unique pour les victimes, des tombes individuelles pour plus de 220 personnes et un monument pour les membres du FSB morts le 3 septembre 2004. 423. De 2004 à 2008, le gouvernement russe et le gouvernement nord-ossète prirent un certain nombre d’autres mesures visant à prendre en charge les frais médicaux et les dépenses sociales supportés par les victimes et à financer d’autres projets à Beslan. En novembre 2004, le gouvernement russe prit le décret no 1507r qui prévoyait la construction de deux nouvelles maternelles et écoles à Beslan, d’un centre médical polyvalent, d’un centre de soutien social pour les enfants et les familles, et d’un certain nombre de logements visant spécifiquement à aider les familles des victimes. La plupart de ces projets, financés grâce au budget fédéral, furent achevés en 2010. 424. Un pensionnat sportif à Beslan fut construit avec la participation de la Grèce et prit le nom d’Ivan Kanidi (aussi dénommé Yannis Kannidis), un professeur d’éducation physique de l’école no 1. M. Kanidi, qui possédait la double nationalité grecque et russe et était âgé de 74 ans à l’époque, avait refusé de quitter l’école lorsque les terroristes le lui avaient demandé. Le 3 septembre, après les explosions dans le gymnase, il fut tué en luttant contre un combattant armé alors qu’il cherchait à secourir les enfants. En décembre 2004, le Premier ministre grec lui décerna l’Ordre de la palme d’or à titre posthume. Autres réactions importantes du public et des médias 425. En septembre 2004, M. Dzasokhov révoqua tous les membres du gouvernement nord-ossète. 426. Le 13 septembre 2004, le président Poutine signa un décret visant à mettre en place un système plus efficace de mesures de lutte contre le terrorisme dans la région du Nord-Caucase. Le même jour, lors d’une réunion conjointe du gouvernement russe et des dirigeants de région de Russie, il annonça l’adoption des mesures suivantes visant à renforcer l’unité nationale et à mieux répondre aux préoccupations de la population : la suppression de l’élection au suffrage direct des dirigeants régionaux, lesquels devaient désormais être nommés par le président russe puis élus par les parlements régionaux ; des élections législatives au scrutin entièrement proportionnel ; la création d’une chambre civique (Общественная Палата), un organe consultatif composé de représentants d’organisations non-gouvernementales ; le rétablissement d’un ministère fédéral spécial chargé des relations interethniques ; la mise en œuvre d’un plan de développement économique et social de la région du Nord-Caucase, ainsi que d’autres. À la fin de l’année 2004, ces mesures administratives et légales avaient été pour une large part exécutées. 427. Pendant et après l’attentat terroriste de Beslan, de nombreux journalistes du monde entier relatèrent les événements. 428. En janvier 2005, la chaîne américaine CBS diffusa dans son émission 48 Hours un reportage sur la prise d’otages. On y voyait pour la première fois un extrait filmé par les terroristes. Selon la chaîne, des habitants locaux avaient trouvé la vidéocassette sur les lieux, dans les décombres, et son journaliste se l’était procurée par la suite. Enregistrée le 2 septembre 2004 à l’extérieur de l’école, la vidéo montrait le chef des combattants, « Polkovnik », et une douzaine d’autres terroristes en tenue militaire. On y voyait aussi les discussions avec M. Aushev et les mères avec des enfants en bas âge qu’il emportait dehors avec lui. Parmi les dernières images, une mère remettait sa petite fille (la plus jeune otage, âgée de six mois) à M. Aushev parce qu’elle ne pouvait pas laisser ses deux autres enfants (âgés de 3 et 10 ans ; seul le premier a survécu). La vidéo finissait avec la porte de l’école fermée et verrouillée par les terroristes qui filmaient depuis l’intérieur. Le caméraman avait intitulé cet extrait « Bons moments2/09/2004 ». 429. Les journalistes qui étaient présents à Beslan pendant le siège et ceux qui avaient enquêté ultérieurement au sujet de la tragédie en firent plusieurs longs comptes-rendus. Notamment, les années suivantes, les journaux Novaya Gazeta et Moskovskiy Komsomolets publièrent une série d’articles consacrés à la prise d’otages et à l’enquête. Le magazine allemand Der Spiegel publia un long article dans son numéro de décembre 2004 et le magazine américain Esquire publia en mars 2007 un article intitulé « The School ». 430. Un nombre important d’autres émissions de télévision, de documentaires et de livres furent consacrés à ce sujet. En particulier, les requérants dans les présentes affaires ont cité le chapitre pertinent du livre de M. Rogozin intitulé « Ennemi public ». Un site Internet relate la tragédie et les procédures auxquelles elle a donné lieu ). Les organisations de victimes 431. Les victimes de l’attentat terroriste et leurs proches joignirent leurs efforts afin que toute la lumière soit faite sur les événements du 1er au 3 septembre 2004 et sur le degré de responsabilité des autorités. 432. En février 2005, les victimes créèrent une organisation non-gouvernementale, Les Mères de Beslan (Materi Beslana), qui comptait environ 200 membres – des anciens otages et des proches des victimes – et qui était présidée par Mme Dudiyeva. 433. En novembre 2005, plusieurs centaines de victimes créèrent une autre organisation, La Voix de Beslan (Golos Beslana), présidée par Mme Ella Kesayeva. En novembre 2005, cette ONG fit une déclaration publique qualifiant l’instruction pénale d’inefficace et de frauduleuse. Elle sollicita le concours de toute personne souhaitant l’aider à obtenir ou recueillir des informations factuelles sur les événements. Par un jugement rendu le 15 octobre 2009, le tribunal du district Pravoberezhny de Vladikavkaz dit que l’ONG avait tenu des propos « extrémistes » au sens de la loi de lutte contre le terrorisme (loi fédérale no 114-FZ du 25 juillet 2002) et inscrivit cette déclaration dans la liste fédérale des matériaux extrémistes, réprimant pénalement sa diffusion par quelque moyen que ce soit. 434. Ces organisations ont joué un rôle important dans la collecte et la publication des matériaux concernant l’attentat terroriste de Beslan, en défendant les droits des victimes des attentats terroristes en général ainsi qu’en offrant un soutien aux victimes d’actes similaires et en organisant des rassemblements et événements publics. À deux reprises – en septembre et en juin 2011 –, leurs représentants rencontrèrent les présidents russes. Ils s’entretinrent régulièrement aussi avec les autorités locales et fédérales de même qu’avec des visiteurs internationaux de haut rang. G. Rapports d’experts produits par les requérants postérieurement à la décision de recevabilité 435. Postérieurement à la décision de recevabilité du 9 juin 2015, les requérants ont produit deux documents supplémentaires : des rapports d’experts indépendants qu’ils avaient commandés au sujet des volets de l’affaire relatifs à la prévention de l’attentat terroriste et à la criminalistique. Rapports d’expertise sur la prévention de l’attentat terroriste 436. En septembre 2014, deux experts britanniques en matière de lutte contre le terrorisme produisirent un rapport à la demande de l’EHRAC, le représentant des requérants. Ces experts sont M. Ralph Roche, solicitor en Irlande du Nord, en Angleterre et au Pays de Galles et consultant de l’OSCE sur les questions se rapportant à la police et aux droits de l’homme, coauteur de la publication du Conseil de l’Europe intitulée The European Convention on Human Rights and Policing (2013) ; et M. George McCauley, ancien commissaire principal et ancien directeur du Service des opérations spéciales de la police d’Irlande du Nord. Ils s’appuyèrent sur des sources publiques, notamment le rapport de communication produit en l’espèce, et examinèrent l’applicabilité des normes pertinentes tirées de l’article 2 de la Convention à différents volets de l’opération. Leurs principales conclusions peuvent être résumées comme suit. a. Existence d’une menace réelle et imminente connue des autorités 437. Examinant les attentats antérieurs et les informations à la disposition des autorités juste avant l’attentat de Beslan, les experts disaient qu’il existait « un niveau de menace d’attentat terroriste extrêmement élevé dans le ressort fédéral du Sud fin août-début septembre 2004, en particulier dans les zones frontalières de [l’Ossétie du Nord] et de l’Ingouchie. Cette menace pouvait être qualifiée de réelle, parce qu’elle avait été confirmée par les différents arrêtés, télex et autres documents du [ministère de l’Intérieur] fédéral, et d’immédiate. Elle pouvait être qualifiée aussi d’immédiate parce que les informations diffusées par les autorités signalaient la date précise du risque d’attentat : le 1er septembre ». Les experts ajoutaient que, outre la date, les renseignements évoquaient une zone précise – près de la frontière entre l’Ossétie du Nord et l’Ingouchie – et une cible potentielle, l’attentat ayant été planifié pour coïncider avec la Journée de la connaissance. Beslan étant la plus grande ville d’Ossétie dans un périmètre de 20 km à partir de la frontière jouxtant le district de Malgobek, là où apparemment les terroristes s’étaient rassemblés, ils estimaient que « Beslan et les autres villes avoisinantes se trouvaient clairement sous la menace réelle et immédiate d’un attentat visant un établissement scolaire le 1er septembre ». Ils disaient qu’un attentat d’une telle ampleur contre une cible civile risquait d’entraîner d’importantes pertes en vies humaines. Ils concluaient que le niveau de détail constaté même dans les versions relativement « assainies » des télex et autres communications montrait qu’il pouvait y avoir au sein du groupe une « source de renseignement humain clandestine », ainsi qu’une surveillance par des moyens techniques, par exemple l’interception de communications. L’événement revêtait donc un « degré élevé de prévisibilité ». 438. Quant à la gravité de la menace que présentaient des « terroristes bien organisés, impitoyables et déterminés qui (...) ciblaient activement des civils », le rapport rappelait l’importance que revêtait la Journée de la connaissance dans la société russe et affirmait qu’un attentat contre une école ce jour-là était un acte qui « assurément toucherait la nation dans son cœur même » – un objectif que les terroristes avaient manifestement cherché à atteindre. b. Mesures préventives réalisables 439. Les experts en concluaient que, vu la forte prévisibilité et l’ampleur de la menace, les mesures opérationnelles réalisables « auraient dû être considérées comme prioritaires par rapport à toutes les autres menaces ». Ils scindaient les mesures possibles en trois larges catégories : i) la privation de cible, ii) l’intervention et iii) la sécurité. Ils expliquaient qu’un exemple de privation cible aurait consisté à ajourner l’ouverture de l’année scolaire dans une zone définie. Bien que sans précédent, cette mesure aurait selon eux privé les terroristes de la cible de premier choix qu’ils visaient. Quant à l’intervention, sans plus d’éléments, toute observation aurait été forcément conjecturale. Les experts ajoutaient que la raison pour laquelle les autorités n’avaient pas conduit d’attaque préventive était peut-être qu’agir ainsi aurait compromis leurs sources, ou pour une autre raison – par exemple à cause du risque grave pour la vie des membres des forces de sécurité. Il n’en était pas moins clair que « le risque aurait vraisemblablement été plus élevé au cas où le groupe serait parvenu à atteindre son objectif » et que la nécessité de protéger les sources ne pouvait constituer une raison valable de mettre en grave danger des vies humaines. Enfin, quant à la sécurité, les experts estimaient que « l’approche essentiellement passive » adoptée était « gravement inadéquate » au vu des circonstances. Ils constataient qu’il n’y a pas eu de contrôle ni d’endigage effectif de la menace et que le personnel de la police locale était à l’évidence incapable de s’occuper de ce problème de sécurité : « Vu le degré élevé de prévisibilité, le niveau élevé de menace reconnu par [le ministère nord-ossète de l’Intérieur] et la précision des renseignements sur la localisation des terroristes, la cible recherchée et la zone vraisemblablement visée, il aurait fallu augmenter considérablement les ressources dans les secteurs désignés. Le but aurait été d’entraver ou de neutraliser les projets des terroristes et de les priver de cible. Il aurait fallu notamment déployer un grand nombre de forces très visibles et localiser le groupe terroriste, mettre en place des points de contrôle de véhicules non seulement sur les artères principales mais aussi en profondeur, dans les villes vraisemblablement ciblées. Il aurait fallu en faire de même dans les écoles pour que les terroristes soient privés de cibles. » Les experts concluaient que, si aucune mesure de sécurité ne permettait de garantir l’échec des terroristes, la présence de personnel de sécurité sur les routes et là où se trouvaient les cibles potentielles aurait eu un effet dissuasif et aurait pu gêner ces derniers. Selon eux, qu’un groupe de plus d’une trentaine de terroristes armés ait pu emprunter les routes locales pour se rendre à Beslan sans avoir rencontré le moindre barrage tenu par ne serait-ce que par un seul policier « montr[ait] à quel point les autorités avaient échoué à donner les suites qui s’imposaient aux renseignements dont elles disposaient. » 440. À titre de comparaison, les experts énuméraient les mesures qui auraient été prises au Royaume-Uni face à une menace comparable connue. Ils disaient qu’un centre de commandement aurait été mis en place, avec une hiérarchie claire et responsable, en fonction des impératifs des tâches. Ils expliquaient que le centre aurait été composé de hauts fonctionnaires de police et travaillé en coordination avec les unités compétentes de l’armée britannique, les unités spécialisées de lutte contre le terrorisme et les services de sécurité, ainsi que d’autres organes du secteur public tel que les services des pompiers, des secouristes et des ambulanciers. Ils ajoutaient qu’un comité de crise ad hoc aurait été mise en place au sein du gouvernement britannique de manière à coordonner les actions des différents organes de manière à obtenir les ressources adéquates et à définir une stratégie pour les médias. En outre, selon eux, les cibles potentielles auraient été « entravées » par un déploiement visible de premier plan de personnel de sécurité armé. c. L’usage de la force meurtrière, la planification de l’opération et le contrôle de son déroulement 441. Selon le rapport, une fois que les terroristes avaient atteint l’école et pris un grand nombre d’otages, les autorités s’étaient trouvées confrontées à une situation extrêmement délicate – où de lourdes pertes en vies humaines, y compris des enfants, étaient inévitables. Les experts notaient l’intention exprimée par les membres du groupe de mourir, qui était manifeste dès le début, et de causer des pertes considérables en vies humaines en cas d’assaut. Dans ces conditions, le rôle des autorités aurait dû être selon eux de chercher à réduire autant que possible ces pertes. 442. Les experts rappelaient tout d’abord que la présence de seulement une policière non armée dans l’école au moment de la prise d’otages avait retardé la réaction à l’attentat et permis aux terroristes de capturer un grand nombre d’enfants et d’adultes lors de la cérémonie, de prendre le contrôle du bâtiment et d’y déployer des EEA face à une très faible résistance. Selon eux, même si nul ne pouvait prédire les conséquences précises d’une plus forte présence des forces de sécurité à la cérémonie, « une réaction policière adéquate aurait repoussé les terroristes suffisamment longtemps pour permettre à un nombre important » d’otages potentiels de s’échapper. 443. Les experts évoquaient ensuite la formation, la structure, la tenue des archives et le contrôle du CC. Ils soulignaient qu’il ne fallait pas sous-estimer la pression sous laquelle les membres du CC travaillaient. Ils disaient qu’« [a]ucune formation ni aucune expérience n’aurait permis à quiconque d’être entièrement prêt face à [une] crise comme celle de Beslan », qui représentait « l’une des situations les plus difficiles à laquelle une administration ait pu faire face ». Ils ajoutaient qu’aucune norme de référence internationale détaillée ou préétablie ne permettait de contrôler et de planifier une opération de ce type. Il semblait inévitable selon eux que la réaction allait être élaborée rapidement et avec le minimum de formalités, ce qui correspondait à la dynamique et à la gravité de la situation. S’appuyant sur des dépositions de témoins, sur des documents officiels et sur d’autres éléments cités dans la décision de recevabilité rendue par la Cour, le rapport relevait les défauts suivants dans le fonctionnement du CC : absence d’archives adéquates sur la composition, les réunions et les décisions principales du CC ; absence de structures formelles apparentes pour le partage de l’information et la prise de décision, conduisant à la prise de décisions non coordonnées ; absence de structure de commandement et de contrôle claire aussi bien pour la stratégie que pour les décisions tactiques importantes, par exemple les types et l’usage d’armes spéciales ; et défaillance globale dans le commandement et le contrôle. En sus des éléments ci-dessus, les experts estimaient que l’absence d’un quelconque plan de lancement d’une opération de sauvetage jusqu’au 3 septembre à 13 heures, compte tenu de la situation intolérable dans laquelle se trouvaient les otages et de l’imprévisibilité des terroristes – en raison desquelles l’intervention pouvait s’imposer à tout moment –, s’analysait en un défaut de planification adéquate d’une opération de sauvetage. d. L’opération de sauvetage 444. Les experts jugeaient que la situation à laquelle les autorités russes faisaient face une fois les terroristes parvenus à leurs cibles était désastreuse et que la possibilité d’une solution pacifique à cette prise d’otages apparaissait minimale. Ils disaient que les autorités étaient donc obligées de prendre des décisions extraordinairement difficiles et déchirantes dans un contexte extrêmement volatile et qu’« il n’exist[ait] aucune formation ou manuel qui [aurait permis d’]offrir des solutions à ces dilemmes ». De plus, ils reconnaissaient l’existence de lacunes notables dans les informations relatives à la préparation de l’opération de sauvetage et dans bon nombre de domaines concernant la conduite de celle-ci, par exemple les origines des premières explosions. Cela dit, ils estimaient que, ayant duré plus de deux journées entières avant le début de l’opération de sauvetage, la situation ne pouvait être qualifiée de totalement imprévue puisque les autorités avaient eu le temps et les ressources pour la planifier et s’y préparer. 445. Au vu de ces éléments, les experts mettaient en avant plusieurs points qui, à leurs yeux, étaient importants dans l’analyse de l’opération de sauvetage. Certains de ces points avaient trait au degré de contrôle exercé par les autorités sur l’évolution de la situation : par exemple, il y avait le point de savoir si l’opération s’était trouvée à tout moment sous le contrôle des hauts responsables ou si, compte tenu de la situation intolérable dans laquelle se trouvaient les otages, les autorités avaient préparé leur réaction à l’aune de ce que les otages pouvaient tenter n’importe quand de sortir du bâtiment. D’autres points étaient davantage axés sur les décisions tactiques des commandants qui avaient eu une incidence directe sur l’opération de sauvetage qui a été conduite. 446. Les experts disaient que, dans l’hypothèse où les premières explosions auraient été provoquées par la mise en marche d’un EEA installé par les terroristes et où ceux-ci auraient commencé à tirer sur les otages en fuite, les autorités n’avaient eu d’autre choix que de lancer l’opération de sauvetage, ce qu’elles auraient effectivement fait. Ils relevaient que l’opération s’était soldée par des pertes massives en vies humaines et que les versions différaient quant à l’usage des lance-flammes et des canons des chars. Ils soulignaient qu’il s’agissait d’armes militaires qui étaient destinées à neutraliser les bâtiments où étaient postés des combattants ennemis. Ils estimaient qu’il aurait été injustifiable de recourir à de telles armes à un moment où il y avait encore des otages dans le bâtiment. Selon eux, l’emploi de ces armes aurait été justifiable si l’on avait pensé qu’il n’y avait plus de civils dans le bâtiment et qu’il n’y avait pas d’autre solution militaire ; mais, en l’absence d’analyse définitive sur ces faits, il fallait réserver ce jugement. Les experts observaient néanmoins que, le bâtiment de l’école ayant semblé se trouver suffisamment sous contrôle, à 17 heures ou peu après, pour que les forces de sécurité honorent la mémoire de leurs camarades morts au combat, il ne restait vraisemblablement aucun terroriste dans le bâtiment à ce moment-là. 447. Le rapport ajoutait ensuite que le déploiement des deux unités des forces spéciales Alpha et Vympel dans un exercice d’entraînement au moment où l’opération de sauvetage avait commencé n’avait laissé aux autorités que peu ou pas de solutions s’il fallait faire intervenir des unités spécialisées. Le nombre élevé de pertes subies par les forces spéciales du FSB témoignerait de leur courage puisqu’elles se seraient probablement rendu compte que leur vue serait vraisemblablement en danger si elles pénétraient dans l’école. Les experts n’en estimaient pas moins que les mêmes défaillances dans la planification et la conduite de l’opération de sauvetage avaient eu une incidence tant sur le sort des forces d’intervention que sur celui des otages. 448. S’agissant des pompiers, les experts soulignaient que, le risque de début d’incendie provoqué par les explosions étant connu, les brigades auraient dû être déployées plus tôt. Selon eux, « le fait que très peu d’autopompes aient été déployées et qu’elles n’étaient pas suffisamment ravitaillées en eau [était] une défaillance dans la prévision et la planification (...) [L]’impératif général (...) de planifier et contrôler les opérations de sauvetage de manière à réduire au minimum le risque pour la vie appelait le déploiement d’un nombre bien plus élevé de ressources des brigades de pompiers, notamment des pompes multiples et des engins spécialisés (...) » De même, les experts faisaient remarquer que, si les évacuations et soins médicaux subséquents étaient bien organisés puisqu’assez peu de blessés étaient morts à l’hôpital, le personnel médical n’avait pas reçu la moindre information pertinente qui lui aurait permis de planifier les mesures qui s’imposaient. Selon eux, « il appara[issait] que le succès relatif de l’évacuation médicale [s’expliquait] par le professionnalisme du personnel médical et que celui-ci n’a[vait] pas été associé au CC ni même tenu informé des éléments pertinents (par exemple le nombre d’otages) de manière à lui permettre de déployer les ressources adéquates. » e. Autres éléments concernant la réaction des autorités 449. Les experts ont également examiné trois volets de l’opération que les requérants avaient critiqués : i) la diffusion d’informations inexactes sur le nombre d’otages au cours de la crise, ii) la coordination entre les différentes autorités concernant les plans de sauvetage, et iii) la stratégie de négociation. 450. S’agissant du nombre d’otages, les auteurs du rapport estimaient que cet élément de la communication ne pouvait avoir une quelconque incidence négative prévisible sur le comportement des terroristes ni aucune autre conséquence prévisible. S’agissant de la coopération entre les autorités, ils observaient qu’une coordination efficace était un élément essentiel du commandement et du contrôle d’une opération antiterroriste. Ils constataient l’absence manifeste de collaboration avec les médecins et le défaut de confinement des lieux, malgré la présence de plusieurs cordons tenus par les membres de différents services de sécurité. Ils ajoutaient toutefois que, une fois les explosions survenues et les hostilités déclenchées, les autorités n’avaient eu d’autre choix que d’ordonner l’opération de sauvetage ; à ce stade, les solutions préparées en cas d’imprévu auraient dû être mises en œuvre. 451. Enfin, s’agissant des négociations, les experts estimaient que les terroristes « n’étaient pas intéressés par les négociations et s’étaient rendus à Beslan pour semer autant que possible la terreur et la mort parmi les éléments les plus vulnérables de la population civile ». Selon eux, les revendications des terroristes étaient irréalistes et rigides, et ceux-ci ne semblaient avoir aucune stratégie de négociation ; en outre, ils semblaient prêts à mourir dès le tout début. Un tel état d’esprit « n’était pas celui de personnes rationnelles et il était si imprévisible qu’il rendait les négociations particulièrement difficiles, voire impossibles ». Les autorités auraient analysé les revendications des terroristes, entrepris des démarches pour entrer en pourparlers avec eux et les auraient mis en contact avec les personnes qu’ils avaient sollicitées. Selon les experts, la manière dont elles ont négocié n’était pas critiquable. Rapport d’expertise sur les aspects médico-légaux de l’opération 452. En octobre 2015, à la demande de l’EHRAC, un médecin légiste de Glasgow produisit un rapport d’expertise concernant certaines questions se rapportant à la récupération des dépouilles, aux autopsies pratiquées et aux conclusions tirées quant aux causes des décès. Médecin légiste en Angleterre et en Écosse pendant une trentaine d’années, le Dr John Clark aurait également participé à des travaux internationaux, fait fonction de chef pathologiste pour le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (1999-2001) et travaillé en Afrique pour la Cour pénale internationale, en Palestine et en Jordanie pour l’ONU, et dans d’autres régions du monde. Il aurait aussi les qualifications nécessaires en tant que chercheur et enseignant dans la recherche et l’enseignement, ayant exercé des fonctions à l’Université de Glasgow et été inspecteur national pour les qualifications en médecine légale et secrétaire du Conseil de l’ordre des médecins légistes britannique). Outre l’exposé des faits dans la présente affaire (décision de recevabilité), le Dr Clark se serait vu remettre les procès-verbaux des déclarations des représentants devant la Cour, ainsi qu’une traduction anglaise du rapport d’expertise no 1 (du 23 décembre 2005), de cinq rapports d’autopsie des victimes et des procès-verbaux des témoignages des médecins légistes dans les procédures internes. Ses conclusions peuvent être résumées comme suit. 453. En ce qui concerne l’organisation générale du service de médecine légale, le Dr Clark relevait que la tâche à laquelle les autorités étaient confrontées était extrêmement délicate. Il disait que la morgue de Vladikavkaz n’aurait certainement pas pu faire face à l’arrivée de plus de 300 cadavres – ni d’ailleurs aucune autre morgue dans le monde. Il estimait que d’autres solutions auraient donc dû être envisagées, par exemple la création d’une morgue provisoire à un autre endroit (un entrepôt ou une chambre froide – il rappelait qu’une patinoire avait été utilisée à l’occasion des événements de Lockerbie) et l’affrètement de camions réfrigérants ou l’acheminement des corps vers d’autres morgues. Il considérait que, compte tenu du nombre potentiellement élevé des pertes que pouvait entraîner le siège, une sorte de système aurait dû être prévu à l’avance, dans un endroit adapté bien équipé, doté d’un personnel précisément désigné et mobilisable à bref délai. Il notait que « la question de la conservation et de la préservation des corps aurait été prioritaire aux yeux d’un médecin légiste, en particulier parce qu’il faisait chaud ». Il ajoutait qu’une meilleure organisation dans le maniement des dépouilles aurait permis non seulement d’éviter les identifications erronées, mais aussi d’alléger la pression qui pesait sur les membres de l’équipe médico-légale. Il en concluait que ces derniers auraient pu ainsi pratiquer un examen plus en profondeur des corps, si nécessaire, de manière à établir la cause des décès et à repérer et extraire les objets susceptibles d’avoir une utilité pour l’enquête, par exemple des balles, des fragments d’EEA, etc. Selon lui, donner des explications claires aux proches sur les contraintes en matière de délais et sur la nécessité d’une autopsie aurait aidé non seulement ces derniers mais aussi les personnes chargées des corps. 454. Quant à la récupération des corps dans l’école, l’expert faisait remarquer que l’emplacement et la position de chacun d’eux auraient dû être consignés et qu’ils auraient dû être numérotés et, si possible, photographiés. La description des lieux et la consignation des cadavres récupérés, telles qu’elles ressortaient des pièces disponibles, apparaissaient selon lui « totalement inadéquates pour des événements de cette ampleur [et] elles n’offraient aucune base pour une analyse indépendante, contrairement à tout rapport médico-légal digne de ce nom ». 455. L’expert estimait que ne pratiquer qu’un examen externe de la plupart des corps, et non une autopsie complète, aurait été compréhensible si le principal but de l’examen avait été l’identification. Selon lui, une telle démarche aurait été justifiable par exemple pour les victimes de catastrophes naturelles, voire de crimes de masse, dont les blessures évidentes causées par des coups de feu ou par des engins explosifs rendent manifestes la cause du décès. Cependant, elle « ne permettrait pas de tirer des conclusions imprévues, ni de retrouver des balles ou des éclats d’obus à l’intérieur du corps », même si la valeur probante de ce type d’éléments, par exemple pour vérifier si une balle avait été tirée à l’aide de telle ou telle arme, aurait été discutable s’agissant de munitions à haute vélocité. L’expert ajoutait qu’il existait des solutions moins contraignantes, comme l’imagerie médicale, les hôpitaux étant généralement dotés de systèmes à rayons X mobiles. Il disait que ces solutions auraient permis de voir si un examen plus en profondeur s’imposait. Il constatait que, dans certains cas, les conclusions sur la cause du décès n’étaient pas compatibles avec le nombre d’examens pratiqués et qu’elles auraient dû être « rédigées en des termes bien plus mesurés ». S’agissant des cas où la cause des décès n’avait pas été établie, surtout en raison des brûlures très graves, il considérait qu’il eût été relativement aisé de la trouver. « L’endroit et le moment des décès, ainsi que leur cause – coups de feu, explosion, feu ou autres traumatismes, ou une combinaison de ceux-ci – auraient pu et auraient dû être déterminés ». 456. L’expert faisait également des observations sur les personnes dont le corps avait été si brûlé que la cause de leur décès n’avait pas pu être établie, et sur le point de savoir si ces brûlures étaient antérieures ou postérieures au décès. Il soulignait que les blessures postérieures à la mort dissimulent souvent celles reçues avant la mort ; que la cause du décès des personnes mortes dans un incendie est dans la plupart des cas l’asphyxie par la fumée, et non les brûlures, mais qu’un décès dû à une asphyxie par la fumée ne peut être prouvé que par un examen interne comportant notamment une analyse de la présence de carboxyhémoglobine dans le sang et une dissection du corps de manière à voir dans quelle mesure les voies respiratoires sont encrassées. Il insistait sur le point suivant : « [l’]examen interne d’un corps aux fins d’établir une asphyxie par la fumée peut être pratiqué même sur les dépouilles hautement carbonisées et partiellement détruites (qui en général sont remarquablement bien préservées à l’intérieur), et certainement pour ce qui est des types de corps apparaissant sur les photographies et décrits dans les rapports d’autopsie ci-dessus. Par conséquent, il est absurde et malhonnête de dire que la cause du décès ne pouvait être établie parce que le corps était brûlé ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Encadrement des opérations antiterroristes et recours à la force Loi de lutte contre le terrorisme et code pénal 457. La loi de la Fédération de Russie de 1998 relative à la lutte contre le terrorisme (loi no 130-FZ – ci-après « la loi de lutte contre le terrorisme »), qui était en vigueur jusqu’au 1er janvier 2007, fixait les principes fondamentaux dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, notamment pour ce qui est de coordonner les mesures prises par les différents services répressifs et par d’autres services de l’État. Son article 2 disposait notamment : a) la priorité doit être donnée aux intérêts des personnes menacées par un acte de terrorisme, b) l’État ne doit faire que des concessions minimales aux terroristes, c) l’État doit garder secrètes, dans toute la mesure du possible, les méthodes techniques employées lors des opérations de lutte contre le terrorisme et l’identité des personnes impliquées dans celles-ci. L’article 3 de cette loi définissait ainsi le terrorisme : « (...) la violence ou la menace de recours à la violence contre des personnes physiques ou morales, ainsi que la destruction (ou la détérioration) ou la menace de destruction (ou de détérioration) de biens et d’autres objets matériels mettant en danger la vie des personnes, causant des pertes matérielles importantes ou entraînant d’autres conséquences dangereuses pour la société, dans le but de porter atteinte à la sûreté publique, d’intimider la population ou de pousser les organes de l’État à prendre des décisions favorables aux terroristes ou à satisfaire leurs intérêts illégaux, d’ordre pécuniaire ou autre ; l’attentat à la vie d’une personnalité publique ou d’une figure de l’État, commis dans le but de faire cesser ses activités publiques ou politiques, ou en représailles à de telles activités ; ou l’attaque contre un représentant d’un État étranger ou un agent d’une organisation internationale placé sous protection internationale, ou contre les locaux ou moyens de transport officiels de personnes placées sous protection internationale, si pareil acte est commis dans le but de déclencher une guerre ou de créer une tension dans les relations internationales. » 458. Les articles 10 et 11 de cette loi régissaient les travaux du centre de commandement (CC), l’organe interservices mis en place pour toute opération de lutte contre le terrorisme. Créé par décision du gouvernement fédéral, le CC avait à sa tête le directeur du département régional du FSB ou du ministère de l’Intérieur, selon les circonstances. Le directeur du CC pouvait être remplacé si la nature de l’opération l’imposait. Les travaux du CC reposaient sur les réglementations modèles publiées par la commission fédérale antiterroriste. Le CC pouvait au cours de l’opération faire appel à des ressources d’autres services de l’État fédéral, notamment « des armes et d[‘autres] matériels et moyens à usage spécial » (oruzhiye et spetsialniye sredstva). L’article 13 de cette loi fixait le régime juridique applicable dans la zone de l’opération antiterroriste (vérifications d’identité, droit pour les forces de sécurité d’entrer dans des locaux et d’y fouiller des personnes, etc.) 459. L’article 14 autorisait la négociation avec des terroristes si elle permettait de sauver des vies. Toutefois, il était interdit d’examiner les exigences de terroristes consistant à leur remettre toute personne, toute arme ou autre objet dangereux, ainsi que leurs revendications politiques. 460. L’article 17 prévoyait que tout dommage causé par un acte terroriste devait être réparé par les autorités de la région où l’acte de terrorisme avait eu lieu. L’article 21 disposait que les forces, experts et autres personnes engagés dans la lutte contre le terrorisme étaient exonérés de toute responsabilité pour les dommages à la vie, à la santé et aux biens des terroristes, ainsi qu’aux autres intérêts légalement protégés, conformément à la loi et dans les limites fixées par celle-ci. 461. L’article 205 du code pénal de la Fédération de Russie de 1996 (en vigueur à l’époque des faits) réprimait l’acte de terrorisme, ainsi défini : « la provocation d’une explosion, d’un incendie ou d’un autre acte terrorisant la population et faisant naître un risque pour la vie humaine (...) dans le but d’influencer les décisions prises par les autorités [publiques] ». L’article 206 réprimait la prise d’otages, ainsi définie : « la capture ou la séquestration d’une personne comme otage, en vue de forcer l’État (...) à agir [d’une certaine manière] ». Manuels des armées 462. Le manuel des armées qui était en vigueur à l’époque des faits (Боевой устав Сухопутных войск, adopté par le commandant-en-chef de l’Union soviétique le 9 avril 1989) fut publié par le ministère de la Défense de l’URSS en 1990. À la page 9 de son volume II (bataillon, compagnie), il précisait ceci : « la volonté de l’officier commandant de vaincre l’ennemi doit être résolue et ne donner lieu à aucune hésitation. Honte au commandant qui, craignant les responsabilités, manquerait à agir et ne ferait pas usage de toutes les forces, mesures et possibilités qui lui permettraient de parvenir à la victoire dans la bataille ». Le volume III (peloton, escouade, char), décrit ainsi le combat dans des conditions spéciales (urbaines) : « 117. (...) Avant l’attaque, les VBTT, chars, canons et pièces antichars, par un feu direct, détruisent l’ennemi dans le bâtiment visé et dans les bâtiments avoisinants. Parallèlement, les membres du peloton (escouade) et les opérateurs de lance-flammes tirent en direction des fenêtres, des portes et des positions de tir et, en passant par les brèches dans les murs et par les souterrains (...), se dirigent vers l’objectif. (...) Pendant que le peloton (escouade) s’approche de l’objectif visé, le feu des chars, des canons et des autres pièces est dirigé vers les étages supérieurs et les combles. Avec courage et bravoure, le peloton, couvert par des tirs et fumigènes de toutes sortes, se rue vers le bâtiment et, de bas en haut, niveau après niveau en passant par les escaliers et les brèches dans les murs, détruit l’ennemi par un feu à courte portée à l’aide d’armes automatiques et de grenades (...) 118. Pour prendre les bâtiments fortifiés ou les bastions (...), le peloton peut s’insérer dans un groupe d’assaut. Le groupe d’assaut peut comprendre (...) des chars, des canons automoteurs, des mortiers, des canons antichars, des lance-grenades, des lance-flammes et autres armes (...) » 463. Un nouveau manuel des armées fut publié le 24 février 2005. Dans son volume III (peloton, escouade, char), point 24, il indique ceci : « Tout militaire doit connaître et respecter les normes de droit humanitaire international : dans l’objectif visé, n’employer les armes que contre l’ennemi et son matériel militaire ; ne pas attaquer les personnes et le matériel protégés par le [DHI] si ces personnes ne commettent aucun acte hostile et si ce matériel n’est pas utilisé (...) à des fins militaires ; ne pas causer de souffrances [ou] de dommages excessifs dépassant ce qui est nécessaire à la poursuite de l’objectif militaire ; si la situation le permet, recueillir les personnes blessées, malades ou naufragées s’abstenant de tout acte hostile, et leur procurer une aide ; traiter les civils humainement, respecter leurs biens ; empêcher les subordonnés et les camarades de violer les règles du [DHI], signaler aux supérieurs tout cas de violation de celui-ci. (...) Un manquement à ces règles non seulement jette l’opprobre sur votre patrie, mais peut engager votre responsabilité pénale personnelle devant les instances prévues par la loi. Lorsqu’ils poursuivent les objectifs qui leur sont assignés, les commandants doivent prendre leurs décisions en tenant compte, dans les limites de leurs responsabilités, des normes du [DHI] et s’assurer que leurs subordonnés respectent celles-ci ». B. Loi d’amnistie 464. Adoptée par la Douma d’État, la loi du 22 septembre 2006 amnistia les auteurs d’infractions pénales commises au cours d’opérations antiterroristes sur le territoire du ressort fédéral du Sud. Elle visait les militaires, les membres du ministère de l’Intérieur, des services de la justice pénale et d’autres instances chargées de l’application de la loi, et valait pour la période allant du 15 décembre 1999 au 23 septembre 2006. Elle s’appliquait aux procédures pénales, qu’elles fussent closes ou pendantes. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS A. L’emploi de la force par les forces de l’ordre 465. Les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, adoptés par le huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990 (« les Principes de base »), prévoient notamment que « [l]es pouvoirs publics et les autorités de police adopteront et appliqueront des réglementations sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu contre les personnes par les responsables de l’application des lois ». 466. Les Principes de base encouragent en outre les autorités de police à mettre en place « (...) un éventail de moyens aussi large que possible et [à munir] les responsables de l’application des lois de divers types d’armes et de munitions qui permettront un usage différencié de la force et des armes à feu. Il conviendrait à cette fin de mettre au point des armes non meurtrières neutralisantes à utiliser dans les situations appropriées, en vue de limiter de plus en plus le recours aux moyens propres à causer la mort ou des blessures. » Lorsque l’usage légitime de la force ou des armes à feu est inévitable, les responsables de l’application des lois doivent en particulier en user avec modération et leur action sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre, ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et respecter et préserver la vie humaine. Ils doivent aussi faire en sorte que l’usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par eux soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale. En outre, « [a]ucune circonstance exceptionnelle, comme l’instabilité de la situation politique intérieure ou un état d’urgence, ne peut être invoquée pour justifier une dérogation à ces Principes de base ». Le Principe no 11 dit ceci : « 11. Une réglementation régissant l’usage des armes à feu par les responsables de l’application des lois doit comprendre des directives aux fins ci-après: a) Spécifier les circonstances dans lesquelles les responsables de l’application des lois sont autorisés à porter des armes à feu et prescrire les types d’armes à feu et de munitions autorisés ; b) S’assurer que les armes à feu ne sont utilisées que dans des circonstances appropriées et de manière à minimiser le risque de dommages inutiles ; c) Interdire l’utilisation des armes à feu et des munitions qui provoquent des blessures inutiles ou présentent un risque injustifié ; d) Réglementer le contrôle, l’entreposage et la délivrance d’armes à feu et prévoir notamment des procédures conformément auxquelles les responsables de l’application des lois doivent rendre compte de toutes les armes et munitions qui leur sont délivrées ; e) Prévoir que des sommations doivent être faites, le cas échéant, en cas d’utilisation d’armes à feu ; f) Prévoir un système de rapports en cas d’utilisation d’armes à feu par des responsables de l’application des lois dans l’exercice de leurs fonctions. » 467. Le 11 juillet 2002, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta les lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dont voici les dispositions pertinentes : « Le Comité des Ministres, (...) [b] Condamnant catégoriquement comme criminels et injustifiables tous les actes, méthodes ou pratiques terroristes, où qu’ils se produisent et quels qu’en soient les auteurs ; [c] Rappelant qu’un acte terroriste ne peut jamais être excusé ou justifié en invoquant les droits de l’homme et que l’abus de droit n’est jamais protégé ; [d] Rappelant qu’il est non seulement possible, mais absolument nécessaire, de lutter contre le terrorisme dans le respect des droits de l’homme, de la prééminence du droit et, lorsqu’il est applicable, du droit international humanitaire ; adopte les Lignes directrices suivantes et invite les États membres à en assurer une large diffusion auprès de toutes les autorités chargées de la lutte contre le terrorisme. I. Obligation des États de protéger toute personne contre le terrorisme Les États ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits fondamentaux des personnes relevant de leur juridiction à l’encontre des actes terroristes, tout particulièrement leur droit à la vie. Cette obligation positive justifie pleinement la lutte des États contre le terrorisme, dans le respect des présentes Lignes directrices. II. Interdiction de l’arbitraire Les mesures prises par les États pour lutter contre le terrorisme doivent respecter les droits de l’homme et le principe de la prééminence du droit, en excluant tout arbitraire ainsi que tout traitement discriminatoire ou raciste, et faire l’objet d’un contrôle approprié. III. Légalité des mesures anti-terroristes Toute mesure prise par les États pour lutter contre le terrorisme doit avoir une base juridique. Lorsqu’une mesure restreint les droits de l’homme, les restrictions doivent être définies de façon aussi précise que possible et être nécessaires et proportionnées au but poursuivi. (...) VI. Mesures d’ingérence dans la vie privée Les mesures prises pour lutter contre le terrorisme doivent être préparées et contrôlées par les autorités de façon à réduire au minimum, autant que faire se peut, le recours à la force meurtrière et, dans ce cadre, l’utilisation d’armes par les forces de sécurité doit être rigoureusement proportionnée à la défense d’autrui contre la violence illégale ou à la nécessité de procéder à une arrestation régulière. » B. Droit international humanitaire 468. Le Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), conclu le 8 juin 1977 (1125 RTNU 3 ; « le Protocole I aux Conventions de Genève »), dispose : Article 51 - Protection de la population civile « 1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes, qui s’ajoutent aux autres règles du droit international applicable, doivent être observées en toutes circonstances. (...) Les attaques sans discrimination sont interdites. L’expression «attaques sans discrimination» s’entend : a) des attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ; b) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé ; ou c) des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence, dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil. Seront, entre autres, considérés comme effectués sans discrimination les types d’attaques suivants : (...) b) les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. » 469. Le Protocole sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires, conclu le 10 octobre 1980, 1342 RTNU 171 (le Protocole III à la Convention de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination ; « la Convention sur les armes conventionnelles »), dispose : Article premier : Définitions « Aux fins du présent Protocole : On entend par « arme incendiaire » toute arme ou munition essentiellement conçue pour mettre le feu à des objets ou pour infliger des brûlures à des personnes par l’action des flammes, de la chaleur ou d’une combinaison des flammes et de la chaleur, que dégage une réaction chimique d’une substance lancée sur la cible. a) Les armes incendiaires peuvent prendre la forme, par exemple, de lance-flammes, de fougasses, d’obus, de roquettes, de grenades, de mines, de bombes et d’autres conteneurs de substances incendiaires. b) Les armes incendiaires ne comprennent pas : i) Les munitions qui peuvent avoir des effets incendiaires fortuits, par exemple, les munitions éclairantes, traceuses, fumigènes ou les systèmes de signalisation ; ii) Les munitions qui sont conçues pour combiner des effets de pénétration, de souffle ou de fragmentation avec un effet incendiaire, par exemple les projectiles perforants, les obus à fragmentation, les bombes explosives et les munitions similaires à effets combinés où l’effet incendiaire ne vise pas expressément à infliger des brûlures à des personnes, mais doit être utilisé contre des objectifs militaires, par exemple des véhicules blindés, des aéronefs et des installations ou des moyens de soutien logistique. On entend par « concentration de civils » une concentration de civils, qu’elle soit permanente ou temporaire, telle qu’il en existe dans les parties habitées des villes ou dans les bourgs ou des villages habités ou comme celles que constituent les camps et les colonnes de réfugiés ou d’évacués, ou les groupes de nomades. On entend par « objectif militaire », dans la mesure où des biens sont visés, tout bien qui par sa nature, son emplacement, sa destination ou son utilisation apporte une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis. On entend par « biens de caractère civil » tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires au sens du paragraphe 3. On entend par « précautions possibles » les précautions qui sont praticables ou qu’il est pratiquement possible de prendre eu égard à toutes les conditions du moment, notamment aux considérations d’ordre humanitaire et d’ordre militaire. » Article 2 : Protection des civils et des biens de caractère civil « 1. Il est interdit en toutes circonstances de faire de la population civile en tant que telle, de civils isolés ou de biens de caractère civil l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires. Il est interdit en toutes circonstances de faire d’un objectif militaire situé à l’intérieur d’une concentration de civils l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires lancées par aéronef. Il est interdit en outre de faire d’un objectif militaire situé à l’intérieur d’une concentration de civils l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires autres que des armes incendiaires lancées par aéronef, sauf quand un tel objectif militaire est nettement à l’écart de la concentration de civils et quand toutes les précautions possibles ont été prises pour limiter les effets incendiaires à l’objectif militaire et pour éviter, et en tout état de cause, minimiser, les pertes accidentelles en vies humaines dans la population civile, les blessures qui pourraient être causées aux civils et les dommages occasionnés aux biens de caractère civil. Il est interdit de soumettre les forêts et autres types de couverture végétale à des attaques au moyen d’armes incendiaires sauf si ces éléments naturels sont utilisés pour couvrir, dissimuler ou camoufler des combattants ou d’autres objectifs militaires, ou constituent eux-mêmes des objectifs militaires. » 470. La Fédération de Russie a ratifié le Protocole I à la Convention de Genève et le Protocole III à la Convention sur les armes conventionnelles (précités). 471. Le Volume I de la version actualisée de l’Étude du Comité international de la Croix-Rouge (« le CICR ») sur le droit international humanitaire coutumier comporte une règle 11 selon laquelle « [l]es attaques sans discrimination sont interdites ». La règle 12, qui définit la notion d’« attaque sans discrimination », reprend la définition énoncée à l’article 51 § 4 du Protocole I à la Convention de Genève (précité). La règle 84, relative à la protection des civils et des biens à caractère civil des effets des armes incendiaires, dit ceci : « [s]i des armes incendiaires sont employées, des précautions particulières doivent être prises en vue d’éviter et, en tout cas, de réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment. » Le commentaire du CICR sur chacune de ces règles précises que « la pratique des États fait de cette règle une norme de droit international coutumier applicable aux conflits armés aussi bien internationaux que non internationaux ». 472. En mai 2016, une organisation indépendante, Armament Research Services (ARES), publia un rapport que le CICR avait commandé dans le cadre des travaux de ce dernier visant à mieux comprendre les effets des armes explosives lorsqu’elles sont utilisées dans des zones peuplées. Le rapport avait pour but de recueillir des informations de fond sur les caractéristiques techniques des armes explosives et sur d’autres éléments se rapportant à leurs effets. Il était censé servir de document de référence générale. En voici la partie pertinente : 1.4 Munitions thermobariques et à mélange explosif aircarburant « Il est important de comprendre la différence entre les munitions incendiaires, à mélange explosif aircarburant (« MEAC ») et thermobariques (aussi appelés à explosion volumétrique ou améliorée), ainsi que les différences entre ces types de munitions et les munitions conventionnelles à explosif brisant. La grande variété dans la terminologie retenue pour ces types d’armes, ainsi que les inexactitudes dans les manières dont ces munitions sont définies, sont sources de confusion et d’exagération dans les comptes-rendus sur l’utilisation des armes incendiaires, thermobariques et à explosif combustible-air. Les armes, engins ou bombes incendiaires sont censés déclencher des incendies ou détruire des équipements sensibles par l’usage de matériaux tels que le napalm, la thermite, le trifluorure de chlore ou le phosphore blanc. Si les armes incendiaires ne sont pas des explosifs et sortent donc du cadre du présent rapport, il est important d’opérer une distinction entre, d’un côté, les munitions incendiaires et, de l’autre, les munitions thermobariques et à explosif combustible-air. Les premières produisent une déflagration, tandis que les autres produisent une détonation. Les armes incendiaires sont principalement censées produire suffisamment de chaleur et de combustible pour déclencher, et éventuellement prolonger, un incendie sur la cible. Une arme thermobarique ou à explosif combustible-air est censée créer une zone de forte surpression, combinée à de très hautes températures, faisant presque instantanément subir à la cible de graves dommages physiques. (...) Les effets « habituels » d’une explosion, par exemple l’onde de choc, la surpression et la dépression, sont de la même nature que ceux généralement produits par un explosif brisant conventionnel, si ce n’est que la durée de chacun des effets sera vraisemblablement plus longue. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des requérants figure en annexe. Ils sont la sœur et les parents de Luan Berdellima, un ressortissant albanais, né le 8 juillet 1968 et décédé le 25 août 2004. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. Les circonstances ayant entouré le décès du proche des requérants Le 11 août 2004, le proche des requérants, Luan Berdellima, victime d’une agression à proximité de la direction générale de la police d’Athènes, fut transféré à l’hôpital KAT. Deux ressortissants albanais, V.D. et I.S., et amis de la victime, furent témoins des évènements. Les parties présentent des versions différentes quant aux circonstances précises des évènements en cause. Le Gouvernement se réfère aux faits tels que décrits par l’arrêt no 25-26/2010 de la cour d’assises de Thèbes (« la cour d’assises »), tandis que les requérants se réfèrent à la décision no 1082/2009 de la chambre d’accusation de la Cour de cassation (paragraphe 44 ci-dessous). Dans son arrêt no 25-26/2010, la cour d’assises énonça ce qui suit en ce qui concerne les faits en cause : « (...) Le 11 août 2004, vers 15 h 30, trois ressortissants albanais, Berdellima Luan, V.D. et I.S., buvaient des bières à l’extérieur d’une pizzeria située à proximité de la direction générale de la police d’Athènes (...). L’accusé, dont le domicile se trouve dans un immeuble situé à côté de la pizzeria, sortit de chez lui en compagnie de O.O. et une altercation verbale éclata entre l’accusé et les [trois] Albanais au motif que ces derniers avaient regardé d’un air moqueur [l’accusé et O.O.] et échangé des sourires lorsque [ceux-ci] s’étaient approchés d’eux. À la suite de l’incident en cause, l’accusé partit. Après un certain temps, Berdellima Luan se rendit au domicile de son ami V.D. qui se trouvait également à proximité de la pizzeria afin de manger. Alors que Berdellima Luan entrait dans la pizzeria pour rejoindre ses amis, un homme costaud, dont l’identité n’a pas été établie, descendit d’une moto – une grosse cylindrée – et frappa une fois au visage Berdellima Luan, provoquant la chute de ce dernier qui se retrouva au sol, inconscient. L’inconnu enfourcha sa moto et partit. » Le 25 août 2004, Luan Berdellima succomba à ses blessures. B. Les poursuites judiciaires menées à l’encontre de I.L. et d’un auteur non identifié, la procédure pénale relative aux défaillances alléguées de ces poursuites et les procédures disciplinaires Les poursuites judiciaires menées à l’encontre des suspects (« la procédure principale ») Le 26 août 2004, V.D. déposa une plainte devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes (« le tribunal correctionnel ») contre I.L. et une autre personne non identifiée, alléguant qu’ils étaient les auteurs de l’agression contre Luan Berdellima. V.D. déclara être un « membre de la famille proche de la victime », demanda à se constituer partie civile et autorisa les avocats E.P. et M.P. à le représenter. Dans sa plainte, V.D. exposait entre autres ce qui suit : « (...) Moi et mes compatriotes, (...) Berdellima Luan et I.S., nous trouvions dans une pizzeria (...). Le premier accusé [I.L.], que nous voyions pour la première fois, est sorti de l’immeuble dans lequel se trouve la pizzeria, accompagné d’une fille. Alors que nous discutions des affaires de notre village, le premier accusé s’est approché de notre table, croyant que nous les regardions, lui et la fille qui l’accompagnait, puis il s’est adressé à nous et nous a dit : « (...) qu’est-ce que vous regardez, hé, sales Albanais (κωλοαλβανοί), il se passe quelque chose ?) ». Nous nous sommes étonnés et lui avons dit : « non, mec, il ne se passe rien », puis il a répondu avec un regard féroce [sic] et un ton menaçant : « attendez, bande de cons (μαλάκες), vous allez voir qui je suis et ce que je vais faire de vous, vous allez regretter d’avoir mis les pieds en Grèce », et il est parti en courant. » Le même jour, le procureur près le tribunal correctionnel ordonna au directeur du commissariat de police de Kifissia de mener une enquête préliminaire sur les faits et de faire pratiquer une autopsie afin de déterminer la cause du décès de Luan Berdellima. Les requérants allèguent devant la Cour que les deux témoins oculaires, V.D. et I.S., ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation, et que, craignant pour leur vie, ils ont alors quitté la Grèce pour l’Albanie et ont refusé de revenir pour témoigner. Selon des articles parus dans la presse albanaise les 29 et 30 août 2004, Luan Berdellima avait été victime d’un homicide dont l’un des auteurs aurait été un policier. Le 29 août 2004, le commissariat de police de Kifissia transmit le dossier de l’affaire à la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété de la direction générale de la police d’Athènes (« la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété »). Le même jour, cette dernière mena une enquête. Le 30 août 2004, la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété constata qu’il s’agissait d’un homicide volontaire commis par deux auteurs non identifiés et transmit le dossier de l’affaire au procureur près le tribunal correctionnel. Le même jour, ce procureur ordonna à la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété de mener une enquête afin d’identifier les auteurs des faits. Le 29 novembre 2004, la première requérante déposa en tant que témoin. Dans sa déposition, elle déclara ce qui suit : « (...) V.D. m’a dit que ceux qui ont frappé Luan n’étaient sûrement pas des policiers, tandis que I.S. m’a dit qu’ils pouvaient être des policiers, car la personne qui a frappé [Luan] portait quelque chose qui ressemblait aux gilets pare-balles portés par les policiers, mais il [I.S.] n’en était pas certain. (...) » Le 14 janvier 2005, la première requérante déposa une seconde fois en tant que témoin. Elle précisa que, aux dires de V.D., I.S. avait été pourchassé dans le métro par deux personnes qui se seraient fait passer pour des policiers, mais qu’il avait compris qu’il ne s’agissait pas de policiers et qu’il avait pris la fuite, persuadé que ses poursuivants étaient les auteurs de l’agression contre Luan Berdellima. Le 10 février 2005, des policiers grecs se rendirent à Kakkavia, un poste-frontière entre la Grèce et l’Albanie, et interrogèrent V.D. en tant que témoin. Ce dernier reconnut I.L. comme l’un des auteurs de l’agression et informa les policiers que l’autre témoin, I.S., avait quitté la Grèce pour l’Albanie parce que, quelques jours après les faits, deux personnes l’auraient pourchassé dans le métro. V.D. ajouta que lui-même avait quitté la Grèce pour l’Albanie pour assister à l’enterrement de Luan Berdellima et que, dépourvu d’un titre de séjour, il ne pouvait pas retourner en Grèce. En ce qui concerne les évènements du 11 août 2004, V.D. déclara ce qui suit : « (...) Je ne sais pas pourquoi l’avocat a écrit dans la plainte que celui qui a frappé [Luan] portait des vêtements sur lesquels il était écrit « police ». Lorsque j’ai raconté ce qui s’était passé à l’avocat, I.S. a dit que ceux qui avaient frappé [Luan] étaient des policiers, mais ce n’était pas le cas, il avait sans doute l’esprit confus. (...) » Le Gouvernement soutient que les autorités ont entrepris des démarches afin d’entendre une nouvelle fois V.D. comme témoin et de faciliter l’audition de I.S. À titre d’exemple, il indique que les autorités ont pris contact par téléphone avec les témoins et avec l’ambassade d’Albanie en Grèce et qu’elles ont délivré des visas pour des raisons d’ordre public permettant aux témoins de se rendre en Grèce. Qui plus est, selon le Gouvernement, des policiers grecs se sont rendus à Kakkavia et y sont restés pendant deux jours dans le but de ramener V.D. et I.S. en Grèce. Toutefois, V.D. et I.S. n’auraient pas répondu et leurs dépositions n’auraient pas pu être recueillies. Le 28 mai 2005, le Moniteur grec Helsinki demanda auprès de la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété une copie du dossier de l’affaire. Le 7 juin 2005, cette demande fut rejetée. Le service compétent exposa que le matériel collecté lors de l’enquête préliminaire était soumis au principe de confidentialité et qu’aucune poursuite n’avait encore été engagée contre les auteurs des faits. Il ajouta que, une fois le matériel collecté, il informerait le Moniteur grec Helsinki afin que ce dernier pût exercer ses droits. Le 23 juin 2005, les requérants introduisirent une demande en vue de se constituer partie civile. Dans cette demande, la première requérante indiqua son adresse à Chalandri (Athènes) et les deuxième et troisième requérants déclarèrent résider à Gramsh, en Albanie. Ces deux derniers indiquèrent aux autorités judiciaires que, pour éviter une longue procédure de notification, leurs avocats mandataires se mettaient à la disposition des autorités afin de demander directement à leurs clients, le moment venu, de se rendre en Grèce pour déposer devant les autorités compétentes. Selon un article paru dans le quotidien To Vima le 24 juillet 2005 et rédigé par le journaliste K.Ch., la police connaissait l’identité des auteurs de l’agression, mais elle ne procédait pas à leur arrestation au motif qu’ils auraient été protégés par un membre du gouvernement. Le même jour, le Moniteur grec Helsinki demanda par écrit au ministre de l’Ordre public ainsi qu’au procureur près le tribunal correctionnel que l’enquête sur les faits fût conduite par un juge d’instruction et non par la police. Il indiqua, entre autres, que l’enquête menée sur le décès était inadéquate. Le 30 juillet 2005, le quotidien To Vima publia un article dans lequel le chef de la police hellénique déclarait qu’il ne ressortait pas du dossier qu’un policier eût participé aux faits en cause et qu’il s’agissait d’un « malentendu » causé par la présence sur place d’un policier juste après les évènements. Le 10 mars 2006, l’ambassade d’Albanie à Athènes informa la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété que, grâce aux efforts des autorités albanaises, les deux témoins avaient accepté de déposer devant les autorités grecques, à la condition de bénéficier d’une protection. Elle invita les autorités grecques à organiser une réunion afin de déterminer le lieu et les modalités du recueil des dépositions. Le 30 mars 2006, la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété adressa une demande à l’ambassade d’Albanie à Athènes, invitant les autorités albanaises à collaborer au déplacement des témoins V.D. et I.S. vers le territoire grec en vue de leur déposition. Le 8 juin 2006, l’ambassade d’Albanie à Athènes transmit à la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété la réponse des autorités albanaises à ce sujet. Celles-ci indiquaient que la demande du 30 mars 2006 ne relevait pas de la compétence de la direction générale de la police ou du ministère de l’Intérieur albanais. Elles précisaient qu’il convenait d’adresser une demande à ce sujet au procureur de la province compétente afin qu’il entreprît les démarches nécessaires. Elles ajoutaient que V.D. avait été cité à comparaître devant les autorités grecques, mais qu’il avait refusé de répondre à cette convocation. Le 27 juin 2006, S.B., frère de Luan Berdellima, déposa en tant que témoin. Il précisa que sa famille essayait de convaincre V.D. de se présenter devant la police grecque et que celui-ci se trouvait en Albanie. Il ajouta que V.D. trouvait toujours des prétextes pour ne pas s’y rendre. Il indiqua que la police avait fait des efforts pour faciliter la venue des témoins en Grèce, mais que ces derniers ne voulaient pas y aller. Les 7 et 13 juillet 2006, I.L. fut interrogé par la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété. Par une ordonnance no Γ24α/2006 du 17 juillet 2006, le procureur près le tribunal de première instance d’Athènes (« le tribunal de première instance ») ordonna la levée du secret des télécommunications à l’égard de l’accusé I.L. Il expliqua que cette mesure était nécessaire au motif qu’il y existait des indices sérieux indiquant que l’auteur des faits, encore non identifié, avait agi sur les instructions de I.L. Le même jour, par une ordonnance no 2408/2006, la chambre d’accusation du tribunal de première instance confirma l’ordonnance no Γ24α/2006. À la suite de la levée du secret des télécommunications, il fut constaté que, le 11 août 2004, I.L. avait communiqué avec un certain T.H. à cinq reprises entre 13 h 31 et 17 h 55. Le 9 août 2006, T.H. fut auditionné. Il admit qu’il avait communiqué avec I.L. mais indiqua que leurs échanges portaient sur « un ami commun ». T.H. ne fut pas identifié comme étant l’auteur des faits en cause par le témoin oculaire P.T. Le 20 octobre 2006, la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété renvoya le dossier de l’affaire au juge d’instruction. Le 26 avril 2007, le Moniteur grec Helsinki transmit au juge d’instruction les adresses de la première requérante – qui s’était entre-temps installée en Albanie –, du frère de Luan Berdellima, d’un certain G.B., et des témoins oculaires V.D. et I.S. Il précisa que les adresses du deuxième requérant et de la troisième requérante figuraient dans le dossier de l’affaire, ceux-ci ayant introduit une demande de constitution de partie civile en juin 2005. Il demanda que V.D. et I.S. fussent cités à comparaître, que la première requérante fût également convoquée si le juge d’instruction l’estimait nécessaire et que la délivrance d’une copie du dossier au représentant des requérants fût approuvée. Les requérants fournissent devant la Cour une copie de cette demande, envoyée par fax au juge d’instruction. Pour le Gouvernement, il ne ressort pas du dossier de l’affaire qu’une telle demande ait été déposée. Le 2 mai 2007, le juge d’instruction invita trois des représentants des requérants, travaillant pour le Moniteur grec Helsinki, à prendre connaissance du dossier de l’affaire et à exercer leurs droits. Les représentants en question furent informés les 7, 9 et 11 mai 2007 que l’instruction de l’affaire avait été clôturée. Le 7 mai 2007, V.D. et I.S. signèrent une déclaration dans laquelle, aux dires des requérants, ils présentaient pour la première fois leur version des faits. Ils exposaient notamment que l’agression avait des mobiles racistes et qu’un policier était impliqué dans les faits en cause. Ils précisaient que l’auteur de l’agression était brièvement revenu sur les lieux dans une voiture de police et que leur récit complet des évènements avait été publié dans un quotidien grec à large diffusion. Le 30 octobre 2007, l’affaire fut classée s’agissant du second auteur, toujours non identifié. Les requérants allèguent n’avoir pris connaissance de cette décision qu’en février 2010. Par une décision no 3650/2007 du 14 décembre 2007, la chambre d’accusation du tribunal de première instance renvoya I.L. en jugement. Le 16 janvier 2008, I.L. interjeta appel de la décision no 3650/2007. Par une décision no 1165/2008 du 19 septembre 2008, la chambre d’accusation de la cour d’appel rejeta l’appel. Le 10 octobre 2008, I.L. se pourvut en cassation contre la décision no 1165/2008. Par une décision no 1082/2009 du 28 avril 2009, la chambre d’accusation de la Cour de cassation renvoya I.L. en jugement. En ce qui concerne les faits de l’affaire, elle mentionna en particulier ce qui suit : « (...) Le 11 août 2004, à 15 h 30 environ, les ressortissants albanais Berdellima Luan, V.D. et I.S. se trouvaient, comme clients, dans une pizzeria (...) à proximité de la direction générale de la police d’Athènes. À ce moment-là, l’accusé I.L. sortit de sa résidence, dont l’entrée se trouve à côté de la pizzeria en cause, accompagné de O.O., née en 1975, chanteuse. Lorsque [I.L. et O.O.] entrèrent dans la pizzeria et s’approchèrent des ressortissants albanais, ces derniers les regardèrent, dirent quelque chose dans leur langue en riant. L’accusé, contrarié parce qu’il considérait qu’ils avaient dit quelque chose sur la femme qui l’accompagnait, leur demanda des explications, les insulta et partit. Après un certain temps, Berdellima Luan se rendit au domicile de V.D. qui se trouvait également à proximité de la pizzeria ; l’accusé I.L. entra alors, énervé, dans la pizzeria, passa devant V.D. et I.S., les regarda avec mépris, les traita de « sales Albanais » (κωλοαλβανοί) et monta de nouveau à son appartement. Environ dix minutes plus tard, [I.L.] redescendit tandis que Berdellima Luan entrait dans la pizzeria et se dirigeait vers la table de ses compatriotes. À ce moment, l’accusé lui barra le passage et l’immobilisa. Au même moment, un homme costaud et musclé, âgé d’environ 30 ans et ressemblant à un « homme de main », descendit d’une moto, une grosse cylindrée, et frappa le jeune Albanais une fois au visage, avec beaucoup de force, provoquant la chute de la victime, inconsciente, au sol. P.T., policier et témoin, assista à l’incident. Il avait à ce moment-là garé sa moto privée sur le parking situé à côté de la direction générale de la police d’Athènes, et de là il avait remarqué, à une distance de dix mètres environ de la pizzeria, un homme costaud, juché sur une moto – une grosse cylindrée –, en train de discuter avec l’accusé. À ce moment la victime passa devant eux et l’accusé dit quelque chose au motard. Par la suite, ce dernier, après être descendu de sa moto, frappa avec force le jeune Albanais une fois au visage et immédiatement après, à l’instigation de l’accusé, disparut sur la même moto. (...) » Les requérants allèguent que les décisions des chambres d’accusation du tribunal de première instance, de la cour d’appel et de la Cour de cassation ne leur ont pas été notifiées. Le 24 juin 2009, le procureur près la cour d’appel d’Athènes établit une liste de témoins en vue de l’audience devant la cour d’assises. La première requérante fut inscrite sur cette liste comme résidant à Athènes. Le 9 octobre 2009, la première requérante fut citée à comparaître comme témoin à l’audience de la cour d’assises. Des policiers se rendirent au domicile qu’elle avait indiqué lors de ses dépositions du 29 novembre 2004 et du 14 janvier 2005. La première requérante ne s’y trouvant pas, les policiers collèrent la citation sur la porte (θυροκόλληση). Le Gouvernement soutient que la première requérante n’a jamais déclaré son changement d’adresse aux autorités. Le même jour, le frère de la victime, S.B., fut cité à comparaître en tant que témoin. Le 16 novembre 2009, V.D. fut cité à comparaître à l’audience de la cour d’assises. Il ressort du dossier que I.S. ne fut pas cité à comparaître en tant que témoin à cette audience, au motif qu’il n’avait pas d’adresse connue en Grèce. Les 15 et 21 janvier 2010, l’audience se tint devant la cour d’assises, en l’absence des requérants ainsi que de V.D. et de I.S. La déposition effectuée par V.D. lors de l’enquête préliminaire fut lue à l’audience, sa comparution ayant été considérée comme impossible au motif qu’il résidait à l’étranger. Par un arrêt no 25-26/2010 du 12 février 2010, I.L. fut acquitté. La cour d’assises considéra notamment ce qui suit : « (...) Le 11 août 2004, vers 15 h 30, trois ressortissants albanais, Berdellima Luan, V.D. et I.S., buvaient des bières à l’extérieur d’une pizzeria située à proximité de la direction générale de la police d’Athènes [...]. L’accusé, dont la résidence se trouve dans un immeuble à côté de la pizzeria, sortit de chez lui accompagné de O.O. et une altercation verbale éclata entre l’accusé et les [trois] Albanais, ces derniers ayant regardé d’un air moqueur [l’accusé et O.O.] et échangé des sourires à leur approche. À la suite de l’incident en cause, l’accusé partit. Après un certain temps, Berdellima Luan se rendit au domicile de son ami V.D. qui se trouvait également à proximité de la pizzeria pour manger. Alors que Berdellima Luan entrait dans la pizzeria pour rejoindre ses amis, un homme costaud, dont l’identité n’a pas été établie, descendit d’une moto, une grosse cylindrée, et frappa une fois au visage Berdellima Luan, provoquant la chute de ce dernier qui se retrouva au sol, inconscient. L’inconnu remonta sur la moto et partit. À la suite de sa chute au sol, Berdellima Luan décéda le 25 août 2004 de graves blessures à la tête. Il est reproché à l’accusé d’être à l’origine des blessures graves infligées avec l’intention de tuer. Or aucun lien entre l’accusé et l’auteur inconnu n’a été révélé par les éléments de preuve ci-dessus. Il est à noter que, dans sa déposition, le témoin P.T., policier, qui se trouvait sur les lieux au moment de l’incident puisqu’il travaillait à la direction générale de la police d’Athènes, n’a pas identifié l’accusé comme la personne ayant incité l’auteur inconnu à frapper la victime, alors qu’il l’avait identifié lors de la phase préliminaire de l’enquête. Or, devant le juge d’instruction, il n’a pas reconnu l’accusé mais une autre personne, et sa description de l’auteur du coup [fatal] ne correspond pas à l’accusé. Qui plus est, ce témoin a retenu le numéro d’immatriculation de la moto conduite par l’auteur de l’agression mais il a finalement été prouvé qu’il avait retenu un numéro erroné. (...) Les indices de culpabilité qui étayaient l’acte d’accusation n’étant pas devenus des preuves, l’accusé doit être déclaré innocent. » Le 17 février 2010, le Moniteur grec Helsinki écrivit au procureur près le tribunal correctionnel et au procureur près la cour d’appel. Il demanda à être informé des développements de l’affaire et à obtenir copie de certains documents pour pouvoir saisir la Cour. Selon le Gouvernement, l’identité de la personne qui aurait soumis une telle demande devant le procureur en chef du tribunal de première instance d’Athènes n’apparaît pas dans le dossier, pas plus que l’existence d’un mandat à cet égard. Le 25 février 2010, cette demande fut rejetée. Il ressort d’une mention manuscrite portée sur la demande des requérants que le motif du rejet était l’absence d’intérêt à agir, le demandeur n’étant « ni une partie au litige ni la personne lésée ni la victime ». Au début du mois de mars 2010, le Moniteur grec Helsinki eut accès au dossier de l’affaire. Toutefois, selon les requérants, leurs représentants n’ont pu prendre connaissance que d’un résumé de l’arrêt, d’une page, malgré la publication, le 12 février 2010, de l’arrêt prononcé à cette date. Le 19 mars 2010, le Moniteur grec Helsinki écrivit au procureur et au vice-président près la Cour de cassation en dénonçant plusieurs défauts dans la procédure. Il demanda notamment au procureur près la Cour de cassation de former un pourvoi en cassation et d’ordonner aux procureurs près le tribunal correctionnel et près la cour d’appel d’Athènes de fournir une copie des dossiers des deux procédures aux requérants afin que ceux-ci pussent introduire une requête devant la Cour. Le Moniteur grec Helsinki indique que, à la suite de cette lettre, le procureur près la Cour de cassation a demandé une copie de l’arrêt no 2526/2010, mais que le délai d’un mois prévu pour former un pourvoi en cassation avait alors déjà expiré. La seconde procédure pénale relative aux allégations de défaillances de la procédure principale (« la seconde procédure pénale ») À une date non précisée dans le dossier, une procédure contre X fut ouverte par le procureur près le tribunal correctionnel à la suite des allégations concernant les défauts de la procédure principale. Le 18 novembre 2005, le dossier de l’affaire fut renvoyé au juge de paix de Kropia en vue de l’ouverture d’une enquête préliminaire (προκαταρκτική εξέταση). Le 7 mars 2006, P.D., représentant du Moniteur grec Helsinki, se présenta comme témoin. Il déclara qu’il « n’avait pas d’avis » en ce qui concerne les contradictions de l’affaire et, en particulier, au sujet de l’implication d’un policier. Toutefois, il exposa que le Moniteur grec Helsinki s’était engagé dans cette affaire en raison d’une impression générale selon laquelle le décès du proche des requérants n’avait pas donné lieu à une enquête objective. Il proposa que fussent recueillis les témoignages de K.Ch., journaliste au quotidien To Vima, des policiers mentionnés dans les documents ainsi que du procureur qui avait « prétendument approuvé le retard et les actions de la police » et dont la police devait, selon P.D., lui donner le nom. Le 7 mars 2006, K.Ch., journaliste au quotidien To Vima, G.M., chef de la division de la sécurité et de l’ordre de la police hellénique (προϊστάμενος Κλάδου Ασφάλειας και Τάξης Αρχηγείου ΕΛΑΣ), et S.S., policier servant à la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété, furent cités à comparaître devant le juge de paix de Koropi pour être entendus en tant que témoins. Les convocations précisaient que, si les intéressés ne se présentaient pas, leur comparution forcée serait ordonnée et des amendes infligées. Le 9 mars 2006, S.S. se présenta devant le juge de paix de Koropi. Il déclara, entre autres, que les allégations selon lesquelles l’un des auteurs était policier ne correspondaient pas à la réalité, qu’elles étaient dues à « l’état de confusion apparente dans lequel se trouvait le témoin V.D. » qui aurait en réalité aperçu des policiers en uniforme de la direction générale de la police d’Athènes venir en aide au blessé. Il ajouta que son service avait entrepris toutes les démarches nécessaires afin d’identifier les auteurs de l’agression et qu’il avait conclu que ces derniers étaient deux citoyens grecs, des particuliers (ιδιώτες). Le 3 avril 2006, G.M. déclara qu’il n’avait pas été impliqué dans cette affaire et qu’il n’avait donc aucune connaissance au sujet de celle-ci. Le 4 janvier 2007, le 3 juillet 2007 et le 12 mars 2008, l’affaire fut transmise au juge de paix d’Athènes en vue de compléments d’enquête préliminaire. Le 8 février 2007, S.S. réitéra pour l’essentiel la déposition qu’il avait faite le 9 mars 2006 devant le juge de paix. Le 14 avril 2008, l’enquête préliminaire fut clôturée et l’affaire fut attribuée au procureur près le tribunal de première instance. Le 16 septembre 2008, l’affaire fut classée pour défaut de fondement. Dans son rapport du 2 septembre 2008, adressé au procureur près la cour d’appel d’Athènes, le procureur près le tribunal de première instance exposa que rien dans le dossier ne permettait de penser qu’un policier eût participé aux faits en cause et que les policiers chargés de l’affaire eussent fait preuve de partialité. Il indiqua en outre que le témoin oculaire V.D. avait déjà confirmé l’absence d’implication d’un policier dans sa déposition du 10 février 2005. Le 31 décembre 2008, le procureur près la cour d’appel d’Athènes approuva le classement de l’affaire. Le 17 février 2010, le Moniteur grec Helsinki demanda d’être informé des développements de l’affaire (paragraphe 52 ci-dessus). Le 25 février 2010, cette demande fut rejetée (paragraphe 53 cidessus). L’enquête disciplinaire relative aux allégations d’actes et omissions des policiers Le 17 novembre 2004, le directeur de la direction de la sécurité de l’Attique ordonna une enquête au sujet des articles parus dans la presse albanaise les 29 et 30 août 2004, selon lesquels un policier aurait été impliqué dans les faits en cause (paragraphe 13 ci-dessus). Le 29 novembre 2004, le policier chargé de l’enquête, servant à la sous-direction des crimes contre la vie et la propriété, conclut qu’aucune participation ou implication de policiers n’avait été constatée et proposa de classer l’affaire. Dans son rapport, il exposait notamment que les auteurs de l’agression étaient des particuliers (ιδιώτες), que les informations diffusées par la presse le 30 août 2004 et contenues dans la plainte étaient incorrectes, et qu’elles étaient dues à l’état de confusion d’un témoin ayant vu sur les lieux, après l’agression, des policiers venus porter assistance à la victime. Le 19 décembre 2004, le classement de l’affaire fut approuvé par le directeur de la direction de la sécurité de l’Attique. La procédure disciplinaire relative aux allégations d’actes et omissions des juges Le 19 mars 2010, le Moniteur grec Helsinki invita le vice-président de la Cour de cassation à engager une procédure disciplinaire, en tant que chef de l’inspection des tribunaux, afin d’enquêter sur les allégations d’actes et omissions des juges chargés de l’affaire. À une date non précisée dans le dossier, une enquête disciplinaire débuta conformément à l’article 99 de la loi no 1756/1988. Le 12 octobre 2010, le directeur du Moniteur grec Helsinki se présenta comme témoin devant la juge chargée de l’enquête disciplinaire. Le 8 mars 2011, l’enquête fut classée (décision no 88/2011). Le 7 juin 2011, le Moniteur grec Helsinki demanda une copie du dossier aux fins de production devant la Cour. Le 8 juin 2011, le vice-président de la Cour de cassation envoya au Moniteur grec Helsinki une copie de la décision de classement no 88/2011. Il précisa que la délivrance d’une copie du dossier n’était pas possible au motif que la procédure était confidentielle en vertu de l’article 98 § 2 de la loi no 1756/1988. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article pertinent en l’espèce de la Constitution dispose notamment ce qui suit : Article 99 « 1. Une Cour spéciale, composée d’un président – le président du Conseil d’État – et de membres tous désignés par tirage au sort – un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller maître à la Cour des comptes, deux professeurs de droit auprès des facultés de droit des universités du pays et deux avocats membres du Conseil supérieur disciplinaire de l’ordre des avocats –, statue, ainsi que la loi le prévoit, sur les actions de prise à partie (αγωγή κακοδικίας) engagées contre des magistrats (...) » Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale (CPP) étaient ainsi libellés à l’époque des faits : Article 68 – Exercice des droits de la partie civile « 1. Celui qui a le droit de se constituer partie civile peut, jusqu’au début de la phase de l’administration de preuves, tenter d’obtenir satisfaction à l’égard de ses prétentions à indemnisation au cours de l’audience devant la juridiction pénale (...) à condition d’avoir notifié à l’accusé une copie du dossier conformément aux dispositions du code de procédure civile et dans le délai prévu par l’article 167 [du présent code]. Par voie d’exception, celui qui, selon le code civil, a droit à une indemnité pour dommage moral (...) peut, sans procédure écrite préalable, soumettre ses prétentions à la juridiction pénale jusqu’au début de la phase de l’administration des preuves. (...) » Article 216 – Audition des ambassadeurs et des témoins à l’étranger « (...) 2. Les témoins résidant à l’étranger sont entendus par les autorités consulaires locales [et], si cela n’est pas possible, par les autorités d’enquête de leur lieu de résidence sur demande du procureur compétent adressée au ministère de la Justice, sous condition de réciprocité et de respect des traités internationaux et des coutumes (...) » Article 229 – Défaut de comparution (λιπομαρτυρία) lors de l’instruction « Lorsqu’un témoin est régulièrement (article 213) convoqué et qu’il ne comparaît pas, un mandat de comparution forcée est pris à son égard. Si la convocation émanait du procureur, du juge d’instruction ou du juge de paix, ce dernier peut en outre condamner pour désobéissance le témoin n’ayant pas comparu (...) à une amende de 200 à 2 000 drachmes [soit 0,59 à 5,90 euros] et au paiement des frais. (...) » Article 246 – La personne chargée de conduire l’instruction « 1. L’instruction est conduite uniquement par le juge d’instruction, sur ordre écrit du procureur, cet ordre définissant et précisant l’infraction et la disposition pénale qui la prévoit. Le procureur peut ordonner au juge d’instruction [de conduire une instruction] à tout stade de la procédure préliminaire et immédiatement après l’engagement des poursuites pénales. Le procureur effectue cette demande : a) pour les crimes ; b) pour les délits pour lesquels des mesures restrictives sont applicables à l’accusé selon l’article 282. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, résidant à Istanbul, sont respectivement le père (né en 1949), les frères (nés en 1989 et en 1977), la mère (née en 1951) et la sœur (née en 1999) de Resul Altun, décédé le 30 avril 2008 après un malaise survenu alors qu’il effectuait son service militaire. Selon des rapports médicaux, Resul Altun était apte au service national. Toutefois, selon ses dires, il était suivi pour troubles anxieux. Il aurait aussi déclaré que, dans la vie civile, il lui était arrivé de se droguer et de s’automutiler. Au terme de sa formation militaire, le 4 août 2007, l’intéressé rejoignit le 5e escadron d’infanterie dans le nord de Chypre. Le 13 avril 2008 vers 17 heures, à la suite d’un malaise, il fut examiné par le médecin de la caserne qui diagnostiqua chez lui des troubles anxieux et décida de le transférer au service psychiatrique de l’hôpital militaire de Girne (« l’hôpital de Girne ») le lendemain. Toujours le 13 avril 2008, quelques heures après cette consultation, Resul Altun fit une crise d’angoisse et commença à donner des coups contre des armoires. Peu de temps après, il fit un autre malaise. Le même médecin le réexamina et, ne constatant rien d’alarmant sur le plan physique, il demanda derechef son transfert à l’hôpital de Girne le lendemain. Resul Altun passa la nuit à la caserne. Le lendemain, à savoir le 14 avril 2008, dans la matinée, il perdit connaissance à la suite d’une nouvelle crise. Le médecin diagnostiqua un problème neurologique entraînant des convulsions violentes et une incontinence. Concluant à une épilepsie, il le transféra d’urgence à l’hôpital de Girne. Malgré une prise en charge en urgence au service de réanimation, l’état de Resul Altun empira. Le 15 avril 2008, les médecins décidèrent de transférer l’intéressé à l’hôpital militaire GATA, à Ankara, où il fut admis au service de neurologie. Les médecins ne purent le sauver : Resul Altun décéda le 30 avril 2008 des suites de complications dues à l’épilepsie. Le même jour, le parquet militaire déclencha une enquête. L’autopsie permit d’établir que le décès était bien lié aux complications susmentionnées. Les témoins entendus soutinrent que Resul Altun ne leur avait fait part d’aucun problème médical. Le père de l’intéressé déclara également que son fils ne souffrait d’aucun problème de ce type. À la suite de l’expertise demandée par le procureur, le neurologue E.A.D. releva que Resul Altun n’avait pas d’antécédents épileptiques connus. Il exposa que le diagnostic d’épilepsie était difficile à poser sans manifestations cliniques de cette pathologie, sachant que les crises épileptiques devaient se répéter pour conclure qu’il s’agissait bien de cette maladie. De fait, selon lui, Resul Altun était décédé des suites de l’unique crise épileptique sévère qu’il avait subie. E.A.D. conclut à l’absence de toute faute ou négligence imputable aux médecins en cause ou aux autorités militaires. Le 27 novembre 2008, le parquet, faisant siennes ces conclusions, rendit un non-lieu. Le père de Resul Altun forma opposition, soutenant notamment que son fils n’avait pas fait l’objet d’un contrôle médical approprié avant d’intégrer l’armée, car il n’aurait jamais été appelé sous les drapeaux s’il avait été découvert qu’il souffrait d’épilepsie. Il argua également que le diagnostic du médecin de la caserne n’était pas conforme aux règles médicales. Le 6 février 2009, le tribunal militaire rejeta ce recours pour absence de fait attribuable à un tiers dans la survenance du décès. Le 13 juillet 2009, les requérants saisirent la Haute Cour administrative militaire (« la Haute Cour ») d’une demande en indemnisation au titre de leurs préjudices matériel et moral. Selon eux, Resul Altun était décédé en raison de l’absence, d’une part, de contrôles médicaux appropriés durant son service militaire et, d’autre part, de soins adéquats propres à contenir la crise qui lui a été fatale. La Haute Cour ordonna une nouvelle expertise. Le 26 avril 2010, un collège de trois enseignants du service psychiatrique de la faculté de médecine de l’université Gazi rendit un rapport. D’après ce rapport, Resul Altun n’avait informé ni le centre de recensement ni aucune autre administration qu’il souffrait d’épilepsie ou d’une autre maladie pouvant générer des crises épileptiques ; l’épilepsie ne pouvait être détectée qu’à l’aide d’examens répétés et d’observations réalisées à la suite des déclarations du patient et elle ne pouvait pas être diagnostiquée après un simple examen neurologique et physique ; la consommation d’alcool et de drogue pouvait augmenter le risque d’épilepsie, mais il n’était pas facile de poser un diagnostic immédiatement après une crise épileptique. En bref, pour les experts, ni l’administration, relativement à l’admission de l’intéressé au service militaire, ni le personnel médical mis en cause n’étaient fautifs. Par un arrêt du 26 mai 2010, en se fondant notamment sur l’expertise susmentionnée, la Haute Cour débouta les requérants. Les requérants introduisirent un recours en rectification d’arrêt qui fut rejeté le 20 octobre 2010. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont développés dans les arrêts Metin c. Turquie (no 26773/05, § 43, 5 juillet 2011) et Tanışma c. Turquie (no 32219/05, §§ 29-50, 17 novembre 2015).
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Le requérant est né en 1955 et réside à Monaco. Courant 2005, le requérant proposa à des connaissances de longue date, A.A., F.A. et M.T. d’acquérir une société française spécialisée dans la fabrication de bijoux fantaisie, la SAS F. H., par l’entremise d’une société holding, la société FH Finances, qu’il leur avait demandé de constituer. A.A., F.A. et M. T. apportèrent chacun la somme de 124 360 euros (EUR), tout en se portant caution d’un crédit de 450 000 EUR souscrit par la société FH Finances. Cette dernière fut constituée par A.A., F.A., M.T. et le requérant le 23 mars 2006, son siège social étant établi en France et sa présidence confiée à X.B. Le 24 juillet 2006, la société FH Finances fit l’acquisition de la totalité des actions de la société F. H. pour la somme de 723 000 EUR. Le 28 novembre 2007, A.A., F.A., M.T. et la société FH Finances déposèrent une plainte en se constituant partie civile à l’encontre du requérant pour abus de confiance et escroquerie. Ils reprochaient notamment au requérant d’avoir été le gérant de fait de la société FH Finances et d’en avoir profité pour manipuler les comptes bancaires, tout en faisant des prélèvements et des virements injustifiés, pour un montant total de 157 933 EUR, agissements qui avaient conduit à la déclaration de l’état de cessation de paiement de la société FH Finances. Le 23 janvier 2008, une information judiciaire fut ouverte. L’enquête confiée aux policiers par le juge d’instruction établit, d’une part, que le requérant avait dirigé, sans titre officiel, les sociétés F. H. et FH Finances et, d’autre part, que si X.B. avait consenti au requérant, en septembre 2006, une procuration sur le compte en banque, une erreur de cette dernière avait permis au requérant de procéder à des mouvements bien avant. Au cours de l’instruction, le requérant expliqua qu’il dirigeait la société FH Finances en lien avec X.B. et qu’il disposait d’un mandat de gestion globale pour gérer les deux sociétés depuis les locaux d’une troisième, la SAM IET à Monaco. Il soutint qu’un accord verbal était intervenu avec les plaignants, aux termes duquel il ne percevait pas de rémunération mais un dédommagement à hauteur de 30% du montant du résultat avant impôt de la société F. H., outre le remboursement de ses frais de déplacement. Il évaluait pour sa part à 65 000 EUR les montants prélevés à son profit ou au profit de la société monégasque IET. Il précisa que deux virements, d’un montant total de 25 000 EUR, s’expliquaient par la rémunération de la secrétaire ayant travaillé dans les locaux de la société IET pour le compte de la société F. H., nonobstant l’absence de facture. Il confirma en outre l’absence de contrat entre les sociétés FH Finances et IET. Le 17 juin 2011, un juge d’instruction de Monaco rendit une ordonnance d’incompétence et de non-lieu partiel. Compte tenu du fait que les sociétés F. H. et FH Finances avaient leurs sièges sociaux et leurs comptes bancaires en France, le juge d’instruction de Monaco ne retint que les faits de détournement commis par le requérant au profit de la société monégasque IET, plus précisément par le versement des sommes directement sur le compte administrateur du requérant et d’un montant de 25 000 EUR. Le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance. Par un jugement du 17 janvier 2012, le tribunal correctionnel de Monaco releva que le requérant, déjà condamné en France pour des infractions en matière économique, n’avait jamais produit le moindre justificatif des dépenses prétendument engagées et que les 25 000 EUR litigieux avaient été versés sur son compte administrateur et n’avaient donc profité qu’à lui. Il le déclara coupable et le condamna à un an d’emprisonnement. Le tribunal accorda également 25 000 EUR à la société FH Finances, ainsi que 5 000 EUR à A.A., F.A. et M.T. à titre de dommages-intérêts. Le requérant et le ministère public interjetèrent appel. Par un arrêt du 8 octobre 2012, la cour d’appel confirma le jugement en toutes ses dispositions, réduisant toutefois la peine à six mois d’emprisonnement. Le requérant forma un pourvoi. Dans sa requête en révision, signée par lui et son avocat plaidant, Me G. Carrasco, inscrit au barreau de Nice, il souleva plusieurs moyens, soutenant notamment que l’infraction d’abus de biens sociaux n’était pas constituée et que les constitutions de partie civile étaient irrecevables. Le procureur général déposa des conclusions en date du 3 décembre 2012. Le 5 décembre 2012, le greffe général en adressa une copie au premier président de la Cour de révision, au conseiller rapporteur, ainsi qu’à deux avocats monégasques, qualifiés au terme du courrier d’« avocats-défenseurs », Mes C. Lecuyer et G. Gazo, par dépôt dans leurs boîtes à lettres respectives au Palais de justice. Par ailleurs, conformément à la pratique en vigueur devant la Cour de révision, un conseiller rapporteur, désigné par le président parmi les membres de la Cour, rédigea un rapport réservé aux membres de la Cour de révision et soumis au secret du délibéré. Par un arrêt du 24 janvier 2013, la Cour de révision rejeta le pourvoi du requérant. L’arrêt visait expressément le requérant, avec la mention « comparaissant en personne et ayant comme avocat plaidant Maître Gaston Carrasco, avocat au barreau de Nice », ainsi que le nom des parties civiles et de leur représentant, Me G. Gazo, avocat-défenseur près la cour d’appel.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Adana. À l’époque des faits, il était dirigeant d’une section locale de l’Association des droits de l’homme. Le 6 novembre 2009, le préfet d’Adana adopta un arrêté portant réglementation de la tenue des déclarations publiques à la presse dans sa ville, qui, entre autres, interdisait l’organisation de pareils événements à proximité des bâtiments judiciaires. Le 13 octobre 2010, le requérant participa à une déclaration publique à la presse organisée devant le palais de justice d’Adana par le syndicat Eğitim-Sen, rattaché à la Kesk (Kamu Emekçileri Sendikaları Konfederasyonu – la Confédération des syndicats des salariés du secteur public). Il ressort ce qui suit du procès-verbal d’incident établi par les autorités : le jour en question, vers 12 h 30, la police fut informée d’un attroupement devant le palais de justice ; arrivée sur place, elle observa que quarante-cinq personnes appartenant à la section locale de la KESK s’étaient réunies sur les escaliers de l’entrée du palais de justice ; les manifestants se dispersèrent vers 12 h 45 dans le calme après la lecture d’une déclaration publique à la presse, dans laquelle ils demandaient la création de crèches dans les établissements publics auxquels ils étaient rattachés ; la police releva que les manifestants avaient agi en violation de l’arrêté préfectoral du 6 novembre 2009 et de l’interdiction d’organiser des manifestations dans un périmètre de trente mètres autour du palais de justice. Le requérant se vit infliger une amende d’un montant de 143 livres turques ((TRY), soit environ 70 euros (EUR)) sur le fondement de l’article 32 de la loi no 5326 sur les fautes administratives, pour contravention à l’arrêté préfectoral du 6 novembre 2009. Le 15 mai 2011, saisi par le requérant d’une opposition, le 1er tribunal de police d’Adana releva que l’intéressé s’était vu infliger une amende en application de la loi susmentionnée et que la fiabilité du procèsverbal n’avait pas été contestée ni remise en question par les éléments de preuve. Il considéra que l’amende était conforme au droit, et il rejeta le recours formé par le requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans les arrêts Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie, (no 4524/06, §§ 17-22, 14 octobre 2014) et Akarsubaşı c. Turquie (no 70396/11, §§ 14-26, 21 juillet 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1925 et réside à Athènes. A. La requête no 43374/06 et l’arrêt rendu par la Cour le 31 juillet 2008 Le 23 mai 2002, la requérante déposa en son nom propre et en tant que représentante légale de son mari, qui souffrait de sénilité, une plainte contre trois individus pour escroquerie. Elle les accusait d’avoir dupé son mari et d’avoir réussi à détourner une grande partie de leurs dépôts bancaires communs. Des poursuites pénales furent alors engagées contre ces personnes et la requérante se constitua partie civile en réclamant la somme de quarante-quatre euros. Le 1er août 2003, le mari de la requérante décéda. Le 20 novembre 2003, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes décida de ne pas renvoyer les accusés en jugement (ordonnance no 5066/2003). Le 4 décembre 2003, la requérante déclara devant le greffier du tribunal correctionnel qu’elle interjetait appel de l’ordonnance susmentionnée en tant que partie civile. A cet effet, elle déposa un mémoire, qui mentionnait qu’elle interjetait appel en son nom propre et en tant qu’unique héritière de son mari. Le greffier dressa et signa le procès-verbal de dépôt, dans lequel il indiqua que l’appel était formé par « Dionysia, veuve Themistokli Louli ». Le 21 avril 2004, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes fit partiellement droit au recours et renvoya I.M., l’un des accusés, en jugement (ordonnance no 780/2004). Le 7 mai 2004, I.M. se pourvut en cassation. Le 5 avril 2006, la chambre d’accusation de la Cour de cassation considéra que l’appel contre l’ordonnance no 5066/2003 était irrecevable car il était formé par une personne qui n’avait pas qualité pour agir. En particulier, la Cour de cassation nota que la requérante avait interjeté appel « en tant que partie civile », sans toutefois préciser si elle exerçait ce recours en son nom propre ou en sa qualité de représentante légale de son mari. Or, selon la haute juridiction : « La [requérante] n’avait pas le droit d’interjeter appel en son nom propre car elle n’était pas directement victime du vol dénoncé, puisqu’elle n’était pas propriétaire ou en possession de l’argent constituant l’objet du vol, même si [le mari de la requérante] avait retiré cet argent de leur compte commun. De plus, [la requérante] n’avait pas le droit d’interjeter appel en tant qu’héritière de son mari/de la victime, car cette qualité ne ressort pas du procès-verbal de l’appel, sa citation en tant que veuve Themistokli Louli ne suffisant pas. » Dès lors, la Cour de cassation cassa l’ordonnance attaquée (ordonnance no 814/2006). Le 4 octobre 2006, la requérante saisit la Cour, en vertu de l’article 34 de la Convention. Par un arrêt du 31 juillet 2008 (Louli c. Grèce, no 43374/06), la Cour déclara la requête recevable et conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit de la requérante d’avoir accès à un tribunal. La Cour considéra qu’indépendamment de la question de savoir à qui incombait la responsabilité de l’omission de mentionner expressis verbis dans le procès-verbal la double qualité en laquelle agissait la requérante, question controversée entre les parties, les éléments susmentionnés lui suffisaient pour conclure que la Cour de cassation avait fait en l’occurrence preuve de formalisme excessif, ce qui avait entraîné l’irrecevabilité de l’appel formé par la requérante, l’empêchant ainsi dans les faits de se prévaloir de cette voie de recours que lui offrait le droit interne. Statuant sur l’application de l’article 41 de la Convention, elle condamna la Grèce à verser à la requérante une somme de 5 000 euros au titre du dommage moral. B. La suite des procédures devant les instances grecques La demande de révision Le 5 novembre 2008, sur la base de l’arrêt de la Cour, la requérante demanda au procureur près la Cour de cassation de rouvrir la procédure pénale contre I.M. Le 3 octobre 2008, le procureur rejeta cette demande, au motif que le code de procédure pénale ne prévoit pas la révision du procès à l’encontre d’une personne acquittée par la chambre d’accusation, même lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la Cour de cassation avait fait preuve de formalisme excessif dans l’interprétation des règles applicables. Le second procès contre I.M. pour une autre affaire de fraude contre feu le mari de la requérante Le 5 mai 2008, débuta devant la cour d’assises d’Athènes un nouveau procès contre I.M. pour une autre affaire de fraude envers Themistoklis Loulis. Au début de l’audience, la requérante se constitua partie civile. A cet effet, elle affirme avoir produit devant le tribunal l’acte de décès de son mari, le testament de ce dernier la désignant comme son unique héritière, la décision du tribunal de première instance d’Athènes prononçant la validité du testament et son enregistrement au registre spécial du tribunal, une attestation du greffier du même tribunal qu’aucun autre testament du défunt n’avait été publié, une attestation du fisc certifiant qu’elle avait déposé la déclaration relative à l’impôt sur les successions, ainsi que l’acceptation de l’héritage de feu son mari par acte notarial. La requérante affirme par ailleurs avoir expressément déclaré qu’elle se constituait partie civile en tant qu’héritière de son mari, mais que la greffière du tribunal omit de le mentionner dans le procès-verbal. Le 26 juin 2008, la cour d’assises déclara I.M. coupable et le condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Le tribunal le condamna en outre à verser à la requérante, en sa qualité d’héritière de la victime, 44 euros au titre du dommage moral (jugement no 3532/2008). À la page 2 du procès-verbal de l’audience, il était précisé : « A ce moment du procès, Dionysia Louli-Georgopoulou, domiciliée à Athènes, s’est présentée et a déclaré qu’elle comparaissait comme partie civile pour se voir accorder une indemnité de 44 euros au titre du dommage moral qui lui a été causé par l’infraction litigieuse. » Dans ses motifs, l’arrêt contenait le considérant suivant : « Considérant que l’accusé doit verser la somme de 44 euros (...) à la partie civile en sa qualité d’héritière de Themistoklis Loulis, qui s’était constituée partie civile lors de l’instruction, le 12 mars 2002 (...). » L’accusé, I.M., interjeta appel contre ce jugement. L’audience devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, débuta le 21 janvier 2009. La requérante déclara qu’elle se constituait partie civile en son nom propre et en tant qu’unique héritière de son mari, justificatifs à l’appui. Le lendemain, la cour d’appel déclara irrecevable la constitution de partie civile de la requérante, au motif que sa constitution de partie civile lors de l’audience en première instance n’était pas valide, puisqu’elle n’avait pas déclaré qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari (arrêt no 206A/2009). Le 28 janvier 2009, la requérante déposa une demande de rectification du procès-verbal de l’arrêt no 3532/2008 de la cour d’assises, afin d’y faire inclure qu’elle s’était constituée partie civile en tant qu’héritière de son mari. Dans l’attente de cette décision, la cour d’appel d’Athènes ajourna le procès en appel d’I.M. (arrêt no 213/2009). Le 4 mars 2009, la présidente de la cour d’assises refusa la rectification du procès-verbal du jugement no 3532/2008, au motif qu’il ne ressortait d’aucun élément du dossier que la requérante avait déclaré solennellement qu’elle agissait en tant qu’héritière de son mari (paragraphe 27 ci-dessous). La présidente souligna que l’examen du compte rendu de l’audience, établi par la greffière, ne démontrait pas que la requérante avait fait une telle déclaration. En outre, il n’était pas établi qu’une telle déclaration figurait dans un document du dossier et qui aurait été égaré, comme le soutenait la requérante. La présidente admit que la cour d’assises avait accepté la constitution de partie civile de la requérante en sa qualité d’héritière, mais estima que cette acceptation était fondée sur l’ensemble des éléments du dossier et témoignait de la volonté de la cour d’assises de ne pas faire preuve de formalisme excessif dans l’examen de la recevabilité de la constitution de partie civile de la requérante (décision no 1249/2009). À une date non précisée, la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, condamna I.M. à une peine de réclusion de six ans pour fraude et à une peine d’emprisonnement de deux ans pour soustraction de fausse déclaration. Elle rejeta aussi la demande de la requérante tendant à la révocation des décisions susmentionnées de la même juridiction de la reconnaître comme partie civile (arrêts no 1843/2009 sur la condamnation et no 887/2009 sur la qualité de partie civile de la requérante). Par un arrêt no 1277/2010, du 24 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi d’I.M. contre l’arrêt de la cour d’appel d’Athènes, siégeant en formation de cinq juges, ainsi que le pourvoi de la requérante contre ce même arrêt concernant la non-reconnaissance de sa qualité de partie civile. La Cour de cassation déclara irrecevable le pourvoi de la requérante au motif que celle-ci n’avait pas qualité pour agir et introduire donc le pourvoi. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale disposent : Article 63 – Constitution de partie civile La constitution de partie civile pour la réparation du préjudice résultant de l’infraction ou pour l’obtention d’une satisfaction pécuniaire pour dommage moral (...) peut être faite devant la juridiction pénale selon les dispositions du code civil. (...) Article 68 – Exercice et manifestation de la partie civile « 1. Celui qui a le droit de se constituer partie civile peut toujours tenter de satisfaire ses prétentions à indemnisation à l’audience devant la juridiction pénale, jusqu’au début du stade de l’administration de preuves (...), et lorsqu’il a notifié à l’accusé une copie du dossier conformément aux dispositions du code de procédure civile et dans le délai prévu par l’article 167 [du présent code]. Par voie d’exception, celui qui selon le code civil a droit à une indemnité pour dommage moral (...), peut soumettre ses prétentions à la juridiction pénale jusqu’au début du stade de l’administration des preuves, sans procédure préalable écrite. » Article 167 – Délai pour la notification de la constitution de partie civile « La notification de la constitution de partie civile à l’accusé ou au civilement responsable doit être faite au moins cinq jours avant l’audience. » Article 171 « Les cas de nullité qui sont pris en considération d’office par le tribunal, à tout stade de la procédure, ainsi que devant la Cour de cassation, sont les suivants : 1) le non-respect des dispositions qui déterminent : a) la composition du tribunal, conformément aux dispositions spécifiques du code des tribunaux et de la loi relative aux cours d’assises et ayant trait à la nullité pour mauvaise composition du tribunal ; b) l’engagement des poursuites pénales par le procureur et sa participation obligatoire à l’audience et aux actes d’instruction fixés par la loi ; c) la suspension des poursuites dans les cas prévus par la loi ; 2) la comparution illégale de la partie civile à l’audience. » Article 525 « 1) La procédure pénale qui a pris fin par une décision irrévocable est rouverte, dans l’intérêt du condamné pour crime ou délit, seulement dans les cas suivants : (...) e) si la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation d’un droit relatif au caractère équitable de la procédure suivie ou à la disposition substantielle appliquée. » Article 526 « À l’encontre de celui qui a été acquitté pour crime ou délit par une décision irrévocable, la procédure pénale est rouverte seulement a) s’il a été constaté que de faux documents ou d’autres preuves ou la corruption (...) d’un magistrat ou d’un juré ayant participé à l’acquittement ont exercé une influence décisive sur la décision d’acquittement et b) s’il n’y a pas eu depuis l’acquittement, prescription du caractère condamnable de l’acte. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1944 et réside à Pefki. Le 30 octobre 2000, le requérant, employé dans un hôtel, fut licencié. Le 2 janvier 2001, il saisit les juridictions civiles d’une action en dommages-intérêts dirigée contre son employeur. Il réclamait 1) l’annulation de son licenciement qu’il estimait illégal et abusif, 2) sa réintégration à son poste, 3) le versement de salaires pour la période allant du 30 octobre 2000 au 31 décembre 2001 et 4) le versement de 5 056 573 drachmes, soit 14 840 euros (EUR) environ, au titre des compléments de salaire et des indemnités qu’il disait ne pas lui avoir été versés entre 1994 et 2000. L’audience devant le tribunal de première instance d’Athènes (« le tribunal de première instance »), initialement fixée au 23 avril 2001, fut reportée au 11 janvier 2002. La raison de cet ajournement n’apparaît pas dans le dossier. Le 10 avril 2002, le tribunal rejeta l’action pour défaut de fondement (jugement no 841/2002). Le 28 juin 2002, le requérant interjeta appel. L’audience devant la cour d’appel d’Athènes (« la cour d’appel »), initialement fixée au 8 octobre 2002, fut reportée au 7 janvier 2003. La raison de cet ajournement n’apparaît pas dans le dossier. Le 26 février 2003, la cour d’appel déclara que l’audience était irrégulière, faute de citation légale de la partie intervenante par le requérant (décision no 1504/2003). Le 28 février 2003, le requérant demanda la reprise de l’instance. Le 10 juillet 2003, la cour d’appel statua sur la partie de l’appel relative à l’annulation du licenciement du requérant et au versement des salaires réclamés, et la rejeta. Elle réserva la question du versement des compléments de salaire et des indemnités réclamés en attendant l’issue d’une autre procédure, pendante devant la Cour de cassation, introduite par un collègue du requérant et ayant le même objet (arrêt no 5.913/2003). Le 7 décembre 2004, la Cour de cassation publia sa décision concernant ladite procédure (décision no 1399/2004). Le 19 janvier 2006, la partie adverse demanda la reprise de l’instance devant la cour d’appel. Le 4 juillet 2006, la cour d’appel débouta le requérant s’agissant du versement des compléments de salaire et des indemnités (arrêt no 5233/2006). Le 30 octobre 2006, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt no 5233/2006 ainsi que contre l’arrêt no 5.913/2003 de la cour d’appel. Son pourvoi était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce : « (...) Je note que mon pourvoi dirigé contre les arrêts nos 5.913/2003 et 5233/2006 est recevable, puisqu’il ressort des articles 513 § 1b et 553 § 1b du code de procédure civile qu’un appel ou un pourvoi en cassation ne peut être exercé que contre un arrêt définitif par lequel [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée soit seulement la partie concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, la partie définitive [de cette décision] ne peut, à elle seule, faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi avant la publication d’un arrêt mettant fin à l’ensemble de l’instance. Il ressort de cette disposition, combinée avec l’article 218 § 1 du même code que, en cas de demandes jointes, dans un acte unique émanant d’un même demandeur contre un même défendeur, l’arrêt qui met fin à l’instance quant à une demande, sans pour autant se prononcer définitivement sur les autres demandes, ne peut pas faire l’objet d’un appel ou d’un pourvoi. Dès lors, étant donné que l’instance s’est achevée avec l’arrêt no 5233/2006 de la cour d’appel d’Athènes, l’arrêt no 5.913/2003, en ce qui concerne ses dispositions définitives, [ne] pouvait être contesté [qu’]à partir de [la] publication [de l’arrêt no 5233/2006] (...) » L’audience devant la Cour de cassation, initialement fixée au 13 novembre 2007, fut reportée au 11 novembre 2008. Il ressort du dossier que le requérant avait demandé l’ajournement de l’affaire pour des raisons liées à la santé de son représentant. Le 20 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta pour tardiveté le pourvoi quant à la partie dirigée contre l’arrêt no 5.913/2003. Elle releva qu’il ressortait des articles 495 § 1, 564 § 3 et 577 §§ 1 et 2 du code de procédure civile (CPC) que, si l’arrêt de la cour d’appel n’avait pas été notifié, le délai pour se pourvoir en cassation était de trois ans à compter de la publication d’un tel arrêt de la cour d’appel. Elle observa qu’en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel no 5.913/2003 avait été publié le 10 juillet 2003 et que le requérant avait déposé son pourvoi le 30 octobre 2006, soit plus de trois ans plus tard et donc hors du délai prévu. Elle rejeta en outre le restant du pourvoi, portant sur l’arrêt no 5233/2006, pour défaut de fondement (arrêt no 170/2009). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 28 avril 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure civile Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure civile (CPC) se lisaient comme suit à l’époque des faits : Article 218 « 1. Plusieurs demandes émanant d’un même demandeur et dirigées contre un même défendeur, qui ont le même fondement ou un fondement différent, qui concernent le même objet ou un objet différent et qui sont basées sur un même motif ou sur un motif différent, peuvent être jointes dans un même acte a) si elles ne sont pas contradictoires ; b) si, dans leur ensemble, elles relèvent de la compétence du tribunal devant lequel elles sont introduites eu égard à leur montant ; c) si elles relèvent de la compétence territoriale du même tribunal ; d) si elles sont soumises au même type de procédure et e) si leur examen simultané ne prête pas à confusion. Si plusieurs demandes ont été jointes sans que les conditions énoncées au paragraphe 1 se soient trouvées réunies, leur séparation est ordonnée à la suite d’une demande ou d’office (...) » Article 495 « 1. Les pourvois (...) en cassation sont engagés au moyen du dépôt de l’original d’une requête au secrétariat du tribunal qui a publié l’arrêt attaqué. » Article 513 « 1. Un appel ne peut être formé que contre les arrêts rendus en première instance : (...) b) (...) définitifs, [et] par lesquels [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée, soit uniquement l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. (...) Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, l’introduction d’un appel n’est pas permise contre les dispositions définitives [en question] avant la publication d’un arrêt définitif [mettant fin à l’ensemble de l’instance]. » Article 553 « 1. Un pourvoi en cassation ne peut être formé que contre les arrêts qui ne peuvent faire l’objet d’une opposition ou d’un appel, a) (...), b) [à l’égard] des arrêts définitifs par lesquels [soit] l’ensemble de l’instance s’est achevée, soit uniquement l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt définitif [mettant fin à l’ensemble de l’instance] (...) » Article 564 « (...) 3. Si l’arrêt [de la cour d’appel] n’a pas été notifié, le délai pour se pourvoir en cassation est de trois (3) ans et commence à courir à compter de la date de la publication de l’arrêt qui met fin à l’instance. » Article 577 « 1. Le tribunal examine d’abord la recevabilité du pourvoi en cassation. Si le pourvoi en cassation n’a pas été introduit valablement ou s’il manque une condition de recevabilité, la Cour de cassation le rejette d’office. » B. Le code civil L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit : Article 105 « L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, excepté si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » C. La loi no 4239/2014 La loi no 4239/2014 relative à la satisfaction équitable en raison d’un dépassement du délai raisonnable dans des procédures devant les juridictions civiles, pénales ou devant la Cour des comptes est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle a introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 de cette loi dispose en ses parties pertinentes en l’espèce : « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) » D. La jurisprudence de la Cour de cassation L’arrêt no 24/2001 de la Cour de cassation Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt no 24/2001 de la Cour de cassation se lisent ainsi : « (...) Il ressort de l’article 553 § 1 du code de procédure civile que, lorsqu’un arrêt [de la cour d’appel] est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé, même contre les dispositions définitives de cet arrêt, avant la publication d’un arrêt définitif concernant l’ensemble de l’affaire, et ce afin d’éviter la fragmentation de l’affaire et [afin de s’assurer que] la procédure soit menée rapidement. Lorsque plusieurs actes ou demandes ont été joints dans le même acte, un pourvoi en cassation ne peut être formé avant que l’instance soit achevée à l’égard de toutes les demandes [ayant été] jointes [dans le même acte]. (...) » L’arrêt no 295/2007 de la Cour de cassation Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt no 295/2007 de la Cour de cassation se lisent ainsi : « (...) Un pourvoi en cassation ne peut être formé contre des arrêts définitifs mais non finaux, à savoir ceux qui acceptent ou rejettent une demande autonome mais reportent l’examen définitif des autres demandes pendantes dans la même procédure, lorsque la demande examinée de manière définitive et la demande qui est toujours pendante (...) [ont entre elles un lien compte tenu duquel] l’introduction d’un pourvoi en cassation entraînerait un risque (...) que des arrêts contradictoires soient rendus. (...) » Les arrêts nos 1060/2004 et 409/2009 de la Cour de cassation Les arrêts nos 1060/2004 et 409/2009 de la Cour de cassation sont ainsi libellés, de manière identique, en leur passage pertinent en l’espèce : « (...) Il ressort des dispositions identiques des articles 513 § 1 b) et 553 § 1 du code de procédure civile que l’appel et le pourvoi en cassation ne peuvent être formés que contre des arrêts définitifs mettant fin [soit] à l’ensemble de l’instance, soit uniquement à l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un appel ou un pourvoi en cassation ne peuvent être formés contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt définitif. Il ressort de cette disposition, combinée avec l’article 218 §1 du même code, que, lorsque plusieurs demandes émanant du même demandeur contre le même défendeur ont été jointes dans un même acte, l’arrêt clôturant le litige quant à une demande, sans se prononcer de manière définitive sur [la ou les autres demandes], n’est pas susceptible des recours susmentionnés, notamment lorsque les demandes présentées sont interdépendantes, c’est-à-dire lorsque l’une est accessoire à une autre [ou à d’autres] et lorsque la résolution du litige dépend de la résolution de [la ou des autres demandes]. (...) » L’arrêt no 541/2009 de la Cour de cassation L’arrêt du 9 mars 2009 de la Cour de cassation – prononcé à l’occasion d’un litige portant sur la fixation du montant d’une pension alimentaire, à l’attribution de la garde d’un enfant et aux modalités de la communication des intéressés avec celui-ci – se lit ainsi en sa partie pertinente en l’espèce : « (...) Il ressort de la disposition de l’article 553 § 1 du code de procédure civile qu’un pourvoi en cassation peut être formé contre les arrêts définitifs non susceptibles d’opposition et d’appel et mettant fin [soit] à l’ensemble de l’instance, soit uniquement à l’instance concernant l’action ou la demande reconventionnelle. Lorsque l’arrêt est partiellement définitif, un pourvoi en cassation ne peut être formé contre les dispositions définitives avant la publication d’un arrêt [mettant définitivement fin] au litige (Cour de cassation, arrêt no 1150/2006). Par ailleurs, l’article 218 § 1 du code de procédure civile prévoit [la possibilité de faire] le choix procédural, basé sur le principe de l’économie du procès, de joindre dans le même mémoire plusieurs actes (...). Les demandes peuvent avoir des bases juridiques et factuelles différentes et concerner des objets différents pouvant entraîner des conséquences juridiques différentes. Il ressort des dispositions susmentionnées que, si plusieurs demandes émanant d’un même demandeur contre un même défendeur ont été jointes dans un même mémoire, dans le but d’économiser du temps et des frais, et que pour l’une d’entre elles un arrêt définitif a été publié, tandis que pour l’autre ou les autres actions un arrêt non définitif a été publié, l’arrêt définitif peut être soumis de manière autonome à un pourvoi en cassation, et ce avant qu’un arrêt définitif sur toutes les actions jointes soit publié (Cour de cassation, arrêt no 1565/2001, arrêt no 24/2001). Et ce en raison du fait que l’arrêt en cause met fin au litige sur l’action au sens de l’article 553 § 1 b) du code de procédure civile (...). Chacune de ces actions préserve la même autonomie procédurale que la demande reconventionnelle, qui est susceptible de pourvoi en cassation bien que la procédure sur l’action ne soit pas achevée. Selon l’arrêt no 1060/2004 de la Cour de cassation, quand plusieurs demandes émanant d’un même demandeur [et dirigées] contre un même défendeur ont été jointes dans le même mémoire, l’arrêt par lequel l’instance s’est achevée quant à l’une des demandes sans s’être prononcé de manière définitive sur l’autre demande n’est pas susceptible de pourvoi de manière autonome, notamment lorsque les demandes présentées sont interdépendantes, c’est-à-dire lorsque l’une est accessoire à une autre [ou à d’autres] et lorsque la résolution du litige dépend de la résolution de l’autre [demande]. (...) » Dans cette affaire, la Cour de cassation a déclaré recevable le pourvoi dirigé contre la partie de l’arrêt de la cour d’appel clôturant de manière définitive le litige et elle a procédé à son examen.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Baia Mare. A. L’ouverture des poursuites pénales contre le requérant et l’arrestation de celui-ci Le 29 février 2000, le requérant, qui commercialisait des pièces de voitures d’occasion, fut convoqué au siège de la police de Baia Mare, afin de faire une déclaration au sujet de l’acquisition de trois voitures auprès d’un dénommé I.R. au mois de février 2000. Il se présenta audit siège de la police, où il fit une déclaration. À la demande des agents de police, il mentionna dans celle-ci qu’il avait été informé de son droit d’être assisté par un avocat, mais qu’il n’entendait pas s’en prévaloir. Le requérant fut ensuite invité à se rendre au siège de la police d’Oradea pour une nouvelle déclaration. Après avoir donné son accord, il fut conduit à cet endroit, où il fit une nouvelle déclaration. Il y resta la nuit ainsi que le lendemain, le 1er mars 2000, jusqu’à 14 heures, lorsque la police décida l’ouverture de poursuites à son encontre et son placement en garde à vue. Il était poursuivi pour complicité de vol, étant accusé d’avoir acheté en connaissance de cause des voitures volées. Le 2 mars 2000, le requérant fut entendu par le procureur en présence d’un avocat commis d’office. Il déclara qu’il avait acheté trois voitures à I.R., au prix de 1 000 marks allemands (DM), et que les barillets de contact de ces véhicules étaient endommagés. Il indiqua en outre que I.R. avait refusé de lui remettre les documents d’identification des voitures et lui avait proposé de les lui vendre. Il ajouta qu’il avait refusé d’acheter ces documents, bien qu’ayant eu l’intention de revendre l’un des véhicules. Enfin, le requérant précisa qu’il avait fait démonter la première voiture par A.V., afin d’en vendre les pièces détachées, et il reconnut avoir effacé le numéro d’identification du moteur de cette voiture, qui n’aurait pas été lisible. À ses dires, les deux autres voitures avaient été garées au domicile de A.V. Le même jour, le procureur ordonna le placement en détention provisoire du requérant pour trente jours. La détention de l’intéressé fut ultérieurement prolongée par un tribunal jusqu’au 12 avril 2000, date à laquelle le requérant fut remis en liberté. Au cours des poursuites, I.R. fut également entendu par les autorités de poursuite. Il reconnut avoir commis le vol de treize voitures à la suite de « commandes » passées par quatre personnes et avoir vendu les véhicules à ces personnes à des prix dérisoires, sans conclusion d’actes de vente et sans remise des documents d’identification de ces véhicules. Selon lui, le requérant figurait parmi ces quatre personnes. Ni le requérant ni son avocat n’assistèrent aux auditions de I.R. Les autorités de poursuite entendirent en outre deux personnes, qui reconnurent avoir aidé I.R. dans le vol des voitures en question. Ces individus expliquèrent en détail comment les vols s’étaient déroulés. L’un d’entre eux indiqua que le requérant avait acheté trois des voitures volées. Les autorités entendirent également A.V., qui confirma qu’il s’était vu remettre ces trois voitures par le requérant, pour les démonter. L’intéressé indiqua qu’il avait uniquement procédé au démontage de la première voiture car le requérant aurait failli à lui présenter les documents d’identification des deux autres véhicules. Il ajouta à cet égard qu’il en avait déduit que les voitures avaient été volées. Par un réquisitoire du 8 juin 2000, le parquet ordonna le renvoi en jugement de I.R., du chef de vol, et du requérant, du chef de complicité de vol ayant entraîné de graves conséquences. Huit autres personnes furent également renvoyées en jugement du chef de complicité de vol et de recel de biens volés. Elles étaient accusées d’avoir aidé I.R. dans le vol des véhicules ou d’avoir acheté ces voitures tout en sachant qu’elles provenaient d’un vol ou encore d’avoir aidé I.R. à effacer les traces du vol sur les voitures en question. B. Le procès du requérant Le 27 avril 2004, le tribunal de première instance d’Oradea décida de disjoindre la partie de l’affaire concernant I.R. de celle concernant le requérant (paragraphe 25 ci-dessous). Au cours de la procédure menée à l’encontre du requérant et des huit autres inculpés, le tribunal de première instance entendit l’un de ces derniers, A.P. Le requérant fut représenté par un avocat choisi par lui, qui sollicita son acquittement et, à titre subsidiaire, la requalification juridique des faits reprochés en recel de biens volés. Le requérant ne fut pas entendu par le tribunal. Par un jugement du 10 avril 2007, le tribunal de première instance d’Oradea requalifia les faits reprochés au requérant en simple complicité de vol, estimant qu’ils n’avaient pas entraîné de graves conséquences, et il condamna l’intéressé à trois ans d’emprisonnement ferme. Le tribunal notait à cet égard que, dans sa déclaration faite lors de l’enquête (paragraphe 8 ci-dessus), le requérant avait reconnu : qu’il avait acheté, à des prix dérisoires, trois voitures à I.R. ; que les barillets de contact de ces véhicules étaient endommagés ; que le vendeur avait refusé de lui remettre les documents d’identification et avait proposé de les lui vendre. Le tribunal relevait aussi que, toujours selon cette déclaration, le requérant avait refusé d’acheter ces documents bien qu’ayant eu l’intention de revendre l’une des voitures. Il notait également que le requérant avait reconnu qu’il avait effacé le numéro d’identification du châssis d’une des voitures. D’après le tribunal, tous ces éléments démontraient que le requérant connaissait la provenance des voitures, mais qu’il avait néanmoins tenté de tirer profit de celles-ci. Par ailleurs, le tribunal constatait que I.R. avait admis, au cours de l’enquête, avoir commis les vols après entente préalable avec le requérant (paragraphe 10 ci-dessus) et que, en outre, ses complices avaient donné des détails sur le déroulement des vols (paragraphe 11 ci-dessus). Enfin, le tribunal se référait à des expertises techniques réalisées au cours de la procédure, selon lesquelles les voitures achetées par le requérant présentaient des traces d’effraction. Le requérant interjeta appel de ce jugement et demanda son acquittement. Il reprochait notamment au tribunal d’avoir fondé sa condamnation sur les déclarations de I.R. faites lors de l’enquête. À cet égard, il indiquait que I.R. n’avait pas été entendu lors du procès en première instance et que, par la suite, l’intéressé était revenu sur sa déclaration initiale dans le cadre de la procédure pénale parallèle menée à son encontre et avait nié toute entente préalable ou postérieure aux vols avec le requérant concernant le recel des biens volés (paragraphe 25 ci-dessous). En outre, le requérant soutenait que les prix payés pour les voitures n’étaient pas dérisoires eu égard à son intention de faire démonter celles-ci et d’en vendre les pièces détachées, et il alléguait que, en tout état de cause, il ignorait que les véhicules avaient été volés. Lors de l’audience du 3 juin 2009, le requérant sollicita l’audition de I.R. Le tribunal départemental de Bihor ne se prononça pas sur cette demande. Par un arrêt du 26 juin 2009, le tribunal départemental annula partiellement le jugement du tribunal de première instance d’Oradea. Il jugea que les faits avaient bien été établis par le tribunal de première instance, mais que le passage du temps avait entraîné la diminution de leur impact dans la société. En conséquence, il prononça un sursis à l’exécution de la peine. Le requérant, qui était représenté par un avocat de son choix, ne fut pas entendu par le tribunal. Le requérant forma un recours contre cet arrêt devant la cour d’appel d’Oradea. Il se plaignait d’abord d’avoir été condamné sans jamais avoir été entendu par les tribunaux inférieurs, et ce, selon lui, en méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention, tel qu’interprété dans l’arrêt Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000-VIII). En outre, il réitérait son moyen selon lequel I.R. n’avait pas été entendu par ces tribunaux, était revenu sur sa déclaration dans le cadre de la procédure pénale parallèle menée à son encontre et avait nié toute entente préalable ou postérieure aux vols avec le requérant concernant le recel des biens (paragraphe 25 ci-dessous). Il indiquait également que I.R. avait déposé une plainte pénale pour enquête abusive contre les agents de police ayant recueilli ses premières dépositions (paragraphe 27 ci-dessous), et il précisait à ce sujet qu’il s’agissait des dépositions prises en considération par les tribunaux inférieurs en vue de sa condamnation. Il estimait, eu égard à tous les arguments précités, que les tribunaux avaient fondé leurs décisions sur des éléments de preuve illégaux, car obtenus selon lui à la suite de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Or, aux dires du requérant, pareille situation contrevenait aux dispositions de l’article 64 du code de procédure pénale (CPP), interdisant l’utilisation de preuves obtenues illégalement. Le requérant fut entendu par la juridiction de recours. Il clama à nouveau son innocence. I.R. ne fut pas cité à comparaître aux fins de son audition. Par un arrêt définitif du 11 mai 2010, la cour d’appel d’Oradea rejeta le recours du requérant. S’agissant du défaut d’audition de celui-ci par les tribunaux inférieurs, la cour d’appel notait, d’une part, que le requérant avait été représenté tout au long de la procédure par des avocats de son choix et que ceux-ci avaient veillé à ce que ses droits procéduraux fussent respectés, et, d’autre part, que l’intéressé avait été entendu au stade du recours. Elle observait également ce qui suit : « Il convient d’écarter la thèse [du plaignant] tirée de l’inexistence de l’élément intentionnel du délit, compte tenu de ce que l’inculpé, dans sa déclaration faite au cours de l’enquête (pages 271-272), a dit que les trois voitures avaient été achetées à la même personne, que ces voitures avaient le barillet de contact endommagé et qu’elles avaient été achetées à des prix beaucoup plus réduits que ceux du marché, déclaration confirmée par l’inculpé A.V. (page 331 du dossier de l’enquête). Toutes ces déclarations sont corroborées par la déclaration de l’inculpé I.R. – en ce que [il confirme qu’il] (...) n’avait pas remis les documents d’identification, mais qu’il les avait proposés à la vente ; l’inculpé Valdhuter avait refusé [cette offre], bien qu’il eût eu l’intention de revendre l’une des voitures. En outre, il a effacé le numéro d’identification du châssis de l’une des voitures, ce qui montre que l’inculpé avait connaissance de la provenance des voitures [et essayait de tirer profit de celles-ci]. L’inculpé I.R. affirme (page 195 du dossier de l’enquête) qu’il a remis une des voitures à l’inculpé Valdhuter et est reparti avec les plaques hongroises en mains, ce qui vient renforcer la conviction de la cour que [celui-ci] connaissait la [provenance] réelle des voitures en question ». La cour d’appel ne se prononça pas sur la légalité des dépositions de I.R. Enfin, elle décida la clôture de la procédure en ce qui concernait A.V., qui était décédé en février 2007. Il ressort du dossier que, lors du jugement de l’affaire en première instance et en appel, les tribunaux ont ajourné à de nombreuses reprises les audiences en raison d’irrégularités dans les citations à comparaître des inculpés ou des victimes. C. La procédure pénale contre I.R. Le 15 juin 2004, après la disjonction de la partie de l’affaire concernant I.R. de celle concernant le requérant (paragraphe 14 ci-dessus), le tribunal de première instance d’Oradea entendit I.R. Celui-ci reconnut avoir commis les vols, mais nia toute entente préalable ou postérieure aux vols avec le requérant concernant le recel des biens volés. Par un arrêt définitif du 18 août 2004, le tribunal de première instance d’Oradea condamna I.R. à cinq ans d’emprisonnement ferme du chef de vol. D. La plainte pénale de I.R. quant à une infliction de mauvais traitements par des agents de police Le 21 septembre 2009, I.R. déposa une plainte pénale à l’encontre des agents de police d’Oradea et de ceux de l’inspection générale de la police de Bihor qui avaient recueilli ses premières dépositions, les accusant d’avoir procédé à une enquête abusive. Il soutenait qu’il avait été frappé à coups de matraque à plusieurs reprises par ces agents et qu’il avait été menacé de continuer à se voir infliger des mauvais traitements en cas de refus de sa part de déposer dans le sens voulu par eux. Il mentionnait dans sa plainte pénale que le requérant avait été un acheteur de bonne foi, et il précisait à cet égard que l’intéressé s’était renseigné à chaque fois sur la provenance des voitures, qu’il avait vérifié les documents d’identification et la série des véhicules et qu’il n’avait jamais été informé qu’il s’agissait de voitures volées. Par une décision du 29 septembre 2009, le parquet près la cour d’appel d’Oradea ordonna un non-lieu au motif que les faits reprochés étaient couverts par la prescription. E. La demande de révision de la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant À une date non précisée, le requérant demanda la révision de la procédure pénale engagée à son encontre, sur le fondement de l’article 394 § 1 d) du CPP, selon lequel la révision pouvait être demandée lorsque le procureur ou l’agent chargé de conduire l’enquête pénale avait commis une infraction dans la procédure visée par la révision. Le requérant indiquait qu’il avait été condamné sur le fondement des déclarations de I.R. et de A.V., qui, selon lui, avaient été obtenues à la suite de mauvais traitements et de pressions exercés par les autorités de poursuite pénale. Il demandait l’audition de I.R. et du fils de A.V., qui aurait été au courant des pressions et menaces alléguées exercées sur son père par les représentants des autorités de poursuite. Le 17 décembre 2010, le requérant fut entendu par le parquet dans le cadre de la procédure préalable de révision. Le 27 janvier 2011, le parquet entendit I.R., qui nia toute entente préalable ou postérieure aux vols avec le requérant et toute information de ce dernier quant à l’origine des voitures. Lors de son audition, I.R. indiqua qu’il avait été agressé et menacé par les agents de police afin qu’il déposât dans le sens voulu par ceux-ci. Il déclara en outre que, bien qu’ayant été entendu par le procureur à quatre reprises au cours de l’enquête, il n’avait pas informé ce dernier des mauvais traitements allégués par lui et qu’il n’était revenu sur sa déposition que lors de la disjonction de la partie de l’affaire le concernant de celle concernant le requérant (paragraphes 14 et 25 ci-dessus). L’avocate du requérant était présente lors de l’audition de I.R. Les éléments du dossier ne permettent pas de dire si elle s’est vu offrir la possibilité d’adresser des questions à ce témoin. Le fils de A.V., qui avait été cité à comparaître pour le 17 février 2011 aux fins de son audition, ne comparut pas. Par un jugement du 24 février 2012, le tribunal de première instance d’Oradea rejeta la demande de révision du requérant comme étant irrecevable. Le tribunal notait que la condamnation pénale du requérant était basée sur l’ensemble des éléments de preuve instruits au cours de la procédure, parmi lesquels les déclarations de I.R. Selon lui, celles-ci ne constituaient pas la preuve unique, n’avaient pas une valeur préétablie et ne l’emportaient pas sur les autres éléments de preuve. Pour ce qui était des allégations de mauvais traitements infligés à I.R. par les agents de police, le tribunal relevait que l’intéressé n’avait jamais soulevé cet argument ni devant le procureur, qui l’avait entendu à quatre reprises, ni devant les tribunaux. De même, il constatait que A.V. n’avait jamais dénoncé une quelconque pression exercée par les autorités de poursuite au cours de la procédure. Le tribunal, après avoir noté que, aux yeux des juridictions, les déclarations du requérant faites au cours de l’enquête s’apparentaient à une reconnaissance des faits reprochés, observait que le requérant avait confirmé ces déclarations devant les tribunaux. Il considérait en outre que la demande du requérant tendant à la requalification juridique des faits reprochés en recel de biens volés, formulée lors de la procédure en première instance, équivalait de surcroît à une reconnaissance de ces faits. Enfin, le tribunal rappelait qu’en tout état de cause l’appréciation des preuves incombait aux juridictions ayant statué sur l’affaire en première instance et lors de l’exercice des voies de recours ordinaires, et non pas aux tribunaux amenés à se prononcer sur les voies de recours extraordinaires, telle la demande de révision. Par un arrêt du 18 avril 2012, le tribunal départemental de Bihor confirma le jugement du tribunal de première instance d’Oradea. Le requérant introduisit un recours contre cet arrêt ; ce recours fut rejeté pour tardiveté.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1977, en 1975, en 1993, en 1995, en 2004 et en 2007, et résident à Caselle Torinese. Les cinq premiers requérants arrivèrent en Italie en 2007. Ils s’installèrent dans un campement rom. Selon un premier rapport des services du département des sciences de l’université de Turin, les deux premiers requérants prenaient soin de leurs enfants et veillaient à ce que rien ne leur manquât. C. naquit le 6 février 2007. Entre 2007 et 2009, la première requérante demanda aux services sociaux de l’aider à obtenir une aide financière. Celle-ci lui fut refusée. Alors qu’elle était enceinte de C., la première requérante avait fait la connaissance de E.M., présidente d’une coopérative active dans le campement, qui lui avait offert de l’aide. Par la suite, la première requérante laissa ses enfants, en particulier C., passer du temps avec E.M. dans son appartement. A. Le placement de l’enfant et l’ouverture de la procédure d’adoptabilité Le 10 juin 2009, E.M. fut arrêtée pour délit d’escroquerie alors que C. était avec elle. De plus, la police avait reçu une plainte anonyme affirmant que E.M. se trouvait avec un enfant qui n’était pas le sien. L’enfant fut immédiatement placée dans une institution. Les autorités soupçonnaient les requérants d’avoir vendu C. à E.M. en contrepartie d’un appartement. Toutefois, aucune enquête pénale ne fut ouverte à cet égard. Le 19 juin 2009, sur demande du procureur, le tribunal pour enfants de Turin (« le tribunal ») ouvrit la procédure visant à déclarer C. en état d’adoptabilité et jugea que le retour de l’enfant auprès des siens n’était pas envisageable, mais que les deux premiers requérants pouvaient rencontrer l’enfant deux fois par mois. Il ordonna également l’ouverture d’une enquête sur les capacités parentales des deux premiers requérants. La première rencontre entre les parents et leur enfant n’eut lieu que deux mois plus tard. Selon les comptes rendus des rencontres, l’enfant manifestait un attachement très fort envers les deux premiers requérants et pleurait beaucoup à leur départ. Les services sociaux suspendirent les rencontres. Les deux premiers requérants s’opposèrent à la décision et, deux mois plus tard, les rencontres furent rétablies. À une date non précisée, un expert qui avait été nommé par le tribunal déposa son rapport. Dans ce rapport, il invitait le tribunal à mettre en place un processus de réintégration de l’enfant dans sa famille et à en confier le suivi aux services sociaux. Il estimait que la réintégration dans la famille d’origine devait se faire dans un bref délai et qu’il était nécessaire également de soutenir la famille pour empêcher que la situation de pauvreté de celle-ci fît obstacle à l’exercice par les deux premiers requérants de leur autorité parentale. Le tribunal chargea un autre expert d’établir un rapport. Le 9 juillet 2010, cet expert déposa son rapport. Il y indiquait que les parents étaient dépourvus d’empathie à l’égard de leur enfant et que celle-ci n’avait pas développé sa relation avec eux. Un curateur spécial fut nommé par le tribunal. Dans son rapport du 25 janvier 2010, il soulignait que l’enfant avait vécu une situation d’abandon et que, dès lors, la meilleure solution était la déclaration de son adoptabilité. Par un jugement du 3 décembre 2010, le tribunal déclara l’enfant adoptable. Selon le tribunal, l’état d’abandon, condition de la déclaration d’adoptabilité, était fondé sur la circonstance que les deux premiers requérants auraient « donné » l’enfant à E.M. en déléguant à celle-ci leur rôle parental et qu’ils ne se seraient pas montrés à même de comprendre les besoins profonds de l’enfant pendant les rencontres. De plus, selon le tribunal, les deux premiers requérants n’étaient pas capables d’assumer leur rôle parental ni de suivre le développement de la personnalité de C. L’enfant fut placée en famille d’accueil en vue de son adoption. Le 14 juillet 2011, les deux premiers requérants interjetèrent appel de ce jugement. À l’audience du 1er décembre 2012, la cour d’appel releva des erreurs dans la première expertise et nomma un nouvel expert. Le nouvel expert estima que les deux premiers requérants étaient tout à fait à même de remplir leur rôle de parents et que l’épisode de l’arrestation de E.M. ayant conduit au placement de l’enfant devait être lu à la lumière de la situation d’extrême pauvreté des requérants. Il précisa qu’il n’existait aucun indice d’abus. Par un arrêt du 26 octobre 2012, la cour d’appel réforma le jugement du tribunal. Elle estima qu’avoir confié leur enfant à E.M. ne signifiait pas que les deux premiers requérants eussent abdiqué leur rôle de parents. Elle nota qu’il ne ressortait pas du dossier que les deux premiers requérants eussent été incapables de s’occuper de l’enfant ni que l’enfant eût subi des violences. Elle indiqua que, au contraire, l’enfant était très attachée à tous les requérants et que ceux-ci n’avaient pas cessé de chercher à maintenir des contacts avec elle. Elle releva que, dans la procédure devant le tribunal, les deux premiers requérants ne s’étaient pas vu accorder l’occasion de prouver leurs capacités parentales, que les services sociaux ne leur avaient pas octroyé d’aide qui leur aurait permis de surmonter leurs difficultés et qu’aucune chance de renouer des liens avec l’enfant ne leur avait été donnée. Elle indiqua de plus que le tribunal n’avait pas pris en considération les capacités parentales des deux premiers requérants et le lien existant entre eux et l’enfant, que la première expertise sur les requérants et l’enfant aurait mis en évidence. Elle estima qu’il existait un lien fort entre l’enfant et ses parents et qu’il était préférable, dans l’intérêt de l’enfant, que celle-ci revînt dans sa famille d’origine. Par conséquent, la cour d’appel prit les mesures suivantes : – elle confirma provisoirement le placement de l’enfant dans une famille d’accueil ; – elle ordonna la mise en place de rencontres entre les parents et l’enfant en milieu protégé, deux heures tous les quinze jours, avec extension des rencontres aux frères et sœurs ; – elle ordonna qu’une procédure de rapprochement entre les requérants et l’enfant fût mise en place, que l’enfant pût progressivement rencontrer ses parents seule et qu’elle revînt dans sa famille d’origine au cours des six mois suivant la décision. B. La procédure d’exécution de l’arrêt de la cour d’appel du 26 octobre 2012 Les services sociaux ne suivirent pas les prescriptions de la cour d’appel. L’enfant rencontra ses parents seulement une heure par mois et ne put pas se rendre dans sa famille d’origine. Selon les services sociaux, l’enfant était bien intégrée dans sa famille d’accueil, mais, sa résidence étant éloignée de Turin, où vivaient les requérants, les rencontres ne pouvaient se dérouler comme la cour d’appel l’avait ordonné. Le 7 février 2013, les requérants déposèrent plainte devant le Procureur auprès du tribunal pour enfants pour non-exécution d’une décision de justice et invoquèrent l’article 8 de la Convention. Plusieurs rencontres eurent lieu entre les services sociaux, le curateur de l’enfant, le procureur et l’avocat des requérants. Lors de la première rencontre du 18 février 2013, les services sociaux indiquèrent que l’enfant ne pouvait pas revenir dans sa famille d’origine au motif que celle-ci avait été expulsée de son logement. Le 24 juin 2013, le procureur demanda au tribunal pour enfants que la décision de la cour d’appel ne fût pas exécutée et que le placement dans la famille d’accueil fût prorogé de deux ans. Il ajouta que l’enfant n’était pas contente de voir les requérants et qu’elle avait mal réagi lors des rencontres, et que les requérants n’avaient plus de logement. Le tribunal pour enfants ordonna à un expert d’évaluer quelle était la meilleure solution pour l’enfant. Cet expert souligna tout d’abord l’attitude froide et détachée des services sociaux à l’égard des deux premiers requérants. En particulier, il nota que, pendant les rencontres, C. était très heureuse de voir ses parents, mais que les assistants sociaux présents empêchaient ceux-ci de lui parler de ses frères et sœurs et qu’ils faisaient preuve d’un manque d’empathie vis-à-vis des deux premiers requérants. En revanche, selon l’expert, les deux premiers requérants faisaient montre d’un attachement profond envers leur enfant, nonobstant tous les obstacles rencontrés depuis le placement de celle-ci, cinq ans auparavant, et qu’ils avaient accepté avec patience les limites imposées par les services sociaux. L’expert conclut que, compte tenu de l’écoulement du temps et des nouveaux liens que l’enfant aurait tissés avec la famille d’accueil, où elle aurait été bien accueillie, un retour de C. dans sa famille d’origine n’était plus envisageable. Il ajouta que de nouveaux équilibres pouvaient cependant être construits et il invita le tribunal à permettre des rencontres libres entre les requérants et l’enfant. Le 26 novembre 2014, le tribunal, après avoir noté que l’enfant était bien intégrée dans la famille d’accueil et que les deux premiers requérants avaient reconnu le rôle important de la famille d’accueil dans la vie de C., indiqua que le retour de l’enfant parmi les siens se heurtait à plusieurs obstacles, que les parents vivaient toujours en situation précaire et qu’ils n’avaient pas un projet de vie leur permettant de se protéger eux-mêmes et de protéger leur enfant. Par ailleurs, il estima que, eu égard au risque que les requérants pussent en profiter pour faire entrer l’enfant en Roumanie, les rencontres devaient se dérouler en milieu protégé à raison de quatre par an. Il ordonna enfin l’ouverture d’une nouvelle procédure afin de déchoir les parents de leur autorité parentale. Les deux premiers requérants interjetèrent appel de la décision. Par une décision du 21 janvier 2015, la cour d’appel estima qu’il fallait prendre acte d’une situation créée par l’écoulement du temps. En premier lieu, elle reconnut que les parents étaient à même de remplir leur rôle, mais qu’il fallait tenir compte de l’écoulement du temps, au motif que, après six ans d’éloignement de l’enfant, la confirmation du placement de l’enfant dans la famille d’accueil était inévitable eu égard au lien qu’elle aurait développé avec cette dernière. Tout en stigmatisant la décision du tribunal de réduire le nombre de rencontres, elle jugea que, du fait du temps écoulé, l’enfant était désormais bien intégrée dans la famille d’accueil et que le retour dans sa famille d’origine n’était plus envisageable. Par conséquent, elle ordonna des rencontres entre l’enfant et les deux premiers requérants tous les quinze jours les deux premiers mois et elle accorda à ceux-ci un droit de visite et d’hébergement. C. La demande d’adoption spéciale déposée par la famille d’accueil Entre-temps, le 30 septembre 2014, la famille d’accueil avait déposé une demande d’adoption spéciale à laquelle les deux premiers requérants n’avaient pas donné leur consentement. Entre 2015 et 2016, de nombreuses rencontres entre l’enfant et les requérants eurent lieu. Au début, les rencontres duraient une journée, puis C. fut autorisée à dormir chez les requérants pendant quelques jours. La situation semblait évoluer positivement. Toutefois, en juillet 2016, les psychologues chargés du suivi de l’enfant observèrent que celle-ci présentait des signes de détresse en raison des messages qu’elle recevait de la famille d’accueil pendant qu’elle se trouvait chez les requérants. Ils estimèrent que ces communications étaient préjudiciables à la santé psychoaffective de l’enfant. Le 18 juillet 2016, les deux premiers requérants déclarèrent au tribunal pour enfants que la famille d’accueil avait raconté à C. qu’ils l’avaient vendue en contrepartie d’un appartement. En juin 2015, l’enfant fut entendue par le juge rapporteur du tribunal pour enfants. Le 4 septembre 2015, la psychologue qui suivait l’enfant dans le village où vivaient les parents d’accueil indiqua dans son rapport que le cadre symptomatologique de l’enfant s’était gravement dégradé. Selon elle, l’enfant avait, depuis la rencontre avec le juge du tribunal, des comportements régressifs et compulsifs se manifestant par une agressivité verbale et par des comportements agressifs à l’encontre des objets. Le 30 juin 2016, le procureur rendit son avis sur la procédure d’adoption spéciale entamée par le couple d’accueil. Selon lui, les relations entre les deux familles s’étaient améliorées et il pouvait être opportun de demander à nouveau aux parents biologiques s’ils consentaient à l’adoption spéciale de C. Le 8 juillet 2016, le tribunal pour enfants rejeta la demande d’adoption spéciale du couple d’accueil faute de consentement des deux premiers requérants. D. Le retour de l’enfant dans sa famille d’origine Les deux premiers requérants demandèrent le retour de leur enfant dans sa famille d’origine eu égard au comportement de la famille d’accueil et aux problèmes que l’enfant aurait présentés. Le 16 août 2016, après avoir entendu les requérants et la famille d’accueil, le tribunal ordonna le retour de C. auprès des siens. Le tribunal observa que, conformément à la décision de la cour d’appel de 2014, le placement dans la famille d’accueil avait été prorogé de deux ans, et que les deux premiers requérants avaient été à plusieurs reprises jugés capables d’assumer leur rôle parental. Il indiqua que le placement était provisoire et qu’il ne pouvait pas être prorogé, et que C. avait le droit de vivre avec ses parents biologiques. Par conséquent, il chargea les services sociaux du suivi de la situation des requérants et il ordonna que l’enfant pût rencontrer régulièrement la famille d’accueil, au rythme de deux week-ends par mois. Le 17 août 2016, le procureur saisit la cour d’appel pour contester la décision du tribunal. Il exposa que la première requérante avait perdu son travail, que l’enfant était en souffrance et qu’elle était opposée à l’idée de quitter la famille d’accueil. Il demanda à la cour d’appel de proroger le placement de l’enfant dans la famille d’accueil. Le 9 septembre 2016, avant la rentrée scolaire, C. retourna vivre chez les requérants. Le retour se révéla particulièrement difficile pour C. Il ressort de l’expertise psychologique ainsi que des rapports des services sociaux de 2016 que l’enfant avait de graves difficultés, et que, en particulier, elle refusait d’aller à l’école et avait des comportements agressifs. Par un décret du 8 novembre 2016, la cour d’appel confirma la décision du tribunal et ordonna que C. restât chez les requérants. Elle releva notamment que l’enfant, âgée de 9 ans, avait vécu une situation difficile en raison, entre autres, de décisions judiciaires trop sévères et que le placement dans la famille d’accueil, mesure temporaire, ne pouvait pas être prorogé. Elle estima que, même si l’enfant était effectivement en souffrance en raison de son retour chez les requérants, elle ne présentait pas, selon les experts, de risque psychotique. Elle considéra que les deux premiers requérants avaient été jugés capables de remplir leur rôle de parents, que le retour de l’enfant aurait dû avoir lieu en 2012 et qu’il ne pouvait pas être encore reporté. Elle indiqua encore que, si les décisions antérieures des juridictions avaient été exécutées, une bonne partie de cette souffrance aurait pu être évitée. Elle confirma enfin le maintien des contacts entre l’enfant et la famille d’accueil. Le 19 décembre 2016, un psychologue déposa un rapport sur la situation de l’enfant. Selon le psychologue, l’enfant était déprimée, pleurait beaucoup et était très agressive, mais elle avait recommencé à fréquenter l’école, et il était nécessaire de prolonger le suivi de l’enfant et des requérants afin de les aider. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Zhou c. Italie (no 33773/11, §§ 24-25, 21 janvier 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1980 et réside à Diyarbakır. A. L’arrestation et la garde à vue de la requérante La requérante indique que, dans la nuit du 27 février 2002, une perquisition a été effectuée à son domicile à Diyarbakır et que, à l’issue de celle-ci, elle a été arrêtée et placée en garde à vue dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de la sûreté de cette ville. Le Gouvernement, s’appuyant sur le procès-verbal relatif à cette perquisition, indique que la requérante a été arrêtée le 28 février 2002 et placée en garde à vue vers 0 h 30. Il ressort du dossier que, vers 1 heure du matin, la requérante a subi un examen médicolégal à l’issue duquel il a été constaté qu’elle ne présentait aucun signe de blessure. Le 28 février 2002, la requérante fut interrogée par deux policiers dont les numéros de matricule sont mentionnés dans le procès-verbal d’interrogatoire. Cet interrogatoire s’inscrivait dans le cadre d’une enquête relative aux activités du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation armée illégale) et d’un parti politique, le HADEP (Halkın Demokrasi Partisi – Parti démocratique populaire), fondé le 11 mai 1994 et dissous par la Cour constitutionnelle le 13 mars 2003 (HADEP et Demir c. Turquie, no 28003/03, 14 décembre 2010). La requérante expose qu’elle a été interrogée les yeux bandés dans une cellule réservée à l’interrogatoire. Les policiers lui auraient serré le cou et lui auraient tapé la tête contre les murs dans le but de lui extorquer des aveux. Ils l’auraient également déshabillée et insultée. En particulier, deux policiers l’auraient mise à terre et l’un d’entre eux lui aurait appuyé son pied sur le dos. Par la suite, ils lui auraient tiré les cheveux tout en la frappant à la tête. La requérante soutient que, dès son arrivée dans la pièce de l’interrogatoire, elle a ressenti un écoulement dans la région lombaire, qu’elle s’est alors rendue aux toilettes et qu’elle a constaté que sa culotte était pleine de sang. Elle indique qu’elle a fait part de cette situation anormale à une policière, qu’elle a ensuite été reconduite dans la pièce de l’interrogatoire, qu’elle y a subi des pressions tant psychologiques que physiques et qu’elle a été insultée. Toujours le 28 février 2002, la requérante fut d’abord transférée à l’hôpital civil de Diyarbakır (« l’hôpital civil ») en raison de son saignement vaginal. Il ressort des éléments médicaux présentés par les parties que, à une heure non précisée dans le dossier, elle a été examinée par un médecin généraliste, M.T., à l’hôpital civil. Le rapport médical établi par ce médecin énonce ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « La patiente a eu ses règles il y a dix jours. Actuellement, elle présente un saignement vaginal. Il a été ordonné une échographie pelvienne (pelvic USG), ainsi que des analyses urinaires et sanguines (...) » Il ressort également des déclarations faites par ce même médecin lors de la procédure pénale engagée contre les policiers que celui-ci a ordonné le transfert de la requérante à la maternité pour un examen gynécologique (paragraphe 26 ci-dessous). À une heure non spécifiée dans le dossier, la requérante fut examinée par un gynécologue, U.D., à la maternité de Diyarbakır. Celui-ci ne procéda pas à un examen vaginal mais dressa une fiche de transfert, portant la mention « urgent », en vue d’un examen radiographique de l’abdomen. Il prescrivit également des médicaments. La requérante soutient que les deux agents de police responsables de sa garde à vue étaient présents pendant la consultation effectuée par le gynécologue. Le dossier ne contient aucun élément permettant de confirmer ou d’infirmer les dires de la requérante à cet égard. Il en ressort toutefois que, tandis que les analyses urinaires et sanguines ont été effectuées immédiatement, aucune échographie pelvienne ni aucun examen radiographique de l’abdomen n’ont été réalisés ce jour-là. Par ailleurs, selon le procès-verbal dressé le même jour, les médicaments prescrits n’ont pas été achetés au motif que la requérante n’avait pas d’argent. Le 1er mars 2002, en raison de problèmes de santé, la requérante fut conduite au service des urgences de l’hôpital civil pour un nouvel examen médical. Dans son rapport, dressé à 0 h 45 et écrit à la main sur le document adressé par la direction de la sûreté, le médecin faisait état d’une infection des voies urinaires et mentionnait qu’il avait prescrit des analgésiques. Le même jour, avant sa remise en liberté, la requérante fut soumise à un examen médicolégal. Sans compléter les parties du formulaire relatives aux « renseignements sur les faits » ni celles relatives aux « plaintes de la personne examinée » ni celles relatives à la « consultation », le médecin dressa un rapport indiquant que la requérante souffrait d’une dépression et qu’aucune trace de violence n’avait été constatée. Toujours le 1er mars 2002, à une heure non précisée dans le dossier, la requérante fut remise en liberté. B. La plainte déposée par la requérante Le 4 mars 2002, la requérante déposa une plainte pour abus de fonction contre les policiers de la section antiterroriste de la direction de la sûreté. Elle soutenait notamment avoir été torturée lors de sa garde à vue, et donnait une description des mauvais traitements allégués (paragraphe 9 ci-dessus). Elle demanda à être soumise à un examen par scintigraphie à l’institut médicolégal. Toujours le 4 mars 2002, le procureur de la République de Diyarbakir (« le procureur de la République ») entendit la requérante et ordonna son examen à l’institut médicolégal de Diyarbakır (« l’institut médicolégal ») afin qu’elle y subisse un examen médical. Il ressort du dossier que l’institut médicolégal adressa la requérante à l’hôpital civil, qu’une échographie pelvienne fut effectuée le jour même, et qu’aucun problème ne fut décelé lors de cet examen. Le 10 mars 2002, la requérante se rendit à l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme de Diyarbakır (« l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme ») en vue de l’établissement d’un rapport médical sur son état de santé. Le parquet de Diyarbakır (« le parquet ») renvoya le dossier médical de la requérante à l’institut médicolégal qui établit, le 12 avril 2002, un rapport médicolégal définitif. Les parties pertinentes en l’espèce de ce rapport sont ainsi libellées : « Il ressort de l’examen des documents médicaux relatifs à Remziye Daşlık, transmis le 8 avril 2002 par le parquet de Diyarbakır : – que, [selon] le rapport médicolégal daté du 28 février 2002, aucune trace de violence n’avait été constatée ; – que, selon le rapport du 28 février 2002, établi par l’hôpital civil de Diyarbakır, la patiente avait eu ses règles dix jours auparavant, qu’elle présentait [au moment de l’examen] un saignement vaginal, qu’une échographie pelvienne ainsi que des analyses urinaires et sanguines avaient été demandées, que, [d’après les résultats de] son analyse d’urine complète, elle présentait 7-8 leucocytes et 15-20 érythrocytes, qu’une ordonnance lui avait été prescrite et que le repos lui avait été recommandé ; – que, dans le rapport du 1er mars 2002, [le médecin] avait fait état d’une infection des voies urinaires et de la prescription d’analgésiques ; – que, selon le rapport médicolégal du 1er mars 2002, (...) aucune trace de violence n’avait été constatée ; – que, la personne s’étant plainte de douleurs dorsales, elle avait été adressée le 5 mars 2002 à l’hôpital civil à Diyarbakır, où un examen avait permis de diagnostiquer des douleurs dorsales, et où l’examen radiologique avait révélé un aplatissement de l’axe lombaire (lomber axte düzleşme) compatible avec la présence de spasmes lombaires ; que, [par ailleurs,] un traitement médical lui avait été prescrit et que des conseils lui avaient été prodigués. Conclusion : Il n’existe pas de lésion traumatique de nature à provoquer une incapacité de travail. » Le 29 mai 2002, le procureur de la République demanda à la préfecture de Diyarbakır (« la préfecture ») l’autorisation de poursuivre les deux policiers, I.I. et M.Y., responsables de la garde à vue de la requérante. La préfecture nomma alors comme enquêteur H.Y., commissaire de police à la direction de la sûreté de Diyarbakır. Les 8 et 9 juillet 2002, H.Y. entendit les deux policiers en question ainsi que la requérante. Le 18 juillet 2002, se fondant sur l’avis de l’enquêteur H.Y., la préfecture décida de ne pas autoriser l’engagement de poursuites contre lesdits policiers. Sur opposition du procureur de la République, le 25 décembre 2002 le tribunal régional administratif de Diyarbakır (« le tribunal régional administratif ») infirma la décision de refus de la préfecture. Le 5 mars 2003, les deux policiers I.I. et M.Y. furent entendus par le parquet. Ils rejetèrent les allégations de la requérante. Par un acte d’accusation du 10 mars 2003, une action pénale fut engagée devant la cour d’assises de Diyarbakır (« la cour d’assises ») à l’encontre des deux policiers sur la base de l’article 243 du code pénal, disposition réprimant la torture. La demande de constitution de partie intervenante présentée par la requérante fut accueillie par la cour d’assises. À l’audience du 16 juin 2003, la requérante fut entendue. Elle reconnut la voix du policier I.I. et l’identifia comme étant l’une des personnes qui l’avait maltraitée lors de sa garde à vue. Elle déclara ce qui suit : elle avait subi des mauvais traitements lors de l’interrogatoire ; en particulier, elle avait été mise à terre et un policier avait pesé sur son dos avec le pied ; quand elle s’était rendue aux toilettes, elle avait constaté que sa culotte était pleine de sang ; elle avait fait part de cette situation anormale à une policière ; ensuite, elle avait été conduite à l’hôpital où elle avait été soumise à un examen médical en présence des policiers ; au cours de cet examen, elle n’avait pas osé dire ce qu’elle avait enduré lors de sa garde à vue ; le médecin avait ordonné des analyses et un examen radiologique ; seules les analyses avaient été effectuées. La requérante demanda à la cour d’assises qu’un examen complémentaire tendant à établir l’origine du traumatisme psychologique dont elle disait souffrir fût réalisé par l’institut de traumatologie de l’université d’Istanbul. La cour d’assises décida d’examiner ultérieurement s’il était ou non nécessaire d’établir un rapport traumatologique. À l’audience du 15 octobre 2003, M.T., le médecin qui avait examiné la requérante le 28 février 2002 au cours de sa garde à vue (paragraphe 10 ci-dessus), fut entendu. Il déposa comme suit : la requérante n’avait pas précisé la cause de son trouble et lui-même ne l’avait pas interrogée à ce sujet ; il avait ordonné le transfert de l’intéressée à la maternité pour un examen gynécologique. À l’audience du 3 novembre 2003, U.D., le médecin qui avait également examiné la requérante le 28 février 2002 (paragraphe 10 cidessus), fut entendu. Selon le procès-verbal d’audience, sa déclaration était ainsi formulée en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) l’intéressée avait été amenée par la police et avait expliqué que, alors qu’elle avait eu ses règles dix jours auparavant, elle avait un saignement [vaginal]. Concernant la cause de ce trouble, elle ne [m’a] a rien dit. [Moi-même, je n’ai] pas posé de question à ce sujet. Une menstruation irrégulière peut avoir différentes causes. Ainsi, le stress lors de la grossesse peut causer une menstruation, même si les règles ont eu lieu peu de temps avant. Comme je n’ai pas procédé à un examen vaginal, je n’ai pas cherché à établir la cause [de ce saignement] et je ne peux pas me prononcer à cet égard. Toutefois, puisque des érythrocytes ont été détectés à l’issue de l’analyse d’urine, ceux-ci peuvent provenir des voies urinaires ou [être issus] d’un saignement vaginal. » Lors de la même audience, en réponse à une question posée par les juges, l’un des accusés, le policier I.I., exposa qu’il était exact que, le 28 février 2002, le médecin avait ordonné une échographie. Il indiqua que cet examen n’avait pas pu être réalisé au motif que l’hôpital ne disposait que d’un seul échographe, qui plus est aux capacités limitées. Il ajouta qu’il n’avait pas estimé un tel examen nécessaire au motif que le gynécologue avait déjà délivré une prescription. À la demande de la cour d’assises, l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme dressa un rapport relatif aux plaintes de la requérante ainsi qu’aux soins prodigués. Selon ce document, la requérante affirmait que, lors de sa garde à vue, les policiers lui avaient fait subir les mauvais traitements suivants : ils lui avaient bandé les yeux, ils l’avaient insultée, ils l’avaient menacée de mort, ils l’avaient frappée, ils lui avaient serré le cou et ils lui avaient donné des coups répétés sur une partie du corps. Ce rapport, versé au dossier de la cour d’assises le 23 janvier 2004, concluait que la requérante souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique. Lors de l’audience du 23 juin 2004, la cour d’assises entendit tout d’abord le professeur S.O., de la faculté de médecine de l’université de Dicle, en tant qu’expert. Celui-ci déclara notamment que, nonobstant la difficulté de déterminer l’origine d’un traumatisme psychologique, il était possible de l’établir avec une certitude de 90 % par le biais de recherches approfondies. Par une décision avant dire droit adoptée à l’issue de cette audience, la cour d’assises rejeta la demande de la requérante tendant à l’obtention d’une expertise destinée à déterminer l’origine du traumatisme psychologique dont elle disait souffrir, considérant qu’un tel rapport n’était pas susceptible de mener à des conclusions différentes à l’égard des accusés. L’un des juges s’opposa à cette conclusion. Dans son avis séparé, il estima que, compte tenu du récit de la requérante ainsi que du rapport de l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme versé au dossier de la cour d’assises le 23 janvier 2004, il convenait d’ordonner l’examen de l’intéressée dans le service de traumatologie psychologique d’un hôpital afin d’obtenir un rapport détaillé. Par un arrêt du 6 octobre 2004, la cour d’assises acquitta les policiers pour absence de preuves suffisantes. Elle retint notamment : – que les rapports médicolégaux établis au début et à la fin de la garde à vue ne faisaient état d’aucune lésion traumatique sur le corps de l’intéressée ; – que, selon les déclarations de l’expert, il n’était pas possible de déterminer à 100 % l’origine d’un traumatisme psychologique ; – que, la requérante ne s’étant pas rendue rapidement dans un centre de soins, cela démontrait que ses allégations étaient complètement dénuées de fondement. Les parties pertinentes en l’espèce de cet arrêt sont ainsi libellées : « (...) Même si une action publique a été engagée contre les accusés du chef de mauvais traitements lors de la garde à vue de l’intéressée, il convient de les acquitter dans la mesure où, hormis les allégations sans fondement de la partie intervenante, il n’existe pas de preuve à charge donnant à penser que [l’intéressée] a été soumise par des policiers à des mauvais traitements ou à la torture [et ce, compte tenu des éléments suivants :] les rapports médicaux établis au début et à la fin de la garde à vue ne font état d’aucune lésion traumatique sur le corps [de la requérante] ; les médecins ayant examiné [cette dernière] ont affirmé qu’elle ne se plaignait que d’un saignement vaginal ; celle-ci ne s’est pas rendue dans un centre de soins après son élargissement ; [ce n’est que] deux ans après les faits qu’elle a saisi la Fondation pour les droits de l’homme, à la suite de quoi un rapport a été dressé sur la base de ses dires. (...) Par ailleurs, il est impossible que l’état psychologique d’une personne, accusée d’avoir aidé une organisation terroriste puis placée en garde à vue, ne soit pas affecté négativement. Le fait que la partie intervenante a eu une « menstruation irrégulière » en raison de ce climat psychologique ne signifie pas qu’elle a été soumise à des mauvais traitements (...) » La requérante forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire, elle contestait notamment la manière dont l’enquête avait été menée, en exposant : – que les examens complémentaires ordonnés par le médecin le 28 février 2002 n’avaient pas été effectués ; – que les rapports médicaux dressés lors de sa garde à vue ne remplissaient pas les critères établis par le Protocole d’Istanbul dans la mesure où, lors de l’établissement de ces rapports, les policiers auraient été présents ; – qu’elle avait déposé une plainte le 4 mars 2002 et qu’elle s’était rendue rapidement, à savoir le 10 mars 2002, à l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme en vue de l’établissement d’un rapport médical sur son état de santé ; – que la cour d’assises avait indûment fondé son raisonnement sur un rapport médical dressé par l’institut médicolégal, dépendant du ministère de la Justice. Par un arrêt du 13 septembre 2006, signifié à la requérante le 4 mai 2007, la Cour de cassation confirma l’arrêt des juges du fond, considérant que celui-ci était conforme à la loi et aux règles de procédure. La requérante a présenté à la Cour un rapport établi le 23 août 2007 par des médecins de l’antenne de la Fondation pour les droits de l’homme. Selon ce rapport, fondé sur les analyses, appréciations et consultations effectuées par ladite fondation, l’intéressée, qui alléguait avoir été torturée lors de sa garde à vue en 2002, souffrait de troubles découlant d’un stress post-traumatique ainsi que de troubles dépressifs. C. L’action pénale engagée contre la requérante Le 17 septembre 2002, l’action pénale engagée à l’encontre de la requérante pour propagande en faveur d’une organisation illégale se solda par l’acquittement de l’intéressée. En l’absence de pourvoi du parquet, ce jugement devint définitif le 4 octobre 2002. II. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le deuxième rapport général du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Les passages suivants sont extraits du deuxième rapport général du CPT du 13 avril 1992 (CPT/Inf (92) 3) : « 38. (...) Pour ce qui est de l’examen médical des personnes en détention de police, tous ces examens devraient être effectués hors de l’écoute, et de préférence, hors la vue des fonctionnaires de police. De plus, les résultats de chaque examen, de même que les déclarations pertinentes faites par les détenus et les conclusions du médecin, devraient être formellement consignés par le médecin et mis à la disposition du détenu et de son avocat. » B. Le Protocole d’Istanbul des Nations unies Le « Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (le Protocole d’Istanbul) fut soumis au HautCommissaire des Nations unies pour les droits de l’homme (HCDH) le 9 août 1999, et les principes énoncés dans ce manuel reçurent ensuite le soutien des Nations unies à travers différentes résolutions de la Commission des droits de l’homme et de l’Assemblée générale. Il constitue le premier ensemble de lignes directrices concernant les investigations et l’établissement des preuves en matière de torture. Ce protocole contient des instructions complètes et pratiques pour examiner les personnes qui déclarent avoir été victimes de torture ou de mauvais traitements, pour enquêter sur les cas présumés de torture et pour faire état des conclusions de ces investigations auprès des autorités compétentes. Les principes relatifs aux moyens d’enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et d’établir la réalité de ces faits sont résumés dans l’annexe 1 du manuel (les passages pertinents de ce document sont reproduits dans l’arrêt Batı et autres c. Turquie, nos et , § 100, CEDH 2004IV (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1952 et réside à Chişinău. A. Contexte de l’affaire Un litige successoral survint entre la requérante et sa mère ; le différend fut porté devant les tribunaux civils. D’après la requérante, la société M., l’opérateur national de téléphonie fixe ayant pour unique actionnaire l’État, avait transmis à sa mère et à l’avocat de celle-ci, Me O.M., plusieurs de ses relevés téléphoniques mensuels. Ces relevés – que la requérante produit devant la Cour – couvraient la période allant de septembre 2001 à février 2002 et comprenaient des données relatives aux numéros composés, ainsi qu’à la date, à l’heure, à la durée et au coût des appels effectués par l’intéressée. Au cours de la procédure, la mère de la requérante produisit ces relevés téléphoniques devant le tribunal compétent pour connaître du litige susmentionné. Celui-ci les utilisa comme preuve pour rejeter partiellement, le 16 juillet 2002, une demande formulée par la requérante aux fins d’exonération de la taxe judiciaire. Par une lettre du 5 août 2002, la société M. fournit à Me O.M., à la demande de celui-ci, des informations relatives aux paiements mensuels effectués par la requérante entre octobre 2001 et juillet 2002. B. Action de la requérante contre la société M. Le 22 août 2002, la requérante intenta une action contre la société M. afin d’obtenir réparation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi à la suite de la divulgation alléguée de ses relevés téléphoniques. Elle arguait que son droit à la vie privée avait été méconnu et que cette société avait agi de manière illégale. Par un jugement du 2 avril 2003, le tribunal de Buiucani débouta la requérante de l’ensemble de ses prétentions. Ce jugement, dans ses passages pertinents en l’espèce, se lisait comme suit : « [La société M.] et [la plaignante] sont parties [à un] contrat de prestation de services de télécommunication [en date] du 25 juin 2001. Depuis longtemps, [la plaignante] était en litige avec sa mère, dont les intérêts étaient défendus par l’avocat O.M. (...). [Celui-ci] a demandé à la société M. de lui [communiquer] la liste des services téléphoniques fournis [à la plaignante pour le numéro en question] ainsi que leur coût. Le tribunal estime que les actions de l’avocat O.M. sont légales et que la société M., en fournissant ces informations, n’a pas enfreint les clauses du contrat du 25 juin 2001 ni fourni des informations susceptibles de porter atteinte à l’honneur et la dignité de [la plaignante]. » Le 14 avril 2003, la requérante fit appel de ce jugement. Par un arrêt du 28 mai 2003, le tribunal de Chişinău rejeta l’appel pour défaut de fondement. Il relevait, entre autres, ce qui suit : « La première instance a correctement constaté que les informations transmises par la société M., [à savoir] les relevés des services de télécommunication fournis [à la plaignante pour le numéro en question], ne port[ai]ent pas atteinte à l’honneur et à la dignité [de cette dernière]. (...) [Ces] informations ont été obtenues selon les voies légales par l’avocat O.M. (...) Il a été établi avec certitude que le contenu des conversations téléphoniques n’a pas été dévoilé (...). [P]ar conséquent, le droit de la plaignante au secret (...) des conversations téléphoniques n’a pas été méconnu. » La requérante forma un pourvoi contre cette décision. Elle arguait que la divulgation des informations litigieuses était contraire à la loi relative aux télécommunications, garantissant le secret des conversations téléphoniques, ainsi qu’à la loi relative à l’accès à l’information. Par une décision définitive du 21 janvier 2004, la Cour suprême de justice rejeta le pourvoi, l’estimant mal fondé. Elle faisait siens les arguments des instances inférieures, et elle ajoutait que, en application de l’article 15 de la loi relative à la profession d’avocat, Me O.M. était autorisé à demander les informations litigieuses et la société M. tenue de les lui fournir. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi relative aux télécommunications du 24 novembre 1995, en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées : « Article 4. La confidentialité des conversations téléphoniques et des (...) prestations fournies par le biais des réseaux de télécommunication est garantie par la Constitution, par la présente loi et par d’autres actes normatifs (...). Les personnes travaillant dans le domaine des télécommunications sont tenues de garantir cette confidentialité. Il leur est interdit de divulguer le contenu des conversations téléphoniques ou des autres communications effectuées par l’intermédiaire des réseaux de télécommunication, ainsi que de divulguer des informations concernant les services fournis à d’autres personnes que le fournisseur, le destinataire ou les personnes dûment investies [du droit de demander de telles informations]. (...) » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi relative à l’accès à l’information du 11 mai 2000, en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit : « Article 5. Les sujets de la présente loi (...) Les fournisseurs d’informations (...) sont : (...) c) les personnes physiques ou morales qui, en vertu de la loi ou du contrat signé avec l’autorité publique, se sont vu confier la gestion de certains services publics et qui (...) disposent d’informations officielles, y compris de données à caractère personnel. (...) Article 8. L’accès à l’information à caractère personnel L’information à caractère personnel est constituée des données relatives à une personne privée identifiée ou identifiable (...), [et elle] fait partie de la catégorie des informations personnelles confidentielles. Au sens de cette loi, les données exclusivement relatives à l’identification des personnes (données contenues dans les papiers d’identité) ne constituent pas des informations confidentielles. Les fournisseurs d’informations qui détiennent des informations à caractère personnel sont tenus de garantir la confidentialité de la vie privée de la personne. (...) Les fournisseurs d’informations peuvent divulguer toute information à caractère personnel, demandée conformément à la présente loi, seulement lorsque : a) la personne concernée par l’information consent à sa divulgation ; b) l’information demandée dans son intégralité a été rendue publique (...) avant la date de la demande. Si la personne concernée par les informations à caractère personnel ne consent pas à leur divulgation, l’accès à ces informations ne peut être autorisé que par une décision judiciaire constatant que la divulgation de ces informations revêt un intérêt public [lié à] la protection de la santé de la population, à la sécurité publique ou à la protection de l’environnement ». L’article 15 de la loi relative à la profession d’avocat du 13 mai 1999, en vigueur au moment des faits, traitait des garanties accordées aux avocats dans l’exercice de leur profession et comprenait quinze paragraphes. Il énonçait notamment un certain nombre de principes garantissant aux avocats, entre autres, l’indépendance, le respect du secret professionnel, l’interdiction de l’immixtion des autorités dans leur activité, l’inviolabilité du domicile et du cabinet, ainsi que la confidentialité de la correspondance professionnelle. Il ne faisait aucune mention du droit des avocats de demander et d’obtenir l’accès à des données, à caractère personnel ou non, auprès des autorités ou d’acteurs privés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955. Il est actuellement détenu au pénitencier de Spoleto (Pérouse). A. Les poursuites contre le requérant et le procès en première instance Le requérant fut accusé d’extorsion, de détention de produits explosifs, de dégradation des biens d’autrui, de connivence (favoreggiamento personale) et de tentative de vol. Ces accusations se fondaient sur les déclarations de deux témoins, X, victime présumée de certains des faits reprochés au requérant, et Y. La teneur de ces témoignages était la suivante : le requérant était un ami de X ; en 2001, à la suite d’une explosion ayant endommagé la maison de X, il avait dit que les auteurs des faits étaient les membres d’une organisation criminelle enracinée en Sicile, alors qu’il aurait lui-même provoqué cette explosion ; il s’était proposé en tant qu’intermédiaire et avait convaincu X de lui donner la somme de 200 000 000 lires (ITL – environ 103 291 euros (EUR)), nécessaire selon lui pour satisfaire les prétentions de la bande criminelle ; en réalité, il avait empoché cette somme. Le 10 décembre 2004, X et Y furent interrogés dans le cadre d’une audience ad hoc (incidente probatorio) qui eut lieu devant le juge des investigations préliminaires (« le GIP ») de Sciacca en la présence des représentants des parties. Le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Sciacca. Au cours des débats, le tribunal entendit plusieurs témoins, parmi lesquels X. Il ordonna en outre la transcription de certaines écoutes téléphoniques. Le 26 septembre 2007, X, qui s’était constitué partie civile, produisit les enregistrements de certaines conversations qu’il affirmait avoir eues avec le requérant. Le tribunal ordonna la transcription de ces conversations et nomma un expert, le chargeant d’établir si les enregistrements en question avaient fait l’objet d’une manipulation. Le tribunal ordonna une nouvelle audition de X et l’audition de cinq nouveaux témoins. Après ces interrogatoires, les parties présentèrent leurs plaidoiries. Par un jugement du 21 janvier 2009, dont le texte fut déposé au greffe le 17 avril 2009, le tribunal de Sciacca relaxa le requérant de toutes les accusations portées contre lui. Il estima notamment que, s’agissant de l’inculpation de tentative de vol, les faits reprochés ne s’étaient pas produits (perché il fatto non sussiste) et que, en ce qui concernait la conduite qualifiée de connivence par le parquet, elle n’était pas érigée en infraction par la loi (perché il fatto non costituisce reato). Quant aux autres infractions, il considéra que le requérant ne les avait pas commises (per non aver commesso il fatto). Le tribunal ordonna en outre la transmission du dossier au parquet afin d’évaluer s’il était nécessaire d’ouvrir des poursuites pour faux témoignage contre X, Y et cinq autres témoins. Dans les motifs de son jugement, le tribunal examina les déclarations de X, de Y et des autres témoins concernés à la lumière des éléments probatoires produits pendant les débats. Il parvint à la conclusion que ces déclarations n’étaient ni crédibles ni corroborées par d’autres éléments. Le tribunal nota que X et Y avaient été estimés fiables dans le cadre d’un autre procès, qui, pour des faits similaires, avait conduit à la condamnation définitive d’une tierce personne, Z. Il releva cependant que les affirmations faites par X et Y dans le cadre de l’affaire concernant le requérant paraissaient imprécises, illogiques et incohérentes : de l’avis du tribunal, elles étaient non seulement peu crédibles, mais également fausses. Le tribunal nota par ailleurs que l’expert commis d’office était parvenu à la conclusion que les enregistrements produits par X à l’audience avaient été manipulés. Eu égard à ces considérations, le tribunal estima que, même s’il était établi que X avait été victime d’une extorsion perpétrée par Z, il n’avait pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le requérant avait été complice de cette extorsion. Aux yeux du tribunal, le rôle du requérant pouvait en effet avoir été limité à celui de simple intermédiaire entre X et Z. B. Le procès en appel Le parquet et la partie civile interjetèrent appel. L’audience devant la cour d’appel de Palerme eut lieu le 15 février 2012. À cette occasion, le requérant fit des déclarations spontanées et les parties présentèrent leurs plaidoiries. Par un arrêt du 15 février 2012, dont le texte fut déposé au greffe le 24 avril 2012, la cour d’appel de Palerme reconnut le requérant coupable d’extorsion et de détention de produits explosifs, et elle lui infligea une peine de huit ans et six mois d’emprisonnement et une amende de 1 600 EUR. Elle le condamna en outre à réparer les dommages subis par la partie civile, précisant que le montant de ceux-ci devrait être fixé au cours d’une procédure civile séparée. S’agissant des autres infractions dont il était accusé, elle le relaxa pour cause de prescription. Après avoir réexaminé les preuves versées au dossier, la cour d’appel parvint à la conclusion que Y était un témoin crédible. Elle estima que, dans leur ensemble, ses affirmations étaient précises et corroborées par plusieurs éléments. Elle considéra en outre qu’il avait donné des justifications pertinentes pour certaines inexactitudes et que les informations qu’il avait fournies avaient été à tort ignorées par la juridiction de première instance. Selon elle, il en allait en substance de même pour X. La cour d’appel nota ainsi que le tribunal de Sciacca avait reproché à ce témoin d’avoir initialement nié avoir été victime d’une extorsion et d’avoir montré une certaine réticence à produire les éléments de preuve en sa possession. Cependant, de l’avis de la cour d’appel, cette conduite s’expliquait par des craintes de représailles : une fois rassuré sur le fait que la menace ne provenait pas d’organisations criminelles mais du requérant, X s’était décidé à collaborer avec les autorités. Par ailleurs, la cour d’appel ne suivit pas la conclusion du tribunal selon laquelle les enregistrements produits par X avaient été manipulés, et elle observa que les déclarations de ce dernier étaient corroborées par celles de son épouse et de son fils. Selon la cour d’appel, le requérant avait changé sa version des faits, adaptant progressivement ses déclarations au fur et à mesure que des éléments à sa charge avaient été produits au cours du procès. Toujours selon elle, le requérant connaissait très bien Z, il avait essayé d’entraver l’enquête en accusant une tierce personne, et, lors d’une conversation téléphonique avec sa sœur, il avait affirmé avoir reçu une somme d’argent de la part de X. Quant au quantum de la peine, la cour d’appel estima que la gravité des faits et la personnalité « négative » du requérant empêchaient de faire bénéficier celui-ci de circonstances atténuantes. Elle jugea au contraire aggravante la circonstance que l’intéressé avait fait usage de la force d’intimidation caractéristique des organisations criminelles de type mafieux (article 7 du décret législatif no 152 de 1991). C. Le pourvoi en cassation du requérant Le requérant se pourvut en cassation. À l’appui de son recours, il alléguait notamment que la cour d’appel avait réévalué d’une manière défavorable à la défense la crédibilité des témoins à charge sans ordonner une nouvelle audition de ces derniers, ce qui d’après lui violait, entre autres, l’article 6 de la Convention. Il soutenait également que la motivation de l’arrêt de la cour d’appel était illogique et arbitraire, et qu’elle ne tenait pas dûment compte de nombreux éléments susceptibles de nuire à la crédibilité des témoins de l’accusation. Par un arrêt du 27 mars 2013, dont le texte fut déposé au greffe le 29 août 2013, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi. La Cour de cassation observa que, dans son arrêt Dan c. Moldova (no 8999/07, 5 juillet 2011), la Cour avait précisé que, avant d’annuler un acquittement, le juge d’appel était tenu d’ordonner une nouvelle audition des témoins à la double condition que les témoignages en question fussent décisifs et qu’il fût nécessaire de réévaluer la crédibilité des témoins. La haute juridiction releva de plus qu’il n’existait pas une règle générale imposant au juge d’appel de rouvrir l’instruction pour procéder à une reformatio in pejus du jugement de première instance, la seule obligation de ce juge étant celle de motiver sa décision de manière rigoureuse quant aux raisons qui le conduisaient à s’écarter du premier verdict. Aux yeux de la Cour de cassation, l’affaire concernant le requérant se différenciait de l’affaire Dan, précitée, en ce que les éléments à charge de l’accusé étaient nombreux et variés. Dès lors, selon elle, « l’essence de la décision d’appel ne p[ouvait] pas (...) être confondue avec l’affirmation qu’un témoin, estimé non crédible par le juge de première instance, a[vait] été, en revanche, considéré comme crédible par [le juge] d’appel ». La Cour de cassation nota que, en l’espèce, la cour d’appel s’était souciée de donner une lecture correcte et logique des éléments de preuve manifestement ignorés (travisati) par le juge de première instance. Elle releva que, dans le cadre de cette réévaluation globale, cette juridiction s’était également penchée sur la crédibilité des témoins, et ce afin de motiver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure pénale L’article 603, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit que le juge d’appel ordonne d’office la réouverture de l’instruction s’il l’estime absolument nécessaire. B. La jurisprudence de la Cour de cassation italienne Faisant référence à la jurisprudence de la Cour dégagée entre autres par l’arrêt Dan (précité), la Cour de cassation italienne a affirmé à plusieurs reprises que le juge d’appel qui entend infirmer un jugement d’acquittement, doit procéder à nouvelle audition des témoins dans la mesure où leurs déclarations sont déterminantes pour conclure à la condamnation de l’accusé et si leur crédibilité doit être réévaluée (entre autres, arrêt de la cinquième section no 38085 du 5 juillet 2012). Par son arrêt no 27620 déposé au greffe le 6 juillet 2016, l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation a par ailleurs précisé que : « En cas d’appel interjeté contre un jugement d’acquittement fondé sur des témoignages, (...), la réouverture des plaidoiries (istruzione dibattimentale) doit être considérée comme « absolument nécessaire » aux sens de l’article 603, alinéa 3, du code de procédure pénale. (...) Lorsque le parquet fait appel d’un jugement d’acquittement fondé sur l’appréciation de témoignages considérés décisifs, le juge d’appel ne peut pas infirmer le jugement attaqué et conclure à la culpabilité de l’accusé sans avoir au préalable ordonné, même d’office, la réouverture de l’instruction aux termes de l’article 603, alinéa 3 du code de procédure pénale, en auditionnant les témoins dont les déclarations ont été décisives aux fins du jugement d’acquittement de première instance. » Plus particulièrement, s’agissant du caractère décisif (decisività) des témoignages, la Cour de cassation a affirmé que : « Aux fins de l’appréciation par le juge chargé de l’appel formé par le parquet contre un acquittement, sont considérés comme décisifs les témoignages qui ont déterminé ou seulement contribué à déterminer une issue favorable pour l’accusé et qui, en présence d’autres preuves de nature différente, même s’ils ont été éliminés de l’ensemble des éléments de preuve, se révèlent potentiellement susceptibles d’avoir une influence sur l’issue de l’appel dans le sens de l’acquittement ou de la condamnation. Sont également considérées comme décisives, les déclarations [qui, aux yeux du juge de première instance, ont] une valeur probante réduite ou nulle mais qui, du point de vue du parquet, sont susceptibles de déterminer, seules ou avec d’autres éléments de preuve, la condamnation. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1983 et réside à Chișinău. A. Contexte de l’affaire Par une décision du 25 avril 2005, la mairie de Chişinău autorisa l’association Proiect Nou-Bugeac (« l’association ») à organiser une manifestation au centre-ville le 1er mai 2005. L’autorisation désignait le lieu exact où l’évènement devait se dérouler, à savoir « à l’intérieur du square de l’Opéra national, près de la fontaine, à droite après l’entrée dans le square ». Le paragraphe 6 de ladite décision interdisait à l’association d’utiliser les symboles de partis, d’organisations politiques ou d’associations non enregistrés en République de Moldova. Le square susmentionné est situé sur le parvis de l’Opéra national et mesure environ 40 mètres sur 80. Le 1er mai 2005, une quarantaine de personnes, dont le requérant, participèrent au rassemblement. Les manifestants scandèrent, entre autres, des slogans de soutien aux travailleurs, des slogans antigouvernementaux et des slogans anticapitalistes. Certains d’entre eux arboraient des symboles rappelant ceux de l’Union soviétique, notamment la faucille et le marteau. B. Procédure administrative à l’encontre du requérant Le 4 mai 2005, la police dressa un procès-verbal de contravention administrative à l’encontre du requérant. Il lui était reproché d’avoir contrevenu à l’article 174-1 § 2 du code des contraventions administratives (« le CCA »), qui sanctionne le « non-respect de la réglementation relative à l’organisation et au déroulement des rassemblements ». Dans ses parties pertinentes en l’espèce, le procès-verbal se lisait comme suit : « (...) au jour et à l’heure autorisés, le rassemblement a commencé, non pas à l’endroit désigné dans la décision de la mairie de Chişinău [du 25 avril 2005], mais sur les marches du théâtre de l’Opéra national. En outre, pendant la manifestation, [les manifestants] ont brandi des pancartes et scandé des slogans de partis et mouvements politiques non enregistrés en République de Moldova, à savoir « le parti national bolchevik » et « la résistance populaire ». Par ailleurs, les participants portaient des brassards rouges comportant un cercle blanc avec une faucille et un marteau noirs à l’intérieur, [ce qui est un] symbole non enregistré. Par ces actes, les organisateurs et les participants au rassemblement ont contrevenu aux paragraphes 1 et 6 de la décision de la mairie de Chişinău du 25 avril 2005, ainsi qu’à l’article 13 § 2 de la loi sur les rassemblements et à l’article 174-1 § 2 du code des contraventions administratives. Eugen Șolari a activement participé à ces actions illégales (...) » Par une décision du même jour, le tribunal de Buiucani jugea le requérant coupable d’avoir commis les faits réprimés par l’article 174-1 § 2 du CCA. Il lui infligea une amende d’un montant de 450 lei moldaves (MDL) (soit environ 28 euros (EUR) à l’époque des faits). Il estimait que la culpabilité du requérant avait été confirmée, entre autres, par les photos prises lors du rassemblement. Le 13 mai 2005, le requérant forma un recours. Il soutenait, entre autres, que, lors de la manifestation, ni les représentants de la mairie ni les agents de police présents sur les lieux n’avaient fait de remarques concernant le lieu ou le mode de déroulement du rassemblement. Par un jugement définitif du 25 mai 2005, la cour d’appel de Chişinău confirma l’arrêt de la juridiction inférieure et rejeta le recours du requérant comme mal fondé. Le 14 novembre 2005, le tribunal de Buiucani constata le non-paiement par le requérant de l’amende infligée et convertit cette peine en une détention administrative d’une durée de trente jours. Par la suite, le requérant fut effectivement placé en détention. À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant contesta cette décision. Le 3 décembre 2005, il paya l’amende. Par une décision du 7 décembre 2005, la cour d’appel de Chișinău accueillit le recours, infirma la décision de la juridiction inférieure et ordonna la libération immédiate du requérant. Elle notait que celui-ci avait payé intégralement l’amende, qu’il avait un logement, qu’il n’avait pas d’antécédents administratifs ou pénaux, qu’il n’avait pas d’emploi et qu’il ne disposait pas de ressources élevées. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce du CCA du 29 mars 1985, qui était en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées : « Article 26. L’amende (...) En cas de non-paiement de l’amende (...), le tribunal peut convertir cette sanction en une détention administrative d’une durée de trente jours maximum, calculant dix jours de détention pour une unité conventionnelle. (...) Article 174-1. Non-respect de la réglementation relative à l’organisation et au déroulement des rassemblements (...) 2) L’organisation et le déroulement d’un rassemblement sans avis de la mairie ou sans autorisation de celle-ci ainsi que la non-observation des conditions (forme, lieu, heure) de déroulement du rassemblement entraînent l’infliction aux organisateurs (leaders) du rassemblement d’une amende d’un montant allant de 25 à 50 unités conventionnelles. (...) » À l’époque des faits, une unité conventionnelle était égale à 18 MDL (environ 1,10 EUR suivant le taux de change applicable au moment des faits). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 21 juillet 1995 sur les rassemblements, qui était en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit : « Article 13. La décision relative à la forme du rassemblement ainsi qu’à la date et au lieu de son déroulement (...) L’autorisation d’un rassemblement, qui précise la forme de celui-ci ainsi que la date et le lieu de son déroulement (...), est remise à l’organisateur (...). L’autorisation (...) mentionne les droits et les obligations de l’organisateur du rassemblement, la responsabilité encourue en cas de non-respect de la loi (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1932, 1973, 1974 et 1981. Ils résident à Athènes, à l’exception de la deuxième requérante qui réside à Washington DC (États-Unis). Par une décision du 8 mai 2002 (acte no 8077/1612/2002), le service d’urbanisme de la municipalité d’Athènes (« le service d’urbanisme ») ordonna, pour mettre fin aux risques présentés par le bâtiment, la démolition du premier étage d’un immeuble vétuste et inhabité au centre d’Athènes et la consolidation du rez-de-chaussée jugé non conforme à l’habitation. Il précisa que le premier requérant, avocat et copropriétaire indivis avec les autres requérants, devait procéder à ces travaux dans un délai de trente jours, sur la base d’une étude technique et sous la surveillance d’un architecte. Cette étude devait être déposée pour approbation préalable au service d’urbanisme. Le service d’urbanisme transmit cette décision à l’hôtel de police du secteur où était situé l’immeuble en l’invitant à la notifier au domicile du requérant. Le Gouvernement affirme que les requérants procédèrent aux travaux sans passer par un architecte et avec l’intention de démolir l’immeuble dans son ensemble. Le 31 mai 2002, des employés du service d’urbanisme effectuèrent une visite sur les lieux. Ils établirent un rapport de suivi des travaux de démolition (« rapport de suivi »), dans lequel ils précisèrent qu’une démolition totale de l’immeuble était illégale, au motif que le bâtiment était classé « néoclassique » et que, comme tel, il devait être préservé. Ce rapport se terminait par la mention « travaux en cours ». Le service d’urbanisme enjoignit alors aux propriétaires du bâtiment d’arrêter les travaux de démolition et leur infligea une amende de 4 200 euros (acte no 6/8072/B1612). Ainsi qu’il ressort de l’acte de notification du rapport de suivi, celui-ci fut apposé sur le bâtiment en démolition le 21 juin 2002. Les requérants, qui disposaient d’un délai de trente jours pour former un recours gracieux, soutiennent devant la Cour qu’ils n’ont pris connaissance de cet acte qu’un an plus tard, le 19 juin 2003, lorsque le premier requérant fut invité à acquitter l’amende infligée (acte no 29173/2003). Le 4 septembre 2003, le premier requérant forma un recours gracieux contre les deux derniers actes susmentionnés devant la commission d’examen des recours du service d’urbanisme. Le 16 septembre 2003, son opposition fut déclarée irrecevable pour tardiveté (acte no 159/342) au motif qu’elle avait été formée après l’expiration du délai de trente jours ayant commencé à courir à la date à laquelle l’acte no 6/8072/B1612 avait été affiché sur le bâtiment en démolition. Le 20 octobre 2003, le premier requérant saisit la cour administrative d’appel d’Athènes d’un recours en annulation contre les actes nos 159/342 et 6/8072/B1612. Il affirmait notamment que, à la date prétendue de la notification, le bâtiment était presque entièrement démoli et que, dès lors, il n’y avait aucun mur sur lequel l’acte no 6/8072/B1612 eût pu être apposé. Il ajoutait que, n’attendant aucune réponse de la part de l’administration à une quelconque demande qu’il aurait été susceptible d’avoir formulée, il n’avait aucune raison de se rendre sur place à l’époque des faits. Enfin, il se plaignait du fait que le rapport de suivi avait été apposé le 21 juin 2002 et non à la date même du rapport, soit le 31 mai 2002. Le 28 décembre 2004, la cour administrative d’appel, considérant que le requérant n’avait avancé aucune raison valable pour justifier l’introduction tardive de son opposition (arrêt no 2783/2004), rejeta le recours. Elle releva qu’il ressortait du rapport de suivi – qui mentionnait que les travaux étaient en cours – que la démolition n’était pas terminée. Précisant que l’acte de notification du rapport par voie d’affichage avait été rédigé par deux fonctionnaires du service d’urbanisme dans l’exercice de leurs fonctions officielles, elle considéra qu’il s’agissait là d’une preuve qui ne pouvait être réfutée que par une action visant à faire constater que ce document constituait un faux. Quant à l’argument du requérant selon lequel il n’était dans l’attente d’aucune lettre de la part de l’administration, la cour d’appel considéra que la notification du rapport de suivi par voie d’affichage, dont la réalité était prouvée par un document signé par deux fonctionnaires du service d’urbanisme, constituait un mode de notification adéquat qui faisait naître une présomption irréfragable de prise de connaissance du contenu du rapport. Enfin, elle jugea que la tardiveté du recours formé par le requérant était due à la propre négligence de celui-ci. Le 19 octobre 2005, le requérant introduisit un recours contre cet arrêt devant le Conseil d’Etat. Il dénonçait, entre autres, une violation de l’article 6 de la Convention. Le 31 décembre 2008, le Conseil d’Etat fit siennes les conclusions de la cour administrative d’appel et rejeta l’appel par son arrêt no 3973/2008, mis au net le 26 février 2009. Plus particulièrement, en ce qui concernait le moyen du requérant relatif à l’article 6, le Conseil d’Etat releva que l’absence d’affichage le jour même de la visite de suivi n’entraînait pas la nullité de la procédure et que l’affichage constituait un moyen adéquat de notification de l’acte administratif litigieux, contre lequel tant un recours gracieux devant les autorités administratives qu’un recours en annulation étaient disponibles. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les articles pertinents du décret présidentiel no 267/1998 relatif à la procédure visant la désignation et la démolition des constructions illégales, disposent : Article 1 « Le constat de l’illégalité d’une construction et la désignation de celle-ci comme telle se font à la suite d’une visite de suivi des travaux de démolition effectuée par un fonctionnaire du service d’urbanisme localement compétent, qui rédige un rapport. Ce rapport, qui est signé par le fonctionnaire qui a procédé à la visite, est affiché le jour même sur la construction illégale. Un rapport concernant l’affichage doit également être rédigé, figurer au-dessous du rapport de suivi, porter une date et être signé par le fonctionnaire qui a effectué la visite de suivi (...) Une copie du rapport est envoyée immédiatement à la commune concernée et à l’autorité de police compétente. » Article 4 « 1. Tout intéressé peut former opposition contre le rapport de suivi. Le recours, qui est formé dans un délai de trente jours à compter de la date de l’affichage du rapport de suivi sur la construction illégale, doit être déposé auprès du service compétent (...) Après avoir examiné les arguments de l’intéressé, la commission [d’examen des recours gracieux] se prononce de manière définitive sur l’opposition par une décision motivée, jointe au texte du recours et signée par ses membres et le secrétaire. » Par un arrêt no 1244/2008 du 9 avril 2008, le Conseil d’Etat a jugé que l’affichage du rapport de suivi, prévu par l’article 1 du décret no 267/1998, constituait un moyen adéquat de notification du contenu du rapport à tout intéressé susceptible de présenter un recours gracieux devant la commission compétente. Il a également considéré que le point de départ du délai de trente jours prévu pour faire opposition était légitimement fixé à la date de l’affichage du rapport de suivi sur la construction litigieuse. Estimant que cette réglementation tendait à la protection effective et au rétablissement rapide de l’environnement urbain et qu’elle visait un but d’intérêt général, il a dit qu’elle n’était dès lors contraire ni à l’article 20 § 1 de la Constitution ni à l’article 6 de la Convention. Il a précisé que l’administration n’était pas obligée de notifier ce rapport personnellement aux propriétaires, possesseurs et entreprises chargées des travaux, du fait de leur nombre potentiellement élevé et de la difficulté probable à les identifier, et que la mention de leur nom sur le rapport de suivi ne revêtait qu’un caractère indicatif. Toutefois, certains juges, dans leur opinion dissidente, ont énoncé que la présomption selon laquelle le délai de trente jours courait à compter de la date de l’affichage du rapport de suivi devait pouvoir être combattue non seulement en cas de force majeure, mais également lorsque l’intéressé démontrait ne pas avoir eu connaissance du rapport de suivi en raison de faits objectifs rendant impossible une telle prise de connaissance (résidence à un endroit éloigné, hospitalisation, service militaire, etc.).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Paris. Médecin, le requérant est spécialisé en épilation laser. En 2007, une de ses patientes saisit les autorités ordinales d’une plainte contre lui, finalement restée sans suite, dont elle publia l’essentiel sur un site Internet. Le requérant et son cabinet étaient notamment traités de voleurs et accusés de pratiques commerciales malhonnêtes, de publicité mensongère et d’abus de confiance. Le 14 juin 2007, le requérant fit assigner cette personne et l’exploitant du site Internet devant une formation civile du tribunal de grande instance de Paris pour injure et diffamation publique. Par une ordonnance du 19 décembre 2007, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris annula l’assignation dans son ensemble au motif qu’elle n’était pas suffisamment précise au regard des exigences de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans la mesure où elle qualifiait certains faits à la fois d’insulte et de diffamation. L’ordonnance fut confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 mars 2009. Cet arrêt fut cassé par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 8 avril 2010 au motif que « satisfait aux prescriptions [de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881] la citation qui indique exactement au prévenu les faits et les infractions qui lui sont reprochés et le met en mesure de préparer utilement sa défense sans qu’il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations ». Toutefois, statuant sur renvoi par un arrêt du 15 février 2011, la cour d’appel de Paris maintint sa conclusion. Elle souligna notamment ce qui suit : « (...) Considérant qu’aux termes de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, à peine de nullité de la poursuite, la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite ; que ce formalisme est applicable aux instances civiles ; qu’il a pour finalité de permettre au défendeur de savoir quels sont les faits qui lui sont reprochés et leur qualification et de choisir les moyens de sa défense, lesquels ne sont pas identiques suivant la qualification, l’article 55 l’autorisant à prouver la vérité des faits diffamatoires dans le délai légal de dix jours ; qu’un même fait ne peut dès lors être poursuivi cumulativement ou alternativement sous la double qualification d’injure et de diffamation ; que la citation doit préciser, en conséquence, ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient une diffamation ; Considérant, en l’espèce, qu’il résulte de l’assignation en date du 14 juin 2007 que les propos « je dénonce les pratiques commerciales malhonnêtes ... » et « il faut mettre fin à ces abus commerciaux qui ne sont pas dignes d’un médecin qui n’est autre qu’un BUSINESS MAN » sont poursuivis comme diffamation page 7 et 8 et comme injure page 9, que l’expression « ... ... : à fuir ! ! ! ! ! ! » est poursuivie comme diffamation page 8 alors que celle « ... : des voleurs à fuir ! ! ! ... » l’est comme injure page 9, et qu’il en est de même du propos « rentabilisation business maximum » qualifié de diffamatoire page 8 et « USINE à FRIC et RENTABILITE BUSINESS MAXIMUM » qualifié d’injure dans la même page ; Considérant qu’il s’en suit que des propos identiques ou quasiment identiques, même figurant pour certains dans des commentaires publiés à des dates distinctes, se trouvent poursuivis sous deux qualifications différentes ; que ce cumul de qualifications est de nature à créer une incertitude pour les défenderesses préjudiciable à leur défense ; que l’assignation ne répond dès lors pas aux exigences de l’article 53 susvisé ; que ce vice affecte la validité de l’acte en son entier ; que l’ordonnance entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu’elle a prononcé son annulation ; (...) » Invoquant notamment les articles 6, 10 et 13 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation (pourvoi no 11-14.637). Par un arrêt du 15 février 2013 l’assemblée plénière de la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que, « selon l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé : « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite. Si la citation est à la requête du plaignant, elle contiendra élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie et sera notifiée tant au prévenu qu’au ministère public. Toutes ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite. » En matière de diffamation, le délai de prescription est de trois mois après la première publication ou le prononcé des propos incriminés. Dans un arrêt du 5 février 1992 (Civ. 2e, 5 février 1992, pourvoi no 90-16022, Bull. 1992, II, no 44), la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a appliqué au civil le délai de 10 jours que fixe l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 à la partie assignée en diffamation pour prouver les faits diffamatoires, indiquant que ce délai était d’ordre public. Il ressort du rapport présenté par le conseiller rapporteur dans le cadre du pourvoi du requérant no 11-14.637 (paragraphe 11 ci-dessus), produit par ce dernier, que plusieurs arrêts postérieurs confirment que l’arrêt du 5 février 1992 a amorcé le processus d’unification des procédures civiles et pénales, en particulier quant à l’article 53 de la loi de 1881. Il convient notamment de relever des arrêts qui, au visa de cette disposition, ont imposé l’obligation de préciser dans l’assignation le fait invoqué et la loi applicable et ont énoncé qu’une assignation ne respectant pas ces formalités n’interrompait pas le délai de prescription (par exemple : 2e Civ., 19 février 1997, pourvoi no 94-13877, Bull. 1997, II, no 44), et des arrêts qui ont imposé la mention de l’élection de domicile (2e Civ., 12 mai 1999, pourvoi no 97-12956, Bull. 1999, II, no 90) et la dénonciation de l’assignation au ministère public (par exemple : 2e Civ., 26 octobre 2000, pourvoi no 98-19291, Bull.2000, II, no 147), ont étendu l’obligation du respect de l’article 53 de la loi aux assignations en référé (2e Civ., 7 mai 2002, pourvoi no 00-12510, Bull. 2002, II, no 91), ou ont fait primer, à propos de l’élection de domicile, les dispositions de l’article 53 sur celles des articles 751 et 752 du code de procédure civile (2e Civ., 10 juin 2004, pourvoi no 02-21515, Bull.2004, II, no 288). Par la suite, dans deux arrêts du 12 juillet 2000, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., Ass. Plén, 12 juillet 2000, no 00-83-577 et no 00-83.578) a retenu que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne pouvaient être réparés sur le fondement de l’article 1382 du code civil (régime de droit commun de la responsabilité civile). Dans deux arrêts du 24 septembre 2009 (Civ. 1e, no 08-17.315 et no 08-12.381, Bull. 2009, I, no 180), la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que l’absence de mention du texte réprimant le délit (l’article 32 de la loi de 1881) n’affectait pas la validité de l’assignation et que satisfaisait à l’obligation d’élection de domicile – « dans la ville où siège la juridiction saisie » (article 53 de la loi e 1881) – l’assignation devant le tribunal de grande instance de Paris comportant constitution d’un avocat dont le domicile professionnel se trouvait à Paris (en application de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 autorisant les avocats des barreaux des tribunaux de Paris et de sa périphérie à postuler auprès de chacune de ces juridictions). Par un arrêt du 8 avril 2010, rendu en la cause du requérant (paragraphe 9 ci-dessus), elle a jugé que « satisfait aux prescriptions [de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881] la citation qui indique exactement au prévenu les faits et les infractions qui lui sont reprochés et le met en mesure de préparer utilement sa défense sans qu’il soit nécessaire que la citation précise ceux des faits qui constitueraient des injures et ceux qui constitueraient des diffamations ». Toutefois, par un arrêt du 15 février 2013, rendu également en la cause du requérant (paragraphe 11 ci-dessus), l’assemblée plénière de la Cour de cassation a conclu que, « selon l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, qui doit recevoir application devant la juridiction civile, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation retenant pour le même fait la double qualification d’injure et de diffamation ». Dans une affaire distincte de la présente affaire, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité visant l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. La requérante soutenait en particulier qu’en imposant que la citation pour des infractions de presse désigne précisément les propos ou écrits incriminés et en donne la qualification pénale, cet article conditionnait l’accès au juge à des règles de recevabilité d’un formalisme excessif ne trouvant aucune justification devant les juridictions civiles, en méconnaissance du « droit au recours effectif ». Le Conseil constitutionnel a rejeté cette thèse par une décision du 17 mai 2013 (no 2013-311 QPC), soulignant en particulier ce qui suit : « (...) 5. Considérant que les dispositions contestées fixent les formalités substantielles de la citation en justice pour les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; que, par son arrêt susvisé du 15 février 2013, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 « doit recevoir application devant la juridiction civile » ; qu’en imposant que la citation précise et qualifie le fait incriminé et que l’auteur de la citation élise domicile dans la ville où siège la juridiction saisie, le législateur a entendu que le défendeur soit mis à même de préparer utilement sa défense dès la réception de la citation et, notamment, puisse, s’il est poursuivi pour diffamation, exercer le droit, qui lui est reconnu par l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, de formuler en défense une offre de preuve dans un délai de dix jours à compter de la citation ; que la conciliation ainsi opérée entre, d’une part, le droit à un recours juridictionnel du demandeur et, d’autre part, la protection constitutionnelle de la liberté d’expression et le respect des droits de la défense ne revêt pas, y compris dans les procédures d’urgence, un caractère déséquilibré ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et réside sur l’île de Salamina. Par le passé, il a été maire de cette île pendant douze ans. Le 25 janvier 2007, le requérant, alors conseiller municipal et chef du parti d’opposition L’Unité, à Salamina, distribua aux membres du conseil municipal, lors de la réunion de celui-ci, un texte qui fut publié par la suite dans la presse locale et qui était rédigé en ces termes : « DÉNONCIATION. L’Unité dénonce l’« arrangement » qui a été fait dans le cadre de la passation de marché de l’ouvrage du réseau d’évacuation des eaux usées de la mairie de Salamina, pour lequel l’appel d’offres aura lieu le 13 février 2007 à la mairie. Historique : La mairie de Salamina a bénéficié d’un financement à hauteur de 16,3 millions d’euros du Fonds de cohésion, octroyé sur la base de l’étude relative à l’ouvrage. Pour des raisons inconnues, les documents relatifs au financement n’ont pas été tous publiés (???).Quelques jours avant le terme de son mandat, qui prenait fin en décembre 2006, le maire sortant (V.A.) a publié un avis de marché pour un appel d’offres qui aurait lieu le 13/2/2007, c’est-à-dire après la prise de fonction du nouveau maire (S.S.). Afin de rendre possible la désignation du maître d’ouvrage, l’on a préféré la méthode « pécheresse » d’étude-réalisation, qui n’est autre chose qu’une sorte d’attribution directe du marché. Afin de justifier la méthode de l’étude-réalisation, on a sorti du chapeau l’aspiration Vacuum sous prétexte que la construction conventionnelle était impossible et qu’il fallait réduire la profondeur !!! L’ouvrage est composé de deux parties, la partie gravitationnelle (13,2 millions d’euros) et la partie de l’aspiration Vacuum (11 millions d’euros). De cette manière, le budget de l’ouvrage grimpe à 24 millions d’euros !!! QUESTIONS IMPLACABLES – OBSERVATIONS : 1. De quel droit le maire sortant (V.A.) engage-t-il la mairie avec un avis pour un ouvrage aussi important et coûteux, avec une passation de marché manquant de transparence (ÉTUDE-RÉALISATION) quelques jours avant de quitter la mairie ? Sous couvert de quelle naïveté (???) le nouveau maire (S.S.) accepte-t-il que l’appel d’offres ait lieu le 13 février 2007 sans examiner les paramètres complexes et les pièges de cet ouvrage très important pour Salamina ? 2. Pourquoi a-t-il fallu modifier la première étude et proposer le système d’aspiration Vacuum, puisque, dans la même région, le réseau principal (Préfecture – EYDAP [Entreprise des eaux d’Athènes]) a été fait avec la méthode conventionnelle ? 3. Le nouveau maire (S.S.) a-t-il remarqué que, dans la partie du cahier des charges relative à l’assainissement par le système gravitationnel, les prix ont été surestimés à 150 % !!! Si cela a lieu avec les prix apparents, que se passera-t-il dans la partie de l’aspiration où les prix sont fixés par le bureau d’études-maître d’ouvrage ? C’est la raison pour laquelle le budget de l’ouvrage grimpe à 24 millions d’euros. Les ingénieurs de la mairie sont-ils vraiment conscients de ce qu’ils ont signé ? 4. La réponse selon laquelle l’ouvrage bénéficiera d’une ristourne importante est « erronée ». La nouvelle loi décourage les ristournes importantes, car elle considère que les études ont été rédigées sur la base des prix habituels. Par ailleurs, dans le système étude-réalisation, il n’y a jamais de ristournes importantes (habituellement, on offre 2 à 3 %, pour la forme !!). Si cela se passe de cette manière, qui paiera la différence d’avec le financement existant de 16,3 millions d’euros ? 5. Si quelqu’un prétend que la précipitation, l’empressement et les méthodes douteuses sont dus à l’intérêt de ne pas perdre le financement européen, alors nous risquons que la vie commerciale et la vie en général de notre cité soient noyées dans les fossés d’évacuation des eaux usées juste pour que le maître d’ouvrage choisi puisse toucher son argent dans vingt mois !!! Une méthode constante et éprouvée des autorités municipales pour des ouvrages de ce type est de les faire exécuter par tranches et jamais par un seul maître d’ouvrage. 6. Étant donné que les évènements en coulisses des élections municipales sont encore récents, se pose la question implacable de savoir si l’accord « paquet » entre les deux, V.A. et S.S., qui a pour but le soutien par le premier du second (avec annonce à la presse), inclut la procédure non transparente pour la passation du marché de l’évacuation des eaux usées. Au vu de ce qui précède, nous demandons que l’appel d’offres du 13 février 2007 soit annulé et que la question soit débattue par le nouveau conseil municipal qui est l’organe compétent pour décider. Le chef de L’Unité, Thanassis P. Makris, ancien maire de Salamina. » Le 2 décembre 2008, le tribunal correctionnel du Pirée, saisi d’une plainte avec constitution de partie civile de V.A., déclara le requérant coupable de diffamation calomnieuse, par voie de presse ou par tout autre moyen, et le condamna à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis (jugement no BT-7623/2008). Le tribunal notait que le projet en cause était fondé sur des décisions des organes collectifs, que les procédures y relatives étaient contrôlées par les ministères compétents et par l’Union européenne, que le bureau d’études était obligé de respecter le budget et que les éventuelles négligences ou omissions ne résultaient pas du dol du plaignant. Le tribunal précisait ce qui suit : « L’accusé savait que les faits qu’il dénonçait étaient mensongers et de nature à porter atteinte à l’honneur et à la réputation de la partie civile. Son allégation selon laquelle il n’avait pas une telle intention mais tentait de servir un intérêt justifié, à savoir la réalisation de l’ouvrage non pas avec le système Vacuum mais avec le système gravitationnel, doit être rejetée comme non fondée. S’il avait procédé à une critique – même sévère – de la manière de réaliser l’ouvrage, sans accuser expressément la partie civile de « transaction » avec le nouveau maire ayant pour but la réalisation des travaux d’écoulement des eaux usées avec un coût surestimé et selon des procédures non transparentes (...), l’acte de l’accusé aurait pu relever de l’article 367 du code pénal. Or il a dépassé de loin la mesure que nécessitait l’exercice de la critique et qui correspondait à un contrôle acceptable de l’autorité municipale. Le texte présente de manière péjorative les personnes impliquées dans le projet. Les termes tels que « méthodes douteuses » de l’adjudication, « la précipitation, l’empressement et les méthodes douteuses (...) juste pour que le maître d’ouvrage choisi puisse toucher son argent dans vingt mois », « coulisses des élections municipales » et « accord « paquet » entre les deux », « procédure non transparente », notamment, outrepassent clairement les limites de la critique admissible par la loi et diffament la partie civile, laquelle est présentée comme ayant agi en collaboration et à son avantage avec le nouveau maire afin que le maître d’ouvrage de son choix tire profit de la surestimation du coût des travaux. En outre, de par sa fonction, l’accusé savait que la procédure était sous la supervision des autorités précitées et que les montants qu’il a critiqués comme excessifs avaient été approuvés par le service compétent. » Le requérant interjeta appel contre ce jugement devant la cour d’appel du Pirée. Le 8 décembre 2009, la cour d’appel du Pirée entérina les conclusions du tribunal correctionnel, mais réduisit la peine infligée au requérant à six mois d’emprisonnement avec sursis (arrêt no 1831/2009). La cour d’appel souligna qu’il ne ressortait pas des faits de la cause qu’il y avait eu recours à des méthodes douteuses pour le choix et la mise en œuvre de l’étude-réalisation et pour l’accord « paquet », et qu’il n’y avait donc pas eu de transaction douteuse relative à l’adjudication de l’ouvrage, ce que l’accusé aurait par ailleurs admis lors de sa plaidoirie en défense devant elle, revenant ainsi sur ce qu’il avait allégué dans sa dénonciation. Selon la cour d’appel, l’accusé savait que la procédure était sous la supervision constante et le contrôle des autorités et services compétents (ministères de l’Intérieur, de l’Économie, de l’Aménagement du territoire, Union européenne, Fonds de cohésion et commissions spéciales) et qu’aucune irrégularité n’avait été commise. Néanmoins, l’accusé aurait inclus dans sa dénonciation des faits dont il aurait su qu’ils étaient mensongers et des présentations péjoratives de nature à porter atteinte à l’honneur et à la réputation de la partie civile. Le 1er février 2010, le requérant se pourvut en cassation, se prévalant, entre autres, de l’article 10 de la Convention. Le 14 juillet 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 1416/2010). Se plaçant sur le terrain de l’article 10 de la Convention et se référant à la jurisprudence de la Cour, la Cour de cassation exposa qu’il était possible d’exprimer à l’égard des personnes publiques des jugements de valeur sévères et défavorables, mais non des allégations d’infractions, comme celle d’abus de confiance en l’espèce, justifiées par des motifs intéressés de nature partisane et politique. Or, selon la Cour de cassation, il était avéré, de par une motivation détaillée et circonstanciée de la cour d’appel, que ce que le requérant reprochait à la partie civile était mensonger – ce qu’il savait pertinemment – et de nature à porter atteinte à l’honneur et à la réputation de la partie civile, à la fois en tant que personne qu’en sa qualité de maire voué à défendre les intérêts de la commune. Toujours selon la Cour de cassation, les jugements de valeur et les présentations contenus dans la dénonciation du requérant étaient liés à des circonstances de fait mensongères, et la cour d’appel avait correctement interprété et appliqué les articles 362 et 363 du code pénal. Plus particulièrement, ces circonstances de fait mensongères, qui n’auraient pas constitué des jugements de valeur fondés sur des faits réels, étaient contenues, selon la cour d’appel, dans les phrases suivantes : « pour des raisons inconnues, les documents relatifs au financement n’ont pas été tous publiés », « afin de rendre possible la désignation du maître d’ouvrage, l’on a préféré la méthode « pécheresse » d’étude-réalisation, qui n’est autre chose qu’une sorte d’attribution directe du marché », « afin de justifier la méthode de l’étude-réalisation, on a sorti du chapeau l’aspiration Vacuum sous prétexte que la construction conventionnelle était impossible et qu’il fallait réduire la profondeur », « les coûts ont été surestimés de 150 % », « la précipitation, l’empressement et les méthodes douteuses (...) juste pour que le maître d’ouvrage choisi puisse toucher son argent dans vingt mois » et « si l’accord « paquet » entre les deux, [V.A.] et [S.S.], inclut la procédure non transparente pour la passation du marché ». La Cour de cassation conclut que la cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision au regard de l’article 510 § 1 d) du code de procédure pénale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 14 § 1 de la Constitution est ainsi libellé : « Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées par la parole, par écrit et par voie de presse en observant les lois de l’État. » Les articles pertinents du code pénal disposent : Article 362 Diffamation « Quiconque formule ou diffuse devant autrui, de quelque manière que ce soit, des allégations susceptibles de nuire à l’honneur ou à la réputation d’autrui est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans ou d’une amende. L’amende peut être infligée en sus de la peine d’emprisonnement. » Article 363 Diffamation calomnieuse « Si, dans le cas de l’article 362, les faits sont mensongers et si la personne responsable de leur diffusion le savait, elle est punie d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois ; une sanction pécuniaire peut être imposée en sus de l’emprisonnement (...) » Article 367 « 1. Ne sont pas considérés comme des actes préjudiciables : a) les jugements défavorables portés sur des travaux scientifiques, artistiques ou professionnels (...) c) les actions accomplies dans l’exercice de tâches d’ordre légal, dans l’exercice légal de pouvoirs, pour la sauvegarde (...) d’un droit ou pour tout autre intérêt légitime (...). La disposition précédente ne s’applique pas : lorsque les jugements et actions susmentionnés contiennent les éléments constitutifs de l’infraction indiquée à l’article 363 (...) » L’article 510 § 1 du code de procédure pénale se lit ainsi : « Les moyens de cassation autorisés sont les suivants : (...) D) la motivation insuffisante, comme l’exige la Constitution ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1962 et réside à Toulon. Elle fut nommée magistrate par décret du 14 décembre 1988. À partir du mois de juillet 2000, elle occupa un poste de juge au tribunal d’instance de Toulon, avant d’être installée dans les fonctions de juge au tribunal de grande instance (« TGI ») de Toulon en janvier 2008. A. Les éléments à l’origine des poursuites contre la requérante Le 6 septembre 2008, en exécution d’une commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction du TGI de Nice, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, le groupe d’intervention régional de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur intercepta une communication téléphonique entre la requérante et F.L., individu connu des services de police et titulaire de la ligne faisant l’objet des écoutes. Au cours de cette conversation d’une durée de 21 minutes et 26 secondes, F.L. demanda conseil à la requérante en vue de sa comparution prochaine devant le tribunal correctionnel de Toulon. Celle-ci lui répondit qu’elle ne siégeait plus au pénal et lui expliqua les arguments pouvant être développés pour sa défense. Elle lui indiqua qu’elle se renseignerait sur la composition de la formation de jugement et qu’elle l’informerait si elle devait être amenée à siéger de manière exceptionnelle lors de cette audience, précisant qu’elle ne pouvait pas demander à le faire car « ça ferait louche ». Elle expliqua à son interlocuteur qu’elle ne connaissait pas les nouveaux magistrats siégeant au pénal à Toulon, tout en les qualifiant de « mongols ». Elle mentionna néanmoins le nom d’une collègue qu’elle estimait être « très molle » et « de gauche », suggérant qu’être jugée par elle serait une chance pour F.L. Dans la dernière partie de leur échange, la requérante demanda à son interlocuteur s’il connaissait des personnes détenues à la maison d’arrêt de La Farlède, précisant que l’agresseur de sa sœur s’y trouvait également. Sans rien demander explicitement, elle sembla suggérer une intervention sur cette personne par l’emploi de l’expression « tu vois ce que je veux dire ? » et en formulant le souhait de le voir « crever la bouche ouverte ». Elle illustra ce propos en évoquant un dossier dont elle avait eu à connaître dans lequel un « arabe » avait eu l’œil crevé par un autre « arabe », précisant « non, mais je m’en foutais, c’est des arabes moi, putain, ils peuvent tous crever la bouche ouverte ». Elle ajouta qu’à l’inverse, elle avait la « haine » contre l’agresseur de sa sœur. Informé du contenu de cette conversation, le procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence alerta le procureur de la République près le TGI de Marseille, ainsi que par une note du 10 octobre 2008, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Il informa notamment ce dernier du fait que F.L. avait finalement été condamné par le tribunal correctionnel de Toulon, le vendredi 10 octobre 2008, à une peine d’un an d’emprisonnement. Il avait déjà comparu le 1er avril 2004 pour cette même affaire ; le tribunal, dans la composition duquel figurait la requérante, avait alors ordonné un supplément d’information. B. L’enquête administrative concernant la requérante Le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence fit délivrer à la requérante une convocation à se présenter devant lui le 29 octobre 2008. Entre-temps, ayant appris que le président du TGI de Toulon réclamait le renfort d’un magistrat placé en invoquant sa « situation », la requérante demanda au premier président de pouvoir être assistée par un représentant syndical pendant leur entretien, ce qui lui fut refusé en vertu du cadre procédural de l’enquête administrative. Le 29 octobre 2008, le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence informa la requérante de l’interception téléphonique effectuée sur le téléphone mobile de F.L. et lui résuma les propos qu’elle avait tenu. Il procéda ensuite à son audition sur la nature de ses rapports avec l’intéressé, sur le contenu de leur conversation et sur la procédure évoquée. La requérante indiqua qu’elle connaissait F.L. en tant qu’ancienne relation amoureuse de sa sœur. Elle confirma avoir eu une conversation téléphonique avec lui pour faire plaisir à cette dernière, mais contesta l’avoir conseillé, précisant avoir seulement cherché à le rassurer en l’invitant à donner au tribunal sa version des faits. Elle admit que son comportement consistant à suggérer l’exercice de pressions sur un détenu pouvait être qualifié d’anormal, mais expliqua qu’il s’agissait de « paroles en l’air ». Au sujet de sa présence dans la composition du tribunal à l’audience du 1er avril 2004, elle affirma n’avoir pas reconnu F.L. durant l’audience, mais s’être rendue compte qu’elle le connaissait au cours du délibéré. Elle n’avait pas soulevé la difficulté car le dossier n’était pas en état. Le premier président informa la direction des services judiciaires du ministère de la Justice du comportement de la magistrate. Le 7 novembre 2008, le directeur de cabinet de la garde des sceaux saisit l’inspection des services judiciaires aux fins d’organiser une mission d’inspection sur les éléments transmis. Le même jour, la ministre de la Justice sollicita du Conseil supérieur de la magistrature (« CSM ») qu’il prononce contre la requérante une interdiction temporaire d’exercice de ses fonctions. Lors de l’audience du 11 décembre 2008, du CSM statuant sur cette demande du ministre de la Justice, la requérante sollicita la production aux débats de l’enregistrement de la conversation téléphonique litigieuse. Elle expliqua n’avoir pas pesé tous les termes de ses réponses au premier président lors de leur entretien du 29 octobre 2008, mais confirma la teneur de celles-ci. Par une décision en date du 18 décembre 2008 le CSM, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, rejeta la demande de production de l’enregistrement. Il estima que cette production, n’apparaissait pas indispensable à ce stade, la substance de la conversation téléphonique étant certaine, et souligna qu’il s’agissait d’une pièce d’une information judiciaire en cours au TGI de Nice. Par ailleurs, il prononça à l’encontre de la requérante l’interdiction temporaire d’exercer ses fonctions au TGI de Toulon jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires, ou jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à défaut d’engagement de telles poursuites dans l’intervalle. Le 4 novembre 2009, le Conseil d’État déclara non admis le pourvoi de la requérante contre cette décision. Le rapport de l’inspection générale des services judiciaires daté de février 2009 révéla que F.L. avait été condamné le 27 février 1997 par le tribunal correctionnel de Draguignan à la peine de dix mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt à l’audience pour des faits de vol aggravé, ainsi que le 21 janvier 2000, par la cour d’assises du Var, à huit ans de réclusion pour des faits d’extorsion en bande organisée commise avec une arme. Il avait été incarcéré pour cette seconde peine du 25 janvier 1998 au 5 avril 2002, date à laquelle il avait bénéficié d’une libération conditionnelle. Le 1er avril 2004, il avait comparu devant le tribunal correctionnel de Toulon selon la procédure de comparution immédiate, pour des faits de tentative de vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours en récidive. Le tribunal avait ordonné un supplément d’information et placé le prévenu sous contrôle judiciaire. Devant les membres de l’inspection, la requérante affirma ne pas avoir reconnu l’intéressé, ni au cours de l’audience ni pendant le délibéré. Elle indiqua avoir appris plus tard, par sa sœur, qu’elle avait eu à juger F.L. Par ailleurs, les investigations confirmèrent qu’une personne nommée D.P. avait été condamnée le 10 novembre 2004 pour des violences commises sur la sœur de la magistrate et purgeait une peine d’emprisonnement à la maison d’arrêt de La Farlède à la date de la conversation téléphonique litigieuse. À la suite des propos interceptés entre la requérante et F.L. dont la ligne faisait l’objet d’une écoute téléphonique, le détenu avait été transféré sur demande du procureur de la République près le TGI de Nice, afin d’assurer sa sécurité. Devant les inspecteurs, la magistrate indiqua avoir évoqué D.P. sur le mode de la plaisanterie, afin que quelqu’un intervienne pour qu’il paie les dommages et intérêts qu’il devait à sa sœur. La mission d’inspection conclut qu’il ne pouvait être affirmé que la requérante avait siégé en connaissance de cause à l’audience du 1er avril 2004 où comparaissait l’intéressé. En revanche, s’agissant des propos tenus lors de la conversation téléphonique interceptée, elle retint les appréciations, qu’elle qualifia, d’indélicates, portées sur une juge susceptible de siéger à l’audience du 10 octobre 2008, pour caractériser un manquement aux obligations de réserve, de prudence et de délicatesse attachées à l’état de magistrat. De plus, elle souligna que le fait pour la requérante d’avoir laissé entendre à F.L. qu’elle l’avertirait, au cas où elle devait siéger dans son dossier, était de nature à donner au moins l’apparence d’un manquement à la neutralité et à l’impartialité. Enfin, s’agissant de l’évocation de D.P., la mission d’inspection estima que la requérante avait objectivement placé son interlocuteur en situation d’avoir à prêter la main à l’organisation d’une agression ou de pressions sur le détenu et avait ainsi gravement méconnu les devoirs de son état. C. L’enquête pénale concernant les faits Le 12 novembre 2008, le procureur de la République près le TGI de Marseille ouvrit une enquête préliminaire contre personne non dénommée des chefs de violation du secret professionnel et trafic d’influence. Au cours de celle-ci, la communication téléphonique interceptée fut retranscrite. Le 9 avril 2009, F.L. fut entendu par les enquêteurs. Il indiqua ne pas connaître D.P. et ajouta qu’il avait pensé que la requérante voulait lui demander s’il connaissait « quelqu’un pour le secouer un peu, une ou deux gifles mais pas plus ». Il précisa n’être pas intervenu en ce sens. Le 26 mai 2009, le parquet classa le dossier sans suite en l’absence d’infraction. D. Les poursuites disciplinaires contre la requérante Par une dépêche du 20 février 2009, la garde des sceaux saisit le Conseil supérieur de la magistrature des faits imputables à la requérante. Il y annexa le document audio et la retranscription de la conversation téléphonique litigieuse. La requérante déposa des conclusions de nullité de la procédure disciplinaire relatives notamment au déroulement de l’enquête administrative et à la recevabilité de l’écoute téléphonique à titre de preuve. Par une décision du 5 mai 2010, le CSM, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, prononça à l’encontre de la requérante la sanction de mise à la retraite d’office. Ses membres estimèrent notamment que l’audition effectuée par le premier président avait présenté les garanties nécessaires des droits de la défense de la magistrate qui avait confirmé lors de l’audience la teneur des éléments y étant relatés. Ils constatèrent que l’écoute téléphonique litigieuse était intervenue à l’occasion d’une procédure pénale dans laquelle la requérante n’était pas en cause et qu’elle avait été régulièrement versée au dossier au cours de l’enquête du rapporteur et contradictoirement débattue, l’intéressée ne contestant ni sa réalité ni son contenu, se contentant d’en minimiser la portée. S’agissant des griefs disciplinaires, ils observèrent notamment que la requérante avait varié dans ses déclarations relatives à l’identification par elle de F.L. lors de l’audience du 1er avril 2004 et rappelèrent le discours qu’elle lui avait tenu par téléphone dans la perspective de la comparution à venir, pour conclure que ces agissements constituaient des manquements à son état de magistrat. De plus, ils jugèrent que les propos incitatifs à la violence sur un détenu caractérisaient un manquement aux devoirs du magistrat et une perte des repères déontologiques pour des motifs de vengeance personnelle. Par un décret du 30 août 2010, le Président de la République prononça la radiation des cadres de la requérante. Le 1er février 2011, la directrice des services judiciaires rejeta le recours gracieux de cette dernière tendant à l’abrogation de la mesure de radiation des cadres. Le 9 novembre 2011, le Conseil d’État déclara non-admis le pourvoi de la requérante contre la décision du CSM. La requérante soutenait d’une part, que cette décision était entachée d’irrégularité, dès lors qu’elle n’avait pas eu communication de l’ensemble des pièces du dossier dès la première saisine du ministre de la justice. Elle soutenait d’autre part, qu’elle était entachée d’erreurs de droit, d’abord parce que le rapporteur n’avait pas qualité de magistrat de l’ordre judiciaire, ensuite parce que le CSM s’était fondé sur le contenu d’une écoute téléphonique obtenue en méconnaissance des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances. Enfin, elle faisait valoir que le CSM avait inexactement qualifié les faits de l’espèce et qu’il avait dénaturé les pièces du dossier. Le Conseil d’État considéra qu’aucun de ces moyens n’était de nature à permettre l’admission du pourvoi. Enfin, le 11 avril 2012, le Conseil d’État rejeta la requête en annulation du décret du 30 août 2010 et de la décision de la directrice des services judiciaires du 1er février 2011. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Code de procédure pénale Les dispositions pertinentes ont été rappelées par la Cour dans son arrêt Versini-Campinchi et Crasnianski c. France (no 49176/11, §§ 25-26, 16 juin 2016), auquel il est renvoyé, à l’exception des dispositions de l’article 100-7, inséré dans le code de procédure pénale par la loi no 91-646 du 10 juillet 1991, qui se lisent comme suit : Article 100-7 « Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction. Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction. Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé. Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. » S’agissant des écoutes téléphoniques incidentes, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que, dès lors que des conversations interceptées révèlent l’existence de faits susceptibles de constituer une infraction pénale, celles-ci, même si elles sont étrangères à la procédure dans le cadre de laquelle les écoutes téléphoniques ont été ordonnées, peuvent être transcrites et communiquées au procureur de la République lequel appréciera les suites à donner (Cass. crim., 21 février 1995, Bull. crim., no 75). La Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence s’agissant plus particulièrement des conversations téléphoniques entre la personne surveillée et son conseil (Cass. crim., 8 novembre 2000, Bull. crim., no 335). Elle a en outre admis, suite aux arrêts de la Cour, que la chambre de l’instruction examine la régularité des écoutes accomplies dans le cadre d’une procédure distincte et annexées à la procédure dont elle est saisie (Cass. crim., 7 décembre 2005, Bull. crim., no327, et Cass. crim., 18 janvier 2006, Bull crim., no 22). B. Éléments relatifs à la discipline des magistrats À l’époque des faits, les dispositions pertinentes de l’ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature étaient rédigées comme suit : Article 43 « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire. Cette faute s’apprécie pour un membre du parquet ou un magistrat du cadre de l’administration centrale du ministère de la justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique. » Article 48 « Le pouvoir disciplinaire est exercé, à l’égard des magistrats du siège par le Conseil supérieur de la magistrature et à l’égard des magistrats du parquet ou du cadre de l’administration centrale du ministère de la justice par le garde des sceaux, ministre de la justice. (...). » Article 50-1 « Le Conseil supérieur de la magistrature est saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adresse le garde des sceaux, ministre de la justice. » Article 50-2 « Le Conseil supérieur de la magistrature est également saisi par la dénonciation des faits motivant les poursuites disciplinaires que lui adressent les premiers présidents de cour d’appel ou les présidents de tribunal supérieur d’appel. Copie des pièces est adressée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui peut demander une enquête à l’inspection générale des services judiciaires. » Article 51 « Dès la saisine du conseil de discipline, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces de l’enquête préliminaire, s’il y a été procédé. Le Premier président de la Cour de cassation, en qualité de président du conseil de discipline, désigne un rapporteur parmi les membres du conseil. Il le charge, s’il y a lieu, de procéder à une enquête. Le Conseil supérieur de la magistrature peut interdire au magistrat incriminé, même avant la communication de son dossier, l’exercice de ses fonctions jusqu’à décision définitive. Cette interdiction ne comporte pas privation du droit au traitement. Cette décision ne peut être rendue publique. » Article 55 « Le magistrat a droit à la communication de son dossier, de toutes les pièces de l’enquête et du rapport établi par le rapporteur. Son conseil a droit à la communication des mêmes documents. » Article 56 « Au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires et après lecture du rapport, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés. En cas d’empêchement du directeur des services judiciaires, il est suppléé par un magistrat de sa direction d’un rang au moins égal à celui de sous-directeur. » Par une décision du 29 juillet 1998, le Conseil d’Etat a considéré, s’agissant d’une sanction disciplinaire prononcée à l’encontre d’un magistrat que, dès lors que les écoutes téléphoniques réalisées à l’appui d’une procédure pénale avaient été recueillies et transcrites au cours d’une procédure judiciaire conformément aux dispositions de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, puis régulièrement versées au dossier disciplinaire dans le respect du caractère contradictoire de la procédure, le ministre de la Justice avait pu légalement fonder sa décision sur le contenu de ces pièces (CE, 29 juillet 1998, no 173940).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968 et réside à Caldes. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Du mariage du requérant avec T.L.G. naquit un enfant, G., le 11 janvier 2005. En juillet 2005, T.L.G. quitta le domicile familial avec l’enfant et alla vivre auprès de sa famille, en Sicile, à mille kilomètres de distance. Le 19 juillet 2007, le juge de Trente prononça la séparation de corps. L’accord conclu entre les parties confiait la garde de G. à ses deux parents, fixait la résidence principale de l’enfant chez la mère, en Sicile, et accordait au requérant un droit de visite et d’hébergement très étendu. Dès sa séparation d’avec le requérant, T.L.G. manifesta une forte opposition à toute relation entre lui et G., alors âgé de deux ans. En novembre 2007, T.L.G. déposa une plainte contre le requérant devant le parquet de Trente pour violences sexuelles sur l’enfant. Une enquête fut ouverte et une expertise psychophysique concernant l’enfant fut menée. Le 10 mars 2008, en l’absence de preuve que le requérant s’était livré à des attouchements sexuels sur l’enfant, la plainte fut classée. Selon l’expert, T.L.G. était angoissée à l’idée que le requérant pût voir l’enfant. L’expert estima, pour cette raison, que l’enfant devait passer de longues périodes avec son père pour nouer une relation avec lui. Le 3 mars 2008, T.L.G. déposa une autre plainte pénale à Catane contre le requérant pour violences sexuelles sur l’enfant. Trois ans plus tard, le 10 mai 2011, la plainte pénale fut classée. La décision de classement soulignait la difficulté de la mère à se séparer de l’enfant afin de permettre à ce dernier de nouer une relation avec le requérant. Entre-temps, alors que l’enquête pénale consécutive au dépôt de la deuxième plainte était en cours, le tribunal pour enfants de Catane (« le tribunal ») avait ouvert une procédure afin de déchoir le requérant de son autorité parentale. Le 22 mai 2008 le tribunal ordonna que les rencontres entre le requérant et son enfant se déroulent en milieu protégé. Le 9 août 2008, les rencontres entre G. et le requérant avaient été suspendues en raison de l’état psychologique perturbé de l’enfant. Le 11 mai 2009, l’expert constata que le requérant et T.L.G. étaient en mesure d’exercer leur rôle parental. Le 10 juin 2009, le parquet donna son avis favorable aux rencontres entre le requérant et l’enfant. Le 16 juillet 2009, le tribunal avait demandé aux services sociaux d’observer l’enfant et de rendre un rapport sur la relation de celui-ci avec le requérant. Le 1er octobre 2009, le tribunal avait chargé les services sociaux d’aider T.L.G. à exercer son rôle de parent et à améliorer ses compétences parentales. Entre novembre 2009 et octobre 2010, le requérant avait déposé devant ce tribunal cinq recours urgents afin de pouvoir rencontrer son fils. En janvier 2010, une rencontre entre le requérant et l’enfant avait été organisée. Elle n’avait duré que quelques minutes au motif que l’enfant était très agité. Le 26 octobre 2011, le tribunal rendit une décision dans laquelle il observait que les experts avaient exclu que l’enfant eût subi des violences sexuelles, mais conclu qu’il souffrait de la situation conflictuelle existant entre ses parents et qu’il était victime d’une forme d’abus psychologique. Le tribunal estimait que, compte tenu du classement de la plainte pénale, il n’y avait plus lieu d’interdire les contacts entre le requérant et son fils. Il relevait également que les psychiatres avaient souligné la situation difficile dans laquelle se trouvait l’enfant, due au fait que sa mère lui avait transmis son stress et ses angoisses liés à ses contacts avec le requérant. Le tribunal décida enfin que l’enfant devait suivre un parcours thérapeutique auprès du service de neuropsychiatrie de la ville de Acireale et que le requérant pourrait le rencontrer selon les modalités fixées par ce service. Le requérant interjeta appel de cette décision, en demandant, en particulier, de suspendre l’autorité parental de T.L.G.. Le 5 avril 2012, un psychiatre fut nommé. Par une décision du 2 janvier 2013, la cour d’appel, après avoir souligné que l’enfant subissait la tension émotive de sa mère et qu’il avait pour cette raison refusé de voir le requérant, rejeta le recours de ce dernier. Elle souligna également la nécessité de prendre des mesures en vue de reconstruire une relation désormais compromise, selon elle, entre le requérant et son fils et chargea le service de neuropsychiatrie d’un suivi attentif de la situation. Par une décision du 10 décembre 2015, le tribunal de Catane, chargé de se prononcer sur le divorce du requérant et de T.L.G., après avoir observé que l’enfant se trouvait dans une situation très difficile en raison de l’absence de contacts avec son père depuis plusieurs années, demanda au service de neuropsychiatrie de Acireale de l’informer des mesures qui avaient été prises en exécution de la décision du tribunal du 26 octobre 2011, et le chargea d’évaluer la situation de la famille, de se prononcer sur les capacités parentales du requérant et de T.L.G., de préciser pour quelles raisons G. ne voulait plus voir son père et d’indiquer quelle était la meilleure solution de garde pour l’enfant. Le 13 janvier 2016, un rapport sur l’état de l’enfant fut déposé au greffe. Selon l’expert, nonobstant le classement des deux plaintes pénales formées par T.L.G., l’enfant était convaincu d’avoir subi des attouchements. En outre, le rapport mentionnait que le manque de coopération entre les parents, le fait qu’aucun d’entre eux n’avait suivi de procédure de médiation ni de parcours psychologique ainsi que le fait que le père vivait à mille kilomètres de distance rendaient très difficile la reprise des contacts entre ce dernier et l’enfant. L’expert suggérait toutefois une reprise des rencontres entre le requérant et son fils et la poursuite du parcours thérapeutique pour l’enfant. Le 8 avril 2016, T.L.G. saisit le tribunal pour enfants afin de demander l’interruption de tout contact éventuel entre le requérant et son fils en raison de nouveaux soupçons de sa part d’attouchements sexuels. Par une décision du 20 avril 2016, le tribunal pour enfants ordonna aux services sociaux de conduire une enquête sur la famille, sur l’enfant et sur le requérant. Le rapport fut déposé au greffe le 7 juin 2016. Il en ressortait que le requérant n’avait eu aucun contact avec l’enfant depuis 2008, hormis quelques rencontres sporadiques, et que la dernière rencontre avait eu lieu devant le juge du tribunal, le 8 juin 2016, à l’occasion d’une audience. À une date non précisée, le tribunal pour enfants se déclara incompétent en raison de la procédure pendante devant le tribunal civil de Catane. Par une décision du 16 juin 2016, ce tribunal, après avoir souligné que G. avait refusé de voir son père comme convenu et que les difficultés exprimées par l’enfant n’étaient pas liées aux accusations d’abus sexuels mais étaient la conséquence de la difficulté des relations entre le requérant et T.L.G., comme l’avait également relevé le juge pénal lors de l’acquittement du requérant du chef de violences sexuelles, chargea les services sociaux et le service de neuropsychiatrie d’observer l’enfant, de soutenir celui-ci dans l’établissement de sa relation avec son père et de rendre un rapport sur le respect par T.L.G. des prescriptions du tribunal. Il ordonna également la prise en charge de T.L.G. par les services sociaux pour l’aider à récupérer pleinement ses capacités parentales et fixa une nouvelle audience au 12 juillet 2016. Il ressort des éléments du dossier qu’une autre audience a eu lieu en novembre 2016. Toutefois, les parties n’ont pas informé la Cour de la suite de la procédure II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no 53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1958 et réside à Bisenti. Il est partie à une procédure entamée le 13 mai 1993. Le 16 septembre 2008, il saisit la cour d’appel de Campobasso au titre de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure susmentionnée. Par une décision du 14 avril 2009, dont le texte fut déposé au greffe le 22 avril 2009, la cour d’appel constata que la procédure avait dépassé une durée raisonnable mais seulement en ce qui concernait la période 1998-2008, considérant que le droit à une satisfaction équitable pour la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable était soumis, aux termes de l’article 2946 du code civil, à la prescription décennale. Elle jugea que le requérant aurait dû former un recours fondé sur la loi Pinto avant l’expiration de ce délai de prescription. Statuant en équité, elle accorda au requérant 6 000 euros (EUR) pour dommage moral et 1 000 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée au ministère de la Justice le 24 septembre 2009 et, faute de pourvoi en cassation, elle acquit force de chose jugée le 23 novembre 2009. La somme accordée par la cour d’appel dans le cadre de la procédure Pinto a été payée le 19 août 2013. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à « loi Pinto », en vigueur à l’époque des faits, sont exposés dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006V). L’article 2946 du code civil établit que, sauf si la loi dispose autrement, les droits s’éteignent au bout d’un délai de dix ans. En ce qui concerne l’application de cette disposition en matière de droit à une satisfaction équitable pour la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable, la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (voir l’arrêt de l’assemblée plénière (Sezioni Unite) no 16783 du 27 mars 2012 déposé le 9 octobre 2012 et les arrêts de la Cour de cassation no 27719 du 30 décembre 2009, no 3325 de 2010, no 4091 de 2010, no 4526 de 2010, no 4760 de 2010, no 20564 de 2010, et no 478 de 2011) exclut l’application de la prescription décennale et affirme la possibilité pour les requérants de saisir les cours d’appel dans le cadre d’un recours fondé sur la loi Pinto pour se plaindre de la durée globale de la procédure principale dans les six mois à partir du moment où la décision qui clôt cette procédure devient définitive. Dans l’arrêt no 4524 du 24 février 2010, la Cour de cassation a adopté l’approche opposée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1989 et réside à Şırnak. Il était âgé de 16 ans lorsque, le 21 octobre 2005, une mine antipersonnel enterrée à la frontière turco-syrienne explosa non loin de la tour d’observation no 292, au niveau des coordonnées des lignes 58-16, à proximité de Koçtepe (district de Şırnak), où il faisait paître ses animaux. Il fut gravement blessé au visage et aux mains. Le même jour, l’oncle du requérant, A.S., accompagné de plusieurs personnes habitant non loin de la zone de l’explosion, trouvèrent le blessé et le firent transporter à l’hôpital de Cizre puis à celui de Diyarbakır. La vie du requérant put être sauvée, mais pas ses mains ni l’usage de ses yeux. A. L’enquête pénale menée en l’espèce Le 22 octobre 2005, le procureur de la République d’İdil (« le procureur de la République ») déclencha une enquête pénale. Le même jour, à 6 heures, les autorités militaires firent un croquis détaillé des lieux de l’explosion. Selon le procès-verbal établi le même jour, le requérant s’était introduit dans une zone militaire minée à la poursuite de ses animaux. Le procès-verbal précisait que le terrain en question était entouré de barbelés et, tous les 50 mètres, de panneaux d’avertissement sur lesquels il était marqué « mines ». Le 1er novembre 2005, les gendarmes recueillirent la déposition de A.S., qui déclara que, lorsqu’il avait trouvé son neveu, celui-ci lui avait dit qu’il s’était endormi pendant qu’il faisait paître ses animaux, qu’il avait vu ces derniers pénétrer dans le terrain miné, qu’il avait voulu les en faire sortir, que, à ce moment-là, il était tombé et qu’il y avait eu une explosion. Le 30 janvier 2006, le père du requérant fut entendu par le procureur de la République. Il déclara que son fils avait perdu ses mains et la vue à cause de l’explosion, et qu’il ne portait pas plainte contre les responsables présumés des faits litigieux. Le 2 mars 2006, le procureur de la République, rappelant que le père du requérant n’avait pas porté plainte à la suite des blessures subies par son fils et estimant que la responsabilité de l’accident incombait au requérant, rendit une ordonnance de non-lieu. Le 10 mars 2006, cette ordonnance fut notifiée à la partie requérante. Le requérant et ses parents ne formèrent pas de recours contre l’ordonnance en question. B. L’action en indemnisation devant les instances administratives Le 16 décembre 2005, les parents du requérant adressèrent au ministère de l’Intérieur une demande d’indemnisation pour dommages matériel et moral. Cette demande resta sans suite. Le 17 mars 2006, les parents du requérant saisirent le tribunal administratif de Diyarbakır d’une action en réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi en raison des blessures de leur fils. Agissant au nom de ce dernier, ils sollicitèrent une indemnisation de 275 000 livres turques (TRY) (environ 171 000 euros (EUR)) pour préjudice matériel et 25 000 TRY (environ 15 500 EUR) pour préjudice moral, ainsi que des intérêts moratoires sur ces sommes. Le 8 septembre 2006, le tribunal administratif de Diyarbakır rendit une ordonnance d’incompétence et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif de Mardin. Le 22 mars 2007, le tribunal administratif de Mardin rendit son jugement sur le fond de l’affaire. Dans les attendus du jugement, il soulignait que le terrain miné était entouré de barbelés ainsi que de panneaux d’avertissement placés à intervalles réguliers. Considérant que le requérant avait pénétré sciemment dans le terrain en question, il conclut que celui-ci était fautif et, par conséquent, responsable de ses blessures. Eu égard à cette faute, le tribunal administratif estima que les conditions d’une responsabilité avec ou sans faute de l’administration n’étaient pas réunies en l’espèce et il rejeta la demande des intéressés. À une date non précisée, les parents du requérant se pourvurent en cassation contre ce jugement devant le Conseil d’État. Par un arrêt du 11 octobre 2010, le Conseil d’État rejeta leur pourvoi en cassation. L’arrêt définitif du Conseil d’État fut notifié au requérant le 10 février 2011. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce ce qui suit : « Tous les actes et décisions de l’administration peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire. (...) L’administration est tenue d’indemniser tout dommage résultant de ses activités, actes et décisions. » III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT Aux termes de la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (« la Convention d’Ottawa »), signée le 18 septembre 1997, chaque État partie s’engage, d’une part, à ne pas employer de mines antipersonnel et, d’autre part, à détruire toutes les mines antipersonnel ou à veiller à leur destruction dans les dix années suivant la date d’entrée en vigueur de ladite convention après approbation par son autorité interne. En outre, les zones minées doivent être signalées, surveillées et protégées par une clôture ou d’autres moyens afin d’empêcher les civils d’y pénétrer jusqu’à ce que toutes les mines y aient été détruites. La Turquie est Partie à la Convention d’Ottawa depuis le 28 mars 2003. Celle-ci y est entrée en vigueur le 1er mars 2004. Lors de la treizième Assemblée des États parties à la Convention d’Ottawa, tenue en décembre 2013, il a été décidé, conformément à la demande soumise par la Turquie, d’accorder une prolongation du délai de destruction des mines antipersonnel se trouvant dans les zones minées dans cet État. Ce délai a ainsi été repoussé au 1er mars 2022.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1941, en 1950 et en 1958, et résident respectivement à Lemoa, à Barcelone et à Zurbano. Le premier requérant est l’ancien président du Parlement de la Communauté autonome du Pays basque. Le deuxième requérant et la troisième requérante étaient respectivement le vice-président et la greffière dudit Parlement à l’époque à laquelle le premier requérant en était le président. Le syndicat Manos Limpias (« le syndicat »), qui s’était constitué en accusation populaire, et le ministère public portèrent plainte contre les requérants. Ils soutenaient que les intéressés avaient commis un délit de désobéissance à l’autorité judiciaire en refusant notamment de se conformer à la décision du Tribunal suprême qui avait ordonné, le 27 mars 2003, la dissolution de tous les groupes parlementaires présents au sein des différentes institutions des communautés autonomes du Pays Basque et de la Navarre qui porteraient le nom de Batasuna. Cette décision faisait suite à la déclaration d’illégalité des partis politiques Herri Batasuna, Euskal Herritarrok et Batasuna, et à la décision de dissolution de ces partis. Par une décision du 27 décembre 2004, le juge d’instruction désigné par le Tribunal supérieur de justice du Pays basque (« le Tribunal supérieur ») classa les plaintes formulées par le syndicat et par le ministère public au motif que les faits en cause n’étaient pas constitutifs d’un délit. Le syndicat fit appel de la décision de classement. De son côté, le ministère public, estimant que la décision était suffisamment motivée, indiqua qu’il ne souhaitait pas former de recours contre celle-ci. Par une décision du 22 février 2005, le Tribunal supérieur fit droit à l’appel du syndicat et renvoya le dossier pour instruction au motif qu’il existait des indices rationnels montrant l’existence d’un délit de désobéissance susceptible d’engager la responsabilité pénale des requérants. Tant le ministère public que l’accusation populaire se virent octroyer un délai pour présenter des observations. Le premier sollicita un non-lieu et le classement de l’affaire, alors que la deuxième demanda la tenue d’un procès pour délit de désobéissance. Au cours du procès, qui débuta le 26 octobre 2005, le Tribunal supérieur examina plusieurs moyens de preuve, notamment des attestations officielles et plusieurs témoignages, dont ceux des accusés. Par un jugement du 7 novembre 2005, rendu après la tenue d’une audience publique, le Tribunal supérieur acquitta les requérants en raison de leur inviolabilité parlementaire et se déclara incompétent pour juger leur comportement. L’accusation populaire contesta la décision d’acquittement auprès du Tribunal suprême. Par un arrêt du 10 novembre 2006, ce dernier fit droit au pourvoi et ordonna le renvoi des éléments du dossier aux magistrats qui avaient rendu le jugement contesté, demandant à ceux-ci de compléter l’exposé des faits considérés comme prouvés et de se prononcer sur le fond des prétentions dans un nouvel arrêt. Il considéra par ailleurs que la tenue d’une nouvelle audience publique n’était pas nécessaire. Malgré les indications du Tribunal suprême, les magistrats du Tribunal supérieur tinrent une audience publique, à l’issue de laquelle, par un arrêt rendu le 19 décembre 2006, les requérants furent de nouveau acquittés. Dans son arrêt, le Tribunal supérieur considéra comme prouvé ce qui suit : - Le 20 mai 2003, la chambre spéciale du Tribunal suprême avait décidé la dissolution du groupe parlementaire Araba, Bizkaia Eta Gipuzkoako Sozialista Abertzaleak (« ABGSA », seul groupe parlementaire présent au Parlement basque constitué par des parlementaires ayant intégré auparavant le groupe Batasuna). En conséquence, elle avait requis du président du Parlement basque qu’il demandât au bureau (Mesa) de ce Parlement de procéder à ladite dissolution. En l’absence de réponse du Parlement basque, elle avait renouvelé son injonction le 4 juin 2003 et elle avait octroyé un délai de cinq jours au président du Parlement basque pour exécuter la mesure en cause, faute de quoi, selon la chambre spéciale, les membres du bureau pouvaient être accusés du délit de désobéissance à une injonction judiciaire. - Le lendemain, le 5 juin 2003, le bureau du Parlement avait adopté un projet de résolution générale de la présidence du Parlement visant à l’exécution de la décision de justice en cause, résolution qui, conformément à l’article 24 § 2 du règlement du Parlement, devait être soumise pour approbation aux membres de l’assemblée des porte-parole (Junta de Portavoces). Le 6 juin 2003, cette assemblée avait rejeté la résolution et cette décision avait été communiquée au Tribunal suprême par le président du Parlement. Celui-ci avait déclaré qu’il devenait par conséquent impossible de procéder à l’exécution de la décision judiciaire susmentionnée. - Le 18 juin 2003, la chambre spéciale du Tribunal suprême avait demandé au président du Parlement ainsi qu’au bureau du Parlement et aux présidents des diverses commissions d’exécuter la décision du 20 mai 2003 afin d’empêcher les membres du groupe parlementaire ABGSA de participer à la vie parlementaire. - Le 30 juin 2003, le bureau du Parlement avait adopté un texte dans lequel il exprimait son respect pour le Tribunal suprême et pour les autres organes judiciaires et dans lequel il assurait n’avoir aucune intention de désobéir aux décisions de justice. Il indiquait également que le règlement du Parlement ne prévoyait toutefois pas la possibilité d’exécuter la mesure sollicitée. Il avait déclaré à ce sujet que, les propositions de réforme dudit règlement ayant été récemment rejetées, il se heurtait à une impossibilité légale d’exécuter la décision judiciaire en cause. Dans la partie en droit de son arrêt, le Tribunal supérieur nota que la seule accusation à l’encontre des requérants avait été formulée par le syndicat, qui reprochait aux intéressés d’avoir commis un délit de désobéissance à l’autorité judiciaire, infraction prévue à l’article 410 § 1 du code pénal (paragraphe 25 ci-dessous). À la lumière des faits considérés comme prouvés et des moyens de preuve examinés, le Tribunal supérieur indiqua, s’agissant de l’existence d’un refus net et manifeste (negativa abierta y directa) d’obéir à des décisions judiciaires : « (...) [qu’] il conv[enait] d’écarter le refus net et manifeste [d’obéir], dans la mesure où celui-ci n’a[vait] jamais été formulé de façon explicite (...) et n’a[vait] jamais été mentionné par (...) le président. Au contraire, à plusieurs occasions, [l’absence] d’intention de se rendre coupable d’une quelconque désobéissance a[vait] été expressément manifestée (...) » Pour ce qui était de la désobéissance indirecte, le Tribunal supérieur releva ce qui suit : « (...) À cet égard, après l’administration des moyens de preuve, nous [avons considéré] qu’il ne conv[enait] pas [de juger] que les trois prévenus se sont montrés entièrement passifs (...) ; [ces derniers] ont essayé de mettre en place les mécanismes juridiques nécessaires pour exécuter les décisions (...) [notamment par le biais d’une] proposition de résolution générale de la présidence. (...) Par conséquent, il convient d’écarter [également] l’existence d’un pacte frauduleux dénoncée par la partie accusatrice. (...) [Pour parvenir à cette conclusion,] il a été tenu compte des déclarations des parlementaires basques intervenus pendant l’audience ainsi que de celles des témoins proposés par la partie accusatrice (...) [et] les dépositions des (...) prévenus. » L’arrêt contenait une opinion dissidente, selon laquelle les moyens de preuve administrés ne permettaient pas d’écarter les indices de responsabilité pénale des requérants, indices qui auraient déjà été relevés dans la décision du 22 février 2005. Cette opinion était favorable à la condamnation des requérants pour le délit dont ceux-ci étaient accusés. L’accusation populaire se pourvu en cassation sur le fondement des articles 849 §§ 1 et 2 et 852 du code de procédure pénale. Par un arrêt du 8 avril 2008, rendu après la tenue d’une audience publique à laquelle participèrent les représentants des requérants mais lors de laquelle ces derniers ne furent pas entendus, le Tribunal suprême fit droit au pourvoi du syndicat, annula le jugement attaqué, jugea les requérants coupables du délit de désobéissance et les condamna à une peine d’interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée allant de douze à dix-huit mois ainsi qu’au paiement d’une amende journalière de 100 EUR pendant six mois (pour le premier requérant) et de 100 EUR pendant quatre mois (pour les deuxième et troisième requérants). Le Tribunal suprême décida par ailleurs de condamner les requérants à payer les frais et dépens engagés devant le Tribunal supérieur. Sur la base des mêmes faits considérés comme prouvés par le jugement a quo, le Tribunal suprême jugea que les requérants avaient délibérément et ouvertement refusé de donner suite à sa décision ordonnant la dissolution des groupes parlementaires litigieux. Il nota en particulier que : « (...) [ni] l’absence de refus explicite, [ni] la réponse ponctuelle aux réquisitions du Tribunal suprême [ni, enfin,] l’affirmation [des accusés] de ne pas vouloir commettre de délit ne sont [des éléments] suffisants pour écarter (...) le type [de délit pénal] décrit à l’article 410 § 1 du code pénal. » Le Tribunal suprême rappela que, conformément à sa jurisprudence : « (...) Le délit [de désobéissance] se caractérise non seulement par la désobéissance nette et (...) manifeste, mais aussi par [la désobéissance] « résultant d’une passivité répétée ou de la [présence] d’obstacles qui, au fond, démontrent une rébellion délibérée » (arrêt du Tribunal suprême 1203/1997, du 11 octobre). » Se tournant ensuite vers les faits de l’espèce, le Tribunal suprême observa ce qui suit : « Les trois accusés [ont refusé] de manière consciente et délibérée, lors de la réunion du bureau (Mesa) du 5 juin 2003, [de se conformer] à l’arrêt du Tribunal suprême. Ils [ont] dissimulé leur refus obstiné d’accepter les effets juridiques dérivés du procès [à l’issue duquel] Batasuna [avait été] déclaré illégal, suscitant une controverse juridique apparente [entre eux et] le Tribunal suprême au sujet des limites du devoir général de se conformer aux décisions judiciaires. En définitive, ils [ont] ouvertement refusé de donner suite à une décision judiciaire rendue par un organe juridictionnel en vertu de ses pouvoirs et conformément aux formalités légales. C’est précisément [en cela] que consiste le délit de désobéissance puni par l’article 410 du code pénal. » Cinq des douze magistrats de la chambre du Tribunal suprême exprimèrent une opinion dissidente. Ils reprochaient entre autres au Tribunal suprême d’avoir, pour parvenir à sa conclusion, procédé à une nouvelle appréciation des éléments de preuve déjà examinés par le Tribunal supérieur, y compris les témoignages, sans que le principe d’immédiateté eût été respecté. Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 24 §§ 1 (droit à un procès équitable) et 2 (présomption d’innocence) de la Constitution, les requérants saisirent le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo. Le ministère public émit un avis favorable quant aux prétentions des requérants et sollicita la nullité de l’arrêt du 8 avril 2008 rendu par le Tribunal suprême. Par un arrêt du 5 décembre 2013, le Tribunal constitutionnel rejeta les demandes d’amparo. Il justifia son rejet comme suit : « Il est clair dans la présente affaire que l’arrêt contesté ne repose pas sur une base factuelle nouvelle par rapport à celle sur laquelle [s’était] fondé le jugement de l’organe a quo ni, par conséquent, sur une révision de [l’établissement des faits] réalisé [par le juge a quo] (...), mais qu’il diffère seulement quant à sa qualification juridique. (...) Le raisonnement du Tribunal suprême s’est limité à un aspect purement juridique : l’interprétation de la règle pénale et des causes d’exclusion du caractère illicite, de même que l’exposé [des] faits considérés comme prouvés n’a pas été modifié. » S’agissant de l’obligation d’entendre les accusés lors de l’annulation d’un jugement d’acquittement, la haute juridiction parvint à la conclusion suivante : « (...) La Constitution n’exigeait pas que les requérants fussent entendus lors de l’audience en cassation (...). Eu égard à la nature des questions qui avaient été soulevées par la partie accusatrice et qui devaient être résolues dans le recours, une telle omission n’a pas entraîné de privation ou de limitation du droit de la défense, car une audience n’aurait eu aucune incidence sur la décision adoptée. (...) Le témoignage [des requérants] pendant l’audience publique n’était pas indispensable (arrêt Naranjo Acevedo c. Espagne du 22 octobre 2013). En outre, dans la mesure où le débat était strictement juridique, [l’expression de] la thèse des requérants a dûment été [garantie par] la présence de leurs représentants (...). En effet, [ces derniers] ont participé à l’audience, au cours de laquelle ils ont soulevé les arguments qu’ils estimaient nécessaires pour la défense des accusés. » À l’arrêt du Tribunal constitutionnel était joint l’exposé de l’opinion dissidente de quatre magistrats. Cette opinion se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « (...) S’il est vrai que la condamnation en deuxième instance n’a pas modifié [l’exposé des] faits considérés comme prouvés par le jugement contesté (...), elle a [permis de] reconsidérer la portée de ces faits pour conclure à la présence d’un élément subjectif, à savoir la volonté de non-exécution de la demande judiciaire. Au cours de ce réexamen, certaines données ont été sélectionnées et d’autres ont été exclues (...), ce qui a entraîné leur modification, dans la mesure où on les a sorties du contexte de l’ensemble des éléments qui avaient été examinés par la juridiction d’instance conformément [au principe] d’immédiateté. De plus, le « réexamen » des faits a eu un impact sur des questions abordées dans les déclarations des témoins et des accusés, telles que l’importance cruciale de la volonté des [requérants] de trouver une voie d’exécution de la décision judiciaire et l’absence d’intention de dissimuler [leur refus de se conformer à ladite décision] (...) » Les magistrats auteurs de l’opinion dissidente rappelaient également la jurisprudence de la Cour en la matière : « (...) l’exigence d’audience publique est maintenue lors de la première condamnation d’un individu, en première ou deuxième instance, sauf si la condamnation est la conséquence exclusive d’une interprétation différente de questions juridiques qui ne modifient pas (...) la détermination d’éléments factuels, y compris les éléments subjectifs établis lors d’une audience ou dans des conditions [conformes au principe d’immédiateté]. (...) L’affaire Naranjo Acevedo c. Espagne diffère de la présente affaire dans la mesure où elle portait sur la définition juridique du délit analysé de façon générale. Ainsi, le cas d’espèce se rapproche davantage des affaires Vilanova Goterris c. Espagne ou encore Roman Zurdo c. Espagne [dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 6 de la Convention]. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article pertinent en l’espèce du code pénal est ainsi libellé : Article 410 § 1 « Les autorités ou fonctionnaires publics qui refuseraient ouvertement d’exécuter des décisions judiciaires ou des injonctions d’une autorité supérieure, rendues dans le cadre des compétences respectives [des juridictions ou des autorités] et respectant les formalités légales, seront passibles d’une peine de trois à douze mois-amende et d’une interdiction spéciale d’exercer un emploi public pour une période de six mois à deux ans. » L’article 954 § 3 du code de procédure pénale modifié par la loi 41/2015 du 5 octobre 2015 se lit ainsi : « Il sera possible de demander la révision d’une décision de justice définitive après que la Cour européenne des droits de l’homme ait déclaré que cette décision est contraire aux droits reconnus dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que dans ses Protocoles, à condition que la violation, de par sa nature et gravité, entraîne des effets persistants qui ne peuvent cesser autrement que par le biais de cette révision. Dans ce cas, la révision ne pourra être sollicitée que par celui qui, ayant la légitimité pour introduire un tel recours, fut le requérant auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. La demande devra être formulée dans un délai d’un an après que l’arrêt de ladite Cour soit devenu définitif. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. En ce qui concerne M. Sylla M. Sylla fut détenu à l’aile D de la prison de Forest entre le 5 novembre 2012 et le 7 novembre 2013. Depuis, il est détenu à la prison de Marche-en-Famenne. Du 5 novembre 2012 au 24 janvier 2013, M. Sylla séjourna dans une cellule de 9 m2 avec deux autres détenus. Dans un deuxième temps, à partir du 25 janvier 2013, il séjourna dans une cellule de 11 puis de 12 m2. Selon un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») du 13 décembre 2012 (CPT/Inf (2012) 36), auquel se réfère le requérant, les cellules de l’aile D étaient équipées d’un lavabo et de toilettes (§ 18). Les conditions de détention à la prison de Forest étaient les suivantes : l’accès à la cour de promenade était limité à une heure par jour, aucune autre activité hors cellule n’était prévue, l’accès aux douches était limité à deux fois par semaine et il est arrivé que l’eau soit froide en raison de pannes, les vêtements, draps et serviettes étaient changés toutes les trois semaines. B. En ce qui concerne S. Nollomont S. Nollomont est détenu à la maison d’arrêt de Lantin. Il fait état, sans document à l’appui, d’une période continue de détention à l’établissement pénitentiaire de Lantin depuis le 1er juin 2013. D’après le Gouvernement, se basant sur la fiche de « mouvements externes des détenus » établie par l’administration pénitentiaire, le requérant a séjourné du 27 janvier au 16 avril 2014 dans l’établissement pénitentiaire principal de Lantin et a ensuite intégré la maison d’arrêt le 24 février 2015. S. Nollomont partage, à la maison d’arrêt de Lantin, une cellule de 8,8 m² avec un autre détenu. Cette cellule comporte des installations sanitaires (toilette et lavabo) et des meubles. Les conditions de détention sont les suivantes : l’accès à la cour de promenade est limité à deux fois une heure par jour, le reste du temps étant passé en cellule en l’absence d’activité de type communautaire, les toilettes se situent dans la cellule à côté du lit et ne sont pas cloisonnées si ce n’est par la présence d’un paravent en bois face à la porte, l’accès aux douches a lieu deux fois par semaine et il arrive que l’eau soit froide en raison de pannes, les vêtements, draps et serviettes sont changés une fois par mois, et la cellule est nettoyée deux fois par semaine par les détenus. Les détenus sont autorisés à fumer dans les cellules, lesquelles ne sont pas équipées de détecteur de fumée. II. LA SITUATION EN PRATIQUE EN MATIÈRE DE CONDITIONS DE DÉTENTION DANS LES PRISONS BELGES La Cour a rendu un arrêt concernant les conditions matérielles de détention en Belgique en général et dans plusieurs prisons en particulier (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, 25 novembre 2014). Des extraits pertinents de documents internes et internationaux relatifs aux problèmes structurels rencontrés en Belgique dans ce domaine figurent dans cet arrêt. D’autres documents peuvent être cités qui concernent les établissements pénitentiaires fréquentés par les requérants. Lors de sa troisième visite de la prison de Forest en 2013, le CPT constata les éléments suivants (CPT/Inf (2016) 13) : « Le CPT prend note du programme fédéral « Masterplan » prévoyant l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires à court et moyen terme. Toutefois, le rapport constate que d’importants problèmes subsistent en matière de surpopulation ; plus d’une prison belge sur trois avait un taux d’occupation supérieur à 140 % au moment de la visite. Dans les prisons visitées, de nombreux détenus placés en cellules collectives disposaient de moins de 4 m2 chacun – la norme minimale prônée par le CPT –, le plus souvent de 3 m2, voire moins. La surpopulation forçait des détenus des prisons d’Anvers, de Forest et de Tournai à dormir sur des matelas posés à même le sol. Les conditions matérielles variaient d’un établissement à l’autre. Toutefois, des carences majeures ont été constatées concernant tout ou partie des établissements de Forest, Merksplas et Tournai. Dans les prisons de Forest et de Tournai, de nombreux détenus étaient obligés d’utiliser un seau la nuit en l’absence de toilettes dans leur cellule. La majorité des détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés, ne bénéficiaient d’aucune activité motivante et d’aucun travail dans les établissements visités. La plupart d’entre eux passait plus de 21 heures dans leurs cellules. Concernant les services de santé en prison, la présence infirmière est apparue suffisante dans les établissements visités. En revanche, la présence médicale était particulièrement lacunaire. De plus, le rapport constate des carences dans la prise en charge psychiatrique des détenus. » Selon le conseil central de surveillance pénitentiaire, « la capacité moyenne de la prison de Lantin est d’environ 700 détenus mais la réalité est tout autre, la surpopulation étant évaluée à plus ou moins 40 % ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Slobozia (région transnistrienne de la République de Moldova). Le gouvernement moldave a indiqué qu’il lui était impossible de vérifier les faits de la cause au motif que ceux-ci s’étaient déroulés dans une zone sous contrôle exclusif des autorités de la « République moldave de Transnistrie » (« la RMT »), autoproclamée comme telle. Le gouvernement russe n’a pas formulé d’observations sur les circonstances de l’espèce. Le contexte de l’affaire, notamment le conflit armé qui s’est déroulé en Transnistrie en 1991-1992 ainsi que les événements ultérieurs, est décrit dans les arrêts Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie ([GC], no48787/99, §§ 28-185, CEDH 2004-VII) et Catan et autres c. République de Moldova et Russie ([GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, §§ 8-42, CEDH 2012). Les faits de la cause, tels qu’exposés par le requérant et tels qu’ils peuvent être établis à partir des documents versés au dossier, peuvent se résumer comme suit. A. Arrestation du requérant, perquisition et mise sous scellés de sa maison Le requérant est un homme d’affaires travaillant en « RMT ». Il y a cofondé trois sociétés à responsabilité limitée, dont il était le directeur au moment des faits. Le 29 mars 2011, les représentants de la milice de la « RMT » arrêtèrent le requérant, lui reprochant d’avoir escroqué son principal partenaire d’affaires. Le même jour, le requérant fut placé dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Le soir du 29 mars 2011, les autorités de la « RMT » effectuèrent une perquisition au domicile du requérant, une maison sise à Slobozia. À l’issue de la fouille, la maison fut mise sous scellés. Le requérant se serait plaint, à ses dires en vain, aux autorités de la « RMT » d’une impossibilité pour ses proches, à savoir ses parents et ses enfants, d’accéder à la maison. B. Conditions de détention et état de santé du requérant Il ressort d’une déclaration écrite du requérant du 17 mai 2011 que, après son arrestation survenue le 29 mars 2011, l’intéressé a été placé dans la cellule no 17 des locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Dans sa déclaration, le requérant indiquait ce qui suit : la cellule était occupée par huit détenus ; elle mesurait 2,50 m sur 5 m ; elle se trouvait dans un sous-sol et était dépourvue d’accès à la lumière du jour, de ventilation et d’air frais (les autres détenus y auraient fumé) ; il y avait une odeur persistante de sueur et de moisissure dans la cellule et l’humidité y était élevée ; les toilettes se trouvaient dans la cellule, étaient dans un état déplorable et dégageaient une forte odeur de déjections humaines ; le sol était en béton et n’était pas couvert ; il n’y avait pas de produits d’hygiène ; un seul lavabo se trouvait dans la cellule, il était rouillé et l’eau qui en provenait gouttait en permanence et était de couleur rouille ; les détenus n’avaient pas d’autre choix que de boire cette eau. Le requérant affirmait également que les détenus lavaient et séchaient leur linge dans la cellule même, qu’il était impossible d’y dormir à cause d’un état de surpopulation et d’une présence d’insectes et qu’il ne pouvait prendre de douche qu’une seule fois par semaine. À cause de l’insalubrité qui aurait régné dans les douches, il aurait attrapé une mycose des pieds. Les promenades à l’air libre auraient été limitées à une heure par jour. Le requérant soutenait en outre que, les premiers jours de sa détention, il n’avait pas reçu de nourriture en raison de la non-adoption immédiate du jugement de placement en détention provisoire (paragraphe 26 ci-dessous). Pendant cette période-là, ses codétenus auraient partagé avec lui leurs rations. Les repas servis ultérieurement auraient été de mauvaise qualité et impossibles à manger. De plus, l’intéressé alléguait que, pendant sa détention initiale dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol, il avait perdu cinq kilogrammes et que son état de santé avait empiré. Son ulcère se serait réveillé, notamment à cause de la qualité de la nourriture, qu’il qualifiait de mauvaise. Le requérant soutenait avoir souffert de douleurs insupportables et s’être vu refuser dans un premier temps l’accès aux soins. Il ajoutait que les médecins l’avaient finalement examiné, à ses dires une seule fois et uniquement après qu’il se fut plaint à de multiples reprises, et qu’ils lui avaient proposé de faire appel à sa famille pour obtenir les médicaments dont il aurait eu besoin. Selon une autre déclaration écrite du requérant, datée du 27 mai 2011, l’intéressé avait été transféré le 15 avril 2011 dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol. Dans cette déclaration, le requérant soutenait que, alors qu’il aurait dû être hospitalisé, il avait été reconduit le 15 mai 2011 dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol en représailles pour ses plaintes. Par une lettre du 30 mai 2011, le directeur du Centre d’aide médicale et de réhabilitation sociale du ministère de la Justice de la « RMT » (« le Centre ») informa l’avocat du requérant que le diagnostic de son client posé à une date antérieure avait été confirmé. Il précisait que celui-ci souffrait d’une cardiopathie ischémique, d’une hypertension artérielle, d’une insuffisance cardiaque de deuxième degré, d’une encéphalopathie post-traumatique chronique, d’un ulcère duodénal chronique, d’une prostatite chronique et d’une hernie inguinale récurrente. Il indiquait également que le requérant aurait dû être hospitalisé dans le département de chirurgie de l’hôpital de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol, mais que cela n’avait pas été possible à ce moment-là à cause du transfert de l’intéressé dans les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Il ajoutait que le requérant ne pouvait pas suivre un traitement complet et efficace en dehors du département de chirurgie de l’hôpital en question. Le 8 juin 2011, le requérant fut hospitalisé dans le département de chirurgie susmentionné. Selon une déclaration écrite du requérant du 20 août 2011, il avait été transféré le 27 juillet 2011 de l’hôpital pénitentiaire vers les locaux de détention provisoire du commissariat de Tiraspol. Il y aurait été détenu quatorze jours et, durant ce laps de temps, son traitement aurait été interrompu. Les conditions de sa détention dans ces locaux de détention provisoire auraient été similaires à celles décrites précédemment (paragraphe 14 ci-dessus). Le requérant se serait alimenté de manière insuffisante en raison de la qualité de la nourriture, qui aurait été mauvaise, et son état de santé aurait empiré. De plus, en raison d’un état de surpopulation, il n’aurait dormi que trois nuits sur treize. Le 10 août 2011, le requérant fut replacé dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol. Dans une déclaration écrite du 20 octobre 2011, il décrivait les conditions de sa détention dans cet établissement comme suit : sa cellule, qui aurait été de dimensions réduites, était occupée par vingt à vingt-cinq autres détenus ; les fenêtres de cette cellule étaient couvertes par des plaques de métal qui auraient empêché la lumière du jour d’entrer ; la cellule était sombre et mal aérée. Le requérant indiquait également qu’il avait commencé à souffrir de toux et de fortes douleurs au cœur et à la tête, qu’il avait demandé à être examiné par des médecins et à être transféré à l’hôpital pénitentiaire, mais que ces demandes avaient été vaines. Il ajoutait que ses parents lui avaient envoyé des médicaments le 5 août 2011, mais qu’il ne les avait reçus que douze jours plus tard. Entre août 2011 et février 2012, les parents et l’avocat du requérant demandèrent à plusieurs autorités de la « RMT » de transférer ce dernier à l’hôpital pénitentiaire ou de permettre à ce qu’il fût examiné par des médecins indépendants. Par une lettre du 8 novembre 2011 adressée à l’avocat du requérant, le directeur du Centre confirma le diagnostic précédemment établi (paragraphe 16 cidessus). Il indiquait que le requérant recevait des soins ambulatoires, mais que leurs effets thérapeutiques étaient insignifiants et que la question de son hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire pour la poursuite de son traitement était à l’étude. Par une lettre du 20 février 2012, le ministre de la Justice de la « RMT » informa les parents du requérant que l’état de santé de leur fils était satisfaisant, qu’il recevait régulièrement des soins ambulatoires et que, à ce moment-là, il n’était pas nécessaire de l’hospitaliser. Dans l’intervalle, le 30 juin 2011, le service de presse du parquet de la « RMT » avait publié un communiqué selon lequel des inspections dans les locaux de détention provisoire de l’établissement pénitentiaire no 3 de Tiraspol, effectuées pendant le deuxième semestre 2010 et entre janvier et avril 2011, avaient révélé de multiples violations de la réglementation en matière d’hygiène, de conditions matérielles de détention et de soins médicaux. C. Demandes de visite en détention Le 28 mai 2011, les parents du requérant demandèrent aux autorités compétentes de les autoriser à visiter leur fils. Par une lettre du 17 juin 2011, le chef de la direction des crimes économiques du ministère de l’Intérieur de la « RMT » les informa qu’il était inopportun que le requérant s’entretînt avec les membres de sa famille. Par une lettre du 21 décembre 2011, l’officier transnistrien en charge de l’enquête informa les parents du requérant que leur demande de visiter leur fils en prison avait été rejetée et qu’aucun motif ne justifiait la révision des décisions antérieures de refus d’autoriser leur proche à rencontrer les membres de sa famille. D. Détention provisoire et condamnation du requérant Par un jugement du 1er avril 2011, le tribunal de Tiraspol ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de soixante jours. Sur recours du requérant, la Cour suprême de la « RMT » rendit un arrêt définitif le 8 avril 2011, par lequel elle confirmait la décision de l’instance inférieure. Par la suite, les tribunaux de la « RMT » prolongèrent la détention provisoire du requérant jusqu’à la condamnation de celui-ci. Par un jugement du 30 décembre 2013, le tribunal de Slobozia reconnut le requérant coupable, à titre principal, des différents chefs d’escroquerie qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine de douze ans d’emprisonnement assortie de la confiscation de ses biens. Le 25 février 2014, la Cour suprême de la « RMT » rejeta comme mal fondé le recours formé par le requérant et confirma ce jugement. Le 1er septembre 2016, le requérant fut remis en liberté, étant exonéré de purger le restant de sa peine. E. Saisine des autorités autres que celles de la « RMT » À des dates différentes, les parents du requérant envoyèrent plusieurs lettres aux autorités de la République de Moldova, d’Ukraine et de la Fédération de Russie afin de dénoncer la situation de leur fils. Ils prirent également contact avec plusieurs ambassades occidentales. Par une lettre du 7 juin 2011, le parquet général de la Fédération de Russie informa les parents du requérant que sa juridiction ne s’étendait pas au territoire de la « RMT » et que leur plainte avait été envoyée au parquet général de la République de Moldova. Entre-temps, le 2 juin 2011, le parquet général de la République de Moldova avait informé les parents du requérant qu’une enquête pénale avait été ouverte, concernant leur fils, pour privation illégale de liberté et que, dans le cadre de cette enquête, toutes les circonstances de l’affaire seraient élucidées « compte tenu des possibilités réelles ». Il avait cependant précisé qu’il se trouvait dans l’impossibilité d’entreprendre des démarches procédurales sur le territoire de la « RMT ». Le 4 octobre 2011, le parquet général de la République de Moldova ouvrit également une enquête pénale, concernant le requérant, pour kidnapping, chantage et violation du domicile. Par une lettre du 11 octobre 2011, le chef du « Bureau pour la réintégration » de la République de Moldova informa le père du requérant que les autorités moldaves avaient envoyé une lettre au représentant politique de la « RMT » dans le cadre du processus de négociations menées avec celle-ci, afin d’attirer son attention sur le cas du requérant. Il précisait que, par cette lettre, il avait demandé audit représentant de déployer des mesures promptes pour élucider l’affaire, d’assurer le respect des droits du requérant et de libérer ce dernier au plus vite. Le 20 janvier 2012, le ministère des Affaires intérieures de la République de Moldova envoya au ministère des Affaires intérieures de la « RMT », à la demande de ce dernier, des extraits de différents registres moldaves contenant des données relatives à l’état civil, au domicile, aux propriétés, ainsi qu’aux antécédents pénaux du requérant et des membres de sa famille. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS DE LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA ET D’AUTRES ÉLÉMENTS PERTINENTS Des rapports d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, le droit et la pratique internes pertinents de la République de Moldova, ainsi que d’autres documents pertinents sont résumés dans l’arrêt Mozer c. République de Moldova et Russie ([GC], no 11138/10, §§ 6177, 23 février 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants et qu’ils ressortent des documents pertinents dans les différentes affaires concernées par les faits à l’origine du présent litige, peuvent se résumer comme suit. A. Le contexte général Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de Gênes accueillit le vingt-septième sommet des huit pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du groupe de coordination « Genoa Social Forum – GSF » (« le GSF »), organisèrent un sommet « altermondialiste » qui se déroula à la même période. Il a été estimé que 200 000 personnes (selon le ministère de l’Intérieur) à 300 000 personnes (selon le GSF) participèrent à l’événement. Un vaste dispositif de sécurité fut mis en place par les autorités italiennes (arrêts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisèrent la ville en trois zones concentriques : la « zone rouge », de surveillance maximale, où le sommet devait se dérouler et où les délégations devaient loger ; la « zone jaune », une zone tampon où les manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche », où les principales manifestations étaient programmées. Les autorités attribuèrent une couleur à chaque groupe organisé, à chaque association, à chaque syndicat et à chaque ONG, en fonction de sa dangerosité potentielle : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et également d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc noir », dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques. La journée du 19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes particulièrement significatifs. Par contre, les journées des 20 et 21 juillet furent marquées par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par du gaz lacrymogènes. Des quartiers entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17). B. Les faits ayant précédé l’irruption dans l’école Diaz-Pertini Le 21 juillet, le chef de la police ordonna au préfet A., chef adjoint de la police et chargé de l’ordre public pendant le sommet, de confier la responsabilité de la perquisition de l’école Paul Klee à F.G., chef du service central opérationnel de la police criminelle (« le SCO » ; voir l’arrêt no 4252/08 du tribunal de Gênes, rendu le 13 novembre 2008 et déposé le 11 février 2009, p. 190). À l’issue de l’intervention, la police procéda à l’arrestation d’une vingtaine de personnes. Celles-ci furent aussitôt remises en liberté sur ordre du parquet ou du juge des investigations préliminaires. Le même jour, le préfet L.B. arriva à Gênes, sur ordre du chef de la police, afin de suivre les opérations de police. Selon les déclarations du préfet A., confirmées par le directeur central de la police criminelle A.M., les ordres du chef de la police s’expliquaient par la volonté de changer de stratégie et de passer à une approche plus « incisive », dans le but d’effacer l’image d’une police inerte face aux épisodes de pillage et de dévastation. En ce sens, le chef de la police donna l’instruction de former des unités spéciales (pattuglioni) – placées sous la direction du SCO et de fonctionnaires des unités mobiles –, chargées d’arrêter les membres du « bloc noir ». Toujours le même jour, en début de soirée, une de ces unités transita par la rue Cesare Battisti, devant les écoles Diaz-Pertini et Pascoli. Ces deux écoles avaient été mises à la disposition du GSF par la municipalité de Gênes : la première était utilisée comme lieu d’hébergement et point d’accès internet, la deuxième abritait la salle de presse et le bureau du service légal du GSF. Le passage de la patrouille, composée de quatre véhicules, provoqua une intense réaction verbale de la part des personnes qui se trouvaient devant les deux écoles. En outre, une bouteille vide fut lancée en direction des véhicules de police (voir le jugement du tribunal de Gênes, pp. 244-249, et l’arrêt de la Cour de cassation, p.122). À la suite de cet épisode, une réunion se tint à la préfecture en présence des plus hauts fonctionnaires de police présents à Gênes. Après avoir pris contact avec le membre du GSF en charge de la sécurité de l’école Diaz-Pertini, ils décidèrent qu’il serait procédé à une perquisition (perquisizione ad iniziativa autonoma) pour recueillir des éléments de preuve et, le cas échéant, arrêter les membres du « bloc noir » responsables de dévastations et de saccages. Il fut décidé de procéder à une première phase de « sécurisation » des lieux par une unité composée majoritairement d’agents appartenant à une division spécialisée dans les opérations antiémeutes et ayant suivi une formation ad hoc (le VII Nucleo antisommossa, constitué au sein de l’unité mobile de Rome). La deuxième phase, correspondant à la perquisition proprement dite, fut attribuée à une autre unité de la police. Enfin, une unité de carabinieri fut chargée d’encercler le bâtiment afin d’empêcher la fuite éventuelle des suspects. Le chef de la police fut informé de l’opération (jugement du tribunal de Gênes, pp. 226 et 249-252, et « Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes », pp. 29-31). D’après l’arrêt de la Cour de cassation, environ 500 agents furent mobilisés pour cette opération (arrêt de la Cour de cassation, p. 204). C. L’irruption de la police dans l’école Diaz-Pertini Vers minuit, une fois arrivés à proximité des deux écoles, les membres du VII Nucleo antisommossa, munis de casques, de boucliers et de matraques de type tonfa, suivis par d’autres agents équipés à l’identique, commencèrent à avancer au pas de course. Un journaliste britannique et un conseiller municipal, qui se trouvaient à l’extérieur des deux écoles, furent frappés par des agents de police (jugement du tribunal de Gênes, pp. 253-261). Au même moment, certains des occupants de l’école Diaz-Pertini qui se trouvaient à l’extérieur regagnèrent alors le bâtiment et en fermèrent la grille et les portes d’entrée, essayant de les bloquer avec des bancs et des planches en bois. La grille fut rapidement forcée à l’aide d’un engin blindé, puis les agents de police enfoncèrent les portes d’entrée (ibidem). Les agents se répartirent dans les étages du bâtiment, partiellement plongés dans le noir. La plupart d’entre eux avaient le visage masqué par un foulard. Ils commencèrent à frapper les occupants à coups de poing, de pied et de matraque, en criant et en menaçant les victimes. Des groupes d’agents s’acharnèrent même sur certaines personnes qui étaient assises ou allongées par terre. Certains des occupants, réveillés par le bruit de l’assaut, furent frappés alors qu’ils se trouvaient encore dans leur sac de couchage ; d’autres le furent alors qu’ils se tenaient les bras levés en signe de capitulation ou qu’ils montraient leurs papiers d’identité. Certains essayèrent de s’enfuir et de se cacher dans les toilettes ou dans des débarras du bâtiment, mais ils furent rattrapés, battus, parfois tirés hors de leurs cachettes par les cheveux (jugement de première instance, pp. 263-280, et arrêt d’appel, pp. 205-212). Les tribunaux internes ont établi avec exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes présentes à l’intérieur de l’école Diaz-Pertini. Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions des membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusés, les enregistrements audiovisuels ainsi que par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il est possible de décrire les épisodes de violence dont les requérants firent l’objet : Requête no 12131/13 Mme S. Bartesaghi Gallo fut battue avec une matraque, à la tête, aux jambes, à l’épaule gauche et au bras gauche. Le rapport médical indiquait qu’elle présentait un traumatisme crânien avec lacération et une contusion à la jambe droite. Mme N.A. Doherty fut rouée de coups de matraque. Le rapport médical faisait état d’un traumatisme crânien, d’une fracture distale du radius droit, d’un hématome dans la région fessière, ainsi que de contusions au visage et au bras droit. Il constatait une incapacité totale de travail de quarante jours. M. J.F. Galloway fut battu à coups de matraque. Le rapport médical indiquait qu’il présentait un traumatisme crânien, des contusions multiples, en particulier sur la partie gauche du thorax, mais également dans la région rétroauriculaire gauche, sur le dos et dans la région lombaire, et des excoriations au genou gauche. M. R.R. Moth reçut des coups de matraque et des coups de pied des agents des forces de l’ordre qui lui causèrent des blessures au cuir chevelu et à la jambe droite ainsi qu’un traumatisme crânien. M. A. Nathrath subit des contusions au bras droit et à la hanche droite. Mme A.K. Zeuner fut battue avec une matraque, ce qui lui causa des excoriations aux lèvres et des contusions au bras droit. Mme T. Treiber essaya sans succès, lors de l’irruption de la police, de s’enfuir par une fenêtre du deuxième étage en montant sur un échafaudage. Lorsqu’elle fut rentrée dans l’école, les policiers l’obligèrent à s’asseoir et la rouèrent de coups. Ils la conduisirent ensuite dans le gymnase de l’école où elle vit de nombreux blessés. Un policier lui ordonna de se mettre à genoux, de courber la tête et de se taire. Elle allègue souffrir de séquelles psychologiques en raison de cet épisode et avoir dû entreprendre une thérapie. Requête no 43390/13 M. D.T. Albrecht se trouvait au premier étage de l’école lorsque la police y fit irruption. Il fut battu avec une matraque de type tonfa et reçut également des coups de poing et de pied. Le rapport médical faisait état d’un traumatisme crânien avec formation d’un hématome épidural, ainsi que de nombreuses blessures, notamment dans la région pariétale et occipitale gauche, dans la région coronarienne droite et au thorax. Conduit à l’hôpital San Martino de Gênes, il subit une opération d’urgence en vue de l’aspiration de l’hématome intracrânien. Placé en réanimation le dimanche 22 juillet, il fut surveillé par des agents de police. Il quitta l’hôpital le 1er août. Mme R. Allueva Fortea fut battue avec une matraque, et du mobilier fut jeté sur elle. Ces violences lui causèrent un hématome à la cuisse gauche, une contusion à l’os pyramidal, ainsi que des blessures à l’épaule gauche, au genou droit et au coude droit. M. A.R. Balbas fut frappé à coups de matraque, à coups de pied et à coups de poing. Une chaise fut également jetée sur lui. Le rapport médical mentionnait plusieurs contusions, notamment au bras, à l’épaule, à la cuisse gauche et à la cheville gauche, ainsi que dans la région dorsale. M. M. Bertola fut roué de coups de matraque qui lui causèrent un traumatisme crânien, des blessures au cuir chevelu et au front. Le rapport médical mentionnait également l’existence d’une dorsalgie. Mme V. Bruschi fut battue avec une matraque dans le gymnase de l’école, ce qui lui causa des contusions sur tout le corps. M. M. Chmielewski fut battu avec une matraque de type tonfa et reçut des coups de pied et des coups de poing. Selon le rapport médical, il présentait un traumatisme crânien, une blessure au pavillon auriculaire gauche et des contusions sur tout le corps. M. B. Coelle reçut des coups de matraque sur tout le corps qui lui causèrent une double fracture de la mandibule et du condyle gauches, ainsi qu’une fracture de la pommette droite. Il fut hospitalisé du 22 au 30 juillet. Le rapport médical constatait une incapacité totale de travail de quarante jours et un affaiblissement permanent de l’organe de la mastication. Mme S. Digenti reçut des coups de matraque sur la tête et sur le dos. Le rapport médical faisait état d’hématomes au cou, aux épaules, dans la région dorsale, à la main droite, ainsi que d’excoriations à l’arcade sourcilière gauche. M. M. Gieser fut frappé à coups de pied et à coups de matraque qui lui causèrent un traumatisme crânien et de multiples contusions sur tout le corps, notamment dans la région occipitale. Mme Y.S. Gol fut rouée de coups de pied et de coups de matraque à la tête, au dos et aux jambes. D’après le rapport médical, elle présentait un traumatisme crânien et des contusions sur le côté droit du corps. M. L. Guadagnucci Pancioli fut battu à coups de matraque. Le rapport médical mentionnait qu’il souffrait d’une fracture du scaphoïde ainsi que de nombreuses contusions et blessures. M. J. Hermann fut battu à coups de matraque et à coups de pied, ce qui lui causa un traumatisme crânien, des blessures et des hématomes, en particulier dans la région frontale, aux épaules et au thorax. Il souffrit d’une diminution temporaire de l’ouïe. Mme L. Jaeger fut battue avec une matraque. Un agent de police l’obligea à s’accroupir au sol puis lui marcha sur les mains. Le rapport médical mentionnait la présence de contusions au bras droit et à l’épaule droite. M. H. Kress fut battu à coups de matraque et à coups de pied. Le rapport médical indiquait qu’il présentait un traumatisme crânien, une blessure au nez et une à la lèvre supérieure, un traumatisme facial et des contusions sur tout le corps. Mme A.J. Kutschkau fut violemment battue à coups de matraque et à coups de pied. Le rapport médical faisait état d’un traumatisme crânien, d’une fracture de l’os maxillaire, de la perte de deux dents, de la subluxation de deux autres, ainsi que d’un affaiblissement permanent de l’organe de la mastication. M. F.J. Madrazo Sanz fut roué de coups de matraque, ce qui lui causa des contusions et des blessures aux jambes. M. F.P. Marquello fut violemment battu avec une matraque, ce qui lui causa une blessure au vertex, un traumatisme avec commotion cérébrale ainsi que la fracture de deux côtes et d’un doigt. M. N. Martensen fut battu à coups de matraque. Un agent de police lui déversa le contenu d’un extincteur sur le corps. Le rapport médical mentionnait la présence de contusions au visage, au menton, à l’épaule et à la jambe droite, ainsi que l’existence d’un traumatisme crânien. Il constatait une incapacité totale de travail de quarante jours. Mme A.F. Martinez fut rouée de coups de matraque et un agent de police jeta volontairement un siège sur elle. Selon le rapport médical, elle présentait une fracture de la main gauche, de nombreuses contusions et lésions sérieuses, qui entraînèrent une incapacité totale de travail de quarante jours. M. G.P. Massó fut battu avec une matraque, ce qui lui causa un traumatisme crânien avec état de choc et une blessure au vertex. M. C. Mirra fut battu avec une matraque, ce qui lui causa un traumatisme crânien, des contusions et des blessures, notamment au cuir chevelu et à l’arcade sourcilière droite. M. D. Moret Fernandez subit la fracture d’un doigt de la main gauche et du condyle du coude droit, ainsi qu’un traumatisme crânien et plusieurs hématomes. Le rapport médical constatait une incapacité totale de travail de quarante jours. M. F.C. Nogueras Corral fut battu et une chaise et un banc en bois furent jetés sur lui. Il subit un traumatisme crânien, de nombreux contusions et hématomes et une fracture du péroné de la jambe droite. Le rapport médical constatait une incapacité totale de travail de quarante jours. Mme K. Ottovay fut battue avec une matraque, ce qui lui causa des contusions, une myalgie et une fracture du cubitus. M. V. Perrone subit un traumatisme crânien et des contusions à l’épaule gauche, au thorax et à la main droite. M. R. Pollok fut battu sur tout le corps à coups de matraque, à coups de poing et à coups de pied. Le rapport médical indiquait qu’il présentait un traumatisme crânien, une fracture du cubitus droit, une contusion au thorax, une blessure au cuir chevelu et une blessure à la jambe droite. M. F. Primosig reçut plusieurs coups de matraque aux jambes et à la tête. D’après le rapport médical, il présentait un traumatisme crânien, une fracture au doigt et des blessures au cuir chevelu. Il fut hospitalisé du 22 juillet au 1er août 2001. M. B.F.J. Samperiz reçut des coups de matraque qui lui causèrent des contusions ainsi qu’une blessure au genou gauche. M. S. Sibler fut battu avec une matraque. Il subit un traumatisme crânien, ainsi que des blessures à la tête et au tibia droit. M. J.L. Sicilia fut frappé à coups de matraque et à coups de pied, ce qui lui causa un traumatisme crânien, un hématome sous-cutané, plusieurs contusions et la fracture de deux côtes. Le rapport médical mentionnait une incapacité totale de travail de quarante jours. M. J. Szabo s’échappa du périmètre de l’école à l’arrivée de la police pour se cacher dans un terrain à proximité. Découvert par des agents qui ratissaient les environs, il reçut des coups de matraque. Le rapport médical constatait la présence de contusions à l’épaule gauche et au flanc droit, ainsi que d’excoriations dans la région frontale. Mme D. Herrero Villamor reçut deux coups de matraque qui lui causèrent la fracture du cubitus droit. Le rapport médical faisait également état d’un traumatisme crânien. Mme G.G. Zapatero fut tabassée avec une matraque, ce qui lui causa une contusion à l’épaule droite. M. S. Zehatschek fut roué de coups de matraque. Le rapport médical indiquait qu’il souffrait d’un traumatisme crânien et de contusions multiples, notamment au thorax. Mme L. Zuhlke reçut plusieurs coups de matraque à la tête et aux épaules. Tombée à terre, elle fut rouée de coups sur le dos et sur la poitrine. Tirée par les cheveux et soulevée, elle reçut encore des coups à l’entrejambe. Poussée contre un mur, elle fut frappée à la poitrine et au ventre, puis traînée dans les escaliers où elle fut de nouveau frappée. Elle fut hospitalisée du 22 au 31 juillet 2001. Selon le rapport médical, elle présentait un traumatisme au thorax et à l’abdomen, des fractures à l’arc costal avec pneumothorax et contusion pulmonaire, un traumatisme crânien et de multiples contusions. Ce rapport faisait également état d’un affaiblissement permanent du mouvement du bras et du cou, et d’un affaiblissement permanent de la fonction respiratoire d’environ 30 %, et constatait une incapacité totale de travail de quarante jours. D. L’irruption de la police dans l’école Pascoli Quelque temps après l’irruption dans l’école Diaz-Pertini, une unité d’agents pénétra dans l’école Pascoli, qui hébergeait la salle de presse et le bureau des avocats. Depuis les fenêtres des étages supérieurs, des journalistes filmaient les événements en train de se dérouler dans l’école Diaz-Pertini et, simultanément, une station de radio relatait tous ces événements en direct. À l’arrivée des agents de police, les journalistes furent forcés de mettre fin aux prises de vue et à l’émission de radio. Les tribunaux internes ont établi que des cassettes vidéo, contenant les reportages filmés pendant les trois jours du sommet, avaient été saisies pendant l’opération. Il a également été prouvé que les disques durs des ordinateurs des avocats du GSF ont été gravement endommagés (voir, en particulier, le jugement du tribunal de Gênes, pp. 300310). E. Les événements qui suivirent l’irruption dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli Une fois terminée la phase de perquisition de l’école Diaz-Pertini, les forces de l’ordre réunirent les objets trouvés dans le gymnase, sans chercher à en identifier les propriétaires ni à informer les personnes présentes de la nature de l’opération en cours (jugement du tribunal de Gênes, pp. 285-300). La police procéda à l’arrestation des 93 personnes qui occupaient l’école, pour association de malfaiteurs visant au saccage et à la dévastation, résistance aggravée aux forces de l’ordre et port abusif d’armes. Parmi ces personnes, 78 furent secourues par le personnel sanitaire arrivé sur place puis hospitalisées, tandis que les autres furent transférées dans la caserne de Bolzaneto. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le chef du service de communication de la police italienne, interviewé à proximité des écoles, déclara que la police venait de trouver des vêtements et des cagoules noirs similaires à ceux utilisés par le « bloc noir ». Il ajouta que les nombreuses taches de sang dans le bâtiment s’expliquaient par les blessures subies par la plupart des occupants de l’école Diaz-Pertini au cours de la journée (jugement de première instance, pp. 170-172). Le 22 juillet, à la préfecture de police de Gênes, la police montra à la presse les objets saisis lors de la perquisition, en particulier deux cocktails Molotov et une tenue d’agent de police qui présentait une déchirure nette pouvant avoir été causée par un coup de couteau (ibidem). Les poursuites engagées contre les occupants des chefs d’association de malfaiteurs visant au saccage et à la dévastation, de résistance aggravée aux forces de l’ordre et de port abusif d’armes ont abouti à l’acquittement des intéressés. F. La procédure pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour l’irruption dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli Le parquet de Gênes ouvrit une enquête en vue d’établir les éléments sur lesquels s’était fondée la décision de faire irruption dans l’école DiazPertini, et d’éclaircir les modalités d’exécution de l’opération, l’agression au couteau qui aurait été perpétrée contre l’un des agents et la découverte des deux cocktails Molotov, ainsi que les événements qui avaient eu lieu dans l’école Pascoli. En décembre 2004, après environ trois ans d’investigations, vingt-huit personnes parmi les fonctionnaires, cadres et agents des forces de l’ordre furent renvoyées en jugement. Par la suite, deux autres procédures concernant trois autres agents furent jointes à la première. Les requérants se constituèrent parties civiles (au total, les parties civiles furent au nombre de 119). La procédure pénale relative aux événements survenus dans les écoles Diaz-Pertini et Pascoli requit l’examen d’un abondant matériel audiovisuel, deux expertises et l’audition de plus de 300 personnes parmi les accusés et les témoins (dont beaucoup de ressortissants étrangers). Sur les événements de l’école Diaz-Pertini Les chefs d’accusation retenus relativement aux événements de l’école Diaz-Pertini furent les suivants : faux intellectuel, calomnie simple et aggravée, abus d’autorité publique (notamment du fait de l’arrestation illégale des occupants), lésions corporelles simples et aggravées ainsi que port abusif d’armes de guerre. a) Le jugement de première instance Le 11 février 2009, par un jugement no 4252/08, le tribunal de Gênes condamna douze des prévenus à des peines comprises entre deux et quatre ans d’emprisonnement et, solidairement avec le ministère de l’Intérieur, au paiement des frais et dépens et au versement de dommages-intérêts aux parties civiles, auxquelles le tribunal accorda des provisions allant de 2 500 à 50 000 EUR. Un condamné bénéficia de la suspension conditionnelle de sa peine et de la non-mention dans le casier judiciaire. Par ailleurs, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 établissant les conditions à remplir pour l’octroi d’une remise générale des peines (indulto), dix des condamnés bénéficièrent d’une remise totale de leur peine principale et l’un d’eux, condamné à quatre ans d’emprisonnement, bénéficia d’une remise de peine de trois ans (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie, précité, §§ 4958). Dans les motifs du jugement, le tribunal considéra que les forces de l’ordre pouvaient croire, compte tenu des événements qui avaient précédé l’irruption (paragraphe 11 ci-dessus), que l’école Diaz-Pertini hébergeait aussi des membres du « bloc noir ». Il estima cependant que les événements litigieux constituaient une violation claire à la fois de la loi, « de la dignité humaine et du respect de la personne » (di ogni principio di umanità e di rispetto delle persone). En outre, selon lui, les auteurs matériels avaient agi avec la conviction que leurs supérieurs toléraient leurs actes car certains fonctionnaires et cadres de la police, présents sur les lieux dès le début des opérations, n’avaient pas immédiatement empêché la poursuite des violences. b) L’arrêt d’appel Le 31 juillet 2010, la cour d’appel de Gênes, par son arrêt no 1530/10, réforma partiellement le jugement entrepris (voir Cestaro, précité, §§ 59-74). En particulier, en raison de l’arrivée à échéance du délai de prescription, elle prononça un non-lieu pour les délits de calomnie aggravée (quatorze accusés), d’abus d’autorité publique du fait de l’arrestation illégale des occupants de l’école Diaz-Pertini (douze accusés) et de lésions simples (neuf accusés). Selon la cour d’appel, plusieurs éléments démontraient que le but principal de toute l’opération était de procéder à de nombreuses arrestations, même en l’absence de finalité d’ordre judiciaire, l’essentiel étant que les forces de l’ordre parviennent à restaurer auprès des médias l’image d’une police perçue comme impuissante. Les plus hauts fonctionnaires des forces de l’ordre auraient donc rassemblé autour du VII Nucleo antisommossa une unité lourdement armée, équipée de matraques de type tonfa dont les coups pouvaient être mortels, et lui auraient donné pour unique consigne de neutraliser les occupants de l’école Diaz-Pertini, en stigmatisant ceux-ci comme étant de dangereux casseurs, auteurs des saccages des jours précédents. Ainsi, d’après la cour d’appel, au moins tous les fonctionnaires en chef et les cadres du VII Nucleo antisommossa étaient coupables des lésions infligées aux occupants. Quant aux responsables de la police de rangs plus élevés, la cour d’appel précisa que la décision de ne pas demander leur renvoi en jugement empêchait d’apprécier leur responsabilité au pénal. Dans la détermination des peines à infliger, la cour d’appel, s’appuyant notamment sur les déclarations recueillies, souligna que les agents des forces de l’ordre s’étaient transformés en « matraqueurs violents », indifférents à toute vulnérabilité physique liée au sexe et à l’âge ainsi qu’à tout signe de capitulation, même de la part de personnes que le bruit de l’assaut venait de réveiller brusquement. Elle indiqua que, à cela, les agents avaient ajouté injures et menaces. Ce faisant, ils auraient jeté sur l’Italie le discrédit de l’opinion publique internationale. De surcroît, une fois les violences perpétrées, les forces de l’ordre auraient avancé toute une série de circonstances à la charge des occupants, inventées de toutes pièces. c) L’arrêt de la Cour de cassation Par un arrêt no 38085 du 5 juillet 2012, déposé le 2 octobre 2012, la Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris, déclarant toutefois prescrit le délit de lésions aggravées (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro, précité, §§ 75-80). Elle observa que – comme les décisions de première et de deuxième instance l’auraient constaté et comme, d’ailleurs, cela n’aurait jamais été contesté – « les violences perpétrées par la police au cours de leur irruption dans l’école Diaz-Pertini [avaient] été d’une gravité inhabituelle » et « absolue ». Pareille gravité aurait tenu à ce que ces violences généralisées, commises dans tous les locaux de l’école, s’étaient déchaînées contre des personnes à l’évidence désarmées, endormies ou assises les mains en l’air. D’après la Cour de cassation, ces violences pouvaient relever de la « torture » aux termes de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou bien des « traitements inhumains ou dégradants » et aux termes de l’article 3 de la Convention. Toutefois, en l’absence d’une infraction pénale ad hoc dans l’ordre juridique italien, les violences en cause avaient été poursuivies au titre des délits de lésions corporelles simples ou aggravées, lesquels, en application de l’article 157 du code pénal, avaient fait l’objet d’un non-lieu pour cause de prescription au cours de la procédure. Sur les événements de l’école Pascoli En ce qui concerne l’école Pascoli, les chefs d’accusation retenus furent essentiellement les délits de perquisition arbitraire et de dommages matériels. Par le jugement no 4252/08, le tribunal de Gênes considéra l’irruption des forces de l’ordre dans l’école Pascoli comme étant la conséquence d’une erreur dans l’identification du bâtiment à perquisitionner. Il établit en outre qu’il n’y avait pas de preuves certaines permettant de conclure que les accusés avaient effectivement commis dans l’école Pascoli les dégâts dénoncés. Dans son arrêt no 1530/10, la cour d’appel de Gênes estima, au contraire, que l’irruption des forces de l’ordre avait été volontaire et qu’elle visait à supprimer toute preuve filmée de l’irruption en train de se dérouler dans l’école Diaz-Pertini. Selon la cour d’appel, la destruction des ordinateurs des avocats avait été également volontaire. La cour d’appel prononça toutefois un non-lieu à l’égard du fonctionnaire de police accusé de ladite destruction pour cause de prescription des délits litigieux. Par un arrêt no 38085/12, la Cour de cassation confirma cette décision. Elle observa que la cour d’appel avait pleinement motivé ses conclusions en considérant que la police avait accompli, dans l’école Pascoli, une perquisition arbitraire ayant pour but la recherche et la destruction de tout document concernant les événements de l’école Diaz-Pertini. G. L’enquête parlementaire d’information Le 2 août 2001, les présidents de la Chambre des députés et du Sénat décidèrent qu’une enquête d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs. Le 20 septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes ». D’après ce rapport, la perquisition dans l’école Diaz-Pertini « appar[aissait] comme étant peut-être l’exemple le plus significatif de carences organisationnelles et de dysfonctionnements opérationnels ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans les présentes affaires ainsi que du droit international, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro (précité, §§ 87-121). Une proposition de loi visant à sanctionner la torture et les mauvais traitements a été votée par le Sénat de la République italienne le 5 mars 2014 puis présentée à la Chambre des députés le 6 mars 2014. Cette dernière a modifié le texte le 9 avril 2015 et envoyé la nouvelle proposition de loi au Sénat le 13 avril 2015. Ladite proposition est toujours en cours d’examen.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, le requérant, ancien secrétaire général de la Confédération des syndicats des travailleurs du service public (« le KESK »), était membre du conseil d’administration du Parti de la paix et de la démocratie (« le BDP »), un parti politique de gauche pro-kurde. A. L’organisation KCK En 2009, une enquête pénale fut diligentée contre les membres présumés d’une organisation dénommée KCK (Koma Civakên Kurdistan – « Union des communautés kurdes »). Par plusieurs actes d’accusation, les procureurs de la République chargés de l’enquête intentèrent des actions pénales devant les cours d’assises compétentes à l’encontre de plusieurs personnes – dont des hommes politiques, des hommes d’affaires, des avocats, des professeurs d’université, des étudiants et des journalistes – auxquelles il était essentiellement reproché d’appartenir à une organisation terroriste. Selon les procureurs de la République, le KCK était une « branche urbaine » du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation armée illégale). D’après eux, le but du KCK était de mettre en place un système politique tel qu’indiqué dans la « Convention du KCK » (KCK Sözleşmesi) afin d’établir un État kurde indépendant et le « confédéralisme démocratique » prôné par Abdullah Öcalan, le chef du PKK (actuellement détenu à la prison d’İmralı). B. L’arrestation du requérant et la procédure pénale engagée à l’encontre de ce dernier En 2011, à une date inconnue, le parquet d’Istanbul ouvrit une enquête pénale contre plusieurs personnes soupçonnées d’appartenance à l’organisation KCK. Le 27 octobre 2011, dans le cadre des opérations menées contre l’organisation KCK, le juge assesseur près la cour d’assises d’Istanbul (« le juge assesseur ») ordonna la perquisition de « l’académie politique » (Siyaset Akademisi) du BDP et des domiciles de soixante personnes soupçonnées, ainsi que l’arrestation des intéressés, dont le requérant. Le juge assesseur ordonna également l’application d’une mesure de restriction d’accès au dossier de l’enquête à l’encontre des personnes soupçonnées et de leurs avocats, sur le fondement de l’article 10/d de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). En outre, il décida de limiter le droit d’accès à un avocat du requérant et des autres personnes soupçonnées pendant les premières vingt-quatre heures de leur garde à vue, en application de l’article 10/b de ladite loi. Le 28 octobre 2011, à quinze heures, le requérant, qui se trouvait à Mersin pour le congrès local de son parti politique, fut arrêté et placé en garde à vue. Le même jour, il fut transféré à Istanbul. Le 30 octobre 2011, au poste de police, l’intéressé déclara entendre se prévaloir de son droit de garder le silence. Également le 30 octobre 2011, le requérant comparut devant le procureur de la République d’Istanbul (« le procureur de la République »), devant lequel il fut interrogé sur les accusations portées à son encontre. Le procureur de la République lui posa des questions sur « l’académie politique » du BDP et le contenu des cours qui y étaient dispensés, et il lui demanda s’il avait reçu une formation spécifique de l’organisation terroriste pour enseigner au sein de cette structure. En outre, le procureur de la République indiqua au requérant qu’il disposait de courriels échangés entre lui et deux autres personnes, et il lui demanda s’il avait retiré sa candidature aux élections parlementaires sur ordre de l’organisation terroriste PKK. Il lui posa aussi des questions sur d’autres personnes soupçonnées dans le cadre de l’enquête pénale concernant le KCK, ainsi que sur un certain nombre de manifestations, qu’il qualifiait d’illégales, auxquelles l’intéressé avait participé. Au cours de son interrogatoire, le requérant déclara qu’il était membre du conseil d’administration du BDP, qu’il avait été secrétaire général du KESK jusqu’en 2005 et qu’il avait enseigné au sein de « l’académie politique » dudit parti politique. De plus, il soutint qu’il avait retiré sa candidature aux élections parlementaires en faveur de L.T., un candidat indépendant, au motif qu’il avait promis à ce dernier d’agir en ce sens. Enfin, il nia appartenir à une quelconque organisation illégale. À la suite de cet interrogatoire, le procureur de la République demanda au juge assesseur de placer le requérant en détention provisoire. Le 31 octobre 2011, le requérant comparut devant le juge assesseur, qui l’interrogea sur les faits qui lui étaient reprochés et sur les accusations portées à son encontre. À la fin de l’audience, le juge ordonna son placement en détention provisoire, eu égard à l’existence de forts soupçons pesant sur lui, à la nature des infractions en cause et au fait que celles-ci figuraient parmi les infractions énumérées à l’article 100 § 3 du code de procédure pénale (CPP) – à savoir les infractions dites « cataloguées », pour lesquelles, en cas de fortes présomptions, la détention provisoire de la personne soupçonnée était réputée justifiée. Le 3 novembre 2011, le requérant forma une opposition par laquelle il contestait son placement en détention provisoire, demandait sa mise en liberté provisoire et dénonçait la mesure de restriction d’accès au dossier d’enquête. Le 5 novembre 2011, à la suite d’un examen sur pièces du dossier, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») rejeta ce recours, suivant en cela l’avis du procureur de la République, qui ne fut notifié ni au requérant ni à son représentant. Par un acte d’accusation du 19 mars 2012, long de 2 397 pages (annexes non comprises), le procureur de la République engagea une action pénale devant la 15ème chambre de la cour d’assises contre cent quatrevingttreize personnes, parmi lesquelles l’intéressé. Il requérait la condamnation de ce dernier du chef de direction de l’organisation terroriste présumée KCK sur le fondement de l’article 314 § 1 du code pénal (CP) et de l’article 5 de la loi no 3713. À cet égard, il indiquait que le requérant était responsable de « l’académie politique » du BDP et que cette dernière, qui selon lui avait pour but de former et d’utiliser les personnes participant aux cours dispensés en son sein en faveur du PKK, ne pouvait pas être considérée comme étant légale. Se fondant sur la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques et sur l’article 7 § 2 de la loi no 3713, il requérait également la condamnation du requérant à douze peines d’emprisonnement différentes des chefs de participation à des manifestations qu’il qualifiait d’illégales et de propagande, lors de ces évènements, en faveur de l’organisation terroriste PKK. À la suite du dépôt de l’acte d’accusation, la cour d’assises tint sa première audience le 13 juillet 2012. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 6526 du 21 février 2014 portant modification de la loi no 3713, le procès du requérant continua devant la 3ème chambre de la cour d’assises, laquelle ordonna la remise en liberté de l’intéressé le 24 avril 2014. D’après les éléments contenus dans le dossier, la procédure pénale engagée contre le requérant est toujours en cours devant la cour d’assises. C. Le recours individuel introduit par le requérant devant la Cour constitutionnelle Le 5 février 2014, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d’un recours individuel. Invoquant l’article 19 de la Constitution, il dénonçait une violation de son droit à la liberté et à la sûreté en raison de la durée de sa détention provisoire, se plaignant d’une insuffisance des motifs retenus par les juridictions internes quant à son maintien en détention. Par ailleurs, sur le fondement de l’article 67 de la Constitution, il affirmait que son maintien en détention provisoire constituait aussi une violation de son droit à des élections libres. La procédure afférente à ce recours est toujours pendante devant la Cour constitutionnelle. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le recours individuel devant la Cour constitutionnelle À la suite de l’entrée en vigueur d’amendements constitutionnels le 23 septembre 2012, le recours individuel devant la Cour constitutionnelle turque a été introduit dans le système juridique national. Le texte des dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 6216 instaurant ledit recours individuel ainsi que les parties pertinentes en l’espèce du règlement de la Cour constitutionnelle figurent dans la décision rendue par la Cour dans l’affaire Uzun c. Turquie ((déc.), no 10755/13, §§ 25-27, 30 avril 2013). La pratique de la Cour constitutionnelle dans le cadre d’affaires portant sur le droit à la liberté est exposée dans la décision de la Cour Koçintar c. Turquie ((déc.), no 77429/12, §§ 15-26, 1er juillet 2014). B. La Constitution L’article 19 de la Constitution garantit le droit à la liberté et à la sûreté. Il est rédigé dans des termes similaires à ceux de l’article 5 de la Convention. Les passages pertinents en l’espèce de l’article 67 de la Constitution se lisent comme suit : « Les citoyens ont le droit de voter, d’être élus, de se livrer à des activités politiques de façon indépendante ou au sein d’un parti politique et de participer aux référendums conformément aux règles prévues par la loi. » C. Le code pénal L’article 314 §§ 1 et 2 du CP, qui prévoit le délit d’appartenance à une organisation illégale, se lit comme suit : « 1. Quiconque constitue ou dirige une organisation en vue de commettre les infractions énoncées aux quatrième et cinquième sections du présent chapitre sera condamné à une peine de dix à quinze ans d’emprisonnement. Tout membre d’une organisation telle que mentionnée au premier alinéa sera condamné à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement. » D. Le code de procédure pénale L’article 91 § 2 du CPP dispose ce qui suit : « Le placement en garde à vue dépend de la nécessité de cette mesure pour l’enquête et des indices permettant de croire que l’intéressé a commis une infraction. » En son paragraphe 5, l’article 91 du CPP prévoit que la personne arrêtée, son représentant, son partenaire ou ses proches peuvent former un recours contre l’arrestation, le placement en garde à vue ou le prolongement du délai de garde à vue afin d’obtenir une remise en liberté. Ce recours doit être examiné au plus tard dans les vingt-quatre heures. D’après l’article 98 du CPP, au stade de l’instruction, le juge du tribunal d’instance pénal peut délivrer, sur demande du procureur de la République, un mandat d’arrêt contre un suspect qui ne s’est pas présenté à une convocation ou qui ne peut être convoqué. La détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du CPP. D’après l’article 100 du CPP, une personne peut être placée en détention provisoire lorsqu’il existe des éléments factuels permettant de la soupçonner fortement d’avoir commis une infraction et lorsque son placement en détention est justifié par l’un des motifs énumérés dans cette disposition, à savoir : la fuite ou le risque de fuite du suspect, et le risque que celui-ci dissimule ou altère des preuves ou influence des témoins. Pour certains crimes, notamment les crimes contre la sécurité de l’État et l’ordre constitutionnel, l’existence de forts soupçons pesant sur la personne suffit à justifier le placement en détention provisoire. L’article 101 du CPP dispose que la détention provisoire est ordonnée au stade de l’instruction par un juge unique à la demande du procureur de la République et au stade du jugement par le tribunal compétent, d’office ou à la demande du procureur. Les ordonnances de placement et de maintien en détention provisoire peuvent faire l’objet d’une opposition. Les décisions y relatives doivent être motivées en droit et en fait. L’article 141 § 1 a) du CPP est ainsi libellé : « Peut demander réparation de ses préjudices (...) à l’État, toute personne (...) : a. qui a été arrêtée, placée ou maintenue en détention dans des conditions et circonstances non conformes aux lois ; (...) L’article 142 § 1 du même code se lit comme suit : « La demande d’indemnisation peut être présentée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé du caractère définitif de la décision ou du jugement et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou le jugement sont devenus définitifs. » Selon la pratique de la Cour de cassation, il n’est pas nécessaire d’attendre une décision définitive sur le fond de l’affaire pour se prononcer sur les demandes d’indemnisation introduites en application de l’article 141 du CPP en raison de la durée excessive d’une détention provisoire (décisions nos E. 2014/21585 – K. 2015/10868 et E. 2014/6167 – K. 2015/10867). L’article 250 du CPP, en vigueur à l’époque des faits, prévoyait que certaines infractions, dont le terrorisme et la criminalité en bande organisée, relevaient de la compétence de sections spécialisées des cours d’assises, couramment appelées « cours d’assises spéciales ». D’après l’article 251 § 6 du CPP, également en vigueur à l’époque des faits, dans le cadre des enquêtes et des poursuites relatives aux infractions visées par l’article 250 susmentionné, les forces de l’ordre étaient tenues d’assurer la présence des suspects et/ou des accusés sur ordre de la cour d’assises, de son président ou du procureur de la République. Les articles 250 et 251 du CPP ont été abrogés le 5 juillet 2012. E. La loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme La loi no 3713 prévoit en son article 5 une augmentation de moitié des peines prévues par le CP pour certaines infractions, énumérées aux articles 3 et 4, au nombre desquelles figurent celles énoncées à l’article 314 du CP. L’article 10 de la loi no 3713, intitulé « la procédure d’enquête et le procès », tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait ce qui suit : « À l’égard des infractions qui entrent dans le champ d’application de cette loi (...) : b) Le suspect peut bénéficier de l’aide juridique d’un seul avocat durant sa garde à vue. Le droit d’accès à un avocat du suspect placé en garde à vue peut être différé pendant vingt-quatre heures à la demande du parquet et par une décision du juge ; le suspect ne peut cependant pas être interrogé pendant cette période. (...) d) Si l’examen du contenu du dossier par l’avocat ou l’obtention d’une copie par celui-ci risque de compromettre l’objectif de l’enquête, ce pouvoir [de l’avocat] peut être limité par une décision du juge d’instance pénal, sur demande du procureur de la République. (...) » Cette disposition a été abrogée le 21 février 2014.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1984 et réside à Ankara. À l’issue des examens préalables à l’intégration d’un contingent, qui eurent lieu le 21 août 2003, le requérant fut déclaré apte au service militaire obligatoire et enrôlé le 25 novembre 2004. À la suite de plusieurs visites de l’appelé à l’infirmerie pour divers maux au cours de son service militaire, les médecins découvrirent que le requérant avait subi une splénectomie (ablation de la rate) à l’âge de 7 ou 8 ans. Un rapport médical concluant à son inaptitude au service militaire fut établi le 1er novembre 2005 par l’hôpital militaire de Girne. En conséquence, l’intéressé fut démobilisé le même jour. Ce rapport, approuvé par la direction de la santé du ministère de la Défense le 30 décembre 2005, ne fut pas notifié au requérant. Le 24 février 2006, le requérant forma un recours administratif auprès du ministère de la Défense aux fins d’indemnisation. Indiquant qu’il avait été démobilisé en vertu d’un rapport médical établi le 1er novembre 2005, il reprochait aux autorités militaires de l’avoir déclaré apte au service militaire sans avoir réalisé un examen médical complet et de l’avoir ainsi obligé à servir pendant onze mois sous les drapeaux alors que son état de santé ne s’y serait pas prêté. Il présenta à cet égard une attestation relative à l’état de son service militaire. Il produisit également un document relatif à son état de santé qui attestait qu’il avait subi une ablation de la rate. Le 9 mai 2006, face au silence de l’administration, il saisit la Haute Cour administrative militaire (la « Haute Cour ») d’un recours de plein contentieux. Il indiqua avoir été démobilisé le 1er novembre 2005 sur le fondement du rapport médical dressé à la même date. Il soumit également les documents susmentionnés à l’appui de son recours. L’acte introductif d’instance fut reçu par la Haute Cour le 23 mai 2006. Le 31 mai 2006, la Haute Cour, statuant en une formation composée de trois juges militaires et de deux officiers de carrière, rejeta l’acte introductif d’instance au motif qu’il n’était pas accompagné de toutes les précisions pouvant permettre d’apprécier la recevabilité et le bien-fondé de l’action. Elle reprocha plus particulièrement au requérant de ne pas avoir fourni le rapport médical du 1er novembre 2005 et de n’avoir produit aucune information sur le contenu de ce rapport médical ni sur la date à laquelle ce rapport était devenu définitif. En application de l’article 45 B) de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire, elle fixa au requérant un délai de trente jours à partir de la notification pour qu’il réintroduisît l’instance complétée par les éléments manquants. Le 14 juin 2006, le requérant obtint une copie du rapport médical du 1er novembre 2005 auprès de la direction du service militaire de Keçiören. Le 27 juin 2006, le requérant présenta un nouvel acte introductif d’instance accompagné des éléments demandés, notamment une copie du rapport médical devenu définitif. Avant la délibération de l’affaire, le procureur général près la Haute Cour (le « procureur général ») émit un avis dans lequel il indiquait qu’il convenait d’ordonner une nouvelle expertise médicale pour vérifier si les problèmes de santé qui avaient eu pour effet de rendre le requérant inapte au service militaire existaient bien avant son incorporation. Il indiquait que, si tel était le cas, il y avait lieu de conclure que l’absence de détection de ces problèmes lors des examens médicaux effectués avant l’incorporation du requérant constituait en l’espèce une faute de service et que, par conséquent, il fallait octroyer au requérant une réparation pour les dommages matériel et moral que celui-ci aurait subis durant les onze mois de son service militaire. Cet avis ne fut pas communiqué au requérant. Par une décision du 15 novembre 2006, la Haute Cour, statuant toujours en une formation composée de trois juges militaires et de deux officiers de carrière, rejeta l’action du requérant pour non-respect du délai de saisine. Elle releva que le préjudice dont le requérant demandait l’indemnisation découlait d’un acte administratif, à savoir la décision de l’incorporer pour le service militaire. Elle indiqua que, après avoir été examiné par des médecins puis démobilisé le 1er novembre 2005 sur le fondement du rapport médical établi à cette dernière date, il avait appris qu’il n’aurait pas dû être incorporé en raison de son état de santé. Elle estima que c’était donc en principe à cette date que le délai de saisine de soixante jours, prévu à l’article 40 de la loi no 1602 concernant les actes administratifs, devait commencer à courir. Toutefois, elle considéra, en vertu d’une jurisprudence bien établie et favorable aux recourants, que l’intéressé était réputé avoir pris connaissance du préjudice à la date à laquelle le rapport médical du 1er novembre 2005 avait été approuvé par les autorités et était devenu définitif. Par conséquent, selon la haute juridiction, le requérant était réputé avoir appris au plus tard le 30 décembre 2005 qu’il n’aurait pas dû être enrôlé pour le service militaire obligatoire. La Haute Cour conclut que le dies ad quem du délai de soixante jours était dès lors le 28 février 2006 et que, le requérant n’ayant introduit sa demande que le 27 juin 2006, il n’avait pas respecté le délai. Le 25 décembre 2006, le requérant forma un recours en rectification d’arrêt. Il y indiquait que, étant donné qu’il s’agissait d’un recours de plein contentieux, le délai commençant à courir à la prise de connaissance du préjudice n’était pas le délai de soixante jours mais le délai d’un an, prévu selon lui à l’article 43 de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire. Il estimait que, ayant formé un recours administratif préalable le 24 février 2006 et ayant introduit ensuite sa demande devant la Haute Cour le 23 mai 2006, il avait respecté le délai imposé par la loi. Il précisait que, à la suite du rejet de son acte introductif d’instance en application de l’article 45 de la loi no 1602, il avait saisi la Haute Cour en respectant le délai de trente jours qu’aurait requis cette disposition. Il ajoutait qu’il avait pris connaissance du préjudice résultant de son enrôlement au service militaire le 1er février 2006 et non pas le 30 décembre 2005. Avant l’examen du recours par la Haute Cour, le procureur général, sans apporter de nouvel argument, émit un avis selon lequel il convenait de rejeter le recours en rectification d’arrêt introduit par le requérant. Cet avis ne fut pas communiqué à ce dernier. Le 31 janvier 2007, la Haute Cour, statuant en la même formation, rejeta le recours, considérant que les motifs invoqués par le requérant n’étaient pas pertinents et que la décision du 15 novembre 2006 était conforme à la loi et à la procédure. Le 8 mars 2007, le requérant introduisit une demande de réouverture de la procédure. Il soutenait qu’il n’avait obtenu le rapport médical et l’attestation de démobilisation que le 14 juin 2006, soit après la décision de rejet de son acte introductif d’instance par la Haute Cour. Il reconnaissait en outre qu’il était au courant de l’existence de ces documents, mais qu’il ne connaissait pas leur contenu. Avant l’examen de la demande par la Haute Cour, le procureur général, sans apporter de nouvel argument, émit un avis selon lequel il convenait de rejeter la demande de réouverture de la procédure formée par le requérant. Cet avis ne fut pas notifié à ce dernier. Le 2 mai 2007, la Haute Cour, statuant en la même formation, rejeta la demande du requérant, estimant que les motifs que celui-ci invoquait ne justifiaient pas la réouverture de la procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Pour la législation concernant la Haute Cour et la composition de cette instance, la Cour renvoie à son arrêt Tanışma c. Turquie (no 32219/05, §§ 29-50, 17 novembre 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Bucarest. Il était officier de police judiciaire au sein du département des enquêtes pénales (Direcția cercetări penale) de l’Inspection générale de la police roumaine. En 2006, il fut chargé d’effectuer des actes administratifs d’enquête dans le cadre d’une procédure dans laquelle L.A.C., P.B.I., C.C.C. et M.C.A. étaient coïnculpés. Ces derniers se trouvaient en détention provisoire. A. L’enquête pénale menée contre le requérant À une date non précisée, trois des coïnculpés susmentionnés, à savoir L.A.C., P.B.I. et C.C.C. (« les plaignants »), déposèrent une dénonciation pénale (denunț) contre le requérant. Ils lui reprochaient d’avoir sollicité de leurs proches, par l’intermédiaire de N.I., le versement de sommes d’argent, en échange, d’une part, d’une autorisation de recevoir des visites et des colis en détention, ce qui à leurs yeux relevait normalement de ses fonctions et, d’autre part, de son intervention en leur faveur auprès des juges de la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») en charge des décisions relatives à leur maintien en détention provisoire. Selon les déclarations des plaignants, leurs proches avaient donné des sommes d’argent à A.O. et L.A., respectivement l’amie et l’épouse de L.A.C., lesquelles auraient été chargées de les remettre à N.I., intermédiaire à leurs dires imposé par le requérant. Des témoins furent interrogés par le parquet. N.I. nia avoir agi comme intermédiaire entre le requérant et A.O., tout en indiquant qu’il connaissait cette dernière, qu’il contribuait à son entretien et qu’elle lui devait de l’argent. A.O. et L.A. présentèrent la même version des faits que les plaignants. D’autres témoins, entendus par le parquet, affirmèrent que les proches des plaignants avaient sollicité leur aide pour rassembler des sommes d’argent en vue de la remise en liberté des intéressés. Le parquet examina les registres du lieu de détention des plaignants. Il releva que, concernant ces derniers, plusieurs sorties de cellule avaient été consignées mais qu’aucun acte d’enquête n’avait été réalisé à ces occasions. Le parquet ordonna l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant des chefs de corruption active et de trafic d’influence, ainsi que contre N.I., A.O. et L.A. du chef de complicité de corruption active et passive et de trafic d’influence. Par un réquisitoire du 18 décembre 2007, le parquet près la Haute Cour renvoya le requérant en jugement des chefs de corruption passive et de trafic d’influence. Il lui était reproché d’avoir, par l’intermédiaire de N.I., demandé aux plaignants, au nom desquels auraient agi L.A. et A.O., le versement de sommes d’argent afin que lui-même facilite les visites de la famille, qu’il permette la réception de colis en détention et qu’il intervienne en leur faveur, dans le but d’obtenir leur remise en liberté, auprès des juges de la cour d’appel chargés d’examiner la nécessité de leur maintien en détention provisoire. Le parquet indiquait que l’enquête pénale avait également permis d’établir les évènements suivants : des sommes d’argent avaient été remises à N.I. par A.O. et L.A. ; le requérant avait suggéré à certains des plaignants de choisir l’avocate S.A. pour les représenter dans la procédure pénale, ce que ces derniers avaient accepté ; la détention provisoire des plaignants ayant été prolongée, L.A. avait demandé au requérant de lui restituer les sommes versées ; A.O., n’ayant pas réussi à entrer en contact avec le requérant pour lui demander le remboursement de l’argent, avait demandé à S.A. son aide pour le joindre ; le requérant avait restitué une partie de l’argent à A.O. ; mécontents de l’évolution de la procédure pénale menée à leur encontre, les plaignants avaient décidé de déposer une dénonciation pénale contre le requérant. Par le même réquisitoire, le parquet ordonna la cessation des poursuites à l’égard de N.I., A.O., et L.A. au motif que les faits reprochés ne présentaient pas un degré de dangerosité sociale suffisant pour caractériser une infraction. Par ailleurs, il notait que l’impunité prévue par l’article 61 § 2 de la loi no 78/2000 relative à la prévention, à la découverte et à la sanction de faits de corruption et par l’article 255 § 3 du code pénal devait bénéficier aux plaignants, puisqu’ils avaient dénoncé les faits avant que les enquêteurs en soient saisis. B. L’acquittement du requérant L’affaire fut inscrite au rôle de la cour d’appel, qui statua en première instance. Cette juridiction interrogea le requérant, vingt-deux témoins à charge – dont les trois plaignants – et trois témoins à décharge. Le requérant bénéficia de l’assistance d’un avocat pendant toute la procédure. Il assista avec ce dernier à l’interrogatoire des témoins. Par un arrêt du 19 décembre 2008, la cour d’appel acquitta le requérant de tous les chefs d’accusation. Dans sa décision, elle considérait d’abord que, eu égard aux déclarations des plaignants faites devant elle, le requérant n’avait jamais directement demandé de l’argent à ces derniers, que ceux-ci ne savaient pas si des sommes d’argent avaient effectivement été versées au requérant, mais qu’ils l’avaient déduit de l’attitude du requérant à leur égard. Elle estimait que ni le contenu des dénonciations pénales ni celui des déclarations des plaignants ne prouvaient la culpabilité du requérant. La cour d’appel relevait également que L.A. avait déclaré que le requérant ne lui avait jamais expressément demandé de l’argent et qu’aucune somme ne lui avait été restituée. Elle notait que N.I. avait indiqué qu’il ne savait rien au sujet d’une somme d’argent à remettre par lui au requérant et qu’il était un proche de A.O. à qui il aurait prêté de l’argent. Elle constatait que toutes les opérations de transfert d’argent avaient eu lieu par l’intermédiaire de A.O. et que cette dernière avait déclaré avoir remis de l’argent à N.I. à deux reprises, une fois en présence de L.A. et une fois en présence du requérant. La cour d’appel exposait ensuite que, dans le contexte de l’affaire, « la moralité douteuse » de A.O., qui avait une liaison avec L.A.C. tout en étant l’amie de son épouse, ne pouvait pas être ignorée. Elle précisait que, pendant l’enquête pénale, l’interception des conversations téléphoniques du requérant avait été autorisée mais que le contenu des enregistrements ainsi obtenus n’était pas pertinent pour l’affaire. Elle ajoutait que les déclarations des plaignants et celles des témoins A.O. et L.A. ne prouvaient pas la culpabilité du requérant et qu’elles devaient être écartées du dossier étant donné qu’elles avaient été faites pour les besoins de la cause. Elle notait encore que les autres déclarations contenues dans le dossier ne reposaient pas sur une base crédible et qu’elles ne prouvaient pas la culpabilité du requérant. Enfin, elle expliquait que, pour caractériser l’infraction de trafic d’influence, il n’était pas suffisant de prouver l’élément matériel de l’infraction – à savoir la réception de l’argent – mais qu’il fallait aussi apporter la preuve de l’élément subjectif, ce qui n’était selon elle pas le cas en l’espèce. Elle exposait que, dans les affaires de ce type, les plaignants n’étaient pas des « personnes neutres » mais que, alléguant être victimes de faits de corruption, ils avaient un intérêt à la condamnation pénale de l’inculpé. Après avoir noté qu’il ressortait des déclarations des trois témoins à décharge, combinées avec les attestations émises par l’Inspection générale de la police, que l’intéressé était un officier respectueux des règles de fonctionnement de la police, la cour d’appel jugeait qu’il y avait des doutes quant à la culpabilité pénale du requérant et prononçait l’acquittement en application du principe in dubio pro reo. C. La condamnation pénale du requérant Se fondant sur l’article 38515 2) d) du code de procédure pénale (CPP) dans sa version en vigueur à l’époque des faits, le parquet forma un recours (recurs) devant la Haute Cour. Le requérant fut assisté par un avocat. Il se vit communiquer les moyens de recours du parquet et il versa au dossier des observations en réponse. Il soutenait parmi d’autres qu’il y avait des contradictions entre les dépositions des témoins et que les déclarations des plaignants n’étaient pas sincères. Se référant au déroulement de l’enquête pénale (paragraphes 10 et 13 ci-dessus), il alléguait que les déclarations des plaignants et des témoins A.O. et L.A. avaient été obtenues en échange d’une promesse d’impunité et sous l’influence des enquêteurs. L’interrogatoire de certains témoins Selon un jugement avant dire droit du 29 avril 2009, la Haute Cour entendit le requérant au cours d’une audience tenue ce jour-là. Ce dernier était assisté par un avocat. Il nia les faits reprochés. La Haute Cour soumit aux débats la nécessité de faire interroger les témoins N.I., L.A. et A.O. Les parties ne s’y opposèrent pas. Le requérant ne demanda pas l’audition d’autres témoins. Interrogé par la Haute Cour, N.I. maintint ses déclarations faites pendant l’enquête pénale et devant la cour d’appel. Le 28 octobre 2009, la Haute Cour interrogea L.A, Celle-ci déclara qu’elle avait rencontré le requérant et N.I. en présence de A.O. afin de se renseigner sur les conditions pour rendre visite à son mari en prison et que, par la suite, N.I. avait appelé A.O. pour l’informer de la somme d’argent à payer. Elle indiqua qu’elle avait pris contact avec les proches des autres plaignants pour rassembler l’argent et que A.O. l’avait accompagnée pour le remettre à N.I. Bien que légalement citée, A.O. ne se présenta pas devant la Haute Cour. Un mandat d’amener fut alors émis à son nom. Après avoir effectué des démarches pour la retrouver, l’agent chargé de délivrer le mandat informa la Haute Cour qu’il s’était déplacé à plusieurs reprises à l’adresse de A.O. connue des autorités, qu’elle ne s’y trouvait plus, qu’aucun changement d’adresse n’avait été consigné dans les registres de la police et que, d’après ses voisins, A.O. était partie en France. Constatant l’impossibilité d’assurer la présence de A.O. pour être interrogée, à l’audience du 28 octobre 2009, la Haute Cour renonça à l’interroger. L’arrêt de la Haute Cour Par un arrêt définitif du 12 novembre 2009, la Haute Cour cassa l’arrêt rendu en première instance et, se fondant sur l’article 38515 2) d) du CPP, elle accueillit le recours du parquet, changea la qualification juridique des faits reprochés au requérant en corruption passive et trafic d’influence commis par un fonctionnaire exerçant des attributions de contrôle, et condamna l’intéressé à une peine de trois ans de prison ferme. S’agissant de l’établissement des faits, la Haute Cour nota que l’existence d’une rencontre entre le requérant, N.I., A.O. et L.A., en dehors du cadre professionnel du premier, avait été confirmée par tous les participants, y compris par le requérant. Elle observa également que l’existence d’une rencontre entre le requérant, N.I., A.O. et L.A. pour la remise de la première partie de l’argent avait été confirmée par les témoins P.M. et M.C., que les déclarations de L.A. et de N.I. faisaient apparaître le montant des sommes d’argent remises et le contenu des conversations tenues en cette occasion, que les témoins G.I., N.S., C.C., D.S., B.C.G., A.O. et P.C. avaient expliqué la manière dont les sommes demandées par le requérant auraient été rassemblées par les plaignants, et que certains des témoins avaient connaissance de l’implication du requérant dans les faits. Après avoir examiné et interprété les déclarations des plaignants, la Haute Cour estima que celles-ci – en elles-mêmes et combinées avec les autres preuves administrées dans l’affaire – montraient que les plaignants avaient connaissance de l’implication du requérant dans les faits et qu’elles prouvaient la culpabilité de ce dernier. La Haute Cour se référa ensuite aux déclarations des témoins A.O. et L.A., observant que celles-ci avaient maintenu leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales – L.A. ayant été entendue également pendant la procédure devant la Haute Cour – et avaient indiqué qu’elles avaient directement rencontré le requérant et que celui-ci s’était impliqué dans tout ce qui concernait l’octroi de droits de visite, l’autorisation de recevoir des colis et la remise en liberté des personnes arrêtées. La Haute Cour indiqua également que tous les autres témoins interrogés dans l’affaire (D.S., M.V., N.S.I., N.I., J.M.I., P.E., C.A., B.C.G., B.G., J.A.L., S.A.) avaient maintenu leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales, et qu’ils n’étaient revenus sur aucune de leurs affirmations. Elle fit ensuite référence aux témoignages de B.C.G. et S.A. S’agissant de B.C.G., elle souligna que celle-ci avait déclaré en première instance avoir directement demandé au requérant la restitution de l’argent donné pour le plaignant C.C.C. et que l’intéressé lui avait répliqué que, ne l’ayant pas sur lui, il ne pouvait pas le lui rendre. S’agissant de l’avocate S.A., la Haute Cour exposa que la déclaration de cette dernière démontrait l’implication du témoin A.O. dans les faits et faisait apparaître que ce témoin avait choisi de chercher à joindre l’inculpé et non N.I. pour récupérer l’argent. La Haute Cour affirma ensuite que la juridiction de première instance avait jugé erronément que les déclarations des témoins dénonciateurs L.A.C., P.B.I., C.C.C., A.O. et L.A. avaient été effectuées pour les besoins de la cause, et qu’elle les avait écartées à tort. La Haute Cour considéra en effet que, d’une part, les nombreux détails qui se trouvaient dans ces déclarations et, d’autre part, la manière dont celles-ci se combinaient avec les autres preuves administrées dans l’affaire rendaient lesdites déclarations indispensables pour établir la réalité des faits présentés. Elle ajouta que ces déclarations ne pouvaient pas être soupçonnées d’avoir été faites dans le but de protéger un intérêt commun. S’agissant du rejet par la juridiction de première instance de la déclaration de A.O. pour des raisons liées à la moralité de cette dernière, la Haute Cour estima que ce raisonnement n’était pas défendable. À cet égard, elle expliqua que, d’une part, la situation de ce témoin était connue et acceptée par la famille L. (la famille de L.A.C. et L.A.) et que, d’autre part, A.O. était également l’amie de N.I., qui l’aurait entretenue financièrement et par l’intermédiaire duquel elle aurait connu le requérant. Or, selon la Haute Cour, si le raisonnement de la juridiction du fond devait être considéré comme valable, il mènerait à la conclusion que la moralité de ce témoin affectait sa crédibilité à l’égard de toutes ses relations, et pas seulement à l’égard d’une partie d’entre elles. La Haute Cour ajouta que l’immoralité des relations personnelles d’un témoin n’impliquait pas, de manière automatique, le manque de sincérité de ses déclarations et conclut que, au regard de l’ensemble des preuves administrées, qui confirmaient selon elle les affirmations du témoin A.O., ces dernières étaient concluantes et crédibles. La Haute Cour tint enfin le raisonnement suivant : « La Haute Cour note également que dans l’affaire il n’y a pas de doutes (...) [sur la régularité] des conditions dans lesquelles les témoignages ont été recueillis par les organes de poursuites pénales (...). Il n’y a pas de preuve que des pressions physiques ou psychiques auraient été exercées sur les [plaignants] et sur les témoins par le procureur ni que des promesses leur auraient été faites (...). Au contraire, la manière naturelle et logique dont ces déclarations s’étayent réciproquement, se complètent et se combinent avec les autres preuves (les déclarations des [plaignants], les témoignages, les documents du département des enquêtes pénales, à savoir les registres d’accès dans les locaux, les registres de sortie du local de détention, les notes de sortie, les demandes formées par les personnes arrêtées et les membres de leurs familles, les enregistrements audio des conversations) exclut tout doute quant à l’impartialité et à l’objectivité de ceux qui les ont faites. S’agissant des déclarations du témoin N.I. – bien [que ce dernier n’affirme pas] avoir demandé ou reçu de l’argent et [ne fasse pas mention] de promesses relatives à un trafic d’influence – elles établissent de manière claire et certaine le contact existant entre [le requérant] et les familles des personnes détenues (...). De même, ces déclarations démontrent l’intérêt manifesté par ces familles (...) pour l’obtention de facilités pour les personnes arrêtées (...). Il est vrai que ce témoin affirme que [le requérant] devait informer ces personnes des « voies et modalités légales » [pour rencontrer les personnes arrêtées] ; toutefois, la manière même dont la première rencontre entre [le requérant] et les témoins L.A. et A.O. a été organisée démontre que le témoin [N.I.] connaissait le caractère illicite de l’opération. Par ailleurs, accusé lui-même de complicité dans les infractions reprochées [au requérant], le témoin N.I. a choisi d’adopter au cours de la procédure une attitude lui permettant de défendre ses propres intérêts ainsi que ceux de son filleul [le requérant]. » Le requérant purgea sa peine du 13 novembre 2009 au 6 juin 2011, date à laquelle il fut remis en liberté conditionnelle. D. La plainte pénale du requérant contre les témoins A.O. et L.A. Le 16 novembre 2011, le requérant saisit le parquet près le tribunal départemental de Bucarest d’une plainte pénale contre A.O. et L.A. pour faux témoignage. Interrogées par le parquet, A.O. et L.A. dirent que le requérant ne leur avait jamais directement demandé de l’argent et qu’elles ne lui en avaient jamais directement donné. Le 17 février 2012, le parquet près la cour d’appel entama des poursuites pénales contre A.O. et L.A. du chef de faux témoignage. Les parties n’ont pas informé la Cour de la suite de cette procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du CPP pertinentes en l’espèce, dans leur version en vigueur à l’époque des faits, sont les suivantes : Article 67 « Les parties peuvent proposer des éléments de preuve pendant le procès pénal et demander qu’ils soient examinés. (...) La décision d’accueillir ou de rejeter une demande [de preuve] doit être motivée. » Article 38515 « Lorsqu’il statue sur un recours (recurs), le tribunal peut (...) faire droit au recours, infirmer la décision attaquée et (...) d) inscrit l’affaire à son rôle et la juge à nouveau (...) » Article 38516 « Lorsque le tribunal qui a statué sur le recours (recurs) inscrit l’affaire à son rôle et la juge à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la partie spéciale, titre II, chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement de décision de condamnation. » Article 38519 « Lorsqu’un premier jugement a été infirmé, le deuxième procès se déroule conformément aux dispositions des chapitres I (le procès - Dispositions générales) et II (le procès en première instance) du titre II, qui s’appliquent mutatis mutandis. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante réside à Bruxelles. Elle affirme avoir fait l’objet de deux viols et d’un attentat à la pudeur commis par X, un collègue de travail. Ces faits se seraient respectivement produits en 1996 dans un restaurant lors d’un dîner de service, en 1997 chez elle, après un diner de service et en 1998 dans son bureau, à l’occasion d’un drink. Le 15 septembre 1998, la requérante se confia à ses supérieurs hiérarchiques qui contactèrent la Cellule de Protection contre le Harcèlement Sexuel au Travail (« CPHST »). Celle-ci procéda à diverses auditions au cours des mois de septembre et octobre 1998, dont celle de X, et rendit son rapport le 15 octobre 1998. Le 25 septembre 1998, la requérante déposa plainte auprès de la gendarmerie. À cette occasion, elle déposa une attestation médicale concernant les faits de 1997 et le nom complet d’un témoin (D) qui serait arrivé chez elle juste après les seconds faits pour y effectuer des travaux, qui aurait constaté que sa jupe était déchirée et à qui elle aurait raconté ce qui venait de se passer. Une étudiante en psychologie (Mademoiselle R.), qui effectuait un stage, fut invitée à donner son opinion sur son état mental. Cette opinion fut consignée dans le procès-verbal en ces termes : « Madame B.V. ; lutte encore avec des problèmes liés à son passé. Mme B.V. a une angoisse vis-à-vis des hommes et selon Mademoiselle R., celle-ci n’est pas en état de construire une relation normale. Mademoiselle R. a conseillé à Mme B.V. de prendre une dizaine de jours de congé afin de réfléchir aux faits ». La requérante fut une nouvelle fois auditionnée le 29 septembre 1998 et déposa à cette occasion un certificat médical émanant de son psychiatre. Le 12 novembre 1998, certaines pièces du rapport interne de la CPHST furent jointes à l’information judiciaire. Le 8 décembre 1998, la gendarmerie procéda à l’audition de X. Le procès-verbal relatif à cette audition ne laisse apparaitre aucune question qui lui aurait été posée par les enquêteurs relativement aux faits, X se bornant pour l’essentiel à renvoyer au travail mené par la CPHST et aux mesures préventives prises au sein du service. X remit par ailleurs aux enquêteurs la déclaration de sept pages qu’il avait effectuée le 30 septembre 1998 à la CPHST. Dans cette déclaration, X reconnaissait, s’agissant des premiers faits, l’existence d’une fellation dans les toilettes du restaurant mais soutenait que celle-ci avait eu lieu à l’initiative de la requérante. En ce qui concerne les seconds faits, les relations entre les intéressés s’étaient selon X limitées à des caresses consenties. Enfin, s’agissant des derniers faits, il expliquait avoir fait le clown dans le bureau de la requérante en faisant des imitations qui l’avaient fait rire. À titre d’explication quant à la situation, X avançait l’hypothèse que la requérante cherchait à lui nuire. La plainte de la requérante fut classée sans suite à une date indéterminée et sans qu’elle n’en soit officiellement avertie. Le 18 avril 2001, D établit une attestation à la demande de la requérante, par laquelle il confirma s’être rendu à son domicile le jour des seconds faits en 1997 et relata notamment avoir remarqué que sa jupe était déchirée et que celle-ci semblait être « vraiment dans le désarroi ». Il ajoutait que la requérante lui avait expliqué la situation et qu’il y avait déjà eu un fait similaire précédemment. Le 30 avril 2001, après avoir appris par hasard que sa plainte avait été classée sans suite, la requérante s’adressa au ministère public et demanda que le dossier contre X soit rouvert. Elle se plaignit que X n’avait pas été interrogé par la gendarmerie, mais s’était contenté de déposer sa déclaration auprès de la CPHST et faisait valoir qu’elle était en droit d’exiger une audition par laquelle il serait effectivement entendu sur ses actes. Elle sollicita également l’audition de ses anciens collègues, de l’ex-compagne de X qui avait selon elle également été victime de la part de viols et de D, dont elle déposa l’attestation. Le conseil de la requérante écrivit également au procureur du Roi pour lui demander de rouvrir l’enquête en date du 28 novembre 2001. Aucune suite ne fut réservée à ces courriers. En date du 14 février 2002, la requérante porta plainte avec constitution de partie civile entre les mains d’un juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles, déposant quatre attestations médicales. Le 6 mars 2002, elle fut entendue par les services de police, et demanda à cette occasion l’audition de plusieurs anciens collègues. Le 15 mars 2002, la requérante se rendit auprès des services de police pour compléter ses déclarations et déposer la jupe qui aurait selon elle été déchirée lors des seconds faits. Aucun devoir d’enquête ne fut effectué entre mars 2002 et juin 2004, malgré des relances adressées au juge d’instruction en janvier, février et novembre 2003. Il apparut au cours de l’enquête qu’il n’était plus possible d’effectuer une enquête sur les lieux, le restaurant où se seraient produits les premiers faits ayant fermé et la requérante ayant déménagé. En juin et juillet 2004, la police procéda à l’audition de six anciens collègues de la requérante. Le 13 septembre 2004, la requérante saisit la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles qui, par arrêt du 28 septembre 2004, dessaisit le juge d’instruction, au motif que l’instruction, en dépit des insistances répétées du conseil de la requérante, retardait « de manière inacceptable » et que le juge d’instruction se limitait à réitérer ses apostilles auxquelles aucune suite n’était donnée. Le 21 octobre 2004, X fut entendu une seconde fois par les services de police. Il sollicita l’audition de quatre personnes qui n’avaient pas encore été entendues. Un nouveau magistrat-instructeur fut désigné par le président du tribunal le 27 octobre 2004. En novembre et décembre 2004, plusieurs personnes furent entendues par la police, dont l’ex-compagne de X et les quatre personnes dont X avait sollicité l’audition. Le juge d’instruction mandata un expert psychiatre en date des 13 décembre 2004 et 23 février 2005 afin de procéder à une expertise mentale respectivement de X ainsi que de la requérante. Les rapports furent établis les 7 février et 18 avril 2005. Par une lettre du 5 août 2005, la requérante écrivit au juge d’instruction et demanda l’accomplissement de certains devoirs et en particulier l’audition de D. Le 8 novembre 2005, la requérante fut entendue une nouvelle fois par la police et remit une série de documents pour démontrer le bien-fondé de sa plainte. Par une requête du 8 février 2006, la requérante demanda au juge d’instruction l’accomplissement de certains devoirs complémentaires. Par une ordonnance du 3 mars 2006, le juge d’instruction fit droit à la requête et ordonna la tenue de quatre auditions supplémentaires, la soumission de X à un test polygraphique et la saisine de l’intégralité du dossier de la CPSHT et des éventuels dossiers de cette cellule qui concerneraient tant X que la requérante. Plusieurs auditions furent effectuées en mars et avril de la même année, dont celle de D, le 28 mars 2006. D. déclara notamment, s’agissant de son attestation du 18 avril 2001, que c’est la requérante qui lui avait demandé de décrire les évènements de telle manière. Il ajouta qu’hormis le fait que la jupe de cette dernière était déchirée, il n’avait rien remarqué d’anormal ce jour-là. Le 24 avril 2006, X fit savoir qu’il ne se soumettrait pas à un test polygraphique. Le rendez-vous programmé à cette fin fut alors annulé. Le 2 juin 2006, le juge d’instruction communiqua le dossier au parquet qui dressa en date du 2 octobre 2006 un réquisitoire de non-lieu pour défaut de charges suffisantes. L’affaire fut fixée devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 25 octobre 2006 mais remise au 20 décembre 2006 en raison de l’encombrement du rôle, la requérante s’étant opposée à la remise par l’intermédiaire de son avocat. Le 7 novembre 2006, la requérante déposa une nouvelle requête en vue de l’accomplissement de devoirs d’instruction complémentaires, demande à laquelle le juge d’instruction fit droit en ordonnant le 7 décembre 2006 qu’il soit enquêté sur le travail effectué par la CPHST. Par une ordonnance du 23 janvier 2007, la chambre du conseil remit l’affaire sine die au vu du changement de langue accordé à X par une ordonnance du juge d’instruction du 8 novembre 2006 afin de lui permettre de faire réaliser les traductions nécessaires. Le 5 mars 2007, le parquet dressa un nouveau réquisitoire de non-lieu. La chambre du conseil, par une ordonnance du 17 janvier 2008 constata, au vu des déclarations effectuées par les personnes entendues, l’absence de charges suffisantes et prononça un nonlieu à l’égard de X. Elle motiva sa décision comme suit : « A. faits (...) 1996 Attendu que les témoignages des collègues présents à cette soirée sont concordants pour dire que la partie civile et l’inculpé sont ressortis des toilettes souriants et en se tenant le bras, B. faits (...) 1997 Attendu qu’à l’occasion d’une nouvelle sortie, l’inculpé a raccompagné la plaignante chez elle. Que selon l’inculpé la partie civile lui aurait fait des avances et ils ont entretenu des relations sexuelles consentantes. Au cours de cet épisode, la robe de la plaignante s’est déchirée et celle-ci a été réparée par la mère de l’inculpé trois jours plus tard. C. faits (...) 1998 Attendu que l’inculpé conteste formellement les faits mais reconnaît s’être rendu dans le bureau de la plaignante pour y faire « le clown ». Attendu qu’il y a lieu de relever que les faits se déroulent il y a près de douze ans et que les témoins ne seraient plus en mesure de se souvenir avec précision de ces derniers. Attendu que les plaintes déposées par la partie civile en 1998 ont été classées sans suite. Qu’une plainte avec constitution de partie civile ne sera déposée que le 14 février 2002. Attendu que tant les collègues de la plaignante que l’inculpé invoquent un différend d’ordre professionnel qui aurait surgi entre les parties et à la suite duquel la partie civile a réactivé ses plaintes. Attendu que la partie civile a tenté d’influencer des témoins et notamment l’ex-compagne de l’inculpé, la nommée Y., qui atteste avoir été approchée par la plaignante afin de confirmer qu’elle avait aussi fait l’objet de sévices sexuelles de la part de l’inculpé, ce que cette dernière a formellement démenti. Attendu au vu de ces considérations qu’il n’existe pas de charges sérieuses justifiant le renvoi de l’inculpé devant le tribunal correctionnel et qu’il convient de déclarer un non-lieu. » Le non-lieu fut confirmé par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 28 février 2008. Par un arrêt du 18 juin 2008, la Cour de cassation, statuant sur les moyens de la requérante tirés exclusivement d’une motivation déficiente de l’arrêt de la chambre des mises en accusation, rejeta le pourvoi de la requérante au motif que l’arrêt critiqué était régulièrement motivé.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En juillet 1981, les requérants saisirent la commission juridictionnelle pour le personnel de la Chambre des députés (« la commission ») afin de contester leur classement dans la première catégorie professionnelle. Par six décisions déposées au greffe le 29 septembre 1999, la commission rejeta les demandes des requérants. À différentes dates entre novembre 1999 et janvier 2000, les requérants interjetèrent appel devant la section juridictionnelle du Bureau de la Chambre des députés (« la section juridictionnelle ») qui, après avoir décidé de joindre les requêtes, débouta les intéressés par un arrêt du 26 janvier 2009. Le 16 juillet 2009, les requérants saisirent le collège d’appel (Collegio d’appello) de la Chambre des députés (« le collège d’appel ») afin d’obtenir, sur le fondement de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », la réparation des dommages moraux qu’ils estimaient avoir subis en raison de la durée des procédures principales. Par une décision déposée au greffe le 8 novembre 2010, le collège d’appel constata que la procédure d’appel avait excédé une « durée raisonnable » et accorda à chaque requérant 4 000 euros (EUR) au titre du dommage moral. Toutefois, il rejeta la demande en réparation relative à la durée de la procédure en première instance, au motif que les requérants auraient dû saisir la Cour européenne des droits de l’homme à l’issue de ladite procédure. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi Pinto figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V) et ceux concernant la protection juridictionnelle du personnel de la Chambre des députés dans l’arrêt Savino et autres c. Italie (nos 17214/05, 20329/05 et 42113/04, §§ 35-38, 28 avril 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1965 et réside à Thessalonique, dans le quartier d’Ambelokipi. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 29 janvier 1991, la requérante saisit la commission d’expropriation de la préfecture de Chalcidique (επιτροπή απαλλοτριώσεων Χαλκιδικής) (« la commission d’expropriation »). Elle sollicitait la cession d’un terrain à Nea Flogita afin de s’y installer de manière permanente pour faire de l’horticulture. Le 2 avril 1997, la commission d’expropriation rejeta la demande de la requérante au motif que l’intéressée habitait à Thessalonique et non pas à Nea Flogita (décision no 8/1997). Le 8 août 1997, la requérante formula une objection contre cette décision. Le 1er septembre 1997, la commission d’expropriation rejeta l’objection de la requérante (décision no 28/1997). Le 13 février 1998, la requérante saisit le tribunal administratif de Thessalonique d’un recours contre les décisions de la commission d’expropriation des 2 avril et 1er septembre 1997. Le 29 décembre 2000, le tribunal administratif débouta la requérante (arrêt no 4770/2000). Le 4 juillet 2001, celle-ci interjeta appel de cette décision. Par un arrêt no 800/2004 du 12 janvier 2004, la cour administrative d’appel de Thessalonique annula la décision de la commission d’expropriation du 1er septembre 1997 et renvoya l’affaire à cette dernière. Elle estimait que la requérante, habitant à Thessalonique, remplissait les critères de la loi applicable et que l’examen de sa demande aurait dû avoir lieu en même temps que celui des autres demandes examinées en 1997 par la commission d’expropriation. Le 4 août 2004, cette décision fut notifiée à la préfecture de Chalcidique. Le 30 décembre 2004, la commission d’expropriation reçut l’arrêt no 800/2004 de la cour administrative d’appel de Thessalonique, ainsi qu’une demande de la requérante tendant au règlement de son affaire. Le 23 août 2006, la préfecture de Chalcidique informa la requérante de l’impossibilité de satisfaire sa demande en l’absence de terrains disponibles. Le 14 janvier 2008, la requérante adressa par huissier une lettre de protestation à la commission d’expropriation au motif que celle-ci n’avait toujours pas examiné son affaire. Le 8 décembre 2008, la requérante saisit le comité de trois juges du Conseil d’État en charge du contrôle de la bonne exécution par l’administration des arrêts des juridictions administratives (« le comité du Conseil d’État ») (paragraphe 26 ci-dessous). Le 26 juin 2009, la commission d’expropriation examina la demande de la requérante du 29 janvier 1991. Elle considéra que cette demande devait être accueillie, sous réserve qu’un terrain fût disponible à Nea Flogita (décision no 9/2009). Le 30 juin 2009, la commission d’expropriation informa le comité du Conseil d’État qu’elle avait procédé à l’examen de la demande de la requérante et qu’une décision serait bientôt rendue. La décision en question fut publiée le 6 juillet 2009. Elle précisait que l’obtention ultérieure, en 2006, d’un appartement par la requérante et son conjoint n’avait pas été prise en compte, car la demande de l’intéressée devait être examinée en prenant en compte les conditions existant à la date de la demande. Selon le Gouvernement, la commission d’expropriation n’avait procédé à l’examen d’aucune demande de cession de terrains à Nea Flogita depuis 2004 en raison du manque de terrains disponibles. Le 11 février 2010, par un procès-verbal no 23/2010, le comité du Conseil d’État examina la demande de la requérante introduite le 8 décembre 2008 et constata que la commission d’expropriation avait refusé de se conformer à l’arrêt no 800/2004 de la cour administrative d’appel pendant cinq ans, et ce de manière injustifiée. Le comité du Conseil d’État ajoutait qu’il avait été informé de l’examen de l’affaire par la commission d’expropriation mais qu’il ne ressortait pas du dossier qu’une décision eût été rendue à ce sujet. Il demandait en outre à la préfecture de Chalcidique de se conformer à l’arrêt no 800/2004 de la cour administrative d’appel dans un délai de deux mois. Ce procès-verbal fut notifié à la commission d’expropriation le 18 mai 2010. Le 21 mai 2010, la préfecture de Chalcidique informa le comité du Conseil d’État que la commission d’expropriation avait rendu une décision dans cette affaire. Par une décision du 20 octobre 2010 (décision no 15/2010), la commission d’expropriation décida de céder à la requérante un terrain contre le versement d’une somme de 40 100 euros (EUR). Cette décision précisait qu’il s’agissait du seul terrain disponible à Nea Flogita. Le 24 février 2011, le comité du Conseil d’État examina à nouveau la demande de la requérante introduite le 8 décembre 2008. Par une décision du 3 mars 2011 (décision no 32/2011), il constata que, à la suite de l’adoption par lui-même du procès-verbal no 23/2010, l’administration s’était conformée à l’arrêt no 800/2004 de la cour administrative d’appel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution L’article 95 § 5 de la Constitution dispose ce qui suit : « L’administration est tenue de se conformer aux arrêts de justice. La violation de cette obligation engage la responsabilité de tout organe coupable, ainsi que la loi le prescrit. » B. La loi no 3068/2002 Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 relative à l’exécution des arrêts de justice par l’administration est entrée en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Les dispositions de cette loi sont applicables aux arrêts rendus après son entrée en vigueur (article 6), elles étaient donc applicables au moment des faits. Ce texte prévoit, notamment, que l’administration a l’obligation de se conformer sans retard aux arrêts de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdits arrêts (article 1). Il dispose également que des comités de trois juges doivent être constitués au sein des hautes juridictions helléniques (Cour suprême spéciale, Cour de cassation, Conseil d’État et Cour des comptes) afin de contrôler la bonne exécution par l’administration, dans un délai maximum de trois mois (prorogeable une fois à titre exceptionnel), des arrêts de leurs juridictions respectives. Les comités en question peuvent notamment désigner un magistrat chargé d’assister l’administration en proposant entre autres à celle-ci des mesures appropriées pour se conformer à un arrêt. Si l’administration n’exécute pas un arrêt dans le délai fixé par un comité, elle se voit infliger des pénalités qui peuvent être renouvelées tant que ladite administration ne s’y conforme pas (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l’administration responsables du défaut d’exécution d’un arrêt (article 5).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE À l’époque des faits, la requérante était l’actionnaire majoritaire de Türkiye Tütüncüler Bankası Yaşarbank A.Ş. (« Yaşarbank »), une banque privée créée en 1924. Le 23 décembre 1994, un auditeur assermenté rendit un rapport relatif à la situation financière de Yaşarbank au 30 juin 1994. Selon ce rapport, des audits réalisés depuis 1991 révélaient que le ratio d’adéquation des fonds propres était inférieur au taux légal, que les attributions de prêts étaient concentrées sur des sociétés à risque et peu solvables et que les écritures comptables étaient truquées. Constatant que la situation financière de Yaşarbank s’était sérieusement dégradée au fil du temps, l’auditeur estimait qu’il y avait lieu d’adopter les mesures indiquées à l’article 64 § 1 de la loi no 3182 sur les banques (paragraphe 42 ci-dessous) et il préconisait une série de mesures pour améliorer la situation financière de la banque. Il estimait également qu’il y avait lieu de placer la banque sous surveillance. Le 8 février 1995, la direction générale des banques et du change auprès du secrétariat d’État au Trésor près le Premier ministre (Başbakanlık, Hazine Müsteşarlığı, Banka ve Kambiyo Genel Müdürlüğü) (« la direction générale des banques ») notifia à Yaşarbank les mesures indiquées dans le rapport d’audit et demanda leur mise en œuvre dans les plus brefs délais. Elle souligna que les mesures préconisées en vue de la consolidation de la structure financière de la banque n’avaient pas été dûment mises en œuvre. Le 25 juillet 1995, un auditeur assermenté rendit un rapport sur la situation financière de Yaşarbank au 31 décembre 1994. Constatant les difficultés financières de la banque, il préconisait le maintien des mesures précédemment recommandées. Un avis rendu le 8 décembre 1995 révélait que les problèmes qui avaient déjà été relevés persistaient et soulignait que les mesures préconisées devaient être adoptées sans délai. Yaşarbank fut invitée à mettre en œuvre lesdites mesures. Le 12 juillet 1996, le 6 janvier 1997 et le 30 mai 1997, des auditeurs assermentés rendirent des rapports sur la situation financière de Yaşarbank au 31 décembre 1995, au 30 septembre 1996 et au 31 décembre 1996 respectivement. Ils relevaient dans ces rapports que les difficultés financières de Yaşarbank s’étaient accentuées au cours des périodes considérées, et ils recommandaient le maintien des mesures prévues par l’article 64 § 1 de la loi no 3182 sur les banques ainsi que le maintien de la mesure de surveillance étroite de la banque. Le dernier rapport indiquait que, pour l’année 1996, la banque avait annoncé un bénéfice alors que, après rectification des écritures comptables, elle avait en fait enregistré une perte de 31 trillions d’anciennes livres turques (TRL). Les rapports d’audit furent notifiés à la banque et il fut demandé à cette dernière d’adopter des mesures concrètes à la lumière de ces rapports. Dans son avis du 1er décembre 1997, un auditeur assermenté relevait que, à la date du 30 septembre 1997, la banque ne parvenait toujours pas à l’équilibre budgétaire, qu’elle générait une perte mensuelle de 6 à 7 trillions de TRL, que la perte cumulée pour les neuf premiers mois de l’année 1997 était de 54,2 trillions de TRL et que la dette totale s’élevait ainsi à 95,5 trillions de TRL, soit 40 % des actifs. L’auditeur indiquait qu’il y avait lieu d’adresser un avertissement sérieux à la banque quant à la nécessité pour elle de faire face, dans les plus brefs délais, à un besoin en fonds propres de 100 trillions de TRL. Il considérait que, s’il n’y avait pas d’évolution notable à cet égard, il convenait d’appliquer le paragraphe 2 de l’article 64 de la loi no 3182 sur les banques. Le 31 décembre 1997, le secrétaire d’État informa le Premier ministre des conclusions des rapports d’audit relatifs à la situation financière de la banque au 31 décembre 1996 et au 30 septembre 1997 (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Il indiqua que, l’article 64 de la loi no 3182 sur les banques ayant été abrogé par la Cour constitutionnelle dans sa partie concernant le transfert du contrôle de la banque au Fonds, cette mesure ne pouvait plus être appliquée. Selon le secrétaire d’État, la mesure qui demeurait applicable concernant Yaşarbank était l’annulation de l’autorisation de cette dernière de procéder à des opérations bancaires et de recevoir des dépôts. Or, selon lui, l’application d’une telle mesure, qui aurait nécessité la prise en charge de la totalité des dépôts par le Fonds, pouvait porter atteinte à la confiance de la population dans le système bancaire. Après avoir fait observer que la perte cumulée de Yaşarbank s’élevait à plus de 95 trillions de TRL et que les dépôts étaient de 184 trillions de TRL, le secrétaire d’État déclara qu’il y avait lieu de prendre des mesures d’urgence pour éviter l’augmentation continue de la dette. En plus des mesures précédemment préconisées pour améliorer la situation budgétaire de la banque, il proposa le dépôt, par le Fonds, de 50 trillions de TRL, le report pendant deux ans de certaines obligations et la nomination au conseil d’administration de la banque d’une personne chargée d’assurer le suivi de ces mesures. En réponse à la demande de procéder au dépôt de 50 trillions de TRL, le Fonds indiqua dans sa lettre du 26 février 1998 que, en annulant l’article 64 § 2 et l’article 65 § 1 a) et § 1, troisième alinéa, de la loi no 3182 sur les banques, la Cour constitutionnelle avait supprimé dans une grande mesure la possibilité de mettre en œuvre ces dispositions. Il expliqua que les juridictions administratives avaient décidé, dans le cadre d’un référé-suspension, de suspendre l’exécution d’une décision adoptée en application de ces dispositions dans le cadre de l’affaire Türk Ticaret Bankası. D’après le Fonds, cela montrait que les actes à adopter en application de ces dispositions n’étaient pas juridiquement valables. Dans son avis du 12 mai 1998, un auditeur indiquait que les pertes de la banque avaient affecté les dépôts et que le besoin en fonds propres s’élevait dorénavant à 150 trillions de TRL. Il ajoutait que les actionnaires n’avaient entrepris aucune action positive et n’avaient procédé à aucune augmentation de capital pour combler les pertes. Aussi considéra-t-il, à l’instar de l’auditeur ayant rédigé l’avis du 1er décembre 1997 (paragraphe 11 ci-dessus), que les dispositions de l’article 64 § 2 de la loi no 3182 sur les banques devaient être appliquées. La direction générale des banques notifia cet avis à la banque en lui indiquant les mesures devant être adoptées d’urgence, dont l’augmentation de capital. Le 3 juillet 1998, deux auditeurs assermentés rendirent un rapport sur la situation financière de Yaşarbank à la date du 31 décembre 1997. Ils relevaient que, à cette dernière date, la banque comptait 84 agences à travers le pays et employait 1 609 personnes. Après avoir exposé en détail les difficultés financières de la banque, ils indiquaient que les écritures comptables de celle-ci étaient loin de refléter la situation réelle, ce qui, selon eux, rendait difficile une analyse fiable de sa situation financière. Ils recommandaient de transférer la gestion de la banque au Fonds sur le fondement des articles 64 § 2 et 65 de la loi no 3182 sur les banques. La direction générale des banques notifia ce rapport à Yaşarbank. Elle déclara que les pertes s’élevaient à 173 trillions de TRL et qu’il y avait lieu d’augmenter le capital d’autant. Elle invita Yaşarbank à soumettre un plan d’augmentation du capital. En réponse, la banque indiqua que, en comptant la dernière augmentation du capital, ce dernier s’élevait à 27 trillions de TRL, et qu’elle avait prévu de l’augmenter progressivement pour atteindre 160 trillions de TRL en 2001. Dans un avis du 5 novembre 1998, un auditeur assermenté relevait que les difficultés identifiées dans les rapports et avis antérieurs persistaient et il réitérait les mesures préconisées dans le rapport du 3 juillet 1998. Le 8 janvier 1999, deux auditeurs assermentés rendirent un rapport sur la situation financière de Yaşarbank à la date du 30 septembre 1998. Selon ce rapport, l’équilibre budgétaire de la banque s’était considérablement détérioré. Les auditeurs soulignaient que, en l’absence d’injection de capitaux à hauteur des pertes, il était impossible de consolider la structure financière de la banque. Ils estimaient que l’augmentation du capital de 11 trillions de TRL réalisée en 1998 était très insuffisante au regard des pertes cumulées, qui atteignaient selon eux 223 trillions de TRL. Ils notaient par ailleurs que le nombre d’écritures comptables fictives, visant à dissimuler les pertes et à majorer les revenus, avait augmenté. Selon les auditeurs, le bilan de la banque contenait des données basées sur des écritures comptables fictives et il était impossible de déterminer le volume des ressources transférées aux sociétés du groupe Yaşar. Les auditeurs concluaient que, la fragilité de la situation financière de Yaşarbank allant croissant, le contrôle de la banque devait être rapidement confié au Fonds. Dans son avis du 9 juin 1999, un auditeur assermenté relevait que les pertes de la banque atteignaient 253 trillions de TRL et que les difficultés de celle-ci concernant sa situation financière allaient croissant. Il recommandait, à l’instar des rapports et avis précédents, le transfert de Yaşarbank au Fonds. Le 19 juillet 1999, deux auditeurs assermentés rendirent un rapport sur la situation financière de la banque au 31 mars 1999. Ils relevaient que les pertes avaient atteint 60 % de l’actif et qu’elles augmentaient de manière continue, que la qualité des actifs s’était fortement dégradée, que les postes générant des revenus avaient constamment diminué et que, en raison de la structure génératrice de dettes de la banque, il était devenu impossible pour cette dernière de procéder à une quelconque opération bancaire. À la lumière de ces éléments, les auditeurs estimaient que la mise en œuvre des mesures indiquées à l’article 14 § 3 de la nouvelle loi sur les banques (« la loi no 4389 ») ne permettaient aucune solution positive à ce stade : selon eux, les efforts relatifs à la réhabilitation de la banque ne pouvaient déboucher sur aucun résultat. Ils exposaient que le maintien de Yaşarbank dans le système bancaire présentait un risque pour les droits et intérêts des épargnants ainsi que pour la fiabilité et la stabilité du système financier. Ils ajoutaient que la situation financière de la banque était affaiblie au point qu’elle ne pouvait plus être rétablie, et ce même si des mesures complémentaires étaient adoptées. En conséquence, ils estimaient qu’il y avait lieu de mettre en œuvre l’article 14 § 5 de la loi no 4389. Le 23 juillet 1999, Yaşarbank soumit à la direction générale des banques un plan de redressement. Le 7 décembre 1999, elle lui fit part d’un nouveau plan, révisé à la lumière de leur réunion du 15 octobre 1999. Le nouveau plan prévoyait un renflouement à hauteur de 350 millions de dollars (USD) se décomposant comme suit : – 100 millions d’USD d’apport, qui proviendraient de la cession au Fonds de ses actions au sein de la société Tuborg et d’immeubles ; – 100 millions d’USD d’apport, sous forme de prêt à concéder à Yaşarbank, remboursable sur deux ans après un différé d’un an ; – 150 millions d’USD de dettes à endosser, au moyen d’un prêt à lui concéder dans les conditions suivantes : après deux ans de différé, remboursement de 37,5 millions d’USD au terme de la troisième année, de 52,5 millions d’USD au terme de la quatrième année et de 60 millions d’USD au terme de la cinquième année. Le plan prévoyait aussi un prêt de 350 millions d’USD à accorder à la banque par le Fonds, à rembourser sur trois ans après un différé de deux ans. Le 3 septembre 1999, deux auditeurs assermentés rendirent un rapport sur la situation financière de la banque à la date du 30 juin 1999. Les auditeurs parvenaient à la même conclusion que celle énoncée dans le rapport du 19 juillet 1999 (paragraphe 19 ci-dessus). Le 13 décembre 1999, une auditrice rendit un rapport sur la situation financière de Yaşarbank au 30 septembre 1999. Elle notait que, en juillet 1998, les actionnaires avaient procédé à un apport de capital de 6 trillions de TRL alors que le besoin se serait élevé à 508 trillions de TRL. Elle estimait que les opérations visant au sauvetage de la banque par des fonds publics, en l’absence d’un apport de ressources par le groupe Yaşar, actionnaire majoritaire, auraient un coût très élevé pour la société compte tenu du volume de l’actif et des dépôts de Yaşarbank. Aussi, après avoir relevé que la poursuite de l’activité bancaire par la requérante présentait un risque pour les droits et intérêts des épargnants et pour la fiabilité et la stabilité du système financier, et que la situation financière de l’intéressée ne pouvait plus être consolidée, même après l’adoption de mesures, l’auditrice préconisait, pour réduire au minimum le coût pour la société, une injection immédiate de capital de 400 trillions de TRL par l’actionnaire majoritaire. Elle concluait que, à défaut d’une injection immédiate de capital, l’article 14 § 5 de la loi no 4389 devrait être appliqué sans délai. Le 21 décembre 1999, le Conseil des ministres décida de transférer la gestion de Yaşarbank ainsi que tous les droits d’actionnariat au Fonds (à l’exception des dividendes), en application de l’article 14 § 3 de la loi no 4389, tel que modifié par la loi no 4491. Il ordonna en outre le transfert de la propriété des actions au Fonds, en application de l’article 14 § 5 de la même loi. Dans la même décision, il décida le transfert au Fonds de quatre autres banques et le retrait de sa licence à une cinquième banque. À la date de son transfert, Yaşarbank était détenue à hauteur de 48,48 % par la requérante, à hauteur de 32,85 % par des sociétés appartenant au groupe Yaşar, à hauteur de 2,08 % par des fondations appartenant au groupe Yaşar, à hauteur de 0,12 % par la famille Yaşar. Enfin, les 16,47 % restants du capital étaient détenus par le public. Le rapport de situation financière établi le 22 décembre 1999 par une société d’audit privée indiquait que les actifs et les passifs de Yaşarbank s’élevaient respectivement à 385,46 trillions de TRL et à 947,16 trillions de TRL. Le 4 février 2000, les sociétés actionnaires de Yaşarbank, dont la requérante, saisirent le Conseil d’État d’une action en annulation de la décision du Conseil des ministres (paragraphe 23 ci-dessus). Elles soutenaient que le transfert de la propriété des actions au Fonds, sans contrepartie, avait porté atteinte à leur droit de propriété dans des conditions non prévues par la Constitution, et elles formaient une demande de renvoi préjudiciel. Elles ajoutaient que la décision du Conseil des ministres était contraire à la loi ; elles considéraient que, selon l’article 14 de la loi no 4389 – dans sa version tant initiale que révisée – la banque pouvait être transférée au Fonds uniquement lorsque les mesures adoptées restaient sans effet. Elles exposaient que la nouvelle loi sur les banques – la loi no 4389 – prévoyait des mesures plus détaillées que l’ancienne loi, à mettre en œuvre de manière graduelle. Or, selon les sociétés actionnaires de Yaşarbank, la banque n’avait pas été invitée à prendre les mesures en question et les autorités n’avaient pas réagi au plan de redressement qu’elle avait présenté. Aussi, les sociétés actionnaires considéraient-elles que le recours au transfert, en l’absence de demande d’adoption des mesures susmentionnées et d’examen du plan de redressement, était contraire à l’article 14 de la loi no 4389. Elles soutenaient que, si le plan de redressement avait été mis en œuvre, la situation financière de la banque aurait été consolidée, son besoin en fonds propres aurait été résorbé et elle aurait apuré ses problèmes financiers sur une période de cinq ans. Elles arguaient également que la décision du Conseil des ministres était disproportionnée ; selon elles, l’objectif de protection des droits des épargnants aurait pu être atteint par l’adoption des mesures indiquées à l’article 14 de la loi no 4389 (dans sa version initiale tout comme dans sa version révisée). Enfin, elles estimaient que les conditions prévues par l’article 14 § 3 de la même loi n’étaient pas réunies. Dans l’intervalle, le 11 janvier 2000, un auditeur, après avoir procédé à des vérifications, avait relevé que certains revenus relevaient d’écritures comptables fictives et il avait demandé l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre des responsables. Le 6 mars 2000, deux auditeurs assermentés rendirent un rapport sur la situation financière de Yaşarbank à la date de son transfert au Fonds – le 21 décembre 1999 – ainsi que sur l’évolution probable de la situation. Ils observaient que le Fonds avait versé à la banque 27 trillions de TRL en contrepartie de son capital. Ils relevaient ensuite que, à la date du transfert, le besoin en fonds propres de la banque s’élevait à 647 trillions de TRL et le montant des dépôts à 783 trillions de TRL. Ils ajoutaient que, même si la totalité des prêts et créances douteux était recouvrée, le montant de la dette, à savoir 609 trillions de TRL, ne diminuerait pas sensiblement. Ils recommandaient de vendre la banque rapidement. Le 26 janvier 2001, le Fonds décida l’absorption de Yaşarbank par la banque Sümerbank. Par la suite, sur demande du Fonds, l’Agence de réglementation et de supervision des banques (« l’ARSB ») retira à Yaşarbank sa licence d’exploitation bancaire. Le 27 février 2002, le Conseil d’État rejeta l’action en annulation introduite par les sociétés actionnaires de Yaşarbank. S’agissant tout d’abord de la demande de renvoi préjudiciel, il nota que la banque alléguait que le transfert au Fonds de ses actions, sans contrepartie, enfreignait son droit de propriété et constituait une mainmise non prévue par la Constitution. Il rappela à cet égard que, selon l’article 14 §§ 3, 4 et 5 de la loi no 4389, lorsque la structure financière d’une banque était très affaiblie, qu’elle ne pouvait plus poursuivre ses activités, que ses pertes étaient supérieures à ses fonds propres et que la dette correspondant au capital était prise en charge par le Fonds, la propriété des actions était transférée au Fonds en contrepartie de la somme payée à ce titre. Il estima que cette disposition, qui visait à protéger les épargnants et l’intérêt public, n’allait pas à l’encontre des exigences d’une société démocratique et qu’elle n’enfreignait pas le principe de proportionnalité ou l’article 35 de la Constitution garantissant le droit au respect du droit de propriété. Il jugea donc que, en l’absence de fondement de l’exception d’inconstitutionnalité, il n’était pas nécessaire de saisir la Cour Constitutionnelle d’un renvoi préjudiciel. Sur le fond, le Conseil d’État considéra que le litige portait sur la mise en œuvre de l’article 14 §§ 3 et 5 a) et b) de la loi no 4389. Il rappela que, selon l’article 2 provisoire de la loi no 4491, jusqu’à la mise en place de l’Agence de réglementation et de supervision des banques, le Conseil des ministres avait été désigné comme l’autorité compétente pour adopter les mesures énoncées dans cette disposition. Après examen des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 de la loi no 4389, le Conseil d’État estima que ces dispositions laissaient à l’administration une marge d’appréciation dans le choix des mesures à adopter selon la gravité et l’importance des problèmes financiers en cause. D’après lui, en dépit de l’existence d’un lien entre ces trois paragraphes, une mise en œuvre de ces mesures dans l’ordre ne s’imposait pas et ces dispositions pouvaient être appliquées indépendamment l’une de l’autre. Le Conseil d’État ajouta que la marge d’appréciation de l’administration dans la mise en œuvre de ces mesures était évidemment soumise à un contrôle judiciaire. Il releva que Yaşarbank avait d’abord été placée sous surveillance étroite en application de l’article 64 de la loi no 3182 sur les banques en raison de la dégradation sérieuse de sa situation financière. Il constata que, n’ayant pas dûment appliqué les mesures indiquées dans les rapports d’audit, la banque avait vu son déficit augmenter de manière exponentielle avant son transfert au Fonds réalisé en application de l’article 14 § 3 de la loi no 4389. Aussi considéra-t-il comme étant infondées les allégations selon lesquelles les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 de la loi no 4389 devaient être appliqués dans l’ordre et selon lesquelles la banque n’avait pas bénéficié des délais prévus par ledit article. Le Conseil d’État se référa ensuite aux rapports d’audit et aux avis suivants : – le rapport du 25 juillet 1995, selon lequel la banque avait déclaré un bénéfice alors qu’elle aurait en réalité été déficitaire, les fonds propres de celle-ci constituant 2,8 % du passif et les pertes représentant 46,7 % de l’ensemble des actifs ; – l’avis du 8 décembre 1995, aux termes duquel les fonds propres étaient nettement insuffisants par rapport aux pertes et le ratio d’adéquation des fonds propres déclaré était de 8,03 %, alors qu’en réalité il aurait été négatif ; – le rapport du 12 juillet 1996, selon lequel le ratio de liquidité était insuffisant (62,7 %), les prêts se concentraient essentiellement sur des sociétés constituant le groupe Yaşar et les pertes s’élevaient à 7,5 trillions de TRL ; – le rapport du 6 janvier 1997, selon lequel les pertes s’élevaient à 23,2 trillions de TRL, le ratio d’adéquation des fonds propres était de 33,7 % et les pertes avaient atteint les capitaux étrangers (zararın yabancı kaynaklara sirayet ettiği) ; – le rapport du 30 mai 1997, selon lequel le besoin en fonds propres s’élevait à 43 trillions de TRL et les pertes, d’un montant de 31,3 trillions de TRL, représentaient quatre fois les fonds propres ; – l’avis du 1er décembre 1997, selon lequel la banque avait généré 54,2 trillions de TRL de pertes supplémentaires en neuf mois, la perte totale s’élevait ainsi à 95,9 trillions de TRL, les besoins en fonds propres avaient atteint 100 trillions de TRL, la banque n’avait pas réagi face à la nécessité d’augmentation de capital et il fallait appliquer l’article 64 § 2 de la loi no 3182 sur les banques si le besoin en fonds propres n’était pas satisfait ; – l’avis émis le 12 mai 1998, selon lequel les pertes s’élevaient à 124 trillions de TRL au 31 décembre 1997 et à 150 trillions de TRL au 31 mars 1998, et qui considérait qu’il y avait lieu d’appliquer l’article 64 § 2 de la loi no 3182 sur les banques ; – le rapport du 3 juillet 1998, selon lequel le ratio d’adéquation des fonds propres était de -78,2 % et le déficit avait atteint 7,4 fois les fonds propres ; – le rapport du 8 janvier 1999, selon lequel le ratio d’adéquation des fonds propres avait atteint -127,1%, le besoin en capital s’élevait à 218 trillions de TRL, le déficit représentait 10,3 fois les fonds propres, 83 % des prêts douteux avaient été accordés au groupe Yaşar et à d’autres groupes et les pertes avaient atteint 223,4 trillions de TRL ; – l’avis émis le 9 juin 1999, selon lequel il y avait lieu, eu égard au déficit constaté, de transférer la banque au Fonds en application de l’article 64 § 2 de la loi no 3182 sur les banques ; – le rapport du 9 juillet 1999, selon lequel les pertes avaient atteint 353 trillions de TRL, le ratio d’adéquation des fonds propres était de 92,2 %, ce ratio rendait impossible la poursuite par la banque de ses activités et il était par conséquent impossible pour les propriétaires de la banque d’augmenter le capital à hauteur du déficit constaté, dès lors que les pertes cumulées à la date du 30 mai 1999 auraient atteint 400 trillions de TRL ; l’application des mesures indiquées à l’article 14 § 3 ne donnerait aucun résultat et le maintien de la banque dans le système bancaire présentait un risque pour les droits et intérêts des épargnants et pour la fiabilité et la stabilité du système financier ; – le rapport du 3 septembre 1999, selon lequel les pertes s’élevaient, au 31 juillet 1999, à 435 trillions de TRL, et aux termes duquel les associés et dirigeants de la banque n’avaient fait aucun effort pour réduire le déficit ; – le rapport du 13 décembre 1999, selon lequel le déficit avait atteint 530 trillions de TRL au 31 octobre 1999 et représentait 13,4 fois les fonds propres, et le ratio d’adéquation des fonds propres était de -95,4 % ; – le rapport du 6 mars 2000, selon lequel le déficit s’élevait, au 21 décembre 1999, à 609 trillions de TRL, il était impossible de redresser la situation financière de la banque et la banque était incapable d’honorer ses engagements à échéance. Le Conseil d’État jugea que les allégations selon lesquelles la mise en œuvre du plan de redressement aurait permis à Yaşarbank d’assainir sa situation financière avec le temps étaient infondées. Il estima que les ressources financières prévues par ce plan étaient insuffisantes au regard des difficultés financières de la banque. Aussi, compte tenu des dispositions de la loi no 4389, des rapports établis au terme des contrôles réalisés depuis cinq ans, des instructions données à la banque à la lumière de ces rapports et des réponses de cette dernière, il considéra que la poursuite de l’activité de la banque aurait mis en péril les droits des épargnants et porté atteinte à la fiabilité et à la stabilité du système bancaire et que, en conséquence, la décision du Conseil des ministres fondée sur l’article 14 de la loi no 4389 était conforme au droit. Le 27 octobre 2003, le Conseil d’État rejeta l’action en annulation introduite par la requérante contre la décision relative au retrait de la licence d’exploitation bancaire (paragraphe 29 ci-dessus). Le 29 avril 2004, l’Assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’État (« l’Assemblée plénière ») rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt attaqué. Le 8 février 2007, elle rejeta le recours en rectification de l’arrêt. Cette décision fut notifiée à la requérante le 3 mai 2007. Entre-temps, le 9 août 2002, un protocole avait été signé entre le Fonds (en qualité de créancier) et des sociétés appartenant au groupe Yaşar (vingt et une sociétés appartenant au groupe Yaşar, dont la requérante, en qualité de débitrices) ayant contracté des prêts auprès des banques transférées au Fonds, dont Yaşarbank. Ce protocole avait pour objet de définir les principes et procédures relatifs à l’établissement, au recouvrement ou à la liquidation des dettes de ces sociétés auprès du Fonds. Le 23 décembre 2005, un protocole additionnel à celui du 9 août 2002 fut signé. Il avait pour objet de réaménager le plan de remboursement des dettes et de constater la prise en charge de la dette de certains débiteurs par les autres débiteurs. Aux termes de l’article 7 § 2 de ce protocole, les débiteurs renonçaient à toute prétention ou action judiciaire devant les juridictions nationales ou internationales, à l’encontre du Fonds, des membres du Fonds ou de son personnel, des membres de l’ARSB ou de tout autre organe ou institution de la République de Turquie, concernant les pertes de la banque constituées par le transfert de Yaşarbank au Fonds et leurs dettes, objets de ce protocole. Par ailleurs, parallèlement à la procédure devant les juridictions administratives, une procédure pénale fut diligentée contre neuf dirigeants de Yaşarbank pour écritures comptables fictives. À l’issue du procès, trois d’entre eux furent reconnus coupables et condamnés. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi no 3182 sur les banques du 25 avril 1985 et les arrêts de la Cour constitutionnelle y relatifs Selon l’article 64 § 1 de la loi no 3182 sur les banques, tel que modifié par le décretloi no 538 du 16 juin 1994, s’il était établi que la situation financière d’une banque était affaiblie de manière considérable, le ministre pouvait demander à la banque en difficulté d’adopter des mesures pour consolider sa situation financière. Le ministre pouvait aussi adopter luimême toutes les mesures nécessaires aux fins de ladite consolidation. Selon le paragraphe 2 de l’article 64 de la loi no 3182 sur les banques, le ministre pouvait, indépendamment des mesures indiquées au paragraphe 1 de l’article précité, demander le transfert de la gestion de la banque au Fonds ou la mise en œuvre de l’article 68 de la même loi. L’article 65 de la loi no 3182 sur les banques, relatif aux fonctions et prérogatives du Fonds, tel que modifié par le décret-loi no 538 du 16 juin 1994, prévoyait en son paragraphe 1 a) que le Fonds pouvait prendre en charge les pertes de la banque dont la gestion lui avait été transférée en application de l’article 64, dans la limite des dépôts sous garantie et à condition de détenir la majorité des actions. Selon le paragraphe 1 d) du même article, lorsque le redressement de la banque était impossible ou lorsque les pertes étaient supérieures aux dépôts sous garantie, le Fonds pouvait demander la mise en œuvre de l’article 68 de cette même loi. Selon le troisième alinéa de l’article 65 de la loi précitée, la propriété des actions représentant la contrepartie des montants payés dans la cadre du paragraphe 1 a) était transférée au Fonds. Dans ce cas, la part des associés était diminuée en proportion des actions transférées au Fonds. Selon l’article 68 de la même loi, tel que modifié par le décretloi no 538 du 16 juin 1994, lorsque l’impossibilité pour une banque de consolider sa situation financière malgré les mesures indiquées aux articles 64 et 65 avait été constatée, ou bien lorsque sa situation financière était affaiblie au point qu’elle ne pouvait plus être consolidée même avec l’adoption de ces mesures, l’autorisation de procéder à des opérations bancaires et d’accepter des dépôts (licence d’exploitation bancaire) était retirée par le Conseil des ministres en application de l’article 12 de la loi no 3182 sur les banques. Aux termes du même article, après avoir remboursé les dépôts sous garantie, le Fonds demandait la liquidation de la banque et participait à la masse comme créancier privilégié. Par un arrêt du 9 octobre 1997 (E.1997/55-K.1997/65), publié au Journal officiel le 11 décembre 1998, la Cour constitutionnelle, saisie d’un renvoi préjudiciel dans le cadre d’une affaire qui concernait le transfert d’une banque au Fonds, a annulé le paragraphe 2 de l’article 64 de la loi no 3182 sur les banques dans sa partie prévoyant le transfert de la gestion d’une banque au Fonds, ainsi que le paragraphe 1 a) et le paragraphe 1, troisième alinéa, de l’article 65 de cette loi. Elle a relevé que, la loi-cadre autorisant l’adoption du décret-loi no 538 ayant été annulée par la Cour constitutionnelle le 29 novembre 1994, le décret-loi en question n’avait plus de base constitutionnelle. Elle a noté que le vide juridique créé par l’annulation des dispositions en question était de nature à porter atteinte à l’intérêt public et a fixé la date d’entrée en vigueur de l’annulation à six mois après la publication de l’arrêt dans le Journal officiel, soit le 11 juin 1999. Par des arrêts du 9 novembre 1995 (E.1995/53-K.1995/57) et du 18 janvier 1996 (E.1995/55-K.1996/1), la Cour constitutionnelle avait déjà annulé d’autres dispositions de la loi no 3182 sur les banques telles que modifiées par le décret-loi no 538, pour les mêmes motifs que ceux retenus dans son arrêt du 9 octobre 1997. La loi no 4389 sur les banques du 18 juin 1999, avant sa modification par la loi no 4491 du 17 décembre 1999 (entrée en vigueur le 19 décembre 1999) L’article 14 de la loi no 4389 indiquait les mesures à prendre concernant les banques en difficulté. Selon l’article 14 § 1 de ladite loi, lorsque l’ARSB constatait des opérations de nature à mettre en péril le fonctionnement de la banque, elle adressait à celle-ci un avertissement l’incitant à adopter des mesures. Si ces dernières n’étaient pas adoptées, l’ARSB était compétente, selon la nature et la gravité des opérations, pour adopter toutes les mesures visant au bon fonctionnement de la banque et à la protection des épargnants. Selon l’article 14 § 2 de la même loi, lorsque les avoirs de la banque n’étaient pas suffisants pour couvrir ses engagements à terme (varlıkların vade itibariyle taahhütlerini karşılayamadığı), ou lorsque la banque était sur le point de se retrouver dans cette situation, l’ARSB était compétente pour demander à l’intéressée, en lui accordant un délai, d’adopter toutes les mesures que l’ARBS estimerait opportunes pour renforcer sa liquidité, y compris a) l’interdiction d’investissements dans les valeurs à long terme, b) la cession des participations dans le capital d’autres sociétés et la cession de ses immobilisations, et c) l’augmentation du capital ou l’obtention de ressources à long terme. L’ARSB était aussi compétente pour adopter elle-même certaines mesures visant à augmenter la liquidité de la banque et pour solliciter le Fonds à cet égard. D’après l’article 14 § 3 de la loi précitée, lorsque l’équilibre entre les charges et les produits n’était pas respecté de manière continue, l’ARSB demandait à la banque d’adopter des mesures visant à diminuer les charges et à augmenter les produits et le capital. Selon cet article, elle pouvait aussi reporter ou alléger certaines obligations légales de la banque. Si les mesures demandées n’étaient pas prises, ou bien si les pertes dépassaient les fonds propres de manière à affecter les avoirs étrangers, l’ARSB pouvait augmenter d’office le capital de la banque et inviter les actionnaires à apporter les fonds. Si ces derniers ne s’engageaient pas à augmenter le capital, l’ARSB était compétente pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de consolider la situation financière et la restructuration de la banque, y compris la prise en charge par le Fonds de l’augmentation du capital ou la fusion de la banque en difficulté avec une autre banque ou son transfert. Selon l’article 14 § 5 de la même loi, a) lorsque la consolidation de la situation financière était impossible malgré l’adoption des mesures indiquées aux paragraphes 2 et 3, ou lorsque la situation financière était compromise au point que l’adoption des mesures en question ne permettait pas de la consolider, et b) lorsque la poursuite des activités de la banque en cause présentait un risque pour les droits des épargnants et pour la fiabilité et la stabilité du système financier, l’autorisation accordée à la banque d’effectuer des opérations bancaires et de recevoir des dépôts (licence d’exploitation bancaire) était révoquée par le Conseil des ministres. Enfin, l’article 16 de cette loi portait sur les conséquences du retrait de l’autorisation d’effectuer des opérations bancaires et de recevoir des dépôts. Ainsi, lorsque la licence d’exploitation était retirée à une banque, la gestion de celle-ci était transférée au Fonds, lequel, après avoir remboursé aux épargnants les dépôts sous garantie, demandait la liquidation de la banque. Dans le cadre de la liquidation, le Fonds était un créancier privilégié. La loi no 4389 du 18 juin 1999, telle que modifiée par la loi no 4491 du 17 décembre 1999 L’article 14 § 2 a) et b) autorisait l’ARSB à prendre toutes les mesures nécessaires en vue de renforcer la liquidité et les fonds propres de la banque en difficulté. Il reprenait pour l’essentiel les mesures énoncées aux paragraphes 2 et 3 de l’article 14 de la loi no 4389 avant sa modification par la loi no 4491 du 17 décembre 1999. Selon l’article 14 § 3, lorsque l’ARSB constatait : a) que les mesures indiquées n’avaient pas été mises en œuvre, que la situation financière ne pouvait pas être consolidée malgré l’adoption des mesures, ou que la situation financière était tellement dégradée qu’elle ne pouvait plus être redressée ; b) que la banque ne pouvait pas honorer ses engagements à terme ; c) que la somme des engagements de la banque dépassait la somme des avoirs de celle-ci ; d) que la poursuite de l’activité de la banque présentait un risque pour les droits des épargnants et pour la fiabilité et la stabilité du système financier, l’ARSB pouvait transférer au Fonds tous les droits d’actionnariat (à l’exception des dividendes) ainsi que la gestion de la banque, ou bien retirer à la banque sa licence d’exploitation. D’après l’article 14 § 5 a) et b), lorsque la gestion de la banque était transférée au Fonds en application du paragraphe 3 du même article, le Fonds était compétent pour endosser les dettes de la banque correspondant au capital, à condition que ces dernières ne dépassent pas le montant des dépôts sous garantie et qu’il détienne toutes les actions. Les actions représentant la contrepartie du paiement effectué pour les pertes endossées étaient transférées, sans aucune formalité, au Fonds. La loi no 5411 sur les banques La loi no 5411 sur les banques est entrée en vigueur le 1er novembre 2005, abrogeant la loi no 4389.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Pozzuoli. Le 25 mars 2010 naquit la fille du requérant et de C. Peu de temps après, le couple se sépara. Le 30 avril 2010, C. changea la serrure de la porte d’entrée du domicile familial, auquel le requérant n’eut plus accès. C. décida unilatéralement que le requérant ne pouvait voir sa fille que deux fois par semaine, pendant une demi-heure et en sa présence. Le 16 novembre 2010, à la suite de difficultés rencontrées dans l’exercice de son droit de visite, le requérant saisit le tribunal pour enfants de Naples (« le tribunal ») afin d’obtenir la garde partagée de l’enfant et un droit de visite plus large. À une date non précisée, le tribunal fixa l’audience de comparution des parties au 3 mai 2011. Le 14 février 2011, le recours formé par le requérant fut notifié à C. Le 13 avril 2011, C. se constitua dans la procédure. À l’audience du 3 mai 2011, le tribunal entendit le requérant et C. et les invita à trouver un accord, avant de reporter l’audience au 12 juillet 2011. À cette date, il entendit à nouveau le requérant et C. et il réserva sa décision quant aux demandes formulées par les intéressés. Le 25 juillet 2011, le requérant présenta au tribunal une demande urgente afin d’obtenir un droit de visite plus large. Il soutenait être contraint de voir sa fille selon les conditions décidées unilatéralement par C., ajoutant que cette dernière était sur le point de partir en vacances et ainsi de l’empêcher de voir sa fille pendant toute la période estivale. Le 3 octobre 2011, le parquet demanda au tribunal d’octroyer au requérant la garde partagée de l’enfant. Il estimait que la résidence principale de l’enfant devait être fixée chez la mère et que le requérant devait pouvoir rencontrer sa fille deux fois par semaine. Il précisait que, quand celle-ci aurait atteint l’âge de trois ans, le requérant devait pouvoir bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux et que les fêtes de Noël, de Pâques et les anniversaires devraient être partagés entre les parents. Enfin, il ajoutait que le requérant devrait verser, au titre de la pension alimentaire, la somme de 500 euros (EUR) par mois. Par une décision du 4 octobre 2011, le tribunal chargea la police fiscale d’effectuer un contrôle afin de déterminer le niveau de vie du requérant et de C., et de déposer un rapport à cet égard auprès du greffe avant le 31 mars 2012. Il ordonna en outre la réalisation d’une expertise sur les échanges interpersonnels et les capacités parentales du requérant et de C., sur l’état psychologique de l’enfant, sur les rapports du requérant et de C. avec leurs familles respectives et sur la possibilité de trouver un médiateur dans l’entourage familial des intéressés. Il indiqua que ce rapport d’expertise devait également exposer quelles étaient les meilleures modalités de garde de l’enfant – sans écarter la possibilité que celle-ci pût être confiée à un tiers. Il nomma deux experts et ajouta que l’expertise devait être déposée au greffe dans un délai de cent vingt jours. Il décida également que le requérant devait verser la somme mensuelle de 500 EUR au titre de la pension alimentaire, mais il ne se prononça pas sur les modalités d’exercice du droit de visite du requérant à l’égard de sa fille. Le 17 novembre 2011, le requérant saisit à nouveau le tribunal pour obtenir un droit de visite réglementé, se plaignant d’être contraint de voir sa fille selon les conditions décidées unilatéralement par C. À l’audience du 22 novembre 2011, les experts nommés par le tribunal prêtèrent serment et l’examen de l’affaire fut reporté au 10 avril 2012. Par une décision du 23 novembre 2011, le tribunal ordonna que les visites entre le requérant et sa fille aient lieu sous la forme de rencontres protégées, deux fois par semaine pendant une heure et demie, et que ces rencontres fussent réglementées par les services sociaux compétents. Entre décembre 2011 et mars 2012, le requérant et C. rencontrèrent les experts nommés par le tribunal à plusieurs reprises. Leur fille fut présente à une de ces réunions. Entre janvier et mars 2012, le requérant rencontra les services sociaux à trois reprises. Ces derniers permirent le déroulement des visites entre l’intéressé et sa fille en dehors du milieu protégé. À la suite de ces réunions, des visites eurent lieu, deux fois par semaine pendant une heure et demi, toujours en présence de C. À l’audience du 10 avril 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 15 mai 2012 au motif que le rapport d’expertise n’avait pas encore été déposé. Le 8 mai 2012, les experts demandèrent un report de l’audience de soixante jours afin de bénéficier de ce délai pour rendre leur rapport. À l’audience du 15 mai 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 25 septembre 2012 et indiqua que les experts auraient à déposer leur rapport d’expertise au moins cinq jours avant cette date pour que les parties pussent présenter leurs observations écrites. En septembre 2012, les experts rendirent un rapport d’expertise provisoire. Dans ce rapport, ils indiquaient que la relation entre le requérant et C. était conflictuelle ; que ni le requérant ni C. ne présentaient de psychopathologies ; que tant le père que la mère étaient capables de fournir le soutien nécessaire à leur enfant ; que C. niait la figure du père et qu’elle était excessivement préoccupée quant aux capacités parentales du requérant ; que le requérant reconnaissait la figure de la mère ; que l’enfant était sereine et attachée à ses deux parents ; qu’il n’y avait aucun médiateur potentiel dans l’entourage familial du requérant et de C. et, enfin, que le requérant n’avait pas fait preuve de constance dans ses rapports avec sa fille. Dans son mémoire du 7 septembre 2012, le requérant contestait les conclusions de l’expertise quant à ce dernier point. À cet égard, il indiquait de ne pas être en mesure d’entretenir une relation plus suivie avec sa fille en raison de l’établissement unilatéral par C. des modalités de visites et de leur validation par le tribunal. Il se plaignait que toutes les rencontres avec sa fille, depuis sa naissance, se fussent déroulées en présence de C. Par conséquent, il estimait qu’il ne pouvait être accusé de manquer de volonté de maintenir une relation avec sa fille. Il indiquait en outre qu’il ressortait de l’expertise que C. avait un comportement propre à faire obstacle à la relation entre sa fille et lui et qu’elle avait des difficultés à permettre à l’enfant d’avoir une relation avec lui. À l’audience du 25 septembre 2012, le tribunal reporta l’examen de l’affaire au 12 février 2013 au motif que les experts n’avaient pas encore déposé leur rapport définitif. Le 27 septembre 2012, les experts répondirent aux observations des parties. Ils relevèrent que le requérant n’avait pas d’expérience de la paternité en raison de l’absence de relation continue avec sa fille et que leur relation devait dès lors être développée et renforcée. En janvier 2013, l’expertise définitive fut déposée au greffe. Ce rapport avait le même contenu que le rapport d’expertise provisoire. Les experts indiquaient en particulier que la garde de l’enfant devait être confiée conjointement aux deux parents et qu’il fallait garantir au requérant la possibilité de voir sa fille sans la présence de la mère. Dans ses observations conclusives, le requérant réitérait sa demande de garde partagée de l’enfant et d’un élargissement de son droit de visite. Par une décision du 2 juillet 2013, le tribunal confia la garde de l’enfant conjointement aux deux parents et fixa la résidence principale de l’enfant chez C. Quant au droit de visite du requérant, le tribunal déclara que, jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant, le requérant pourrait voir sa fille pendant trois heures deux fois par semaine et un dimanche sur deux. Il précisa que, après cette date, le requérant pourrait voir sa fille chez lui un week-end sur deux, en alternance avec la mère, et que l’alternance serait valable également pour les fêtes de Noël, de Pâques et les anniversaires. Enfin, il indiqua que le requérant devait verser une pension alimentaire de 1 500 EUR par mois. Le requérant déposa un recours devant la cour d’appel de Naples (« la cour d’appel ») contre la décision du tribunal du 2 juillet 2013. Il demandait notamment un droit de visite plus large. Par un arrêt du 19 mars 2014, déposé au greffe le 7 avril 2014, la cour d’appel, sans ordonner de nouvelle expertise, rejeta le recours du requérant concernant le droit de visite et réduisit le montant de la pension alimentaire à 1 000 EUR par mois. La cour d’appel estima que la décision du tribunal devait être confirmée au motif que, selon le rapport d’expertise déposé au cours de la procédure devant celui-ci (daté de janvier 2013), le requérant n’offrait pas les conditions affectives, psychologiques et relationnelles requises pour bénéficier d’une modification des modalités d’exercice de son droit de visite. En octobre 2014, le requérant se pourvut en cassation, alléguant notamment que son droit à la garde partagée n’était pas garanti concrètement. À ce jour, la procédure est pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent en l’espèce se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no 53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1991 et réside à Sofia. A. L’établissement du requérant en Bulgarie Le requérant, né à Damas, en Syrie, est un apatride d’origine palestinienne. Avant 2008, il résidait en Syrie et disposait d’un document d’identité d’apatride délivré par cet État. Il arriva en Bulgarie le 22 juillet 2008, en même temps que sa mère et son frère. Le requérant introduisit successivement deux demandes d’octroi du statut de réfugié en Bulgarie qui furent rejetées par l’Agence pour les réfugiés. Les recours judiciaires qu’il forma contre ces décisions furent respectivement rejetés le 28 juin 2010 et le 4 avril 2011. Le 20 avril 2011, le requérant introduisit une nouvelle demande d’octroi du statut de réfugié. Un premier refus de l’Agence pour les réfugiés fut annulé par le tribunal administratif de Sofia. Par une nouvelle décision du 5 avril 2012, l’Agence pour les réfugiés considéra que les éléments qui lui avaient été soumis n’établissaient pas l’existence d’une crainte de persécutions du requérant en raison de sa race, religion, appartenance à un groupe social ou pour un autre motif, justifiant l’octroi du statut de réfugié. L’agence estima cependant que, en raison de la situation en Syrie, le requérant était exposé, en sa qualité de civil, à « une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé » et décida de lui accorder le statut humanitaire, protection subsidiaire prévue par la loi sur l’asile et les réfugiés. Un titre de séjour lui fut délivré sur ce fondement, avec une durée de validité jusqu’au 18 avril 2015. B. L’arrêté d’expulsion pris à l’encontre du requérant Par un arrêté du 13 juillet 2013, l’Agence de sécurité nationale (Държавна агенция « Национална сигурност ») ordonna le retrait du titre de séjour du requérant, une interdiction du territoire pour une durée de dix ans et son expulsion au motif que sa présence sur le territoire constituait une menace pour la sécurité nationale. Un arrêté distinct daté du même jour ordonna le placement du requérant en rétention administrative. Le requérant fut arrêté le 13 juillet 2013 et placé dans le centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers de Busmantsi, près de Sofia. Les deux arrêtés lui furent notifiés le 14 juillet 2013. Durant sa détention, le requérant put s’entretenir avec des avocats du Comité Helsinki bulgare qui l’assistèrent dans la préparation d’un recours contre les mesures imposées. À cette occasion, les avocats constatèrent que l’expulsion du requérant avait été ordonnée en raison de plusieurs conversations effectuées sur Skype avec une personne se trouvant en Syrie, qui avaient été interceptées par les autorités et dont le contenu avait été considéré comme lié à une entreprise terroriste. Deux recours préparés par les avocats du requérant contre l’arrêté d’expulsion et l’arrêté de placement en rétention furent déposés à la Cour administrative suprême par son frère le 29 juillet 2013, après les heures d’ouverture. Le 5 août, le requérant déposa une demande de relevé de la forclusion du délai légal de quatorze jours, expliquant qu’il n’avait pas reçu copie des décisions prises à son encontre et n’avait pas été en mesure de préparer un recours dans le délai. La demande de relevé de forclusion concernant le recours contre l’arrêté d’expulsion fut rejetée par une décision définitive de la Cour administrative suprême du 29 janvier 2014, qui considéra qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui avaient empêché l’intéressé d’introduire un recours dans le délai légal. En conséquence, le 31 janvier 2014, la Cour administrative suprême déclara le recours irrecevable pour cause de tardiveté. S’agissant du recours contre le placement en rétention du requérant, par une décision du 10 février 2014, la Cour administrative suprême rejeta la demande de relevé de forclusion et déclara le recours irrecevable pour tardiveté, considérant qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles ayant entravé l’exercice du droit de recours. C. La tentative d’expulsion du requérant et sa demande d’application de l’article 39 du règlement de la Cour Le 26 novembre 2013, le requérant fut transféré à l’aéroport de Sofia et embarqué dans un avion en direction du Liban. Selon le Gouvernement, le requérant aurait déclaré qu’il souhaitait retourner en Syrie et son transfert vers le Liban aurait été organisé à sa demande. Le requérant dément cette affirmation. Il soutient qu’à son arrivée au Liban il aurait indiqué aux autorités qu’il craignait pour sa vie en Syrie et ces dernières ne l’auraient alors pas admis sur leur territoire. Le requérant fut renvoyé en Bulgarie via l’aéroport de Moscou, où il resta pendant 30 heures. Il arriva à l’aéroport de Sofia le 28 novembre 2013 et fut retenu à l’aéroport en raison de l’interdiction d’entrée sur le territoire qui lui avait été imposée. Le 2 décembre, il put rencontrer un représentant du Comité Helsinki bulgare qui, le 4 décembre 2013, saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le même jour, la juge faisant fonction de président de section décida d’indiquer au gouvernement bulgare, en application de la disposition précitée, de ne pas expulser le requérant vers la Syrie pour la durée de la procédure devant la Cour. Le 14 décembre 2013, le directeur de l’Agence de sécurité nationale ordonna le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion. Par un arrêté du même jour, il ordonna le placement du requérant en centre de rétention. Le requérant introduisit un recours judiciaire contre la décision de sursis de la mesure d’expulsion, faisant valoir que la Cour avait enjoint aux autorités bulgares de ne pas l’expulser vers la Syrie et soutenant en outre que la décision était dépourvue de motivation suffisante. Ce recours fut rejeté par un jugement du tribunal administratif de Sofia du 5 mars 2014, qui fut confirmé par la Cour administrative suprême le 25 février 2015. Ces juridictions considérèrent que l’acte était dûment motivé et que le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion était justifié par les difficultés à obtenir un document de voyage pour le requérant, d’une part, et l’application d’une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement de la Cour, d’autre part. Toutefois, elles estimèrent que l’application d’une mesure provisoire par la Cour n’affectait pas la légalité de la mesure d’expulsion imposée. D. La détention du requérant Le requérant fut placé au centre de rétention de Busmantsi le 16 décembre 2013, en exécution de l’arrêté du 14 décembre 2013. Le 30 décembre 2013, il saisit le tribunal administratif de Sofia d’un recours contre cet arrêté, en faisant valoir que sa détention ne se justifiait plus compte tenu du sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion. Par un jugement du 10 février 2014, le tribunal administratif de Sofia considéra que, malgré le sursis à l’exécution de l’arrêté, la détention devait toujours être considérée comme justifiée par la procédure d’expulsion en cours, au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Jugeant qu’il existait un risque que le requérant tente de se soustraire à l’exécution de la mesure d’expulsion, il confirma la détention. Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision. Le 21 juillet 2014, la Cour administrative suprême fit droit à son recours, annula le jugement et renvoya l’affaire au tribunal administratif afin qu’il statue de nouveau. Parallèlement à cette procédure, à l’issue des six premiers mois de détention du requérant, le directeur du service de la migration saisit le tribunal administratif de Sofia afin qu’il statue sur la prolongation de celleci. Par une ordonnance du 21 juillet 2014, le tribunal administratif ordonna la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de six mois avec effet à compter du 16 juin 2014. Le recours formé par le requérant contre cette ordonnance fut rejeté par le tribunal administratif de Sofia le 2 octobre 2014. Par un jugement du 6 octobre 2014, le tribunal administratif, statuant sur renvoi de la Cour administrative suprême (paragraphe 18 ci-dessus), considéra que le risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’expulsion n’était pas établi et que les éléments sur la base desquels le jugement du 10 février 2014 avait conclu à l’existence d’un tel risque – que le requérant était psychologiquement instable et qu’il y avait un risque qu’il entreprenne un attentat suicide sur le territoire bulgare – n’étaient basés que sur des affirmations de l’Agence de sécurité nationale qui n’étaient pas corroborés par des éléments de preuve. En conséquence, le tribunal annula l’arrêté de placement en détention et ordonna la remise en liberté du requérant. Le requérant ne fut cependant pas immédiatement libéré, l’Agence de sécurité nationale s’étant pourvu en cassation. Il fut remis en liberté le 16 décembre 2014, à l’expiration d’une nouvelle période de six mois de détention. Le pourvoi de l’Agence de sécurité nationale contre le jugement du 6 octobre 2014 fut rejeté par la Cour administrative suprême le 6 avril 2015. Par un arrêté du directeur de la direction régionale des affaires intérieures du 6 avril 2015, le requérant se vit imposer l’obligation de se présenter au commissariat une fois par semaine à titre de contrôle administratif. E. Développement ultérieurs concernant le statut du requérant À la suite de l’application de l’article 39 du règlement par la Cour, les autorités compétentes tentèrent, en cherchant notamment l’assistance de la représentation du Haut-commissariat aux réfugiés en Bulgarie, de trouver un pays tiers qui serait prêt à accueillir le requérant. Le 8 avril 2014, le requérant signa une déclaration de retour volontaire vers l’Allemagne où résidait son père. Il signa de telles déclarations concernant l’Australie et la Turquie, avant de les retirer ultérieurement. Il n’apparaît cependant pas que les autorités aient trouvé un pays tiers prêt à l’accueillir. Le 24 mars 2015 le requérant se vit délivrer un nouveau permis de séjour sur la base du statut humanitaire qui lui avait été accordé, valable jusqu’au 24 mars 2018. Selon les dernières informations fournies par les parties, le requérant réside et travaille actuellement à Sofia. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’expulsion des ressortissants étrangers La loi de 1998 sur les étrangers en République de Bulgarie (закон за чужденците в Република България) régit l’entrée, le séjour et le statut des ressortissants étrangers. Les articles 39a et suivants régissent les mesures coercitives qui peuvent être imposées dans ce domaine, à savoir le retrait du permis de séjour, la reconduite à la frontière, l’expulsion, l’interdiction d’entrée sur le territoire ou l’interdiction de quitter le territoire. En vertu des articles 42 et 10, alinéa 1, de la loi, l’expulsion d’un ressortissant étranger est ordonnée, entre autres, lorsque sa présence sur le territoire crée une menace sérieuse pour la sécurité nationale ou l’ordre public ou lorsqu’il existe des informations indiquant que l’intéressé agit contre la sécurité et les intérêts du pays, fait partie d’un groupe ou d’une organisation criminels ou est lié à des activités de terrorisme, de contrebande, de trafic d’armes, de stupéfiants, d’êtres humains ou de migrants clandestins. En vertu de l’article 46 de la loi, les arrêtés d’expulsion peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel devant la Cour administrative suprême, qui statue en dernier ressort. Le recours n’a pas d’effet suspensif. Conformément à l’article 149 du code de procédure administrative, le recours doit être introduit dans un délai de quatorze jours à compter de la notification de l’acte. L’article 44a, introduit dans la loi sur les étrangers en 2001, interdit l’expulsion d’un étranger vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté seraient menacées, ou dans lequel il risque d’être exposé à des persécutions, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. L’appréciation de ce risque est en général effectuée par les autorités chargées de l’exécution de la mesure d’éloignement. En effet, l’arrêté d’expulsion ou de reconduite à la frontière ne désigne pas le pays vers lequel l’éloignement doit avoir lieu. Le pays de destination est en principe déterminé dans la décision ordonnant l’exécution pratique de la mesure d’éloignement. Cependant, la loi ne précise pas les modalités selon lesquelles les autorités administratives appliquent cette disposition et le Gouvernement n’a pas fourni d’exemples concrets de son application (pour plus de détails, voir Auad c. Bulgarie, no 46390/10, §§ 38, 105 et 106, 11 octobre 2011). Un nouvel alinéa 2 de cet article, adopté en mars 2013, dispose que lorsqu’un tel danger a été établi par une décision de justice définitive, l’autorité ayant ordonné la mesure d’expulsion doit prendre un nouvel arrêté indiquant le pays vers lequel l’intéressé ne doit pas être expulsé. Cet acte n’est pas susceptible de recours. La Cour ne dispose toutefois pas d’informations ou d’exemples concrets concernant la manière dont cette disposition aurait été appliquée en pratique. B. La rétention administrative en vertu de la loi sur les étrangers Les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers ont été modifiées en mai 2009 aux fins de transposition de la directive européenne 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. L’article 44 de la loi dispose en ses parties pertinentes : « (6) Lorsqu’un ressortissant étranger s’est vu imposer une mesure [de reconduite à la frontière ou d’expulsion] et que son identité n’a pas pu être établie, qu’il entrave l’exécution de la mesure ou lorsqu’il existe un risque de fuite, l’autorité ayant pris ladite mesure peut ordonner le placement de ce ressortissant dans un centre spécialisé de rétention temporaire des étrangers, afin d’organiser sa reconduite à la frontière ou son expulsion. (...) (8) La rétention administrative se poursuit tant que les conditions énoncées au paragraphe 6 sont réunies, sans pouvoir dépasser six mois. (...) Exceptionnellement, lorsque la personne concernée refuse de coopérer avec les autorités compétentes, ou qu’il existe un retard dans l’obtention des documents requis pour la reconduite à la frontière ou l’expulsion, la durée de la rétention peut être prolongée de douze mois supplémentaires. (...) » L’article 46a est libellé comme suit : « (1) L’arrêté de placement en rétention administrative est susceptible d’un recours conformément aux dispositions du code de procédure administrative, dans un délai de quatorze jours à compter du placement effectif. Le recours n’interrompt pas l’exécution de la mesure. (2) Le tribunal (...) examine le recours en audience publique et doit rendre sa décision dans un délai d’un mois suivant l’ouverture de la procédure. La comparution de la personne concernée n’est pas obligatoire. La décision du tribunal peut faire l’objet d’un recours devant la Cour administrative suprême, qui statue dans un délai de deux mois. (3) Tous les six mois, le directeur du centre de rétention pour étrangers présente une liste des étrangers qui y ont séjourné pendant plus de six mois en raison des obstacles à leur éloignement du territoire. Ladite liste est communiquée au tribunal administratif dans le ressort duquel le centre de rétention est situé. (4) À l’issue de chaque période de six mois à compter de la date de placement en rétention, le tribunal statue, sans tenir d’audience, soit d’office, soit à la demande de intéressé, sur la prolongation, la modification ou la levée de la mesure de rétention. L’ordonnance du tribunal peut faire l’objet d’un recours selon les modalités prévues par le code de procédure administrative. (5) Lorsque le tribunal annule la mesure de placement en rétention ou décide la remise en liberté du ressortissant étranger, ce dernier est immédiatement libéré. » Le code de procédure administrative, auquel renvoie l’article 46a de la loi sur les étrangers, prévoit que tout acte administratif peut faire l’objet d’un recours judiciaire devant le tribunal administratif. Le recours n’est pas suspensif de l’exécution de l’acte (articles 145 et suivants du code). Le jugement rendu par le tribunal administratif est susceptible d’un recours en cassation devant la Cour administrative suprême qui a un effet suspensif (articles 208 et suivants du code). Si elle décide d’annuler le premier jugement au motif d’une violation substantielle des règles procédurales ou si la résolution de l’affaire exige le rassemblement de nouvelles preuves autres que des preuves écrites, la Cour administrative suprême doit renvoyer l’affaire au tribunal administratif afin que celui-ci statue de nouveau. Dans les autres cas, elle règle l’affaire au fond (article 222 du code).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants et tels qu’ils ressortent des documents pertinents en l’espèce issus de différentes affaires liées aux faits à l’origine du présent litige, peuvent se résumer comme suit A. Le contexte général Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de Gênes accueillit le vingtseptième sommet des huit pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du groupe de coordination « Genoa Social Forum – GSF » (« le GSF »), organisèrent un sommet « altermondialiste » qui se déroula à la même période. Il a été estimé que 200 000 personnes (selon le ministère de l’Intérieur) à 300 000 personnes (selon le GSF) participèrent à l’événement. Un vaste dispositif de sécurité fut mis en place par les autorités italiennes (arrêts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisèrent la ville en trois zones concentriques : la « zone rouge », de surveillance maximale, où le sommet devait se dérouler et où les délégations devaient loger ; la « zone jaune », une zone tampon où les manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche », où les principales manifestations étaient programmées. Les autorités attribuèrent une couleur à chaque groupe organisé, à chaque association, à chaque syndicat et à chaque ONG, en fonction de sa dangerosité potentielle : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et également d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc noir », dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques. La journée du 19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes particulièrement significatifs. Par contre, les journées des 20 et 21 juillet furent marquées par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par du gaz lacrymogènes. Des quartiers entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17). B. Les traitements subis par les requérants à la caserne de Bolzaneto Le 12 juin 2001, le Comité provincial pour l’ordre et la sécurité publique élabora un plan logistique relatif à la prise en charge des personnes arrêtées pendant le sommet. La prison de Marassi se trouvant dans une zone considérée comme sensible, il fut décidé, pour des raisons de sécurité, de créer, dans des lieux excentrés, deux centres temporaires où les personnes arrêtées devaient être regroupées pour être soumises aux démarches consécutives à une arrestation, à savoir l’identification, la notification du procès-verbal d’arrestation, la fouille, l’immatriculation et la visite médicale, avant d’être transférées vers différentes prisons. Par un arrêté du ministère de la Justice du 12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto furent désignées comme étant des « sites utilisés à des fins de détention, annexes du bureau médical et du bureau matricule (ufficio matricola) des établissements pénitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie ». À l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectée aux activités de la police judiciaire. Le restant des locaux fut réservé aux activités de la police pénitentiaire (immatriculation, fouille et visite médicale). À la suite du décès de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers ne furent plus affectés aux activités de gestion de l’ordre public dans la ville. À partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto, placée sous la responsabilité de la police, resta ainsi le seul lieu de regroupement et de répartition des personnes arrêtées. Selon le ministère de la Justice, pendant la période d’activité de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont été immatriculées avant leur transfert vers les prisons d’Alexandrie, Pavie, Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes du 20 septembre 2001 », mentionné dans la note en bas de la page précédente). Les tribunaux internes ont établi avec exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes présentes à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto. Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions des membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusés ainsi que par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il est possible de décrire les épisodes de violence dont les requérants firent l’objet : Requête no 1442/14 Le requérant M. Blair fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini (pour les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’intervention, voir Cestaro précité, § 25-35) puis conduit à la caserne de Bolzaneto le dimanche 22 juillet 2001, vers 5 heures. Il indique que, dès son arrivée, un agent lui a marqué la joue d’une croix tracée au feutre, puis qu’il a été frappé à coups de pied. Pendant la fouille, il aurait été frappé d’une gifle en plein visage, et aurait été obligé de se déshabiller en présence d’agents et de faire des flexions. Avec les autres occupants de la cellule, il aurait été privé de sommeil, des agents criant et riant bruyamment dans le couloir ou procédant à de nombreux contrôles d’identité inopinés. Dans les toilettes, il aurait été frappé par un agent de la police pénitentiaire. Le 23 juillet, il fut transféré à la prison de Pavie. Le requérant M. Mc Quillan fut blessé au bras, à la tête et à la cheville lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini. Après un passage aux urgences pour y être soigné, il fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. Il indique qu’une croix a été tracée au feutre sur son visage. Il ajoute que, pendant la fouille, il a reçu un coup à la cheville blessée. Dans la cellule, il aurait été privé de sommeil, soumis à des contrôles d’identité fréquents et injustifiés. À sa sortie des toilettes, des agents auraient jeté un seau d’eau froide sur lui. Enfin, le requérant indique qu’il a été contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Il n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Le requérant M. Buchanan fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit à la caserne de Bolzaneto. Il indique que, à son arrivée, il a été roué de coups par un officier et par des agents. Il ajoute qu’il a été contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Il n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Requête no 21319/14 Le requérant M. Amodio fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet 2001, aux alentours de 15 heures. Il relate que, placé dans une cellule, il a souffert d’une infection intestinale et qu’il a dû attendre longtemps avant d’être conduit vers des toilettes, dont il n’aurait pas été autorisé à fermer la porte. Il aurait de plus été empêché de terminer ses besoins. De retour dans la cellule, il aurait été forcé à se mettre à genoux, il aurait été insulté en raison de sa taille (« Maintenant, nous allons jouer au cirque, espèce de singe, nain. »), puis menacé (« Nous dirons à tout le monde que tu es un pédophile, que t’as agressé des enfants, comme ça quand tu seras dans ta cellule, ils vont te faire ta fête. »), et ce dans les émanations de gaz irritant à l’intérieur de la cellule. D’après le témoignage de M. Della Corte (requérant de la requête no 21319/14 figurant à l’annexe I sous le numéro 3 de la liste), le requérant a eu une crise d’hystérie : « Réduit à un piètre état, il pleurait, il a fait une crise d’hystérie, car il avait été réellement effrayé. » Il aurait assisté au passage à tabac d’un codétenu portant une prothèse à la jambe (le requérant Mohammed Tabbach, requérant de la requête no 21319/14 figurant à l’annexe I sous le numéro 8 de la liste). Il n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Le requérant M. Callieri fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, aux alentours de 14 heures. Il indique que, amené dans une petite salle, il y a été passé à tabac pour avoir regardé un agent dans les yeux. Il aurait ensuite été conduit dans une cellule et à nouveau frappé et insulté. Il précise que du gaz irritant a été répandu à l’intérieur de la cellule. Il aurait demandé à se rendre aux toilettes et y aurait été frappé par des agents de la police pénitentiaire. De retour dans la cellule, il aurait assisté au passage à tabac d’un codétenu portant une prothèse à la jambe (le requérant Mohammed Tabbach). Pendant la visite médicale, il aurait été forcé à faire des flexions et, en raison de ses difficultés à toucher ses orteils avec les mains, il aurait été frappé à coups de pied par un agent. Il n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Le requérant M. Della Corte arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il relate que du gaz irritant a été projeté dans la cellule. Il indique en outre qu’il a demandé à se rendre aux toilettes et qu’il y a été frappé par des agents de la police pénitentiaire. Témoin du tabassage d’un codétenu portant une prothèse (le requérant Mohammed Tabbach), il aurait protesté verbalement. À la suite de son intervention, les agents lui auraient assené des coups dans le dos. Le requérant fut transféré à la prison d’Alexandrie à une date non précisée. Le requérant M. De Munno, souffrant d’une fracture au pied, fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 17 heures. Il indique qu’il y a été l’objet de coups et d’insultes. Il ajoute que, ayant des difficultés à respirer à cause de la fracture d’une côte, il a demandé à maintes reprises à voir un médecin avant de s’évanouir. Il aurait repris connaissance à l’infirmerie et aurait ensuite été emmené aux urgences. À son retour à la caserne, un agent lui aurait marché intentionnellement sur le pied fracturé tandis que d’autres surveillants auraient menacé de lui casser l’autre pied. Ramené dans la cellule, il aurait été autorisé à s’asseoir, dos au mur. Dans cette position, il aurait assisté aux violences infligées aux autres détenus. Lors de son témoignage, il a déclaré ne pas avoir demandé à se rendre aux toilettes, sur les avertissements d’un des carabiniers, en raison de son état physique et par peur d’être exposé à des violences. Le requérant M. Morozzi arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 12 heures. Il indique que, à son entrée, il a été conduit par des agents cagoulés dans une pièce et qu’il y a été frappé de multiples coups sur le dos et sur les jambes. Amené ensuite dans une cellule, il aurait inhalé du gaz irritant. Il aurait également assisté au passage à tabac d’un codétenu portant une prothèse (le requérant Mohammed Tabbach). À son retour de l’infirmerie, il aurait été frappé de deux coups de poing au visage. Ayant appris que c’était le jour de son anniversaire, les agents l’auraient emmené dans une petite pièce et lui auraient assené de nombreux coups (« Ils ont appelé d’autres agents : « venez ici, il y en a un qui a son anniversaire, on va te le fêter. »). Le requérant fut transféré à la prison d’Alexandrie à une date non précisée. La requérante Mme Morrone arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 15 heures. Elle indique que, souffrant d’une hernie discale, elle a signalé sa pathologie aux agents mais qu’elle a néanmoins été frappée à plusieurs reprises. Du gaz irritant aurait été répandu dans sa cellule, dans laquelle elle aurait de plus été l’objet d’insultes à caractère sexuel. Elle aurait demandé, en vain, des serviettes hygiéniques et aurait dû se résoudre à déchirer son t-shirt et à s’en servir en guise de protection. À l’infirmerie, elle aurait été contrainte d’ôter ses vêtements en présence de deux agents de sexe masculin. Elle n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle elle a été dirigée. Le requérant M. Pignatale fut emmené à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que, conduit dans une salle, il a été forcé à se déshabiller, à se mettre en position fœtale puis à sauter sous les coups que des agents lui auraient assenés. Il ajoute que, dans la cellule, il a eu à pâtir des émanations de gaz irritant. Il aurait également été insulté et menacé en raison de son travail dans l’administration publique (« T’es un infâme, un traître (...), t’es un fonctionnaire de l’État et tu viens ici, contre nous ? Honte à toi, on te fera licencier, ton fils aura honte de toi, tu ne le reverras plus avant longtemps. »). Il n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Le requérant M. Tabbach arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet, vers 14 heures. Il indique qu’il a signalé aux agents avoir une prothèse à la jambe droite. En dépit de cela, il aurait été obligé dans la cellule de se maintenir face au mur, les jambes écartées et les bras vers le haut, dans la même position vexatoire que celle imposée à tous les individus arrêtés. Du gaz irritant aurait été répandu dans la cellule. Ne pouvant plus se maintenir dans cette position, il se serait assis par terre à deux reprises. Chaque fois, des agents auraient fait irruption dans la cellule et l’auraient frappé à coups de matraque. Dans le bureau du médecin, on lui aurait refusé une chaise, il aurait été obligé de s’asseoir par terre et, dans cette position, d’ôter ses vêtements en présence de plusieurs agents. Le requérant n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle il a été dirigé. Requête no 21911/14 La requérante Mme Allueva fut arrêtée lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini. Elle indique que, à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, elle a été insultée et passée à tabac par des agents. En particulier, un agent l’aurait obligée à écrire des insultes sur une feuille et à les lire à haute voix. Aux toilettes, elle aurait été contrainte de maintenir la porte ouverte et de faire ses besoins sous le regard d’agents de sexe masculin. Le 22 juillet, avant d’être transférée à la prison de Vercelli, elle aurait été forcée à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le requérant M. Brauer fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit à la caserne de Bolzaneto. Il relate que, dans l’enceinte de la caserne, il a été insulté et frappé au dos. Son visage aurait été marqué de deux croix tracées au feutre. Dans la cellule, il aurait reçu des jets de gaz irritant en plein visage, ce qui aurait déclenché une forte crise obligeant le personnel médical à intervenir et à le « décontaminer » (il aurait été déshabillé et arrosé avec un jet d’eau froide). Il précise que, à la suite de cette intervention, ses vêtements ont été jetés et que, encore mouillé, il serait resté vêtu d’une simple blouse d’hôpital. Avant de sortir, il aurait été contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le 23 juillet, il fut conduit à la prison de Pavie. Le requérant M. Hinrichsmeyer fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, conduit à la caserne de Bolzaneto. Il expose que, à son arrivée, il a été contraint de marcher devant des agents avec un chapeau rouge sur la tête et un autocollant dans le dos. Aux toilettes, il aurait été contraint de maintenir la porte ouverte et de faire ses besoins sous le regard des agents. Enfin, il aurait été forcé à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le 23 juillet, il fut transféré à la prison de Pavie. Le requérant M. Marquello fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et emmené, le 22 juillet, à la caserne de Bolzaneto. Il indique qu’il y a été insulté et frappé, et forcé à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le lendemain, il fut transféré à la prison de Pavie. Le requérant M. Moret fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et, le 22 juillet, il fut conduit à la caserne de Bolzaneto. Il indique qu’une croix a été tracée au feutre sur son visage, et que, par la suite, il a subi des insultes et des crachats. Enfin, il aurait été forcé à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le 23 juillet, il fut transféré à la prison de Pavie. Le requérant M. Samperiz fut arrêté lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et conduit à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. Blessé à la jambe, il fut frappé par des agents, et insulté. Il dit avoir été privé de ses effets personnels, notamment de son médicament contre l’asthme. À l’infirmerie, il aurait été obligé de se déshabiller sous le regard des agents. Il aurait été forcé à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le lendemain, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. La requérante Mme Wagenschein fut arrêtée lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini et, le 22 juillet, elle fut conduite à la caserne de Bolzaneto. Elle indique avoir été l’objet d’insultes répétées. Lors de la visite médicale, elle aurait été contrainte de se déshabiller devant un médecin de sexe masculin et de faire des flexions. Enfin, elle aurait été forcée à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le lendemain, elle fut transférée à la prison de Voghera. La requérante Mme Zapatero fut arrêtée lors de l’irruption des forces de police dans l’école Diaz-Pertini puis, le 22 juillet, elle fut conduite à la caserne de Bolzaneto. Elle dit avoir été forcée à signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le lendemain, elle fut transférée à la prison de Voghera. Le requérant M. Cuccadu fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il dit que, dans la cellule, on lui a cogné plusieurs fois la tête contre le mur et on l’a frappé aux jambes et au dos. Il ajoute que, le lendemain, avant son transfert à la prison d’Alexandrie, il a été l’objet de menaces (« Ils t’amèneront dans une belle prison avec jardin, où il y a beaucoup d’arbres avec des cordes »). La requérante Mme Germano arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Elle dit y avoir été l’objet d’insultes à caractère sexuel et avoir été contrainte d’enlever un piercing sous la menace d’un agent. Elle aurait été forcée à signer un document sans avoir pu en lire le contenu. Le lendemain, elle fut transférée à la prison d’Alexandrie. Le requérant M. Ighina fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il relate que du gaz irritant a été répandu dans la cellule. Il dit avoir reçu un premier coup de poing dans les côtes, puis un deuxième alors qu’il attendait d’être amené à l’hôpital en ambulance. Il aurait également été l’objet de menaces (parmi d’autres : « on va te tuer », « tu es mort »). Le 22 juillet, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Le requérant M. Laconi arriva à la caserne de Bolzaneto la nuit du 20 juillet. Il dit que, pendant la fouille, il a ôté sa ceinture et qu’un agent a ensuite utilisé celle-ci pour le frapper. Dans la cellule, il aurait été frappé sur le dos et sur les côtes. Il aurait été insulté et forcé à crier des phrases faisant l’apologie d’un dictateur italien. Le lendemain, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. La requérante Mme Menegon fut conduite à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet et transférée le même jour à la prison d’Alexandrie. Elle indique que, à la caserne, elle a été l’objet d’insultes et de menaces à caractère sexuel. Lors de la visite médicale, le personnel aurait mimé des actes sexuels et le médecin aurait fait des remarques sur son aspect physique. La requérante n’a pas précisé la date de son transfert ni la prison vers laquelle elle a été dirigée. Le requérant M. Passiatore arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il indique que, dans la cellule, il a été frappé sur le dos et sur la nuque. À cause de ces coups, sa tête aurait cogné si violemment le mur qu’il aurait perdu connaissance pendant un moment. Ensuite, il aurait été soumis à des jets de gaz irritant. Le lendemain, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Le requérant M. Pfister arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il expose que, forcé par des agents à se mettre à genoux, la tête au sol, il a été frappé dans cette position avec une matraque. Il aurait été insulté et contraint de crier des insultes contre des personnalités de gauche. Le lendemain, il fut transféré à la prison d’Alexandriea. Le requérant M. Sesma fut conduit à la caserne de Bolzaneto le 20 juillet. Il dit avoir été l’objet d’insultes et de coups dans le couloir et aux toilettes, où des agents lui auraient coupé des mèches de cheveux et sectionné un collier pour les jeter ensuite dans la cuvette. Il aurait été contraint de signer des documents sans en avoir la traduction et en l’absence d’un interprète. Le 22 juillet, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Le requérant M. Spingi arriva à la caserne de Bolzaneto le 21 juillet. Il indique qu’il a demandé à prendre contact avec ses parents et qu’on lui a répondu : « Nous allons les appeler et leur dire que tu es mort. » Il aurait également été l’objet d’insultes et aurait été frappé. Avec d’autres détenus, il aurait été forcé à se tenir dans des positions bizarres, désignées par les termes « compositions humaines ». Le lendemain, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. C. La procédure pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour les faits commis à la caserne de Bolzaneto À la suite des faits commis à la caserne de Bolzaneto, le parquet de Gênes entama des poursuites contre quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un préfet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police pénitentiaire, des carabiniers et des médecins de l’administration pénitentiaire. Les chefs d’accusation retenus étaient les suivants : abus d’autorité publique, abus d’autorité à l’égard de personnes arrêtées ou détenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en jugement des inculpés. Les requérants et d’autres personnes (155 au total) se constituèrent parties civiles. Le jugement de première instance Par le jugement no 3119 du 14 juillet 2008, déposé le 27 novembre 2008, le tribunal de Gênes condamna quinze des quarante-cinq accusés à des peines allant de neuf mois à cinq ans d’emprisonnement assorties d’une peine accessoire d’interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici). Dix condamnés bénéficièrent d’un sursis et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise générale de peine (indulto), trois condamnés bénéficièrent d’une remise totale de leur peine d’emprisonnement et deux autres, condamnés respectivement à trois ans et deux mois et à cinq ans d’emprisonnement, d’une remise de peine de trois ans. Le tribunal estima tout d’abord qu’il était prouvé que les faits suivants avaient été commis à l’encontre de tous les requérants : insultes, menaces, coups et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les cellules, destruction d’effets personnels, longs délais d’attente pour utiliser les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrêtées à l’école Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient être qualifiés d’inhumains et dégradants et qu’ils avaient été commis dans un contexte particulier « et, on l’espér[ait], unique ». Il ajouta que ces épisodes avaient aussi porté atteinte à la Constitution républicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les forces de l’ordre. Le tribunal souligna ensuite que, malgré la longue, laborieuse et méticuleuse enquête menée par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements, dont l’existence avait été démontrée pendant les débats, n’avaient pas pu être identifiés en raison de difficultés objectives, et notamment de l’absence de coopération de la police, résultat aux yeux du tribunal d’une mauvaise interprétation de l’esprit de corps. Le tribunal précisa enfin que l’absence en droit pénal du délit de torture avait obligé le parquet à circonscrire la plupart des mauvais traitements avérés au cadre du délit d’abus d’autorité publique. En l’espèce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient été accusés de ne pas avoir empêché, de par leur comportement passif, les mauvais traitements dénoncés. À cet égard, le tribunal estima que la plupart des accusés du chef d’abus d’autorité publique ne pouvaient pas être jugés coupables eu égard au fait que : a) le délit en cause était caractérisé par un dol spécifique, à savoir l’intention claire et avérée de l’agent public de commettre un certain délit ou de ne pas en empêcher la commission, et que b) l’existence de ce dol spécifique n’avait pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Les coupables des actes litigieux ainsi que les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense furent condamnés au paiement des frais et dépens et au dédommagement des parties civiles, des sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) étant accordées à titre de provision sur les dommages-intérêts. L’arrêt d’appel Saisie par les accusés, le procureur près le tribunal de Gênes, le procureur général, les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense (responsables civils) et par les victimes qui s’étaient constituées parties civiles, la cour d’appel de Gênes, par son arrêt no 678 du 5 mars 2010, déposé le 15 avril 2011, infirma partiellement le jugement entrepris. Concernant le délit d’abus d’autorité publique envers des personnes arrêtées, elle confirma d’abord la condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis pour deux accusés et la remise totale de peine s’agissant d’un troisième accusé. Par ailleurs, elle condamna un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour délit de lésions corporelles. Ce dernier bénéficia d’une remise de peine de trois ans. S’agissant du délit de faux, elle condamna trois accusés jugés non coupables en première instance à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire et une quatrième accusée à deux ans d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire. Enfin, elle prononça un non-lieu en raison de la prescription des délits dont étaient accusées vingt-huit personnes, dont deux personnes condamnées ayant bénéficié d’une remise de peine en première instance (paragraphe 47 ci-dessus). Elle rendit également un non-lieu à l’égard d’un accusé décédé. Elle condamna également tous les accusés (excepté ce dernier) ainsi que les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense aux frais et dépens de la procédure et au dédommagement des parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR furent accordées à titre de provision sur les dommages-intérêts. Dans les motifs de l’arrêt, la cour d’appel précisa tout d’abord que, bien que les délits en question fussent prescrits, elle devait statuer sur les effets civils des infractions. Elle indiqua ensuite que la crédibilité des témoignages des victimes ne faisait aucun doute : d’une part, lesdits témoignages avaient été corroborés par la comparaison des diverses déclarations, dont celles de deux infirmiers et d’un inspecteur de police, par les aveux partiels de certains accusés ainsi que par plusieurs pièces du dossier ; d’autre part, ces témoignages présentaient les caractéristiques typiques des récits de victimes d’événements traumatiques et faisaient état d’une volonté sincère de restituer la vérité. Quant aux événements qui s’étaient produits à la caserne de Bolzaneto, la cour d’appel observa que toutes les personnes ayant transité par ce centre y avaient été l’objet de sévices de toutes sortes, continus et systématiques, par des agents de la police pénitentiaire ou des agents des forces de l’ordre ayant participé, pour la plupart, à la gestion de l’ordre public dans la ville au cours des manifestations. En effet, elle nota que, dès leur arrivée et tout au long de leur détention dans la caserne, ces personnes, parfois déjà éprouvées par les violences subies lors de l’arrestation, avaient été obligées de se tenir dans des positions vexatoires et avaient été l’objet de coups, de menaces et d’injures à caractère principalement politique et sexuel. Même à l’infirmerie, les médecins et les agents présents auraient ostensiblement contribué, par des actes ou des omissions, à provoquer et à accroître la terreur et la panique des personnes arrêtées. La cour d’appel releva que certaines, blessées lors de l’arrestation ou à la caserne, auraient en tout état de cause nécessité de soins adéquats, voire une hospitalisation immédiate. De surcroît, elle remarqua aussi que le couloir de la caserne avait été surnommé « le tunnel des agents », car les nombreux passages des personnes arrêtées avaient eu lieu entre deux rangées d’agents les injuriant et les tabassant. La cour d’appel ajouta que de nombreux autres éléments avaient brisé la résistance physique et psychologique des personnes arrêtées et temporairement détenues à la caserne, à savoir : l’interdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiée des effets personnels ; le fait – tout en étant soumis à l’interdiction de communiquer entre détenus et donc à l’impossibilité de chercher un réconfort mutuel – de devoir assister aux sévices infligés aux autres personnes arrêtées, d’écouter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur urine ; l’impossibilité d’accéder régulièrement aux toilettes et de les utiliser à l’abri des regards et des injures des agents ; la privation d’eau et de nourriture ; le froid et la difficulté de trouver un peu de détente dans le sommeil ; l’absence de tout contact avec l’extérieur, et la mention mensongère par les agents de la renonciation des personnes arrêtées au droit de prévenir un membre de leur famille, un avocat et, le cas échéant, un diplomate de leur pays d’origine ; enfin, l’absence d’informations pleinement intelligibles sur les raisons de l’arrestation des personnes concernées. En somme, d’après la cour d’appel, ces personnes avaient été soumises à plusieurs traitements contraires à l’article 3 de la Convention tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, série A no 25), Raninen c. Finlande (16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VIII) et Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999V). Pour la cour d’appel, tous les agents et le personnel de santé qui se trouvaient à la caserne avaient été à même de s’apercevoir que de tels traitements étaient infligés, ce qui, à ses yeux, était suffisant en l’espèce pour constituer le délit d’abus d’autorité publique. En outre, la cour d’appel estima que ces traitements, combinés avec la négation de certains droits de la personne arrêtée, avaient pour but de donner aux victimes le sentiment d’être tombées dans un espace de négation de l’habeas corpus, des droits fondamentaux et de tout autre aspect de la prééminence du droit, ce que, au demeurant, confirmaient selon elle les diverses formes d’évocation du fascisme faites par les agents. En d’autres termes, en infligeant torture et mauvais traitements, les auteurs de ces sévices avaient voulu produire un processus de dépersonnalisation similaire à celui mis en œuvre à l’encontre des juifs et des autres personnes internés dans les camps de concentration. Ainsi, à l’instar d’objets ou d’animaux, les personnes arrêtées dans l’école Diaz-Pertini auraient été, à leur arrivée à la caserne, marquées au feutre sur le visage. Enfin, selon la cour d’appel, ces événements avaient eu des conséquences très graves sur les victimes et perduraient dans leurs effets bien au-delà de la fin de la détention de celles-ci à la caserne de Bolzaneto, car ils avaient déstructuré les catégories rationnelles et émotionnelles au travers desquelles la personne humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec l’État et sa participation à la vie publique. Ils auraient également touché les familles des victimes en tant que communautés d’échange d’expériences et de valeurs. L’arrêt de la Cour de cassation Saisie par les accusés, le procureur général et les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrêt no 37088 le 14 juin 2013. Celui-ci fut déposé le 10 septembre 2013. La Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris. Tout d’abord, elle releva que, s’agissant de tous les délits retenus par le tribunal de première instance et la cour d’appel de Gênes, la quasi-totalité avait été touchée par la prescription, à laquelle toutefois trois officiers de police avaient renoncé, exception faite du délit de lésions corporelles retenu à l’encontre d’un agent et du délit de faux retenu à l’encontre de quatre autres agents. Elle rejeta ensuite l’exception de constitutionnalité soulevée par le procureur général de Gênes, estimant que, en vertu de l’article 25 de la Constitution relatif au principe de réserve de la loi, seul le législateur pouvait établir les sanctions pénales et définir l’application de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015). Elle jugea en outre que les violences perpétrées à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto l’avaient été sans interruption, dans des conditions où chaque personne présente en avait la totale perception auditive et visuelle. Elle estima, en s’appuyant sur trente-neuf témoignages concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les principes fondamentaux de l’état de droit avaient été écartés. En conclusion, concernant le sort individuel de chaque personne condamnée, elle confirma la condamnation des trois officiers ayant renoncé à la prescription à un an d’emprisonnement pour délit d’abus d’autorité (dont deux bénéficièrent d’un sursis à l’exécution et le troisième d’une remise de peine), de trois autres officiers à un an et six mois d’emprisonnement avec sursis pour délit de faux et d’un médecin de l’administration pénitentiaire à deux ans pour le même délit. Elle confirma également la condamnation d’un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour délit de lésions corporelles. Celui-ci bénéficia d’une remise de peine de trois ans. Pour ce qui est des autres appelants, la Cour de cassation confirma l’arrêt entrepris quant à la responsabilité civile des plus hauts gradés impliqués, à savoir le préfet de police adjoint, la commissaire en chef (commissario capo) et l’inspecteur de police pénitentiaire chargé de la sécurité du site pénitentiaire établi dans la caserne de Bolzaneto. Elle parvint au même constat concernant de nombreux officiers et agents de la police pénitentiaire et des forces de l’ordre ainsi que le personnel de santé en cause, dont le responsable du service de santé du site. D. L’enquête parlementaire d’information Le 2 août 2001, les présidents du Sénat et de la Chambre des députés décidèrent qu’une enquête d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs. Le 20 septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes ». Ce rapport citait les déclarations du responsable des activités de la police pénitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la décision d’affecter à la police pénitentiaire et à la police judiciaire une seule et même caserne s’était révélée être « un choix malheureux ». Le rapport indiquait ensuite que, dans la nuit du 21 au 22 juillet, la durée de la détention à la caserne de Bolzaneto des personnes arrêtées avait été excessivement longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait été due à l’insuffisance de personnel, à l’afflux des personnes arrêtées dans l’école Diaz-Pertini et aux modalités de transfert vers les prisons choisies en tant que lieux de détention provisoire. Le rapport faisait aussi état de ce que, au cours de la même nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice s’était rendu à la caserne de Bolzaneto et avait vu dans une cellule une femme et dix hommes placés jambes écartées et face contre le mur sous la surveillance d’un agent. Le rapport mentionnait en outre l’existence de deux enquêtes administratives relatives aux faits survenus à la caserne de Bolzaneto, engagées à l’initiative du chef de la police et du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxième enquête faisait état de onze cas de violences dénoncés par la presse ou par les victimes elles-mêmes ainsi que d’autres vexations signalées par un infirmier. Le rapport indiquait enfin que, d’après le préfet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines déclarations faites à la presse ou aux enquêteurs par les victimes s’étaient révélées fausses et infondées. Le rapport concluait toutefois que le préfet F. n’avait pas précisé à quel des centres de répartition (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se référaient ses observations. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à son arrêt Cestaro (précité, §§ 87-106). La proposition de loi visant à sanctionner la torture et les mauvais traitements, intitulée « Introduction du délit de torture dans l’ordre juridique italien » (introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano), Sénat de la République S-849, a été votée par le Sénat de la République italienne le 5 mars 2014, puis transmise à la Chambre des députés qui a modifié le texte et envoyé la nouvelle version au Sénat le 13 avril 2015. Le 17 mai 2017, le Sénat a adopté des amendements à la proposition de loi et a communiqué le nouveau texte à la Chambre des députés. Le 5 juillet 2017, la Chambre des députés a définitivement adopté le texte. La loi no110 du 14 juillet 2017, intitulée « Introduction du délit de torture dans l’ordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano) a été publiée au Journal officiel (Gazzetta ufficiale) le 18 juillet 2017. Elle est entrée en vigueur le même jour. III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL Pour ce qui est des éléments de droit international pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à son arrêt Cestaro (précité, §§ 107-121).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1965, en 1966 et en 1961 et résident à Istanbul. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La genèse de l’affaire Le 12 novembre 1999, dans le cadre d’une vaste opération policière menée contre la fondation Bilim Araştırma Vakfı (la fondation de la recherche scientifique, plus communément appelée « la BAV »), 93 personnes, dont les requérants, furent arrêtées par des agents de la section du crime organisé de la direction de la sûreté d’Istanbul et placées en garde à vue. Du 12 au 18 novembre 1999, les requérants furent examinés par les médecins de différents établissements hospitaliers à Istanbul, soit avec d’autres personnes gardées à vue, soit individuellement : Après avoir été interrogés par la police puis par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État, T. Aksu fut libéré le 17 novembre 1999 et H.H. Müftüoğlu et A. Tınarlıoğlu le furent le lendemain. Le 18 novembre 1999, dans sa déposition devant le procureur de la République, H.H. Müftüoğlu précisa qu’il ne confirmait pas la déposition recueillie durant sa garde à vue, que des policiers l’avaient rédigée, que ces derniers ne l’avaient pas laissé la lire et qu’il n’avait rien à ajouter. B. La procédure pénale dirigée contre les requérants Le 11 janvier 2000, le procureur de la République engagea une action pénale à l’encontre de 36 personnes, dont les requérants, pour avoir apporté de l’aide et participé à une organisation criminelle. Le 7 avril 2000, lors de leur audition devant la cour de sûreté de l’État, les requérants firent les dépositions suivantes : H.H. Müftüoğlu : « Je n’accepte pas ma déposition faite à la direction de la sûreté ; elle a été recueillie sous la pression et sous la torture. Je n’ai rien à dire pour les autres dépositions. Ils m’ont fait signer les procès-verbaux les yeux bandés. » T. Aksu : « Je n’accepte pas ma déposition faite à la direction de la sûreté ; elle a été recueillie sous la pression. » A. Tınarlıoğlu : « Je n’accepte pas ma déposition faite à la direction de la sûreté ; elle a été recueillie sous la pression. » Après l’abolition définitive des cours de sûreté de l’État par la loi no 5190 du 30 juin 2004, l’affaire fut transférée à la cour d’assises d’Istanbul. Le 9 mai 2008, la cour d’assises d’Istanbul mit fin à la procédure au motif que le délai de prescription pour le chef d’accusation d’aide à une organisation criminelle et de participation à celle-ci était écoulé. Le 28 décembre 2009, la Cour de cassation confirma la décision du tribunal du fond de mettre fin à la procédure pour cause de prescription. C. La procédure pénale dirigée contre les policiers À une date non précisée en 2000, certaines personnes, dont les requérants, auraient déposé une plainte pour torture contre les policiers responsables de leur garde à vue. Plusieurs procédures furent engagées contre les policiers. Les faits marquants des procédures concernant les requérants peuvent se résumer comme suit. Le 26 octobre 2001, le parquet de Fatih rendit une décision de nonlieu à l’égard des policiers. Le 21 novembre 2002, la cour d’assises de Beyoğlu rejeta l’opposition formulée contre la décision de non-lieu. Cependant, le 5 mars 2004, cette même cour d’assises décida d’élargir l’enquête à la suite de la demande d’un autre plaignant et demanda l’établissement de rapports médicaux à l’institut de médecine légale. Le 3 avril 2005, bien que les rapports médicaux n’eussent pas encore été versés au dossier, la cour d’assises de Beyoğlu annula la décision de non-lieu du parquet de Fatih et ordonna d’engager des poursuites pénales contre les policiers impliqués. Par un acte d’accusation du 22 juin 2005, le procureur de la République d’Istanbul, se fondant sur l’article 241 § 1 de l’ancien code pénal, tel que modifié le 26 août 1999 (loi no 765), intenta une action pénale contre huit policiers, A.E., M.R., S.G., V.M., N.K., SA, A.S.S. et O.K., pour avoir torturé 26 personnes, dont H.H. Müftüoğlu, pendant la garde à vue de celles-ci en novembre 1999. L’affaire fut enregistrée devant la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul sous le no 2005/273. À l’audience du 24 janvier 2007, la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul entendit H.H. Müftüoğlu. Celui-ci déclara que, le deuxième jour de sa garde à vue, S.K. lui avait écrasé les testicules et que, alors qu’il avait les yeux bandés, le policier lui avait donné des coups de poing au visage. Il ajouta qu’un autre policier lui avait appliqué du courant électrique sur les organes génitaux. À partir du 10 mai 2006, les requérants furent examinés par des médecins de différents établissements hospitaliers d’Istanbul, qui établirent plusieurs rapports médicaux. Les conclusions de ces rapports peuvent être résumées comme suit : Le 28 décembre 2006, le procureur de la République de Fatih entendit A. Tınarlıoğlu. Ce dernier déclara qu’il croyait avoir déjà porté plainte pour dénoncer la torture qu’il alléguait avoir subie lors de son arrestation en 1999 mais qu’il lui fallait s’entretenir avec son avocat pour plus de précisions. Il soutint que, lors de son arrestation et pendant la période de sa garde vue en 1999, il avait été torturé par des agents de la section du crime organisé de la direction de la sûreté d’Istanbul. Il affirma qu’ils l’avaient passé à tabac, insulté et menacé avec un revolver. Il aurait craint pour sa vie, car les policiers lui auraient dit, en montrant la fenêtre des toilettes, qu’une personne gardée à vue s’était défenestrée. Il allégua qu’il avait fait une déposition d’une demi-page seulement mais que les policiers lui avaient fait signer un document de six pages. Il déclara qu’il avait les yeux bandés lors de sa déposition, contrairement au début de sa garde à vue. Il ajouta que, lorsqu’il avait été envoyé subir un examen médical avec d’autres personnes gardées à vue, le policier S.K. qui les accompagnait avait fait pression sur eux pour qu’ils ne disent rien. Il indiqua que le policier A.İ. était présent au poste de police même s’il ne pouvait pas dire avec exactitude si celui-ci les avait torturés. Il cita les noms de certains policiers mais dit ne pas savoir exactement qui avait torturé les deux autres requérants et d’autres personnes en garde à vue. Le 17 janvier 2007, le procureur de la République de Fatih entendit T. Aksu, qui déclara à son tour avoir déposé une plainte pour torture lors de son arrestation en 1999. T. Aksu déclara qu’une enquête était en cours devant la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul et que la procédure contre A.İ., S.K. et B.K. était pendante. Il ajouta qu’il avait omis de porter plainte contre le policier V.M. mais déclara que ce dernier l’avait aussi torturé. Quant aux mauvais traitements qu’il aurait subis, il renvoya à ses dépositions précédentes. Le 28 novembre 2008, le procureur de la République de Fatih inculpa les policiers V.M., A.İ., S.K. et B.K. du chef de torture. Dans l’acte d’accusation, le procureur notait que, en 2005, en raison des événements liés à l’opération de 1999, plusieurs policiers avaient été mis en cause dans le cadre de la procédure pénale devant la cour d’assises d’Istanbul (voir paragraphes 21-22, ci-dessus) et que, lors des audiences, certaines personnes avaient déposé des plaintes contre des policiers autres que ceux qui avaient déjà été inculpés. Par ailleurs, il constatait que, d’après les rapports médicaux, il n’existait pas de preuves solides attestant que A. Tınarlıoğlu et T. Aksu avaient subi des traumatismes physiques externes. Il ajoutait toutefois que la torture ne se limitait pas à des moyens uniquement physiques et que, pour des cas similaires, une procédure pénale avait été engagée contre les policiers devant la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul. Il concluait que les plaintes des requérants ne se limitaient pas aux agressions physiques et que, eu égard aux rapports établis par les experts médicaux, il y avait suffisamment de preuves pour engager une action publique concernant les faits reprochés aux policiers en l’espèce. L’affaire fut enregistrée devant la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul sous le no 2008/496. Le nombre de plaignants s’élevait à onze, dont les trois requérants. Le 11 décembre 2009, la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul décida de joindre l’affaire no 2008/496 à l’affaire no 2006/80 de la 6e chambre puisque les faits et la question de fond présentaient des similitudes. Il fut décidé que la 6e chambre allait continuer la procédure sous le no 2006/80. Dans cette affaire, une action pénale avait été dirigée contre cinq policiers (S.K., A.I., A.E., V.M. et B.K.) pour avoir torturé 11 personnes, dont trois requérants, pendant la garde à vue de ceux-ci en novembre 1999. Le 28 décembre 2011, la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul (dans l’affaire no 2005/273) acquitta les huit policiers (A.E., M.R., S.G., V.M., N.K., SA, A.S.S. et O.K.) du chef de torture de dix personnes, dont H.H. Müftüoğlu. Les parties intervenantes, dont H.H. Müftüoğlu , et le procureur de la République se pourvurent en cassation. Le 11 avril 2013, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la 7e chambre de la cour d’assises (affaire no 2005/273). Après la cassation, l’affaire fut enregistrée devant la 7e chambre sous le no 2013/260. Le 29 mai 2013, la 6e chambre de la cour d’assises d’Istanbul tint la 19e audience dans l’affaire no 2006/80, à laquelle plusieurs parties intervenantes, dont les trois requérants, participèrent. Ces derniers réitérèrent leurs allégations concernant la torture qu’ils auraient subie. T. Aksu identifia deux des policiers présents à l’audience. À la fin de l’audience, compte tenu de la similitude de l’affaire avec l’affaire no 2013/260 de la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul quant aux faits et à la question de fond, la 6e chambre décida de les joindre pour ne pas risquer d’aboutir à des jugements contradictoires. Il fut également décidé que la 7e chambre allait continuer la procédure sous le no 2013/260. Les 24 juin 2013, 21 novembre 2013, 23 janvier 2014, 20 mars 2014, 8 mai 2014, 15 septembre 2014 et 23 décembre 2014, la 7e chambre de la cour d’assises d’Istanbul tint des audiences et continua à recueillir des preuves. Les requérants versèrent les rapports médicaux susmentionnés au dossier. L’audience suivante fut fixée au 5 mars 2015. Depuis le versement au dossier de leurs observations, les parties n’ont pas informé la Cour de l’évolution de l’affaire. La procédure est vraisemblablement toujours pendante devant les juridictions internes. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 243 § 1 de l’ancien code pénal, tel que modifié le 26 août 1999, était rédigé dans les termes suivants : « Tout fonctionnaire public qui, pour faire avouer des délits ou empêcher la victime, la partie civile, la partie intervenante ou le témoin de signaler des événements, de porter plainte, de dénoncer ou de témoigner ou, pour toute autre raison, torture ou recourt à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, sera puni de huit ans de réclusion au maximum et de l’interdiction à perpétuité ou pour un temps d’exercer des fonctions publiques. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1961 et réside à Aksakovo (région d’Orenbourg). A. L’arrestation et le décès du frère de la requérante Le 19 décembre 2005, vers 14 heures, le frère de la requérante, M. Vasiliy Liamov, fut interpellé par l’officier de police P. à Aksakovo, dans la région d’Orenbourg. P. menotta M. Liamov et le fit monter dans un véhicule de police. Ensuite, un autre officier, A., prit place à bord de ce véhicule et ils se rendirent au commissariat de police de Buguruslan (ОВД по МО г. Бугуруслан и Бугурусланский район) (« le commissariat de police »), éloigné de 100 kilomètres. Lors de ce trajet, M. Liamov fut brutalisé. Lorsque le véhicule parvint à destination, M. Liamov présentait des lésions l’empêchant de marcher. P. et A., assistés d’un autre officier, le portèrent alors à l’intérieur du commissariat de police. Ils l’allongèrent par terre, dans le hall, où il resta cinq heures sans assistance médicale. Plusieurs personnes passèrent à côté de lui sans lui prêter attention. Vers 21 heures, un officier de police s’approcha de M. Liamov et, ne détectant pas son pouls, demanda à ses collègues d’appeler une ambulance. Le médecin qui arriva sur place constata « la mort biologique » de M. Liamov. Dans le certificat dressé sur les lieux, l’équipe médicale de l’ambulance nota que, selon les dires des policiers, la victime, qui était restée allongée à côté du radiateur dans un état d’ébriété, s’était mise à râler et à uriner vingt minutes avant l’arrivée de l’ambulance. L’équipe médicale, qui comprenait un médecin, un aide-médecin et un chauffeur, ne constata aucune lésion corporelle. Aucune décision ne fut rendue et aucun procès-verbal ne fut dressé à la suite de l’arrestation et de la détention de M. Liamov. Le même jour, à 22 heures, l’enquêteur du service du procureur de Buguruslan procéda à un examen des lieux. Le lendemain, le médecin légiste D. examina le corps de M. Liamov et constata l’absence de lésions. Il conclut que le décès résultait d’une intoxication alcoolique. La famille de M. Liamov demanda une nouvelle expertise. B. L’instruction relative à l’incident et les décisions judiciaires L’instruction engagée par le procureur Le 26 décembre 2005, le procureur de Buguruslan ordonna l’ouverture d’une instruction pénale relative au décès de M. Liamov. Le même jour, l’enquêteur demanda une autopsie. a) Le deuxième rapport d’expertise post mortem L’expert constata la présence de plusieurs lésions corporelles, dont un traumatisme des vertèbres cervicales qui avait, selon lui, provoqué le décès de M. Liamov. Il expliqua que, pour causer cette lésion, la tête de la victime avait été renversée en arrière et tournée vers la droite. L’expert conclut que ce traumatisme avait entraîné la mort de M. Liamov en quelques minutes. Il ajouta que la victime ne pouvait pas s’être infligé ellemême une telle blessure. Il releva également plusieurs autres lésions, notamment des égratignures sur le cou, les bras et le visage ainsi que des ecchymoses sur le visage et la jambe droite. b) Le troisième rapport d’expertise post mortem Le 22 février 2006, l’enquêteur ordonna une contreexpertise médicolégale afin de savoir : – si les blessures identifiées par le deuxième rapport d’expertise avaient été infligées du vivant de M. Liamov ; – si les lésions ayant entraîné la mort avaient pu être le résultat des actes et/ou circonstances suivants : lutte entre M. Liamov et un policier, freinage brusque du véhicule, chute de la victime de son siège dans le véhicule, déplacement par les trois policiers de M. Liamov du véhicule jusqu’au commissariat de police, geste volontaire de la part des policiers consistant à lui tourner la tête avec les mains ; – si les lésions susmentionnées avaient été causées avant 15 h 30, heure de l’arrivée de M. Liamov au commissariat de police ; – si une assistance médicale rapide aurait pu sauver la vie de M. Liamov. Le 12 avril 2006, la commission chargée de l’expertise, composée de quatre membres du bureau régional d’expertise médicolégale, ayant examiné les deux premiers rapports d’autopsie et les rapports d’analyses biologiques, conclut que toutes les lésions identifiées avaient été causées alors que la victime était vivante. Selon elle, le laps de temps séparant la blessure au cou de la mort pouvait aller de quelques minutes à une heure et demie. Elle observa que, compte tenu du procès-verbal d’examen du corps effectué sur les lieux du décès, il s’était écoulé de deux à quatre heures entre le décès de M. Liamov et ledit examen. Elle expliqua qu’il lui était impossible de confirmer ou d’exclure l’une ou l’autre des hypothèses envisagées par l’enquêteur. Elle observa que, le traumatisme du cou lui ayant été fatal, la victime ne pouvait plus faire aucun geste. c) Le complément d’information À une date non précisée, l’affaire pénale dirigée contre les policiers P. et A. fut envoyée au tribunal pour examen. Le 27 juillet 2007, le tribunal de la ville de Buguruslan renvoya le dossier pénal au procureur pour un complément d’information. Le tribunal constata que l’acte d’accusation ne précisait pas avec clarté le rôle joué par les deux accusés, P. et A., dans la perpétration de l’infraction. Le premier jugement condamnant P. et A. Le 28 décembre 2007, le tribunal de la ville de Buguruslan condamna P. et A. Il les reconnut coupables, d’une part, d’abus de pouvoir, aggravé de violences et d’utilisation d’armes ou de moyens de contrainte spéciaux ayant eu de graves conséquences, une infraction prévue par l’article 286 § 3 a), b) et c) du code pénal russe et, d’autre part, de voies de fait ayant entraîné la mort, une infraction prévue par l’article 111 § 4 du code pénal. Une peine de sept ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction d’occuper des postes au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans leur fut infligée. Le 26 février 2008, la cour régionale d’Orenbourg annula le jugement du tribunal de la ville de Buguruslan. Dans sa décision, la cour observait que le tribunal n’avait ni éclairci le rôle de chaque accusé dans la perpétration de l’infraction ni expliqué comment la victime avait subi les lésions corporelles constatées. Elle renvoya l’affaire pour un nouvel examen. Le 11 avril 2008, le tribunal du district de Buguruslan renvoya l’affaire au procureur de Buguruslan pour un complément d’information. La deuxième phase de l’instruction et le deuxième jugement Le 22 septembre 2009, un enquêteur du département régional du Comité d’instruction indiqua que P. et A. avaient commis en réunion les infractions prévues par les articles 286 § 3 a), b) et c) et 111 § 4 du code pénal et les inculpa de ces chefs. Le 23 septembre 2009, l’enquêteur mit hors de cause les policiers S. et Lo., accusés de négligence grave, au motif que P. et A. les avaient induits en erreur en affirmant que M. Liamov, ivre, n’avait pas besoin d’assistance médicale. Le 13 décembre 2010, le tribunal de Buguruslan condamna P. à cinq ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir et violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner. De plus, le tribunal prononça à son encontre une peine d’interdiction d’occuper un poste au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans et le condamna à verser à la requérante 150 000 roubles (RUB) à titre de dommage moral. Le tribunal acquitta A. Il jugea que ce dernier avait agi conformément à la loi car, induit en erreur par P., il avait cru de bonne foi conduire un individu coupable d’une infraction administrative au commissariat de police, ce qui faisait partie de ses attributions de policier. En ce qui concerne les violences volontaires, le tribunal releva que A. niait avoir frappé M. Liamov, que P., se prévalant de son droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, gardait le silence au sujet des faits litigieux, et qu’il n’y avait eu aucun témoin des agissements incriminés. Il conclut à l’absence de toute preuve d’implication de A. dans les faits précités. Le 15 février 2011, la cour régionale d’Orenbourg confirma le jugement en ce qu’il acquittait A. et l’annula en ce qu’il condamnait P. À la suite de l’annulation de la condamnation de P., l’affaire fut renvoyée pour un nouvel examen. Le troisième jugement condamnant P. Le tribunal du district de Buguruslan, statuant comme juridiction de renvoi, examina les accusations dirigées contre P. Par un jugement du 11 juillet 2011, il condamna ce dernier pour abus de pouvoir aggravé, une infraction prévue par l’article 286 § 3 a) et b) du code pénal. Le tribunal établit que P. avait interpellé et frappé M. Liamov. Le tribunal précisa que, comme l’avait déclaré P., M. Liamov s’était endormi dans le véhicule et que, à leur arrivée au commissariat de police, P. l’avait lui-même transporté dans le hall et déposé à côté d’un radiateur. Le tribunal établit que les lésions corporelles identifiées par l’expert légiste avaient été infligées alors que M. Liamov était vivant et les qualifia de dommage à la santé de gravité moyenne. Le tribunal conclut que les blessures constatées n’avaient pu être infligées que par P. au cours du trajet jusqu’au commissariat de police. Le tribunal écarta la version de la défense selon laquelle ces blessures avaient été subies par M. Liamov dans d’autres circonstances et conclut que P. était l’auteur des lésions en cause. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal s’appuya sur le rapport d’expertise, selon lequel ces lésions ne pouvaient pas résulter d’une chute de M. Liamov de toute sa hauteur, sur les explications des témoins attestant ne pas avoir vu de lésions avant l’interpellation, et, enfin, sur l’explication de P., qui n’avait pas nié avoir recouru à la force pour maîtriser l’intéressé. Le tribunal qualifia les agissements de P. d’abus de pouvoir et expliqua qu’aucun texte légal relatif aux attributions de policier de ce dernier ne lui permettait de commettre des actes susceptibles de causer un dommage à la santé d’une personne et de nuire à l’autorité de l’institution publique. Eu égard au chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le tribunal acquitta P. Il releva que ce dernier, se prévalant de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, gardait le silence. Le tribunal fonda son jugement sur d’autres preuves. Il établit que M. Liamov était décédé après 20 heures, alors qu’il avait été conduit au commissariat de police à 16 heures. Il ajouta que plusieurs témoins avaient vu M. Liamov « râler, souffler, bredouiller et même parler ». Le tribunal, ayant confronté ces données avec les rapports d’experts qui certifiaient qu’une personne atteinte d’une telle fracture ne pouvait survivre plus d’une heure et demie, conclut que la mort de M. Liamov avait été causée non par les agissements de P. mais par une autre personne et dans d’autres circonstances. En ce qui concerne l’interpellation de M. Liamov, illégale selon l’acte d’accusation, le tribunal observa que tant l’interpellation que la procédure suivie par P. étaient conformes à la loi. En effet, il releva que l’ivresse publique était passible d’une peine d’emprisonnement en vertu de l’article 20.21 du code des infractions administratives. Il conclut que P. avait agi dans les limites de ses attributions et que les manquements constatés à la procédure en cause (absence de procèsverbaux) ne conféraient pas aux actes de P. un caractère illégal. Il jugea donc que la responsabilité de ce dernier ne pouvait pas être engagée de ce chef. Le tribunal condamna P. à trois ans de prison ferme, soit le quantum minimum de la sanction prévue par l’article 286 § 3 du code pénal. Le tribunal prit en compte des circonstances atténuantes telles que le casier judiciaire vierge de P., la participation de ce dernier à des opérations militaires pour lesquelles il avait été décoré, le service irréprochable dont il avait fait preuve au sein de la police, son état de santé et sa situation familiale, notamment l’existence d’enfants mineurs à sa charge. En outre, observant que P. était retraité, le tribunal le condamna à une peine accessoire d’interdiction d’occuper des postes au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans. Le tribunal rejeta l’action civile introduite par la requérante en sa qualité de partie civile pour le dommage causé par la mort de son frère, au motif que P. n’était pas responsable du décès de M. Liamov. Tant le ministère public et la requérante que le défenseur de P. se pourvurent en cassation. Le ministère public reprochait au tribunal d’avoir prononcé une peine trop faible. La requérante se plaignait de l’acquittement de P. Le 6 septembre 2011, la cour régionale d’Orenbourg modifia le jugement attaqué en ajoutant au dispositif une injonction à l’autorité chargée de l’enquête d’engager une instruction afin d’identifier la personne responsable des voies de fait ayant entraîné la mort de M. Liamov. La cour confirma le jugement pour le surplus. Concernant la sanction, la cour releva que l’article 286 § 3 du code prévoyait une peine de trois à dix ans d’emprisonnement. Par conséquent, elle jugea que la sanction prononcée, conforme à l’article susmentionné, n’était pas trop faible. Le déroulement ultérieur de l’instruction La requérante forma un recours, conformément aux dispositions de l’article 124 du code de procédure pénale, auprès du procureur du district de Buguruslan. Dans sa lettre à cet effet, datée du 15 février 2012, elle se plaignait que les autorités chargées de l’enquête ne s’étaient pas conformées à l’injonction de la justice visant à identifier l’auteur des voies de fait. Le 29 février 2012, l’adjoint du procureur lui répondit que, en effet, elle n’avait pas été informée de l’évolution de l’enquête. Il ajouta qu’il avait demandé aux autorités concernées « de redresser ces irrégularités ». Le 23 mars 2012, l’enquêteur du département régional du Comité d’instruction ordonna la suspension de l’instruction, en application de l’article 208 du code de procédure pénale, au motif que le délai imparti pour l’instruction avait expiré. Le même jour, il ordonna aux policiers du commissariat de police de Buguruslan de « prendre les mesures nécessaires pour établir (...) ce qui s’était passé ainsi que pour identifier la (les) personne(s) ayant commis [l]’infraction ». Le 9 juin 2012, la requérante forma un recours sur la base de l’article 124 du code de procédure pénale auprès du procureur du district de Buguruslan. Elle se plaignait de l’absence de motivation de la décision attaquée et soutenait qu’avoir chargé de l’enquête les policiers du commissariat de police éventuellement impliqués dans l’incident était contraire au principe d’impartialité et d’indépendance de l’instruction. Le 15 juin 2012, le procureur par intérim rejeta le recours. La requérante forma un recours en justice soulevant les mêmes objections que celles mentionnées dans son recours auprès du procureur. Le 10 septembre 2012, le tribunal de Buguruslan accueillit ce recours au motif que la décision en cause n’était pas suffisamment motivée. Il releva notamment que celle-ci ne comportait ni le descriptif des actes d’instruction accomplis pour identifier l’auteur de l’infraction ni l’appréciation des preuves recueillies et les motifs pour lesquels l’enquêteur n’avait pas prorogé le délai imparti pour l’instruction. Le tribunal ordonna le renvoi du dossier au Comité d’instruction afin « de redresser [les] irrégularités identifiées ». Le 18 septembre 2012 et les 28 janvier et 30 octobre 2013, l’enquêteur du département régional du Comité d’instruction rendit des décisions ordonnant la suspension de l’instruction pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans ses décisions précédentes. La requérante forma des recours en justice contre les décisions susmentionnées. Le tribunal de Buguruslan accueillit les recours formés contre les décisions du 18 septembre 2012 et du 28 janvier 2013 par deux décisions du 21 janvier et du 24 octobre 2013, pour les mêmes motifs que dans ceux cités dans la décision du 10 septembre 2012 (paragraphe 38 cidessus). Il ordonna la levée de la suspension et émit une injonction ordonnant de reprendre l’instruction. Cependant, le 6 mai 2014, le tribunal valida la dernière décision de l’enquêteur, en date du 30 octobre 2013, rédigée en des termes similaires à ceux des décisions précédentes. Le tribunal releva que l’enquêteur avait interrogé la partie lésée ainsi que les témoins Lo. et S. Étant donné que ces actes d’instruction n’avaient pas permis d’identifier l’auteur de l’infraction, le tribunal conclut que la décision de l’enquêteur attaquée était conforme à la loi, bien fondée et argumentée. En outre, se prononçant sur l’allégation de partialité des policiers, le tribunal considéra que l’enquêteur n’avait pas d’autres agents de police à sa disposition. Le 10 juillet 2014, la cour régionale d’Orenbourg confirma cette décision en appel. Le 10 octobre 2014, l’adjoint au chef du département régional du Comité d’instruction annula la décision du 30 octobre 2013 (paragraphe 41 cidessus) et ordonna la reprise de l’instruction. Dans cette décision, l’adjoint constatait que l’instruction avait des chances d’aboutir. En outre, afin d’assurer l’indépendance de l’instruction, il ordonna de transférer le dossier à la division spécialisée en la matière au sein du département régional du Comité d’instruction et, pour accomplir les actes d’instruction, de faire appel aux policiers rattachés au département régional d’Orenbourg du ministère de l’Intérieur. Il prorogea le délai de l’instruction d’un mois. La suite de cette instruction n’a pas été communiquée à la Cour. C. L’action civile en responsabilité de l’État introduite par la requérante À une date non précisée, la requérante introduisit contre le Trésor public une action civile visant à se faire indemniser du dommage moral qu’elle alléguait avoir subi en raison du décès de son frère. Dénonçant une violation de l’article 2 et de l’article 3 de la Convention, elle demandait 995 976 RUB de dommages et intérêts. Par une décision du 8 février 2012, le tribunal du district Leninski d’Orenbourg rejeta cette action. Il estima que M. Liamov était décédé après avoir été interpellé et emmené au commissariat de police par P. Se référant au jugement du 11 juillet 2011, par lequel P. avait été acquitté du chef de violences ayant entraîné la mort, le tribunal constata l’absence d’illégalité des actes de P. et de lien de causalité entre les actes en cause et le décès de M. Liamov. La requérante interjeta appel. Par un arrêt du 25 avril 2012, la cour régionale d’Orenbourg annula, en appel, la décision du tribunal pour deux motifs. D’une part, elle nota que les départements concernés du ministère de l’Intérieur n’avaient pas été cités à comparaître alors que le tribunal avait connu de l’affaire les concernant. Ces derniers auraient dû, selon la cour, présenter des explications quant à l’origine des lésions de M. Liamov. D’autre part, la cour déclara qu’elle n’était pas convaincue par le raisonnement du tribunal. Elle releva que M. Liamov avait reçu des coups ayant entraîné la mort alors qu’il se trouvait au commissariat de police. Les officiers de police n’auraient pas suivi la procédure légale prévue dans ce cas de figure, qui imposait de fouiller le délinquant administratif interpellé, de dresser un procèsverbal de l’arrestation et de faire appel à une assistance médicale. Cette situation aurait duré plusieurs heures, c’est-à-dire jusqu’à 21 h 15, heure à laquelle l’équipe médicale arrivée avec l’ambulance avait constaté la mort de M. Liamov. Se référant à la jurisprudence pertinente de la Cour concernant les articles 2 et 3 de la Convention, la cour régionale releva qu’il incombait aux défendeurs d’expliquer l’origine des blessures ayant causé la mort de M. Liamov. Faute de telles explications, la cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention, notamment de l’obligation procédurale qui en découle, et de l’article 3 et de la Convention à l’égard de M. Liamov. Elle déclara la responsabilité de l’État dans le décès de M. Liamov. La cour ordonna au ministère des Finances de verser à la requérante 170 000 RUB (environ 4 370 euros (EUR)) à titre de dommage moral. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés par la voie prévue par l’article 125 dudit code contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Selon l’article 286 § 1 du code pénal, la commission par un fonctionnaire d’actes excédant manifestement ses pouvoirs et portant atteinte aux droits et intérêts de personnes physiques ou morales ou aux intérêts de la société ou de l’État, est qualifié d’abus de pouvoir (превышение должностных полномочий). Selon le paragraphe 3 du même article, l’acte prévu par le paragraphe 1 s’il a été commis avec violence ou menace de violence (a) ; s’il a été commis avec l’utilisation d’armes ou de moyens de contrainte spéciaux (b), ou s’il a eu des conséquences graves (c) est puni d’une peine allant de trois à dix ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction d’occuper certains postes pour un délai pouvant aller jusqu’à trois ans. Selon l’article 111 § 4 du code pénal, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies d’une peine allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Kütahya. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La genèse de l’affaire Le 20 octobre 1993, après avoir obtenu son diplôme avec mention de la section de biologie de la faculté des sciences et des lettres de l’université 100. Yıl de Van, le requérant réussit le concours du rectorat de l’université de Dumlupınar à Kütahya (« le rectorat ») et fut recruté comme enseignantchercheur à la chaire de botanique de la faculté de biologie. L’affectation à ce poste était prévue pour une durée initiale de deux ans, renouvelable ensuite, chaque 20 octobre, pour une durée d’un an (paragraphe 36 ci-dessous). En 1994, le requérant acheva le programme de maîtrise en sciences botaniques avec la mention la plus élevée, et, le 11 septembre 1995, il obtint le diplôme correspondant. En 1996, il entama le programme de doctorat et fut admis au bénéfice d’une bourse d’État. Le contrat du requérant fut renouvelé, sans réserve, jusqu’au 26 octobre 2000. Puis, par l’arrêté no 242/3356 du 27 octobre 2000, le rectorat décida de congédier le requérant, alors que celui-ci s’était vu délivrer la qualification requise pour présenter sa thèse de doctorat. Cet arrêté reposait sur un avis émis le 24 octobre 2000 par une commission chargée par le rectorat de valider les prolongations des contrats du personnel académique (« la commission »). L’avis en question, qui précisait que la note d’appréciation globale du requérant était de 520 points, contre le minima requis de 200 points, indiquait ce qui suit : « en raison de son insuffisance académique, il n’y a pas lieu de proroger la durée des fonctions [de l’intéressé] en tant qu’enseignant-chercheur. » Cette proposition était formulée au mépris des avis favorables émis en faveur d’un maintien du requérant à son poste par la chaire de botanique, dont celui-ci relevait, ainsi que par le directeur de la faculté de biologie, à savoir le premier supérieur hiérarchique (« le N+1 ») de l’intéressé. B. Les procédures diligentées en l’espèce La procédure administrative en annulation de l’arrêté no 242/3356 Le requérant saisit le tribunal administratif d’Eskişehir (« le tribunal ») d’une action contre le rectorat, demandant qu’il fût sursis à l’exécution de l’arrêté no 242/3356 (paragraphe 9 ci-dessus) et que celui-ci fût annulé. Par son action, il réclamait également le recouvrement des droits sociaux dont il estimait avoir été privé du fait de son licenciement, qu’il qualifiait d’abusif. Le 8 janvier 2001, le tribunal enjoignit au rectorat de lui faire parvenir dans les quinze jours l’original ou une copie certifiée lisible du dossier administratif comprenant tous les documents et toutes les informations afférents à l’affaire sous examen. Dans son mémoire en défense, le rectorat, sans produire les documents susmentionnés, argua de son pouvoir discrétionnaire relativement à la prolongation des contrats de son personnel et allégua qu’en l’occurrence : « il a été jugé que l’intéressé ne serait pas utile à l’université dans le domaine de la science, car il avait été observé qu’il ne contribuait pas aux activités culturelles et scientifiques au sein de l’institution et que ses performances dans les travaux scientifiques et académiques étaient insatisfaisantes. » Le 13 mars 2001, le tribunal, en une formation présidée par E.A. et également composée des juges O.Ç. et G.D., décida de surseoir à l’exécution de l’arrêté attaqué. Le tribunal prit acte du fait que, malgré l’injonction du 8 janvier 2001 (paragraphe 13 in limine ci-dessus), le rectorat n’avait pas été en mesure de verser au dossier un quelconque document susceptible d’appuyer ses reproches à l’endroit du requérant. Ensuite, se référant à la réussite de ce dernier tout au long de son cursus, aux avis favorables émis par son N+1 et la chaire dont il relevait (paragraphe 11 in fine ci-dessus), ainsi qu’à l’absence d’une quelconque mesure disciplinaire prise à son encontre, le tribunal conclut que la décision de licencier le requérant contrevenait manifestement au droit, au motif que : « si l’administration dispose indiscutablement d’un pouvoir discrétionnaire quant au recrutement des enseignants-chercheurs, ce pouvoir n’est ni absolu ni illimité, et, comme il ressort de la jurisprudence pertinente, le fait de ne pas renouveler la durée de service d’un personnel enseignant (...) auparavant affecté conformément à la procédure prévue par la [loi] doit être justifié par l’intérêt public et les besoins du service (...) » Le 10 juillet 2001, le tribunal enjoignit au rectorat de lui transmettre tous les rapports d’appréciation concernant le requérant. Dans sa réponse, le rectorat réitéra ses arguments précédents (paragraphe 13 in fine ci-dessus) en s’appuyant sur l’évaluation du 24 octobre 2000 de la commission (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). À une date non précisée, à la suite de l’injonction faite par le tribunal, le rapport d’appréciation du requérant, rédigé par le recteur İ.H.D. pour l’année d’exercice 2000 (« le rapport litigieux »), fut finalement versé au dossier. Dans cet écrit – qui n’avait jusque-là pas été porté à la connaissance du requérant –, le recteur İ.H.D., en sa qualité de deuxième supérieur hiérarchique (« le N+2 »), concluait que « [l’intéressé] ne donnait pas satisfaction » à son poste. Par un jugement du 13 septembre 2001, réaffirmant que la marge d’appréciation des universités en matière de licenciement était limitée par l’intérêt public et les besoins du service (paragraphe 14 in fine ci-dessus), le tribunal, se référant à un précédent concernant les prérogatives des recteurs en la matière (paragraphe 38 ci-dessous), souligna ce qui suit : « il ressort de l’examen des rapports d’appréciation du demandeur que, selon l’évaluation faite par le recteur, en tant que N+2, l’intéressé n’était pas performant. Aussi la décision, objet de la présente action, prise à l’encontre du demandeur ne contrevient-elle pas aux exigences de l’intérêt public ni aux besoins du service. » Par conséquent, le tribunal, en une formation présidée par E.A. et également composée des juges G.D. et I.A.D., débouta le requérant de ses demandes. Le requérant se pourvut devant la 8e chambre du Conseil d’État, demandant en même temps qu’il fût sursis à l’exécution du jugement. Le rectorat ne se prononça pas sur ce pourvoi. Le 12 décembre 2001, le Conseil d’État, en une formation présidée par A.N.Ç. et également composée des juges G.De., T.F., Ş.A., et S.T., leva le sursis précédemment accordé (paragraphe 14 ci-dessus). Puis, par un arrêt du 4 juin 2002, il rejeta le pourvoi du requérant, estimant que « le motif sur lequel reposait le jugement attaqué était conforme à la procédure et à la loi et [qu’]il n’y avait aucune raison [d’infirmer cette décision] ». Cet arrêt fut notifié au requérant le 19 juillet 2002, et celui-ci introduisit alors un recours en rectification d’arrêt. À l’appui de ce recours, le requérant tira moyen de ce que, dans l’intervalle, le 20 mars 2002, une autre chambre du même tribunal avait annulé le rapport litigieux avec effet ex tunc (paragraphe 22 ci-dessous) et de ce qu’aucun jugement ne pouvait être fondé sur un document déclaré illégal, donc nul et non avenu. Par un arrêt du 24 février 2003, estimant que le recours ne reposait sur aucun des motifs prévus par l’article 54 § 1 du code de procédure administrative (« le CDPA ») alors en vigueur (paragraphe 40 cidessous), la 8e chambre du Conseil d’État écarta la demande à la majorité, composée des juges Ş.A., S.T., A.A. et T.Ş. Le président A.N.Ç. exprima une opinion dissidente, ainsi libellée : « Dans son article 8, le règlement sur l’appréciation du personnel au sein des établissements et autorités supérieurs universitaires [« le règlement sur l’appréciation » – paragraphe 37 ci-dessous] énonce que, en cas de désaccord entre l’appréciation du N+1 et celle du N+2, c’est l’opinion du troisième appréciateur, le N+3, qui prévaut et que, en cas d’avis final défavorable, des écrits doivent être produits pour appuyer une telle conclusion. En l’espèce, toutefois, il ressort du rapport [litigieux] concernant le demandeur, que, malgré les avis divergents du N+1 et du N+2, le N+3 n’a pas été consulté et que, au demeurant, le rapport [litigieux] défavorable au demandeur a été annulé par le tribunal administratif pour vice de forme ; par ailleurs, aucun autre document justifiant l’avis défavorable en cause n’a non plus été versé au dossier de la présente affaire ni au dossier personnel de l’intéressé. Il aurait donc fallu infirmer notre jugement au fond et réexaminer l’affaire en ayant égard à la décision du tribunal administratif portant annulation du rapport [litigieux], après avoir recherché s’il y avait ou non en l’occurrence un motif autre que ceux évoqués dans ledit rapport, susceptible de justifier la cessation du contrat. » L’arrêt en question fut notifié au requérant le 2 mai 2003. La procédure administrative en annulation du rapport litigieux Le 11 septembre 2001 – soit avant le prononcé du jugement de première instance dans la procédure précédente (paragraphe 17 cidessus) –, le requérant, qui avait alors pris connaissance du rapport litigieux le concernant (paragraphe 16 ci-dessus), entama une seconde procédure administrative en annulation, devant le même tribunal, visant cette fois ledit rapport. Alors que la procédure précédente était toujours pendante (paragraphe 17 ci-dessus), le 20 mars 2002, la formation de jugement, présidée par E.A. et également composée des juges N.K. et N.Ş., rendit un jugement portant annulation du rapport litigieux avec effet rétroactif. Dans ses attendus, le tribunal nota que l’évaluation de l’année 2000 présentait un désaccord entre l’opinion du N+1 (adjoint du doyen de la faculté), qui avait octroyé au requérant les appréciations « moyen », « moyen » et « positif », et celle du N+2 (le recteur İ.H.D.), qui y avait mentionné ce qui suit : « [l’intéressé] est congréganiste (cemaatçi), a des liens avec des mouvements religieux radicaux, manque d’adaptation, est très faible et a un comportement haineux envers l’État. » Selon le tribunal, en pareil cas, il aurait fallu transmettre le rapport d’appréciation au troisième appréciateur, le N+3, à savoir le président du Conseil d’études supérieures, à qui il appartenait de prendre la décision finale. Pour le tribunal, faute d’avoir procédé ainsi, il y avait eu violation de l’article 8 du règlement sur l’appréciation (paragraphe 37 ci-dessus). À cette même date, le rectorat informa le requérant de l’annulation du rapport litigieux. Le rectorat se pourvut devant la 8e chambre du Conseil d’État, soutenant que le rapport en cause avait été établi de manière objective. Par un arrêt rendu le 25 novembre 2002, soit avant la clôture de la procédure précédente (paragraphe 20 ci-dessus), le Conseil d’État, en une formation présidée par A.N.Ç. et également composée des juges G.De., T.F., A.A. et T.Ş., rejeta le pourvoi. Le requérant se vit notifier cet arrêt le 19 janvier 2003. À cette date, İ.H.D. avait été destitué de ses fonctions de recteur. La procédure pénale diligentée contre İ.H.D. Au vu des développements ci-dessus, plusieurs membres du corps académique, dont le requérant, portèrent plainte contre İ.H.D. pour abus de fonctions, diffamation ainsi que faux et usage de faux. Le 27 juin 2002, alors que la première procédure administrative était toujours pendante (paragraphe 20 ci-dessus), le rectorat s’adressa au président du Conseil d’études supérieures pour dénoncer İ.H.D., après avoir relevé qu’en fait, pendant des années, ce dernier avait méconnu son devoir légal d’établir, en sa qualité de N+2, les rapports d’appréciation de 525 membres du personnel académique ou administratif. Le 10 juillet 2002, le conseil de supervision près le président du Conseil d’études supérieures entama une enquête disciplinaire, et, le 5 décembre 2003, il transmit son rapport audit président. D’après ce document, pendant la période 1998 – 2001, non seulement İ.H.D avait omis de remplir les rapports d’appréciation et de transmettre au N+3 les rapports pour lesquels des avis unanimes faisaient défaut, mais il avait aussi, par la suite, rédigé certains de ces rapports – dont celui du requérant – rétroactivement en émettant des avis défavorables, qu’il ne pouvait au demeurant justifier. Selon le rapport d’enquête, pareils agissements tombaient sous le coup de l’article 19 du règlement sur l’appréciation, qui se lisait ainsi : « La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques ayant rempli des rapports d’appréciation de façon fallacieuse pour servir leur propre intérêt ou par animosité est réservée. » Aux yeux du conseil de supervision, İ.H.D. avait commis des actes d’abus dans l’exercice de ses fonctions, prohibés notamment par l’article 230 de l’ancien code pénal, et il y avait donc lieu d’entamer des poursuites pénales à son encontre. Le 17 décembre 2003, le président du Conseil d’études supérieures approuva cette proposition. Sur opposition de İ.H.D., le 22 mars 2004, le Conseil d’État confirma la décision du 17 décembre 2003 et déféra le mis en cause devant le tribunal correctionnel de Kütahya. 311 fonctionnaires, parmi lesquels le requérant, s’estimant victimes des agissements de İ.H.D., ainsi que le rectorat, se constituèrent parties intervenantes dans ce procès. À l’audience du 16 décembre 2005, B.Ö., ancienne avocate contractuelle du rectorat, relata que İ.H.D. lui avait très souvent demandé de falsifier les rapports d’appréciation afin d’entraver les actions administratives intentées par les victimes de licenciements abusifs. Par un jugement du 23 mars 2007, İ.H.D. fut déclaré coupable d’abus de fonctions avec récidive exercé, entre autres, dans le but de mettre fin aux contrats de plusieurs membres du personnel académique. Il fut condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à une amende. À cet égard, en sus des circonstances déjà révélées par le conseil de supervision (paragraphe 27 ci-dessus), les juges répressifs observèrent qu’en l’espèce : « en 2002, İ.H.D., confronté aux actions que les personnes qu’il avait licenciées (...) avaient introduites devant le tribunal administratif, a rempli rétroactivement des rapports d’appréciation fallacieux qu’il a ensuite envoyés audit tribunal, et ce en dehors du délai qui avait été imparti pour ce faire [paragraphe 13 ci-dessus] (...) Par ailleurs, il s’avère que, au mépris de l’article 21 du règlement sur l’appréciation, selon lequel, ‘les fonctionnaires, évalués comme étant [non performants], doivent en être avertis par courrier confidentiel (...) de façon à leur permettre de corriger leurs fautes et manquements (...)’, 65 membres concernés du personnel académique [dont le requérant] n’ont jamais reçu une telle notification (...). » S’agissant du cas spécifique du requérant et de ses 64 collègues qui avaient dû engager des procédures administratives pour faire valoir leurs droits, le tribunal correctionnel de Kütahya souligna de surcroît que ceux-ci avaient subi un préjudice tout particulier du fait de leur licenciement abusif, étant donné que les rapports d’appréciation défavorables les concernant avaient sciemment été établis rétroactivement, dans le seul but d’être utilisés contre eux lors desdites procédures, de manière à induire les juges en erreur, et étant donné que les jugements rendus en conséquence avaient finalement été fondés sur de tels rapports. İ.H.D. se pourvut en cassation contre ce jugement. Aucun élément n’a été fourni à la Cour quant à l’issue de cette procédure. La procédure civile contre İ.H.D. À une date non précisée, le requérant intenta devant le tribunal de grande instance de Kütahya une action en dommage-intérêts contre İ.H.D. pour atteinte à ses droits de la personnalité. Également à une date non précisée, probablement en février 2008, cette juridiction lui donna gain de cause et condamna İ.H.D. à lui verser 3 000 livres turques (environ 1 728 euros (EUR)) pour « avoir violé [ses] droits de la personnalité en établissant un rapport d’appréciation irrégulier et fallacieux ». C. La situation du requérant à la suite de son licenciement À la suite de son licenciement, le 16 septembre 2002, le requérant obtint le titre de docteur en biologie. À partir de 2002, et ce jusqu’en 2008, il fut employé par le ministère de l’Éducation nationale en tant qu’instituteur contractuel non fonctionnaire. Le 10 octobre 2005, son projet de recherche intitulé « Une recherche du point de vue de la phytosociologie du Mont d’Ulubaba » fut rejeté au motif qu’il n’occupait pas de poste dans un établissement universitaire. En 2006, le requérant fut promu instituteur principal et, en 2008, il rejoignit à nouveau le corps académique au sein de la faculté des sciences et de littérature d’Adıyaman, en tant que maître de conférences. Depuis 2013, il préside la chaire de biologie environnementale et d’écologie de ladite faculté. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, l’article 33 a) de la loi no 2547 sur l’enseignement supérieur énonçait ce qui suit : « a) Les enseignants-chercheurs (...) sont recrutés sur ce poste pour une durée maximum de trois ans, sur proposition du président de la chaire du département concerné (...) l’avis favorable du président ou le doyen de la faculté (...) et l’aval du recteur ; au terme de la durée d’affectation, leurs fonctions cessent d’office. » Dans la pratique, au terme de la durée initiale, les contrats étaient renouvelés sur une base annuelle, selon l’appréciation du personnel. Les dispositions pertinentes en l’espèce du règlement sur l’appréciation, publié au Journal officiel no 18382 du 25 avril 1984, se lisent comme suit : « Article 2. Les supérieurs appréciateurs doivent agir en toute impartialité lorsqu’ils établissent un rapport d’appréciation. Il est prohibé d’inscrire sur un rapport d’appréciation une opinion fallacieuse dictée par une animosité ou un intérêt personnel. (...) Article 6. Les rapports d’appréciation concernant le personnel enseignant sont remplis par les premiers et les deuxièmes supérieurs appréciateurs courant juillet. (...) Article 8. Les rapports d’appréciation sont rédigés de manière claire et compréhensible. Si les opinions sont défavorables, il est impératif de produire des documents justifiant ces opinions. En cas de désaccord entre l’avis du premier supérieur appréciateur et celui du deuxième, c’est l’avis du troisième supérieur appréciateur qui prévaut. S’il n’y a que deux supérieurs appréciateurs, c’est l’avis du deuxième qui prévaut. » À cet égard, il convient de rappeler l’arrêt no E.2000/266 – K.2001/2878 prononcé le 6 juin 2001 par la 8e chambre du Conseil d’État, dans lequel celle-ci a énoncé ce qui suit : « S’agissant de la partie demanderesse, qui, selon l’avis du recteur – à savoir son appréciateur N+2 – n’était pas performante, la mesure consistant à ne pas renouveler la durée de son service est conforme au droit. » Dans le contentieux administratif turc, lorsque l’issue d’une autre procédure en cours s’avère déterminante pour la solution du litige devant le tribunal du fond, la jurisprudence du Conseil d’État veut que les juges d’instance soulèvent d’office une question préjudicielle et sursoient à statuer, dans l’attente du jugement qui sera rendu dans la procédure visée (voir, par exemple, l’arrêt no E. 2003/1063 - K. 2006/2104 du 7 décembre 2006 de l’Assemblée plénière du Conseil d’État ; voir aussi l’arrêt no E. 1999/2884 - K. 1999/7706 du 15 décembre 1999 de la 8e chambre du Conseil d’État). Cette procédure peut aussi bien être une action en annulation d’un acte administratif (arrêts no E. 2014/6671 - K. 2015/1861 du 31 mars 2015 de la 6e chambre, no E. 2010/3660 – K. 2013/7261 du 1er novembre 2013 de la 5e chambre, et no E. 2004/3520 - K. 2005/2145 du 4 mai 2005 de la 8e chambre du Conseil d’État) qu’une action pénale (voir, par exemple, arrêt no E. 2004/749 - K. 2005/2116 du 27 septembre 2005 de la 7e chambre du Conseil d’État). En vertu de l’article 54 § 1 du CDPA, un recours en rectification d’arrêt pouvait être diligenté dans l’un ou l’autre des cas suivants : « a) Si le jugement ne répond[ait] pas à des arguments ou exceptions susceptibles d’influer sur le fond de ce jugement ; b) Si le jugement comport[ait] des dispositions contradictoires ; c) Si le jugement contrev[enait] à la procédure ou à la loi ; d) S’il s’av[érait] que les documents ayant influé sur le fond du jugement étaient faux ou relevaient d’une fraude. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1938, en 1943, en 1946, en 1937 et en 1941. Les trois premiers requérants résident à Istanbul et les deux derniers à Ünye. A. Les travaux de cadastre relatifs au terrain litigieux L’affaire porte sur un terrain (« le terrain litigieux ») qui se situe dans le village de Gölevi, près de Ünye, au bord de la Mer noire, et qui est adjacent à deux parcelles sur lesquelles les requérants détiennent un titre de propriété, les parcelles nos 479 et 658. D’après les requérants, ce terrain est entouré par les deux parcelles susmentionnées au sud, par un banc de sable de la Mer noire au nord, par la parcelle no 477 à l’ouest et par la parcelle no 659 à l’est. Les requérants allèguent que ledit terrain aurait dû faire partie des parcelles nos 479 et 658, mais que, à la suite d’une erreur, il n’avait pas été indiqué sur les croquis établis lors des travaux de cadastre effectués en 1952, en particulier sur le plan no 48. Par la pétition no 7/94 du 26 janvier 1990, la mairie d’Ünye introduisit auprès de la direction des registres fonciers et du cadastre d’Ünye une demande de renouvellement des plans de cadastre des villages de Nuriye, Gölevi et Gürecülü, situés à proximité d’Ünye. Le 2 novembre 1990, trois experts établirent un rapport à la demande de la direction régionale du cadastre de Samsun. Ce rapport indiquait ce qui suit : les enregistrements de cadastre effectués dans les années 1951 et 1952 selon la méthode graphique retenue étaient dépourvus de valeurs nominales ; les polygones n’étaient plus disponibles et il n’était plus possible d’en retrouver la trace ; les enregistrements des ouvrages architecturaux effectués à l’époque ne correspondaient pas aux mesurages réalisés à la date du rapport ; les premiers enregistrements contenaient des erreurs et celles-ci étaient la conséquence d’une absence de vérification lors du tracé des polygones ; les limites entre les parcelles adjacentes ne coïncidaient pas et ces contradictions étaient observées pour tous les villages concernés. Les experts concluaient qu’il convenait de faire droit à la demande de la mairie d’Ünye visant au renouvellement des plans de cadastre. Par l’approbation no 8689 du ministère de l’État du 26 août 1993, il fut décidé de renouveler les plans de cadastre conformément aux dispositions de la loi no 2859 du 23 juin 1983 relative au renouvellement des registres fonciers et des plans de cadastre. Selon les requérants, les mesurages effectués dans le cadre du renouvellement ont commencé en 1999 et ont pris fin en 2002, et les nouveaux croquis sont devenus définitifs après avoir été affichés du 1er au 30 juin 2003. Toujours selon eux, l’existence du terrain litigieux a été constatée et transcrite sur les plans nos 20 J-1 et 20 J-2, établis en remplacement des anciens plans. B. La procédure engagée par le Trésor public à l’encontre de l’un des requérants pour occupation illégale d’un terrain Le 27 juillet 1987, le Trésor public introduisit devant le tribunal de grande instance d’Ünye (« le tribunal ») une demande tendant à la cessation de l’occupation illégale par le requérant Orhun Güven d’un terrain consistant en un banc de sable situé au nord des parcelles nos 479 et 658 (affaire no 1987/372). Le tribunal entendit des témoins, effectua une visite des lieux le 4 février 1988 et obtint deux rapports d’expertise établis respectivement le 9 février 1988 par S.Y. et le 24 février 1988 par E.G. Par un jugement du 1er mars 1988 (E. 1987/372, K. 1988/137), il rejeta la demande du Trésor public au motif que l’occupation illégale du terrain en question par le requérant Orhun Güven n’avait pas été établie par des preuves suffisantes. C. La procédure relative à la demande d’inscription du terrain litigieux au nom des requérants Le 17 octobre 1990, les requérants introduisirent devant le tribunal de grande instance d’Ünye une demande contre le Trésor public visant à l’inscription au registre foncier du terrain litigieux (paragraphe 6 ci-dessus) à leur nom. À l’appui de leur demande, ils soutenaient que ce terrain était en la possession de leur famille – d’abord de leurs ascendants puis d’euxmêmes – depuis plus de soixante-dix ans et qu’ils avaient exercé cette possession sans interruption et à titre de propriétaires, de sorte qu’ils auraient rempli toutes les conditions pour une acquisition par la prescription. Ils précisaient en outre que, à la suite d’une erreur, ce terrain n’avait pas été enregistré lors des travaux de cadastre effectués en 1952 (paragraphe 7 ci-dessus). Le 12 avril 1991, un juge du tribunal, accompagné d’un collège de quatre experts composé de deux experts techniques, d’un expert agricole et d’un géologue, en l’occurrence E.G., effectua une visite des lieux. Le 3 juin 1991, les experts techniques présentèrent leur rapport, dans lequel ils désignaient sur un croquis l’emplacement et la superficie du terrain, qui était constitué d’une partie de 5627,37 m2 située au nord de la parcelle no 479 et d’une partie de 10154,50 m2 située au nord de la parcelle no 658. Le 11 juin 1991, l’expert agricole rendit son rapport, dans lequel il décrivait les caractéristiques du terrain. Quant à l’expert géologue, il établit trois rapports, datés du 1er juillet 1991, du 24 février 1992 et du 1er novembre 1992. Dans son rapport d’expertise du 24 février 1992, qui comportait un tracé de la ligne littorale, il indiquait que le terrain se trouvant au nord de cette ligne était dans la zone d’influence de la mer. Dans son rapport du 1er novembre 1992, il précisait que le terrain litigieux était délimité au sud par les parcelles nos 479 et 658, à l’est par la parcelle no 659, à l’ouest par la parcelle no 477, au nord par le sable, et plus au nord par la mer. Par un jugement du 1er novembre 1993, le tribunal fit droit à la demande des requérants et décida d’inscrire sur le registre foncier le terrain litigieux, tel que défini dans les rapports d’expertise, à leur nom. Le 6 juin 1995, sur pourvoi du Trésor public, la Cour de cassation annula ce jugement. Elle constatait les carences suivantes dans le dossier : un rapport établi par le même expert géologue, E.G., à l’occasion de l’affaire no 1987/372 (paragraphe 13 ci-dessus) relative à l’occupation illégale d’un terrain par le requérant Orhun Güven contenait des conclusions différentes concernant l’emplacement de la bande littorale et cette divergence n’avait pas été élucidée ; le tribunal ayant rendu le jugement attaqué n’avait pas recherché si le terrain litigieux était le même que celui concerné par l’affaire susmentionnée et n’avait pas pris en considération les propos tenus par le requérant Orhun Güven lors de la visite effectuée le 4 février 1988 dans le cadre de ce litige, selon lesquels les requérants n’utilisaient pas le terrain en cause au motif qu’il appartenait au Trésor public ; l’avis des experts agricoles quant à la nature du terrain litigieux n’avait pas été recueilli ; une des personnes dont le nom figurait sur la liste des héritiers n’avait pas participé à la procédure ; des témoins n’avaient pas été entendus alors que la demande concernait l’acquisition par la prescription. Pour pallier ces carences, la Cour de cassation demandait au tribunal du fond de prendre les mesures suivantes : vérifier si le terrain objet de l’affaire était le même que celui pour lequel le requérant Orhun Güven avait déclaré, dans le cadre du litige de 1987, qu’il appartenait au Trésor public ; ordonner une expertise pour définir la nature du terrain, afin de vérifier si celui-ci était exploitable d’un point de vue agricole ; ordonner une expertise géologique afin de vérifier si le terrain avait été pris sur une partie de la mer ; établir une carte montrant la bande littorale ; examiner les registres fonciers des terrains voisins ; et entendre les témoins sur les lieux au sujet de la possession du terrain au fil des années et de sa transmission. La haute juridiction demandait au tribunal de statuer à la lumière de tous les éléments recueillis. Le 1er juin 1998, le tribunal de grande instance fit de nouveau droit à la demande des requérants en constatant que les conditions requises par l’article 639 § 1 de l’ancien code civil (« l’ACC ») pour la prescription acquisitive étaient réunies. Il se référait d’abord à un rapport établi par trois experts agricoles le 27 octobre 1997, selon lequel, d’une part, le terrain litigieux avait été utilisé à des fins agricoles pendant de longues années et des arbres fruitiers et non fruitiers y avaient été cultivés et, d’autre part, la terre n’avait pas été cultivée depuis dix à quinze ans. Il observait ensuite que, dans un rapport géologique du 10 juin 1997, les experts avaient constaté que le terrain en question était celui qui avait fait l’objet du litige no 1987/372 et qu’il était situé sur le littoral. Il constatait toutefois, à l’examen de nouveaux rapports d’expertise, datés des 10 février et 25 mars 1998, que le terrain litigieux n’était pas situé sur le littoral. Il observait en outre que, dans un rapport du 26 décembre 1997, les experts géologues avaient indiqué les zones du littoral sous la souveraineté de l’État ainsi que l’emplacement du terrain litigieux sur un croquis. S’agissant de l’application de l’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle de la Cour de cassation du 28 novembre 1997 relatif à la délimitation de la bande littorale (paragraphe 53 cidessous), il relevait que le tracé de la bande littorale, effectué par l’administration en 1994, avait été réalisé après l’introduction de la demande des requérants et que, en tout état de cause, ce tracé n’était pas opposable à ces derniers étant donné que ceux-ci n’avaient reçu aucune notification à ce sujet. À la lumière de tous ces éléments et en se référant aux croquis contenus dans les rapports précités des 10 février et 25 mars 1998, le tribunal décida d’inscrire le terrain sur le registre foncier au nom des requérants. Le 10 décembre 1998, la Cour de cassation infirma le jugement rendu le 1er juin 1998 par le tribunal de grande instance. Elle constatait que les recherches et examens effectués par le tribunal quant à la nature du terrain n’étaient pas suffisants. Elle estimait notamment que les principes établis par l’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle du 28 novembre 1997 (paragraphe 54 ci-dessous) devaient être pris en considération pour la délimitation de la bande littorale. Par ailleurs, elle rappelait que, eu égard aux déclarations faites par le requérant Orhun Güven dans le cadre du litige no 1987/372 selon lesquelles les intéressés n’utilisaient pas le terrain au motif qu’il appartenait au Trésor public, le tribunal devait consulter le dossier du litige en question avant de statuer. Elle constatait enfin que, d’après les croquis versés au dossier, une partie du terrain était destinée à l’expropriation et qu’il n’était donc pas possible d’inscrire cette partie au nom des requérants. Alors que l’affaire était de nouveau pendante devant le tribunal de grande instance, les requérants informèrent celui-ci, le 26 avril 1999, que la direction générale du cadastre avait placé le terrain litigieux dans le champ d’application de la loi no 2859 relative au renouvellement des registres fonciers et des plans de cadastre (paragraphes 8-10 ci-dessus). Avant de se prononcer à nouveau, le tribunal ordonna, entre autres, de nouvelles expertises. Deux experts géologues examinèrent la nature du terrain à la lumière des données scientifiques et conclurent, dans un rapport du 8 juillet 1999, que le tracé de la bande littorale effectué par l’administration en 1994 était inexplicable au regard de la structure géologique du terrain et de la zone d’influence de la mer. À cet égard, ils proposèrent une autre délimitation de la bande littorale en se référant aux conclusions des rapports du 24 février 1992 (paragraphe 15 cidessus) et du 26 décembre 1997 (paragraphe 19 cidessus), qui, selon eux, étaient concordantes sur ce point. Par ailleurs, dans un rapport du 20 juillet 1999, un expert technique constata que le terrain litigieux était composé de deux parties se trouvant entre les limites nord des parcelles nos 479 et 658 et l’ancienne route de Terme, et qu’il ne s’agissait pas du terrain ayant fait l’objet du litige no 1987/372, étant donné que cette dernière affaire avait porté sur le terrain situé entre l’ancienne route de Terme et la mer. Le 20 décembre 1999, déclarant se conformer à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 décembre 1998, et statuant à la lumière des éléments nouvellement recueillis, le tribunal, d’une part, rejeta la demande des requérants concernant les parties du terrain destinées à l’expropriation et, d’autre part, décida d’inscrire au nom des intéressés le restant du terrain litigieux en vertu de l’article 639 § 1 de l’ACC. Le 4 mai 2000, la Cour de cassation cassa le jugement précité. Elle notait que le tribunal avait comparé le tracé du littoral établi par le ministère des Travaux publics et de l’Habitat le 18 août 1994 à celui proposé par le rapport d’expertise du 8 juillet 1999 (paragraphe 22 ci-dessus) et qu’il avait opté pour les conclusions de ce dernier rapport au sujet de la bande littorale. Elle considérait cependant que, d’après l’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle du 28 novembre 1997, dans le cas où il existait un tracé définitif concernant la bande littorale, c’était ce dernier qui devait être pris en considération. Elle notait par ailleurs que l’un des experts qui était intervenu dans le cadre du litige no 1987/372, en l’occurrence E.G., avait constaté dans son rapport du 24 février 1988 que le terrain en cause se situait sur la bande littorale, et elle considérait qu’il s’agissait du même terrain que celui objet de l’affaire portée devant elle. L’affaire ayant été renvoyée au tribunal de grande instance, celui-ci décida, le 11 décembre 2000, à la demande des requérants, de s’informer de l’issue de la procédure que le requérant Okan Güven avait engagée devant le tribunal administratif d’Ordu en vue de l’annulation de la décision administrative du 18 août 1994 relative au tracé de la bande littorale (paragraphe 35 ci-dessous). Le 30 mars 2001, le tribunal nota que le recours concernant la décision administrative susmentionnée était pendant, et il décida de ne pas attendre son issue, rejetant ainsi la demande de sursis à statuer formulée à cet égard par les requérants. Il nota ensuite que, d’après une information fournie le 14 mai 1998 par le ministère des Travaux publics et de l’Habitat, la décision administrative litigieuse avait été approuvée par le ministère en question. Il releva aussi que, selon le rapport d’expertise du 8 juillet 1999 (paragraphe 22 ci-dessus), le terrain litigieux se situait sur la bande littorale d’après la carte définitive du littoral établie par l’administration en 1994. En réexaminant les éléments de preuve, et en se prononçant à la lumière de l’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle de la Cour de cassation du 28 novembre 1997, le tribunal estima, eu égard à l’existence d’un tracé définitif de la bande littorale, que le terrain litigieux était situé sur le littoral. Il conclut que ledit terrain ne pouvait dès lors pas faire l’objet d’une acquisition par la prescription en vertu de l’article 641 de l’ACC. En conséquence, le tribunal rejeta la demande des requérants. À une date non précisée, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur recours, ils indiquaient que la décision administrative du 18 août 1994 relative au tracé de la bande littorale avait entre-temps été annulée par un jugement du tribunal administratif du 12 mars 2002 et que celui-ci avait été confirmé par le Conseil d’État le 17 juin 2003 (paragraphes 36-37 cidessous). À cet égard, ils reprochaient au tribunal de grande instance de ne pas avoir sursis à statuer jusqu’à l’issue de la procédure devant le tribunal administratif. Ils alléguaient en outre que la décision du tribunal de grande instance n’était pas conforme à l’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle de la Cour de cassation du 28 novembre 1997 au motif que le tracé de la bande littorale établi par l’administration, tel que pris en compte par le tribunal, n’avait pas été porté à leur connaissance par le biais d’une notification et n’avait pas non plus fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Ils indiquaient enfin que les anciens croquis du cadastre (de 1952) étaient erronés et ne correspondaient pas à la situation réelle. Ils estimaient que c’était pour cette raison que le terrain litigieux, revendiqué par eux, n’apparaissait pas sur les anciens croquis et qu’une confusion était née entre ce terrain et celui objet de l’affaire no 1987/372, sur lequel, d’après le croquis établi dans le cadre de cette procédure, du sable aurait été déversé. Ils soutenaient, en s’appuyant sur le rapport d’expertise du 20 juillet 1999, que le terrain ayant fait l’objet de l’affaire susmentionnée et le terrain litigieux étaient des terrains différents. Ils signalaient à cet égard que les enregistrements au cadastre concernant le terrain litigieux avaient été soumis à un renouvellement par une décision du ministère de l’État du 26 août 1993, et ils affirmaient que les nouveaux croquis produits après ce renouvellement avaient rectifié les erreurs contenues dans les anciens croquis et qu’ils permettaient clairement d’établir l’existence du terrain litigieux. Le 30 mars 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants. Elle considéra ce qui suit : « Le représentant des demandeurs a expliqué que les demandeurs avaient hérité de l’immeuble sans titre de propriété, dont la situation et les limites ont été indiquées dans l’acte introductif d’instance, de leur de cujus, et a réclamé l’inscription de cet immeuble au nom des demandeurs en vertu de la prescription acquisitive. Le représentant du Trésor public a soutenu que l’immeuble en question était un banc de sable à la disposition de l’État et que le jugement rendu dans l’affaire no 1987/372 était un jugement définitif pour le présent litige. Il a demandé en conséquence le rejet de l’action. Le représentant de la direction générale des autoroutes a demandé le rejet de la demande en ce qui concerne les parties expropriées [de l’immeuble concerné]. À la suite du rejet de l’action des demandeurs, leur représentant s’est pourvu en cassation contre ce jugement. L’immeuble litigieux a été laissé non enregistré en tant que « banc de sable de la Mer noire » lors des travaux de cadastre réalisés en 1952 dans la région. Le jugement (...) rendu le 20 décembre 1999 par le tribunal de première instance, qui s’est conformé aux arrêts de cassation antérieurs de notre chambre [et a mené] des recherches, a, à nouveau, été infirmé par notre chambre par l’arrêt (...) du 4 mai 2000. Dans ce dernier arrêt, il a été souligné : que, dans le dossier de l’affaire no 1987/372, qui [a été définitivement tranchée] après le contrôle de la Cour de cassation, une action avait été déclenchée par le Trésor public à l’encontre de Orhun Güven, un des demandeurs dans la présente affaire, pour occupation illégale du terrain ; que cette action avait été rejetée au motif que l’occupation illégale par Orhun Güven n’avait pas été démontrée ; mais que, selon le rapport établi le 24 février 1988 par l’expert géologue, E.G., l’immeuble était un banc de sable, se trouvait dans la zone d’influence de la Mer noire et avait les caractéristiques du sable ; que, selon les déclarations faites par Orhun Güven, en sa qualité de défendeur, lors de la visite des lieux effectuée le 4 février 1988, [le terrain des demandeurs] s’étendait jusqu’à la vieille route de Terme et le terrain situé audelà de cette route était à la disposition de l’État ; que, selon le croquis établi le 9 février 1988 par l’expert technique, S.Y., à la suite de la même visite des lieux, la vieille route de Terme susmentionnée était signalée par une ligne verte et le terrain litigieux se trouvait du côté de la mer par rapport à cette route ; qu’en outre, selon l’arrêt (...) d’harmonisation jurisprudentielle du 28 novembre 1997 de la Cour de cassation, si une bande littorale était devenue définitive après la confirmation [de son tracé par un jugement rendu par les juridictions administratives], la situation du terrain litigieux par rapport à la bande littorale devait être déterminée conformément [à cette bande littorale] ; que, selon la visite des lieux effectuée dans le cadre du présent dossier, le terrain litigieux était un banc de sable se trouvant du côté de la mer par rapport à la bande littorale ; et que par conséquent l’action des demandeurs devait être rejetée. Par son jugement (...) du 30 mars 2001, le tribunal de première instance, en se conformant à l’arrêt de cassation définitif de notre chambre, a rejeté l’action [des demandeurs]. Les demandeurs, Orhun Güven et autres, ont formé un pourvoi en cassation contre ce jugement. Même si le jugement (...) du tribunal administratif d’Ordu du 12 mars 2002 annulant la décision [administrative] sur la bande littorale approuvée a été versé au dossier par les demandeurs après l’arrêt de cassation définitif précité, l’on ne saurait accorder de valeur à ce jugement, compte tenu des constatations du jugement E. 1987/312, K. 1988/137 précité, devenu définitif, du tribunal de grande instance d’Ünye, et des déclarations du demandeur Orhun Güven [dans le cadre de ce litige], du fait que le précédent arrêt de cassation définitif, auquel le tribunal de grande instance s’est conformé, constituait un droit acquis procédural, du fait que le terrain litigieux était indiqué comme étant le sable de la Mer noire sur le plan de cadastre, et du fait que, selon le rapport d’expertise du 27 octobre 1997, établi par un collège de trois experts agricoles à la suite d’une visite des lieux effectuée le 24 octobre 1997, contenu dans le dossier de l’affaire, le terrain n’était pas cultivé et aucune activité agricole n’y avait été réalisée depuis dix à quinze ans. À la lumière de ce qui précède, aucune impertinence n’a été constatée dans le jugement de rejet du tribunal de première instance. Il a donc été décidé, à l’unanimité, le 30 mars 2004, de rejeter le pourvoi en cassation du représentant des demandeurs et de confirmer le jugement, qui a été considéré conforme à la loi et à la procédure (...). » Par un arrêt du 4 octobre 2004, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification formé par les requérants. D. La demande relative à la réouverture de la procédure Le 28 janvier 2005, les requérants introduisirent devant le tribunal de grande instance d’Ünye une demande de réouverture de la procédure visant à l’inscription au registre foncier du terrain litigieux à leur nom. À l’appui de leur demande, ils indiquaient notamment que la décision du ministère des Travaux publics et de l’Habitat du 18 août 1994 relative au tracé de la bande littorale avait été annulée par les juridictions administratives, ce qui aurait abouti à l’existence de deux décisions judiciaires contradictoires relativement à leur droit de propriété. Ils ajoutaient que les registres cadastraux avaient été définitivement modifiés le 30 juin 2003 en prenant en compte la décision des juridictions administratives. Ils précisaient que le plan no 48 avait ainsi été abrogé et remplacé par les plans nos 20 J-1 et 20 J2. Le 3 mai 2005, le tribunal rejeta leur demande au motif que l’arrêt de la Cour de cassation était devenu définitif le 4 octobre 2004 et que la demande de réouverture de la procédure avait été introduite après l’écoulement du délai de trois mois prévu à l’article 447, alinéa 2, du code de procédure civile. Les requérants se pourvurent en cassation le 3 juin 2005. Ils soutenaient que le délai applicable à leur demande était le délai de dix ans prévu à l’article 445, point 10, du code de procédure civile. Le 15 novembre 2005, la Cour de cassation, par un arrêt non motivé, rejeta le pourvoi en cassation, considérant que le jugement attaqué était conforme à la loi. Le 13 mars 2006, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification formé par les requérants. E. La procédure en annulation de la décision administrative relative au tracé de la bande littorale Le 2 novembre 2000, le requérant Okan Güven introduisit devant le tribunal administratif d’Ordu une demande visant à l’annulation de la décision du ministère des Travaux publics et de l’Habitat du 18 août 1994 relative au tracé de la bande littorale. Le 12 mars 2002, le tribunal administratif annula la décision administrative litigieuse, au motif que, d’après un rapport d’expertise établi le 2 janvier 2002 par un collège d’experts (géologue, topographe et agricole), la bande littorale n’avait pas été tracée selon des critères scientifiques et de manière conforme aux dispositions de la loi relative au littoral. Le 17 juin 2003, le Conseil d’État rejeta le pourvoi formé par le ministère des Travaux publics et de l’Habitat. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’acquisition de la propriété foncière L’article 633 de l’ancien code civil (« l’ACC ») (la loi no 743 du 17 février 1926), qui était en vigueur jusqu’au 1er janvier 2002, était ainsi libellé : « L’inscription au registre foncier est nécessaire pour l’acquisition de la propriété foncière. Celui qui acquiert un immeuble par occupation, succession, expropriation, exécution forcée ou jugement en devient toutefois propriétaire avant l’inscription, mais il n’en peut disposer dans le registre foncier qu’après que cette formalité a été remplie. » La teneur de cette disposition a été reprise à l’article 705 du nouveau code civil (« le NCC ») (la loi no 4721 du 22 novembre 2001). B. Les conditions générales de la prescription acquisitive L’article 639 alinéa 1 de l’ACC disposait ce qui suit : « Toute personne ayant exercé une possession continue et paisible à titre de propriétaire pendant vingt ans sur un bien immeuble pour lequel aucune mention ne figure au registre foncier peut introduire une action [en justice] en vue d’obtenir l’inscription [au registre foncier] de ce bien comme étant sa propriété. » L’article 713 alinéas 1 et 5 du NCC se lit comme suit : « Toute personne ayant exercé une possession continue et paisible à titre de propriétaire pendant vingt ans sur un bien immeuble non enregistré sur le registre foncier peut introduire une action [en justice] en vue d’obtenir l’inscription de son droit de propriété sur l’intégralité, une partie ou une part de ce bien au registre foncier. (...) La propriété est acquise au moment où les conditions prévues au premier alinéa sont réunies. » Le dernier alinéa de l’article 713 du NCC précise que le mécanisme ainsi décrit s’applique sous réserve de dispositions spéciales (özel kanun hükümleri). L’article 14 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 sur le cadastre prévoit que « le titre d’un bien immobilier non immatriculé au registre foncier (...) est inscrit au nom de celui qui prouve, au moyen de documents, d’expertises ou de déclarations de témoins, avoir possédé [ledit bien], à titre de propriétaire, de manière ininterrompue pendant plus de vingt ans ». C. L’exclusion des terrains situés sur le littoral de la prescription acquisitive L’article 43 de la Constitution dispose que les côtes sont la propriété de l’État et relèvent de sa juridiction, et que l’intérêt public prime en ce qui concerne l’exploitation des rivages des mers, des lacs et des cours d’eau ainsi que des bandes côtières situées en bordure des mers et des lacs. L’article 5 de la loi no 3621 sur le littoral dispose aussi que les côtes sont soumises à la juridiction de l’État et sont à sa disposition, et que l’intérêt public est observé en priorité dans l’utilisation des bandes littorales. Les terrains situés sur les bandes littorales ne sont donc pas susceptibles de devenir l’objet d’une propriété privée, et ils échappent ainsi à la prescription acquisitive. D. Le moment de l’acquisition de la propriété par voie de prescription Sous l’empire de l’ACC, par un arrêt du 16 décembre 1964, l’assemblée des chambres civiles de la Cour de cassation (Yargıtay Hukuk Genel Kurulu) a indiqué que le moment de l’acquisition de la propriété par le jeu des règles relatives à l’usucapion n’était pas la date à laquelle l’ensemble des conditions étaient réunies mais celle à laquelle la décision du tribunal concluant au respect de toutes les conditions devenait définitive. En effet, selon la haute juridiction, la décision judiciaire avait un caractère constitutif et non simplement déclaratoire. Malgré cet arrêt de principe, quelques arrêts de chambre ont été rendus en sens contraire. D’après ces décisions, l’action en usucapion n’avait qu’un caractère déclaratoire et la propriété était acquise dès l’instant où les conditions de la prescription étaient réunies. Par un arrêt du 22 mai 1996, l’assemblée des chambres civiles de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence de 1964. Enfin, par un arrêt du 4 décembre 1998, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Yargıtay Büyük Genel Kurulu) a confirmé l’approche retenue par l’assemblée des chambres civiles. Les parties pertinentes en l’espèce de son arrêt se lisent comme suit : « Le droit de propriété est un droit réel qui doit être inscrit au registre foncier. En matière immobilière, ce droit naît, en principe, avec l’inscription audit registre (article 633 alinéa 1 (...) du code civil). Par exception à cette règle, l’article 633 alinéa 2 [du code civil] prévoit des situations dans lesquelles le droit de propriété peut s’acquérir avant l’inscription. L’une de ces situations est l’existence d’une décision de justice. Il a ainsi été prévu que le droit de propriété pouvait s’acquérir avant l’inscription en raison d’une décision judiciaire. (...) La réunion de l’ensemble des conditions de la prescription acquisitive ne saurait suffire en soi à transformer la possession en propriété. Lorsque ces conditions sont remplies, le possesseur acquiert « le droit de réclamer l’inscription » [devant un juge]. À cet égard, l’article 639 alinéa 1 du code civil indique que le possesseur « peut » demander l’enregistrement [à un juge]. (...) Pour les raisons qui viennent d’être exposées, la nouvelle situation juridique voit le jour avec la décision ordonnant l’enregistrement ; la décision du juge revêt donc un caractère constitutif et c’est à partir du moment où elle devient définitive et pour l’avenir qu’elle produit des effets. (...) Conclusion : lors de la première session du 4 décembre 1998, a été décidé à une majorité dépassant les deux tiers que les décisions rendues sur le fondement de l’article 639 alinéa 1 du code civil, relatives à l’acquisition par voie d’usucapion de biens immeubles non inscrits au registre foncier, ont un caractère constitutif (créateur – fondateur – (...)). » Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus (paragraphe 41), l’article 713 alinéa 5 du NCC dispose désormais que la propriété est acquise par voie de prescription au moment où les conditions de l’usucapion sont réunies. E. Les délais de recours contre les conclusions des travaux de cadastre La loi no 3402 du 21 juin 1987 sur le cadastre prévoit que le procèsverbal des travaux de cadastre peut faire l’objet d’une opposition auprès de l’administration aussi longtemps que l’équipe de techniciens est présente sur la zone de travail (article 9). Elle indique en son article 11 que les conclusions des travaux de cadastre doivent faire l’objet d’un affichage public pendant trente jours. L’affichage doit mentionner la possibilité d’un recours contentieux. L’article 12 de la même loi dispose que les procès-verbaux qui n’ont pas fait l’objet d’un recours dans le délai de trente jours deviennent définitifs et peuvent être transcrits au registre foncier. Néanmoins, un recours s’appuyant sur « des motifs juridiques antérieurs aux travaux de cadastre » est possible pendant une durée de dix ans à partir de la date à laquelle le procès-verbal est devenu définitif. Selon l’article 41 de la même loi, les erreurs techniques découlant des mesurages, des tracés ou des calculs concernant les biens immeubles dont les plans de cadastre sont devenus définitifs sont rectifiées à la demande de l’intéressé ou d’office par la direction du cadastre. Cette rectification est notifiée aux propriétaires de l’immeuble et à d’autres ayants droit. Si cette rectification n’est pas contestée devant le juge d’instance pénal dans les trente jours suivant la notification, elle devient définitive. Le délai de dix ans prévu à l’article 12 de la loi n’est pas applicable à cette rectification. F. L’arrêt d’harmonisation jurisprudentielle de la Cour de cassation relatif à la délimitation de la bande littorale Dans son arrêt d’harmonisation jurisprudentielle adopté le 28 novembre 1997 (E. 1996/5, K. 1997/3), l’assemblée plénière des chambres civiles de la Cour de cassation a considéré ce qui suit : « En principe, il appartient à la justice civile de délimiter la bande littorale en ce qui concerne le droit de propriété. Cependant, dans le cas où la bande littorale a été délimitée par l’administration et où [la décision prise par celle-ci] n’a pas été contestée devant la justice administrative malgré la notification écrite faite aux intéressés ou [bien a été entérinée par un jugement rendu par la justice administrative] devenu définitif, la bande littorale doit être délimitée conformément à [cette décision]. » G. Le droit acquis procédural dans les affaires civiles La notion de droit acquis procédural est un principe qui a été reconnu et développé par la jurisprudence de la Cour de cassation. Ce principe a été explicité comme suit par un arrêt d’harmonisation jurisprudentielle de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 9 mai 1960 (E. 1960/21, K. 1960/09) : « Lorsqu’un tribunal se conforme à un arrêt de cassation d’une chambre de la Cour de cassation, une obligation naît pour lui [de procéder à des examens et des recherches] conformément à cet arrêt [de cassation] et de statuer conformément aux principes juridiques indiqués dans cet arrêt. À cet égard, la contrariété du jugement suivant du tribunal aux principes indiqués dans l’arrêt de cassation ne peut pas être considérée comme conforme à la procédure et constitue un motif de cassation, à moins que cette contrariété concerne un principe procédural indiqué dans l’arrêt de cassation et ne soit pas de nature à changer (...) le jugement final. Le fait de procéder et de statuer conformément à l’arrêt de cassation, lorsqu’un tribunal se conforme à un arrêt de cassation, conduira [celui-ci] à statuer en faveur d’une des parties et en défaveur de l’autre ; cela s’appelle le droit acquis procédural (...). Même si aucune disposition claire relative à un tel droit acquis procédural n’est prévue dans le code de procédure, la notion de droit acquis procédural est l’un des principes fondamentaux sur lesquels se fonde le code de procédure et relève de l’ordre public, (...) étant donné qu’elle a été acceptée afin d’assurer la stabilité juridique. (...) Si, après qu’un tribunal a statué conformément à un arrêt de cassation, une chambre de la Cour de cassation rend un deuxième arrêt de cassation contraire aux [principes] relatifs à la loi et à la procédure adoptés par le premier arrêt de cassation, cela porte atteinte à la stabilité visée par les dispositions relatives à la procédure et ébranle la confiance générale envers les décisions [judiciaires]. » H. La demande de réouverture de la procédure L’article 445 de l’ancien code de procédure civile du 18 juin 1927, remplacé par le nouveau code de procédure civile du 12 janvier 2011 à compter du 1er octobre 2011, pouvait se lire comme suit : « Une demande de réouverture de la procédure peut être introduite contre les jugements définitifs pour les motifs suivants : (...) Si deux jugements contradictoires sont rendus par le même tribunal ou par des tribunaux différents dans des affaires où les parties et l’objet du litige sont identiques. (...) » L’article 447 de l’ancien code de procédure civile était ainsi libellé : « (...) Une demande de réouverture de la procédure introduite pour le motif prévu au point 10 de l’article 445 est recevable jusqu’à la fin du délai de prescription (dix ans selon l’article 39 de la loi no 2004 du 9 juin 1932 relative à l’exécution forcée et à la faillite). (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1971 et réside à Barnaul (région d’Altaï). A. L’acquisition et l’immatriculation d’un véhicule par la requérante Le 26 juillet 2006, la requérante acheta une voiture de marque Toyota à un particulier, M. Sh., par l’intermédiaire d’un tiers. Le 31 juillet 2006, elle fit immatriculer le véhicule auprès de l’inspection de la sécurité routière de Barnaoul. Par la suite, elle acheta des équipements supplémentaires, qu’elle fit installer sur ce véhicule. B. L’enquête pénale contre le vendeur Le 10 octobre 2006, une enquête pénale pour fraude bancaire fut ouverte contre M. Sh. Ce dernier était accusé de ne pas avoir remboursé le prêt contracté pour l’achat du véhicule et d’avoir vendu celui-ci en violation des termes du gage garantissant ledit prêt, lui interdisant son aliénation sans l’accord préalable de la banque. À une date indéterminée, M. Sh. fut placé sur la liste des personnes recherchées. Le 6 décembre 2006, par deux décisions, l’enquêteur en charge de l’affaire ordonna la saisie du véhicule en tant que preuve matérielle dans l’affaire pénale (постановление о производстве выемки, постановление о признании и приобщении к уголовному делу вещественных доказательств) et son placement sur un parking spécial. Le jour même, la voiture fut saisie. Le 15 décembre 2006, elle fut remise (передана на ответственное хранение) à un représentant de la banque. Il ressort des documents du dossier que depuis lors, la voiture restait sur le parking. Le 13 février 2007, la banque se constitua partie civile dans la procédure pénale et demanda le remboursement du prêt et des intérêts sur le prix de vente du véhicule gagé (обратить взыскание на заложенное имущество). Le 6 juillet 2007, M. Sh. fut mis en examen par défaut. Le 10 juillet 2007, l’enquête pénale fut suspendue pour cause de fuite de l’inculpé. Le même jour, le tribunal du district Sovetski de Krasnoïarsk, se fondant sur l’article 115 § 3 du code de procédure pénale (CPP), autorisa la saisie du véhicule (наложение ареста), considéré comme produit du délit pénal. Aucune période de validité de la saisie ne fut indiquée. La requérante ne fut pas informée de cette décision. C. Les tentatives de la requérante pour se voir restituer le véhicule La voie pénale a) Le premier recours fondé sur l’article 125 du CPP Le 14 décembre 2006, la requérante contesta la saisie ordonnée le 6 décembre 2006 devant le tribunal du district Sovetski de Krasnoïarsk. À l’audience, la requérante demanda à l’enquêteur de lui remettre le véhicule pour conservation pendant l’enquête. L’enquêteur indiqua que, jusqu’à sa saisie, la voiture était sur la liste des véhicules recherchés et qu’il en refusait la remise à la requérante par crainte de son aliénation. Le 21 décembre 2006, le tribunal rejeta le recours formé par la requérante. S’agissant de l’argument tiré de la bonne foi de cette dernière, le tribunal estimait que seules les juridictions civiles étaient compétentes pour cette question relative à la contestation de la propriété du véhicule. Le 22 février 2007, la cour régionale de Krasnoïarsk confirma cette décision en cassation. La cour indiqua au surplus à la requérante la possibilité de demander la résolution de la vente devant les juridictions civiles. b) Le second recours fondé sur l’article 125 du CPP À une date non précisée, la requérante saisit de nouveau le tribunal du district Sovetski. Contestant la saisie (изъятие) du véhicule, elle demandait la remise de celui-ci pour conservation et la restitution des équipements installés. Le 24 avril 2008, le tribunal rejeta le recours au motif qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur la question de la bonne foi de la requérante et sur la restitution des équipements. Le 22 juillet 2008, la cour régionale confirma cette décision en cassation. La voie civile a) Le recours non contentieux Le 28 décembre 2006, la requérante forma un recours non contentieux (заявление об установлении факта, имеющего юридическое значение) devant le tribunal du district Leninski de Barnaoul aux fins de se voir déclarer propriétaire du véhicule. Le 15 février 2007, le tribunal du district Leninski rejeta ce recours sans examen et invita la requérante à utiliser la voie contentieuse. Le 4 avril 2007, la cour régionale d’Altaï confirma cette décision en cassation. b) L’action contentieuse À une date non précisée, la requérante assigna la banque et le département régional de l’Intérieur, demandant qu’il leur fût ordonné de mettre fin à l’atteinte portée à l’usage de son véhicule. Le 2 octobre 2007, le tribunal du district Jeleznodorojny de Krasnoïarsk rejeta cette action sans examen. Il considérait que la demande avait déjà été examinée dans le cadre du premier recours fondé sur l’article 125 du CPP (paragraphes 16–19 ci-dessus). Le 17 décembre 2007, la cour régionale de Krasnoïarsk confirma cette décision en cassation. D. Les derniers développements Le 26 juillet 2009, la requérante obtint la qualité de victime dans la procédure. Le 25 avril 2017, un enquêteur du département de l’Intérieur de Krasnoïarsk mit fin à l’enquête pénale contre Sh. pour prescription de l’action publique. Par une lettre du même jour, il en informa la requérante et lui proposa de s’adresser au chef du département de l’Intérieur afin de récupérer son véhicule. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP en vigueur à l’époque des faits D’après les articles 81 et 82 du CPP, les preuves matérielles doivent être conservées dans le dossier de l’affaire pénale jusqu’à ce que le jugement de condamnation devienne définitif ou jusqu’à l’expiration du délai de recours contre la décision de non-lieu à statuer. Le jugement de condamnation doit se prononcer sur le sort des preuves matérielles. Les biens qualifiés de preuves matérielles sont restitués à leurs possesseurs légitimes (законным владельцам). Les contestations relatives à la propriété des biens doivent être tranchées par les juridictions civiles. Lorsque des biens obtenus par la commission d’un délit pénal, ainsi que les produits de tels biens, constituant des preuves matérielles sont découverts lors de l’enquête pénale, ils doivent être saisis (подлежат аресту) selon les modalités prévues par l’article 115 du CPP. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’article 82 du CPP autres que celles présentées ci-avant, ainsi que celles de l’article 115 du CPP, sont exposées dans l’arrêt Uniya OOO et Belcourt Trading Company c. Russie (nos 4437/03 et 13290/03, §§ 234 et 242 respectivement, 19 juin 2014). Selon l’article 115 § 3 du CPP, la saisie (наложение ареста) des biens possédés par des tiers peut être ordonnée s’il y a des motifs plausibles de croire que ces biens ont été obtenus par les agissements délictuels du suspect ou de l’inculpé, ou qu’ils ont été utilisés ou étaient destinés à être utilisés notamment comme instrument du délit. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’article 125 du CPP relatif au contrôle juridictionnel des décisions et actes ou omissions d’un enquêteur ou d’un procureur sont exposées dans l’arrêt Roman Zakharov c. Russie [GC] (no 47143/06, §§ 89–91, CEDH 2015). B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie Par son arrêt no 1-P du 31 janvier 2011, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions de l’article 115 du CPP au motif qu’elles ne prévoyaient pas de recours effectif pour les propriétaires dépossédés de leurs biens en cas de suspension d’une enquête pénale pour cause de fuite de l’inculpé. Par son arrêt no 25-P du 21 octobre 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions de l’article 115 du CPP en ce que cette norme ne prévoyait pas de « mécanisme légal approprié » pour la « protection effective judiciaire » des droits des tiers dont le droit de propriété avait été limité par l’application prolongée d’une mesure de saisie. C. Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP après le 15 septembre 2015 En application des arrêts susmentionnés, la loi fédérale no 190-FZ, entrée en vigueur le 15 septembre 2015, a amendé certaines dispositions du CPP. Désormais, d’après l’article 115 du CPP, le tribunal doit indiquer les faits concrets justifiant la saisie des biens des tiers, déterminer les restrictions à la propriété des biens saisis et établir un délai de validité de la mesure (paragraphe 3). À l’expiration du délai, et si le tribunal n’autorise pas une prolongation de celui-ci, la saisie est levée (paragraphe 9). Lors de la saisie, un procès-verbal doit être dressé avec indication pour la personne dépossédée de la possibilité de former un recours contre la décision de saisie, de demander une modification des restrictions à la propriété ou de solliciter la mainlevée de la mesure (paragraphe 8). Le nouvel article 115.1 du CPP décrit comme suit les modalités de l’autorisation judiciaire de prolongation du délai de saisie des biens : l’enquêteur adresse une demande de prolongation du délai au tribunal compétent, notamment dans le cas de suspension de l’enquête pour cause d’impossibilité de trouver l’inculpé (paragraphe 2) ; le tiers dépossédé a le droit de participer à l’audience (paragraphe 4) ; le nouveau délai de validité de la saisie doit être raisonnable (paragraphe 6) ; la décision de prolongation peut être frappée d’appel et de cassation (paragraphe 7). L’article 4 de la loi fédérale no 190-FZ précitée prévoit que les nouvelles dispositions du CPP s’appliquent aux saisies des biens effectuées avant l’entrée en vigueur de ladite loi. Les questions relatives à l’établissement des délais de validité des saisies et à la prolongation de pareils délais sont tranchées par les tribunaux selon les modalités prévues par l’article 115.1 du CPP, à la demande des tiers dépossédés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier des requérants (paragraphe 1 ci-dessus) est né en 1957 et réside à Ceppaloni. Le deuxième est né en 1961 et réside à Arpaise. Le troisième est né en 1961 et réside à Parme. La mère des requérants, Mme Scocca, était enseignante en école maternelle. Par l’arrêté no 11830 du 15 juillet 1981, le président de la région de Campanie ferma l’établissement dans lequel Mme Scocca était employée et décida que les membres du personnel disposant d’un contrat à durée indéterminée seraient réemployés par la municipalité de Ceppaloni (« la municipalité »). D’après la loi régionale no 65 de 1980 (« la loi no 65 »), l’administration municipale devait réembaucher ces personnes dans un délai de soixante jours à compter du 30 juillet 1981 et, à l’expiration de ce délai, les rémunérer conformément à la convention collective nationale de travail du personnel des collectivités locales. Le 27 juin 1988, par une décision no 364 (« la décision municipale no 364/1988 »), la municipalité réemploya ledit personnel, y compris la mère des requérants, sur la base de contrats à durée indéterminée. À compter de cette date, Mme Scocca se vit verser un traitement plus favorable que celui perçu par elle entre 1981 et 1988, en application de la convention collective nationale susmentionnée. Par la suite, par la décision no 44 du 25 juin 1990, la municipalité licencia la mère des requérants dans le cadre d’un remaniement du personnel de l’administration municipale. En 1990, Mme Scocca forma un recours devant le tribunal administratif régional de Naples (« le TAR ») en vue d’obtenir l’annulation de son licenciement et le versement d’un rappel de traitement correspondant à la différence entre la rémunération que, selon elle, elle aurait dû percevoir à partir de la date à laquelle elle aurait à ses dires dû être réemployée par la municipalité et celle perçue à partir de la date de son réemploi le 27 juin 1988. Par un jugement du 28 janvier 1997, le TAR rejeta le recours de Mme Scocca au motif que celle-ci aurait dû former un recours préalable auprès de l’autorité administrative concernée. Mme Scocca interjeta appel de cette décision. Au cours de la procédure devant le Conseil d’État, le 22 février 2006, elle décéda ; les requérants se constituèrent alors dans la procédure en tant qu’héritiers. Par un arrêt du 27 juin 2006, déposé le 7 novembre 2006, le Conseil d’État accueillit l’appel formé par Mme Scocca. Il considéra que la relation de travail de cette dernière avec la municipalité relevait de la fonction publique, l’intéressée ayant occupé un poste permanent et exercé les fonctions d’enseignante en école maternelle. Il estima que, en application de la loi no 65, la municipalité aurait dû réemployer Mme Scocca dans un délai de soixante jours à compter du 30 juillet 1981 et que, à compter de l’expiration de ce délai, elle aurait dû lui verser le traitement prévu par la convention collective nationale de travail du personnel des collectivités locales. Il condamna la municipalité à verser aux requérants un rappel de traitement correspondant à la différence entre le traitement auquel Mme Scocca aurait eu droit et celui que celle-ci avait effectivement perçu, augmenté des intérêts légaux et d’une somme à titre de compensation pour tenir compte de l’inflation. Enfin, s’agissant de la légitimité du licenciement de Mme Scocca, il rejeta la demande des requérants portant sur ce point pour défaut d’intérêt à agir, en raison du décès de Mme Scocca. Le 18 octobre 2007, un expert-comptable désigné par les requérants chiffra la créance de ces derniers à 222 931,69 euros (EUR). Le 12 novembre 2007, les requérants sommèrent la municipalité de leur verser ladite somme. La municipalité ne s’étant pas exécutée, le 30 janvier 2008, les requérants introduisirent devant le Conseil d’État un recours en exécution (« giudizio di ottemperanza »). Au cours de la procédure d’exécution, le 20 novembre 2008, la municipalité, faisant usage de son pouvoir d’« autoprotection » (autotutela), annula d’office sa décision no 364/1988 par une décision no 284 (« la décision municipale no 284/2008 »). À cet égard, elle indiqua s’être aperçue, en réexaminant l’affaire en vue de l’exécution de l’arrêt du Conseil d’État, que Mme Scocca aurait dû être réemployée à titre temporaire et non pas sur la base d’un contrat à durée indéterminée. Selon elle, afin d’éviter le paiement d’une somme indue aux frais de la collectivité – ce qui, à ses yeux, aurait eu de graves conséquences sur la situation financière de l’administration –, il s’avérait nécessaire d’annuler d’office, pour cause d’illégitimité, la décision municipale no 364/1988 portant réemploi de Mme Scocca en contrat à durée indéterminée. Par conséquent, à l’audience du 21 novembre 2008, la municipalité demanda au Conseil d’État de rejeter le recours en exécution des requérants pour défaut de base légale. Par une ordonnance du 21 novembre 2008, déposée au greffe le 22 février 2009, le Conseil d’État fit droit à la demande de la municipalité. Il observa que la créance des requérants, reconnue par son arrêt du 27 juin 2006, trouvait sa base légale dans la décision municipale no 364/1988 affectant Mme Scocca à un poste à durée indéterminée. Il releva que ladite décision avait été annulée d’office par la municipalité au motif que Mme Scocca aurait dû être réemployée en contrat à durée déterminée et qu’elle n’aurait donc pas dû bénéficier de l’application de la loi no 65. Il considéra dès lors que la décision municipale no 284/2008 avait une incidence négative sur l’existence même de la créance des requérants et que la légitimité de cette décision ne pouvait pas être mise en cause faute de recours exercé par les intéressés. Il rejeta par conséquent le recours en exécution des requérants pour défaut de base légale. Le 22 janvier 2009, les requérants demandèrent devant le TAR l’annulation de la décision municipale no 284/2008. Le 1er avril 2009, ils mirent à nouveau en demeure la municipalité, lui sommant de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2006. La municipalité ne s’étant toujours pas exécutée, les requérants introduisirent un deuxième recours en exécution devant le Conseil d’État. Ce dernier, par une ordonnance du 30 mars 2010, décida de suspendre la procédure en attendant que le TAR statuât sur la légitimité de la décision municipale no 284/2008. Le 19 novembre 2010, les requérants déposèrent devant le Conseil d’État un mémoire dans lequel, invoquant entre autres l’article 6 de la Convention, ils demandaient à la haute juridiction administrative de reprendre l’examen de l’affaire et de condamner la municipalité à leur verser la somme correspondant au montant de leur créance, arguant que celle-ci était certaine et exigible. Par un arrêt du 13 avril 2012, déposé au greffe le 9 avril 2013, le Conseil d’État déclara le recours en exécution des requérants irrecevable. Il exposa que la situation n’avait pas évolué depuis son ordonnance du 21 novembre 2008, dans la mesure où le TAR ne s’était pas encore prononcé sur la légitimité de la décision municipale no 284/2008. Par un jugement du 13 décembre 2012, déposé le 1er mars 2013, le TAR rejeta le recours en annulation des requérants. Il releva tout d’abord que l’arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2006 n’avait pas tranché la question de la légitimité de la décision municipale no364/1988. Il estima par conséquent que la municipalité demeurait libre de se prononcer sur la légitimité de l’acte administratif en cause sans pour autant aller à l’encontre d’une décision de justice définitive. Selon lui, la décision de la municipalité d’annuler d’office sa décision no 364/1988 répondait à un intérêt public actuel et concret dans la mesure où elle évitait une perte financière importante pour le Trésor public qui aurait découlé d’un recrutement illégitime. Enfin, il considéra que le délai mis par l’administration pour annuler la décision en question n’était pas disproportionné, le risque de préjudice pour le Trésor public n’étant apparu que lorsque l’arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2006 avait acquis force de chose jugée, soit le 7 novembre 2006. Le 4 avril 2013, les requérants formèrent un recours contre ce jugement. La procédure est toujours pendante devant le Conseil d’État. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Dans le cadre de son pouvoir d’« autoprotection » (autotutela), l’administration publique peut annuler ou révoquer, sans intervention de l’autorité judiciaire, des décisions administratives déjà adoptées. Selon l’article 21 nonies de la loi no 241 du 7 août 1990, un acte administratif illégitime peut être annulé d’office par l’organe qui l’a adopté, dans un délai raisonnable et en tenant compte des intérêts des destinataires de l’acte et des autres personnes intéressées, lorsqu’il existe des raisons d’intérêt public.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Barletta. Le 3 juin 1996, C.C., un ressortissant italien, porta plainte contre le requérant. Il affirma que, dans la rue, ce dernier s’était approché de lui avec un complice pour lui demander de l’argent. Il précisa qu’il connaissait le complice. Il déclara qu’il avait accepté, qu’il avait sorti son portefeuille mais que le complice le lui avait arraché des mains avant de s’enfuir avec le requérant. Il ajouta qu’il les avait poursuivis et que le requérant lui avait donné un coup de poing au visage. Le même jour, lors du dépôt de sa plainte, qui fut recueillie par le carabinier L.R., C.C. indiqua que l’un des deux agresseurs se nommait L.D. et il le reconnut à partir d’une photo. Quant au requérant, il expliqua aux carabiniers qu’il le connaissait de vue. Par la suite, le carabinier L.R présenta à C.C. plusieurs photos aux fins d’identification et ce dernier identifia formellement le requérant comme étant son deuxième agresseur. Le 13 septembre 1996, le parquet demanda qu’il fût procédé à une audition de C.C. et à une parade d’identification (ricognizione personale) dans le cadre d’une audience ad hoc (incidente probatorio) devant le juge des investigations préliminaires de Trani (« le GIP ») au motif que, en raison du passage du temps, le témoignage du plaignant risquait de ne plus être fiable lors des débats. Une première citation à comparaître ne put être notifiée à C.C. au motif qu’il ne se trouvait plus au domicile de ses parents. Une deuxième citation à comparaître du 18 décembre 1996 et une troisième du 3 janvier 1997 furent délivrées à la mère de C.C. Toutefois, ce dernier ne se présenta pas à l’audience ad hoc du 15 janvier 1997. Le juge ordonna alors sa comparution forcée en vue d’une audience fixée au 27 janvier 1997. Cependant, ni C.C. ni le requérant ne comparurent. Une nouvelle audience se tint le 28 janvier 1997 lors de laquelle C.C. et le requérant étaient présents mais pas le substitut du procureur qui participait aux débats dans le cadre d’une autre procédure pénale. Le 22 septembre 1997 eut lieu une autre audience ad hoc au cours de laquelle le juge releva que C.C., ne vivant plus au domicile de ses parents depuis deux mois, n’avait pas reçu notification de la citation à comparaître. À une audience préliminaire du 16 juin 1998, le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Trani (« le tribunal ») pour avoir volé le portefeuille de C.C. et pour avoir frappé celui-ci au visage avec le concours de L.D. À l’audience du 27 mai 2003, C.C. ne se présenta pas. Il fut mentionné lors de cette audience que C.C. n’avait pas reçu notification de la citation à comparaître au domicile qu’il avait indiqué aux autorités, à savoir chez ses parents. Le 3 juin 2003, la police rédigea un procès-verbal de recherches infructueuses au motif que C.C. n’avait pas été trouvé au domicile qu’il avait indiqué aux autorités. Selon ce procès-verbal, les parents de C.C. avaient déclaré que ce dernier ne vivait plus avec eux depuis trois ans et qu’ils ne savaient pas où il se trouvait. À l’audience du 6 décembre 2004, le carabinier L.R. fut entendu. Il relata au tribunal le déroulement de la reconnaissance photographique. L.D. fut également entendu. Il déclara qu’il ne connaissait pas la personne l’ayant accusé. L’audience devait être consacrée, entre autres, à l’audition de C.C. Le procureur informa le tribunal que celui-ci avait quitté le domicile familial depuis l’année 2000 et qu’il était depuis lors introuvable. Il indiqua également qu’un mandat d’arrêt avait été décerné à l’encontre de C.C. à la suite de sa condamnation dans le cadre d’une autre procédure pénale. S’appuyant sur l’article 512 du code de procédure pénale (CPP), le tribunal ordonna que la déposition faite par C.C. aux carabiniers le 3 juin 1996 (paragraphe 5 ci-dessus) fût versée au dossier du juge et admise à titre de preuve (fascicolo per il dibattimento), et ce en dépit de la demande de la défense de réaliser des recherches supplémentaires. Par un jugement du 11 avril 2005, le tribunal condamna le requérant et L.D. à un an et quatre mois d’emprisonnement. Il considéra que la déposition précise et circonstanciée faite par C.C. auprès des carabiniers était suffisante pour l’établissement de la culpabilité du requérant et de L.D. Il précisa que la circonstance qu’un témoin était devenu introuvable s’analysait en une « impossibilité objective » de l’interroger lors des débats, ce qui, selon l’article 512 du CPP, lu à la lumière de l’article 111 de la Constitution permettait selon le tribunal d’utiliser toute déposition faite avant le procès pour statuer sur le bien-fondé des accusations. Il estima que, à défaut d’élément permettant de penser que C.C. s’était volontairement soustrait au procès, l’absence de celui-ci n’avait aucun caractère prévisible. Le tribunal considéra enfin que la condamnation du requérant, bien que fondée principalement sur les déclarations de C.C., qu’il estimait crédibles et concordantes, s’appuyait également sur d’autres éléments provenant du témoignage du carabinier L.R, qui avait relaté le déroulement de la reconnaissance photographique. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il contesta l’évaluation des preuves à charge et l’utilisation de la déposition de C.C., qui était selon lui la seule preuve utilisée par le tribunal. En outre, il reprocha au tribunal de ne pas avoir évalué attentivement les déclarations faites par C.C. au moment du dépôt de la plainte. Par un arrêt du 25 mai 2011, la cour d’appel de Bari (« la cour d’appel ») confirma le jugement du tribunal. En particulier, elle observa que l’absence de C.C. lors des débats n’était ni prévisible ni probable. En outre, elle considéra qu’il n’y avait, entre le requérant et C.C., aucune animosité permettant de douter de la fiabilité de la déclaration de ce dernier. Par ailleurs, elle estima que les déclarations de C.C., notamment celles relatives à la reconnaissance du requérant, étaient précises et corroborées par les déclarations du témoin L.R. ayant recueilli la plainte de C.C. Le requérant se pourvut en cassation. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, il se plaignait, en particulier, d’une violation de l’article 6 de la Convention. Par un arrêt du 17 octobre 2012, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Sans faire référence à l’article 6 de la Convention, la haute juridiction exposa que C.C., condamné par contumace dans le cadre d’une autre procédure pénale, était introuvable, que cela n’était pas prévisible à l’époque de ses déclarations aux carabiniers et que, par conséquent, le tribunal avait légitimement admis à titre de preuve les déclarations de C.C. Elle ajouta que le requérant avait pris acte de cette admission sans s’y opposer. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Ben Moumen c. Italie, (no 3977/13, §§28-30, 23 juin 2016).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1954 et réside à Serpoukhov. Le 4 décembre 2006, T., le fils de la requérante, fut grièvement blessé dans un accident de la circulation : vers 4 h 30, son véhicule était sorti de la route et avait percuté un arbre. Au moment de l’accident, trois personnes se trouvaient dans la voiture : T., B. et P. L’accident fut enregistré par la police (paragraphe 8 ci-dessous), qui transmit le dossier aux autorités chargées de l’instruction le même jour. Transporté dans un hôpital après l’accident, T. y décéda le 16 décembre 2006. Entretemps, par une décision du 14 décembre 2006, l’enquêteur R. du comité d’instruction de la ville de Serpukhov avait refusé d’ouvrir une enquête pénale au sujet des circonstances de l’accident sur la base de l’article 24 §§ 14 (mort du suspect ou de l’accusé) du code de procédure pénale (CPP). L’enquêteur avait considéré que T. conduisait le véhicule au moment de l’accident, qu’il en avait perdu le contrôle et qu’il avait percuté un arbre qui se trouvait sur le trottoir, à droite, dans le sens de circulation de la voiture. L’enquêteur s’était référé à cet effet au procès-verbal de l’accident, au procès-verbal de l’inspection et croquis du lieu de l’accident, ainsi qu’au procès-verbal de l’inspection du véhicule. Il avait également mentionné les explications de la requérante, qui avait déclaré que le véhicule appartenait bien à son fils, qu’elle avait vu celui-ci l’utiliser pour la dernière fois le 2 décembre 2006 et qu’elle n’était pas au courant des circonstances de l’accident. L’enquêteur avait conclu que « T. était responsable de l’accident, ayant enfreint les articles 1.3, 1.5 et 10.1 du code de la route, ce qui avait placé l’intéressé dans une situation de danger à la vie et ce qui [lui avait causé des] lésions, dont il était décédé ». Le 16 janvier 2007, le procureur adjoint de la ville de Serpoukhov annula cette décision et ordonna un complément d’enquête, demandant notamment que le rapport d’autopsie de T. fût joint au dossier. Le 4 juin 2007, la requérante demanda aux autorités chargées de l’instruction d’effectuer des mesures d’instruction supplémentaires dans le but d’établir si, au moment de l’accident, T. était effectivement au volant du véhicule (à l’aide, entre autres, des interrogatoires de B. et de P. ainsi que des agents des services de secours et du personnel ambulancier) et de fixer une expertise propre à répondre à cette question. Le 3 juillet 2007, n’ayant pas reçu de réponse à sa demande, la requérante se plaignit, par le biais de son avocat, d’une inactivité de l’enquêteur auprès du procureur. Le 13 juillet 2007, le procureur adjoint de la ville de Serpoukhov accueillit partiellement la plainte de l’intéressée, confirmant que l’enquête n’avait pas été menée avec la diligence requise et qu’elle n’avait pas permis l’établissement de toutes les circonstances de l’accident. Cependant, il rejeta la plainte en ce qui concernait les mesures d’instruction à prendre au motif que, conformément à l’article 119 du CPP, la requérante ne disposait du droit de faire des demandes à l’enquêteur qu’une fois l’enquête pénale ouverte, ce qui n’était pas le cas dans les circonstances de l’espèce. Par une décision séparée du 13 juillet 2007, le procureur adjoint de la ville de Serpoukhov ordonna à l’enquêteur chargé de l’enquête préliminaire sur les circonstances de l’accident d’effectuer les mesures d’instruction supplémentaires suivantes : - d’obtenir le rapport d’autopsie de T. ; - d’interroger S., B., Be., P. sur les circonstances de l’accident, notamment sur l’emplacement de T. et des autres personnes dans le véhicule au moment de l’accident, sur une éventuelle consommation d’alcool par eux et sur les causes de l’accident. Par une décision du 27 août 2007, le tribunal de la ville de Serpoukhov, saisi par la requérante, estima que les autorités chargées de l’instruction n’avaient pas dûment mené l’enquête au motif, notamment, qu’elles n’avaient pas effectué les mesures identifiées par le procureur adjoint dans ses décisions des 16 janvier et 13 juillet 2007. Le tribunal conclut que l’inactivité des autorités chargées de l’instruction était illégale et ordonna que les mesures susmentionnées fussent mises en œuvre. Le 21 avril 2008, la cour régionale de Moscou, après avoir débouté la requérante d’une demande aux fins d’engagement de poursuites pénales contre l’enquêteur chargé de l’enquête préliminaire pour manque de diligence, rendit néanmoins une décision (« частное определение ») dans laquelle elle critiquait tant l’enquêteur que le service du procureur de la ville de Serpoukhov pour des manquements et une passivité dans la conduite de l’enquête. La cour régionale obligea en outre les autorités susmentionnées à l’informer dans un délai d’un mois sur les mesures prises. Le 5 mars 2009, les autorités chargées de l’instruction rendirent une décision portant à nouveau refus d’ouverture d’une enquête pénale sur l’accident du 4 décembre 2006. La Cour ne dispose pas de copie de cette décision. Le 23 mars 2009, le chef adjoint du comité d’instruction du bureau du ministère de l’Intérieur de la ville de Serpoukhov annula la décision du 5 mars 2009. Il ordonna un complément d’enquête comprenant notamment les mesures suivantes : - la fixation d’une expertise médicolégale de B. et de P. afin de répondre à la question de savoir si, lors de l’accident du 4 décembre 2006, ceux-ci avaient subi des lésions susceptibles d’apparaître chez un conducteur de véhicule ; - le recueil des explications des agents des services de secours et du personnel ambulancier qui s’étaient rendus sur le lieu de l’accident le 4 décembre 2006 ; - la prise de mesures propres à déterminer les témoins de l’accident. Le dossier dont dispose la Cour ne contient pas d’informations quant à la mise en œuvre des mesures susmentionnées.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1961 et réside à Nijni Novgorod. A. Les allégations de mauvais traitements Le 6 novembre 2001, deux policiers, P. et T., habillés en civil, se rendirent au domicile de la sœur de la requérante, R., afin de retrouver O., le fils aîné de cette dernière, au motif que celui-ci était soupçonné d’avoir commis une infraction. Au moment de la visite de P. et T., quatre personnes se trouvaient audit domicile : R., la sœur de la requérante ; L., le fils cadet de R. ; F., le compagnon de R. ; et la requérante. La version de la requérante La requérante expose sa version des faits de la manière suivante. Deux hommes étant entrés dans le jardin, R. sortit pour aller à leur rencontre à l’entrée de la maison. Peu après, elle appela la requérante et lui indiqua que les deux hommes étaient des policiers et qu’ils cherchaient O. Sa sœur étant en état d’ébriété, la requérante lui dit de rentrer à l’intérieur de la maison. Ensuite, la requérante demanda aux policiers de présenter leurs cartes professionnelles, ce qu’ils firent. Ayant été informés par la requérante que O. était absent, les policiers rédigèrent sur place une convocation à comparaître au commissariat de police adressée à O. et demandèrent à la requérante de la lui remettre. La requérante prit la convocation et demanda aux policiers de quitter les lieux. À ce moment, P. insulta la requérante et la saisit par la main pour la tirer en bas de l’escalier d’entrée. T. s’empara également de la main de la requérante. Les deux policiers firent tomber la requérante par terre tout en lui portant des coups. Au moment de sa chute, celle-ci se cogna la tête contre un mur de la maison. Ayant été appelé par R., sa compagne, F., qui se trouvait jusque-là à l’intérieur de la maison, accourut à l’extérieur. Interrogés par celui-ci sur les raisons de leur présence, P. et T. répondirent que cela ne le concernait pas. F. poussa alors T., à la suite de quoi les deux policiers le jetèrent par terre en lui portant des coups, puis le menottèrent. Pendant ce temps, la requérante se rendit dans la maison d’une voisine pour téléphoner à la police. Après avoir menotté F., P. et T. quittèrent les lieux pour conduire ce dernier au commissariat de police, sans procéder à l’arrestation de la requérante. La version du Gouvernement Le Gouvernement confirme que le 6 novembre 2001 les policiers P. et T. se sont rendus au domicile de la sœur de la requérante dans le cadre des recherches menées pour retrouver O. Il expose comme suit sa version des faits. Après que P. et T. eurent remis la convocation adressée à O. à la requérante, celle-ci se comporta d’une manière agressive : elle déchira la convocation et la jeta au visage de T., et elle insulta les deux policiers et se mit à les chasser hors de la maison. La requérante, se trouvant en état d’ébriété, ne cessa pas ses actions même après avoir été prévenue par les policiers du caractère illégal de son comportement. Puisque les actes de la requérante présentaient des éléments d’outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique – infraction réprimée par l’article 319 du code pénal (CP) –, P. et T. demandèrent à l’intéressée de les suivre au commissariat de police afin de dresser un procès-verbal. Face au refus de la requérante d’obtempérer, ils prirent celleci par les mains afin de la conduire dans la voiture de police. La requérante résista et essaya de tomber sur ses genoux. À ce moment, F. sortit en courant de la maison et donna un coup de pied dans le ventre d’un des policiers. P. et T. furent alors contraints de mettre un terme aux agissements de F. en utilisant la force physique et en le menottant. Ils conduisirent ensuite F. au commissariat de police. Les documents médicaux attestant des lésions corporelles de la requérante Le 6 novembre 2001, après l’incident impliquant les policiers P. et T., la requérante se rendit au service de traumatologie de l’arrondissement Avtozavodski de Nijni Novgorod. Elle se vit délivrer une attestation médicale, rédigée comme suit en sa partie pertinente en l’espèce : « (...) [La présente] attestation est délivrée à [la patiente], confirmant que le 6 novembre 2001 elle a demandé des soins médicaux. Diagnostic : contusion des tissus mous de l’arcade droite. Les soins prodigués : examen, conseil (...) » Le 9 novembre 2001, le médecin légiste Y. du bureau de médecine légale de la région de Nijni Novgorod examina la requérante dans le cadre d’une expertise médicolégale ordonnée par les autorités chargées de l’instruction (paragraphe 18 cidessous). Il rendit son rapport le 19 novembre 2001. Ce rapport se lisait comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « Circonstances de l’espèce [Il ressort] de l’ordonnance [de l’enquêteur] et des explications de [la patiente] que le 6 novembre 2001 celle-ci a été battue par deux hommes (officiers de police), [qui] lui ont « tordu » les bras et asséné un coup de poing et l’ont poussée, [à la suite] de quoi elle s’est cogné la tête contre un mur. [La patiente] avait noté une courte perte de connaissance ; [elle] se plaint de douleurs dans la région lombaire, de vertiges, de maux de tête. Il ressort de l’attestation du service de traumatologie de l’arrondissement Avtozavodski que [la patiente] s’y est adressée le 6 novembre 2001. Diagnostic : contusion des tissus mous de l’arcade droite. (...) Il ressort de la fiche médicale de [la patiente] établie par le service médical [de son employeur] qu’elle s’y était adressée le 8 novembre 2001. Diagnostic : contusion du thorax du côté gauche. Pas d’autres [indications]. [Lors de l’examen] : dans la région infra-orbitaire droite – une éraflure de forme longitudinale de 1 x 2,2 cm recouverte d’une croûte brunâtre fine au niveau de la peau qui l’entoure. Une éraflure similaire sur la paupière inférieure droite de 0,4 x 0,8 cm. Sur la partie interne du tiers inférieur de l’avant-bras droit [et] sur la partie frontale du thorax – deux hématomes de forme ovale irrégulière, de couleur bleue, de 2 x 3 cm et de 1,5 x 2 cm respectivement. Sensation de douleur lors de la palpation de la surface intérieure du poignet gauche [et] de la partie frontale du thorax au niveau de la première et de la deuxième côte (...) Il ressort de l’attestation médicale no 17365 délivrée par le service médical [de l’employeur de la patiente] que le 10 novembre 2001 la patiente s’y est adressée [en raison] d’une contusion à la tête [et] d’une dystonie neurocirculatoire de type hypertonique (...) Il ressort d’un extrait de la fiche médicale établie par [le service médical de l’employeur de la patiente] que le 11 novembre 2001 la patiente s’y est adressée avec des plaintes de vertiges et maux de tête. [Lors de l’examen] : PA 140/100 mmHg. Pupilles régulières, pas de nystagmus, visage symétrique. État neurologique sans symptômes locaux ou méningitiques. Diagnostic : contusion à la tête sur fond d’une dystonie neurocirculatoire de type hypertonique, état asthénique et névrotique. Conclusion On constate sur [la patiente] : des éraflures au visage, des hématomes sur le membre supérieur droit ainsi que sur la partie gauche du thorax, une contusion des tissus mous de la partie gauche du thorax. Ces lésions ont été provoquées par des objets contondants, [causant un dommage à la santé de la patiente] de gravité moyenne, très probablement 3-4 jours avant l’examen [de la patiente]. [La] dystonie neurocirculatoire de type hypertonique est une maladie concomitante qui n’a pas d’origine traumatique et [ce diagnostic] n’a donc pas été pris en compte lors de l’évaluation de la gravité du dommage à la santé. Le diagnostic de contusion à la tête n’est pas confirmé par des données cliniques objectives dans la documentation médicale soumise et n’a pas non plus été pris en compte lors de l’évaluation de la gravité du dommage à la santé ». B. L’enquête concernant les mauvais traitements allégués Le 8 novembre 2001, la requérante adressa une plainte écrite au procureur, dans laquelle elle dénonçait des mauvais traitements qui lui auraient été infligés par P. et T. le 6 novembre 2001. Les autorités chargées de l’instruction décidèrent alors de se pencher sur les allégations de la requérante en recourant à la procédure d’enquête préliminaire sur la base de l’article 144 du code de procédure pénale (CPP). Ainsi, également le 8 novembre 2001, l’enquêteur M. du service du procureur de l’arrondissement Avtozavodski de Nijni Novgorod ordonna un examen médicolégal de la requérante (pour les conclusions de l’expert, voir paragraphe 15 ci-dessus). Le 10 novembre 2001, l’enquêteur entendit les explications (объяснения) des policiers P. et T., qui relatèrent les évènements survenus le 6 novembre 2001 dans les circonstances décrites par le Gouvernement dans sa version des faits présentée devant la Cour (paragraphes 1012 cidessus). Le 18 novembre 2001, l’enquêteur M. rendit une décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale en se basant sur les explications de P. et T. Le 20 novembre 2001, le procureur par intérim de l’arrondissement Avtozavodski de Nijni Novgorod annula la décision du 18 novembre 2001 et ordonna un complément d’enquête. Ultérieurement, les autorités chargées de l’instruction rendirent dix décisions de refus d’ouverture d’une enquête pénale, datées du 30 novembre 2001, des 23 février et 4 octobre 2002, du 17 janvier 2003, des 17 mai et 25 septembre 2004, des 10 février et 8 septembre 2005, du 3 mars 2007 et du 18 octobre 2009. Toutes ces décisions furent annulées à la suite de l’exercice par la requérante soit d’un recours hiérarchique soit d’un recours judiciaire. À des dates différentes, dans le cadre de plusieurs compléments d’enquête, les autorités d’instruction rassemblèrent les éléments suivants : - les explications de la requérante recueillies le 22 novembre 2001, qui avait maintenu ses allégations tout en indiquant qu’elle ne se souvenait pas exactement des insultes qui auraient été proférées à son encontre par P. et T. ; - les explications de B., un prétendu témoin oculaire de l’incident, également recueillies le 22 novembre 2001, qui avait déclaré que, le 6 novembre 2001, en passant devant la maison de R., il avait observé l’intervention de P. et T., qui se serait déroulée selon la version exposée par ces derniers ; - les explications de F. en date du 28 novembre 2001, selon lesquelles le 6 novembre 2001, vers 16 heures, après avoir été appelé par R., celui-ci avait accouru en dehors de la maison, avait alors vu deux hommes s’approcher de lui et avait poussé l’un d’entre eux. Toujours selon ces explications, les deux hommes avaient mis F. par terre, l’avaient menotté et l’avaient conduit au commissariat de police. F. avait reconnu en outre qu’au moment de l’incident litigieux il était en état d’ébriété ; - les explications de Sh., la mère de la requérante, obtenues à une date non précisée en 2001, qui avait déclaré que le 6 novembre 2001 cette dernière était rentrée chez elle vers 21 heures et ne lui avait pas parlé d’un quelconque incident, et qui avait en outre déclaré ne pas avoir remarqué de lésions sur sa fille ; - le rapport d’inspection du lieu de l’incident, effectuée au mois de février 2002, lors de laquelle l’enquêteur consigna la disposition de la maison de R. ; - les explications de Z., voisine de R., en date du 9 février 2002, qui avait déclaré que le 6 novembre 2001 la requérante s’était rendue chez elle pour appeler la police ; - les explications supplémentaires de B. recueillies le 22 février 2002, qui avait précisé sa position dans la rue par rapport à la maison de R. lors des évènements du 6 novembre 2001 ; - les explications de S., un ami de B., en date du 23 février 2002, qui avait affirmé que B. lui avait parlé d’un incident dont il aurait été témoin le 6 novembre 2001 ; - les explications de L., le fils cadet de R., datées du 11 mai 2004, qui avait déclaré avoir été témoin le 6 novembre 2001 d’un incident survenu entre la requérante et des policiers mais ne pas se souvenir des détails de ce qui s’était passé ; - les explications supplémentaires de B. en date du 17 mai 2004, qui avait modifié ses déclarations s’agissant des raisons pour lesquelles il se trouvait dans la rue au moment de l’intervention de P. et T. ; - les explications de K., médecin du service de traumatologie de l’arrondissement Avtozavodski de Nijni Novgorod, en date du 16 septembre 2004, qui avait déclaré ne se souvenir ni de la requérante ni des circonstances dans lesquelles il avait établi l’attestation du 6 novembre 2001, mais avait affirmé avoir consigné toutes les lésions mentionnées par la requérante ; - le rapport d’inspection supplémentaire du lieu de l’incident effectuée le 21 septembre 2004 ; - les explications supplémentaires de la requérante recueillies le 8 septembre 2005, qui avait maintenu ses déclarations tout en précisant qu’elle n’avait pas informé sa mère de l’incident du 6 novembre 2001 ; - les explications de Ry., un policier, en date du 8 septembre 2005, qui avait indiqué avoir interrogé Sh., la mère de la requérante, en 2001. Le 11 novembre 2009, les autorités chargées de l’instruction rendirent une nouvelle décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale. Dans cette décision, l’enquêteur releva que les déclarations des policiers P. et T. coïncidaient avec celles du témoin B. alors que celles de la requérante, de F., de R. et de L. étaient contradictoires. Il nota aussi que l’attestation du 6 novembre 2001 ne mentionnait pas les lésions sur le thorax de la requérante, et, par conséquent, il considéra que les données sur les blessures présentées par celle-ci étaient également contradictoires. Il estima que l’intéressée avait pu subir ces lésions dans d’autres circonstances, qui auraient pu survenir après les évènements du 6 novembre 2001. Il conclut notamment ce qui suit : « Il est établi objectivement qu’en mettant fin aux agissements illicites de [la plaignante] et de F. les policiers [P. et T.] ont agi de manière régulière conformément à la loi [sur la police] et que leurs actes ne présentent pas d’éléments constitutifs de l’infraction réprimée par l’article 286 § 3 du code pénal ». Par la même décision, l’enquêteur décida en outre qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre pénalement : - la requérante, pour outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique, infraction réprimée par l’article 319 § 1 du CP, faute de preuves démontrant que l’intéressée avait insulté les policiers P. et T. ; - F., pour violence sur personne dépositaire de l’autorité publique, infraction réprimée par l’article 318 du CP, faute de preuves démontrant que celui-ci savait que P. et T. étaient des agents de police puisque, lors de l’incident du 6 novembre 2001, ceux-ci étaient habillés en civil et que F. n’avait pas vu leurs cartes professionnelles. Le 9 février 2010, le tribunal de l’arrondissement Avtozavodski de Nijni Novgorod rejeta le recours de la requérante contre la décision du 11 novembre 2009 ayant réitéré et fait siennes les précédentes conclusions des autorités chargées de l’instruction. Le 30 avril 2010, la cour régionale de Nijni Novgorod rejeta l’appel formé par la requérante contre la décision du 9 février 2010. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions de la législation nationale relatives à l’usage de la force par la police sont décrites dans l’arrêt Ryabtsev c. Russie (no 13642/06, §§ 4246, 14 novembre 2013). Les dispositions du CPP relatives à l’enquête préliminaire et à l’ouverture de l’instruction pénale sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Selon l’article 144 du CPP, toute plainte signalant une infraction doit faire l’objet d’une enquête préliminaire de l’autorité compétente dans un délai de trois jours.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981. Il est incarcéré à la prison de Stara Zagora. A. Les poursuites pénales contre le requérant En février 2009, le parquet régional de Stara Zagora ouvrit des poursuites pénales contre X pour le vol, survenu le 7 février 2009, d’une importante somme d’argent dans la caisse d’une entreprise locale. Les investigations conduites par les organes chargés de l’enquête pénale menèrent jusqu’au requérant et jusqu’à deux autres jeunes hommes, M. Stoykov et P.S. Le matin du 26 février 2009, trois équipes d’intervention de la police arrêtèrent les trois suspects à leurs domiciles respectifs. Le logement du requérant fut perquisitionné. Les événements entourant l’arrestation de l’un des complices présumés du requérant, M. Stoykov, donnèrent lieu à une requête introduite par ce dernier devant la Cour. M. Stoykov alléguait avoir été maltraité par les policiers, qui auraient essayé de lui faire avouer le vol et de le persuader de leur montrer l’endroit où aurait été caché l’argent volé. Dans un arrêt du 6 octobre 2015, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention sous ses volets matériel et procédural à raison des mauvais traitements subis par M. Stoykov le 26 février 2009 alors qu’il était aux mains de la police et de l’absence d’une enquête effective concernant les allégations de l’intéressé (Stoykov c. Bulgarie, no 38152/11, 6 octobre 2015). Le 26 février 2009, entre 12 h 20 et 13 h 30, une équipe de policiers fouilla un endroit situé près d’une route de montagne, sur les indications de M. Stoykov. Elle y découvrit un bidon en plastique contenant une très importante somme d’argent en espèces, des munitions de fusil d’assaut et des bijoux en or. Le même jour, entre 20 h 33 et 22 h 04, M. Stoykov, assisté d’un avocat, fit une déposition devant un juge du tribunal régional de Stara Zagora. Il décrivit les préparatifs effectués par le requérant, P.S. et luimême, leur entrée dans la maison de campagne de la comptable de l’entreprise ciblée et la contrainte exercée sur elle et son époux, la récupération de l’argent dans les bureaux de la société dans la ville voisine et le dépôt de cet argent dans la cache choisie et préparée à l’avance. Le 27 février 2009, le requérant fut formellement inculpé du vol, commis le 7 février 2009, de 750 000 euros (EUR), 330 000 levs (BGN) et huit bijoux en or, avec la complicité de M. Stoykov et de P.S. et accompagné de violences physiques et de menaces à l’encontre des victimes. Le 28 février 2009, le tribunal régional de Stara Zagora (« le tribunal régional ») plaça le requérant en détention provisoire. Au cours de l’instruction préliminaire, les organes chargés de l’enquête rassemblèrent un certain nombre de preuves matérielles, interrogèrent plusieurs témoins et ordonnèrent une série d’expertises. En juillet et en août 2009 respectivement, par deux décisions du parquet régional, l’argent et les bijoux volés furent restitués aux victimes. Le 25 août 2009, le parquet régional dressa un acte d’accusation à l’encontre du requérant et de ses deux complices présumés et les renvoya en jugement devant le tribunal régional. Les intéressés furent tous accusés de vol aggravé et de détention illégale d’arme à feu. Entre le 27 octobre 2009 et le 15 mai 2010, le tribunal régional examina l’affaire pénale. Au cours de la procédure, il entendit plusieurs témoins, recueillit des preuves matérielles et documentaires et versa au dossier plusieurs rapports d’expertise. Devant cette instance, M. Stoykov se rétracta : il revint sur sa déposition initiale et expliqua qu’il avait été maltraité par les policiers lors de son arrestation et pendant les quelques heures ayant suivi celle-ci, lorsque, selon lui, les policiers l’avaient forcé à leur montrer l’endroit où aurait été caché l’argent volé et à leur dire « ce qu’ils voulaient entendre de lui ». Il ajouta qu’il avait ensuite été emmené à Stara Zagora où il aurait fait une déposition devant un juge. Afin de vérifier ces allégations, le tribunal régional interrogea la compagne de M. Stoykov, l’une de ses voisines ainsi que deux agents de police qui avaient participé à l’opération d’arrestation et à la recherche de l’argent volé. Des preuves médicales concernant l’état de santé de M. Stoykov après son arrestation furent également versées au dossier. Dans sa plaidoirie devant le tribunal régional, l’avocat du requérant insista sur l’argument selon lequel les charges retenues contre son client reposaient uniquement sur la déposition de son coaccusé M. Stoykov, qui lui aurait été extorquée. Par un jugement du 15 mai 2010, le requérant, M. Stoykov et P.S. furent reconnus coupables des faits dont ils étaient accusés. Le requérant fut condamné à dix-huit ans et six mois d’emprisonnement. Le tribunal régional fonda sa conclusion concernant l’implication du requérant dans les événements en cause sur la déposition initiale de son coaccusé, M. Stoykov, qu’il estima corroborée par les témoignages des deux victimes et par l’analyse des données provenant des téléphones portables utilisés par les trois coaccusés. Le tribunal régional jugea aussi que l’allégation de M. Stoykov selon laquelle sa déposition lui avait été extorquée n’était confirmée que par la déposition de sa compagne. L’expert médicolégal, mandaté par le tribunal précité pour réaliser une expertise sur la base du certificat médical délivré le 27 février 2009, avait conclu que les lésions constatées sur le corps de M. Stoykov avaient pu être causées avant le 26 février 2009, que la procédure suivie lors de l’audition du suspect le 26 février 2009 représentait une garantie suffisante contre une éventuelle extorsion d’aveux et que cette déposition reprenait ce que l’accusé avait déjà dit aux policiers un peu plus tôt dans la journée. Le tribunal régional estima que, en tout état de cause, même en admettant que M. Stoykov avait été maltraité, cela n’enlevait rien à la véracité de sa déposition, puisque c’est grâce à celle-ci que l’argent volé avait été retrouvé. Il rejeta également l’alibi du requérant selon lequel ce dernier serait resté à son domicile le jour du vol. Les condamnations du requérant et de ses coaccusés furent confirmées, le 21 avril 2011, par la cour d’appel de Plovdiv. Dans son arrêt, la cour d’appel reprit les éléments factuels et juridiques retenus par le tribunal régional. Elle fonda ses conclusions concernant la participation du requérant au crime dont il était accusé sur la déposition faite par M. Stoykov au cours de l’instruction préliminaire et sur les autres témoignages et preuves matérielles et scientifiques recueillis. Elle rejeta l’argument du requérant tendant à la disqualification de la déposition de M. Stoykov en estimant que l’allégation selon laquelle ce dernier aurait été forcé d’avouer le crime en cause et de témoigner contre le requérant était mal fondée, et ce pour les mêmes motifs que le tribunal de première instance (paragraphe 18 ci-dessus). Elle rejeta également tous les autres arguments procéduraux des appelants relatifs, notamment, à l’irrecevabilité des preuves à charge. Le requérant forma un pourvoi en cassation dans lequel il contestait formellement la recevabilité, au regard du droit interne, de plusieurs preuves à charge, ainsi que la motivation de sa condamnation qui n’aurait reposé que sur la déposition selon lui extorquée à son coaccusé M. Stoykov. Les deux autres coaccusés se pourvurent également en cassation. Par un arrêt du 17 novembre 2011, la Cour suprême de cassation rejeta les pourvois du requérant et de ses coaccusés. La haute juridiction estima que les décisions des instances inférieures avaient été amplement motivées et que tous les arguments des trois coaccusés avaient été examinés et rejetés de manière persuasive par le tribunal régional et par la cour d’appel. Elle jugea en particulier que le procès-verbal d’inspection des lieux où avaient été retrouvés l’argent et les objets de valeur volés, les témoignages des agents de police ayant participé au premier stade des investigations et la déposition initiale de M. Stoykov étaient des preuves recevables et véridiques. À ses yeux, les tribunaux inférieurs avaient à juste titre pris en compte ces éléments pour établir la culpabilité des trois coaccusés. La Cour suprême de cassation estima que la condamnation du requérant ne reposait pas uniquement sur la déposition de son complice M. Stoykov, celle-ci ayant été corroborée par les autres preuves recevables. Par ailleurs, elle nota que tous les coaccusés avaient activement participé à la procédure pénale et que les tribunaux inférieurs avaient accédé à une partie de leurs demandes de rassemblement de nouvelles preuves. B. Les conditions de détention du requérant Le requérant fut incarcéré au centre de détention provisoire de Stara Zagora du 28 février au 27 août 2009. À ses dires, sa cellule mesurait 2,2 m sur 2,9 m et il la partageait avec un autre détenu. Elle aurait été sale, mal éclairée, infestée de cafards, dépourvue de ventilation et de chauffage adéquats ainsi que d’une installation sanitaire intégrée. L’accès à l’équipement sanitaire commun aurait été assuré trois fois par jour pour dix à quinze minutes. Le reste du temps, les détenus auraient dû se servir d’un seau pour leurs besoins naturels. Le 27 août 2009, le requérant fut transféré à la prison de Stara Zagora. Il allègue y avoir partagé une cellule de 6 m2 sans équipement sanitaire intégré avec un autre détenu jusqu’au mois de juillet 2010. Il indique avoir eu la possibilité d’utiliser les toilettes communes trois fois par jour et avoir dû recourir à un seau le reste du temps. Il déclare n’avoir eu droit qu’à une heure de promenade en plein air par jour. Le reste du temps, il aurait été contraint de rester sur son lit, faute d’espace libre dans sa cellule. En juillet 2010, le requérant fut affecté à un autre groupe de prisonniers et transféré dans une autre cellule, qu’il occupe toujours actuellement. Selon lui, il avait dès lors eu libre accès aux installations sanitaires communes pendant la journée mais il devait toujours se servir d’un seau pendant la nuit. À ses dires, pendant l’hiver, les locaux de son quartier de détention étaient mal chauffés du lundi au vendredi et le chauffage ne fonctionnait pas pendant les weekends. Le requérant déclare que la nourriture à la prison est servie en quantité insuffisante et qu’elle est peu variée et de mauvaise qualité. Il ajoute qu’il ne peut passer qu’une heure et vingt minutes par jour dans la cour de la prison où il y aurait peu de possibilités d’exercer une activité physique. Il expose que, depuis la rénovation de la prison de Stara Zagora en février 2016, sa cellule dispose d’un équipement sanitaire intégré. C. La requête no 38539/11, introduite par le requérant Le 13 juin 2011, le requérant introduisit une requête devant la Cour dans laquelle il se plaignait, au regard de l’article 5 de la Convention, de l’illégalité de sa détention provisoire et, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, du caractère erroné de sa condamnation par les tribunaux bulgares. La requête a été enregistrée sous le no 38539/11. Le 8 janvier 2015, elle a été rejetée comme irrecevable par la Cour, siégeant en formation de juge unique. Le grief tiré de l’article 6, relatif à l’issue de la procédure pénale, a été rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention pour défaut manifeste de fondement, la Cour ayant constaté qu’il s’agissait d’un grief de type quatrième instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la jurisprudence internes pertinents concernant l’exécution des peines privatives de liberté et la responsabilité de l’État du fait des mauvaises conditions de détention, tels qu’ils étaient applicables à l’époque des faits, ont été résumés dans l’arrêt Neshkov et autres c. Bulgarie (nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, §§ 106136, 27 janvier 2015). Le 25 janvier 2017, l’Assemblé nationale adopta une loi portant amendement de la loi de 2009 sur l’exécution des peines et de la détention provisoire. Le texte nouvellement amendé de la loi de 2009 fut publié au Journal officiel le 7 février 2017. Les nouveaux articles 284 à 286 de la loi de 2009, qui entrèrent en vigueur à cette dernière date, prévoient désormais une voie de recours interne compensatoire spécialement conçue pour permettre la réparation du préjudice subi du fait des mauvaises conditions de détention. Les nouveaux articles 276 à 283 de la loi de 2009, entrés en vigueur le 1er mai 2017, prévoient désormais une voie de recours préventive spéciale concernant les mauvaises conditions de détention. III. AUTRES DOCUMENTS PERTINENTS En mai 2012, l’Ombudsman bulgare a été désigné par la Bulgarie comme étant le mécanisme national de prévention en application de l’article 17 du Protocole facultatif de 2002 se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par la Bulgarie et entré en vigueur dans ce pays le 1er juin 2011. L’Ombudsman visita plusieurs établissements pénitentiaires entre juillet et novembre 2012, dont la prison de Stara Zagora. Dans son rapport, publié la même année, il observait notamment que la surpopulation carcérale était un problème généralisé, que les locaux des prisons étaient délabrés et souvent infestés d’insectes et de rongeurs, que l’hygiène y était insuffisante et que la nourriture des prisonniers était de mauvaise qualité – les œufs, les produits laitiers et les fruits étaient rarement servis aux prisonniers (Neshkov et autres, précité, §§ 77-80). Le 26 mars 2015, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») a publié une déclaration publique relative à la Bulgarie en application de l’article 10, paragraphe 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La partie pertinente de cette déclaration se lit comme suit (notes de bas de page omises) : « 1. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a effectué dix visites en Bulgarie depuis 1995. Au cours de ces visites, les délégations du Comité se sont rendues dans toutes les prisons sauf une, plusieurs établissements de détention provisoire (IDF) et de nombreux établissements de police dans le pays. De graves manquements ont été mis en évidence au cours des visites susmentionnées, notamment en ce qui concerne les établissements de police et les établissements pénitentiaires. Des recommandations ont été formulées à maintes reprises au cours des 20 dernières années en ce qui concerne ces deux domaines. Dans ses rapports, le CPT a maintes fois attiré l’attention des autorités bulgares sur le fait que le principe de coopération entre les États parties et le CPT, tel qu’il est énoncé à l’article 3 de la Convention établissant le Comité, ne se limite pas aux mesures prises pour faciliter la tâche d’une délégation qui effectue une visite. Il exige aussi que des mesures résolues soient prises pour améliorer la situation à la lumière des recommandations formulées par le CPT. Dans leur très grande majorité, ces recommandations n’ont pas été suivies d’effet ou ne l’ont été que partiellement. Au cours des visites du Comité en Bulgarie en 2010, 2012, 2014 et 2015, les délégations du CPT ont constaté l’absence de mesures résolues prises par les autorités, menant à une détérioration constante de la situation des personnes privées de liberté. Dans le rapport relatif à sa visite de 2012, le Comité avait fait part de son extrême préoccupation concernant l’absence de progrès constatée dans le système pénitentiaire bulgare et il a souligné que cela pourrait obliger le CPT à envisager de recourir à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La procédure susmentionnée a été lancée après la visite de mars/avril 2014 ; en effet, les constatations faites par le Comité au cours de cette visite ont montré le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à certaines défaillances fondamentales concernant la manière dont sont traitées les personnes privées de liberté et les conditions dans lesquelles celles-ci sont détenues. Le rapport de visite a mis en lumière un certain nombre de préoccupations de longue date, dont certaines remontent à la toute première visite périodique en Bulgarie en 1995, en ce qui concerne le phénomène des mauvais traitements (tant dans le contexte de la police que dans celui des établissements pénitentiaires), la violence entre détenus, le surpeuplement carcéral, les mauvaises conditions matérielles de détention dans les IDF et les prisons, les services médicaux pénitentiaires insuffisants et le faible niveau des effectifs en personnel de surveillance, ainsi que des préoccupations concernant la discipline, le placement à l’isolement et les contacts avec le monde extérieur. Les préoccupations du CPT n’ont, c’est le moins qu’on puisse dire, pas été apaisées par les réponses des autorités bulgares tant au rapport relatif à la visite de 2014 du CPT qu’à la lettre par laquelle le Comité a informé les autorités du déclenchement de la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. En effet, celles-ci étaient succinctes, contenaient très peu d’informations nouvelles et n’abordaient pas la plupart des recommandations du Comité, se contentant généralement de citer la législation en vigueur et/ou d’expliquer l’inaction en faisant référence aux restrictions budgétaires. En outre, la plupart des informations figurant dans le rapport du CPT au sujet des mauvais traitements et de la violence entre détenus ont été tout simplement rejetées. La visite de 2015 a donc été pour le Comité l’occasion d’évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ses recommandations de longue date et d’examiner, en particulier, le traitement et les conditions de détention des personnes détenues dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna, ainsi qu’à l’IDF de Sofia (situé Boulevard G.M. Dimitrov). Malheureusement, les constatations faites lors de la visite susmentionnée montrent qu’il n’y a eu guère ou pas de progrès réalisés dans la mise en œuvre des principales recommandations formulées à maintes reprises par le CPT. Pour ces raisons, le Comité n’a pas d’autre choix que de faire une déclaration publique, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. Il a pris cette décision à l’occasion de sa 86e réunion plénière, en mars 2015. (...) Détention dans les établissements relevant du ministère de la Justice (...) Le surpeuplement reste une question très problématique dans le système pénitentiaire bulgare. Par exemple, à la prison de Burgas, dans leur grande majorité, les détenus disposaient de moins de 2 m² d’espace vital dans les cellules collectives, à l’exception notable de celles du quartier pour prévenus. La situation à la prison de Sofia restait analogue à celle observée dans le passé, la plupart des détenus ayant à peine plus de 2 m² d’espace vital par personne. Les conditions matérielles dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna restaient caractérisées par un état de délabrement qui ne faisait qu’empirer. En particulier, la plupart des sanitaires de ces trois prisons étaient totalement décrépits et insalubres, et le chauffage ne fonctionnait que quelques heures par jour. Dans leur majorité, les détenus ne bénéficiaient toujours pas d’un accès facile à des toilettes pendant la nuit et devaient recourir à des seaux ou à des bouteilles pour satisfaire leurs besoins naturels. Les cuisines des prisons de Burgas et de Varna (de même que le réfectoire de la prison de Varna) restaient répugnantes de saleté et insalubres, infestées de vermine, avec des canalisations qui fuyaient et débordaient, et des murs et des plafonds couverts de moisissures. La plupart des quartiers des établissements visités étaient impropres à l’hébergement d’êtres humains et représentaient un risque grave pour la santé tant des détenus que du personnel. En résumé, de l’avis du Comité, les conditions matérielles dans les trois prisons visitées pourraient, à elles seules, être considérées comme constituant un traitement inhumain et dégradant. La grande majorité des détenus (y compris la quasi-totalité des prévenus) des trois établissements pénitentiaires visités en 2015 continuait de n’avoir aucun accès à des activités organisées hors cellule et restait dans l’oisiveté jusqu’à 23 heures sur 24. (...) Conclusions Dans ses précédents rapports, le Comité a dûment pris acte des assurances données à maintes reprises par les autorités bulgares selon lesquelles des mesures seraient adoptées pour améliorer la situation des personnes placées en garde à vue ou détenues dans des établissements relevant de la responsabilité du ministère de la Justice. Néanmoins, les constatations faites par le CPT lors de la visite de 2015 montrent à nouveau que rien ou quasiment rien n’a été fait en ce qui concerne tous les problèmes susmentionnés qui durent depuis longtemps. Cette situation met en lumière le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à la plupart des défaillances fondamentales concernant le traitement et les conditions de détention des personnes privées de liberté, malgré les recommandations formulées expressément et à maintes reprises par le Comité. Le CPT estime qu’une action à cet égard n’a que beaucoup trop tardé et que l’approche concernant l’ensemble de la question de la privation de liberté en Bulgarie doit changer radicalement. (...). »
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La requérante est née en 1949 et réside à Kazan. Le 17 novembre 2005, la requérante retrouva son fils V. mort dans son appartement. L’expertise médicolégale conclut que V. était décédé des suites d’une intoxication aiguë à la morphine par voie parentérale. L’expertise établit que V. présentait deux traces de piqûres sur le bras droit, la première au niveau du pli du coude et la seconde sur l’avant du tiers supérieur de l’avant-bras. Selon le médecin légiste, ces traces pouvaient résulter de l’utilisation d’une seringue. L’expertise permit également de relever la présence d’une éraflure dans la région lombaire de V. Cette lésion aurait pu se former entre une et trois heures avant la mort de l’intéressé. L’expertise démontra en outre la présence de morphine et d’alcool éthylique dans le sang de V. dans des quantités correspondant à un état de forte ivresse. Par une décision du 19 novembre 2005, l’enquêteur N., du service du procureur de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan, refusa d’ouvrir une enquête pénale, considérant que la mort de V. n’avait pas été violente. La requérante, alléguant que l’enquête préliminaire avait été superficielle, forma un recours hiérarchique contre cette décision. Elle soutenait notamment que la mort de son fils était due à un acte intentionnel d’un tiers, sous la forme d’une injection de morphine. Elle déclarait que son fils n’était pas toxicomane ; de surcroît, n’étant pas gaucher, il n’aurait pas pu se faire des piqûres dans le bras droit. Le 29 juin 2006, le procureur de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan annula la décision du 19 novembre 2005 et renvoya le dossier pour complément d’enquête. Le 7 juillet 2006, l’affaire fut à nouveau classée sans suite. À la suite d’une contestation de la requérante, la décision du 7 juillet 2006 fut annulée. Cependant, des décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale furent ensuite adoptées les 27 novembre et 15 décembre 2006. Le refus du 15 décembre 2006 fut annulé par la décision du 26 mars 2007 du tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan. Ce tribunal constata les carences suivantes dans l’enquête préliminaire : rien n’avait été fait pour caractériser la personnalité de la compagne de V. et des personnes que ce dernier avait pu contacter la veille de sa mort ; les employeurs de V. n’avaient pas été auditionnés ; les mesures prises pour établir si V. consommait des drogues n’avaient pas été suffisantes ; les deux personnes ayant donné des « explications » dans le dossier n’avaient pas été auditionnées par l’enquêteur. Se fondant sur ces éléments, le tribunal ordonna la réouverture de l’enquête préliminaire. Par la suite, les autorités chargées de l’instruction rendirent onze autres refus d’ouvrir une enquête pénale. Sur contestation de la requérante, le 5 mai 2010, le tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Kazan annula la décision de refus d’ouvrir une enquête pénale rendue le 21 octobre 2009. Il indiqua, entre autres, que les autorités chargées de l’enquête n’avaient pas examiné la possibilité d’une mort violente de V. ni pris en compte les arguments de la requérante selon lesquels son fils n’était pas toxicomane. Par une décision du 28 février 2011, le département Zaretchenski du comité d’instruction de la République du Tatarstan ouvrit une enquête pénale pour homicide involontaire en se basant sur les motifs suivants : les traces de piqûres avaient été relevées sur le bras droit de V. alors que celuici n’était pas gaucher, et aucune seringue ou ampoule n’avait été retrouvée dans l’appartement, ce qui laissait supposer que les injections avaient pu être le fait d’un tiers. Le 28 août 2011, la même entité du comité d’instruction susmentionné rendit une ordonnance de non-lieu. La requérante n’en fut pas informée. Après une réouverture de l’enquête, une nouvelle ordonnance de non-lieu fut adoptée le 10 décembre 2011. La requérante allègue n’avoir pu accéder au dossier que le 10 mai 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Séville. A. La genèse de l’affaire et le déroulement de l’enquête Le 17 décembre 2007, le requérant déposa son ordinateur dans un magasin d’informatique en vue du remplacement de l’enregistreur, qui ne fonctionnait plus. Le technicien lui demanda expressément si l’ordinateur était protégé par un mot de passe et le requérant répondit que tel n’était pas le cas. Une fois l’enregistreur remplacé, le technicien procéda à un test en ouvrant plusieurs fichiers du dossier « mes documents », selon la pratique habituelle pour ce type de réparation. Ayant constaté que ce dossier contenait des éléments pédopornographiques, le 18 décembre 2007, le technicien dénonça les faits auprès du commissariat de police et remit l’ordinateur aux agents de police. Ces derniers examinèrent le contenu de l’ordinateur, en accédant non seulement au dossier « mes documents » mais aussi au fichier « Incoming » du programme d’échange et partage de fichiers eMule. Ils remirent alors l’ordinateur à leurs collègues experts en informatique au sein de la police judiciaire pour un examen plus approfondi. Ils portèrent ensuite l’investigation policière à la connaissance du juge d’instruction. Le 20 décembre 2007, alors qu’il se rendait au magasin d’informatique pour récupérer son ordinateur, le requérant fut arrêté et placé en détention, puis conduit devant le juge d’instruction. B. Les décisions prises dans le cadre de la procédure pénale Par un arrêt du 7 mai 2008, l’Audiencia provincial de Séville condamna le requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour détention et diffusion d’images de mineurs présentant un caractère pornographique, après avoir pris en compte les moyens de preuve examinés à l’audience, à savoir : l’interrogatoire de l’intéressé, qui avait refusé de faire une déclaration ; le témoignage du technicien informatique ; le rapport d’expertise établi par la police et d’autres documents ; le contenu de certaines archives de l’ordinateur saisi. L’Audiencia provincial prenait note de la position du requérant, qui considérait que son droit au respect de sa vie privée (intimidad personal) avait été atteint en raison de l’accès au contenu de son ordinateur par la police et de l’enregistrement des archives de celuici, et qui demandait que ces éléments de preuve fussent déclarés nuls et écartés du procès. Sur ce point, l’Audiencia provincial se prononçait dans le sens d’une absence de violation du droit à la vie privée du requérant pour les motifs suivants : au moment de la réception de la commande, le technicien informatique avait expressément demandé au requérant si l’ordinateur était protégé par un mot de passe, ce à quoi l’intéressé avait répondu par la négative, sans formuler de réserve à propos de l’usage de l’ordinateur ou de l’accès aux fichiers ; le requérant, qui savait (eu égard à la demande faite quant à l’existence d’un mot de passe) que le technicien accèderait au disque dur, avait donné son accord à un accès au contenu de ce dernier, sans formuler d’objections ou de réserves. Pour l’Audiencia provincial, cela signifiait que le requérant n’entendait pas mettre à l’abri des tiers certaines informations, données ou archives. Cette conclusion était renforcée, selon ledit tribunal, par le fait que le requérant avait configuré le programme eMule de façon à ce que la totalité des fichiers puissent être rendus accessibles à tout utilisateur de ladite application. L’Audiencia provincial concluait qu’il était difficile de reconnaître au requérant le droit à la vie privée dès lors que les propres actions de l’intéressé démontraient amplement que celui-ci n’avait aucune intention de garder dans sa sphère intime, exclusive et personnelle les fichiers qu’il conservait dans son ordinateur, ces derniers étant accessibles à quiconque se connectait au réseau de partage. Le requérant se pourvut en cassation. Il se plaignait que les éléments de preuve à charge avaient été obtenus en violation de ses droits fondamentaux. Par un arrêt du 18 février 2009, le Tribunal suprême rejeta le pourvoi, soulignant que l’ingérence en cause avait été autorisée par le requérant aux motifs que l’ordinateur avait été mis à la disposition du technicien informatique sans aucune limite et que les fichiers se trouvaient dans un dossier librement partagé avec tous les usagers du programme eMule. L’arrêt étant devenu définitif, le 27 mai 2009, l’Audiencia provincial délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant aux fins d’exécution de la peine d’emprisonnement à laquelle celui-ci avait été condamné. C. Le recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel Invoquant les articles 18 § 1 (droit à la vie privée) et 24 § 2 (respect du principe de la présomption d’innocence) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le ministère public près ce tribunal se prononça en sa faveur, estimant que ses droits fondamentaux avaient été violés. Toutefois, par un arrêt du 7 novembre 2011, le Tribunal constitutionnel conclut à l’absence de violation des dispositions invoquées. Le Tribunal constitutionnel se référait dans son arrêt à sa jurisprudence en la matière et notamment à l’arrêt 70/2002, du 3 avril 2002 (paragraphe 23 ci-dessous) et affirmait que tout accès au contenu d’un ordinateur personnel devait être précédé, soit par le consentement de son propriétaire, soit par une autorisation judicaire préalable respectueuse, aussi bien que l’intervention par la police, du principe de proportionnalité. S’agissant de l’autorisation donnée par le requérant quant à l’accès au contenu de son ordinateur, le Tribunal constitutionnel estimait qu’« en l’espèce, l’autorisation n’étant limitée qu’aux fins de la réparation [informatique], elle ne [pouvait] légitimer une intervention postérieure faite par des personnes autres que le technicien ou à d’autres fins » et que « le fait de partager des fichiers à travers le programme eMule ne [pouvait] être [considéré comme] une autorisation générale pour des ingérences ultérieures dans la vie privée [du plaignant], comme l’affirm[ai]ent tant l’Audiencia provincial de Séville que la chambre pénale du Tribunal suprême ». Après avoir conclu à l’existence d’une ingérence non consentie dans le droit à la vie privée du requérant, le Tribunal constitutionnel se prononçait comme suit: « Finalement, bien que l’intervention policière n’ait pas fait l’objet d’une autorisation judiciaire préalable – raison pour laquelle le plaignant et le procureur soutiennent qu’il a été porté atteinte au droit à la vie privée –, nous pouvons affirmer que la présente espèce constitue une exception à la règle générale soutenue par notre jurisprudence : l’action de la police était nécessaire et le moyen d’enquête était raisonnable en termes de proportionnalité. L’action menée par la police avait pour objectif de vérifier la véracité des faits dénoncés avec la célérité requise et de constater s’il y avait des éléments suffisants pour arrêter la personne en cause (...). Il faut prendre en compte [la circonstance] que le plaignant n’avait pas encore été arrêté lors de l’intervention sur l’ordinateur. C’est pourquoi il n’est pas déraisonnable de croire qu’il lui était possible de supprimer des fichiers illicites – ou d’autres fichiers qu’il pouvait garder sur le cloud – en se connectant à distance à partir d’un autre ordinateur. En outre, la police aurait intérêt à vérifier au plus vite s’il y avait d’autres participants au délit, d’autant plus que l’auteur avait utilisé un programme informatique permettant d’échanger des fichiers et qu’il était possible que le matériel pornographique cachât des abus sur mineurs qu’il faudrait encore vérifier ». Une opinion dissidente fut jointe à l’arrêt. Selon celle-ci, en accédant au fichier « Incoming » du programme eMule, la police était allée audelà d’une vérification de la véracité des faits dénoncés. D’après cette opinion, il n’y avait eu par ailleurs aucun risque de disparition des fichiers dès lors que l’ordinateur, retenu au commissariat, était resté éteint et non connecté à Internet. Toujours selon cette opinion, en conclusion, l’accès au contenu de l’ordinateur du requérant avait été effectué sans autorisation judiciaire préalable et en l’absence de toute urgence susceptible de justifier une telle intervention policière. D. La prescription de la peine La peine d’emprisonnement prononcée à l’encontre du requérant ne put être exécutée en raison de la fuite de ce dernier. Le 3 avril 2014, l’Audiencia provincial déclara que la responsabilité pénale du requérant était prescrite au motif de l’expiration du délai de cinq ans pour la prescription de la peine. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne pertinent L’article 18 de la Constitution dispose ce qui suit : « 1. Le droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image est garanti. (...) Le secret des communications et, en particulier, des communications postales, télégraphiques et téléphoniques est garanti, sauf décision judiciaire. » L’article 282 du code de procédure pénale prévoit ce qui suit : « La police judiciaire a pour [mission, et il s’agit là d’une obligation à laquelle tous ses membres sont tenus] d’enquêter sur les délits publics commis sur son territoire ou sa circonscription, d’adopter, selon ses attributions, les mesures nécessaires pour les constater et identifier les délinquants, et de récolter tous les objets, instruments ou preuves du délit qui risquent de disparaitre, en les mettant à la disposition de l’autorité judiciaire (...) ». L’article 11 § 1 de la loi organique no 2/1986 du 13 mars 1986 portant sur les forces et corps de sécurité de l’État est libellé comme suit : « 1. Les forces et corps de sécurité de l’État ont pour mission de protéger le libre exercice des droits et des libertés et de garantir la sécurité des citoyens par les actions suivantes : (...) f) prévenir les actes criminels g) enquêter sur les délits pour démasquer et appréhender les auteurs présumés, mettre sous séquestre les documents, produits et preuves des délits et les mettre à disposition du juge ou du tribunal compétent, et établir les rapports techniques et d’expertise pertinents » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi organique no 1/1992 du 21 février 1992 portant sur la protection de la sécurité des citoyens prévoient ce qui suit : Article 1 « 1. Conformément aux articles 149 § 1, 29e et 104 de la Constitution, il appartient au Gouvernement, au moyen des autorités et des forces et corps de sécurité sous ses ordres, de protéger le libre exercice des droits et libertés et de garantir la sécurité des citoyens, de créer et de maintenir les conditions adéquates à cet effet et d’éliminer les obstacles qui l’empêchent, sans préjudice des missions et devoirs d’autres pouvoirs publics. Cette compétence comprend [en autres l’exercice de la mission de prévenir la commission des délits et des contraventions]. » Article 14 « Les autorités compétentes en vertu des lois et règlements peuvent (...) ordonner les actions policières strictement nécessaires afin d’assurer la réalisation des buts prévus à l’article 1 de cette loi. » B. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel Le Tribunal constitutionnel, en tant qu’interprète suprême de la Constitution, applique au droit à la vie privée les principes généraux concernant les limitations aux droits fondamentaux, à savoir ceux selon lesquels l’ingérence nécessite normalement le consentement exprès du titulaire du droit fondamental (arrêt no 57/1994 du 28 février 1994 et beaucoup d’autres). Un lien entre l’information personnelle obtenue et le but poursuivi par l’ingérence est requis ; il est porté atteinte au droit à la vie privée lorsque les conditions et la portée de l’accès autorisé à l’information ne respectent pas le lien entre l’information personnelle obtenue et le but poursuivi (arrêt no 196 /2004 du 15 novembre 2004). En l’absence du consentement du titulaire, le Tribunal constitutionnel exige, comme pour tout autre droit fondamental, que les ingérences au droit à la vie privée soient prévues par la loi, qu’elles poursuivent un but légitime et qu’elles soient proportionnées. Le Tribunal constitutionnel, qui considère que le juge est le garant des droits fondamentaux, exige en règle générale l’autorisation judiciaire préalable des ingérences au droit à la vie privée, bien qu’une telle autorisation ne soit pas expressément exigée par l’article 18 § 1 de la Constitution (arrêts nos 37/1989 du 15 février1986, 57/1994 du 28 février 1994 et 207/1996 du 16 décembre 1996). Cependant, dans la mesure où cette autorisation n’est pas prévue par la Constitution, le Tribunal constitutionnel a admis dans son arrêt no 70/2002 du 3 avril 2002 une exception à cette règle générale « lorsqu’il existe des motifs qui exigent une intervention nécessaire et immédiate de la police pour la prévention et la constatation du délit, la découverte des délinquants et la recherche des preuves ». Dans ce cas, l’intervention policière sans autorisation judiciaire sera justifiée à condition que le principe de proportionnalité soit respecté, étant entendu que « l’appréciation de l’urgence et de la nécessité de l’intervention policière doit être faite a priori et est soumise à un contrôle juridictionnel a posteriori, tout comme l’exigence de proportionnalité » et que « le constat ex post d’un manque [d’urgence et de nécessité] ou de respect du principe de proportionnalité entraînerait une violation d’un droit fondamental et conduirait à l’illégalité des preuves ainsi obtenues ». Dans l’affaire en question, les faits étaient les suivants : la police avait trouvé, parmi les effets personnels retirés au détenu concerné, un agenda contenant des feuilles manuscrites pliées non mises sous pli ; ces feuilles avaient été lues par les agents de police et mises à la disposition du juge ; il s’agissait d’une lettre adressée audit détenu par le coauteur de l’infraction par laquelle ce dernier affirmait qu’il allait rectifier sa déclaration devant le juge et qu’il n’était pas un délateur, et par laquelle il demandait que sa famille fût « tenue à l’écart ». Pour le Tribunal constitutionnel, dans cette affaire, l’urgence et la nécessité justifiaient l’intervention de la police faite sans autorisation judiciaire préalable. Cette jurisprudence a également été appliquée dans une affaire dans laquelle le Tribunal constitutionnel a conclu à la violation du droit à la vie privée au motif que l’urgence ne suffisait pas à justifier l’absence d’autorisation judiciaire au prélèvement d’échantillons effectué par la police sur un conducteur ivre et à l’analyse toxicologique de ceux-ci (arrêt no 206/2007 du 24 septembre 2007).
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Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le recensement concernant le contingent auquel le proche des requérants, Davut Cengiz, était rattaché pour l’accomplissement du service militaire obligatoire eut lieu en 2009. Davut Cengiz se fit inscrire au bureau des appelés de Bismil (Diyarbakır) le 14 octobre 2009. Il fut soumis à la procédure habituelle d’examen médical, préalable à toute incorporation, comprenant entre autres un examen psychologique. D’après les éléments du dossier, il n’a informé les autorités d’aucun problème particulier. Il fut déclaré apte à faire le service militaire. Le 17 octobre 2009, il rejoignit l’unité de formation militaire des nouvelles recrues à Ankara. Lors de la consultation médicale, les médecins de la caserne constatèrent que Davut Cengiz avait des problèmes psychologiques. L’intéressé déclara que son père s’était suicidé, qu’il avait lui-même fait une tentative de suicide sept ans auparavant et qu’il lui arrivait toujours de penser à se donner la mort. Davut Cengiz fut transféré au service psychiatrique de l’hôpital Mamak. À l’issue de la consultation, le psychiatre nota que Davut Cengiz avait une personnalité névrotique et qu’il ne pouvait pas intégrer une unité de commando. Il estima qu’il était cependant apte à reprendre son service militaire, qu’il n’avait pas besoin d’un traitement médical, mais qu’il devait obligatoirement se rendre tous les quinze jours au centre d’orientation de la caserne pour un suivi psychologique. Le 27 novembre 2009, à l’issue de sa formation militaire, Davut Cengiz rejoignit son lieu d’affectation à Kırıkhan (Hatay). Il fut informé de toutes les consignes de sécurité par écrit. Dans le formulaire établi à son nom, aucun problème particulier de santé ne fut noté. Le 1er décembre 2009, Davut Cengiz se rendit au centre d’orientation de la caserne. Il affirma n’avoir aucun problème d’ordre psychologique. Il déclara avoir seulement des problèmes financiers et souffrir de douleurs cervicales. Le 1er février 2010, il se rendit une nouvelle fois au centre d’orientation de la caserne. Il déclara ne pas avoir de soucis et prendre toujours son traitement pour sa hernie cervicale. Le 22 février 2010, Davut Cengiz fut transféré à l’hôpital public de Kırıkhan pour être examiné par un spécialiste. La tomographie cervicale réalisée permit de conclure à l’absence d’anomalie. Le 1er mars 2010, vers 20 h 30, alors qu’il avait pris son tour de garde, Davut Cengiz fut découvert gravement blessé à la tête par une arme à feu. Il fut immédiatement transporté à l’hôpital où son décès fut constaté par les médecins. Une enquête pénale fut aussitôt ouverte d’office par le procureur militaire d’Adana. Une équipe d’experts en recherche criminelle de la gendarmerie nationale de Kırıkhan fut dépêchée sur les lieux pour recueillir les premiers éléments matériels. Le procureur de la République de Kırıkhan se rendit également sur place. Un procès-verbal de constat sur les lieux fut dressé. Un croquis de l’état des lieux fut réalisé. Des clichés furent pris et les lieux furent filmés. Un fusil de type G-3 appartenant à Davut Cengiz, une douille de balle, un chargeur et dix-neuf balles furent recueillis. Le même jour, à 22 h 10, un examen externe de la dépouille fut pratiqué à l’hôpital sous la supervision du procureur de la République de Kırıkhan. Plusieurs clichés du corps furent pris. Le 2 mars 2010, une autopsie classique fut également pratiquée à l’institut médicolégal d’Adana sous la supervision du procureur militaire. Il fut constaté que Davut Cengiz était décédé à la suite du tir à bout touchant d’une balle dont l’orifice d’entrée était situé sous la mâchoire. Aucune autre trace de violence ne fut observée sur le corps du défunt. Une expertise balistique fut réalisée. Les experts examinèrent le fusil G-3 ayant causé la mort de Davut Cengiz et conclurent que l’arme en question était en bon état de fonctionnement. L’examen balistique confirma que la douille retrouvée sur les lieux provenait bien de l’arme confiée à Davut Cengiz. De nombreuses traces de résidus de tirs furent également retrouvées sur le corps, sur le visage et sur les vêtements du défunt. De nombreux témoins furent entendus dans le cadre des investigations pénales et de l’enquête administrative interne de l’administration militaire. Les appelés déclarèrent que Davut Cengiz était quelqu’un de très réservé, qu’il n’aimait pas communiquer avec les autres et qu’il préférait systématiquement s’isoler. Ils ajoutèrent qu’il avait des problèmes d’argent. Ils assurèrent n’avoir vu personne maltraiter Davut Cengiz et n’avoir connaissance d’aucun événement et d’aucune animosité de la part d’un tiers susceptible d’avoir poussé Davut Cengiz au suicide. L’appelé A.C. témoigna notamment en ces termes : « J’étais le Buddy de Davut Cengiz depuis deux mois et demi. C’était quelqu’un d’introverti, de calme, qui ne partageait ses problèmes avec personne. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à la cantine, le jour de son décès. Il avait l’air particulièrement joyeux ce jour-là, à tel point que je lui ai demandé pourquoi il était si gai. Il m’avait répondu qu’il n’y avait rien de spécial et qu’il s’apprêtait à monter la garde. Comme Davut Cengiz était le boulanger de la caserne, il passait son temps dans la cuisine. Il ne me parlait pas de ses problèmes. On mangeait et on regardait la télé ensemble, mais il ne discutait pas avec nous. Si j’avais su qu’il avait des problèmes, je l’aurais dit à nos supérieurs. » Les supérieurs de Davut Cengiz déclarèrent que, à leur connaissance, l’intéressé ne souffrait d’aucun problème psychologique et que son comportement avait toujours été normal et respectueux. Ils ajoutèrent qu’il ne leur avait fait part d’aucune préoccupation et qu’aucun signe n’avait permis de déceler chez lui une instabilité psychologique. La mère de Davut Cengiz affirma également que son fils ne souffrait d’aucun problème particulier. Les frères de Davut Cengiz confirmèrent les dires de leur mère. Ils ajoutèrent qu’ils avaient parlé avec lui par téléphone une semaine avant son décès, qu’il leur avait dit être boulanger à la caserne et qu’il ne leur avait fait part d’aucun souci. Le frère de Davut Cengiz, H.C., déclara notamment ce qui suit : « Mon frère avait fait sa formation militaire à Ankara. Comme je fais mes études à Ankara, j’avais l’occasion de lui rendre visite. Il allait bien. Il m’avait dit qu’il ne montait pas la garde et qu’on ne lui avait pas confié d’arme. Par la suite, il a continué son service militaire à Hatay. Dans la vie civile, il était boulanger. Depuis le décès de notre père, en 2003, il aidait notre famille. Il payait notamment mes frais de scolarité. C’est la raison pour laquelle il avait retardé son départ pour le service militaire. Il n’avait aucune envie de déserter. S’il s’était inscrit au bureau des appelés tardivement, c’était pour des raisons purement économiques. Son but était de terminer d’abord son service militaire et d’organiser ensuite sa vie. Il était célibataire. Il ne s’était pas marié. Il n’avait pas de petite amie. Lorsqu’il était à Hatay, je l’appelais régulièrement pour avoir de ses nouvelles. Mon frère donnait aussi de ses nouvelles à la famille. Il ne m’avait fait part d’aucun problème. Nous ne pensons pas qu’il se soit suicidé. Il nous avait dit qu’il travaillait comme boulanger à la caserne, qu’il ne faisait pas les gardes et qu’aucune arme ne lui avait été confiée. À ses dires, il ne faisait pas les gardes parce qu’il commençait à travailler à partir de 3 ou 4 heures du matin à la boulangerie. Je l’avais eu au téléphone environ dix jours avant [sa mort]. Il avait l’air d’aller très bien. Il ne m’avait fait part d’aucun souci. J’avais même eu l’impression qu’il s’était vraiment habitué à la vie militaire ces derniers temps et qu’il se sentait bien à la caserne. Je ne crois pas à la thèse du suicide. Je ne soupçonne personne en particulier, mais je souhaite des éclaircissements sur ce qui s’est passé et si, à l’issue de l’enquête pénale, il y a des preuves pouvant indiquer qu’une tierce personne a pu provoquer la mort de mon frère, je porte d’ores et déjà plainte contre elle. » Le 23 juillet 2010, par l’intermédiaire de leur avocat, les requérants demandèrent et obtinrent une copie des pièces du dossier d’instruction. À l’issue de l’instruction pénale, le 9 janvier 2011, le substitut du procureur militaire d’Adana rendit une ordonnance de non-lieu. Il estima que Davut Cengiz s’était volontairement donné la mort. Il nota l’absence de preuves susceptibles d’indiquer qu’une tierce personne avait pu provoquer sa mort en l’incitant ou en l’aidant à se suicider, et considéra qu’aucune négligence n’était attribuable aux autorités militaires. Pour prendre cette décision, le procureur se fonda notamment sur le rapport d’investigation des lieux, les rapports médicaux, le rapport d’autopsie, le rapport d’expertise balistique et les dépositions concordantes des témoins. Le 28 juillet 2011, les requérants firent opposition à l’ordonnance de non-lieu par l’intermédiaire de leur avocat. Ils exposaient avoir des doutes quant à la thèse du suicide, au motif que leur proche n’avait eu aucun problème de santé avant son service militaire et qu’il n’avait eu, à leur connaissance, aucune raison de vouloir mettre fin à ses jours. Ils indiquaient aussi que, même s’il s’agissait réellement d’un suicide, il fallait en déterminer les causes. Selon eux, ce drame pouvait avoir pour origine des fautes imputables à des tiers. Le 22 août 2011, le tribunal militaire de Gaziantep rejeta l’opposition des requérants au motif que l’instruction pénale avait été menée conformément à la loi et qu’elle avait permis de déterminer avec exactitude les circonstances du décès de Davut Cengiz. Il précisa notamment que les témoignages recueillis par le procureur de la République de Kırıkhan avaient démontré que le proche des requérants n’avait subi aucun mauvais traitement durant son service militaire. Cette décision fut notifiée aux requérants le 26 septembre 2011. Par ailleurs, outre l’enquête pénale, une enquête administrative fut diligentée, conformément à la pratique habituelle. À l’issue de celle-ci, la commission d’enquête administrative établit un rapport interne concernant le décès de Davut Cengiz. Ce rapport se lisait comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce : « Cause des événements L’appelé Davut Cengiz s’est tiré une balle dans la tête alors qu’il était de garde. Il souffrait de problèmes psychosociaux. Son père s’était suicidé huit ans auparavant. Sa famille avait des problèmes financiers. Cette situation l’a fait sombrer dans le désespoir. Davut Cengiz n’avait fait part de ses problèmes ni à ses supérieurs ni à ses camarades. Il n’avait pas demandé d’aide financière aux autorités. Le dossier personnel de Davut Cengiz étant parvenu tardivement à son lieu d’affectation, les autorités militaires n’ont pas eu connaissance de ses problèmes psychologiques à temps et n’ont pas pu prendre les mesures qui s’imposaient. La famille de Davut Cengiz n’a pas fait part aux autorités militaires des problèmes dont l’intéressé souffrait. Davut Cengiz était quelqu’un d’introverti, il ne partageait ses problèmes avec personne et arrivait à les cacher, il était discipliné et calme, et n’attirait donc pas l’attention sur lui. Appréciation Selon les témoignages, Davut Cengiz, qui avait une personnalité introvertie et calme, semblait avoir été plus joyeux deux semaines avant [son décès]. Cela donnait l’impression qu’il s’était habitué à la vie militaire. En raison de ses problèmes psychosociaux et des problèmes financiers de sa famille, l’appelé Davut Cengiz s’est suicidé dans un moment de désespoir avec l’arme qui lui avait été confiée. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes, Mme Binnur Uzun (née en 1972) et Mlles Gözde Uzun (née en 1993), Özge Uzun (née en 1994) et Eda Uzun (née en 1999) résident à Istanbul. Elles sont respectivement l’épouse et les filles de M. Ufuk Uzun décédé le 30 mars 2002. À la suite du décès de son mari, Mme Binnur Uzun s’attacha, le 3 octobre 2002, afin que ses filles et elle-même fussent représentées devant les tribunaux, les services de Me H. Demirkılıç. Aux dires de ce dernier, Mme Binnur Uzun, veuve, sans diplôme, mère de trois filles âgées respectivement de 3 ans (Eda), de 8 ans (Özge) et de 9 ans (Gözde), travaille en tant que femme de ménage pour subvenir aux besoins de sa famille. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. Le décès de M. Ufuk Uzun et l’enquête pénale Le 30 mars 2002, vers 22 h 30, M. Ufuk Uzun fit une chute dans une cage d’ascenseur d’un bâtiment en construction en état d’abandon. Ce bâtiment était situé dans une zone résidentielle. Après sa chute, M. Uzun fut conduit à l’hôpital public d’İstinye. Selon le rapport médical établi le même jour, il est décédé à son arrivée au service des urgences de l’hôpital. Le 31 mars 2002, des procès-verbaux, assortis d’un croquis, furent dressés. Ils indiquaient que le bâtiment était en chantier, qu’il possédait huit étages, qu’il appartenait à la municipalité de Sarɪyer et qu’il comportait deux cages d’ascenseur de 2 x 1,50 m. Ils précisaient que M. Uzun avait fait une chute dans une cage d’ascenseur d’une hauteur de 30 à 45 mètres. Ils mentionnaient également qu’il n’y avait aucune mesure de sécurité sur le chantier. Le même jour, les témoignages de B.A. et de I.M., qui se trouvaient sur les lieux au moment des faits, furent recueillis au commissariat par des agents de police. Les témoins déclarèrent qu’ils s’étaient rendus ensemble dans le bâtiment en question dans l’intention d’y consommer de l’alcool et que M. Uzun avait fait une chute dans la cage d’ascenseur depuis le dernier étage de la construction. Le 8 avril 2002, le procureur de la République de Sarıyer rendit un non-lieu dans le cadre de l’enquête pénale ouverte d’office, à laquelle les requérantes n’étaient pas parties. Il estimait que, eu égard aux faits de la cause, aucune infraction n’avait été commise et que personne ne pouvait être mis en cause. Le dossier ne contient aucune information quant à la notification dudit non-lieu aux requérantes. B. Les procédures d’indemnisation Le 31 janvier 2003, faute des ressources nécessaires à l’introduction d’un recours, les requérantes engagèrent d’abord une procédure civile devant le tribunal de grande instance de Sarıyer (« le tribunal de grande instance ») afin d’obtenir l’aide judiciaire pour pouvoir intenter ensuite une action en indemnisation contre la municipalité de Sarıyer. Dans le cadre de cette procédure, elles désignèrent celle-ci comme la principale responsable du décès de leur proche. La municipalité de Sarıyer contesta la demande des requérantes. Le 10 avril 2003, le tribunal de grande instance décida d’octroyer l’aide judiciaire aux requérantes. En l’absence de pourvoi, ce jugement acquit force de chose jugée le 28 mai 2003. Le 10 juin 2003, les requérantes intentèrent une action en dommages-intérêts contre la municipalité de Sarıyer devant le même tribunal. Le 20 avril 2004, un rapport d’expertise fut rendu dans le cadre de la procédure civile devant le tribunal de grande instance. Il indiquait que la municipalité de Sarıyer et M. Uzun étaient coresponsables de la chute, à hauteur respectivement de 15 % et de 85 %. Le 26 avril 2005, un deuxième rapport d’expertise fut déposé. Il évaluait la responsabilité de la municipalité et celle de M. Uzun respectivement à 70 % et à 30 %. À une date non précisée, un troisième rapport d’expertise fut versé au dossier. Selon ce document, la municipalité et M. Uzun étaient coresponsables de la chute à hauteur respectivement de 30 % et de 70 %. Le 10 avril 2006, le tribunal de grande instance donna gain de cause aux requérantes et décida d’octroyer à Mme Binnur Uzun 18 599,75 livres turques (TRY) (environ 11 481 euros (EUR)) et aux autres requérantes, Gözde, Özge et Eda Uzun, respectivement, 3 744,92 TRY (environ 2 311 EUR), 4 110,82 TRY (environ 2 537 EUR) et 6 550,18 TRY (environ 4 043 EUR) à titre d’indemnité pour perte de soutien financier (destekten yoksun kalma tazminatı). Il accorda également 2 500 TRY (environ 1 543 EUR) à chacune des requérantes à titre de dommage moral. Il fondait son jugement sur les constats du troisième rapport. Il estimait ainsi que M. Uzun avait la responsabilité principale de la chute au motif qu’il avait agi avec imprudence en pénétrant dans un bâtiment en construction, dans l’obscurité et sous l’emprise de l’alcool. Il considérait également que l’absence de mise en place de mesures de sécurité par la municipalité sur le chantier en cause avait constitué un facteur concourant au décès de M. Uzun. À une date non précisée dans le dossier, la municipalité se pourvut en cassation. Le 17 mai 2007, la Cour de cassation infirma le jugement rendu par le tribunal de grande instance au motif que la juridiction administrative était seule compétente pour statuer sur le fond de l’affaire. À la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, les requérantes saisirent le tribunal administratif d’Istanbul d’un recours de pleine juridiction. Par un jugement du 15 mai 2008, cette juridiction, ayant examiné d’office la question du non-respect du délai de saisine, rejeta leur recours pour méconnaissance de ce délai, sur le fondement de l’article 13 de la loi no 2577 relative à la procédure administrative (« la loi no 2577 »), sans rechercher si leur demande déposée le 31 janvier 2003 afin d’obtenir l’aide judiciaire avait interrompu le délai de prescription. Le tribunal administratif d’Istanbul admettait que, en vertu de l’article 9 de cette même loi, lorsque, dans un premier temps, est saisie une juridiction qui n’a pas compétence pour statuer sur une affaire, la date de saisine de cette instance est réputée être la date de saisine des juridictions administratives. Néanmoins, il estimait que le délai d’un an avait commencé à courir à la date du décès, à savoir le 30 mars 2002, et il constatait que ce délai avait déjà expiré à la date de saisine du tribunal de grande instance, le 10 juin 2003. Le 23 janvier 2009, le Conseil d’État confirma le jugement du tribunal administratif du 15 mai 2008. Par un arrêt du 12 octobre 2009, signifié aux requérantes le 12 novembre 2009, le Conseil d’État rejeta la demande en rectification de son arrêt du 23 janvier 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi no 2577 relative à la procédure administrative L’article 9 de la loi no 2577 se lit comme suit : « Lorsqu’une affaire, relevant de la compétence du Conseil d’État ou des tribunaux administratifs ou fiscaux, est portée devant les juridictions civiles ou militaires et que ces dernières se déclarent incompétentes pour en connaître, le demandeur peut saisir la juridiction compétente dans les trente jours à compter du lendemain de la date à laquelle la décision rendue à son égard est devenue définitive. La date de recours (başvurma tarihi) devant la juridiction qui a décliné sa compétence est alors réputée être celle de la saisine du Conseil d’État ou des tribunaux administratifs ou fiscaux. Concernant les affaires portées devant les juridictions civiles ou militaires et rejetées au motif que ces dernières n’avaient pas compétence pour statuer, même si la durée de trente jours stipulée au premier alinéa se trouve écoulée, il reste possible d’introduire une action administrative tant que le délai prévu pour l’introduction de pareille action n’a pas expiré. » L’article 13 § 1 de la loi no 2577 se lit comme suit : « 1. Toute personne qui estime que ses droits ont été violés par un acte administratif doit, avant de former un recours devant les juridictions administratives, saisir l’administration en cause d’une demande de réparation dans un délai d’un an à partir de la date à laquelle elle a été informée de l’acte litigieux par une notification écrite ou par un autre moyen, et en tout état de cause dans un délai de cinq ans à compter de la date de l’acte en question. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, un recours contentieux peut être introduit devant les juridictions administratives. Lorsqu’un recours de pleine juridiction est introduit à la suite d’une décision de rejet pour incompétence rendue par un tribunal civil ou militaire, il n’est pas exigé que la condition de recours administratif préalable prévue au premier alinéa soit remplie. » B. Le code des obligations D’après l’article 60 du code des obligations en vigueur à l’époque des faits, toute victime d’un dommage matériel et moral résultant de l’acte d’un tiers pouvait en demander réparation dans le délai d’un an à compter de la date de prise de connaissance de l’acte en cause et de l’identité de son auteur. C. Le code des taxes (Harçlar Kanunu) Aux termes de l’article 127 du code des taxes, sauf dérogation prévue par la loi, un acte soumis à taxes ne peut être effectué avant que l’intégralité des taxes ait été acquittée. D. La circulaire relative à la santé et à la sécurité des travailleurs du bâtiment À l’époque des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce de la circulaire no 15004 du 12 septembre 1974 relative à la santé et à la sécurité des travailleurs du bâtiment étaient ainsi libellées : Article 8 « Les parties dangereuses de la zone de construction doivent être clairement délimitées, et des panneaux d’avertissement doivent être installés de manière visible et éclairés la nuit par des lampes rouges. » Article 11 « En cas de présence de trous et de fentes dans le toit ou dans le sol, il convient soit d’assurer une protection au moyen d’un garde-corps, soit de les fermer temporairement par le dessus de manière appropriée. » Article 18 « Avant le commencement des fouilles de construction (creusement du sol), dans les zones résidentielles de la municipalité la zone de construction doit être entourée de clôtures en bois d’environ deux mètres de haut, munies de contreforts fabriqués à partir de l’intérieur, et elle doit rester sécurisée de cette manière jusqu’à l’achèvement de la construction. Lorsque la zone de la construction est large et ouverte, les clôtures en bois doivent être remplacées par un parapet de 90-100 cm de haut construit à partir de l’arrière de la limite d’excavation. » E. Éléments jurisprudentiels pertinents À l’époque des faits, l’aide judiciaire était régie par les articles 465-472 du code de procédure civile du 18 juin 1927. Selon ces dispositions, une demande d’aide judiciaire pouvait être soit introduite séparément par un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire soit engagée en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée. Tandis que la demande tendant à l’obtention de l’aide judiciaire déposée séparément n’était soumise à aucun frais de justice, le tribunal pouvait exiger le paiement partiel des frais de justice lorsque la demande d’aide judiciaire était introduite en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée. Il n’existe aucune disposition sur la question de savoir si la demande d’aide judiciaire devant les juridictions du premier degré interrompt ou non les délais pour agir. Toutefois, par un arrêt du 24 février 1995 (1995/926 E. et 1995/2327 T.), la deuxième chambre de la Cour de cassation a jugé que les règles du code des obligations relatives à l’interruption du délai de prescription s’appliquaient également à la procédure civile. À cet égard, se référant à l’article 133 § 2 du code des obligations énumérant les situations d’interruption du délai de prescription, elle a estimé que la demande d’aide judiciaire n’interrompait pas le délai de prescription prévu pour engager un recours sur le fondement du code civil. Elle a notamment considéré que, dans le cadre d’une procédure soumise à des frais de justice, lorsqu’une demande d’aide judiciaire était déposée et parafée en même temps que l’action à l’égard de laquelle elle était effectuée, l’action était présumée avoir été introduite à la date d’acceptation de la demande d’aide judiciaire ou, en cas de rejet de cette demande, à la date de paiement des frais de justice. Le Gouvernement a présenté à la Cour deux arrêts rendus par les juridictions nationales. D’après l’arrêt du 27 janvier 2010, adopté par la chambre plénière de la Cour de cassation, l’aide judiciaire peut être demandée pour un pourvoi en cassation. Dans le même arrêt, se référant à un arrêt adopté le 15 octobre 1973 par la 15e chambre de la Cour de cassation, la chambre plénière précise qu’une demande d’aide judiciaire n’interrompt pas les délais, y compris le délai de prescription. Dans l’arrêt du 20 septembre 2011, la 10e chambre du Conseil d’État a considéré qu’un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire interrompt le délai d’un an prévu à l’article 13 de la loi no 2577. Cet arrêt se lit ainsi, en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) À la suite d’un accident de passage à niveau survenu le 18 mars 2003, le tribunal de grande instance d’İzmir a accueilli, par un jugement du 7 avril 2004, un recours tendant à l’obtention de l’aide judiciaire introduit le 18 mars 2004 (...) (...) la volonté d’intenter une action [en dommages-intérêts] s’est manifestée par l’introduction d’un recours [tendant à obtenir l’aide judiciaire] devant le tribunal de grande instance d’İzmir le 18 mars 2004; eu égard au fait que la procédure judiciaire pour la demande d’indemnités au titre de préjudices matériel et moral s’est déclenchée à cette date, il convient d’accepter que l’action en question a été engagée dans le délai d’un an prévu à l’article 13 de la loi relative à la procédure administrative. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965 et est détenu à Kharp. A. Les allégations de mauvais traitements Les mauvais traitements allégués du 7 juillet 2003 a) L’arrestation du requérant et les événements ultérieurs Le 4 juillet 2003, le requérant, soupçonné d’avoir commis plusieurs infractions, dont un meurtre en bande organisée, fut interpellé par la police. Le même jour, à 15 heures environ, il fut conduit au centre de détention temporaire (изолятор временного содержания) du commissariat de police de la ville de SaintPétersbourg (« l’IVS »). À son arrivée dans ledit centre, il fut examiné par l’aide-médecin M. Ce dernier constata l’absence de lésions corporelles apparentes chez le requérant et ne consigna aucune plainte de la part de l’intéressé quant à son état de santé. Aux dires du requérant, le soir du 7 juillet 2003, deux hommes en uniforme le firent sortir de sa cellule et le conduisirent dans une salle d’interrogatoire de l’IVS. Le requérant indique que ceux-ci avaient insisté pour qu’il avouât le meurtre dont il était soupçonné et qu’ils lui avaient asséné deux coups de matraque dans le ventre. Il déclare que les deux hommes l’avaient ensuite reconduit dans sa cellule. Il allègue que, le même soir, par peur de subir de nouveau des mauvais traitements de la part de policiers, il s’était introduit une « épingle » dans le ventre et qu’il avait informé le policier de garde de sa blessure le lendemain matin. Le 8 juillet 2003, le requérant fut de nouveau examiné par l’aidemédecin M., qui constata la présence de griffures sur son ventre. Il revint sur sa déclaration verbale (paragraphe 7 ci-dessus) quant à la lésion qu’il se serait infligée et signa une note écrite rédigée en ces termes : « Je soussigné [le requérant explique] que, le 7 juillet 2003, je me suis griffé le ventre parce que j’étais nerveux et parce que je n’ai pas pu me laver. Je n’ai pas de réclamations concernant le personnel. » Le 8 et le 9 juillet 2003, le requérant fut interrogé respectivement par les enquêteurs P. et G. dans l’enceinte de l’IVS. Il a soumis à la Cour des extraits des procès-verbaux des interrogatoires en question. Il en ressort que, lors de l’interrogatoire du 8 juillet 2003, il avait déclaré être prêt à faire une déposition en présence de ses avocats, P. et S., et que, lors de l’interrogatoire du 9 juillet 2003, tenu en présence des avocats susmentionnés, il avait nié toute implication dans le meurtre dont il était suspecté et n’avait par ailleurs fait aucune déclaration supplémentaire. Le 9 juillet 2003, le requérant fut transféré dans la maison d’arrêt no IZ47/1 de SaintPétersbourg. Selon lui, immédiatement après son placement dans cette maison d’arrêt, il avait informé l’administration des mauvais traitements subis le 7 juillet 2003 à l’IVS et de la blessure qu’il se serait infligée ce jour-là. Le 18 juillet 2003, le requérant fut soumis à une fluographie au sein du service médical de la maison d’arrêt no IZ47/1. Cet examen révéla la présence d’un objet sous la peau de la paroi abdominale de l’intéressé. b) Les documents médicaux attestant des lésions corporelles du requérant Le requérant a fourni des extraits de la fiche médicale établie par la maison d’arrêt no IZ-47/1 : – une note du 21 juillet 2003, dans laquelle un médecin de la maison d’arrêt no IZ-47/1 avait consigné les résultats de l’examen médical de l’intéressé. Elle se lit comme suit en sa partie pertinente en l’espèce : « État [du requérant] satisfaisant. Avant son arrestation, [le requérant] est tombé sur une construction métallique dans sa maison de campagne, alors en travaux, [et] a découvert un durcissement longitudinal sous la peau de la paroi abdominale droite (fil de fer). Dans la [maison d’arrêt], [le requérant] s’est adressé au service médical le 18 juillet 2003 [et] a été soumis à une fluographie (le cabinet de radiologie étant fermé pour changement de l’installation radiographique). Selon le cliché de l’abdomen [du requérant] obtenu par fluographie, on constate la présence d’un objet métallique de 10 à 12 cm de longueur à droite de la ligne médiane [de la paroi abdominale]. [Le requérant] est envoyé par transfert régulier à [l’hôpital pénitentiaire] pour consulter un chirurgien afin de décider d’une intervention (...) ». – une note du 28 juillet 2003, dans laquelle un chirurgien de l’hôpital pénitentiaire auprès de la colonie pénitentiaire IK-12 de SaintPétersbourg (« l’hôpital pénitentiaire ») avait consigné les résultats de l’examen médical de l’intéressé. Celuici indiquait : « Diagnostic : un corps étranger dans les tissus de la paroi abdominale frontale. Il n’y a pas d’indication pour une intervention chirurgicale urgente (...) » Selon un extrait de la fiche médicale du requérant, le 14 avril 2004, celui-ci subit, au sein de l’hôpital pénitentiaire, une intervention chirurgicale visant à extraire l’objet en question des tissus de son abdomen. Les mauvais traitements allégués du 20 septembre 2003 a) Les événements des 19 et 20 septembre 2003 Le 19 septembre 2003, le requérant, interrogé une nouvelle fois en tant qu’accusé, nia de nouveau toute implication dans le meurtre. L’extrait du procès-verbal de l’interrogatoire soumis par le requérant est ainsi rédigé : « Je confirme les dépositions faites auparavant [et] ne souhaite ni les modifier ni ajouter quoi que ce soit sur le fond de l’affaire. Cependant, je veux déclarer que, le 30 août de l’année en cours, je me suis adressé au médecin de la maison d’arrêt no IZ-47/1 qui a diagnostiqué chez moi un microaccident vasculaire cérébral. Je me suis adressé [par la suite] aux médecins et à l’administration [de la maison d’arrêt] afin d’obtenir des soins médicaux mais ceux-ci m’ont été refusés ». Le requérant indique que, le soir du 20 septembre 2003, l’officier de police Z., en service à la maison d’arrêt no IZ-47/1, entra dans sa cellule et lui demanda d’avouer le meurtre dont il était accusé. Face à son refus, Z. lui aurait alors porté un coup au ventre, tandis que ses codétenus T. et Ye., qui auraient agi sur ordre de Z., l’auraient frappé au corps et à la tête. Le requérant déclare s’être évanoui sous ces coups. Toujours selon ses dires, il reprit conscience le lendemain et demanda à ses codétenus d’appeler un médecin, ce que ceux-ci auraient refusé de faire. Le 21 septembre 2003, vers midi, le requérant fut transféré dans une autre cellule. Son état de santé se serait progressivement détérioré. Le 26 septembre 2003, le requérant fut admis à l’hôpital pénitentiaire. b) Les documents médicaux et autres éléments attestant des lésions corporelles du requérant Dans une attestation du 22 octobre 2003, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 17 octobre 2003, le chef adjoint de l’hôpital pénitentiaire, K., indiquait notamment que : – le 26 septembre 2003, le requérant avait été admis à l’hôpital pénitentiaire avec le diagnostic suivant : traumatisme crânien fermé et contusion du cerveau datant du 20 septembre 2003, et parésie du poignet gauche ; séquelles d’un traumatisme crânien grave subi en 1997 sous la forme d’une encéphalopathie post-traumatique et de défauts de craniectomie des os temporaux droits et gauches ; – le requérant souffrait d’une éversion post-traumatique de la paupière supérieure gauche dans le tiers inférieur et une contusion du bulbe de l’œil gauche datant du 20 septembre 2003. Dans une attestation du 17 décembre 2003, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 15 décembre 2003, K. déclarait notamment que : – le requérant avait été admis à l’hôpital avec le diagnostic suivant : traumatisme crânien subi en 2003 (l’intéressé présentait déjà des séquelles d’un traumatisme crânien subi en 1997), contusion du bulbe de l’œil gauche subi en septembre 2003 assorti d’un colobome (éversion) post-traumatique de la paupière supérieure gauche et d’un endommagement du tube oculaire ; – le traumatisme crânien subi par l’intéressé en 2003 avait provoqué une hémiparésie gauche, un syndrome asthénique, une perturbation des fonctions cognitives, une hémianesthésie, des perturbations de la coordination modérées de la moitié gauche du corps ainsi que des crises syncopales fréquentes. Dans une attestation du 16 février 2004, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 3 février 2004, K. indiquait notamment que : – le 23 janvier 2004, le requérant avait été placé dans l’unité psychiatrique de l’hôpital pénitentiaire avec un diagnostic de psychose post traumatique ; – l’intéressé souffrait d’une lésion organique du cerveau de genèse mixte (le traumatisme crânien de 1997 et celui de 2003, avec des crises syncopales, des états crépusculaires de la conscience et un syndrome persistant de délire anxieux oniroïde). Les mauvais traitements allégués du 23 juin 2005 a) Les événements du 23 juin 2005 Le 23 juin 2005, le requérant fut transféré de la maison d’arrêt no IZ47/4 au tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg pour assister à une audience relative à l’examen de la nécessité de reconduire sa détention provisoire. Le convoi se composait des policiers T., M. et Kh., ainsi que de l’enquêteur G. Le requérant allègue que, dans le couloir menant à la salle d’audience dans l’enceinte du tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg, alors qu’il était menotté par une main à celle du policier M., il fut placé face contre le mur. Selon le requérant, après son refus d’assister à l’audience en l’absence de l’avocat de son choix, un ou deux policiers qui se trouvaient derrière lui lui portèrent des coups de poing dans le dos et le policier M. lui cogna la tête contre le mur. À la suite de ces coups, le requérant serait tombé à genoux. Le policier M. l’aurait ensuite forcé à se relever en tirant sur les menottes et en lui faisant en même temps une clé de bras. b) Les documents médicaux attestant des lésions corporelles du requérant Le requérant a soumis un extrait d’une fiche médicale établie par la maison d’arrêt no IZ-47/4, rédigée en ces termes : « 23 juin 2005. 21 h 15. [Le requérant] se plaint d’avoir mal à la tête [et] au poignet gauche. Lors de l’examen : contusion et éraflure du front, éraflure de l’articulation du poignet gauche ». B. Les enquêtes sur les allégations de mauvais traitements Les enquêtes concernant les mauvais traitements allégués des 7 juillet et 20 septembre 2003 a) Les démarches des autorités internes avant la plainte formelle du requérant du 5 avril 2004 Le 26 septembre 2003, les autorités chargées de l’instruction refusèrent d’ouvrir une instruction pénale sur les circonstances des traumatismes que le requérant déclarait avoir subis le 20 septembre 2003. La Cour ne dispose pas d’une copie de cette décision. Le même jour, eu égard aux lésions constatées sur son client, l’avocat P. demanda à l’enquêteur S., chargé de l’affaire pénale dirigée contre le requérant, d’ordonner une expertise médicolégale de ce dernier et de poser aux experts des questions relatives à la nature et à la localisation des blessures du requérant, ainsi qu’au mécanisme d’apparition desdites blessures en vue, notamment, de savoir si elles avaient pu résulter d’une chute du requérant. Par une décision du 29 septembre 2003, l’enquêteur refusa d’ordonner une expertise médicolégale. Il nota que le requérant, interrogé en tant qu’accusé, avait déclaré avoir subi des traumatismes pendant la nuit du 20 au 21 septembre 2003 dans la maison d’arrêt, avant son transfert à l’hôpital pénitentiaire, et ne pas se souvenir des circonstances dans lesquelles il les avait subis. b) Les démarches des autorités internes après la plainte formelle du requérant du 5 avril 2004 Le 5 avril 2004, le requérant adressa une plainte écrite au procureur dans laquelle il se plaignait des mauvais traitements qui lui auraient été infligés les 7 juillet et 20 septembre 2003. Les autorités chargées de l’instruction se penchèrent sur les allégations du requérant en recourant à la procédure de vérification préliminaire de l’article 144 du code de procédure pénale (CPP). i. L’enquête préliminaire sur les mauvais traitements allégués du 7 juillet 2003 Entre 2004 et 2013, les autorités chargées de l’instruction rendirent cinq décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale. Il s’agit des décisions des 21 avril et 22 décembre 2004, du 5 avril et des 1er et 15 novembre 2013. Toutes les décisions susmentionnées sont, en substance, basées sur les éléments suivants : α) des explications de personnes entendues dont le contenu fut reproduit, avec de légères modifications, d’une décision à l’autre, notamment celles : – du requérant, qui avait maintenu ses allégations ; – des policiers de l’IVS V., O. et A., qui avaient tous nié avoir maltraité le requérant ; – de l’aide-médecin M., de l’IVS, qui avait reproduit en substance le contenu de la déclaration écrite du requérant du 8 juillet 2003 selon laquelle ce dernier s’était griffé le ventre dans un état de trouble nerveux ; – de l’enquêteur G., qui avait déclaré ne pas avoir reçu de plaintes du requérant relatives à des mauvais traitements ; – du codétenu présumé du requérant, B., qui ne confirma ni n’infirma les allégations du requérant en déclarant ne pas se souvenir de ce dernier. β) des documents, notamment : – la note du requérant du 8 juillet 2003 (paragraphe 8 cidessus) selon laquelle ce dernier, nerveux, s’était griffé le ventre ; – une lettre de l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/1 selon laquelle le registre médical pour la période concernée par la plainte du requérant avait été détruit. En se basant sur les éléments susmentionnés, les autorités chargées de l’instruction estimèrent qu’il n’y avait pas de preuves de maltraitance du requérant par des policiers de l’IVS. Il ressort en outre des éléments soumis par les parties à la Cour que le dossier concernant la vérification préliminaire menée en 2004 a été perdu par les autorités chargées de l’instruction. ii. L’enquête préliminaire sur les mauvais traitements allégués du 20 septembre 2003 Entre 2004 et 2013, les autorités chargées de l’instruction rendirent huit décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale. Il s’agit des décisions des 21 avril et 9 décembre 2004, du 9 février 2007, des 30 janvier, 11 juin, 31 août et 30 septembre 2009, et du 1er février 2010. Toutes les décisions étaient basées, en substance, sur les éléments suivants : α) des explications de personnes entendues dont le contenu fut reproduit, avec de légères modifications, d’une décision à l’autre, notamment celles : – du requérant, qui avait maintenu ses allégations ; – du policier Z. et d’un codétenu du requérant, Sv., qui avaient nié avoir maltraité le requérant ; – du codétenu du requérant, Sv., qui, dans des déclarations supplémentaires, avait indiqué que, le 20 septembre 2003, le requérant était tombé de son lit et s’était cogné la tête contre une table de chevet ; – du médecin de la maison d’arrêt no IZ-47/1, Se., qui avait confirmé avoir prodigué, le 21 septembre 2003, des soins médicaux au requérant, qui présentait une plaie à l’arcade sourcilière ; – de l’enquêteur G., qui avait déclaré ne pas avoir reçu de la part du requérant de plaintes relatives à des mauvais traitements. β) des documents, notamment : – un avis consultatif rendu le 3 septembre 2009 par l’expert K. qui, se basant sur la fiche médicale de l’intéressé, conclut que la plaie contuse de l’arcade sourcilière dont souffrait le requérant pouvait être considérée comme une lésion légère ; – une lettre de l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/1 du 5 novembre 2009 selon laquelle le registre médical pour la période concernée par la plainte du requérant avait été détruit. En se basant sur les éléments susmentionnés, les autorités chargées de l’instruction estimèrent qu’il n’y avait pas de preuves de mauvais traitements infligés au requérant et que les lésions dont il souffrait résultaient d’une chute de celui-ci de son lit. Il ressort en outre des éléments soumis par les parties à la Cour que le dossier contenant les enquêtes préliminaires conduites avant 2007 ainsi que la fiche médicale de l’intéressé établie par la maison d’arrêt no IZ-47/1, versée au dossier de l’enquête le 28 janvier 2009, ont été perdus. L’enquête concernant les mauvais traitements allégués du 23 juin 2005 Le 12 juillet 2005, les autorités chargées de l’instruction, informées des lésions constatées chez le requérant le 23 juin 2005 par le service médical de la maison d’arrêt no IZ-47/4, engagèrent une vérification préliminaire sur la base de l’article 144 du CPP. Entre 2005 et 2013, elles rendirent douze décisions de refus d’ouvrir une enquête pénale. Il s’agit des décisions des 8 août 2005, 13 mars, 25 juillet, 5 et 22 septembre, 6 octobre, 26 novembre et 6 décembre 2008, 15 juin 2009, 28 avril 2010, 25 décembre 2013 et 14 janvier 2014. Toutes les décisions se basèrent, en substance, sur les éléments suivants : α) des « explications » de personnes entendues dont le contenu fut reproduit, avec de légères modifications, d’une décision à l’autre, notamment celles : – du requérant, qui avait maintenu ses allégations ; – des policiers T., M. et Kh. et de l’enquêteur G., qui avait tous nié avoir maltraité le requérant ; – du policier P., qui avait déclaré ne pas se souvenir des circonstances dans lesquelles le requérant, lors de son retour à la maison d’arrêt no IZ-47/4 le 23 juin 2005, s’était plaint de mauvais traitements. β) des documents, notamment : – un extrait de la fiche médicale établie par la maison d’arrêt no IZ-47/4 le 23 juin 2005, qui constatait la présence de lésions sur le front et le poignet gauche du requérant ; – un avis consultatif rendu le 14 avril 2010 par un expert qui, se basant sur la fiche médicale de l’intéressé, avait conclu que la contusion et l’éraflure du front ainsi que l’éraflure du poignet gauche du requérant ne pouvaient être considérées comme ayant causé un dommage à la santé de l’intéressé. En se basant sur les éléments susmentionnés, les autorités chargées de l’instruction estimèrent qu’il n’y avait pas de preuves de mauvais traitements infligés au requérant par les policiers T., M. et Kh., et que l’intéressé s’était vraisemblablement infligé les lésions en cause dans d’autres circonstances et par sa propre imprudence. Il ressort des éléments soumis par les parties à la Cour que le dossier concernant la vérification préliminaire conduite en 2005 a été perdu par les autorités chargées de l’instruction. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions du CPP relatives à l’enquête préliminaire et à l’ouverture de l’instruction pénale sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1937 et 1942 et résident à Madrid. Ils sont propriétaires d’un appartement à Sanxenxo (Galice). L’inscription de celui-ci à leur nom au registre foncier date du 4 septembre 2001. Par ailleurs, les requérants s’acquittent de la taxe foncière depuis 2002. En juillet 2002, A.P.C., un voisin habitant à proximité du lotissement où l’appartement des requérants était construit, porta plainte auprès de la municipalité de Sanxenxo. Il contestait la légalité des travaux de construction et sollicitait leur suspension. Face au silence de l’administration, le 16 décembre 2002, A.P.C. forma un recours en contentieux administratif. Les acheteurs des appartements n’étant pas parties à la procédure administrative relative au permis de construction, la municipalité n’en informa que le promoteur du lotissement (P.L.L.), seul titulaire dudit permis. Les requérants ne furent donc pas informés de l’existence de cette procédure en qualité de partie intéressée. Tant la municipalité que le promoteur arguaient de la légalité des travaux dans leurs mémoires en réponse. Par un jugement rendu le 21 janvier 2004, le juge du contentieux administratif no 3 de Pontevedra accueillit en partie le recours introduit par A.P.C. et annula le permis de construire sans pour autant décréter la démolition des appartements. Ce jugement ne fut pas notifié aux requérants. A.P.C., la municipalité de Sanxenxo et P.P.L. firent appel. Par un arrêt du 29 mars 2007, le Tribunal supérieur de justice de Galice fit droit aux prétentions du premier et ordonna la démolition de plusieurs appartements. Il rejeta les appels des deux autres demandeurs. À la demande de A.P.C., les démarches visant à l’exécution de l’arrêt du 29 mars 2007 furent engagées. La municipalité et P.P.L contestèrent ces démarches ; leurs recours furent rejetés. L’arrêt définitif du 29 mars 2007 fut notifié aux requérants en février 2009 par la municipalité, qui les informa de l’annulation du permis de construire accordé à P.P.L. et de l’injonction de démolition de plusieurs appartements, dont le leur. Les requérants sollicitèrent la nullité de la procédure et les différentes parties se virent accorder un délai pour présenter leurs arguments. Dans son mémoire du 18 mars 2009, adressé au Tribunal supérieur de justice de Galice, la municipalité faisait les remarques suivantes : « (...) Le 16 décembre 2002 [date où A.P.C. introduisit son recours en contentieux administratif], tous les propriétaires des logements (...) étaient connus. [En outre], après consultation des archives municipales, il ressort que les titulaires des logements (...) construits selon le permis objet du présent litige apparaissent dans le registre de la taxe foncière depuis 2001 ou 2002. Malgré cela, seulement le promoteur P.P.L. [participa] à la procédure en tant que partie intéressée. L’administration municipale n’informa pas les [...] propriétaires des logements, qui étaient connus et identifiables, le juge n’ayant pas [...] averti la municipalité [de ses obligations] à ce sujet. Cette faute involontaire de l’administration municipale a provoqué un réel [manquement aux droits de la] défense [puisqu’il] exist[ait] un dommage concret ». Par une décision du 15 septembre 2009, le Tribunal supérieur de justice de Galice rejeta la demande en nullité des requérants pour le motif suivant : « (...) il n’existe aucun document attestant que l’existence [des requérants] était connue par le juge d’instance lorsque le procès a débuté (...). En effet, pour constater un [manquement aux droits de la] défense il est nécessaire (...), en plus de la titularité d’un droit ou d’un intérêt légitime (...), que [l’intéressé] soit identifiable par l’organe judiciaire, ce qui dépend essentiellement des informations contenues dans le mémoire d’introduction du recours, dans le dossier administratif ou dans la plainte. Aucune [de ces informations] ne figure dans la présente affaire ». Invoquant l’article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable et droit à la défense), les requérants formèrent un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Ils alléguaient que les juges a quo connaissaient ou auraient dû connaître l’existence des propriétaires des appartements, pour lesquels l’issue du litige pouvait avoir des conséquences très sérieuses. Ils indiquaient en particulier que, dans son recours introduit en décembre 2002, A.P.C. mentionnait que les appartements concernés étaient au nombre de seize et que, par ailleurs, le promoteur immobilier avait soulevé en appel qu’il existait des tiers acquéreurs de bonne foi, à savoir les propriétaires des appartements, qui n’avaient pas eu l’occasion d’intervenir dans la procédure ni d’être entendus par les tribunaux, ce qui portait gravement atteinte à leurs droits de la défense et au principe du contradictoire. Ils soutenaient qu’aucune démarche n’avait été effectuée afin de porter la procédure en cours à la connaissance des propriétaires des appartements. Par une décision notifiée le 21 décembre 2010, la haute juridiction déclara le recours irrecevable pour cause de « manque de pertinence constitutionnelle spéciale ». À ce jour, la procédure d’exécution est paralysée. Les travaux de démolition sont suspendus tant que A.P.C. n’en a pas demandé la reprise, conformément à la loi. En outre, cette procédure s’est vue affectée par un changement dans la réglementation urbanistique de la ville de Sanxenxo du 1er avril 2013, qui pourrait permettre la régularisation a posteriori (sobrevenida) du lotissement des requérants à condition que le promoteur obtienne un nouveau permis de construction conforme à la nouvelle réglementation. La procédure d’obtention de ce nouveau permis est en cours. Par ailleurs, il ressort du dossier que la municipalité a entamé des négociations avec les copropriétaires, dont les requérants, afin d’explorer les possibilités qui s’offriraient à eux en cas de régularisation future des logements. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi 29/1998 du 13 juillet 1998 relative à la juridiction contentieuse administrative prévoyait ce qui suit dans son article 49 § 3 (tel qu’en vigueur jusqu’au 4 mai 2010) : « Une fois le dossier reçu, le juge, à la lumière du résultat de la procédure administrative et du contenu du mémoire d’introduction [du recours] et des documents annexes, vérifiera que l’ensemble des [notifications d’assignation] ont été transmises et, s’il s’aperçoit [que tel n’est pas le cas], il ordonnera à l’administration [prendre en charge] celles nécessaires pour assurer la défense des intéressés qui sont identifiables ».
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1960 et en 1956 et résident à Diyarbakır. Le 28 septembre 2009, aux alentours de 13 heures, la fille des requérants, alors âgée de 12 ans, fut tuée par l’explosion d’une munition dans un champ situé près du village de Şenlik, dans le département de Lice, à Diyarbakır. A. L’enquête pénale menée à la suite du décès de la fille des requérants À 13 h 20, le frère de la victime et le maire du village de Yayla informèrent la gendarmerie et le parquet de l’explosion. Le même jour, trois sergents de la gendarmerie de Abalı établirent un rapport selon lequel la zone où avait eu lieu l’explosion était un endroit où la population locale soutenait le terrorisme et où il était dangereux de se rendre. Le rapport mentionnait que le parquet approuvait cette description et que ce dernier avait donné l’ordre de transporter le corps de la défunte à la gendarmerie pour y effectuer un examen médical. Vers 17 h 45, toujours le même jour, des photos de la défunte et de la zone où eut lieu l’explosion furent prises et le corps de la défunte fut transporté par les requérants et quelques villageois à la gendarmerie pour que soit pratiqué l’examen médicolégal. Au cours de cette même journée, Raif Önkol fut entendu par le procureur de la République de Lice. Il déclara porter plainte contre les responsables de la mort de sa fille, quels qu’ils puissent être, et contre les forces de l’ordre qui ne s’étaient pas rendues sur les lieux de l’explosion. Son avocat demanda à ce que des enquêteurs aillent sur place afin de procéder à l’examen des lieux et d’éviter l’altération des preuves. Il remit aux gendarmes des morceaux de l’engin explosif retrouvés sur place par le maire du village. Toujours le même jour, le frère de la défunte fut entendu par le procureur de la République. Il déclara quant à lui que sa jeune sœur était allée faire paître des bêtes vers 11 h 30 et que, peu de temps après son départ, il avait entendu un son similaire à celui d’un tir d’obus de mortier suivi d’une explosion, avant de retrouver sa sœur, morte. Il déclara qu’elle emportait toujours une serpe avec elle qui avait dû, selon lui, être confondue avec une arme. À 19 h 40 ce soir-là, le procureur de la République de Lice établit un rapport d’examen dans lequel il décrivait la zone où était survenu le décès de Ceylan Önkol comme une région dont une partie des habitants apportaient leur soutien au terrorisme de sorte que, selon lui, se rendre sur place présentait pour l’heure un très grand danger. Il précisait à cet égard que, peu de temps avant les faits en cause, des vivres appartenant aux terroristes séparatistes, de nombreux engins explosifs de fabrication artisanale et du nitrate d’ammonium avaient été retrouvés dans cette zone. Il jugeait donc préférable de se rendre sur les lieux de l’explosion un autre jour et sous escorte militaire. Le procureur de garde fut averti et se rendit à la gendarmerie, de même que l’équipe médicale devant pratiquer l’examen médicolégal et un photographe. L’équipe médicale rechercha la présence d’éclats de munition sur le corps de la défunte. Elle ne constata aucune trace d’éclat au niveau du visage et des bras mais releva de nombreux éclats au niveau du torse et à divers autres endroits du corps. Elle conclut que la mort datait de six à sept heures et qu’elle était due à la destruction par explosion des organes internes, de sorte qu’une autopsie classique n’était pas nécessaire. Le 29 septembre 2009, le procureur de la République de Lice adressa une lettre au commandement de gendarmerie de Lice dans laquelle il demandait, entre autres : – quel était le type d’explosif ayant causé la mort de Ceylan Önkol ; – s’il y avait eu des affrontements entre les forces de sécurité et des membres de l’organisation terroriste près de la zone de l’explosion et si les forces de l’ordre y avaient mené des opérations ; – s’il avait été retrouvé près de cette zone des équipements appartenant à l’organisation terroriste en question et si cette dernière y avait enterré des mines antipersonnel. Le procureur de la République précisait en outre que le frère de la défunte avait déclaré avoir entendu un son similaire à celui d’un tir d’obus de mortier et demanda si les forces de l’ordre avaient utilisé une telle arme le jour du décès de Ceylan Önkol ou avant, si les unités militaires proches de la zone en question possédaient de telles armes et quelle était leur portée. Le même jour, un rapport d’enquête fut établi par les autorités militaires rattachées au commandement de gendarmerie de Lice. Selon ce rapport, aucun obus de mortier n’avait été tiré le jour des faits et la gendarmerie de Abalı et celle de Yayla, qui se trouvaient à 9 km à vol d’oiseau du lieu de l’explosion, possédaient des obus de mortier dont la portée maximale était de 5,75 km. Le rapport indiquait également qu’il serait possible d’examiner les lieux sous escorte militaire le lendemain. Le 30 septembre 2009, un rapport d’examen des lieux de l’explosion fut établi par le procureur de la République de Lice. Ce rapport indiquait que la zone en question se trouvait à 200-250 mètres du mont Cemal, qu’il y avait un léger creux dans le sol à l’endroit où la munition avait explosé et que des signes de cette explosion étaient visibles sur deux arbres. Durant l’examen des lieux, un habitant du village de Şenlik, F.Ş., fut entendu par le procureur de la République en tant que témoin. L’intéressé déclara que la défunte était de sa famille, qu’il se trouvait à 300-400 mètres de la zone au moment de l’explosion, qu’il n’avait pas entendu de son similaire à celui d’un tir d’obus de mortier avant l’explosion, qu’il avait vu la mère et les frères de la défunte lorsqu’il s’était rendu sur place, que le corps de Ceylan Önkol était resté par terre un certain temps, que peu après l’explosion des journalistes s’étaient rendus sur les lieux, et qu’il avait vu que la famille de la victime avait donné certaines pièces métalliques aux journalistes. Le même jour, eu égard à la nature des faits et afin de garantir le bon déroulement de la procédure ainsi que la recherche et la préservation des preuves, le tribunal correctionnel de Lice prononça, sur demande du procureur de la République de Lice, le secret de l’instruction en vertu de l’article 10 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et de l’article 157 du code de procédure pénale. Le 5 octobre 2009, le procureur de la République de Lice recueillit les dépositions de quatre personnes : S.Ş. et A.Ş., résidant au village de Yayla, F.E., résidant au village de Şenlik, et H.G., l’imam du village de Abalı. S.Ş. déclara qu’il connaissait la défunte, qu’il avait entendu l’explosion mais qu’il n’avait pas compris de quoi il s’agissait, qu’il n’avait pas vu de soldats en opération le jour de la mort de Ceylan ni même avant et qu’il avait seulement vu un soldat de loin environ deux mois auparavant. A.Ş. déclara à son tour qu’il n’était pas au village le jour de l’explosion et qu’il n’avait pas vu de soldats dans les environs depuis longtemps. Quant à F.E., il indiqua qu’il était le maire du village de Şenlik, qu’il avait appelé la sous-préfecture pour informer les autorités de l’explosion, qu’il s’était rendu à la gendarmerie de Abalı et qu’il avait appelé le parquet. L’intéressé déclara en outre que, à la demande du commandant de gendarmerie, il s’était rendu sur place, accompagné d’un imam, afin de ramener le corps de la défunte. Il ajouta qu’il n’avait pas vu de soldats en opération dans les environs du lieu de l’explosion depuis août 2008. H.G. déclara quant à lui qu’il était l’imam du village de Abalı, que les autorités militaires lui avaient dit de se rendre sur les lieux de l’explosion pour conseiller les proches de la défunte mais que, une fois arrivé sur place, il n’avait parlé à personne et n’avait pas pris de photos des lieux. Le 6 octobre 2009, les dépositions des proches de la défunte furent recueillies. Le frère de Ceylan Önkol déclara s’être rendu sur les lieux de l’explosion et avoir appelé les maires des villages alentour qui lui auraient dit que le procureur de la République ne viendrait pas pour des raisons de sécurité mais que l’imam avait été chargé de prendre des photographies. Il dit également que les villageois présents sur place avaient fait venir la presse et qu’une équipe de télévision était arrivée. Il affirma en outre ne pas avoir vu de militaires, ni le jour des faits ni précédemment, mais soutint, sans en expliquer les raisons, que sa sœur avait été prise pour cible. Enfin, il indiqua que la zone où sa sœur était décédée se trouvait entre trois ou quatre gendarmeries et qu’elle était donc sous surveillance permanente. Entendu le même jour, le père de la défunte déclara ne pas avoir vu de militaires le jour des faits mais qu’il en avait vu passer une semaine ou deux auparavant. La mère de la défunte dit quant à elle ne pas savoir qui avait contacté la presse et ne pas avoir vu de militaires, ni le jour des faits ni avant. Le 12 octobre 2009, le tribunal correctionnel de Lice rejeta l’opposition formée par Raif Önkol quant au secret de l’instruction. Le même jour, un rapport d’expertise fut établi par deux spécialistes en explosifs de la direction de la sûreté de Diyarbakır rattachée à la section de lutte contre le terrorisme. Il ressort de ce rapport que les experts se sont rendus sur les lieux de l’explosion le 30 septembre 2009 et qu’ils y ont pris des photographies et des vidéos. Le rapport mentionnait que les vêtements de la défunte avaient été envoyés au laboratoire de criminologie de Diyarbakır afin que soit établie la nature de l’explosif à l’origine du décès, de même que les morceaux de métal extraits du corps et ceux prélevés sur le lieu de l’explosion par les villageois ou remis aux autorités par l’avocat des requérants. Selon ce rapport, les experts avaient également prélevé des échantillons de terre, examiné les photographies prises et les vidéos enregistrées par des civils le jour des faits et relevé que, le 9 octobre 2009, le laboratoire en recherche criminologique de Diyarbakır avait établi que les morceaux de métal qui lui avaient été transmis provenaient d’une arme tirant des munitions de 40 mm. Après un descriptif de l’ensemble des blessures constatées au niveau des organes internes et sur le corps de la défunte, le rapport mentionnait que les mains, les pieds et les genoux de celle-ci n’étaient pas endommagés et déduisait de ce constat que, au moment des faits, la jeune fille devait être agenouillée. Il indiquait que l’explosion avait causé des blessures à l’avant de son corps et à l’intérieur de ses avant-bras et de ses poignets, lesquels présentaient également des brûlures. Il concluait que Ceylan Önkol avait frappé la munition en question avec sa serpe, retrouvée déformée près de l’endroit de l’explosion. Le rapport précisait que si la jeune fille avait été touchée par un tir de mortier, une roquette ou un obus, son corps aurait été déchiqueté, un trou plus vaste aurait été creusé lors de l’explosion et des dégâts plus importants auraient été visibles sur les arbres alentour. À une date non précisée, un rapport d’enquête fut établi à la suite de la demande du 14 octobre 2009 du procureur de la République de Lice. Ce rapport dressait la liste des affrontements survenus entre les forces de l’ordre et les terroristes du PKK dans la région où avait eu lieu l’explosion. Le rapport indiquait notamment les dates et les lieux de ces affrontements ainsi que le type d’armes utilisées lors de ceux-ci. Il mentionnait également que les membres de l’organisation terroriste se rendaient très souvent dans les zones habitées de la région pour se procurer des vivres et obtenir des informations, qu’ils utilisaient les villages de Birlik et de Şenlik comme lieux de passage et qu’ils y allaient pour rendre visite aux membres de leur famille qui y résidaient. D’après le rapport, il n’était pas possible de déterminer si la munition litigieuse était du même type que celles que possédaient les membres de l’organisation terroriste. En effet, le rapport indiquait qu’il s’agissait d’un type de munition pouvant être obtenu très facilement et que l’organisation en question était connue pour se procurer toutes sortes d’armes. Aux termes de ce rapport, à la suite de l’explosion, au lieu d’alerter les autorités compétentes, les proches de la victime avaient informé les médias locaux et les organisations et associations locales partisanes de l’organisation terroriste en question. La famille de la victime aurait menti sur les faits pour obtenir une indemnisation et avait transformé la situation en une affaire politique. Enfin, le rapport précisait qu’il relevait de la responsabilité juridique et morale des forces de l’ordre de faire la lumière sur les faits survenus et que celles-ci poursuivaient leurs recherches en ce sens. Le 15 octobre 2009, le procureur de la République de Lice demanda au tribunal correctionnel de Lice de lever le secret de l’instruction eu égard à l’état des preuves. Le même jour, le tribunal correctionnel de Lice accepta la demande du procureur de la République et leva le secret de l’instruction. Le 30 décembre 2009, les avocats des requérants écrivirent au procureur de la République de Lice pour faire valoir que ni les gendarmes ni le procureur de garde ne s’étaient rendus sur place immédiatement après les faits, de sorte que les éléments de preuve n’avaient pu être recueillis correctement. Ils contestaient le secret de l’instruction et l’accomplissement des actes d’enquête par des gendarmes qui auraient dû, d’après eux, être considérés comme des suspects. Ils critiquaient également la partialité avec laquelle les actes d’enquête avaient été effectués : selon eux, ceux-ci ne visaient pas à établir la réalité des faits mais tendaient plutôt à engager la responsabilité de la famille de la victime et des terroristes. Ils contestaient en outre l’accusation selon laquelle la famille de la victime avait cherché à obtenir une indemnisation. Le 31 décembre 2009, Raif Önkol porta plainte contre le commandant de la gendarmerie de Abalı pour manquement à son devoir et incitation du peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une discrimination. Il reprochait au commandant le contenu d’un procès-verbal dressé après les faits dans lequel ce dernier écrivait que les gens de la région souhaitaient que tout type d’événement soit qualifié d’acte terroriste pour pouvoir obtenir une indemnisation de la part de l’État. Le 20 janvier 2010, le procureur de la République de Lice interrogea le commandement de la gendarmerie et celui de la brigade pour savoir : – s’ils avaient eu des unités militaires mobiles sous leur commandement le jour de l’explosion ou avant celui-ci ; – si une quelconque opération avait été menée le jour de l’explosion ou avant celui-ci sur les lieux en cause ; – s’ils possédaient des lance-grenades de 40 mm et le cas échéant, quel était le nombre de ces armes et le nom des personnes qui les utilisaient ; – si les unités militaires situées à la base de Tapantepe possédaient des armes ayant les mêmes caractéristiques que celle qui avait causé le décès de Ceylan Önkol. Par deux lettres, datées respectivement du 27 janvier 2010 et du 9 avril 2010, le commandement de la gendarmerie et le commandement de la brigade répondirent aux questions du procureur de la République de Lice. Il ressort de ces lettres qu’aucune opération n’avait été menée par les autorités militaires le jour de l’explosion ou avant celui-ci sur les lieux en question. Ces lettres indiquaient par ailleurs que les munitions de 40 mm comme celle ayant causé l’explosion litigieuse étaient utilisées avec des lance-grenades T40 et MK-19 dont la portée maximale était de 350 m et de 1 500 m respectivement. Elles donnaient aussi le nombre d’armes de ce type appartenant aux unités militaires situées à proximité des lieux de l’explosion. Un rapport du 11 février 2010 établi par le laboratoire de police criminelle précisait les caractéristiques des munitions d’un lance-grenades de 40 mm et les effets causés par ce type de munition lors de son explosion. Il ressort de ce rapport que ce type de munition causerait tout d’abord des marques de déformation sur l’objet avec lequel il aurait été frappé. À la suite de la description des blessures constatées au niveau des organes et du corps de la fille des requérants, le rapport indiquait que, lors de l’explosion, la jeune fille avait dû s’agenouiller pour frapper avec sa serpe la munition en question, qui se trouvait au sol. Le 12 août 2010, un rapport d’expertise fut établi par un expert médicolégal à la demande des requérants. Ceux-ci demandèrent à savoir quels types de blessures pouvaient être causées par l’explosion d’une munition de 40 mm selon que celle-ci se trouvait au sol ou avait été tirée à distance. L’expert examina le procès-verbal d’examen médicolégal du corps de la victime, le rapport d’examen des lieux de l’explosion des 28 et 30 septembre 2009, le rapport d’expertise du 12 octobre 2009 établi par les deux spécialistes en explosifs, les photographies prises durant l’examen du corps et celles prises lors de l’examen des lieux de l’explosion. Dans son rapport, l’expert relevait que l’examen des lieux par les autorités était intervenu deux jours après les faits et que le médecin qui avait procédé à l’examen du corps, qui n’était pas un spécialiste de médecine légale, n’avait pas demandé une autopsie classique. Le rapport concluait que l’explosion avait pu avoir lieu sans intervention de la jeune fille, devant elle, au sol ou à proximité du sol. Le 23 décembre 2010, le procureur de la République de Lice prononça un non-lieu à poursuivre quant à la plainte présentée le 31 décembre 2009 par le requérant contre le commandant de la gendarmerie de Lice. Il releva pour ce faire que le commandant, lors de la rédaction de son procès-verbal, n’avait aucunement eu l’intention d’insulter qui que ce soit et ne pouvait avoir commis une infraction d’incitation du peuple à la haine dès lors que celle-ci exigeait, pour être réalisée, la publicité des propos. Or, le procès-verbal du commandant faisait partie de l’instruction et était dès lors couvert par le secret. Le 19 mars 2012, le procureur de la République de Lice demanda à l’usine d’armement de l’État (« MKE ») de lui soumettre un rapport d’expertise afin de pouvoir déterminer la cause exacte du décès de la fille des requérants. Il voulait en particulier savoir si la munition en question se trouvait au sol au moment de l’explosion ou si elle avait été tirée à distance. Dans un rapport du 20 avril 2012, l’expert en chef de la MKE, eu égard à l’ensemble du contenu du dossier d’enquête et en particulier aux photographies des lieux de l’explosion et de la victime, conclut que la fille des requérants avait frappé la munition qui se trouvait au sol avec un objet en acier et avait par conséquent provoqué l’explosion. Le 19 juillet 2012, le procureur de la République de Lice demanda au commandement de la 2ème brigade motorisée de lui signaler les affrontements armés dans la région au cours desquels une arme tirant des munitions de 40 mm avait été utilisée. Par une lettre du 9 août 2012, le commandement de la 2ème brigade motorisée répondit que, depuis 1998, douze affrontements avaient eu lieu dans la région entre les forces de sécurité et les membres de l’organisation terroriste séparatiste et qu’il ne disposait d’aucune donnée indiquant qu’une telle arme avait été utilisée par l’armée durant ces affrontements. Le 18 février 2013, le procureur de la République de Lice rendit une ordonnance de non-lieu à l’encontre des officiers du commandement de la gendarmerie de Abalı quant à la plainte du requérant pour manquement à leur devoir. Il avançait en particulier que, avant l’explosion en cause, des vivres et plusieurs engins explosifs appartenant à des membres de l’organisation terroriste avaient été retrouvés et qu’il y avait eu un total de douze affrontements armés dans la région depuis 1998. Il indiquait ainsi que, depuis juin 2012, sept soldats et quinze membres de l’organisation terroriste avaient perdu la vie lors de ces affrontements. Il ajoutait que, dans ces conditions, les autorités militaires n’avaient aucune intention de manquer à leur devoir d’enquête. Le 20 mars 2013, la direction de la sûreté de Diyarbakır envoya une lettre au procureur de la République de Lice en réponse au courrier du 19 février 2013 de ce dernier. Aux termes de cette lettre, un grand nombre d’armes tirant des munitions de 40 mm avait été retrouvé lors d’opérations menées à la suite des aveux de membres de l’organisation terroriste qui avaient été arrêtés. Le 24 avril 2014, le procureur de la République de Lice émit un avis de recherche permanent dans le but d’identifier les auteurs de l’acte en cause jusqu’à la prescription des faits. En conséquence, les forces de l’ordre poursuivirent leurs recherches et établirent des rapports trimestriels. B. L’action en réparation devant les instances administratives Le 15 janvier 2010, les requérants adressèrent au ministère de la Défense une demande d’indemnisation pour dommages matériel et moral en raison du décès de leur fille. Cette demande resta sans suite. En 2010, à une date qui n’a pas été spécifiée, les requérants saisirent le tribunal administratif de Diyarbakır (« le tribunal administratif ») d’une action en réparation du préjudice causé par le décès de leur fille. Ils demandaient 100 000 livres turques (TRY) (soit environ 45 000 euros (EUR)) pour préjudice matériel et 150 000 TRY (environ 69 000 EUR) pour préjudice moral, ainsi que des intérêts moratoires sur ces sommes. Le 24 septembre 2014, le tribunal administratif rendit son jugement sur le fond de l’affaire. Dans les attendus du jugement, il considérait, à la lumière des conclusions de l’enquête pénale menée en l’espèce, que la fille des requérants était décédée à la suite de l’explosion d’une munition qui se trouvait au sol au moment des faits et que rien dans le dossier ne permettait pas déterminer l’origine de ladite munition. Néanmoins, il concluait à la responsabilité objective de l’État, laquelle nécessitait obligatoirement, selon lui, une indemnisation même en cas d’absence de faute de service imputable aux agents de l’État en vertu de l’article 125 de la Constitution. Il accorda ainsi 28 208,85 TRY (environ 10 000 EUR) aux requérants, assortis d’intérêts moratoires à compter de la date de recours devant l’administration, à savoir le 15 janvier 2010. Le 3 décembre 2014, le jugement du tribunal administratif fut notifié à la partie requérante. Le 10 décembre 2014, les requérants formèrent un pourvoi devant le Conseil d’État contre le jugement rendu par le tribunal administratif. Ils estimaient en particulier que l’explosion qui avait causé la mort de leur fille était de nature à établir que l’administration n’avait pas rempli correctement sa mission de sécurisation de la zone et avait, par conséquent, commis une faute de service. D’après les documents contenus dans le dossier, la procédure demeure pendante devant le Conseil d’État.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés en 1951, 1930, 1964 et 1949 respectivement et résident à Athènes. A. Les faits à l’origine de la présente affaire Les requérants sont propriétaires d’un terrain d’une surface totale de 7 723 m² situé dans le quartier de Neo Psychiko à Athènes. Le 18 février 1987, deux des requérants demandèrent au préfet de l’Attique de l’Est de leur accorder un permis d’y construire un centre commercial de plusieurs étages. Le 1er juin 1987, le préfet prit la décision d’interdire pendant un an la construction de centres commerciaux dépassant une certaine taille. Ce terrain fit l’objet d’une série d’expropriations. La première fut décidée le 1er mars 1988 en vue de la transformation de cette parcelle en « espace vert ». La deuxième intervint le 21 mai 1990 et se fondait sur la modification du plan d’urbanisme de Neo Psychico. La troisième fut prononcée le 19 août 1993. Le 16 novembre 1989, le tribunal de première instance d’Athènes fixa à 732 300 000 drachmes l’indemnité provisoire due à raison de la première expropriation. La première expropriation fut annulée le 8 novembre 1991 par la cour d’appel d’Athènes, au motif qu’aucune indemnité n’avait été versée aux requérants dans le délai de dix-huit mois fixé par la Constitution. Cette expropriation demeura théoriquement en vigueur jusqu’à son annulation par le président de la région de l’Attique, le 2 juillet 2002. La deuxième expropriation ne fut pas annulée. La troisième fut annulée par un arrêt du Conseil d’Etat du 10 juillet 1995. Le 14 février 1997, la préfecture d’Athènes, répondant à une requête du deuxième requérant, l’informa qu’en vertu de la décision du 21 mai 1990, le terrain litigieux ne pouvait être utilisé qu’en vue de la réalisation d’un parc ou d’un parking souterrain de voitures. Le 17 octobre 1997, la préfecture de l’Attique de l’Est rejeta une demande du deuxième requérant tendant à l’obtention d’un permis de construire une aire de stationnement à ciel ouvert. Le même jour, ce dernier déposa une autre demande tendant à la délivrance d’un permis de construire un parking souterrain. Le 4 novembre 1997, la préfecture lui répondit que le parking serait construit par un organisme agréé après la clôture de la procédure d’expropriation. Le 7 mars 1997, les requérants introduisirent une requête devant la Cour. Celle-ci conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, au motif que les requérants avaient été privés de la jouissance de leur propriété, ainsi que de l’article 6 § 1 de la Convention, au motif que les autorités n’avaient pas expressément annulé la première expropriation et avaient donc failli à leur obligation de se conformer à l’arrêt de la cour d’appel du 8 novembre 1991. Par un second arrêt du 27 juin 2002 (satisfaction équitable), la Cour alloua aux requérants 3 850 000 EUR pour dommage matériel et 40 000 EUR pour préjudice moral (Pialopoulos et autres c. Grèce, no 37095/97, 15 février 2001 et Pialopoulos et autres c. Grèce (satisfaction équitable), no 37095/97, 27 juin 2002). Par une décision du 15 juillet 2002, le président de la région de l’Attique leva la charge qui grevait le terrain des requérants en annulant l’expropriation imposée en 1988 et le déclarant constructible à usage d’habitation seulement. Cette décision ne fit pas l’objet d’un recours administratif ou judiciaire. B. La procédure relative à l’expropriation ordonnée le 21 mai 1990 Le 29 janvier 2004, les requérants invitèrent la préfecture d’Athènes à déclarer nulle l’expropriation du 21 mai 1990, alléguant qu’une longue période de temps s’était écoulée et que, faute d’avoir été accompagnée des plans requis, cette mesure devait être invalidée. Après avoir obtenu l’aval du service juridique de la préfecture et du conseil de la politique d’urbanisme, le préfet décida d’engager la procédure d’annulation. Pour se prononcer ainsi, il avait notamment eu égard au fait que la municipalité de Neo Psychiko de disposait pas des fonds nécessaires pour indemniser les requérants. Le 17 janvier 2005, le préfet d’Athènes adopta une décision (publiée au Journal officiel du même jour) par laquelle il confirmait la levée d’office de l’expropriation faute d’indemnisation, modifiait en même temps le plan de la ville et fixait comme conditions de construction celles prévues pour l’ensemble du pâté des maisons. Il résultait implicitement de cette décision, qui renvoyait aux normes de construction existantes, que le terrain litigieux ne pouvait être utilisé que pour la construction de logements et non d’un centre commercial. Le 25 avril 2005, la municipalité de Neo Psychiko saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de cette décision, sollicitant et obtenant l’octroi de l’effet suspensif à son recours. Les intéressés intervinrent dans la procédure pour demander le maintien de la décision critiquée. Initialement fixée au 4 octobre 2006, l’audience fut reportée au 23 mai 2007, puis au 13 juin 2007, date à laquelle elle eut lieu. Par un arrêt no 289/2009 du 28 janvier 2009 (mis au net le 10 mars 2009), le Conseil d’Etat, sans mettre en cause la levée ipso jure de l’expropriation faute d’indemnisation, jugea que celle-ci ne rendait pas le bien constructible et que, en attendant l’achèvement des modifications du plan d’urbanisme de la ville, la question du statut du bien en cause n’était « pas réglée sur le plan urbanistique ». Il ajouta que l’administration n’était pas tenue de déclarer le terrain constructible et qu’elle devait en premier lieu rechercher s’il y avait des raisons objectives le rendant inconstructible, eu égard notamment aux caractéristiques du terrain et du secteur dans lequel il était situé (secteur à forte densité de population, secteur situé dans une région d’une grande beauté naturelle ou dans une région méritant une protection particulière) ainsi que des besoins urbanistiques du secteur et de l’aménagement du territoire. Il précisa que, une fois cet examen réalisé, il incombait à l’administration de décider si un terrain devait a) être exclu du plan d’urbanisme, b) se voir imposer une nouvelle charge au moyen d’une nouvelle expropriation ou c) être déclaré constructible. Le Conseil d’Etat releva que le terrain litigieux était situé dans un secteur où la construction était très dense et qu’il constituait un des derniers « poumons verts » de la commune. Il observa que la présence de nombreux centres commerciaux et de magasins dans les parages provoquait des problèmes de circulation très aigus. Il estima que, compte tenu de la situation du terrain et de son incidence sur la configuration du secteur, la modification du plan de la ville impliquait une intervention urbanistique ayant d’importantes conséquences sur l’aménagement territorial de la commune et sur la qualité de vie dans le secteur. Il en conclut qu’aucune entité administrative autre que le Président de la République ne pourrait procéder en l’occurrence à la modification du plan d’urbanisme de la ville. Annulant la décision du préfet, il renvoya l’affaire à l’administration en vue du règlement du statut urbanistique du terrain litigieux. Le 13 juillet 2010, les requérants demandèrent à l’administration de mettre en œuvre la procédure requise en vue de l’édiction d’un décret présidentiel. Par une lettre du 16 juillet 2010, la direction de l’urbanisme du ministère de l’Environnement invita la municipalité de Neo Psychiko à lui faire savoir, dans un délai de deux mois, si elle souhaitait toujours transformer le terrain en « espace vert » et, dans l’affirmative, à l’informer de sa capacité à dédommager les requérants. Elle lui précisa que, au cas où elle se trouverait dans l’incapacité de leur allouer une indemnité, elle devrait s’en expliquer et justifier de sa capacité à emprunter. Le décret présidentiel modifiant le plan de la ville et fixant l’usage et les limites à la construction du pâté de maisons incluant le terrain litigieux fut adopté le 5 octobre 2016. C. Les actions en dommages-intérêts exercées sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil Le 14 juin 2006, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une action en dommages-intérêts fondée sur les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil. Ils réclamaient 1 313 978,39 euros (EUR) en réparation du dommage subi à raison de la perte de l’usage de leur propriété du 1er janvier 2002 au 31 mai 2006, 910 000 EUR au titre du manque à gagner qui résultait de l’impossibilité pour eux de construire une aire de stationnement à ciel ouvert, et 100 000 EUR chacun pour préjudice moral. Par un jugement no 13538/2012 et par un arrêt no 5018/2014, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative respectivement déboutèrent les requérants. Le 24 décembre 2014, ceux-ci se pourvurent en cassation devant le Conseil d’Etat. L’audience, initialement fixée au 7 novembre 2016, fut reportée au 19 juin 2017. Le 15 juillet 2010, les requérants introduisirent devant le tribunal administratif d’Athènes une nouvelle action en dommages-intérêts, fondée sur les mêmes articles, en vue d’obtenir une indemnité de 4 377 238,22 EUR en réparation de préjudices prétendument subis du 1er juin 2006 au 30 juin 2010. Par un jugement no 3211/2012 et par un arrêt no 3436/2014, le tribunal administratif et la cour d’appel administrative respectivement déboutèrent les requérants. Le 10 novembre 2015, ceux-ci se pourvurent en cassation devant le Conseil d’Etat. L’audience, initialement fixée au 9 janvier 2017, fut reportée au 6 novembre 2017. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution Les articles pertinents de la Constitution se lisent ainsi : Article 17 « 1. La propriété est sous la protection de l’État, mais les droits qui en dérivent ne peuvent s’exercer au détriment de l’intérêt général. Nul n’est privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique dûment prouvée, dans les cas et de la manière prévus par la loi, et toujours moyennant une indemnité préalable et complète, qui doit correspondre à la valeur du bien exproprié au moment de l’audience sur sa fixation provisoire devant le tribunal de l’affaire. Dans le cas d’une demande pour la fixation directe de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du bien au moment de l’audience sur cette fixation devant le tribunal. Si l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, c’est la valeur au moment de l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive qui est prise en compte. La capacité à payer le montant de l’indemnité est spécialement justifiée par le jugement. À condition que le bénéficiaire y consente, l’indemnité peut également être payée en nature, spécialement sous la forme de l’attribution de la possession d’une autre propriété, ou de l’attribution de droits sur une autre propriété. Le changement éventuel de la valeur du bien exproprié, survenu après la publication de l’acte d’expropriation et dû exclusivement à celle-ci, n’est pas pris en compte. L’indemnité est dans tous les cas fixée par les tribunaux compétents. Elle peut être fixée même provisoirement par voie judiciaire, après audition ou citation de l’ayant droit, que le tribunal, à sa discrétion, peut obliger, en vue de l’encaissement de l’indemnité, à fournir un cautionnement correspondant à celle-ci, selon les modalités prévues par la loi. Une loi prévoit l’établissement d’une juridiction unique, nonobstant l’article 94, pour tous les litiges et les affaires d’expropriation, ainsi que pour le traitement des procès les concernant devant les tribunaux comme une question de priorité. La manière dont les procès en instance devant les tribunaux se déroulent, est réglée par la même loi. Jusqu’au paiement de l’indemnité provisoire ou définitive fixée par le tribunal, tous les droits du propriétaire restent intacts et l’occupation de la propriété n’est pas permise. Pour l’exécution de travaux de grande importance pour l’économie du pays, l’exécution des travaux avant la fixation et le paiement de l’indemnité peut être accordée par une décision spéciale du tribunal compétent pour fixer l’indemnité provisoire ou définitive, à condition qu’une partie raisonnable de l’indemnité soit payée et qu’une totale garantie soit prévue en faveur du bénéficiaire de l’indemnité, ainsi qu’il est prévu par la loi. La seconde partie du premier alinéa s’applique également à ces affaires. L’indemnité dont le montant est fixé par le tribunal est, dans tous les cas, payée au plus tard un an et demi après la date de publication de la décision du tribunal sur la fixation provisoire de l’indemnité, et en cas d’une demande pour la fixation de l’indemnité définitive, après la publication de la décision du tribunal, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. L’indemnité, en tant que telle, n’est soumise à aucune imposition, taxe ou retenue. (...) » Article 43 « 1. Le président de la République édicte les décrets nécessaires à l’exécution des lois, sans jamais pouvoir suspendre l’application des lois elles-mêmes, ni dispenser quiconque de leur exécution. Sur proposition du ministre compétent est permise l’édiction de décrets réglementaires en vertu d’une délégation législative spéciale et dans les limites de celle-ci. L’habilitation d’autres organes de l’administration à édicter des actes réglementaires est permise pour la réglementation de matières plus particulières ou d’intérêt local ou de caractère technique ou détaillé. (...) » L’approbation ou la modification des plans d’urbanisme et l’adoption des normes réglementaires régissant les conditions de construction relèvent de la compétence du Président de la République (arrêt du Conseil d’Etat no 963/2007). Par un arrêt no 3908/2007 rendu en formation plénière, le Conseil d’Etat d’État a jugé que la levée d’office d’une expropriation en cas de non versement de l’indemnité d’expropriation dans un délai d’un an et demi à compter de la publication de la décision du tribunal, s’appliquait aussi aux expropriations relatives au tracé du plan d’une ville. Il ressort aussi de la jurisprudence du Conseil d’État que les tracés du plan sont approuvés, modifiés ou étendus conformément à une procédure administrative qui aboutit à l’adoption d’un acte par l’autorité administrative compétente. Compte tenu de l’importance de cet acte et de son incidence sur l’intérêt général et sur les intérêts des propriétaires affectés, le principe de sécurité juridique impose l’adoption d’un nouvel acte au cas où le premier acte a été révoqué ou annulé (arrêt no 4586/2005 du Conseil d’État). Lorsqu’une expropriation est levée d’office en cas de non versement de l’indemnité d’expropriation, l’administration n’a pas l’obligation de rendre automatiquement le terrain constructible. Elle doit d’abord examiner s’il existe des motifs qui font obstacle à la construction. Elle doit, en outre, examiner les caractéristiques du terrain litigieux, les caractéristiques du secteur dans lequel ce terrain est situé ainsi que le cadre réglementaire applicable à ce secteur et les besoins liés à l’urbanisme du secteur, notamment celui de créer des espaces publics. Enfin, elle doit examiner la possibilité de procéder à une nouvelle expropriation et de verser sans tarder une indemnité au propriétaire affecté. La seule publication de la décision qui confirme la levée de l’expropriation n’entraîne pas la constructibilité du terrain. Le terrain reste « non réglé sur le plan urbanistique » et aucun permis de construire ne peut être accordé tant que le processus de modification du plan de la ville n’ait pas été achevé. B. La loi d’accompagnement du code civil Les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit : Article 105 « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes ou omissions illégaux de ses organes dans le cadre de l’exercice de la puissance publique, à moins que l’acte ou l’omission ne résulte de l’inobservation d’une disposition édictée dans l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » Article 106 « Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi à la responsabilité des collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. » L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil a introduit la notion d’acte dommageable spécial de droit public et a créé une responsabilité extracontractuelle de l’Etat du fait d’actes ou d’omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes en principe non exécutoires. La recevabilité de l’action en réparation est subordonnée à l’illégalité de l’acte ou de l’omission. Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs, l’administration peut engager sa responsabilité extracontractuelle lorsqu’elle dépasse les limites de son pouvoir discrétionnaire ou méconnaît les principes généraux de la bonne administration (voir, parmi d’autres, cour administrative d’appel d’Athènes, arrêts nos 1605/93 et 1427/1998, Dioikitiki Diki 1994, p. 369 et 1998, p. 963). La responsabilité extracontractuelle de l’administration est également engagée dans le cas où une charge grevant légalement une propriété constitue un obstacle important à la jouissance de celle-ci (Conseil d’Etat, arrêt no 2801/1991, formation plénière, Nomiko Vima 1992, p. 1091).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résident à Caltanissetta. Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain constructible de 3 690 mètres carrés sis à Canicattí et enregistré au cadastre, feuille 67, parcelles 12 et 14. Par un arrêté du 14 avril 1980, la municipalité de Canicattí approuva le projet de construction d’habitations à loyer modéré (HLM). Par un arrêté du 18 juin 1980, la municipalité de Canicattí autorisa l’Institut autonome de gestion des HLM (l’IACP) à occuper d’urgence le terrain des requérants, pour une période maximale de cinq ans, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique. Le 16 juillet 1980, il y eut occupation matérielle. Par un acte notifié le 11 janvier 1991, les requérants introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité de Canicattí et de l’IACP devant le tribunal d’Agrigente. Ils alléguaient que, bien que les travaux de construction effectués sur leur terrain aient transformé celui-ci, aucun décret d’expropriation et aucune indemnisation n’étaient intervenus. Se référant au principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita »), les requérants invitaient le tribunal à déclarer que la construction des HLM avait transformé leur terrain de manière irréversible. Ils réclamaient la valeur vénale du bien ; en outre ils réclamaient une réparation pour la non-jouissance du terrain pendant la période d’occupation autorisée. Au cours du procès, à une date non précisée, une expertise fut déposée au greffe. Il ressort de cette expertise que la transformation irréversible du terrain avait eu lieu au plus tard le 28 février 1982, à savoir à la date de la cessation de la période d’occupation légitime identifiée par l’expert. Par un jugement du 23 janvier 1997, le tribunal d’Agrigente constata que la réalisation des HLM avait entraîné le transfert de propriété du terrain à l’administration, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte. Toutefois le tribunal statua qu’aucun dédommagement n’était dû aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir en l’espèce à compter du 18 juin 1985. Par un acte notifié le 27 février 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Palerme. Au cours de la procédure, la cour d’appel ordonna une expertise. Selon l’expert, l’occupation légitime avait pris fin le 18 juin 1986, suite à l’application d’une prorogation d’un an. La valeur vénale du terrain à cette date était de 45,45 euros (EUR) le mètre carré (soit 167 710,50 EUR). Par un arrêt du 11 octobre 2002, la cour d’appel de Palerme releva que l’occupation légitime avait pris fin le 18 juin 1986 et considéra les requérants privés de leur bien à compter de cette date. Elle considéra également que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à partir de cette même date. Le recours ayant été introduit le 11 janvier 1991, elle estima que le droit des intéressés n’était pas prescrit. Par conséquent, en application de la loi no 662 de 1996, elle condamna la municipalité de Canicattí et l’IACP à verser aux requérants la somme de 92 316,67 EUR pour la perte de la propriété du terrain, plus réévaluation jusqu’à la date de l’arrêt, ainsi que 25 177,27 EUR à titre d’indemnité d’occupation temporaire. Cet arrêt est devenu définitif le 12 janvier 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita ») Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], §§ 18-48 no 58858/00, 22 décembre 2009. B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 (dits également les « arrêts jumeaux » – sentenze gemelle) la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions en matière d’indemnité d’expropriation contenues dans le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, dans la loi no 662 de 1996 et dans le décret du président de la République no 327 du 8 juin 2001. En particulier, dans l’arrêt no 349 la Cour constitutionnelle a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 § 1 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales. Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise. Cette disposition a été appliquée à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement avait été acceptée ou était devenue définitive.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Villepinte. Le 2 octobre 2007, les gendarmes de la brigade de recherches de Saint-Germain-en-Laye, qui enquêtaient sur des faits de vol et de recel de vol, découvrirent, de manière incidente dans un box appartenant à E.C., 324,71 kg de cannabis et un véhicule portant une fausse plaque d’immatriculation. Une enquête de flagrance fut immédiatement ouverte par le parquet de Versailles. Le 5 octobre suivant, le parquet de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Paris se saisit de l’affaire. Le 6 octobre 2007, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ouvrit une information pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Le requérant fut mis en cause début 2009 en raison de l’identification de son A.D.N. présent sur une paire de gants découverte sur le toit du véhicule placé dans le box. Le 15 juin 2009, le juge d’instruction délivra un mandat d’arrêt international contre le requérant et une autre personne, D.K. Les enquêteurs cherchèrent à localiser le requérant. Ils constatèrent qu’il était totalement inconnu des services fiscaux et qu’il avait donné comme adresse celle de ses parents pour deux comptes bancaires dont il avait disposé, ainsi que pour sa carte de résident, son permis de conduire et pour l’immatriculation d’un véhicule. Les enquêteurs se rendirent deux fois à cette adresse. Le 7 août 2009 l’appartement était vide et le 5 mars 2010, seul un frère du requérant était présent. Celui-ci déclara que le requérant avait quitté ce domicile depuis deux ans. Un procès-verbal versé au dossier relate l’audition du père et d’un autre frère du requérant, qui eut lieu le 29 mars 2010. Le père indiqua que le 5 mars 2010, lors de la visite domiciliaire, il était parti à la mosquée. L’officier de police judiciaire procédant à l’audition leur dit que le requérant faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international qu’il leur montra, ce qu’ils déclarèrent tous deux ignorer. Ils précisèrent ne pas savoir où se trouvait le requérant et ne pas avoir de moyen de le joindre. Toutefois, le père dit que, s’il recevait des nouvelles de son fils, il en tiendrait informées les autorités de police et il ajouta : « (...) je peux lui faire transmettre votre numéro de téléphone ». Pour sa part, le frère du requérant fit la réponse suivante : « Oui, si je le vois, je lui dirai d’aller voir mon père. » Le 12 août 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel à l’encontre du requérant, qui n’avait pas été localisé, de K.C., détenu, et de E.C., placé sous contrôle judiciaire. E.C. bénéficia d’un non-lieu, K.C. et le requérant furent renvoyés en jugement pour importation, trafic, acquisition et détention de stupéfiants non autorisés, ainsi que participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit puni de dix ans de détention. L’audience eut lieu devant le tribunal de grande instance de Paris le 21 septembre 2010. Le requérant ne comparaissant pas, le tribunal constata que la citation ne lui avait pas été délivrée en personne et qu’il n’était pas établi qu’il en ait eu connaissance. Il statua donc par défaut à son encontre. Dans son jugement du 24 septembre 2010, le tribunal estima que l’implication du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés reposait sur la découverte de son ADN sur une paire de gants retrouvée dans le box où était entreposée la résine de cannabis. Il releva que celui-ci était déjà, à l’époque des faits, impliqué dans deux autres procédures en rapport avec des trafics de stupéfiants et qu’il n’avait pas été possible de l’entendre dans le cadre de ce dossier, compte tenu de sa situation de fuite. Le tribunal déclara le requérant coupable des faits reprochés, à l’exception de l’importation de stupéfiants insuffisamment caractérisée à son encontre. Il le condamna à cinq ans de prison et délivra un mandat d’arrêt à son encontre le 28 septembre suivant. Le mandat d’arrêt fut exécuté le 14 février 2011 par l’interpellation du requérant. Il donna l’adresse de ses parents comme adresse personnelle et fit, le même jour, opposition au jugement du 23 septembre 2010. Le 17 février 2011, le débat contradictoire eut lieu devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris. Le requérant et son avocat furent entendus. Le requérant déclara qu’il ne savait pas qu’il était recherché, que s’il avait eu connaissance de cette procédure, il se serait présenté à l’audience, qu’il ne connaissait pas les personnes impliquées dans ce dossier, qu’il ne se serait pas caché et qu’il aurait été relaxé car il était innocent. À l’issue de ce débat, le juge ordonna le placement du requérant en détention provisoire. Il nota que celui-ci avait déjà été condamné à plusieurs reprises et estima qu’un placement sous contrôle judiciaire ne pouvait mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement et garantir le maintien du requérant à la disposition de la justice. L’audience devant le tribunal de grande instance de Paris eut lieu le 5 juillet 2011. Dans ses conclusions, l’avocat du requérant demanda l’annulation de la procédure et de l’intégralité des actes ayant découlé de la perquisition. Il exposa que le requérant avait régulièrement fait opposition au jugement et qu’il avait le droit d’invoquer des nullités du dossier de l’instruction car il n’avait pu être entendu dans le cadre de l’information. Il souligna que le requérant n’avait pas été formellement mis en examen et n’avait jamais reçu notification de l’avis de fin d’information prévu par l’article 175 du code de procédure pénale. Il ajouta que la jurisprudence selon laquelle il se déduit de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’a pas la qualité de partie au sens de l’article 175 du même code n’était pas applicable en l’espèce. En effet, le requérant n’était pas en fuite puisqu’il ne savait pas qu’il était recherché. Dans son jugement du 8 juillet 2011, le tribunal rappela qu’il est de jurisprudence constante « qu’il se déduit de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’a pas la qualité de partie au sens de l’article 175 dudit code (...). Il s’ensuit que si elle est arrêtée après que le juge d’instruction l’ait renvoyée devant le tribunal correctionnel, elle ne peut se prévaloir des dispositions du troisième alinéa de l’article 385 dudit code pour exciper devant cette juridiction d’une quelconque nullité d’actes de l’information, l’ordonnance de renvoi ayant comme le prévoit l’article 179 du même code, purgé, s’il en existait, les vices de la procédure (Cour de cassation – chambre criminelle du 3 avril 2007). » Le tribunal nota encore que les enquêteurs avaient immédiatement cherché à localiser le requérant. Ils avaient interrogé les services fiscaux, le fichier national des comptes bancaires et le fichier national des permis de conduire. Toutes les recherches avaient montré que le requérant n’avait donné qu’une adresse, au moins jusqu’en 2005, celle de ses parents. Un premier transport sur les lieux, le 7 août 2009 n’avait pas permis de le retrouver, personne n’étant présent dans l’appartement. Le 5 mars 2010, lors d’une perquisition au domicile, seul un frère du requérant était présent. Il déclara que le requérant n’était pas là et qu’il avait quitté le domicile deux ans auparavant. Interrogé, le père indiqua qu’il n’avait pas de nouvelles de son fils depuis deux ans, qu’il ne connaissait pas sa vie privée et qu’il avait de la famille au Maroc. Un autre de ses frères répondit de manière similaire. À l’audience, le requérant déclara ne pas avoir su qu’il était recherché. Il indiqua vivre chez son amie, à Saint Ouen, mais ne voulut pas donner son nom et son adresse. Il avait travaillé de 2007 à 2009 de manière non déclarée. Il ajouta ne pas être fâché avec sa famille et passer régulièrement la voir. Le tribunal releva également que, lors de son interpellation en 2011, le requérant avait donné l’adresse de ses parents. Il conclut qu’il ressortait de l’ensemble de ces éléments que le requérant avait toujours habité chez ses parents, qu’il disait avoir continué à les voir et que ces derniers, comme ses frères, savaient qu’il était recherché. Dès lors, il estima que le requérant ne pouvait pas ignorer qu’il était recherché et qu’il s’était donc volontairement enfui afin de se soustraire à la justice. Dans ces conditions, il n’était pas recevable à soulever des nullités de la procédure d’instruction. Sur le fond, le tribunal releva qu’il ressortait des éléments de la procédure que, si le requérant avait mis sa main dans le gant retrouvé sur le toit du véhicule en y laissant son ADN, aucune circonstance de temps et de lieu ne pouvait être précisée concernant ces agissements. En effet, il n’existait pas d’élément justifiant qu’il se soit rendu dans le box pour manipuler la drogue. En conséquence, il le relaxa des faits de transport, de détention et d’acquisition de produits stupéfiants. Concernant les faits de participation à une association de malfaiteurs, le tribunal considéra qu’aucun élément d’enquête ne démontrait que le requérant avait connaissance de participer à un trafic de stupéfiants en vendant le véhicule, même si à l’audience, il avait pu affirmer qu’il aurait pu vendre le véhicule en sachant que ce dernier allait servir à transporter des produits stupéfiants. En conséquence, le tribunal le relaxa également de ce chef de prévention. Le requérant et le ministère public firent appel de cette décision, le requérant limitant l’objet de ce recours au rejet de ses conclusions de nullité. In limine litis, le conseil du requérant déposa des conclusions aux fins de l’annulation de la procédure en faisant valoir que, contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal, le requérant était recevable à soulever la nullité de l’intégralité de la procédure dans la mesure où il n’avait jamais été en fuite, puisqu’à aucun moment il n’avait été informé des recherches le concernant ou de la fin de l’information conformément à l’article 175 du code de procédure pénale. Il invoqua l’article 6 de la Convention et demanda à la cour d’appel de déclarer ses conclusions aux fins d’annulation recevables. À titre principal, le requérant sollicita l’annulation de l’intégralité de la procédure en raison du fait que la résine de cannabis et les gants supportant son ADN avaient été découverts de manière incidente dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire concernant l’instruction d’une affaire de vol et de recel. Or, aucune copie de la procédure initiale n’avait pu être jointe au dossier de sa propre affaire. Il soutint dès lors qu’il avait été privé de la possibilité de contester la régularité d’une procédure susceptible de porter atteinte à ses intérêts et que devait être prononcée l’annulation de l’intégralité des actes accomplis dans le cadre de cette commission rogatoire, ainsi que de tous les actes le concernant jusqu’à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et le titre de détention. À titre subsidiaire, le requérant demanda l’annulation du scellé de la paire de gants et de tous les actes et pièces dont il constituait le support nécessaire, notamment les rapports d’expertise, le réquisitoire définitif et l’ordonnance de renvoi le concernant. Il souligna que la perquisition qui avait mené à la découverte de ces gants avait été effectuée en violation des dispositions du code de procédure pénale puisque ni le propriétaire ni le locataire n’étaient présents sur les lieux, les gendarmes étant entrés seuls dans le box. Après avoir retracé les faits et la procédure, la cour d’appel se prononça sur les conclusions du requérant. Elle rappela qu’il était de jurisprudence constante qu’il se déduisait de l’article 134 du code de procédure pénale qu’une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’avait pas la qualité de partie au sens de l’article 175 dudit code. Dès lors, si la personne concernée était arrêtée après avoir été renvoyée par le juge d’instruction devant le tribunal correctionnel, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 385 § 3 pour exciper devant cette juridiction d’une quelconque nullité d’actes de l’information, l’ordonnance de renvoi ayant, conformément à l’article 179 du même code, purgé, s’il en existait, les vices de la procédure. La cour d’appel nota ensuite que le requérant avait été identifié début 2009 et que les enquêteurs avaient immédiatement cherché à le localiser, la seule adresse qu’il avait donnée étant celle de ses parents, où il n’avait pas été trouvé. Elle ajouta que lors de la perquisition du 5 mars 2010, un frère du requérant avait déclaré que celui-ci avait quitté le domicile depuis deux ans. Elle releva enfin que le père du requérant avait indiqué ne pas avoir de nouvelles de son fils depuis deux ans, mais « qu’il lui ferait savoir qu’il était recherché s’il le voyait » et qu’un autre frère avait répondu de manière similaire. Lors de son interpellation le 14 février 2011, le requérant avait également donné l’adresse de ses parents comme son adresse personnelle. La cour considéra qu’il résultait de ces éléments que le requérant ne pouvait ignorer qu’il était recherché et qu’il s’était mis volontairement en fuite afin de se soustraire à la justice. Elle estima dès lors, qu’étant en fuite, le requérant n’était pas recevable à soulever les nullités de la procédure d’instruction et confirma le jugement sur ce point. Sur le fond, la cour d’appel considéra que les faits étaient établis à l’encontre du requérant, dont l’ADN avait été retrouvé à l’intérieur de la paire de gants déposée sur le toit de la voiture entreposée dans un box où avaient été saisis 324,71 kg de cannabis. Elle estima que les déclarations du requérant selon lesquelles il avait acheté des gants avant de livrer le véhicule qu’il avait volé, après l’avoir conduit pendant un mois, étaient dénuées de toute crédibilité comme celles d’un témoin qu’il avait cité et qui avait déclaré avoir assisté à la transaction portant sur le véhicule et connaître de vue le requérant. La cour d’appel nota que, dans ses précédentes déclarations, il avait toujours affirmé jusque devant le tribunal le 21 septembre 2010 qu’il ne connaissait pas le requérant et n’avait jamais parlé de l’origine du véhicule ni de la transaction à laquelle il avait assisté. Elle estima que la présence des gants portant à l’intérieur l’ADN du requérant et déposés sur le toit du véhicule, stationné dans un box où plus de 300 kg de résine de cannabis avaient été saisis, démontrait suffisamment que le requérant s’était servi de gants, qu’il n’était pas étranger à la découverte de la drogue dans le box où se trouvait également le véhicule volé et qu’il avait participé au trafic. Elle infirma le jugement de première instance et déclara le requérant coupable de transport, détention, acquisition de stupéfiants et de participation à une association de malfaiteurs. Elle le condamna à cinq ans d’emprisonnement, ordonna son placement en détention et la confiscation des scellés. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il invoqua notamment l’article 6 de la Convention en dénonçant une entrave disproportionnée aux droits de la défense en raison du refus qui lui avait été opposé de soulever des nullités de l’instruction. Dans des observations complémentaires, l’avocat du requérant invoqua expressément l’arrêt Abdelali (Abdelali c. France, no 43353/07, 11 octobre 2012) en soulignant que la solution adoptée par la Cour était parfaitement transposable au cas d’espèce. Dans son avis rendu le 19 décembre 2012, l’avocat général se prononça en faveur d’un contrôle de la notion de fuite et de l’expression du caractère volontaire de la soustraction à la procédure. Il estima que les constatations des juridictions du fond paraissaient insuffisantes pour caractériser le fait que le requérant était informé de la procédure et des recherches conduites à son encontre, l’idée qu’il aurait pu être informé par sa famille étant une hypothèse et non une certitude. Il se prononça donc en faveur d’une cassation sur ce moyen. Dans son arrêt du 16 janvier 2013, la Cour de cassation considéra qu’en statuant comme elle l’avait fait, la cour d’appel avait justifié sa décision, dès lors que, d’une part, en application de l’article 385 alinéa 1er du code de procédure pénale, la juridiction correctionnelle, saisie par une ordonnance de renvoi, n’a pas qualité pour constater les nullités de la procédure antérieure et que, d’autre part, le requérant qui n’ignorait pas qu’il était recherché, s’était mis volontairement en fuite afin de se soustraire à la justice et ne pouvait donc bénéficier des autres dispositions de cet article. Elle ajouta que le requérant avait été mis en mesure de discuter, devant la juridiction de jugement, la valeur probante de l’ensemble des éléments réunis contre lui. Elle rejeta donc le pourvoi. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les articles pertinents du code de procédure pénale sont cités dans l’arrêt Abdelali c. France, précité, §17. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 2014 (no14-80.254), s’est prononcée sur le pourvoi d’un demandeur qui avait pris la fuite après l’interpellation d’autres personnes mises en cause comme lui dans un trafic de cannabis. Il avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt et avait été renvoyé, ainsi que cinq autres personnes, devant le tribunal correctionnel. Ce dernier, statuant par défaut, l’avait condamné à une peine d’emprisonnement assortie de la délivrance d’un nouveau mandat d’arrêt. Le demandeur ayant formé opposition à cette décision, le tribunal estima que les faits déférés sous la qualification d’infractions à la législation sur les stupéfiants étaient de nature à entraîner une peine criminelle pour avoir été commis en bande organisée. Il renvoya le ministère public à se pourvoir et décerna un mandat de dépôt criminel à l’encontre du prévenu qui fit appel de ce jugement et se pourvut ensuite en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Dans son arrêt, la Cour de cassation releva que, pour déclarer irrecevables les exceptions de nullité soulevées par le prévenu visant l’ordonnance de soit communiqué et le réquisitoire définitif, la cour d’appel avait rappelé les multiples investigations entreprises pour tenter de retrouver l’adresse de l’intéressé qui avait pris la fuite à la suite de l’interpellation des premiers mis en cause et qui avait déclaré une fausse identité lors de la notification du mandat d’arrêt décerné contre lui. Elle estima que la juridiction correctionnelle, saisie par une ordonnance de renvoi, n’a pas qualité pour constater les nullités de la procédure antérieure et que le prévenu, dont il est établi qu’il avait connaissance de ce qu’il était recherché, et qui a pris la fuite afin de se soustraire à l’action de la justice ne peut donc bénéficier des dispositions de l’article 175 du code de procédure pénale, mais sera en mesure de discuter contradictoirement, devant la juridiction de jugement, la valeur probante de l’ensemble des éléments réunis contre lui.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1963 et réside à Bruxelles. A. La perquisition litigieuse Le 13 juin 2005, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles délivra un mandat de perquisition afin de : « procéder à une perquisition à l’adresse 53 rue des [E.], 1080 Molenbeek-Saint-Jean, où résiderait le dénommé [J.R.], dans le but d’y rechercher et de saisir tous les éléments et/ou objets qui ont trait à la participation à une organisation criminelle et traite d’êtres humains ». L’immeuble d’habitation sis au 53 rue des E. comporte dix appartements distincts sur quatre étages. L’appartement de J.R. se trouve au rez-de-chaussée, celui de la requérante au deuxième étage. Le 17 juin 2005, des officiers de police judiciaire procédèrent à la perquisition dans l’appartement de J.R. Ils effectuèrent également un contrôle d’identité de l’ensemble des habitants de l’immeuble et constatèrent que le nom de la requérante apparaissait dans le dossier pénal dans le cadre duquel ils avaient obtenu le mandat de perquisition. Les officiers décidèrent alors de leur propre chef de procéder à la perquisition de l’appartement de la requérante. Ils y saisirent des notes, des cahiers, de l’argent, des téléphones portables, des passeports et d’autres documents. B. L’instruction et le règlement de la procédure Le 17 juin 2005, suite à la perquisition litigieuse, la requérante fut privée de sa liberté et présentée au juge d’instruction qui, le même jour, délivra un mandat d’arrêt à son encontre et procéda à sa mise en accusation pour avoir participé à une organisation criminelle et pour avoir usé de manœuvres frauduleuses pour faire entrer ou séjourner un étranger dans le Royaume. La requérante rapporte que, lors des interrogatoires de police, elle fut confrontée aux éléments de preuve obtenus lors de la perquisition, ce qui l’amena à avouer les faits reprochés. Le 6 décembre 2005, à l’audience de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles sur le règlement de la procédure, la requérante excipa de la nullité de tous les actes d’instruction en raison de l’illégalité de la perquisition effectuée sans mandat. Elle demanda l’écartement des débats des éléments du dossier recueillis lors de la perquisition. Le même jour, la chambre du conseil rejeta la demande de la requérante et la renvoya devant le tribunal correctionnel. La chambre du conseil considéra que la perquisition était régulière, eu égard à l’article 88 du code d’instruction criminelle (« CIC »), qui prévoyait qu’une perquisition pouvait avoir lieu dans d’autres lieux que le domicile de l’inculpé (paragraphe 20, ci-dessous). Le 21 décembre 2005, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma la décision de la chambre du conseil. Elle estima notamment que le mandat de perquisition avait été délivré pour tout l’immeuble sis à l’adresse indiquée et qu’il ne se limitait pas au logement de J.R. Les services de police avaient dès lors agi dans les limites du mandat en perquisitionnant le logement de la requérante. Le 21 février 2006, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 21 décembre 2005 en raison de l’absence de réponse, par la chambre des mises en accusation, à un moyen soulevé par la requérante, et renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles autrement composée. Le 10 mai 2006, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata que la perquisition du domicile de la requérante était irrégulière en ces termes : « Tout en tenant compte du fait qu’une perquisition est ordonnée concernant un logement et non concernant une personne, la mention [dans le mandat de perquisition] relative au séjour du dénommé [J.R.] constitue une limitation de l’adresse indiquée, étant donné que cette mention serait superflue si le juge d’instruction n’avait pas eu pour intention de limiter le mandat de perquisition au logement de cette personne. Cette intention ressort d’ailleurs clairement des éléments de l’instruction préalables audit mandat. Il ressort des constatations des enquêteurs qui ont effectué la perquisition qu’il y avait plusieurs logements à l’adresse indiquée dans le mandat : l’un d’eux, au rez-de-chaussée, est le logement occupé par le dénommé [J.R.] ; un autre, au second étage, est le logement occupé par [la requérante]. Pour ce dernier logement, aucun mandat de perquisition n’a été délivré et [la requérante] n’a pas consenti à la perquisition. Nonobstant l’irrégularité de la perquisition du logement occupé par [la requérante] et des saisies effectuées à cette occasion, il n’y a pas lieu, dans l’état actuel de la procédure, de conclure à la nullité des actes d’instruction ou d’écarter des pièces du dossier. » La chambre des mises en accusation estima en effet que l’irrégularité de la perquisition et le fait de ne pas écarter ses résultats du dossier n’empêchaient pas qu’un procès équitable puisse être garanti à la requérante. Pour cela, la chambre des mises en accusation prit en compte le fait que l’irrégularité n’était pas prescrite à peine de nullité par une loi, qu’elle n’avait pas été commise intentionnellement, qu’elle n’entachait pas la fiabilité des preuves ainsi recueillies, que la requérante était poursuivie pour des faits très graves, que les éléments recueillis ne concernaient que des preuves matérielles et qu’il y avait d’autres éléments à charge pouvant mener à la déclaration de culpabilité de la requérante. Cette dernière fut donc renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de traite d’êtres humains, participation à une organisation criminelle, recel et falsification d’un passeport. C. La procédure devant les juridictions du fond Dans ses conclusions devant les juridictions du fond, la requérante demanda notamment que les éléments de preuve recueillis au cours de la perquisition irrégulière soient écartés des débats. Le 28 juin 2006, le tribunal correctionnel de Bruxelles déclara la requérante coupable des faits qui lui étaient reprochés et la condamna à une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 10 000 euros (EUR). Le tribunal considéra qu’il n’y avait pas lieu d’exclure les éléments de preuve obtenus par la perquisition irrégulière pour les mêmes raisons que celles exposées par la chambre des mises en accusation dans son arrêt du 10 mai 2006. S’agissant du grief de la requérante tiré de l’absence de recours pour redresser la violation de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile, le tribunal correctionnel indiqua que la requérante pouvait introduire une action en réparation contre l’État en application de l’article 1382 du code civil. Pour fonder sa conviction, le tribunal tint compte des éléments de preuve obtenus lors de la perquisition litigieuse ainsi que d’autres éléments obtenus régulièrement, notamment des écoutes téléphoniques, les résultats d’une filature, ainsi que les déclarations et aveux de la requérante. Le 21 novembre 2006, la cour d’appel de Bruxelles confirma le jugement du tribunal correctionnel en tous points. La requérante se pourvut en cassation. Le 13 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Selon la Cour de cassation, il ne pouvait être déduit ni de l’article 6 ou de l’article 8 de la Convention, ni d’aucune disposition constitutionnelle ou légale que les preuves obtenues en méconnaissance d’un droit fondamental étaient toujours inadmissibles. Sauf dans les cas où une disposition conventionnelle, constitutionnelle ou légale prévoyait elle-même les conséquences juridiques à tirer d’une méconnaissance de formes prescrites par la loi, il revenait au juge de décider des conséquences à tirer de cette irrégularité. La circonstance que la formalité dont la méconnaissance était constatée concernait notamment un des droits fondamentaux garantis par les articles 6 et 8 de la Convention n’y dérogeait pas. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La protection du domicile et le mandat de perquisition L’inviolabilité du domicile est garantie par l’article 15 de la Constitution ainsi libellé : « Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. » Concernant la perquisition, les dispositions pertinentes du code d’instruction criminelle (« CIC ») se lisent comme suit : Article 87 « Le juge d’instruction se transportera, s’il en est requis, et pourra même se transporter d’office dans le domicile de l’inculpé, pour y faire la perquisition des papiers, effets, et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. » Article « Le juge d’instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu’on aurait caché les objets dont il est parlé dans l’article précédent. » Article 89bis « Le juge d’instruction peut déléguer, pour procéder à la perquisition et à la saisie, un officier de police judiciaire de son arrondissement ou de l’arrondissement où les actes doivent avoir lieu. [...] Il donne cette délégation par ordonnance motivée et dans les cas de nécessité seulement. Toute subdélégation est interdite. » B. L’admissibilité de preuves obtenues de manière irrégulière À l’époque des faits, les dispositions pertinentes du CIC se lisaient comme suit : Article 131 « § 1er. La chambre du conseil prononce, s’il y a lieu, la nullité de l’acte et de tout ou partie de la procédure subséquente lorsqu’elle constate une irrégularité, une omission ou une cause de nullité affectant : 1o un acte d’instruction; 2o l’obtention de la preuve. § 2. Les pièces déclarées nulles sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, s’il n’y a pas eu d’appel dans le délai prévu à l’article 135. » Article 235bis « § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d’office. § 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine. § 3. Lorsque la chambre des mises en accusation contrôle d’office la régularité de la procédure et qu’il peut exister une cause de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle ordonne la réouverture des débats. § 4. La chambre des mises en accusation entend, en audience publique si elle en décide ainsi à la demande de l’une des parties, le procureur général, la partie civile et l’inculpé en leurs observations. § 5. Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l’article 131, § 1er, ou relatives à l’ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l’être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l’appréciation de la preuve ou qui concernent l’ordre public. Il en va de même pour les causes d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, sauf lorsqu’elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l’égard des parties qui ne sont appelées dans l’instance qu’après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l’article 131, § 2, ou au § 6 du présent article. § 6. Lorsque la chambre des mises en accusation constate une irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l’article 131, § 1er, ou une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle prononce, le cas échéant, la nullité de l’acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure. Les pièces annulées sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, après l’expiration du délai de cassation. » Pour un historique de la jurisprudence belge relative à l’admissibilité de preuves irrégulièrement obtenues, voir l’arrêt Lee Davies c. Belgique (no 18704/05, §§ 23-29, 28 juillet 2009). Depuis son arrêt du 14 octobre 2003 dit « Antigone », la Cour de cassation considère qu’un élément de preuve obtenu de manière irrégulière ne doit pas nécessairement être écarté. Le juge ne peut écarter une preuve irrégulière, outre le cas de la violation d’une forme prescrite à peine de nullité, que lorsque son obtention est entachée d’un vice de nature à lui ôter sa fiabilité ou à compromettre le droit à un procès équitable. Dans ces cas, il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité de la preuve obtenue illicitement en tenant compte des circonstances de la cause. Il peut donc, dans certaines circonstances, admettre la preuve obtenue illicitement (Cass., 14 octobre 2003, Pas., 2003, no. 499 ; Cass., 23 mars 2004, Pas., 2004, no. 165 ; Cass., 2 mars 2005, Pas., 2005, no. 130 ; Cass., 8 novembre 2005, Pas., 2005, no. 576 ; Cass., 31 octobre 2006, Pas., 2006, no. 535 ; Cass., 21 novembre 2006, Pas., 2006, no. 581 ; Cass., 5 juin 2012, Pas., 2012, no. 363). S’il n’est pas établi que l’illégalité entache la fiabilité de la preuve ou compromet le droit à un procès équitable, le juge ne peut pas écarter la preuve obtenue illicitement (Cass., 12 octobre 2005, Pas., 2005, no. 503 ; Cass., 4 décembre 2007, Pas., 2007, no. 613 ; Cass., 3 avril 2012, Pas., 2012, no. 214). Par un arrêt du 27 juillet 2011, no. 139/2011, la Cour constitutionnelle a considéré que des dispositions légales qui subordonnent l’obtention d’éléments de preuve à certaines conditions, dans l’interprétation selon laquelle l’obtention d’éléments de preuve dans des circonstances ne satisfaisant pas aux conditions prévues n’entraîne pas nécessairement la nullité de la preuve ainsi obtenue, ne violent pas certains articles de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 § 1 et 8 de la Convention. La Cour constitutionnelle s’est ainsi ralliée à la jurisprudence de la Cour de cassation. La loi du 24 octobre 2013 modifiant le titre préliminaire du code de procédure pénale en ce qui concerne les nullités y a inséré un article 32 consacrant la jurisprudence développée par la Cour de cassation en ces termes : « La nullité d’un élément de preuve obtenu irrégulièrement n’est décidée que si : - le respect des conditions formelles concernées est prescrit à peine de nullité, ou ; - l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve, ou ; - l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. » C. L’action en réparation fondée sur une faute L’article 1382 du code civil se lit comme suit : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Hasan Tunç, Memiş Tunç et Mehmet Tunç, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1935, en 1946 et en 1948 et résidant à Ankara. En 1946, la mère des requérants, décédée en 1994, vendit deux biens immobiliers se trouvant à Serik, référencés comme étant les parcelles nos 47 et 49, à İ.Y., l’un de ses deux fils nés de son premier mariage. En 1950, İ.Y. transféra la propriété de la moitié desdits biens à son frère M.Y., né également de ce premier mariage. Les deux biens furent ainsi inscrits sur le registre foncier au nom des deux demi-frères des requérants. Le 1er novembre 1996, les requérants saisirent le tribunal de grande instance de Serik (« le tribunal ») d’une demande en annulation du titre de propriété de la parcelle no 47 et réclamèrent des parts de succession sur ce bien. Le 17 avril 1997, ils engagèrent devant le tribunal une autre action par laquelle ils réitéraient leur précédente demande et formulaient une demande similaire quant à la parcelle no 49. Ils indiquaient que la valeur des biens était de 13 000 000 livres turques (TRL). Ils soutenaient que les transactions effectuées par leur mère et par leurs demi-frères concernant ces parcelles étaient en réalité une « vente simulée » ayant eu pour but de les empêcher d’hériter de ces biens au décès de leur mère. Ils alléguaient également que, pour les mêmes motifs, M.Y. avait ensuite procédé, sous l’apparence d’une vente, à une cession de ses parts sur la parcelle no 47 au profit de sa bellefille. À une date non précisée, le tribunal décida de joindre les deux actions en raison de leur connexité en fait et en droit. Le 11 novembre 1998, le tribunal procéda à une visite des lieux en vue d’une estimation de la valeur des biens faisant l’objet du litige. Selon un rapport d’expertise établi le 30 novembre 1998, la valeur totale des parcelles s’élevait à 5 450 625 000 TRL à la date de l’introduction de l’action des requérants. Le 10 février 1999, le tribunal demanda aux requérants de payer une somme supplémentaire pour compléter les frais de justice en proportion de la valeur des biens objet du litige établie par le rapport d’expertise. Le 12 février 1999, les requérants payèrent la somme supplémentaire de 49 056 000 TRL pour les frais de justice. Le tribunal tint une trentaine d’audiences au cours desquelles il entendit les témoins et recueillit les preuves présentées par les parties. Le 28 mai 2003, le tribunal rejeta la demande des requérants. Pour ce faire, il tint compte du contenu du dossier et des dépositions des témoins, et il jugea que les intéressés n’étaient pas parvenus à prouver que leur de cujus avait effectué une donation déguisée dans le but de les écarter de la succession. Le 1er septembre 2003, les requérants se pourvurent en cassation en sollicitant la tenue d’une audience. Le 29 avril 2004, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué. Elle rejeta aussi la demande des requérants quant à la tenue d’une d’audience publique au motif que la valeur des biens litigieux n’atteignait pas le seuil minimum exigé par la loi en la matière. Le 21 juin 2004, les requérants introduisirent un recours en rectification d’arrêt. Par un arrêt du 1er novembre 2004, la Cour de cassation rejeta le recours en question au motif que la valeur des biens litigieux n’atteignait pas le seuil requis par la loi pour le dépôt d’un tel recours, à savoir 150 000 000 TRL, à la date d’introduction de l’action concernée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 440 de la loi no 1086 sur la procédure civile, abrogé par la loi no 25606 du 7 octobre 2004 (l’abrogation de cet article est devenue effective au 1er juin 2005), il n’était pas possible d’introduire un recours en rectification d’arrêt contre les arrêts de la Cour de cassation relativement aux affaires dont l’objet du litige avait une valeur inférieure à 150 000 000 TRL au 20 juin 1996. La loi no 4146 du 20 juin 1996 a porté la valeur de l’objet du litige applicable en la matière à 300 000 000 TRL à partir du 1er janvier 1998, puis à 600 000 000 TRL à partir du 1er janvier 2000. L’article 435 de la loi no 1086 sur la procédure civile, tel qu’il était applicable à l’époque des faits, prévoyait que, si l’une des parties le demandait, la Cour de cassation pouvait tenir une audience lors de la procédure de pourvoi en cassation dans les affaires qui étaient relatives à une créance ou à un bien et dont l’objet du litige avait une valeur supérieure à 10 000 000 000 TRL.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976. Il est actuellement incarcéré à la prison de Nigrita, à Serres. Par un arrêt du 24 juillet 2013, la cour d’appel criminelle de Thessalonique condamna le requérant pour participation à une association de malfaiteurs à une peine de réclusion de huit ans, que l’intéressé purgea à compter du 23 décembre 2013. Par un arrêt du 4 juin 2015, la même juridiction condamna à nouveau le requérant, notamment à une peine de réclusion de dix-sept ans et neuf mois. Entre-temps, le 22 août 2014, le requérant avait sollicité un nouveau calcul de sa peine, sur le fondement de l’article 105 § 7 du code pénal (CP). À la suite de cette demande, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Serres avait ordonné une expertise, à l’issue de laquelle il avait été constaté que l’intéressé présentait un taux d’invalidité de 70 % en raison de différents problèmes orthopédiques. Sur ce fondement, par une décision du 16 juin 2015, le procureur superviseur de la prison de Nigrita accueillit la demande du requérant, décidant qu’un jour de détention équivalait à deux jours de peine purgée. A. Les conditions de détention à la prison de Nigrita selon la version du requérant Le requérant indique souffrir, en plus de ses problèmes orthopédiques, d’une hépatite, d’un syndrome d’irritation intestinale et d’une pharyngite. Il lui serait impossible de se tenir debout, de marcher et d’effectuer les tâches de la vie quotidienne. Le requérant affirme qu’il est détenu dans une cellule surpeuplée, sale, mal aérée et mal éclairée et qu’il reçoit une nourriture grasse qui ne serait pas adaptée à son état de santé. Il déclare que, en dépit de son invalidité à 70 %, l’établissement pénitentiaire ne lui permet pas un accès constant à une infirmière et que, de surcroît, il n’est pas adapté à la détention des personnes présentant, comme lui, une invalidité (il n’existerait pas de toilettes aménagées et de rampes murales dans la prison, et la fourniture d’eau chaude serait limitée au regard de ses besoins). B. Les conditions de détention à la prison de Nigrita selon la version du Gouvernement Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention à la prison de Nigrita. Cet établissement pénitentiaire se compose de cinq ailes ayant chacune une capacité de 120 détenus. Sa capacité maximale s’élève donc à 600 personnes. Actuellement, trois de ces cinq ailes sont opérationnelles et aucune d’entre elles ne connaît de dépassement de sa capacité. Depuis le début de sa détention, le requérant occupe la cellule no 9 de l’aile C, d’une superficie de 14 m², qu’il partagerait avec un autre détenu. Cette superficie inclut un espace douche/WC de 2 m² séparé par une porte. La cellule comprend trois lits, trois casiers, trois chaises et deux poubelles, dont l’une se trouverait dans l’espace douche/WC. L’eau chaude est fournie tous les jours de la semaine, à raison de trois heures par jour (une heure le matin, une heure à midi et une heure le soir). Chaque cellule est chauffée au moyen d’un chauffage central. La lumière naturelle est assurée par une fenêtre mesurant 1 m x 1,20 m. À leur admission à la prison, les détenus reçoivent des produits d’hygiène personnelle (dentifrice, brosse à dents, savon, shampoing). Les déchets sont ramassés quotidiennement, et des opérations de désinsectisation des lieux de détention sont régulièrement menées. Les draps et les couvertures des détenus sont nettoyés une fois par semaine. Un dispensaire encadré par un infirmier fonctionne en permanence au sein de la prison. Un médecin généraliste du système national de santé effectue cinq visites par jour. Chaque nouveau détenu admis est soumis à un contrôle médical, et un contrôle a lieu en cas de problèmes sanitaires au sein de la population carcérale. En ce qui concerne les activités récréatives, les détenus peuvent regarder la télévision ou écouter la radio. Ils ont en outre la possibilité d’acheter des journaux et des magazines ou d’emprunter des livres à la bibliothèque de la prison. Ils peuvent aussi pratiquer des activités physiques et jouer au basket-ball et au volley-ball dans les différentes cours de la prison (chaque aile disposant d’une cour), d’une superficie de 508 m². Le matin, les cellules restent ouvertes de 8 heures à 12 h 30 et les cours de 8 h 30 à 12 h 15. L’après-midi, les cellules et les cours restent ouvertes de 15 heures à 19 h 45. Enfin, le Gouvernement produit plusieurs certificats médicaux émis par des médecins ou des hôpitaux. D’après ces documents, le requérant a subi des examens à de nombreuses reprises pendant sa détention. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à son arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, §§ 62-67, 12 décembre 2013). Plus particulièrement, l’article 110A §§ 1 et 2 du CP (tel que modifié par la loi no 4356/2015) prévoit ce qui suit : « 1. La libération conditionnelle est accordée, indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106, si le condamné a développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise, s’il souffre d’une insuffisance rénale chronique nécessitant une hémodialyse à intervalles réguliers ou d’une tuberculose résistant au traitement, s’il est tétraplégique, s’il a subi une greffe du foie ou du cœur ou une opération du cerveau, s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité d’un taux supérieur à 67 %, ou si, ayant dépassé l’âge de quatre-vingts ans, il souffre de démence sénile. La libération conditionnelle est également accordée, indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106, dans les cas suivants, lorsqu’une peine privative de liberté temporaire a été imposée : a) aux condamnés ayant un taux d’invalidité de 50 %, s’il est jugé que leur séjour dans l’établissement pénitentiaire devient particulièrement problématique en raison de la perte d’autonomie et b) aux condamnés ayant un taux d’invalidité supérieur ou égal à 67 %. En cas de réclusion temporaire, il faut que le condamné ait déjà purgé un cinquième de sa peine. » Il ressort d’un document portant sur la capacité de toutes les prisons sur le territoire grec et le nombre de détenus au 1er avril 2014, adressé au Parlement par le ministère de la Justice dans le cadre du contrôle parlementaire, que la prison de Nigrita, d’une capacité de 360 détenus, en accueillait 362 à la date susmentionnée. III. LES CONSTATS DU COMITé EUROPéEN POUR LA PRéVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DéGRADANTS (CPT) Dans son rapport du 1er mars 2016, établi à la suite de sa visite du 14 au 23 avril 2015, le CPT relevait que la répartition des détenus entre les prisons restait inégale : par exemple, trois prisons (Chania, Domokos et Nigrita) fonctionnaient seulement à la moitié de leur capacité et disposaient d’environ 1 000 places non utilisées.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972 et réside à Catane. Le 5 septembre 2004 naquit A., la fille du requérant et de son épouse, C.C. À une date non précisée en 2006, le couple se sépara. Dès son départ, C.C. manifesta une forte opposition à toute relation entre le requérant et A., âgée alors de deux ans. Le 13 juin 2006, le tribunal de Catane (ci-après « le tribunal pour enfants ») confia la garde de l’enfant conjointement aux deux parents, fixa sa résidence chez C.C. et accorda au requérant un droit de visite et d’hébergement. Le 26 septembre 2007, C.C. demanda que le requérant fût déchu de son autorité parentale car elle le soupçonnait de s’être livré à des attouchements sexuels sur leur fille. Le 3 octobre 2007, C.C. déposa une plainte contre le requérant pour attouchements sexuels sur l’enfant. Le 14 décembre 2007, le tribunal pour enfants suspendit les rencontres entre le requérant et l’enfant dans l’attente de l’expertise qui devait être menée sur la mineure et son père et de l’aboutissement de l’enquête pénale portant sur les attouchements sexuels allégués. Le 5 décembre 2008, le procureur demanda au juge chargé de l’enquête préliminaire (« le GIP ») de classer la plainte. Il soulignait en particulier que rien ne pouvait être reproché au requérant et que l’enfant avait été entendue deux fois avec l’aide d’une neuropsychiatre. Par une décision du 26 mars 2009, le tribunal pour enfants, en se basant sur l’expertise menée sur la mineure et le requérant, décida que celuici pouvait à nouveau rencontrer l’enfant et lui téléphoner, après avoir relevé que cette dernière était très contente de voir son père. Le 23 avril 2009, C.C. introduisit un recours devant la section des mineurs de la cour d’appel contre la décision du tribunal pour enfants du 26 mars 2009. Elle demandait que la tenue des rencontres eût lieu en milieu protégé. Elle réitérait ses accusations d’attouchements sexuels sur l’enfant et sollicitait une nouvelle expertise. Le 7 mai 2009, le GIP classa la plainte de C.C. En septembre 2009, la cour d’appel fit droit à la demande de C.C. Elle ordonna ainsi que les rencontres eussent lieu en milieu protégé. Elle demanda également la réalisation d’une nouvelle expertise technique sur le requérant et l’enfant. Enfin, elle chargea les services sociaux d’observer le lien existant entre le père et la fillette, de déposer un rapport à ce sujet et d’établir si l’enfant avait des attitudes ou des comportements résultant de possibles abus sexuels. Selon le rapport d’expertise déposé en 2011, il n’y avait pas d’éléments qui pouvaient donner lieu à penser à des abus sexuels. D’après l’expert, les soupçons d’attouchements sexuels étaient attribuables à des angoisses et craintes de C.C., qui aurait été blessée après avoir été abandonnée par le requérant. L’expert concluait dans le sens d’un rapprochement entre ce dernier et l’enfant. Par une décision du 29 juillet 2011, la cour d’appel, sans prendre en considération l’expertise susmentionnée, établie dans un sens favorable au requérant, décida d’interdire tout contact entre l’enfant et les grands-parents paternels et de restreindre le droit de visite du requérant, portant le nombre de rencontres à une par semaine, en milieu protégé, jusqu’à ce que l’enfant atteignît l’âge de dix ans. La décision était principalement motivée par des soupçons, exprimés par la mère de l’enfant, que le requérant et les grandsparents paternels s’étaient livrés à des attouchements sexuels sur la mineure. Le 12 décembre 2011, le requérant demanda au tribunal pour enfants de réformer la décision de la cour d’appel. Par une décision du 10 juillet 2012, le tribunal rejeta la demande du requérant et se déclara incompétent. Le 6 septembre 2012, le requérant demanda à la cour d’appel de l’autoriser à rencontrer l’enfant dans un endroit plus proche de son domicile. Cette demande fut rejetée le 27 novembre 2012. Le 11 novembre 2013, saisi à nouveau par le requérant, le tribunal de Catane reconnut d’abord sa compétence pour toutes les questions concernant la garde de l’enfant et le droit de visite. Ensuite, après avoir examiné toutes les expertises déposées depuis 2007 et observé qu’aucune atteinte à l’état psychique de l’enfant ne pouvait être relevée, il ordonna la reprise de rencontres libres, hors milieu protégé, entre le requérant et la fillette. Le 18 novembre 2013, C.C. interjeta appel de la décision du tribunal. Le 17 décembre 2013, la cour d’appel rejeta le recours et établit que le tribunal de Catane était la seule juridiction compétente. Par une décision du 12 juin 2015, le tribunal de Catane prononça la séparation de corps entre le requérant et C.C. En se basant sur le rapport d’expertise déposé en 2011, le tribunal déclara que l’enfant, qui désormais avait plus de dix ans, avait subi un préjudice très grave en raison de l’altération de la relation avec son père, ses grands-parents paternels et son demi-frère, né entre-temps. Selon lui, la décision de la cour d’appel du 29 juillet 2011 était due à une appréciation erronée de l’expertise et était basée sur des arguments non pertinents. Par conséquent, le tribunal décida de confier la garde de l’enfant conjointement aux deux parents, et il octroya au requérant un droit de visite et d’hébergement. Enfin, le tribunal indiqua que, en cas de non-respect de ces prescriptions par la mère, il modifierait sa décision concernant la garde de l’enfant en fixant la résidence principale de celle-ci chez le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no 53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Monterosi. Le requérant, pilote d’avion, est le père de deux enfants, G.I. et D.A., nés respectivement en 2002 et en 2004 de la relation avec Mme C.L.M., ressortissante américaine. Le 24 janvier 2007, l’ex-compagne du requérant quitta l’Italie avec ses enfants et se rendit aux États-Unis. Le 12 février 2007, le requérant saisit les autorités judiciaires d’une demande visant au retour des enfants. Une procédure pour enlèvement international d’enfants fut ouverte à l’encontre de C.L.M. Le 27 mai 2007, le tribunal de Phoenix ordonna le retour des enfants et ces derniers revinrent en Italie avec leur mère. Il ressort du dossier que, par la suite, par un arrêt du 23 janvier 2014, le tribunal de Viterbo a condamné C.L.M. pour enlèvement d’enfants à la peine de onze mois de réclusion. Par une ordonnance du 30 septembre 2008, le tribunal pour enfants de Rome (« le tribunal ») confia la garde des enfants à la mère et autorisa le père à les rencontrer selon les modalités fixées par les services sociaux. Par une ordonnance du 11 novembre 2008, le tribunal confirma l’attribution de la garde des enfants à la mère et le droit de visite du père. Le requérant fit appel de l’ordonnance du tribunal devant la cour d’appel de Rome. Celle-ci ordonna une expertise visant à vérifier la capacité du requérant et de C.L.M. à exercer leur rôle de parents. Le 26 mai 2009, l’expert déposa son rapport. Il ressort de ce dernier que les deux parents avaient une bonne relation avec les enfants, mais que des graves tensions existaient entre eux. Par une décision du 9 février 2010, la cour d’appel, tenant compte des indications de l’expert ainsi que des difficultés liées à la profession du requérant, confia la garde des enfants aux services sociaux avec maintien du placement au domicile de la mère et accorda au requérant le droit de visite pour deux week-ends par mois et un après-midi par semaine. Le 7 mars 2011, le requérant porta plainte contre C.L.M. pour soustraction d’enfants, au motif qu’elle s’était éloignée du lieu de résidence avec les enfants. Le même jour, C.L.M. porta plainte contre le requérant pour attouchements sexuels sur D.A. À partir de cette date, pendant un an environ, le requérant ne rencontra pas ses enfants. Le 10 mars 2011, le procureur souligna que, en raison des comportements des parents, les mineurs étaient exposés à une situation de stress très grave et il demanda la suspension provisoire de l’autorité parentale des deux parents. Le 19 avril 2011, le tribunal accueillit la demande de suspension de l’autorité parentale des deux parents et ordonna le placement provisoire des enfants dans une structure des services sociaux. Il ressort du dossier que, le 3 mai 2011, le tribunal a ordonné le placement des enfants chez leur mère. Une expertise fut ordonnée par le tribunal afin de vérifier si D.A. avait effectivement été victime d’attouchements sexuels. Le 20 septembre 2011, le médecin rendit son rapport et affirma que D.A. ne présentait aucun signe de violence sexuelle. En septembre 2011, C.L.M. déposa une nouvelle plainte à l’encontre du requérant pour attouchements sexuels sur G.I. Le 7 octobre 2011, le tribunal ordonna la mise en place de rencontres entre le requérant et ses enfants en présence des assistants sociaux. Les rencontres eurent lieu seulement à partir du 11 mars 2012, à savoir cinq mois plus tard. Entre le 11 mars et le 20 juillet 2012, le requérant a rencontré ses enfants douze fois, toujours en présence des assistants sociaux. Le 30 juillet 2012, les services sociaux déposèrent au greffe du tribunal le rapport concernant le déroulement des rencontres. Il ressort du rapport que les enfants étaient dans une situation de stress, que la mère était un obstacle au rétablissement des rapports avec le père et que ce dernier avait des difficultés à gérer le comportement des enfants. Les services sociaux suggérèrent une psychothérapie pour les enfants. En octobre 2012, le parquet demanda au juge des investigations préliminaires (« le GIP ») le classement des deux plaintes déposées à l’encontre du requérant. Entre le 20 juillet 2012 et janvier 2013, le requérant n’a jamais rencontré ses enfants. Il ressort du dossier que les rencontres n’ont pas été réalisées en raison du refus des enfants et du manque de coopération de C.L.M. À une date non précisée, le requérant porta plainte contre son ex-compagne pour attouchements sexuels sur les enfants. Par une décision du 12 décembre 2012, le tribunal pour enfants estima que des mesures de nature à permettre d’établir la relation existant entre les enfants et leur père étaient nécessaires. Il indiqua que, bien que le maintien du placement des enfants au domicile de leur mère ne fût pas souhaitable en raison du dénigrement du père par la mère, leur éloignement de la mère aurait constitué une mesure trop dure pour les enfants. Pour ces motifs, il maintint le placement des enfants chez leur mère, ordonna à cette dernière d’exécuter les décisions du tribunal et celles des services sociaux, et autorisa les rencontres, en présence des assistants sociaux, entre le père et les enfants. Le tribunal ordonna enfin que les rencontres eussent lieu avec ou sans l’approbation des enfants, estimant que ces derniers pouvaient être conditionnés par le comportement de la mère. Le requérant affirme avoir rencontré ses enfants quatre ou cinq fois entre janvier et mars 2013. À la suite de la demande du parquet visant au classement de la plainte pour attouchements sexuels, le 19 avril 2013 le GIP demanda au parquet de poursuivre l’enquête et de formuler le chef d’accusation à l’encontre du requérant pour attouchements sexuels. Le 29 mai 2013, le requérant fut renvoyé devant le juge de l’audience préliminaire (« le GUP »). Le 19 novembre 2013, le tribunal pour enfants chargea le tuteur d’organiser des rencontres entre le requérant et les enfants en raison de la nécessité de renforcer leurs liens. Le 30 janvier 2014 fut émis le décret de fixation de l’audience préliminaire, qui devait se tenir le 17 mars 2014. Le 5 mai 2014, le requérant fut acquitté pour le chef d’attouchements sexuels. Le 11 juin 2014, le tribunal de Rome rejeta la demande du requérant visant à ce que C.L.M. fût déchue de son autorité parentale, confia la garde des enfants conjointement aux deux parents, fixa la résidence principale des enfants chez la mère et attribua au requérant un droit de visite tous les week-ends. Le 14 juillet 2014, C.L.M. demanda que les rencontres libres entre le requérant et les enfants fussent subordonnées au suivi d’une thérapie de couple. Le requérant, quant à lui, demanda que les enfants ne fussent pas confiés à C.L.M., que l’autorité parentale de celle-ci fût suspendue et qu’un jour par semaine fût fixé pour un projet visant à un rapprochement entre lui-même et ses enfants avec l’aide d’un thérapeute. Par une décision du 23 septembre 2014, la cour d’appel suspendit les rencontres libres du samedi et du dimanche et chargea les services sociaux d’établir un nouveau calendrier des rencontres (en fixant au minimum une rencontre par semaine dans un lieu neutre) ayant pour but de rétablir, dès que possible, des rencontres libres. Elle ordonna aux parents d’entreprendre, dans l’intérêt des enfants, un parcours thérapeutique destiné à leur permettre de surmonter les graves dissensions les opposant, et ce de préférence en commun, ou sinon individuellement auprès d’une structure indiquée par les services sociaux ou choisie d’un commun accord avec eux. Selon la cour d’appel, il fallait tenir compte de l’état psychologique des enfants, de la complexité de la situation et du conflit déchirant les parents, ainsi que de la longue interruption des relations entre le père et les enfants et du mal-être de ces derniers. Le 16 janvier 2015, un rapport des services sociaux concernant le déroulement des rencontres fut déposé. Selon ce rapport, les enfants étaient opposés à l’idée de rencontrer le requérant. Toujours selon le rapport, G.I. avait trouvé sur Internet des nouvelles relatives à son histoire, qui auraient été publiées par le requérant et puis effacées par la police, et elle était très en colère contre son père. Par une décision du 20 janvier 2015, la cour d’appel, eu égard au rapport des services sociaux et à la nécessité de comprendre les raisons réelles pour lesquelles les enfants faisaient montre d’une attitude négative envers leur père, confirma la décision du 23 septembre 2014, et demanda aux services sociaux d’agir urgemment et d’accélérer le démarrage du parcours thérapeutique prévu dans sa décision du 23 septembre 2014 (paragraphe 34 ci-dessus). En 2015, le requérant rencontra G.I. dix-sept fois et D.A. quinze fois. Il ressort d’un rapport des services sociaux du 8 janvier 2016 que, pendant les dernières rencontres de décembre 2015, D.A. semblait en régression et avait manifesté une grande agressivité à l’encontre du requérant, alors que G.I. avait eu une attitude d’ouverture envers son père. Le 9 mai 2016, un rapport des services sociaux fut déposé. Ce rapport indiquait que la relation entre G.I. et le requérant s’était un peu améliorée, alors que les rapports avec D.A. étaient toujours très tendus en raison des accusations de l’enfant quant à des attouchements sexuels par son père. Selon le rapport, l’attitude de C.L.M. et de son compagnon tendant à diaboliser et à dénigrer le requérant nuisait à ce dernier. Toujours selon le rapport, la loyauté des enfants envers leur mère les empêchait de se rapprocher de leur père. Enfin, selon le rapport, aucune possibilité de rapprochement entre le requérant et D.A n’était envisageable à ce momentlà. Par une décision du 7 juin 2016, la cour d’appel de Rome, se basant sur les rapports des services sociaux et prenant en considération la complexité de la situation, l’intensité du conflit existant entre les parents et leur incapacité à faire des choix communs concernant les enfants, annula sa précédente décision et confia la garde des enfants aux services sociaux avec fixation de leur résidence principale chez la mère. La cour d’appel somma la mère de ne pas monter les enfants contre le requérant. S’agissant des rencontres, elle annula sa précédente décision et chargea les services sociaux de prévoir un soutien personnalisé pour que D.A. pût renouer au plus vite des liens avec le requérant. Quant aux rencontres avec G.I., elle chargea les services sociaux de prévoir et d’organiser d’abord des rencontres en présence d’une personne des services sociaux pour finalement parvenir à des rencontres libres. Le requérant affirme avoir rencontré D.A. la dernière fois le 21 avril 2016 et G.I. le 22 juin 2016. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no53377/13, §§ 73-78, 23 juin 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1967 et réside à Tarnene. A. Les trois premières condamnations de la requérante Par une décision définitive du 8 mai 2000, le tribunal de district de Stara Zagora approuva un accord passé entre le parquet et la requérante d’après lequel celle-ci reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à son encontre et se voyait infliger une peine d’emprisonnement de dix mois avec sursis. En 2001, à une date non communiquée, le tribunal de district de Sofia condamna la requérante à un an d’emprisonnement. Cette condamnation devint définitive le 28 février 2002. Entre-temps, par un jugement du 3 septembre 2001, le tribunal de district de Pavlikeni avait reconnu la requérante coupable d’escroquerie sur dix-sept personnes et l’avait condamnée à trois ans et six mois d’emprisonnement. Sur la base des preuves recueillies, le tribunal de district établissait que, pendant la période comprise entre février et juin 1999, la requérante s’était fait passer pour une intermédiaire en recrutement auprès des victimes et avait obtenu différentes sommes d’argent de leur part contre la promesse de trouver, à celles-ci ou à leurs proches, un emploi en Espagne. Ce jugement devint définitif en décembre 2002. Par la suite, le tribunal de district de Pavlikeni décida de cumuler la peine qu’il avait infligée à la requérante dans le cadre de cette procédure avec les peines que la requérante s’était vu infliger par les tribunaux de district de Stara Zagora et Sofia. La requérante purgea sa peine à la prison de Sliven et fut libérée le 25 août 2003. B. La quatrième procédure pénale contre la requérante Dans l’intervalle, une autre procédure pénale pour escroquerie avait été ouverte contre la requérante le 11 février 1999. La requérante n’ayant été retrouvée à aucune de ses adresses connues des autorités, cette procédure fut suspendue en décembre 2004. Les organes de l’enquête pénale lancèrent un avis de recherche au niveau national. La requérante indique avoir appris par hasard l’existence de cette procédure pénale au début de l’année 2005 et s’être rendue de sa propre initiative, le 12 janvier 2005, au commissariat de police no 1 de Pleven (« le commissariat »). Le Gouvernement expose que la requérante a été retrouvée et conduite au commissariat par les forces de l’ordre, sans pour autant préciser à quelle date et en quel endroit elle aurait été arrêtée. D’après les pièces du dossier pénal, le 12 janvier 2005, un enquêteur du commissariat a informé la requérante de l’existence d’une enquête policière menée à son encontre depuis 1999 sur la plainte de deux particuliers, M.K. et R.I. Toujours selon ces documents, ceux-ci reprochaient à la requérante de leur avoir soustrait frauduleusement de l’argent contre la promesse, qualifiée de fallacieuse, de leur trouver un emploi en Espagne. Le jour en question, la requérante prit connaissance des documents du dossier pénal. Interrogée par l’agent enquêteur, elle reconnut les faits reprochés et se dit prête à rembourser les sommes obtenues de M.K. et R.I. Elle expliqua avoir signalé à l’enquêteur en charge de l’affaire relative à la première procédure pénale pour escroquerie diligentée contre elle que ces deux personnes figuraient parmi les victimes. Ainsi, selon elle, sa condamnation précédente couvrait les faits susmentionnés et elle avait déjà purgé une peine d’emprisonnement. La requérante déclara encore qu’elle donnerait des explications détaillées devant les tribunaux à un stade ultérieur de la procédure. Le 18 février 2005, la requérante fut de nouveau convoquée au commissariat. À cette occasion, les charges pesant à son encontre furent précisées et elle prit encore une fois connaissance des pièces du dossier. Le même jour, la requérante fut à nouveau interrogée par l’enquêteur : elle réitéra sa déposition du 12 janvier 2005, reconnut être coupable des faits reprochés, expliqua qu’elle exposerait davantage d’arguments devant le tribunal et se déclara prête à négocier les termes de sa condamnation avec le parquet. La requérante ne fut pas placée en détention et put quitter le commissariat. La requérante affirme avoir laissé à l’enquêteur son adresse à Sofia, ainsi que son numéro de portable et le numéro de téléphone de son employeur à Sofia. Elle dit aussi avoir expliqué qu’elle passait ses weekends chez son compagnon, un dénommé K.S.K., à Tarnene, un village situé à environ 12 kilomètres de Pleven. Dans les procès-verbaux rédigés par l’enquêteur les 12 janvier et 18 février 2005, seuls une adresse postale à Sofia, un numéro de téléphone portable, mis à disposition par son employeur, et un numéro de téléphone fixe figuraient comme coordonnées de la requérante. Ultérieurement, à une date non communiquée, le parquet de district de Pleven dressa un acte d’accusation à l’encontre de la requérante, pour des faits qui auraient été commis entre septembre et décembre 1998, et il saisit le tribunal de district de la même ville. La requérante se voyait reprocher d’avoir fait croire à M.K. et R.I. qu’elle leur trouverait un emploi en Espagne, en contrepartie de la somme de 682 660 anciens levs bulgares, et d’avoir ainsi escroqué ces personnes. La première audience devant le tribunal de district de Pleven eut lieu le 15 juin 2005, en l’absence de la requérante. Le tribunal constata que cette dernière n’avait pas reçu la citation à comparaître parce qu’elle n’avait pas été retrouvée à son adresse à Sofia figurant dans l’acte d’accusation. Le tribunal ajourna l’audience et demanda à la municipalité de Sofia et à la direction régionale de la police de Pleven d’effectuer des recherches dans leurs bases de données afin d’établir les adresses actuelle et permanente de la requérante et de déterminer si celle-ci avait quitté le territoire du pays. Il fut également demandé au Service national de l’instruction et à la Direction nationale des établissements pénitentiaires d’établir si la requérante se trouvait dans un des établissements pénitentiaires placés sous leurs responsabilités respectives. Par la suite, à trois reprises – le 25 octobre 2005, le 30 janvier 2006 et le 21 avril 2006 –, le tribunal de district de Pleven reporta l’audience pour cause d’absence de la requérante. Ces reports furent suivis de nouvelles démarches aux fins de localisation et de convocation de la requérante : les autorités cherchèrent à établir les autres adresses connues de la requérante et de la convoquer à celles-ci, les autorités pénitentiaires furent contactées afin d’établir si la requérante n’était pas emprisonnée ou détenue, les autorités chargées de la surveillance des postes de frontière furent sollicitées afin d’établir si la requérante n’avait pas quitté le pays. À l’issue de ces démarches, le tribunal constata que la requérante n’avait pas quitté le pays et qu’elle n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire. Il observa aussi que la requérante n’avait pas été retrouvée à une deuxième adresse connue à Sofia, ni à une autre adresse, à Troyan, qui figurait comme étant la sienne dans le registre de la population. Dans ces conditions, le tribunal de district décida de poursuivre la procédure pénale en l’absence de l’accusée, comme le lui permettait l’article 269, alinéa 3, point 1, du code de procédure pénale (CPP). Il commit un avocat d’office à la requérante. À l’audience du 20 février 2007, le tribunal de district de Pleven interrogea les témoins et reçut un rapport d’expertise. L’avocate de la requérante ne posa aucune question aux témoins. Dans sa plaidoirie, elle admit que les faits reprochés à l’accusée étaient bien établis et qu’ils justifiaient l’imposition d’une peine d’emprisonnement ferme compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce. Elle indiqua également que sa cliente n’avait pas fait obstruction à l’enquête pénale et elle pria le tribunal de lui imposer une peine clémente. Par un jugement du même jour, le tribunal de district reconnut la requérante coupable des faits reprochés et la condamna à quatre ans d’emprisonnement. Aucun appel n’ayant été introduit dans les quinze jours suivant le prononcé du jugement, celui-ci devint définitif. Le 11 mai 2007, statuant sur la proposition du parquet de district de Pleven, le tribunal de district de la même ville décida la confusion de cette peine avec celle déjà purgée par la requérante en 2003. En application de cette décision, la requérante devait purger effectivement une peine de dix mois d’emprisonnement. C. L’arrestation de la requérante, son recours en réouverture de la procédure pénale et son séjour à la prison de Sliven L’arrestation de la requérante et la demande de réouverture de la procédure pénale Le 11 novembre 2006, la requérante donna naissance à une fille, à Pleven, qu’elle indique avoir allaitée. À cette époque, elle vivait chez son compagnon, à Tarnene. Le 3 mai 2007, les autorités lancèrent un avis de recherche de la requérante au niveau national. Aux dires de la requérante, le 23 mai 2007, deux agents de police se sont rendus à son domicile commun avec K.S.K., à Tarnene. Ils l’y auraient retrouvée, l’auraient informée de sa condamnation à une peine d’emprisonnement par un jugement définitif et l’auraient arrêtée pour l’amener à la prison de Sliven. La requérante fut conduite à cet établissement ce jour-là. Le 13 juillet 2007, elle saisit la Cour suprême de cassation d’une demande de réouverture de la procédure pénale, en vertu de l’article 423, alinéa 1, du CPP, motivée par sa non-participation à l’examen de son affaire pénale. Le 25 octobre 2007, la Cour suprême de cassation rejeta le recours de la requérante. La haute juridiction relevait que celle-ci avait été informée de l’existence de la procédure pénale en cause le 12 janvier 2005, puisqu’il s’agissait de la date à laquelle elle avait été interrogée par un policier enquêteur et avait reconnu les faits. Elle estimait que, dans ces circonstances, la requérante ne pouvait pas raisonnablement espérer que les poursuites fussent abandonnées. Elle observait que, au stade de l’examen de son affaire pénale par les tribunaux, la requérante n’avait pas été retrouvée à son adresse connue et que le tribunal de district de Pleven avait fait toutes les démarches nécessaires afin de la localiser et d’assurer sa comparution : elle notait ainsi qu’il avait été établi que la requérante n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire, qu’elle se trouvait sur le territoire du pays et qu’elle n’avait pas déclaré un changement d’adresse auprès de l’administration responsable du registre de la population. Selon la haute juridiction, tous ces éléments corroboraient la conclusion selon laquelle la requérante avait essayé de se soustraire à la justice. La Cour suprême de cassation en tirait la conclusion que l’accusée s’était elle-même mise dans l’impossibilité de participer à son procès pénal par son comportement fautif et qu’il y avait dès lors lieu de rejeter sa demande de réouverture de la procédure pénale. Le séjour de la requérante à la prison de Sliven Après l’incarcération de la requérante à la prison de Sliven, sa fille, alors âgée de six mois, resta avec son père et les autres proches de la requérante. Le régime pénitentiaire imposé à la requérante lui permettait un séjour à domicile pendant deux jours consécutifs tous les mois, ainsi que deux visites au parloir par mois. La requérante profitait de ces occasions pour rencontrer les membres de sa famille et pour s’occuper de sa fille mineure. Le 30 mai 2007, elle demanda au procureur régional de Sliven de suspendre l’exécution de sa peine pour lui permettre d’élever sa fille. Sa demande fut rejetée le 22 juin 2007 au motif que l’enfant était élevée par son père et par les autres proches parents de la requérante. L’ordonnance du procureur régional fut confirmée par la suite par les procureurs hiérarchiquement supérieurs de celui-ci. En août 2007, au cours d’un de ses séjours à domicile, la requérante fut hospitalisée dans un hôpital civil pour une crise de néphrolithiase (calculs rénaux). À son retour en prison, elle sollicita la suspension de l’exécution de sa peine pour des raisons médicales. Sa demande fut rejetée au motif que ses troubles de santé n’étaient pas une maladie grave et qu’elle pouvait recevoir un traitement à l’hôpital de Sliven ou à l’hôpital pénitentiaire de Sofia. La requérante s’adressa à l’Agence pour la protection de l’enfant pour se plaindre de sa séparation d’avec son enfant mineure. Cette agence gouvernementale saisit la Direction nationale des établissements pénitentiaires. Par une lettre du 26 septembre 2007, le directeur général de cette dernière informa l’agence susmentionnée et la requérante des résultats d’une enquête menée par ses services, exposés comme suit : la requérante bénéficiait régulièrement de séjours à domicile et de visites au parloir et elle pouvait ainsi entretenir des relations avec sa fille ; l’enfant vivait avec son père et était élevée par celui-ci ; et la requérante pouvait demander auprès de l’administration pénitentiaire que son enfant fût admise à la crèche de la prison de Sliven. En octobre 2007, la requérante demanda à nouveau la suspension de l’exécution de sa peine pour pouvoir s’occuper de son enfant et, à titre subsidiaire, sa libération anticipée. Le 5 novembre 2007, le procureur régional de Sliven rejeta sa demande. Il relevait que la requérante bénéficiait régulièrement de séjours à domicile, que l’enfant était élevée par son père et que la requérante avait omis de demander l’admission de sa fille à la crèche de la prison de Sliven. Il estimait qu’il n’y avait pas non plus de circonstances justifiant la libération anticipée de la requérante. Le 28 janvier 2008, la requérante bénéficia de la possibilité de travailler en prison. Elle fut libérée le 15 mars 2008. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En vertu de l’article 269, alinéa 3, point 1 du code de procédure pénale (CPP), les tribunaux peuvent examiner une affaire pénale en l’absence de l’accusé si celui-ci n’est pas retrouvé à l’adresse indiquée par lui ou s’il a quitté celle-ci sans en aviser les autorités compétentes. Dans ces cas-là, les tribunaux sont tenus de commettre un défenseur d’office à l’accusé (article 94, alinéa 1, point 8 du CPP). L’article 423, alinéa 1 du CPP, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, permettait à la personne condamnée par défaut de demander la réouverture de la procédure pénale si elle n’était pas au courant de l’existence d’une procédure pénale menée à son encontre. La demande devait être adressée à la Cour suprême de cassation, qui l’examinait en audience publique (article 424 du CPP). Si la haute juridiction décidait d’accueillir la demande, elle renvoyait l’affaire pour réexamen au stade auquel le procès par défaut avait commencé (article 425, alinéa 2 du CPP). L’article 447 du CPP permet au procureur de suspendre temporairement l’exécution de la peine d’emprisonnement lorsqu’une détenue donne naissance à un enfant ou pour d’autres raisons d’ordre familial. L’article 32, alinéa 2 de l’ancienne loi sur l’exécution des peines, en vigueur à l’époque des faits, permettait l’admission d’un enfant à la crèche de la prison où la mère de celui-ci purgeait sa peine d’emprisonnement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Istanbul. Il est le propriétaire et le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Azadiya Welat. A. La requête no 48583/07 Le 26 avril 2003, Azadiya Welat publia un article en langue kurde annoncé à la une sous le titre « La déclaration de solution du conseil du KADEK pour la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie » (JiKonseya Serokatiye Kadek’ê bo Tirkiye, Iraq, Iran û SuriyeDanezana Careseriyĕ) et intitulé en pages intérieures « La déclaration de solution du KADEK » (JiKADNEK’e Danezana Careseriyĕ). Il s’agissait d’une déclaration émanant d’une organisation illégale armée, le KADEK (Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan). Les parties pertinentes en l’espèce de cette déclaration se lisent ainsi : « Déclaration du conseil du KADEK (...) Après la guerre d’Irak, un processus nouveau et différent a commencé. Dans celuici, le Moyen-Orient se trouve face à une alternative : la guerre ou la paix. (...) Si les problèmes ne sont pas résolus par la voie pacifique, l’option de la guerre entre en jeu. (...) Si ceux qui s’opposent à une solution n’écoutent pas les peuples, ils deviendront les esclaves des réactionnaires. La chute du régime de Saddam déclenchera le progrès de la société. (...) Ce genre de régime ne prend pas en compte la revendication par les peuples de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme. [Il] exerce une pression de plus en plus forte sur les peuples. Cela bloque les voies qui mènent au changement. C’est la raison pour laquelle mettre un terme à de tels régimes est devenu une nécessité historique. (...) Les Kurdes sont confrontés à des politiques de négation, d’assimilation et de destruction dans les quatre territoires où ils vivent. Bien qu’il y ait un certain nombre de différences [entre ces territoires], le sort réservé aux Kurdes y est le même. Désormais, il est temps pour le peuple de s’exprimer sur la vie en démocratie. (...) Le manifeste « La République démocratique » rédigé par Abdullah Öcalan, président du KADEK, est une garantie de la démocratie pour les Kurdes. (...) Les voies de la guerre seront écartées si les États de la région entreprennent des changements importants et réalisent des réformes démocratiques. (...) Si le Mouvement démocratique kurde veut prendre part à la solution, il doit reconsidérer les politiques qu’il a menées jusqu’ici et se ranger derrière la République démocratique. Une solution fondée sur l’union démocratique, et non sur le nationalisme, doit être trouvée. Les recommandations du KADEK : pour la Turquie, il est nécessaire : – d’adopter une Constitution conforme aux exigences contemporaines avec la participation du gouvernement, des partis politiques et des organisations non gouvernementales ; – de mettre fin à la dissolution des partis politiques afin que toute activité politique puisse s’exercer librement et d’instaurer un nouveau système électoral pour que chaque fraction de la société puisse être représentée à l’Assemblée nationale ; – de supprimer les inégalités économiques injustifiées entre les différentes régions du pays ; – d’éliminer des traitements injustes à l’égard des personnes et des institutions fondés sur la croyance religieuse et d’accorder à celles-ci une garantie constitutionnelle à cet égard ; – de libérer le président du KADEK, Abdullah Öcalan, initiateur de la solution de « l’union démocratique » ; – de déclarer une amnistie générale pour les condamnés politiques ; cette amnistie doit bénéficier aux guérilleros du HPG et du KADEK, et ce dernier doit être impliqué dans le processus ; – de supprimer le système dit de « gardien du village » (koruculuk) et les institutions spéciales de guerre ; – de résoudre les affaires dites de « meurtre par un inconnu » (faili meçhul) et d’en punir les auteurs ; – de mettre en œuvre le projet de « retour au village », de réparer les préjudices subis par les victimes de guerre et d’adopter une législation à cet effet. Pour l’Iran, il est nécessaire : – de réserver une place particulière à la question kurde dans la nouvelle Constitution (...) – (...) d’adopter des lois permettant aux Kurdes de prendre part au gouvernement central ; (...) – d’abroger les lois restreignant la liberté des Kurdes (...). Pour la Syrie, il est nécessaire : – d’instaurer un régime parlementaire démocratique et d’adopter une Constitution répondant aux exigences de notre temps et fondée sur les droits de l’homme ; (...) – d’élaborer une nouvelle loi relative aux partis politiques et une loi électorale permettant l’accès des Kurdes au Parlement et leur participation active à la formation du gouvernement. (...) Pour l’Irak, il est nécessaire : (...) – d’instaurer un nouveau régime parlementaire et démocratique (...) – d’accorder une place particulière dans la Constitution d’Irak à la Fédération kurde et aux libertés des Kurdes. » Le 17 octobre 2003, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul ordonna la saisie de l’hebdomadaire susmentionné. Des poursuites furent engagées à l’encontre du requérant. Le 12 juillet 2007, la cour d’assises d’Istanbul condamna celui-ci à verser une amende de 343 livres turques (TRY) (soit environ 192 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à cette date), et à payer les frais de procédure, qui s’élevaient à 210 TRY (environ 118 EUR) et qui incluaient les frais de traduction de l’article litigieux, en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi. Le 21 août 2007, le requérant se pourvut en cassation. Le 22 août 2007, la cour d’assises rejeta sa demande de pourvoi au motif que la décision était définitive et qu’elle n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. B. La requête no 53717/07 Dans son numéro du 18-24 octobre 2003, l’hebdomadaire Azadiya Welat publia un article en langue kurde intitulé « Un membre du conseil du KADEK – C’est une déclaration de guerre) » (Endame Konseya Serokatiya Gişti ya KADEK’e Duran Kalkan – Tezkere ilankirina şer’e). Cet article reprenait la déclaration d’un membre du conseil de la présidence générale du KADEK à propos d’un mémorandum adopté par la Grande Assemblée nationale de Turquie concernant l’envoi de militaires en Irak. Les parties pertinentes en l’espèce de cet article se lisent ainsi : « Question 1 : Monsieur Kalkan, quel sera l’effet de la décision de l’Assemblée nationale d’envoyer des troupes en Irak et des derniers événements sur la situation actuelle dans ce pays ? D. Kalkan : Au XXe siècle, l’Irak n’a jamais été à l’abri des problèmes et du chaos. (...) Il a été le terrain privilégié de la concurrence entre l’Empire ottoman et l’Angleterre et entre l’Union soviétique et les États-Unis. Avec la guerre du Golfe, les États-Unis ont instauré leur suprématie en Irak. Avec leur intervention du 23 mars 2003, ils ont obtenu non seulement la supériorité politique, mais également la maîtrise militaire et économique. (...) Depuis cette intervention, les forces de l’opposition font preuve d’une résistance accrue. (...) Ces dernières, qui s’opposent au changement en Irak et qui ne souhaitent pas la victoire des États-Unis, créent le désordre et le chaos. (...) Par ailleurs, la Russie et l’Europe font preuve de la même résistance que les forces locales. Elles veulent profiter de la situation chaotique dans laquelle se trouvent les États-Unis. (...) Afin de mettre un terme au chaos, les ÉtatsUnis tentent d’attirer d’autres pays en Irak en faisant des concessions. Depuis un certain temps, ils veulent former une force coordonnée avec les armées turque, pakistanaise et indienne. Ils veulent que la Turquie soit à la tête de cette force. Dans cette optique, des négociations diplomatiques de grande envergure ont lieu depuis longtemps. À la suite de ces négociations, l’Assemblée nationale de Turquie a approuvé, le 7 octobre, l’habilitation du gouvernement à envoyer des troupes turques en Irak. (...) Le gouvernement turc souhaite prendre sa part du gâteau après la guerre et renverser la situation désavantageuse dans laquelle il se trouve actuellement. (...) Cependant, cette décision a isolé la Turquie dans la région. La Turquie ne sait pas quel sera le rôle des Kurdes du Kurdistan du Sud et comment les choses évolueront. Cela fait peur à la Turquie. (...) Comme la portée de cette habilitation le montre, le but est de liquider le KADEK avec l’aide des États-Unis. Question 2 : Le gouvernement de l’AKP (Parti de la justice et du développement) a clairement déclaré que l’objectif de cette habilitation était d’anéantir le KADEK. Quelles en seront les conséquences sur le processus de paix que vous menez ? D. Kalkan : Cette habilitation fait sans doute partie du programme gouvernemental. Son but principal est la liquidation du KADEK. Nous considérons cela comme la suite du complot international qui a débuté le 9 octobre. (...) Le gouvernement a montré quelle attitude il avait à l’égard des Kurdes avec l’adoption de la loi relative aux repentis, (...) et la pression sur le peuple et les opérations militaires contre la guérilla se sont intensifiées. L’envoi de soldats en Irak et l’alliance avec les États-Unis visent à liquider la guérilla. (...) Ainsi, nous considérons la décision prise par l’Assemblée comme une déclaration de guerre et un rejet de la feuille de route (...) pour une solution démocratique décidée par notre président et le Conseil d’administration. Cependant, malgré tous ces obstacles, nous insisterons pour établir la paix et la démocratie. Nous voulons que le cessez-le-feu soit réciproque. À cette fin, le peuple a déjà lancé une campagne de désobéissance. Femmes, jeunes, ouvriers, retraités, intellectuels et artistes portent cette lutte partout. (...) » Le 17 octobre 2003, la cour de sûreté de l’État d’Istanbul ordonna la saisie de Azadiya Welat. Des poursuites furent déclenchées à l’encontre du requérant. Le 12 juillet 2007, la cour d’assises d’Istanbul condamna ce dernier à une amende de 350 TRY (environ 200 EUR selon le taux de change en vigueur à cette date) en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle le condamna également à payer les frais de procédure, qui s’élevaient à 210 TRY (environ 118 EUR) et qui incluaient les frais de traduction de l’article litigieux, en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi. Le 21 août 2007, le requérant se pourvut en cassation. Le 22 août 2007, la cour d’assises rejeta sa demande de pourvoi au motif que la décision était définitive et qu’elle n’était pas susceptible de pourvoi en cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes est puni d’une amende de 5 à 10 millions de livres turques. (...) Lorsque les faits décrits aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi no 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisé par le dernier numéro du périodique si celui-ci paraît une fois par mois ou moins fréquemment (...) Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » À la suite de modifications apportées par la loi no 5532 du 29 juin 2006 et par la loi no 6459 du 11 avril 2013, l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 se lit désormais ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes légitimant ou faisant l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de pareilles organisations ou incite à l’utilisation de telles méthodes est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans. (...) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de la presse et de la publication, les responsables de la publication des organes de presse et de publication n’ayant pas participé à la commission de l’infraction sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. » En 2015, la Cour constitutionnelle turque a statué dans deux affaires concernant la condamnation de responsables d’organes de presse en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (Ali Gürbüz et Hasan Bayar, no 2013/568, 24 juin 2015, et Ali Gürbüz, no 2013/724, 25 juin 2015). Dans ces deux affaires, elle a conclu à la violation de la liberté d’expression des intéressés au motif que les déclarations litigieuses en cause ne contenaient aucun appel à la violence, à la haine ou au soulèvement armé. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Ali Gürbüz et Hasan Bayar (précité) se lisent ainsi : « Le constat selon lequel la publication des considérations d’Abdullah Öcalan sur certains sujets constitue l’infraction de « publication des déclarations d’organisations terroristes » et la décision subséquente de suspension des poursuites doivent être analysés. Une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées ne peut être justifiée uniquement par une considération liée à la personnalité d’un individu. De même, le fait de publier des opinions et des idées d’un membre ou d’un dirigeant d’une organisation illégale ne peut, à lui seul, justifier une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées. En effet, une telle approche ferait obstacle à l’exercice des droits constitutionnels et priverait certaines personnes ou certains groupes de personnes de la jouissance des droits protégés par l’article 26 de la Constitution (Abdullah Öcalan, § 101). Il faut souligner que les autorités publiques disposent d’une marge d’appréciation très étroite lorsqu’il s’agit de condamner des « déclarations de presse », tel l’article publié par les requérants. Les idées qui ne sont pas accueillies favorablement par les autorités publiques ou par une partie de la population ne peuvent faire l’objet de restrictions tant qu’elles n’incitent pas à la violence, ne légitiment pas les actes terroristes et n’encouragent pas les discours de haine. Lu dans son ensemble, l’article en cause ne peut être considéré comme faisant l’apologie de la violence et incitant à l’adoption de méthodes terroristes, autrement dit à la violence, à la haine, à la vengeance ou à la résistance armée. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1975, en 1948 et en 1958, et résident à Denizli. Le 18 mars 2003, les requérants, en leur qualité de membres du comité d’organisation des festivités prévues pour le Nevruz, informèrent les autorités de la préparation pour le 21 mars d’une célébration de cette fête. La préfecture de Denizli leur indiqua un emplacement pour ces festivités en plein air, auxquelles près de trois mille personnes participèrent. Le 4 avril 2003, le parquet de Denizli entama une procédure judiciaire à l’encontre des organisateurs du rassemblement, parmi lesquels les requérants, pour infraction à la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques (« la loi no 2911 »). Il indiquait que, au cours des festivités, les participants avaient scandé des slogans illégaux en kurde et en turc, entonné des chants militants en kurde et tenu des discours séparatistes. Il reprochait aux requérants d’avoir organisé l’événement. Le 8 juin 2006, le tribunal de grande instance condamna les requérants, en leur qualité de responsables de l’organisation, à un an et six mois d’emprisonnement et à une amende de 343 livres turques (approximativement 160 euros (EUR)). Dans les motifs de son jugement, le tribunal relevait que des slogans tels que « bonjour, mille fois bonjour à İmralı », « vive le leader Apo », « nous sommes avec toi jusqu’au sang Öcalan ... nous sommes avec toi ou nous mourrons », « que les mains qui ont touché le HADEP soient brisées », « non à l’isolement » et « la volonté des Kurdes du Kurdistan ne sera pas freinée par l’isolement » avaient été scandés lors de la manifestation. Le tribunal estimait donc que le rassemblement avait commencé d’une manière pacifique mais qu’il avait fini dans l’illégalité en raison de ces slogans et de ces discours et que, par conséquent, l’infraction prévue à l’article 23 de la loi no 2911 était constituée. Le tribunal relevait cependant les efforts déployés par les requérants au cours des festivités, soulignant que ceux-ci avaient rappelé aux manifestants de ne pas scander des slogans interdits. L’article 7 § 2 du nouveau code pénal turc fut appliqué, apportant une modification en faveur des requérants concernant seulement le montant de l’amende. Le 22 décembre 2008, sur opposition des requérants, la Cour de cassation infirma le jugement, demandant l’application de nouvelles dispositions du code de procédure pénale (CPP) modifiées par la loi no 5728, et entrées en vigueur après son prononcé. Le 7 juillet 2009, après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal de grande instance prononça de nouveau les mêmes peines à l’encontre des requérants sur le fondement de la loi no 2911. Toutefois, en application du nouveau article 231 § 5 du CPP, le tribunal décida de surseoir au prononcé du jugement (hükmün açıklanmasının geri bırakılması) pendant cinq ans. En outre, sur le fondement de l’article 231 § 8 du CPP, il ordonna le placement sous surveillance des requérants pendant cinq ans. Il précisa que le jugement pouvait être contesté devant la cour d’assises d’Üsküdar dans un délai de sept jours. Les requérants firent opposition à ce jugement. La première chambre de la cour d’assises de Denizli, qui se limita à vérifier l’application en l’espèce des conditions de l’article 231 du CPP, sans examen du fond, rejeta l’opposition formulée par les requérants le 23 juillet 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 23 de la loi no 2911, une manifestation est considérée illégale si « (...) les manifestants portent des affiches ou emblèmes appartenant aux organisations illégales ou interdites, (...) et/ou scandent des slogans illégaux ». La responsabilité pénale des organisateurs est encadrée par l’article 28 de la même loi qui dispose : « ceux qui organisent et dirigent des manifestations illégales et ceux qui y participent seront sanctionnés d’une peine d’emprisonnement d’un an six mois jusqu’aux trois ans si toutefois, les faits ne constituent pas une infraction plus importante ». En pratique, l’illégalité d’une manifestation ou d’un rassemblement autorisé peut être constatée le cas échéant par le tribunal compétent, à l’issue d’une procédure pénale. Ainsi, une manifestation légalement autorisée peut devenir pendant son déroulement, illégale en raison du comportement de certains manifestants. L’article 231 du code de procédure pénale, issu de la loi no 5271 du 4 décembre 2004 et modifié par les lois no 5560 du 6 décembre 2006 et no 5728 du 23 janvier 2008 dispose : « 5. Lorsque la peine à laquelle l’accusé a été condamné à l’issue de la procédure menée en raison de l’infraction imputée est inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement ou bien lorsqu’il s’agit d’une amende pénale, le tribunal peut décider de surseoir au prononcé du jugement. (...) Le sursis au prononcé du jugement signifie que le jugement ne crée pas de conséquence juridique à l’égard de l’accusé. Pour que le tribunal puisse décider de surseoir au prononcé du jugement : a) l’accusé ne doit pas avoir été antérieurement condamné pour une infraction volontaire ; b) le tribunal doit, à la lumière des caractéristiques de la personnalité de l’accusé, de son attitude et de son comportement lors de l’audience, parvenir à la conviction qu’il ne commettra pas de nouvelle infraction ; c) le préjudice de la victime ou du public résultant de la commission de l’infraction doit être intégralement réparé par voie de restitution, de remise en l’état antérieur à la commission de l’infraction ou d’indemnisation. Si l’accusé n’accepte pas, aucune décision de surseoir au prononcé ne peut être prise. (...) Lorsqu’il est décidé de surseoir au prononcé du jugement, l’accusé est soumis à un contrôle d’une durée de cinq ans. (...) La voie d’opposition contre la décision de surseoir au prononcé du jugement est ouverte. » À l’époque des faits, la Chambre pénale réunie de la Cour de Cassation avait confirmé dans un arrêt du 3 février 2009 que l’examen sur l’opposition à une décision de surseoir au prononcé se limitait à un examen de forme et ne portait pas sur la condamnation.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le père des requérants, M. Nicolas Poulimenos, était propriétaire d’un terrain sis à Elliniko (Athènes), qui faisait partie d’un ensemble immobilier divisé en huit copropriétés. Sept de ces copropriétés, qui appartenaient à d’autres personnes, étaient bâties. Des décrets datant de 1959, de 1960 et de 1962 déclarèrent l’expropriation du terrain en question en vue de l’élargissement d’une rue. En 1979, le père des requérants saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation dirigé contre un acte ayant considéré qu’il n’avait pas droit à une indemnité d’expropriation. En 1981, le Conseil d’État lui donna gain de cause, à la suite de quoi les services de l’urbanisme de la préfecture d’Athènes reconnurent que les autres copropriétaires et la municipalité d’Elliniko étaient redevables d’une indemnité envers lui. Le 30 novembre 1997, après le décès de leur père, les requérants saisirent le tribunal de première instance d’Athènes (« le tribunal de première instance ») d’une demande tendant à la fixation de l’indemnité provisoire d’expropriation. Par son jugement no 1836/1998 du 31 août 1998, le tribunal de première instance fixa l’indemnité provisoire à 90 000 drachmes (soit environ 264 euros (EUR)) au mètre carré. La date prise en compte pour le calcul de l’indemnité était celle du 27 mars 1998, date de l’audience devant ce tribunal. Le 28 avril 1999, les requérants demandèrent au tribunal de première instance de fixer l’indemnité définitive d’expropriation. L’audience devant le tribunal de première instance eut lieu le 9 novembre 1999. Par sa décision avant dire droit no 9369/1999 du 20 décembre 1999, le tribunal ordonna un supplément d’instruction et une expertise afin de déterminer la valeur du terrain au 27 mars 1998, date de l’audience concernant la fixation de l’indemnité provisoire. Le 19 septembre 2000, le tribunal de première instance reconnut les requérants comme bénéficiaires de l’indemnité (jugement no 1738/2000). Le 19 octobre 2004, il tint une audience, et, le 24 janvier 2005, il fixa l’indemnité définitive d’expropriation à 320 EUR le mètre carré en tenant compte de la valeur du terrain au 27 mars 1998, date de la fixation de l’indemnité provisoire (jugement no 340/2005). Par un acte d’appel daté du 28 avril 2005, les requérants saisirent la cour d’appel d’Athènes (« la cour d’appel ») d’un recours, qui fut enregistré le 6 mai 2005. Ils contestaient la décision du tribunal de première instance, et ils demandaient aussi que l’appel fût considéré comme une demande de fixation de l’indemnité définitive d’expropriation à 900 EUR le mètre carré et que la valeur du terrain à la date de l’audience devant la cour d’appel fût prise en compte à cette fin. À cet égard, ils indiquaient que la valeur du terrain avait considérablement augmenté depuis l’audience portant sur la fixation de l’indemnité provisoire. L’audience devant la cour d’appel eut lieu le 2 mai 2006. Le 29 décembre 2006, celle-ci rejeta l’appel comme irrecevable (arrêt no 9117/2006). S’agissant de la demande de réactualisation de l’indemnité définitive, la cour d’appel la rejeta comme irrecevable au motif qu’il existait déjà une décision fixant cette indemnité. Elle souligna que les dispositions invoquées par les requérants ne s’appliquaient pas en l’espèce car l’expropriation avait eu lieu avant le 1er février 1971 et car le jugement no 340/2005 était déjà définitif. Elle considéra que la demande de réactualisation de l’indemnité n’avait pas de base légale au motif que le « risque de revalorisation » était prévu par l’article 17 de la Constitution. Elle précisa à cet égard que, selon cette disposition, l’expropriation était levée d’office si, dans un délai d’un an et demi à compter du jugement fixant l’indemnité provisoire, celle-ci n’avait pas été versée. Elle considéra, en outre, que l’acte d’appel était en lui-même irrecevable car il aurait dû être déposé auprès du greffe du tribunal de première instance, et non auprès de son greffe, comme cela avait été le cas en l’espèce. Le 5 avril 2007, les requérants se pourvurent en cassation. Le 28 avril 2009, la Cour de cassation les débouta pour les mêmes motifs que ceux retenus par la cour d’appel (arrêt no 986/2009). Le 31 août 2009, les requérants réintroduisirent leur appel (du 6 mai 2005) devant la cour d’appel en vue de la tenue d’une nouvelle audience, qui fut arrêtée au 12 octobre 2010. Dans leurs observations du 28 avril 2010, ils indiquaient que, depuis la date de la fixation de l’indemnité définitive, le 9 novembre 1999, la valeur du bien avait augmenté de manière substantielle. Ils invitaient la cour d’appel à fixer le montant de l’indemnité définitive à 1 300 EUR le mètre carré. Par son arrêt no 179/2012 du 18 janvier 2012, la cour d’appel considéra que, en se plaçant au 27 mars 1998 (date de l’audience pour la fixation de l’indemnité provisoire) pour déterminer la valeur du bien objet du litige, le tribunal de première instance avait appliqué de manière erronée les dispositions législatives pertinentes en la matière. Elle fixa l’indemnité définitive d’expropriation à 420 EUR le mètre carré en tenant compte de la valeur du terrain au 9 novembre 1999, soit à la date de la première audience relative à la fixation de l’indemnité définitive devant ledit tribunal. La cour d’appel souligna que c’était à cette date que la procédure d’administration des preuves avait été complétée et que la valeur du terrain exproprié avait subi une réévaluation considérable. Elle s’aligna sur la jurisprudence de la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, qui, par son arrêt no 14/2011 du 29 septembre 2011, avait mis un terme à l’approche suivie jusqu’alors dans ce type d’affaires. Plus particulièrement, la cour d’appel releva ce qui suit : « (...) en cas d’expropriation pour la modification du plan de la ville, décidée avant le 1er février 1971, et au cas où l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive d’expropriation devant le tribunal de première instance se fait conformément aux dispositions de l’article 17 § 2 de la Constitution (révisée en 2001) et après l’écoulement d’un an à partir de l’audience portant sur la fixation de l’indemnité provisoire (...), la date critique prise en compte en ce qui concerne la valeur du bien exproprié est [la date] de l’audience portant sur la fixation de l’indemnité définitive, même si la demande a été introduite antérieurement à l’entrée en vigueur de (...) l’article 17 § 2 de la Constitution (révisée en 2001). Cette approche est imposée entre autres par l’article 1 du Protocole no 1 (...). Par ailleurs, la nouvelle disposition de l’alinéa c) de l’article 17 § 2 de la Constitution a été introduite afin de rendre le droit interne conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à la protection du droit au respect des biens. (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 117 § 5 de la Constitution de 1975 dispose ce qui suit : « Jusqu’à ce que les lois existantes en matière d’expropriation soient adaptées aux dispositions de la présente Constitution, toute expropriation qui est ou qui sera déclarée est régie par les dispositions en vigueur au moment où cette déclaration a lieu. » L’article 17 de la Constitution, tel que modifié à la suite de la révision de la Constitution du 6 avril 2001, est ainsi libellé : « 1. La propriété est sous la protection de l’État, mais les droits qui en dérivent ne peuvent s’exercer au détriment de l’intérêt général. Nul ne peut être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure prévus par la loi, et toujours moyennant une indemnité préalable complète, qui doit correspondre à la valeur du bien exproprié au moment de l’audience sur sa fixation provisoire devant le tribunal compétent. En cas de demande de fixation directe de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du bien au moment de l’audience sur cette fixation devant le tribunal. Si l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, est prise en compte la valeur à la date de l’audience pour la fixation de l’indemnité définitive. (...) (...) L’indemnité est dans tous les cas fixée par les tribunaux compétents (...) Une loi prévoit l’établissement d’une juridiction unique, nonobstant l’article 94, pour tous les litiges et affaires d’expropriation, ainsi que le traitement prioritaire des procédures y afférentes devant les tribunaux. (...) L’indemnité dont le montant est fixé par le tribunal est, dans tous les cas, payée au plus tard un an et demi après la date de publication de la décision du tribunal sur la fixation de l’indemnité provisoire, et, en cas de demande de fixation de l’indemnité définitive, après la publication de la décision du tribunal, faute de quoi l’expropriation est levée de plein droit. (...) » L’article 29 § 4 du code des expropriations exclut de son champ d’application les expropriations déclarées avant le 1er février 1971. Il prévoit toutefois que ses dispositions s’appliquent à ces expropriations pour les questions concernant la fixation de l’indemnité définitive d’expropriation à la condition qu’une demande à cet égard n’ait pas été introduite avant la date de l’entrée en vigueur de ce code (le 6 mai 2001). Par un arrêt no 14/2011, rendu le 29 septembre 2011, la Cour de cassation, siégeant en formation plénière, a jugé que la date critique pour calculer la valeur du bien exproprié était la date de la première audience (portant sur la fixation de l’indemnité définitive), même si, lors de celle-ci, le tribunal n’examinait pas le fond de l’affaire : par conséquent, si, à l’audience, le tribunal ordonnait la réalisation d’une expertise, la date critique précitée était la date de cette audience et non celle de l’audience consacrée au fond de l’affaire. L’article 13 § 1 du code des expropriations, tel que modifié par la loi no 2882/2001, prévoit que, « si l’audience du tribunal consacrée à l’octroi définitif de l’indemnité a lieu plus d’un an après l’audience au cours de laquelle a été fixé le montant provisoire, la valeur du terrain exproprié au moment de l’audience où l’indemnité définitive est déterminée est prise en considération pour calculer le montant de l’indemnité ». L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil dispose ce qui suit : « L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, excepté si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1961 et 1960 et résident à Charleroi et à Anvers. A. Le contexte de l’affaire Les requérants sont les parents de Michael Tekin, né en 1978. Ce dernier fut interné à l’aile psychiatrique de la prison de Jamioulx à deux reprises, du 1er février 2007 au 11 juillet 2007 et du 17 mai 2008 au 7 juillet 2008, soit pour une période totale d’environ sept mois. Il bénéficia, à chaque fois, de libérations à l’essai. Le 19 janvier 2009, la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Charleroi ordonna une nouvelle fois l’internement du fils des requérants en application de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels telle que modifiée par la loi du 1er juillet 1964 (« loi de défense sociale »). Pendant sa détention à l’aile psychiatrique de la prison de Jamioulx, il fit l’objet de plusieurs mesures disciplinaires en raison de son comportement agressif envers le personnel et les codétenus. Le 3 juillet 2009, la commission de défense sociale (« CDS ») près la prison de Jamioulx ordonna sa mise en liberté à l’essai et le soumit à une tutelle médico-sociale en assortissant sa liberté à un certain nombre de conditions. En raison du non-respect des conditions de sa libération, le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Charleroi décida, par une ordonnance du 7 août 2009, la réintégration du fils des requérants à l’aile psychiatrique de la prison de Jamioulx. En effet, Michael Tekin fut interpellé à cette date et privé de liberté pour des faits d’outrage et menaces verbales à l’encontre de deux agents de police. Arrivé au commissariat de police le même jour, il fut examiné par un médecin généraliste avant d’être transféré pendant la soirée à la prison de Jamioulx où il fut examiné par le Dr S. qui lui prescrivit un calmant et un somnifère. Le fils des requérants fut ensuite placé dans une cellule individuelle dans une section ordinaire de la prison de Jamioulx. B. Le déroulement de la matinée du 8 août 2009 Le déroulement des faits tel que décrit ci-dessous fut établi à l’issue de l’enquête et de la procédure judiciaire et il n’a pas été contesté par les parties. Le 8 août 2009, vers 9h30, Michael Tekin fut présenté à la directrice adjointe de la prison de Jamioulx afin de lui faire passer l’entretien des nouveaux arrivants. À l’issue de l’entretien, cette dernière prit la décision d’appliquer des mesures de sécurité particulières pour une durée de sept jours. Ces mesures furent indiquées en raison du fait que Michael Tekin était nerveux et agité, qu’il estimait sa détention arbitraire et qu’il exigeait sa libération. Les mesures de sécurité particulières suivantes furent ordonnées : placement en cellule individuelle, accès individuel au préau, visite en box plutôt qu’en salle de visite commune, utilisation de couverts en plastique, ouverture de la cellule seulement par les chefs de quartier accompagnés de deux agents, accompagnement par un membre du personnel lors de ses déplacements et placement en surveillance spéciale, ce qui implique une vérification de la cellule par un agent toutes les quinze minutes afin de s’assurer que rien d’anormal ne s’y produit. L’agent pénitentiaire R. qui avait accompagné Michael Tekin depuis sa réintégration fut chargé de procéder à la notification de ces mesures de sécurité particulières en sa qualité de chef de quartier faisant fonction d’assistant pénitentiaire. Il fut accompagné par deux autres agents, L. et D. À leur arrivée à la cellule vers 11h30, Michael Tekin était en train de finir son déjeuner. R. procéda à la lecture des mesures de sécurité particulières décidées par la direction. D’après R. – dont les propos ont été confirmés par L. et D. – Michael Tekin l’aurait provoqué en lui éternuant dessus volontairement (ou « craché », selon le Gouvernement). Lorsque R. aurait dit au détenu d’arrêter ses provocations sans quoi il serait placé en cellule de réflexion, Michael Tekin se serait approché de lui et aurait approché sa tête de la sienne à un tel point que tous trois crurent qu’ils allaient être agressés. Compte tenu de la réaction de Michael Tekin et de ses antécédents, R. décida de son placement en cellule de réflexion. Il saisit Michael Tekin par la nuque, et D. le saisit par l’épaule afin de le faire pivoter et le faire sortir de la cellule. En raison de l’étroitesse des lieux, R. expliqua qu’il ne put conserver sa prise de nuque et qu’il décida de procéder à une autre manœuvre de contrôle par étranglement en plaçant une clé de bras autour du cou du détenu, tout en s’abaissant afin de le faire tomber au sol. Une fois allongé sur le ventre, face au sol, Michael Tekin se trouvait toujours maintenu par la clé d’étranglement effectuée par R. qui, en outre, s’appuyait de son poids sur le haut de son dos. Michael Tekin se serait alors plaint de manquer d’air et de suffoquer. L. bloqua le bras droit du détenu ; le bras gauche étant déjà bloqué sous le corps de ce dernier. Enfin, D. s’assit à califourchon sur le détenu. Du renfort fut appelé et plusieurs autres agents arrivèrent sur place. Ils étaient une dizaine au total. Certains aidèrent à la maîtrise de Michael Tekin, d’autres restèrent passifs. Des menottes aux poignets et des entraves aux chevilles furent placées sur Michael Tekin. Michael Tekin fut alors relevé afin d’être transporté par deux agents dont D. vers la cellule de réflexion. Les témoignages des agents divergent sur la capacité de Michael Tekin à parler et à respirer pendant le transport. Tous s’accordent cependant à dire qu’ils devaient le traîner en le soutenant aux épaules, puis en le portant, et que sa tête était pendante. En chemin, les agents constatèrent que le détenu avait uriné sur lui-même. Une vingtaine de marches durent être descendues pour arriver à la cellule de réflexion. Arrivés devant la porte de la cellule de réflexion, les agents déposèrent Michael Tekin sur le ventre, face au sol en raison de l’étroitesse de la porte d’entrée et le traînèrent à l’intérieur. Une fois à l’intérieur de la cellule de réflexion, lorsqu’ils le retournèrent, ils constatèrent que son visage était cyanosé. Vers 11h50, l’infirmière de la prison reçut un appel téléphonique signalant que Michael Tekin était inconscient. Elle prévint le médecin de garde et prépara le matériel. Au moment de leur arrivée à la grille intérieure de la prison, un agent, témoin de la scène, informa l’infirmière et le médecin de garde que le 100 (service d’urgence médicale) et le SMUR (services mobiles d’urgence et de réanimation) avaient été appelés vers 11h54. La retranscription de cet appel se trouve au dossier répressif. Dans l’attente de leur arrivée, le médecin de garde et l’infirmière de la prison commencèrent à effectuer un massage cardiaque à 12h après avoir constaté que Michael Tekin ne respirait pas et qu’il n’avait pas de pouls. Les ambulanciers du service 100 arrivèrent à 12h15. Ils constatèrent toutefois que le SMUR n’avait pas été contacté et décidèrent de demander son intervention d’urgence. Une des infirmières du service 100 déclara par la suite qu’ils avaient été appelés pour une simple agression et qu’ils n’avaient donc pas été informés de la gravité de la situation. Le SMUR arriva à 12h35 et Michael Tekin fut immédiatement intubé et perfusé. Toutefois, le médecin ne put que constater qu’il n’y avait aucune activité électrique et conclut à l’inutilité de la poursuite des manœuvres de réanimation. Le décès de Michael Tekin fut constaté à 12h50. C. Les investigations avant et après l’ouverture de l’instruction Une enquête fut immédiatement ouverte d’office. Le médecin légiste réquisitionné par le procureur du Roi se transporta sur les lieux le jour même à 14h20 et constata une cyanose très importante au niveau du visage et des régions cervicales et la présence d’aliments au niveau des orifices narinaires et buccaux. Tous les principaux témoins furent entendus le jour même ou dans les jours qui suivirent. Lors de sa première audition réalisée le 8 août 2009, R. déclara ce qui suit s’agissant du déroulement de l’intervention : « Michael Tekin a intégré la prison hier dans la soirée et celui-ci était très excité. D’ailleurs, les collègues policiers qui l’ont amené l’ont qualifié de très dangereux. À son arrivée, Michael Tekin était très remonté envers le service de police. Nous l’avons pris en charge et il s’est calmé. Connaissant Michael Tekin d’une précédente incarcération, et pour des raisons de sécurité, nous l’avons placé dans une cellule solo dans la 9e section, cellule 9229. D’après mes renseignements, il n’a commis aucun incident durant la nuit. Ce matin Michael Tekin est passé auprès de la directrice Mme [H.] pour le ‘rapport entrant’ comme à chaque nouvelle arrivée. J’étais présent lors de ce rapport dans le bureau prévu à cet effet. Là Michael Tekin a commencé à vociférer contre les services de police en les traitant d’handicapé et que c’était de leur faute s’il était ici. La directrice lui a expliqué qu’il devait passer au CDS (commission de défense sociale). Michael Tekin nous a répondu qu’il n’avait pas à attendre et qu’il allait aller chercher ses clés au vestiaire et s’en aller. Lorsque nous lui avons dit que ce n’était pas possible, il nous a menacés en ces termes : vous allez voir ce que vous allez voir. Sachant que Michael Tekin est assez fantasque et imprévisible et qu’il est déjà passé à l’acte dans le passé, la directrice a pris des mesures particulières à son encontre tels que : solo, ouverture à plusieurs agents, couverts en plastique... Des agents l’ont reconduit dans sa cellule sans incident. Dans le cas de mesures particulières, celles-ci doivent être mises par écrit et doivent être signées par le détenu. Vers 11h45, je suis allé à sa cellule accompagné de [L., D. et Mme C.]. Michael Tekin était en train de manger quand nous sommes entrés. Lorsque je lui ai expliqué les mesures, Michael Tekin s’est levé et a fait semblant d’éternuer de telle sorte qu’il a craché une partie de son dîner (vol-au-vent) au visage. J’ai alors fait un pas en arrière. Michael Tekin s’est avancé vers moi et a recommencé. À ce moment-là, je lui ai dit de se calmer et de cracher dans une autre direction. Il s’est de nouveau approché de moi. Je lui ai dit que s’il ne se calmait pas, il irait en cellule de réflexion. Il s’est approché tout près de moi soit tête contre tête en me disant : je voudrais bien voir ça. À ce moment-là, je lui ai saisi le cou en vue de l’amener au sol et le conduire en cellule de réflexion. Je précise que je lui ai fait une clé de bras afin de le déséquilibrer. Les autres collègues l’ont maintenu les bras et les jambes. Nous avons appelé du renfort. Pendant que je le maintenais, je lui ai parlé et il m’a répondu : je m’étouffe. J’ai alors desserré mon étreinte en lui disant que s’il savait parler il ne s’étouffait pas. Michael Tekin gesticulait des bras et des pieds. Je précise que je suis tombé avec Michael Tekin au sol et il était sur son côté. Pour finir, je ne le tenais plus au niveau du cou mais exerçais une pression au niveau de la tête. Les renforts sont venus et on a pu le maîtriser en le menottant. Nous l’avons relevé afin de le conduire à la cellule de réflexion. Les renforts ont pris Michael Tekin en charge et je les ai suivis à hauteur de la rotonde après avoir repris mon souffle. Michael Tekin ne râlait plus et se laissait de plus en plus aller si bien que les agents devaient le porter. Arrivé au cachot, j’ai remarqué que Michael Tekin ne simulait pas, son visage devenait bleu. On a appelé l’infirmerie en même temps que le SMUR. Le Dr [L.] étant présent dans l’établissement, on a commencé à lui faire les premiers soins tels que la respiration artificielle pendant au moins 15 minutes. On lui a également mis le défibrillateur. Je suis resté aux côtés du médecin durant tout ce temps. L’ambulance est arrivée et je suis toujours resté dans le cachot pour les aider. À l’arrivée du SMUR, je suis sorti du cachot et j’ai attendu dans le couloir. D’après ce que j’ai pu entendre, il était déjà trop tard. Ils ne sont pas parvenus à la réanimer. » Plus tard dans la même journée, R. fut réentendu et précisa : « Je précise qu’au cours de l’explication des raisons des mesures [de sécurité particulières], j’ai remarqué que le regard de Michael Tekin changeait et devenait plus menaçant, si bien que quand il s’est levé, j’étais sur mes gardes. Lorsqu’il se trouvait front contre le mien, j’ai fait un pas de côté et lui ai fait une clé de bras, c’est-à-dire que j’ai placé mon bras droit autour de sa nuque et je me suis laissé tomber avec lui. Vous me demandez si j’ai exercé une pression au niveau du cou, je vous réponds que je n’ai pas appuyé sur l’avant de la gorge. Une fois par terre soit à l’entrée de la cellule côté couloir, j’ai desserré la pression. Lorsqu’il se débattait de nouveau, j’exerçais une petite pression et relâchais aussitôt. D’ailleurs, il me parlait comme signalé dans ma première déclaration. [...] Nous n’avons aucune formation pour maîtriser les détenus en cas de crise. Suite aux événements de Lantin, nous avons eu une formation « gestion de conflits » où l’on apprend à gérer un conflit par la parole et surtout la méthode à suivre afin d’éviter tout débordement. À votre question, je vous réponds qu’en cas d’agression de détenu, nous devons nous débrouiller pour le maîtriser. » L’agent D. déclara quant à lui : « Nous avons plaqué Michael Tekin au sol. [...] Je n’ai pas entendu Michael Tekin parler mais il me semble qu’il essayait mais que le son ne sortait pas... Lors du trajet, je ne l’ai pas entendu parler ni se plaindre... Je pense qu’il était encore vivant car j’ai senti à plusieurs reprises de la résistance au niveau de son bras. » L’autopsie du corps fut réalisée le lendemain, 9 août 2009, par le Dr B. Le rapport d’autopsie daté du 14 août 2009 conclut notamment que les manœuvres cervicales avaient provoqué des lésions très profondes au point de briser la corne supérieure droite du cartilage thyroïde et qu’elles avaient été prolongées, puisque des signes de souffrance asphyxique étaient observées. Le rapport ajouta que la perte d’urine relatée par les enquêteurs permettait d’orienter vers le moment où la perte de connaissance devint profonde au point d’en aboutir à la levée du mécanisme réflexe au niveau sphinctérien. Une telle inhibition s’observait notamment lors des phases inconscientes se développant lors d’épisodes de comitialité. S’agissant de la manœuvre de compression dite « clé de bras », le rapport d’autopsie précisa : « Lors de la compression par un avant-bras (agissant en levier, l’auteur étant en arrière de la victime), le mécanisme létal est quasi identique à la strangulation manuelle classique. Une telle compression particulièrement redoutable, provoque une obstruction vasculaire bilatérale, ainsi qu’un aplatissement des voies aériennes supérieures contre le plan des vertèbres cervicales. » Une instruction fut ouverte le 10 août 2009 contre X du chef de coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Les requérants se constituèrent partie civile. La reconstitution des faits permit au Dr B. qui avait réalisé l’autopsie de conclure que les manœuvres cervicales avaient été causées par la clé de bras effectuée par R. tandis que le poids de L. sur le thorax de Michael Tekin avait joué un rôle défavorable dans la mécanique de ventilation de ce dernier et avait favorisé l’asphyxie, ventilation encore mise à mal par la technique de transport vers la cellule de réflexion. Par un arrêt du 20 mars 2012, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons renvoya les trois inculpés, R., L. et D., devant le tribunal correctionnel de Charleroi du chef de coups et blessures volontaires ayant causé la mort sans intention de la donner. D. Le jugement du tribunal correctionnel Lors de l’audience devant le tribunal correctionnel de Charleroi le 24 octobre 2012, le Dr B. déclara qu’il n’était pas impossible que l’événement de la chute au sol ait produit la force conduisant au bris de la corne supérieure droite du cartilage thyroïde et qu’il était parfaitement possible que le seul événement de la clé de bras avait été suffisant pour entraîner l’issue fatale. Il n’était toutefois pas en mesure d’affirmer que, si l’étranglement avait cessé après le bris du cartilage thyroïde, Michael Tekin aurait été en mesure de reprendre sa respiration et de survivre, tout dépendant des lésions subies antérieurement. Par ailleurs, le Dr B. était d’avis que la compression du thorax ainsi que le transport en suspension n’étaient, en eux-mêmes, pas suffisants pour entraîner la mort. Enfin, il confirma que la version des faits donnée par R. lors de la reconstitution des faits était compatible avec les constatations médicales. Le 28 novembre 2012, le tribunal correctionnel de Charleroi acquitta R. Le tribunal considéra que l’intervention de R. relevait incontestablement de la légitime défense, élusive de toute responsabilité dans son chef. Compte tenu de la personnalité de Michael Tekin et de son état d’excitation, R. avait raisonnablement pu croire en l’imminence d’une agression grave à son encontre et contre L. La réaction des prévenus était donc nécessaire et subsidiaire. Aussi, le tribunal était d’avis que R. avait réagi proportionnellement à l’attaque en usant d’une prise qui lui avait été enseignée dans le cadre d’une formation destinée à gérer ce type d’incident et dont aucun élément du dossier ne permettait d’affirmer qu’elle avait été exécutée fautivement. Par la suite, le maintien de la prise au cou était tout autant justifié et proportionnel compte tenu du fait que Michael Tekin continuait de se débattre. Selon le tribunal, aucun élément objectif ne permettait d’affirmer que les gestes des prévenus étaient dangereux et aucun élément ne permettait de croire que R. avait usé d’une force non strictement nécessaire à la réalisation de la manœuvre d’immobilisation. Rien ne permettait de croire que R. savait ou devait savoir le risque de bris du cartilage thyroïde étant donné que ce risque ne ressortait pas des syllabi déposés au dossier, et il ne pouvait pas non plus avoir conscience qu’il participait ainsi à la chute de la courbe d’oxygénation du sang de Michael Tekin, ce d’autant plus que R. ne savait pas ce que faisaient ses collègues. En outre, le tribunal considéra que R. ne devait pas s’inquiéter des réactions du détenu puisque celui-ci continuait à se débattre et que R. relâchait sa prise régulièrement pour lui permettre de respirer. Aucun élément ne permettait de croire que les prévenus avaient eu conscience d’un changement de voix lié au bris du cartilage thyroïde ni, en toutes hypothèses, qu’ils aient pu relier ce changement présumé à un risque physique que connaissait Michael Tekin. L. et D. furent également acquittés en vertu des règles de corréité. En outre, le tribunal correctionnel se déclara incompétent pour connaître des constitutions de partie civile en raison de l’acquittement des prévenus. Les requérants, en tant que parties civiles, interjetèrent appel du jugement quant à ses dispositions civiles. Le ministère public ne les suivit pas. L’appel est pendant devant la cour d’appel de Mons depuis décembre 2012. Le Gouvernement fait valoir que les requérants n’ont pas demandé la fixation de la cause afin qu’il soit statué sur les intérêts civils. E. Les procédures postérieures à l’introduction de la requête Le 28 juillet 2014, les requérants déposèrent une plainte avec constitution de partie civile contre les trois agents pénitentiaires acquittés et trois de leurs collègues du chef de non-assistance à personne en danger. Le 9 mai 2016, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Charleroi déclara irrecevable la constitution de partie civile en ce qu’elle visait les trois agents pénitentiaires acquittés par jugement du tribunal correctionnel du 28 novembre 2012 compte tenu de l’identité des faits de la prévention, et elle rendit une ordonnance de non-lieu concernant les trois autres inculpés, estimant que l’instruction n’avait pas permis de faire apparaître de charges suffisantes. Le 1er août 2014, les requérants introduisirent également une action en réparation devant le tribunal de première instance de Bruxelles tendant à faire constater que l’État belge était responsable du décès de Michael Tekin et de la souffrance qui lui avait été causée par le fait d’avoir été placé en cellule de droit commun au lieu de l’aile psychiatrique de la prison de Jamioulx. Par un jugement du 19 février 2016, le tribunal de première instance de Bruxelles déclara la demande irrecevable en ce qu’elle était prescrite. En outre, le Gouvernement fait valoir que les requérants déposèrent plainte pour les mêmes faits en Turquie, pays d’origine de Michael Tekin, et que cette plainte donna lieu à une commission rogatoire adressée au ministère public belge par le parquet général turc de la ville de Sivas. Le 6 mai 2015, les autorités belges auraient adressé une copie scannée du dossier répressif aux autorités judiciaires turques. Les requérants contestent toutefois avoir introduit une quelconque procédure en Turquie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes relatifs au droit d’appel de la partie civile Le droit d’appel de la partie civile contre le prévenu est indépendant de l’appel des autres parties ; l’absence d’appel du ministère public ou d’une autre partie civile ne fait pas obstacle à l’exercice de ce droit. L’article 202, 2o du code d’instruction criminelle prévoit toutefois que la partie civile ne peut exercer son recours que relativement à l’action civile, même si, en l’absence du ministère public, elle interjette appel contre un jugement d’acquittement (Cass., 27 janvier 1988, Pas., 1988, I, 617). Ceci n’empêche pas la partie civile de soutenir le bien-fondé de la prévention. Le juge d’appel examinera cette question sous le seul angle des dommages et intérêts sans pouvoir prononcer de peine à charge du prévenu si le ministère public n’a pas formé d’appel (Cass., 4 mars 1935, Pas., 1935, I, 79 ; Cass., 14 juillet 1941, Pas., 1941, I, 304 ; Cass., 20 mars 1996, Bull., 1996, no 100). De jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que l’autorité de la chose jugée attachée à la décision d’un tribunal siégeant en première instance qui, rendue sur l’action publique, acquitte le prévenu, ne s’étend pas à l’action civile portée devant le juge d’appel par la partie civile. Sur l’appel recevable de cette partie contre un jugement d’acquittement, le juge d’appel peut et doit, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, rechercher en ce qui concerne l’action civile si le fait servant de base à cette action est établi et s’il a causé un dommage à cette partie ; ce faisant, le juge d’appel ne méconnaît pas l’autorité de chose jugée (voir, par exemple, Cass., 7 décembre 1982, Pas., 1983, I, 444 ; Cass., 17 septembre 2013, no P.12.1724.N ; Cass., 22 avril 2015, no P.14.0991.F). B. Les dispositions légales relatives à l’usage de la force Les dispositions pertinentes de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, entrées en vigueur le 15 janvier 2007, se lisent comme suit : Article 119 « § 1er. En vue du maintien de l’ordre ou de la sécurité, une coercition directe peut seulement être exercée à l’égard des détenus lorsque ces objectifs ne peuvent être atteints d’une autre manière et pour la durée strictement nécessaire à cet effet. [...] § 3. Par recours à la coercition directe au sens du § 1er, on entend l’usage de la contrainte physique sur des personnes avec ou sans utilisation d’accessoires matériels ou mécaniques, d’instruments de contrainte limitant la liberté de mouvement ou d’armes qui, aux termes de la loi sur les armes, font partie de l’équipement réglementaire. » Article 120 « § 1er. Lorsque plusieurs possibilités de coercition directe peuvent convenir, le choix doit se porter sur celles qui sont les moins préjudiciables. § 2. Tout recours à la coercition directe doit être raisonnable et en rapport avec l’objectif visé. § 3. Avant de recourir à la coercition directe, il convient d’en brandir d’abord la menace, sauf lorsque les circonstances ne le permettent pas ou lorsque toute menace préalable rendrait le recours à la coercition directe inopérant. » Une circulaire ministérielle no 1792 de la ministre de la Justice du 11 janvier 2007, telle qu’en vigueur au moment des faits, prévoit ce qui suit s’agissant du recours à la coercition directe : « 1. L’usage de la coercition directe, c’est-à-dire de la contrainte physique sur des personnes, n’est autorisé pour assurer l’ordre ou la sécurité que lorsqu’aucun autre moyen ne permet d’atteindre le même objectif (subsidiarité). Il doit toujours être proportionnel à la menace, raisonnable, adapté à la situation, le moins préjudiciable possible et pour la durée strictement nécessaire. Cette contrainte peut s’appliquer à d’autres personnes que les détenus lorsque celles-ci tentent de libérer des détenus, de pénétrer illégalement dans la prison ou de s’y attarder sans en être autorisées. L’intervention des services de police doit être sollicitée dans les plus brefs délais. Seuls les instruments de contrainte destinés à limiter la liberté de mouvement qui font partie de l’équipement réglementaire sont autorisés. Avant de recourir à la coercition directe, il convient d’en brandir d’abord la menace (sommation), sauf lorsque les circonstances ne le permettent pas ou lorsque toute menace préalable rendrait le recours à la coercition directe inopérant. Contrôle : tout recours à la coercition directe doit être consigné par écrit. Il y a donc lieu de créer dans chaque prison un registre qui pourra à tout moment être contrôlé par les organes de surveillance. » Après le décès de Michael Tekin, une circulaire ministérielle no 1810 relative aux moyens de coercition et à l’équipement d’intervention fut adoptée le 19 novembre 2009. Celle-ci définit les moyens de coercition directe (menottes et entraves) et les moyens d’intervention (pepperspray, matraques, boucliers, vêtements de protection et casque) qui peuvent être utilisés et sous quelles conditions. C. Les formations dispensées aux agents pénitentiaires D’après les informations fournies par le Gouvernement, l’agent pénitentiaire R. était chef de quartier au moment des faits et travaillait depuis quatorze ans dans les établissements pénitentiaires. Il avait initialement suivi une formation de quinze jours en matière de sécurité, puis effectué un stage de trois mois. Il avait par la suite suivi une formation de trois jours en gestion de conflits enseignée par une société extérieure privée. Le syllabus fourni à l’occasion de cette dernière formation explique notamment : « 14.2. Techniques d’immobilisation (...) Effectuez une rotation ample sous une forme de spirale avec l’opposant. Continuez à exercer une pression vers le bas sur l’épaule de l’opposant pour le mettre à plat ventre sur le sol. (Sous contrôle pour éviter la percussion avec d’autres objets.) Lorsque l’opposant se trouve au sol, positionnez votre genou droit sur le bas du dos pour améliorer le contrôle. Accompagnez par des instructions. Pour relever l’opposant, bloquez son genou à l’aide de votre pied comme appui et tirer sur la main qui a saisi le col ou l’épaule pour le redresser. Cas particulier : possibilité de placer l’avant-bras droit au niveau de la gorge pour accentuer le contrôle. (Attention à la pression exercée qui peut mener à un manque d’oxygène et l’évanouissement du détenu.) » L’agent pénitentiaire L. avait trois ans de service au moment des faits. Il avait suivi une formation initiale d’un mois en 2006. Dans ce cadre, il avait notamment suivi trois demi-journées de formation en self-défense, une demi-journée de formation sur le travail avec des personnes présentant des troubles psychologiques ainsi qu’une demi-journée de formation relative aux incidents critiques. De plus, il avait suivi une formation de trois jours en juin 2009 en gestion de conflits enseignée par des formateurs internes de la prison. L’agent pénitentiaire D. avait deux ans et demi de service au moment des faits. Il avait suivi une formation initiale de trois mois en 2008 dans le cadre de laquelle il avait suivi des cours identiques à ceux suivis par L. Il avait également suivi la formation en gestion de conflits en mars 2009. Le Gouvernement précise en outre que les agents ont bénéficié d’une formation continue après le décès de Michael Tekin et qu’une nouvelle formation spécifique aux relations avec les détenus souffrant d’une maladie mentale de six jours a été mise en place en 2015. III. RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Considérations relatives à la formation des agents pénitentiaires en Belgique Lors de sa première visite périodique effectuée en Belgique du 14 au 23 novembre 1993 (CPT/Inf (94) 15, publié le 14 octobre 1994), le Comité pour la prévention de la torture (« CPT ») émit les considérations suivantes concernant la formation des agents pénitentiaires : « 216. Le CPT souhaite souligner la grande importance qu’il accorde à un recrutement et une formation adéquats du personnel pénitentiaire. L’on ne saurait offrir de meilleures garanties contre les mauvais traitements qu’un personnel pénitentiaire dûment recruté et formé, sachant adopter une bonne attitude dans ses relations avec les détenus. Des qualifications professionnelles avancées en techniques de communication constituent, à cet égard, une composante essentielle du profil du personnel pénitentiaire. De telles qualifications lui permettront bien souvent de maîtriser une situation qui pourrait dégénérer en violence. Plus généralement, elles contribueront à atténuer les tensions et à améliorer la qualité de la vie dans l’établissement concerné, au bénéfice de tous. 217. En théorie, la formation de base de l’agent pénitentiaire est d’une durée de deux semaines ; par la suite, il est soumis à un stage de trois mois. La délégation a également constaté la présence de personnel contractuel, recruté parfois en nombre important, dans les établissements visités. Le gardien-chef de la prison de St-Gilles, auquel était dévolu un rôle de formateur, a indiqué qu’une formation minimale de cinq jours était prévue pour ces agents contractuels, avant d’être affectés aux différentes ailes de la prison comme surveillant, ou d’être transférés ailleurs. En pratique, la délégation a rencontré des agents contractuels qui n’avaient suivi que deux jours de cours théoriques et un jour de cours pratique, avant d’exercer un emploi opérationnel ; une telle situation comporte des risques évidents pour les personnes privées de liberté. 218. Le CPT recommande aux autorités belges d’accorder une haute priorité à l’amélioration significative de la formation de base et continue du personnel pénitentiaire. » Dans son rapport du 17 juin 2009 faisant suite à sa visite en Belgique du 15 au 19 décembre 2008 (CommDH(2009)14), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe écrivait notamment ce qui suit : « 60. Les agents pénitentiaires sont recrutés par concours ; aucun diplôme n’est requis. Depuis 2007, leur formation de base est passée de six semaines à trois mois. Le Commissaire considère que cette durée de formation reste courte et salue la volonté annoncée d’augmenter le temps de formation initiale et de revoir le mécanisme de recrutement. Les agents pénitentiaires se plaignent de leurs conditions de travail dues à la surpopulation, à l’absence de réponse aux besoins vitaux des détenus et au manque de sécurité dans certains établissements. Les conditions de travail sont difficiles, les agents pénitentiaires ont un surcroît de travail et subissent le stress des détenus et les violences entre détenus amplifiés par la surpopulation. Leur travail est d’autant plus difficile que leur nombre n’est pas adapté au taux d’occupation réelle des établissements pénitentiaires surpeuplés. » Dans sa Notice 2013 de l’état du système carcéral belge (publiée le 23 août 2013), l’Observatoire international des prisons – section belge, une organisation non-gouvernementale, s’exprime en ces termes : « Vu les conditions de travail des agents, soumis à des pressions extrêmement fortes, une formation adéquate est primordiale. Même si celle-ci a été renforcée, elle reste clairement insuffisante et souvent tardive. Il apparaît également que tous les agents sont nommés à l’issue de leur stage... même lorsqu’ils ne conviennent pas. En outre, une formation continue et approfondie des agents au sujet des droits des détenus est une nécessité de premier ordre. Elle est un gage de plus grand respect des normes fondamentales en matière de droits de l’homme. De manière générale, on peut relever que le principal problème lié à la formation des agents résulte, d’une part, de l’inadéquation des modules de formation par rapport à la réalité de terrain et, d’autre part, du fait que ces modules sont trop théoriques. L’OIP a maintes fois souligné que l’absence de formation suffisante et de valorisation entraîne également un manque de respect de certains agents à l’égard de certains détenus. La [direction générale des Établissements pénitentiaires] compte trois centres de formation : les Opleidingscentra voor Penitentiair Personeel (OCPP) de Bruges et de Merksplas pour les formations en néerlandais, et le Centre de Formation du Personnel Pénitentiaire (CFPP) de Marneffe pour les formations en français. L’OCPP de Bruges dispense une formation de base aux membres débutants du personnel pénitentiaire néerlandophone. Le CFPP de Marneffe assume cette tâche pour les membres du personnel francophone. Les cours dispensés à Marneffe concernent l’approche de la délinquance et le sens de la peine, le droit pénal, la justice réparatrice, le statut des agents, la discipline du personnel, la déontologie, le bien-être au travail, les conditions de vie dans les prisons, la sécurité, le maintien de l’ordre, la manière de procéder à la fouille, les drogues... Des visites d’établissements pénitentiaires et d’un tribunal correctionnel sont organisées. Des cours spécifiques à la gestion des conflits s’étendent sur quatre jours. Néanmoins, certains cours, pourtant d’une importance capitale, restent encore trop limités. Il en est par exemple ainsi de l’introduction à la psychologie et des conséquences de l’emprisonnement sur le vécu des détenus. Récemment, le CFPP de Marneffe a lancé un projet de formation spécifique pour les assistants de surveillance pénitentiaire des sections psychiatriques, l’objectif étant de leur proposer pour la première fois des cours adaptés. Cette formation dure dix jours. Encore récemment, certains agents de ces ailes n’étaient pas au courant de l’existence de cette formation. Il y a quelques années la formation de base avait été allongée et durait jusqu’à un an, alternant la théorie et les stages pratiques en prison. Aujourd’hui, cette formation a été rabotée et est ramenée à trois mois ! C’est évidemment insuffisant. En outre, l’OIP constate encore régulièrement la présence sur le terrain d’agents en service n’ayant pas encore reçu leur formation. » Dans son rapport faisant suite à une visite périodique ayant eu lieu du 24 septembre au 4 octobre 2013 (CPT/Inf (2016) 13, publié le 31 mars 2016), le CPT constate ce qui suit concernant le personnel des prisons belges : 100. Dans les prisons visitées, les agents pénitentiaires effectivement présents dans l’établissement étaient en nombre insuffisant pour assurer la sécurité des détenus, la leur ainsi que celle de l’établissement. Aucune sécurité dynamique n’était possible et leurs actions se limitaient souvent à ouvrir et à fermer des portes. La délégation a rencontré de nombreux agents fatigués par ces conditions difficiles de travail et proche de l’épuisement professionnel. [...] 101. Pour assurer le bon fonctionnement d’une prison, il est fondamental de disposer d’un personnel en nombre suffisant, bien formé et encadré, en contact direct avec les détenus afin d’assurer une sécurité dynamique des lieux. Au-delà de la sécurité du personnel et des détenus, les autorités ont l’obligation d’offrir des conditions dignes de détention et de préparer la réinsertion des détenus dans la société. Le CPT recommande que des mesures urgentes soient prises – y compris au niveau budgétaire et des ressources humaines – afin que la présence d’un personnel de surveillance soit conforme aux programmes de travail établis. 102. Pour tenter de pallier ce manque structurel d’agents, des surveillants contractuels avaient été recrutés. Ces personnes étaient déployées sur le terrain après avoir réussi des tests de connaissance et, bien que motivées, n’avaient accès à une formation de trois mois que plusieurs mois après leur prise de fonction. Il appartenait aux agents expérimentés de les former alors qu’ils ne disposaient pas toujours du temps ou des compétences nécessaires pour le faire. Il en allait de même pour les directeurs des établissements qui ne bénéficiaient d’aucune formation spécifique et devaient apprendre de leurs pairs. Le CPT souhaite souligner l’importance qu’il accorde à un recrutement et une formation adéquats du personnel pénitentiaire. Des qualifications professionnelles avancées en techniques de communication interpersonnelle constituent, à cet égard, une composante essentielle du profil des agents. Ces qualifications permettront notamment la maîtrise de situations pouvant dégénérer en violence. Le Comité recommande aux autorités belges de poursuivre leurs efforts pour améliorer la formation initiale et continue des agents pénitentiaires titulaires comme contractuels. Les agents pénitentiaires affectés dans des annexes psychiatriques devraient recevoir une formation adaptée. » B. Considérations générales du CPT sur les méthodes d’immobilisation présentant un risque d’asphyxie Dans son 13ème rapport général d’activités (2002-2003) (CPT/Inf (2003) 35, publié le 10 septembre 2003), le CPT émit les considérations suivantes dans le cadre de l’immobilisation d’étrangers en vue de leur éloignement par voie aérienne : « Dans les situations où une résistance est rencontrée, le personnel d’escorte aura habituellement recours à une immobilisation totale de l’étranger au sol, face contre terre, afin de lui passer les menottes aux poignets. Le maintien de l’étranger dans une telle position, qui plus est avec du personnel d’escorte apposant son poids sur diverses parties du corps (pression sur la cage thoracique, genoux dans les reins, blocage de la nuque) après qu’il se soit débattu, présente un risque d’asphyxie posturale. [...] Le CPT a quant à lui clairement indiqué que l’utilisation de la force et/ou de moyens de contrainte susceptibles de provoquer une asphyxie posturale ne devrait constituer qu’un ultime recours et qu’une telle utilisation, dans des circonstances exceptionnelles, doit faire l’objet de lignes directrices, afin de réduire au minimum les risques pour la santé de la personne concernée. » En outre, le CPT recommande aux États que soit strictement interdit le recours à des techniques de strangulation comme moyen de contrainte (voir le rapport de 2007 relatif à la Suisse, CPT/Inf (2008) 33, publié le 13 novembre 2008, § 201 ; voir également les normes révisées du CPT relatives aux « Moyens de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes », CPT/Inf (2017) 6, publiées le 21 mars 2017, § 3.2) et que soient émises des directives interdisant les techniques d’utilisation de la force physique pouvant entraver les voies respiratoires (voir, par exemple, le rapport de 2011 relatif à la Suisse, CPT/Inf (2012) 26, publié le 25 octobre 2012, § 13, et le rapport de 2012 relatif à la Slovénie, CPT/Inf (2013) 16, publié le 19 juillet 2013, § 67). C. Constatations du CPT concernant le cas de Michael Tekin Dans son rapport faisant suite à une visite périodique ayant eu lieu du 28 septembre au 7 octobre 2009 (CPT/Inf (2010) 24, publié le 23 juillet 2010), le CPT releva : « 89. Lors de sa visite à la Prison de Jamioulx, la délégation a recueilli des informations au sujet du décès d’un détenu survenu le 8 août 2009, à la suite de l’intervention de trois fonctionnaires pénitentiaires. Le détenu, Michael Tekin, un interné qui souffrait de troubles mentaux, avait refusé son transfert vers une cellule d’isolement et l’utilisation par les surveillants d’une technique de contrôle aurait engendré un écrasement de l’os scaphoïde. Selon les informations à disposition du CPT, trois fonctionnaires pénitentiaires auraient été inculpés de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par le Procureur du Roi de Charleroi et une instruction serait en cours. [...] Le CPT souhaite être tenu informé des suites réservées aux différentes enquêtes/poursuites judiciaires en cours, ainsi que des éventuelles suites disciplinaires. Plus généralement, il recommande une révision complète de la formation des surveillants en matière de techniques d’intervention par contrôle manuel. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Michel Lacroix, est un ressortissant français né en 1964 et résidant au Broc. Le requérant, maître de conférence en géologie, enseignant en géotechnique, exerçait les fonctions de conseiller municipal au sein de la Mairie du Broc. Il faisait partie de la majorité municipale. En sa qualité de membre des commissions des finances et des appels d’offre, il était en charge du suivi d’une opération de sécurisation et d’aménagement du domaine public de la route de la Clave située sur cette commune. Au cours de l’année 2009, il dénonça ce qu’il considérait comme des irrégularités affectant deux marchés publics relatifs à la route de la Clave. Concernant les travaux de sécurisation de cette route, il estima qu’il existait des surfacturations et que les prestations effectivement livrées par l’entreprise attributaire du marché étaient inférieures à celles réglées par la commune. Concernant le marché relatif à l’installation d’un équipement de télécommunication (ADSL) sur la route de la Clave, il souleva l’irrégularité de la procédure d’attribution du marché en raison de la présence, au sein de la commission d’appel d’offres et de la commission travaux attributive du marché, de Mme P., première adjointe au maire mais également employée de la société Orange-France Telecom. Le 29 août 2009, il adressa un courrier au préfet des Alpes-Maritimes pour dénoncer l’existence d’irrégularités affectant l’attribution et l’exécution du marché public des travaux de la route de la Clave. Le 8 octobre 2009, le requérant adressa également un courrier électronique à la chambre régionale des comptes pour signaler « des faits inquiétants » liés à l’exécution de plusieurs marchés publics, notamment ceux relatifs aux travaux de la route de la Clave. Lors de la séance du conseil municipal du 2 novembre 2009, au cours de laquelle devait être discuté un avenant au contrat conclu avec la société choisie pour réaliser les travaux en cause, le requérant adressa à M. T., maire de la commune, ainsi qu’à Mme P., première adjointe au maire, les propos suivants : « J’accuse le maire et la première adjointe d’escroquerie (...) sur le marché public de la route de la Clave (...) et je demande leur démission. » Ces propos furent rapportés par le quotidien Nice Matin, dans son édition du 4 novembre 2009 : « C’est la fin du brouhaha. Et puis Lacroix : « j’accuse M. T. et Mme P. d’escroquerie. Et je demande leur démission. » T. blémit. La première adjointe : « escroquerie sur quoi ? » Du tac au tac : « sur le marché public de la route de la Clave ! » Le 9 novembre 2009, le préfet saisit le procureur de la République. Une enquête préliminaire, confiée à la section financière de la brigade de recherches de gendarmerie de Nice, fut ouverte concernant les modalités de passation du marché public en cause. Le 12 janvier 2010, le requérant adressa un courrier électronique accompagné de nombreuses pièces jointes au préfet, afin de dénoncer les agissements du maire qu’il jugeait délictueux et demander des poursuites judiciaires. Dans un tract diffusé la semaine du 25 janvier 2010 et intitulé « Avenir de la CCCA : le temps du débat public ? », le requérant réitéra ses propos, en indiquant : « Élu qui s’est engagé publiquement sur la bonne gestion et accuse le Maire et la Première adjointe d’escroquerie. » Les 29 janvier et 1er février 2010, le requérant et le directeur de la publication de Nice Matin furent cités par M. T. et Mme P. en diffamation publique devant le tribunal correctionnel de Grasse. Par un jugement du 8 septembre 2010, le tribunal relaxa Nice Matin et déclara le requérant coupable du délit de diffamation publique, au motif qu’il n’avait pas établi la réalité des faits dénoncés. Le requérant fut condamné à payer une amende de mille euros (EUR), ainsi qu’à verser à chacune des parties civiles un EUR à titre de dommages-intérêts, outre mille EUR au titre des frais irrépétibles à la commune du Broc. Le requérant puis le ministère public interjetèrent appel de ce jugement. S’agissant de l’enquête préliminaire concernant le marché de travaux publics critiqué par le requérant, celui-ci fut destinataire de trois courriers du procureur de la République des 11 février et 21 décembre 2010, ainsi que du 7 mars 2011, l’informant que l’affaire était toujours en cours, un complément de diligences ayant été demandé le 29 novembre 2010. Cependant, l’avocat du maire et de sa première adjointe reçut quant à lui un courrier émanant du procureur, en date du 6 décembre 2010, indiquant que la procédure faisant suite à la dénonciation émanant du préfet avait été classée sans suite à l’issue de l’enquête préliminaire. Par un arrêt du 7 février 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence déclara le requérant déchu du droit de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires et lui refusa le bénéfice de la bonne foi, en adoptant les motifs suivants : « Attendu que l’emploi du terme escroc à l’occasion d’une critique sur l’exécution d’un contrat public portant sur une opération de sécurisation du domaine public adressé au maire et à la première adjointe de la commune de Le Broc tant lors du conseil municipal, qu’ultérieurement dans un tract diffusé sous la signature et par le prévenu, constitue une atteinte à l’honneur et à la considération de ces élus dont l’intégrité et l’honnêteté sont dans le contexte de l’exercice de leur mandat mises en cause ; Attendu que M. Lacroix a dans son offre de preuve fait élection de domicile à Vence et non à Grasse siège du tribunal correctionnel saisi, aussi conformément au dernier alinéa de l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881, il est déchu du droit de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires poursuivis ; Attendu que les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais qu’elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il a été prudent dans l’expression ; Que ces critères sont cumulatifs et non alternatifs ; Attendu que si la position de M. Lacroix, conseiller municipal, élu sur la liste des parties civiles, pouvait légitimement être développée tant lors du conseil municipal que dans le tract par lui diffusé, la teneur des propos adressés aux parties civiles excède la prudence dans l’expression dont le prévenu, élu local et universitaire de son état, conscient du sens et de la portée des mots, devait assurer la maîtrise, le contentieux invoqué ne relevant de la polémique politique comme la mise en cause de la prise de la décision elle-même relative à l’opération concernée puisqu’il a trait à la probité des parties civiles dans l’exercice de leurs fonctions lors de l’exécution de cette opération ; » La cour d’appel confirma le jugement du tribunal correctionnel, condamnant le requérant pour des faits de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public. Elle déclara cependant irrecevable la constitution de partie civile de la commune du Broc. Par une décision du 27 septembre 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant non admis. Le requérant reçut deux courriers, des 10 mars et 10 avril 2012, l’informant que la procédure, ouverte à la suite de ses dénonciations, pour ingérence et prise illégale d’intérêts était toujours en attente d’une décision chez le substitut du procureur de la République. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en matière de diffamation ont été rappelées par la Cour dans son arrêt Morice c. France ([GC], no 29369/10, § 54, 23 avril 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1945 et réside à Zug. Le 29 mai 2001, le tribunal des assurances sociales condamna la caisse de pension ASGA Pensionskasse des Gewerbes (« la caisse de pension ») à verser rétroactivement au requérant des prestations d’invalidité à compter du 11 juin 1993. Cette décision est devenue définitive. Le 29 août 2003, la caisse de pension informa le requérant du montant de la rente d’invalidité ainsi que du montant de l’arriéré, intérêts inclus. Le 22 décembre 2003, le requérant saisit le tribunal des assurances sociales d’une action contre la caisse de pension, demandant qu’il fût procédé à un nouveau calcul des intérêts. À la suite d’une transaction extrajudiciaire signée les 30 mars et 1er avril 2004, le requérant retira ladite action. Le 14 septembre 2007, le requérant intenta de nouveau – sans être représenté par un avocat – une action contre la caisse de pension devant le tribunal des assurances sociales tendant pour l’essentiel à l’obtention du paiement d’une rente d’invalidité complète à compter du 11 juin 1993 et du paiement d’intérêts – à hauteur de 5 % – sur l’arriéré à compter du 11 juin 1998. Dans sa réponse écrite (Klageantwort) du 19 décembre 2007, la caisse de pension, se référant à la transaction extrajudiciaire signée les 30 mars et 1er avril 2004, demanda le rejet de l’action. Par une décision du 12 mars 2008, le tribunal des assurances sociales débouta le requérant de son action, estimant que la question du montant de la rente faisait partie de l’objet du litige de la procédure précédente et que les prétentions en cause étaient devenues res judicata à la suite du désistement d’action du requérant intervenu en avril 2004. Le 19 avril 2008, le requérant forma un recours de droit public contre cette décision. Il soutenait notamment qu’il n’avait obtenu la réponse écrite de la partie adverse datée du 19 octobre 2007 que le 10 mars 2008. Il plaidait que, le tribunal des assurances sociales ayant prononcé sa décision le 12 mars 2008, lui-même n’avait pas pu répliquer à cette réponse écrite. Il ajoutait que, à l’époque, contrairement à la caisse de pension, il ne connaissait pas l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003, portant sur l’inadmissibilité d’une réserve dans le règlement de ladite caisse de pension. Selon le requérant, cette dernière avait donc commis un dol en omettant de l’informer dudit arrêt avant la conclusion de la transaction extrajudiciaire. Par un arrêt du 8 août 2008, le Tribunal fédéral débouta le requérant. Il indiqua statuer sur la base des faits établis par l’autorité précédente. S’agissant du grief de dol, le Tribunal fédéral le qualifia de nouvel élément de droit, dit qu’il ne pouvait pas examiner celui-ci sur la base des faits tels qu’ils avaient été établis et le déclara dès lors irrecevable. Par ailleurs, il estima que, même si le montant de la rente n’était pas res judicata, il était possible pour le requérant d’avoir pris connaissance de l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 24 novembre 2003 et que, dès lors, il ne pouvait pas arguer d’une erreur essentielle pour se soustraire à l’effet de la transaction extrajudiciaire. Il indiqua que, au moment de la transaction, l’arrêt en question avait déjà été publié sur Internet et dans plusieurs revues de droit. Enfin, le Tribunal fédéral n’examina pas explicitement le grief tiré de la violation du droit de réplique. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (Bundesgesetz über das Bundesgericht), en vigueur à l’époque des faits, sont libellées comme suit : Article 99 « 1 Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente. 2 Toute conclusion nouvelle est irrecevable. » Article 102 – Échange d’écritures « 1 Si nécessaire, le Tribunal fédéral communique le recours à l’autorité précédente ainsi qu’aux éventuelles autres parties ou participants à la procédure ou aux autorités qui ont qualité pour recourir ; ce faisant, il leur impartit un délai pour se déterminer. 2 L’autorité précédente transmet le dossier de la cause dans le même délai. 3 En règle générale, il n’y a pas d’échange ultérieur d’écritures. » Article 121 – Violation de règles de procédure « La révision d’un arrêt du Tribunal fédéral peut être demandée : a. si les dispositions concernant la composition du tribunal ou la récusation n’ont pas été observées ; b. si le tribunal a accordé à une partie soit plus ou, sans que la loi ne le permette, autre chose que ce qu’elle a demandé, soit moins que ce que la partie adverse a reconnu devoir ; c. si le tribunal n’a pas statué sur certaines conclusions ; d. si, par inadvertance, le tribunal n’a pas pris en considération des faits pertinents qui ressortent du dossier. » La loi du 7 mars 1993 sur le tribunal des assurances sociales du canton de Zurich (Gesetz über das Sozialversicherungsgericht) dispose notamment ce qui suit (traduction du greffe) : Paragraphe 19 « 1 Le tribunal donne à la partie adverse l’occasion de se prononcer par écrit. Les moyens de preuve doivent être désignés et, dans la mesure du possible, ils doivent être joints. 2 Lorsque le recours ou l’action paraît manifestement irrecevable ou dépourvu de toute chance de succès, le tribunal peut statuer immédiatement, sans entendre la partie adverse. 3 Le tribunal peut ordonner un second échange d’écritures ou, lorsque les circonstances le justifient, citer les parties à une audience. 4 Les parties sont invitées à compléter leurs écrits lorsque ces derniers sont incomplets ou peu clairs. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Nikolaos Tziovanis et Mme Zoï Tziovani-Gagopoulou résident à Serres. M. Dimitrios Tziovanis et M. Dimitrios Tsobanoudis résident à Athènes. La société requérante a son siège à Athènes. Le 7 mai 2001, la société requérante Athlitiko Kentro (centre sportif) et M. Stefanos Tziovanis, père de certains des requérants décédé par la suite, saisirent le tribunal de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts, fondée sur les dispositions du code civil relatives à la responsabilité pour faute et à l’enrichissement sans cause, contre l’Eglise de Grèce, ainsi que contre une société de construction et son représentant, au sujet de la location d’un centre sportif appartenant à la première défenderesse et gérée par la seconde. L’audience initialement fixée au 19 septembre 2002 fut avancée au 30 mai 2002, à la demande des requérants qui trouvaient la date trop éloignée de celle de l’introduction de l’action. Toutefois, à cette date, l’audience fut reportée au 18 mars 2004. La raison de cet ajournement ne ressort pas du dossier. Par un jugement du 12 juillet 2004, le tribunal de première instance considéra qu’il était incompétent en ce qui concernait la première défenderesse et renvoya l’affaire à la même juridiction, mais siégeant à juge unique, compétente en matière de baux. Le tribunal rejeta comme vague l’action dans la mesure où elle se fondait sur l’enrichissement sans cause. Enfin, il rejeta comme non fondée la partie de l’action relative aux dommages-intérêts : il admit l’objection des défendeurs selon laquelle cette partie de l’action était couverte par la prescription et rejeta, comme vague et non prouvée, la contre-objection des requérants selon laquelle le délai de prescription avait été interrompu car les défendeurs avaient reconnu les prétentions des requérants. Dans leurs observations du 18 février 2004, les requérants avaient soulevé cette contre-objection, fondée sur l’article 260 du code civil, en soutenant que les défendeurs avaient reconnu leur responsabilité pour le dommage économique qu’ils avaient causé aux requérants. De même, dans leurs observations complémentaires du 2 mars 2004 (page 12), ils avaient soutenu que le délai de prescription avait été interrompu par les démarches répétées auprès des défendeurs. Le 18 janvier 2005, la société requérante et les trois autres requérants, qui avaient succédé entretemps à Stefanos Tziovanis, décédé, interjetèrent appel devant la cour d’appel d’Athènes. Le 12 mai 2005, les requérants invitèrent la cour d’appel à fixer la date de l’audience. Celle-ci eut lieu le 17 novembre 2005. Dans leur acte d’appel, du 12 janvier 2005, ils soulevaient deux moyens. D’une part, ils alléguaient que le tribunal de première instance avait accueilli l’objection relative à la prescription soulevée par la partie adverse, mais en se fondant sur des motifs contraires à la loi et aux éléments de preuve présentés. Selon eux, le délai de prescription avait commencé à courir non pas à compter du 6 mai 1996, mais à compter du 7 mai 1996 et, et avait pris fin le 7 mai 2001 et non le 6 mai 2001 qui était un dimanche. Or c’était à juste titre qu’ils avaient notifié leur action aux défendeurs le 7 mai 2001 et avaient ainsi interrompu la prescription à cette date. D’autre part, ils soutenaient que le point de départ du délai de prescription ne commençait pas, comme l’affirmait le jugement attaqué, en 1994 ou, en tout état de cause, les 22 ou 30 avril 1996, mais le 6 mai 1996, date à laquelle le centre sportif avait été scellé. Dans leurs observations complémentaires en appel, du 30 septembre 2005 (page 20), les requérants relevaient dans un membre de phrase ce qui suit : « (...) notre prétention est soumise à la prescription de vingt ans et dans tous les cas, les défendeurs ainsi que l’Eglise de Grèce, ont reconnu cette prétention et se sont déclarés prêts à nous rembourser. Toutefois, nous n’avons pas accepté les montants dérisoires qu’ils nous ont proposés. Notre prétention ne tombait pas sous le coup de la prescription de cinq ans, comme nous l’exposons clairement et en détail dans notre acte d’appel ; c’est pour cette raison que nous considérons comme superflu une nouvelle analyse des dispositions et faits pertinents qui réfute l’objection des défendeurs. » En outre, ils faisaient état des démarches qu’ils avaient entreprises auprès des défendeurs afin que ceux-ci redressent le préjudice qu’ils leur avaient causé et rappelaient qu’ils avaient indiqué devant le tribunal de première instance les faits qui fondaient leur contre-objection relative à l’interruption du délai de prescription. Ils concluaient que le jugement attaqué avait commis une erreur en ne prenant pas en compte la contre-objection qu’ils avaient formulée et qu’ils avaient prouvée par des témoins et par divers documents. Par un arrêt du 17 juillet 2006, rectifié par un second arrêt du 2 février 2007 en raison de certaines erreurs matérielles du premier, la cour d’appel infirma le jugement attaqué mais en même temps déclara l’action des requérants irrecevable pour défaut de locus standi, compte tenu de la prescription de leurs prétentions. De plus, elle jugea que les allégations des requérants relatives à l’interruption du délai de prescription étaient irrecevables car non invoquées en première instance. Enfin, la cour d’appel souligna que la contre-objection des requérants, relative à l’interruption du délai de prescription, n’était pas conforme au droit car les démarches auprès des défendeurs n’étaient pas de nature à interrompre ce délai. Le 22 février 2007, les requérants déposèrent un pourvoi en cassation. Dans leur pourvoi (daté du 21 février 2007), ils formulaient deux moyens : le premier portait sur le point de départ du délai de prescription et sur l’application erronée de la législation pertinente, le deuxième concernait la contre-objection relative à l’interruption de ce délai et l’omission de la cour d’appel de l’examiner en dépit du fait que cette contre-objection avait déjà été soulevée en première instance, tant dans leurs observations du 18 février 2004 que dans leurs observations complémentaires du 2 mars 2004. Le 7 mars 2007, la Cour de cassation fixa l’audience au 4 février 2008. Par un arrêt du 19 mai 2008 mis au net et archivé le 31 octobre 2008 la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle s’exprima ainsi : « Selon l’article 562 § 2 du code de procédure civile, un moyen de cassation qui se fonde sur un argument qui n’a pas été légalement soulevé devant la juridiction du fond est irrecevable, sauf s’il s’agit a) d’une irrégularité qui ne pouvait pas être soulevée devant la juridiction du fond, b) d’une erreur qui résulte de la décision [attaquée] elle-même, c) d’un argument relatif à l’ordre public. En conséquence, pour qu’un moyen de cassation soit précis, il convient que les éléments militant pour sa recevabilité en ressortent facilement (...), c’est-à-dire qu’il doit être clair que l’allégation sur laquelle il se fonde a été présentée devant la juridiction du fond pendant l’audience qui a donné lieu à la décision attaquée. Le deuxième moyen de cassation, tiré de l’article 559 § 14 du code de procédure civile, selon lequel la cour d’appel a commis une erreur en déclarant irrecevable la demande des requérants quant à l’interruption du délai de prescription en raison de la reconnaissance par les défendeurs de la prétention (article 260 du code civil), doit être rejeté notamment comme vague, car il n’est pas indiqué que cette allégation (...) avait été invoquée par les requérants devant la cour d’appel (...) dans leurs moyens d’appel ou dans leurs observations complémentaires en appel, pendant l’audience qui a donné lieu à l’arrêt attaqué. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure civile prévoient : Article 118 § 4 « Les documents remis par une partie à l’autre ou soumis au tribunal doivent mentionner : L’objet du document, de manière claire, précise et brève. » Article 226 § 5 « Toute demande d’une partie tendant à l’examen prioritaire d’une requête, d’une action ou d’une voie de recours devant toute juridiction, pour toute procédure, (...) doit être soumise par écrit. Sous peine d’irrecevabilité, la demande doit indiquer les motifs pour lesquels une priorité doit être accordée à l’affaire et le juge compétent se prononce par décision motivée. » Article 559 « Le pourvoi est permis seulement dans les cas suivants : (...) 14) si le tribunal, en méconnaissance de la loi, a conclu ou n’a pas conclu, à la nullité, à la déchéance d’un droit ou à l’irrecevabilité (...) » Article 562 § 2 « Tout moyen de cassation fondé sur un argument qui n’a pas été légalement soulevé devant la juridiction du fond est irrecevable, sauf s’il s’agit a) d’une irrégularité qui ne pouvait pas être soulevée devant la juridiction du fond, b) d’une erreur qui résulte de la décision [attaquée] elle-même, c) d’un argument relatif à l’ordre public. » Article 562 § 4 « Exceptionnellement, la Cour de cassation examine d’office, après proposition du juge rapporteur (...) les moyens de cassation qui sont indiqués aux points (...) 14 (...) de l’article 559. » Article 566 § 1 « Le texte du pourvoi doit inclure les éléments mentionnés aux articles 118 à 120, mentionner la décision attaquée, les moyens de cassation, (...) » Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’article 562 § 2 consacre le principe selon lequel la Cour de cassation contrôle la légalité des décisions prises par les juridictions inférieures sur la base des éléments factuels et juridiques qui devaient être pris en compte par le juge du fond. La Cour de cassation admet, ainsi, que l’article 562 § 2 du code de procédure civile consacre une condition spéciale de recevabilité, selon laquelle le pourvoi en cassation doit faire ressortir que les arguments servant de fondement aux moyens de cassation avaient légalement été soulevés devant les juridictions de fond (voir, entre autres, Cour de cassation (formation plénière) arrêt no 43/1990). L’article 260 du code civil dispose : « La prescription est interrompue lorsque le débiteur a reconnu, de quelque manière que ce soit, la prétention du créancier. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1947 et réside à Zimnicea. Ancien procureur, le requérant exerçait, au moment des faits, le métier d’avocat. A. La procédure pénale contre le requérant Par une résolution du 7 juin 1994, le parquet près le tribunal départemental de Bihor décida l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du requérant pour des coups et blessures infligés à un tiers. Le déroulement de la procédure pénale contre le requérant se trouve décrit, jusqu’au 3 juin 2003, dans l’arrêt Pantea c. Roumanie (no 33343/96, §§ 1572, CEDH 2003VI (extraits)). Le 3 juin 2003, date à laquelle la Cour a rendu l’arrêt précité, la procédure pénale contre le requérant était pendante devant le tribunal de première instance de Craiova. Par un jugement du 19 juin 2003, le tribunal de première instance condamna le requérant à une peine de 262 jours d’emprisonnement pour atteinte grave à l’intégrité physique, infraction réprimée par l’article 182 § 1 du code pénal, et le condamna à payer à la partie lésée des dommagesintérêts pour préjudice moral et matériel. Le requérant interjeta appel. Le dossier fut ensuite examiné par huit instances dans trois cycles procéduraux. La cour d’appel de Craiova, en tant que juridiction de dernier degré, le renvoya à trois reprises devant le tribunal départemental, au motif que ce dernier n’avait pas éclairci l’ensemble des éléments nécessaires pour établir la vérité et ne s’était pas conformé aux instructions de la cour d’appel. Au cours de la procédure, le tribunal départemental constata l’extinction des poursuites contre le requérant pour cause de prescription (arrêt du 30 mai 2007). Dans son pourvoi en recours contre cet arrêt, le requérant se plaignit d’une mauvaise appréciation des preuves par les juridictions inférieures, qui aurait illégalement conduit à sa condamnation au pénal et aurait eu de conséquences sur l’issue du volet civil de l’affaire. En outre, le 22 octobre 2007, lorsque la procédure était pendante devant la cour d’appel de Craiova, le requérant excipa de l’inconstitutionnalité de l’article 13 du code de procédure pénale qui régissait la procédure par laquelle les tribunaux pouvaient continuer l’examen d’une affaire après l’extinction des poursuites pour cause de prescription. Il estimait, notamment, qu’une fois le constat d’extinction fait, si l’inculpé décidait de faire continuer l’examen de l’affaire, la procédure devait reprendre devant le tribunal de première instance, afin de permettre à l’intéressée d’avoir accès à un double degré de juridiction. Le 28 novembre 2007, la cour d’appel prit note de cette demande, sursit à l’examen de l’affaire et renvoya l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour Constitutionnelle. Le 22 avril 2008, la Cour Constitutionnelle rejeta pour cause d’irrecevabilité la demande du requérant, au motif que celle-ci visait une prétendue omission de la loi et non pas la conformité de la loi avec la Constitution ; or, la Cour Constitutionnelle n’était compétente que pour examiner la compatibilité d’une loi existante avec la Constitution. Le 27 juin 2008, la cour d’appel reprit l’examen de l’affaire diligentée à l’encontre du requérant. L’examen de l’affaire a été reporté par les tribunaux environ soixante fois, le requérant étant à l’origine de plus de la moitié de ces demandes de renvoi s’élevant à plus de deux ans. Confrontées à de nombreuses demandes d’ajournement de sa part lors de la procédure, les juridictions constatèrent qu’il avait un comportement dilatoire (arrêt du 4 juillet 2005 du tribunal départemental de Dolj). L’arrêt définitif fut adopté le 29 novembre 2010 par la cour d’appel de Bacău. Se fondant sur les dispositions des articles 998 et 999 du code civil, régissant la responsabilité civile délictuelle (Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 142, 24 juin 2008), la cour d’appel octroya à la partie civile, pour dommages et intérêts, la somme de 19 997 000 lei roumains (ROL) ainsi que 450 000 ROL en prestations mensuelles, compte tenu de la responsabilité du requérant pour les lésions subies par la partie civile. B. L’interception des conversations téléphoniques du requérant Le 4 avril 2007, un procureur du service d’enquête sur les infractions de criminalité organisée et de terrorisme d’Alba informa le requérant, en vertu de l’article 911 paragraphe 5 du code de procédure pénale (CPP), qu’au cours des poursuites pénales dirigées contre un groupe de personnes soupçonnées de contrebande et d’évasion fiscale, ses conversations téléphoniques avaient été interceptées par les autorités compétentes. Par réquisitoire du 5 avril 2007, le parquet renvoya en jugement plusieurs personnes soupçonnées de contrebande et d’évasion fiscale, parmi lesquelles Z.T., que le requérant représentait à l’époque en tant qu’avocat. Le parquet s’appuyait, comme élément de preuve à charge, sur les transcriptions de leurs communications téléphoniques interceptées par les services spéciaux. Par la même décision, le parquet rendit un non-lieu à l’égard du requérant, au motif qu’il ne ressortait pas des éléments de preuve rassemblés qu’il aurait été impliqué dans les faits reprochés à Z.T. Le 7 août 2008, le requérant porta plainte contre les procureurs, les juges et les policiers d’Alba Iulia qui avaient demandé, autorisé ou exécuté l’interception de ses conversations téléphoniques sur son téléphone fixe et mobile. Il les accusait d’avoir violé le secret de sa correspondance et de l’avoir empêché d’exercer son métier d’avocat dans le respect des conditions de confidentialité avec ses clients. Il portait également plainte contre des auteurs inconnus, qui l’avaient appelé sur son téléphone mobile et lui avaient parlé en russe, en prononçant le nom du président de la Russie, selon lui, pour le provoquer. Par une décision du 14 juillet 2008, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rendit un non-lieu à l’égard des personnes contre lesquelles le requérant avait porté plainte. Il nota que l’interception des conversations avait été demandée par le procureur et autorisée par le tribunal départemental d’Alba, le 16 novembre 2006, selon la procédure mise en place par le CPP, en raison d’indices relatifs à la constitution d’un groupe criminel. Il précisait qu’à l’issue des interceptions des communications de Z.T., celui-ci avait été appelé par une personne dénommée « Pantea » et que, dès lors, le tribunal avait également autorisé l’interception des communications du requérant, sans savoir qu’il s’agissait, en réalité, de l’avocat de Z.T. Le parquet conclut qu’aucune faute ne pouvait être reprochée aux juges, procureurs et policiers contre lesquels le requérant avait porté plainte, lesquels avaient selon lui agi conformément à la loi. Pour arriver à cette conclusion, le procureur entendit le requérant et des témoins, ainsi que les personnes visées dans la plainte et examina les autorisations d’interceptions délivrées par le tribunal sur demande des enquêteurs. Par une décision du 13 août 2008, le procureur en chef du même parquet confirma, sur plainte du requérant, le non-lieu rendu le 14 juillet 2008. Le requérant n’a pas contesté cette décision devant le tribunal.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant affirme être né en 1972 à Khartoum, au Soudan. Il réside actuellement dans le canton de Zurich. Le requérant allégua appartenir à l’ethnie arabe, avoir travaillé, au Soudan, dans une station de lavage de voitures et avoir nettoyé les différentes voitures qu’un client, membre du Mouvement pour la justice et l’égalité (« JEM »), lui apportait presque quotidiennement. Il affirma que les autorités soudanaises l’avaient arrêté et contrôlé, alors qu’il garait la voiture de ce client, qu’elles avaient trouvé environ 25 armes dans la voiture et qu’elles l’avaient enlevé. Il indiqua avoir été interrogé et maltraité par lesdites autorités durant 45 jours, puis, seulement deux semaines après sa libération, avoir été enfermé durant cinq jours. Il exposa que son client lui avait par la suite conseillé de quitter le pays, lui avait donné de l’argent à cet effet et lui avait obtenu un visa de tourisme pour la Turquie. Par ailleurs, il affirma avoir appris, suite à son départ du pays, que les autorités soudanaises l’avaient recherché. Il indiqua avoir légalement quitté le Soudan fin 2008, avoir transité par la Turquie, s’être rendu en Grèce, y avoir déposé une demande d’asile et y être resté quatre années, avoir ensuite transité par l’Italie et avoir finalement rejoint la Suisse. Le requérant entra en Suisse le 7 mars 2013 et déposa une demande d’asile le même jour. L’Office fédéral des migrations (désormais le Secrétariat d’État aux migrations [« SEM »]) auditionna le requérant les 15 mars 2013, sommairement, et 17 avril 2013, conformément à l’article 29 de la loi sur l’asile. Par une décision du 11 février 2014, le SEM considéra que le requérant n’avait pas la qualité de réfugié, rejeta sa demande d’asile et ordonna son renvoi de Suisse. Il indiquait que les motifs d’asile allégués ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance. Il relevait que, d’une audition à l’autre, le requérant s’était contredit à plusieurs reprises s’agissant de la durée de sa première détention, parlant de quinze puis 45 jours ; de son lieu de détention, qu’il avait d’abord dit connaître, avant d’affirmer le contraire ; du nombre de membres des services de sécurité ayant procédé à son enlèvement, en mentionnant quatre puis trois ; du bandeau lui couvrant les yeux, affirmant qu’il lui avait été attaché seulement une fois arrivé sur son lieu de détention, puis dès l’enlèvement ; de la date de sa première arrestation, parlant de deux dates à plusieurs mois d’écart ; de sa deuxième arrestation, indiquant qu’elle avait eu lieu quinze jours après sa libération, puis un mois et demi après cette même libération ; et de ses connaissances au sujet des activités de son client, affirmant n’avoir appris qu’il avait travaillé avec le leader d’une organisation rebelle du Darfour qu’après sa fuite du pays, puis que son client lui en avait parlé personnellement au Soudan. Le SEM considérait également que le renouvellement de son passeport, peu avant de quitter le Soudan, et son départ légal du pays montraient que ses allégations de persécution par les services de sécurité soudanais ne correspondaient pas à la réalité. Il indiquait enfin que ni les motifs médicaux allégués ni aucun autre élément ne s’opposaient à son renvoi vers le Soudan. Le 17 mars 2014, le requérant recourut contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (« TAF »). Il faisait valoir qu’il courrait le risque d’être persécuté au Soudan en raison de sa coopération avec un membre du JEM. Il reprochait à l’autorité de première instance de ne pas avoir examiné ses allégations relatives à sa détention et aux mauvais traitements qui lui avaient été infligés par les autorités soudanaises et affirmait que ses propos étaient globalement crédibles. Subsidiairement, il alléguait être en danger en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Il faisait valoir qu’il était membre du JEM et qu’il avait participé à plusieurs séances et manifestations organisées par ce mouvement en Suisse. Il indiquait avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy et y avoir eu des contacts avec des opposants au régime soudanais. Le requérant concédait n’être qu’un simple membre du JEM, considérant toutefois que cela ne suffisait pas à affirmer que les autorités soudanaises se désintéressaient de sa personne. Il rappelait que le JEM, également actif à l’étranger, était combattu militairement par le gouvernement soudanais. Enfin, le requérant alléguait un danger pour sa santé et un risque important de suicide en cas de renvoi vers le Soudan. Lors de la procédure devant le TAF, le requérant fournit sa carte d’identité, son acte de naissance, une carte de membre du JEM, un badge à son nom attestant de sa participation au Geneva Summit for Human Rights and Democracy, des photographies, notamment de lui-même en compagnie du leader du JEM, et un document concernant ses activités politiques en Suisse. Le TAF rejeta le recours du requérant par un arrêt du 4 juin 2014, notifié le 6 juin 2014. Il considérait que les contradictions relevées par le SEM n’avaient pas pu être expliquées. Il concédait que certaines d’entre elles ne pouvaient pas être qualifiées de déterminantes, indiquant toutefois que, globalement, les contradictions émaillant le récit du requérant remettaient sérieusement en question la véracité de ses propos. Il relevait que les descriptions par le requérant de sa détention et des tortures infligées par les autorités soudanaises ne pouvaient être qualifiées de particulièrement étayées ou claires. Il soulignait, s’agissant des détails fournis, qu’ils demeuraient en-dessous de ce qui pouvait être attendu dans ce genre de cas. Il ajoutait que le départ du requérant du Soudan s’était fait en toute légalité, peu après avoir fait prolongé son passeport, et concluait à l’absence de persécution de la part des autorités soudanaises. S’agissant des motifs d’asile postérieurs à la fuite allégués par le requérant, le TAF soulignait que le requérant n’avait fait valoir ses activités politiques en exil qu’au stade du recours et considérait que son engagement politique, qui n’était documenté que depuis octobre 2013, devait être considéré comme marginal. Il retenait en particulier que le requérant n’occupait pas de position exposée au sein du JEM, que son engagement personnel n’était pas important, qu’il n’avait jamais représenté son organisation et que son nom n’avait jamais été cité. Il considérait dès lors que l’on pouvait partir du principe qu’il n’était pas connu du gouvernement soudanais et concluait à l’absence de motifs de crainte de persécutions futures. Au surplus, le TAF considérait qu’aucun élément ne s’opposait au renvoi du requérant vers le Soudan. Il indiquait en particulier, s’agissant des motifs médicaux allégués par le requérant, que ses problèmes psychiques ne nécessitaient vraisemblablement pas de traitement médical et qu’il n’avait fourni ni rapport ni certificat médical justifiant la mise en place d’un tel traitement. Au cours de la procédure devant la Cour, le requérant affirma encore, s’agissant de ses activités politiques en exil, avoir participé à plusieurs séances et manifestations, notamment organisées par la section suisse du JEM, à l’assemblée générale de ce mouvement, à une séance à l’occasion d’un événement organisé par une organisation non gouvernementale (« ONG ») agissant pour la promotion du respect du droit international humanitaire, à un événement à caractère informatif traitant des discriminations dans le Kordofan du Sud et à une manifestation dénonçant les crimes commis au Darfour et au Kordofan du Sud, au cours de laquelle une pétition fut adressée à divers organes de l’Organisation des Nations unies (« ONU »). Il allégua également qu’il assistait régulièrement le leader suisse du JEM dans la préparation d’une émission de radio. Le requérant transmit à la Cour divers documents, en particulier des photographies, concernant ses activités politiques en Suisse. II. LE DROIT INTERNE, LA PRATIQUE INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Les articles 3 et 54 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (« LAsi », RS 142.31) prévoient ce qui suit : Article 3 : Définition du terme de réfugié « 1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui font valoir des motifs résultant du comportement qu’elles ont eu après avoir quitté leur pays d’origine ou de provenance s’ils ne constituent pas l’expression de convictions ou d’orientations déjà affichées avant leur départ ni ne s’inscrivent dans leur prolongement. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées. Article 54 : Motifs subjectifs survenus après la fuite L’asile n’est pas accordé à la personne qui n’est devenue un réfugié au sens de l’art. 3 qu’en quittant son État d’origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur. » Les autres dispositions de droit interne pertinentes ont été exposées dans les arrêts A.A. c. Suisse (no 58802/12, § 19, 7 janvier 2014) et M.A. c. Suisse (no 52589/13, §§ 30-34, 18 novembre 2014). B. La pratique interne pertinente Dans un arrêt E-678/2012 du 27 janvier 2016, le TAF reconnut la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre à la fois du DFEZ et du JEM, en particulier en raison de ses activités politiques en exil. Dans cet arrêt, le TAF indiquait qu’il fallait considérer que les activités politiques en exil des requérants d’asile étaient connues du gouvernement soudanais, que les services secrets surveillaient et contrôlaient les mouvements d’opposition à l’étranger, que les renseignements obtenus étaient analysés au Soudan et qu’ils étaient, entre autres, mis à la disposition des militaires. Il considérait qu’une surveillance complète des activités politiques à l’étranger était susceptible de dépasser les capacités financières, techniques et en termes de personnel du gouvernement soudanais, mais que les personnes qui, en raison de circonstances particulières, se distinguaient du cercle plutôt anonyme des simples participants aux événements politiques des organisations en exil, pouvaient être ciblées par ledit gouvernement. Le TAF relevait aussi que le JEM était l’une des plus importantes organisations rebelles au Soudan et qu’il était combattu par tous les moyens par les autorités soudanaises. Il indiquait que, le JEM ayant acquis une certaine légitimité en lien avec le conflit au Darfour et le gouvernement soudanais étant discrédité, le danger que représentait cette organisation aux yeux des autorités soudanaises avait augmenté, ce qui avait dès lors entraîné un comportement plus sévère de leur part à l’encontre des membres du JEM. S’agissant du cas particulier, le TAF considérait que la crainte de l’intéressé d’être victime de sérieux préjudices de la part du régime soudanais en cas de retour dans son pays d’origine était justifiée. Pour en arriver à cette conclusion, le TAF prit en compte le degré d’exposition de l’intéressé résultant de ses activités pour le compte du JEM, le qualifiant toutefois de pas très important, son engagement depuis 2007 au sein de cette organisation, sa participation active aux événements que le JEM avait organisés, ses rencontres avec des politiciens en exil, ses contacts personnels avec un membre éminent de l’opposition ainsi que sa qualité de membre actif du DFEZ. Enfin, il accorda également de l’importance à l’appartenance du demandeur à la fois à l’élite culturelle et à une minorité ethnique. C. Les documents internationaux pertinents Rapports d’experts pour le compte des Nations unies Dans son rapport du 28 juillet 2016, l’expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies relevait que des défis majeurs en matière de droits de l’homme subsistaient au Soudan. Malgré la tenue du dialogue national du Soudan (Sudan’s National Dialogue), boycotté par une part importante de l’opposition, dont le JEM, il existait une préoccupation croissante s’agissant des actions invasives du NISS et de leur impact sur l’exercice des droits civils et politiques et de nombreuses arrestations arbitraires et détentions au secret avaient été reportées. La peine de mort continuait à être appliquée, en particulier contre des membres des groupes armés du Darfour, tel le JEM. La situation des droits de l’homme demeurait précaire au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu. Des centaines de milliers de civils continuaient de souffrir des effets du conflit armé à travers des attaques directes, des déplacements et un accès limité à l’aide humanitaire. Dans le résumé de leur rapport du 9 janvier 2017, un panel d’experts du Soudan constatait que le JEM n’avait plus de présence importante au Darfour en raison de la stratégie de contre-insurrection efficace du gouvernement soudanais, qu’il opérait désormais principalement au Soudan du Sud et qu’il s’engageait dans des activités de mercenaires et supposément criminelles dans ce pays. Rapports du Secrétaire général des Nations unies concernant l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour à l’attention du Conseil de sécurité des Nations unies Dans son rapport du 23 décembre 2016, le Secrétaire général des Nations unies observe ce qui suit : « Aucun conflit armé majeur n’a eu lieu au Darfour au cours de la période considérée. Toutefois, la situation est restée instable en l’absence de progrès vers un accord global à même de remédier aux causes profondes de la violence. (...) Aucun affrontement n’a été signalé entre le Gouvernement et les forces du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et de la faction Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (ALS/MM) depuis avril 2015 et avril 2016, respectivement. À la suite du cessez-le-feu proclamé par le Président, ces deux mouvements armés, en tant que membres du Front révolutionnaire soudanais, ont annoncé le 30 octobre qu’ils cessaient unilatéralement les hostilités à des fins humanitaires pour une durée de six mois. » Dans son rapport du 23 mars 2017, le Secrétaire général des Nations unies relève ce qui suit : « Au cours de la période considérée, les affrontements armés au Darfour continuent de baisser en intensité, et aucun combat de grande ampleur entre le Gouvernement et les groupes rebelles n’a été signalé, y compris dans le Jebel Marra. (...) Toutefois, les attaques contre les déplacés et les civils pour des questions de territoire, d’eau et de moyens de subsistance se sont poursuivies, en particulier celles commises par des milices armées. (...) L’ampleur globale des déplacements est restée la même. Malgré une amélioration des conditions de sécurité, la dynamique du conflit au Darfour a été la conséquence du caractère instable et imprévisible de la situation sur le terrain ainsi que de l’absence de progrès tangible en ce qui concerne la lutte contre les causes et les conséquences du conflit. (...) Aucun affrontement n’a été signalé entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles, y compris les factions Abdul Wahid et Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (respectivement ALS-AW et ALS-MM) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). (...) Le 8 mars 2017, après la libération, sous les auspices du Président ougandais, de 125 prisonniers de guerre soudanais par le Mouvement populaire de libération du SoudanNord (MPLS-N), le Président Al-Bashir a signé un décret par lequel il a gracié 259 combattants capturés au cours d’affrontements passés et, notamment, commué les peines de mort prononcées contre 66 membres de la faction Gibril Ibrahim du MJE (MJE-faction Gibril Ibrahim) et de l’ALS-MM. Le Président a également accordé une amnistie générale à 181 combattants du MJE-faction Gibril Ibrahim et à 12 membres de l’ALS-AW et de l’ALS-MM impliqués dans des combats contre les forces gouvernementales en 2015. » Rapport 2015 du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni sur les droits de l’homme et la démocratie Dans son rapport du 21 avril 2016, le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni relevait que, de manière générale, il n’y avait pas eu d’amélioration significative sur le plan des droits de l’homme au Soudan en 2015. S’il y avait eu moins de combats que les années précédentes, en raison de cessez-le-feu, les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeaient avec des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par toutes les parties aux conflits, mais majoritairement par le gouvernement. Les pouvoirs et l’immunité des services de sécurité restaient préoccupants et le gouvernement manifestait peu de volonté d’entreprendre des réformes. La jurisprudence pertinente de la Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni La Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume Uni (the Immigration and Asylum Chamber of the United Kingdom Upper Tribunal « le Tribunal Supérieur du RoyaumeUni »), dans sa décision IM and AI (Risks – membership of Beja Tribe, Beja Congress and JEM) Sudan (CG) [2016] UKUT 00188 (IAC) du 14 avril 2016, considérait que les informations consultées laissaient apparaître une distinction claire entre les personnes arrêtées pour une courte durée, questionnées, probablement intimidées, voire malmenées sans avoir subi ou risqué de subir un sérieux préjudice, et celles confrontées à un risque bien plus important de sérieux préjudice. Le Tribunal Supérieur du RoyaumeUni indiquait qu’il fallait faire des distinctions parmi ceux dont l’activité politique n’était pas importante, ou pas perçue comme telle, ou qui n’avaient pas beaucoup d’influence. Il relevait que s’il suffisait de peu pour que le NISS ouvre un fichier, le fait même qu’autant de personnes fussent identifiées comme cibles potentielles impliquait toutefois inévitablement que le NISS distinguât entre ceux qu’il considère comme un réel danger et les autres. Le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni considérait que, pour rendre crédible un risque, il n’était pas suffisant que l’intérêt des autorités se limite au phénomène extrêmement commun d’arrestation et de détention qui, bien qu’intimidant et pensé pour être intimidant, n’atteignait pas le seuil de la persécution. Il considérait qu’il était clair que les autorités soudanaises s’appuyaient sur la récolte de renseignements sur les activités des membres de la diaspora qui incluaient la surveillance secrète. Il indiquait que la nature et l’étendue des activités de l’appelant donnaient des informations pour déterminer s’il était probable que ces activités attirent l’attention des autorités soudanaises, tout en gardant à l’esprit la probabilité que les autorités devraient distinguer parmi un groupe potentiellement important d’individus entre ceux qui justifient d’être ciblés et les autres. Il exposait qu’il convenait de dresser un tableau aussi complet que possible de la situation de l’appelant en prenant en considération tous les éléments pertinents, y compris ceux qui n’avaient pas été établis, même selon une norme de preuve inférieure. Il concluait que les coûts et efforts évidents qu’impliquaient la collecte de ces informations rendaient probable que ces ressources soient ciblées sur ceux qui présentaient les risques les plus évidents et, que dans une foule, il n’était pas probable que la surveillance vise à identifier les participants subalternes et plus probable qu’elle se concentre sur les dirigeants, les organisateurs, ceux qui étaient souvent ou régulièrement vus à ce genre d’événements et ceux présents à des événements qui soient susceptibles d’attirer une attention particulière de la part des officiels soudanais. Informations sur le pays et directives du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni Dans deux documents publiés en août 2016, concernant le traitement des requérants d’asile soudanais à leur retour au Soudan et le traitement des personnes ayant été actives politiquement au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquait que la Commission des réfugiés, affiliée au Ministère de l’Intérieur soudanais, était responsable de la surveillance des réfugiés soudanais à l’étranger et qu’elle entretenait vraisemblablement des liens étroits avec le NISS, lui-même responsable d’importantes violations des droits de l’homme au Soudan. Le Bureau de l’Intérieur précisait que le NISS était responsable du contrôle des frontières et qu’un amendement récent à la Constitution soudanaise lui permettait de remplir des tâches habituellement confiées aux forces armées. Il soulignait que les personnes suspectées de constituer une menace pour l’État pouvaient être détenues sans être inculpées durant 45 jours, que cette période pouvait être prolongée de trois mois et que les membres du NISS jouissaient de l’impunité pour les actes qu’ils commettaient dans l’exercice de leurs fonctions. S’agissant du retour des requérants d’asile déboutés ayant eu des activités politiques au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur relevait que le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni, dans sa décision IM et AI du 14 avril 2016 (paragraphe 23 ci-dessus), n’avait pas défini une liste de facteurs de risques, mais avait en revanche insisté sur la nécessité d’examiner l’ensemble des faits. Le Bureau de l’Intérieur indiquait toutefois que les facteurs suivants, qui ne devaient pas être considérés comme une liste de contrôle exhaustive, pouvaient être pertinents : les autorités se sont déjà intéressées à la personne concernée par le passé, que ce soit au Soudan ou à l’étranger ; la personne concernée a promu des opinions hostiles au régime soudanais à travers divers médias en ligne ; la personne concernée a ou a eu des contacts avec des groupes de l’opposition en exil, y compris en participant à des réunions ou manifestations publiques, ou a un profil en ligne en lien avec des groupes de l’opposition ou une adresse email liée à ces groupes ; la nature du groupe d’opposition concerné et la mesure dans laquelle il est ciblé par le gouvernement ; les relations personnelles ou familiales de la personne concernée avec des figures notoires de l’opposition au régime soudanais. Rapport commun du Service danois de l’immigration et du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni Dans leur rapport commun d’août 2016 portant sur la situation des personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, le Service danois de l’immigration et le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquaient que les personnes présentant un profil politique retournant au Soudan étaient susceptibles d’être questionnées et arrêtées à leur arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Ils soulignaient qu’avoir demandé l’asile à l’étranger ne posait pas de problèmes avec les autorités soudanaises, lors du retour, pour les personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, à l’exception des personnes revenant d’Israël. Ces personnes ne rencontraient pas de difficultés accrues en raison d’un long séjour à l’étranger ou du fait qu’elles voyageaient avec des documents d’identités provisoires et l’appartenance ethnique d’une personne n’affectait pas le traitement reçu à son arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Plusieurs sources expliquaient que les passagers arrivant audit aéroport passaient par deux types de contrôle : un contrôle des documents et des permis de séjour auprès d’un bureau de l’immigration puis un contrôle de sécurité effectué par le NISS. Rapport 2015 du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur les pratiques en matière de droits de l’homme Dans son rapport du 13 avril 2016, le Département d’État des ÉtatsUnis d’Amérique indiquait que le conflit entre le gouvernement et les rebelles au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeait et que toutes les parties aux conflits commettaient des violations des droits de l’homme. En janvier 2015, de nouveaux amendements à la Constitution élargissaient le mandat du NISS, lui confiant des tâches précédemment réservées aux forces armées, alors que l’impunité demeurait un problème courant dans toutes les branches des forces de sécurité. Le Département d’État indiquait encore que les forces de sécurité avaient arrêtés trois hommes accusés d’avoir transmis des informations au JEM au DarfourOccidental en juillet 2015, que l’un d’entre eux avait prétendument été torturé à mort et que les deux autres restaient en détention. Par ailleurs, 76 membres du JEM étaient encore emprisonnés à la fin 2015. Rapports d’ONG Dans son rapport mondial du 12 janvier 2017, Human Rights Watch exposait que le bilan du Soudan en matière de droits de l’homme restait épouvantable pour 2016 et relevait que les autorités bloquaient la participation de membres de la société civile à des événements internationaux tel l’examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme à Genève. Dans son rapport international 2016/2017 du 22 février 2017, Amnesty International indiquait que la situation sécuritaire et humanitaire au Darfour, dans le Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu demeurait désespérée et que des indices suggéraient que des armes chimiques avaient été utilisées par les forces gouvernementales au Darfour.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, journaliste et réalisateur de films et de documentaires, était un opposant au régime iranien. Il arriva en Grèce le 22 août 2011 et fut arrêté par les autorités. Il soutient avoir alors demandé l’asile, mais, selon lui, les autorités n’enregistrèrent pas sa demande. Il séjourna six jours à l’extérieur du bâtiment du poste-frontière de Tychero en attendant son enregistrement par les autorités. Le 29 août 2011, l’arrestation du requérant fut enregistrée. Le même jour, celui-ci fut présenté au procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli. Le 31 août 2011, ce dernier décida de ne pas exercer de poursuites pénales à l’encontre du requérant afin que celui-ci puisse faire l’objet d’un renvoi vers son pays d’origine (arrêt no 838/2011). Toutefois, ce renvoi n’eut pas lieu. Le même jour, le chef de la direction de la police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise, dans un délai de trois jours au maximum, ce qui a été fait (décision no 9760/20-4567/14-α). Le requérant allègue que, pendant sa détention, il ne reçut aucune information sur son statut ni sur ses droits, que tous les documents lui furent notifiés en grec et en l’absence d’interprète et qu’il ne put bénéficier du programme d’assistance juridique, non disponible à l’époque. Par une décision du 3 septembre 2011, le chef de la direction de la police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant pour infraction à l’article 83 de la loi no 3386/2005. Il ordonna aussi le maintien de l’intéressé en détention pour une période de six mois au maximum au motif que celui-ci risquait de s’enfuir. Il ressort du dossier que le requérant fut détenu dans les locaux des postes-frontières de Tychero, de Ferres et de Soufli. À une date non précisée dans le dossier, les autorités grecques introduisirent une demande auprès des autorités turques afin que le requérant soit renvoyé vers la Turquie en vertu du Protocole de réadmission des ressortissants étrangers signé entre la Grèce et la Turquie. Le requérant allègue avoir déposé une demande d’asile le 5 septembre 2011. Selon le Gouvernement, il ne l’aurait fait que le 15 septembre 2011. À cette dernière date, cette demande fut officiellement enregistrée. Le requérant déclara vouloir rejoindre son frère en Norvège, où ce dernier s’était vu accorder le statut de réfugié. Le 1er novembre 2011, le bureau « Dublin » de l’état-major de la police hellénique envoya une demande à l’unité nationale « Dublin » de Norvège afin que cette dernière assume la responsabilité de l’examen de la demande d’asile du requérant. Le 29 novembre 2011, les autorités norvégiennes répondirent par la négative à cette demande. Le 10 décembre 2011, le requérant fut transféré à la direction de la police d’Orestiada pour un entretien relatif à sa demande d’asile. Il allègue ne pas avoir été informé de ce transfert au préalable et, par conséquent, ne pas avoir pu prévenir son avocat afin de bénéficier de son assistance lors de l’entretien. Le 16 décembre 2011, le chef de la direction de la police d’Orestiada rejeta la demande d’asile du requérant et ordonna l’exécution de la décision d’expulsion dans un délai de soixante jours à compter de la notification de la décision (décision no 5401/1-A/691-ια). Le 13 janvier 2012, cette décision fut notifiée au requérant. Le même jour, celui-ci introduisit un recours contre la décision en question. Toujours à cette date, le requérant fut mis en liberté et se vit accorder une carte de demandeur d’asile, valable jusqu’au 12 avril 2012. Cette carte mentionnait « Athènes » comme adresse de résidence. Le Gouvernement allègue que, lors de la libération du requérant, les autorités avaient rappelé à l’intéressé qu’il devait se présenter dans un délai de dix jours au département de l’asile de la direction des étrangers de l’Attique pour y être enregistré et pour y déclarer son adresse permanente et son numéro de téléphone. Le requérant indique avoir déclaré aux autorités qu’il ne disposait pas de logement mais que ces dernières ne l’avaient pas informé de la possibilité de bénéficier d’une structure d’accueil. Le 4 décembre 2014, le directeur du département de l’asile de la direction des étrangers de l’Attique considéra que le requérant s’était tacitement désisté de son recours au motif qu’il ne s’était pas présenté aux autorités pour demander le renouvellement de sa carte de demandeur d’asile (décision no 5401/1-A/691-ιστ). Le requérant soutient que, après sa libération, il séjourna à Athènes dans des conditions dégradantes, sans domicile fixe, sans accès à des toilettes, à de la nourriture et à de l’eau, et sans pouvoir bénéficier d’une structure d’accueil. La question de savoir si le requérant a déposé une demande devant le ministère de la Solidarité sociale afin de bénéficier d’une structure d’accueil ou d’une assistance matérielle et financière, conformément au décret présidentiel no 220/2007, est controversée entre les parties. Le Gouvernement allègue que le requérant n’a pas introduit une telle demande. Le requérant a soumis à la Cour, avec ses observations, une copie de la demande en question, accompagnée d’un accusé de réception du service compétent. Selon ce document, le requérant a rédigé sa demande le 15 février 2012 et l’a déposée le 5 mars 2012. Il ressort du dossier que les autorités n’y ont pas répondu. En avril 2012, le requérant quitta la Grèce et se rendit au RoyaumeUni, où il se vit accorder le statut de réfugié le 8 mai 2012. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, CEDH 2011), Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), A.F. c. Grèce (no 53709/11, 13 juin 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013), et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des requérants figure en annexe. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 23 décembre 1997, les requérants, ainsi que B.D., M.Z., D.G. et A.G., devanciers de certains requérants (les intéressés), retraités du secteur de la presse, saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre la caisse de retraite des techniciens de la presse, réclamant des sommes qu’ils estimaient leur être dues en raison d’un calcul selon eux erroné du montant de leur pension. Le 29 février 2000, le tribunal administratif de première instance d’Athènes rejeta l’action (décision no 1308/2000). Le 21 février 2001, les intéressés interjetèrent appel. Entre-temps, B.D. décéda et ses héritiers, Mmes Eftychia Dimitriou et Panagiota Dimitriou et M. Konstantinos Dimitriou (requérants figurant sous les numéros 1 à 3), lui succédèrent dans la procédure. M.Z. décéda également et ses héritiers, Mme Aikaterini Zannou et M. Anastasios Zannos (requérants figurant sous les numéros 7 et 8) lui succédèrent dans la procédure. Le 20 novembre 2002, la cour administrative d’appel d’Athènes rejeta l’appel et confirma la décision du tribunal administratif de première instance (arrêt no 4926/2002). Ledit arrêt fut notifié aux intéressés le 5 mai 2003. Le 3 juillet 2003, les intéressés se pourvurent en cassation. Le 30 décembre 2005, D.G. décéda et ses héritières, Mmes Despina Glykonikita et Eleni Glykonikita (requérantes figurant sous les numéros 15 et 16), lui succédèrent dans la procédure. Ces dernières soumirent au Conseil d’État des certificats d’hérédité (πράξη αποδοχής κληρονομίας) datés du 29 mai 2008. Le 9 août 2006, A.G. décéda. Ses héritières, Mmes Efmorfili Goudi et Anna Goudi (requérantes figurant sous les numéros 20 et 21), lui succédèrent dans la procédure. Ces dernières soumirent au Conseil d’État des certificats d’hérédité (πράξη αποδοχής κληρονομίας) datés du 29 mai 2008. Par un arrêt no 908/2010 du 15 mars 2010, le Conseil d’État rejeta le pourvoi. L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 9 novembre 2010.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des requérants figure en annexe. Le 19 janvier 2005, les requérants saisirent le tribunal administratif de première instance d’Athènes d’une action contre l’hôpital Sismanogleio, au sein duquel ils étaient employés, demandant le versement d’une prime destinée à certaines catégories de fonctionnaires. Le 28 juin 2010, ledit tribunal fit partiellement droit à leur demande (jugement no 10657/2010). Le 7 juin 2011, l’hôpital interjeta appel. Le 12 juin 2013, la cour administrative d’appel d’Athènes infirma le jugement du tribunal administratif et rejeta l’action des requérants (arrêt no 2604/2013). Son arrêt fut notifié à ces derniers le 5 septembre 2013. Il ressort du dossier que le nom « Evaggelos Anastasopoulos » figurait dans les décisions des juridictions internes. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable » et entrée en vigueur le 2 avril 2012, a introduit, en ses articles 53 à 58, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable en cas de prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 de cette loi dispose ce qui suit: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le demandeur, excessive. (...) »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1941 et réside à Athènes. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 11 octobre 2001, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Athènes (« le tribunal de première instance ») d’une action en dommages-intérêts contre l’hôpital psychiatrique d’Athènes, un hôpital public (« l’hôpital »), qui l’employait en tant que femme de ménage. Elle réclamait diverses sommes au titre de salaires. L’audience eut lieu le 29 mars 2002. Le 27 juin 2002, le tribunal de première instance accueillit l’action de la requérante (jugement no 1610/2002). Le 2 avril 2003, l’hôpital interjeta appel de ce jugement. Le 17 décembre 2004, il produisit copie de son appel et demanda une date d’audience, qui fut fixée au 5 avril 2005. Le 12 septembre 2005, la cour d’appel d’Athènes (« la cour d’appel ») fit droit à la demande de l’hôpital et infirma le jugement attaqué (arrêt no 7581/2005). Le 30 août 2006, la requérante se pourvut en cassation contre l’arrêt no 7581/2005 de la cour d’appel. Le 16 juillet 2008, elle produisit copie de son pourvoi et demanda une date d’audience, qui fut fixée au 29 septembre 2009. Le 24 novembre 2009, la Cour de cassation prononça l’irrecevabilité de l’audience au motif que le dossier ne permettait pas d’établir quelle était la partie au litige qui avait notifié à son adversaire la convocation à l’audience ou la copie du pourvoi (décision no 2189/2009). La requérante, la seule des deux parties présente à cette audience, n’a pas précisé si la convocation à l’audience devant la Cour de cassation ou la copie de son pourvoi lui avaient été notifiées, à elle-même ou à son adversaire. Le 22 février 2010, la requérante demanda une nouvelle date d’audience, qui fut fixée au 14 décembre 2010. Cette audience fut par la suite ajournée et, le 23 août 2011, la requérante demanda une nouvelle date d’audience, qui fut fixée au 24 avril 2012. Le 5 juillet 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante (arrêt no 1260/2012). Le dossier ne permet pas de connaître la date de la mise au net de cet arrêt.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1936 et réside à Chaïdari. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 25 juin 2002, le requérant saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre l’hôpital psychiatrique d’Athènes, qui l’employait en tant qu’agent de sécurité. Le 6 mars 2003, le tribunal ajourna l’examen de l’affaire et fixa une nouvelle audience au 8 décembre 2003. À cette dernière date, le tribunal reporta à nouveau l’examen de l’affaire en raison de la noncomparution des parties à l’audience. Le 11 décembre 2003, l’hôpital psychiatrique demanda une nouvelle date d’audience. Celle-ci fut fixée au 29 septembre 2004 avant d’être reportée au 10 juin 2005. Le 19 septembre 2005, le tribunal de première instance d’Athènes rejeta l’action du requérant (jugement no 1947/2005). Le 5 septembre 2007, le requérant interjeta appel de ce jugement. Le 1er septembre 2008, la cour d’appel d’Athènes rejeta l’appel formé par le requérant (arrêt no 5041/2008). Le 5 janvier 2011, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Le 3 avril 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 576/2012). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 11 juillet 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, appartenant à l’ethnie rom, est né en 1968 et réside à Brăila. Le 12 avril 2010, soupçonnés de vol, le requérant et sa compagne, S.A., furent interrogés par la police de Brăila (« la police »). Selon le requérant, il a reconnu les faits sous la pression des policiers. Le 13 avril 2010, le policier L.C.I. recommanda l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant du chef de vol qualifié. Suivant sa recommandation, le parquet près le tribunal de première instance de Brăila (« le parquet de Brăila ») engagea des poursuites contre le requérant le 15 avril 2010. A. L’interrogatoire du requérant du 16 avril 2010 Le 16 avril 2010, L.C.I. téléphona au requérant pour lui demander de se présenter au poste de police. Le requérant arriva au poste de police vers 9 h 10, ce qui fut noté dans le registre des entrées et sorties du poste de police (« le registre ») tenu par le policier de service. Les versions des parties divergent quant au déroulement ultérieur des événements. La version du requérant Le requérant décrit le déroulement des faits de la façon suivante. Il s’est rendu au poste de police accompagné de S.A. Le policier de service à l’entrée leur demanda de décliner leur identité, ce qu’ils ont fait en présentant leurs cartes d’identité. Une confrontation était prévue entre le requérant et G.I., ce dernier étant déjà présent au poste de police. L.C.I. interrogea le requérant et, face à son refus d’avouer les faits, il l’emmena dans le bureau de S.I. S.A. et G.I. restèrent dans le couloir devant ce bureau. Dans le bureau, L.C.I. menaça le requérant en lui disant « Qu’est-ce que tu fais, tsigane (ţigane), maintenant tu ne reconnais plus [le vol] ? Je vais t’arrêter ! » L.C.I. eut ensuite une courte conversation téléphonique à la suite de laquelle le policier T.G. entra dans le bureau. Ce dernier était très énervé et, s’adressant au requérant et le traitant de « tsigane », il se pencha vers lui et le gifla. Afin de se protéger, le requérant se couvrit le visage des mains et les deux policiers commencèrent à le frapper à coups de poing et de pied. En entendant les cris du requérant, S.A. entra dans le bureau et vit les deux policiers le frapper. Elle hurla aux policiers d’arrêter. G.I., parti plus loin dans le couloir, entendit S.A. crier. Plusieurs policiers arrivèrent dans le bureau. T.G. fit sortir S.A. du bureau et du poste de police. Le requérant resta dans le bureau avec plusieurs policiers. Il ne fut plus frappé et il accepta d’écrire une déclaration dictée par L.C.I. Après cela, il fut libre de quitter le poste de police. Dès sa sortie, il se sentit très mal et demanda par téléphone à son frère, D.N., de venir le chercher au poste de police. Il lui expliqua avoir été battu par les policiers et ne pas pouvoir se déplacer seul. D.N. arriva vers 13 heures ou 13 h 30 et le trouva devant le poste de police, pleurant, allongé par terre. D.N. l’emmena alors à l’hôpital. Entre-temps, S.A. était allée au tribunal où elle avait rencontré l’avocat F.M. et lui avait demandé de défendre le requérant, expliquant qu’il avait été battu par des policiers. Le même jour, F.M. essaya, en vain, de prendre contact avec les policiers indiqués par S.A. Cette dernière s’était ensuite rendue au domicile de la mère du requérant, B.M., à qui elle avait raconté qu’il avait été battu par les policiers. Vers 13 heures, D.N. téléphona à S.A. et l’informa de l’état du requérant. S.A. et B.M. se rendirent alors à l’hôpital pour le voir. La version du Gouvernement Le Gouvernement rappelle qu’il appartient aux juridictions internes d’établir les faits et renvoie à leurs conclusions selon lesquelles il n’y avait pas de preuve que le requérant avait subi des mauvais traitements au poste de police. À ce sujet, il indique ce qui suit : le nom de S.A. ne figurant pas dans le registre, les enquêteurs avaient conclu que le requérant s’était rendu seul au poste de police ; l’enquête avait montré, en se fondant sur les déclarations du requérant et celles des policiers, que l’interrogatoire avait duré environ deux heures et que, dès lors, l’intéressé avait dû quitter le poste de police vers 11 heures ; les lésions constatées sur le requérant lors de l’examen médical ayant eu lieu le même jour à 14 h 20 avaient dû être causées après son départ du poste de police (paragraphes 49, 51 et 54 cidessous). B. L’état de santé du requérant À l’hôpital, le requérant fut examiné par un médecin à 14 h 20. À la suite d’un examen radiologique, un diagnostic de « fracture de la côte latérale C IX gauche » fut posé. Le médecin nota également qu’il présentait une contusion à la jambe droite. Le requérant fut hospitalisé jusqu’au lendemain, 17 avril 2010. Le 19 avril 2010, le requérant fut examiné au département de médecine légale de l’hôpital départemental de Brăila. Le certificat médicolégal établi à cette occasion mentionnait que le requérant ressentait des douleurs, spontanément et lors de la palpation, au niveau antérieur latéral de la partie gauche du thorax et au niveau de la jambe droite, sans présenter de signes visibles de violence au niveau tégumentaire. Il indiquait également que le requérant présentait, au niveau antérieur latéral de la partie gauche du thorax, et vers la base de celle-ci, une zone modérément tuméfiée d’environ 4,5 x 4 cm. Le certificat médicolégal exposait également que l’examen radiologique avait mis en évidence une fracture de la côte latérale C IX gauche. Il concluait que les lésions présentées par le requérant pouvaient avoir été causées, le 16 avril 2010, par des coups portés avec des objets durs ou par des chocs contre de tels objets et que ces lésions nécessitaient de quinze à dix-sept jours de soins médicaux. Le requérant se sentait de plus en plus mal et, le 29 avril 2010, il fut hospitalisé en urgence. Il subit une intervention chirurgicale d’ablation de la rate. Le 10 mai 2010, le requérant fut une nouvelle fois examiné et un nouveau certificat médicolégal fut délivré. Selon ce document, il y avait un lien de causalité entre l’agression subie par l’intéressé le 16 avril 2010 et la déchirure de la rate. Il était également noté que l’état de l’intéressé nécessitait vingt jours supplémentaires de soins médicaux et que sa vie avait été mise en danger. C. La procédure pénale contre le requérant pour vol La déclaration effectuée par le requérant le 16 avril 2010, datée du 15 avril 2010 (paragraphe 14 ci-dessus), fut versée au dossier pénal dans le cadre de la procédure pour vol engagée contre lui. Cette déclaration, d’une page, mentionnait qu’elle avait été faite en présence de L.C.I. Ni le statut du requérant dans le cadre de cette procédure, ni l’heure de début et de fin de la prise de cette déclaration n’étaient indiqués (paragraphes 55 et 56 cidessous). Par un arrêt définitif du 5 octobre 2010, le tribunal de première instance de Brăila jugea que le requérant avait commis le vol mais que les faits reprochés ne présentaient pas la gravité d’une infraction. Il ordonna la cessation des poursuites et il infligea au requérant une amende administrative. D. La plainte pénale du requérant contre les policiers La plainte pénale pour coups et blessures, abus de fonction et comportement abusif Le 27 avril 2010, le requérant saisit le parquet près la cour d’appel de Galaţi (« le parquet de Galaţi ») d’une plainte pénale dirigée contre L.C.I. et T.G. du chef de comportement abusif et de coups et autres violences, et contre S.I. du chef d’abus de fonction. Il reprochait à ces policiers de l’avoir maltraité lors de l’interrogatoire du 16 avril 2010 dans le but de lui faire avouer des faits qu’il n’aurait pas commis. Le parquet de Galaţi interrogea les trois policiers mis en cause. Il entendit également cinq de leurs collègues. Ces derniers déclarèrent qu’ils étaient présents à l’interrogatoire du requérant, qu’ils lui avaient chacun posé une question, que le requérant n’avait été ni menacé ni frappé et que S.A. n’avait pas été présente le 16 avril 2010 au poste de police. Le parquet de Galaţi interrogea le requérant, S.A. et D.N., qui présentèrent les faits du 16 avril 2010 tels qu’indiqués aux paragraphes 8 à 16 ci-dessus. Le requérant précisa qu’il était arrivé au poste de police vers 9 heures et que, après son interrogatoire, il avait été retenu par la police de 11 heures à 13 heures, heure à laquelle il avait appelé son frère. Entendu une deuxième fois par le parquet de Galaţi, il déclara qu’il était resté au poste environ deux heures. G.I. déclara qu’il avait croisé S.A. dans le couloir du poste et qu’il l’avait entendue crier mais qu’il n’avait pas vu les policiers frapper le requérant. Le 14 septembre 2010, le parquet de Galaţi rendit un non-lieu à l’égard des policiers, au motif que la réalité des faits n’avait pas été prouvée (fapta nu există). Sur une contestation du requérant, le procureur en chef du parquet de Galaţi (« le procureur en chef ») infirma, par une ordonnance du 17 avril 2012, le non-lieu du 14 septembre 2010 et ordonna la poursuite des investigations. Il expliquait que le fondement de la décision de non-lieu – à savoir, le non-établissement de la réalité des faits – n’était pas correct, puisque les certificats médicolégaux versés au dossier attestaient selon lui des blessures du requérant. Il constatait que l’enquête avait été incomplète et insuffisante pour établir les faits. À cet égard, il précisait qu’il convenait de confronter les témoins et d’éclaircir d’autres aspects factuels de l’affaire, parmi lesquels, la durée de l’interrogatoire du requérant, l’itinéraire de ce dernier après avoir quitté le poste de police et la présence de S.A. au poste de police. La plainte pénale pour tentative de meurtre, torture et discrimination Entre-temps, le 30 août 2011, se prévalant des conclusions du certificat médicolégal du 10 mai 2010 (paragraphe 22 ci-dessus), le requérant avait saisi le parquet de Brăila d’une deuxième plainte portant sur les faits du 16 avril 2010. Il demandait l’identification des personnes qui, selon lui, avaient commis à son égard les infractions de torture et de tentative de meurtre. Enfin, il alléguait que les policiers l’avaient traité ainsi en raison de son appartenance à la minorité rom et indiquait que, dans des situations similaires à la sienne, la Cour avait sanctionné l’État roumain. La poursuite de l’enquête après la jonction des deux plaintes pénales Le 3 mai 2012, le parquet de Galaţi décida de joindre les dossiers constitués à la suite des deux plaintes pénales du requérant. Il demanda à la police de lui transmettre une copie du registre du 16 avril 2010 et sollicita une copie du dossier médical du requérant auprès de l’hôpital. Le 14 et le 17 septembre 2012 respectivement, la police et l’hôpital fournirent les documents demandés. Le 23 octobre 2012, le parquet de Galaţi interrogea L.C.I. et T.G. Ceux-ci nièrent les faits qui leur étaient reprochés et déclarèrent que l’interrogatoire du requérant avait duré une heure ou une heure et demie. Le parquet entendit également D.N. Ce dernier déclara que le requérant l’avait appelé vers 13 heures ou 13 h 15. G.I. décéda au cours de l’enquête. Le 24 octobre 2012, le parquet de Galaţi rendit un non-lieu à l’égard des policiers au motif que, s’agissant des chefs de comportement abusif, d’enquête abusive et de torture, la réalité des faits n’avait pas été prouvée et que, s’agissant des chefs de coups et blessures et de tentative de meurtre, les faits n’avaient pas été commis par les policiers mis en cause. Le parquet de Galaţi renvoya le dossier au parquet de Brăila aux fins de poursuivre l’enquête et d’identifier les auteurs des infractions. Le requérant contesta ce non-lieu. Par une ordonnance du 12 décembre 2012, le procureur en chef infirma la décision de non-lieu du 24 octobre 2012, au motif que tous les actes d’enquête demandés par lui dans son ordonnance du 17 avril 2012 (paragraphe 30 ci-dessus) n’avaient pas été réalisés. Le procureur en chef notait que, en raison de contradictions entre les déclarations du requérant et celles de S.A. et de D.N., une confrontation était nécessaire entre eux. Il relevait que le nom de S.A. ne figurait pas dans le registre, mais que des témoins affirmaient qu’elle était présente au poste de police. Il indiquait également qu’il était nécessaire de déterminer la date à laquelle l’intéressé avait été interrogé, puisque sur la déclaration de ce dernier figurait la date de 15 avril 2010, et non celle de 16 avril 2010. Il ordonna donc la poursuite des investigations. Le 29 mai 2013, le parquet de Galaţi reprit le dossier ouvert auprès du parquet de Brăila (paragraphe 36 ci-dessus) et poursuivit l’enquête. Il demanda au département de médecine légale d’indiquer si les lésions constatées sur le requérant avaient pu être produites par des coups de poing. Il sollicita auprès de l’hôpital départemental la mise à disposition des images enregistrées le 16 avril 2010 dans la salle d’attente du service des urgences (camera de gardă) de 12 heures à 14 h 30. Le 19 juin 2013, l’hôpital départemental lui répondit que, à l’époque des faits, la salle d’attente n’était pas équipée d’un dispositif de surveillance vidéo. Le département de médecine informa le parquet de Galaţi que la fracture de la côte du requérant, telle que décrite dans le certificat médicolégal du 19 avril 2010, avait pu être produite par des coups portés par exemple par un poing, par un pied ou par un autre élément ayant une surface similaire. Le parquet de Galaţi demanda à la police la mise à disposition des images enregistrées à l’entrée de ses locaux par les caméras situées près du policier de service, ainsi que la communication du nom du chef du département à l’époque des faits et d’une copie du registre. La police lui indiqua que les images vidéo n’étaient conservées que pour une durée de trente jours après leur enregistrement. Elle lui transmit le nom des policiers de service le 16 avril 2010 et lui envoya les copies demandées des pages du registre. Selon les décisions rendues dans la présente affaire, le registre mentionnait que le requérant était arrivé à 9 h 10 au poste de police, mais il ne comportait aucune indication relative à l’heure de départ de l’intéressé. Par ailleurs, toujours d’après ces décisions, le nom de S.A. ne figurait pas dans le registre pour ce jour-là. Le requérant fut à nouveau interrogé et il maintint sa version des faits. Il déclara que, en route pour l’hôpital dans la voiture conduite par D.N., ce dernier s’était arrêté pour faire monter S.A. et B.M., et qu’ils s’étaient ensuite dirigés tous ensemble vers l’hôpital. Le requérant, accompagné par un avocat, fut confronté à L.C.I., à T.G. et à S.I. Chaque partie réitéra sa version des faits. Le parquet de Galaţi interrogea à nouveau L.C.I., T.G. et S.I. Ce dernier déclara qu’il n’avait pas participé à l’interrogatoire du requérant mais qu’il était entré dans le bureau pendant l’interrogatoire et qu’il ne pouvait pas évaluer la durée de celui-ci. T.G. indiqua que, lors de l’interrogatoire du requérant, cinq autres policiers, outre L.C.I. et lui-même, se trouvaient dans le bureau et que c’était L.C.I. qui interrogeait le requérant. Le parquet de Galaţi considéra, eu égard aux déclarations des personnes mises en cause, que S.A. n’était pas présente le 16 avril 2010 au poste de police. Il nota que S.A. et D.N. se trouvaient à l’étranger pendant l’enquête et estima que la confrontation de ces derniers avec L.C.I. et T.G. n’était pas nécessaire, car, selon lui, elle ne pourrait donner aucun résultat. Le requérant demanda qu’une nouvelle expertise médicolégale soit réalisée, que l’officier de service soit interrogé et que les relevés de ses appels téléphoniques et de ceux de D.N., correspondant à la journée du 16 avril 2010, soient versés au dossier. Il sollicita également un interrogatoire de S.A. et D.N., revenus selon lui de l’étranger. Le parquet de Galaţi interrogea B.L.M., le policier de service le 16 avril 2010. Ce dernier déclara que le nom de toutes les personnes qui entraient et sortaient des locaux de la police était noté dans le registre. Concernant les autres demandes de preuve formulées par le requérant (paragraphe 46 ci-dessus), le parquet de Galaţi constata que certaines de ces preuves avaient déjà été administrées. Il nota que, en application des dispositions légales, les relevés téléphoniques n’étaient conservés que pour une durée de six mois après la date des appels et qu’ils ne pouvaient donc plus constituer une preuve. Le 29 novembre 2013, le parquet de Galaţi rendit un non-lieu à l’égard des policiers au motif que, s’agissant des chefs d’enquête abusive, de comportement abusif et de torture, la réalité des faits n’avait pas été établie et que, s’agissant des chefs de tentative de meurtre et de coups et blessures, les faits n’avaient pas été commis par les policiers mis en cause. Il considérait que, eu égard aux déclarations des policiers, le requérant n’avait pas été maltraité par L.C.I. et T.G. Il estimait par ailleurs que, le nom de S.A. ne figurant pas dans le registre, cette dernière n’était pas présente au poste de police le 16 avril 2010 et que, dès lors, sa déclaration ne pouvait pas être prise en compte. Le parquet notait également que le requérant avait déclaré que, en route vers l’hôpital avec D.N., ce dernier avait arrêté la voiture pour faire monter S.A. et B.M., alors que celles-ci ainsi que D.N. avaient affirmé que l’intéressé avait été directement conduit à l’hôpital. Le parquet relevait enfin que, selon le registre, le requérant était arrivé au poste de police à 9 h 10. Il estimait que, les parties étant d’accord pour affirmer que l’interrogatoire du requérant avait duré environ deux heures, l’intéressé avait quitté le poste de police à 11 heures. Il concluait que, puisque le requérant avait été pris en charge à l’hôpital à 14 h 20, ce dernier avait été blessé après avoir quitté le poste de police. Le parquet de Galaţi transféra le dossier au parquet de Brăila aux fins de poursuite de l’enquête du chef de tentative de meurtre et de tentative de meurtre aggravé. Les parties n’ont pas informé la Cour des suites éventuelles de cette enquête. Sur une contestation du requérant, le procureur en chef du parquet de Galaţi confirma, le 30 janvier 2014, la décision de non-lieu du 29 novembre 2013 (paragraphes 49 à 51 ci-dessus). Le requérant forma un recours contre la décision du 29 novembre 2013 devant le tribunal départemental de Galaţi. Se fondant sur les pièces du dossier, ce tribunal, par un arrêt définitif du 22 avril 2014 rendu en chambre du conseil sans citation des parties, rejeta le recours pour défaut de fondement. Il jugea que les actes d’enquête préliminaire instruits par le procureur avaient éclairci l’affaire sous tous ses aspects de fait et de droit et que la décision de ne pas engager de poursuites pénales contre les policiers mis en cause était justifiée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En application de l’article 6 du code de procédure pénale (le « CPP »), dans sa version en vigueur à l’époque des faits, la personne contre laquelle des poursuites pénales étaient engagées (învinuit) devait, avant son interrogatoire, être informée de son droit d’être assistée par un avocat, et il devait être consigné dans un procès-verbal que cette information avait été effectuée. D’après l’article 73 du même code, l’heure de début et l’heure de fin de l’interrogatoire devaient figurer sur la déclaration de la personne poursuivie pénalement. Par une lettre adressée à l’agent du Gouvernement, l’inspection générale de la police a indiqué que l’ordre no S/108/27 du mois de mai 2011 du ministre des Affaires intérieures concernant le service de permanence et l’accès dans les locaux relevant de ce ministère est un acte normatif classifié. Cette lettre mentionne toutefois que l’acte en question contient des dispositions ordonnant que soient consignées dans un procès-verbal les éventuelles lésions physiques présentées à leur arrivée par les personnes conduites au poste de police.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1949 et en 1947 et résident à Cluj-Napoca. En 1950, la Fédération des communautés juives de Roumanie (« la Fédération ») vendit au père des requérants un immeuble composé de plusieurs appartements, situé à Cluj-Napoca. Cet immeuble avait appartenu à une personne de confession juive morte en déportation pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1948, en l’absence d’héritiers connus, l’État avait attribué l’immeuble à la Fédération. En 1950, peu de temps après l’achat de l’immeuble par le père des requérants, l’État nationalisa l’immeuble. Les appartements furent loués et, ultérieurement, l’État en vendit certains aux locataires. A. Les démarches effectuées par les requérants en vertu de la loi no 112/1995 Invoquant les dispositions de la loi no 112/1995 concernant le régime juridique des biens nationalisés, le père des requérants et ensuite, après le décès de celui-ci, les requérants demandèrent la restitution de l’immeuble. Les juridictions internes – en dernier lieu la cour d’appel de ClujNapoca, par un arrêt définitif du 4 décembre 2002 – accueillirent la demande des requérants et ordonnèrent aux autorités locales de restituer à ceux-ci un appartement libre et de leur octroyer des dédommagements pour les autres appartements, dont la restitution n’était plus possible. Dans son arrêt susmentionné, la cour d’appel estimait que les requérants devaient bénéficier des mesures de réparation prévues par la loi no 112/1995 dès lors que la nationalisation de l’immeuble avait privé leur père de son bien. Les requérants demandèrent la reconnaissance judiciaire de la vente de l’immeuble, malgré l’absence d’inscription de cette vente au livre foncier. Par un arrêt définitif du 21 mai 2003, la cour d’appel de Cluj-Napoca accueillit l’action. Se référant aux constats de la même cour d’appel dans son arrêt du 4 décembre 2002 (paragraphe 8 ci-dessus), elle constata que, en 1950, la Fédération avait vendu l’immeuble au père des intéressés. Le 24 février 2005, à la demande des requérants, un huissier mit les autorités locales en demeure d’exécuter l’arrêt du 4 décembre 2002 de la cour d’appel (paragraphe 8 ci-dessus). Les autorités locales formèrent une contestation à l’exécution. Elles alléguaient que l’exécution était devenue impossible au motif que l’activité de la commission locale d’application de la loi no 112/1995 avait cessé après l’entrée en vigueur de la loi no 10/2001 (paragraphe 14 ci-après). En outre, elles précisaient que, par une décision du maire du 31 mai 2004, l’immeuble avait été restitué à une héritière de l’ancien propriétaire ayant fait une demande en ce sens. Par un arrêt définitif du 13 septembre 2005, le tribunal départemental de Cluj rejeta les arguments des autorités locales. Après avoir constaté que la restitution de l’appartement susmentionné aux requérants était désormais impossible, il jugea que les autorités locales étaient tenues d’octroyer des dédommagements aux intéressés pour l’immeuble. Le 8 juin 2015, l’huissier informa les requérants que les autorités locales n’avaient toujours pas exécuté leurs obligations. B. Les démarches effectuées par les requérants en vertu de la loi no 10/2001 Après l’entrée en vigueur de la loi no 10/2001, qui a élargi le champ d’application des mesures de réparation pour les biens nationalisés, les requérants formulèrent une demande de restitution de l’immeuble ou d’octroi d’une indemnité sur le fondement des dispositions de la nouvelle loi. Le maire de Cluj-Napoca rejeta leur demande. Par un arrêt du 20 octobre 2006, la cour d’appel de Cluj-Napoca accueillit partiellement la contestation formée par les requérants contre la décision du maire. Elle estimait que l’héritière de l’ancien propriétaire ainsi que les requérants avaient droit à des dédommagements. S’agissant de l’héritière, la cour d’appel considérait que l’attribution de l’immeuble à la Fédération avait été la conséquence d’une erreur dès lors que l’ancien propriétaire, décédé en déportation, avait des héritiers, quand bien même ceux-ci ne s’étaient pas manifestés après son décès. Quant aux requérants, elle constatait qu’il avait été établi, par des décisions passées en force de chose jugée, que leur père était le propriétaire de l’immeuble au moment de la nationalisation de celui-ci et qu’à ce titre ils avaient droit à des dédommagements. L’héritière de l’ancien propriétaire, tierce partie intervenante au litige, ainsi que le maire de Cluj, formèrent un recours (recurs). Par un arrêt définitif du 9 novembre 2007, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») accueillit le recours. Elle estimait que, en l’absence d’inscription du contrat de vente au livre foncier, l’immeuble avait été nationalisé au détriment de la Fédération et non pas du père des requérants. Par conséquent, elle considérait que ces derniers n’avaient pas prouvé l’existence d’un droit de propriété dans le patrimoine de leur père à la date de la nationalisation afin de bénéficier des mesures de réparation prévues par la loi no 10/2001. Selon les informations fournies par les requérants dans leurs observations du 19 août 2016, à cette date aucune forme de dédommagement n’avait été versée ou proposée aux intéressés. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les principales dispositions législatives concernant la situation des biens nationalisés ont été décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie [GC] (no 28342/95, §§ 34-35, CEDH 1999-VII), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, §§ 19-23, CEDH 2005-VII), Maria Atanasiu et autres c. Roumanie (nos 30767/05 et 33800/06, §§ 44 et suiv., 12 octobre 2010), et Preda et autres c. Roumanie (nos 9584/02, 33514/02, 38052/02, 25821/03, 29652/03, 3736/03, 17750/03 et 28688/04, §§ 68-74, 29 avril 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959 et réside à Ossès. Le 17 janvier 2008, il participa à un rassemblement organisé par un syndicat agricole basque et par le GFAM (Groupement foncier agricole mutualiste) « Lurra » à l’occasion d’une réunion du Comité technique de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Cette réunion avait pour objet de donner un avis sur l’attribution de terres d’une ferme que Monsieur F.L. exploitait depuis plusieurs années. Ce rassemblement se déroulait dans un contexte politique et syndical difficile car le syndicat agricole majoritaire dans le département soutenait d’autres candidatures que celle de F.L. À l’issue de la réunion, une bousculade éclata entre les manifestants et la gendarmerie. Le requérant fut placé en garde à vue et cité devant le tribunal correctionnel de Bayonne, selon la procédure de comparution immédiate, pour avoir volontairement commis des violences n’ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sur des militaires de gendarmerie dont l’identité n’a pu être déterminée, sur personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme, en l’espèce un parapluie. Par un jugement du 13 mars 2008, le requérant fut condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie aux gendarmes, dont il ne résulta aucune incapacité pour ces derniers. Dans son jugement, le tribunal constata que le requérant avait refusé de répondre aux questions lors de l’enquête et qu’il indiquait ne rien reconnaître et n’avoir pas été porteur d’un parapluie. Les juges relevèrent qu’il résultait néanmoins de témoignages qu’il avait tenté de franchir le barrage en se hissant sur les manifestants et en donnant des coups de parapluie en direction des gendarmes. Le requérant indique ne pas avoir fait appel dans un souci d’apaisement et dans le cadre d’un règlement amiable du dossier à l’origine du rassemblement. Le 24 décembre 2008, à la suite d’une demande du parquet de Bayonne, le requérant fut convoqué par les services de police pour que soit effectué un prélèvement biologique sur sa personne, sur le fondement des articles 706-55 et 706-56 du code de procédure pénale (CPP). Il fut convoqué devant le tribunal correctionnel le 19 mai 2009 pour avoir refusé de se soumettre à ce prélèvement. Par un jugement du 27 octobre 2009, le tribunal de grande instance de Bayonne condamna le requérant à une peine d’amende de cinq cents euros. Le 3 février 2011, la cour d’appel de Pau confirma ce jugement. Concernant l’élément légal de l’infraction, elle indiqua notamment qu’à la différence des intéressés dans l’affaire S. et Marper c. Royaume-Uni ([GC], nos 30562/04 et 30566/04, CEDH 2008), le requérant n’était pas soupçonné mais condamné pour une infraction, ce qui excluait qu’il puisse invoquer cet arrêt pour faire valoir une atteinte disproportionnée à sa vie privée. S’appuyant notamment sur la décision du Conseil Constitutionnel du 16 septembre 2010 (paragraphe 16 ci-dessous), elle estima que « les dispositions de la loi nationale appliquées [au requérant] étaient de nature à assurer entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée et qui répond aux exigences de l’article 8 de la Convention ». Quant à l’élément matériel de l’infraction, la cour d’appel rejeta l’argument du requérant selon lequel un premier prélèvement avait été effectué sur sa coiffe lors de la garde à vue et qu’il était en droit de refuser un nouveau prélèvement, dès lors qu’aucune trace ADN n’avait été prélevée à ce moment-là. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son premier moyen de cassation, il fit valoir que le prélèvement destiné à l’identification de l’empreinte biologique et à la mémorisation de ces données constituait une atteinte disproportionnée à sa vie privée au regard de la durée de conservation des données et de sa situation personnelle (personne parfaitement identifiée, socialement établie, disposant d’un emploi, d’une vie familiale et d’un domicile fixe). Dans un second moyen, il fit valoir que la cour d’appel n’avait pas justifié sa décision quant à l’élément matériel de l’infraction. Par arrêt du 28 septembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, en jugeant notamment ce qui suit : « (...) la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de refus de se soumettre à un prélèvement biologique dont elle a déclaré le prévenu coupable, sans méconnaître les dispositions de l’article 8 de la Convention. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le CPP Les dispositions pertinentes du CPP relatives au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) se lisent comme suit : Article 706-54 « Le fichier national automatisé des empreintes génétiques, placé sous le contrôle d’un magistrat, est destiné à centraliser les empreintes génétiques issues des traces biologiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes déclarées coupables de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs de ces infractions. (...) Les empreintes génétiques des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 sont également conservées dans ce fichier sur décision d’un officier de police judiciaire agissant soit d’office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction ; il est fait mention de cette décision au dossier de la procédure. Ces empreintes sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d’office, soit à la demande de l’intéressé, lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. Lorsqu’il est saisi par l’intéressé, le procureur de la République informe celui-ci de la suite qui a été réservée à sa demande ; s’il n’a pas ordonné l’effacement, cette personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l’instruction. Les officiers de police judiciaire peuvent également, d’office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction, faire procéder à un rapprochement de l’empreinte de toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55 avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée. (...) Les empreintes génétiques conservées dans ce fichier ne peuvent être réalisées qu’à partir de segments d’acide désoxyribonucléique non codants, à l’exception du segment correspondant au marqueur du sexe. Un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés détermine les modalités d’application du présent article. Ce décret précise notamment la durée de conservation des informations enregistrées. » Article 706-55 « Le fichier national automatisé des empreintes génétiques centralise les traces et empreintes génétiques concernant les infractions suivantes : (...) 2o Les crimes contre l’humanité et les crimes et délits d’atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie, de violences volontaires, de menaces d’atteintes aux personnes, de trafic de stupéfiants, d’atteintes aux libertés de la personne, de traite des êtres humains, de proxénétisme, d’exploitation de la mendicité et de mise en péril des mineurs, prévus par les articles 221-1 à 221-5, 222-1 à 222-18, 222-34 à 222-40, 224-1 à 224-8, 225-4-1à 225-4-4, 225-5 à 225-10, 225-12-1 à 225-12-3, 225-12-5 à 225-12-7 et 227-18 à 227-21 du code pénal ; (...) » Article 706-56 « I.- L’officier de police judiciaire peut procéder ou faire procéder sous son contrôle, à l’égard des personnes mentionnées au premier, au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 706-54, à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de leur empreinte génétique. Préalablement à cette opération, il peut vérifier ou faire vérifier par un agent de police judiciaire placé sous son contrôle ou par un agent spécialisé, technicien ou ingénieur de police technique et scientifique placé sous son contrôle, que l’empreinte génétique de la personne concernée n’est pas déjà enregistrée, au vu de son seul état civil, dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques. Pour qu’il soit procédé à cette analyse, l’officier de police judiciaire peut requérir toute personne habilitée (...). Les réquisitions prévues par le présent alinéa peuvent également être faites par le procureur de la République ou le juge d’instruction. (...) Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à un prélèvement biologique sur une personne mentionnée au premier alinéa, l’identification de son empreinte génétique peut être réalisée à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l’intéressé. Lorsqu’il s’agit d’une personne condamnée pour crime ou déclarée coupable d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement, le prélèvement peut être effectué sans l’accord de l’intéressé sur réquisitions écrites du procureur de la République. (...) II.- Le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. (...) Nonobstant les dispositions des articles 132-2 à 132-5 du code pénal, les peines prononcées pour les délits prévus au présent article se cumulent, sans possibilité de confusion, avec celles que la personne subissait ou celles prononcées pour l’infraction ayant fait l’objet de la procédure à l’occasion de laquelle les prélèvements devaient être effectués. (...) » Article R. 53-10 « (...) II.- Sur décision, selon le cas, du procureur de la République ou du procureur général, font l’objet d’un enregistrement au fichier les résultats des analyses d’identification par empreintes génétiques des échantillons biologiques prélevés sur des personnes définitivement condamnées pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55. » Article R. 53-14 « Les informations enregistrées ne peuvent être conservées au-delà d’une durée de quarante ans à compter : (...) - soit du jour où la condamnation est devenue définitive ou, si cette date n’est pas connue du gestionnaire du fichier, du jour de la condamnation, lorsqu’il s’agit des résultats mentionnés au II de l’article R. 53-10. Les résultats mentionnés au 2o du I de l’article R. 53-10 ne peuvent toutefois être conservés au-delà d’une durée de vingt-cinq ans à compter de la demande d’enregistrement, si leur effacement n’a pas été ordonné antérieurement dans les conditions prévues par les articles R. 53-13-1 à R. 53-13-6. (...) » Article R. 53-21 « Lorsqu’il n’a pas été réalisé au cours de la procédure d’enquête, d’instruction ou de jugement, le prélèvement concernant une personne définitivement condamnée est effectué, sur instruction du procureur de la République ou du procureur général et selon les modalités prévues par le I de l’article 706-56, au plus tard dans un délai d’un an à compter de l’exécution de la peine. » En réponse à une question parlementaire, le Garde des Sceaux a indiqué qu’un projet de décret prévoit de modifier l’article R. 53-14 du CPP pour moduler la durée de conservation des données en fonction de la nature des faits commis et de l’éventuelle minorité de leur auteur (Question no 86834, Assemblée nationale, JO du 19 avril 2016, p. 3447). B. La décision du Conseil Constitutionnel no 2010-25 QPC Saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité le 17 juin 2010, le Conseil constitutionnel a rendu, le 16 septembre 2010, une décision déclarant les articles 706-54 à 706-56 du CPP, dans leur rédaction antérieure à la loi no 2010-242 du 10 mars 2010, conformes à la Constitution, sous réserve des paragraphes 18 et 19 de la décision qui se lisent comme suit : « 18. Considérant, en cinquième lieu, que l’enregistrement au fichier des empreintes génétiques de personnes condamnées pour des infractions particulières ainsi que des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une de ces infractions est nécessaire à l’identification et à la recherche des auteurs de ces crimes ou délits ; que le dernier alinéa de l’article 706-54 renvoie au décret le soin de préciser notamment la durée de conservation des informations enregistrées ; que, dès lors, il appartient au pouvoir réglementaire de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées (...) ; En ce qui concerne le prélèvement aux fins de rapprochement avec les données du fichier : Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 706-54, les officiers de police judiciaire peuvent également, d’office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d’instruction, faire procéder à un rapprochement de l’empreinte de toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit, avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée ; que l’expression « crime ou délit » ici employée par le législateur doit être interprétée comme renvoyant aux infractions énumérées par l’article 706-55 ; que, sous cette réserve, le troisième alinéa de l’article 706-54 du code de procédure pénale n’est pas contraire à l’article 9 de la Déclaration de 1789 (...). » C. La jurisprudence pertinente de la Cour de cassation Dans un arrêt du 11 juillet 2012 (Cass. crim., no 12-81.533), refusant de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité formulée par le demandeur au pourvoi, la Cour de cassation a estimé que les dispositions des articles 706-54 à 706-56 du CPP, dans leur rédaction antérieure à la loi no 2010-242 du 10 mars 2010, avaient été déclarées conformes à la Constitution dans la décision du Conseil constitutionnel en date du 16 septembre 2010. Dans son arrêt rendu pour cette même affaire le 19 mars 2013, elle a rejeté le pourvoi en considérant que : « (...) dès lors que s’il s’analyse en une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, l’enregistrement des empreintes génétiques constitue une mesure, non manifestement disproportionnée, qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment, à la sûreté publique et à la prévention des infractions pénales et qui s’applique, sans discrimination, à toutes les personnes condamnées pour les infractions mentionnées à l’article 706-55 du code de procédure pénale (...). » D. Les éléments internationaux pertinents Voir S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], n os 30562/04 et 30566/04, §§ 41-55, 4 décembre 2008.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1961. Il est actuellement détenu à la prison de Trikala. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant fut un témoin à charge capital dans un procès qui se termina par la condamnation à perpétuité de l’auteur d’un homicide, S.V. Le 21 novembre 2013, soit un mois après la fin du procès précité, le requérant fut arrêté en possession d’un kilo de cannabis et mis en détention provisoire. Il fut d’abord placé à la prison de Patras en isolement, pour sa protection. En effet, la police avait informé les autorités pénitentiaires du rôle joué par le requérant dans l’identification, l’arrestation et la condamnation de S.V. et du risque pour lui d’être perçu par les autres prisonniers comme une « balance ». Le 14 juillet 2014, la cour d’appel criminelle condamna le requérant à une peine de réclusion de huit ans pour possession de stupéfiants et détention d’armes. Le requérant prétendait qu’il souffrait de problèmes psychologiques, notamment de dépression et de crises de panique, ce qui l’aurait conduit à consommer du cannabis. Le 17 juillet 2014, le requérant fut transféré à la sous-direction des transferts d’Athènes et, le 23 juillet 2014, à la prison de Trikala, où il fut placé dans une cellule de 30 m² avec neuf autres détenus. La version du Gouvernement sur les conditions de détention du requérant et les soins médicaux prodigués à ce dernier Le Gouvernement décrit comme suit les conditions de détention du requérant et les soins dispensés à ce dernier. D’une capacité officielle de 700 détenus, la prison de Trikala en accueillait 598 en avril 2016. Elle comporte cinq ailes principales d’une capacité chacune de 140 personnes. Chaque aile se divise en deux sous-ailes disposant chacune de 20 cellules prévues pour trois personnes et d’une chambrée pouvant accueillir dix personnes. À son arrivée le 23 janvier 2014, le requérant fut placé dans la chambrée de la sous-aile C2 mesurant 4,10 m x 8 m, qui accueillait entre sept et dix détenus. Pendant toute la durée de sa détention, la capacité de cette chambrée fut dépassée pendant un total de cinq jours. Des WC équipés de deux lavabos et de deux douches, situés à l’extérieur de la chambrée, étaient affectés au seul usage des occupants de celle-ci. Ils avaient pour dimensions 2 m x 7,30 m. L’eau chaude était fournie matin et soir pendant deux heures. Les cours de la prison, mesurant 20 m x 24 m, étaient propices à l’activité physique. S’agissant du divertissement des détenus, une antenne du KETHEA et « l’école de la deuxième chance », en activité au sein de la prison, organisaient régulièrement des évènements. Les détenus avaient accès à la bibliothèque de la prison, et ils pouvaient aussi acheter des journaux et des magazines. En outre, les ailes de la prison étaient équipées de téléviseurs. Le requérant, qui prenait des médicaments psychotropes trois fois par jour lors de son séjour à la prison de Patras, poursuivit ce traitement après son transfert à la prison de Trikala. Le 1er décembre 2015, il déclara souhaiter interrompre le traitement le matin et le midi, et sa demande fut approuvée par le médecin généraliste de la prison. Le 28 mai 2015, le requérant fut diagnostiqué comme souffrant d’un herpès et se vit prescrire un traitement approprié. Son état de santé ne justifia jamais son transfert à un hôpital public. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans l’arrêt Kanakis c. Grèce (no 2) (no 40146/11, §§ 62-67, 12 décembre 2013). Dans un rapport relatif à la situation économique et carcérale de la prison de Trikala en 2013, soumis au ministère de la Justice, le directeur de la prison indiquait que les bâtiments de ce nouvel établissement étaient modernes et bien équipés. Il précisait que la prison avait initialement une capacité de 600 détenus et que la construction de dix chambrées supplémentaires (pouvant accueillir chacune dix détenus) avait permis d’étendre cette capacité à 700 personnes. Il ajoutait que cette capacité avait été périodiquement dépassée, entraînant de sérieux problèmes, et que les chambrées ne remplissaient plus les conditions d’hygiène et de sécurité nécessaires et devraient être supprimées dès que possible. Il indiquait aussi que, au 31 décembre 2013, le nombre de détenus s’élevait à 752. D’après un document portant sur la capacité de toutes les prisons sur le territoire grec et le nombre de détenus au 1er avril 2014, adressé au Parlement par le ministère de la Justice dans le cadre du contrôle parlementaire, la prison de Trikala, d’une capacité de 700 détenus, en accueillait 733 à la date susmentionnée. Selon un document établi par le directeur de la prison de Trikala, ce nombre s’élevait à 723 à la date de l’admission du requérant, soit le 23 janvier 2014, et à 598 au 20 avril 2016.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1958 et réside à Sibiu. A. Les conditions matérielles de détention de la requérante Le 20 mai 2014, la requérante fut placée en garde à vue pour vingt-quatre heures. Elle était accusée d’escroquerie, d’évasion fiscale et de blanchissement d’argent. Elle était soupçonnée d’avoir sciemment enregistré et transmis à la caisse d’assurance maladie, pour remboursement, 1 100 fausses ordonnances médicales prescrivant des traitements oncologiques. Elle aurait commis ces faits entre décembre 2008 et octobre 2010, en sa qualité de gérante d’une chaîne de pharmacies. Le 20 mai 2014 vers 3 heures du matin, la requérante fut incarcérée au centre de rétention et de détention provisoire no 1 de la direction générale de la police de Bucarest (« le centre de détention »). Le lendemain, le tribunal départemental de Bucarest ordonna son placement en détention provisoire. La requérante fut incarcérée jusqu’au 20 juillet 2014, date à laquelle le tribunal décida le remplacement de la mesure de détention provisoire par celle d’assignation à résidence. Les conditions de détention telles que décrites par la requérante La requérante indique qu’elle a été détenue dans une cellule de 8,7 m² avec trois autres personnes et que, certains jours, en raison du manque de place dans le centre de détention, une personne supplémentaire était placée dans sa cellule pour une à trois nuits. Elle déclare qu’un lit superposé lui avait été attribué et qu’elle dormait sur un matelas en mousse sale et sans draps. Elle ajoute que la cellule était dotée de quatre lits superposés, d’une table, d’un lavabo et de toilettes séparées du reste de la pièce par un rideau et que la douche, un simple tuyau, était installée au-dessus des toilettes. Selon la requérante, le nettoyage de la cellule était assuré par les détenues avec des produits fournis par leurs familles. La requérante indique que la cellule, éclairée par un tube à néon allumé en permanence, était dotée d’une fenêtre de petites dimensions placée en hauteur et donc, selon elle, difficilement accessible. Elle ajoute que les barreaux métalliques dont cette fenêtre était pourvue empêchaient son ouverture et sa fermeture complètes. En été, la cellule aurait été surchauffée. La requérante déclare enfin que les sorties étaient autorisées pendant une heure par jour dans une petite cour. Selon elle, cette cour avait les mêmes dimensions que la cellule et elle était clôturée par des murs en béton très hauts qui auraient créé un effet de serre. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Le Gouvernement indique que la requérante a été détenue dans une cellule de 8,62 m² qu’elle partageait avec trois autres personnes. Il lui aurait été attribué un lit pourvu d’un matelas, d’un oreiller, de draps et d’une couverture, tous en bon état. La cellule aurait disposé d’un lavabo, d’une douche et de toilettes, et l’eau, froide et chaude, y était disponible à tout moment. La cellule aurait bénéficié d’un éclairage et d’une ventilation naturels et elle aurait été chauffée. Le nettoyage de la cellule aurait été assuré par les détenues avec les produits fournis par leurs familles ou par le centre de détention. La requérante aurait bénéficié d’une heure de promenade quotidienne dans l’une des deux cours prévues à cet effet et qui auraient mesuré chacune 20,23 m². B. Les demandes de sortie de la requérante pour assister aux obsèques de son mari Procédure administrative Le 4 juin 2014, la requérante, par le biais de son avocat, déposa auprès du parquet chargé de l’enquête pénale dirigée à son encontre (« le parquet »), une demande d’autorisation de sortie du centre de détention le 8 juin 2014 afin d’assister aux obsèques de son mari, avec lequel elle avait été mariée pendant 32 ans. Elle fonda sa demande sur l’article 4 de la loi no 254/2013 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 », paragraphe 32 ci-après), qui prévoit que lesdites peines et mesures sont exécutées dans des conditions assurant le respect de la dignité humaine. Elle fonda également sa demande sur l’article 8 de la Convention. Le même jour, le parquet informa la requérante que sa demande avait été transmise au centre de détention, en vertu de l’article 110 §§ 1 et 4 de la loi no 254/2013 (paragraphe 32 ci-après). Par une lettre du 5 juin 2014, le directeur du centre de détention informa le parquet que l’article 110 §§ 1 et 4 de la loi no 254/2013 n’était pas applicable aux personnes placées en détention provisoire et que l’avocat de la requérante ne se référait pas à « une autorisation » ou à « une permission » au sens de la loi, mais seulement à une sortie sous escorte pour une période déterminée en vue de la participation aux obsèques. Il demanda au parquet d’exprimer son avis quant à l’effet d’une telle sortie sur l’enquête pénale en cours. Par une lettre du même jour, le parquet informa le centre de détention que la sortie sous escorte de la requérante le 6 ou le 7 juin 2014 afin d’assister pendant trois heures à la veillée funèbre de son mari n’entraverait pas l’enquête pénale. Les 6 et 7 juin 2014, la requérante réitéra auprès du parquet ses demandes de participation aux obsèques devant se tenir le 8 juin. Par une décision du 7 juin 2014, le parquet autorisa la sortie de la requérante sous escorte, le même jour, afin qu’elle puisse assister à la veillée funèbre pendant trois heures. Le parquet fonda sa décision sur l’article 110 § 2 de la loi no 254/2013 (paragraphe 32 ci-après), qui régit le droit de visite des personnes contre lesquelles une mesure provisoire privative de liberté a été prise, sur l’article 8 de la Convention et sur la jurisprudence de la Cour. Il précisa que cette sortie n’entraverait pas l’enquête pénale. La requérante put participer à la veillée funèbre dans les conditions précisées par le parquet. Procédure judiciaire Parallèlement, le 4 juin 2014, la requérante, par le biais de son avocat, demanda au parquet, toujours dans le but de participer aux obsèques de son mari, le remplacement de la mesure de détention provisoire par une mesure de contrôle judiciaire pour une durée de cinq jours. Elle fondait sa demande sur l’article 8 de la Convention, sur la jurisprudence de la Cour en la matière, sur la recommandation du Conseil de l’Europe relative aux règles pénitentiaires européennes (paragraphe 35 ci-après) et sur les dispositions de la loi no 254/2013. Elle se plaignait en outre que les personnes placées en détention provisoire ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les détenus condamnés et précisait que, selon l’article 110 de la loi précitée, les personnes placées en détention provisoire, à la différence des détenus condamnés, ne pouvaient pas bénéficier d’autorisations de sortie de prison pour des motifs concernant leurs relations de famille. Cette demande fut également transmise par le parquet au tribunal départemental de Bucarest. Par une décision du 5 juin 2014, le tribunal départemental de Bucarest accueillit la demande de la requérante. Il estima que le décès du mari de cette dernière constituait une modification de la situation personnelle de celle-ci au sens de l’article 242 § 2 du code de procédure pénale, lequel autorisait dans ce cas le remplacement d’une mesure provisoire par une autre plus légère (paragraphe 33 ci-après). Par ailleurs, il jugea que le refus des juridictions nationales de se prononcer sur la demande de la requérante, indépendamment de l’existence d’une procédure administrative permettant d’atteindre le même résultat, s’analysait en une violation de l’article 8 de la Convention. Il constata en outre que les faits reprochés à la requérante, qui auraient été commis entre 2008 et 2010, ne se déroulaient pas actuellement et n’étaient pas en cours, de sorte qu’ils ne pouvaient être ni modifiés ni cachés par la requérante. Par ailleurs, le tribunal ajouta que, en cas de révocation de la détention provisoire, la loi pénale prévoyait des mesures suffisantes aptes à assurer le bon déroulement du procès pénal. En conséquence, le tribunal, estimant que le remplacement temporaire de la détention provisoire n’était pas permis par la loi, décida le remplacement définitif de la mesure de détention provisoire par un contrôle judiciaire assorti de plusieurs obligations à la charge de la requérante afin de garantir que l’enquête pénale ne soit pas entravée. Le parquet forma un recours contre cette décision et demanda le maintien de la requérante en détention provisoire. Il versa au dossier une lettre datée du 5 juin 2014 et envoyée au centre de détention dans laquelle il exprimait son accord pour la sortie de la requérante sous escorte. Dans cette lettre, il mentionnait que la sortie de celle-ci le 6 ou le 7 juin 2014 afin qu’elle puisse assister à la veillée funèbre de son mari pendant trois heures n’entraverait pas l’enquête (paragraphe 21 ci-dessus). La requérante argua que, la décision du parquet étant intervenue tardivement, sa participation à la veillée funèbre était impossible. Elle réitéra son argument relatif à la différence de traitement entre les personnes placées en détention provisoire et les détenus condamnés quant à la possibilité de sortir du centre de détention pour participer aux funérailles d’un proche. Par une décision du 7 juin 2014, la cour d’appel de Bucarest accueillit le recours du parquet et, sur le fond, rejeta la demande de la requérante tendant au remplacement de la mesure de détention provisoire. Pour ce faire, la cour d’appel constata que la mesure était légale et bien fondée. Elle se référa à la gravité des faits reprochés, au grand nombre d’actes matériels en cause, à la hauteur du préjudice en résultant, à l’impact négatif sur l’opinion publique de l’éventuelle mise en liberté de la requérante deux semaines seulement après son arrestation, et au fait qu’elle était suspectée d’avoir commis les faits reprochés en sa qualité de médecin. Elle estima en outre que le maintien de la requérante en détention était justifié par la nécessité d’empêcher des ententes frauduleuses entre les inculpés et les témoins, ententes qui avaient jusqu’alors entravé l’enquête pénale. Sans pour autant critiquer l’interprétation que le tribunal de première instance avait faite de l’article 8 de la Convention, la cour d’appel considéra que le document que le parquet venait de verser au dossier (paragraphe 21 ci-dessus) changeait la situation de fait. Elle se référa en ces termes au document du parquet : « l’inculpée [pouvait] être conduite sous escorte aux funérailles de son mari décédé et [...] elle avait la possibilité de participer pendant trois heures aux cérémonies organisées pour cet événement. Ainsi, on peut noter que l’État, par [le biais de] ses institutions, a pris une mesure positive, apte à garantir le droit de l’inculpée à la vie de famille, permettant à celle-ci de [participer à l’adieu à] une personne extrêmement proche [d’elle]. » La cour d’appel fit la conclusion suivante : « mettant en balance l’intérêt particulier de l’inculpée et l’intérêt public, [à savoir] le bon déroulement du procès pénal, le juge constate que l’intérêt particulier de l’accusée a été assuré et respecté dans la modalité susmentionnée (la possibilité qu’elle soit conduite sous escorte aux funérailles de son mari), de sorte que, à présent, c’est l’intérêt public qui l’emporte. » Par conséquent, la requérante ne put pas participer aux funérailles de son mari qui eurent lieu le 8 juin 2014. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi no 254/2013 sont ainsi libellées : Article 4 § 1 « Les peines et les mesures privatives de liberté sont mises à exécution dans le respect de la dignité humaine. » Article 98 § 1 (Récompenses) « 1. Les personnes condamnées ayant une bonne conduite et fait preuve d’assiduité dans le travail ou dans le cadre d’activités éducatives, morales et religieuses, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle, peuvent se voir accorder les récompenses suivantes : (...) e) une autorisation de sortie de prison pour un jour, mais sans dépasser quinze jours par an ; f) une autorisation de sortie de prison pendant une période de cinq jours au maximum, mais sans dépasser vingt-cinq jours par an ; g) une autorisation de sortie de prison pour une période de dix jours au maximum, mais sans dépasser trente jours par an. » Article 99 §§ 1 et 5 (Autorisation de sortie de prison) « 1. Une autorisation de sortie de prison peut être accordée, sur la base de l’article 98, dans les cas suivants : (...) c) pour le maintien des relations de famille de la personne condamnée ; (...) e) pour la participation de la personne condamnée aux obsèques de son mari, de sa femme, de son enfant, de son parent, de son frère, de sa sœur, de son grand-père ou de sa grand-mère. (...) Une autorisation de sortie de prison pour le cas prévu au point e) du premier alinéa peut être accordée pour une durée maximale de cinq jours à toute personne condamnée, à l’exception de[s personnes qui purgent leur] peine sous le régime de haute sécurité, si elle remplit les conditions prévues à l’article 98 § 1. » Article 110 §§ 1 et 2 « 1. Les dispositions du titre I, du titre II ainsi que celles des chapitres II, IV-VI et IX du titre III, pour autant qu’elles ne contreviennent aux dispositions du présent titre [L’exécution des mesures privatives de liberté dans les centres de garde à vue et de détention provisoire], sont également applicables, à l’exception des dispositions relatives à : (...) e) l’autorisation de sortie de la prison prévue à (..) l’article 98 § 1 e) à g) ; (...) Le droit de la personne placée en détention provisoire au cours des poursuites pénales de recevoir des visites et de communiquer avec les média peut être mis en application uniquement après accord du procureur chargé d’effectuer ou de surveiller les poursuites pénales. (...) Les récompenses sont accordées et les sanctions disciplinaires sont prises par une commission nommée annuellement par le directeur de l’unité ; elle est formée d’un des directeurs adjoints en tant que président, du directeur du centre de rétention et d’arrêt, d’un officier ayant des connaissances juridiques, en tant que membres de la commission, ainsi que d’un secrétaire. » Les dispositions de l’article 242 § 2 du code de procédure pénale sont ainsi libellées : « La mesure provisoire est remplacée, d’office ou sur demande, par une mesure provisoire plus clémente si les conditions prévues par la loi pour cette dernière mesure sont remplies et si, après évaluation des circonstances concrètes de la cause et de la conduite de l’inculpé pendant la procédure, il peut être considéré que la mesure plus clémente est suffisante pour la réalisation des buts [généraux] prévus à l’article 202 § 1 [pour toutes les mesures préventives]. » D’après les informations fournies par le ministère des Affaires intérieures à l’agent du Gouvernement, pour la période comprise entre le 1er février 2014 et le 12 octobre 2015, les maisons d’arrêt relevant de la direction générale de la police roumaine ont enregistré douze demandes de sortie de personnes placées en détention provisoire afin de participer aux obsèques de proches. Les autorités ont fait droit à seulement deux de ces demandes, dont l’une est celle de la requérante dans la présente affaire. III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006) indique notamment ceci : Règle 24.7 « Lorsque les circonstances le permettent, le détenu doit être autorisé à quitter la prison – soit sous escorte, soit librement – pour rendre visite à un parent malade, assister à des obsèques ou pour d’autres raisons humanitaires. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les deux premiers requérants sont mari et femme ; ils sont nés respectivement en 1975 et en 1978. La troisième requérante est leur fille, née en 1994. Le quatrième requérant, né en 1952, est le grand-père maternel de cette dernière. Les requérants, tous appartenant à l’ethnie rom, résident à Acîş. A. Les incidents du 4 juillet 2008 et leurs suites Les évènements survenus près du domicile des requérants Le 4 juillet 2008, vers 16 h 30, une équipe de police de la commune de Acîş fut appelée dans le quartier habité par les requérants, à cause d’une dispute de voisinage qui eut lieu entre le premier requérant et B.A. Le policier B.C., chef du poste de police de la commune, et sa collègue, S.A.P., se rendirent sur les lieux. Ils s’approchèrent de la maison des trois premiers requérants et demandèrent à ceux-ci de baisser le volume de la musique. La troisième requérante se conforma immédiatement à cette demande, nonobstant l’opposition du premier requérant. La police quitta les lieux. Une heure plus tard, le policier B.C., accompagné de trois autres policiers, retourna au domicile des requérants avec deux voitures de police. Les policiers invitèrent le premier requérant à les suivre au poste de police, ce que ce dernier refusa au motif qu’il n’en comprenait pas la raison. Puis, les policiers essayèrent de le faire entrer de force dans un de leurs véhicules. Le premier requérant se dégagea de l’étreinte des policiers et se réfugia chez lui. Peu après, il ressortit avec une houe, menaçant de se défendre si les policiers l’approchaient à nouveau. Puisque, d’après ce requérant, les policiers lui adressaient des injures et le menaçaient, il projeta la houe contre le sol, dans leur direction, mais sans arriver à les atteindre. Plusieurs dizaines d’habitants de la commune étaient présents sur les lieux de l’incident. Deux voisins intervinrent pour maîtriser le premier requérant. L’un d’eux, F.Z., lui asséna un coup de marteau sur la tête, ce qui aurait provoqué l’évanouissement de ce requérant. Les policiers assistèrent à cette agression sans intervenir. La deuxième requérante lança une pierre en direction desdits voisins. Seule la voiture de police fut touchée. Aucun policier ne fut blessé à cette occasion. Les policiers s’en allèrent avec leurs deux véhicules, en laissant le premier requérant allongé par terre. Lors de cette intervention, la police réalisa un enregistrement vidéo à l’aide d’une caméra fixée sur l’une des deux voitures de police. Un extrait de cet enregistrement vidéo sans son a été versé au dossier par le Gouvernement. L’interpellation des requérants Le premier requérant fut conduit rapidement par les membres de sa famille au dispensaire de la commune. Sur place, un médecin administra les premiers soins au requérant blessé. Ce médecin aurait rudoyé tous les membres de la famille et leur aurait demandé d’attendre une ambulance pour que leur proche fût conduit à l’hôpital afin d’y faire suturer sa blessure. Tous les requérants sortirent du dispensaire et attendirent l’arrivée d’une ambulance devant ce bâtiment. Une équipe des forces spéciales d’intervention, composée de huit policiers, arriva alors. À partir de là, les versions des parties quant au déroulement des faits divergent. a) La version des requérants Selon les requérants, les forces de l’ordre se mirent à les frapper, y compris la troisième requérante, alors âgée de treize ans. Les policiers passèrent les menottes aux intéressés et les firent monter dans un minibus. Pendant la durée du trajet vers le commissariat de police de Acîş, les requérants continuèrent à recevoir des coups de la part des policiers. Une fois arrivés au poste de police de Acîş, le quatrième requérant dut attendre à l’extérieur, tandis que les trois autres requérants furent introduits dans un bureau et y furent encore brutalisés. Le premier requérant fut frappé par les policiers des forces spéciales à coups de pied et de matraque, et les deux requérantes furent giflées et matraquées par une policière du commissariat local. La deuxième requérante essaya de convaincre la policière d’arrêter de les frapper, sa fille et elle, arguant qu’elles n’avaient rien fait, mais la policière leur rétorqua qu’elles avaient été à l’origine d’une dispute. De peur, la plus jeune des deux requérantes n’arriva plus à maîtriser ses sphincters et en ressentit alors un fort sentiment d’humiliation. La mère essuya avec la chemise de sa fille l’urine qui avait coulé sur le sol. Le quatrième requérant, ayant entendu les cris de la troisième requérante, intervint auprès de la policière en lui demandant de ne plus frapper sa petite-fille et en lui disant que celle-ci était très effrayée. Un policier des forces spéciales le gifla pour qu’il se tût. À cause de ces coups, ce requérant perdit une dent. b) La version du Gouvernement D’après le Gouvernement, les forces d’intervention arrivées sur les lieux ont été sollicitées par les agents de police afin d’accompagner les quatre requérants ainsi que les témoins F.Z.D., L.G.H., L.I., F.Z. et B.A. au poste de police en vue de leur interrogatoire. Aucune violence physique n’aurait été exercée sur les requérants par les agents des forces de l’ordre. L’interrogatoire de la troisième requérante Il ressort d’un procès-verbal d’interrogatoire (proces-verbal de audiere) que, le 4 juillet 2008, la troisième requérante a été interrogée au commissariat de police de Acîş, en présence de sa mère, « sur la manière dont elle [la personne interrogée] avait lancé des pierres en direction de la voiture de police à Acîş ». Le procès-verbal ne mentionnait pas en quelle qualité cette requérante avait été interrogée, l’intéressée ayant signé sous l’appellation de « personne interrogée », ni si elle avait été informée sur ses droits (paragraphe 63 ci-dessous). Au cours de son interrogatoire, la troisième requérante décrit les faits tels que présentés aux paragraphes 8 à 10 ci-dessus. Elle ajouta qu’elle n’avait pas vu qui avait lancé des pierres en direction de la voiture de police endommagée. Après avoir passé une heure au commissariat, la troisième requérante fut relâchée. La garde à vue des deux premiers requérants Le premier et le quatrième requérants ainsi que la deuxième requérante furent conduits au poste de police de la ville de Carei afin de déposer. Après sa déposition, le quatrième requérant fut reconduit chez lui. Quant aux deux premiers requérants, ils se virent signifier qu’ils étaient accusés d’outrage contre les policiers ayant participé à l’intervention qui avait eu lieu quelques heures plus tôt et qu’ils allaient être placés en garde à vue. Après vingt-quatre heures de garde à vue, le parquet près le tribunal de première instance de Carei ordonna la remise en liberté des deux premiers requérants pendant la durée de l’enquête diligentée à leur encontre pour outrage (paragraphes 58 à 61 ci-dessous). B. Les blessures constatées sur la personne des deux premiers requérants La deuxième requérante affirme que, avant d’être conduite à la maison d’arrêt (paragraphe 25 ci-dessus), elle a été examinée par un médecin de l’hôpital de Carei pour une hémorragie vaginale qui aurait été causée par les coups qu’elle disait avoir reçus. Le médecin lui aurait appris qu’elle était enceinte et qu’elle se trouvait à son troisième mois de grossesse. La police aurait demandé au médecin de ne rien consigner à ce sujet dans les documents médicaux. Aucun document n’a été versé au dossier pour attester ces faits. À l’issue de leur garde à vue, le 5 juillet 2008, les deux premiers requérants se présentèrent aux urgences de l’hôpital de Satu Mare, y reçurent des soins pour leurs blessures et furent hospitalisés deux jours. Le premier requérant subit plusieurs examens, y compris radiologiques et orthopédiques. Il présentait des fractures aux deux bras et se vit par conséquent poser des attelles plâtrées. La copie du registre des consultations de cet hôpital établi le 5 juillet 2008 indique que la deuxième requérante a fait l’objet d’un examen radiologique et d’un examen gynécologique, ce dernier concluant à un « état normal ». Toujours selon ce document, cette requérante avait été adressée à un médecin légiste. Le 7 juillet 2008, à leur sortie de l’hôpital, les deux premiers requérants se présentèrent au service médicolégal de Satu Mare. Selon les rapports médicolégaux établis à cette occasion, ces deux requérants avaient subi des polytraumatismes par agression. Le premier requérant présentait, en particulier, de multiples ecchymoses sur le visage et sur le thorax (dont les dimensions variaient entre 2 et 21 cm de longueur) et plusieurs fractures des deux membres supérieurs – à savoir une fracture du cubitus du bras gauche, des fractures de trois os de la main gauche (métacarpe) et une fracture du cubitus du bras droit. Il présentait également une fracture de la pyramide nasale, une plaie suturée de 4,50 cm sur le visage, ainsi qu’une entorse de la main gauche. Selon le rapport médicolégal établi au sujet du premier requérant, celui-ci était dans un état nécessitant quarante à cinquante jours de soins médicaux aux fins de son rétablissement et ses lésions avaient pu être produites par l’assénement de coups répétés avec un objet contondant. Le rapport médicolégal établi au sujet de la deuxième requérante indiquait que l’état de cette dernière nécessitait deux à trois jours de soins. Il mentionnait une contusion du bassin, une contusion cérébrale mineure, ainsi que deux ecchymoses sur la cuisse gauche, dont la plus importante mesurait 9 cm sur 12 cm. Le rapport précisait que les lésions avaient pu être produites par des coups portés avec un « objet contondant » (corp dur contondent). Le 27 août 2008, la deuxième requérante consulta un médecin généraliste, qui l’adressa à un gynécologue avec un diagnostic présomptif de métropathie hémorragique. C. L’instruction de la plainte pénale des requérants Le 22 août 2008, le Romano CRISS dénonça à l’inspection départementale de la police de Satu Mare, à l’inspection générale de la police et au ministère de l’Intérieur les abus que les policiers auraient commis, parmi d’autres, le 4 juillet 2008 à l’encontre des deux premiers requérants. Le Romano CRISS, qui avait dénoncé en même temps des violences commises par la police envers une autre personne, exprima « son inquiétude à l’égard des incidents susmentionnés, plus particulièrement quant à l’éventualité pour les roms de subir des violences physiques de la part des représentants de la police de Satu Mare. » Le 3 septembre 2008, l’adjoint du directeur chargé du contrôle interne de l’inspection générale de la police répondit que le parquet près la cour d’appel de Cluj avait été saisi et que la responsabilité pénale des policiers mis en cause au sujet des incidents dénoncés allait être examinée par ledit parquet. La dénonciation faite par le Romano CRISS n’ayant pas abouti, le 5 mai 2009, les quatre requérants portèrent personnellement plainte contre le policier B.C. (paragraphes 7 et 8 ci-dessus) et les agents des forces de l’ordre ayant pris part aux évènements du 4 juillet 2008. Aucune référence n’existe dans cette plainte quant au prétendu mobile raciste de l’action des agents de police. Le parquet près le tribunal départemental de Satu Mare (« le parquet ») fut chargé de l’affaire. Des rapports concernant les faits du 4 juillet 2008, rédigés par les policiers S.A.P. et S.I.C. et par le policier B.C., furent versés au dossier. Les policiers S.F. et B.C. furent interrogés. L’enquête établit que le policier S.I.C. n’était pas présent sur les lieux le 4 juillet 2008. D’après les observations du Gouvernement, les 14 et 16 juillet 2009, le premier requérant et la troisième requérante furent interrogés en présence de l’avocat de leur choix et déclarèrent ce qui suit. Le premier requérant maintint sa version initiale des faits (paragraphes 14 à 18 ci-dessus). La troisième requérante exposa sa version du déroulement des incidents du 4 juillet 2008. Elle ne mentionna pas qu’elle avait subi des actes de violence lors de son arrestation, et elle indiqua que ses proches et elle avaient tous été menottés et que son père avait été soumis à une fouille. Elle ajouta que ses parents et elle avaient été battus au siège de la police, qu’elle n’était plus arrivée à maîtriser ses sphincters à la suite de ces violences et qu’elle avait dû enlever sa chemise pour que sa mère nettoyât son urine. Elle précisa que ses parents ne l’avaient pas soumise à un examen médicolégal après les incidents parce qu’ils n’en auraient pas eu les moyens. Le 29 juillet 2009, les témoins R.R.L. et B.A. furent interrogés. Ils déclarèrent que le premier requérant avait été frappé par ses voisins, F.Z.D. et F.Z., dans le but de le calmer. Ils précisèrent que, après sa remise en liberté, la deuxième requérante leur avait dit que ses proches et elle avaient été battus par les policiers. Les enquêteurs demandèrent au médecin de la commune des précisions sur l’état de santé de la deuxième requérante ; celui-ci leur indiqua que cette requérante ne figurait pas dans ses registres comme étant enceinte. Les enquêteurs demandèrent à B.C. de dresser un rapport sur le déroulement des évènements du 4 juillet 2008 (paragraphe 42 ci-dessus). Celui-ci indiqua que les policiers n’avaient pas utilisé la force contre les requérants pour les conduire au siège de la police, mais que les intéressés avaient eu un comportement récalcitrant et qu’il avait été nécessaire de procéder à leur immobilisation par des menottes. Le 11 décembre 2009, le parquet rendit un non-lieu au sujet des policiers B.C., S.A.P. et S.I.C. Le procureur relevait que, d’après un rapport rédigé par le policier B.C. et la déclaration du témoin R.R.L. (paragraphe 46 ci-dessus), F.Z. était à l’origine des coups reçus par le premier requérant puisqu’il aurait frappé ce dernier avec un marteau, ce qui aurait provoqué l’évanouissement de l’intéressé (paragraphe 10 ci-dessus). S’agissant de la deuxième requérante, le parquet notait que, à la date du 4 juillet 2008, elle n’était pas enregistrée auprès du dispensaire de la commune comme étant enceinte, et il relevait que le certificat médicolégal du 7 juillet 2008 (paragraphe 36 ci-dessus) ne mentionnait pas que l’intéressée avait pu faire une fausse couche. Le parquet notait ensuite que, le 4 juillet 2009, la police de Carei avait proposé le renvoi des deux premiers requérants en jugement des chefs d’outrage. Il estimait qu’il était évident que les requérants avaient déposé plainte contre les agents du poste de police de Acîs une année environ après les faits afin de se venger de leur renvoi en jugement. Le parquet concluait qu’il ressortait des preuves que les intéressés n’avaient pas été frappés par les forces de l’ordre, mais par d’autres membres de leur communauté au cours d’un conflit qui aurait « spontanément éclaté dans le quartier des Roms ». La décision de non-lieu du parquet ne mentionnait pas la troisième requérante et le nom de cette dernière n’apparaissait pas sur la liste des plaignants établie par le parquet. Le 21 janvier 2010, ce non-lieu fut confirmé par le procureur en chef du même parquet. Les requérants saisirent le tribunal départemental de Satu Mare d’une plainte contre le non-lieu. Ils contestaient les faits établis par le parquet, qui s’était limité à examiner la situation du premier requérant, et indiquaient que l’enquête n’avait aucunement porté sur leurs allégations concernant les traitements subis lors de leur interpellation et au siège de la police. Ils ajoutaient que leur plainte était due également à la manière discriminatoire dont étaient traités les citoyens appartenant à l’ethnie rom par les autorités. Par une décision du 23 mars 2010, le tribunal départemental de Satu Mare jugea qu’il ressortait des déclarations des requérants et des personnes mises en cause, ainsi que des témoignages de R.R.L. et B.A., que les intéressés n’avaient pas été blessés par les agents de police, mais par des civils, et que ceux-ci étaient intervenus afin de maîtriser le premier requérant car ce dernier aurait fait preuve d’un comportement violent à l’encontre des policiers. Pour ce qui était de la deuxième requérante, le tribunal notait que, à la date du 4 juillet 2008, elle n’était pas inscrite auprès du dispensaire de la commune comme étant enceinte. Les requérants formèrent un recours contre cette décision. Par un arrêt définitif du 18 mai 2010, la cour d’appel d’Oradea nota que les policiers étaient légalement intervenus pour mettre fin à « une dispute survenue dans la colonie des Roms » dans laquelle les trois premiers requérants furent impliqués. Elle expliqua qu’il n’avait pas été prouvé que les blessures subies par les requérants avaient été provoquées par les agents des forces de l’ordre mis en cause. D. Les poursuites pénales pour outrage contre les deux premiers requérants À la suite des évènements du 4 juillet 2008, les organes d’enquête ouvrirent une procédure pénale contre les deux premiers requérants du chef d’outrage. Le 5 juillet 2008, le premier requérant fut interrogé en présence d’un avocat. Il déclara qu’il avait menacé un voisin avec une hache et poursuivi le policier B.C. avec une houe et qu’il avait ensuite été frappé par F.Z. Interrogée le même jour, en présence d’un avocat, la deuxième requérante déclara que F.Z. avait frappé son mari au visage, que les policiers étaient rapidement partis et qu’elle avait lancé une pierre en direction de leur voiture. Aucune mention n’était faite dans ces déclarations quant aux allégations de mauvais traitements subis de la part des agents de police lors de l’interpellation des intéressés ou au siège de la police. Les témoins B.A. et F.D.Z. déclarèrent que F.Z. intervint pour calmer le premier requérant en lui assenant un coup au visage. Par un arrêt définitif du 14 février 2012, la cour d’appel d’Oradea confirma la condamnation des deux premiers requérants à des peines d’emprisonnement avec sursis de, respectivement, deux ans et demi et un an et huit mois. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS L’article 31 de la loi no 218 du 23 avril 2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine (« la loi no 218/2002 »), relatif entre autres à la mesure administrative de conduite au siège de la police (conducerea administrativa), est décrit dans l’affaire Poede c. Roumanie (no 40549/11, § 38, 15 septembre 2015). L’article 80 du code de procédure pénale, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellé : « (1) L’époux et les proches parents du prévenu ou de l’inculpé ne sont pas tenus de déposer comme témoins. (2) Les organes judiciaires en informent les personnes indiquées à l’alinéa précédent (...). » Le rapport de l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie – le Comité Helsinki (APADOR-CH) intitulé « Procédures, pratiques et données statistiques concernant la mesure administrative de conduite dans les locaux de la police et de la gendarmerie en 2009 et 2010 » fait état d’un nombre de 109 088 personnes ayant fait l’objet d’une mesure administrative de conduite dans les locaux de la police (ou de la gendarmerie) en 2009 et de 125 676 personnes en 2010. D’après ce même rapport, cette procédure et la pratique de la police en la matière n’offrent pas les garanties requises pour le respect des droits fondamentaux des personnes visées par la mesure susmentionnée pendant la période au cours de laquelle celles-ci sont privées de liberté.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976. Du 8 juillet 2008 au 25 juin 2014, il a été détenu dans les prisons d’Arad et de Timișoara en exécution d’une peine infligée pour des vols avec récidive. Durant ce laps de temps, il a été transféré dans d’autres prisons, pour des affaires judiciaires, pendant de courtes périodes. Il a été libéré le 25 juin 2014. A. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Le requérant se plaint de mauvaises conditions d’hygiène dans les prisons d’Arad et de Timișoara, et plus particulièrement d’une absence de moyens permettant de maintenir une hygiène corporelle convenable. Il allègue que l’absence d’hygiène a été responsable de l’apparition et du développement de plusieurs maladies et de sa contamination par le virus de l’hépatite C. Il se plaint également de la mauvaise qualité de la nourriture ainsi que du tabagisme passif auquel il aurait été exposé dans les cellules et dans les véhicules de transfert. B. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement S’appuyant sur les informations fournies par l’administration des prisons d’Arad et de Timișoara, le Gouvernement expose que des articles d’hygiène corporelle étaient distribués gratuitement aux détenus. Il précise que ces derniers recevaient un savon de 100 g, un rasoir jetable et un rouleau de papier toilette chaque mois, un tube de 50 g de crème à raser et un tube de 50 g de dentifrice tous les deux mois, et une brosse à dents deux fois par an. Il ajoute que les autorités de la prison d’Arad, parfois confrontées à des difficultés financières, avaient dû faire appel à des dons privés pour subvenir aux besoins des détenus en matière d’hygiène. Il déclare également qu’il ressort des documents fournis par l’administration des deux prisons susmentionnées que la distribution de certains articles de toilette avait été interrompue à plusieurs reprises pendant plusieurs mois. Le Gouvernement assure que les détenus avaient accès à l’eau froide en permanence et aux douches deux fois par semaine dans la prison d’Arad, et quotidiennement, selon un horaire préétabli, dans celle de Timișoara. Il indique de plus que, pour ce qui était de l’hygiène dans les cellules, celle-ci relevait de la responsabilité des détenus, auxquels des produits de nettoyage auraient été fournis. Quant à la nourriture distribuée dans ces prisons, le Gouvernement soutient qu’elle était conforme aux normes caloriques établies par le ministère de la Justice, que l’hygiène était respectée lors sa préparation et que sa qualité était contrôlée par le personnel de la prison. Il indique que le requérant a été détenu dans des cellules occupées par des non-fumeurs et que la taille de ces cellules était variable, l’espace personnel pour chaque détenu étant, selon le Gouvernement, supérieur à 4 m2 dans la prison d’Arad et inférieur à 3 m2 dans la prison de Timișoara. Il ajoute que le transport des détenus entre lesdites prisons et les tribunaux se faisait dans des véhicules adaptés et dans lesquels il était interdit de fumer. Il indique de surcroît que le requérant a été examiné pour des affections dermatologiques récurrentes et que des traitements lui ont été prescrits. Il conteste l’allégation de l’intéressé concernant sa contamination, pendant sa détention, par le virus de l’hépatite C. À cet égard, il expose que, le 28 mars 2013, le requérant a fait l’objet d’examens de dépistage du virus et que ceux-ci se sont révélés négatifs. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les rapports du Commissaire aux droits de l’homme, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est la paroisse de Comăna de Jos de l’Église catholique de rite oriental (dite gréco-catholique ou uniate). Par le décret-loi no 358/1948, le culte uniate fut dissous et, en 1948, les biens immeubles ayant appartenu à la requérante passèrent dans le patrimoine de l’Église orthodoxe. Après la chute du régime communiste en décembre 1989, le culte uniate fut reconnu officiellement par le décret-loi no 126/1990 portant diverses mesures relatives à l’Église roumaine unie à Rome (« le décret-loi no 126/1990 »). L’article 3 de ce texte prévoyait que la situation juridique des biens ayant appartenu aux paroisses uniates devait être tranchée par des commissions mixtes constituées de représentants du clergé des deux cultes, uniate et orthodoxe. Pour rendre leurs décisions, ces commissions devaient prendre en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens ». Le 28 juillet 1993, la requérante saisit le tribunal de première instance de Făgăraş (« le tribunal de première instance ») d’une action contre la paroisse orthodoxe de Comăna de Jos tendant à la restitution de l’église, du cimetière, de la maison paroissiale et des terrains afférents lui ayant appartenu. Après une première cassation avec renvoi, lors du réexamen de l’affaire, plusieurs délais furent octroyés, sans succès, aux fins de constitution d’une commission mixte. Par un jugement du 20 mai 1996, l’action de la requérante fut partiellement accueillie. Sur appel des parties, par un arrêt du 4 novembre 1997, le tribunal départemental de Braşov (« le tribunal départemental ») renvoya l’affaire en première instance, au motif qu’il était nécessaire de constituer une commission mixte et de procéder à un recensement qui établirait sans équivoque la volonté des fidèles. Par un arrêt définitif du 19 mars 1998, la cour d’appel de Braşov (« la cour d’appel ») rejeta le pourvoi en recours formé par la requérante. Le 12 février 1999, le tribunal de première instance sursit à l’examen de l’affaire à la demande des parties, celles-ci ayant indiqué qu’une rencontre devait avoir lieu au mois de mai entre le conseil de l’Église grécocatholique et celui de l’Église orthodoxe. Les parties n’ayant pu régler le différend à l’amiable, l’examen de l’affaire reprit le 3 mars 2000. Ultérieurement, en 2000 et en 2001, les parties effectuèrent des démarches aux fins de la constitution d’une commission mixte. Le 25 mai 2001, la commission mixte fut constituée. Le représentant de la requérante ne s’étant pas présenté à la date arrêtée pour le recensement, celui-ci ne put être réalisé. Par un jugement du 8 juin 2001, le tribunal de première instance rejeta l’action de la requérante, au motif que la procédure préalable obligatoire n’avait pas été observée par les parties. Par un arrêt du 6 novembre 2001, le tribunal départemental rejeta l’appel de la requérante. Cette dernière forma un pourvoi en recours. Le 12 mars 2002, la cour d’appel demanda aux parties de régler l’affaire à l’amiable dans le cadre de la commission mixte. Un recensement fut réalisé en mars 2002. Le 12 mai 2003, la mairie de Comăna de Jos informa la cour d’appel que plusieurs rencontres avaient eu lieu entre les représentants des deux cultes en litige et ceux de la mairie et du conseil local, mais qu’elles n’avaient pas abouti. Par un arrêt définitif du 16 mai 2003, la cour d’appel rejeta le pourvoi en recours de la requérante, après avoir estimé que la procédure devant la commission mixte était obligatoire en application de l’article 3 du décret-loi no 126/1990 et que l’intéressée ne pouvait pas saisir les juridictions internes avant d’avoir suivi cette procédure préalable. Par la suite, l’article 3 du décret-loi no 126/1990 fut complété par l’ordonnance du Gouvernement no 64/2004 du 13 août 2004 (« l’ordonnance no 64/2004 ») et par la loi no 182/2005 du 13 juin 2005 (« la loi no 182/2005 »). Dans sa nouvelle rédaction, cet article dispose que, en cas d’absence d’accord trouvé par les représentants cléricaux des cultes religieux en conflit au sein de la commission mixte, la partie intéressée peut introduire une action en justice en vertu du droit commun. Il ressort des pièces du dossier que la requérante n’a pas saisi les juridictions internes d’une action fondée sur le droit commun, telle que prévue par l’article 3 du décretloi no 126/1990 dans sa rédaction issue de l’ordonnance no 64/2004 et de la loi no 182/2005. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales applicables en l’espèce et la jurisprudence interne pertinente en la matière sont présentées dans les affaires Paroisse GrécoCatholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 3557, 29 novembre 2016) et Paroisse gréco-catholique Pruniș c. Roumanie ((déc.) no 38134/02, §§ 14-20, 8 avril 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971 et réside à Köln. Il est propriétaire du quotidien Űlkede Özgür Gündem, dont le siège se trouve à Istanbul. Le 9 octobre 2004, Űlkede Özgür Gündem publia un article intitulé « À l’occasion du sixième anniversaire du complot, Kongra-Gel a invité le peuple à s’atteler à la tâche : le complot s’est transformé (Kongra-Gel Komplonun altıncı yıldönümünde halkı göreve çağırdı : Komplo biçim değiştirdi) », suivi d’un autre article intitulé « L’appel du Kongra-Gel à l’occasion du sixième anniversaire du complot international : renforçons la lutte (Uluslararası komplonun altıncı yıldönümünde Kongra-Gel’den çağrı : Mücadeleyi yükseltelim) ». Les écrits litigieux contenaient une déclaration émanant du Kongra-Gel – une branche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation illégale armée – selon laquelle un complot international, qui aurait été sans cesse alimenté par de nouveaux protagonistes, avait été mis en œuvre à partir du 9 octobre 1998 contre Abdullah Öcalan. Par la suite, les textes invitaient le peuple kurde à assumer ses responsabilités sans plus tarder et à renforcer la lutte en faveur de la démocratie. Les parties pertinentes en l’espèce de ces écrits se lisaient ainsi : « La présidence du KONGRA-GEL a déclaré que le « Complot international » initié le 9 octobre 1998 et visant Abdullah Öcalan, le leader du peuple kurde, se poursuivait sous une autre forme. La présidence, soulignant que les auteurs du complot avaient mis en scène, il y a six ans, l’intrigue la plus grande et [la plus] obscure de l’histoire en sacrifiant la lutte fondée et légitime du peuple kurde pour ses intérêts politiques et économiques, a invité le peuple à s’atteler à la tâche et à renforcer la lutte en faveur de la démocratie. Dans la déclaration du KONGRA-GEL, il a été affirmé que l’on voulait poursuivre le complot en négligeant les choix politiques du peuple kurde et en s’engageant dans une politique de rejet et d’exclusion à l’égard de son leader légitime. Il a été noté que le complot consistait en une opération de grande envergure de la part des puissances souhaitant reformer le monde et le Moyen-Orient par des interventions externes et qu’il visait le projet du président Apo [que celui-ci] envisageait d’élaborer avec la libre et égale volonté des peuples. Ainsi, les États-Unis, qui jouent un rôle direct et essentiel dans le complot, ont reconnu cette mission. La Grèce, la Russie, Israël et les États européens, eux aussi, font sans aucun doute partie du complot. (...) Quant à la déclaration faite par le Comité du droit, de la justice et des droits de l’homme du KONGRA-GEL, elle a invité la Cour européenne des droits de l’homme à mettre en lumière le complot sous tous ses aspects. (...) » Des poursuites furent engagées à l’encontre du requérant. Par une décision du 24 décembre 2009, la cour d’assises d’Istanbul jugea celui-ci coupable d’infractions visées à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 et le condamna à une amende de 2 503 livres turques (TRY) (soit environ 1 452 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente). En application de l’article 231 § 5 du code de procédure pénale, elle sursit au prononcé de l’arrêt. Le 29 décembre 2009, le requérant forma opposition à cette décision devant la cour d’assises d’Istanbul. Le 4 janvier 2010, celle-ci rejeta ce recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes est puni d’une amende de 5 à 10 millions de livres turques. (...) Lorsque les faits décrits aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi no 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisé par le dernier numéro du périodique si celui-ci paraît une fois par mois ou moins fréquemment (...) Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » À la suite de modifications apportées par la loi no 5532 du 29 juin 2006 et par la loi no 6459 du 11 avril 2013, l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 se lit désormais ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes légitimant ou faisant l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de pareilles organisations ou incite à l’utilisation de telles méthodes est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans.. (...) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de la presse et de la publication, les responsables de la publication des organes de presse et de publication n’ayant pas participé à la commission de l’infraction sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. » En 2015, la Cour constitutionnelle a statué dans deux affaires concernant la condamnation de responsables d’organes de presse en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (Ali Gürbüz et Hasan Bayar, no 2013/568, 24 juin 2015, et Ali Gürbüz, no 2013/724, 25 juin 2015). Dans ces deux affaires, elle a conclu à la violation de la liberté d’expression des intéressés au motif que les déclarations litigieuses ne contenaient aucun appel à la violence, à la haine ou au soulèvement armé. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Ali Gürbüz et Hasan Bayar (précité) se lisent ainsi : « Le constat selon lequel la publication des considérations d’Abdullah Öcalan sur certains sujets constitue l’infraction de « publication de déclarations d’organisations terroristes » et la décision subséquente de suspension des poursuites doivent être analysés. Une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées ne peut être justifiée uniquement par une considération liée à la personnalité d’un individu. De même, le fait de publier des opinions et des idées d’un membre ou d’un dirigeant d’une organisation illégale ne peut, à lui seul, justifier une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées. En effet, une telle approche ferait obstacle à l’exercice des droits constitutionnels et priverait certaines personnes ou certains groupes de personnes de la jouissance des droits protégés par l’article 26 de la Constitution (Abdullah Öcalan, § 101). Il faut souligner que les autorités publiques disposent d’une marge d’appréciation très étroite lorsqu’il s’agit de condamner des « déclarations de presse », tel l’article publié par les requérants. Les idées qui ne sont pas accueillies favorablement par les autorités publiques ou par une partie de la population ne peuvent faire l’objet de restrictions tant qu’elles n’incitent pas à la violence, ne légitiment pas les actes terroristes et n’encouragent pas les discours de haine. Lu dans son ensemble, l’article en cause ne peut être considéré comme faisant l’apologie de la violence et incitant à l’adoption de méthodes terroristes, autrement dit à la violence, à la haine, à la vengeance ou à la résistance armée. (...) »
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Le requérant est né en 1961 et réside à Porto. Le 6 avril 2009, il engagea devant le tribunal de Porto une action en responsabilité civile contre dix sociétés. À des dates non spécifiées, le tribunal de Porto cita les parties défenderesses (procédure interne no 626/09.TJPRT). Par une ordonnance du 6 mai 2011, le tribunal de Porto considéra qu’il n’était pas compétent ratione loci, et renvoya la procédure devant le tribunal de Lisbonne. Le 21 septembre 2011, le juge du tribunal de Lisbonne invita le requérant à modifier sa requête introductive d’instance (petição inicial), au motif que le dossier ne comprenait pas toutes les informations requises en vue du bon déroulement de la procédure. Le 8 mars 2012, le requérant soumit au tribunal de Lisbonne une requête introductive d’instance dûment modifiée (petição inicial aperfeiçoada). Celle-ci fut portée à la connaissance des parties défenderesses, qui présentèrent alors leur mémoire en défense. Les 10 septembre et 8 novembre 2012, le requérant répliqua aux mémoires en réponse. Le 6 mai 2013, jour de l’audience, le requérant retira sa demande à l’encontre de l’une des parties défenderesses et conclut un règlement amiable du litige avec les autres sociétés défenderesses. Ce règlement fut homologué par le tribunal le jour même.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Bucarest. A. La détention provisoire du requérant et l’enquête pénale Le 6 juin 2004, le requérant fut placé en garde à vue puis en détention provisoire, au motif qu’il était soupçonné d’être un trafiquant international de stupéfiants. Il lui était plus particulièrement reproché d’avoir demandé à C.I., employé de la brigade anti-terroriste, d’intervenir auprès de B.C., douanier, afin de faciliter le passage de R.R. par le point de contrôle de la frontière à l’aéroport international Henry Coandă de Bucarest en ne vérifiant pas ses bagages, alors qu’il savait que ce dernier transportait de la cocaïne. Pendant l’enquête pénale, plusieurs actes d’enquête furent réalisés et des témoins furent entendus. Le requérant et R.R. furent interrogés à plusieurs reprises. Le requérant a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés. Une confrontation fut organisée entre le requérant et C.I. B. Le procès en première instance Par un réquisitoire du 27 août 2004, le requérant et R.R. furent envoyés en jugement devant le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental ») du chef de trafic international de stupéfiants. Ce réquisitoire était fondé sur des documents écrits, des déclarations de témoins et des enregistrements vidéo. Le tribunal départemental interrogea le requérant, qui clamait son innocence, le coïnculpé de ce dernier, R.R., ainsi que seize témoins, dont B.C., C.I., R.S., C.F., R.D., M.V., S.C.M., M.G. et T.C.S. D’autres preuves furent versées au dossier, parmi lesquelles des documents écrits contenant des informations sur les passagers des vols et sur les horaires d’atterrissage des vols, des procès-verbaux relatifs aux appels téléphoniques émis et reçus par le requérant ainsi que les numéros de téléphone qui se trouvaient sur l’agenda de ce dernier. Le tribunal départemental visionna tous les enregistrements réalisés au cours de l’enquête. Par un jugement du 1er juin 2005, le tribunal départemental condamna R.R. à une peine de seize ans de prison ferme du chef de trafic international de stupéfiants. Par le même jugement, le tribunal départemental acquitta le requérant, au motif qu’il ne ressortait pas avec certitude des preuves qui lui avaient été soumises que ce dernier avait commis les faits dont il était accusé. Après avoir étudié les déclarations des témoins, le tribunal départemental jugea que rien ne prouvait que le requérant avait demandé à C.I. de faciliter le transit de R.R. par l’aéroport et qu’il n’avait pas été démontré qu’il existait un lien ou une entente préalable entre l’intéressé et R.R., les arguments du réquisitoire étant fondés sur des simples suppositions à cet égard. Le tribunal estima également qu’il n’y avait aucune preuve que le requérant connaissait le contenu des bagages de R.R. C. La procédure d’appel Sur appel du parquet, par un arrêt du 21 septembre 2005, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») procéda à une requalification juridique des faits et condamna le requérant à une peine de quinze ans de prison ferme du chef de complicité de trafic international de stupéfiants. Pour justifier la responsabilité pénale du requérant, la cour d’appel se fonda sur les déclarations des témoins C.I., M.G., T.C.S. et M.V., sur un écrit attestant du temps passé par l’intéressé à l’aéroport et sur le fait que le requérant n’avait présenté aucune preuve pour étayer sa version des faits. Sur recours (recurs) du requérant, par un arrêt du 13 décembre 2006, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») cassa l’arrêt du 21 septembre 2005 et renvoya l’affaire devant la cour d’appel pour un nouvel examen, au motif que cette dernière juridiction avait condamné l’intéressé sans l’avoir interrogé au préalable. Par un arrêt du 10 mai 2007, la cour d’appel, après avoir procédé à l’interrogatoire du requérant, condamna ce dernier à une peine de quinze ans de prison ferme du chef de complicité au de trafic international de stupéfiants. Sur un nouveau recours du requérant, par un arrêt du 5 décembre 2007, la Haute Cour cassa l’arrêt du 10 mai 2007 et renvoya l’affaire devant la cour d’appel pour un nouvel examen, au motif que l’arrêt avait été rendu par un juge incompétent. Saisie à nouveau de l’affaire, la cour d’appel interrogea le requérant ainsi que les témoins C.I., M.G., B.C. et P.F.I. Ce dernier avait été proposé par le requérant. Par un arrêt du 16 octobre 2008, la cour d’appel rejeta l’appel du parquet et confirma le jugement du tribunal départemental du 1er juin 2005 (paragraphe 11 ci-dessus). La cour d’appel motiva sa décision en considérant qu’il n’existait aucune preuve permettant de requalifier les faits reprochés au requérant en complicité de trafic international de stupéfiants ou de prouver que la personne qui devait faciliter le passage de la frontière de R.R. à l’aéroport était le requérant. La cour d’appel jugea que la déclaration du douanier B.C. était importante et que les déclarations faites par l’employé de la brigade anti-terroriste, C.I., au cours de la procédure (paragraphes 6, 8 et 16 ci-dessus), susceptibles de faire le lien entre le requérant et R.R., étaient contradictoires et non crédibles. Elle ajouta que la décision de renvoyer le requérant en jugement était fondée sur des simples suppositions et qu’il ne ressortait pas des preuves soumises à son examen que l’intéressé avait commis les faits dont il était accusé. D. La condamnation pénale du requérant Le parquet forma un recours, en soutenant que la culpabilité du requérant ressortait clairement des preuves versées au dossier. Aucun témoin ne fut entendu pendant la procédure de recours et aucune preuve nouvelle ne fut versée au dossier. Par un arrêt définitif du 28 avril 2009, la Haute Cour fit droit au recours du parquet, cassa les décisions des juridictions inférieures et procéda au jugement au fond de l’affaire. Elle estima qu’il ressortait du contenu des déclarations de certains témoins que le requérant était coupable de complicité de trafic international de stupéfiants et le condamna de ce chef à une peine de quinze ans de prison ferme. La Haute Cour tint le raisonnement suivant : « (...) En effet, contrairement à la déclaration de l’inculpé [le requérant] (...) par laquelle il clamait son innocence, (...), il ressort des preuves instruites et de la combinaison des déclarations du coïnculpé R.R. avec celles des témoins C.I., B.C., R.D., C.F., S.C.M., R.S., M.G. et T.C.S. que l’inculpé a commis les faits qui lui sont reprochés, tels qu’ils sont présentés dans le réquisitoire, en ayant la qualité de complice [de] R.R. (...) Par ailleurs, les faits qui ressortent de manière certaine des preuves versées au dossier, quant à l’aide que l’inculpé (...) avait promis et essayé d’apporter à R.R. dans la forme présentée par ce dernier, ont décidé la cour d’appel de Bucarest, dans son arrêt du 21 septembre 2005 (...), à faire droit à l’appel du parquet, (...). » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du code de procédure pénale définissant à l’époque des faits l’étendue de la compétence et des pouvoirs de la juridiction saisie d’un recours sont décrites dans l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La première requérante est née en 1969, le deuxième requérant est né en 1972 et les troisième et quatrième requérants sont nés en 2010. Ils déclarent élire domicile à l’adresse du cabinet de leur avocate. Les requérants indiquent que, consultant informatique spécialisé en sécurité informatique, le deuxième d’entre eux s’est installé à Karkhov en Ukraine en août 2010 en vue d’y créer une entreprise. Ils ajoutent que la première requérante l’y a rejoint le 23 octobre 2010. Les troisième et quatrième requérants sont nés le 22 novembre 2010 à Karhov. Les actes de naissance établis le 30 novembre 2010 par les autorités ukrainiennes indiquent que la première requérante est leur mère et que le deuxième requérant est leur père. Le refus de transcrire les actes de naissance sur les registres de l’état civil français Le 14 février 2011, les premiers requérants déposèrent une demande de transcription des actes de naissance des troisième et quatrième requérants à l’ambassade de France en Ukraine. Par une lettre du 15 mars 2011, le procureur de la République de Nantes leur répondit qu’il « [s]’oppos[ait] à cette transcription compte-tenu des indices sérieux réunis par [le] poste diplomatique que ces naissances soient intervenues dans le cadre d’un contrat de gestation pour autrui prohibé par l’article 16-7 du code civil ». Le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 10 novembre 2011 Le 20 mai 2011, les premiers requérants assignèrent le procureur de la République de Nantes devant le tribunal de grande instance de cette même ville aux fins d’obtenir la transcription des actes de naissance des troisième et quatrième requérants sur les registres de l’état civil. Ils soutenaient notamment que le fait que le ministère public considérait qu’ils avaient eu recours à un contrat de gestation pour autrui en dehors du territoire français ne pouvait justifier le refus de transcription des actes de naissance des enfants, les dispositions de l’article 16-7 du code civil (« toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ») n’étant pas applicable à un contrat qui n’était pas soumis à la loi française et qui ne pouvait être considéré comme contraire à l’ordre public français. Ils ajoutaient que ce refus était constitutif d’une violation de l’article 8 de la Convention et l’article 3.1 de la convention internationale des droits de l’enfant, qui dispose que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Le tribunal de grande instance débouta les requérants par un jugement du 10 novembre 2011. Il estima que les éléments du dossier permettaient de tenir pour établi que la présence des premiers requérants en Ukraine à la date de naissance des troisième et quatrième requérants avait pour finalité la prise en charge d’enfants conçus dans le cadre d’un contrat de gestation pour le compte d’autrui. Il souligna ensuite que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, faisait obstacle à ce que, par la reconnaissance de la filiation, il soit donné effet à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui qui, fût-elle licite à l’étranger, était nulle et d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil. Il en déduisit que c’était à bon droit que le ministère public s’opposait à la transcription, et que « les faits mentionnés aux actes de naissance [n’étaient] pas conformes à la réalité relativement à la parenté des enfants et que, par application de dispositions de l’article 47 du code civil, ils ne [pouvaient] se voir reconnaître de valeur probante ». Il précisa que « ce rejet de transcription ne priv[ait] cependant pas les enfants de la filiation paternelle et maternelle, que le droit ukrainien leur reconnais[sait], ni ne les priv[ait] de vivre avec leurs parents, et ne port[ait] en conséquence pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants, au sens de l’article 8 de la Convention (...), non plus qu’à leur intérêt supérieur, garanti par l’article 3 alinéa 1 de la convention internationale des droits de l’enfant ». L’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 8 janvier 2013 Le 5 mars 2012, les premiers requérants interjetèrent appel devant la cour d’appel de Rennes. Par un arrêt du 8 janvier 2013, la cour d’appel confirma le jugement du 10 novembre 2011. Après avoir rappelé les termes des articles 16-7, 16-9 et 47 du code civil, elle souligna ce qui suit : « (...) les appelants n’ont pas pu rapporter la preuve de ce que, alors que le couple résidait à Dubai, Mme Laborie aurait accouché à l’hôpital de Kharkov. Ainsi, aucun certificat d’un médecin, ou d’une gynécologue, ou de la maternité n’a pu être fourni. Le ministère public établit qu’au moment de remplir la demande de transcription des actes de naissance à l’ambassade, Mme Laborie a demandé à l’assistante du consul de lui redonner les actes car elle ne se rappelait pas de la date de naissance des jumeaux. Il résulte de la note de synthèse de l’ambassade de France à Kiev que les époux Laborie ne parlent pas l’ukrainien, n’avaient aucun projet professionnel sérieux à Kiev (distant de 500 km de Kharkov), M. Laborie finissant d’ailleurs par préciser qu’ils allaient retourner à Dubaï où ils résident depuis 2007. Les appelants, qui se connaissent depuis plus de vingt ans n’ont jamais eu d’enfant et avaient engagé des démarches en vue d’une adoption en 2005, avec un premier refus, puis un agrément en 2006. Il était également révélé que Kharkov dispose d’une maternité spécialisée dans la médecine reproductive. C’est en conséquence, aux termes d’une analyse pertinente que le tribunal a retenu l’existence d’une convention de gestation pour autrui qui ne peut produire effet en France. Une telle convention, certes licite en Ukraine, est toutefois contraire au principe de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, principes essentiels du droit français. Elle se trouve en conséquence frappée d’une nullité d’ordre public. D’autre part, les actes de naissance des enfants contiennent une indication qui ne correspond pas à la réalité dans la mesure où ils mentionnent que Mme Laborie est la mère des enfants, alors qu’elle est la mère commanditaire. Ces actes ne sauraient, dès lors, bénéficier d’aucune efficacité au regard de l’article 47 du code civil. La jurisprudence de cette cour, dont se prévalent les appelants, n’est pas transposable en l’occurrence puisqu’elle visait un acte de naissance dont les mentions, et précisément le nom de la mère biologique, étaient exactes. C’est encore à bon droit que le tribunal a jugé que le refus de transcription ne prive pas les enfants de leur filiation, reconnue par le droit ukrainien, et ne porte pas atteinte, en conséquence, à l’intérêt des enfants et, notamment, à leur droit de vivre avec leurs parents. (...) ». Les requérants ne se pourvurent pas en cassation. Ils estimaient qu’un pourvoi aurait été voué à l’échec en raison de la jurisprudence de la Cour de cassation. Ils précisent à cet égard que, le 6 avril 2011, par trois arrêts de principe, la cour de cassation a jugé qu’était justifié le refus de transcrire un acte de naissance établi à l’étranger dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui sur les registres de l’état civil était justifié. Les requérants ne fournissent pas de précisions sur les modalités actuelles de leur vie familiale. Ils indiquent toutefois que la situation de leur famille est « absolument identique à celle de la famille Mennesson » (Mennesson c. France, no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Cour renvoie au droit et la pratique internes exposés dans les arrêts Mennesson (précité, §§ 29-36), Labassee c. France (no 65941/11, §§ 18-27, 26 juin 2014) et Foulon et Bouvet c. France (nos 9063/14 et 10410/14, §§ 36-38, 21 juillet 2016).
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Le requérant est né en 1942 et réside à Coroieşti. A. L’agression subie par le requérant Le 14 décembre 2009, le requérant se rendit à Bârlad, la ville cheflieu du département, pour faire des déclarations à la police au sujet de menaces qu’un voisin, B.F., aurait proférées à l’encontre de son épouse. À 13 heures, il quitta le siège de la police et chercha à rentrer à Coroieşti, son village, en autostop. Le chauffeur d’une camionnette le prit à bord de son véhicule et le déposa sur une route située près du village. Avant de rentrer chez lui, le requérant invita le chauffeur, pour le remercier, à la terrasse d’un bar situé en bordure de la route et lui offrit une boisson. Les deux hommes se quittèrent vers 15 heures. Ensuite, le requérant décida de parcourir les derniers kilomètres à pied. Il marcha le long de la route, puis il prit un raccourci à travers les champs. Ce chemin de terre, d’environ trois kilomètres, conduisait directement à sa maison, qui se trouvait à l’entrée du village. À la tombée de la nuit, vers 18 h 30, au lieu-dit Bujoru, le requérant fut agressé par un groupe de quatre personnes qui le frappèrent violemment avec des bâtons sur tout le corps et particulièrement à la tête. Il tomba à terre et reçut encore des coups. L’un des individus fouilla ses poches et lui prit l’argent qu’il avait sur lui. Le requérant fut ensuite abandonné dans un fossé. Il passa la nuit dehors, dans le froid et la neige, et il parcourut environ sept cents mètres en direction de son village, en rampant. Le lendemain, vers 13 h 30, le requérant croisa un voisin qui se dirigeait en charrette à travers les champs vers la route. Ce voisin le fit monter, retourna au village et le conduisit jusqu’à sa maison. Le requérant fut alors pris en charge par son épouse, qui appela une ambulance, et d’autres voisins. L’ambulance arriva vers 14 h 30 et transporta le requérant à l’hôpital de Bârlad. À 16 h 45, le requérant fut admis en réanimation. Il resta hospitalisé jusqu’au 20 janvier 2010 pour un traumatisme crânien et de nombreuses fractures. Son état nécessita par la suite plusieurs autres hospitalisations et de nombreuses interventions chirurgicales. Un rapport médicolégal établit que le requérant avait subi des blessures qui avaient mis en danger sa vie, qu’il avait besoin d’environ cent soixante jours de soins médicaux et qu’il était dans l’incapacité de travailler. Dans l’intervalle, le jour de l’incident, B.F. et trois autres personnes, dont L.C., le maire du village de Coroieşti, s’étaient rendus au parquet près le tribunal de première instance de Bârlad pour témoigner dans le cadre d’une enquête visant L.C., qui aurait également proféré des menaces à l’encontre de l’épouse du requérant. L’audition avait pris fin vers 14 heures. Les quatre hommes étaient rentrés au village avec la voiture de l’un d’entre eux. Sur le chemin du retour, ils avaient aperçu le requérant et le chauffeur de la camionnette à la terrasse du bar. B. L’enquête pénale Le 15 décembre 2009, à 17 h 10, la police de Bârlad, informée par l’hôpital de Bârlad de l’agression survenue la veille, dépêcha un agent à l’hôpital pour recueillir le témoignage du requérant. Ce dernier déclara que, le 14 décembre 2009, après avoir longé la forêt, au lieu-dit Bujoru, il s’était engagé sur le chemin qui traversait les champs. A mi-chemin, il était arrivé sur une parcelle labourée à environ un kilomètre de sa maison, la première du village, quand il avait été attaqué et frappé avec des bâtons par quatre individus, parmi lesquels il disait avoir clairement identifié trois agresseurs : B.F., L.C. et P.M., tous domiciliés à Coroieşti. Il était tombé à terre dans une ornière et les agresseurs auraient continué à le frapper. Ensuite, B.F. aurait fouillé la poche intérieure de sa veste et lui aurait pris l’argent qu’il avait sur lui. Les 16 et 17 décembre 2009, la police de Bârlad dressa un procèsverbal, qui exposait que, en raison d’abondantes chutes de neige, l’équipe constituée pour enquêter sur l’agression du requérant n’avait pas pu se déplacer dans le village de Coroieşti. Le 17 décembre 2009, un agent du poste de police du village de Coroieşti se présenta au domicile du requérant et emporta les vêtements que ce dernier portait le jour de l’agression. Ceux-ci furent remis au bureau départemental de la police scientifique, qui en prit des photographies. Le 18 décembre 2009, le requérant fit une nouvelle déclaration devant un procureur du parquet près le tribunal de première instance de Bârlad. Il décrivit les faits de manière détaillée et répéta que B.F., L.C. et P.M. figuraient parmi ses agresseurs. Il précisa qu’il était en conflit depuis longtemps avec ces trois personnes. Entendus par la police de Bârlad, B.F., L.C. et P.M. confirmèrent l’existence du conflit qui les opposait au requérant, mais nièrent avoir agressé ce dernier. Interrogé le 18 décembre 2009, L.C. affirma qu’il était retourné à Bârlad le 14 décembre 2009, vers 15 h 30, pour faire des courses, en compagnie de son épouse et qu’il y était resté avec elle jusqu’au lendemain. Interrogé le 21 décembre 2009, B.F. déclara que le 14 décembre 2009, après son retour de Bârlad, il était parti vers 16 h 30, avec une tierce personne, pour couper du bois dans un champ situé à environ deux kilomètres de son domicile et qu’il était rentré chez lui vers 19 h 30. Interrogé le 23 février 2010, P.M. déclara que, le 14 décembre 2009, il était resté toute la journée au domicile de sa compagne. La police interrogea également l’épouse du requérant, le conducteur de la charrette, le chauffeur de la camionnette, la serveuse du bar, les voisins du requérant et les personnes ayant accompagné B.F. au parquet de Bârlad. Chaque témoin décrivit les faits auxquels il avait assisté. Les voisins précisèrent qu’un agent du poste de police du village s’était rendu au domicile du requérant avant l’arrivée de l’ambulance. La police de Bârlad soumit B.F., L.C. et P.M. au test du détecteur de mensonge. Il ressort des rapports établis à cette occasion que des éléments caractéristiques d’un comportement simulé avaient été détectés à l’égard de P.M. Le requérant refusa de se soumettre à ce test au motif que la véracité de ses déclarations ne pouvait être mise en doute. Dans un mémoire envoyé au parquet le 22 juin 2010, le requérant réitéra sa version des faits. Il ajouta que l’agent de la police de Coroieşti était arrivé à son domicile avant son départ en ambulance et qu’il avait refusé de se rendre sur le lieu de l’agression au motif qu’il connaissait déjà cet endroit. Le 13 janvier 2011, les agresseurs présumés du requérant furent confrontés à ce dernier en présence des agents de la police de Bârlad. Le requérant, assisté par un avocat, fut invité à décrire la participation de chacune des personnes accusées de l’avoir agressé le 14 décembre 2009. En réponse, B.F., L.C. et P.M. se bornèrent à nier les accusations formulées à leur encontre. Le 14 janvier 2011, la compagne de P.M. fut entendue par la police de Bârlad, qui lui demanda de préciser si son compagnon avait été chez elle le jour de l’agression entre 17 et 18 heures. Elle affirma que P.M. avait passé la journée chez elle pour s’occuper de la ferme. Aucune autre question ne lui fut posée. Le 20 janvier 2011, le parquet rendit un non-lieu à l’égard de B.F., L.C. et P.M, estimant que leur culpabilité n’était pas démontrée et que, en l’absence d’autres indices, le comportement simulé de P.M. mis en évidence par le test du détecteur de mensonge ne suffisait pas à permettre une mise en cause des intéressés. Il ordonna la poursuite de l’enquête en vue de l’identification des agresseurs du requérant. Le requérant contesta le nonlieu et critiqua l’enquête en ce qu’elle aurait été superficielle. Par un jugement définitif du 15 septembre 2011, le tribunal de première instance de Bârlad confirma le non-lieu. Il estimait que l’absence d’examen rapide du lieu de l’agression était due à des difficultés pour retrouver l’endroit précis où celle-ci s’était déroulée, lesquelles s’expliquaient par des chutes de neige survenues au moment des faits et par la circonstance que le requérant s’était déplacé vers sa maison après l’incident. Le tribunal considérait, en tout état de cause, que, à supposer que cette omission était imputable à la police, un tel examen était devenu à présent inutile. Dans un mémoire adressé au parquet, le requérant dénonça l’enquête comme ayant été superficielle. Il mettait en doute la sincérité des déclarations de ses agresseurs présumés et de leurs proches, et en particulier celles de P.M. et de sa compagne, et il demandait l’administration de nouvelles preuves. Le 12 décembre 2011, le parquet fit droit à cette demande et ordonna à la police de Bârlad de procéder à une nouvelle audition de P.M. et de sa compagne et d’administrer les preuves nécessaires à l’identification des agresseurs du requérant. Le 10 janvier 2012, le parquet rejeta une plainte du requérant par laquelle celui-ci accusait le commissaire en charge de l’enquête de passivité et de négligence. Le 16 avril 2014, P.M. et sa compagne furent entendus par la police de Bârlad qui leur demanda de préciser si, le soir de l’agression, P.M. avait été au domicile de sa compagne. Ils répondirent par l’affirmative et affirmèrent qu’ils maintenaient leurs déclarations antérieures. Il ressort du procès-verbal d’audition qu’aucune autre question ne leur fut posée. À une date non précisée, le parquet classa sans suite le dossier au motif que les auteurs de l’agression demeuraient inconnus.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1949 et réside à Torre del Greco. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La procédure principale En janvier 1990, quelques années après avoir demandé au ministère de l’Intérieur à pouvoir bénéficier d’une pension d’invalidité, Mme T.G., la mère de la requérante, se vit accorder le droit au versement mensuel de la pension assortie d’une indemnité spéciale allouée en raison de la cécité partielle dont elle était atteinte. Le 21 octobre 1994, Mme T.G. déposa un recours devant le juge d’instance (pretore) de Torre Annunziata faisant fonction de juge du travail, en vue d’obtenir la reconnaissance de la réévaluation et des intérêts sur les arriérés de sa pension. Le 27 mars 1998, après trois reports de l’audience, le juge d’instance rejeta le recours pour forclusion. Le 24 septembre 1998, Mme T.G. décéda. Le 10 mars 1999, la requérante, en son nom et en sa qualité d’héritière, interjeta appel devant le tribunal de Naples. Le 10 décembre 2002, ce tribunal reconnut le droit de la requérante à la réévaluation et aux intérêts demandés pour un montant de 12 240,26 EUR. La décision devint définitive le 25 janvier 2004. En l’absence d’exécution de la part de l’administration, la requérante signifia, le 14 juin 2004, à l’Institut national de la sécurité sociale (Istituto Nazionale della Previdenza Sociale – INPS) une injonction de payer (atto di precetto) pour un montant de 30 364,38 EUR, correspondant à la somme litigieuse majorée des intérêts et de la réévaluation. Le 25 janvier 2005, elle obtint du juge de l’exécution de Naples une saisie-attribution (pignoramento presso terzi) pour l’intégralité de sa créance. B. La procédure « Pinto » Le 25 mai 2005, la requérante saisit la cour d’appel « Pinto » de Rome pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Quant à la recevabilité de sa demande, elle argua que, aux termes de l’article 4 de la loi no 89/2001, la « décision interne définitive » à prendre en compte était la décision du juge de l’exécution du 25 janvier 2005. Par conséquent, selon elle, le délai de six mois requis pour l’introduction de la demande de satisfaction équitable devait courir à partir de cette date. Le 18 mai 2006, la cour d’appel déclara le recours irrecevable pour tardiveté. Elle considéra que la décision interne définitive était celle rendue à conclusion de la procédure au fond par le tribunal de Naples, passée en force de chose jugée le 25 janvier 2004. Par une ordonnance du 25 septembre 2008, la Cour de cassation confirma la décision entreprise et débouta la requérante de son pourvoi. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 23-31, CEDH 2006V). En particulier, le texte de l’article 4 de la loi, applicable à l’époque des faits litigieux, se lit comme suit : Article 4 – Délai et conditions concernant l’introduction d’une requête « La demande de réparation peut être présentée au cours de la procédure au sujet de laquelle on allègue la violation ou, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision concluant ladite procédure est devenue définitive. » En ce qui concerne le lien entre la procédure au fond et la procédure d’exécution, la jurisprudence de la Cour de cassation a fait apparaître deux approches opposées, notamment en relation au contentieux administratif. Selon une jurisprudence plus ancienne, la procédure au fond et la procédure d’exécution pouvaient être prises comme un tout. La Cour de cassation affirmait que « la date à laquelle la décision concluant ladite procédure [était] devenue définitive », aux termes de l’article 4 de la loi no 89/2001, devait être la date à laquelle le droit revendiqué au début de la procédure au fond trouvait sa réalisation effective à la fin de la procédure d’exécution (giudizio di ottemperanza). Cette deuxième procédure éventuelle – était activée par l’intéressé en raison de l’inaction de l’administration, lorsque celle-ci ne se conformait pas à la décision devenue exécutoire (voir, parmi d’autres, les arrêts no 7978/2005, no 14595/2008 et no 1019/2009 de la Cour de cassation). Cette jurisprudence a été progressivement abandonnée. La Cour de cassation a par la suite affirmé (voir en particulier l’arrêt no 1732/2009) que les deux phases devaient être considérées comme autonomes, et ce en raison des caractéristiques de la procédure administrative d’exécution, en particulier depuis la loi de réforme de la justice administrative (loi no 205/2000). L’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation est intervenue en 2009, avec les arrêts nos 27348 et 27365, pour résoudre le conflit et harmoniser la jurisprudence en la matière. Dans les passages principaux des arrêts mentionnés, l’Assemblée plénière a jugé que : « On ne peut non plus considérer comme exacte l’allégation de la requérante selon laquelle la Cour de Strasbourg, en interprétant la CEDH, a élaboré une notion de « procès équitable » qui impliquerait que la procédure au fond et la procédure d’exécution – qui n’est qu’éventuelle – soient toujours considérées comme une seule et même procédure ou comme formant deux phases du « même » procès (article 4 de la loi no 89 de 2001, relatif aux « droits et obligations de caractère civil » (article 6 de la Convention), afin que soit prise en compte leur durée globale et, donc, que soit considérée comme admissible la demande de satisfaction équitable présentée pendant la procédure d’exécution ou dans un délai de six mois à compter de la décision du juge de l’exécution mettant fin au procès, aux termes de l’article 4 de la [« loi Pinto »] précitée, ou à compter de la « décision interne définitive » au sens de l’article 35 de la Convention. Si une telle interprétation supranationale avait été admise, notre Cour [de cassation] aurait dû respecter l’interprétation des juges supranationaux (arrêts SS.UU. nos 1138 et 1339 de 2004) afin de répondre à l’exigence de conformité aux obligations juridiques internationales à laquelle sont soumis le législateur (article 117 de la Constitution) et les juges des États parties [à la Convention]. (...) la Cour européenne [des droits de l’homme] n’a jamais affirmé ce que soutient la requérante. En réalité, le principe du droit à un recours effectif énoncé par l’article 13 de la Convention impose aux États membres l’adoption de remèdes internes afin de garantir le redressement de violations de droits garantis par la Convention, par le biais, notamment, de procédures d’indemnisation, dont la durée doit être calculée à partir de l’introduction de la demande jusqu’à l’exécution de la décision du juge ; ce principe (...) n’implique pas d’examiner chaque procédure au fond et chaque procédure d’exécution y relative en considérant qu’elles ne font qu’une. Lorsqu’elle est saisie par des requérants qui se plaignent de l’ineffectivité des remèdes internes, en raison du retard ou du défaut de versement du montant accordé dans le cadre du remède interne créé pour redresser la violation d’un droit protégé par la Convention, la Cour de Strasbourg considère ensemble la durée de la procédure au fond qui statue sur le droit au redressement et la durée de la procédure d’exécution (...) qui se termine au moment du versement, même partiel, du montant fixé par le juge du fond, moment à considérer comme le dies a quo du délai de six mois requis pour le dépôt d’une requête devant elle (voir CEDH, Grande Chambre, 31 mars 2009, Simaldone c. Italie, no 22644/03 ; Scordino c. Italie, 29 mars 2006, no 36813/97 – examiné avec neuf affaires sur l’effectivité du remède interne prévu par la loi no 89 de 2001 ; voir aussi, pour d’autres États, Bourdov c. Russie, 7 mai 2002, no 59498/95, sur l’action en indemnisation de victimes d’un grave accident nucléaire). Dans les arrêts cités, parmi beaucoup d’autres, il est dit que, eu égard au principe d’effectivité, l’exécution d’un jugement doit être considérée comme faisant partie intégrante du procès pour éviter que la lenteur excessive du recours indemnitaire n’en affecte le caractère adéquat (Scordino c. Italie, 29 mars 2006, no 36813/97, § 195) et elle doit englober l’action indemnitaire interne de réparation du préjudice découlant de la violation des droits reconnus par la Convention ; le principe est donc dépourvu de portée générale (...) » Pour ce qui est du contentieux civil, la Cour de cassation a jugé, dans un premier temps, que la procédure au fond et la procédure d’exécution devaient être considérées séparément, compte tenu de leur caractère autonome et de la fonction spécifique de chacune (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts nos 25529/2006, 25806/2007, 19573/2008, 5536/2010 et l’ordonnance no 8256/2011). En revenant sur sa jurisprudence, en mars 2014 (arrêt no 6312/2014) l’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’est exprimée à nouveau en la matière. Dans ce revirement, elle s’est prononcée en faveur d’une approche globale qui considère la procédure au fond et celle, éventuelle, d’exécution, comme un seul et même « procès ». La Cour de cassation a notamment estimé ce qui suit : « (...) [Il] est nécessaire de s’inspirer du principe constitutionnel d’effectivité de la protection juridictionnelle énoncé aux articles 24, alinéa 1, 111, alinéas 1 et 2, et 113, alinéas 1 et 2, de la Constitution (...). Le respect de ce principe exige que la protection juridictionnelle ne soit pas réduite au seul droit d’accès au juge, garanti à tous, mais qu’elle comprenne chaque étape de la procédure prévue dans l’ordre interne, même après l’introduction de la demande, afin de rendre concrète et effective la protection juridictionnelle des droits (...) et il exige aussi que ces situations juridiques individuelles, portées devant un juge, et définitivement admises par celui-ci, trouvent leur réalisation effective en faveur du titulaire du droit revendiqué et reconnu dans la phase au fond (...) Si, donc, « la prévision d’une phase d’exécution forcée des décisions de justice, en tant qu’élément intrinsèque et essentiel de la fonction juridictionnelle, doit passer pour constitutionnellement nécessaire », dans le système défini aux articles 24, alinéa 1, 111, alinéas 1 et 2, et 113, alinéas 1 et 2, de la Constitution, pour affirmer le principe d’effectivité de la protection juridictionnelle, si « l’exécution de la décision rendue par le juge doit (...) être considérée comme faisant partie intégrante du procès aux termes de l’article 6 » de la CEDH et si, par conséquent, « la procédure d’exécution constitue la deuxième phase du procès et que le droit revendiqué ne devient réellement effectif qu’au moment de l’exécution », il en découle nécessairement que, en principe (sia pure in linea di principio), pour une interprétation conforme à la Constitution et à la Convention, et respectueuse tant des normes constitutionnelles évoquées que de l’article 6 § 1 de la CEDH tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg, le procès « juste » (article 111, alinéa 1, de la Constitution) et « équitable » (article 6 de la Convention) s’entend comme une procédure juridictionnelle unique, qui commence avec l’accès au juge et se termine avec l’exécution de la décision définitive et obligatoire (...) Lorsque, dans un procès civil ou administratif, la situation juridique subjective a été reconnue dans une décision judiciaire devenue définitive et contraignante (« phase » au fond), mais que, cette décision est restée inopérante, le titulaire du droit reconnu par le juge au fond a dû en demander l’exécution forcée (« phase » de l’exécution), la garantie constitutionnelle d’effectivité de la protection juridictionnelle et l’article 6 § 1 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg, imposent de considérer que cette procédure complexe s’articule comme un « seul procès » composé de phases successives et complémentaires (...) Dans une telle perspective, les « différences fonctionnelles et structurelles » entre la procédure au fond et la procédure d’exécution forcée s’atténuent jusqu’à disparaître. » Dans le même sens, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé et précisé la nouvelle « lecture globale » dans le récent arrêt no 9142 du 6 mai 2016. La Cour de cassation s’est notamment exprimée comme suit : « III. La question posée par la section simple concerne en substance la compatibilité de la structure de la procédure « Pinto » (...) avec les principes découlant de la CEDH quant à la qualification fonctionnelle de la notion de « décision définitive » : en particulier, la présente décision a pour objet de vérifier si la discipline normative prévoyant un délai de forclusion de six mois à partir de l’issue de la procédure doit, en général, s’appliquer à partir de la décision interne définitive de la procédure considérée dans son ensemble (fond + exécution) ou si, une fois ce principe établi, il y a lieu de tenir également compte du comportement non actif de la partie en cause entre la conclusion de la phase au fond et le début de la phase d’exécution ; autrement dit, si la possibilité de décaler le dies ad quem de l’issue de la procédure susmentionnée et d’identifier donc la décision interne définitive (à conclusion de phase d’exécution) ne se heurte pas à la limite de l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 4 de la loi no 89 de 2001 dans son libellé initial. (...) VII. La sauvegarde de la particularité – fût-elle historique – des règles de procédure adoptées par un État pose un problème dans l’optique d’assurer la conformité des critères de procédure nationaux avec les critères européens. (...) IX. La Cour [de cassation] considère toutefois qu’il est possible de parvenir à un résultat équilibré (...) X. En fonction du comportement des parties, la procédure peut être considérée comme étant un tout ou comme étant séparée en deux « phases » : si une partie laisse s’écouler un délai considérable – qui doit être identifié avec le délai de six mois prévu à l’article 4 de la loi no 89 de 2001 – à partir du moment où la décision a acquis force de chose jugée, cette même partie ne peut pas, par la suite, dénoncer une durée excessive de cette partie de la procédure ; si, au contraire, la partie a un comportement actif avant l’expiration du délai de six mois afin de procéder à l’exécution, alors (...) il est possible de considérer la procédure comme étant un tout, aux fins du calcul de la durée en question (...) XI. Il s’ensuit que, lorsque l’article 4 de la loi no 89 de 2001, dans sa formulation antérieure à la réforme de 2012, établissait la forclusion du droit à indemnisation pour dépassement du délai de six mois, il présupposait une appréciation au cas par cas du lien entre la phase au fond et la phase d’exécution, du point de vue de l’action et non du droit (...) XII. La nouvelle perspective établie par l’arrêt de l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de 2014 [no 6312/2014 susmentionné], qui est davantage conforme aux principes de la CEDH – selon l’interprétation soulignée précédemment – (...) ne peut donc pas être entendue dans un sens absolu, c’est-à-dire en faisant abstraction des différences – de structures et de principe – propres au système national entre la phase au fond et la phase d’exécution (...) : c’est justement en tenant compte de ces différences qu’il est possible d’interpréter la norme (...) de manière à fixer, en fonction du comportement de la partie, le point de départ du délai de six mois soit à la date à laquelle la décision au fond est passée en force de chose jugée soit au moment de la réalisation effective du droit reconnu dans la phase précédente (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement le 1er janvier 1983 et le 3 juin 1980. Ils quittèrent leur pays d’origine, le Bangladesh, en passant par le Pakistan, l’Iran et la Turquie, avant d’entrer sur le territoire de l’Union européenne depuis la Grèce. À partir de ce pays, ils passèrent par le territoire de l’ex-République yougoslave de Macédoine puis gagnèrent la Serbie. M. Ilias séjourna environ 20 heures sur le territoire serbe, tandis que M. Ahmed y passa deux jours. Enfin, le 15 septembre 2015, ils arrivèrent dans la zone de transit de Rözke, située à la frontière serbo-hongroise. Le même jour, ils présentèrent des demandes d’asile. À partir de ce moment-là, les requérants séjournèrent à l’intérieur de la zone de transit, qu’ils ne pouvaient pas quitter pour gagner la Hongrie. Ils allèguent que cette zone ne convenait pas pour un séjour d’une durée supérieure à une journée, notamment à cause de leurs graves problèmes psychologiques. Ils auraient effectivement été confinés dans une aire restreinte d’une superficie d’environ 110 m², faisant partie de la zone de transit, clôturée et surveillée par des policiers, et ils n’auraient pas été autorisés à en sortir pour se rendre en Hongrie. Dans cette zone, ils n’auraient pu bénéficier d’aucune assistance juridique, sociale ou médicale. De plus, ils n’auraient eu accès ni à la télévision ni à Internet, non plus qu’à un téléphone fixe ou à des installations de loisirs. Ils auraient logé dans une chambre d’environ 9 m² dotée de lits pour cinq personnes. Le Gouvernement affirme que chaque container avait une superficie d’environ 15 m2. Chacun d’eux aurait été doté de cinq lits ainsi que d’un radiateur électrique. Les demandeurs d’asile n’auraient jamais été plus de 30 pendant la période en question. De l’eau courante chaude et froide ainsi que l’électricité auraient été fournies. Trois repas sans porc auraient été distribués quotidiennement aux requérants à l’intérieur d’un container-repas. Des soins médicaux auraient été dispensés deux heures par jour par des médecins des forces de défense hongroises. Selon le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (« le CPT » ; paragraphe 36 cidessous), les demandeurs d’asile dans la zone de Rözke étaient logés dans des chambres d’une superficie d’environ 13 m², dotées de deux à cinq lits équipés de matelas, d’oreillers et de literie propres. Les containers de logement auraient bénéficié d’une lumière naturelle et d’un éclairage artificiel satisfaisants, ainsi que d’un chauffage à l’électricité. De plus, il y aurait eu à l’entrée des containers de petites zones désignées où les étrangers avaient libre accès pendant la journée. Les installations sanitaires auraient été satisfaisantes. Les installations médicales ainsi que les soins médicaux dispensés en général aux étrangers en ces lieux avaient fait bonne impression à la délégation du CPT. Les requérants, tous deux analphabètes, furent questionnés tout de suite par l’Autorité de la citoyenneté et de l’immigration (« l’Autorité en matière d’asile »). Par erreur, le premier requérant fut interrogé avec le concours d’un interprète en langue dari, qu’il ne parle pas. La langue maternelle des deux requérants est l’ourdou. Selon le procès-verbal de l’entretien, l’Autorité en matière d’asile remit au premier requérant une brochure d’information sur la procédure d’asile, en langue dari elle aussi. L’entretien dura deux heures. Un interprète de langue ourdoue fut présent lors de l’entretien avec le second requérant, qui dura 22 minutes. Selon les notes prises au cours des entretiens, la Hongrie était le premier pays dans lequel les deux requérants avaient demandé l’asile. Par une décision rendue le même jour (le 15 septembre 2015), l’Autorité en matière d’asile rejeta les demandes d’asile des requérants, les jugeant irrecevables au motif que la Serbie devait être considérée comme un « pays tiers sûr » compte tenu du décret gouvernemental no 191/2015. (VII.21) relatif aux pays d’origine sûrs et aux pays tiers sûrs (« le décret gouvernemental » ; paragraphe 33 ci-dessous). Elle ordonna l’expulsion des requérants du territoire hongrois. Les requérants contestèrent la décision devant le tribunal administratif et du travail de Szeged (« le tribunal »). Le 20 septembre 2015, par le biais de représentants du bureau du Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (« le HCR ») qui avaient accès à la zone de transit, ils donnèrent pouvoir à deux avocats agissant pour le compte du Comité Helsinki en Hongrie pour les représenter dans leurs actions en justice. Cependant, les autorités n’autorisèrent les avocats à entrer dans la zone de transit pour s’entretenir avec leurs clients que le soir du 21 septembre 2015, c’est-à-dire postérieurement à l’audience judiciaire. Le 21 septembre 2015, le tribunal tint une audience pour les deux requérants, assistés d’un interprète de langue ourdoue. Chacun d’eux déclara qu’il avait reçu des autorités serbes un document rédigé en langue serbe qu’ils ne pouvaient pas comprendre, et qu’il avait été sommé de quitter le territoire serbe. À l’audience, le second requérant précisa qu’il avait demandé l’asile en Serbie mais que sa demande n’avait pas été examinée. Le tribunal annula les décisions de l’Autorité en matière d’asile et ordonna le réexamen du dossier. S’appuyant sur l’article 3(2) du décret gouvernemental, il jugea que l’Autorité en matière d’asile aurait dû analyser de manière plus poussée la situation réelle en Serbie en matière de procédure d’asile. Elle ajouta que cette autorité aurait dû signifier aux requérants ses conclusions sur ce point et elle leur accorda trois jours pour lever, avec l’aide d’un conseiller juridique, la présomption faisant de la Serbie un « pays tiers sûr ». Le 23 septembre 2015, à la demande de leurs avocats, une psychiatre désignée par le Comité Helsinki en Hongrie se rendit auprès des requérants dans la zone de transit et s’entretint avec eux avec l’assistance téléphonique d’un interprète. Selon ses constats, le premier requérant (M. Ilias) avait quitté le Bangladesh en 2010 en partie à cause d’inondations et en partie parce que deux partis politiques avaient tenté de le recruter. Ayant refusé d’y adhérer, il aurait été agressé et blessé. La psychiatre observa qu’il avait les idées claires, qu’il pouvait se concentrer et se remémorer des événements, mais qu’il montrait des signes d’anxiété, de peur et de désespoir. Elle diagnostiqua chez lui un syndrome de stress post-traumatique (« SSPT »). S’agissant du second requérant (M. Ahmed), le rapport médical indiqua qu’il s’était enfui de son pays cinq années auparavant. Il aurait antérieurement travaillé à l’étranger, période durant laquelle toute sa famille aurait péri dans des inondations. Il aurait ensuite quitté le Bangladesh pour migrer en passant par plusieurs pays afin de refaire sa vie. Selon les constats, il avait les idées claires et ne souffrait pas de perte de mémoire mais présentait des signes de dépression, d’anxiété et de désespoir. On diagnostiqua chez lui un SSPT ainsi qu’une crise dépressive. Aucun de ces rapports n’indiquait que des traitements médicaux ou psychologiques d’urgence étaient nécessaires. Cependant, la psychiatre estimait que l’état de santé mental des requérants risquait de se dégrader à cause de leur internement. Selon les pièces du dossier, l’Autorité en matière d’asile informa par téléphone les représentants en justice des requérants, le 23 septembre 2015, qu’une audience se tiendrait deux jours plus tard. Ces derniers affirment cependant qu’aucune information aussi précise n’a été communiquée à leurs représentants. Leurs représentants en justice étant absents à l’audience, les requérants décidèrent de ne faire aucune déclaration. Avec l’assistance d’un interprète de langue ourdoue, l’Autorité en matière d’asile les informa qu’ils avaient trois jours pour lever la présomption faisant de la Serbie un pays tiers sûr. Le 28 septembre 2015, les représentants en justice des requérants saisirent l’Autorité en matière d’asile et demandèrent la tenue d’une nouvelle audience à laquelle ils comparaîtraient. Le 30 septembre 2015, l’Autorité en matière d’asile rejeta de nouveau les demandes d’asile. Elle jugea que les constats dressés par la psychiatre ne fournissaient pas de raison suffisante pour accorder aux requérants le statut de « personnes appelant un traitement spécial » puisqu’il n’en ressortait aucun besoin spécial ne pouvant être satisfait dans la zone de transit. Quant à la classification de la Serbie parmi les « pays tiers sûrs », elle releva que les requérants n’avaient fait état d’aucune circonstance individuelle impérieuse permettant d’étayer la thèse que la Serbie n’était pas dans leur cas un pays tiers sûr, si bien qu’ils n’étaient pas parvenus à lever la présomption. Elle en conclut que les requérants devaient être expulsés du territoire hongrois. Les requérants attaquèrent la décision de l’Autorité en matière d’asile devant le tribunal, lequel confirma cette décision le 5 octobre 2015. Le tribunal observa en particulier que, conformément à ses instructions, l’Autorité en matière d’asile, de nouveau saisie, avait recherché si la Serbie pouvait être généralement regardée comme un pays tiers sûr pour les réfugiés et que, sur la base du droit pertinent et des renseignements recueillis au sujet de ce pays, elle avait conclu par l’affirmative. Il releva que ladite autorité avait pris en compte le rapport du Centre des droits de l’homme de Belgrade publié en 2015, les rapports publiés en août 2012 et en juin 2015 par le HCR concernant la Serbie, ainsi que d’autres documents produits par les requérants. Il jugea qu’elle avait établi sur la base de ces pièces que la Serbie satisfaisait aux conditions de l’article 2 (i) de la loi relative à l’asile. Il était convaincu que l’Autorité en matière d’asile avait correctement établi les faits et appliqué les règles de procédure. Il en conclut que la décision était clairement motivée et raisonnable. Le tribunal souligna en outre que les dépositions des requérants au cours des audiences étaient contradictoires et incohérentes. Il nota que le premier requérant avait avancé des diverses raisons pour expliquer pourquoi il avait quitté son pays et qu’il avait tenu des propos incohérents sur la question de savoir si les autorités serbes lui avaient remis des documents, constatant que la pièce finalement produite par lui n’était pas à son nom et qu’elle ne pouvait donc pas être versée au dossier. Il releva que jamais au cours de la procédure administrative le premier requérant n’avait évoqué le comportement de trafiquants d’êtres humains avant d’en parler à l’audience. Il estima que les déclarations du second requérant étaient incohérentes pour ce qui est de la durée de son séjour en Serbie et de la présentation de sa demande d’asile. Selon lui, les requérants n’avaient invoqué aucun fait précis qui aurait pu conduire l’Autorité en matière d’asile à conclure que la Serbie n’était pas sûre les concernant et qu’ils n’avaient contesté la sûreté de la Serbie qu’en général, ce qui ne suffisait pas à lever la présomption. Enfin, le tribunal se dit convaincu que la procédure conduite par l’Autorité en matière d’asile était conforme à la loi. La décision définitive fut signifiée aux requérants le 8 octobre 2015. Elle était rédigée en langue hongroise mais elle leur fut explicitée en langue ourdoue. Les requérants quittèrent ultérieurement la zone de transit pour gagner ensuite le territoire serbe après avoir été reconduits à la frontière par des agents qui n’avaient pas fait usage de la contrainte physique. Le 22 octobre 2015, l’avocat des requérants reçut le procès-verbal de l’audience conduite le 5 octobre 2015. Le 10 décembre 2015, il reçut la traduction en langue ourdoue de la décision rendue par le tribunal à l’issue de l’audience. Le 9 mars 2016, les pourvois formés par les requérants furent rejetés pour des raisons procédurales, la Kúria s’étant jugée incompétente pour en connaître. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT TEL QU’EN VIGUEUR À L’ÉPOQUE DES FAITS La loi no LXXX de 2007 relative à l’asile (« la loi relative à l’asile ») disposait : Article 2 « Aux fins de la présente loi : i) « Pays tiers sûr » se définit par tout pays à l’égard duquel l’Autorité en matière d’asile est convaincue que le requérant sera traité dans le respect des principes suivants : (...) ib) conformément à la Convention de Genève, le principe du non-refoulement y est respecté ; (...) id) il est possible d’y demander le statut de réfugié ; et les personnes qui l’obtiennent bénéficient d’une protection conformément à la Convention de Genève. (...) k) personnes appelant un traitement spécial : mineurs non accompagnés ou personnes vulnérables – en particulier les mineurs, les personnes âgées ou handicapées, les femmes enceintes, les parents seuls élevant des mineurs et les personnes ayant été l’objet d’actes de torture, de viol ou de toute autre forme grave de violences psychologiques, physiques ou sexuelles – à l’égard desquelles il est conclu, après un examen individuel, qu’elles appellent un traitement spécial. » Article 5 « 1) Un demandeur d’asile a le droit : a) de séjourner sur le territoire hongrois dans les conditions énoncées dans la présente loi (...) c) de séjourner (...) dans un logement désigné par l’Autorité en matière d’asile (...) » Rétention des demandeurs d’asile Article 31/A « 1) L’Autorité en matière d’asile peut, aux fins de conduire la procédure d’asile et d’organiser le transfert de type Dublin – en tenant compte de la restriction énoncée à l’article 31/B –, placer en rétention les demandeurs d’asile dont le titre de séjour est exclusivement fondé sur une demande de ce type dans les cas suivants : a) l’identité ou la nationalité du demandeur d’asile est incertaine, afin d’établir l’une et l’autre, b) une procédure est en cours aux fins de l’expulsion d’un demandeur d’asile et il peut être prouvé sur la base de critères objectifs – y compris la possibilité de formuler auparavant une demande d’asile – ou il existe une bonne raison de supposer qu’il demande l’asile aux seules fins de retarder ou d’entraver le déroulement de l’expulsion, c) les faits et circonstances à l’origine de la demande d’asile doivent être établis et ils ne peuvent l’être sans mettre son auteur en rétention, surtout lorsque celui-ci risque de s’enfuir, d) la rétention du demandeur d’asile est nécessaire aux fins de la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, e) la demande a été formée dans le cadre d’une procédure à l’aéroport, ou f) il est nécessaire de conduire un transfert de type Dublin et il existe un risque grave de fuite ». Article 45 « 1) Le principe du non-refoulement s’applique si, dans son pays d’origine, le demandeur d’asile ferait l’objet de persécutions fondées sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou l’opinion politique, ou d’un traitement proscrit par l’article XIV (2) de la Loi fondamentale hongroise (...) 3) En cas de rejet de la demande de reconnaissance, ou de retrait de celle-ci, l’Autorité en matière d’asile dit si, oui ou non, le principe du non-refoulement est applicable. » Article 51 « 1) Si les conditions d’application du règlement de Dublin ne sont pas réunies, l’Autorité en matière d’asile statue sur la recevabilité de la demande de statut de réfugié (...) 2) Une demande n’est pas recevable dans les cas suivants [:] e) il existe pour le requérant un pays pouvant être considéré comme un pays tiers sûr (...) 4) Une demande ne peut être jugée irrecevable sur la base du paragraphe (1) e) du présent article que dans les cas suivants : a) le demandeur a séjourné dans un pays tiers sûr et il pouvait y demander une protection effective conforme à l’article (2) i) de la présente loi ; b) le demandeur est passé par un pays tiers sûr et il pouvait y demander une protection effective conforme à l’article (2) i) de la présente loi ; c) le demandeur a dans ce pays [tiers sûr] un membre de sa famille et il est autorisé à entrer sur le territoire de ce pays ; ou d) le pays tiers sûr a formé une demande tendant à l’extradition du demandeur. 5) Si se présente une situation relevant du paragraphe (4) a) ou b), c’est au demandeur qu’il revient d’établir qu’il n’avait pas la possibilité de demander une protection effective conforme à l’article (2) i) (...) 11) Au cas où l’article (2) e) (...) s’appliquerait au demandeur, ce dernier, aussitôt après en avoir reçu signification, ou au plus tard dans les trois jours à compter de celle-ci, peut produire des éléments prouvant que le pays en question ne peut être considéré comme un pays d’origine sûr ou un pays tiers sûr dans son cas individuel. » Article 66 « 2) L’Autorité en matière d’asile fonde sa décision sur les informations à sa disposition ou met fin à la procédure si le demandeur d’asile (...) d) a quitté le logement ou le lieu de résidence désigné pendant plus de 48 heures pour une destination inconnue et ne justifie pas adéquatement son absence (...) » Article 71/A « 1) Si l’intéressé formule sa demande avant d’être admis sur le territoire hongrois, dans la zone de transit définie par la loi sur les frontières d’État, les dispositions du présent chapitre s’appliquent [en conséquence] (...) 2) Dans le cadre de la procédure à la frontière, le demandeur ne jouit pas des droits garantis par l’article 5(1) a) et c). (...) 7) les règles de procédure dans la zone de transit ne s’appliquent pas aux personnes appelant un traitement spécial. » La loi no II de 2007 sur l’admission et le droit de séjour des ressortissants de pays tiers (« la loi sur l’immigration ») disposait : Article 51 « 1) Le refoulement ou l’expulsion vers le territoire d’un pays ne satisfaisant pas aux critères d’un pays d’origine sûr à l’égard d’un ressortissant d’un État tiers visé par ces mesures ne peuvent être ni ordonnés ni exécutés, surtout lorsqu’il risque d’y faire l’objet d’une persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou l’opinion politique, ou vers le territoire d’un pays ou à la frontière d’un territoire où il existe de bonnes raisons de penser que l’intéressé risque de se voir infliger la peine capitale, d’être torturé ou de faire l’objet de toute autre forme de traitement ou de peine de nature cruelle, inhumaine ou dégradante (non-refoulement). 2) Le refoulement ou l’expulsion d’un ressortissant d’un État tiers dont la demande d’asile est en cours ne peuvent être exécutés que si celle-ci a été rejetée par une décision finale et exécutoire de l’Autorité en matière d’asile. » Article 52 « 1) Dans toute procédure se rapportant au prononcé et à l’exécution de l’expulsion, l’Autorité en matière d’immigration tient compte du principe du non-refoulement. » Le décret gouvernemental no 191/2015. (VII.21.) portant définition des pays d’origine sûrs et des pays tiers sûrs disposait : Article 2 « Peuvent être regardés comme des « pays tiers sûrs » au sens de l’article 2 i) de la loi no LXXX de 2007 relative à l’asile : les États membres de l’Union européenne et les pays candidats à l’adhésion à l’UE (à l’exception de la Turquie), les États membres de l’Espace économique européen, l’ensemble des états des États-Unis d’Amérique qui n’appliquent pas la peine de mort, ainsi que les pays suivants : la Suisse, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. » Article 3 « 2) Tout demandeur d’asile qui, avant d’arriver en Hongrie, avait résidé dans ou était passé par un pays tiers classé comme sûr dans la liste de l’UE ou à l’article 2 cidessus peut démontrer, au cours de la procédure d’asile fondée sur la loi relative à l’asile, que dans son cas particulier, il ne pouvait pas avoir accès à une protection effective dans ce pays au sens de l’article (2) i) de la loi relative à l’asile. » III. TEXTES INTERNATIONAUX Voici des extraits de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) : « (38) Un grand nombre de demandes de protection internationale sont présentées à la frontière ou dans une zone de transit d’un État membre avant qu’il ne soit statué sur l’entrée du demandeur. Les États membres devraient pouvoir prévoir, dans des circonstances bien définies, des procédures d’examen de la recevabilité et/ou au fond qui permettraient de prendre une décision concernant ces demandes en de tels lieux. (39) Afin de déterminer si une situation d’incertitude prévaut dans le pays d’origine d’un demandeur, les États membres devraient veiller à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes telles que le BEAA, le HCR, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes. Les États membres devraient veiller à ce que tout report de la conclusion de la procédure ait lieu dans le plein respect des obligations qui leur incombent au titre de la directive 2011/95/UE et de l’article 41 de la Charte, sans préjudice de l’efficacité et de l’équité des procédures prévues dans la présente directive. (...) (43) Les États membres devraient examiner toutes les demandes au fond, c’estàdire évaluer si le demandeur concerné peut prétendre à une protection internationale conformément à la directive 2011/95/UE, sauf dispositions contraires de la présente directive, notamment lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’un autre pays procéderait à l’examen ou accorderait une protection suffisante. Notamment, les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’un premier pays d’asile a octroyé au demandeur le statut de réfugié ou lui a accordé à un autre titre une protection suffisante et que le demandeur sera réadmis dans ce pays. (44) Les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’ils peuvent raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur, du fait d’un lien suffisant avec un pays tiers tel que défini par le droit national, cherche à obtenir une protection dans ce pays tiers et qu’il existe des raisons de penser que le demandeur sera admis ou réadmis dans ce pays. Les États membres ne devraient procéder de la sorte que dans les cas où le demandeur en question serait en sécurité dans le pays tiers concerné. Afin d’éviter les mouvements secondaires de demandeurs, il convient d’établir des principes communs pour la prise en considération ou la désignation, par les États membres, de pays tiers comme pays sûrs. (45) Par ailleurs, en ce qui concerne certains pays tiers européens qui observent des normes particulièrement élevées en matière de droits de l’homme et de protection des réfugiés, les États membres devraient être autorisés à ne procéder à aucun examen ou à ne pas effectuer d’examen complet des demandes de protection internationale émanant de demandeurs provenant de ces pays tiers européens qui entrent sur leur territoire. (46) Lorsque les États membres appliquent les concepts de pays tiers sûr au cas par cas ou désignent des pays comme sûrs en adoptant des listes à cet effet, ils devraient tenir compte, entre autres, des lignes directrices et manuels opérationnels, et des informations sur les pays d’origine et des activités, y compris de la méthodologie du BEAA concernant la présentation de rapports d’information sur les pays d’origine, visées dans le règlement (UE) no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile (6), ainsi que des orientations pertinentes du HCR. (47) Afin de faciliter l’échange régulier d’informations relatives à l’application nationale des concepts de pays d’origine sûr, de pays tiers sûr et de pays tiers européen sûr ainsi que l’examen régulier, par la Commission, de l’utilisation de ces concepts par les États membres, et de préparer une harmonisation éventuelle plus poussée dans le futur, les États membres devraient aviser ou informer périodiquement la Commission au sujet des pays tiers auxquels ces concepts sont appliqués. La Commission devrait informer régulièrement le Parlement européen du résultat de son examen. (48) Afin d’assurer l’application correcte des concepts de pays sûr sur la base d’informations actualisées, les États membres devraient procéder à l’examen régulier de la situation dans ces pays, en se fondant sur toute une série de sources d’informations, y compris notamment des informations communiquées par les autres États membres, le BEAA, le HCR, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales concernées. Lorsque les États membres prennent connaissance de changements importants dans la situation des droits de l’homme d’un pays qu’ils ont désigné comme sûr, ils devraient veiller à ce que cette situation soit examinée le plus rapidement possible et, le cas échéant, reconsidérer la désignation de ce pays comme sûr. » Article 31 Procédure d’examen « (...) Les États membres peuvent décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit conformément à l’article 43 lorsque : (...) b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de la présente directive ; (...) » Article 33 Demandes irrecevables « 1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013, les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE, lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article. Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque: a) une protection internationale a été accordée par un autre État membre ; b) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 ; c) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 38 ; d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ; ou e) une personne à charge du demandeur introduit une demande après avoir, conformément à l’article 7, paragraphe 2, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom, et que rien dans la situation de la personne à charge ne justifie une demande distincte. » Article 35 Le concept de premier pays d’asile « Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur : a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ; ou b) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays. En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, les États membres peuvent tenir compte de l’article 38, paragraphe 1. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de premier pays d’asile à sa situation personnelle. » Article 36 Le concept de pays d’origine sûr « 1. Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément à la présente directive ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne, que si : a) ce dernier est ressortissant dudit pays ; ou b) l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE. Les États membres prévoient dans leur droit national des règles et modalités supplémentaires aux fins de l’application de la notion de pays d’origine sûr. » Article 38 Le concept de pays tiers sûr « 1. Les États membres peuvent appliquer le concept de pays tiers sûr uniquement lorsque les autorités compétentes ont acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur de protection internationale sera traité conformément aux principes suivants : a) les demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ; b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens de la directive 2011/95/UE ; c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève ; d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ; et e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève. L’application du concept de pays tiers sûr est subordonnée aux règles fixées dans le droit national, et notamment : a) les règles prévoyant qu’un lien de connexion doit exister entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays ; b) les règles relatives aux méthodes appliquées par les autorités compétentes pour s’assurer que le concept de pays tiers sûr peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur déterminé. Ces méthodes prévoient un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur déterminé et/ou la désignation par l’État membre des pays considérés comme étant généralement sûrs ; c) les règles, conformes au droit international, qui autorisent un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un demandeur déterminé, ce qui, au minimum, permet au demandeur de contester l’application du concept de pays tiers sûr au motif que le pays tiers n’est pas sûr dans son cas particulier. Le demandeur est en outre autorisé à contester l’existence d’un lien entre lui-même et le pays tiers conformément au point a). Lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le présent article, les États membres : a) en informent le demandeur ; et b) lui fournissent un document informant les autorités du pays tiers, dans la langue de ce pays, que la demande n’a pas été examinée quant au fond. Lorsque le pays tiers ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II. (...) Article 39 Le concept de pays tiers européen sûr « 1. Les États membres peuvent prévoir qu’aucun examen, ou aucun examen complet, de la demande de protection internationale et de la sécurité du demandeur dans son cas particulier, tel que décrit au chapitre II, n’a lieu dans les cas où une autorité compétente a établi, en se fondant sur les faits, que le demandeur cherche à entrer, ou est entré, illégalement sur son territoire depuis un pays tiers sûr conformément au paragraphe 2. Un pays tiers ne peut être considéré comme un pays tiers sûr aux fins du paragraphe 1 que : a) s’il a ratifié la Convention de Genève sans aucune limitation géographique et s’il en respecte les dispositions ; b) s’il dispose d’une procédure d’asile prévue par la loi ; et c) s’il a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et s’il en respecte les dispositions, notamment les normes relatives aux recours effectifs. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de pays tiers européen sûr au motif que le pays tiers concerné n’est pas sûr dans son cas particulier. Les États membres concernés prévoient dans leur droit national les modalités d’application des dispositions du paragraphe 1 ainsi que les effets des décisions arrêtées en vertu de ces dispositions dans le respect du principe de non-refoulement, notamment en prévoyant des dérogations à l’application du présent article pour des raisons humanitaires ou politiques ou pour des motifs tenant au droit international public. Lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le présent article, les États membres : a) en informent le demandeur ; et b) lui fournissent un document informant les autorités du pays tiers, dans la langue de ce pays, que la demande n’a pas été examinée quant au fond. Lorsque le pays tiers sûr ne réadmet pas le demandeur, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II. Les États membres informent régulièrement la Commission des pays auxquels ce concept est appliqué conformément au présent article. » Article 43 Procédures à la frontière « 1. Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur : a) la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33, présentée en de tels lieux ; et/ou b) le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8. Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre afin que sa demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la présente directive. Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit. » La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) dispose : Article 8 Placement en rétention « 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. Un demandeur ne peut être placé en rétention que : a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ; b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ; c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ; d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ; f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride. Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national. Les États membres veillent à ce que leur droit national fixe les règles relatives aux alternatives au placement en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu déterminé. » Voici des extraits du rapport du CPT adressé au gouvernement hongrois relatif à sa visite en Hongrie du 21 au 27 octobre 2015 [traduction du greffe] : « Le CPT note les efforts déployés afin de fournir des informations et une assistance juridique aux ressortissants étrangers en rétention d’immigration et d’asile. Cependant, les ressortissants étrangers dans la plupart des lieux visités estimaient très problématique l’absence d’informations sur leur situation juridique, sur les démarches futures à accomplir dans leurs procédures respectives et sur la durée de leur rétention (...) Pour ce qui est des garanties protégeant les ressortissants étrangers du refoulement, le CPT, au vu du régime légal pertinent et de son application en pratique, doute que les procédures d’asile à la frontière soient concrètement entourées de garanties appropriées, qu’elles donnent aux ressortissants étrangers une possibilité réelle de présenter leurs arguments et qu’elles comportent une appréciation individuelle du risque de mauvais traitements dans le pays de refoulement. (...) « Les deux zones de transit visitées par la délégation à Rözke et Tompa sont situées en territoire hongrois (...) Différents containers servent de bureaux, de salles d’attente, de salles à manger et de sanitaires (dotés de toilettes, de lavabos, de douches et de chauffe-eau), et une dizaine d’entre eux servent à loger les ressortissants étrangers (en bas de page : les sanitaires étaient en bon état et n’appellent aucun commentaire particulier). (...) Tous les containers de logement avaient une superficie d’environ 13 m² et étaient dotés de deux à cinq lits équipés de matelas, d’oreillers et de literie propres. Ils étaient propres et bénéficiaient d’une lumière naturelle et d’un éclairage artificiel satisfaisants, ainsi que d’un chauffage à l’électricité. De plus, dans les deux zones de transit visitées, il y avait devant les containers une petite aire, séparée du reste de l’enceinte de la zone de transit par une clôture, à laquelle les ressortissants étrangers pouvaient librement accéder pendant la journée. D’après ce que la délégation a pu constater, les ressortissants étrangers n’étaient habituellement retenus dans les zones de transit que pendant une courte durée (jusqu’à 13 heures) et ne l’étaient quasiment jamais pendant la nuit. Cela dit, au cas où les ressortissants étrangers devraient être détenus dans la zone de transit pendant une plus longue durée, il faudrait alors réduire la capacité maximale des containers de logement et les doter d’un mobilier rudimentaire. (...) Globalement, les installations de santé et les soins médicaux généraux prodigués aux ressortissants étrangers dans l’ensemble des lieux visités ont fait bonne impression à la délégation. (...) De plus, certains ressortissants étrangers en rétention qui se sont entretenus avec la délégation ignoraient qu’ils avaient droit à un avocat, qui plus est à un avocat désigné d’office. Quelques-uns d’entre eux ont affirmé que des policiers leur avaient dit qu’un tel droit n’existait pas en Hongrie. De plus, la majorité des ressortissants étrangers qui ont effectivement bénéficié du concours d’un avocat commis d’office se sont plaints de ne pas avoir pu le consulter avant d’être interrogés par la police ou de comparaître en justice, ou de ce que l’avocat était resté complètement passif tout au long de l’interrogatoire de police ou de l’audience judiciaire. À cet égard, il faut noter aussi que plusieurs ressortissants étrangers ont dit qu’ils n’étaient pas sûrs de savoir si un avocat leur avait été désigné parce qu’il y avait simplement eu à leur côté au cours des procédures officielles une personne inconnue qui ne leur avait pas adressé la parole et n’avait rien dit dans leur intérêt. (...) Cependant, la majorité des ressortissants étrangers avec lesquels la délégation s’est entretenue ont affirmé qu’ils n’avaient pas été informés de leurs droits lors de leur interpellation par la police (et encore moins dans une langue qu’ils pouvaient comprendre) et que tous les documents qu’ils avaient reçus depuis leur entrée dans le pays étaient en langue hongroise. (...) [D]e nombreux ressortissants étrangers (y compris des mineurs non accompagnés) se sont plaints de la qualité des services d’interprétation et en particulier de l’obligation pour eux de signer les documents en langue hongroise, dont le contenu ne leur avait pas été traduit et qu’ils ne pouvaient donc pas comprendre. (...) [L]e CPT doute fortement que les procédures d’asile à la frontière soient en pratique entourées de garanties appropriées, qu’elles donnent aux ressortissants étrangers une possibilité réelle de présenter leurs arguments et qu’elles comportent une appréciation individuelle du risque de mauvais traitement en cas de reconduite, et donc qu’elles offrent une protection effective contre le refoulement, compte tenu aussi de ce que, selon le HCR, la Serbie ne peut plus être considérée comme un pays d’asile sûr en raison des lacunes de son système d’asile, notamment de son incapacité à faire face au nombre croissant de demandes d’asile. » Dans un rapport intitulé « La Hongrie, pays d’asile. Observations sur les mesures juridiques restrictives et la pratique consécutive adoptées entre juillet 2015 et mars 2016 », publié en mai 2016, le HCR a fait les observations suivantes [traduction du greffe] : « 19. De plus, ainsi qu’il a été noté au paragraphe 15 ci-dessus, la loi relative à la frontière d’État dit que les demandeurs d’asile doivent être « logés temporairement » dans la zone de transit. Les autorités hongroises affirment que ces individus ne sont pas « détenus » puisqu’ils sont libres de quitter la zone de transit à tout moment en direction de l’endroit d’où ils viennent. Cependant, ainsi qu’il a été souligné au paragraphe 16 ci-dessus, ils ne sont pas autorisés à entrer en Hongrie. Le HCR y voit une lourde restriction à la liberté de circulation assimilable à une rétention. À ce titre, ces mesures devraient notamment être entourées des garanties en matière de rétention énoncées dans la directive de l’UE sur les conditions d’accueil (refonte) (...) En tout état de cause, le HCR s’en tient à sa position exposée dans ses observations d’août 2012 sur le système d’asile en Serbie, selon lesquelles aucun demandeur d’asile ne devrait être reconduit dans ce pays. Si le nombre de demandeurs d’asile transitant par la Serbie a depuis lors fortement augmenté, nuisant encore plus qu’auparavant à la capacité de ce système à apporter des solutions conformes aux normes internationales, bon nombre des constats et conclusions tirés par le HCR en août 2012 demeurent valables. Par exemple, entre le 1er janvier et le 31 août 2015, le tribunal des délits de Kanjiža a sanctionné, pour la plupart d’une amende, 3 150 ressortissants d’États tiers refoulés de la Hongrie vers la Serbie pour séjour illégal ou franchissement illégal de la frontière. Ces personnes se voient refuser le droit de (re)demander l’asile en Serbie. » Voici les extraits du rapport du Conseil européen pour les réfugiés et exilés (« l’ECRE ») intitulé « Franchir les frontières : la nouvelle procédure d’asile à la frontière et les restrictions à l’accès à la protection en Hongrie » et adopté le 1er octobre 2015 [traduction du greffe] : « (...) les transferts vers la Hongrie sont susceptibles d’exposer les demandeurs à un risque réel d’expulsions en chaîne vers la Serbie, ce qui peut faire naître une pratique de refoulement indirect interdite par les règles de protection des droits de l’homme. Sur cette même base, un certain nombre de transferts de type Dublin vers la Hongrie ont été suspendus par des juridictions allemandes ou autrichiennes. Étant donné que la notion de « pays tiers sûr » s’applique automatiquement (rétroactivement) aux personnes entrant par la Serbie et que leur reconduite en Hongrie crée un risque de refoulement, l’ECRE appelle les États membres à cesser les transferts vers la Hongrie, en vertu du règlement Dublin, de demandeurs de protection internationale. » Voici des extraits de la « Fiche d’information jurisprudentielle : prévention des transferts de type Dublin vers la Hongrie » publiée par l’ECRE en janvier 2016 [traduction du greffe] : « Une très riche jurisprudence récente renvoie aux modifications apportées en août et septembre à la loi hongroise relative à l’asile pour ce qui est des transferts vers ce pays. De plus, les réformes législatives hongroises ont eu une incidence sur les réformes entreprises ailleurs, comme le montre la décision, prise en octobre 2015 par la Commission de recours des réfugiés danoise, de suspendre tous les transferts de type Dublin vers la Hongrie (...) L’entrée en vigueur en août et septembre 2015 de la législation établissant une base juridique pour la construction d’une clôture à la frontière serbo-hongroise, conjointement à d’autres réformes législatives érigeant en infractions pénales l’entrée irrégulière sur le territoire et l’endommagement de la clôture, a fait naître un climat extrêmement hostile à l’égard des demandeurs d’asile, en violation du droit à l’asile, du droit à l’accès effectif à des procédures et à la non-pénalisation des réfugiés (...) C’est l’imposition d’une procédure de recevabilité dans les zones de transit, et en particulier d’un motif d’irrecevabilité se rapportant à la notion de pays tiers sûr, qui est au cœur d’une bonne partie de cette jurisprudence. Le décret gouvernemental 191/2015 qualifie de sûrs certains pays tels que la Serbie, ce qui a conduit les autorités hongroises à déclarer irrecevables toutes les demandes d’asile de personnes passées par la Serbie. Vu l’emplacement des zones de transit à la frontière serbo-hongroise, plus de 99 % des demandes d’asile ont été rejetées sur cette base, sans examen au fond, par l’Office de l’immigration et de la nationalité. De plus, les violations procédurales patentes des règles de l’UE dont ce processus est à l’origine sont attestées par le Comité Helsinki en Hongrie ainsi que par l’ECRE. Au vu des dernières statistiques, ce processus est encore en plein essor, le Commissaire aux droits de l’homme ayant indiqué que, entre la mi-septembre et la fin du mois de novembre 2015, 311 des 372 décisions d’irrecevabilité rendues tant à la frontière que dans le cadre d’une procédure accélérée étaient elles-mêmes fondées sur la notion fondamentale de pays tiers sûr. En l’absence manifeste de recours effectifs contre les décisions de ce type et celles-ci étant immédiatement assorties d’une interdiction de territoire d’une ou deux années, différents acteurs ainsi que des magistrats ont dit que la Hongrie manquait à ses obligations de non-refoulement. » Voici des extraits d’un rapport intitulé « La Serbie, pays d’asile : observations sur la situation des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale en Serbie », rédigé en août 2012 par le HCR [traduction du greffe] : « 4. Le HCR conclut que le système d’asile en Serbie appelle certaines améliorations, relevant qu’il ne dispose pas à l’heure actuelle des ressources et de l’efficacité nécessaires pour offrir une protection suffisante contre le refoulement, en ce qu’il ne donne pas aux demandeurs d’asile une possibilité adéquate de faire examiner leurs demandes dans le cadre d’une procédure équitable et effective. De plus, vu la situation du système d’asile en Serbie, ce pays ne peut être considéré comme un pays tiers sûr et, à cet égard, le HCR appelle donc instamment les États à ne pas reconduire les demandeurs d’asile vers la Serbie. (...) Or, le HCR a reçu en novembre 2011 puis en février 2012 des éléments indiquant que des migrants renvoyés en Serbie depuis la Hongrie étaient directement conduits en autocar vers l’ex-République yougoslave de Macédoine (...) D’autres éléments indiquent que la police serbe rassemble des migrants irréguliers en Serbie et les renvoie de la même manière vers l’ex-République yougoslave de Macédoine. (...) Le système actuel est manifestement incapable d’apporter au nombre croissant de demandeurs d’asile une réponse conforme aux normes internationales et européennes. Ces défaillances, s’ajoutant au fait que qu’absolument personne ne s’y est vu reconnaître le statut de réfugié depuis avril 2008, montre clairement que le système d’asile en général ne reconnaît pas bien les personnes ayant besoin d’une protection internationale. » Un rapport de l’AIDA (Asylum Information Database), publié par l’ECRE et intitulé « Rapport par pays : Serbie », mis à jour au 31 décembre 2016, dit que « l’adoption de la nouvelle loi relative à l’asile, initialement prévue pour 2016, a été ajournée ». Voici un extrait d’un rapport du HCR intitulé « L’ex-République yougoslave de Macédoine, pays d’asile », daté d’août 2015 [traduction du greffe] : « 5. L’ex-République yougoslave de Macédoine dispose d’une loi nationale en matière d’asile : la loi sur l’asile et la protection temporaire. Ce texte a été profondément remanié en 2012, la version modifiée étant entrée en vigueur en 2013. Le HCR avait participé au processus de rédaction, de manière à garantir la conformité de la législation aux normes internationales. La loi transpose désormais de nombreuses dispositions de la Convention de 1951. De plus, ses dispositions relatives à la protection subsidiaire sont conformes aux normes pertinentes de l’UE. La loi offre aussi aux bénéficiaires d’une protection internationale les mêmes droits qu’aux nationaux, ainsi qu’une assistance judiciaire gratuite à tous les stades de la procédure d’asile. Toutefois, certaines dispositions essentielles ne sont toujours pas conformes aux normes internationales. En réponse à une augmentation massive des migrations irrégulières, la loi relative à l’asile et à la protection temporaire a été récemment remodifiée de manière à réformer les règles antérieurement restrictives régissant les demandes d’asile en ex-République yougoslave de Macédoine, qui exposaient les demandeurs d’asile à un risque de rétention arbitraire et de reconduite à la frontière. Les nouvelles dispositions, adoptées le 18 juin 2015, instaurent une procédure de prise d’acte de l’intention de présenter une demande d’asile à la frontière, protègent les demandeurs d’asile du risque de refoulement et leur permettent d’entrer et de séjourner dans le pays légalement pendant une courte durée de 72 heures, avant d’enregistrer formellement leur demande d’asile. (...) Malgré ces nouveaux éléments positifs, le HCR considère que de graves lacunes persistent dans le système d’asile en pratique. À l’heure actuelle, l’ex-République yougoslave de Macédoine n’est pas en mesure de garantir que les demandeurs d’asile aient accès à une procédure d’asile équitable et effective. (...) Ces procédures d’asile inadéquates conduisent à de faibles taux de reconnaissance, même pour la minorité des demandeurs d’asile restant sur le territoire de l’ex-République yougoslave de Macédoine pour attendre l’issue de leur demande. » Voici des extraits de la recommandation (UE) 2016/2256 de la Commission européenne du 8 décembre 2016 adressée aux États membres concernant la reprise des transferts vers la Grèce au titre du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil : « (1) Depuis 2011, le transfert vers la Grèce de demandeurs d’une protection internationale au titre du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil (ci-après le « règlement de Dublin ») est suspendu par les États membres, à la suite de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH ») et de la Cour de justice de l’Union européenne, constatant, dans le régime d’asile grec, des défaillances systémiques constituant une violation des droits fondamentaux des demandeurs d’une protection internationale transférés depuis d’autres États membres vers la Grèce en vertu du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil (...) (8) Dans ses précédentes recommandations, la Commission a pris note des améliorations que la Grèce a apportées à son cadre législatif afin de transposer dans son droit national les nouvelles dispositions juridiques de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil relative aux procédures d’asile et certaines dispositions de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions d’accueil, deux instruments qui ont fait l’objet d’une refonte. Une nouvelle loi (la loi 4375/2016) a été adoptée par le Parlement grec le 3 avril 2016. Le 22 juin 2016, le Parlement a approuvé une modification de la loi 4375/2016, qui a notamment modifié la composition des commissions de recours et le droit des demandeurs d’asile à une procédure orale devant celles-ci. Le 31 août 2016, le Parlement grec a également adopté une loi concernant les enfants réfugiés en âge scolaire résidant en Grèce (...) (33) La Commission reconnaît l’importance des progrès accomplis par la Grèce, avec l’aide de la Commission, de l’EASO, des États membres et d’organisations internationales et non gouvernementales, dans le but d’améliorer le fonctionnement du régime d’asile grec depuis l’arrêt M.S.S./Belgique et Grèce rendu en 2011. La Grèce a néanmoins toujours des difficultés à traiter le grand nombre de nouvelles demandes d’asile, dues notamment à la mise en œuvre de l’exercice d’enregistrement préalable et à la poursuite des arrivées de migrants en situation irrégulière, bien qu’à des niveaux inférieurs à ceux observés avant mars 2016, et à ses obligations prévues dans la déclaration UE-Turquie. (...) (34) La Grèce a toutefois accompli des progrès sensibles en mettant en place les structures institutionnelles et juridiques indispensables au bon fonctionnement d’un régime d’asile, et il y a de bonnes chances qu’elle dispose d’un régime fonctionnant correctement dans un proche avenir, une fois que les derniers manquements auront été corrigés, notamment en ce qui concerne les conditions d’accueil et le traitement des personnes vulnérables, dont les mineurs non accompagnés. Il est dès lors approprié de recommander de reprendre les transferts progressivement et après avoir reçu des assurances au cas par cas, compte tenu, d’une part, des capacités d’accueil et de traitement des demandes en conformité avec la législation de l’Union européenne concernée et, d’autre part, du traitement non satisfaisant, à l’heure actuelle, de certaines catégories de personnes, en particulier les demandeurs vulnérables, dont les mineurs non accompagnés. En outre, la reprise devrait non pas être rétroactive, mais concerner uniquement les demandeurs d’asile dont la Grèce sera responsable à partir d’une date précise, afin d’éviter de lui imposer une charge insupportable. Il convient de recommander que cette date soit fixée au 15 mars 2017. » IV. ÉVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE INTERNE PERTINENTE ENTRE 2012 ET 2015 TELLE QUE REFLÉTÉE DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR ET AUTRES DÉVELOPPEMENTS Ces dernières années, la Cour a rendu a rendu plusieurs arrêts sur la question des refoulements par des États contractants vers la Serbie. Dans l’arrêt Mohammed c. Autriche (no 2283/12, 6 juin 2013), elle a reconnu le caractère alarmant des rapports publiés en 2011 et 2012 en ce qui concerne la Hongrie en tant que pays d’asile et en particulier les personnes transférées. Elle a noté que, pendant cette période, les autorités hongroises considéraient la Serbie comme un pays tiers sûr. Elle a cependant conclu que, compte tenu des réformes législatives entreprises en Hongrie depuis janvier 2013, en conséquence desquelles les demandeurs d’asile n’étaient plus expulsables au cours de la procédure d’asile, l’Autriche n’avait pas violé l’article 3 de la Convention en ordonnant le refoulement vers la Hongrie. Dans l’arrêt Mohammadi c. Autriche (no 71932/12, 3 juillet 2014), la Cour a constaté que des rapports dressés par le HCR et le Comité Helsinki en Hongrie avaient confirmé de manière cohérente que la Hongrie ne refusait plus l’examen au fond des demandes d’asile dont les auteurs étaient passés par la Serbie ou l’Ukraine avant d’arriver sur son territoire. Elle était convaincue que les rapports pertinents (c’est-à-dire ceux postérieurs aux réformes législatives de 2013) sur la situation en Hongrie des demandeurs d’asile, et des rapatriés Dublin en particulier, ne faisaient ressortir aucune lacune structurelle dans le système d’asile en Hongrie, et que ce pays ne regardait plus la Serbie comme un pays tiers sûr (paragraphes 73 et 74 de l’arrêt). Il peut en être conclu que, entre les réformes législatives de janvier 2013 et l’adoption du décret gouvernemental en 2015, les autorités hongroises ne considéraient plus automatiquement la Serbie comme un pays tiers sûr. La présomption à cet effet a été introduite par ce même décret. Le 10 décembre 2015, la Commission européenne adressa à la Hongrie une lettre de mise en demeure, ouvrant une procédure en manquement concernant la législation hongroise en matière d’asile adoptée peu de temps auparavant. Elle estimait certains éléments de la législation hongroise incompatibles avec le droit de l’UE, plus précisément la directive 2013/32/UE relative aux procédures d’asile (refonte) et la directive 2010/64/UE relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, Franz-Olivier Giesbert, est directeur de publication du journal Le Point. Le second requérant, Hervé Gattegno, est journaliste au Point. La troisième requérante est la société d’exploitation de l’hebdomadaire Le Point. A. Genèse et contexte des affaires Les procédures intentées contre les requérants à l’origine des trois requêtes sont en relation avec les évènements couramment désignés comme « l’affaire Bettencourt ». Mme Liliane Bettencourt, principale actionnaire du groupe l’Oréal, est l’une des plus grosses fortunes françaises. À partir de la fin des années 1990, elle consentit à son ami B., écrivain et photographe, de nombreux dons pour un total de plusieurs centaines de millions d’euros. En décembre 2007, la fille de Mme Bettencourt, Mme BettencourtMeyers, déposa plainte à l’encontre de B. pour abus de faiblesse auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre. Une enquête préliminaire fut ouverte. Dans ce cadre, de nombreuses auditions furent diligentées, notamment dans l’entourage des personnes proches de Mme Bettencourt, et des perquisitions furent réalisées. En septembre 2008, B. fut placé en garde à vue. Sans attendre l’issue de cette enquête, Mme Bettencourt-Meyers fit citer directement B. devant le tribunal correctionnel de Nanterre, sous la même prévention d’abus de faiblesse. À cette occasion, elle sollicita et obtint que soient versés à la procédure les pièces et procès-verbaux de l’enquête préliminaire. En septembre 2009, le parquet décida de classer sans suite la plainte de Mme Bettencourt-Meyers. L’affaire initiée sur citation directe fut appelée à l’audience du tribunal pour la première fois le 3 septembre 2009 puis, de nouveau, le 11 décembre 2009. À cette date, une expertise médicale de Mme Bettencourt fut décidée et l’affaire à nouveau renvoyée au 15 avril 2010 (sur la suite de la procédure pénale, voir paragraphes 52 et 53 ci-dessous). Mme Bettencourt fit savoir publiquement qu’elle refusait de se soumettre à l’expertise ordonnée par le tribunal. Elle déposa également des conclusions d’intervention volontaire comportant à titre subsidiaire une constitution de partie civile au cas où l’action publique serait considérée par le tribunal comme étant valablement engagée. Elle fit valoir que cette constitution de partie civile avait pour objet de convaincre le tribunal qu’elle n’était pas diminuée et que les dons consentis à B. l’avaient été en toute lucidité De nombreux organes de presse rendirent compte du déroulement de l’affaire. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les articles litigieux du Point. B. Les articles litigieux L’article du 10 décembre 2009 Le 10 décembre 2009, la troisième requérante publia, sous la signature du deuxième requérant, un article de quatre pages intitulé « Enquête sur un ami très cher » et sous-titré : « Trésor. A-t-il spolié Liliane Bettencourt ? [B.] nie mais des indices l’accusent ». L’article relatait différents aspects de l’affaire et notamment les très importants dons faits par « l’héritière de l’Oréal », à hauteur d’un total d’un milliard d’euros, à B. Le journaliste écrivait, en citant un témoignage de l’ancienne comptable de Liliane Bettencourt : « Elle aussi décrit la domination psychologique imposée à une vieille dame plus fragile qu’elle ne voudrait ». Il reproduisait un extrait de « l’acte de poursuite » qui résumait cette situation ainsi : « Usant de son influence ainsi que de la situation de faiblesse de Liliane Bettencourt, [B.] a obtenu de celle-ci, alors que son état de santé se dégradait, qu’elle dispose à son profit de sommes et valeurs qui dépassent l’entendement ». L’article était émaillé de propos entre guillemets, présentés comme des extraits de dépositions faites aux enquêteurs saisis par le procureur de la République. Il précisait que l’enquête avait été classée par celui-ci. Étaient notamment citées les explications fournies par B. placé en garde à vue en septembre 2008, déclarations dont le journaliste affirmait qu’elles étaient souvent contredites par les faits : « Liliane Bettencourt, jure-t-il a agi auprès de lui « en tant que mécène ». Leur première rencontre remonte aux années 70 mais leur amitié date d’un portrait réalisé d’elle en 1987 (...) « J’étais alors suffisamment argenté pour ne pas avoir besoin de l’aide financière de Mme Bettencourt, a-t-il lancé aux enquêteurs. J’étais déjà propriétaire de cinq appartements rue Servandoni [Paris 6e], d’une collection de tableaux importante et de la copropriété des Brouzet [un vaste domaine situé dans le Gard] ainsi que de droits d’auteur et d’un pourcentage sur la vente par Dior du parfum Poison. Vérification faite, l’inventaire paraît au moins exagéré : en fait c’est grâce à une série de chèques de la milliardaire et d’abandon de créances astronomiques à des SCI détenues par lui que B. a multiplié son patrimoine jusqu’à posséder sept appartements dans le quartier huppé de Saint Sulpice. Le tout forme aujourd’hui un hôtel particulier biscornu avec piscine, caméra de surveillance et passages secrets dans les bibliothèques. Contredit par les chiffres et les dates, le photographe a dû expliquer plus modestement, que Mme Bettencourt voulait qu’il « s’agrandisse » afin de pouvoir « installer toutes ses œuvres et peut-être réaliser un musée ». Mais curieusement la bienfaitrice n’a pas même évoqué un tel projet lors de sa propre audition le 13 mai 2008. Explication de B. « C’est une femme de pudeur ; elle ne veut pas dire les choses qui sont le profond de son cœur ». L’enquête policière démontre aussi la munificence de sa propriété gardoise (...) « Mme Bettencourt n’a pas participé à ce financement » avançait-il. Or la comptable de la milliardaire a témoigné que de « nombreux chèques » avaient été signés par celle-ci au profit d’entreprises chargées de travaux sur le domaine, « d’un montant minimal de 150 0000 euros, jusqu’à un chèque de 10 millions d’euros en décembre 2006 ». Plusieurs employés ont attesté qu’à la même époque la santé de la vieille dame s’était dégradée (...). Tout l’enjeu du procès est là : l’héritière de l’Oréal avait-elle réellement conscience de l’ampleur de ses largesses ? (...) B. a proclamé n’avoir « jamais aperçu la moindre altération de son comportement ». Il est même allé jusqu’à prêter à l’octogénaire, sur procès-verbal « une forme intellectuelle remarquable » (...) Au reste, il a volontiers livré au policier les noms d’autres bénéficiaires richement dotés – « peut-être pas pour les mêmes montants », a-t-il néanmoins concédé. (...) Le reste de la défense est plus osé encore : à l’entendre, Liliane Bettencourt l’aurait couvert d’or malgré lui, insistant pour qu’il accepte des dons dont il s’échinait à refuser. « Je n’ai eu connaissance de ces donations que lors de la signature des actes chez le notaire » a-t-il prétendu à propos des toiles de maître qu’elle lui a offertes. Le notaire n’a t-il émis aucune réserve ? « Non, au contraire a-t-il répondu à la police. Le notaire m’a dit que cet argent provenait des revenus de Mme Bettencourt et qu’elle était suffisamment responsable pour être maître de ce qu’elle faisait ». Ici encore, la réalité est moins nette. Ledit notaire fut d’abord introduit auprès de Liliane Bettencourt pour régulariser les achats immobiliers du photographe. Puis il se substitua au notaire de la famille et tous les documents relatifs aux assurances vie furent transférés à son étude. Je ne sais plus si je le connaissais avant qu’il ne travaille pour Mme Bettencourt », a dit B. dans un demi-aveu embarrassé bien que plusieurs employés assurent qu’il fut à l’origine de son choix. (...). Ses protestations de désintéressement jurent en outre avec plusieurs indices (...) surtout cette réponse de Liliane Bettencourt elle-même à la police, qui lui demandait si son favori avait parfois refusé ses largesses : « non ». Comme les enquêteurs lui opposaient cette réponse, le photographe a dû concéder : « je n’ai jamais refusé les donations déjà établies par actes notariés ». Nuance, en effet... A ces étrangetés s’ajoutent deux dépositions accablantes. (...) ». Ces deux dépositions sont des extraits des témoignages de « l’ancien dirigeant de l’Oréal chargé naguère de gérer le patrimoine de Liliane Bettencourt » et de l’ancienne comptable de celle-ci. Le premier parle « d’emprise » sur Mme Bettencourt ; demandant à être relevé de ses fonctions, il avait indiqué : « Je prenais le risque d’être complice des agissements de M. [B] en le cautionnant par mon silence ». La seconde décrit les « pressions » du photographe et ses incessantes « sollicitations d’argent. (...) A la fin de 2006, elle fut alertée par un projet de cession d’une assurance-vie (dont le montant dépassait 260 millions d’euros). J’ai essayé de raisonner Mme Bettencourt mais elle n’était plus elle-même, s’est-elle souvenue. J’ai alors croisé B. dans la résidence et je lui ai dit : «vous avez vu son état, vous savez qu’elle est très malade. Il m’a répondu : de toute façon, tant qu’elle n’est pas sous tutelle elle peut signer ». L’article reproduisait également les propos de Mme Bettencourt du 13 mai 2008 dans un encart titré « Exclusif : ce que Liliane Bettencourt a dit à la police » : le journaliste, après avoir cité des extraits de la déposition desquels il ressort que Mme Bettencourt ne se souvenait pas des contrats signés avec B., écrit que « ces trous de mémoire tranchent nettement avec le portrait que B. brossera d’elle devant les mêmes enquêteurs ». Dans un autre encart relatant la saisine du juge des tutelles d’une demande de « protection judiciaire » par la fille de Mme Bettencourt, il citait un extrait du « rapport du neurologue P.A. », « chargé par le procureur d’examiner le dossier médical de la milliardaire », qui faisait état d’une « vulnérabilité liée à une vraisemblable affection neurologique dégénérative affectant ses facultés individuelles ». L’article indiquait que de cet épisode et de bien d’autres, la brigade financière avait conclu, dans un rapport du 1er décembre 2008, qu’existait « un faisceau de présomptions quant à la réalité d’un abus de faiblesse commis par B. » et que le photographe, lui, avait dénoncé l’« atteinte odieuse » portée à « un artiste de renommée internationale ». Il se terminait ainsi : « le tribunal dira si la fortune qu’il doit à Liliane Bettencourt fut une aubaine ou une arnaque – dans les deux cas c’est un chef d’œuvre ». L’article du 4 février 2010 Le 4 février 2010, la troisième requérante publia, sous la signature du deuxième requérant, un article annoncé sur la pleine page de couverture du journal sous le titre « Affaire Bettencourt : comment gagner un milliard (sans se fatiguer) ». Les sous-titres annonçant l’article étaient ainsi intitulés : « l’incroyable histoire d’un photographe mondain qui a fait fortune en « séduisant » Liliane Bettencourt, la femme la plus riche de France » et « les accusations du personnel de Madame ». Un photomontage montrant Mme Bettencourt « avec son ami B. » figurait sur la pleine page de couverture du journal. Le sujet de l’article, développé en huit pages, était annoncé en ces termes : « Affaire Bettencourt. La femme la plus riche de France a-t-elle été flouée par le photographe [B.] ? Plusieurs de ses anciens employés l’ont affirmé à la police. « Le Point » révèle leurs témoignages et livre les secrets de cet incroyable thriller mondain ». Le début de l’article était ainsi libellé : « Est-ce une affaire d’argent ou de sentiments ? Une querelle d’héritage ou une question de principe ? Un règlement de comptes familial ou la plus parfaite des escroqueries ? Tout cela à la fois, peut-être et même davantage, car les millions s’y évanouissent par centaines dans l’atmosphère d’un roman d’Agatha Christie et un décor digne de Scott Fitzgerald (...) Même le procès qui doit en être l’épilogue aura l’allure d’un évènement huppé : les 15 et 16 avril, le tribunal de Nanterre examinera les incroyables largesses consenties durant près de dix ans par la femme la plus riche de France, à celui dont elle a fait son favori, le photographe [B.]. » L’article se poursuivait ainsi : « Depuis que la fille de la milliardaire a saisi la justice, accusant le protégé de sa mère d’« abus de faiblesse », un frisson de dégoût parcourt les allées majestueuses de Neuilly et au-delà, le Tout-Paris de la finance, de l’industrie et de la politique, inquiet que l’on puisse un jour déplorer que personne n’ait rien vu - ou en tout cas rien dit. Car l’enquête a mis au jour des donations faramineuses, dont l’addition avoisinerait 1 milliard d’euros. Un tel trésor pouvait-il passer pour inaperçu ? Détail troublant : les sommes les plus importantes ont été cédées à B. au printemps 2003 et à l’été 2006, au moment où la santé de Liliane Bettencourt se dégradait fortement... ». Gourou. De multiples témoignages ont surgi depuis lors – Le Point en publie en exclusivité plusieurs extraits (voir pages suivantes). Femmes de chambre, infirmières, secrétaires, chauffeur comptable, tous décrivent « l’emprise » exercées par [B.] sur l’héritière de L’Oréal (âgée de 87 ans), sa façon bien à lui de solliciter sa générosité, les équivoques de son comportement. Devant le tribunal, le défilé de ces employés indignés rappellera le spectacle de l’affaire von Bülow – du nom de cet aristocrate américain libertin et cynique qui fut accusé, au début des années 80 à Rhodes Island, d’avoir empoisonné sa femme pour s’en approprier la fortune. Encore la perspective n’est-elle pas la pire pour [B.] : condamné en première instance, von Bülow avait été acquitté en appel... Pour l’heure, le photographe oppose aux soupçons un mépris sardonique. « Faire une œuvre de sa vie, voilà ce qui compte » a-t-il proclamé dans Le Monde, résumant les charges réunies contre lui à des « rumeurs minables ». Sa bienfaitrice ? « Une femme intelligente qui sait choisir les hommes, prendre des risques », a-t-il dit aux policiers, balayant un peu vite les incertitudes sur son état de santé. Certes, l’héritière affirmait il y a un an, dans Le Journal du dimanche, son attachement à [B.] et son dédain du qu’en dira-t-on. (...) Elle s’est depuis murée dans le silence, laissant ses avocats s’exprimer à sa place, refusant toute expertise médicale et abrégeant ses apparitions lors de cocktails ou de cérémonies. Ce mutisme n’a fait que renforcer l’impression d’une femme sous influence». Au milieu de l’article, furent reproduits sous le titre « Exclusif : les femmes qui accusent » de longs extraits (sur trois pages) de dépositions du personnel travaillant au domicile de Mme Bettencourt (comptable, secrétaire, femme de chambre, infirmière), recueillies lors de l’enquête préliminaire. Les déclarations suivantes furent notamment mises en avant : « C’est comme si [B.] avait tissé sa toile autour de Mme Bettencourt. » « Il m’a répondu : « Tant qu’elle n’est pas sous tutelle, elle peut signer. » » « [B.] profite de la faiblesse de Madame pour bénéficier de ses largesses. » Après le rappel de propos de B. et de Mme Bettencourt parus dans la presse, l’article ajoutait que « plusieurs dépositions forment une version moins idyllique : sous serment, employés et domestiques ont évoqué des demandes d’argent insistantes jusqu’au harcèlement, des brutalités de langage, des manigances flirtant avec le sordide. [...] ». Sous l’intertitre « Stratégie » furent ensuite évoqués et partiellement cités des documents découverts par la brigade financière au domicile parisien de B. L’article se terminait par un bref encart indiquant que B. avait refusé de répondre au Point, préférant « réserver ses réponses à la justice ». C. Les procédures engagées à l’encontre des requérants à la suite de la publication des articles litigieux La procédure en référé engagée par Mme Bettencourt (requête no 68974/11) Le 11 février 2010, à la suite de la publication du 4 février 2010, Mme Bettencourt assigna les requérants en référé devant le TGI de Paris en invoquant un trouble manifestement illicite sur le fondement des articles 808 et 809 du code de procédure civile (paragraphe 56 ci-dessous). Elle demanda au juge des référés de dire que la reproduction d’actes de procédure extraits de l’enquête préliminaire diligentée par le parquet de Nanterre méconnaissait l’article 38 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse (ci-après « l’article 38 », paragraphe 54 ci-dessous), qui réprime le délit de publication d’actes de procédure pénale avant leur lecture en audience publique, et l’article 9 du code civil, qui garantit le droit au respect de la vie privée (paragraphe 55 ci-dessous). Elle demanda la publication sous astreinte d’un communiqué judiciaire dans Le Point et requit la condamnation des requérants à lui verser, à titre de provision, une somme en réparation de son préjudice moral, du fait de sa présentation comme une personne dupée et intellectuellement diminuée. Les requérants contestèrent la recevabilité à agir de Mme Bettencourt, la poursuite du délit prévu par l’article 38 précité étant réservée au ministère public selon l’article 47 de la même loi (paragraphes 54, 57 et 58 cidessous). Sur le fond, ils firent valoir qu’il était contradictoire, d’une part, d’exiger des journalistes qu’ils établissent la véracité des informations qu’ils publient et, d’autre part, de les sanctionner pour avoir justifié de leur enquête. Par une ordonnance du 2 mars 2010, le vice-président du TGI de Paris considéra Mme Bettencourt recevable à agir dès lors qu’elle soutenait que la publication des actes incriminés sur le fondement de cette disposition lui avait causé un préjudice personnel. Il indiqua que si l’article 47 de la loi de 1881 réserve au ministère public la poursuite du délit prévu à l’article 38, la personne qui prétend avoir éprouvé un préjudice matériel ou moral à la suite d’une publication peut se porter partie civile dans la poursuite ou saisir le juge des référés sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile, pour solliciter les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser le trouble illicite résultant d’une telle publication ou pour réclamer une provision. Il précisa : « il suffit que la publication des actes avant leur lecture en audience publique ait causé à cette personne un préjudice actuel et direct, peu important que celle-ci soit ou non partie à l’instance où ces actes seront lus ». Il condamna in solidum les requérants à lui payer une provision de 3 000 euros (EUR), et la même somme au titre des frais par application de l’article 700 du code de procédure civile. S’agissant de l’application de l’article 38 de la loi de 1881, le magistrat considéra que les procès-verbaux contenant les dépositions du personnel de Mme Bettencourt (paragraphe 24 ci-dessus) constituaient des « actes de procédure » qui faisaient partie de l’enquête préliminaire, certes classée sans suite, mais qui avaient été joints à la procédure pénale en cours, leur communication ayant été sollicitée et obtenu par Mme BettencourtMeyers au soutien de sa propre citation directe. Il ajouta que ces dépositions allaient toutes dans le sens de l’accusation, comme le présentait notamment l’annonce en couverture « les accusations du personnel de Madame » et souligna que « la diffusion de larges extraits émanant de proches tend à conférer aux faits alors décrits une apparence d’authenticité et d’objectivité (que l’article ne cherche pas à nuancer mais au contraire à renforcer) ; le lecteur est ainsi amené à considérer ces faits comme avérés, puisqu’ils sont livrés sous le prisme, forcément teinté de subjectivité ou d’opinion, de l’analyse d’un journaliste. Pour ces motifs, la violation invoquée de l’article 38 ne pourrait se confondre avec celles prévues par l’article 9-1 du code civil (présomption d’innocence) ou 9 du code civil (vie privée) ou 29 de la loi de 29 juillet 1881 [action en diffamation, paragraphe 54 cidessous], ni être réparée sur ces fondements légaux distincts ». Il en conclut que la publication était susceptible de porter atteinte aux droits de Mme Bettencourt en ce qu’elle la présentait, avant que ne débute l’examen de l’affaire pénale devant le tribunal correctionnel de Nanterre, comme une femme manipulée et affaiblie, ce qu’elle contestait catégoriquement. Le magistrat estima en outre que les requérants étaient mal fondés à invoquer les dispositions de l’article 10 de la Convention et les nécessités de l’information. À cet égard, il indiqua que l’article 38 visait principalement à préserver l’indépendance et la sérénité de la justice comme à protéger les droits des personnes concernées, en sauvegardant notamment la présomption d’innocence. Il souligna le caractère limité et temporaire de la restriction à la liberté d’expression, cette disposition n’empêchant pas l’analyse ou le commentaire des actes de procédure ni la publication d’une information dont la teneur a été puisée dans la procédure elle-même, mais interdisant seulement la reproduction d’actes ayant vocation à être rendus publics dans le cadre d’un processus judiciaire qui s’accompagne de garanties. Parmi ces garanties, figure le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire, « ce qu’une diffusion journalistique préalable, ponctuelle et partielle, ne saurait apporter ». Il précisa « que la restriction litigieuse ne pouvait être assimilée au cas du recel du secret professionnel et du secret de l’enquête et de l’instruction, du chef de la détention par un journaliste de pièces couvertes par le secret et utilisées par lui pour des publications contribuant à l’information du public, dès lors que le journaliste, qui n’est pas soumis [à ces secrets], est tenu de détenir ces pièces pour justifier de la vérité des faits rapportés ou du sérieux de son enquête, mais aussi de les utiliser dans le respect des lois en vigueur ». Mme Bettencourt fut déboutée de l’ensemble de ses demandes au titre d’une atteinte à sa vie privée au motif que cette atteinte n’était pas caractérisée avec suffisamment d’évidence, eu égard au droit et à l’intérêt légitime du public à être informé des évènements d’actualité ou d’intérêt général : « la demanderesse n’invoque pas d’atteintes à sa vie privée spécifiques qui dépasseraient les éléments qu’il est permis d’évoquer en lien avec l’affaire correctionnelle pendante devant le tribunal de Nanterre, le Point n’ayant pas fourni de détails particuliers quant à ses éventuelles difficultés de santé notamment ». Les requérants interjetèrent appel. Ils firent notamment valoir que les actes de procédure en cause, versés au dossier sur la seule initiative de la partie poursuivante, et non celle du parquet, ne pouvaient être considérés comme revêtus de l’autorité qui justifie, par dérogation au principe de la liberté d’expression, l’interdiction posée par l’article 38. Ils soulignèrent également que ni le droit à un procès équitable de Mme Bettencourt, ni l’atteinte au crédit ou à l’impartialité de la justice n’était en cause. Par un arrêt du 19 mars 2010, la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance pour l’essentiel et porta le montant de la provision à la somme de 10 000 EUR, outre 5 000 EUR au titre des frais de la procédure d’appel. Elle confirma que les procès-verbaux de déposition de témoins constituaient « à l’évidence » des « actes de la procédure », même si l’enquête préliminaire avait été classée sans suite, dès lors qu’ils avaient été communiqués par le parquet à la demande de la partie civile et faisaient donc corps avec la procédure correctionnelle. Elle précisa à cet égard que « la circonstance qu’ils ont été communiqués à la demande de la partie civile et non d’initiative par le parquet [importe] peu à cet égard ». Elle en déduisit que leur publication, sous forme de larges extraits, constituait une violation de l’article 38, et donc un trouble illicite au sens de l’article 809 du CPC. Elle ajouta : « l’exigence pesant sur le journaliste de vérifier ses sources et de confronter les différents éléments dont il dispose sur un sujet dans le cadre d’une enquête sérieuse avant de livrer des informations au public n’implique nullement la reproduction littérale de documents utilisés pour son enquête, lorsque, comme en l’espèce, cette publication se heurte à une prohibition édictée par la loi gouvernant le régime de la presse, qu’il ne saurait méconnaître » et conclut que la prétention des requérants de voir déclarer l’incompatibilité de l’article 38 avec l’article 10 de la Convention était infondée. Elle estima que Mme Bettencourt pouvait se prévaloir d’un préjudice moral dès lors qu’elle était présentée « comme une femme dans un état de santé psychologique dégradé, aisément manipulable et soumise à l’influence de [B.], ce que le lecteur est d’autant plus porté à tenir pour vrai qu’ils lui sont présentés comme émanant de personnes ayant occupé une place particulière les rendant observateurs privilégiés de sa vie privée ». Enfin, la cour d’appel confirma l’absence d’atteinte à la vie privée de Mme Bettencourt en ces termes : « (...) le simple constat de l’évocation de l’état de santé psychologique de Mme Bettencourt dans le corps de l’article, exempt à ce sujet de tout détail relevant de la sphère intime, et dans les témoignages publiés, au demeurant pour l’essentiel consacrés à la relation du comportement et des manœuvres prêtés à [B.] ne suffit pas à caractériser une atteinte particulière à la vie privée de l’intimée, qui excède les limites de l’information légitime que le public est en droit d’attendre sur une affaire, déjà largement médiatisée, soumise à la justice (...) ». Les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Dans leur mémoire, ils soutinrent, au regard de l’article 10 de la Convention, qu’ils avaient le devoir d’informer le public d’une affaire judiciaire en cours relancée sur citation directe après classement sans suite du parquet, à laquelle était donnée une large publicité en raison notamment de la personnalité et du patrimoine de Mme Bettencourt ; que l’arrêt de la cour d’appel les condamnait pour la seule publication des extraits, et non en raison de leur contenu ; qu’il n’y avait aucune atteinte aux intérêts protégés par l’article 38 alinéa 1 puisque Mme Bettencourt n’était pas la personne poursuivie ; qu’il y avait une contradiction manifeste dans la position de la cour d’appel, celle-ci déclarant recevable l’action de Mme Bettencourt, compte tenu du préjudice subi, tout en considérant qu’elle n’était pas présentée comme une femme affaiblie et manipulée sous l’angle de son droit au respect de sa vie privée. Par un arrêt du 28 avril 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants et les condamna à payer à Mme Bettencourt une somme de 4 000 EUR au titre des frais. Elle motiva sa décision comme suit : « (...) l’arrêt constate qu’ont été publiés de larges extraits des témoignages recueillis dans les procès-verbaux dressés lors de l’enquête préliminaire ouverte (...), lesquels la [Mme Bettencourt] présentaient comme une femme manipulée et affaiblie ; que faisant une exacte application de l’article 10 de la Convention (...), la cour d’appel a, sans se contredire, pu en déduire, dès lors que des actes dressés par les services de police au cours d’une enquête sont des actes de procédure au sens de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, que [Mme Bettencourt] était fondée à invoquer, du seul fait de cette publication, un préjudice personnel (...) ». La procédure en référé engagée par B. (requête no 2395/12) Le 11 février 2010, B. assigna les requérants en référé devant le TGI de Paris à la suite de la publication du 4 février 2010, estimant que celle-ci lui causait un trouble manifestement illicite, comme portant atteinte à la fois à ses droits d’auteur sur les photographies illustrant les propos, à ses droits de la défense et au respect de la présomption d’innocence. Par une ordonnance du 2 mars 2010, le vice-président du TGI de Paris, outre la reprise de la motivation figurant aux paragraphes 31 et 32 cidessus, considéra que la publication litigieuse allait dans le sens de l’accusation et portait atteinte au droit de B. à un procès équitable et à son droit au respect de la présomption d’innocence. La demande de B. concernant le caractère prétendument contrefaisant de la reproduction des photographies fut rejetée comme appelant une appréciation excédant les pouvoirs du juge des référés. Le magistrat ordonna des mesures de publication judiciaire en page intérieure du magazine avec annonce en couverture (à effectuer sur la moitié d’une page en caractère gras et sous le titre « Le Point condamné à la demande de [B.] ») ainsi que sur le site internet de l’hebdomadaire. Les requérants furent, en outre, condamnés in solidum à payer à B. une provision de 3 000 EUR à valoir sur la réparation de son préjudice moral, outre une somme équivalente au titre des frais irrépétibles. Les requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 19 mars 2010, la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance déférée, pour l’essentiel dans les mêmes termes que ceux indiqués au paragraphe 35 ci-dessus. Elle réitéra que les procès-verbaux de déposition des témoins, « abstraction faite de toute interprétation extensive de ce texte [l’article 38] », pouvaient être qualifiés d’acte de procédure, même si l’enquête avait été classée sans suite : « la circonstance qu’ils ont été communiqués à la demande de la partie civile poursuivante et non d’initiative par le parquet important peu à cet égard puisqu’ils viennent au soutien de l’acte de poursuite. » Elle poursuivit ainsi : « dès lors, la seule publication de larges extraits de ces procès-verbaux, avant qu’ils aient été évoqués ou lus en audience publique constitue bien une violation de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881, et par là, un trouble illicite ». La cour d’appel s’exprima encore ainsi : « (...) les quatre témoignages ainsi livrés au public présentent [B.] comme un homme intrigant et sans scrupule, usant de séduction, de manœuvres et de pressions psychologiques pour amener Liliane Bettencourt à lui consentir d’importantes et fréquentes libéralités, à une période où elle était affaiblie et où l’état de santé de son époux était dégradé ; (...) le lecteur est d’autant plus porté à tenir pour vrais ces témoignages, tous orientés dans le sens de l’accusation portée contre [B.] devant le tribunal correctionnel de Nanterre, qu’ils lui sont présentés comme émanant de personnes ayant, de par leurs fonctions auprès d’elle (infirmière, femme de chambre, secrétaire), occupé une place particulière les rendant observateurs privilégiés de sa vie privée ; (...) le lecteur est ainsi amené à adhérer à cette accusation, avant même que la juridiction saisie soit à même de se prononcer, dans des conditions de nature à porter atteinte à la présomption d’innocence et aux droits de la défense de l’intimé (...) ». Les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 7 juillet 2011, la Cour de cassation rejeta leur pourvoi dans des termes identiques à ceux de son arrêt du 28 avril 2011 (paragraphe 37 ci-dessus). La procédure au fond engagée par B. (requête no 76324/13) Le 9 mars 2010, B. assigna au fond les requérants devant le TGI de Paris en demandant réparation du dommage subi du fait de la publication des articles des 10 décembre 2009 et 4 février 2010, en violation de l’article 38 alinéa 1 de la loi de 1881. Par un jugement du 21 juin 2010, le TGI débouta B. de toutes ses demandes. Sur la recevabilité de son action, le tribunal fit observer que les requérants faisaient valoir à juste titre qu’une personne qui s’estime victime de l’infraction prévue à l’article 38 de la loi de 1881 n’est pas autorisée à mettre en mouvement elle-même l’action publique de ce chef. Il souligna que, pour autant, les dispositions de cette loi ne faisaient pas obstacle à l’exercice par la partie lésée d’une action devant le juge civil, un seul article de cette loi (l’article 46) prohibant l’exercice de l’action civile séparément de l’action publique pour les infractions de diffamations envers les administrations, corps constitués et les fonctionnaires publics. Après avoir rappelé que l’article 38 contribuait utilement à préserver la sérénité et l’impartialité de la justice et à garantir la tenue d’un procès équitable, dans la mesure où la publication intégrale et littérale d’actes d’une procédure pénale avant le procès pouvait entraver le déroulement d’investigations encore en cours ou influencer les personnes ultérieurement appelées à témoigner, voire les juges non professionnels qui seront amenés à connaître de l’affaire, le tribunal motiva sa décision comme suit : « (...) La prohibition qu’il instaure ne doit cependant pas restreindre la capacité des journalistes à informer sur les affaires pénales, même non encore publiquement examinées par une juridiction, et spécialement sur celles qui, soulevant des questions d’intérêt général, mettant en cause des intérêts importants ou concernant des personnes qui exercent des responsabilités éminentes notamment dans les domaines politiques, économiques ou artistiques, méritent particulièrement d’être portées à la connaissance du public. En particulier, l’application de ce texte ne saurait avoir pour effet d’interdire aux journalistes de livrer, en pareil cas, à leurs lecteurs tout ou partie des ressources documentaires auxquelles ils ont puisé leurs informations, pour en asseoir la crédibilité, ou qui nourrissent leurs commentaires et analyses, pour les soumettre à une libre contradiction. Tel est le cas en l’espèce : les extraits (..) de procès-verbaux qui ont été établis par un service de police agissant sur instructions du procureur de la République et qui ont été joints, après classement sans suite de la procédure ainsi constituée, à la poursuite directement engagée par une partie civile devant un tribunal correctionnel, ces extraits, donc, ont été inclus par [le deuxième requérant] au sein de deux articles successifs qui sont chacun le fruit d’une enquête journalistique et ambitionnent de présenter aux lecteurs des informations, des analyses et des commentaires sur une affaire pénale qui doit être prochainement soumise à une juridiction, met en jeu des intérêts financiers considérables et concerne la détentrice d’une des principales fortunes françaises et un photographe et écrivain ayant ainsi qu’il le fait lui-même écrire, « un succès et une notoriété incontestables ». Dans le premier des textes litigieux, de courtes citations d’actes de procédure sont reproduites entre guillemets dans le corps même de l’article et donc totalement intégrées à l’écrit du journaliste, qui y évoque des faits et y propose des analyses. Dans le second texte, les trois pages d’extraits d’actes de procédure sont incluses dans un ensemble éditorial plus vaste, essentiellement composé d’un article de quatre pages et d’une grande photographie de la personne mise en cause, dont ils sont indissociables ; le journaliste y renvoie, en effet, expressément dans son article où il les analyse et appuie sur eux ses conclusions. Admettre dans ces conditions que ces deux ensembles journalistiques ne soient examinés par la présente juridiction que sur le fondement de l’infraction purement matérielle réprimée par l’article 38 de la loi sur la liberté de la presse conduirait, ainsi que le soutiennent à juste titre les défendeurs, à empêcher ceux-ci d’engager le débat que mérite le travail journalistique dont les reproductions litigieuses ne sont qu’un élément, en les privant, au cas présent, des moyens de défense reconnus par la loi aux personnes poursuivies pour diffamation ou pour atteinte à la présomption d’innocence c’est-à-dire en leur interdisant de prouver la vérité des faits imputés ou, à tout le moins, la bonne foi du journaliste, comme de faire valoir que les textes litigieux ne contiennent pas de conclusions définitives exprimant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne mise en cause. Il sera relevé à cet égard, que le demandeur stigmatise principalement dans son assignation les commentaires et analyses qu’inspirent au journaliste, sous sa propre plume, les actes de procédure cités (....) et qu’il ne reproduit pour l’essentiel dans cet acte introductif d’instance que ces commentaires et pas les citations qu’il est censé incriminer. Il sera surtout observé qu’il fait avant tout grief aux dépositions citées en extrait – en réalité aux analyses qu’en fait le journaliste – de porter atteinte à sa présomption d’innocence et d’être présentées comme « accablantes » et « particulièrement accusatrices ». Il s’en déduit que B. admet lui-même qu’à défaut du fondement qu’il a choisi, il lui était loisible, à son choix, d’engager soit une poursuite pénale ou civile en diffamation, soit une action civile fondée sur une atteinte au respect dû à sa présomption d’innocence, toutes deux de nature à permettre, dans le respect de l’égalité des armes, un débat équitable, et qu’il n’était donc pas privé du droit de saisir un tribunal pour obtenir le respect de ses droits. Dans ces conditions, faire droit au cas présent aux demandes qu’il a formées sur le fondement de l’article 38 constituerait une restriction à la liberté d’expression dénuée de toute nécessité dans une société démocratique». Par un arrêt du 22 février 2012, la cour d’appel de Paris infirma ce jugement. Elle jugea que les publications litigieuses portaient atteinte au droit de B. à un procès équitable dans le respect des droits de sa défense et de la présomption d’innocence et méconnaissaient l’article 38 de la loi de 1881. La cour d’appel les condamna in solidum à verser à B. la somme de 1 EUR pour chaque publication à titre de réparation et celle de 6 000 EUR au titre des frais en application de l’article 700 du code de procédure civile. Elle ordonna, par ailleurs, la publication judiciaire sous astreinte d’un communiqué du dispositif de la décision dans Le Point et sur le site internet du journal. La cour d’appel précisa que l’examen de la publication litigieuse dépassait « à l’évidence le cadre de celui réservé aux infractions dites formelles » et qu’il devait se faire à la lumière de l’article 10 de la Convention, et du point de savoir si l’ingérence dans la liberté d’expression des requérants était nécessaire pour protéger la réputation et les droits d’autrui et garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. S’agissant de l’article du 10 décembre 2009, elle constata qu’il avait été publié la veille de la comparution de B. devant le tribunal correctionnel et qu’il suggérait clairement que ce dernier était coupable, étant présenté comme une personne à l’égard de laquelle « existe un faisceau de présomptions quant à la réalité de l’abus de faiblesse ». Elle estima que le tribunal avait à tort fait prévaloir le but informatif poursuivi sur les moyens employés, à savoir des procédés illégaux consistant à choisir au sein de procès-verbaux d’une enquête des extraits présentant B. comme auteur d’abus de faiblesse, alors qu’aucune décision de justice n’était intervenue en ce sens. Elle considéra qu’il était compris par le lecteur que B. ne disait pas la vérité à propos de l’état de santé mentale de Mme Bettencourt, et que sa culpabilité était « doublement suggérée » dans l’introduction (qui citait un extrait de l’acte de poursuite, lequel relève de l’article 38) et dans la conclusion. Elle ajouta ce qui suit : « (...) La motivation du tribunal équivaut à légitimer la pratique, légalement prohibée, de publication d’extraits d’une procédure avant leur lecture publique à l’audience d’une part, en fonction de l’intérêt du sujet traité et d’autre part, en retenant que B. invoque une atteinte à sa présomption d’innocence. La cour ne souscrit pas à la motivation du tribunal (...) L’article du 10 décembre 2009 en ce qu’il présente [B.] comme auteur d’abus de faiblesse envers Mme Bettencourt dans le contexte précité attente à l’évidence à son droit à un procès équitable dans le respect de sa présomption d’innocence. Cette atteinte selon l’article est exclusivement fondée sur la publication d’extraits de procès-verbaux qui légalement ne compte pas les journalistes comme leurs destinataires obligés quand ils ne sont pas partie à la procédure. La Cour rappelle qu’est attaché pour le lecteur moyennement informé du fonctionnement judiciaire, aux actes d’enquêtes judiciaires, un crédit renforcé et un effet probatoire certain. Pour la Cour en définitive, la date de parution, les choix de citation, et la présentation de [B.] comme coupable selon les pièces d’une enquête judiciaire, toutefois classée sans suite, a eu la conséquence d’influencer l’exercice, légalement et conventionnellement garanti, de ses droits de la défense, qui suppose qu’avant d’être entendu par un juge il ne soit pas présenté comme coupable d’abus de faiblesse envers Mme Bettencourt. [B.] est placé dans la nécessité de s’expliquer sur des éléments à charge non encore publiquement débattus dans une enceinte de justice et contenus dans une enquête, alors secrète, accomplie sous la direction d’un magistrat (...). Il n’y a lieu de considérer, comme le tribunal, que [B.] disposait d’autres possibilités pour agir. Ayant le droit de saisir le juge civil sur le fondement de l’article 38, le demandeur ne peut se voir suggérer d’agir par d’autres voies de procédure au motif erroné que son action contreviendrait à l’article 10 de la Convention (...). » S’agissant de l’article du 4 février 2010, la cour d’appel considéra que les choix éditoriaux - une du magazine, présentation de pans entiers de déclarations, annonce en exclusivité des dépositions de témoins -, constituaient une communication d’importance directement dirigée contre B. qui n’avait pu s’expliquer « sur les accusations du personnel » devant un juge. Elle ajouta que la publication présentait B. « comme accusé en des termes probants par des tiers » et que l’article était « une charge accusatrice réitérée envers [B.] deux mois avant une audience au cours de laquelle « l’épilogue » de l’affaire devait avoir lieu ». Les requérants formèrent un pourvoi en cassation. Dans leur mémoire en cassation, ils firent notamment valoir que l’interdiction de publier des actes de la procédure visait la défense de l’intérêt général, relevant de la seule compétence du ministère public, et qu’un simple particulier ne pouvait demander réparation de son préjudice sur ce fondement. Ils ajoutèrent que cela était d’autant plus vrai que B. disposait, en vertu de l’article 9-1 du code civil d’une autre voie de droit de nature à permettre la protection de ses intérêts et que l’ingérence dans la liberté d’expression et d’information n’était de ce fait ni justifiée ni proportionnée. Par un arrêt du 29 mai 2013 ainsi motivé, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants : « Mais attendu qu’ayant constaté, d’une part, que l’article du 10 décembre 2009 s’appuyait sur une analyse des extraits de divers procès-verbaux de police judiciaire pour présenter [B] comme ayant abusé de la faiblesse de Mme Bettencourt, à la veille de sa comparution devant le tribunal correctionnel appelé à se prononcer sur la pertinence et le bien-fondé des accusations portées contre lui par la fille de celle-ci, d’autre part, que l’article du 4 février 2010, fondé sur la reproduction partielle de dépositions recueillies par la police judiciaire, tendait à présenter [B.] comme accusé par des tiers en des termes probants à l’effet d’amener le lecteur à estimer avérés les faits reprochés à celui-ci, deux mois avant une audience constituant, selon l’article, « l’épilogue de l’affaire », la cour d’appel (...) en a déduit que celle-ci portait atteinte au droit de [B.] à un procès équitable dans le respect de son droit à la présomption d’innocence et des droits de sa défense ; (... ) ». D. Déroulement de l’affaire Bettencourt depuis la publication des articles litigieux À compter de juin 2010, l’affaire connut de nombreux rebondissements et prolongements politico-financiers largement relayés par les médias. Le 17 novembre 2010, la Cour de cassation ordonna le dépaysement de tous les volets du dossier Bettencourt au TGI de Bordeaux. Après un désistement de la fille de Mme Bettencourt, la procédure reprit, et le 14 décembre 2011, B. fut mis en examen pour abus de faiblesse. Par un jugement du 28 mai 2015, il fut déclaré coupable d’abus de faiblesse et condamné à trois ans de prison, dont trente mois de prison ferme, 350 000 EUR d’amende et 158 millions d’EUR au titre des dommages et intérêts au profit de Mme Bettencourt. Par arrêt du 24 août 2016, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement sur l’action publique et infirma la peine, condamnant B. à quatre ans d’emprisonnement avec sursis, 375 000 EUR d’amende et la confiscation d’une partie de ses biens immobiliers. La cour d’appel considéra également qu’il n’y avait pas lieu au versement de dommages et intérêts en raison de protocoles transactionnels intervenus entre les parties. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse Les dispositions pertinentes de la loi de 1881 sont ainsi libellées : Article 29 « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ». Article 38 alinéa 1 « Il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d’une amende de 3 750 euros. » Article 47 « La poursuite des délits et contraventions de police commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication aura lieu d’office et à la requête du ministère public (...)». B. Le code civil Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées : Article 9 « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ». Article 9-1 « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte ». C. Le code de procédure civile Les articles 808 et 809 du code de procédure civile sont ainsi libellés : Article 808 « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. » Article 809 « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ». D. Jurisprudence pertinente Concernant la jurisprudence interne pertinente, il est renvoyé à la partie « Droit et pratique interne pertinents » de l’arrêt Tourancheau et July c. France (no 53886/00, §§ 26 à 32, 24 novembre 2005). Il y est rappelé que la poursuite du délit prévue par l’article 38 alinéa 1 est réservée à l’initiative du ministère public et qu’une personne, même non inculpée, peut se porter partie civile dans une poursuite exercée à raison d’une publication qui lui cause un préjudice matériel et moral (§§ 27, 28 et 30). Il y est également indiqué que, selon la jurisprudence, l’interdiction de publication litigieuse s’applique à la reproduction partielle comme à la reproduction complète des documents visés par l’article 38 de la loi de 1881 (§ 26). Plus récemment, la Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à la publication d’extraits de procès-verbaux d’audition d’un témoin dans le cadre d’une information relative à un problème de santé publique. Elle a estimé que l’application de l’article 38 alinéa 1 à la publication litigieuse constituait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression au motif que « l’affaire avait trait à un problème de santé publique et qu’informer à son sujet revêtait un caractère d’intérêt général » et que la cour d’appel avait justifié sa décision en relevant « que la publication des citations extraites des procès-verbaux d’audition contenait le témoignage non décisif d’une visiteuse médicale, recueilli au cours d’une information complexe et de longue durée, sans que soient connues l’échéance ni même la certitude d’un procès » (Civ. 1er, 11 mars 2014, Bull. crim. no 36). Dans un arrêt du 11 mai 2016, cette cour a souligné que « (...) l’article 47 de la loi du 29 juillet 1881(...) ne méconnaît aucune disposition conventionnelle dès lors que le pouvoir exclusif conféré au ministère public de mettre en mouvement l’action publique, auquel n’est apportée aucune dérogation concernant l’infraction prévue par l’article 38, alinéa 1er, de ladite loi, n’a pas pour effet de priver la victime de l’accès à un juge pour voir statuer sur sa demande de réparation civile » (Crim, no 15-82 365). III. TEXTES EUROPÉENS PERTINENTS Il est renvoyé à la Recommandation Rec(2003)13 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur la diffusion d’informations par les médias en relation avec les procédures pénales adoptée par le Comité des Ministres le 10 juillet 2003 (Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 21, CEDH 2016).
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